Raison et altérité chez Fadrique Furio Ceriol: Philosophe politique espagnol du XVIe siècle 9783111655093, 9783111271019


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French Pages 276 [280] Year 1973

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Table of contents :
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION GENERALE
1. El Concejo y Consejeros del Príncipe : ses éditions / ses traductions
2. Les étapes de la redécouverte de Fadrique Furiò Ceriol
3. Eléments historiques et chronologiques pour une biographie
4. Introduction
EL CONCEJO Y CONSEJEROS DEL PRINCIPE EDITION CRITIQUE ET TRADUCTION FRANÇAISE
Note préliminaire
El Concejo y Consejeros del Príncipe / Le Conseil et les Conseillers du Prince
El Libro
Le Livre
Al gran católico de España, Don Felipe el Segundo / A l'illustre roi catholique espagnol, Sa Majesté Philippe II
DOCUMENTS
LETTRES INÉDITES
BIBLIOGRAPHIE
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Raison et altérité chez Fadrique Furio Ceriol: Philosophe politique espagnol du XVIe siècle
 9783111655093, 9783111271019

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RAISON ET ALTERITE CHEZ FADRIQUE FURIO CERIOL

HENRI MECHOULAN Attaché de Recherche au C.N.R.S.

RAISON ET ALTERITE CHEZ

FADRIQUE FURIO CERIOL PHILOSOPHE POLITIQUE ESPAGNOL DU XVIe SIECLE Introduction, édition, traduction du Concejo y Consejeros del Prìncipe suivies de notes et de documents inédits

PARIS

· MOUTON

·

LA HAYE

Library of Congress Catalog Card Number : 72-96320 © 1973, Mouton & Co Printed in France

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION GENERALE

1. « El Concejo y Consejeros del Príncipe » : ses éditions / ses traductions A. Les éditions en espagnol B. Les traductions

13 14 15

2. Les étapes de la redécouverte de Fadrique Furiò Ceriol

19

3. Eléments historiques et chronologiques pour une biographie

23

4. Introduction

41

« EL CONCEJO Y CONSEJEROS DEL PRINCIPE » EDITION CRITIQUE ET TRADUCTION FRANÇAISE

Note préliminaire 85 El Concejo y Consejeros del Príncipe / Le Conseil et les Conseillers du Prince 86 El Libro / Le Livre 88 Fadrique Furiò Ceriol : Al gran católico de España, Don Felipe el Segundo / A l'illustre roi catholique espagnol, Sa Majesté Philippe II 90 I. Obra de F. Furiò Ceriol : que es el libro primero del quinto Tratado de la institución del Príncipe / Œuvre de F. Furiò Ceriol : livre premier du cinquième traité de l'éducation du Prince 104

8

RAISON ET ALTÉRITÉ CHEZ FADRIQUE FURIO CERIOL

II. Del Consejero y primeramente de sus calidades en cuanto al alma / Du Conseiller et de ses qualités en ce qui se rapporte à l'âme

120

III. De las calidades del Consejero en cuanto al cuerpo / Des qualités du Conseiller en ce qui se rapporte au corps

168

IV. De la eleción del Consejero / Du choix du Conseiller La despedida de toda esta obra / La conclusion de l'ouvrage Previlegio Erreurs relevées dans l'édition Princeps Notes

178 196 202 203 205

DOCUMENTS

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14.

Généalogie de Fadrique Furiò Ceriol par lui-même Biographie de Fadrique Furiò Ceriol Petición. Requête adressée à Philippe II (7 VIII 1581) Información de Fray Baltásar Pérez, O.P. (26 V 1558) Lettre de Federico Furiò Ceriol au Prince de Melito, Duc de Francavilla (26 VI 1575) Remedios Compte rendu des « Remedios» par J.-A. de Thou (1734) Dircurso de Furiò Ceriol, sobre la quiete de estos estados Libro de la vida..., par Chr. Moreno (1618) Lettre de F. Cock à Furiò Ceriol lui recommandant un professeur de grec (12 V 1584) « Aprovación » de F. Furiò Ceriol in Invecta contra el vulgo y su maledicencia, par Cosme de Aldana (1591) « Octavas y Sonetos al mismo » in Invecta..., par Cosme de Aldana Censura de F. Furiò Ceriol des Comentarios de Don Bernardino de Mendoza (15 III 1592) Información de Enrique Cock (1879)

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TABLE DES MATIÈRES

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LETTRES INEDITES

1. Lettre de F. Furiò Ceriol. Requête à Marguerite de Parme, relative à son emprisonnement par les autorités de l'université de Louvain (n.d.) 2. Marguerite de Parme, Lettre signée aux autorités de l'université de Louvain, transmettant deux requêtes (13 X 1559) 3. Marguerite de Parme, Gouvernante générale des Pays-Bas, Lettre signée aux autorités de l'université de Louvain, leur transmettant la requête de Furiò Ceriol (17 X 1559) 4. Marguerite de Parme, Lettre aux autorités de l'université de Louvain, concernant le cas de Furiò Ceriol - I (13 I 1559) 5. Marguerite de Parme, Lettre aux autorités de l'université de Louvain, concernant le cas de Furiò Ceriol - II (23 I 1559) 6. Marguerite de Parme, Lettre aux autorités de l'université de Louvain, concernant le cas de Furiò Ceriol - III (8 IV 1559) 7. Marguerite de Parme, Lettre au recteur de l'université de Louvain, réclamant communication de pièces du dossier, concernant le procès de Ceriolano dans lequel est mêlé Davalos Antoine (11 V 1563) 8. Marguerite de Parme, Lettre au recteur de l'université de Louvain, relative à la sentence prononcée contre Ceriol (6 VIII 1563) 9. J. Molineus, Lettre autographe, signée du recteur de l'université de Louvain relative aux dépenses causées par l'affaire Ceriol (23 VIII 1563)

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271

BIBLIOGRAPHIE

1. 2. 3. 4.

Ouvrages imprimés 273 Ouvrages manuscrits 276 Sources biographiques 277 Ouvrages concernant « La Physiognomonie », s'inspirant du Secret des Secrets attribué à Aristote 277

INTRODUCTION GENERALE

EL CONCEJO Y CONSEJEROS DEL PRINCIPE » SES EDITIONS / SES TRADUCTIONS

Le genre auquel Furiò Ceriol s'attaque n'est pas neuf. La première partie du xvi e siècle a vu fleurir les ouvrages destinés à l'instruction du Prince, et le xvii e siècle espagnol sera en cette matière d'une prolixité sans égale. De cette masse d'ouvrages édifiants, recommandant au Prince la piété, la chasteté et l'amour du bien public, il ne se détache que quelques œuvres originales. Le Concejo y Consejeros del Príncipe est une de celles-là. D'un coup d'aile, dès les premières lignes de son envoi à Philippe II, nous dépassons le ronronnement pieux qui constitue l'essentiel de ce genre de littérature.1 Lucide, incisif, toujours intelligent, le discours de Furiò Ceriol laisse loin derrière lui nombre de gloires révérées. Certains aspects mineurs et superficiels de son œuvre comme quelques redondances font date. En revanche, sur l'essentiel, c'est-à-dire sur l'immense désir de fraternité humaine, désir qui traverse son œuvre de part en part, il est notre contemporain. Deux axes de référence orientent sa méditation politique : l'efficacité et le respect de « l'autre ». Aussi sommes-nous particulièrement navré de n'avoir de lui, en ce domaine, que le petit ouvrage qui nous occupe. Il ne représente qu'une mince partie du projet initial 2 , fort ambitieux d'ailleurs, de Furiò Ceriol (voir p. 99). Le Concejo... a pour objet, d'une part, d'apprendre au Prince comment il faut organiser l'appareil de l'Etat, et d'autre part comment il faut choisir ceux qui en ont la responsabilité. Une lecture hâtive confirmera ce résumé. Toutefois, si l'on 1. On peut lire avec intérêt sur cette question, Los Tratados sobre educación de Príncipes, Siglos XVI, XVII, par A. Galino Carillo, Madrid, 1948. 2. Voir p. 97-99.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

prête un peu plus d'attention, on verra qu'à tout moment Furiò Ceriol déborde le projet annoncé pour se situer à un autre niveau : celui de la critique. Grâce à ce qu'il nous présente comme des recommandations, Furiò Ceriol juge son temps, son pays, ses contemporains. Aussi son ouvrage connut-il un très vif succès comme le prouvent ses traductions. Furiò Ceriol avait eu le courage de faire imprimer ce que d'autres pensaient avec timidité en ce XVIe siècle où l'intolérance religieuse voulait nier la liberté qui trouve à chaque époque ses héros. Pendant qu'au xvie et au xvn e siècles, l'Europe traduisait et imprimait son livre, l'Espagne, qui n'accorda jamais du vivant de notre auteur le privilège de ses presses, devait attendre la fin du xvni e siècle pour publier le Concejo...

A. LES EDITIONS EN ESPAGNOL

1. L'édition princeps. El Concejo y Consejeros Obra de F. Furiò Ceriol Tratado de la institución En Anvers, En casa de la Con Previlegio Real.

del Príncipe. : que es el libro primero del quinto del Principe. Biuda de Martín Nució, Año M. D. LIX.

2. El Concejo y Consejeros del Príncipe, por Fadrique Furiò Ceriol. Con licencia. En Madrid, en la imprenta de Andrés de Sotos. Año M. DCC. LXXIX. Se hallará en su librería, calle de Bordadores, frente de San Ginés. Se publica a continuación de Doctrina Politica Civil escrita en Aphorismos, por el Doctor Eugenio Narbona, natural de Toledo. 3. FURIO CERIOL, Fadrique. El Concejo y Consejeros del Príncipe. Biblioteca de Autores Españoles, Madrid, 1835. 4. FADRIQUE FURIO CERIOL, El Concejo y Consejeros del Príncipe y otras obras, Edición, introducción y notas, por Diego Sevilla Andrés. Institución Alfonso el Magnánimo, Valencia, 1952. Le nombre de ces éditions en espagnol pourrait, à première vue, hypothéquer l'utilité d'une nouvelle entreprise. Cependant, celle-ci se justifie si l'on remarque que :

« EL CONCEJO Y CONSEJEROS DEL PRINCIPE »

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a) L'édition de 1779 a repris servilement celle de 1559. b) Celle de A. de Castro, dans la B.A.E., a choisi un parti de modernisation arbitraire. c) Enfin, celle de Sevilla Andrés, selon son propre aveu 3 , se fonde exclusivement sur le texte de 1779. Pour ces raisons, il nous a paru souhaitable de réaliser une édition critique du Concejo... à partir de l'œuvre de 1559. A cet effet, nous avons conservé la langue et l'orthographe de l'original à l'exception des aspects suivants : 1. les abréviations ont été développées, 2. l'emploi du U et du V a été pratiqué selon l'usage 3. l'accentuation et la ponctuation ont été mises à moderne, 4. les majuscules et les minuscules ont été rétablies ou selon l'usage moderne, 5. les mots ont été unis ou séparés à la manière l'exception de deste et dello.

moderne, la manière supprimées moderne à

Β. LES TRADUCTIONS

1. Italiennes a) Il Concilio, overo Consiglio et i Consigliere del Principe. Opera dotiss. di Furiò Ceriolo, laquale es il primo libro del trattato della Institutione del Prencipe. Tradotta di lingua Spagnuola nella volgare italiana per M. Lodovico Dolce In Vinegia apresso Gabriel Giolito de Ferrari. M. D. L. X. Dedicada al Sr. Giovan Giacomo Lionardo, Conte di Monte. b) Il Concilio, et Consiglieri del Principe. Opera di Federico Furiò Ceriol ; Ch'é il primo libro del quinto trattato della Institutione del Principe ; Tradotto fedelmente di lingua spagnola secondo il testo originale dell'Autore, Per Alfonso d'Ulloa. Con le postille in margine che dimostrano le cosa più notabili, che nell opera si contengono, con privilegio. In Venetia, Apresso F. Diadoni MDLX. Au sujet de ces deux traductions contemporaines, on peut lire 3. Fadrique Furiò Ceriol, El Concejo y Consejeros obras, Valence, 1952, p. 86.

de Príncipe, y

otras

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

avec intérêt les remarques de A. Morel-Fatio dans son graphie de Charles Quint, l r e partie, p. 148-149.

Historio-

2. Anglaise A very briefe and profitable treatise declaring howe many counsells, and what maner of Counsellers a Prince that will govern well ought to have, translated by T. Blundeville from the italian version of A. d'Ulloa, W. Seres, London, 1570. Un fac-similé de cet ouvrage a été publié par Karl-Ludwig Selig, Gainesville, Florida, en 1963. 3. Latines a) De Consiliariis, / / eorumq ; qualitatibus, virtute, ac electione, Liber unus longe utilissimus, / / FRIDERICO FURIO / / Ceriolano autore : / / Ex Italico in Latinum conversus, interprete s. s. s. / / BASILEA, PER IOAN / / em Oporinum. / / 1563. / / b) IDEA CONSILIARI I : / / Hoc est ; / / DE CONSILIIS ET CONSILIARIIS PRINCIPUM, EORUMQUE QUALITATIBUS, VIRTUTE AC ELECTIONIBUS, / / Libellus ; ex / / FRIDERICI FURII / / Ceriolani Tractatu Hispánico / / DE INSTITUTIONE / / Principis, in Italicam, ac inde in Latinam linguam translatus : / / INTERPRETANTE SIMONE SCHARDIO... / / FRANCOFURTI AD MŒNUM EXCUDEBAT IOANNES SPIES, / / ANNO MDLXXXIIX. / / c) CHRISTOPHORI VARSEVICII TURCICE QUATUORDECIM. HIS ACCESSERUNT OPUSCULA DUO. / / L. Friderici Ceriole, de Consilio & Consiliariis Principis, / / ex Hispánico in Latinum versum unum, / / & de Legato Legationeque eiusdem Varsevicii alterum. / / CRACOVIA, / / In Officina Lazari, / / Anno Domini, / / M. D. XCV. / / d) IDEA CONSILIARII : / / Hoc est, / / DE CONSILIIS ET CONSILIARIIS PRINCIPUM, EO- / / rumque Qualitatibus, virtute ac lectionibus, / / LIBELLUS; EX FRIDER. FURII CERIO- / / lani Tractatu Hispánico, / / DE INSTITUTIONE / / Principis, in Italicam, inde in Latinam linguam translatus. / / INTERPRETANTE SIMONE SCHARDIO... / / WITEBERGAE / / Typis Gronebergianis, / / 1597. e) Friderici Furii. / / De Consiliis & Consiliariis Principum, / / livre premier in Speculi Aulicarum atque Politicarum Observationum, libelli octo... / / procurante Lazarus Zetznerus, / / 1610. / / 4 4. Nous n'avons pas eu entre nos mains cette édition et en donnons la description d'après Sevilla Andrés.

« EL CONCEJO Y CONSEJEROS DEL PRINCIPE »

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f) CONSILIARII et SENATORIS OFFICIUM, / / COLONIC AGRIPPINA, / / 1643, / / Apud IODOCUM KALCOVIUM. / / Page 123 de cet ouvrage: DE CONSILIIS & CONSILIARIIS PRINCIPUM, / / FREDERICUS CERIOLANUS VALENTINOS : EX LIN- / / gua Italica Latine redditus a / / SIMONE SCHARDIO / / Iureconsulto. / / 4. Polonaise RADA PANSKA, to iest IAKICH OSOB PAN KAZDY WYBIERAC SOBIE ma do rády swoiéy : PRZEZ FRIDERIKA FURIUSZA Ceriole po hispáñsku nápisána : A PRZEZ X. DOKTORA IAKUBA GORSKIEGO, niekiedy Plebaná kosciola Pánny Máriiéy, y Kánoniká Krákowskiégo, Wloskiego ná poskie przelozona..., Krákowie, 1597. Cette édition a été réimprimée en 1892. Nous donnons ci-dessous le texte manuscrit qui l'accompagne en page de garde dans l'exemplaire de la Bibliothèque nationale de Paris : « Le Conseil d'un seigneur, c'est-à-dire, quelles personnes chaque seigneur doit choisir pour son Conseil. Ecrit en espagnol à Ceriola (sic) par Frederic Furius, et traduit de l'italien en polonais par... le Docteur Jacques Gorski, curé de l'église de Sainte-Marie et chanoine de Cracovie. Cracovie, imprimerie de Lazarzow, l'an du Christ 1597 ». D.W. Bleznick, dans son article intitulé « Los conceptos políticos de Furiò Ceriol », in Revista de Estudios políticos (Madrid), 1966, signale sans aucune référence l'existence d'une édition strasbourgeoise dont nous n'avons jamais entendu parler.

LES ETAPES DE LA REDECOUVERTE DE FADRIQUE FURIO CERIOL

Pendant près d'un demi-siècle après sa parution, le Concejo... fut traduit en italien, en anglais, en latin et en polonais. Pourtant, il fallut attendre plus de deux cents ans pour que l'Espagne se souvienne d'un de ses plus illustres penseurs.

1779 En 1779, A. de Sotos édite pour la première fois en Espagne le Concejo... et consacre quelques pages à la biographie et à l'œuvre de Furiò Ceriol. A. de Sotos est visiblement attiré par l'intelligence de notre auteur qu'il fait redécouvrir à ses contemporains, et il ajoute à son édition la Censura qu'écrivit Furiò Ceriol pour l'œuvre de B. de Mendoza. 1

1835 Personne ne s'intéresse plus à Furiò Ceriol jusqu'en 1835, date à laquelle A. de Castro publie une nouvelle édition du Concejo... dans la Biblioteca de Autores Españoles. Cette édition, sans notes ni commentaire, présente le texte comme une rareté, voire une curiosité.

1. Bernardino de Mendoza, Comentarios de Don Bernardino de Mendoza de lo sucedido en las guerras de los Paises-Bajos, desde el año de 1567 hasta el de lSn, Madrid, 1592.

20

INTRODUCTION GÉNÉRALE

1921 C. Viñas Mey découvre enfin la dimension politique de Furiò Ceriol dans un brillant article 2 qui examine en particulier la théorie de la séparation des pouvoirs chez Furiò Ceriol. C. Viñas Mey émet à la fin de son analyse l'hypothèse d'une lecture de Furiò Ceriol par Montesquieu.

1934 - 1935 C'est à Semprún Gurrea que revient le mérite d'avoir consacré un long article à notre auteur en 1934 dans la revue Cruz y Raya3, et un an plus tard d'avoir publié les Remedios de Furiò Ceriol. 4 L'article de 1934 sortait de l'ombre également la très importante Petición.5 Semprún Gurrea nous donne aussi de bonnes indications bibliographiques ainsi qu'une reconstitution de Institución del Príncipe dont le Concejo y Consejeros del Príncipe n'est qu'une partie. 6 A ces aspects particulièrement positifs et dignes de toute notre reconnaissance, Semprún Gurrea joignait, hélas ! un lyrisme un peu verbeux qui hypothéquait la valeur de son travail. L'article paraphrase souvent le Concejo... avec un enthousiasme sincère, traduit par l'abondance des points d'exclamation. On y trouve aussi le rappel évangélique et l'élan patriotique. Jamais on n'y rencontre la rigueur d'une analyse. La plus grande partie de l'article est employée à la comparaison de Furiò Ceriol et de Machiavel. Certaines remarques sont pertinentes, mais le commentateur oublie, dans son amour pour Furiò Ceriol, de montrer que celui-ci est parfois beaucoup plus près du maître florentin qu'il ne veut l'y voir. Pour un peu, l'auteur du Concejo... pourrait endosser, si elle était forgée, l'armure de Don Quichotte. 2. C. Viñas Mey, « Doctrinas políticas y penales de Furiò Ceriol », in Revista de Ciencias Jurídicas y Sociales, Madrid, 1921. 3. « Fadrique Furiò Ceriol, Consejero de Príncipes y príncipe de Consejeros », Madrid, novembre 1934, n° 20. 4. Ibid., novembre 1935, n° 32. 5. Petición adressée par Furiò Ceriol à Philippe II pour l'obtention du poste de vice-chancelier d'Aragon (voir notre étude biographique). 6. Loc. cit., novembre 1934, n° 20, pp. 60-61.

LA REDÉCOUVERTE DE FADRIQUE FURIO CERIOL

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Quant aux Remedios, ils sont publiés d'une façon quelque peu surprenante. Semprún Gurrea coupe à chaque instant le texte de commentaires et de gloses pleins de cœur, débordants de générosité. L'essentiel pour lui est de montrer que Furiò Ceriol est un véritable Espagnol et un pacifiste sincère. En quoi il ne se trompe pas. Mais encore eût-il fallu préciser les limites exactes de ce pacifisme à l'aide d'une lecture moins passionnelle de l'œuvre de Furiò Ceriol.

1937 M. Bataillon publiait son magistral ouvrage : Erasme et l'Espagne.1 Dans ce livre si riche, Furiò Ceriol n'était pas oublié, et pour la première fois depuis de Thou et Bayle, mises à part les biographies générales, Furiò Ceriol était offert à l'intérêt des lecteurs français. M. Bataillon salue l'originalité de notre auteur, sa hardiesse d'esprit, et relate la fameuse controverse avec le Sicilien Bononia. Toutefois, l'auteur d'Erasme et l'Espagne ne pouvait en quelques pages livrer toute la profondeur de la pensée morale et politique de Furiò Ceriol, pensée qui est plus critique que ne le croit M. Bataillon.

1952 En 1952, Sevilla Andrés écrivait une étude sur Furiò Ceriol dans son introduction au Concejo... qu'il publiait avec les Remedios et la Petición. Que dire de cette introduction et en particulier de son chapitre II intitulé : La pensée de Furiò ? Rien, sinon que Sevilla Andrés semble avoir voulu faire avaliser par notre auteur une idéologie qu'il admire, mais que Furiò Ceriol combattit avec force (voir notre introduction). Ce travail, cependant, a le mérite d'avoir recherché les auteurs qui furent influencés par Furiò Ceriol. Nous sommes fort embarrassé pour parler des travaux de D. W. Bleznick qui a plus tendance à confirmer les assertions de 7. Voir la réédition de 1966, Erasmo y España, Mexico. On trouve dans cette nouvelle édition des éléments biographiques importants concernant notre auteur.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Sevilla Andrés qu'à rechercher dans les textes eux-mêmes les fondements d'analyses rigoureuses. Nous aurons de nombreuses occasions de réfuter les conclusions de D.W. Bleznick dans notre introduction.

1959 - 1968 « Las Institutiones Rhetoricae de Fadrique Furiò », Nueva Revista de Filología Hispánica, t. XIII, 1959. « Los conceptos políticos de Furiò Ceriol », Revista de Estudios políticos (Madrid), n° 149, 1966. « Furiò Ceriol y la controversia sobre la traducción de la Biblia », in : Homenaje a Federico de Onís. New York, vol. I, 1968. On doit ces trois articles à D.W. Bleznick.

ELEMENTS HISTORIQUES ET CHRONOLOGIQUES POUR UNE BIOGRAPHIE

« J'estime un philosophe dans la mesure où il peut donner un exemple. ...Mais cet exemple doit être donné non seulement par les livres, mais par la vie quotidienne, comme les philosophes grecs l'ont enseigné... » NIETZSCHE.

Qui était Furiò Ceriol ? 1 Un homme qui tendit la main aux autres hommes, dans un siècle où la haine, la violence et le fanatisme voulaient étouffer les progrès de la raison et de la liberté. Il est né à Valence, et tout jeune homme, il quitte son pays pour étudier à l'étranger. On sait qu'il se rendit à Paris et à Louvain. Là, il publie son premier livre : Institutionum Rhetoricarum en 1554. Puis, en 1556, il publie un second ouvrage : Bononia sive de Libris Sacris in vernaculam linguam convertandis. Inquiété par la censure ecclésiastique, il bénéficie de la protection de Charles Quint qui le recommande à son fils. En 1559, il publie le dernier de ses ouvrages, le Concejo y Consejeros del Príncipe. Il sert Philippe II comme envoyé spécial en divers pays, et, en particulier, aux Pays-Bas. En 1592, il meurt à Valladolid. Tel est le résumé biographique que nous offrent les Dictionnaires, Mémoires, Chroniques et autres Essais. 1. Nicolas Antonio, dans sa Biblioteca Hispania Nova (s. v.), écrit : « Federicus Furius Seriolanus (vulgari appellatione Valentinae gentis, ex cujus regni urbe primaria oriundus erat, Seriol dictus)... » Bayle, dans son Dictionnaire, reprend : « surnommé Caeriolanus à cause qu'il étoit né à Valence, en Espagne. Nicolas Antonio dit que les habitans du roiaume de Valence sont appelez vulgairement Seriols, et que ce fut la raison pourquoi notre Furius a le surnom Seriolanus ».

24

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Nous avons tenté de préciser quelque peu ces données. Sans avoir la prétention de fournir une véritable biographie, nous présentons quelques éléments qui pourraient servir de point de départ à de nouvelles recherches. A cet effet, nous proposons quelques dates en commentant rapidement celles qui nous paraissent importantes en ce qu'elles coïncident avec les grandes heures de l'Histoire.

1527 La bataille de Pavie n'a pas mis un terme à la rivalité entre Charles Quint et François I er . Ce dernier, s'alliant avec Clément VII, tente de regagner le terrain perdu. Pour le souverain pontife, cette option temporelle n'est pas couronnée de succès, et Dieu veut, selon J. de Valdés, que Rome soit punie de ses fautes et de ses débordements licencieux. Du haut des remparts du château Saint-Ange, le successeur de saint Pierre assiste à l'entrée des troupes impériales qui vont se livrer à un pillage mémorable de la Ville Eternelle. A côté du pape se tient J. G. de Sepúlveda, qui assiste au spectacle, partagé entre sa fidélité à une Espagne qu'il ne connaît pas et ses attaches à Clément VII. Ce jeune Espagnol n'est pas encore connu ; il n'a pas écrit ses deux Démocrates, et il ignore surtout qu'après avoir servi son empereur, il aura le privilège, avec Honorato Juan et Siliceo, d'assurer l'éducation du jeune Philippe II qui naît le 21 mai de cette année à Valladolid. Trois jours après la naissance du futur maître de l'Escoriai, Jérôme Furiò Ceriol et son épouse voyaient venir au monde Fadrique. Les indications de Christoval Moreno 2 concernant le nom du père de notre auteur sont infirmées par celui-ci dans son introduction à l'Institutionum Rhetoricarum où il nous parle de sa famille. 3

2. Libro de la vida y obras maravillosas del siervo de Dios, el bienaventurado Padre Fray Pedro Nicolás Factor, Barcelone, 1618 : « Tenían un hijo en Flandes en el campo de su Majestad, Vincente Ceriol, ciudadano de la ciudad de Valencia y su mujer Isabel Lorença, el qual se Ilamava Federico Ceriol » (p. 207). 3. Voir documents en Appendice, p. 213-214.

ÉLÉMENTS POUR UNE BIOGRAPHIE

25

1528 - 1549 Sevilla Andrés, avec bien d'autres auteurs, affirme que Furiò Ceriol étudia à l'université de Valence. Cela est sans doute probable, mais il faut noter que nous n'avons pas encore trouvé son nom dans les registres universitaires de cette ville. 4 II semblerait qu'il n'ait pas passé là son baccalauréat ès arts. Selon le précieux document biographique que constitue la Petición, nous savons qu'il commença ses études à l'âge de sept ans : « J'offre d'abord cinquante-quatre ans d'âge que j'ai atteints le 24 mai dernier. J'offre en outre quarante-sept années consécutives consacrées à l'étude de différentes langues, arts, et sciences diverses... ». 5 Au terme de ces études, il obtiendra le titre de licencié en Théologie et celui de docteur en Droit civil et canon. Il est certain qu'il quitta sa patrie très jeune. Nous fondons en effet cette affirmation sur un passage d'une lettre du prince de Melito, qui nous apprend que notre auteur a été élevé au service d'un archevêque de Cologne : « Furiò Ceriol, serviteur de Votre Majesté, que je n'avais jamais rencontré de ma vie jusqu'à cet été, m'a parlé en cette ville et m'a dit qu'il se rendait à la source de Liège pour se soigner de certaines indispositions : il s'est rendu ensuite en diverses localités d'Allemagne où, comme Votre Majesté le sait, il fut élevé au service d'un archevêque de Cologne... ». 6 Nous sommes sûr qu'il n'était pas en Espagne en 1549, puisque dans sa requête à Marguerite de Parme 7 , requête écrite en 1559, il lui rappelle qu'il a quitté son pays depuis dix ans. Si l'on en croit sa Petición, il voyagera « dix-huit années consécutives... hors 4. Libros de Grados del Estudio General (1526-1726), Archivo municipal de Valencia, Manuscritos. Libro a 7 (años 1546-1548) et Libro a 8 (año 3.1.154910.1.1542). 5. Voir documents en Appendice, p. 216 et suiv. 6. Archivo de Simancas, E. 563 : « Furiò Ceriol criado de Vuestra Majestad a quien yo no vi en mi vida hasta este verano que me habló en esta villa y me dixo que yva a la fuente de Liega a curarse de ciertas indisposiciones ha andado después por muchas partes de Alemania, donde como Vuestra Majestad sabe, se crió en servicio de un Arçobispo de Colonia... » Il s'agit d'Hermann de Wied. En 1543, il joua un rôle important dans la controverse religieuse de son temps : « ...Hermannus archiepiscopus Coloniensis, reformationem ecclesiarum in sua dioecesi magno studio ac zelo est molitus ex decreto Ratisbonensi. », in M. Adam, Vitae Germanorum Theologorum, Heidelberg, 1620. 7. Voir p. 259.

26

INTRODUCTION GÉNÉRALE

d'Espagne, sans revenir une seule fois (je ne compte pas les autres voyages) : j'ai voyagé, dis-je, en France, dans les Flandres, en Angleterre, en Allemagne, au Danemark, en Autriche et en Italie, dans le seul but d'observer et de connaître (en sus de mes études de Lettres) les humeurs des hommes, leur façon de gouverner, leurs lois et leurs coutumes ».8

1549 - 1551 Où est Furiò Ceriol entre 1549 et 1551 ? Nous l'ignorons. Par contre, notre auteur nous apprend lui-même (voir p. 191) qu'il est à Paris en 1551. C'est là que la déclaration de guerre entre la France et l'Espagne le surprend. Est-ce pendant cette période qu'il suivit les cours de Ramus ? On peut le supposer. Il faut toutefois noter que les Archives nationales à Paris ne conservent pas, à notre connaissance, de trace du passage de Furiò Ceriol.

1551 - 1558 Cette tranche de la vie de notre auteur est particulièrement riche. Toujours suivant sa Petición, il assiste à la campagne de Metz en Lorraine et à toutes celles qui survinrent ensuite dans les PaysBas jusqu'à la paix en 1559.9 A cette activité militaire, il faut en ajouter une autre, littéraire celle-là. On voit d'ailleurs assez mal comment elles furent compatibles, compte tenu des dates et des faits très importants que nous allons rencontrer : 1553. Furiò Ceriol achève en octobre de cette année sa Rhétorique à Louvain. 1554. Il publie dans cette ville cet ouvrage sous le titre : Institutionum Rhetoricarum dédié à Georges d'Autriche. 10 Ce dernier, fils naturel de l'empereur Maximilien, fut prince-évêque de Liège jusqu'en 1557, date de sa mort. Georges d'Autriche fut un bon prince qui gouverna sagement. Peut-être est-ce par son intermé-

8. Petición, voir p. 216 et suiv. 9. Ibid. 10. Voir Biographie nationale, Bruxelles, 1880-1883, t. VII (s. v.).

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diaire que Charles-Quint connut et apprécia Furiò Ceriol, comme tous les biographes le répètent à la suite de de Thou. 11 1555. Furiò Ceriol est à Louvain et affronte Jean de Bologne (Bononia) dans une controverse où la traduction en langue vulgaire des textes sacrés est défendue par notre auteur. 1 2 1556. Furiò Ceriol publie à Bâle le débat sous le titre : Bononia sive de Libris Sacris in vernaculam linguam convertandis. Il est plus que vraisemblable qu'il se rendit dans cette ville et qu'il y fit la connaissance de Sébastien Castellion qui s'y trouvait. Sans en avoir la preuve irréfutable, nous sommes pourtant amené à l'affirmer pour plusieurs raisons. La première est que Furiò Ceriol admirait Sébastien Castellion qui avait publié en 1551 sa Bible latine. Notre auteur célébra avec enthousiasme cet ouvrage dans des vers 13 que nous trouvons dans son Bononia. Ces vers seront présents à partir de l'édition de 1562 dans presque toutes les éditions de la Bible latine de Sébastien Castellion. 14 Là où tant d'autres, parmi lesquels Erasme, avaient achoppé, Sébastien Castellion, affirme Furiò Ceriol, avait réussi pleinement. La seconde raison est que le combat de Sébastien Castellion

11. De Thou, Histoire universelle, Londres, 1734 ; voir documents en Appendice, p. 235. 12. Sur ce problème voir M. Bataillon, Erasmo y España, Mexico, 1966, p. 552 et suiv. ; H. de Vocht, History of the foundation and the rise of the Collegium Trilingue Lovaniense 1517-1550, Louvain, 1955, p. 437 ; J. I. Tellechea, « Españoles en Lovaina », in Revista española de Teología, t. XXIII, 1963, p. 21-45 ; D. W. Bleznick, « Furiò Ceriol y la controversia sobre la traducción de la Biblia », in Homenaje a Federico de Onis, N e w York, 1968, t. I, p. 195-205. 13. Bononia, ed. princeps, p. 326 : Ν escio quis veterum voluit, sermone Latino Biblia cum priscis ut loquerentur avis. Tentavit, fecitque suis pro viribus omnem Conatum, at fantur Biblia barbarice. Eusebius tentavit idem, tentavit Erasmus : Frustra opera est, fantur Biblia barbarice. Tentarunt hos ipsum alti, sed non bene cessit : Frustra opera est, fantur Biblia barbarice. En tibi Castalio tentât, coelo auspice ; idipsum Successif : ponunt Biblia barbariem. O opus egregium ! Latino sermone loquuntur Biblia nunc tandem Castalionis ope. 14. A ce sujet on peut voir Sébastien Castellion, Sebastiani Castellionis defensio suarum translationum Bibliorum..., Bâle, 1562, p. 236 ; Paul Colomiès, Italia et Hispania orientalis..., Hambourg, 1730, p. 102 ;F. Buisson, S. Castellion, sa vie, son œuvre, Paris, 1892, p. 318-319.

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était aussi celui de Furiò Ceriol qui revendique le droit pour tous à la lecture des textes sacrés. En outre, notre auteur, qui toute sa vie s'opposa au fanatisme et à l'intolérance, ne pouvait rester insensible à la réponse de Sébastien Castellion au supplice de Servet, réponse qui prit en 1555 la forme d'un beau traité intitulé : De haereticis an sint persequendi et omnino quomodo sit cum eis agendum, doctorum virorum tum veterum, tum recentiorum sententiae. Enfin, cette dernière présomption qui a quasiment valeur de preuve en faveur d'une rencontre entre Furiò Ceriol et Sébastien Castellion : le choix du lieu et de l'éditeur. En effet, c'est chez J. Oporin, à Bâle, éditeur et ami de Sébastien Castellion, que Furiò Ceriol va faire publier son Bononia. Ce n'est donc pas vers Erasme qu'il faut se tourner, comme le prétend gratuitement D. W. Bleznick 15 , mais bien plutôt vers Castellion si l'on veut déceler une quelconque influence dans Bononia.

1557 Furiò Ceriol est toujours à Louvain, car nous trouvons son nom inscrit au matricule de l'université de cette ville. 16 L'ardente défense de la traduction en langue vulgaire des textes sacrés avait attiré sur lui les rigueurs de la censure ecclésiastique. Est-ce à ce moment-là qu'il partit pour l'Allemagne afin de se mettre à l'abri comme le prétend F. Orti y Figuerola 17 ? Est-ce à cette date qu'il fut jeté en prison, comme nous le verrons dans un instant ? Est-ce à cette période qu'intervint en sa faveur

15. « Los conceptos políticos de Furiò Ceriol », in Revista de Estudios Políticos, Madrid, 1966, n° 149 : « La inspiración erasmista sin duda le impulsó a escribir su obra controversia Bononia ». 16. Voir A. Schillings, Matricule de l'université de Louvain, Bruxelles, 1961, t. IV. 17. F. Orti y Figuerola, Memorias históricas de la fundación y progresses de la insigne Universidad de Valencia, Madrid, 1730, p. 224 : « Federique Furiò Ceriol, caballero valenciano, de grand nobleza y erudición. Estudió en las Universidades de Valencia, París, y Lobayna, y se formó uno de los varones más eruditos de su siglo. A ocasión de aver (sic) defendido públicamente que era lícito verter en qualquier lengua vulgar los Libros Sagrados, incurrió en la justa censura que merece esta doctrina, y huvo de retirarse fugitivo a Alemania, donde conocida la inocencia y candidez de su ánimo, consiguió la protección de el emperador Carlos Quinto... ».

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l'hypothétique protection de Charles Quint dont tout le monde parle sans en apporter la moindre preuve ?

1558 Charles Quint meurt et avec lui sa fameuse « faveur ». Nous savons très précisément qu'à cette date Furiò Ceriol est déjà depuis longtemps « fiché » et surveillé. Grâce à l'article de J. I. Tellechea, dans la Revista Española de Teología18, nous sommes en possession d'un rapport particulièrement précieux fait par le dominicain Balthasar Pérez devant l'Inquisition de Séville, sur les Espagnols à Louvain. Le 25 mai 1558, Fray Balthasar Pérez nous apprend que non seulement l'ouvrage de Furiò Ceriol fut un sujet de scandale, mais qu'il valut à son auteur la prison. Le livre fit grand bruit et devint rapidement une pomme de discorde entre orthodoxes catholiques et partisans de la liberté d'accès pour tous aux textes sacrés. Les positions de Furiò Ceriol, ses relations allemandes suffirent à le faire passer pour un individu hautement contagieux. Furiò Ceriol était « à moitié infâme », et les familiers d'amis de notre auteur tentaient d'écarter ceux-ci de sa compagnie. 19 Le dominicain rapporte également que Furiò Ceriol est très friand de nouveautés et grandement impie. Fray Balthasar Pérez signale aussi qu'on attribue à Furiò Ceriol un pasquín contre les religieux, et qu'on le voit toujours en compagnie d'Allemands. Cette dernière remarque confirme bien les liens amicaux que notre auteur avait pu nouer lors de son séjour à Cologne 20 ainsi que lors de son passage à Bâle. Toutefois, rappelle le dominicain, l'ouvrage de Furiò Ceriol n'est plus jugé si mauvais. Les derniers conseils qu'il donne dans son rapport en ce qui concerne notre auteur lui sont relativement favorables. Furiò Ceriol n'est pas irrécupérable, mais il convient de le rapatrier au plus vite. Il est probable que l'on suivit cette affaire en haut lieu, comme nous le verrons plus avant. En effet, deux personnages jouissant 18. Loc. cit. 19. Voir le rapport de Balthasar Pérez, édité par Tellechea, cité en Appendice. 20. Voir extrait de la lettre du Prince de Melito, p. 25, et celle de Furiò Ceriol, datée du 26 juin 1575, p. 222.

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de l'entière confiance de Philippe II étaient à cette époque en Belgique. Il s'agit d'abord de Fray Lorenço de Villavicencio, maître espion de Philippe II, qui f u t reçu docteur en Théologie à Louvain le 20 juillet 1558. « Il ne tarda pas à jouer un rôle décisif dans les luttes religieuses ».21 Le second est Alonso del Canto, « contador » du gouvernement espagnol et personnage mentionné dans « l'affaire » Furiò Ceriol. 22 Il était également en correspondance directe avec Philippe II. 2 3

1559 Un an plus tard paraît le Concejo y Consejeros del Principe. A ce seul titre, on ne pourrait affirmer que 1559 soit une date historique. Mais il se trouve que l'Histoire la revendique comme une des années les plus importantes du x v r siècle. Les troupes françaises ont cédé deux ans auparavant SaintQuentin. Charles Quint est mort en 1558, suivi de peu par l'épouse anglaise de Philippe II : Marie d'Angleterre. C'est en vainqueur que ce dernier signe la paix de Cateau-Cambrésis le 3 avril 1559. Sans entrer dans les détails de ce traité, on peut dire qu'il marque la fin du duel entre François I er et Charles Quint. 1559 est l'achèvement d'une époque de luttes, et le début d'un règne qui semble heureux et puissant pour le jeune roi d'Espagne. Pour qu'aucune ombre ne vienne grisailler cette année faste, Philippe II voit mourir Paul IV, son mortel ennemi. Chef de la famille napolitaine des Caraffa, Paul IV partageait avec Machiavel son désir de voir l'Italie libérée, et nourrissait une haine toute particulière contre les Espagnols. En Méditerranée, les Turcs ne se montraient pas trop dangereux, bref, rien ne pouvait hypothéquer le retour de Philippe II en Espagne. Bruxelles, où il résidait, est en joie : « C'est dans l'euphorie d'une atmosphère de victoire que Philippe II a quitté Bruxelles. Toute l'Italie s'y trouve alors représentée, bourdonnant

21. A. Journez, « Notice sur Fray Lorenço de Villavicencio, agent secret de Philippe II », in Travaux du cours pratique d'histoire Nationale de P. Frédéricq, 1er fascicule, G a n d - L a Haye, 1883, p. 42-43. 22. Voir folio n° 68 dans les documents en Appendice. 23. Ibid.

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autour du vainqueur, offrant de l'argent et présentant ses requêtes... ».24 Quel est l'état de l'Espagne lorsque Philippe II l'aborde en septembre 1559 ? Il n'est pas dans notre propos de brosser un tableau complet, mais seulement d'indiquer quelques points essentiels pour la compréhension du Concejo... Faute de les connaître, nous ne pourrions nous poser la question que ni Semprún Gurrea25, ni Sevilla Andrés26 n'ont soulevée, mais qu'un élémentaire bon sens impose : pourquoi Furiò Ceriol écrivit-il son livre ? L'Espagne, qui n'a vu aucune armée étrangère pénétrer sur son territoire, qui a porté la guerre sur celui des autres, est triomphante sur la scène du monde. Les effets d'une administration déplorable, la dépopulation, sources de toutes les plaintes des « arbitristas » du XVII e siècle, ne se feront sentir qu'un demi-siècle plus tard. Ce n'est que vers 1610 que la célèbre phrase de Montesquieu prendra tout son sens ; l'or et l'argent des Amériques ont été pour l'Espagne « une richesse de fiction ou de signe ».27 Cependant, sur le plan économique, l'Espagne est en proie à des difficultés financières redoutables. Dès 1557, Philippe II était obligé de faire la célèbre banqueroute.28 En 1559, l'Espagne connaît une crise d'intercycle que traduit bien la situation à Séville, son poumon. 29 24. F. Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen sous Philippe II, Paris, 1949, p. 775. 25. Semprún Gurrea a écrit un long article sur Furiò Ceriol dans la revue Cruz y Raya, Madrid, novembre 1934, n° 20. On peut également lire dans cette revue, et sous la plume du même auteur, la publication d'un projet de paix aux Pays-Bas, de Furiò Ceriol, connu sous le nom de Remedios (novembre 1935, n° 32). 26. Introduction à son édition du Concejo..., Valence, 1952. 27. Montesquieu, De l'Esprit des lois, in Œuvres, Paris, an IV de la République, t. II, p. 218. 28. Il ne s'agit pas de banqueroute stricto sensu, mais de conversion de dettes, selon le mot de Braudel. L'opération frauduleuse consistait à payer à très long terme des emprunts qui venaient à échéance. 29. P. Chaunu, Séville et l'Atlantique (1504-1650), t. VIII : La Conjoncture, Paris, 1959, p. 345 et suiv. « La dérobade devant l'impôt semble avoir pris entre 1558 et 1559 des proportions telles que le Consejo s'en est ému... L'Etat paye, la chose va sans dire, les conséquences de l'embargo et de la faillite... C'est en contraction, on le sait, que se placent, toujours, les grandes poussées de xénophobie... C'est alors, notamment, qu'on découvre l'étranger, ou, du moins, que l'on révise les normes qui font l'étranger... Naissance, nationalité, religion, appartenance philosophique, en d'autres temps, mœurs... tout peut être ligne de partage, suivant les idées reçues et les modes du groupe et du moment. »

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A cet état déplorable des finances s'ajoute, aussi étrange que cela puisse paraître, une crise d'autorité. Sans franchement parler d'une révolte, une désobéissance latente au pouvoir royal se manifeste. 30 C'est dans ce climat que l'Espagne frôle une crise religieuse. L'Inquisition, dont les rigueurs s'étaient quelque peu relâchées, voit à Valladolid et à Séville fleurir la pousse détestée de l'hérésie luthérienne. 31 Valdés, voulant par son zèle farouche se sauver d'une disgrâce qu'il sentait venir, organisa une répression qui fut formidable, d'autant qu'il ne s'agissait pas de quelques judaïsants sans importance, mais de nobles, qui formèrent ainsi un terrible exemple. 32 Le 21 mai 1559, sur la Plaza Mayor de Valladolid, douze malheureux furent livrés aux flammes, en présence du prince Don Carlos et de l'infante, au cours d'une cérémonie d'un faste particulier, rehaussée par le sermon de Melchior Cano, le disciple du grand Vitoria. 33 Ceux qui moururent ce jour-là n'eurent pas le privilège de voir une dernière fois leur souverain qui, si le spectacle des champs de bataille troublait sa sensibilité, n'éprouvait pas le même dégoût pour les bûchers. 34 En revanche, ceux qui furent immolés le 8 octobre, toujours à Valladolid, purent le voir, très tôt matin, accompagné de ses enfants. Quelques jours auparavant, Séville fut aussi le théâtre d'un autre auto-da-fé. A quelques milliers de kilomètres au nord, Furiò Ceriol publiait chez la veuve de Martin Nucio, à Anvers, le Concejo y Consejeros del Príncipe. A cette date, selon tous ses biographes, l'Inquisition, 30. F. Braudel, op. cit., p. 781. 31. Voir, sur ce point, M. Bataillon, op. cit., p. 708, et M. Menéndez Pelayo, Madrid, 1956, t. I, p. 1056 et suiv., ainsi que Historia de los Heterodoxos, P. Aguado Bleye, Manual de Historia de España, Madrid, 1969, t. II, p. 572 et suiv. 32. Voir J.-L. Llórente, Histoire critique de l'Inquisition d'Espagne, Paris, 1817, t. II, p. 215. 33. En 1559, Melchior Cano assiste à Valladolid « à deux spectacles horribles, aussi solennels par la pompe qu'ils étaient anti-évangéliques par leur essence », F. Caballero, Vida de Melchior Cano, Madrid, 1871, p. 119. 34. Philippe II n'était pas de trempe guerrière, et sa sensibilité fut choquée par le spectacle du champ de bataille de Saint-Quentin. « Comment est-il possible — dit-il — que mon père aimât cela ? », P. Aguado Bleye, op. cit., p. 551 et p. 574.

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qui l'avait inquiété lors de la parution de son Bononia...35 aurait dû le laisser en paix. En effet, la fameuse intervention de Charles Quint, si souvent mentionnée, devait lui faire connaître une relative quiétude. Pourtant il n'en est rien. C'est ce que nous apprennent les documents que nous avons découverts à la Bibliothèque royale de Bruxelles. 36 Quels liens précis existent entre l'incarcération de 1556 et les papiers que nous allons examiner ? Dans l'état de nos recherches, nous l'ignorons. S'agit-il des séquelles de l'affaire Bononia, ou bien Furiò Ceriol a-t-il été à nouveau victime de l'orthodoxie catholique espagnole qui veillait avec un soin spécial sur le salut des âmes ? Nous ne pouvons répondre. Voyons plutôt ces documents. Dans une requête adressée à Marguerite de Parme, non datée, mais que l'on doit situer entre juin et septembre 1559 si l'on tient compte de l'ensemble des documents, Furiò Ceriol demande qu'il soit lavé de tous soupçons, que son honneur lui soit restitué, et que l'on poursuive ses accusateurs, car il a été détenu naguère deux mois en prison et élargi par le recteur de l'université de Louvain. Dans cette requête, il affirme être un auteur célèbre par ses ouvrages en diverses provinces et royaumes. 37 Qui sont ses accusateurs ? Une lettre de Marguerite de Parme au recteur de l'université de Louvain, datée du 13 octobre 155938, nous l'apprend, car elle accompagne deux requêtes des deux accusateurs de Furiò Ceriol. Ces deux personnages passent du rôle de dénonciateurs à celui de plaignants. Il s'agit de Frère Vincent, Espagnol, licencié en Théologie, et de Ferdinand Dantes. Toujours grâce à Fray Balthasar Pérez, nous pouvons identifier plus précisément Frère Vincent. C'est un dominicain, originaire comme Furiò Ceriol de Valence, fort zélé et bon chrétien 39 , du nom de Vicente Ponce. Il fait partie des Espagnols qui sont en 1558 à Louvain. 40 35. Bononia... (sans ce mot dans l'indication du titre) fut prohibé par l'Index espagnol de Valdés en août 1559. En janvier 1559, ce fut l'Index romain de Paul IV qui l'interdit. Voir sur ce problème : Dr E. Schäfer, Beiträge zur Geschichte des spanischen Protestantismus und der Inquisition im sechzehnten Jahrhundert, Gütersloh, 1902. 36. Manuscrits, référence B.R. II 187, t. I, f» 30, 32, 34-37, 41-45, 47, 67, 68, 188 : voir dans les documents en Appendice. 37. Une lettre du recteur et d'autres pièces jointes à cette requête n'ont pas été retrouvées. 38. Voir folio n° 30 en Appendice. 39. Voir Tellechea, loc. cit., p. 39. 40. Ibid., p. 43. 2

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De quoi se plaignent-ils ? Tout simplement d'être inquiétés à l'instigation de Furiò Ceriol, et de voir leurs biens saisis. Que s'est-il passé ? Furiò Ceriol, libéré de prison, ne reste pas inactif et intente une action contre ces deux individus qui le tiennent pour hérétique et particulièrement pervers. L'élargissement de Furiò Ceriol et l'action qu'il intente ne semblent pas avoir l'approbation de Marguerite de Parme qui rappelle au recteur qu'à son initiative de libération de Furiò Ceriol, il n'en ajoute pas une nouvelle en inquiétant les deux suppliants : « Et, comme l'apprehension dudict Ceriolen avoit esté faicte par expresse charge du roy monseigneur, lequel (pourroit estre) ne trouveroit bon que, estant icelle partie et sans actendre autre ordonnance, vous l'ayez de vostre auctorité délivré, et que cela vous debvoit bien souffire, sans, à l'occasion dudict Furiò, donner moleste à autres... ».41 Voyons maintenant plus précisément ce que disent ces deux requêtes. La première, celle du Frère Vincent, nous apprend qu'il est un honnête et probe licencié en sacrée Théologie, et que, compte tenu de ses mérites, bien plus grands que ceux du nommé Furius, accusé d'hérésie, et arrêté sur l'ordre du roi, il voudrait que ses biens lui fussent rendus, et qu'il bénéficiât de la caution juratoire, grâce à laquelle Furiò Ceriol a été élargi. La seconde est commune au Frère Vincent et à Ferdinand Dantes ; elle rappelle les mérites de ces deux personnages, et souligne la noirceur de Furiò Ceriol, auteur d'ouvrages interdits tant par le pape que par le roi, et également possesseur dans sa bibliothèque de livres interdits. Elle demande que Furiò Ceriol, libéré sous caution par le recteur de l'université de Louvain, soit remis en prison jusqu'à la fin du procès, et qu'il supporte les charges financières de celui-ci. Enfin la requête rappelle également que le « pauvre » Ferdinand Dantes est toujours pendant ce temps en prison à la demande de Furiò Ceriol. Les soixante jours passés en prison par notre auteur n'ont pas mis fin à ses peines. La mise en liberté sous caution juratoire par le recteur de l'université de Louvain n'a pas été appréciée en haut lieu comme nous le savons. A preuve la lettre de Marguerite de Parme datée du 17 octobre 1559, qui répond à celle du recteur, datée, elle, du 13 octobre. La lettre de Marguerite de Parme nous apprend que le recteur a ordonné une enquête qui a prouvé l'innocence de Furiò Ceriol, d'où sa libération. 41. Voir lettre du 13 octobre 1559 dans les documents en Appendice.

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Ce procédé semble beaucoup trop hâtif à Marguerite de Parme, qui souligne que Furiò Ceriol a été arrêté « par charge exprès du roi monseigneur » et qu'il convient avant de statuer d'attendre la décision de celui-ci.

1560 Le 13 janvier 1560 (n. st.), Marguerite de Parme est en possession des ordres du roi, aussi écrit-elle au recteur pour lui faire savoir que c'est le prévôt d'Aire, expédié vers lui, qui les lui transmettra. Elle ne manque pas d'informer le recteur que celui-ci doit se conformer aux ordres transmis. Entre le 13 janvier et le 23 janvier, il y eut sans doute une lettre, malheureusement perdue, écrite par le recteur et adressée à Marguerite de Parme. Celui-ci devait rappeler à la régente ses privilèges, car, lorsque Marguerite de Parme lui répond le 23 janvier, elle proteste de l'intention du roi et de la sienne de lui conserver ses privilèges. A ce sujet, elle informe le recteur qu'il reste seul juge pour prononcer la sentence dans l'affaire Furiò Ceriol, mais qu'une fois celle-ci prononcée, il devra, par ordre du roi, arrêter et remettre Furiò Ceriol entre les mains du prévôt de la cour « dextrement et sans bruyt et scandale » en raison de « la très grande liberté qu'il usurpe de dire et escripre, et pour éviter qu'il ne se mecte en chose qui puisse donner note (encoires a tort) à la bonne renommée de l'université de Louvain ».42 Où conduisit-on Furiò Ceriol ? Nous l'ignorons. Le 7 avril, le recteur écrivit à nouveau à Marguerite de Parme au sujet de l'affaire Furiò Ceriol. Cette lettre a disparu, mais nous savons qu'elle exista car, le 8 avril, Marguerite de Parme lui répondit dans une lettre qui en fait état. Voyant l'intérêt visible que porte le recteur à Furiò Ceriol, Marguerite de Parme lui fait savoir (lettre du 8 avril) qu'elle a demandé au roi les raisons profondes de l'arrestation de Furiò Ceriol, en même temps qu'elle lui a transmis son dossier. Furiò Ceriol a-t-il quitté les Flandres ? Nous n'en savons rien. Toutefois, nous savons par une lettre du 9 août 1560 écrite par le confesseur de Philippe II que, non seulement il a échappé à 42. Il est très probable que ce fut cette affaire Furiò Ceriol qui poussa Philippe II en 1559 à prendre une ordonnance interdisant aux étudiants espagnols l'accès de l'université de Louvain.

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ses persécuteurs, mais encore, qu'il aurait proféré certaines menaces. En effet, selon un document inédit généreusement transmis par M. Bataillon, nous apprenons que notre auteur aurait fait savoir son intention d'écrire des livres contre tous, en français, en italien et en latin. Le confesseur de Philippe II qui rapporte ce fait, en déplorant avec amertume la liberté retrouvée par Furiò Ceriol, ajoute que celui-ci pourrait écrire ses livres en grec et en hébreu, ce qui les rendrait encore plus universels. 43

1563 Qu'est devenu notre auteur ? Nous ne pouvons répondre à cette question car les documents manquent entre la lettre du 8 mai 1560 (n. st.) et celle du 11 mai 1563. A cette date, nous possédons une lettre de Marguerite de Parme au recteur qui demande à celui-ci la copie de la déposition d'Anthoine Davalos dont on instruit le procès, et qui est présentement prisonnier à Gand, cet Anthoine Davalos ayant autrefois déposé contre Furiò Ceriol alors qu'il était incarcéré à Louvain. Le 6 août 1563, Marguerite de Parme écrit au recteur de l'université de Louvain pour lui demander de donner copie à Furiò Ceriol, qui en fait la demande, de « la sentence définitive touchant l'Inquisition cidevant contre luy instituée, aussi des sentences et decretz publicq touchant la mesme affaire ». Le 23 août, l'affaire semble définitivement close. A cette date, une lettre du recteur nous apprend qu'il demande le montant des frais occasionnés par le procès de Furiò Ceriol. Nous savons que ce dernier est à Anvers, et qu'il est attendu le jour même à Bruxelles. Cette lettre fait mention de deux personnages : A. del Canto 44 et D. Masius. Cette affaire terminée, où retrouve-t-on notre auteur ? Selon toute vraisemblance, il vit à la cour du roi en Espagne, sauf pendant une absence de trois ans en Flandre et en Italie.

43. Lettre de Fr. Bernardo de Fresneda, Confesseur du roi, 9 août 1560, in Cartas españolas al Obispo de Arras, Bibl. de Palacio, Ms II/186, f° 238 ν : « Mucho me ha pesado que se scapase Ceriol. De me han scripto que amenasa que hará libros en francés, italiano y contra todos. También me parece los podría hazer en griego y en serían más universales. » 44. Voir p. 270.

Tolède, Madrid, Flandes en latín hebreo :

ÉLÉMENTS POUR UNE BIOGRAPHIE

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1572 On publie à Anvers 45 des gravures avec des distiques de Benito Arias Montano, qui représentent les quarante-quatre hommes les plus illustres dans le domaine des lettres à cette époque. Parmi elles, on trouve le portrait de Furiò Ceriol.

1573 Furiò Ceriol est-il en Espagne ? Dans l'état actuel de nos connaissances, nous ne pouvons répondre à cette question.

1574 - 1577 Furiò Ceriol fait campagne en Flandre, jusqu'à l'Edit perpétuel du 12 février 1577 qui prévoit le transfert de Flandre en Italie des troupes espagnoles. Furiò Ceriol se rend avec celles-ci en Italie, mais il n'y séjourne pas longtemps et rentrera à la cour du roi d'Espagne. Il est fort probable que la présence de Furiò Ceriol aux Pays-Bas s'explique par la venue dans cette province, vers la fin de 1573, du nouveau gouverneur, Luis de Requesens, qu'il aurait accompagné. En 1575, Furiò Ceriol rédige en Flandre un projet de paix connu sous le nom de Remedios.46 Ce projet sera repoussé par le prince d'Orange, le 6 mai 1575, ce dernier n'ayant pas confiance dans la parole des Espagnols. Nous possédons également une lettre datée du 26 juin 1575 adressée au prince de Melito, concernant principalement le drame des Pays-Bas.47

45. Philippe Galle, Imagines doctorum virorum qui bene de studiis literarum meruere (voir frontispice). 46. Voir documents en Appendice, ainsi que le résumé qu'en donne de Thou, p. 228 et 235. 47. Voir documents en Appendice, p. 222.

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INTRODUCTION GENÉRALE

1577 - 1580 Furiò Ceriol est en Espagne, et il ne quittera plus son pays. Le célèbre A. Schott, qui l'avait autrefois rencontré à Anvers, affirme l'avoir retrouvé en Espagne. 48 En 1580, on voit un miracle s'accomplir sur la personne de Furiò Ceriol. Nous le relatons sous les plus expresses réserves, car, ni la personnalité de notre auteur, ni son itinéraire intellectuel, ni ses écrits, ni sa biographie ne militent en faveur de l'anecdote jusque-là inconnue de tous les biographes, que nous présentons. L'exactitude de la relation est d'ailleurs mise en défaut par Furiò Ceriol lui-même en ce qui concerne le nom de son père et la date de sa mort. Selon Christóval Moreno 49 , le père de Furiò Ceriol vivait encore en 1580 alors que nous savons par notre auteur que celui-ci mourut peu après sa naissance. 50 Mais voyons l'anecdote. Alors que Furiò Ceriol chassait, il aurait eu un accident de tir. Une étincelle, jaillie sans doute de la mèche de son mousquet, enflamma la poudre du bassinet ouvert de son arme, ce qui eut pour effet de lui brûler le visage et de le rendre aveugle. Après avoir marché un quart de lieue, il arriva à la maison de ses parents qui firent appeler les chirurgiens. Ceux-ci conclurent à la cécité totale. Le visage gravement brûlé, il faisait peine à voir. C'est alors que Furiò Ceriol invoque le Padre Fray Nicolás pour qu'il lui serve d'intercesseur auprès de Dieu. Les parents et la maisonnée tout entière en font autant ; on place sur lui quelques agnus ayant appartenu au Padre Fray Nicolás ; et le lendemain, non seulement il retrouve la vue, mais encore pas un poil de barbe ou de sourcil ne manque. Le visage ne présente plus aucune lésion ou séquelle de l'accident.

1581 Nous possédons un précieux document biographique daté du 7 octobre 1581, à Madrid. Il s'agit de la fameuse Petición adressée 48. A. Schott arrive en Espagne à la fin de 1579, et, dans l'édition du Concejo... de 1643, nous lisons : « Fredericum Ceriolanum mihi olim Antverpiae et post in Carpetanis Hispaniae notum ». 49. Christóval Moreno, op. cit., p. 241-242. 50. Voir p. 213.

ÉLÉMENTS POUR UNE BIOGRAPHIE

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à Philippe II par notre auteur, pour obtenir le poste de vicechancelier d'Aragon, poste que Furiò Ceriol sollicitera vainement. 51

1584 En mai 1584, H. Cock écrit de Salamanque à Furiò Ceriol, pour lui recommander un professeur de grec. 52 L'année de sa mort, Furiò Ceriol se manifestera par l'intelligente et louangeuse censure qu'il fait de l'ouvrage de Bernardino de Mendoza. 53 Notre auteur, en ce qu'il fut l'un des hommes de son temps qui connurent le mieux les problèmes des Pays-Bas, avait été désigné par le Conseil royal pour lire cet ouvrage. On peut voir, dans l'édition de 1779, le compte rendu de Furiò Ceriol qui commence par : « Fadrique Furiò Ceriol, gentilhomme de la maison du roi... ».54 Le mercredi 12 août, Furiò Ceriol mourait à Valladolid. H. Cock, qui fut son ami, affirme que notre auteur était d'une intelligence rare doublée de science et d'expérience. 55 Certains commentateurs, dont A. de Sotos, qui édita le Concejo... en 1779, signalèrent qu'à la mort de Furiò Ceriol, Philippe II ordonna une enquête pour savoir si celui-là n'avait pas été souillé par l'hérésie luthérienne. L'enquête fut, paraît-il, favorable à Furiò Ceriol. 56

51. Voir documents en Appendice, p. 216. 52. Voir la lettre en Appendice. 53. Bernardino de Mendoza, Comentarios de Don Bernardino de Mendoza de lo sucedido en las guerras de los Países-Bajos, desde el año de 1567 hasta el de 1577, Madrid, 1592. 54. Voir documents en Appendice, p. 254. 55. H. Cock, Jornada de Tarazona..., Madrid, 1879, p. 33 ; voir documents en Appendice, p. 256. 56. Il est probable que Furiò Ceriol connut H. Cock par l'intermédiaire de A. Schott : « H. Cock, avant de devenir archer du corps de la garde, fut, à Salamanque, commis de librairie et collaborateur du savant humaniste anversois André Schott, professeur à l'Université de Tolède... », in J.-P. Devos, Description de l'Espagne par Jehan Lhermitte et Henri Cock, humanistes belges, archers du corps de la garde royale (1560-1622) (155 ?...), Paris, 1969, p. 9.

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« Du fait qu'un tel homme a écrit, en vérité on a plus de plaisir à vivre sur la terre. »

En présentant une édition bilingue du Concejo y Consejeros del Príncipe de Fadrique Furiò Ceriol, notre propos est double. D'abord, rendre la place qu'il mérite à notre auteur, puisque P. Mesnard, dans son célèbre ouvrage, L'Essor de la philosophie politique au XVIe sièclel, n'a pas jugé utile de lui accorder la moindre ligne. Ensuite, montrer que ceux-là même qui consacrèrent à Furiò Ceriol des travaux de quelque importance, Semprún Gurrea 2 et Sevilla Andrés 3 , ses principaux commentateurs modernes, ont émasculé sa pensée, tant elle a effrayé par sa hardiesse. Aussi ont-ils tenté, avec Menéndez Pelayo 4 , et après avoir salué d'un coup de chapeau hâtif son originalité, de faire entrer Furiò Ceriol dans le rang du conformisme politique espagnol. C'est pourquoi notre auteur, quoique connu, restait à découvrir. Que l'on ne voie aucune fatuité dans cette critique préalable. Elle est bien plus le produit de l'indignation que d'une quelconque volonté de polémique universitaire. Les ouvrages de Furiò Ceriol réfutent de la façon la plus manifeste la boutade de Montesquieu : « Vous pourrez trouver de l'esprit et du bon sens chez les Espagnols ; mais n'en cherchez point dans leurs livres. Voyez une de leurs bibliothèques : les 1. Paris, 1952. 2. In Cruz y Raya, Madrid, novembre 1934, n° 20, et novembre 1935, n° 2. 3. Edition, introduction et notes du Concejo y Consejeros del Príncipe, y otras obras, Valencia, 1952. 4. Historia de las ideas estéticas en España, Madrid, 1962, t. II, p. 159. « Furiò Ceriol a été une des individualités les plus énergiques et un des esprits les plus généreux et libres du XVI e siècle... ».

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romans, d'un côté, et les scolastiques de l'autre. Vous diriez que les parties en ont été faites, et le tout rassemblé par quelque ennemi secret de la raison humaine». 5 Peut-être, parce qu'elle est une apologie de la raison, l'œuvre de Furiò Ceriol inquiète-t-elle. Tous ceux qui l'ont rencontrée évitent de tirer des conclusions des prémisses qu'elle nous présente. A. Bell va même jusqu'à l'utiliser pour prouver la liberté d'expression en Espagne au xvie siècle 6 , et, dans un beau mouvement de défi érudit, il affirme qu'il pourrait citer « cent autres exemples d'une semblable franchise sous le règne de Philippe II » ; hélas ! il n'en fournit pas le premier, si du moins on accorde au terme « semblable » toute sa valeur. Tous les commentateurs s'accordent sur l'originalité de Furiò Ceriol qu'ils s'empressent aussitôt de recouvrir d'étiquettes. Sous quelques bonnes couches d' « ismes », elle ne gênera plus : platonisme, catholicisme, providentialisme, médiévalisme. 7 Furiò Ceriol a disparu. Heureusement, les textes demeurent. Sans les forcer, mais en ayant l'humilité de leur faire le plus grand crédit, nous leur ferons dire ce que la critique n'a pas voulu entendre. Notre auteur n'est ni un platonicien, ni un providentialiste, ni un catholique dans l'acception espagnole du terme au xvie siècle, et son esprit ne manifeste aucune dimension médiévale. Il est Furiò Ceriol, et c'est bien ainsi. Mais ce n'était pas assez que de faire d'un visage un masque. Il fallait lui donner une postérité. Aussi Sevilla Andrés lui a-t-il trouvé des épigones de troisième zone comme Ramírez de Prado 8 ou Bermúdez de la Pedraza 9 qui ont effectivement cité Furiò Ceriol. En ce qui concerne B. Felipe 10 , son œuvre n'est qu'une copie servile du Concejo... auquel il ajoute quelques commentaires pédants. Ces ouvrages font partie des milliers de livres qui glosent cuistrement, n'accordant à ceux qui les écrivent que le bénéfice de s'être fait relier, faute de se faire relire. 11

5. Montesquieu, Lettres persanes, Lettre LXXVIII, in Œuvres, op. cit. 6. El Renacimiento español, Saragosse, 1944, p. 234-235. 7. C'est à la plume de Sevilla Andrés, dans son introduction au Concejo..., que l'on doit ces étiquettes. 8. Concejo y Consejeros de Principe..., Madrid, 1617. 9. El Secretario del Rey..., Madrid, 1620. 10. Tratado del Consejo y de los Consejeros de los Príncipes, Coimbra, 1584. 11. A ces noms, Sevilla Andrés aurait pu ajouter celui de A. de Camos qui cite et utilise notre auteur dans son indigeste Microcosmia y Govierno universal del Hombre christiano..., Madrid, 1595.

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Lorsqu'il ne s'agit pas d'une postérité directe, on tombe dans la comparaison que l'on veut flatteuse. « Personne, ni Quevedo lui-même, dans son Marcus Brutus ou dans sa Politique de Dieu, n'a proclamé plus clairement, plus fortement, avec plus de ferveur le primat du bien, de la raison, de la vérité, de la justice... ».12 Comment Semprún Gurrea peut-il avoir le front de comparer Furiò Ceriol à Quevedo ? Qu'aurait pensé Furiò Ceriol, défenseur de la raison et de la concorde entre tous les hommes, quelles que soient leur nationalité et leur confession, de la xénophobie bornée, du chauvinisme ou de l'antisémitisme de Quevedo ? Qu'aurait pensé Furiò Ceriol, habile politique, à bien des égards disciple de Machiavel, mêlé au problème le plus brûlant de son temps, à savoir la rébellion des Pays-Bas, des graves arguties de Quevedo luttant contre les tenants de sainte Thérèse pour la défense de saint Jacques comme unique patron de l'Espagne ! Plus fidèle à la mémoire de Furiò Ceriol, nous lui trouvons une autre parenté. Parmi ses contemporains, Machiavel, Bodin, Montaigne et, plus tard, Spinoza et Montesquieu. Redoutable compagnie pour ce « platonicien » purifié par les eaux du baptême. Grâce à elles, selon Sevilla Andrés 13, Furiò Ceriol évite le conservatisme de Platon, conservatisme que le commentateur attribue à ce qu'il nomme la pétrification des castes. 14 Ouvrons ici une parenthèse pour montrer la valeur des appréciations de ce critique. S'il faut accuser Platon d'avoir été fasciné par l'éternité et de s'être laissé bercer de rassurements parménidiens, on doit porter à son crédit qu'il a réfuté par avance l'ordre paulinien et augustinien qui assigne à chacun et pour toujours sa place en fonction de sa naissance. Platon n'est pas « un sévère aristocrate qui n'admet pas d'hommes nouveaux pour rajeunir la vieille sève de ses classes... »15 ; bien au contraire, il y a chez lui une perpétuelle sélection. Le rejeton issu d'une âme d'or peut être renvoyé dans la classe des travailleurs, alors qu'un sujet issu de cette dernière mais présentant d'heureuses dispositions peut être intégré dans la classe qui correspond à ses qualités. Là-dessus, Platon est fort explicite. 16 En revanche, ni saint Paul, ni saint Augustin ne nous

12. 13. 14. 15. 16.

Semprún Gurrea, ibid., n° 20, p. 15. Op. cit., p. 65. Ibid. Ibid. Platon, La République, III, 415, b, c.

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enjoignent de faire travailler le fils du puissant dénué de talent ou d'investir d'un pouvoir quelconque l'esclave intelligent et doué. Mais il y a plus grave. Lorsque Sevilla Andrés écrit que Platon « élabore une doctrine politique et tire de celle-ci une théorie morale » 17 , ce n'est plus sur un point précis de doctrine qu'il fait erreur, mais c'est sur la démarche platonicienne tout entière qu'il se trompe. De la métaphysique qui est première s'ensuit une morale et une politique. On comprend combien il faut apporter de réserves au « platonisme » attribué à Furiò Ceriol par Sevilla Andrés. L'auteur du Concejo... se situe dans une lumière toute différente, et rompt avec la tradition espagnole, fortement marquée de platonisme politique et d'augustinisme, comme nous le verrons plus loin. Alors que Platon ordonne sa Cité en fonction de l'éternité et qu'il assigne à la religion le rôle capital de sacraliser les lois, Furiò Ceriol reste laïc d'un bout à l'autre de ses analyses. Certes, nous trouvons dans son œuvre quelques références à Dieu, mais il s'agit toujours de clauses de style. Pas une fois l'argumentation du Concejo... ne s'appuie sur une citation de saint Augustin ou de saint Thomas. Furiò Ceriol est aussi loin du platonisme18 qu'il 17. Op. cit., p. 64. 18. A suivre les précipiteux chemins de Sevilla Andrés, D. W. Bleznick ne tarde pas à tomber dans l'erreur de son prédécesseur. D. W. Bleznick souligne avec force l'influence de Platon dans la pensée de Furiò Ceriol, et trouve entre le philosophe-roi et le Prince de Furiò Ceriol des affinités précises (Revista de Estudios Políticos, 1966, n° 149, p. 25-46 : « Los conceptos políticos de Furio Ceriol »). Toutefois, c'est avec la notion d'ordre que, selon ce commentateur, l'influence platonicienne est patente. Si le Concejo... n'offre pas à D. W. Bleznick de quoi étayer cette assertion, il va la chercher dans les Remedios. Ce texte (voir documents en Appendice) conseille à Philippe I I la clémence et la tolérance pour ramener la paix aux Pays-Bas que la sanguinaire répression du duc d'Albe n'avait pas soumis. Entre de sages et humanitaires conseils de paix et tout ce qu'implique l'ordre platonicien, il y a un monde. Précisément, un monde intelligible, axe de référence de la politique platonicienne. Rien dans le Concejo... qui ressemble à la fin du VI e livre de La République. Certes, on peut voir dans ce texte (Remedios) une certaine apologie du conservatisme. Mais comme celui-ci est contraire à l'esprit et à la lettre du Concejo..., un effort de compréhension s'imposait. Furiò Ceriol manifeste ici une rare habileté politique. Pour mieux fléchir Philippe I I à qui il demande le retour aux anciens privilèges pour les Pays-Bas, notre auteur se fait l'ardent défenseur du respect du passé, alors que dans le Concejo..., il préconise à chaque instant l'adaptation des lois aux situations présentes, et l'abrogation des lois vieillies et inefficaces. D'autre part, D. W. Bleznick ne devrait pas, pour donner plus de poids à son erreur, en rajouter une autre, et faire de Calliclès le chantre de ce

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l'est du catholicisme espagnol du xvie siècle, et l'on peut dire que notre auteur consomme la plus grande rupture avec son temps qu'il est possible d'imaginer. Voyons plutôt. Furiò Ceriol se moque de ceux qui croient être au Conseil de Dieu, et rejette toute explication qui ferait intervenir la divinité dans les affaires politiques des hommes. 19 Ainsi, après une défaite militaire, de bonnes âmes se lamentent, et affirment que Dieu punit nos péchés. Notre auteur n'hésite pas à leur donner ironiquement raison, mais en décentrant la notion de péché, en la faisant descendre du ciel sur la terre : « ...les erreurs et les fautes des Princes et de leurs mauvais Conseillers sont les péchés qui nous conduisent à notre perte et à la sienne ».20 Mais qu'un Prince soit intelligemment conseillé, qu'il soit habile et n'entreprenne aucune guerre inconsidérément 21 , et le péché se volatilise, car il est le produit de l'incompétence. Voudrait-on objecter que Dieu veut aveugler Prince et Conseillers pour arriver à ses fins, Furiò Ceriol demande alors des lettres patentes signées de la Trinité. 22 Sans doute est-ce à la suite de ce passage que Sevilla Andrés pouvait écrire que le providentialisme se manifeste avec insistance dans tous les écrits de Furiò Ceriol. 23 S'il fallait une preuve supplémentaire de la totale indépendance de notre auteur à l'égard de la théologie et du providentialisme, il suffirait de comparer sa vision de l'Histoire à celle de son illustre contemporain Sepúlveda. Celui-ci voit dans l'Histoire le déroulement des volontés divines, et assigne à l'Espagne le premier rôle dans les plans de Dieu. Il s'agit d'une véritable philosophie de l'Histoire toute inspirée de saint Augustin et d'Orose, et ajustée aux conjonctures politiques, que nous rencontrerons plus avant. Rien de tel chez Furiò Ceriol dont la conception de l'Histoire est radicalement différente. Entièrement épurée de tout élément théologique ou hagiographique, elle n'a ni pour objet de nous fameux ordre platonicien comme il le laisse entendre : « Calicles asevera que es buena la casa en donde reinan el orden y la regularidad, y donde están ausentes estas calidades, la casa es mala », p. 35. 19. Voir p. 113. 20. Ibid. 21. Voir ce que dit Furiò Ceriol sur la préparation de la guerre, p. 111-115 et 139. 22. Voir p. 113. Il semble qu'ici la volonté de Dieu soit l'asile de l'ignorance, comme le dira plus tard Spinoza dans l'Appendice du livre I de l'Ethique. 23. Op. cit., p. 85.

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relater les interventions miraculeuses de saint Jacques ni pour propos de glorifier les immixtions divines dans l'Histoire. Celle-ci est bien plutôt une école laïque d'intelligence politique. La quatrième qualité qui illustre l'aptitude du Conseiller est la parfaite connaissance de l'Histoire, source et résumé de l'expérience des hommes. Notre auteur lui accorde une telle importance qu'il veut exclure de sa fréquentation tout élément anecdotique susceptible de distraire. « L'Histoire n'est pas un passe-temps, elle est un gain de temps »24, écrit-il, et seul celui qui sait en tirer les leçons est digne d'être Conseiller. Furiò Ceriol précède ici Bodin qui ne dira rien d'autre sept ans plus tard dans sa Méthode de l'Histoire. Certains de ses jugements sont presque superposables à ceux de notre auteur : « C'est grâce à l'Histoire que le présent s'explique aisément, que le futur se pénètre, et que l'on acquiert des indications très certaines sur ce qu'il convient de chercher ou de fuir ».25 Grâce à l'Histoire, le Conseiller de Furiò Ceriol comprendra, jugera, décidera, bref, possédera l'intelligence des situations, c'est-à-dire la prudence. 26 C'est également grâce à l'Histoire qu'il aura aussi la meilleure connaissance du Droit universel. 27 Mais rares sont ceux qui comprennent la véritable finalité de l'Histoire, se plaint Furiò Ceriol. 28 Histoire de son temps, de son pays, de ses voisins, de l'Antiquité, pas une fois on ne décèle la moindre trace de la conception augustinienne si chère aux contemporains de notre auteur. L'Histoire reste et demeure pour lui le lieu des actions humaines, rien qu'humaines. Faut-il conclure que Furiò Ceriol était un esprit irréligieux ? Certes non. Sinon comment comprendre toute l'ardeur qu'il mit à défendre ses positions libérales face au conservatisme de Jean de Bologne dans Bononia... ? Comment comprendre qu'il acceptât les risques de la persécution ? 24. Voir p. 133. 25. J. Bodin, La méthode de l'Histoire, in Œuvres philosophiques, Paris, 1951, t. V, p. 278. 26. « Mais quant à la prudence authentique, il n'y a pas pour l'acquérir de moyen plus indiqué ni plus nécessaire que l'Histoire... », ibid, p. 282. 27. Voir p. 131. 28. Voir p. 131. On peut comparer cette plainte à celle de Bodin : « ...si bien que l'on voyait jusqu'ici la plupart des écrivains mêler maladroitement et imprudemment leurs sources sans en tirer le moindre enseignement », op. cit., p. 180.

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Avec une rare hardiesse qui lui valut l'intérêt de l'Inquisition, la prison et les honneurs de l'Index, Furiò Ceriol, nous le savons, demande, à la suite de son maître parisien Ramus 29 et de Sébastien Castellion 30 , que les textes sacrés soient accessibles à tous. Furiò Ceriol aurait partagé ce jugement de Bodin : « Quant à la religion essentielle, cette droite conversion en Dieu d'un esprit préalablement purifié, elle ne requiert pas plus de science politique que de manifestations collectives : il lui suffit d'un cœur solitaire ».31 La théologie se résume pour notre auteur à la sincérité d'une âme limpide qui se passe d'intermédiaire pour comprendre la parole de Dieu. Celle-ci nous est directement dévoilée. 32 Dieu n'a-t-il pas donné sa foi à tous sans discrimination ? 33 Furiò Ceriol n'est pas tendre à l'égard de ceux qui se veulent être les représentants exclusifs de Dieu sur terre. Les prêtres ne sont pas épargnés. Certes, il y en a de fort bons, mais ceux-là, pense notre auteur, ne sont pas si nombreux. D'où la nécessité pour tous d'avoir accès aux textes sacrés. Quant aux autres prêtres, ils sont hommes, et de ce fait en proie à toutes les basses tentations, à toutes les sollicitations de l'argent, l'ambition, la malveillance. 34 Certains théologiens sont même dangereux pour l'Etat et le monde entier. 35 La Bible est un instrument et un message d'amour, et pour cette raison doit être lue par tous. Et, comble d'audace, Furiò Ceriol prend pour exemple les juifs qui, non seulement lisaient directement les textes sacrés, mais encore les laissaient enseigner et expliquer au Christ encore enfant, alors qu'ils ne soupçonnaient nullement sa divinité. 36 Et l'auteur de Bononia... de conclure : « Puissions-nous en cela imiter les juifs ».37 29. Voir J. Barni, Les Martyrs de la pensée, Genève, 1862, p. 134-135. 30. La Bible nouvellement translatée (envoi à Henri II), Bâle, 1551. 31. J. Bodin, op. cit., p. 290. 32. Furiò Ceriol, Bononia..., op. cit., p. 308 : « Vera Theologia nihil aliud est, quam divina voluntas nobis divinitus patefacta... ». 33. Ibid., p. 191 : « ...fidem omnibus sine discrimine dedit ». 34. Ibid., p. 140 : « Verbi enim divini functionem qui habent, adque officium, sicuti regum ministri, vel ex favore studioque partium, vel ambitione, vel quaestu, vel invidia, vel petulentiae vitio, vel malevolentia... ». Et Furiò Ceriol d'ajouter un peu plus loin combien la vérité est menacée : « Ab homine Veritas saepe imo prope semper vel occultatur, vel dissimulatur, vel opprimitur ». 35. Ibid., p. 267. 36. Ibid., p. 238. 37. Ibid., p. 277 : « Utinam hic imitaremur Judœos ». Il ne faut pas pour autant croire que dans Bononia... Furiò Ceriol échappe à l'attitude de ses

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Furiò Ceriol concevait donc la religion comme un lien direct avec Dieu. Contrairement à ce que pensaient tous ceux qui traitèrent de l'éducation des Princes en Espagne aux xvie et XVII e siècles, Furiò Ceriol estime que le monarque peut parfaitement bien gouverner s'il connaît bien son métier, sans recourir aucunement à la religion. Là-dessus, notre auteur est fort explicite (voir son introduction au Concejo...). Cette laïcité dans l'exercice du pouvoir explique l'apparente rupture de pensée entre Bononia... et le Concejo... Cependant, il ne s'agit que d'une distinction entre deux niveaux, l'un religieux, l'autre politique. Ces deux domaines, redisons-le une fois de plus, sont parfaitement hétérogènes et étanches dans l'esprit de Furiò Ceriol. Toutefois, son attitude religieuse personnelle éclaire sa pensée politique. C'est pour cela que nous l'avons brièvement résumée. Les conséquences des prises de position dans Bononia... étaient immenses. 38 Cette ouverture d'esprit donnait à Furiò Ceriol une conception de l'humanité qui ne ressemblait en rien à celle de ses contemporains, orthodoxes, catholiques ou partisans de la Réforme. Le rapport de l'homme à Dieu étant dégagé de toute superstructure théologique, les textes sacrés ouverts à tous, et considérés comme instruments de concorde et d'union, il s'ensuivait naturellement une vision morale et politique particulière. Pour en saisir l'originalité et la force, voyons quelle idée notre auteur se fait du Conseiller, de celui qu'il nomme l'homme d'esprit supérieur. Furiò Ceriol est dualiste. La distinction âme-corps est permacontemporains à l'égard des juifs qui sont qualifiés d'aveugles et d'obstinés, et rejetés dans la lie de l'humanité avec les mahométans, les sicaires et les adultères (voir p. 222). Comment comprendre alors que l'Institutionum Rhetoricarum, antérieure de deux ans, et le Concejo..., postérieur de trois ans, manifestent des positions radicalement différentes ? On ne peut expliquer cette contradiction qu'en émettant l'hypothèse suivante : Furiò Ceriol, qui fait tourner tout son plaidoyer pour la liberté de lecture de la Bible sur l'exemple des juifs, se devait de les qualifier selon la mode du temps. En effet, dans un débat de théologie, il ne pouvait se permettre, et plus particulièrement en tant qu'Espagnol, de défendre des positions qui fleuraient la Réforme, de soutenir que la religion ne qualifie pas les hommes et qu'ils sont, quelle que soit leur appartenance ethnique ou confessionnelle, tous égaux (voir p. 123). 38. Lors du procès de Carranza, il sera encore fait état de la volonté intransigeante de Furiò Ceriol de voir la Bible traduite en langue vulgaire. Cf. J. Ignacio Tellechea Idigoras, Fray Bartolomé Carranza, Documentos inéditos. Testificaciones de cargo, t. II, Madrid, 1963.

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nente dans l'analyse des aptitudes du Conseiller. Mais ce dualisme répond de façon anticipée à certains de nos contemporains qui, se disant matérialistes et athées, professent un idéalisme plus exorbitant que celui de Descartes en refusant le poids du corps. Comme Spinoza, Furiò Ceriol pense qu'on ne peut changer son essence. Du chardon on ne fera jamais une rose, en dépit de tous les efforts. L'âme et le corps ont leurs limites, leurs dispositions, leurs aptitudes. Précédant le célèbre Huarte, Furiò Ceriol procède à une analyse psychologique et caractérologique pour dégager le type parfait du Conseiller. L'essentiel, pour notre auteur, ne s'apprend pas. Le médiocre aura beau travailler jour et nuit pour « ravauder sa nature, on verra toujours le rapiéçage ».39 Aussi distingue-t-on chez Furiò Ceriol, lorsqu'il s'agit du domaine politique, un clivage net entre l'intelligent, « el prudente », et les autres. 40 II existe certains hommes, ceux-là même qu'il faudra choisir pour Conseillers, qui sont plus que des hommes, des « héros ». Le héros de Furiò Ceriol dépasse en intelligence et en courage le commun des mortels. C'est un homme supérieur, « moyen et fin de très grandes et plus qu'humaines entreprises »41, qui possède parfaitement les quinze aptitudes intellectuelles et morales, et les cinq caractéristiques physiques énumérées par notre auteur : « il est presque Dieu sur terre ».42 Etrange expression soulignant le caractère exceptionnel du héros qui soutient la comparaison avec les plus grands de ce monde. Rien ici qui préfigure le héros de Gracián, personnage intelligent, habile, rusé, qui édulcore à peine son appétit d'être le premier en affirmant le primat de la vertu de façon rapide. Le héros de Furiò Ceriol est bien plutôt de la trempe des vertueux Romains. Certes, l'intelligence, la vivacité, le jugement, le réalisme sont des qualités majeures pour notre auteur. La leçon de Machiavel n'est pas oubliée, mais Furiò Ceriol l'entend à sa façon. L'esprit supérieur qu'il décrit a pour objet le bien commun. Juste, incorruptible, attentif au bonheur de tous, quelle que soit leur condition sociale, et non au salut de l'âme, il est au service des hommes et de la vérité qu'il s'engage à défendre dans n'importe quelle circonstance, sans considération de personne. 39. Voir 40. Voir 41. Voir 42. Voir Educación

p. 173. le Concejo... Envoi à Philippe II, p. 95. p. 121. p. 125. Expression empruntée à Plutarque et reprise par Erasme, del Príncipe cristiano, Madrid, 1956, p. 288.

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De quels hommes s'agit-il ? Bien évidemment de ses compatriotes au premier chef, mais là ne se bornent pas les dimensions de son humanité. Lorsque notre auteur parle de l'homme, il entend l'humaine condition qu'il ne divise pas entre catholiques espagnols, et infidèles, hérétiques, maures, Turcs, barbares, à qui l'on n'offrait que la conversion ou la mort. Nous sommes en présence d'une pensée authentiquement universaliste, qui place d'emblée Furiò Ceriol aux côtés des stoïciens, de Montaigne, de Spinoza, de Montesquieu. Notre auteur commence la description de son esprit supérieur par un magistral défi à ses compatriotes. Il faut insister sur l'aspect propédeutique à toute analyse de l'homme supérieur que constitue ce défi. En effet, on cite quelquefois hors de son contexte le fameux passage qui va suivre, sans souligner son antériorité par rapport au développement de l'ouvrage. Furiò Ceriol nous avertit que l'esprit supérieur est en rupture de ban avec l'opinion du vulgaire. Ses propos sont « estravagantes »43, inintelligibles pour le commun. Le mot n'est pas trop fort, voyons plutôt : « C'est une des marques les plus frappantes de l'esprit bas que de dire haineusement du mal de son adversaire ou des ennemis de son Prince, ou de ceux qui sont de confession différente, ou des étrangers, qu'ils soient juifs qu'ils soient maures, qu'ils soient gentils, qu'ils soient chrétiens. En effet, l'esprit supérieur voit dans tous les pays qu'il y a une lieue et même plus de mauvais chemin, et dans toutes les parties du monde ».44 Et pour être bien sûr d'être compris, il reprend cette affirmation en la portant au comble de l'audace : « il n'existe pas plus de deux pays dans le monde. Celui des bons et celui des méchants. Tous les bons, qu'ils soient juifs, maures, gentils, chrétiens ou d'une autre secte font partie d'un même pays, d'une même maison, d'un même sang. Et il en va de même pour tous les méchants ».45 Faut-il rappeler que nous sommes en 1559, dans une Espagne qui tire toute sa gloire de la pureté de sa race et de sa foi. Siliceo, l'homme qui combattit pour faire admettre officiellement par le pape et par le roi les statuts de pureté de sang 46 , fut le maître 43. Voir p. 122. 44. Voir p. 123. 45. Voir p. 153. 46. « C'est ainsi que le 6 août 1556, encore à Bruxelles, le nouveau Roi répondit favorablement à une requête de Siliceo, maintenant cardinal, demandant la ratification royale du statut de pureté de seing dont l'application, proclamait-il, s'était déjà révélée utile au service de Dieu », A.-A. Sicroff, Les

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de ce Philippe II à qui est adressé l'ouvrage. On sait que la moindre trace de macule juive ou maure, se situant à n'importe quel niveau de la généalogie, excluait son possesseur de toute charge ou emploi de quelque importance, le maintenait dans un état de constante surveillance et faisait de lui la proie de tous les sycophantes. Des villes obtenaient des privilèges royaux pour n'abriter dans leurs murs aucun converti. C'est ainsi que, selon Domínguez Ortiz 47 , la municipalité de Villena procédera jusqu'à la fin du xvin e siècle à des vérifications de pureté de sang chez ceux qui souhaitaient y établir domicile. L'Espagne voyait se développer un véritable racisme qui, dans les années suivantes, allait tourner à la manie fanatique. La tache juive ou maure se transmettait, l'infection se perpétuait par le sang. Il ne faut pas oublier que 1559 voit paraître l'un des premiers manuels de vulgarisation raciste : la Summa Nobilitatis Hispanicae de Arce de Otalora. Cet ouvrage est l'un des classiques d'un genre qui va fleurir avec bonheur jusqu'au milieu du xviF siècle. Nous y lisons que les juifs, « par leur crime de lèse-majesté divine et humaine, ont perdu toute sorte de noblesse et de dignité, et le sang de celui qui a livré le Christ est à un tel point infecté que ses fils, ses neveux et ses descendants, tout comme s'ils étaient nés d'un sang infecté, sont privés et exclus des honneurs, des charges et des dignités... L'infamie de leurs pères les accompagnera toujours ».48 L'admirable position de Furiò Ceriol n'a donc que plus de valeur, d'autant qu'il s'agit d'une confirmation. La véritable réfutation du racisme se trouve dans son Institutionum Rhetoricarum49, datée de 1554. Ce livre rare, uniquement étudié à notre connaissance par D. W. Bleznick ^ est riche d'implications morales et politiques que ce commentateur a laissées complètement dans

controverses des statuts de pureté de sang en Espagne, du XV' au XVII° siècle, Paris, 1960, p. 137. 47. « Los Conversos de origen judía después de la expulsion », in Estudios de Historia Social de España, Madrid, 1955, t. III, ρ 278. 48. « ...quod per crimen lesae maiestatis divinae vel humanae perditur quaelibet nobilitas et dignitas, et inficitur sanguis proditorie taliter, quod filii, nepotes, et descendentes (quasi geniti ex sanguine infecto) privantur et excluduntur ab honoribus et officiis et dignitatibus... infamia eos paterna semper comitetur », J. Arce de Otalora, Summa Nobilitatis Hispanicae, Salamanque, 1559, p. 187-188. 49. Louvain, 1554. 50. « Las Institutiones Rhetoricae de F. Furiò Ceriol », in Nueva Revista de Filologia Hispánica, 1959, t. XIII.

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l'ombre pour ne s'attacher qu'au résumé de la pure rhétorique limitée à l'étude des figures de style. 51 Pourtant, c'est dans cet ouvrage que l'on rencontre la théorie qui ruine définitivement les prétentions racistes et le fanatisme haineux. Dans une analyse qu'aurait peut-être jalousée Montesquieu, Furiò Ceriol étudie l'influence des climats sur la conduite morale des hommes. Certes, tout individu possède une essence psycho-somatique qui limite ses capacités intellectuelles et physiques. Il y a des hommes plus intelligents que d'autres. Mais là s'arrêtent les différences essentielles. En ce qui concerne les mœurs, les qualités et les défauts, nous nous trouvons en présence de différences accidentelles explicables par le milieu, le climat, le mode de vie, les activités, le travail. Que tout cela change, et voilà l'homme changé. « Chaque nation a ses mœurs particulières auxquelles le discours doit s'adapter. Il convient qu'un orateur sage connaisse avant tout les vices et les vertus de chaque nation, dont les racines ne sont pas tant dans la race et dans la semence, que dans les éléments qui naissent de la nature même des lieux et des habitudes de vie dans lesquelles nous vivons et respirons. Les Carthaginois sont voleurs et menteurs... non pas à cause de leur race, mais à cause de la nature des lieux : à cause de leurs ports, ils étaient amenés à tromper pour des raisons commerciales ».52 Défauts et qualités de chaque peuple s'expliquent « soit par l'influence du climat, soit par le commerce des nations entre elles, soit par le génie des lieux ».53 Condamnant ainsi l'hérédité des caractères acquis, Furiò Ceriol sape les fondements des théories racistes, et aussi l'argument

51. Ch. Perelman, L. Obrechts Tytica, Rhétorique et philosophie. Pour une théorie de l'argumentation en philosophie, Paris, 1952, p. 48-49 : « On oublie que, d'après une tradition séculaire, la rhétorique se propose de persuader, de gagner l'adhésion d'autrui, à l'aide d'une argumentation qui concerne le préférable... chez Aristote, la rhétorique avait précisément pour objet l'étude des techniques d'argumentation non contraignante, ayant pour but d'étayer des jugements et par là, de gagner ou de renforcer l'assentiment des esprits ». 52. F. Furiò Ceriol, Institutionum Rhetoricarum, op. cit., p. 201 : « ...nam singulis gentibus proprii mores sunt pro quorum conditione oratio mutanda fuerit. Noscat igitur oportet prudens Orator in primis cujusque nationis vicia et virtutes, quae non ingenerantur hominibus ab stirpe tam generis ac seminis, quam ex his rebus, quae ab ipsa natura loci et vitae consuetudine suppeditantur, quibus alimur et vivimus. Carthaginenses fraudulenti et mendaces... non a genere, sed natura loci, quod propter portus suos multis et variis mercatorum sermonibus ad Studium fallendi, studio quaestus vocabantur ». 53. Ibid., « Eadem ratione loci sive ab influctione caelorum, sive a commercio gentium inter sese, sive ex ingenio... ».

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traditionnel des catholiques suivant lequel l'exil et les malheurs des juifs ne sont que le châtiment divin attaché au crime de « déicide ». Trois siècles plus tard, Montesquieu conclura de façon semblable : « Le climat et les autres causes physiques produisent un nombre infini d'effets... En un mot, ce physique du climat peut produire diverses dispositions dans les esprits, ces dispositions peuvent influer sur les actions humaines ».54 Régime et religions sont intimement liés. Montaigne l'avait déjà dit : « Nous sommes chrétiens au même titre que nous sommes ou Périgourdins ou Alemans ».55 Mais quittons un instant l'Espagne. Ayons présent à l'esprit que l'Europe tout entière, en proie à la violence et au fanatisme religieux, peut difficilement compter sur les doigts d'une main les déclarations semblables à celles de Furiò Ceriol. L'écho le plus direct nous vient de Bodin qui, comme notre auteur, insiste sur la notion de solidarité, fondement de toute politique rationnelle. « Mais tous les royaumes, empires, tyrannies ou Républiques de la terre sont réunis par un lien qui n'est pas autre chose que l'autorité de la raison ou du Droit des gens. D'où il résulte que ce monde est comme une grande cité et tous les hommes coulés, pour ainsi dire, dans un même droit afin qu'ils comprennent qu'ils sont tous du même sang et sous la protection d'une seule et unique raison ».56 Ces lignes, ainsi que les conclusions de Furiò Ceriol, condamnent tous ceux qui n'en partagent pas la vérité, puisque l'inepte argument s'appuyant sur « l'esprit du temps » tombe de lui-même devant de telles phrases. Si Furiò Ceriol ou Bodin ont pu les écrire, tous pouvaient les entendre. Ce ne sont pas les fameuses critiques de Montesquieu contre l'Inquisition qui la condamnèrent, mais bien plutôt l'œuvre d'un penseur courageux : Furiò Ceriol. Que l'on ne vienne pas alléguer que pour défendre la solidarité ou la raison, celui-ci n'est pas le premier à se faire entendre en Espagne et peut-être même en Europe, en cette seconde moitié du xvie siècle. Qui proposerait-on ? Erasme ? Au risque de contredire M. Bataillon 57 , il n'est pas possible de comparer ce qu'aurait 54. 55. 56. 57.

Montesquieu, De l'Esprit des lois, in Œuvres, op. cit., t. I l l , p. 262. Montaigne, Essais, op. cit., livre II, ch. XII, p. 489. J. Bodin, op. cit., p. 357. Erasmo y España, Mexico, 1966, p. 631.

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pu être l'ouvrage achevé de Furiò Ceriol à l'Institutio d'Erasme. Rien dans ce livre ne rappelle le prix de l'altérité et l'ouverture sur l'humanité tout entière. Erasme fait perpétuellement référence au christianisme, divise, sans agressivité, certes, mais divise le monde en deux : celui des chrétiens et celui des autres. Il ne peut s'empêcher de qualifier l'homme par sa foi religieuse. Et quand il critique les chrétiens, c'est encore au nom d'un christianisme qui prend toujours de méticuleuses distances à l'égard de l'Ancien Testament. Ce citoyen du monde, écrit M. Bataillon, n'est pas exempt d'un secret antisémitisme. 58 Furiò Ceriol dépasse, et de très loin, cette division, pour ne discourir que sur l'Homme. La différence n'est pas mince. Qui proposer alors ? Le sage Vivés ? Celui-ci voudrait bien que sa nouvelle famille chrétienne ne se déchirât point. Quant à son ancienne parentèle, s'il prend la peine de lui consacrer quelques pages dans ses œuvres apologétiques, c'est par pure charité, car il est une tâche bien difficile de soigner un malade qui refuse la médecine, et déteste son médecin, autrement qu'en faisant appel au bourreau. 59 Alors Vitoria ? Il faut se méfier de l'imagerie universitaire. De même que Kant ne fut pas le héros de la dignité humaine et le pacifiste que l'on salue r é v é r e n c i e u s e m e n t d e même Vitoria ne possède pas cet universalisme que ses statuaires lui attribuent si souvent. Le Père Carro, dans son très remarquable ouvrage La Teología y los Teólogos Juristas ante la Conquista de América61, écrit que Vitoria « considérait les Indes et le Nouveau Monde comme un prolongement de l'Espagne... ». Dans une autre étude 62 , le savant dominicain résume en vingt postulats l'apport de Vitoria à la pensée universelle. Au cinquième de ceux-ci, il affirme qu'aucun homme, qu'il soit Espagnol, Allemand, Japonais, ou de toute autre nationalité, ne cesse d'être

58. Ibid., p. 77 : « Parece casi como si hubiera, en este ciudadano del mundo, un secreto antisemitismo ». 59. L. Vivés, De la verdad de la Fe, in Obras completas, Madrid, 1948, t. II, p. 1156 : « Espinosa tarea esa de curar a quien rechaza la medicina y odia al médico, no de otra manera que a un verdugo llamado a ejecutarlos ». 60. Voir certains passages de son Anthropologie. 61. Salamanque, 1951, p. 489. 62. Communitas Orbis y las rutas del Derecho internacional según Francisco de Vitoria, Palencia, 1932.

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membre de la « Communitas Orbis »63, avec tous les droits et devoirs afférents à cette citoyenneté mondiale. P. Mesnard va beaucoup plus loin dans son apologie de Vitoria. Il écrit en effet avec témérité : « De cette société civile, aucun membre n'est exclu. Le théologien du xvie siècle réclame le droit de cité pour tous les habitants sans exception : les Juifs et les Infidèles sont accueillis par lui dans la catholique Espagne ».64 Hélas ! P. Mesnard ne cite aucune référence à l'appui de cette exorbitante affirmation. Nous n'en avons trouvé aucune trace dans l'œuvre de Vitoria. 65 Devant cet universalisme si hautement célébré, nous poserons une seule question : lorsque Vitoria affirme qu'il serait illicite aux Espagnols d'empêcher des Français de voyager, de séjourner et de faire commerce en Espagne et vice versa, étend-il cette recommandation aux juifs, exclus définitivement d'Espagne en 1492, et aux Sarrazins qu'il qualifie lui-même « d'ennemis perpétuels de la religion chrétienne »66 ? Voilà un universalisme singulièrement limité aux contours du christianisme. En ce qui concerne les Indiens, une lecture attentive de la Relectio de Indis montre à l'évidence que, mise à part la modalité de la propagation de la foi, les jugements de Vitoria se rapportant aux facultés intellectuelles des Indiens ne sont pas si éloignés de ceux de Sepúlveda. En revanche, nous sommes loin, très loin du défi brutal, de la rupture dans l'esprit et dans la lettre de Furiò Ceriol. Celui-ci, en effet, refuse de juger un homme sur son appartenance religieuse ou ethnique. Ce n'est pas parce que l'on est juif ou Turc que l'on est l'ennemi héréditaire du royaume. L'autre peut être adversaire, mais jamais ennemi perpétuel. Seules les circonstances politiques peuvent opposer les hommes les uns aux autres. L'adversaire d'aujourd'hui pourra être l'allié de demain. Il convient donc de ne jamais dire du mal de lui, car la médisance est toujours le chiffre de la médiocrité de l'esprit. Pour Furiò Ceriol, l'hostilité est accidentelle, la solidarité essentielle. Mais ce n'était pas assez de souligner cette admirable vision de « l'autre », il faut encore 63. P. 112. 64. P. Mesnard, op. cit., p. 471. 65. Interrogés par nous sur ce sujet, le Père Carro et le professeur Pereña, les meilleurs spécialistes de la philosophie politique au x v r siècle en Espagne, nous ont affirmé qu'ils ne voyaient pas sur quel texte P. Mesnard pouvait se fonder. 66. Vitoria, Relectio de Indis, Madrid, 1967, p. 30.

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montrer comment l'altérité est, chez notre auteur, un facteur d'enrichissement. Dans son Institutionum Rhetoricarum61, nous trouvons cette phrase admirable : « nous devons tout ce que nous sommes aux autres ». Il ne s'agit pas ici d'une vague tolérance. 68 L'intelligence de soi et du monde passe par l'altérité. La xénophobie est dénoncée avec force, ce qui n'est pas un mince mérite dans l'Europe de 1559, et qui est également une leçon pour tous les temps et tous les pays. Celui qui loue sans réserve sa nation, et condamne celle dea autres, celui-là est, selon Furiò Ceriol, un inattentif et un passionné. Dans une telle âme, dit-il, l'intelligence fait défaut, et où manque l'intelligence, tout manque. 69 Furiò Ceriol s'efforce avec persévérance de faire comprendre à ses compatriotes que l'Espagne, en dépit de sa puissance politique, n'est qu'une nation dans le concert des nations. Rompant avec le platonisme que Sevilla Andrés lui attribuait, notre auteur insiste sur l'aspect positif de la communication avec les pays étrangers, et encourage de ce fait les voyages, tant sur le plan de la connaissance politique que sur celui des relations humaines. La compréhension directe de l'autre, l'intelligence de son caractère, de sa conduite, est, selon Furiò Ceriol, irremplaçable. C'est pourquoi il insiste sur l'importance de la connaissance des langues étrangères. Rien donc qui ressemble à la politique de Platon dont on connaît les sévères prescriptions réglementant les déplacements. On sait également combien l'auteur de La République redoutait pour sa Cité modèle la proximité de la mer, si grande était sa crainte de voir la pureté de son Etat souillée par l'autre. Furiò Ceriol rejette cette « morale close ». Certes, dit notre auteur, il est naturel que, les plateaux de la balance étant égaux, nous soyons plus près de notre voisin, denotre compatriote, que de l'étranger. Mais si la balance de la 67. Op. cit., p. 243 : « Quicquid enim sumus, id totum aliis debemus », et; Furiò Ceriol de continuer « ...et quicquid didicerimus, id in communem. utilitatem conferamus oportet ». 68. Même l'admirable tolérance d'un Sébastien Castellion ou d'un Montaigne n'a pas la même dimension que celle de Furiò Ceriol. La tolérance du premier est principalement fondée sur sa très grande piété. Celle de l'auteur des Essais prenait appui sur un scepticisme latitudinaire. La tolérance de Furiò Ceriol, elle, est tout autre, car elle s'enraçine dans l'universa-lité de la raison. 69. Voir p. 145.

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justice venait à pencher en faveur de l'étranger, alors c'est lui qui passerait avant tous les naturels. Non seulement il a droit de cité, mais encore Furiò Ceriol recommande de le choyer tout particulièrement. 70 Il faudra attendre un peu moins d'un siècle pour entendre un semblable langage en Espagne, et convenir que López de Vega 71 n'avait pas moins de mérite que Furiò Ceriol. L'attitude de Furiò Ceriol, en ce qui concerne l'altérité, ne se comprend vraiment bien que si l'on sait l'importance du rôle de la raison chez ce penseur. Il se défie de toute passion et de tout préjugé, et la raison a d'abord pour lui une dimension pragmatique qui s'affirme tout au long de son ouvrage. La ratio calcule, mesure, apprécie, éprouve. Le Prince ne doit rien admettre, rien croire, qu'il n'en ait fait lui-même la preuve. C'est pour cela que nous voyons sans cesse revenir cette phrase : « Cette compétence, je veux que le Prince la vérifie et la mette à l'épreuve... ». Avant de se lancer dans une aventure militaire que ne motivera jamais la défense ou la propagation de la foi, ni la vengeance de l'honneur outragé du Prince 72 , le Conseiller évaluera ses propres forces et celles de son adversaire. Si celui-ci est plus puissant, alors il vaudra mieux rester en paix. Dépassant les considérations amicales, les voyages intelligents ont également pour but l'espionnage au sens le plus moderne du terme. La septième et la huitième qualité nécessaire à la fonction de Conseiller lui font obligation d'avoir parcouru le monde et de rapporter des renseignements politiques, économiques, psychologiques, topographiques et militaires, et cela, toujours dans l'intention de mesurer, d'estimer les forces en présence. 73 La cinquième 70. Voir p. 143. 71. « Paradoxas racionales », in Revista de Fitología Española, Madrid, 1935, anejo XXI, p. 83 : « Pour l'homme de jugement qui considère le monde entier comme sa patrie, tous ses habitants sont ses compatriotes. Je suis Français, je suis Allemand, je suis Anglais, je suis Espagnol, est le langage du vulgaire ». 72. Ces motivations étaient considérées comme les plus estimables par la théorie de la juste guerre, si chère à l'école philosophique espagnole. 73. Furiò Ceriol préconise une véritable technique du renseignement qu'il pratiquera lui-même en 1575, comme le prouve le passage ci-dessous, extrait d'une lettre du Conseiller royal de Castille adressée au roi : « Furiò Ceriol... dize ha visitado todos los amigos de aquel tiempo le quedaron, y entre ellos los Condes Juan de Nassas y Niorans, y otros parientes y amigos destos rebeldes y sin embargo desto y de ser el Español, dize le han hecho mucho regalo por el conocimiento antiguo y descubiértole sus pechos tanto más después de haver bien bevido... » Manuscrit, Archivo de Simancas, E. 563.

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qualité exigée pour la fonction de Conseiller se rapporte également à la mesure. Le Conseiller doit savoir exactement ce que sont les vertus. Avant d'entreprendre leur énumération, Furiò Ceriol rappelle combien son Conseiller modèle se tromperait s'il suivait l'opinion du vulgaire qui fait de l'habile un traître, et du superstitieux un saint. 74 Le bon Conseiller saura reconnaître la fine pointe du juste milieu, « ce qui s'écarte à égale distance de chacun des deux extrêmes ».75 Ici encore, le primat de la raison s'affirme. Seul l'homme compétent, celui qui possède « la suficiencia del alma », est apte à déterminer la vertu, qui reste de ce fait toujours dépendante de la raison en ce qui concerne son appréciation. La ratio exprimée par le discours a, pour Furiò Ceriol, un double objet : d'abord exclure la violence, et ensuite, convaincre au sens étymologique, « dompter » les hommes, les amener à croire qu'ils veulent réellement ce que le Prince désire leur imposer. 76 Nous verrons cette ratio à l'œuvre, confrontée à une situation concrète et difficile : les troubles des Pays-Bas. Dans les admirables Remedios que notre auteur propose à Philippe II pour rétablir la paix, il offre non seulement la générosité, mais encore l'astuce. N'est-il pas plus efficace de nantir de quelque bonne place un personnage soupçonné d'opposition plutôt que de l'arrêter ou le torturer ? 77 Instrument d'action, de mesure, la raison est toujours première. Furiò Ceriol n'oublie pas, en effet, l'enseignement de son maître parisien Ramus, qui lui avait appris que « nulle autorité n'est au-dessus de la raison » et que « c'est elle, au contraire, qui fonde l'autorité et ce qui doit la régler ».78 Il faut citer ici les lignes pleines de confiance à l'égard de la raison individuelle, lignes extraites de Bortonia..., qui ne sont pas sans faire penser à l'esprit du Discours de la Méthode. Furiò Ceriol refuse l'autorité de la puissance établie en matière de pensée. Devant la vérité, fût-elle issue de l'homme du peuple, les affirmations de maîtres comme saint Grégoire ou saint Augustin n'ont aucun poids si l'examen les révèle fausses. Nulle puissance

74. Voir p. 135. 75. Aristote, Ethique à Nicomaque, II, 5-30. 76. Institutionum Rhetoricarum, op. cit., p. 277-278. 77. Voir Remedios in documents en Appendice, p. 301. 78. Ch. Waddington, Ramus, sa vie, ses écrits et ses opinions, p. 343.

Paris, 1885,

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ni religieuse ni politique ne peut s'opposer aux résultats de la critique de la raison. C'est avec fierté que Furiò Ceriol s'écrie : « Homo sum, id est dialecticus... ».79 La vérité doit être chérie, et les jugements des hommes soumis à la comparaison avant d'être reçus. Prenant donc appui sur la raison, la liberté morale et politique se dessine de façon précise. Furiò Ceriol écrit que, lorsque le Prince n'est pas conduit par la raison, il cesse d'être libre.80 La liberté se mesure à l'aune de la raison. En revanche, si le Prince oublie l'indissoluble alliance de la raison et de la liberté, il devient un tyran.81 Alors, avant Mariana, mais dans une toute autre lumière, Furiò Ceriol le voue à la vindicte populaire, salue celui qui chasserait l'oppresseur, et condamne tous ceux qui lui apportent leur soutien. 82 On le voit, Furiò Ceriol ne partage pas la soumission paulinienne de son contemporain illustre Sepúlveda, qui enseignait à Philippe II que les Princes mauvais et injustes devaient être supportés avec patience par les peuples que Dieu châtie de cette manière.83 Nous n'énumérerons pas les quinze qualités spirituelles que 79. Bononia..., op. cit., p. 255 : « Homo sum, id est, dialecticus, quem non deceat in judicio de rebus faciendo veritatem auctoritati hominum posthabere : Veritas enim omnibus longe praeponderat sit Gregorius, sit Augustinus... in Theologia excellentes : si quid his rectius infirmus quispiam de plebe dicat, erranti Gregorio et Augustino imperitum et vilissimum illum de plebe bene sentientem longe praeponant. Vincat enim sanctissima Veritas et huic uni omnium hominum, ducum, regum, imperatorum, principum et sapientium viro rum auctoritas cedat... » ; p. 257 : « ...solam veritatem carissiman nobis esse debere ñeque hominum auctoritati plus fidei esse tribuendum quam ipsi sibi argumentis certissimis comparare poterunt ». 80. Spinoza écrira plus tard : « Je déclare l'homme d'autant plus en possession d'une pleine liberté qu'il se laisse guider par la raison », Traité Politique, in Œuvres complètes, Paris, 1954, p. 984. 81. Voir p. 193. 82. Institutionum Rhetoricarum, op. cit., p. 244 : « Tyrannum qui represserit, ejecerit vel occiderit pulchre de República meretur : contra qui faverit, qui conservarit, qui vitam deberit, male, imo pessime de República meretur ». 83. J.G. de Sepúlveda, Del Reino y los deberes del Rey, in Tratados políticos de J.G. de Sepúlveda, Madrid, 1963, p. 45 : « La molestia que éstos ocasionan debe ser tolerada pacientemente por los pueblos cristianos, y debe esperarse su enmienda y aplacarse la ira divina con obras buenas y piadosas, ya que muchas veces Dios venga los pecados de los pueblos por medio de Reyes injustos... ». Cette attitude était également partagée par le célèbre Ribadeneira : voir Tratado del Príncipe cristiano, B.A.E., Madrid, 1868, p. 578.

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doit posséder tout Conseiller, mais nous retrouvons toutes celles qui ressortissent à la morale dans l'article 156 du Traité des Passions de Descartes. Le héros de notre auteur ressemble comme un frère au généreux cartésien que la politique aurait intéressé : goût des grandes actions, respect d'autrui, affabilité, courtoisie, maîtrise de soi, bienveillance et confiance en soi : « Ceux qui sont généreux en cette façon sont naturellement portés à faire de grandes choses, et toutefois à ne rien entreprendre dont ils ne se sentent capables : et parce qu'ils n'estiment rien de plus grand que de faire du bien aux autres hommes et de mépriser leur propre intérêt, pour ce sujet ils sont toujours parfaitement courtois, affables et officieux envers un chacun. Et avec cela, ils sont entièrement maîtres de leurs passions, particulièrement des désirs, de la jalousie et de l'envie, à cause qu'il n'y a aucune chose dont l'acquisition ne dépende pas d'eux qu'ils pensent valoir assez pour mériter d'être beaucoup souhaitée ; et de la haine envers les hommes, à cause qu'ils les estiment tous... ». Si l'on excepte la première aptitude, la supériorité intellectuelle, les neuf qualités suivantes sont d'ordre politique. On ne comprend pas alors pourquoi Sevilla Andrés 84 éprouve le besoin de christianiser les six dernières. La justice, la bonté, la générosité, le désir d'aider les hommes, la douceur, le courage et l'amour de la vérité ne sont pas des vertus affermées par saint Ambroise. 85 Ces qualités, venant après les aptitudes politiques, et la supériorité intellectuelle ne tracent-elles pas l'image idéale que l'on se fait d'un gouvernant ? Il faut remarquer que la première vertu n'est ni la piété ni la douceur. Notre auteur est loin de privilégier les pauvres en esprit : « toutes les vertus qui se trouvent ou peuvent se trouver chez un homme, s'il n'est pas lui-même un esprit supérieur, sont mesquines, perdent leur pouvoir, ne sont presque rien ».86 Furiò Ceriol

84. Op. cit., p. 74 : « ...on peut les réduire sans grande trahison aux quatre vertus cardinales du christianisme ». Sectateur zélé de la prose de Sevilla Andrés, D.W. Bleznick s'empresse à son tour d'écrire que Furiò Ceriol accordait constamment la plus grande importance aux vertus chrétiennes (« Furiò, quien constantemente contaba con la naturaleza invariable de las virtudes cristianas... », « Los conceptos políticos de Furiò Ceriol », loe. cit., p. 34). 85. Lorsqu'on parle de vertus cardinales, on songe aux quatre vertus platoniciennes, mais c'est saint Ambroise qui, le premier, a parlé de vertus cardinales et a étendu cette expression à sept autres vertus. Voir De Sacramentis, III, 2. 86. Voir p. 121.

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s'apparente bien plus à Nietzsche qu'au Christ. Sevilla Andrés semble l'ignorer, car il n'hésite pas à tirer de prémisses grecques des conclusions chrétiennes. Pour être conséquent, Sevilla Andrés devrait affirmer, à la suite de Sepúlveda, qu'il y avait, en matière de morale et de politique, identité de conception entre le Stagirite et le christianisme. 87 Le seul inconvénient d'une telle affirmation est qu'elle reste encore à prouver. Nous voyons donc que, ni sur le plan métaphysique, ni sur le plan moral, on ne peut faire entrer Furiò Ceriol dans une de ces catégories qui rassurent. La lénitive étiquette collée, platonisme, christianisme, on croit désamorcer la charge d'originalité qui risque de faire éclater les belles théories polies comme des miroirs, mais qui ne renvoient que l'image de leur auteur. Nous avons tenté jusqu'à présent d'arracher Furiò Ceriol à ses commentateurs. Il est temps maintenant de nous demander pourquoi, c'est-à-dire contre qui, il a écrit son Concejo... Est-ce pour décrire les principaux engrenages d'une monarchie absolue comme on les rencontrait à son époque, et pour dessiner le portrait du parfait serviteur de celle-ci, selon les paroles de M. Bataillon? 8 8 Nous ne partageons pas l'avis de l'auteur d'Erasme et l'Espagne. Le Concejo..., sous les sages apparences de vertueux conseils adressés à Philippe II, se livre à une des plus sévères critiques de l'idéologie politico-religieuse espagnole. M. Hume 89 , dans son ouvrage consacré à l'influence de l'Espagne sur la littérature anglaise, avait vaguement pressenti l'attitude critique de notre auteur. Mais une allusion de quelques lignes ne pouvait rendre compte de la profondeur et de la multiplicité des plans examinés par Furiò Ceriol. Si Sevilla Andrés réfute quelquefois Semprún Gurrea, tous deux sont d'accord pour « espagnoliser » Furiò Ceriol à toute force. Au lyrisme du second 90 , se joint l'exaltation

87. Sepúlveda, op. cit., p. 32 : « ...Aristóteles, esclarecido varón, cuya doctrina en materia política y moral poco o nada se diferencia de la filosofía cristiana... ». 88. Op. cit., p. 631. 89. Spanish influence on English literature, Londres, 1905 : « If Ceriol's advice had been adopted, Philip would have found himself a cipher in his own government. He is told moreover, in words plainly to be understood, that his court is corrupt, that his favourites are bought and sold, and that ineptitude rules supreme in his government ». 90. « ¡ Ah Furiò pensamiento de España ! », Semprún Gurrea, loe. cit., novembre 1934, n° 20, p. 22.

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du premier. 91 Sans vouloir contester l'hispanité de Furiò Ceriol, il convient d'en préciser la nature. L'Espagne peut, à bon droit, être fière d'avoir donné à l'humanité un de ces hommes qui, par leur existence et leurs écrits, permettent de croire à la lucidité intellectuelle et au progrès de la conscience. Tout en étant patriote, notre auteur, qui sert bien son pays, ne s'aveugle jamais. Il prend ses distances avec les idées de son temps, et refuse les idéaux de ses compatriotes. Pour mieux nous en convaincre, voyons plutôt quelles étaient les lignes de force de l'idéologie espagnole en 1559. Héritière du legs spirituel des rois catholiques transmis à Philippe II par Charles Quint, l'Espagne tout entière est consciente d'avoir été choisie par Dieu pour maintenir et propager la foi catholique dans l'univers. Du simple paysan au grand d'Espagne, tous sont certains de la mission divine qui leur a été impartie. Le contemporain le plus immédiat de l'auteur du Concejo..., Felipe de la Torre, montre dans son ouvrage 92 combien doivent être indissolubles les liens qui unissent l'Eglise, l'honneur de Dieu et le Prince dont la mission première est la diffusion de la morale évangélique : « la première et la plus importante fin que tous, et principalement le Roi, doivent se donner pour objet, est de rechercher avant toute chose la gloire et l'honneur de Dieu... ».93 Felipe de la Torre, écrivain mineur, ne fait que répéter ce que les grandes voix de l'Espagne clament sans cesse. La conscience solitaire et dramatique de sa mission chrétienne est ce qui marque sans conteste la pensée espagnole. La puissance de l'Espagne n'est pas gratuite. Il y a comme une causalité mécanique entre la piété des monarques et l'agrandissement de leur empire. Dieu avait favorisé la puissance romaine en vue de la diffusion du message chrétien, il revient maintenant à l'Espagne de devenir son « gonfalonier ».94 Nous sommes en présence d'une « peuple de théologiens et de soldats » qui a pour mission de sauver la pureté de la foi. 95 91. « ...es un español por los cuatro costados... », Sevilla Andrés, op. cit., p. 39. 92. Institución de un Rey cristiano, colegida principalmente de la Santa Escritura y de sagrados Doctores, Anvers, 1556. 93. Ibid., p. 26 : « El primero y más principal fin que todos y mayormente el Rey se ha de proponer puesto en su silla, es buscar y procurar ante todas cosas la gloria y honra de Dios... ». 94. Menéndez Pelayo, Historia de España, Madrid, 1934, p. 95 : « C'est ce peuple qui descend seul dans l'arène, gonfalonier du Christ, pour combattre Belial ». 95. Ibid.

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Après Vitoria, Sepúlveda, A. de Castro, M. Cano, les grands contemporains de Furiò Ceriol croient à cette mission providentielle de l'Espagne, et offrent à la politique de leur roi toutes les justifications morales et religieuses qu'il peut attendre. Vitoria, qui défend la mission évangélique et coloniale de l'Espagne aux Amériques, affirme la légitimité de la juste guerre. Se fondant sur l'autorité de saint Augustin et de saint Thomas, il déleste de toute syndérèse la conscience chrétienne dans ses commentaires de la Secunda secundœ de saint Thomas et dans son De Jure Belli. Sepúlveda, le maître et le précepteur adjoint de Philippe II, tente de prouver dans ses deux Démocrates que tout irénisme fleure l'hérésie luthérienne, et que la guerre, chrétiennement menée, n'est pas désagréable à Dieu. Ainsi, le soldat espagnol, le soldat de Dieu, lorsqu'il combat pour la foi, peut tuer, réduire en esclavage, dévaster les champs et nuire à ses ennemis en conservant toujours une âme pure que la seule paix attire. 96 D'ailleurs, ce soldat possède des qualités exceptionnelles qu'il a manifestées lors du sac de Rome. 97 A. de Castro, lui, met son talent au service de la répression religieuse. Son De justa haereticorum punitione justifie le combat de Charles Quint contre toutes les formes de l'hérésie. Dédié au César, cet ouvrage rappelle au monarque qu'il ne peut abandonner la mission que le Ciel lui a assignée. Bras de la chrétienté, Charles Quint doit étouffer partout et toujours la liberté de choix des consciences, c'est-à-dire l'hérésie. Aussi les guerres entreprises pour venger les injures faites à Dieu sont-elles les plus justes. 98 M. Cano saura apaiser la conscience de Philippe II lorsqu'il faudra lever les scrupules royaux. Dieu sera avec lui dans sa lutte contre le pape. On peut suivre toutes les subtiles arguties et les fines distinctions de M. Cano entre la papauté comme puissance temporelle et la papauté représentant l'Eglise universelle dans son célèbre Parecer édité par F. Caballero. 99 96. Sepúlveda, Del Reino..., op. cit., p. 113. 97. Voir cette argumentation qui est contenue dans les deux Démocrates de Sepúlveda. 98. A. de Castro, De justa haereticorum punitione, in Opera, Madrid, 1773, p. 135 : « Si justum est bellum, ut Augustinus in loco supra citato dicit, quod hominibus ad suas ulciscendas injurias gerunt, multo justius oportet (sic) esse bellum quod Principes Christiani ad vindicandas Dei injurias gesserent ». On peut également consulter l'autre célèbre ouvrage de A. de Castro : son Adversus omnes haereses. 99. F. Caballero, Vida de Melchior Cano, Madrid, 1871, p. 513.

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Furiò Ceriol, lui aussi, dédie son livre à Philippe II, mais s'empresse de dire qu'il n'écrit pas pour un seul monarque. Son discours a vocation universelle. 100 Pas une fois, on ne trouve la trace d'une allusion à la mission divine espagnole, échappant ainsi à la simpliste et haineuse dichotomie qui sépare le monde en deux, d'un côté les véritables chrétiens, les Espagnols, de l'autre, ceux qu'il reste à édifier, convertir ou supprimer. Notre auteur se déprend justement de cette obsession identificatrice qui pèse sur la pensée espagnole de son temps. Il se dégage complètement de l'héritage augustinien qui est le chiffre de la politique espagnole. Catholique ne signifie pas, pour notre auteur, universel. Si, comme le pensent Semprún Gurrea et Sevilla Andrés, Furiò Ceriol résume la pensée de l'Espagne, alors à quelle nationalité appartiennent les grands noms que nous venons de citer ? Furiò Ceriol est Espagnol, non en tant qu'il est représentatif de l'idéologie de son pays, mais en ce qu'il manifeste un courage peu commun lorsqu'il refuse de marcher dans les pas de ses contemporains. Il est Espagnol parce qu'avec Las Casas, López de Vega, il sauve l'Espagne de sa passion. Quel meilleur exemple, s'il en fallait encore un pour illustrer notre propos, que sa vision de la guerre ? Nous savons que l'œuvre de Furiò Ceriol ne recèle pas la plus petite allusion au messianisme politique. Pas de grands plans de conquêtes, entreprises à l'ombre de la Croix101, pour le plus grand bien de la catholicité et la plus grande fidélité de l'Espagne à son destin privilégié. La guerre, chez Furiò Ceriol, ne se drape pas dans le manteau de la sainteté. 102 Les hostilités se décident dans une lumière strictement laïque et politique.

100. Voir p. 9. 101. Voir Sepúlveda, les dernières pages de son Exortación al invicto Emperador Carlos V para que, después de hacer la paz con los Príncipes cristianos, haga la guerra a los Turcos. Dans celles-ci, Sepúlveda invite son César à suivre les voies conquérantes que Dieu lui a tracées : « Así, pues, ¿ por qué no despiertas y te lanzas, oh César, con prontitud por este camino que Dios y el destino te muestran hacia las más altas empresas y hacia el dominio del orbe terráqueo ? ». 102. Machiavel, Le Prince, in Œuvres completes, Paris, 1837, p. 636 : « ...pour pouvoir former des entreprises encore plus éclatantes, il se couvrit adroitement du masque de la religion, et, par une pieuse cruauté, il chassa les Maures de ses Etats. Ce trait de politique est vraiment déplorable et sans exemple.

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C'est ici le moment de dire combien Furiò Ceriol et Machiavel sont proches sans pourtant être jamais semblables. Comme le maître florentin, notre auteur est pessimiste quant à la nature humaine, mais il ne tire pas de cette attitude les mêmes conclusions que Machiavel. Furiò Ceriol ne célèbre pas la duplicité et la ruse, mais il les utilise si l'urgence de l'action, la valeur du but, y contraignent. Ainsi, il n'hésite pas à recommander le mensonge pour tenter d'apaiser les troubles qui ensanglantent les PaysBas. 103 II ne s'agit pas là d'un moyen ordinaire de gouvernement, mais bien plutôt d'une mesure exceptionnelle chez cet apologiste de la vérité. Ce qui rapproche véritablement ces deux auteurs, c'est un patriotisme intelligent, exempt de tout chauvinisme, et un goût très prononcé pour l'efficacité dans tous les domaines. Doué d'un sens réaliste des affaires. Furiò Ceriol coupe la guerre de son fondement théologique pour en faire un art que le Conseiller doit connaître parfaitement. Rien de ce qui touche à l'armement, la situation des places fortes, leurs voies d'accès, leurs défenses, ne lui est étranger, pas plus que les questions que nous nommons aujourd'hui logistiques. Ravitaillement, nature du terrain où les rencontres doivent avoir lieu, autant de problèmes qui doivent retenir l'attention du Conseiller pour que celui-ci, préalablement informé par des voyages de renseignement, puisse estimer la puissance de l'ennemi. Nul doute cependant que notre auteur préfère la paix. Nous ne trouvons pas chez lui de nostalgiques soupirs sur la fonction robo-

Ferdinand se couvrit également du manteau de la religion pour attaquer successivement l'Afrique, l'Italie et la France... ». On peut également voir comment l'usurpation est défendue par la morale chez Ferdinand. Lors de la conquête de la Navarre, celui-ci écrivit : « Tout le temps que nous le jugerons convenable au succès de notre sainte entreprise, nous réservons exclusivement de décider à quelle époque et de quelle manière nous devrons plus tard faire la restitution du dit royaume à ses premiers maîtres... », Mandements de Ferdinand le Catholique, le 30 juillet 1512, cité par A. Desjardins, Les Sentiments moraux au XVI' siècle, Paris, 1887, p. 314. 103. Furiò Ceriol, dans un discours sur les Pays-Bas, n'hésite pas à conseiller de prodiguer une fausse promesse pour tenter de ramener le calme dans ce pays : « ... no sería malo el quinto remedio, en que se les diese alguna esperanza, aunque falsa, que en acabando de asentar los presentes bollicios, saldrán fuera desta tierra los soldados extranjeros... », in Colección de documentos inéditos para la historia de España por el Marqués de la Fuensanta del Valle, D. José Sancho Rayón y D. Franc, de Zabalburu, Madrid, 1892, t. CU. 3

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rative des combats. 104 Toutefois, le bon Conseiller doit aimer la guerre si celle-ci s'impose. Il doit même savoir, honnêtement, déclencher des hostilités que la conduite de l'adversaire n'a pas motivées. Raison d'Etat : Furiò Ceriol ne donne pas plus d'explications ; mais ce dont nous sommes sûr, c'est qu'il n'invoque ni la pureté de la foi, ni la défense de la religion. La guerre est l'un des multiples moyens politiques dont dispose le bon gouvernant. Il n'est certes pas le meilleur dans toutes les circonstances. C'est dans une lettre de Furiò Ceriol au prince de Melito105 que l'on voit comment notre auteur utilise la guerre dans le douloureux problème du soulèvement des Pays-Bas. Il demande pour ce pays le retour aux anciens privilèges et coutumes, et un châtiment sévère pour la troupe d'occupation insolente et pillarde. Puis il suggère d'obliger les provinces rebelles à faire de plus grandes dépenses pour les affaiblir. Enfin, il propose d'avancer les lignes d'opérations et de pratiquer une guerre prompte et puissante. La guerre entre donc dans l'éventail des mesures à prendre. Mais ici, comme dans les Remedios, c'est l'apaisement et le pardon qui sont avancés en premier lieu. La guerre a un rôle secondaire auquel le bon gouvernant répugne à recourir. On ne doit faire usage de la force que contraint par la plus extrême nécessité, car autrement son utilisation est indigne d'un bon chef d'Etat. Furiò Ceriol rappelle dans ses Remedios106 que les moyens politiques d'un bon prince sont avant tout l'intelligence, la libéralité et la miséricorde. Notre auteur n'oublie pas de stigmatiser ceux qui pensent que ces moyens affaiblissent l'autorité du Prince. Ceux qui préfèrent le recours à la guerre sont qualifiés par notre auteur d'hommes vains et sans jugement. Les poètes ne représentent-ils pas le pouvoir sous la forme d'un minotaure ? La partie humaine et supérieure (selon Furiò Ceriol qui semble oublier que le minotaure était en fait constitué d'une tête de taureau sur un corps d'homme) figure le bon gouvernement, la partie animale et infé-

104. Pour ce qui est de l'aspect hygiénique et salutaire de la guerre, aspect si bien célébré par Kant et Hegel, il faut rappeler qu'il fut mis en relief avant ces philosophes par des penseurs espagnols comme Sepûlveda (Gonsalus, 1583), E. de Narbona (Doctrina política civil, 1621), Francisco Enriquez (Conservación de monarquías, 1648). 105. Cette lettre est résumée par M. Gachard dans Correspondance de Philippe II sur les affaires des Pays-Bas, Bruxelles, 1858, t. I l l , p. 328. On la trouvera intégralement retranscrite dans les documents en Appendice. 106. Voir documents en Appendice, p. 228.

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rieure représentant la force brutale des armes. Celle-ci n'exprime pas quelque providentiel dessein, mais la brutalité même devant laquelle la raison se rebelle. A la coercition, Furiò Ceriol oppose le discours. Il reste fidèle à l'enseignement contenu à la fin de son Institutionum Rhetoricarum, qui dépasse par bien des côtés les limites d'un ouvrage sur l'éloquence. Cinq ans avant son Concejo..., il donnait une admirable leçon de politique que nous ne pouvons pas manquer de rappeler ici : « Car celui qui peut, par la seule force du discours, réprimer les émeutes populaires, les séditions et les factions, et dompter l'autorité des vieillards, et contenir la vivacité des jeunes gens, celui-là, sans aucun doute, maîtrise les choses et doit être appelé " roi ". Si d'ailleurs la véritable puissance, la vraie domination se trouvent placées dans un mutuel amour entre le roi et son peuple, qu'y a-t-il de plus royal et de plus sublime que de pouvoir, par le discours, adoucir les coléreux, consoler les tristes, encourager les affligés, régler la volonté des hommes selon sa fantaisie, enfin, amener l'esprit des opposants à faire, de leur plein gré et très volontiers, cela même qu'ils refusaient de faire ? » C'est là la vraie force et puissance des rois, celle qui a pu parvenir à rassembler en un seul lieu des hommes farouches et dispersés, à les entourer de murailles, et à les dompter pour ainsi dire... » De façon générale, celui qui se fait obéir des personnes physiques par le fer, par la prison, par la violence, en un mot par la tyrannie, on l'appelle roi ; mais celui qui se rend le maître par sa seule éloquence, par des paroles pleines de séduction, sans meurtre et sans violence, combien n'est-il pas plus digne du nom de roi ! L'un se soumet les corps par la violence, l'autre sans faire usage de la force ; l'un astreint et contraint par tous les moyens la volonté des hommes ; l'autre gagne leurs bonnes grâces suivant leur propre volonté... En un mot, l'un possède un pouvoir précaire qu'il ne maintient que par la violence, l'autre, un pouvoir offert par le peuple, comme héréditaire. Or, rien de ce qui est dû à la violence ne peut durer, et par le fait, le nom d'orateur est bien royal, puisqu'il règne par la volonté des autres et non par la sienne ».107 107. Furiò Ceriol, Institutionum Rhetoricarum, op. cit., p. 277-278 : « Nam qui populi motus, seditiones, factiones reprimere, senum gravitatem frangere, juvenum alacritatem cohibere sua unius oratione possit, is sine dubio rerum potitur, et rex est appellandus. Adde quod si verum regnum et dominatus

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N o u s s o m m e s à vingt l i e u e s d e la d o c t r i n e d e la j u s t e guerre, réflexe et a u t o m a t i s m e d e s p e n s e u r s e s p a g n o l s de c e t t e é p o q u e lorsqu'il s'agit d'une q u e l c o n q u e o f f e n s e faite au Prince o u à Dieu. 1 0 8 Furiò Ceriol, p l u s e n c o r e que d a n s s e s Remedios, insiste dans sa lettre de 1575 sur les e x c è s de la s o l d a t e s q u e . L'exaltation d u s o l d a t e s p a g n o l , si c h è r e à S e p ú l v e d a , n'a p a s c o u r s ici. T o u t e l'armée viole, pille, brutalise. D u s i m p l e s o l d a t aux gradés, t o u s dérobent, t o u s p r a t i q u e n t la c o n c u s s i o n . Le p o s t - s c r i p t u m d e la lettre est p a r t i c u l i è r e m e n t é l o q u e n t , car il d o n n e d e s détails sur l e s t r u q u a g e s d e s rôles et les i m p o s i t i o n s arbitraires. Ni la guerre, ni c e u x qui la p r a t i q u e n t n e s o r t e n t grandis d e s a n a l y s e s de n o t r e auteur. C o m m e n t n e p a s voir là u n e p r e m i è r e critique de la politique et d e l'idéologie de s e s c o n t e m p o r a i n s ? E n d e m a n d a n t à s o n roi qu'il r e s p e c t e les a n c i e n s privilèges et c o u t u m e s des Pays-Bas, in mutuo amore regis et populi inter se positus est, quid tam regale aut excelsum, quam oratione iratos mitigare, tristes consolari, afflictos excitare, hominum voluntates ad arbitrium suum moderari, denique recusantium ánimos, id ipsum quod nolebant, sua sponte ac libentissime ut faciant, adducere ? Hasc est vera vis et potentia regum, quae tantum potuit, ut homines efferatos ac dispersos unum ni locum concluserit, muro cinxerit et quasi domaverit... » Vulgo qui corpus ferro, carcere, vi denique tyranide homines sibi obedientes facit, rex nominatur : at is qui sola oratione blandisque verbis sine caede, sine vi eosdem domat, quanto regis nomine dignior censendus est ? Unus sibi corpus violentia subditum habet, alter sine vi : unus voluntatem hominum utcumque ad se detorquet ac cogit, alter sibi ex eorum volúntate demeretur... ac ne plura persequar, unus et precario et violenter regnum possidet, alter oblatum et quasi haereditarium. Nullum autem violentum perpetuum, et hoc ipso magis est regale nomen Oratoris, quod de sententia aliorum regnet, non sua. » 108. On peut comparer l'intelligence et le cœur que manifeste la lettre de Furiò Ceriol au prince de Melito et les Remedios aux Avisos en materia de estado de guerra para oprimir rebeliones y hazer pazes con enemigos armados o tratar con súbditos rebeldes de Luis Valle de la Cerda, Madrid, 1599. Cet auteur recommande la violence la plus impitoyable à l'égard de ceux qui se sont élevés contre les rois, ministres de Dieu, et tout particulièrement le roi d'Espagne, défenseur de la catholique Eglise romaine. Aucun prince dont l'honneur est la gloire de l'Eglise catholique romaine ne doit abandonner les armes avant d'avoir supprimé totalement les rebelles, et tout particulièrement ceux des Flandres, car cette contrée est en abomination à Dieu. Voir p. 25 et 25 v°, 32, 39 et 39 v°, 103 et 106. Il est également intéressant de mettre en parallèle un texte très proche des Remedios ; il s'agit de Conseils que donne Furiò Ceriol au sujet de la situation aux Pays-Bas (voir documents en Appendice).

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qu'il abolisse le tribunal du sang et qu'il veuille bien abandonner son intolérance, Furiò Ceriol n'attaque-t-il pas implicitement l'Inquisition ? Certes, il n'y a pas de critique directe, car l'entreprise était impensable. Mais, subtilement, Furiò Ceriol dénonce par petites touches les méfaits d'une institution enfantée par le déplorable accouplement du fanatisme et de la cupidité. N'est-il pas surprenant de lire à la suite de l'admirable passage concernant l'unité des hommes, quelle que soit leur confession, que l'excessif amour du pouvoir ecclésiastique et le désir de le servir en dehors de toute mesure, met un royaume sens dessus dessous ?109 N'est-il pas surprenant de voir que, pas une fois, lorsque Furiò Ceriol demande au Prince d'examiner le passé et les maîtres de son futur Conseiller, il ne fait mention de la pureté de sang ? Non seulement notre auteur n'en parle pas, mais il dénonce les murmures répandus par des hommes méchants, envieux, ignorants, conduits par la passion. 110 Toutes les informations de ce genre, favorables ou défavorables à un titre, sont issues de l'intérêt, et se propagent toujours sous couleur de servir le Prince. Que celui-ci se méfie car « derrière la Croix se cache le Diable ».111 Ce qui veut dire que nous sommes des hommes, capables de tromper et d'être trompés. Enfin, admirer Sébastien Castellion et plus particulièrement sa traduction latine de la Bible, n'était-ce pas réfuter l'Inquisition ? N'oublions pas que dans cet ouvrage dédié à Edouard VI d'Angleterre, l'humaniste français prenait fermement parti pour la tolérance, et montrait combien il était absurde, dans un combat spirituel, d'utiliser des armes terrestres, et qu'il en existait d'autres comme la patience, la clémence. On ne peut substituer le bourreau au docteur. 112 N'oublions pas également l'admirable page de

109. Voir p. 153. 110. Voir la note 16 in notes générales. 111. Voir p. 189. 112. Sébastien Castellion, Biblia interprete Sebastiano Castalione, Bàie, 1551, p. 4 : « Adde quod absurdum est spirituale bellum terrestribus armis geri ! Christianorum hostes sunt vitia, contra quse virtutibus certandum est, et contrariis remediis contraria mala curanda, ut doctrina ignorantiam pellat, injuriam vincat patientia, superbiae modestia résistât, pigritiae opponatur diligentia, contra crudelitatem pugnet dementia, simulationem prosternât sincera, et Deo probans religiosa mens, animusque purus, et qui uni Deo piacere studerai. Hase sunt vera Christianae religionis, et vere victricia arma : non, ut carnifici mandetur provincia doctoris... ».

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Rhetoricarum où Furiò Ceriol condamne sans YInstitutionum appel ceux qui utilisent la force pour convaincre. 113 L'Inquisition, qui aurait eu toutes les faveurs de Platon, puisque l'on sait qu'il encouragea la délation et préconisa la peine de mort pour les incroyants I14, ne paraît pas avoir celles de Furiò Ceriol, n'en déplaise à Sevilla Andrés. A preuve, notre auteur ne réserve aucune place à cette institution dans la liste de ses Conseils. Or, si l'on en croit Alphonse de Ulloa que cite Bodin 11S , l'Inquisition était située au cinquième rang dans la hiérarchie gouvernementale espagnole. Furiò Ceriol ne veut pas d'un « Conseil nocturne » qui étend l'ombre de son intolérance et de son fanatisme sur un monde où la religion ne qualifie pas l'homme. La politique de violence, pas plus que l'Inquisition, ne semble combler Furiò Ceriol. Mais sa critique va porter sur deux autres points centraux qui sont passés inaperçus. Le premier est évident : il s'agit de l'organisation du gouvernement. Le second pourrait concerner la personne même de Philippe II. Abordons le premier volet. La liste de sept Conseils distincts, coiffés par le Conseil de la paix ou Conseil d'Etat, que Furiò Ceriol recommande, est à elle seule la charge la plus directe contre l'appareil gouvernemental espagnol. En effet : « Toutes les grandes divisions de la monarchie, toutes les branches importantes de l'administration étant dirigées par des Conseils indépendants les uns des autres, le seul moyen de former un gouvernement méthodique et capable d'agir avec discernement, devait consister à réunir dans le Conseil d'Etat les chefs de tous les autres conseils, en donnant à cette assemblée une autorité directe sur les autres compagnies et généralement sur tous les dépositaires du pouvoir. Au lieu de cela, on considéra les affaires d'Etat comme une matière à part, qui n'avait aucun

113. Voir p. 65-66. 114. Platon, Lois, livre V, 745, a et fin du livre X. 115. Op. cit., p. 380 : « En Espagne, le conseil royal comprend douze membres qui décident avec le Roi des lois à donner, de la guerre et de la paix, voire de tout l'état de la République comme l'écrit Alphonse de Ulloa. Un autre conseil pourvoit aux affaires des Indes, un quatrième, formé de cinq membres, règle les questions touchant aux Ordres de Chevalerie, aux expéditions et à la croisade ; le cinquième est le conseil de l'Inquisition, qui s'occupe des religions, et le sixième, composé des généraux commandants en chef et des princes du sang, prend en mains la préparation et la conduite de la guerre ».

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lien nécessaire avec l'administration intérieure, et qui devait rester sous la direction immédiate du souverain. C'est pourquoi le roi se réserva la présidence du Conseil d'Etat, et n'y appela que les chefs de quelques conseils, plutôt à cause de leur mérite personnel, que comme prérogative de leurs charges. Le grand Inquisiteur et le président de Castille y étaient admis quelquefois, mais le chef seul du Conseil d'Italie en fit constamment partie durant ce règne. Les autres membres étaient sans doute des personnages considérables qui n'étaient pas étrangers à la politique des puissances européennes, mais, ne remplissant la plupart aucune fonction active dans l'Etat, ils n'en connaissaient ni les besoins, ni les intérêts, ni les ressources d'une manière assez précise pour donner aux affaires publiques une impulsion vigoureuse et une direction intelligente ».116 Or ce que Furiò Ceriol propose répond exactement au vœu de Gounon-Loubens, en ce que le Conseil de la paix tient sous sa dépendance, puisqu'il les contrôle, l'administration, les finances et la politique étrangère. 117 Comment ne pas voir, dans l'insistance de notre auteur à diviser les Conseils U8, l'esquisse de la théorie de la séparation des pouvoirs ? C. Viñas Mey119 n'hésite pas à qualifier Furiò Ceriol d'illustre prédécesseur de Montesquieu puisque, au xvie siècle, il voulait doter l'Espagne d'une structure administrative et politique qui devait être celle de l'Etat moderne. Nous ne reprendrons pas l'analyse de C. Viñas Mey, qui fait ressortir les points communs entre l'auteur du Concejo... et celui de L'Esprit des lois. Insistons toutefois sur le souci de Furiò Ceriol de séparer le législatif de l'exécutif. La preuve la plus patente nous est donnée par la spécificité et l'étendue des pouvoirs du Conseil de la paix et du Conseil des lois. Le premier, sur lequel repose tout le gouvernement, contrôle la valeur et l'efficacité des fonctionnaires, et assure le mouvement administratif. 120 Le second détermine quels sont les postes à créer ou à supprimer. L'organisation administrative appartient au Conseil des 116. J. Gounon-Loubens, Essai sur l'administration de la Castille au XVI' siècle, Paris, 1860, p. 153. 117. Voir p. 109. 118. Voir p. 107. 119. « Doctrinas políticas y penales de Furiò Ceriol », in Revista de Ciencias Jurídicas y Sociales, Madrid, 1921, p. 68. 120. Voir p. 109.

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lois qui, en outre, assume également l'élaboration, la promulgation, la suppression ou la modification des lois. Toutes celles qui ne répondent plus aux exigences des situations présentes sont à réformer ou à abolir. Si l'on songe à la sacralisation des lois chez Platon, on verra une fois de plus, s'il en était besoin, combien peu Furiò Ceriol est platonicien. L'inspection et la nomination des fonctionnaires ressortissent au Conseil de la paix, c'est-à-dire à l'exécutif. A ces deux Conseils, Furiò Ceriol ajoute celui de la justice (Concejo penal), qui a pour objet de connaître les délits concernant la personne du Prince. Mais si l'on sait que le Prince est tenu, chez notre auteur, pour le défenseur du bien public, on peut affirmer que le « Concejo penal » représente le pouvoir judiciaire, pouvoir qui est séparé du législatif et de l'exécutif. Au vœu de Furio Ceriol répondra, deux siècles plus tard, celui de Montesquieu. Cette postérité française du xviir siècle ne devait pas convenir à Sevilla Andrés qui critique injustement l'étude de C. Viñas Mey. Selon celui-là, il est impossible de voir une parenté quelconque entre Furiò Ceriol et Montesquieu, puisque l'auteur du Concejo... voit dans le Prince le détenteur du pouvoir absolu. Ainsi, le Conseil ne serait rien d'autre qu'un moyen de travail 121 , et de ce fait, il manquerait au « Concejo » le principe directeur de la doctrine de la séparation des pouvoirs : la possibilité pour l'un de freiner l'autre. 122 Il va sans dire que nous ne sommes pas d'accord avec cette interprétation. Sevilla Andrés sait fort bien, puisqu'il cite le passage du Concejo..., que les Conseillers sont comme la mémoire, les yeux, la voix du monarque. Mais il faudrait continuer la citation. Furiò Ceriol ajoute que le Prince est redevable au Conseil de la perfection de son existence comme Prince et de sa réputation. 123 Le piano n'est qu'un moyen de travail, un outil pour le pianiste, mais sans ce moyen, le pianiste n'existerait pas comme tel. On peut dire ici que le « Concejo » est l'indispensable instrument de tout véritable monarque. Furiò Ceriol, tout au long de son œuvre, reviendra sur cette affirmation capitale. La piété, la bonté, la chasteté ne sont d'aucun secours au Prince qui n'aurait pas le Conseil et les Conseillers préconisés. Le monarque courrait 121. Sevilla Andrés, op. cit., p. 68. 122. Ibid. 123. Voir p. 105.

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à sa perte ainsi qu'à celle de son Etat sans cette organisation à laquelle Furiò Ceriol tient tant. Certes, c'est au Prince, comme nous le verrons, de choisir son Conseiller. Mais, comme le dieu de Leibnitz, il est tenu de prendre les meilleurs sous peine de perdre sa liberté, tant il est vrai qu'agissant contre sa raison, il cesse d'être libre. Furiò Ceriol affirme, nous le savons déjà, que toute nomination issue du bon vouloir, de la faveur ou de l'influence est le fait du tyran, non du Prince. Et l'on sait ce que réserve notre auteur à celui-là. En ce qui concerne l'impossibilité pour un Conseil de freiner une décision prise par un autre Conseil124, le texte même réfute une telle interprétation. Furiò Ceriol est ici encore d'une limpidité exemplaire, et donne la preuve de l'étendue des pouvoirs des Conseillers : « Toutes les grâces que le Prince accordera doivent passer par les mains de ce Conseil (Conseil des grâces) et sans son jugement, qu'il ne s'en octroie aucune ».125 Les Conseils ont une importance essentielle dans le gouvernement. Notre auteur ne cesse de dire que, sans l'existence des sept corps distincts qu'il propose, tout est chaos, concussion et ruine du royaume. Et Furiò Ceriol de brosser très habilement un tableau de l'Etat, de l'appareil gouvernemental et administratif de son temps qu'il critique implicitement. En effet, nous ne trouvons pas au nombre de ces sept Conseils ceux de l'Inquisition, de la Croisade, de l'Italie, des Pays-Bas, de la Castille et des Ordres militaires. Pourquoi cette absence d'institutions que notre auteur avait présentes sous ses yeux ? Pour ce qui est de la Castille, de l'Italie et des Pays-Bas, Furiò Ceriol ne voulait pas que Philippe II fît de discrimination. Il s'agissait d'un empire, et tous ses fils devaient avoir des droits égaux. Plutôt que de conserver de tels Conseils, Furiò Ceriol proposait que tous les pays appartenant à l'empire fussent représentés dans les différents Conseils. Faute de quoi, le ressentiment, la haine, la révolte se manifestent. 126 Or, nous savons que Philippe II composa « le Conseil presque uniquement d'Espagnols... ».127 Quant à l'Inquisition, nous avons déjà dit ce qu'en pensait Furiò Ceriol. Sans doute est-ce pour les mêmes raisons qu'il 124. 125. 126. 127.

Sevilla Andrés, op. cit., p. 68. Voir p. 117. Voir p. 183 et les Remedios dans les documents en Appendice. Gounon-Loubens, op. cit., p. 151.

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refuse de constituer un Conseil de la Croisade. Bons et méchants se retrouvent partout, aussi bien chez les chrétiens que chez les Turcs. En refusant toute place à ce Conseil ainsi qu'à celui de l'Inquisition, Furiò Ceriol prouve sans doute sa croyance médiévale en la mission divine du Prince, comme l'affirme avec un constant bonheur Sevilla Andrés. 128 Si la division des Conseils existait théoriquement, pratiquement, elle ne servait à rien. Ainsi, le Conseil de la guerre, qui exige, selon notre auteur, des Conseillers très compétents en stratégie, en économie et en histoire, « ne différait en rien du Conseil d'Etat; il n'y avait que quelques hommes spéciaux de plus. Mais les secrétaires n'étaient plus les mêmes... C'était toujours la même organisation, plutôt compliquée que savante, et qui semblait calculée pour empêcher le gouvernement d'agir, et toute la machine de marcher ».129 Les légistes, pratiquement tous de souche ecclésiastique, semblent particulièrement visés par Furiò Ceriol. Son insistance didactique sur la compétence et la probité des Conseillers serait pesante, si on ne connaissait leur arrogance, l'esprit étroit avec lequel ils conduisaient les affaires publiques, la mauvaise volonté qu'ils montraient pour tout ce qui ne procédait pas de leur initiative, mais surtout, 1' « avidité insatiable dont ils faisaient preuve dans la distribution des emplois, des salaires, accaparant tout ce qu'ils pouvaient eux-mêmes, et livrant le reste à leur famille et à leurs amis ».130 Les affaires traînaient, l'insuffisance des postes, la partialité de leur distribution, faisaient de la machine administrative espagnole un corps malade. 131 C'est tout cela que dénonce Furiò Ceriol. Chacun de ses avis nous renvoie à des situations précises, chacune de ses recommandations est une critique, chacun de ses conseils est une condamnation. Mais ce n'était pas assez de critiquer avec rigueur et lucidité le système. Furiò Ceriol n'épargne pas les hommes. On peut dire que le Concejo... est un réquisitoire contre la corruption et l'inca128. Op. cit., p. 51 : « Como se ve, aparecen dos características medievales en el pensamiento de nuestro autor. La primera es la compatibilitad de las virtudes privadas y las tareas públicas, y la secunda, la misión divina del Príncipe, en el sentido de que es tarea elevada, y, por tanto, exige mayor cuidado que cualquier otra función ». 129. Gounon-Loubens, op. cit., p. 164. 130. Ibid., p. 179. 131. Ibid., p. 178.

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pacité de ceux qui ont la charge des affaires. Au chapitre consacré au choix du Conseiller, il recommande comme seuls critères la compétence et la vertu. En ce qui concerne l'exigence de celle-ci, Sevilla Andrés y voit une caractéristique médiévale, à savoir la compatibilité des vertus privées et des devoirs publics. 132 Ici encore il se trompe. Pourquoi ne pas voir dans l'exigence vertueuse de Furiò Ceriol se dessiner la tradition démocratique du XVIII e siècle ? Montesquieu disait que la vertu n'est pas le ressort du gouvernement monarchique : « Dans les monarchies, la politique fait faire les plus grandes choses avec le moins de vertu qu'elle peut... L'Etat subsiste indépendamment de l'amour pour la patrie, du désir de la vraie gloire, du renoncement à soi-même, du sacrifice de ses plus chers intérêts » ; et plus loin : « La vertu politique est un renoncement à soi-même... On peut définir cette vertu, l'amour des lois et de la patrie. Cet amour demandant une préférence continuelle de l'intérêt public au sien propre ».133 Furiò Ceriol ne dit rien d'autre lorsqu'il définit le Conseiller comme l'homme qui aime le bien public au point d'en oublier le sien. Le vertueux politique du xvni e siècle ressemble par bien des côtés au Conseiller de Furiò Ceriol, et l'idéal des hommes de 1789 n'était en rien différent, pour la probité, de celui qui anime notre auteur. 134 Comme Machiavel, Furiò Ceriol pense que les hommes sont le plus souvent intéressés, cupides et haineux. 135 Ils sont aussi sujets à l'erreur. Mais la crainte peut faire ce que la raison ne peut opérer. Aussi Furiò Ceriol croit-il à la force de l'exemple, et à l'exemple de la force. Reprenant un mot d'Erasme 136, il affirme que, lorsque le Prince est poète, tout le monde fait des vers. Le grand Prince est donc celui qui sait découvrir les hommes vertueux et les utiliser au service du bien public. Mais quel Prince est capable de réaliser cela ? Nous abordons 132. Op. cit., p. 51. 133. Montesquieu, De l'Esprit des lois, op. cit., t. I, p. 38 et 56. 134. Paul Janet, Histoire de la philosophie morale et politique dans l'Antiquité et les Temps Modernes, Paris, 1858, p. 1 : « Le XVIe siècle est le vrai commencement des temps modernes, siècle de luttes et de discordes, mêlée confuse des sectes, des écoles, des partis, laboratoire ardent et tumultueux, où s'opèrent à la fois, sans méthode et sans ordre, les transformations les plus contraires... Le x v n r siècle l'a méconnu. De nos jours seulement, on est remonté jusqu'au xvf siècle pour chercher l'origine des idées que le x v n r siècle et la Révolution ont répandues dans l'Europe ». 135. Machiavel, Le Prince, op. cit., p. 638. 136. Voir notes générales, n° 20.

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maintenant ce qui nous paraît être le deuxième volet de la critique de Furiò Ceriol. Celui-ci nous a appris que le choix des Conseillers revient au monarque. Aussi faut-il qu'il possède au moins les mêmes vertus et compétences que ses collaborateurs. Peut-être pourrait-on alléguer qu'un Prince lucide, sachant qu'il ne possède pas toutes les qualités, essayerait de pallier cette carence en s'entourant d'hommes qualifiés. Ici, il n'en est rien, car Furiò Ceriol insiste, après la description de chaque aptitude requise pour être Conseiller, sur la nécessité pour le Prince d'éprouver celle-ci par de véritables examens. Le Prince pose des questions précises, tend même des pièges. On doit donc admettre qu'il est aussi capable d'assumer les tâches qu'il veut impartir à ses Conseillers. Nous avons ainsi un portrait du Prince que Furiò Ceriol brosse indirectement. Mais cette peinture est également une critique, car tout Prince qui ne lui serait pas ressemblant est indigne de régner. L'image de Philippe II coïncide-t-elle avec le dessin de Furiò Ceriol ? Sevilla Andrés affirme que ce monarque au grand cœur et d'une extraordinaire intelligence est le modèle qui servit à notre auteur. 137 II n'est pas question de porter un jugement personnel sur Philippe II, dont le caractère n'a pas fini d'inspirer des générations d'historiens. Cependant, nous pouvons tenter de voir si, en comparant les qualités du Conseiller de Furiò Ceriol et celles de Philippe II, celui-ci a vraiment servi de modèle à notre auteur. Commençons par les qualités de l'âme, avant d'examiner celles du corps, auxquelles s'attache également Furiò Ceriol. Nous avons vu que la première des vertus, celle sans laquelle aucune autre ne peut exister, est la supériorité intellectuelle. Elle est définie par Furiò Ceriol, nous le savons, par l'attitude du sujet vis-à-vis de « l'autre ». La relation avec autrui est au centre de la conduite de l'homme supérieur. Ce n'est pas un hasard si la seconde vertu est l'éloquence, la troisième, la connaissance des langues étrangères, la septième, la disposition « à feuilleter le grand livre du monde » avec profit. UInstitutionum Rhetoricarum138 nous donne de précieuses indications sur la deuxième qualité du Conseiller qui doit être aussi un excellent orateur, capable de comprendre chaque type d'homme, chaque tempéra137. Sevilla Andrés, op. cit., p. 67. 138. Furiò Ceriol, op. cit., p. 100.

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ment, et d'adapter son discours à son interlocuteur. Du discours, personne n'est écarté en raison de son appartenance religieuse ou nationale. Universel, il établit les liens d'une fraternité que défend avec insistance et courage Furiò Ceriol. Outre son souci de communiquer, l'esprit supérieur manifeste une gaieté et un humour qui le délivrent de toute pesanteur. Original et vif, il invente de nouvelles réponses aux situations nouvelles. 139 Est-ce vraiment là le portrait de Philippe II ? Personne, pas même son plus ardent panégyriste, ne pourrait le soutenir. Replié sur lui-même, à l'aise dans des travaux d'expéditionnaire, la communication n'est pas son fait. Si l'on s'en tient à son instruction, on sait qu'elle fut pénible et laborieuse. Il ne se fait donc pas remarquer par l'amour de l'étude. 140 On a beau chercher, on ne trouve guère de ressemblance avec le héros de Furiò Ceriol. Timide, renfermé, introverti, dirions-nous aujourd'hui, il comprend l'italien et le français. Mais il ne sait pas parler la langue de tous ses sujets. A Bruxelles, il doit avoir recours à l'évêque d'Arras pour se sortir d'une situation embarrassante. 141 Or, nous savons que Furiò Ceriol réprouve le plus fermement ce type de carences. Non, vraiment non, ce n'est pas là l'esprit délié, actif et pénétrant qui sait dès l'abord et comprendre et juger et trancher. Captif de schèmes rigides, il ignore la plus importante aspiration de son temps : la liberté. « La liberté intellectuelle, la liberté civile et politique sont une condition de vie ; celui qui veut arrêter le mouvement progressif de la société, ou la ramener avec violence vers le passé, la tue... ».142 Est-il franc, sans détours, aimant l'homme en tant qu'il est homme et non en tant qu'il est fidèle au catholicisme espagnol ? Non, vraiment rien de ce que Furiò Ceriol propose comme les vertus majeures du Conseiller n'appartient à Philippe II. 139. Notre auteur sait que la seule finalité de la connaissance se trouve dans l'action : « Je m'élève avec la plus grande véhémence contre la détestable inertie de ces hommes qui, tout au long de leur vie, veillent, peinent et suent pour acquérir la théorie sans jamais y ajouter la pratique » (Hoc loco inveherer gravissime in quorundam hominum detestandam inertiam, qui artium praeceptionibus toto vitae cursu invigilant, laborant, sudant, exercitationem nullam adhibent...) Institutionum Rhetoricarum, op. cit., p. 213-214. La théorie ne se justifie donc que par la pratique : c'est là pour Furiò Ceriol un principe essentiel déjà annoncé six ans auparavant dans son Institutionum Rhetoricarum. 140. Voir J.M. March, Niñez y juventud de Felipe II, Madrid, 1941, p. 221. 141. Voir Aguado Bleye, op. cit., p. 549. 142. F. Laurent, Etude sur l'histoire de l'humanité, Paris, 1865, t. X, p. 137.

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Mais la critique ou la peinture ne portent pas seulement sur l'âme. Le roi a-t-il plus de chances lorsqu'il s'agit du corps ? La caractérologie lui sera-t-elle plus favorable ? Furiò Ceriol prend au sérieux l'épaisseur du corps dont la constitution n'est pas étrangère au caractère de l'individu. Il suit, mais sans servilité aucune, les ouvrages qui reprennent ou imitent le fameux Secret des Secrets, attribué à Aristote. 143 Sans faire nôtres toutes les conclusions de Furiò Ceriol dans ce domaine, nous retiendrons cependant quelques-unes de ses remarques caractérologiques, en nous rappelant que la caractérologie s'attache à analyser les « dispositions congénitales qui forment le squelette mental de l'homme ».144 L'analyse de ces dispositions est fort ancienne. Démocrite disait déjà que le caractère de l'homme fait son destin. Mais c'est à Galien que devait revenir le privilège de jeter les bases de la caractérologie. Quatre humeurs, selon lui, le sang, la bile, la bile noire (atrabile), le flegme, déterminent, selon leur prédominance dans le corps, les caractères suivants : le sanguin, le colérique, le mélancolique et le flegmatique. Donnons aux exigences caractérologiques de Furiò Ceriol tout leur poids en les éclairant par ces lignes si pertinentes d'un philosophe moderne : « Pascal pouvait-il écrire Candide ? Kant aurait-il pu défendre la morale du plaisir ? Quelqu'un a-t-il appris à Napoléon l'ambition politique ? S'il paraît absurde de le penser, c'est qu'il existe pour tout homme, comme achevant la nature au cœur de lui-même, un système de dispositions qui définissent les dispositions permanentes de son action, de ses goûts, de ses recherches... Le caractère indique ce qui précède l'intervention de la liberté, ses conditions congénitales, sans lesquelles la liberté n'aurait aucune raison de se tourner dans un sens plutôt que dans un autre ».145 Furiò Ceriol veut que le Conseiller soit choisi parmi les seuls sanguins et colériques. Ces deux terrains congénitaux lui semblent seuls convenir, à l'exclusion définitive et sans appel des complexions mélancolique et flegmatique, incapables non seulement de remplir la charge de Conseiller, mais encore inhabiles pour toute sorte de gouvernement. 146

143. 144. 145. 146.

En ce qui concerne ces ouvrages, voir Bibliographie. R. Le Senne, Traité de caractérologie, Paris, 1952, p. 1. Ibid., p. 544-546. Voir p. 173.

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Nous ne sommes nullement qualifié pour entreprendre ime analyse caractérologique de Philippe II, mais il apparaît à l'évidence qu'on ne peut le ranger ni parmi les sanguins ni parmi les colériques. Force est alors, si l'on veut rester fidèle à l'esprit et à la lettre de Furiò Ceriol, de le classer dans les deux dernières catégories. Est-il flegmatique ? On aura peu de peine à s'en convaincre en lisant la description de ce caractère qui semble être le portrait même du monarque espagnol : « Ainsi, il n'a pas le goût pour le monde qui a cet effet d'offrir le sanguin à la connaissance d'autrui... De la volonté, de la persévérance, surtout du sang-froid — faite (sic) principalement d'habitudes... Pour un grand nombre de choses, la volonté est molle, mais elle devient ferme quand il s'agit d'actes intéressant la dignité professionnelle, le point d'honneur. Aime avoir sa vie réglée avec des obligations bien définies... ».147 Le jugement de Furiò Ceriol est plus simple et plus entier. Le flegmatique est bête, lourd, stupide, en bref, c'est un médiocre. L'appartenance à la complexion flegmatique est pour Philippe II ce qu'il y a de plus flatteur, car si d'aventure on voulait voir en lui un mélancolique, alors, toujours selon Furiò Ceriol, la condamnation serait plus terrible encore. Le mélancolique est, dit notre auteur, placé sous le signe de Saturne, signe détestable entre tous. Le mélancolique est bas, petit, « de la même complexion que la terre ».148 En outre, il est l'ennemi des pensées élevées, il est superstitieux, au point qu'il peut, par ses rêves et ses stupides songes, détruire toutes les religions du monde. 149 Si l'on précise davantage l'importance accordée au corps à l'aide de la physiognomonie 15°, on ne peut s'empêcher de penser

147. Le Senne, op. cit., p. 470, et P. Malapert, Les Eléments du caractère, Paris, 1897, cité par Le Senne. La lenteur d'esprit et le caractère flegmatique de Philippe II nous sont confirmés par la relation d'un ambassadeur de Venise en 1559 : « ...ma egli ha buon ingegno benché tardo, come sono tutti i flemmatici como egli è ». E. Albert, Relazioni degli ambasciatori veneti al Settato durante il secolo decimoseto, série I, vol. III, p. 395, Florence, 1883. 148. Voir p. 173. 149. Voir p. 173. 150. Nous nous sommes attaché à examiner une douzaine d'ouvrages qu'aurait pu avoir connus notre auteur. Ils sont tous unanimes quant à la signification de lèvres épaisses ou pendantes. Voir Bibliographie.

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à Philippe II lorsque Furiò Ceriol écrit qu'il faudra se défier de ceux qui ont les lèvres épaisses et pendantes. 151 Invinciblement, un rapprochement s'impose entre cette recommandation et le portrait de Philippe II, qu'il soit dû au pinceau de Coello ou à la plume d'Aguado Bleye.152 La lippe pendante est le trait caractéristique du visage de ce souverain. Furiò Ceriol visait-il Philippe II ? Il est impossible de fournir autre chose qu'un faisceau de présomptions dont on ne peut, cependant, nier la valeur. 153 Ce qui est évident, c'est que le Concejo... offre une lecture à deux niveaux. Vouloir en faire un ouvrage que l'on compare avec ceux de Bermúdez de la Pedraza ou Ramírez de Prado, le ranger dans la rassurante collection des classiques espagnols, manifeste une volonté d'aveuglement que l'on ne partagera ni avec Sevilla Andrés, ni avec D. W. Bleznick. CONCLUSION

Il apparaît d'abord que Furiò Ceriol, comme plus tard Spinoza, sans se bercer d'illusions sur la nature de l'homme, pense qu'une bonne politique, c'est-à-dire une politique expurgée de toute immixtion théologique et religieuse, fondée seulement sur la raison, peut dissiper la haine qui oppose les hommes. La valeur de quelques êtres d'élite, les Conseillers, ces héros de l'esprit et du cœur, peut, sinon transformer la nature des hommes, tout au moins agir de sorte que leur conduite soit meilleure, plus juste et plus humaine. Cette entreprise a pour fondement une totale confiance dans la puissance de l'esprit supérieur qui se définit par son pouvoir de création et son respect de l'autre quelle que soit son appartenance religieuse ou sa nationalité. 151. Voir p. 177. 152. Op. cit., t. II, p. 548 : « La boca resultaba menos atrayente ; pues sus labios eran gruesos, y el inferior caía demasiado (el belfo, marca originaria de Habsburgo)... ». 153. La critique de la personne du roi n'était pas une impossibilité à cette époque, à preuve le texte suivant qui met en lumière une certaine frivolité de Charles Quint et de Philippe II. Il s'agit d'une lettre du Docteur Laguna citée par M. Bataillon, in Le Docteur Laguna, auteur du Voyage en Turquie, Paris, 1958, p. 138 : devant la débâcle de l'influence impériale en Allemagne catholique, le Docteur Laguna rapporte « ...que l'empereur dessine ou fait de l'horlogerie et que le futur Philippe II, prince ami des fleurs, visite Aranjuez ».

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Le discours de Furiò Ceriol, s'il est dédié à Philippe II, s'adresse cependant au monde entier, et ne se limite pas aux bornes précises d'un empire qui, selon ses contemporains, tire sa puissance de son élection divine. Furiò Ceriol vient trop tôt. La corruption de la cour, la lourdeur de la machine administrative, le fanatisme entretenu par le SaintOffice, l'intransigeance bornée de Philippe II, n'offrent pas de terrain propice aux changements drastiques que propose notre auteur. Furiò Ceriol touche aux limites de la critique en feignant de peindre. Il sait qu'à être plus précis, il blesserait bien des gens. Alors, « que ceux qui ont des oreilles entendent ».154 Et on l'a si bien entendu que son destin, qui aurait dû être brillant, s'achèvera dans la solitude et l'oubli. Mais qu'importe ! Notre auteur voulut servir son pays, car tout effort qui pourrait être utile à l'Etat doit être entrepris sous peine d'ignominie. 155 L'Espagne du x v r siècle a ignoré la leçon de Furiò Ceriol, leçon qui était pourtant son salut, car tout fanatisme porte en lui le germe de sa propre destruction. A éliminer l'altérité, à vouloir identifier aveuglément, l'Espagne a sombré, perdue dans son rêve de catholicité. L'idéologie qui avait fait sa force l'a ruinée, elle qui s'obstinait à entretenir la croyance que le monde se divise simplement en Espagnols et en « autres ». Furiò Ceriol, lui aussi, scinde le monde en deux : celui qu'habitent les hommes conduits par la raison, tous citoyens d'un même univers, tous unis et tous indispensables les uns aux autres, qu'ils soient juifs, Maures, gentils ou chrétiens, et celui que mène la passion. Un autre fils de l'Espagne, près d'un siècle plus tard, confirmera cette vérité : « A l'homme, rien de plus utile que l'homme »156.

154. Voir p. 151. 155. Furiò Ceriol, Institutionum Rhetoricarum, op. cit., p. 212 : « illud autem, quod cum possit prodesse nolit, idcirco turpiori in vicio est, et maiori ignominia notandum ». 156. Spinoza, Ethique, in Œuvres complètes, Paris, 1954, 4e partie, scolie de la proposition 18.

EL CONCEJO Y CONSEJEROS DEL PRINCIPE EDITION CRITIQUE ET TRADUCTION FRANÇAISE

NOTE PRELIMINAIRE

La traduction que nous présentons n'a pas d'autre ambition que de faire connaître la pensée de Furiò Ceriol à ceux qui ignorent l'espagnol. Nous sommes resté très près du texte, essayant de rendre le plus fidèlement possible, sans toutefois faire oeuvre littéraire. Moins que personne nous n'ignorons les difficultés d'une telle entreprise, tant il est vrai que notre auteur lui-même nous signalait les écueils de la traduction. On trouve fort rarement, écrit-il, des interprètes qui ne trahissent pas ce qu'ils traduisent. 1 Nous avons passé outre à ce redoutable avertissement. D'abord parce qu'il manquait au français, qui exprima si souvent les aspirations de la raison et de la liberté, un texte exceptionnel comme l'est le Concejo... ; ensuite, parce que l'esprit fondamentalement universaliste de Furiò Ceriol nous incitait à affronter les difficultés de la lettre.

1. Voir p. 129.

EL CONCEJO y Consejeros del Príncipe Obra de F. Furiò Ceriol : que es el libro primero del quinto Tratado de la institución del Principe

EN ANVERS En casa de la Biuda de Martín Nucio Año M. D. LIX Con previlegio Real

LE

CONSEIL

et les Conseillers du Prince

Œuvre de F. Furiò Ceriol : Livre premier du cinquième traité de l'éducation du Prince

A ANVERS En la maison de la veuve de Martin Nucio An M.D.LIX Avec privilège royal

EL LIBRO

Mi padre es un hombre que professa tener más libertad que el alvedrío ; i al despedirme dixo : hijo mío, de mis armas i arnés te me aderessa. Malicia i inorancia se dan priessa por su vano interesse que por frío se tenga el sol ; pordonde el desvarío nos manda el mundo todo, i nos lo opressa. Por tanto diez mil golpes de contino en ti descargarán fuera mesura, por sacarte del mundo, los malditos. Fieros golpes serán ; mas ten buen tino, que siendo de virtud tu armadura, en menos los ternás que de mosquitos. Trabajos infinitos han de passar por ti ; mas ten memoria que donde no hai trabajo, allí no hai gloria. El mundo haze historia, i muerto el interesse, vemos que uno vale por mil, i mil mui menos que uno. Iuzgarte han importuno, o nescio, o loco, o bovo. Nada empesce ; que el hierro acicalado resplandesce. El vulgo envilesce. Mi padre aquí acabó de hablar comigo : también acabo io ; lo mesmo os digo. F. A.

LE LIVRE

Mon père est un homme qui affirme être plus libre que le libre arbitre lui-même et en prenant congé de moi il me dit : mon fils, ceins mes armes et mon harnais. La méchanceté et l'ignorance se pressent dans la vanité de leur intérêt à faire accroire que le soleil est froid. Il s'ensuit que la folie gouverne le monde entier et l'opprime. Les méchants, pour t'éliminer, te porteront dix mille coups, sans relâche. Ce seront de rudes coups : mais aie bien présent à l'esprit que ta vertu étant ton armure, tu en feras moins de cas que si c'étaient des moustiques. Tu rencontreras d'infinies peines, mais souviens-toi que là où il n'y a pas de peine, il n'y a pas de gloire. Le jugement de l'Histoire nous apprend, une fois l'intérêt disparu, qu'un homme en vaut mille et que mille en valent moins qu'un. On te jugera importun, ou ignorant, ou fou, ou bête. Rien n'empêche l'acier fourbi de resplendir. Le vulgaire souille. Ici mon père cessa de me parler : je me tais aussi en vous disant la même chose. F. A.

FADRIQUE FURIO CERIOL AL GRAN CATOLICO DE ESPANA, DON FELIPE EL SEGUNDO

Todo Príncipe es compuesto casi de dos personas. La una es obra salida de manos de Naturaleza, en quanto se le comunica un mesmo ser con todos los otros hombres. La otra, es merced de Fortuna, i favor del Cielo, hecha para govierno i amparo del bien público, a cuia causa la nombramos persona pública ; i restriñéndole este su nombre de una tan grande generalidad en más particular, muchos de muchas maneras la llamaron, i en lengua vulgar de España lo más ordinario es nombrarla Rei. Io la llamo Príncipe ; i assi la llamaré en toda esta obra. De manera que todo i qualquier Príncipe se puede considerar en dos maneras distintas i diversas : la una, en quanto hombre ; i la otra, como a Príncipe. En quanto hombre, tiene cuerpo i alma : el cuerpo se ha de conservar no sólo por su ser, sino también por tener mejor aparejo de servir al alma ; i ésta conviene sea instituida en aquellas artes que más necessarias fueren al uso, oficio, obligación i gloria de la segunda persona ; porque el cuerpo i alma, digo, el hombre, es (según esta regla) el instrumento del Príncipe. Como un pintor, un platero, un escrivano, no puede llevar buena labor ni hazer su oficio, faltándole el devido aparejo de instrumentos, de la mesma manera, el Príncipe que no tuviere tal aderesso de los dichos instrumentos, qual conviene, ni puede governar, ni defender su pueblo, ni menos lo podrá acrescentar ni engrandescer. Por tanto muchos i mui excelentes varones han trabajado con todas sus fuerzas de enseñar a governar el Príncipe, como a persona de cuia buena o mala institución cuelga el bien o el mal, la vida o muerte de la sociedad i compañía de los hombres. Pero vemos que han errado todos ellos hasta el día de hoi, en que aunque entendían (como io pienso) hallarse en el Príncipe dos personas distintas i diferentes, todavía, en su arte i manera de enseñar, las confundieron ; i esto (según io pienso)

FADRIQUE FURIO CERIOL A L'ILLUSTRE ROI CATHOLIQUE ESPAGNOL, SA MAJESTE PHILIPPE II

Tout Prince est composé, peut-on dire, de deux personnes. La première est l'œuvre de Nature. C'est ce qui le rend identique au reste du genre humain. La seconde est une grâce de la Fortune et une faveur du Ciel. Elle est faite pour gouverner et protéger le bien public ; c'est pourquoi nous la nommons « personne publique ». Si l'on restreint ce terme tellement général pour en choisir un autre plus particulier, ce sont d'autres noms très divers qui ont été adoptés par bien des gens. Celui de Roi est le plus usité dans la langue courante d'Espagne. Quant à moi, je préfère le terme de Prince, et tel est le nom que je lui donnerai tout au long de mon ouvrage. Ainsi donc, tout Prince, quel qu'il soit, peut être considéré de deux façons différentes : en tant qu'homme et en tant que Prince. En tant qu'homme, il possède un corps et une âme. Il faut prendre soin du corps non seulement pour lui-même, mais aussi pour avoir un meilleur outil au service de l'âme. Quant à cette dernière, il importe de lui inculquer les connaissances qui seront le plus nécessaires au Prince pour ses fonctions, son métier, son devoir et sa gloire ; car le corps et l'âme, en un mot l'homme, sont (suivant ce principe) les instruments du Prince. Un peintre, un orfèvre, un notaire, ne peuvent faire de bon travail, ni exercer leur métier, s'il leur manque l'outillage nécessaire. De même, un Prince qui ne serait pas muni, comme il se doit, des outils en question, ne peut ni gouverner, ni défendre ses peuples, et moins encore les accroître et les agrandir. C'est pourquoi nombre d'hommes très éminents ont consacré toutes leurs forces à enseigner l'art de gouverner au Prince, personne dont la bonne ou mauvaise formation entraîne le bonheur ou le malheur, la vie ou la mort de la société et de la

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porque no supieron entender que todas las artes son a manera de muchos eslavones, en los quales cada uno se haze aparte, cada uno tiene sus términos distintos de los otros, pero de todos ellos se suele hazer una cadena ; de la misma manera en todas las artes quando se enseñan, cada una ha de tener sus límites de por sí, sin mesclarse con las otras, pero en los negocios humanos, que es quando se ponen por la obra, es menester que casi todas concurran a un tiempo. De manera que en la institución de las artes, cada una terná sus precetos distintos de las otras ; i mesciarlos, es contra razón i orden. Porque esto es de pocos entendido, i casi de ninguno puesto por obra ; de aquí es que en la institución del Príncipe se dan precetos de Teología, de Filosofía natural i moral, de Leies, de Matemáticas, de Medicina, i de otras artes, en lo qual ierran en dos modos : lo uno, porque tratan del Príncipe en quanto hombre, i no en quanto Príncipe : lo otro, porque confunden las artes. Dexo aparte i callo otros muchos vicios que a un tal ierro están anexos. La institución del Príncipe, en quanto Príncipe, es darle regla, precetos, o avisos tales, con que sepa i pueda ser buen Príncipe. Estas palabras — buen Príncipe — son de mui pocos entendidas, i assi vemos sobre ello que muchos hombres dizen razones en aparencia buenas, pero en efeto vanas i fuera de propósito : porque ellos piensan que buen Príncipe es un hombre que sea bueno, i este mesmo que sea Príncipe ; i assi concluien que el tal es buen Príncipe. lo digo que la mejor pieça del arnés en el Príncipe, la más señalada, i aquella en que más ha de poner toda su esperança, es la bondad ; pero no se habla entre hombres de grande espíritu i de singular govierno, dessa manera, sino como de un buen músico, el qual (aunque sea grand vellaco) por saber perfetamente su profesión de música, es nombrado mui buen músico. Conforme a esta regla dezimos también buen diamante, buen cavallo, buen pintor, buen piloto, buen médico ; i esto quizo sinificar el sotil Sanázaro quando, hablando en un Papa de sus tiempos, dixo que era mui buen Príncipe, pero mui ruin hombre.

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communauté des hommes. Et pourtant, nous constatons leur commune erreur jusqu'à présent. En effet, bien qu'ils comprissent comme moi que dans le Prince se trouvaient deux personnes distinctes et différentes, pourtant, dans leur art et leur manière d'enseigner, ils les ont confondues. Cela, à mon avis, parce qu'ils n'ont pas su comprendre que toutes les disciplines ressemblent à de multiples maillons : forgés séparément, ils ont chacun leurs contours différents, mais c'est de leur totalité que l'on forge une chaîne. Il en est de même pour les disciplines : lorsqu'on les enseigne, chacune doit avoir ses limites propres, sans empiéter les unes sur les autres. Pourtant dans les affaires humaines, quand on les met en pratique, il faut qu'elles convergent presque toutes en même temps. Ainsi donc, dans l'enseignement, chaque discipline aura ses règles propres ; les mêler serait contraire à la raison et à la méthode. Bien peu de gens ont compris cela, et presque personne ne l'a mis en pratique. D'où il ressort que l'éducation du Prince comporte des préceptes de théologie, de philosophie naturelle et morale, de droit, de mathématiques, de médecine et d'autres disciplines. Double erreur, car, d'une part, on traite du Prince comme d'un homme et non comme d'un Prince, d'autre part, on mêle les disciplines. Je passe sous silence les nombreux autres défauts inhérents à une telle erreur. L'éducation du Prince en tant que Prince doit lui fournir règles, préceptes et conseils, grâce auxquels il saura et pourra être un bon Prince. Ces mots — bon Prince — rares sont ceux qui les comprennent ; c'est pourquoi nous voyons sur ce point que bien des gens tiennent des propos adéquats en apparence, mais en réalité creux et impropres. Ils pensent que « bon Prince » signifie un homme qui serait bon et en même temps Prince. Ils en concluent que celui-ci est un bon Prince. Certes, pour moi, le meilleur atout dans le jeu du Prince, le plus remarquable et celui dont il doit augurer le mieux, c'est la bonté ; mais ce n'est point ainsi que l'on parle entre hommes aux vues larges et à l'autorité singulière, mais bien plutôt comme on le ferait d'un bon musicien. Même s'il est un fieffé coquin, on l'appelle « bon musicien » parce qu'il connaît parfaitement son métier de musicien. Conformément à cette règle, nous disons aussi : un bon cheval, un bon peintre, un bon pilote, un bon médecin ; et c'est ce qu'entendait le subtil Sannazar quand il disait d'un pape de son temps qu'il était un très bon Prince mais un homme très vil.

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De manera que el buen Príncipe es aquel que entiende bien i perfetamente su professión, i la pone por obra agudamente i con prudencia ; que es, que sepa i pueda con su prudente industria conservarse con sus vassallos de tal modo que no solamente se mantenga honradamente en su estado i lo establezca para los suios, sino que (siendo menester) lo amplifique, i gane vitoria de sus enemigos cada i quando que quisiere, o el tiempo pidiere. I por no detenerme más en esto, digo que buen Príncipe es aquel que puede por sí solo tomar consejo i aprovecharse del ageno, i ambos a dos consejos el suio i el ageno (según los negocios, personas, lugares, i tiempos) guiarlos i llevarlos gloriosamente hasta el cabo. Porque vemos que hai tres maneras de entendimientos : uno entiende, comprehende, i sabe por sí solo ; otro siendo amonestado, o enseñado ; otro ni con lo uno, ni con lo otro. Este postrero es inútil, i nasció esclavo en perpetua servidumbre. El segundo es bueno, pero el primero es divino, i nasció derechamente para mandar i governar. La suficiencia del segundo se entiende en esto que tiene juizio para discernir el bien del mal, i aunque no tenga de sí invención, todavía conosce las malas palabras i obras de su adversario ; en sus consejeros cala las voluntades, sus buenas obras loa i recompensa, i las malas reprehende i castiga ; i por tanto el Concejo no tiene esperança de echarle dado falso, i assi le sirve bien i lealmente. Guai del reino, Guai del reino, cuio Príncipe ordinariamente diga a su Concejo — miraldo bien, i hazeldo como mejor os paresciere, que io lo dexo en vuestras manos — porque el tal reino en ninguna manera puede ser bien governado. Porque en tal caso nunca terná conformidad de paresceres, cada Consejero tomará su camino, cada uno trabajará de hazer su casa, haránse del todo ruines, i es impossible que dexen de ser tales, si ia alguna gran violencia o necessidad no les fuerça tenerse a raia ; i quien piensa lo contrario, bive mui engañado. I esto sale de la inhabilidad del Príncipe, porque siendo los hombres naturalmente codiciosos, los Consejeros no quieren dexar passar la ocasión de aprovecharse ; la ocasión es que, so color del govierno, puede cada uno por diversas vías hazer sus

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De sorte que le bon Prince est celui qui connaît à fond son métier, et l'exerce avec finesse et sagesse. C'est-à-dire qu'il doit être capable, grâce à son intelligente politique, de se maintenir ainsi que ses vassaux, de façon à, non seulement subsister honorablement dans son État et le consolider pour les siens, mais (au besoin) l'agrandir et remporter la victoire sur ses ennemis chaque fois qu'il le voudra ou que les circonstances l'exigeront. Et pour être bref, je dirai que le bon Prince est celui qui peut tout seul se faire une opinion et également profiter des conseils d'autrui. Grâce à ces deux avis, le sien et celui d'autrui (selon les affaires, les personnes, les lieux, et le moment), il pourra conduire ses affaires et les mener glorieusement à bonne fin. En effet, nous le constatons, il y a trois sortes d'entendement : l'un entend, comprend par sa seule vertu ; l'autre, lorsqu'on l'a prévenu ou instruit ; le troisième, ni l'un, ni l'autre. Ce dernier est incapable, et il est né esclave et en perpétuelle servitude. Le second est bon, mais le premier est divin, et il est né tout exprès pour commander et gouverner. [1] * La compétence du second se reconnaît en ce qu'il a le jugement voulu pour discerner le bien du mal. Même s'il n'a pas d'initiatives propres, il sait reconnaître les paroles et les actions néfastes de son adversaire. Il perce à jour les desseins de ses Conseillers, il loue et récompense leurs bonnes actions, et réprimande et châtie les mauvaises. De la sorte, le Conseil n'a pas l'espoir d'user de dés pipés, et il le sert bien et loyalement. Malheur, malheur au royaume dont le Prince aurait coutume de dire à son Conseil : « Réfléchissez bien et faites comme bon vous semblera, je m'en remets à vous », car il est impossible qu'un tel royaume soit bien gouverné. En effet, dans ce cas, il n'y aura jamais unanimité des avis, chaque Conseiller suivra son idée, chacun travaillera à sa propre fortune jusqu'à devenir complètement corrompu. Et il est impossible qu'il en soit autrement, à moins que quelque énergique répression ou quelque nécessité n'oblige les Conseillers à rester à leur place. Qui pense le contraire se trompe lourdement. Or ceci provient de l'incapacité du Prince, car les hommes étant cupides par nature, les Conseillers ne veulent pas laisser passer l'occasion d'en profiter. L'occasion, c'est la possibilité, sous couleur de gouverner, de

* Pour les notes du traducteur, voir pages 205-207.

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mangas sin que el Príncipe lo pueda conoscer, ni menos remediar ; de aquí nasce licencia, de la licencia desorden, del desorden perdición. Por ende es cosa manifiesta que la prudencia i retitud del buen govierno i del Concejo, estriba en la habilidad del Príncipe, i no la prudencia del Príncipe en su Concejo. Por las quales causas, arriba dixe, i buelvo a dezir de nuevo, que buen Príncipe es aquel que puede por sí solo tomar consejo, i aprovecharse del ageno, i ambos a dos consejos, el suio i el ageno (según los negocios, personas, lugares i tiempos), guiarlos i llevarlos gloriosamente hasta el cabo. La institución del Príncipe no es otro sino una arte de buenos, ciertos i aprovados avisos, sacados de la esperiencia luenga de grandes tiempos, forjados en el entendimiento de los más ilustres hombres desta vida, confirmados por la boca i obras de aquellos que por su real govierno i hazañas memorables, merescieron el título i renombre de buen Príncipe. Los tales avisos, al Príncipe que los leire i los pusiere por obra, son guía i camino trillado para venir cierta i descançadamente a la más alta cumbre de poder i gloria. Esta arte o institución del Príncipe (según me paresce a mí), deve ser dividida en cinco partes o Tratados, para que se esplique bien i perfetamente. El primer Tratado terná tres libros : uno, en que se declare qué cosa es Príncipe, cómo se inventó, i porqué se inventó, qué poder tenga, quién se lo dio, i quién se lo pueda quitar : el otro, qué artes ha de aprender el Príncipe, las quales le sean necessarias, en el govierno. El tercero, qué virtudes morales le sean más necessarias, i cómo ha de usar délias, que es ésta una parte que pocos entienden, i es el quicio en que estriba el govierno. El segundo Tratado ha de ser de la criança del Príncipe, de sus maestros, aios, criados, amigos, privados, i de su casa, el qual, conforme a las siete edades que consideran los filósofos i médicos en el hombre, deve ser dividido en siete libros : el primero, de la infancia, el segundo, de su puericia ; el tercero i los demás, de las otras cinco edades que quedan. El Tratado tercero terná dos libros : uno, que diga por estenso todo aquello en que un vassallo es obligado a su Príncipe ; el otro, todo quanto el Príncipe es obligado a sus vassallos ; por donde se verá claramente la regla cierta de conoscer un traidor i un leal vassallo, i también de

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faire ses affaires de diverses façons, sans que le Prince puisse s'en apercevoir, et encore moins y porter remède. D'où la licence, la licence engendrant le désordre, et le désordre la perdition. C'est pourquoi il est évident que la sagesse et la droiture d'un bon gouvernement et du Conseil reposent sur la compétence du Prince, et non pas l'inverse. Pour ces raisons, j'ai dit plus haut et je redis que le bon Prince est celui qui peut tout seul se faire une opinion et profiter des conseils d'autrui. Grâce à ces deux avis, le sien et celui d'autrui (selon les affaires, les personnes, les lieux et le moment), il pourra conduire ses affaires et les mener glorieusement à bonne fin. L'éducation du Prince n'est pas autre chose qu'un ensemble de conseils bons, vrais et éprouvés, tirés de la lointaine expérience des époques glorieuses, forgés dans l'entendement des hommes les plus illustres de ce monde, confirmés par les paroles et les actes de ceux qui, par leur royal gouvernement et leurs exploits mémorables, ont mérité le titre et le renom de « bon Prince ». Pour le Prince qui les lirait et les appliquerait, ces conseils sont un guide et un chemin tout tracé pour atteindre sûrement et aisément le plus haut sommet du pouvoir et de la gloire. Cette discipline ou éducation du Prince (à mon avis) doit être divisée en cinq parties ou traités pour être parfaitement expliquée. Le premier traité comportera trois livres : l'un exposera ce qu'est le Prince, quelle est son origine, pourquoi cette origine, quel pouvoir il a, de qui il le tient, et qui peut le lui ôter. L'autre dira quelles disciplines doit étudier le Prince, qui lui seront nécessaires pour gouverner. Le troisième, quelles vertus morales pourront lui être plus nécessaires et comment il doit en user ; car c'est là une chose comprise de peu de gens et qui est le pivot qui soutient le gouvernement. Le second traité doit porter sur l'éducation du Prince, ses maîtres, ses précepteurs, ses domestiques, ses amis, ses favoris et sa maison ; ce traité, conformément aux sept âges que philosophes et médecins distinguent chez l'homme, doit être divisé en sept livres : le premier, sur la petite enfance, le second sur l'enfance, le troisième et les suivants sur les cinq autres âges restants. Le troisième traité comprendra deux livres : l'un développera les obligations d'un vassal envers son Prince ; le deuxième, celles du Prince envers ses vassaux ; on y verra clairement la règle infaillible pour distinguer un traître d'un loyal sujet, et également pour distinguer un Prince d'un tyran. 4

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saber quál es Príncipe i quál tirano. Et quarto Tratado es en que se le muestre al Príncipe de reinar, venciendo todas las dificultades de qualquier modo i manera que se le ofrescieren ; i esto, por quanto no se puede comprehender ni dar a entender sino por la variedad del reino o principado, en el qual se halla possessión en una de quatro maneras, conviene a saber, o por herencia, o por eleción, o por fuerza, o por maña, por tanto este Tratado deve ser dividido en quatro libros, empleando un libro en cada una de las dichas possessiones. Pero considerando que el Príncipe no es parte de oírlo todo, entenderlo todo, passar por todo, proveher en todo i en todos cabos, por tanto el quinto i último Tratado es del Concejo i Consejeros del Príncipe, en que se le enseñe a hazer un Concejo, i elegir Consejeros quales menester fueren. Materia es ésta de la institución del Príncipe que requiere un hombre de mui grandes dones de Naturaleza, de estremado saber, de mucha lición, curioso, observador, i de mucha esperiencia, el qual pueda bien i agudamente tratar tantas, tan diversas, i tan importantes materias, como son las sobredichas. Muéstrase esta dificultad en que Griegos, Latinos, Italianos, Alemanes, Franceses i Españoles, por bien que se han esforçado a ello, no la supieron començar, ni llevar adelante. Todos la toman a repelo, rómpenla a pedaços, nada está en su lugar, i lo peor de todo es que prometen dar institución del Príncipe, la qual tiene todas las partes que arriba dixe, i ellos apenas tratan su milésima parte ; que es un vicio que suele caer en hombres botos, imprudentes, i de poco saber. Porque el que da nombre a su libro, qualquier que sea, el tal es obligado a tratar las partes que bajo del título puesto se contienen. lo (como aquel que siempre pensé que la grandeza de un alto espíritu está puesta en cosas mui grandes, i llevar al cabo cosas que muchos i mui ilustres varones o no supieron, o no pudieron, a lo menos vemos que no las acabaron) entre otras mis ocupaciones en diversas disciplinas i maiormente de Leies, quize provar la mano en esto de la institución del Príncipe ; i assi, de ocho libros en que ha de ser dividida la obra del Concejo del Príncipe, imbío a vuestra magestad el primero dellos, en que sólo a manera de memorial apunto mi parescer sin amplificación ni pruevas, por no fatigar con multitud de palabras los delicados oídos de quien continuamente está ocupado. No he miedo, ni espanto de que muchos

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Dans le quatrième traité, on montrera au Prince à régner et à vaincre les difficultés sous quelque aspect qu'elles puissent se présenter à lui. Or ceci n'est pas compréhensible ni explicable si on ne tient pas compte de l'espèce de royaume ou de principauté qu'on possède d'une des quatre manières suivantes : héritage, élection, force ou ruse. Il faudra donc diviser ce Traité en quatre livres, et consacrer un livre à chacune de ces manières. D'autre part, considérant que le Prince ne peut tout écouter, tout comprendre, s'occuper de tout, pourvoir à tout en toutes circonstances, le cinquième et dernier Traité portera sur le Conseil et les Conseillers du Prince. On y enseigne à constituer un Conseil, et à choisir des Conseillers tels qu'ils doivent être. Ce point, l'éducation du Prince, exige un homme aux grands dons naturels, au savoir éminent, aux vastes connaissances, curieux, observateur, et de grande expérience. Quelqu'un qui pourra convenablement et finement s'occuper de matières aussi nombreuses, aussi diverses et aussi importantes que celles dont on a parlé plus haut. Tâche difficile puisque Grecs, Latins, Italiens, Allemands, Français et Espagnols ont eu beau s'y atteler, ils n'ont su l'entamer, ni la mener à bien. Tous la prennent dans le mauvais sens, la fragmentent, ne mettent rien à sa place, et, pire que tout, promettent de traiter de l'éducation du Prince ; or celle-ci comporte toutes les matières dont j'ai parlé plus haut, et c'est à peine s'ils en traitent la millième partie. C'est là un défaut où tombent d'ordinaire des hommes obtus, sans discernement et de peu de savoir. En effet, celui qui donne un titre à son ouvrage, quel qu'il soit, s'oblige à traiter les parties que sous-entend ce titre. Quant à moi (qui ai toujours pensé que la grandeur d'un esprit élevé s'emploie à de très grandes choses, et réalise des choses que beaucoup d'hommes très illustres n'ont su ou n'ont pu mener à bien — tout au moins, nous voyons qu'ils ne les ont pas menées à terme), au milieu de mes occupations dans diverses disciplines, le Droit surtout, j'ai voulu m'essayer sur ce sujet de l'éducation du Prince. Ainsi, des huit livres que comportera mon œuvre sur le Conseil du Prince, j'envoie le premier à Votre Majesté. J'y note seulement, comme en une sorte de mémoire, mon avis, sans développement ni références, afin de ne pas lasser par un fatras les oreilles délicates de celui qui est perpétuellement occupé. Je n'ai nulle crainte d'être traité par quiconque d'audacieux,

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quiçà me reprehenderán de atrevido, o sobervio, o malmirado, que presuma io de tratar una tal, tan ardua i tan difícil materia : porque el influxo de mi estrella me guía, i aun casi, me fuerça a ello. I assi siguiendo tan buena guía, desde mis tiernos años siempre me empleé en saber i entender formas i modos de buen govierno ; a cuia causa he rebuelto muchos libros por entender el govierno antiguo de los Assirios, Tebanos, Atenienses, Cartagineses, Romanos, i también de los de nuestros tiempos, como del Turco, de Italia, Alemaña, Francia, España, i otras provincias. I para la esperiencia, me aprovechava de saber lo que en mis días ha passado en las concurrencias de las guerras entre los Príncipes de Europa, i cotejarlo con las antiguas historias ; i allende desto, mis amistades i conversación con hombres que siempre o sus Repúblicas, o sus Príncipes los emplearan en los más arduos negocios de sus reinos i tierras, me aiudaron en gran manera, con los quales he comunicado i entendido algo de lo que por allá passa. Siendo pues io nascido, criado i exercitado en tal modo, ningún miedo tengo de quanto contra mí en este caso se dixere. Muchos no curarán desto, sino que (como hombres que miran a bulto) saldrán luego con el dicho de Aníbal, que llamó loco al gran filósofo Formión, porque osó en su presencia dar forma i modo de bien guerrear. A estos tales, i a su exemplo puede se responder con la opinión de muchos, mui dotos, mui prudentes, i mui santos varones, de los quales algunos de palabra, i casi todos por sus obras han condenado, i condenan a Aníbal de bárbaro i inhumano en aquel dicho contra Formión ; con la autoridad de los quales escusándome io, podría dezir que los que me persiguieren con el tal dicho, son más bárbaros que Aníbal ; porque éste pecó de pura sobervia, no queriendo consentir que otro, a la sombra, entendiese tanto de la guerra, como él al sol i polvo ; pero estos otros, de quienes hablo, siendo ellos la misma inorancia, quieren reprehender los que algo saben ; i pecan en temerarios, pues inconsideradamente echan sello a malicias agenas : i no es tanto dezir un desbarate, como sotascrivirlo de su mano. Bien mirado, Aníbal meresce escusa por su dicho, pero estos nuestros son dinos de grandissima reprehensión : porque

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d'orgueilleux ou d'inconsidéré, pour m'être risqué à traiter une telle matière si ardue et si difficile, car l'influence de mon étoile me guide, et me force presque à le faire. C'est en suivant ce guide excellent que, dès mon jeune âge, je me suis toujours employé à savoir et à comprendre les diverses façons de bien gouverner. Voilà pourquoi j'ai compulsé bien des livres afin de comprendre l'antique gouvernement des Assyriens, des Thébains, des Athéniens, des Carthaginois et des Romains, ainsi que ceux de notre temps : de Turquie, d'Italie, d'Allemagne, de France, d'Espagne et d'autres pays. Pour mon expérience, j'ai tiré parti de la connaissance contemporaine du déroulement des guerres entre Princes d'Europe, que j'ai comparé à l'histoire du passé. En outre, mon amitié et mes rapports avec des hommes qui toujours ont été employés par leurs Etats ou leurs Princes aux affaires les plus ardues de leurs royaumes ou de leurs pays, m'ont aidé grandement. Par eux j'ai su et compris quelque peu ce qui se passe là-bas. Comme je suis né, j'ai grandi et me suis exercé de la sorte, je n'ai nulle crainte de tout ce qu'on pourra dire contre moi sur ce point. Beaucoup n'en auront cure et, au contraire (en hommes qui voient les choses superficiellement), m'opposeront la parole d'Hannibal qui a appelé fou l'illustre philosophe Phormion, car il avait osé en sa présence exposer l'art et la manière de bien faire la guerre. A ceux-là et à cet exemple, on peut opposer l'opinion de nombreux hommes très savants, très sages et très saints. Quelques-uns ont condamné Hannibal oralement et presque tous par écrit, le traitant de barbare et d'inhumain à cause de ce propos contre Phormion. Si je me retranchais derrière leur autorité, je pourrais dire que ceux qui me persécuteraient en me traitant de fou, sont plus barbares qu'Hannibal. Ce dernier a péché seulement par orgueil. Il ne pouvait consentir à ce qu'un autre, resté à l'ombre de ses foyers, fût aussi compétent pour la guerre que lui, qui avait souffert du soleil et de la poussière. Tandis que les autres dont je parle, et qui sont l'ignorance même, veulent réprimander ceux qui sont quelque peu instruits. Ils pèchent par témérité, car inconsidérément ils cautionnent les propos malveillants d'autrui. Or dire une sottise est moins grave que la contre-signer. Tout bien considéré, Hannibal est excusable pour cette parole, mais ceux dont je parle sont grandement dignes de blâme. Ce qui

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es probable que a un hombre tan generoso, lleno de mil trofeos i Vitorias, como era Aníbal, oiendo las ordenanças de Formión, en un súbito se le subiese la cólera que le hizo hablar de tal manera ; pero a estos mis murmuradores muévelos por la maior parte malicia, porque quieren, con menosprecio de sudores ágenos, encubrir i defender su ociosa, codiciosa, ambiciosa, afetada, inútil i torpe inorancia. Pero pongo por caso que Aníbal reprehendiesse justamente a Formión. ¿ Qué se sigue dello ? Sólo esto, que no haze sabiamente el que enseña a otro que sabe más que él. Allende desto, añado i digo (por complazer a murmuradores) que no haze bien el que enseña a un su igual, i peor haze el que enseña lo que no sabe. Digo que por ninguna destas vías (i si no me engaño) puedo io ser reprehendido en este caso : primeramente, porque (dexando a parte mi instinto natural) he puesto gran diligencia i trabajo en saber de raíz lo que escrivo, en lo qual quanto haia aprovechado, i si me engaño o no, a las obras me remito. Mas, que assi como hai arte de bien cavalgar, de bien hablar, i de bien jugar de todas armas, las quales artes son inventadas para los que no las entienden, i tienen necessidad de saberlas, de la misma manera hai arte de bien governar, llamada institución del Príncipe, una partezilla de la qual enseño aquí en este libro, no para quien la sabe, sino para quien la inora i tiene necessidad de aprenderla. Finalmente, para maior amparo de mi justa empresa i más firme autoridad de mi obra, me paresció a mí conviniente cosa embiarla a vuestra magestad como a la escuela i perfición de buen govierno, donde, si hallare tanto favor i merced que pueda ser revista i examinada, no dudo, antes tengo por mui cierto, que las faltas que en ella se hallaren, ternán aparejo de emendarse ; lo bueno, que en ella huviere, alcançarà su devido grado, será espejo en que se miren todos los Príncipes del mundo en sólo salir de la Corte i manos del prudentíssimo i gran Filipe.

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est probable, c'est qu'un homme, si illustre et si chargé de mille trophées et victoires — c'est le cas d'Hannibal — entendant les instructions de Phormion, a été la proie d'une subite colère qui l'a fait parler ainsi. Tandis que mes détracteurs ne sont poussés, en grande partie, que par la malveillance. Ils veulent, en méprisant l'effort d'autrui, dissimuler et défendre leur oisive, envieuse, ambitieuse, prétentieuse, inutile et grossière ignorance. Toutefois, supposons qu'Hannibal ait réprimandé Phormion à bon escient, qu'en déduire ? Seulement ceci : il n'agit pas sagement, celui qui fait la leçon à un autre qui en sait plus long que lui. En outre, j'ajoute ces mots (pour complaire aux médisants) : il a tort, celui qui donne des leçons à ses égaux, et bien plus tort celui qui enseigne ce qu'il ignore. J'affirme qu'à aucun de ces points de vue (si je ne m'abuse), je ne peux être ici censuré. D'une part, parce que (sans compter mon intuition naturelle) j'ai apporté tous mes soins diligents à connaître à fond ce dont j'écris ; pour savoir si ce fut avec profit et si je me trompe ou non, je m'en remets à mes œuvres. Et, d'autre part, puisqu'il existe sur l'équitation, l'éloquence, ou l'usage des armes, des méthodes inventées pour les profanes qui ont besoin de s'instruire, il existera de même une méthode pour bien gouverner, appelée « éducation du Prince ». J'en présente ici un petit fragment dans ce livre, non point pour celui qui connaît cet art, mais pour celui qui l'ignore et a besoin de l'apprendre. Finalement, pour une meilleure protection de ma légitime entreprise et pour conférer une plus grande autorité à mon œuvre, il m'a paru convenable de la présenter à Votre Majesté, qui offre le modèle parfait d'un bon gouvernement. Si on lui fait la grande faveur et la grâce de la relire et de l'examiner, je ne doute pas, et au contraire je suis bien certain qu'on pourra remédier aux défauts que l'on pourrait y trouver. Ce qu'elle peut avoir de valable atteindra son but et sera le miroir où tous les Princes de la terre s'observeront, puisqu'elle proviendra de la capitale et des mains du très sage et très illustre Philippe.

EL CONCEJO Y CONSEJEROS DEL PRINCIPE OBRA DE F. FURIO CERIOL : que es el libro primero del quinto Tratado de la institución del Principe CAP. I El Concejo del Príncipe es una congregación o aiuntamiento de personas escogidas para aconsejarle en todas las concurrencias de paz i de guerra, con que mejor i más fácilmente se le acuerde de lo passado, entienda lo presente, provea en lo por venir, alcance buen sucesso en sus empresas, huia los inconvinientes, a lo menos (ia que los tales no se puedan evitar) halle modo con que dañen lo menos que ser pudiere. A este aiuntamiento muchos lo llaman Consejo, dándole el nombre del fin, por do se inventó ; en lo quai dizen mui bien : pero parescióme a mí, por justas causas que me callo (por no ser prolixo) nombrarle Concejo. Esto no embargante, escriva cada uno como mejor le paresciere, que para mi intención Concejo, o Consejo siempre es una misma cosa. Buelvo a mi propósito. Es el Concejo para con el Príncipe como casi todos sus sentidos, su entendimiento, su memoria, sus ojos, sus oídos, su boz, sus pies i manos : para con el pueblo es padre, es tutor i curador : i ambos, digo, el Príncipe i su Concejo, son Tenientes de Dios acá en la tierra. De aquí se sigue que el buen Concejo da perfeto ser i reputación a su Príncipe ; sustenta, i engrandesce al pueblo ; i los dos, digo, el Príncipe i su Concejo, son buenos i leales ministros de Dios. Por el contrario, el mal Concejo denuesta i abate por tierra a su Príncipe, haze de él una piedra de la mesma hechura que los antiguos Romanos hazían su dios Término : el pueblo se destruie i pierde ; i los dos, es a saber, Príncipe i su Concejo rebelan contra Dios, i se hazen vassallos, i esclavos del diablo. Cosas son éstas de tanta importancia i calidad, que no sé si las haia en esta vida maiores ; i assi me paresce a mí, que los Príncipes se devrían desvelar i trabajar

LE CONSEIL ET LES CONSEILLERS DU PRINCE ŒUVRE DE F. FURIO CERIOL : livre premier du cinquième Traité de l'éducation du Prince CHAPITRE I Le Conseil du Prince est une réunion ou assemblée de personnes choisies pour le conseiller dans toutes les circonstances pacifiques ou belliqueuses ; ce Conseil a pour objet de faciliter au Prince la mémoire des choses passées, de lui faire comprendre le présent, de prendre des dispositions concernant le futur, de lui assurer un heureux résultat dans ses entreprises, de l'écarter des écueils, et, puisqu'ils sont inévitables, d'en réduire la nuisance lorsqu'ils se présentent. Cette assemblée, beaucoup la nomment « Consejo » en raison de sa finalité, ce qui est fort bien dit, mais il m'a semblé bon, pour de bonnes raisons que je tais afin d'être plus concis, de la nommer « Concejo ». Cependant, que chacun l'écrive selon son humeur, car, pour mon propos, Consejo ou Concejo, c'est tout un. Je retourne à mon sujet. Le Conseil est au Prince ce que sont ses sens, son entendement, sa mémoire, ses yeux, ses oreilles, sa voix, ses pieds et ses mains. A l'égard du peuple il est comme un père, un tuteur, un protecteur. Le Prince et son Conseil sont tous deux, je le dis, les lieutenants de Dieu sur terre. D'où il s'ensuit que le Prince est redevable à un bon Conseil de son accomplissement comme Prince et de sa réputation. Celui-ci soutient et assure la grandeur du peuple, et tous deux, le Prince et son Conseil, sont les bons et loyaux ministres de Dieu. Au contraire, le mauvais Conseil provoque la déchéance de son Prince en faisant de lui une pierre semblable au dieu Terme chez les Romains. Le peuple court à sa perte, et tous les deux, le Prince et son Conseil, se rebellent contre Dieu et deviennent les vassaux et les esclaves du Diable. Ces choses sont d'une telle importance que je ne sais s'il y en a de plus grandes en cette vie. C'est pourquoi j'estime que les Princes devraient veiller et travailler nuit et jour pour rechercher et constituer un Conseil en tous points parfait. En cette matière,

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noche i día en buscar i hazer un Concejo qual conviene, sin que le falte ni sobre cosa. Dirán otros su parescer sobre ello, i quiçà mui bien, mas io (siguiendo razón, esperiencia, i reglas de grandes governadores) digo que, aunque el Concejo del Príncipe realmente no es sino uno en quanto no tiene más de una cabeça, que es el Príncipe, todavía es necessario sea dividido en muchas partes, las quales ternán con el Príncipe la mesma respondencia que las piernas, braços, i otros miembros, los quales aunque diferentes en lugar, forma, i oficio, vemos que no hazen más de un hombre. Assi el Concejo, si se dividiere (como es menester) en muchas partes, no hará más de un cuerpo, conviene a saber, un buen govierno i proteción, cuia cabeça es el Príncipe, i sus miembros la diversidad de Concejos. Portanto el que quisiere dar regla i ordenar un buen Concejo de qualquier Príncipe, ante todas cosas es menester que diga, de quántos Concejos tenga necessidad ; i después, en cada uno dellos, quántos Consejeros, quántos Presidentes, quántos secretarios, quántos escrivanos sean menester ; i en estos hombres, qué calidades se requieran para que sean suficientes ; qué gajes, qué preeminencias, qué autoridad deven tener ; cómo se han de juntar, dónde, en qué tiempo, a qué hora, cómo proponer los negocios, a quién dar los memoriales, a quién solicitarlos, a quién i de qué modo votar, i otras cosas muchas. Finalmente es menester que diga la respondencia de los Concejos entre sí, para que los negocios no sean confundidos ; i después, todos ellos, en la última determinación antes de concluir, cómo i en qué manera han de dar relación a su Príncipe. Siguiendo io esta orden, es cosa conviniente que comience por la primera parte, en que devo enseñar de quántos Concejos tenga necessidad un Príncipe. Digo que éstos deven de ser siete ni más ni menos ; i por hablar claramente en lo que mucho importa, digo otra vez, que todo i qualquier Príncipe deve ordenar i tener siete Concejos diferentes del todo i por todo en cargo, en negocios, en ministros, en poder i autoridad, si quiere bien i fácilmente governar i defender su principado. Los Concejos son éstos, que se siguen. El primero, es de la hazienda ; y assi le llamo Concejo de hazienda. Este terná cargo de las rentas del Príncipe, tanto de las ordinarias como de las estraordinarias, en cogerlas, guardarlas, conservarlas, i amplificarlas. Mirará las estraordinarias de dónde

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d'autres, peut-être fort pertinemment, donneront leur sentiment. Mais moi, suivant la raison, l'expérience et les règles des grands gouvernants, je maintiens qu'en dépit du fait que le Conseil n'est réellement qu'un, dans la mesure où il n'y a qu'une seule tête, à savoir le Prince, il est toutefois nécessaire qu'il soit divisé en plusieurs parties qui auront avec le Prince les mêmes rapports que les jambes, les bras et tous les autres membres, lesquels, quoique différents par leurs situation, forme et fonction, apparaissent à l'évidence comme formant un seul homme. Ainsi, si le Conseil se divise, comme il le faut, en plusieurs parties, il formera un seul corps, c'est-à-dire un bon gouvernement et une solide défense dont la tête est le Prince, et ses membres la diversité des Conseils. A cet effet, celui qui voudrait régler et ordonner le bon Conseil de n'importe quel Prince doit avant toute chose dire combien de Conseils il recommande, et ensuite, au sein de chacun d'eux, fixer le nombre des Conseillers, des Présidents, des secrétaires, des expéditionnaires dont il a besoin. Il doit également établir les qualités requises pour que ces hommes soient à la hauteur de leur tâche, déterminer leur traitement, leur rang, et l'autorité dont ils doivent disposer. Il doit indiquer comment ils doivent se réunir, dans quel lieu, quel jour, à quelle heure, comment établir les ordres du jour, à qui donner les mémoires et de qui les solliciter. Il aura à préciser aussi qui devra voter, et comment, ainsi que beaucoup d'autres détails. Enfin, il convient qu'il délimite les rapports entre les Conseils, afin d'éviter toute confusion, et ensuite, qu'il dise comment et de quelle manière tous, lors de l'ultime détermination avant de conclure, doivent faire leur rapport au Prince. Quant à moi qui suis cet ordre, il importe que je commence par la première partie en déterminant le nombre de Conseils dont le Prince a besoin. J'affirme qu'ils doivent être sept, ni plus, ni moins. Et pour parler clairement en cette matière d'une si grande importance, j'affirme à nouveau que tout Prince doit installer et avoir sept Conseils différents, aux attributions particulières quant à la charge, aux affaires, aux ministres, au pouvoir et à l'autorité, s'il veut gouverner bien, aisément, et défendre son royaume. Voici à la suite la liste des Conseils. Le premier est celui des finances et je le nomme Conseil des finances. Il gérera les rentes du Prince, les ordinaires comme les extraordinaires. Il aura pour tâche d'assurer les rentrées des premières, de les mettre en dépôt et de les faire fructifier. Quant

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se puedan sacar, cómo, i en qué tiempo ; cómo se pueda i deva poner un tributo. Si alguno de los tributos o pechos renta poco, de qué manera se pueda reformar i acrescentar sin daño del bien público. Mirará también en que se quiten aquellos tributos que son superfluos o dañosos o injustos. Tenga assi mesmo a cargo todos los gastos del Príncipe en paz i guerra ; de tal manera que los gastos superfluos se quiten, i se añadan algunos, si fueren necessarios : porque la hazienda del Príncipe no sólo se aumenta en buscar modos de sacar moneda, sino también en que se quiten los gastos demasiados. Finalmente este Concejo será el tesoro del Príncipe, o el Erario, como dezían los Romanos. En el Principado que no estuviere este Concejo, como es menester, siempre se verá el Príncipe pobre i empeñado ; los pechos incomportables ; la moneda desaparescer, i los pueblos dessollados i casi muertos.

El segundo, es de la paz ; que es aquel que comúnmente se dize Consejo del Estado, porque en él estriba todo el govierno : llámelo cada uno como mejor le paresciere, que io le nombro Concejo de paz. Su cargo deste quiero sea civil, como en leies lo llamamos ; es a saber, mirar los Virreies, los Governadores, Corregidores, Alcaldes, Coroneles, Maestres de campo, Castellanos, Capitanes, los Consejeros, i todos los otros oficiales del Príncipe, tanto los de paz como los de guerra, si hazen su oficio, o no ; si acaban su tiempo, o no ; si se han de mudar, o no ; i quienes se han de proveher, o quienes no. Mirar también que no se hagan provisiones i despachos surrepticios. Assi mesmo terná cuenta con que los gastos ordinarios i estraordinarios del Príncipe se paguen a su tiempo en paz i guerra ; i dará cédulas para ello, sacándolas a pagar al Concejo de hazienda : porque el Concejo de la hazienda será como un vaso para recoger i conservar la moneda, cuia distribución se hará por comissión i poder deste Concejo de paz, sin la autoridad del qual no se deve gastar ni un solo dinero. Este mismo terná cargo de mirar con quién se ha de hazer paz, con quién romper guerra, con quién hazer aliança, con quién conservar amistad, con quién usar buenas palabras sin obras, con quién obras ; i en todo ello, el cómo, quánto, quándo,

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aux secondes, les extraordinaires, il devra savoir d'où il peut les tirer, de quelle manière et à quelle époque, comment on peut et on doit fixer un impôt et, si quelques-uns de ces impôts ou tributs rendent peu, comment les modifier et les augmenter sans nuire au bien public. Il aura également pour objet d'éliminer les impôts superflus, nuisibles ou injustes, et réglera toutes les dépenses du Prince en temps de paix comme en temps de guerre, de telle sorte que celles qui sont inutiles soient supprimées et que d'autres soient créées si le besoin s'en faisait sentir. En effet, les biens du Prince augmentent non seulement si l'on recherche les moyens de se procurer de l'argent, mais aussi si l'on supprime les dépenses excessives. Ce Conseil sera finalement le trésor du Prince, ou l'Aerarium, comme disaient les Romains. Un royaume qui se dispenserait de ce Conseil verrait son Prince pauvre et endetté, les impôts mal supportés ; il verrait la monnaie disparaître, et les populations écorchées, à l'agonie. Le deuxième Conseil est celui de la paix, qu'on nomme communément le Conseil d'Etat, parce qu'il porte le poids de tout le gouvernement. Que chacun l'appelle comme il lui paraît le mieux, moi j'opte pour le Conseil de la paix. Je veux que ses prérogatives soient, comme on le dit dans le langage du Droit, civiles, c'est-à-dire qu'il veille à ce que les vice-rois, les gouverneurs, les corregidors, les alcades, les colonels, les maîtres de camp, les gouverneurs de places fortes, les capitaines, les conseillers et tous les autres serviteurs du Prince soient à la hauteur de leur tâche, en temps de paix comme en temps de guerre. Que ce Conseil sache s'ils ont achevé leur temps de service ou non, s'il convient de procéder à des mutations ou non, à des nominations ou non, et qu'il veille aussi à ce que l'on ne nomme ni congédie personne subrepticement. Il fera ainsi en sorte que les dépenses ordinaires et extraordinaires du Prince soient réglées en temps voulu [2], et cela en temps de paix comme en temps de guerre. A cet effet, le Conseil de la paix donnera mandat au Conseil des finances en vue des règlements, car celui-ci sera comme un vase destiné à recevoir et à conserver la monnaie dont la distribution se fera sur l'ordre et la responsabilité du Conseil de la paix, sans l'autorité duquel on ne doit pas dépenser même un liard. Ce même Conseil devra avoir pour objet de déterminer avec qui on doit faire la paix, à qui on doit déclarer la guerre, avec qui on doit nouer des alliances, à qui l'on doit conserver l'amitié et à qui l'on doit prodiguer de bonnes paroles sans les prolonger par des actes, et avec qui en revanche on doit les assortir d'œuvres. Enfin,

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en secreto ; o en público. Será en fin éste la cabeça de todos los otros Concejos. El tercero, es de la guerra ; i assi le llamo Concejo de guerra. Este terná cuenta de saber cómo se pueda bien i perfetamente fortificar una plaça, cómo mantener las fronteras, con qué soldados mantener en paz i guerra, i otras cosas a esto pertenescientes. Mirará i sabrá las armas, los exercicios, i el modo de guerrear de los antiguos, i todo lo cotejará con lo de sus tiempos, i sabrá la diferencia que hai del uno al otro. Sepa assi mesmo ordenar i hazer formas de esquadrones de infantes i cavallos ; i qué nación más pueda i sea nombrada en lo uno, o en lo otro ; i qué medios o qué modos se haian hallado, o hallar se puedan de nuevo, para dañar o aprovechar a nuestros campos. Medirá quán grandes sean las fuerças de su Príncipe, i las de su adversario ; i las unas i las otras, quán grandes puedan ser juntadas con las de sus aliados, o sin ellas. Que tal sea el poder presente, i también el que se puede juntar. Terná también memoria de todas las guerras de su Príncipe, i de sus antecessores, conviene a saber, cómo se movieron, cómo trataron, cómo concertaron, con qué pactos, i qué es lo que movió ambas las partes a dar i recibir tales condiciones. Esto mesmo ha de saber acerca del enemigo de su Príncipe, de sus vezinos, de sus aliados, i de todos aquellos que se le pueden aliar o enemistar. Desta manera alcançaremos que, si fueren maiores las fuerças del enemigo, queramos antes paz que guerra ; i si fuere al contrario, hagamos contrariamente. I si por dicha somos inferiores, de qué manera lo seamos, en gente, en armas, en exercicios, en cabeças, en dinero, en opinión i fama, en amigos i aliados, en mantenimiento, o en otras cosas semejantes : todo lo quai bien visto i esaminado, mirará agudamente i con prudencia, cómo i en qué manera se podría hazer no sólo que nos defendiéssemos, mas aun fatigássemos i venciéssemos al enemigo, pues es cosa manifiesta que más vale ingenio que fuerça. En el Principado do no hai un tal Concejo, ierra el Príncipe en quantas cosas emprende militares, muévelas sin tiempo ni sazón, no las sabe guiar, ni menos acabar, todo cuelga de la fortuna ; en el vencer es sobervio, ni sabe usar de la vitoria ; si fuere vencido, deturbado i congoxoso no sabe

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le Conseil dira comment, où et quand ces affaires doivent être traitées, secrètement ou publiquement. Il sera enfin la tête de tous les autres Conseils. Le troisième est celui de la guerre [3], et je le nomme Conseil de guerre. Il aura pour fonction de savoir comment on peut parfaitement fortifier une place, comment assurer les frontières, de quels effectifs il doit disposer en temps de paix et en temps de guerre, ainsi que tout ce qui est afférent à ces problèmes. Il connaîtra l'armement, l'exercice, la façon de combattre des anciens qu'il comparera avec celle des modernes, en en appréciant les différences. Qu'il sache aussi rassembler des régiments de fantassins et de cavaliers. Qu'il sache également quelle nation est renommée pour sa cavalerie ou son infanterie. Qu'il soit au fait de toutes les inventions récentes ou qui peuvent être découvertes, susceptibles de nous nuire ou de nous servir. Il mesurera l'étendue des forces de son Prince et celles de ses adversaires ainsi que leur développement lors du jeu des alliances actuelles ou potentielles, appréciant ainsi la puissance présente et les forces mobilisables. Ce Conseil aura présentes à la mémoire toutes les guerres de son Prince et de ses prédécesseurs, c'est-àdire qu'il n'oubliera pas comment elles furent déclarées, à quelles discussions et concertations elles donnèrent lieu, quels furent les pactes et ce qui motiva les deux parties pour proposer et accepter leurs conditions. C'est tout cela que le Conseil doit savoir au sujet de l'ennemi de son Prince, de ses voisins, de ses alliés et de tous ceux avec qui il peut contracter alliance ou entrer en conflit. De la sorte, nous pourrons établir qu'il faut préférer la paix à la guerre si les forces ennemies sont supérieures aux nôtres et inversement. Et si d'aventure nous sommes les moins forts, qu'il sache en quoi nous le sommes, en hommes, en armes, en entraînement, en chefs, en argent, en renommée, en amis, en alliés, en subsistance ou en d'autres choses semblables. En effet, toutes ces choses bien examinées, le Conseil, avec pénétration et prudence, prendra les décisions qui s'imposent, non seulement en vue de la défense, mais encore pour user et vaincre l'ennemi, car il apparaît à l'évidence que l'intelligence est plus efficace que la seule force. Dans un royaume où il n'existe pas un tel Conseil, le prince manque toutes ses entreprises militaires, les mène sans opportunité, ne sait ni les conduire ni les terminer et tout tient du hasard. Dans la victoire, il est superbe et ne sait exploiter son succès. Dans la défaite, à ce point troublé et anxieux, il ne sait

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dónde se está, como flaca i vil mugercilla se araña i messa, sino en público, a lo menos en secreto ; i por conservarse el estado 0 su negra reputación, haze mil baxezas, descendiendo a torpes condiciones de pazes o treguas. Donosa cosa es oír los paresceres 1 porradas, por dezir mejor, que los hombres nescios echan en este caso. Unos se quexan de la fortuna ; i ellos no veen que la fortuna mui ruin lugar tiene donde está la prudencia. Otros dizen, que Dios es servido de hazerlo assi ; io no entro en el poder de Dios, pero sé bien dezir, i digo con San Pablo, si son ellos secretarios de Dios, o si han recibido cartas dello firmadas de mano de la Trinidad, con que se asseguren que assi sea, como dizen. Otros dizen que nuestros pecados lo causan ; i esto es mui gran verdad, porque los ierros i faltas del Príncipe, i de sus ruines Consejeros, son pecados que nos acarrean la perdición nuestra i suia. En conclusión, digo que, entanto que un Príncipe no tiene un Concejo de guerra de las calidades sobredichas, nadie se deve espantar si se guerrea mal i por mal cabo ; i por tanto en esto se devría mui mucho mirar.

El quarto, es de mantenimientos, o provisiones ; i assi le llamo Concejo de mantenimiento. Este deve tener cargo de proveer i bastescer el principado de mantenimientos i vituallas en tiempo de paz i guerra ; i para esta causa es menester que sepa i tenga por lista las cosas tocantes a su oficio por todo el principado, conviene a saber, qué mantenimientos i provisiones tenga, quántas le sobren, quántas falten, quántas vengan o vaian por mar, o por tierra, de dónde se saquen, para dónde vaian, por qué vía, i cómo, quánto, i a qué tiempo, i otras muchas cosas de la mesma manera. Qualquier género de saca remitirá el Príncipe a este Concejo, i sin su voluntad o parescer nunca se deve dar saca a ningún hombre. Si se formare un tal Concejo, como es menester, en tiempo de paz i guerra tememos en abundancia lo necessario a la vida humana, i daremos parte de lo nuestro a aquellos pueblos cuia amistad i favor huviéremos más menester. Sin él, todo va borrado : en cada provincia se padescen mil trabajos,

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plus que faire, et comme une faible et vile femmelette, se griffe le visage et s'arrache les cheveux, si ce n'est en public, tout au moins en secret. Pour conserver son état ou sa maudite réputation, il fait mille bassesses, concédant de honteuses conditions de paix ou de trêves. C'est chose plaisante que d'entendre alors les opinions, ou, pour mieux dire, les insanités que les imbéciles profèrent en ces moments. Les uns se plaignent du destin, mais ils ne voient pas que le destin occupe une place méprisable chez celui qu'habite l'intelligence des situations. D'autres disent que la volonté de Dieu est ainsi exaucée. Pour moi qui ne pénètre pas les desseins de Dieu, je me pose la question avec saint Paul, à savoir s'ils sont les secrétaires de Dieu ou s'ils ont reçu des lettres signées de la main de la Trinité à ce sujet, leur offrant l'assurance qu'il en est bien comme ils le prétendent. D'autres expliquent la défaite par nos péchés. Et cela est fort exact, car les erreurs et les fautes du Prince et de ses mauvais Conseillers sont des péchés qui nous conduisent à notre perte et à la sienne. En conclusion, j'affirme que, dans la mesure où un Prince n'a pas un Conseil de guerre possédant les qualités énumérées, personne ne devra s'étonner si la guerre est mal conduite et en dépit du bon sens. C'est pourquoi il faudra être très attentif en ces matières. Le quatrième Conseil est celui du ravitaillement ou des provisions ; et c'est pourquoi je l'appelle Conseil du ravitaillement. Celui-ci a la charge de pourvoir le royaume en subsistance et en victuailles durant la paix ou la guerre. Et pour cette raison, il est indispensable qu'il tienne un compte exact de ce qui touche à sa fonction dans tout le royaume, c'est-à-dire qu'il soit au fait des quantités précises de ravitaillement et d'approvisionnements, des surplus et des carences, de leur mode de transport maritime ou terrestre, des lieux de production, de leur destination, des moyens d'acheminement et du temps nécessaire à celui-ci, et de beaucoup d'autres choses se rapportant à ces problèmes. Le Prince soumettra toute sorte d'exportation à ce Conseil, et sans l'autorisation ou l'avis de celui-ci, personne n'aura le droit d'exporter. Si l'on organisait un tel Conseil, comme il est indispensable de le faire, nous aurions en temps de paix ou en temps de guerre, en abondance ce qui est nécessaire à la vie des hommes, et nous donnerions une partie de ces subsistances à ces peuples dont l'amitié et la faveur nous intéressent. Sans une telle organisation, le chaos s'installe. Dans chaque province, on souffre mille maux, et quelques hommes méchants, âpres au gain, font sortir du pays ce qui est indispensable. Nous

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la avaricia o malicia de pocos nos lleva fuera de la tierra lo necessario, no socorremos con ello a los amigos, los enemigos lo gozan a fuerça de dinero, por lo quai nuestras amistades se ponen flacas, i a vezes quiebran. También vemos, por falta de un tal Concejo, moverse guerra en tierra do no hai qué comer ni para los hombres ni para los cavallos ; apenas son en campaña, quando padescen hambre, o carestía grande, o falta intolerable de cosas muchas ; por lo quai son forçados de retirarse vergoñosamente, o hazer pazes, o treguas, o alianças fuera tiempo, o con quien no devrían. Pierde la reputación el Príncipe para con los estrangeros, i con su pueblo se enemista ; porque dos cosas son las que hazen que un pueblo quiera bien a su Príncipe : la una, el defenderlo de la opressión de los que mucho pueden ; la otra, si está aliado con aquellos pueblos i tierras, sin las quales no puede bien hazer su trato i mercaduría. El quinto, es de leies ; i assi le llamo Concejo de leies. Este terná cuenta de mirar i saber qué cargos, qué magistrados, qué governadores, qué oficiales sean menester para el govierno del principado, quáles, con qué autoridad i poder. Este añadirá los que faltaren, quitará los que le parescieren superfluos. Terná assi mesmo cargo de hazer leies, declararlas, quitar las malas que huviere, i hazer de nuevo las que fueren necessarias. Este será el padre i amparo de las leies, porná todo su esfuerço en que se guarden i cumplan buena i limpiamente sin falta ninguna. Por falta de un tal Concejo, vemos en muchos reinos i ciudades algunos oficios i magistrados menos de lo que al bien público conviene ; en otros, muchos más de lo que cumple ; i lo peor de todo es que las más vezes se hallan los tales oficios contrarios entre sí del todo, o en gran parte. De aquí se siguen bandos, parcialidades, escándalos, robos i pleitos infinitos, los quales nunca se acabaron ni se acaban sino por conjuraciones, o ensangrentando las manos en la persona del Príncipe, o quitándole el principado i dándolo a otro. Muchos passan por esto mui descuidadamente, i no piensan que lo que se siembra un año, se coje al otro. Pues ¿ para qué es dezir la necessidad que tienen los reinos de hazer i deshazer Leies ? Juro santissimamente que de cien pleitos, los noventa i cinco nascen de la impertinencia de muchas leies, las quales en nuestros días ia no son nada, ni pueden, ni

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ne portons plus secours à nos amis, nos ennemis en profitent à renfort d'argent, ce qui affaiblit ou parfois détruit nos alliances. Nous voyons également, lorsqu'un tel Conseil n'existe pas, s'engager des guerres dans des contrées dépourvues de nourriture pour les hommes et les chevaux [4], A peine sont-ils en campagne qu'ils souffrent de la faim et que la pénurie de tout ce qui est indispensable se fait sentir. De ce fait, ils sont forcés de faire retraite honteusement, ou de consentir des paix, des trêves et des alliances inopportunes ou bien contractées avec ceux auxquels ils ne devraient pas s'allier. Le Prince perd alors sa réputation vis-à-vis de l'étranger et s'attire l'hostilité de son peuple. En effet, deux choses suscitent l'amour du peuple à l'égard de son Prince : la première, qu'il sache défendre son peuple de l'oppression de ceux qui sont puissants ; la seconde, qu'il maintienne ses alliances avec ces peuples et ces pays sans lesquels il n'y a ni relation ni commerce possible. Le cinquième Conseil est celui des lois, et je l'appelle Conseil des lois. Celui-ci aura pour objet de savoir quelles charges, quels magistrats, quels gouverneurs, quels serviteurs sont nécessaires au gouvernement du royaume, et il fixera l'autorité et le pouvoir afférents à ces fonctions. Ce Conseil nommera de nouveaux fonctionnaires si besoin est, supprimera les postes superflus. Il aura la charge de faire des lois, de les promulguer, d'abolir les mauvaises si elles existent, et de refaire celles qui paraissent nécessaires. Il sera donc le père et le rempart des lois, et tous ses efforts tendront vers leur plus stricte conservation et application sans souffrir la moindre entorse. Faute d'avoir un tel Conseil, nous voyons, dans de nombreux royaumes et cités, quelquefois, des charges et des magistrats en nombre insuffisant pour le bien public, et ailleurs bien plus qu'il n'en faut. Mais le pire de tout est que le plus souvent ces fonctions se contrarient totalement ou partiellement. De là s'ensuivent des factions, des coteries, des scandales, des vols et d'innombrables procès qui ne s'achèvent que par des conjurations ou des attentats sur la personne du Prince, ou encore par la spoliation de son royaume au profit d'un autre. Beaucoup, avec légèreté, n'accordent pas d'importance à ces matières, et ne pensent pas que ce que l'on sème finit toujours par porter ses fruits. Aussi, est-il besoin de dire qu'il est nécessaire pour un royaume d'édicter et de remanier sans cesse les lois ? Je jure solennellement que sur cent procès, quatre-vingt quinze sont issus du caractère inadéquat de nombreuses lois, qui de nos jours, en raison de leur caducité, n'ont aucune valeur et ne

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deven ser guardadas i, por no haver un Concejo quai io digo, ni se mudan, ni emiendan, sino que sirven a la ambición i avaricia de avogados i licenciadillos, con que pueden a su salvo cohechar ruin i falsamente. El sexto, es del castigo, i assi le llamo Concejo de Pena. Este tomará a su cargo todo lo criminal, de quanto a la persona del Príncipe se refiriere por qualquier vía que ello viniere : conoscerà i sentenciará de todos los males i crimines según las leies de la tierra en que se cometiere el delito. El séptimo, es de mercedes ; i assi le llamo Concejo de Mercedes. Este terná cuenta de oír i conoscer los méritos i deméritos de todos en general, informándose bien de la vida, costumbres, habilidad i hechos de aquellos que, sin pedirlo, merescen por sus raras i ecelentes virtudes : i en particular, de aquellos que pidieren se les haga merced alguna. Porque, si para los malos hai castigo, para los buenos i virtuosos también es razón haia premio. Todas quantas mercedes hiziere el Príncipe han de passar por manos deste Concejo i, sin su determinación, ninguna merced se haga. Por falta de un tal Concejo, vemos en Corte de Príncipes no ser conoscida la virtud, todas las mercedes se hazen por favor o por buena mercaduría de contado. El hombre virtuoso i hábil no es conoscido, o es deshechado, o tarde i mal alcança un testimonio de su virtud ; i por el contrario, el inhábil, el hipócrita, el malo, el chocarrero, el alcahuete es el que vale, éste es amado, éste es privado, a éste se hazen las mercedes, i se dan los más altos premios de virtud. ¿ Qué se sigue desto ? Los buenos se indinan, la indinación busca vengança, la vengança trahe parcialidades, las parcialidades causan alborotos, muertes, i a vezes, la perdición del Príncipe con todo su Estado. Estos son los siete Concejos que son necessarios al govierno de todo i qualquier principado ; i esto, entre otras muchas i mui buenas causas, por ésta, principalmente, que con tal distinción o división de Concejos, más negocios, mejor, i más fácilmente se despacharon ; el Príncipe estará más descansado, porque no terná tantas ocupaciones de memoriales i quexas ; los vassallos no gastarán su vida, tiempo i bienes tras un despacho de poca o mucha importancia ; i los del Concejo no ternán tanto que hazer, pues los negocios se repartirán i estarán separados los

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peuvent ni ne doivent être observées. [5] En l'absence d'un tel conseil, les lois ne sont pas changées, ne sont pas améliorées, et ne servent qu'à l'ambition de quelques avocats et autres robins qui peuvent impunément se livrer de façon ignoble au trafic et à la concussion. Le sixième Conseil est celui du châtiment, et c'est pourquoi je le nomme Conseil pénal. Celui-ci prendra à sa charge toutes les affaires criminelles se rapportant à la personne du Prince, sous quelque forme qu'elles apparaissent. Il connaîtra et jugera tous les délits et les crimes selon les lois du pays où ils ont été commis. Le septième Conseil se rapporte aux grâces, et je le nomme Conseil des grâces. Ce Conseil devra entendre et connaître les mérites et les démérites de tous en général, et s'informera de la vie, des mœurs, des capacités et des actions de ceux qui, sans rien demander, sont méritants grâce à leurs vertus exceptionnelles, de même qu'il devra veiller à ce que l'on accorde quelques grâces aux vertueux qui les sollicitent. En effet, s'il existe un châtiment pour les méchants, il est juste qu'il y ait une récompense pour les hommes bons et vertueux. [6] Toutes les grâces que le Prince accordera doivent passer par les mains de ce Conseil, et sans son jugement, qu'il ne s'en octroie aucune. Si un tel Conseil manque, nous voyons à la cour des Princes la vertu méconnue, et les grâces se distribuer par faveur ou par vénalité. L'homme vertueux et compétent est méconnu, écarté, et il arrive difficilement et tardivement à faire reconnaître son mérite. Tout au contraire, c'est l'incapable, l'hypocrite, le méchant, le bouffon, l'entremetteur que l'on aime, c'est lui le favori, c'est lui qui bénéficie des grâces et à qui l'on attribue les palmes de la vertu. Que s'ensuit-il de tout cela ? L'indignation s'empare des bons et les conduit à la vengeance, celle-ci entraîne des factions qui causent à leur tour des troubles, des meurtres et parfois la perte du Prince et de tout son Etat. Tels sont les sept Conseils qui sont nécessaires au gouvernement de tout royaume. Grâce à cette division des Conseils, qui n'est pas la moindre de nos recommandations, un plus grand nombre d'affaires s'expédieront de façon plus satisfaisante et plus aisée. Le Prince s'en trouvera mieux pour n'avoir pas à subir le poids des mémoires et des plaintes, les vassaux n'useront pas leur vie, leur temps et leurs biens, à poursuivre une affaire mineure ou d'importance. Enfin, les membres du Conseil auront beaucoup moins de travail car les affaires seront réparties et

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unos de los otros. Veo io que es la muerte cargar sobres tres, quatro o seis personas los negocios de paz i guerra, de penas i mercedes, de hazienda y mantenimiento, i de seicientas otras cosas muchas, grandes i pequeñas, importantes i ligeras, de risa i llanto, de ricos i pobres ; i que es imposible (como la razón i esperiencia enseñan) poder tener cuenta medianamente con la menor parte dellos. Portanto, todos aquellos del Concejo de un Príncipe que no veen estas dificultades, son a mi parescer mui ciegos ; i los que las veen i no procuran con su Príncipe que se formen muchos Concejos, en que al modo sobredicho se repartan los negocios, los tales son avarientos, son ambiciosos, son vanos, son dañosos al bien público, porque quieren ser adorados, quieren hazer su casa, i con tal que salgan con esta su intención, no se les da nada que lo pague el bien común. Materia es ésta mui grande i si la quiziesse llevar adelante, no acabaría tan presto : baste que desto poco se entienda lo demás. Lo que mui mucho deve mirar i guardar el Príncipe, es que no se permita diversidad de Concejos en un Consejero. Declarar me quiero : digo que el Consejero que fuere de la hazienda, esse tal, por ninguna vía del mundo, se deve permitir que pueda ser de algún otro de los seis Concejos. I lo que digo del Consejero de la Hazienda, quiero se entienda de qualquier otro ; de manera que un Consejero servirá a un solo Concejo, i no más. Porque de otra manera, sería possible en breve espacio de tiempo reduzirse los Concejos en tal punto, que serían siete nombres vanos, i en verdad no más de un Concejo ; por lo qual caería el principado en aquellas dificultades i peligros de que en algunos lugares tengo hecha mención. I allende desto, se recrescen otros daños, los quales callo por no ser prolixo. Sigúese agora (para bien i perfetamente ordenar estos Concejos) que, començando por el primero, discurra por todos ellos hasta acabar en el postrero, mostrando i ordenando en cada uno dellos todas aquellas partes i calidades o circunstancias de que hize mención al principio deste capítulo ; lo qual, para bien aclararlo, es menester se divida en siete libros, dando i empleando un libro en la declaración i ordenança de cada imo dellos. Pero, por quanto en cada uno destos siete libros se han de tratar las calidades de los Consejeros, las quales (aunque hai alguna diferencia) son casi las mesmas en todos ellos, i repetirlas sería grandissima falta, por tanto diremos agora en general las partes i calidades de un buen Consejero, con lo qual porné fin a este libro, que será el primero del Concejo i Consejeros, i común a los siete que quedan ; i los otros llevaré adelante quando Dios fuere servido.

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divisées. A mon avis, c'est la mort que de faire reposer sur trois, quatre ou six personnes les affaires de la paix ou de la guerre, des peines et des grâces, du trésor et du ravitaillement ou de six cents autres choses grandes ou petites, futiles ou graves, gaies ou douloureuses, se rapportant aux riches ou aux pauvres. Il est impossible, comme la raison et l'expérience nous le montrent, d'examiner de façon sensée la plus infime de ces affaires. D'où, selon moi, on peut réputer aveugles tous ceux du Conseil d'un Prince qui ignorent ces difficultés. Quant à ceux qui en sont conscients, et qui ne font rien pour que leur Prince multiplie les Conseils, afin que les affaires soient réparties selon le mode indiqué, ceux-là sont des ambitieux, des parasites dangereux pour le bien public, qui veulent être révérés et désirent asseoir leur fortune. Pourvu qu'ils parviennent à leurs fins, peu leur importe si c'est au détriment du bien commun. J'aurais beaucoup à dire sur ce sujet, et si je voulais le développer, je n'en aurais pas fini de sitôt. Il suffit que, de ce que j'en ai dit, on comprenne le reste. Un des points sur lesquels le Prince doit être particulièrement vigilant est qu'il ne permette pas chez un Conseiller son appartenance à plusieurs Conseils. Je m'explique. Le Conseiller au trésor ne doit sous aucun prétexte faire partie d'un des six autres Conseils, et ce que je dis du Conseiller du trésor est vrai pour tous les autres, de sorte qu'un conseiller servira à un seul Conseil. Sans cela, on verrait à brève échéance les sept Conseils n'être que des ombres, et il n'existerait en vérité qu'un seul Conseil, ce qui aurait pour conséquence de faire tomber le royaume dans les difficultés et dangers que j'ai précédemment mentionnés, sans compter d'autres dommages que je tais par souci de concision. Il faut maintenant, pour ordonner parfaitement ces Conseils, que, commençant par le premier, je discoure sur chacun d'eux, jusqu'au dernier, en organisant et en faisant ressortir toutes les parties, qualités et composantes antérieurement citées au début de ce chapitre. Pour rendre mon propos parfaitement clair, il convient de diviser le sujet en sept livres, en consacrant un livre à chacune de ses parties. Mais puisque l'on traitera dans ces sept livres des qualités des conseillers, la répétition de ces qualités, qui, en dehors de différences minimes, sont presque toutes les mêmes chez chacun d'eux, serait une lourde erreur. C'est pourquoi, en énumérant maintenant les caractéristiques et les qualités d'un bon Conseiller, je mettrai fin à ce livre qui sera le premier du Conseil et des Conseillers, et commun aux sept autres qui restent. Quant aux autres, je les poursuivrai avec l'aide de Dieu.

DEL CONSEJERO I PRIMERAMENTE DE SUS CALIDADES EN CUANTO AL ALMA CAP. II

El Consejero, es una persona suficiente, elegida para el cargo i esecución de uno de los sobredichos Concejos. Por lo quai se deve notar mui bien que en el Consejero hai dos cosas : la una, es la suficiencia suia para los negocios, que es, que sea idóneo i hábil para el cargo que deve administrar ; la otra, que sea elegido ; en que respetivamente mira al Príncipe. De manera que la suficiencia está en el Consejero ; i el cargo i prudencia de lo elegir, en el Príncipe : de lo uno i de lo otro trataremos, i primero de la suficiencia. La suficiencia en el hombre se considera en dos maneras : la una en quanto al alma ; i la otra en quanto al cuerpo. En el siguiente capítulo mostraré de conoscer la suficiencia del Consejero por el cuerpo ; en éste, en que agora estamos, mostraré su suficiencia en quanto al alma. Esta suficiencia se conosce por quinze calidades, que son las siguientes. La primera es que sea el Consejero de alto i raro ingenio ; porque el grande ingenio es principio, es medio, i fin de grandíssimas i más que humanas empresas. Todas quantas virtudes se hallan, i hallar se pueden, en un hombre (si el mismo no es de grande ingenio) son baxas, pierden su fuerça, i casi son nada. Por la esperiencia vemos que todas las artes, todos los maestros, todos los libros, todos los aios, todos los avisos i consejos son de mui poca virtud i eficacia en aquellos que tienen ruin ingenio ; tanto, que los tales, con muchos avisos, con trabajo continuo, i luengo tiempo, nada o mui poco entienden : i un grande ingenio, con pocos avisos, i menos trabajo, en breve tiempo alcança quanto quiere. Es en fin el ruin ingenio como un campo naturalmente estéril, que por mucho que se cultive, siempre va cansado ; da poco fruto, malo, i fuera tiempo. De manera que, do no hai

DU CONSEILLER ET DE SES QUALITES EN CE QUI SE RAPPORTE A L'AME CHAPITRE II

Le Conseiller est une personne compétente, choisie pour la charge et le service d'un des Conseils susnommés. De ce fait, remarquons qu'il faut deux choses chez un Conseiller : la première est qu'il soit compétent, c'est-à-dire qu'il soit apte à assumer la fonction qu'il doit remplir ; la seconde est qu'il soit choisi : l'élection concerne le Prince, de sorte que, si la compétence appartient au Conseiller, l'intelligence du choix revient au Prince. Nous traiterons ces deux aspects ; nous commencerons par la compétence. On peut la considérer chez un homme de deux façons. D'une part en ce qui touche à l'âme, d'autre part en ce qui regarde le corps. Dans le chapitre suivant, je ferai connaître la compétence du Conseiller en ce qui concerne le corps, et dans le présent chapitre je montrerai la compétence qui a trait à l'âme. Cette compétence se manifeste par les quinze qualités suivantes. La première est que le Conseiller soit doué d'un esprit supérieur et exceptionnel, parce qu'un tel esprit est l'origine, le moyen, la fin de très grandes entreprises qui passent même la force des hommes. Toutes les vertus qui se trouvent ou peuvent se trouver chez un homme, s'il n'est pas lui-même d'un esprit supérieur, sont mesquines, perdent leur pouvoir et ne sont presque rien. L'expérience nous enseigne que tous les arts, tous les maîtres, tous les livres, tous les précepteurs, tous les avis et conseils ont bien peu de force et d'efficacité chez les esprits petits, et ceux-ci, en dépit de nombreux conseils, d'un travail continu et long, ne comprennent rien ou presque, alors qu'un esprit supérieur, avec peu de conseils et moins de travail et de temps, atteint tous ses buts. Enfin, l'esprit médiocre est comme un champ naturellement stérile, qui, même cultivé assidûment, est toujours épuisé, donne peu de fruits, de mauvaise qualité et hors de saison.

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grande ingenio, allí no puede haver virtud ninguna señalada : i portanto, ésta es la primera calidad que muestra la suficiencia del alma en el Consejero. El grande ingenio quiero que lo conosca el Príncipe por la esperiencia, i no se fíe de informaciones agenas. Daré tales reglas de conoscerlo que, si el Príncipe no es ciego, tan claramente lo conoscerà como se vee el sol a medio día. I esto mesmo guardaré también en las otras calidades que quedan. Digo pues que lo deve conoscer el Príncipe por sola la esperiencia. La esperiencia está en los dichos i obras de cada uno. Los dichos del grande ingenio son estravagantes, fuera de la opinión del vulgo ; porque como concibe las cosas mui diferentemente de los otros, assi habla délias con modo i palabras mui de otra manera de lo que suele el común de los hombres, i viene a dar i parar do no lo esperavan. Assi lo verá en el hablar agudo, en el acudir pronto, en el entender fácil, en el enseñar resoluto i claro, en las burlas gracioso, en lo de veras recatado ; sábese acomodar a aquellos con quienes trata (servando pero virtud) aora sean buenos, aora malos. Nunca el grande ingenio se va al hilo de la gente, nunca habla popularmente, nunca tiene la boca llena de agua, no es pesado, no se corre, no es confuso en su razonamiento, ni está mal con alguna nación del mundo. Mui cierta señal es de torpe ingenio, el hablar mal i apassionadamente de su contrario, 0 de los enemigos de su Príncipe, o de los que siguen diversa secta, o de peregrinas gentes ; agora sean ludios, agora Moros, agora Gentiles, agora Cristianos : porque el grande ingenio vee en todas tierras siete leguas de mal camino, en todas partes hai bien 1 mal ; lo bueno loa i abraça, lo malo vitupera i deshecha sin vituperio de la nación en que se halla. Las obras del grande ingenio son mui bivas, mui activas ; porque continuamente entiende en algo, todo lo quiere ver, todo oír, todo tocar, es curioso, diligente, lee mucho, confiere i comunica con todo género de hombres, quiere saber lo passado, entender lo presente, hazer juizio de lo por venir ; entiende muchas artes, no se contenta de una, ni quatro, ni seis, quiere saber más que otro, i para ello pone más diligencia que otro. Este mismo ingenio en su mocedad es algo verde, da toda manera de fruto, i (como dize Platón mui

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De sorte que, là où il n'y a pas d'esprit supérieur, il ne peut exister aucune vertu marquante, et de ce fait la supériorité d'esprit est la première qualité qui prouve la compétence de l'âme chez le Conseiller. Je veux que par la seule expérience, le Prince découvre l'esprit supérieur, et non qu'il se fie à des avis étrangers. Je donnerai pour le reconnaître des règles telles qu'à moins que le Prince soit aveugle, il le reconnaîtra clairement, comme on voit le soleil à midi, et j'appliquerai ces mêmes principes aux qualités qui restent. J'affirme donc que le Prince doit le reconnaître par la seule expérience. L'expérience se fonde sur les dires et les faits de chacun. Les propos de l'esprit supérieur sont originaux, hors des sentiers battus, car, ayant une vision des choses qui lui est propre, il parle dans un langage tout à fait étranger au commun des hommes et ses conclusions sont inattendues. Il se signale par son parler pénétrant, sa répartie prompte, sa compréhension facile et son art d'exposer, ferme et clair, par l'esprit de ses plaisanteries et par sa circonspection dans les choses sérieuses. Il sait s'adapter à tous ceux qui sont en rapport avec lui en préservant toutefois sa vertu, qu'ils soient bons ou méchants. Il ne suit jamais le courant populaire, jamais il ne parle vulgairement, jamais il ne trébuche, il n'est ni ennuyeux ni gauche, son raisonnement est exempt de toute confusion et il n'est en mal avec aucune nation du monde. C'est une des marques les plus frappantes de l'esprit bas que de dire haineusement du mal de son adversaire ou des ennemis de son Prince ou de ceux qui sont de confession différente ou des étrangers, qu'ils soient juifs, qu'ils soient Maures, qu'ils soient gentils, qu'ils soient chrétiens. En effet, l'esprit supérieur voit que dans tous les pays il y a une lieue et même plus de mauvais chemin, et que dans toutes les parties du monde, le bien et le mal coexistent. Ce qui est bon, il le suit et l'honore, ce qui est mauvais, il le condamne et le rejette sans vitupérer la nation qui abrite cette imperfection. L'activité de l'esprit supérieur est donc pleine de vie et d'invention. Parce qu'il est toujours en pleine activité, il veut tout voir, tout entendre, tout toucher ; il est curieux, vif, il lit beaucoup, s'entretient et communique avec toute sorte d'hommes ; il veut connaître le passé, comprendre le présent et prévoir l'avenir. Il est compétent dans plusieurs disciplines et ne se contente pas d'en connaître une, quatre, ou six, car il veut en savoir plus long que les autres, et pour cela, il déploie plus de vivacité que les autres. Ce même esprit est dans sa jeunesse quelque peu exubérant, et donne des fruits de tout genre, comme le dit très justement

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bien) es como un campo muí fértil, en el qual, por la mucha grassura, nascen i se crían algunas iervas malas entre las buenas ; i assi no se lee de ningún gran Capitán, Príncipe, o Filósofo de los que están en el paño de la fama, sino que en contrapeso de sus admirables virtudes tuvieron algunos vicios señalados. Pero este mismo ingenio, viniendo a madurar, que es a los treinta años de su edad, da fruto bueno i saludable i, por dezirlo en una palabra, es divino. El hombre remisso i floxo, el negligente i descuidado, el que no haze más de comer, bever, jugar i passear, el que no sabe muchas artes, el que no sabe muchos secretos de Naturaleza i de negocios arduos, el que huie de la conversación o comunicación de peregrinas naciones, este tal es torpe i boto, a lo menos tiene el ingenio menos que mediano. La segunda calidad, que muestra la suficiencia del alma en el Consejero, es que sepa las artes de bien hablar ; porque como los hombres nos diferenciamos de todas las alimañas con el entendimiento i palabra, de creer es que entre los hombres, aquellos son más ecelentes que saben mejor i con más gracia hablar i razonar. Portanto quiero que el Consejero haia aprendido i exercitado las artes de bien hablar, i de tal modo las sepa, que sea en ellas eminente. Porque se ofresce cada día que el Príncipe haia de imbiar uno de sus Consejeros a un reino estraño, o, en su principado, a alguna ciudad o provincia, para suadir o disuadir, acusar o defender, loar o vituperar, dar el parabién o el pésame, 0 cosas otras ; lo qual es necessario que lo haga bien, para provecho i honra de su Príncipe, i no lo sabiendo hazer, cae en falta 1 vergiiença, i daña las más vezes. Mas, que en una rebuelta i motín de un campo, en unas comunidades, i otros movimientos desarreglados, quanto uno fuere más exercitado en bien hablar, tanto terná mejor oportunidad de lo apaziguar. Assi mesmo aprovecha para dar buenas, graves, i sotiles respuestas de palabra i por escrito a los embaxadores que vinieren a negociar con el Príncipe. Esta suficiencia quiero la conosca el Príncipe en su Consejero por esperiencia. Es tal primeramente por sus dichos, que es mirar cómo esplica su intención en su plática i conversación ordinaria : llamarlo a esta causa, i hablarle un día por espacio

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Platon, il est comme un champ très fertile dans lequel, en raison de la richesse de son limon, on voit pousser quelques mauvaises herbes parmi les bonnes. Et de fait, chez aucun grand capitaine, Prince ou philosophe, parmi ceux qui sont enveloppés dans le manteau de la renommée, on ne voit d'admirables vertus qu'assorties du contrepoids de quelque vice notoire. Mais ce même esprit, lorsqu'il vient à mûrir à l'âge de trente ans, donne de beaux et d'excellents fruits, et pour le dire d'un mot, il est divin. En revanche, l'homme lent et mou, le négligent et l'inattentif, celui dont l'horizon se borne à boire, manger, se divertir, se promener, celui qui ignore de nombreuses disciplines et de nombreux secrets de la nature et les subtilités des affaires délicates, celui qui fuit les rapports ou la communication avec les nations étrangères, celui-là est stupide, obtus, et possède pour le moins un esprit véritablement médiocre. La deuxième qualité qui prouve la compétence de l'âme chez le Conseiller est sa connaissance de l'art oratoire, car ce qui distingue l'homme de l'animal est l'entendement et la parole ; et tout nous porte à croire que parmi les hommes, ceux-là même sont les meilleurs qui savent le mieux et avec le plus d'esprit parler et raisonner. C'est pourquoi je veux que le Conseiller ait appris l'art oratoire et qu'il se soit exercé, afin qu'il le possède et qu'il y excelle. En effet, il arrive que chaque jour le Prince ait à envoyer un de ses Conseillers dans un pays étranger ou à l'intérieur du royaume, dans une ville ou une province, pour convaincre ou dissuader, accuser ou défendre, louer ou blâmer, féliciter ou exprimer des regrets, et pour bien d'autres choses. Tout cela, le Conseiller doit l'exécuter parfaitement pour le profit et l'honneur de son Prince, et s'il ne sait s'acquitter de sa mission, il se met en défaut, se couvre de honte, et lui porte le plus souvent préjudice. Bien plus, lors d'une révolte ou d'une sédition dans une région, lors de soulèvements et d'autres insurrections, celui qui sera d'autant plus exercé dans l'art oratoire aura d'autant plus de chances de les apaiser. La maîtrise du discours lui sert également pour fournir aux ambassadeurs qui viendraient négocier avec le Prince des réponses verbales et écrites appropriées, pleines de sagesse et de subtilité. Cette compétence, je veux que le Prince la reconnaisse et la vérifie chez son Conseiller. A cette fin, que le Prince soit attentif à ses paroles, à la façon dont il exprime son propos dans ses entretiens et sa conversation habituelle. Que le Prince

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de una hora ; otro día, por dos ; otro por más o menos. Hazerle contar algunas historias por ver cómo alarga o acorta el hilo de la materia : cómo la propone, cómo la divide, cómo la sigue, cómo la acaba ; i en todo esto con qué gracia, con qué ademán i propiedad de palabras. Por las obras se conosce también : ver qué maestros tuvo para ello, quánto tiempo empleó i con qué diligencia ; i si huviere escrito algo, mandarlo ver i esaminar ; encerrarlo también en una cámara, i como quien haze otro, finja el Príncipe que tenía necessidad de escrivir el pésame, o el parabién o algún otro recaudo para tal parte, i que, luego a la hora, allí en su presencia, delante sus ojos se lo mande escrivir.

La tercera calidad que muestra la suficiencia del alma en el Consejero, es que sepa muchas lenguas i principalmente las de aquellos pueblos que su Príncipe govierna, o tiene por aliados, o por enemigos. Esto se entenderá mejor con un exemplo. Sea pues de un Rei de España, según está el presente. El Consejero deste Rei, allende de su lengua natural, es bien que sepa Latín, Italiano, Arávigo, Francés, i Alemán ; i esto porque los vassallos huelgan mucho de entender i ser entendidos de aquellos con quienes negocian. Mejor esplica hombre su intención, i major se entiende entre aquellos que hablan una misma lengua, que quando son menester farautes. Contar sus miserias i poquedades, o secretos de grandes Príncipes i Señores (lo qual cada hora acontesce) más presto se atreve hombre a un Consejero solo, que no con el testimonio de tercera persona. Para oír embaxadas de sus vezinos, tanto por vía de aliança como de guerra, ¿ quánto aprovecha ? Si es amigo, mucho más se contenta i se conserva en la amistad, viendo su lengua propia en boca del Concejo, porque piensa que ello procede de amor ; si aunque en esto se engañe, todavía el engaño es provechoso. Si es enemigo, por las mesmas causas se gana en parte su amistad, a lo menos sácase este provecho, que del sonete de sus palabras, del modo de dezirlas, de un rugar de frente, de un torcer de ceja en un propósito o en otro, se colige más o menos la intención del enemigo ; lo qual no hará el Consejero por medio de farautes, no entendiendo la lengua del que le habla. Ni es de callar que mui pocas vezes se

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le fasse mander dans cet esprit, et qu'il lui parle un jour pendant une heure, puis un autre jour deux heures, puis une autre fois un temps plus ou moins semblable. Qu'il lui fasse conter quelques histoires pour voir comment il en rallonge ou en abrège la matière, comment il l'expose, la divise, comment il en suit le fil, comment il l'achève, et de quel esprit, maintien et justesse de mots il fait preuve pour cela. On le reconnaît également aux œuvres. Il faut donc savoir quels furent ses maîtres, combien de temps il travailla et avec quelle diligence. Et si d'aventure il eût écrit quelque chose, qu'on le voie et qu'on l'examine. Qu'on l'enferme dans une pièce, et, sans en avoir l'air, que le Prince feigne d'avoir besoin d'écrire des félicitations ou d'exprimer des regrets, ou qu'il feigne d'avoir quelque autre affaire et qu'ensuite, sur l'heure, il lui ordonne de rédiger en sa présence et sous ses yeux. La troisième qualité qui illustre la compétence de l'âme du Conseiller est la connaissance de nombreuses langues étrangères, et principalement celles des peuples que son Prince gouverne ou a pour alliés ou ennemis. Cela se comprendra mieux à l'aide d'un exemple. Imaginons qu'il soit actuellement Conseiller du roi d'Espagne. Le Conseiller de ce monarque, outre sa langue naturelle, doit savoir le latin, l'italien, l'arabe, le français et l'allemand ; car les vassaux se réjouissent beaucoup d'être entendus de ceux avec qui ils négocient, et de les comprendre. Un homme explique mieux son propos et s'entend mieux avec ceux qui parlent une même langue que lorsqu'il fait appel à des interprètes. Un homme ose plus facilement conter ses misères et ses petitesses ou livrer des secrets de Princes et de Seigneurs, ce qui arrive à toute heure, au seul Conseiller, hors de la présence d'une tierce personne. N'est-ce pas également très profitable pour entendre les ambassades de ses voisins en vue de la paix ou de la guerre ? S'il s'agit d'un ami, il éprouve un plus grand contentement et persévère dans l'amitié en entendant sa langue maternelle dans la bouche du Conseiller, car il pense que c'est là l'effet de l'amitié. Et même s'il se trompait, cette erreur est cependant profitable. Si c'est un ennemi, pour les mêmes raisons, on gagne son amitié, ou du moins on en retire le profit suivant, à savoir que, du son de ses paroles, de la façon de les dire, d'un plissement du front, d'un froncement de sourcils à un quelconque propos, on devine plus ou moins ses intentions, ce qui n'est pas possible au Conseiller qui recourt à des interprètes, faute de connaître la langue de celui qui parle. De plus, il ne faut pas oublier de dire

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hallan farautes que declaren i buelvan a dezir perfetamente la interpretación : tuercen, quitan, añaden de muchas maneras. Viene una espía, de cuia relación cuelga (quiçà) la salud i honra de un reino, i es cosa (a vezes) que no sufre dilación ; gran falta es en tal punto haver de buscar el faraute, porque o no se puede hallar tan presto, o teme la espía de dezirlo a un tal hombre, o el faraute lo puede descubrir, o hai otros inconvinientes. Más, que el que habla muchas lenguas, necessario es haia visto, leido o hablado con hombres diversos, i sepa en todo o en parte las costumbres de aquellos pueblos cuia lengua sabe ; i esto es una cosa mui necessaria al Consejero para todas las concurrencias sobre que fuere consultado. Dexo de dezir otras razones i pruevas, por no ser largo, porque se me acuerda que este es memorial sin exemplos i sin ornamentos. Esta suficiencia, quiero la conosca el Príncipe en su Consejero por esperiencia. Es tal que le haga hablar i escrivir en su presencia, i no se fíe de relaciones agenas, que casi todas suelen ser falsas.

La quarta calidad que muestra la suficiencia en el alma del Consejero, es que sea grande historiador, digo, que haia visto i leído con mui grande atención i esaminado sotilmente las historias antiguas i modernas, i principalmente las de su Príncipe, las de sus aliados, las de sus vezinos, i las de sus enemigos. El Consejero que fuere grande historiador i supiere sacar el verdadero fruto de las historias, esse tal diré osadamente que es perfetíssimo Consejero, nada le falta, es plático en todos los negocios del principado, antes es la mesma plática i esperiencia. Porque las historias no son otra cosa que un aiuntamiento de varias i diversas esperiencias de todos tiempos, i de toda suerte de hombres. Dadme acá un hombre grande historiador, i sepa sacar el fruto délias ; este tal es más plático i tiene más esperiencia en qualquier negocio que qualquier otro hombre, particularmente en aquella arte que por espacio de veinte años se huviere exercitado. Porque (tomemos exemplo en cosas militares) un soldado viejo (sea general, capitán, o otro) en el dicho tiempo de veinte años, se havrá podido hallar por lo más en quatro batallas, en ciento escaramuças, en cinquenta cercos, en doze motines, en cinco rompimientos de guerra, en cinco treguas, i otras tantas pazes ; pero

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que l'on trouve fort rarement des interprètes qui soient à même de traduire parfaitement et de rendre fidèlement la teneur de la conversation : ils déforment, retranchent, ajoutent de nombreuses façons. Parfois il arrive un espion de la relation duquel dépendent peutêtre le salut et l'honneur d'un royaume, et parfois, aucun retard ne doit être souffert. C'est une grave faute en ce moment-là d'avoir à chercher l'interprète, soit en effet que l'on ne puisse le trouver sur l'heure, soit que l'espion craigne de se livrer à un traducteur qui pourrait percer son identité, sans parler de bien d'autres inconvénients. Celui qui parle plusieurs langues a dû rencontrer les hommes les plus divers, lire leurs ouvrages et il a eu une bonne connaissance des mœurs des peuples dont il parle la langue. Cela est indispensable au Conseiller pour qu'il soit à même de répondre dans toutes les circonstances où il pourrait être consulté. Je passe sous silence d'autres raisons et preuves pour ne pas m'étendre parce qu'il me souvient qu'il s'agit d'un simple mémoire, sans exemples et sans fioritures. Cette compétence, je veux que le Prince la reconnaisse et la vérifie chez son Conseiller. A cette fin, qu'il le fasse parler et écrire en sa présence, et qu'il se défie des relations étrangères qui sont presque toujours fausses. La quatrième qualité qui illustre la compétence de l'âme du Conseiller est sa très grande connaissance de l'histoire. Il faut qu'il ait lu et examiné avec la plus grande pénétration l'histoire ancienne et moderne, et en tout premier lieu, celle de son Prince, de ses alliés, de ses voisins et celle de ses ennemis. Le Conseiller qui serait très versé en histoire et qui saurait tirer le véritable profit de celle-ci, ce Conseiller-là, je le tiendrais sans balancer pour le plus parfait Conseiller car il ne lui manque rien ; il est expert en toutes les affaires du royaume, lui qui est l'expérience historique et politique personnifiée. En effet, l'histoire n'est rien d'autre que l'ensemble d'expériences diverses et variées de tous les temps et de toutes sortes d'hommes. Qu'on me donne ici un homme très versé en histoire, capable de tirer le profit de ses connaissances, cet homme-là est plus expert, et a plus d'expérience dans n'importe quelle affaire que n'importe quel autre qui, pendant vingt ans, n'aurait connu que la seule pratique. Prenons un exemple dans le domaine militaire : un vétéran, qu'il soit général ou capitaine, aura pu, au cours de ces vingt ans, se trouver dans quatre batailles tout au plus, cent escarmouches, cinquante sièges, douze séditions, assister à cinq déclarations de guerre, cinq trêves, et autant de paix. Mais celui qui a une véri5

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el verdadero historiador se ha hallado i tiene esperiencia de infinitas batallas, de infinitas escaramuças, de infinitos cercos, de infinitos motines, de infinitos rompimientos de guerra, de infinitas treguas, i de infinitas pazes. Pues ¿ qué proporción hai de lo finito a lo infinito ? Además desto, esse hombre con su esperiencia de veinte años ; sólo conosce el humor de una, dos, tres, o quatro naciones ; el historiador, de casi todas. Esse hombre, con la esperiencia de veinte años, no pudo entender la décima parte de quanto tiene la milicia, porque en veinte años no se ofresce el uso de todas ellas ; el historiador todas las sabe, todas las entiende, nada ha dexado por ver. Esse hombre, con la esperiencia de veinte años, aunque se hallasse en la guerra, no entendió las causas della, no supo cómo se movió, con qué medios, ni a qué fin ; no entendió los tratos, las mañas, las dificultades, i despecho con que se sostuvo ; tampoco supo los ruegos, las lágrimas, los fingidos desdenes, los dobles tratos i necessidad con que vinieron a concertarse ambas las partes : el historiador todo esto sabe que es (por hablar assi) el alma de la guerra ; i lo demás es una partezilla de su cuerpo. I lo que digo acerca de la guerra, esso mesmo digo de todos los otros negocios i circunstancias del principado en el govierno i proteción : lo qual por lo que está dicho se entiende fácilmente, i dezirlo con más palabras sería contra el memorial que en otros lugares he protestado de hazer. Basta, en conclusión desto, que las Leies no son más de una historia que contiene las sentencias i paresceres de los antiguos i sabios varones, con que ordenaron sus ciudades i mantuvieron los habitadores délias en concordia i egualdad, i al presente nos enseñan cómo podamos hazer lo mismo. La Medicina también es historia de las esperiencias que hizieron los médicos antiguamente, sobre la qual fundan nuestros médicos sus juizios i curas. Pues para ordenar una República, governar un principado, tratar una guerra, sostener un estado, acrescentar el poder, procurar el bien, huir el mal, ¿ qué cosa mejor que la historia ? Esto entienden pocos, i assi vemos que pocos saben governar : no hai dellos, digo de los governadores, quien lea las historias ; i si alguno las lee, no saca el fruto délias, porque solamente passa el tiempo con aquel plazer que se toma con la variedad de los acidentes que consigo

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table connaissance de l'histoire a l'expérience d'une infinité de batailles, d'une infinité d'escarmouches, d'une infinité de sièges, d'une infinité de séditions, d'une infinité d'ouvertures des hostilités, d'une infinité de trêves et de paix ; quelle commune mesure y a-t-il entre le fini et l'infini ? De plus, cet homme qui possède vingt ans d'expérience ne connaît que l'humeur d'une, de deux, trois ou quatre nations, alors que l'homme versé en histoire les connaît presque toutes. Cet homme, avec ses vingt années d'expérience, n'a pu saisir la dixième partie de ce qu'est vraiment l'armée, parce qu'en vingt ans il n'en a pas épuisé tous les aspects. L'homme versé en histoire les connaît tous, les comprend tous, car il n'a rien laissé dans l'ombre. Le vétéran, fort de ses vingt ans d'expérience, bien qu'il se soit trouvé à la guerre, n'en a pas compris les causes, en a ignoré les origines comme il en a ignoré les moyens et la finalité. Il n'en a pas compris les procédés, les ruses, les difficultés, les dépits. Il a également ignoré les prières, les larmes, les faux dédains, la duplicité et la nécessité qui poussa les deux parties à se concerter. L'homme versé en histoire, lui, sait tout cela, car il est, pour ainsi dire, l'âme de la guerre et le reste n'est qu'une petite partie de son corps. Et ce que je dis au sujet de la guerre est vrai de toutes les autres affaires et conjonctures du royaume en ce qui concerne son gouvernement et sa défense. Tout cela est aisément compréhensible grâce à ce qui a été dit ; être plus prolixe serait desservir le mémoire, et aller à l'encontre de l'esprit que j'ai énoncé ailleurs. Il suffit, pour conclure tout cela, de dire que les lois ne sont rien d'autre qu'une histoire qui contient les sentences et les jugements des anciens et des sages, grâce auxquels ceux-ci organisèrent leurs villes et maintinrent leurs habitants dans la concorde et l'égalité. Aujourd'hui, l'histoire des lois nous enseigne comment nous pouvons faire de même. La médecine est aussi l'histoire des expériences que firent les médecins d'autrefois, expériences sur lesquelles nos praticiens fondent leurs diagnostics et leurs traitements. Pour gérer une République, gouverner un royaume, engager une guerre, assumer la charge d'un Etat, en accroître le pouvoir, rechercher le bien et fuir le mal, quoi de meilleur que l'histoire ? Pourtant, peu comprennent cela, et c'est pourquoi il existe très peu d'hommes aptes à gouverner. Parmi eux, je parle des gouvernants, aucun ne lit l'histoire. Et si d'aventure l'un d'entre eux venait à la lire, il n'y verrait qu'un passe-temps, car la relation des événements charriés par l'histoire le divertit sans qu'il pense

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trahe la historia, i no mira cómo se podrá aprovechar dellos en casa i fuera, en público i particular, poniéndolos por obra en todos sus negocios i deliberaciones. No es la historia para passatiempo, sino para ganar tiempo, con que sepa uno i entienda perfetamente en un día lo que por esperiencia o nunca alcançaria en toda su vida aunque biviesse trezientos años, o tarde i mal alcançaria. Es la historia retrato de la vida humana, dechado de las costumbres i humores de los hombres, memorial de todos los negocios, esperiencia cierta i infalible de las humanas acciones, consejero prudente i fiel en qualquier duda, maestra en la paz, general en guerra, norte en la mar, puerto i descanso para toda suerte de hombres. ¡ O que esto bien se habla, pero pocos lo entienden ! Por estas causas quiero que el Consejero sea mui grande historiador. Esta suficiencia quiero la conosca el Príncipe en su Consejero por esperiencia. Es tal : pregúntele el Príncipe muchas cosas de historia i, entre otras, le podrá hazer estas o semejantes preguntas. ¿ Quántas vezes (no me quiero en mis exemplos apartar lexos de España) han hecho mutación las Coronas de España, Francia, i Inglaterra ? ¿ Qué linajes las han posseido ? ¿ Con qué derecho ? ¿ Quánto tiempo ? ¿ Qué fue la causa de sus mutaciones ? ¿ Quántos reinaron de cada casa ? Entre ellos ¿ quál fue el más ilustre ? ¿ Quál el de menor nombradla ? ¿ Cada uno dellos, quántas guerras tuvo ? ¿ Con quiénes, a qué tiempo, por qué causa, cómo se movieron, i cómo apaziguaron ? ¿ De mil i quinientos años a esta parte, quántas batallas ha dado España, i quántas Francia i quántas ha ganado o perdido el uno i el otro ? ¿ Por qué falta se perdieron las unas, i por qué causa se ganaron las otras ? ¿ En los dos mil años atrás, quántas comunidades se han levantado en España, Francia, i Roma ? ¿ Qué fue la causa de su levantamiento, qué males o qué bienes hizieron, i cómo se assentaron ? El que respondiere bien a estas i semejantes preguntas, no es menester más, sino que es buen historiador ; i éste tal, ofresciéndose tiempo i cojuntura, se sabrá aprovechar de las historias.

La quinta calidad que muestra la suficiencia del alma en el Consejero, es que sepa bien i perfetamente el fin, la materia, el cómo, quándo, i hasta quánto se estienda cada virtud. Porque es cosa en que se ierra a cada passo i, si el Consejero sigue el

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à en tirer bénéfice pour sa vie privée ou publique, ne les mettant jamais à profit ni dans ses affaires ni dans ses réflexions. L'histoire n'est pas un passe-temps mais permet de gagner du temps parce que, grâce à elle, on sait parfaitement et en un jour ce que par expérience on ne pourrait apprendre même si l'on vivait trois cents ans, et encore y parviendrait-on fort tard et bien mal. L'histoire est l'image de la vie humaine, le reflet des coutumes et des humeurs de l'homme, le résumé de toutes les affaires, l'expérience sûre et infaillible de la conduite humaine, le sage et fidèle conseiller lorsque le doute surgit. Elle nous enseigne en temps de paix et nous commande en temps de guerre, étoile polaire de la navigation, asile et havre pour tous. Oh ! que cela est facile à dire, mais combien peu le comprennent ! Pour ces raisons, je veux que le Conseiller soit particulièrement versé en histoire. Cette compétence, je veux que le Prince la reconnaisse et la vérifie chez son Conseiller. A cette fin, que le Prince l'interroge longuement sur l'histoire, et entre autres questions il pourrait lui poser les suivantes : combien de fois, je ne veux pas par mes exemples m'éloigner de l'Espagne, les couronnes d'Espagne, de France, d'Angleterre ont-elles changé de tête ? Quelles dynasties en furent les possesseurs ? Au nom de quel droit ? Combien de temps ? Quelles furent les causes des changements ? Combien de princes régnèrent dans chaque maison ? Parmi eux, qui fut le plus célèbre et qui le fut le moins ? Combien de guerres chacun d'eux connut-il ? Avec qui ? A quelle époque et pour quelle cause ? Comment furent-elle engagées et comment firent-ils la paix ? Depuis mille cinq cents ans, combien l'Espagne a-t-elle donné de batailles et combien la France ? Et quelles furent les victoires et les défaites des deux nations respectives ? Par quelles fautes certaines batailles furent-elles perdues et d'autres furent-elles gagnées ? Depuis deux mille ans, combien l'Espagne, la France et Rome connurent-elles de soulèvements ? Quelles furent leurs causes ? Quels maux ou quels biens s'ensuivirent-ils ? Comment ces soulèvements furent-ils apaisés ? Celui qui répondrait pertinemment à ce genre de questions n'a pas besoin d'être interrogé plus avant, c'est un homme très versé en histoire, et, le moment venu, il saura en tirer les leçons. La cinquième qualité qui illustre la compétence de l'âme chez le Conseiller est sa connaissance parfaite de la finalité, de la nature, des limites exactes et de l'opportunité de chaque vertu, parce que dans ce domaine, on se trompe à tout instant, et si le Conseiller suit l'opinion du vulgaire il commettra d'énormes

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vulgo en ello, dará terribles porradas. Porque, por inorancia de lo que digo de las virtudes, muchos, mui muchos i casi todos los hombres, al que es hombre reposado, llaman medroso ; al astuto, traidor ; al rudo i inhábil, bueno ; al bovato llaman mansueto ; al que es morante (estudiando) de cosas muchas i sotiles por falta de su capacidad, o por no querer, o no saber trabajar, llaman hombre que va por lo llano i carrera derecha ; al airado, claro ; al sobervio, manífico ; al arrebatado i furioso, fuerte ; al pródigo, liberal ; al avariento, próvido, al supersticioso, santo ; al mui doto, curioso ; al curioso, loco ; i de la mesma manera en todas las otras virtudes i vicios, dándoles a bien o mal su contrario nombre como a cada uno se le antoja. Este es un mui grande i diabólico vicio, i si assienta en el Consejero (como necessariamente assienta quando no sabe distinguir el oficio de las virtudes) es destrución del Príncipe i de todo su principado. Porque en todos los consejos i deliberaciones, lo primero que se consulta es si es contra honestidad o no aquello de que se trata con todas sus circunstancias. Para proveher i dar cargos i oficios, es menester que lo sepa, afín que no tome lo blanco por prieto. En el premiar i hazer mercedes, recibirá engaño, si le falta una tal parte, i tan necessaria. Portanto concluio que ésta es una calidad mui necessaria en el Consejero. Esta suficiencia quiero la conosca el Príncipe en su Consejero por esperiencia. Es tal : primeramente por sus palabras, siendo interrogado desta o semejante manera. ¿ De quántas cosas tiene necessidad un hombre para alcançar la cumbre de perfeta gloria en esta vida ? ¿ En quántas maneras puede hazer un hombre que sea amado por el pueblo ? ¿ Con qué cosas se acredita en el pueblo un hombre de tal manera que se le dé fe a todo quanto dixere ? ¿ Qué cosas mueven el pueblo a que juzgue una persona ser dina de todo honor i gloria ? ¿ En quántas maneras se peca contra fortaleza ? ¿ Quántas cosas pide la justicia ? I otras cosas semejantes con que provará el saber del Consejero para quanto sea en esta parte. También tomará esperiencia por sus obras, informándose qué maestros haia tenido, en qué escuelas estudiado, con quiénes comunicado, i hecho amistad ; en qué libros lea, i en qué cosas se emplee.

La sexta calidad que muestra la suficiencia del alma en el Consejero, es que sea político, digo, que sea plático en el govierno

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stupidités. En effet, en ignorant ce que j'ai dit sur les vertus, un grand nombre, un très grand nombre, la quasi-totalité des hommes disent du calme qu'il est craintif, de l'habile, qu'il est un traître, du rustre et du maladroit, qu'il est bon, du benêt, qu'il est doux ; quant à l'ignorant qui poursuit ses études, mais qui cependant ne saisit pas l'essentiel, soit par manque de moyens, soit par absence de volonté ou incapacité de travailler, on dit de lui qu'il va droit son chemin. Du colérique, on dit qu'il est sans détours, du superbe, qu'il est magnifique, du furieux, du violent, qu'il est fort, du prodigue qu'il est libéral, de l'avare, qu'il est prévoyant, du superstitieux, qu'il est saint, du très savant, qu'il est bizarre, du bizarre, qu'il est fou. Il en va de même pour toutes les autres vertus et pour tous les vices, car suivant l'humeur de chacun, on leur attribue leur contraire en bien ou en mal. Cette confusion est un vice particulièrement diabolique et s'il s'installe chez le Conseiller, comme cela se produit nécessairement lorsqu'il ne sait pas distinguer la fonction des vertus, c'en est fait du Prince et du royaume. En effet, lors de tous les Conseils et délibérations, ce que l'on examine avec le plus grand soin, c'est l'honnêteté lorsqu'on veut attribuer des charges et des offices, et il est nécessaire qu'on la reconnaisse si l'on ne veut pas prendre le blanc pour le noir. En récompensant et en accordant des grâces, le Conseiller sera dupé s'il lui manque une telle aptitude aussi grandement indispensable. C'est pourquoi je conclus qu'elle est une qualité fondamentale chez le Conseiller. Cette compétence, je veux que le Prince la reconnaisse et la vérifie chez son Conseiller en examinant les réponses qu'il pourra faire aux questions suivantes : de combien de choses un homme a-t-il besoin pour atteindre le sommet de la gloire parfaite en cette vie ? De quelles manières un homme peut-il se faire aimer du peuple ? Par quels moyens peut-il réussir à obtenir sa confiance au point que l'on croie aveuglément tout ce qu'il dit ? Qu'est-ce qui pousse le peuple à juger qu'une personne est digne de la gloire et de tous les honneurs ? De combien de façons pèche-t-on contre le courage ? Quelles sont les exigences de la justice ? Et d'autres questions semblables grâce auxquelles le Prince mettra à l'épreuve la compétence du Conseiller en ces matières. Il le jugera également sur ses œuvres en s'enquérant sur ses maîtres, sur les écoles qu'il a fréquentées, sur ses relations amicales, sur ses lectures et sur l'emploi de son temps. La sixième qualité qui illustre la compétence de l'âme du Conseiller est son sens politique, à savoir qu'il soit habile en tout

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de paz i de guerra, i cosas a ello pertenescientes. Porque siendo el oficio i obligación del Príncipe puesto en estas dos cosas, en el govierno i proteción ; lo uno i lo otro se refieren a paz i a guerra, pero más propiamente el govierno es de la paz, i la proteción, de la guerra ; i si no entiende estas dos cosas cómo i en qué manera se suelan guiar, es impossible que pueda el Consejero hazer cosa que vaia. Portanto es menester que sepa el Consejero que la República, quiero dezir, toda la compañía i sociedad de los hombres juntada en una comunidad de vida, es compuesta (por hablar assi) de cuerpo i alma. El cuerpo, son las habitaciones ; en que primeramente se considera el cielo ; si es caliente, frío, o templado. El sitio ; si es dentro de la tierra, junto al mar, cabe alguna ribera o estaño ; si es alto, baxo, enxuto, húmedo, pantanoso, fértil, estéril, cerca o lexos de los enemigos, i también qué haires lo baten comúnmente ; porque según estas consideraciones, assi es menester edificar o no ; hazer las calles anchas o angostas ; abiertas a un viento, i cerradas a otro ; los edificios altos o baxos, i poner en su lugar las plaças i casas necessarias al uso del pueblo, i darles la más conviniente forma, es a saber, redonda, triangular, quadrada, o de muchas puntas, según las dichas circunstancias pidieren. Lo qual, porque no se sabe, vemos que se edifica comúnmente a caso, i assi muchos lugares son enfermisos, otros mal repartidos, otros feos, otros impertinentes, a cuia causa se van despoblando poco a poco. I aun en mi tiempo he visto io gastarse veinte o treinta mil ducados en edificios públicos, que dos años después se vio claramente ser mal gastados i los edificios inútiles, por no haver mirado en las circunstancias ia dichas : lo qual no se seguiría si los Consejeros entendiessen esta parte de la República que io llamo cuerpo. El alma es el govierno ; i primeramente se contempla en su forma, conviene a saber, si es govierno de uno solo, dicho Rei, que io llamo Príncipe ; como en España, Portugal i Castilla. Si es govierno de solos nobles ; como Venecia i Esparta antiguamente. Si de solos plebeios ; como en nuestros tiempos los Cantones o Confederados,

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ce qui concerne le gouvernement en temps de paix et en temps de guerre, ainsi qu'en tout ce qui s'y rapporte. En effet, le métier et la tâche du Prince ont un double objet : le gouvernement et la sécurité. L'un et l'autre ressortissent à la paix et à la guerre, mais le gouvernement se rapporte plus directement à la paix, et la sécurité, à la guerre. Et si l'on ne comprend pas cette double fonction et la manière de s'en acquitter, il est impossible que le Conseiller soit apte à faire quoi que ce soit d'utile. C'est pourquoi il faut que le Conseiller sache que la République, je veux dire toute la société des hommes unis dans une communauté d'existence, est composée pour ainsi dire d'un corps et d'une âme. On peut comparer le corps aux maisons, et c'est pourquoi il faut examiner en premier lieu le climat, savoir s'il est froid, chaud ou tempéré, puis le site : est-il placé à l'intérieur des terres, à proximité de la mer, en bordure de rivière ou d'étang, est-il montagneux ou plat, sec, humide, marécageux, fertile ou stérile, près ou loin de l'ennemi, et quels sont les vents dominants. C'est en effet d'après ces indications qu'on saura s'il faut bâtir ou non, faire des rues larges ou étroites, ouvertes à certains vents et fermées à certains autres, construire des édifices hauts ou bas, et fixer des emplacements convenables pour les places et les maisons d'habitation. Celles-ci doivent avoir la forme la plus appropriée, à savoir ronde, triangulaire, carrée ou polygonale, suivant ce qu'exigent les dits impératifs. Faute de ne pas les respecter, on voit souvent le hasard présider aux constructions, et c'est pourquoi certaines villes sont insalubres, d'autres mal distribuées, d'autres laides, d'autres, répondant mal aux besoins de leurs habitants, entraînent une lente dépopulation. Et j'ai même vu autrefois dépenser vingt ou trente mille ducats dans la construction d'édifices publics, et deux ans après, il apparaissait à l'évidence que l'argent avait été gaspillé, que les bâtiments étaient inutiles, parce qu'on avait négligé l'examen des conditions indiquées précédemment. Cela ne se produirait pas si les Conseillers étaient pénétrés de l'importance de cette partie de la République que je nomme son corps. L'âme en est le gouvernement dont on peut d'abord examiner la forme, c'est-à-dire s'il s'agit du gouvernement d'un seul, que l'on nomme roi et que moi j'appelle Prince, comme en Espagne pour les royaumes de Portugal et de Castille, ou si c'est le gouvernement des seuls nobles, comme à Venise ou autrefois à Sparte, ou du seul peuple, comme à notre époque dans les cantons ou confédérations improprement nommés suisses. Ou encore s'il s'agit d'un gouvernement

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dichos impropiamente Suizos. Si es govierno de Rei i nobles ; como el reino de Dinamarca i Roma en tiempo de sus Reies hasta Tarquino. Si de Rei i plebeios ; como fue por algún tiempo el imperio de los Persas. Si de nobles i plebeios ; como Roma después de echados los Reies, Lacedemonia, Atenas, i en nuestros días eran Florencia i Sena, i aun lo son las otras Repúblicas que quedan en pie en Italia. Si es govierno de Rei, nobles i plebeios ; como el imperio de Alemaña, el reino de Polonia i el reino de Aragón en España. Es menester, en cada uno destos goviernos, que sepa el Consejero cómo se gana, aumenta, conserva i pierde el Estado ; qué peligros corre, cómo se pueda proveher que no se gaste, i para ello saber ordenar leies i magistrados qual conviene. El Consejero que esto no sabe, no es possible que pueda dar remedio en todos cabos del principado ni sepa aconsejar a su Príncipe cómo se deva haver con este amigo, o con aquel aliado, o con este enemigo, o con el otro, ni cómo les podrá aprovechar, ni dañar, con otras cosas infinitas. En la otra parte de la Policía, que es de la guerra, deve saber qué calidades ha de tener un buen soldado, un capitán, un general, cómo se han de armar, cómo hazer gente, cómo marchar, cómo alojar, cómo pelear, cómo retirar, cómo seguir ; i en cada una destas cosas, en quántas maneras se suela pecar comúnmente, porque, de otro modo, no sé qué pueda aconsejar un Consejero. Por ende es mi parescer que el buen Consejero ha de ser grandissimo político. Esta suficiencia quiero la conosca el Príncipe en su Consejero por esperiencia. Es tal : pídale cosas tocantes al govierno ; deste 0 de otro modo : ¿ Qué es mejor, edificar en tierra fértil o estéril ? ¿ Contra qué vientos se deven hazer reparos en una habitación ? ¿ De quántas maneras se suele perder el principado ? ¿ De quántos modos se gasta el govierno ? ¿ Cómo se levantan las comunidades, 1 de quántas maneras se pueden oprimir ? ¿ En qué estriba el poder del Príncipe, en las riquezas o en buenos soldados ? ¿ En quántas maneras se puede honestamente romper guerra contra un Príncipe que no haia dado justa ocasión para ello ? ¿ Qué es

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composé du roi et des nobles, comme au royaume de Danemark ou à Rome à l'époque royale jusqu'à Tarquín. Ou si l'on est en présence d'un gouvernement fait du roi et du peuple, comme celui qui exista quelque temps dans l'Empire perse, ou bien si c'est un gouvernement formé de nobles et du peuple comme à Rome après la chute de la royauté, à Lacédémone, Athènes et de nos jours comme l'étaient Florence et Sienne, et comme le sont encore les Républiques italiennes qui subsistent. Enfin, s'il s'agit d'un gouvernement formé du roi, des nobles et du peuple comme l'empire allemand, le royaume de Pologne ou celui d'Aragon en Espagne. Il faut que le Conseiller sache, pour chacune de ces formes de gouvernement, comment on gagne, on augmente, on conserve, on perd le pouvoir, quels dangers il court, quelles sont les mesures à prendre pour en éviter le déclin. Et à cet effet, il faut que le Conseiller sache édicter les lois et nommer les magistrats appropriés. S'il ignore cela, il ne peut secourir efficacement le royaume chaque fois qu'il le faut, pas plus qu'il ne sait conseiller son Prince dans la façon de se comporter avec tel ami ou tel allié, avec tel ou tel ennemi, ou dans l'art de les utiliser ou de leur nuire, sans parler de bien d'autres choses encore. En ce qui concerne la guerre, autre aspect de l'art de gouverner, le Conseiller doit connaître les qualités d'un bon soldat, d'un capitaine, d'un général, comment on doit armer et recruter des troupes, comment régler leur marche, comment établir des cantonnements, comment se battre, comment faire retraite, comment poursuivre. Il doit savoir également quelles sont les erreurs les plus fréquentes touchant à ces matières car s'il n'en était pas ainsi, j'ignore ce que pourrait conseiller un Conseiller. Pour conclure, je crois que le Conseiller doit être un très grand politique. Cette compétence, je veux que le Prince la reconnaisse et la vérifie chez son Conseiller. A cette fin, qu'il lui pose des questions de ce genre touchant le gouvernement : que vaut-il mieux ? bâtir sur une terre fertile, ou stérile ? [7] Contre quels vents doit-on abriter une maison ? Quelles sont les différentes causes qui provoquent la perte du royaume ? Quelles sont celles qui affaiblissent un gouvernement ? Comment les soulèvements prennent-ils naissance et de combien de manières peut-on les réprimer ? Sur quoi le pouvoir du Prince prend-il appui ? Sur les richesses ? Les bons soldats ? De quelles façons peut-on déclarer honnêtement la guerre à un Prince qui n'aurait pas donné de justes motifs pour le faire ? [8] Qu'est-il préférable,

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mejor, aguardar al enemigo en nuestras tierras o irlo a buscar en las suias ? ¿ Quántas cosas deve considerar un Príncipe antes de romper guerra, quántas después de rompida, quántas antes de dar la batalla, quántas después de ser vencedor o vencido ? Con la respuesta que diere a estas i semejantes preguntas, se podrá coligir quán buen Repúblico sea el Consejero. La séptima calidad que muestra la suficiencia del alma en el Consejero, es haver andado i visto muchas tierras, i entre ellas la de su Príncipe señaladamente, las de sus contrarios, las de sus aliados, i las de sus vezinos. Esta peregrinación ha de ser curiosa i prudente, no descuidada i nescia, como suele ser la de hombres ociosos i vagabundos, que no hazen más de como quien passa por una feria apassentando los ojos. La peregrinación que se requiere en el Consejero es de tal suerte que se haia mui bien informado del govierno de paz i de guerra, de las rentas ordinarias i estraordinarias, del respeto i amor del Príncipe i sus vassallos entre sí, de las entradas i salidas buenas i malas, de las plaças fuertes, de los humores de los hombres, de sus costumbres, i otras cosas desta calidad, con que se gana prudencia, búelvese hombre mejorado a su casa, i ha ganado una buena parte para saber dar consejo, i aprovechar a su principado en todas cojunturas de tiempos. I el que no lo haze assi, esse tal pierde su tiempo en balde, gasta su hazienda, estraga su cuerpo, i pone su vida mil vezes al tablero sin esperança de aprovecharse a sí, ni a otro. Dízenme de un Príncipe napoletano, hombre prudente, que a un deudo suio (el qual le pedía licencia para se ir a buscar el mundo) respondió que se fuesse primero para Roma, i de allí se bolviesse, i se la daría a la buelta. El moço lo hizo assi ; i después de buelto, el Príncipe (vista la inhabilidad del moço, a cuia causa no sacaría provecho de su peregrinación) le dixo : Hijo, tú has visto prados, llanos, montes ; collados, valles, sembrados, dehezas, sotos, bosques, peñas, fuentes, ríos, árboles, aldeas, villas, ciudades, animales, hombres i mugeres ; todo quanto hai en el mundo no es más desso, portante quédate en casa i reposa. Por cierto que dixo este virtuoso cavaliere quanto dezir se puede en un tal caso, i nos dio regla de buscar el mundo, i reprehendió sotil-

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d'attendre l'ennemi sur notre territoire ou d'aller à sa rencontre sur le sien ? Combien de choses le Prince doit-il prendre en considération avant de déclarer la guerre, combien après la déclaration de guerre, combien avant de donner la bataille, combien après avoir été vainqueur ou vaincu ? C'est d'après les réponses à de semblables questions que l'on pourra déduire la valeur politique du Conseiller. La septième qualité qui illustre la compétence de l'âme chez le Conseiller se trouve dans sa connaissance de nombreuses contrées, pour s'y être rendu et les avoir parcourues, principalement celles de son Prince, mais également celles de ses ennemis, de ses alliés et de ses voisins. Cette pérégrination doit être curieuse et intelligente, et non pas inattentive et sotte comme celle des oisifs et des vagabonds dont la conduite est semblable à celle des gens qui, au cours d'une fête, laissent distraitement errer leur regard. La façon de voyager requise chez le Conseiller doit être de telle sorte qu'il en tire de substantiels renseignements en ce qui concerne le gouvernement en temps de paix et de guerre, les impôts ordinaires et extraordinaires, le respect et l'amour existant entre le Prince et ses vassaux, les voies d'accès et de sortie bonnes ou mauvaises, les places fortes, le caractère des hommes, de leurs coutumes, et bien d'autres choses de ce genre grâce auxquelles on acquiert l'intelligence de ces matières. Le Conseiller s'en retourne chez lui plus riche d'expérience et il a gagné une remarquable aptitude à conseiller son Prince et à être utile à son royaume en toutes circonstances. Et celui qui n'agit pas de la sorte perd vainement son temps, sa fortune, sa santé, et met en jeu sa vie sans profit ni pour lui ni pour les autres. Je me suis laissé dire qu'un Prince napolitain, homme intelligent, répondit à un de ses parents, lequel sollicitait l'autorisation de courir le monde, qu'il allât d'abord à Rome, qu'il en revînt, et qu'alors il lui donnerait l'autorisation à son retour. Le jeune homme obtempéra, et quand il fut revenu, le Prince, à la vue de son inexpérience qui hypothéquait tout le profit de son voyage, lui dit : « Tu as vu, mon garçon, des prés, des plaines, des montagnes, des coteaux, des vallées, des cultures, des prairies, des bosquets, des bois, des rochers, des sources, des rivières, des arbres, des villages, des bourgs, des villes, des animaux, des hommes et des femmes. Le monde entier ne contient rien d'autre, aussi, reste à la maison et repose-toi. » Ce seigneur parla d'or, et nous enseigna l'art de parcourir le

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mente el abuso común. El Consejero, haviendo peregrinado como conviene, digo sabiamente i cotejando los reinos estraños los unos con los otros, i todos con el suio ; sacará este provecho que terná mejor aparejo de conoscer los bienes i males que hai en su tierra ; terná forma de conservar lo bueno, i desarraigar lo malo ; quitar malas costumbres i introduzir otras nuevas i buenas ; sabrá hospedar i acarisciar los estrangeros, entenderá mejor las condiciones de los hombres ora sean amigos, ora enemigos ; ora neutrales i según pidieren los negocios, sabráse acomodar de palabra, escrito, i obras, a lo que su condición, i el tiempo, i Príncipe pidieren. Sabrá en fin las oportunidades i dificultades de las tierras i tiempos ; nadie cohechará al Concejo con falsas informaciones, a lo menos no estará colgando de pelo ageno. Esta suficiencia quiero la conosca el Príncipe en su Consejero por esperiencia. Es tal : preguntarle ha acerca de sus peregrinaciones desta manera. ¿ Quántas leguas tiene Francia por lo más largo ? ¿ Quántas por lo más ancho ? ¿ Quántas por todo al rededor ? ¿ Quántas plaças tiene fuertes ? ¿ Por qué parte tiene más fácil la entrada ? ¿ Quántas riberas tiene que no se puedan vadear ? ¿ Quál es la más eminente virtud de los franceses ? ¿ Quál su maior vicio ? ¿ De qué cosa más se pagan ? ¿ En qué difiere la nobleza francesa de la Española ? ¿ En qué su pueblo del nuestro ? ¿ Quánta diferencia hai del edificar suio al nuestro ? ¿ Quál destos dos reies es más absoluto señor ? ¿ De qué manera le va a la mano el pueblo a su rei ? ¿ En quántas cosas difiere su vassallaje del nuestro ? ¿ Cómo levanta su gente el Francés ? ¿ Cómo la exercita i ordena ? En el marchar por sus tierras, ¿ cómo se provehe en que no reciban agravio los villanos en Francia ? I lo que digo acerca de un pueblo, esso mesmo le pregunte de todos los otros que quiziere, i se los haga cotejar los unos con los otros : porque el exemplo que he puesto de España i Francia, no es más de exemplo, digo, que no se ata por él la materia a un solo reino, sino que siendo este libro general i común a qualquier Príncipe, por el tal exemplo sabrá cada uno acomodar otros a su principado i tierras. I esto mesmo digo de quantos exemplos por toda esta obra se hallaren. Esta, que agora diré, es ima cierta

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monde en condamnant le mauvais usage des voyages si généralement répandu. Le Conseiller qui a voyagé comme il convient, je veux dire avec sagesse, en comparant les royaumes étrangers les uns aux autres, et tous au sien, tirera le profit suivant, à savoir qu'il sera le plus préparé à reconnaître les qualités et les défauts de son pays. Il pourra ainsi conserver ce qui est bon, supprimer ce qui est mauvais, éliminer les mauvaises habitudes et en introduire de nouvelles et de meilleures. Il saura accueillir et choyer les étrangers, il comprendra mieux le caractère des hommes, qu'ils soient amis, ennemis ou neutres, et selon la marche des affaires, il saura adapter sa parole, ses écrits, ses actes à la nature des choses, aux circonstances et aux vœux du Prince. En tous lieux et en tous temps, il saura saisir les opportunités et déceler les difficultés. Personne n'abusera le Conseiller à l'aide de fausses informations, et il ne sera pas dépendant d'autrui. Cette compétence, je veux que le Prince la reconnaisse et la vérifie chez son Conseiller. A cette fin, qu'il l'interroge sur ses voyages de la sorte : combien de lieues la France a-t-elle en sa plus grande longueur, combien dans sa largeur ? Quel est son périmètre ? Combien de places fortes possède-t-elle ? Quel est l'endroit le plus commode pour sa pénétration ? Combien de fleuves a-t-elle qui ne soient pas guéables ? Quelle est la plus éminente vertu des Français, leur plus grand vice ? De quoi s'enorgueillissent-ils le plus ? En quoi se distingue la noblesse française de l'espagnole ? Quelle différence y a-t-il entre le peuple français et le nôtre ? En quoi sa façon de construire diffère-t-elle de la nôtre ? Lequel des deux rois d'Espagne ou de France est le souverain le plus absolu ? Quel est le degré d'obéissance du peuple envers son roi ? Sur quels points son vasselage diffère-t-il du nôtre ? Comment le roi de France recrute-t-il ses troupes ? Comment les exerce-t-il et les ordonne-t-il ? Faisant mouvement à travers son propre territoire, comment approvisionne-t-il son armée sans léser les paysans ? Et les questions que je propose se rapportant à un peuple, que le Prince les pose à son Conseiller au sujet de tous ceux qu'il désire, et que ce dernier les compare entre eux sur sa demande. [9] En effet, ce que j'ai dit de l'Espagne et de la France n'a que valeur d'exemple, et n'engage pas qu'un seul royaume, car ce livre étant général, et destiné à n'importe quel Prince, chacun, à partir de cet exemple, saura en adapter d'autres à son royaume. Et cela est vrai de tous les exemples qui figurent dans cette œuvre.

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i averiguada regla para conoscer un hombre si ha sacado provecho de su peregrinación, o no ; sin hazerle las sobredichas preguntas, basta mirar lo que dize en sus conversaciones de las tierras por donde ha peregrinado ; porque, si condena a bulto las tierras estrangeras, i a bulto loa las suias, esse tal, es hombre apassionado, o descuidado, o malmirado, o nescio, o loco ; en tal ánimo no cabe distinción de cosas ; do no hai distinción, no puede haver eleción ; sin eleción no hai prudencia ; todo falta, do prudencia falta. La otava calidad que muestra la suficiencia del alma en el Consejero, es que sepa las fuerças i poder de su Príncipe, de sus aliados, de sus enemigos i vezinos. Porque, como un médico la primera cosa que mira en un cuerpo humano es su temperamento i su virtud natural para quanto es, de la mesma manera el Consejero deve saber quántas son, quáles, i a quánto bastan las fuerças i poder de su Príncipe, de sus enemigos i de sus aliados ; porque, de otra manera, nunca dará consejo que vaia. Por no saber esto, los Consejeros mueven su Príncipe a hazer guerra a vezes con quien devrían bivir en paz, i amonestan de hazer pazes con quien sería menester hazer guerra. I lo mesmo digo acerca de las alianças ; i en todo ello van, por la maior parte, como hombres sin luz por tinieblas. El buen Consejero trabaja de saber en ambas partes de su Príncipe i adversario i aliados, quántas sean las rentas ordinarias i estraordinarias, de do las sacan, cómo, i en qué tiempo ; qué tanta gente de guerra puedan levantar, i sostener, i por quánto tiempo ; cómo estén armados i exercitados, i qué cabeças tengan ; qué tales sean sus alianças o quán firmes o quán flacas ; qué cosas les sobren en sus tierras ordinariamente, i qué cosas les falten, i otras desta manera, porque éste es el modo de medir las fuerças i poder de un Príncipe. Esta suficiencia quiero la conosca el Príncipe en su Consejero por esperiencia ; i ésta será preguntándole las cosas que agora acabo de dezir. Esta es regla general i mui cierta, que el hombre que en sus pláticas i conversación no haze caso del enemigo de su Príncipe, sino que a éste loa, sus fuerças predica, sus empresas alaba ; i del otro haze al contrario, que es vituperarlo, no hazer caso de su poder ni empresas ; este tal hombre no es bueno para Consejero : porque, si lo haze por inorancia,

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La règle que je vais énoncer maintenant est infaillible pour savoir si un homme a tiré profit de ses voyages ou pas. Sans qu'il soit besoin de poser les questions précédemment citées, il suffit d'écouter avec soin les récits qu'il fait des terres qu'il a parcourues. S'il condamne sans réserve les pays étrangers, et loue sans réserve le sien, cet homme est conduit par la passion, il est inattentif, malveillant, sot ou insensé. Dans une telle âme manque la faculté d'appréciation, et lorsqu'il n'y a pas d'appréciation, il ne peut y avoir de choix ; sans choix, il n'y a pas de sagesse, et tout fait défaut là où il n'y a pas de sagesse. La huitième qualité qui illustre la compétence de l'âme du Conseiller se trouve dans la connaissance des forces de son Prince, de ses alliés, de ses ennemis et voisins. Car, de même que ce qu'un médecin examine en premier lieu dans un corps humain est le tempérament et la disposition naturelle qui en découle, de la même façon, le Conseiller doit savoir quelles sont les forces et la puissance de son Prince, de ses ennemis et de ses alliés, ainsi que leurs limites ; faute de quoi, il ne donnera jamais de conseils utiles. Pour ignorer cela, les Conseillers poussent parfois leur Prince à entreprendre des guerres contre ceux avec lesquels il devrait vivre en paix, et préconisent la paix à l'égard de ceux qu'il faudrait combattre. Cela est également vrai des alliances, et ces Conseillers, dans tout ce qu'ils entreprennent, sont semblables à des hommes qui marchent sans lumière dans les ténèbres. Le bon Conseiller s'efforce de connaître également chez son Prince et son adversaire ou ses alliés à combien s'élèvent les revenus ordinaires et extraordinaires, d'où ils les tirent, de quelle façon et à quelle époque ; combien de soldats ils peuvent lever et pour combien de temps. Le Conseiller aura soin aussi de savoir comment ils sont armés et entraînés, quels sont leurs chefs, quelles sont leurs alliances, quelle est la solidité ou la faiblesse de ces dernières. Il devra savoir également de quelles choses ils sont bien pourvus en leur pays et ce qui leur manque, car c'est ainsi que l'on peut estimer les forces et la puissance d'un Prince. Cette compétence, je veux que le Prince la reconnaisse et la vérifie chez son Conseiller en lui posant les questions que je viens de citer. C'est un indice général et sûr d'inaptitude à la fonction de Conseiller que montre celui qui, dans ses conversations et ses entretiens, ne fait pas cas de l'ennemi de son Prince, mais au contraire, loue son Prince, ses forces, ses entreprises, et observe l'attitude opposée quant à ses ennemis. En effet, s'il agit

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ésta misma lo reprueva i deshecha, porque el Consejero deve ser sabio i entender lo que tiene entre manos : si por hipocrisía, es lisonjero, i nunca dirá lo que haze el caso, sino que por se aprovechar a sí i a los suios, hablará al apetito, i no al provecho del Príncipe. La novena calidad que muestra la suficiencia del alma en el Consejero, es que no solamente ame el bien público, pero que en procurarlo, se olvide de su propio provecho i reputación ; de tal manera que, do se pueda aprovechar al bien común, el Consejero se deve emplear en ello con todas sus fuerças i diligencia, aunque de allí se le haia de recrescer daño propio en fama, vida i bienes. I ésta es una de las calidades que Platón más precia i loa en un Consejero, i en qualquier otro governador. Cierto es i averiguado que el amor verdadero es vigilante i solícito, la solicitud jamás reposa, todo lo mira, todo lo vee ; en nada se descuida, i assi provehe en todo lo necessario ; i por tanto es el amor, qual digo, una de las buenas calidades del Consejero. Este mesmo amor, siendo verdadero, de necessidad es que estime i procure mucho más el bien público que el suio ; porque pone toda su esperança, su provecho i honra en la utilidad pública, la qual, si faltare, necessariamente le ha de faltar a él su bien particular, i por esto antes querrá él padescer en su persona i bienes propios, que no en lo público. Haziéndolo desta manera, lo poco cresce, lo ganado se conserva, i se bive con descanso. I en lo contrario, todo es contrariamente, lo qual se prueva por todas las historias del mundo, i ningún imperio, hasta el día presente, alcançô grandes fuerças i se conservó en ellas sino por medio de hombres que tuviessen esta novena calidad de que trato : i por el contrario, el día que vinieron a ser governados por hombres de contraria calidad, esse día mesmo començaron a declinar hasta caer. A este propósito, no puedo acabar comigo de no traher un par de exemplos : i aunque en ello haga contra lo que muchas vezes he protestado, todavía meresco escusa por ser los exemplos de mucha dotrina, i en cosa que ordinariamente por los grandes Príncipes i señores totalmente se ierra. Calicrátidas, que fue general de los Lacedemonios en la guerra del Peloponeso, pudiendo salvar su armada, con sólo apartarse de Arginusis, i no venir a manos con los Atenienses, como lo podía hazer a su salvo, no lo quizo hazer, diziendo que los Lacedemonios, perdida aquella armada, podían hazer otra de nuevo ; pero que él no podía partirse de allí sin

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par ignorance, celle-ci même le condamne et le rejette, car le Conseiller doit être instruit et comprendre tous les éléments d'une situation. S'il agit par hypocrisie, alors c'est un flatteur, et jamais il ne dira ce qui convient, et pour tirer profit, pour lui et pour les siens, il s'adressera toujours à l'ambition du Prince mais non à son intérêt. La neuvième qualité qui illustre la compétence de l'âme du Conseiller est non seulement son amour du bien public, mais encore, que dans sa recherche il oublie son propre profit et sa propre gloire, de telle sorte que le bon Conseiller, chaque fois qu'il peut servir le bien commun, doit y employer toutes ses forces et sa diligence, même au péril de sa renommée, de sa vie et de ses biens. Et cela est une des qualités que Platon loue le plus chez un Conseiller ou chez n'importe quel gouvernant. C'est en vérité un fait établi, que le véritable amour est vigilant et attentif. L'attention ne faiblit jamais, elle embrasse tout et voit tout, rien ne lui échappe, et ainsi, elle prend toujours toutes les dispositions opportunes. D'où il s'ensuit que l'amour est une des bonnes qualités du Conseiller. Et cet amour, lorsqu'il est véritable, il faut qu'il ait plus pour objet le bien public que le sien propre, car il met tous ses espoirs, son intérêt et son honneur au service du bien commun, dont l'ignorance aurait nécessairement des répercussions sur son bien particulier, et c'est pourquoi il préférera souffrir dans sa personne et dans ses biens plutôt que de sacrifier l'intérêt général. S'il agit ainsi, les biens fructifient, l'acquis se conserve, et l'on vit dans la tranquillité. Dans le cas contraire, il en va tout autrement. L'histoire universelle nous le prouve, car on voit qu'aucun empire jusqu'à ce jour n'a atteint et conservé sa puissance sans l'aide d'hommes doués de cette neuvième qualité dont je parle. En revanche, le jour où ils furent gouvernés par des hommes de nature opposée, dès cet instant, les empires commencèrent à décliner jusqu'à la ruine. Je ne peux conclure sur ce sujet sans faire appel à deux exemples en dépit de mes nombreuses protestations contre le procédé. J'ai toutefois droit à des excuses, car ce sont des exemples d'un très grand poids qui illustrent une matière où l'on voit les grands Princes et les seigneurs dans l'erreur la plus complète. Callicratidas, qui fut général des Lacédémoniens lors de la guerre du Péloponèse, bien qu'il pût sauver sa flotte sans engager le combat avec les Athéniens en s'éloignant seulement des Arginuses, et cela en toute sécurité, refusa toutefois en disant que, s'il perdait cette flotte, les Lacédémoniens pourraient en reconstituer une nouvelle. Mais

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afrenta i mengua de su honra. Aguardó ; vino a las manos. Su armada fue desbaratada i presa con grandissimo daño de los Lacedemonios. Quinto Fabio Romano hizo todo al revés de Calicrátidas ; i assi sufriendo con paciencia las injurias de su propio campo i de sus enemigos, en que los unos i los otros por burlarse i mofarse de él, lo llamavan el Tardo, cansó i gastó a Aníbal de tal manera que fue causa de la libertad de su tierra i opressión de la República Cartaginesa. I assi le loa altamente el gran poeta Enio en unos versos que (por ser dinos de estar escritos en letras de oro por los aposentos de Príncipes) me esforçaré a vertirlos en lengua vulgar de España, lo menos mal que pudiere : Cobramos nuestro bien con la tardança De un hombre, que pospuso propia fama Al bien común : por donde después vimos Maior i de más lustre su memoria Calicrátidas no quizo retirarse una vez, por no perder un poco de su reputación; Fabio se retiró i huió muchas vezes, no teniendo cuenta con su reputación, pues aprovechava con ello a su República. Calicrátidas más quizo pelear con desventaja suia, que retirarse con sospecha de su honra ; Fabio más quizo huir con infamia (hablo según la opinión de inorantes) que pelear con peligro del bien público. Calicrátidas dio la batalla, perdióla, i con ella su República, i su vida i honra, ganando por esso renombre de temerario ; Fabio rehusó siempre la batalla, conservó su República, i con ella su vida i honra, ganando renombre de Máximo. I lo que digo acerca de las empresas grandes, esso mesmo se entiende de las menos importantes, hasta descender en las menores partes del bien público. Aprendan pues los Consejeros de dar consejo a sus Príncipes en todos los negocios públicos, i los Príncipes miren, miren, miren mui bien en que elijan Consejeros que tengan esta novena calidad. Esta suficiencia conoscerà el Príncipe en su Consejero por esperiencia. Es tal : finja de pedirle consejo en cosas que son del todo contra el bien público diziéndole que, aunque sean tales, todavía importan al real servicio por ciertos deseños como serían romper leies importantes, privilegios grandes,

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lui ne pouvait se retirer sans faire offense à son honneur. Il attendit donc. Le combat s'engagea, sa flotte fut écrasée et capturée pour le plus grand dommage des Lacédémoniens. Le Romain Quintus Fabius eut une conduite en tous points opposée à celle de Callicratidas. Supportant avec patience les injures de ses propres soldats et celles de ses ennemis, qui, les uns et les autres, pour se moquer de lui et le diminuer, l'appelaient le Temporisateur, il fatigua et usa Hannibal de telle sorte qu'il fut l'instrument de la libération de son pays et de la ruine des Carthaginois. C'est pourquoi le grand poète Ennius le loue avec chaleur dans des vers que je m'efforcerai de traduire en langue vulgaire du mieux que je pourrai (parce qu'ils sont dignes de figurer en lettres d'or sur les demeures des Princes) : Nous devons notre bonheur au calme d'un homme qui fit passer devant sa propre renommée le [bien commun. Mais par la suite, sa mémoire n'en fut que plus célèbre et plus éclatante. Callicratidas ne voulut pas se retirer une seule fois pour ne pas ternir un peu de sa réputation, Fabius fit retraite plusieurs fois en ne tenant pas compte de sa réputation, car agissant ainsi, il servait son pays. Callicratidas préféra se battre en position défavorable à se retirer en laissant planer un doute sur son honneur. Fabius, lui, préféra fuir ignominieusement, je parle selon l'opinion des ignorants, plutôt que de se battre au péril du bien public. Callicratidas engagea le combat et le perdit, et avec lui, toute la République, sa vie, sa gloire, gagnant ainsi le renom de téméraire. Fabius refusa toujours la bataille, sauva la République, et avec elle, sa vie et sa gloire, gagnant le renom de « Maximus ». Et cela est vrai des grandes entreprises, comme des moins importantes, et s'étend jusqu'aux plus petites choses concernant le bien public. Que les Conseillers apprennent à donner des conseils à leur Prince sur toutes les affaires politiques, et que les Princes fassent très, très attention, lorsqu'ils choisissent les Conseillers, qu'ils soient pourvus de cette neuvième qualité. Cette compétence, je veux que le Prince la reconnaisse et la vérifie chez son Conseiller. A cette fin, qu'il feigne de lui demander conseil sur des choses qui sont totalement opposées au bien public, en lui disant que quoiqu'elles aient ce caractère, elles sont cependant utiles au service royal en raison de certains desseins. Par exemple, abolir

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poner tributos ecessivos, i otras cosas semejantes. De su respuesta se puede, en alguna manera, entender quál sea su amor para con el bien común. Otros modos, que hai muchos de conoscer esta suficiencia por dichos hechos, a sabiendas callo ; lo uno, porque son fáciles de entender ; lo otro, porque quiçà, i aun sin quiçà, lastimarían a muchos. El que tuviere oídos, oía. Esta es regla certissima i sin ecepción, que todo hipócrita i todo avariento, es enemigo del bien público, i también aquellos que dizen que todo es del Rei, i que el Rei puede hazer a su voluntad, i que el Rei puede poner quantos pechos quiziere, i aun, que el Rei no puede errar.

La décima calidad que muestra la suficiencia del alma en el Consejero, es que sepa curar todo el cuerpo del principado i no que, curando una parte, desampare otra ; que es como si un médico, fuera propósito, por aprovechar a un miembro, dañasse a otro. Portanto el buen Consejero se deve despojar de todos los interesses de amistad, parentesco, parcialidad, bandos, i otros qualesquier respetos ; i se vista de una recta i prudente bondad, la qual ni sabe, ni puede, ni quiere favorescer sino a la justicia i virtud. A ésta toma por su sangre, por su parentesco, por su bando, i interesse ; a está tiene respeto, i fuera della, a nadie. De manera que el Consejero ha de ser de todos, oír a todos, favorescer a todos sin diferencia alguna, pero con tal, que a aquellos más que más se acostaren a razón i virtud ; i a aquellos menos, que menos se allegaren a razón i virtud. Es uno bueno i virtuoso (i aunque no lo sea), pide cosa justa, i a dicha es de casa del diablo, nascido entre Garamentes i Indios ; este tal, es de la nación, de la tierra, de la misma ciudad, del bando, del parentesco, de la misma casa i sangre del Consejero, i como a tal es menester que le favoresca con amor, con todas sus fuerças i diligencia. Es otro malo (i aunque no lo sea), pide cosa injusta, i por dicha es allegado, o amigo, o pariente del Consejero ; esse tal, ni es de la nación, ni de la tierra, ni del bando, ni de los amigos, ni de los parientes del Consejero, i por tanto no sólo no le ha de favorescer,

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des lois importantes, de grands privilèges, imposer des charges de façon excessive et d'autres choses semblables. De la réponse que fera le Conseiller, on pourra déduire l'amour qu'il porte au bien commun. Je passe volontairement sous silence les autres moyens fort nombreux pour déceler cette compétence dans les paroles et les actes du Conseiller. D'abord parce qu'ils sont faciles à comprendre, et ensuite parce que peut-être, et même sûrement, ils blesseraient bien des gens. Que celui qui a des oreilles entende. Il est une vérité absolue qui ne souffre aucune exception, à savoir que tout hypocrite, tout avare est l'ennemi du bien commun, et le sont également ceux qui affirment que tout appartient au roi et que celui-ci peut agir en suivant son bon plaisir, qu'il peut créer autant d'impôts qu'il veut, et même qu'il est infaillible. La dixième qualité qui illustre la compétence de l'âme chez le Conseiller est qu'il sache porter secours à tout le corps du royaume, et qu'il n'en abandonne pas une partie lorsqu'il donne ses soins à l'autre, comme le médecin, qui, inconsidérément, pour s'attacher à la santé d'un membre, agit au détriment d'un autre. C'est pourquoi le bon Conseiller doit faire table rase de tous les intérêts dictés par l'amitié, la parenté, la faction, les partis de toute sorte et de tous autres motifs semblables. Qu'il se drape dans une droite et intelligente bonté qui ne veut ni ne peut favoriser rien d'autre que la justice et la vertu. Que cette dernière devienne pour lui et son sang, et sa parenté, et son parti, et sa faction et son intérêt. Qu'il ne respecte que la seule vertu, et ne s'incline devant rien et personne d'autre. Il s'ensuit que le Conseiller doit appartenir à tous, qu'il est également favorable à tous, sans faire aucune différence ; mais il est toutefois plus près de ceux que guident la raison et la vertu alors qu'il prend ses distances envers ceux qui s'en éloignent. Voici un homme bon et vertueux, et même s'il ne l'était pas, qui demande une chose juste et raisonnable, alors même qu'il serait de la maison du Diable, né parmi les Garamantes [10] et les Indiens, le Conseiller doit agir envers lui comme s'il était son compatriote, son concitoyen, son parent, comme s'il appartenait à son parti, à sa propre maison et à son sang, et comme tel, il faut qu'il l'assiste avec amour et de toutes ses forces, avec tout son soin. En voici un autre, méchant et même s'il ne l'était pas, qui demande une chose injuste et par hasard il se trouve être allié, ami ou parent du Conseiller. Alors le demandeur cesse d'être le compatriote, le concitoyen, l'allié, l'ami, le parent du Conseiller

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mas aun lo deve reprehender i castigar. Porque otro es ser persona pública, otro particular. No hai más de dos tierras en todo el mundo : tierra de buenos, i tierra de malos. Todos los buenos, agora sean ludios, moros, gentiles, Cristianos, o de otra secta, son de una mesma tierra, de una mesma casa i sangre : i todos los malos, de la misma manera. Bien es verdad, que estando en igual contrapeso el deudo, el allegado, el vezino, el de la misma nación, i el estrangero, entonces la lei divina i humana quieren que proveamos primero a aquellos que más se allegaren a nosotros ; pero pesando más el estrangiero, primero es él que todos los naturales. Portanto una de las principales suficiencias es ésta de que hablo. Esta suficiencia quiero la conosca el Príncipe en su Consejero por esperiencia. Es tal : mirar si pide i procura mercedes para sus parientes, deudos, aliados, amigos, criados i servidores, aunque los tales no las merezcan ; 0 ia, que las merezcan, si por levantar a éstos, ha procurado que no se diessen a otros que más las merescían : porque el que tal haze, va contra esta décima calidad. Ver assi mesmo si tiene singular afición más para unos que para otros ; como hai algunos que, por estar bien con los grandes, se enemistan con los cavalleros ; otros que, por complazer a los cavalleros, dañan sin causa a los plebeios. Otros aman tanto el braço eclesiástico que, por aprovecharle a tuerto o a derecho, rebolverán todo un reino, porque los tales hombres son mui peligrosos i destruien el principado. Por ninguna vía deve ser admitido en el Concejo el hombre que fuere cabeça de un principal bando, o que se haia enemistado a la clara con un reino, una provincia, o ciudad de su Príncipe, al qual ha de ser Consejero ; lo uno, porque todos los hombres somos de tan mala casta que, pudiéndolo hazer a nuestra posta, no dexamos de vengarnos ; i teniendo el govierno en nuestras manos, lo haremos sin falta so color de justicia, tomando vengança particular con armas públicas : lo otro, por que el contrabando se indina, i aquella indinación no es ia contra el Consejero, su enemigo, sino que se convierte toda, i traspassa contra la mesma persona del Príncipe, como aquel que en cierto modo se haia hecho cabeça del contrario bando, dándole autoridad, poder, 1 mando ; en semejante caso leemos que muchos Príncipes han sido muertos malamente por el contrabando del Consejero o privado, que él acarisciava.

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qui non seulement ne doit pas l'aider, mais encore doit le réprimander et le punir. Une chose est d'être une personne publique, une autre une personne privée. Il n'existe pas plus de deux pays dans le monde : celui des bons et celui des méchants. Tous les bons, qu'ils soient juifs, Maures, gentils, chrétiens ou d'une autre secte, font partie d'un même pays, d'une même maison, d'un même sang. Et il en va de même pour tous les méchants. Certes, à la vérité, lorsqu'en présence de l'allié, du parent, du voisin, du compatriote, la balance indique un poids égal avec l'étranger, alors la loi divine et humaine exige que nous assistions d'abord ceux qui nous sont les plus proches. Mais si la balance penchait pour l'étranger, il passerait avant les compatriotes. Ainsi, une des principales dispositions à la fonction de Conseiller est celle que je viens de signaler. Cette disposition, je veux que le Prince la reconnaisse et la vérifie chez son Conseiller de la façon suivante : que le Prince regarde s'il demande et accorde des grâces pour ses parents, familiers, alliés, amis, serviteurs et domestiques, même si aucun d'eux ne les mérite. Et si, dans le cas où ils les méritent, il a fait en sorte pour obtenir leur élévation qu'on n'ait pas récompensé ceux qui avaient plus de mérite, celui qui agit ainsi s'oppose à la dixième qualité. Il faut aussi voir si le Conseiller a des préférences. En effet, il y en a qui, pour être bien avec les grands, se brouillent avec les gentilshommes, d'autres qui, pour plaire aux gentilshommes, portent sans raison préjudice au peuple. D'autres portent une dilection particulière à l'Eglise, et pour la servir inconsidérément, bouleversent un empire. C'est pourquoi de tels hommes sont très dangereux et détruisent le royaume. Sous aucun prétexte on ne doit admettre dans le Conseil un homme qui serait un chef de faction ou qui se serait brouillé ouvertement avec un royaume, une province ou une ville de son Prince. Et cela d'abord parce que nous, les hommes, sommes d'une si méchante espèce, que lorsque nous en avons les moyens, nous ne manquons pas de nous venger, et accédant au pouvoir, nous le ferons immanquablement sous couleur de justice, tirant ainsi une vengeance privée avec des armes publiques. Ensuite parce que la faction opposée s'irrite non plus seulement contre le Conseiller, mais elle étend sa haine à la personne même du Prince, comme s'il était devenu le chef de la faction adverse en donnant au Conseiller l'autorité et le pouvoir. Dans des cas semblables, nous lisons que beaucoup de Princes ont été assassinés par la faction opposée au Conseiller ou favori que le Prince choyait.

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La onzena calidad que muestra la suficienca del alma en el Consejero, es que sea justo i bueno ; porque el tal es amigo de pagar a cada uno según sus méritos, que es castigar al malo i remunerar al bueno ; i en lo uno i en lo otro guarda la devida mediocridad, que ni en el castigo es cruel o floxo, ni en el galardonar corto, o sobrado, o vano. Este tal ama la paz i guerra en sus tiempos i lugar según conviene. El hombre justo es leal, que es el fundamento del Concejo ; i assi vemos que un tal hombre es amado en todo el pueblo por todos los estados de grandes i pequeños, ricos i pobres, hombres i mugeres ; tanto que comúnmente se cree que el que fuere justo, èsse mismo es consumadamente perfeto. Al tal encomendamos descansadamente los bienes, las mugeres, los hijos, la honra, la vida i muerte. Finalmente es la justicia entre todas las otras virtudes de tal calidad que todas ellas, sin ésta, valen poco : i ésta, sin las otras, vale por sí mucho. Portanto digo que deve mirar mucho el Príncipe en que su Consejero sea hombre justo i bueno. Esta suficiencia quiero la conosca el Príncipe en su Consejero por esperiencia. Es tal : Las palabras del hombre justo tienen peso, van arrimadas a virtud ; habla verdad, tal es ausente qual presente, lo que tiene en la boca es retrato de su coraçôn, es abierto en sus pláticas i negocios, reprehende con amor i fuerte mansedumbre lo mal hecho, alaba las obras buenas, todo es amor, todo caridad, ni por oro ni por moro dexará de dezir a cada uno su parescer, no quiere ni pide más de lo que merescen sus obras, favoresce a los buenos, i amonesta a los malos, i en todo acariscia la virtud. Este tal ni es ni puede ser parlero, no habla fuera de propósito, no es mentiroso, no habla contra lo que siente, no dize uno en presencia i otro en ausencia, no es hipócrita, no es doble, no es chismero, porque allende que cae la chismería en ánimos viles i apocados, es cierto indicio i prueva de deslealtad, ni se ha visto hasta el día de hoi, que hombre chismero fuesse leal ; no reprehende los vicios ágenos en ausencia, pudiéndolos reprehender en presencia, ni dirá por la vida cosa que primero no la haia visto de sus propios ojos i tocado con sus mismas manos ; en fin ; este

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La onzième qualité qui illustre la compétence de l'âme du Conseiller, c'est sa justice et sa bonté, car celui-ci a à cœur de sanctionner chacun selon ses mérites en châtiant le méchant et en récompensant le bon. Dans l'un comme dans l'autre cas, que le Conseiller conserve un juste équilibre, que dans le châtiment il ne soit ni cruel ni trop mou, et que dans les faveurs, il ne soit ni mesquin, ni excessif, ni irréfléchi. Le Conseiller aime la paix et la guerre en leur temps et selon les circonstances. L'homme juste est loyal, il est le fondement du Conseil, c'est pourquoi nous voyons qu'un tel homme est aimé de tout le peuple, des riches et des pauvres, des hommes et des femmes, de tous les Etats, grands ou petits, tant il est vrai que tout le monde croit que celui qui est juste est la perfection même. A un tel homme, nous remettons en toute quiétude la garde des biens, des femmes, des enfants, l'honneur, la vie et la mort. En résumé, parmi toutes les autres vertus, la justice est si excellente que toutes les autres sans elle sont de peu d'importance, alors que la justice, même sans les autres, possède une très grande valeur en soi. D'où il s'ensuit que le Prince doit être particulièrement attentif à ce que le Conseiller soit juste et bon. Cette compétence, je veux que le Prince la reconnaisse et la vérifie chez son Conseiller en se fondant sur l'expérience, c'est ainsi que les paroles de l'homme juste ont du poids, elles sont lestées de vertu. Il est vérace en toutes circonstances, son discours est le reflet de son âme, il est ouvert dans ses propos et ses actions, il condamne avec une mansuétude non exempte de force ce qui est mal fait, loue les bonnes actions ; tout en lui est amour, charité, et pour rien au monde il ne cessera de dire à chacun ce qu'il pense. Il ne veut ni ne demande plus que ce à quoi il a droit, favorise les bons, reprend les méchants, et en toute chose, révère la vertu. Il n'est et ne peut être un bavard, jamais il ne parle hors de propos, il n'est pas menteur, et ne dit rien qui ne soit l'expression de son sentiment, pas plus qu'il ne dit blanc en présence de quelqu'un et noir en son absence ; il n'est pas hypocrite, il n'est pas double, il n'est pas cancanier, car le commérage n'habite que les âmes viles et médiocres, elle est la marque la plus patente de déloyauté ; de tous temps on n'a jamais vu qu'un homme médisant pût être loyal. Le Conseiller ne censure pas les vices d'autrui en l'absence du coupable lorsqu'il peut le faire en sa présence, et ne dira à aucun prix jamais rien qu'il n'ait vu de ses propres yeux et examiné par lui-même. Enfin, le Conseiller répugne à la flatterie et refuse

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tal no es lisonjero, ni tan poco puede oír lisonjas, ni dar oídos a maldizientes, ni chismeros, ni noveletos. Sus obras del justo son mui fáciles a conoscer : bive en paz i reposo, conténtase con lo suio, i procura de adquirir honra i hazienda con virtuosos trabajos, tiene su assiento i casa arreglada en buena orden, los criados modestos, bive en claridad, paga sus deudas, rehuie pleitos i riñas. No puede ser justo en ninguna manera del mundo el que busca renzillas, cuchilladas, bandos i bulliciosos ruidos. No puede ser justo el que no se contenta con su estado, sino que busca medios con que a tuerto o a derecho, por maña o fuerça 0 favor engrandesca su reputación i casa. No puede ser justo el que no pone todas sus fuerças noche i día continuamente en que gane honra i hazienda por medio de virtud. No puede ser justo el que, meresciendo en virtud i por virtud, se descuida de pedir premio i testimonio de su merescimiento, porque el tal haze agravio a sí i a los suios, escuresce la virtud, i daña a la República : esto es conforme a lei de Dios i de todos los filósofos. No se consienta el torpe engaño de hombres nescios que so color de una falsa humilidad, llaman a lo que io amonesto, ambición. La ambición es de aquellos que, siendo inhábiles, insuficientes, sin virtud i merescimiento propio, con sólo favor o fuerça o mala maña o artes ilícitas quieren alcançar de comer i honra : pero el que, por su habilidad i virtud i sudores continuos, quiere valer 1 tener, éste es justo, es manánimo i generoso : i si por dicha no pidiere testimonio de su virtud, en tal caso es injusto, es pusilánimo i baxo. Buelvo a mi propósito. El hombre que tuviere su casa descompuesta, los moços bulliciosos i malcriados, el que se alçare con sudores ágenos, el que hiziere trapaças, el amigo de pleitos i rebueltas, el matador, el cruel, i el ingrato no pueden ser justos.

La dozena calidad, que muestra la suficiencia del alma en el Consejero, es que sea franco i liberal ; porque el pueblo se paga mucho de la franqueza, la ama, i aun la adora. El avariento siempre es aborrescido i, por cumplir con su codicia, todo lo haze venal, no habla sin interesse, ni da audiencia sin interesse ; assi tiene sus puertas abiertas a qualquier traición, con tal que la pueda hazer a su salvo. Este mismo, estando en el Concejo, a tuerto o a derecho haze confiscar bienes ágenos, sólo que le quepa

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d'entendre les flatteurs, les médisants, les rapporteurs, les colporteurs de fausses nouvelles. Sa conduite, toute faite de justice, est facile à reconnaître. Il vit dans la paix et le repos, se contente de ce qu'il possède, et s'attache à gagner gloire et fortune par un labeur vertueux. Sa demeure est bien ordonnée, ses domestiques courtois, il vit au grand jour, payant ses dettes et évitant toute dispute ou querelle. Il ne peut en rien être juste, celui qui recherche les factions, les querelles, les combats, l'agitation tumultueuse. Il ne peut être juste, celui qui ne se contente pas de son état, et cherche par tous les moyens, par la ruse, par la force ou par l'intrigue, à accroître sa réputation ou sa fortune. Il ne peut être juste, celui qui, vertueux et agissant comme tel, néglige de demander le prix et le témoignage de son mérite, car ainsi, il se fait offense et offense les siens, ternit la vertu, et nuit à la République. Et cela est conforme aux préceptes de Dieu et des philosophes. Qu'on ne permette pas la méprisable imposture d'hommes sots qui, sous le manteau d'une fausse humilité, taxent d'ambition ce que je réprouve. L'ambition est bien plutôt le fait de ceux qui, incapables, médiocres, dénués de vertu et de mérite personnel, à l'aide de la faveur ou de la force, ou d'une mauvaise conduite, ou de honteuses pratiques, veulent obtenir et les biens et les honneurs. En revanche, celui qui, grâce à son talent, à sa vertu, à son travail acharné, désire être reconnu et jouir des fruits de son mérite, celui-ci est juste, magnanime, généreux. Et si par hasard, il ne demandait pas qu'on fît témoignage de sa vertu, alors il serait injuste, pusillanime et bas. Je retourne à mon propos. Celui qui aurait une maison où tout est sens dessus dessous, avec des domestiques querelleurs et mal élevés, celui qui se servirait de la sueur d'autrui pour arriver à ses fins, celui qui serait fraudeur, procédurier, intrigant, assassin, cruel, ingrat, celui-là ne peut être juste. La douzième qualité qui illustre la compétence de l'âme de Conseiller est sa générosité et sa libéralité, car le peuple estime beaucoup la générosité, l'aime et même l'adore. L'avare est détesté, car pour assouvir son vice, il corrompt tout ce qu'il touche, parle toujours de façon intéressée, n'accorde d'audience qu'en vue de son profit, et ses portes sont toutes grandes ouvertes à la trahison dans la mesure où il peut la consommer impunément. Ce personnage, siégeant au Conseil, fait procéder arbitrairement à des confiscations de biens dans le seul dessein d'en

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su parte ; por do nasceri muí grandes dificultades inconvinientes en el principado. El gastador i pródigo vase consumiendo poco a poco, i después incurre en diez mil faltas, de donde se le sigue perder la reputación, i caer en inconvinientes tan grandes o peores, como los del avariento. Portanto, es menester que el Consejero sea franco i liberal, para que tome el medio camino entre estos dos estremos. Esta suficiencia quiero la conosca el Príncipe en su Consejero por esperiencia. Es tal : El liberal aiuda a casar a honestas mugeres, socorre a los pobres, redime cativos, paga deudas de sus honestos amigos, i en todo i por todo favoresce con su liberalidad a los hombres de alto entendimiento, de que se tiene esperança o prueva de aprovechar al bien público. El pródigo se conosce en los banquetes demasiados, en los vestidos sobrados, en justas, torneos, danças, saraos, caças, truhanes, chocarreros, moços sin propósito, i en otras cosas deste iaes, en que no se guarda mesura, o no se hazen a su tiempo i sazón. El avariento se descubre en que se trata ruin i baxamente en su comer, bever, vestir i habitación ; continuo atrahe para sí, piensa más en sus cosas que no en el servicio del Príncipe, en todos sus tratos busca su provecho, siempre pide i da memoriales para sí, i para los suios ; es importunamente pedigüeño, lo qual es fatiga i falta mui grande, porque el que tiene el govierno de un Príncipe entre manos, nunca devría pensar en sí, sino en el provecho i gloria de su Príncipe. I por otra parte el Príncipe, por mantener su Concejo bueno, leal, i diligente, devría pensar en sus Consejeros de honrarlos, enriquezerlos, ensalçallos con cargos, estados, i preminencias ; porque desta manera, ellos no dessearán nada, i trabajarán de conservar su Príncipe, por conservarse a sí mismos, visto que sin él, no lo podrían.

La trezena calidad que muestra la suficiencia del alma en el Consejero, es que sea benéfico, digo, amigo de hazer bien. Esta virtud es la que en Latín se llama beneficentia, i no se refiere a dar dinero, o algo de la hazienda, como lo da la liberalidad, sino en aiudar a la República (digo al bien común) i a todos sus miembros particulares aconsejando, amonestando, loando, vituperando, reprehendiendo, consolando, esforçando, procurando, i

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profiter, d'où il s'ensuit de grandes difficultés et inconvénients pour le royaume. Le dépensier, le prodigue consume peu à peu sa fortune et commet ensuite dix mille fautes qui lui font perdre sa réputation et l'acculent à des situations aussi mauvaises si ce n'est pires que celles de l'avare. C'est pourquoi il faut que le Conseiller soit généreux et libéral pour qu'il suive le chemin qui évite ces deux extrêmes. Cette compétence, je veux que le Prince la vérifie et la mette à l'épreuve chez son Conseiller. Le libéral aide à marier les femmes de bonne conduite, porte secours aux pauvres, rachète des captifs, paye les dettes de ses honnêtes amis, et favorise du plus qu'il peut, grâce à sa libéralité, les hommes d'esprit supérieur qui ont fait la preuve de leur utilité pour le bien public, ou ceux chez qui se dessine une telle aptitude. Le prodigue se signale par ses festins excessifs, sa trop abondante garde-robe, par ses joutes, ses tournois, ses bals, ses fêtes, ses chasses, et par la présence de bouffons et d'amuseurs, de jeunes désœuvrés, et par d'autres choses du même genre avec lesquelles on perd toute mesure, et qui se font hors de propos. L'avare se manifeste dans sa façon sordide et basse de manger, de boire, de se vêtir, de se loger. Il tire toujours tout à lui, prend plus de soin de ses affaires que du service du Prince, et dans tous ses rapports il cherche son profit, adressant sans cesse des requêtes pour lui et pour les siens. Il quémande de façon importune, ce qui est une lourde faute parce que celui qui dirige le gouvernement d'un Prince ne devrait jamais penser à lui, mais seulement au profit et à la gloire de son Prince. En revanche, celui-ci, pour conserver la bonté, la loyauté et le zèle de son Conseil, devrait songer à honorer ses Conseillers, les enrichir, les élever par des charges, des offices et des dignités ; car ainsi les Conseillers ne désireront rien, travailleront au maintien du Prince dans leur propre intérêt, puisque sans lui, ils ne pourraient se maintenir. La treizième qualité qui illustre la compétence de l'âme du Conseiller est qu'il soit bienfaisant, c'est-à-dire ami des bonnes actions. Cette vertu se nomme en latin « beneficentia » ; elle n'a pas pour objet de donner de l'argent ou une partie de ses biens comme le fait la libéralité, mais d'aider la République, je veux dire le bien commun, et tous ses membres particuliers, en conseillant, admonestant, louant, condamnant, réprimandant, consolant, encourageant, et favorisant par son autorité et sa protec-

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favoresciendo con su autoridad i amparo, no sólo a aquellos que le piden favor i aiuda, sino también a todos aquellos que lo merezcen sin que lo pidan. De manera que el hombre benéfico (viendo los caminos reales, las fuentes, los ríos, las puentes, i otras cosas públicas tener necessidad de hazerse, o repararse), pone todas sus fuerças para con el Príncipe i todos sus oficiales en que se hagan ; otros que están mal hechos, en que se derriben o adoben. Este mismo a los caídos da la mano i levanta del suelo, a los levantados haze caminar, a los que caminan, correr ; i a los que corren haze parar con reposo i alegría. Este mismo, estando en la Corte de un Príncipe, anima a los que bien hazen, mételos en conoscimiento con el Príncipe, llévalos a besarle la mano, procúrales algún honesto entretenimiento, aiuda en todo tiempo i lugar a los que trabajan de subir a la cumbre de honor i gloria por los grados de virtud ; i desecha aquellos que quieren subir a ella por vías ilícitas i deshonestas. Este mismo va a la mano a los malos juezes, trabaja en que se hagan buenas leies, i que las tales se cumplan i guarden. Finalmente, el que tiene esta virtud es patrón de justicia, defensor del pueblo, amparo de nobleza, nivel del Concejo, padre de la patria, honra del Príncipe, i es casi Dios acá en la tierra. Porque para dañar, qualquier cosa basta, pero para aprovechar en tal manera, es menester una virtud mui semejante al mesmo Dios. I assi, concluio que el Consejero ha de professar esta virtud, i se la conosca en él el Príncipe por esperiencia : de la qual esperiencia no digo nada, porque es mui fácil de conoscer por lo que de la beneficencia tengo dicho.

La quatorzena calidad que muestra la suficiencia del alma en el Consejero, es que sea manso i afable ; porque el tal da audiencia a grandes i pequeños, a ricos i pobres, recójelos con clara i suave frente, oie sus razones atenta i diligentemente, responde con amor, promete con gravedad, niega i quita sin pesadumbre, reprehende sin injurias, despide con respeto i sin altivez. De aquí se sigue que los que alcançan merced alguna de su Príncipe, están loándolo i engrandesciéndolo diez vezes más de lo que es ; il el que no alcança lo que pretendía, queda en gran parte contento con la mansedumbre del Consejero, de su alegre

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tion, non seulement ceux qui lui demandent assistance et faveurs, mais encore ceux qui sont méritants et ne demandent rien. De sorte que le bienfaisant, lorsqu'il voit la nécessité de créer ou d'entretenir les chemins royaux, les fontaines, les rivières, les ponts et autres choses publiques, consacre toutes ses forces et intervient auprès du Prince et de ses serviteurs pour que ces travaux soient réalisés, et si d'autres ont été mal exécutés, qu'ils soient détruits ou réparés. Aux déchus, il tend une main secourable, et les aide à se relever. Ceux qui sont redressés, il les aide à faire leur chemin. Ceux qui se font leur chemin, il les aide à forcer l'allure. Et ceux qui forcent l'allure, il les freine calmement et avec le sourire. [11] Etant à la cour du Prince, il donne du courage à ceux qui agissent bien, les présente au Prince, les conduit à lui faire révérence, leur obtient une honnête occupation et aide partout et en toute circonstance ceux qui, pour s'élever au sommet des honneurs et de la gloire, ont choisi les degrés de la vertu. Il repousse ceux qui empruntent dans ce dessein les chemins illégaux et malhonnêtes. Il s'oppose aux mauvais juges, il travaille à faire édicter de bonnes lois et à en assurer l'application et l'observation. Finalement, celui qui possède cette vertu est le modèle de la justice, le défenseur du peuple, le protecteur de la noblesse, l'équilibre du Conseil, le père de la patrie, l'honneur du Prince, et toutes choses égales, Dieu sur terre. En effet, pour nuire, il suffit de n'importe quoi, mais pour être utile de cette manière, il faut une vertu très semblable à celle de Dieu même. C'est pourquoi je conclus en disant que le Conseiller doit exercer cette vertu et que le Prince doit la reconnaître en lui par l'expérience, expérience dont je ne parlerai pas, tant il est vrai qu'il est aisé de reconnaître cette vertu par ce que j'ai dit de la bienfaisance. La quatorzième qualité qui illustre la compétence de l'âme chez le Conseiller est sa douceur et son amabilité, car celui-ci accorde des audiences aux grands et aux petits, aux riches et aux pauvres, il les accueille agréablement, tout disposé qu'il est à écouter avec attention et soin leur cas. Il répond avec sympathie, promet avec sérieux, refuse et interdit sans rudesse, critique sans injure, et renvoie avec respect et sans hauteur. D'où il s'ensuit que ceux qui obtiennent du Prince une grâce quelconque louent et portent aux nues le Conseiller bien plus que son intervention ne le justifie. En revanche, celui qui n'obtient pas ce qu'il espérait est néanmoins satisfait de l'amabilité du 6

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semblante, de sus dulces palabras i pecho abierto ; que son estas cosas de tal calidad, que casi más mueven a los grandes ánimos que no todo el interesse del mundo : i assi leemos i vemos cada día haverse movido muchos hombres a perder su vida i bienes, más por un sin sabor, que por mil agravios de otra suerte. Es necessario que el Consejero tenga sus puertas abiertas noche i día a toda suerte de hombres, los oídos bien sufridos, a nadie dé ocasión de desesperar, anime a todos, lo qual no podrá hazer si le falta afabilidad, i por esso digo que ha de ser afable. Esta suficiencia quiero la conozca el Príncipe en su Consejero por esperiencia. Es tal : el afable es hombre alegre, está sobre sí, no es descuidado, anda mui recatado, viste polida i honestamente, es amigo de conversación, no es amigo de parcialidades, con todos trata, con todos comunica, a nadie injuria de palabra, antes romperá a uno los cascos que dezirle palabra injuriosa ; es amigo de dichos agudos i graciosos, ama una honesta libertad, aborréscese con todo género de hipocresía. El hombre airado o mui colérico en ninguna manera puede ser afable ; muéstrase sañudo, es malcontentadizo, toda cosa le haze empacho, no quiere dar audiencia, oie i habla poco, malo, i por mal cabo, estraga toda la paciencia del mundo, gasta los negocios, enemista al Príncipe con sus vassallos. Estos mesmos daños acarrea el sobervio. Por lo qual digo que estos tales hombres son naturalmente inhábiles para ser del Concejo.

La quinzena i última calidad que muestra la suficiencia del alma en el Consejero, es que sea fuerte ; i esta fortaleza no se entiende de las fuerças del cuerpo, sino del pecho interior, que es aquélla por do se llaman los hombres heroicos, es a saber, más que hombres : i la otra corporal, èssa se halla a cada passo en ganapanes, i otros hombres, que venden su vida a troque de quatro reales. La fortaleza de que io hablo, es de aquellos hombres que son amigos de verdad, entienden en ella, defiéndenla a pie i a cavallo sin respeto de personas, i por defenderla i mantenerla, no tienen en nada lo que todos los otros precian mucho, conviene a saber, ser privado, o desprivado ; tener favor, o disfavor ;

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Conseiller, de son visage avenant, de son amical discours et de sa sincérité. Et cette conduite est d'un tel prix qu'elle touche les esprits supérieurs presque bien plus que ne le ferait tout l'or du monde. On lit et on voit chaque jour que de nombreux hommes ont été amenés à perdre leur vie et leurs biens, plus par une contrariété que par mille outrages de tous genres. [12] Il faut que le Conseiller ait ses portes ouvertes nuit et jour pour toute sorte de gens, et que, d'une patience à toute épreuve, il ne donne jamais à personne une raison de désespérer, et encourage tout le monde, ce qu'il ne pourrait faire si l'affabilité lui faisait défaut, d'où je conclus qu'il doit être affable. Cette qualité, je veux que le Prince la reconnaisse et la vérifie chez son Conseiller. L'affable est un homme gai, il est sur ses gardes, il n'est pas négligent, son maintien est réservé, sa tenue est soignée et sans extravagance ; il aime la conversation, il répugne aux coteries, il communique avec tout le monde et est en rapport avec tout le monde. Aucune injure ne sort de sa bouche, et il cassera plutôt la tête à quelqu'un que de lui dire une parole injurieuse. Il aime ce qui est spirituel et drôle, il affectionne une honnête liberté, et déteste toutes les formes de l'hypocrisie. L'homme emporté ou coléreux ne peut en aucune façon être affable. Celui-là se montre irritable, toujours mécontent, et tout l'agace. Il ne veut pas accorder d'audience, il écoute peu, parle peu et mal à propos, épuise la patience de tout le monde, donne une mauvaise issue aux affaires et provoque l'inimitié entre le Prince et ses vassaux. Le superbe engendre les mêmes maux. C'est pourquoi j'affirme que de tels hommes sont naturellement incapables d'être Conseillers. La quinzième et dernière qualité qui manifeste la compétence de l'âme du Conseiller est le courage. Il faut comprendre par courage non pas celui qu'expriment les forces physiques, mais celui du cœur qui est l'apanage des héros, c'est-à-dire ceux qui sont plus que des hommes. Quant au courage physique, on le rencontre fréquemment chez les portefaix ou chez d'autres individus qui vendent leurs forces contre quatre réaux. Le courage dont je parle est le propre d'hommes qui sont les amis de la vérité, qui la pratiquent et la défendent en toutes circonstances sans considération de personne, et qui, pour sa défense et son service, font peu de cas de tout ce que les autres estiment beaucoup. Aux courageux, peu importe d'être en grâce ou en disgrâce, d'avoir de la faveur ou de n'en pas avoir, d'être riches ou

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riqueza, o pobreza ; mandar, o ser mandado ; reposo, o trabajo ; vida, o muerte ; antes están contentos con lo que viniere, ora les sea próspera, ora contraria la fortuna. En las cortes i casas de los Príncipes la maior pestilencia es que o mui pocas verdades se dizen, o se adornan i disfraçan de tal manera que no puedan fácilmente ser conoscidas ; todo va solapado ; i a este propósito dixo bien i agudamente un filósofo que los Príncipes sólo una cosa sabían bien, i ésta es cavalgar en un cavallo, i otra cosa no ; porque el cavallo (no sabiendo lisonjear) sin respeto ninguno de personas, assi echa al Rei como a qualquier otro de la silla. Con lo qual dio a entender la poca verdad que suelen oír los Príncipes a causa de lisonjeros. Portanto el Consejero fuerte no sólo dirá las verdades al Príncipe, mas aun deshará la vanidad de aquellos que trabajan de corromperlo con mentiras lisonjeadas, o lisonjas mentirosas. En qualquier trance de fortuna, sea pérdida de bienes, de ciudades, de provincias, de muger i hijos, i honra, o de qualesquier otras cosas, el fuerte está sobre sí, no se turba, es señor de su razón, i portanto puede proveher luego a la hora en todo lo que menester fuere al servicio del Príncipe, oír, hablar, responder, mandar, animar, dar esfuerço al Príncipe i a todo el pueblo. También es cosa clara que un tal hombre no se corromperá ni apartará de la razón i fieldad, ni por oro, ni amistad, ni deudo, ni ruegos, ni fuerça, ni otro interesse desta vida. Esta calidad quiero la conozca el Príncipe en su Consejero por esperiencia. Es tal : el hombre fuerte es amador de verdad, enemigo cruel de lisonjeros, no está bien con truhanes, es severo, siempre está de un mismo temple, enemigo grande de chismeros, habla con libertad, no es supersticioso, no es risueño, lo que habla tiene peso, dize su parescer al Príncipe, como a qualquier otro, nada sabe dissimular. Guárdense los Príncipes de elegir por su Consejero al que fuere amigo de hipócritas, de lisonjeros, de albardanes ; i también al que dissimula, o esconde las verdades. Guárdense de elegir a hombre que ama mucho el dinero, porque el tal no sólo venderá su libertad, pero aun la agena. Gúardense de elegir a hombre que por pérdida de bienes, hijos, o muger,

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pauvres, de commander ou d'être commandés, d'être en repos ou au travail, de vivre ou de mourir. Tout ce qui leur arrive est de saison, que le destin leur soit propice ou contraire. Ce qui infecte le plus les cours et les palais des Princes, c'est qu'on y dit peu la vérité, ou qu'on l'enjolive, ou qu'on la déguise au point qu'elle est difficilement reconnaisable. Tout se fait dans l'ombre, et à ce propos, un philosophe [13] dit avec pénétration que les Princes ne savent qu'une seule chose, c'est chevaucher un cheval, et rien d'autre, parce que le cheval, ignorant l'art de flatter, fait vider les arçons sans considération de personne, au roi ou à n'importe qui d'autre. En disant cela, le philosophe faisait comprendre combien les princes étaient peu au fait de la vérité à cause des flatteurs. En conséquence, le Conseiller courageux, non seulement dira la vérité au Prince, mais encore dégonflera la vanité de ceux qui travaillent à le corrompre par des mensonges flatteurs ou des flatteries mensongères. Dans n'importe quelle épreuve, que ce soit la perte de biens, de villes, de provinces, de l'honneur, de la mort de sa femme ou ses enfants ou face à d'autres malheurs, le courageux se domine, il est maître de sa raison et, de ce fait, peut pourvoir sur-le-champ à tout ce que demanderait le service du Prince, disposé qu'il est à entendre, parler, répondre, ordonner, encourager, donner des forces au Prince et au peuple tout entier. Il est évident qu'on ne corrompra pas un tel homme, pas plus qu'on ne l'éloignera de la raison et de la fidélité, ni à prix d'or, ni en faisant jouer l'amitié ou la parenté, les suppliques, la force ou un autre intérêt de cette vie. Cette qualité, je veux que le Prince la reconnaisse et la vérifie chez son Conseiller. Que le Prince ait présent à l'esprit que l'homme courageux est amoureux de la vérité et qu'il est le cruel ennemi des flatteurs. Il n'apprécie pas les bouffons, il est sévère, d'humeur égale, grand ennemi des médisants, il parle avec liberté, il n'est pas superstitieux pas plus qu'il n'est rieur et son discours a du poids. Il donne son avis au Prince comme à n'importe quel autre, il ne sait rien dissimuler. Que les Princes se gardent de choisir comme Conseiller celui qui serait l'ami des hypocrites, des flatteurs, des parasites, ou celui qui dissimule ou cache la vérité. Qu'il se garde de choisir l'homme d'argent, parce que celui-là vendra non seulement sa liberté, mais encore celle d'autrui. Qu'il se garde de choisir un homme qui, pour avoir perdu ses biens, ses enfants ou sa femme

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0 cosas semejantes, llora, o se messa, o araña, o adolesce, o haze mui grande sentimiento, porque el tal no es fuerte, es mugeril 1 efeminado, i inhábil del todo para el Concejo. Aquí se acaban las quinze calidades por las quales se suele conoscer la suficiencia del Consejero en quanto al alma, que es ver i entender perfetamente si es idóneo o no, para ser elegido en el Concejo : porque el que tuviere todas las quinze, no hai duda sino que es suficientíssimo ; i el que menos délias tuviere 0 más, assi será más o menos suficiente. Esto está mui averiguado que el hombre en que concurrieren todas las sobredichas calidades, terná mui buen aparejo para entender i ser entendido ; para hazer bien i huir el mal ; i para tener en todo el braço firme. Porque el tal de necessidad es, que sea prudente, sea bueno, i sea fuerte. El bueno no engaña, el prudente no es engañado, i el fuerte vence i sobrepuja todas las dificultades. Este mismo hombre es amado del pueblo ; porque no hai cosa más agradable al pueblo que la franqueza, la beneficencia, la afabilidad, i buena opinión. Este mismo está acreditado, i se le da fe en todo quanto haze 1 dize ; porque a aquellos creemos i encomendamos toda nuestra hazienda i honor ; los quales vemos que entienden perfetamente lo que tratan i lo goviernan con toda justicia i lealtad. Este mismo, a parescer de todo el mundo, es juzgado i tenido por persona que meresce ecelentes i soberanas loores ante todos los otros hombres ; porque tenemos por cosa divina al grande ingenio, al que aprendió i supo tantas i tan diversas artes, como io digo ; al que no estima nada las cosas desta vida, i menosprecia aquello en que los otros hombres ponen su felicidad. De manera que este tal, quienquiera que él fuere, es verdaderamente noble, es honrado, es ilustríssimo, es ecelentíssimo, es mui alto i mui poderoso, es serenissimo, i se puede igualar con los maiores Príncipes del mundo.

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ou d'autres choses semblables, pleure, s'arrache les cheveux, se griffe ou tombe malade et laisse libre cours à la douleur, parce que celui-ci n'est pas fort. Sa conduite est celle d'une femmelette, et il est tout à fait incapable d'appartenir au Conseil. Ici s'achève la liste des quinze qualités grâce auxquelles se manifeste la compétence du Conseiller quant à son âme. Elles permettent de se rendre parfaitement compte s'il est apte ou non à faire partie du Conseil. En effet, celui qui posséderait toutes les quinze qualités, il ne fait aucune doute qu'il serait plus que compétent. Et celui qui en aurait moins ou plus serait plus ou moins compétent. Il est véritablement prouvé que l'homme chez qui on trouverait toutes ces qualités serait pleinement armé pour entendre et se faire entendre, pour agir bien et fuir le mal, et pour avoir une main ferme dans tous les domaines, car celui-ci est nécessairement intelligent, bon et courageux. Le bon ne trompe pas, l'intelligent n'est pas trompé, et le courageux vainc et triomphe de toutes les difficultés. Ce même homme est chéri du peuple qui n'aime rien plus que la générosité, l'humanité, l'affabilité, la bonne réputation. Il jouit d'un grand crédit et d'une grande confiance dans tout ce qu'il fait et dit. Et cela parce que nous faisons confiance à ceux-là qui sont parfaitement compétents et gouvernent avec pleine justice et loyauté. Nous leur accordons notre foi et leur confions tous nos biens et notre honneur. Ce même homme, tous le tiennent pour quelqu'un qui mérite les plus excellentes et souveraines louanges, supérieur qu'il est à tous. Nous tenons en effet pour divin l'esprit supérieur, celui qui sut apprendre un nombre si important et si divers de connaissances que j'ai citées, celui qui fait peu de cas des biens de ce monde et méprise ce que tous les autres hommes tiennent pour le bonheur. De sorte que cet homme, quel qu'il soit, est véritablement noble, il est honoré, très illustre, très éminent, très grand, très puissant, digne du nom de sérénissime, il peut s'égaler aux plus grands Princes de la terre.

DE LAS CALIDADES DEL CONSEJERO EN CUANTO AL CUERPO CAP. III El ser i valor de qualquier hombre (i también de qualquier otra cosa) se conosce qual i quanto sea por esperiencia o por conjetura. La esperiencia es la mejor, la más cierta, i la más necessaria ; i portante deve ser en todas cosas la primera. La conjetura es como una guía, o señal, i ésta puede algunas vezes errar, pero mui pocas ; i aun por esso ni se puede ni deve menospreciar, si no que como a cosa menos cierta tiene el segundo lugar, i es que se sigua luego tras la esperiencia. Conforme a esta dotrina, para mostrar io la suficiencia de un hombre que ia es o se ha de elegir por Consejero, primero lo he fundado en la esperiencia, que está en los dichos i hechos de cada uno ; las quales dos cosas, porque están i salen del alma, i sin ella ni se deven ni pueden bien entender, portanto la nombré suficiencia del alma, la qual (como veis) en el passado capítulo abraçé en quinze calidades. Sigúese agora la conjectura, que es mostrar la suficiencia del Consejero en quanto al cuerpo por ciertas calidades i señales esteriores ; que es la otra parte de que prometí tratar al principio del antecedente capítulo. No es razón que me detenga en mostrar la fuerça i virtud de las señales del cuerpo, quánto puedan, cómo salgan, i otras dudas que se pueden mover sobre ello ; sino que para con este lugar basta saber que como por ciertas señales solemos conozcer un prado si es fértil o estéril, un cavallo, si es bueno o malo ; de la mesma manera tienen los hombres ciertas calidades o acidentes, o señales en su cuerpo, las quales muestran quál sea su disposición del alma, si es hábil o no, i para quánto sea poco

DES QUALITES DU CONSEILLER EN CE QUI SE RAPPORTE AU CORPS CHAPITRE III L'essence et la valeur de chaque homme, et aussi de chaque chose, se reconnaît en qualité et en quantité par expérience ou par intuition. L'expérience est la meilleure et la plus certaine et la plus nécessaire. C'est pourquoi elle doit être en toutes choses la première. L'intuition est plutôt comme un guide, un signe, et peut quelquefois se tromper, mais pas souvent. En dépit de cela, on ne peut ni ne doit la dédaigner, car malgré son caractère moins sûr, elle se situe en deuxième lieu et à sa place derrière l'expérience. Conformément à cette doctrine, j'ai d'abord fondé la compétence d'un Conseiller, ou d'un homme en passe de le devenir, sur l'expérience qui est étayée par les faits et les dires de chacun. Parce que ceux-ci sont de l'âme et ils en procèdent, et sans l'âme, ils ne peuvent ni ne doivent être bien compris ; c'est pourquoi je l'ai nommée compétence de l'âme, compétence que, comme vous l'avez vu au chapitre précédent, j'ai résumée en quinze qualités. Suit maintenant l'intuition, qui a pour objet de montrer la compétence du Conseiller en ce qui se rapporte au corps, à l'aide de certaines qualités et caractéristiques extérieures. Cela constitue l'autre partie que j'avais promis de traiter au début du précédent chapitre. Il n'est pas utile que je m'arrête à démontrer l'importance et le poids des signes physiques, et comment ils se manifestent ; et ce n'est pas ici le lieu de résoudre tous les problèmes qui peuvent se poser à ce sujet. En ce qui nous concerne, il suffit de savoir que de la même façon que nous avons coutume de reconnaître si un champ est fertile ou stérile, si un cheval est bon ou mauvais, de la même façon les hommes possèdent certaines qualités ou accidents ou des signes en leur corps qui indiquent la disposition de leur âme, à savoir s'ils sont habiles ou non, et pour quelle tâche, et dans quelle mesure approximativement. Cela dit, sans allonger mon

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más o menos. I pues esto es assi, sin alargarme a más palabras, comienço a dar la suficiencia del Consejero en quanto al cuerpo. La primera calidad que muestra la suficiencia del Consejero en quanto al cuerpo, es que ni tenga menos de treinta años, ni passe de los sesenta, porque de treinta años abaxo el entendimiento no está reposado, la esperiencia es poca, la presunción mucha, el calor grande, los pensamientos levantados, las flaquezas de naturaleza muchas, ni se puede tener la devida gravedad, ni tampoco el pueblo se fía della, antes murmura. Quando passan de los sesenta años, la memoria se pierde, el entendimiento vacila, la esperiencia se convierte en obstinación, el calor es poco, i assi dexan perder las ocasiones ; los pensamientos cansados, los cuerpos rotos, no pueden ir camino, son en fin los tales carga i embaraço de Corte. Aunque sé mui bien que toda regla general tiene sus excepciones i que se hallan moços antes de los treinta años i viejos de más de los sesenta que pueden ser suficientes para un tal cargo : pero éstos son pocos i pocas vezes, i io hablo de lo más cierto i más común. Portanto es mi parescer que se elijan los Consejeros de edad de entre los treinta i sesenta años, i podrán éstos (si no se ofresce algún estorvo) servir por treinta años de Consejeros. Los quales assi como están casi en el medio de entre lo mui verde i mui seco, assi tienen los humores más templados. Son reposados, tienen esperiencia, tienen memoria, tienen las facultades bivas i en su ser natural corroboradas, buen discurso, el calor moderado, los pensamientos razonables, las flaquezas no pueden ser muchas, tienen conviniente gravedad, pueden ir, bolver a posta i sin ella ; el pueblo los respeta, i se fía dellos. De manera que de los desta edad eligirá el Príncipe sus Consejeros ; i los que fueren más abaxo della, esténse por escuelas, váianse a ver tierras, vean costumbres i governaciones, aprendan lenguas, sigan campos i Cortes, i trabajen de saber todo aquello que io he tratado en el segundo capítulo deste libro. I los que estuvieren más arriba de los sesenta, buélvanse a sus casas, bivan, reposen, descarguen sus consciencias, piensen en bien morir, dándoles el Príncipe como a Eméritos que dezían los Romanos, honra, privilegios, preminencias, i rentas según el merescimiento de cada uno.

La segunda calidad que muestra la suficiencia del Consejero en quanto al cuerpo, es la complissión ; porque hai ciertos tempe-

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discours, je commence à décrire la compétence du Conseiller en ce qui concerne le corps. La première qualité qui prouve la compétence du Conseiller en ce qui concerne le corps est qu'il n'ait ni moins de trente ans ni plus de soixante. Avant la trentaine, l'entendement n'est pas rassis, l'expérience est mince, la présomption grande, la vivacité excessive, les idées ambitieuses. Nombreuses sont ses faiblesses naturelles, et il ne peut posséder la gravité nécessaire ; de plus, le peuple n'a pas confiance en lui, et le calomnie. Après soixante ans, la mémoire se perd, l'entendement faiblit, l'expérience se transforme en obstination, la vivacité diminuant, il laisse passer des occasions, les idées sont pesantes, le corps cassé, il ne peut plus voyager, il est enfin une charge et un embarras pour la cour. Je sais cependant fort bien que toute règle générale a ses exceptions, et l'on trouve des garçons de moins de trente ans et des vieux de plus de soixante ans qui peuvent être aptes à une telle charge, mais ces derniers sont peu nombreux et se rencontrent rarement. Moi, je parle de ce qui est le plus certain et le plus répandu. C'est pourquoi, à mon avis, il faut que les Conseillers soient choisis entre trente et soixante ans, et ils pourront, s'ils ne rencontrent pas d'obstacles, servir trente ans comme Conseillers. Ceux-ci sont à mi-chemin entre la verdeur et la sécheresse et de ce fait ils ont leurs humeurs plus calmes ; ils sont rassis, possèdent de l'expérience, une bonne mémoire, des facultés vives, que leur essence confirme. Le discours est pertinent, l'ardeur mesurée, les idées raisonnables et les faiblesses naturelles ne peuvent être nombreuses ; ils ont la gravité nécessaire, ils peuvent aller et revenir par la poste et même s'en passer, le peuple les respecte et leur fait confiance. Ainsi, c'est parmi les hommes de cet âge que le Prince choisira ses Conseillers. Ceux qui seraient plus jeunes, qu'ils fréquentent les écoles, qu'ils voyagent de par le monde, qu'ils étudient les coutumes et les gouvernements, qu'ils apprennent des langues, qu'ils suivent des camps et des Cours, et qu'ils s'efforcent de connaître toute la matière que j'ai traitée au deuxième chapitre du présent livre. Quant à ceux qui auraient dépassé la soixantaine, qu'ils retournent chez eux, qu'ils vivent en paix, qu'ils apaisent leur conscience, et se préparent à bien mourir, recevant du Prince à la façon des Emérites, comme disaient les Romains, l'honneur, les privilèges, les dignités et les rentes en proportion du mérite de chacun. La deuxième qualité qui illustre la compétence du Conseiller en ce qui se rapporte au corps est la complexion, parce qu'il y a

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ramentos que naturalmente tienen habilidad, suficiencia, i lustre ; i otros inhábiles, insuficientes, i escuros. Estos postreros, por bien que noche i día con arte i diligencia trabajen de emendar su naturaleza, siempre se les paresce el remiendo i buelven a sus treze : los otros primeros, con poco de arte i diligencia hazen quanto quieren, i se van perficionando de cada hora. Portanto soi deste parescer que el buen Consejero sea o sanguino, o colérico, i no de otra complissión : porque los desta mescla i temperamento son ingeniosos, tienen razonable memoria, saben hazer discurso, tienen claro juizio, son justos, amorosos, afables, leales, benéficos, maníficos, manánimos i fuertes de su natural ; i en el cuerpo, sueltos, ágiles, sanos i de buen temple. El modo de conoscer a los tales, por lo que acabo de dezir se puede entender, i más, que siendo cosa mui fácil i teniendo el Príncipe buenos médicos, podrá en la eleción consultarlos sobre ello. Guárdese sobre todo i mire mui mucho el Príncipe en que no elija para su Concejo hombre melancólico, ni flemático, porque son naturalmente inhábiles para todo género de govierno, i principalmente para ser Consejeros. Porque el melancólico, como es de su natural frío i seco, es terrestre, digo, de la misma complissión de la tierra ; i assi es ratero i baxo, apenas se alça dos dedos del suelo, es boto, es triste, es mísero, es vano, es enemigo de ilustres pensamientos, es malicioso, es bote de veneno, es supersticioso, tanto que los desta complissión han gastado i destruido todas las religiones del mundo con sus sueños i nescias fantasmas. Es también sospechoso en gran manera, quanto más envejesce menos sabe, es la misma imbidia, i enojándole, o viene luego a las manos sin propósito, o suelta la maldita, diziendo mil millares de injurias. Finalmente los melancólicos están subjetos al planeta Saturno, i es cosa de espanto lo mucho que se aborrescen todos los filósofos i astrólogos con los Saturninos, tanto que se tiene por mui cierto que el grande Apolonio Tianeo en la ciudad de Efeso halló un melancólico que con sola su presencia havía corrompido toda la ciudad, i por ello havía mui grande pestilencia. El flemático es torpe, pesado, simplón, nescio, i ninguna virtud se puede hallar en él que sea eminente, todas son menos que medianas.

La tercera calidad que muestra la suficiencia del Consejero en quanto al cuerpo, es su tamaño, digo que sea de mediano talle

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certains tempéraments qui possèdent naturellement l'habileté, la compétence et l'éclat, alors que d'autres sont inhabiles, incompétents et obscurs. Ces derniers auront beau travailler jour et nuit à ravauder leur nature, ils ne peuvent cacher les reprises, et retournent à leur naturel. Quant aux premiers, avec peu d'industrie et d'effort, ils obtiennent tout ce qu'ils désirent, et se perfectionnent à chaque instant. D'où il s'ensuit que le bon Conseiller doit être ou sanguin ou colérique, à l'exclusion de toute autre complexion, car ceux qui sont faits de ce bois et de ce tempérament sont subtils, possèdent une bonne mémoire, savent discourir, ont un jugement clair, sont justes, humains, affables, loyaux, bienfaisants, magnifiques, magnanimes et naturellement énergiques. Physiquement, ils sont souples, agiles, sains et de bonne trempe. A la lumière de ce que je viens de dire, on peut reconnaître ces derniers, d'autant que c'est chose aisée, et que le Prince dispose de bons médecins qu'il pourra consulter lors du choix. Que le Prince prenne garde surtout et veille avec une attention toute particulière à ce que ne soient pas choisis pour son Conseil un mélancolique ou un flegmatique, car ils sont naturellement inaptes à toute sorte de gouvernement, et particulièrement à la fonction de Conseiller. Le mélancolique, en effet, en raison de son naturel froid et sec, est un terrestre, je veux dire qu'il appartient à la même complexion que la terre, et de ce fait, il est petit et bas, et s'élève à peine à deux doigts du sol, il est borné, triste, mesquin, creux, ennemi des pensées élevées, méchant et venimeux. Il est superstitieux, et ceux qui possèdent cette complexion ont mis à bas toutes les religions du monde avec leurs rêves et leurs stupides visions. En outre, il est démesurément soupçonneux, et plus il vieillit, moins il sait de choses, c'est l'envie même, et lorsqu'il se met en colère, soit il en vient aux mains sans raison, soit il laisse libre cours à sa langue en lâchant des bordées d'injures. Enfin, les mélancoliques sont sous le signe de Saturne, et il est incroyable de voir à quel point philosophes et astrologues détestent les saturniens, tant il est vrai que l'on tient pour très certain que le grand Apollonius de Tyane trouva dans Ephèse un mélancolique dont la seule présence avait contaminé toute la ville qui était, à cause de lui, en proie à une grande peste. Le flegmatique est gauche, lourd, simplet, sot, on ne peut trouver en lui une vertu qui soit éminente, toutes sont plus que médiocres. La troisième qualité qui illustre la compétence du Conseiller en ce qui concerne le corps est sa taille. Je veux qu'il soit de

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en el altor i grossura ; porque qualquier estremo en esta parte paresce mal, i quita de la autoridad pertenesciente al Consejero. Porque del sobradamente largo todos los filósofos i astrólogos con buenas razones pruevan que es mal templado ; i assi de común consentimiento concluien que raras vezes se ha visto saber i prudencia en hombre mui alto, principalmente si fuera mui flaco i tuviere el cuello luengo ; porque al tal no dudan de llamarlo inhábil i desaprovechado, i assi tienen entre ellos este refrán por mui averiguado " largo i flaco mui gran nescio ". En el hombre mui pequeño no se hallan tantas faltas para el govierno como en el sobradamente de largo, sino que son airados, presuntuosos i el pueblo búrlase de ellos i los tiene en poca estima. La qual es una natural passión que no se escusa ni se puede escusar ; i portanto el Príncipe deve huir (quanto pudiere) la eleción de hombres deste tamaño. I por la misma causa deve desechar al mui gruesso i al mui flaco, porque no hai quien dexe de reír, viendo un hombre que es un tonel, o un otro que sea como un congrio soleado qual se come por Quaresma : dexando aparte otros inconvinientes que les causa el humor al sobradamente gruesso o flaco, el qual humor los haze inhábiles para el govierno. Portanto ha de ser el Consejero de medianas carnes i mediano talle.

La quarta calidad que muestra la suficiencia del Consejero en quanto al cuerpo, es la natural proporción, respondencia i complimiento de sus miembros, en que ni haia falta, ni sobra ; porque qualquier destos modos muestra mui malas señales del alma, i ofenden por otra parte la vista de quien los mira. La buena proporción en todas las partes del cuerpo, es una conveniencia ordinaria en que la cabeça ni es maior ni menor de lo que su cuerpo pide ; i en las otras partes es también de la mesma manera : i la desproporción es al contrario, conviene a saber, tener un braço más largo que el otro, una mano pequeña i otra grande, el un hombro alto, el otro baxo ; i otras partes desta manera. La integridad de las partes es que no sea nascido falto de alguna délias, es a saber, nascer tuerto, giboso, coxo, sin algún braço o pie o pierna, o señalado de otra manera por falta o demasía de la materia, porque según pruevan todos los naturales i señaladamente Galeno i Hipócrates, los que assi nascen (no hablo de los que después por desastre, lo fueron) siempre tienen

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taille moyenne, tant en hauteur qu'en carrure, car un excès de cette caractéristique fait mauvais effet, et diminue l'autorité appartenant au Conseiller. Car tous les philosophes et astrologues, avec d'excellentes raisons, ont prouvé que chez l'homme trop grand les humeurs sont mauvaises, et ainsi d'un commun accord concluent que l'on n'a vu que très rarement le savoir et l'intelligence habiter un homme très grand, surtout s'il est très maigre et s'il a le cou long. Ils n'hésitent pas à qualifier un tel homme d'incapable et d'inefficace, et parmi eux ce proverbe si vrai a cours : « Maigre et grand, peu d'entendement ». Chez l'homme très petit, on ne trouve pas tant d'inconvénients pour l'art de gouverner que chez celui qui est démesurément grand. Les très petits sont coléreux, présomptueux, le peuple se moque d'eux et il les tient en peu d'estime, estime qui est un mouvement naturel que l'on ne peut contrôler. Et ainsi, le Prince doit éviter dans la mesure du possible le choix des hommes de cette taille. Pour la même raison, il doit repousser les très gros et les très maigres, car personne ne peut s'empêcher de rire en voyant un homme qui ressemble à un tonneau, ou un autre qui est maigre comme un congre séché que l'on mange pour le Carême. Et je laisse de côté les autres inconvénients que l'humeur cause aux démesurément gros et maigres, laquelle humeur les rend inhabiles au gouvernement. C'est pourquoi le Conseiller doit être de poids et de taille moyens. La quatrième qualité qui illustre la compétence du Conseiller en ce qui se rapporte au corps est sa proportion naturelle, l'harmonie et la perfection de ses membres qui doit être sans défauts ni excès, car toute imperfection révèle de très mauvaises dispositions de l'âme et heurte le regard de celui qui les voit. L'heureuse proportion de toutes les parties du corps est une harmonie ordinaire qui fait que la tête n'est ni plus grande ni plus petite que ne l'exige le corps, et il en va de même pour toutes les autres parties du corps. La disproportion est au contraire le fait d'avoir un bras plus long que l'autre, une main plus petite que l'autre, une épaule plus basse que l'autre, ou d'autres malformations de ce genre. L'intégrité des membres consiste dans le fait qu'à la naissance il ne manque aucune partie, c'est-à-dire que l'homme ne naisse ni borgne, ni bossu, ni boiteux, ni sans bras, ni sans pieds, ni sans jambes, ou marqué d'une façon par une carence ou un excès. Car, comme le prouvent les médecins naturalistes, et tout particulièrement Galien et Hippocrate, ceux qui naissent ainsi, je ne parle pas de ceux qui par malheur le sont devenus, ont l'entendement.

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diez mil faltas en el entendimiento, costumbres i vida, i assi dizen que Aristóteles contino tenía en su boca este refrán : " Dios me libre de hombre marcado por naturaleza. " Por todas estas causas, i más porque los tales comúnmente son aborrescidos, soi de parescer que los que pecaren contra esta quarta calidad no son suficientes para ser del Concejo. La quinta i postrera calidad que muestra la suficiencia del Consejero en quanto al cuerpo, es que sea bien carado, i de buena gracia ; porque los que son dotados desta calidad, con sola ella, son respetados, amados y ganan autoridad. Portanto es menester que el Consejero tenga la cabeça mediana i redonda, no aguda para arriba, ni mui grande, ni mui pequeña. El torno del rostro un poco más luengo que redondo, no pequeño, ni redondo, ni cargado de carne. La frente grande o mediana ; no pequeña, ni triste. Los ojos medianos, claros, bivos i resposados ; no mui grandes, ni mui pequeños, ni turbios, ni pesados, ni sin sossiego. La nariz larga i delicada ; no corta, ni gruessa, ni buelta para arriba. Los labios grossesuelos ; no mui delicados, ni gruessos, ni menos caídos hazia baxo. En fin sea gracioso i de buen ademán. I con esto pongo fin a las calidades i señales que mostran la suficiencia del Consejero en quanto al cuerpo. Pienso, antes tengo por mui cierto, que algunos reprehenderán mi diligencia como a cosa sobrada, en querer io tratar estas menudencias del Consejero. Respondo, i digo, que el que emprendiere de tratar una cosa bien i perfetamente, es necessario passe por todo sin dexar nada ; i más, éstas que parescen menudencias, son de tal condición, que las más grandes ni deven, ni pueden estar sin ellas. Piense cada uno que para mercar una casa, no sólo miramos los fundamentos i paredes, más aun los establos i aquellos lugares que no se pueden honestamente nombrar ; ¿ quánto más devemos mirar todas las partes de aquel que ha de governar reinos i provincias ? Para mercar un cavallo que vale diez, cinquenta, ciento o dozientos ducados ¿ qué no le miramos ? El pelo, las crines, la cola, las hastas, los huessos, las hijadas, las carnes, la postura, la gracia, el passear, el correr, el parar, el comer i bever, i aun el mismo Príncipe le palpa la barra i le abre la boca con sus propias manos sólo por verle los dientes : pues ¿ porqué llamamos menudencias o cosas sobradas i demasiadas las que nos muestran la perfición de aquel que ha de tener en sus manos la hazienda, la honra, la vida i la muerte de todo el principado ?

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les mœurs et la vie chargés de dix mille défauts ; c'est pourquoi on dit qu'Aristote avait toujours à la bouche ce proverbe : « Dieu nous garde de l'homme marqué par la nature ». Pour toutes ces raisons, et encore plus parce que ces hommes marqués sont généralement détestés, je suis de l'avis que ceux qui ne posséderaient pas cette quatrième qualité doivent être écartés du Conseil. La cinquième et dernière qualité qui illustre la compétence du Conseiller en ce qui se rapporte au corps est qu'il possède un visage aux traits réguliers et bien dessinés, car ceux qui sont dotés de cette qualité sont déjà, grâce à elle seule, respectés, aimés, et ils gagnent de l'autorité. C'est pourquoi il faut que le Conseiller ait la tête moyenne et ronde, ni pointue vers le haut, ni trop grande, ni trop petite. Le visage, un peu plus ovale que long, ne doit pas être petit, rond ou empâté. Le front, haut et moyen, ne doit être ni petit, ni triste. Les yeux moyens, francs, intelligents et calmes ne doivent être ni grands, ni petits, ni troubles, ni lourds, ni inquiets. Le nez, long et fin, ni court, ni gros, ni en trompette. Les lèvres charnues, ni trop minces ni trop fortes, mais surtout pas pendantes. Enfin, qu'il soit également gracieux et de bonne tournure. Avec cela s'achève la liste des qualités et des caractéristiques qui prouvent la compétence du Conseiller en ce qui concerne le corps. Je pense, et je tiens même pour certain, que quelques-uns condamneront comme superflu le souci de vouloir moi-même traiter ces détails chez le Conseiller. Je réponds et j'affirme que celui qui voudrait traiter exhaustivement une question ne doit rien négliger, et de plus, ce qui apparaît comme des détails est toujours nécessairement solidaire des choses les plus importantes. Que chacun ait présent à l'esprit que pour acheter une maison, nous examinons non seulement les fondations, les murs, mais encore les écuries et les endroits que la décence interdit de nommer. Combien plus alors devons-nous être attentifs à toutes les qualités de celui qui doit gouverner royaumes et provinces ? Pour acheter un cheval, qui vaut dix, cinquante, cent ou deux cents ducats, que ne regardons-nous pas ? Le pelage, la crinière, la queue, les « hastas » [14], les os, les flancs, les chairs, l'allure, l'élégance, sa façon de marcher, de galoper, de s'arrêter, de boire et de manger. Et le Prince en personne lui täte l'encolure, et lui ouvre la bouche de ses propres mains, rien que pour examiner la denture. Dans ces conditions, pourquoi appeler détails ou choses excessives et superflues ce qui nous montre la perfection de celui dont dépendent les biens, l'honneur, la vie et la mort de tout le royaume ?

DE LA ELECION DEL CONSEJERO

CAP. IUI

Dos cosas son tan solamente (como dixe en el principio del segundo capítulo) las que se consideran acerca del Consejero : la una, es su suficiencia ; la qual ha sido declarada por mí en los dos precedentes capítulos : queda agora por dezir de la segunda, que es de la eleción, la qual está en el Príncipe ; i assi no es otro que darle a entender al Príncipe cómo se deve governar cada i quando que quiziere elegir un Consejero. Comienço pues i digo que el Príncipe ante todas cosas deve pensar que de la eleción de sus Consejeros sale i cuelga la honra i provecho, o la infamia i perdición suia i de su pueblo. Por atajar esta plática, sólo diré algunas razones de muchas que se podrían dezir a este propósito. Vemos primeramente que el primer juizio que se suele hazer sobre el Príncipe i de su habilidad, es de la reputación de los de su Concejo ; porque, quando son sabios i suficientes, siempre es reputado sabio el Príncipe, pues supo entender quales eran los suficientes, i después consérvarselos fieles i leales. Pero quando no son tales, no se puede esperar buena reputación en el Príncipe, pues ierra en lo principal ; i el que ierra en lo que más importa, es casi necessario que en todo lo otro ierre. Porque assi como corrompiendo el manantial de una fuente, necessariamente toda la agua se gasta, de la mesma manera, corrompido el sacro Concejo, todo el govierno anda errado. I assi vemos que todo el pueblo a una boz, quando quiere loar uno de buen Príncipe, luego dize que tiene mui sabios Consejeros ; i si entre ellos hai alguno de singular habilidad, luego sale en plaça, diziendo :

DU CHOIX DU CONSEILLER

CHAPITRE IV

Il faut considérer seulement deux choses, comme je l'ai dit au début du second chapitre, en ce qui concerne le Conseiller. La première est sa compétence ; cette dernière a été mise en lumière par mes soins dans les deux précédents chapitres. Reste maintenant à parler de la seconde, à savoir le choix qui appartient au Prince. Il s'agit de lui faire comprendre quelle doit être sa conduite chaque fois qu'il voudra choisir un Conseiller. Je commence par affirmer que le Prince doit avant tout avoir présent à l'esprit que du choix de ses Conseillers dépend entièrement l'honneur et la prospérité ou l'infamie et la ruine pour lui et pour son peuple. Pour abréger ce discours, je donnerai seulement quelques raisons parmi les nombreuses que l'on pourrait produire concernant ce sujet. Nous voyons d'abord que le premier jugement qu'on a coutume de porter sur le Prince et sur ses capacités est fondé sur la réputation de ses Conseillers ; lorsqu'ils sont sages et compétents, le Prince est réputé sage, car il a su découvrir des hommes compétents et ensuite les conserver à son service, loyaux et fidèles. En revanche, lorsqu'ils ne sont ni sages ni compétents, on ne peut s'attendre à une bonne réputation pour le Prince car il se trompe sur l'essentiel ; et celui qui se trompe sur ce qui est le plus important se trompe presque nécessairement sur toutes choses. En effet, de même que lorsque l'on souille la source d'une fontaine, toute l'eau se pollue inévitablement, de même, le Conseil, cet organisme sacré, une fois contaminé, tout le gouvernement va à la dérive. Et ainsi nous voyons que le peuple, lorsqu'il veut louer un bon Prince, est unanime à dire qu'il a de très sages Conseillers. Si parmi eux, il y en a un qui possède une habileté singulière, alors le peuple manifeste en disant d'un tel ou d'un tel

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El tal o el tal tiene tales i tantas habilidades. I con ello queda el pueblo mui satisfecho. Por el contrario, todos murmuran i están mal contentos. Si se emprende alguna guerra, dizen todos : " No tenemos hombre de consejo ; el tal Rei tiene tales hombres ". Para hazer pazes i otros conciertos, todo el pueblo tiembla i murmura, diziendo : " Nosotros seremos los malmedrados i engañados, pues no tenemos buen Concejo ". No hai que dudar, sino que todo cuelga de la fuerça i virtud del buen consejo ; lo qual entendía perfetamente el profeta David, quando en la guerra que tuvo con su hijo Absolón, contino rogava a Dios fuesse servido de cegar el entendimiento a su principal Consejero de Absolón, porque más se temía del consejo de Architofel (que assi se llamava) que de los tratos i armas de todos los otros. Tenga el Príncipe buen Concejo ; aunque ierre, no hai quien lo crea : i teniendo un Concejo no tal, lo que al ojo vemos bien hecho, no lo creemos, o pensamos que fue a caso, o que los contrarios lo dexaron, que ia lo hallamos hecho, i que no lo supimos ganar. De todo esto se sigue que por tener el Príncipe buenos Consejeros, no solamente alcança buen sucesso en sus empresas, mas aun gana fama i reputación con los suios i con los estranjeros ; de los suios es amado i obedescido por ello, de los estranjeros temido ; i de todos a una boz loado singularmente. Sea pues éste el primer aviso del Príncipe en la eleción del Consejero, que considere mui bien i muchas vezes todo quanto he dicho en este capítulo hasta aquí.

El segundo aviso es que piense el Príncipe que le es más necessario un tal Consejero, qual io digo, que no le es el pan que come ; i esto para que pueda oír verdades. Porque oír verdades senzillas i desnudas no lo pueden los Príncipes a causa de la muchedumbre de lisonjeros que los rodean por todas partes. Pero en dezir estas verdades, corre peligro de perder su reputación i autoridad, i ser tenido en poco el Príncipe, si qualquier hombre se le atreve a se las dezir : porque no es bien que quienquiera se las diga. Portanto es menester tenga sus consejeros de aquellas calidades que io en los otros capítulos dixe, para que sepan entender verdades i dezirlas a su tiempo ; i a éstos deve

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qu'il possède telle ou telle habileté, et, agissant de la sorte, le peuple demeure très satisfait. Dans le cas contraire, tous murmurent et tous sont mécontents. Si l'on entreprend une guerre, tous disent : « Nous n'avons pas de Conseillers dignes de ce nom, alors que tel autre roi, lui, en possède. » Pour faire la paix ou signer des traités, le peuple tremble et murmure en disant : « Nous serons floués et dupés, car nous n'avons pas de bon Conseil. » Il ne faut pas douter que tout dépend de la puissance et de la vertu d'un bon Conseil. C'est ce que comprenait parfaitement David lorsque, au cours de sa guerre contre Absalon, il priait continuellement Dieu de bien vouloir aveugler l'esprit du principal Conseiller d'Absalon, car il redoutait plus les conseils d'Achitòfel, c'est ainsi qu'il se nommait, que la négociation ou l'affrontement avec tous les autres. Que le Prince ait un bon Conseil car, même s'il se trompait, personne ne le croirait. En l'absence d'un tel Conseil, si nous voyons de nos yeux quelque chose de réussi, nous ne le croyons pas, ou nous pensons que cela est dû au hasard, que c'est plus le fruit de la négligence de l'ennemi que de notre industrie, que nous avons trouvé la chose toute faite et que nous n'avions rien fait pour mériter cette réussite. II s'ensuit de tout cela que, grâce à ses bons Conseillers, le Prince, non seulement voit ses entreprises couronnées de succès, mais encore gagne honneur et réputation auprès des siens et des étrangers. Les siens l'aiment et lui obéissent, les étrangers le craignent, et tous en choeur le louent particulièrement. Que cela soit la première recommandation faite au Prince dans le choix du Conseiller, et qu'il médite souvent et très attentivement tout ce que j'ai dit dans ce chapitre jusqu'à présent. La seconde recommandation est que le Prince ait à l'esprit que le Conseiller, tel que je le décris, lui est plus nécessaire que le pain qu'il mange. Et cela afin qu'il puisse entendre des vérités, car les Princes ne peuvent entendre les vérités simples et sans fard, en raison de la multitude des flatteurs dont ils sont entourés de toute part. Mais, si n'importe qui a l'audace de lui dire ses vérités, le Prince court le risque de perdre sa réputation et son autorité, et de se voir méprisé ; c'est pourquoi il n'est pas bon que n'importe qui les lui dise [15]. Partant, il est nécessaire qu'il y ait des Conseillers possédant les qualités que j'ai énumérées dans les autres chapitres, pour que ceux-ci sachent saisir les vérités et les dire au Prince de façon opportune. Le Prince doit

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encargar grandissimamente que hagan el tal oficio en todo i por todo. Esta es mui buena manera para oír verdades, i para conoscer lisonjas, i saberlas i poderlas desechar ; i otro mejor medio para ello no se hallará por bien que se busque. El tercero aviso es que el Príncipe que tuviere imperio en muchas i diversas provincias, deve elegir Consejeros de todas ellas, i no de una o dos tan solamente. Declaremos esto por un exemplo : i porque lo tenemos a la mano, sea del Rei de España. Entre otras muchas, éste possee las coronas de Aragón, Castilla, Sicilia, Nápoles, Milán, i destos Estados Baxos de la casa de Borgoña. Mi aviso dize i amonesta que los Consejeros deste Príncipe deven ser no solo Aragoneses o Castellanos, sino también Sicilianos, Napoletanos, Milaneses, i Borgoñones. Pues el aviso se dexa entender por el exemplo, dexemos al Rei de España, i hablemos del Príncipe en general. Digo ser necessario que un Príncipe sigua este aviso si quiere tener buen govierno i los pueblos contentos ; porque haziéndolo de otra manera, todo va borrado. Porque los pueblos se resienten en ver que ellos son desechados de la administración i govierno principal, pues no veen en el Concejo ningún hombre de su tierra, piensan (i no sin causa) que el Príncipe los tiene en poco, o que los tiene como por esclavos, o que no se fía dellos : lo primero, engendra odio ; lo segundo, busca libertad ; i portanto hazen conjuraciones, i llaman príncipes estraños : lo tercero, les da osadía, i aun obstinación para armar qualquier traición contra su natural Príncipe. Esto es mui claro que todos los hombres sabemos más perfetamente las costumbres, los humores, los desseos, las virtudes, los vicios, las familias, los méritos, los deméritos, la comodidades i dificultades, daños i provechos de las tierras en que nascemos i nos criamos, que no de las estrañas ; por esso, teniendo el Príncipe Consejeros de todas sus provincias, digo naturales délias, podrá mejor i más fácilmente proveher en todo quanto menester fuere. También nos es cosa natural a todos los hombres que amemos más a los nuestros que a los estraños ; porque con los nuestros siempre se halla una respondencia i obligación por vía de sangre, de alianças, de amistad, de servicios, de mercedes, de vezindad ; i quanto más que esto basta entre buenos, nascer i criarse so unas mismas leies ; para con los estraños, no hai nada desto : por-

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leur recommander de façon pressante d'agir ainsi en toutes circonstances, et dans tous les domaines, car c'est une fort bonne méthode pour entendre les vérités, démasquer les flatteries, et savoir comment les repousser. Et on aura beau chercher, on ne trouvera pas de meilleur moyen pour cela. La troisième recommandation pour un Prince qui régnerait sur un empire aux diverses et multiples provinces, est qu'il doit choisir des Conseillers appartenant à toutes ces dernières, et non pas issus d'une ou deux seulement. Prenons pour exemple, puisque nous l'avons sous la main, le roi d'Espagne. Parmi beaucoup d'autres, celui-ci possède les couronnes d'Aragon, de Castille, de Sicile, de Naples, de Milan et des Pays-Bas de la maison de Bourgogne. Je juge bon et je recommande que les Conseillers de ce Prince soient non seulement Aragonais, Castillans, mais encore Siciliens, Napolitains, Milanais et Bourguignons. Cet exemple éclairant suffisamment la recommandation, laissons le roi d'Espagne, et parlons du Prince en général. Je dis qu'il est nécessaire qu'un Prince se conforme à cette recommandation s'il veut avoir un bon gouvernement et des peuples contents. S'il agit autrement, tout va de travers, parce que les peuples s'irritent en s'apercevant qu'ils sont exclus de l'administration et du gouvernement central, car ils ne voient au Conseil aucun des leurs, et ils pensent, non sans raison, que le Prince les méprise ou qu'il les traite en esclaves, ou qu'il n'a pas confiance en eux. La première attitude engendre la haine, la seconde le désir de liberté, ce qui détermine des conjurations avec appel à des Princes étrangers, la troisième détermine l'audace et même l'obstination dans l'organisation de n'importe quelle trahison contre le Prince naturel. Il est évident que nous connaissons bien mieux les coutumes, les humeurs et les désirs, les vertus et les vices, les familles, les mérites et les défauts, les commodités et les difficultés, les inconvénients et les avantages des régions dans lesquelles nous sommes nés et avons grandi, que ceux des régions qui nous sont étrangères. C'est pourquoi le Prince, ayant des Conseillers de toutes ses provinces, je veux dire natifs de celles-ci, pourra mieux et plus facilement pourvoir à tout ce dont on aurait besoin. C'est aussi une chose naturelle à tous les hommes d'aimer plus les leurs que les étrangers, parce qu'avec les leurs, il existe des affinités et des obligations, en raison du sang, des alliances, de l'amitié, des services, des faveurs, du voisinage ; et c'est d'autant plus vrai qu'il suffit aux gens de bien d'être nés et d'avoir été «levés sous des lois communes. Tout cela ne se vérifie pas avec

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ende vemos que en el Concejo i fuera de él, más presto, mejor, i con más grande diligencia se tratan los negocios de los naturales que de los estranjeros. I si éstos quieren alcançar algo es menester sudar gotas de sangre, todo lo hazen a fuerça de braços, o como buenos mercaderes es menester lo paguen de contado. ¡ O que es grande infelicidad la de una provincia que no tiene un hijo suio en el Concejo ! El Príncipe que se ata o aficiona a tener Consejeros de una sola nación, parésceme a mí que es apassionado, que es amigo de bandos i sectas ; porque como todos o los más principales favores se den a una nación, necessariamente aquella se para ufana i sobervia, i las otras, no lo pudiendo sufrir, embidian, maldizen, calumnian, despechan, buscan renzillas i vienen a las manos. Cada provincia tiene sus virtudes i sus vicios, tiene sus hombres buenos i malos, dotos i indotos, agudos i bovos, hábiles i inhábiles, leales i desleales, no hai para qué hazerme contraste a lo que digo : entiéndame quien pudiere, que io me entiendo. El Príncipe, de derecho, es persona pública ; no se haga particular contra razón. Es natural ciudadano de todas sus provincias i tierras ; no se haga estrangero de su voluntad. Es padre de todos ; no hai porqué se muestre padrasto a nadie no haziéndole el por qué. Concluio portanto, pues el Concejo es para governar todas las provincias del Príncipe, que se elijan Consejeros de todas ellas.

El quarto aviso es que, para haverse de elegir un Consejero* no se deve contentar el Príncipe de aquellos que tiene en su casa i Corte, ni de aquellos que por oída ; o de vista conosce, aunque sean buenos i prudentes ; sino que se informe mui bien por todas vías de todos los más que pudiere, i en particular dé orden i mande a sus lugartinientes generales de cada provincia que hagan mui buena pezquisa en todo su govierno de los más buenos i más hábiles hombres que para ello se hallaren ; i que le imbíen por lista tres o quatro dellos. Vista la lista, podrá hazer venir los que mejor le paresciere ; a lo menos vengan aquellos que no fueren conoscidos en la Corte. Para el camino se les dé una aiuda

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les étrangers. En conclusion, nous voyons qu'au Conseil, et hors de celui-ci, les affaires des naturels se traitent plus rapidement, mieux et avec plus de zèle que celles des étrangers. Et si ceux-ci veulent obtenir quelque chose, ils doivent suer sang et eau, et travailler à la force du poignet, ou, comme de bons marchands, il faut qu'ils payent comptant. Qu'une province est malheureuse lorsqu'elle n'a pas un de ses fils au Conseil ! Le Prince qui se lie, par habitude ou par goût, à des Conseillers d'une seule nation me semble guidé par la passion, ami des factions et des sectes, car, lorsque l'on donne toutes ou les plus importantes faveurs à une seule nation, celle-ci se gonfle d'orgueil et de superbe, et les autres, ne pouvant le supporter, l'envient, la maudissent, la calomnient, lui témoignent de la rancœur, lui cherchent des querelles et en viennent aux mains. Chaque province a ses vices et ses vertus, ses bons et ses méchants, ses savants et ses ignorants, ses subtils et ses benêts, ses compétents et ses incompétents, ses loyaux et ses déloyaux. Ce n'est pas la peine de me contredire, comprenne qui pourra, moi je me comprends. Le Prince est légitimement une personne publique qui se doit à tous, et non à quelques-uns. Qu'il ne se fasse pas particulier contre toute raison. C'est un citoyen originaire de toutes ses provinces et terres ; qu'il n'en devienne pas étranger volontairement. Il est le père de tous et il n'y a aucune raison pour qu'il agisse comme un parâtre envers qui que ce soit sans motif. En conclusion, puisque le Conseil a pour mission de gouverner toutes les provinces du Prince, il convient que les Conseillers soient choisis dans chacune d'elles. La quatrième recommandation met en garde le Prince afin qu'il ne retienne pas exclusivement, lorsqu'il choisira un Conseiller, ceux qui sont en sa maison, à la cour, ni non plus ceux dont il a entendu parler ou qu'il ne connaît que de vue, même s'ils sont bons et intelligents. Qu'il se renseigne bien plutôt, avec soin et par tous les moyens, sur le plus grand nombre possible de Conseillers. Qu'il ordonne à ses lieutenants généraux, dans chaque province, de passer au peigne fin toute leur région pour découvrir les hommes les meilleurs et les plus compétents qu'ils pourraient trouver, et qu'ils lui envoient une liste des noms de trois ou quatre d'entre eux. Une fois la liste examinée, il pourra faire venir ceux qui lui paraîtront les meilleurs, et qu'au moins viennent ceux qui ne sont pas connus à la cour. Pour leur route, qu'on leur attribue une prime de déplacement

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de costa razonable, i vengan no con otro diseño que como hombres que el reí los quiere conoscer. No es possible que en este memorial mío pueda io contar la décima parte del increíble provecho que se puede sacar de la esecución deste aviso. Baste saber que, de entre muchos buenos, más fácil es de escoger uno ecelentíssimo, que de entre pocos. Entre pocos, poco hai que escoger. Los pueblos se alegrarán i amarán su Príncipe, viendo que como a verdadero padre se acuerda de todos, i quiere honrar a todos. Los hombres honrados i nobles, grandes i pequeños trabajarán noche i día en aprender las artes necessarias al govierno i en mantenerse honradamente, sin vanidad, la reputación en el pueblo, i a esta causa se retirarán de vicios, seguirán virtud, huirán escándalos afín que puedan ser nombrados a un tal efeto. Conoscerà assi mesmo el Príncipe qué hombres tenga en sus provincias, para quánto sean, i de qué merescimiento ; i assi en qualquier trance, peligro, negocio i provisión, sabrá de quién pueda echar mano. De entre tantos que serán llamados o nombrados a la eleción, cierto es que no se eligirá más de uno, o dos, 0 más, o menos, según la necessidad del Concejo, o Concejos : para con los otros todos el Príncipe se mostrará afable i grato, loarles ha su buena vida, animarlos ha a perseverar dándoles buena esperança : a unos proveherá de cargos, a otros de rentas, a otros dará aiuda de costa, a otros assiento en su casa, a otros mandará quedarse en la Corte, a otros despedirá para su casa, governándose con todos ellos bien prudentemente según el mérito i autoridad de cada uno. De manera que todos quedarán contentos, i el Concejo bien provehido. El quinto aviso es que el Príncipe no se dé priessa demasiadamente en la eleción del Consejero, sino que vaia a passo, dando tiempo i lugar de tomar muchas informaciones de la suficiencia de aquellos que serán nombrados para la eleción. I para ello dará tiempo conviniente, en el qual será lícito a todo hombre en general, i a cada uno en particular de acusar por escrito, o de palabra, i dezir libremente las faltas i tachas que tuviere qualquier de los nombrados ; i para ello, porná seguridad de todas partes, 1 dará libre potestad a quien quiziere hazerlo, pero de tal manera que se cierre la puerta a malicias i falsos testimonios, i por esso será menester guardar con toda rigor las penas Talionis que dizen, i aun la indinación del Príncipe a los que fueren tales. También, so graves penas, se proveherá que ninguno de los nom-

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raisonnable, et qu'ils viennent sans autre but que de se faire connaître du roi. Il n'est pas possible que, dans ce mien traité, je puisse décrire la dixième partie de l'incroyable profit que l'on peut tirer de l'observance de cette recommandation. Il suffit de savoir que le choix du meilleur est plus aisé, lorsque les candidats sont nombreux, que quand ils sont en nombre restreint. Les populations se réjouiront et aimeront leur Prince, en voyant que, comme un véritable père, il se soucie de tous et veut tous les honorer. Les hommes honnêtes, les nobles, les grands et les petits, travailleront jour et nuit pour acquérir le savoir nécessaire au gouvernement, et pour garder une réputation non pas vaine mais honorable auprès du peuple. Pour cela, ils éviteront tout vice, suivront la vertu, fuiront les scandales, pour pouvoir être nommés à l'emploi de Conseiller. Ainsi le Prince saura de quels hommes ses provinces sont peuplées, de quoi ils sont capables, et quel est leur mérite. C'est pourquoi, dans n'importe quelle circonstance critique, danger, affaire, nomination, il saura sur qui il peut compter. Parmi tous ceux qui seront appelés ou cités en vue du choix, il est vrai qu'un très petit nombre sera retenu, pas beaucoup plus d'un ou deux, suivant les besoins du Conseil ou des Conseils. A l'égard de tous les autres, le Prince se montrera affable et reconnaissant. Qu'il les félicite pour leur vie droite, qu'il les encourage à persévérer, et leur donne de bons espoirs. A certains, il donnera des charges, à d'autres des rentes, des primes, à d'autres, l'hospitalité de sa maison ; il en gardera d'autres à la cour, il en renverra d'autres chez eux, se comportant avec tous très sagement, suivant le mérite et le poids de chacun, en sorte que tous seront contents, et le Conseil bien pourvu. La cinquième recommandation est que le Prince ne se précipite pas dans le choix du Conseiller, mais qu'il aille lentement, donnant le temps et la possibilité d'obtenir le plus grand nombre de renseignements concernant la compétence de ceux qu'il devra choisir. A cet effet, il accordera un délai adéquat pendant lequel n'importe qui pourra, verbalement ou par écrit, dénoncer librement les fautes et les défauts qui pourraient peser sur l'un des candidats. Pour cela, il donnera toute garantie et liberté à qui voudrait le faire, mais de telle sorte que l'on ferme la porte à toutes les méchancetés et tous les faux témoignages. Et à cette fin, il faudra appliquer dans toute sa rigueur la loi du talion aux calomniateurs [16], et même la colère du Prince s'abattra sur eux. Des peines aussi lourdes frapperont ceux des candidats qui voudraient empêcher ou faire empêcher les relations et les

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brados pueda impedir o hazer impedir las relaciones i las causas que contra ellos se hicieren en tal caso. De aquí se seguirá que conozcamos mejor los nombrados con todas sus calidades, cerremos las puertas a falsas informaciones, i que los buenos se atreverán más aína a ofrescerse al servicio del Concejo, i los malos i inhábiles no ternán osadía de pedir un tal cargo, de miedo de oír su propia infamia. Esto mismo se guardava en la eleción de los magistrados en Roma ; i mientra se guardó con todo rigor i sin ecepción, floresció aquella República, i el día que se dexó de guardar, fue en tanta declinación, que (como vemos) peresció. El sexto aviso es que oia el Príncipe con atención i buena gana todas las informaciones i acusaciones que se le dieren en favor i contra los nombrados : pero que a ninguno crea, sino que lo remita todo a su examen i prueva. Si son acusaciones de infamia, piense el Príncipe que pueden ser verdaderas i falsas. Piense que hai hombres malos, maliciosos, imbidiosos, inorantes, nescios, apassionados, que lo pueden falsamente acusar. I no se engañe un Príncipe con dezir : O, díxomelo un Duque, un obispo, un prelado doto, un padre santo, o un tal, o un qual, porque tras la cruz está el diablo, quiero dezir, que todos somos hombres, i podemos engañar i ser engañados. Portanto no lo crea, ni lo dexe se creer, sino que lo encomiende (si el caso lo pidiere) a la justa pesquiza i juizio de su tribunal. Si fuere en favor del nombrado, como es abonar lo que es suficiente para el tal cargo, tampoco lo crea, ni lo dexe de creer, sino que lo remita a su esamen, como más abaxo se dirá. Tampoco quiero que diga el Príncipe : tal cardenal, tal marqués, tal cavallero, tal religioso bueno i santo me dio esta información. Porque todos somos hombres que nos engañamos i solemos engañar a los otros. Crea el Príncipe i tenga por cierto que todos los que le dan semejantes informaciones, agora sean buenas, agora malas, que los tales se mueven por sus propias utilidades i interesse, las quales, aunque no se parescan claramente, todavía están encubiertas sin falta baxo el pretexto del servicio del Príncipe. Son enfin como pildoras doradas en que no se paresce por defuera lo amargo que en sí contienen. Creer lo que se puede fácilmente provar por la esperiencia, nunca fue cordura. Portanto quiero en esta parte que el Príncipe diga como un Santo Tomás, i no crea más de lo que con sus ojos viere i con sus manos tocare.

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accusations que l'on pourrait formuler contre eux en ces circonstances. D'où il s'ensuit que nous connaîtrons mieux les candidats et toutes leurs aptitudes, et fermerons la porte à tous les faux renseignements. De la sorte, les bons oseront plus rapidement se présenter pour le service du Conseil, et les méchants, les incapables, n'auront pas l'audace de demander une telle charge de peur de voir s'étaler leur propre indignité. C'est ainsi que l'on procédait pour le choix des magistrats à Rome, et tant que l'on a conservé rigoureusement et sans exception un tel usage, la République prospéra. Le jour où l'on abandonna cette pratique, son déclin fut si grand que, comme on le voit, elle périt. La sixième recommandation est que le Prince écoute attentivement et complaisamment tous les renseignements et toutes les accusations qu'on lui présentera en faveur des candidats ou contre eux. Mais qu'il n'en croie rien sans avoir lui-même tout examiné et tout éprouvé. S'il s'agit d'accusations d'infamie [17], que le Prince sache qu'elles peuvent être fondées ou non. Qu'il sache qu'il y a des méchants, des malveillants, des envieux, des ignorants, des imbéciles, des passionnés, qui peuvent accuser faussement. Et qu'un Prince ne s'abuse pas en disant : « C'est un duc qui me l'a dit, ou un évêque, ou un savant prélat, ou un saint père, ou un tel », car derrière la Croix se tient le Diable, je veux dire que nous sommes tous des hommes, et nous pouvons duper et être dupés. Ainsi, qu'il ne prenne pas parti, mais qu'il confie l'affaire, si la circonstance l'exige, à l'impartiale enquête ou au jugement de son tribunal [18]. Si en revanche, la rumeur est favorable au candidat, et qu'elle chante sa compétence pour la charge de Conseiller, que le Prince ne lui accorde pas sa créance, mais que son seul examen tranche, comme je le dirai plus avant. Car je ne veux pas non plus qu'il dise : « Tel cardinal, tel marquis, tel seigneur, tel religieux saint et bon m'a donné ce renseignement », car nous sommes tous des hommes qui nous trompons, et souvent trompons les autres [19]. Que le Prince soit convaincu que tous ceux qui lui donnent de semblables renseignements, favorables ou défavorables, sont motivés par leur intérêt qui emprunte le masque du service du Prince, même si cela n'apparaît pas clairement. Ces renseignements sont comme des pilules dorées : leur extérieur cache le fiel qu'elles contiennent. Croire aveuglément ce que l'on pourrait facilement éprouver par l'expérience n'a jamais été un signe de sagesse. C'est pourquoi je veux qu'en cette matière le Prince agisse comme saint Thomas, et qu'il ne croie que ce qu'il voit et touche de ses mains.

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El séptimo aviso es que por ninguna manera del mundo se elija un Consejero sin que haga primero esamen de su habilidad i suficiencia. Acuérdaseme que en días passados, para elegir un confitero del Rei de España, se reduxo la cosa a tales términos que aquel se llevó el oficio que supo hazer mejores conservas entre todos los competidores. Estando io hablando con el cardenal Louis de Borbón acerca de un passaporte para salirme de Francia a mi salvo, rompida la guerra en el año de cinquenta i uno, dixo el cardenal a unos que le vendían ciertos perros de caça, que los provaría primero i según la prueva, assi los tomaría, o no. Sea esto dicho grosseramente a este propósito en que estamos que, pues ni los confiteros se eligen sin prueva, ni los perros para caçar tampoco, más razón es que se haga un buen esamen de aquellos que han de ser Consejeros. El esamen será tal que mire el Príncipe, que mire i remire mui bien i muchas vezes, si tienen las calidades que io he mostrado i enseñado en el segundo i tercer capítulo, i que lo mire de aquella manera que io lo he aclarado ; porque el que no tuviere aquellas calidades, es inhábil absolutamente : i el que las tuviere todas, es habilíssimo sin falta : i el que más o menos tuviere délias, assi será más o menos hábil, i portanto más diño o menos diño de ser elegido. De manera que para medir esta suficiencia terná el Príncipe dos como medidas : la una, de quinze palmos : que son las quinze calidades que muestran la suficiencia del alma en el Consejero ; i la otra, de cinco palmos : que son las cinco calidades que muestran la suficiencia del mismo en quanto al cuerpo. El que fuere de medida, o el que más palmos tuviere, aquél sólo será el elegido, pospuestos todos los otros. De manera que, si uno tuviere diez calidades i otro ocho o nueve solamente el de las diez será el escogido, i el de las nueve no. Esto se deve guardar con todo género de hombres sin ecepción ninguna, sean ricos o pobres, grandes o pequeños, privados o no : porque si un duque mui poderoso, un cavallero mui rico, o un gran privado vinieren en competencia de ser Consejeros con un otro que no sea tal qual éstos en estado, ni riquezas, ni favor, pero con tal que los vença en calidades pertenescientes al Consejero, deve ser elegido el tal por Consejero, i los otros no. Esto se entiende (como digo) donde hai ventaja de suficiencia :

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La septième recommandation est que, sous aucun prétexte, on ne choisisse un Conseiller sans qu'il subisse un examen préalable de ses aptitudes et compétences. Il me vient en mémoire qu'autrefois, pour choisir un confiseur du roi d'Espagne, on procéda si simplement que celui qui gagna la place fut celui qui sut faire les meilleurs fruits confits entre tous les concurrents. Comme je m'entretenais avec le cardinal Louis de Bourbon, au sujet d'un passeport qui me permît de quitter la France sain et sauf, alors que la guerre était déclarée en 1551, celui-ci dit à des gens qui voulaient lui vendre certains chiens de chasse, qu'il les essayerait d'abord, et qu'il ne se déciderait qu'après l'épreuve. Que cela illustre grossièrement notre présent propos, et puisque ni les confiseurs ne sont choisis sans épreuve, ni les chiens de chasse, c'est d'autant plus sagement que l'on procédera à un examen des futurs Conseillers. L'importance de cet examen est telle qu'au cours de celui-ci, le Prince regarde et regarde encore avec la plus grande attention si les candidats possèdent les qualités que j'ai énumérées au second et au troisième chapitres, et qu'il regarde tout cela de la manière que je lui ai précisée. En effet, celui qui n'aurait pas ces qualités est absolument inapte. Et celui qui les aurait toutes est parfaitement compétent. Celui qui posséderait plus ou moins ces qualités serait plus ou moins apte, et par conséquent, plus ou moins digne d'être choisi. De sorte que pour auner cette compétence, le prince aura deux mesures : la première de quinze palmes, représentant les quinze qualités qui prouvent la compétence de l'âme chez le Conseiller, et la seconde de cinq palmes, qui représentent les cinq qualités prouvant l'aptitude corporelle de ce dernier. Celui qui serait à la mesure, ou qui compterait le plus de palmes, celui-là seul serait choisi avant tous les autres. Ainsi, si un candidat avait dix qualités, et un autre huit ou neuf seulement, celui qui possède les dix sera choisi et celui qui en possède neuf sera éliminé. Cela doit s'appliquer à toutes sortes d'hommes, sans exception aucune, qu'il soit riche ou pauvre, grand ou petit, favori ou pas. Parce que si un duc très puissant, un seigneur très riche, ou un grand favori entraient en compétition, pour devenir Conseiller avec quelqu'un d'autre qui ne serait pas au même niveau qu'eux, ni par son rang ni par ses richesses, ni par la faveur, mais qui les surpasserait par les qualités requises chez un Conseiller, celui-là doit être choisi et non pas les autres. Cela s'entend à condition qu'il l'emporte vraiment par son aptitude, parce que

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porque los cargos se deven dar por sola suficiencia, i no por favor, ni por servicios, ni por poder. Bien es verdad que los favores, los servicios i el poder entonces tienen lugar, quando la suficiencia es igual de ambas partes ; como si dos competidores estuvieren en igual grado de suficiencia, entonces, según la voluntad del Príncipe, lo podrá dar al que más favores o servicios o poder tuviere destos dos : i aun en tal punto es obligado el Príncipe a darlo al que maiores servicios huviere hecho a la República o a su real persona. Porque ésta es regla mui cierta que los cargos se dan por una de tres maneras, conviene a saber, o por merescimiento, o por favor, o por poder : el primer modo es por suficiencia ; el último es abuso ; el de en medio aunque sea abuso, todavía no lo es tanto como el postrero. Como quiera que ello sea, una de las más ciertas reglas para diferenciar un buen Príncipe de un tirano es ésta : que el Príncipe da los cargos por suficiencia, i el tirano solamente los da por favor o poder. También se deve notar que el Príncipe que por favor i poder dará los cargos, esse tal o él perderá su estado, o no lo posseerá hasta su tercera generación. Dexo i callo a sabiendas otras muchas i mui buenas razones que a este propósito se podrían traher. La conclusión de todo ello es que se haga el esamen, i aquel solo entre todos se escoja que fuere hallado más suficiente conforme a las reglas que para ello tengo dadas en el segundo i tercer capítulos. I este esamen ia se entiende que ha de ser hecho por el mismo Príncipe en persona, i no por otro.

El octavo aviso es que, hecho el esamen i eleción, según lo contenido en el precedente capítulo, sin torcer a una ni a otra parte, dos o tres días después mandará el Príncipe llamar al eleto Consejero, i en presencia de los de su casa i Corte, a puertas abiertas, le dirá en breves palabras cómo ha sido elegido por su merescimiento. Mostrarle ha la fe que todo el pueblo le da, i cómo está acreditado para consigo en grande manera. Añadirá que se tiene esperança tal de su bondad i prudencia, que hazer obras con que responda a lo que de él se espera le es necessario ; no hazerlas, le será vileza i torpe abatimiento. Tras esto le encomendará la honra i provecho de todo el Principado, i le rogará i aun mandará que no dexe de amonestarle i corregirle con la devida

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les charges doivent être réservées à la seule compétence, à l'exclusion de toute faveur, amitié ou influence. Il est bien évident que les faveurs, les amitiés, les influences, ont leur place à égalité de compétence. Par exemple, si deux concurrents avaient les mêmes aptitudes, alors, selon la volonté du Prince, pourra l'emporter celui des deux qui aurait le plus de faveur, d'amitié ou d'influence. Et même dans ce cas précis, le Prince a l'obligation de pencher pour celui qui aurait rendu le plus de services à la République ou à sa royale personne. Car il est une règle très sûre, à savoir que les charges s'obtiennent par l'une des trois façons suivantes : soit par le mérite, soit par la faveur, soit par l'influence. La première façon est en rapport avec la compétence ; la dernière est un abus ; celle du milieu, bien qu'elle soit également née de l'abus, ne l'est pas au même degré que la dernière. Quoi qu'il en soit, un des critères les plus sûrs pour différencier le bon Prince du tyran est que le Prince octroie les charges selon la compétence, alors que le tyran les accorde uniquement par faveur ou selon son bon plaisir. Il faut également noter que le Prince qui distribuerait les charges par faveur ou influence perdra son Etat, ou ne le conservera pas jusqu'à la troisième génération. Je laisse sciemment de côté beaucoup d'autres bonnes raisons que l'on pourrait alléguer à ce sujet. La conclusion de tout cela est que l'on doit procéder à un examen, et que seul soit choisi parmi tous celui qui serait jugé le plus compétent, conformément aux règles que j'ai données à cet effet dans le second et le troisième chapitres. Il va sans dire que cet examen doit être fait par le Prince lui-même et non par quelqu'un d'autre. La huitième recommandation est que, une fois l'examen passé et le choix fait, en toute impartialité, comme il a été dit au précédent chapitre, deux ou trois jours après, le Prince fasse mander le Conseiller choisi, et en présence de tous ceux de sa maison et de sa cour, il lui dise hautement et en peu de mots qu'il doit son élection à son mérite. Il doit lui montrer que le peuple lui fait confiance, et combien il le tient en haute estime. Il ajoutera à l'intention du Conseiller qu'en raison des espoirs placés dans sa bonté et sa sagesse, celui-ci se doit de les justifier par des œuvres qui ne les démentent pas. En ne les accomplissant pas, il ferait preuve de vilenie et d'infâme bassesse. A la suite de cela, il lui confiera l'honneur et la prospérité de tout le royaume, et le priera, et même lui ordonnera de ne pas 7

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modestia, cada i quando que viere que el Príncipe tuviere necessidad dello. Finalmente porná fin a su plática, diziendo que él le promete i assegura que, assi como le castigará según su demérito no haziendo su oficio bien i lealmente, assi también le dará premio i gualardón según sus méritos. Con la esecución deste aviso el Príncipe gana la voluntad del pueblo, los hombres buenos i de grande habilidad i lición se animan no sólo a perseverar mas aun a ser más eminentes : i el Consejero elegido pone todas sus fuerças en que no sólo conserve su reputación, mas aun la acresciente. El noveno i último aviso es que, acabada la sobredicha plática, el Príncipe le tome el juramento mui solene al Consejero, en que prometa a Dios de ser bueno i leal vassallo i Consejero a su Príncipe, que procurará el bien i honra de todo el principado, i que ni por interesse de vida, bienes, sangre, amigos ni aliados no dexará de seguir justicia i razón. Tomado este juramento, no habrá más que hazer de emplearlo en los negocios. No se puede dezir el provecho que se saca deste juramento : basta agora dezir que, con él, queda el Príncipe más descansado ; i siendo el Consejero malo i desleal, tiene más justa causa de mostrarle su indinación, como a hombre que es menospreciador de su fe, i de Dios principalmente. El Consejero, por la misma causa, irá más recatado, no se osará desmandar, i terná mui justa escusa para despedir sus deudos, amigos, aliados i criados que le pidieren cosas contra razón, o a lo menos no mui razonables. El pueblo todo, por otra parte, ha miedo de pedirle cosa injusta ; i toma osadía para pedirle cosas justas, i para irle a la mano si las negare, o si quiziere hazer algo contra derecho.

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manquer de reprendre et de corriger son Prince avec la modestie requise chaque fois que le besoin s'en ferait sentir. Finalement, il achèvera son discours en promettant que, de même qu'il châtiera le Conseiller à proportion de ses fautes, s'il manque aux devoirs de sa charge, de même il le récompensera selon ses mérites. En exécutant cette recommandation, le Prince gagne le cœur du peuple ; et les hommes bons, de grande compétence, instruits, trouvent l'ardeur non seulement de persévérer, mais encore de se dépasser. Le Conseiller choisi met toutes ses forces en œuvre non seulement pour conserver son prestige, mais encore pour l'accroître. La neuvième et dernière recommandation est que, le discours achevé, le Prince fasse prêter au Conseiller un solennel serment par lequel celui-ci s'engage devant Dieu à être un bon et loyal vassal Conseiller de son Prince, à rechercher le bien et l'honneur de tout le royaume, à suivre sans faiblir la justice et la raison, même si sa vie, ses biens, sa famille, ses amis, ses alliés étaient en cause. Quand il aura prêté serment, il ne restera plus qu'à l'employer aux affaires. On ne peut dire exactement quel profit on tire de ce serment. Il suffit de dire maintenant que, grâce à lui, le Prince est plus tranquille. Et si le Conseiller s'avérait mauvais et déloyal, il a une plus juste raison de lui manifester son indignation, comme étant un homme qui fait peu de cas de sa foi et de Dieu particulièrement. Pour la même raison, le Conseiller sera plus prudent ; il n'osera pas dépasser la mesure, et aura une bonne excuse pour renvoyer ses parents, amis, alliés et serviteurs qui lui demanderaient des choses contraires à la raison, ou du moins peu raisonnables. D'autre part, le peuple a peur de lui demander une chose injuste, s'enhardit à demander des choses justes, et si d'aventure il les lui refusait, et s'il projetait quelque chose de contraire au Droit, alors il aurait le courage de lui tenir tête.

LA DESPEDIDA DE TODA ESTA OBRA

Esto es todo quanto tenía para dezir en este primer libro de los ocho en que ha de ser dividida la materia del Concejo i Consejeros del Príncipe. Está declarado qué cosa sea Concejo, i también cómo todo i qualquier Príncipe es obligado (si quiere bien governar) a tener siete Concejos diferentes del todo i por todo en cargos, en ministros, mando i autoridad. Assi mesmo he mostrado qué cosa sea Consejero, i que para ser suficiente es menester que el tal tenga veinte calidades : las quinze en el alma, i las cinco en el cuerpo. También he dado nueve avisos al Príncipe, de los quales se deve aprovechar cada i quando que quiziere elegir un Consejero. Esto es lo que io entiendo acerca de lo que propuse en mi ánimo i prometí de tratar en el principio deste libro, a lo que me induzió la lei divina i humana, las quales nos obligan que los unos aiudemos a los otros en todo quanto pudiéremos, i que en aquellas cosas devemos aiudar especialmente, que más concernieren i tocaren al bien común, como lo es esto del Concejo i Consejeros del Príncipe. Si estuviera en mi mano poder hazer un Concejo, qual io digo, como lo está el ordenarlo por escrito, antes propusiera al mundo un exemplo de buen Concejo formado i visible, que no escrito i inteligible. Pero pues no podemos hazer lo uno, hazemos lo otro, pues lo podemos. Queda la obligación de ponerlo por la obra a aquellos que lo pueden, i lo deven hazer por su descanso, por su honra i provecho. De mi parte no dexaré de rogar a Dios dos cosas mientras biviere : la una es que sea servido de abrir los ojos a los Príncipes, para que vean quán grande necessidad tienen de reformar sus Concejos i Consejeros : o a lo menos que les ponga algún escrupulillo en su ánimo, para que alguna vez hagan refleción sobre sus Concejos i Consejeros.

LA CONCLUSION DE L'OUVRAGE

C'est là tout ce que j'avais à dire dans ce premier des huit livres dont la somme traite du Conseil et des Conseillers du Prince. On y expose ce que doit être le Conseil et aussi comment tout Prince est obligé, s'il veut bien gouverner, d'avoir sept Conseils parfaitement distincts en charges, en ministres, en commandement et en autorité. J'ai aussi montré ce que devrait être un Conseiller dont la compétence doit comporter vingt qualités : quinze se rapportant à l'âme, cinq au corps. J'ai également fait neuf recommandations au Prince, recommandations dont il doit tirer profit chaque fois qu'il voudrait choisir un Conseiller. C'est là le fond de ma pensée en ce qui touche l'objet que je me suis permis de traiter au début de ce livre, conduit par la loi divine et humaine qui nous fait obligation de nous entraider mutuellement autant que nous le pouvons, et nous devons spécialement cette aide dans les matières qui touchent le bien public, comme c'est ici le cas avec le Conseil et les Conseillers du Prince. S'il était en mon pouvoir de former un Conseil à l'image de ce que j'ai écrit, je proposerais au monde, aussi facilement que je l'ai conçu, un exemple de bon Conseil concret et visible, plutôt qu'un Conseil livresque et intelligible [20]. Mais faute de réaliser le premier, nous proposons le second, puisque c'est en notre pouvoir. Reste, à ceux qui le peuvent, l'obligation de le mettre en œuvre, et ils doivent le faire pour leur tranquillité, leur honneur et leur profit. En ce qui me concerne, je ne cesserai, durant ma vie, de prier Dieu qu'il veuille bien ouvrir les yeux des Princes pour qu'ils voient combien grande est la nécessité de réformer leurs Conseils et leurs Conseillers. Ou tout au moins, qu'ils placent un tout petit scrupule dans leur âme, pour que quelquefois ils fassent réflexion sur les Conseils et les Conseillers.

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EL CONCEJO Y CONSEJEROS DEL PRINCIPE - DESPEDIDA

La mitad del camino temíamos andado, si començassen los Príncipes a dudar si tienen buen Concejo o no. No hai peor enfermedad de aquella que no se conosce. La otra cosa que rogaré a Dios es que los que están al derredor de los Príncipes, pospuesto su interesse i su passión, quieran abrir las puertas a los buenos i provechosos avisos, quieran antes el provecho público i de su Príncipe que no el suio particular, i no quieran persuadir con falsas razones que lo blanco es prieto, i lo prieto blanco. Estos son los que echan a perder todos los Príncipes. Estos son los que cortan las piernas a los hombres de habilidad, porque no vaian adelante. Estos quiebran los ojos del Príncipe, porque no vea. Hablo de los malos, i no de los buenos. De los buenos sé que loarán mi obra, no por ser mía, que soi nada, sino por ser ella de sí buena i provechosa : pero los malos ¿ qué no dirán contra ella ? Uno dirá que el Príncipe no es bien que tome tanto trabajo en escoger tan sotilmente sus Consejeros. Respondo que éste no es trabajo, antes es descanso, porque terná menos negocios i aquellos mui claros, tanto en paz como en guerra. Otro dirá que el Príncipe es libre, i ha de dar los oficios a quien bien le paresciere. Respondo que la libertad del Príncipe no lo es quando va fuera razón, porque entonces abuso i servidumbre se llama : entonces es libre quando usa de buena razón, porque de otra manera es tirano, i dezir que el Príncipe ha de dar los oficios a quien se le antojare o bien le paresciere, es motejarlo honestamente de tirano. Otro dirá que los cavalleros i señores han de ser galardonados según la autoridad de su casa i servicios de sus personas. Respondo que también digo io esso mesmo, pero que no es todo uno galardonar i hazer uno del Concejo : porque bien se puede hallar otra vía de galardonar (como las hai muchas) sin que sean elegidos Consejeros. Otro dirá que no se hallarán en todo el mundo tales Consejeros como io los quiero. Respondo que los hai muchos, mui buenos i mui suficientes en todas partes, si los Príncipes los quieren escoger por virtud i merescimiento, i no por favor ni por poder. I dado que no lo huviesse, quiera el Príncipe hazerlos (como es obligado) que él hará de las piedras hombres. Quando el Príncipe es poeta, todos hazemos coplas :

LE CONSEIL ET LES CONSEILLERS DU PRINCE - CONCLUSION

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Nous aurions fait la moitié du chemin si les Princes commençaient à s'interroger sur la valeur de leur Conseil. Il n'y a pas pire maladie que celle que l'on ignore. L'autre prière que j'adresserai à Dieu est que ceux qui entourent le Prince, l'intérêt et la passion étant relégués, veuillent ouvrir grandes les portes aux recommandations bonnes et profitables, et veuillent faire passer l'intérêt du bien public et celui de leur Prince avant le leur, et enfin, qu'ils ne veuillent pas persuader par de fallacieux raisonnements que le blanc est noir et que le noir est blanc. Ce sont eux qui perdent les Princes. Ce sont eux qui coupent les jambes aux hommes compétents afin qu'ils ne fassent pas leur chemin. Ce sont eux qui crèvent les yeux au Prince pour l'aveugler. Je parle des méchants et non des bons. Je sais que les bons loueront mon œuvre, non parce qu'elle est de moi, car je ne suis rien, mais parce qu'elle est en soi bonne et profitable. Mais que diront les méchants ? L'un dira qu'il n'est pas bien que le Prince se donne tant de peine à choisir si subtilement ses Conseillers. Je réponds que cela n'est pas de la peine, mais bien plutôt du repos, parce qu'il aura à traiter moins d'affaires, et que celles-ci seront débrouillées en temps de paix comme en temps de guerre. Un autre dira que le Prince est libre, et qu'il doit donner des emplois selon son bon plaisir. Je réponds que la liberté du Prince cesse lorsqu'il n'est plus conduit par la raison, car alors, celle-là se nomme abus et asservissement. En revanche, lorsque la raison le dirige, il est libre ; sinon c'est un tyran. Et dire que le Prince doit donner les emplois à qui bon lui semble, ou selon son bon plaisir, c'est le qualifier avec ménagement de tyran. Un autre dira que les gentilshommes et les seigneurs doivent être récompensés selon le lustre de leur maison, et les services rendus. Je réponds que je suis aussi de cet avis, mais qu'une chose est récompenser quelqu'un, une autre est d'en faire un membre du Conseil, car on peut trouver d'autres façons de les récompenser, il y en a beaucoup, sans qu'ils soient nommés Conseillers. Un autre dira que l'on ne trouvera pas dans le monde entier des Conseillers tels que je les désire. Je réponds qu'il y en a beaucoup, de très bons et de très compétents partout, si le Prince veut bien les choisir pour leur vertu et leur mérite, et non par faveur ou influence. Et même s'il n'y en avait pas, que le Prince veuille les créer, comme il en a l'obligation, car il peut même transformer des pierres en hommes. Quand le Prince est poète,

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EL CONCEJO Y CONSEJEROS DEL PRINCIPE - DESPEDIDA

quando es músico, todos cantamos i tañemos : quando es guerrero, todos tratamos en armas : quando es amigo de truhanes, todos nos picamos de graciosos : quando es amigo de Astrologia, todos hablamos en esferas, i otros instrumentos : pues si es amigo de Consejeros tales quales io los pinto, que me corten la cabeça si en quatro años no son todos los grandes i cavalleros suficientíssimos para un tal cargo. Diga de palabra el Príncipe, i ponga por la obra unas quantas vezes éstos mis precetos, i verá luego a la hora mudada la corte i toda la nobleza de su principado, digo, mudada de tal suerte que todo el tiempo que se pierde malamente en ocio torpe o en juegos blasfemadores o en adulterios i otros mil vicios, se empleará bien i honestamente en virtud i en entender aquellas artes que fueren necessarias. Luego se hará la corte una escuela de virtud i sabiduría. No quiero responder a las otras quistiones, porque son todas vanas : buélvome a hablar con los Príncipes en particular, i les digo que si eligieren sus Concejos i Consejeros del modo que io les tengo dicho, ellos, mientra bivieren, ternán plazer i descanso, no sólo conservarán sus estados, mas aun los acrescentarán, ternán en su mano la paz i la guerra, serán amados de sus vassallos, temidos por sus adversarios, honrados i loados de todos generalmente, dexarán el principado firme i duradero a sus descendientes, i alcançarân título i nombradla de grandes, buenos, i invincibles Príncipes después de su vida aquí en el mundo. FIN

LE CONSEIL ET LES CONSEILLERS DU PRINCE - CONCLUSION

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nous faisons tous des rimes [21], quand il est musicien, nous chantons et jouons d'un instrument, quand il est guerrier, tous nous nous adonnons aux armes, quand il est l'ami des bouffons, tous nous nous piquons d'être spirituels. Lorsqu'il est l'ami de l'astrologie, nous parlons tous de sphères et d'autres instruments, et s'il est l'ami des Conseillers tels que je les peins, que l'on me coupe la tête si, en quatre ans, tous les grands et les seigneurs ne sont pas parfaitement aptes à l'exercice d'une telle charge. Que le Prince énonce hautement ces préceptes et qu'il les mette en œuvre, et il verra sur l'heure se transformer la cour et la noblesse de son royaume, et se transformer de telle sorte que tout le temps perdu en oisiveté dégradante, en jeux sacrilèges, en adultères et en mille autres vices, s'emploiera bien et honnêtement en vertu, en compréhension et en connaissance des disciplines nécessaires. Alors la cour se transformera en une école de vertu et de sagesse. Je ne veux pas répondre à toutes les autres questions, parce qu'elles sont toutes vaines. Je reviens à mon discours concernant les Princes en particulier, et je leur dis qu'ils choisissent leurs Conseils et Conseillers comme je l'ai proposé. Ainsi, les Princes, tant qu'ils vivront, seront heureux et tranquilles, non seulement conservant leurs Etats, mais encore les augmentant. Ils auront en leurs mains la paix et la guerre, ils seront aimés de leurs vassaux, craints par leurs adversaires, respectés et loués par tous. Ils laisseront à leurs descendants un royaume solide et durable, et après leur mort, le monde dira d'eux qu'ils furent des Princes grands, bons et invincibles. FIN

PREVILEGIO

La Magestad del Rei Don Felipe nuestro Señor concede a la Biuda de Martín Nució que, por tiempo de quatro años, ella sola pueda imprimir el libro intitulado El Concejo i Consejeros del Príncipe : compuesto por Fadrique Furiò Ceriol : i veda a todos los otros impressores hazer lo mismo, so graves penas contenidas en el original previlegio : Dado en Brucelas, i subsignado P. de Lens

ERREURS RELEVEES DANS L'EDITION PRINCEPS

Cette édit. p. 94 p. 100 p. 110 p. 112 p. 114 p. 118 p. 116 p. 130 p. 138

Ed. 1554

P· 158 P· 170 P· 182 P· 186 P· 188 P· 188 P· 192 P· 200 P· 200

PP· P· PP· PP· P· P·

Ρ χ Ρ XIX Ρ 6 Ρ 8 ν° Ρ 10 ν ° Ρ 140 Ρ 11 ν ° Ρ 24 Ρ 30

47 57 v° 67 70 71 v° 72 76 81 81

buelva pour buelvo escudándome pour escusándome gtandes pour grandes par pour para dándole pour dándolo Consejo pour Concejo se refieriere pour se refiriere répétition de « de » marjar pour marchar Il ne peut s'agir que de marchar, car dans un même contexte militaire, Furiò Ceriol utilise marchar : « ...en el alojar, marchar, ordenar de su gente y esquadrones... », in Censura que dió Ceriol de los Commentarios de Don Bernardino de Mendoza de lo sucedido en las guerras de los Paises-Bajos..., p. 420 in édition du Concejo de A. de Sotos, Madrid, 1779. ne pour no fueron pour fueren Aragineses pour Aragoneses se retirara pour se retirarán a casas pour las causas paresció pour peresció esso pour esse contamos pour cantamos esperas pour esferas

NOTES

1. Ce jugement, très dur, n'a cependant rien de commun avec les célèbres théories professées par Sepúlveda dans son Démocrates secundus. Ici, ce n'est pas un peuple ou une ethnie tout entière qui est condamnée à la minorité politique. Furiò Ceriol, selon M. Bataillon, soutenait les généreuses idées de Las Casas (voir Erasmo y España, Mexico, 1966, p. 633). De nombreux passages du Concejo... le confirment d'ailleurs. Nous sommes en présence d'une appréciation sur l'inégalité intellectuelle des hommes. Seul l'homme intelligent, dont la raison fait échec aux passions, peut diriger les affaires de l'Etat. Spinoza ne sera pas loin de partager ce point de vue. Dans son Traité politique (in Œuvres complètes, Paris, 1954, p. 982), on lit en effet : « ...un homme n'a pas toujours le pouvoir de raisonner ni de s'élever au plus haut degré de la liberté humaine... ». Et, dans une lettre à Oldenburg : « Et personne ne peut nier, à moins de s'opposer aussi bien à l'expérience qu'à la raison, qu'il n'appartient pas à la nature de n'importe quel homme d'avoir une âme forte, et qu'il n'est pas plus dans notre pouvoir d'avoir un corps sain qu'une âme saine. » (Ibid. p. 1351). 2. Ce conseil ne ressemble pas à celui que prodiguait Siliceo, le maître de Philippe II. Pour sortir d'embarras son roi, le célèbre apologiste des statuts de pureté de sang préconisait la prison pour les créanciers : « Paréceme que debería V. M. represar y detener a las personas a quien se deben, dándoles esperanza que serán pagados... ». Lettre, citée par J. Carrera Pujal, in Historia de la economía española, Barcelona, 1943, t. I, p. 232. 3. Toute cette page et la suivante montrent combien la lecture de Machiavel a marqué la pensée de Furiò Ceriol. 4. Voir Discours sur Tite-Live de Machiavel : « La connaissance générale du pays et de ses sites différents est l'une des plus nécessaires à un général d'armée ; sans elle, il ne peut former aucune entreprise », in Œuvres complètes, Paris, 1837, p. 596. 5. Il faut remarquer le caractère particulièrement audacieux d'une telle affirmation. Loin d'avoir un caractère sacré, la loi, pour se maintenir en vigueur et être respectée, doit apparaître comme utile et adéquate. Si ces deux critères manquent, alors même qu'elle n'est pas abrogée. Furiò Ceriol affirme que l'on n'est plus tenu de l'observer. 6. L'affirmation de C. Viñas Mey qui fait de Furiò Ceriol le père du droit de récompense est quelque peu excessive. Voir « Doctrinas políticas y penales de Furiò Ceriol », in Revista de Ciencias Jurídicas y Sociales, Madrid, 1921, p. 83.

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NOTES

Il faut en effet avoir en mémoire les recommandations de Machiavel dans son Art de la guerre, in Œuvres complètes, op. cit., p. 317, et surtout son Discours sur Tite-Live, op. cit., p. 458. 7. Cette question peut sembler simpliste. Pourtant, ses implications psychologiques, morales et politiques sont capitales : « La stérilité des terres rend les hommes industrieux, sobres, endurcis au travail, courageux, propres à la guerre ; il faut bien qu'ils se procurent ce que le terrain leur refuse. La fertilité d'un pays donne, avec l'aisance, la mollesse et un certain amour pour la conservation de la vie », Montesquieu, De l'Esprit des lois, in Œuvres complètes, Paris, an IV de la Républiques, livre XVIII, p. 42. 8. Voir Machiavel, Discours sur Tite-Live, op. cit., p. 507-508. 9. On peut comparer les questions que pose Furiò Ceriol au sujet d'un royaume, ici la France, et le tableau de ce pays dans les Fragments historiques de Machiavel (in Œuvres complètes, t. I, p. 291). La technique du renseignement y est semblable. 10. Peuple nomade de la Lybie intérieure réputé pour sa férocité. Furiò Ceriol veut insister ici sur le fait que la justice et la raison ont une valeur intrinsèque et universelle. Peu importent la qualité et l'appartenance ethnique de ceux qui les revendiquent. 11. Il faut noter la finesse de la progression et les ménagements que préconise Furiò Ceriol pour freiner l'ambitieux. Ces ménagements confirment à quel point non seulement « l'autre » mais autrui est respecté et sympathiquement compris. 12. Ici, la politesse cesse d'être un talent pour se hausser jusqu'à la vertu. Comme Montaigne, Furiò Ceriol sait que « l'homme est chose tendre et fragile ». Bergson rejoindra Furiò Ceriol lorsqu'il écrira : « ...une allusion involontaire, un mot de blâme sorti d'une bouche autorisée, peut nous jeter dans ce découragement morne où l'on se sent mécontent de soi, fatigué des autres, ennuyé de la vie... ». La politesse du cœur que nous enseigne Furiò Ceriol est : « l'amour du prochain et le vif désir d'en être aimé ; c'est la charité s'exerçant dans la région des amours propres, là où il est plus difficile encore de connaître le mal que de vouloir le guérir », H. Bergson, Discours sur la politesse, Paris, 1945, p. 22 et 25. 13. Il s'agit de Camèade. Cet apophtègme est repris par Erasme : « Y, ojalá, al menos entre cristianos, contuviera menos verdad aquel apotegma de Carneades, quien dijo que los hijos de los reyes no aprendían bien sino el arte de la jineta, porque en lo demás, todo el mundo los segunda y los adula ! », Educación del Príncipe cristiano, in Obras escogidas, Madrid, 1956, p. 310. Remarquons, comme nous l'avons déjà dit p. 54, qu'Erasme reste toujours prisonnier de la distinction entre les chrétiens et les autres. 14. En terme d'hippologie du xvii" siècle, hasta signifie le dessous de la queue d'un cheval. 15. Ce problème s'était déjà posé à Machiavel dans les termes suivants : « Car les princes n'ont d'autre moyen d'écarter les flatteurs que de montrer que la vérité ne peut les offenser ; mais si chacun a la liberté de parler haut, que devient le respect dû à la majesté du souverain ? Un prince prudent doit tenir un juste milieu, en choisissant des hommes sages auxquels seuls il donnera la liberté de lui dire la vérité, mais seulement sur les choses qu'il demandera », Le Prince, in Œuvres complètes, op. cit., p. 638. 16. Ici encore, on remarquera une identité de vues entre Furiò Ceriol et

NOTES

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Machiavel : « Ce trait d'histoire nous prouve combien est détestable la calomnie dans une république, comme sous toute autre espèce de gouvernement, et qu'il n'est pas de moyen qu'on ne doive employer pour la réprimer à temps. Il n'est pas de meilleur moyen que de donner ouverture à l'accusation ; autant ce moyen légal est utile dans une république, autant la calomnie y est funeste. L'accusation et la calomnie diffèrent en ce que cette dernière n'a besoin ni de témoins ni de confrontation, ni de circonstances exactes pour réussir et persuader... Ainsi, il est du devoir d'un législateur de donner à tout citoyen la faculté d'en accuser une autre sans avoir rien à redouter de sa démarche. Cette précaution une fois prise, qu'il poursuive avec rigueur les calomniateurs... », Discours sur Tite-Live, op. cit., p. 439. 17. Le meilleur exemple de cette lèpre de la calomnie, de la détraction et de la médisance, nous est fourni par une lettre de Góngora : « De lo que toca a la limpieza, no lo es ; porque aún que es verdad que en el hábito que se dio los días pasados a Don Pedro Benegas no se halló entera claridad desto, por lo que toca al alcaide Colomera, que asimismo es decendiente el dicho Don Pedro de Hoces, que se hallará en el archivo de la Inquisición de Córdoba una información en que pretendió Don Alonso de Hoces, padre de dicho Don Pedro de Hoces, ser familiar, en que con mucha quantidad de testigos se prueba ser confeso », Luis de Góngora, Obras completas, Madrid, 1961, p. 893-894. 18. Il ne peut s'agir ici du tribunal de l'Inquisition, puisque le discours de Furiò Ceriol a vocation universelle. Voir p. 34. 19. Condamnation explicite des encouragements aux « renseignements » si appréciés par l'Inquisition. 20. Selon la doctrine classique, les sens sont tenus comme la source de l'illusion. Le visible est opposé à l'intelligible, synonyme de réel. Ici, Furio Ceriol semble privilégier ce qui est « concret et visible ». 21. Idée que l'on trouve chez Erasme dans son Education du Prince chrétien, op. cit., p. 287.

DOCUMENTS

Nous remercions vivement Mlles Carof et Mouchot, archivistes-paléographes, ainsi que M. I. Cloulas, directeur départemental des Archives de l'Eure, pour leur précieux concours et l'aide qu'ils ont bien voulu nous apporter dans la transcription des manuscrits.

I GENEALOGIE DE FADRIQUE FURIO CERIOL PAR LUI-MEME

Nam cum aliquot maiores mei ita se in República gessissent, ut nonnihil sibi fortasse laudis (quae minima certe est) ex bellica virtute comparassent, fore mihi videbam etiam gloriosum, si ad illorum honorem, Studium literarum, quantum possem, quod video quam sit exiguum, adiecissem. Etenim, ut superiores reliquam coeteros, certe Cneus Furius Coeriolanus abauus meus, quatuor nauigiis actuariis stipendio proprio et suo comparatis, Martino Iuniori potentissimo regi, et Aragonum et Sciciliae, praesto fuit in illa classe, qua Sardiniam recuperami, quae ab ipsius dominatu desciuerat. Huic, eiusque nauibus successit Raimundus proauus, qui signa Alphonsi aliquando secutus est et Corcicae et Neapoli : cuius illud est fortassis egregium facinus, quod Xules famosissimum piratam, qui non solum in maritima Hispaniarum ora, atque his adiacentibus insulis, verum in Italiae maritimis praedas undique, summa cum clade atque pernicie Christianorum agebat : piratam in crudelissimum, terra marique, infestissimum, ad Larunesias Insulas superauit, eiusque onustus exuuiis Siciliam contendit, portusque, intrans magna exceptus est ab incolis ovatione. Excurrerem hoc loco in caeteras res ab eo gestas, nisi vererer, ne paui mei laudandi occasionem quesisse iudicarer. Illud facilius quererer inquam, de quorundam hominum turpissimorum nefario scelere, qui odio incensi, inuidia infiammati, calumniando, pro scelus, eorem adduxerunt, ut Raimundus proauus rebus bene gestis, multisque in Rempublicam officiis, non eum locum, quem apud regem suum merebatur, obtinuerit : Nihil dicam de Laurentio auo, nihil de Ioanne, et Andrea eius fratribus : quorum hie tot tantaque edidit suae fortitudinis exempla, ut cognomento Fortis appellaretur. Source : Extrait de 1' « Introduction » à l'Institutionum

Rhetoricarum.

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GÉNÉALOGIE DE FADRIQUE FURIO CERIOL

Nihil dicam de modestissimo viro Hieronymo pâtre, qui me vix secundum aetatis annum agente, quarto et vicésimo ab hinc anno e vita discessit, quique et in ocio, et negocio eum vitae cursum tenuit, ut multis commodarit, laeserit neminem. Quae cum ita sint, praeclare me facturum existimaui, si ad quem honorem bellicae laudis domum ad se maiores mei reportassent, ad eum ego Literarum Studium adiunxissem. His ergo de causis, a pueritia me literarum studiis, primum domestica exhortatione, deinde mea sponte dedidi, dedo, et deinceps toto vitae curriculo dedam.

II BIOGRAPHIE DE FADRIQUE FURIO CERIOL

Il me reste à parler de Frederic Furio Ceriolano, de Valence en Espagne, qui peut marcher de pair avec Montagne. Ceriolano ayant d'abord étudié à Paris, alla ensuite à Louvain, où il eut de grandes disputes avec Bononia de Sicile, professeur en Théologie, au sujet de la traduction des Livres Saints en langue vulgaire. Etant en Allemagne il publia à ce sujet un livre, qui fut censuré par plusieurs Docteurs Catholiques. Mais l'empereur Charles V qui sçavoit discerner les esprits, charmé de sa rare érudition, & considérant d'ailleurs la pureté de ses intentions, & son zèle, le prit sous sa protection, & l'envoya en Espagne à Philippe son fils, auprès duquel il demeura toûjours dans la suite. Il fit tous ses efforts, comme nous l'avons dit ailleurs, pour pacifier les troubles des Païs-bas. Il a composé un livre des Conseils, & du devoir des Conseillers. Il mourut cette année à Valladolid sans être marié, & beaucoup plus âgé que Montagne.

Source : Extrait de l'Histoire Universelle de Jacque-Auguste de Thou, t. XI, Londres, 1734.

III PETICION Requête adressée à Philippe I I en vue d'obtenir la charge de Vice-chancelier d'Aragon le 7 août 1581

Los grandes Filósofos y Theólogos, de común consentimiento afirman que entre la ambición y la petición hai esta diferencia : que la ambición, sin respecto del bien público, dessea, pide i procura para sí mesma, para sus apetitos i interesses, hora los meresca, hora no los meresca ; i por esta causa aplica los fabores i los coechos, trabajando por todas las vías de salir con sus pretenciones, sin querer someterse al juicio ni a la determinación de la prudente i justa censura de a quien le pertenesce hazerla ; i si por caso no sale con su intento, queda corrida, furibunda i desesperada. Pero la petición dessea, pide i procura para su ultimado fin, que es el bien público, estribando en virtud, sufficiencia i merescimiento, i assi se aborresce con los coechos, ni admite los favores sino en quanto le dan lugar los quatro sobredichos, es de saber, bien público, virtud, suficiencia i merescimiento ; i en todo se somete al juizio i determinación de a quien pertenesce el nombramiento i election de sus pretenciones, quedándose pacífica, alegre i contenta igualmente con lo que fuere, hora las alcance, hora las dexe de alcançar. De aquí se infiere que la ambición es mala, perniciosa, i detestable ; i por el contrario que la petición es buena, es provechosa i digna de ser amada i favorescida. Porque como de la ambición salen las passiones, las dissensiones, i la destruction del bien público, assi de la petición mana todo lo contrario desto. I entre otros muchos provechos se siguen quatro mui señalados. El primero dellos es que por medio della tiene aparejo la virtud para conseguir su justo i Source : L'Instituto de Valencia de Don Juan qui possède ce manuscrit étant actuellement fermé aux chercheurs, nous donnons ici le texte proposé par D. Sevilla Andrés dans son édition du Concejo... Rappelons que c'est Semprún Gurrea qui le publia pour la première fois (voir p. 20).

REQUÊTE ADRESSÉE A PHILIPPE I I

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debido premio ; el segundo que los malos i los inhábiles sean excluidos de los cargos i oficios públicos ; el tercero, que aquel a quien toca la nominación i election tiene más luz i claridad para poder con descanço de su consciençia mejor i mas fácilmente hazer su election ; el quarto, que muchas más personas se animan a trabajar i trabajan de noche i día en las artes i disciplinas i exercicios virtuosos i en viuir loablemente para poder ser declarados idóneos i suficientes para los cargos i oficios públicos ; i desta manera queda hecho como un pianterò de hombres buenos i suficientes para trasponerlos a su tiempo en todas las plaças bacuas que se ofrescieren. Para concluir todo esto en pocas palabras, digo que la petición no haze más de ofrescer al bien público sus dones naturales i los adquisitos, su trabajo corporal i espiritual, su fidelidad i su diligencia, sometiéndose en todo i por todo al juizio i determinación de a quien incumbe juzgar i determinar si ella fuere hallada idónea o no lo fuere. De todo lo susodicho se concluie que es bien i aun necessario que haia hombres tales que puedan pedir i que pidan oficios i cargos por los medios i modos sobredichos. Siguiendo io esta verdadera i sancta doctrina de la petición, vengo ofresciendo, como por la presente carta ofresco a V. Mg. i al bien público para la vacante plaça Vicecanceller en el Supremo Consejo de vuestra Corona de Aragón, digo que ofresco mi persona i con essa todo lo siguiente : Primeramente ofresco cinquenta i quatro años de mi edad, que los hize i cumplí a veinte i quatro días del próximo pasado mes de maio. Más ofresco quarenta i siete años continuos que los he empleado en varias lenguas, en diversas artes i diversos géneros de sciencias, i, al parecer de los más eminentes Letrados de Europa, he trabajado con algún fruto i me he aventajado algún tanto en ellas ; i para adquirirlas he peregrinado fuera de España por diversas provincias i naciones bien lexos de mi patria, con grandes gastos de mi tenue patrimonio i trabajos infinitos, i peligros de mi cuerpo i vida. Más ofresco cinco años (comprehendidos debaxo del susodicho tiempo) en los quales he estudiado en Theología, i soi graduado de licenciado en ella. Más ofresco siete años que he estudiado en leies Canónicas i Ciuiles, i soi graduado de doctor en ambos derechos. Más ofresco un mui trabajoso estudio que por espacio de mui largos años tengo hecho en Filosofía natural i moral, en la Política i Historia, en las quales está verdaderamente el manantial de las leies, para hazerlas de nuevo, juzgar de las que están hechas, i aprobarlas o restriñirlas o ampliarlas o deshazerlas del todo. Los que carescan de estas

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PETICION

susodichas doctrinas podrán ser leguleios como dice el latín, mas nunca podran ser jurisconsultos, ni podrán juzgar ni sentenciar conforme a equidad, ni bondad, sino que se andarán a ciegas, buscando paresceres de hombres en su facultad menos que tribiales i comunes. Más ofresco veinte i dos años (contenidos debaxo del sobredicho tiempo) en los quales mui de propósito he estudiado interpoladamente en materia de Estado i de Guerra con alguna esperiencia i grande observancia de su exercicio, i por esto me hallé en la jornada de Metz en Lorena i en todas las demás que después desta sobrevinieron en los Estados baxos hasta que se hizieron las pazes con Francia en el año de cincuenta i nuebe ; i agora últimamente por espacio de tres años continuos me hallé personalmente en los más peligrosos trances de guerra de aquellos mismos Estados, de donde salí i vine a Italia con el exército de V. Mg. sin dexarle ni un solo día. Más ofresco diez i ocho años continuos en los quales he peregrinado fuera de España de una sola vez (no contando algunas otras) sin bolver en el dicho tiempo a ella ; digo peregrinado por Francia, Flandes, Inglaterra, Alemania, Dinamarca, Austria, i Italia, por sólo obserbar i entender (allende de mi estudio de letras) los humores de los hombres, su gobierno, leies i costumbres. Más ofresco la observación, esperiencia, i plática de diez i siete años i medio que resido en vuestra Real Corte, de la qual no he hecho ninguna ausencia, sino es la de los tres años que más arriba dixe, quando salí de Flandes, con buestro exército. Más ofresco lo que entiendo y sé por ventura más que medianamente cerca del humor, desseos i pretenciones de la dicha Corona de Aragón, en la qual no hai quien mal me quiera, i soi tenido en honesta opinión, i por tanto no pienso ser mal visto en ella, ni mal accepto. Más ofresco todos los dones de mi espíritu, que a mi parescer son medianos i al parescer de algunos son tenidos por abentajados ; de los quales dones i de sus efectos pueden dar testimonio algunas obras mías, que de veinte i siete años a esta parte andan impresas en público. También pueden dar testimonio dellos mis liciones públicas de Filosofía natural i moral, i leies civiles, que con grande concurso i aplauso he leído en las más célebres i más famosas Universidades de Europa. Assimismo darán alguna manera de testimonio dellos mis abisos i discursos que en diversos tiempos i en varias coiunturas he presentado a V. Mg. Más ofresco todas las demás partes i qualidades de mi persona, de las quales no hago aquí particular mención, pues que V. Mg. de muchos años antes de agora las tiene conoscidas, i aún probadas, i por

REQUÊTE ADRESSÉE A PHILIPPE I I

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causa délias vuestras benéfica i prudente grandeza me hizo merced de honrarme con el assiento que tengo de gentilhombre de vuestra real Casa, i de dos pensiones de que gozo. En esta vacante plaça de Vicecanceller no tengo más que ofrescer ni que pedir. Nuestro Sr. la real persona de V. Mg. guarde con salud por mui largos años i le conserbe i acresciente sus reinos i señoríos. De Madrid i de Octubre a 7 de 1581 años. D. V. C. R. Md· Vassallo i hechura que vuestras reales manos besa. Fadrique Furiò Ceriol.

IV INFORMACION DE FRAY BALTASAR PEREZ, O.P. Sevilla, 26 de mayo de 1558 (R. Academia de la Historia, Proceso de Carranza, IX)

Testigo Baltásar Pérez [...] se asosegó e començô a conprar y leer libros ruynes como la Biblia de Castellón y la Ystoria de Esleydano ; y este adbiento pasado predicaba en Enberes y tenía unas Homelías de un gran luterano. El me dixo que hera luterano, y yo ley un sermón que él me loó mucho y estaba lleno de heregías. Verdad es quel me dixo que cogía las cosas buenas y dexaba las malas. Tanbién tenía en su cámara los libros que Brencio a escripto contra el Padre fray Pedro de Soto y la Glosa hordinaria que a hecho Roberto Estephano de las esposiciones de esos hereges. Estas disputas se continuaron hasta que salió ynpreso un libro de un balenciano que se llama Federico Furiò Seriolano, el qual escandalizó mucho y hecharon preso al autor dél. [...] Y otra bez me dixo aquellos días este mesmo Pero Ortega hablando sobre la prisión de aquel Ceriol : Mucho me satisfaze la razón que dize el señor Pero Giménez, que en las cosas de la religión no a de aver ninguna fuerça, sino que se a de dexar a la libertad de cada uno que siga lo que entendiere. Yo le respondí que San Agustín refiere de sí que, quando hera moço, le parecía a él aquello mesmo ; pero quando después tubo más juizio y entendió mejor las cosas, bió que abía estado engañado hasta entonces en aquello. [...] Tanbién quiero avisar que en conpañia de aquel Ceriol, que hizo aquel libro en lobayna por el qual lo prendieron, bibió más de tres años un estudiante sardo, el qual se llamaba el canónigo Sardo. Y este Ceriol fue onbre de mal nonbre muchos días antes Source : J. I. Tellechea, « Españoles en Lovaina », Revista t. XXIII, 1963.

de

Teología,

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que saliese el libro ; y los otros de la junta estaban aún más con él, porque era tan claro, dezían ellos, que era menester más prudencia. Como andaba medio ynfame este Ceriol, procuraron los deudos de este canónigo de apartallo de su conpañía ; e lo mesmo hizieron por la mesma causa los deudos de otro audiente natural de Perpiñan [...]. Acerca de este Ceriol no digo más mal, syno que él a dado syenpre muestra de muy ynpío y de tener entendimiento muy amigo (358 r) de nobedades. Allí en lobayna se hizo un pasquín contra todos los frayles españoles que allí estaban en que notaban cada uno de lo que querían, y no se hecho juyzio sobre otro que lo ubiese hecho sino sobre éste, por la buena fama que tenya. Prendiéronlo por aquel libro que hizo que fue escandaloso, y soltáronlo syn que se hiziese ninguna retratación ni otra satisfación ninguna, más de soltallo. Y agora dos años después que lo avían preso vedaron el libro, después que ya estaba todo el mundo persuadido quel libro abía sido bueno, pues tan poco sentimiento se hazía dello ; sería necesario procurar traer a éste a España. Allá no se junta sino con alemanes ; y pienso que se ganaría, sy lo truxeren por acá, porque no es tan fingido de su naturaleza como el otro Pero Giménez.

ν LETTRE DE FEDERICO FURIO CERIOL AU PRINCE DE MELITO, DUC DE FRANCAVILLA Anvers, le 26 juin 1575

Ilustríssimo i Excelentìssimo Señor Son tantas las cartas que por diversas bias en diferentes tiempos de cinco meses a esta parte tengo escritas a Vuestra Excelencia i al Señor Conde de Chinchón, que estoi en punto de dezir que quasi se me ha olvidado el número de aquellas. Por acá se usa mucho entre amigos saltear las ientes i binientes cartas i, aunque algunas sobredichas cartas, i mías haian por su desgracia benido a semejantes manos, pienso que las que di en las de don Gaspar de Gurrea quando de aquí se partió para esa Corte, habrán llegado a salvo, i por ellas habrá podido entender el succeso de mi benida, desde que llegué acá, hasta el mes de Henero del presente año, a las quales me remitto. Por una antepenúltima desta de mui larga relación a Vuestra Excelencia de lo que por acá passa, cuia breve repetición será la que se sigue. Los Geuses de Hotlanda, i Zelanda andan obstinadamente confiados en dos cosas principalmente, allende de otras muchas, i la una es, la fuerça del sitio de las dos provincias sobredichas, i la otra, el malcontento de las quinze otras provincias, de las diez i siete, que son contenidas en estos estados baxos. Por causa de la primera creen ellos que no pueden ser debellados ; i por la segunda, que con la primera i mejor occasion, i tienen muchas cada día las otras quinze tomarán las armas en su favor, negando a su Señor la devida obediencia. Con esto andan mui orgullosos, i quieren provar por algún tiempo su fortuna, i porque no paresca rehusan la unión, i concordia pública, con tratos i colloquios fingidos de paz alargan el trato con un açafiân de que los estrangeros ante todas cosas Source : Archivo de Simancas, E. 563.

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salgan de estos estados, porque de otra manera... que no se puede tener firme asegurança de quanto se les promete ; i que la sectaria religión dellos sea libremente permitida, o se remitía a la determinación de los estados generales : dos cosas que ellos saben que no se pueden en ninguna manera hazer, allende que a su parescer dellos no hay segurança buena ni que baste. Para romper este orgullo, i dishazer su designo de ellos, me paresce a mí (salvo mejor juizio) que no serían malos los remedios que se siguen. El primero, que a las quinze provincias sobredichas se les restituyen todos sus antiguos privilegios, usos, i costumbres del modo que estavan quando por la renunciación del glorioso su padre binieron en poder del Rei Nuestro Señor porque es cosa averiguada que siempre andaron malcontentos hasta alcançar esto, i buscaron occasiones por vías públicas i secretas para alçarse, i ellos lo dizen públicamente sin verguença ni respecto, ni temor. Obtenido esto, digo sus privilegios, tendrían amor a su príncipe, i contribuirán mui largamente. En esto no hai que dudar, i pluguiese a Dios que no estuviesse por hazer. La insolencia i desorden de los soldados es tanta, que por las aldeas tienen ellos por más que proprias las mugeres, hijas, haziendas de los aldeanos, i los maltratan de boca, i les dan de palos por no nada. He advertido de ello al Señor Comendador Maior, i dízeme que no había hombre que lo pueda remediar según la falta que tiene dellos. Junto a esta ciudad, el otro día, tres soldados Españoles con tres moços, en una cena, i un almuerso comieron a una pobre biuda por más de diez i nueve florines, i estos tres créame Vuestra Excelencia que son de los más corteses, i más acomedidos. Con restituilles sus privilegios, i remediar esta desenfrenada licencia militar, los ánimos destos pueblos mui bien se reconciliarían, i assi quedaría este designo acabado, i nullo, i créame otra vez Vuestra Excelencia que el descontento de estas quinze provincias alarga la guerra, que ellas la sustentan secretamente con secretas intelligencias, i fuerçan a las dos rebeldes a persistir en su pertinas inobediencia, como dello tengo advertido al dicho Señor Comendador Maior. El segundo remedio sería, a mi parescer, constriñir las provincias rebeldes a hazer grandes gastos, i quitarles la maior parte de la entrada de sus rentas ordinarias i extraordinarias. Porque la entrada más sabida entre otras que le bienen al de Orange para el sustento de todo en cada un año, según estoi de ello mui

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bien informado, es hasta un millón de florines poco más, o menos, moneda de Brabante, a razón de beinte placas el florín. De esta manera : los Domaines, que son las rentas reales, que cogen los receptores ordinarios, son más de cien mil florines. Las confiscadas rentas de la Yglesia, i las de los foragidos Cathólicos seglares montan más de tres cientos mil florines. Las licencias, son ciertos derechos que ha puesto sobre la sacca de ciertas mercancías, i principalmente sobre la sal, el pescado, queso, mantecca, i lienços balen más de dos cientos mil florines. Las composiciones le han balido ogaño más de tres cientos mil florines. Son estas composiciones, unos rescates, o contribuciones que las aldeas i pueblos Cathólicos, de los habitadores en los Ducado de Brabante, i condado de Flandres, que están a la marina, i aun siete, i ocho leguas la tierra adentro le contribuien al de Orange cierta quantía de dinero, quien más, quien menos, porque no les queme sus casas, ni les tale sus campos, ni haga mal a sus personas. Este dinero, los dichos pueblos se lo imbían, i ponen en el lugar, i al tiempo que se lo piden. Berguença mui grande nuestra no se remedia, pudiéndose mui fácilmente remediar, i dello io he advertido al dicho Señor Comendador, i le he dado un mui buen remedio, el qual lo prueva, i quasi se puso a llorar comigo de puro dolor, diziendo, que faltan hombres para executar este medio ; i en ello dize mui grande verdad, porque no lo puede executar si no fuere un hombre de sciencia i consciencia i que no de a torcer su braço. Es lástima ber quán fatigado anda este pobre cavallero, lo mucho que trabaja continuamente i quán grande falta tiene de hombres al rededor de sí. Estos tres cientos mil florines en cada un año se le pueden con el remedio sobredicho mui fácilmente quitar, y también más de la meitad de las rentas de las licencias. Toda la gente de guerra que tienen a su sueldo los Geuses no pasan de tres mil soldados ; i nosotros pagamos más de quarenta mil, pienso que son quarenta i siete mil. Paresceme a mí como se lo he advertido al Señor Comendador que repartiendo alguna parte de tantos soldados junto al enemigo en lugares apartados, los unos lexos de los otros, haziendo algunos estratagemas i actos militares por mar, i por tierra (lo qual es fácil de hazer) que les haríamos gastar en cada un año quarenta bezes más de lo que gastan. El tercer remedio me paresce a mí que sería bueno alargar nuestras fronteras más cerca del enemigo ; i no hazer (como hazemos) una frontera desta ciudad de Anveres. Según esta regla, andan mui bien los fuertes que se hazen agora en Nusen

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i Venusdam, porque sierran el passo i navigación al enemigo para hazia la tierra adentro, i nuestras fronteras se alargan ; i poniendo en estos fuertes pues tienen havras, algunos baxeles de armada, les haríamos gastar muchos más dineros sin comparación. El quarto remedio, a mi parescer sería el remate de todo, hazer una guerra corta, i gruesa por mar, i por tierra. La de tierra que fuesse mui gruessa, i la de mar, si no huviere comodidad para gruesa, sea a lo menos de cinquenta baxeles bien en orden para sólo divertir las fuerças del enemigo, distraherle, i gastarle, i no para venir a las manos, si ia no se les ofresciesse alguna gran comodidad mui aventajada. Con esto, no podría durar la guerra muchos meses, i de otra manera nunca se acabará, i nuestros gastos son excessivos, i bendrán a ser maiores, i baldría más gastar de golpe una gran quantía que no consumirse del todo poco a poco. Si estos medios se pusiessen por la obra, me paresce a mí que pueblos contribuirían mui largamente creo que contribuirían más de lo que io pienso, i la guerra se acabaría por las razones sobredichas. Quiero dar un aviso para saccar dinero.1 La riquesa de las minas que hai debaxo de la tierra en España es cosa inestimable según lo que acerca dello se halla escrito en los libros antiguos, i las otras naciones afirman. Una tan grande riqueza agora en este tiempo es más que necessaria. Aprovechémonos por amor de Dios della. Andando io mui solícito en cómo se podría desenterrar, he benido a dar en un gentilhombre conoscido mío, natural de la ciudad de Colonia, hombre mui de bien, assentado, ricco, de edad de quasi cincuenta años, el qual sin banidad se obliga a estas cinco cosas. La primera, que él ha hallado sabe i tiene ciertos instrumentos, ciertos ingenios nunca antes vistos, ni oídos, por los quales con mucha facilidad se descubre, conosce, i sabe ciertamente en una montaña, o en qualquier otro territorio, si hai mina, o no ; i de qué género sea la mina, es a saber, si es de oro, o plata, cobre, plomo, o de otro metal. Cosa admirable, i de grandissimo provecho. La segunda, que después de descubierta la mina, tiene tal modo que sigue la bena más seguramente con maior comodidad, más brevedad, i menos costa que todos los demás que lo han practicado hasta el día presente. La tercia, que fundirá los metales, los afinará, i los separará los unos de los otros en menos tiempo, menos gasto, i más fácilmente que ningún otro. La quarta, que tiene un raro modo i manera de basiar i saccar fuera de la mina 1. Souligné dans le texte. 8

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las aguas que la suelen impedir. La quinta, que para remediar la falta de aguas, i sequedad de qualquier tierra, él promette, i se obliga de darle abastantemente agua en todos tiempos para el sustento de los hombres, i del ganado con mucha facilidad i grande comodidad. El que esto promette es hombre de marca, i será contento (según me dize) de ir a España con unos beinte oficiales para el dicho fin, con una mediana aiuda de costa, i con sueldo de capitán para su persona i con el de soldado para los oficiales.2 Suplico a Vuestra Excelencia sea servido de mandar dar orden, en que la miseria de esas mis pensiones corridas se me libren, i paguen, porque le juro sanctíssimamente que como i bivo de prestado i de fiado a interesse. Estoi gastado, i no puedo más. Guarde Nuestro Señor la Ilustríssima i Excelentíssima persona de Vuestra Excelencia i estado acresciente. De Anveres i de junio a 26, 1575 Servidor de Vuestra Excelencia cujas manos besa FADRIQUE FURIO CERIOL

Post data. Somos a 27 de agosto, i ésta es copia de otras dos. Ha se puesto en execución el dar en que entender al enemigo, i trabajarle, i assi nuestros negocios andan mejor, testigos Buren, i Hautwatter con lo demás. Con todo ello digo, que nos es nada, ni serán nuestros designos algo, sino se pone alguna orden en la desenfrenada licencia de nuestros soldados ; i si no se les restituien todos sus privilegios a estas provincias, i billas, porque quanto mejor andan nuestros succesos, tanto maior odio i indignación conciben en su pecho todos estos pueblos, i temo, i mui mucho temo, que un día se han de levantar, i degollarnos a todos. Estas no son hablillas ni temores baños. No se puede dezir el diezmo de lo mucho que andan desvergonçadamente los hurtos en esta militia, con grandissimo daño de la hazienda real i perjuizio de estos estados. Los Coroneles, maestres de campo, capitanes, i oficiales todos se aprovechan con daño de la hazienda real, i con peligro de la honra real, i con riesgo de echar a perder estos estados. Porque pensará su 2. Souligné dans le texte.

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Magestad poderse aprovechar de cinquenta i siete mil plaças que paga en estos estados, i io fiador que no llegan a quarenta mil. Los castellanos en estos castillos passan muchíssimas plaças de soldados absentes, muertos, idos, i de los que nunca fueron ; i en las casas de munición hazen monopolio públicamente en las carnes, pan, bino, cervesa, tanto que siendo los dichos castillos libres de Maltota imposiciones, i otros derechos, es berdad que en ellos se bive allá dentro más caro que fuera de allí en los pueblos donde se pagan dichos derechos. Los contadores, pagadores i comissarios, ellos se entienden. Para una compañía de cien soldados toman por lo menos tres cientas casas los furrieres ; las que ellos reservan de aposento padescen un exorbitante rescate a provecho de los oficiales i furrieres que andan a la parte ; i las que tienen huéspedes, son dessolladas : i en las unas i en las otras padescen mucho la hazienda, los hijos, i mugeres. Aquí se deve de considerar que los riccos por su rescate son excemptos, i los más pobres son los que más padescen. Los hereges, o los que son sospechos en la religión, luego se rescatan, de manera que los más pobres, los más hombres de bien, i los más cathólicos llevan la carga i los açotes. Una tal compañía de cien soldados estando alojada en un casal grande o pequeño, padesce un cruel rescate, i todos los casales al rededor, aunque sean diez, quinze, o beinte, son también rescatados, allende de la contribución. Cosa que tiene los pueblos alterados, i las voluntades alienadas del real servicio. Esto no se puede remediar sino fuere por medio de un hombre grave, que tenga sciencia y consciencia, i que no dé su braço a torcer como dixe al principio, i a éste tal ha se le de dar un poder mui grande con título i nombre de Conservador, o Visitador ; i me paresce a mí que un tal hombre reformaría estos abusos en mui poco tiempo, i con ello su Magestad ahorraría muchos millares de ducados en cada un año, i estos pueblos quedarían algún tanto aliviados, i las boluntades menos estragadas.3 Suplico a Vuestra Excelencia otra bez por la Merced de mis corridas pensiones.

3. Cette phrase est suivie d'un paraphe.

VI REMEDIOS

Remedios dados por Fadrique Furiò Ceriol a su Magestad para el sosiego de las alteraciones de los países Vajos de los Estados de Flandes. Cesárea

Real

Magestad

Fadrique Furiò Ceriol, digo que lo mucho que devo al rreal servicio de buesa Magestad, y el amor que tengo a la quietud pública, me han constreñido a tomar la pluma en la mano y, a modo de como quien lleva agua a la fuente, proponer algunos medios, los que a mí me parecen más acomodados para la devida rredución, fidelidad y obediencia de los Estados Bajos de la casa de Borgoña ; los quales, conbiene grandissimamente a la rreputación y grandesa de Vuestra Magestad que, sin ninguna delación sean rreducidos enteramente a su rreal obediencia, con toda la prestesa pusible, por tres causas principalmente entre otras muchas. La primera porque el Turco tiene cierta ciencia de las fuerças de poniente y tendrá por mui cierto que las armas Cristianas no le pueden dañar muncho en el mar Jonio ; pues, hallándole desarmado y rroto agora dos años, no le apretaron tanto como él por ventura lo tenía. Por donde pienso yo, plege a Dios que me engañe que estando enojado por las pasadas pérdidas, volverá con saña sus armas contra poniente y en tal caso sería muy gran bien de la cristiandad y alivio grandissimo de Vuestra Magestad si le aliase con sus Estados Vaxos reducidos Source : D'après le manuscrit de la Bibliothèque Nationale de Madrid, n° 18.024. Ce texte a déjà été édité par Sevilla Andrés dans son ouvrage sur Furiò Ceriol.

REMEDIOS

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a su devida obediencia como es justo. La segunda rrazón es porque el nuebo rrey de Polonia estando como está muy obligado al Turco, moverá güera cada y quando se lo pidiera y por vía del buen estado que el dicho rrey de Polonia aspirare al ymperio. Su hermano el rrey de Francia le ayudará a ello o a lo menos travajarán de enagenarlo de la casa de Austria y algunos príncipes de Alemania tanbién se lo procurarán o por bentura lo tienen ya concertado y podría ser que diesen todos sobre los Estados Vaxos. Hase de presuponer siempre lo peor y así sería para el enemigo la entrada más difícil en aquellos estados hallándolos rreducidos, y más fácil la defensión para Vuestra Magestad y menos peligrosa. Dexo aparte los millones de horo que se gastan, han gastado, y gastarán mientras estubieren alborotados lo poco que rentan ; en el entretanto las almas que se pierden, los vasallos que se salen fuera, y otra ymfinitas cosas de este jaez que a la fin todo es perder. Por todas estas causas, entre otras muchas bengo a dezir que no solamente conviene a Vuestra Magestad, mas aun es nezesario que, con toda la diligencia y yndustria, travaje en rreducir dichos estados a su rreal fidelidad y obediencia esta tar (sic) rredución en dos modos se puede tan solamente : es a saber o por armas o por buen govierno. Las armas a provado y Vuestra Magestad hasta agora valerosísimamente y con ellas atajado dos mili males y efetuado memorables cosas ; pero los gastos han sido grandes, muchos los muertos y la pretendida rredución y obediencia no solamente no se ha consegido mas aún parezer que queda muy duddosa. Suplico, por amor de Dios, a Vuestra Magestad sea servido de bolverse a la otra parte de las dos sobre dichas y parar dicha rredución por el camino del buen govierno, pues siendo Vuestra Magestad un muy rraro y admirable maestro en el rremedio de los que al principio prometí. Provando Vuestra Magestad un tal camino, entiendese que no se debe de apartar de ymproviso de la armas sino que será menester temporiçar con ellos asta tener ganados, pacificados y aseguerados, los ánimos de aquellos basallos. No faltará por bentura quien diga que no conviene a la auctoridad de Vuestra Magestad provar esta rredución por bía de buen govierno, aviéndola comenzado por las harmas. La verdadera auctoridad, digo que consiste en que un príncipe salga con su justo yntento y perpetúe la suçisiôn de los estados en su casa por la vía que pudiere, con tal que sea legítima, nunca el perdedor fue loado, quando los medios son buenos y honestos de una rredución o conservación. No solamente conviene a la autoridad de qualquier príncipe más aun se le

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recresce por ello grandísima loa y honra. Los medios de buen govierno son prudencia, liberalidad y misericordia. Con tales rremedios nezesarios es que se gane autoridad, y aun muy grande, pues quien habla de perder auctoridad por ellos bien entiendo yo que la potencia, la qual comúnmente usa de las harmas por su medio, es adorada por la gente vana, mal fundada en juicio. Pero los savios y grandes gobernadores tiénenla por bestia fiera y no se quieren aprovechar della, mientras pueden echar mano del buen govierno. De aquí es que los poetas figuraron antiguamente el principado con la efigie minotauro de medio arriba hombre, que es el buen govierno, que a de ser superior y primero, y de medio avajo vestía, que es la pontencia con la armas, que ha de ser la ymferior y postrera ; y un buen governador nunca viene a éstas sino esforçado. Queda de aquí entendido que, usando Vuestra Magestad de la vía del vuen govierno, perderá nada de su auctoridad, antes la acrezentará. Vengo pues a los otros estados : quantas cosas se hallan en un estado nezesariamente se rrefierren a uno de los tres sobre dichos lugares ; de cada uno dellos trataré vrebíssimamente y añadiré sacando dellos los rremedios que a mí me parecieron más conbenientes a este tiempo para la rredución en estos Estados Vaxos.

PENA Pena el primer de los tres lugares sobredichos es el devido castigo que se da por la culpa cometida. Al dar de esta pena, presiden, justicia y misericordia. Justicia quiere que nos dé mayor pena, ni mayor digo ni menor, de lo que el delicto mereze la justicia. La misericordia, mirando más altamente, disimula muchas cosas, y moderando el rigor de la pena, la suele poner y dar muy menor de la que la culpa mereze. La justicia estoy por dezir, hablando a la ligera, que es humana y terrestre, pero la misericordia es verdaderamente celestial y divina, y así Dios más se nos muestra en todo y por todo misericordioso. Pecaron los Estados Vaxos, es verdad, pero de tal modo que de veinte partes de aquellos, apenas pecó la una, y no me parecería vien que las diez y nueve de las justas padescan por la una pecadora. Antes es conforme a razón perdonar a los pocos, aunque malos por la justicia y fidelidad de los muchos, quanto y más que desta una parte pecadora, muy muchos murieron en el tumulto de las armas y casi todos los demás han muerto por caminos o andan desterrados fuera de su

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natural y de sus casas y haziendas, que son muerte natural y civil estas dos muertes. Me parece a mí sino me engaño, que an sido y son vastante pena para el delicto y culpa cometida en aquellos estados. Y como tal que así lo acostumbran los padres, con muy liviana pena perdonan las muy graves culpas de sus hijos, señor dellos y según ésta ; el conservarlos y acrezentarla es beneficio de su acienda propria. Y lo contrario es gastarla y perderla. El rrey y en algunos lugares de la sagrada escritura el rrey es nombrado Dios, y como a tal, es obligado a usar de misericordia a semejança del rrey de los rreyes. ¡ Guay de nosotros si Dios nos juzgase con rrigor de justicia ! No quedaría piedra en el testamento viejo. Los rreyes se ungían con olio y a ymitación de aquellos algunos rreyes tanbién hungen en nuestro tiempo, con que se da a entender que los rreyes an de ser misericordiosos porque el olio y aceite significan la misericordia. Quien quiera es bueno para castigar culpas, mas para perdonarlas, es menester un pecho generroso, heroico y divino, qual todos confiesan ser verdaderamente el rreal ánimo de Vuestra Magestad. De aquí saco el segundo rremedio, y es que, pues pocos pecaron y aquellos o se murieron o les mataron, y los poquitos que quedan, han padezido aflición hasta hagora en sus ánimos, en sus cuerpos, en sus haziendas, en sus mugeres, hijos, deudos y amigos, y pareze que las leyes y oficios y les dé su buena gracia rreal, volviendo pacíficamente a sus casas dentro de cierto tiempo, y que viban de oy en adelante honestamente para que el de Orange y las demás personas de qualidad se aseguren enteramente ; podráse tenir algún trato secreto, guardando pero en todo la auctoridad de Vuestra Magestad, por vía del Emperador o por otros medios que muy fácilmente se podran hallar y yo mandándolo Vuestra Magestad me parece que podré decir algunos arto rrazonable. Podrá ser que algunos paresca este segundo remedio contra la auctoridad real : a los quales rrespondo que no lo es por las causas sobredichas y antes le acrezentarán su auctoridad en tanto que hasta los enemigos quedarán atónitos y llenos de ynbidia de ima tan grande misericordia nunca pensada por ellos. Otros dirán que Vuestra Magestad pierde una hazienda muy grande de los vienes confiscados : a los quales rrespondo que no es perder, sino ganar, si vien se consideran los millones que se han gastado, los que se abrán de gastar si los estados no se pacifican y las rrentas hordinarias que han çesado y çesarân con grandísima pérdida de los Cofres rreales. Siendo Vuestra Magestad el más franco y más libreal (sic) príncipe de todo el mundo, no creo yo que ponga Vuestra Magestad

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sus ojos en vienes fiscales, que es cosa baja, ni permitirá que sus émulos piensen en ello. El tercero rremedio se sigue nezesariamiente el segundo y es que luego después de un tal perdón, se a de deshazer el consejo de trublas porque no tendrá en qué entender y, siendo como él es en gran manera aborecido, engendra odio en el ánimo de aquellos vasallos y agora más que nunca son menester amor y benibolencia contrarios al temor causados del odio. Tengo para mí por muy averiguado que no quietarán de buena gana los ánimos de aquellos pueblos, mientras este consejo esté en pie y quitándole se pacificarán. Mas rrecreçerà Vuestra Magestad al pie de un millón de afligidas personas con más de quince mili proçesos en que están enrredados a causa de la confiscación, la qual por vía de este Consejo conprehende por la mayor parte viudas menores, huérfanos, viejos, mancos, tullidos, gafos y monesterios de pobres frayles y monjas que se mueren de ambre y açen algún escándalo de su cuerpo y otros notorios daños, los quales con este tercer rremedio serían rreparados y los pueblos aliviados y contentos. El quarto rremedio es que Vuestra Magestad hordene y mande que los soldados, en aquellos estados, no se desmanden contra los pueblos ni contra sus huéspedes, porque se quejan grandemente que an husado de sobrada licencia contra sus haziendas y contra la honrra de sus mugeres y hijos, materia si es berdad, de grande escándalo mayormente siendo aquellos los buenos que an quedado y no es justo que padescan los buenos la pena por los malos ; principalmente una tan ynominiosa pena rreyta, tanvién tiene por cierto aquellos estados que es pena y aun muy grande siendo ellos como son, hereditarios y no por conquista, tener allí un tercio de soldados presidarios a la continua en todos tiempos, y ansí el quinto rremedio sería que Vuestra Magestad les diese cierta esperança que, en acavando de pacificar los bullicios, les quitarán los soldados estrangeros de allí y se quedarán con las bandas hordinarias al uso de aquella tierra. Dicho algunos rremedios tocantes a la pena, vengo a los del premio.

PREMIO Premio : segundo lugar de los arriva nombrados es la rrenumeraçiôn devida a las virtuosas actiones. Es muy justo y aun nezesario que aya premio para los buenos como ay castigo para los malos, y así Dios, como tiene ynfierno y purgatorio para los malos,

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ha puesto paraíso para los buenos. Al dar de este premio, presiden beneficencia y equidad, de las quales sacaremos algunos rremedios para los Estados Baxos ; siguiendo las leyes de beneficencia, será el secto rremedio que Vuestra Magestad, como vien lo tiene acostumbrado, aga merçedes a unos y los prometa a otros naturales della de lo que han servido en los bullicios pasados y le sirben en los presentes y les anime en los de porvenir. El sétimo remedio es que a los naturales della Vuestra Magestad los emplee en cargos de paz y de guerra, allá y fuera de allá como en las Yndias, en Ytalia, Cicilia y en otros cabos de los muchos que Dios ha dado en govierno a Vuestra Magestad. El 8 rremedio es que para sus consejos de estado y de guerra señale algunas personas ydóneas de aquellos estados que asistan junto a la rreal persona de Vuestra Magestad ; que esto aprovecha mucho para romper la ymbidia de las naciones sub jetas y para conservarlas en amor y berdadera obediencia. El 9 rremedio es que Vuestra Magestad dé el asiento de gentil hombre de su casa a muchos más naturales de los estados de los que tiene agora y de los mismos mande nombrar algunos por oficiales de su rreal casa como sería dezir por mayordomo cavalleriço o otro mayor o menor de semejantes oficios. La equiedad como aquella que no solamente tine (sic) ojos a los buenos que han bien hobrado o que pueden bien obrar, mas aún a los malos que no dañen. Por esto será el dézimo rremedio emplear en cargos y oficios y prometer algunas merçedes, y aún hazerlas algunas, bolliciosos de los quales se tenga presunción y sospecha que pueden alterar aquellos estados. Es muy grande destreza en el govierno por esta vía desviar de su dañada yntención a los malos y de tales hazerlos buenos y leales, lo qual muchas vezes aconteze. Bastan estos rremedios sacados del premio digamos de los de la horden.

HORDEN El tirzer y último de los tres lugares sobre dichos hes la horden, la qual es una zierta, firme y ynduvitada manera de proçeder en todas las biziones públicas y particulares en tiempo de paz y de guerra, sin la qual horden en ninguna manera no se puede bivir en esta comunión de vida humana. En esta horden se requiere çertitud y costancia, de las quales dos partes sacaremos algunos rremedios, digo contrario del todo a la duda y novidad tienen quenta con lo pasado y presente y más particularmente con lo

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venidero que son como ciertas guías de lo que está por venir quitándolas éstas, queda una yntolerable confusión en esta vida çeguedad y errores ynfinitos. Lo pasado en el buen govierno como Vuestra Magestad lo sabe y aze mejor que nadie, ase de asegurar, confirmar y guardar en lo presente y en lo de porvenir, huir de qualquier género de novedad, porque la novedad, como antes dixe, es del todo contraria a la certitud y costancia en las quales estriba principalmente el buen govierno. Por tanto, Vuestra Magestad usará del onzeno rremedio que es confirmarles de nuevo todas sus leyes, fueros, previlegios, ynmunidades, usos y lohables costumbres que usaban antes de los alborotos ; porque ellos nezesariamente han de tener que Vuestra Magestad no se los derrogen y quite a causa de las pasadas y presentes alteraciones, y conzediéndoselas de nuebo, adorarán en Vuestra Magestad. El 12 remedio será quitar como a cosa nueva las nuebas ympusiciones de las centenas veintena y décima que son la más principal causa de las alteraciones, según ellos dizen. El décimo tercio remedio es que Vuestra Magestad, por vía de enbaxadores, o de visitas, o de otros medios, entretenga con su buena gracia a los príncipes vecinos de aquellos estados. El décimo quarto rremedio es que Vuestra Magestad no rrompa por agora guerra públicamente en Yngalatera, sino que entretenga debaxo de especie de amistad en público, y de favor y ayuda en secreto de gente dinero y consejo y a la contravanda que tiene en aquel rreyno y principalmente a los mal contentos y a los que están llebantados. El dézimo quinto rremedio es que para usar de tan altos grados y actos de prudencia, liberalidad y de misericordia, como son los sobre dichos, no ay persona que lo pueda hazer, ni aunque lo deva hazer, porque los pudentes príncipes cometen a sus ministros la justicia, y reservan para sí la gracia, sino es Vuestra Magestad o no puede o no deve de pasar a aquellos estados por justas causas. En tal caso podía embiar allá el excelentísimo don Juan de Austria acompañado de consejeros no duros ni rigurosos sino blandos y amorosos correspondientes en todo al benigno y misericordioso pecho de Vuestra Magestad. Con esto pongo fin a los rremedios prometidos por vía de buen govierno, dexando por agora la parte ymferior de Minotauro.

VII COMPTE RENDU DES « REMEDIOS » PAR J.-A. DE THOU

En même tems Frideric Furio Cériolano publia un modèle de traité de pacification entre S. M. C. & les Provinces confédérées. Pour qu'on y fît plus d'attention, il se chargeoit même de faire ratifier par la Cour d'Espagne tous les articles qu'il proposoit. Cet écrit contenoit en substance : Que tous ceux qui étoient bien intentionnés pour la réiinion devoient se mettre dans la disposition de préférer le bien public à leur avantage particulier ; que c'étoit à eux de faire réfléxion, que la division entre les Princes chrétiens & leurs sujets entraînoit avec la rüine des Princes mêmes et des peuples celle de la religion & de l'Etat : Que les Païs-bas étoient à la veille de se voir exposés aux mêmes malheurs, qui avoient désolé l'Afrique, la Palestine, l'Asie, la Grece, & la Hongrie ; qu'il falloit par conséquent, de part & d'autre, relâcher un peu de ses droits : Que S. M. C. rétabliroit les Confédérés dans ses bonnes graces, dans tous leurs biens, titres, & privilèges ; que les Confédérés de leur côté rentreroient dans l'obéissance de Philippe, & lui rendraient l'hommage qui lui avoit toûjours été dû : Que le traité serait éxécuté de bonne foi de part & d'autre : Que si on demandoit de plus grandes sûretés à S. M. elle se chargerait, suivant l'ancien usage pratiqué du tems des Maures, de faire signer le traité par tous les seigneurs d'Espagne, tant Ecclésiastiques, que séculiers ; qu'elle engagerait les princes Allemans à la même chose ; & que quelques-unes même des principales villes de Flandre signeraient la garantie à certaines conditions. Que trois chefs principaux avoient été la source de tous les troubles ; la crainte de l'Inquisition, les ordonnances pour l'éxécution des règlemens de Charle V & de S.M.C. faits au sujet de la Source : Extrait de l'Histoire t. VIII, Londres, 1734.

Universelle

de Jacque-Auguste de Thou,

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COMPTE RENDU DES

« REMEDIOS »

religion, depuis l'année 521 jusqu'à 566 & l'imposition du dixième denier : Que l'Inquisition n'étoit point encore établie, & qu'il n'en seroit plus question, non plus que du dixième : Que pour ce qui étoit des ordonnances de S. M., on prendrait de concert, & du consentement des Etats, des mesures pour en modérer la rigueur : Que ceux qui ne s'en accommoderaient pas auraient le choix, ou de rentrer dans le sein de la religion catholique, ou de suivre l'usage, qui s'observe au sujet de la religion dans toutes les provinces de l'Empire : Qu'il leur seroit libre par conséquent de sortir des païs de l'obéissance du Roi, sans que leurs biens en soufrissent, en sorte qu'ils pourraient les donner à ferme, et en percevoir les fruits, ou les aliéner. Que quoique les troupes étrangères ne fussent point à charge aux provinces, cependant elles seroient licentiées, & sortiroient des Païs-bas, en cas qu'on persistât à le demander, à condition néanmoins qu'on donneroit auparavant à S. M. C. telles assûrances qu'elle éxigeroit, de ne rien tenter, qui fût contraire à ses intérêts : Qu'ils commenceraient donc à traiter de la réünion avec la soumission qu'ils devoient : Que le prince d'Orange sur-tout écrirait au Roi d'une façon respectueuse, & que ses lettres ne manqueraient pas d'avancer beaucoup la négociation : Qu'il ferait les mêmes avances aux deux premiers ministres de la Cour d'Espagne, le prince de Melito & et le comte de Chinchón, dont le prince étoit d'ailleurs proche parent ; car le prince de Melito étoit cousin issu de germain de Dona Mencia de Mendoza, qui fut mariée à Henri de Nassau ; & le comte de Chinchón avoit épousé une sœur du prince d'Orange : Que si on goûtoit ces propositions, il s'engageoit à se rendre en poste à la Cour, & à leur rapporter dans peu une réponse favorable de S. M. C. avec des assûrances raisonnables au sujet de la religion, & de l'éloignement des troupes étrangères. Les conférences étoient déjà rompuës lorsque cet écrit parut. Ainsi le prince d'Orange y répondit lui-même le 6 de May ; il disoit : Que toute la difficulté rouloit sur les assûrances que la Cour d'Espagne pouvoit donner aux provinces confédérées ; or que celles qu'on proposoit ne seroient jamais jugées assez solides par un homme sage, puisque le Pape pourrait aisément dispenser & absoudre les Espagnols de leur serment, s'ils n'étoient pas d'humeur de l'observer.

Vili DISCURSO DE FURIO CERIOL, SOBRE LA QUIETE DE ESTOS ESTADOS

limo, y Excmo. Señor. Fadrique Furiò Ceriol, digo, que habiéndome yo criado la mayor parte de mi vida en estos Estados altos y bajos, y esto con alguna observación de las cualidades dellos, teniendo muy estrecha amistad con los más principales de toda su nobleza ; desto, y de lo que agora he entendido, después de mi vuelta, he collegido algunos remedios, los que, según mi flaco juicio, me parescen algún tanto acomodados para quietar esta tierra, y reducirla enteramente a la debida obediencia de S. M. Los cuales remedios, aunque presentarlos a V. E. sea llevar agua a la fuente, todavía los presento como a testigos del gran celo que tengo al servicio del Rey, nuestro Señor, y al de V. E. Digo, que la reducción y obediencia destos Estados Bajos, no se puede hacer sino es en una de dos maneras, es a saber : o por vía de las armas, o por vía de buen gobierno ; las armas se han probado por espacio siete años continuamente, en que las rentas ordinarias y las extraordinarias han hecho gran quiebra, hanse gastado muchos millones de ducados, han muerto muchos millares de hombres de entrambas partes, y vemos todavía que las voluntades quedan alienadas, y la debida obediencia no cual se deseaba. Por tanto, me paresce a mí que sería muy bueno probar la dicha reducción por la otra vía, que es la del buen gobierno ; y así, digo, que el primer remedio de los que yo hallo, seriá insistir por la vía del buen gobierno, con el menor estrépitu de armas que ser pudiese. No quiero decir por esto que se hayan de dejar las armas en este Source : Colección de documentos inéditos para la historia de España, por el Marqués de la Fuensanta del Valle, Don José Sancho Rayón y Don Francisco de Zabalburu, Madrid, 1892, t. CU.

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DISCURSO DE FURIO CERIOL

tiempo, sino que temporizando con ellas, se apliquen todos los medios que más fueren convenientes al buen gobierno. Este buen gobierno consiste en tres cosas solamente, es a saber : en la pena, en el premio y en la orden ; y así los verdaderos remedios se han de buscar y hallar en las dichas tres partes, de donde probaré yo de sacar algunos, los que más me parescieren convenir a este tiempo de agora. Pena es el debido castigo por la culpa cometida ; al dar un tal castigo, presiden justicia y misericordia : la justicia pide que se dé el castigo, ni mayor ni menor de lo que la culpa se hallare ; pero la misericordia, que mira más altamente, como aquella que es divina, suele moderar a la justicia con la suavidad de la clemencia. ¿ Pecaron los Estados Bajos ? sí que pecaron ; pero de las veinte partes de aquellos, apenas pecó la una, y no me paresce que las diez y nueve buenas hayan de padescer por la una pecadora ; antes paresce que se ha de perdonar a ésta por la bondad de las diez y nueve. De los desta una parte, algunos murieron en los bollicios de las armas, otros han sido ejecutados a muerte por justicia, otros perecieron de hambre, sed y mala ventura, por caminos, fuera de sus casas, en la cual miseria se han consumido y muerto cuasi todos los desta parte pecadora, y si quedan algunos, éstos tales han padescido gravísima aflicción en sus almas, en sus cuerpos, en sus haciendas, en sus mujeres y hijos, y paresce que la justicia no tiene más que pedilles ; y aunque lo tuviese, la misericordia, usando de su clemencia, es bien que los abrace y recree con un liberalísimo y benignísimo perdón. De aquí saco el segundo remedio, y es un perdón verdaderamente general (no particular, como lo parescen ser los publicados hasta en este día), en que sin excepción de personas, a todos y a cada uno, se les aseguren fielmente sus personas y vidas, se les restituyan sus haciendas, a lo menos las raíces sin los frutos, sus honras y sus oficios. Si por ventura conviniere a la autoridad real exceptar deste perdón general algunas personas, éstas, a mi parecer, no han de ser muchas, y aun por vías secretas y extraordinarias, se les ha de dar a entender que si se humillan a pedir merced y misericordia, también gozarán de las gracias del perdón. Deste segundo, y tal, se sigue necesariamente el tercer remedio, y es quitar del todo el Consejo de Trublas, porque él es muy odiado de todos los Estados, y en él están encarcerados más de diez mil pleitos, en que padescen gravemente hombres viejos, viudas, menores, huérfanos, frailes y monjas y es razón que sean éstos tales favorecidos y aliviados.

SOBRE LA QUIETE DE ESTOS ESTADOS

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El cuarto remedio, es que a los soldados se les ponga alguna moderación en sus desenfrenadas voluntades, porque se quejan estos pueblos de muy muchos insultos que han cometido contra sus haciendas, hijas y mujeres, ¡ cosa muy abominable ! Mayormente, que siendo los que quedan los buenos y fieles, no es razón que padescan por la culpa ajena de los que pecaron. Este remedio no es de pequeña consideración, porque bien considerado, la desorden de los soldados ha sido muy buena parte para alienar las voluntades destos pueblos del real servicio de S. M. También tienen, como por artículo de fe, estos Estados, que los soldados extranjeros están acá por castigo y pena por el pecado cometido, y que no ternan su verdadera absolución hasta que los vean fuera desta tierra ; por tanto, no sería malo el quinto remedio, en que se les diese alguna esperanza, aunque falsa, que en acabando de asentar los presentes bollicios, saldrán fuera desta tierra los soldados extranjeros, y ellos se quedarán en guarda de la tierra, con sus bandas ordinarias. De entre muchos otros remedios que de la pena se pueden sacar, bastan estos agora ; diré del premio :

PREMIO Premio, es la remuneración debida a las obras virtuosas ; porque como hay pena para el malo, es justo que haya premio para el bueno ; de aquí se saca el sexto remedio, y es, que se hagan equivalentes mercedes a los naturales destos Estados, los que han servido en estas alteraciones pasadas y presentes. El séptimo remedio es, que los naturales sobredichos, según la cualidad de sus personas, sean empleados en oficios y cargos de paz y de guerra, tanto en estos Estados como fuera de ellos, y procurar con S. M. que así lo haga. El octavo remedio, es, que S. M., a los dichos naturales beneméritos, dé asiento de gentilhombre de su casa y oficios en aquella, y V. E. reciba algunos en su servicio, que esto lo tendrán a muy gran regalo, merced y premio. El noveno remedio es, entretener súbtilmente y con maña, con algunas mercedes y cargos, a ciertos hombres, amigos de honra y bolliciosos que hay en estos Estados, y esto conviene en gran manera.

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DISCURSO DE FURIO CERIOL

ORDEN La orden, en lo político, es una cierta y constante regla de proceder en todas las causas civiles y criminales ; donde ésta falta, todo queda confuso. Por causa de las alteraciones sobredichas, quedan estos Estados azorados, y están dubdosos cómo y de qué manera vivirán en el tiempo venidero, es a saber : si con sus leyes y costumbres antiguas, o con otras nuevas ; toda novedad en un Estado, causa grandísima perturbación y odio. Por tanto, me parece a mí que el décimo remedio, y muy agradable a todos, sería asegurarles sus ánimos, confirmándoles todas sus leyes antiguas, fueros, privilegios y loables costumbres. El undécimo remedio es, poner silencio perpetuo a la nueva imposición de la centena, veintena y décima, porque esto es lo que les llega al alma. El duodécimo remedio es, que los Príncipes vecinos a estos Estados (guardando la costumbre antigua), es bien sean visitados, y aun presentados de cuando en cuando de parte de S. M. por algún gentilhombre honrado, que dello se sigue muy gran provecho, y en dejallo de hacer, muy grande daño. El décimo tercio remedio es, darles a entender y persuadirles a estos pueblos, que la fe y palabra que se les ha dado y dará en cualquier género de negocios, se les ha de guardar y cumplir bien y enteramente, sin falta ninguna ; porque creen muy poco en cuanto se les promete ; tienen sus ojos firmemente puestos en las obras, las cuales consideran muy por menudo. Con esto pongo fin a estos remedios, sacados por vía de buen gobierno, de entre muchos otros que de los mejores lugares se pueden sacar, los cuales quedan para la rara prudencia de Vuestra Excelencia, como ni más ni menos dejo de decir la razón en que se funda cada remedio, y el modo de aplicarlo a las presentes alteraciones ; que esto sería hacer discurso, lo cual aquí no se pretende.

IX « LIBRO DE LA VIDA »

[Pp. 207-208] Tenían un hijo en Flandes, en el campo de su Magestad, Vicente Ceriol, ciudadano de la Ciudad de Valencia y su muger Isabel Lorença, el quai se llamava Federico Ceriol. Y la dicha su madre estava en perpetuo cuydado y congoxa de su hijo, rogando muchas vezes al siervo de Dios (Factor), que le encomendase al Señor, porque tenía miedo no se lo matassen con tantos peligros como hay en la guerra. A quien siempre respondía que estava vivo y sano, y que quando menos pensasse, le entraría por las puertas de su casa. Yendo un día entre otros el Padre Fray Nicolás a casa de los dichos marido y muger, le rogó la madre con muy gran encarecimiento que le encomendasse muy de veras al Señor a su hijo. El qual le respondió las siguientes palabras : « Vos hazeys fiesta a la Concepción de nuestra Señora, y soys muy devota della, y le encomendays muy mucho a essa Virgen bendita ; pues advertid, que esse día se embarcará para veniros a ver, y día de los Reyes (pues soys devota dellos, y les hazéys fiesta, y oración para que le libren) os entrará por casa. Y ansí fue, que el día de los Reyes siguiente le entró por casa sano y alegre, con estraño contento de sus padres y de todos los de casa. Y preguntándole la madre en que día se embarcó, respondió : Que el día de la Concepción de nuestra Señora. Por lo qual alabó mucho a Dios, conociendo el espíritu de profeciá que resplandeciá en su siervo Fray Nicolás, de quien dixo Federico Ceriol, que tenía por muy cierto le havía librado de muy grandes peligros y trabajos, porque Source : Christóval Moreno, Libro de la vida y obras maravillosas del siervo de Dios, el bienaventurado Padre Fray Pedro Nicolás Factor, Barcelone, 1618, pp. 207-208, 290-291.

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« LIBRO DE LA VIDA »

siempre se encomendava a sus oraciones, por la gran fe y devoción que tenía al bienaventurado Padre. [Pp. 290-291 : Cap. LUI : De cómo el Señor dió salud a diversos de muchos dolores y otras enfermedades por intercession de su siervo] Fadrique Ceriol, hijo de Vincente Ceriol, ciudadano de Valencia y de Isabel Lorença Ceriol, su muger, vezinos de dicha ciudad, fue el primero día de Deziembre del año mil y quinientos y ochenta y quatro, a holgarse a la Albufera (que es un lago de agua de tres leguas de largo y casi una de ancho y está une legua buena de la dicha ciudad, en el qual, sin la muchedumbre de peces, hay grandissima cantidad de aves de diversas maneras). Yendo pues el dicho Fadrique Ceriol a dicha laguna, y queriendo disparar una escopeta o arcaboz para matar unas ánades (que las hay muchas), sucedió que, corriendo un poco de viento, a la que quería apuntarse para tirar, cahió una centella de fuego en el fogón y disparó impensadamente, y la llama del polvorín le dió en medio de los ojos y en el rostro, de manera que quedó ciego, sin poder ver poco ni mucho. Y deste modo caminó cerca de un quarto de legua, puestas las manos en los ojos. Llegó a casa de sus padres, y llaman los Cirujanos para que le curen : los quales tuvieron por muy cierto que del todo estaba ciego. Quedóle el rostro todo abrasado y quemado, y tanto, que ponía lástima a quien lo mirava. Viéndose assi tan lastimado, toda la noche invocó al Padre Fray Nicolás (de quien era devotissimo, y lo fue también viviendo el siervo de Dios) para que le passe intercessor con Dios nuestro Señor : y lo mismo hizieron sus padres, y todos los de casa, y pusiéronle encima unos Agnus que havían sido del Padre Fray Nicolás. Quando vino por la mañana, se sintió sano y con la vista muy clara y sin lisión alguna en todo su rostro, ni señal : y sin faltarle cabello alguno, ni en la barba, ni en las cejas, ni en los parpados : lo qual causó a todos estraña admiración. Y viendo tan gran milagro y merced, como Dios les havía hecho, le alabaron y bendixeron, quando muy más devotos de su siervo Fray Nicolás.

χ LETTRE DE F. COCK A FURIO CERIOL LUI RECOMMANDANT UN PROFESSEUR DE GREC

Illustri viro Gorcomius s.d.p. 1

domino

Frederico

Cerriolano,

H.

Coquus

Ignosces vir optime, discendentem me e curia tibi non valedixisse quod subitae evocationi meae tribuas velim, non incuriae te invisendi ; espero tamen me brevi maturaturum reditum modo res sint in vado. Dabit hasce tibi dominus Sophianus vir optimus, natione Graecus, quorum Salmanticae familiariter conversatus sum ; Si quid inter curiosos ejusdem linguae scribendum occurrit ipse, moderato stipendio, et fideliter excipiet ; nollem tamen temeritatis audaciaeque notam propterea infringí : nisi enim ingenium tuum erga nostrates omnesque exteros benevolentissimum expertus essem, non tam libere hasce tibi dedissem. Similis vis sequitur adagium similem si [...] 2 quaerit. In cujus quotidie cum doctoribus converseris forte in quem (dam) incides Graeciae linguae studiosum cui res domini Sophiani curae sint [...]. 3 Oro igitur te si quid occurrat dum tibi habeas commendatimi, meque in quibusvis utere, habebis enim me semper ad tua promptissimum. Vale. Salmantica, A. D. 4 XII calendas maii 1584.

Source : Bibliothèque Nationale, Paris, Ms. latin 8590, f° 56. 1. Mis pour salutes dai plurimas. 2. Blanc d'un centimètre environ. 3. Idem. 4. Mis pour ante diem.

XI APROVACION IN « INVECTA CONTRA EL VULGO Y SU MALEDICENCIA »

Digo yo, Fadrique Furiò Ceriol, gentilhombre de la Casa de su Magestad, que he visto y con atención leydo, y examinado los presentes versos de Cosme de Aldana, con las demás sus obras, y las he halado mui católicas ; el verso fluido, numeroso y lleno ; los conceptos altos, y mui subtiles, y con admirable eloquencia y propiedad de lengua explicados, y al sub jeto de que se trata convenientemente acomodados. Por tanto, me parece ser obras provechosas y dignas de que salgan a luz y se impriman. En fe de lo qual, firmé ésta de mi nombre y la sellé de mis armas. En Madrid, y Noviembre a 17 de 1590 años. Fadrique Furiò Ceriol.

Source : « Aprovación » de F. Furiò Ceriol, concernant l'ouvrage de Cosme de Aldana, Invectiva contra el vulgo y su maledicencia, con otras octavas, y versos, Madrid, 1591. Nous faisons suivre Γ « Aprovación » des vers de Cosme de Aldana contenus dans son Invectiva..., écrits en l'honneur de Furiò Ceriol.

XII

OCTAVAS Y SONETOS AL MISMO DE COSME DE ALDANA en alabança de un cavallero valenciano, dicho Fadrique Furiò Ceriol, gentilhombre de la Casa de su Magestad Católica, etc.

OCTAVAS

Dezir quiero el valor más soberano, el más raro saber, dotrina y arte de quantas haya visto el ser humano acá y allá del mundo, en toda parte, de un heroico varón, en quien no en vano el cielo su tesoro y luz reparte, pues comunica al mundo alta memoria de supremo valor, virtud y gloria. No entiendo yo formar largo poema que, según su virtud serlo devría, por dar a un tal valor clara diadema, pues tan alta no va la musa mía ; mas su saber y su virtud extrema, su bondad, su humildad y cortesía pintar quiero, aunque sea muy brevemente, pues callar tanto bien no se consiente. Pero, porque tratar bien no se puede de alguno que primero no se entienda quien sea, porque sabido en tanto quede lo demás que en razón de esto se estienda, no será bien que el nombre aquí se vede propio poner, porque se comprehenda quanto diré del claro y divino hombre, cuyo valor nos muestra el mismo nombre.

COSME DE ALDANA

Fadrique Ceryol Furiò es lamado el heroe inmortal, claro y divino que, como en otros versos ya he cantado, le dio un tal nombre su cortés destino, para dexarnos dicho y avisado que una tal propiedad bien le convino de un cirio lucidissimo que alumbre, pues el dar luz de sí tiene en costumbre. Y porque la virtud puesta en el medio por los sabios estar se afirma y cuenta, Ceryol pusé en medio, el cual es medio para dar gloria y luz sin fin ni cuenta ; que, como de virtud (útil remedio de la miseria agena y grave afrenta del ciego y triste) por señal propuesto, no sin razón assi me vino puesto. Con esta luz tan clara, eternamente en general nos comunica y muestra un bien tan principal, tan eminente, que mayor no le vió la gran maestra, ni jamás pudo verse entre la gente de la dorada edad o la que es nuestra ; mas, por venir a lo especial, yo devo el subjeto ordenar que agora lleve. Mas ¿ por dó empeçarà mi musa indina, pues qualquier parte suya en tanto es rara que no parece humana, mas divina, conforme de su nombre a la luz clara ? Principiaré, mas no por la más dina, pues cada qual, al ver muy más, se aclara ; pero de la primera en su cimiento diré que es su divino entendimiento. Mas ¿ qué diré, puesto que yo más diga de aquel ingenio raro y escogido a quien suerte cortés, dulce y amiga, hizo en su ser tan noble y tan cumplido que con tanto concierto ata y desliga qualquiera gran razón de muy subido concepto, sin dudar un punto solo, como divino oráculo de Apolo ?

OCTAVAS Y SONETOS AL MISMO

Es este ingenio casi un prado ameno de mil flores y mil, que no hay sabello sino admirar el más claro y sereno escritor, con que venga a conocello ; porque es forçoso estar muy colmo y lleno de saber al venir tan solo a vello, pues no puede entender quien no le entiende, mas porque tanta luz su vista ofende. Quanto se sabe más, a más se aplica la gran capacidad del alma nuestra, y assi, quien poco sabe a poco aplica su torpe ingenio y voluntad siniestra, y a quien más sabe más se notifica ; que, a más saber, con la verdad se adiestra el que de una verdad va otra sabiendo, que va de aquélla y de esta otra entendiendo. Digo, pues, que a entender el alto y claro conceto del sublime entendimiento, es menester no ser de sciencia avaro, mas de profundo y grave sentimiento ; pues qualquier dicho suyo único y raro possee de gran dotrina alto cimiento, más intimo, celado y más subido que de docto vulgar sea conocido. En todas artes es claro y cursado, las que a illustre varón más se convienen, de do nace el discurso tan preciado de que las gentes a admirar se vienen, y aquel hablar tan claro y concertado al qual, por bien oír, más se detienen todos los que saber algo procuran, ni otro precian jamás, ni de otro curan. Desde las baxas cosas naturales, hasta las más supremas divinas dize en estilo tal, conceptos tales, con palabras tan propias y tan dinas que no ay darse en el mundo otras iguales de almas en el saber más peregrinas, merecedoras de atención eterna, por ser llenas de luz alta superna.

COSME DE ALDANA

Mas, dexando al tan raro entendimiento, que es supremo y sin par, a la potencia segunda de su alma en baxo acento verne, sola perfeta en eminencia. Esta es la voluntad, firme cimiento de qualquier perfición, y única essencia de virtud, que en su alma es recogida, merecedora de la eterna vida. Digo que la virtud que en éste mora y la benignidad, es tal y tanta, que hasta las mismas piedras enamora ; y es más que fue en la edad dorada y santa, pues que tan altamente en si atesora rara y dulce humildad que al mundo espanta^ y aquella excelsa y noble cortesía que en las almas amor abiva y cría. Vengamos, tras aquesta, a la tercera porción del alma, que es su gran memoria, nobilissima y rica tesorera de todo alto concepto y larga historia. Nunca se vio la más firme y entera, pues sabe el ser, los hechos y la gloria de quantos en el mundo huvo famosos ; y en muy claras hazañas valerosos. De quantos en poder, imperio y mando dominaron el mundo en toda parte, varios efetos va siempre acordando, gracia que el cielo a pocos tal reparte ; quánto en muchos obrado, y cómo y quándoel sacro Apolo ha siempre, o el fiero Marte, y tal causa atención, gusto y dulçura que se enagena el mundo y la natura. Vengamos, pues, a las virtudes claras que en estas dos del alma altas potencias, muestran de sí mil maravillas raras, mil altas perficiones y excelencias, pues son liberalíssimas, no avaras, y de todo valor nobles essencias, y assi, principaremos por la guía, virtud de todas van en compañía.

OCTAVAS Y SONETOS AL MISMO

La prudencia es, la quai guarda en sí y tiene toda qualquier virtud más de estimarse que en él, como en espejo, a ver se viene, y como en propio trono a colocarse ; la qual conserva en sí siempre y contiene el consejo más diño de admirarse, con proveer a todo caso incierto de la fortuna varia, aunque encubierto. La tan paciente y santa temperancia repartiéndose va por los sentidos con firmeza tan sólida y constancia, quanta se pueda ver en los nacidos, sin que la vanagloria o la jactancia de tanto bien, sus méritos perdidos buelva, pues la modestia en él es cosa sobre todo entender maravillosa. Nunca balança o peso ser más justo se pudo ver en quanto ver se puede, por la iusticia ser su mayor gusto, y a la impiedad mostrarse horrible y crudo, aborrecer al miserable injusto, y al torpe hablar estar qual sordo y mudo, sólo lo bueno admira, admite y quiere, porque lo justo a todo el bien prefiere. La fortaleza, firme y bien armada contra todo poder de fiero assalto, se vee (que en la mitad es colocada de la audicia y temor) subida en alto sobre toda passión, nunca alterada por buen sucesso o peligroso salto, más firme en sí que esté la mayor sierra que hombre pudo jamás ver en la tierra. La caridad en él de bivo zelo arder se vee con luz perseverante, moradora digníssima del cielo, no conocida acá del vulgo errante ; con lástima, piedad y desconsuelo de todo ageno duelo que delante se le presente, al qual busca y procura alivio dar con gusto y con dulçura.

COSME DE ALDANA

Y para esto Dios le dio que sea de varones muy altos muy preciado que acerca el mayor rey que el mundo vea posseen el más supremo, excelso grado, porque ayude a los pobres y provea al triste, al miserable y fatigado, a que con su favor vaya cobrando aliento y luz, su mal algo olvidando. Salga pues a alabarlo el que al Troyano alabó tan heroyca y altamente ; venga el poeta argivo y el toscano, con quantos han escrito antiguamente, que en dezir del subjeto soberano, número no serán tan sufficiente todos, y al alabar este heroe solo, aunque con ellos se halle el rubio Apolo. ¡ Quántas cosas dezir, quántas querría dignas de tan digníssimo subjeto ! Mas, como he dicho, no es la musa mía a tanta luz proporcionado objeto ; escuse su bondad heroyca y pía mi baxa indignidad y mi defeto, ya que indigna se vea de tanta gloria qualquier musa de estima y de memoria. Y cesse ya, pues con tan rudo canto viene a diminuyr el alabança de aquel varón que celebrado es quanto pueda bolar de más la fama alcança ; y escuse el gran héroe, que humilde es tanto mi temerario osar, pues confiança no es, ya que excediendo con mucho el grado de virtud que en medio es colocado. Y por fin, déle Dios tanta grandeza, tanta dicha, tal goze y tanta gloria como merece la suprema alteza, de ésta por fama puesta su memoria ; tal que le imbidie al fin naturaleza, ya que el mundo con él se ensalça y gloria, y después de una larga y santa vida, goze la paz suprema, alta y cumplida.

OCTAVAS Y SONETOS AL MISMO

SONETOS AL MISMO

En virtud o en valor, ¿ quál, Furiò, ha avido, aunque Camilo sea de los Romanos, que iguale a vuestros modos soberanos ni a vuestro entendimiento esclarecido ? ¿ Quál, Fadrique, jamás, aunque haya sido emperador o rey de los Hispanos, os hecho el pie adelante en sobrehumanos efetos, o en valor alto y cumplido ? Bien pudieron ser más en lo que viene a ser ceptro, corona, estado o mando, mas no en valor, virtud ni entendimiento. Vos qual Cyrio luzís, por quanto tiene el sol su luz, muy más del mismo, quando alumbra el estrellado firmamento. *

Pues que tenéys sin cuento virtudes, como tiene el cielo estrellas, más illustres, más firmes y más bellas. Luego, sin más querellas, conceded que, por quanto el sol alcança, suene vuestra divina, alta alabança ; y tenga yo esperança de un día veros, señor, puesto en un grado qual merece un valor tan estimado. *

Cyrio, la luz que vos con vuestra lumbre a vos os days, al mundo es tan crecida que no hay por do igualalla o que se mida con la de Apolo ya, por más que alumbre. Luz es de alto valor y mansedumbre, y toda otra virtud (que eterna vida de gloria dé, y de fama alta y cumplida) que está en vos de election y de costumbre. Quando mi oscuridad me oprime y ciega con su densa tiniebla, a vos me llego,

252

COSME DE ALDANA

cuya bondad jamás su luz me niega. Yo soy muerto sin vos, perdido y ciego, y en vuestra luz, mi alma se assossiega, pues toda gloria y luz halla en vos luego. *

Cyrio luzido y claro, ¿ a quién la lumbre de alta dotrina y gran virtud interna, hazer subir por fama sempiterna del baxo suelo a la suprema cumbre, (pues que la misma luz que ha por costumbre de illustrarte con luz clara y superna, por do el alma se rige y se govierna, y es forçoso también que al mundo alumbre.) es tal ? Goze también della, pues tanta la comunicas con tu eterna gloria, desde a do muere el sol, do se levanta. Pueda yo ver tus obras, que memoria eterna han de dexar acá, por quanto suba la fama que más buela y canta.

Varón supremo, a quien natura y cielo dio el más alto valor que a nadie ha dado, por darnos un sub jeto el más preciado que pudo jamás verse en este suelo, suelta tu lengua y da vital consuelo con el hablar tan dulce y adornado de mil concetos, que de tu avisado pecho salen con noble y santo zelo. Oya tu boz angélica y divina que nos levanta al bien del parayso, con tal celeste, noble, alta doctrina. Pues todo aquel saber, virtud y aviso que pueda contener alma más dina, el cielo en ti ponerlo pudo y quiso.

OCTAVAS Y SONETOS AL MISMO

Quien de este Cyrio lúcido y ardiente viere la luz, no curará de alguna luz que alumbre, de aurora o estrella o luna, en día más claro o en noche más luziente. Quien oyere aquel sabio y tan prudente hablar, ¿ cómo escuchar podrá ninguna boz de alguno, pues sólo es la suya una, que es de mayor consuelo entre la gente ? Quien no leyere de su sabia mano prosa o verso, ¿ qué havrá jamás que entienda, que inútil no parezca, indocto y vano ? ¡ O divina, immortal, celeste prenda, o digníssimo ingenio soberano ! ¿ quién tu gran luz havrá que comprehenda ? *

Quanto pueda un afecto ardiente y puro en una voluntad senzilla y clara, bien lo hecho yo de ver, mientras la avara suerte me aflige y mi dolor tan duro. Pues mientras deshechar busco y procuro con remedios mi mal, jamás no para, antes se haze mayor, tal que en mi cara se vee. Mas ¿ cómo ! ay, Dios ! yo en vida duro Es que en viendo la luz alta y divina del Cyrio lucidissimo que asoma por mis puertas (¡ o estraña, o varia suerte !) mi mal buelve hazia tras, para y se inclina, y espíritu vital el hombre toma, con que buelve salud lo que era muerte.

XIII CENSURA DES «COMENTARIOS» DE DON BERNARDINO DE MENDOZA

Fadrique Furiò Ceriol, gentilhombre de la casa del Rei nuestro Señor, digo que he visto, i con atención leido el libro intitulado : Comentarios de Don Bernardino de Mendoza de lo sucedido en las guerras de los Países bajos, desde el año de 1567, hasta el de 1577, que por mandado del Consejo Real me fue cometido : i hallo que el Autor de ellos dexando de industria el aparato i essencial de la historia para quien quisiese escrivirla, comprehende por cabos, como lo pide la lei de Comentarios, con tanta abundancia las causas, intenciones, designios, sucessos i fin de todas las facciones, que para largo, no lo puede ser más, ni para breve tampoco, guardando pero una lisa distinta, fácil i clara narración, sin sombra ninguna de obscuridad : gracia del cielo a pocos concedida. Contienen en sí muchas i mui notables empresas de nuestra nación i de las demás, su prudencia i tiento en comenzarlas, su industria en seguirlas, su valor i esfuerzo en oponerse i vencer las dificultades, trabajos i peligros que se ofrecían ; su constancia hasta llevarlas al fin deseado, assi en mar como en tierra : de donde resulta a esta monarchia, allende de su poder i grandeza, amor, temor, autoridad, reputación i gloria. Entre otras hazañas memorables i dignas de eterna memoria, se verán aqui aquellas dos nunca asaz loadas, que esta nación i las demás por dos veces con esquadrón formado del modo que se pudo, vadeó el mar Océano desde tierra firme a las Islas de Zeelanda, de noche i con frío, por distancia de dos leguas, con agua a los pechos, a la garganta, i a ratos más arriba : por donde

Source : « Censura » de F. Furiò Ceriol, concernant les Comentarios de Don Bernardino de Mendoza, De lo sucedido en las guerras de los paisos bajos desde el año de 1567 hasta el de 1577, Madrid, 15 mars 1592.

CENSURA DES « COMENTARIOS »

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algunos se anegaron en ella, i llegados de la otra parte hambrientos, desnudos, mojados, tiritando de frío, cansados i pocos, cerraron con los enemigos, que eran muchos más en número, i estavan hartos, armados, i descansados i atrincherados, i los hicieron huir a espaldas bueltas. Pueden también servir estos Comentarios de dechado i muestra de un buen soldado, de un valiente Capitán, i de un prudente i esperimentado General en el alojar, marchar, ordenar de su gente i esquadrones, campear, en reencuentros, rotas, encamisadas, emboscadas, assaltos, reconocimiento de sitios, i batalla, en cortar un camino, buscar el enemigo, prevenirle, divertirle, atacarle una escaramuza, avivarla, engrossarla, socorrer plaza, ganar passo, o alojamiento, estrecharle de vituallas, o tenerlas para su campo, entretenerle, consumirle, desbaratarle, i romperle. Finalmente aquí se hallán muchas i mui varias facciones militares tan bien puestas por la pluma, como lo fueron por la obra : las quales no son otra cosa, sino una arte militar puesta en obra, i una obra sacada del arte militar, a cuia causa se puede decir, que es juntamente teorica i plática de la verdadera milicia. Por estas causas, i porque no se hallá en ellos cosa contra la Iglesia Católica, ni contra buenas costumbres, me parece se puede dar licencia para que se impriman. En Madrid 15 de Marzo de M.D. XCII. Fadrique Furiò Ceriol.

XIV INFORMACION DE ENRIQUE COCK

Miércoles, a doce de agosto, murió en Valladolid Frederique Furiò Seriol, natural de Valentia, coronista de su Magd, hombre de raro ingenio, mucha sciencia y experiencia, el qual, siendo consejero del elector de Colonia, fué llamado por Su Magd en España por ciertas razones. El qual, por haber sido tan amigo mio, me paresció razón hazer dél memoria, pués su virtud y doctrina lo merescen.

Source : Extrait de Jornada de tarazona hecha por Felipe II en 1592..., par Enrique Cock, Madrid, 1879, p. 33.

LETTRES

INÉDITES

I

LETTRE DE F. FURIO CERIOL, GENTILHOMME ESPAGNOL Requête à Marguerite de Parme relative à son emprisonnement par les autorités de l'université de Louvain

A la Ducesse Remonstre en toute humilité Fredericq Fury Ceriol, gentilhomme de Valence en Espaigne, présentement estudiant en la ville de Louvain, comme nagaires, au commandement du roy nostre sire, il auroit, par le recteur de l'Université de ladicte ville, esté constitué prisonnier et detenu par l'espace de deux moys. Mais, après diligente inquisition faicte tant par ledict recteur que de l'inquisiteur de la saínete foy illecq, sur l'accusation et cherges leur envoyees par ladicte Majesté, ont trouvé que, par rapport faulx et sinistre, ledict suppliant auroit esté accusé et déféré a icelle, comme Vostre Altheze polra le tout entendre par lectres dudict recteur et pieces icy joinctes ; par quoy auroit ledict suppliant par ledict recteur, comme juge ordinaire et competent d'icelluy son escollier, esté eslargy de sa prison. Et, jasoit que ledict suppliant ayt a present nécessairement a faire en son pays, dont par l'espace de dix ans il a esté absent, non sans grand désir d'y retourner, et que le temps est brief a cause du prochain yver, toutesfois, pour respect de sa personne (comme gentilhomme d'honneur, d'entiere renommee et de bonne maison, et estant pour tel, mesmement par ses livres et escriptz publicques, tres bien cogneu en divers royaulmes et provinces, ou l'on a aussy resentu de sa prison) ne seroit convenable de partir de ces pays demourant chergé de son honneur, sans preallablement avoir obtenu sentence a sa cherge ou descherge, de tant plus aussi que a ses propres despens il a, par diverses annees, servy et suyvy la

Copyright Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles. Manuscrit n° II, 187, vol. 1, f° 30.

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LETTRE DE F. FURIO CERIOL

court de ladicte Majesté, et donné a icelle par plusieurs foys bons advys et advertissemens, concernans tant l'estat de Sa Majesté que affaires de la guerre. En faveur de quoy et d'autres services, que par cy après il polra encoires faire tant a ladicte Majesté que a Vostre Altheze, il suppliant se retire pardevers icelle, suppliant qu'il luy plaise avoir regard, disposer et ordonner aux troys poinctz quy s'ensuyvent. Assavoir, en premier lieu et principallement, demander et ordonner audict recteur, juge competent d'icelluy suppliant, comme diet est, de cognoistre de la cause et proceder contre luy selon raison equitable et, en luy administrant droit et justice, prononcer sentence diffinitive, tant pour satisfaction de l'honneur dudict suppliant que pour luy valloir en temps et lieu, comme de raison, de tant qu'il n'est aucunement comportable (en parlant soubz la benigne supportation de Vostre Altheze) d'apprehender gens d'honneur par mauvais rapport et suggestion controuvee, et après les licencier sans quelconque jugement ou sentence. En oultre, veu que ledict suppliant se treuve reculé en debte de plus de mil florins d'or, qu'il doibt en ce pays de Brabant et qu'il a perdu plus de mil cincq cens florins par sa detention injuste, sans autres interestz par luy souffertz, comme il prouvra le tout par gens dignes de foy, si besoing est, que, partant, Vostre Altheze veulle aussi mander et ordonner comme dessus a ce que, en prononchant ladicte sentence, et apparu de l'innocence dudict suppliant, il ayt a l'absouldre et eximer de tous despens, tant par luy faietz en ladicte prison que encoires a faire a cause dudict procès. Finablement, estant ledict suppliant (comme il espere) trouvé innocent et nullement culpable des cherges luy imposees, que samblablement ledict recteur ayt a le restituer a son honneur et entiere fame et renommee, en procédant sans port faveur ou simulation contre les accusateurs d'icelluy, tant ceulx qui sont en prison que d'aultres, dont il polra encoires finer ad penam talionis, comme de droit appertient. Et en faisant œuvre meritoire et de justice, l'obligera Vostre Altheze d'estre a tousjours prest et tres humble serviteur d'icelle. [n.d.]

II

MARGUERITE DE PARME, LETTRE SIGNEE AUX AUTORITES DE L'UNIVERSITE DE LOUVAIN transmettant deux requêtes de Frère Vincent, religieux espagnol, et de Dantes Ferdinand, se plaignant des mesures d'ordre judiciaire prises contre eux à la requête de Furiò Ceriol A venerable nostre treschier et [bien a]mé le recteur de [l'Uni]versité de Louvain. Marguerite, par la grace de Dieu, duchesse de Parme, de Plaisance etc. regente et gouvernante etc. Venerable treschier et bien amé Nous vous envoyons cy encloz deux requestes a nous presentees par ung frere Vincent, espaignol, licencié en theologie, et ung aultre Fernande Dantes, se plaingnans tous deux de quelque arrest que, a la requeste de Furius Cereolain, vous auriez faict tant sur les biens dudict frere Vincent que de la personne d'icelluy Dantes. Et, comme l'apprehension dudict Ceriolen avoit esté faicte par expresse charge du roy monseigneur, lequel (pourroit estre) ne trouveroit bon que, estant icelle partie et sans actendre autre ordonnance, vous l'ayez de vostre auctorité délivré, et que cela vous debvoit bien souffire, sans, a l'occasion dudict Furio, donner moleste a autres, a ceste cause vous avons bien voulu escripre la presente, affin que pourvoiez sur ce que lesdictz supplians requierent, de maniere que l'on ne retourne plus icy a plaindre, ou nous donnez occasion a y pourveoir autrement, désirant aussi que vous nous respondez a ceste incontinent pour entendre la provision que vous y donnez. Et, confians entièrement que en ce ne ferez faulte, ce soit le Createur qui, venerable treschier et bien amé, vous ait en sa saincte garde. De Bruxelles, le XIII e jour d'octobre 1559. Margarita Copyright Bibliothèque royale Albert I", Bruxelles. Manuscrit n° II, 187, vol. 1, f°s 34-37.

9—1

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LETTRE DE MARGUERITE DE PARME

[F° 34] Supplicat vobis humiliter et cum reverentia frater Vincentius, religiosus ordinis Predicatorum, licentiatus sacre theologie quemadmodum et ipse in quadam materia injuriarum quae sumit occasionem ex inquisitione heresios coram magnifico viro Domino Rectore alme Universitatis Lovaniensis in jus est tractus per quemdam Fredericum Furium Ceriolanum in qua causa et usque est processum quod huic inde petita est cautio pro expensis litis jam sic sese res habet quod prefatus Dominus Rector decreverit prefatum Furium debere prestare cautionem juratoriam pro expensis bona vero dicti Vincentii rei et reconvenientis jussit ad instantiam dicti Furii arrestari et in arresto detineri pro ejusdem litis expensis pro parte dicti Furii faciendis et quamvis dictus frater Vincentius fecerit extremam suam diligentiam apud prefatum magnificum virum Dominum Rectorem necnon etiam apud alios ad finem ut sua bona ab arresto liberarentur tarnen hoc impetrare non potuit imo quod amplius est postquam promotor aliquamdiu falso persuasisset bona dicti supplicantis fere arrestata tarnen postea inventum fuit eadem sua bona non esse arrestata sic quod nunc de novo aliud arrestum iisdem bonis imposuerunt non obstante quod idem supplicans tam ex mandato Regie Majestatis quam suorum superiorum in patriam revocatur et sic necessario bona sua premittere debet non etiam obstante quod idem supplicans cautionem juratoriam prestare offert qualem et per se Furius suus adversarius prestitit porro quare prefatus frater Vincentius est vir honestus ac probus, licentiatus sacre theologie, cui merito major fides adhiberi debet quam prefato Furio accusato de heresi e etiam in materia inquisitionis ex mandato Regis capto. Ideo petit prefatus supplicans quatenus magnifico viro Domino Rectori mandetur ut arrestum in bonis ipsius supplicantis positum amoveatur sub cautione juratoria per ipsum prestanda quam semper obtulit et adhuc offert ut non sit ipse deterioris condicionis quam suus adversarius est.

Copyright Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles. Manuscrit n° II, 187, vol. 1, f° 34.

AUX AUTORITÉS DE L'UNIVERSITÉ DE LOUVAIN [F°

263

35]

Supplicant humiliter frater Vincentius sacre theologie licentiatus et Ferdinandus Dantes juvenis probus capertinus, quemadmodum quísdam Fredericus Furius Cereolanus nuper ad mandatum Regis in materia inquisitionis hereticae pravitatis fuit captus et incarceratus in Universitate Lovaniensis sed postquam hoc factum erat ille idem Fredericus Furius jussit apprehendi predictum Ferdinandum Dantes tamquam suum accusatorem et nunc etiam dictum dominum fratrem Vincentium prosequitur judicio ob illam eandem causam, licet utrumque injuste, et quare dictus Furius a carcere ob Regis absentiam est sub cautione per magnificum virum dominum Rectorem Universitatis Lovaniensis liberatus et misit Ferdinandus in carcere adhuc detinetur ad instantiam dicti Furii cujus tarnen libri expresse sunt prohibiti tam pontificis quam regie majestatis catalogis super libris reprobatis ultime exhibitis, in cujus etiam bibliotece sunt inventi libri reprobati dum apprehenderetur. Ideo petunt prefati supplicantes prefatum Fredricum (sic) Furium remi tendi in carcerem donec materia inquisitionis durabit et donec contra prefatos supplicantes procedit ad finem ut suas expensas ab ilio consequi valeant et ut juste pena puniatur, materia inquisitionis finita, quia non fuit apprehensus nisi per bonam informationem de supra per prius captam nec habet obulam ipsis supplicantibus de suis expensis damnis et interesso satisfactum.

Copyright Bibliothèque royale Albert I", Bruxelles. Manuscrit η" II, 187, vol. 1, f° 35.

III MARGUERITE DE PARME, GOUVERNANTE GENERALE DES PAYS-BAS, LETTRE SIGNEE AUX AUTORITES DE L'UNIVERSITE DE LOUVAIN leur transmettant la requête de Furiò Ceriol

Marguerite, par la grace de Dieu, duchesse de Parme, de Plaisance etc. regente et gouvernante etc. Treschier et bien amé Nous avons oy le rapport de voz lectres du XVe du mois passé, ensamble de la requeste a nous presentee par Fredericque Furio Ceriolano, espaignol, remonstrant par icelle comme, après dilligente inquisition faicte, tant par vous que l'inquisiteur de la foy a Louvain, sur les charges a lui imposees, il auroit esté trouvé accusé et déféré a tort et sans cause, et, comme tel, par vous eslargy de prison, en nous suppliant pour ce, et les raisons amplement deduictes par sadicte requeste, que, pour sa plus grande justiffication et conservation de son honneur en cest endroict, et pour en pouoir obtenir sentence a sa charge ou descharge, nous le voulsissions pourveoir sur les poinctz contenuz en ladicte requeste cy joincte. Sur quoy, le tout bien consideré, et mesmes que ledict Ceriolano a esté constitué prisonnier par charge expresse du roy monseigneur, il ne nous ha samblé convenir d'ordonner aucune chose, sans, de en communicquant à sadicte Majesté, en entendre préalablement l'intencion et bon plaisir d'icelle. A laquelle nous en escripvrons avec la premiere commodité, pour, en aiant sa responce, vous faire entendre comme vous aurez a rigler sur le tout. Nous remectant, quant au surplus de cest affaire, a ce que vous verrez par nos precedentes, selon lesquelles nous entendons que ce pendant vous aiez a conduire. A tant, treschier et bien amé, Nostre Seigneur vous ait en sa garde. De Bruxelles, le XVII e jour d'octobre 1559. Margarita Copyright Bibliothèque royale Albert I", Bruxelles. Manuscrit n° II, 187, vol. 1, f° 32.

IV

MARGUERITE DE PARME, LETTRE AUX AUTORITES DE L'UNIVERSITE DE LOUVAIN concernant le cas de Furiò Ceriol - I

Venerabili sincere nobis dilecto Rectori Universitatis Lovaniensis Margarita Dei gratia Ducissa Parmensis Placentiae etc gubernatrix etc Venerabilis sincere dilecte. Accepimus litteras tuas ex quibus ea que de Frederici Fury Ceriolani causa nobis scribis intelleximus, de qua postquam in Consilio fuit tractatum. Constitutum fuit prepositum Ariensem, presentium exhibitorem, ad te mittere, qui mentem nostram quidque hac in causa conducere visum fuit, tibi, explicaret ; qua in re, ut illi tamquam nobis fidem adhibeas, negotiumque prout ab eo intelliges conficias, cupimus. Venerabilis sincere dilecte Dominus Deus te conservet. Datum Bruxella die XIII mensis Januarii MDLIX. 1 Margarita

1. 13 janvier 1560 (η. st.). Copyright Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles. Manuscrit n° II, 187, vol. 1, f° 30.

ν MARGUERITE DE PARME, LETTRE AUX AUTORITES DE L'UNIVERSITE DE LOUVAIN concernant le cas de Furiò Ceriol - II

A nostre treschier et bien amé le recteur de l'Université de Louvain Marguerite, par la grace de Dieu, duchesse de Parme, Plaisance etc. regente et gouvernante Treschier et bien amé, nous avons receu voz lectres en responce des nostres et de ce que de nostre part vous a diet le provost d'Aire, et nous a esté de grand contentement veoir que, comme bons subjeetz, vous vous rangés a suyvre la voulenté et désir de Sa Majesté et de luy faire remectre en main Furio Ceriol, après que, sur le procès pendant pardevant vous le concernant, vous aurez, pour la conservation de voz privileges, prononcé la sentence, et certes ce n'est l'intention de Sa Majesté ny nostre de vous rompre voz privileges, ains de les vous faire tres bien et inviolablement observer. Mais bien emporte il pour chose grandement concernant le service de sadicte Majesté que ledict Furio se treuve seurement entre les mains d'icelle, pour plusieurs reepeetz qu'elle cognoit, et entre aultres afin de mectre frain a la trop grande liberté qu'il usurpe de dire et escripre, et pour eviter qu'il ne se mecte en chose que puisse donner note (encoires a tort) a la bonne renommee de l'Université de Louvain. Et pourtant vous enchargeons de tenir bonne correspondence avecq Dangel Bergh, provost de la court, porteur de ceste, pour luy remectre dextrement et sans bruyt et scandale ledict Furio entre ses mains, et

AUX AUTORITÉS DE L'UNIVERSITÉ DE LOUVAIN

267

de sorte qu'il n'y aye faulte, qui vous puisse estre imputee, et vous serez contenté realement des despens de justice et de prison, sans ce que, par le transport dudict Furio, vous recepvrez aulcung préjudice. Et, en y usant comme esperons, vous fer[ez] conforme a l'intention de sadicte Majesté et nostre suyvant voz lectres, et vous nous donnerez tant plus d'occasion de vous avoir en favorable recommanda [tion.] A tant, treschier et bien amé, Nostre Seigneur soit garde de vous. De Bruxelles, le XXIII e jour de janvier 1559.1 Margarita

1. 23 janvier 1560 (n. st.).

Copyright Bibliothèque royale Albert I", Bruxelles. Manuscrit n° II, 187, t. I, fos 41-47.

VI MARGUERITE DE PARME, LETTRE AUX AUTORITES DE L'UNIVERSITE DE LOUVAIN concernant le cas de Furiò Ceriol - III

Marguerite, par la grace de Dieu, duchesse de Parme, Plaisance etc. regente et gouvernante Venerable treschier et bien amé Nous avons receu voz lectres et par icelles entendu ce que vous nous escripvez touchant la cause de Fredericq Furio Ceriol, lequel, comme ja nous vous avons escript, a esté par vous retenu prisonnier, par charge expresse du roy, Monseigneur, et, comme nous ne sçavons le fondement de la consideration que Sa Majesté y peult avoir tenu, ne nous sumes voulu determiner d'y donner aulcune resolution, sans entendre preallablement le bon plaisir d'icelle Sa Majesté, a laquelle, a cest effect, avons pieça fait tenir coppie du procès, que cy devant nous en a esté envoyé. Et ne pouvons, sur voz lectres du VII e du present, vous respondre aultre chose, synon que vous y procédez, de sorte comme vous en vouldrez respondre a sadicte Majesté. A tant venerable, treschier et bien amé Nostre Seigneur soit garde de vous. De Bruxelles, le VIII e jour d'apvril 1559 avant Pasques. 1 Margarita

1. 8 avril 1560 (η. st.). Copyright Bibliothèque royale Albert I", Bruxelles. Manuscrit n° II, 187, t. I, f° 4147.

VII MARGUERITE DE PARME, LETTRE AU RECTEUR DE L'UNIVERSITE DE LOUVAIN réclamant communication de pièces du dossier concernant le procès de Ceriolano dans lequel est mêlé Davalos Antoine

A venerable nostre treschier et bien amé le recteur de l'Université de Louvain Marguerite, par la grace de Dieu, duchesse de Parme, Plaisance etc. regente et gouvernante Venerable treschier et bien amé Comme pour certain procès qui se faict a ung Anthoine Davalos, présentement prisonnier a Gand, ayant parcydevant déposé en la cause contre Furio Ceriolano, parcydevant prisonnier a Louvain, nous avons bien voullu vous faire ce mot, afin que incontinent faictes cercher les actes du procès dudict Furio, et en extraire ce que s'y trouvera estre déposé par ledict Anthoine Davalos, et le nous envoyer auctenticque, pour s'en servir comm'il appertiendra. A tant, venerable, treschier et bien amé Nostre Seigneur soit garde de vous. De Bruxelles, le XI e jour de may 1563. Margarita

Copyright Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles. Manuscrit n° II, 187, vol. 1, f° 188.

Vili MARGUERITE DE PARME, LETTRE AU RECTEUR DE L'UNIVERSITE DE LOUVAIN relative à la sentence prononcée contre Ceriol

Marguerite, par la grace de Dieu, duchesse de Parme, de Plaisance etc. regente et gouvernante etc. Venerable treschier et bien amé Nous sommes esté requise par Frederick Furio Ceriolano vous vouloir escripre, affin de luy délivrer copie autenticque de la sentence diffinitive touchant l'inquisition cidevant contre luy instituée, aussi des sentences et decretz publicques touchant le meisme affaire. Et, désirant le favoriser en cecy, nous vous requerons et, de par Sa Majesté, ordonnons délivrer audict Furio copie autenticque des sentence et pieces susdictes, sans y faire difficulté, n'est que de ce faire ayez cause raisonnable au contraire, dont, en ce cas, nous advertirez au plustost, pour après y ordonner, comme trouverons convenir. A tant, venerable, treschier et bien amé Nostre Seigneur vous ayt en sa saínete garde. De Bruxelles, le VIe jour d'aoust 1563. Margarita

Copyright Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles. Manuscrit n° II, 187, vol. 1, f° 67.

IX J. MOLINEUS, LETTRE AUTOGRAPHE signée du recteur de l'université de Louvain relative aux dépenses causées par l'affaire Ceriol

S. P. Quod ad negotium Furri mihi creditum pertinet Alphonsus del Canto praesto est fideiubere ac intercedere pro impensis tam litis quam carceris necnon curare apud Regiam Maiestatem ut Universitati omnis sumptus restituatur. Dum Universitas prius particulatim rationes earumdem impensarum confecerit ac ad se transmiserit, in quibus quo fidem faciant apud Regem in Hispaniis praeter Notarli testimonium ait necessariam esse vestrae magnificentiae scripturam unacum sigillo. Quod itidem ut fiat in exemplis sententia et reliquorum actorum quae mecum attuleram exigit. Alioquin ut nunc sunt nihil probarent Hispanis, quos intelligo hac in re, in fide in quam habenda mirum in modum esse difficiles. Quapropter hac de causa omnia ad magnificentiam tuam remitto ut crastina die tuo sigillo manuque munita una cum rationibus Furii impensarum (quibus addi poterit et nostrum viaticum diurnum, ne sim Universitati oneri) ad me, sive ad D. Masium veterem hospitem destimentur. Alioquin Alphonsus ni haec praecedant, negat se fideiussurum. Furius adest Antverpiae, sed hodie expectatur. Quod porro ad meam cum capitulo Sancti Iacobi causam pertinet ex quo mihi per occupationes varias hactenus integrum non fuit ut ipsorum libellum vel semel lege quod iureiurando offero confirmare obsecro ut Magnificentia Tua mihi largiatur inducías quindecim dierum. Vale Bruxellae raptim 23 Augusti anno 1563. Tuae Magnificentiae stusiosissimus (sic) Io. Molinaeus Copyright Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles. Manuscrit n° II, 187, vol. 1, f° 68.

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4. OUVRAGES CONCERNANT « L A PHYSIOGNOMONIE » s'inspirant du Secret des Secrets attribué à Aristote 1484(?) Le Secret des Secreti d'Aristote qui enseigne à cognoistre la complexion des hommes et des femmes. Bréhant-Loudéac, 1484 ou 1485. 1497 Le Gouvernement des Princes, s. 1., 1497. 1501 Aristotelis philosophorum maximi, Secretum secretorum ad Alexandrum... Bologne, 1501.

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1538 1544 1549

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IMPRIMERIE A. BONTEMPS LIMOGES (FRANCE)

Dépôt légal : 1» trimestre 1973