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French Pages 310 [314]
L'œuvre de HUGUES DE SAINT-VICTOR 2
SOUS LA RÈGLE DE SAINT AUGUSTIN collection dirigée par Patrice Sicard et Dominique Poirel
L'œuvre de HUGUES DE
SAINT-VICTOR 2 Super Canticum Mariae Pro Assumptio ne Virginis De beatae Mariae virginitate Egredietur virga, Maria porta
Introductions, traductions françaises et notes par Bernadette jollès
BREPOLS
© 2000 BREPOLS @J PUBLISHERS
Imprimé en Belgique Dépôt légal: mars 2000 D/2000/0095/7 ISBN 2-503-50836-7
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Introduction générale
Cinq textes, à savoir trois traités et une homélie, auxquels s'ajoute une sentence de quelques lignes, semblent constituer toute l'œuvre proprement mariale de Hugues de SaintVictor. Leur authenticité est garantie par leur présence dans la «table des matières» (Indiculum 1) des œuvres du Victorin rassemblées en quatre volumes par l'abbé Gilduin de SaintVictor dès après la mort de Hugues. Ils apparaissent également dans d'autres corpus hugoniens des xrr et xnr siècles. Ajoutons que le nombre élevé de transcriptions attestent la grande diffusion, dans toute l'Europe occidentale, des écrits du Maître victorin en général, et des textes marials en particulier à l'exception, semble-t-il, de l'homélie. Les trois traités marials sont d'ampleur modérée 2 • Le premier, Super Canticum Maria:., est une exégèse à la fois spirituelle, théologique et philosophique des versets du Magnificat. Sa forme est très typique des commentaires scripturaires hugoniens: l'explication des premiers versets est démesurément longue, celle des versets suivants devient de plus en plus brève, et la fin du texte n'est commentée qu'en quelques lignes 3 . Le deuxième écrit, Pro Assumptione Virginis, est un commentaire spirituel des versets du Cantique des Cantiques appartenant à la liturgie de la messe et de !'Office de la fête de !'Assomption. Quant au troisième traité, inti-
J
I'.Indiculum oinnitmt scrijJtormn ntttgistri Hugonis de Sancto-Victore qua: scrijJsit a été édité en 1910 par J. de Ghellinck d'après le ms. Oxford /\1erton College
49. Les textes étudiés ici y figurent sous les numéros II, 2; II, 6; II, 12; II, 42. Voir aussi D. van den Eynde, Essai .. ., p. 2 à 15. Ils occupent respectivement dix-huit, quarorze et vingt colonnes dans la Patrologie latine de Migne (PL 175, 413B-432B; 177, 1209A-1222D; 176, 857A-876C). 3 Voir P. Sicard (1991), Hugues de Saint-Victor .. ., p. 255-256 (note 37).
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INTRODUCTION GENERAIB
tulé De beata: Maria: virginitate, avant tout doctrinal et moral, il s'appuie également sur des versets scripturaires pour ses démonstrations relatives à la virginité de Marie et à l'essence du mariage chrétien. L'homélie Egredietur virga 4 commente non seulement la première phrase du chapitre 11 d'Isaïe, mais également le verset 3, 6 du Cantique des Cantiques: il s'agit ici d'explications allégoriques et morales. Seule la très brève sentence spirituelle Maria porta échappe à l'exégèse biblique, puisqu'elle traite des noms et qualités attribués à Marie par les auteurs chrétiens à travers les siècles 5 • Comment situer ces textes marials au sein d'une œuvre dont nous ne possédons aucun catalogue chronologique ancien? Un livre paru en 1960 6 a tenté de compléter quelques hypothèses antérieures, et les divers ouvrages ont été répartis selon quatre périodes de la vie du Maître victorin. Pour ce faire, l'auteur s'appuie sur une étude approfondie des textes et, à l'aide d'une série de déductions auxquelles se prête l'œuvre du Maître, il présente des hypothèses plausibles concernant la date approximative de composition des différents écrits.L'auteur avoue lui-même ne pas être à l'abri de l'erreur, et certaines données du livre ont, en fait, été critiquées à propos d'œuvres qui ne sont pas les nôtres 7 . Il semble néanmoins intéressant de mentionner ici ce que dit cet essai à propos de nos trois traités marials 8 . Ceux-ci
Cette homélie a été éditée pour la première fois seulement en 1955 par R. Baron (cf. La pensée ... , p. 268-271) d'après le ms. Paris Mazarine 717. 5 Cette sentence fait suite au texte de Egredietur virga dans le ms. Paris Mazarine 717 et dans l'édition de R. Baron (voir la note précédente). 6 Cf. D. van den Eynde, Essai .... 7 Cf. les critiques avancées par R. Baron, Etudes ... , p. 69-89, et celles exposées dans H.B. Feiss et coll., L'œuvre de Hugues de Saint-Victor ... , p. 10-11, 176et214. s Sur les écrits marials de Hugues, voir D. van den Eynde, Essai ... , p. 92-93, 119-123, 170, 189-190 ainsi que, à la fin de l'ouvrage, le tableau synoptique. 4
INTRODUCTION GENERALE
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auraient été rédigés entre les années 113 0-1131 et 113 7, c'est-à-dire après la parution, entre autres, des traités Didascalicon, De tribus diebus, De archa Noe et Libellus de formatione archa, mais avant la rédaction d'autres œuvres telles que De sacramentis christiana fidei, Eulogium sponsi et sponsa, De arrha anima et De potestate et voluntate Dei. En ce qui concerne la chronologie interne de ces traités, le Super Canticum Maria serait antérieure à la fois au Pro Assumptione Virginis et au De beata Maria virginitate, aucune hypothèse n'étant formulée relativement à la chronologie des deux derniers traités. Ces ouvrages seraient donc tous trois issus de la période où le Maître victorin a atteint sa pleine maturité intellectuelle et spirituelle et où, ayant déjà produit quelques-unes de ses œuvres majeures et dispensé de façon habituelle, au cloître ou au chapitre, l'enseignement spirituel à ses confrères, il a acquis au sein de l'Ecole de SaintVictor une place reconnue. Quant à l'homélie Egredietur virga, elle pourrait être antérieure aux trois traités si, comme le note D. van den Eynde 9 , elle est elle-même antérieure à la sentence De deserto cordis 10 , autre commentaire de Ct 3, 6. Ajoutons enfin que les indications données concernant la succession des textes permettent aussi dans certains cas, et dans la mesure où l'on admet les hypothèses de l'auteur, de lever une hésitation à propos d'une référence non explicite faite par Hugues à tel ou tel de ses écrits 11 .
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11
Ibid., p. 189-190 et 213. }Hiscel!anea, I, 111 (Pl 177, 5 39B-540B). Ainsi lorsque, dans le Prologue du Pro Assmnptione, l'auteur signale au demandeur qu'il a déjà écrit un commentaire sur un autre chant concernant Marie, ce rappel ne saurait viser rien d'autre que l'explication du li.1agnifùat contenue dans le Super Cantieztin Mariœ, et non le commentaire des versets du Cantique des Cantiques que comporte l'Eu!ogium sponsi et sponsœ, si ce dernier écrit est vraiment plus tardif que le Pro Assumptione. Cf. D. van den Eynde, Essai ... , p. 170.
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INTRODUCTIO N GENERALE
En étudiant et comparant entre eux les écrits de Hugues de Saint-Victor dans leur ensemble, on s'aperçoit rapidement que l'auteur se recopie souvent, et souvent mot à mot, d'une œuvre à l'autre. Prenons le grand traité De sacramentis christiana fidei qui est, de l'aveu même du Victorin, un travail tardif ayant repris d'anciens matériaux 12 . Cette Somme a en particulier intégré, dans un contexte fondamentale ment différent, plusieurs paragraphes de nos traités marials, et les emprunts ont été parfois massifs 13 . Parfois, nous pourrons noter, lorsque les passages ne se recouvrent pas exactement, une certaine évolution de la pensée de l'auteur sur un point déterminé, ou bien un changement dans le mode de présentation du sujet. Mais il reste assez curieux de constater cette capacité de longs extraits à figurer au sein d'œuvres dont les finalités sont si différentes. Cela doit sans doute être mis en relation avec ce souci permanent du Maître victorin d'enseigner et d'édifier ses interlocuteurs et lecteurs, et pour ce faire de s'élever au-dessus du sujet qu'il traite pour le remettre dans un cadre plus vaste. Il émaille alors ses textes, même ceux qui a priori traitent d'un sujet bien délimité, de considérations à visée générale. Rien d'étonnant dès lors que de telles considérations se retrouvent dans des contextes fort divers. Comme conséquence directe de ces digressions sur les textes marials ici étudiés, on constate la réduction significative de la part de commentaire purement marial
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Cf. De sacra111entis, Prœfatiunrnla, PL 176, l 73B-l 74B. Voir P. Sicard (1991), H11g11es de Saint-Victor ... , p. 23. En effet, ce ne sont pas seulement quelques lignes qui ont été recopiées d'un ouvrage à l'autre, mais également de longs passages (voir, en particulier, les textes parallèles entre le De sacramentis et le Super Cantimm Mariœ). En d'autres cas, on reconnaît des idées et des formules communes: ainsi en est-il entre le De sacramentis et le De virginitate B.M., ou entre Egredietur virga et De deserto cordis ... Les détails concernant ces emprunts sont donnés dans les notes accompagnant la traduction des textes marials cités.
INTRODUCTION GENERALE
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au profit de développements où Marie n'est plus au centre des débats. Ainsi, dans le Super Canticum Mariœ, le commentaire marial occupe à peine plus d'un tiers du texte. Dans le Pro Assumptione Virginis, comme aussi dans le De beatœ Mariœ virginitate, c'est un peu moins de la moitié du traité qui se rapporte réellement à Marie. Et il en est de même dans l'homélie Egredietur virga. Dans tous les cas donc, la part purement mariale apparaît modeste, au sein d' œuvres dont les titres indiquent cependant qu'elles se rapportent à Marie. Notons, comme autre caractère commun à nos textes, l'abondance des références explicites et implicites à l'Ecriture 14 . Hugues se comporte toujours en exégète qui tire des textes sacrés son enseignement doctrinal, moral et spirituel. Et les deux premiers traités marials sont à classer d'abord parmi les œuvres exégétiques. Les mêmes livres bibliques semblent privilégiés dans les écrits marials, à savoir les livres sapientiaux (particulièrement les livres des Psaumes et du Cantique des Cantiques) pour l'Ancien Testament, l'évangile de Luc et les épîtres de Paul pour le Nouveau Testament. Soulignons enfin que les trois principales œuvres qui nous occupent sont des écrits de circonstance répondant, si l'on en croit l'auteur dans les prologues, à une demande extérieure expresse. On ne peut s'empêcher de penser ici aux propos si différents de saint Bernard, affirmant par exemple dans le prologue des quatre homélies A la louange de la Vierge Mère:
14 Les textes correspondant aux références explicites sont à chercher, soit dans
l'ancienne Vulgate dans les nombreuses éditions parues jusqu'au début de ce siècle, soit dans les textes liturgiques médiévaux car il faut garder à l'esprit que les citations bibliques sont très souvent, de façon immédiate, liturgiques. Consulter, entre autres, P.M. Bogaert, La Bible latine ... , G. Lobrichon, La Bible des maîtres .. ., ainsi que les livres de R.J. Hesbert contenant les chants médiévaux de la Messe et de !'Office.
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INTRODUCTIO N GENERALE
«Aucun besoin de mes frères ne me l'impose, je donne libre cours à ma dévotion personnelle» 15 . Est-ce pour cela, du moins en partie, que les textes marials de Bernard, si totalement tournés vers Marie et dans lesquels le mystère de Marie est analysé et surtout senti, goûté pour lui-même, contiennent ces merveilleuses et originales formulations qui ont passé à la postérité? Le Victorin, quant à lui, peut paraître souvent appliqué à redire le plus clairement possible l'enseignement de la Tradition concernant Marie, mais il faut aussi souligner l'accent qu'il met sur l'aspect spirituel: dans les œuvres mariales qu'il nous a léguées, la Vierge, mère du Verbe incarné, qui a déjà parcouru le chemin pour rejoindre son Fils glorieux, est un exemple pour le chrétien en quête de vie éternelle. On comprend combien le cœur de Hugues, si tourné vers la prière de louange et la contemplation de son Seigneur et Sauveur, s'enflamme lorsqu'il évoque la Vierge mère, celle qui le précède là où tout son désir le porte.
*** Cet ouvrage m'a été suggéré par le Père Patrice Sicard, chanoine régulier de Saint-Victor, codirecteur de la collection Sous la règle de saint Augustin aux éditions Brepols. Je tiens à lui exprimer mes très vifs remerciement s, non seulement pour cette proposition initiale, mais aussi pour ses indications sur les manuscrits, pour l'établissemen t du texte latin des traités Pro Assumptione Virginis et De beatœ Maria:: virginitate, et pour l'attention qu'il a portée, avec tant de patience et de bienveillance, à la révision des différentes parties du livre. Ma reconnaissanc e s'adresse également à
is Voir SC 390, p. 105.
INTRODUCTION GENERALE
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Monsieur Dominique Poirel, de l'Institut de Recherches de !'Histoire des Textes, qui a corrigé les traductions avec autant de minutie que de compétence, inspiré plusieurs notes et établi le texte latin de l'homélie Egredietur virga. Je remercie aussi le Père Rainer Berndt, s.j., du Hugo von SanktViktor Institut à Francfort-sur-le-Main, de m'avoir procuré les saisies informatiques des trois traités marials; que soit remerciée avec lui Mademoiselle Eva-Maria Denner qui a établi le texte latin du Super Canticum et m'en a autorisé l'usage. Enfin, que Monsieur Luc Jacqué, des éditions Brepols, qui m'a fourni très aimablement plusieurs documents et a accepté de publier ce travail, trouve ici l'expression de ma très vive reconnaissance.
Super Canticum Mariae
INTRODUCTIO N
L'ouvrage de Hugues de Saint-Victor intitulé, selon les manuscrits, Expositio ou Explanatio super Canticum Mariœ est un commentaire des versets du Magnificat 1 où, à l' exégèse littérale tout à fait présente, sont joints des développements de nature morale, spirituelle, philosophique ou doctrinale. Ces libres considérations ont pu être encouragées par le fait que la composition de l'écrit, aux destinataires non précisés, semble avoir été laissée à la seule appréciation de l'auteur, alors que les deux autres traités marials se sont vu d'une certaine façon imposer leur nature par ceux qui ont sollicité le Maître victorin. Si le plan de l'ouvrage est commandé par la succession des versets, il faut à nouveau souligner ici les grandes différences, qualitatives et surtout quantitatives, entre les traitements de ces versets. Les commentaires , en effet, deviennent de plus en plus courts et s'appauvrissen t au fur et à mesure que l'on approche de la fin du Magnificat, comme si l'auteur avait été pris par le temps pour terminer son travail, ou s'était reproché les discussions trop longues du début de son œuvre. Nous renvoyons à !'Introduction générale 2 pour les hypothèses concernant la période de rédaction du traité. Sans vouloir dresser la liste de tous les thèmes présents dans le Sztper Canticum, évoquons ici rapidement certains d'entre eux, les notes de la traduction étant là pour fournir, autant que possible, informations et références. Voyons quelques exemples de cette théologie spirituelle qu'enseigne t
Le 1, 46-55.
2
Voir, ci-dessus, la page 9 et les notes 8 et 9 de !'Introduction générale.
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SUPER CANTICUM MARIAE
le Maître victorin, en retenant d'abord les lignes pleines de profondeur qui commentent la double affirmation que Marie exalte le Seigneur et exulte en son Sauveur (Le 1, 46-47). Cette double affirmation correspond au double aspect de majesté et de bonté sous lequel Dieu se révèle: il est à la fois le Tout-Puissant et le Tout-Miséricordieux, le Créateur et le Sauveur. Cependant, s'il est le Seigneur de tous, il n'est pas le Sauveur de tous, il l'est de ceux-là seulement qui se tournent vers lui en accueillant humblement sa grâce. Cette distinction, familière à Hugues qui l'a déjà exposée dans le De archa Noe et y reviendra dans le De B.M. virginitate 3 , est d'origine scripturaire: les Psaumes et Isaïe notamment appliquent déjà au Dieu d'Israël, à la fois distincts et joints, les deux qualificatifs de Seigneur et Sauveur4 . D'autre part, cette exultation qui envahit Marie à l'annonce de l'Incarnation, et que tout homme peut à un degré moindre connaître en certaines circonstances, n'est bonne que si elle a sa source en Dieu et si elle est vécue en lui. Rejoignant ainsi l'humilité de Marie mentionnée au verset 1, 48 de Luc, Hugues s'applique à faire voir la différence entre l'humilité, vertu intérieure à l'homme, et l'humiliation extérieure qu'il peut ou non subir: seule compte l'attitude intérieure devant Dieu. L'auteur disserte ensuite longuement sur les différentes sortes d'orgueilleux évoqués au verset 51. Il compte parmi eux les anges déchus, avec raison semble-t-il car ni le texte grec ni sa traduction latine ne les excluent. Et les Juifs, que l'orgueil a empêchés de reconnaître le Christ, sont cités comme exemples d'hommes orgueilleux. Enfin, à propos 3
4
Cf. De archa Noe, IV, c.3 ; PL 176, 667BCD; De B.M. virginitate, c. l (voir ci-dessous, p. 182). Selon la chronologie établie par D. van den Eynde (cf. Essai ... , p. 122-123 et 213), le commentaire du Magnificat est postérieur au De arrha Noe et antérieur au De B.M. virginitate. On trouvera de nombreuses références, non exhaustives, dans la note 32 de la traduction.
INTRODUC TION
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de «l'esprit du cœur de Dieu» (c'est ainsi que Hugues comprend l'expression mente cordis sui du même verset 51 5), l'auteur s'étend longuemen t sur ce Livre de Vie, dont fait mention, entre autres, l' Apocalypse et où sont inscrits les noms de ceux qui sont sauvés. Le De archa Noe6 avait déjà défini ce Livre comme Sagesse de Dieu; le De Verbo Dei7, reprenant cette définition, ajoute qu'il doit servir de référence à nos propres «livres», c'est-à-dire à ceux qui contiennen t les pensées secrètes de nos cœurs ainsi que nos œuvres, et d'après lesquels nous serons jugés. Sur un plan plus étroitemen t philosophi que relevons, à propos de la distinction anima-spiritus, le long développement suscité par l'utilisation des deux termes en Le 1, 4647. Toutes les catégories de créatures vivantes (anges, hommes, animaux et même végétaux) sont de ce point de vue analysées. Hugues affirme ici nettement qu'il n'y a chez la personne humaine qu'un seul principe de vie désigné par les deux vocables esprit et âme. L'esprit, dans son rapport vivifiant avec le corps, est appelé âme, et l'âme est esprit parce qu'elle est aussi une substance spirituelle douée de raison. L'auteur s'oppose ici aux philosophe s qui soutiennen t l'existence concomitan te chez l'homme de deux âmes, l'une sensitive et l'autre rationnelle. Hugues s'attarde ensuite, dans son commentai re sur le verbe respicere du verset 48, sur les différentes façons de concevoir le «regard» de Dieu. Puis, à propos du terme de servante présent dans la même verset, il décrit quatre sortes d'état de servitude dont le quatrième, l'état de servitude par amour, c'est-à-dire l'obéissance par amour à la volonté de Dieu, se réalise lorsque «nous aimons celui-là même qui
6 7
Voir, ci-dessous, la note 60 de la traduction. Cf. De archa Noe, III, c.11-12 ; PL 176, 643-644. Voir, ci-dessus, la note 3. Cf. De Verbo Dei V, 1-2, dans R. Baron, Six opmrnles .. ., p. 76-77.
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SUPER CANTICUM MARIAE
commande et que, dans notre service, nous ne cherchons pas d'autre avantage, en dehors de lui-même, que de pouvoir, en marchant selon sa volonté, parvenir jusqu'à lui». Idée chère au Victorin, que l'homme, fait pour le bonheur, ne peut le trouver qu'en aimant Dieu pour lui-même: elle est au cœur du De arrha animal. Hugues affirme ici avec force que Dieu est aimé pour lui-même lorsqu'il est aimé comme la récompense, comme le bien suprême. En ce domaine comme en bien d'autres, le Victorin se sépare d'Abélard et de ses disciples qui exigent de l'homme un amour de Dieu entièrement désintéressé et gratuit, sans aucun souci de récompense, fût-elle Dieu lui-même 9. Les lignes suivantes du Super Canticum traitent de la Toutepuissance de Dieu, évoquée en Le 1, 49, qu'elles défendent contre la raison humaine qui tend toujours à lui assigner des limites. Or Dieu, dit Hugues, est totalement libre visà-vis même des lois de la nature créées par lui. A ce thème se rattachent ceux de la science et de la prévoyance divines, et celui de la liberté humaine, idées débattues depuis longtemps et qui ont suscité chez les théologiens des XIr et XIII° siècles d'abondantes controverses 10 . Quelques auteurs ont proposé d'identifier «ceux qui pensent débattre des œuvres de Dieu avec leur raison», c'est-à-dire ceux que dénonce le Maître victorin, avec certains de ses contemporains, en particulier Abélard et ses disciples 11 . Le grand ouvrage de Hugues, De
s Idée reprise plus tard par Thomas d'Aquin, selon lequel l'amour de Dieu est inséparable de la recherche du bien de l'homme: cf, par exemple, Summa theologiœ, 11-11, q. 26, a. 13, ad 3. 9 Cf. P. Rousselot, Pour l'histoire du problème de l'amour ... , p. 73-74. 10 On peut trouver dans l'introduction du livre récent de S.-Th. Bonino, Thomas d'Aquin, De la Vérité, q.2 (La science en Dieu), l'étude du contexte historicodoctrinal du problème. 11 Cf. A. Mignon, Les origines ... , 1, p. 139-142;]. Jolivet, Abélard.. ., p. 175178.
IN1RODUCTION
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sacramentis christianœ fidei, reprendra la question, et le passage le plus long qu'emprunte ce traité aux textes marials se situe au niveau de cette dispute 12 • Enfin, le verset 50 amène l'auteur à disserter sur les quatre sortes de crainte: analyse reprise des Sentences d'Anselme de Laon 13 et retrouvée dans l'une des sentences contenue dans les Miscellanea de Hugues 14 . Le mot à mot de cette partie du Super Canticum est à nouveau présent dans le traité De sacramentis1 5 • Pour passionnantes et instructives que soient ces nombreuses considérations, en elles-mêmes et comme témoins des discussions et disputes de l'époque, il faut reconnaître qu'elles prennent assez souvent l'allure de digressions, aux yeux mêmes du Maître victorin qui invite parfois son lecteur à retourner à la suite des versets ou qui revient, comme tout naturellement mais après un long détour, au cas particulier de Marie. On est cependant en droit de se demander si l'auteur s'est jamais réellement proposé ici une exégèse purement mariale. Comme nous l'avons déjà dit rapidement dans l'Introduction générale, Hugues a toujours à l'esprit le profit que ses lecteurs ou auditeurs peuvent tirer de ce qu'il leur dit et il tente, non seulement de les amener à une certaine contemplation d'un modèle, en l'occurence Marie, mais de leur faire découvrir comment, à partir de ce modèle, ils peuvent eux-mêmes aboutir à une vraie conversion de l'intelligence et du cœur. Avec ce traité, Hugues de Saint-Victor fait-il œuvre originale? Selon une étude récente 16 , l'auteur serait bel et bien le premier à avoir écrit un commentaire spécialement réserCent lignes de notre texte (lignes 562-662) sont reprises en De sacramentis I, 2, 22; PL 176, 214B-216C. 13 Cf. Sententice Anse/mi, citées par D. van den Eynde, Essai .. ., p. 184-186. 14 Misce!lanea, l, 193 ; PL 177, 585B. 15 De sacramentis, II, 13, 5; PL 176, 528A-D. 16 Cf. E.-M. Denner, Serva secretum .. ., p. 15 5-156. 12
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vé à Le 1, 46- 5 6. Mais, et ceci est le plus important, s' inspire-t-il ici d'écrits antérieurs glosant sur le Magnificat ? Ecrits très nombreux puisque, dès les premiers siècles, les commentateurs de l'évangile de Luc ont rédigé, ne seraitce que quelques lignes, sur ces versets, et aussi parce que plusieurs écrivains chrétiens, à des occasions diverses et en particulier pour la fête de !'Assomption, ont expliqué telles ou telles paroles du Cantique de Marie 17 . L'originalité de la pensée de Hugues paraît dans ces conditions bien difficile à déterminer. Il est évident que sa théologie mariale proprement dite suit fidèlement la tradition des Pères et ne présente pas de données neuves. Dans la limite de nos investigations, il nous semblerait cependant possible de suggérer que, en raison des développements théologiques et philosophiques que lui inspire le Magnificat et qui aboutissent à des considérations d'ordre général à partir du cas particulier de Marie, le Maître victorin, parce qu'il intègre ainsi à son traité les débats de son temps en adoptant des positions que l'on retrouve dans ses oeuvres maîtresses, manifeste son génie propre à l'intérieur même de ce commentaire. Quelques notes de notre traduction seront consacrées à la comparaison des commentaires de Hugues et d'auteurs antérieurs ou contemporains à propos de certains versets. Le texte latin publié ici se fonde principalement sur celui qui a été édité en 1995 dans Sacris erudiri par E.M. Denner 18 d'après le manuscrit Grenoble BM 246, ff. 44vb-5lva 19 . Les travaux en cours pour l'édition critique des oeuvres de
Ibid., p. 156-158. Citons seulement ici, à titre d'exemple, Ambroise Autpert, Serino de Assumptione S.M., c. 6, 8 et 10 (CCCM 27B, p. 1030-1034). 18 Cf. E.-M. Denner, Serva secretunz .. ., p. 200-220. 19 Le texte du même traité apparaît, avec de nombreuses variantes par rapport au manuscrit de Grenoble, en PL 175, 413B-432B.
17
INTRODUCTION
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Hugues montrent que ce manuscrit, de date très ancienne (XIr s.), appartient à la famille dont est dérivé, par maints intermédiaires, celui ayant servi à l'édition de la Patrologie latine; il appartient en outre aux parties les plus hautes du stemma, et son poids de variantes individuelles - qu'il est seul à avoir - le rend d'une qualité signalée par rapport à ses collatéraux 20 . Nous fondons donc notre édition sur ce témoin. La ponctuation est de notre fait et, comme il est d'usage dans l'utilisation d'un manuscrit de base, nous avons procédé à quelques émendations quand il est apparu que le témoin était fautif, en adoptant généralement la leçon de la Patrologie latine: lignes
Grenoble BM 246 (éd. Denner)
leçons adoptées
36 40 40 76 190 226 259 339 352 382 389 390 499 624 714 734 750 801 824
ipse poposceris neque poscentis sancto dulce inexpertem hanc ergo Salvatorem deicitur beate esse habent quod
ipsi poposceritis meque poscentium Spiritu sancto dulcius expertem hac ego Salvator dicitur beati
20
Sl
videns cavent retexere homines exit
Données fournies par P. Sicard.
a quo sed volens cavet retegere homines gentiles erit
PRO LOGUS
Maximam hanc in Scripturis diuinis difficultatem inuenio quod, ubi magna quedam et sublimia nonnunquam requirere nos causa circumstans cogit, ibi nichil preter solitum et quod dictu non magni sit pretendere littera uideatur. 5 Neque enim hoc ego tam laboriosum existimo ut animus legentis ad ea que noua et miranda proponuntur, quamlibet sint fortia et uerborum figuris obumbrata, comprehendenda preualeat, quam ut ea que modica et humilia primo ingressu reppererit ad sublimem intelligentiam promoueat. 10
Ecce enim Canticum Marie quod tam celebri et assidua immo cotidiana recitatione sancta per orbem frequentat Ecclesia. Quis ignorat maxima spiritualis intelligentie misteria continere? Ut enim pretermittamus quod uel solum ad eius auctoritatem commendandam sufficere potuisset, ui- 15 delicet non sine magna et ualde rationabili causa consuetudinem ecclesiasticam hoc pre ceteris omnibus canticis que in sacra scriptura repperiuntur in tanta ueneratione retentasse, ut scilicet hoc pretermittamus, quis dubitet beatam Mariam, recens Spiritus sancti in se superuenientis tanta ple- 20 nitudine et gratia repletam, non potuisse paruum aliquid et quod supra terrenarum mentium capacitatem non esset in laudem Saluatoris sui proferre? Constat ergo de tanta plenitudine eructantem tantaque deuotione nouum illud et humânis mentibus insolitum gaudium Iesu sua iubilantem, 25 noua laude et singulari preconio nouam letitiam in noua aduentu eterni Domini predicasse.
PROLOGUE
La principale difficulté que je trouve dans les Ecritures divines est celle-ci: là où, assez fréquemment, la situation nous pousse à exiger un langage noble et sublime, la lettre de !'Ecriture paraît ne rien proposer d'autre que des paroles ordinaires et toutes simples. En effet, j'estime qu'il serait moins difficile pour l'esprit du lecteur de pouvoir arriver à comprendre des choses, aussi hautes soient-elles et toutes voilées qu'elles puissent être sous les figures des mots, lorsqu'elles lui sont proposées comme nouvelles et admirables, que de parvenir à concevoir comme sublime ce qu'il aura trouvé de prime abord modestement et humblement décrit. Voici le Cantique de Marie que, par toute la terre, la sainte Eglise honore d'une récitation très répandue et assidue, pour mieux dire quotidienne. Qui peut ignorer qu'il contient les plus grands mystères de l'intelligence spirituelle? Or en fait, si nous laissons de côté ce gui, à lui tout seul, pourrait suffire à souligner l'autorité de ce texte, à savoir que la tradition de l'Eglise n'a pas gardé ce Cantique en aussi grande vénération en le préférant à tous les autres qu'on trouve dans la sainte Ecriture sans un motif majeur et hautement raisonnable, oui, si nous ne tenons pas compte de cela, gui douterait que la bienheureuse Marie, venant d'être remplie d'une telle plénitude et d'une telle grâce par l'Esprit-Saint survenant en elle, n'a pas pu proférer à la louange de son Sauveur d'humbles mots n'excédant pas la capacité des esprits terrestres 1 ? Sûrement donc, c'est par une louange nouvelle et un chant sans pareil que, faisant jaillir ses paroles à partir d'une telle plénitude et, animée d'une telle ferveur, tressaillant d'une joie nouvelle et inhabituelle aux esprits
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Et tamen, ipsam eius Cantici seriem textumque percurrentes, quedam prima facie narrationis eo modo proposita inuenimus ut amplius his nichil in eo querendum uideatur, cum tamen licet hec ipsa sancta et uera sint tantis misteriis tantisque sacramentis an forte sufficiant dubitari possit. Unde magis pertimesco in eius expositione ne uel aliena inducam aliqua uel propria pretermitta m. Et sic, uel negligentie uel temeritatis reatu astrictus, pro gratia apud uos offense periculum incurram quamuis ipsi poposceriti s. Nonnulla eidem explanation i ex latere adiungi que, si interserta fuerint, poterunt fartasse alicui minus apte conducta uideri. Sed ego noui causam idoneam qua uos id postulare oportuit, meque poscentium desiderio quantum possibilitas suppetit obsecundar e non disconuenia t.
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Magnificat anima mea Dominum. Si circumstan tiam rei geste perpendere uelimus, quanta considerati one uerba ista cligna sint luce clarius patescit. Sacra namque interpretati o 45 tune commodius ad euidentiam elicitur cum notum fuerit, uel per quem relatio mistica allata sit, uel qua ipse relator causa appulsus talia aut ualuit narrare aut uoluit. Videamus itaque beata Maria quemadmo dum ad hec que proposita sunt dicenda accesserit. Legitur in euangelio Luce quod angelus Gabriel a Deo missus sit in ciuitatem Galilee Nazareth ad 50 uirginem desponsatam uiro cui nomen erat Joseph de domo Dauid, 43 Mc 1,46; Le 1,29.
49-52 Le 1,26-27.
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humains en l'honneur de son fils Jésus, elle a célébré l'allégresse nouvelle pour l'arrivée nouvelle du Seigneur éternel. Et pourtant, en parcourant la suite elle-même de ce Cantique, et le texte, nous trouvons certains propos se présentant à première vue de telle façon qu'il n'y ait rien, semble-t-il, à aller chercher au-delà, alors même qu'on peut douter que ces propos, pourtant saints et vrais, suffisent à décrire de si grands mystères et de si grands sacrements. De là vient que j'ai très peur, au cours de ce commentaire, ou bien d'introduire des éléments étrangers au texte, ou bien d'en oublier d'autres qui lui appartiennent. Et ainsi, coupable soit de négligence, soit de témérité, j'encours auprès de vous le risque d'offenser au lieu d'être agréable, bien que vous-mêmes m'ayez sollicité. J'ai ajouté à ce commentaire, en marge, quelques éléments qui, insérés dans le cours du texte, pourront paraître, aux yeux de certains, peu propres à y être joints. Mais je connais la vraie raison qui vous a poussés à me solliciter, et il conviendrait mal de ne pas satisfaire à votre requête, pour autant que cela m'est possible. SUR LE CANTIQUE DE MARIE
Mon âme exalte le Seigneur2 . Si nous voulons bien examiner le contexte de l'événement, il se manifeste très clairement combien ces paroles sont dignes de notre attention. Car l'interprétation des textes saints devient plus aisément évidente à partir du moment où est connu, soit celui par qui le récit du mystère est apporté, soit la raison qui a poussé l'auteur lui-même à pouvoir ou à vouloir raconter de telles choses. Voyons donc de quelle façon la bienheureuse Marie en est venue à dire ce qui nous est proposé. On lit dans l'évangile de Luc: L'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, Nazareth, à une vierge fiancée à un homme dont le nom était Joseph, de la maison de David, et le nom de la vierge
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et nomen uirginis Maria, ut nouum in carne filii Dei aduentum predicaret. Qui ingressus nouo salutationis obsequio ueneratur uirginem dicens: Aue Maria gratia plena, Dominus tecum, benedicta tu in mulieribus. Que cum audisset Maria, non sine grandi miraculo, turbata est in sermone angeli et cogitabat qualis esset ista salutatio. Angel us uero, talis salutationis tanteque uenerationis causam exponens, confortabat uirginem sacramque dulcibus demulcebat alloquiis, dicens: Ne timeas, inquit, Maria, inuenisti enim gratiam apud Deum. Ecce concipies in utero et paries /ilium, et uocabis nomen eius Iesum. Hic erit magnus et Filius Altissimi uocabitur, et dabitur illi sedes Dauid patris sui. Et regnabit in domo Jacob in eternum et regni eius non erit finis. Et Maria: Quomodo, inquit,fiet istud quoniam uirum non cognosco? Cui statim angelus causam modumque tam ineffabilis sacramemi exponens: Spiritus, ait, sanctus superueniet in te et uirtus Altissimi obumbrabit tibi. Ideoque et quod nascetur ex te sanctum, uocabitur Filius Dei. Et, ut omnis credenti ambiguitas tolleretur, alio adiuncto miraculo mirabili tamen dispari diuine potestatis efficaciam manifestat, dicens: Et ecce Elisabeth cognata tua et ipsa concepit /ilium in senectute sua, et hic mensis sextus est illi que uocatur sterilis, quia non erit impossibile apud Deum omne uerbum. Mox ad hec Virgo fide et exultatione plena cum magna gratulatione respondit dicens: Ecce, inquit, ancilla Domini, fiat michi secundum uerbum tuum. Statim ergo adueniente Spiritu sancto in Virginem et omnium gratia uirtutum sacrosanctum habitaculum in aduentum Filii Dei replente, dubium non est celestium gaudiorum et eterne dulcedinis quam miram atque inenarrabilem suauitatem Virgo ipsa conceperit, quando illud eternum lumen cum toto maiestatis sue fulgore in eam descendit et quod non capit mundus totum se intra uisce54-55 Le 1,28. 55-57 Le 1,29. 59-64 Le 1,30-33. 64-65 Le 1,34. 66-68 Le 1,35. 70-73 Le 1,36-37. 75 Le 1,38.
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était Marie 3 , pour proclamer la nouvelle arrivée du Fils de Dieu dans la chair. Etant entré, l'ange honora la vierge d'une salutation pleine d'un respect nouveau en disant: je te salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi, tu es bénie entre toutes les femmes 4 . Lorsque Marie entendit cela, non sans grand étonnement, elle fut troublée par les paroles de l'ange et elle se demanda quelle était cette salutation 5 • Mais l'ange, donnant la raison d'une telle salutation et d'un tel respect, rassura la vierge sainte en l'apaisant par de douces paroles: Ne crains pas, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu concevras en ton sein et que tu mettras au monde un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé le Fils du Très-Haut, et il lui sera donné le trône de David son Père. Il règnera pour toujours sur la maison de Jacob et son règne n'aura pas de fin 6 . Et Marie dit: Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas l'homme? 7 • Aussitôt l'ange, exposant la cause et les modalités d'un mystère si ineffable, lui dit: L'Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C'est pourquoi ce qui naîtra de toi sera saint, il sera appelé Fils de Dieu 8 • Et, pour lever toute hésitation à croire, il révèle l'efficacité de la puissance divine en ajoutant l'annonce d'une autre merveille admirable quoique d'un niveau différent, disant: Voici qu'Elisabeth, ta parente, a elle aussi confU un fils dans sa vieillesse, elle en est au sixième mois, elle qui est appelée la femme stérile, car en Dieu aucune parole ne sera inefficace9 . A ces mots, la Vierge pleine de foi et transportée de joie répondit promptement dans un grand élan de reconnaissance: Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole 10 . Sur-lechamp, l'Esprit Saint vint donc en la Vierge et l'habitacle sacré fut rempli par lui de la grâce de toutes les vertus pour la venue du Fils de Dieu. Il n'est pas douteux que la Vierge elle-même ait conçu une jouissance tout à fait merveilleuse et indicible, faite de joies célestes et de douceur sans fin, quand cette lumière éternelle descendit en elle avec tout
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ra Virginis collocauit. Tali ergo ac tanta diuinitatis presentia plena, quid uiderit aut quid senserit quis dicere potest? Audacter pronuntio quia nec ipsa plene explicare potuit quod 85 capere potuit.
In tantis ergo mirabilibus , quomodo lingua humana tacere potuisset nisi idem ipse Spiritus, qui uirginem repleuerat torrentem sue affluentie impetum, suauissimo moderaretur amplexu? Clamauit enim iam tune Sapientia Dei in illa beata anima: Spiritus ubi uult spirat et uocem eius audis sed nescis unde ueniat aut quo uadat. «Tu enim», inquit, «ingredientem in te Spiritum sanctum subito accepisti, nec scientia tua aduentum eius preuenisti, ut aut uenturum quereres aut uenientem dirigeres aut ingredient i aperires. Subito tibi illapsus est, gratis se obtulit, non quesitus uenit, inprouisus se infudit. Infusionem percipis sed ad fontem inmensitati s eius te non extendis. Et ideo nescis unde ueniat quia quantum tibi datum est sentire potes, sed ex quanto datum sit inuestigare non potes. Si ergo precedere non potuisti uenientem in te, non presumas anteire ad alios processurum per te, quia nescis quo uadat sicut ignoras unde ueniat. Serua secretum, custodi commissum , absconde creditum. Non est tuum nosse tempora uel momenta que Pater posuit in sua potestate. Ipse nouit quando et quibus uel quemadmodum magnificen tie sue arcana reuelet: tu, tantum parata esto iubenti obtemperar e, precipienti officium exhibere». Tali ergo considerat ione se temperans , Maria prudenter interim tacere elegit, quousque ipse largitor muneris sua sapientia auctor fieri dignaretur reuelationis .
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104-105 Ac 1,7.
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l'éclat de sa majesté et quand ce que le monde ne peut contenir s'installa tout entier dans son sein virginal 11 . Remplie ainsi d'une telle et si forte présence de la divinité, qui peut dire ce qu'elle vit ou ressentit? J'avance audacieusement qu'elle-même ne fut pas capable d'expliquer pleinement ce qu'elle put éprouver. Devant d'aussi grandes merveilles, comment donc la langue humaine aurait-elle pu se taire, à moins que ce même Esprit qui avait rempli la Vierge n'ait lui-même modéré, de son étreinte très douce, l'élan impétueux né de son effusion? En fait, dès lors, la Sagesse de Dieu cria en cette âme bienheureuse: L'Esprit souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d'où il vient ni où il va 12 • «Car toi», dit-elle, «tu as reçu soudain l'Esprit Saint qui entrait en toi, et tu n'as pas su à l'avance qu'il viendrait, pour le chercher avant qu'il ne vienne, ou le guider tandis qu'il venait, ou lui ouvrir alors qu'il entrait. Il est soudain tombé sur toi, il s'est offert gratuitement, il est venu sans être sollicité, il a pénétré à l'improviste. Tu perçois son effusion mais tu ne peux atteindre à la source de son immensité. Et c'est pourquoi tu ne sais d'où il vient parce que, si tu peux percevoir la grandeur du don qui t'est fait, tu ne peux aller scruter la grandeur de la source du don. Si donc tu n'as pu devancer celui qui venait en toi, n'aie pas l'audace de précéder celui qui doit aller vers les autres par toi, parce que tu ne sais pas où il va comme tu ignores d'où il vient. Garde le secret, protège ce qui t'a été remis, cache ce qui t'a été confié. Il ne te revient pas de connaître les temps ou les moments que le Père a établis dans sa puissance 13 . Lui-même sait quand et à qui, et comment, il doit révéler les secrets de sa magnificence: toi, sois seulement prête à obéir lorsqu'il commande, à accomplir la tâche qu'il prescrit». Se maîtrisant donc par de telles pensées, prudemment Marie choisit pour l'instant de se taire jusqu'au moment où, dans sa sagesse,
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Sed quia, eodem Spiritu sancto docente, didicerat sicut sua per humilitatem tegere sic alienis bonis per caritatem congaudere, surgit mox et, cum affluentia tante gratie, ad inferioris properat epulatura conuiuium. Conscendit in montana Iudee uidere et congratulari Elisabeth, ut quod de ipsa audierat credula in ipsa presens uideret et condigna exultatione exciperet. Sed que ad aliena bona predicanda tam deuota cucurrit, merito sua ab aliis predicari audire debuit, ut ex eo quoque gloria eius cresceret in quo exaltationi alterius non inuideret. Unde Elisabeth Spiritu sancto repleta qualis ac quanta esset que ad se uenerat agnouit, et quantum se indignam eius uisitatione iudicaret aperuit, dicens: Unde hoc michi ut ueniat mater Domini mei ad me? Ecce enim, ut Jacta est uox salutationis tue in auribus meis, exultauit in gaudio in/ans in utero meo. Et beata, inquit, que credidisti perficientur in te que dicta sunt tibi a Domino.
Tune ait Maria: Magnificat anima mea Dominum. Non ergo amplius potuit se continere cum Spiritum, quem intra cordis sui secreta tanta plenitudine redundantem sentiebat, per alieni oris claustra cerneret erupisse. Tune igitur ad manifestationem Spiritus aperuit et os suum et, Verbum bonum quod conceperat eructans, in laudem Saluatoris exclamauit, dicens: Magnificat anima mea Dominum. Nemo igitur uerba ista leuiter estimanda putet. Que enim de tam profunda 123-126 Cf. Le 1,43-45.
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le dispensateur même du don daignerait devenir l'auteur de sa révélation 14 . Mais, enseignée par le même Esprit-Saint, elle avait appris aussi bien à cacher par humilité les choses la concernant qu'à se réjouir par charité du bonheur arrivant à d'autres. C'est pourquoi elle se lève rapidement et, porteuse d'une grâce tellement grande et surabondante, elle se hâte de participer au festin d'une grâce inférieure à la sienne. Elle monte dans la montagne de Judée rendre visite à Elisabeth et la féliciter, et de cette façon voir sur place, réalisé en elle, ce qu'elle avait entendu dire et cru à son sujet, et accueillir l'événement avec les transports de joie dont il était digne. Mais celle qui courait avec un tel zèle célébrer des bienfaits dispensés à autrui dut à juste titre entendre proclamer les siens par d'autres, afin que sa propre gloire croisse aussi du fait même qu'elle n'enviait pas l'honneur fait à une autre. Elisabeth, donc, remplie de l'Esprit Saint, reconnut la qualité et la grandeur de celle qui était venue à elle, et fit voir combien elle se jugeait indigne de cette visite lorsqu'elle dit: D'où m'est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi? En effet, lorsque ta parole de salutation a retenti à mes oreilles, voici que l'enfant dans mon sein a tressailli de joie. Et elle ajouta: Heureuse es-tu, toi qui as cru que s'accompliront en toi les choses qui t'ont été dites par le Seigneur 15 • Marie dit alors: Mon âme exalte le Seigneur. Elle n'a pu donc se retenir plus longtemps lorsqu'elle comprit que l'Esprit Saint, qu'elle sentait déborder d'une si grande plénitude dans le secret de son cœur, avait fait irruption en franchissant les barrières d'une autre bouche que la sienne. C'est pourquoi sa propre bouche s'ouvrit alors pour manifester l'Esprit et, proclamant le Verbe de bonté qu'elle avait conçu, elle s'écria à la louange du Sauveur: Mon âme exalte le Seigneur. Que personne donc ne considère que ces paroles doivent être prises à la légère. Car celles-ci, proférées à partir d'une telle
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conceptione prolata sunt, sine profunda inuestigatione digne 135 penetrari non possunt. Et utinam contingat, nabis eorum arcana querentibus, illo Spiritu ducente incedere quo repleta Maria Verbum Patris concipere et Patrem Verbi meruit uerbo exultationis magnificare. Ait ergo: Magnificat anima mea Dominum. Et exultauit spiritus meus in Deo salutari meo. Vere dilecta et unica, et in illam cellam uinariam a rege sponso tua introducta, ab ubertate domus eius inebriata et fonte uite qui apud ipsum est patata, memoriam habundantie suauitatis eius eructasti et in iusticia eius exultasti. Vidisti et gustasti: uidisti maiestatem, gustasti suauitatem. Ideoque quod intus hauseras foras propinasti. Magnificat anima mea Dominum. Videte quid ait: Magnificat, inquit, anima mea. Et exultauit spiritus meus.
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Duo et duo: anima et spiritus, magnificat et exultauit. Anima magnificat, spiritus exultat. Et iterum duo: Dominus 150 et salutaris; verba duo, res una et tamen duo: Dominus et salutaris. Dominus potentiam notat, salutaris misericordiam. Videamus itaque uerborum distinctionem. Primum anima magnificat Dominum, deinde spiritus exsultat in salutari. Non dixit: anima exultat, nec dixit: spiritus magnificat. Sed 155 anima, inquit, magnificat, et spiritus exultat. Nec dixit: magnificat salutarem et exultat in Domino, sed magnificat Dominum et exultat in salutari sua. Primum discernamus quare distincte posuit «magnificat» et «exultat», uel quare prius «magnificat», postea «exultat». Nichil enim ratione 160 caret, quia omne quod dictum est ab illa intima summe ueritatis luce cui mens uirginis excellenter inheserat emanauit. Nec potuit aliud dicere, que meditando locuta non est sed 140-141Le1,46-47.
141 Cf. Ct 2,4.
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profondeur de conception, ne peuvent être dignement pénétrées que par une profonde et attentive recherche. Et souhaitons qu'il nous soit donné, à nous qui en cherchons les secrets, d'avancer sous la conduite de cet Esprit qui, ayant rempli Marie, lui a mérité de concevoir le Verbe du Père et de glorifier le Père du Verbe par un verbe débordant de joie. Elle dit donc: Mon âme exalte le Seigneur. Et mon esprit a exulté en Dieu mon Sauveur 16 . Vraiment aimée et sans pareille, introduite par le Roi ton époux en ce cellier à vin 17 , enivrée de la richesse de sa demeure et abreuvée par la source de vie qu'on trouve auprès de lui, tu as fait jaillir de ta bouche le souvenir de sa douceur surabondante et tu as exulté en sa justice. Tu as vu et tu as goûté: tu as vu la majesté, tu as goûté la douceur. C'est pourquoi ce que tu avais puisé audedans de toi, tu l'as offert à boire au-dehors. Mon âme exalte le Seigneur. Voyez ce qu'elle dit: «Mon âme exalte. Et mon esprit a exulté». Deux fois deux mots: âme et esprit, exalte et a exulté. L'âme exalte, l'esprit exulte. Et encore une fois deux mots: Seigneur et Sauveur; deux mots, une seule réalité, et cependant deux mots: Seigneur et Sauveur. Le mot de Seigneur exprime la puissance, celui de Sauveur la miséricorde. Voyons donc la différence de signification des mots. D'abord, l'âme exalte le Seigneur; ensuite, l'esprit exulte dans le Sauveur. Elle n'a pas dit que l'âme exulte, ni que l'esprit exalte. Mais l'âme exalte, dit-elle, et l'esprit exulte. Elle a affirmé, non pas qu'elle exalte le Sauveur et exulte dans le Seigneur, mais qu'elle exalte le Seigneur et exulte dans son Sauveur. Précisons d'abord pourquoi elle a posé «exalte» et «exulte» en distinguant les deux termes, et pourquoi d'abord «exalte» et ensuite «exulte». Rien, en effet, n'a été prononcé sans raison, parce que tout ce qui a été dit a eu pour source cette lumière intérieure de la Vérité suprême à laquelle l'esprit de la Vierge avait adhéré d'une manière éminente. Et elle
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gustando, quam non docuit per uaria discurrens cogitatio sed uni inherens fonti Sapientie per contemplationem mentis deuotio. Magnificat, inquit, anima mea, exultauit spiritus meus. Duo quippe sunt que beati angelorum et hominum spiritus in illo fonte boni eterna contemplatione hauriunt, incomprehensibilis uidelicet maiestas Dei et ineffabilis bonitas, quorum alterum castum timorem generat, alterum dilectionem parit. Pro maiestate enim uenerantur Dominum et pro bonitate amant, ne uel dilectio sine reuerentia dissoluta sit, uel reuerentia sine dilectione penalis. Admirantes enim diligunt et diligentes admirantur, ut inextinguibiliter per admirationem ardeat dilectio et suauiter in dilectione ferueat admiratio. Propter banc reuerentiam, dictum est quia columne celi ante ipsum contremiscunt, quia nimirum etiam uirtutes celorum tantam maiestatem sine admiratione intueri non possunt. Tremor autem beatorum spirituum concussio non est tranquillitatis, sed incessabilis et uiuifica intentio perpetue contemplationis. Nam, quia eum quem uident perfecte nunquam comprehendere sufficiunt, semper supra se conspiciunt, in quo quasi per admirationem euigilant ne in eo quod comprehendere ualent unquam torpescant. Quanto autem perspicatius intuentur, tanto ardentius amant, quia ipsum uidere sapere est et quod uidetur dulcedo est. Vera autem dulcedo quanto perfectius sentitur, tanto desiderabilius appetitur, quia si uere dulce est quod percipitur, et hoc dulcius esse necesse est si amplius percipiatur.
178 Jb 26,11.
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n'a pas pu s'exprimer autrement, elle qui a parlé non en méditant mais en goûtant, elle qui a été instruite non par sa pensée discursive mais par sa ferveur spirituelle adhérant, grâce à la contemplation, à la source unique de la Sagesse 18 • «Mon âme exalte», dit-elle, «et mon esprit a exulté». Il y a en réalité deux choses que les esprits bienheureux des anges et des hommes puisent à cette source par la contemplation éternelle du Bien, à savoir la majesté incompréhensible de Dieu et son ineffable bonté: l'une génère la crainte religieuse, l'autre engendre l'amour. En effet, c'est en raison de sa majesté que les esprits bienheureux vénèrent Dieu et ils l'aiment pour sa bonté, évitant que l'amour dépourvu de crainte respectueuse ne se relâche ou que la crainte respectueuse sans amour ne soit pénible. Car ils aiment tout en admirant et ils admirent tout en aimant: ainsi l'amour brûle sans cesse grâce à l'admiration et l'admiration doucement s'échauffe dans l'amour. En raison de cette crainte respectueuse, il a été dit que les colonnes du ciel tremblent devant lui 19 , sans doute parce que même les Vertus des cieux ne peuvent fixer leurs regards sur une si grande majesté sans admiration. Cependant, ce tremblement des esprits bienheureux ne signifie pas le trouble de leur paix, mais la tension incessante et vivifiante de la contemplation perpétuelle. En effet, parce qu'ils n'arrivent jamais à saisir parfaitement celui qu'ils voient, ils portent toujours leur regard au-dessus d'eux-mêmes, grâce à quoi ils sont comme tenus éveillés par l'admiration qui leur évite de ne jamais s'endormir sur ce qu'ils peuvent comprendre. Mais plus ils regardent avec acuité, plus ardemment ils aiment, parce que le voir luimême, c'est le goûter et que ce qui est vu, c'est sa douceur 20 . Or la vraie douceur, plus elle est ressentie parfaitement, plus elle est désirée ardemment: car si ce qui est perçu est vraiment doux, plus grande en est la perception, plus grande en est nécessairement la douceur.
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Ad banc ergo contemplationis lucem mens Marie subleuata fuerat, que celestis patrie dulcedinem in uerbis suis tam mirabiliter expressit quantum ineffabiliter comprehendit. Nam, cum se Dominum magnificare perhibuit, uenerandam illam reuerendamque uniuersis eterni numinis maiestatem interna uisione contueri se manifeste declarauit. Cum uero se in suo Salutari exultare asseruit, gustum se interne dulcedinis percepisse ostendit. Unde utrumque professa est, et Dominum uidelicet et Saluatorem, ut pro potestate qua omni creature sue dominatur etiam his a quibus non diligitur iure metuendum ostenderet, pro bonitate uero qua misericorditer quosdam saluat dignum dilectione demonstraret. Sane, quia uniuerse uie Domini misericordia et ueritas sunt, perfecta laus est Dominum et Saluatorem confiteri, cum ueritas in Domino et in Saluatore misericordia commendatur. Veritas enim ad Dominum pertinet et ad Saluatorem misericordia. Nam, quia cuncta opera sua tanta et tam perfecta iustitia gubernat ut id etiam quod in eis preter iustitiam factum inuenitur inordinatum non relinquat, et quoniam factum perperam nec eius potest iudicium euadere nec eterne dispositionis legibus contraire, in ueritate seruat tenorem iustitie. Quia autem quedam errantia gratuito ad uitam colligit et reparat ad saluationem, in iudicio suo iustitiam moderatur per lenitatem misericordie. Propterea magnificamus Dominum et in Salutari exultamus quia, quibus reuerenda est iustitia iudicis, dulcis est misericordia Saluatoris. Propterea inquit Maria: Magnificat anima mea Dominum et exultauit spiritus meus in Deo Salutari meo.
203-204 Ps 24,10.
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Donc, vers cette lumière de contemplation l'esprit de Marie avait été soulevé, elle dont le langage a exprimé la douceur de la patrie céleste aussi admirablement que, ineffablement, elle l'a comprise. Car, quand elle a témoigné qu'elle exaltait le Seigneur, elle a signifié clairement que, dans une vision intérieure, elle regardait cette majesté d'éternelle puissance que tous doivent vénérer et révérer. Mais quand elle a affirmé qu'elle exultait en son Sauveur, elle a fait voir qu'elle avait perçu le goût d'une douceur intérieure. En conséquence, elle a reconnu nettement qu'il était l'un et l'autre, à savoir Seigneur et Sauveur. Elle montrait ainsi que, en raison de la puissance par laquelle il règne sur toute créature, le Seigneur doit à juste titre être craint même de ceux qui ne l'aiment pas, mais elle indiquait aussi que, en raison de la bonté par laquelle il en sauve certains miséricordieusement, il est digne d'amour. Assurément, puisque toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité2 1 , une louange parfaite doit le confesser comme Seigneur et comme Sauveur, puisque c'est la vérité qu'on célèbre dans le Seigneur et la miséricorde dans le Sauveur. La vérité, en effet, se rapporte au Seigneur et la miséricorde au Sauveur. Car, du fait qu'il gouverne toutes ses œuvres avec une justice si grande et si parfaite que cela même qu'on trouve réalisé en elles contre toute justice n'échappe pas à ses plans, et puisque ce qui a été fait de mal ne peut ni se soustraire à son jugement, ni s'opposer aux lois des desseins éternels, il maintient le cours de la justice dans la vérité. Mais, du fait que gratuitement il recueille et répare certaines errances en les tournant vers la vie, il tempère en vue du salut la justice de son jugement par la douceur de sa miséricorde. Nous exaltons le Seigneur et nous exultons dans le Sauveur pour la raison suivante: à ceux pour gui la justice du Juge est à craindre respectueusement , la miséricorde du Sauveur est
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Quare anima magnificat et spiritus exultat? Idem fartasse alio uerbo repetitum est, nam anima et spiritus in homine idem est, quamuis anima aliud et aliud spiritus notet: nam spirirns ad substantiam dicitur et anima ad uiuificationem. Verumtamen, quia occasio se obtulit, errorem quorumdam hic commemorare non ab re puto. Nam sunt qui in unoquoque homine animas duas esse contendunt: unam rationalem, et unam sensualem rationis expertem quales sunt anime brutorum animalium. Hanc autem opinionem rationibus quibusdam et auctoritatibus firmare conantur. Aiunt enim animam rationalem nonnisi in uulua formata corpori infundi, quemadmodum legitur in primo homine corpus prius formatum ac deinde spiraculum uite inspiratum. Et Moyses in lege dicit quia si quis percusserit mulierem pregnantem et illa abortiuerit: si formatum fuerit abortiuum, percussor animam pro anima reddat; si autem formatum non fuerit, multetur pecunia. Quidam etiam sanctorum patrum in suis tractatibus hoc asseruisse inueniuntur. Et propterea, cum constet animam rationalem nonnisi formata corpori dari, et iterum manifestum sit ipsum corpus, priusquam humanam formam accipiat, et moueri et crescere et, ipso uitali motu qui sibi inest, ad hanc ipsam formam perduci, sine contradictione aliqua concedendum putant quod, antequam rationalem animam accipiat corpus humanum, animam habeat sensualem qua uiuat et uegetetur et incrementum formamque percipiat, intantum ut, si concepto semini et formata rationalis anima non daretur cum illa anima quam a prima conceptione habet irrationalem, in humana forma de homine animal brutum nasceretur, nichil
231 Cf. Gn 2,7.
232-235 Ex 21,22-23.
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douce. C'est pourquoi Marie dit: Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit a exulté en Dieu mon Sauveur. Pourquoi est-ce l'âme qui exalte et l'esprit qui exulte? Peut-être est redite la même chose sous deux formules différentes, car chez l'homme âme et esprit sont une même réalité, bien que l'âme et l'esprit soient différenciés par ce qu'ils désignent: en fait, on parle d'esprit relativement à la substance et d'âme relativement à ce qui vivifie 22 . Mais, puisque l'occasion s'en est présentée, je n'estime pas inopportun de rappeler ici l'erreur de certains. Car il en est pour soutenir l'existence de deux âmes en chaque homme: une âme rationnelle, et une âme sensitive dépourvue de raison comme sont les âmes des bêtes. Or, ils entreprennent d'appuyer cette opinion sur certains raisonnements et sur des écrits faisant autorité23. Ils disent, en effet, que l'âme rationnelle est infusée dans le corps une fois seulement que celui-ci est formé dans l'utérus, à l'instar du premier homme dont on peut lire que le corps a d'abord été formé et qu'ensuite le souffle de vie a été donné2 4 . De plus, Moïse dit dans la Loi : Si quelqu'un a frappé une femme enceinte et qu'elle a avorté: si le corps avorté était formé, que celui qui a frappé rende âme pour âme; mais s'il n'était pas formé, qu'il soit puni par une amende25 . Certains Pères de l'Eglise se trouvent même avoir soutenu cette thèse dans leurs traités. Et à cause de cela, puisqu'il est manifeste qu'une âme rationnelle est donnée au corps seulement lorsqu'il est formé et que, d'un autre côté, le corps lui-même, avant qu'il ne reçoive une forme humaine, à la fois se meut, croît et, par cet élan vital qui est en lui, est précisément amené à cette forme, ils pensent qu'il faut admettre sans contredit que, avant que le corps humain ne reçoive une âme rationnelle, il possède une âme sensitive. De celle-ci, le corps reçoit la vie, l'animation, la croissance et la forme, à tel point que si, au germe conçu et formé, l'âme rationnelle n'était pas donnée avec cette âme que le corps possède, irrationnelle,
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a ceteris irrationalibus distans excepta quod de humano semine substantiam contraxisset. Nam, cum brutorum animalium semini hoc naturaliter insit ut in semetipso tempore adueniente uiuificationem accipiat, indignum uidetur hoc humano semini quod in sua natura excellentius esse constat denegare. Post hec omnia, illud etiam in testimonium eius assertionis adducunt quod, in Scripturis catholicis, frequenter inuenimus in una persona geminato uocabulo animam et spiritum nominari, et in precibus Ecclesie cotidie sine aliqua erroris suspicione, cum funeri fideliter obsequium reddimus, animam et spiritum defuncti Domino commendamus. Hac ergo ratione probare uolunt unumquemqu e hominem duas animas habere, alteram qua uiuit, alteram qua sapit, et utramque in futuro in electis beatificandam , alteram id est sensualem per incorruptione m corporis, alteram rationalem per uisionem Creatoris. Similiter in reprobis utramque cruciandam, alteram id est sensualem per flammam corpoream, alteram id est rationalem per conscientiam malam.
Sed fides catholica eiusmodi assertionem non recipit. Sed unam eandemque animam esse uerissime testatur que in homine et corpori uitam prebet per sensum et in semetipsa uiuit per intellectum. Neque, si humano corpori rationalis anima ante formationem non datur licet moueatur et crescat priusquam humanam formam accipiat, idcirco necesse est ut hoc per animam aliquam fieri dicamus, cum manifeste uideamus uirgulta et herbas sine anima moueri et incrementum habere (nisi forte ipsam uegetationem et
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dès la conception initiale, c'est un animal sans raison qui sous une forme humaine naîtrait de l'homme, n'étant en rien différent des autres créatures irrationnelles à l'exception du fait qu'il aurait tiré sa substance d'une semence humaine. Car, étant donné qu'il est dans la nature de la semence des animaux sans raison de recevoir par elle-même la vivification au temps opportun, il semble inconvenant de dénier cela à la semence humaine dont il est établi qu'elle est plus remarquable que les autres dans sa nature propre. Pour finir, ils ajoutent également ceci comme preuve de cette affirmation: dans les Ecritures catholiques, nous trouvons fréquemment l'âme et l'esprit nommés tous deux pour une unique personne, et dans les prières quotidiennes de l'Eglise qu'on ne peut soupçonner d'erreur, lors de la célébration des funérailles des fidèles, nous confions à Dieu l'âme et l'esprit du défunt 26 . Par ces raisonnements ils veulent donc prouver que tout homme possède deux âmes, l'une par laquelle il vit, l'autre par laquelle il comprend. L'une et l'autre seraient, chez les élus, promises à la béatitude, la première c'est-à-dire l'âme sensitive grâce à l'incorruptibilité du corps, la seconde à savoir l'âme rationnelle grâce à la vision du Créateur. Pareillement, l'une et l'autre âmes seraient destinées au tourment chez les réprouvés, l'âme sensitive au moyen d'un feu matériel, l'âme rationnelle par une conscience mauvaise. Mais la foi catholique n'admet pas une telle assertion. Elle atteste très justement la présence, chez l'homme, d'une seule et même âme qui à la fois donne la vie au corps par la sensibilité et vit en elle-même par l'intelligence. Et, si l'âme rationnelle n'est pas donnée au corps humain avant sa formation bien qu'il se meuve et se développe avant même de recevoir une forme humaine, il n'est pas pour autant nécessaire de dire que ce mouvement et cette croissance adviennent par l'intermédiaire d'une âme, alors que nous voyons
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motum naturalem animam quis appellare uelit; sed hec uis, licet secundum aliquid anima dici possit, sensualis tamen et que animal faciat nullo modo dicenda est). Ridiculum enim et preter rationem omnino est ut humanum corpus sine anima rationali bestiam nasci dicamus, et non potius nec uiuere nec nasci si anima rationali uiuificatum non fuerit. Nam illud quod dicunt indignum esse, ut semen humanum etiam secundum naturalem conceptum ceterorum animalium seminibus ad uiuificationem infirmius esse credatur et minus efficax quam nullius ponderis sit, manifestum est cum uideamus fere omnia bruta animalia uigore sentiendi longe hominem precedere. Immo, ex hoc ipso, uerisimilius probetur humanum semen nonnisi ex anima rationali uiuificari et sensum percipere, quia profecto iustum erat ut brutis animalibus, quibus nichil dandum erat in intellectu, aliquid amplius daretur in sensu et, econtrario, tanto maior necessitas homini indiceretur exercende rationis quanta maiorem in sensibus corporeis defectum pateretur. Sed et illud quod in sacra Scriptura aliquotiens circa unam et eandem personam designandam spiritum et animam geminata uocabula inuenimus: non propter diuersas essentias significandas factum est, sed propter eiusdem essentie diuersam proprietatem. Nam unus et idem spiritus et ad seipsum spiritus dicitur et ad corpus anima. Unde et illi spiritus qui primum conditi sunt ut in sua puritate persisterent neque miscerentur corporibus spiritus dici possunt, anime non possunt, quia naturam spiritualem habent sed animationem corporalem non habent. Brutorum autem animalium spiritus, quia essentialiter corpus sunt et extra uiuificationem corpoream esse non habent, magis proprie anime dicuntur quam spiritus. Anima autem humana, quia et in corpore esse habet et extra corpus, proprie et anima uocatur et spiritus. Sed anima dicitur in quantum est uita
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manifestement des branches et des herbes sans âme s'agiter et croître (à moins que par hasard quelqu'un veuille appeler âme cette croissance même et ce mouvement naturel; mais cette force, bien qu'elle puisse en un sens être nommée âme, ne doit cependant nullement être appelée âme sensitive, celle qui forme un animal) 27 . Il est, en effet, ridicule et totalement déraisonnable de prétendre que le corps humain naît à l'état de bête sans âme rationnelle: il vaut mieux dire qu'il ne pourrait ni vivre ni naître s'il n'était vivifié par l'âme rationnelle. Car ce qu'ils prétendent être indigne, à savoir de croire que la semence humaine même selon la conception naturelle est moins apte à la vivification que les semences de tous les autres animaux et moins efficace que ne l'est celle d'êtres sans importance, cela est manifeste puisque nous voyons que presque toutes les bêtes devancent grandement l'homme en force de perception sensible. Mieux! A partir précisément de ce constat, il serait reconnu avec beaucoup de vraisemblance que la semence humaine n'est vivifiée et ne reçoit de sensibilité que par l'âme rationnelle. Car il était assurément juste qu'aux animaux, auxquels rien ne devait être donné quant à l'intellect, quelque chose de plus soit donné aux sens et que, à l'inverse, soit imposée à l'homme une nécessité d'autant plus impérieuse de se servir de sa raison qu'apparaîtrait plus grande la déficience de ses sens corporels. Mais le fait est que nous trouvons parfois dans la sainte Ecriture les deux vocables esprit et âme pour désigner une même et unique personne: ceci a pour but de signifier, non des essences différentes, mais diverses propriétés de la même essence. Car c'est le même et unique esprit qui est dit esprit par rapport à lui-même et qui est appelé âme par rapport au corps 28 • En conséquence aussi, ces esprits qui ont été créés en premier pour demeurer dans leur état de purs esprits 29 et n'être pas joints à des corps peuvent être appelés esprits et ne peuvent être appe-
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corporis, spiritus autem in quantum est ratione predita substantia spiritualis. 310
Propterea in hac uita anima perditur ut spiritus saluus fiat, cum hec uita propter Deum despicitur ut postmodum a Deo eterna uita tribuatur. Sed, quia id quod perdimus quantum ad essentiam idem ipsum est quod recipimus, propterea Dominus in Euangelio nequaquam nos animam perdere precepit ut spiritum saluum reciperemus, sed eandem ipsam animam hic perdendam esse dixit ut in futuro salua reciperetur. Hoc profecto significans quia quisquis propter Deum hanc uitam, que nunc corporis uiuificatione ex anima temporaliter mortalis constat, libenter despexerit, in futuro etiam eandem corporis non solum anime uitam eternam et immortalem recipiet. U nde et sancta Ecclesia, que carnis resurrectionem fidelissime credit, non solum pro spiritibus sed etiam pro animabus fidelium suorum orat, hoc utique petens ut in uisitatione iustorum cum illa beatitudine que ex uisione Dei mundis cordibus erit, hoc etiam ad gloriam uite eterne immortale et incorruptibile per resurrectionem carnis percipiant, quod nunc per mortem carnis corruptibile deponunt. Et hec quidem de differentia anime et spiritus preter rem, sed forte non preter utilitatem, diximus. Nunc ad ordinem narrationis nostre, ut cepimus, recurramus. 317-318 Cf. Mt 10,39 et 16,25; Mc 8,35; Le 9,24 et 17,33 Jn 12,25.
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lés âmes, parce qu'ils ont une nature spirituelle sans avoir à assurer l'animation d'un corps. Quant aux esprits des animaux sans raison, du fait qu'ils sont essentiellement corps et n'ont pas d'existence en dehors de la vivification corporelle, il est plus approprié de les nommer âmes plutôt qu'esprits. Tandis que l'âme humaine, parce qu'elle a l'existence à la fois dans le corps et en dehors du corps, est adéquatement appelée à la fois âme et esprit. Mais elle est dite âme dans la mesure où elle est vie du corps, et esprit dans la mesure où elle est substance spirituelle douée de raison 30 . C'est à cause de cela que l'on perd son âme en cette vie afin que l'esprit soit sauvé, lorsqu'on méprise cette vie à cause de Dieu pour qu'un jour la vie éternelle soit par Lui accordée. Mais, du fait que ce que nous perdons est, quant à l'essence, rigoureusement la même chose que ce que nous recevons, le Seigneur dans son Evangile ne nous a nullement prescrit de perdre notre âme pour recevoir un esprit sauvé, mais il a affirmé que c'était exactement la même âme qu'il faut perdre ici-bas pour la recevoir, sauvée, dans la vie future31. Cela signifie bien que quiconque, à cause de Dieu, aura de son plein gré méprisé cette vie qui présentement, par la vivification du corps à partir de l'âme, est constituée temporairement mortelle, plus tard recevra aussi la même vie, du corps et non seulement de l'âme, vie éternelle et immortelle. D'où vient encore que la sainte Eglise, qui croit très fermement à la résurrection de la chair, prie non seulement pour les esprits mais également pour les âmes de ses fidèles. Elle demande instamment que, lorsque sera manifestée aux justes cette béatitude qui proviendra de la vision de Dieu par les cœurs purs, ils reçoivent, immortel et incorruptible, pour la gloire de la vie éternelle et par la résurrection de la chair, cela même qu'ils déposent maintenant, corruptible, par la mort de la chair. Il est vrai que, en traitant de cette différence entre âme et esprit, nous nous sommes éloignés
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Querimus ergo quid sibi uelit talis distinctio uerborum, utrumne aliquid nobis innuat quod non spiritum sed animam Dominum magnificare dicit, et spiritum non animam in Salutari suo exultare testatur. Et forte aliquis curiositati magis quam diligentie ascribendum putet ita singula queque perscrutari et nec minima etiam sine propria consideratione preterire. Noui ego multa ad hune modum propter affectus commouendos in Scripturis uel per expressionem dicta, uel per inculcationem repetita. Quod etiam in hoc loco factum similiter si quis dicat nichil inconuenientis est. Sic enim dictum est: «Anima mea magnificat et spiritus meus exultat» quasi diceretur: «Ego ex anima mea et spiritu meo, id est ex toto corde et ex rota uoluntate, Deum laudo et de eius saluatione quam generi humano preparari nunc uideo totis precordiis exulto. Nunc enim uideo de me assumi quod credo pro me debere offerri, sic tamen ut iam nunc Saluatorem meum confitear qui, et si adhuc hostiam carnis sue non obtulit, carnem tamen quam adueniente tempore in hostiam offerat iam assumpsit. Ergo et nunc Saluator, et non solum nunc sed ab eterno Saluator est, qui iam per carnem assumptam ad saluandum aduenit, sed eam quam suo tempore exibebit saluationem ab eterno I: mr
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