Hugues de Saint-Victor: Oeuvres I 2503505619, 9782503505619


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Hugues de Saint-Victor: Oeuvres I
 2503505619, 9782503505619

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L'œuvre de HUGUES DE SAINT-VICTOR 1

SOUS IA RÈGLE DE SAINT AUGUSfIN

coUection dirigée par Patrice Sicard

L'œuvre de HUGUES DE SAINT-VICTOR 1 De institutione novitiorum De virtute orandi De laude caritatis De arrha animae

Texte latin par H.B. Feiss et P. Sicard Traduction française par D. Poiret, H. Rochais et P. Sicard Introductions, notes et appendices par D. Poiret

BREPOLS

© 1997

Imprimé en Belgique Dépôt légal: mai 1997 D/1997/0095/5 ISBN 2-503-50561-9

Ali rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmiued, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording or otherwise, without the prior permission of the publisher.

De institutione nouitiorum

INTRODUCTION

Le De institutione nouitiorum occupe une place qui pourrait d'abord paraître marginale dans l'œuvre de Hugues de Saint-Victor. Il ne s'agit pas en effet d'un ouvrage scolaire comme le Didascalicon, ni d'une somme de théologie comme le De sacramentis, ni enfin d'un écrit spirituel comme le De arrha anime, mais d'une sorte de manuel de savoir-vivre à l'intention des novices. Pourtant, sans ce texte, tout un pan nous échapperait, non seulement de la personnalité de Hugues lui-même et de son projet d'un savoir universel, mais aussi de la vie quotidienne à l'abbaye de Saint-Victor. En effet, aucun autre texte du grand Victorin n'a une destination aussi clairement pratique: aux aspirants chanoines, Hugues enseigne une discipline générale du comportement, adaptée aux diverses circonstances de la vie en communauté.

Originalitis et antécédmts du genre littéraire Par cette attention aux différents cas concrets, l'ouvrage de Hugues apparaît comme un texte original, à l'intérieur d'un genre littéraire encore presque neuf. Bien sûr, depuis les Pères du désert, de nombreux ouvrages ont été composés en guise d'introduction à la vie et à la spiritualité monastiques: les plus célèbres sont, du côté grec, la Scala paradisi de Jean Climaque (VIIe s.) et, chez les Latins, les Con!ationes de Jean Cassien ( ap. 435), qui étaient lues par les Victorins. Cependant, avant l'œuvre de Hugues de Saint-Victor, il faut attendre le XIe s. pour découvrir des textes qui soient spécialement adressés à des novices, c'est-àdire à des candidats à la vie religieuse, que l'on soumet à un temps de probation et de formation ascétique, spirituelle et pratique, en vue de leur intégration définitive à la communauté 1• Encore

t

1

Le mot •novice» désigne d'abord les catéchumènes. Ce sontJean Cassien et surtout Benoît de Nursie qui lui ont donné son sens actuel: JEAN CAssIEN,

8

DE INSTITUTIONE

n'eurent-ils ni l'ampleur ni 1'originalité ni le succès du De institutione de Hugues. Le premier que nous connaissions, un texte anonyme étudié par Dom Leclercq 2, est une compilation, d'abord de l'institution oratoire de Quintilien, ensuite de passages ascétiques des Pères, et que concluent quelques conseils moraux inspirés d'Afcuin. Ensuite, le De ordine uitae et morum institzttione du bénédictin Jean de Fruttuaria (t 1049?)3 s'inspire d'Ambroise et Grégoire pour présenter les vices et vertus du moine, en particulier trois vertus qui, selon l'auteur, conviennent davantage aux jeunes religieux, la uerecundia, la taciturnitas et 1'oboedientia. Enfin, on ne connaît rien d'autre avant Hugues qu'une lettre de saint Anselme\ où le

Decoenobiorum imtitutis, 4, 30, éd. J.·C. Guy, Paris, 1965 (SC 109), p. 168 =PL 49, 192; RtgulaBenedicti, 58: DeJisdplinaswdpiendorumfratrum, éd. R Hanslik, Wien, 1960, ( CSEL 75 ), p. 133· 138. Cf. Alvaro Huerga, art. «Noviciat», dans Dictionnaire de spiriJualité, t. 11, 1982, col. 483·495; art. «Noviziato» et «Novi· zio•, dans Dizionario degli lstituti di Perfèzione, t. 6, 1980, col. 442·463 et 463·468. 2 ]. Ledercq, «Des études dans les monastères du Xe au XIIe siècle", dans Lo1 Monjes y los Fstudios, Abbadoa de Poblet, 1963, p. 13; «1èxtes sur la vocation et la formation des moines au Moyen Age», dans Corona Gratiarum, Mélanges E. Dekkers, Brugge, 1975, t. 2, p. 169· 194. Sur la littérature consacrée aux novices, voir notamment l'article de P. Riché: «Les traités pour la formation c!es novices, XIe-XIIIe siècle», dans Papauté, morJaChisme et théories politiques. F.tudes d'histoire médiél!ale offertes à Marcel Pacaut, t: 1, Le pouvoir et l'institution ecclésiale, Lyon, 1994 (Collection d'histoire et d'archéologie médiévales), p. 371-377; par ailleurs, Caroline W. Bynum donne une liste de traités de formation des novices dans jeJUJ as mother. Studies in the Spiritualil'j of the High Middle Ages, Berkeley, 1982, p. 261269: «Appendix: Monastic and Canonical Treatises of Practical Spiritual Advice»; cf. aussi Alvaro Huerga, op. cit., col. 493·494. 3 Éd. PL 184, 561-584. Dans certains manuscrits, l'ouvrage est intitulé De doarina puero111m ou De uerecundia adolescentium; cf. A. Ancelli, «I:opusculo di Giovanni di Fruttuaria sulla formazione dei novici dans Monarteri in alta Italia, Torino, 1966; G. Oury, art. «Jean de Fruttuaria», dans Dictionnaire de spiritualité, t. 8, 1974, col. 531-532. 4 ANsELME, Epist. 37, éd. Schmitt, t. 3, p. 144-148 =PL 158, 1063-1066 {lib. 1, epist. 2); trad. fr. M.-P. Dickson, Saint Anselme, 1lxtes choisis, Namur, 1960, p. 155·161; cf. P. Riché, «La vie scolaire et la pédagogie au Bec au temps de Lanfrànc et de saint Anselme», dans ÙJ Mutations socio-culturelles au tournant Je.; Xf-Xrf JiècleJ, Paris, 1984, p. 213-227. 10 ,

INTRODUCTION 9 maître du Bec-Hellouin recommande à son élève Lanzo la leaio divina, l'attention quotidienne aux progrès accomplis, la tension persévérante et joyeuse vers la perfection et le mépris du monde. Dans l'ensemble, la perspective de ces textes est ascétique et morale. Surtout, les conseils donnés restent généraux. On ne s'y soucie guère d'aider les novices à discerner comment l'appel à la perfection «s'incarne» et s'ajuste aux différentes àrconstances de la vie quotidienne.

Diffusion et influence Or, il faut croire que cette préoccupation, omniprésente dans le De institutione nouitiontm, répondait à un besoin largement répandu, car le traité de Hugues connut vite une large diffusion5, y compris en dehors du monde canonial, chez les moines et religieux de tous ordres 6 où des changements de titre attestent qu'il fut adapté tel quel à la disàpline monastique 7• De même, les Grandmontains le transcrivirent à leur usage, en l'attribuant à leur septième prieur, Gérard Ithier ( 1188-1198) 8, ce qui amena Hauréau à dénier à Hugues l'attribution du De institutione nouitiorum9•

5

6

7 8

Rudolf Goy, Die Übtrlieftrung, p. 340-367, donne une liste de 172 manuscrits et 13 fragments; depuis, 9 manuscrits nouveaux ont été recensés par le Hugo-von-Sankt-Viktor-Institut. On trouvera une estimation du nombre des manuscrits par ordre religieux dans R. Goy, p. 367. Speculum mona.rticm disciplinae, De projèssione monachorum, etc.; cf. Goy, p. 340-1. Tractatus dt disciplina et wrrectione morum, éd. du prologue grandmontain par Dom ). Becquet, Scriptorum ordinis Grandimontmsis opera, Turnhout, 1968,

(CCCM 8), p. 337-8. 9

B. Hauréau, Les œuvres dt Hugues dt Saint-Vittor, Paris, 1886, p. 116-124; P. Glorieux, «Pour revaloriser Migne», dans Méklnges dt Science religieuse, t. 11, 1952, Suppl., p. 68. En fait, l'authenticité hugonienne ne peut être mise en doute. La grande majorité des manuscrits attribuent le traité à Hugues; de plus, l'Indiculum de Gilduin le mentionne explicitement (cf.). de Ghellinck, «La table des matières de la première édition des œuvres de Hu~es de Saint-Victor», dans Recherches dt sciences religieuses, t. 1, 1910, p. 288-289); enfin, les similitudes de style et de pensée sont frappantes, comme on pourra le voir à travers l'annotation.

DE INSTITIJTIONE Non seulement ce traité fut recopié, mais il fut traduit dès le Moyen Age, en portugais 10 comme en français 11 ; il fut largement cité ou utilisé, aussi bien par les dominicains Vincent de Beauvais12, Guillaume de Tournai 13 , Humbert de Romans 14 que par les franciscains Bernard de Besse 15, Vital du Four16 et Gilbert de Tournai 17 , ou encore par les premiers représentants de la Devotio moderna comme Gérard Zerboldt18• Enfin, il faut signaler un opuscule victorin, sans doute daté du S., qui porte le même titre que l'ouvrage de Hugues et que nous donnons en appendice 19 • Nulle part cet opuscule ne cite clairement l'œuvre de Hugues; les similitudes entre les deux textes n'en sont donc que plus frappantes. Elles attestent que l'idéal hugonien de formation morale des novices se maintint pendant plusieurs siècles au sein de l'abbaye parisienne. 10

xve

Date Damien Van den Eynde20 a daté d'avant 1125 le De institutione nouitiorum, dont il situe la composition entre celles du Didascalicon et du De meditatione. A la vérité, ses arguments, d'ordre purement

10

11

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13

14 15 16 17 18

19 20.

Disciplina dos·Monges, dans Lisboa, BN, Alcobaça 200, ( 148-180, commenté par M. Martins, dans Broteria, t. 72, 1961, 6, p. 633-644. Une traduction allemande du De compositione Ide David d' Augsburg, Melk, Stiftsbibl., 235, ( 73r-81r, se donne à tort pour la traduction du De institutione nouitiorum dans une note marginale; c( Goy. p. 501 et surtoutJ-C. Schmitt, p. 391, n. 61. Paris, BN, fr. 24863, f. U4-148 (XV: s., prov. de Saint-Victor); Jean de Vignay, Miroir Hystorial, Paris, 1621, t. 4, 1. 27, ch. 61. Speculum historiak, XXVI, lix-lx, éd. Douai, 1624, réimpr. Graz, 1964, p. 10741075. Ed. J.A. Corbet, The "De instructione ptll!rrmtm" of William of 11mmai O.P., Notre Dame, Ind., 1955 (Texts and Studies in the His tory ofMediaeva!Education, 3). &positio regulae B. Augu;tini, dans Opera omnia, éd. JJ. Berthier, Roma, 1888, t. 1. Speculum disàplinae ad nouitios, éd. dans S. Bonaventurae Opera omnia, t. U, Paris, 1868, p. 467-468. Speculum morale totius Sacrae Scripturae, rubrique De lingua, f. 106v-109r. Sermones ad status, Lyon, 1511, f. 146v: Ad virgines et pue/las sermo primus. De asœnsionibus spiritualibus, éd. F.S. Vincent, à paraître dans la même collection. Appendice II, p. 307-3U. D. Van den Eynde, Er.rai, p. 114-116.

11 INTRODUCTION littéraire, ne sauraient suffire à emporter une adhésion sans réserve. Il reste que, par la préoccupation sinon par la date, le De institutione nouitiorum est complémentaire des ouvrages propédeutiques ou pédagogiques de Hugues, généralement situés dans la première partie de sa carrière littéraire. Ainsi, P. Sicard a noté que cet «art de vivre» faisait pendant à l'«art de lire» qu'est le Didascalicon'-1: dans la tradition des écoles cathédrales et collégiales, le magister est responsable à la fois de l'instruction et de la conduite de ses élèves. Aussi le De instituhone nouitiomm et le Didascalicon doivent-ils être envisagés comme les deux volets d'un unique programme d'éducation intellectuelle et morale.

Plan Le plan adopté ici dans le texte latin et la traduction française est repris d'un manuscrit du XIIe siècle. Les titres qu'il comporte résument plutôt le contenu de chaque section qu'ils n'indiquent les articulations intellectuelles du traité. Il importe donc de dégager celles-ci. En s'appuyant sur le psaume 118, le prologue trace pour les novices le chemin qui mène à la béatitude: les étapes en sont la science, la discipline et la bonté. C'est à décrire les deux premières, qu'est consacré le traité22 : d'abord la science d'une «vie droite et probe» {ch. 1-9), puis la discipline {ch. 10-21), la bonté venant, comme un don de Dieu, couronner les efforts de l'homme (fin du ch. 21). A propos de la «science•, entendons surtout ici la formation de la conscience morale, Hugues examine les cinq sources par lesquelles on l'acquiert: la raison, l'enseignement, l'exemple des saints, la méditation des Écritures et l'examen de conscience. Par la raison, le novice est invité à discerner comment il modulera son comportement suivant les lieux de l'abbaye {ch. 3), les moments

21 22

P. Sicard, Hugues de Saint-Victor, p. 189. Nous ne retenons pas l'hypothèse, émise par l'Hirtoire littéraire de la France et par B. Hauréau, suivant laquelle il manquerait au De institutione nouitiorum une troisième partie; cf. Appendice I, p. 303·3o6.

DE INSflllJTIONE 12 de la journée ou du temps liturgique (ch. 4), enfin la qualité des personnes, précisée par le rang et le mérite (ch. 5). renseignement, dont il est ensuite question (ch. 6), consiste en une éducation morale, dont sont bannies les querelles et le bavardage qui les provoque: ici, Hugues oppose clairement l'école du cloître, qui requiert l'humilité, l'écoute et la docilité, à ces écoles séculières, dont celle d' Abélard est la plus fameuse, où domine souvent un esprit de rivalité intellectuelle, favorisé par l'exercice de la disputatio. Par ailleurs, en imitant l'exemple des saints (ch. 7), le novice entreprend de se laisser «re-former» à la ressemblance divine: l'image du sceau permet à Hugues d'insister une fois de plus sur l'humilité, condition première du progrès moral. Bien entendu, la lectio divina (ch. 8) n'est pas oubliée; l'accent est mis sur une lecture essentiellement tropologique, qui s'attache aux préceptes plutôt qu'aux quaestiones, au progrès moral plutôt qu'au savoir théologique. Enfin, Hugues ajoute, comme dernière source de la formation morale, l'examen de conscience quotidien, qu'il est un des premiers auteurs chrétiens à recommander aussi nettement. Ayant décrit les cinq sources de la «science», Hugues examine comment elle se traduit dans le comportement. Tel est l'objet de la «disciplineJ>, dont il donne d'abord deux définitions (ch. 10). La première insiste sur le haut degré d'exigence morale attendu des novices: pour eux, il s'agit non seulement de ne faire que le bien, mais en plus de «bien» faire le bien; non seulement d'être irrépréhensible, mais encore de le paraître. On retrouve ici le souci canonial d'édifier son prochain verbo et exemplo; peut-être au contraire du moine, le chanoine est invité à prendre soin de sa réputation et de son honestas. La seconde définition de la discipline concerne surtout la manifestation physique de la vertu: ni bafoué ni exalté, le corps est pour Hugues un interprète de l'esprit. Son harmonie ou son agitation traduit la santé morale ou le dérèglement de l'esprit; à l'inverse, la maîtrise intérieure peut s'acquérir par la discipline du corps. C'est ce qui est successivement vérifié dans les quatre registres principaux de la discipline

13

INTRODUCTION

que sont l'habillement {ch. 11), le geste {ch. 12), la parole {ch. 13-17) et la table {ch. 18-21). Pour chacun, Hugues alterne les préceptes tirés de !'Écriture avec de savoureuses caricatures, probablement observées sur le vif. Généralement sobre dans la critique, Hugues ne cède pas sans répugnance à la satire23 , pour laquelle il montre un réel talent; cependant, il y est conduit par l'orientation même de son enseignement moral: faisant appel au discernement de l'intéressé, décrivant en outre le comportement idéal comme un équilibre entre deux vices, Hugues trahirait sa pensée en édictant des normes positives trop précises; pour ne pas s'en tenir aux généralités, lui qui insiste tant sur l'adaptation aux différents cas concrets, il ne lui reste qu'à croquer les travers de ses confrères, afin de les redresser par le rire.

Thèmes ptincipaux Après les Mauristes24 , l'abbé Hugonin 25 et Hauréau 26, la perspective originale du De institutione nouitiorum suscite aujourd'hui l'intérêt des médiévistes. En effet, Hugues a su y traduire quelques-unes des mutations qui marquent le début du siècle dans de nombreux domaines, à commencer par l'histoire des mentalités. Ainsi, en étudiant les «péchés de la langue", C. Casagrande et S. Vecchio ont pu montrer le «tournant décisif» et le «passage fondamental» que Hugues avait fait subir à la discipline de la parole: reprenant à la rhétorique ancienne le schéma bien connu des circonstances (Quir, quid, ubi .. .), il en fait le cadre de son enseignement éthique: «I.:apport décisif de Hugues de Saint-Victor consiste à avoir unifié dans la modalité articulée et systématique de la liste de circonstances tout ce patrimoine de valeurs et

xne

« ... de peur que, d'aventure, nous ne paraissions accoucher d'une satire plutôt que d'un enseignement» (ch. U ). 24 Histoire littiraire de la France, t. 12, Paris, 1869 (2e éd.), p. 15-16. 25 Essai sur la fondation de /'École de Saint-Victor de Paris, PL 175, col. XXXIV-

23

XXXVIL 26 B. Hauréau, Les œuvres de Hugues de Saint-Victor. Essai critique, Huis, 1886 ( nouv. éd.), p. 116- U4.

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DE INSTITUTIONE

de normes, à avoir posé un problème de la parole et à l'avoir abordé dans sa totalité» 27 • Plus récemment, Jean-Claude Schmitt a vu dans le De institutione nouitiorum sans doute «le texte théorique sur les gestes le plus important du XIJC siècle» 28, notamment par la richesse de ses implications éthiques, anthropologiques, esthétiques et politiques et par l'approfondissement qu'il manifeste de la notion d'individu, sans doute en lien avec la fonction pénitentielle qu'exerce l'abbaye de Saint-Victor: «Dans tous ses aspects, le De institutione nouitiorum apparaît ainsi comme une sorte de manifeste de l'humanisme moral, esthétique et politique de la première moitié du XIIe siècle» 29 • On peut également supposer qu'une histoire de l'habillement, de la table ou du corps au Moyen Age trouverait beaucoup à glaner encore dans le De institutione nouitiorum. Mais c'est à un autre point de vue que se situe l'ouvrage de C. W. Bynum,Jerw as Mother. Studier in the Spirituality ofthe High Middle Ager. Cette fois, le traité de Hugues est relu comme le témoin, non pas d'une mutation historique entre deux époques, mais d'une nuance spirituelle entre deux familles religieuses, celles des moines et des chanoines réguliers. Comparant les traités pour novices des uns et des autres, l'auteur parvient à isoler les traits propres de la spiritualité canoniale: davantage lié à l'administration des sacrements et à la prédication, le chanoine est responsable de son prochain; il veut plaire à Dieu, mais aussi édifier ses frères par la parole et par l'exemple30 • C'est en effet l'un des points sur lesquels Hugues insiste le plus dans son traité. Le De institutione nouitiorum n'aide pas seulement à comprendre l'époque et la famille spirituelle dans lesquelles il a été composé.

Les péchés de la langue, p. 69-73. J.-C. Schmitt, La raison des gestes, p. 174. 29 J.-C. Schmitt, La raison des gestes, p. 198. 30 C.W. Bynum, «The Spirituality of Regular Canons in the Twelfth Century», dans Jesus as mother. Studies in the Spirituality of the High Middle Ages, Berkeley, 1982, p. 22-58. 27 C. Casagrande et S. Vecchio,

28

15 INTRODUCTION Il donne aussi un éclairage complémentaire sur Hugues lui-même et l'ensemble de son œuvre. D'abord, si original que soit le propos du traité, on y trouve de nombreux thèmes communs aux autres ouvrages du Victorin, mais qui sont ici approfondis, au moins dans la perspective qui est la sienne. Ainsi de ces oppositions répétées entre l'esprit et le corps (ch. 6, 10-12), l'intérieur et l'extérieur (ch. 3, 6, 9-12), l'un et le multiple (passim~ l'être et l'apparence (ch. 10). Fréquentes dans les ouvrages spéculatifs de Hugues, elles ont souvent fait co'nclure à une orientation néo-platonicienne de sa pensée. Or, dans notre traité, Hugues cherche bien moins à durcir ces oppositions qu'à les résoudre en une synthèse. L'ouvrage entier s'efforce de Clécouvrir, au cas par cas, le point d'équilibre, la clef de voûte qui transformera des tensions en harmonies et qui, à l'intérieur de la concordia prônée par la Règle de saint Augustin, réconciliera tout à la fois le membre et le corps, la chair et l'esprit, l'individu et la communauté, l'homme et Dieu. Le plus petit geste a des répercussions aux quatre niveaux: ordonné, il produit de la beauté, traduit la maîtrise de soi, renforce la concorde entre frères et, par là, rapproche l'homme de Dieu. L'harmonie souhaitée par Hugues est donc indissolublement esthétique, éthique, politique et spirituelle: pour s'intégrer sans heurt à leurs confrères plus anciens dans le projet d'une vie offerte à Dieu, les novices doivent apprendre à la fois les bonnes mœurs et les bonnes manières, celles-ci étant le signe de celles-là et, dans une certaine mesure, le moyen de les acquérir. C'est sans doute ce sens de l'harmonie, de l'équilibre et de la juste mesure qui a fait le charme et le succès du De institutione nouitiorum. En dépit de son propos limité à un groupe social bien défini - les candidats à la vie canoniale - le traité de Hugues atteint d'emblée une portée universelle: il est bien rare que ses conseils, d'abord adressés à des novices, ne vaillent pas aussi pour des chanoines profès, voire des religieux et au-delà pour tout homme. Au fond, dans la matière, surtout pratique, de son traité, le Victorin a su traduire l'essentiel de son enseignement théori-

DE INSTITUTIONE 16 que: peut-être justement parce qu'à l'inverse, même dans ses préoccupations les plus spéculatives, le maître de Saint-Victor ne sépara jamais la connaissance intellectuelle et le progrès intérieur, la recherche du vrai et l'amour du bien.

Le texte latin des écrits de Hugues de Saint-Victor publié dans cette collection représente une étape de l'édition critique de l' œuvre du Victorin. l.'.avancée des travaux conduits sous les auspices du Hugo-von-Sankt-Viktor-Institut à Francfort-sur-leMain ne permettra pas que l'ensemble du texte critique, définitif, paraisse avant de longues années; mais elle rend déjà disponible un texte supérieur à celui de la Patrologie latine et de l'ensemble de la tradition imprimée, dont la mauvaise qualité rend si risquée l'utilisation. Un texte constitué pour le Thesaurus Hugonis sur la base d'un ms. recommandé par les diverses constructions stemmatiques en cours pourra la plupart du temps être utilisé. C'est le cas, pour le présent volume, du De arrha anime et du De institutione nouitiorum, chaque occurrence où nous avons cru devoir nous écarter du ms. de base étant signalée. Le texte ainsi obtenu est déjà sensiblement supérieur à celui de la tradition imprimée, qui, à travers le texte de la Patrologie latine, remonte à l'édition de Rouen {1648). Dans d'autres cas {pour ce volume, le De laude caritatis et le De ttirtute orandi) on a pu se servir d'un texte plus sûr, fondé sur une base manuscrite élargie et un stemma codicum partiel. Les quatre opuscules ont été introduits et annotés par Dominique Poirel, qui en a également révisé la traduction française, et dressé les index.

INTRODUCTION 17 Le De institutùme nouitiorum suit le texte du ms. Grenoble, BM 246 (XIIe s.), ff. 77r-87r, à l'exception de quelques bizarreries orthographiques et des leçons suivantes: GRENOBLE,

füU, 246

leçons adoptées

18:

Do mini

banc at:ki.

41:

tuis

credidi

78-79:

paratum

paruum

116:

dissimilat

dissimulat

310:

bonis

non

396:

parua

praua

541:

Petrum

Paulum

772:

tamen

tantum

1089:

cum

eum

La traduction française a été établie par M. Henri Rochais.

De institutione nouitiorum

PRoLOGUS

Quia, fratres, largiente Domino, de uana conuersatione huius seculi, per desiderium sanctum conuersi estis, et ad ipsum qui fecit uos, tota mentis intentione ac uoto redire disponitis, oportet uos nunc ipsam uiam discere, per quam possitis ad illum quem queritis peruenire. lpse est enim uera et sempiterna uita, extra 5 quem, sicut nemo feliciter uiuere potest, ita quicumque in ipso et cum ipso uiuit beatus est. Si igitur Deum queritis, immo quia queritis, ueram profecto ac perpetuam beatitudinem habere desideratis. Ad beatitudinem autem nemo uenire potest, nisi per uirtutem, et uirtus non alio modo ueraciter apprehenditur, nisi 10 disciplina uirtutis non negligenter custodiatur. Vsus enim discipline ad uirtutem animum dirigit, uirtus autem ad beatitudinem perducit. Ac per hoc exercitium discipline esse debet uestra inchoatio, uirtus perfectio, premium uirtutis eterna beatitudo. Hec est, fratr.es, uia et ista est patria, per quam currimus et ad 15 quam peruenire desideramus. Hanc uiam et banc patriam psalmista uiderat, cum dicebat: «Beati immaculati in uia, qui ambulant in lege Domini», banc uiam et banc patriam uiderat, cum dicebat: «Disciplina tua correxit me in finem». Disciplina namque Dei in finem corrigit, quia, plene et perfecte hominem reformans per 20 uirtutem, ad beatitudinem perducit. Hanc uiam et banc patriam tune etiam uiderat, cum dicebat: «Bonitatem et disciplinam et scientiam doce me». Considerauit namque quod per bonitatem uenitur ad beatitudinem, atque ideo bonitatem doceri se petiit, quia per hanc ad illam pertingere 25 concupiuit. Sed quia rursum uidit quod ad bonitatem obtinendam disciplina necessaria esset, adiunxit et dixit: «Disciplinam 17/18 Ps. 118,1

19 Ps. 17,36

23 Ps. 118,66

27/28 Ps. 118,66

De la formation des novices

Frères, grâce au don du Seigneur, vous vous êtes détournés 1 de la vaine fréquentation 2 de ce siède3 par un saint désir, et vous vous disposez, de toute la tension et l'aspiration de votre esprit, à revenir à celui qui vous a faits; il vous faut donc apprendre maintenant la voie par laquelle vous puissiez parvenir à celui que vous cherchez. C'est lui en effet la vie véritable4 et sans fin; de même que, en dehors de lui, nul ne peut vivre dans la félicité, de même, quiconque vit en lui et avec lui connaît la béatitude. Si donc vous cherchez Dieu, ou plutôt parce que vous le cherchez, assurément vous désirez posséder la véritable et perpétuelle béatitude. Mais, à la béatitude, personne ne peut parvenir, si ce n'est par la vertu, et la vertu ne s'acquiert véritablement par nul autre moyen qu'en gardant, sans négligence, la discipline de la vertu. La pratique de la discipline oriente en effet r esprit vers la vertu, mais c'est la vertu qui conduit à la béatitude. C'est pourquoi l'exercice de la discipline doit être votre début, la vertu votre perfection, l'éternelle béatitude la récompense de la vertu. Frères, voici la voie par laquelle nous courons\ voilà la patrie6 à laquelle nous désirons parvenir. Cette voie et cette patrie, le psalmiste les avait eues en vue quand il disait: «Bienheureux ceux qui, sans tache dans leur voie, marchent dans la loi du Seigneur». Cette voie et cette patrie, il les avait eues en vue quand il disait: «Ta discipline m'a corrigé à jamais». Certes, la discipline de Dieu corrige à jamais, parce qu'en réformant pleinement et parfaitement l'homme par la vertu, elle le conduit à la béatitude. Cette voie et cette patrie, il les avait aussi eues en vue quand il disait: «Enseigne-moi la bonté, la discipline et la science». Il a donc considéré que, par la bonté, on parvient à la béatitude, aussi a-t-il demandé à être instruit de la bonté, car, par celle-ci, il a désiré parvenir à celle-là. Mais, parce que, de nouveau, il a vu que, pour obtenir la bonté, la disàpline était nécessaire, il a ajouté ces

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do ce me». Paratus enim erat disciplinam seruare, et non solum ad illam seruandam spontaneum se obtulit, sed ut illam quoque accipere mereretur supplicauit. Postremo, quia uidit neminem 30 seruare posse disciplinam boni operis, qui non habeat scientiam uere discretionis, hanc quoque sibi dari quasi quoddam fundamentum et principium sancte conuersationis postulauit. «Bonitatem, inquit, et disciplinam et scientiam doce me». Et ut se idoneum ad hec discenda ostenderet, nouissime secutus adiun- 35 xit: «Quia mandatis tuis credidi», ac si diceret «Deo». Ideo docere me debes, qualiter tibi seruire debeo, quia preceptis tuis iam per contumaciam non resisto, credo bonum esse quod precipis, credo uerum esse quod promittis, acquieui iam propter te mea relinquere, et idcirco, queso, per te merear tua bona obtinere, 40 quia mandatis tuis credidi.

Sic et uos, fratres, gratia Dei iam credidistis mandatis eius, reliquistis uestra propter ipsum; querite nunc sua ab ipso, ut mereamini per sua uenire ad ipsum. Credidistis mandatis eius dicentis: «Si uis perfectus esse, uade et uende omnia que habes, 45 et ueni, sequere me, et habebis thesaurum in celo». Fecistis quod precepit, speratis quod promisit, petite nunc ab ipso, quod ad id obtinendum expedit. Nullus iam carnalis affectus a percipienda gratia eius uos impedit, reliquistis patrem et matrem, fratres et sorores, cognatos et affines, et precinxistis uos ad currendam 50 uiam eius. Nihil iam amori illius preponitis, illum solum queritis, pro quo lucrificando omnia huius mundi blandimenta quasi absinthium amara, et omnem gloriam atque decorem quasi stercora reputatis. Intrate uiam eius et currite ad ipsum; tanto citius requiem habebitis, quanto citius peruenietis. Via ad ipsum sunt 55 scientia, disciplina, bonitas; per scientiam itur ad disciplinam, per disciplinam itur ad bonitatem, per bonitatem itur ad beatitudinem. Hoc est propter quod uobiscum loqui cepimus, ut, quan33/34 Ps. 118,66

36 Ps. 118,66

45/46 cf. Matth. 19,21

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paroles: «Enseigne-moi la discipline». Il était prêt en effet à garder la discipline, et non seulement il s'est offert spontanément à la garder, mais il a supplié pour mériter de la recevoir elle aussi. Enfin, parce qu'il a vu que celui-là ne peut garder la discipline du bien agir qui n'a pas la science du vrai discernement7, il a demandé que celui-ci aussi lui soit donné comme une sorte d'assise et de principe d'une vie sainte. «Enseigne-moi, dit-il, la bonté, la discipline et la science». Et, pour montrer qu'il est capable de les apprendre, il a ajouté en dernier lieu: «Parce que j'ai eu foi en tes commandements», comme s'il disait: «foi en Dieu». Si tu dois m'enseigner comment je dois te servir, c'est que je ne résiste déjà plus par fronde à tes préceptes, je crois bon ce que tu commandes, je crois vrai ce que tu promets; pour toi j'ai déjà consenti à abandonner mes biens et, pour cela, je t'en prie, puissè-je mériter d'obtenir de toi tes propres biens, «parce que j'ai eu foi en tes commandements». Et vous aussi, frères, déjà, par la grâce de Dieu, vous avez eu foi en ses commandements, vous avez, pour lui, abandonné vos biens, maintenant cherchez à obtenir les siens de lui, pour mériter, par eux, de parvenir jusqu'à lui. Vous avez eu foi dans les commandements de celui qui dit: «Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu possèdes, puis viens, suis-moi, et tu auras un trésor dans le ciel». Vous avez fait ce qu'il a commandé, vous espérez ce qu'il a promis, demandez-lui maintenant ce qui est utile pour l'obtenir. Nulle affection charnelle ne vous empêche plus de recevoir sa grâce: vous avez quitté père et mère, frères et sœurs8, parents et proches, et vous vous êtes ceints pour courir dans sa voie9• Déjà vous ne préférez rien à son amour; vous le cherchez lui seul; pour le gagner, vous estimez amères comme l'absinthe toutes les douceurs de ce monde, et comme ordure 10 toute gloire et toute beauté corporelle. Entrez dans sa voie et courez à lui; plus vite vous y parviendrez, plus vite vous trouverez le repos. La voie qui mène à lui, c'est la science, la discipline et la bonté11; par la science, on va à la discipline; par la discipline, on va à la bonté; par la bonté, on va à la béatitude12 • Voilà la raison pour laquelle nous avons commencé à converser avec vous: dans

DE INSTITUTIONE 22 tum Dominus dederit, de hac uia qua ad ipsum itur uos instrua60 mus.

Quibus modis inuenitur scientia recte uiuendi Primum igitur scire debetis quod hanc scientiam, que ad institutionem recte et honeste uiuendi pertinet, multis modis hominem colligere et comparare sibi oportet: partim ratione, partim doctrina, partim exemplo, partim meditatione sanctarum Scripturarum, partim assidua inspectione operum ac morum suorum. Ratione quidem hoc modo. Debet siquidem diligenter considerare et quantum ualet per semetipsum discernere quid liceat et quid non liceat, quid deceat et quid non deceat, in omni actu, in omni loco, in omni tempore, erga omnem personam.

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Quid in omni actu agendum In omni actu, hoc est qualiter sacra et diuina mysteria impleri oporteat, qualiter humana officia et que ad usum corporis pertinent exercere conueniat. Quam timoratum, quam sollicitum, 75 quam deuonim ac religiosum in Dei seruitio homo exhibere se debeat; quam spontaneum, quam hilarem et quam paratum offerre in subleuandis necessitatibus proximorum; quam paruum, quam modestum et quam nulli importunum in his que ad se pertinent querendis ac perficiendis prestare, ut semper et sibi Bo sit parcus, et proximo promptus, et Deo deuotus! Qualiter assuescat suas in omnibus uoluntates frangere, et alienis se uoluntatibus, quantum fas et decens esse constiterit, per omnia discat inclinare. Qualis sedens, qualis jacens, qualis stans, qualis ambulans, qualis loquens, qualis tacens, qualis comedens, qualis 85 ieiunans, qualis denique aliquid agens et qualis uacans esse debeat.

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la mesure où le Seigneur nous le donnera, nous vous instruirons de cette voie par laquelle on va vers lui.

l. De quelles manières trouve-t-on fa, science de vivre droitement ? En premier lieu, vous devez savoir que cette science qui entend former à une vie droite et probe, l'homme doit la recueillir et se la procurer de bien des manières: en partie par la raison, en partie par l'enseignement, en partie par l'exemple, en partie par la méditation des Écritures saintes, en partie par l'examen assidu de ses actes et de ses mœurs 13 • Par la raison, de la façon suivante: l'homme doit considérer avec diligence et discerner par lui-même, autant qu'il le peut, ce qui est licite et ce qui ne l'est pas, ce qui est convenable et ce qui ne l'est pas 14 , en tout acte, en tout lieu, en tout temps, à l'égard de toute personne.

H. Que faire en tout acte ? En tout acte, il doit considérer comment il faut que s' accomplissent les saints et divins mystères, comment il convient d'exercer les devoirs humains et ce qui concerne l'usage du corps 15 • Combien l'homme doit se manifester plein de crainte, attentif, fervent et religieux dans le service de Dieu; combien il doit se présenter spontané, joyeux, prêt à soulager les besoins de son· prochain; combien il doit se montrer petit, modeste et sans importunité pour personne quand il cherche et accomplit ce qui convient à lui-même, de manière à être toujours économe pour lui-même, disponible pour son prochain et fervent envers Dieu. Comment prendre l'habitude de briser ses volontés en tous les cas 16, comment apprendre à s'incliner en tout devant les volontés d'autrui dans la mesure du permis et de la décence ? Quel doit-il être assis, couché, debout, en marche, quand il parle et quand il se tait, quand il mange et quand il jeûne, enfin dans l'action et dans l'inaction?

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Quid in omni loco agendum Non solum autem quid agat, sed etiam in quo loco quid agere debeat consideret necesse est. Alius est modus habendi in eo loco ubi Deus adoratur, alius in eo ubi corpus reficitur; alius 90 in eo qui locutioni deputatus est, alius in eo ubi silentium custoditur; alius denique intus, alius foris; alius in secreto, alius in publico. Et quamuis in nullo loco disciplinam suam homo deserere debeat, diligentius tamen et magis sollicite ibi conseruanda est, ubi uel neglecta pluribus generat scandalum, uel eus- 95 todita bone imitationis exemplum. Discernendum est igitur que sint illa que in custodienda disciplina nusquam intermitti possunt, et que rursum illa sunt que pro loco et tempore nunc intermitti, nunc exerceri uolunt. Sepe tamen etiam illa que in publico necessaria sunt quemdam prius in secreto exercitationis 100 usum exposcunt, quia, si ea prorsus in occulto negligimus, uti postmodum eis, dum opus est, in publico non ualemus. Et tune aut prorsus a disciplina deficientes intuentibus scandalum facimus, aut inepte id quod in nobis non est simulare conantes 105 irrisionem excitamus.

Quid in omni tempore agendum Similiter quoque et tempora agendi discernenda sunt. Alius est modus uiuendi in nocte, alius in die. Nox est tempus silentii et quietis; dies tempus laboris et motionis et operis. In nocte secum debent esse homines et aut fessa membra somno reficere, no aut orationibus uel meditationibus sanctis in silentio animum exercere. In die uero de secreto suo in unum coeunt et ad inuicem uidendos se et imitandos ostendunt. Tune exempla bonorum operum, tune exhortationes sanctorum uerborum ter cautelam fugiamus, illos honorando, quia talibus sociari digni non sumus, istos cauendo, quia talibus sociari facile 325 corrumpi possumus. Preterea, sirut is qui superioribus semper sociari appetit se elatum esse indicat, ita qui cum peioribus assidue conuersari concupiscit deprauatum se esse demonstrat. Et ideo, cum malorum consortium appetere nolumus, duplex nobis utilitatis fructus prouenit, quia et culpam fugimus et inno- 230 œntie nostre testimonium perhibemus. Quotidiana igitur et frequens conuersatio nostra cum medüs et equalibus nabis esse debet, îta ut inter eos etiam quoscumque in bono opere feruen· tiores œrnimus, eorum societatem atque familiaritatem auidius

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autant que nous, ou bien font des choses telles que nous ne devons pas les imiter. Il faut donc, en ces matières, un discernement attentif à témoigner aux supérieurs respect en tout lieu, en tout acte et en toute parole; quelles que soient leurs actions et où qu'ils soient, n'ayons pas l'impudente présomption de nous ingérer dans leurs affaires comme si nous leur étions égaux. En effet, nous devons, en de tels cas, considérer, pour ainsi dire en silence et comme de loin28, un exemple de vertu à imiter, mais sans jamais prétendre à coopérer avec eux. Ainsi, en leur cédant partout, notre modestie mettrait en un vif relief notre humble opinion de nous-mêmes et notre haute opinion d'eux 29 • Quant aux négligents et surtout à ceux dont les œuvres ou les désirs paraissent répréhensibles, il faut nous en écarter avec une précaution telle que nous fuyions ce qu'ils font, sans pourtant oser juger ce qu'ils sont. En de pareils cas, pensons que, si on ne nous donne pas le bon exemple et si on ne nous permet pas de juger, c'est, peut-être, que l'ignorance ou la faiblesse excuse chez eux ce qui chez nous serait inexcusable. Il s'impose donc de ne pas prétendre à la familiarité avec des parfaits, par respect pour eux, et pareillement de fuir la fréquentation des autres, par précaution; honorant les uns, parce que nous ne sommes pas dignes d'être associés à de telles personnes; nous gardant des seconds, parce que nous pouvons aisément être corrompus si nous leur sommes associés 30 • En outre, celui qui aspire à être toujours en compagnie des supérieurs se révèle être hautain, de même celui qui désire fréquenter assidûment des personnes moins bonnes montre qu'il est dépravé. C'est pourquoi, en refusant de désirer la fréquentation des méchants, nous retirons un double bénéfice: nous fuyons la faute et nous donnons le témoignage de notre innocence. Notre vie quotidienne et habituelle doit être avec les gens qui se tiennent au milieu et qui sont nos égaux, de sorte que tous ceux que nous découvrons plus fervents pour les œuvres bonnes, nous désirions plus vivement nous associer à eux et devenir leurs familiers. Avec eux en

DE INSTITUTIONE 34 appetamus. Cum his uero tanta nobis paàs et concordie ser- 235 uande diligentia sit, ut in nullo unquam negotio, quantum in nobis est, fraterna dilectio perturbetur. Studeamus eis iniuriam nunquam aut molestiam inferre, illatam uero propter amorem fraterne caritatis equo animo sustinere, nihil contentiose aut arroganter erga eos agere, sed parati semper in omni opere et 240 pertinaàter insistentibus cedere, et laborantibus libenter subuenire. Et quia inter pares nonnunquam peruersa quedam uirtutis emulatio esse solet, ut uidelicet sibi inuicem de successu uirtutum inuideant, et ob hoc in exercendo bono opere tantum ne inferiores uideantur alterutrum sese preuenire contendant, tanto nos 245 discretionis moderamine continere necesse est, ut operam nostram, sicut dictum est, neque ingeramus nolentibus, neque petentibus subtrahamus, quia in utroque liùoris suspiào esse potest.

Si quando autem in aliquo forte negotio laborantibus opem ferre cupimus, tanta hoc humilitate et mansuetudine faàendum 250 est, ut isdem ipsis manifestum sit, quod non excellentiam operis, sed consortium queramus laboris. Ceterum quantum pertinet ad nos summopere nitendum est nequando uel in labore minus patientes, uel in obedientia preceptorum minus alacres, uel in caritatis operibus exequendis minus inueniamur feruentes, qua- 255 tinus bona conuersatio nostra eisdem prebeat incitamentum uirtutis, a quibus formam et exemplum sumpsit boni operis.

Ista, fratres, si assidue uolueritis cogitare, scietis cito et intelligetis que sit uia discipline que uos per exercitium boni operis ducat ad consummationem bonitatis. Sed et si forte ad bec 'ii>o inuestiganda atque discernenda quantum expedit per uos minus suffidtis, habebitis, Domino adiuuante, doctrinam et exempla bonorum ubi et facienda audietis et facta uidebitis. Et ne in hac

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vérité, notre empressement à garder la paix et la concorde doit être tel que jamais, si possible, en aucune affaire, l'affection fraternelle ne soit troublée. Veillons soigneusement à ne jamais leur infliger injustice ou désagrément, mais à supporter sereinement pour l'amour de la charité fraternelle ceux qui nous seraient infligés; à ne rien faire contre eux par chicane ou arrogance, mais à être toujours prêts à céder en tout à ceux qui s'opiniâtrent, et à aider volontiers ceux qui peinent. Il est fréquent qu'une émulation perverse à la vertu se glisse de temps à autre entre des égaux, en sorte qu'ils s'envient mutuellement leurs progrès dans la vertu, et, pour cette raison, rivalisent pour se surpasser mutuellement dans la pratique des bonnes œuvres, par la seule crainte de paraître inférieurs. Le discernement doit donc nous règler, de manière que, comme on l'a dit, nous n'imposions pas notre travail à ceux qui ne le veulent pas, et que nous n'en privions pas non plus ceux qui le demandent, car, dans l'un et l'autre cas, on pourrait être soupçonné d'envie. Mais, si parfois, à l'occasion de quelque affaire, nous désirons aider ceux qui peinent, il faut le faire avec tant d'humilité 32 et de douceur qu'il soit manifeste à leurs propres yeux que nous ne recherchons pas le prestige de l'ouvrage, mais le partage du labeur. Du reste, pour ce qui nous concerne, il nous faut veiller avec le plus grand soin à ce qu'on ne nous trouve jamais ou moins endurants dans le labeur, ou moins allègres dans lobéissance aux ordres, ou moins fervents dans les œuvres de la charité, pour que notre bon comportement soit un encouragement à la vertu pour ceux-là mêmes à qui il a emprunté le modèle et l'exemple d'une bonne action. Frères, si vous voulez bien penser constamment à ces choses, vous saurez bien vite et comprendrez quelle est la voie de la discipline qui, par la pratique de la bonne action, vous conduit à la perfection de la bonté. Mais si d'aventure vous ne suffisiez pas par vous-mêmes à examiner et à discerner ces choses autant qu'il est utile, vous aurez, avec l'aide du Seigneur, l'enseignement et les exemples des bons, où vous entendrez ce qu'on doit faire et verrez ce qu'ils ont fait. Et pour que, dans cette partie aussi, nous

DE INSTITIJTIONE 36 etiam parte uobis ministerium nostre exhortationis desit, ostendam nunc breuiter quales uos, uel ad percipiendam doctrinam, uel ad imitanda exempta bonorum, exhibere debeatis.

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Qua/es se debeant exhibere qui per doctrinam proficere uolunt Quoniam igitur ad scholam uirtutum erudiendi acceditis, scire debetis contentiones uerborum nullo modo deinceps ad uos pertinere, quia spiritualis doctrine studium non litigantes sed 270 auscultantes requirit, sicut per Moysen populo in lege Dei erudiendo dicitur: «Audi Israel» et «tace», et sicut Iacobus apostolus admonet dicens: «Sit autem omnis homo uelox ad audiendum, tardus autem ad loquendum et tardus ad iram». Et uidete quam conuenienter postquam multiloquium prohibuit, etiam de ca- 275 uenda ira preceptum subiunxit dicens: «Tardus ad loquendum et tardus ad iram», ut patenter ostenderet quia qui linguam suam a multiloquio non uult compescere non poterit diu animum suum a furore iracundie illesum custodire. Multiloquium eoim contentiones generat, contentiones uero ad iurgia et maledicta linguam 280 excitant, maledicta autem ad iracundiam et, quod adhuc grauius est, ad fraternum odium animum inflammant. Propterea Scriptura dicit: «In ~ultiloquio peccatum non deserit», et: «In multiloquio peccatum non effugies». Et Iacobus apostolus omne genus bestiarum domari posse asserit, linguam pestem esse indomabi- 285 lem que uniuersam rotam natiuitatis nostre inflammat, et ob hoc perfectum esse uirum qui in lingua non offendit. Nam quia rixe et contentiones uerborum de pestifera semper radice oriantur, dubium non est quoniam, nisi cor prius intrinsecus per elationem intumesceret, nequaquam lingua foris a custo- 290 dia humilitatis sue in contumeliam uerborum se relaxaret. Sed dum superbe pre aliis sapientes uideri uolumus, erubescimus uel

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283 Prou. 10,19

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ne manquions pas d'exercer envers vous notre ministère d'exhortation, je vais à présent montrer brièvement quels vous devez vous montrer ou pour recevoir l'enseignement, ou pour imiter les exemples des bons.

VI. Quels doivent se montrer cettx qui veulent progressei- en apprenant Puisque vous venez à l'école des vertus 33 pour être instruits, vous devez savoir que désormais les querelles de mots ne vous concernent en aucune façon 34, car l'étude de la doctrine spirituelle requiert non des disputeurs, mais des auditeurs, comme Moïse le dit au peuple qu'il devait instruire dans la loi de Dieu: «Écoute, Israël», et «tais-toi» 35 • De même l'apôtreJacques avertit: «Que tout homme soit prompt à écouter, mais lent à la parole et lent à la colère». Et voyez à quel point il est pertinent qu'après avoir prohibé le bavardage, il ait ajouté le précepte de se garder de la colère, disant: «lent à la parole et lent à la colère», pour montrer clairement que celui qui ne veut pas retenir sa langue du bavardage ne pourra longtemps garder son esprit indemne de la fureur de la colère. Le bavardage en effet engendre les querelles, or les querelles incitent la langue aux disputes et aux injures et les injures échauffent l'esprit à la colère et, ce qui est plus grave, à la haine entre frères. C'est pourquoi l'Écriture dit: «Dans le bavardage, le péché ne fait pas défaut» 36, et: «Dans le bavardage, tu n'éviteras pas le péché»37 • I.:apôtre Jacques affirme que toute espèce de bêtes peut être domptée, mais que la langue est une peste indomptable, qui enfièvre tout le cours de notre vie38 et que pour cette raison, il est parfait l'homme dont la langue n'est pas blessante"9• Les rixes et les querelles de mots naissant toujours de cette racine pestilentielle, il n'est pas douteux que, si d'abord le cœur ne s'enflait d'orgueil à l'intérieur, la langue, au·dehors, ne se relâcherait point de la garde de son humilité en proférant des injures. Mais tandis que, par orgueil, nous voulons être considérés comme plus sages que les autres, nous avons honte que les

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nostram ignorantiam ab aliis argui, uel aliorum sapientiam quasi ad nostram depressionem approbari. Sicque nonnunquam contra conscientiam nostram uel nostrum errorem impudenter defen- 295 dimus, uel alterius ueritatem malitiose impugnamus. Hec est sapientia huius mundi, quam idem Jacobus apostolus carnalem uocat et diabolicam, que uersuta est et maligna, illas solummodo astutie uias exquirens, quibus possit et suum errorem tegere, et alienam ueritatem, quamuis manifestam, in opinione stultorum 300 et insipientium hominum deprauare. Sed non tal1s est sap1entia que desursum uenit, que nescit etiam semetipsam contra ueritatem diligere, semper parata uel bonum quod habet non habentibus humiliter impendere, uel bonum quod non habet ab habentibus libenter petere, uel ma- 305 lum quod sustinet cum aliis et coram aliis ueraciter accusare. Propterea de ipsa idem Iacobus apostolus sic ait: «Sapientia autem que desursum est primum quidem pudica est, deinde pacifica, modesta, suadibilis, bonis consentiens, plena misericordia et fructibus bonis, non iudicans, sine simulatione•. ;10

Proinde, fratres carissimi, linguam uestram a superfluitate non solum inanîum uerborum restringite, sed in ipsis etiam que recta sunt mensuram et modum tenete, et in collatione sanctorum magis auditores quam doctores esse eligite. Os clausum et aures apertas habete, et quantum estis ad loquendum modestio- 315 res, tantum estote ad intelligendum sagaciores. Sufficiat uobis, si forte res sic exigat, quod sapitis petentibus humiliter insinuare; contra resistentes autem nunquam presumatis pertinaciter dicta uestra defendere, quia, sicut iam uobis prediximus, multarum molestiarum causas iurgia ministrant, et mox ut lingua indiscrete 320 ad multiloquium resoluitur, ad disturbandam pacem cordis nostri quasi îanua hosti aperitur.

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autres nous convainquent d'ignorance, ou bien que la sagesse des autres soit reconnue comme si c'était à notre désavantage. Ainsi il nous arrive parfois d'agir contre notre conscience en défendant par impudence notre erreur40, ou en combattant par méchanceté la vérité d'un autre. Telle est la sagesse de ce monde 41 que le même apôtre Jacques appelle charnelle et diabolique42 ; elle est fourbe et méchante, toute à la recherche des voies de la ruse par lesquelles elle puisse cacher son erreur et pervertir, dans l'opinion des sots et des insensés, la vérité d'autrui, si manifeste qu'elle soit. Mais telle n'est pas la sagesse qui vient d'en haut43 • Elle ne sait pas s'aimer elle-même à l'encontre de la vérité, toujours prête à dépenser humblement le bien qu'elle possède au profit de ceux qui ne l'ont pas, ou à demander de bon cœur le bien qu'elle n'a pas à ceux qui le possèdent, ou encore à dénoncer loyalement avec les autres et devant les autres le mal qu'elle supporte. C'est pourquoi le même apôtre Jacques parle d'elle en ces termes: «Mais la sagesse d'en haut est d'abord pudique, ensuite paàfique, modeste, se laissant persuader, consentant à ce qui est bon, pleine de miséricorde et de bons fruits, elle ne juge pas, et elle ne simule pas». Par conséquent, frères très chers, retenez votre langue de tout excès non seulement de paroles vaines, mais, même dans celles qui sont justes, gardez mesure et réserve et, dans les saints entretiens, choisissez d'être des auditeurs plutôt que des maîtres. Ayez la bouche dose et les oreilles ouvertes, et, plus vous êtes retenus pour parler, plus pénétrants soyez-vous pour comprendre. Si d'aventure la situation l'exige, qu'il vous suffise de suggérer humblement ce que vous savez à ceux qui le demandent, mais, face aux disputeurs, n'entreprenez jamais de défendre âprement vos dires, parce que, comme nous vous l'avons déjà dit, les disputes sont cause de bien des tracas et, dès que la langue se dévergonde sans discernement en bavardages, elle s'ouvre comme une porte à l'ennemi pour qu'il trouble la paix de notre cœur.

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Restat ergo, fratres, ut, si uere disàpuli ueritatis esse cupitis, tales uos studeatis exhibere quibus ueritas faàle persuaderi pos· sit, quia et ipsa doctrina ueritatis tales auditores amat, qui eam et 325 a sapientibus exhibitam humiliter susàpiunt, a simpliàoribus quoque administratam arroganter non contemnunt; qui in sàen· ria Dei, hoc est in peritia bene agendi, cunctos prudentiores ac sapientiores quam se esse existimant, nec erubescunt magistros habere omnes a quibus discere possunt quod ignorant; qui bene 330 dicta omnium libenter approbant, errores uero alienos, quantum ad se pertinere cognouerunt, pro tempore student uel modeste corripere uel prudenter dissimulare; qui denique studium scientie morum disàplina exomant et mansuetudinem ac modestiam mentis sue, non solum in custodia oris, sed etiam in habitu et 335 gestu corporis sui demonstrant. Sed et de bonorum exemplis que in presenti uobis dicenda existimo, paucis nunc, si potero, uerbis demonstrabo.

De exemplù sanc1Qf'Um imitandis Quare putatis, fratres, uitam et conuersationem bonorum 340 imitari preàpimur, nisi ut per eorum imitationem ad noue uite similitudinem reformemur? In ipsis siquidem similitudinis Dei forma expressa est, et iddrco, cum eis per imitationem imprimimur, ad eiusdem similitudinis imaginem nos quoque figuramur. Sed sciendum est quia, sicut cera, nisi prius emollita fuerit, 345 formam non recipit, sic et homo quidem per manum actionis aliene ad formam uirtutis non flectitur, nisi prius per humilitatem ab omni elationis et contradictionis rigore molliatur. Neque enim per exemplum alterius aliquando in melius reformari poterit, qui

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Il reste donc, frères, si vous désirez vraiment être disciples de la vérité, que vous veilliez à vous montrer tels que la vérité puisse vous être aisément persuadée. Car la doctrine de vérité elle-même aime les auditeurs qui la reçoivent humblement44 lorsqu'elle est présentée par des sages, et ne la méprisent pas avec arrogance quand elle leur vient de gens plus simples; elle aime ceux qui estiment que, dans la science de Dieu, c'est-à-dire dans l'art du bien agir4', tous sont plus prudents et plus sages qu'eux-mêmes et n'ont pas honte d'avoir pour maîtres tous ceux dont ils peuvent apprendre ce qu'ils ignorent, qui acquiescent de bon cœur à ce que tous les autres disent de bien, et, dans la mesure où ils ont pris conscience que les erreurs d'autrui les concernent, s'étudient à les corriger avec modestie ou à les dissimuler avec prudence, en temps utile; qui enfin, par la discipline des mœurs, embellissent l'étude de la science, et qui manifestent la douceur et la réserve de leur esprit non seulement par le contrôle de leur langue, mais aussi par la tenue et le comportement de leur corps. Pour le moment, je vais m'exprimer en peu de mots, si je le peux, sur les bons exemples dont j'estime devoir maintenant vous entretenir.

VH. Des exemples des saints à imiter46 Pourquoi pensez-vous, frères, qu'on nous demande d'imiter la vie et le comportement des bons, sinon pour qu'en les imitant nous nous réformions pour atteindre la ressemblance de la vie nouvelle47 • En ces personnes, en effet, la forme de la ressemblance à Dieu s'est exprimée, et c'est pourquoi, en imprimant en nous leur imitation, nous sommes, nous aussi, configurés à l'image de cette ressemblance48• Il faut savoir pourtant que la cire ne reçoit pas la forme si elle n'est d'abord amollie, et de même l'homme n'est pas infléchi vers la forme de la vertu par le pouvoir d'une action étrangère, si l'humilité ne l'amollit d'abord pour lui faire perdre toute la raideur de son orgueil et de sa contestation.Jamais en effet il ne pourra être réformé et s'améliorer grâce à l'exemple

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adhuc per elationis uitium et bona aliena oppugnat et sua mala 350 defendit. Necesse est ergo ut, si ueraciter bonos imitari uolumus, prius per ueram humilitatem ad obedientiam corda nostra temperemus, quatinus uita nostra tanto citius ad nouitatem redeat, quanto promptius in omnem quam uiderit uirtutis speciem per 355 uoluntariam obedientiam se inclinat, et tanto altius ei uestigium aliene bonitatis incipiat inherere, quanto artius studet bona aliorum imitari potius quam carpere. Aliam nobis adhuc non contemnendam considerationem ad presens negotium forma sigilli exhibet. Figura namque que in sigillo foris eminet, in impressione cere introrsum signata apparet; et que in sigillo intrinsecus sculpta ostenditur, in cera exterius fi.gurata demonstratur. Quid ergo aliud in isto nobis innuitur, nisi quia nos, qui per exemplum bonorum quasi per quoddam sigillum optime exsculptum informari cupimus, quedam in eis sublimia et quasi eminentia~ quedam uero abiecta et quasi depressa operum uestigia inuenimus. Sanctorum quippe opera que, quantum ad reputationem hominum, non ad dignitatem sed ad uilitatem pertinent, illa in conuersatione eorum quasi deorsum pressa iacent: Quando uero talia operantur que humanas mentes in admirationem sui pertrahunt, quasi quasdam in se eminentes sculpturas ostendunt. Quod ergo in illis eminet, in nobis introrsum recondi debet, et quod in illis depressum est, in nobis est erigendum, quia nos cum facta illorum ad imitationem trahimus, sublimia quidem in abscondito et abiecta in manifesto facere debemus, ne uel illa si ostendantur per amorem accepti fauoris inani glorie seruire incipiant, uel ista si abscondantur per timorem uilitatis premium retributionis amittant.

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Nescio quam homo habeat deinceps excusationem ignorantie, cui tot iam uie demonstrantur quibus possit ad scientiam 380

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d'autrui celui qui, par le vice de l'orgueil, combat ce qu'il y a de bon chez les autres et défend ce qu'il y a de mauvais en lui-même. Il est donc indispensable, si nous voulons imiter en vérité les bons, que d'abord, par une humilité véritable, nous disposions nos cœurs à l'obéissance, afin que notre vie se renouvelle d'autant plus vite qu'une obéissance volontaire la rend plus promptement encline à toute sorte de vertu dont elle aura été témoin, et que l'empreinte de la bonté d'autrui commence à la marquer d'autant plus profondément qu'elle s'applique à imiter plus strictement les bonnes actions des autres, au lieu de les dénigrer. La forme du sceau49 nous offre encore une autre considération à ne pas négliger touchant le point présent. Car la figure qui est en relief sur le sceau apparaît imprimée en creux sur la cire frappée, et celle quel' on voit sculptée en creux sur le sceau ressort en relief sur la cire. La signification de cela ? C'est que, désireux que les exemples des bons nous marquent comme d'un sceau qui aurait été travaillé à la perfection, nous trouvons chez eux certaines empreintes d'exemples grands et comme en relief, mais aussi certains exemples médiocres et comme en creux. Oui, les œuvres des saints, qui, selon le point de vue des hommes, ne relèvent pas de leur dignité mais de leur médiocrité, rabaissent leur genre de vie comme si elles étaient marquées en creux. Mais quand ils font des actes qui portent l'esprit des gens à les admirer, ils montrent chez eux comme des sculptures en relief. Ce qui, chez eux, est en relief doit donc être enfoui au-dedans de nous, et ce qui, chez eux, est en creux doit être en nous mis en relief, parce que, quand nous passons à l'imitation de leurs actes, nous devons faire les grandes choses dans le secret et les petites au grand jour50• Et cela, dans la crainte que, si nous montrons les unes par désir des faveurs, elles ne commencent à servir la vaine gloire, ou que, si nous cachons les autres par peur de leur médiocrité, on ne perde l'avantage de la récompense. Je ne sais comment ensuite pourra s'excuser sur son ignorance un homme à qui sont montrés tant de chemins par où parvenir à la science de la vérité. Voici qu'après le discernement

DE INSTITUTIONE 44 ueritatis peruenire. Ecce post discretionem rationis proprie, per quam dirigitur, post doctrinam sapientium, per quam eruditur, post exempla bonorum, quibus instruitur, adduntur etiam precepta Scripturarum, quibus ad omnem uiuendi rationem informatur. Postremo adiunguntur tentationes, quibus exercitatus, per 385 quotidianam experientiam de ueritate preceptorum certior efficitur.

De iis que in sacris Scripturis sunt attendmda Vos autem fratres, qui scholam discipline iam intrastis, in lectione diuina prius debetis querere quod mores uestros ad 390 uirtutem instruat, quam quod sensum acuat ad subtilitatem, magisque uelle informari preceptis Scripturarum, quam questionibus impediri. Cum igitur diuinas Scripturas legitis, sollerter perpendite quid îbi dictum sit ad excitandum in nobis amorem Dei, quid ad contemptum seculi, quid ad cauendas insidias 395 inimici, quid ad bonos affectus nutriendos et praua desideria extinguenda ualeat, et quid citius cor per compunctionis ardorem accendat; quid disciplinam in opere, quid humilitatem in cogitatione, quid obedientiam in preceptis, quid patientiam in aduersis habere doceat, quid denique ad agenda bona sedulum, et ad mala 400 cauenda doceat esse circumspectum. Hoc modo lecta Scriptura intelligentiam confert salutarem, et hanc ipsam sapientiam quam pro uirtute libenter despicitis, melius postmodum per uirtutem inuenitis.

Quomodo in omnibus operibus suis debeat homo esse circumspectus Restat hoc nouissimum et maxime fortassis pre ceteris necessarium, ut sit scilicet homo in omnibus operibus suis circumspectus et prouidus, et quotidiana discussione cogitationes, locutiones pariter et facta sua apud semetipsum examinet. Sapientes quippe semper agendo discunt et per exercitium bonorum operum quotidianis profectibus in maiorem uirtutis agnitionem excrescunt. Per experientiam namque eorum que fadunt, ad ea que

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de sa propre raison qui le dirige, après l'enseignement des sages qui l'instruit, après les exemples des bons qui l'édifient, on ajoute encore les préceptes des Écritures qui le forment à toute règle de vie. Enfin, de surcroît, les tentations, qui l'exercent par une expérience quotidienne, le rendent plus certain de la vérité de ces préceptes.

VIII. De ce à quoi il faut être attentifdans les Écritures sacrées Mais vous, frères, qui vous êtes déjà mis à l'école de la discipline, il vous faut chercher en premier lieu, dans la lecture divine 51 , ce qui peut disposer vos mœurs à la vertu, plus qu'aiguiser votre intelligence à la subtilité. Vous devez aussi vouloir vous former aux préceptes des Écritures, plutôt que de vous encombrer de questions 52 • Quand donc vous lisez les divines Écritures, pesez avec soin ce qu'elles disent pour susciter en nous l'amour de Dieu et le mépris du siècle, ce qui est propre à faire éviter les embûches de l'ennemi, nourrir l'attachement au bien, éteindre les désirs mauvais, et ce qui enflamme plus vite le cœur par l'ardeur de la componction; ce qui enseigne à acquérir la discipline dans l'action, l'humilité dans la pensée, l'obéissance dans les préceptes, la patience dans l'adversité, et enfin ce qui enseigne l'application à faire le bien et la circonspection à éviter le mal53 . Lue de cette manière, l'Écriture apporte une intelligence salutaire, et cette sagesse même, que vous méprisez volontiers pour la vertu, vous la trouverez mieux ensuite par la vertu 54•

IX. Comment, en toutes ses œuvres, l'homme doit être circonspect Reste une toute dernière chose, peut-être la plus nécessaire de toutes: que l'homme soit, en toutes ses œuvres, circonspect et prévoyant55, et que, par une attention quotidienne, il examine par devers lui ses pensées, ses paroles comme ses actes 56 • De fait, les sages apprennent toujours en agissant, et, grâce à l'exercice des œuvres bonnes, ils grandissent chaque jour dans la connaissance de la vertu. Car, l'expérience 57 de ce qu'ils font les rend plus attentifs à ce qu'ils auront à faire par la suite. Souvent en effet,

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postmodum agenda fuerint cautiores fi.unt. Videtur enim quia sepe opus quod bona intentione inchoari creditur, tanto citius hominem in deceptionis laqueum precipitat, quanto, de intentionis sue principio securus, finem actionis non obseruat, et imprudens quasi uia plana ad foueam currit, quia uidet quid faciat, sed quid factum suum sequi debeat non attendit. Item non consideratur quod nonnunquam euenire solet, ut affectus animi ita ambiguus sit ut nisi ex fine operis discernere non possit homo qualitatem sue intentionis. Si uero diligenter consideret ad quem finem tendat mentis affectio, tune iam plane uitium esse cognoscitur in quo prius sibi animus falso de uirtute blandiebatur. Et rursum inueniunt aliud adhuc esse propter quod circumspectio homini ubique necessaria est, quoniam ad id etiam quod bonum est agendum tanto magis homo peritus efficitur, quanto diligentius facta sua circumspiciens seipsum quotidie in proficiendo superare conatur, cum sollicite attendit quid agat et quid agere debeat, si id quod faciendum est faciat, si quantum et qualiter faciendum est faciat, si bono operi malum aliquod non admisceat, si bonum quod agit quanta oportet deuotione impleat, si alterius ut suum bonum diligat, si suum ut alterius malum reprehendat. Per singulos dies uitam suam ad iudicium uocat, mane quando surgere debet considerat quid egerit per noctem, in uespera quando cubitum uadit considerat quid egerit per diem, quantum ad bona agenda solito alacrior, quantum ad mala uincenda solito constantior; si quid ex his que agenda erant neglexerit, aut si quid ex his que agenda non erant presumpserit, si in aliquo opere suo insidiis inimici supplantatus sit, qualiter demum per indicium transacte deceptionis futuram illius fraudem cauere possit, quatinus eum nec superueniens tentatio improuidum ad malum opus deiciat, neque indiscretum in bono opere presens

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semble-t-il, une œuvre, que l'on estime commencée avec une bonne intention, précipite l'homme dans le piège de la déception d'autant plus vite que, assuré du prinàpe de son intention, il ne garde pas en vue la fin de son action, et, par imprudence, il court comme en terrain plat vers la fosse, parce que, s'il voit ce qu'il fait, il ne prend pas garde aux conséquences de ce qu'il fait. De même on ne prend pas en considération ce qui se produit assez habituellement, à savoir que nos dispositions intérieures sont à ce point ambiguës que l'homme ne peut juger la qualité de son intention, sinon par la fin de son action 58 • Mais s'il considère avec soin à quelle fin tend la disposition de son esprit, il prend alors une claire consàence que ce qui flattait d'abord son esprit sous le masque d'une vertu est un vice. Et, à l'inverse, on découvre encore une autre raison pour laquelle la circonspection est partout nécessaire à l'homme, c'est que pour faire cela même qui est bon, l'homme devient d'autant plus expert qu'il s'efforce par un examen attentif, de se suipasser lui-même en progressant, quand il scrute soigneusement ce qu'il fait et ce qu'il doit faire, s'il fait ce qu'il doit faire, s'il fait tout ce qu'il doit faire et comme il faut le faire, s'il ne mêle pas quelque mal à l'œuvre bonne, s'il accomplit le bien qu'il fait avec toute la ferveur qu'il faut, s'il aime comme le bien qu'il fait celui que fait autrui, s'il se reproche le mal qu'il fait comme si c'était celui d'autrui. Chaque jour, il convoque sa propre vie en jugement; le matin, quand il doit se lever, il considère ce qu'il a fait pendant la nuit; le soir, quand il va se coucher, il considère ce qu'il a fait pendant la journée, dans quelle mesure il a été plus allègre59 que de coutume à faire le bien, dans quelle mesure il a été plus ferme que de coutume à vaincre le mal. S'il a négligé quelque chose de ce qu'il avait à faire, ou s'il a eu la présomption de faire ce qu'il ne devait pas faire; si, dans quelqu'une de ses actions, il a été joué par les pièges de l'ennemi; comment enfin, tirant la leçon de la tromperie passée, il peut se garder à l'avenir de la fraude de ce même ennemi, afin que ni la tentation subite ne le préàpite à l'improviste vers l' œuvre mauvaise, ni qu'une négligence présente dans une œuvre bonne ne le trompe faute d'avoir été discernée. Quiconque exerce son

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negligentia fallat. Quisquis cor suum in huiusmodi studio exercet, existimo quod cito ad illam bonam et salubrem scientiam perueniat, quam, sicut supra diximus, ad seruandam disciplinam 445 et bonitatem psalmista dari sibi postulabat. Restat igitur nunc ut ea quoque que de disciplina uobis demonstranda sunt proferamus. Docebimus ergo uos primum quid sit disciplina, deinde quid ualeat, postremo quomodo obseruari debeat.

Quid sit disciplina et quantum ualeat

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Disciplina est conuersatio bona et honesta, cui parum est malum non facere, sed studet etiam in his que bene agit per cuncta irreprehensibilis apparere. Item disciplina est membrorum omnium motus ordinatus et dispositio decens in omni habitu et actione. Audistis quid sit disciplina, nunc attendite quam utilis et 455 quam necessaria sit. Disciplina est compes cupiditatis, malorum desideriorum carcer, frenum lasciuie, elationis iugum, uinculum iracundie, que domat intemperantiam, leuitatem ligat, et omnes inordinatos motus mentis atque illicitos appetitus suffocat.

Sicut enim de inconstantia mentis nascitur inordinata motio 46o corporis, ita quoque, dum corpus per disciplinam stringitur, animus ad constantiam solidatur. Et paulatim intrinsecus mens ad quietem componitur, cum per discipline custodiam mali motus eius foras fluere non sinuntur. Integritas ergo uirtutis est, quando per internam mentis custodiam ordinate reguntur mem- 46) bra corporis. Interior namque est custodia que ordinata seruat exterius corporis membra. Sed qui statum mentis perdit, subsequenter foras in inconstantiam motionis defluit atque exteriori mobilitate indicat quod nulla interius radice subsistat. Vnde per Salomonem dicitur: «Homo apostata uir inutilis, graditur ore 470 470/472 Prou. 6,12-14

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cœur à une pratique de ce genre, je pense qu'il parvient vite à cette science bonne et salubre dont, comme nous l'avons dit plus haut, le psalmiste demandait qu'elle lui fût donnée pour garder la discipline et la bonté60 • Reste donc à présent à exposer aussi ce qu'il faut vous montrer au sujet de la discipline. Nous vous enseignerons donc d'abord ce que c'est que la discipline, ensuite ce dont elle est capable, enfin comment elle doit être pratiquée.

X. Qu'est-ce que la discipline et quel est son pouvoir ? La discipline61 est une manière de vivre bonne et probe, pour qui c'est peu de ne pas faire le mal, mais qui veille, même en ce qu'elle fait de bien, à paraître irrépréhensible en toute chose62• De même, la discipline est un mouvement ordonné de tous les membres et une disposition décente dans tout leur maintien et leur action 63 . Vous avez entendu ce que c'est que la discipline; maintenant notez combien elle est utile et combien nécessaire. La discipline est une entrave à la cupidité, une prison pour les mauvais désirs, un frein à la licence, un joug pour l'orgueil, une chaîne pour la colère; elle dompte l'intempérance, bride la légèreté et étrangle tous les mouvements désordonnés de l'esprit et les appétits illicites64 • De même en effet que, de l'inconstance de l'esprit, naît une agitation désordonnée du corps, de même aussi quand le corps est maté par la discipline, l'esprit est fortifié pour la constance. Et peu à peu, à l'intérieur, l'esprit se dispose au repos, quand, grâce à l'observance de la discipline, on ne laisse pas se répandre au-dehors les mouvements mauvais. La vertu est donc entière, quand, par la garde intérieure de l'esprit, les membres du corps sont régis selon l'ordre. De fait, c'est la garde intérieure qui maintient dans l'ordre les membres du corps au-dehors. Mais celui qui perd l'assise de l'esprit glisse par suite au-dehors vers une agitation inconstante et, par sa mobilité extérieure signale que nulle racine ne le maintient à l'intérieur. Aussi Salomon dit-il: «Un renégat, un vaurien, il va, la bouche torse, cligne de l'œil, traîne les pieds, parle avec les doigts, d'un cœur fourbe il médite

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peruerso, annuit oculis, terit pede, digito loquitur, prauo corde machinatur malum et in omni tempore iurgia seminat». Propterea enim hune talem quem de indisciplina et discordia pariter notare uoluit prius apostatam nominauit, quia nisi prius intus a conspectu conditoris auersione mentis caderet, foris postmodum ad 475 inconstantiam et seminanda iurgia non ueniret. Liganda sunt ergo foris per disciplinam membra corporis, ut intrinsecus solidetur status mentis, quatinus dum undique exterior custodia interiori mobilitati coercende opponitur, tandem mens ad pacem stabilem in semetipsa colligatur. Omnium namque uitiorum mo- 480 tus disciplina coercet, et quantum mala desideria foris coercendo comprimit, tantum per eam bonum desiderium interius conualescit. Paulatimque eadem uirtutis forma per consuetudinem menti imprimitur, que foris per disciplinam in habitu corporis conseruatur. Ecce uidimus quantum ualet disciplina, nunc quali- 485 ter custodiri debeat consideremus. Quatuor sunt precipue in quibus conseruanda est disciplina: in habitu, in gestu, in locutione, in mensa, id est in comestione.

De disciplina seruanda in habittt In habitu quinque modis disciplina custoditur: in genere et 490 qualitate, in colore et formatione, et coaptatione uestimentorum. In genere, scilicet ne sint uestimenta nostra nimis pretiosa. In qualitate, ne nimis subtilia uel mollia. In colore, ne nimis sint nitida siue quolibet alio modo supra quam disciplina et propositum religiose conuersationis expetit fucata. In formatione, ut sint 495 decenter et religiose composita et humilitatis signum habentia, id est non nimis magna aut dependentia aut fluxa, nec nimis stricta siue quolibet alio modo secundum seculi uanitatem detorta. Coaptatio ad modum portandi pertinet. Nam sunt quidam stulti qui stultis placere cupientes quodam artificio uestimenta 500

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le mal et il sème des querelles en toute saison». La raison en effet pour laquelle il a d'abord appelé renégat cet homme qu'il a voulu taxer également d'indiscipline et d'esprit de discorde, c'est que, s'il ne tombait d'abord au-dedans, détournant son esprit de la considération du Créateur, il n'en viendrait pas ensuite à se montrer inconstant et à semer des querelles à l'extérieur. Il faut donc que la discipline lie au-dehors les membres du corps pour qu'à l'intérieur soit consolidée l'assise de l'esprit, en sorte que, la garde extérieure s'opposant de toute part à la mobilité intérieure qu'il faut tenir de court, l'esprit se recueille enfin en lui-même dans une paix stable65• En effet, la discipline bride les mouvements de tous les vices, et, dans la mesure où au-dehors elle réprime en les bridant les mauvais désirs, au-dedans le désir du bien prend vigueur, grâce à elle. Et petit à petit, l'habitude aidant, s'imprime dans l'esprit la même forme de vertu que la discipline maintient dans l'attitude du corps à l'extérieur66 . Nous venons donc de voir combien puissante est la discipline; considérons à présent comment on doit la conserver. Il y a principalement quatre points sur lesquels il faut garderJa discipline: dans l'habit, dans le geste, dans la parole, à table, c'est-à-dire en mangeant.

XI. De ût discipline qu'il fout garder dans /'habillement Dans l'habillement:67, on garde la discipline de cinq manières: dans le genre et la qualité, dans la couleur et la façon, dans l'harmonie des vêtements68 • Dans le genre, à savoir que nos vêtements ne soient pas trop précieux. Dans la qualité, qu'ils ne soient ni trop délicats ni trop douillets. Dans la couleur, qu'ils ne soient pas trop éclatants69 ou teints de quelque autre manière plus que ne le requièrent la discipline et le dessein d'une vie religieuse. Dans la forme, qu'ils soient décents et conformes à l'état religieux et qu'ils soient un signe d'humilité, c'est-à-dire qu'ils ne soient pas trop grands ou traînants ou flottants, ni trop ajustés ou déformés de quelque autre manière selon la vanité séculière. I.:harmonie concerne la façon de les porter, car il est certains sots70 qui, désirant plaire aux sots, s'affublent de leurs

DE INSTITUTIONE 52 sua circa se componunt. Alii uero maiori scurrilitate transuertunt ridiculose, alii autem, ut pompam de se faciant, explicant ea et quantum possunt latius distendunt. Alii tenere corrugata in unum colligunt, alii contorquentes et complectentes inuoluunt. Alii, toto conamine stringentes et findentes ea, omnia corporis sui lineamenta in uerecundissima quadam turpitudine aspicientibus numeranda exponunt. Alii iactando et uentilando pannos suos leuitatem mentis sue ex ipsa habitus sui mobilitate ostendunt. Alii incedentes sinuoso sirmate terram uerrunt et, limbis dependentibus, immo retro consequentibus caudis in similitudinem uulpium, uestigia sua obducunt. Bene profecto, ut postquam transierint pereat memoria eorum, ne sint amplius in recordatione in terra uiuentium. Qui, ut ostendant de numero illorum se esse de quibus psalmista dicit: «Non sic impii, non sic, sed tanquam puluis quem proicit uentus a facie terre», quacumque perrexerint, quasi turbo tempestatis puluerem concitant, et ipsi filii tenebrarum illud lumen foris oculis hominum subtrahunt, quod intus cecata mente perdiderunt. Est tamen in quo de eis etiam in presenti uita uindictam capimus, quia isdem suis pannis quibus nebulam pulueris luminibus nostris iniciunt ad complanandam uiam pedibus nostris lutum platearum abstergunt. Quid amplius dicam? Tedet me omnia uanitatis oscilla numerare in quibus stulti et uecordes mulieribus, immo meretricibus, studia sua auferunt, et tanto dedecore quanta superstitione cum habitu pene sexum mutauerunt.

Alii sunt mille modi in quibus homines uanissimi et superstitiosissimi spectaculum de se intuentibus prebere concupiscunt. Sed hec omnia seruus Dei magna debet constantia despicere, cum uideat nullos nisi stultos et irrisione dignissimos studiis 514/515 Ps. 1,4

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vêtements avec quelque artifice. D'autres, par une bouffonnerie plus grande encore, les déforment de manière ridicule; d'autres, pour faire parade d'eux-mêmes, les déploient et les étalent aussi largement qu'ils peuvent. D'autres les rassemblent en fronces menues; d'autres les bouchonnent en torsades et replis. D'autres, les serrant de toute leur force et les fendant, exposent, par la plus honteuse des turpitudes, tous les contours de leur corps dont les spectateurs peuvent faire le détail. D'autres, agitant au vent leurs falbalas, montrent la légèreté de leur esprit par la fébrilité même de leur contenance. D'autres, en marchant, balaient le sol des méandres de leur longue robe, et effacent les traces de leurs pas avec leurs franges traînantes, ou plutôt, pareils à des renards, avec leur queue qui les suit par derrière. C'est une bonne chose assurément qu'après leur passage périsse leur souvenir71 pour qu'on ne se souvienne plus d'eux sur la terre des vivants 72 • Pour montrer qu'ils sont du nombre de ceux dont le psalmiste dit: «Rien de tel pour les impies, rien de tel; mais ils sont comme la poussière que le vent soulève de la face de la terre», où qu'ils aillent, comme un tourbillon de tempête, ils soulèvent de la poussière, et, eux-mêmes, fùs des ténèbres, ils soustraient aux yeux des hommes au-dehors cette lumière qu'ils ont perdue au-dedans par l'aveuglement de leur esprit. Il est pourtant un point sur lequel, même dans la vie présente, nous tirons vengeance d'eux: par ces mêmes falbalas qu'ils portent, avec quoi ils soulèvent vers nos yeux un nuage de poussière, ils'balaient la boue des places pour aplanir la voie sous nos pieds. Que dirai-je de plus ?Je n'ai nulle envie d'énumérer tous les hochets de la vanité, par lesquels les sots et les insensés empruntent aux femmes, ou plutôt aux prostituées, leurs pratiques, et, avec autant d'infamie que de niaiserie, ont presque changé de sexe en même temps que d'habit. Il y a mille autres manières par lesquelles les hommes les plus vaniteux et les plus niais désirent se donner en spectacle aux regards d'autrui. Mais, tout cela, le serviteur de Dieu doit le mépriser avec une grande constance, quand il constate que nul, sauf les sots et les plus dignes de moquerie, ne se livre à de telles

DE INSTITIJTIONE 54 talibus deseruire. Hec enim omnia uere religioni contraria sunt, 530 et omnes qui curam et studium his adhibent, quantum a religione alieni sint patenter ostendunt. Sed gratia Dei omnes qui modo in religone constituti talibus student et per hec hominibus placere cupiunt, omnibus hominibus magis uiles et contemptibiles fiunt. Et econuerso, qui hec propter Deum despiciunt, non solum 535 coram Deo, sed etiam coram hominibus cariores et honorabiliores existunt.

Eant ergo nunc miseri et stulti ac omnis honestatis ignari, eant et cornant pannos suos qui non intelligunt quam iuste in uiris religiosam uitam professis cultus pretiosarum uestium reprehenditur, qui per apostolum Paulum etiam feminis prohibetur: «Non, inquit, in pretiosa ueste». Videant ergo quanta non dico reprehensione sed confusione, immo potius quanta damnatione digni sunt qui in proposito religionis cultuî pretiosarum uestium student, quia diues ille qui in Euangelio purpura et bysso induitur, postea in tormentis inferni eternaliter cruciandus sepelitur. Quid autem in purpura nisi color et pretium, et quid in bysso nisi mollities reprehenditur ? Cum ergo carni sue et in purpura decorem et in bysso mollitiem adhibuisse dicitur, procul dubio superbus simul et luxuriosus fuisse comprobatur. Qui ergo corpori suo prius illicite fomenta uitiorum exhibuit, iure postmodum hune cruciandum flamma tormentorum accepit. Et tamen diues iste nondum propriis rebus abrenuntiauerat, sed quia in his que possidebat temperantiam seruare noluit, post illicitum usum rerum temporalium ad penam sempiternam peruenit. Si igitur ille, quia propriis abusus est, tantam damnationem meruit, quid putamus isti faciunt qui, propriam non habentes, alienam elemosynam cultui sue elationis impendere non pertimescunt ? Ve eis quia ipsi, sicut per prophetam dicitur, «peccata populi corne-

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pratiques. Tout cela en effet est contraire au véritable état religieux, et tous ceux qui donnent leur soin et leur effort à ces choses manifestent de façon évidente à quel point ils sont étrangers à l'état religieux. Mais, grâce à Dieu, tous ceux qui, appartenant d'une manière ou d'une autre à l'état religieux, s'adonnent à de telles pratiques et, par elles, désirent plaire aux hommes deviennent plus vils et méprisables aux yeux de tous les hommes. Et, à l'inverse, ceux qui les méprisent à cause de Dieu 73 n'en sont que plus chers et plus honorables non seulement devant Dieu, mais même devant les hommes. Qu'ils aillent donc maintenant ces malheureux, ces sots et ces gens qui ignorent toute probité, qu'ils aillent et qu'ils se parent de leurs falbalas ceux qui ne comprennent pas combien il est juste de reprendre, chez des hommes qui ont fait profession de vie religieuse, le culte des vêtements précieux que l'apôtre Paul interdit même aux femmes: «Pas de somptueuse toilette», dit-iF 4• Qu'ils voient donc, je ne dis pas de quelle réprimande, mais de quelle honte ou plutôt de quelle condamnation sont dignes ceux qui aspirent à la vie religieuse en s'adonnant au culte des vêtements précieux, puisque cet homme riche qui, dans l'Évangile, se vêt de pourpre et de lin fin est ensuite enseveli pour être éternellement torturé dans les tourments de l'enfer75 • Or, que reproche-t-on à la pourpre sinon sa couleur et son prix, au lin fin sinon sa douceur douillette ? Dire qu'il a procuré à sa chair et la beauté de la pourpre et la douceur du lin fin, c'est prouver à l'évidence qu'il a été orgueilleux et sensuel76• Celui donc qui d'abord a illicitement procuré à son corps de quoi nourrir les vices, la flamme des tourments l'a ensuite reçu à juste titre pour le torturer. Et pourtant ce riche n'avait pas encore renoncé à ses propres biens, mais n'ayant pas voulu garder la tempérance dans ce qu'il possédait, il est parvenu, après un usage illicite des biens temporels, à la peine éternelle. Si donc celui qui a abusé de ses propres biens a mérité une telle condamnation, que font, à notre avis, ceux qui ne possédant rien en propre ne craignent pas de gaspiller l'aumône qui leur vient d'autrui pour cultiver leur vaine gloire77 ? Malheur à eux, car, comme il est dit par le prophète, «ils

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dunt», et «uictimas in profundum declinant», quia quod alii pro 56o redemptione animarum suarum offerunt, hoc ipsi accipientes, per illicitum usum ad damnationem animarum suarum conuertunt. «Ve corone superbie Effraim, et flori decidenti", quia «omnis caro fenum et omnis gloria eius quasi flos agri. Exsiccatum est fenum et cecidit flos, quia spiritus iracundie Domini exsufflauit 565 in illud. Exsiccatum est fenum et cecidit flos, uerbum autem Domini manet in eternum». «Quid igitur superbit puluis et cinis», fumus euanescens et «uapor ad modicum parens»? Quid est «homo putredo et filius hominis uermis»? Vermis ipse et uermis hereditas eius, «hereditabit enim homo uermes, bestias, serpen- 570 tes».

Quantumcumque excolatur et ornetur, quid est aliud caro quam caro? Quid igitur prodest in habitu qui foris ad tempus adheret gloriam querere, et corruptionis putredinem que in nobis est et semper permanet non considerare? Propterea debent amatores religionis opere demonstrare, quantum ipsi terrena despiciant, nec carnem que moritura est cultu superstitioso excolere, sed pompe indumentorum morum ornamenta anteferre. Vestimenta plus uilia quam pretiosa, plus grossa quam subtilia, plus aspera quam mollia, plus fusca quam nitida, plus neglecte quam accurate composita uel adaptata amare, quatinus si non possint in uestimentis suis per omnia commoditatem abscindere, nunquam tamen presumant eis uti ad ostentationem. Poterant hec fortassis beneuolentibus ad eruditionem modestie et humilitatis sufficere, sed scio duros et rebelles animos, nisi adhuc mordacioribus lupatis frenati fuerint, non facile a uia pristini erroris declinare. Quos quidem oportet in cunctis obseruantiis usque ad unguem stringere et, ut nullus deuiandi locus tergiuersationi relinquatur, ad singula uestigia determinatis preceptionibus obligare. 560 Os. 5,2 563 Is. 28,1 563/567 Is. 40,6-8 568 lac. 4,15 569 lob 25,6 570/571 Eccli 10,13

567 Eccli 10,9

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mangent les péchés du peuple» et «ils laissent tomber les victimes dans la fosse», parce que ce que d'autres offrent pour la rédemption de leur âme, ceux-là le reçoivent et le détournent par un usage illicite pour la damnation de la leur. «Malheur à la couronne d'orgueil d'Ephraïm et à sa fleur fanée», car «toute chair est du foin et toute sa gloire est comme la fleur des champs. Le foin s'est desséché, la fleur s'est fanée, parce que le souffle de la colère du Seigneur a soufflé sur elle. Le foin s'est desséché, la fleur s'est fanée, mais la parole du Seigneur demeure à jamais». «Pourquoi donc de l'orgueil chez qui est poussière et cendre», fumée qui se dissipe, et «vapeur qui paraît un instant»? «Qu'est-ce que l'homme ? - Pourriture. Et le fils de l'homme? Ver». Ver lui-même et ver son héritage; «l'homme en effet aura pour héritage les vers, les bêtes et les serpents». Qu'elle soit parée et ornée tant qu'on voudra, qu'est-ce que la chair sinon de la chair? Que sert donc de chercher la gloire dans un vêtement qui, extérieurement, nous colle pour un temps à la peau, et ne pas considérer la pourriture de la corruption qui est en nous et y demeure toujours? C'est pourquoi ceux qui aiment la vie religieuse doivent montrer par leurs actes combien ils méprisent les biens terrestres, et ne pas honorer d'un culte superstitieux78 la chair qui va mourir, mais préférer la parure des bonnes mœurs au faste des vêtements79• Préférer les vêtements vils aux vêtements précieux, les grossiers aux délicats, les rudes aux douillets, les sombres aux éclatants, ceux qui sont disposés et adaptés sans apprêt plutôt qu'avec recherche, afin que, dans l'impossibilité de faire totalement abstraction de la commodité des vêtements, on n'ose jamais s'en servir pour parader. Cela aurait peut-être pu suffire aux personnes de bon vouloir pour apprendre la modération et l'humilité, mais je sais que les esprits durs et rebelles ne s'écartent pas facilement de la voie d'une erreur invétérée, tant qu'ils n'ont pas été bridés par des freins plus mordants. Pour ces gens-là en vérité, il faut les tenir à une observance stricte, et, pour ne laisser aucun biais à leur tergiversation, les contraindre à chaque pas par des prescriptions bien précises.

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De disciplina seruanda in gestu Gestus est modus et figuratio membrorum corporis ad omnem agendi et habendi modum. Hic sex modis reprehensibilis inuenitur, scilicet si est aut mollis aut dissolutus, aut tardus aut citatus, aut procax aut turbidus. Mollis significat lasciuiam, disso- 595 lutus negligentiam, tardus prigritiam, citatus inconstantiam, procax superbiam, turbidus iracundiam. Nam quod inordinati motus corporis corruptionem et dissolutionem indicent, mentis superius iam demonstratum est, ubi Salomonis testimonio uirum apostatam exterioribus indiciis auersionem animi sui promentem 6oo ostendimus. Ait enim: «Homo apostata uir inutilis graditur ore peruerso, annuit oculis, terit pede, digito loquitur», quia uidelicet cum mens interius a custodia sua soluitur, membra foris ad omnem actum inordinate commouentur. Et uelut corpus paralytici motum quidem habet, sed officia membrorum in suis actio- 6o5 nibus seruare non ualet, sic iste impatientia quidem et fluctuatione mentis ad quelibet preceps impellitur, sed in omnibus que agit nullo rationis moderamine gubernatur. Sed sciendum est quod in his uitiosis gestibus quidam ad inuicem similes quodammodo esse uidentur, et quemadmodum 610 uitia de quib~s nascuntur intra se multum non discrepant, ita ipsi quoque motus exteriores quamdam ad inuicem concordiam peruersitatis obseruant, sicut similes sunt gestus mollis et procax, dissolutus et tardus, citatus et turbidus, quia et uitia ipsa inter se similia sunt, sicut est lasciuia et iactantia, negligentia et pigritia, 615 inquietudo et impatientia. Propterea omnes isti inordinati gestus, quia de interioribus anime prodeunt corruptionibus, in multis Scripturarum locis grauiter argui et reprehendi inueniuntur, que etsi per singula enumerare non possumus, ne tamen pro nichilo rem tantum 620 exaggerare uideamur, quedam ex his exempli causa reuoluemus. De molli et procaci gestu lasciuam et arrogantem animam Domi601/602 Prou. 6,12-13

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XII. De la discipline qu'il faut garder dans les gestes Le geste80 est une mesure81 et une posture des membres du corps pour toute façon d'agir et de se comporter82 • On y trouve à reprendre de six façons, à savoir s'il est mou ou indolent83 ou lent ou brusque ou impudent ou agité. Mou, il signifie la licence, indolent la négligence, lent la paresse, brusque l'inconstance, impudent l'orgueil, agité la tendance à la colère84 • Que les mouvements désordonnés soient le signe d'un corps corrompu et d'un esprit dissolu, on l'a déjà montré plus haut85, quand, sur le témoignage de Salomon, nous avons montré que l'homme renégat exposait aux jugements extérieurs le tour pervers de son esprit. Il dit en effet: «Un renégat, un vaurien, il va la bouche torse, digne de l'œil, traîne les pieds, parle avec les doigts»86 car, quand à l'intérieur l'esprit se relâche de sa garde, au-dehors les membres s'agitent en désordre pour n'importe quelle action. Et de même que le corps du paralytique, s'il possède bien le mouvement, ne peut conserver dans ses actions l'usage de ses membres, de même un tel homme, impatient et l'esprit balloté, se précipite vers n'importe quelle action, mais, en tout ce qu'il fait, la raison ne le gouverne plus en rien. A noter que, parmi ces gestes déréglés, il en est certains qui ont entre eux une sorte de ressemblance, et de même que les vices, dont ils naissent, ne diffèrent guère entre eux, de même ces mouvements extérieurs eux-mêmes gardent entre eux une certaine connivence dans la perversité: ainsi sont semblables le geste mou et l'impudent, le geste indolent et le lent, le geste brusque et l'agité, parce que les vices eux-mêmes sont semblables entre eux, comme le sont la licence et la jactance, la négligence et la paresse, l'agitation et l'impatience. Parce que tous ces gestes désordonnés procèdent des corruptions intérieures de l'âme, on les trouve sévèrement dénoncés et blâmés en de nombreux passages des Écritures. Si nous ne pouvons les énumérer un à un, du moins, pour ne pas paraître exagérer à ce point sans raison, nous en rappellerons quelquesuns à titre d'exemple. Au sujet du geste mou et impudent, le

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nus per Isaiam prophetam arguit dicens: «Descende, sede in puluere, uirgo filia Babylonis, sede in terra, non est solium filie Chaldeorum, quia ultra non uocaberis mollis et tenera. Toile molam, mole farinam, denuda turpitudinem tuam, discooperi humerum, reuela crura, transi flumina». Et, post pauca: «Sede, tace, intra in tenebras, filia Chaldeorum, quia non uocaberis ultra domina regnorum». Que ergo descendere precipitur, de procaci gestu et typo arrogantie increpatur. Vnde et bene subiungitur: «Non est solium filie Chaldeorum», quia sepe homo apud alios tanto magis despectus habetur, quanto magis apud seipsum per tumorem arrogantie extollitur, ut impleatur illa sententia ueritatis qua dicitur: «Ornois qui se exaltat humiliabitur et omnis qui se humiliat exaltabitur». De quo adhuc subinfertur cum dicitur: «Sede, tace, intra in tenebras, filia Chaldeorum, quia non uocaberis ultra domina regnorum». Magna etenim tune hominem confusio sequitur, quando se ab aliis despici uidet etiam pro eo in quo ipse gloriatur. Sed quia lasciuia et mollities arnica est procacibus et superbis, increpata arrogantia lasciuiam etiam arguit cum subiungit: «Tolle molam et mole farinam, denuda turpitudinem, discooperi humerum, reuela crura, transi flumina quia ultra non uocaberis mollis et tenera». Quam sit ergo odibilis apud Deum lasciuia et prôcacitas, ex hoc patenter ostenditur quod Scriptura tam districta animaduersione et deiectionem arrogantibus et asperitatem mollibus superuenturam comminatur.

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Hinc est rursum quod per eumdem Isaiam contra lasciuos et procaces dicitur: «Et dixit Dominus: Pro eo quod eleuate sunt filie Sion et ambulauerunt extento collo, et nutibus oculorum ibant et plaudebant, ambulabant et in pedibus suis composito 6)0 gradu incedebant, decaluabit Dominus uerticem filiarum Sion». 623/627 Is. 47,1-2 627/629 Is. 47,5 634/635 Luc. 14,11; 18,14 636/637 Is. 47,5 6411643 ls. 47,2.l 648/651 ls. 3,16-17

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Seigneur dénonce l'âme licencieuse et arrogante, quand il dénonce par la bouche du prophète Isaïe: «Descends, assieds-toi dans la poussière, vierge, fille de Babylone, assieds-toi à même la terre, il n'y a pas de trône pour la fille des Chaldéens, car jamais plus on ne t'appellera la douce et l'exquise. Prends la meule et broie la farine; dénude ta honte, découvre ton épaule, dévoile tes jambes, traverse les fleuves». Et peu après: «Assieds-toi en silence, enfonce-toi dans les ténèbres, fille des Chaldéens, car jamais plus on ne t'appellera souveraine des royaumes». Celle à qui l'on commande de descendre se voit donc reprocher son geste impudent et l'excès de son arrogance.D'où vient qu'on ajoute heureusement: «Il n'y a pas de trône pour la fille des Chaldéens». Souvent en effet l'homme est tenu par les autres pour être d'autant plus méprisable qu'il s'élève à ses propres yeux par l'enflure de l'arrogance, pour que s'accomplisse cette sentence de la Vérité qui dit: «Quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé». C'est à quoi il est encore fait allusion lorsqu'il est dit: «Assieds-toi en silence, enfonce-toi dans les ténèbres, fille des Chaldéens, car jamais plus on ne t'appellera souveraine des royaumes». Grande en effet est la confusion qui s'attache à l'homme quand il se voit méprisé par les autres pour cela même en quoi il se glorifie. Mais comme la licence et la mollesse sont amies des impudents et des orgueilleux, après avoir blâmé son arrogance, ils' en prend encore à sa licence en ajoutant: «Prends la meule et broie la farine; dénude ta honte, découvre ton épaule, dévoile tes jambes et traverse les fleuves, car jamais plus on ne t'appellera la douce et l'exquise». Combien sont donc odieuses aux yeux de Dieu la licence et l'impudence, cela apparaît ouvertement en ce que !'Écriture menace, par une remontrance si sévère, les arrogants d'abaissement et les douillets de dureté pour l'avenir. De là vient de nouveau qu'il est dit par le même Isaïe à l'encontre des licencieux et des impudents: «Et le Seigneur a dit: Parce qu'elles ont fait les fières, les filles de Sion, qu'elles déambulaient le cou tendu et marchaient les yeux aguicheurs, battaient des mains, se pavanaient et avançaient d'un pas affecté, le Sei-

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«Ambulabant extento collo et nutibus oculorum», hic notatur arrogantia. «Ibant et plaudebant, ambulabant et in pedibus suis composito gradu incedebant», hic notatur lasciuia. Sequitur: «Decaluabit Do minus uerticem filiarum Sion», hec est pena arrogan- 655 tium. Et: «Dominus crinem earum nudabit», hec est pena lasciuorum. Et quia hec uitia luxus pretiosarum uestium sequi solet, pena quoque eius subinfertur cum dicitur: «In die illa auferet Dominus ornatum calciamentorum et lunulas et torques et monilia et armillas et mitras et discriminalia et perichelidas et 66o murenulas et olfactoria et inaures et anulos et gemmas in fronte pendentes et mutatoria et pallia linteamina et acus et specula et sindones et uittas et teristra, et erit pro suaui odore fetor et pro zona funiculus et pro crispanti crine caluitium et pro fascia pectorali cilicium». Ecce quam diligenter omnia uanitatis insignia 66s enumerat, ut hec in quibus homines nullam uel admodum paruam culpam esse putant, quam districte a Deo pensentur ostendat. Dissolutum et tardum Salomon arguit dicens: «Per agrum hominis pigri transiui et per uineam uiri stulti, et ecce totum 670 repleuerant urtice, operuerant superficiem eius spine et maceria lapidum desfructa erat. Quod cum uidissem posui in corde meo et exemplo didici disciplinam». «Vsquequo piger dormis? Vsquequo de somno non consurgis? Paululum dormies, modicum dormitabis, pusillum manus conseres ut quiescas, et ueniet quasi 675 cursor egestas tua et mendicitas tua quasi uir armatus». «Vade ad formicam, o piger, et considera uias eius et disce prudentiam; que cum non habeat ducem nec preceptorem nec principem, parat estate cibum sibi et congregat quod comedat in hieme». Item de pigro: «Sicut acetum dentibus et fumus oculis, sic piger his qui 680 miserunt illum». Et de dissoluto: «Manus fortium dominabitur, que autem remissa est tributis seruiet». Iterum de pigro: «Vult et 653/654 Is. 3,17 658/665 Is. 3,18-24 669/673 Prou. 24,30-32 673/676 cf. Prou. 6,9-11 676/679 cf. Prou. 6,6-8 680/681 Prou. 10,26 681/682 Prou. 12,24 682/683 Prou. 13,4

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gneur rendra chauve le crâne des filles de Sion». «Elles déambulaient le cou tendu et les yeux aguicheurs», cela dénonce l'arrogance. «Elles vont en frappant du pied et d'une démarche affectée», cela marque la licence. Vient ensuite: «Le Seigneur rendra chauve le crâne des filles de Sion», voilà le châtiment des arrogants; et «le Seigneur mettra leur chevelure à nu», voilà le châtiment des licencieux. Et parce que le luxe des vêtements précieux entraîne d'ordinaire de tels vices, son châtiment aussi est suggéré, quand il est dit: «Ce jour-là, le Seigneur ôtera l'ornement des chaussures, les croissants, les torques et les colliers, les bracelets et les diadèmes, les peignes et les anneaux de chevilles, les tours de cou, les boîtes à parfums, les boudes d'oreille et les bagues, les pierres précieuses pendues sur le front, les parures et les manteaux, les linges, les épingles, les miroirs, les mousselines, les rubans, les voiles. Et au lieu d'odeur suave, ce sera la puanteur; au lieu de ceinture, une corde; au lieu d'une chevelure frisée, la tête rase; au lieu d'un corset, un cilice». Voyez avec quelle diligence il énumère tous les emblèmes de la vanité, pour montrer à quel point Dieu juge sévèrement ces choses en quoi les hommes estiment qu'il n'y a pas de faute, ou si petite. Quant à l'homme dissolu et paresseux, Salomon le réprimande en disant: «Je suis passé par le champ du paresseux et par la vigne de l'homme sot; tout avait été rempli d'orties, les épines en avaient couvert la surface et la clôture de pierre s'était écroulée. Ce que voyant, j'ai retenu cela dans mon cœur et par cet exemple j'ai appris la discipline». ~usques à quand, paresseux, dormirastu? Quand te lèveras-tu de ton sommeil? Un peu dormir, s'assoupir un moment, un instant croiser les bras pour te reposer, et voilà que viendra pour toi, tel un rôdeur, l'indigence, et tel un homme armé, la mendicité». «Va voir la fourmi, paresseux! Observe ses voies et apprends la prudence. Elle, qui n'a ni guide ni précepteur ni chef, assure durant l'été sa provende et amasse ce qu'elle mangera en hiver». Et encore au sujet du paresseux: «Vinaigre aux dents, fumée aux yeux, tel est le paresseux pour ceux qui l'ont envoyé». Et au sujet du dissolu: «A la main des forts le pouvoir, la main nonchalante servira pour la corvée». De

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non uult piger, anima autem operantium impinguabitur». Rursum de dissoluto: «Qui mollis et dissolutus est in opere suo, frater est sua opera dissipantis». Item de pigro: «Abscondit piger 685 manum suam sub ascella et laborat si ad os suum applicauerit eam». Item: «Desideria occidunt pigrum, noluerunt enim quicquam manus eius operari». Et iterum: «Dicit piger: Leo est in uia, in medio platearum occidendus sum». Item: «Sicut ostium in cardine suo, sic piger uertitur in lecto». Et in libro Ecdesiastico de 690 pigro et tardo et dissoluto dicitur: «In lapide luteo lapidabitur piger et omnes loquentur super aspernationem illius. De stercore boum lapidabitur piger et omnis qui tetigerit eum excutiet manus suas». Multa sunt alia, si enumerare uelim, que ad increpationem 695 uel ad irrisionem horum in Scripturis dicuntur; de quibus hec ad exhortationem presentem uobis dicta sufficere possunt. Citatus uel inquietus simul et turbidus gestus per Salomonem iterum reprehenduntur ubi, sicut iam in superiori exemplo demonstrauimus de uiro apostata dicitur: «Homo apostata uir inutilis, gradi- 700 tur ore peruerso, annuit oculis, terit pede, digito loquitur, prauo corde machinatur malum et omni tempore iurgia seminat. Huic extemplo ueniet perditio sua nec habebit ultra medicinam.». Quam sit eriim perditioni proximus ipsa sua actione satis demonstrat, qui per inquietudinis uitium in semetipso pacem per- 705 dit, etiam priusquam foris obsistentem inueniat. Et quo precipitandus sit patet, si occasionem furoris inuenerit, quem nullo turbante exterius sua intus leuitas et impatientia ad furorem precipitem rapit. Vnde bene, postquam inconstantie et leuitatis signa enumerat dicens: «Annuit oculis, digito loquitur, terit 710 pede», nouissime indicium furoris expressit dicens: «Ümni tempore iurgia seminat». Quia, sicut dictum est, primum per leuitatis uitium et inquietudinem pax interne tranquillitatis dissoluitur, ac

684/685 Prou. 18,9 685/687 Prou. 19,24 687/688 Prou. 21,25 688/689 Prou. 22,13 689/690 Pr ou. 26,14 691/694 Eccli 22,1-2 700/ 703 Prou. 6,12-15 710/711 Prou. 6,13 711/712 Prou. 6,14

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nouveau, au sujet du paresseux: «Le paresseux veut et ne veut pas, mais l'âme de ceux qui travaillent sera engraissée». Encore au sujet du dissolu: «Qui est mou et dissolu dans son ouvrage est le frère de celui qui anéantit ses œuvres». De même, au sujet du paresseux: «Le paresseux plonge la main dans le plat, mais c'est à grand-peine qu'il la porte à sa bouche». De même: «Les désirs du paresseux causent sa mort, car ses mains refusent le travail». Et de nouveau: «Le paresseux dit: Il y a un lion sur la route, au milieu de la place je vais être tué». De même: «Comme la porte tourne sur son gond, ainsi le paresseux sur son lit». Et au livre de l'Ecclésiastique, il est dit du paresseux, du lent et du dissolu: «Le paresseux sera lapidé d'une pierre crottée et tous jaseront du mépris où il est tenu. Du fumier des bœufs on lapidera le paresseux et quiconque le touchera secouera la main». Il y a bien d'autres passages, si je voulais les énumérer, qui, dans les Écritures, parlent pour blâmer ou pour tourner ces gens en dérision; ceux que j'ai cités peuvent suffire à vous exhorter présentement. Le geste précipité ou inquiet en même temps que le geste désordonné sont de nouveau blâmés par Salomon quand, comme nous l'avons montré dans l'exemple précédent, il dit du renégat: «Un renégat, un vaurien, il va la bouche torse, cligne de l' œil, traîne les pieds, parle avec les doigts, d'un cœur fourbe il machine le mal, et en toute saison il sème des querelles. Soudain viendra sa perte, et il n'y aura plus de remède». Combien en effet il est proche de la perdition, il le montre assez, par son action même, celui à qui une agitation vicieuse ôte la paix intérieure avant même de rencontrer un obstacle extérieur. Et où va+il se précipiter ? Vers la fureur, évidemment, s'il en trouve l'occasion, lui que sa propre légèreté et sa propre impatience intérieures entraînent tête la première, alors que rien ne le perturbe au-dehors. Il est donc juste qu'après avoir énuméré les signes de l'inconstance et de la légèreté en disant: «Il cligne de l' œil, il parle avec les doigts, il traîne les pieds», il décrive en dernier lieu les signes de la fureur en disant: «En toute saison, il sème des querelles». Car, comme il a été dit que d'abord, du fait du vice de la légèreté et du fait de l'agitation, la paix de la

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sic deinde agitata mens in foueam furoris precipitatur. Quamuis idem ipsum quod dixit: «Graditur ore peruerso, annuit oculis, 715 terit pede, digito loquitur», tam furoris quam inquietudinis signum sit, sed tamen hic solet esse ordo perditionis, ut primum homo per inquietudinem constantiam grauitatis deserat, ac sic tandem usque ad impatientiam furoris erumpat. Habet etiam hic gestus, id est citatus siue inquietus, cum molli et procaci affinitatem, quia leuitas aliquando lasciuiam, aliquando impatientiam designat. Inquietus gestus lasciuo et procaci concordat, sicut per Salomonem dicitur: «De fenestra domus mee per cancellos prospexi et uideo paruulos, considero uecordem iuuenem, qui transit per plateas iuxta angulum et propter uiam domus aliene graditur in obscuro, aduesperascente die, in noctis tenebris et caligine. Et ecce mulier occurrit illi, ornatu meretricio, preparata ad capiendas animas, garrula et uaga, quietis impatiens, nec ualens in domo consistere, pedis suis nunc foris, nunc in plateis, nunc iuxta angulos insidians, apprehensumque deosculatur iuuenem, et procaci uultu blanditur». •Statim eam sequitur, quasi bos ad uictimam ductus et quasi agnus lasciuiens et ignorans, et nescit quod ad uincula stultus trahatur, donec transfigat sagitta iecur eius ueluti si auis festinet ad laqueum, et nescit quia de periculo anime illius agitur», "Vie inferi domus eius penetrantes inferiora mortis». Nemo igitur deinceps putet parum delinquere eos qui contra disciplinam ad turpes motus et inordinatas gesticulationes membra sua inflectunt, quia nunquam Scriptura tam seuere istos exteriores corporis motus in nobis reprehenderet, nisi omnis exterioris hominis inhonesta figuratio et morio indecens ab interiori mentis corruptione manaret. Propterea multum ualet disciplina ad coercendos prauos motus animi, quatinus mala desideria, dum per custodiam discipline stringuntur ne · foras

7231731 Prou. 7,6-13

7311735 Prou. 7,22-23

7351736 Prou. 7).7

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tranquillité intérieure se désagrège, de même ensuite l'esprit agité se précipite dans la fosse de la fureur. Certes, en disant: «Il marche la bouche torse, cligne de l' œil, traîne les pieds, parle avec les doigts», il signale aussi bien la fureur que l'agitation, pourtant tel est, d'ordinaire, le processus de la perdition: l'homme commence par son agitation à se départir de son sérieux habituel et il finit dans les explosions d'une fureur impatiente. Ce geste, je veux dire le geste précipité ou agité, a aussi quelque affinité avec le geste mou et impudent, parce que la légèreté désigne tantôt la licence et tantôt l'impatience. Le geste agité concorde avec le geste licencieux et impudent, comme le dit Salomon: «De la fenêtre de ma demeure, j'ai regardé par le treillis et je vois des enfants, je remarque un jeune homme insensé qui traverse les places, près du coin, et, pour se rendre chez un autre, il marche dans l'obscurité à la tombée du jour, dans les ténèbres de la nuit et dans l'ombre. Et voici qu'une femme accourt à lui, ornée comme une prostituée, préparée pour capter les âmes, bavarde et inconstante, ne supportant pas le calme, incapable de garder les pieds à la maison, tantôt dehors, tantôt sur les places, tantôt dans les coins, elle se tient aux aguets. Elle saisit le jeune homme, l'embrasse et le caresse, le visage insolent». «Aussitôt il la suit, tel un bœuf conduit au sacrifice, comme un cabri folâtre et inconscient qui ne sait pas, le sot, qu'on le traîne aux fers, jusqu'à ce qu'une flèche lui perce le foie, pareil à l'oiseau qui se jette dans le filet sans savoir qu'il y va de son âme». «Sa demeure, ce sont les voies de l'enfer qui pénètrent jusqu'aux profondeurs de la mort». Par suite, que nul ne s'imagine qu'ils ne pèchent pas gravement ceux qui, à l'encontre de la discipline, plient leurs membres à des mouvements honteux et à des gesticulations car jamais l'Écriture ne reprendrait si sévèrement ces mouvements extérieurs du corps en nous, si toute posture déshonnête de l'homme extérieur et tout mouvement indécent ne procédait de la corruption de l'esprit intérieur. C'est pourquoi la discipline peut beaucoup pour brider les mouvements dépravés de l'esprit, afin que

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effluant, tandem aliquando etiam interius surgere ac mouen 745 omnino desuescant. Quia igitur uitia gesticulationum descripsimus, ordo exigit ut nunc quis sit in omni gestu modus discipline diffiniamus, quod etsi fortasse per singula facere non possumus, magis tamen expedit aliquid inde ad eruditionem dicere quam omnino silere. 750 Primum ergo diligenter obseruandum est ut singula membra suum teneant officium, neque usurpent alienum; deinde ut unumquodque suum opus tam decenter ac modeste impleat, quatinus per indisciplinam aspicientium oculos non offendat. Nam in quolibet horum peccetur, dignum reprehensione est, 755 siue scilicet membra ad inuicem actus suos confundant, siue id quod iuste agere debent recte non expleant. Discretio actionum in membris conseruanda est, ut scilicet id agat unumquodque membrum ad quod factum est, ut neque loquatur maous, neque 76o os audiat, nec oculus lingue officium assumat.

Sunt enim quidam qui nisi buccis patentibus auscultare nesciunt et, quasi ·per os sensus ad cor influere debeat, palatum ad uerba loquentis aperiunt. Alii, quod adhuc peius est, in agendo uel audiendo, quasi canes sitientes, linguam protendunt, et ad singulas actiones uelut molam labia contorquendo circumducunt. 76) Alii loquentes digitum extendunt, supercilia erigunt, et oculos in orbem rotantes aut profunda quadam consideratione defigentes, cuiusdam intrinsecus magnificentie conatus ostendunt. Alii caput iactant, comam excutiunt, uestimenta adaptando componunt, et latera cubitando pedesque extendendo, ridiculum satis ostenta- no tionis formam fingunt. Alii quasi ambe aures ad audiendum facte non sint, alteram tantum collo detorto uoci uenienti opponunt. Alii, typum nescio quem figurantes, oculum inter uidendum

69 les désirs mauvais, freinés par la vigilance de la discipline, ne se répandent pas au-dehors, et qu'enfin, un jour, ils perdent même l'habitude de naître au-dedans et de se mettre en mouvement. Puisque nous avons décrit les vices des gesticulations, l'ordre requiert à présent que nous définissions quelle est, en tout geste, la mesure de la discipline. Et, même s'il arrivait que nous ne puissions pas le faire pour chacun, il vaudra mieux en dire quelque chose que de n'en rien dire du tout. Il faut donc d'abord veiller avec diligence à ce que chacun des membres tienne son office, sans usurper celui d'un autre; ensuite à ce que chacun accomplisse son travail si décemment et modestement qu'il n'offense pas, par son indiscipline, les yeux des témoins. Car, quel que soit le membre par lequel on pèche, c'est une chose répréhensible: soit que les membres permutent entre eux leurs actes dans la confusion, soit qu'ils n'accomplissent pas correctement ce qu'ils doivent faire justement. Il faut, dans ses membres, garder le discernement de leurs actes, c'est-à-dire que chaque membre fasse ce pour quoi il est fait, de sorte que ni la main ne parle, ni la bouche n'écoute, ni l'œil n'assume la fonction de la langue87 • Certains en effet ne savent pas écouter sinon bouche ouverte, et ils ouvrent aux paroles de l'orateur leur antre buccal, comme si le sens devait couler vers leur cœur en passant par leur bouche. Pire, d'autres, quand ils agissent ou qu'ils écoutent, tirent la langue comme des chiens assoiffés, et, à chaque action, tordent les lèvres comme s'ils tournaient une meule. D'autres, quand ils parlent, tendent le doigt, haussent les sourcils et, roulant les yeux dans leur orbite ou les gardant fixes comme absorbés dans une profonde méditation, ils font montre de leurs efforts pour se hausser à quelque grandeur intérieure. D'autres branlent du chef, secouent leur chevelure, arrangent leurs vêtements pour les ajuster, et, couchés sur le côté, tirant sur leurs jambes, donnent d'eux-mêmes un spectacle passablement ridicule. D'autres, comme si leurs oreilles n'étaient pas faites toutes deux pour écouter, n'en tendent qu'une, en se tordant le cou, vers la voix DE LA FORMATION DES NOVICES

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alium claudunt, alium aperiunt. Alii maiori ridiculo cum medietate oris loquuntur. Sunt preterea mille larue, mille subsannatio- 775 nes et corruscationes narium, mille ualgia et contortiones labiorum, que pulchritudinem faciei et decorem discipline deformant. Est enim facies discipline speculum cui tanto maior custodia adhibenda est, quanta minus si quid in ea peccatum fuerit celari potest. Temperanda est igitur facies et modificanda in gestu 780 suo, ita ut nec proterue exasperetur, nec molliter dissoluatur, sed semper habeat et rigidam dulcedinem et dulcem rigorem.

Alii nauigant brachiis incedentes et, duplici quodam monstro, uno et eodem tempore pedibus deorsum in terra ambulant et lacertis sursum in aere uolant. Quod est, queso, monstrum hoc, quod simul in se fingit et hominis incessum et nauis remigium et auis uolatum ? Libet in hoc poetice illius subsannationis elogio prodamare: «Humano capiti ceruicem pictor equinam iungere si uelit et uarias inducere plumas undique collatis membris, ut turpiter atrum desinat in piscem roulier formosa superne ... ».

Certe tale.michi uidetur hoc portentuose figurationis schema, cuius, uelut egri somnia, uane finguntur species ut nec pes nec caput uni reddatur forme. 795

Sed ne forte satiram potius quam doctrinam edere uideamur, cum plurima adhuc enumeranda supersint, modestie hic quoque obliuisci non debemus. Etiam si fortassis negligentibus et indisciplinatis, quantum ipsi in his erubescere debeant melius silendo ostendimus, scire tamen debent unum esse uitium, quod prius intrinsecus statum mentis dissipat, ac postmodum extrinsecus in membris ordinem actionis perturbat, sicut iam sepius memorato Salomonis testimonio comprobatum est, ubi in apostata homine

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qui leur parvient. D'autres, quand ils regardent, singeant je ne sais quel modèle, ferment un œil et ouvrent l'autre. D'autres, plus ridicules encore, parlent avec la moitié de la bouche. Il y a en outre mille grimaces, mille simagrées et frémissements des narines, mille moues et contorsions des lèvres, qui déforment la beauté du visage et la bienséance de la disàpline. Le visage en effet est le miroir de la disàpline, auquel il faut être d'autant plus attentif que le moindre défaut ne peut y être caché. Il faut donc maîtriser et modifier le visage dans ses mimiques, de sorte qu'il ne soit pas durà effrontément ni relâché mollement, mais garde toujours une ferme douceur et une douce fermeté. D'autres en marchant se servent de leurs bras comme de nageoires, et comme quelque monstre double, dans un seul et même moment, de leurs pieds, ils marchent ici-bas sur terre, et, de leurs bras, volent en l'air là-haut. Dis-moi, je te prie, quel est ce monstre88 qui, en lui-même, imite tout à la fois et la démarche d'un homme et les rames d'un navire et le vol d'un oiseau ? En citant cette fameuse moquerie du poète, il me plaît de proclamer: «Si un peintre voulait à une tête humaine ajuster le cou d'un cheval Et appliquer des plumes de diverses couleurs à des membres Pris de tous côtés, dont l'assemblage terminerait en hideux Poisson noir ce qui était par en haut une belle femme [, .. ]»89 .

Tel assurément m'apparaît ce schéma d'une peinture monstrueuse, dont les vaines images sont inventées, comme les cauchemars d'un malade, pour que ni le pied ni la tête ne soit rendu à une seule forme. Mais de peur que, d'aventure, nous ne paraissions accoucher d'une satire plutôt que d'un enseignement, alors que plusieurs points restent à énumérer, nous ne devons pas oublier ici non plus la modération. Même si peut-être, aux yeux des négligents et des indisciplinés, nous montrons mieux en nous taisant combien eux-mêmes doivent en rougir. Ils doivent pourtant savoir que c'est un seul vice qui, d'abord, intérieurement, détruit l'équilibre de 1'esprit et, ensuite, extérieurement, perturbe, dans les membres, l'ordonnance de l'action, comme il appert du témoignage déjà souvent rappelé de Salomon, où il est dit que, chez le

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prius quidem mentis auersio atque defluxio precessisse dicitur, ac postmodum confusio atque perturbatio actionis subsecuta me- 805 moratur. ln eo enim quod dicitur: «Homo apostata uir inutilis», notatur defluxio mentis; in eo autem quod dicitur: «Graditur ore peruerso, terit pede, annuit oculis, digito loquitur», demonstratur confusio actionis. Hinc etiam est illud quod dicitur in libro Ecdesiastico: «Ex uisu cognoscitur uir, et ab occursu faciei co- 810 gnoscitur sensatus. Amictus corporis et risus dentium et ingressus hominis enuntiant de illo», quia uidelicet per id quod foris siue bene siue male agitur, interior animi qualitas intuentium oculis patenter indicatur. Et idcirco oportet ut ad hanc perturbationem sedandam custodia discipline opponatur, que unumquo- 815 dque membrum ad suum officium restringat, quatinus dum alterum membrum operatur, alterum aut omnino quietum maneat, aut si forte eius opera illi necessaria esse cognoscitur, suo motu ad cooperandum illi decenter et ordinate moueatur, ita ut nichil confuse, nichil preposterum in membris corporis agatur, 820 sed ut sciat unumquodque in quo alteri debet succurrere et in quo, dum aliud mouetur, se debeat quietum custodire. Est enim quasi quedam respublica corpus humanum, in quo singulis membris sua officia distributa sunt. Dum ergo unum membrum alterius meml:rri officium inordinate sibi uendicat, quid aliud 825 quam concordiam uniuersitatis perturbat? Dumque aliud suo motu alterius motum impedit, certe illi quam natura moderatur dispositioni contradicit. Prima igitur custodia est discipline in gestu, ut unumquodque membrum in eo ad quod creatum est officio se contineat, neque 830 alterius membri ministerium sua admixtione confundat. Id est ut oculi uideant, aures audiant, nares olfaciant, os loquatur, manus operentur, pedes ambulent, quatinus neque transmutentur officia membrorum, neque inordinate permisceantur. Secunda est custodia discipline in gestu, ut unumquodque membrum id 835 quod facit eo modo atque mensura faciat quo faciendum est, id 806 Prou. 6,12

807/808 Prou. 6,12-13

810/812 Eccli 19,26-27

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renégat, la perversion de l'esprit et sa déliquescence viennent en premier lieu, et où l'on rappelle que suivent la confusion et le trouble de l'action. En ce qu'en effet il est dit: «Un renégat, un vaurien» est dénoncée la déliquescence de l'esprit, et, quand il est dit: «Il va la bouche torse, traîne les pieds, cligne de l' œil, parle avec les doigts», on désigne la confusion de l'action. De là vient aussi ce qui est dit au livre de !'Ecclésiastique: «A son air on connaît un homme, à son visage on connaît l'homme de sens. I.:habit du corps, le rire des dents, la démarche de l'homme parlent de lui». Parce que, en effet, ce qui se fait au-dehors en bien ou en mal rend évidente aux yeux des témoins la qualité intérieure de l'esprit. C'est pourquoi il faut, pour apaiser ce trouble, opposer l'observance de la discipline qui maintient chacun des membres à son devoir, de manière que, pendant qu'un membre travaille, l'autre demeure en un parfait repos, ou bien, s'il apprend qu'on a besoin de son aide, il se mette en mouvement pour coopérer comme il sied et dans l'ordre, en sorte que rien ne se fasse dans la confusion, rien à rebours dans les membres du corps, mais que chacun sache en quoi il doit porter secours à l'autre, et en quoi il doit se garder en repos pendant qu'un autre agit. En effet, le corps humain est comme une république90 , en lui chaque membre a son office propre. Par conséquent, lorsqu'un membre revendique pour lui de façon brouillonne l'office d'un autre membre, que fait-il d'autre que troubler l'harmonie de l'ensemble ? Et lorsqu'un membre en agissant fait obstacle au mouvement d'un autre, assurément il contrevient à cette disposition que la nature contrôle. La première observance de la discipline dans le geste, c'est donc que chaque membre s'en tienne à l'office pour lequel il a été fait et ne trouble pas, par ingérence, le ministère d'un autre membre. Autrement dit: que les yeux voient, les oreilles entendent, les narines sentent, la bouche parle, les mains travaillent, les pieds marchent, pour que les membres n'échangent pas leurs offices, ni ne s'immiscent de façon désordonnée en ceux d'autrui. La deuxième observance de la discipline dans le geste, c'est que chaque membre fasse ce qu'il fait de la manière et dans la mesure

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est nec plus nec minus nec aliter quam oportet faciat, quatinus in actu suo sic dirigatur et moueatur, ut in nulla unquam parte temperantie limitem aut formam honestatis excedat, hoc est, ut id paucis exemplificemus, ridere sine apertione dentium; uidere sine defixione oculorum; loqui sine extensione manuum et intentatione digitorum, sine contorsione labrorum, sine iactatione capitis, sine eleuatione supercilliorum; incedere sine modulatione gressuum, sine uentilatione brachiorum, sine gesticulatione scapularum; sedere sine diuaricatione crurum, sine alterutra su- 845 periectione pedum, sine extensione uel agitatione tibiarum, sine alterna accubitatione laterum; iacere sine disiectione membrorum. Et ut tandem de hac parte finem loquendi faciamus, gestus hominis in omni actu esse debet gratiosus sine mollitie, quietus 850 sine dissolutione, grauis sine tarditate, alacer sine inquietudine, maturus sine proteruia et sine turbulentia seuerus. Mollem gestum temperat turbidus et turbidum mollis, dissolutum procax, procacem dissolutus, citatus tardum et tardus citatum, quia inter uitia contraria medius limes uirtus est. Hec de gestu ad presentem 855 doctrinam dicta sufficiant. Si qui uero tam duri cordis fuerint ut his admonitionibus informari nequeant, illos quidem acrioribus stimulis urgeri oportet, ut quod sponte facere nolunt, faciant uel inuiti. Scio enim quam difficile sit cor malitia induratum ad formam discipline inclinare et ad speciem honestatis incuruare; 86o sed necesse est ut, dura materia cum facile ad formam non flectitur, ei et acrioris flamme incendium et mallei grauioris tunsio adhibeatur.

De dircip!ina in locutione seruanda et primo quid !oqumdum In locutione quinque res sunt obseruande, hoc est quid dicatur, cui dicatur, quomodo dicatur, quando dicatur, ubi dicatur. Quid autem dicendum sit hac primum generali distinctione

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nécessaires, c'est-à-dire qu'il ne le fasse ni plus, ni moins, ni autrement qu'il ne faut. De sorte que, dans son action, il soit mû et dirigé de manière à ne jamais excéder nulle part la limite de la modération et la forme de la probité91 • Autrement dit, pour donner brièvement quelques exemples: rire sans découvrir les dents, voir sans fixer des yeux, parler sans brandir les mains ni pointer du doigt, sans tordre les lèvres, sans hocher la tête, sans hausser les sourcils, marcher sans ondoyer des hanches, sans mouliner des bras, sans rouler des épaules, s'asseoir sans écarter les jambes, sans croiser alternativement les pieds l'un sur l'autre, sans étendre ni agiter les jambes, sans s'appuyer tantôt sur un coude tantôt sur l'autre, se coucher sans jeter les membres en tous sens92 • Et, pour en finir enfin avec cette partie, en toute action, le geste de l'homme doit être gracieux sans mollesse, calme sans relâchement, grave sans lenteur, alerte sans agitation, mature sans effronterie et sévère sans jeter le trouble. Que le geste agité tempère le mou, et le mou l'agité, que le geste impudent tempère le dissolu et le dissolu l'impudent, que le geste empressé tempère le lent et le lent }'empressé, puisque la vertu consiste dans la ligne médiane entre ces vices contraires. Que ce qui vient d'être dit du geste suffise pour l'enseignement présent. Mais si certains étaient durs de cœur au point qu?on ne puisse les instruire par ces admonitions, il faut les presser d'aiguillons plus pointus, pour qu'ils fassent, fût-ce contre leur gré, ce qu'ils ne veulent pas faire spontanément. Je sais en effet combien il est difficile de plier à la forme de la discipline un cœur endurci dans la méchanceté et de l'infléchir au respect de la probité. Mais, une matière dure n'étant pas aisée à contraindre à cette forme, il faut lui appliquer un feu à la flamme plus mordante et un coup de marteau plus lourd.

XHI. De la discipline 93à garder dans la parole, et d'abord que dire ? Quand on parle, il faut observer cinq points, à savoir: que dire, à qui, comment, quand et où le dire94 ? En premier lieu, on discerne ce qu'il faut dire par la distinction générale selon laquelle

DE INSTITimONE ut uideliœt nunquam in sermonibus disciplinatis adhibeantur. Otiosa autem sunt omnia que sunt aut noaut mhonesta, aut inutilia. lnutilia autem sunt que nec loquentibus. nec audientibus prosunt. lnhonesta sunt que uel qui loquitur, uel illius rui loquitur, uel illius de quo loquitur dignitati non conueniunt. Nociua sunt que suis sua.~ionibus animos auditorum siue ad errorem, siue ad prauitatem indurunt. Hec autem tria, id est nociua, inhonesta, inutilia, duobus modis discemi possunt, id est serundum qualitatem rerum de quibus lorutio fit, et secundum qualitatem personarum per quas, uel ad quas, uel de quibus lorutio fit. Qualitas personarum quatuor modis consideratur, id est secundum etatem, serundum scientiam, serundum officium, serundum conditionem. Serun- 88o dum etatem, quia aliud conuenit lorutionibus senum, aliud lorutionibus iuuenum. Serundum scientiam, quia aliud conuenit locutionibus sapientium, aliud lorutionibus simplicium. Serundum officium, quia aliud conuenit lorutionibus eorum qui negotia exteriora tractant, aliud lorutionibus eorum qui secretioris uite 885 quieti et studio contemplationis inuigilant. Serundum conditio· nem, quia aliud conuenit lorutionibus eorum qui sunt prelati, aliud lorutionibus eorum qui sunt subditi. Senes loqui debent de discretione bene consulendi, iuuenes de instantia benefaciendi, sapientes de mysteriis Scripturarum, simplices de exemplis bonorum operum. Hi qui exteriora tractant negotia de sollertia acquirendi; hi qui quietam uitam durunt de disciplina uiuendi. Prelati de prouisione rerum; subiecti de obedientia preceptorum. Et unusquisque qui loquitur serundum qualitatem persone sue, qualîtatem materie inquirat congruam de qua loquatur.

Sequitur ut, postquam elegerit homo quid dicat, etiam rui diligenter attendat, quia quidam •Qui

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il ne faut jamais introduire de paroles oiseuses dans des discours conformes à la discipline95 • Oiseuses sont toutes les paroles nuisibles, ou malhonnêtes ou inutiles. Sont inutiles, celles qui ne sont profitables ni à ceux qui parlent ni à ceux qui écoutent. Malhonnêtes sont les paroles qui ne conviennent à la dignité ni de celui qui parle, ni de celui à qui il parle, ni de celui dont il parle96 . Nuisibles sont les paroles dont les insinuations induisent l'esprit des auditeurs à l'erreur ou au vice. On peut discerner de deux manières ces trois sortes de paroles, à savoir les nuisibles, les malhonnêtes et les inutiles, en fonction soit de la qualité des sujets dont on parle, soit de la qualité des personnes qui parlent, à qui on parle et de qui on parle. On considère la qualité des personnes de quatre façons: selon l'âge, selon le savoir, selon la fonction, selon la condition. Selon l'âge, parce qu'un autre sujet convient aux paroles des personnes âgées, un autre à celles des jeunes. Selon le savoir, parce qu'un autre sujet convient aux paroles des savants et un autre à celles des simples. Selon la fonction, parce qu'un autre sujet convient aux paroles de ceux qui traitent des affaires extérieures, un autre à celles des personnes qui veillent au repos d'une vie plus retirée et vouée à la contemplation. Selon la condition, parce qu'un autre sujet convient aux paroles des supérieurs, un autre à celles des subordonnés. Les personnes âgées doivent parler du discernement dans l'art de conseiller; les jeunes, de l'urgence de faire le bien; ceux qui savent, des mystères des Écritures; les simples, des exemples des bonnes œuvres. Ceux qui traitent des affaires extérieures doivent parler de l'art du négoce; ceux qui mènent une vie paisible, de la discipline de vie; les supérieurs, de la dispensation des biens; les subordonnés, de l'obéissance aux commandements. Et que quiconque parle cherche un sujet de conversation approprié à sa propre personne97 •

XIV. A qui parler ? Après avoir choisi que dire, que l'on s'enquière avec soin de la personne à qui le dire. Car, de l'avis du Sage: «Celui qui adresse

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narrat uerbum non audienti, quasi qui excitat dormientem de graui somno». Et iterum: «Cum stulto ne multum loquaris, et cum insensato ne abieris». Et Salomon dicit: «Qui arguit impium generat maculam sibi. Noli arguere derisorem ne oderit te. Argue sapientem et diliget te. Da sapienti occasionem et addetur ei sapientia. Doce iustum et festinabit accipere.» Sed rursum in libro Ecdesiastico, de discretione loquendi dictum est: «Cum uiro irreligioso tracta de sanctitate, et cum iniusto de iusriria, et cum emulatore de his que emulatur; cum timido de hello, cum nego· tiatore de traiectione, cum emptore de uenditione, cum uiro liuido de gratiis agendis, cum impio de pietate, cum inhonesto de honestate, cum operario agrario de omni opere, cum operario annuali de consummatione anni, cum seruo pigro de multa operatione». Vbi intelligi datur, quod boni prauorum colloquia aliquando appetere, aliquando uitare debent. Appetere debent boni prauorum colloquia, quando et sua exhortatione illos spe· rant posse corrigi, et tantum de sua stabilitate confidunt, ut non timeant ex illorum praua suggestione corrumpi. Quando uero et illorum duritiam et suam infirmitatem considerant, expedit eis ut fugiant, ne, dum illos non ualent admonitionibus suis corrigere, paulatim incipiant ipsi ad prauitatem illorum dedinare. Cum ergo propter nostram edificationem loquimur, cum illis loquamur quorum doctrina possimus ad uirtutem instrui. Cum autem propter edificationem proximi loquimur, cum illis loquamur quos speramus per nostram exhortationem a prauitate sua posse emendari. Alioquin et sapientes uelle docere superbia est, et obstinatos corripere insipientia. Quia et iniuriosus proximo est qui meliori non exhibet reuerentiam, et iniuriosus sibi est qui non emendat, sed prouocat erga se insipientis uesaniam.

Ergo qui cum alio loquitur primum consideret utrum propter se, an propter ilium loquatur. Si propter suam utilitatem loquitur, 900/901 Ea:li.

9011904 Prou. 9;1-9

905/912 Eccli 37,12· 14

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la parole à qui ne l'écoute pas est pareil à qui réveille un homme plongé dans un profond sommeil». Et encore: «Avec un sot, parle peu, et ne t'en va pas avec un insensé». Et Salomon dit: «Qui reprend un impie s'attire la souillure. Ne reprends pas le railleur, il te haïrait. Reprends le sage, il t'aimera. Donne occasion au sage et il ajoutera à sa sagesse. Instruis le juste et il se hâtera de recevoir». Et de nouveau, au livre de l'Ecdésiastique, il est dit au sujet du discernement dans la parole: «Avec un homme irréligieux, traite de sainteté, et de justice avec l'injuste; avec l'envieux, de ce qu'il envie; de guerre, avec le timoré; d'affaires, avec le négociant; de vente, avec l'acheteur; avec l'homme jaloux, de remerciements; de piété, avec l'impie; de probité, avec le malhonnête; avec l'ouvrier agricole, de tout son travail; avec l'ouvrier saisonnier, de la fin de l'année; avec le serviteur paresseux, d'une grande tâche». Ce passage donne à comprendre que les bons doivent tantôt désirer et tantôt éviter de s'entretenir avec des hommes vicieux. Les bons doivent désirer s'entretenir avec des vicieux, quand ils espèrent, par leur exhortation, pouvoir les corriger, et quand leur confiance dans leur propre fermeté est telle qu'ils ne craignent pas d'être eux-mêmes corrompus par la mauvaise influence de ceux-ci. En revanche, quand ils considèrent la dureté des vicieux et leur propre faiblesse, il vaudrait mieux qu'ils fuient, de peur que, incapables de les corriger par leurs admonitions, eux-mêmes ne commencent peu à peu à les suivre dans leur dévoiement. Lorsque nous parlons pour notre propre édification, parlons donc avec ceux dont l'enseignement peut nous porter à la vertu. Mais, lorsque nous parlons pour édifier le prochain, parlons avec ceux que, par notre exhortation, nous espérons pouvoir corriger de leur vice98 • Autrement, vouloir instruire des sages, c'est de l'orgueil, et vouloir corriger des obstinés, c'est de la folie. Car il fait injure au prochain, celui qui ne témoigne pas de respect à qui est meilleur que lui, et il se fait injure à lui-même, celui qui, loin d'amender l'insensé, suscite contre lui son délire. Par conséquent, que celui qui adresse la parole à un autre examine d'abord s'il le fait dans son propre intérêt ou dans

DE INSTITUTIONE 80 uideat ut ille talis sit de cuius colloquio utilitas ei prouenire possit. Si propter ilium loquitur, caueat ne talis sit ille qui uel sua exhortatione non indigeat, uel ita in malo obstinatus ut exhortatione alterius corrigi non se permittat. Si ergo sic est, nunquam nisi uel ad nostram uel ad aliorum eruditionem loqui debemus, et in ipsa nostra lorutione talem discretionem seruare, ut semper studeamus et a sapientioribus discere, et minus doctos, ita dumtaxat si se doceri patiuntur, studeamus erudire. Et sicut interrogando de illo potissimum quod nos magis urget uerba facimus, sic docendo illud quod magis persone auditoris congruit proferre debemus; contra uitium quod in eo sanare rupimus, competens nostri sermonis remedium opponamus, quemadmodum supra dictum est: cum irreligioso de sanctitate, cum iniusto de iustitia, cum pigro de multa operatione colloquendum esse. Facile ergo cui sit loquendum agnoscimus, si id quod dicitur quale sit diligenter consideremus, quia id profecto unicuique magis dici conuenit, quod ad illud in quo ipse plus laborat malum sanandum consilio commodiori occurrit. Verbi gratia, quando constantiam laudare uolumus, ad pusillanimes, non ad superbos sermonem nostrum dirigere debemus, quia cum uitium superbie sub pretextu constantie nonnunquam se contegat, si ceperimus superbis laudare constantiam, dum eos ad uirtutem hortari credimus, amplius in suo uitio confirmamus. Exhortemur ergo ad constantiam timidos, ad timorem superbos, ad frugalitatem prodigos, ad liberalitatem auaros, ad humanitatem parcos, ad parcitatem gulosos, ad consilium temerarios, ad feruorem zeli tepidos, ad silentium uerbosos, ad uerbum exhortationis nimis tacitos, ad alacritatem segnes, ad mansuetudinem impatientes, ad iustitiam negligentes, ad indulgentiam crudeles, ad uerecundiam procaces, ad quietem precipites, ad prudentiam incautos, ad sollicitudinem obliuiosos, et ad modestiam inuerecundos, et omnino quicquid dicere uolumus cui dicendum sit ex ipsa prius nostri sermonis qualitate colligamus.

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l'intérêt de l'autre. S'il parle dans son propre intérêt, qu'il veille à ce que son interlocuteur soit tel qu'il puisse tirer quelque utilité de sa conversation. S'il parle dans l'intérêt de son interlocuteur, qu'il prenne garde à ce que celui-ci ne soit pas tel qu'il n'ait pas besoin de son exhortation; ou bien, qu'il ne soit pas obstiné dans le mal, au point qu'il ne se laisse pas corriger par l'exhortation d'autrui. S'il en est ainsi, nous ne devons donc jamais parler si ce n'est pour notre instruction ou pour celle des autres, et, quand nous parlons, nous devons garder un discernement tel que nous nous efforcions toujours d'apprendre des plus sages et d'instruire les moins doctes, dans la mesure du moins où ils acceptent d'être instruits. Et de même qu'en interrogeant, nous parlons surtout de ce qui nous presse davantage, de même, en enseignant, nous devons dire ce qui convient davantage à la personne del' auditeur et opposer au vice que nous désirons guérir en lui le remède adéquat de notre parole, comme on a dit ci-dessus: il faut parler de sainteté avec l'homme sans religion, de justice à l'injuste, d'un grand travail au paresseux. Reconnaître à qui il faut parler nous est aisé dès lors que nous examinons avec soin la nature de ce qui est dit; nul doute en effet qu'il convient de dire à chacun plutôt ce quis' oppose au mal dont il souffre le plus et qu'un conseil bien approprié doit guérir. Ainsi, voulons-nous louer la constance ? adressons-nous à des gens pusillanimes, non à des orgueilleux; comme en effet le vice d'orgueil se dissimule parfois sous couleur de constance, si nous nous mettons à louer la constance devant des orgueilleux, croyant les exhorter à la vertu, nous les confirmons davantage dans leur vice. Exhortons donc les timides à la constance, les orgueilleux à la crainte, les prodigues à la parcimonie, les avares à la générosité, les économes à l'humanité, les gloutons à la frugalité, les téméraires à la réflexion, les tièdes à un zèle fervent, les bavards au silence, les taciturnes invétérés à la parole d'exhortation, les mous à l'entrain, les impatients à la mansuétude, les négligents à la justice, les cruels à l'indulgence, les effrontés à la vergogne, les impulsifs au calme, les têtes en l'air à la prudence, les distraits à l'attention, les impudents à la modestie, et, en tout ce que nous voulons dire, tirons d'abord de la qualité même de notre parole à qui il faut le dire.

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Vbi !oquendum Sequitur tertia discretio loquendi, ut, cum aliquid dicere uolumus, prius ubi illud dici conueniat consideremus. Nam que- 965 dam sunt loca in quibus perpetuum silentium seruandum est. Quedam uero, in quibus humanos sermones, id est confabulationes ad alterutrum edere non licet, exceptis his uerbis quibus homo cum Deo et ad Deum loquitur, quando uel in orationibus, uel in lectionibus, siue in hymnis et canticis manifeste uel occulte 970 prolatis Deo famulatur. Vnde et beatus Augustinus in oratorio nichil agendum esse dicit, preter id ad quod factum est. Sunt item alia loca in quibus pro disciplina et instructione morum uerba habenda sunt. Quedam iterum in quibus de intelligentia et expositione Scripturarum collationes, cum disciplina tamen et 975 reuerentia, hoc est sine contentione et damore et qualibet turpitudine uerborum haberi possunt. Postremo sunt alia loca in quibus magis loquendi licencia laxatur, ita ut non solum de spiritualibus rebus, sed etiam de exteriorum dispositione ac prouisione sermones admittantur. Loca in quibus uana et super- 980 flua dici debeant inuenire non possum. Neque igitur in diuinis et sacris locis confabulationes inducere, neque in illis locis ubi de disciplina agendum est questiones aut contentiones uerborum uentilare, neque in illis ubi de intelligentia diuinarum Scripturarum tractandum est exteriora negotia admiscere debemus, nec ea 985 que sunt pluribus dicenda in occulto edere, nec ea que sunt paucis reuelanda in manifesto propalare.

QJ,tando tacendum et quando !oquendum Quarta loquendi discretio est quando quid dicendum sit attendere. Est tempus quando nichil, et est tempus quando 990 aliquid dicendum est; nullum uero tempus est quando dicenda sunt omnia. Tempus est quando nichil dicendum est, quia «tem-

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XV. Où parler ? Voici le troisième critère de la parole; lorsque nous voulons dire quelque chose, examinons d'abord où il convient que nous le disions. Car il y a des lieux où il faut garder un silence perpétuel. Par contre il en est d'autres, où il n'est pas permis de tenir des discours humains, c'est-à-dire des conversations où l'on échange des propos, mais seulement ces paroles par lesquelles l'homme parle avec Dieu et à Dieu, quand il rend un culte à Dieu par des prières ou des lectures, en chantant des hymnes et des cantiques en public ou en particulier. C'est pourquoi le bienheureux Augustin dit qu'il ne faut rien faire, dans l'oratoire, que ce pour quoi il est fait99 • Il y a de même d'autres lieux, où il faut parler en faveur de la discipline et pour l'éducation des mœurs. D'autres encore où peuvent se tenir des conférences, expliquant et commentant les Écritures, avec toutefois discipline et respect, c'est-à-dire sans dispute, ni cri, ni quelque parole indécente que ce soit. Enfin il y a d'autres lieux où l'autorisation de parler est plus largement accordée et où l'on permet des conversations non seulement sur des sujets spirituels, mais aussi sur l'organisation et l'admiQistration des affaires extérieures 100• Quant à un lieu destiné aux paroles vaines et superflues 101, je n'en trouve pas. Par conséquent, nous ne devons pas introduire de conversations dans les lieux divins et sacrés, ni soulever des questions et des querelles de mots dans les lieux où se donne l'enseignement, ni mêler les affaires extérieures à des lieux où l'on doit traiter de l'intelligence des divines Écritures, ni exprimer en secret ce qu'il faut dire au grand nombre, ni divulguer en public ce qu'il ne faut confier qu'à quelques-uns.

XVI. Quand se taire? Quand parler? Le quatrième critère pour la parole consiste à se demander: quand faut-il dire quelque chose ? Il y a un temps pour ne rien dire 102 et il y a un temps pour dire quelque chose. Mais il n'y a pas de temps où l'on doive tout dire. Il y a un temps où il ne faut rien dire, parce que «c'est le moment de se taire», et un temps où

DE INSTITUTIONE 84 pus tacendi», et tempus quando aliquid, quia «tempus loquendi»; tempus uero quando omnia nunquam, quia sicut Salomon ait: «Mala aurea in lectis argenteis qui loquitur uerbum in tempore suo». Habet igitur omne uerbum tempus suum quando proferri debeat, et tempus quando taceri. Quando autem loquendum sit, melius ostendimus si prius quando tacendum sit demonstremus. Tempus enim tacendi tempus loquendi debet precedere, quia prius per silentium tempore tacendi discitur, quod postea per uerbum tempore loquendi proferatur. Propterea non ait Salomon: «Tempus loquendi et tempus tacendi», sed: «Tempus tacendi et tempus loquendi», quia prius, sicut dictum est, in silentio forma loquendi sumitur, que postmodum tempore loquendi in uoce teneatur. Aliquando tacere debemus propterea quod alter prior loqui cepit, ne forte si sermonem eius uerborum nostrorum prolatione interrumpimus, et eum qui loquitur et eos qui audiunt pariter offendamus. Aliquando tacendum est, propterea quia ad id quod dicere uolumus animos auditorum paratos adhuc non esse consideramus. Aliquando tacendum est, propter multiloquium uitandum, uel etiam propterea quod ipsi qui locuturi sumus nondum apud nosmetipsos congruam loquendi formam inuenimus, quia profecto animus auditorum magis offenditur, si sermo qui edificare debet confusus et inordinatus proferatur. Aliquando tacendum est, propterea quod hi qui presentes habentur nequaquam tales sunt ad quos uerbum debeamus facere, quod duobus modis fieri potest, scilicet dum uel reuerentia dignitati persone impenditur, uel malitia incorrigibilis atque ideo indigna admonitione existimatur.

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Singula hec exemplis Scripturarum probare possumus, quia non uno, sed multis singula queque confirmari Scripturarum testimoniis inuenimus. Quod sermonem eorum qui priores nobis loqui ceperant non debeamus interrumpere, sed semper loquentes alios, et precipue eos qui utilia et recta loquuntur,

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995/996 Prou. 25,11

1002/1003 Eccle 3,7

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il faut dire quelque chose, parce que «c'est le moment de parler». Mais ce n'est jamais le temps de tout dire, parce que, comme le dit Salomon: «Des pommes d'or sur des lits d'argent, tel celui qui prononce une parole au bon moment». Il y a pour toute parole un moment pour la dire et un autre pour la taire. Mais nous montrerons mieux quand il faut parler, si nous indiquons d'abord quand il faut se taire. Le moment de se taire doit en effet précéder le moment de parler, car c'est par le silence au moment de se taire qu'on apprend ce qu'on peut ensuite exprimer par la parole au moment de parler. C'est pourquoi Salomon ne dit pas: «Un temps pour parler et un temps pour se taire», mais: «Un temps pour se taire et un temps pour parler», parce que, comme on l'a dit, c'est d'abord dans le silence que prend forme la parole, qui, ensuite, au moment de parler, est contenue dans la voix. Parfois nous devons nous taire parce qu'un autre a commencé à parler avant nous, et pour ne pas risquer, si nous interrompions son discours en proférant nos paroles, d'offenser également celui qui parle et ceux qui écoutent. Parfois il faut se taire parce que nous remarquons que les esprits des auditeurs ne sont pas encore prêts à entendre ce que nous voulons dire. Parfois il faut se taire pour éviter le bavardage, ou même parce que, sur le point de parler, nous n'avons pas encore trouvé en nous-mêmes la forme adaptée, car, assurément, l'esprit des auditeurs serait plutôt offensé, si le discours qui devrait les édifier est exprimé dans la confusion et le désordre. Parfois il faut se taire parce que les personnes présentes ne sont en aucune façon des auditeurs à qui nous devions adresser la parole, ce qui peut arriver de deux manières: quand on marque du respect envers la dignité de la personne 103, ou quand on estime sa méchanceté incorrigible et par là indigne d'être blâmée 104• Nous pouvons étayer chacun de ces cas par des exemples tirés des Écritures, car nous trouvons dans les Écritures non pas un seul mais de nombreux témoignages pour confirmer chacune de nos propositions. Que nous ne devions pas interrompre le discours de ceux qui avaient commencé à parler avant nous, mais supporter et attendre, avec respect et par souci de discipline, ceux

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propter custodiam discipline reuerenter sustinere atque exspectare, sanctus lob nobis ostendit, qui, cum de sua disciplina et de aliorum erga se reuerentia loqueretur, inter cetera sic ait: «Qui me audiebant exspectabant scientiam meam et intenti tacebant ad consilium meum. Verbis meis nichil addere audebant et super illos stillabat eloquium meum». Item sepe propter infirmitatem auditorum tacendum esse Dominus suo exemplo docet, qui, cum apostolos adhuc imbecilles et ad sublimioris doctrine eruditionem impares aspiceret, ait: «Adhuc multa habeo uobis dicere, sed non potestis portare modo». Item aliquando tacendum esse propter precipitationem loquendi uitandam Salomon in Prouerbiis ostendit dicens: «ln multiloquio peccatum non deerit, qui autem moderatur labia sua prudentissimus est». Item: «Labia iusti considerant placita et os impiorum peruersa». Item: «Qui prius respondet quam audiat stultum se esse demonstrat et confusione dignissimum». Item in libro Ecclesiastico: «Ne uentiles te in omnem uentum et non eas in omni uia; sic enim peccator probatur in duplici lingua». «Esto mansuetus ad audiendum uerbum Dei, ut intelligas et cum omni sapientia proferas responsum uerum. Si est tibi intellectus responde proximo, sin autem sit man us tua super os tuum, ne capiaris in uerbo indisciplinato». Item sepe propter reuerentiam persone tacendum esse in eodem demonstratur cum dicitur: «Priusquam interroges ne uituperes quemquam, et cum interrogaueris corripe iuste. Priusquam audias ne respondeas uerbum, et in medio seniorum ne adicias loqui». Item sepe propter malitiam auditorum tacendum esse Salomon docet dicens: «ln auribus insipientium ne loquaris, quia despicient doctrinam eloquii tui». Item: «Ne contendas cum pessimis et ne emuleris impios». Item: «Vir sapiens, si cum stulto contenderit, siue irascatur, siue rideat, non inueniet requiem».

1028/1031 lob 29,21-22 1034/1035 lob. 16,12 1038/1039 Prou. 10,32 1039/1041 Prou. 18,13 1043/1046 Eccli 5,13-14 1048/1051 Eccli 11,7-8 1053/1054 Prou. 24,19 1054/1055 Prou. 29,9

1037/1038 Prou. 10,19 104111043 Eccli 5,11 1052/1053 Prou. 23,9

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qui parlent, et surtout ceux qui disent des choses utiles et justes, le saint homme Job nous l'a montré, lui qui, parlant de sa discipline et du respect des autres à son égard, dit, entre autres choses, ceci: «Ceux qui m'écoutaient attendaient mon instruction, et, silencieux, écoutaient attentivement mon avis. A mes paroles, ils n'osaient rien ajouter, et, sur eux, goutte à goutte, tombait mon discours». De même, à plusieurs reprises, le Seigneur enseigne par son exemple qu'il faut se taire à cause de la faiblesse des auditeurs. Comme il voyait les apôtres encore fragiles et inaptes à recevoir un enseignement plus élevé, il dit: , Enarr. in Psalmos 102, 10, éd. E. Dekkers l. Fraipont, Turnhout, 1956, (CCSL 40), p. 1460, et «... intelligamus quod Dominus et Deus noster non uoluntatem nostra.m sibi uelit innotescere, quarn non potest ignorare, sed exerceri in orationibus desiderium nostrum, quo possimus capere quod praeparat dare• Epist. 130 ad Probam 17 (8), éd. A. Goldbacher, Wien, 1904, p. 59 ( CSEL 44) =PL 33, 502; c( De sermone Domini in monte, 2, 14 (3 ), Sermo 56, 4 ( 4). 51. Il s'agit toujours de l'objection présentée plus haut (10): certains voudraient exclure de la prière tous les textes qui ne constituent pas une demande explicite {la postulatio, c( 8 ), c'est-à-dire la supplicatio (7) et l' insinuatio (9 ). 52. La captatio consiste à s'attirer la bienveillance de celui dont on veut obtenir quelque chose. Elle peut donc, en un sens étroit, constituer une prière préalable, sans demande, mais qui prépare une prière de demande, et c'est en ce sens que Hugues en avait fait une espèce de la supplicatio. En un sens plus large, on peut aussi •capter» la bienveillance divine par une demande formelle (postttlatio) ou par un discours dans lequel la demande serait sous-entendue (insinttalio ), par exemple en insérant dans la demande l'une des invocations citées plus haut (7): •ma miséricorde, mon refuge•, etc. 53. Hugues reprend les trois sortes de captationes énumérées plus haut (7): louer Dieu, montrer notre misère et dénigrer notre adversaire; elles correspondent en effet aux trois principales sortes d'affictus de la prière. C'est elles encore qu'un peu plus loin Hugues subdivise en neuf affictus (14). 54. Il peut s'agir des textes scripturaires autres que les psaumes, qui sont chantés comme cantiques dans l'office des heures, si l'on entend que Hugues limite son propos à la prière liturgique; si l'on estime qu'il pense également à l'utilisation des Écritures pour la prière personnelle, il peut s'agir de tout passage biblique. 55. Hugues donne ici le résumé de son enseignement sur la prière à partir des Écritures: - reconnaître l'afficttlS exprimé dans le texte choisi, - intérioriser cet affictus en le suscitant dans son propre cœur. La Règle de saint Augustin recommande de même d'accorder les pensées du cœur au paroles des psaumes qu'on chante, Praeceptum, 2, 3, éd. L. Verheijen, La Règle de saint Augustin, t. 1, p. 421. La prière vocale exige un effort d'attention, de recueillement et d'intériorisation souligné par Augustin, Epist. 130 ad Probam 10, éd. A. Goldbacher, Wien, 1904, p. 61-64 {CSEL 44) =PL 33, 502.

NITTES

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56. Cf. «Et si orat psalmus, orate; et si gemit, gemite; et si gratulatur, gaudete; et si sperat, sperate; et si timet, timete», Aug., Enarr in Psalmos. 30, enarr 2, sermo 3, par. 1, éd. E. Dekkers - J. Fraipont, 1856 (CCSL 38), p. 213. Prier ainsi les Écritures revient à se laisser entraîner dans une sorte de mouvement en spirale, des mots à l'affictus et de l'affictus aux mots, de la ferveur à l'intelligence et de l'intelligence à la ferveur. En effet, celui qui ressent en son cœur le sentiment exprimé dans les paroles de !'Écriture découvre mieux la force de celles-ci et en acquiert une meilleure compréhension; en retour, cette meilleure compréhension attise la ferveur de ses sentiments envers Dieu. 57. Le raisonnement est fondé sur un argument a fortiori dont l'exemple est fourni par certaines paraboles évangéliques, comme celle de l'intendant malhonnête, ou bien, à propos de la prière, celle de l'ami importun. 58. Bien qu'il n'aime pas abuser de la satire, Hugues excelle à croquer plaisamment les travers de ses semblables (cf. De institutione nouitiorum, p. 52, 68-70, 92-98). Reprenant le reproche d'hypocrisie, implicite dans l'objection faite à la prière à partir des psaumes, il le récupère à son profit: tout blâmables qu'ils sont de vouloir paraître ce qu'ils ne sont pas, les hypocrites rendent, à leur manière, hommage à l'attitude qu'ils contrefont; car ils ne chercheraient pas tant à simuler bassement les sentiments dont ils sont dépourvus, s'il n'était honorable de les éprouver réellement. tensemble du passage renvoie aux déplacements royaux, auxquels les Vîctorins devaient sans doute assister de temps à autre, étant donné l'emplacement de leur abbaye et ses rapports étroits avec les Capétiens. Sur un autre plan, il peut aussi faire allusion aux cérémonies liturgiques: procession, oraisons, lecture des Écritures, homélie, profession de foi ... En effet, dans le De uirtute orandi, Hugues semble avoir surtout en vue la prière liturgique et communautaire. 59. Avant Hugues, Alcuin s'est préoccupé dans son De usu psalmorum de distinguer les psaumes selon les sentiments qu'ils expriment. Toutefois, son approche est plus «utilitaire»: Alcuin se propose d'indiquer les psaumes les plus adaptés à telle ou telle situation, comme la préparation à la confession, le recours à Dieu contre les tentations, etc. (De usu psalmorum, éd. PL 101, 465-469). 60. «Quis uero possit diuersitates et causas ipsas atque origines conpunctionum quantalibet experientia praeditus sufficienter exponere, quibus inflammata mens atque succensa ad orationes puras ac feruentissimas incitatur ?»,Jean Cassien, Con/. 9, 26, éd. E. Pichery, Paris, 1958 (SC 54), p. 72. 61. Cf. «Anima nostra ... debet esse ... sacerdos ... quia Deo iugiter offerre debet deuotionem suam», ln Thren., éd. PL 175, 8760.

De laude caritatis

INTRODUCTION

I.:un des faits majeurs de la littérature générale du xne siècle est sans doute l'éclosion du thème de l'amour: en témoignent, dans la littérature profane, l'influence d'Ovide 1 ou du De amicitia de Cicéron et le succès de l'idéal courtois 2 • La littérature sacrée n'échappe pas à cette tendance générale, que d'ailleurs elle contribua sans doute à préparer: on sait la place qu'occupe la charité dans la spiritualité cistercienne, en particulier chez Bernard de Clairvaux3, Guillaume de Saint-Thierry4, Aelred de Rievaulx 5• A Saint-Victor aussi l'amour est honoré: Richard en fait le pivot de sa spiritualité, ainsi que de ses raisonnements sur la Trinité; il lui consacre notamment son traité Sur les quatre degrés dt la violente charittf. Auparavant, Hugues lui-même a beaucoup écrit sur l'amour. Outre ce De latitk caritatif, il lui a consacré un opuscule De substantia dilectionis7, ainsi que la majeure partie du livre II, 13 du De sacramenti.f; à cela s'ajoutent deux ouvrages centrés sur l'amour de l'Époux divin et de l'âme: l'Eulogium sponsi etsponse et le De arrha anime. 1 2

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J. Ledercq, «Un autre maître en lart d'aimer: Ovide», dans Eamour vu par les moioo au Xll siècle, Paris, 1983, en particulier p. 69·93. C( D. de Rougemont, Lamour et l'Occident, Paris, 1956 (2e éd.) et). Leclercq, I'.amour vu par les moines au Xlf Paris, 1983, en particulier le premier chapitre: «Nouveau recrutement, nouvelle psychologie», p. 15·34. Epi.stola de caritalf ad Carthusianos, repris à l~ fin du De diligend; Deo, éd. J. Leclercq-H. Rochais, t. 3,_ Roma, 1963; c( E. Gilson, La t6iologie mystique ck saint Bernard, Paris, 1986 (Etudes de philosophie médiévale, 20). De natura et dignilate ammir, éd. M.-M. Davy, Guillaume de Saint-Thierry, Deux traitiJ ck l'amour de Dieu, Paris, 1953, p. 33-66. Speculum caritatis, Compendium speculi caritatir, De spiritali amicitia, éd. A. Hoste - C.H. Talbot - G. Raciti, Turnhout, 1971 ( CCCM, 1), p. 1-161. Éd. et trad. G. Dumeige, Les quatre ckgréJ ck la violente charité, Paris, 195 5 (Textes philosophiques du Moyen Age, 3); cf. G. Dumeige, Richard de Saint-Victor et l'idée chrétienne ck l'amour, Paris, 1952 (Bibliothèque de philosophie contemporaine). Éd. R. Baron, Six opuscules spirituels {SC 55), p. 82·93 =PL 175, 15· 18. De sacr. 2, 13: De uitiis et uirtutibus, ch. 3, 6· 12, éd. PL 176, 521550.

DE LAUDE CARITATIS

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Date Damien Van den Eynde a proposé de placer la composition du De laude caritatis avant celle du De substantia dilectionis et de la sentence Vïta cordis amor est (Mise. 1, 171, éd. PL 177, 563-565), en se fondant sur la première phrase du De laude caritatis: «Tarn multos iam laudatores caritas habuisse cognoscitur, ut si quid ego in laudem eius dicere cepero, presumptio fortassis magis quam deuotio uideatur». D'après lui, cette phrase «nous montre Hugues appréhensif de "commencer" après tant d'autres à chanter les louanges de la charité». Le De laude caritatis serait donc le «premier des écrits dans lesquels Hugues développe ses idées sur ce qu'il appelle indifféremment amor ou caritas>> 9• Cette interprétation nous paraît contestable, ainsi que la datation qui en résulte. D'abord, il n'est pas vrai qu'amor et caritas soient pour Hugues des termes interchangeables. Pour lui, le De substantia dilectionis lui-même nous l'apprend, l'amour est comme une source qui se divise en deux cours: l'amour du monde, c'est-à-dire la cupidité, et l'amour de Dieu, c'est-à-dire la charité10 • La charité n'est donc pas l'amour, elle n'en est qu'une forme parmi d'autres, la plus haute en l'occurrence. Les deux ouvrages n'ont donc pas exactement le même sujet. De plus, ces deux sujets ne sont pas traités de la même manière. Le De laude caritatis consiste en un éloge, dans la tradition des panégyriques anciens, tandis que le De substantia dilectionis procède à une analyse. Or, ce qui est en question dans la proposition qu'introduit le verbe cepero, c'est précisément de louer la charité: «si quid ego in laudem eius [= caritatis] dicere cepero». Le propos de Hugues, tel qu'il est ici décrit, est donc bien trop précis pour convenir à d'autres ouvrages qu'au De laude caritatis et l'on ne peut se fonder sur cepero pour le dater par rapport à d'autres œuvres du Victorin. Il faut donc entendre cepero d'une autre façon. Or, le mot apparaît dans la première phrase du traité. Lexplication la plus

9 10

D. Van den Eynde, Essai, p. 165. éd. PL 176, 45A.

177 INTRODUCTION naturelle est donc qu'il annonce un début, non pas dans la production littéraire du Victorin en général, mais dans le De laude caritatis. En somme, l'auteur annonce tout simplement qu'il va commencer son ouvrage. A ce sens de «débuter» s'ajoute d'ailleurs la nuance d'«entreprendre», d'«essayer»: Hugues est si peu sûr de louer dignement la charité qu'un peu plus loin il avoue sa crainte d'être taxé de présomption et qu'à plusieurs reprises il confesse son impuissance: "quibus ualui uerbis» (1); «Ü caritas, laudaui te quantum potui» ( 13 ); «Certe, post tanta priorum preconia, nichil de te dicere mea paruitas praesumeret ... » ( 16). Il est vrai que Hugues lui-même paraît s'insérer dans une perspective de chronologie littéraire lorsqu'il situe son ouvrage à la suite d'autres éloges de la charité: «ceux qui ont chanté la gloire de la charité sont déjà si nombreux ... »;et c'est sans doute ce qui a pu conduire Van den Eynde à comprendre cepero au sens de «se mettre pour la première fois». Toutefois, la suite du texte le montre clairement: la louange dont il est question est celle des martyrs et des confesseurs: «Y.a-t-il en effet un saint depuis le commencement du monde, qui ne nous ait fait l'éloge de la charité par sa parole ou ses actes ?» Hugues ne range donc pas son ouvrage dam l'histoire littéraire, au chapitre des écrivains spirituels qui ont traité de la charité; il s'insère lui-même dans l'histoire sainte, et il compare avec appréhension son projet avec le témoignage de tous ceux qui ont loué la charité par leur vie et par leur sang. Quant à la date du traité, mieux vaut admettre qu'elle nous est inconnue.

Plan Le plan de l'ouvrage n'est pas aussi marqué que dans les traités précédents. D'un bout à l'autre, le sujet unique, à savoir l'éloge de la charité, fait l'objet de variations subtiles. Les thèmes vont et viennent en se transformant à chaque nouvelle apparition: la route, l'exemple des saints, l'impossibilité de parler dignement de la charité. Alternant le lyrisme et la sobriété, l'auteur imprime à son ouvrage une progression continue dans la louange. Variant les interlocuteurs, ils' adresse tantôt à son propre

DE LAUDE CARITATIS cœur, tantôt à l'homme, tantôt à la charité elle-même. Loin des ouvrages pédagogiques, à la charpente aussi visible que subtile, le De laude caritatis paraît d'abord une pure effusion du cœur. Toutefois, à bien y regarder, plusieurs indices concordants suggèrent une articulation discrète mais bien réelle. A plusieurs reprises, à la manière d'un refrain, le texte fait retour sur Hugues lui-même:« ... si j'entreprends de dire quelque chose à sa gloire, peut-être paraîtrai-je montrer plus de présomption que de dévotion ... » (1), «Ô charité, que dirai-je de toi, et comment te loueraije ?... » (5), «Que pourrai-je dire encore de toi, charité ?... » (9),