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Elie Scheid
MÉMOIRES SUR LES COLONIES JUIVES ET LES VOYAGES EN PALESTINE ET EN SYRIE DU PREMIER OCTOBRE 1883 À LA FIN 1899 Présentés et édités par Simon Schwarzfuchs Collection de la Revue des Études juives
Peeters Paris-Louvain 2020
MÉMOIRES SUR LES COLONIES JUIVES ET LES VOYAGES EN PALESTINE ET EN SYRIE DU PREMIER OCTOBRE 1883 À LA FIN 1899
Société des Études juives Collection de la Revue des Études juives dirigée par José Costa, Alessandro Guetta et Max Polonovski Comité éditorial José COSTA, Danielle DELMAIRE, Sylvie-Anne GOLDBERG, Alessandro GUETTA, Mireille HADAS-LEBEL, Danièle IANCU-AGOU, André LEMAIRE, Gérard NAHON, Max POLONOVSKI, Jean-Pierre ROTHSCHILD, Daniel TOLLET Volume 59
Elie Scheid
MÉMOIRES SUR LES COLONIES JUIVES ET LES VOYAGES EN PALESTINE ET EN SYRIE DU PREMIER OCTOBRE 1883 À LA FIN 1899 Présentés et édités par Simon Schwarzfuchs
Collection de la Revue des Études juives dirigée par José Costa, Alessandro Guetta et Max Polonovski
Peeters Paris-Louvain-Bristol, CT 2020
A catalogue record for this book is available from the Library of Congress.
ISBN 978-90-429-4029-1 eISBN 978-90-429-4030-7 D/2020/0602/105 © 2020 – PEETERS, Bondgenotenlaan 153, 3000 Leuven, Belgium
INTRODUCTION
A partir de l’année 1881 une vague de pogroms frappa les communautés juives du Sud de la Russie. Ces « tempêtes du Sud » (Isaïe 21:1) persuadèrent une grande partie de la population juive que les espoirs qu’ils avaient pu placer jusque-là dans une future amélioration de leur sort sur place étaient vains. La détérioration continuelle des conditions économiques et l’explosion démographique qui l’accompagnait avaient déjà provoqué de premiers départs. Ce qui mit en route les masses juives de l’Europe Orientale, qui n’avaient pas été épargnées par les violences locales et l’hostilité déclarée des tsars et autres instances gouvernantes, fut le sentiment de plus en plus généralisé qu’elles ne pouvaient plus se raccrocher à l’espoir vain d’un avenir moins agité au sein de l’Empire russe. La conviction que la seule issue résidait dans l’émigration ne fit que se renforcer. Quelques deux millions de Juifs participèrent à la grande vague d’émigration de Russie qui déferla vers le Nouveau Monde. Un modeste filet refusa cependant de s’y joindre et résolut de se diriger vers la Terre Sainte. La plus grande partie de ce courant, fidèle à ses convictions religieuses, et peut-être aussi à ses espoirs messianiques, s’installa dans la ville sainte de Jérusalem, qui vit sa population doubler et peut-être même plus entre 1882 et 1900. Sans doute convient-il de se méfier des résultats des rares recensements officiels contemporains qui nous sont parvenus et accorder une confiance réduite aux impressions des voyageurs qui parcoururent la Terre Sainte au cours de ces décennies, mais il est établi que la population juive de Jérusalem y était devenue majoritaire au tournant du XXe siècle. Beaucoup d’autres firent partie de la mouvance du mouvement des H’ovevé Tsiyon, des Amants de Sion, qui avaient essaimé en Russie et en Roumanie vers la fin des années 70. Ces groupements se proposaient d’encourager l’immigration en Palestine – ils se servirent aussi du nom Syrie –, et d’y acheter les terres qui permettraient le renouveau de la colonisation juive. Le réveil du sentiment national au sein des peuples asservis en Europe ne fut pas sans influencer ce mouvement, qui se proposait de favoriser le réveil de la nation juive. Les représentants de trente deux associations de Hovevei Tsiyon se réunirent 11 janvier 1882 dans la ville roumaine de Focşani. Ils y établirent le Conseil central pour la colonisation de la Terre d’Israël et de la Syrie, dont le siège fut fixé à Galats (Galatz), important centre portuaire situé sur le Danube et siège d’une grande communauté juive, située à environ 130 kms de la Mer Noire. C’est du port de Galats que sortiront les bateaux qui transportèrent les premiers colons vers la Palestine.
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Un deuxième congrès bien plus important devait accorder une consécration définitive à l’organisation des Hovevei Tsiyon. Il se réunit à Kattowitz, alors partie de la Silésie allemande, à partir du 6 novembre 1884. Trente six organisations y furent représentées, qui venaient presque toutes d’Europe Orientale. Il convient cependant de remarquer qu’on y rencontra également des délégués venus de Londres et de Paris, probablement des originaires d’Europe Orientale désormais installés dans les métropoles occidentales. Cette conférence avait été organisée dans le but de sauver ce qui restait de l’entreprise des Hovevei Tsiyon, qui avait débuté dans l’enthousiasme des premiers départs de colons pour la Terre Sainte et qui était en train de tourner à la catastrophe. Quelques centaines de colons avaient pris la route, acheté des terres et jeté les fondations de plusieurs colonies qui deviendront les agglomérations de Rishon LeZion, Gederah, Rosh Pinah et Zikhron Jacob. Les fonds furent rapidement épuisés et la naïveté des colons fit le reste : ils s’étaient en effet lancés dans la colonisation sans la moindre expérience de l’agriculture et des problèmes qu’elle ne manquerait pas de rencontrer dans les pays chauds. Ils n’avaient pas songé un instant qu’il fallait se préparer à les affronter. Le miel et le lait couleraient naturellement dans le pays de la Bible ! La misère vint rapidement et les congressistes de Kattowitz, qu’ils avaient appelé à leur aide, se virent contraints de réfléchir aux solutions susceptibles de leur venir en aide. On résolut de procéder à un appel de fonds et d’envoyer une mission en Palestine pour examiner la situation sur place. Tout cela n’alla pas très loin. Un heureux concours de circonstances avait déjà permis d’orienter la solution de ce problème vers une voie différente. Emmanuel Félix Veneziani, Juif livournais établi à Paris (1825-1889), proche du baron Maurice de Hirsch, était devenu en 1883 membre du Comité Central de l’Alliance Israélite Universelle. La première mission qu’il remplit la même année pour cette organisation fut l’inspection des écoles qu’elle avait établies pour les enfants juifs de Syrie et de Palestine. C’est ainsi qu’il débarqua à Haïfa, où il fut témoin de l’atroce misère des colons venus de Roumanie, dont les tentatives de colonisation agricole s’étaient soldés par un échec total : c’étaient des squelettes ambulants qui mouraient littéralement de faim ! Il reçut alors une autre délégation de colons roumains venus implorer un secours. Un peu plus tard, lors de son arrivée à Jaffa, il rencontra un groupe de Juifs russes, qui en étaient arrivés au même point. De retour à Paris, il s’empressa d’en parler au baron de Hirsch, lequel opposa un refus catégorique à toutes les demandes qui lui furent adressées : il patronnait l’émigration juive de Russie vers les Amériques et restait opposé à l’immigration en Terre Sainte. Veneziani n’abandonna pas la partie pour autant et décida de faire une tentative supplémentaire auprès du baron Edmond de Rothschild (1845-1934). Celui-ci n’avait pas fait preuve
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d’un intérêt particulier pour le monde des affaires et la banque. Il s’était intéressé davantage à celui des arts et à la philanthropie. C’est ainsi qu’il était devenu le président très actif du Comité de Bienfaisance Israélite de Paris. Il était éloigné des projets de colonisation de la Terre Sainte et se contentait de contribuer au maintien des communautés traditionnelles existantes. Veneziani sut-il être particulièrement éloquent et réussit-il à l’intéresser au sort des malheureux qu’il était venu défendre ? Ce qui est certain, c’est que le baron décida très rapidement d’étudier le problème qui venait de lui être soumis. C’est ainsi qu’entra en scène Elie Scheid, qui était devenu depuis quelques mois à peine le nouveau secrétaire général du Comité de Bienfaisance Israélite de Paris. Né à Haguenau le 25 octobre 1841, il fut un des trois survivants des douze enfants issus des deux mariages de son père. Il commença ses études à l’école primaire israélite de Haguenau, où il se fit bientôt remarquer par le haut niveau de ses résultats. Son père avait résolu de le mettre au travail dès la fin de ce premier cycle scolaire, mais son maître parvint à le convaincre qu’il avait mieux à faire en poursuivant ses études. C’est ainsi qu’il entra comme élève dans le collège local et qu’il y obtint rapidement une bourse d’études. Cet établissement n’était pas ouvert aux seuls élèves juifs et c’est là qu’il entra en contact avec un monde qu’il ne connaissait pas et qui ne connaissait pas non plus la sainteté du Sabbat. Comme ses condisciples juifs il n’y vint pas le samedi et passa une bonne partie du dimanche à se mettre au courant auprès de ses condisciples nonjuifs. Il devait déclarer plus tard qu’il n’avait jamais ressenti la moindre pointe d’antisémitisme au cours de ses années de collège. Il y poursuivit donc le cours normal de ses études, auquel s’ajoutait en fin de journée un cours de Talmud quotidien de deux heures dispensé par un maître local, puis par le rabbin de la communauté. Il soupçonnait ses parents de le destiner à une carrière rabbinique, ce qui était loin de l’enthousiasmer. La mort de son père – il était âgé de quatre-vingt neuf ans – survenue au mois de février 1858, devait bouleverser la vie de l’élève du collège qu’il était. Il n’avait pas encore 17 ans lorsqu’il se rendit compte qu’il lui fallait interrompre ses études secondaires et qu’il ne pouvait plus penser à des études supérieures. Il savait également qu’il ne voulait pas d’une carrière de maître ou de rabbin, mais qu’il devait venir en aide à sa mère au plus tôt. C’est ainsi qu’il résolut d’embrasser le métier de comptable, dans lequel il fit ses débuts en 1860. Il ne devait pas renoncer pour autant aux activités communautaires. Lors du décès de sa mère, il fut très choqué par la conduite de la Hevra Kadisha, la confrérie du dernier devoir de Haguenau, lorsque les porteurs de cercueil furent défaillants, il avait alors créée une nouvelle Hevra Kadisha, dont le fonctionnement reposerait uniquement sur le volontariat. Les deux
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Hevrot devaient fusionner en fin de compte. Scheid avait montré dans ces circonstances qu’il considérait les activités communautaires comme essentielles, et qu’il était tout prêt à s’y lancer. Il s’adonnait en même temps à son métier de comptable auprès d’employeurs, qui étaient tous, semble-t-il, juifs. Par la suite il se lança dans le commerce du houblon, matière première très recherchée par l’industrie de la bière alsacienne. En 1865 il convola avec une jeune Haguenovienne. Deux enfants devaient naître de cette union, un fils prénommé Jules Simon (1866-1903) et une fille prénommée Lucie (1869-1945) qui épousera un certain Lévy et portera désormais le nom Lévy-Scheid. Peu après la naissance de cette dernière éclatera la guerre entre la France et l’Allemagne, à l’issue de laquelle l’Alsace et la Loraine furent intégrées dans le Reich allemand. Elie Scheid avait suivi la retraite de l’armée française jusque dans la vallée de la Loire. Sans doute s’interrogea-t-il après la fin des hostilités : retourner dans une Alsace qui cesserait bientôt d’être française ou rester en France ? Il décida en fin de compte de rentrer chez lui et de s’efforcer de vivre dans un cadre nouveau bien éloigné de l’atmosphère et de la culture française de sa jeunesse. Il fit bientôt son entrée au conseil municipal de Haguenau, au sein duquel il remplit diverses fonctions. Il devint également le président de la communauté juive locale. Il semblait s’être fait à cette nouvelle existence, lorsqu’il prit brusquement la décision de quitter l’Alsace pour s’installer en France. Il est vrai que ses affaires qui avaient périclité entre temps, ce qui l’avait contraint de reprendre son métier de comptable en 1882, ne l’y retenaient plus. Il semble avoir examiné cette possibilité dès 1882, et ce n’est pas par hasard qu’un de ses anciens employeurs l’avait recommandé à Edmond de Rothschild, qui était alors à la recherche d’un secrétaire général qui serait en mesure d’assurer la réorganisation devenue urgente du Comité de Bienfaisance Israélite de Paris brusquement confronté à la grande vague d’émigration des Juifs de Russie qui déferlait vers l’Occident. Le baron, qui souhaitait faire sa connaissance, le convoqua à Paris dès le mois de janvier 1883. Cette rencontre fut décisive, puisqu’il lui proposa le poste en question avec un salaire annuel de 4200 francs et un appartement de fonction. Scheid, qui était venu seul à Paris, fut convaincu. Il lui restait à persuader son épouse, qui rechignait à abandonner son Haguenau natal. Il finit par y arriver. Les pressions exercées par le Grand Rabbin de Paris et futur Grand Rabbin de France Zadoc-Kahn, lequel tenait beaucoup à sa présence à Paris, avaient fait pencher la balance. Elie Scheid quitta donc Haguenau le 10 juin 1883, afin d’entrer dans ses nouvelles fonctions au plus tôt et de préparer au mieux l’arrivée et l’installation de sa famille dans la capitale. Il trouva ses bureaux dans un état désastreux et, l’appartement de fonction n’étant pas prêt, il dut se
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résoudre à se loger dans un hôtel. Il résolut alors d’utiliser le temps libre qui lui fut ainsi imposé pour mettre au point le manuscrit d’un ouvrage auquel il tenait beaucoup : son Histoire des Juifs d’Alsace, qui devait paraître en 1887. Il le dédicaça : A Monsieur le Baron Edmond de Rothschild, Président du Comité de Bienfaisance Israélite à Paris Hommage de profond et respectueux dévouement. Scheid n’avait pas terminé ses études secondaires, mais il avait développé un instinct de chercheur, qui l’avait conduit dans de nombreux fonds d’archives et bibliothèques alsaciens. C’était un historien amateur, qui n’avait pas été formé aux disciplines historiques. Il fut néanmoins l’inventeur de l’histoire des Juifs d’Alsace : il créa et développa une discipline nouvelle, ouvrant ainsi la voie à des recherches et des chercheurs modernes, Ce ne fut pas son moindre mérite. Il écrivit à la même époque son Histoire des Juifs de Haguenau, qui parut dans la Revue des Études Juives. Ces écrits ont été critiqués et corrigés, mais ils n’ont pas été remplacés. Scheid put enfin se mettre au travail et fut bientôt rejoint par sa famille au cours du mois d’août suivant. Tous les lundis il se présentait chez le baron Edmond pour procéder à un tour d’horizon hebdomadaire sur les problèmes du Comité de Bienfaisance parisien. Il ne se doutait pas que le cours de sa vie allait bientôt changer : Emmanuel Félix Veneziani avait convaincu en septembre 1883 le président du Comité de Bienfaisance parisien de la nécessité urgente de venir en aide aux colons de Palestine qui mouraient littéralement de faim. Le problème avait été posé sur un plan strictement philanthropique : que faire pour les sauver de la famine ? Il ne s’agissait nullement de se lancer au secours de la nouvelle colonisation ni de se mettre au service d’un nationalisme juif renaissant. Il n’était pas non plus question de financer le retour éventuel des aspirants-colons dans un Empire russe hostile. Edmond de Rothschild avait résolu sur le champ de leur venir en aide. Fut-il pris de cours ou imagina-t-il que ce serait là une bonne occasion pour mettre le tout nouveau secrétaire général à l’épreuve ? Ce qui est certain, c’est qu’il lui déclara avec le plus grand optimisme :« Vous règlerez tout cela en six semaines et vous pourrez alors revenir à vos fonctions. Engagez un employé supplémentaire et donnez lui rapidement vos instructions. Prenez le premier bateau en route pour Jaffa. » Elie Scheid pourvut donc à son replacement. Le 4 octobre 1883, lendemain de Rosh Hashanah, six semaines à peine après l’arrivée de son épouse à Paris, il prit la route de l’Orient, muni d’un viatique de 25.000 francs or, que le baron lui avait remis pour ses premières dépenses. Il monta à bord à Marseille dès le lendemain, direction Palestine. Son itinéraire aurait normalement dû le conduire à Alexandrie, d’où il aurait continué son voyage par voie de terre, mais l’épidémie de choléra, qui avait éclaté dans cette ville,
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où il ne pourrait débarquer, avait imposé un détour par le Nord. L’Égypte restant inaccessible, son bateau dut longer les cotes méridionales de la Turquie, ce qui lui donna l’occasion de faire connaissance des communautés juives des grands ports dans lesquels il dut jeter l’ancre, notamment à Smyrne, Alexandrette, Tripoli et Beyrouth. Sa traversée s’en trouva rallongée et il dut faire Kippour à bord de son bateau, ce qui ne l’enchanta guère. La mer n’était pas bonne et il fut en proie au mal de mer pendant une bonne partie de son voyage. Il débarqua en fin de compte à Jaffa, d’où il s’empressa de faire route vers Jérusalem non sans jeter un coup d’œil en passant sur l’Ecole d’agriculture de Mikvé Israël. À Jaffa il avait déjà pu se rendre compte de la multiplication des problèmes quasi – insurmontables, qu’y soulevait la présence d’une importante communauté juive pauvre, issue d’une récente immigration venue dernièrement d’Europe Orientable, et qui peinait pour s’intégrer à l’ancienne communauté locale. Tout au long de sa route vers Jérusalem, il put constater que la Judée était couverte d’un désert de pierres parsemé par quelques villages misérables. Bientôt parvenu à Jérusalem, Elie Scheid y découvrit une ville d’environ 60.000 habitants, dont 28.000 Juifs, qui se répartissaient à peu près également entre la ville ancienne, qui était entourée de murs, et les faubourgs qui s’y étaient développés au cours des quarante dernières années. A peine arrivé il procéda à une véritable enquête sur le passé de la ville et sur l’état de sa nouvelle population qui avait tellement augmenté au cours des dernières années. Il s’intéressa à sa vie religieuse, à sa direction et à ses usages. Il n’ignora pas pour autant la population arabe, à laquelle il prêta beaucoup d’attention. Il fit de même dans les autres villes et régions de Terre Sainte. Dès cette époque, fidèle à ses habitudes comptables, il entreprit de rédiger chaque jour un rapport portant sur ses activités, ses remarques et ses réactions. Son contenu était destiné au baron Edmond et il en intégra certainement une partie non négligeable dans les rapports périodiques marqués de son humour qu’il lui envoyait. Il en conserva toujours un exemplaire par devers-lui, qui lui sera très utile lorsqu’il entreprendra d’écrire ses souvenirs. Il n’a malheureusement pas été possible de les retrouver. Le premier voyage de Scheid en Palestine n’aurait pas dû dépasser six semaines : en fin de compte, il se prolongea bien au delà et il ne put revenir en France qu’à la mi-février 1884, quelque quatre mois plus tard ! Il avait dû y faire face à une situation bien plus complexe qu’il ne l’avait prévu. Les aspirants colons s’étaient en effet établis sur des terres achetées un peu au hasard des possibilités, sans planification véritable. C’est ainsi que le comité de Galats avait acquis non loin de Haïfa les terres de Samarin qui devait devenir Zikhron Yaakob. Celles de Rosh Pinah et de Yesod Hamaala l’avaient été à proximité du Jourdain. Celle de Rischon LeTsiyon s’élevait dans le voisinage de Jaffa et celle de Pétah-Tikvah s’étendait plus au Nord.
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Scheid dut se partager entre ces différentes colonies, qui réclamaient chacune des solutions spécifiques pour leurs problèmes. Scheid avait dû prendre un congé de son poste auprès du Comité de Bienfaisance et son salaire lui fut payé directement par son président. Il le retrouva sans difficulté à son retour et découvrit alors qu’on avait bien voulu lui réserver la révision de toute sa comptabilité. Il fit son rapport à Edmond de Rothschild, d’où il résultait que l’aide apportée aux colons ne pourrait réussir à moins d’être accompagnés par une véritable consolidation de la colonisation. Il fallait loger les colons, assurer l’approvisionnement en eau, ouvrir des écoles pour leurs enfants, construire des synagogues pour une population généralement pratiquante, et créer l’infrastructure qui permettrait à leur agriculture de se développer. Cela imposerait le recours à des spécialistes, à des agronomes, qui seraient en mesure de les conseiller dans le choix des cultures auxquelles ils se consacreraient. Tout cela impliquerait le passage de nombre des terres acquises sous l’autorité du baron. Pratiquement tout était à faire. Elie Scheid savait que ce vaste programme ne serait pas réalisé rapidement. Il n’est pas certain qu’il soupçonnait déjà toute son ampleur. Edmond de Rothschild lui-même avait-t-il compris à quoi il risquait d’être entrainé ? On peut en douter, mais il est évident que l’aide qu’il entendait accorder aux futurs colons devait alors garder pour lui un caractère essentiellement philanthropique. Il tenait d’ailleurs à conserver l’anonymat et c’est ainsi que se prit l’habitude d’appeler le généreux bienfaiteur « le philanthrope bien connu », Hanadiv Hayadoua ! Ce fut bientôt le secret de Polichinelle. Il ne mettait pas en doute la validité de cette obligation religieuse qui ordonne aux Juifs de la Diaspora de venir en aide à leurs frères qui ont décidé de s’installer en Terre Sainte. Le souvenir de Sion lui était cher, mais il restait très éloigné des implications politiques qui commençaient à se développer autour de son nom. Il est clair qu’Edmond de Rothschild accueillit favorablement les propositions de son émissaire et c’est ainsi qu’Elie Scheid fut amené à multiplier ses voyages en Terre Sainte : il s’y rendit vingt-deux fois pour des séjours prolongés. Il dut bientôt renoncer à ses fonctions de secrétaire général du Comité de Bienfaisance Israélite de Paris pour consacrer tout son temps à cette nouvelle tâche. À partir de 1892 Edmond de Rothschild lui demanda de se rendre deux fois par an dans les colonies. Il devait les inspecter et donner son avis tant sur les projets présentés que sur les échecs avérés. La pleine confiance que lui accordait Edmond de Rothschild avait fait de lui le véritable maître d’œuvre du mouvement de colonisation. S’il avait recommandé l’abandon d’une ou de plusieurs colonies existantes ou projetées en raison du manque total d’expérience des colons, il aurait certainement été écouté. C’était lui qui devait étudier la situation et décider si les aspirants
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colons seraient capables de se former aux disciplines de l’agriculture ou non. Le baron lui avait clairement défini sa mission : s’ils en sont capables, il faudra les aider. Sinon, il faudra les renvoyer chez eux. Scheid devait confesser par la suite qu’il s’était longuement interrogé : faire rapatrier ces misérables ou éviter au baron des dépenses considérables, qui ne serviraient peut-être à rien ? Il ne put se résoudre à l’expulsion des colons. Tout au long de sa carrière palestinienne, il resta un partisan sans faille de la colonisation juive, imperméable à tout projet politique. Il souhaitait que la colonisation juive se développe dans le cadre de l’Empire Ottoman. Il redoutait qu’un langage politique ne suscite l’opposition farouche des autorités turques, qui ne manqueraient pas de chercher partout les premiers symptômes d’une tentation de dissidence. La colonisation constituait pour lui un devoir religieux et moral et il importait de ne rien faire qui pourrait entraver son extension. Il s’efforça toujours d’établir et de maintenir des relations de confiance avec les autorités turques et c’est dans cet esprit qu’il mena avec succès des négociations quelquefois difficiles tant avec les gouverneurs turcs de Palestine qu’avec le gouvernement central de Constantinople. Il dut se rendre à plus d’une reprise dans la capitale pour y régler avec succès le problème de l’enregistrement des terres et obtenir les titres de propriété nécessaires. Ce ne fut pas le moindre de ses succès. Scheid ne devait pas changer de ligne de conduite au cours de ses démarches : il souhaitait rester le représentant d’une œuvre caritative, étrangère à toute préoccupation politique, et éviter d’éveiller la méfiance des autorités turques. Il ne devait pas en démordre par la suite. Il restait convaincu qu’il fallait avant tout venir en aide aux colons, malgré tous les déboires qu’il put connaître de leur part. Quand il lui arrivait de rejeter une de leurs demandes, ils ne manquaient de lui attribuer la responsabilité de ce refus : ils se refusaient à croire que le baron Edmond suivait leurs affaires de près et que c’était toujours lui qui décidait en fin de compte. Sans doute suivait-il généralement les conseils de son représentant, qu’on décorait généralement du titre hébraïque de Peqid ha-Baron, l’agent du baron, mais il lui arriva à plus d’une raison de les rejeter. Sans doute lui reprocha-t-on un le ton paternaliste, qu’il affectait dans ses rapports avec les colons, mais il est vrai qu’il avait à faire avec des personnes rudes et volontaires – les autres n’étaient-elles pas retournées en Europe ? –, qui avaient tout abandonné et beaucoup subi pour réaliser leur rêve de colonisation. Aux dires de Scheid, Edmond de Rothschild était assez méfiant et voulait les tenir en laisse : ils craignaient qu’une fois enrichis, ils ne vendent leurs propriétés pour ensuite retourner chez eux. Scheid affirmait qu’il avait souhaité leur accorder une indépendance plus grande et leur donner des droits de propriété, mais que le baron mit du temps à s’y décider. Il semble bien que les colons n’en furent pas toujours convaincus.
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Scheid fut également accusé par les commères des colonies de s’être trop vivement intéressé aux filles des colons qu’il avait choisies pour leur permettre de terminer leurs études en France, accusation catégoriquement rejetée par les membres de sa famille. Il est évident que si tel avait été le cas, le prude baron y aurait certainement mis le holà. Il n’aurait pas toléré une telle conduite, qui risquait de lui faire perdre un soutien rabbinique, auquel il tenait beaucoup. Il reste qu’au fil des années les rancoeurs s’étaient accumulées et qu’une certaine animosité entourait désormais la personne de l’agent du baron et celles des nombreux agents locaux qu’il avait fait désigner. En fut-il conscient ? Peut-être, mais il restait confiant : il était certain d’avoir rempli son devoir, et que les critiques qu’il encaissait étaient injustifiées. Il avait toujours appliqué les instructions qui lui avaient été données ! Edmond de Rothschild mit brusquement fin à la mission de Scheid en 1899. C’est alors que ce qu’on serait tenté d’appeler l’empire du baron passa soudainement sous la coupe de la Jewish Colonization Association (JCA) fondée par le baron de Hirsch, laquelle assuma dès lors la charge de son administration. Le régime des agents du baron ne devait pas résister à ce bouleversement. Outre ses activités américaines, la JCA avait commencé à s’intéresser à partir de 1896, année du décès de son fondateur, au développement des colonies agricoles juives de l’Empire Ottoman. Le transfert se fit donc normalement, Un chapitre important de la vie d’Elie Scheid était donc arrivé à son terme. Il est remarquable que tout en informant ses lecteurs futurs, il ait choisit de garder le silence le plus complet sur ses tenants et aboutissants. On ne peut que s’étonner devant un refus aussi tenace : Elie Scheid avait la plume facile et il n’avait jamais hésité à prendre la défense d’une œuvre qui constituait pour lui un sujet de fierté. Il est évident que la décision d’Edmond de Rothschild ne signifiait pas qu’il avait résolu d’abandonner la colonisation juive ; il avait richement doté la JCA, pas moins de 15.000.000 de francs, pour lui permettre de la poursuivre, ce qui sera d’ailleurs le cas. Peut être avait-il souhaité échapper aux exigences et récriminations quotidiennes des colons qui avaient fini par l’excéder et rejeter le fardeau d’une administration devenue trop directe ? C’est possible, mais cela n’éclaircit pas le mystère. La lecture des souvenirs d’Elie Scheid révèle le caractère assez ambigu de ses relations avec Edmond de Rothschild. Il est évident qu’il avait cru que ce dernier ferait sa fortune et qu’il était assez déçu de la condition matérielle qui lui avait été faite : il croyait que ses épreuves passées, ses maladies dans les colonies, ses voyages prolongés méritaient mieux. Il ne devait pas retrouver ses fonctions auprès du Comité de Bienfaisance après son retour en France et il dut se contenter d’une retraite honorable. Il était
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convaincu que des promesses lui avaient été faites, qui n’avaient pas été tenues. Un sentiment de désillusion affleure dans plus d’un passage de ses mémoires. Scheid restait cependant plein d’admiration pour l’ampleur des efforts consentis par le baron. Il était convaincu que tout l’effort de colonisation se serait effondré sans son intervention massive. Il avait fait de son mieux pour le soutenir et il ne manqua pas de citer les nombreuses lettres dans lesquelles le baron lui marquait, avec sa reconnaissance, toute sa satisfaction pour les résultats obtenus. Scheid tenait visiblement à montrer que la décision prise par le baron de mettre fin au mode d’administration existant ne résultait pas d’une perte de confiance dans l’activité de ses agents. Edmond de Rothschild ne leur avait jamais fait part d’un sentiment de déception et Elie Scheid pouvait penser à juste titre qu’il avait toujours joui de sa confiance. Il put donc lui dédicacer en mai 1901 un des manuscrits de ses mémoires sur les colonies. Il faudra donc chercher ailleurs les raisons qui avaient milité pour l’entrée en scène de la JCA. Un concours de circonstances avait donc fait participer Elie Scheid à un des grands tournants de l’histoire juive moderne. Le tout nouveau Secrétaire général du Comité Israélite de Bienfaisance avait été appelé à remplir une mission à laquelle rien ne l’avait préparé. Il ne savait rien du pays dans lequel il devait développer son activité. Il était totalement ignorant de tout ce qui touchait à l’agriculture. Le premier agronome professionnel n’arrivera qu’en 1887 dans les colonies, ce qui lui permit enfin de prendre ses distances avec tout ce qui y touchait. Elie Scheid resta tout au long de sa vie un patriote inconditionnel du judaïsme alsacien de sa jeunesse. De tempérament traditionnel, il était convaincu qu’il ne se limitait pas à la synagogue et qu’il fallait y comprendre tout ce qui relevait du social : l’aide à accorder à des coreligionnaires en proie à des difficultés était un devoir et c’est tout naturellement qu’il put remplir ses fonctions sans aucun esprit de discrimination. L’Alsace lui resta particulièrement chère et sa joie était grande lorsqu’il rencontrait des Juifs alsaciens dans ses périples, à Beyrouth comme à Mikveh Israël. Il fit d’ailleurs engager un grand nombre de Juifs alsaciens au service des colonies. Il est vrai que les circonstances s’y prêtaient, étant donné que de nombreux Juifs alsaciens qui avaient opté pour la France après 1871 et quitté leur province natale cherchaient à s’employer : les offres d’emploi dans les colonies étaient donc les bienvenues. Elie Scheid professait un attachement particulier pour Haguenau, la ville de sa naissance, ainsi qu’en témoigne l’inscription qu’il fit graver à la tête du caveau de famille qu’il érigea au cimetière du Montparnasse : Famille Elie Scheid de Haguenau. Simon SCHWARZFUCHS Université Bar Ilan
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Les souvenirs de Scheid ont été conservés en trois exemplaires manuscrits, qu’il avait calligraphiés avec le plus grand soin. Il les avait destinés à ses enfants et au baron Edmond de Rothschild. Selon le témoignage de sa nièce, Lucienne Scheid-Haas, il souffrait beaucoup d’insomnies répétées, qu’il tentait de combattre en calligraphiant cet ouvrage. La calligraphie ne faisait-elle pas partie de la qualification d’un comptable ? Deux de ces exemplaires sont conservés par des membres de sa famille et le troisième se trouve dans les archives de la PICA. L’Institut Ben Zvi en a obtenu des photocopies, qui sont à l’origine de la traduction hébraïque qu’en a procurée le regretté Aaron Amir et qui fut publiée sous ses auspices avec mon introduction et mon annotation à Jérusalem en 1983. Ces trois exemplaires sont, à deux exception près, pratiquement identiques : l’auteur et copiste a pu ajouter assez rarement un détail oublié ou supprimer une précision qui lui semblait inutile. Scheid avait un réel talent de dessinateur et il avait éclairé son texte avec des dessins assez nombreux qui parsèment une des copies de son texte. Ils ont d’ailleurs été reproduits dans l’édition hébraïque de ses souvenirs. La seule autre différence d’importance résulte de sa décision de préserver l’anonymat des personnages mentionnés dans ce qui est très vraisemblablement l’exemplaire le plus ancien : il s’y était contenté de les identifier par la seule mention des initiales de leurs noms et de la fonction qu’ils avaient remplie. Cette politique d’anonymat fut abandonnée par la suite, et c’est bien entendu le texte le plus complet qui a été retenu pour cette édition. L’Institut Ben Zvi a bien voulu nous communiquer les reproductions de ces documents et permettre ainsi l’établissement de cette édition. Il nous est agréable de pouvoir l’en remercier. Les travaux relatifs à l’œuvre d’Edmond de Rothschild ont été nombreux au cours des années qui ont suivi la publication de la version hébraïque des souvenirs de Scheid. Nous avons utilisé avec profit ceux de Ran Aaronsohn et plus particulièrement la remarquable étude qu’il a consacrée à l’identification des personnages dont les noms apparaissent dans ces souvenirs et dans nos annotations1.
1 Le baron et les colonies : les débuts de la colonisation juive en Terre d’Israël, Jérusalem, 1990 ; Les agents du baron de Rothschild (1882-1890) : les hommes derrière le programme de colonisation, Cathedra, 74, 1995, p. 157-178 (les deux en hébreu).
MÉMOIRES SUR LES COLONIES JUIVES EN PALESTINE1
1 L’auteur dédicace le premier exemplaire de ces mémoires manuscrits à ses enfants et petits-enfants le 31 octobre 1899, le second à ses petits-enfants Yetta et Robert (sans date).
Chapitre I AVANT-PROPOS. VOYAGE
Lorsque, en 1881-2, les persécutions se mirent à sévir en Roumanie et en Russie, les Juifs tournèrent les yeux vers tous les pays du monde et émigrèrent. Certains d’entre eux, croyant qu’avec quelques petites sommes d’argent on pourrait devenir colon en Palestine, se dirigèrent de ce côté. Puisque les Saintes Ecritures appellent cette contrée « Le pays où coulent le lait et le miel », ils étaient persuadés qu’il suffisait d’une parcelle de terrain pour vivre fort tranquillement des produits naturels du sol, sans beaucoup travailler. Ils avaient pris à la lettre ce verset de la Bible. Plus tard, ils virent leur erreur. Il se forma en Roumanie des comités qui ramassèrent des fonds, avec lesquels on devait créer, pour commencer, une grande colonie. Ailleurs encore, en Roumanie, comme aussi en Russie, des particuliers se réunirent, ayant un peu d’argent, pour former une seule Communauté, et aller coloniser, ensemble, un endroit quelconque, en Palestine. D’autres pensèrent que le plus rationnel consistait à y pousser certaines gens aisées, pour y vivre des capitaux amassés en Europe, et y achetèrent des terrains à la spéculation, pour les revendre par petites parcelles à ces mêmes rentiers. Chaque propriétaire devait recevoir de quoi construire une maison, et avoir, autour d’elle, assez de terrain pour y faire un potager et un peu de vignes pour les besoins du ménage. C’est ainsi que fut achetée Samarin2, près de Caïffa, par un Comité de Galatz3 ; c’est ainsi que furent acquises Rosch-Pinah et Yessod-Hamalah4 près du Jourdain, Rischon-le-Zion non loin de Jaffa, tandis que MMrs Guttman et Cie5 achetèrent Pétach-Tikveh, au Nord de cette même ville, à la spéculation, pour des gens, devant, à la rigueur, avoir, tout au plus, un pied à terre en Palestine. 2 Aussi Zamarin. Nom de la colline sur laquelle s’établit la colonie juive qui fut à l’origine de Zicron-Jacob. Cf. p. 58 et 59. 3 La ville de Galatz (aujourd’hui Galati) en Moldavie (Roumanie) abritait une importante communauté juive. Un comité sioniste local était très actif dans le domaine de la colonisation. 4 Plutôt Yessod Hamaalah. 5 Fondateurs de Pétach-Tikveh (prononciation bientôt remplacée par celle de PetachTikvah).
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Deux ans après vint seulement Mazkereth-Betttya, au Sud de Rischon-leZion. Nous arriverons également à parler, autant que nous pourrons, des colonies indépendantes de Custinié6, Rehoboth7, Katra8, Wouad-Achnin9, ainsi que d’ Artouf10, Jehoudieh11, Hédérah, Aïn-Zetoun12, Mischmar-Hayarden, de Metoulé et du Djolan13. Chaque colonie aura son chapitre spécial, et nos lecteurs pourront être certains que nous serons impartial. En France on ne connaissait pas beaucoup tout ce qui se faisait, dans ce sens, en Roumanie et en Russie. Au mois de juin 1893 feu F. Veneziani14, membre du Comité central de l’Alliance Israélite Universelle de Paris, vint inspecter les écoles en Syrie, et trouva les colons de Samarin dans un état indescriptible, à Caïffa. C’étaient de vrais squelettes ambulants, qui ressemblaient à ces naufragés jetés dans une île déserte, sans secours, sans appui, et sans ressources. Eux aussi se trouvaient égarés au milieu d’une population qui les regardait comme des intrus, et dont ils ne connaissaient ni la langue, ni les coutumes. Ils se voyaient totalement perdus. Le désespoir s’était insensiblement emparé d’eux, surtout quand, à coté de la faim qu’ils enduraient, ils voyaient partir, pour un autre monde, les plus chers membres de leurs familles, emportés par toutes sortes de maladies. A son arrivée à Paris, Veneziani alla parler de ces pauvres gens à Mr le baron Edmond de Rothschild, et fut si bon avocat de ces délaissés, qu’il réussit à intéresser Monsieur le baron à leur sort. Et c’est de cette manière, sans penser qu’il serait, un jour, contraint à tant de sacrifices, que Monsieur le baron arriva à s’occuper de ces colonies. On peut certainement ajouter que c’est grâce à lui qu’elles existent, car elles seraient mortes d’inanition, s’il ne s’était pas hardiment mis à leur tête. Une fois cette résolution prise, il me fit appeler et m’annonça qu’il m’avait choisi, pour organiser les colonies existantes. C’était facile à dire. Je savais faire une comptabilité. Je pouvais aussi tenir une caisse. Mais je n’avais jamais fait d’études spéciales, et je connaissais de l’agriculture, ce qu’en peut connaître un citadin qui ne s’en est jamais occupé. 6
Qastiniah. La colonie de Beer Touviah fut construite à proximité. Voir p. 309. Voir p. 306. 8 Voir p. 307. 9 Wouadi-el-Chanin, la vallée des roses. La future Ness Sionah. Voir p. 305. 10 Aujourd’hui Har Touv. Voir p. 308. 11 Aujourd’hui Yehoud. Voir p. 303. 12 Voir p. 213. 13 Golan. Cf. p. 215. 14 Emmanuel Félix Veneziani (1825-1889), originaire de Livourne installé à Paris. Il y joua le rôle d’un « conseiller aux affaires juives » d’Edmond de Rothschild. 7
CHAPITRE I : AVANT-PROPOS. VOYAGE
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Nous étions au mois d’octobre 1883. Le choléra sévissait en Egypte. Tous ceux qui se disaient mes amis, sincères ou non, me dissuadaient de ce voyage, m’assurant que je n’en reviendrai pas. J’étais déjà, un peu, arabe, c’est à dire fataliste, pensant que si je devais mourir du choléra, rien n’arrêterait le sort qui m’était réservé. Et puis je me disais, comme nos Anciens, que ceux qui volent au secours des opprimés et des malheureux, pouvaient compter sur l’aide du Ciel. Et, cependant, aujourd’hui, je dois convenir que j’ai payé un large tribut à la nature, ayant contracté, dans ce pays, des fièvres paludéennes, dont je n’arriverai jamais à me guérir. J’en ai pour toute ma vie. Et quand j’y pense le moins, je suis, tout d’un coup, gratifié d’un de ces accès de fièvre, dont on se souvient quelque temps. Je n’écoutai donc rien, et je pris le parti de m’en aller, malgré les pleurs des miens. C’était fort dur pour moi, qui n’avais jamais quitté ma femme et mes enfants. Un autre nuage était à mon horizon. Je devais quitter Paris le lendemain de Rosch-Haschanah (jour de l’an juif), par conséquent être en mer le jour de Kippour (grand jour de jeûne). Par suite du choléra, les bateaux des Messageries Maritimes n’allaient pas en Egypte. Pour se rendre à Jaffa, il fallait passer par Smyrne, et le voyage durait deux semaines. Il n’y avait de départ que tous les quinze jours. Une fois l’ordre reçu, je fis une visite à l’un de mes plus fidèles amis et conseillers, et lui dis qu’il me répugnait d’être en mer, le Kippour. « C’est juste, me répondit-il, Mais si, à cause de votre hésitation, et de la remise de votre voyage à un autre bateau, une seule personne meurt de faim, que ferez vous de votre jeûne et de votre conscience ? » « Cela me suffit, répliquai-je, je pars. » Je m’embarquai donc, à Marseille, sur un des plus vieux bateaux des Messageries Maritimes, l’Erymanthe, sans même avoir pris le temps de voir la ville, que je ne faisais que traverser. La sortie du port s’effectuait alors à midi. Très curieux, et désirant tout connaître, je courus d’un bout du bateau à l’autre, pour voir tout ce qui passait sous nos yeux. Ce manège dura à peu près une bonne heure, lorsque, tout d’un coup, je sentis une sueur froid me couler du front, un frisson me saisir par tout le corps, accompagné d’une espèce de vertige et de malaise. Je sentis que j’allais avoir le mal de mer… Et comme j’avais deviné juste, je n’eus rien de plus pressé que d’aller me jeter sur ma couchette. J’avais un vieux célibataire comme compagnon de route. Il se rendait à Smyrne. Il fut aux petits soins pour moi, venait, à chaque instant, me demander si je voulais quelque chose, et comme le mal de mer ne vous donne pas
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justement des dispositions folâtres, je finis par être agacé de sa politesse, et je crois bien que je l’envoyai promener. On ne veut ni boire ni manger. On n’aspire qu’au repos. Et, dût-on être malade pendant quelques jours, on ne ressent nullement le besoin de manger. Et de fait, le meilleur remède est encore de rester allongé, sans faire un mouvement. Tout vous est de trop, et je suis persuadé que ceux qui souffrent ainsi, ne feraient aucune résistance, si on leur proposait de les jeter à la mer. On croit, du reste, que tout est fini, et on se laisse aller à un désespoir absolu. La seule chose qui puisse vous remonter un peu le moral, c’est la vue d’une figure amie, qui reste auprès de vous. Seulement, cet ami n’était pas là, et je dus me contenter de faire de mauvais rêves, tout en ayant les yeux grandement ouverts. Ce premier vendredi soir, et le lendemain samedi, on ne me vit pas à table, et je n’eus aucune envie de prendre quoi que ce fût. C’était une excellente préparation pour le jeûne de Kippour. Dimanche, après le deuxième déjeuner, nous arrivâmes à Palerme, par une mer ravissante. Tout le monde descendit à terre, et c’est par sociétés nombreuses que nous visitâmes les églises et les autres curiosités de la ville. Je fus surtout frappé, dans les souterrains d’un couvent15, à la vue des cadavres qui y étaient conservés, sous toutes les formes. Ce couvent a des ramifications dans toute l’Europe. Quand, dans une de ces succursales, un personnage important passait de vie à trépas, la communauté l’enterrait dans un jardin du couvent, et l’y laissait un an ou plus. Après ce laps de temps, on déterrait le squelette, qui était envoyé à Palerme, avec les derniers vêtements sacerdotaux qu’il avait portés. A Palerme, on réunissait le squelette au moyen de fils de fer, on l’habillait des vêtements qui étaient venus avec lui, et on le mettait debout, dans un rayon, à coté d’une masse d’autres squelettes, couverts également d’habits sacerdotaux. Ces galeries n’en finissaient pas, et plus d’un de nos compagnons de route n’eut pas le courage de contempler ce spectacle plus que macabre. Les familles riches de Palerme y envoient aussi leurs morts, embaumés ou non, qui sont conservés dans des cercueils en verre, au haut desquels sont suspendues les dernières photographies des trépassés. C’est assez repoussant. Nous eûmes hâte de sortir de là, et de retourner à bord, heureux de voir une si belle mer et un ciel serein. Quelle charmante soirée à passer sur le pont, à contempler cette immense voûte constellée d’étoiles très brillantes, et à voir la mer, phosphorescente, couler à vos pieds. A la regarder si douce et si tranquille, on ne dirait jamais que, parfois, elle est si mauvaise. Et comme on oublie vite le mal de mer ! On ne veut plus du tout s’en souvenir. Ceux qui, parmi nous, connaissaient l’Orient, nous racontaient des histoires de ce pays quasi enchanteur, surtout vu de 15
Dans la catacombe du Monastère des Capucins.
CHAPITRE I : AVANT-PROPOS. VOYAGE
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loin, à travers certains prismes. Mais ce qui me donnait la chair de poule, c’était quand l’un d’eux parlait de la difficulté du débarquement à Jaffa, et de la dure nécessité où l’on était, quelquefois, de continuer sa route, sauf à revenir une autre fois. J’avoue que j’étais incrédule ; je ne croyais pas que cela fût possible, et j’étais intimement convaincu que tous ces gais compagnons de route voulaient, tout simplement, nous faire peur, en se moquant de nous. Comme dans la suite, je dus encore faire vingt et une fois, le voyage à Jaffa, je pus me rendre compte, de visu, de la véracité de tout ce qui nous fut alors raconté. J’ajouterai même que ces narrateurs étaient restés beaucoup au dessous de la vérité. J’ai débarqué, plus d’une fois, à Jaffa, au risque d’être englouti dans les flots, ayant derrière moi, un nageur spécial, chargé de me repêcher, en cas d’accident, et accompagné d’une autre barque vide… pour les cas de besoin. A chaque instant, les grosses vagues impétueuses y renversent les embarcations, et plus d’une famille, en deuil, se rappelle, avec douleur, ceux de ses membres qu’elle y a perdus, au débarquement. Mais n’anticipons pas, et continuons notre route pour Messine, où nous arrivâmes le lendemain matin de très bonne heure. J’eus juste le temps de visiter la ville, au galop, et d’aller jeter un coup d’œil sur le Campo Santo (cimetière) qui vaut réellement la peine d’être vu. Le panorama dont on jouit du haut de ces montagnes est vraiment féérique. Je ne me lassais pas d’admirer, autour de moi, des jardins merveilleux d’orangers et de citronniers tout couverts de fruits, tandis qu’à nos pieds brillait cette mer calme comme un lac, et qu’au deuxième plan, dans le lointain, j’apercevais distinctement la si coquette ville de Reggio, dans la Calabre. J’aurais bien voulu passer quelque temps dans cet Eden admirable, mais l’heure pressait, et bon gré mal gré, il fallait rejoindre le bateau, qui, là bas, nous rappelait que nous devions partir. Le déjeuner fut très gai, mais la joie ne dura pas longtemps ; car, à peine dans la Mer Ionienne, nous eûmes à subir une terrible tempête. Mon seul refuge fut encore mon lit. Ce que fut le reste du jour, et la nuit, je le laisse à deviner. Je n’étais ni heureux ni à mon aise, et j’eus, volontiers, cédé, à tout autre, l’honneur de fonder des colonies. Que j’étais mieux dans mon bureau du Comité de bienfaisance ! Là, pas de vagues, pas de mal de mer, ni le risque de voir sombrer cette vieille carcasse, qui, toute la nuit, nous effrayait de ses craquements lugubres. Au plus fort de la tourmente, une vague entra, vers deux heures du matin, par le haut du bateau et avec le bruit d’un coup de canon, s’engouffra dans la batterie. Je fus, quand même, en un instant, sur pied, car je croyais que notre dernière heure avait sonné, d’autant plus qu’une jeune femme, dans une cabine voisine de la mienne, poussait des cris de : Maman ! Maman ! à vous fendre le cœur.
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Après avoir vu quelques maigres anglaises et quelques longs Anglais, à peine vêtus, courir comme des fous, dans tous les sens, et m’être bien rendu compte que tout danger avait disparu, je revins dans ma cabine m’abîmer, à nouveau, sur ma couchette. Tout mal de mer, dans ces moments, disparaît comme par enchantement. On n’a même plus le temps d’y penser. Les réflexions saugrenues et les idées noires ne reviennent qu’après. Ces nuits sont rudement longues ! Ce qu’on aspire à voir le jour, dans la persuasion que le soleil calmera, un peu, la fureur des flots. Ce jour vint, enfin, mais nullement radieux, et la mer continua d’être mauvaise, tout en étant moins méchante que la nuit. Lorsque je quittai Paris, quelques amis qui, comme moi, connaissaient, d’après les indicateurs, les heures d’arrivée des bateaux dans les différentes escales, me consolaient, en me disant que je pourrai tranquillement passer le Kippour (mercredi) à Smyrne, puisque nous y arriverions le mardi soir, veille de la fête, pour n’en repartir que le jeudi, après midi, lendemain du jeûne. Ah oui ! Les pronostics ne sont pas mauvais dans ces conditions. Du reste, en mer on peut dire, quand on part, mais jamais quand on arrive. C’est ce qu’on me fit comprendre, car nous ne faisions guère plus de dix nœuds à l’heure. Cependant, calculant que le lendemain, je ne pourrai pas manger, je fis l’impossible pour me traîner à table, à l’heure du déjeuner, et là, la tête appuyée sur le bras gauche, je tâchai d’avaler quelques mets, pour garder des forces. A peine eus-je terminé ce repas, que je retournai sur ma couchette, et on eut dit que la mer n’attendait que ce moment pour recommencer à être plus furieuse. Tous les hublots étaient hermétiquement fermés, et cependant, à chaque instant, une énorme vague venait frapper la paroi, et laissait entrer quelque gouttes dans la cabine. Combien de fois, depuis Messine, avais-je, de nouveau, envoyé promener mon très aimable compagnon de route ? C’est ce que lui seul eût pu dire. Et il ne s’en formalisait pas. Il voulait être si serviable, qu’on eût réellement dit une sœur de charité habillée en homme. Et c’est dans ces conditions que sonna l’heure du dîner, sans que j’eusse aucune envie même de connaître le menu. Vers huit heures, je me levai comme je pus, je m’assujettis sur une chaise, et je me mis à entonner la prière de Kol-Nidré (veille du grand jour de jeûne). La porte était ouverte, le rideau tiré. La prière, surtout celle là, et dans ces circonstances exceptionnelles, vient, certainement, du cœur. Comme on sent qu’on va dire, tout à l’heure, avec une réelle onction, cette longue file de Vidouï (J’ai péché). Seulement je ne pus y arriver. A peine avais-je commencé depuis cinq minutes, qu’un effrayant coup de roulis me lança au dehors de ma cabine. Par bonheur que le rideau amortit le choc. Je me traînai, comme je pus, dans ma cabine et je me jetai, tout habillé, sur mon lit, attendant des temps meilleurs, pour me mettre à mon aise.
CHAPITRE I : AVANT-PROPOS. VOYAGE
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Enfin, à minuit, la mer se calma un peu. Je parvins à faire ma toilette de nuit, et à dormir convenablement. Le lendemain, Kippour, je restai allongé toute la journée, et pour n’avoir pas besoin de me mettre à table pour le déjeuner, et afin de remettre un peu d’aplomb mes membres endoloris. Et ainsi, au lieu d’arriver mardi soir à Smyrne, nous n’y fûmes que le jeudi matin. Un beau retard dû au mauvais état de la mer. Smyrne a été décrit par passablement d’auteurs. Je ne m’appesantirai donc pas sur cette ville, qu’on peut diviser en trois parties. Au premier plan, vous avez, après les quais, le quartier européen, avec ses magasins, ses cafés, ses brasseries, et tout ces bouis-bouis recherchés dans chaque port de mer par tous les marins du monde. Ensuite, nous tombons dans le quartier juif, qui est au milieu du bazar. Les mœurs de nos coreligionnaires, pour beaucoup, sont tout à fait celles des Musulmans. Certaines femmes sortent voilées comme les Turques, et les hommes, sans se gêner, se réunissent, l’après-midi, à dix, dans une des ruelles du bazar, et y font leurs prières. Le Turc fait de même. J’ai observé mieux que cela. Vous êtes en visite chez un Turc – fervent comme ils le sont presque tous – après midi. Vous êtes en train de causer. Tout à coup, vous entendez du haut du minaret, la voix du prêtre, annonçant l’heure du Muazzin16 (prière du soir). Aussitôt le Turc se lève, et, sans le moins du monde s’excuser, va dans un coin, y étend un tapis, et se tournant vers la Mecque, il fait sa prière comme si vous n’étiez pas là. Cela dure un quart d’heure. Après quoi il revient à sa place, et continue la conversation au point où il l’avait laissée. Les Israélites, imitant cet exemple, dans beaucoup de localités, font, toute la semaine, leur prière dans la rue, devant la synagogue. Vers cinq heures du soir, nous reprenons la mer. Elle fut meilleure et je fus aussi un peu plus aguerri. Je commençai à prendre goût à la navigation, et comme il n’y avait de bateau que tous les quinze jours, la société était assez nombreuse à bord. Les journées se passaient agréablement. Nous fîmes escale à Mersina17. Nous y avions toute la journée à passer à terre. Nous en profitâmes, après le déjeuner, pour aller prendre un café turc dans un établissement fait de branchages, au bord de la mer. Quelques uns de nos camarades fumèrent des narguilés, qu’au beau milieu, ils cédèrent à des indigènes, qui fumèrent le reste. C’est un honneur qu’on leur fait. L’habitude le demande. Nous descendîmes aussi à Alexandrette, une petite localité fiévreuse, puisque, au bout du village, nous avons rencontré des maisons sur pilotis, sortant à un mètre de terre, à cause des marécages. 16 17
Scheid confond l’officiant et l’office ! Aujourd’hui Mersin, sur la côte méridionale de la Turquie.
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J’y ai vu dans certaines cours, des Soukoth (tentes) dressées par les Juifs de l’endroit, qui sont presque tous, peu nombreux du reste, porte-faix au port. Après Tripoli, nous fîmes halte à Beyrouth, où je fis la connaissance de M. Emile Franck18, un wissembourgeois, qui, à l’époque, demeurait depuis une vingtaine d’années en Syrie. C’est lui qui avait été le caissier du Comité de Galatz, et qui, par conséquent, s’était déjà un peu occupé des colonies. Il me proposa de venir me rejoindre huit jours après, à Caïffa, afin de me donner un coup de main pour l’installation des colons, s’il y avait lieu. Je m’empressai d’accepter, surtout à cause de sa connaissance des colons, de la langue et du pays. Je continuai ma route vers Jaffa.
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Il y représentait la banque Rothschild.
Chapitre II PALESTINE
Le Capitaine de l’Erymanthe, qui nous avait transportés jusque là, était un homme excessivement gai. Et comme il avait une longue série d’années de services derrière lui, il narrait une masse d’historiettes sur tous les pays du monde. Et il savait bien raconter. Cependant quand il nous disait que, peut être, nous ne pourrions pas débarquer à Jaffa, si la mer était mauvaise, ou que, pour débarquer, on nous jetterait comme un paquet de linge dans les bras d’un arabe, j’étais persuadé qu’il s’était entendu avec les anciens touristes. Je me rappelai qu’étant enfant, on me faisait accroire que lorsque l’on entrait pour la première fois dans une ville, on était obligé de mordre, pour la couper avec les dents, dans les chaînes qui retenaient le pont-levis, aux portes de la ville. Eh bien ! je me figurai que le Commandant nous traitait un peu en enfants, surtout ceux d’entre nous qui n’avaient jamais été à Jaffa. Jaffa – en hébreu et en arabe la Belle –, était très bien bâtie en amphithéâtre, et de la mer, représente quelque chose. Lorsque j’y arrivai pour la première fois, c’était encore la vraie ville orientale, avec des terrasses sur toutes les maisons. Aujourd’hui, ayant imité ce qui se fait dans les colonies juives, les propriétaires, à Jaffa, font couvrir leurs maisons de toits garnis de tuiles. En outre du côté de la gare du chemin de fer de Jaffa à Jérusalem s’est créé tout un quartier neuf. L’école de l’Alliance Israélite s’y est même retirée. La ville est donc beaucoup plus grandiose qu’en 1883, si j’ose m’exprimer ainsi. Me reportant encore de quelques siècles en arrière, et me représentant alors la ville encore plus délabrée, je me demande ce qui a pu motiver nos ancêtres à lui donner le nom de « Belle ». Et si l’ancienne Jaffa n’était pas sur cet emplacement ? J’avoue que j’ai des doutes. Il y a une dizaine d’années, Monsieur le baron voulut voir s’il n’y avait pas de nappes d’eau souterraines en Palestine. Il fit installer à Mikveh Israël19 une baraque qui renfermait tout l’outillage nécessaire pour le forage d’un puits artésien. 19
1870.
Nom de l’école d’agriculture qui y fut fondée par l’Alliance Israélite Universelle en
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Mr Papo20, aujourd’hui chef mécanicien à Rischon-le-Zion, fut chargé de ce travail, et parvint jusqu’à deux cents mètres de profondeur. Là il toucha les rochers et cassa l’outillage. Le travail fut suspendu. Seulement quand il arriva à cinquante huit mètres de profondeur, il ramena le sable humide de la mer, avec des fruits pétrifiés, tels que raisins, poires, noix. La mer, à une époque donnée, allait donc plus avant dans l’intérieur, et Jaffa était, probablement, ailleurs. Aujourd’hui les rues de la ville sont, de temps en temps, balayées, et la malpropreté n’est pas ce qu’elle est dans toutes les villes orientales. Les ordures, aussi, sont ramassées par les templiers allemands21, qui ont une colonie à Sarona, à une lieue de là. Mais à l’époque, les rues formaient des lacs de boue en hiver, et de véritables petits déserts de sable en été. La communauté israélite, par suite des nombreuses immigrations de pauvres, a énormément de charges, et il est curieux de voir avec quelle abnégation les braves gens qui sont à la tête des différents comités, s’ingénient à trouver des ressources pour parer à toutes les éventualités. Leur création d’un hôpital pour recueillir les malades sans moyens, est une véritable œuvre d’humanité. On ne se représente pas le nombre de services que rend cet hôpital à tous les Israélites des environs de Jaffa, aussi bien que de la ville. On ne saurait assez le recommander aux gens de bien de tous les pays. On sort avec plaisir de cette atmosphère chargée de fièvres, et en commençant le voyage en voiture, on est extasié, pendant quelques kilomètres, des innombrables jardins d’orangers et de citronniers, qui bordent les deux côtés de la route, et qui embaument tout le long du chemin. A une lieue environ de Jaffa, on rencontre l’Ecole d’agriculture de Mikveh Israël, fondée par l’Alliance Israélite Universelle, qui, à l’époque, était dirigée par un Alsacien, Monsieur Samuel Hirsch22. Mr Hirsch avait bien voulu s’occuper de Rischon-le-Zion et de l’achat de terres pour les gens venus de Radom (plus tard les Ekroniens) et fut pour moi aussi longtemps qu’il y resta à son poste, un véritable ami. J’y fus toujours choyé par Mr et Mme Hirsch comme une vieille connaissance, et les invitations partaient tellement du cœur chez ces braves gens, que toujours, je m’y croyais chez moi. Plus tard, tous nos administrateurs de ce rayon prenaient Mr Hirsch comme leur conseiller et lorsqu’il quitta le pays, à cause de la maladie de sa femme, il emporta les regrets de tous ceux qui l’ont connu et de celui qui écrit ces lignes. 20 Jacob Papo, précédemment à Mikveh Israel, appartint au service des colonies de 1882 à 1904. Il s’était perfectionné en France dans le creusage des puits et il en devint responsable de 1883 à 1889. Par la suite mécanicien-chef à Rischon-le-Zion jusqu’en 1904. 21 Société protestante fondée au milieu du XIX° siècle, qui a crée diverses colonies en Palestine. A ne pas confondre avec l’ordre des Templiers médiéval. 22 Samuel Hirsch dirigea l’école de 1882 à 1891.
CHAPITRE II : PALESTINE
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Mikveh Israël (Espoir d’Israël) fondée par feu Charles Netter23, formait déjà à cette époque une très gentille oasis dans ce désert de sable. Les orangeries y étaient florissantes, les palmiers commençaient à verdir de leurs têtes, les allées, à l’entrée du jardin, et les champs bien entretenus, montraient la main ferme de la direction. Son successeur, Mr Niégo24, après avoir été son second, fit de Mikveh Israël un véritable paradis, avec ses nombreuses plantations de toutes sortes, et ses vignobles de toute beauté. Les constructions sont sorties de terre comme par enchantement, et Mr et Mme Niégo ont suivi les coutumes de leurs prédécesseurs, pour bien recevoir les nombreux visiteurs qui viennent sans cesse les voir. Le fondateur, malheureusement, n’eut pas le plaisir d’admirer son œuvre à l’apogée. Dans une de ses inspections, il y tomba malade et demanda à être enterré là où il avait déjà mis toute son âme. Tous les ans, la direction, les maîtres et les élèves font une procession sur sa tombe pour remercier du fond de leur cœur celui qui, le premier, a eu la ferme conviction que l’Israélite pouvait être apte à travailler la terre. Son nom restera gravé dans la mémoire de tous ceux qui s’occupent de colonisation juive. Je n’eus pas grand chose à faire à Rischon-le-Zion. Aussi m’empressai je de partir pour Jérusalem. Celui qui pour la première fois foule le sol de la Ville Eternelle, quels que soient les sentiments qui l’animent, ressent une certaine émotion. A l’époque on y allait en voiture. Les vrais pèlerins russes s’y rendent à pied. Ces derniers, dès qu’ils voient la première maison, se mettent à genoux et embrassent la terre. Le voyage était long et dur. La voiture était découverte. Le soleil dardait ses rayons brûlants sur nous, et pour éviter une insolation, j’ouvris mon parapluie. Je sentis bientôt que cet abri était insuffisant, et que j’allais me trouver mal. Je mis alors sur ma tête le capuchon doublé d’un bon manteau d’hiver, et après seulement je fus garanti contre les coups de soleil. On s’arrêtait un quart d’heure à Ramley pour laisser reposer les chevaux. On descendait de voiture pour s’étirer un peu les jambes. Et, de suite, on était entouré d’une nuée de mendiants, tous lépreux, d’une horreur repoussante. Je demandai d’où sortaient tous ces malheureux et pourquoi on les laissait ainsi circuler sur les voies publiques. On me répondit que ces lépreux vivaient, tous, dans une espèce de monastère, près de Jérusalem25, que l’établissement possédait assez de rentes pour faire vivre toutes ces gens, mais que l’habitude de mendier les empêchait de rester chez eux. Bien plus. Afin que le capital qui était uniquement réservé aux lépreux ne s’aliénât 23
En 1872. Charles Netter (1826-1882), fut un des fondateurs de l’A.I.U. Josph Niégo (1863-1946) fut le sous-directeur de Mikveh de 1886 à 1891 et son directeur de 1891 à 1909. 25 Dans la léproserie de Mamilla (fondée en 1867) ou celle de Silwan (fondée en 1875). 24
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pas, ces miséreux avaient soin de se marier entre eux, dans l’espoir de procréer de nouveaux lépreux, et augmenter ainsi la richesse de la corporation. On repartait et on repassait devant une auberge située au bord de la route, et faisant partie du fameux village de Latroun. Depuis cette époque cette propriété a été acquise par des trappistes français, qui y ont ajouté des constructions, et s’y adonnent à l’agriculture et à la viticulture. Enfin on arrivait à Bab-el-Ouad (porte de la vallée), à mi-chemin de Jaffa à Jérusalem. On s’y arrêtait une heure pour donner à manger aux chevaux. Là aussi se trouvait le bureau du péage de la route. C’était un des seuls qui existât dans le pays, et qui fût assez bien entretenu. Vous pouviez vous y reposer, au premier, dans une chambre, car la maison avait la prétention de s’intituler hôtel. Seulement les consommations s’y vendaient à un prix très élevé, et ceux des voyageurs qui n’avaient pas eu la précaution de se munir de victuailles, avaient des additions salées à régler.
Chapitre III MŒURS ARABES
Jusqu’ici on avait toujours été dans la vallée, on avait traversé la plaine de Sarona, si célèbre dans l’Antiquité, pour ses roses, et qui forme aujourd’hui un vaste champ de blé. A partir de maintenant, on est constamment dans les montagnes de Judée, toutes d’une nudité désolante. Vous y voyez rarement une végétation, à cause de l’absence d’humus. De toutes les forêts de Palestine, dont nous avaient entretenu les Ecritures Saintes, nous ne trouvons plus de trace. L’Arabe n’est pas fort pour la création. Parlez lui de détruire un arbre. Cela, oui. Mais pour le remplacer par un autre, jamais. Aussi, au fur et à mesure que les forêts disparaissaient, les pluies diluviennes qui forment l’hiver de ce pays, enlevaient peu à peu la terre qui restait sur les montagnes, entraînant, avec les torrents impétueux, dans la plaine, tout ce qui pouvait se détacher de ces hauteurs, y compris les grosses pierres de toutes les dimensions. C’est pour cela que le touriste, venant pour la première fois en Palestine, est tout étonné de trouver toutes les plaines, avoisinant les hauteurs, tellement couvertes de pierres qu’il est prêt à croire, que, dans le temps, il y en eut une pluie dans ces parages. Cela ne gêne pas l’Arabe. Avec sa charrue anti-diluvienne il gratte, un peu, la terre entre les pierres, et quel que soit le rendement du froment ou de l’orge, il s’en contente. Si tous les ans, il en enlevait seulement une douzaine, il arriverait à avoir un jour un champ capable de lui doubler sa moisson. Mais bah ! son père ne l’a pas fait. Pourquoi se donnerait-il tant de peines pour que son fils pût, un jour, travailler avec une charrue européenne ? Les villages sur la route, très clairsemés, sont, naturellement, misérables. Il suffit à l’indigène d’avoir une vaste pièce, en terre battue, dans laquelle couchent les bêtes et les membres de la famille. L’été, quand il sent que la chaleur est suffocante, il place quelques branchages sur sa terrasse, et il s’est créé ainsi, à peu de frais, une chambre à coucher aérée. De literie, il ne lui en faut pas, il dort toute l’année sur une natte de paille. Il faut qu’il soit bien à son aise pour remplacer la natte par un matelas. N’ayant, la plus grande partie du temps, sur lui, qu’une chemise bleue pour tout vêtement, il la laisse, jour et nuit, sur son corps. Très sobre, il se nourrira toute l’année d’une galette de pain et de fruits, quels qu’ils soient, produits de l’arbre ou de la terre. Il mangera, sans les faire cuire, des pois-chiches. Il avalera des
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concombres sans les peler. Il arrosera tout cela d’une cruche d’eau, et il s’en porte bien. Quant au pain dont j’ai parlé, c’est tout à fait le pain azyme que mangent les Israélites pendant la Pâque, avec cette différence que l’azyme est dur et le pain arabe est mou. Lorsque, par hasard, il y a quelque chose à manger avec une sauce, ce pain lui sert de cuiller. Quelquefois, le vendredi, on allume un peu de feu pour cuire du riz et du mouton. La fourchette et le couteau brillent par leur absence à tous ces repas. Pour les extra, il vaut la peine de les noter. J’ai été, à plusieurs reprises, invité à déjeuner à la campagne, chez des paysans ayant quelques moyens. A un moment donné, un domestique apporte un immense plat en cuivre, qu’il pose sur une espèce de tréteau. Tout le déjeuner s’y trouve et vous pouvez y voir des laitages, du beurre, du fromage de chèvre, du miel, des olives, des tranches de pastèques (l’arabe en conserve toute l’année), des œufs pochés nageant dans l’huile, et du pain fraîchement cuit. Tout le monde s’assied par terre autour de ce plat, et, suivant son appétit ou ses dispositions, fait ou non honneur à ce vrai festin de Balthazard. Invitez-vous un arabe à prendre part à un repas chez vous, il est mal à son aise avec le service, et bientôt, ne sachant que faire de sa fourchette, il la laisse et se sert de ses doigts. Il trouve cela plus logique et, surtout, plus commode. C’est pour cela que l’arabe se lave les mains avant et après le repas. L’eau joue un très grand rôle chez les Musulmans, lorsqu’ils l’ont facilement à leur disposition. Il ne faut donc pas s’étonner si le fellah, malgré les recommandations du Coran, n’est pas toujours propre. C’est que l’eau est une rareté, par conséquent, un objet de luxe pour le villageois. Dans les villes, au contraire, le Musulman observe rigoureusement tous les préceptes. Il fait ses ablutions journalières et chaque fois avant de prier. Sa religion a beaucoup pris du judaïsme. Outre ces ablutions partielles, il doit prendre plusieurs bains par mois. Il ne mange pas de lard ni de viande assommée. Il faut que la bête soit tuée comme chez les Juifs. Sa femme ne peut pas montrer sa figure en public, ni surtout ses cheveux, ces derniers pas même à son médecin. Le musulman est circoncis. Il observe les mois lunaires, mais ne connaît pas les années embolismiques.26 C’est pourquoi ses fêtes sont tantôt en été, tantôt en hiver. Certains préceptes de la Bible sont même strictement observés par lui. Œil pour œil, dent pour dent sont à l’ordre du jour chez le Musulman. Le sang appelle le sang et l’adultère la mort. Il n’y a pas de pardon.
26 Où l’année compte un mois de plus, de manière à rattraper le décalage entre l’année lunaire et l’année solaire.
CHAPITRE III : MŒURS ARABES
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Durant le Ramadan, il jeûnera durant trente jours consécutivement, sans boire, ni manger, ni fumer. Il se délectera la nuit seulement. Pour les gens aisés ou les employés du Gouvernement, c’est une fête, car les bureaux ne sont ouverts que pendant une ou deux heures, l’après midi, mais pour l’ouvrier c’est terrible. Et voyez comme ils sont orthodoxes. Le Coran leur permet de rompre le jeûne quand ils sont en voyage, au bout d’un certain nombre de kilomètres. Eh bien ! le vrai musulman, s’il a mangé pendant deux jours en route durant le Ramadan, s’empressera d’ajouter deux jours de jeûne à la fin du mois, afin que son mois d’abstention soit au complet !
Chapitre IV JÉRUSALEM
Mais il est temps que je revienne à Jérusalem. Je ne pourrai pas m’arrêter à décrire toute la ville avec ses nombreux couvents et lieux saints. Je ne citerai que ce qui a rapport au Judaïsme. Depuis une quarantaine d’années, la Ville Eternelle se divise en deux parties. L’ancienne cité est entourée de murs et les faubourgs forment bien une ville de trente mille âmes. La population générale est d’environ soixante mille âmes, sur lesquelles on compte vingt huit mille Israélites. Longtemps, ils n’y furent pas tolérés. Aussi vivant toujours dans la crainte d’être molestés ou renvoyés, les juifs n’eurent-ils jamais l’idée d’y faire construire un grand temple pour leurs prières. Le rite se divise en Sefardim (Espagnols) et Askenazim (allemands). Ces derniers ont deux synagogues, comme il y en aurait en Europe dans un centre de cent familles juives. L’une appelée « Chourvé27 » acquise28 par le rabbin Jehouda Chassid29, une autre du nom de Tiféreth-Israël30. A chaque expulsion des juifs de Jérusalem, la première synagogue fut reprise par les Musulmans, qui la rendirent, définitivement, aux Askenasim en 183631. Quant aux Sefardim, ils ont dû agir autrement. Lorsqu’ils eurent pris la résolution d’avoir un lieu de prières à eux, ils demandèrent et obtinrent la permission de reprendre, en la payant, une synagogue qui avait aussi été saisie par les Musulmans et qu’on fait remonter au 1er siècle de l’ère vulgaire, au temps de Rabbi Jochanan ben Zacaï. Plus tard, la communauté se doubla, mais ils n’eurent pas l’autorisation de construire sur la rue. Ils achetèrent donc un immeuble derrière leur 27
Ou Chourva, la ruine. Plutôt construite par le rabbin Jehouda he-Hassid Segal Halevi et ses disciples au début du XVIIIe siècle. 29 Au cours de l’hiver 1700 le rabbin Jehouda he-Hassid Segal Halevi arriva d’Europe à la tête d’un groupe de 500 disciples. Il devait mourir quelques jours plus tard. Ces derniers eurent beaucoup beaucoup de mal pour finir les travaux de construction de la synagogue, qui portera son nom. Elle fut incendiée en 1720, d’où le nom Chourva, qui la désignera après sa reconstruction. 30 Egalement appelée synagogue Nissan Bek. 31 Date de l’autorisation de la construction de la synagogue Menachem Zion dans la cour de la Chourva. 28
CHAPITRE IV : JÉRUSALEM
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propriété, adossèrent cette deuxième synagogue à la première, par laquelle on accède dans la seconde. Elle s’appelle la synagogue des Constantinopolitains32. Un jour, la communauté se tripla, il fallut travailler pour un troisième temple, et ainsi, plus tard, pour un quatrième. On opéra comme pour le second, de sorte qu’on y trouve quatre synagogues, dans lesquelles on va de l’une dans l’autre. La troisième s’appelle du Talmud-Thora et la quatrième du Milieu33. Les Mograbim (marocains) ont aussi quatre synagogues : la grande, la petite, la nouvelle et celle qu’on nomme synagogue d’Aram Tsova (Alep)34. Les Cabbalistes ont une toute petite synagogue, appelée Beth-El. Seulement, pour permettre à tous les fidèles qui demeurent à Jérusalem de faire convenablement leurs prières, il y a une masse d’oratoires dans des maisons particulières. Dès le premier embryon de communauté, on s’y appliqua à avoir des écoles, dans lesquelles on enseignait l’hébreu biblique et talmudique. Plus tard, on y ajouta, dans certaines d’entre elles, des professeurs d’arabe. Seulement, comme cet arabe est appris littérairement, et que, à la maison, les enfants ne parlaient que le jargon de leurs parents, les Askenasim s’expriment très peu en arabe. Ils continuent à baragouiner le jargon allemand comme s’ils n’avaient jamais quitté la Roumanie, la Russie ou la Galicie. Chez les Sefardim la langue-mère est restée l’espagnol, qu’ils ont gardée, malgré leur exode du quinzième siècle et les souffrances qu’ils eurent, alors, à endurer pour leur foi. Enfin vint l’Alliance Israélite, qui eut la bonne idée d’y faire ouvrir une école de français, d’arabe et d’hébreu. Un plan qu’il n’était pas aisé de réaliser. L’Alliance eut la chance d’avoir alors, parmi ses directeurs, Monsieur Nissim Béhar35 né à Jérusalem. C’est à lui qu’elle confia le soin de créer cette école. Tout autre eut échoué. C’est par des tours de force incroyables qu’il parvint à avoir quelques rares élèves, qui ne vinrent pas à l’école, mais seulement chez Mr Nissim, qui était censé leur donner, gratuitement, des leçons particulières. Et le jour où ces cours prirent le nom d’école, avec ces mêmes élèves, les excommunications se mirent à pleuvoir, de tous les côtés, sur le jeune directeur. Il resta calme, sut vaincre tous les obstacles et arriva, enfin, à mettre son œuvre sur un pied solide. Grâce à lui, cette école prit insensiblement une extension inouïe. J’en reparlerai. 32
Dite Stambouli. Dite Emtsai. 34 Erreur de Scheid : cette synagogue n’est évidemment pas marocaine ! 35 Originaire de Jérusalem, Nissim Behar (1848-1931) dirigea l’école locale de l’Alliance depuis sa création en 1882 jusqu’en 1897, après quoi il représenta l’Alliance à New York, où il s’occupa également de nombreuses œuvres et associations juives. 33
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Une autre remarque que ne manquent pas de faire les touristes en y arrivant. Dans les siècles précédents, les Juifs, en Europe, étaient obligés de porter des rouelles jaunes ou d’autres signes, qui les distinguaient des chrétiens. En Pologne et en Russie, on les forçait à avoir un chapeau spécial entouré d’une espèce de peau de lapin, qu’ils appellent « Straemel ». Il y a une cinquantaine d’années, on leur permit de s’habiller comme tout le monde. Au contraire des juifs du centre de l’Europe, qui étaient heureux de pouvoir se mettre convenablement, sans aucun signe de distinction, ceux de la Pologne et de la Russie, comme ceux de la Galicie ou de la Roumanie venus de là, eurent une espèce d’amour-propre entêté et continuèrent à porter leur Straemel, en souvenir, disent-ils, de leurs précédentes persécutions. Et cette sale coutume, ils la transplantèrent dans les villes de la Palestine. De sorte que vous voyez des Askenazim, venus, il y a cinquante ans à Jérusalem, qui n’ont pas changé de costume de l’époque et ne parlent pas un mot d’arabe. On les dirait débarqués de la veille. Les Sefardim sont plus conséquents. Leur costume de la semaine ne diffère guère de celui des indigènes. Et ce n’est que le samedi qu’ils mettent une espèce de houppelande en cretonne ou en soie mêlée de coton, qui les distingue absolument de l’arabe. La femme du Sefardi, quelle que soit sa condition, portera le samedi et les jours de fête un manteau doublé de fourrures. C’est le fiancé qui est chargé de procurer cette fourrure, sinon le mariage ne saurait se faire. Ces mariages, en général, se font trop tôt. Chez les Sefardim, on laisse encore, assez souvent, le jeune homme atteindre ses dix huit ans. Mais chez les Askenasim, la valeur n’attend pas le nombre des années. Que le jeune homme ait quatorze ou quinze ans, et la jeune fille onze ou douze ans, le mariage se conclut, s’il plait aux parents. Les jeunes gens n’ont pas voix au chapitre. Du reste, aussi longtemps qu’ils sont fiancés, ils ne se causent pas. Et que pourraient-ils avoir à se dire à cet âge ? Cette précocité dans le mariage vient de la Halouka. Elle est distribuée selon le nombre d’âmes par famille, et pour avoir quelques francs d’aumône de plus, on pousse à l’augmentation de la progéniture. Qu’est-ce que la Halouka ? Ce sont des offrandes en argent, que réunissent certaines contrées orthodoxes, en Europe, et qui sont envoyées en Palestine, pour être distribuées aux pauvres, originaires de ces contrées. Tel pays est représenté, comme ailleurs telle province, comme plus loin, même, telle ville. Pour ces aumônes, les pauvres doivent lire le Talmud toute l’année, et, afin qu’ils soient à la hauteur, ils ne quittent les bancs de l’école que munis du titre de rabbins. Seulement si, par exemple, il y a quarante ans, Grodno envoyait trois mille francs pour les familles originaires de cette ville et de son rayon, chaque famille pouvait encore recevoir, à l’époque, quelques centaines de francs et, tant bien que mal, plutôt mal que bien, joindre les
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deux bouts à la fin de l’année. Aujourd’hui que ces familles se sont considérablement multipliées, sans que les donations fussent devenues plus fortes, certains ménages touchent si peu, qu’on se demande comment, avec toutes les privations imaginables, ils ne meurent pas de faim. Qu’ils travaillent, me dira-t-on. C’est vrai. Mais quoi ? Etudions cette question en détail, aussi franchement que le sujet le permet, et sans blesser aucune susceptibilité. Je commence par dire qu’il est de toute nécessité que la Halouka continue à être envoyée en Palestine, et soit distribuée : 1° A ceux des pauvres ayant dépassé la cinquantaine, et n’étant pas capables de vivre du produit de leur métier ou de leur commerce ; 2° A tous ceux qui n’ont pas atteint quinze ans, et qui ne sont pas mariés, car je voudrais que la femme, comme l’homme, eût au moins dix huit ans pour convoler en justes noces ; 3° Aux rabbins officiellement reconnus. A ce sujet je me permets une petite digression. Il existe à Jérusalem un grand rabbin pour les Sefardim et un pour les Askénasim. Le premier est officiellement reconnu par le Gouvernement. Ils n’ont pas d’appointements fixes, et doivent vivre du produit assez aléatoire de certains revenus que leur permet l’Etat. Faute de moyens, tous les deux demeurent dans des taudis, et les étrangers, surtout les employés supérieurs du Gouvernement, qui sont appelés à leur faire des visites, doivent avoir une piètre opinion des juifs du monde entier, qui ne parviennent pas à loger convenablement ces espèces de grands prêtres. Nous avons, peut-être, trois mille âmes, qui vivent uniquement du produit de petits magasins qui existent au bazar. Quand un marchand a gagné deux francs dans sa journée, il se considère comme un homme heureux. Viennent ensuite les métiers. Malheureusement il y en a trop de tout. Tailleurs, cordonniers, ferblantiers, etc. ne doivent travailler que pour les juifs. Le chrétien n’achète rien chez les juifs et l’arabe n’a ni moyens ni besoins. Il y a bien, encore, les menuisiers, les sculpteurs, les tourneurs en bois. Seulement, comme pour les autres artisans, ils n’ont pas assez de débit. Et alors ils inondent l’Europe de menus objets en bois d’olivier. Il faut bien qu’on vive. Reste, enfin, cette autre population, sans savoir, sans métier, qui rôde toute la journée, en quête d’un gagne-pain quelconque, et que le touriste rencontre, à plusieurs reprises, dans les rues de la ville. C’est pour cela que certains de ces Messieurs les touristes, sans se rendre compte exactement compte de la population générale, qui est de soixante mille âmes, ne craignent pas d’avancer qu’il y a quatre vingt mille juifs à Jérusalem. Cela
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fait bien dans un certain monde, où l’on tient à prouver qu’il y a trop de juifs en Palestine, et surtout dans la Ville Eternelle. L’Alliance Israélite fait son possible pour tirer cette population de la trop grande misère, en multipliant les écoles et les métiers. A ceux qui précédent, elle a ajouté la forge, la mécanique et la chaudronnerie, et plus d’un jeune homme arrive à se faire un avenir, en transportant son métier dans une autre ville de la Palestine. Or, les centres habités par des Israélites ne sont pas assez nombreux en Palestine, de sorte que ce jeune artisan n’a pas beaucoup de choix. Pour le bien de tout le monde, il est indispensable de créer des centres. Et aujourd’hui que les essais de colonisation sont faits, qu’on connait partout les fautes commises et les remèdes à employer, il serait très facile de faire quelque chose d’utile et de sérieux. Au début, après mon premier voyage à Jérusalem, je n’aurais pas pu faire la proposition dont je vais parler, et voici pourquoi. Lors de mon premier voyage en Palestine, on m’avait dit partout que le Gouvernement Ottoman était opposé à la colonisation. Tenant à en avoir le cœur net, je fis, dès mon arrivée à Jérusalem, ma première visite au Gouverneur.36 Je lui parlai, incidemment, de la colonie de Rischon-le-Zion. Aussitôt Son Excellence me répliqua : « Comment ! Vous croyez que des Juifs s’adonneront à la culture des terrains ? Jamais. Ils ne feront que gâter les paysans arabes par leur manière de vivre. Je travaillerai donc, de toutes mes forces, pour que ces colonies n’arrivent pas à leur formation. » J’eus beau vouloir donner des explications pour le convaincre. Il ne me laissa pas la parole. Je dus le quitter, la mort dans l’âme, me promettant d’attendre de meilleurs moments. De là je me rendis chez Monsieur Samuel Salant37, le grand rabbin des Askénazim. Sous d’autres formes, je reçus, chez ce vieillard, à peu près la même réponse. Il était, de prime abord, contre la colonisation. Chez lui il y avait une autre arrière-pensée. Il était persuadé que le jour où l’Œuvre projetée réussirait, les gens riches de l’Europe détourneraient leurs aumônes de la Halouka et les emploieraient à la création de colonies agricoles. Partis de ce raisonnement, ses administrés refusèrent de venir travailler à la journée, trouvant cela trop dégradant pour leur dignité et préférant souffrir de la faim. Il a fallu bien des années pour que ces préjugés disparussent. Lorsqu’enfin les Jérusalémites furent convaincus que le travail relevait l’homme, on eut autant d’ouvriers juifs qu’on en voulait. Ce qui les y avait encore poussés, c’est qu’ils avaient vu venir de la Russie et de la Roumanie des quantités de pauvres coreligionnaires, qui ne demandaient qu’à travailler à la journée, pour subvenir aux besoins de la famille. 36
Raouf Pacha fut le mutasserif (gouverneur) de Jérusalem de 1877 à 1889. Egalement Salanter. Né en 1816, il arriva à Jérusalem en 1841. Il y dirigea la communauté askenaz pendant près de quarante quatre ans. Décédé en 1909. 37
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Aujourd’hui que l’essai est fait, et que ce travail de la terre est, partout, considéré très noble, on n’a qu’à demander, et il arrive de Jérusalem plus d’ouvriers Israélites qu’on ne saurait employer. On peut donc profiter de cette ardeur, acheter des terres et, au lieu de faire venir des Juifs du dehors, installer comme colons tout l’élément jeune de Jérusalem et des autres villes de la Palestine. De cette manière les grandes agglomérations juives de Jérusalem, Jaffa, Caïffa, Tibériade et Saffed disparaîtront. Le touriste ne sera plus frappé du nombre incalculable de promeneurs qu’il rencontre dans les rues de ces villes, de nouveaux centres seront créés et les artisans trouveront également à s’y occuper. C’est, à mon point de vue, la seule manière de régulariser la Halouka. Ceux qui seraient créés colons, seraient obligés de renoncer à cette aumône, et les familles, qui, forcément, resteraient, auraient au moins de quoi se nourrir. A côté de l’école de l’Alliance, dont j’ai parlé plus haut, la famille Rothschild de Londres a fondé à Jérusalem une école de filles, sous le nom de : Ecole Eveline de Rothschild. En dehors de l’hébreu, de l’anglais et du français qu’on y enseigne, les jeunes filles apprennent à coudre, à broder, à faire, en un mot, tous les ouvrages à l’aiguille, capables de leur faire gagner quelques sous et surtout de les habituer au travail. Les Juifs allemands y ont également ouvert des orphelinats, pour y élever et y instruire des garçons. Et ainsi, avec l’ouverture de ces écoles, quasi européennes, et l’instruction profane, la nouvelle génération comprend qu’il est plus convenable de gagner sa vie par le travail que d’attendre qu’une aumône leur tombât du ciel pour vivre. Les coutumes religieuses ne ressemblent pas, en tout, à celles de l’Europe. Celles des Sefardim, surtout, diffèrent beaucoup des nôtres. Arrêtons nous à quelques unes d’entre elles. Pendant les couches d’une femme juive, vous remarquerez, suspendue entre les rideaux du lit, une sorte de pieuvre en biscuit, très efficace, paraît-il, contre les sorcières. Le cinquième jour, les amies viennent visiter l’accouchée et ont soin d’apporter leur narguilé pour passer le temps. Au bout d’une heure de causerie, vient une musique arabe, où le tambourin joue le principal rôle et qui vous brise le tympan. C’est aux sons de cette cacophonie que ces dames se mettent à danser dans la pièce où se trouve la malade, et qui, au préalable, a été enfumée par ces visiteuses. Que doit éprouver la malheureuse femme pendant ce temps ? Je vous le laisse à penser. Mais il faut en passer par là. C’est la mode. Si c’est un garçon, une grande partie de la population féminine, fardée, la tête ornée de fleurs artificielles et couverte de robes de soie extra-claire, de toutes nuances, vient assister à la circoncision, ainsi que bon nombre d’hommes.
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A cette occasion l’accouchée porte une couronne d’herbes odorantes, toujours contre le mauvais œil, et le jeune fils en est littéralement couvert. L’enfant passe de main en main, jusqu’à l’endroit où se tiennent prêts les témoins de l’opération avec le parrain, comme un rouleau de la loi (fête de la Loi), le jour de Simhath-Thora, et comme tel aussi, est baisé, en passant, par ces dames, parce que, avant la circoncision, il est considéré comme une espèce de prophète Elie. Celles qui arrivent à le toucher deux fois sont heureuses pour assez longtemps. Elles croient que quelques actes de ce genre leur ouvriront plus facilement les portes du Paradis. Après la circoncision on se rend de nouveau dans la chambre à coucher, dans laquelle est dressée une table chargée de poissons frits et de viande, où tout le monde puise avec la fourchette d’Adam, en arrosant le tout d’eaude-vie. Tout ce qu’il y a de plus nature. Un juif veut-il que son fils se marie, il s’entend avec un autre, père d’une jeune fille, et l’affaire se conclut, sans que les jeunes gens soient même consultés. Parfois, on fait, en l’honneur des fiançailles, un bal, où, comme toujours, les femmes dansent entre elles et les hommes de même. Pendant ce temps, les fiancés, qui ont, ordinairement, de douze à quinze ans, sont assis, le garçon dans la salle où se tiennent les hommes, la jeune fille dans la chambre où sont réunies les femmes. Les fiancés ne pourront se faire la cour qu’après le mariage. Ils ont, tous les deux, l’air de pauvres agneaux qu’on va immoler. L’un ferait mieux de jouer encore à la toupie, et l’autre avec une poupée. Dans tous les cas, leur place, à tous deux, serait encore mieux sur les bancs de l’école. Ces mariages stupides font qu’à vingt-cinq ans, la femme, le plus souvent, a l’air d’en avoir quarante. Très souvent, pour cela aussi, au bout de trois à quatre années de mariage, l’esprit vient au jeune homme, et alors, se demandant pourquoi, sans rime ni raison, il est rivé à cette chaîne, il va faire une promenade à l’étranger, sans souci de sa femme ; quelquefois il y reste tout à fait, et la femme court après lui, pour obtenir le divorce. Après avoir flâné un certain temps, il se remarie. A Jérusalem, si, pour une cause ou une autre, il redevient libre, il reprend femme, et ainsi jusqu’à extinction. Il ne faut nullement s’étonner de voir des vieillards épouser de toutes jeunes filles. Si une femme a le malheur d’être stérile, ou de n’avoir pas donné de garçon à son mari, elle sera encore sacrifiée. L’époux est poussé de tous côtés, et par les plus saintes personnes, à se séparer de sa moitié, afin de pouvoir essayer avec une autre. Ce pouvoir discrétionnaire des autorités est un abus, dont on n’a pas idée en Europe. C’est pourquoi aussi un pauvre diable subira toutes les avanies plutôt que de réclamer contre une injustice qu’on lui aura faite, car il serait, bien vite, excommunié, et alors malheur à lui ! Etre excommunié c’est le nec plus
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ultra de la torture. On est considéré comme pestiféré et ce qui est plus grave que tout le reste, on est rayé de la liste des secours. Chez les indigènes les mariages ne se font guère avec plus d’apparat que chez les juifs. J’ai assisté aux fiançailles de la fille d’un levantin. Nous étions une trentaine d’hommes, mais nous n’avons pu voir la jeune fille. A un moment donné, le prêtre catholique prit en mains un foulard et un bracelet, cadeaux du jeune homme, et récita une prière. Puis le père de la future lui porta lesdits présents dans sa chambre et on commença à servir force consommations. Chez les arabes musulmans cela se passe encore autrement. Un jeune homme veut-il se marier, il charge sa mère de lui dénicher une femme, puisque lui-même ne peut la voir qu’après le mariage, à la maison. Quand tout est fini à la mosquée, sans qu’il ait encore pu contempler le bout du nez de sa future, l’heureux époux, tout radieux est conduit chez lui par les hommes, qui étaient de la noce. La jeune femme arrive bientôt après. Dans le high life, un quart d’heure après la cérémonie, vient une musique, suivie d’une voiture découverte, dans laquelle se trouvent quatre femmes, enveloppées du traditionnel drap blanc. L’une d’elles porte, par dessus la tête, un voile rose : c’est ce qui distingue la jeune mariée des autres, qui, tout le long de la route, chantent d’une voix de tête aigre douce, une de ces fantaisies que les Arabes trouvent si jolies, et que nous autres, profanes, nous n’arrivons pas encore à digérer. La voiture est suivie d’une douzaine d’hommes, qui ferment la marche. Il y a, ensuite, un grand dîner dans deux pièces complètement séparées. Dans l’une on sert les dames, dans l’autre les hommes. Le pilaw au safran doit jouer le rôle du champagne des repas de noces européens, et égayer la société. Y a-t-il un décès ? On ne demande pas longtemps l’avis des médecins, pour savoir si la mort est réelle. Tant pis s’il n’y a qu’une syncope. Deux heures après que la famille aura constaté le décès, le cadavre est porté en terre. Chez les Arabes, on lui met ses vêtements de tous les jours et les amis l’accompagnent au cimetière, en le portant sur les épaules, étendu sur un banc dont les quatre pieds sont en l’air. Si c’est un personnage de marque le cortège s’ouvre par une procession d’hommes portant des bannières de tous genres, et chantant des versets du Coran. Une espèce de brancard existe également chez les Juifs. Le mort est complètement couvert d’un taleth38, pour qu’on ne voie pas sa figure, et la femme décédée est entourée d’un grand châle, tout comme chez les musulmans.
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Châle de prière.
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Ce brancard sur lequel il a été porté au cimetière, revient en ville, car le défunt est mis en terre, sans être entouré de planches. Chez les Juifs les prières sont dites derrière le cercueil, en route pour la nécropole. Si un Israélite meurt le samedi, on l’enterre, la nuit, immédiatement après l’issue de la fête. Chez les Grecs, au contraire, le corps est placé dans un cercueil capitonné, porté assez bas, à bras, précédé d’une espèce de bedeau chargé du couvercle, de sorte que les passants peuvent contempler les traits du décédé. Entrons maintenant dans quelques temples, où le service laisse beaucoup à désirer. Prenons d’abord les Sefardim. Les prières, chez eux, se font avec beaucoup plus de ferveur que chez les Askenasim. Ils n’ont que des bancs et ne s’occupent que de la prière. Nous n’avons que deux reproches à leur adresser : d’abord leurs prières se font un peu trop vite et ensuite certains d’entre eux croient être plus agréables au Seigneur en ôtant leurs souliers. Passe encore pour la vue, mais …. Et encore si tous avaient des chaussettes !! En vérité nous trouvons qu’ils imitent trop une religion voisine. Quelqu’un qui veut se faire une juste idée de ce qu’est le Tischa-Beab (anniversaire de la destruction du temple) doit aller, la veille, au temple des Sefardim. Au lieu de lustres ou lampes, il y a, par ci par là, des lanternes placées sur les bancs et tout le monde, naturellement, est assis par terre. Chaque chapitre est récité par quatre fidèles, à tour de rôle. Nous n’avons pas besoin de dire que le ton voulu y est. Mais quand vient le tour du grand rabbin et qu’il dit cette Eïkha (jérémiade) en pleurant, ses larmes vraies en font couler bien d’autres. Il est triste de voir pleurer un vieillard à longue barbe blanche. Peu à peu les lumières s’éteignent et il ne reste plus que deux bougies allumées devant le ministre-officiant. A la fin ces deux bougies sont éteintes à leur tour et alors …. oh ! alors, au récit que fait en espagnol, et dans cette obscurité complète, le ministreofficiant, de l’histoire de la destruction du Temple, et des souffrances endurées, depuis cette époque, par les Israélites, pour la Ville Sainte, tout le monde se met à pleurer et à gémir, à vous fendre le cœur. Pendant ce temps les femmes, enveloppées de toiles blanches, se promènent au dehors, au clair de la lune ; et ces espèces de spectres, vus dans cette obscurité à travers les fenêtres, vous donnent le frisson. Nous ne conseillerions pas à des personnes nerveuses d’assister à ce spectacle, le plus lugubre que nous ayons jamais vu. Le matin du Tischa-Beab n’a rien d’extraordinaire que la sortie du Sepher (rouleau de la loi). Celui-ci, en signe de deuil, est orné d’un crêpe noir, et on fait circuler un plateau avec de la cendre, dont chaque fidèle prend une pincée, pour en couvrir son front jusqu’à la fin du service. Nous trouvons cette coutume encore trop semblable au mercredi des cendres et elle est loin de
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nous plaire. Elle nous a été prise par le christianisme. Il fallait la lui laisser en pleine propriété. Passons, maintenant, au temple des Askenasim et transportons nous à la veille de la fête de Simhath-Thora. Les femmes, si elles viennent à la synagogue, sont juchées tout au haut, près de la voûte. L’idée ne vient à personne de les regarder, car on attraperait, vite, un torticolis. Y êtes-vous en qualité de visiteur ? Les enfants et les jeunes gens viennent, à tour de rôle, se camper devant vous, pour vous fixer comme une bête rare. Les autorités ont de la peine à retenir les fidèles à leurs places respectives. C’est une promenade continuelle et un désordre écoeurant. Tout le monde prie à haute voix, et les gamins, de leur voix nasillarde, ont l’air de donner le ton au ministre-officiant. Vers la fin de l’office, tous les Sepharim (rouleaux de la loi) sont sortis de la Tébah39 (arche sainte) et on les promène sept fois dans la synagogue. Après chaque pause, les fidèles entourent les rouleaux de la loi, sautent, dansent et battent des mains en chantant un « Neï ! Neï ! » qui n’a certainement rien d’harmonieux. Cette cérémonie se prolonge jusque vers onze heures du soir. On ne la recommence pas le lendemain matin. Le huitième et le neuvième jour se célèbrent en même temps. On donne le pas au Simhath-Torah. Pour toutes ces raisons, le service dure toute la matinée. Le lendemain, pour les mêmes raisons, le service dure toute la matinée. On appelle à la Thora un Cohen, un Levi, un Israël, puis on recommence par Cohen, Levi, Israel et ainsi de suite, jusqu’à ce que presque toute la communauté ait été appelée aux honneurs de la Loi. Ce qui nous a le plus frappé dans la grande Synagogue, appelée la « Chourvé », c’est la reproduction, sur le mur, au dessus de la porte d’entrée, de tous les instruments de musique, dont il est parlé dans les Ecritures Saintes. Il y a encore un lieu de prières dont nous devons entretenir nos lecteurs. C’est celui qu’on appelle Kothel-Mearabi40 ou Mur Occidental. Ce souvenir des vieux temps, peut-être le seul réel de tout ce qu’on montre ici de l’antiquité, aux touristes naïfs, mérite une description spéciale. Le Mont Moria, qui domine la vallée du Hinnom, fut, pour la première fois, mentionné dans les Ecritures Saintes, par le sacrifice d’Isaac, qui devait être consommé sur cette hauteur. C’est là aussi que David fit construire son autel. C’est là enfin que le roi Salomon fit élever son temple illustre. Ce temple, détruit, fut remplacé par les Juifs après le retour de leur captivité, et lui-même fit place à celui érigé par Hérode.
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Confusion avec le Hechal ou Arche Sainte ! Plutôt Maaravi (le mur des lamentations).
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Il n’en reste pas grand chose, sinon ce mur si renommé, qui a, peut être, dix huit mètres de hauteur, sur environ quarante huit mètres de longueur. La partie supérieure est moderne. Le bas est composé d’immenses pierres de taille à refend, enchâssées les unes dans les autres, sans mortier ni ciment. Les fondations doivent aller jusqu’à dix huit mètres de profondeur. L’emplacement, sur lequel se trouvait le Temple, mesure environ cent vingt mille mètres carrés. La première fois que je le vis (on y a accès par huit rues et portes différentes), la boue et les pierres roulantes s’y donnaient encore la main. Depuis quelques années, toute cette partie a été dallée. C’est plus grandiose ainsi. Mais la cour semble bien plus spacieuse, au point que la mosquée d’Omar et la mosquée El-Silsileh41, qui n’en est pas beaucoup éloignée, malgré leur grandeur imposante, semblent être bien petites, quand on considère l’immensité de la place sur laquelle elles se pavanent. Les Juifs orthodoxes n’y entrent pas, pour ne pas mettre le pied, peut être, à l’endroit où se trouvait le Saint des Saints. Sous la deuxième mosquée existent encore les anciennes écuries de Salomon. Elles ont neuf mètres de hauteur, quatre vingt mètres de longueur sur soixante mètres de largeur. Il y a, en tout, treize voûtes qui reposent sur quatre vingt huit piliers carrés, disposés sur douze rangées parallèles. On remarque, dans certains de ces piliers, les anneaux auxquels on attachait les chevaux. Mais revenons au mur, que beaucoup d’auteurs appellent le Mur des Lamentations. Il y en a même qui ont trouvé que toute l’année, les prières se composaient des « Eïkha » (Jérémiades) de Tisché-Beab (jeûne d’Ab). D’autres insistent principalement sur l’office du vendredi après quatre heures du soir. Tout cela est faux. La ruelle dans laquelle se rendent les Juifs pour faire leurs prières devant le mur, sert, toute l’année, de synagogue à ciel ouvert. Toute l’année aussi, on y assiste aux offices d’une synagogue oratoire. Le vendredi après midi le service change. A partir d’une heure, chaque fois qu’il y a Minian (dix hommes), l’un d’eux se détache et fait le ministreofficiant. Le service, qui dure de quinze à vingt minutes, est à peine terminé, que d’autres fidèles, au nombre de dix à vingt, ont remplacé les premiers, et ainsi de suite, le Min’hah (prière d’après-midi) se répète sans discontinuation, jusqu’à la nuit. Or, le vendredi après midi, il y a beaucoup plus de fervents que les autres jours, si l’on additionne les personnes des deux sexes, qui ont assisté aux divers offices de Minhah. Tous ceux qui ont un malade dans la famille, tous ceux qui ont à faire une prière pour un malade étranger, ou pour toute autre raison, viennent ce jour. Et lorsque dans le Schemoné-Esré (prière qui se dit trois fois par jour) on arrive au 41
Mosquée de la chaîne. Dans la paragraphe suivant, il sera fait allusion à El Aqsa.
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passage : « Guéris-nous, ô mon Dieu, et nous serons guéris etc. », chacun donne cours à ses larmes, accompagnées de lamentations, qui vous émotionnent fortement. C’est que, nulle part ailleurs, la prière n’y est si sincèrement adressée au Tout-Puissant, que devant ce mur, souvenir de tant de splendeurs passées. Et ces pleurs et ces larmes ne cessent, que lorsque le Minhah est terminé. C’est un spectacle touchant, que ne saisissent pas ceux qui ne comprennent pas le sens de ces prières. Non loin de là, feu Albert Cohn42 fonda en 1854, pour le compte de Monsieur le baron James de Rothschild à Paris, un hôpital d’une vingtaine de lits. Depuis cette époque, tout ce qui veut marcher avec la civilisation, est allé résider au dehors de la ville. MMrs de Rothschild frères, trouvant aussi que ces nouveaux quartiers étaient plus sains et plus aérés, vendirent cette maison à la communauté des Sefardim et firent construire en plus grand dans une rue, qui vit s’élever encore deux hôpitaux.43 Ce nouvel hôpital renferme une trentaine de lits, mais pourra, grâce aux terrains voisins, être encore agrandi plus tard. La communauté Sefardi fit remettre à neuf l’ancienne maison qu’elle venait d’acquérir, fit bâtir des chambres sur la terrasse au premier et a, aujourd’hui, également de quoi héberger une quarantaine de malades. C’est l’hôpital Misgab-Ladach. De son côté, la communauté Askenazi fonda un hôpital, qui peu à peu s’agrandit et reçoit plus de quarante malades. Il s’appelle Bikour-Holim. Ces deux derniers établissements sont intra-muros. Ces hôpitaux, qui donnent encore des consultations et des médicaments gratuits, rendent énormément de services à la population juive. Mais ils ne suffisent pas. La place et les lits manquent pour tous ceux qui viennent frapper à leurs portes. Or la Palestine en général, et Jérusalem en particulier, pullulent de missionnaires, surtout protestants. Les plus enragés sont les Anglais, qui doivent disposer de capitaux inouïs, pour arriver à faire toutes les dépenses, que leur occasionne cette furie de conversion des Juifs. Chaque nation européenne qui se respecte a son hôpital dans la Ville Sainte. Aussi voyons-nous de véritables constructions princières établies par la Russie, la France, l’Allemagne, la Turquie, l’Autriche, etc. La mission anglaise, pour atteindre son but, but qu’elle poursuit avec tant de patience, en possède trois. Un pour les maladies d’yeux, un deuxième pour tous ceux qui se présentent, juifs, chrétiens, musulmans, etc., le troisième 42 D’abord responsable des études juives des enfants Rothschild de Paris, Albert Cohn (1814-1877) devint à partir de 1839 le conseiller de la famille pour ce qui concerne les œuvres juives. 43 L’hôpital Bikour Holim et l’hôpital anglais.
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est uniquement réservé aux Israélites. Et pour qu’ils puissent y entrer sans avoir rien à se reprocher, la cuisine est faite par des juives orthodoxes, et pendant la Pâque, il n’y entre que des azymes. Aussi les Juifs remplissent-ils continuellement ce troisième refuge. On ne leur impose qu’un sermon, qu’ils sont forcés d’entendre le dimanche. Et malgré toutes ces avances, les conversions se comptent sur les doigts. Cependant, émus par ce spectacle et cette pénurie d’hôpitaux israélites, quelques juifs orthodoxes de Francfort se sont mis à la tête d’un comité de propagande pour la centralisation de fonds à recueillir en Europe, et pour l’édification d’un hôpital assez vaste pour recevoir, dès son ouverture, une soixantaine de malades.44 On est en train de le construire, hors ville, sur un emplacement excessivement bien choisi. Plaise au Ciel que ces Messieurs réunissent assez d’argent pour mener à bonne fin l’œuvre si grandiose qu’ils ont entreprise. Il nous reste à parler d’un hospice d’un autre genre, que la Société de Dames a eu la bonne idée de créer : c’est un asile d’aliénées. Les fous sont des êtres sacrés chez les Orientaux. Les Turcs laissent donc les pauvres gens privés de raison courir dans les rues. Ils entrent dans les maisons, y bouleversent quelquefois des objets, sans qu’on ait seulement l’air de s’en apercevoir. Les Juifs atteints de cette terrible maladie ne jouissent pas de toutes les prérogatives. Ils courent dans la rue, mais la populace leur jette de la boue et les poursuit de ses lazzi. Ce que voyant, Madame Michel Pinès45, la vaillante présidente de cette société de dames, loua, d’abord, une petite chambre, puis quelques plus grandes, et finalement une maison spacieuse, dans laquelle elle abrite une quinzaine de folles. C’est une des institutions de Jérusalem qui mérite le plus de soutien de la part de nos coreligionnaires. Etant à Jérusalem, je devrais parler du tombeau des rois, de ceux des juges, de ceux de Samuel, de David. Mais rien ne prouve leur authenticité. Je préfère m’arrêter un peu à celui qu’on est généralement d’accord pour attribuer à Rachel, et qui est sur la route de Jérusalem à Hébron. L’Histoire nous dit que Rachel est morte sur le chemin, qui conduit à Ephrata. Ephrata doit être Bethléhem. Est-ce le tombeau qu’on nous indique ? Je ne sais. C’est, comme toutes les tombes arabes, un bloc de pierres murées, arrondi en demi-ballon et blanchi. Il est très respecté par tous les habitants des environs et les Musulmans ces derniers temps sont venus enterrer leurs morts dans le voisinage. 44
Il s’agit du futur hôpital Shaarei Tsedek, qui sera inauguré en 1902. Chaya Tsiporah (Tsippa) Pinès, née Lourié, était l’épouse de l’écrivain et leader sioniste Yehiel Mihel Pinès. Elle fonda l’Association féminine Esrat Nachim (aide des femmes) en 1894, qui établit à Jérusalem l’hôpital gériatrique et psychiatrique du même nom (aujourd’hui Hôpital Herzog). 45
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Il y a une cinquantaine d’années46, Sir Moses Montefiore fit enfermer cette tombe dans une maison de deux pièces. Dans la première brûle une lumière éternelle et pendant le mois d’Eloul et de Tischri, aux jours de Selihoth,47 les juifs de Jérusalem y viennent faire leurs prières du matin. Il faut une heure pour y aller. Beaucoup d’auteurs, en en parlant, se servent de cette expression : « ce soi-disant tombeau de Rachel. » Pour ma part, je suis aussi très perplexe. Et voici pourquoi : en Egypte au moment de mourir, Jacob demande à ses fils, à être enterré à Hébron, auprès de ses parents et grands parents. Il tenait donc beaucoup à cet emplacement comme sépulture. Et Rachel qui, en donnant un fils à Jacob, meurt à quatre lieues de Hébron, n’aurait pas été conduite par lui dans cette ville, dans cette célèbre Morèth48 – Hamachpèla où reposaient du sommeil éternel et Abraham et Sara, où vivait encore son père Isaac, qu’il allait voir, et où il fera enterrer sa femme Lia ? Il ne devait donc pas être si près de Hébron, sans cela il y eut, certes, conduit celle qu’il aimait au dessus de tout, puisque, justement, il se rendait à Hébron. Il n’aurait donc pas fait de détour. Je ne me charge pas d’expliquer où pourrait se trouver le tombeau réel de Rachel. Dans tous les cas, c’est aussi une véritable énigme pour moi et probablement pour bien d’autres.
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En 1841. [Supplications] qui se disent avant les prières journalières, le matin, environ huit jours avant le Nouvel An, jusqu’au grand jour de jeûne. (Note de l’auteur.) 48 Lire Mearath. 47
Chapitre V HÉBRON
En continuant la route on arrive à Hébron, appelée, du temps d’Abraham, Kiriath-Arba. Je laisse de côté ce qu’on nous montre comme étant le chêne planté par Abraham, les différents tombeaux des généraux de David, pour ne m’arrêter qu’à deux curiosités. La première est la vieille mosquée dans laquelle sont conservées, dans le sous-sol, les tombes de nos ancêtres. Elles doivent être couvertes d’étoffes en velours de soie brodées d’or, telles qu’on en voit, à Stamboul, sur les sarcophages d’anciennes têtes couronnées. Seulement, un non-musulman n’a pas l’entrée de cette mosquée, de sorte qu’on n’a pas de définition exacte de ces reliques. Pour y pénétrer il faut un Iradé49 du Sultan. Et encore, avant de s’aventurer là-dedans, il est bon de regarder, à Constantinople, si le firman porte que le favorisé, qui a reçu cet écrit, a le droit d’entrer dans le sous-sol et aussi, mais surtout, celui d’en sortir à nouveau. Sans cela, les prêtres ultra-fanatiques qui vous reçoivent, pourraient vous répondre : « Vous avez bien l’autorisation d’entrer. Seulement, je ne vois pas celle, pour vous, d’en sortir. » Ne croyez pas que ce que j’avance est une plaisanterie. Rien n’est plus sérieux. Ces Iradés, en effet, sont toujours rédigés de manière à laisser une porte ouverte aux chicanes. En passant, je vais citer un exemple. En souvenir de son voyage en Palestine en 1887, la baronne Edmond de Rothschild m’avait chargé de lui faire acheter un terrain près de Saffed, parce qu’elle voulait y faire construire un hôpital. Le terrain fut acquis. J’obtins également le firman autorisant la construction, s’il n’y avait pas d’inconvénient. C’est la phrase réglementaire. Comme le Caïmakam (sous-préfet) de Saffed trouva à redire et voulut nous faire passer sous ses fourches caudines, Madame la baronne refusa de faire bâtir cet hôpital, qui, à l’heure qu’il est, n’existe pas encore et ne sera jamais édifié. La deuxième curiosité de Hébron est le Ghetto50. Pour le visiter, il faut un bon guide ; sans cela on s’y égarerait. Le tout est fermé par une porte ordinaire. Une fois que vous avez franchi le seuil de cette porte, vous vous 49 50
Décret impérial. Aujourd’hui les Israélites peuvent demeurer partout en ville. (Note de l’auteur).
CHAPITRE V : HÉBRON
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trouvez dans un dédale de corridors qui n’en finissent plus. De chaque côté de ces corridors il y a les habitations, généralement composées, chacune, d’une assez grande pièce, bien aérée. Pour gagner de la place, les anciens propriétaires ont assujetti dans un coin, à mi-hauteur de la chambre, quelques planches solides sur lesquelles se dresse un lit. C’est une chambre à coucher, dans le genre des jardins suspendus de Babylone. Et de temps en temps, à côté de ces chambres, on rencontre de petites synagogues. Il n’est pas possible de se rendre un compte exact de la chose, si on ne l’a pas vue. Toutes les descriptions sont vaines.
Chapitre VI MER MORTE
Tout en donnant l’historique des colonies, je décrirai le pays qui se trouve autour d’elles, et je finirai la description pour n’avoir plus à y revenir. Je veux opérer de même pour le rayon de Jérusalem. Pour cela je suis obligé d’avancer, du coup, de huit années. Mon lecteur, je l’espère, me le pardonnera, car, pour bien me faire comprendre, je suis obligé de donner quelques explications supplémentaires. En dehors d’Ekron, Monsieur le baron trouva toutes les colonies, au moins en partie, achetées par des juifs roumains et russes. Le terrain n’était pas de premier choix, loin de là, et le bois manquait tout à fait. On n’en produit pas du jour au lendemain. Au mois de février 1891, Monsieur le baron Edmond de Rothschild reçut la visite d’une personnalité de Jérusalem, qui lui raconta qu’entre Jéricho et Salt, de l’autre côté du Jourdain, il y avait une immense propriété appartenant au Gouvernement et composée, principalement, d’une forêt de chênes incomparablement belle. Enthousiasmé par la description de cette forêt et heureux de trouver, dans le pays, le bois nécessaire aux constructions, Monsieur le baron me chargea d’aller voir cette propriété et de lui en faire un long rapport. Je partis de Paris vers la fin du mois d’avril. J’inspectai provisoirement les colonies du rayon de Jaffa et j’arrivai à Jérusalem le 30 mai. Je me mis immédiatement en quête d’une escorte sûre, car je ne tenais pas à être fait prisonnier par une bande de bédouins sauvages, qui pullulent autour de la Mer Morte. Pour bien faire comprendre à mes lecteurs la facilité que j’avais de me rendre partout, sans m’inquiéter de trouver ou non des hôtels en route, j’ai besoin d’entrer dans quelques détails, qui pourront servir à des voyageurs désireux d’être partout à leur aise, et ne pas suivre la marche routinière des touristes. Un auteur,51 dans son dernier ouvrage sur la Galilée, se plaignit de la pluie qu’il avait eue en route, qui lui avait mouillé ses effets, et l’avait empêché de faire dresser sa tente. 51 Il s’agit de Pierre Loti, qui publia en 1896 La Galilée, un des trois livres qu’il consacra à la description de la Terre Sainte, où il venait de faire un long voyage.
CHAPITRE VI : MER MORTE
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Rien de tout cela ne pouvait m’arriver. Il est vrai que mes débuts furent terribles et que j’ai pris des leçons à mes dépens. Ce n’est que peu à peu que je suis arrivé à m’organiser convenablement. Quand je faisais ces excursions impossibles, j’avais, dans des cantines d’officier, dont le couvercle est doublé de feutre – à cause du soleil, – tout ce qu’on peut rêver en conserves. On est arrivé, aujourd’hui, à produire en viandes, poissons, légumes, fruits, hors d’œuvre, des articles tout à fait irréprochables, qui, chauffés selon les besoins, vous font oublier, quelquefois, que votre repas n’est pas composé d’objets tout frais. Du jour où j’étais organisé, je ne mangeai plus rien froid. J’avais pour cela une cantine renfermant une double machine à cuire au pétrole, une petite caisse avec des bidons de ce liquide, une cantine avec le service complet de table pour douze personnes. Outre cela, j’avais des cantines avec le vin, une eau minérale quelconque, le pain, etc., de sorte que, quoiqu’il arrivât, j’avais toujours la même eau et, par conséquent, j’étais moins sujet aux indispositions. J’avais ma tente, avec double toit, à cause des pluies printanières. Et afin que mes caisses de conserves, d’habillement, ma tente, et tout ce qui était encore transporté, ne souffrît pas de l’eau, je faisais tout revêtir de couvertures en caoutchouc. Moi même, outre le manteau en caoutchouc à pèlerine et capuchon se fermant sur le nez, je passais la dernière année, par dessus mes bottes, un pantalon en caoutchouc et je mettais des gants en caoutchouc par dessus des gants de fil. De cette manière, je marchai des heures entières sous la pluie, sans être trop incommodé. Et le soir, en arrivant à une station, ma tente sèche pouvait être dressée malgré les averses. Dans la tente, les herbes étaient mouillées. Je faisais étendre sur elles mes couvertures en caoutchouc et l’une d’elles me servait d’édredon sur mon lit, qui, après mes premiers déboires, me suivait partout, ainsi qu’un pliant. Quatre cantines réunies deux par deux et juxtaposées, formaient une excellente table et lorsque je mettais pied à terre quelque part, pour le repas, il ne me fallait de l’eau que pour la cuisine et pour laver la vaisselle. A cette époque, j’étais organisé pour tout, excepté contre la soif, en route. Certes, moins on boit, moins on a besoin de boire. Mais lorsque l’on fait des étapes de dix à douze heures, sous un soleil de plomb, la gorge se dessèche peu à peu et on est obligé d’humecter les lèvres de temps en temps. J’avais déjà essayé du café noir pur, puis du café mélangé de cognac, puis de l’eau sucrée avec un peu de cognac. Naturellement, aussi, de l’eau pure. Rien n’étanchait la soif. Ce ne fut que l’année d’après, en 1892, que j’ai eu la bonne idée de prendre, en route, du thé léger et légèrement sucré. Comme le soleil chauffe la gourde, on a, constamment, du thé tiède, qui est exquis.
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Aujourd’hui, on peut aller en voiture de Jérusalem à Jéricho. A cette époque on s’y rendait à cheval. On descend continuellement, puisqu’il y a une différence d’altitude d’un millier de mètre entre ces deux endroits. A mi-chemin on trouve un Han (caravansérail) où l’on s’arrête pour le déjeuner. Le terrain n’est pas très fertile par là. Ce ne sont plus ces riants pâturages que se disputaient les bergers d’Abraham et de Loth. A peine de quoi faire paître, par ci par là, quelques maigres chèvres, qui, par la couleur rousse de leur robe, ont l’air d’être rouillées. Jéricho n’existe plus que de nom. Cette ville, si réputée pour ses dattiers, n’est plus qu’un vaste désert, sauf en un point. Celui-ci, composé de terres excessivement fertiles, donne beaucoup d’oranges et de citrons. A côté de ces jardins, il y a constamment des pépinières pour remplacer les orangeries qui dépérissent au bout d’une douzaine d’années, lorsque les racines arrivent à toucher le sous-sol, tout imprégné de sel, à une certaine profondeur. Un pied de vigne d’une longueur démesurée et d’un rendement extraordinaire attire notre attention à tous. Certes, un pareil cep n’eut pu être porté par les deux messagers de Josué. Du reste, dans les colonies viticoles, les ceps forment de petits arbres, sur lesquels il est facile, dès la cinquième année, de trouver une centaine de grappes de raisins, que deux hommes ne pourraient porter qu’avec beaucoup de peine. Il y a bien à Jéricho deux hôtels, qui sont ouverts durant la saison des touristes, c’est-à-dire jusqu’après Pâques. Au moment où j’y suis venu, en 1891, ces deux hôtels étaient déjà fermés. Je ne m’en inquiétai pas beaucoup, ayant mes tentes et tout le nécessaire avec moi. Pendant que nous déjeunions, nous eûmes le plaisir d’être un peu rafraichis par une averse, qui dura un quart d’heure. Après la sieste de rigueur par ces chaleurs, nous fîmes seller nos chevaux et nous nous rendîmes vers la Mer Morte. De notre tente à la mer il fallait environ deux heures. Ce lac, aussi long que le lac de Genève, puisqu’il a aussi soixante seize kilomètres de longueur, mesure de dix à quinze kilomètres de largeur, avec une profondeur d’environ trois cent trente mètres. Il est situé à quatre cents mètres au dessous du niveau de la mer Méditerranée. Les arabes l’appellent la mer de Loth et les Grecs lui ont donné le nom de Mer Morte. Il ne peut plus être question de la statue de la femme de Loth. Depuis Jéricho jusqu’à la mer, tous les terrains sont salés. Il se produit, à cet effet, un phénomène très curieux, lorsque, comme cela était arrivé durant notre passage à Jéricho, la pluie tombe sur ce sol. Le sel, venant alors à fleur de terre, fait ressembler, de loin, tous ces monticules, grands et petits, à autant de statues de sel, auxquelles la pensée donne toutes les formes imaginables. A droite, en y allant, jusqu’aux montagnes remontant vers Jérusalem, la terre est littéralement bouleversée. C’est pire que le néant. On dirait qu’un
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immense régiment de sangliers a passé par là, pour faire des fossés de toutes les dimensions. C’est la pure dévastation dans la plus large acception du mot. Et ces excavations continuent jusqu’à la Mer Morte, encaissée entre ces mêmes montagnes et celles de Moab. A votre gauche deux blancheurs vous frappent. L’une est au bord du Jourdain. « Cela, me dit mon guide, c’est le fort Siméon. Lorsque les Romains eurent pris Jérusalem, une partie de l’armée, ne voulant pas se rendre, se sauva, avec son général Siméon en tête. Bientôt après, manquant de tout et sentant l’approche de l’ennemi, tous ces braves se donnèrent la mort, plutôt que de renoncer à la religion de leurs pères. »52 L’autre, sur le même plan, à cinq minutes du lac, est un couvent grec.53 On y envoie, dit-on, les frères qui ont encouru une peine et qui sont mis au pain sec et à l’eau, comme de vulgaires pensionnaires, pendant plusieurs années ou pour le restant de leurs jours. Dans tous les cas, il faut avoir le diable au corps pour aller habiter cet endroit archi-désert et respirer, continuellement, ces émanations sulfureuses. L’eau, en effet, laisse au palais un goût plus amer que celle de la Méditerranée, mais elle cicatrise immédiatement, comme le collodion, les petites blessures qu’on a lavées avec cette eau. C’est naturel. La Mer Méditerranée renferme 4 à 6 % de sel, tandis que la Mer Morte en a 27 %. Il s’y trouve également du pétrole, et c’est peut-être de là que nos ancêtres prenaient le naphte (pétrole) dont il est parlé dans le Baméh Madlikin.54 L’eau y est tellement dense qu’on ne peut pas y plonger. On a même de la difficulté à y nager, car l’eau vous soulève les pieds. Après un bain, votre corps est tout huileux et vous donne des démangeaisons. Pour s’en débarrasser, le mieux est d’aller après prendre un bain dans le Jourdain. Aucun être vivant ne peut vivre dans cette eau et vous ne voyez guère d’oiseaux dans les environs. L’odeur du soufre qui s’exhale de ce lac est trop désagréable et trop dangereuse pour eux. Tout cela est d’un morne à vous faire croire à la fin d’un monde. On a hâte de repartir, car on ne se sent pas à son aise dans cette atmosphère pestilentielle. Et puis, en vous attardant, vous pouvez, tout au plus, faire la connaissance de bédouins pillards. Nous fîmes le soir un festin de Lucullus55 ; nous reçûmes des visiteurs extasiés de notre commode installation et nous passâmes une excellente nuit. 52 Il semble bien que le guide a confondu ici la grande révolte contre Rome et Massada d’une part avec celle de Simon Bar Cochba de l’autre. 53 Le monastère de Saint Jean ou celui de Saint Gérasime du Jourdain ? 54 [Extrait de la liturgie] du vendredi soir, qui énumère les huiles pouvant servir à préparer les lumières du Sabbat, et celles impropres à cet usage (note de l’auteur). En fait chapitre II de la Michna du traité Schabbat. 55 Dans une des copies : Balthazard !
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En route, on est forcé de se coucher de bonne heure, car on doit être debout deux heures avant le moment fixé pour le départ. Comme les bêtes de somme, qui portent les bagages, ainsi que les chevaux que vous montez, ne prennent rien pendant la journée, il est indispensable de les bien nourrir, le matin, et de les faire bien boire. Aussi sommes nous prêts à deux heures du matin. Jusqu’à ce que les tentes soient démontées, pliées et chargées sur nos mulets avec le reste des bagages, que chacun soit à son poste, à cheval, il est quatre heures. Le soleil n’est pas encore levé, ce qui n’empêche pas de voir une petite clarté. Dans les pays chauds, le soleil est d’une paresse à nulle autre pareille. Il aime à dormir longtemps, après avoir fait beaucoup transpirer la veille. Il se décide, à cette époque de l’année, à se lever seulement vers cinq heures. Et la preuve de sa paresse, c’est qu’il se couche, fin mai, à sept heures. Mais dans la journée, il s’amuse à chauffer et il ne ménage rien pour vous griller. Ce jour là, surtout, il s’était acharné sur nous d’une manière indigne. Nous étions en plein sirocco et nous fûmes gratifiés de près de 50° de chaleur sans voir un arbre de la journée. Si j’avais écouté le Dr Masié,56 un des plus anciens médecins des colonies, je ne serais jamais sorti de si bon matin. Car le brouillard que l’on respire, avant qu’il soit dispersé par les rayons du soleil, est très mauvais, et vous occasionne des fièvres. Mais quand on a devant soi des étapes comme moi, et qu’on a envie de ne pas moisir en route, on ne compte pas avec la santé. Enfin je tenais à me débarrasser, le plus vite possible, de ces corvées très gênantes, sans encourir de reproches. J’ai en effet eu la satisfaction de voir, pendant les seize années que j’ai consacrées aux colonies, que je n’ai jamais été réprimandé, pour n’avoir pas assez travaillé. Au contraire, j’ai eu beaucoup …. mais beaucoup de compliments, après mes surmenages, comme j’en donnerai quelques exemples au cours et à la fin de cet ouvrage. Et cependant, le Dr Masié avait pleinement raison. Seulement j’étais convaincu, pour mieux donner l’exemple aux jeunes, que j’étais contraint de faire l’impossible, et de finir, dans un trimestre, ce que d’autres auraient eu de la peine à terminer en six mois. On ne veut pas se rendre à l’évidence et se persuader que ceux qui ne font que le strict nécessaire, arrivent au même résultat, et que, tous les ans, on a douze mois de plus.
56 Le docteur oculiste Aaron Meïr Masié (1858-1930) fut recruté à Paris en 1888 par Edmond de Rothschild comme médecin de ses colonies. Il exerça à Rischon-le-Zion (18881890), et devint ensuite médecin des colonies de Judée, de Jaffa et de Mikveh Israel. Il exerça à Jérusalem à partir de 1902.
Chapitre VII VOYAGE À SALT
Nous sortons donc de Jéricho. Nous marchons pendant un quart d’heure dans des champs cultivés, puis recommencent les monticules grisâtres, qu’on dirait façonnés par la main des hommes. Comme couleur ils ressemblent tout à fait à ceux que l’on voit à l’approche de la Mer Morte. On se croirait reporté de l’autre côté de Jéricho. Ils vous produisent une drôle de sensation. Au bout d’une heure, toujours dans les mêmes monts, on trouve un peu de végétation, mais sui generis. C’est principalement le tamarix, c’est-à-dire un arbre ressemblant au pin, et dont le feuillage est aussi salé que l’eau de mer. Les chevaux en ont mangé avec assez de plaisir. C’est un peu rafraichissant. Et c’est en parcourant ces terrains nus, que nous arrivons à six heures au Jourdain. A cet endroit il y avait naguère le « Pont des Juifs. »57 Seulement les pluies torrentielles de l’hiver de 1890 emportèrent ce pont, de sorte qu’il faut se servir du bac. C’est bien primitif, mais que faire ? Et encore si l’on pouvait passer de suite. Nous y rencontrons tout un peuple de bédouins, d’arabes, de bêtes, de marchandises, qui ont couché là, pour être des premiers au bac. Ces bédouins, avec leurs longues tresses, dans le genre des tziganes hongrois, vous font peur. Ces tresses leur tombent presque sur les épaules. En calculant la charge que prend chaque fois le bac, je vois que la journée s’écoulera avant que viendra mon tour. Et pourtant je ne me suis pas transporté en cet endroit pour perdre mon temps et m’étendre sur le dos, la figure tournée vers le soleil, à l’instar des indigènes. Je veux partir, coûte que coûte, et sans me laisser intimider par les figures sinistres des bédouins, je prends mon parti. Je me rappelai tout à coup que j’étais dans un pays, où ont été fondées passablement de religions. Chacun y invoque son Dieu d’une autre manière. Moi aussi, pour un instant, je voulus être idolâtre. J’implorai le dieu Backschich (pourboire), si vénéré dans le pays, et il exauça ma prière. Tous les bédouins, qui étaient près du rivage et en train de faire sauter
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Ce pont non identifié ne devait pas être très éloigné de Jéricho.
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leurs bêtes dans le bac, furent obligés de rebrousser chemin et ma caravane passa la première. Vous allez me dire que c’est une grave injustice. C’est vrai. Péché avoué est à moitié pardonné. Pour l’autre moitié, je fais le raisonnement suivant : d’abord, le temps ne coûte rien au Bédouin ; qu’il fume sa cigarette sous sa tente ou bien près du Jourdain, il n’y a aucune différence au fond ; ensuite que celui qui n’aurait pas agi ainsi à ma place, me jette la première pierre. Toujours est-il qu’à sept heures et demie nos bagages étaient rechargés, de l’autre côté du fleuve, et nous tous à cheval. Au bout de cinq minutes nous traversons la rivière Keferein58, qui a bien deux mètres de largeur et vingt centimètres de profondeur. Il y a quelques chétifs arbustes au bord de l’eau. Nous montons vers le Nord, nous traversons le petit ruisseau Nimrin59 et nous sommes toujours, après dix minutes de courses, sur des hauteurs non cultivables, puis dans une immense plaine, où le sol sue encore le sel à travers tous ses pores. Et pourtant nous sommes déjà assez loin de la Mer Morte. A partir de neuf heures, nous montons et nous redescendons sans cesse des hauteurs assez élevées, d’un gris qui vous fait supposer que, là aussi, la terre est salée, car vous ne rencontrez pas trace de végétation. Nous côtoyons continuellement la rivière Sha’ib60 ; tantôt nous la traversons au bas des montagnes, tantôt, lorsque nous sommes sur la cime, nous l’entendons gronder à trois cens mètres de profondeur. Nous ne rencontrons ni une âme, ni un village, ni une ruine. Preuve que la terre n’est pas labourable, car si elle l’était, avec cette richesse d’eau, on pourrait y faire ce qu’on voudrait. Et cependant du temps de Jéthro, qui demeurait dans ces parages, le pays était très fertile. Et chaque fois que nous nous trouvons sur une hauteur assez conséquente, nous scrutons l’horizon avec nos jumelles, à la recherche de la fameuse forêt, et partout, nous avons le néant devant nos yeux ébahis. J’avais emmené avec moi le médecin de l’hôpital Rothschild de Jérusalem et la personne qui devait indiquer cette colossale propriété. Elle nous disait toujours : « Plus loin. » Monsieur Ermens61, l’inspecteur d’agriculture, là, comme partout ailleurs, dans ces sortes d’excursions, était à mes côtés.
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Ouadi Kafroun. Ouadi Nimrin. 60 Ouadi Shueb, sur la route de Salt. 61 L’agronome Gérard Ermens devint en 1887 l’expert en agriculture d’Edmond de Rothschild. Il remplit de 1887 à 1897 les fonctions d’inspecteur général de de l’agriculture des colonies de Palestine. Il y joua un rôle déterminant dans le développement de la viticulture. Voir p. 108. 59
CHAPITRE VII : VOYAGE À SALT
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A onze heures, nous faisons halte près de la rivière, à l’ombre de splendides lauriers-roses, qui croissent à l’état sauvage dans ce pays, sur tous les points partout où il y a la moindre humidité. Pour ma part, je suis déjà incommodé. Je prie ces Messieurs de choisir eux-mêmes ce qui leur plaît dans les cantines, et de se faire préparer un déjeuner. Pendant ce temps, je fais ouvrir mon lit et je m’allonge, pour tâcher de me remettre un peu. A ceux qui se figurent que ma position d’inspecteur était une sinécure, je dois montrer à quoi l’on est exposé dans ce pays. Comme le Gouvernement ottoman n’a pas les moyens de faire drainer les petits lacs, qui se forment, du jour au lendemain, par suite des pluies diluviennes, ces lacs sont bientôt changés en marais, dont les miasmes se répandent au loin et vous occasionnent des fièvres intermittentes, que vous attrapez sans y penser. Ensuite vient le Harrar, c’est à dire des boutons de chaleur, qui vous donnent des éruptions de la peau nullement enviables. Enfin, même si vous êtes éloigné de tout marais, vous êtes, sans cesse, tourmenté par des moustiques, qui vous apportent, dans leurs piqûres venimeuses, les germes des maladies paludéennes. Je sais bien qu’on peut se servir de moustiquaires autour du lit. Il y en a dans toutes les colonies. Mais vous avez beau faire, il y en a toujours encore qui restent cachés et qui, la nuit, par leur musique, vous annoncent leur présence. Seulement, si dans les colonies et les hôtels, il y a des moustiquaires, il ne saurait en être question en route, sous la tente. Malgré les morceaux de tulle que l’on emploie pour se préserver la figure, on dort excessivement mal, à cause de la chaleur produite par ces moustiquaires improvisées. Et tout de même, le lendemain il s’agit d’être debout et de continuer sa route. Et encore une fois, comme au Juif errant, une voix cachée vous crie : Marche ! Marche ! Et vous marchez jusqu’au jour où vous serez complètement abattu. Dans ce voyage accompli sous une chaleur tropicale, j’ai appris à connaître encore un autre mal, ainsi que Mr Ermens. Nos lèvres étaient gercées et nos gosiers absolument desséchés par le sirocco. Ayant la rivière à côté de nous, nous ne pouvions nous empêcher, à chaque instant, de boire de cette eau quasi fraîche. Le soir, en arrivant à Salt, nous en étions à la source, et nous remarquâmes que cette source sortait d’une touffe de lauriers-roses. Nous avions donc bu de cette eau empoisonnée par les racines des lauriers-roses. Et, en effet, quelque temps après, nous fûmes, chacun, gratifiés, au même endroit, sur le bras, d’un bouton qui, en médecine, s’appelle bouton d’Alep ou du Nil ou de Biskra. Il suppure une année entière et les médecins de Paris n’ont pu que nous prescrire douze mois de patience avec un peu de salol à mettre, tous les jours, sur la plaie et à bander cette partie du bras. Et, comme prédit, le bouton n’est tombé, chez tous les deux, qu’au bout d’un an, laissant une cicatrice assez profonde.
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Comme bouquet à toutes ces maladies, je veux encore ajouter en passant, qu’en 1893, je fus aussi attaqué par huit brigands entre Acre et Saffed. J’en fus quitte par la prise de mes bagages et un formidable coup de pierre dans les reins. J’avais été mis au rang de l’âne chargé des gabelles62. Je ne dus mon salut qu’au galop incroyable de mon cheval, à travers les rochers. On eut à me soigner, pendant un mois, pour ce coup, mais je marchai toujours. Je me soignais en route. Je dois dire que je fus impitoyablement lâché par ceux qui devaient me garder. Je pus faire arrêter les voleurs. Ils eurent trois ans de prison, mais jamais on ne retrouva qu’une faible partie de nos bagages. Lorsque ces Messieurs eurent déjeuné, malgré mes souffrances, je dus monter à cheval et continuer la route. Puis-je décrire ce que sont des coliques hépatiques, à cheval, dans un pays nu, avec un soleil qui ne songe qu’à vous rôtir ? Il a bien fait fondre du chocolat, qui se trouvait, en boîtes, dans une de mes cantines. Notre après-midi ressemblait à la matinée. Nous longions toujours le même petit cours d’eau, sur des terrains complètement dépourvus d’humus, et ne nous laissant pas apercevoir, dans toute la région, cinquante hectares de terres cultivables. Naturellement la forêt resta introuvable et la propriété un mythe. A six heures du soir nous fîmes notre entrée sensationnelle à Salt (Ramoth-Galaad), gentille petite ville avec passablement de vignes, d’orangers et surtout de grenadiers. Et tout cela aux portes même de la ville, près des sources. La mission anglaise, dont j’ai parlé plus haut, fait tache dans ce milieu essentiellement arabe. Sa maison est la seule couverte de tuiles. On voit par là combien elle nage dans l’or, car un chameau ne peut pas transporter plus de cinquante tuiles à la fois, et met cinq jours pour arriver de Jaffa à destination. En prenant le prix d’achat, de fret, de douane et de transport, on peut se douter du prix exorbitant d’une tuile. Il s’y trouve aussi une dizaine de familles juives. Ce qui m’y frappa le plus, ce furent les lèvres des femmes indigènes, qui, toutes, sont teintes en bleu. Quelque chose d’horrible. Et il paraît que les bédouins trouvent cela sublime. Tous les goûts sont dans la nature. Mr Ermens, le matin, avait promis de faire le dîner, le soir, avec des légumes frais, qu’il avait emportés de Jérusalem. L’envie lui en en passa. Lui et notre autre compagnon étaient tellement fatigués qu’ils renoncèrent, non seulement à préparer le dîner, mais même à manger. Ils firent dresser les tentes, les lits et s’allongèrent comme des gens qui vont rendre leur dernier soupir. Et moi, qui avais été malade toute la journée, je dus faire le 62
Cf. la fable de La Fontaine : Les deux mulets.
CHAPITRE VII : VOYAGE À SALT
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surveillant général. Je priai une des femmes de m’apporter une douzaine d’œufs frais et six litres de lait. Je fis du feu et servis à chacun de mes compagnons, dans son lit, deux œufs sur le plat, avec un litre de lait. Ceci seul nous remit. Bientôt après, je les imitai, en ayant eu soin, auparavant, de mettre devant chaque lit une bouteille avec du lait pour la soif qui devait, inévitablement, nous tourmenter durant toute la nuit. J’avais bien deviné, car, avant l’aurore, toutes les bouteilles avaient été vidées. Le lendemain, je fus debout à quatre heures du matin. Je demandai à mes guides : « Y a-t-il encore une autre route pour arriver au bac, cette fois plus au sud, afin de mieux découvrir la forêt après laquelle nous courions toujours ? » « Oui, répondirent ils, seulement il n’y a pas une goutte d’eau à trouver de la journée. Le chemin est plus plat. Que vous marchiez au pas ou que vous alliez, de temps en temps, au trot, vous aurez la même poussière et la même chaleur. Si donc vous acceptez de trotter, nous vous conduirons en six heures au Jourdain. Naturellement, faute d’eau, vous ne pourrez pas déjeuner en route. » « Soit, dis-je, transpirer pour transpirer, je préfère sortir au plus tôt de cette fournaise. Nous tâcherons de filer au plus vite, et nous prendrons à Jéricho le déjeuner et le dîner. Que chacun, ajoutai-je, se soigne son eau pour la route. Voici du pain et du chocolat pour ceux qui auront faim et qui se réconforteront ainsi tout en trottant ; et …. en route. » C’était une chevauchée inénarrable. On eut dit que nous fuyions un endroit maudit ou pestiféré, et que nous avions peur d’être poursuivis. Quand l’un de la bande criait grâce, nous marchions pendant quelque temps au pas, pour recommencer notre infernal trot ou galop, perdant la respiration et brûlés par un feu d’enfer. Vers neuf heures du matin, nous perçûmes un atome de vent frais venant du Jourdain. A une heure précise, nous y étions, après avoir quitté Salt à six heures du matin. Et toujours nous ne trouvâmes que la dévastation, sans aucune trace de terres labourables, et encore moins de forêt. Comme le passeur nous connaissait déjà, il nous fit immédiatement prendre le bac, pour nous transporter de l’autre côté. A deux heures nous sommes de nouveau à cheval et nous filons comme des flèches vers Jéricho. Un peu plus, un peu moins de fatigues et de transpiration, qu’est ce que cela fait ? Une fois qu’on y est, on n’y regarde pas de si près. Les mulets, même, chargés des bagages, sentant qu’on les faisait rentrer chez eux, se hâtaient, autant que possible, d’arriver au but. Tout le monde était enfiévré, moukres (ceux qui vous louent leurs bêtes et les suivent partout), domestiques, soldats, guides, et à cinq heures du soir nos tentes étaient dressées, et le dîner en train de cuire. Pendant ce temps, on remplissait les outres d’eau de source, – appelée à cause de sa fraîcheur et de sa limpidité la source du sultan – et nous y
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faisions mettre pour les y rafraîchir et notre vin et notre eau de SaintGalmier. Si l’on ne fait cela et qu’on soit obligé de boire son vin sortant de la caisse, on ne dirait nullement que la paille est mauvaise conductrice de la chaleur ; le vin est presque tiède, malgré son épaisse enveloppe. Le soir, à Jéricho, l’air est d’une fraîcheur délicieuse. Aussi, allongés sur nos lits, devant la tente, faisons-nous d’abord ce que les Turcs appellent un petit « Kief » (c’est-à-dire assoupissement sans sommeil)63 et avant de nous coucher, nous chargeons les arabes qui s’enquièrent de nos besoins, de nous chercher quelques litres de lait frais, que nous buvons en guise de bière. Le lendemain, nous sommes encore et toujours debout à quatre heures du matin. Comme nous tenons à déjeuner à Jérusalem, nous laissons tout notre monde derrière nous – quitte à nous rejoindre avec les bagages – et, assez dispos, nous repartons, accompagnés d’un seul soldat. Sans avoir pris haleine en route, nous sommes, à dix heures et demie, dans la Ville Sainte, au milieu de gens civilisés. Après une promenade sentimentale de ce genre, on devrait pouvoir se reposer pendant quelques jours. Cela ne me fut jamais permis durant mes voyages, surtout à Jérusalem. Les quémandeurs étaient très nombreux. On ne me laissait de répit qu’au moment où, calfeutré dans ma chambre à coucher, la nuit, je refusai les visites. Ayant donné maintenant une idée approximative de ce qu’ont été mes voyages dans ce rayon et avec la certitude de raconter, plus tard, d’autres tournées, je vais revenir sur mes pas et retracer ce que j’ai fait pour chaque colonie.
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Ou Kiev. Cf. p. 187.
Chapitre VIII ZICRON-JACOB. DÉBUTS
Par suite du choléra en Egypte en cette année 1883, les bateaux n’avaient plus de date ni d’heures fixes pour le départ, encore moins pour l’arrivée, pour les vapeurs faisant les côtes de Syrie. Parti le soir de Jérusalem pour quitter Jaffa le lendemain, je dus y attendre pendant trois jours le bateau du Lloyd Autrichien. Il arriva enfin le 27 octobre pour me déposer le 28, à trois heures du matin, à Caïffa. Les personnes qui ont déjà eu la chance d’assister à l’assaut d’une forteresse, peuvent se rendre compte de la furie des soldats enivrés d’alcool et de poudre. Rien ne saurait leur résister. Mais arrivez dans un port de la Syrie et vous trouverez que l’image que je viens de rappeler ci-dessus est un enfantillage en comparaison de l’assaut que les Arabes font du bateau. Ils ne se donnent pas la peine d’attendre pour monter que l’escalier soit descendu. Ils grimpent à l’extérieur comme de vrais singes et sautent sur le pont qui leur appartient. Je plains le pauvre touriste qui tombe entre leurs mains, car il ne s’appartient plus, pas plus, du reste, que ses bagages. Hommes, femmes et colis sont la chose de l’Arabe. Il vous saisit, il vous lance dans la barque avec vos effets et vous accompagne. Quand il croit vous parler doucement, il crie – c’est son habitude – comme s’il voulait vous avaler ; et vous commencez à vous demander dans quelles mains vous êtes tombé. Le prix se fait, ou à peu près. La mer est-elle tant soit peu houleuse, le bateau stoppe au milieu de la route, et l’Arabe vous en impose en vous faisant accroire qu’on peut sombrer. Il vous extorque ainsi cinq ou six fois la valeur du passage ordinaire. Vous plaindre pour cela à une autorité ? On est sourd, ou bien on vous rit au nez. Une barque vient-elle à chavirer réellement par la faute du conducteur qui ne devait pas l’arrêter en pleine mer, et y-a-t-il des noyés, ces autorités font de grands yeux, jurent tous les dieux que les coupables seront sévèrement punis et la chose s’oublie. On n’apprend jamais quelle a été la punition imposée. Et tout cela est encore tolérable, quand la scène se passe le jour. On voit, au moins, à qui l’on a à faire. Plus malins que les arabes-bateliers sont les touristes qui ripostent à ce chantage en montrant un révolver. Il fait toujours de l’effet. Seulement l’arabe vous dénonce à la douane et le revolver est saisi comme arme prohibée.
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C’est dans ces conditions que j’entre dans cette espèce de port naturel qu’est la rade de Caïffa, à trois heures du matin, par une nuit noire. Comment me trouvai-je, avec ma malle, au fond d’une barque, entouré d’être de toutes sortes et de toutes nationalités ? C’est ce que Dieu seul peut dire. Je ne sais qu’une chose, c’est qu’on a dû repêcher mon chapeau dans la mer. Moi-même, j’avais failli faire un plongeon. Les colons m’attendaient sur le quai en compagnie de Monsieur E. Franck. Comme la mer était archi-mauvaise, aucun d‘eux n’avait eu le courage de venir me prendre à bord. Et ils avaient diantrement eu raison. A leur place, je n’aurais pas agi autrement. Caïffa, aujourd’hui, est une ville assez proprette, grâce à la colonie allemande, qui s’y trouve à l’une des extrémités. Là aussi existe l’hôtel Carmel, qui, à l’époque, n’avait qu’un étage et quatre chambres. J’y fis ma résidence. On me permit de dormir un peu, puis, dès le matin, je commençai mon travail. Je croyais rencontrer de forts paysans. Je trouvai, en place, un tas de gens minés par la faim et les fièvres. Comment étaient ils tombés à ce point-là ? C’est ce que je vais essayer de raconter. A Galatz, en Roumanie, s’était formé un comité sous la présidence de feu Isaac Loebel64, banquier, pour réunir des fonds, et envoyer un certain nombre de familles en Palestine. Il y eut beaucoup de personnes qui s’engagèrent, par écrit, à verser, tous les ans, une certaine somme, pour contribuer à la prospérité de l’entreprise. D’autres avaient fait des versements pour leur propre compte, afin de recevoir un lot de terrain et, si possible, une petite installation. Le comité envoya une délégation en Syrie, et après quelques visites à diverses propriétés, cette délégation finit par acheter, à une trentaine de kilomètres au sud de Caïffa, à une lieue de Tantourah, par conséquent de la mer, une ferme d’environ cinq cent cinquante hectares, y compris une trentaine d’hectares éparpillés parmi les champs des fellahs de Tantourah. Cet achat, réellement insensé, avait été fait au prix exagéré de quarante deux mille francs, par un horloger et un marchand de bric à brac. Les deux tiers se composaient de rochers non labourables. Donc, dès l’abord, une mauvaise acquisition. Près de soixante familles devaient se partager ce terrain sis sur le mont Carmel, à cent soixante et un mètres d’altitude, et appelé « Samarin » dans le livre du cadastre. Mais comme les délégués ne comprenaient rien à la chose, qu’ils étaient aussi imbus du fameux dicton : « Le pays où coulent le lait et le miel », ils ne s’étaient pas enquis du nombre d’hectares qu’il fallait par famille, et avaient tout simplement calculé qu’une propriété suffit, quelle qu’en fût la dimension, pourvu qu’on eût, pour chacun, un pied-à-terre. 64
Un des principaux dirigeants des Hovevei Sion de Roumanie.
CHAPITRE VIII : ZICRON-JACOB. DÉBUTS
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Sur toute la propriété, il y avait une maison arabe, avec deux pièces, assez propre, et qui était, lors de ses visites à la ferme, l’habitation du vendeur. En dehors de cette bâtisse il y avait, à deux cent mètres de là, les ruines de quelques vieilles masures arabes, naturellement inhabitables. Je ne sais ce qu’à leur retour les délégués racontèrent au comité. Dans tous les cas, la détermination prise d’envoyer du coup soixante familles, sur un seul bateau, à Caïffa, fut plus que déplorable. Lorsqu’on vit ce tas de monde, hommes, femmes et enfants, arriver comme une trombe, dans ce petit port syrien, les autorités locales crurent que chaque bateau allait amener pareil chargement ; elles prirent peur, et finalement, défendirent à ces Roumains de débarquer. Le vapeur les promena un certain temps le long de la côte, et, au bout de quelques semaines, par des prodiges et des tours de force incroyables et après des misères inénarrables, les familles se trouvèrent quand même réunies à Caïffa. Le Comité de Galatz envoyait argent sur argent pour leur installation, à un sous-comité, qui n’avait ni connaissances ni initiative. Il n’avait qu’un but : recevoir le plus de fonds possible et ne rien faire, que d’envoyer des articles dans les journaux, pour apitoyer leurs compatriotes sur leur sort. Un beau jour, Galatz annonça que la caisse, qui, à un moment donné, renfermait plus de deux cent mille francs, était complètement vide. Et rien n’avait été fait à la colonie. L’argent était parti en fumée. Il y eut aussi, en Roumanie, beaucoup des premiers gros souscripteurs, qui ne firent pas honneur à leur signature, et ainsi tomba cette œuvre, qui avait été commencée sous d’heureux auspices, et avec tant d’enthousiasme. Il y avait, parmi les premiers arrivés, d’excellents sujets. Quelques-unes de ces familles, seules, avaient compris l’état de pionnier. Dès le début, elles se construisirent, elles-mêmes, à Samarin, des masures avec des pierres et de la boue, qu’elles avaient sous la main. Malheureusement, comme il n’y eut pas d’imitateurs, ces braves gens se fatiguèrent et, finalement, retournèrent dans leur pays en laissant, derrière eux, les si belles espérances, qu’elles avaient eues, en quittant leur patrie. Alors on ne vécut plus que d’expédients. On s’adressa à quelques philanthropes d’Europe, qui envoyèrent quelques secours, et on s’en tira comme l’on put. De tout l’argent si vite et si mal à propos gaspillé, il n’était resté que quelques bœufs, quelques charrues et un peu de froment. Ils se firent aider par des Arabes, qu’ils payèrent à la journée, labourèrent et ensemencèrent les meilleures parcelles du terrain, de ce froment dont ils disposaient. Pendant que les semailles sortaient de terre, et que l’on attendait du Ciel les cailles qu’il avait envoyées dans le temps à leurs ancêtres, dans le désert, ils se promenaient à Caïffa. Au mois de juin 1883 arriva feu Veneziani, à qui ils dépeignirent leur situation sous les plus noires couleurs. Il eut pitié d’eux et leur distribua
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quelque milliers de francs. On le conduisit à la colonie et il fut enthousiasmé à la vue du froment qu’ils avaient eux-mêmes ensemencé. Il en conclut qu’on pourrait faire des agriculteurs de gens qui travaillaient ainsi et, revenu à Paris, il alla plaider leur cause, comme je l’ai dit, auprès de Monsieur le baron Edmond de Rothschild. Ce dernier envoya, à deux reprises différentes, de l’argent à leur être distribué. Le premier le fut par Mr. Franck de Beyrouth, le second par son employé, Mr Brasseur père65, qui était déjà resté une fois sur place pour tâcher d’installer la colonie. Il n’était arrivé à rien et dut abandonner son poste. Au mois de juillet, lorsqu’il s’était agi de faire la moisson, tout le monde jeta des hauts cris : « Il n’est pas possible, disait-on, de pouvoir travailler par cette chaleur, le soleil était trop ardent, les insolations étaient à craindre ». Bref pour ne pas tout laisser se perdre, l’un d’eux, Mayer Leib Herschkuh66, se dévoua. Il monta à Samarin avec sa femme et ses deux fils, fit la moisson, rentra le blé après l’avoir battu, le mit dans des sacs et après …. chacun vint retirer sa part, comme s’il avait aidé, lui même, à rentrer cette moisson. On vécut encore avec cela, aussi misérablement que possible, et je tombai là dedans, comme un Messie, le jour de mon débarquement. Lorsque j’eus pris quelques heures de repos, je me fis donner la liste des colons présents et, après le déjeuner, je les réunis autour de moi. Je commençai par leur expliquer, que s’ils voulaient être sages et travailler eux mêmes la terre, Monsieur le baron Edmond de Rothschild consentirait à s’occuper d’eux, mais qu’il demandait une abnégation complète, avec une obéissance aveugle, se réservant le droit de renvoyer tous les récalcitrants en Roumanie. Et, séance tenante, je fis un écrit dans ce sens, que tous devaient signer. Ils étaient au nombre de cinquante quatre. Quarante deux y consentirent et douze refusèrent d’apposer leur signature au bas de mon écrit. Les cinquante quatre familles se composaient de trois cent vingt huit âmes. Dans le courant de l’été de 1883, jusqu’à mon arrivée, il y avait eu vingt-neuf décès d’inanition et de fièvres. Cela fait presque dix pour cent. C’est terrible. Je ne pouvais rien entreprendre avec ces figures hâves et ces corps affaiblis. Il fallait, d’abord, leur donner des forces. Je m’enquis, auprès d’eux mêmes et en ville, du prix des denrées et, d’accord avec les principaux, je leur donnai le logement gratuit en ville, jusqu’au moment où il y aurait des habitations à la colonie, plus douze francs par âme et par mois 65 D’abord collaborateur de Mr Franck à Beyrouth, Louis Brasseur devait s’installer à Haïfa, et devenir le premier administrateur de Zicron-Jacob. 66 Un des fondateurs de la colonie, où il devait finir ses jours (1829-1901).
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pour les grandes familles. Quant aux petites, jusqu’à celles de quatre âmes inclusivement, je leur accordai la subvention d’une personne en sus, et au cas où il y aura un malade alité, celui-ci touchera un secours extraordinaire, et les femmes en couches recevront quinze francs de subvention spéciale. Tous les ans les colons eurent aussi un vêtement de travail. Là dessus, je donnai à tous un mois d’avance, sans éliminer ceux qui avaient refusé leur signature. J’ai toujours eu pour principe d’agir, en tout, avec douceur et je m’étais promis d’arriver, là encore, à mon but, sans me fâcher, et sans recourir à un moyen extrême. Après avoir fait la distribution je leur dis : « Messieurs, mangez bien, buvez bien, reprenez des forces, et quand je reviendrai de Rosch-Pinah, je verrai si nous pouvons commencer à travailler. » Je télégraphiai immédiatement à Paris pour avoir une cargaison de médicaments. J’empruntai, en attendant leur arrivée, ceux d’une petite pharmacie de la Communauté israélite, j’engageai un médecin et un pharmacien, je visitai les malades, je fis, moi-même, un peu le médecin, avec beaucoup de bonnes paroles, et j’eus le plaisir de constater que, sauf Curland père67, qui était très malade, tous les autres revinrent à la santé. Je fis venir Mr Dugourd68, le jardinier de Rischon-le-Zion, et Paris envoya Mr Cavelan69 à sa place. Je partis pour Rosch Pinah. J’y restai quelques jours pour y organiser le service, puis je revins à Caïffa. A la place de ces demi-cadavres que j’y avais laissés à mon départ, je rencontrai, à mon retour, des figures souriantes et aptes, selon les colons, à soulever l’Atlas. Je me transportai, avec trois des plus forts, à Samarin, pour voir ce qui s’y trouvait et ce qu’on pouvait y faire, et je revins bientôt en ville. J’y achetai des poutrelles, des planches, des pelles, des pioches, des outils pour les ouvriers, tels que menuisiers, charrons, forgerons, qui étaient dans le nombre, et je fis transporter le tout à Samarin. En même temps j’y fis conduire du pain, des pommes de terre, des choux, des olives, des harengs et tous les légumes secs imaginables, ainsi que de l’huile d’olives, de la batterie de cuisine, tout ce qu’il faut, enfin, pour installer un campement en règle, et ne pas souffrir
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Moise Curland (1854-1884) avait été un de ses premiers colons. Justin Dugourd était un ancien jardinier de la ville de Paris, qui avait travaillé ensuite en Egypte. Edmond de Rothschild le fit entrer au service des colonies en 1882. Il fut jardinier à Rischon-le-Zion (1882-1883), Zicron Jacob (1883-1891) et responsable de Roch Pinah (1883-1886). Il repartit en France pour raisons de santé en 1891. Cf. p. 115, 225-8, 249. 69 F.G. Cavelan, ancien élève de l’école d’horticulture de Versailles, fut au service des colonies de 1883 à 1896. Il travailla à Rischon-le-Zion pendant toutes ces années, mais dut se retirer,victime des fièvres. Il s’était spécialisé dans la culture des fleurs. Un frère plus jeune travailla également dans les colonies. Cf. p. 249 et 251. 68
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de la faim. Et j’emmenai, avec moi, tous les hommes valides, à l’exception des douze qui avaient refusé de signer. Ce fut leur punition. Je distribuai mon monde en brigades ; l’une d’elles prépara de la chaux qui se trouve sur place, d’autres confectionnèrent des divans en bois, les charrons fabriquèrent des brouettes, et les maçons entassèrent les pierres pour un four, une cuisine et une salle de réfection. Il s’agissait de rendre habitables ces vieilles masures arabes, dont les toits s’étaient effondrés dans l’intérieur, de sorte que les pièces étaient pleines de terre, à plus d’un mètre de hauteur. Il était indispensable de déblayer ces intérieurs, pour pouvoir les blanchir à la chaux et y installer des divans en planches. En attendant, on monta une écurie, également en planches, pour loger les onze bœufs, solde de ce qui n’était pas mort de faim. J’avais eu toutes les peines du monde à faire venir ces bœufs de la ville, car ils ne pouvaient presque plus se tenir sur leurs jambes, et malgré tous les soins qui leur furent prodigués, je n’ai pu les garder. Ils moururent l’un après l’autre. Quand les échelles furent prêtes, je mis douze hommes aux masures, les priant de monter sur ce qui restait des toitures, et de jeter dans l’intérieur la boue et les branchages, qui formaient, avec ce qui était déjà tombé, les anciennes toitures. J’obtins un refus général : « Nous ne sommes pas des terrassiers, me répondirent-ils d’un commun accord. » « Très bien, dis-je, je n’ai pas besoin de vous, je le ferai tout seul. » Et joignant l’action à la parole, j’escaladai l’échelle avec une pioche sur l’épaule. J’avais à peine commencé le travail, qu’ils me supplièrent de descendre, voulant, eux mêmes, jeter ces détritus en bas. Dès qu’une brigade eut fini au dessus d’une chambre, elle entreprenait la voisine, et immédiatement une autre brigade chargeait le tout sur des brouettes, et conduisait ces saletés au dehors, pour en remplir des trous qui ne manquaient pas. La chaux aussi était faite et, délayée, servait à blanchir les murs intérieurs des chambres, qu’on s’était hâté de couvrir avec les poutrelles et les planches amenées de Caïffa. Tout cela fut, ensuite, couvert de terre et tassé à la mode arabe. Les menuisiers entreprirent alors l’intérieur et y mirent des espèces de bancs de corps de garde, sur lesquels les hommes jetèrent leur literie, et ainsi, au bout de quarante huit heures, j’eus assez de chambres à coucher pour tout mon monde. Avec les fils des colons, ils étaient une centaine. La moyenne était de dix par chambre. Chaque chambre disposait d’un samovar pour faire le thé, qui circulait toute la journée, car j’avais horreur de l’eau.
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Une seule source était connue. C’est l’endroit auprès duquel ont été établis, plus tard, les bains. Cette eau, stagnante depuis des siècles, ressemblait au petit lait et regorge de sangsues. Je dus donner, à chacun, un morceau de cretonne pour filtrer l’eau, et moi-même, à mes repas, je mélangeai ce liquide grisâtre à mon vin (doux de Chypre, le seul à avoir en ville ; horrible) et, fait excessivement surprenant, ce premier hiver, ni moi ni aucun des travailleurs ne tombâmes malades. Et Dieu sait ce que nous avons dû avaler. Je mis des brigades dans les champs, qui étaient susceptibles de devenir labourables à la charrue européenne, pour en enlever les pierres. Et de ces pierres, je fis arranger une route carrossable, depuis la cuisine jusqu’à la source. Un homme était spécialement chargé du tonneau d’eau, qui était constamment en circulation. La cuisine et le four furent terminés en un clin d’œil. Le réfectoire y fut adossé, et le troisième jour, notre cordon bleu, mère d’un des colons, secondée par un jeune homme qui épluchait les légumes, faisait la cuisine pour tous mes travailleurs. Dans la semaine ils n’ont jamais avalé d’os, car le menu consistait en soupes et légumes deux fois par jour. Le vendredi à midi il n’y avait rien de chaud ; il fallait à la bonne femme le temps de préparer les repas du samedi. Les colons recevaient alors un morceau de fromage de chèvre, ou bien un verre d’olives, ou bien encore un morceau de ces gros harengs de la Mer Noire. Le matin, chacun se faisait une ou plusieurs tasses de thé, que je ne fournissais pas. La veille du samedi, à l’aube, nous parvenait la viande de la ville. Il y en avait pour le soir et le lendemain seulement. Quatre des boulangers de la communauté se partageaient le service. Chacun d’eux faisait du pain pendant une semaine. J’avais passé un marché avec un meunier des environs, qui nous amenait, tous les lundis, deux cents rotels de farine (500 kilog.). Pour ne pas être au dépourvu, j’avais toujours deux cent rotels en réserve, d’une semaine à l’autre. Tout à l’heure j’ai dit que nous disposions de deux chambres dans la maison de l’ancien fermier. Je fis de l’une d’elles des « magasins généraux » pour renfermer nos victuailles. L’autre pièce ayant environ trente six mètres carrés, fut mon bureau, mon grenier pour serrer les semences, et ma chambre à coucher. Comme lit, j’avais un matelas avec des draps jetés sur des planches soutenues par des tréteaux. M. Dugourd avait le même lit vis à vis de moi. Et un troisième se pavanait dans un coin et recevait un nommé Morgenstern70 que le Caïmakam (sous-préfet) m’avait en quelque sorte imposé. Voici les raisons qui firent agir ainsi le Gouverneur. 70
Cf. p. 64-65. Il n’y a pas d’autre information à son sujet.
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Dès mon arrivée, je fis des visites officielles en qualité de secrétaire du Comité de Bienfaisance Israélite de Paris, pour qui j’étais censé travailler, à toutes les autorités turques et européennes. Dans le temps les consuls des puissances européennes demeuraient à Acre. Peu à peu, les bateaux, ne s’arrêtant plus dans cette cité, allaient directement à Caïffa, où les communications étaient plus agréables et plus commodes. Petit à petit, les consuls se retirèrent d’Acre et vinrent fixer leur résidence à Caïffa. Je me suis de suite mis dans les bonnes grâces du Caïmakam, qui m’engagea à me méfier des intrigants. Le plus grand d’entre eux, me dit-il, est ce Morgenstern. « Quoique vous fassiez à la colonie, il viendra me le rapporter, et, malgré mes bonnes dispositions pour vous, je serai, étant officiellement prévenu, forcé de vous susciter des misères. Le mieux est de lui donner un emploi de surveillant chez vous et de pas lui permettre de venir en ville ». Je me rendis à son raisonnement et je n’eus pas lieu de m’en repentir. Les colons, il est vrai, vinrent se plaindre d’avoir au dessus d’eux, un pareil surveillant. Je leur donnais raison. Mais lorsque, dans le creux de l’oreille, j’eus glissé a quelques uns le mobile de ma conduite, ils comprirent que c’était dans leur intérêt et il se turent. Le Gouvernement ottoman ne pouvait se faire à l’idée que toute cette entreprise était une œuvre de bienfaisance. Il encourageait donc tous les intrigants à nous mettre des bâtons dans les roues. Je suis venu pendant seize ans en Palestine et à Constantinople. Je me flatte de connaître, un peu, le personnel des employés du Gouvernement. Eh bien ! deux choses sont et seront toujours inexplicables pour un Européen. Vous avez un ennemi qui vous dénoncera comme ayant fabriqué, par exemple, de la dynamite. Vous êtes appréhendé au corps, et c’est à vous à prouver que vous n’êtes pas en défaut. Et vous ne pouvez rien faire à votre dénonciateur. Il y a quelques années, pendant qu’on faisait construire les caves, il fallait beaucoup de ciment. Quelques centaines de tonneaux venaient d’arriver à Rischon-le-Zion. C’était au mois de février. Je m’y trouvais par hasard, quand, tout d’un coup, il commença à pleuvoir. Je requis tous les ouvriers et je fis, à la hâte, rouler tous ces fûts de ciment dans les caves non encore achevées complètement. Quelque temps après, un des petits employés de la cave, qui venait d’être congédié, se rendit à Jérusalem et accusa, officiellement, l’administration d’avoir fait cacher, dans ses caves, des quantités innombrables de poudre, dont elle est intentionnée de se servir, pour combattre le Gouvernement turc et s’emparer de la Palestine. Le Gouverneur envoya un officier avec une vingtaine de soldats qui firent, partout, des perquisitions, même dans les maisons privées, afin de découvrir cette poudre. Naturellement là où il n’y en a pas, on ne peut en trouver. En guise de récompense, le dénonciateur faillit être nommé gendarme.
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Plus tard, en 1887, Monsieur la baron prit à Zicron-Jacob soixante jeunes gens, pour en faire des élèves-colons. Les ouvriers occupaient une seule pièce, immense, spécialement construite et aménagée pour eux. Un de ces déclassés alla, la veille de Kippour, annoncer aux autorités que l’administration avait fait venir un bataillon de jeunes soldats français, qu’ils s’exerçaient tous les jours avec des fusils, qu’on cachait sous leurs lits, toujours pour s’emparer du Gouvernement local. La force armée vint déranger la colonie le lendemain, jour de Kippour, et trouva, à la place des fusils, les pioches et les pelles des ouvriers, qui les conservaient, en effet, sous leurs lits. A Rosch-Pinah, un jour on fit venir des tuyaux en fer, pour la canalisation de l’eau. On dénonça l’administration comme ayant fait introduire, clandestinement, des canons dans la colonie. Et une commission vint, très sérieusement, examiner si, réellement, ces tuyaux ne seraient pas des canons. Et si vous voulez citer ces dénonciateurs – qui signent – devant la justice, on vous répond : « Mais ils ont agi pour le bien du Gouvernement. » Que voulez vous alors ? Je dirai mieux que cela. J’ai raconté plus haut qu’en 1893 j’avais été dévalisé par des voleurs entre Acre et Saffed. Or, je connaissais le chef des brigands, qui était une personnalité d’Acre et à qui appartenait le village de Sedjour71, entre ces deux villes. Devant la justice, à Beyrouth, il fournit un alibi. Il prouva, par témoins, – des fellahs d’un autre village voisin, – qu’il avait passé la journée et la nuit chez eux. Et il allait être acquitté, quand on finit par trouver, chez lui, mon abaya (manteau arabe), ma couverture de voyage et une petite valise avec des papiers. Ces gens avaient donc sciemment prêté un faux serment, reconnu. Ils ne furent même pas inquiétés. On trouve cela tout naturel. On allait, à l’époque, jusqu’à s’imaginer que j’avais été envoyé par le Gouvernement français, pour faire, peu à peu, de cette partie de la Syrie une province essentiellement française. Et d’après ce qu’un personnage de marque m’a raconté plus tard, on m’a fait longtemps filer à Paris, pour voir si je n’avais pas des accointances avec un des ministères. Le troisième lit était occupé par Mr Morgenstern. Devant l’unique fenêtre de la chambre, j’avais fait placer un pupitre, dont l’intérieur formait la pharmacie, et comme autres meubles, il y avait encore une chaise et une petite table, sur laquelle nous prenions nos repas, et dont je me servais le soir, de cinq heures à minuit, pour écrire à Monsieur le baron, qui demandait de longs rapports.
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Cf. p. 142.
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Mes premières pages, envoyées de Samarin, n’étaient guère encourageantes. Pendant plusieurs jours, j’avais fait, à pied et à cheval, le tour de toute la propriété, en compagnie de Mr Dugourd. Nous trouvâmes que, malheureusement, il n’y avait pour ainsi dire que des rochers et des pierres avec des touffes d’oliviers sauvages et de petites forêts de caroubiers sauvages. Le 20 novembre 1883, prenant mon courage à deux mains, j’écrivis que le terrain n’était pas apte, ainsi qu’il se trouvait, à la grande culture, que, dans tous les cas, il n’y en avait pas assez pour les colons présents sur place, et qu’il était de toute nécessité d’en acheter. Et j’ajoutai : « La Palestine à été, de tout temps, le pays de l’olivier. D’après ce que j’ai trouvé à Samarin, il y viendrait bien. Je serai donc d’avis, partout où il y a un mètre cube de terre, d’y faire planter un olivier, qui viendra bien. Et je ferai greffer les caroubiers, qui produiront une bonne nourriture pour le bétail. » A la fin du mois de décembre de la même année, M. le baron de Rothschild me répondit : « Vous n’êtes pas là-bas pour me faire des propositions de plantations. » Je me le tins pour dit et je m’en abstins dorénavant. C’était une responsabilité de moins. Et les jardiniers n’avaient guère le courage de proposer quelque chose. Monsieur le baron commandait, on n’avait qu’à obéir. On y revint enfin, douze ans après. C’était trop tard. Si l’on avait planté les oliviers à cette époque reculée, on n’aurait pas commencé avec la vigne, et au bout de douze à quinze ans, la colonie aurait pu voler de ses propres ailes. Cependant les douze récalcitrants s’ennuyaient à Caïffa. Peu à peu, l’un après l’autre, ils vinrent signer la feuille couverte des paraphes des autres colons. Avant de rentrer en France, l’année suivante, j’eus la visite de G.72 l’un d’eux, qui me dit :« Mr Scheid, je ne veux pas que vous nous quittiez en vous creusant la tête, pour savoir pourquoi nous n’avons pas signé au mois d’octobre dernier. Je vais vous en dire la raison : La première personne qui vint nous visiter fut Mr Veneziani. Il était grand. Nous l’avons trompé. La seconde, qui vint nous voir, fut Mr Franck. Il est grand aussi. Nous l’avons encore trompé. Puis arriva le tour de Mr Brasseur, qui est également grand. Nous nous sommes aussi moqués de lui. Nous étions sur le quai, quand vous avez débarqué. Vous êtes plus petit que tous ces Messieurs. De suite, en vous voyant, nous nous sommes dit : « Et c’est ceci qu’on nous envoie de Paris. Eh bien ! alors, de ce petit bonhomme, nous ne ferons qu’une bouchée. » Plus tard, en voyant que je ne me laissai pas faire, et que, sans en avoir l’air, j’avais de la poigne, ils se sont rendus. 72
Non identifié.
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Lorsque tout le monde fut au complet à Samarin, je demandai à avoir, partout où la chose était humainement possible, des champs nets, afin de pouvoir nous passer de la charrue arabe. On enleva de ces parties spécialement désignées, presque toutes les pierres. Cela donna des places nettes et convenables, où bientôt la charrue européenne put fonctionner. Ce travail se faisait en commun. Il ne valait certainement pas la peine de faire un partage et de donner à chacun d’eux un petit lot de terrain, qui ne signifiait rien du tout, et qui ne pouvait pas le nourrir. Il y eut, dans le nombre, bien des paresseux. Je dus même, encore une fois, servir d’exemple en prenant, avec Mr Dugourd, une pioche sur l’épaule et en allant, à côté de certains de ces mi-colons, donner mon coup pour arracher les touffes d’anis sauvage, qui couvraient tout le sol. Quelques uns de nos employés, en apprenant ces faits plus tard, se sont moqués de moi, trouvant que je n’avais pas gardé assez de distance. Je n’en rougis pas. Et si j’avais à recommencer, je referai tout ce que j’ai fait. Je viens de dire que tous ces gens n’étaient pas faits pour vivre de la vie des colons. Si tous l’avaient été, c’eut été plus qu’étonnant, surtout lorsqu’il s’agit de travailler dans ces conditions. Avec le travail en commun, les bons se gâtent aussi. Mais une justice à rendre aux colons, c’est qu’à l’époque ils ne se plaignirent jamais de rien, surtout pas de la nourriture. Je me rappelle à ce sujet une anecdote bien caractéristique. Je venais d’acheter un hectolitre d’huile d’olives pour la cuisine. Le vendeur, qui passait pour un très brave homme, me trompa et me fournit de la marchandise gâtée. A midi on se servit de cette huile pour une soupe aux fèves. A peine les colons se furent-ils mis à table que je reçus la visite d’une députation, pour nous dire qu’il fallait jeter cette huile, parce qu’elle était tellement rance que la soupe n’était pas à avaler. Je leur dis :« Très bien. Vous allez nous apporter, à Mr Dugourd et à moi, une assiette de cette soupe, et, si elle est mauvaise, je ferai jeter l’huile. » Ils partirent avec plaisir. A peine avaient-ils tourné le dos que je dis à Mr Dugourd : « Quelle qu’elle soit, nous trouverons la soupe exquise. Je ne puis pas me décider à laisser perdre cette huile. – C’est entendu, répondit Mr Dugourd. » Deux colons vinrent très flegmatiquement nous apporter la soupe, et deux autres les suivirent, pour voir aussi la grimace que nous allions faire. J’avalai ainsi que Mr Dugourd une première cuillerée. Elle vous arrachait littéralement le gosier. Je dis à haute voix à Mr Dugourd : « Ah bien ! qu’en pensez vous ? – Moi ? répondit-il. Si j’avais toujours eu de pareilles soupes, je serais plus gros que je ne le suis. Elle est excellente. – Moi aussi, répartis-je. Je la trouve hors ligne. » Et nous avalâmes la soupe.
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Oh ! s’écrièrent les quatre messagers, du moment que Mr Scheid trouve la soupe bonne, il n’y a plus rien à réclamer. Il ne fut plus question de jeter l’huile. En général, Mr Dugourd et moi, nous ne mangions pas beaucoup mieux. A la guerre comme à la guerre ! Il faut à l’occasion savoir montrer aux humbles qu’on n’a pas tant de prétentions. On a vu plus haut la description du taudis, que j’ai occupé pendant plusieurs mois. Deux seuls des employés ont passé par là et étaient, au commencement, logés à la même enseigne que moi. C’étaient MMrs Benchimol73 et Cavelan. Ils ont failli en mourir. J’ai eu plus de chance. Je tiens cependant à dire, en passant, que j’ai fait pendant dix ans l’inspection des colonies, ayant partout à ma disposition une chambrette de quatre mètres sur quatre mètres, dans laquelle se trouvaient, outre mon lit, assez grand, mes malles avec mes effets, une armoire, une toilette, une table qui me servait de bureau et deux chaises. Je m’en plaignais bien quelque fois. Monsieur le baron me riait au nez. Est ce que tout n’est pas bon pour Scheid, qui n’a pas le droit d’être logé comme un homme ? Et moi qui savais me contenter de tout, je passai outre et je continuai. C’est dans ce réduit que j’avais à rédiger tous mes rapports et à recevoir les visiteurs. En 1893, lors de sa tournée à Zicron-Jacob, Monsieur le baron, pour faire plaisir à Mr Benchimol très malade, lui accorda la construction d’une nouvelle maison d’administration. Mr Hazan74, à Rischon-le-Zion, eut la même faveur, tandis que l’administration de Rosch-Pinah fut agrandie. Dans cette dernière, je reçus une chambre à coucher plus grande, mais mon bureau y resta. A Rischon-le-Zion et à Zicron-Jacob, on me réserva, outre la chambre à coucher, une seconde pièce pour recevoir et faire mes nombreux courriers. Dans les autres colonies, j’étais à peu près logé, comme toujours auparavant. Et cependant l’on trouva qu’on aurait pu faire l’économie de ces chambres, pour me contenter des taudis que j’avais occupés jusque là. Je faisais, paraît-il, trop de luxe avec cela.
73 Originaire de Tetouan, Jacob Benchimol entra, après un bref séjour à Mikveh-Israel, au service des colonies. Il exerça les fonctions d’administrateur de Rischon-le-Zion et d’Ekron (1883 à 1884), Zicron Jacob (1885-1886), Roch Pinah (1886-1888), Beth Chelomoh et Meir Schefaye de 1888 à 1894. Il dut interrompre ses fonctions à plusieurs reprises pour cause de maladie. 74 Hayyim Hazan, ancien directeur de l’école de l’Alliance à Tétouan, devint sous-administrateur de la colonie de Rischon-le-Zion de 1893 à 1894, puis administrateur jusqu’en 1900. Cf. p. 127, 159, 266.
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Il est évident que les nombreux touristes, qui sont venus ces dernières années dans les colonies, ont dû trouver tout très riche. Ils ne peuvent pas avoir une idée, même approximative, de ce qu’étaient les colonies, lors de leur création. Je disais que tous les soirs, lorsqu’on me laissait, tant soit peu, en repos, je faisais ma correspondance. Comme le courrier arrivait et partait le samedi, que je n’avais à ma disposition ni voitures ni domestiques, je montais à cheval, assez souvent le vendredi matin, et je courais en ville, y passer le samedi, recevoir et expédier mon courrier et mes dépêches. Je ne puis pas dire que j’étais un cavalier consommé. On fait ce qu’on peut. Dans une de ces courses en ville, j’arrivai au grand trot, près de Caïffa, quand mon cheval, effrayé par un tas de fumier étendu devant la première maison, s’arrêta net, et moi, lancé en avant, je passai par dessus sa tête. Ce sont de ces privilèges du début. J’aurai pu rester sur place. Je me relevai sans une égratignure. Ceux qui, aujourd’hui, font une excursion en voiture de Caïffa à ZicronJacob, en passant devant Atlit, ne se rendent pas compte des difficultés de circulation que j’avais à l’époque. La première fois, ce fut une fête, étant avec les colons qui ne pouvaient retenir leur joie. Il en fut de même la deuxième fois. La troisième fois je revins de la ville avec Mr Dugourd une après midi du mois de novembre. Nous allions doucement au pas. La nuit vint. Nous entendions, à nos côtés, les chacals pleurer comme des petits enfants, à vous donner le frisson, et tout d’un coup nous nous trouvions égarés. Nous le crûmes du moins. Nous nous voyions dans un village, que nous ne connaissions pas. Nous frappâmes à une fenêtre pour demander où nous étions. – « Vous êtes à Tantourah, nous fut il répondu. » Nous voici donc à une lieue de Samarin. Nous nous fîmes mettre sur la route et parvînmes tranquillement chez nous. Une autre fois, encore, avec Mr Dugourd, je revins de la ville vers la fin du mois de décembre, après les fortes pluies. L’eau, à cette époque, venait comme un torrent impétueux des montagnes du fond, passait comme une trombe par la gorge de Fureddis (village à un quart d’heure de Samarin) et s’arrêtait dans la plaine, entre ce dernier village et les montagnes de Tantourah, et formait un lac. Le premier ouvrage de l’administration, plus tard, fut de creuser une rivière d’environ quatre kilomètres de longueur avec quatre mètres de profondeur, et l’on conduit ainsi l’eau à la mer. Nous marchions donc dans ce lac, avec de l’eau jusqu’au poitrail des chevaux, et nous causions sans penser à autre chose qu’à arriver à destination, quand, subitement, le cheval de Mr Dugourd s’allongea, avec lui, dans ce lac. Il en fut quitte pour un bain forcé, mais froid.
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Une autre fois, je revenais, seul, de la ville, ayant devant moi, sur le cheval, un sac rempli de meijidiés (pièces en argent de 4 f. 25). Par le frottement sur la peau du cheval, le fond du sac s’usa, sans que je m’en aperçusse, et, dans cette même plaine de Fureddis, tout mon argent se répandit par terre. Ce sont là de ces petits agréments, dont les employés actuels ne connaissent rien. Ils sont, presque tous, devenus de trop grands seigneurs, comme s’ils avaient une part à recevoir de la fortune de Monsieur le baron. Mais en voiture, alors, c’était encore pire. Les colons, avec leurs chariots à échelles, se rendaient assez souvent en ville, pour les besoins de la colonie, et avaient toutes les peines pour se dépêtrer des ravins, qui leur coupaient la route. Combien de fois fus-je réveillé à deux heures du matin ! On venait me prier de faire envoyer des chevaux de renfort, au bas de la montagne de Samarin, parce que ceux attelés ne pouvaient plus avancer. La même chose m’arriva, l’année suivante, de l’autre côté de la montagne. Je me trouvais à Jaffa et je devais me rendre à Samarin. Il n’y avait de bateau que tous les quinze jours, allant de Jaffa à Caïffa, et je n’avais aucune envie de perdre mon temps. Il y avait alors à Jaffa un voiturier du nom de Scholem75, qui travaillait pour son compte. J’étais avec Mr Ossovetzki76. – « As tu, demandé-je à Scholem, assez de courage pour nous transporter à Samarin, à travers champs ? – Certainement, répondit-il. » Ce n’était pas l’homme à reculer devant un danger ou une difficulté. Nous ne comptions pas avec les habitants. Ces braves gens n’avaient jamais vu de voitures. Nous étions donc obligés de parlementer d’abord, afin d’avoir le passage libre à travers les villages. Les quolibets pleuvaient. « Fous ! Fous ! » nous criait on de partout. Mais à Kalkilia, ce fut pire encore. Les gamins coururent après la voiture, en nous jetant des pierres. Je dus tirer des coups de revolver en l’air pour leur faire peur. Et, avec les années, cet antagonisme n’a pas cessé dans ce trou infect. Partis à quatre du matin, avec un attelage à trois chevaux de front, selon la mode chez les Européens du pays, nous arrivâmes à huit heures du soir près du pont, qui divise la propriété de Sélim Khouri77, à une lieue de 75
Non identifié. Osée ou Josué Ossovetski (1858-1929), frère de Boris O., rencontra Charles Netter à Brody, et conduisit avec Isaac Auscher un groupe d’enfants rescapés des pogromes de Brody à Mikveh Israel en 1882, où il devint professeur sur sa recommandation. Par la suite il passa au service des colonies (1883-1900) d’abord à Zicron-Jacob jusqu’en 1887, qu’il dut quitter à la suite de la révolte des colons, ensuite à Petah’Tikvah (1887-1888), à Rosch Pinah et dans la Galilée en général (1888-1897). Il supervisa également la colonie d’Ekron de 1884 à 1888. Très actif dans l’acquisition des terres. Par la suite il représenta le baron à Beyrouth de 1897 à 1900, quand il partit à Paris. 77 Grand propriétaire terrien de Haïfa. 76
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Samarin. Seulement, si, au nord, les colons avaient fait une route pour venir de Caïffa, personne, alors, n’avait pensé à en tracer une au sud. Il faisait nuit. Nos bêtes ne pouvaient plus nous traîner. Je gardai la voiture et envoyai Scholem avec Mr Ossovetzki à Brégué78, village à une demi-heure de là, pour tâcher de trouver des chevaux, qui, à travers la montagne, nous amèneraient à la colonie. Ils durent prier, menacer, faire toutes sortes de propositions pour obtenir, enfin, avec un peu de confiance, deux chevaux de louage. On ne nous connaissait pas encore. Et ainsi, en marchant dans les pierres et les rochers, et chevauchant sur des selles arabes, nous arrivâmes, à minuit, sur le haut de la montagne, à Samarin. Je dus faire réveiller quelques colons, pour qu’ils descendissent, avec des chevaux de renfort, à la rencontre de Scholem. Ils durent faire le tour de la montagne, en bas, et revenir par la route de Fureddis. A quatre heures du matin, ils furent rendus. Aujourd’hui, il y a par là, aussi, une route carrossable et la génération actuelle ne s’en étonne pas, ne se doutant pas des difficultés de cette époque. Mais revenons à notre sujet. Les jours de la semaine, chacun faisait sa prière pour soi. Le vendredi soir seulement et le samedi, le réfectoire était converti en temple et je puis certifier que le contentement se lisait sur toutes les figures. Par exemple, il a fallu beaucoup de peine et de patience, pour faire de quelques uns d’entre eux des gens tant soit peu civilisés. La délation était à l’ordre du jour et, au commencement, je reçus passablement de visites de colons, qui voulaient me raconter des méchancetés sur le compte de leurs voisins. Je prévins les trois ou quatre premiers que j’infligerai une amende à tous ceux qui reviendront me déranger pour des niaiseries de ce genre. C’était trop bête. L’avertissement produisit son effet. Je n’eus plus jamais, dans la suite, de visiteurs de ce genre. Je déteste les cafards. Il y avait encore des discussions, de temps en temps, dans la journée, entre eux, et le soir, après le diner, assis sur mon lit, je rendais la justice. Je me plais à constater que jamais personne ne s’est avisé de dire que j’avais mal jugé. Il est vrai d’ajouter que, si j’étais très sévère pour les fautes commises, j’étais excessivement juste. Pour moi, les colons devaient être, et l’étaient en réalité, tous, mes enfants et je les traitai en père, qui aime sa famille. Cela me faisait mal au cœur, quand j’étais obligé de punir l’un d’eux. Ces colons qui, pour la plupart, avaient versé quelques centaines de francs, avaient tellement cru qu’ils n’auraient pas à travailler, qu’ils avaient emmené de la Roumanie des domestiques pour les gros ouvrages. Pendant la pénurie des vivres, avant mon arrivée, douze de ces jeunes gens étaient allés à la mission protestante anglaise, à Jérusalem. 78
Tel Burga, à l’Est de Binyaminah.
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Je télégraphiai au directeur de l’hôpital Rothschild à Jérusalem, pour le prier de me les envoyer. Onze d’entre eux furent enchantés de revenir. Le douzième préféra rester. Je n’ai plus entendu parler de lui. Lorsque tous ces jeunes gens furent réunis avec ceux qui étaient restés, je dis, en assemblée générale des colons : « L’esclavage est aboli. Je ne puis donc le tolérer chez nous, et, à partir de ce jour, il n’y a plus de domestiques. L’un vaudra l’autre et je traiterai l’ancien domestique comme le colon, à condition, toutefois, que chacun travaille consciencieusement. » On se figure la joie des jeunes gens et le dépit de quelques uns de leurs anciens maîtres. En ville j’avais installé une école d’hébreu, afin que les enfants ne courussent pas les rues. Les familles y vivaient relativement heureuses, touchant les mois entiers, comme si les maris et les fils n’avaient pas mangé à la colonie. Cependant le plateau, sur lequel se trouvaient les anciennes constructions, ne me paraissait pas assez vaste pour recevoir le futur village. D’un autre côté, si nous montions sur le point culminant de la montagne, la place ne nous manquerait pas et nous aurions l’air de la mer, qui, tout en étant distante d’une lieue, semble baigner le bas de la montagne. Cette colline, que je voulais convertir en village, était sauvage, remplie de caroubiers et de broussailles, dans lesquels se promenaient une masse de sangliers. Je commençai à faire place nette et les hôtes de ces taillis allèrent chercher un autre refuge, ailleurs. Je m’étais entendu avec le Caïmakam de Caïffa pour l’autorisation tacite de construire. Je pris alors avec moi Mr Dugourd et quelques colons intelligents, et je me mis à jalonner les rues et les maisons. Les tailleurs de pierres trouvèrent leur aliment sur place. On travailla ferme. Les maçons commencèrent à monter les maisons, quand le bruit se répandit que Mr Isaac Loebel, le propriétaire du terrain, était mort. Je fus mandé chez le mutessarif (gouverneur) d’Acre. Il me dit : « Vous êtes venu à Caïffa, pour installer des gens à Samarin, sans un morceau de papier du propriétaire vous y autorisant. Vous me dites que vous êtes secrétaire du Comité de Bienfaisance Israélite de Paris et que la création de cette colonie est une œuvre de charité. Tout cela est possible. Seulement il faut que vous soyez en règle ; sans cela, je ne vous permets pas de continuer les constructions. » Je lui promis de les faire cesser, avec prière de me laisser seulement les tailleurs de pierres à leur ouvrage. Il me l’accorda. Cet homme avait parfaitement raison. Mon départ de Paris s’était si précipitamment fait que je n’avais pas emporté un seul papier en règle. Je m’empressai donc de télégraphier à Monsieur le baron à Paris le 12 janvier 1884 : « Colon 42431950 mort. Loebel donnera traites 079330982011 quand transfert légal règlé. Soignez pièces 82813348 ».
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Ce qui voulait dire : « Le Gouverneur d’Acre connaît la mort de Loebel. Il donnera l’autorisation écrite de construire, quand le transfert légal sera en règle. Veuillez soigner les pièces sans aucun retard et envoyez les immédiatement. » Je ne pus expédier que trois dépêches chiffrées. Elles me furent interdites après. En attendant, j’avais marché à l’aveuglette, avec tout ce que j’avais fait dans les colonies. Monsieur le baron, à mon départ de Paris, m’avait donné comme seules instructions ces mots : « Vous verrez sur place. » J’envoyai donc rapports sur rapports, en des lettres de trente et quarante pages. A cause du choléra en Egypte, les lettres mettaient un temps infini à me parvenir. Je devais mettre Mr Wormser79, qui arrivait de Paris, au courant de toutes les questions et je vivais dans une ignorance complète de ce qu’on pensait de mon travail à Paris. Devais-je continuer sur ce pied ? Avais je bien agi, en faisant ce que j’avais commencé ? Aurai-je dû m’y prendre autrement ? Je n’en savais rien. Dans cette perplexité, que devais je prescrire à Mr Wormser ? Dans chacune de mes lettres je demandai des réponses, une indication quelconque, pour me guider au moins. Je m’étais également adressé, pour être un peu fixé, à Mr J.80, un de mes anciens camarades attaché à Monsieur le baron. Enfin ma voix fut entendue. Les dépêches vinrent successivement. Le 9 janvier 1884 je reçus la dépêche suivante de Monsieur le baron : « Dernière lettre reçue du 11 décembre. Satisfait derniers rapports. Pouvez continuer dans sens indiqué par cette lettre du onze. » Le lendemain me parvint de lui la dépêche suivante : « Reçu lettres 12 et 18. Satisfait. Pouvez continuer. D’accord avec vous sur tout, particulièrement sur fin lettre 18. Agissez de même pour Rosch-Pinah. » Le 26 janvier je reçus la dépêche suivante de Mr J. :« Très satisfait. » Et le même de Monsieur le baron : « Très satisfait vos lettres et gestion. » Je pus alors, à mon aise, donner des instructions à Mr Wormser, qui était arrivé de Paris pour prendre la direction de la colonie. Je restai encore quelques semaines avec lui ; je le présentai à toutes les autorités d’Acre et de Caïffa. Je le mis au courant de toutes les questions et je retournai à Paris. Pour descendre à Caïffa et y prendre le bateau, je remontai à cheval, accompagné d’un colon chargé de ma valise. A Fureddis commença la pluie. Or, quand il pleut dans ce pays, c’est un véritable déluge. Ordinairement 79 Léon (Judah Leib) Wormser était un instituteur parisien originaire d’Alsace recruté par Edmond de Rothschild. Il administra Zicron-Jacob de 1884 jusqu’à 1888, quand il retourna en France. 80 Non identifié.
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il ne tombe pas une goutte d’eau du mois de mai à fin novembre. Régulièrement il doit pleuvoir huit jours en décembre, dix en janvier, dix en février, huit en mars et quatre en avril. Cela fait en tout quarante jours. Eh bien ! pour ce court espace de temps, le pluviomètre marqua autant d’eau que pour douze mois à Londres. Cela compte déjà. Cette pluie est dense, tombe comme par baquets, et le manteau en caoutchouc que j’avais sur moi me garantissait bien le torse et la tête, mais nullement les jambes. Je portais bien des bottes. Mais l’eau entrait par le haut, sans beaucoup de se gêner, car mes cuisses formaient rigole. Et je dus rester près de huit heures à cheval, sans bouger, pour ainsi dire, sous ces averses, car le cheval avançait difficilement, avec ces tourmentes d’eau. A l’hôtel, à Caïffa, deux hommes durent me tirer assez longtemps, dans tous les sens, pour me débarrasser de mes bottes. J’étais devenu aphone et je dus faire des prodiges pour pouvoir m’embarquer le lendemain. Ce furent là mes premiers backschichs. Ce mot joue un grand rôle en Turquie. Tout le monde le sait. Seulement cette mode existe, un peu, dans tous les pays du monde, mais se présente ailleurs sous d’autres noms et d’autres formes. Ce backschich en Turquie est compréhensible et nécessaire plus que partout ailleurs. S’il n’existait pas, il faudrait l’inventer et, sans lui, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’employés. Par suite de la misère du Trésor les appointements sont très minimes. Ainsi, puisque nous sommes à Caïffa, j’y prendrai mes exemples. Le directeur de la douane, qui, après tout, est un personnage, gagne, au maximum, cent francs par mois, le directeur de la poste et du télégraphe, qui est obligé de savoir le turc, l’arabe et le français, n’en gagne pas autant. Un officier de la police a soixante francs par mois, un gendarme, qui a à nourrir son cheval, doit toucher vingt francs par mois. Je dis doit toucher, car lui comme tous les autres employés voient rarement leurs honoraires. Le Gouvernement leur est, toujours, redevable de quelques mois. Ces gens sont mariés, ont femme et enfants, qui demandent du pain. D’où le prendre ? Vous arrivez chez eux, vous réclamez d’eux un service. Ils s’accrochent à vous, pour que vous leur payiez le travail. Que répondre à cela ? Je trouve cela très juste. Ensuite il y a encore une autre considération. Cet employé, quel qu’il soit, et toujours pour les mêmes raisons, a dû donner des backschichs afin d’avoir sa place. Il faut donc, avant tout, qu’il cherche à rentrer dans ses fonds. Il y a bien, par ci, par là, des employés, à qui leur fortune personnelle permet d’être intègres. C’est tant mieux pour eux. Et tout cela n’existerait pas, si le Trésor était plus riche. Pourrait-il l’être ? Certes, si on ne s’entêtait pas sur un verset du Coran. Les principales rentrées viennent de la dîme. Le paysan n’existe pas. C’est le village qui est taxé à la moisson. Le maire doit venir en ville, auprès du Gouverneur,
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et offrir une certaine somme pour la dîme. Généralement, elle n’est pas agréée. Il faut y mettre une plus forte somme. Il refuse. Alors peuvent se présenter deux cas. Ou bien un de ces usuriers, qui pullulent dans le pays, renchérit sur la mise du maire et remplace alors le gouvernement, pour la rentrée de la dîme à son compte, ou bien le maire est mis en prison, jusqu’au jour où il consent à donner sa signature. C’est autoritaire ? A qui voulezvous qu’il se plaigne ? Détaillons chaque cas, pour que le lecteur puisse bien se rendre compte de tout. Le village, dont le maire vient de signer, doit payer, par exemple, quatre mille francs, quand la moisson allait, en tout, à vingt huit81 mille francs. Mais ces quatre mille francs n’existent pas. Où les prendre ? Aller chez ce même usurier, qui prendra de 30 à 50 % d’intérêts suivant son cœur. Jamais le village ne pourra payer les intérêts. Au bout de quelques années, tout appartient à l’usurier et les paysans deviennent des domestiques ou abandonnent tout et se font bédouins nomades. Cet usurier achète-t-il la dîme ? Il obtient du Gouvernement deux soldats pour surveiller la moisson. Le village est obligé de nourrir et les soldats et leurs chevaux pendant des mois, car le preneur de la dîme ne se presse pas de venir. Il faut que le cultivateur soit fatigué par l’attente et entre dans tous les détails. Les paysans auront rentré avant l’acquisition, par lui, de la dîme, pour mille francs de pommes de terre, lui soutiendra qu’ils en ont fait quatre fois autant, et il demandera quatre cent francs. Le village réclame-t’il ? On lui envoie une commission qu’il doit héberger, nourrir et dorloter et finalement, toujours pour les mêmes raisons, le preneur aura gain de cause. Il est inutile de multiplier les exemples. De toutes manières le village est ruiné. Ceux qui tiennent à leur sol, s’arrangent, quelquefois, autrement. Ils cherchent, tout en mourant de faim, à faire aussi mourir le Gouvernement. Les paysans ne labourent et n’ensemencent que ce qu’il leur faut, strictement, dans leur ménage. Ils laissent le reste en friche. De cette manière le Gouvernement touche moins. Que fait ce dernier ? Il édicte une loi, suivant laquelle tout terrain non cultivé pendant trois ans devient Machloul, c’est à dire la propriété du Trésor. Le paysan divise alors son terrain en trois parties et les ensemence à tour de rôle pendant trois ans, pour les empêcher de devenir Machloul. Le remède est pourtant facile. Qu’on fasse comme partout en Europe. Qu’on taxe, une fois pour toutes, chaque propriété, qui doit verser une somme fixe, tous les ans, au Gouvernement. Que ce gouvernement ne s’inquiète pas, si vous améliorez le terrain et si vous faites des plantations. Car il faut savoir que le cultivateur doit payer à part pour chaque arbre, pour 81
Vingt mille selon une autre copie.
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chaque légume, etc. C’est pour cela qu’un fellah fait rarement venir des arbres fruitiers. Il a trop peur des chicanes gouvernementales. Tandis que si le paysan savait qu’il a tant à payer, chaque année, pour ce qu’il récoltera sur son champ, il travaillerait plus, récolterait davantage, aurait des jardins, ferait des économies, et, en cas d’emprunt, le gouvernement, comme en France, trouverait assez de capitaux cachés dans des bas de laine. Mais bah ! le Coran dit qu’on ne doit pas spéculer sur la moisson du felllah. Alors, dit le Gouvernement, on ne peut pas le taxer d’avance. Ce serait contre le Coran. Et cependant, poussé au pied du mur, le Gouvernement y viendra un jour.
Chapitre IX SAISIE
Ma dépêche du 12 janvier 1884 avait produit son effet. Monsieur le baron avait compris que, pour marcher en avant, il lui fallait autre chose que des paroles en l’air de la part du Comité de Galatz. Il entendit bien prendre le terrain et décharger le Comité de Galatz de tous ses soucis, mais il tint aussi à avoir un titre en mains. Le fils Loebel se rendit dans ce but à Paris, et, muni de la procuration de ses frères et sœurs, il fit la vente de Samarin sur simple papier timbré, au nom de Mr Michel Erlanger, qui voulut bien s’y prêter. Naturellement, aux yeux des autorités turques, cette vente ne pouvait avoir aucune valeur. Tout d’un coup, quelque temps après mon départ de Caïffa, les intrigues y commencèrent. On y répandit le bruit que Loebel était mort sans enfants. Si un Turc meurt sans fils, la femme et les filles ne peuvent pas hériter. C’est le gouvernement qui prend tout. Pour les Européens qui résident en Turquie, c’est la même chose. Seulement, suivant les Capitulations, les Européens peuvent éviter cette perte, en faisant un testament en faveur de quelqu’un. Mr Isaac Loebel ne pensait pas aux chicanes qu’on pourrait faire après sa mort. Il n’avait, du reste, pas à s’inquiéter des lois turques sous ce rapport et, par conséquent, n’avait pu avoir la pensée de faire un testament. Enfin il n’en avait pas besoin, puisqu’il laissait derrière lui deux fils et trois filles. Et qui pouvait supposer que le Gouvernement nierait l’existence de ces enfants ? Se basant sur son droit léonin, après cette fausse assertion, le Gouvernement Ottoman fit saisir Samarin. Et comme le terrain était « Vacouf », c’est à dire dépendant du clergé, la saisie fut faite au profit du Cheik’-Ul-Islam (pape des Musulmans). J’étais revenu à Paris dans le courant du mois de février 1884. Au mois d’avril 1884, Mr Wormser appela au secours, par dépêche, disant que Samarin était saisie, et que je devais me rendre à Constantinople pour y avoir main-levée. La signature du Cheik’-ul-Islam suffisait pour cela. Monsieur la baron me fit venir chez lui et, en présence de MMrs Zadoc Kahn82 et Michel Erlanger83, il me dit, en me montrant la dépêche : « Il faut 82
Il était alors grand rabbin de Paris. Michel Erlanger (1828-1892) devint, après le décès d’Albert Cohn, le conseiller aux affaires juives des Rothschild français. Il prit une part très active dans l’établissement des nouvelles colonies juives en Terre Sainte. 83
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que vous vous rendiez à Constantinople, mais je vous défends de voir le Cheik-ul-Islam, car il ne vous donnera jamais la signature. » Je voyais, comme à travers un nuage, ce rocher de Samarin, qui ne pourrait jamais nourrir les colons, d’un autre côté tous ces employés de Constantinople, qui me mangeraient tout vivant. Comment sortir de cet imbroglio ? Je me sentais perdu. Faire tant de démarches, probablement inutiles, pour arracher au Gouvernement, et au prix de quels sacrifices, ce monceau de rochers. Je me tournai donc vers Monsieur le baron et je lui tins ce langage : « Monsieur le baron, Samarin a coûté quarante deux mille francs. Cela vaut, au maximum, cinq mille francs. Je dois aller à Constantinople, y dépenser des sommes folles, pour ravoir quelque chose qui ne vaut rien. Vous feriez donc mieux, au lieu de m’envoyer à Constantinople, de laisser Samarin aux Turcs, et de prendre l’argent que je dépenserai certainement en toutes sortes de frais, pour acheter quelques milliers d’hectares de bonnes terres labourables, là ou ailleurs. Vous ferez une bonne affaire et les colons pourront être plus facilement installés. Double bénéfice pour tout le monde. » Tout mon discours ne servit à rien. C’est ce terrain que tenait à garder Monsieur le baron ; c’est donc pour ce terrain que je devais aller travailler. Question de principe. Par conséquent, juste dix semaines après ma rentrée de la Palestine, le 4 mai 1884, je repartis. Je me rendis à Galatz, où demeurait la famille Loebel et où je pouvais avoir des renseignements. Outre cela, j’y fis faire des extraits de naissance des cinq enfants, des certificats de vie, tout cela contresigné par le consul d’Autriche. Cette légalisation, par contre, me fut, d’abord, refusée par le consul turc, puis, enfin, accordée. Muni de toutes ces pièces en règle, je partis pour Constantinople. Ma tâche n’était guère facile. Je ne connaissais personne et j’ignorais la langue. Dès mon arrivée, je fis quelques visites et j’allai commencer à me mettre sérieusement à l’ouvrage, quand Monsieur le baron me donna l’ordre d’aller voir, à Caïffa même, l’origine de cette chicane. Je m’embarquai le 5 juin. A ma descente à Beyrouth, je reçus une assignation à comparaître devant le tribunal du Cadi (juge religieux) pour le payement d’une certaine somme, que quelqu’un avait, sensément, à toucher sur Samarin. Il prétendait que comme Samarin était saisie, il ne pouvait plus avoir recours sur la propriété, et voulait s’en prendre à moi. Je fis citer comme témoins MMrs Wormser et Brasseur père, qui attestèrent l’existence des cinq enfants. Mon partenaire fut débouté et le Cadi me délivra un jugement longuement motivé, d’après lequel il était prouvé qu’il existait, suivant témoins, cinq enfants vivants de feu Isaac Loebel. Et dans le jugement j’avais eu soin de faire intercaler les noms et l’âge de chaque enfant. Cette pièce valait son pesant d’or et me servit plus tard. J’allai la soumettre au Gouverneur de Damas, qui me dit qu’il ne pouvait plus rien faire pour moi dans cette affaire, et qu’il fallait que je la fisse régler à Constantinople.
Chapitre X CONSTANTINOPLE
Aussi, après avoir passé inutilement quinze jours à Caïffa, – d’un bateau à un autre –, je revins dans la capitale. Je n’avais quand même pas tout à fait perdu mon temps. Pendant l’hiver précédent, dans les stations que je faisais à la poste pour attendre le courrier, j’avais fait la connaissance d’un grand propriétaire, excessivement aimable. Ce Monsieur avait un frère ministre. Je parvins à obtenir, de lui, une lettre de recommandation pour son frère. Je dus m’arrêter à Beyrouth jusqu’au 9 juillet, et, par une chaleur accablante, je revins à Constantinople. Il faut avoir navigué, en plein été, sur ces côtes de Syrie pour se rendre compte des souffrances que la transpiration continuelle vous fait endurer. L’appétit est coupé. Le sommeil est interrompu. Pour comble de malchance, j’arrivai à Constantinople en plein Ramadan. La moitié du temps, les bureaux sont fermés, et si l’on veut voir quelqu’un, il faut essayer des démarches, pour être reçu l’après midi, chez lui, à la maison. Le matin, tout le monde dort pour se rattraper des veillées, pendant lesquelles se font de véritables noces, afin de pouvoir mieux jeûner le lendemain matin. Tous les établissements publics restent ouverts toute la nuit. A peine reposé, j’allai présenter ma lettre de recommandation au personnage dont j’ai parlé ci-haut. Je fus très bien reçu et il me promit de se mettre à ma disposition. J’avais bien aussi emporté des lettres de recommandation de Paris. Mais elles ne servirent à rien. Partout on me dit très poliment : « Dans les questions de propriétés, nous ne pouvons pas intervenir. » Par bonheur, j’avais fait la connaissance d’un très aimable coreligionnaire, qui me guida de ses conseils. ll me fit rédiger des pétitions que je faisais traduire en turc. Il me désigna les portes auxquelles je devais frapper, et où je pouvais le faire avec succès, tandis qu’il restait dans la coulisse. Je portai le jugement du Cadi de Beyrouth au Cheik-Ul-Islam, afin d’avoir, de lui, son homologation, puisque c’était tout ce que demandait Mr Wormser. Je tenais Monsieur le baron au courant de tout ce que je faisais, sauf de ma démarche au Cheik-Ul-Islam, puisque je devais obtenir sa signature, sans m’adresser à lui.
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Je courais de bureau en bureau avec mes papiers autrichiens et à la fin du mois d’août, je n’étais pas plus avancé que le premier jour. Je ferais un volume des courses au clocher que je dus faire, pendant ces six semaines, ennuyé par une masse d’intrigants, qui m’assourdissaient de leurs conseils et voulaient, absolument, me forcer à recourir à un avocat. Je me disais que si j’avais la faiblesse de remettre mes papiers entre les mains d’un plaideur, je ne serais plus maître de mes actions. Et, avant tout, je tenais à réussir, tout seul, et au plus tôt. Un avocat aurait encore tiré les choses bien plus en longueur. J’ai toujours eu beaucoup de patience. Cependant, en cette occasion, je faillis la perdre. Et c’eut été tout naturel. Celui qui ne connaît pas Constantinople et les Backaloum (nous verrons), dont on nous abreuve à satiété, ne peut absolument pas se représenter ce que j’ai enduré. Et je restai calme. Et je continuai mes courses. Dans les visites que je faisais aux personnes, dont j’avais fait la connaissance, parmi les Européens qui demeuraient à Constantinople, chacun avait l’espoir de me voir prendre ma résidence continue en leur ville, car, d’après eux, je ne pouvais pas arriver de si tôt à un résultat. On parlait de quelques années, comme la chose la plus naturelle du monde. Monsieur le baron, de son côté, était loin de me relever le moral. Au contraire. Le cinq septembre, je reçus de lui la lettre suivante : « J’attends, avec grande impatience, le résultat de vos démarches. Il me semble que nous touchons au moment psychologique, et que, bonne ou mauvaise, vous allez, enfin, obtenir une solution. Je vous avouerai, même, que je serais assez surpris, si elle était favorable et, dans ce cas, tout en faisant large la part de votre habileté, je vous considérerais encore comme ayant beaucoup de bonheur. La prévision la plus probable est donc pour un échec. Telle est mon opinion, et telle est aussi celle de Mr Veneziani. » « Eh bien ! soit, me dis-je. Nous allons voir qui aura raison. Dussé-je, maintenant, enfoncer des murs, il faut que j’aie le dessus. » De ce moment, je repris mes courses plus effrénées que jamais. J’aurais voulu infuser de mon ardeur à tous ces employés qui avaient le talent de rester si flegmatiques, et avaient l’air de me toiser comme un phénomène. Finalement, n’en pouvant plus, je retournai le mardi 9 septembre faire une visite à mon personnage, à qui j’avais remis la lettre de son frère à Caïffa. « Eh bien ! me dit-il dès mon entrée chez lui, où en êtes vous ? « Où j’en suis ? De quoi devenir fou. Si vous ne me donnez pas un coup de main pour avoir la signature du Cheik-Ul-Islam, je ferai venir ma femme et mes enfants de Paris et je carillonnerai alors chaque jour à votre porte, accompagné de ma smala ; vous aurez peut être après pitié de moi et vous me tirerez d’affaires. »
CHAPITRE X : CONSTANTINOPLE
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Il sourit et me dit : « Demain matin, à deux heures à la turque (neuf heures), soyez chez le Cheik-Ul-Islam, j’y serai aussi et je vous ferai avoir la signature. » Cette fois-ci, j’avais enfin une parole décisive. Je ne me tenais plus de joie. Je courus chez mon coreligionnaire pour lui en faire part. « Oh ! que vous êtes jeune et … européen, me dit-il, quand j’eus fini. Vous connaissez peu les Turcs. Vous croyez, donc, que pour vous faire plaisir, cet homme va se lever de si bon matin ! Jamais de la vie. Il voulait être débarrassé de vous. Voila tout. » Le lendemain matin, j’étais fixe au rendez-vous, longtemps avant l’heure. Je m’étais mis sous la porte cochère, afin de mieux le voir passer. Il tint parole. A neuf heures précises, sa voiture entra dans la cour et il me répondit, le plus gracieusement du monde, au profond salut que je lui avais fait. Il était à peine dix minutes chez le Cheik-Ul-Islam, qu’un huissier sortit et me conduisit vers les bureaux, où l’on détenait mes papiers. Chemin faisant, j’avais fait comprendre à l’huissier que je lui aurai une grande reconnaissance, si la chose se faisait au plus vite. Il me promit de hâter la solution de l’affaire. Je m’enhardis à lui dire que je désirai la pièce pour le lendemain. Il me répondit : « Vous l’aurez sûrement après-demain. » Il poussa l’épée dans les reins de l’employé chargé d’écrire la copie (de l’arabe en turc), disant que le Cheik-Ul-Islam voulait absolument que je fusse servi sur l’heure. Et il ajoutait : « Vous savez, ce Monsieur est recommandé par X. Pacha84, qui est à présent chez le Cheik-Ul-Islam. » Le lendemain, j’eus la signature du Cheik-Ul-Islam. Muni de cette pièce, je me rendis chez moi et écrivis à Monsieur le baron, pour lui annoncer que je pouvais rentrer, maintenant que j’avais la signature tant désirée. La mission pour laquelle j’étais parti était terminée. Je me promenai, en attendant une réponse. Le 23 septembre, je reçus la dépêche suivante : « Reçois lettres treize et seize. Mazeltow.85 Remerciements et compliments. Conduite habile. Ecris. Attendez lettre et terminez. » Je n’eus pas de reproches de m’être adressé au Cheik-Ul-Islam. J’étais en si bon chemin, qu’il ne fallait rien gâter par ma précipitation à quitter Constantinople. Le tribunal religieux d’Acre avait rendu un jugement, suivant lequel Samarin devait être vendu aux enchères. J’avais à faire casser cet Ilam86. Encore une de ces difficultés qu’on connaît en Europe
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Non identifié. Mazal Tov. Félicitations. Jugement.
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bien mieux qu’en Turquie. Je n’étais ni un Trarieux87 ni un Picquart.88 Je n’avais pour moi que la ténacité. J’avais si bien travaillé pour obtenir la signature du Cheik-Ul-Islam, que je ne devais plus échouer pour le reste. Au lieu de perdre courage, j’avais redoublé le mien, par les compliments et les félicitations de Monsieur le baron. Il s’agissait d’en mériter davantage. Je me rendis chez mon coreligionnaire B. Effendi89, le seul qui me fût serviable. Je lui montrai le papier contresigné par le Cheik-Ul-Islam et lui dis que je voulais que l’Ilam d’Acre (jugement religieux) fût cassé. Me servant d’une vieille locution alsacienne, j’ajoutais : « Et maintenant ?90 » « Maintenant, dit-il, donnez moi toutes vos pièces et venez avec moi. Je vous servirai d’introducteur et d’interprète à la Commission du DefterHa-‘Hané (enregistrement des biens). S.E. Sureya Pacha91 présidait. En deux mots, mon aimable avocat eut expliqué l’affaire. Sa conclusion fut celle-ci : « Vous contentez vous des témoignages Européens ? Dans ce cas, voici les attestations des autorités autrichiennes. Préférez vous de témoignages musulmans ? Alors voici un jugement du Cadi de Beyrouth, contresigné et accepté par le Cheik-Ul-Islam. » Devant ce dilemme, la commission ne put que s’incliner et me donna gain de cause. Seulement pour casser le jugement, il fallait écrire à Acre pour réclamer l’Ilam. Or, les autorités ont six semaines de temps pour répondre à une lettre, tandis qu’elles doivent répondre à une dépêche dans la huitaine. Je suppliai, à mains jointes, pour qu’on demandât cet Ilam par dépêche télégraphique, à mes frais. Pouvait-on, ou non, accepter cette proposition de ma part ? Les choses les plus simples ne vont pas toutes seules. On discuta là-dessus pendant quatre heures consécutives et, finalement, on voulut bien recourir au télégraphe, pour réclamer l’Ilam. La confection de cette dépêche et sa copie définitive durèrent deux jours. Et il me fallut deux autres jours pour avoir la signature du président. Il n’est pas permis, dans ces conditions, d’avoir de la bile. A Paris on n’est pas à même de juger ces cas. Et Monsieur le baron ne sut jamais combien de fatigues me coûtèrent ces différentes démarches, que je dus, pour ainsi dire, arracher à la force du poignet.
87 Ludovic Trarieux (1840-1904) homme politique français, qui fut parmi les premiers à demander la révision du procès Dreyfus. 88 Marie Georges Picquart (1854-1914), officier français, qui fut à l’origine de la révision du procès Dreyfus. 89 Non identifié. 90 Was kummt jetzt ? 91 Sans doute le caïmakam de Jérusalem.
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Entre temps je reçus de Monsieur le baron les quelques mots suivants pour me confirmer ses dépêches : « J’ai attendu vos lettres avant de vous répondre et je vous fais mon sincère compliment sur la manière si intelligente, dont vous avez mené cette négociation. Les dernières lettres que je vous ai écrites, étaient des conseils, dans le cas où la solution se serait fait attendre. » Et l’Ilam n’arrivait pas. Je fis expédier une deuxième dépêche à Acre, naturellement plus pressante que la première, et toujours à mes frais. Et j’attendais, j’attendais toujours, mais en vain. Mr Wormser devait me prévenir, par dépêche, le jour où l’Ilam serait expédié. Là, non plus, rien ne vint. Un silence mortel. Plus d’un, en me rencontrant me promenant sans cesse, jalousait, probablement, mon far niente. Mais il ne savait pas tout ce qui bouillonnait en moi. Je tenais à rentrer auprès de ma famille. Un Rosch-Haschana loin des miens !! Cela ne voulait d’aucune manière m’entrer dans la tête. Hélas ! je dus quand même le passer à Constantinople. Et combien de fois, depuis, ai-je vécu des fêtes auprès des étrangers ? Un vrai tourment pour un homme d’intérieur. Enfin ! Le 25 septembre, je reçus une dépêche. J’étais persuadé qu’elle m’annonçait l’expédition de l’Ilam. J’étais heureux. Je l’ouvris. Je faillis tomber à la renverse. Elle était de Monsieur le baron. Voici ce qu’elle contenait : « Wormser et Dugourd télégraphient insubordination grave. Dès que vous aurez terminé, serai charmé puissiez y aller mettre tout en ordre. » Je n’aurai donc pas de repos ? Croyant toucher au terme de mon voyage, me voilà forcé de retourner en Syrie ; et il fallait m’exécuter. Je vivais dans les transes, quand le 27 septembre arriva le fameux Ilam d’Acre tant désiré. Seulement le Baïram (fête qui suit le Ramadam) venait de commencer. Il n’y avait pas lieu de demander quelque chose à un Turc pendant cette Semaine Sainte. Je dus patienter. Ceux qui ne savent pas ce que c’est que la patience, et qui veulent apprendre à calmer leurs nerfs, n’ont qu’à entreprendre une affaire avec les Turcs et chercher à la finir à Constantinople. Ils seront guéris pour la vie. Je commençai, cependant, à avoir un certain ascendant sur les employés supérieurs du Defter-Ha-‘Hané, car le 7 octobre, au matin, l’Ilam d’Acre était déjà officiellement cassé. Je courus immédiatement au bureau télégraphique et j’envoyai à Monsieur le baron la dépêche : « Mazeltow. Il est cassé. » C’était une deuxième victoire et je pensais avoir terminé mon long martyre. Je rentrai tout joyeux à l’hôtel, où je trouvai la lettre suivante de Monsieur le baron : « Vous avez bien appris la révolte qui a éclaté à Samarin. De nouvelles difficultés viennent encore de se produire, cette fois avec le docteur
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Hamburger92. Mr Wormser a envoyé une dépêche dans laquelle il est question de mesures d’expulsion par le préfet et de conflit déclaré entre Mr Auscher93 et le docteur Hamburger, qui s’accusent mutuellement. Il devient de plus en plus urgent que vous finissiez à Constantinople, pour vous rendre à Samarin et à Rosch-Pinah, pour voir les choses et les gens et remettre tout en ordre, autant que possible. » Mais je ne demandai pas mieux que de quitter la capitale. Pour ce que je m’y amusai ! Seulement ma grandeur devait, encore une fois, m’attacher au rivage. Je reçus, bientôt, une nouvelle dépêche ainsi conçue : « Vous transmets mille compliments et félicitations. Faites transférer au nom Erlanger. » Je retournai au Defter-Ha-‘Hané et demandai cette faveur. Seulement, quoiqu’elle me fût, de suite, accordée, on ne se mit pas si vite à l’ouvrage. En Turquie on n’est jamais pressé. Les journées passent quand même. Avant de réaliser ce transfert, me dit-on, il faut que nous écrivions à Acre, pour savoir si la propriété n’était pas hypothéquée, si les impôts avaient été régulièrement payés, etc. etc. « Oh ! m’écriai-je, pour l’amour de Dieu, n’écrivez pas. Sans cela, je serais encore à Constantinople au prochain Baïram. Faites votre lettre en style télégraphique, aussi longue que vous voudrez, avec réponse payée, tout cela à mes frais, et tâchez de me faire sortir de votre vue au plus tôt, car je sais combien je dois vous ennuyer. » Cette fois-ci, on fut un peu plus expéditif à Acre. On ne mit que quinze jours pour répondre que tout était en règle, qu’il n’y avait donc aucun empêchement au transfert. Le 11 novembre j’obtins les titres provisoires au nom de Mr Erlanger avec les numéros des tapos (titres provisoires). Les Coudjans ou titres définitifs devaient se faire à Acre. Etant en bonne voie, j’émis la prétention d’avoir les Coudjans à Constantinople même. Tous les matins, je courais dans les bureaux. J’y passai mes journées, à talonner tantôt l’un, tantôt l’autre. Contre l’habitude, on s’était mis ferme à l’ouvrage. Pendant qu’on me contentait de tous les côtés, je reçus de Mr Wormser une dépêche, qui me disait, en allemand : « Puis avoir permission construire, si faites aviser Caïmakam que vous avez titres. » Je ne me fatiguai plus de demander. Un peu plus, un peu moins. Je pris encore une fois mon courage à deux mains et je racontai à la commission du Defter-Ha-‘Hané, que les paysans continuaient à faire des déprédations à Samarin et que le Gouverneur les laissait faire, parce qu’il ne croyait 92
Le premier médecin des colonies. Cf. p. 156. Isaac Auscher (Oshri) conduisit avec J. Ossowetski un groupe d’enfants rescapés des pogromes de Brody à Mikvé Israel. Il devint par la suite administrateur de Zicron-Jacob (1884) et de Roch Pinah (1884-1885/6). Déplacé à la suite de la révolte des colons, il devint professeur de français à Zicron-Jacob (1886-1888). Partit ensuite pour Vienne et Paris. 93
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pas encore l’affaire arrangée en ma faveur. Je demandai qu’on envoyât à Acre et à Caïffa une dépêche que j’avais préparée d’avance et qui passait de mains en mains. La discussion dura trois jours à ce sujet. Dix ans après, elle aurait, à peine, duré trois heures. J’avais été mieux stylé par la suite. On me disait toujours : « Mais cela ne s’est jamais fait. » Et je ne cessai de répondre : « Toute chose est, toujours, une fois, faite pour la première fois. » Enfin, on accepta ma rédaction et on télégraphia en Syrie ce qui suit : « L’affaire des biens Loebel est terminée. Samarin, Dherkounia94, Tantoura, sont passés au nom de Mr Erlanger, sujet français. Tous les frais et les contributions sont payés. Ne faites donc aucune difficulté au nouveau propriétaire. » Ce fut le 17 novembre. Je dus en effet payer l’enregistrement des biens, d’abord au nom des enfants Loebel, ensuite à celui de M. Erlanger. Monsieur le baron savait que je m’étais mis en tête d’avoir la permission de construire. Il connaissait ma réussite pour le transfert. Aussi reçus-je de lui le mot suivant : « J’ai eu l’avantage de recevoir votre lettre du 15 novembre et je vous réitère toutes mes félicitations pour les résultats que vous avez obtenus. Vous avez parfaitement fait de remettre votre voyage au 27 et de gagner là dessus un temps que vous pouvez toujours mieux employer à Constantinople. J’approuve, complètement, toutes les dispositions que vous avez prises, en vue d’obtenir l’autorisation de construire et je ne doute pas que, les chose ainsi préparées à Constantinople, vous n’arriviez à résoudre la question, soit dans cette ville même, soit sur les lieux. » Monsieur le baron avait tout bien calculé et deviné. Le 22 novembre je fus mis en possession des titres de propriété définitifs et le 24 du même mois, Mr Wormser me télégraphiait : « Mazeltow. J’ai tout obtenu par écrit. Vous pouvez tranquillement quitter Constantinople. » Je fus de son avis. J’avais abattu une rude besogne. Et le 27 novembre je sortis de cette ville, qui, cette fois, avait été si hospitalière pour moi. J’avais quitté la Syrie au mois de février 1884. J’y étais revenu dans la même année au mois de juin et me voici, de nouveau, en route, pour la troisième fois pour cette contrée, et l’année n’était toujours pas finie. J’eus une assez bonne traversée. Arrivé à Caïffa, au mois de décembre, j’y fus reçu par les arabes aussi bien que par les colons, en vieil ami. Je sentais réellement qu’on m’aimait de cœur. La joie des indigènes, surtout, était surprenante. On aurait dit qu’ils me connaissaient depuis des années. J’y rencontrai aussi le docteur Hamburger, qui voulait me faire des misères, en me citant devant le consul de France, parce qu’il avait un passeport
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Hurvat Drakmoun, à proximité de Dor, au Sud de Haïfa.
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de protégé français. Mr Monge95, le titulaire du Consulat, ne sortant pas de son droit chemin, avait vite fait comprendre au docteur qu’il devait quitter le service des colonies. Ainsi fut fait. J’allai refaire la paix à Rosch-Pinah entre Mr Auscher et les colons. Je fis la même besogne à Samarin et je partis inspecter Rischon-le-Zion, et enfin Ekron, qui avait été tout nouvellement fondé. Parti de Paris le 4 mai 1884 pour six semaines selon la promesse de Monsieur le baron, je revins auprès des miens la deuxième quinzaine du mois de février 1885. Cela méritait bien quelque chose. Aussi fus-je, naturellement, reçu comme un dieu, porté presque en triomphe et comblé de … félicitations et de compliments. Il est évident que la réussite de mes démarches avait été un premier pas dans celle de la colonisation. Monsieur le baron s’était dit, avec juste raison, ainsi que tous ceux qui s’intéressaient à cette œuvre, que si je ne parvenais pas à mes fins, il n’aurait qu’à s’en retirer. Il n’aurait aucun espoir pour la suite. Il eut peut être mieux valu, pour moi, que j’échouasse. Les colonies n’auraient plus pu vivre et je n’aurais pas eu tant de déboires.
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Sans doute Lucien Monge, qui était consul à Jérusalem en 1885.
Chapitre XI SAMARIN AGRANDIE
Je ne démordrai pas de mon idée. Il fallait du terrain à côté de Samarin et je revenais, sans cesse, à la même proposition : il est indispensable d’acheter Neslay95, Schefayé96, Oum-El-Djouma97 et la propriété de Sélim Khouri. Monsieur le baron se rangea, en partie, à mon avis et fit donner ordre d’acheter des trois premiers biens, mais laissait, pour le moment, le quatrième et le plus conséquent de côté, parce qu’il était trouvé alors beaucoup trop cher. Il ne fut, du reste, jamais acquis. Avec les rochers et les montagnes embroussaillées, la colonie de Samarin dépassait maintenant 23000 mille dounoums (il faut, à peu près, 11 1/2 dounoums pour faire un hectare). Mais comme, avec les jeunes gens, il y avait un peu plus de soixante-dix colons, cette quantité de terres n’était, de loin, pas suffisante encore pour faire la grande culture. Monsieur le baron n’y tenait pas trop. Il préférait des cultures rémunératrices, sur la plus petite étendue de terre possible. Il ne désirait pas donner, pour le moment, trop de terrain, du coup, aux colons, de peur de les voir s’enrichir, quitter la propriété et aller chercher fortune en Amérique. Avant tout, il fallait, coûte que coûte, attacher les colons au sol et, pour cela, il voulait les tenir constamment en mains. C’est aussi pour cela qu’il prit des fils de colons pour jardiniers et aide-jardiniers, tonneliers, foudriers, etc., afin que, par eux, les parents eussent plus de goût pour les travaux de la terre. Il est évident que ce marchand, venu d’une ville quelconque de la Russie ou de la Roumanie, se serait empressé de partir, ailleurs, reprendre son commerce, si, dès l’abord, les terres lui en avaient donné les moyens. C’est plus que probable. On en a eu une preuve à Samarin, quand on y a vu, en 1888, plusieurs colons demander à s’en aller, sans raison plausible. Je ne parle pas de ceux qui étaient venus avec des capitaux devant suffire à leur complète installation. Avant Monsieur le baron, personne n’avait jamais entrepris pareille œuvre en Palestine. On ne pouvait donc marcher qu’à tâtons et par essais 95
A proximité de Zicron-Jacob. Village arabe. Aujourd’hui Meïr Schefayé près de Zicron-Jacob. Son nom commémore celui de Meïr Anchel, le grand père du baron. Cf. p. 107. 97 Aujourd’hui Bath-Shlomoh. 96
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successifs. En donnant à chaque colon une certaine quantité d’arbres de toutes natures, on verrait quel serait le produit pour chacun d’eux, et ce rapport servirait de base pour le reste. Aussi m’écrivit-il en juin 1891 : « Le principal est d’organiser les choses, de manière à ce que nous ayons de bonnes cultures rémunératrices. Une fois que ce sera le cas, nous verrons, ensuite, ce qu’il y a lieu de faire. » Naturellement ceux qui ont pris des leçons à ses dépens et qui jugent, après coup, sur ce qui a été fait et essayé, ont beaucoup de facilités à dire qu’on aurait dû faire la grande culture. D’abord, pour la grande culture, à seulement quarante hectares en moyenne par famille, il eut fallu acheter en excellentes terres, et de premier choix, plus de cent cinquante mille dounoums et laisser de côté toutes celles primitivement acquises par les colons eux-mêmes, aussi bien à Rosch-Pinah et Samarin qu’à Rischon-le-Zion, car elles ne se prêtaient pas à la grande culture. Ensuite, est-il sûr que la grande culture réussisse toujours dans un pays où la pluie se fait quelquefois attendre des semaines et des mois et où alors les labours se font en retard ? Très souvent la moisson est compromise par une foule de raisons, qu’il serait trop long de développer ici. Cette année la grande culture a complètement échoué à Djeïdé98, la colonie fondée par l’Alliance Israélite en Tunisie. Et en Europe même, la grande culture seule rapporte-t-elle assez, toujours, pour contenter les propriétaires ruraux ? Un paysan doit avoir de tout, et c’est pour cela que Monsieur le baron a, d’abord, voulu voir ce que rapportaient les cultures industrielles, pour savoir ce qu’il devait encore donner, à chacun, comme terres de grande culture, afin d’en faire de véritables laboureurs. Ceux qui viendront après lui, auront, certes, pu profiter des essais primitifs. On aurait quand même pu lui donner assez de terres pour faire, au moins, le pain pour les colons et la nourriture pour le bétail. M. le baron ne partageait pas cet avis. Au mois de juillet 1890 il m’écrivait encore : « Examinez la situation des colons par le travail en commun. Je crois que, comme toutes les choses nouvelles, cela marche mal, mais dans la suite cela changera, quand on en aura pris l’habitude. Il ne faut donc pas trop tôt jeter le manche après la cognée…. » J’étais pour ma part contre le travail en commun. Depuis longtemps j’avais dit qu’il ne donnerait rien de bon. Monsieur le baron avait une idée fixe : faire des cultures rémunératrices, en commun ; lorsqu’elles rapporteront on saura ce qu’il faudra donner à chaque colon. C’est juste. Mais il fallait leur donner avant tout, à côté de cela, assez de terres pour faire disparaître les secours mensuels. Monsieur le baron avait son opinion. Elle devait prévaloir. 98
Lire Djédeida.
CHAPITRE XI : SAMARIN AGRANDIE
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Cependant la colonie était toujours l’ancienne Samarin. Ici, je suis obligé de revenir, un peu, sur mes pas. L’autorisation de construire, que le Gouverneur de Caïffa m’avait donnée en 1884, n’avait pas produit grand effet, puisque, avec la mort de Loebel et la saisie, tout avait été arrêté. Moi, j’avais, à Constantinople même, malgré les difficultés qu’on me suscitait, un pressentiment que je réussirai. Aussi proposai-je alors à Monsieur le baron de faire, par le Comité de Galatz, l’acquisition, en Roumanie, de maisons de bois pour les colons. Chaque maison devait avoir deux chambres et être démontable. On pourrait ainsi, en très peu de temps, les élever à Samarin. En conséquence Monsieur le baron en fit acheter cinquante à Galatz. Ces maisons nouvelles furent édifiées dans la grand’rue de la future colonie, que j’avais déjà jalonnée. Pour ne pas confondre ensuite les constructions placées sur les deux montagnes, on laissa le nom de Samarin à la petite agglomération d’habitations, provenant des anciennes ruines, sur le premier monticule, en contre-bas du nouveau, et on donna le nom de Zicron-Jacob (souvenir de James père de Monsieur le baron) au village qu’on allait construire sur le point culminant. Peu à peu, les cinquante baraques furent debout, et comme on avait vu, à Acre et à Caïffa, qu’on avait été coulant avec moi dans la capitale, on avait donné, ainsi que je l’ai dit plus haut, la permission de construire les maisons, qui ne tardèrent pas à sortir de terre. On fit d’abord, au point central de la colonie, une synagogue, avec environ cent cinquante stalles d’hommes au rez-de-chaussée et autant pour les femmes au premier. Lorsqu’on fonde une œuvre de ce genre, on devrait avoir d’avance une intuition de ce qu’elle serait cinquante ans après, pour travailler en conséquence. Quand le plan de cette synagogue fut fait, à l’époque, pour soixante et dix familles, on avait trouvé sa surface exorbitante. On ne se doutait pas que dix ans après, avec presque le dédoublement des habitants et les nombreux ouvrier juifs qui s’y trouvaient sans cesse, ce temple serait beaucoup trop petit. Aussi est-on-obligé, les jours de fêtes, de faire la prière dans plusieurs oratoires, parce que la synagogue est trop exigüe pour contenir tous les fidèles. Puis on construisit l’école, dans laquelle on enseigna aux enfants l’hébreu et l’arabe, auxquelles langues on ajouta plus tard le français. Sous le même toit furent réservées deux pièces pour la pharmacie. Le titulaire de cette dernière eut sa maison à côté d’elle, de compte à demi avec la sage femme. Cette construction, comme celle de l’administration et la maison de Mr Dugourd, furent placées également au centre de la colonie et formèrent, avec la synagogue, les quatre coins d’une place publique, au milieu de
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laquelle fut érigée plus tard une fontaine. Le médecin fut logé de l’autre côté du temple. Les bains pour hommes et pour femmes furent installés auprès de la première source. Au dessus, au premier étage, furent les habitations du rabbin et des sacrificateurs. L’ancienne source fut bientôt délaissée par les ménages et ne servait plus qu’aux bains, parce qu’on avait, successivement, trouvé trois autres sources, dont l’eau était excellente, et que les colons allaient chercher dans des tonneaux, pour les besoins de leur intérieur. Les juifs, tous Roumains à leur arrivée, ont choisi, comme les Russes des autres colonies, la Syrie et la Palestine pour leur nouvelle patrie, parce que, chassés par l’antisémitisme de leurs gouvernements respectifs, ils savaient que, sous la tutelle du gouvernement paternel de Sa Hauteur le Sultan, ils ne seraient plus molestés à cause de leur religion. Ils se rappelaient que, si les juifs chassés d’Espagne en 1492 ont trouvé un excellent accueil, partout en Turquie, ils ont pu vivre tranquilles, considérés par les divers sultans qui se sont succédé sue le trône des Osmanlis, comme leurs sujets fidèles. Nos coreligionnaires, pour ces diverses raisons, n’ont jamais suscité non plus de difficultés au Gouvernement qui les protège si efficacement. Aussi le premier soin de ces nouveaux immigrés, – comme de ceux qui les ont suivisfut-il de se faire naturaliser sujets ottomans. Ils n’ont pas eu à se repentir du pas qu’ils ont fait. Chaque Tschiflick’ (nom donné en turc à une grande ferme et à chacune des colonies) est érigé en commune turque ayant à sa tête un Mouchtar (chef de commune) reconnu par le Gouvernement. Leur conduite, depuis leur entrée en Turquie, a prouvé à Sa Hautesse qu’Elle pouvait compter sur leur attachement à son Auguste Personne, comme si, depuis plusieurs générations, ils avaient vécu dans son pays. Il est vrai que les Roumains sont d’anciens sujets turcs. Ne sachant comment remercier Celui qu’ils appellent leur Père pour toutes ses bontés, ils ont introduit, dans leur service du samedi matin, une prière spéciale pour le bonheur de Sa Majesté Impériale. Et cette prière, récitée à haute voix par le ministre-officiant, est écoutée avec le plus grand recueillement, et debout, par tous les assistants. Les autorités locales, souvent de passage dans les colonies, se font, chaque fois, un bonheur d’exprimer le plaisir qu’elles ressentent, en voyant cet attachement et ce véritable amour des colons à la haute personnalité de leur Auguste Souverain. Après la prière pour la conservation des jours si précieux de Sa Majesté le Sultan, une deuxième fut récitée, pour demander au Ciel de laisser en vie cet autre père pour eux, qu’ils appellent le « Nadib », c’est à dire Bienfaiteur anonyme, parce que Monsieur le baron Edmond de Rothschild, croyant pouvoir faire, en secret, tout ce bien à ces pauvres gens, ne voulait pas qu’on le nommât. Seulement, il eut beau garder l’anonymat, ses bienfaits furent si frappants, que tout le monde connut bientôt la main généreuse, qui
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donnait son temps et son argent pour faire d’eux de véritables agriculteurs, capables de montrer au monde que les juifs n’avaient pas complètement oublié le métier primitif de leurs pères. Naturellement, les débuts, sous ce rapport, furent difficiles. On ne fait pas, du jour au lendemain, des agriculteurs de gens qui, de leur vie, n’avaient touché à une charrue, et qui, au contraire, avaient toujours fait autre chose que de s’occuper de labours. Mais l’intention et la bonne volonté ne manquaient pas. Aussi guidés par Monsieur Dugourd, le chef jardinier, eurent-ils bientôt acquis toutes les connaissances nécessaires à un bon paysan pour apprendre ce dur métier et s’en acquittent-ils, aujourd’hui, avec beaucoup de facilité. On dirait qu’ils sont nés dans les champs et que, depuis leur enfance, ils n’ont fait que les travaux qui incombent aux paysans. S’il y a, dans le nombre, quelques nonvaleurs, ils passent inaperçus. Ce serait trop beau et presque impossible, si on trouvait une si grande agglomérations d’hommes, sans avoir jamais un reproche à leur adresser. Pour produire tous le arbres que Monsieur le baron désirait avoir, et surtout pour faire d’innombrables quantités d’eucalyptus, afin d’éviter, autant que possible, les miasmes qui venaient d’un marais de Tantourah, il fallait créer des pépinières. Avec cela, Mr Dugourd devait, chaque matin, aller surveiller le travail des colons, qui se faisait toujours en commun. Il était donc, littéralement, surchargé d’ouvrage, plus qu’il ne pouvait supporter. Seul, il n’eut pu suffire à la besogne. On lui adjoignit quelques jeunes gens, fils de colons, qui montrèrent tant d’aptitudes, que Monsieur le baron en envoya trois, successivement, à l’Ecole d’horticulture de Versailles. Ce furent les frères Abraham et Dan Bril99 et Peretz Pascal100. Bientôt ils furent suivis par Apfelbaum101, également fils de colon, et Jules Rosenheck102,
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Les deux frères Bril s’étaient établis avec leur père à Zicron-Jacob en 1882. Ils furent tous deux envoyés faire des études d’agriculture au écoles de Versailles et de Montpellier. L’aîné Daniel (Dan) Bril s’était également initié à la sériciculture en Italie. Il fit partie de l’administration des colonies de 1888 à 1900 et travailla comme jardinier à Roch Pinah, Yessod Hamaalah, Zicron Jacob, Richon-le-Zion et Metoulah. Colon à Ness Sionah en 1897. Son frère cadet Abraham fit partie de l’administration des colonies de 1884 ou 1886 jusqu’en 1900. Il travailla comme jardinier à Pétach Tikvah et Ekron. Il développa la fabrication des conserves de fruits et des confitures (cf. p. 95, 279, 281-2). 100 Peretz Pascal appartint au service des colonies de 1886 à 1897. Il fréquenta l’école d’agriculture de Versailles de 1888 à 1890. Jardinier (1890-1894), puis jardinier principal (1894-1897) à Roch Pinah, il se perfectionna en Espagne dans la production des raisins secs en 1896. Il a surtout laissé sa marque sur le développement des plantations d’agrumes. S’établira comme colon à Petah Tikvah en 1897. Joseph Pascal (p. 249) était sans doute son frère. 101 Fils d’un des premiers colons de Zicron-Jacob. Meir Apfelbaum fit partie de l’adminisration des colonies en tant que jardinier de 1888 jusqu’en 1900, lorsqu’il devint colon à Pétach Tikvah. Cf. p. 299-300. 102 Il devait administrer par la suite les colonies de l’ICA en Basse Galilée. ll fut également actif dans ses colonies de Chypre.
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jeune orphelin de Paris, qui firent leurs études à l’école de viticulture de Rouïba, près d’Alger. Outre les arbres qu’on préparait dans les pépinières, on se mit aussi à planter un peu de vignes, qui ne réussit pas. Pour mettre les terrains en état, et jusqu’au moment où on saurait ce qu’on y ferait définitivement, on ensemença le froment, l’orge, la vesce, le maïs etc., ce qui produisait, au moins, la nourriture du bétail et une partie de celle des ménages. Quoique chacun eût reçu un lopin de terre, on pouvait, quand même, considérer le travail comme étant fait en commun. Lorsqu’en 1886 je revins faire l’inspection des colonies, je trouvai le centre complètement changé. Les anciennes baraques et écuries de Samarin avaient été converties en maisons d’habitation. C’était un petit noyau d’une quinzaine de familles, dépendantes de Zicron-Jacob, qui, en comparaison, formait, pour ainsi dire, la ville. Je n’y trouvai rien d’extraordinaire, sinon la plantation de mûriers et de mélias le long des rues, devant les maisons bordées de trottoirs, faits en partie par les colons, ainsi qu’une certaine quantité d’eucalyptus et de pins en place, derrière Zicron-Jacob, dans la gorge qui conduit à Neslay. Tout cela était à peu près, provisoirement réglé ; chaque colon avait sa demeure à la colonie même. Dans ces dernières deux années, tout ce qui, de la colonie, se trouvait encore à Caïffa, était revenu à Zicron-Jacob. Derrière sa maison, Mr Dugourd avait un immense emplacement vide. C’était un ramassis de rochers qui le gênaient. Il commença par faire enlever tout ce qui était, tant soit peu, mobile. Puis, dans les pierres poreuses il fit tailler des trous, dans lesquels il versa quelques paniers de terre, et bientôt ce coin aride avait fait place à un embryon de jardin, qui, peu à peu, se métamorphosa et devint ce jardin public entouré de buissons de Cassia farnesiana (mimosa) aux odeurs si suaves. Et tous les touristes et tous les employés du Gouvernement, qui viennent pour quelque heures à ZicronJacob, ne peuvent assez admirer ce véritable chef d’œuvre. Car aujourd’hui, c’est un jardin avec de beaux arbres ombrageant les allées, des fleurs et une fontaine avec un jet d’eau. C’est réellement ravissant. Aussi, comme les brasseries et les cafés y sont inconnus, les colons et leurs familles se font un honneur et un plaisir de pouvoir y passer quelques heures, avec leurs enfants, pendant les jours de fêtes.
Chapitre XII VOYAGE DE MR LE BARON EN PALESTINE
Au printemps de l’année 1887, Monsieur le baron et Madame la baronne firent un voyage en Egypte. De là ils poussèrent jusqu’en Palestine et en Syrie. Ils visitèrent toutes les colonies. Voici l’itinéraire qu’ils suivirent et qui est le plus rationnel. Dès leur arrivée à Jaffa, ils prirent une voiture et se rendirent à Jérusalem ; mais, pour ne pas être reconnus, ils ne se firent pas accompagner par leurs domestiques, qui vinrent plus tard. Ils allèrent en voiture jusqu’à la porte de Jaffa à Jérusalem, y descendirent et se rendirent directement à l’église du Saint Sépulcre, qu’ils visitèrent en détail, sans qu’on eût su qui ils étaient. Si on les avait connus, ils auraient risqué d’être lapidés en leur qualité de juifs. Car, non seulement les juifs ne peuvent pas entrer dans l’Eglise, mais on ne leur permet pas même de traverser la rue qui y donne accès. J’ai fait de même la première fois que j’arrivai à Jérusalem. Le fanatisme est grand dans toutes les sectes, mais nulle part comme chez les orthodoxes grecs. Leur intolérance est connue et poussée à l’extrême. Mais elle s’exerce, au fond, aussi bien contre les catholiques que contre les juifs. Du reste un catholique latin y est un ennemi acharné du grec schismatique et vice versa. Aussi l’alliance franco-russe peut exister en Europe, mais pas en Palestine. Il suffit que la France, protectrice des catholiques d’Orient, fasse mine d’acheter un petit morceau de terre à Jérusalem, pour que la Russie travaille des pieds et des mains pour le lui enlever. Là, l’alliance est inconnue. Il y a quelques années, les catholiques latins firent dresser une colonne assez haute sur le mont des oliviers. Bientôt après, la jalousie poussa les Russes à y faire élever une autre beaucoup plus majestueuse. Partout où la France a ouvert des écoles de français, la Russie a créé des écoles de russe pour contrebalancer l’influence française. Et ces écoles n’ont pas seulement été ouvertes en Palestine. Allez à Damas, vous trouverez des écoles de garçons et de filles de cinq à six cents élèves par école, qui apprennent le russe. Et le Gouvernement russe y tient beaucoup, puisque, tous les ans un inspecteur vient exprès de Saint Petersbourg, expédié par le ministre de l’instruction publique, pour examiner les enfants de toutes les écoles et envoyer un rapport à leur sujet. Eh bien ! pour que les différentes sectes de catholiques qui sont appelées à se rencontrer au Saint Sépulcre ne s’entre-égorgent pas, le Gouvernement
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turc a mis dans l’entrée un corps de garde, où des soldats turcs veillent toute l’année, et jour et nuit, sur l’ordre intérieur. Ils ont là leurs couchettes et font leur café dans un coin. Et cependant que, dans un office, un fidèle s’oublie et s’avance d’un pas devant l’autel d’une secte voisine, il est immédiatement roué de coups. Pour en donner une idée, je me permets, ici, de copier l’appréciation de Baedecker103 (p. 23) : « Les Chrétiens indigènes, dit il, de toutes les sectes, ne sont guère à la hauteur de leur mission ; la lutte odieuse qu’ils se livrent, se poursuit par les moyens les moins scrupuleux, et le mépris que le musulman affiche à l’endroit du chrétien, n’est que trop mérité. » Donc Monsieur le baron et Madame la baronne passèrent, incognito, dans ce quartier. Après quoi ils revinrent prendre leurs chambres à l’hôtel Kaminitz104. Ils y restèrent quatre jours, visitant tout, et se rendant parfaitement compte de tout ce qui s’y tripotait. Il y a eu un peu d’amélioration, de ce côté, depuis quelques années. Ils revinrent à Rischon-le-Zion, d’où ils visitèrent Wouad-Achnin et la colonie d’Ekron. Ensuite ils se rendirent à Pétach-Tikveh. De là ils prirent le chemin de Zicron-Jacob, c’est à dire celui que j’avais, à peu près, tracé avec Scholem. Chacun se disputait l’honneur de les accompagner, pour leur montrer la route, que chacun connaissait mieux que son voisin. Et ces cicerone firent si bien, qu’ils conduisirent Monsieur le baron d’un côté, vers la mer, tandis que Madame la baronne se retrouva à Subbarin105, à quatre heures du matin, après avoir eu la voiture qui la conduisait, cassée dans un ravin. Enfin ils arrivèrent à Zicron-Jacob et furent enchantés de ce qu’ils trouvèrent. Ils ne s’attendaient pas à voir, déjà, un vrai gros village, là où trois ans auparavant, il n’y avait encore que le désert et les broussailles. Monsieur le baron exprima sa satisfaction dans une lettre très élogieuse, qu’il adressa de Tibériade à Mr Wormser. Il voulut bien laisser un souvenir de sa visite. Il donna donc ordre à Mr Wormser de faire construire une maison assez vaste pour contenir des lits pour une soixantaine de personnes, tout en laissant de la place, entre chaque couchette, afin d’avoir plus d’air, et un espace assez large, dans toute sa longueur, au milieu, pour y installer les tables nécessaires au réfectoire. Voici ce qu’on demandait à ces jeunes gens : 1° qu’ils fussent déjà dans le pays, de n’importe quelle nationalité ; 2° qu’ils consentissent à bien travailler.
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Edition de 1876 ou 1894 ? Le plus ancien hôtel de Jérusalem, ouvert en 1878. Village arabe proche de Bat-Schlomoh.
CHAPITRE XII : VOYAGE DE MR LE BARON EN PALESTINE
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Si, pendant trois ans, leur avait-on dit, ils se conduisaient bien et apprenaient tous les ouvrages que doit connaître un bon agriculteur, ils recevraient trente francs par mois, seraient logés et auraient un vêtement de travail et une paire de bottes par an. Et après les trois ans, comme récompense suprême, ils seraient installés colons, au même titre que les anciens. Une fois que la maison fut terminée et la chose ébruitée, il en vint de toutes les communautés de la Palestine et de la Syrie, des jeunes gens promettant monts et merveilles, pourvu qu’on les acceptât. On ne fit aucun choix ; les premiers soixante venus furent pris, ensuite la liste fut close. A l’époque on n’employait pas encore les treuils pour les défoncements. On défrichait à la pioche, de sorte que l’hectare revenait à plus de quinze cents francs. Avec les treuils, plus tard, Mr Ab. Bril, à Maskéret-Bettya106, défrichait à raison de cent cinquante francs l’hectare. Les montagnes abruptes, nues et mal exposées ne manquaient pas. Monsieur le baron avait donné ordre à Mr Dugourd de faire défricher une de ces montagnes par les jeunes gens. On se mit de suite à l’œuvre et on y planta des amandiers et des abricotiers. Je ne saurai dire combien d’argent fut englouti, inutilement, dans ce gouffre rocailleux. Quel en fut le résultat ? Les arbres dépérirent au bout de quelques années, sans avoir rien rapporté, et les jeunes gens travaillèrent comme des galériens, sans avoir beaucoup appris. Le jardinier eût dû démontrer à Monsieur le baron qu’on ne pouvait faire réussir les abricotiers que là où le sous sol était humide. Etait-ce oubli ? Etait-ce négligence de sa part ? Je ne saurai me prononcer. Dans tous les cas, l’observation ne fut pas faite. Et ce fut un tort. C’était peut être le moment, avec ce nouvel élément, de faire acheter, spécialement, du terrain pour cette jeunesse, afin qu’elle pût s’adonner à la grande culture. Et, au lieu de lui faire défricher cette montagne rocheuse, il eût mieux valu la mettre, de suite, à travailler son futur terrain, pendant trois ans, pour le compte de l’administration. C’eût été un essai complet, sur lequel on eut pu se guider pour les autres colonies. Mais comme les propriétés voisines furent toujours trouvées trop chères, la chose resta dans le statu quo. Et toujours, pour cette raison que Monsieur le baron voulait donner le moins de terrain possible à chaque colon. Ils prirent une cuisinière pour eux tous. Ils lui adjoignirent un aide, pour lui chercher l’eau, éplucher les légumes, etc., et un autre pour tenir le local dans un état de propreté irréprochable. Ils réussirent admirablement.
106 Scheid écrit toujours Béttya, pour mieux rappeler le souvenir de la baronne Betty de Rothschild, et non Batyah, comme il est d’usage aujourd’hui.
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Tous les mois les aides furent changés, afin qu’à tour de rôle, chacun fît son service. La cuisine leur coûta, en moyenne, dix huit francs par mois, le blanchissage deux francs, de sorte qu’ils pouvaient mettre dix francs, mensuellement, de côté. La généralité était composée de bons sujets. On en disjoignit même quelques uns, qui devinrent soit aide-pharmacien, soit aide-viticulteur, et l’entreprise marcha très bien pendant près d’une année. Ensuite, le nombre commença à diminuer. Ainsi que je l’ai dit plus haut, le travail, auquel on les astreignait, était trop ingrat ; ils devaient perdre patience, et, en effet, ils finirent par se décourager. Alors, pour une raison ou une autre, à chaque instant, partait l’un d’eux, de sorte que finalement il n’en resta plus que trente six. On ne remplaçait jamais les manquants.
Chapitre XIII RÉVOLTE
Je revins en 1888. Cette année fut marquée d’un point noir, que mon devoir m’impose de rappeler, car ma conscience de narrateur ne me permet pas de le garder sous silence. Comme j’ai dit, précédemment, tout le bien que je pensais des colons, je puis aussi relater, maintenant, le mal qu’une partie d’eux m’a fait. Afin que le public profane comprenne comment un pareil incident put voir le jour, je suis obligé d’entrer dans des détails très circonstanciés. Le médecin107 que j’avais engagé en 1883, était trop vieux pour continuer le service très dur. Il fut remplacé. J’ouvre une parenthèse, pour expliquer la dureté de ce service. L’homme, en général, est un être inconscient et ingrat. Il fait, quelquefois, le mal à son voisin, sans même s’en douter, et, généralement, trouve cela très naturel. Quand, en Europe, on tombe malade, on appelle un médecin. Il vous prescrit ce qu’il juge convenable en la circonstance et promet de revenir le lendemain, si c’est nécessaire. Il est très rare que la famille d’un malade fasse venir le médecin deux fois dans la même journée, surtout quand ce n’est que pour une simple indisposition. Eh bien ! il faut que je leur rende publiquement cette justice. De tous les employés, ceux qui sont le plus à plaindre, ce sont justement les médecins. Les colons, indistinctement, les prennent pour leur plus humble serviteur, et chacun d’eux, individuellement, accepterait que, pour le moindre mal, le médecin restât, jour et nuit, au chevet de son lit. Il y a quelques années qu’on cherche à faire payer, aux colons, les visites du médecin pour remédier à ce mal. Mais aussi longtemps qu’ils ne sont pas installés sur un pied ferme, il est difficile d’en venir à cette extrémité. Et il faudra y arriver quand même, coûte que coûte. Car, de cette manière, il n’y a pas possibilité de continuer. L’abus est trop grand du côté des colons. En Europe on est plus ou moins indisposé ; on est plus ou moins malade. Tandis que, dans ces colonies, chacun est de suite, dangereusement atteint. Le mot est textuel. Il s’agissait donc de trouver un bon médecin, ayant assez de force de caractère, pour ne pas se laisser imposer de visites.
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Voir la liste des médecins p. 248. Allusion aux docteurs César ou Klein ?
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A côté des malades habitant les colonies, les médecins sont aussi forcés, par ordre de Monsieur le baron, de donner leurs soins gratuits à tous les arabes qui viendront les leur réclamer, comme aussi la pharmacie leur délivre les médicaments, gratuitement. Les arabes ont-ils un peu de reconnaissance pour tout ce qu’on fait pour eux ? C’est une question difficile à résoudre. Ils trouvent cela tout naturel. Aujourd’hui qu’ils y sont habitués, le contraire les surprendrait. Or, si l’administration considère les colons comme ses enfants, elle a les mêmes égards pour les arabes que l’on a trouvés sur les propriétés achetées par Monsieur le baron, telles que Schefayé, Oum-el-Tout, autour de Samarin. Ils ont leur pain assuré dans les colonies et ne se plaindront certes jamais des traitements des employés des colonies. Lors de la fondation de toutes ces colonies, on a, à la vérité, eu à souffrir d’eux. Aujourd’hui, encore, il arrive que l’un ou l’autre vole. Si l’on attrape le voleur, on fait venir à la colonie le Cheik de son village et, de concert avec lui, l’on arrange, presque toujours, le différend à l’amiable avec lui. Il est rare que l’on fasse arrêter un de ces pauvres diables. A quoi bon ? D’abord, on suscite ainsi des difficultés au Gouvernement impérial et on tient à les lui éviter le plus possible. Ensuite l’administration est-elle plus avancée, si le délinquant attrape quelques mois de prison et quelques medjidiés108 d’amende ? Comme il n’a jamais d’argent, il serait obligé d’en emprunter chez un usurier, car un procès en Turquie est toujours excessivement cher pour les deux parties, et, de fil en aiguille, l’administration aurait, tout innocemment, contribué à sa ruine. On n’a jamais eu, qu’à de bien rares exceptions, à se repentir d’avoir agi avec cette modération. Ces vols sont aussi si rares, parce que les arabes savent que, grâce à notre prestige auprès de l’administration supérieure, ils seraient très sévèrement punis. Pour cela, j’ai toujours tenu à être dans les meilleurs termes avec les autorités locales. Que mes successeurs négligent ce côté principal, qu’ils considèrent, peut être, comme très secondaire, et les vols se feront, non seulement sur une grande échelle, sans limites, mais seront encore accompagnés de meurtres. Ce serait la perte des colonies. Monsieur le baron fit donc venir de l’Allemagne un jeune médecin russe109, qu’on lui avait très chaudement recommandé. Il jouait à l’orthodoxie d’une manière incroyable. Deux faits pour justifier mon assertion. Il réclamait contre la tenue des femmes de colons, parce que, en sortant dans la rue, elles montraient trop leurs cheveux. – « Et vous, docteur, lui dis-je un jour. Votre femme se promène dans toute la colonie, n’ayant même pas un fichu sur la tête. 108
Monnaie turque. Cf. p. 69. Le docteur Eliakim Goldberg, qui francisera rapidement son nom et se fera appeler Montdor. Cf. les pages suivantes. 109
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Oh ! moi, répondit-il, je le tolère, parce que je ne veux pas de brouille dans mon ménage. Eh bien ! répartis-je, les colons ont les mêmes sentiments que vous. » Il avait son père avec lui. Chaque fois que l’auteur de ses jours entrait dans une pièce, où se trouvait le docteur, ce dernier se levait en signe de respect et de condescendance. Mais seulement, lorsqu’il y avait des témoins. C’était un vrai comédien. Car, quand plus tard, après avoir quitté la colonie et s’être retiré pendant quelque temps à Jérusalem, pour aller, de là, en Amérique, avec sa femme et ses enfants, il oublia d’emmener son père vieux et cassé, qu’il laissa derrière lui, à Jérusalem, pour y mourir de faim, si des âmes charitables n’avaient pas eu pitié de ce vieillard. Il ne se rappelait pas l’histoire de Ruth, qui, à aucun prix, ne voulut abandonner sa belle-mère. Il avait au dessus de lui comme administrateur Mr L. Wormser, qui, ainsi que je l’ai dit, avait pris ce service au mois de janvier 1884. Le grand tort, à mon humble avis, qu’avait eu Mr Wormser, en acceptant cette place, où il savait qu’il devait rester à poste fixe, était de se séparer de sa femme et de ses enfants et de les laisser, derrière lui, à Paris. Quand on est père de famille, qu’on a toujours vécu avec les siens, et que, tout d’un coup, on prend le parti de se séparer d’eux, pour vivre au loin, on ne peut pas avoir les soins auxquels on était habitué. Ajoutez à cela toutes les misères que Mr Wormser eut à endurer, dès son arrivée, avec la création de la colonie. Puis, pas de chambre convenable, pas de nourriture saine, vivant, comme l’oiseau sur la branche, tantôt à Zicron-Jacob, tantôt à Caïffa, à l’hôtel ou dans une chambre garnie, et l’on conviendra que le caractère devait s’aigrir. Joignez y encore les accès de fièvre intermittente, que lui donnaient, comme à tout le monde, les marais des environs et les défrichements, et l’on comprendra que, plus d’une fois, il dut y avoir des froissements entre lui et les colons. Les colons croyaient fermement aussi que les administrateurs avaient, à leur disposition, des sommes fabuleuses, dont ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient, de sorte que si Mr Wormser était contraint de refuser quelque chose, ils étaient persuadés qu’il agissait de son propre chef. Ils n’admettaient pas que Monsieur le baron s’occupât des colonies et réglât les dépenses. Est-ce qu’un baron de Rothschild prend le temps de jeter les yeux sur des comptes ? Lit-il seulement une lettre ? L’administrateur, dans leur pensée, est libre de faire tout à sa guise. Il n’a qu’à demander. Le coffre-fort est toujours largement ouvert. Pour l’inspecteur, c’est encore mieux. Pour leur part, ils étaient convaincus que j’étais absolument l’alter ego de Monsieur le baron, et que si je refusais, c’était non pas que je ne pouvais pas accorder la demande, mais que je ne voulais pas. Pour eux, j’avais carte blanche entière, et les quémandeurs ne se gênaient pas pour me le dire. S’ils avaient su que je ne faisais pas un pas sans l’autorisation de Monsieur le baron !
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Les employés étaient, à peu près, du même avis. D’après eux, je n’avais qu’à faire une proposition de gratifications ou d’augmentation d’appointements pour la voir agréée sans difficultés. Si je ne réussissais pas, c’est que je n’avais pas voulu. Et alors il arrivait que si l’un d’eux s’attendait à une gratification ou à une augmentation d’appointements et qu’il ne la reçût pas, il m’en portait rancune. Moi j’étais la cause du refus de Monsieur le baron, toujours naturellement. C’est un véritable plaisir pour moi de constater combien j’ai fait d’ingrats. Le contraire, du reste, ne serait pas conforme à la règle. Jusqu’à ce moment, j’avais été un dieu pour les employés. Du jour où ils n’étaient plus contents, je n’étais plus bon à jeter à un chien, et surtout pour ceux que j’avais fait sortir d’une situation plus qu’ordinaire. Comme c’est la coutume dans la vie, je ne dois pas en être étonné, et je ne le suis pas. Je constate seulement. Et ce sera là mon souvenir des colonies. La reconnaissance est en raison inverse des services qu’on aura rendus. Les colons, à l’époque dont je parle, étaient en plein dans les essais. On avait fait venir un viticulteur. On avait planté, à nouveau, des vignes du pays et des ceps ordinaires de l’Europe. On voulait savoir, avant tout, si le raisin viendrait, si les arbres rapporteraient, de sorte que les colons, se voyant sans terres, sans grand espoir dans l’avenir, étaient découragés. De là donc à chercher noise à l’administrateur, il n’y eut pas loin. Ils trouvèrent leur homme dans le médecin, le docteur Montdor, qui était récemment arrivé. Qu’est ce que le docteur avait contre Mr Wormser ? Son orthodoxie et ses recommandations. Cet homme se figurait que tout devait plier devant lui, parce qu’il était bien vu d’en haut. Il voulut commander l’administrateur, et comme celui-là, à juste raison, ne consentait pas à se laisser faire la loi par le nouveau-venu, le médecin le prit en grippe et chercha, par tous les moyens possibles, à se venger. Nous allons expliquer comment, d’un autre côté, il sut prendre tant d’autorité sur les colons. J’ai relaté plus haut, qu’en cas d’indisposition, ils trouvaient l’état du malade toujours dangereux. Le nouveau médecin, profitant de ce faible, se fit bientôt considérer comme un Saint. Chaque fois qu’on lui indiquait un de ces cas dangereux, il renchérissait encore sur les exagérations des colons, et disait, quand l’occasion lui semblait bonne, qu’en effet, la maladie était très grave et qu’il ne savait pas s’il arriverait à la vaincre. Et comme, naturellement, le lendemain déjà, il pouvait dire que c’était grâce à sa science que la guérison était venue, les colons le prirent pour un dieu et ne jurèrent plus que par lui. Les plus libéraux se montraient orthodoxes aux yeux du docteur, qui leur promettait d’obtenir de Monsieur le baron tout ce qu’il voulait. Se montant lui-même et se laissant monter par les colons, sortant de ses attributions, il se mettait à donner des ordres, comme si l’administrateur n’avait pas existé. Il y eut, chez lui, tous les soirs, des conciliabules, pour
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voir par quels moyens on arriverait à se débarrasser de Mr Wormser et, finalement, il y eut un scission parmi les colons. D’un côté, se trouvaient ceux qui étaient restés fidèles à l’administration, de l’autre étaient les partisans du médecin, ayant à leur tête M. Abramovitsch110, un des colons, ancien agent d’affaires en Roumanie. Cet homme fut le malheur de la colonie. C’était la perversité personnifiée. Il se fit donner par tous les révoltés, solidairement, une procuration générale, qui, au fond, n’avait d’autre but que de former une vraie commune. Son intime conviction était qu’il parviendrait à devenir seul maître de la colonie, quand beaucoup des imbéciles, qui lui avaient confié leur signature, croyaient, tout bonnement, travailler au départ de Mr Wormser et à son remplacement par le docteur Montdor. Ils avaient perdu littéralement la tête et avaient l’air de divaguer. Monsieur Auscher, le professeur de français, dont je raconterai l’histoire lorsque je parlerai de Rosch-Pinah, se mit aussi avec les révoltés contre l’administration. Il avait de longue date une rancune contre Mr Wormser, l’accusant, faussement, d’avoir été cause de son déplacement. Il fit aussi mine d’être un orthodoxe, ce qui excitait l’hilarité de tous ceux qui le connaissaient à fond, et ils étaient légion. Vers la fin du mois d’avril, après la Pâque, j’étais parti de Paris pour faire mon inspection annuelle, ignorant, cela va sans dire, ce qui était arrivé. Pendant que j’étais en mer, les esprits s’étaient extraordinairement surexcités. Le samedi, avant mon débarquement, le docteur Montdor était monté en chaire, pendant que Mr Wormser était alité de la fièvre, et avait prêché une véritable croisade contre l’administration. Mr Wormser fut prévenu de ce qui se tramait ; malgré ses douleurs physiques et morales, il se leva et vint au temple. En le voyant, le docteur Montdor ne se connut plus. Il descendit de sa place et fit semblant d’avoir une syncope. Son coup lui réussit à merveille. Les colons, assez naïfs pour ne pas voir que c’était un comédie, forcèrent un des jeunes gens, sur la demande expresse du docteur Montdor, quoique ce fût samedi, et quoiqu’il se fût agi d’orthodoxie, à seller un cheval et à aller ventre à terre à Rischon-le-Zion, y chercher un médecin. Il alla si bien qu’il creva sa monture en route. Le docteur Darbela111 de Rischon-le-Zion se rendit immédiatement à l’appel de son collègue et, après l’avoir ausculté, lui dit franchement : « Mon 110 Mordecai Abramovitsch fut employé par l’administration des colonies entre 1885 et 1895 comme aide jardinier à Rischon-le-Zion (1885-1887) et à Zicron-Jacob (1887-1895). Par la suite colon à Rischon-le-Zion. Cf. p. 106. 111 Le docteur Isaac Grégoire d’Arbela fut le médecin du sultan du Zanzibar, avant de s’installer en Terre Sainte. Il y exerça entre autre comme directeur de l’hôpital Rothschild à Jérusalem (cf. p. 252). Il semble avoir adopté le nom Darbela ou d’Arbela lors de son séjour en Afrique.
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cher collègue, vous pouvez vous lever, vous n’êtes pas malade. Je ne puis donc rien vous prescrire. » Le docteur Darbela eut à soigner quelques colons que l’autre ne recevait pas, puis retourna à Jaffa, à ma rencontre. A peine débarqué, je fus mis au courant de tout et, sans perdre de temps, au lieu de me rendre à Rischon-leZion, selon le programme, je filai vers Zicron-Jacob. Ma première visite fut faite au docteur Montdor. Il était alité. Je me mis au chevet de son lit et le priai de m’expliquer comment les affaires s’étaient envenimées au point où elles étaient, sans rien oublier. Il commença. Je le laissai parler sans l’interrompre une seconde. Il en profita pour me raconter tout ce qui lui passait par la tête. Quand il eut fini, je lui dis ces mots presque textuels : « Docteur, vous venez de parler pendant cinq quarts d’heure, montre en main, sans discontinuer. Or, il faut être rudement bien portant, pour être capable d’un pareil tour de force. Ce qui me prouve que vous n’êtes pas malade. Vous pouvez vous lever. Je suis assez renseigné. – Je me lèverai de suite, me dit-il, mais le docteur Darbela me payera son assertion, que j’ai feint d’être malade. – Oh ! répartis je, je suis tout à fait de son avis. Le coup de la synagogue était joué. Vous avez voulu ameuter la colonie contre l’administration et vous avez été loin de réussir. » Il commença à se venger du docteur Darbela. Parmi les gens qui s’étaient fourvoyés dans la colonie et qui n’avaient rien à y faire, se trouvait un roumain nommé Rubinstein112, que les révolutionnaires avaient pris pour leur bedeau. Cet homme avait un enfant malade, que le docteur Darbela avait soigné, par intérim. Après mon retour à Jaffa, où je me rendis le surlendemain avec le docteur Darbela, ce bedeau d’insurrection s’était présenté chez le docteur Montdor, pour pour lui faire voir son enfant. Le docteur se fit montrer l’ordonnance. Aussitôt il sortit dans la rue, ameuta la foule autour de lui et cria à tue-tête : « Le docteur Darbela a empoisonné cet enfant. Je ne le soignerai pas. » Qu’on se figure l’animation à la colonie, après ce nouveau coup de théâtre. Il tint parole et refusa de s’occuper de cet enfant. L’enfant, quoique soidisant empoisonné, ne mourut pas là-dessus, mais seulement quelque temps après, faute de soins. Je revins. Je fis vérifier à la pharmacie l’ordonnance délivrée par le docteur Darbela. Je dus me rendre à l’évidence. Le docteur Montdor était resté à côté de la vérité. Pour le coup, je trouvai que le docteur Montdor avait outrepassé ses droits. Un médecin qui aurait eu du cœur, n’aurait pas abandonné un chien, 112
Sans doute Josué Rubinstein, qui sera expulsé par la suite de la colonie. Cf. p. 277.
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s’il avait pu le soulager ; et ce Monsieur renvoie un enfant !! De tels médecins n’étaient pas faits pour l’Œuvre, que Monsieur le baron patronnait. Je lui signifiai son congé et je restai sur place. Dans les vingt deux inspections que j’ai faites en Palestine, j’ai toujours tenu Monsieur le baron au courant des moindres faits qui me furent présentés dans les colonies. Je ne lui ai jamais rien caché, pas même les lettres qu’on écrivait contre moi, dans les langues qu’il ne comprenait pas, et que je m’empressai de lui traduire fidèlement. Ma conscience a toujours été pure, je n’avais pas à me gêner pour parler. J’étais, peut être, quelquefois, trop franc et je me faisais du mal. Mais je n’ai jamais su ni flatter ni mentir. Mon caractère est ainsi fait et je suis trop vieux pour le changer. Je racontai donc à Monsieur le baron tout ce qui s’était passé et comment j’avais du remercier le docteur Montdor. Je reçus des reproches, car on ne me croyait pas. Et puis, il avait été si chaudement recommandé, que l’on ne pouvait, décemment, le congédier. Monsieur le baron avait reçu une lettre signée par un rabbin d’Allemagne et un de Russie113, dans laquelle on disait tout le bien du docteur Montdor et tout le mal de l’administrateur, s’appuyant sur le fait que le docteur Montdor avait quarante colons derrière lui. Ils rappelaient à Monsieur le baron qu’il avait dit qu’il demandait l’orthodoxie dans ses colonies. C’est pour cela qu’il avait tous les orthodoxes avec lui. Ceux-ci se sépareraient de son œuvre, si tel n’était plus le cas, et les soussignés les y pousseraient eux-mêmes. Et l’administrateur actuel n’est pas de cet avis. Si la dixième partie de ce qu’on lui reproche était vraie, cela suffirait déjà. Ils prient donc Monsieur le baron de faire venir à Paris et Mr l’administrateur et Mr le docteur Montdor et quelques colons, afin de tirer la chose au clair. Monsieur le baron trouva inutile d’appeler tout le monde à Paris, et me donna simplement tort. Je ne dis rien, en rongeant mon frein. Comment, en effet, pouvait-on me croire, lorsque je vins à relater le cas de cet enfant qu’il avait refusé de soigner ? Un médecin orthodoxe n’a-t’il pas un meilleur cœur que cela ? Enfin, comme on dit vulgairement, je reçus sur les doigts. Je conviens qu’il est excessivement dur de se voir infliger des reproches, lorsqu’on est convaincu qu’on a fait son devoir, tout son devoir. Mais position oblige. J’ai toujours été entre les employés ou colons et Monsieur le baron, et naturellement, étant ainsi entre l’arbre et l’écorce, je dus en subir les conséquences. C’étaient les galères. Plus d’une fois et à bien des reprises, j’avais laissé voir ma ferme intention de me retirer. Mais alors Monsieur le baron me priait de ne pas abandonner l’Œuvre que j’avais commencée, et je restai ….. à contre-cœur. Cependant, cette fois, je m’étais bien promis 113
Très probablement les rabbins Hildesheimer et Isaac Elhanan Spector.
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de quitter le service des colonies, dès mon retour à Paris. L’affront était trop fort. Seulement je ne voulus pas abandonner mon poste cavalièrement, en laissant, derrière moi, la colonie dans l’état où elle se trouvait. Je préférai avaler la cigüe jusqu’au fond. Durant cette levée de boucliers, les hommes furent encore assez calmes, quoique les conciliabules continuassent chez le docteur, qui ne faisait pas mine de partir. Il cherchait, par tous les moyens, à me faire perdre mon sang-froid. Je m’étais juré de rester calme, comme si toute l’affaire ne me regardait pas. Le samedi suivant, le docteur Montdor se mit devant la table des prières à la synagogue et fit l’office. Il croyait probablement que j’allai le lui défendre, qu’ensuite il y aurait tumulte au temple et que j’en serai responsable. Il se trompait, ainsi que ses partisans. Les Turcs m’avaient appris à rester flegmatique. Je continuai ma prière comme si de rien n’était, et le service se termina aussi tranquillement que possible. Au sortir, je me rendis chez moi, à l’administration, et me tins sous la porte. Au passage d’un des chefs de l’opposition, je l’appelai et lui dis : « Je ne savais pas que le docteur Montdor était un si bon ministre-officiant. J’ai demandé son renvoi comme médecin, mais s’il veut rester en qualité de ministreofficiant, je lui ferais obtenir soixante francs par mois et il pourra officier à sa guise. » Le ridicule tue. Là aussi il fit son effet. La chose fut immédiatement rapportée au docteur Montdor, qui se garda bien, les samedis suivants, de faire l’office. J’avais donc le calme au temple. Mais dans la rue !! ! Et ce que j’eus à endurer des femmes est indescriptible. Oh ! ces femmes ! Ces furies plutôt ! Jamais je n’aurais cru que ces mégères (je n’ai pas d’autre dénomination pour celles qui s’étaient mises à la tête de ce mouvement) fussent capables de ce dont j’ai été le témoin oculaire. J’en ai vu qui, quand elles crurent que je manifestai l’intention de me rapprocher de la maison du docteur, ramassèrent des pierres pour me les jeter. Et encore, de celles que j’avais le plus obligées. L’une d’elles, même, se mit devant moi, les poings sur la hanche, en véritable femme des Halles, et me cria à la figure : « Nous n’avons besoin ni de vous, ni de votre baron. Il y a encore d’autres barons, qui viendront à notre secours. » Et comme, après tout, c’était une femme, mes mouvements avaient été paralysés. Mais l’ingratitude de ces gens me brisa le cœur, les larmes me vinrent aux yeux et je descendis à Oum-el-Djoumal (aujourd’hui BathSchelomo) inaugurer les premières maisons. Les colons, qui étaient du côté de l’administration, étaient restés neutres. Mais les élèves-colons vinrent, en chœur, se mettre à ma disposition, dans le cas où j’aurais eu la velléité de rétablir l’ordre par la force. Je refusai leur concours, car il y aurait eu un carnage horrible.
CHAPITRE XIII : RÉVOLTE
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Le docteur Montdor ne resta pas inactif. Il envoya une plainte contre moi à Madame la baronne Edmond de Rothschild. Il fit la bêtise d’y relater l’histoire de l’enfant Rubinstein, telle que je l’avais racontée. Monsieur le baron dut alors se rendre à l’évidence, et finit par me donner raison. Je reçus donc, après cette lettre, l’ordre de le faire partir. C’était facile à dire. Je n’avais pas d’ordres à donner à la police. Comment le faire sortir de sa maison ? Je m’adressai alors au Gouverneur de Caïffa, qui me conseilla de porter la plainte devant son chef, le Mutasserif114 d’Acre. Je suivis ses conseils. S.E. Ibrahim Pacha était, à l’époque, gouverneur d’Acre. Il se rendit à Caïffa, fit venir devant lui, avec moi, le docteur Montdor et le professeur Auscher et leur demanda pourquoi ils ne voulaient pas quitter. Le docteur répondit, entre autres bêtises : « Je veux que Monsieur le baron vienne ici, devant la justice, pour me donner des dommages et intérêts, parce qu’il m’a envoyé dans un pays de sauvages. » Appeler le Gouverneur avec ses administrés des sauvages, c’était le comble de la sottise. Le Gouverneur, en homme d’esprit, ne releva pas cette expression blessante pour lui. Il s’en vengea par une équivalente. Très calme, Son Excellence lui répartit en bon français : « Monsieur le baron demeure à Paris. C’est là que vous avez à le citer, si vous avez quelque réclamation à lui faire. Et comme vous êtes son domestique, et rien que cela, il a le droit de vous mettre à la porte, quand cela lui plaît. Vous n’avez donc qu’une chose à faire. C’est de quitter la colonie, au plus tôt, si vous ne voulez pas que j’emploie la force armée pour cela. » Ces paroles, qui furent dites d’un ton sec qui imposait, suffirent. Le docteur Montdor et l’instituteur Auscher se le tinrent pour dit et partirent. Ce dernier fut remplacé par Mr Ciffrin, professeur à Maskéreth-Béttya.115 Et le docteur Zussmann116, natif de Jérusalem, vint prendre la place du docteur Montdor. Mr Wormser en avait, aussi, assez des colonies. Il me remit, séance tenante, sa démission. Ceux qui lui étaient restés fidèles, comme la plupart des autres, revenus bientôt de leurs erreurs et à de meilleurs sentiments, le virent partir avec peine. De son côté Monsieur le baron avait aussi à regretter un employé fidèle et consciencieux. Il fut remplacé par Mr Benchimol, directeur de la colonie de RoschPinah.
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Egalement Mutasarrif. Administrateur civil d’un district nommé par le sultan. Hayyim Ciffrin ou Tsiffrin enseigna le français à Ekron (1888-1889) et à Zicron-Jacob (1889-1890). Il dirigea l’école de Zicron Jacob de 1890 à 1910. 116 Samuel Sussman (Zussmann) n’y resta que trois ans (1888-1891). 115
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Je proposai alors de faire mettre à la porte les trois chefs de l’émeute : M. Abramovitsch117, le fameux ex-agent d’affaires, W. Sandinover118, de qui la femme, comme je l’ai raconté, m’avait si outrageusement apostrophé, et qui valait son époux ; Kleinman119, qui avait demandé que tout, dans la colonie, fut mis à feu et à sang. Comme on leur donna une indemnité pour le travail qu’ils avaient exécuté, plusieurs autres révolutionnaires, croyant avoir la fortune, en touchant quelques centaines de francs, demandèrent également à partir. Leur vœu fut exaucé. Ils s’en repentent aujourd’hui et voudraient revenir. Mais il n’y a rien à faire. Les colonies ne sont pas des pigeonniers. Afin de ne pas laisser leurs maisons vides, on donna la plus confortable au rabbin, d’autres aux instituteurs et on installa de suite quelques uns des meilleurs élèves colons à Zicron-Jacob et à Bath-Schelomo, ancien Oum-elDjoumal.
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Cf. p. 101. Non identifié. Non Identifié.
Chapitre XIV BOUTURES DES INDES. ANNEXES
Avant de continuer, il faut que je fasse une petite digression au sujet des différentes annexes, que beaucoup de personnes prennent pour des colonies indépendantes, ce qui n’est pas le cas. Tout ce côté ne forme qu’un centre, qui a Mr Benchimol comme directeur général. Le plateau sur lequel j’ai trouvé les ruines, au début, a conservé le nom de Samarin inscrit au cadastre. Le gros du village y fut construit sur la colline supérieure et a pris le nom de Zicron-Jacob. Schefayé et Oum-el-Djoumal étaient situées à l’extrémité de la colonie, la première à vingt minutes au nord, la seconde à quarante minutes plus au sud. On en forma des annexes à Zicron-Jacob. On donna donc à la première le nom de Meïr-Schefayé (suivant le nom du grand père de Monsieur le baron) et on appela Bath-Schelomo (nom de la mère de Monsieur le baron) la colonie, qui, jusque là, était connue sous le nom d’Oum-el-Djoumal. On installa plus tard seize élèves-colons dans chacune de ces annexes. Les arabes qui étaient à Schefayé, dans leurs masures, y restèrent. Les habitations juives furent élevées à cinq cents mètres de là, sur le même plateau. Tandis qu’on installait les colons à Bath-Schelomo, on laissa aussi les Arabes, qui s’y trouvaient, dans leurs masures, à quelques minutes de là, en deçà, à Oum-el-Tout, entre Zicron-Jacob et Bath-Schelomo. Nulle part on n’a chassé les arabes, et je puis affirmer que ceux qui sont restés, ne regrettent aucunement leurs anciens patrons, qui les laissaient croupir dans la misère, et ils ne changeraient pas leur situation contre celle de n’importe quel fellah propriétaire dans le pays. Ils ont de l’ouvrage presque toute l’année, sont payés tous les vendredis en bonnes espèces sonnantes, et n’ont jamais été aussi riches que maintenant. Chacun d’eux a sa petite cagnotte, car il ne dépense presque rien, et gagne bien, puisque sa femme et ses enfants travaillent avec lui. Les essais continuaient. On ne savait guère trop ce qu’on pouvait faire dans ces rochers. L’idée vint lors à Monsieur le baron, à son retour de la Syrie, de m’adjoindre un inspecteur de l’agriculture. Il désirait en finir avec toutes ces tergiversations et essayer de sortir de tous ces tâtonnements. Je ne puis dire le plaisir que j’en ressentis. De cette manière, au moins, je n’avais plus à porter la responsabilité de tout ce qui se faisait, et mes épaules étaient déchargées d’un rude poids.
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Il ne s’agissait, cependant, pas pour lui de choisir le premier venu. Il fallait un bon jardinier, expérimenté dans toutes les branches, et, avec cela, ayant une connaissance approfondie des pays chauds. Monsieur le baron eut la chance de mettre la main sur Monsieur Gérard Ermens. Mr Ermens avait d’abord été attaché en qualité de jardinier aux serres de la ville de Paris. Il partit ensuite au Sénégal avec Faidherbe120, alors seulement capitaine. Il devait y étudier les plantes qu’on pourrait y introduire de l’Algérie. La maladie l’en chassa. Plus tard il y retourna encore une fois avec Faidherbe. Il fut un des créateurs des splendides jardins de l’Esbékieh, au Caire. Sur ces entrefaites, les châles Cachemyr n’étant plus de mode, le pays qui les fabriquait se trouva complètement privé de ressources. On conseilla au Maharadjah de Cachemyr d’introduire la vigne chez lui et de faire du vin. Il accepta la proposition, demanda à la France un homme capable, et Mr Ermens fut choisi pour ce poste de confiance. Il réunit les boutures des meilleurs cépages des vignobles français et partit pour sa destination avec une énorme cargaison. Il réussit à merveille dans son entreprise colossale, et, après avoir tout organisé et obtenu des résultats brillants, il revint en France au bout de quelques années de séjour dans ce pays perdu, et il se trouvait libre, à Paris, à la fin de l’année 1887. Monsieur le baron s’empressa de l’engager. Il m’accompagna, la première fois, au mois d’avril 1888, et ne manqua pas d’infuser de son ardeur à tous les jardiniers des colonies. Le premier essai de vignes indigènes et ordinaires avait montré que cette culture venait bien. Il conseilla de faire la vigne en grand, à Zicron-Jacob et les environs. Monsieur le baron ne voulait à aucun prix entendre parler de faire du vin ordinaire. Il tenait à n’avoir que des cépages fins. Seulement il fallait redouter le phylloxéra qui dévastait la France. Mr Ermens se mit donc en rapport avec son successeur121 au Cachemyr et fit revenir de là bas toutes les boutures de toutes les variétés qu’il y avait introduites, quelques années auparavant. Inutile de raconter par quelles péripéties ces caisses de boutures ont dû passer, avant d’être dans la colonie et surtout toutes les peines qu’on a dû se donner pour les ramener à la vie. Et ici je me plais à rendre un hommage sincère à mon compagnon, Mr Ermens, en affirmant que, sans lui, toutes les dépenses pour ranimer ces boutures eussent été inutiles. Car rien ne serait resté. On aurait dit que ceux qui devaient les surveiller avaient du plaisir à les voir mourir. Sans lui, on les aurait laissées sécher au soleil.
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Le futur général fut gouverneur du Sénégal de 1854 à 1861 et de 1863 à 1865. Nommé Peychaud. Cf. p. 249.
CHAPITRE XIV : BOUTURES DES INDES. ANNEXES
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Aujourd’hui nous pouvons dire, que grâce aux soins qu’il a forcé les jardiniers à leur donner, les boutures arrivées des Indes furent sauvées. On n’avait plus de phylloxéra à craindre et on disposait des plus fines variétés. On a bien greffé une certaine partie sur pieds américains. Mais soit qu’on ait introduit d’autres bois dans le pays, soit pour toute autre cause, cette colonie …, mais cette colonie seule, jusqu’à présent, eut le phylloxéra à la fin de l’année 1896, quoique toutes les autres eussent reçu de ces mêmes boutures à l’époque de leur introduction. On est en train de reconstituer toute la vigne et de tout greffer sur pieds américains, convenant au sol. Presque toutes les montagnes de Meïr-Schefayé, Zicron-Jacob et BathSchelomo furent couvertes de vignes. Et on ne laissa absolument rien que des boutures fines. Ces vignobles, quelque triés qu’ils fussent sur le volet, donneraient-ils des vins fins ? C’était une question à étudier. Mais on ne pouvait être renseigné qu’au bout de quelques années. On objecta bien à Monsieur le baron qu’il serait préférable d’avoir du vin ordinaire. Il n’en était pas partisan. Examinons les raisons qui l’ont poussé à laisser de côté le vin ordinaire. S’il n’avait fait planter que de cette dernière variété, il aurait fallu presque trois fois plus de de caves, car les espèces fines produisent la moitié ou le tiers des raisins ordinaires. C’est déjà un inconvénient, dont il y a lieu de tenir compte. Mais il y a autre chose. Il a été conseillé par des gens qui se taxaient de connaître les juifs et les différents pays susceptibles de boire les vins de Palestine. En première ligne, il faut placer la Russie. Les uns disaient : si vous faites du vin ordinaire, vous ne pourrez pas concourir avec les produits de la Bessarabie, qui se vendent à tout prix. Il est donc inutile de penser à y avoir un débouché pour les vins ordinaires. Le moindre vin, soi-disant de Bordeaux, se paie couramment cinq, six et sept roubles la bouteille. Et, généralement, il ne vaut rien. Si donc on fait dans les colonies juives une qualité supérieure, la Russie seule boira tout ce qu’on voudra bien lui envoyer. Il y en a qui, convaincus qu’ils connaissaient ce pays à fond, puisqu’ils y étaient nés, soutenaient que Varsovie seule, avec ses 250 mille juifs, boirait tout ce que la Palestine produira en vins fins et doux. Le dernier, surtout, serait très recherché, parce que les femmes, en Russie, n’en boivent pas d’autre pour le Kidousch (bénédiction sur le vin, les jours de fête). D’autres, connaissant non moins bien l’Angleterre, ne conseillaient pas le vin ordinaire, puisque Londres seule consommera tous les vins fins que donneront les colonies juives. Et puis, en Angleterre, avec tous les touristes qui ont parcouru la Palestine, on n’aura qu’à annoncer l’arrivée de vins fins de ces pays, pour que tous les non-Israélites s’en accaparent, afin d’avoir un vin naturel du Holy Land.
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D’autres, encore, prédisaient, pour les vins fins, un écoulement sans pareil en Amérique, où l’on est habitué à payer de bons prix pour les bonnes qualités, tandis que l’ordinaire était fourni par la Californie. Fort de tous ces raisonnements sûrs, Monsieur le baron ne pouvait que suivre cette voie et donner la préférence aux vins fins. Les fameux prophètes se récusent aujourd’hui et crient contre les détracteurs de tous ces produits de la Palestine, quels qu’ils soient. La solidarité juive, sur laquelle ils se basaient pour la vente des vins, n’est plus qu’un vain mot et n’existe que dans l’esprit de ceux qui en ont besoin pour soutenir la cause qu’ils défendent contre le judaïsme. Huit années près la fondation de la colonie, on était encore dans le provisoire. Seulement, outre le vin qu’on devait faire à Samarin, Monsieur le baron voulait encore y voir du raisin sec. Il m’écrivait le 3 juillet 1891 : « La seule chose que j’avais indiquée pour Zicron-Jacob, c’était qu’on y plante une partie de cépages de Smyrne et de Malaga pour raisins secs. » On laissa, quand même, cette plantation en grand de côté. Les années passèrent ainsi et le résultat fut plus que maigre. Monsieur le baron ne voulait pas trop s’engager. Aussi m’écrivit-il encore en 1891 : « Les idées d’avenir viendront à leur temps et elles doivent mûrir. Mais il faut actuellement agir pratiquement, et en petit. » Cependant, la même année, le chef viticulteur M. Ben Danou, né en Algérie, sorti un des premiers des écoles de Rouïba et de Montpellier, revint sur la question du vin ordinaire. Monsieur le baron, en réponse, m’écrivit : « Toujours les mêmes bêtises avec nos viticulteurs et les cépages. Oui, en Algérie, on a raison de faire beaucoup et mauvais. Le vin entre en France sans payer. C’est bien simple. Nous, nous devons faire bon. Dites à Ermens de bien s’occuper des différents cépages et de voir à ne propager que les bons. Expliquez bien cela. » La chose fut faite selon ses ordres. A côté de la vigne, on avait planté des abricotiers et des amandiers sur la montagne rocheuse défrichée par les élèves-colons. On ne s’occupait guère de savoir si ce terrain était propice ou non à l’abricotier. Le chef avait commandé, les jardiniers se croyaient forcés d’obéir. Après quelques années d’existence, les abricotiers commencèrent à dépérir, faute de sous-sol humide. J’en fis part à Monsieur le baron, qui me répondit en juillet 1891 : « A la montagne de Zicron-Jacob remplacez les abricotiers morts par des amandiers. Voila tout. » On exécuta cet ordre, et peu d’années après les amandiers dépérirent également et, en fin de compte, la montagne fut couverte de vignes. Après les trois années révolues qu’on avait demandées aux élèves-colons, on les installa.
CHAPITRE XIV : BOUTURES DES INDES. ANNEXES
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J’ai expliqué plus haut qu’on avait placé la plus grande partie à MeïrSchefayé et à Bath-Schelomo. Ils sont bien logés, ont de bonnes maisons en pierres, et forment une petite communauté très unie, ayant leur sacrificateur, faisant fonctions de ministre-officiant et de professeur d’hébreu. Car, comme en hiver, par les pluies diluviennes qui tombent, ces gens ne peuvent venir à Zicron-Jacob assister au service divin, ils ont demandé et obtenu qu’on leur changeât une maison en lieu de prières pour le samedi. Ils ont donc un oratoire très coquet.
Chapitre XV NOUVELLE VISITE DE MONSIEUR LE BARON. ÉPILOGUE DE L’ÉMEUTE
Tout cela était bien en vie, encore, au mois d’avril 1893, quand Monsieur le baron y fit sa deuxième visite. Il fut littéralement émerveillé de ce qu’il y trouva. Naturellement, lorsqu’on a vu ces rochers à leur début, et que, six ans après, on les rencontre convertis en vignobles et en vergers, il y a lieu de s’étonner. Tout enthousiasmé, Monsieur le baron visitait tout et parcourait surtout toutes les hauteurs, pour bien se rendre compte de ce qui existait et de ce qu’on pouvait encore faire. En 1893, se trouvant sur la montagne de Meïr-Schefayé et voyant, sous ses pieds, ces pentes si bien plantées d’arbres fruitiers, il montra les hauteurs vis à vis de celle sur laquelle il se trouvait, à un de ses chefs jardiniers et lui dit : « Vous allez me faire défricher tout ce qui se trouve là-bas et vous me ferez une plantation de deux cents hectares de pêchers. » Je n’y étais pas, ayant eu quelques affaires à régler à Constantinople. Dès sa rentrée à Paris, au mois de mai 1893, Monsieur le baron m’écrivit : « Mon cher Scheid, j’ai été enchanté de mon voyage à Zicron-Jacob. J’ai été étonné de voir tous les progrès qui ont été accomplis, et combien le travail a été considérable dans ces dernières années. » Je n’avais qu’à m’incliner et continuer sur le pied commencé. A mon retour de Constantinople, je me permis cependant de faire observer à Monsieur le baron, que deux cents hectares de pêchers étaient de trop. Il ne se rendait pas exactement compte de la quantité colossale de fruits que produisait une pareille étendue de terre. Aussi, comme selon l’habitude, le jardinier ne lui avait pas fait d’observation, lorsqu’il avait donné cet ordre, Monsieur le baron tint ferme, pour le moment, dans sa détermination. L’année suivante, pendant mon inspection, je revins à charge là dessus dans un de mes rapports. Et, pour avoir plus de poids, j’ajoutais que Mr Ermens était de mon avis. Monsieur le baron me répondit alors : « Ne faites faire que la quantité voulue de pêchers, 40-50 hectares. Ermens a raison … »
Et on y a fait les treize mille pêchers dont je reparlerai. Le nombre est, peut être, encore trop élevé. On y a fait cette année, la première fois, des confitures et des conserves et on verra si ces fruits sont estimés en Europe.
CHAPITRE XV : NOUVELLE VISITE DE MONSIEUR LE BARON
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Car il ne s’agit pas de créer. Il faut encore avoir un débouché de ce que l’on produit ; sans cela, tout est perdu. Et pour ces pêches rien n’est assuré. Et afin qu’on n’oublie pas ses recommandations au sujet de la vigne, il revint là-dessus, l’année suivante. Il m’écrivait : « Mr Mortier (le directeur de Château-Lafite) me recommande surtout de planter des Cabernets francs dans la plus grande quantité possible, ensuite du Malbec et la plus faible quantité de Cabernet-Sauvignon. Veuillez le dire à Ermens. » Ces ordres furent strictement observés. En 1888, après la révolte, j’eus hâte de revenir à Paris, après une absence de cinq mois, par les plus grandes chaleurs. Monsieur Benchimol fut chargé de régler toutes les questions pendantes avec les colons. Il s’acquitta du soin de faire partir les trois chefs de l’émeute, et les neuf autres qui avaient tenu à quitter la colonie. Il restait encore une trentaine de ceux qui ne savaient pas comment je les recevrais, lors de mon inspection générale, dans le courant de l’année suivante. Ces remords de conscience et cette peur de trouver figure de bois devant eux, à mon arrivée, suffirent pour les punir de tout ce qu’ils m’avaient fait endurer. Pour effacer toute trace de désobéissance de leur part, ils cherchèrent tous les moyens capables de me faire oublier les scènes auxquelles j’avais dû assister. Je revins à Jaffa au mois d’avril 1889. Je fis mes visites officielles dans cette ville et à Jérusalem. C’était un devoir qui m’incombait, chaque fois que je revenais dans le pays, et je m’en acquittai, toujours, consciencieusement. Je fis également l’inspection des colonies qui se trouvent dans le rayon de Jaffa. On savait à peu près, jour par jour, mes déplacements, comme tout ce que je faisais, car il n’y a pas de secret dans ce pays. Du reste, quand je voulais ébruiter quelque chose, je n’avais qu’à télégraphier. Le lendemain, tout le monde connaissait le contenu de ma dépêche. Les colons de Zicron-Jacob apprirent donc, au juste, le jour où je devais venir chez eux. Ils s’unirent tous, ensemble, pour faire, dès la veille de mon arrivée, des arcs de triomphe sur mon passage. J’eus vent de la chose, et comme j’ai toujours été ennemi de cette espèce de faste oriental, avec lequel on voulait m’éblouir dans les premiers temps, je pris mes précautions en conséquence. J’appris le plan projeté par les Zicroniens, et, sans prévenir âme qui vive, je vins les surprendre vingt quatre heures avant le jour fixé, et je fis mon entrée à cheval, sous les yeux étonnés des habitants de Zicron-Jacob, puisqu’on ne m’attendait pas encore, en pleins préparatifs. Je les fis cesser immédiatement. Ce fut un tableau très comique de voir toutes ces figures hébétées.
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Afin de dissiper tous les nuages et de rendre le calme à ceux qui m’avaient tant chagriné l’année précédente, je montai en chaire le surlendemain, samedi matin, et après leur avoir fait une forte leçon de morale, comme cela m’arrivait assez souvent, je leur dis, en substance, que le mal fait l’année passée, avait été dirigé contre Scheid et que l’inspecteur ne voulait plus se rappeler ces mauvais jours. J’espérai, ajoutai-je, que je n’aurai plus à souffrir un pareil affront et que les colons continueront à vivre, entre eux, comme des frères, tels aussi que je les regarderai. La paix était faite ; le sourire était sur les lèvres ; les figures rayonnaient de plaisir et plus d’un des révoltés a dû remarquer depuis, que je ne lui gardais aucune rancune. Par M. Ermens, l’arboriculture reçut aussi un grand élan. Des pépinières furent créées, pour élever aussi bien des mûriers, des amandiers, des figuiers, que des pêchers, des oliviers, etc., dont nous parlerons plus au détail, dans les chapitres suivants. Comme le travail augmentait, que le directeur était, bien des fois, malade et obligé, pour remettre un peu sa santé, de venir souvent passer quelque temps en Europe, Monsieur le baron prit le parti de lui donner, outre le caissier-comptable, un sous-administrateur capable de le remplacer au pied levé, pendant son absence. Mr Benchimol en eut, ainsi, plusieurs sous ses ordres, qui devinrent, plus tard, administrateurs d’autres colonies.
Chapitre XVI EMPLOYÉS
A son arrivée, Mr Benchimol trouva encore Mr Dugourd, qui était au service des colonies depuis 1882. Bientôt la culture fut scindée et il y eut deux chefs. Mr Dugourd garda l’arboriculture, ayant pour sous-chef Mr Lustgarten122, sorti de l’école d’horticulture de Versailles. Mr Foray123, viticulteur, fut expédié de France pour s’occuper des vignes qu’on devait planter. Son état de santé ne lui permit pas de rester et, après un petit stage à Rosch-Pinah, il retourna dans sa patrie. Il fut remplacé par un jeune viticulteur, Mr Ben Danou, dont j’ai parlé plus haut. Celui-ci se retira au bout de deux ans, cédant la place à un fils de colon, Mr Dan Bril, ex-élève des écoles de Versailles et de Montpellier, d’où, avant de rentrer en Syrie, il était allé apprendre la sériciculture à Padoue (Italie). Lui-même prit la place de Mr Cavelan à Rischon-le-Zion. Son successeur fut Mr Jules Rosenheck de Paris, ancien élève de Rouïba et Montpellier. Mr Dugourd, de son côté, abattu par des malaises continuels, se vit également forcé de donner sa démission et alla se faire opérer par un spécialiste à Paris. Il fut remplacé par son second, Mr Lustgarten. Celui-ci, un beau jour, quitta le service de Monsieur le baron et chercha fortune en Amérique. Monsieur Bouskéla124, ancien élève de l’école d’horticulture de Versailles, chef de l’arboriculture de Rosch-Pinah, vint prendre sa place à Zicron-Jacob. Le docteur Zussmann fut, successivement, remplacé par les médecins docteurs Klein125 et Joffé126. Le premier de ces deux derniers est revenu se
122 Hillel Lustgarten entra à l’administration des colonies comme aide jardinier à Ekron en 1885. Il partit pour faire des études d’agriculture à Versailles (1885-1888). Par la suite jardinier à Kastinia (1888-1889), à Richon-le-Zion (1889), puis à Zicron Jacob (1889-1891), où il devint jardinier principal. Il partit par la suite en Amérique. 123 P. Foray supervisa les plantations de vignes de 1889 jusqu’à son départ en 1891. 124 Né à Jaffa, il fit des études d’agriculture en France, puis revint en Terre Sainte (18641904). 125 Il avait immigré en 1891 et devait exercer son art dans plusieurs localités (1864-1936). 126 Le docteur Hillel Joffé (1864-1936). Originaire d’Ukraine, il termina ses études de médecine à Genéve en 1891. Médecin de Zicron Jacob à partir de 1893. Cf. p. 301.
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fixer en France127, tandis que le second s’est établi à Jaffa. Le titulaire actuel est le docteur Kohn128 de Jérusalem, diplômé de Vienne et de Berlin. Depuis le début de la colonie, c’est Mme Rokéah129 qui remplit les fonctions de sage-femme ; c’est dire qu’on est satisfait de ses services. Quant à la pharmacie, l’administration y a subi des malheurs. Un des premiers employés, un des vétérans de la colonisation, celui, peut être, qui a rendu le plus de services directs aux colons et à leurs familles, que les Arabes appelaient le père de Joseph (il a laissé un fils de ce nom, et portait le prénom de Jacob), le pharmacien Adler130, en un mot, mourut, le premier, sur la brèche, au poste d’honneur. On pouvait le considérer comme le père de tous ceux qui étaient dans ce rayon, tellement il était bon envers tout le monde. Après qu’il eût exercé pendant plus de trente ans à l’hôpital Rothschild à Jérusalem, il entra au service de l’Œuvre créée par Monsieur le baron. Il dirigea, d’abord, la petite pharmacie de Caïffa. Plus tard il vint, avec la colonie, à Zicron-Jacob. Et je puis dire, sans crainte d’être démenti, qu’il a travaillé, jour et nuit, par touts les intempéries, pour la santé de ses frères et sœurs, qu’il visitait continuellement. Il est mort à la tâche au mois de juillet 1894, pleuré par tous ceux qui l’avaient connu. Il a laissé un excellent souvenir dans notre mémoire. Nous ne l’oublierons jamais. Monsieur le baron était en route de Vichy à Saint-Moritz au mois d’août 1894, quand il apprit ce décès. Il m’écrivit, au crayon, en chemin de fer : « Mon cher Scheid, La mort de ce pauvre Adler m’a fait beaucoup de peine. Je le connaissais personnellement et je savais combien il méritait d’être aimé, comme il l’était de tous. J’approuve tout ce que vous voulez faire pour sa famille. Je trouve qu’il est du devoir de ne jamais oublier les familles de ceux qui se sont dévoués comme lui. » Il fut remplacé par Mr Stern131, pharmacien en chef de Rosch-Pinah, qui remplit, en même temps, les fonctions d’officier de santé et de dentiste. Parmi les élèves-colons acceptés en 1887, se trouvait un jeune homme travailleur et sérieux. Il désirait s’instruire. Il s’appelait Axler132. Il fut adjoint à Adler comme aide-pharmacien. On n’eut jamais qu’à se louer de son zèle et de son activité. Malheureusement, après la fièvre intermittente, vient la fièvre biliaire. Axler en fut atteint à son tour et fut enlevé, dans 127 Le docteur Alexandre Klein résilia ses fonctions à Zicron-Jacob en 1893, quand il retourna en France. 128 Non identifié. 129 Non identifiée. Sans doute une alliée de la grande famille des Rokeah. 130 Jacob Adler, dit Abou Joseph, entra au service des colonies en 1885, quand il devint le pharmacien de Zicron Jacob jusqu’à son décès en 1894. Il avait rempli auparavant la même fonction à l’hôpital Rothschild à Jérusalem et à Haïfa. 131 Elie Stern était originaire de Safed. Pharmacien à Roch-Pinah de 1890 à 1894, il devint pharmacien et dentiste à Zicron Jacob de 1894 à 1900. Cf. p. 160. 132 Chalom Axler ou Wexler fut au service des colonies de 1887 à 1892.
CHAPITRE XVI : EMPLOYÉS
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l’espace de quelques jours, à la fleur de l’âge, laissant, derrière lui, une veuve avec trois tout jeunes enfants. La même maladie avait emporté la femme du Docteur Klein. C’est là le plus grand fléau des colonies. Mes premières fièvres intermittentes datent du mois de février 1885. Je les ai eues bien souvent depuis lors, à Paris et, naturellement aussi, dans les colonies, où elles me forçaient à m’aliter, chaque fois, pour quelques jours. En 1890, près m’être surmené, comme toujours, j’eus, à côté des fièvres intermittentes, une gastrite aigüe, qui me cloua, pendant dix jours, au lit, à Zicron-Jacob. Revenu à Paris, la fièvre ne me quitta plus. Et je devais cependant travailler et discuter avec Monsieur le baron sur toutes les questions. Forcé de m’aliter alors, à ma rentrée chez moi, je reçus de lui la lettre suivante : « Mon cher Scheid, je suis au regret de vous savoir, ainsi souffrant, repris de cette fièvre. J’ai dû vous fatiguer ce matin et ne vous savais pas dans cet état, quand je vous obligeai à suivre cette longue et forte discussion, sur ces questions compliquées et ennuyeuses. Ah ! les colonies doivent donner de la satisfaction et de la joie par leur réussite, mais il faut bien trimer pour y arriver. Je compte, pour les mener à bonne fin, sur votre énergie et votre capacité, dont vous m’avez donné autant de preuves que de votre dévouement, et je sais bien les apprécier, Bien à vous, Edmond de Rothschild. »
Chapitre XVII PLANTATIONS
Mais revenons à la colonie elle-même et à sa transformation. Au commencement, comme partout dans les pays chauds, les colons avaient une grande difficulté. A Bath-Schelomo, il n’y avait pas d’eau. On se mit à creuser des puits en divers endroits. Chaque fois on tomba sur les rochers. Et ce qui nous indiquait encore que l’eau avait été rare, de tout temps, sur ces monticules, où devait avoir existé un village dans l’antiquité, c’est qu’en y creusant la terre pour les fondations des futures constructions, on découvrait des citernes. Faute de mieux, on allait se contenter de l’eau de pluie, quand, un jour, en nous promenant sur le versant opposé de la colline, nous vîmes un certain endroit, sur lequel les herbes semblaient rester plus longtemps vertes qu’ailleurs. Nous dîmes, en plaisantant, mais sans grande confiance : « Ici, il doit y avoir de l’eau. » On commença à déblayer le terrain et, à une certaine profondeur, on rencontra une dalle, sous laquelle il y avait une source abondante et tellement riche, qu’on a pu établir autour d’elle une pépinière d’abord, une plantation de pêchers après. On y a également installé des bains. A Meïr-Schefayé, il y avait au bas de la colonie, sur le versant de la montagne, un maigre filet d’eau, dont la plus grande partie se perdait. Après quelques ouvrages indispensables, le débit fut bien plus grand. On canalisa toutes les eaux et la colonie en fut largement pourvue. Là aussi furent installés des bains. Les jeunes colons, qui demeurent dans ces deux colonies, sont tous mariés. Ils vivent en très bonne intelligence entre eux et travaillent avec ardeur. Ils ont tous de jolies vignes et se sont fait des petits potagers derrière leurs maisons. Pour qu’ils n’aient pas, plus tard, à conduire leur raisin dans la cave de Samarin, à une lieue de là, on est en train de construire une cave, en tunnel, sous la montagne d’Oum-el-Tout. Elle se composera de trois boyaux, ayant, chacun, quatre vingt mètres de longueur. Comme le village arabe entre Bath-Schlomo et Zicron-Jacob s’appelle Oum-el-Tout, c’est à dire la mère du mûrier, on n’a pas voulu faire perdre ce nom à ce côté et on a mis vingt deux mille mûriers dans la plaine qui le précède. Tout le contour des montagnes, aussi bien de Meïr-Schefayé que d’Oumel-Tout, qui environnent cette plaine de Samarin, formant une espèce de vaste
CHAPITRE XVII : PLANTATIONS
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cuvette, est planté de cinq mille figuiers de Smyrne, quarante sept mille amandiers de dame et de princesse, treize mille pêchers et treize mille oliviers. Comme chaque colon a, en outre, environ deux cent oliviers en guise de bordure à ses vignes, et qu’il y a cent dix colons reconnus, nous pouvons ajouter vingt deux mille oliviers au chiffre précédent. Tous ces arbres promettent de donner beaucoup de fruits. A Neslay, Monsieur le baron n’a acheté qu’un tiers de la propriété. Les deux autres appartiennent au village de Fureddis. Monsieur le baron y a fait planter environ dix mille orangers et cinq cent cédratiers, provisoirement pour son compte, et des vignes pour les colons, sur le flanc de la montagne qui touche à Zicron-Jacob. C’est aussi là que Monsieur Rosenheck a établi la pépinière des plants américains, porteurs de greffes de variétés fines. Quant à la partie marécageuse, qui donnait passablement de fièvres, Mr Bouskéla l’a fait défoncer au treuil et y a planté un peu plus de quarante mille eucalyptus, qui y viennent admirablement, tandis qu’en divers endroits de Zicron-Jacob, il y a encore vingt mille eucalyptus.
Chapitre XVIII DESCRIPTION DE LA COLONIE
Rome, dit-on, n’a pas été construite en un jour. Zicron-Jacob non plus. J’ai déjà raconté que, dès leur arrivée, les cinquante baraques de bois furent montées et habitées. Peu à peu, chacun de ceux qui les occupaient, avait, plus ou moins, réalisé quelques économies et s’était fait monter un mur en pierres à l’intérieur. C’était tout au plus bon pour une toute petite famille. Mais la jeunesse travaille, se multiplie et tel ménage, qui avait un enfant à la création de la colonie, en a six ou plus à l’heure qu’il est. Il a fallu songer à l’élargissement de ces baraques. Insensiblement, les quatre cinquièmes ont été converties en maisons en pierres, qui ne jurent plus avec leurs voisines. Sauf donc quelques très rares exceptions, tout le monde est bien logé. Sous ce rapport, les colons ont un peu abusé de la situation. Naturellement il vient beaucoup d’ouvriers israélites, qui cherchent du travail. Les colons tâchent de les retenir par des promesses et, pour les attacher au village, leur louent des chambres. Ce qui veut dire, très clairement que, quand ils se plaignaient de l’exiguïté de leurs logements, leurs plaintes n’étaient pas toujours fondées. Car, à peine ont-ils une chambre de plus, qu’ils s’empressent de la louer à des étrangers. Et ils n’y gagnent rien. En effet, de cette manière la population a doublé et le prix des vivres également. C’est la seule des colonies de Monsieur le baron qui ait ce défaut. ZicronJacob a la réputation d’être une ville. Aussi quand on s’y promène le samedi, on voit une foule de figures inconnues et un luxe qui n’est nullement fait pour la Palestine. Toutes ces gens qui viennent du dehors, chassés par la misère, devraient pourtant bien comprendre que la Palestine n’est pas le pays du luxe et que leur situation ne permet pas d’en faire. C’est scandaleux et très mal vu des nombreux touristes qui passent par là, et qui confondent les étrangers avec les colons. Malheureusement la contagion est très grande, et plus d’un colon permet également à sa femme d’imiter celles qui viennent, si effrontément, exposer leurs toilettes tapageuses. Il est plus que nécessaire de lutter contre ce mauvais penchant, car il n’est pas possible qu’il prenne racine chez des gens qui doivent vivre du produit de leurs terres. Quand, alors, avec ces maisons spacieuses qu’ils se font élever d’un côté, et les toilettes des femmes d’un autre côté, un de ces colons – par bonheur
CHAPITRE XVIII : DESCRIPTION DE LA COLONIE
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qu’ils sont rares – vient crier misère à l’administration, on a toutes les peines du monde à le croire. On voit les mêmes défauts à Rischon-le-Zion chez certains colons, tandis que, partout ailleurs, dans n’importe quelle colonie, les habitants se mettent comme de vrais paysans qu’ils sont et qu’ils doivent être. La colonie, en elle-même, est aussi beaucoup plus coquette, sous tous les rapports, que toutes les autres. Lorsqu’on vient de Jaffa, on traverse quelques plaines bien travaillées, puis d’autres, longtemps sablonneuses et assez mauvaises, et enfin, avant d’arriver à Zicron-Jacob, on traverse la propriété de Sélim Khouri, qui, des deux côtés de la route, pendant un bon quart d’heure, offre le spectacle d’un terrain rocailleux, non cultivé. Vous montez, et vous montez, toujours très doucement. Tout d’un coup, vous entrez dans un nouveau paradis terrestre. La route que vous foulez à vos pieds est une véritable route nationale d’Europe. De chaque côté, au premier plan, les propriétés sont fermées de haies, de un mètre cinquante de hauteur, de mimosa (Cassia farnesiana). Immédiatement derrière ces haies, sont plantés des oliviers en bordure, et enfin, à perte de vue, vous avez des lignes de ceps de vignes, comme tirées au cordeau, ce que les arabes ne peuvent pas comprendre. Lorsque ce premier étonnement est passé, vous avez un autre spectacle devant les yeux, car vous montez toujours. Devant vous, en droite ligne, vous avez Zicron-Jacob, qui a l’air de s’étendre jusqu’au bord de la mer. A votre droite, au premier plan, vous avez, au dessous de vous, dans le lointain, la foudrerie, la tonnellerie, puis la cave construite dans la montagne et pouvant contenir quarante mille hectolitres de vin. Au dessus de ce petit noyau, et cependant toujours au dessous de vous, à votre droite (car vous dominez tout le paysage de ces hauteurs, où l’admiration semble vous clouer) vous voyez les riantes constructions qui forment Samarin. Laissez promener vos regards dans la même direction et, à peu près à l’altitude où vous vous trouvez, vous rencontrerez, dans votre rayon visuel, les blanches maisons de Meïr-Schefayé, avec sa coquette petite synagogue au premier plan. Tout cela est encore égayé par les vignes qui tournent autour de la crête de la montagne, tandis que, directement au dessous, se dessine la plantation des cinq mille figuiers, qui, eux-mêmes, surplombent une plantation de vingt-deux mille mûriers. Si, pendant une seconde, votre vue s’égare un peu à gauche, sur les terres de Fureddis, et que vous vouliez faire une comparaison, il vous semble que Meïr-Schefayé est un tableau peint par un très grand artiste, tandis que la partie voisine a été dessinée, avec de la boue, par un enfant. Vous quittez vite ce spectacle attristant et vous vous rejetez, plus à droite, vous voyez, très au loin, à une quarantaine de minutes, également sur un monticule, les habitations des colons de Bath-Schlomo.
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Et vous descendez cette belle et large rue de Zicron-Jacob, avec ses trottoirs des deux côtés, ses différents arbres devant les maisons d’une propreté irréprochable. Ceux qui voient cela pour la première fois, trouvent, probablement, ce spectacle tout naturel. Mais quand j’y venais, que tout ce que voyais se déroulait devant mes yeux avec une rapidité foudroyante, je me reportais, en rêve, avec la même célérité, aux années du début, et je restai muet d’étonnement, de plaisir et de saisissement. Je ne saurai décrire ce que je ressentais en ces moments. Je laissai aller mon cheval, je saluai à droite et à gauche, mille pensées se heurtaient dans ma tête et j’arrivai ainsi à l’administration, sans avoir prononcé une parole. Vient-on par Caïffa ? C’est un tout autre spectacle qui se déroule, constamment, sous vos yeux. D’abord, la route a été améliorée. Les colons ont, un peu, égalisé celle qui existe entre Caïffa et Atlit. A partir d’Atlit on roule sur un mauvais chemin, que la force des choses a rendu carrossable, à travers des champs plus ou moins cultivés. C’est un peu mieux que le désert. Cela changera de ce côté aussi, lorsque tout cela sera défriché et planté, car Atlit appartient maintenant aussi à Mr le baron. On sort des montagnes de Tantourah, on se trouve dans la plaine de Fureddis, qu’on a devant les yeux. Ici les champs sont un peu mieux cultivés. Dès que vous avez tourné le village de Fureddis, vous entrez dans la gorge qui conduit à Zicron-Jacob, Meïr-Schefayé et Bath-Schlomo. De suite, le coup d’œil change. Les mains européennes se dévoilent immédiatement, car l’entrée de la gorge est masquée par une plantation d’eucalyptus. Ensuite, vous avez devant vous cette immense cuvette que forme la plaine de Samarin, entourée de montagnes boisées et d’arbres fruitiers. A votre gauche, comme dit, les figuiers et mûriers de Meïr-Schefayé, à votre droite, au dessus d’Oum-el-Tout, près de cinquante mille amandiers, tandis que la plaine se couvre d’oliviers et de pêchers. Là encore on reste muet d’admiration, quand on pense que tous les chef-jardiniers, sous-jardiniers, ouvriers qui on produit ce miracle, sont des juifs, qui ont pris un tel goût au travail de la terre, qu’on ne dirait jamais qu’ils sont, peut être, venus au monde pour être des marchands ou des artisans. Quel plaisir si quelques touristes antisémites avaient la bonne idée de passer par là. Ils seraient obligés d’avouer que les juifs sont encore capables de faire autre chose que la banque et le commerce. Mais chaque fois que je faisais une excursion de ce côté, j’avais de la peine à détacher mes yeux de cet horizon si vert et si joli. C’est un vrai délice. Vous traversez ensuite un pont jeté sur la rivière, qui a de l’eau pendant près de trois mois par an, et vous avancez encore sur une route bordée de mûriers, derrière lesquels il y a des vignobles à votre droite et des oliviers
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à votre gauche. A partir de là, vous ne faîtes plus que monter. Vous passez devant l’ancienne pépinière à votre gauche, qui est devenue un verger remarquable, renfermant en noyers, pommiers, poiriers environ sept mille cinq cents sujets. Et vous avez devant vous, à droite, une montagne artificielle faite avec la terre sortie des sous-sols des caves et couverte d’une forêt d’eucalyptus. De sorte que vous ne remarquez les caves, à votre droite, que lorsque vous êtes devant la porte d’entrée. Et vous montez également et toujours, et l’entrée du village est égayée par les coups symétriquement frappés sur son enclume par le forgeron de la colonie, et vous avez, à votre droite et à votre gauche, les habitations des employés. On peut dire que c’est la rue des employés jusqu’à l’administration. Là également, à partir de l’entrée dans la rue, vous avez des trottoirs des deux côtés et des arbres devant les maisons. L’ancienne source de Zicron-Jacob servait de bains, tandis qu’on en avait trouvé une autre, en bas de Zicron-Jacob, qui servait à abreuver le bétail et à alimenter les ménages des colons, et une autre non loin de là pour l’arrosage de la pépinière. C’est à ces sources aussi que les colons s’alimentaient avec des tonneaux. Un jour, Mr Dugourd crut trouver de l’eau en un endroit qu’il indiqua au maitre-maçon, et situé aussi au pied de la montagne entre Samarin et Zicron-Jacob. Il fit creuser et découvrit une vieille canalisation, qui lui fit mettre à jour une source d’eau excellente. On peut se figurer la joie de tout le monde. Afin que les tonneaux sur des voitures disparussent, Mr le baron leur fit installer une machine à vapeur, qui, par un canal de trois cents mètres de longueur, refoulait l’eau à cinquante mètres d’altitude, au point culminant de la colonie, où un château d’eau érigé à côté de la maison du Mouchtar133 Hornstein134 l’emmagasinait. De là, au moyen de tuyaux de fer, elle fut répandue dans tout le village ; des fontaines publiques placées en plusieurs endroits, versent l’eau à profusion. Devant l’administration, on établit même un jet d’eau, qui n’étonna pas peu les visiteurs arabes. Ils sont extasiés de voir, ainsi, l’eau jaillir au haut de la montagne. Ce qui les surprend encore bien plus agréablement, c’est de trouver un gobelet en fer blanc attaché par une chaine à chacune de ces fontaines, et où l’on peut boire à sa soif. Car un arabe est l’homme le plus heureux du monde, s’il a toujours de la bonne eau à sa disposition. C’est la moitié de sa nourriture.
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Chef du village. Eliezer Hornstein avait été un des premiers colons de Samarin.
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Pour que la force motrice ne fût pas entièrement consacrée à la propulsion de l’eau et afin de tirer un profit de la machine, on monta, à côté d’elle, un moulin à vapeur, pour faire la farine nécessaire aux besoins de la colonie. Auparavant les colons perdaient un temps infini à aller faire moudre leur blé à Caïffa.
Chapitre XIX CONSTRUCTIONS
J’ai dit plus haut que les caves pouvaient contenir environ quarante mille hectolitres de vin. Quand elles n’en renferment que vingt mille, il faut aussi de l’eau pour laver la vaisselle vinaire et tenir la cave dans un état de propreté convenable. Avec cela, la population volante augmentait continuellement, de sorte qu’avec toutes ces sources, il arriva en été qu’on se plaignit du manque d’eau. Il fallait donc chercher à augmenter le débit. Comment ? Dans la plaine de Neslay, pour faire les orangeries, on avait creusé quelques puits, qui n’allaient qu’à une dizaine de mètres de profondeur. Il y avait donc là un cours d’eau souterrain. On y fit creuser en 1897 un puits d’environ quatorze mètres de profondeur, avec une largeur respectable ; on y installa une machine à vapeur, avec une canalisation montant jusqu’au château d’eau, et ce puits suffit très largement pour l’alimentation de Zicron-Jacob. Tandis que la cave se sert exclusivement de l’eau du moulin, ainsi que Samarin. Un autre besoin se faisait sentir. Depuis quelque temps, une nouvelle maladie s’était introduite dans le pays, que les colons appelaient la fièvre jaune et qui n’était autre chose que la fièvre biliaire. Les eucalyptus, en très grande quantité, qu’on avait plantés, assainirent bien l’air contre les miasmes des marais environnants. Mais il n’est pourtant pas facile de lutter efficacement contre les fièvres paludéennes, qui étaient transportées par les moustiques. On remarquait que leurs piqures occasionnaient souvent de ces fièvres. Les premiers attaqués furent les pauvres colons de Hédérah (une colonie créée en 1891, à deux lieues de là), qui vivaient au milieu d’immenses marais. Ils n’avaient ni médecins, ni de places convenables pour se faire soigner chez eux. Outre cela, une épidémie pouvait surgir. Et avec la quantité d’ouvriers israélites et arabes qui étaient constamment à Zicron-Jacob, une opération chirurgicale pouvait aussi se présenter. Le médecin se trouvait alors plus qu’embarrassé. Monsieur le baron accorda la construction d’un petit hôpital, pouvant contenir une dizaine de lits, avec une chambre de consultations, une autre pour les opérations, une pour la cuisine, une salle de bains avec des douches, et des chambres pour les infirmiers et la cuisinière. Dans le voisinage direct on éleva une baraque en bois avec une dizaine de lits pour les femmes.
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Autour de ces deux bâtisses, et à l’usage des convalescents, se trouve un petit jardin très coquet, avec toutes sortes d’arbres, qui y viennent admirablement, tout en étant plantés dans les pierres. L’eucalyptus et le pin y dominent, bien entendu. Il fallut aussi des caves pour renfermer les produits de la vigne. Monsieur Benchimol, sans ingénieur et sans architecte, élabora un projet de cave, et avec un simple maître-maçon arabe, mit ce projet à exécution. La construction réussit au delà de tout espoir. Elle consiste en trois caves voûtées et adjacentes, de cinquante mètres de longueur chacune, sous la montagne de Samarin. La porte regarde du côté de Zicron-Jacob et donne sur la route qui conduit à Caïffa. Au dessus de ces caves sont les celliers et les salles de fermentation, auxquelles on accède, de l’autre côté, par le haut de la montagne. A peine ces constructions furent elles achevées, que, pour ne pas être pris en défaut par les grandes quantités qui pourraient y être emmagasinées, on se mit à construire, également en sous-sol, et correspondant avec les premières en sens perpendiculaire, trois nouvelles caves de cinquante mètres de long, surmontées de trois celliers. A Oum-el-Tout, tranquillement, sans que cela paraisse même à l’intérieur, Monsieur le baron fit creuser dans la montagne, sous la surveillance de Mr Starckmet135, ingénieur des Ponts et chaussées, un tunnel de quatre vingts mètres de longueur, qui servira de cave, dès que le besoin s’en fera sentir. A côté des premières caves de Samarin, fut installée une forge, dans laquelle ne travaillaient que des ouvriers israélites, sous la direction de Mr Miller136, le premier chef-mécanicien, qui fut engagé, au début, à Rischon-le-Zion. Ce même bâtiment renferme un très forte machine à vapeur, destinée à produire, durant la vendange, le froid indispensable à régler la fermentation, et, durant l’année, à maintenir les caves au degré voulu pour la bonne conservation des vins. On installa une ligne de vagonnets allant d’un côté à un débarcadère, où les colons apportent le raisin dans des compostes, lesquelles sont mises sur les wagonnets, pesées et conduites aux celliers. Là, elles sont versées directement dans des pressoirs continus, et la vendange se fait suivant toutes les règles du progrès de ce siècle. Les colons sont payés à un prix fixé pour leur livraison de raisins, et lorsque, après la reconstitution du vignoble ravagé par le phylloxéra, leurs 135 L’ingénieur des Ponts et Chaussées Abraham Adolphe Starckmet dirigea la cave de Rischon-le-Zion en 1889-1890, avant d’en devenir l’ingénieur. Egalement administrateur de la colonie à partir de 1899. 136 Nahoum Miller (1858-1943) a surtout travaillé dans les caves de Rischon-le-Zion (18901896) et de Zicron Jacob (1896-1900).
CHAPITRE XIX : CONSTRUCTIONS
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vignes produiront les quantités espérées, ils pourront probablement se nourrir du fruit de leur travail. Et pour qu’ils aient plus d’une corde à leur arc, on leur donnera, à chacun, une certaine quantité des arbres fruitiers, dont on augmente tous les jours le nombre, et dont j’ai donné le détail dans le cours de ce chapitre. S’il y a moyen, on leur ajoutera aussi un peu de terres pour la grande culture, pour qu’ils soient occupés toute l’année avec les travaux des champs, et qu’ils n’aient pas besoin de recevoir des secours pour vivre. C’est qu’aujourd’hui que le nombre des colons atteint le chiffre de près cent vingt, il faut du terrain pour en donner, suffisamment, à tout le monde. L’ère des essais, en petit, doit être terminée, et il s’agit, maintenant, de régler l’avenir, une fois pour toutes. Le premier maître de chai fut Mr Dupuy137, qui fut, successivement, remplacé par Mr B. Kauffmann138, puis par Mr Pilpoul139. La vendange se fait sous la haute surveillance de Mr Barbier140, l’inspecteur d’agriculture, qui a succédé à Mr Ermens, malade, depuis l’an 1897. En face de la cave, de l’autre côté de la route, se trouvent la tonnellerie dirigée par Mr Guelberg141, un ancien colon, tonnelier de son état, et une foudrerie, dont le chef est également un Roumain, Mr Grunberg142, exouvrier foudrier à Bordeaux. Comme partout ailleurs, tous ces ouvriers sont israélites et s’acquittent parfaitement de leur tâche, à la satisfaction de tout le monde. Cette cave qui coûta tant de peines et tant d’insomnies à Mr Benchimol, faillit aussi lui coûter la vie. Au mois de novembre 1892, lorsque, la cave terminée, il s’obstinait à rester sur place pour surveiller les derniers travaux, il ne prit même pas le temps de se garantir de la pluie, qui arrivait par torrents. Il tomba dangereusement malade. Sur ces entrefaites, sans rien connaître de sa maladie, je quittai Marseille le 7 décembre 1892, sur la Gironde, et je me rendis à Jaffa, après avoir prévenu, par dépêche, les administrateurs de mon arrivée. A Alexandrie, j’appris que je serais obligé de faire deux jours de quarantaine à Beyrouth, sans pouvoir débarquer à Jaffa. Arrivé à Beyrouth, je reçus, coup sur coup, de Mr Haym Hazan, qui remplissait les fonctions de sous-administrateur à Zicron-Jacob, des nouvelles, chaque fois plus alarmantes, sur l’état de Mr 137 Viticulteur bordelais qui fut le premier directeur de la cave de Richon-le-Zion (1890-1), puis de celle de Zicron-Jacob. Repartit en France pour raisons de santé. 138 Non identifié. 139 Non Identifié. 140 Il était devenu le conseiller d’Edmond de Rothschild en agriculture en 1897. 141 Non identifié. 142 Abraham Grunberg. Cf. p. 257. Il ne faut pas le confondre avec le président des Hovevei Zion russes du même nom. Cf. p. 201.
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Benchimol. A peine débarqué, je reçus une dépêche plus pessimiste que toutes les précédentes, et dans laquelle Mr Hazan me suppliait d’envoyer un chirurgien de Beyrouth. Comment ? Caïffa n’est desservie que tous les quinze jours par un bateau du Lloyd autrichien, et il y avait quatre jours que ce navire était parti. Je devais donc attendre encore une dizaine de jours. Impossible. Le malade succomberait avant mon arrivée. Que faire ? Je finis par trouver un bateau anglais devant partir le lendemain soir pour Alexandrie. J’allai voir le Capitaine, je m’entendis avec lui pour le prix, à condition qu’il me débarquerait à Tantourah. J’engageai alors un chirurgien, qui consentit à m’accompagner. Je prévins Zicron-Jacob, avec prière d’allumer des feux, le lendemain matin, sur les bords de la mer à Tantourah, afin que nous nous y reconnussions. Et c’est ainsi que, le premier, je fis venir un grand vapeur à Tantourah. Une de ses barques me transporta à terre. On n’en revenait pas. Comment peut-on avoir l’idée de venir à Tantourah ? C’est si dangereux. On peut tout, quand on veut voler au secours de quelqu’un. Et la preuve que ce n’est pas si dangereux que cela, c’est que Monsieur le baron, profitant de l’exemple que j’avais donné, vint, au mois d’avril 1893, directement de l’île de Rhodes à Tantourah, pour visiter la colonie. Ce fut encore son port d’attache à sa récente visite à Zicron-Jacob, au mois de janvier 1899. Le jour où Monsieur le baron entrait à Zicron-Jacob, Mr Benchimol s’embarquait à Jaffa, pour se rendre à Montmorency, près de Paris, avec sa femme et deux de ses enfants. Il y passa l’été, en plein repos, et y remit sa santé qui avait été bien délabrée. A tel point qu’à un certain moment, pendant sa maladie, le bruit s’était répandu à Tantourah, qu’il était mort. Dans aucun pays du monde, les faux bruits et les cancans ne font rage comme en Palestine. On dirait qu’il s’y trouve une catégorie de gens spécialement chargés d’inventer de ces histoires. La paresse, dit un proverbe, est la mère de tous les vices. C’est ce qu’on voit là. Les habitants n’ont rien à faire. Comme passe-temps, ils vous tuent par la bouche et par la calomnie, et physiquement et moralement. Rien ne leur est sacré. Et si quelqu’un s’amusait à noter toutes les anecdotes qui se racontent, toujours sous le sceau du secret, il formerait un volume des plus édifiants. Aucun honnête homme, par exemple, ne pourrait le lire sans frémir, car ces vipères ne reculent devant rien, pour s’amuser ou bien se venger. Celui qui n’a pas vécu un certain temps en Palestine ne peut en avoir un aperçu. Et tous les faussaires qui ont joué un certain rôle dans l’« Affaire » n’ont qu’à aller en Palestine. Ils y trouveront des professeurs qui les surprendront. Le mensonge y est à l’ordre du jour, à tel point qu’un des grands rabbins les plus fins de la Ville Sainte n’a pas craint de dire à un touriste anglais, un jour qu’il s’étonnait de ces mœurs : « Que voulez vous ? C’est une habitude tellement invétérée, que, si, moi même, je vous raconte quelque chose, je vous prie de ne pas me croire. »
CHAPITRE XIX : CONSTRUCTIONS
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Après cette sortie, il est inutile d’insister. Je continue. Par suite de la maladie Mr Benchimol, Monsieur le baron prit la résolution de lui adjoindre un surveillant spécial pour les constructions. Car la moitié seulement des caves était faite et il y avait encore d’autres constructions en vue. Il engagea donc Mr Goldstein143, ancien entrepreneur à Varsovie. Mr Goldstein travailla, d’abord, comme surveillant, sur plusieurs chantiers à Paris. Après avoir été bien mis au courant de toute cette question par un architecte spécial, il vint occuper son poste à Zicron-Jacob. Depuis lors, c’est lui qui s’est mis à la tête des constructions. Il fit faire sa propre maison, celle d’autres petits employés, la nouvelle administration, et fut, en même temps, chargé des réparations. Son champ d’action était également devenu bientôt trop vaste. On lui adjoignit alors comme aide le jeune Cantor144, fils d’un colon. Lorsque les constructions furent terminées à Zicron-Jacob, il fut placé pour le même objet à Rosch-Pinah. Il quitta bientôt le service des colonies et il fut remplacé à Rosch-Pinah par M. Varon145, élève-architecte à l’école des Beaux-Arts de Paris, qui est chargé de s’occuper des nouvelles constructions à élever dans le rayon de Saffed. Quant à Cantor, il s’occupe de tout. C’est lui qui a fait faire toutes les routes admirables de Zicron-Jacob. C’est encore lui, qui y a créé une compagnie de sapeurs-pompiers, laquelle a déjà eu l’occasion de montrer son utilité. L’ancienne école était devenue trop exigüe pour contenir tous les enfants qui s’y pressaient. La clarté des salles d’études laissait aussi beaucoup à désirer, sous tous les rapports. Sous le même toit, la pharmacie occupait deux pièces. Elle non plus n’était pas à sa place. Beaucoup de médicaments se gâtaient par suite de l’humidité. Ainsi que je l’ait dit, lorsque Monsieur le baron fit sa deuxième visite à la colonie en 1893, il dut se rendre compte que l’administration était devenue trop étroite pour la nombreuse famille de M. Benchimol. Le bureau était mesquin et les employés ne savaient où se mettre pour travailler, car on n’avait pas prévu que Zicron-Jacob prendrait, un jour, tant d’extension et nécessiterait des sous-administrateurs, des caissiers, des comptables, etc. En outre, il n’y avait pas une chambre à donner aux employés du Gouvernement, qui, par leur service ou pour leur plaisir, viennent assez souvent y passer des nuits.
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Non identifié. Elie Cantor appartint au service des colonies de 1887 à au moins 1897. Responsable de la construction des caves, routes et maison de l’administration. Participe à l’assèchement des marais de Tantourah en 1895. Longtemps installé à Rischon-le-Zion, il devait s’établir par la suite à Zicron Jacob. 145 Non identifié. 144
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Sur la demande de M. Benchimol, Mr le baron, pour jeter un baume sur sa maladie, lui accorda alors une nouvelle administration, qui fut construite près de l’ancienne maison des élèves-colons. Seulement, elle devint un vrai palais, qui jure avec les constructions ordinaires des colonies. Monsieur le baron avait fermé les yeux et avait laissé faire Mr Benchimol, ne pensant pas que la bâtisse deviendrait si grandiose. Celle qui avait abrité le directeur fut convertie en école. Sous le même toit se trouvent réunis, d’un côté les garçons, de l’autre les filles. La salle d’asile est dans un autre corps de bâtiment, entre la synagogue et la nouvelle administration, par conséquent au centre de la colonie. Elle est assez spacieuse. Il fut également décidé qu’une nouvelle pharmacie serait construite sur la route qui descend à Samarin, dans la partie que j’ai appelée la rue des employés. On y adjoignit une grande salle de consultations et une autre, dans laquelle on prépare les médicaments. Comme tous les coins sont vite utilisés, l’ancienne école et la pharmacie n’attendirent pas longtemps une nouvelle destination. La pharmacie, un peu arrangée, devint la demeure d’un aide-viticulteur marié. Quant à l’ancienne école, on en fit le logement des ouvriers israélites célibataires. On leur y monta une cuisine. Ils ont une cuisinière en commun et leur nourriture abondante, saine et chaude, leur coûte, relativement, très peu. Les heures de travail de ces ouvriers variaient, naturellement, suivant les saisons. Pendant les grands travaux en été, par les fortes chaleurs, la cloche du repos sonnait à onze heures du matin, et n’appelait, de nouveau, le monde au travail qu’à deux heures après midi. Et pour éviter des maladies par l’absorption d’eau trop froide (quoiqu’elle ait près de 22° en sortant du puits, elle est glacée, ou du moins semble telle pour ces corps saturés de chaleur), il y avait, sur chaque chantier, un samovar, au moyen duquel les ouvriers pouvaient se désaltérer à volonté en prenant du thé chaud.
Chapitre XX SOCIÉTÉS ET MAGASINS
Zicron-Jacob est un lieu de passage, surtout pour les pauvres gens. Et afin que l’administration ne soit pas constamment ennuyée par ce tas de mendiants, les colons, dès le début, ont formé entre eux une société de bienfaisance, qui vient uniquement au secours de ces visiteurs embarrassants. Chaque employé verse dans sa caisse un franc mensuellement, et chaque colon une piastre, c’est à dire vingt centimes. Les samedis et jours de fêtes, les personnes appelées aux honneurs, offrent encore, le plus souvent, une obole à cette société, qui est admirablement gérée par un comité formé de quelques colons, sans l’ingérence de l’administration. Et pour que les pauvres passagers ne couchent pas à la belle étoile, on leur a réservé une chambre dans cette ancienne école. En dehors de celle-là, il existe encore une autre société (Hebra Kedishah) qui se charge de veiller les malades et de remplir les derniers devoirs vis à vis des morts. Cette confrérie a également son comité spécial pris en dehors de l’administration. On dirait qu’elle existe depuis trente ans. Il en est ainsi au temple, qui a sa Commission pour l’ordre et la régularité du service. L’office s’y fait d’une manière charmante par un des anciens élèves-colons, viticulteur à l’heure qu’il est, et ex-ministre-officiant en Roumanie. Il a formé, autour de lui, un superbe chœur composé de jeunes ouvriers, de colons et de fils de colons. Un des colons à la charge de la boucherie, avec un surveillant, qui sort les veines impures, pour rendre la viande Kascher. Une boulangerie y est installée aux frais de l’administration, avec un employé payé au mois. Les bénéfices servent à payer une partie des frais du culte. A côté de la boulangerie existe un petit marché couvert, où les étrangers et les ouvriers peuvent s’approvisionner. Les établissements publics de boissons ne sont pas tolérés. On s’amuse très gentiment, quand il y a des fiançailles ou un mariage. Ces derniers se font régulièrement le vendredi soir, une heure avant l’office, pour qu’il n’y ait pas de perte de temps. On n’a pas l’habitude, en Palestine, de faire ces cérémonies dans l’intérieur des synagogues. On se réunit dans une cour. Quatre jeunes gens portent des perches, au haut desquelles est fixé un drap. C’est le dais sous lequel se rangent les fiancés, et le service est fait, ordinairement, par le sacrificateur.
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A Zicron-Jacob tout se fait au temple et c’est le rabbin qui donne la bénédiction. Ceux qui ont envie de fêter le mariage font leur petite soirée, le samedi, après l’office du soir. Les jeunes veuves, avec ou sans enfants, trouvent facilement à se remarier, un an après le décès du mari, bien entendu, avec de jeunes ouvriers, qui, en tout, prennent d’emblée la place du défunt. Au commencement, je me trouvai très embarrassé, justement avec les veuves. Il y en avait quatre, chargées d’enfants, et dont les maris venaient de mourir. Je ne pouvais pas doublement punir ces malheureuses, parce que la faim ou la fièvre avaient emporté leur soutien, et les renvoyer en Roumanie. La colonie, ainsi que je l’ai dit, se trouve à trente six kilomètres de Caïffa. Les colons ne pouvaient pas, pour chaque article nécessaire dans le ménage, se rendre en ville et y perdre une journée. Je résolus donc d’ouvrir des magasins à Zicron-Jacob et de les réserver à ces veuves. Deux d’entre elles furent chargée de vendre l’épicerie, une troisième eut la mercerie et la quincaillerie, et la dernière reçut les étoffes pour vêtements. Elles se sont très bien tirées d’affaires. Leurs enfants sont placés ou mariés et elles n’ont plus besoin d’avoir ces magasins. Comme elles n’étaient pas très expertes en la matière, elles faisaient leurs achats soit à Caïffa, soit à Beyrouth, et les colons durent payer très cher tout ce qu’ils achetaient là. Cet abus n’existe plus aujourd’hui. On reprit à chacune des veuves ce qui lui restait de marchandises. On éleva un mur de refend dans la salle, qui servait de chambre à coucher et de réfectoire aux soixante élèves-colons. On fit, d’un côté, dans la partie la plus grande, un magasin de vente, et dans l’autre, le grenier d’abondance, c’est à dire de réserve. Le colon peut y trouver tout ce qu’il veut, à des prix plus bas qu’à Caïffa même, car l’administration qui est à la tête de ces « Dépôts Généraux » fait tout venir de première source et se contente d’un tout petit bénéfice, qui sert à amortir le capital et à combler une partie des frais généraux. C’est un véritable bienfait, non seulement pour la colonie, mais surtout pour les villages arabes des environs, qui ne manquent pas de profiter de l’occasion, qui leur est offerte, de s’approvisionner à bon compte. Au début, les Arabes ne pouvaient pas comprendre que le marchandage n’y existât pas. Habitués à se voir surfaits en tout, ils croyaient que, là aussi, on voulait profiter de leur ignorance. Quand une fois ils furent persuadés que tout était vendu à prix fixe et en chiffres connus, ils préférèrent venir dans ce magasin que partout ailleurs. Ils ont poussé la confiance si loin, qu’ils viennent choisir ce qui leur est indispensable, sans demander de prix. Ils prennent ce qu’il leur faut et vont payer à la caisse sur la fiche qu’on leur remet. Ils savent qu’ils sont loyalement servis et, par suite, n’ont aucune méfiance.
CHAPITRE XX : SOCIÉTÉS ET MAGASINS
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En parlant du premier achat fait par les délégués du Comité de Galatz, j’ai dit que la colonie de Samarin possédait, à Tantourah, quelques parcelles de terre. En outre il s’y trouve un grand jardin, une maison d’habitation assez spacieuse, ainsi qu’un beau magasin et … deux colons. Je ne parle que pour mémoire d’une petite verrerie, qu’on a essayé d’y faire marcher et qui n’a pas réussi. Elle pourra devenir un magasin de dépôts de vins. Qu’est ce que l’avenir réserve à ce coin ? C’est ce que Dieu seul sait. Si les juifs, que nos adversaires disent si solidaires, voulaient bien faire un petit sacrifice, en n’achetant, pour les besoins du samedi, que du vin des colonies, la question serait résolue. Malheureusement, beaucoup de ceux qui font une réclame inouïe pour la colonisation en Palestine, trouvent une excuse pour ne pas acheter de ce vin. Les orthodoxes ne devraient avoir aucun prétexte de s’abstenir. Ce vin, comme celui de Rischon-le-Zion, est le seul au monde, qui soit exclusivement préparé par des Israélites. Un jour, je l’espère, viendra où ils verront que leur intérêt personnel est de protéger leurs pauvres frères, qui font l’impossible pour démontrer que les juifs ne reculent devant aucun travail manuel, quelque dur qu’il soit. Que ce jour arrive le plus tôt possible.
Chapitre XXI HÉDÉRAH
En 1891, j’ai été assailli par les délégués de diverses sociétés russes venus en Palestine pour acheter des terres. On aurait dit que ces sociétés disposaient de plusieurs millions de roubles et qu’elles allaient faire acheter tout le terrain disponible. A côté de ces délégués, il y avait aussi les intermédiaires, qui, eux, ne connaissaient que la commission qu’ils auraient à toucher. Que le terrain fût bon ou mauvais comme situation, c’était le moindre de leurs soucis. J’étais parvenu à détourner, ainsi, une société d’acheter une propriété située entre Caïffa et Acre, parce que, en contrebas de la mer et pleine de marais, elle n’a jamais pu être habitée par aucun arabe. Pour les mêmes raisons et à cause du prix exagéré, j’avais essayé de détourner, également, de Hédérah, les promoteurs de l’achat de ce domaine. On était exalté. Il n’y avait pas à raisonner. J’avais supplié un des chefs de s’abstenir de cette acquisition. Il me répondit : « Que font les marais là dedans ? Ils ne jouent aucun rôle. Avec 30.000 francs je les ferai drainer. Je m’y connais. – Très bien, dis-je, faites alors drainer avant de laisser venir les familles. » On me donna raison et on se garda bien d’entreprendre quoi que ce fût. Les premiers arrivants tombèrent comme des mouches et l’hôpital de Zicron-Jacob n’eut bientôt d’autres malades que des gens de Hédérah, qui finirent, en très peu de temps, par peupler le cimetière. Si Monsieur le baron n’avait pas pris mes supplications et mes rapports en considération, les colons n’auraient eu qu’à abandonner ce centre fiévreux et malsain. Les trente mille francs préconisés en 1891 par l’initiateur de cet achat, ont donné place à trois cent mille francs que Monsieur le baron a déjà dépensés pour le desséchement d’un marais et la plantation d’une forêt d’eucalyptus au bord d’un autre marais. Et il aura au moins encore cent cinquante à deux cent mille francs à verser, s’il veut mener, à bonne fin, cette œuvre de bienfaisance. A l’heure qu’il est, on y trouve déjà près de deux cent mille eucalyptus en place, et bientôt, quand tous ces marais seront desséchés, et tous ces eucalyptus arrivés à une dizaine de mères de hauteur, on pourra dire que la colonie est une des plus fertiles et de celles qui laissent espérer les plus beaux résultats. La terre y est excessivement
CHAPITRE XXI : HÉDÉRAH
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riche et donnera tout ce qu’on lui demandera. Il y a environ trois mille hectares. La population est d’une quarantaine de familles. Les colons produisent un peu de raisins, qu’ils viennent livrer dans les caves de ZicronJacob, à deux lieues de Hédérah, au Nord. Ils font encore, outre la grande culture, passablement de pastèques, dont on a le placement facile. Cependant, toutes ces maladies et toutes les pérégrinations à travers le pays pour fuir les fièvres, les ont complètement appauvris. Chacun eut pitié d’eux. Monsieur le baron, outre ses dépenses pécuniaires, chargea encore Mr Benchimol de leur procurer la permission de construire. Il l’obtint, avec toutes les peines que nous connaissons. Les maisons furent bâties sur un monticule au centre de la colonie, et parallèle à la route de Zicron-Jacob à Jaffa. L’Jca147 est aussi venue au secours de ces malheureux, en leur faisant des avances pour des écuries et pour l’achat de bétail et de semences. Entre la colonie et la mer il y a d’immenses dunes de sable. Afin d’empêcher les colons de trop souffrir des fièvres pendant les travaux de desséchement des marais, les Hoveveï-Zion (Société russe : les amis de Sion) leur ont fait construire des baraques en bois, derrière ces dunes, et aux bords de la mer. Un des juifs russes qui a le plus énergiquement travaillé pour la colonisation en Palestine, qui, malgré son âge avancé, n’a pas craint de parcourir, en 1890, les colonies existantes, le rabbin Samuel Mohilever,148 a un souvenir à Hédérah. Pour fêter le 70ème anniversaire de sa naissance, les juifs russes ont fait une souscription et ont acheté un terrain à Hédérah. Au centre de ce terrain, on a fait élever une maison d’habitation pour le jardinier et, du tout, on créa, grâce à un puits qu’on y a fait creuser, une orangerie modèle, qui a reçu le nom de « Jardin de Samuel ». Cette propriété est située à un quart d’heure des autres habitations et forme une oasis merveilleuse. En dehors des colons qui s’y trouvent, une société de Minsk, en Russie, grâce à un subside de Monsieur le baron, y a acheté environ deux cents hectares de terres et y a envoyé un agronome de mérite, le docteur S.149, chargé de mettre ces terres en valeur.
147 La Jewish Colonisation Association (Sigles : Jca, JCa et plus souvent ICA), fondée par le baron Maurice de Hirsch en 1891, commença à s’intéresser aux colonies de Palestine à partir de 1896. Elles lui furent confiées en 1899, avant de revenir sous l’autorité du baron Edmond de Rothschild en 1923 dans le cadre de la PICA (Palestine Jewish Colonisation Association). 148 Le rabbin Samuel Mohilever (1824-1898) fut un des fondateurs des Hovevei Sion et un des principaux promoteurs du sionisme religieux. 149 Non identifié.
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Monsieur le baron leur avait donné une subvention pour un officier de santé, afin qu’ils pussent se faire soigner à domicile. Malheureusement les fièvres l’emportèrent au bout de quelque temps. L’Jca, alors, leur donna les moyens de prendre un médecin, que les colons devaient choisir euxmêmes. Comme c’était à prévoir, le climat le chassa à son tour, de sorte qu’au moment où j’écris, ces pauvres gens sont encore réduits à s’adresser à Zicron-Jacob. Espérons que, bientôt, ils auront un nouveau médecin. Le seul souhait que je veuille former pour le bien de cette colonie, c’est que le médecin n’ait rien à y faire, et qu’il ne soit occupé qu’en qualité d’accoucheur.
Chapitre XXII ROSCH-PINAH. DÉBUTS
Dans une petite ville de Roumanie, se concertèrent, en 1882, une trentaine de familles israélites pour mettre leur petite fortune en commun, quitter leur patrie si inhospitalière aux Juifs et fonder un nouveau village en Palestine. Ils envoyèrent l’un d’eux, nommé Schoub150, en éclaireur, pour voir et acheter un terrain propice à la culture. Il avait été muni des pleins pouvoirs. Je ne sais comment il tomba entre les mains de quelques spéculateurs de Saffed, qui reconnurent en lui une bonne proie à exploiter. A une lieue de cette ville, vers le Jourdain, existe un petit village arabe du nom de Jaony. Ce endroit possédait environ mille hectares de terrains de toutes sortes, mais surtout mauvais et, dans la plus grande partie, volcaniques. Un tiers appartenait aux fellahs qui y demeuraient, un tiers à de riches musulmans de Saffed et le reste à ces spéculateurs dont je viens de parler. C’est ce dernier tiers qu’acquit Schoub, avec seize maisons arabes, toutes construites en une seule ligne, sans aucune séparation entre elles, et qu’il appela Rosch-Pinah, c’est à dire la « pierre angulaire ». C’était de l’autre côté de ces immenses montages de Saffed. Aucun chemin tracé n’y pouvait conduire. La montagne, du côté du Jourdain, était étagée en plusieurs pentes, et c’est sur l’une de ces pentes, avant d’arriver dans la plaine conduisant à Damas, qu’était situé le village arabe, tandis que la portion revenant, sensément, aux Israélites, était placée un peu plus bas. Ces terrains étaient indivis avec ceux des arabes, et l’on comprend la difficulté de travailler dans ces conditions. Entre la ville et Jaony, sur un des flancs assez élevés de la montagne, se trouvaient trois sources d’eau assez limpide, coulant dans le village, à ciel ouvert. Les Juifs pouvaient y prendre l’eau nécessaire aux ménages et avaient droit, deux jours par semaine, de profiter des sources pour l’irrigation de leurs futurs jardins. Les trente familles vinrent donc là dans l’année 1882, et bientôt se joignirent à elles six familles russes. Elles avaient emmené de la Roumanie 150 Moshe David Schub (Iancovici) (1854-1938) naquit en Roumanie et participa à l’achat des terres et à la construction de plusieurs colonies en Galilée. Il a laissé des mémoires précieux.
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leur vieux rabbin et un sacrificateur. Comment ont ils vécu au début ? C’est un problème que je ne saurai résoudre. Chacune des seize maisons arabes avait deux pièces, avec une entrée dans la rue, l’autre, dans un couloir, par derrière. Trente deux familles occupèrent ces seize maisons, d’autres des espèces de tavernes qu’elles avaient dénichées, tandis que les plus fortunés se construisaient des maisons en pierres. Ils achetèrent un peu de bétail, travaillèrent comme ils purent, et au bout d’un an, ils furent tellement ruinés, qu’ils mirent toute la colonie en gage chez un juif de Saffed, contre une avance de cinq mille francs. Dès lors on peut se figurer ce qu’était la colonie. Un vrai volcan couvert d’un peu de terre. Lorsque feu Veneziani arriva à Caïffa, au mois de juin 1883, ils lui adressèrent une délégation, pour le prier d’intercéder en leur faveur, auprès d’un Israélite quelconque, pour qu’on les rapatriât ou qu’on vînt à leur secours, dans leur entreprise. A l’instar des colons de Samarin, ils mouraient de faim. Monsieur le baron Edmond de Rothschild avait pris sur lui de secourir ces gens, comme ceux des autres colonies. Donc, dès que j’eus remis à Caïffa, au mois d’octobre 1883, un peu d’argent à ceux que j’y avais trouvés, je me décidai à partir pour Rosch-Pinah. Les péripéties de ce voyage méritent d’être racontées. Comme l’électricité, le bruit se répandit bientôt dans le pays, que j’entreprendrai ce voyage dans l’intérieur. Je reçus dépêche sur dépêche de Saffed. Chacun voulut m’avoir chez lui pour la durée de mon séjour là-bas. Il n’y a ni hôtel, ni auberge à Saffed. Il fallait donc accepter l’hospitalité chez un des habitants. Je choisis, au hasard, l’un d’eux. Il me semblait le plus digne par sa position. Dès qu’il eut reçu mon consentement de descendre chez lui, il m’envoya son frère avec deux domestiques, à ma rencontre à Caïffa. Comme compagnon et interprète, j’avais avec moi Mr Emile Franck de Beyrouth, qui m’avait fait l’amabilité de venir à ma rencontre à Caïffa. Ne connaissant pas le pays et croyant naïvement que quand on avait des Louis en poche, on se tirait partout d’affaires, je partis, sans penser un instant à me munir de provisions de bouche pour la route. Je me fiai aussi, un peu trop, à mon Saffédiote, qui, selon moi, avait dû penser à la nourriture à prendre à chaque étape, puisque j’étais l’invité.
Chapitre XXIII MŒURS ARABES
Nous quittâmes Caïffa jeudi matin de très bonne heure en voiture. La route, qui suit continuellement la mer, serait délicieuse, si elle était carrossable. Deux roues de la voiture marchent, presque sans cesse, dans l’eau, et les autres effleurent, à peine, le sable mouillé d’outre en outre, ou s’y enfoncent assez profondément, lorsque ce sable est déjà un peu séché. Au bout d’une demi-heure on rencontre la Mokatta (le fleuve Kischon de la bible). On ne peut certes s’empêcher de penser aux batailles que nos ancêtres ont livrées sur les bords de ce fleuve excessivement traître. Tous les ans il change de lit, car si, en hiver et au printemps, il est assez impétueux, en été, il finit quelquefois par se perdre dans les sables et par ne plus laisser de trace vers son embouchure. De peur de voir la voiture emportée par le courant, on préfère passer par cet endroit, en entrant franchement dans la mer. Ce sont quelquefois des cris de surprise, lorsqu’une vague vient vous lécher les chaussures, et on se retrouve avec plaisir de l’autre côté du fleuve, pour continuer son chemin sur cette route de velours. En hiver ce moyen ne peut pas être employé. On va alors jusqu’au bord du fleuve. On laisse la voiture d’un côté. On passe l’eau dans une barque, tandis que les chevaux vous suivent à la nage, et de l’autre côté on remonte dans une autre voiture. Comme on voit, c’est un service peu ordinaire. On n’a pas peur, en continuant la route, d’avoir des cahots et on ne cesse d’examiner cette agitation continuelle de la vague, qui envoie souvent, sous votre voiture, de ces zoophytes bleus, gluants, immangeables, qu’on désigne sous le nom d’étoiles de mer. Tout d’un coup, et sans remarquer, pour ainsi dire, qu’on a de nouveau parcouru une heure et demie, on se trouve sur les bords du fleuve Bélus151. Quels souvenirs de jeunesse n’invoque-t-on pas subitement, à la vue de ce courant, lorsque vous vous rappelez, qu’étant enfant, vous avez appris que c’est dans le sable qui borde ce fleuve, que les Phéniciens doivent avoir inventé le verre. Où sont-ils, les Phéniciens ? Et où sont ces jeunes années, où l’on ne se rendait pas compte des distances et où l’on supposait ce fleuve Bélus à des millions de lieues de votre petit collège ? On prenait plutôt ces 151
Aujourd’hui le Naaman, au Sud de Saint Jean d’Acre.
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noms comme venant de la mythologie et on a peine à croire qu’ils existent réellement. Ce Bélus à vos pieds, cette ville d’Acre à une demi-lieue devant vous, avec ses vieux murs, ses minarets, ses canons rouillés et son mont Napoléon, jurent dans votre esprit. Un véritable amalgame de vieux et de neuf, l’histoire contemporaine avec l’histoire ancienne, ayant la mer comme cadre à votre gauche et des jardins de palmiers à votre droite. Et cependant que vous rêvez ainsi, en entremêlant dans votre esprit le lieu que vous venez de quitter en Europe, cette mer, ce sable et tout ce panorama, vous n’avez même pas le temps de remarquer ce mouvement, comique pour vous, que produit, dans ce tableau, une solennelle caravane de chameaux, précédée comme d’habitude d’un immense arabe maigre juché sur un tout petit âne, qui montre le chemin aux bêtes de somme et les incite à avancer. Et la voiture continue à vous balancer comme dans un berceau, et, en laissant le Bélus à votre droite, elle entre dans la mer, qui vous éclabousse encore …. pour vous laisser un souvenir. Acre ! cette ville forte qui a conservé ses vieux murs, ses anciens canons, qui avait été considérée comme imprenable, est une pauvre petite ville, crénelée à l’ancienne mode, qu’un seul boulet changerait en ville ouverte. On y entre par une double porte, comme si, réellement, Acre était une enceinte fortifiée. La mosquée est assez jolie, le sérail n’a rien d’extraordinaire, et le bazar, avec ses ruelles sombres, n’a rien d’attrayant. C’est le bazar de toutes les petites villes d’Orient. Il y existe une petite communauté israélite, composée d’une douzaine de familles, qui ont de la peine à se nourrir. Sortons. A partir de là, dans la saison pluvieuse, il faut quitter la voiture et se servir des chevaux de selle comme moyen de locomotion. Il n’avait pas encore plu. Nous pouvions donc marcher encore une heure, avec notre véhicule. Nous laissons Acre à notre gauche, nous contournons, à droite, le jardin municipal et nous nous enfonçons dans les terres, passant à travers champs, parce que les routes n’existent pas. Et on marche de nouveau, jusqu’à ce qu’on arrive à un de ces puits marqués « Bir » sur la carte (Bir veut dire puits en arabe) et dont parle la Bible au sujet de Rachel et de Jacob, lors de leur première rencontre. Un seau est attaché à une corde d’une longueur démesurée. Cette corde fonctionne au moyen d’une poulie en bois que fait tourner, par ses pieds, un arabe assis sur le faîte du puits. Vous lui donnez la pièce, afin qu’il vous procure l’eau dont vous avez besoin ; mais ses exigences sont très modestes. C’est le rendez-vous général de plusieurs villages des environs, dont les femmes viennent là remplir leurs outres de peaux de mouton, qu’elles portent, sur le dos, au moyen de grosses cordes passées autour du front. Il faut que l’os frontal des arabes, aussi bien des hommes que des femmes,
CHAPITRE XXIII : MŒURS ARABES
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soit dur comme de l’acier, car il supporte les plus lourds fardeaux. On reste stupéfait, quand on rencontre des porte-faix chargeant un bateau avec du froment, dont ils ont, chaque fois, deux sacs sur le dos, retenus également par une corde faisant le tour du front. Ces femmes qu’on rencontre sur la route, ne sont pas voilées, et quand elles transportent ainsi de l’eau, laissant leurs bras à nu, on peut, à son aise, contempler le vilain tatouage bleu, qu’elles mettent, par petites croix, autour des yeux et de la bouche, et, en forme de bracelets, à divers endroits des bras. Elles ne sont guère appétissantes, se lavent, peut être, tous les huit jours, une fois, et ignorent complètement l’usage des bains. Leurs cheveux mal peignés et peu soignés, deviennent comme de la filasse bouclée. Arrivés près de ce puits, nous fîmes halte. C’est là que nous attendaient les chevaux que nous avions à monter. J’étais loin d’être un bon cavalier. C’était la première fois que je me voyais assis sur un cheval et je ne pensai même pas que je pusse risquer une chute. Du reste, il le fallait ; il n’y avait pas d’autre moyen de locomotion. Seulement, dans ces montagnes, les sentiers étaient si étroits, qu’on était obligé de chevaucher l’un derrière l’autre, comme les canards vont à la rivière. Nous voilà dans la montagne. Nos bêtes grimpent dans ces pierres roulantes, comme de véritables chèvres, et on éprouve, quand même, une sensation étrange, lorsqu’on jette un regard derrière soi, et que l’on voit cet abîme où l’on tomberait, si le cheval faisait un faux pas. Au bout d’une heure de marche pénible, nous sommes gratifiés de la première pluie de l’année. Comme primeur, elle nous montre qu’elle n’a pas oublié son métier, depuis neuf mois qu’elle avait fait grève. Elle nous transperce d’outre en outre ; on n’avait pris aucune précaution contre elle, car elle était venue à l’improviste. On ne s’y attendait pas du tout. Et sur ces montagnes abruptes, rocheuses, sans une hutte, sans un arbre sous lesquels on aurait pu avoir envie de s’abriter, il n’y avait qu’une chose à faire : continuer sa route. Il est vrai que nous ne pouvions pas, par la suite, être plus mouillés que nous ne l’étions. Après deux heures de cette marche, nous étions dans une vaste plaine couverte d’une vieille plantation d’oliviers. Partout où il y a une motte de terre dans ces parages, on voit un olivier ou un figuier. Si le gouvernement impérial laissait chacun libre de planter à sa guise, et ne lui demandait pas, pour chaque autre culture un peu rémunératrice, un impôt chaque fois plus élevé ; s’il avait un autre mode de taxer les récoltes, le pays serait beaucoup plus florissant, car il est très fertile. Malheureusement, S.M. le Sultan doit être très mal conseillé, car, sans pitié pour l’agriculteur, le Gouverneur quelconque, qui ne reste pas longtemps à son poste, a toujours l’air de dire comme Louis XV : « Après moi le déluge. »
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C’est aussi une des raisons qui militent en faveur de l’émigration en Amérique. Malgré les plus sévères défenses de s’embarquer à Beyrouth, aucun bateau en partance ne quitte ce port sans voir son pont surchargé de Syriens empressés de quitter leur patrie. Bientôt il n’y aura plus assez de bras pour cultiver la terre et un grande partie des propriétés resteront en friche. La pluie avait cessé. Nous passons devant le village de Mech-el-Croum152, dans le temps plein de vignobles. Sur notre demande où se trouvaient ces fameuses vignes, on nous répond invariablement, que vu les gros impôts qu’on leur faisait payer et toutes les chicanes dont on les abreuvait, les fellahs avaient préféré tout arracher et ensemencer des céréales. « De cette manière, ajoutèrent-ils, nous arrivons à nous nourrir, avec peine, il est vrai, mais nous sommes plus tranquilles. Et puis, à quoi bon enrichir le Gouvernement ? » Les femmes arabes étaient occupées à un ouvrage, dont on ne se rend pas beaucoup compte en Europe. Le combustible manque. Le charbon de terre serait trop cher. Les arabes chargent donc leurs compagnes (qui s’acquittent des plus durs travaux et remplacent même, quelquefois, une bête de somme à la charrue) de ramasser, durant l’automne, toute la bouse de vache qu’elles trouvent, chez elles et au dehors, d’en pétrir, avec de l’eau et un peu de terre, de vrais gâteaux, qu’elles collent contre les parois de leurs maisons, pour les faire sécher. Et en hiver cette saleté sert de bois. C’est ce nouveau genre de combustible que les fellahines étaient en train de détacher de leurs demeures, afin qu’il ne fût pas détérioré par la pluie. Ordinairement, elle ne tombe que vers la fin du mois de novembre. D’autres fois, elle n’apparaît qu’en décembre, et même en janvier. Dans ce dernier cas, il y a des jérémiades. En effet, aussi longtemps qu’il n’a pas plu, on ne saurait songer à labourer la terre, qui est devenue aussi dure que la pierre. Toujours, tantôt dans la plaine, tantôt en pays montagneux, nous laissons à notre gauche Nahef et Sedjour, deux villages perchés sur les hauteurs, et nous nous arrêtons au bas de Ramey153. Là, dans un jardin de citronniers doux, nous nous assîmes par terre et nous prîmes notre déjeuner offert par notre hôte et compagnon de route. Le déjeuner consistait en pain arabe, une volaille, des citrons doux, que nous n’avions que la peine de cueillir au dessus de nos têtes, et beaucoup d’eau qui coulait à nos pieds.
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Majd al-Krum. Localités de la vallée de Beth Hakerem (ou de Ramah) qui sépare la Galilée du Nord de celle du Sud. 153
CHAPITRE XXIII : MŒURS ARABES
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Depuis cette époque, je voyageai autrement de ce côté. A partir de Nahef, je recommençai à monter, ayant Ramey devant moi, à deux lieues sur la hauteur. La chevauchée y est excessivement difficile. En partant à six heures du matin de Caïffa, on arrive entre onze heures et midi, sous les oliviers de Mech-el-Croum, où je faisais halte pour le déjeuner. Celui des habitants qui, le premier, me voyait, m’apportait de l’eau et se mettait à mon service pour tout ce que je pouvais désirer, car mon backschich était le bien venu. Après un repos d’une bonne heure, pendant que les moukres rechargeaient les bêtes et prenaient l’avance, je remontais à cheval et j’arrivais à Ramey vers quatre ou cinq heures. Là, comme tous ceux qui voyagent dans ce rayon, je descendais à Ramey chez un paysan, arabe-chrétien, du nom d’Izza Aboud154. Il a un salon spécialement réservé aux voyageurs de marque et aux employés des colonies. Comme je ne voyageais jamais seul et que les employés de Rosch-Pinah venaient là, à ma rencontre, je mettais mon lit dans un coin du salon, tandis que, pour ces Messieurs, le propriétaire faisait étendre par terre des matelas avec couvertures garnies de draps, le tout d’une propreté sans pareille. Quand viennent des voyageurs ordinaires, ils trouvent, comme les autres, des chambres, chez lui, pour y passer la nuit. Et on offenserait ces gens, si on leur offrait de les payer. Il faut avoir voyagé dans ce pays, pour comprendre certains passages de la Bible. Lorsque Abraham reçut la visite des anges, ils se présentèrent sous le costume de simples voyageurs. Abraham, assis à l’entrée de sa tente, les reçut comme de grands seigneurs, car, dit un commentateur155, il savait à qui il avait à faire. C’est pour cela, ajoute-t-il, que dès leur arrivée, il leur offrit de l’eau pour se laver, du pain frais, et il fit immédiatement rôtir un mouton à leur intention. Si ce commentateur avait été en Orient, une fois de sa vie, il ne se serait pas tellement étonné. Aujourd’hui encore, si vous venez demander l’hospitalité chez un arabe, toute sa maison est à votre disposition, ainsi que le manger, le boire et les soins. C’est la coutume. Quand nous venions chez Izza Aboud, nous étions, naturellement, fatigués et pleins de poussière. De suite, on nous apportait de l’eau pour nous laver les mains et la figure, et à peine débarbouillés, nous voyions l’hôtesse venir avec des rafraîchissements, suivis bientôt de thé chaud, pour nous désaltérer. Et pendant que nous préparions le dîner, l’hôtesse faisait du pain frais (genre de crêpes), comme je l’ai déjà expliqué plus haut. Et nos conserves seules étaient cause qu’on ne nous forçât pas à accepter aussi le dîner, que voulaient absolument nous offrir ces gens. Mais nous n’eussions pu refuser le café, ni encore une fois le thé, avant de nous coucher. Et comme nous 154 155
Non identifié. Cf. Nahmanide sur Genèse 18 3.
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nous levions à quatre heures du matin pour partir de bonne heure, nos hôtes étaient déjà debout, et pour nous donner l’eau nécessaire à notre toilette, et pour chauffer du lait, qui formait notre premier déjeuner. Quand ils nous avaient bien servis, et que nous étions contents, ils étaient heureux. Un autre passage de la Bible, qu’on ne saisit pas non plus, lorsqu’on n’a pas été en Palestine, c’est celui où Boaz recommande à ses moissonneurs de laisser des épis pour que Ruth en ait beaucoup à ramasser. Comment peut-il recommander Ruth à ses moissonneurs ? se demande-t-on en Europe. Sait-on quelles sont les glaneuses qui viendront ? Sera-ce Ruth avec sa belle-mère ou seront-ce d’autres ? On juge naturellement sur ce qu’on connaît. Chez nous, le froment et le seigle sont coupés, étalés au soleil pour bien sécher, pendant au moins vingt quatre heures. Le lendemain on en fait des gerbes, on les charge sur des voitures, on tâche de laisser tomber le moins d’épis possible, et on conduit le tout à la maison. Lorsque le champ est bien vidé, arrivent les glaneuses. En Orient, ce n’est pas cela du tout. Les glaneuses arrivent à quatre heures du matin, en même temps que les moissonneurs. Ceux-là se mettent immédiatement à l’ouvrage, et avancent, en faisant des tas de ce qu’ils viennent de couper. Ils ne reviennent jamais en arrière. Tout ce qu’ils laissent tomber et les rares épis qui échappent à leur faucille, par inadvertance, appartiennent aux glaneuses, qui finissent leur journée presque en même temps que les moissonneurs. Et comme souvent les glaneuses sont de la famille des moissonneurs, la journée de ces femmes a été, on s’en doute, des plus fructueuses. A peine ont-elles fait quelques tas que les chameaux viennent les charger, de sorte que tout se termine la même journée, sinon quelquefois, la même matinée. Par suite de l’ardeur du soleil, on tient à ne pas laisser longtemps les épis exposés à ses rayons, pour ne pas perdre trop de grains. Et les glaneuses sont considérées comme des personnages par le Gouvernement Ottoman, puisqu’il les force à lui donner, comme tous les propriétaires, la dîme de ce qu’elles auront ainsi ramassé. Dans ces conditions, Booz voyant, le matin à l’aube, quand il fut sorti avec ses moissonneurs, Ruth, avec sa belle-mère ou seule, se préparer à glaner, pouvait parfaitement dire à ses ouvriers, de laisser une partie de la moisson derrière eux. Mon homme de Saffed, qui était venu nous chercher à Caïffa, ne voulut pas nous faire passer la nuit à Ramey. Il avait d’autres vues sur moi. Aussi, immédiatement après avoir avalé le dernier morceau, nous remontons à cheval et nous repartons. Nous traversons un plaine immense, plantée d’oliviers, après quoi nous marchons, à nouveau, dans les cailloux. Ne connaissant aucun chemin, nous sommes obligés de nous laisser conduire par notre guide. Au lieu de nous mener vers Saffed, il nous dirigea sur Méron, où nous attendait son frère.
CHAPITRE XXIII : MŒURS ARABES
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Au bout d’une heure et demie de marche, nous entrons dans une gorge montagneuse qui vous donne le vertige. On se demande s’il est possible de passer par là. Il y a des siècles que les rochers forment, en cet endroit, des espèces d’escaliers naturels, dans lesquels on risque, chaque fois, de se casser le cou, en temps ordinaire. Mais dès qu’il a plu, cette gorge se change en torrent, et c’est dans cette cascade que vous devez passer, si le cheval le veut bien. C’est indescriptible. On ne saurait s’imaginer quelque chose de plus sauvage. On monte quand même en se disant : « A la grâce de Dieu. » On peut le remercier chaudement, chaque fois qu’on a traversé cette passe sain et sauf. On redescend, on longe un petit cours d’eau, qu’on finit par traverser, non sans peine, et on se retrouve devant une montagne cahoteuse, escarpée, sur le haut de laquelle il s’agit de grimper, sans faire de dégringolade. Votre cheval cherche le rocher sur lesquels il peut poser le pied, car il sent, par instinct, que ce chemin est très dangereux. Tout cela ressemble à la description que les anciens faisaient de leur entrée dans les Enfers. Je me demande comment s’en tirerait un cheval européen. Il ne lui serait pas possible de gravir ces montagnes. Et cependant, le cheval, qui fait ce véritable tour de force, est ferré à plat. Une fois sur le haut de la montagne, on a, devant ses yeux, droit à deux lieues de là, la ville de Saffed, juchée sur une autre hauteur, et qui vous semble phénoménalement grande, tandis qu’à environ quatre lieues de là, à votre droite, vous avez, vous paraissant toute rapprochée, la glace immense que forme le lac de Tibériade. Vous êtes, un peu, payé de vos peines par ce spectacle grandiose. A dix minutes de Méron, vers cinq heures du soir, notre hôte de Saffed vint à notre rencontre, avec deux autres domestiques, et, dans ces rochers, ils me firent une espèce de fantasia, avec des coups de fusils tirés en l’air, le tout, naturellement, pour me griser. L’un d’eux fit une chute de cheval, tellement malheureuse, que je crus qu’il resterait sur place. Mais il paraît que leurs os sont en fer forgé et leur peau en caoutchouc, car il se releva comme s’il s’était agi d’une plaisanterie.
Chapitre XXIV MÉRON
Méron est un joli petit hameau habité par des arabes, et, au milieu de leurs masures, existe encore un vieux mur percé de deux portes d’entrée, qui conduisent à une synagogue détruite il y a environ dix huit siècles. Sur l’autre partie de la montagne, à trois minutes de là, se trouve un temple composé de trois pièces. Dans celle où l’on officie ordinairement, on voit, vis à vis de l’Arche Sainte, le tombeau de R. Schimon bar Jochaï156, et dans la première pièce est enterré son fils R. Eliezer. Ces tombeaux sont murés contre une des parois de la chambre. Toute l’année, un bedeau, seul, y réside, comme gardien de la synagogue. Mon hôte avait fait venir un Minian157 de Saffed et je n’ai pas été peu étonné d’assister, le vendredi matin, à la bénédiction des Cohanim, dans cette pièce renfermant une tombe. La bâtisse, en elle-même, consiste en trois ailes. Des deux côtés, il y a, au rez-de-chaussée, des espèces d’écuries pour remiser les chevaux. Au dessus, un philanthrope de Beyrouth a fait construire, il y a quelques années, chaque fois six chambres, contigües l’une à l’autre, pour recevoir les nobles étrangers y arrivant pour le 33e jour de l’Omer, à l’occasion du pèlerinage qu’y viennent faire, ce jour, les juifs de la Palestine, de la Syrie, du Maroc, de Boukhara, etc. etc. Le reste du monde campe comme il peut, car il y a quelquefois dix mille personnes et davantage. Sur la plateforme du fond, au dessus de la synagogue, sont dressés des réservoirs en pierres. Le reste du monde campe comme il peut, avons nous dit, c’est à dire à la belle étoile, dans la cour et au dehors. Dans cette cour est enterré R. Itzhack Nabi158, et, un peu plus loin, sur la montagne, R. Jochanan Sandler159.
156 Tanna charismatique qui vécut au premier siècle. Lui et son fils sont extrêmement révérés dans les milieux des Kabbalistes et leurs tombes sont régulièrement visitées par des pèlerins innombrables. 157 Quorum de dix hommes adultes indispensable pour la prière publique. 158 Le prophète Isaac ? L’identité du Rabbi Isaac, qui aurait été inhumé dans cette cour n’est pas claire. Une tradition avance qu’il s’agirait de l’Amora Isaac bar Napacha, mais une autre affirme que celui ci reposerait à Tibériade. 159 Jochanan ha-Sandlar (le fabricant de sandales) est un important Tanna du deuxième siècle. Contemporain de Shimon bar Jochaï, il fut un des principaux élèves de Rabbi Akiba.
CHAPITRE XXIV : MÉRON
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Ces tombeaux sont très respectés par les arabes, qui considèrent comme des Saints ceux qui s’y trouvent. Un jour, en faisant une visite au tombeau de R. Jochanan, je trouvai tout le monument couvert de feuilles de tabac, qu’un arabe y avait placées pour les faire sécher. Je lui demandai s’il n’avait pas peur de les voir enlevées par un voleur quelconque. « Rien à risquer, me répondit-il. Celui qui se permettrait de les emporter, mourrait sûrement dans l’année. Le Saint les garde. » Sous la montagne il y a une sorte de caverne, où l’on peut voir le cercueil en pierre d’une pièce, de Hillel160, entouré des sarcophages de vingt quatre talmudistes « ses disciples ». A une demie heure de là, on vous montre le tombeau de Schamaï161, sur la hauteur. Le 18 Yjar est l’anniversaire de la mort de R. Schimon ben Jochaï. On raconte que parmi les disciples de R. Akiba162 avait éclaté une terrible épidémie, qui enleva presque toute cette énorme école (on ne parle de rien moins que de 24000 disciples) et qui prit fin le jour de Lag-Beomer (c’est à dire ce 33ème jour qu’on compte à partir de la 2ème soirée de la Pâque juive). C’est en l’honneur ce double anniversaire que se célèbrent, tous les ans, les cérémonies que je vais décrire. Le 17, hommes et femmes vont pleurer sur les différentes tombes et les premiers (du rite Askenasi seulement), portent, sur leurs épaules, des gamins ayant dépassé l’âge de trois ans, font plusieurs fois le tour de ces tombeaux, puis coupent à leurs fils les cheveux en peïoth (coins). Jusque là, on n’avait pas touché à ces cheveux. A la nuit on commence à lire le Sohar163, qu’on attribue à R. Schimon ben Jochaï, puis on entonne des psaumes faits pour la circonstance. Après quelques heures de repos, commencent, d’un côté entre hommes, de l’autre entre femmes, des danses folâtres, entrecoupées de libations d’eau-de-vie à pleins verres. Pendant ce temps les rabbins de Saffed versent des quantités respectables d’huile dans les récipients en pierre, où les assistants fourrent une partie de leurs plus beaux vêtements, voire même des châles de l’Inde. L’allumage de ces lampes d’un nouveau genre se vend à l’enchère, à prix d’or, et successivement les pèlerins retirent leurs effets à moitié brûlés pour faire 160 Hillel fut une des personnalités dominantes du judaïsme rabbinique en formation au cours de la seconde moitié du premier siècle avant notre ère et les premières années de l’ère moderne. Originaire de Babylonie, il vécut surtout à Jérusalem. 161 Important Tanna qui vécut de l’an 50 avant notre ère jusque vers l’an 30 de l’ère moderne. Il est bien connu pour ses polémiques avec Hillel. Les deux sont très souvent cités ensemble. 162 Akiba ben Joseph fut un des principaux Tannaim. Il fut actif à la fin du premier et au début du deuxième siècle. Né en Babylonie, il vécut surtout à Jérusalem où il décéda en l’an 137 de l’ère moderne. 163 Le Livre de splendeur, ouvrage principal de la littérature kabbalistique.
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place à d’autres, et emportent ces loques comme reliques, après avoir payé aux rabbins des sommes variant selon le degré d’aisance des privilégiés. Cet argent sert en partie à l’entretien des temples de Saffed, en partie comme appointements aux rabbins. Dans l’après midi chacun retourne dans ses foyers et l’on ne s’étonne pas de voir entre Méron et la ville de Saffed164 une masse de trainards, trinquant encore jusqu’au moment où ils n’en peuvent plus. Saffed, ce soir là, présente un spectacle bien drôle. De Méron à Saffed, la route, en grande partie en plaine, battue depuis des siècles par cette quantité de pèlerins, est presque carrossable. Quand je venais en Palestine, on se creusait la tête pour savoir ce qu’on pouvait bien me demander, car on se figurait que je voyageai avec une partie de la fortune de Monsieur le baron et que je n’avais qu’à y puiser, sans être obligé de rendre compte de mes dépenses. Je reçus donc, un jour, une députation de vieillards de Saffed, qui m’expliquèrent que les gens pieux de la ville allaient plusieurs fois par an à Méron, surtout aux anniversaires de la mort des leurs. Or il faut deux heures pour faire le trajet. Les vieillards ne peuvent pas entreprendre ce vrai voyage pour eux, à cause de de la fatigue. Ils supposaient donc que Monsieur le baron ne reculerait pas devant un petit sacrifice pour leur faire plaisir. Et, en conséquence, ils me prièrent de leur faire établir un tramway de Saffed à Méron. En dehors du bien qui en résulterait pour eux, ils promirent encore, en guise de reconnaissance, de faire mettre le nom de Monsieur le baron Edmond de Rothschild sur les voitures. C’est dans une des chambres au dessus de la synagogue que notre hôte nous fit monter, pour y passer la nuit, nous faisant accroire que le soir même, on ne pouvait plus arriver à Saffed. C’était faux. Nous ne le savions pas. On verra, plus loin, quelle en a été la raison. Il n’y avait ni lits, ni chaises dans cette chambre. Sur quelques tréteaux se trouvaient des planches, qui devaient nous servir de sièges et de couchettes, et la même installation formait la table. Le repas se composait d’un potage, d’une poule et de beau pain blanc. Je mangeai la soupe avec passablement de pain. Mais lorsque je vis notre hôte déchirer la volaille de ses mains, ma faim fut, tout d’un coup, apaisée. Il n’y avait pas de fourchettes dans la maison, ce qui fut cause que je me trouvai subitement rassasié. Malgré la fatigue que m’avait occasionnée cette formidable étape, je ne pus fermer l’œil de la nuit. D’abord les planches, sur lesquelles je devais m’étendre, étaient réellement trop dures. Et puis, les pèlerins du printemps avaient laissé de la société derrière eux.
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Distance de 10 kilomètres par les routes d’aujourd’hui.
CHAPITRE XXIV : MÉRON
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Le lendemain matin, j’épargnai la peine de m’habiller. Mon hôte me demanda si je voulais assister au service divin. Il ne m’avait pas dit, et pour cause, qu’il avait fait venir du monde de Saffed. Je tombai donc des nues. « Il y a dix habitants israélites ici, lui demandai-je ? – Certainement, me répondit-il, il y a une colonie de douze familles juives à Méron. Ce sont des gens qui sont venus du Maroc, il y a déjà quelques années. – Très bien, répartis-je. » Je me rendis au temple. Au sortir, je pris un café turc pour mon premier déjeuner. Puis mon homme me proposa de me montrer les habitations des colons. Il me conduisit dans quelques vieilles masures, où je vis, dans chacune d’elles, un homme en train de préparer du café. « Où sont les femmes, demandai-je ? – Elles se cachent devant vous. – Tiens ! tiens ! c’est la première fois que j’entends que des femmes juives ne se montrent pas à un coreligionnaire. Et les enfants se cachent aussi ?? » Il ne me répondit plus. Je fis semblant d’être convaincu. Il me raconta qu’avec une somme d’environ quinze mille francs qu’on avancerait à ces gens, ils parviendraient à se tirer d’affaires, etc. etc. Je le priai de me donner leurs noms, que j’inscrivis dans mon calepin. Avant de monter à cheval pour nous rendre à Saffed, je demandai à mon hôte, qui avait offert notre dîner de la veille, lui ou le bedeau. « – C’est le bedeau, me répondit-il. – Bien, répliquai-je. » Et j’offris un louis à ce pauvre diable. Puis j’allai rejoindre ma monture. Au moment de mettre le pied à l’étrier, j’entendis, derrière moi, la voix de Mr Franck, qui me dit en jargon alsacien :« Nous sommes trompés. Notre hôte vint d’arracher, de force, les vingt francs des mains de ce malheureux. » J’étais fixé. Je savais à quel honnête homme j’avais à faire.
Chapitre XXV SAFFED
Quelques jours après je rencontrai un pauvre de Saffed, seul, hors de la ville. Comme dans l’intérieur de la ville, personne n’aurait eu le courage de me renseigner, de peur d’une vengeance, je profitai de l’occasion qui m’était, si bien à propos, offerte. Je lui citai le premier nom inscrit sur mon carnet et lui demandai : « Dîtes moi, mon ami, qui est un tel ? – C’est le frère de votre hôte, me répondit-il. – Et le second ? continuai-je. – C’est son fils. – Et tel autre ? – C’est son beau frère. » Bref, j’avais, sur ma liste, les noms de douze membres de sa famille. « – Mais, ajoutai-je encore, les hommes que j’ai rencontrés à Méron, qui étaient-ce ? – Ce sont des malheureux de Saffed, à qui il a donné six piastres (1 f. 20) pour passer la nuit à Méron et poser, devant vous, pour des colons. » Cela me montra mon hôte sous une nouvelle forme. Sur le moment je ne fis aucun reproche. En 1885, je revenais de Rosch-Pinah avec Mr Dugourd et je passai la nuit à Tibériade. Le frère de mon hôte demeurait provisoirement à Tibériade. Il vint à ma rencontre jusque près de Megdel (ancienne Magdala)165 et m’invita à venir loger chez lui. Je refusai très poliment, lui disant que j’avais l’habitude de descendre chez Weissmann166 qui avait une espèce de restaurant. « – Mais, me répondit-il, vous viendrez bien me faire une visite chez moi ? – Certainement, répliquai-je. » Et, en effet, l’après midi, je me rendis chez lui. Après les rafraîchissements, il me raconta que, non loin de Tibériade, sur la montagne où il allait me conduire, si je le voulais bien, il y avait aussi une colonie composée de juifs marocains. Une douzaine de familles y étaient venues, chassées de leur pays par les tribulations que leur faisaient subir les Arabes. Quand il eut fini, je lui dis : « Ce sont probablement les douze marocains que votre frère avait fait venir, il y a deux ans, à Méron. Mais pour qu’ils 165 166
A proximité du lac deTibériade. Cf. p. 171, 232.
CHAPITRE XXV : SAFFED
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se soient rendus à Tibériade, si ce sont les mêmes acteurs, vous avez dû leur donner plus de six piastres. Je savais que votre frère ne regardait pas de si près avec l’honneur. Seulement je croyais que vous valiez plus que lui. Je me suis trompé. Voilà tout. Sur ce, je vous salue. » Tableau. Et je me levai et je partis, sans qu’il pût proférer une parole. Mes lecteurs croiront, peut être, que ces chevaliers d’industrie se considéraient comme battus. Pas du tout. En 1888, ma femme m’avait accompagné dans ma tournée. Le jour de notre arrivée à Saffed, elle reçut la visite de la femme de ce Monsieur, qui, trouvant très étonnant que je fusse froissé contre eux, dit à Madame Scheid : « Je ne comprends pas votre mari. Il n’a aucune raison pour être fâché, puisque mon mari n’est pas arrivé à le tromper. » Si je me suis étendu si longuement sur cette histoire très édifiante, c’est pour montrer, d’abord, à quel degré de perversité certaines gens sont tombées dans ce pays, faute d’instruction et d’éducation. Ensuite, parce que ce Monsieur n’a pas craint de me demander d’être l’administrateur de RoschPinah. Il faut convenir que la caisse aurait été en bonnes mains. Cependant, sur le moment, je ne lui avais fait aucune observation. Autant que possible, je voulais éviter de susciter des difficultés à l’Œuvre que je devais fonder, et ne pas lui créer des ennemis immédiats. Je fis mieux. Je promis même à mon hôte d’écrire en sa faveur à Monsieur le baron. Lui, au contraire, n’avait aucune envie de s’avouer vaincu. Comme tous ces Orientaux prennent généralement les Européens pour des imbéciles, il s’est probablement dit que je me verrai forcé, par les misères dont il m’accablerait, de venir le supplier d’accepter le poste d’administrateur. Il organisa un cercle de voleurs autour de la colonie, et ceux-ci trouvèrent moyen d’enlever tantôt un cheval, tantôt un bœuf. Pour lui montrer que je savais d’où venait le coup, je me rendis directement chez lui, et lui annonçai que ses domestiques, sur ses ordres, arrivaient, nuitamment, à la colonie et y enlevaient du bétail, qu’au premier vol, je le citerai devant la justice, et que si cela ne suffisait pas, je chargerai mes gardiens de lui administrer une correction correspondant à la valeur du bétail enlevé, et dont son dos se souviendrait. Mes arguments produisirent l’effet voulu, car, de ce jour, les vols cessèrent tout d’un coup. Mais revenons sur nos pas. Je me suis laissé entraîner un peu trop loin et, dans mon voyage, je suis encore à Méron, à cheval, au moment de partir. Nous prenons, très doucement, le chemin des pèlerins, et nous arrivons insensiblement au pied de la montagne couronnée par Saffed. Il nous faut, au moins, une heure pour gravir ces sentiers crayeux et peu commodes. Il y eut déjà une communauté juive dans cette ville, au commencement du seizième siècle. Bientôt, aussi, s’y forma un grand centre de talmudistes, dont les maîtres étaient venus d’Espagne. Elle possédait plusieurs grandes
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synagogues et même une imprimerie. Tout fut détruit par un tremblement de terre, le premier janvier 1837. Cependant comme, vu son altitude, (plus de 800 mètres au dessus du niveau de la mer) le climat y est très bon, la ville ne tarda pas à se repeupler. Elle renferme de sept à huit mille Juifs sur une population d’environ vingt mille âmes. Les rues très étroites et le quartier du bazar, habité par les Juifs, sont d’un saleté repoussante. On ne devrait y aller qu’en été, car si vous la parcourez pendant la saison des pluies, vous enfoncez dans la boue jusqu’à la cheville. Les maisons dans le quartier juif sont trop petites, à rez-de-chaussée, et trop basses pour tous les habitants qui grouillent là dedans. On est effrayé à l’idée de ce qui arriverait, si, par malheur, une épidémie éclatait dans ce milieu. Il n’y existe rien pour se préserver de ces maladies contagieuses, que l’hôpital de la Mission Anglaise et un tout petit hôpital juif, récemment fondé par quelques Israélites allemands. C’est dans ce coin qu’il faudrait quelque chose de grand, dans le genre de ce qu’on est en train de faire à Jérusalem, pour renfermer soixante lits. Prévenue alors que je viendrai, et croyant, probablement, que j’avais des cornes, toute la population juive, hommes, femmes et enfants, s’était entassée sur les terrasses des maisons, afin de me voir passer. D’en bas, ce panorama aux multiples couleurs était très curieux à contempler. C’était un vendredi. Malgré le peu de temps qui nous séparait du Sabbat, j’eus, l’après midi, la visite de tous les grands personnages, qui se figuraient trouver, en moi, une vache à lait. Le soir, au temple, je fus le point de mire de tous les fidèles, et peut être aussi des femmes, derrière le grillage où elles étaient reléguées. Logeant chez un Sefardi, je n’avais pu m’empêcher de le suivre à la Synagogue des Espagnols. Le service n’avait rien d’extraordinaire. Seulement, à la sortie, un des prévôts se tenait à la porte, ayant en mains une branche de myrthe, que tous les assistants prenaient entre les doigts, à tour de rôle, pour dire : « Boré Miné Besamim.167 » Après quoi vient le traditionnel Shabath Schaloum et chacun se dirige vers son dîner. Rentré chez lui, mon hôte fit la prière du Kidousch, debout, au milieu de la chambre. Puis après un chant de rigueur, on se mit à table. La maîtresse de la maison s’était mise en frais en l’honneur de la fête. La tête était entourée d’un diadème en clinquant. Elle portait une robe de mousseline blanche, rehaussée de fleurs dorées et à traîne, tandis que les pieds nus étaient dans des babouches en bois, à doubles talons très hauts. Je passe sur le dîner servi avec les doigts. Du moment que c’est la mode, il n’y a rien à y changer.
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Loué soit celui qui crée les genres d’épices.
CHAPITRE XXV : SAFFED
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Et je me demandai toujours : « Qu’eût ce donc été si j’étais tombé sur des gens ordinaires. » Cependant, pour dormir, j’eus un lit. Oui….un lit…et sans cela rien…. mais rien. Il paraît qu’on ne s’y inquiète pas beaucoup des besoins d’un homme. Car, pour me laver le lendemain matin, je dus avoir recours à la bonne, qui m’offrit un baquet d’eau … dans la cour. J’y revins de nouveau. Mais on ne m’y prit plus. Comme dit plus haut, j’étais pourvu de victuailles et je n’allais à Saffed que pour faire mes visites officielles et retourner le même jour à Rosch-Pinah. On ne se mettait plus sur les terrasses. Cela n’empêche que la curiosité était aussi grande que le premier jour. Les enfants et les femmes venaient encore sur le seuil des portes, afin de voir passer ce phénomène que j’étais sur mon cheval.
Chapitre XXVI ROSCH-PINAH
Le dimanche matin, avant de quitter Saffed, je dégageai les titres de propriété de Rosch-Pinah. A la colonie, je fis venir les chefs dans une des chambres, je discutai toutes les questions avec eux. Puis je nommai une commission de trois membres composée de MMrs David Schoub, Israel Goldenberg168 et Motel Katz.169 Je versai entre les mains de ce comité l’argent nécessaire pour acheter des bœufs à tout le monde, afin de pouvoir commencer les labours. Ces trois colons devaient venir, tous les quinze jours, à Samarin, pour me rendre compte de leur gestion Au lieu de douze francs par âme et par mois, comme je l’avais fait pour les colons de Samarin, je fixai à Rosch-Pinah la subvention mensuelle à dix francs, parce que, dans ce rayon, la vie est bien meilleur marché qu’à Caïffa. Mr Dugourd s’y rendait assez souvent, pour montrer aux colons comment ils avaient à s’y prendre, pour s’acquitter des différents travaux agricoles. On ne pouvait pas laisser ce provisoire devenir définitif. Il fallait un administrateur à la tête de cette colonie. Où le prendre ? En 1882, lors des persécutions en Russie, beaucoup de Juifs se sauvèrent à Brody, d’où ils jetèrent un cri d’alarme, pour demander des secours à leurs coreligionnaires de l’Occident. Paris les entendit et envoya quelques délégués à Brody. Dans le nombre se trouvait feu Charles Netter. Parmi ces exilés de fait se trouvaient deux instituteurs, MMrs Auscher et Ossowetzki. Feu Netter choisit une quarantaine d’enfants et les confia aux soins de ces deux professeurs pour les conduire à Mikveh Israël, l’école d’agriculture de l’Alliance Israélite Universelle, près de Jaffa. C’est là qu’ils restèrent quelque temps pour la nourriture, le logement et un peu d’argent de poche, afin de se perfectionner dans la langue française. Là aussi, Monsieur le baron prit Mr Auscher, en lui donnant trois mille francs par an, pour être à la tête de l’administration de Rosch-Pinah, sous le contrôle de Mr Wormser de Samarin.
168 Immigré en 1882, il fut un des fondateurs de Rosch Pinah, qu’il quitta en 1899, pour s’installer à Cabaa-Machanaïm. 169 Il sera mentionné en 1883 en tant que secrétaire de la colonie de Rosch Pinah.
CHAPITRE XXVI : ROSCH-PINAH
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Il prit pour bureau et logement la dernière des seize maisons primitivement achetées, et qui se composait de deux petites chambres. Il fit si bien, qu’au bout de quelques mois, il y eut déjà une scission à la colonie. Il avait laissé se former un véritable système d’espionnage ou de rapportage, de sorte que les colons formaient deux camps. Ils étaient sur le point de se battre, lorsque, au mois de novembre 1884, après avoir terminé mes affaires de transfert à Constantinople, je fus prié par Monsieur le baron de me rendre à Rosch-Pinah pour y faire la paix. J’ai raconté mon voyage de Ramey à Saffed. Voyons comment on allait de Saffed à Rosch-Pinah. De cette ville il n’existait aucun chemin pour se rendre à Jaony. (Nous continuons à appeler Jaony le côté qui est habité par les arabes et Rosch-Pinah la partie où demeurent les colons juifs.) Il fallait toujours à cheval, grimper sur une montagne escarpée, et de l’autre côté mettre pied à terre, en se faisant suivre de sa bête, car, avec les pierres roulantes, on était sûr de se casser le cou, si on avait voulu s’obstiner à rester à cheval. A tous nos employés j’avais soin de recommander la prudence en descendant par là. Tous trouvèrent que j’avais raison. Mr Schalit,170 seul, un des jeunes jardiniers des colonies, s’obstina à rester à cheval à cette descente. Il était seul. Le cheval tomba avec lui. Il resta quelque temps en syncope. Enfin il revint à lui, et jura, un peu tard, comme le corbeau de la fable, qu’on ne l’y reprendrait plus. A la fin de la descente on se remettait sur sa monture ; on regrimpait sur les flancs d’une nouvelle montagne, sur le versant de laquelle, pour les raisons précédentes, on était encore forcé de faire le trajet à pied. Et c’est ainsi que, par un sentier non tracé, non égalisé, on faisait son entrée dans la colonie, en tenant son cheval par la bride. J’écrivis alors à Monsieur le baron : « Pour faire ce voyage, il faut avoir tué père et mère. » Il y a seize ans de cela. Je suis encore du même avis. Je suis, très souvent, obligé de sauter du coq à l’âne. C’est pour cela que, sans transition, je me hâte de parler du premier médecin de la colonie. C’était un russe, le Dr Hamburger. Il vint me trouver à Paris, pour occuper cette place, avec résidence à Saffed. Il voulait absolument me convaincre qu’il visiterait, en médecin, les environs de cette ville au moyen d’un cabriolet. J’eus beau lui expliquer qu’il n’y avait pas de route, et je finis par lui dépeindre celle de Saffed à Rosch-Pinah, où il devait aller une fois par semaine. Oui, mais quand vous racontez quelque chose de ce genre 170 Arieh Yom Tov Schalit (Lippman) était le fils d’un des fondateurs de Rischon-le-Sion. Ancien élève de Mikveh Israel et de l’école d’agriculture de Montpellier (1882-1888), il devint jardinier ambulant dans plusieurs colonies. Edmond de Rothschild l’envoya aux Indes vers 1894 pour y étudier la culture du thé. Participa aux travaux d’assèchement des marais de Hédérah en 1897. Partit peu après en France.
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à quelqu’un qui n’a jamais visité l’Orient, il a l’air de vous dire : « A beau mentir qui vient de loin. » On ne vous croit pas. Le Dr Hamburger pensa aussi que j’exagérai. Il accepta la place et partit. Trois mois après, il vint me trouver à Caïffa et me dit des sottises, parce que je l’avais envoyé dans un pays, où, chaque semaine, il risquait de se casser le cou. Que devais je lui répondre ? Il donna sa démission, qui fut acceptée. Je dois ajouter, avant de continuer, que depuis lors, les colons de RoschPinah, très actifs et très doux, ont fait, eux-mêmes, une route presque carrossable de Rosch-Pinah à Saffed, en contournant ces montagnes. Ceux qui s’y rendent de nos jours, trouvent cela bien plus commode, quoique, entre Méron et ce tronçon de route, on ait encore une assez bonne trotte à faire dans des sentiers tracés à la longue, au haut de montagnes argileuses. Il faut toujours avoir l’œil sur les rênes, pour ne pas glisser dans un de ces précipices si profonds et si fréquents dans cette contrée.
Chapitre XXVII ROSCH-PINAH. EMPLOYÉS
Le nouvel administrateur avait à faire construire un temple et une maison d’habitation pour lui-même. L’emplacement de la synagogue était assez bien choisi, sur le versant d’une montagne, au centre de la colonie. Et sous la synagogue, au moyen d’une canalisation, la pente a servi pour l’installation des bains, d’un côté pour les femmes, de l’autre pour les hommes. Mais la construction, en elle-même laissait beaucoup à désirer. Au milieu de la pièce principale s’élevait un arc, en voûte, pour soutenir la toiture arabe, et qui prenait la plus grande partie de la place, car des deux côtés, il descendait des parois jusqu’à terre. Avec cela, la pièce n’était pas plus haute qu’une chambre en Europe, et juste assez grande pour le nombre de colons présents à l’époque. Impossible de s’y remuer. Et, en été, on y suffoquait littéralement. Quant aux femmes, c’était une quantité négligeable. Leur petite chambrette, au rez-de-chaussée, avait de la peine à renfermer les fidèles et plus d’une, faute de place, n’allait pas aux offices. A la gauche de la salle où se réunissaient les hommes, se trouvaient deux maigres petites pièces, dans lesquelles s’engouffraient les enfants. Ce réduit devait tenir lieu d’école. Depuis on a dû faire enlever le toit arabe, la voûte et le mur qui séparait les hommes des femmes. On en a fait une seule chambre pour les hommes, avec des vasistas de chaque côté, au plafond, pour permettre à l’air vicié de sortir par le haut. Les deux recoins de gauche, dont le mur de refend fut enlevé, devinrent le temple des femmes. L’administration fut aussi mal bâtie que possible. L’emplacement était bien choisi, au bout de l’ancienne colonie, aujourd’hui au centre. Il a pris pour cela le versant d’une montagne, non loin du temple. Seulement, au lieu de se servir de la pente naturelle qui existait, pour en faire une cave, Mr Auscher fit construire la maison dans le trou même, de sorte que, de la rue, il faut descendre quelques marches pour y accéder. Et après avoir traversé les deux pièces qui se suivent depuis l’entrée, on remonte trois marches extraordinairement hautes, qui conduisent à une terrasse. De cette terrasse on a une vue ravissante sur le lac de Méron et le grand Hermon à gauche, sur le lac de Tibériade à droite, et, en face, dans le fond, sur la plaine de Djolan. Mais il paraît que Mr Auscher n’était pas amateur des belles perspectives, car il fit fermer sa terrasse d’un mur assez élevé, qui
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vous cachait tout le panorama, lorsque vous y étiez assis. Depuis, sous l’administration de Mr Ossovetzki, ce mur a été enlevé et remplacé par un grillage en fer. En été, quand on revient d’une course à cheval, en plein soleil, et qu’on entre dans l’administration, il vous semble que vous pénétrez dans un four surchauffé. Mr Auscher pensait à tout, excepté à l’administration et aux devoirs qu’elle lui imposait. Il s’était amusé à acheter, pour son propre compte, un troupeau de moutons, qui l’occupait beaucoup, et, dans ses moments perdus, il faisait encore du commerce avec les Arabes voisins de Jaony. Ce n’était pas l’homme qu’il fallait. Aussi dut-il être remplacé. Mr Benchimol, premier administrateur d’Ekron (colonie créée en 1883, près de Ramley), rongé et abattu par les fièvres intermittentes, dut donner sa démission en 1885 et retourner au Maroc, auprès de ses parents, afin de chercher à y remettre sa santé. Il avait d’abord essayé à Paris, puis avait passé une saison à Davos en Suisse. Malgré tout cela, il n’avait pas l’air de se remettre, au Maroc, aussi vite qu’il le croyait. Pour remplacer, provisoirement, Mr Auscher, Monsieur le baron engagea Mr Ettinger171, qui avait déjà fait un petit stage à Rischon-le-Zion. A peine Mr Ettinger fut-il engagé, que Mr Benchimol télégraphia qu’il était à la disposition de Monsieur le baron. Il lui fut répondu par la même voie, qu’il devait aller m’attendre à Samarin, pour prendre la direction de Rosch-Pinah, car j’étais sur le point de partir pour mon inspection annuelle. Il fut convenu que Mr Ettinger serait sous-administrateur. On a vu combien le voyage de Samarin à Rosch-Pinah était pénible. On ne pouvait pas laisser à Mr Dugourd la charge de s’y rendre plusieurs fois par an. Et puis, ainsi que je l’ai démontré, ses multiples occupations ne lui permettaient pas de s’absenter comme il le voulait. Monsieur le baron engagea donc, en qualité de jardinier de Rosch-Pinah, Mr Deshayes172, ancien élève de l’école de Versailles, qui avait déjà travaillé comme viticulteur en Espagne. MMrs Ettinger et Deshayes partirent avec moi, vers la fin du mois d’avril 1886. A Samarin devaient se joindre à nous Mr Benchimol, qui avait à se rendre à son poste définitif et Mr Dugourd, pour mettre Mr Deshayes au courant des travaux à exécuter.
171 Emile Isaac Ettinger était originaire d’Alsace. Il fit partie de l’administration des colonies de 1885 à 1896, d’abord à Rischon-le-Zion (mai-août 1885), Rosch Pinah (1885-1887), puis à nouveau à Rischon-le-Zion et environs de 1887 à 1896. Il fut également actif à Pétach Tikvah de 1889 à 1891. Il rentra en France en 1896. Cf. p. 247 et 248. 172 Jules Deshayes fut employé dans les colonies de 1886 à 1894, quand il retourna en France. Jardinier à Rosch Pinah (1886-1894) et responsable de Yessod Hamaalah de 1887 à 1889. Développa la culture de la vigne.
CHAPITRE XXVII : ROSCH-PINAH. EMPLOYÉS
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Je reviens au but de mon voyage. Mr Auscher, ai-je raconté, s’était rendu impossible. J’avais donc été chargé de profiter de mon voyage pour lui signifier son congé. J’avais été autorisé à lui faire deux propositions : ou bien le renvoi simple avec une indemnité de deux mille francs, ou bien à le prendre comme professeur de français à Zicron-Jacob, avec cent cinquante francs d’appointements mensuels, au lieu de deux cent cinquante qu’il touchait à Rosch-Pinah. Il accepta le poste de Zicron-Jacob, où, comme on l’a vu, il n’a pu se maintenir. Le fait de renvoyer un employé, qui est père de famille, est déjà une corvée peu agréable. Elles m’incombaient toutes, par un privilège spécial. Mais après avoir remercié Mr Auscher, je devais lui demander l’hospitalité pour une dizaine de jours, pour mes compagnons et moi. Je n’avais pas d’autre choix. Nous ne pouvions pas prendre la pension ailleurs. Mr Benchimol n’y resta pas longtemps. En tout deux ans. En 1888, il alla remplacer Mr Wormser à Zicron-Jacob. Après lui vint à Pétach Tikveh Mr Ossovetski qui y resta jusqu’en 1897. Il alla alors représenter Monsieur le baron à Beyrouth, mais pas longtemps. A la fin de cette même année, il se retira. Son successeur à Rosch-Pinah fut Mr Jacob Hazan173, ex-caissier à Zicron-Jacob, qui ne fit qu’y passer, et fut remplacé par Mr Mathieu Wormser174, caissier à Rischon-le-Zion. Les caissiers-comptables qui s’y sont succédés et qui ont successivement quitté, furent MMrs Neustein, Salomon, Penso, Gaston Dreyfus175 et Kahn. Le docteur Hamburger céda sa place au docteur Nora, médecin indigène176, demeurant à Saffed. Celui-ci mourut bientôt et fut remplacé par le docteur Bliden177, qui, au bout de trois ans de résidence à Saffed, vint se fixer à Rosch-Pinah. Lorsque le traité du Dr Bliden avec le comité de Londres178 fut expiré, Mr le baron lui ajouta aux douze cents francs qu’il
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S’agit il d’un parent de Hayyim Hazan ? Cf. p. 68. Sans doute un parent de Léon (Juda Leib) Wormser. 175 Il fut élève du Séminaire de 1895 à 1897, quand il abandonna ses études. Les autres comptables mentionnés n’ont pas été identifiés. 176 Qui n’avait pas été formé dans une école de médecine européenne. Il exerça en 1884 et 1885, année de sa mort. 177 Isaïe Bliden, né en Russie, grandit aux Etats Unis, où sa famille avait émigré. Il se perfectionna dans l’étude des maladies tropicales en 1894 à Paris où il fut recruté par Edmond de Rothschild, qui lui maintint tout son soutien lors de ses démêlés avec l’orthodoxie locale. Il fit partie du service des colonies comme médecin de 1885, quand il arrivera à Safed, jusqu’en 1900. Il deviendra le médecin de Rosch Pinah en 1888, et il y résidera une année avant de retourner à Safed, mais il continuera d’y exercer ses fonctions à titre de médecin non résident jusqu’en 1894, lorsqu’il démissionnera de son poste pour raisons de santé. Il desservira également Yessod Hamaalah, Michmar Hayarden et Safed. Il s’établit à Tibériade en 1902. Pour les activités de son épouse, cf. p. 165. 178 Comité d’aide aux Juifs de Palestine. 174
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avait, les appointements qu’il touchait à Londres, et lui donna une maison à résidence fixe à Rosch Pinah. La colonie s’était agrandie. Yessod Hamalah s’était fondée, et dans le voisinage, encore, Mischmar-Hayarden. Il ne s’agissait plus, comme par le passé, de s’y rendre une fois par semaine. Ensuite, en hiver, par les pluies diluviennes, ces courses devenaient impossibles. Le Docteur Bliden demeura donc à Rosch-Pinah jusqu’en 1894, époque à laquelle il donna sa démission, parce que le climat de Rosch-Pinah ne lui convenait plus. Il fut remplacé par le docteur Cohanesco179, médecin de la faculté de Paris, qui, pour les mêmes raisons, donna sa démission, et se retira au mois de mai 1898, cédant la place au docteur Waitz180, également de la faculté de médecine à Paris. La pharmacie, dès la création de la colonie, fut dirigée par Mr Stern de Saffed, qui, après la mort de feu Adler, alla prendre la direction de celle de Zicron-Jacob. Son poste fut occupé par Mr Neiger181, pharmacien à YessodHamalah. Il s’y trouve aussi une sage-femme, mère d’une famille de colons, Mme veuve Bouckchechter182, la même depuis la création de la colonie. On est généralement content d’elle. Il y existe une école d’hébreu et de couture, un petit jardin public et un petit magasin de mercerie, ainsi qu’une boucherie. Mais pour tous les gros besoins, on s’adresse à Saffed.
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Non identifié. Le médecin Naphtali Waitz (1866-1935) entra au service des colonies en 1898. 181 Non identifié. 182 Egalement Boucchechter. Elle appartenait à la famille roumaine de ce nom qui prit une grande part à la colonisation de Rosch Pinah. Cf. p. 196, 214. 180
Chapitre XXVIII DEUXIÈME ROUTE POUR ROSCH-PINAH
Pendant que j’étais à Samarin, je reçus la visite de deux envoyés de Pékiin, entre Acre et Saffed. Il s’y trouvait une petite colonie de juifs agriculteurs, qui me suppliaient de venir les visiter. Je promis de m’y rendre. Je tins parole. Accompagné de MMrs Benchimol, Ettinger, Deshayes et Dugourd, je partis au mois de juin pour Caïffa. Nous y passâmes la nuit. Le lendemain matin, à six heures, nous nous mîmes en route, en voiture, vers Acre. Nos bagages nous précédaient, chargés sur des mulets. En traversant le Bélus, le mulet chargé de mes valises, se coucha dans l’eau. On peut se figurer l’état dans lequel étaient mes vêtements. A quelque distance d’Acre, nous mîmes pied à terre, sous un arbre, pour déjeuner. Pendant ce temps, j’avais déballé mes valises et j’avais étendu tous mes effets au soleil afin de les faire sécher. Après le déjeuner, je remballai et nous montâmes sur nos chevaux. Au lieu de nous diriger vers le Sud, comme quand nous visons Ramey, nous nous tournons un peu au Nord, et nous marchons ainsi à partir d’Acre, pendant près de deux183 heures, dans les terres. Alors on commence à monter et on s’enfonce dans des sentiers, comme la Palestine, seule, en possède. Dire quelle vue on a du haut de ces montagnes, lorsqu’on se retourne vers la mer, n’est pas facile. On a, sous les yeux, les sites les plus sauvages, donnant la main aux plaines les plus fertiles, qui se terminent à la mer, limitée par le Carmel. On ne peut pas assez regarder. Quand vous êtes au sommet, vous remarquez, à votre gauche, sur une cime un peu plus élevée, une ancienne forteresse, qui devait dominer tout le pays, et d’où, avec les engins destructeurs de nos jours, on bombarderait, facilement, Acre. Dans ces courses, en été, l’eau jouait, alors, un plus grand rôle, que plus tard, quand j’étais pourvu et que j’étanchai la soif avec du thé tiède. Mais, à cette époque, personne n’en avait encore eu l’idée, et on se contentait de boire l’eau, que l’on trouvait en route. Au sortir d’Acre, j’avais rempli mes gargoulettes. Le déjeuner que nous fîmes sur l’herbe, avant notre ascension, et la soif qui suit ordinairement les repas composés de conserves, mirent fin à ma provision. Je dus, dans ce nid d’aigle, c’est à dire dans ce village perché au faîte de la montagne, où nous 183
Trois selon une autre copie.
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étions arrivés vers deux heures, longtemps solliciter pour avoir la permission de remplir, de nouveau, une de mes cruches à une citerne. Car quels que soient les services que l’indigène est prêt à rendre à l’étranger, il a peur pour son avenir, quand il n’a que de l’eau de pluie, comme dans le cas présent. La gargoulette fut bientôt vidée, et nous eûmes à souffrir, pendant deux heures, de la soif, jusqu’à notre arrivée, vers quatre heures, à Pékiin. Mon premier soin y fut encore de déballer mes valises, pour faire sécher, à fond, mes vêtements, qui ne l’avaient été qu’en partie. Pékiin ou Pékah est un village pittoresquement bâti sur le flanc de la montagne. Le bas est affecté à des jardins superbes, arrosés à volonté par les sources qui viennent de bien plus haut. Très riche végétation et admirables vignobles. Le chef de la communauté israélite tient un magasin. C’est chez lui que nous descendîmes. Les autres s’occupent d’agriculture. Ils vont vendre leurs produits, principalement à Saffed ou à Acre. Ils sont, tous, du rite espagnol et leurs ancêtres y demeuraient depuis des siècles. Aussi se mettent-ils, tous, hommes et femmes, à l’arabe. Ils ont une assez gentille petite synagogue, qu’ils ne visitent pas beaucoup dans la semaine. Ils ont ceci de commun avec beaucoup d’autres communautés de l’Orient, que, les jours non fériés, ils font leurs prières dans la rue, devant le mur d’entrée du temple, sans qu’eux-mêmes soient gênés, et sans que les Arabes y trouvent à redire. A peine installés, je vis venir tous les membres de la communauté dans notre chambre, et là je les questionnai sur leurs desiderata. Ils me racontèrent que quinze184 d’entre eux s’occupaient d’agriculture, mais qu’ils avaient toutes les peines du monde à travailler, parce que la plupart manquaient de bœufs. Si seulement, ajoutaient-ils, ils avaient des vaches, en attendant mieux, pour avoir le lait nécessaire aux ménages. – « Vous me faites perdre tout mon courage, leur répondis-je. Je viens dans le pays pour y fonder des colonies agricoles. Or, si, au bout de quelques siècles, les descendants de ceux que j’installe maintenant, tombent dans la misère où vous êtes, mon devoir est de tout liquider, au plus tôt. – Vous faites erreur, me répartit leur avocat. Ceux qui étaient ici, avant nous, ont très bien travaillé. Seulement, ceux qui sont parvenus à être riches, sont allés vivre de leurs rentes à Saffed, Tibériade ou Beyrouth. » Je n’avais pas très grande confiance dans ce qu’on me racontait. Je ne voulais cependant pas que le représentant de Monsieur le baron Edmond de Rothschild partît, sans laisser un petit souvenir à ces gens.
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Quatorze selon une autre copie.
CHAPITRE XXVIII : DEUXIÈME ROUTE POUR ROSCH-PINAH
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Je leur dis : « Je ne suis pas autorisé à vous acheter des bœufs ou des vaches. Pour le lait, je vais aviser. Une chèvre coûte vingt francs. Voilà trois cent francs. Achetez vous quinze chèvres. » On les accepta avec une espèce de dédain, car ces Messieurs trouvaient la somme trop minime. Après avoir dîné avec mes conserves, nous fîmes un tour sur la montagne, à la recherche de la source qui fournissait l’eau à tous les torrents qui coulaient des hauteurs. Nous la trouvâmes et, en même temps, un immense abreuvoir pour le bétail revenant des pâturages. Nous y étions, à peine, une minute, que je vis avancer un énorme troupeau de gros bétail. Je reconnus un israélite dans le berger. Je priai Mr Benchimol de le questionner. Il le fit. Nous apprîmes ainsi que ce troupeau hors ligne appartenait à la communauté israélite, que chaque membre avait une ou deux paires de bœufs, ainsi que des vaches, une pour le moins par ménage. Nous nous mîmes à rire. J’étais refait de trois cent francs. J’avais écrit toute l’histoire à Monsieur le baron. L’année suivante, il vint à Rosch-Pinah. Ces Messieurs profitèrent de sa visite, pour venir le voir, et lui extorquer, probablement, aussi, une certaine somme. Mais comme Monsieur le baron a une mémoire prodigieuse et se rappelle, parfaitement, tout ce qu’il veut, il les fit mettre à la porte de l’administration. Nous n’avions pas encore de tentes. Nous devions donc, tous les cinq, coucher, l’un à côté de l’autre, par terre, sur des couvertures que le propriétaire de la maison nous avait données. Mais ce n’était de loin pas comme chez Izza Aboud à Ramey, où l’on peut dormir de confiance. A Ramey la propreté était unique sous tous les rapports. Nous ne tardâmes pas, ici, à remarquer que nous n’étions pas seuls. Nous jetâmes les couvertures dans un coin et nous nous allongeâmes sur des nattes de paille, comme de véritables arabes, sans pouvoir dormir. Cela se comprend. Les nattes étaient également habitées. Combien de nuits blanches ai-je passé ainsi dans mes différentes tournées en Palestine ? Je m’étonne que j’aie pu résister si longtemps, ayant de ces insomnies entre deux étapes, spécialement fatigantes comme celle-là. Le lendemain matin, à quatre heures, j’étais de nouveau en selle pour me diriger sur Saffed. J’ai parcouru toute la Palestine de long en large et de bas en haut, je n’ai jamais vu un pareil chemin. Je me sers du mot « chemin », parce que je n’en ai pas d’autre mot à ma disposition. A vrai dire, il n’existe pas de chemin à l’intérieur. Figurez vous une montagne coupée en deux, jusqu’à trois cents mètre de profondeur, la moitié complètement enlevée et l’autre moitié debout, à pic devant vous, et sur ce qui reste debout, sur des rochers glissants, au bord de ce précipice, vous devez grimper, à cheval, pendant près de cinq quarts d’heure, pour arriver au haut de la montagne. C’est pourtant
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là ce qu’on appelle la route de Pékah à Saffed, en passant par Méron. Trois juifs de l’endroit nous guidèrent, pour nous empêcher de nous perdre. Je ne comprends pas qu’en de pareils lieux, il n’arrive pas plus d’accidents. Il est vrai que les indigènes font ces tours de force, nu-pieds, comme de vrais singes, et nous autres, nous n’étions pas encore parvenus à ce degré de perfection. A peine mes guides m’avaient-ils quitté et avais-je atteint le plateau supérieur, qu’une dizaine de juifs de Saffed me barrèrent le chemin avec des pétitions. C’est un véritable comble ! On doit se rappeler qu’il était un peu plus de cinq heures du matin, et qu’il y a quatre lieues de là à la ville. Il fallait donc que ces gens eussent passé la nuit à me guetter, sous les oliviers. Je ne pouvais me l’expliquer autrement. Et cependant, le fait de m’attendre à cette place, à heure fixe, était une énigme pour moi. Car si, à Pékah, on savait que je viendrais une fois, je n’avais pas indiqué, au juste, le jour de mon arrivée. Mais un Palestinien est plus fort que les habitants du monde entier. A partir de cet endroit, le parcours continue, pendant trois heures, à être très intéressant. On est, constamment, sur les hauteurs et l’on peut admirer, dans le lointain, sur sa droite, l’immense plaine d’oliviers qui se déroule au dessous de Ramey, et qui a toute l’apparence d’un tapis vert-sombre incommensurable. C’est d’une tonalité merveilleuse, et placé à souhait, pour produire un charmant panorama, car elle est bordée par une autre chaîne de montagnes, au delà desquelles on voit encore le lac de Tibériade. On traverse plusieurs villages, qui plantent un peu de vignes, et dont les habitants vous regardent, à cette heure si matinale, comme si vous tombiez des nues. C’est que, dans ces trous retirés, ils n’ont pas l’habitude de voir des Européens. Aux approches de Méron, on a encore, à sa droite, le lit desséché d’une rivière, dont le fond est formé d’immenses rochers, qui doivent produire, en hiver, de colossales cataractes, car l’eau descend, continuellement, par gradins, vers des précipices insondables. On contourne Méron et on se trouve, tout d’un coup, au haut d’une descente tellement rapide, que nous sommes obligés de mettre pied à terre et de laisser venir nos chevaux derrière nous.
Chapitre XXIX CE QU’ON VOULAIT FAIRE POUR SAFFED
Nous voilà de nouveau vis à vis de Saffed d’où étaient venus ces pétitionnaires. Ce fléau de pétitions n’existe qu’en Palestine, et surtout là. Tout cela vient d’un manque absolu d’occupations. Jusqu’à ce jour aussi, pour une ville de cette importance, il n’y avait que quelques bouges, dans lesquels des gamins apprenaient à traduire la Bible et le Talmud Et s’ils sortaient de ces Hedarim (écoles d’hébreu) avec le titre de rabbins, que pouvaient ils en faire ou devenir ? On ne vit pas de ce titre. Sur le bateau qui venait de m’amener avec MM Ettinger et Deshayes, se trouvait la femme du Dr Bliden185 et ses trois enfants. Elle allait rejoindre son mari, qui avait été nommé l’année précédente médecin de Rosch-Pinah, avec résidence à Saffed. Elle venait d’Amérique, où elle s’était beaucoup occupée d’œuvres de bienfaisance. Son mari ne touchait à l’époque que cent francs par mois pour aller, une fois par semaine, à Rosch-Pinah, comme ses prédécesseurs, les Drs Hamburger et Nora. Il avait été, en même temps, nommé médecin des pauvres par un comité de Londres, de sorte que sa femme eut l’occasion de voir de près défiler toutes les misères. Voulant continuer à faire le bien, elle obtint de Monsieur le baron l’autorisation de créer une école de garçons en 1887, lors de son voyage. En 1888 Monsieur le baron y envoya de Paris Mr Lazare Levy186, professeur de français, pour y prendre la direction de l’école. Mme Bliden fonda alors une école de filles. Toutes les deux furent prises par l’Alliance Israélite en 1897. En créant ces écoles, Monsieur le baron avait, pour premier objectif, d’habituer les enfants à recevoir, avec un peu de civilisation européenne, le goût du travail, afin de faire cesser, dans les générations futures, ce penchant à la mendicité. Pour les pousser au travail, je leur disais que Monsieur le baron donnerait de l’ouvrage à tous ceux qui s’appliqueraient bien à l’école. J’avais bien encore des difficultés du côté du rabbinat orthodoxe, 185 Flora Bliden (1847-1922) était la fille du voyageur et explorateur Benjamin (Joseph Israel) II. 186 Non identifié.
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qui était, de parti pris, contre toute étude d’une langue profane quelconque. Ce ne fut qu’à force de menaces de cesser tout secours, que ces Messieurs finirent par fermer un œil. Dès que quelques jeunes gens sortaient de l’école, Monsieur le baron les envoyait à Rosch-Pinah et en faisait des aide-jardiniers. En juin 1890, il m’écrivit : « Suivant moi, il faudra faire beaucoup de mûriers à Rosch-Pinah. Au moment de la récolte et de l’éducation des vers à soie, on pourrait avoir tous les enfants de Saffed. Il ne faut pas perdre cette idée de vue. » Au mois de juillet 1891 il m’écrivit : « Dans les nouveaux terrains de Yessod-Hamalah, on doit faire, entre autres choses, cent hectares de mûriers. Quand tout cela sera fait, je le donnerai aux enfants de Saffed. » Voulant, selon sa coutume, faire le bien en grand, et toujours préoccupé des gens de Saffed, plus encore que de ses colons, Monsieur le baron m’écrivit encore, plus tard, à leur sujet : « Vous me parlez des abricotiers. Je crois qu’il est bon d’employer tous ceux que nous avons du côté de Rosch-Pinah, de manière à ce qu’on puisse utiliser, le cas échéant, les gens de Saffed pour faire la cueillette et organiser, à ce moment, et de ce côté, une grande confiserie, et non pas dans les terrains avoisinant le lac de Méron, parce qu’il ne faut pas trop disséminer cette culture. Comme nous avons un terrain considérable, qu’on ait une centaine d’hectares de plus ou de moins, peu importe. Il vaut mieux centraliser là, à RoschPinah, tout ce que l’on peut faire en abricotiers, et surtout employer tous ceux qui sont en pépinière. » Je dois dire, et je vais l’expliquer, que le mot « considérable » appliqué par Mr le baron aux terrains de Rosch-Pinah est très juste. Il est évident qu’avec les quelques milliers de dounoums de terres que S.187 avait achetés, on ne pouvait pas faire grand chose. Et pour que tous les cocons que devront fournir cette quantité immense de mûriers, ainsi que les cocons des autres colonies, qui ont, toutes, des mûriers, ne soient pas expédiées au dehors et soient encore une source de travail pour les enfants des écoles de Saffed, Monsieur le baron fit construire à Rosch-Pinah une filature de soie de cinquante bassines. En résumé, il est venu en tout une quarantaine d’enfants de Saffed, qui ont commencé à être élèves-jardiniers, et dont il n’est pas resté cinq. A la filature il y a eu une centaine d’enfants, au début. Il n’en reste pas vingt. Ils ont, dans le sang, l’atavisme de la paresse. Il est très difficile de lutter contre cela. Et afin qu’ils n’eussent aucune excuse, on leur donna des appointements pendant leur apprentissage. On fit construire pour eux une très vaste chambre à coucher, où ils avaient toutes les commodités. On leur 187
Très probablement Schoub. Cf. p. 137.
CHAPITRE XXIX : CE QU’ON VOULAIT FAIRE POUR SAFFED
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donna la liberté, le vendredi après midi, pour qu’ils pussent aller passer le samedi auprès de leurs parents à Saffed. Tout cela ne servit à rien. Ces Messieurs se figuraient qu’ils rendaient service à Monsieur le baron en fréquentant son école, où ils recevaient, gratuitement, cahiers, plumes crayons, livres etc. etc. Et ayant été élèves de son école, ils croyaient devoir jouir de prérogatives à nulles autres pareilles, celle surtout de toucher des appointements, tout en se promenant. Nos arrière-petits-neveux verront, peut être, un changement dans la génération qui vivra à leur époque. Pour le moment, ils préfèrent mourir de faim. Les plus pauvres ne donneraient pas leurs filles comme bonnes à un des employés des colonies. Ils considèrent le travail manuel comme indigne et dégradant pour leur progéniture féminine.
Chapitre XXX VOYAGE AUTOUR DU LAC DE TIBÉRIADE
Dès l’arrivée de Mr Ossowetzki, les familles augmentèrent presque à vue d’œil. Les colons, qui occupaient les premières maisons arabes, se plaignirent de leur insalubrité. Il était indispensable d’en loger une partie ailleurs, et plus commodément. Derrière les maisons de l’administration et du jardinier, cette espèce de route qui descend vers le Jourdain, ne formait qu’un immense champ de rochers. On pensa qu’en couvrant cet emplacement de maisons, on ne perdrait pas de place, qui aurait été propre aux cultures, et on aurait une vue plus agréable. Monsieur le baron avait bien accordé les crédits nécessaires pour l’édification des maisons, mais il fallait aussi la permission gouvernementale. Je projetai d’aller, deux mois après, m’embarquer à Beyrouth et profiter de mon séjour là bas, pour demander l’autorisation au Vali188, quand tout s’arrangea tout seul, et voici comment. Nous étions au mois de juin 1891. Mr Ossowetzki avait entendu parler de terrains d’une fertilité inouïe, qui se trouvaient de l’autre côté du Jourdain, ainsi qu’au bas du lac de Tibériade, et qu’on pouvait acheter par des cent mille dounoums à tous les prix, même jusqu’à un ou deux francs le dounoum. Mr le baron m’ordonna d’aller voir ces terrains avec Mrs Ermens et Deshayes et de lui faire un rapport circonstancié. C’était un voyage d’une douzaine de jours. Nous étions au mois de juin 1891. Monsieur le baron m’avait écrit à propos de ce voyage transjordain : « C’est d’une très haute importance de bien régler cette colonisation et de l’endiguer dans des limites justes et viables. Il y a, d’abord, à bien examiner les emplacements, les parties où l’on veut établir, le voisinage des bédouins, l’eau etc. etc. et la base d’opération, c’est à dire le point de rattache à la Cisjordanie, le pont de Jacob189. Il ne faut pas agir de ce côté comme en Judée, c’est à dire par petites colonies séparées, mais au contraire par bloc, gros bloc, de manière à être sûr, dans le cas d’attaques de bédouins. Il est nécessaire de ne pas le190 laisser s’emballer. Il veut tout, tout acheter et croit que plus on possède, mieux cela vaut. Non. Il faut que chaque association ait juste ce qu’il lui faut. Pas trop. Dix hectares, douze au plus par famille. 188 189 190
Titre qui correspond à peu près à celui de vice-roi. Cf. p. 244. Sans doute le Pont des filles de Jacob qui conduit au Golan. Allusion probable à Ossovetzki.
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Il faut prendre la direction du mouvement, et obliger les sociétés à accepter un chef donné par X.191, par exemple, pour régler les questions avec les Arabes. » Monsieur le baron pouvait être tranquille. Si Mr Ossowetzki était emballé, je ne l’étais pas autant que lui, et on verra mes conclusions, plus tard. Outre MMrs Ermens et Deshayes, mes compagnons étaient Mr Osssowietzki et Mr Dizengoff, le futur verrier de Tantourah192. Je préparai mes conserves, l’eau de Saint Galmier que j’avais alors, une cantine avec le pain nécessaire pour tout le monde, le pétrole, le vin, etc. etc. et nous partîmes de RoschPinah. En sortant de la colonie, on est, de suite, dans une plaine de rochers qu’on doit traverser. On contourne la montagne de Saffed et, à deux lieues de là, on arrive à une citerne que les Arabes appellent le puits de Joseph. Ils soutiennent que c’est là que ses frères le jetèrent, avant de le vendre aux Ismaélites. Après avoir marché encore près de deux heures, on est sur les bords du lac de Tibériade, laissant, à sa gauche, les ruines de Capharnaüm193. A cent mètres du lac, nous trouvâmes un moulin, mû par une eau extraordinairement limpide, à laquelle, cependant, ne toucha qu’un des chevaux. Nous ne pûmes comprendre cette abstention des autres qu’en la goûtant nous mêmes. C’était de l’eau minérale glacée, dans le genre de celle du Luisenbrunnen à Hombourg194. Quel dommage, qu’elle soit, pour ainsi dire, perdue. Et pourquoi une de nos bêtes en avait-elle bu ? Tout simplement par instinct, pour se soulager, car, à la citerne de Joseph, elle avait attrapé une sangsue, qui s’était attachée au fond de sa langue. Plus tard seulement, lorsque le sang lui coula de la bouche, nous nous en sommes rendu compte, et alors un indigène, après avoir enveloppé sa main d’un mouchoir, la lui enfonça dans le gosier et parvint à arracher la sangsue. Nous rencontrâmes au bord du lac des pêcheurs, qui avaient fait une drôle d’association. C’étaient deux musulmans, deux arabes chrétiens, un juif Sefardi et un Askénazi, associés pour l’exploitation de la pêche. Une véritable bouillabaisse. Ensemble, ils recevaient cinquante pour cent de la prise et un Anglais, demeurant à Tibériade, touchait le reste pour l’usage de la barque qui lui appartenait. La société avait, en outre, à régler les impôts que le Gouvernement réclamait sur la pêche. Le lac de Tibériade est traversé, dans toute sa longueur, par le Jourdain, qui semble en dédaigner les eaux, car il ne s’y mêle pas. Vous pouvez le 191 192 193 194
Non identifié. Et futur maire de Tel Aviv. Kefar Nahoum. Fontaine célèbre de la ville d’eaux allemande de Bad Homburg.
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suivre des yeux, sur tout son parcours. Du côté où vous chevauchez, les fleurs de lauriers-roses vous viennent à hauteur de ceinture et vous offrent, toute l’année, des bouquets hors ligne. Vis-à-vis de vous, le lac est bordé d’une série de montagnes abruptes, qui offrent un assez coquet horizon à vos regards. En continuant la route, on trouve, sous un énorme caroubier, le tombeau, très vénéré, d’une espèce de Saint Musulman. Les pèlerins turcs de passage y attachent des morceaux d’étoffe, qu’ils auront déchiré de leurs vêtements, pour les y laisser en souvenir. Ils continuent leur route, sans s’inquiéter du ou des morceaux d’étoffe, qui manquent à leur accoutrement, et n’en sont pas plus fiers pour cela. Quarante minutes plus loin, vous traversez le village bien connu de Magdala, qui a l’air d’un pauvre petit refuge, où les maisons semblent supplier les passants de les soutenir, pour qu’elles ne s’écroulent pas au bas de la montagne, contre laquelle elles s’adossent. Il n’y aurait même rien d’étonnant à ce que, de temps en temps, une de ces bicoques glisse sur ellemême. Car la pierre et la brique sont inconnues dans presque tous les villages arabes. On pétrit de la boue, on en fait des espèces de moellons, qu’on sèche au soleil, et c’est avec ces matériaux primitifs qu’est faite la bâtisse. Le Crédit foncier ne pourrait guère faire d’avance sur ces propriétés. Si quelqu’un aime la chaleur, il n’a qu’à venir de ce côté en été. Comme le lac est à deux cent huit mètres au dessous du niveau de la mer, il n’y a pas un souffle d’air et le soleil y darde, sur vous, ses rayons brûlants, comme s’il voulait vous rôtir. Aussi profitons-nous de la barque des pêcheurs en renvoyant nos montures à Tibériade par nos moukres et nos guides, et en traversant à la force des rames, tout le lac, du Nord au Sud. L’eau que nous essayâmes de boire n’était pas potable. D’abord elle sent le souffre, et ensuite elle avait 38°. Elle laissait donc passablement à désirer, et sous le rapport du goût, et sous le rapport de la fraîcheur. Qu’on est heureux d’arriver à Tibériade. On y grille aussi, mais au moins à l’ombre, à 44° de chaleur. Celui qui lui a donné son nom y a bâti des tourelles et des murs entourant la ville, mais qui, par suite des intempéries et du tremblement de terre de 1837, sont dans un état de délabrement complet. Dans une de ces tourelles se trouve encore un vieux canon. Tibériade était, pour les Romains, la ville militaire. Dans ce milieu on ne connaissait que le travail, les exercices etc. Pour leur plaisir, ils avaient à leur disposition, de l’autre côté du Jourdain, à environ deux lieues du fleuve, une ville remplie de théâtres, de cirques, appelée Gadara195, aujourd’hui Oum-Mkeis. J’en parlerai tout à l’heure. Les rues de Tibériade, quoique aussi étroites qu’à Saffed, y sont, je ne dirai pas plus propres, mais moins 195 Aujourd’hui Hamat Gader. Ancienne ville héllénistique située à l’intersection des frontières jordanienne, syrienne et israélienne.
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sordides. Il y a aussi des cloaques d’eau jusqu’en été, mais pas autant de boue. Ce qui distingue Tibériade de ses sœurs de Palestine, c’est qu’elle renferme un hôtel juif tenu par la famille Weissmann, dont le père eut l’honneur d’héberger, en 1851, MMrs de Saulcy196, Gustave de Rothschild et leurs compagnons. L’hôtel était alors un peu primitif. Il ne contenait qu’une vaste pièce, qui servait de salle à manger et de chambre à coucher. On faisait bien, pour y dormir, de s’allonger quelque part, par terre, car les lits étaient habités. Le propriétaire devrait prendre des leçons pour la propreté chez MMrs Kaminitz père et fils, qui tiennent des hôtels à Jérusalem et à Jaffa. Là on peut descendre de confiance. La première chose à commander pour le déjeuner ou le dîner, c’est du poisson du lac de Tibériade, qui est le meilleur de la contrée. Pierre y a laissé de la semence, car il y en a des quantités colossales.197 Malheureusement, on ne sait pas les préparer. Tibériade était renommée autrefois par ses Haméï-Tvarieh, c’est-à-dire pour ses eaux chaudes sulfureuses. La source est encore exploitée, et l’on peut y prendre un bain, à bas prix. Cet établissement est situé à vingt minutes de la ville, et est toujours fréquenté. Tibériade reçoit, toute l’année, des malades de toute la Palestine et de la Syrie. Ils y viennent chercher la guérison des infirmités les plus variées. A cinq minutes au dessus des bains, sur un monticule, s’élève le tombeau de R. Meïr baal Haness198, à côté duquel on a fondé un oratoire, avec une espèce de refuge, pour les Israélites pauvres venant y prendre les eaux. Ce sont des pièces nues, où chaque malade apporte un peu de literie, qu’il étend sur des divans en pierres. Il n’y a pas longtemps que Mr de Poliakoff199 y a acheté une maison et y a fait installer quelques lits, pour en faire un hôpital. C’est une œuvre bien méritoire, et qui rendra beaucoup de services. Entre la ville et les sources, vous longez l’ancien cimetière juif, qui a ceci de curieux qu’il renferme beaucoup de tombes murées, dans le genre de celle que l’on rencontre dans les nécropoles turques. Ce voyage autour du lac de Tibériade ne me souriait qu’à moitié. La chaleur était suffocante et personne ne pouvait me donner des détails exacts sur le pays que je devais parcourir. Mr Ossowetzki avait bien engagé
196 Louis Félicien de Saulcy (1807-1880) fut un des fondateurs de l’archéologie de la Terre Sainte. Lors de cette expédition il fut accompagné par Gustave de Rothschild et sa suite. 197 Les célèbres poissons de Saint Pierre du lac de Tibériade. 198 Meïr le thaumaturge est un des principaux Tannaim (milieu du 2ème siècle). Sa tombe attire chaque année un grand pèlerinage. 199 Sans doute Jacob de Poliakoff, banquier et philanthrope juif russe (1832-1909), qui fut également vice-président de l’ICA.
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deux guides de Saffed, qui prétendaient connaître le pays aussi bien que les environs de leur ville. Je quittai Tibériade à deux heures de l’après midi avec Mr Ermens, en barque, et j’allai me reposer, allongé sur les bords du Jourdain, sur la rive gauche, pendant qu’on chargeait nos bagages sur des barques, pour nous rejoindre, avec les chevaux qui suivaient à la nage. Friedmann200, un des colons de Rosch-Pinah, était aussi avec nous. C’était celui de la bande qui s’exprimait le mieux en arabe. Pendant que je pensais aux chaleurs que nous allions avoir à supporter, je vis Friedmann prendre de l’eau du Jourdain et se faire une citronnade. Il savourait son breuvage avec délices et je suivais tous ses mouvements, quand je lui dis : « C’est bon, Friedmann ? – Un vrai nectar, me répondit-il, d’une fraîcheur incomparable. – Faites m’en aussi un verre, lui dis-je. – Avec plaisir. » Je trouvai, effectivement, que ce breuvage était bien frais, surtout pour la saison. Après avoir constaté cette fraîcheur, je trempai mon thermomètre dans le fleuve. L’eau avait 28°. Mais comme nous avions 41° à l’ombre, ces 28° semblaient, à nos gosiers brûlés, un morceau de glace. Comme tout est relatif dans ce bas monde. Une fois à cheval, nous montons cette côte très rapide, et nous nous trouvons dans la plaine du Jourdain. Du coup, nous nous sommes trompés de pays. Nous ne nous voyons plus en Orient, mais dans le midi de la France, sur une route carrossable, et au milieu d’une végétation luxuriante. Nous nous regardons tout surpris de chevaucher ainsi, sans avoir besoin de chercher à éviter les pierres et les rochers, et dix minutes après, nous sommes à Sémach, village appartenant au Sultan, dont les habitants, en train de rentrer la moisson, nous fixaient avec des yeux ébahis, comme si nous tombions des nues. Avec tous nos chevaux, nos mulets, nos domestiques, nos guides et mes compagnons, nous formions une vraie caravane. Et nous étions tombés au milieu d’eux, comme une bombe, de sorte que l’ahurissement de ces gens était compréhensible. Nous laissons ce village et nous tournons à droite, ayant l’herbe jusqu’au poitrail des chevaux, puis nous nous dirigeons vers le Yarmouck201, très impétueux de ce côté. Notre premier cicerone cherche longtemps un endroit guéable, pour nous faire passer de l’autre côté. Il n’en découvre pas, quoiqu’il assure qu’il en existe un. Finalement il traverse assez difficilement la rivière et nous indique le moyen d’y parvenir à notre tour. C’était immédiatement au dessous d’une espèce de digue. D’un côté donc, l’eau formait un immense miroir ; de l’autre, c’était une mousse fort agitée, qui semblait 200 Membre d’une des premières familles de Rosch-Pinah, qui s’y accrochèrent lorsqu’elle fut menacée d’une évacuation totale vers 1881. 201 Principal affluent du Jourdain. Il descend du Horan.
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sortir bouillante d’un amas de pierres rocheuses, formant, en cet endroit, le lit du Yarmouck. La consigne était de passer tout droit, de ne regarder ni à droite ni à gauche, afin d’éviter le vertige, et surtout de ne pas laisser au cheval le temps de prendre envie de se coucher, sans quoi on était entraîné par le courant, après avoir été broyé par les pierres. Il ne s’agit pas là de fausse honte. Je n’ai aucun scrupule de faire part, à mes lecteurs, de mes sensations. Eh bien ! je suis obligé de le confesser, j’ai déjà vu beaucoup de choses, j’ai passé dans ma vie par bien des péripéties, mais je n’ai jamais eu peur comme cette fois. L’un comme l’autre éprouvaient les mêmes transes. Le cheval, fasciné, comme le cavalier, par cette glace à gauche et par cette écume à droite, arrivé au beau milieu, ne voulait plus avancer. Et chacun était logé à la même enseigne, indigènes et Européens. On entendait des cris et des jurons, pour éviter de prendre un bain forcé, avec une noyade au bout. Enfin tout le monde fut délivré de ce moment d’angoisses et on se fit, mutuellement, la confidence de ce qu’on avait ressenti. Mr Ermens, qui, l’année précédente, avait sa fille avec lui, me dit : « Je suis persuadé que si mon Adèle avait été ici, elle aurait subi cette fascination et serait tombée à l’eau. Moi même, ajouta-t-il, je croyais un instant que cela y était. » Nous avions perdu beaucoup de temps et ne pouvions guère le rattraper. Avec cela, nous nous étions aussi éloignés de la route de Gadara. Il se faisait tard, et j’aurai bien voulu être à Oum-Mkeis avant la nuit. Nous nous dirigeons vers la montagne, qui y mène, suivis de nos bagages, à une certaine distance. Cette plaine du Jourdain est d’une fertilité surprenante. Avec les eaux du Yarmouck, dont on pourrait se servir pour faire des irrigations, on y établirait aussi bien des plantations d’orangers, de bananiers, que de coton ou de canne à sucre. Aussi loin que la vue porte vers le midi, on ne trouve pas trace de village. Aucune culture. Tout cela est sauvage et mort. On ne s’explique cet abandon que par la chaleur torride qui y règne en été. Aussi des Européens ne sauraient guère y coloniser, étant donné qu’on y est encore à au moins cent soixante dix mètres au dessous du niveau de la mer. Ce côté ne devrait donc pas figurer parmi les achats à faire. Au Nord, de l’autre côté de Sémach, entre le lac et la montagne, c’est la même chose. Sur la carte, les hauteurs descendent directement au lac. Dans la réalité, il n’en est rien. Et il y a, sur cette bande, trois à quatre mille hectares d’excellentes terres, où, encore, la culture laisse beaucoup à désirer. Le cœur vous fait mal devant ces énormes richesses, qu’on laisse se perdre depuis tant d’années. Les montagnes mêmes que nous traversons, sont susceptibles d’être converties en vignobles et en vergers, et tout cela manque de bras et de
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bonne volonté. C’est avec ces réflexions que nous montons, redescendons, remontons encore. Le soleil est couché et la nuit nous enveloppe, ou à peu près, lorsque notre guide, qui nous précédait d’environ un kilomètre, revient sur ses pas, avec ces mots :« Je crois que je me suis égaré. » La perspective n’est pas gaie. Nous ne pouvons pas dire que du haut de ces montagnes…. quarante générations nous contemplent. Elles se moquent pas mal de nous. Et puis il fait si noir, qu’elles ne nous verraient même pas. Nous autres, simples mortels, qui ressemblons sur ces chevaux et sur ces montagnes élevées, à de petits insectes perdus dans l’immensité, nous n’avons qu’un parti à prendre. Celui de chercher de l’eau pour passer la nuit près d’elle. J’ai mes bouteilles de Saint Galmier. Mais les mulets et les chevaux ne peuvent se contenter de ce breuvage. Et comme, de la journée, ils ne boivent pas, il faut absolument, et avant tout, penser à ces pauvres bêtes. En scrutant bien le lointain, nous remarquons une petite lumière, à environ une lieue de là, à notre droite, vers le Jourdain. C’est sur ce point que nous allons nous diriger. Nous y rencontrerons, dans tous les cas, des êtres humains, et avec eux, indubitablement, de quoi désaltérer nos montures. Mais il s’agit, tout d’abord, de rallier nos bagages, dont les gardiens avaient ordre de nous rejoindre à Gadara, et qui contournent ces immenses montagnes, sauf à venir, après nous, au rendez-vous. Nous n’avons qu’un parti à prendre : c’est de nous déployer en tirailleurs, dans tous les sens, et, par nos appels réitérés, de nous faire entendre de nos moukres. Ce n’est guère facile. Nos poumons s’épuisent. Nos cris n’ont pas d’écho. Nous changeons constamment de place, afin de retrouver, au plus vite, nos hommes, qui ne sauraient pourtant être perdus. Et aussi longtemps que nous ne sommes pas, tous, réunis, nous ne pouvons nullement penser à nous. Enfin, après vingt bonnes minutes de tourments, nous les retrouvons. Nous les faisons, tous, nous précéder et nous recommençons la descente, vers la lumière. A-t-on, en Europe, idée de ces sortes de voyages ? Aucunement. Il faut avoir passé par là, pour s’en faire une. La nuit était obscure. La lune avait eu l’autorisation de ne se lever que vers le matin. Aussi cette heure dura-telle bien longtemps. Dans ces lieux incultes poussent des chardons colossaux, de près de deux mètres de hauteur, que, dans l’obscurité, on ne saurait éviter, et qui vous lardent de leurs épines, partout où les bottes ne vous protègent pas. On n’y fait, pourtant, pas trop attention, car il fallait tenir les rênes, ferme, pour ne pas faire la culbute dans quelque ravin inattendu. Et il ne s’agit plus de guides dans de pareils moments. Chacun pour soi, et Dieu pour tous. Pas une parole n’est échangée, jusqu’au moment où, enfin, nous arrivons près de cette lumière tant convoitée.
CHAPITRE XXX : VOYAGE AUTOUR DU LAC DE TIBÉRIADE
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C’étaient environ dix tentes de bédouins, qui se dressaient à l’endroit, où s’élevait, jadis, un village du nom d’Adamieh. Certaines cartes indiquent encore le nom de ce village. Nous y trouvons de l’eau …. peut être pas trop bonne, ce qui, au fond, m’est parfaitement égal. L’essentiel est que nous puissions mettre pied à terre. Pour être, de suite, en bons termes avec les bédouins, je leur envoie un des nôtres, les prier de me vendre du lait. « Nous ne vendons pas, fut la réponse, nous donnons. – Accepté, répartis-je. » Je ne suis pas fier. Je ne tenais pas du tout à même le paraître. Aussitôt on m’apporte un boisseau de lait. Les autres sortes de récipients convenables faisaient défaut dans les tentes. Je demandai au Cheik, s’il voulait bien garder nos bêtes, la nuit, et nous conduire, le lendemain matin, à Oum-Mkeis, et de là, jusque chez un autre chef de tribu, dans la direction que je lui indiquerai dans le Djolan. Ma proposition fut agréée. Nos tentes furent dressées, les bêtes attachées à de grosses cordes retenues par des pieux enfoncés en terre. C’est au milieu d’elles que le Cheik se coucha, le fusil en bandoulière, et son cheval retenu par la bride passée à son bras. Dans ces voyages, il faut sonner le réveil longtemps avant de partir. On a besoin de trop de temps pour plier les tentes, préparer le premier déjeuner, recharger les bagages, etc. etc. Nous étions prêts, quand le jour parut. Je vis alors, avant de partir, à ma grande stupéfaction, que nous avions dormi dans des marais. Quel en sera le résultat ? Pas amusant, certainement.
Chapitre XXXI MES MALADIES
Avant de continuer notre route, je vais immédiatement raconter quelle fut la suite de cette nuit fâcheuse. Le 21 juillet 1891, Mr Ermens et moi, nous arrivâmes à Beyrouth, d’où nous avions à nous rendre à Rischon-le-Zion, par le bateau allant à Jaffa, le 22 à six heures du soir, pour y assister à la vendange. Ce même jour, nous devions déjeuner en ville, chez Mr et Mme Franck. Nous étions à peine assis à table, que je priai mes compagnons de m’excuser. « Il faut, ajoutai-je, que je rentre à l’hôtel, pour me coucher jusqu’à quatre heure, car je ne puis plus rester debout. Dans tous les cas, dis-je à Mr Ermens, ne me laissez pas malade à l’hôtel, car je ne veux pas mourir chez des étrangers. Coûte que coûte, je veux partir par le bateau de ce soir, préférant être soigné à Rischon-le-Zion, où j’ai un médecin en qui j’ai confiance, et où je suis presque chez moi. » La voiture me reconduisit à l’hôtel. De suite mon corps devint une boule de feu. J’avais pour le moins 39 à 40° de chaleur. N’ayant plus eu la force de me dévêtir, je me jetai tout habillé sur mon lit. Enfin à quatre heures, Mr Ermens vint me prendre et me conduisit à bord du bateau, qui devait me déposer, le lendemain matin, à Jaffa. Comme la chaleur était insupportable, que moi-même je brûlai de fièvre, je priai ces Messieurs de me dresser mon lit sur la dunette et c’est là que je passai la nuit. Une nuit horrible. On avait annoncé mon état à Rischonle-Zion, de sorte que le lendemain matin, à mon débarquement à Jaffa, Mr Bloch, administrateur de la colonie202, et le docteur Masié étaient présents pour me prendre. Malheureusement, je n’étais pas transportable. Sur l’ordre du médecin, on me conduisit à l’hôtel Kaminitz, où l’on me soigna comme l’on put, jusqu’à quatre heures de l’après-midi. Ensuite on me colla dans une voiture, et, cahin-caha, j’arrivai, à moitié mort, à l’administration de Rischon-le-Zion, où l’on me coucha dans une chambre de quatorze à seize mètres carrés. 202 Alphonse Bloch, né en Alsace, ancien député de la nation française à Constantinople, Izmir et Alexandrie, fit partie de l’administration des colonies de 1887 à 1894. Administrateur de Richon-le-Sion (1887-1894), il y réprima la révolte des colons. Il s’occupa également de Kastinia, Petach Tikvah, Ekron et Gederah. Il repartit en France, puis pour le Mexique, en 1894.
CHAPITRE XXXI : MES MALADIES
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Ce que j’y souffris, au physique et au moral, est inénarrable. Je rendais tout ce que je prenais. Par des tours de force miraculeux, le docteur Masié, avec l’aide de la glace qu’il faisait chercher à Jaffa, parvenait à me faire garder un peu de lait ou de grog au cognac. Je devenais, de jour en jour, plus faible. Je dépérissais à vue d’œil. Quand je me regardais dans une glace, j’avais peur de moi. Ma longue barbe, mes joues creuses et mon teint jauni, quoique brûlé, me donnaient une figure de Jésus-Christ. J’avais peu d’espoir de voir les miens. Du reste Mr Bloch n’en avait guère non plus, car, plus tard, j’appris qu’il avait eu la velléité de télégraphier à Madame Scheid pour lui faire part de mon état. Par bonheur que le docteur Masié et les autres employés l’empêchèrent de faire cette bêtise. Je dormais très peu. Et quand je m’assoupissais légèrement, j’avais des cauchemars épouvantables. Je ne voyais, devant mes yeux, que des délégués russes, avec des têtes et des chapeaux indescriptibles. Ces gens-là, avec des grimaces horribles, avaient toujours l’air de s’avancer vers moi, et j’étendais alors les bras pour les empêcher de m’approcher. Et je restai ainsi, près de quinze jours, tantôt un peu mieux, tantôt un peu plus malade. Un jour, mon entourage avait de l’espoir, le lendemain on me voyait perdu. Dire les soins dont m’entouraient MMrs Bloch et Masié n’est guère possible. On luttait réellement, et jour et nuit, pour m’arracher à la mort. Et je lisais si bien ces terribles angoisses sur la figure de tous ceux qui m’approchaient, que je ne savais plus que penser. Quelles prières muettes et silencieuses j’adressai au ciel ! « Oh ! disais-je au bon Dieu, mourir pour mourir, je n’en tourne pas la main. Je n’ai jamais rien fait de mal. Je puis venir, sans broncher, devant le trône céleste. Mais accorde moi seulement une grâce. Je t’implore, à genoux, quoique je n’aie pas la force de m’y mettre, je t’en supplie, si je dois quitter cette terre, laisse moi, au moins, revoir ma femme et mes enfants, pour pouvoir leur dire un suprême adieu. » Oh ! Que ceux qui ont femme et enfants qu’ils aiment, et qui ont la force et le pouvoir de gagner leur vie en Europe, ne les quittent pas pour aller entreprendre des voyages dans le genre de ceux que je décris dans cet ouvrage. Ils ne seront payés ni en espèces ni en reconnaissance. Des paroles, oui. Beaucoup d’eau bénite de cour. Frères qui m’entendez, ne risquez pas votre vie, et restez dans des pays tempérés. Peut-on décrire ce qu’on souffre dans la position où je me trouvais ? Une plume ordinaire, comme la mienne, est-elle à la hauteur pour dire les sensations qu’on éprouve dans les conditions dans laquelle je me trouvais ? Que ces nuits sans sommeil étaient longues, et que ces journées brûlantes étaient lourdes à supporter. Vers le cinq août cependant, le docteur Masié m’avait permis de me lever, tous les jours un peu, pour me préparer à pouvoir rester quelques heures
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debout, – quoique étendu sur une chaise longue, – afin d’être en état le douze du même mois, de prendre le bateau des Messageries Maritimes qui devait passer à Jaffa et me conduire à Marseille. Rien que la pensée de m’embarquer, à bref délai, sur un bateau français, me soutenait et me donnait des forces. Elles étaient en réalité factices, mais enfin elles m’empêchaient au moins de me laisser aller au désespoir. Ce jour tant désiré arriva aussi. Le vapeur devait quitter Jaffa à six heures du soir. A huit heures du matin, j’avais déjà pris et rendu mon premier déjeuner, et j’étais prêt à monter en voiture pour aller en ville. Je ne tenais pas en place. Aussi, à dix heures, j’étais à bord. C’était une délivrance pour MMrs Bloch et Masié et une responsabilité de moins. MMrs Salmon203 et Ettinger avaient été chargés de me veiller à bord, à tour de rôle, tandis que Mr Ermens occupait une cabine dans le voisinage. Ue fois sur le navire, je me croyais réellement sauvé. La fièvre me maintenait debout et j’avais du plaisir à aller à table, voir manger les autres. J’avais emporté deux litres de lait de Jaffa et je plaisantai ces Messieurs qui devaient me veiller. Je me sentis si fort et relativement si bien portant, que le lendemain, 13 août, je descendis à terre, à Port-Saïd, pour prendre dans la rue deux litres de lait de chèvre, que je voyais traire devant mes yeux. Seulement, on n’est guère complaisant à bord. J’avais demandé à mettre mon lait dans la glacière. On voulut bien me l’accorder, mais à condition que je ne l’aurai à ma disposition que deux fois par jour, aux heures du deuxième déjeuner et du dîner. Un malade ne saurait être rationné de cette manière. Je dus refuser. Aussi deux heures après, mon lait était tourné. Le docteur du bateau voulut bien essayer avec un œuf à la coque. Il dut y renoncer, car je le rendais. Le 14, à Alexandrie, j’allai passer une journée pleine à l’hôtel avec mes compagnons. J’y trouvai du bon lait. Vers une heure du matin, j’eus une rechute. J’étais seul dans ma chambre. Le cordon de ma sonnette était cassé, et je me vautrai, toute la nuit, dans mon lit, rendant par intervalles et n’étant assisté par personne, parce que mes appels trop faibles ne pouvaient être entendus. Le lendemain matin, à six heures, ces Messieurs vinrent dans ma chambre et me trouvèrent dans un état pitoyable. L’un d’eux alla, de suite, retenir une voiture. On m’habilla. On me coucha là-dedans et on me reconduisit à bord. Comme il n’y avait pas beaucoup de voyageurs à bord, on permit à mon entourage, qui avait acheté vingt cinq kilogrammes de glace à Alexandrie, de déposer cette caisse, enveloppée de paille et de couvertures, dans la cabine qui faisait face à la mienne. Avec les deux kilogrammes que la compagnie
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Non identifié.
CHAPITRE XXXI : MES MALADIES
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m’octroyait par jour, j’eus juste de quoi rafraîchir mes grogs jusqu’à Marseille. On me donnait à boire au moyen de becs de cane. MMrs Salmon et Ettinger n’auraient pas pu être avantageusement remplacés. Ils étaient aux petits soins pour moi. On aurait dit qu’ils étaient de véritables infirmiers. Mr Ermens avait assez à faire avec les boutons de chaleur, dont il était accablé. J’avais une autre crainte. Si je meurs, on me lance à l’eau. Encore une jolie perspective… surtout pour ceux que je laissai derrière moi. Si seulement j’avais la force d’arriver jusqu’en France. Un jour, je demandai au médecin, s’il croyait que je pourrais atteindre Marseille, vivant. Cet imbécile n’eut pas le courage de me le promettre. Qu’eut-il risqué ? Si j’étais mort avant le terme du voyage, je ne lui aurais pas envoyé de papier timbré. Et cependant, contre toute attente, j’entrai, avec le navire, à Marseille. Dans quel état ? Je vous le laisse deviner. A peine avait-on stoppé, qu’on lâcha l’échelle, qu’on fit avancer une barque, dans laquelle des matelots me descendirent. On tenait, à bord, à se débarrasser de moi, le plus tôt possible. J’avais Mr Ermens à côté de moi dans la nacelle. Je n’étais pas encore assis, que je recommençai, de nouveau, à rendre. A la douane, assis sur un chaise, je rendis. De là, couché dans une voiture à quatre places, je fus conduit à l’hôtel Terminus près de la gare. On me déshabilla. Une fois allongé dans mon lit, que je trouvai si doux, je me crus sauvé. Dieu ! qu’il était moelleux et bon, et que j’étais éreinté. On me mit un bol de lait sur la table de nuit et je pus reprendre, ainsi, un atome de forces, et un peu de repos. Et chez moi, on n’en savait rien. Ma femme était en Alsace. Ma fille, mariée depuis cinq mois, se trouvait dans une position intéressante. Ma vue la frappa tellement, que la frayeur tua l’enfant, qu’elle porta encore plus de sept mois. Des transes alors d’un autre genre. Et cependant, en route, j’avais cherché à préparer les miens à recevoir la nouvelle sans éclat. Je fis envoyer, à chacun, une dépêche, que Mr Ettinger signa de mon nom, pour les aviser que je rentrai avec les fièvres intermittentes, tandis que je fis télégraphier la vérité à mon médecin, en le priant d’être à mon domicile, le surlendemain, à dix heures du matin. Et je fis également envoyer un mot à l’intendant de Monsieur le baron, qui était absent. Le lendemain de mon arrivée à Marseille, on m’habilla à six heures du soir, on me descendit par l’ascenseur, on m’étendit sur une petite charrette et on me roula jusqu’au train, où l’on me coucha, seul, dans un compartiment de wagons-lits. J’étais, pour ainsi dire, abandonné, et, pour comble de malheur, dans la nuit j’eus la diarrhée. Je dus me laisser rouler par terre et me traîner, à quatre pattes, aux cabinets. J’avais à lutter contre les syncopes. J’eus, cependant, des faiblesses. Et je n’en mourus pas. Je ne me l’explique
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pas encore aujourd’hui. J’arrivai donc, dans un bel état, à Paris. Les premiers jours, je divaguai un peu. Toutes les souffrances m’étaient égales. Je me trouvai dans mon intérieur. Monsieur le baron vint me voir. Je n’eus pas la force de lui parler. Il revint pendant ma convalescence. Et lui qui m’avait ordonné d’assister à la vendange à Rischon-le-Zion, durant les mois de juillet et août, me dit : « Mais aussi, pourquoi restiez-vous là bas, par les plus fortes chaleurs ? » J’avoue que cette sortie m’interloqua. Toutefois, je lui répondis : « Une autre fois, Monsieur le baron, je ferai faire la vendange au mois de décembre. » Il comprit et me promit de ne plus m’envoyer, en été, en Palestine. Promesse de l’homme puissant. Comptez dessus. Je fus, à peu près, remis au mois de novembre. Au mois de janvier 1892, j’eus une rechute. Monsieur le baron m’écrivit alors : « Mon cher Scheid, je vois, par votre lettre, que vous avez encore la fièvre et en ai un bien vif regret de vous voir ainsi souffrant. Vous ferez bien d’aller consulter le docteur N.204 et vous faire soigner par lui. J’espère bien qu’il vous remettra vite. Il sera, peut être, bon pour vous de prendre un changement d’air pendant quelque temps…… Tout à vous, Edmond de Rothschild » Je dus me traiter, à nouveau, jusqu’au milieu du mois d’avril. Je suppliai alors Monsieur le baron de me laisser indéfiniment à Paris. Ah ! oui. Etait-ce possible ? Il y avait encore tant d’ouvrage sur la planche. Et j’étais si malléable, qu’il aurait, difficilement, trouvé à me remplacer, surtout dans les conditions où je travaillais. Et je dus aller, à la fin du même mois, après la Pâque juive, à Constantinople. J’y eus bientôt obtenu ce que j’y étais venu demander, car, au mois de mai, Mr le baron m’écrivit : « Mon cher Scheid, je vous remercie beaucoup de votre lettre et je vous approuve en tout et pour tout ce que vous avez fait là bas et que vous avez si bien réussi. Vous n’avez pas compris le mot Mazeltov (félicitations) ? C’est moi qui l’avais ajouté à la dépêche. Je vous salue bien cordialement, Edmond » Je revins à Paris au mois de juin, après m’être arrêté en Palestine, et au mois de décembre, je dus retourner en Syrie. Comme je l’ai fait entrevoir plus haut, la promesse, que Monsieur le baron m’avait faite, de ne plus m’envoyer en Palestine pendant les grandes chaleurs, ne fut pas longtemps tenue. Et voici pourquoi : On a vu que les colonies se trouvaient inscrites au nom de Monsieur Michel Erlanger. Ce dernier venait de mourir. Il s’agissait, dès lors, d’aplanir deux grandes difficultés : 1° sortir Monsieur le baron de son incognito ; 2° le faire agréer par le Gouvernement ottoman, pour avoir l’autorisation d’opérer le transfert en son nom, de toutes les colonies. Rien de moins aisé. 204
Sans doute le docteur Arnold Netter, le neveu de Charles Netter.
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Et je n’étais guère sûr du succès. Cependant, au mois de mai 1893, je me rendis à Constantinople pour essayer. Je réussis dans ma mission. J’en fis immédiatement part à Monsieur le baron, quoiqu’il fût absent de Paris. Dès son retour et après avoir pris connaissance de mes lettres, il m’écrivit la suivante au mois de mai 1893 : « Mon cher Scheid, Je rentre à Paris et je reçois de vos nouvelles avec grand plaisir. Je vous fais mon très sincère compliment sur la manière dont vous avez mené les négociations et sur le tact et l’intelligence que vous avez montrés pour mener à bonne fin une mission aussi difficile. Je vous écrirai une longue lettre quand j’aurai un peu plus de temps, car je ne fais que d’arriver. La première chose que je voulais faire en arrivant, c’était ma félicitation sur tout ce que vous faites. Grâce à vous, j’espère que l’Œuvre entreprise pourra être menée à bonne fin, et c’est une grande joie pour moi de recevoir cette bonne nouvelle. Je vous salue cordialement, Edmond. » Je revins à Paris au commencement du mois de juin, juste à temps pour fermer les yeux à mon petit fils, quand Mr le baron me dit : « Ce que vous avez obtenu à Constantinople est très bien. Mais aussi longtemps que je n’ai pas les titres de propriétaire en mains, il n’y a rien de fait pour moi. Il faut que vous alliez en Palestine terminer les choses. – Mais, Monsieur le baron, vous y avez des administrateurs, répartis-je, ils peuvent soigner tout cela. – Il faut que vous-même vous y alliez. – Mais ma fille est en pleurs pour son enfant. Mais vous m’avez promis de ne plus m’envoyer dans ce pays pendant les grandes chaleurs. » Rien n’y fit. Ni supplications, ni prières. Je n’obtins que la permission de passer les huit jours de deuil avec ma fille et je repartis immédiatement. Inutile de décrire la tristesse de ce voyage. On peut se figurer ce qu’il fut. De chagrin et de désespoir, j’eus déjà la fièvre à Marseille, dès mon arrivée à bord du bateau qui devait m’emporter. Je fis l’impossible pour ne pas m’éterniser en Palestine. Je n’épargnais ni peines ni courses. Et j’obtins tout ce ce que je voulus. Aussi reçus-je successivement de Monsieur le baron les deux lettres suivantes : « Août 1893. Mon cher Scheid. Je vous remercie infiniment des nombreuses pages que je viens de recevoir de vous et qui m’ont vivement intéressé. De nouveau je vous fais mon compliment sur votre conversation avec le Gouvernement et son résultat. Je suis ravi que vous avez pu mener à bonne fin la grosse question des transferts. J’étais très inquiet de vous savoir en Palestine à cette époque de fièvre de dengue. Dieu soit loué, vous voici bien de retour. A revoir, mon cher Scheid, si vous avez quelque chose à redire, écrivezmoi. Du reste vos lettres me font toujours plaisir. Je vous salue, Edmond. » A la fin de ce même mois il m’écrivit encore : « Mon cher Scheid, J’espère que vous êtes bien arrivé, et je vous fais mes compliments sur le résultat de votre voyage. Je compte rester absent jusque vers les fêtes.
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Je vous serai donc reconnaissant de m’écrire une lettre avec beaucoup de détails, comme vous êtes à même de pouvoir le faire maintenant, et me dire, par le menu, ce qui s’est passé entre vous et le Gouverneur de Jérusalem et le Vali de Beyrouth….. J’espère, mon cher Scheid, que vous n’avez pas été trop fatigué de votre voyage. Je vous en remercie et vous fais mon sincère compliment de nouveau. Je dois dire que jusqu’au dernier moment, malgré les promesses de Constantinople, je craignais bien que l’affaire des transferts ne pût arriver à une solution aussi favorable que celle que vous avez obtenue. C’est une grosse épine sortie du pied des colonies. Je vous salue cordialement, mon cher Scheid, Bien à vous, Edmond de Rothschild. » Par un miracle extraordinaire je revins indemne. Dès que Mr le baron eût vu que je supportais à nouveau les grandes chaleurs, il me fit repartir au mois de février 1894, avec ordre de rester jusqu’après la vendange. Dans chacun de ces visites dans les colonies, je m’ingéniai à diminuer les dépenses qu’on y faisait. Je me créai beaucoup d’ennuis et d’ennemis. Mais, avant tout, je cherchai à contenter le chef. J’avais passablement coupé dans le vif, puisque mon rapport me valut la lettre suivante : « Mars 1894. Mon cher Scheid, Je vous remercie de vos lettres que j’ai lues avec un vif intérêt. Je suis enchanté et je vous fais tous mes compliments de voir l’énergie que vous déployez pour modérer les dépenses et mettre un frein à toutes celles qui étaient faites. Je vous remercie de votre lettre sur Rischon, qui est fort intéressante, et qui me donne bien les renseignements que je désire….. Bien à vous, Edmond. » Je revins en mai et je dus repartir vers la fin du mois de juin pour assister à la vendange. Hé ! Quel bon billet qu’avait La Châtre205. Cette fois les chaleurs m’incommodèrent encore énormément. J’eus, de nouveau, continuellement, les fièvres, de sorte qu’au mois de juillet, j’envoyai ma démission à Monsieur le baron, en lui disant que j’en avais des colonies par dessus la tête, et que je ne voulais plus en entendre parler. Je reçus une première réponse ainsi conçue : « Vichy le 1er août 1894. Mon cher Scheid, Merci de vos lettres de Rischonle-Zion…..Je veux y répondre, à peu près, par paragraphes …. J’espère bientôt, maintenant que les travaux sont, à peu près, terminés, que les dépenses vont diminuer, voir l’ère des recettes qui me permettra de rémunérer, plus complètement, les services rendus …. Je vous salue cordialement, Edmond »
C’était tout simplement pour m’engager à rester. Fin de ce mois, je quittai Jaffa pour revenir en France. A mon arrivée à Marseille, je trouvai la lettre suivante de Monsieur le baron : « Vichy août 1894. Mon cher Scheid, J’espère qu’un bon voyage, le bon air de mer vous 205 Allusion à la promesse trompeuse de Ninon de Lenclos au marquis de La Châtre, auquel elle s’était engagée à rester fidèle.
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auront ramené à Marseille, reposé de la fatigue d’un voyage trop ensoleillé. J’ai bien reçu, à Vichy, toutes vos longues et intéressantes lettres. Je termine mon traitement jeudi. Je pars à dix heures, arrive à Lyon à 2 h. 40, y reste voir l’Exposition. Vendredi, je pars pour la Suisse. Vous ne voulez plus, de quelque temps, entendre parler colonies. Je le comprends. Vous avez bien mérité ce repos en bon air vivifiant. Mais avant, je voudrai bien profiter de la proximité de Lyon, pour causer avec vous de certaines questions. Au reçu de ces lignes, télégraphiez bureau restant, à Lyon, l’heure de votre départ … Vous me trouverez le matin à la gare, train de 7 h. 15. Nous passerons une heure ensemble, dans le train, jusqu’à une station où vous bifurquerez pour Paris …. Au revoir, mon cher Scheid, je vous salue cordialement, Edmond. » Par malheur, le lendemain de mon départ d’Alexandrie, j’attrapai la dysenterie. Arrivé à Marseille, je télégraphiai à Monsieur le baron à Lyon, que, étant tombé malade en route, je ne pouvais pas venir le rejoindre à Lyon et que j’étais forcé de continuer la marche, directement pour Paris, où j’étais obligé de m’aliter. Dès ma rentrée chez moi, je reçus, de lui, la lettre suivante : « Berne, août 1894. Mon cher Scheid, Je reçois votre dépêche me disant que vous êtes souffrant depuis lundi, mais que vous espérez être remis dans une huitaine. Je vous prie de me télégraphier de vos nouvelles à St Moritz et de me dire ce que vous avez. Je comprends que vous devez être fatigué, après ce voyage d’été, mais j’espère bien et crois que cela ne doit pas être la fièvre, car vous me dites que vous êtes pris depuis lundi. Or, vous étiez déjà en mer. Vous savez combien j’ai, pour vous, une sincère affection, et, par suite, combien je suis réellement préoccupé de vous savoir souffrant. Donnez moi donc de vos nouvelles. Dès que vous serez sur pied, je vous engage fort à partir ; vous avez besoin de rester à vous reposer. Vous êtes saturé, au moral comme au physique, de l’air des colonies. Allez en Suisse. C’est là que vous serez le mieux, sur un pic. Vous serez très bien à St Moritz. Votre femme y trouvera le Kascher auquel sa piété lui fait justement tenir. Et l’air vous fera plus de bien que tout. J’y serai, mais cela ne vous gênera pas….. Donnez moi de vos nouvelles et croyez, mon cher Scheid, à mes sentiments bien sincèrement et affectueusement dévoués, Edmond. » Je lui fis télégraphier de suite que j’irai le rejoindre sous peu. Dans l’intervalle il avait été renseigné sur mon état par son médecin, qui était venu me voir. Il me répondit : « Sous aucun prétexte, mon cher Scheid, vous ne devez partir avant d’être tout à fait fort. Ce n’est pas pour vous voir que je vous ai engagé à venir à St Moritz. C’est parce que je crois que l’air de ces hauteurs doit vous faire du bien. Je vois que c’est un grand fortifiant pour tous ceux qui ont souffert des fièvres et des fatigues d’Orient. Mais il faut
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venir, ici, lentement, et vous ferez bien d’aller, d’abord, dans la forêt noire à Baden Baden, de là à Bâle, puis Coire, etc. …. Au revoir, mon cher Scheid, remettez vous vite, je le souhaite de grand cœur. Je suis ravi de vous savoir en bonne voie. J’avais grands soucis de vous. Bien à vous, Edmond de Rothschild. » Au bout de huit jours de soins assidus, je me sentis assez fort pour entreprendre ce voyage, par petites étapes. Je fus très bien reçu. Mais j’avais toujours mon idée fixe. Je voulais absolument me retirer du service des colonies. Ma santé était, de jour en jour, plus ébranlée. Je redonnai ma démission, en le priant de me rendre ma place au comité de bienfaisance, dont il était le président. Monsieur le baron ne l’entendit pas de cette oreille, tout en me disant qu’il comprenait bien les mobiles qui me faisaient agir. Parbleu ! Il sut me fortifier avec tant de douces paroles, et me fit de si brillantes promesses pour l’avenir, que, confiant dans sa parole, je finis par céder. Un seul point me retenait et je lui dis : « A quoi me servent toutes ces promesses, si je meurs sous peu ? » Mr le baron eut la bonté de me répondre : « Je porterai cela sur la tête de vos enfants. » A ces conditions je ne pus qu’accepter de rester. Et je continuai, imbécile, à retourner dans les colonies, par toutes les saisons et même encore deux fois par an, comme en 1895, 1896 et 1897 et chaque fois je revenais malade. Pouvais je refuser de me sacrifier jusqu’au bout ? Ne m’avait-on pas doré sur tranches …. en promesses ? et l’exécution de la promesse fut toujours remise à l’année suivante, parce qu’il n’y avait pas encore de bénéfice sur le vin, jusqu’au jour où Mr le baron trouva qu’il avait trop promis et qu’il me dit : « On ne prend pas de ces engagements. » Et moi je croyais bêtement, au début, que tout était une Œuvre de bienfaisance. Oh ! vous qui me lisez, rappelez vous que si un ange du ciel vous promet quoi que ce soit, prenez sa signature au bas d’un morceau de papier timbré. Monsieur le baron consentit quand même, enfin, au mois de mai 1899, à me permettre de prendre ma retraite, à partir du premier janvier 1900. Il est vrai que je ne suis plus bon à rien, étant saturé de paludisme, avec un foie presque complètement atrophié.
Chapitre XXXII SUITE DU VOYAGE
Je me suis éloigné de mon sujet et de mon voyage. Je ne puis pas dire que cette parenthèse était faite pour égayer ce chapitre. Mais considérant cet ouvrage comme mes mémoires, je ne dois laisser dans l’ombre que ce qui ne peut pas être raconté, en laissant à mes lecteurs le soin de deviner une partie du reste. Et s’il n’arrive pas à être imprimé, ce sera un éternel souvenir pour mes enfants. Dans tous les cas, ceux qui me feront l’honneur de me lire, conviendront que ma place n’était guère enviable et n’était, de loin, pas une sinécure. Revenons à notre voyage. Après cinq heures du matin, tout le monde était à cheval, le Cheik, notre guide, à notre tête. Nous reprenons le chemin que nous avons déjà parcouru, la veille, dans l’obscurité, et malgré la clarté du jour, nous subissons encore les épines des chardons géants, que nous sommes obligés de frôler. Notre cicerone de la veille avait été dans la bonne voie. La nuit, seulement, lui avait fait peur, parait-il. Vers sept heures, nous faisons notre entrée dans cette vieille ville princière, qui s’appelait Gadara. Quoique juchée à plus de cinq cent mètres au dessus de la plaine du Jourdain, les rues sont dallées comme celles d’Alexandrie (Egypte) ou de certaines villes de la Sicile. On y trouve encore les traces des roues des chars romains, et des ruines avec des colonnades, de quoi refaire presque un des côtés de la rue de Rivoli à Paris. Seulement, au lieu que les colonnes de la rue de Rivoli sont carrées, celles de Gadara sont toutes rondes et plus épaisses, et les pierres, d’un seul morceau, sont plus hautes que celles de Paris. Les Arabes, qui forment un misérable petit village à l’extrémité de l’ancienne Gadara, ont choisi le centre de la ville pour leur cimetière. Seulement, ils ne font pas de frais de mausolée, car jamais ils ne pourraient faire exécuter ce qu’ils trouvent à leur portée, sous la main. Et ils en profitent largement. Sur chaque tombe ils appliquent un de ces restes de vieux palais et n’ont que la peine d’y faire graver un nom. Quelquefois même, pris probablement de regret devant ces reliques, ils les laissent intactes. Au milieu de la ville, nous rencontrons, aussi, l’ancien cirque, qui était à ciel ouvert. Adossés à la montagne, et touchant, par leur extrémité, au cirque, on y voit dix-sept compartiments qui doivent avoir été des magasins, peut être des espèces de casinos, où les consommateurs se rendaient dans
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les entre-actes. L’hippodrome est semi-circulaire ; les gradins, en granit noir, sont presque intacts. Ca et là, ils sont un peu séparés les uns des autres par des plantes sauvages. Le pourtour, sauf aux deux bouts, est également intact. Il forme une voûte cintrée d’une audace étonnante. Les ingénieurs de notre époque ne désavoueraient pas ce travail, qui ne semble nullement dater d’une vingtaine de siècles. Après en avoir pris quelques photographies, je me suis rendu à l’emplacement de l’ancien thèatre, tout en ruines, où je n’ai pu prendre qu’une vue générale, avec deux seules portes existant encore. Je me rappelais là les ruines de Baalbeck et du Caire, et pus encore me convaincre, que, partout, dans la plus haute antiquité, on avait l’habitude de faire tout grand. Lorsque nous prîmes le parti de quitter Oum-Mkeis, le soleil était déjà assez haut. Le descente se fit assez rapidement. Arrivés au bas de la montagne, nous devions, de nouveau, trouver un endroit guéable pour traverser le Yarmouck. Ce n’était pas justement à notre portée, car dans les parties où le fleuve est encaissé, entre deux montagnes, le cours de l’eau est très rapide. Et on marchait dans un sentier collé contre la montagne et tracé à travers les haies de lauriers-roses. Nos guides furent forcés de couper, devant nous, les plus grosses branches, afin de nous éviter d’avoir la figure déchirée. A la fin on découvrit un endroit assez désert, où le Yarmouck se divise en deux, pendant un centaine de mètres, et là, nous pûmes passer de l’autre côté sans obstacle. Au bout de cinq minutes, nous entrions dans un nouveau cours d’eau. – « C’est étrange, dis-je à mon voisin, comme on sent le souffre dans ces parages. » Il se mit à rire et me dit : « Mais vous marchez dans une rivière dont l’eau est chaude et sulfureuse. » En effet, au bout de quelques instants, au haut d’un petit monticule, nous touchions à El-Hammi206, un lieu où, à l’époque des Romains, on avait installé des bains chauds. Les ruines grandioses en existent encore et la source, qui a une circonférence d’une dizaine de mètres, donne une eau d’une limpidité extraordinaire à 51°. Nous avons mis pied à terre et nous avons goûté de ce souffre liquide, qui n’est pas trop désagréable à boire et qui ressemble beaucoup, par le goût, à l’eau de Viesbaden207, tandis que celle de Tibériade est assez nauséabonde et à 61°. Toutes ces sources d’eau minérale, qui sont dans le rayon de Tibériade, constitueraient des fortunes pour des villes européennes. Il est vrai que si les municipalités ne sont pas en état de faire valoir ces richesses, les gouvernements tâchent de donner un coup de main. Ici, tout se perd. Personne n’y fait attention. On dirait que tout le monde vise à la ruine générale. Affreux. 206 207
Sans doute Hamat Gader. Wiesbaden, célèbre ville d’eaux allemande.
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Nous laissâmes, à notre droite, encore un moulin mû par une eau minérale, froide, et nous recommençâmes une de ces montées, qui font époque dans la vie des touristes. De l’endroit où nous nous trouvions, il y avait, en ligne droite, suivant les statistiques, 670 mètres d’altitude. Seulement, cette montée se faisait, presque en entier, sur une pente excessivement raide, et l’on se demandait comment l’un ou l’autre de nous ne faisait pas, de temps en temps, une dégringolade. Dans tous les cas, on ne devait pas regarder, derrière soi, le chemin parcouru, à cause du vertige. Aussi, je ne pense pas qu’il soit possible de descendre de ce côté, autrement qu’à pied. Au bout d’une bonne heure, à travers ces montagnes d’une aridité désolante, on arrive dans la plaine du Djolan, qui, sauf quelques rares monticules, continue ainsi jusqu’à Damas. Après avoir escaladé, de cette manière, pendant quelque temps, on est surpris de se trouver subitement en pays plat, lorsqu’on n’avait qu’une suite de montagnes en perspective. Nous continuons à nous diriger à gauche, c’est à dire vers le lac. Nous voyons bientôt, à nos pieds, le village El-Samra208, dont les maisons nous semblent construites dans l’eau, et nous poussons ainsi jusqu’à Koufer-Hareb209, où nous arrivons à midi. Quelles belles terres nous trouvons sur le plateau ! Quelle riche végétation, abandonnée à ellemême, toujours faute de bras. Mais cette fertilité se réduit à ce coin. Au bas de Koufer-Hareb est couché le petit bourg de Duverban210. Avec un peu de bonne volonté, on ferait, sans peine, une route carrossable de Koufer-Hareb à Duverban, et on relierait, de cette façon, le haut avec le bas, où l’on installerait un petit port pour les mouches à vapeur, devant, un jour, sillonner le lac, dans tous les sens. Seulement avec l’apathie des arabes, il ne faut guère songer à un pareil progrès. Ils n’ont besoin ni de voitures, ni de chaloupes à vapeur. Ils ne sont pas pressés. Ils se laissent vivre comme leurs pères, sans avoir l’ambition d’améliorer leur sort. Et aussi longtemps que les moyens de communication manquent, il n’y a pas lieu de songer à y créer des colonies européennes. A deux minutes de ce trou existe un vieux caroubier, dont les longues branches, étendues dans tous les sens, donnent de l’ombre toute la journée. C’est le forum de l’endroit. C’est là que les arabes viennent faire leur Kiev (rêverie avec les yeux ouverts)211. A notre approche, le chef de la tribu vient à notre rencontre ; notre guide bédouin descend de cheval, et les deux cheiks s’embrassent comme deux empereurs. Ils se demandent des nouvelles de la maison, du bétail, etc. Et trois ou quatre fois, ils répètent les 208 209 210 211
Sur le Wadi Samar ? Kfar Haroub. Tell proche de Ein Gev. Egalement dit Kief. Cf. p. 56.
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mêmes questions. Tout cela est de mode, mais il ne faut pas que l’un d’eux s’inquiète de la femme de l’autre. Elle n’existe pas dans les conversations. Celui qui la nommerait, commettrait un crime sans pareil, et impardonnable. Notre cheik eut bientôt raconté notre histoire à l’autre, à qui il nous recommanda, pour que ce dernier nous servît de cicerone à sa place, et, après une heure de repos, il nous quitta, avec force remerciements pour notre backschich. C’est là aussi que je trouvai un envoyé spécial de la colonie de RoschPinah, qui était couru à notre poursuite, pour nous annoncer que le Vali de Beyrouth viendrait le dimanche suivant à Saffed et voudrait me voir. Je lui fis savoir par le même messager que lundi je serai chez lui. Maintenant il s’agit de faire des étapes forcées. Il faut déjeuner à la hâte et filer aussi loin que nous pouvons, en un endroit où il y aurait assez d’eau pour les bêtes. Tout le monde est bientôt debout, pour nous chercher des nattes et de l’eau fraîche, pendant que notre repas se prépare. On y fait largement honneur, je vous prie de le croire ; puis on se repose, pendant que les domestiques lavent la vaisselle, emballent et rechargent les mulets. Enfin, nous remontons à cheval par 37° degré de chaleur à l’ombre, précédés du Scheik de cette tribu, notre nouveau guide, recommandé par celui du matin. Nous marchons rondement pendant deux heures, lorsque nous atteignons Fick, anciennement Aphéka212. D’après les ruines semées partout, hors ville, dans les rues, dans les cours, cette cité devait être bien jolie dans le temps. Récemment, des paysans ont fait des fouilles dans les anciens cimetières et ont mis à jour passablement de bijoux en or. Encore des colonnades comme à Gadara, et sur l’une de ces colonnes, nous avons relevé le mot Hana, sculpté en langue hébraïque. D’où vient ce tronçon ? Qui le sait ? Nulle part ailleurs, nous ne trouvons plus trace d’inscriptions. On voit bien, par ci par là, des vestiges du passage des Romains, aux croix sculptées sur certains frontons. Cette ville est d’une tristesse incomparable. Les arabes, ne tenant pas beaucoup au bien être, se font leurs habitations avec tout ce qui leur tombe sous la main, des pierres taillées ou non, et, à la rigueur même, avec des briques façonnées à la main avec de la boue et séchées, tant bien que mal, au soleil. Il est bien évident qu’ils ne sont guère difficiles sur la couleur de leurs maisons. C’est pour cela que les propriétaires ont réuni, là, des blocs de pierres toutes noires, les ont entassées les unes sur les autres, sans les relier avec du mortier et en ont fait leurs demeures. Je le répète, jamais je n’ai vu quelque chose de plus hideux que ces retraites noires. Une ville dont toutes les habitations sont en grand deuil. Aussi nous ne nous y arrêtons pas longtemps et nous reprenons 212
Site attesté dans la Bible. Cf. I Rois 20 26-30.
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les sentiers que suivent les caravanes, pour se rendre dans le Nord. Vers quatre heures, nous passons devant quelques huttes misérables, collées contre des tas de fumier, et dont la réunion porte le nom d’El-Al213. Enfin, exténués de fatigues, après avoir fait une étape qui peut compter pour deux, par ces grandes chaleurs, surtout, nous arrivons vers sept heures du soir dans une plaine ayant de l’eau marécageuse. C’est tout ce qu’il nous faut pour la cuisine et le bétail. Depuis Fick, nous n’avions marché que dans des pierres noirâtres, volcaniques. Des pierres, et encore des pierres, aussi loin que s’étend votre vue. Il n’y a plus guère de végétation. Par ci par là, un peu de verdure, qui sert de pâturage au bétail des bédouins. Le lendemain matin, à quatre heures, nous étions encore à cheval et nous recommençons cette nouvelle excursion, à travers des monceaux de pierres. Toujours les mêmes. On dirait que celles de la veille, dans la nuit, ont décampé de l’endroit où nous les avions laissées, pour garnir encore les plaines que nous avions à traverser. Et nous devons parcourir tout cela, pour nous rendre bien compte de ces terrains qu’on avait dépeints si riches à Monsieur le baron. Et nous avançons toujours, et partout, nous ne rencontrons, toute la journée, que des pierres, des pierres et encore des pierres. Cela commence à devenir d’une monotonie effrayante. Mais je tiens moins à ma santé qu’à tout voir de mes propres yeux, à prendre bonne note de tout ce qui se déroule devant nous, afin d’être en état de dresser un rapport fidèle et consciencieux à mon chef. Cette journée fut encore particulièrement pénible, car l’eau claire manquait partout, et notre eau de Saint Galmier devenait chaude. Enfin, vers sept heures du soir, nous arrivons près d’un infect village appelé Chasfon ou Chisfin214. Cet endroit a, peut être, une trentaine de maisons, plus chétives les unes que les autres. Tous les gens de cette région se ressemblent et par leur pauvreté et par leur indolence. C’est près de ce village que nous dressons nos tentes. Sur la carte, toute la partie située au nord de cet endroit où nous campons, est en blanc. Mauvais signe pour des voyageurs, qui voudraient bien rencontrer autre chose que des déserts de pierres. Notre cheik nous quitte, en nous recommandant à un autre. D’après les renseignements que nous donne notre nouveau guide, le pays que nous tenons à visiter, situé entre le Djolan et le Hauran215, et appelé El-Djédour216, est encore sillonné de pierres, et, par dessus le marché, très pauvre en eau et même sans beaucoup d’eau potable, avant Sassa217 au Nord, à six lieues de Damas, sur l’ancienne voie romaine, pavée. 213 214 215 216 217
Localité du Golan. Hispin dans le Golan. Cf. p. 215. Pays plat à l’Est du Golan. Localité sur la route Kouneitra-Damas.
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Malgré cela, je tenais encore à me rendre compte, de visu, de ce que cela serait. Je pris donc mes précautions en conséquence. C’était un jeudi soir. Et coûte que coûte, dussions nous crever nos chevaux en route, j’avais soif de passer mon samedi dans un endroit où nous aurions de l’eau à satiété. J’ordonnai que tout le monde fût debout à deux heures du matin, et qu’à trois heures on fût à cheval, afin d’arriver, avant la nuit, à Sassa. C’était une rude étape. Je ne souhaite à aucun de mes ennemis d’en faire une pareille, une seule, et nous en avions plusieurs, derrière nous. Nous ne pouvions guère agir autrement. Nous ne devions même pas avoir la pensée, pour tout ce monde qui était autour de nous, de camper, pendant trente heures et plus, dans ce désert, sans eau potable. Car l’eau de Saint Galmier n’était presque plus buvable, tellement elle était devenue chaude. Et pour que tout fût au complet, notre pain se mit à moisir. Afin de pouvoir avancer plus à notre aise, tout en faisant des zigzags en route, nous envoyons tous les moukres avec les tentes et tout le superflu, directement, à Sassa, et nous ne gardons, avec nous, que l’indispensable pour le deuxième déjeuner. A trois heures et demie, vendredi matin, nous quittons Chisfin et nous nous dirigeons, à droite, vers le Nord. Allégés ainsi de notre suite encombrante, nous marchons plus à l’aise, de notre pas ordinaire, et nous obliquons, toujours à droite, pour toucher de très bonne heure à Tel-Tchouhadar218, un ancien fort circulaire sur un petit monticule. Les restes d’un village sont assez loin de nos yeux, et tout cela doit être dans une extrême misère, d’après les renseignements de notre cicerone. Nous laissons un peu, à notre gauche, Tell-El-Hara219, un autre vieux petit fort. Nous traversons Suvési220 et nous arrivons non loin des sources de Nahr-El-Allan221, cours d’eau qui se jette dans le Yarmouck. Nous continuons à monter et nous sommes dans le pays des Ammonites, auxquels les Israélites avaient pris soixante dix villes fortifiées. Ce sont probablement les ruines de toutes ces villes, qui nous procurent le plaisir négatif de rencontrer encore tant d’amas de pierres. Tout cela ressemble à de la dévastation. C’est une véritable désolation, poussée à la limite extrême du possible. Notre déjeuner fut, naturellement, exécrable, ce jour. Nous espérions mieux pour le soir. Nous avions hâte d’arriver. Pour avoir tous les agréments, nous eûmes encore un sirocco formidable avec plus de cinquante 218 219 220 221
Au Sud de Tell Farés dans le Golan. Tal-Al-Harra dans le Hauran. As-Suweyda ? Dans le Hauran. Cf. p. 222.
CHAPITRE XXXII : SUITE DU VOYAGE
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degrés de chaleur, sans la moindre ombre. Nous dormions presque sur nos chevaux et, malgré les casques et les ombrelles, les coups de soleil faisaient rage. Vers cinq heures du soir nous arrivâmes dans un village Kurde nommé Kenakir222. Un filet d’eau, jaunâtre comme du café au lait, coulait au dehors du village. La soif nous tuait. Malgré cela, nous nous retenions tous, à l’exception de Mr Diezengoff, le plus jeune de la caravane. Il descendit de cheval et, sans écouter mes supplications de patienter encore une heure, il se coucha par terre, et se mit à puiser de cette sale eau, avec ses deux mains, et la but avidement. Oh ! celui qui n’a jamais voyagé dans les pays chauds, ne sait pas ce que sont les souffrances de la soif. On ne connaît plus le danger. On veut boire. Et certaines personnes, tout en sachant que boire ainsi, c’est la mort, n’arrivent pas à se retenir. Ce fut le cas de notre jeune camarade. Dieu merci, il n’en mourut pas, mais le lendemain, il avait une fièvre intense. Enfin, à six heures précises, nous arrivâmes à Sassa, où, au bord de la rivière El-Djennani223, nos moukres avaient dressé les tentes et préparé les lits. Les coups de soleil avaient fait de ma figure une assez large tomate et les rides, qui sillonnaient toute ma face, me donnaient trente ans de plus que mon âge. Ah ! j’étais joli. On devrait, dans ces tristes circonstances, avoir un peintre à ses côtés, pour qu’il pût vous croquer au naturel. Car ces figures ne se rencontrent pas tous les jours. Pendant que les domestiques préparaient le dîner, je me mettais à mon aise et, couché le long de la rivière, je me mis, d’abord, à me laver à grandes eaux, ensuite, à m’en ingurgiter pour la soif passée et présente. Ce qu’on fait pourtant de bêtises à tout âge ! On dit bien qu’on ne devrait boire que de l’eau bouillie, puis refroidie. C’est très facile à dire, et même à observer strictement … chez soi. Mais, dans les conditions où nous nous trouvions, il est absolument impossible d’attendre. Ce serait pire que le supplice de Tantale, avec cette eau claire qui coule à vos pieds. Je ne fis pas honneur au dîner. Je me mis au lit, sans pouvoir dormir beaucoup. J’étais trop fatigué. Je me levai à neuf heures du matin, et je me recouchai à onze heures. Nous n’étions pas à destination. Nous avions encore une bonne trotte devant nous, jusqu’à Rosch-Pinah. Nous décidâmes de rester couchés assez longtemps, pendant la journée de samedi, pour pouvoir partir, le soir même, au clair de la lune.
222 223
Le Kankar contemporain au Sud-Est de Sassa. Egalement appelé rivière de Sassa.
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Sitôt dit, sitôt fait. A dix heures, samedi soir, nous étions tous à cheval et nous descendîmes cette route, dallée du temps des Romains, qui devait nous conduire au Jourdain. A six heures, dimanche matin, nous étions à Kuneitra, encore une ville noire, dans le genre de celle de Fick, quoique ce soit la résidence d’un Caïmakam. Nous y fîmes dresser nos tentes près d’un petit cours d’eau. Nous nous couchâmes immédiatement et, après un bon somme, nous prîmes, à onze heures, le premier et le deuxième déjeuner ensemble. Nous laissâmes nos moukres, nos domestiques et nos bagages derrière nous, et, malgré le sirocco qui avait continué à souffler (c’était le troisième jour réglementaire), nous partîmes comme des flèches, pour ne pas moisir en route. C’est là que les chemises et les vêtements en flanelle sont inappréciables. La laine boit la transpiration et n’en laisse pas de trace, tandis que si l’on portait de la toile, elle serait bien vite mouillée d’outre en outre, sécherait sur vous et vous donnerait des pneumonies mortelles. Longtemps avant d’arriver même au Jourdain, nous aperçûmes, comme un nid d’aigle perché sur son aire, Rosch-Pinah faisant tache avec sa verdure, à côté d’autres montagnes du voisinage, toutes dénudées. Nos chevaux, aussi, sentaient leur écurie, car on n’avait pas besoin de les aiguillonner pour les faire avancer. A quatre heures du soir, nous nous trouvions dans cet embryon de colonie, qu’on nomme Mischmar-Hayarden, c’est à dire Gardienne du Jourdain, et nous nous arrêtâmes quelques minutes, pour respirer et nous désaltérer un peu. Ce n’était pas du luxe. Nous avions, tous, l’air de sortir de l’enfer. Enfin, à six heures, nous entrions dans Rosch-Pinah, ayant terminé une des courses les plus folles qu’un homme puisse faire, exposé, continuellement, aux coups de soleil. Le plus jeune de la caravane, Monsieur Diezengoff, dut s’aliter pendant quelques jours. Je ne sais par quel ressort, nous, les vieux, nous étions poussés, pour ne pas tomber également. Il est vrai, comme je l’ai déjà dit, que je n’avais reculé que pour mieux sauter. J’avais failli y laisser la peau. Mon rapport à Monsieur le baron fut, à peu près, la copie de ce que je viens de raconter. Je n’y ai ajouté, pour mieux me faire comprendre, que la boutade suivante : « Les Gouvernements européens font des dépenses inouïes pour avoir de grands armées, et, pour le moment, ne savent qu’en faire. Si toutes les puissances réunies voulaient envoyer tous leurs soldats dans cette région maudite, pour y ramasser toutes les pierres, qui y sont éparpillées, ils seraient, au moins, occupés pendant six mois. Après cela, peut être, il y aura lieu de parler de colonisation. »
Chapitre XXXIII ROSCH-PINAH. AGRANDISSEMENT
Le lendemain de ma rentrée à Rosch-Pinah, je me rendis à Saffed pour faire ma visite à S.E. Aziz Pacha, Vali de Beyrouth. Vingt quatre heures après, il vint me voir à Rosch-Pinah, avec S.E. Zadik Pacha, Mutessarif d’Acre, et le Caïmakam de Saffed. Après le déjeuner, je conduisis ces Messieurs derrière l’administration, et, leur montrant les rochers, je dis au Vali : « Excellence, ceci n’est d’aucune utilité pour le Gouvernement. Voulezvous me donner les moyens de faire rapporter gros, par toutes ces pierres, aux caisses de l’Etat ? » Il me regarda d’un œil interrogateur. Je lui expliquai que je voulais faire égaliser toute cette partie par la poudre et construire des maisons là-dessus, s’il voulait bien m’en donner l’autorisation. « Comment, me dit-il, avec beaucoup de plaisir. » Et se retournant vers ceux qui l’accompagnaient, il ajouta :« Je vous prie de donner à Mr Scheid toutes les facilités pour ériger les constructions qu’il a en vue. » J’avais encore une masse d’autres affaires assez épineuses à régler avec lui, et je les terminai, toutes, en même temps, à mon entière satisfaction. Par expressions convenues, j’en avisai de suite Monsieur le baron. Je lui fis parvenir ma lettre par la poste de Beyrouth, où j’envoyai un exprès, afin qu’elle lui parvînt plus vite. Il s’empressa de m’écrire : « Mon cher Scheid, je vous fais mon sincère compliment sur votre diplomatie avec le Vali. Tout cela a été parfait. Je vous fais également bien mon compliment sur tout ce que vous faîtes là-bas. J’espère, enfin, que cela marchera et qu’il y aura encore de beaux jours pour la Palestine. Vous aurez une grande part à cette Œuvre considérable. Je vous salue cordialement, Edmond. » Insensiblement, furent élevées en cet endroit l’école, la pharmacie, la maison du médecin, celles d’une vingtaine de colons, avec une écurie pour chacun, séparée de l’habitation par une cour. Bientôt après, vint la filature, avec toutes ses dépendances, et la maison du directeur, Mr Rosen, petit fils d’un colon224 de Zicron-Jacob, ancien élève de Zurich, d’Allevard225 et de Lyon. Le même quartier renferme le magasin aux cocons, le dortoir des 224 225
Peut être l’instituteur de la colonie. Ville de l’Isère.
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fileurs et le magasin dans lequel se préparent les raisins secs de Malaga. Dans l’espace de deux années, tout ce côté fut changé. Par un travail d’Hercule, et en conduisant, devant leur maison, de la terre, dont ils firent des terrasses, les colons arrivèrent à couvrir ce petit carré de mûriers et d’autres plantes, tandis qu’ils s’ingénient de la même manière à avoir des jardinets derrière leur habitation. J’ai dit plus haut combien de terres avaient été acquises par Monsieur le baron. Mais la question de l’eau n’était pas réglée. Les fellahs de Jaony n’entendaient rien céder de leurs anciennes prérogatives. En possession des deux tiers de la propriété et d’une partie du troisième tiers, achetée des fellahs qui étaient partis, Rosch-Pinah aurait dû, virtuellement, être la maitresse de l’eau. On se trompait. Il a fallu intenter et soutenir de longs procès avec les paysans, avant d’arriver à avoir gain de cause. Enfin, Monsieur le baron fut déclaré maître d’en disposer. Pour n’en rien perdre, il fit réunir les trois sources en un seul bassin, et de là, par une canalisation bien comprise, on la fit venir, d’abord, dans un abreuvoir, au service spécial des arabes de Jaony, à qui on établit ainsi également une salle de bains et des bornes fontaines dans les rues de leur village. Ils n’avaient jamais assisté à pareille fête. De plus par la force de leur pression, on a pu installer les eaux sur l’évier de chaque ménage israélite. Avec les terrains dont on disposait, on aurait pu installer tous les colons. Seulement Monsieur le baron ne partageait pas encore cet avis, qui à prévalu, à la fin, de mettre les colons à la grande culture, partout où elle était faisable. Dans les premiers terrains acquis, on ne se servait que de la charrue arabe, à cause des pierres qui étaient à fleur de terre. Successivement donc, monsieur le baron acheta le deuxième tiers des musulmans de Saffed, un peu des terres de Ferm et de Cabaa (Machnaïm)226, de Dabarié, Mrarié, et de Birié227, toutes touchant les unes aux autres, ce qui mit entre les mains de Monsieur le baron une affaire de quatre mille hectares de terres environ. Si nous en défalquons environ huit cent hectares vendus à la Société Ahavath-Zion de Tarnov et environ quinze cent cinquante hectares de pierres, il reste, en tout, seize cent cinquante hectares de bonnes terres à Rosch-Pinah. Seulement, pour les raisons générales données plus haut, ces terres ne devaient pas être mises, immédiatement, à la disposition des colons. Au mois de juin 1890, Monsieur le baron m’écrivit : « J’accepte le plan de cultures indiqué par vous et Ermens comme principe. Il n’y a qu’un seul point que je désire absolument maintenir, c’est que j’aurai le droit, vis-vis 226 227
Lire Machanaïm. Dabouriah, Byria sont des localités proches de Safed.
CHAPITRE XXXIII : ROSCH-PINAH. AGRANDISSEMENT
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des colons, de laisser à chacun ce que je croirai nécessaire, car je trouverais ridicule de donner des terres aux quelques colons qui sont là. » Il me confirma la chose en 1891 et 1892 en ces termes : « Bien entendu, tous les 1650 hectares de Rosch-Pinah ne doivent pas appartenir aux seuls colons actuels de Rosch-Pinah. Ils doivent en avoir, en moyenne, six hectares, huit au plus. Quatre ou cinq de vignes, un de mûriers, abricotiers, oliviers etc. » La deuxième lettre était ainsi conçue : « Il ne faut pas tenir compte des achats de terres à Rosch-Pinah, car je veux me réserver, dans l’avenir, de ne laisser à chaque famille, que ce que je juge bon, c’est-à-dire, par exemple, à ceux qui ont six hectares de vignes, rien d’autre … » Cette préoccupation de Monsieur le baron de voir, d’abord, ce que rapportent les plantations, avant de donner de la terre pour la grande culture, se reflète encore dans la lettre suivante, qu’il m’écrivit au mois d’avril 1897 : « J’ai vu le rapport que m’a fait Pascal au sujet de l’organisation de RoschPinah. Il faut évidemment attendre, et voir les produits des vignobles, pour voir à faire l’organisation définitive. » Tenant à ce que la colonisation s’agrandisse par d’autres encore que lui, Monsieur le baron aimait toujours à rencontrer des sociétés qui s’y intéresseraient, afin de créer quelque chose de nouveau. Ayant l’une d’elles en vue, il m’écrivait : « Je serai enchanté de me débarrasser du troisième tiers de Rosch-Pinah et du village arabe de Cabaa-Machnaïm, si possible. » Lorsque, il y a quelques années, Mr Meyersohn228 membre du Comité Palestinien de Paris, recommanda à Monsieur le baron le docteur Salz229, président de la Société Ahavath-Zion de Tarnov, et le pria de vendre Cabaa à cette société, Monsieur le baron acquiesça à la demande de Mr Meyersohn et lui en vendit huit mille donoums, mais garda, quand même, le troisième tiers pour Rosch-Pinah, c’est à dire pour les colons. Que faire alors pour que ces colons puissent se nourrir ? Pas de grande culture, c’est bien entendu, puisque tout le monde y était opposé. Or quelles étaient les plantations qui devaient être considérées comme rémunératrices ? D’abord la vigne, mais pas pour du vin, car le transport par tonneaux à Beyrouth ou à Caïffa, à dos de chameaux, est par trop difficile et dispendieux. On convint donc de défricher quatre vingt hectares pour y faire du raisin sec, genre Sultanié de Smyrne. La décision de faire des vignes fut prise en 1886, lorsque vint Mr Deshayes. Il eut sa maison à côté de celle de l’administration. Seulement, chez lui, on entrait de plain-pied. A peine arrivé, il s’adjoignit quelques fils de colons, 228 Emile Azriel Meyersohn (1859-1933) est le philosophe bien connu. Sioniste ardent, il établit en 1891 un rapport sur les colonies à la demande d’Edmond de Rothschild. Il participa à la direction de l’JCA et la convainquit de s’intéresser également aux colonies de Palestine. 229 Non identifié.
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dont le meilleur fut le jeune Bouckchechter, qui devint sous-jardinier à AïnZetoun, et qui quitta le service de Mr le baron, pour en prendre dans un grand vignoble des environs de Smyrne. Les autres devinrent colons, sauf le fils Weidenfeld230, qui est jardinier à Yessod-Hamalah, et Horovitz231, qui est resté aide-jardinier à Rosch-Pinah. Mr Deshayes fit défricher ces terrains volcaniques, à des frais insensés, pour y planter les quatre vingt hectares de vignes de Sultanié et en faire le raisin sec demandé. Il réussit même très bien, quand, par suite des droits d’entrée exorbitants en France et en Amérique, on laissa cette variété de côté. On la coupa et on y greffa, en place, du malaga. Ensuite Monsieur le baron écrivit encore pour demander des quantités de figuier : « Je veux des figuiers. Voir quelles sont les parties de RoschPinah à planter en figuiers. Préparer cette culture en grand. Me faire le plan des endroits préparés pour cette culture, je crois la montagne à laquelle est adossée la colonie. Nous verrons ensuite. » Cet ordre ne put être exécuté. Le terrain qu’indiquait Mr Pascal ne fut pas trouvé convenable pour cette plantation, et ailleurs il n’y en avait pas non plus. Les mûriers, au nombre de près de cent mille sur cent vingt deux hectares, donnent, au printemps, assez de feuilles, pour occuper presque tous les ménages à l’éducation des vers à soie. Grâce à l’eau qu’il avait à sa disposition, Mr Deshayes put créer une pépinière, dans laquelle il éleva des abricotiers, des amandiers, des mûriers, etc. afin de remplacer, si nécessaire, les manquants et faire de nouvelles plantations. Les fièvres l’empêchèrent de continuer son travail. Il donna sa démission au mois d’avril 1894, pour céder la place à Mr Péretz Pascal, ex-élève de l’Ecole d’horticulture de Versailles. Lui-même, il y a trois ans, demanda à se retirer, pour se faire installer colon à Pétah-Tikveh. Il fut remplacé par Mr Ch. Cohn232, ex-directeur des cultures de Pétach-Tikveh et diplômé de plusieurs écoles d’agriculture d’Europe.
230 Mordecai Weidenfeld était le fils d’un colon fondateur de Rosch Pinah, où il devint aide jardinier (1886/7-1889), puis jardinier et responsable des vignes (1889-1894), et enfin jardinier à Yessod Hamaalah (1894-1900). Colon à Rosch Pinah à partir de 1900. 231 Samuel (Abele) Horovitz ou Hurwitz appartint au service des colonies de 1887 à 1899, d’abord à Zicron Jacob, puis en Galilée, où il fut déplacé en raison du soutien qu’il avait accordé à la révolte des colons en 1888. Il devint aide jardinier à Rosch Pinah en 1889, puis jardinier et responsable des plantations (1891-1892). Il s’occupa également de Ein Zeïtoun à partir de 1897. Il s’établit comme colon en 1899. 232 Hayyim Cohn dirigea successivement les cultures de Pétach Tikvah et de Roch Pinah. Cf. p. 204.
CHAPITRE XXXIII : ROSCH-PINAH. AGRANDISSEMENT
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Mr Pascal s’était donné beaucoup de peine. Il fit planter environ quatre vingt cinq hectares d’amandiers, qui viennent bien, sur une étendue de cinquante cinq hectares seulement, avec vingt huit mille233 arbres. Le reste a dépéri, par suite des mauvaises conditions des terrains qui les portaient. Pour les mêmes raisons et pour d’autres, il a échoué dans sa plantation d’oliviers, que, malgré l’avis de Mr Ermens, il planta en sauvageons, au lieu de prendre des sujets de pépinières. Il avait planté quatre vingt deux hectares, sur lesquels il n’en reste plus que soixante avec huit mille arbres. Il réussit aussi une gentille petite cédraterie d’un demi-hectare, en profitant d’un filet d’eau qui se serait perdu sans cela. Une orangerie de deux hectares fut créée par Mr Cohn, son successeur. Pour suivre les ordres de Monsieur le baron, Mr Pascal avait planté, pour commencer, une cinquantaine d’hectares en abricotiers. Ils réussirent très bien et montrèrent déjà de jolies têtes au bout d’un an, lorsque les racines en furent mangées par un ver, ce qui mit fin à la culture de cet arbre, à RoschPinah. On s’est pourtant décidé, maintenant, à partager, enfin, entre les colons les terres qui s’y trouvent. Seulement, il n’y en a plus pour tout le monde, car, aujourd’hui, on est d’avis que les colons doivent, de préférence, faire la grande culture, et les trente six familles primitives sont devenues soixante. De sorte que chacun reçoit un peu de vignes, des mûriers, des oliviers, des amandiers, avec une portion de terre pour la grande culture. Les autres pourront être installés dans le voisinage. Afin de dresser les jardiniers au séchage des raisins, Monsieur le baron y avait fait venir, en 1897 et 1898, deux ouvriers espagnols, qui ont préparé le raisin sec et ont montré à Mr Cohn et à son premier aide, Mr Horovitz, excellent jardinier, comment on fait de belle et bonne marchandise. Il s’agit, seulement, de lui trouver des débouchés. On est aussi en train d’y essayer des variétés fines de tabac, pour rester, autant que possible, dans les idées de Monsieur le baron. Le premier essai a parfaitement réussi. Malheureusement, le second a eu, passablement, à souffrir des sauterelles, qui avaient fait leur apparition en Palestine.
233
Autre texte : vingt mille.
Chapitre XXXIV TROISIÈME ROUTE POUR ROSCH-PINAH
Depuis mon début, tout a changé. Ceux qui iront, maintenant, de Caïffa à Rosch-Pinah, n’auront plus besoin de prendre ces chemins impossibles, que j’ai décrits comme j’ai pu. Ils se mettront en voiture à Zicron-Jacob et la garderont pour aller à Nazareth et à Tibériade. La route est excellente, et de Caïffa à Nazareth, c’est, peut être, le seul endroit, presque, de la Palestine, où, tout le temps, vous voyez des arbres au bord du chemin, comme sur les monticules. C’est plus souriant, dans tous les cas, que ces vastes paysages nus, n’ayant ni végétation, ni terre même, qu’on est si souvent appelé à rencontrer dans ce pays si peu boisé. On y trouve, en général, des cultures bien comprises et l’on en détache d’autant moins volontiers la vue, que l’on sait d’avance que ce spectacle souriant ne durera pas toujours. Je ne m’attarderai pas à donner une description de Nazareth, dont tant d’auteurs ont déjà parlé, avec plus ou moins d’exaltation. La ville est plus animée que les centres arabes. Les femmes sortent davantage et, en leur qualité de chrétiennes, ne sont pas voilées. Leur corsage, à moitié décolleté, laissant voir une peau bien blanche et non tatouée, leur donne un cachet particulier. La crypte et l’église de la Nativité sont plus claires et plus jolies que celles de Bethléhem. La fameuse fontaine illustrée par Marie234, et qui se trouve en dehors de la ville, sur la route de Caïffa, perd de sa poésie quand on s’en approche. Vous y voyez, pêle-mêle, bergers, femmes, filles, cavaliers, voulant tous prendre de l’eau, pour eux ou pour leurs bêtes, en même temps, et qui se lancent continuellement à la figure, tout le répertoire si varié des gros mots, que les Arabes ont à leur disposition. Les Juifs ne s’y rencontrent pas, parce que l’orthodoxie chrétienne ne les y tolérerait pas. Nazareth peut déjà compter pour une ville, maintenant que, depuis deux ans, un allemand de Caïffa y a ouvert un hôtel. De Nazareth à Tibériade, vous continuez votre route, après le déjeuner, encore en voiture. En sortant de Nazareth, vous ne faites que descendre à travers un pays pittoresquement nu. Autour de Cana, il y a quelques gentils 234
La fontaine de la Vierge, sur la route de Cana, à proximité de l’église Saint Gabriel.
CHAPITRE XXXIV : TROISIÈME ROUTE POUR ROSCH-PINAH
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jardins. Cana est un tout petit village, qui a aussi une minuscule église catholique, et sa fontaine publique, qui est le rendez-vous des femmes cherchant l’eau pour la journée. Comme Tibériade est à plus de deux cents mètres au dessous du niveau de la mer, vous ne faites qu’accentuer la descente par une route tortueuse et zigzagant à travers des rochers. Mais en arrivant dans la petite ville, vous y avez maintenant, outre un hôtel grec, un hôtel tenu par un des allemands de Caïffa. Vous pouvez donc ainsi, presque sans fatigue, aller, en un jour, de Caïffa à Tibériade. Le lendemain, vous renvoyez votre voiture, vous prenez une barque et vous vous faites conduire, tout au nord du lac, à Tabha235, où existe, au bord de l’eau, la demeure d’un prêtre catholique de Thionville, qui vous reçoit comme un frère. Vous prenez un peu de repos chez lui, avec un rafraichissement que le curé offre de si bonne grâce, qu’on ne saurait refuser. Par exemple, je ne conseillerai à personne de prendre le lac en hiver, car, d’une minute à l’autre, à cette époque de l’année, vous pouvez être surpris par une tempête. Et elles sont effrayantes sur ce petit lac. Messieurs Niégo et Bénédic236, tous deux employés de l’Alliance, en ont eu un aperçu au commencement de l’année 1898. Ils ont failli être noyés. Après avoir eu, toute la journée de vendredi, à lutter contre les vagues, ils sont, enfin, arrivés le soir, mouillés et exténués de fatigues chez le curé de Tabha, chez qui ils passèrent le samedi. Les employés des colonies en savent, aussi, quelque chose. A Tabha, on remonte à cheval, et on arrive, pour le déjeuner, à RoschPinah. Pendant une demi-heure, à la montée vers la colonie, on a, aujourd’hui, tout le nouveau village sous les yeux, avec une route carrossable, qui descend, plus doucement que par le passé, vers le Jourdain. Et les arbres qui longent la route pendant plus de deux kilomètres, et les vignobles d’un côté, suivis bientôt de ces immenses plantations d’amandiers et de mûriers, vous donnent un aperçu de tout ce qu’il y a lieu de réaliser avec de l’argent, de la patience et de l’opiniâtreté. Et quand vous venez, aujourd’hui, par la route que les colons ont créée du côté de Saffed, vous voyez également dans le lointain, à votre gauche, comme une oasis, la petite colonie de Yessod-Hamalah, assise au bord du lac de Méron. Et vous arrivez à l’administration par une route vraiment européenne, après avoir pu admirer, sous vos yeux, toutes ces nouvelles constructions faites ces dernières années. 235
Sur la rive Nord du lac de Tibériade. Sylvain Bénédict (1866-1938) termina ses études rabbiniques en 1890. Il devait bientôt entrer au service de l’A.I.U. dont il fut le secrétaire général adjoint pendant quarante ans. 236
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L’administrateur, Mr Wormser a, à côté de lui, comme sous-administrateur, Mr Dreyfus Gaston, ex-élève du Séminaire Israélite de Paris237. Les caissiers-comptables qui y ont été et qui ont successivement quitté, sont MMrs Salomon, Neustein et Penso. Un nouveau comptable s’y est rendu récemment. C’est Mr Cohn, qui était à Zicron-Jacob. Plus haut j’ai relaté qu’on faisait du raisin sec de Malaga. Seulement, d’après les spécialistes, on ne peut se servir, pour cela, que des raisins de tout premier choix. Qu’on veuille donc ou non, il y a lieu de préparer du vin doux avec le raisin ordinaire. A cet effet, on est en train, sous la direction de l’architecte Mr Varon, d’y établir des celliers. Espérons que la qualité en sera bonne et goûtée. Je ne devrais pas finir ce chapitre sur quelque chose de triste. Je reculai toujours. Mais ne voulant rien omettre, je dois en parler. Yessod-Hamalah est entourée de marais de trois côtés. Les fièvres intermittentes y sont à l’ordre du jour. Elles ne comptent pas. On n’y fait même pas attention. Malheureusement, la fièvre biliaire y fait, tous les ans, plus de victimes, et, en hiver, c’est une vraie panique. Il y a de quoi, en effet. Car, quel que soit le dévouement du médecin de Rosch-Pinah, les plus forts y sont emportés. Quand l’un d’eux est atteint, il n’y a, en dehors des soins médicaux, que le changement d’air, pour le sauver. Rosch-Pinah, à deux lieues de là, en est indemne. La colonie est à 460 mètres d’altitude et très saine, malgré certains dires intéressés. On a donc décidé d’y élever un petit hôpital, rien que pour y recevoir les malades de Yessod-Hamalah. Il va, bientôt, être terminé. Plût au ciel qu’il restât vide à jamais. C’est le vœu ardent que je forme pour ces pauvres gens.
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De 1895 à 1897. Il ne semble pas y avoir terminé ses études.
Chapitre XXXV YESSOD-HAMALAH
Monsieur Abraham Grunberg238, président des Hoveveï Zion d’Odessa, avait réuni des fonds d’une vingtaine de familles russes, qui voulaient aller coloniser en Palestine. Il fit acheter pour leur compte, environ deux cent vingt hectares de terre sur les bords du lac de Méron, à droite du Jourdain. Les Arabes l’appellent le lac du Houlé. La gauche est extrêmement marécageuse, et, à droite, au nord du lac, tout le long du Jourdain, il y a également près de dix mille hectares de marais. En sorte que le climat de cette colonie est excessivement malsain, et plus d’une famille s’est vu enlever, par les fièvres biliaires, des hommes jeunes et forts. On a bien entouré la colonie d’un massif d’eucalyptus. Mais cela ne suffit pas. Un autre inconvénient qu’avait cette colonie, c’est qu’elle était indivise avec celle des bédouins sédentaires, qui y résidaient à demeure fixe, sous leurs tentes. Le terrain est inscrit au cadastre sous le nom de Sbed. Les Israélites l’appelèrent Yessod-Hamalah, c’est à dire fondation supérieure. Douze de ces familles russes s’y rendirent en 1886 et y trouvèrent une baraque et une vieille écurie, mais sur le point de tomber en ruines. Les Israélites travaillèrent pendant une dizaine d’années, en commun, avec les bédouins, qui ne voulurent jamais entendre parler de partage, et jamais il n’y eut de discussions entre les colons et les arabes. Ce qui est la preuve bien flagrante que les juifs étaient d’excellents ouvriers ; sans cela, les bédouins leur auraient cherché toutes sortes de misères, lors du partage des moissons en parts égales. Je veux ajouter, de suite, qu’il y a environ trois ans, Mr Ossowetzki est parvenu à s’arranger avec les bédouins, en leur achetant, à deux lieues plus au nord, un terrain qui leur fut donné en échange de celui qu’ils abandonnaient à Yessod-Hamalah. Les Israélites sont donc, aujourd’hui, maîtres chez eux. Après que Monsieur le baron eut acheté Custinié, près de Gaza, Mr Abraham Grunberg y prit treize cents dounoums de terrain, en place de pareille quantité qu’il possédait à Yessod-Hamalah. 238 A. Grunberg (1841-1906) dirigea le mouvement des Hovevei-Sion russes pendant quatorze ans. Il joua un rôle important dans l’établissement et le développement des colonies de Kastinié et de Yessod Hamaalah.
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Ce sont de vrais paysans. Ils en ont donné des preuves palpables. N’ayant pas de caisse bien garnie derrière eux, ils cherchèrent, dès le début, en vrais pionniers, à se tirer d’affaires tout seuls. Chacun se fit une baraque en branches tressées de lauriers-roses. Ils établirent de même, ainsi, des huttes pour une synagogue et une pharmacie. L’intérieur était couvert d’un peu de mortier et blanchi à la chaux, et ils n’y vécurent pas plus malheureux que ceux de leurs frères, qui voulurent se payer, dès leur arrivée, le luxe de maisons en pierres. Et ils restèrent ainsi pendant cinq ans, sans recevoir de secours de personne, et sans vouloir en demander. Tout le monde travaillait, hommes, femmes et enfants. Avec les quatre vingt dix dounoums de terre qu’avait chaque famille, ces gens n’auraient pas pu se nourrir, si Monsieur le baron n’avait pas été leur voisin. Comme il y envoya, de suite, à titre de chef des cultures, Mr Behor Alhatef239, premier élève de Mikveh Israël, ancien jardinier du baron Oustinof240 à Jaffa, et de Pétach-Tikveh, celui-ci eut pour mission d’y créer une pépinière pour la production de tous les arbres, qui devaient être plantés, plus tard. Les colons y trouvèrent donc de l’ouvrage à la journée, et ce salaire, ajouté au montant de leur moisson, leur procurait les moyens de joindre les deux bouts à la fin de l’année. En 1891, Monsieur le baron, voyant qu’ils n’auraient jamais assez d’argent pour se faire élever des demeures plus saines que celles qu’ils occupaient depuis cinq ans, eut pitié d’eux. A une lieue de là, en descendant le long du Jourdain, un peu avant d’arriver au pont des filles de Jacob241, se trouvaient les ruines d’une ancienne ville d’eaux. Il en existe les restes d’un bassin, avec une source d’eau sulfureuse, où, en passant, les arabes prennent encore des bains. Monsieur le baron promit aux colons de leur faire construire des maisons, s’ils consentaient à aller là, chercher les pierres nécessaires. A cet effet, il leur donna, à chacun, une voiture, dont ils pouvaient, en même temps, se servir pour les besoins de l’agriculture. Ils commencèrent, avant tout, à confectionner une route carrossable jusqu’au pont ; puis ils ramassèrent, chacun, assez de pierres, qu’ils transportèrent, dans leurs moments perdus, à Yessod-Hamalah, et on leur en fit des maisons confortables. Et ainsi se forma le village, à la place des anciennes huttes. Toutes les maisons furent couvertes de tuiles, et presque chacune d’elles a, dans son voisinage, une écurie et un potager. 239 Né à Rhodes en 1857, Nissim Bekhor Alhatef arriva en Terre Sainte en 1869. Il fut un des premiers élèves de Mikveh Israel. Il se perfectionna ensuite en horticulture en France. Jardinier à Petah Tikvah à parir de 1886, puis à Rischon-le-Sion jusqu’en 1889 et à Yessod Hamaalah de jusqu’en 1897, quand il s’y établit comme colon. 240 Le baron Plato von Ustinov (1840-1918) s’était installé à Jaffa, où il possédait l’Hôtel du Parc. Il faisait partie du milieu protestant local. 241 Il franchit le Jourdain à quinze kilomètres au Nord de Tibériade.
CHAPITRE XXXV : YESSOD-HAMALAH
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Dans le nouveau quartier de Rosch-Pinah, les maisons sont aussi couvertes de tuiles. Monsieur le baron n’en était pas un amateur, parce qu’il ne voulait pas, par ces taches rouges, qui se voient de très loin, attirer sur son œuvre les regards indiscrets des touristes. Il a pu se convaincre que tout le monde ne les voit pas. L’auteur de Galilée,242 dans la description de son voyage de Tibériade à Damas, a longé le Jourdain. Il n’oublie pas une baraque de fellahs, ni une touffe de bleuets ou une tente de bédouins. Chaque petit coin a eu sa page très éloquente. Il a dû friser Yessod-Hamalah, laissant Rosch-Pinah sur la hauteur, à sa gauche. Et il n’a pas vu une seule maison européenne, puisqu’il trouve moyen de ne pas les relater. Aux premiers colons s’étaient joints trois autres familles, dont les maisons voisinent avec celles précédemment construites. Tout cela ne forme qu’une rue très droite. Dans cette rue se trouvent également la maison de Mr Aboulafia243, administrateur, auparavant sous-directeur à PétachTikveh, celle du jardinier, du préposé aux essences, un immense magasin et une habitation, dont on a fait l’école, et une petite synagogue. Cette rue assez longue, avec des trottoirs des deux côtés, garnies d’eucalyptus d’un bout à l’autre, ayant le lac de Méron au fond, est la Cannebière de la Palestine. Ce petit lac de Méron, qui est à deux cents mètres d’altitude et n’a que cinq à dix mètres de profondeur, a aussi des tempêtes incroyables en hiver. Il renferme énormément de poissons. Le Jourdain, qui y entre par le Nord en ruisseau, en sort au Sud en rivière, qui devient assez rapide à partir du pont, puisque, jusqu’au lac de Tibériade, qui n’en est séparé que d’une vingtaine de kilomètres, il y a une différence d’altitude de trois cents mètres. En dehors des terrains cédés par Mr Grunberg et les bédouins, Monsieur le baron a encore acheté ceux qui y touchent et qui s’appellent Alma244 et Maroutié245. Récemment il en a recédé deux mille dounoums à Mr de Poliakoff, qui a exprimé le désir d’y installer une dizaine de colons. En dehors de ce que j’ai décrit, la colonie a pris une jolie extension ces dernières années. Mr le baron y a installé comme colons, d’abord le jardinier Behor246, ensuite ses anciens collègues Warhaftig247 de Yessod Hamalah,
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Pierre Loti. Cf. p. 46 note 41. Meir Aboulafia, qui était originaire de Damas, fut administrateur de Petach-Tikvah (1888-1892), de Yessod Hamaalah (1892) et de Metoulah de 1888 jusqu’à 1899 au moins. 244 En Haute Galilée. 245 Au Nord de Safed. Cf. p. 205. 246 Alhadef. Cf. p. « 202 ». 247 Moïse Warhaftig-Amitaï appartint à l’administration des colonies de 1886 à 1898, d’abord à Zicron Jacob (1886-1887), puis à Roch Pinah (1886-1887), où il devint ensuite jardinier et responsable de la pépinière et des plantations (1888-1898), après quoi il s’établit comme colon à Yessod Hamaalah. 243
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Papo248, ex-jardinier à Custinié, Blumenfeld249 et Graf250, ex-aides jardiniers à Zicron-Jacob. Ces quatre derniers voulant absolument vivre en paysans et ne rien laisser se perdre, se sont fait construire, chacun, sa maison et son écurie sur son terrain même. De la sorte, on trouve, en dehors du village et dans son voisinage direct, quatre jeunes fermiers, qui ne craignent pas de demeurer isolément. Les pépinières touchent à leur fin. Les colons de Yessod-Hamalah n’y trouvent plus beaucoup d’ouvrage. Aussi Monsieur le baron a-t-il décidé de donner, à chacun d’eux, assez de terres pour vivre et s’acquitter de l’avance qu’il leur fait. Ils recevront, chacun, de quoi faire la grande culture, et une certaine quantité d’arbres fruitiers. Monsieur le baron avait eu l’idée d’essayer, dans ce coin, toutes les variétés d’essences qui sont demandées. On a commencé par le géranium-rosa. Seulement, le voisinage de l’Hermon, toute l’année couvert de neige, est cause que la température s’abaisse énormément en hiver et quelquefois descend à 0°. Aussi, une nuit, le géranium a été brûlé par le froid. On a dû l’y laisser de côté. Ensuite, on a fait venir des rosiers des environs de Cannes. Au début, le résultat était assez bon. Cette culture, et surtout la distillation, ont été successivement entre les mains de MMrs Brociner251, Nescher, Joseph Pascal et Arcel252. Au fur et à mesure que les rosiers vieillissent, le résultat est moindre. C’est dommage, car l’essence était meilleure que celle de Kazanlik253, et rivalisait, presque, avec celle de Cannes. A côté de ces produits, on a planté passablement de bigaradiers, pour l’essence de fleurs d’orangers. On y a fait aussi des orangeries et des plantations d’oliviers, de mûriers, d’abricotiers et d’amandiers. Toutes ces cultures sont sous la haute direction de Monsieur Ch.254, chef-jardinier à Rosch-Pinah. Voici les ordres qui avaient été donnés au mois de juillet 1891 par Monsieur le baron : « Dans les nouveaux terrains, s’arranger de manière à faire 300 à 350 hectares de plantes à parfum. C’est là qu’on doit faire 248
Probablement un parent du mécanicien Jacob Papo. Cf. p. 11. Parent de Benjamin Blumenfeld. Il se rendit dès son arrivée en Terre Sainte en 1884 à Zicron-Jacob. 250 Les frères Joseph Salomon et Pesach Alter Graf travaillèrent dans l’administration des colonies à partir de 1889 à Zicron Jacob et Yessod Hamaalah. Pesach tomba malade et partit en Amérique, d’où il revint pour devenir colon à Zicron Jacob en 1905. 251 Il fit partie du service des colonies de 1890 à 1895. Contremaître de la cave de Richonle-Sion en 1890/1 et sans doute aussi en 1894. Chef parfumeur à Yessod Hamaalah de 1891 à 1894 et chimiste de la cave de Zicron Jacob en 1894. Il partit s’établir comme pharmacien à Paris en 1895. Cf. p. 249. 252 Sans doute tous chimistes. Cf. p. 249. 253 Kazanlak. Ville bulgare qui est le centre de l’industrie de la rose. 254 Il avait été auparavant à Pétach-Tikvah. Cf. p. 196-197, 301. 249
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aussi cent hectares de mûriers pour les enfants de Saffed, cent hectares d’amandiers, cent hectares de pistachiers et cent hectares de figuiers et abricotiers. » Il est évident qu’avec les quatre cents hectares qui existaient primitivement, on n’aurait pas pu se permettre de commander toutes ces plantations. Mais Monsieur le baron y avait, successivement, acheté cinq cent quatre vingt hectares de terres à Alma, deux cent vingt à Maroutié et soixante tout à côté, ce qui fait, en tout, douze cent soixante hectares, dont, comme dit, Mr de Poliakoff a reçu deux mille dounoums. Seulement, le terrain ne se prêtait pas à toutes les plantations, que désirait Monsieur le baron. Ainsi les quinze hectares d’abricotiers et les quatre hectares d’amandiers, qui y avaient été faits à l’essai, ont dépéri, pour les mêmes raisons qu’à Rosch-Pinah. Mais il y a encore vingt hectares d’admirables orangers, au nombre de sept mille, qui voisinent avec mille bigaradiers et quatorze cents bergamotiers, lesquels promettent d’excellents résultats. Il s’y trouve, en outre, quarante trois hectares d’oliviers en pleine croissance, seize hectares de mûriers et près de deux hectares de figuiers. Nous sommes loin des quantités demandées. Mais, comme je suis obligé de le répéter à chaque instant, peu à peu Monsieur le baron a fini par accepter l’idée qu’il vaudrait mieux faire la grande culture, partout où elle est possible, et ne songer aux plantations que le jour où les colons seront à leur aise.
Chapitre XXXVI MÉTOULEH255
Quand on quitte Yessod-Hamalah vers le Nord, en se dirigeant du côté du petit pont qui conduit à Banias et à la source du Jourdain, on longe, pendant deux heures, une suite de marais, qui vont jusqu’au fleuve et qui ont bien plus de trois kilomètres de largeur. Ces marais appartiennent à l’Etat. En été ils sont couverts de bandes de bédouins, qui tirent parti du terrain comme ils peuvent. Ils vivent avec la Malaria, et si l’un d’entre eux en meurt, c’est que le bon Dieu avait trouvé qu’il était trop faible pour rester ici-bas. Par conséquent, il vaut mieux pour lui, ajoutent-ils, de s’en aller. En hiver, à cause de la trop grande boue, ils se réfugient, avec leurs tentes, sur les montagnes voisines. Au haut d’une de ces montagnes, se trouvent les ruines d’une ancienne ville de la tribu de Nephtali, appelée pour cela Kedès-Nephtali256. On soutient que Déborah y fut enterrée. On y trouve aussi quelques grands sarcophages, dont quelques uns ont encore, à titre d’ornements, des rosettes sur les côtés. Les couvercles sont excessivement bien travaillés. Ces sarcophages ont été vidés et plusieurs d’entre eux servent d’auges aux Arabes. A l’Est on y trouve aussi les ruines très bien conservées d’une vaste synagogue. Ces hauteurs sont peu habitées. Pour le début, j’ai fait la route de Metouléh à cheval. Seulement, comme on n’avance pas dans ces marécages, on risque fort d’y attraper les fièvres. Pour aller plus vite, il vaut mieux s’y rendre en voiture. A l’époque, c’était impraticable. Pour y arriver, il nous a fallu faire enlever une énorme quantité de pierres qui jonchaient le sol. Et dans ces parages, malgré les trois chevaux qui sont attelés à une voiture légère, il m’est arrivé souvent d’y rester embourbé et d’avoir besoin, pour en sortir, d’atteler encore, pendant quelques minutes, les chevaux qui nous suivaient et qu’on dételait d’une autre voiture. La première fois que j’y passai en voiture, les bédouins, qui me connaissent, tous, dans ces parages, me supplièrent de descendre, pour prendre un café chez eux, afin que leurs femmes et leurs enfants pussent, pendant ce temps, examiner à leur aise le « Moulin tournant », qui me changeait ainsi de place. 255 256
Metoulah. Tell de Haute Galilée.
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Plus loin, quand il n’y avait pas d’hommes, les femmes, prises de peur devant cette machine infernale, dont les roues tournaient toutes seules, et dans lequel devait se trouver un être diabolique, qui se chargeait de les mouvoir, s’enfuyaient à droite et à gauche, et stationnaient au loin, les yeux hagards et démesurément ouverts, et la bouche béante, pour nous fixer comme des types surnaturels. Il est évident que, pour elles, nous étions de connivence avec le diable. Avec un257 automobile, c’eût été un vrai délire. Au bout de deux heures de marche très pénible, on rencontre des constructions en pierres, qui forment les écuries du Cheik Jouseph, le chef de ces bédouins. Car il est bon de faire remarquer, que si le bédouin ne peut loger que sous la tente, parce qu’il trouve que dans les maisons il n’y a pas assez d’air, il met ses bêtes à l’abri de ces étables, pendant l’hiver. Et de là, nous avons encore deux heures à parcourir avant d’arriver à Metoulé, la nouvelle colonie fondée par Monsieur le baron. Là, où nous allions la première fois, on ne saurait passer qu’à cheval. Il y a un tas de ravins qui ne permettraient pas le passage d’une voiture. Mais les colons, voulant travailler à l’européenne, se sont empressés, dès leur arrivée, de faire eux-mêmes une route carrossable de six à huit kilomètres de longueur, serpentant à travers les montagnes. Metoulé est à six cent soixante mètres d’altitude et fait face à l’Hermon, de sorte qu’il n’y fait jamais trop chaud. En hiver, il y fait même trop froid. Je m’en suis aperçu en 1898. Je devais visiter cette colonie. C’était au commencement du mois de mars. L’hiver, pour ainsi dire, était donc passé. Et cependant, il faisait bien froid dans ces pays montagneux. A Rosch-Pinah, nous avions du feu toute la journée. Je partis le sept mars, pour aller inspecter la colonie de YessodHamalah, sise entre Rosch-Pinah et Metoulé. Il va sans dire que j’étais couvert de mes habits d’hiver. Il y avait, dans la journée, dix degrés de chaleur. Dans ces contrées, lorsqu’on y a une fois passé quelques étés, on est beaucoup plus frileux qu’en Europe. Il faut donc bien se vêtir. Car en Europe, quand on se refroidit, on peut attraper un rhume de cerveau, tandis que dans ces pays chauds, les refroidissements donnent la fièvre. Je me lève, le huit, au matin, à Yessod-Hamalah, et je tombe, avec mes vêtements épais, dans un sirocco, qui nous fournit trente cinq degrés à l’ombre, avec une chaleur suffocante. Dans ces absences de trois à quatre jours, je trouvais inutile de me faire suivre encore de ma garde-robe. Ma cuisine et mes conserves sont déjà assez encombrantes. Je ne pouvais donc pas me changer. Et ma place est, tout le jour, à courir au dehors. On se figure dans quel état je me trouvai le soir, après cette suite ininterrompue de bains de vapeur. Le sirocco, cette fois, ne dura qu’une journée. 257
Sic !
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Le lendemain, neuf mars, je repartais à six heures du matin, en char à bancs, pour Metoulé. Le froid était redevenu intense. Le thermomètre marquait + 7°, pour nous montrer la différence entre les deux journées. Au bout d’une heure, nous fûmes arrosés par une pluie battante, qui ne nous quitta plus. Nous arrivâmes à Metoulé dans un triste état. Et comme l’inspecteur, alors, n’était pas une personne qui comptait, il n’eut pas besoin de chambre pour se réchauffer. Tant pis, s’il y reste. Un de perdu, dix de trouvés. Son successeur aura certainement plus de commodités, et trouvera, peut être, plus d’égards de la part de son chef. Mes amis, comme mes ennemis, seront, quand même, obligés de convenir que j’ai toujours été de corps et d’âme pour cette chose colossale que Monsieur le baron a fondée, ce que ne peuvent savoir, du reste, que ceux qui m’ont vu à l’œuvre. Jamais je ne me suis plaint devant un employé de la manière dont j’étais traité, ne voulant pas qu’il eût, de son côté, une excuse pour faire des réclamations. Dans la maison qui porte le nom pompeux d’administration, on me reçoit dans une espèce de corridor, qui sert, en même temps, de salle à manger. Nous sommes tous transis de froid. En notre honneur, on avait, à la hâte, installé dans ce ridicule couloir, un petit poêle, avec des tuyaux, qui ne s’y adaptaient pas exactement. La fumée m’étouffait. Je donnai donc ordre d’éteindre le feu, préférant souffrir du froid que d’être aveuglé par la fumée. Le soir, je dus coucher dans une petite chambre, partagée avec un des employés qui m’accompagnaient. J’y passai deux jours. Le dix au soir, je me fis retransporter à Yessod-Hamalah, d’où je repartis, en pleine neige, le 11 au matin, pour retourner à Rosch-Pinah. Ces changements brusques de température vous donnent, forcément, la fièvre. Je ne manquai pas de l’avoir, et je dus m’aliter pendant plusieurs jours. Les agréments de l’inspecteur sont encore les suivants : je suis obligé de faire une visite officielle au Caïmakam de Saffed. La ville est à 800 mètres d’altitude. Donc, il y fait bien froid au mois de mars. Je vais voir le Gouverneur. Je ne puis entrer chez lui, avec un pardessus. L’usage veut que je le laisse à la porte, entre les mains d’un domestique, et que j’entre au salon, sanglé dans une redingote noire. Au salon, il n’y a pas de feu. On n’est pas organisé pour cela. Le gouverneur vous reçoit, enveloppé d’une pelisse. Il n’a donc pas froid. En Europe, vous fileriez au bout de quelques minutes. Ici, il vous est défendu de partir, avant d’avoir pris le café. Et plus on vous garde, plus on vous fait honneur. Donc, on n’apporte le café qu’au bout d’une demi-heure. Et par suite on est donc forcé, ainsi, d’attraper la fièvre, surtout quand, comme moi, on n’a jamais été débarrassé des germes de la Malaria. Depuis quelques années on a inauguré une nouvelle manière de vous faire plaisir. On a remplacé, en hiver, le café par un verre de thé. Et comme, outre
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le Gouverneur, on doit, pour ne pas faire de jaloux et se créer des ennemis, au sortir de chez le Caïmakam, aller faire des visites à tous les personnages de marque de la petite ville. Chez personne vous ne pouvez refuser le verre de thé. Aussi qu’on se figure l’état dans lequel je me trouvais, lorsque dans une demi-journée, j’avais avalé une demie-douzaine de verres de thé. Ce sont les plaisirs du métier, qu’on ne compte jamais. Il faut que cela soit. Je pourrai multiplier les exemples, mais je préfère revenir à mes moutons. Mr Ossowetzki, pendant qu’il était administrateur de Rosch-Pinah, avait constamment en vue l’agrandissement du domaine de Monsieur le baron. Il lui avait fait, dans cette intention un tel tableau de Metoulé, qu’il fut autorisé à acheter ce village, habité par des Druzes, et qui, selon lui, voulaient quitter le pays. Voici, du reste, copie textuelle de ce qu’écrivait Mr Ossowetzki : « Les Druzes désirent vendre maisons et jardins, et s’en aller définitivement. Ce serait un bon débarras. De toutes les peuplades de la Syrie, les Druzes sont les plus indisciplinés, les plus insubordonnés. Ils ont, de tout temps, donné du fil à retordre au Gouvernement. Les révoltes qui sont à l’état permanent dans le Horan, sont l’œuvre des Druzes. Il serait donc heureux d’être débarrassé de ce voisinage désagréable. Et alors le comité possédera une des plus belles propriétés que l’on puisse avoir en Palestine. De l’eau en abondance, sources, rivières et une rosée abondante que le Hermon répartit tout autour. Un climat délicieux, une température froide, pas de fièvres, pas de maladies. On pourrait y faire toutes les cultures d’Europe, pommiers, poiriers, etc. » D’après lui, il y avait treize mille dounoums de terres, dont douze mille de tout premier choix, avec de l’eau à revendre. C’était donc une bonne acquisition. A peine avait-on réglé avec les Druzes, qu’ils commencèrent à chercher des chicanes, en soutenant qu’on les avait contraints de vendre. Ces chicanes durèrent quelques années. Se basant sur la qualité des douze mille dounoums de terres dépeints, sous de si belles couleurs, par Mr Ossowetzki, Monsieur le baron y envoya soixante anciens ouvriers des colonies, de ceux qui avaient le plus d’années de service et auxquels les jardiniers avaient donné les meilleures notes, comme travail et conduite, pour en faire des colons. Ils y sont, et, malheureusement, on a trouvé après coup, que les treize mille dounoums de terre ne renfermaient, au maximum, que les deux tiers pouvant être, de suite, utilisés pour la grande culture. Le restant devra d’abord être épierré et convenablement défoncé. Chacun des colons reçoit donc tout ce qu’on a pu lui attribuer de convenable, tout au plus cent vingt dounoums, au lieu de deux cents dont il avait été question primitivement, et il espère qu’avec un peu de potager, quelques
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hectares de tabac et d’autres petites cultures industrielles, il pourra se nourrir, en employant le surplus pour la grande culture. On a réparti entre eux les quelques centaines d’arbres fruitiers que les fellahs avaient laissés derrière eux. Avec un peu de potager, quelques hectares de tabac et d’autres petites cultures industrielles, les colons pourront se nourrir, en employant le surplus pour la grande culture. Ils sont sous la direction de l’administration de Rosch-Pinah.
Chapitre XXXVII MISCHMAR-HAYARDEN
C’est à peu près ce que les Allemands appellent « Die Wacht am Rhein, » puisque la traduction de ce titre est « La Garde du Jourdain. » Et, en effet, si vous vous mettez sur le pont du Jourdain, à vingt minutes plus bas, que vous vous tourniez vers le Nord, et que vous regardiez bien ce petit groupe de maisons, il vous semble qu’elles font mine de se précipiter vers vous, pour garder le pont. Au mois de décembre 1884, pendant que j’étais à Rosch-Pinah, je vis, un matin, entrer dans le taudis que j’occupais, un monsieur en pantoufles brodées, et affublé d’une longue robe de chambre, avec un bonnet également brodé sur la tête. Je me demandai d’où tombait ce personnage, quand, il me tint, à peu près, ce langage : « Je me nomme Lubovski ; je possède à une lieue et demie d’ici, plus de deux mille dounoums258, qui descendent jusqu’au Jourdain. Je veux me faire colon. Que me conseillez vous ? » Je le regardai bien en face. « D’abord, dis-je, les colons n’ont pas l’habitude de se promener en robe de chambre, et si vous désirez arriver à un résultat, il vous faudra vous habiller comme les paysans et travailler de vos mains. » – C’est ce que je ferai, me répondit-il. J’ai deux fils en Amérique. Je les ferai venir et nous nous débrouillerons ensemble. – Vos fils, répartis-je, ne sont pas des agriculteurs, en admettant qu’ils consentent à vous rejoindre, et vous n’arriverez à rien. Vous ne pouvez pas vous adonner à la grande culture, car les bédouins rentreraient la moisson pour leur compte. – Alors, que me reste-t-il à faire ? – Voici, répliquai-je, comment je m’arrangerai, si j’étais à votre place. Je louerai tout le terrain à des Arabes. Je prendrai, selon l’habitude du pays, le cinquième de la récolte, dont une partie me servirait à vivre, et dont j’emploierai le surplus à la plantation d’oliviers à dix mètres de distance, dans tous les sens, sur toute la propriété. De cette manière, dans une quinzaine d’années, vous aurez décuplé la valeur de ce que vous avez aujourd’hui. – Vous avez raison, me dit-il, je vous en remercie bien, je vais suivre vos conseils. » Naturellement, comme bien on pense, il n’en fit rien, retira le moins possible de son terrain et, après avoir mangé le peu d’argent disponible qu’il 258
Il avait acheté cette terre en 1884.
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possédait, il vint, ainsi que celui de ses deux fils qui était revenu d’Amérique, travailler à la journée, à Yessod-Hamalah. Schoub, l’acheteur de Rosch-Pinah, après avoir quitté la Roumanie pour devenir colon, vint me supplier, à peine qu’il était installé, de le prendre pour instituteur d’hébreu. Je le nommai à Rosch-Pinah. En 1890 il donna sa démission et s’entendit avec Lubovski pour lui acheter sa propriété, à crédit cela va sans dire, et lui donna, de suite, le nom qu’elle porte aujourd’hui. Puis il alla en Russie pour tâcher d’y recruter des colons. Quelques uns vinrent, sans beaucoup de capitaux. Schoub y ajouta quelques ouvriers de Saffed, qui avaient travaillé dans les colonies, et qui n’avaient guère plus d’argent que les Russes. Il réunit ainsi une vingtaine de colons. Quelques uns d’entre eux se firent, immédiatement, construire des maisons en pierres, d’autres en briques séchées au soleil, et finalement, quoique n’ayant pas payé le terrain, ils n’eurent plus de quoi manger. Et cependant les conseils ne leur avaient pas manqué. J’avais beau leur expliquer que si Monsieur le baron faisait de la vigne et ne réussissait pas, il n’aurait que perdu de l’argent. Ce ne sera pas la ruine pour lui. Tandis que si eux mettaient leurs quelques sous dans la vigne, leur temps et leur argent seraient perdus, et ils se verraient perdus en même temps. On ne m’écouta pas. Et on fit de la vigne. Et la troisième année, faute de fonds, ils durent laisser envahir leurs vignes par les mauvaises herbes. Quand on vit que j’avais bien deviné, on me donna raison. Mais c’était trop tard. Il y en eut qui retournèrent en Russie, il y en eut qui moururent de faim et de misère. Ceux qui restèrent, se mirent à travailler à la journée, à Rosch-Pinah ou à Yessod-Hamalah, et Monsieur le baron leur permit de labourer et d’ensemencer les terres de Rosch-Pinah, qui se trouvaient en friche dans le voisinage. Schoub, devant ce désastre, se retira et reçut, de nouveau, une petite place à Aïn-Zetoun. Enfin vint l’Jca, qui eut pitié de ces malheureux. Ce fut il y a deux ans. Elle, les Hoveveï-Zion et l’Esra259 de Berlin commencèrent à régler Lubovski et à prendre des titres de propriété. Ensuite, pour l’arrondir, l’Jca reprit de la société Ahavath-Zion de Tarnov260 deux mille dounoums de terres avoisinant Mischmar-Hayarden, et qu’il y a deux ans, elle avait achetée de Monsieur le baron. La colonie sera organisée sur un autre pied. Il y aura, entre elle et Rosch-Pinah, cette colonie de Machnaïm fondée par la société de Tarnov, avec les six mille dounoums de terres, qui lui restent de l’achat fait à Monsieur le baron. Les futurs colons demeurent dans des baraquements et se préparent au travail. On est en train de leur élever des maisons en pierres. 259
Organisation de soutien à la colonisation agricole de la Palestine créée à Berlin en
1884. 260
Ville de Galicie où cette association (« Amour de Sion ») fut créée en fin de siècle.
Chapitre XXXVIII AÏN-ZETOUN
Quand le touriste veut se rendre de Saffed à Damas et couper au plus court, il descend la montagne un peu obliquement, vers le Nord, et, en vingt minutes, il est à Aïn-Zetoun261. Cela veut dire : source de l’olivier. Entre les nombreuses terres que Mr Ossowetzki avait achetées, se trouvait ce coin composé de cinq mille dounoums. Parmi les sociétés qui s’étaient multipliées comme par magie en Russie, en 1891, il y en avait une à Minsk, qui avait réuni plus de deux cent mille francs. Elle avait pour président Mr Syrkin262, un très brave homme, mais qui fut submergé par les comités et sous-comités. La société envoya une délégation en Palestine, afin d’y rechercher un bon terrain et l’y acheter. Ils vinrent à Rosch-Pinah, et choisirent Aïn-Zetoun. C’était la plus mauvaise partie, composée de terres argileuses et calcaires, et peu aptes à donner de bons résultats. Lorsque j’y vins l’année suivante avec Mr Ermens, nous y trouvâmes un administrateur avec un jardinier, venus de la Russie, qui comprenaient autant l’agriculture dans les pays chauds qu’un enfant de cinq ans. Ils avaient fait construire un maison pour se loger et une écurie pour abriter le bétail. Ils avaient pris des quantités d’ouvriers israélites de Saffed, dont les uns entourèrent la future colonie d’un mur de pierres de deux mètres de hauteur et de presque autant d’épaisseur, tandis que d’autres brigades d’ouvriers défrichaient ce terrain calcaire pour y mettre de la vigne. Mr Ermens et moi, nous les suppliâmes de ne pas y planter de vignes, parce que, dîmes-nous, le terrain n’est pas propice à cette culture. Nous ne réussîmes pas à les convaincre. Le jardinier, pour toute réponse, mit son doigt sur un gros rocher et nous répondit : « Vous voyez cette pierre, si le bon Dieu veut qu’il vienne de la vigne, elle viendra. Donc …. !! » Nous nous inclinâmes et partîmes. Devant de pareils raisonnements, il n’y a qu’à se taire. Du reste, j’ai fait une observation que tous les employés des colonies de Monsieur le baron Edmond de Rothschild ont faite à leur tour. Il suffit que l’un d’eux donne un conseil à un colon indépendant, pour que, le plus souvent, ce conseil ne soit pas suivi. Il croit toujours qu’on veut sa perte et qu’on le conseille mal. Il n’y a pas à lutter 261
Ein Zeitim se trouve à deux kilomètres au Nord de Safed. Josué Syrkin (1838-1922) fut très actif dans les milieux sionistes de Minsk. Il visita la colonie en 1894. 262
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contre ces préjugés. La ruine venue, on se tient coi, devant vous, et on finit par se rendre à l’évidence. Pendant qu’il dirigeait la colonie, l’administrateur ne s’occupait que d’articles de critique, qu’il envoyait aux journaux israélites. Son unique objectif était de rabaisser les employés des colonies. Il racontait, dans ces journaux, que, pour faire ses affaires, il pouvait se passer d’eux. Il n’avait qu’à donner, aussi, des backschichs à Pierre et à Paul et il obtenait ce qu’il voulait. Il réussit parfaitement à ruiner l’entreprise qui lui avait été confiée. Le terrain avait coûté trente cinq mille francs. Au bout de deux ans et demi, la caisse de la société avait été totalement vidée. On en avait sorti deux cent quarante mille francs, et on avait des vignes chlorosées. La société dut tout abandonner. Mr Syrkin, le président, vint à Paris, chercher conseil et appui. Monsieur le baron voulut bien se charger de la tâche de faire quelque chose d’Aïn-Zetoun. Il avancerait l’argent nécessaire, ordonnerait les plantations, que ses jardiniers à lui trouveraient le plus convenable, et, quand la colonie sera à point, il la leur rendra. Mr Syrkin accepta avec plaisir, et ce ancien village, qui s’appelle en arabe, la source de l’olive, devint, peu à peu, un immense verger, dans lequel on ne trouvera que des oliviers, qui ont l’air d’y réussir admirablement. Ce n’est qu’insensiblement qu’on arrachera les vignes, qui ne donneront rien du tout. En dehors de son vignoble, la société avait essayé avec quelques petites plantations de mûriers et d’amandiers, qui n’ont pas réussi. Le raisin se vend à Saffed aux Israélites, qui, de tout temps, y ont fait leur vin eux-mêmes. Au bout de quelques mois, il leur devient aigre. Ils ne s’en inquiètent pas. C’est du vin fait par eux. Cela suffit. L’administrateur de Rosch-Pinah à reçu la haute main sur cette colonie, avec Mr Cohn, comme chef jardinier. Celui-ci y avait mis, successivement, à titre de sous-jardinier, Mr Gold263, ancien élève-colon et aide-viticulteur à Zicron-Jacob, Mr Bouckchechter, ex-aide-jardinier à Rosch-Pinah, maintenant dans un grand vignoble des environs de Smyrne, et enfin Mr Lévin264. Schoub y a été placé comme surveillant. Pour le moment, il y a encore quatre vingt dix hectares en vignes indemnes, tandis que dans une partie d’entre elles, il y a déjà quatre mille oliviers. Sur le reste du terrain, viennent bien, aussi, six mille autres oliviers.
263 Moché Hirsch Gold travailla comme jardinier de 1889 à 1895 à Zicron Jacob (18891893/4), Ein Zeïtoun (1894-1895) et à Ekron. 264 Non identifié.
Chapitre XXXIX DJOLAN265
Beaucoup de personnes confondent le Djolan avec le Hauran. La partie qui va du Jourdain aux montagnes des Druzes, s’appelle Djolan. C’est aux susdites montagnes seulement, là où se sont livrés les combats entre les troupes turques et les Druzes, que commence le Hauran. C’est donc au Djolan, et non au Hauran, que les Juifs russes et américains voulurent fonder une colonie en 1891. Les premiers avaient envoyé sur place Mr Seidner,266 ingénieur, et Mr Nimerovitsch267 d’Ekaterinoslaw, les seconds Mr Ad. Rosenberg268, avocat à New York. On leur proposa un terrain situé dans le Djolan, et limité au Sud par le Yarmouck. Cette propriété se composait des villages de Sachem, de Djillin269 et des ruines des anciens villages de Joubla, Betha Kar, Cocab, etc.270 Mr Ch. Epstein271 l’avait achetée et avait cherché à la recéder à ces Messieurs par son représentant, Mr Feinberg272 de Jaffa. Ces Messieurs se réunirent pour mesurer le terrain, grosso modo, en le parcourant à pied et à cheval, et en comptant, chaque fois, les pas. Ils s’arrêtèrent à une superficie de cent vingt mille dounoums de terres de toute première qualité. On se chuchotait à l’oreille que l’on y trouverait bien cent cinquante mille dounoums, après le mesurage en règle. Monsieur Ch. Epstein avait recédé son terrain à ces délégués aux conditions suivantes : il recevrait cinquante centimes de bénéfices par dounoum, sur les premiers cent mille dounoums, et il pourrait garder, après, vingt mille dounoums à la spéculation.
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Golan. Originaire de Russie, Joseph Seidner (1860-1942) fit ses études d’ingénieur en Suisse et fut très actif au sein du mouvement sioniste. 267 Avec Joseph Seidner, il fit l’achat des terrains dont il sera question pour le compte de la société Ahvah (fraternité) d’Ekatrinoslaw/Dniepropetrovsk. 268 Adam Rosenberg (1858-1928) fut un des premiers adhérents de la société américaine Havrei Sion (les amis de Sion). 269 Localités du Golan syrien. 270 Villages de la même région. 271 Non identifié. 272 Sans doute Joseph Feinberg (1855-1902) qui fut expulsé de Rischon-le-Zion, dont il avait été un des cinq premiers habitants, après la révolte de 1887. Cf. p. 227. 266
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Les Russes disposaient de quarante mille francs. Les Américains n’en avaient pas autant. Ces Messieurs vinrent alors à Paris, pendant ma maladie, en 1891, et allèrent trouver Mr Erlanger, à qui ils racontèrent que plusieurs sociétés en Russie, en Amérique et en Angleterre s’étaient formées pour prendre ce terrain et y fonder des colonies, mais qu’il leur fallait six mois pour réunir les fonds, et que Mr Epstein voulait être payé de suite, parce qu’il était tenu de régler au plus tôt Ahmed Pacha273, le premier vendeur. Mr Erlanger en parla à Monsieur le baron et lui soumit une petite note, d’après laquelle les Américains demandaient vingt cinq mille dounoums, les Anglais dix mille, Ekatrinoslaw vingt cinq mille. Comme pour ne pas exagérer les choses, il évaluait le tout seulement à cent mille dounoums provisoirement, pour ne pas faire d’erreur et ne pas être pris au dépourvu, il ajouta les vingt mille dounoums de Mr Epstein, ce qui faisait quatre vingt mille dounoums, et en post-scriptum il mit : « Byalistock désire également de ce terrain et a prêt une somme de cent quatre vingt cinq mille francs. Si Byalistock prend les derniers vingt mille dounoums, il n’y aurait à débourser que cinquante mille francs, pour très peu de temps. » Monsieur le baron consentit à solder le tout, sauf à se faire rembourser par les sociétés, au fur et à mesure qu’elles prendraient du terrain. Monsieur le baron se mit, de suite, en lieu et place de Mr Ch. Epstein, et, pour ne pas être ennuyé, personnellement, par toutes ces sociétés, Monsieur le baron remit toute cette affaire entre les mains d’un Comité palestinien, à la tête duquel il plaça Mr Isidore Braun274, vice-président du comité de bienfaisance. A peine ce comité était-il formé, qu’une société roumaine se présenta et obtint dix huit mille dounoums. N’avait-on pas du pain sur la planche, avec la quantité de terrain, supérieure à la première estimation ? On pouvait hardiment aller de l’avant. On était tellement sûr de la quantité, que Mr le baron se réserva les ravins et le terrain fiévreux de Djillin. Cependant les choses trainèrent. Les sociétés commencèrent à envoyer quelques à-comptes, mais aucune d’elles ne fut en état de payer le tout. On promettait beaucoup, mais on ne pouvait rien tenir. Comme le Gouvernement faisait toutes sortes de difficultés, Monsieur le baron prit le parti de faire inscrire les terrains au nom de Mr E. Franck de Beyrouth, qui s’en était occupé pour son compte, et avait déjà envoyé plusieurs rapports à ce sujet. On n’arrivait pas non plus à avoir les titres de propriété, quand je fus obligé, pour en finir, de me rendre à Constantinople au printemps de l’année
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Non identifié. Cf. p. 223. Non identifié.
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1892, afin d’y obtenir la permission de faire mettre ce terrain au nom de Mr Franck. Je réussis dans ma mission. Avant d’avoir soldé leur terrain et malgré leurs supplications, nous leur avions défendu de se rendre sur place, aussi bien aux Roumains qu’aux Russes. Mais n’écoutant rien, et faisant des sacrifices inouïs, ils envoyèrent une vingtaine de familles dans le pays. Je devais me hâter de me transporter dans le Djolan, pour partager le terrain entre les différentes sociétés, qui s’étaient mises sur les rangs, jusqu’à concurrence de cent dix mille dounoums. Monsieur le baron consentit à garder, pour son compte, environ cinq mille dounoums de ravins, sur les bords du Yarmouck, qui y coule à plus de quatre vings mètres en contre-bas et le reste à Djillin, excessivement fiévreux. Là aucune colonie n’aurait pu exister, à cause de ces maladies. Monsieur le baron résolut d’y mettre un jardinier et d’y faire travailler des ouvriers israélites, afin d’y créer une immense pépinière, de laquelle on donnerait, plus tard, aux diverses sociétés, les arbres dont elles pourraient avoir besoin pour la formation de leurs colonies. Les années se passèrent sans que je puisse trouver le moment propice pour y aller. Au printemps de l’année 1895, je fus enfin en état d’entreprendre ce voyage transjordain afin de faire, à mon tour, à Monsieur le baron, un rapport détaillé sur la propriété. Je n’y avais pas encore été, et cette nouvelle promenade, dans un pays impossible, ne me souriait pas beaucoup. Mais il n’y avait pas moyen de m’en débarrasser. J’attendis, donc, que je fusse à Rosch-Pinah pour l’entreprendre. Il y a des tableaux qui représentent les quatre saisons. Le sujet change du tout au tout, d’un tableau à l’autre. On observe une différence si frappante, et même plus encore, en Palestine, suivant l’époque de l’année. Les touristes, qui n’y ont été qu’une fois, la jugent mal. Les personnes qui y vont en été, trouvent tout jaune, désolé, avec la terre dure comme la pierre, et cependant avec des fentes allant à une grande profondeur. Tous les jours que Dieu donne, elles auront la même chaleur tropicale, avec le même ciel serein. Oh ! ce ciel de plomb, qui ne vous quitte plus, et qui pèse sur vous, comme un lourd fardeau. Aussi quelle joie, quand on revient en Europe, et qu’on voit le premier nuage. On voudrait le prendre dans les bras et le dorloter. Tout ce qu’on mange est mauvais, car la chaleur continue vous coupe, littéralement, l’appétit. Boire ? Plus vous buvez, plus vous transpirez, et plus vous avez soif. Le mieux est de ne pas y aller à cette époque. En automne, c’est à peu près la même chose, avec cette aggravation qu’au mois d’octobre, la chaleur augmente encore et devient intolérable, par suite du sirocco, que vous risquez de subir pendant quinze à vingt jours. Mais dans les contrées où fleurit l’oranger, vous pouvez, au moins, vous rassasier avec l’orange et voir la beauté de ces arbres verts, chargés de ces riants fruits jaunes. Vous aspirez déjà, aussi, au mois de novembre, à
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quelques jours de fraîcheur, par suite de la pluie qui peut survenir. Rien que l’idée de voir bientôt un changement de température, vous sert déjà de baume contre la chaleur. Ce n’est encore pas la saison que je conseillerai à un touriste de choisir. L’hiver, avec ses pluies, est insupportable. Il ne fait pas trop froid, surtout pour ceux qui n’y ont pas encore passé l’été, mais l’humidité vous transperce, et quand le averses tombent – quelquefois pendant cinq, six jours, sans discontinuer – il n’est pas possible de sortir de sa chambre. Entre les pluies, c’est le mois de mai de l’Europe centrale, et vous avez, parfois, des journées assez agréables. On voit tout d’un coup, d’une semaine à l’autre, les champs verdir, comme frappés subitement par la baguette du prestidigitateur, et cependant, ce n’est pas encore la saison des promenades. Les seuls mois convenables sont avril, mai et juin. Tout sourit. Les hommes et les choses. Les moissons couvrent la plaine. Les amandiers ont leurs fruits, les orangers, les pêchers sont en fleurs, ainsi que les oliviers, qui paraissent être blanchis dans la neige ; vous avez les abricots les plus succulents, à tout prix, et vous allez avoir du raisin. La chaleur est supportable, et si, au mois d’avril, le hasard vous envoie un ou deux jours de pluie, elle est déjà la bien-venue. Dans les endroits cultivés à l’européenne, comme les colonies juives, c’est un vrai paradis terrestre, à cette époque de l’année. Mon voyage au Djolan devait se faire au commencement du mois de mars. Il est presque semblable à celui que j’ai effectué autour du lac de Tibériade en 1891, puisque je traverse une partie des mêmes pays pierreux, avec cette différence qu’alors j’eus à souffrir de la chaleur et de la sécheresse, et maintenant de la pluie, de l’humidité et du froid. Voulant me rendre compte de ce que sera l’eau pour les futurs colons, j’emmenai avec moi le docteur Cohanesco, médecin de Rosch-Pinah. Mes autres compagnons étaient MMrs Ossowetzki, P. Pascal et Dan Bril. Mr Ermens, momentanément indisposé, n’était venu me rejoindre que plus tard, à Zicron-Jacob. Fait curieux. Il n’a jamais eu l’occasion d’aller dans le Djolan. Il a eu vraiment de la chance. Partis à cinq heures du matin de Rosch-Pinah, en voiture, nous arrivâmes, après avoir été bien cahotés, sur une route tracée en pleins champs, et naturellement détrempée, vers sept heures du matin, au pont du Jourdain. Les mulets chargés de nos bagages et nos chevaux sellés nous y attendaient. Nous ne fîmes pas long feu à cette station. Un quart d’heure après, nous fûmes prêts et … en route. Nous montons, l’un après l’autre, de cette espèce de bas fonds, dans lequel est encaissé le Jourdain, pendant une demi-heure, sur l’ancienne voie romaine, munie encore d’une partie de ses pavés glissants, et qui vous mène à Damas. Au bout d’une demi-heure, nous tournons vers le Sud. Le chemin devient toujours plus mauvais. C’est
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un sentier tracé par la suite des siècles, dans ces pierres innombrables, qui couvrent, littéralement, le sol. La boue gluante, la crainte de laisser faire à votre cheval un faux pas, qui vous casserait le cou, par une chute sur ces rochers pointus, ne vous permettent pas d’avoir la tête à autre chose qu’à la stricte surveillance des rênes. On a le temps de songer à toutes sortes de choses en ayant toujours un regard fixe. Quels tristes rêves, tout de même, qu’on fait sous ce ciel qui menace maintenant de la pluie, avec le vent glacé, qui vous déchire la figure, et cette montée qui a l’air de ne plus jamais finir. On met deux bonnes heures, pour arriver, enfin, sur la cime de cette plaine, qui ne prendra plus fin, mais dans laquelle vous trouverez toujours ces pierres noires de toutes les tailles. Des villages et encore des village en ruines. La mort et la dévastation froide, partout. On dirait que les habitants de ces villages ont fui devant le vide, qui se formait autour d’eux. Comme elle est sombre et triste, cette solitude immense. Elle est parsemée de masures, formant, pour la plupart, des monceaux de pierres, d’où, quelquefois, s’élève le cri d’un oiseau de proie, ou la tête d’un chacal, qui, bientôt après, vous tourne le dos, en courant. C’est trois heures qu’il nous faut du pont jusqu’à un ravin assez large et passablement profond, que nous aurons à traverser. Nous y mettons pied à terre, pour donner à notre estomac affamé le déjeuner qu’il nous réclame. Nous ne nous y attardons pas, car nous craignons la pluie. Aussi, ne faisons nous pas dresser la tente, pour pouvoir filer plus vite. Dans une heure tout est expédié et nous voilà, de nouveau, à cheval, précédés de nos moukres et de nos gardiens, avec les bagages et les munitions. Au bout de vingt minutes, nous recevons, sur le dos, une de ces pluies diluviennes, comme les pays chauds en ont, seuls, les privilèges. Notre marche, qui laissait déjà à désirer dans ces fondrières, se ralentit encore. Nous avons beau avoir des capuchons à nos imperméables, nos figures sont, quand même, fouettées par l’eau, et, à chaque instant, nous avons un véritable torrent à franchir. La pluie venait sur nous en baquets incalculables. Le vent du Sud la poussait vers le Nord, et nous avions à la traverser. Nous ne pouvions pas faire comme ce troupeau de gros bétail, appartenant à une tribu de bédouins campée non loin de là, et qui était, sensément, aux pâturages. Bœufs, vaches, veaux, etc., étaient tous immobiles, tournés vers le Nord, exposant leur arrière-train aux rafales, qui leur battaient les flancs. On aurait dit des animaux jouant les tableaux vivants. Mais le fond était loin d’être lumineux et flamboyant comme dans les théâtres. Ceux qui, du haut du ciel, auraient eu l’occasion de nous voir, traînant nos chevaux, les suppliant presque d’avancer, auraient probablement eu pitié de cette caravane déplorable. Ces pauvres chevaux détournaient la tête, pour ne pas recevoir ces traits liquides, qui les ennuyaient autant que nous autres. Personne ne soufflait mot.
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L’eau commençait déjà à ressortir par le haut de nos bottes archi-pleines. (Je n’avais pas encore mon pantalon en caoutchouc.) Mais personne n’avait le courage de se plaindre. C’est seulement quand un cheval avait l’air de tomber dans un de ces ravins, et que le cavalier se voyait près de glisser dans l’eau, et sur un de ces rochers, qui vous regardaient en vous narguant, qu’on entendait un cri, bien vite étouffé. Nous avions, par exemple, de bons guides, qui avaient bien soin de ne pas nous égarer. Nous avions pleine confiance en eux. Cependant, vers trois heures, en passant devant les ruines d’un village appelé Djouhadar dans le temps, le docteur Cohanesco commença à pâlir et nous assura qu’il ne pouvait plus avancer. Comme l’eau ne manquait pas, qu’on ne rencontrait que des torrents, on n’avait qu’à s’arrêter. C’est ce que nous fîmes pour le plaisir du docteur. Nos tentes, garanties par les couvertures en caoutchouc, furent vite dressés. En un clin d’œil j’avais fait préparer du thé brûlant au docteur, et deux verres, bus coup sur coup, l’eurent bientôt remis. Nos bottes furent suspendues dans l’intérieur des tentes par les talons, pour avoir le temps de se débarrasser de toute leur eau, durant la nuit. Le dîner fut préparé, et la soupe chaude, ainsi que le restant, eurent bientôt ramené le sourire sur les lèvres de tous mes compagnons. Pour nous faire plaisir, il y eut, même, une accalmie, et la soirée se passa aussi agréablement que les circonstances le permettaient. Les camelots ne passaient pas souvent avec des journaux et nos distractions étaient primitives. Chacun racontait ce qu’il avait éprouvé dans la journée, et les impressions, en général, n’étaient guère gaies. On en riait pourtant. Pourquoi pas ? Une fois à l’abri, on a bien le temps de se faire des soucis pour la température du lendemain. Nous avions réservé une tente pour les moukres, les gardiens et les guides, afin qu’ils ne fussent pas trop exposés aux intempéries de l’air. Je les avais donc bien gâtés. Je leur avais dit que je leur accordais cette faveur, à la seule condition que chacun d’eux gardât, à tour de rôle, pendant deux heures, les bêtes renfermées, toutes, dans la cour d’une des bâtisses en ruines, sur la montagne au pied de laquelle nous campions. Seulement, on n’est pas toujours récompensé pour les services qu’on cherche à rendre aux gens. Vers le matin, l’homme préposé à la garde des bêtes, s’endormit sur l’herbe mouillée ; les autres avaient fait de même dans leur tente et oublièrent le monde entier. Pendant ce temps, deux mulets, trouvant, peut être, qu’on aurait dû leur donner, aussi, une tente, ou bien s’ennuyant dans la cour où on les avait remisés, avaient pris la clef des champs, sans crier gare, sans s’inquiéter de leurs gardiens. A cinq heures du matin, nous sommes debout pour continuer notre route, et au moment où l’on réunit les bêtes de somme, on remarque l’absence de deux d’entre elles. Je fais grâce à mes lecteurs des criailleries qui furent poussées. Deux gardiens furent expédiés à la recherche des mulets. Les
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bagages furent un peu plus serrés sur ceux qui restaient. Deux hommes, pour leur punition, durent faire la suite du trajet à pied. Et après avoir pris, chacun, un bon verre de thé chaud, nous nous remîmes en route. Dois-je refaire l’historique de cette matinée ? Qu’on se reporte à la description précédente. Ce furent, toujours, les mêmes pierres, les mêmes ravins, sans, toutefois, le déluge qui nous avait suivis la veille. Nous arrivâmes ainsi, sans encombre, aux bords de la rivière Rouqquad275, un affluent du Yarmouck. Nous nous approchâmes d’un vieux pont à trois arches, jeté, par les Romains, sur ce cours d’eau. Sur l’autre rive, il y avait, peut être deux cents cavaliers, qui nous attendaient et nous criaient de ne pas profiter du pont, parce qu’il pourrait s’écrouler sous nos pieds, et d’entrer bravement dans la rivière, pour les rejoindre, malgré le courant. Nous obéîmes. L’eau formait glace, nous donnait le vertige et nous attirait. J’eus toutes les peines du monde à me maintenir sur mon cheval. Ainsi qu’on a vu plus haut, dans mon voyage autour du lac de Tibériade, le passage du Yarmouck m’avait déjà produit les mêmes sensations. Enfin, je fus auprès de cette vraie cavalcade. Tous les vêtements y étaient représentés. Un officier, avec quelques soldats envoyés à ma rencontre par le Mutessarif de Cheik-Saad276, d’où dépend la propriété, les cheiks et les gros bonnets de Sachem277, dans leur grande tenue des jours de fête, l’un d’eux, même, ganté de peau, s’étaient joints à eux. Et ils étaient suivis de, peut être, cent cinquante bédouins à moitié nus, porteurs de fusils et de leurs lances incommensurables. Après les Salam-Alecs de rigueur, les bédouins me firent jouir d’une de ces fantasia folles, sauvages, ébouriffantes, qu’on ne connaît que dans ces coins retirés, et qui défient toute description. Par exemple, quand, après des courses inouïes dans ces rochers, une centaine de ces cavaliers, tirant des coups de fusil en l’air, en faisant semblant de s’attraper, viennent, au galop, converger vers vous, ayant, tous, la lance en place, au haut de leur bras levé, comme pour vous transpercer tous ensemble, il faut avoir la conscience bien sûre pour ne pas défaillir. Car si, par hasard, ce qui peut arriver, l’un d’eux avait le malheur d’avancer d’une longueur de cheval, ce serait fait de vous. Ceux qui, dans ces tourbillons, tombent, ne comptent pas, pour ainsi dire. Ce n’est qu’après la fantasia, qu’on s’occupe d’eux. Il y eut deux accidents. L’un des bédouins tomba étourdi. Les camarades le mirent debout, l’ébranlèrent comme une perche, jusqu’à ce qu’il fût revenu à lui et remonté à cheval. Un autre se blessa assez grièvement, à la cuisse, sur ces rochers. 275 276 277
Il marque la frontière entre le Hauran et le Golan. Al Cheik Saad à Darra ? S’ham-al-Golan.
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On lui frotta la plaie avec de la poudre et on me soutint que ce remède le guérirait. L’Allan, qui forme la frontière de la propriété de Monsieur le baron de ce côté, n’a pas souvent de l’eau. Mais au moment où nous y arrivons, c’est une vraie rivière, dont le lit n’est formé que de gros rochers. Chacun, pour traverser cette rivière, n’a qu’à penser à sa monture. Tout d’un coup, j’entendis un cri derrière moi. Le docteur Cohanesco se tenait debout, chaque pied sur un rocher, les jambes écartées, dans la posture du Colosse de Rhodes, sur ses deux socles. Le cheval avait filé d’entre ses jambes. Il fallut un fort bédouin pour le tirer de cette position excessivement gênée et embarrassante. De l’autre côté, il se remit à cheval. En passant, j’eus le temps d’inspecter le terrain que j’avais à portée de ma vue. Je trouvai beaucoup d’endroits, où les pierres avaient l’air de pousser littéralement, et qui n’étaient bonnes à rien. Cela me fit beaucoup de peine. Personne, jusqu’à présent, n’avait soufflé un mot à Monsieur le baron, de l’existence de pierres sur la propriété. Et j’en voyais à droite et à gauche, et de près et de loin. « Si c’est là, me disais je, cette toute première qualité de terrain, les rapports, non seulement, laissent à désirer, mais sont complètement faux. Il n’est pas possible que ceux qui les ont rédigés, aient vu ces pierres. » Je notai ces réflexions dans ma tête, pour en tirer profit à l’occasion. Une autre surprise qui m’attendait, fut le Yarmouck. On avait fondé beaucoup d’espoir sur les plantations, car les rapports donnaient à entendre qu’on pourrait se livrer à des irrigations sur une grande échelle. Après avoir déjeuné et renvoyé les étrangers, je remontai à cheval pour visiter la colonie. Je trouvai, pour commencer, que l’eau du Yarmouck coulait à quatre vingts ou cent mètres de profondeur. Quelle désillusion !! On avait l’air de s’être entendu, pour envoyer de faux rapports à Monsieur le baron. Ou bien encore n’avait-on rien visité du tout et s’était-on contenté, pour faire ces rapports, des détails donnée par Mr Ch. Epstein, qui avait tout intérêt à enjoliver les choses ? « Mais enfin, me disais-je encore, Monsieur le baron ne se rappelait-il plus tous ces longs détails que je lui avais envoyés, sur ce pays, dans mes courriers du mois de juillet 1891 ? Je lui avais dit la vérité. Il les avait probablement oubliés. » De suite, j’eus une arrière-pensée. Y a-t-il la quantité annoncée ? Je demandai, immédiatement, à Mr Ossowetzki d’envoyer un géomètre convenable sur place, pour voir, au juste, où nous en étions. Cet arpenteur, qu’on n’avait pas sous la main, prit son temps pour venir. Ce ne fut donc qu’au printemps de 1896, à ma deuxième inspection dans ce pays, que j’eus le résultat. Au lieu de cent vingt mille dounoums d’excellentes terres, l’arpenteur n’y trouva que cinquante mille dounoums de bonnes terres, dix mille dounoums
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de terres moyennes, y compris les ravins, qu’on pouvait plutôt considérer comme mauvais, et dix mille dounoums de pierres stables ou mobiles. Mr Ch. Epstein n’avait plus ses vingt mille dounoums à recevoir, puisqu’ils n’existaient pas, et Monsieur le baron perdait trente mille dounoums. Car Ahmed Pacha avait vendu le bloc, sans garantir aucune contenance. Les sociétés ne pouvaient plus compter sur les quantités de dounoums demandées. Malgré tous ces déboires, les sociétés ne voulaient pas entendre raison et ne tinrent pas à patienter. Elles refusèrent même d’attendre qu’on eût obtenu la permission d’immigrer, pour elles. New York envoya sur place son préposé Mr Adam Rosenberg. Il commença par s’y faire construire une maison, fit, contre tout conseil (c’est sous-entendu), planter de la vigne et des mûriers, et, comme un beau jour, la Société n’envoya plus de fonds, les mauvaises herbes envahirent ces plantations et les perdirent complètement. Mr Rosenberg, lui-même, miné par les fièvres, mal nourri dans ce milieu sauvage, tomba malade et dut se retirer, en laissant tout derrière lui. Mr Berkovitz278, l’ancien président de la société roumaine, remplacé en 1896, appelant, à lui, des Roumains et des Bulgares, fit aussi construire quelques maisons, jusqu’au moment où le manque d’argent pour travailler le força à se retirer avec ses compagnons. On remboursa à cette société tous les fonds versés par les membres restés en Roumanie. Mr Berkovitz et ceux qu’il trainait à sa suite, croyaient pouvoir forcer la main à Monsieur le baron. La plus grande partie de ces soi-disant colons n’avaient pas mille francs de fortune. Ils savaient parfaitement que cette somme n’était rien pour coloniser. Mais ils se figuraient que Monsieur le baron, malgré tous les avis contraires qu’on leur avait donnés, les installerait une fois qu’ils seraient dans le pays. C’est pour cela que, n’écoutant personne, et quoique, de toutes parts, on leur eût défendu de venir, ils s’étaient empressés d’y aller. Ce que ces gens là m’ont fait, moralement, souffrir, est indescriptible. Ma résidence à Sachem se composait d’une maison arabe, à rez-dechaussée un peu surélevé, avec deux pièces séparées par une espèce de hall central. Je laisse à penser à mes lecteurs, comment nous nous arrangeâmes, tous, pour nous loger. Mais, entre soi, on n’est pas si difficile. Il y avait autre chose qui me chiffonnait. Je devais rendre, un peu, les honneurs aux autorités du pays. Je les invitai donc à un grand déjeuner pour le lendemain à midi. Nous avions pris un cuisinier arabe pour quelques jours et, grâce à mes conserves, nous arrivâmes à former un menu convenable. Mon service de table avec mes serviettes furent les bienvenus. Mais pas de nappe. Oh ! dans un pays quasi-désert, il n’est pas permis d’être si difficile. Et nous étions au Djolan. On ne pouvait pas y être si regardant. J’ouvris une de mes
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Yehiel Berkovitz (1855-1926) fut très actif au sein des Hovevei Sion roumains.
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cantines et j’en sortis un de mes draps de lit frais, qui remplaça la nappe absente. Et tout le monde fut content. Le soir, je fus même forcé d’assister, du haut de mon perron, à une représentation que vinrent me donner, dans la cour de cette fameuse administration, deux gymnasiastes bédouins. Par bonheur que les femmes ne sont pas admises à ce genre de spectacles, car quand ces saltimbanques marchèrent sur les mains, il y eut, même, des cris de toute nature parmi les Arabes spectateurs. L’indispensable fait défaut chez eux. Le docteur avait trouvé que l’eau de Sachem n’était pas potable, quoique les Arabes n’en eussent pas d’autre. Elle était sale et légèrement salée. Avec des sondages, on trouve de la bonne eau à environ quinze mètres de profondeur. Djillin, où se trouvaient les jardiniers et les ouvriers, avec Mr Cohn à leur tête, avait de l’eau et de la bonne. Toutefois, comme l’endroit est en contrebas, il est assez humide, ce qui, avec les défoncements des terres, occasionnait aux employés, comme aux ouvriers, des fièvres terribles. Tous devinrent malades. Il y eut même à regretter des morts. Ah ! les premiers promoteurs de cet achat doivent avoir plus d’un remords, s’ils pensent au mal qu’ils ont fait. Djillin est habité par une trentaine de familles de nègres. D’où sortentils ? Personne ne le sait. Ce sont des gaillards forts et robustes, qui n’ont pas souvent les fièvres. Ils se font de l’eau de vie avec leur maïs, se saoulent avec ce poison, et sont indemnes … pour un certain temps. Le jour où ils attrapent la fièvre, ils n’ont plus de remèdes pour se guérir. Ils tombent alors comme des mouches. Un peu plus sur la hauteur, Monsieur le baron fit élever une maison pour les employés, une autre pour les ouvriers, une écurie pour les bêtes, et un hangar pour remiser les voitures et les instruments aratoires. Djillin est à une heure et demie de Sachem, en allant vers le Hauran. Et de Djllin il faut une heure et demie pour arriver à la petite station de Taffa279, sur la ligne du Hauran, qui vous mène en trois ou quatre heures à Damas. Depuis, Mr Ossowetzki avait mis des ouvriers de l’autre côté du Jourdain, pour enlever les pierres qui obstruaient le sentier, et en a fait faire une route quasi-carrossable. Je l’ai parcourue plusieurs fois, en voiture, suivi, quand même, de chevaux sellés, car on ne passe pas si facilement partout, avec ces véhicules et ces rochers. Lorsqu’on n’était pas pressé, il valait encore mieux faire ce trajet à cheval.
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Arrêt sur la ligne du chemin de fer du Hedjaz.
CHAPITRE XXXIX : DJOLAN
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Cette route, non empierrée, faite à la hâte, de la manière la plus rudimentaire, ne pouvait guère durer. On peut donc hardiment ajouter qu’elle n’existe plus. Aujourd’hui, on trouve à Djillin une petite plantation de quatre hectares de mûriers, tandis que sur vingt autres hectares, se voient des oliviers et autres arbres fruitiers, au nombre de dix mille. Une partie est encore en pépinière. Enfin, vingt hectares sont couverts de quatre vingt mille peupliers, qui, dans six ans, s’ils gardent la vie, payeront la moitié du prix d’achat des terres. On s’en sert, dans toute la Syrie, comme bois de constructions. C’est pour cela qu’il est très recherché.
Chapitre XL RISCHON-LE-ZION. DÉBUTS
Pendant les persécutions de 1881 en Russie, plusieurs Israélites de ce pays, ayant à leur tête un sieur Levantin280, vinrent à Jaffa pour acheter du terrain. Comme leurs coreligionnaires Roumains du Nord, ils tombèrent entre les mains de spéculateurs éhontés, qui leur vendirent à seize francs le dounoum (je crois avoir dit qu’un peu plus de dix dounoums forme environ un hectare), titres de propriété en mains, un terrain d’à peu près trois mille dounoums, situé à une douzaine de kilomètres au Sud de Jaffa, sur la route de Jérusalem, en y allant, à gauche. Ce endroit se nommait Ayoun-Kara (c’est à dire source du pèlerin)281, parce que dans le voisinage se trouvait une source marécageuse, où, faute de mieux, le voyageur était obligé de se contenter de cette mauvaise eau. Les nouveaux venus, pour prouver qu’ils étaient les premiers fondateurs d’un colonie agricole juive dans le rayon de Jaffa, donnèrent à leur acquisition le nom de Rischon-le-Zion, c’est à dire Première en Sion. Le terrain était littéralement couvert d’alfa sauvage, que le courtier avait fait miroiter, aux yeux des acheteurs, comme un article de beaucoup de rapport. Il ne valait de loin pas le quart du prix d’achat. Mr Levantin avait été le plus fort des acquéreurs. A côté de lui se trouvaient une dizaine de familles, qui avaient aussi acheté, chacune, de ses propres deniers, quelques centaines de dounoums. Pour former une plus grande communauté, Mr Levantin avait donné, à crédit, du terrain à quelques ménages, qui étaient également venus de la Russie. Ils se mirent, tous, courageusement, à l’œuvre, mais ne pouvaient pas réussir. D’abord le terrain était archi-mauvais, ensuite ils manquaient d’eau. Le premier hiver ils burent l’eau de pluie qu’ils avaient ramassée dans les ravins. Ils trouvèrent aussi de mauvais conseillers. Des voisins, sensément bienveillants, qui croyaient avoir intérêt à les voir échouer, leur avaient fait accroire qu’ils trouveraient de l’eau en creusant sur un des points culminants de la colonie. 280 Zalman David (Tsvi ben Zeév) Levantin (ou Levontin) (1856-1940) arriva en Terre Sainte en 1881, où il fut à l’origine de la création de la colonie de Rischon-le-Zion et de la première banque sioniste. 281 Selon une autre copie : la source des pèlerins.
CHAPITRE XL : RISCHON-LE-ZION. DÉBUTS
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Ayant une confiance aveugle dans tout ce qu’on leur racontait, ils se mirent à faire creuser en cet endroit et allèrent jusqu’à une dizaine de mètres de profondeur, sans rencontrer autre chose qu’une continuité absolue de sable sec. Ils comblèrent donc le fossé, et, en été, achetèrent de l’eau dans les environs. On se figure ce que ces gens eurent à endurer dans ces conditions, n’ayant pas les moyens de boire à leur soif, dans un pays où l’été ne prend presque jamais fin, et où, par conséquent, la température était juste l’opposée de celle qu’ils avaient eue, constamment, dans leur patrie. Ils cultivèrent aussi leurs terres, y mirent du froment et de l’orge, et, à leur grande surprise, ils récoltèrent, à peu près, quarante pour cent de ce qu’ils avaient ensemencé. Naturellement, le soc de la charrue coupait l’alfa, qui repoussait beaucoup plus ferme et étouffait dans ses larges racines, les grains confiés à la terre. Sur ces entrefaites, feu Michel Erlanger vint faire un petit voyage en Palestine. Il fut accablé des demandes de ces pauvres diables, qui se voyaient perdus. Sur ses conseils, Mr Feinberg282, l’un des colons, se rendit à Paris, fut reçu par Monsieur le baron Edmond de Rothschild, eut quelques subsides, et obtint également un jardinier, qui devait les mettre au courant de tous les travaux des champs. Monsieur le baron engagea alors Mr Justin Dugourd, ancien jardinier de la ville de Paris, employé chez un Pacha d’Alexandrie, et que les récents événements avaient chassé d’Egypte. Ce jardinier partit pour Jaffa. Faute de maison pour lui à Rischon-le-Zion, il logeait, avec sa famille, à Mikveh Israël, chez le directeur, Mr Samuel Hirsch. Au commencement de cette histoire, j’ai déjà rendu un juste hommage à Mr Hirsch pour tout ce qu’il a fait et dans l’intérêt des colonies et pour les employés de Monsieur le baron. C’était leur conseiller et leur dieu, et sa maison était toujours ouverte à tout le monde. Mr Dugourd ne devait pas seulement être le jardinier. Il fut obligé de cumuler ses fonctions avec celles du directeur absent. Monsieur le baron avait bien envoyé, en qualité d’administrateur, Mr Benchimol, sous-directeur de Mikveh Israël. Pour faire sa connaissance, Monsieur le baron l’avait fait venir à Paris. A son retour, pour prendre possession de son poste, Mr Benchimol commit la faute de passer par Alexandrie, où il y avait le choléra. Il dut faire, dans les environs de Gaza, une terrible quarantaine interminable, sous une mauvaise tente, et presque sans nourriture. Il a gardé un bien mauvais souvenir de son début. Comme les colons, qui avaient reçu du terrain à crédit de Mr Levantin, ne pouvaient pas coucher à la belle étoile, Monsieur le baron autorisa 282 Joseph Feinberg rencontra Edmond de Rothschild à Paris le 18 octobre 1882 et en obtint un prêt. Ne pas confondre avec le dénommé Feinberg de Jaffa (p. 215).
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Mr Dugourd à leur faire construire de petites maisonnettes avec deux pièces et une cuisine, et à leur donner des subsides mensuels pour vivre. Il fixa le montant de ce secours à environ dix francs par âme, et par mois. Mr Dugourd eut encore la mission de chercher de l’eau. Il fit creuser un puits dans la partie la plus basse de la colonie, et dut descendre jusqu’à quarante trois mètres de profondeur, pour trouver une nappe d’eau. On ne pouvait pas penser à la faire monter par une noria et des mulets. On fit donc venir de Paris, toujours aux frais de Monsieur le baron, une machine à vapeur. On l’installa, et, à côté d’elle, des bains pour les hommes et les femmes. Ces bains sont alimentés par cette eau. Les colons continuaient à végéter. Croyant qu’avec un jardinier, ils arriveraient plutôt à un résultat, ils essayèrent de nouveau, en 1883, avec du froment et de l’orge. Ils étaient persuadés que leur inexpérience, seule, avait été la cause de leur insuccès. Malgré toutes leurs peines, ils ne furent pas plus avancés, lors de la récolte, que l’année précédente. Il fallait, absolument, trouver un remède à cet état de choses. Pour avoir un résultat, il était indispensable de se débarrasser de l’alfa, et, à cet effet, il était nécessaire de le défricher, à au moins soixante centimètres de profondeur. Dans ce cas seul, on descendrait plus bas que la racine de l’alfa, qu’on extirperait aussi, et on arriverait, peu à peu, de cette manière, à remettre la terre en état de produire. Seulement, comme en hiver il n’était pas possible, par les pluies, de penser à un pareil travail, on ne put l’entreprendre qu’après la Pâque. Et à cette époque, quoique sablonneuse, la terre est dure comme la pierre, dès qu’on a quitté la surface, et on n’avait que la pioche pour faire un travail convenable. Et ce ne fut que quelques années plus tard, que Monsieur le baron eut l’idée d’introduire, en Palestine, des treuils défonçant la terre à une soixantaine de centimètres de profondeur. Le travail de défrichage par ce nouveau système coûta la dixième partie de ce qu’il demandait auparavant. Aussi Monsieur le baron trouva-t-il, bientôt, des imitateurs dans les établissements agricoles du voisinage. Avec la pioche, il y avait un grand inconvénient. C’est que l’hectare revenait à quinze cents francs de défrichement. Pouvait-on, normalement, se permettre de pareilles dépenses exagérées, pour n’ensemencer, ensuite, que des céréales ? Il n’y avait, naturellement, pas à y songer. Le nouveau jardinier, Monsieur Cavelan, qui avait remplacé Monsieur Dugourd, parti pour Zicron-Jacob, proposa d’essayer la vigne. Sa proposition fut acceptée par Monsieur le baron. Alors surgit une autre question. La vigne réussirait-elle dans le sable ? On verra. Pour commencer, on se mit à planter la vigne arabe.
Chapitre XLI PROCÈS
Monsieur Benchimol avait continué les constructions, sans permission en règle. Il s’entendait, pour éviter les chicanes, avec le Caïmakam de Jaffa et son entourage. Cela marchait bien, aussi longtemps que ce gouverneur était là. Mais ces Messieurs les employés sont souvent déplacés. Vint un nouveau, qui voulait aussi savoir pourquoi il donnerait l’autorisation de construire, tout en risquant des reproches de la part de ses supérieurs. Quand on se crut bien à l’abri des misères, arrivèrent les dénonciateurs. Le terrain et les maisons avaient été mis au nom de Mr Erlanger. Le Gouverneur de Jérusalem le fit donc assigner devant le tribunal de Jaffa, qui le condamna à faire démolir les maisons. Pour une mesure énergique, il faut avouer qu’elle était radicale. Pouvait-on se laisser mener ainsi par les autorités locales ? Pas à y penser. Mr Hirsch conduisit le procès. Il en appela à Jérusalem. Le jugement de Jaffa y fut confirmé. On devait s’y attendre. Mr Hirsch alla en cassation à Constantinople. J’eus donc ordre de chercher à arranger les choses dans la capitale du Commandeur des Croyants. Je commençai à y connaître le monde. J’allai trouver le ministre de la justice, pour qu’une prompte et juste décision fût prise en faveur de la colonie. Il me rit au nez. – « Il y a, me dit-il, vingt deux mille cinq cents procès en cassation. Le vôtre sera mis à la suite. On en expédie, peut être, cent cinquante à deux cents par an. Vos arrièrepetits-neveux en entendront probablement parler un jour. Vous pouvez donc dormir tranquille sur les deux oreilles, et continuer comme par le passé. » Son conseil fut suivi. Il connaissait son affaire. Il avait pleinement raison. On n’entendit plus jamais parler de ce procès. Là-dessus, lorsqu’en 1886 je revins à Jérusalem, après la Pâque, je fis ma visite officielle au Mutessarif. Je lui demandai les titres de propriété des maisons. Il me les refusa. – « Eh bien ! dis-je, votre procès est un enfantillage. Il y a une loi turque, qu’on m’a apprise à Constantinople. J’étais surpris d’y voir tant de récentes maisons en bois, quand les incendies avaient trop de facilités à en enlever par centaines. » On me répondit : « Le Sultan le défend. Que fait-on alors ? Les charpentiers préparent la bâtisse dans un champ, et quand tout est prêt et à point, ils s’entendent avec la police, pour que, telle nuit, il n’y ait personne dans le voisinage de l’endroit où la maison devra être érigée. Cette même nuit,
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les ouvriers viennent placer les montants aux quatre coins, et, tant bien que mal, posent le toit là-dessus. Le jour peut alors venir, car personne n’a plus alors le droit de toucher à une maison qui est sous toits. Après cet arrangement, les ouvriers n’ont qu’à finir l’intérieur, sans qu’on puisse les déranger. » J’aurais pu lui causer de ma visite au ministre. Je m’en suis abstenu. J’aurais encore eu l’occasion de lui parler de plusieurs historiettes de ce genre. J’ai cru inutile de l’en entretenir. Mais pour mes lecteurs, je ne veux pas passer sous silence le plus bel exploit de ce genre, qui fut entrepris lors de la construction de la ligne des tramways de Pera à Galata à Constantinople. Entre les deux quartiers, tout près de la municipalité, se trouvait un cimetière turc. Il barrait littéralement la voie. Le tramway devait absolument traverser cette nécropole. Les ingénieurs savaient que jamais ils ne recevraient la permission officielle de la profaner. Et il n’y avait pas possibilité de faire un autre tracé. Après des pourparlers avec les chefs de la municipalité, ceux-ci se laissèrent forcer la main, et il fut convenu que si, dans une nuit, les ingénieurs étaient à même de poser la voie qui séparerait le cimetière en deux, et s’ils arrivaient à élever un mur de chaque côté du cimetière, pour en faire deux avant le jour, c’est à dire avant que la population s’en aperçût, ils pourraient aller de l’avant. Le tour de force fut réalisé, et, le matin, les habitants ne furent pas peu surpris de ce nouveau spectacle. Ils n’en revenaient pas. Les Musulmans, outrés, coururent à la mairie pour réclamer contre cette profanation de leur cimetière. On les reçut avec calme, comme le comportait la situation. On leur conseilla même d’adresser une pétition à la municipalité. On discuta longuement sur la chose. Car rien ne se fait vite. Et les voitures du tramway circulaient depuis des semaines, lorsqu’on répondit très sérieusement aux pétitionnaires, qu’ils s’y étaient mal pris ; ils auraient dû faire leur réclamation avant. Maintenant, ils arrivaient trop tard. Devant le fait accompli, il n’y avait plus rien qu’à s’incliner. Et l’affaire était enterrée. Je dis donc au Mutessarif : « Mes maisons sont sous toits. Je vous défends bien, malgré votre jugement, de les faire démolir. Vous n’avez pas le droit d’y toucher. » Le Gouverneur resta inflexible. Je passai trois jours à Jérusalem, à lui faire la cour. A la fin, je lui dis : « Vous ne prenez pas les intérêts de votre gouvernement. Car, aussi longtemps que je n’aurai pas les titres de propriété, je ne vous payerai pas l’impôt foncier de ces maisons. » Cette menace produisit de l’effet sur lui et le fit réfléchir. Le troisième jour, vers minuit, au moment de lui faire mes adieux, il me dit : « Que ferez vous, et où allez vous en quittant Jérusalem ? » Je répondis : « D’ici je vais à Jaffa finir mon inspection des colonies de votre
CHAPITRE XLI : PROCÈS
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Mutessarifat. Ensuite je monte vers Caïffa et je resterai quelque temps à Samarin. Enfin, je me rendrai dans les environs de Saffed, y inspecter, également, la colonie de Jaony. De là, je filerai sur Beyrouth, où je m’embarquerai pour Marseille. – Est ce que vous tenez à moi ? me répartit-il. Et me feriez vous un plaisir, pour me le prouver, si je vous le demandai ? – Excellence, dis-je, tout ce qui est humainement possible de faire, je le tenterai pour vous montrer combien vos moindres désirs sont des ordres chers pour moi. – Eh bien ! fit-il, lorsque vous aurez terminé votre tournée, si, au lieu d’aller à Beyrouth, vous remontez à cheval à Jaony, pour me faire une simple visite à Jérusalem, vous aurez fait un véritable sacrifice, et je vous remettrai les titres de propriété pour les maisons d’Ayoun-Kara. – C’est entendu, fut ma réponse. Dans deux mois, vous recevrez ma visite, et je sais que vous tiendrez parole. Je vous en remercie à l’avance. »
Chapitre XLII VOYAGE À NAPLOUSE
Je me mis en route. A peine avais-je terminé mes inspections à RoschPinah, que j’en partis un dimanche vers la fin du mois de juin, pour Tibériade, seul, sans gardien et sans guide, avec un unique moukre, un juif de Saffed. A Tibériade, je remis quelques centaines de francs aux autorités juives, pour être distribuées aux pauvres. En fait d’hôtel, il n’y avait encore, à cette époque, que celui tenu par Weissmann. J’étais descendu chez lui. Le Caïmakam, dans le courant de la journée, m’avait fait savoir qu’il ne me permettrait pas de m’en aller seul, parce que, jusqu’à Djennin, la route n’était pas sûre. Je le priai alors de m’envoyer un soldat le lendemain, vers quatre heures du matin, chez Weissmann. A deux heures je fus réveillé par des cris et des jurons épouvantables. Que s’était-il passé ? Un tas de pauvres gens se trouvaient, exaspérés, devant la porte de ma chambre, pour se plaindre de n’avoir rien reçu de l’argent que j’avais donné la veille. Je ne pus pas perdre mon temps à faire des enquêtes, pour vérifier la véracité des réclamations. Vers quatre heures, avant le jour, je me trouvais à cheval, prêt à partir, à côté du soldat et de mon moukre, qui venait de charger mes bagages. Tout d’un coup il me dit : « Ils ont volé votre gargoulette. – Je vous en prie, Messieurs, dis-je, ne vous vengez pas sur moi, en me prenant une gargoulette qui vaut vingt paras (dix centimes). Rendez la moi, car, sans eau, je serai malheureux en route. » Personne ne répondit. On crut me forcer, ainsi, à rester. On se trompait d’adresse. On ne me connaissait pas. – C’est bien, dis-je à mon moukre, partons quand même. Nous achèterons une autre cruche dans le premier village que nous rencontrerons. » Et nous sortîmes de Tibériade. J’allai rondement de l’avant, précédé de mon soldat et suivi de mes bagages.Vers cinq heures, il commençait à faire jour, quand nous croisâmes deux arabes se rendant en ville, avec des légumes chargés sur des ânes qui marchaient à quelque distance derrière eux. Au bout d’une demi-heure, mon moukre, d’un air narquois, me dit : « J’ai quand même une gargoulette. – D’où cela ? Puisque nous n’avons pas encore vu de village.
CHAPITRE XLII : VOYAGE À NAPLOUSE
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– Je l’ai prise sur les ânes chargés de légumes, que nous avons rencontrés tout à l’heure. – Vous déraisonnez ! Mais c’est un vol efficace. – Ah bah ! laissez donc ! Les arabes n’auront qu’à aller reprendre la vôtre chez vos voleurs de Tibériade. » Il n’y a pas à parler raison avec ces sortes de gens. Ils ne se rendent pas compte, comme les Européens, de ce qu’est l’honnêteté dans toute l’acception du mot. J’eus beau lui expliquer qu’il avait mal fait. Il me riait au nez et était heureux du tour qu’il venait de jouer. Pendant quelque temps on reste sur la montagne, puis on arrive dans une vaste plaine, au pied du mont Thabor, au milieu de laquelle on admire d’importantes ruines venant de vieilles fortifications. Tous les lundis, de quelques lieues à la ronde, les arabes se rendent en cet endroit avec les animaux qu’ils y viennent vendre, car il s’y tient un marché aux bestiaux. Les villages, qu’on rencontre sur la route, sont misérables, et les personnes qui travaillent aux champs pour couper la moisson, laissent tout en plan pour regarder votre monture, et, de temps en temps, vous jeter le cri de backshich, en vous offrant une poignée d’épis de froment. – Où peut-on loger ce soir à Djennin ? demandé-je à mon moukre. – A Djennin, me dit-il, de l’air d’un homme qui vous dirait :« Dieu ! que vous êtes bête de ne pas savoir ces choses. A Djennin il y a un cafetier, qui a un hôtel hors ligne, « pour loger les étrangers. » Je remerciai et nous continuâmes à marcher. Sans être inquiété le moins du monde par les voisins ou les indiscrets, j’entonnai alors le Adon Olam283, comme si j’avais été ministre-officiant dans une grande communauté. J’avais cependant cet avantage sur cet officiant, que personne ne me critiquait et me disait que je chantais faux ou non. Toute la lyre y passait, et avec elle le temps. Tantôt nous montions, tantôt nous descendions, et toujours à travers des champs admirablement cultivés, à perte de vue. Pas un arbre, pas un brin d’ombre. Et c’était par les plus grandes chaleurs. Par surcroit de malheur, j’étais continuellement entouré d’une nuée d’infimes moucherons, qui m’entraient dans les oreilles et les yeux. De quoi perdre la raison. J’avais à lutter contre cette véritable plaie d’Egypte et je remerciai Dieu de m’envoyer un village avec quelques arbres sur ma route vers midi, pour y déjeuner tranquillement. Nous ne prenons pas le temps de faire une sieste, et à peine avons-nous avalé le dernier morceau, que nous nous remettons en selle. Sur toute cette route, les terres continuent à être assez bien cultivées. Peu à peu, les montagnes deviennent plus petites, à mesure que l’on approche du but. Il était 283
Poème qui introduit l’office du matin quotidien.
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près de quatre heures, quand nous vîmes, de loin, les cactus entourant les plantations avoisinant la ville, et qu’on pouvait, facilement, prendre, à cette distance, pour de la vigne. Le voisinage de cette plaine, à droite, est bien connu dans les Ecritures Saintes sous le nom de plaine de Jesriel284. C’était, et c’est encore, une des régions les plus fertiles de cette contrée. A gauche on voit un bâtiment de vastes proportions, qui est une caserne d’infanterie. C’est entre des allées de cactus, qu’on fait son entrée dans cet endroit assez coquet. Dès mon arrivée dans la petit ville, je payai le soldat et le congédiai. Quant au moukre et moi, nous nous dirigeâmes vers le café, avec son hôtel si renommé. Le propriétaire ne fit aucune difficulté pour me céder la chambre, au fond du jardin. J’y fis porter mes bagages et je m’y rendis à mon tour, conduit par mon compagnon de route. Lorsqu’il ouvrit la porte et que je vis ce qu’il appelait, si pompeusement, un hôtel de premier ordre, je faillis tomber à la renverse. J’étais tellement saisi, que je ne pus proférer une parole. Le moukre me rappela à la réalité. Il prenait mon saisissement pour de l’admiration. Aussi me dit-il, d’un air fier : « Hé ! qu’en pensez vous ? » Devais-je me mettre en colère ? Il me suffisait de le regarder pour voir qu’il croyait sérieusement m’avoir procuré quelque chose d’extraordinaire. Et puis, j’avais encore besoin de lui, jusqu’à Jérusalem. Il n’y avait pas lieu de me fâcher avec lui. Comprenant mon intérêt, je lui répondis sans sourciller : « C’est, en effet, admirable. Je ne me serais jamais attendu à trouver dans ce pays quelque chose d’aussi confortable. » Il en fut ravi et, me laissant seul avec mes réflexions, il alla vaquer à ses occupations et tout préparer pour le voyage du lendemain. Cette pièce si réputée avait, a peu près, huit mètres de longueur sur six mètres de largeur. La porte d’entrée était à doubles battants. De chaque côté de la porte, il y avait une fenêtre, et deux étaient percées dans chaque mur. Elles n’avaient qu’un défaut, surtout pour un Européen. Elles n’avaient pas de vitres. Et comme, vers le soir, l’air devenait plutôt froid que frais, et qu’avec un peu de vent on était exposé à un double courant d’air, je me demandai comment je passerai la nuit, là-dedans. Avec mes conserves, je dinai dans un coin. Puis je préparai mon lit. Le matelas me semblait un peu dur. Le sommier de même. L’un et l’autre manquaient, car l’ameublement de cette chambre consistait, de chaque côté, sur toute sa longueur, en quelques planches fixées sur des tréteaux. Je mis donc, sous moi, une couverture de voyage, et, m’enveloppant dans mon manteau avec le capuchon par dessus la tête, je me roulai sur ma couchette 284
Jisreel.
CHAPITRE XLII : VOYAGE À NAPLOUSE
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improvisée, ne laissant sortir de ma figure que mon nez, pour avoir la respiration, mais ne voulant pas être en proie à ce violent courant d’air. Le sommeil, dans cette position, a de la peine à venir, et quand, la fatigue aidant, vous vous assoupissez, un peu, vous avez des cauchemars à perte de vue. A trois heures le lendemain matin j’étais debout. Naturellement, la toilette se faisait dans le jardin, près de la fontaine. Nous avions une rude journée devant nous. Et je voulais, avant le soir, arriver à Naplouse. La chaleur fut effroyable, avec le soleil en plein visage, quelques moucherons de plus ou de moins que la veille, mais moins de monotonie dans le paysage. Je me voyais obligé, sur tout le parcours, d’entendre tous les cancans de Saffed et de la Palestine, car mon moukre connaissait tout, et tout le monde. Il croyait, certes, que ses historiettes devaient m’amuser. Il n’y avait pas moyen de le forcer à se taire. Et puis, j’avais autre chose en tête. Il s’agissait de lutter, sans cesse, contre les moucherons, et empêcher mon cheval de s’emballer, car ils lui entraient dans les oreilles.
Chapitre XLIII SAMARITAINS ET NAPLOUSE
Pour Naplouse je n’avais aucune inquiétude en ce qui concernait mon logement. Je savais qu’on était bien reçu, au couvent protestant, mais je comptai sans mes hôtes. Les rabbins de Tibériade me jouèrent là un de ces tours dont je me souviendrai. Nous cheminons donc tranquillement, tantôt dans la plaine, tantôt dans de petites gorges, mais la végétation était partout très riche, et nous ne manquions ni d’oliviers ni de figuiers. Tout en déjeunant, on se remet un peu des quelques heures de cheval, qu’on a dans les reins, et on reprend des forces pour la continuation du voyage. C’est qu’à partir de là, si l’on n’est pas amateur des rochers et des innombrables gros cailloux, que foulent les pieds de votre monture, on ne trouve plus le paysage charmant. On croyait, un moment, qu’on était débarrassé des moucherons. Les voilà qui reviennent pendant plus d’une heure. Le seul remède, alors, est de s’envelopper la tête et la figure de mouchoirs, et de ne laisser libres que les yeux couverts de lunettes. Ce qu’on transpire, dans ces cas, est facile à présumer. Vous voilà préservé contre les moucherons. Mais le cheval ! Il jette sans cesse la tête à droite et à gauche à vous faire croire qu’il va prendre le mors aux dents. Ce qu’on est heureux, quand, enfin, on arrive sur la cime d’une montagne, débarrassé de ces infects petits compagnons. La chaleur est torride, et malgré les gants, les coups de soleil se multiplient sur la partie du bras exposé à ses rayons. A l’approche de Naplouse, la vraie végétation reparait. Et quelle végétation ! Aussi riche qu’on peut se l’imaginer. Des oliviers à perte de vue, et des jardins potagers, qui font la fortune de leurs propriétaires. Avant d’arriver à Naplouse, on a à grimper sur une montagne, à côté d’un précipice, dans un mince sentier. Elles est assez élevée. Au moment où j’arrive à son pied, je vois de loin, sur la cime, cinq cavaliers immobiles sur leur monture. Je ne distingue pas bien la tête de ces gens et je me demande si c’est à moi ou à ma bourse qu’ils en veulent. Je ne puis pas rétrograder et je n’ai pas d’autre chemin à ma disposition. D’instinct je mets la main au pommeau de mon revolver et je continue la route. En arrivant tout près d’eux, je vois que ce sont des Israélites. Ils ne me laissent pas le temps
CHAPITRE XLIII : SAMARITAINS ET NAPLOUSE
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de les questionner. Ils me demandent : « C’est vous ? Mr Scheid. – Oui, répondis-je. – Alors, c’est bien. » Ils m’annoncent que les rabbins de Tibériade les avaient prévenus, par dépêche, de mon arrivée, et que le médecin avait préparé une bonne chambre pour moi. – « Mais, leur dis-je, je veux descendre au couvent. – Impossible, répartirent-ils, vous ne pouvez pas faire cet affront au médecin et à la communauté. Du reste, ajoutèrent-ils, vous serez mieux chez lui qu’au couvent. » Je dus me laisser faire et conduire. Toute la ville connaissait déjà mon arrivée. Et moi qui voulais y passer incognito !!! Je redescendis l’autre versant de la montagne et je traversai une haie de curieux, qui m’attendaient à l’entrée de la ville. Le docteur G.285 était un juif russe, établi depuis quelque temps à Naplouse, et qui me reçut les bras ouverts. Etait-il marié ? On m’avait dit que sa femme était également russe. Seulement, pendant les trente six heures que j’ai passées chez lui, je n’eus pas l’occasion de la voir. Il m’avait préparé une chambre à coucher, assez petite. Ce fut sur une table placée dans un coin de cette chambre, qu’il me fît poser tout le dîner, servi du coup, sur un immense plat en cuivre, et apporté du dehors par un juif sefardi. Le médecin partagea mon dîner, qui se composait des choses les plus abracadabrantes. Je lui disais toujours que j’avais mes conserves et que je ne voulais pas le déranger. Il ne me permit pas d’en user. Et cependant j’avais l’intuition que j’étais de trop dans ce ménage. Il me semblait qu’à mon insu, ses coreligionnaires avaient forcé la main au docteur, pour m’héberger chez lui. Cette fuite de la femme devant moi, ces repas préparés en ville, cette gêne que je sentais partout, tout cela m’indiquait que j’aurais mieux fait d’aller au couvent. Enfin ! me voilà seul. Je puis donc me reposer, en profitant du bon lit qui avait l’air de m’attendre. Je ne le fis pas longtemps languir. Ah ! mais ! Quand je l’ouvris, je le trouvai tellement habité, que je m’empressai de le refermer. Mes membres devaient, absolument, s’habituer à la vie des trappistes. Je mis ma couverture, derrière la porte, par terre, et je m’étendis là-dessus. J’étais couché comme à Djennin, mais je n’avais pas à subir les courants d’air de là-bas. Et je passai mes deux nuits dans cette triste position, sans que mon médecin m’eût demandé pourquoi le lit n’avait pas été défait. C’était peut être ce lit qui était la cause de la gêne de mes hôtes. Qu’eût ce donc été, si je m’étais imposé ? La mangeaille fut, tout le temps, de la même qualité que le premier repas, toujours prise en tête à tête avec le docteur. Et la femme continuait à rester calfeutrée dans ses appartements.
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Non identifié.
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Les Turcs de marque venaient me faire des visites, et je dus leur confirmer ce que des amis leur avaient raconté de Samarin. Ces touristes avaient poussé une pointe jusqu’à cette colonie et avaient répandu le bruit que Samarin était aussi beau que Paris. Je n’eus même pas envie de rire devant la naïveté de ce racontar. La petite communauté israélite, composée d’une dizaine de familles Sefardi, et d’autant d’Askenazi, est pauvre dans toute l’acception du mot. Ils sont ouvriers ou marchands ambulants. Les Musulmans de Naplouse sont très fanatiques, et n’aiment pas les avoir à côté d’eux. Il est vrai qu’ils détestent encore plus les chrétiens. Les Israélites n’ont pas de synagogue. Ils ont été obligés de faire toutes sortes de bassesses, pour obtenir la location d’une grande chambre dans une maison turque. Depuis mon voyage, Monsieur le baron Edmond de Rothschild leur en paie le loyer. J’ai assisté à l’office du matin. Askénazim et Sefardim sont réunis dans le même local et la prière est récitée à la mode Sefardi. Le service, commencé un peu après cinq heures du matin, était bien vite terminé. On n’y traîne pas. Tout cela est expédié au grandissime galop. En sortant de ce petit oratoire, je me suis rendu chez les Samaritains. Dans le temps, ils avaient des ramifications à Ascalon, Gaza et Damas. Aujourd’hui, il n’y en a plus qu’à Naplouse. Et ils sont, en tout, peut être, une quarantaine de familles. Les autres Israélites leur refusent la main de leurs enfants. Les Samaritains ne connaissent pas le Talmud. Ils suivent, à la lettre, les prescriptions du Pentateuque. Ils n’admettent, de la Bible, que cette partie. Ils ne portent pas de phylactères. Comme mesousoth, ils ont le Schema sculpté sur le haut de leur porte d’entrée. Ils ne se servent pas de Taléth (châle en soie ou en laine) pour leurs prières. Au Temple, ils se revêtent d’une espèce de Sarguenés (linceul), qui a la coupe d’un cache-poussière, allant jusqu’à terre. Leurs prières sont, presque toutes, des genres de psaumes composés par eux. Les caractères de leur écriture liturgique sont ceux des anciens Hébreux. Ils ont aussi un rouleau de la loi de la même écriture. Ils me l’ont sorti de leur Héchal (Arche Sainte) et me l’ont ouvert pour me faire constater son ancienneté. C’est toujours la même place qui est mise sous les yeux des touristes. Aussi, par les attouchements successifs, les lettres, à cet endroit seul, sont beaucoup plus ternes qu’ailleurs. Il y en a, même, qui sont presque effacées. Ces Messieurs me racontent que ce rouleau date du temps du fils de Pinchas, petit fils d’Aron. Je leur en demande la preuve. Ils me répondent : « Si on suit bien les passages successifs, dès le début, on trouve des majuscules, qui, mises à la suite les unes des autres, forment les mots : Abischoua ben Pin’has, ben Eléazar, ben Aaron Hacohen. » Je les prie de me permettre de vérifier la chose. Ils refusent. Et cependant, ils me prennent pour un grand personnage, puisque, en prévision de ma visite, ils avaient fait apporter un fauteuil au temple. Eux-mêmes n’ont pas de sièges. Ils font
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la prière, tantôt debout, tantôt assis par terre. Ils m’y ont fait aussi servir un café, ainsi qu’au grand prêtre et à ses deux adjoints. C’est tout à fait nouveau genre. L’un d’eux m’a même vendu, en secret, un de leurs livres de prières. Leurs femmes ne cachent pas leurs cheveux. Ils se disent tous descendants d’Aaron, tous Kohanim286 et, par conséquent, ne touchent à rien d’impur. Un garçon leur naît-il, il n’est pur qu’après la circoncision. Ils font donc faire l’opération par un Musulman. Si quelqu’un meurt, il est, pour la même raison, enterré par les Arabes. Ils n’ont pas de pierres tumulaires, n’en éprouvent pas le besoin, puisqu’ils ne vont jamais au cimetière. La femme impure est reléguée dans une chambre spéciale et se sert elle-même, ou est servie par une arabe. La Schehita (jugulation) est faite par le grand prêtre, qui, pour sa peine, garde une partie de la bête. Du vendredi soir au samedi soir, il n’y a ni feu ni lumière dans leurs maisons. La nourriture du samedi consiste en fruits ou autres mets froids. Naplouse, l’ancienne Sichem de la Bible, est encaissée entre des montagnes, dont le Har Hagarizim est la plus élevée. Comme les juifs ont toujours eu une espèce de mépris pour eux, les Samaritains n’ont pas voulu reconnaître la sainteté de Jérusalem et du Mont Sion, et ils ont sanctifié le mont Garizim. Du temps de Néhémie, ils y avaient déjà fait construire un temple. Il a été rasé avant la destruction du temple de Jérusalem. Quelques jours avant les fêtes de Pâque, ils déménagent sur le mont Garizim, ne laissant, en ville, que les impurs. Ils vont dresser leurs tentes sur le plateau central. La veille de la fête, on tue sept agneaux, qu’on fait cuire dans une immense marmite. Tous les fidèles, au moment du sacrifice, trempent leurs doigts dans le sang, et s’en font une petite raie sur le front, en souvenir de la sortie d’Egypte. Les os sont mis à part et brûlés avec la laine et l’épaule droite. Cela répand une odeur infecte dans l’air. Le soir, en guise de Hagada (ce que les fidèles récitent chez eux, la veille de la Pâque), le grand prêtre fait, à haute voix, la lecture des premiers chapitres de l’Exode, relatifs à l’esclavage et à la sortie d’Egypte, et, pendant les sept jours de fêtes, on ne fait que prier et offrir des sacrifices. Les Samaritains s’occupent de commerce, ont des magasins au bazar, et ont une belle et forte prestance. Ce sont de beaux hommes. Ils s’habillent, tous, à l’Orientale. Ils sont dans d’excellents termes avec les Musulmans, car ils sont très corrects en tout. Leur parole vaut un écrit.
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Prêtres.
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On dit que Joseph avait demandé à ses frères à être enterré à Sichem, sa résidence primitive, dans le pays de Chanaan. Il paraît que son voeu a été exaucé, car du côté opposé à celui par où je suis entré en ville, on vous montre, entre quatre murs, à ciel ouvert, un tombeau, dans le genre de celui de Rachel, avec deux tronçons de colonne, aux deux extrémités. On dit que c’est là le tombeau de Joseph, avec Manassé à sa tête et Ephraïm à ses pieds. Et pour qu’on en soit bien convaincu, un consul anglais de Damas y a fait intercaler, en 1858, dans un mur, une plaque en marbre blanc, avec une inscription en lettres d’or, pour y perpétuer le souvenir de Joseph et … probablement aussi et surtout celui du consul. Car il a eu soin d’y faire graver son nom. La ville est très propre. L’eau de source coule toute l’année dans des rigoles établies dans toutes le rues. Il y a, au moins, vingt mille habitants. Par suite du fanatisme des Musulmans, l’entrée des Mosquées est interdite aux Européens. En quittant le tombeau de Joseph, on rencontre, dans le voisinage, ce qu’on appelle le puits de Jacob287, non loin d’une vaste plaine bien cultivée, et dénommée, dans la Bible, le Champ de Jacob288.
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Près du Tell Balata (l’ancienne Sichem), sur les terres du monastère de Bir Ya’qub. Cf. Genèse 33 19.
Chapitre XLIV DE NAPLOUSE À JÉRUSALEM
Jeudi matin, à quatre heures, je me trouvai, de nouveau, à cheval, sur la route de Jérusalem. Le pays est beau et on n’a pas le temps de s’ennuyer. On rencontre souvent des sources d’eau fraiche, où l’on peut s’approvisionner. Je sentais encore, dans mes reins, les douceurs du Home, qu’on m’avait offert chez le médecin. Cependant ma liturgie commença de plus belle. Il faut bien s’amuser. On passe à Bethel illustrée par le court séjour de Jacob, mais qui n’est plus qu’un misérable village arabe. Et quand on a, comme moi, hâte d’arriver au but, on continue à chevaucher, pour coucher à Biré289 le même jour. « Quel hôtel aurai-je ce soir, demandai-je à mon moukre ? – Nous trouverons un bon Han (caravansérail) à Biré, me répondit-il. Il est très bien, pas aussi confortable que l’hôtel à Djennin, mais mieux que les Han ordinaires. » J’eus un vrai frisson, en entendant la description de mon logis de ce jour. Et de fait, mon moukre s’y connaissait. Ce n’était pas aussi beau qu’à Djennin. Oh ! Non ! C’était une espèce d’écurie abandonnée. Là, sur des planches, mon moukre eut la bonne idée de m’adoucir la couche, avec la paille triturée, qu’il devait donner, le lendemain, à manger à ses bêtes, en y mélangeant un tiers d’orge. Et je fus loin de me plaindre. A quoi bon ? Mon conducteur m’aurait pris pour un jouisseur ou un grincheux. Et je tenais à garder, jusqu’au bout, l’estime de ce brave homme. Vendredi matin, je marchai, de nouveau, sur cette route impossible, parsemée de rochers plats et glissants. Mais j’étais consolé. Je n’avais plus que trois ou quatre heures pour atteindre la fin de mon martyre. L’eau, de ce côté, n’est presque pas potable. Elle se trouve dans des cavités, à l’intérieur des montagnes, et elle sent le moisi. Par suite, j’eus beaucoup à souffrir de la soif. Je broyais, entre les dents, des morceaux de paille, pour me donner le change, quand, tout d’un coup, à la cime d’une montagne appelée le Scopus, et où doivent avoir campé les légions de Titus, j’eus, à vingt minutes, à mes pieds, toute la Ville Sainte. Elle me sembla bien plus grande et plus visiblement détaillée, que du haut du Mont des Oliviers. Il vaut réellement la peine, étant à Jérusalem, de faire une excursion de ce
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Al-Biréh, à proximité de Ramallah.
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côté, pour profiter de ce coup d’œil. Car c’est une vision bien agréable qui vous reste. Mais dans quel état arrivai-je à l’hôtel ? J’aurais dû m’aliter et me reposer quelques jours. Seulement, en ma qualité de juif errant, le mouvement perpétuel était mon lot. Lorsque pour le bien de l’Œuvre que Monsieur le baron avait créée et pour tâcher de lui faire plaisir, je m’assujettissais à ces tours de force, ne comptant ni les peines, ni les insomnies, ni la santé, je me demandai plus d’une fois, si réellement il valait la peine de me tuer ainsi, à petit feu, ou si, à mon insu, j’avais été condamné aux travaux forcés, pour avoir, toute ma vie, cherché à rendre service à mes semblables. Connaissant déjà assez bien l’humanité, je ne m’attendais pas à la reconnaissance, ni d’un côté ni de l’autre. J’étais bien convaincu qu’un jour viendrait, où, accablé par les fatigues et les fièvres, je ne serais plus en état d’entreprendre ces voyages. Dans ces moments, j’avais subitement des velléités de rentrer chez moi, le plus vite possible, pour me remettre de mon surmenage, et reprendre ma place au bureau du Comité de bienfaisance, où je me trouvais si bien, et que j’aurais bien voulu ne plus quitter. Tous les miens partageaient naturellement mon avis et auraient été heureux si mes vœux avaient été exaucés. Mais alors on avait le talent de si bien m’encenser, et on me faisait comprendre que sans moi, l’Œuvre ne pouvait pas être menée à bonne fin. Et je me laissais de nouveau séduire, prenant toutes les promesses pour de l’argent comptant. Dieu ! que j’étais jeune pour mon âge. Et puis, Mr Nissim Behar m’avait préparé une réception pour le soir, à huit heures, chez le Gouverneur. Et, comme noblesse oblige, je ne pus faire autrement que de m’y rendre. J’ai dit plus haut ce que Mr Nissim avait fait pour l’Alliance. Là on pouvait lui dire qu’il avait été payé pour cela. Mais ce qu’il a fait, gratis pro Deo, pour les colonies, et uniquement pour le plaisir de servir une œuvre de bienfaisance, est difficile à raconter. Il s’était, pour ainsi dire, fait l’esclave des différents gouverneurs, qui se sont succédé à Jérusalem, rien que pour obtenir d’eux, en récompense, des facilités pour les colonies. Et il n’était pas plus heureux, que quand il avait aplani une de ces difficultés qu’on croyait, en général, insurmontables. Aussi, la colonisation lui doit une grande reconnaissance. Moi, je ne pourrai, jamais, assez remercier Mr Nissim pour les services qu’il m’a rendus dans toutes les occasions, chaque fois que j’avais besoin de lui à Jérusalem. Aussi, n’ai je presque jamais fait de visites officielles aux divers gouverneurs, sans l’avoir à mes côtés. Par sa retraite, l’Alliance et la Communauté de Jérusalem, d’un côté, et les colonies de l’autre, ont perdu un serviteur fidèle, qui ne comptait pas son temps et ses fatigues, pour aboutir à un heureux résultat. Grâce à lui, donc, je fus bien reçu par le Gouverneur. Le même soir, après le dîner, je fis, comme convenu, ma visite au Gouverneur. Je le voyais
CHAPITRE XLIV : DE NAPLOUSE À JÉRUSALEM
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toujours chez lui, et nous causions jusque vers minuit. Cette fois, il fut charmant. Avant de me donner les titres de propriété, il voulut me faire promettre de ne plus construire sans autorisation. « – Je le veux bien, dis-je, à condition que vous m’en accordiez la permission, quand je vous la demanderai. – Mais je ne puis pas, me répondit-il. J’ai les mains liées par les ordres que je reçois de Constantinople. Allez-y ; tâchez d’obtenir, pour moi, une lettre du Grand Vézir, me disant que, pour vous donner l’autorisation de construire, je n’ai plus besoin d’en avoir, d’abord, le consentement de la capitale, et je vous la remettrai chaque fois que ce sera possible. » De retour à Paris, je racontai cette histoire à Monsieur le baron. Il fut, naturellement, heureux de me voir rapporter les titres de propriété de toutes les maisons de Rischon-le-Zion, sans même se douter des fatigues qu’ils m’ont coûtées. Il partagea l’avis du Gouverneur pour ce qui concernait le voyage à Constantinople. Il fut décidé que je m’y rendrai l’année suivante, dès que j’aurai trouvé un moment propice.
Chapitre XLV NOUVEAU VOYAGE À CONSTANTINOPLE
En 1887, je pris donc, pour cette affaire, l’Orient-Express. J’arrivai le mercredi à Constantinople, et le surlendemain, vendredi matin, je me trouvai chez le Grand Vézir, dans son Conack290. Il avait monté en grade. C’était ce ministre, qui, en 1884, avait eu la bonté de me faire obtenir la signature du Cheik-Ul-Islam. C’était donc une vieille connaissance pour moi291. Il me reçut admirablement bien, écouta ma demande et me dit :« Venez lundi à la Sublime Porte, je vous donnerai une lettre pour le Vali de Damas (qui, alors, était encore gouverneur général de toute la Syrie, tandis que, maintenant, il y en a un également à Beyrouth) et une autre pour le Mutessarif de Jérusalem. » Ce dernier, par exception, n’a pas de Vali au dessus de lui. Je fus ponctuel au rendez vous. Je fus reçu par le drogman du Grand Vézir, qui me raconta une histoire quelconque, pour me faire patienter, et me dit de revenir fin de la semaine. Je revins. Le drogman me fit savoir que le Grand Vézir désirait avoir ma demande par écrit. Deux mots de ma main suffisaient. Je rentrai chez moi, je rédigeai la lettre et je la rapportai à la Sublime Porte. « – C’est bien, me dit le drogman. C’est tout ce qu’il faut. » Huit jours après, je cherchai des nouvelles de ma lettre. « Elle est au ministère des affaires étrangères pour la traduction, me fut-il répondu. Il faut patienter. » Patienter ! C’est le mot que vous entendez partout à Constantinople. Seulement, avec ces courses folles et répétées à la Sublime Porte, on peut perdre patience. Il y a aussi moyen de perdre la tête. Les Turcs, au contraire, gardent tout leur sang-froid. Ils trouvent cela tout naturel. En attendant, je pouvais me promener. Où ? Je connaissais la ville par cœur. Constantinople est, peut être, la plus belle ville du monde, quand on arrive par mer, soit par la Mer de Marmara, soit par la Mer Noire. On ne parvient pas à se rassasier de cette vue féérique. Seulement, étant entré par le Mer Noire, on devrait ne pas débarquer et repartir par la mer de Marmara, 290 291
Campement, gite. Sans doute une tente d’apparat. Cf. p. 79-82.
CHAPITRE XLV : NOUVEAU VOYAGE À CONSTANTINOPLE
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et vice-versa. On garderait, alors, un souvenir ineffaçable de ce panorama, unique en son genre. Tout charme disparaît, si vous entrez en ville, surtout après un jour de pluie. Cette boue n’existe que là. Et quand vous avez cherché et trouvé un petit endroit convenable où placer votre pied, il faut encore que vous ne marchiez pas sur un des chiens qui encombrent les rues, surtout celles qui avoisinent le débarcadère. Et cependant, je dus aller, pendant six semaines, de mon hôtel à la Sublime Porte, pour revenir de Stamboul à Péra, sans aucun résultat. A la fin, je suppliai le drogman du grand Vézirat de me faire donner la réponse. « Dieu ! que vous êtes pressé, me dit-il. Il y a à peine six semaines que vous êtes ici, et vous voulez déjà avoir un résultat. On voit bien que vous êtes Parisien. Ils sont, tous, les mêmes. » Et je devais avaler tout cela. Il finit, quand même, par avoir pitié de moi, et me donna un excellent conseil. « Voyez-vous, ajouta-t-il, le Grand Vézir est trop timide, pour prendre une pareille détermination, de son propre chef. Si vous aviez la lettre que vous lui réclamez, du ministre de l’intérieur, il la contresignerait des deux mains. Allez donc voir le ministre de l’intérieur. – Mais je ne le connais pas. – Cela ne fait rien. C’est un très brave homme. » Je rentrai perplexe à l’hôtel. Je ne fermai pas un œil de la nuit. Qui pourrait bien me présenter à M. Pacha,292 alors au ministère de l’intérieur. Je ne trouvai personne. Le lendemain matin, j’étais debout de très bonne heure et je me mis en quête de ce fameux introducteur. Je finis par mettre la main sur ce Monsieur, qui consentit à me présenter. Je vis M. Pacha et lui expliquai la chose. Il voulut bien comprendre que j’avais raison, et sans que j’appuyasse ma requête d’une lettre. Il fit, sur le champ, appeler son Katib (secrétaire officiel) en lui disant de me faire les deux lettres qu’il signerait. Je remerciai et sortis avec le Katib. Je dis à ce dernier :« Je désire que vous vous mettiez, de suite, à la besogne. Je ne tiens pas à ce que le Ministre ait le temps de revenir sur sa détermination. Je vous en serais très obligé ! Veuillez donc faire en sorte que ce soir, à quatre heures, j’aie mes deux lettres. Je ne vous quitterai pas d’une semelle jusque là. Nous déjeunerons ensemble. – Vous les aurez, fut la réponse. » A peine étions nous assis, que retentit un coup de sonnette à mes oreilles.
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Initiale du nom ? Non identifié.
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« – Pardon, me dit-il, de vous quitter. Le Ministre m’appelle. » Et il sortit. « Allons, bon ! me dis-je, voilà encore la même rengaine qu’avec le Grand Vézir. Je n’aurai jamais mes lettres. » J’étais encore plongé dans mes idées noires, que mon homme revint radieux. « Vous avez fait la conquête du ministre, me dit-il. Aussi veut-il que je recherche la date d’une circulaire confidentielle, qui a été envoyée contre les Juifs en Palestine. Je dois l’annuler dans ces missives. » Il chercha la copie de lettres, s’arrêta au mot Jahoud (juifs), feuilleta, et au bout de quelques secondes, il me sourit : « Je l’ai déjà. Elle est de novembre 1883. Croyez vous, par hasard, que si …. vous ne m’aviez pas …. de suite, plu, j’aurais déjà trouvé ? Pas dans deux mois. Je ne suis pas pressé. » Il se mit à la besogne. Il transpirait le pauvre, car la rédaction d’une lettre en turc est très difficile, parce qu’on tient, plus que dans toutes les autres langues, à des expressions spéciales, bien choisies et bien tournées. Sa rédaction plut au ministre qui s’empressa de signer. Et le soir même, j’eus mes deux lettres. Très peu de temps après, je reçus l’homologation du Grand Vézir, et je revins à Paris, où je fus, comme toujours, comblé de …. compliments, Cela coûte si peu, et cela fait tant de plaisir.
Chapitre XLVI EMPLOYÉS ET AGRANDISSEMENT DE LA COLONIE
Monsieur Benchimol ne pouvait pas rester seul. Il devait courir, tantôt à Jaffa, tantôt à Jérusalem, s’occuper des achats de matériaux pour les colonies, tout en surveillant Rischon-le-Zion avec, en même temps, Ekron, que Monsieur le baron venait d’acheter, à deux lieues au sud de Rischonle-Zion. Monsieur le baron lui adjoignit Mr Ossowetzki, qui, comme je l’ai raconté plus haut, était aussi venu de Brody et se trouvait à Mikveh Israël. Ces Messieurs, ainsi que le jardinier, furent des plus malheureux au début. Aucune cuisinière ne consentait à entrer à leur service, parce qu’ils n’avaient pas de femme. Aussi, à tour de rôle, MMrs Benchimol et Cavelan préparaient-ils, forcément, leurs repas, eux-mêmes. On peut facilement se représenter ce que devait être un pareil genre de vie. La drôle de pension que je prenais, chez eux, dans mes inspections. L’huile rance de Zicron-Jacob revenait sur le tapis, avec des plats indescriptibles. Joignez à cela les fièvres qui leur venaient, d’un côté, d’un marais de Mansour, situé dans le voisinage d’Ekron, et de l’autre, des miasmes qui sortaient d’une terre, qui n’avait, peut être, pas été travaillée à fond depuis des siècles. Aussi, lorsque, ayant fini ma tournée dans le Nord de la Syrie, n’ayant pas été beaucoup plus heureux que ces Messieurs sous le rapport de la nourriture, je revins à Jaffa, à la fin du mois de janvier 1884, je trouvai déjà Mr Cavelan, cloué par les fièvres intermittentes, sur un lit d’hôpital, en ville. S’il n’avait pas eu un tempérament de fer, il n’eut pas résisté. Quant à Mr Benchimol, il n’en valait guère mieux. En sa qualité d’Oriental, il put résister un peu plus longtemps. Mais à la fin, ayant aussi attrapé les fièvres, et les ayant, pour ainsi dire, sans discontinuité, il donna sa démission et se retira au Maroc, auprès de ses parents, afin de tâcher de s’y remettre par les soins et le changement de climat. Entretemps, Monsieur le baron avait engagé Mr Ettinger pour le rayon, car Pétach-Tikveh, à trois lieues au nord de Rischon-le-Zion, avait aussi des velléités de travailler et demandait, naturellement, des secours. Mr Ettinger ne resta non plus que jusqu’en 1885 et retourna à Paris, d’où il revint en 1886, pour se rendre à Rosch-Pinah, en qualité de sousadministrateur.
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En remplacement de Mr Benchimol, Monsieur le baron choisit un certain Mr Lyon293. Il était trop vieux et avait fini par se croire Monsieur le baron lui-même. Il avait commencé à donner des noms ronflants aux rues de la colonie et appelait les maisons des colons des villas, auxquelles il voulut accoler les prénoms des femmes. Il avait également eu l’idée de bâtir un immense bazar au centre de Rischon-le-Zion, afin de ruiner tous les magasins de Jaffa, dont les tenanciers lui déplaisaient. Et pour attirer plutôt les acheteurs, il avait formé le dessein d’y adjoindre une ménagerie. Finalement, il quitta le service. Monsieur le baron eut de la difficulté à le remplacer. Les bons administrateurs, avec des connaissances spéciales, ne sont pas faciles à dénicher. Les Européens, s’ils ne trouvent pas, dans ces positions, au bout du monde pour ainsi dire, et dans des trous impossibles, des compensations palpables, ne tiennent pas du tout à s’expatrier. Et je ne puis pas leur donner tort, car ceux qui consentent à y aller, doivent, forcément, renoncer à toute ombre d’amusement. S’il est célibataire, il peut mourir d’ennui, encore plus tôt que le père de famille. S’il est marié, avec des enfants, il a le souci de l’instruction de ces même enfants. Lorsque les enfants sont petits, il est obligé de prendre des institutrices européennes dans sa maison, et, plus tard, il faut qu’il les envoie dans des pensions en Europe et qu’il s’en sépare pour longtemps. Tout cela forme des sacrifices qui ne sont pas compensés. Aussi les employés de toute catégorie, ne trouvant dans le service des colonies ni passe-temps, ni autres avantages, quittaient-ils vite, après un stage plus ou moins long. Au courant de la plume je citerai dans l’administration : Mrs Léon Wormser, Alphonse Bloch, Emile Ettinger, Osée294 Ossowetzki, J. Gross295, J. Sitt296, Salmon, Lyon, Ausscher, J. Hazan, Neustein, Penso, Kaisermann, Salomon297. Dans le service de santé, nous avons les docteurs César, Klein, Stein298, Montdor, Zussmann, Joffé, Naura, Hamburger, Bliden, Cohanesco et le pharmacien Possiselsky.299
293 M. Lyon administra Richon-le-Zion pendant quelques mois en 1885 et fut très rapidement congédié. 294 Il est également appelé Josué. 295 Non identifié. Voir p. 301. 296 Non identifié. Voir p. 301. 297 Beaucoup parmi eux n’ont pu être identifiés. 298 Marc Menahem Stein (1855-1916) immigra en 1883 et devint médecin non résident de Rischon-le-Zion (1884-1887). Il devait également desservir les colonies de Judée et Mikveh Israel. Soupçonné d’avoir aidé les rebelles, il fut congédié du service des colonies. Médecin privé à Jérusalem (1887-1890), il fut employé par la suite à l’hôpital et dans diverses localités. 299 Tsvi Possiselsky fut actif dans les colonies de 1882 à 1888. Installé à Rischon-le-Zion, il desservit également Petach Tikvah et Gederah. Il tomba malade et repartit en France en 1889. Il s’installa par la suite en Egypte.
CHAPITRE XLVI : EMPLOYÉS ET AGRANDISSEMENT DE LA COLONIE
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Comme jardiniers, ont quitté : MMrs Justin Dugourd, Cavelan aîné, Cavelan jeune, Foray, Deshayes, Ben Danou, Lustgarten, Aronsohn 300, Schalit, Gold, Boukchechter301, Bilenki, Peretz et Joseph Pascal. Sont partis encore : MMrs Brociner et Nessler, Arcel, chimistes, Dupuy302, Peychaud303, Dupin304, B. Kauffmann, maîtres de chai, Leibovitz, Andelsmann, J. Goldstein305, Klotz, Younés306, Guissin, sans compter une douzaine d’instituteurs. Je laisse de côté ceux qui ont été enlevés par des maladies. Monsieur le baron, pour se les attacher, avait bien promis aux principaux employés de les intéresser dans la vente des vins, comme il l’avait promis, en 1894, à Saint Moritz, à l’écrivain de ces lignes… Mr Ossowetzki, voyant alors combien Monsieur le baron était en peine, demanda et obtint la faveur de diriger la colonie à lui tout seul. Il était trop jeune. Mais pour les raisons citées plus haut, il fut quand même agréé à l’essai. Comme il était russe, que les colons l’étaient aussi, et que nul ne saurait être prophète dans son pays, il eut beaucoup à souffrir de ses compatriotes. Il avait aussi, comme son camarade Auscher à Rosch-Pinah, laissé se former deux camps. Il avait l’air de tenir plus aux uns qu’aux autres, et voulait les forcer à créer des sociétés qui ne leur convenaient pas. Finalement sa position ne fut plus tenable. Il y eut alors une véritable levée de boucliers contre lui. Les colons ne parlaient de rien moins que de le tuer, s’il restait à la colonie. Ils lui en défendirent même l’entrée. Il dut se réfugier chez Mr Hirsch à Mikveh Israël. C’était en 1887. Lorsque, la même année, Monsieur le baron fit sa première tournée en Palestine, il arriva, en pleine émeute, à Rischon-le-Zion. Il eut beau prêcher la conciliation, aidé en cela par Mr Hirsch. Rien n’y fit. Les esprits étaient excessivement montés. Pour ne pas subir d’échec, Monsieur le baron se fit remettre sa démission par Mr Ossowetzki. Pour la forme, Monsieur le baron l’accepta, puis envoya Mr Ossowetzki à Pétach-
300 Sans doute Aaron Aaronsohn qui fit partie de l’administration des colonies de 1889 à 1897, fut actif à Zicron Jacob jusqu’en 1892. Elève à Grignon (1893-1896), puis jardinier à Metoulah. Il démissionna de ses fonctions en 1897. 301 Zwi Hirsch Boukchechter, fils d’un des fondateurs de Roch Pinah et de la sage femme de Yessod Hamaalah (cf. p. 161) travailla comme aide jardinier à Roch Pinah et Aïn Zeitoun de 1887 à 1899, quand il partit à Smyrne. 302 Cf. p. 127. 303 Il avait été le successeur de M. Ermens au Cachemire, d’où ce dernier le fit venir. Sa famille n’ayant pas supporté le climat, il repartit rapidement. Cf. p. 108, 258-259. 304 Cf. p. 127, 259. 305 Peut être Isaac Goldstein qui fit parti du service des colonies de 1886 à 1900, en tant que maçon à Richon-le-Sion et dans quelques autres colonies de Judée. 306 Shlomoh Nephtali Herts Younés (1873-?) immigra en 1893. Sa fille fut la deuxième épouse d’Eliezer Ben Jehoudah. Cf. p. 255-256.
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Tikveh, afin d’y mettre un peu d’ordre. Il y resta jusqu’en 1888, et prit, ensuite, la succession de Mr Benchimol à Rosch-Pinah. Et pour faire un exemple, Monsieur le baron donna l’ordre à Mr Hirsch de faire expulser quelques unes des têtes le plus exaltées de la colonie. Ce qui eut lieu, mais pas sans de grandes difficultés. La paix revint, du reste, immédiatement après le départ de Mr Ossowetzki. Monsieur le baron y mit, par intérim, Mr Ettinger, jusqu’à l’arrivée de Mr Alphonse Bloch. En 1886, Monsieur le baron fut bombardé de lettres de Juifs russes, le suppliant de leur céder du terrain à Rischon-le-Zion, parce qu’ils voulaient s’y établir avec leurs propres moyens. Monsieur le baron, toujours poussé par son trop bon cœur, n’eut pas la force de leur refuser leur demande, et chargea Mr Ossowetzki d’acheter une propriété à leur recéder. Un voisin de Rischon-le-Zion, voyant que les Juifs tiraient un assez bon parti des terres qu’ils défrichaient, tandis que les siennes ne lui rapportaient rien, supplia qu’on lui achetât sa propriété. Elle consistait en un seul lot de trois mille dounoums, touchant à Ayoun-Kara, également couvert d’alfa sauvage. Mais comme il voyait que la vigne y réussissait, il eut de plus grandes prétentions et en obtint sept francs le dounoum. Mr Ossowetzki donc n’eut pas de peine à acquérir cette propriété de Layoun. Et pour prouver que j’avais raison de dire au début, qu’Ayoun-Kara avait été payé un prix exorbitant, il me suffit d’ajouter que ce voisin céda son terrain à sept francs le dounoum, quoique l’acheteur fut Monsieur de Rothschild. Monsieur le baron le recéda, de suite, à des Juifs russes, qui disposaient de capitaux suffisants pour l’exploitation. Ce fut une grande faute. Car ils se mirent, naturellement, à planter, aussi, de la vigne et on ne savait pas encore si on aurait le placement des vins. Monsieur le baron avait du plaisir à voir des Israélites riches, capables d’entreprendre, avec leur petite fortune, tous les commerces désirables, préférer s’adonner à l’agriculture. Voilà, du coup, le futur rendement de Rischon-le-Zion doublé, car dans les sables de Layoun, qui ressemblaient à ceux d’Ayoun-Kara, il ne fallait pas songer à faire autre chose que des vignobles. La réunion de ces deux centres, qui continua à s’appeler Rischon-le-Zion, forma ainsi une communauté d’une soixantaine de familles. Enfin vint Mr Alphonse Bloch, ancien négociant, et ex-député de la nation française à Constantinople. Mr Ettinger fut alors mis à la tête de Maskéréth-Bettya, sous la haute surveillance de Mr Bloch. A son arrivée, les colons voulurent aussi agir avec Mr Bloch, comme ils l’avaient fait avec Mr Ossowetzki. Mais ils se trompèrent. Il leur en imposa, de suite, et bientôt fit, de cette communauté, une colonie qui marchait sur un signe.
CHAPITRE XLVI : EMPLOYÉS ET AGRANDISSEMENT DE LA COLONIE
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Il y a bien des gens qui blâmaient Mr Bloch pour sa sévérité, parce qu’ils croyaient aux racontars de certains journaux, qui avaient un réel talent pour rester à côté de la vérité. Ils pouvaient bien dire que Mr Bloch était sévère, mais à la fin, ils étaient obligés de convenir qu’il était juste. En attendant, il rendit, aux colons, le service de faire d’eux des hommes, et, après coup, ils lui en surent gré. On avait choisi l’emplacement de la synagogue (sous laquelle devaient être les écoles des garçons) sur le point le plus élevé de la colonie. De la route, qui, en voiture, conduit de Jaffa à Jérusalem, on voyait les échafaudages assez hauts. Et comme les intrigants ne manquent pas dans ce pays, on se mit à répandre le bruit que Monsieur le baron faisait construire un fort. On défendit la continuation de la construction. Il fallait un firman du sultan. On en fit la demande. Et en attendant la réponse favorable, on fit la prière dans des maisons particulières. Je dois ajouter que le firman arriva, que la synagogue fut terminée, et cependant les oratoires continuent, car il y a, parmi les colons, des Hassidim, qui forment bande à part. Et la synagogue, avec tous ces atermoiements, commencée par Mr Ossowetzki, fut terminée par Mr Bloch. Mr Cavelan était la patience personnifiée. Et malgré ses douleurs – car il avait, sans cesse, à lutter contre les fièvres –, il sortait toujours, ne reculant devant aucune besogne, et donnait aux colons l’exemple de l’activité. Seulement, tout a une fin. Quelque fort qu’il fût, il dut, néanmoins, céder devant la persistance des fièvres, et au bout de treize ans de bons et loyaux services, il se retira, et aller s’établir pépiniériste en Bretagne. Il avait formé passablement de jeunes gens comme aide-viticulteurs et arboriculteurs. Leur nomenclature serait trop grande. Ils sont tous devenus d’excellents colons, pouvant se passer, aujourd’hui, des conseils d’un chef. Il est vrai que, s’il ne se produit rien d’extraordinaire dans les vignes, comme une maladie nouvelle et inconnue, les colons ordinaires sont également à la hauteur de tous les travaux. Ils sont, au printemps, tous les jours, dans leur vignoble, saclant, labourant, soufrant, arrachant tout ce qui peut nuire à chaque cep, et s’attachant réellement à ce coin, qui va les faire vivre. Et à l’approche de la vendange, quand le raisin commence à mûrir, beaucoup d’entre eux couchent dans les vignes, pour n’y guère dormir. Car ils ont à faire du bruit, de temps en temps, pour éloigner les gazelles et les chacals, très friands de raisins, ainsi que les voleurs, qui ne se gêneraient pas non plus, s’ils n’étaient pas surveillés. Mr Cavelan fut remplacé par Mr J. Rosenheck, qui alla, bientôt, diriger les travaux de viticulture et la reconstitution de la vigne à Zicron-Jacob. Son successeur fut Mr D. Bril, qui, comme les colons connaissent les travaux leur incombant, cumulait ses fonctions avec celles de comptable. Il est plus occupé, aujourd’hui, au bureau que dans les vignobles.
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La cave eut, d’abord, comme chef-comptable correspondant, Mr Ettinger, ex-directeur de Maskéreth-Bettya. En 1896, il céda la place à Mr P. Weill307, ancien comptable des magasins généraux de Zicron-Jacob, donna sa démission et revint à Paris. Il y a encore, comme employés, des professeurs d’hébreu, de français, de turc, des institutrices d’hébreu, des maîtresses de couture, un ministre-officiant, un sacrificateur et une sage-femme. Il y a quelque années, Monsieur le baron engagea également Mr Charcoun, ancien élève du Séminaire de Paris308, qui cumule les fonctions de sous-administrateur à Maskéréth-Bettya avec celles de prédicateur des colonies du rayon de Jaffa. Il va passer le samedi, tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre, et il ne manque jamais d’auditeurs nombreux, car sa parole chaude et vibrante est entendue, avec plaisir, par les colons. Le premier médecin consultant de ces colonies fut Mr Stein, établi à Jaffa. En 1887, Monsieur le baron, dans sa tournée, vit l’inconvénient qu’il y avait, à ne pas posséder un médecin à poste fixe à Rischon-le-Zion même. Il engagea donc Mr Darbela, ancien médecin du Sultan de Zanzibar. En 1889, Mr Darbela fut nommé directeur de l’hôpital Rothschild à Jérusalem. Sa place fut prise par le docteur Masié, ancien aide de la clinique du Pr Mayer309, oculiste à Paris. Ayant à voir, une fois par semaine, les malades des autres colonies, ainsi que des colonies indépendantes de ce rayon, il donne, tous les jours, des consultations gratuites, chez lui, à Rischon-leZion. Il n’a jamais refusé d’aller voir les malades des colonies indépendantes de son rayon, comme Ouad-Achnin, Rehoboth, Katra, et jusqu’à Custinié. Pour les ouvriers forgerons, tonneliers, cavistes, Monsieur le baron avait fait construire deux immenses maisons en bois, où ils ont de bons lits et de l’air à profusion. Cependant si l’un d’eux tombait malade, il n’y avait guère moyen de le traiter dans ces logis, qui abritaient tant de personnes. Sur la proposition du Dr Masié, Monsieur le baron fit élever, derrière la synagogue, dans un bosquet d’eucalyptus, une demi-douzaine de baraques en bois, qui servent d’hôpital. Là sont hébergés ces ouvriers malades. On y reçoit également les habitants dangereusement atteints de colonies environnantes, qui ont besoin, à chaque instant, des soins médicaux. Le premier pharmacien fut Mr Possiselski, que les maladies ont forcé de quitter la colonie. Le Dr Masié est, aujourd’hui, bien secondé par le successeur de Mr Posisselski, Mr Mayer Alchimister310, ex-pharmacien à 307
Non identifié. Charcoum Mordecai (Marcus), originaire de Russie (Lituanie d’aujourd’hui), entra au Séminaire en 1885 et y termina ses études. Il résidait en Palestine dès avant 1897. 309 Non identifié. 310 Il avait d’abord résidé à Jérusalem, puis à Jaffa (1842-1932). Il avait immigré en Palestine en 1883. 308
CHAPITRE XLVI : EMPLOYÉS ET AGRANDISSEMENT DE LA COLONIE
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Jaffa, qui a un bon aide. C’et lui qui reçoit de Paris les envois de médicaments, et qui les prépare pour les pharmaciens de Pétach-Tikveh et de MaskérethBettya. Mr Bloch, après huit années de bons services, donna sa démission, dans le dessein d’aller s’établir pour son compte à Mexico. Mr Bloch était célibataire. Toute la journée, il travaillait. Mais le soir, que devait-il faire ? Regarder les quatre murs de sa chambre, blanchis à la chaux ? C’est un ennui perpétuel. Aujourd’hui il trouverait un meilleur passe-temps. Mr Boris311, maître de chai, dont je parlerai plus loin, se rappelant qu’il avait fait partie de l’orchestre de l’Opéra de Saint Petersbourg, et trouvant que l’homme, après avoir bien peiné, avait besoin d’un peu de distractions, s’amusa à créer un fanfare composée d’ouvriers, de colons, de fils de colons. Les progrès faits, en peu de temps, par cette phalange d’hommes courageux, sont incroyables. Les répétitions sont suivies avec le plus grand zèle, et les employés passent plus d’une heure, le soir, à assister à ces répétitions, ensuite aux concerts publics, qui se font dans le jardin.
311 Il s’agit de Boris Ossowietski, frère de Josué-Osée Ossowietski, qui servit dans l’administration des colonies (Ekron, Zicron-Jacob) de 1888 à 1892, travailla deux ans dans les caves de Rischon-le-Zion qu’il dirigea de 1894 à 1900. Fondateur de l’orchestre de Rischon en 1896. Emigra aux Etats Unis en 1902. Cf. p. 259-260.
Chapitre XLVII PLANTATIONS. CONSTRUCTIONS
Les années 1884, 1885 et 1886 furent consacrées au défrichement d’une partie des terres, qui furent plantées en vignes arabes. On s’aperçut bientôt que cette vigne indigène mettait cinq ans et plus avant de rapporter, et les frais d’exploitation étaient les mêmes que pour les bonnes variétés. On les délaissa donc peu à peu, et on les greffa avec des Braguet, des Alicante, des Bourdache, des Carignane, etc. etc. Là encore, il faut attendre deux à trois ans avant de bien se rendre compte de la qualité du vin. On continua donc, avec les tâtonnements successifs, et les colons durent patiemment couper des vignes qui rapportaient déjà des quantités respectables de raisins, pour les greffer avec d’autres boutures. Sous ce rapport, on n’a qu’à admirer les colons, qui n’ont jamais réclamé ni murmuré contre ces hécatombes de vignes prospères. Tout ce que Monsieur le baron demandait dans l’intérêt de la qualité du vin, fut, chaque fois, ponctuellement exécuté. Sur ces entrefaites, Monsieur le baron engagea Mr Ermens en qualité d’inspecteur d’agriculture. Mr Ermens lui conseilla pour arriver à avoir des vins fins, et cependant ne pas risquer d’introduire le phylloxéra dans le pays, de faire venir des boutures des Indes. Dès qu’elles furent arrivées des Indes, il en fit envoyer une partie de Zicron-Jacob. Et en 1889, on fit déjà couper les Espart, les Braguet, et on greffa sur ces pieds du Cabernet franc, du Cabernet-Sauvignon, du Malbec, et, en vignes à vin blanc, du Sémillon, du Sauvignon, ainsi que du Pinot pour Champagne. Maintenant il s’agit de penser à l’édification d’une cave. Les avis sont partagés, car nous sommes en pays chaud. Les uns conseillent de faire des caves souterraines. D’autres sont pour de simples rez-de-chaussée. Ces derniers l’emportent. On prie alors Mr Schumacher312, ingénieur à Caïffa, de faire un plan avec devis. On s’arrêta à une cave de cinquante mètres de longueur, sur huit mètres de largeur et cinq mètres de hauteur sous la voûte, le tout surmonté d’un cellier. Ce cellier se trouvait sous un toit doublé de paille, pour lutter, un peu, contre la chaleur.
312
Gottlieb Schumacher (1857-1924) était un templier allemand.
CHAPITRE XLVII : PLANTATIONS. CONSTRUCTIONS
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Cette cave fut donc construite hors terre. Immédiatement on cria encore que Monsieur le baron allait faire un fort. Je me rendis à Jérusalem, chez le Mutessarif, et lui expliquai ce que je voulais faire, en lui montrant que nous avions soumis le plan au Caïmakam de Jaffa, et que je n’avais aucune intention de travailler contre le Gouvernement Ottoman. Il est bon d’ajouter que les autorités locales commençaient à me connaître. Elles savaient parfaitement que je ne tenais pas à les induire en erreur, ni à leur susciter des difficultés. Elles étaient aussi persuadées, quoi qu’on eût pu leur dire, que Monsieur le baron ne voulait s’emparer du pays ni par la force, ni par la douceur, ni par l’argent. Monsieur le baron n’avait qu’un but, celui de prêter la main à quelques uns de ses coreligionnaires, qui ont voulu se vouer à l’agriculture, et prouver, ainsi, au monde, que le juif pouvait parfaitement se passer des affaires, et savait revenir au métier de ses ancêtres. Il fallait, pour arriver à ce résultat, des sacrifices inouïs, qui furent faits, et nous pouvons déclarer que ces juifs, qui ne s’étaient occupés, dans le temps, que du commerce, sont devenus des viticulteurs hors ligne. Outre la vigne, Monsieur le baron avait décidé, dès le début, de donner à chaque colon une quantité de mûriers, afin qu’il pût se livrer à l’élevage des vers à soie. Comme, à côté du puits, on avait installé un abreuvoir pour le bétail, et des bains, on profita de ce voisinage, et de la perte de l’eau, pour y installer une vaste pépinière. 0n pensa, aussi, à l’avenir, car, dans cette même pépinière, on éleva des amandiers, pour ceux des colons qui en désireraient dans la suite, des orangers pour Monsieur le baron, et des palmiers pour bordure, le long des chemins de cette pépinière. Elle s’est transformée, depuis. Les mûriers et les amandiers mis en place, laissèrent le champ libre à une très jolie orangerie. Au centre, se trouve une merveilleuse allée, plantée, de chaque côté, de palmiers et de mûriers pour l’ombrage. C’est là qu’est le jardin public, dont profitent les employés et leurs femmes, le soir, pour avoir un but de promenade, et les colons et leurs familles, le samedi et les jours de fêtes. De l’autre côté de ce jardin, fut construite cette première cave, qui demandait aussi de l’eau. On fit donc creuser, à côté d’elle, un nouveau puits de quarante trois mètres de profondeur, et, naturellement muni, comme le premier, d’une machine à vapeur, pour y puiser l’eau. Et afin de ne pas être pris au dépourvu, pendant la vendange, on fit élever un château d’eau, à côté de la toute première machine à vapeur, qui, en cas de besoin, fournit, alors, toute l’eau nécessaire. La première cave terminée, on ne tarda pas à remarquer que c’était un jeu d’enfant, en regard des colossales quantités de vin que l’on allait récolter. Sans perdre de temps, Monsieur le baron chargea Mr Younés, ingénieur attaché à la colonie, de faire plan et devis d’une nouvelle cave, à édifier
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à droite de la première. Seulement, au lieu de cave, on en fit un cellier, et, plus tard, l’endroit où l’on recevrait cinquante pour cent du raisin livré, tandis que l’autre moitié était versée du côté opposé, dans des pressoirs continus. Mr Younés ne resta pas longtemps à son poste et fut bientôt remplacé par Mr Starckmet, ingénieur des Ponts et Chaussées de Paris. Ce fut lui qui dressa les plans et fit exécuter les travaux pour la suite des autres caves, adossées, successivement, à gauche de la première érigée par Mr Schumacher. A partir de ce moment, on opéra un petit changement dans ces constructions. On creusa une cave dans le sous-sol. On lui donna les mêmes dimensions qu’aux autres. Sur cette voûte, on fit une cave, dans laquelle on entre de plain-pied, et enfin un cellier au premier. Aujourd’hui ce bloc se compose de quatre sous-sols communiquant les uns avec les autres et facilement aérables par des cheminées d’appel, de sept caves au rez-de-chaussée, et, au premier, six pièces, qui servent de cellier. En tout il s’y trouve donc, si on mettait les caves et les celliers bout à bout, à la suite les uns de autres, huit cent cinquante sept mètres de longueur de caves, sur huit313 mètres de largeur. Il y a moyen d’y conserver quelques milliers d’hectolitres de vin. Pour avoir toujours des qualités de vin irréprochables, le maître de chai destine à l’alambic tout ce qui lui paraît ne pas être de premier choix. Ce vin est, de suite, brûlé, et donne d’excellent cognac. Et pour éviter les risques d’incendie, ce cognac est, d’abord, brûlé dans un établissement spécial, dans la construction duquel il n’entre que du fer et de la pierre. Ensuite, versé dans des foudres de dix hectolitres, ce cognac est conservé, pour vieillir, dans un magasin construit ad hoc, toujours en fer et en pierre. A côté des caves fut construit un véritable quartier du travail. En première ligne, on y trouve Mr Papo, le chef mécanicien-forgeron, qui dirige une trentaine d’ouvriers. Tout ce qui s’appelle travaux de forge fut exécuté par lui et sous ses ordres. Ainsi les plafonds des rez-de-chaussée des caves devaient être ultra-solides, parce qu’ils servaient de planchers aux celliers, et avaient à recevoir, chacun, une quarantaine de cuves en ciment ou en bois. On faisait venir de Paris des plaques de tôle épaisse, et, avec ses ouvriers israélites, Monsieur Papo en confectionnait des poutres de près de un mètre de largeur, qui servaient à supporter toute la charge dont j’ai parlé ci-dessus. Tous les T et les chantiers qui ont à porter les foudres et tonneaux sont faits sur place par ces mêmes ouvriers. 313
Une autre copie lit : cinq.
Chapitre XLVIII OUVRIERS ET MAÎTRES DE CHAI
Toujours pour occuper un plus grand nombre d’ouvriers israélites, Monsieur le baron fit installer, dans ce même quartier, une foudrerie à la tête de laquelle fut mis Mr Grunberg314, ancien élève de Mikveh Israël, ex-ouvrier foudrier à Bordeaux, et une tonnellerie mécanique, qui finit une cinquantaine de bordelaises par jour. Enfin, comme à Zicron-Jacob, on y rencontre un moulin mû par la vapeur. Je ne dois pas oublier de mentionner un fait qui a sa valeur. C’est que tous les ouvriers et contre-maîtres, ainsi que les chefs et les surveillants dans la cave, la forge, la foudrerie, la tonnellerie, le moulin, à l’alambic et au jardin, sont des Israélites. Lorsque, pendant mes tournées d’inspection, il y avait des touristes chrétiens, plus ou moins antisémites, et que je leur montrai tous ces juifs travaillant de leurs bras et ne se nourrissant que du fruit de ce travail des mains, j’avais un plaisir extrême à leur étonnement sans bornes. « Comment ! des juifs qui, travaillent ainsi à la forge, à ces énormes foudres, ne pouvaient-ils s’empêcher de s’écrier. Mais c’est inouï ! Jamais nous n’aurions cru cela. C’est un véritable phénomène. » Ils n’en revenaient pas. Il est vrai que bon nombre de Juifs, à qui j’ai, plus d’une fois, expliqué que tous ces ouvriers étaient nos coreligionnaires, ne voulaient pas plus me croire que les chrétiens. La différence, cependant, entre les deux catégories de touristes, est la suivante : quand un juif a vu et a goûté ce vin fait par un juif, il convient franchement que ce vin est bon, quoique fabriqué par des Israélites. Tandis que beaucoup de chrétiens, après avoir goûté ce vin à Jaffa même, dans des maisons chrétiennes que je pourrai nommer, et l’avoir trouvé excellent, n’ont pu s’empêcher de s’écrier et même d’écrire dans les journaux, que ce vin était tellement bon, qu’il n’était pas possible que des Juifs l’eussent fait. Quand nous trouvons dans les Psaumes315 : « Ils ont des yeux et ne voient pas, ils ont des oreilles, et n’entendent pas, » le poète a, sans doute, voulu parler de ces touristes, qui n’admettent pas que les Juifs puissent faire quelque chose de potable de leurs mains. Travaillons-nous, on ne nous croit pas. Ne travaillons-nous pas, et faisons-nous du 314 315
Cf. p. 127. Psaumes 115, 5-6.
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commerce, nous somme des paresseux et des propres à rien. C’est comme ce polonais juif, dont je vais raconter l’histoire. Au commencement de la Révolution, il vint à Wissembourg, première ville frontière de la France. Là, le peuple était très exalté, et chacun devait être ardent patriote. La place du marché remplaçait l’ancien forum, et toute la journée, on y discutait les affaires publiques.Tout d’un coup, l’un d’eux voit venir ce Juif, avec ses papillotes et sa longue houppelande. « Tiens ! s’écrie-t-il, un Juif. » Et de suite s’adressant à lui : « Juif, qu’est tu ? lui dit-il, Patriote ou Aristocrate. » Le Juif, qui n’avait jamais entendu ces deux expressions, s’était complu du dernier mot et répondit : « Je suis aristocrate. – Ah ! tu es aristocrate !! Et bien ! V’lan ! » Et tout le monde de tomber sur lui. « Alors, dit-il, c’est patriote qu’il faut être ? – Certainement. » Il en eut assez de Wissembourg et, entré par une porte, il s’empressa d’en sortir par une autre. Il continua sa route et vint à Soultz-sous-Forêts, centre des hobereaux de la Basse-Alsace, qui y avaient, presque tous, leurs châteaux. Tout le monde, comme, du reste, partout ailleurs, y était également en l’air, et assemblé dans la rue par les événements. On discutait bravement, quand l’un de ces Messieurs s’écria : « Oh ! un juif !!! – Juif, dit l’un d’eux, qu’es tu ? Patriote ou Aristocrate ? – Ah ! répartit-il, je suis au courant de la question du jour. Je suis un ardent patriote. – Comment ! Tu es patriote !! » Et les coups de pleuvoir sur lui. Sans vouloir en savoir plus long, notre juif quitta Soultz et se dirigea sur Haguenau. A la porte de la ville se trouvait un fort rassemblement. « Un Juif, » hurla l’un d’eux, en voyant arriver le polonais. Et, naturellement, la même question se posa. Lui, sachant d’avance qu’il aura des coups, quelle que fût son opinion, tourna le dos, courba son échine et dit : « Frappez. » Le judaïsme, chez nos ennemis, est dans les conditions de ce juif polonais. Il aura beau faire, il ne trouvera jamais justice. Il ne s’agissait pas d’avoir du raisin, des pressoirs, des foudres et des cuves, pour avoir du vin convenable. Il fallut aussi savoir le faire. Monsieur le baron engagea donc un maître de chai de Bordeaux, nommé Dupuis. Il travaillait le vin, comme on avait l’habitude de le faire dans le Médoc. Le vin était hors ligne pendant quelques mois, mais ne se conservait pas au-delà de l’hiver. Ce maître de chai, accablée de fièvres, ainsi que sa femme, resta deux ans, puis retourna dans son pays. Il fut remplacé par Mr Peychaud, qui avait été le successeur de Mr Ermens au Cachemyr. Avec celui-là, Mr Ermens fit un nouvel essai de vinification. Jusqu’alors, la fermentation allait jusqu’à 42° dans certaines cuves. La chaleur dans les récipients devenait, tout d’un coup, trop grande. La fermentation allait au
CHAPITRE XLVIII : OUVRIERS ET MAÎTRES DE CHAI
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galop et, dans deux jours, elle était terminée. Naturellement, il restait du sucre dans ces cuves. Pour remédier à cet inconvénient, Mr Ermens fit mettre, en 1891, des serpentins dans les cuves. Dans ces serpentins circulait continuellement de l’eau fraîche, de sorte que la température ne dépassait pas 32° dans les cuves. La fermentation se faisait très lentement dans ces conditions. Elle durait une dizaine de jours. Aussi le vin devint-il excellent et se conserva, puisque j’en ai encore dans ma cave. Mr Peychaud supporta assez bien le climat, mais sa femme et son enfant eurent constamment les fièvres. Il donna, aussi, sa démission, rentra à Bordeaux, et fut remplacé par Mr Dupin, qui resta un an à Rischon-le-Zion, puis alla diriger la cave de Zicron-Jacob pendant quelques années. Son successeur à Rischon-le-Zion fut Mr Boris Ossowetzki. Mr Boris entra au service de Mr le baron en 1889, en qualité de comptable à Rischon-le-Zion, sous Mr Bloch. De là il alla faire la comptabilité à Zicron-Jacob sous Mr Benchimol. En 1892 il demanda à aller travailler dans la cave de Rischon-le-Zion en qualité d’ouvrier, pour devenir, un jour, maître de chai à son tour. A côté de son travail manuel, il étudiait tous les ouvrages d’oenologie qui avaient paru, alla visiter quelques chais à Bordeaux, en Algérie et en Tunisie, et au départ de Mr Dupin pour Zicron-Jacob, il fut mis à la tête des caves de Rischon-le-Zion. Sous sa direction furent faits tous les essais de vinification en pays chaud. On installa d’abord un appareil Montupet316 au dessus du magasin de cognac, afin d’avoir une quantité d’eau rafraîchie pour circuler dans les serpentins. Cette eau, chauffée par son passage dans les cuves, remontait sur l’appareil Montupet, se refroidissait à nouveau, et pouvait, ainsi, être utilisée indéfiniment. Cependant on trouvait qu’elle ne suffisait pas pour les vingt à vingt cinq mille hectolitres de vin que produisait la vendange. On se décida à installer une forte machine à glace, qui fournissait de l’eau incongelable pour les serpentins. En outre, on avait monté une tuyauterie complète dans les caves, afin d’y faire circuler également de cette eau incongelable et tenir ainsi toujours les caves dans un état de température normale. Pour analyser les vins et voir, dès leur fabrication, quels pouvaient être leurs défauts, Monsieur le baron avait mis, à côté de Mr Boris, un chimiste, ex-préparateur de chimie en Roumanie. Mr Brociner resta cinq ans au service de Monsieur le baron, puis alla s’établir pharmacien à Paris. En attendant Mr Boris se perfectionna en tout, également dans les travaux de chimie, qu’il dirige seul, aujourd’hui, avec Mr Rochlin317 comme aide. 316 317
Marque de cet appareil de refroidissement. Non identifié.
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Il eut, successivement, comme second, Mr Pilpoul, ancien élève de Mikveh Israël, qui est, maintenant, à la tête des caves de Zicron-Jacob. A la place de Mr Pilpoul, Mr Boris prit alors Mr Kazanovski318, un de ses aides primitifs, qui alla, en 1898, à Hambourg, pour y soigner les milliers de bordelaises de vin, qui y furent envoyées dans des dépôts spéciaux, d’où elles peuvent être expédiées aux principales sociétés qui existent à Varsovie, à Berlin et à Vienne pour la vente des vins. Enfin Mr Kazanovski lui même fut remplacé par Mr Katz, ex-ouvrier, et Rochlin déjà nommé. Sous la direction de Mr Boris, la cave a pris un essor considérable. Si tous ceux qui s’intitulent Sionistes prenaient de ce vin, pour leur usage personnel, les colonies seraient sauvées. Malheureusement, beaucoup de ces Sionistes veulent ignorer ce qui a déjà été fait, et ont, paraît-il, un certain plaisir à voir sombrer une Œuvre, qui a été menée, avec tant de peines, au point où elle se trouve. Espérons que ces Messieurs reviendront à d’autres sentiments, avant qu’il soit trop tard.
318
Non identifié.
Chapitre XLIX PRIX DU RAISIN
Mr Bloch avait bien remarqué qu’on ne pouvait pas conserver longtemps le vin dans les pays chauds. Il ouvrit donc des dépôts à Jaffa, Jérusalem, Beyrouth, Alexandrie, le Caire, Salonique, Constantinople. Seulement ces dépôts ne pouvaient pas être considérés comme sérieux. Aucun d’eux n’avait de cave, et, conserver du vin, en pays chaud, dans des boutiques ouvertes, ne put pas donner de résultat convenable. On dut les fermer. Des sociétés se formèrent alors en Allemagne, en Russie, en Autriche, en Angleterre, pour le placement des produits de la cave de Rischon-le-Zion. Tous les ans, ces débits augmentent, ainsi que dans le dépôt de Paris, parce les gens qui ont, une fois, goûté de ces vins, arrivent à le priser à sa juste valeur. Ils sont persuadés qu’il n’entre que du raisin frais dans leur composition. La grande question à résoudre était l’établissement du prix à payer pour le raisin. Il s’agissait de faire en sorte que le vin ne fût pas trop cher, et que les colons, avec le plein rapport de leurs vignes, eussent, néanmoins, de quoi vivre et payer les frais de culture, ainsi que la nourriture du bétail. Seulement les frais de la colonie devaient, aussi, être payés avec le produit de raisins. Encore une question. Quelle partie y a-t-il lieu de faire supporter aux colons et qu’est ce que Monsieur le baron prendra à son compte ? « Il y a en effet, comme l’écrivait Monsieur le baron, deux natures de choses différentes. Les unes qui ont profité à la généralité des colons dépendants ou indépendants, et les autre qui ont servi à payer des dépenses particulières des uns et des autres. Il y a une troisième catégorie de dépenses qu’on pourrait plutôt appeler les dépenses générales, de nature spéciale. Enfin il y a les dépenses personnelles à Monsieur le baron. La première catégorie comprend les secours et les dépenses, qui ont été faites pour les maisons de chacun, le matériel donné à chacun, ainsi que le bétail, la part afférente de la nourriture du bétail de chacun, et les dépenses d’impôts du terrain de chaque colon. Les frais doivent être pris, année par année, en y ajoutant l’intérêt de l’argent. Ces dépenses sont personnelles à chacun, et doivent, par conséquent, être payées par chacun. Ces dépenses doivent être prélevées, immédiatement, sur le prix du raisin, en laissant, néanmoins, aux colons, ce qui est nécessaire pour leur entretien.
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La seconde catégorie des dépenses comprend celles qui sont faites au point de vue général de la colonie, et qui profitent tant aux dépendants qu’aux indépendants. Ce sont les dépenses de puits, de bassins, de pompe, de service de santé, de l’école, du culte, l’eau, le jardin public, les routes, etc. etc. Ces dépenses profitent à la généralité des colons. Evidemment, ces dépenses peuvent se diviser en deux parties également : les dépenses passées et celles présentes et à venir. Les dépenses passées devront être mises à la charge de tous les colons dépendants ou indépendants comme de juste, et être prélevées sur les recettes faites par la cave, c’est à dire par la vente du vin. Dans ce compte on pourra mettre également les frais extraordinaires qui ont été faits. Quant aux autres dépenses, il faut les diviser, comme dit, en dépenses de deux natures : celles qui sont absolument personnelles à Monsieur le baron, c’est à dire celles qui représentent les achats de terre faits pour l’administration, les travaux de cultures de ces terres, la nourriture du bétail employé pour cette culture. Tout cela devra être traité comme si Monsieur le baron était un colon. Ces dépenses doivent être couvertes par la vente des raisins à la cave et appliquées à solder ce compte là. La quatrième catégorie comprend les frais généraux, les appointements, et ce qu’à un certain point de vue, on appelle semences et cultures spéciales. Il y a, par exemple, la pépinière, qui, évidemment, a servi à tous les colons ; une partie de ces frais doit incomber aux colons, mais, naturellement, pas tout, car ce serait un peu considérable. Il en est de même pour les frais généraux. Ceux-là ont été faits, cela va sans dire, pour la colonie. Cependant, parmi les comptes des appointements, il y a lieu de retenir, pour Monsieur le baron, ceux de l’administration. Tandis qu’il faudra faire mettre au débit des colons les appointements du médecin, des pharmaciens, de la sage-femme ainsi que les médicaments fournis par Monsieur le baron. Le compte du service de santé devra être supporté par la généralité. En additionnant tous ces comptes de frais divers, il s’agira de voir combien pour cent il y aura à retenir à chaque colon sur sa livraison de raisins : 1° pour les frais généraux ; 2° pour ses anciennes dettes ; 3° le montant intégral de tous les comptes. » Ces ordres furent suivis à la lettre. Revenant aux instructions que je viens d’énumérer, Mr le baron m’écrivit en mai 1893 : « Je vous ai écrit pour avoir le compte de toutes les dépenses nécessaires à la colonie de Rischonle-Zion, de manière à établir le prix qu’on devra acheter le raisin. Il est important, en effet, de voir à établir le prix auquel on peut prendre le raisin, car il faut que les colons puissent suffire à tous les besoins de la colonie, et supporter toutes les dépenses. » Voulant, autant que possible, rester dans les limites indiquées par Mr le baron, je pris des renseignements, à droite et à gauche à Jaffa, et j’appris
CHAPITRE XLIX : PRIX DU RAISIN
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que deux habitants de la colonie à Sarona, et des arabes de Jaffa payaient, couramment, huit francs cinquante des cent kilogrammes de raisin. J’offris le même prix aux colons pour les variétés de raisin ordinaires. Ils acceptèrent mes propositions. Seulement les variétés fines, comme le Malbec et le Cabernet, ne produisaient que le tiers des vignes ordinaires. Il fallait donc leur payer le triple pour ces variétés fines. Ce qui fut fait. Cependant, de toutes parts, arrivèrent des réclamations sur le prix de vente du vin, qu’on trouvait trop élevé. En 1895, au commencement de l’année, Mr Ettinger se fit, auprès de Mr le baron, l’écho de ces réclamations. Je reçus, là dessus, la lettre suivante de Mr le baron, au début du mois d’avril de la même année : « Je veux revenir sur une lettre que j’ai reçue d’Ettinger. Ettinger trouve qu’il n’y a qu’un moyen de réaliser des économies, c’est de diminuer le prix qu’on paie les raisins aux colons. Or, une pareille idée n’a pas le sens commun. Je trouve même que, actuellement, le prix qu’on paie aux colon est très faible, étant donné que l’on doit faire attention, que les colons ont, avec ça, à payer toutes les dépense de la colonie, les impôts, etc. Je ne vois pas comment ils pourraient vivre et payer les cultures de la terre….. » Et l’on continua à payer le prix fort. En 1898, cependant, Monsieur le baron prit le parti de mettre le prix du raisin ordinaire à vingt francs le Kintar (environ trois cent kilogrammes), et de payer le double, soit quarante francs, pour les variétés fines, qui ont un rendement bien plus élevé que précédemment.
Chapitre L PLÉTHORE DE VIN
Deux remarques peuvent être faites au sujet du prix du raisin et de la surproduction du vin. Ces deux observations ne sauraient s’adresser qu’à la trop grande bonté de Monsieur le baron. On voit, par tout ce qui précède, qu’il n’avait jamais en vue que le bien-être des colons, sans songer même, que sa bienveillance pourrait lui occasionner trop de pertes et de déboires. C’est aussi son cœur trop sensible, qui est cause de la pléthore de vin. Les colons de Rischon-le-Zion avaient acheté de mauvaises terres. C’était connu de tous ceux qui les avaient visitées. On ne devait pouvoir y faire que de la vigne. Soit. On aurait pris les trois mille dounoums de Rischon-le-Zion et autant de Zicron-Jacob, on aurait converti en vignobles, ces sables d’un côté, ces roches de l’autre, et le produit de ces cinq à six cents hectares de vignes se serait facilement vendu. Où sa bonté l’a trahi, c’est quand il n’a pas cru devoir refuser tout ce que ces Russes lui demandèrent, en lui faisant acheter Layoun. Seulement, cette même bienveillance ne s’arrêta pas là. Et l’on en a un peu trop profité. Les jeunes gens établis à Katra, voyant que Monsieur le baron convertissait les déserts sablonneux de Rischon-le-Zion en vignes resplendissantes de force, de beauté et de vigueur, s’empressèrent de l’imiter dans une partie de leur propriété, sans songer au mal que leur exemple pourrait faire. L’Alliance Israélite, régie par un Comité, n’a pas besoin, comme un philanthrope avéré, de se gêner pour refuser de rendre un service onéreux. Elle voulut bien accepter, une fois, les raisins de Katra, à Mikveh Israël, mais les refusa par la suite. Et naturellement, les colons prièrent Monsieur le baron de prendre leur raisin à Rischon-le-Zion. Ne voulant pas faire de peine à ces pauvres gens, il donna l’ordre de l’accepter. Il laissa, même, un moment, entendre, qu’il était intentionné de payer les frais de transport de leurs produits. C’est que, toujours, il s’était trop préoccupé de rendre service à tous ces travailleurs, sans penser au dommage qu’il occasionnait à l’Œuvre qu’il patronnait. Se fiant à ces largesses que Monsieur le baron répandait à pleines mains, les nouveaux arrivés de Varsovie, qui cherchaient à créer une colonie, ne s’enquirent pas longtemps de la qualité du terrain qu’ils voulaient acheter pour la fondation d’une nouvelle colonie. Pour eux, l’essentiel était d’avoir une propriété, non loin de Rischon-le-Zion, afin d’y faire du raisin, qu’ils
CHAPITRE L : PLÉTHORE DE VIN
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livreraient dans les caves de Monsieur le baron. Ils ne pensaient même pas que cela pourrait soulever une difficulté quelconque. Ne sont ils pas aussi intéressants que leurs voisins de la colonie de Katra ? Et ils achetèrent ces collines sablonneuses de Diran, qu’ils nommèrent Rehoboth, et firent la vigne sur une grande échelle. Wouad-Achnin, propriété de Lehrer319, promettait une réussite hors ligne par ses jardins et ses orangeries. Il n’avait pas les moyens de faire une seule orangerie de tous ses dix neuf cents dounoums de terres. Et puis l’orangerie ne rapporte qu’au bout de six à huit ans, tandis que la vigne donne d’excellents résultats la quatrième année, surtout si, comme dans le cas présent, Wouad-Achnin ne se trouvait qu’à vingt minutes de Rischon-le-Zion, et que la bonté connue de Monsieur le baron ne refuserait pas de laisser venir les raisins dans ses caves. Aussi, sans demander longtemps ce qui adviendrait de leurs produits, quelques ouvriers s’empressèrent-ils d’acheter tout le terrain que Mr Lehrer voulut bien leur céder, et y firent-ils de la vigne. La même chose arriva à Hédérah, lorsque Monsieur le baron permit aux colons de livrer leurs raisins à Zicron-Jacob. A Pétah-Tikveh, il avait quelques centaines de dounoums de sables, dont on ne pouvait rien faire. Il y établit des vignes. Aussitôt une masse de colons indépendants, sans crier gare, y plantèrent près de deux cents hectares de vignes. Aujourd’hui on crie : « Les vignes de Monsieur le baron produisent trop de vins. Il a eu tort d’en faire. » Mais les colonies qui ne le regardent pas, et les colons indépendants de Pétach-Tikveh font beaucoup plus de vins que lui, et, s’il leur fermait ses caves, il arriverait encore, malgré toutes les difficultés, à placer le vin de ses trois colonies.
319 Ruben Lehrer immigra en 1883 et exploita un verger dans un site qui allait devenir la ville de Ness Siona, laquelle fut dénommée dans ses débuts et en son honneur, Nahalat Ruben (la propriété de Ruben). Cf. p. 305.
Chapitre LI CONSTRUCTIONS
Monsieur Bloch, après avoir surveillé la construction des deux premières caves, fit encore bâtir une maison servant, au premier, de logements pour les employés, et, au rez-de-chaussée, d’écurie, pour recevoir le bétail de l’administration. Dans le voisinage furent élevées des maisons, pour héberger les instituteurs. Mr Levantin fournit, aussi, une maison pour les employés. En effet, se sentant vieillir, n’ayant pas d’enfants, et ne voulant pas qu’il y eût des difficultés avec son héritage, il vint trouver Monsieur le baron, à Paris, et lui vendit tout le terrain qui lui restait, ainsi que son habitation. Le terrain, ainsi acquis, fut distribué entre divers aide-jardiniers de MaskerethBettya et de Rischon-le-Zion, de sorte qu’il n’y reste plus à Monsieur le baron que le jardin public et l’orangerie. Les colons, sentant également que la jeunesse devait avoir quelques récréations et un peu de culture, se cotisèrent, et firent construire à leurs frais, une maison immense, avec une très vaste salle de lecture. Ils ont déjà une gentille bibliothèque et reçoivent passablement de journaux israélites de tous les pays d’Europe. En 1892, Mr le baron avait engagé, comme sous-administrateur de ZicronJacob, Mr Haym Hazan, directeur de l’école de l’Alliance Israélite à Tétuan (Maroc). Lorsque Mr Bloch donna sa démission à la fin de l’année 1893, Monsieur le baron nomma M. Hazan directeur à Rischon-le-Zion. Mr Bloch resta encore quelques mois avec lui, puis quitta la Palestine.320 L’administration avait été construite pour un célibataire. Le rez-de-chaussée se composait d’un tout petit bureau, et de deux petite pièces pour les domestiques, accolées à une cuisine microscopique. Au premier, on entrait de plain-pied dans une salle à manger, suivie du salon, qui donnait accès à deux chambres à coucher, ayant, chacune, quatre mètres sur quatre mètres. Quand Mr Hazan vint avec sa femme et ses quatre enfants, il dut faire camper ses enfants, la nuit, au salon. Et lorsque j’arrivai, là-dessus, pour faire mon inspection et rester un mois à Rischon-le-Zion, afin de faire, de là, les environs et mes visites officielles à Jérusalem, j’occupai une de ces petites chambres à coucher. On m’y mettait, en dehors du lit, une 320
En 1894.
CHAPITRE LI : CONSTRUCTIONS
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armoire pour une partie de mes vêtements, le reste s’amusait dans mes cantines placées au bas du lit. On y voyait encore un lavabo et une table. Car cette même chambre me servait aussi de bureau. On peut juger de la quantité d’air respirable qui me restait. A cause de la rosée, des moustiques et des fièvres, on ne pouvait, la nuit, ouvrir les fenêtres. Du temps de Mr Bloch, cela allait encore. Je laissai la porte, qui donnait sur le salon, grandement ouverte. Mr Bloch en faisait autant de son côté. Avec Mr Hazan, cela changea. J’étais obligé de laisser ma porte fermée. Et cependant, mes nuits n’étaient pas gaies. Les enfants de Mr Hazan avaient, très souvent, la fièvre, de sorte que, au lieu de dormir, je passai mes nuits à écouter le concert peu agréable des enfants qui pleuraient. On ne saurait raisonner avec des malades, surtout quand ils sont en bas-âge. L’inspection, de cette manière, n’était guère possible et Mr Hazan ne pouvait continuer à vivre dans cette maison. Monsieur le baron eut pitié de lui et lui permit de se faire construire une autre habitation. La sienne fut donnée, au premier seulement, à Mr Rosenheck d’abord, à Mr Dan Bril ensuite. Le rez-de-chaussée fut alloué à un employé devenu colon. Les premiers colons, mal conseillés, avaient élevé leurs quelques maisons dans des bas-fonds. Aussi eurent-ils souvent la fièvre. Ils sont fort à plaindre. Comme la principale rue conduisant aux caves vient des hauteurs, ce fut ce quartier qui fut choisi pour les nouvelles constructions. Autour de la cave furent édifiées, par les soins de Mr Hazan, toutes les constructions que je vais énumérer. Sous ce rapport, il fut plus heureux que Mr Bloch. Outre l’ingénieur Mr Starckmeth, il eut, à ses côtés comme architecte, Mr Varon, élève de l’Ecole des Beaux Arts de Paris. Mr Papo, le chef-mécanicien, les surveillants de la cave, le meunier, demeurent, tous, dans des maisons bien aérées dans ce rayon. Mr Hazan fit encore construire un immense hangar, pour le bois nécessaire aux foudres et aux tonneaux. Le devant de la cave fut garanti contre les rayons de soleil, par l’adjonction, sur presque toute sa largeur, d’une espèce d’atelier, dans lequel se raccommodent les vieux fûts, se font de emballages pour les expéditions et les compostes pour le transport du raisin. Enfin, pour éclairer tout cela, et les caves ainsi que les celliers, Mr Hazan eut encore le plaisir et la charge d’installer la lumière électrique dans une des ailes annexées au bâtiment des machines. Après avoir fait la maison d’habitation de Mr Charcoun et de Mr Boris, entre la cave et l’emplacement réservé à l’administration, il fit élever l’école des filles, dans le voisinage de la synagogue, dans une nouvelle rue allant du temple à la future administration. Dans cette nouvelle rue se trouvent non seulement quelques belles maisons de colons indépendants, mais encore un hôtel, où sont constamment reçus les bien nombreux étrangers, qui viennent visiter ce petit coin enchanteur.
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Enfin, formant l’angle des deux allées, appelées, pour la circonstance, l’une la rue de la Synagogue, l’autre la rue de la cave, l’administration s’élève majestueusement, ayant vue sur toute la colonie, autant que le permettent, parfois, les arbres devenus d’une respectable grandeur dans certains endroits.
Chapitre LII DESCRIPTION DE LA COLONIE
Le touriste qui quitte la route allant de Jaffa à Jérusalem, à l’endroit où bifurque celle qui conduit à Rischon-le-Zion, doit faire toutes sortes de réflexions. Naturellement, en arrivant à Jaffa, il s’enquiert de ce qu’il y a à voir. La première chose qu’on lui indique comme une curiosité, c’est Rischon-le-Zion. Et sur ce chemin mauvais, presque impraticable, où sa voiture, en été, enfonce dans le sable, et en hiver dans la boue, il ne rencontre que la nudité des deux côtés. A peine s’il voit un peu d’herbes pour le pâturage, ou, par ci par là, un peu de lupin maigre et d’un rapport presque nul. Il longe des montagnes blanches que le vent a formées avec les sables de la mer. Lorsque la colonie a été fondée – (il n’y avait pas encore de voitures) – je passai à cet endroit au triple galop de mon cheval, car ces montagnes cachaient des bédouins voleurs. Aujourd’hui, cette route est, toute la journée, sillonnée de voitures, de piétons, et même d’un omnibus, qui fait la navette entre la colonie et Jaffa. C’est un mouvement continuel. Cependant le touriste ne peut pas se faire à l’idée, que dans ces sables, dans ces déserts couverts d’alfa sauvage, on ait pu créer quelque chose de passable. Et qui encore ? Des juifs. Mais sont ils donc aptes à produire une œuvre convenable ? Toutes ces objections trottent dans la tête du touriste, quand, tout d’un coup, sans aucune transition, il rencontre de bonnes routes, raffermies, malgré le sable, par les copeaux sortis de la tonnellerie. Ces routes sont, toutes, bordées d’admirables mûriers. Et il voit bientôt, dans la partie basse qu’il traverse, une véritable forêt d’eucalyptus, et dans le lointain des champs de mûriers d’un côté, et de l’autre, de petites taches d’oliviers et d’amandiers. Il avance, marchant dans des vignes, plus jolies les unes que les autres, avec leurs différentes nuances de vert selon la variété, sans un brin d’herbe sauvage. L’extase est à son comble. On se demande : est-ce possible dans ce sable ? Et dans le village, des habitations riantes, toutes précédées d’énormes mûriers, qui ont l’air de vouloir faire concurrence, un jour, aux chênes, grâce à la grosseur de leurs troncs. Et toutes ces plantations ont été faites par des juifs, sous la surveillance de Mr Cavelan. Et lorsque du haut du balcon de l’administration, le touriste a l’occasion de jeter ses regards dans tous les sens, et qu’il trouve cette oasis, d’une
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riante verdure, s’étendre au loin, aussi loin que la terre porte le nom de Rischon-le-Zion, il reste muet d’étonnement. C’est en effet un Eden ravissant. Et partout l’activité, partout le mouvement. Chacun connaît son ouvrage et s’y connaît bien. Au mois de mai 1898, la veille de ma rentrée en France, j’y eus la visite d’un médecin américain, Mr Friedenwald321, accompagné de sa femme. Je lui fis les honneurs de la colonie. Je le conduisis dans les caves et dans tous les ateliers. Il était littéralement émerveillé. Et quand, dans la forge, il vit des Israélites, les manche des chemises retroussées, lever ces énormes marteaux et les laisser retomber en cadence sur les enclumes, il ne put s’empêcher de saisir sa femme par le bras et de lui crier : « Mais regarde donc ! Ce sont des Juifs. » Il n’en revenait pas. C’est qu’on se sent en effet, transporté dans toute une autre région. Rien de semblable n’existe dans aucun coin de la Palestine et de la Syrie, et je suis persuadé que les rares touristes qui veulent bien consacrer une journée à cette excursion, n’ont jamais lieu de se repentir de ce petit sacrifice qu’ils auront fait. Il en emporteront un souvenir, qui, certes, ne s’effacera jamais de leur mémoire.
321
Le Dr. Aaron Friedenwald (1836-1902) de Baltimore.
Chapitre LIII RÉFLEXIONS DIVERSES
Faut-il louer ou blâmer Monsieur le baron d’avoir fait de la vigne à Rischon-le-Zion ? Je laisse à mes lecteurs le soin de répondre. Il n’avait que deux alternatives en n’en faisant pas. Ou bien laisser les colons mourir de faim, ou bien encore leur conseiller d’abandonner leurs terres et de retourner en Russie. Quels cris de plaisir n’auraient pas manqué de pousser nos ennemis, dans les deux cas. La critique est aisée, comme dit Boileau. En attendant, si Monsieur le baron n’avait pas fait de vignes à Rischon-le-Zion, les colonies indépendantes de Wouad Achnin, Rehoboth, Katra, qui livrent leurs raisins dans les caves de Rischon-le-Zion, n’existeraient plus depuis longtemps, ou, comme je l’ai expliqué plus haut, n’auraient pas pu être créées. Monsieur le docteur Aaron Friedenwald, dont j’ai parlé dans le chapitre précédent, après sa visite à Rischon-le-Zion, écrivit un article dans les journaux, pour relater l’historique de son voyage. Je finis cette monographie de Rischon-le-Zion, par un extrait de son travail publié par « Zion322 » dans sa brochure de juillet 1899. « Je ne puis me retenir de recommander, pour ma part, le vin de Rischonle-Zion. Lorsque je le goûtai et que je sentis son arôme agréable, je ne pus m’empêcher de dire, en voyant cette qualité devant les yeux : le vin réjouit le cœur humain. Si chaque juif, qui fait la bénédiction, avant le repas, le samedi et les jours de fêtes, voulait seulement se servir de ce vin, comme aussi pour les veillées de la Pâque, ils réjouiraient aussi les cœurs de milliers de nos frères, qui se sont établis colons en Palestine, et de beaucoup de milliers d’autres qui pourraient encore s’y établir. C’est ainsi que chaque homme pourrait contribuer à cette grande Œuvre, qui, dans ces derniers temps, a mis en mouvement le peuple Israélite. » Il aurait pu ajouter, comme dit Zola, cette Œuvre de vie, cette Œuvre de fécondité. Quoique, par ci par là, au courant de ma plume, la note triste ressort quelquefois, je suis, néanmoins, pour la colonisation en Palestine. Tout le monde n’est plus le pionnier que j’ai été obligé d’être au début. Il faut que quelqu’un se dévoue. Il en est de même pour les premiers colons. 322
Revue sioniste américaine.
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Je mets, seulement, une condition indispensable à la colonisation en grand, pour qu’elle réussisse. Avant de rien commencer, une société quelconque devrait s’entendre avec le Gouvernement Ottoman, pour prendre, de lui, tous les marais qui sont en Palestine, sans exception aucune, aussi bien ceux de la liste civile, que ceux qui appartiennent à des particuliers, et de les faire dessécher. C’est la seule manière d’assainir le pays et de faire disparaître les fièvres paludéennes.
Chapitre LIV MASKÉRETH BETTYA. DÉBUTS. SOUVENIR DE MADAME LA BARONNE JAMES DE ROTHSCHILD NÉE BETTY DE ROTHSCHILD
De toutes les colonies existantes, ce fut la seule, à l’exception de Metoulé, qui fut réellement fondée par Monsieur le baron Edmond de Rothschild, dans des conditions spéciales. Au commencement de l’année 1883, vint à Paris Mr Samuel Mohilever, rabbin de Byalostock (Russie). Il fut présenté à Monsieur le baron Edmond de Rothschild et lui dit : « Vous aidez à coloniser à des personnes qui ne comprennent pas un mot de l’agriculture. Vous dépensez votre argent en pure perte. Vous voulez montrer au monde que les juifs savent travailler la terre. Vous n’y arriverez pas facilement, car l’élément que vous avez sous la main, ne s’y prête pas. Laissez moi vous choisir une vingtaine de familles de mon pays, qui n’ont jamais fait que cela, et, au bout d’un an, vous aurez une colonie modèle, qui marchera toute seule, sans aucun secours. » Monsieur le baron se laissa séduire, mais ne consentit à prendre que dix familles, qui finirent par devenir onze. « Dès que j’aurai trouvé le terrain nécessaire dans les environs de Jaffa, lui dit Monsieur le baron, je vous le ferai savoir, et vous enverrez les hommes. Les femmes et les enfants suivront, lorsqu’il y aura des maisons. » Le rabbin retourna chez lui, choisit ses onze pères de famille dans les environs de Radom, et les fit partir pour Jaffa, sans s’inquiéter de savoir si le terrain existait ou non. C’était une manière détournée d’empêcher Monsieur le baron de revenir sur la parole donnée. Cependant, Monsieur le baron n’avait pas perdu de temps. De suite, après le départ du rabbin, il avait fait prier Mr Hirsch de Mikveh Israël d’acheter une propriété. Seulement, ne trouvant rien à sa convenance, Mr Hirsch ne fit cet achat qu’au mois de novembre 1883. Pendant le laps de temps qui s’écoula entre leur arrivée et l’achat, les Radomiens n’avaient qu’à se promener. Dès leur débarquement à Jaffa, un chevalier d’industrie, voulant jouer une bonne farce à Mr Hirsch, les conduisit à Mikveh Israël, qu’il leur indiqua comme leur appartenant, et qu’ils voulurent prendre d’assaut. Mr Hirsch eut assez de peines à leur faire comprendre la vérité, et comme il n’y avait d’abris pour eux, nulle part, et que
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Mr Hirsch ne se souvenait jamais des injures qui lui avaient été faites, il consentit à les loger. Il leur donnait de l’ouvrage quand il y en avait, et Monsieur le baron payait leur pension. Ils avaient la nourriture extra-substantielle des jeunes ouvriers de l’établissement. Il y avait tous les jours de la viande. Néanmoins, poussés par leurs meneurs, pour récompenser Mr Hirsch de son abnégation et son dévouement, ils se plaignirent de la nourriture. Ils demandèrent à Monsieur le baron de leur donner, en espèces, ce qu’il dépensait pour les faire vivre, afin qu’il pussent se faire la cuisine eux-mêmes. Monsieur le baron eut la trop grande bonté d’y consentir. Il eut dû plutôt les renvoyer dans leurs foyers, car, peu de temps après, ils donnèrent, pour la deuxième fois, des preuves de leur insubordination. Et si tous n’étaient pas coupables, les chefs auraient dû être punis. On m’a affirmé que, de ce jour, ils ne mangèrent plus que du pain et des oignons, sauf le samedi et les jours de fêtes, et empochèrent le bénéfice. Après cela ils pleurèrent sur le sort de leurs familles, laissées sans moyens et sans soutien en Russie. Monsieur le baron, se laissant encore aller à la pitié, envoya, tous les mois, en Russie, des subsides pour les femmes et les enfants. Plus tard, ils racontèrent qu’ils avaient vendu, avant de venir, leurs propriétés en Russie. Si cette assertion est vraie, ils sont restés à côté de la vérité, en affirmant que leurs familles étaient restées sans ressources, derrière eux. Enfin Mr Hirsch acheta à un riche propriétaire de Jaffa, environ quatre mille dounoums de bonnes terres, dont deux mille cinq cents situés à Ekron et quinze cents à Nané323, à vingt minutes plus au sud. La nouvelle propriété possédait à Ekron, une masure et une écurie, dont on profita pour y mettre les bœufs. On acheta des charrues, des semences, et ces Radomiens, qui, de ce jour, s’appelleront les Ekroniens, se mirent à labourer et à ensemencer leurs terres. C’étaient de bons ouvriers. Mais, ils trompèrent Monsieur le baron, dès leur prise de possession. Ils avaient fait les ingénus et chacun avait fait venir, outre sa femme et ses enfants célibataires, des fils et des filles mariés avec progéniture, de sorte que ces onze familles se trouvèrent à la tête de cent soixante et dix âmes. Il ne s’agissait pas de leur construire des maisonnettes comme à Rischon-le-Zion. On se voyait contraint de leur faire bâtir de grandes pièces, avec des logements au premier étage. Et l’on eut beau faire, rien ne les contenta. Ils avaient beaucoup plus de prétentions que les autres colons, parce qu’on les avait fait venir, tandis qu’on avait rencontré les autres dans le pays même. La malpropreté était leur force. Chaque fois que je venais chez eux, j’étais contraint de leur faire la morale à cause de la propreté. Dès leur installation, ces gens eurent bien 323
Aujourd’hui le Kibbouts Naan, qui partage une partie de ces terres avec Ramot Meïr.
CHAPITRE LIV : MASKÉRETH BETTYA. DÉBUTS
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plus à souffrir des fièvres que les colons établis ailleurs. A deux lieues de là, vers le Sud, se trouve le marais de Mansour, dont les miasmes, chassés par le vent vers la colonie, leur occasionnaient des fièvres intermittentes d’une ténacité effrayante. On ne croyait pas qu’on pourrait y laisser subsister ces colons. On eut l’idée de planter, alors, de suite, derrière les maisons, entre le village et le marais, un rideau d’un millier d’eucalyptus. Dans ces terrains gras et humides, les racines trouvèrent la nourriture voulue. Au bout d’un an, les arbres avaient plus de trois mètres de hauteur, et la fièvre avait beaucoup diminué. Mais il leur restait l’ophtalmie. Dans les pays chauds, le sirocco est accompagné d’un vent qui charrie de la poussière imperceptible. Elle vous aveugle, à la longue, en se déposant dans le coin des yeux. L’unique remède contre ce mal, c’est de se laver souvent la figure et les yeux, et de se bien nettoyer. Les Ekroniens ne s’y soumettaient probablement pas avec tout le soin nécessaire, et, naturellement, les maladies d’yeux y étaient à l’ordre du jour. Plusieurs membres de ces familles devinrent, même, complètement aveugles. Je répète ce que j’ai dit : ceux qui ont suivi les expériences de Monsieur le baron et qui ont, ainsi, pu prendre des leçons à ses dépens, pronostiquent, pour la réussite d’une colonie, la grande culture, avec accompagnement d’élevage de bétail. Pour arriver à se nourrir et rembourser les avances faites, une famille, en moyenne, doit posséder, pour le moins, quatre cents dounoums de terre. Mais, à l’époque, on n’était pas de cet avis. On calculait que deux cents dounoums étaient largement suffisants pour la plus grande famille, et cent cinquante pour un ménage moyen. Se basant là-dessus, on trouva qu’il y avait trop de terres à Ekron pour les onze familles de Radom. Mr Hirsch proposa alors l’adjonction de trois autres, savoir Herschkovitz324, un des plus anciens gardiens de Mikveh Israël, Lévita325, le menuisier de cet établissement depuis plusieurs années, et Neumann326, le père d’un jeune roumain, à cette époque, excellent élève de Mikveh Israël. Quand Monsieur le baron partit pour la Palestine, en 1887, je lui racontai ce que j’avais à me plaindre des Radomiens. La propreté, dans leur intérieur, n’était pas ce qu’elle était dans les autres colonies. « Eh bien ! me dit-il, j’irai les voir et je parviendrai à leur inculquer des notions de propreté. Je donnerai des récompenses, en espèces, aux deux colons qui auront les intérieurs les plus propres. »
324
Parmi les premiers Ekroniens on compte le nommé Moïse Elie Herschkovitz (1860-
1894). 325 326
Salomon Levita (1862-1942) immigra en 1883. Non identifié.
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Et, en effet, il alla de maison en maison et donna deux cents francs de récompense à celui qui lui avait semblé avoir le ménage le plus convenablement tenu, et cent francs à celui qui venait, de suite, après le précédent. Seulement le premier prix fut décroché par Neumann et le second par Herschkovitz. Par conséquent les Radomiens restèrent comme auparavant. Isaïe prédisait la destruction d’Ekron par les mouches327. Le manque de propreté foncière en attirait beaucoup, cela va sans dire. Les Ekroniens eurent donc peur de voir se réaliser cette prophétie. Aussi supplièrent-ils Monsieur le baron, lors de sa visite, de donner un autre nom à la colonie. Après avoir assez longtemps cherché, il consentit à un changement de dénomination et Ekron fut appelée Maskéreth-Bettya (c.à.d. souvenir de Betty, sa mère). Il accorda à ces colons une école, au dessus de laquelle on construisit la synagogue. On y enseigne une heure de français par jour et cinq heures d’hébreu. Les jeunes filles ont une maîtresse de couture. Naturellement, Monsieur le baron ne manqua pas de leur faire établir des bains pour les hommes et les femmes.
327
Baal-Zevouv, le maître des mouches, était la divinité d’Ekron. Cf. II Rois 1 12-16.
Chapitre LV SCHMITA
En 1888-9 arriva l’année de la Schmitta ou jubilé328. Les rabbins russes, à l’unanimité, furent d’avis que, comme les colons étaient de pauvres diables, ils pouvaient travailler sous certaines conditions. Les rabbins de Jérusalem ne partagèrent pas tous cette opinion. On donna à cette opposition plusieurs raisons plus ou moins plausibles. Je ne veux m’arrêter qu’à une de leurs arrière-pensées : Mr le baron était assez riche pour nourrir les colons. Dans toutes les autres colonies, on travailla. Les Ekroniens seuls, se disant plus orthodoxes que tous les autres colons, s’empressèrent de se conformer à l’avis des rabbins de Jérusalem. Ils préférèrent le far niente. Deux d’entre ces colons suivirent les avis des rabbins russes, plutôt pour faire une niche aux rabbins de Jérusalem que pour toute autre chose. Aussi ne saurait-on croire ce que ces deux ménages eurent à pâtir des vexations des autres, pour n’avoir pas fait cause commune avec eux. Et finalement, comme Rubinstein329, l’un de ces deux, était une mauvaise tête, qui n’aimait que plaies et bosses, Monsieur le baron dut le mettre dans une autre colonie. Les orthodoxes les soutenaient. L’orthodoxie sincère est à respecter. Les juifs qui viennent de la Russie ou de la Roumanie, pour vivre et mourir dans la Terre Sainte, doivent, certainement, être plus religieux qu’on ne l’est généralement en Europe. Cela se comprend. Seulement, chez les Ekroniens, ce n’était pas cela. Car s’ils n’avaient eu que la piété pour objectif, on aurait encore pu le leur pardonner. Il n’y a pas lieu de raisonner avec la foi. Mais chez eux, le bénéfice seul qu’ils pouvaient en retirer, était en jeu. Je vais le prouver. Je veux admettre tout au pis-aller. La Schmitta commençait avec le Rosch-Haschana de 1888, pour finir à celui de 1889. Au mois d’août 1888, le battage des grains était terminé. Le Gouvernement avait pris sa dîme et les colons avaient rentré la moisson. Ils avaient donc de quoi vivre, ou à peu près, pendant un an. Ils n’avaient qu’à se promener, ou bien de se croiser les bras et attendre les événements. Ils ne pouvaient pas savoir quelles décisions prendrait Monsieur le baron, lorsque, à Rosch-Haschana de 1889, ils auraient devant eux une année sans produits. Il y avait lieu d’espérer, pour eux, que Monsieur le baron, se rendant compte de leur 328 329
Scheid confond ici l’année sabbatique et le jubilé. Cf. p. 102.
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orthodoxie, leur remplacerait, par des secours, la récolte non faite. Ils préférèrent tenir que courir. De suite, après les fêtes de 1888, ils se mirent à l’œuvre. Ils firent insérer, dans un journal de Jérusalem, un article, dans lequel ils disaient que Monsieur le baron, parce qu’ils avaient tenu à faire Schmitta, refusait de leur donner des secours et les laissait mourir de faim. Cet appel fut envoyé à tous les orthodoxes de l’Europe. Ils reçurent des subsides de partout, car les rabbins de Jérusalem avaient également lancé des circulaires en leur faveur. Les colons s’étaient bien gardés de dire, que chacun d’eux avait récolté une moisson suffisante pour toute l’année. Ils riaient, dans leur barbe, de la naïveté de leurs coreligionnaires. Dans leur for intérieur, ils étaient persuadés qu’ils n’auraient plus besoin de Monsieur le baron. Ils regardaient ses employés du haut de leur grandeur et passaient, devant nous, sur les routes, en faisant semblant de ne plus nous reconnaître, pour n’avoir pas à nous saluer. Monsieur le baron avait acheté, Custinié, près de Gaza, depuis quelque temps ; il s’agissait de séparer sa terre de celle des Arabes, ses voisins, et l’on ne pouvait y arriver, qu’en faisant creuser, par des charrues, des ravins tout autour de la colonie. Le bétail manquait pour cette opération. Et puis, à quoi bon en acheter, quand celui des Ekroniens ne faisait rien ? L’administration voulut leur emprunter leurs bestiaux – payés, bien entendu, par Monsieur le baron – pour la confection des ravins de Custinié. Ils refusèrent de les céder. Est-ce, cela, aussi de l’Orthodoxie ? Absolument pas. Ils ne voulaient que vivre aux dépens d’autrui, donnant cette même orthodoxie comme excuse. Monsieur le baron en retira, alors, son administrateur, n’y laissant qu’un jardinier pour s’occuper des pépinières. Au bout d’un an, lorsqu’ils se persuadèrent qu’ils ne pouvaient pas tromper le monde deux fois de suite, ils firent amende honorable, demandèrent un pardon simulé, et jurèrent, faussement aussi, que dorénavant ils obéiraient aveuglément à tout ce qu’on leur ordonnerait de faire. Toutefois, ils savaient qu’ils ne tiendraient pas leurs promesses. Par bonheur, pour la religion, qu’on ne juge pas l’orthodoxie sur de pareils modèles.
Chapitre LVI PLANTATIONS
Monsieur le baron y avait mis comme jardinier, le frère de Mr Cavelan. Mais maladif déjà, en arrivant, il ne put supporter longtemps le climat et retourna en Europe. Il fut remplacé par Mr Abr. Bril, diplômé de l’école d’agriculture de Versailles. Le terrain n’y est pas plat partout. Il y a des endroits qui descendent en forme de ravins. D’autres sont sur des plateaux élevés, de sorte que la grande culture en souffrait. Dans les années humides, les parties basses étaient inondées et ne produisaient rien, tandis que quand la pluie ne donnait pas en plein, en hiver, les parties élevées pâtissaient. A côté de cela, les familles s’augmentaient à vue d’œil, et on s’aperçut bientôt que le terrain ne suffisait plus pour nourrir tout ce monde, par la grande culture. Du reste Monsieur le baron n’en était pas amateur. Il préférait les cultures industrielles. Il résolut donc de faire d’Ekron et de Nané, un vaste verger, en y faisant planter toutes les variétés d’arbres, qui avaient chance d’y réussir. On éleva, en pépinière, aussi bien des mûriers que des oliviers, des amandiers, des abricotiers et des cédratiers. Une fois que ces arbres furent assez grands pour être mis en place, à demeure fixe, les jardiniers commencèrent à faire défricher le terrain, pour en planter chez les colons. Ceux-ci s’y opposèrent. Leur mauvaise foi de 1888/89 revint au jour, mais plus explicite qu’alors. Un étranger qui ne connaît pas les lois turques, ne comprendra pas leur entêtement à ne pas permettre aux jardiniers de Monsieur le baron de faire, eux-mêmes, les plantations des arbres. Les colons tenaient à les faire, sans le secours des jardiniers et des ouvriers de l’administration. Et voici pourquoi : la loi turque dit que si vous plantez des arbres, même sur un terrain qui ne vous appartient pas, la terre, avec les arbres, vous reviennent de droit au bout de cinq ans. Ils tenaient donc, tout simplement, à frustrer Monsieur le baron. Ils étaient convaincus, du reste, à cette époque, que Monsieur le baron se lasserait d’eux, les enverrait se procurer des secours ailleurs, tout en les laissant à Maskéreth-Bettya, et en leur abandonnant terres, maisons, bestiaux, en un mot, tout ce qu’il leur avait avancé. Leur plan ne réussit pas, car on finit par comprendre leur intention. Ils voulurent donc frapper un grand coup. Il refusèrent aux jardiniers l’autorisation de planter les arbres sur les terrains qu’on leur avait loués.
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Ils prétendaient que tout leur appartenait, que Monsieur le baron leur en avait fait cadeau, et qu’ils n’entendaient nullement lui rendre les avances qu’il leur avait consenties. Et, mettant à exécution un plan qu’ils avaient ruminé depuis longtemps, ils se ruèrent, une nuit, sur l’administration et la pharmacie, et y cassèrent portes et fenêtres. Et pour montrer que c’était une entente datant de longtemps, il suffit d’ajouter que, pour faire ce joli coup, ils avaient fait venir, chez eux, à minuit, le colon Rubinstein qu’ils avaient tant torturé pendant l’année de la Schmita, qu’on avait été obligé de déplacer, avec qui, depuis, ils s’étaient réunis, et qui venait faire cause commune avec les autres. Entre temps, les rabbins de Jérusalem, d’un côté, et le rabbin Mohilewer, de l’autre, trouvant enfin que ces Messieurs en prenaient trop à leur aise, leur écrivirent pour leur montrer leurs torts, et leur assurer que tout appartenait à Monsieur le baron. La généralité leur donna, à moitié, raison. Mais les meneurs continuèrent à faire à leur tête et ne voulurent rien entendre. Cette fois, la mesure était comble. On avait montré assez, ou peut être trop de longanimité, jusqu’à ce jour. Mr Bloch s’adressa alors, exceptionnellement, au Gouvernement. Le Caïmakam de Jaffa y envoya des soldats avec un officier. Les femmes sortirent des maisons avec des lattes et battirent les soldats. Cela ne dura pas longtemps. L’autorité eut bientôt le dessus et emmena les quatre plus enragés en prison, à Jaffa. Alors vinrent les interventions. On nous accablait de demandes de pardon et, comme argument, on ajoutait que « c’était honteux, devant le monde, de laisser des Israélites emprisonnés par des coreligionnaires. » Nous tenions ferme. Et comme Monsieur le baron avait été mis au courant de tout ce qui se passait, il télégraphia ce qui suit à Mr Bloch : « Interdis retirer plainte avant expulsion Lévita ou Lascowski330 et trois autres, cinq en tout. Employez tous les moyens, pour mettre, immédiatement, cette mesure à exécution. Télégraphiez dès que ordre exécuté. Edmond. » Fort de cet ordre, Mr Bloch donna quelques milliers de francs à ces forcenés, pour qu’ils se fissent pendre ailleurs. La prison avait fait son effet. On retira la plainte, et tout rentra dans le calme. Quant à ceux qui restaient, on leur fit signer un écrit, par lequel ils reconnaissaient qu’aussi longtemps qu’ils n’auraient pas remboursé à Monsieur le baron les avances qu’il leur avait faites, ils ne sauraient être propriétaires du village. L’année suivante, en 1894, lorsque j’y revins faire mon inspection, ceux qui étaient restés me promirent, encore une fois, tout ce que je désirai. Seulement, si je devais me baser sur le passé, je ne savais jusqu’à quel point on pouvait 330 Jacob Lascowski (1848-1933) quitta la colonie et émigra en Amérique. Il devait finir par revenir.
CHAPITRE LVI : PLANTATIONS
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tenir compte de ces promesses. Etaient-ils de meilleure bonne foi qu’auparavant ? C’est ce que l’avenir devait nous prouver. Je me demandai toujours, si, un jour, ils ne chercheraient pas une nouvelle excuse pour se révolter. Je les attendais donc pour l’année de la Schmita de 1895/96. Ils avaient à donner, en cette circonstance, une preuve de leur franchise. Je dois, enfin, leur rendre cette justice, qu’ils ont mis, comme on dit, de l’eau dans leur vin. Il est vrai, aussi, d’ajouter que les rabbins de Jérusalem, revenus à d’autres sentiments, les ont autorisés à travailler, avec certaines restrictions. Ils ont parfaitement obéi. Je me plais aussi à constater qu’ils comprennent mieux leurs devoirs et leurs intérêts, aujourd’hui qu’ils n’ont plus de meneurs à leur tête. Les quatre maisons laissées, derrière eux, par les quatre expulsés, servirent à loger quatre jeunes familles, qui furent séparées de leurs parents. Il y avait, sous un même toit, formant comme un seul ménage, jusqu’à vingt deux âmes. Il ne fut pas possible de les laisser vivre dans une pareille promiscuité. Monsieur le baron, à la suite de son récent voyage en Palestine, au mois de janvier 1899, leur accorda encore six maisons d’habitation. Leurs bains, il y a quelques années, furent également agrandis. On y adjoignit des bains de vapeur, à la mode russe, de sorte qu’ils se sont complètement transformés et sont devenus aussi propres que leurs frères des autres colonies. Ils sont presque méconnaissables. Une fois pris dans cet engrenage de coquetterie, ils s’ingénièrent à créer des jardinets, avec arbres fruitiers, devant leurs maisons. Ces petits jardins sont fermés avec de gentils grillages en bois. Et comme dès l’entrée de la colonie, toutes les routes, ainsi que celles de l’intérieur du village, sont bordées de mûriers, l’aspect en est devenu tout autre depuis quelque temps. Tout a l’air de vous y sourire maintenant. Mr Charcoun y vient une fois par semaine, pour régler les comptes avec le jardinier. Mais Mr Ab. Bril est, le reste du temps, seul, pour gérer tout cela, et comme il est d’une activité reconnue, il ne recule devant aucune besogne. Monsieur le baron l’en a récompensé, l’année dernière, en lui accordant une maison plus grande et plus confortable, dans laquelle lui et Mr Charcoun ont leurs bureaux. La sienne est devenue l’école des filles, que les colons voyaient d’un mauvais œil, sous la synagogue. Comme à Rischon-le-Zion, on a été obligé d’y creuser assez profondément avant de trouver de l’eau potable. On est descendu à trente trois mètres de profondeur, et on a construit deux autres puits, d’où l’on prend l’eau par des norias, que tournent des mulets, et pour les besoins de la colonie, et pour ceux de l’immense pépinière qui fait l’admiration de tous les visiteurs. Peu à peu, les arbres fruitiers qui ornaient cette pépinière, furent, par les soins et sous la haute surveillance de Mr Ab. Bril, mis en place dans les champs et à une assez grande distance les uns des autres, pour permettre aux
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colons de faire la grande culture entre les arbres, afin de ne pas enfreindre les lois religieuses. En donnant, ici, la nomenclature de ce que l’on y rencontre aujourd’hui, on se rendra compte de ce qu’est devenue cette petite colonie. On y trouve, en première ligne, trente trois hectares, qui sont couverts de huit mille deux cents abricotiers de la grosse variété française, inconnue dans le pays, qui ont déjà rapporté quelques milliers de kilogrammes de fruits en 1899 et qui ont permis de faire des essais de confiture, de marmelade et de compotes. On verra comment les conserves seront estimées sur les marchés européens. Comme ces fruits ne mûrissent qu’un mois après ceux du pays, qu’alors ces derniers sont écoulés, on trouvera facilement le placement, en Palestine, de ces abricots tardifs. On y rencontre huit mille mûriers, disséminés sur soixante neuf hectares. On compte en outre dix sept cent mûriers, qui sont plantés le long des routes et des limites. Neumann en tête, et d’autres colons à sa suite, y réussissent parfaitement l’élevage des vers à soie. Lorsque ces arbres seront en rapport, tous les colons, ayant la quantité de feuilles nécessaire, pourront s’adonner à cette industrie, qu’ils commencent à comprendre et à priser. Les oliviers de Maskéreth-Bettya ne ressemblent en rien à ceux des Arabes. Ceux-ci mettent des pieux en terre et attendent deux ans, pour savoir si ces morceaux de bois, presque morts, ont repris. Si oui, ils les laissent venir, sinon, ils recommencent. Et, en cas de réussite, on peut compter qu’ils attendent de quinze à vingt ans, avant d’avoir des arbres en plein rapport. Mr Bril, ainsi que ses collègue des autres colonies, opèrent autrement. Ils élèvent les oliviers en pépinière, où l’eau ne manque pas ; la deuxième ou la troisième année, selon la force des sujets, ils sont greffés et, l’année suivante, ils sont plantés à demeure fixe dans les champs. On peut estimer qu’au bout de huit à dix ans, ces arbres sont en plein rapport. Et on a, avec cela, des oliviers lisses, forts, d’un aspect superbe, et non des arbres rabougris, comme ceux des indigènes. Aussi ne reviennent-ils pas de leur étonnement, quand ils voient la différence entre leurs plantations et celles des colonies juives. Maskéreth-Bettya renferme, sur un emplacement de soixante treize hectares, sept mille cinq cents oliviers, tous sortis des pépinières. Les amandiers princesse et dame commencent aussi à porter des fruits et couvrent une superficie de trente et un hectares, avec six mille deux cents arbres. En 1897, ces quatre variétés d’arbres ont été distribués entre les colons, suivant le nombre d’âmes de la famille. De cette manière, chaque ménage reçut une certaine quantité de toutes les essences d’arbres. Par contre, Monsieur le baron a gardé, pour lui, l’ancienne pépinière, qui renferme encore, dans un coin, les jeunes sujets suivants, qui seront mis à demeure fixe plus tard : cent cinquante amandiers, neuf cents cédratiers,
CHAPITRE LVI : PLANTATIONS
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cent pommiers, deux cents grenadiers et treize mille oliviers. Tous ces jeunes plants, qui sont serrés les uns contre les autres, pour mieux jouir de l’arrosage, ne prennent qu’un hectare et demi de place. Par contre, les deux mille cédratiers, qui commencent à porter des fruits bien recherchés, les cinq cents orangers, qui sont répartis, un peu, autour des premiers, et les sept cents cinquante bigaradiers occupent une surface d’un peu plus de quatre hectares. Il y a enfin, sur quatre hectares et demi, quatorze cents cinquante pommiers, quatre cents figuiers et cent cinquante anonas.331 Quand j’aurai dit que six hectares sont pris par sept mille cinq cents eucalyptus, j’aurai fini la nomenclature de tout ce qui a été fait à MaskérethBettya. Que quelqu’un vienne alors dans ce rayon, au printemps, et englobe, d’un coup d’œil, ce vaste verger, en fleurs de toutes les couleurs, il ne peut s’empêcher de rester en extase devant cet autre Eden, unique produit des mains de juifs. Et en quittant Maskéreth-Bettya pour aller à Nané, le touriste aura encore l’occasion d’y voir soixante sept hectares déjà plantés d’oliviers, qui ont, aujourd’hui, de jolies têtes et deux mètres de hauteur, et qui sont au nombre de sept mille huit cents, tandis que les cinquante hectares restants sont, en partie, défrichés et seront plantés, en entier, en oliviers jusqu’à la fin de 1901.
331
Une copie lit ananas.
Chapitre LVII PÉTACH TIKVEH. DÉBUTS
Il me reste à parler de la dernière colonie, qui se trouve être sous la protection effective de Monsieur le baron. Ce fut la première achetée en Palestine. Elle date de bien loin, comme on va le voir. Rien ne faisait supposer alors, qu’il y aurait, un jour, des colonies dans le voisinage, et si elle s’est intitulée Pétach-Tikveh, c’est à dire « porte de l’espérance », c’est que, peut être, dans l’esprit des premiers acquéreurs, il y avait un espoir qu’ils attireraient, plus tard, une certaine quantité de familles juives en Palestine, mais nullement à titre d’agriculteurs. Et si le premier achat d’une partie de la propriété fut déjà fait, trois ans avant celui d’Ayoun-Kara, les juifs russes, qui vinrent après eux, ne les considérèrent pas comme des colons, et purent donner, à leur récente acquisition, le nom de Rischon-le-Zion. Ce même centre, que les Arabes appellent Mlabbés, deviendra-t-il jamais une colonie agricole, dans la véritable acception du mot ? C’est ce que nous chercherons à voir plus tard. Commençons par montrer et de quelle manière, et avec combien de déboires, s’est formé ce fameux Pétach-Tikveh, qui a déjà fait couler des flots d’encre, dont tout le monde s’est déjà occupé, et où personne n’avait jamais rien pu faire. C’est que les éléments y sont si disparates, qu’à moins d’être un ange du ciel, on aura de la difficulté à arriver à un résultat. Mais n’anticipons pas, et racontons les faits le plus impartialement possible. Au mois d’août 1878, MMrs Guttmann, Salomon et Stampfer332 se réunirent et achetèrent un peu plus de trois mille dounoums de terrain, situés à côté de l’ancien village de Mlabbés, à deux lieues au Nord de Jaffa, sur la limite de la petite rivière l’Odja333. Le vendeur était Mr Cassar334 de Jaffa. Cette première acquisition fut ainsi répartie : MMrs Lachmann335 de Berlin Stampfer de Jérusalem Schapira « 332 333 334 335
Fondateurs de Pétach Tikvah. Pour Stampfer cf. p. 291 et 297. Le Yarkon d’aujourd’hui. Non identifié. Important philanthrope berlinois.
780 dounoums 130 130
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CHAPITRE LVII : PÉTACH TIKVEH. DÉBUTS
Blumenthal de Jérusalem Salomon « Rosenthal «
260 260 130
La femme Hané Molté à Byalostock –
70
MMrs Barnett à Londres Wissocker tailleur Rabbinovitz Cohn Hillel Emmanuel Les frères Panigel de Bulgarie Feinstein à Byalostock Hausdorf frères de Jérusalem X. en Hongrie Emplacements et divers par Guttmann Hoveveï Zion Routes, ravins, aires
520 130 60 44 60 250 30 100 20 60 90 160
Ensemble
3824
Naturellement, ces Messieurs n’avaient aucunement la pensée de devenir agriculteurs. C’était une affaire commerciale qu’ils avaient entreprise, et, pour eux, il s’agissait de revendre ces terrains dans les meilleures conditions imaginables. Quiconque se présenterait, y aurait du terrain, moyennant de l’argent, sans qu’on tînt à s’inquiéter de ce qui en adviendrait. On partagea ce terrain en vingt quatre lots. Quelques acheteurs vinrent de Jérusalem, qui, également, avaient l’intention de revendre leur acquisition par de bien plus petits lots, à des gens qui auraient du plaisir à posséder un pied à terre en Palestine, une espèce de luxe, – comme certains font de bonnes œuvres – pour avoir une place assurée au paradis. Et comme je l’ai dit, on appela cet endroit Pétach-Tikveh. La dénomination nous semble excessivement vague, vu qu’on n’a jamais pu savoir au juste de quel genre d’espoir il s’agissait. Car l’idée de colonisation ne germa sérieusement en Russie et en Roumanie qu’à la suite des persécutions de 1881/82. Si je m’appesantissais sur les démarches que ces gens ont eu à faire pour recevoir les titres de propriété, je n’en finirais plus. Par bonheur pour eux, le vendeur s’était engagé à les leur procurer. Aussi, ce ne fut que grâce à son influence et à ses hautes relations, qu’il parvint, au bout d’un an, à leur mettre, enfin, ces titres en règle, entre les mains. Les quelques Jérusalémites, qui étaient devenus propriétaires et qui voulaient pourtant retirer un revenu de leurs terres, s’étaient, tous, unis dans une espèce d’association, avaient acheté un peu de bétail, avaient construit une
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maison, avaient fait creuser un puits, et avaient fait ensemencer de froment la presque totalité de leurs terres. Quoique mal travaillée et peu soignée, la récolte fut excellente, et on n’eut pas loin à aller, pour se persuader qu’en Palestine, la moitié du travail suffisait, en comparaison de celui que réclamait une pareille moisson en Europe. Les têtes se montèrent, et chacun se voyait déjà grand fermier, propriétaire, riche, et surtout indépendant de la Halouka. Beaucoup de Jérusalémites prièrent, là dessus, les premiers acheteurs d’agrandir la propriété, en tâchant d’y annexer les terres voisines. Un Monsieur Tyan336 de Jaffa possédait les trois quarts des terres du village touchant à Pétach-Tikveh. Les premiers fondateurs s’associèrent encore à un Mr Nathan Grungrad337 de Jérusalem, et achetèrent de Tyan près de neuf mille dounoums. A côté de ces terres, faisant partie, dans le livre du cadastre, du village de Mlabbés, Mr Tyan possédait encore deux mille six cents soixante dix huit dounoums, qu’il leur vendit en même temps. On fit, de nouveau, des démarches infinies pour l’obtention des titres de propriété, et ce ne fut qu’au mois de septembre 1880, qu’ils purent entrer en possession du terrain. Naturellement les acheteurs tinrent à en tirer, le plus tôt possible, le meilleur parti. Ils en firent encore des lots, qui furent bientôt vendus…. j’allai dire enlevés. Cette propriété est sur la route qui conduit, aujourd’hui, à Hédérah, Zicron-Jacob et Caïffa, à une lieue au Nord de Sarona, colonie de protestants wurtembergeois. Une partie seulement des troisièmes acheteurs avaient les moyens de payer leurs lots en espèces. Ceux-ci reçurent des titres en leur nom. Pour le reste, MMrs Guttmann, Salomon et Grungrad donnèrent une garantie à Mr Tyan, qui mit les terres en leur nom. Quelles espèces de colons pouvaient devenir ceux qui n’avaient même pas la première mise de fonds pour solder le terrain ? La réponse est facile. C’étaient des gens qui se figuraient, littéralement, que le Ciel leur enverrait des maisons, du bétail, des semences, et que l’installation se ferait toute seule. Ceux qui avaient des moyens, s’étaient mis à construire des habitations sur les bords mêmes de l’Odja. Or, comme la rivière prend sa source à quelques minutes de là, dans une série de petits marais, les nouveaux-venus s’étaient portés, d’eux mêmes, aux premières loges, pour attraper des fièvres intermittentes. Et ils ne manquèrent pas de les avoir. 336 Cf. Le livre de la première Aliyah, éd. par M. Eliav, I, Jérusalem, 1982, p. 114 et 217 (hébreu). 337 Natan Grungrad, dit Nosske Brisker (Nathan de Brest-Litovsk) (1839-1899), immigra en 1860.
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Ce fut un sauve-qui-peut général. Car, comme quelques uns moururent, les autres abandonnèrent les bâtisses qu’ils avaient commencées, les laissant aux prises des Arabes des environs, qui emportèrent tous les matériaux, et ainsi, dès 1881, ce nouvel effort était devenu vain, et ce deuxième embryon de colonie avait disparu à son tour. N’ayant à leur disposition ni médecin, ni pharmacien, ni médicaments, ni personne pour les encourager au travail et à la persistance, ces nouveaux venus retournèrent à Jérusalem, préférant se promener et attendre les aumônes européennes, que de chercher dans le labeur, avec un peu de peines, l’aisance et la joie de vivre en hommes libres. A cette époque encore éloignée dans l’histoire de la colonisation, les Jérusalémites n’avaient pas beaucoup de penchant pour les travaux de la terre. Les grands parents, les parents avaient, surtout, vécu des envois d’argent faits par des Européens. Il était très difficile aux fils de lutter contre cet atavisme de la paresse. Et, ce qui est plus fort, tout se liguait pour cette même indolence. J’admets toutes les formes d’orthodoxie. Je comprends parfaitement qu’un juif orthodoxe, ayant les moyens de vivre de ses rentes, aille finir ses jours en Palestine, et de préférence à Jérusalem, pour jouir de la sépulture dans la vallée de Josaphat. Il est, toutefois, à remarquer, que ce sont justement ces riches qui s’abstiennent de venir. Ce sont de pauvres malheureux qui s’y rendent, à qui les Israélites Européens envoient quelques bribes de leur fortune, qui ont juste de quoi ne pas mourir de faim, mais pas assez pour vivre. Dans le nombre, il y en a des quantités qui passent leur existence entière dans l’étude de la loi, qui sont, cela va sans dire, détachés des choses terrestres, qui sont tout ce qu’il y a de plus respectable et qui méritent d’être soutenus. Malheureusement, il y avait, à côté d’eux, une masse de faux orthodoxes, qui ne faisaient rien, qui vivaient d’expédients et d’aumônes et qui engendraient la paresse et le vice. Contre ceux-là, l’Europe entière devait se liguer, afin que l’argent ainsi envoyé par les âmes charitables, fût employé à bon escient, et que les fainéants n’eussent pas l’espoir d’être soutenus envers et contre tous. Si les colonies voisines avaient déjà existé à l’époque, personne ne se serait sauvé de Pétach-Tikveh. Ces pauvres pionniers auraient pris exemple sur leurs voisins venus du dehors. Aujourd’hui, avec les progrès que la colonisation leur a fait réaliser à Jérusalem, ainsi que je l’ai expliqué plus haut, les gens ne délaisseraient plus si facilement une colonie. Si les premiers, qui étaient venus à Pétach-Tikveh, avaient eu un peu plus de courage, ils auraient fait comme les colons de Yessod-Hamalah. Ils se seraient fabriqué, eux mêmes, des huttes, loin de la rivière ; ils y auraient vécu comme ils auraient pu et auraient, dès l’abord, procréé des travailleurs, et donné à la Palestine une nouvelle génération de gens actifs. Je suis convaincu, qu’avec le temps, les Jérusalémites, si on leur en donne les moyens, deviendront d’excellents colons.
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C’est que le tout n’est pas de quitter la terre. Le Gouvernement turc ne plaisante pas. Tel village est imposé pour une certaine somme pour la dîme, l’impôt foncier, etc., et il veut être payé. Et tout cela pesait sur MMrs Guthmann et Salomon. C’était la ruine à bref délai, avec contrainte de revendre le terrain, ou de le voir saisi par le Gouvernement. Il s’agissait, avant tout, d’obtenir un dégrèvement de l’Etat. Dans tous les autres pays de l’Europe, ce dégrèvement s’obtient tout naturellement. Ainsi que je l’ai déjà relaté, il n’en est pas ainsi en Turquie. Messieurs Guttmann et Salomon s’adjoignirent alors Mr Pinés et ils firent des démarches, qui, au bout d’un certain temps, et avec beaucoup de peine et d’éloquence, aboutirent à l’heureux résultat de voir ramener les impôts à un taux plus normal. Seulement, ce n’était pas encore pas ce qu’il fallait. Il était indispensable d’y amener la vitalité. On rendit l’argent à ces quelques pauvres diables de Jérusalem, qui ne voulaient plus rester, et on envoya un appel aux juifs aisés de la Russie, qui devaient se procurer, ainsi, un Yischoub-Eretz-Israel (pied à terre en Palestine). Cet appel fut entendu. On fit des parts et des demi-parts de quatre vingts et de quarante dounoums, et c’est ainsi que la plus grande partie de PétachTikveh passa entre des mains étrangères à toute idée de colonisation. En voici une liste détaillée, telle qu’elle fut établie au mois d’août 1887 par Mr Ossowetzki, et contresignée par Mr Hirsch : Messieurs Feinstein à Byalostock Walwilovitsch « Margoulis Lifschitz Banchel Schapira Caplan Caplan Katriel
« « « « « «
Honé Goldschmidt « Lidowitsch Mayer « Borech Jacob « Michaï Honé « Abr. Marcus « Lachmann à Berlin Reinart en Roumanie Hoveveï Zion de Russie Goldschmidt à Port Saïd Wolfsohn à Ponewege (R.)338 338
Aujourd’hui Panevezys (Lithuanie).
160 dounoums 160 80 160 80 160 40 160 80 80 80 160 160 120 200 80 40 160
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Brandi à Pétach-Tikveh Dinovitz « Orliansky « Lifkis « Winckler « Jalowski « Moïse Raab « Israelit « Jérémie Simon « Panigel frères « Joseph Hadad « Leib Lifschitz « Machnés « Swoyatski frères « Juda Behor « Hodorov « Pinchassovitch «
80 dounoums 80 80 80 120 40 40 160 40 80 80 80 80 160 60 80 80
Ichilov « Nussbaum à Jérusalem Blumenthal « Kaufmann «
80 160 80 80
Abou Salant Herschler Sofer Zwi Herschler Jos. Zissermann Lederberg Feingel Nelkin
« « « « « « « «
40 40 80 120 80 160 120 80
Levensohn « Flor Benitsch « Mayouchos « Mandelmann « Mechutan « Goldmann « Rocover « Helperin à Jérusalem Mayer Dob « Rakevir « Pinsker à Jérusalem Fichmann «
160 160 160 80 40 40 40 40 40 40 40 80
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Leib Zeitlin Sam. Rechtmann Raab Jacob Schereschevsky
« « « «
160 dounoums 40 40 80
Joulis Communauté hongroise Boulkind à Jehoudieh Schalit Salomon Leib Guttmann Haym Scherzer à Jaffa
« «
40 800 80 320 80 40 160
« « «
Mograbi « Haym Pinsker « Diskin à Grodno Oscher Blum en Amérique Routes, ravins
80 80 160 320 483
Schlossberg à Pétach-Tikveh Lifschitz « Kolinsky « Dobry « Feinstein « Sandler « Herz Mayer à Ponewego (R.) Moïse Roubin « Sender Medownik à Byalistock Schatz « Melamed « Broïdé à Ponewege Jehiel Mayekesch à Ponewege Gordon à Byalistock Nemkovitsch à Byalistock Montagu à Londres Salomon à Jérusalem Pinès « Hoveveï-Zion en Russie Koppelmann à Petach Tikveh Paris Routes, ravins
80 160 160 80 80 80 80 160 80 80 80 80 160 160 80 80 160 160 80 80 400 118
Ensemble
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Pour que le terrain ne devienne pas Machloul (c.à.d. propriété du Gouvernement comme non travaillé), les nouveaux acquéreurs, qui, pour le moment, ne voulaient pas venir sur place, en cédèrent des portions à quelques pauvres, qui n’avaient qu’à labourer et récolter. Et lorsque ces fraîchement débarqués à la colonie n’avaient pas assez de terrain, ils ne s’inquiétaient pas. Ils labouraient dans le voisinage, celui qui avait été laissé en friche. Puis, comme il existait déjà des sociétés palestinophiles en Russie, les plus malheureux se basèrent aussi sur les secours qu’ils pourraient soutirer à ces sociétés. Ces sociétés consentirent à tendre la main à certains d’entre eux. Seulement, elles avaient été mal guidées et ne firent pas tout le bien qu’elles désiraient. L’argent fut donné sans discernement. A l’un on accorda du terrain, et pas de maison ; tel autre fut secouru par une maison, lequel n’avait pas assez de terrain ; un troisième reçut du bétail, qui n’avait pas d’écurie, etc. etc., tandis qu’elles auraient fait mieux de choisir les meilleurs travailleurs et de les mettre en état de devenir de vrais colons. Et dans les premières dix années, ce système n’a guère changé. La seule acquisition convenable faite, à cette époque, fut celle de Mr Lachmann de Berlin, d’environ neuf cents donoums de terres. Il fit construire une vraie maison de fermier sur sa propriété, au centre du village, où MMrs Barnett339, Stampfer et Guttmann eurent aussi, peu à peu, leurs maisons. Malheureusement Mr Lachman fut très mal secondé par les gens qu’il avait mis à la tête de son affaire, de sorte qu’il fit continuellement des sacrifices inouïs, presque en pure perte. Lorsque les premiers pionniers, qui avaient construit leurs habitations non loin des marais de l’Odja, furent pris de peur et délaissèrent tout, les fondateurs se virent perdus. Ils ne se rendaient pas compte des causes qui avaient produit ces maladies, et avaient, naïvement, cru que toute la propriété état malsaine au même degré. Ils eurent l’idée surprenante d’acheter une trentaine d’hectares de sables à deux lieues de là, dans le village de Jehoudieh, afin d’y élever les constructions nécessaires aux colons, qui viendraient travailler toute la journée à Pétach-Tikveh et rentreraient passer la nuit à Jehoudieh. Idée incompréhensible qui mérite d’être communiquée à tous ceux qui ont l’intention de fonder des colonies, pour ne pas réussir. Et ce qu’il y a de plus curieux et d’incroyable, c’est que ce plan fut mis à exécution. Mr Guttmann en tête, et d’autres à sa suite, en vrais moutons de Panurge, au nombre de douze, se firent construire des maisons d’habitation à Jehoudieh, et y firent creuser un puits tellement profond, qu’une simple noria ne put leur donner de l’eau. 339
Cf. p. 297.
Chapitre LVIII SECOURS DE MONSIEUR LE BARON
C’était à l’époque où Monsieur le baron donna quelques subsides à Rischon-le-Zion. Mr Hirsch s’adressa également à lui pour les gens de Jehoudieh et de Pétach-Tikveh. Il obtint une petite machine à vapeur pour la première et une noria pour la seconde. Les misères que le Gouvernement leur suscitait d’un côté, à cause des constructions de Jehoudieh, la persuasion où ils étaient, peu à peu, que la colonie n’était pas si malsaine qu’ils avaient cru au commencement, furent cause que ceux qui avaient des moyens, se mirent, résolument, à se faire construire des maisons d’habitation au centre de Pétach-Tikveh, non loin du puits. Monsieur le baron leur concéda aussi un jardinier, dans la personne de Mr Alhatef Behor, qui, sous la direction de Mr Cavelan de Rischon-le-Zion, y créa une petite pépinière, dans laquelle il éleva des eucalyptus, qu’il planta bientôt pour assainir l’air, juste au centre du village ; ce fut, peu de temps après, le jardin public. Eloignés de la Hamra, la partie humide, où s’étaient établis les premiers colons, et voyant les eucalyptus pousser à vue d’œil, d’un autre côté, persuadés qu’ils avaient, maintenant, un protecteur dans la personne de Monsieur le baron, le contentement revint sur la figure des colons, et les fièvres avaient l’air de disparaître. On reconnut alors, sans peine, la bêtise qu’on avait faite, d’aller à Jehoudieh, et de ne pas avoir employé, à Pétach-Tikveh, les sommes jetées là bas, en vaines et inutiles constructions. Il restait encore à acheter des paysans de Mlabbés un quart du terrain du village, qui était englobé dans celui de Pétach-Tikveh. Grâce aux lots que Mr P.340 vendit encore en Russie, il réunit assez de fonds pour faire cet achat. Avant de continuer, je ne dois pas oublier de parler d’une personne, qui, alors, habitait Jaffa, et qui a rendu le plus grands services aux colonies de ce rayon, indistinctement. Ce fut feu Abraham Moyal341, consul de Perse. Il prit à cœur tout ce qui pouvait intéresser les colonies, et négligea ses affaires 340
Non identifié. A. Moyal (1850-1885) immigra en 1860. Il se consacra surtout à l’achat de terres pour la colonisation. 341
CHAPITRE LVIII : SECOURS DE MONSIEUR LE BARON
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et sa santé, afin de voir ces nouvelles créations arriver à un résultat. Il n’avait d’autre intérêt à s’en occuper, que le bien qu’il voyait, en le faisant. C’était à lui que le docteur Adler342 de Londres, Mr Wisotzki343 de Moscou, et tant d’autres adressèrent les fonds qu’ils avaient ramassés pour PétachTikveh, et qu’il se chargeait de distribuer au mieux. Il mourut subitement, et Pétach-Tikveh fut, de nouveau, livré à lui-même. Un moment Monsieur le baron crut pouvoir en faire quelque chose, et, sous l’instigation de Mr Hirsch, y plaça, comme sous-administrateur, Mr Haym344, jeune professeur de l’Alliance à Mikveh Israël, qui se retira bientôt. Il fut remplacé par Mr Ossowetzki, qui y resta jusqu’à son départ pour Rosch-Pinah. Pendant sa gestion, Monsieur le baron accorda à la colonie un rabbin, des professeurs d’hébreu et d’arabe, des bains pour les hommes et les femmes, une sage-femme et une pharmacie dirigée par un officier de santé. Chaque semaine, le médecin de Rischon-le-Zion venait y visiter les malades. Afin d’arriver à mettre la colonie sur un pied convenable et la ramener à la vie, Monsieur le baron commença à payer les impôts arriérés et donna ordre à Mr Ossowetzki d’acheter, pour son compte, tous les lots non occupés par leurs propriétaires, et qui étaient soit à Jérusalem, soit en Russie, en Amérique etc. La tâche ne fut pas facile. Il parvint, tout de même, à réunir, ainsi, trois cents hectares disséminés sur toutes les parties de la colonie. Il y en a qui, avant de vendre, demandèrent quelques semaines de réflexion, et qui ont attendu huit et dix ans avant de répondre. Pourtant, tous les détenteurs ne voulurent pas se dessaisir de leurs propriétés. Il suffit que Monsieur le baron montrât des intentions de protéger la colonie, pour qu’immédiatement les idées de lucre et de spéculation entrent dans l’esprit de quelques propriétaires. Une masse de gens, trouvant que les loyers étaient trop élevés à Jaffa, estimant aussi qu’on leur donnerait du travail plutôt, s’ils demeuraient sur place même, se mirent à acheter, non plus des lots entiers, voire même des demi ou des quarts de lots, mais une simple petite parcelle de terre, sur laquelle les nouveaux venus élevèrent des constructions avec des lattes, rembourrées de pierres et crépies. Ces maisons ont une très belle apparence, mais n’ont pas beaucoup de durée. Le dounoum se vendait de huit à dix francs. Lorsque cette rage de construire prit les étrangers, quand les propriétaires virent que le hameau 342 S’agit-il de Nathan Marcus Adler, qui fut grand rabbin de l’Empire Britannique de 1844 à 1890 ou de son fils Hermann qui lui succéda dans cette fonction de 1891 à 1911 ? 343 Kalonymos Zeev Wissotsky (1824-1904), le fondateur de la compagnie de thé qui porte son nom, soutint très activement les Hovevei Sion de Russie. 344 Non identifié.
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allait devenir un village, qui, dans leur esprit, ferait bientôt place à une ville, il n’y eut plus de limites pour les prix demandés, et, ce qu’il y a de plus remarquable, acceptés avec plaisir. On commença à vendre le dounoum au prix de cinquante francs, – alors qu’on l’avait payé dix francs, de deuxièmes ou troisièmes mains, – puis cent, deux cents, trois cents francs. Ce qu’on peut appeler un boom. En 1893, j’ai voulu faire ouvrir un chemin en un certain endroit de la colonie, pour le bien général, on n’a pas craint de me réclamer cinq cents francs du dounoum. Il est vrai que ces dernières années, on vendait, couramment, à Rischonle-Zion, le dounoum de terrain pour emplacement de maisons, dans les parties saines et élevées, à mille francs. A Paris même, les prix des terrains n’ont pas si rapidement augmenté, et dans de pareilles proportions. Gare à la spéculation, si un vent adverse vient, inopinément, souffler là-dessus. Ce sera un véritable krach. C’est forcé, car tout a été exagéré. On ne s’étonne donc pas, si je dis qu’aujourd’hui, PétachTikveh renferme, pour le moins, cent ménages. Sont-ils tous colons ? Il s’en faut de beaucoup. Monsieur le baron en reconnaît, au maximum, une trentaine de familles. Et voici comment on est arrivé à la constatation de ce nombre. Par suite de ces hauts et de ces bas successifs que vit la colonie, sans autorité, tout alla à vau-l’eau. MMrs Guttmann, Salomon et Pinès s’en désintéressèrent complètement, laissant, à chacun, le soin d’agir à sa guise. Monsieur le baron, quoique très ennuyé de la situation, ne voulut pas que la colonie fût entièrement abandonnée à elle-même. Elle eut été, irrévocablement, perdue. Il remplaça Mr Ossowietzki par Mr Aboulafia de Damas, qui, depuis, alla diriger Yessod Hamalah.
Chapitre LIX PROCÈS
Les Arabes des environs se mirent à empiéter sur le terrain de PétachTikveh, et, de tous les côtés, on vola par centaines de dounoums. Les colons jetèrent les hauts cris. Ils avaient pleinement raison. En effet, si on avait laissé les choses aller leur train, aujourd’hui la colonie n’aurait plus le tiers de ses terres. Tout aurait bientôt été entre les mains des fellahs voisins. Seulement, ces paysans considérèrent leurs rapts comme bonnes prises et furent sourds à toutes les réclamations qui leur furent adressées. Toutefois, il fallait mettre un terme aux vols de fellahs. Si la colonie avait appartenu à un unique propriétaire, la chose serait allée plus facilement. Mais on ne raisonne pas aisément avec tant de personnes, les unes plus originales que les autres, surtout si on leur parle de la solidarité. On avait peur de se mettre en mauvais termes avec le voisin très influent. Personne n’avait le courage d’attacher le grelot. A la fin, Monsieur le baron voulut bien se charger de l’affaire. Il se fit délivrer une procuration, avec carte blanche, par tous ceux qu’il avait sous la main, et commença le procès. Ce procès coûta les yeux de la tête, un temps infini et des démarches à faire perdre la raison au plus entreprenant. Et pourtant Mr Bloch ne se laissa décourager par rien et par personne. Les misères que lui causèrent les voisins très puissants, ne se racontent pas. De quoi faire dresser les cheveux sur la tête. On alla jusqu’à l’accuser d’avoir, à Pétach-Tikveh, tiré sur un des arabes, alors qu’il n’avait pas quitté Rischon-le-Zion. Et ce qu’il y a de plus surprenant, c’est qu’une trentaine de fellahs en témoignèrent devant le tribunal, sous la foi du serment. Mr Bloch en appela à Beyrouth, où, comprenant le guet-apens dans lequel on voulait le faire tomber, les juges plus sages et plus clairvoyants que leurs collègues de Jaffa, l’acquittèrent et condamnèrent la partie adverse aux dépens. J’ai expliqué, plus haut, que, malgré cet arrêt, les faux témoins ne furent pas poursuivis, parce que ce n’est pas la coutume, et, demain, ils recommenceront de plus belle, sans se gêner, puisqu’ils ne risquent rien. Ce procès avait duré un peu plus d’un an. En fin de compte on s’arrangea avec les voisins. Chaque colon, comme Monsieur le baron aussi, et tous les propriétaires, perdirent quelques dounoums par lot. Le lot primitif, en en défalquant les routes et les vols, avait été réduit à soixante et dix dounoums, de quatre vingts qu’il avait été lors de l’achat, au début.
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Une remarque à faire. Si Monsieur le baron entra dans la perte comme tous les autres, pour dix dounoums par lot, il n’en paya pas moins, à lui tout seul, tous les frais du procès, qui avaient été énormes, comme il avait soldé les impôts arriérés, sans qu’aucun des propriétaires fît seulement mine d’y contribuer en quoi que ce fût. Il est vrai qu’ils s’abstinrent aussi de le remercier. La reconnaissance est une belle chose. Cependant, après ce procès, les démarches pour la délimitation définitive des limites de la colonie, furent plus faciles à faire. Le Gouverneur de Jérusalem, poussé par le Grand Vézir, à qui j’avais fait une visite à Constantinople, envoya une commission sur place. On fixa des bornes, on dressa une carte de Pétach-Tikveh, qui fut signée officiellement, ne varietur, par tous les membres de cette commission, et, de cette manière, on arriva, enfin, à savoir à quoi s’en tenir. C’était en 1893, donc quinze ans après le premier achat. Immédiatement après, Monsieur le baron, pour plus de précautions encore, fit creuser un ravin autour de toute la colonie et y fit planter une large ligne d’eucalyptus.
Chapitre LX INSTALLATION DES COLONS
Monsieur le baron tenait à avoir, autant que possible, ses différentes acquisitions en un seul tenant. Il y a, à Pétach-Tikveh, quatre sortes de terrains, soit sablonneuses, salées, de moyenne et enfin de bonne qualité. Il s’entendit avec les divers propriétaires, qui ne demandaient pas mieux. Et il prit, pour lui, cent hectares de bonne qualité, cent cinquante hectares des sablonneux, les vingt hectares de terres salées, et pour le surplus, soit environ quarante hectares, les marécages et les terres moyennes. Sur la proposition de Mr Bloch, les colons formèrent, entre eux, une commission, et se partagèrent le reste, de telle manière que chacun d’eux eût une part de bonne qualité et une de moyenne. Grâce à un arpenteur qui existait parmi eux, ils arrivèrent à faire un partage régulier et équitable. Ils établirent un livre de cadastre, où la portion de chacun est indiquée et acceptée par sa signature. Alors revint sur le tapis la question de savoir ce qu’on ferait de la colonie, des colons, des étrangers et du terrain. Problème difficile à résoudre. Il y avait d’abord Mr Lachmann, qui était libre de faire ce qu’il voulait et qui ne s’est jamais beaucoup inquiété de ce qui l’entourait. Ensuite, il existait à Jérusalem un comité austro-hongrois, qui avait huit cents dounoums. Monsieur le baron avait consenti à les lui acheter. Mais ce comité avait posé des conditions inacceptables. Venait, ensuite, Mr Barnett, qui a une affaire à Londres, et qui n’est colon que de nom, et enfin Stampfer, qui, longtemps, n’avait en tête que de revendre des portions de son terrain à des prix élevés, et qui, s’est décidé, maintenant, à faire une orangerie. Je ne parle pas des détenteurs, qui demeurent en Russie, et qui, alors, ne donnèrent, pas signe de vie. Il n’était pas possible de s’occuper de ces gros bonnets. On ne pouvait, non plus, penser à installer ceux qui, au pis aller, avaient acquis vingt ou trente dounoums de terrain. On compta ceux qui avaient, au minimum, un lot. On en trouva vingt huit familles. On y ajouta trois aide-jardiniers et surveillants, qui n’étaient plus nécessaires. Ces trois colons supplémentaires ne furent toutefois installés, que lorsque les vignes furent terminées. J’écrivis à Monsieur le baron, que s’il voulait faire quelque chose de convenable de ces vingt huit colons, il devait donner, à chacun d’eux, cent
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dounoums de son terrain. Avec ce qu’ils avaient, ils pouvaient s’adonner, un peu, à l’arboriculture, à côté de la grande culture, et, si, après cet essai, ils ne parvenaient pas à se suffire, il n’y avait qu’à ne plus s’occuper de cette colonie. Je reçus, là-dessus, le mot suivant : « Examinez à Pétach-Tikveh, comme à Maskéreth-Bettya, la situation des colons pour le travail en commun. Je crois que, comme pour toutes les choses nouvelles, cela marche mal. Mais, dans la suite, cela changera, quand on en aura l’habitude. Je ne vois pas grand mal, du reste, à ce que, dans ces deux colonies, cela traîne un peu. Tout cela changera, quand cela marchera bien à Zicron-Jacob et à Rosch-Pinah. Cela donnera un coup de fouet. Il ne faut, donc, pas trop tôt jeter le manche après la cognée. »345
Je n’ai jamais été un partisan du travail en commun. Cela ne peut guère donner de bons résultats. Je m’empressai donc de démontrer à Monsieur le baron, qu’après douze ans que la colonie avait été fondée, il vaudrait mieux sortir du provisoire, et installer, une bonne fois, les colons, le plus convenablement possible. Il me répondit au mois de juin 1890 : « Votre projet ne me plaît pas, pour la rétrocession de tout le terrain. Je crois bon de conserver, au moins, douze cent dounoums pour faire des jardins. » L’année suivante, je revins sur la même question, et j’ajoutai : « Si vous gardez tout le terrain pour vous, que ferai-je des 28 familles. » Au mois de juillet 1891, Monsieur le baron me répondit : « Mais que ferai-je, dites-vous mon cher Scheid, des 28 familles ? Comme je vous a dit : les maintenir dans la même situation, en leur donnant, de temps en temps, des secours, suivant le besoin. Une fois que, grâce aux différents treuils, cent cinquante hectares seront défrichés pour vignobles, je serai d’avis, alors, sans leur en parler d’avance, de donner ces 150 hectares de vignes à ces 28 familles, en les échangeant contre leurs terres. » Comme à l’arrivée de cette lettre en Palestine, j’y étais malade, Monsieur le baron confirma la chose, au mois d’octobre 1891, à Mr Bloch, en y ajoutant ce qui suit : « Quant au travail à faire à Pétach-Tikveh, voici comment je désire qu’il soit organisé. Je veux séparer, entièrement, ma propriété de celle des colons, et faire travailler, là, par le treuil à vapeur, et avec les autres treuils, en attendant, les terres légères, sablonneuses que j’ai, en les faisant défricher purement et simplement pour la culture de la vigne. Il doit y en avoir environ 150 hectares. » On choisit donc les terres les plus sablonneuses dans la propriété de Mr le baron. C’étaient en tout cent vingt cinq hectares. On fit comprendre aux chefs des vingt huit familles, que ces vignes seraient pour eux, s’ils les établissaient bien et s’ils montraient de la bonne volonté au travail. 345
Elie Scheid revient ici sur ce problème, qui a déjà été évoqué pus haut. Cf. p. 88.
CHAPITRE LX : INSTALLATION DES COLONS
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Mr Behor Alhadef était allé à Yessod-Hamalah. Son successeur fut Mr Cohn346, de Jérusalem, ancien élève des écoles d’agriculture d’Angleterre, Allemagne et de Montpellier, et ex-bras droit de Mr Cavalan. Mr Cohn se mit immédiatement à l’œuvre et entreprit le défrichage de ces vingt cinq hectares avec un treuil à vapeur, et un autre traîné par trois paires de mulets. Il fit ainsi une centaine d’hectares, commença une pépinière d’oliviers, de mûriers et de quelques autres arbres fruitiers, planta quelques eucalyptus et quelques peupliers le long de l’Odja, s’occupa un peu de grande culture, et finalement fut envoyé dans le Djolan, pour y créer, également, une pépinière. Il fut remplacé par Mr Apfelbaum, fils d’un colon de Zicron-Jacob, ancien élève de l’école d’agriculture de Rouïba. Il compléta le greffage sur pieds américains des cent cinquante hectares de vignes, éleva et planta des eucalyptus dans les terrains marécageux et tout autour de la colonie. Ces eucalyptus couvrent aujourd’hui une superficie de dix sept hectares et demi, et sont au nombre de quarante et un mille cinq cents. Il fit également sortir, peu à peu, des pépinières, les mûriers devenus assez gros. On y compte, en place, quinze mille cinq cents sur une étendue de soixante hectares. Ces mûriers, avec les cent trente hectares de vignes, furent donnés aux trente une familles347, et Monsieur le baron se fit rendre par ceux des colons qui en avaient, la même quantité de dounoums de terrain, non plantée, que celle qu’il leur donnait, couverte de vignes. Ils ne furent débités que de la main d’œuvre et des plants afférents à leurs lots respectifs. Ils seraient mal venus de dire que la vigne leur coûte trop cher, vu que les colons actuels y ont toujours travaillé à titre d’ouvriers. Outre ce qui précède, Mr Apfelbaum, qui continua sans cesse le défrichement, fit, pour le compte de Monsieur le baron, sur ses terrains à lui, cinq mille cent oliviers sortis greffés des pépinières, sur une surface de cinquante hectares et demi. Ainsi que ceux de Maskéréth-Bettya, ils sont de toute beauté. Et pour ne pas perdre la partie restée vide entre les arbres, Mr Apfelbaum y fit planter du Geranium-Rosa, ainsi que sur quarante hectares de mauvaises terres, et qui dépassent le chiffre de quarante mille pieds. La même chose a eu lieu à Rischon-le-Zion, où Mr Dan Bril, comme Mr Apfelbaum à Pétach-Tikveh, sont les chefs distillateurs et font de l’excellente essence, qu’on trouve meilleure que celle de l’Ile de la Réunion. Monsieur le baron fit encore créer des orangeries, mêlées de cédratiers, pour son compte. Il y a, aujourd’hui, vingt huit mille sujets, qui vont être en plein rapport, et qui couvrent une surface de trente hectares. 346 347
Sans doute Ch. Cohn. Voir p. 199. Trois familles avaient rejoint les 28 précédentes.
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Comme essai, Monsieur le baron y possède encore douze cents amandiers sur trois hectares, quatre cents pommiers sur un hectare et quelques centaines de pieds de rosiers sur un demi-hectare. Monsieur le baron eut encore l’idée de faire l’essai du thé. Comme les graines qu’on demande, en Extrême-Orient, sont pour la plupart mal choisies, afin qu’elles ne lèvent pas, Monsieur le baron prit la résolution d’envoyer sur place Mr Schalit, jeune jardinier, fils d’un colon de Rischon-le-Zion, et ancien élève de Montpellier. Mr Schalit se rendit donc aux Indes, et eut le talent d’y obtenir des graines fraîches qu’il rapporta. Il en planta à Yessod-Hamalah, à Zicron-Jacob et à Pétach-Tikveh, et il faisait la navette entre les trois colonies, pour surveiller cette plantation, à laquelle Monsieur le baron tenait beaucoup. Malheureusement, le climat n’est pas assez humide en été, en Palestine, et les plantes dépérirent peu à peu à Yessod-Hamalah et à Zicron-Jacob. Le jeune Yehilov348, aide-jardinier à Pétach-Tikveh, spécialement chargé de surveiller cette plantation, s’y était donné corps et âme. Aussi y trouve-t-on, aujourd’hui, trois cents soixante sujets beaux et forts, qui ont déjà fleuri, et produit des graines. Ces graines acclimatées dans le pays, et semées à leur tour, donneront, peut être, plus de réussite que les premières. C’est l’avis de Monsieur le baron, que je ne partage pas. Dès que Monsieur le baron s’intéresse à une colonie, les colons et les spéculateurs en profitent. Du moment que Monsieur le baron fait de la vigne, c’est qu’il prendra le raisin, c’est qu’il se verra forcé d’y construire une cave. Immédiatement les colons surgirent de terre. Le comité austro-hongrois de Jérusalem vendit sa propriété par petites parcelles, les autres détenteurs en cédèrent, de leur côté, à des prix élevés, et les colons indépendants se sont empressés de faire des orangeries, et ont, à l’heure qu’il est, environ cent cinquante hectares de vignes. Pétach-Tikveh a donc pris, depuis peu, une extension considérable. Il est vrai que de 1878 à 1891, c’est à dire durant treize ans, on n’a fait que piétiner sur place. Mr Apfelbaum continue, tous les ans, à ajouter quelques oliviers et quelques orangers aux anciennes plantations. C’est lui qui surveille, en chef, le thé, à la place de Mr Schalit, qui donna sa démission. Jusqu’en 1891, c’est à dire aussi longtemps que la colonie était en somnolence, Mr Ermens et moi, quand nous étions obligés, à chacune de nos inspections, d’y passer la nuit, nous étions logés dans des taudis que je n’ose pas décrire. En 1888, Monsieur Ermens y vint, avec moi, pour la première fois. J’y eus une espèce de lit, tandis que lui dut dormir dans un
348
Non identifié.
CHAPITRE LX : INSTALLATION DES COLONS
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pétrin. Il ne pouvait s’y remuer. Cependant le colon S.349 qui nous hébergeait, voulut nous montrer les talents culinaires de sa femme et nous servir un diner de princes. Les Arabes riches, pour vous honorer, mettent une odeur quelconque dans le café qu’ils vous servent. Les pauvres n’ayant rien de ce genre à leur disposition, y ajoutent un peu de cannelle. Donc, aux yeux de la généralité, la cannelle est ce qu’il y a de plus sublime. Notre colon n’eut garde de l’oublier. Après avoir avalé le potage, nous vîmes mettre sur la table une énorme volaille. Mr Ermens se mit en devoir de la découper. « C’est curieux, disaitil, comme elle sent la cannelle. » « C’est probablement la farce qui se trouve à l’intérieur, lui répondis-je. » Bref, il l’ouvrit et en sortit une poulet. Ce poulet, à son tour, renfermait un pigeon, lequel était bourré de cannelle. Je vous fais grâce de nos observations après cette découverte. Plus d’un, à notre place, eut sauté cette colonie, plutôt que d’y accepter des abris et des repas, comme ceux qu’on nous y offrait. Mais n’ayant toujours en vue que l’Œuvre à laquelle nous nous étions voués, nous ne comptions pas nos personnes, et nous négligions nos personnes et notre santé, pour laquelle nous pâtîmes plus tard. On ne plaisante pas avec le corps humain, et on ne reste pas toujours jeune et fort. Enfin, avec Mr Gross, successeur de Mr Aboulafia, il y eut du changement. Il fut chargé de construire une maison d’administration, dans laquelle j’eus une chambrette, quand j’y venais. Mr Gross, chassé par les fièvres, quitta, fut remplacé par Mr Sitt, qui, à son tour, céda la place à Mr Charcoun, lequel en allant à Maskéreth-Bettya, eut pour successeur Mr Farb350, sorti rabbin du Séminaire Israélite de Paris. Monsieur le baron y acheta la maison d’un Mr Cohn, frère du jardinier351, et en fit une école, dans laquelle on enseigne le français, l’hébreu, la couture et un peu de tissage. Il y a quatre ans, un juif russe remit à Mr le docteur Joffé alors président du Comité des Hoveveï-Zion à Jaffa, la somme de huit mille francs pour la construction d’une synagogue à Pétach-Tikveh. Mr Joffé les remit à Mr Farb et celui-ci en fit commencer la construction. Naturellement, pour une communauté comme celle de Pétach-Tikveh, il faut un temple d’une grande dimension. C’est, en effet, la plus remplie de toutes les colonies. Mais que pouvait-on faire avec huit mille francs ? Monsieur le baron eut, alors, la bonté d’y ajouter encore vingt cinq mille francs. La construction fut terminée 349
Non identifié. Originaire de Jassy (Roumanie), Menachem Farb (1868-?) termina ses études rabbiniques au Séminaire de Paris en 1892. Il résida en Palestine de 1893 à 1900. Par la suite rabbin à Paris. 351 Ch. Cohn. Cf. p. 197. 350
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et le temple fut inauguré, en ma présence, au printemps de 1898 ; il est beau, grand et de construction bien comprise. Malgré cela, si la colonie augmente et prospère comme je le lui souhaite, la synagogue, comme celle de Zicron-Jacob, sera encore trop petite pour contenir tous les fidèles, qui ne cessent de s’y rendre. Une particularité est à noter à son sujet. Dans toute son étendue, le temple est carrelé avec des carreaux rouges, noirs et blancs. Ils font un effet charmant. Et ils ont été fabriqués sur place, par un de habitants de PétachTikveh. Il y a là, peut être, le commencement d’une nouvelle industrie en Palestine.
Chapitre LXI JEHOUDIEH
On a vu, dans le chapitre consacré à Pétach-Tikveh, comment les mêmes créateurs arrivèrent à faire construire, par les futurs colons, une douzaine de maisons à Jehoudieh, où les trente hectares ne furent achetés que dans ce but. Le Gouvernement voyait d’un mauvais œil, qu’on rendît la vie à des sables improductifs, et assigna les fondateurs de ce nouveau petit centre devant la justice, pour s’entendre condamner à démolir les maisons de Jehoudieh. Avec le sérieux qui convient à des magistrats, on demanda, en effet, à ces pauvres diables, de renverser ce qu’ils venaient de construire. Ils interjetèrent appel à Jérusalem, et là, le premier jugement, fut, naturellement, confirmé. Ils allèrent en cassation à Constantinople, d’où, enfin, on fit dire aux autorités locales, que, d’après les lois turques, on ne pouvait pas toucher à une construction sous toits. C’est à croire que les magistrats ne connaissent pas la loi en Turquie. En attendant ces malheureux avaient dû dépenser une masse d’argent, dont une partie fut couverte par le Dr Hildesheimer352 de Berlin, une autre par les Hoveveï-Zion de Russie, et le reste par Monsieur le baron. On est porté à s’avouer que ces genres de procès n’avaient été intentés, que pour pousser à la dépense. Lorsque les premiers colons de Pétach-Tikveh eurent quitté Jehoudieh, on en enleva, en même temps, la petite machine à vapeur, qui fut utilisée à Rischon-le-Zion, et on la remplaça par un moulin à vent. Celui qui persista à y rester le plus longtemps fut Mr Guttmann, le fondateur de Pétach-Tikveh. Il mourut. Parmi les quelques fugitifs, qui s’étaient casés à Jehoudieh, se trouvait un tisserand, Bulkind353, juif russe. Il était excessivement industrieux et habile. Il confectionna, lui-même, sur place, aussi primitivement que possible, tous les instruments et toutes les machines nécessaires à son métier. Il n’avait ni turbine, ni machine à vapeur, pour faire marcher son établissement. Sa femme et ses filles les remplaçaient, en 352 Le rabbin Ezriel Hildesheimer (1820-1899), fondateur du Séminaire Rabbinique de Berlin, ou peut être son fils Hirsch (1855-1910), un des promoteurs de l’organisation Esra, fondée à Berlin en 1884, la correspondante allemande des Hovevei Sion russes. Cf. p. 95. 353 David Elhanan Bulkind-Grinberg arriva à Pétach Tikvah en 1883 et ouvrit un atelier de tissage à Yahoud, où il fabriqua aussi bien des Talit que des Abaya à partir de 1887. Technicien au service des caves de 1889 à 1900.
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faisant tout tourner à la force du poignet. Il fabriquait des Abayas (manteaux arabes). Seulement, il n’arriva pas à lutter, pour le prix, avec les Arabes de Damas, et il fut forcé de tout abandonner, d’autant plus qu’il avait aussi perdu les deux tiers de sa force motrice, par le mariage de ses filles. Il finit par aller travailler, comme ouvrier, à la forge de Rischon-leZion. Le grand problème, à côté de tant d’autres, qui reste à résoudre, c’est celui qui concerne cette douzaine de maisons qui existent à Jehoudieh, et dont personne ne sent plus le besoin. Si on les abandonne, elles tomberont en ruines, et les matériaux seront volés. Si on les loue, on n’en retirera rien, et même les pauvres ouvriers qui les occuperont, ne sauront être qu’une charge pour Pétach-Tikveh. Là, encore, dans ces sables, on pourrait créer une plantation d’oliviers, qui y viendraient aussi bien que ceux qu’on rencontre à l’entrée de Gaza, dans le même genre de sable, et qui y existent depuis des siècles. Les ouvriers, qui occuperaient les maisons, donneraient, de temps en temps, un labour autour de ces arbres. Puis ils pourraient facilement se livrer à l’élevage du bétail et de la volaille, recueillir des œufs, du lait, du beurre et du fromage pour la ville et les nombreux bateaux de passage à Jaffa. Avec un peu de bonne volonté, on tirerait un excellent parti de ce coin perdu.
Chapitre LXII WOUAD ACHNIN
Un de plus grands ennemis de la colonie de Rischon-le-Zion se rencontre, quand on en sort pour se rendre à Maskéréth-Bettya. Ce sont des dunes de sable, qui ont toute l’apparence de vouloir, un jour, anéantir la colonie, si on ne prend pas de précautions, pour retenir les sables. Au bout de vingt minutes on rencontre l’ancienne ferme de Mr Ruben Lehrer, qui l’avait achetée, peu de temps après la création de Rischon-leZion. Il y avait fait des orangeries, y avait installé des ruches pour du miel, mais finit par voir que l’entreprise était trop lourde pour ses épaules, et se décida à en vendre quelques parcelles de terres à une douzaine de colons, venus d’un peu partout. Ils font la vigne et sont admis à livrer leur raisin dans les caves de Rischon-le-Zion. En 1898, l’Jca a pris en mains les intérêts de cette petite colonie appelée aussi Nachlath Ruben354. Elle fit construire des maisons et des écuries à ceux des colons qui en manquaient, et leur fit, en outre, des avances pour l’achat du bétail.
354
Cf. p. 265 note 319.
Chapitre LXIII REHOBOTH
Une heure plus tard, on rencontre une colonie appelée Rehoboth. En 1889, une société de Varsovie, nommée Menouchah-Venachlah, acheta environ dix mille dounoums de terres, en cet endroit dénommé Diran355. Elle en céda quelques centaines de dounoums à des particuliers et envoya, sur place, un jardinier et un administrateur du nom de Levin-Epstein356, pour faire travailler tout le bloc, pour le compte des membres de cette société, qui étaient restés à Varsovie. Naturellement, ayant la facilité de livrer leurs raisins dans les caves de Rischon-le-Zion, ils se mirent à planter des vignes dans la plus grande partie des terres, et quelques centaines d’amandiers et d’oliviers. Depuis peu la société Esra de Berlin y a acquis quelques centaines de dounoums, et y a mis cinq ouvriers des colonies, à qui elle fit construire des maisons. Ils travaillent leur petit lopin de terre, et, dans leurs moments perdus, sont à la journée, chez les autres colons.
355
Hirbeth-Douran. L’éditeur Elyahou Zeév Lewin Epstein (1864-1932), un des initiateurs de la société Menouchah-Venachlah, immigra en 1890 et fut un des fondateurs de Rehovoth. Il termina ses jours en Amérique. 356
Chapitre LXIV KATRA
Avec les colons de Rischon-le-Zion étaient venus en Palestine, quelques étudiants russes, qui voulurent se destiner à l’agriculture. Ils ne purent rester à Rischon-le-Zion, et trouvèrent des âmes charitables, qui achetèrent, pour eux, trois à quatre mille dounoums de terres, entre Ekron et Custinié. Une partie été convertie en vignobles, et l’autre sert à faire la grande culture. Le raisin est livré dans les caves de Rischon-le-Zion. Ils eurent d’abord pour administrateur Mr Michel Pinès de Jérusalem, qui céda la place au Comité des Hoveveï Zion de Jaffa, lorsque celui-ci fut créé. Monsieur le baron, pris de pitié de ces gens, qui avaient eu, longtemps, à souffrir de la soif, car, au début, ils ne buvaient que l’eau des ravins, leur fit creuser un puits, et leur donna, en même temps, une noria. De reconnaissance, ils appelèrent ce puits Le puits Benjamin (nom hébraïque de Monsieur le baron.) Depuis deux ans, l’Jca s’en occupe également, et leur a déjà fait construire un moulin à vapeur. Ce sont d’excellents travailleurs qui arriveront à quelque chose. Ils ne l’auront pas volé.
Chapitre LXV ARTOUF
En se rendant de Jaffa à Jérusalem, et en approchant de la Ville Sainte, le chemin de fer traverse un bloc de montagnes, qui ont une certaine ressemblance avec celles des Balkans. Même nudité, mêmes sites sauvages, sur lesquels les reflets du soleil vous éblouissent complètement. Au haut d’une de ces montagnes un peu moins nues que les autres, à votre gauche, vous apercevez une immense bâtisse, qui a l’air d’être un caravansérail. C’est ce qu’on appelait Artouf, ou la colonie fondée par la mission protestante anglaise, il y a environ vingt ans. On y acceptait des juifs russes et roumains, qui, à leur arrivée, étaient sur le point de mourir de faim ; on les nourrissait, eux et leurs familles, on les hébergeait et on leur promettait l’installation, comme colon, à condition qu’au bout d’un certain temps, ils se convertiraient. Passablement des ménages, fraîchement débarqués, suant la misère et ne sachant que devenir, se laissèrent, dans ces moments critiques, séduire par l’appât de ce morceau de pain, dont ils avaient un si pressant besoin. Ils se rendirent de Jérusalem à Artouf, consentirent à y rester quelques semaines ou quelques mois. Et le jour où l’appétit était redevenu normal, qu’ils virent qu’ils avaient acquis assez de forces pour supporter, maintenant, les privations, plutôt que lors de leur entrée en Palestine, ils quittèrent Artouf et cherchèrent une autre occupation. Fait excessivement curieux à noter : malgré toutes les avances faites par les missionnaires, qui dirigeaient cet établissement, ils ne sont pas arrivés, dans douze ou quinze ans, à garder un colon juif. A la fin, fatigués de ces insuccès, ces Messieurs vendirent leur propriété à des juifs bulgares, qui s’adonnent à la grande culture. Il paraît que sur le versant de la montagne, opposé à celui qu’on voit du chemin de fer, il y a de bonnes terres. Tant mieux. Je souhaite à ces braves gens beaucoup de réussite dans leur entreprise.
Chapitre LXVI CUSTINIÉ
En 1888, deux délégués russes de la Bessarabie vinrent à Paris trouver Monsieur le baron, pour le prier de leur faire acheter, en Palestine, un lot de terrain suffisant pour y installer vingt cinq familles. Monsieur le baron ne voulait pas recommencer l’histoire d’Ekron. Il refusa. Ils mirent tant d’obstination dans leur demande, gagnèrent à leur cause MMrs Zadoc Kahn et M. Erlanger, qui intervinrent pour eux, et que Monsieur le baron finit par céder aux conditions suivantes : Les vingt cinq familles verseraient la moitié du prix d’achat au comptant, dès qu’on leur aurait fait connaître le montant. Elles se rendraient en Palestine avec leurs propres ressources. Elles travailleront les terres, qui leur auront été achetées et seraient payées comme si les hommes étaient des journaliers. Le bénéfice servirait à leur faire construire des maisons, des écuries, à leur acheter le supplément de bétail, et à solder le prix du terrain.
Ces Messieurs les délégués acceptèrent avec joie toutes les conditions. Monsieur le baron chargea Mr Ossowetzki de lui procurer un terrain pour eux. Celui ci acquit d’un Mr Isaac Arié357 de Jérusalem environ six mille dounoums de terres situées à Custinié, entre Gaza et Ascalon. Le sol était excellent, et surtout bon pour la culture du froment. A peine l’achat fut-il annoncé à ces Messieurs en Russie, qu’ils se rendirent à Odessa, où ils s’embarquèrent pour Jaffa. Ils avaient, auparavant, versé les sommes qu’ils avaient promises. Ils prirent possession de leur terrain, logèrent sous la tente, pendant qu’on leur faisait construire des baraquements. On y ajouta une baraque servant de synagogue, une autre contenant le four de la communauté, pour la cuisson du pain et du manger du samedi. On fit élever une immense écurie, avec hangar, pour y abriter le bétail nécessaire. On fit creuser un puits, pour les besoins de la colonie et d’une pépinière à créer. Monsieur le baron y envoya aussi un jardinier pour y élever les arbres que les colons y prendraient, plus tard, pour les routes et les champs. Le jardinier y eut sa maison. Et quand tout fut prêt, ils ne voulurent plus respecter leurs promesses. Ils demandèrent à être maîtres, immédiatement, de tout, n’entendirent pas
357
Non identifié.
310
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travailler comme il avait été convenu, et crurent qu’ils allaient être traités, comme dans le temps, les Ekroniens. Mais, justement, les Ekroniens avaient donné une bonne leçon à Monsieur le baron. On en a bien profité. Monsieur le baron refusa de se laisser faire la loi par les nouveaux venus. On les renvoya, tous, en Russie, en leur rendant leur argent, et en leur payant les frais de voyage. Deux familles restèrent. Monsieur le baron y laissa le jardinier, qui éleva, dans sa pépinière, des arbres pour les autres colonies. On y mit des ouvriers, qui travaillèrent à la journée. Quelque temps après, Mr Abr. Grunberg358 d’Odessa en reçut treize cents dounoums, contre ceux qu’il avait cédés à Yessod-Hamalah. Mr Grunberg est le président de la société des Hoveveï-Zion de la Russie. Cette société s’entendit, il y a environ quatre ans, avec Monsieur le baron et lui acheta le terrain, les baraquements et tout ce qui se trouvait à Custinié. Par son comité de Jaffa, elle fit choisir quinze des meilleurs ouvriers des colonies du pays et les y installa, avec les deux familles de la Bessarabie, qui étaient restées sur place. Ils y font la grande culture et ont tout pour réussir.
358
Cf. p. 201.
CONCLUSION361
En résumé, si nous considérons le nombre d’années que les colonies existent, nous croyons qu’on a assez bien travaillé pour la production de tous les arbres qui sont en place, dont la nomenclature suit, et qui, comme on l’a vu dans le cours de ces mémoires, vont tous être en rapport. En oliviers promettant un bel avenir, les colonies ont, à demeure fixe Les mûriers nous présentent un ensemble de Comme abricotiers, nous trouvons Tandis qu’en amandiers, il y a Les pêchers sont au nombre de Les orangers et les cédratiers nous donnent le chiffre respectable de et les figuiers sont arrivés au chiffre de Dans le Djolan, il y a, en peupliers Enfin, comme eucalyptus, les colonies sont couvertes de
104000 arbres 156000 « 8200 « 75400 « 13000 «
de sorte que nous arrivons à
818300 sujets,
55300 6400 80000 320000
« « « «
qui, s’ils se trouvaient réunis en seul endroit, représenteraient, déjà, une superficie convenable. Je passe sous silence plus de deux mille hectares de vignes, qui ne sont pas venues, du jour au lendemain, non plus. Tous ceux qui critiquent l’Œuvre de Monsieur le baron Edmond de Rothschild, ne se rendent pas compte d’une chose : c’est que si les Hoveveï Zion en Russie et en Roumanie ont eu l’idée de créer des colonies en Palestine, il y a bon temps qu’on n’entendrait plus parler ni d’eux ni de colonies, si Monsieur le baron n’avait pas eu la généreuse idée de prendre l’Œuvre en mains. Et qui nous dit que si le feu baron de Hirsch a fondé des colonies agricoles juives dans la République Argentine, ce n’était pas par imitation de ce qu’avait essayé, avant lui, Monsieur le baron Edmond de Rothschild ? Nous pouvons donc ajouter que l’unique et le véritable promoteur de toutes les colonies est Monsieur le baron Edmond de Rothschild.
361
L’auteur a ajouté son monogramme ES au dessous du titre.
312
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Fonder des colonies agricoles en Europe ou dans l’île de Chypre, en Tunisie ou en Amérique, etc. est la chose la plus facile du monde. Mais en Turquie ! Mais en Palestine !! Que d’intérêts a-t-on l’air de léser, sans s’en douter ? Que de difficultés ne vous soulève-t-on pas ? Je pourrais faire un ouvrage spécial, si je voulais raconter, par le menu, toutes les misères qui ont été suscitées aux colonies de Monsieur le baron Edmond de Rothschild. Dieu merci, aussi longtemps que je m’en suis occupé, j’ai obtenu beaucoup de choses. J’ai pu avoir la permission de construire partout. J’ai toujours réussi à entretenir les meilleurs rapports avec les autorités à Constantinople et en Syrie. Je suis arrivé, avec assez de peine, à ravoir Samarin, qui avait été saisie. Je suis arrivé à mettre toutes les colonies au nom de Monsieur le baron Edmond de Rothschild, leur véritable propriétaire. J’ai montré dans le courant de cette histoire, combien j’ai eu de félicitations dès le début, et pour les organisations que j’ai faites, et pour l’affaire de Samarin, et pour les transferts, et autres multiples questions plus que délicates, de Monsieur le baron. J’ai toujours cherché à rendre la tâche aussi facile que possible à mon ou plutôt à mes successeurs, car je défie un seul, quel qu’il soit, de faire ce que j’ai fait, en consacrant une grande partie des nuits à tout le travail qui m’était réservé. Lorsqu’en 1891, j’ai quitté le Comité de bienfaisance pour consacrer tous mes instants à l’Œuvre de colonisation, on a dû me remplacer par trois employés. Je pense que, pour les colonies, une demi-douzaine n’est pas de trop. Pour une fois, je n’ai pas besoin d’être modeste. Les grosses difficultés ont été aplanies. On peut parler franchement, aujourd’hui, à toutes les autorités. On n’a besoin de rien leur cacher. Du reste, Sa Hauteur le Sultan a reconnu, officiellement, les colonies. Sous ce rapport, comme sous celui des logements, de la nourriture, des voyages dans l’intérieur, mes successeurs seront bien plus heureux que je l’ai été, avec mes tâtonnements et essais forcés. Mes seize années de travail incessant pour les colonies, et mes vingt deux inspections, ont, de beaucoup, facilité la voie à ces Messieurs. Je leur souhaite tous les bonheurs, et surtout peu de fièvres. Et puisque je considère cet historique, un peu, comme mes Mémoires, je me permets de relater, ici, quelques extraits, encore, des dernières lettres que j’ai reçues de Monsieur le baron, et qui n’ont pas pu être transcrites dans le cours de ma narration. Elles montreront à mes lecteurs que j’ai toujours fait plus que mon devoir et que, sous ce rapport au moins, je puis me montrer satisfait. En 1895, au mois d’octobre, il m’écrivait à Constantinople : « Mon cher Scheid, Je vous remercie de toutes vos lettres. J’ai, au reçu de votre dernière, répondu de suite : « Oui, certainement. » Je vous connais, je sais vous apprécier…. Je
CONCLUSION
313
sais que vous n’agissez pas à la légère. Je vous suis donc aveuglément et fais ce que vous me demandez… A revoir, mon cher Scheid, je vous salue cordialement, Bien à vous, Edmond. » En 1897, j’étais, comme de coutume, revenu malade. Les médecins m’envoyèrent au bord de la mer, à Boulogne. Là, Monsieur le baron m’écrivit : « Mon cher Scheid, Je reçois vos lettres. Je connais ces vertiges. Cela s’appelle la fièvre larvée. Ils doivent vous venir aux mêmes heures. C’est un effet salutaire des bords de la mer, une forme modifiée, qui indiquent une prochaine guérison…. Je vous salue cordialement, Edmond de Rothschild. » Rappelé à Paris le mois suivant, par les couches de ma fille, je reçus de Monsieur le baron la lettre suivante : « Août 1897. Mon cher Scheid, En arrivant à Stockholm, j’ai trouvé des lettres de vous. J’y ai vu que vous étiez revenu à Paris, appelé par l’heureux événement qui vous donne un petit fils. Je vous envoie donc mon Mazeltow, et vous ai, de suite, adressé une dépêche, pour vous envoyer, en mon nom et en celui de ma femme, mes meilleures félicitations. Vous savez combien je vous suis attaché, combien, outre les grandes qualités de votre esprit, je sais reconnaître toutes celles de votre cœur, et vous pouvez comprendre que je me réjouis sérieusement, avec vous, de votre bonheur, et j’espère que Dieu vous donnera pour votre petit fils toutes ses bénédictions. Je ne puis vous écrire beaucoup. Je suis fatigué de ma cure et déprimé, mais mieux pourtant. Je vous salue cordialement, Ed. de Rothschild. » En 1898, je revins encore et toujours malade de mon inspection, dans les colonies. Les médecins m’envoyèrent à Baden-Baden. Là, je reçus, au mois de juillet 1898, la lettre suivante de Monsieur le baron : « Mon cher Scheid, Je vous remercie de votre lettre. Je vois avec regret, que vous avez encore des fièvres. Ce régime des douches et le bon air des forêts de sapin doit vous les faire disparaître bientôt. J’en suis convaincu …. A revoir, mon cher Scheid, soignez vous bien et remettez votre santé, qui m’est chère, comme à tous ceux qui aiment un homme qui s’adonne au bien. J’espère que vous irez mieux et vous salue cordialement, Edmond de Rothschild. » Enfin, en lui annonçant les fiançailles de mon fils, je reçus, encore, de lui, la lettre suivante : « Août 1898. Mon cher Scheid, Je veux vous dire toute la part que je prends à votre joie, et tous les vœux que je forme pour le bonheur de votre fils. Ce mariage me paraît s’annoncer sous les meilleures auspices, et j’espère que vous trouverez dans le bonheur de vos enfants tout celui que vous méritez. Je vous salue cordialement, Edmond de Rothschild. » Fin. Paris, le 31 décembre 1899.
INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX1 Ne comprend pas les noms des acheteurs de terres de Petach-Tikvah (p. 284-285 et 288-290). Aaron 239 Aaronsohn Aaron 249 Aaronsohn Ran 11. Abischoua, descendant d’Aaron 238 Aboulafia de Damas 203, 294, 301 Abraham 43, 48, 143 Abramovitsch Mordecai 101, 106 Acre, Saint Jean d’Acre 54, 64-65, 72-73, 81-85, 89, 105, 134, 139-140, 161-162 Adamieh 175 Adler Herman, Grand Rabbin à Londres 293 Adler Jacob, pharmacien 116, 160 Adler Joseph 116 Adler Marcus, Grand Rabbin à Londres, 293 Afrique 101 Ahmed Pacha 216, 223 Aïn (Eïn) Zeïtoun, Ein Zeitim 16, 196, 212214, 249 Akiba ben Joseph 146 Al-Biréh, Biréh, près Ramallah 241 Al Cheik Saad, voir Darra 221 Alchimister Mayer pharmacien 253 Alep (Aram Tsova) 31, 53 Alexandrette 6, 21 Alexandrie 5, 127-128, 176, 178, 183, 185, 227, 261 Alger 92 Algérie 108, 110, 259 Alhadef (Alhatef) Nissim Behor 202, 292, 299 Allan (Nahr-el-Allan), rivière, 190, 222 Allemagne 4, 41, 98, 103, 261, 299 Allevard 193 Alma 203, 205 Alsace 4-5, 10, 73, 158, 176, 179, 258 Amérique 2, 87, 99, 110, 115, 142, 165, 204, 211, 216, 280, 290, 293, 306, 312 Amir Aaron 11 1
Les noms de lieux sont en italiques.
Andelsmann 249 Angleterre 109, 216, 261, 299 Apfelbaum Meir 92, 299-300 Aphéka (Fick) 188-189, 192 Aram Tsova voir Alep Arcel chimiste 204, 249 Argentine 311 Arié Isaac 309 Artouf (Har Touv) 16, 308 Ascalon 238, 309 As-Suweyda voir Suvési 190 Atlit 69, 122 Auscher (Ausscher, Oshri) Isaac 70, 84, 86, 101, 105, 154, 157-159, 248-249 Autriche 41, 78, 196, 261 Axler (Wexler) Chalom pharmacien 116 Ayoun Kara 226, 231, 250, 284 Aziz Pacha 193 B. Effendi 82 Baalbeck 186 Bab-el-Ouad 26 Babylonie 45, 147 Baden Baden 184, 313 Baedecker guide 94 Bâle 184 Balkans 308 Baltimore 270 Banias 206 Barbier 127 Barnett de Londres 291, 297 Bath Schelomoh (Oum-el-Djoumal) 68, 87, 104, 106-107, 109, 111, 121-122 Beer Touviah 16 Béhar Nissim 31, 242 Behor voir Alhadef Bélus fleuve (Naaman) 139-140, 161 Benchimol Jacob 68, 105, 107, 113-115, 126-130, 135, 158-159, 161, 163, 227, 229, 247, 250, 259
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SIMON SCHWARZFUCHS
Ben Danou jardinier 110, 115, 249 Bénédic Sylvain 199 Benjamin II 165 Ben Jehoudah Eliezer 249 Benyamina, Binjaminah 71 Berkovitz Yehiel 223 Berlin 116, 260, 288, 291, 303, 306 Berne 183 Bessarabie 109, 309-310 Bethel 241 Beth Hakerem (Ramah) 142 Betha Kar ruines 215 Bethléhém 42, 198 Beyrouth 6, 10, 22, 60, 65, 70, 78-79, 82, 127-128, 132, 138, 142, 146, 159, 162, 168, 176, 182, 188, 193, 195, 216, 231, 244, 261, 295 Bilenki 249 Bir puits 140 Bir Yaqub monastère 240 Biré, voir Al Biréh Birié (Birya) 194 Biskra 53 Bliden Isaïe docteur 159-160, 248 Bliden Flora 165 Bloch Alphonse 176-178, 248, 250-251, 253, 259, 261, 266-267, 280, 295, 297-298 Blumenfeld jardinier 204 Boaz 144 Boris (Ossowetzki) 259-260, 267 Boukchechter Vve sage femme 160 Boukchechter Zwi Hirsch le jeune jardinier 196, 214 Boukhara 146 Boulogne 313 Bouskéla 115, 119 Brasseur Louis père 60, 66, 78 Braun Isidore 216 Brégué (Tel Burga) 71 Bretagne 251 Bril Abraham 91, 95, 279, 281-282 Bril Daniel (Dan) 91, 115, 218, 251, 267, 299 Brociner chimiste 204, 249, 259 Brody 70, 84, 154, 247 Bulkind-Grinberg David Elhanan 303 Byalistock (Byalostock) 216, 273, 285, 288, 290 Cabaa Machanaïm 154, 195 Cachemyr 108, 249, 258
Caïffa voir Haïfa Californie 110 Cannes 204 Cana 198-199 Cantor Elie 129 Capharnaum, Kefar Nahoum ruines 169 Carmel hôtel Haïfa 58 Carmel mont 58, 161 Cassar de Jaffa 284 Cavelan F.G. jardinier 61, 68, 115, 228, 247, 249, 251, 269, 292, 299 Cavelan jeune/frère jardinier 61, 279 César docteurr 97 Ch. chef jardinier 197, 204 Champ de Jacob 240 Chanaan 240 Charcoun Mordecai (Marcus) administrateur 252, 267, 281, 301 Chasfon, Chisfin, Chispin 189 Château Lafite 113 Cheikh Jouseph 207 Cheikh-Ul- Islam 77, 79-82, 244 Cheik-Saad (Al Cheik-Saad) à Darra 221 Chourvé synagogue 30, 39 Chypre 63, 92, 312 Ciffrin (Tsiffrin) Haym professeur 105 Cisjordanie 168 Cocab ruines 215 Cohanesco docteur 160, 218, 220, 222, 248 Cohn comptable 200 Cohn Albert 41, 77 Cohn Hayyim 196 Cohn frère du jardinier 301 Cohn jardinier 197, 204, 214, 224, 299, 301 Coire 184 Constantinople 8, 44, 64, 77, 79-81, 84, 89, 112, 155, 176, 180-182, 216, 229230, 243-244, 250, 261, 296, 303 Curland Moïse 61 Custinié, Qustinié, Qastinié 16, 201, 204, 252, 278, 307, 309-310 Dabarié, Dabourya 194 Damas 78, 93, 137, 187, 189, 203, 213, 218, 224, 238, 240, 244, 294, 304 Danube 1 Darbela (D’Arbela) Isaac Grégoire docteur 101-102, 252 Darra (Al Cheik Saad) 221
INDEX DES NOMS
Davos 158 Déborah, tombe de 206 Deshayes Jules jardinier 158, 161, 165, 168-169, 195-196, 249 Dherkounia, Hurvat Drakmoun 85 Diezengoff, Diezengoff 169, 191-192 Diran, Hirbeth Douran (Rehovoth) colline 265, 306 Djennin 232-233, 237, 241 Djeïde, Djedeidah 88 Djillin village 215-217, 224-225 Djolan (Golan) 16, 157, 168, 175, 187, 189, 215, 217-218, 221, 223, 299, 311 Djouhadar ruines d’un village 220 Dor 85 Dreyfus capitaine (affaire) 82 Dreyfus Gaston caissier-comptable 159, 200 Druzes 209, 215 Dugourd Justin jardinier 61, 63, 65, 67-69, 72, 83, 90-92, 95, 115, 123, 150, 154, 158, 161, 227-228, 249 Dupin maître de chai 127, 249, 259 Dupuy maître de chai 127, 249 Dupuis maître de chai 258 Duverban 187 Egypte 6, 17, 43, 57, 61, 73, 185, 227, 233, 239, 248 Ein Gev 187 Ein Zeitim, Ein Zeitoun voir Aïn Zeitoun 213 Ekaterinoslaw (Dniepropetrovsk) 215 Ekron 46, 68, 70, 86, 91, 94, 105, 115, 158, 176, 214, 247, 253, 274-276, 279, 307, 309 El Al 189 El Aqsa 40 El Djedour 189 El Djenani (Sassa) rivière 191 El Hammi 186 Eliezer fis de Schimon bar Johaï 146 El Samra sur le Wadi Samar 187 El-Silsileh, mosquée de la chaîne 40 Ephraïm 240 Ephrata 42 Epstein Ch. 215-216, 222-223 Erlanger Michel 77, 84-85, 180, 216, 227, 229, 309 Ermens Adèle 173 Ermens Gérard 52-54, 108, 110, 112-114, 127, 168-169, 172-173, 176, 179, 197, 213, 218, 249, 254, 258-259, 300-301
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Esbekieh (jardin de l’) 108 Espagne 91, 151, 158 Esra (Berlin), œuvre, 212, 303, 306 Etats Unis 159, 253 Ettinger Emile Isaac 158, 161, 165, 178179, 247-248, 250, 252, 263 Europe 1, 2, 6, 18, 30, 32, 35, 42, 88, 93, 97, 100, 121, 140, 142, 144, 157, 174, 177, 196, 207, 209, 217-218, 247, 266, 277-279, 286-287, 311 Faidherbe capitaine 108 Farb Mendel 301 Feinberg Joseph de Jaffa 215, 227 Ferm 194 Fick (Aphéka) 188-189, 192 Focşani 1 Fort Siméon 49 Foray P. jardinier 115, 249 France 3, 6, 9, 10, 16, 24, 41, 61, 66, 93, 108, 110, 115-116, 127, 155, 158, 172, 179, 182, 196, 248, 258, 270 Francfort sur le Main 42 Franck Emile 22, 58, 60, 66, 138, 149, 176, 216-217 Franck Madame 176 Friedenwald Aaron 270 Friedmann de Rosch-Pinah 172 Fureddis 69, 71, 73, 119, 121-122 G. docteur 237 G. rebelle 66 Gadara, Hamat Gader (Oum-Mkeis) 170, 173-174, 185, 188 Galata 230 Galatz, Galats (Galati) 1, 6, 15, 22, 58-59, 77-78, 89, 133 Galicie 31-32, 142, 212 Galilée 46, 70, 92, 196, 203, 206 Garizim, Har Hagarizim mont 239 Gaza 201, 227, 238, 278, 304, 309 Gederah 2, 176, 248 Genève 115 Genève lac de 48 Golan voir Djolan Gold Moché Hirsch jardinier 214, 249 Goldberg Eliakim docteur 98. Voir Montdor docteur Goldenberg Israel 154 Goldstein J. (Isaac ?) 129, 249 Graf Joseph Salomon jardinier 204
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SIMON SCHWARZFUCHS
Graf Pessach Alter jardinier 204 Grignon 249 Grodno 32, 290 Gross J. 248, 301 Grunberg Abraham foudrier 127, 257 Grunberg Abraham d’Odessa 127, 201, 203, 310 Grungrad Nathan 286 Guelberg tonnelier 127 Guissin 249 Guttmann et cie 15 Guttmann (Guthmann), un des fondateurs de Petach Tikveh, 284, 286, 288, 291, 294, 303 Haguenau 3, 4, 5, 10, 258 Haïfa, Caïffa, 6, 15-16, 20, 22, 57-62, 64, 66, 69-70, 72-74, 77-80, 85, 89, 92, 99, 105, 116, 122, 124, 126, 128, 132, 138139, 143-144, 154, 156, 161, 195, 198199, 231, 254, 286 Hamat Gader (Oum Mkeis Gadara) 170, 186 Hambourg 260 Hamburger docteur 84-85, 155-156, 159, 165, 248 Hamei Tveriah, les thermes de Tibériade 171 Hana 188 Har Hagarizim mont (Garizim) 239 Har Touv voir Artouf 16, 308 Hauran (Horan) 172, 189-190, 209, 215, 221, 224 Hazan Hayyim (Haym) 68, 127, 159, 266267, 293 Hazan Jacob caissier 159, 248 Hebron 42-44 Hédérah 16, 125, 134-135, 155, 265, 286 Hedjaz 224 Hermon 157, 209 Hérode 39 Herschkovitz Moïse Elie 275-276 Herschkuh Mayer Leib 60 Hildesheimer Azriel rabbin 103, 303 Hildesheimer Hirsch rabbin 303 Hillel 147 Hinnom vallèe du 39 Hirbeth Douran (Diran) (Rehoboth) 306 Hirsch Samuel 24, 227, 229, 249-250, 273-275, 288, 292-293
Hirsch baron Maurice de 2, 9, 135, 311 Hombourg (Bad Homburg) 169 Horan voir Hauran Hornstein Eliezer, Mouchtar (chef du lieu) 123 Horovitz (Hurwitz) Samuel Abele jardinier 196-197 Houlé lac 201 Hovevei Sion (Tsyon) 1, 2, 58, 127, 135, 201, 223, 285, 293, 301, 303, 307, 310311 Hurvat Drakmoun (Dherkounia) 85 Ibrahim Pacha 105 Inde, Indes 107, 109, 147, 151, 254, 300 Isaac bar Napacha 146 Italie 91, 115 Itzhack Nabi 146 Izmir (Smyrne) 6, 17, 20-21, 110, 119, 176, 195-196, 214, 249 Izza Aboud 143, 163 J. ami de Scheid 73 Jacob 43, 140 Jacob, champ de 240 Jacob, pont des filles de 168 Jacob, puits de 240 Jaffa 5-6, 15, 17, 19, 23-24, 26, 35, 46, 50, 54, 57, 70, 93, 102, 113, 116, 121, 127128, 135, 154, 159, 176-178, 182, 202, 226-227, 229-230, 247-248, 251-252, 255, 261-263, 269, 273-274, 280, 284, 286, 290, 292-293, 295, 301, 304, 307-310 Jaffa, porte de 93 Jaony (Rosch Pinah) village 137, 155, 158, 194, 231 Jardin de Samuel 135 Jassy 301 JCA (ICA) 9, 10, 92, 135-136, 171, 212, 305, 307 Jehoudah heHassid Segal Halevi 30 Jéhoudiéh (Yehoud) 16, 291, 303-304 Jéricho 46, 48, 51, 55-56 Jérusalem 1, 6, 11, 23, 25-26, 30-31, 33-36, 41-43, 46, 48-50, 52, 54, 56, 71-72, 86, 93-94, 99, 113, 116, 147, 152, 229, 234-235, 239, 241-242, 244, 247-248, 251-252, 255, 261, 266, 269, 280-281, 285-287, 289-290, 293, 296, 297, 303, 307-309
INDEX DES NOMS
Jesriel (Jesreel) plaine de 234 Jethro 52 Jochanan ben Zacaï 30, 147, 152 Jochanan Sandler (Ha Sandlar) 146 Joffé Hillel docteur 115, 248, 301 Josaphat, vallée de 287 Joseph 240 Joseph, puits de 169 Josué 40 Joubla ruines 215 Jourdain 6, 15, 46, 49, 51, 55, 137, 168, 170, 172-174, 185, 192, 199, 201, 206, 211, 218, 224 Judée 6, 50, 168, 248-249 Kedés Nephtali 206 Kaisermann 248 Kahn caissier-comptable 159 Kalkilia 70 Kaminitz père et fils hôteliers 94, 171, 176 Kastinié, Qastinia, Custinié, Qustinié 115, 176 Katra 16, 252, 264-265, 271, 307 Kattowitz 2 Katz 260 Katz Motel 154 Kauffmann B. maître de chai 127, 249 Kazanlik 204 Kazanovski maître de chai 260 Kefar Nahoum, voir Capharnaum, 169 Keferein (Ouadi Kafroun) rivière 52 Kenakir, Kankar 191 Kiriath Arba 44 Kischon (Mokatta) rivière 139 Klein Alexandre docteur, 97, 115, 117, 248 Kleinman 106 Klotz 249 Kohn docteur 116 Kothel Mearabi (Maarabi) 39 Koufer Hareb, Kfar Haroub 187 Kouneitra, Kuneitra 189, 192 La Châtre 182 Lachmann 284, 291, 297 La Mecque 21 Lascovski Jacob 280 Latroun 26 Layoum 250, 264 Le Caire 108, 186, 261
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Lehrer Ruben (Nahalat Reuben) 265, 305 Leibovitz 249 Lenclos Ninon de 182 Levantin (Levontin) Zalman David 226, 266 Lévin 214 Levin (Lewin) Epstein Eliyahou Zeev, éditeur 306 Levita Salomon menuisier 275, 280 Levy Lazare professeur 165 Lituanie 252 Livourne 16 Loebel enfants 85 Loebel Isaac de Galatz 58, 72-73 Loebel famille 78, 89 Loebel fils 77 Loire 4 Londres 2, 74, 109, 160, 165, 285, 290, 293, 297 Loti Pierre 46, 203 Lubovski 211-212 Luisenbrunnen 169 Lustgarten Hillel jardinier 115, 249 Lyon 183, 193 Lyon administrateur 248 M. Pacha 245 Machanaim, Machnaim, Cabaa Machnaim 154, 194-195, 212 Magdala, Megdel 150, 170 Majd-al-Kroum, Mech-el-Croum 142-143 Malaga 110, 194 Mamilla léproserie 25 Manassé 240 Mansour marais 247, 275 Marmara mer de 244 Maroc 146, 149, 158, 247, 266 Maroutié 203, 205 Marseille 5, 17, 127, 178-181, 183, 231 Masié Aaron Meir docteur 50, 176-178, 252 Massada 89 Mayer oculiste à Paris 252 Mazkéréth (Maskéréth) Bettya 16, 95, 105, 250, 252-253, 266, 273, 276, 279, 282-283, 298-299, 301, 305 Mech-el-Croum voir Majd-al-Kroum Médoc 258 Megdel, Magdala 150 Meir Anschel (Meir Schefayé Rothschild) 87
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Meir Baal haNess 171 Meir Schefayé, Schefayé 68, 87, 107, 109, 111-112, 118, 121-122 Mer de Loth 48 Mer Ionienne 19 Mer Morte 46, 48-39, 51-52 Mer Noire 1, 244 Méron 144-146, 148-151, 156, 164 Méron, lac de 157, 166, 199, 201, 203 Mersina (Mersin) 21 Messine 19, 20 Métoulé, Métouleh, Metoulah, Mettoullé, 16, 203, 206-209, 249, 273 Mexico 253 Mexique 176 Meyersohn Emile Azriel 195 Mikveh Israel 6, 10, 23-25, 50, 68, 70, 84, 154-155, 202, 227, 247-248, 257, 260, 264, 273, 275, 293 Miller Nahoum mécanicien 126 Minsk 135, 213 Mischmar Hayarden 16, 159-160, 192, 211212 Mlabbés (Pétach Tikvah) 284, 286, 292 Moab 49 Mohilewer Samuel 135, 273, 280 Mokatta (Kischon) rivière 139 Moldavie 15 Monge consul 86 Montdor (Goldberg Eliakim) docteur 98, 100-105, 248 Montefiore Moses 43 Montmorency 128 Mont Napoléon 140 Mont Moriah 39 Mont Sion 239 Montpellier 91, 110, 115, 155, 299-300 Montupet machine 259 Moréth (Mearath) HaMachpélah 43 Morgenstern 63-65 Mortier 113 Moyal Abraham, consul de Perse 292 M. Pacha 245 Moscou 293 Mrarié 194 N. (Netter Arnold ?) docteur 180 Naaman (Bélus) rivière 139 Naan, Nané 274, 279, 283 Nahalat Reuben, voir Lehrer Reuben 265, 305
Nahef village 142-143 Nahmanide 143 Nahr-el-Allan (Allan) rivière 190 Naplouse 232, 235-239, 241 Napoléon mont 140 Naura (Nora) docteur 159, 165, 248 Nazareth 198 Néhémie 239 Neiger pharmacien 160 Nephtali 206 Nescher parfumeur 204 Neslay 87, 92, 119, 125 Nessler chimiste 249 Ness Siona 16, 91, 265 Netter Arnold (?) docteur 180 Netter Charles 25, 70, 154 Neumann 275-276, 282 Neustein caissier-comptable 159, 200, 248 New York 31, 215 Niégo Joseph 25, 199 Nil 53 Nimerovitsch 215 Nimrin (Ouadi Nimrin) ruisseau, 52 Nora docteur, voir Naura Odessa 201, 309-310 Odja (Yarkon) rivière 284, 286, 291, 299 Omar, mosquée d’ 40 Oshri voir Auscher Ossovezki Boris, (Boris), maître de chai, musicien 70, 253, 259-260 Ossovetzki Osée, Josué 70, 84-85, 154, 158-159, 168, 171, 201, 209, 218, 222, 224, 247-251, 253, 288, 293, 309 Ouadi Kafroun (Keferein) 52 Ouadi Nimri 52 Oum-el-Djoumal (Meir Schefayé, Bath Schelomoh) 87, 104, 106-107 Oum-el-Tout 98, 107, 118, 122, 126 Oum-Mkeis (Gadara, Hamat Gader) 170, 173, 175, 186 Oustinof Plato von 202 P. (Mr) 292 Padoue 115 Palerme 18 Palestine 2, 5-6, 8, 13, 15, 23, 27, 32-35, 41, 58, 64, 78, 87, 90, 93, 95, 103, 109110, 120, 128, 131, 133-135, 137, 144, 146, 148, 159, 161, 163, 165, 171, 180181, 193, 195, 197-198, 203, 209, 217,
INDEX DES NOMS
227-228, 252, 266, 270-272, 275, 281282, 284-288, 298, 301, 307-309, 311312 Papo Jacob chef mécanicien-forgeron 24, 256, 267 Papo jardinier 204 Paris 2, 3, 5, 7, 16-17, 20, 46, 50, 53, 60-61, 64, 70-73, 77, 79-80, 82, 84, 92, 101, 103-105, 108, 112-113, 115, 117, 128-129, 158, 160, 180-181, 185, 195, 204, 214, 216, 227, 238, 246-247, 252, 256, 259, 261, 266, 273, 294, 301, 309, 313. Pascal Joseph 91, 195-197, 204, 249 Pascal Peretz chimiste 91, 196, 218, 249 Pékah 162, 164 Pékiin 161 Penso caissier-comptable 159, 200, 248 Péra 230, 245 Perse 292 Pétach Tikveh (Tikvah) 6, 15, 70, 91-92, 94, 158-159, 176, 196, 202-203, 247248, 253, 265, 284-286, 289-298, 300304 Pétach Tikveh liste des acquéreurs 284285 Pétach Tikveh liste des acquéreurs 288290 Peychaud maître de chai 108, 249, 258259 Phéniciens 139 PICA 11, 135 Picquart 82 Pilpoul, 127, 260 Pinès Yechiel Michel 288, 294, 307 Pinès Chaya Tsiporah (Tsippa), épouse de Yechiel Michel Pinès 42 Poliakoff Jacob de 171, 203, 205 Pologne 32 Ponewege (Panevezys) 289 Pont des filles de Jacob 202 Pont des Juifs 51 Port Saïd 178, 288 Posssiselsky Tsvi pharmacien 248, 252 Puits de Benjamin 307 Puits de Joseph 169 Qastiniah, Qustinié voir Custinié Rachel tombeau de 43 Radom 24, 273, 275
321
Ramah 142 Ramallah 241 Ramey (Ramah) 142-143, 155, 161, 164 Ramley 25, 158 Ramoth Galaad (Salt) 54 Ramoth Meir 274 Raouf Pacha 34 Reggio di Calabria 19 Rehovoth (Diran) 16, 252, 265, 271, 306 Réunion, île de La 299 Rhodes, colosse de 222 Rhodes, île de 128 Rischon-le-Zion 6, 15-16, 24-25, 34, 50, 61, 64, 68, 86, 88, 91, 94, 101-102, 115, 121, 126-127, 129, 155, 158-159, 176, 180, 202, 216, 226-227, 247-250, 252-253, 259, 261-262, 264-266, 269271, 274, 281, 284, 292-295, 299-300, 303-307 Rivoli rue de 185 Rochlin chimiste 259-260 Rokéah sage-femme 116 Rome 49, 120, 290 Rosch Pinah 2, 6, 15, 61, 65, 68, 70, 73, 84, 86, 88, 91, 101, 105, 115-116, 129, 138, 143, 150-151, 153-156, 159-161, 163, 165-166, 169, 172, 188, 191-200, 203, 205, 207-214, 217-218, 232, 247, 249-250, 293, 298 Rosen 193 Rosenberg Adam 215, 223 Rosenheck Jules 92, 115, 119, 251, 267 Rothschild banque 22 Rothschild Betty de, épouse d’Edmond, 44, 93, 95, 105, 273, 276 Rothschild Edmond de (Monsieur le baron) 2, 4-11, 16, 46, 50, 52, 60, 61, 65-66, 72, 73, 77-80, 82-83, 89, 91, 93-95, 98-100, 103-105, 107-110, 112, 114-117, 119-120, 123, 126-127, 129, 134-135, 138, 148, 154- 155, 158-159, 163, 165-166, 168, 179-180, 182, 184, 189, 194-196, 201, 203, 205, 207-209, 212-214, 216-217, 222, 224, 227-228, 238, 242-243, 247, 249-252, 254-255, 257-259, 261-267, 273-282, 284, 292300, 303, 307, 309-313 Rothschild Eveline de (école) 35 Rothschild frères 41 Rothschild Gustave de (frère d’Edmond) 171
322
SIMON SCHWARZFUCHS
Rothschild hôpital de Jérusalem 52, 101, 116, 252 Rothschild James de (père d’Edmond) 41, 89, 273 Rothschid de Londres 35 Rothschild Mayer, Meir Anschel (père de James) 87 Rouïba 92, 110, 115, 299 Roumanie 15-16, 31, 34, 58-60, 71, 87, 89, 101, 131-132, 137, 223, 277, 285, 288, 301, 311 Rouqqad rivière 221 Rubinstein Josué, 102, 277, 280 Rubinstein enfant 105 Russie 1, 2, 4, 15-16, 31-32, 34, 41, 87, 93, 103, 109, 135, 154, 212-213, 216, 226, 252, 271, 273-274, 277, 285, 288289, 291, 293, 297, 303, 309, 311 Ruth 144 S. docteur 135 S. (Schoub ?) 166 S. agronome 135 S. colon de Pétach Tikvah 301 Sachem (S’ham-al-Golan), village, 215, 221, 223-224 Saffed, Safed 35, 44, 54, 65, 116, 129, 137-138, 144-151, 153, 155-156, 160166, 169-170, 172, 188, 193-194, 199, 205, 208, 212-214, 231, 235 Saint Gérasime du Jourdain monastère 49 Saint Jean d’Acre voir Acre Saint Jean du Jourdain monastère 49 Saint Moritz 116, 183, 249 Saint Petersbourg 93, 253 Saint Pierre, poisson 171 Saint Sépulcre 93 Salan (Salanter) Samuel 34 Salmon, 178-179, 248 Salomon caissier-comptable 159, 200, 248 Salomon, écuries de 40 Salomon, Pétach Tikveh 286, 288 Salonique 261 Salt (Ramoth Galaad) 46, 51, 53-55 Salz docteur 195 Samarin, Zamarin (Zicron Jacob) 6, 15, 58-61, 65-66, 69-72, 77-78, 81, 83-85, 87-89, 92, 98, 107, 118, 121, 123, 125126, 130, 133, 138, 161, 231, 238, 312 Samaritains 236, 238-239
Samuel, jardin de 135 Sandinover 106 Sarah 43 Sarona 24, 27, 263, 286 Sassa 189-191 Saulcy Louis Félicien de 171 Sbed, voir Yessod Hamaalah 201 Schapira 284 Schalit (Lippmann) Arieh Yom Tov 155, 249, 300 S‘ham-al Golan (Sachem) 221 Schamaï 147 Schefayé voir Meir Schefayé Scheid Elie 3-11, 31, 66-68, 95, 114, 116117, 180-184, 193, 237, 298, 312-313 Scheid Jules Simon 4 Scheid Mme 151, 177 Scheid-Hass Lucienne 11 Schimon bar Yohaï 146-147 Scholem voiturier 70-71, 94 Schoub Moïse David (Jankelevits) 137, 154, 212, 214 Schumacher Gottlieb ingénieur 254, 256 Schwarzfuchs Simon 10 Scopus mont 241 Sedjour village 65, 142 Seidner Joseph ingénieur 215 Sélim Khouri 70, 87, 121 Sémach 172-173 Sénégal 108 Sha’ib (Ouadi Shueb) rivière 52 S’ham-al-Golan voir Sachem Sichem (Tell Balata) 239-240 Sicile 185 Silwan léproserie 25 Simon Bar Cochba 49 Sion mont 239 Sitt J. 248, 301 Smyrne voir Izmir Soultz-sous-Forêts 258 Spector Isaac Elhanan 103 Stamboul 44, 245 Stampfer fondateur de Petach Tikveh 284, 291, 297 Starckmet Abraham Adolphe ingénieur 126, 256, 267 Stein Marc Menahem docteur 248, 252 Stern Elie pharmacien 116, 160 Stockholm 313 Subbarin village 94
INDEX DES NOMS
Suisse 158, 183, 215 Sureya Pacha 82 Sussmann Samuel voir Zussmann Suvesi, voir As-Suweyda Syrie 1, 16, 22, 58, 79, 83, 85, 90, 95, 107, 115, 146, 171, 180, 225, 244, 247, 270, 312 Syrkin Josué 213-214 Tabha 199 Taffa station du chemin de fer 224 Tantourah 58, 69, 85, 91, 122, 128-129, 133, 169 Tarnov 194-195, 212 Tel Aviv 169 Tell Burga (Brégué), 71 Tell Balata (Sichem) 240 Tell-El-Harra 190 Tell Farés 190 Tel Tchouhadar 190 Tétouan 68, 266 Thabor mont 233 Thionville 199 Tibériade 35, 94, 150-151, 159, 162, 164, 169-172, 186, 198, 202, 232-233, 236237 Tibériade lac de 145, 157, 164, 167, 169, 171, 199, 203, 218, 221 Trarieux 82 Tripoli de Syrie 6, 22 Tschiflick (grand domaine, colonie) 90 Tsiffrin Haym voir Ciffrin Tunis, Tunisie 88, 259, 312 Turquie 6, 41 Tyan de Jaffa 286 Ukraine 115 Varon architecte 129, 200, 267 Varsovie 109, 129, 260, 306 Veneziani Emmanuel Felix 2, 5, 16, 59, 66, 80, 138 Versailles 61, 91, 115, 158, 196, 279 Vichy 116, 182-183 Vienne 84, 116, 260 Viesbaden (Wiesbaden) 186
323
Wahrhaftig-Amitaï Moïse 203 Waitz Naphtali docteur 160 Weidenfeld Mordecaï 196 Weill P. 252 Weissmann hôtelier à Tibériade 150, 171, 232 Wissotsky (Visotsky) Kalonymos Zeev 293 Wissembourg 258 Wormser Léon (Judah Leib) 73, 77, 79, 83-85, 94, 99-101, 154, 159, 200, 248 Wormser Mathieu 159 Wouad-Achnin, Wouadi-el-Chanin (Ouad Achnin) 16, 94, 265, 271, 305 Yarkon (Odja) rivière 284 Yarmouck rivière 172-173, 186, 190, 215, 217, 221-222 Yehilov jardinier 300 Yehoud (Jehhoudieh) 16 Yessod-Hamalah (Hamaalah), Sbed 6, 15, 159-160, 166, 196, 199-202, 204, 206208, 212, 287, 294, 299-300, 310 Younés Shlomoh Naphtali Herts ingénieur 249, 254-256 X. 169 X. Pacha 81 Zadik Pacha 193 Zadoc Kahn 4, 77, 309 Zamarin voir Samarin, Zicron-Jacob Zanzibar 101, 252 Zicron-Jacob (Samarin) 2, 6, 15, 57, 60-61, 65, 68-70, 73, 84, 87, 89, 91-92, 94, 99, 102, 105-107, 109-113, 115123, 125-129, 131-132, 134-136, 159160, 193, 196, 198, 200, 204, 218, 228, 247, 249, 251-254, 257, 259-260, 264265, 286, 300, 302 Zola 271 Zurich 193 Zussmann (Sussmann) Samuel docteur 105, 115, 248
TABLE DES MATIÈRES
Introduction générale par Simon Szwarzfuchs .....................................
1
LES SOUVENIRS D’ELIE SCHEID SUR SES VOYAGES ET LES COLONIES JUIVES DE PALESTINE ET DE SYRIE Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre
I : Avant-propos. Voyage ....................................................... II : Palestine ............................................................................ III : Mœurs arabes .................................................................. IV : Jérusalem......................................................................... V : Hébron .............................................................................. VI : Mer Morte ....................................................................... VII : Voyage à Salt ................................................................ VIII : Zicron-Jacob. Débuts ................................................... IX : Saisie (de Samarin) ......................................................... X : Constantinople .................................................................. XI : Samarin agrandie ............................................................ XII : Voyage de Mr le baron en Palestine ............................. XIII : Révolte ......................................................................... XIV : Boutures des Indes. Annexes ....................................... XV : Nouvelle visite de M. le baron. Épilogue de l’émeute. XVI : Employés ...................................................................... XVII : Plantations................................................................... XVIII : Description de la colonie .......................................... XIX : Constructions ............................................................... XX : Sociétés et magasins...................................................... XXI : Hédérah ........................................................................ XXII : Rosch-Pinah. Débuts.................................................. XXIII : Mœurs arabes ............................................................ XXIV : Méron ........................................................................ XXV : Saffed .......................................................................... XXVI : Rosch-Pinah .............................................................. XXVII : Rosch-Pinah. Employés ........................................... XXVIII : Deuxième route pour Rosch-Pinah ........................ XXIX : Ce qu’on voulait faire pour Saffed ........................... XXX : Voyage autour du lac de Tibériade ............................
15 23 27 30 44 46 51 57 77 79 87 93 97 107 112 115 118 120 125 131 134 137 139 146 150 154 157 161 165 168
326
TABLE DES MATIÈRES
Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre Chapitre
XXXI : Mes maladies............................................................. XXXII : Suite du voyage ....................................................... XXXIII : Rosch-Pinah. Agrandissement ............................... XXXIV : Troisième route pour Rosch-Pinah ........................ XXXV : Yessod-Hamalah ...................................................... XXXVI : Métouleh................................................................. XXXVII : Mischmar-Hayarden ............................................. XXXVIII : Aïn-Zetoun........................................................... XXXIX : Djolan ..................................................................... XL : Rischon-le-Zion. Débuts ................................................ XLI : Procès ........................................................................... XLII : Voyage à Naplouse ..................................................... XLIII : Samaritains et Naplouse ............................................ XLIV : De Naplouse à Jérusalem .......................................... XLV : Nouveau voyage à Constantinople ............................. XLVI : Employés et agrandissement de la colonie ............... XLVII : Plantations. Constructions ........................................ XLVIII : Ouvriers et maîtres de chai ..................................... XLIX : Prix du raisin ............................................................. L : Pléthore de vin .................................................................. LI : Constructions ................................................................... LII : Description de la colonie ............................................... LIII : Réflexions diverses ....................................................... LIV : Maskéreth Bettya. Débuts Souvenir de Madame la baronne James de Rothschild née Betty de Rothschild ............................................... Chapitre LV : Schmita ........................................................................... Chapitre LVI : Plantations ..................................................................... Chapitre LVII : Pétach-Tikveh. Débuts ................................................ Chapitre LVIII : Secours de Monsieur le baron ................................... Chapitre LIX : Procès ........................................................................... Chapitre LX : Installation des colons ................................................... Chapitre LXI : Jehoudieh ...................................................................... Chapitre LXII : Wouad-Achnin ............................................................ Chapitre LXIII : Rehoboth .................................................................... Chapitre LXIV : Katra .......................................................................... Chapitre LXV : Artouf .......................................................................... Chapitre LXVI : Custinié ...................................................................... Conclusion .............................................................................................
176 185 193 198 201 206 211 213 215 226 229 232 236 241 244 247 254 257 261 264 266 269 271
INDEX DES
315
NOMS .....................................................................................
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TABLE DES MATIÈRES .............................................................................. 325
Collection de la Revue des études juives 1. Gérard NAHON - Charles TOUATI (ÉD.), Hommage à Georges Vajda. Études d’histoire et de pensée juives, 1980 - 1 vol. in -8° de VII + 611 pages. 2. Roland GOETSCHEL, Meïr Ibn Gabbay. Le Discours de la Kabbale espagnole, 1981 1 vol. in -8° de 565 pages. 3. André CAQUOT - Mireille HADAS-LEBEL - Jean RIAUD (ÉD.), Hellenica et Judaica, Hommage à Valentin Nikiprowetzky, 1986 - 1 vol. in -8° de IV + 520 pages. 4. Philippe GIGNOUX, Incantations magiques syriaques, 1987 - 1 vol. in -8° de 72 pages + 4 planches. 5. Roger KOHN, Les Juifs de la France du Nord dans la seconde moitié du XIVe siècle, 1988 1 vol. in -8° de XL + 358 pages. 6. Jean-Pierre ROTHSCHILD - Guy-Dominique SIXDENIER (ÉD.), Études samaritaines, Pentateuque et Targum, exégèse et philologie, chroniques. Communications présentées à la Table Ronde internationale: «Les manuscrits samaritains: problèmes et méthodes» (Paris, 7-9 octobre 1985), 1988 - l vol. in -8° de 314 pages. 7. Maurice LIBER, Les juifs et la convocation des États Généraux (1789). Réédition d’articles de la Revue avec une bibliographie établie par Roger KOHN et une introduction nouvelle de Gérard NAHON, 1989 - 1 vol. in -8° de XX + 202 pages. 8. Paul FENTON, אלפי יהודהBibliographie de l’œuvre de Georges Vajda, 1991 - l vol. in -8° de 130 pages. 9. Micheline CHAZE, L’Imitatio Dei dans le Targum et la Aggada, 1991 - l vol. in -8° de 202 pages (paru d’abord dans la Bibliothèque de l’École pratique des Hautes études, Section des sciences religieuses, Vol. XCVII). 10. Gérard WEIL, La Bibliothèque de Gersonide, d’après son catalogue autographe. Édité par Frédéric CHARTRAIN avec la collaboration d’Anne-Marie WEIL-GUÉNY et Joseph SHATZMILLER, 1991 - l vol. in -8° de 168 pages. 11. Gilbert DAHAN (ÉD.), Gersonide en son temps: science et philosophie médiévales, avec une Préface de Charles TOUATI, 1991 - l vol. in -8° de 384 pages. 12. Mireille HADAS-LEBEL - Évelyne OLIEL-GRAUSZ (ÉD.), Les Juifs et la Révolution française. Histoire et mentalités. Actes du Colloque tenu au Collège de France et à l’École Normale Supérieure les 16, 17 et 18 mai 1989, avec le concours de Geneviève CHAZELAS, 1992 - l vol. in -8° de 380 pages, illustrations. 13. Mireille HADAS-LEBEL. Histoire de la langue hébraïque des origines à l’époque de la Mishna, 1995 - 1 vol. in -8° de 220 pages. 14. Israël LÉVI, Le ravissement du Messie à sa naissance. Édité par Evelyne PATLAGEAN, 1994 - 1 vol. in -8° de 328 pages. 15. Joseph SHATZMILLER, La deuxième controverse de Paris. Un chapitre dans la polémique entre chrétiens et juifs au Moyen Âge, 1994 - 1 vol. in -8° de 136 pages. 15bis. Charles TOUATI, Le Kuzari Apologie de la religion méprisée par Juda Hallevi. Traduit sur le texte original arabe confronté avec la version hébraïque et accompagné d’une introduction et de notes, 1994 - 1 vol. in -8° de XVI + 253 pages (paru d’abord dans la Bibliothèque de l’École pratique des Hautes études, Section des sciences religieuses, vol. C). 16. Carol IANCU, Les juifs en Roumanie (1919-1938). De l’émancipation à la marginalisation, 1995 - 1 vol. in -8° de 410 pages. 17. Gilbert DAHAN - Gérard NAHON - Élie NICOLAS (ÉD.), De Rashi aux Tosafistes. Le Talmud de France. La culture juive en France du Nord au Moyen Âge, 1997 - 1 vol. in -8° de 405 pages. 18. Michel REMAUD, Le mérite des pères dans la tradition juive, 1998 - 1 vol. in -8° de 367 pages. 19. Philippe CASSUTO, Spinoza hébraïsant. L’hébreu dans le Tractatus theologico-politicus et le Compendium grammatices linguae hebreæ, 1999 - 1 vol. in -8° de 370 pages. 20. Danièle IANCU-AGOU, Juifs et néophytes en Provence. L’exemple d’Aix à travers le destin de Régine Abram de Draguignan (1469-1525), 2001 - 1 vol. in -8° de 698 pages. 21. Cyril ASLANOV, Le provençal des Juifs et l’hébreu en Provence. Le dictionnaire Sersot ha-kesef de Joseph Caspi, 2001 - 1 vol. in -8° de VIII + 232 pages.
22. Gad FREUDENTHAL - Jean-Pierre ROTHSCHILD - Gilbert DAHAN (Éd.), Torah et Science: perspectives historiques et théoriques. Études offertes à Charles Touati, 2001 - 1 vol. in -8° de V + 284 pages. 23. Henry MÉCHOULAN - Gérard NAHON (ÉD.), Mémorial I.-S. Révah. Études sur le marranisme, l’hétérodoxie juive et Spinoza, 2001 - 1 vol. in -8° de III + 562 pages. 24. Georges VAJDA, Le Commentaire sur le Livre de la Création de Dunas ben Tamim de Kairouan (Xe siècle), Nouvelle Édition revue et augmentée par Paul B. FENTON, 2002 1 vol. in -8° de VIII + 248 pages. 25. Gilles DORIVAL (ÉD.), David, Jésus et la reine Esther. Recherches sur le Psaume 21 (22 TM), 2002 - 1 vol. in -8° de VI + 401 pages. 26. Max POLONOVSKI (ÉD.), Le patrimoine juif européen, Actes du colloque international tenu à Paris au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme les 26, 27 et 28 janvier 1999, 2002 - 1 vol. in -8° de 346 pages. 27. Sophie KESSLER MESGUICH, La langue des Sages. Matériaux pour une étude linguistique de l’hébreu de la Mishna, 2002 - 1 vol. in -8° de XVIII + 258 pages. 28. Jean-Pierre ROTHSCHILD, Tables et index de la Revue des études juives. Tomes CXXXIX à CLVIII (1980-1999), 2003, - 1 vol. in -8° de IV + 349 pages. 29. Judith OLSZOWY-SCHLANGER, Les manuscrits hébreux dans l’Angleterre médiévale: étude historique et paléographique, 2003, - 1 vol. in -8° de IX + 328 pages. 30. Simon SCHWARZFUCHS, Le Mémorial de la communauté des Juifs de Carpentras au XVIIIe siècle, 2003 - 1 vol. in -8° de VI + 150 pages. 31. Adriana DESTRE - Mauro PESCE (ÉD.), Ritual and Ethics. Patterns of Repentance Judaism, Christianity, Islam. Second International Conference of Mediterraneum, 2004 - 1 vol. in -8° de XII + 167 pages. 32. Justin TAYLOR, Pythagoreans and Essenes. Structural Parallels, 2004 - 1 vol. in -8° de XI + 127 pages. 33. José COSTA, L’au-delà et la résurrection dans la littérature rabbinique ancienne, 2004 1 vol. in -8° de 663 pages. 34. Philippe PIERRET, Mémoires, mentalités religieuses, art funéraire: la partie juive du cimetière du Dieweg à Bruxelles, XIXe-XXe siècle, 2005 - 1 vol. in -8° de XXII + 285 pages. 35. Gilles DORIVAL (ÉD.), Qu’est-ce qu’un corpus littéraire? Recherches sur le corpus biblique et sur les corpus patristiques, 2005 - 1 vol. in -8° de X + 141 pages. 36. Danièle IANCU-AGOU (ÉD.), L’expulsion des Juifs de Provence et de l’Europe méditerranéenne (XVe-XVIe siècles). Exil et Conversions, 2005 - 1 vol. in -8° de XX + 335 pages. 37. Albert VAN DER HEIDE - Irene E. ZWIEP (Éd.), Jewish Studies and the European Academic World. Plenary Lectures Read at the VIth Congress of the European Association for Jewish Studies (EAJS), Amsterdam, July 2002, 2005 - 1 vol. in -8° de XIX + 163 pages. 38. Simon C. MIMOUNI - Judith OLSZOWY-SCHLANGER (Éd.), Les revues scientifiques d’études juives: passé et avenir. À l’occasion du 120e anniversaire de la Revue des études juives. Actes de la Table Ronde de Paris, 13-14 novembre 2002, 2006 - 1 vol. in-8° de X + 303 pages. 39. Bruce MITCHELL, Language Politics and Language Survival: Yiddish among The Haredim in Post-War Britain, 2006 - 1 vol. in -8° de XVIII + 176 pages. 40. André LEMAIRE - Simon C. MIMOUNI (Éd.), Qoumrân et le judaïsme du tournant de notre ère. Actes de la Table Ronde, Collège de France, 16 novembre 2004, 2006 - 1 vol. in -8° de X + 153 pages. 41. Bernhard BLUMENKRANZ, Juifs et chrétiens dans le monde occidental, 430-1096, avec une Préface de Gilbert Dahan, 1960 (2006) - 1 vol. in -8° de IV* + XIV + 440 pages (paru d’abord dans la Collection des «études juives», vol. 2). 42. Simon C. MIMOUNI, La circoncision dans le monde judéen aux époques grecque et romaine. Histoire d’un conflit interne au judaïsme, 2007 - 1 vol. in -8° de XVIII + 388 pages. 43. Bernhard BLUMENKRANZ, Les auteurs chrétiens latins du Moyen Age sur les Juifs et le Judaïsme, avec une Préface de Gilbert DAHAN, 1963 (2007) - 1 vol. in -8° de VIII + 304 pages (paru d’abord dans la Collection des «études juives», vol. 4).
44. Y. Tzvi LANGERMANN - Josef STERN (ÉD.), Adaptations and Innovations. Studies on the Interaction between Jewish and Islamic Thought and Literature from the Early Middle Ages to the Late Twentieth Century, Dedicated to Professor Joel L. Kraemer, 2007 1 vol. in -8° de X + 441 pages. 45. Karine MOEGLIN, Présence et absence juive en Allemagne: Schmalkalden 1810-2000, 2012 - 1 vol. in -8° de XXXII + 550 pages. 46. Danièle IANCU-AGOU - Car ol IANCU (ÉD.), L’écriture de l’histoire juive. Mélanges en l’honneur de Gérard Nahon, 2012 - 1 vol. in -8° de XLIII + 686 pages. 47. Nicole BELAYCHE - Simon C. MIMOUNI (Éd.), Entre lignes de partage et territoires de passage. Les identités religieuses dans les mondes grec et romain. «Paganismes», «judaïsmes», «christianismes», 2009 - 1 vol. in -8° de VIII + 502 pages. 48. Danièle IANCU-AGOU, Provincia judaica. Dictionnaire de géographie historique des juifs en Provence médiévale, 2009 - 1 vol. in -8° de XXII + 248 pages + 23 planches. 49. Henri GROSS, Gallia Judaica. Dictionnaire géographique de la France d’après les sources rabbiniques, avec une Préface de Danièle IANCU-AGOU et Gérard NAHON et un Supplément de Simon SCHWARZFUCHS, 1897 (2010) - 1 vol. in -8° de IV* + VI + 766 + XCVIII** pages. 50. Florence BOUET, Les Cantiques des degrés (Psaumes 119-133) selon la Bible grecque des Septante, 2013 - 1 vol. in -8° de XVIII + 264 pages. 51. David HAMIDOVIC, L’Écrit de Damas. Le manifeste des esséniens, 2011 - 1 vol. in -8° de XIX + 222 pages. 52. Caroline ARNOULD-BEHAR - André LEMAIRE (Éd.), Jérusalem antique et médiévale. Mélanges en l’honneur d’Ernest-Marie Laperrousaz, 2011 - 1 vol. in -8° de VI + 192 pages. 53. Bernard POUDERON, Genèse et réception du Roman pseudo-clémentin. Études littéraires et historiques, 2012 - 1 vol. in -8° de XXXIII + 346 pages. 54. José COSTA, De l’importance des textes considérés comme mineurs: l’exemple du Midrash Hallel. Traduction annotée d’un Midrash entre aggada et mystique, 2013 - 1 vol. in -8° de XIV + 476 pages. 55. Claude DENJEAN, Identités juives entre ancrages et passages en Catalogne, du XIIe au XVe siècle, 2015 - 1 vol. in -8° de VIII + 537 pages. 56. Marie-Françoise BASLEZ - Olivier MUNNICH (ÉD.), La mémoire des persécutions. Autour des livres des Maccabées, 2014 - 1 vol. in -8° de X + 406 pages. 57. Richard AYOUN, Juifs d’Algérie 1830-1907. Inventaire des archives consistoriales et bibliographie, 2017 - 3 vol. en -8°, XXXIV + 1555 pages. 58. Paola FERRUTA - Martin DUMONT - Daniel TOLLET (ÉD.), Entre judaïsme et christianisme. Les conversions en Europe, de l’époque moderne à l’apparition de l’antisémitisme politique, 2017 - 1 vol. in -8° de VI + 211 pages. 59. Elie SHEID, Mémoires sur les colonies juives et les voyages en Palestine et en Syrie du premier octobre 1883 à la fin 1899, 2020 - 1 vol. in -8° de IV + 326 pages.
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