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French Pages 490 [488] Year 2015
MARC FONTRIER
L’ILLUSION DU CHAOS **** ANNALES DE SOMALIE 1995-2000
BIBLIOTHEQUE PEIRESC
Collection dirigée par François ENGHEHARD et Marc FONTRIER Association française pour le développement de la recherche scientifique en Afrique de l’Est (ARESÆ)
« Servant un chacun quand nous l’avons pu, et principalement le public, pour lequel seul nous avons travaillé quasi toute notre vie. » PEIRESC
La Bibliothèque Peiresc a été créée par Joseph Tubiana en hommage à l’érudit provençal d’ascendance italienne Nicolas Claude Fabri de Peiresc (1580-1637), pour y accueillir des œuvres correspondant à l’exigence et à l’éclectisme de ce magistrat humaniste et bibliophile. Savant et curieux de toute chose, au point qu’on ne saurait énumérer tout ce qui l’a intéressé et diverti : sciences naturelles, numismatique, art, histoire, littérature, astronomie, philosophie, mœurs, religions, poésie, avec un souci particulier des langues et des cultures de la Méditerranée antique et contemporaine. Dans les dernières années de sa vie il s’était pris d’un vif intérêt pour les chrétientés orientales, notamment d’Égypte et d’Éthiopie. C’est dans cette direction que notre collection est surtout orientée, sans s’interdire aucun des sujets qui ont retenu l’attention de Peiresc, en s’efforçant de satisfaire, avec le respect qui lui est dû, la curiosité diverse de nos contemporains.
MARC FONTRIER
L’ILLUSION DU CHAOS **** ANNALES DE SOMALIE 1995-2000 Du retrait des nations unies à la conférence d’Arta
BIBLIOTHÈQUE PEIRSEC 31
Du même auteur La chute de la junte militaire éthiopienne (1987-1991), L’Harmattan, Paris, 1999. Abou-Bakr Ibrahim-Pacha de Zeyla, marchand d’esclaves, L’Harmattan, Paris, 2003. Le Darfour : Institutions internationales & crise régionale 2003-2008, L’Harmattan, Paris, 2009. L’État démantelé – Annales de Somalie – 1991-1995, L’Harmattan, Paris, 2012. Éthiopie – Le choix du fédéralisme ethnique. Chronique du gouvernement de transition (1991-1995). L’Harmattan : Paris, 2012
© L’Harmattan, 2015 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-06408-6 EAN : 97823430164086
A la mémoire de l’amiral Yves de Kersauson de Pennendreff
NOTES SUR L’ORGANISATION GENERALE DE L’OUVRAGE
À l’instar du précédent volume des Annales de Somalie, ce document n’est pas une fin. L’intrication des événements relatés conduira à des points de vue nouveaux et des corrections, sinon des contradictions ; assurément à des précisions. Il a pour vocation première d’être une aide aux étudiants et aux chercheurs. La Somalie en effet a fait l’objet de nombreuses études mais peu d’ouvrages historiques de synthèse sont consacrés à la période complexe qu’il recouvre. Il en résulte une table des matières anormalement mais délibérément précise, destinée à faciliter la recherche d’un événement particulier. Le plus souvent, le lignage des personnes apparaît à la première mention du nom. Il peut donc normalement être retrouvé à partir du renvoi de l’index. Les noms de personnes sont cités à leur première apparition selon l’ordre agnatique traditionnel : nom, nom du père, nom de l’aïeul. Selon la tradition somali, l’ensemble est souvent suivi d’un sobriquet [som. naanays], ici écrit en italique. À partir de la deuxième apparition, les individus sont simplement cités – sauf lorsqu’il existe un risque de confusion – par leur nom et celui de leur père, leur nom et leur surnom, voire parfois par leur seul surnom. Ainsi, Maxamed Faarax Xasan Caydiid apparaîtra simplement à la deuxième rencontre sous Maxamed Caydiid voire Caydiid. Cabdullaahi Yuusuf Axmed sous Cabdullaahi Yuusuf. L’index final permettra de retrouver le nom complet. Pour les noms propres arabes et éthiopiens, la majuscule, bien qu’absente de ces écritures, sera utilisée pour le confort visuel. Les noms non somaliens et régionaux sont orthographiés, translittérés ou transcrits d’après l’usage du pays concerné. Les toponymes jugés ambigus ou malaisés à localiser sont repris en annexe avec leurs coordonnées polaires. Quelques écritures entérinées par la presse française – Sharjah, Le Caire, Boutros Ghali… – seront utilisées selon l’usage de cette dernière. Une grande partie de la substance de l’ouvrage repose sur des notes personnelles, prises au moment des faits. Quand elles sont corroborées par les articles de la presse, elles ont été confondues avec ceux-ci. À une bibliographie supplémentaire, il a été préféré la simple mention des ouvrages qui ont paru sinon essentiels, tout au moins les plus pertinents.
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T RANSCRIPTION ET TRAN SLITTERATION
La langue somali, af soomaali, a été fixée en 1972 par le gouvernement somalien. Le choix de la transcription s’est alors porté sur l’alphabet latin, au détriment de l’arabe et de certains systèmes d’écriture tout aussi pertinents mais plus complexes proposés par des érudits autochtones. C’est pourquoi, par respect pour cet idiome, il est utilisé dans cet ouvrage l’orthographe ordinaire somali désormais retenue, aussi inconfortable soit-elle pour le lecteur occidental. Une difficulté mineure en soi en réalité puisque quatre phonèmes seulement méritent quelque précision. Il s’agit des : - « x » utilisé pour la fricative pharyngale sourde identique au حḥa arabe, - « c » utilisé pour la fricative pharyngale sonore identique au عcayn arabe, Ces deux sons peuvent, dans la lecture d’un non-somalophone, être rendus : le premier par notre « h » ordinaire, le second par son omission pure et simple, ce qui permet une approche moins déroutante. Ainsi, Cabdullaahi se lira « Abdullahi », Axmed « Ahmed ». - « kh » utilisé pour la fricative vélaire sourde identique au خḫa arabe, au ch allemand de Buch, au j de la jota espagnole, etc. - « dh », d rétroflexe sans équivalent acceptable que l’on lira comme un d ordinaire. L’intrusion de l’arabe dans la langue a par ailleurs suscité une somalisation des mots, voire des expressions, patente après le retour des étudiants somali envoyés dans les pays arabes après les années cinquante. Le phénomène n’a fait que s’accélérer depuis. Cela n’a pas fait pour autant de l’ensemble des Somali des locuteurs arabophones, tant s’en faut. Aussi se sont-ils souvent contentés de transcrire dans leur langue ce qu’ils entendaient. C’est pourquoi, à chaque fois qu’un concept a été accaparé, c’est l’orthographe somali résultant de cette appropriation qui a été retenue. L’expression ou le mot arabe original est précisé en note – en arabe et en translittération. La règle de translittération utilisée est précisée dans le tableau cidessous qui ne reprend que les signes nécessitant une transcription ou une translittération spécifique.
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SYSTEME DE TRANSLITTERATION ET TRANSCRIPTION
somali
arabe
amharique
transcription
er
(1 ordre)
ء
‘ t
‘
ث ቸ ጨ
ḉ
ح
x
ḥ
خ
kh
ḥ
ذ
-
d
ش
sh
ሸ
sh
ص
ṣ
ض
ḍ
ط
ጠ
ṭ
ظ
ẓ
ع
ʿ ġ
c
غ ق
ቀ
q
ك
ከ
k
dh
ɖ
Pour les quelques mots ou expressions amhariques cités, les ordres utilisent la translittération suivante : er
1 ordre ä
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e
2 ordre u
e
3 ordre i
e
4 ordre A
e
5 ordre y
é
e
6 ordre ə ou silence
e
7 ordre w
o
I NTRODUCTION
La grande erreur consiste à imaginer que la Somalie a sombré dans un chaos ordinaire. Un nouvel ordre en réalité s’installe après le départ de l’opération des Nations unies. Un ordre édifié sur quatre piliers : - la maîtrise du terrain par des chefs de bandes délinquantes ; - le développement d’un réseau financier fondé sur la confiance et extrêmement rigoureux dans son fonctionnement; - l’établissement d’une épine dorsale musulmane radicale ; - la présence à l’étranger d’une diaspora reproduisant dans leurs pays d’accueil les rapports de force somali. Tout ceci naturellement souffre des exceptions qui ne viennent nullement en contrarier la règle. L’approche du monde somali doit être précédée d’une connaissance a minima de sa grammaire sociale : - sa morphologie tout d’abord qui revient à identifier les principales lignes de sa géographie clanique, - sa syntaxe ensuite qui consiste à connaître la règle et la façon dont les éléments interagissent. Ceci fait, il reste encore à en considérer les éléments complémentaires, c’est-à-dire à la fois les embellissements et les altérations. La principale d’entre elles, la religion, n’est pas des moindres. Elle se décline selon deux paradigmes, celui, traditionnel, majoritaire et populaire, d’un islam apaisé et celui, somme toute récent, minoritaire et populiste, d’un islam radical, accompagné ou non d’une incitation à la violence. Alors que dans la période qui nous préoccupe le second infiltre de plus en plus la société somalienne, c’est encore l’ordre lié au premier qui prévaut dans les cœurs de cette Somalie qui s’effondre. 9
L’autre cortège de fioritures résulte de la dépravation humaine, des égoïsmes ordinaires, de l’appât du gain ou du mépris de la souffrance d’autrui. Toutes choses d’autant plus aisément identifiables que nos propres sociétés savent aussi en fournir des exemples achevés. Dans le modèle somali néanmoins, il est nécessaire d’en considérer les tenants et les aboutissants à la lumière de la logique clanique. Cela dit, cet ouvrage n’entend dispenser ni un cours d’ethnologie ni un cours d’islamologie. Il souhaite cependant présenter, de façon simple, voire même simpliste parfois, les éléments indispensables à la compréhension de l’ensemble des événements de ce milieu hermétique et complexe, aux logiques si souvent inaccessibles à l’entendement occidental. Venons-en au peuple somali et posons les principaux éléments de son histoire et de la géographie de ses faisceaux lignagers ; sur tout cela, au fil des chapitres, il sera revenu autant que de nécessaire. Les Somali comptent environ de 7 à 8 millions d’âmes et occupent un vaste territoire couvrant la partie orientale de la Corne de l’Afrique. Ils sont entourés de peuples cousins mais, comme il arrive souvent, ennemis à leurs confins dès lors qu’aucune chaîne de montagnes, région aride, grand fleuve ou zone de grande endémie ne vient se poser en obstacle aux velléités belliqueuses des uns et des autres. De souche couchitique, les Afar vivent au nord et les Oromo au nord-ouest et à l’ouest. Au sud et au sud-ouest résident des populations avec lesquelles les contacts sont peu ou moins significatifs. Au nord et à l’est, l’océan. Ce peuple de pasteurs, fondé sur le mode nomade, s’est toujours détourné de l’élément marin. En revanche, il a cherché sa survie en s’organisant dans un paysage, semi-aride pour l’essentiel, dominé par le bush. Son espace connaît aussi quelques régions de montagne, dans l’arrière-pays face au golfe d’Aden. En bord de mer, un désert côtier inhospitalier où des commerçants étrangers sont jadis venus organiser des emporia, simples rades foraines souvent, qui, devenues des ports, puis villes voire cités États s’y sont aussi révélées dès le xe siècle les points d’entrée de la foi musulmane. Aujourd’hui, l’aire somali s’étend sur quatre États : - la République de Somalie elle-même, dont nous allons narrer la déliquescence, est l’une des rares entités politiques quasiment mono-ethniques du continent africain ; - le sud de la République de Djibouti ; - la North Eastern Province ex-Northern Frontier District kenyan ; - la République fédérale d’Éthiopie dont la partie sud-est constitue la Région Cinq, région somali de la fédération ethnique ; résolument irrédentiste, cette région abrite entre autres la grande tribu des Daarood Ogaadeen, jouxte au nord la dépression afar et à son ouest la région oromo. 10
Cette géographie politique contemporaine résulte d’une histoire qui mérite un rapide excursus. Tard venus dans l’histoire – on ne les identifie guère avant le XVIe siècle –, les Somali n’y sont entrés de plainpied qu’au cours du XIXe. Pasteurs nomades, ils n’ont en effet réellement investi que depuis quatre cents ans à peine les côtes brûlantes et inhospitalières si peu propices par leur aridité à la survie des troupeaux. Cantonnés dans l’hinterland, ils se sont jusque-là forgé auprès des rares voyageurs une réputation de férocité qui n’a pas été de nature à encourager les contacts. Hors les cités États posées en bord de mer par des acteurs économiques étrangers – la plupart venus des mondes arabe et indo-iranien –, les Somali se sont donc peu préoccupés du reste d’un monde que leur aversion pour les choses de la mer limitait à ses côtes. Pas véritablement d’États organisés donc, mais néanmoins la présence de quelques chefferies plus puissantes : entre le sud du webi Nugaal et le nord de Muqdishu, celle des Ajuuraan, installée aux XVIIe et XVIIIe siècles avec son centre commercial, Hobyo. Au XIXe siècle, les Majeerteen s’organisent sur la côte nord, ainsi qu’un peu plus à l’ouest les Warsangeli du Maakhir, établis autour de Laas Qorey. Dans le Sud, au XIXe siècle toujours, et avant que ne se déploie le dispositif colonial, on assiste à un déclin des cités États établies aux confins de la zone swahilie. Au nord, au contraire, l’activité des ports adossés à l’Éthiopie prospère. C’est pourquoi à la fin du siècle, les côtes somali se trouvent sollicitées par une présence étrangère pressante, encline à se déplacer vers l’arrière-pays, c’est-à-dire notamment vers le haut plateau méridional et la cité de Harär. Ainsi est-ce l’histoire coloniale qui, bien malgré eux, inflige à ce peuple ombrageux des concepts nouveaux dont sa tradition s’était bien gardée d’imaginer jusqu’à l’existence, au premier chef le concept d’État. En quelques années, le monde somali – nul ne songe à contester leur sentiment identitaire – voit s’installer des étrangers, païens de surcroît, gaal, venus lui disputer la souveraineté territoriale : Angleterre, Éthiopie, Italie, les armes à la main, Allemagne sur les rivages océaniques et France aux confins septentrionaux, celles-ci par la négociation. Les installations se font sur les côtes où depuis des siècles les commerçants orientaux ont établi ou ressuscité d’antiques cités. Les surfaces coloniales vont cependant connaître des destins différents. Après la rapide disparition de l’Allemagne, quatre nations colonisatrices vont rester à s’approprier et à se partager l’espace : - l’Angleterre installée depuis 1839 à Aden approvisionne son point d’appui grâce au bétail du pays somali. Ici, autour des années 1875 dans les ports de la côte nord, les Égyptiens se sont substitués à l’autorité turque avant de s’emparer de l’émirat de Harär. Avec leur complicité, Londres a pris soin de barrer la route à la France qui en 1862 s’est timidement montrée dans la région. Mais au départ des Égyptiens en 1884, les Britanniques 11
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s’établissent à leur place sur la côte nord à Saylac, Buulxaar et Berbera1 où ils installent des consuls et une milice d’une centaine d’hommes, la Somali Coast Policy. Seulement intéressée à s’assurer des points d’appui sur la côte et soucieuse de protéger la sécurité de ses rares ressortissants, la GrandeBretagne ne procède à aucune ingérence dans les affaires locales. Seules sont menées quelques expéditions punitives dans l’intérieur, parfois avec un renfort ponctuel venu d’Aden. Aux confins du protectorat, la frontière avec l’Éthiopie sera pour la première fois établie en 1934 ; la France, propriétaire depuis 1862 en pays afar, s’y installe en 1884 à Obock, avant de s’installer de l’autre côté du golfe de Tadjoura, à Djibouti, où au terme d’accords passés avec les chefs somali, elle fonde en 1892 la Côte française des Somali2 ; la frontière entre celle-ci et le protectorat anglais sur le Somaliland est délimitée en 1888 ; la société italienne Filonardi s’installe en 1889 sur la côte du Banaadir, prémices d’un projet colonial3. Peinant en effet à se soutenir, l’entreprise cède finalement ses droits à l’Italie qui, après avoir signé en 1889 un premier accord de protectorat et d’amitié avec le sultan de Zanzibar, réitère l’exercice avec le suldaan de Hobyo et le boqor majeerteen des Cismaan Maxamuud. En 1892, Rome à la recherche d’un empire colonial transforme ce comptoir privé sur la façade occidentale de l’océan Indien – la côte du Banaadir -, en Colonia Somalia ; l’Éthiopie enfin, partie en 1886 à l’assaut de l’émirat de Harär sous l’impulsion du negus du Shäwa, Sahlä Maryam4, pousse ses troupes vers l’espace musulman situé plus au sud, aménageant ainsi le décor de bien des affrontements à venir.
Au cours des vingt premières années du XXe siècle, dans le nord du pays somali, entre Somaliland, Somalia et Ogadèn, les Britanniques, Italiens et Éthiopiens sont confrontés à une révolte qui semble devoir relayer celle du mahdī soudanais Muḥammad Aḥmad et de son successeur le khalife ʿAbdullāhi, vaincu en 1898. L’esprit de la révolte darwīsh se perpétue ici, menée par un personnage étonnant, à la fois homme de foi, poète et guerrier, le sayid Maxamed Cabdille Xasan, le Mad Mullah des Anglais. Présentée, hâtivement peut-être, comme la première manifestation d’un nationalisme somali, cette insurrection qui
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Rapportées par les Européens sous les noms de Zeyla, Bulhar et Berbera. Territoire français des Afar et des Issas en 1956, République de Djibouti en 1977. 3 L’Italie est déjà présente à Asäb en Érythrée dont la rade a été acquise en 1869 par le père Sapetto et où la société Rubattino s’est installée en 1882. 4 [gz. ሳህለ ፡ ማርያም], le futur roi des rois Menilek II [amh. ምኒልክ] (1844-1913). 2
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trouve son terme à la mort du Sayid en 1920, est à coup sûr l’expression d’un irrédentisme qui tout au long du siècle ne se démentira pas. Une quinzaine d’années plus tard, la conquête de l’Éthiopie lancée à partir du Banaadir par les troupes italiennes bouscule en 1936 l’ordre colonial des choses en donnant naissance à l’Africa italiana orientale, entité qui regroupe l’ensemble des territoires acquis d’une façon ou d’une autre par Rome depuis la fin du siècle précédent. Très vite néanmoins, dans l’Est africain, la défaite du régime fasciste se conclut en Éthiopie sur la restauration du pouvoir du Roi des rois. La France conserve son enclave autour de Djibouti face au détroit de Bab al-mandeb, le Somaliland britannique son territoire au prix de quelques difficultés de frontière avec le pouvoir éthiopien portant sur les pâturages du Hawd et des Reserved Areas. Quant à la Somalia italienne, provisoirement placée sous mandat britannique, les Nations unies décident en 1950 d’en laisser pour dix années encore la gestion à Rome, avec pour mandat de la conduire à l’indépendance. En 1960, après que les deux emprises coloniales ont accédé à l’indépendance, le Somaliland le 26 juin et la Somalia quatre jours plus tard, les deux jeunes États décident d’unir leur destin le 1er juillet en une République de Somalie. Seul pays africain à présenter une unité ethnique, linguistique et culturelle, celle-ci a d’emblée la faveur d’une société internationale, plus inquiète au regard de la stabilité d’autres pays du continent où les affrontements ethniques n’ont été contenus que par la présence des forces de coercition occidentales. En dépit d’une économie peu prospère – la Somalie ne dispose guère de ressources naturelles – les années qui suivent l’indépendance n’en sont pas moins assez prometteuses. Peu à peu cependant, l’encouragement des velléités nationalistes visant à rassembler l’ensemble des populations somali suscite une forte défiance, tant en Éthiopie qu’au Kenya ou à Djibouti ; ce concept de Grande Somalie, de Soomaaliweyn, est symbolisé par les cinq branches de l’étoile du drapeau, représentation de chacun des territoires composant le Somal. À l’intérieur, la multiplication des dissensions fondées sur des affrontements lignagers fragilise par ailleurs un appareil où fraude et corruption vont achever de miner le système libéral mis en place à l’indépendance. L’assassinat du président Cabdirashiid Cali Sharma’arke, le 15 octobre 1969, conduit à une prise de pouvoir le 21 octobre par la police et les forces armées cantonnées dans et autour de Muqdishu. Évitant ainsi la guerre civile, un Conseil suprême de la révolution1 est mis en place avec notamment à sa tête le général Maxamed Siyaad Barre. Entendant mettre fin au tribalisme, au népotisme et à la corruption, le Conseil 1
[som. Golaha sare ee kacaanka]. 13
dissout les partis politiques et l’Assemblée nationale, suspend la constitution et renomme le pays qu’il engage sur la voie du socialisme scientifique République démocratique de Somalie. Adossées à un culte exponentiel de la personnalité du chef de l’État, les premières années du gouvernement de Siyaad Barre n’en profitent pas moins incontestablement au pays. Le CSR donne la priorité au développement économique et social. Véritable despote éclairé, Siyaad Barre instaure la gratuité des soins, de l’éducation, et favorise la condition des femmes, ce qui lui vaut l’hostilité des milieux religieux. Il fixe par ailleurs la langue somali, tranchant sur une transcription dans l’alphabet latin. Deux handicaps majeurs vont cependant faire obstacle à la poursuite de cette action prometteuse. La crise pétrolière d’une part et une sécheresse inhabituelle d’autre part fragilisent rapidement une économie qui en dépit des progrès réalisés n’en demeure pas moins structurellement précaire. La détérioration définitive du régime va cependant résulter de la guerre catastrophique menée en Ogadèn entre 1977 et 1978. Fort de la fragilisation de l’Éthiopie qui vient de renverser le régime impérial et fort du soutien de l’Union soviétique, Siyaad Barre croit le moment venu d’entreprendre la réalisation de cette Grande Somalie, la Soomaaliweyn, en lançant ses forces armées à l’assaut de l’Éthiopie. C’est, outre de solides erreurs tactiques, sans compter avec la pugnacité des Éthiopiens et leur propre sentiment national. C’est surtout sans prévoir le renversement d’alliances opéré par l’Union soviétique qui en l’espace de quelques jours octroie désormais son soutien au nouveau régime d’Addis Abäba, un régime qui promet de rejoindre maintenant le camp des pays de l’Est. La Somalie ne se relèvera jamais de ce désastre. Militaire et économique certes, il l’est plus encore sur les plans psychologique et politique. La défaite alimentant le mécontentement intérieur, des groupes d’opposition apparaissent. Le pouvoir de Siyaad Barre commence à fléchir. Au sortir de la guerre, sur fond de tentative de renversement, les contestations se multiplient, en particulier dans les régions au nord du pays. Le Président opère alors un repli clanique aussi préjudiciable à la Somalie dans son ensemble qu’il va se révéler l’être pour sa propre autorité. Un comportement conforté par la maladie qui le ronge et surtout par un accident de voiture qui le laisse diminué. De nature obtuse, développant un véritable complexe obsidional, Siyaad Barre dès lors va privilégier les conseils d’une famille rapace et inconséquente, le faisceau lignager des Daarood Mareexaan, sa propre femme Khadiija Macalin au premier chef. Il va autoriser des répressions menées par ses officiers les plus brutaux, le général Maxamed Siciid Xirsi Moorgan par 14
exemple, voire les moins avisés comme son propre fils Maslaax Maxamed Siyaad. Trois mouvements armés se développent successivement au cours des années 1980 qui, souvent renforcés d’autres clans au fil de la révolte, vont conduire au renversement du régime, le 27 janvier 1991 : - Le Somali Salvation Democratic Front (SSDF)1, le plus ancien, a été créé en 1978 par le colonel Cabdullaahi Yuusuf Axmed après la défaite en Ogadèn. Dès l’année suivante, il affirme sa vocation à renverser le pouvoir de Siyaad Barre. Fondé sur les lignages darood majeerteen du Nord-est, il disparaît après 1985 pour redevenir actif à partir de 1988 dans les provinces du Mudug, du Nugaal et du Bari ; - Le Somali National Movement (SNM)2, institué à Londres en avril 1981 est fondé sur les lignages isxaaq du nord-ouest, l’ancien Somaliland. Celui-ci est le plus vigoureux des groupes armés opposés au régime. Ainsi en 1988, craignant une attaque de l’armée régulière, le SNM décide-t-il d’une offensive sur l’ensemble du nord de la Somalie qui coûtera à la région une répression aussi fulgurante que meurtrière. Le SNM, très profondément implanté dans la société isxaaq, n’en prend que davantage de poids politique jusqu’à finalement s’imposer sur l’ensemble du territoire de l’ancien protectorat britannique ; - Le United Somali Congress (USC) fondé à Rome en janvier 1989 rassemble les faisceaux lignagers hawiiye du centre de la Somalie. Absent du conflit jusqu’à la mi-1990, il conquiert cependant la capitale en janvier 1991, provoquant la chute du régime et s’arrogeant dans la confusion les profits de la victoire finale au détriment de mouvements rebelles plus anciens et plus actifs. Terminons cette présentation par une indispensable description, aussi sommaire soit-elle, de la géographie des clans. Au moment de l’indépendance de la Somalie, la plupart des observateurs plaçaient beaucoup d’espoirs dans ce nouveau pays, vaste et peu peuplé, installé aux confins orientaux de l’Afrique, et qui partageait avec le Botswana la particularité d’une homogénéité ethnique : au Botswana des Tswana et quasiment rien d’autre, en Somalie des Somali. Promesse de fraternité et de cohérence dans un continent où l’on augurait dans chaque nouvelle entité politique le cauchemar des querelles ethniques. Si le Botswana a effectivement répondu aux espérances de paix, le pandémonium somalien a rappelé nombre de politologues imprudents à certaines réalités. Certes, l’apparente homogénéité des populations somali se 1 2
[som. Jabhadda Diimuqraadiga Badbaadinta Soomaaliyeed]. [som. Haq Dhaqaaqa Wadaniga Soomaaliyeed]. 15
fonde sur des évidences : une langue commune, un espace géographique hébergeant une myriade de familles parlant ce même idiome, un paysage social dessiné selon un concept lignager et une façon à peu près identique d’envisager le fonctionnement de chacun de ces fameux lignages. Cela semblait suffisant pour nourrir tous les espoirs sans qu’il ne soit vraiment envisagé que cela même qui apparaissait promesse de stabilité puisse vite se révéler autant de ferments de disputes. Car certains détails aussi ont été ignorés. Le monde somali, par exemple, s’est façonné dans un espace géographique et climatique exceptionnellement difficile. Un peu hors du temps, largement hors du monde. Peu d’ouvertures sur celui-ci, hors une petite dizaine de ports dont trois de quelque importance, étroits écoinçons dispersés le long d’une côte de plus de 3000 kilomètres. Plus préjudiciable encore l’ardeur du climat qui sauf en certains endroits rend improbable l’hypothèse agricole ; seuls le troupeau et le commerce tentent de se porter garants de la survie des individus. Dans le même temps, la rigueur de l’environnement ne permet que l’établissement d’unités sociales de petite envergure, chaque puits et chaque pâturage ne pouvant subvenir qu’aux besoins d’un petit nombre. Ce numerus clausus a in fine imposé un modèle social qui s’est développé à partir de l’individu et de son foyer, avec une préoccupation : la survie. Et survivre se pense pour un berger en terme d’eau et de pâturages, à conquérir parfois, à sauvegarder toujours, à espérer seulement quand la pluie ne vient pas. Les règles de solidarité se sont ainsi construites à partir de là, en cercles d’intérêt concentriques : autour d’un puits, d’une zone de pâturage, de part et d’autre d’un itinéraire de transhumance, de la charge sécuritaire assumée par plusieurs groupes liés autour du paiement du prix du sang, le mag, du partage d’un espace pour le mariage, d’un autre pour l’affrontement. C’est donc bien à partir de sa propre situation que tout Somali voit le monde. Quand il porte son regard au-delà, c’est du proche au plus éloigné qu’il cherche à investir l’espace en identifiant les différents cercles qui pourront contribuer à assurer sa sécurité et sa survie. Ils sont, de son point de vue, imbriqués à la façon des poupées russes. Pour ce peuple de petits nomades, l’extension de chaque famille s’est opérée à partir d’un territoire relativement limité, mais en direction d’un espace disponible à la fois immense et inhospitalier. Au fil des générations, le terrain a ainsi été occupé par les enfants puis par les enfants des enfants, dessinant un puzzle social décliné en tribus, en fractions ou en clans. Sinon que les paradigmes occidentaux que ces termes induisent restent illisibles pour les intéressés. Aussi, sauf à utiliser le terme somali approprié, contraignant celui-là pour le lecteur
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non initié, nous tenterons de résoudre l’équation en préférant le concept plus global de faisceaux lignagers. Car la société somali est avant tout segmentaire et acéphale. Aussi le vocabulaire utilisé pour désigner un regroupement de personnes sert-il surtout à établir le droit d’un individu à revendiquer son état de Somali, c’est-à-dire une sorte de droit d’exister. Et c’est tout. Pour le reste, chacun fait référence à une surface lignagère répondant à ses préoccupations du moment, en particulier à l’organisation d’alliances toujours conjoncturelles. Donc pas de grandes constructions hiérarchisées des lignages, source de nombreuses interprétations erronées et supposées donner ou non un quelconque droit de préséance. En pays somali, chacun a une place égale au sein d’un nonsystème. Le recours exclusif aux démonstrations fondées sur une rigoureuse mécanique clanique relève d’une connaissance imparfaite du milieu. Cela dit, un savoir a minima de la configuration des lignages est naturellement nécessaire dès lors que l’on ne se trompe point sur les priorités à accorder dans l’observation d’une séquence événementielle : un problème survient, il donne lieu à des propositions de règlement fondées sur le lignage, c’est incontestable, mais cela n’a rien de rigoureux ni de systématique. Dans tout problème il y a une alternative dont on retiendra tel ou tel volet en fonction du contexte. Car il n’y a aucun consensus clair sur les structures tribales et leurs déclinaisons claniques. Le clan est tout, mais le clan n’est rien. Unique exception, la solidarité autour du paiement du mag : l’unité sociale appelée jilib. Aussi, sauf à noircir des pages entières sur les lignages, toute description s’en révèle invariablement partielle et simplificatrice quand elle n’est pas contextualisée. Cette réserve étant apportée, on n’en identifie pas moins cinq faisceaux lignagers majeurs se réclamant chacun de leur propre ancêtre éponyme : - les Hawiiye, majoritaires dans le centre du pays, regroupent à peu près le quart de la population somali. Nous aurons à reparler de ses faisceaux ou de ses segments les plus nombreux : Abgaal, Ajuraan, Xawaadle, Muruursade, Habar Gidir, Galjecl,… ; - les Isxaaq un peu moins nombreux occupent la plus grande partie du Somaliland avec les ensembles Habar Awal, Habar Garxajis – dont les Ciidagale et les Habar Yoonis –, Habar Jeclo, etc. ; - les Daarood occupent l’espace le plus vaste, entre le cap Gardafui1, le Sud-est éthiopien et les régions frontière de part et d’autre de la Somalie du Sud et du Kenya. Ils ne semblent 1
[som. gees ou raas Caseyr]. 17
cependant représenter qu’un cinquième de la population et se reconnaissent dans les faisceaux harti qui rassemblent Majeerteen, Warsangeli et Dhulbahaante, Mareexaan, Ogaadeen, etc. ; - les Raxanweyn et les Digil à peine moins nombreux que ces derniers occupent la région mésopotamienne et la basse vallée des fleuves ; parmi leurs tribus, sédentaires ou semi-sédentaires, figurent les Leysaan, Xariin, Hadame, Eelay, Jiroon, etc. - le faisceau lignager Dir, aux confins du Somaliland, de la République de Djibouti et de l’Éthiopie est moins nombreux – moins de 10% ; il est représenté par les Ciise, les Gadabuursi ainsi que, au sud, les Biyomaal installés entre Muqdishu et Kismaayo1. À tous ceux-là, il faut encore ajouter les clans Sab, identifiés par leur caste – magicien Yibir, chasseur Madhibaan (Midgaan), forgeron Tumaal ainsi que les populations identifiées par une origine ethnique différente, Boon (bantou), Bajuun, etc., tous étant considérés d’une condition sociale subalterne voire servile. Il est donc important de comprendre qu’un Somali considère toujours le monde en partant d’un centre identifié, lui-même et sa famille nucléaire, avec leurs peurs, leurs besoins, le concret de leur quotidien, leur eau, leurs chameaux et leurs chèvres. À partir de là, plus son esprit est amené à concevoir ce qui s’en éloigne géographiquement, moins il y voit « avec ses yeux » ce qui représente son nécessaire, moins il lui attache d’importance. Plus il s’éloigne, moins lui importe ce reste du monde. Il en sait ou préfère en ignorer l’existence et les mots qu’il utilise pour les identifier vont de moins en moins recouvrir de concepts précis. Pour ceux qui désormais habitent la ville, la disposition d’esprit n’est pas loin d’être la même, aussi est-il toujours nécessaire de la prendre en considération, même parmi les plus instruits, avec seulement quelques réserves. Aussi ces comportements, transposés au niveau des politiques mises en œuvre pour tenter de reconstruire la Somalie, ont-ils fondé les échecs enregistrés ces vingt dernières années. Car il s’agit bien d’une société construite à partir de l’individu et de la famille nucléaire. Aussi, n’est-ce qu’au prix de l’acceptation et de la restauration préalable de ce concept qu’un ordre social plus large peut être reconstruit, un nouveau pays réédifié. Toute tentative négligeant ce principe et privilégiant le rétablissement d’institutions étatiques d’inspiration étrangère est vouée à l’échec. Car ces institutions demeurent en l’occurrence des entités virtuelles que ne peut naturellement s’approprier l’imaginaire collectif 1
À chaque fois que nécessaire, le déroulement des événements conduira à préciser la géographie des clans. 18
somali aisément sensible au concept de nation, mais viscéralement hostile à celui d’État. C’est pourquoi il est enfin nécessaire d’observer la façon dont se réalisent les solidarités en milieu somali. Celles-ci se construisent toujours à partir d’un projet – matériel, politique, guerrier.. Ce projet nécessite la participation d’un nombre optimum d’individus. Son ou ses initiateurs vont donc tenter de rassembler l’effectif jugé souhaitable en sollicitant la famille proche, puis plus éloignée et ainsi de suite jusqu’au niveau requis, clan, groupe de clans, faisceau tribal, faisceau lignager si cela est nécessaire. Ainsi que les moyens d’ailleurs. Finalement, ce contrat de participation1, clairement établi, définit la liste des moyens nécessaires pour parvenir à l’objectif2. Dès lors tout ce qui en sort ou tout ce qui ne s’y conforme pas une fois le projet arrêté est considéré comme hostile. Le groupe de solidarité ainsi établi se délite de lui-même dès la réussite ou l’échec avéré de ce qui l’avait suscité. C’est pourquoi on assiste régulièrement à des analyses hasardeuses qui tendent à tout expliquer par le seul « clanisme », mot magique des géopolitologues africains, conçu dans une simple verticalité, à travers un prisme féodaliste en quelque sorte. Il ne s’agit pas, évidemment, de nier l’importance des lignages, mais de bien comprendre qu’en amont de toute situation, il existe forcément un contrat qui seul peut justifier que des individus somali éprouvent le besoin ou la nécessité de construire un espace solidaire, toujours conjoncturel par ailleurs. Pour en déterminer les volumes, les surfaces et la temporalité, il est donc avant tout nécessaire de chercher l’objet plausible de l’action, le mobile, seule clé qui permette d’identifier la logique dont procède une situation. À cette réalité sociale seule échappe l’intangible règle du mag, le prix du sang. Une dernière disposition d’esprit enfin doit accompagner la lecture de la relation qui va suivre. Nous allons évoquer des environnements moraux, sociaux ou politiques où rien n’a jamais été et où probablement rien ne sera jamais monolithique. S’échapper des schémas est donc indispensable. Il est vain d’opposer de façon réductrice le chrétien au musulman, l’Éthiopien au Somali, les sociétés soufies au salafisme, la pensée des Frères musulmans au wahhabisme saoudien, telle tribu à telle autre. La boîte pour l’analyste est un outil maudit alors que l’esprit du tao est une panacée. Car si tous ces antagonismes certes existent peu ou prou, à leurs marges aussi, tous s’interpénètrent. De la même façon il est aisé d’observer, comment dans ce qui semble apparemment constituer une même famille de pensée, 1
En somali heshiis(-ka) signifie « accord, règlement », « réconciliation » aussi. On retrouve ce mot dans l’expression heshiiska ganacsiga, « l’accord de commerce ». 2 VAN NOTTEN, Michael. The Laws of the Somali. A Stable Foundation for Economic Development in the Horn of Africa. Spencer Heath Mac Callum. 2005, Trenton. 19
des oppositions mineures prennent soudain un tour anormalement violent. Les gens qui constituent le peuple dont nous allons parler globalisent leur environnement. Or dans cet environnement nomade, un mot peut avoir des connotations redoutables et des expressions que nos peuples ne savent plus : ici le mot fierté court dans les cœurs plus vite que le mot raison et, aussi regrettable que cela puisse nous paraître, il est tout à fait vain de tenter d’en mesurer le prix1. Cette complexité nécessite donc une souplesse de notre outil de compréhension. Sur le plan de l’islam, il faut considérer la justesse du mot retenu par ʿUsāma ben Ladīn pour désigner son organisation : alQāʿida2. Nombre de concepts ou d’organisations qui seront évoquées représentent des nébuleuses au sein desquelles des gens se reconnaissent sans pour autant parvenir à s’y organiser de façon rigoureuse – voire même pour certaines tout simplement le souhaiter. Ainsi en va-t-il donc d’al-Qāʿida, des Frères musulmans, d’al-’Ittiḥād al’islāmī, de la salafīya et d’autres encore. Parmi les organisations concurrentes ou rivales qui seront citées au fil de cet ouvrage, nombre peuvent se réclamer de la même école de pensée et n’en aller pas moins jusqu’à s’affronter les armes à la main. Toute compréhension nécessite donc davantage de sentir les situations que de chercher à en catégoriser les protagonistes. Cet exercice, normalement frustrant au pays de Descartes, devient impraticable quand intérêts nationaux ou raisons d’État viennent, par leur discours, brouiller encore l’entrelacs des pistes voire détruire les brisées. De la même façon, on assiste parfois à des démarches au fil desquelles certains esprits scientifiques délitent leur propre raison d’être en choisissant de désigner des bons et des méchants. En tentant d’expliquer à tout prix les tenants et les aboutissants des choses, ils finissent par oublier combien passion et raison se disputent l’âme humaine. Le plan de l’ouvrage cherche toujours à replacer la Somalie dans le contexte du moment, contexte des faits, mais aussi contexte des idées. Il en résulte une construction des chapitres parfois un peu déroutante, des digressions importantes, des retours parfois perturbants, mais auxquels il n’est pas possible d’échapper par simple nécessité pédagogique. Bien que le propos s’en trouve incontestablement alourdi, ce choix est néanmoins délibéré, aussi sollicite-t-il l’indulgence du lecteur. Il semble enfin qu’en ces temps où une hâte toute journalistique et le culte des systèmes alimentent tant de jugements approximatifs et suscitent tant de choix déconcertants de la part des décideurs, d’entre 1
OMAR Osman Rabeh. Somalia : psychology of the nomad. Somali Studies International Association. Document lu au congrès de Hambourg. 1/6 III 1983. 2 [ اﻟﻘﺎﻋِﺪةar. al-qāʿida] « la base ». 20
nous peut s’entendre à reconnaître qu’il n’est ni humainement digne ni intellectuellement raisonnable de s’en tenir à considérer le « Somal » comme un lieu de relégation pour un peuple pestiféré. Il faut donc faire l’effort de se souvenir que ce sont la brutalité, l’égoïsme et la violence de quelques-uns qui infligent à d’autres des fléaux dont, tant que nous n’y sommes pas confrontés, nous oublions nombre d’aspects paroxystiques : la faim, la soif, la douleur ou le chagrin. Faire par ailleurs l’effort de croire qu’aucune adversité ne pourra néanmoins les détourner du rêve ni les priver du courage, encore moins de l’espoir.
21
SNA
SSA
USC Hawiiye
Med. Faarax Caydiid [Habar Gidir Sacad]
Cali Mahdi Med. [Abgaal]
SNM Isxaaq
C/raxmaan Tuur [Habar Yoonis]
Maxamed xaaji Ibraahin Cigaal [Habar Awal]
SNDU Leelkase
Cali Ismaciil Cabdi [Leelkase]
SAMO bantou
sheekh Jaamac Xuseen
Med. Ramadan Arbow
NON ALIGNES
Mowlid Maani Med.
SDA Dir Gadabuursi
Med. Faarax Cabdullaahi Asharo
USF Dir Ciise
Cabduraxmaan Dualle Cali
SSNM Dir Biyomaal
Cabdulcasiis sheekh Yuusuf
Cabdi Warsame Isxaaq
SNU Banaadiri
Cumar Mungani Aweys
Med. Rajis Maxamed
SDM Raxanweyn
Maxamed Nuur Yalaxoow
Cabdi Muuse Mayhow
SPM Ogaadeen
Axmed Cumar Jees [Maxamed Subeer]
Aadan Cabdullaahi Nuur Aadan Gabiyow [Cawlyahan]
Muruursade
Med. Qanyare Afrax
USP Dhulbahaante Warsangeli
Med. Cabdi Xaashi
SNF Mareexaan
Cumar xaaji Med.Masaale
État des factions à la fin de l’année 1994
22
I – D ES LUTTES FACTIONNELLES A L ’ AFFAIRISME CRIMINEL
Après le retrait des forces de maintien de la paix en mars 1995 et jusqu’à ce qu’une présence islamiste menaçante soit formellement identifiée, la Somalie se trouve reléguée pour plusieurs années aux confins des préoccupations mondiales. État plus encore démantelé que failli, son espace est alors considéré comme une zone de non-droit, où la violence le disputerait à une criminalité chronique et où prévaudrait une somme de conflits protéiformes. Cette description traduit fort mal une situation en réalité plus complexe. Si en effet il n’y a plus de gouvernement central reconnu, doté d’institutions en état de fonctionner et entretenant des relations même distendues avec l’ensemble du reste du monde, cela ne signifie pas qu’il y règne une pure et simple anarchie. Car une organisation minimaliste existe dans la plupart des régions du pays. Ici règnent des milices ; là, sans légitimité particulière, se sont mis en place des embryons d’administrations ; plus loin, ce sont des zones relativement calmes qui vivent même privées du confortable recours aux structures d’un État. Assurément, le départ de l’ONUSOM II, comme la diminution de l’aide humanitaire apportée par l’opération, constitue un manque à gagner important pour la Somalie méridionale. Un manque à gagner qui fait presque moins défaut désormais aux malheureux supposés en profiter qu’à tous ceux qui la détournaient. Parmi ces derniers, les uns profitaient simplement des marchés juteux distribués sans réserve par l’appareil des Nations unies, d’autres à l’ombre de leurs armes, offraient à prix d’or une protection hasardeuse à des ONG décidées coûte que coûte à développer leurs propres entreprises. 23
La nécessité, pour les chefs de factions comme pour les chefs de bandes dévoyés, de trouver les moyens de payer leurs milices, induit dès lors la nécessité de trouver de nouvelles sources de revenus. Les deux genres vont rapidement se confondre. Le chef de faction encore animé par un dessein politique va voir le trafiquant, le commerçant, l’homme d’affaires lui prendre progressivement la main avant qu’il ne juge plus confortable de coopérer jusqu’à se confondre avec lui. Aussi, la mutation s’opère-t-elle parfois chez un même individu. La violence du profit se substitue maintenant à celle des armes. Il est probable que le général Maxamed Faarax Caydiid – et peut-être le colonel Cabdullaahi Yuusuf Axmed –aura été le dernier chef de guerre réellement animé d’un projet avéré de dimension nationale. L’enrichissement, politiquement et militairement nécessaire, reste encore moins une fin en soi qu’un moyen d’obtenir le pouvoir. C’est la mort de cet homme terrible qui donnera définitivement la main aux affairistes sinon aux bandes criminelles, deux mondes aux frontières passablement incertaines. Dès lors, la guerre perdra sa raison d’être ordinaire, à savoir la victoire, pour devenir une méthode économique propice à gagner de l’argent et qu’il convient de faire durer en tant que telle. De l’économie de guerre, on passera dès lors à une économie de la guerre. C’est cette phase de transition qu’il s’agit de décrire maintenant, après avoir porté un éclairage sommaire sur ses principaux enjeux.
LA CAPTATION DES REVENUS DE L’ANCIEN ÉTAT SOMALIEN C’est particulièrement dans les zones urbaines de Muqdishu, Kismaayo et de Baydhabo que des individus aussi peu scrupuleux qu’entreprenants et audacieux gagnent en influence sur les chefs de factions armées au point d’acquérir une force politique indépendante. Par une stratégie de sanctuarisation se met en place un processus sollicitant trois éléments : un chef, un territoire, un espace sécurisé. Ce sanctuaire exige un produit à commercer : produit du vol, du pillage, une mainmise sur un revenu. À son tour, ce produit nécessite un exutoire commercial, un lieu où être vendu, un marché, extérieur de préférence. Organiser le marché exige encore certains moyens : de communication pour traiter les affaires, de transport pour écouler les produits, financiers pour gérer les flux d’argent induits. Trois agents vont favoriser la mise en place des structures de gestion : la diaspora somalienne, le système bancaire musulman puis la nébuleuse islamiste. Quant aux produits, avant qu’il ne soit procédé à une diversification financière importante, ils vont être fondés sur le maigre existant somalien. L’activité prédatrice va porter sur ce qui peut encore l’être, sur les rares ressources qui auront survécu à cet État somalien désormais démantelé. C’est sur cet existant qu’il est nécessaire maintenant de porter le regard. 24
La pérennisation des commerces ordinaires : banane et charbon de bois Dans le Sud somalien, où l’on ne dispose d’aucune ressource dite stratégique1, le secteur agricole offre néanmoins trois produits dont les dimensions commercialisables méritent d’être considérées : le charbon de bois, la banane et accessoirement les agrumes. Le commerce du bétail reste plutôt, au milieu des années 1990, une activité organisée du Nord, à l’instar de la récolte des gommes aromatiques. Le charbon de bois est une production ancienne du Banaadir. Toutefois, bien que depuis longtemps fabriqué dans les régions boisées du sud du pays, en particulier dans les forêts d’acacia situées entre Baraawe et Kismaayo, son exportation a été interdite par le général Caydiid. Aussi faudra-t-il attendre 1997 pour en voir le commerce faire à nouveau le bonheur des trafiquants, avec les conséquences écologiques désastreuses que sa surproduction induit. C’est pourquoi il sera revenu ultérieurement sur le sujet, à propos notamment de la région septentrionale du pays. Dans le Sud en revanche, depuis plusieurs mois, deux compagnies se disputent le marché plus consistant de la banane somalienne : Somalfruit et Sombana. Dirigée sur place par un Italien né en Somalie, Vittorio Travaglini, Somalfruit est la plus ancienne. La majorité de son capital appartient à une famille italienne, les De Nadai. L’histoire des De Nadai relève d’une de ces exceptionnelles réussites suscitées par l’aventure coloniale. L’histoire du groupe se confond avec celle de son fondateur, Guido De Nadai, mort en 1989. Fils d’un marchand de fruits originaire de la campagne de Trévise, Guido avait émigré en 1927 en Érythrée où il commercialisait des fruits que son frère lui envoyait d’Italie. Il restera ainsi, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, un gros importateur de la colonie italienne. Après la guerre, il exporte à son tour fruits et légumes d’Érythrée vers Aden et l’Arabie saoudite où il crée dans les années 1950 l’une des premières chaînes de froid. Touché par la fermeture du canal de Suez en 1959, il fonde alors avec ses huit enfants, à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest d’Asmära une exploitation agricole de 800 ha : Élabär͑ed Gännet2. Là, grâce à un système sophistiqué d’irrigation, il produit des agrumes et des légumes. Fruits en boîte, vin, production de lait et de fromages complètent l’activité de l’entreprise. En 1968, pour pallier les inconvénients liés à la seconde fermeture du canal de Suez, il organise à travers l’Égypte et le désert libyen un pont routier qui relie la mer Rouge à la Méditerranée. En 1975, Élabär͑ed est nationalisé par le nouveau gouvernement éthiopien. La famille se replie en Arabie saoudite où elle achète des 1
Le pétrole existe, les blocks sont tracés, mais aucune société ne s’est encore risquée à considérer la rentabilité d’une exploitation. Une situation différente prévaut d’ores et déjà dans les régions du nord du pays. 2 [tg. ኤላበርዕድ ፡ ገንት] Paradis d’Élabärʿed. 25
bateaux et des fermes, ouvrant des filiales à travers le monde, au Costa Rica, au Chili, en Turquie, aux Philippines. Jusqu’à ce qu’au début des années 1980, Guido soit invité par Siyaad Barre à se rendre en Somalie. En 1985, alors que le pays a renoncé aux vertus du socialisme scientifique, il passe un accord avec le Président et fonde avec quatre de ses enfants, Alessandro, Giancarlo, Bianca et Nerina la société Somalfruit1. Il s’agit de relancer la production de bananes dans le Shabeellaha Hoose, laquelle rapidement il parvient à doubler. La société, domiciliée à Chypre, appartient au groupe familial dont le siège officiel est à Padoue. Lorsque la guerre civile devient menaçante, alors que s’étendent les combats, Somalfruit se retire au Kenya tout en maintenant néanmoins les salaires de ses employés. En 1990, Somalfruit représente encore près de cent millions de dollars de chiffre d’affaires pour plus de 6000 hectares plantés de bananiers. Or en mars 1993, alors que la société a dû geler ses activités à cause des combats, arrive à Muqdishu un Australien du nom de Greg Clutton. Débarqué dans les bagages de Restore Hope, il agit pour le compte de Dole et clame haut et fort son ambition de vouloir reprendre le marché de la banane aux Italiens. Fondée en 1991, Dole dont le siège social est situé à Westlake Village en Californie est l’héritière d’une entreprise américaine plus ancienne fondée à partir d’une affaire d’exportation de fruits démarrée en 1851 par deux missionnaires protestants américains aux îles Hawaï. En 1995, avec 45 000 employés et un chiffre d’affaires de 3,4 milliards de dollars, Dole dont David H. Mudock est le fondateur et principal actionnaire, est devenu le premier exportateur mondial de fruits2. Pour entrer en Somalie, la Dole Middle East crée en février 1994 une société, la Sombana dont le siège social est établi au Yémen. Son PDG, l’Iranien Mehrdad Radseresht vit à Sharjah3 aux Émirats arabes unis. En mars de la même année, Sombana signe avec les producteurs alors réduits par les combats à ne plus cultiver que quelque 1500 hectares, un contrat d’exclusivité de quatre ans stipulant une promesse d’exportation de deux navires par mois et l’octroi d’une aide technique.
Les fondements de la « guerre des bananes »
[1995]
Ainsi établies dès 1994, les deux sociétés, l’Italienne et l’Américaine se retrouvent-elles face à face prêtes à se disputer le marché somalien de la banane et des fruits. Mais la concurrence se corse lorsque le général Maxamed Caydiid qui contrôle la région de production du Shabeellaha Hoose, édicte ses règles du jeu. 1
29% des bénéfices de la société reviennent aux producteurs …et 20 % à la famille du président Siyaad Barre. 2 Son vice-président se nomme Tom Pernice. 3 [ اﻟ ﺸﺎرﻗ ﺔar. ash-shāriqa]. À l’accoutumée orthographié Sharjah par la presse occidentale, le petit émirat est le plus conservateur des EAU. 26
Observant que deux sociétés s’affrontent désormais, il décide par un texte du 13 octobre 1994, de faire jouer la concurrence et de libéraliser le marché et, partant, le cours de la banane. Il s’avise aussi d’instituer l’arbitrage de la SNA en cas de litige et exige que tous les accords commerciaux lui soient au préalable soumis. Il place enfin les bananeraies qui appartenaient à Siyaad Barre à la disposition des petits agriculteurs tant que le pays ne se serait pas prononcé sur un gouvernement. La protection des convois est assurée par la SNA et par les producteurs eux-mêmes. Une telle mesure laisse à supposer que Maxamed Caydiid, s’il avait été accompagné de manière plus subtile par ses interlocuteurs étrangers, avait quelque part une réelle dimension d’homme d’État. Pour l’heure, les deux compagnies entrent immédiatement en concurrence avec pour perspective en 1995 de se partager les 27 000 tonnes d’exportation prévue. Sur le conseil de son adjoint somalien, Aadan Maxamed Iman et surtout celui de Axmed Ducaale Geelle Xaaf, Mehrdad Radseresht met la société américaine en situation d’entrer en compétition avec Somalfruit. L’affrontement s’engage dès la fin de l’année 1994. Dole Sombana se préoccupe des quotas préférentiels d’importation accordés par l’Union européenne aux bananes originaires des pays ACP et cherche à en limiter les effets sur les ventes de bananes d’origine sud-américaine dont elle a le quasi-monopole. La société briguant les quotas obtenus de Bruxelles par la Somalie1, Somalfruit a de son côté tôt fait d’estimer que ce quota lui revenait légitimement et soupçonne non sans raison Dole de vouloir vendre en réalité la banane somalienne au Proche-Orient afin d’utiliser ce quota européen pour écouler une banane moins chère donc plus profitable. Aussi, usant d’arguments antiaméricains et de l’animosité ambiante à l’encontre de l’ONUSOM qui en novembre a invité, au nom de Dole, des journalistes à visiter les plantations somaliennes, les alliés de Somalfruit parviennent à persuader des producteurs, dirigés par deux anciens employés de la compagnie américaine, à rompre leurs contrats avec Sombana. Le différend qui se développe le 9 novembre 1994 suscite un imbroglio au terme duquel Sombana proteste auprès du comité d’arbitrage de la SNA placé sous la présidence de Cabdicasiis sheekh Yuusuf. Or il se trouve que bien qu’il ait dès le 13 confirmé l’annulation de l’accord passé avec Dole, le comité revient sur cette décision trois semaines plus tard. En effet, Dole ayant réclamé des dommages-intérêts, le SNA décide finalement de déclarer illégale la concurrence de Somalfruit dont des agents étrangers sont même accusés de saboter le marché de Sombana et de lui interdire d’opérer en Somalie. À la fin du mois de décembre toutefois, trente-sept producteurs associés à Somalfruit obtiennent de Maxamed Caydiid l’autorisation d’exporter. Une condition leur est imposée, réunir au moins 185 000 cartons de bananes, exigence à laquelle ils parviennent à répondre. En décembre 1
5000 tonnes pour une durée de trois mois jusqu’en janvier 1995. 27
1994, les deux firmes auront ainsi exporté environ 200 000 cartons chacune pour un total de 1 million de dollars. Évidemment, le rôle de Maxamed Caydiid et de la SNA dans cette affaire est lié aux contributions que les hommes d’affaires délivrent aux factions somaliennes. Ainsi le directeur somalien de Sombana, Axmed Xaaf a-t-il déjà dépensé au moins 8000 $ au profit du général. La somme couvre des frais d’invitation mais aussi la rénovation de la Guriga Nabada, la « Maison de la paix » à Muqdishu, immeuble où la SNA tient des conférences et organise ses rassemblements. Il reste qu’un autre élément dont on est encore loin de mesurer les conséquences se profile alors : ce conflit entre les deux sociétés affecte les relations entre Maxamed Caydiid qui en tient pour Sombana et son bras droit et financier, Cismaan Xasan Cali Caato qui soutient Somalfruit. Cette réalité est d’ores et déjà perceptible dans la façon dont s’organise la protection des convois : les Duduble, alliés des Habar Gidir Sacad du reer Jalaf, famille de Caydiid assurent la protection des convois de Sombana tandis que Somalfruit recrute plutôt ses gardes parmi les Sacad du reer Hilowle de Caato.
Le commerce du qaad Un autre produit encore, importé celui-là, octroie à ceux qui en font commerce des profits importants : le qaad1. L’acheminement de cette plante euphorisante nécessite une organisation rigoureuse. Il ne s’agit plus en l’occurrence de produire, mais d’approvisionner la Somalie et d’y vendre une denrée qui dans la partie méridionale du pays provient essentiellement du Kenya. Outre son importance socialisante chez les musulmans de la Corne de l’Afrique et du Yémen, le qaad procure au trafiquant d’autres avantages non négligeables. La nécessité de disposer d’un avion pour le transporter lui permet par exemple d’utiliser l’appareil à d’autres fins, acheminement d’armes et de munitions notamment. L’approvisionnement des miliciens permet aussi de les payer à meilleur compte, le qaad leur étant revendu à un prix à peine moindre que celui du marché ordinaire. Le caractère particulièrement lucratif de ce commerce a contribué aussi à multiplier les infrastructures élémentaires constituées par les petites pistes d’atterrissage de brousse. Enfin favorise-t-il la constitution d’une forme de solidarité, conséquence des propriétés addictives – plus socialement que médicalement semble-t-il – propres à cette drogue, aussi douce soit-elle.
1
[som. qaad ; ar. ﻗ ﺎتqāt ; amh. ጫት ḉat] Arbuste d’Éthiopie, du Yémen et du Kenya dont les feuilles fraîches contiennent un alcaloïde. elles sont utilisées comme masticatoire en Arabie et en Afrique orientale. La consommation en réunion constitue une fonction socialisante majeure dans l’Est africain musulman et au Yémen. 28
L’ORGANISATION D’UNE ECONOMIE SANS ÉTAT À partir du milieu des années quatre-vingt-dix, dans ce contexte de pillage des ressources de l’ancien État, mais de disparition désormais des opportunités de détournement qu’offrait la présence de l’ONUSOM, une adaptation de la vie économique s’opère sur l’ensemble de l’aire somali. La frontière en maints endroits a virtuellement disparu aussi le terme a-t-il pris une acception différente. Autour de nombreux concepts, il ne s’agit plus désormais de considérer uniquement la population somalienne, mais plutôt la population somali. Indigènes et réfugiés confondus, celle-ci s’étend sur un espace considérable courant à travers l’Ogadèn éthiopien du sud de Djibouti à la North Eastern Province au Kenya. Pour faire fonctionner cet ensemble auquel s’ajoute une importante diaspora, un système économique se développe. Pas tout à fait original, il procède de méthodes déjà utilisées naguère, certes à plus modeste échelle, dans une République de Somalie depuis longtemps en déconfiture. Considérons pour l’heure que deux phénomènes se conjuguent désormais pour animer une économie spécifiquement somali : - l’activité d’une diaspora solidaire des faisceaux lignagers demeurés au pays et source presque unique de leurs revenus ; - le développement spectaculaire des sociétés de transfert d’argent.
Le rôle de la diaspora Les premiers phénomènes diasporiques des populations somali remontent à l’installation des Anglais à ͑Aden en 1839. Depuis, une petite immigration vers l’Angleterre s’est entretenue, principalement à travers l’emploi des marins et dockers venus du Somaliland. À partir de la fin du XIXe siècle, un flux comparable pousse vers l’Italie des Somali du Sud, des femmes en particulier. C’est cependant dans les années cinquante, durant la période qui précède les indépendances, que la diaspora s’étend de façon plus importante. De nouvelles directions se dessinent alors : dans la perspective de former les cadres des futurs États somaliens, de nombreux étudiants gagnent l’Italie, l’Angleterre ainsi que, en nombre plus restreint, d’autres pays occidentaux. Vers les pays musulmans, elles drainent des travailleurs rejoignant les pays du golfe Persique, mais aussi des étudiants. Un petit nombre d’entre eux se rend au Soudan, au Pakistan alors que la majorité se dirige vers les universités de l’Égypte et de l’Arabie saoudite où ils entrent en contact avec la pensée radicale des Frères musulmans comme de celle de la wahhabīya. De telles installations serviront non seulement de socle aux migrations économiques ultérieures, mais, plus 29
particulièrement à travers leur vocation à former le futur système éducatif, susciteront une instillation discrète, mais résolue du fondamentalisme au sein d’un peuple qui jusqu’alors avait été à peu près préservé de tout fanatisme1. Au cours des années soixante-dix, les difficultés économiques du régime de Siyaad Barre, confronté notamment à la grande sécheresse2 puis à l’échec de la guerre de l’Ogadèn, déstabilisent un régime qui se durcit. Cette situation engage nombre de Somaliens, mais aussi de Somali à rejoindre des parents d’ores et déjà établis sous des cieux plus généreux : en Europe, mais aussi en Éthiopie et dans les États de la péninsule arabique. Cette immigration, en nombre limité somme toute, résulte entre autres de la répression en pays majeerteen, qui suit le coup d’État manqué d’avril 1978. En l’occurrence, on observe qu’elle est davantage le fait d’une élite qu’elle ne représente une fuite économique de masse. D’autres départs de ce type s’opéreront aussi en pays isxaaq et en pays hawiiye, qui se révéleront propices à établir à l’étranger un socle d’opérateurs économiques avisés. Dans la décennie qui suit, au fur et à mesure que s’accroît la contestation, la répression qui l’accompagne et la guerre civile qui se développe enjoignent un nombre toujours plus important de Somaliens à quitter dans la précipitation leur pays pour les camps de réfugiés qui se multiplient au-delà de la frontière. Pour les plus vulnérables, les nomades en particulier, ce sont les camps de Djibouti, d’Éthiopie et du Kenya ; pour les plus entreprenants ou les mieux lotis, ces camps ne constituent qu’une étape avant l’Europe, l’Amérique du Nord ou les États de la péninsule arabique. À partir de 1991, suscité par un sauve-qui-peut quasi général, un flux ininterrompu de Somaliens tente de quitter le pays qui, selon les régions, se tient en guerre ou en guerre larvée. Si jusqu’alors la masse des candidats à l’immigration relevait plutôt des lignages isxaaq du Somaliland, ce sont désormais les familles darood, en majorité Mareexaan et Dhulbahaante, qui prennent le chemin de l’exil, entraînant dans leur sillage de petits groupes incapables de résister seuls à la violence. Ainsi, en 1995, on peut déjà considérer que, hors quelques culs-de-sac migratoires, la diaspora occupe trois espaces concentriques : - une couronne de proximité constituée par l’Éthiopie, le Kenya, Djibouti et le Yémen où se précipitent à la première alerte les gens en danger. Ceux-ci sont supposés profiter de la présence de Somali autochtones qui alimentent un important commerce transfrontalier ;
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Si tant est que la révolte du Sayid Maxamed Cabdulle Xasan entre 1899 et 1921 en ait explicitement relevé. 2 Sévissant de 1974 à 1975 , les Somali lui donnent le nom de abaartii dabadheer, la « sécheresse (famine) de la longue queue ». 30
- la péninsule arabique, destination ancienne de migrants désormais éduqués ou enrichis, où commencent à se constituer dans les émirats des centres d’import-export importants. Plus décisives encore pour l’avenir, les plates-formes financières de Dubaï et de Jedda s’organisent en centres nodaux vers lesquels converge progressivement la quasitotalité des flux d’argent manipulés de par le monde par les hommes d’affaires somali ; - les pays occidentaux enfin d’où sont venus les premiers fonds importants et qui abritent aussi maintenant une élite intellectuelle et économique. Les implantations les plus actives se situent en Amérique du Nord, au Royaume-Uni et en Australie, tandis que les Pays-Bas et les pays scandinaves dont la politique migratoire est souple accueillent déjà dans leurs villes d’importantes communautés. Dans le contexte du tarissement drastique des revenus somaliens qui prévaut désormais, un système de transfert d’argent de particulier à particulier se développe, grâce auquel l’émigré fournit à sa famille les moyens de sa subsistance. Constituant un modus operandi efficace pour les flux financiers de toute dimension, il prend dans les dernières années du siècle des proportions inattendues, jusqu’à devenir la colonne vertébrale des échanges ordinaires puis à s’étendre à toutes les formes de l’activité économique, de la plus légitime à la plus dévoyée. Le succès de méthode n’échappe pas aux mouvements musulmans radicaux, somali certes, mais étrangers aussi. Tous vont avoir à cœur d’en user pour investir un pays séduisant par son absence d’État, son absence d’ordre formel et partant, par les exceptionnelles capacités qu’il offre en matière de clandestinité. Introduit par des musulmans fondamentalistes somali, le destin des populations tombera plusieurs années plus tard entre les mains de gens venus d’ailleurs dont à la façon d’un papier poisseux, la population abandonnée par une société internationale incapable de comprendre ses ressorts profonds ne parviendra pas à se défaire.
Les ambiguïtés nord-européennes Il faut aussi observer qu’à partir de 1995, la présence des réfugiés commence à gêner certains gouvernements européens qui sentent combien l’attractivité de leur société entrave toute velléité de retour. En Finlande entre 1991 et 1996, leur nombre double pour atteindre 4 000 personnes du fait des regroupements familiaux, faisant des Somaliens le premier groupe national de réfugiés du pays. Au début de 1996, une délégation est envoyée par l’Office suédois de l’immigration afin de s’enquérir de la situation et d’évaluer les dangers auxquels seraient exposés dans l’hypothèse de leur retour des demandeurs d’asile dont le nombre est désormais jugé préoccupant. L’office estime en effet que, hormis ceux qui sont originaires du sud du pays, la plupart pourraient maintenant très bien rentrer chez eux. Cette mission qui part pour cinq semaines en janvier et février est constituée 31
de représentants des pays nordiques, Danemark, Finlande et Suède. Il se trouve cependant que le groupe se contente de passer quinze jours à Nairobi sans parvenir à organiser son déplacement avant de rentrer bredouille. Une seconde mission à peine plus fructueuse sera organisée en février de l’année suivante1. Dès lors, les rapatriements se feront au coup par coup avec une maladresse liée à une connaissance insuffisante de la situation politique, des terroirs et des gens.
Les envois de fonds - remittance Quelle qu’ait été au cours de son histoire la pertinence de choix politiques qui ne regardent qu’elle, la République de Somalie reste un État structurellement confronté à des difficultés économiques majeures : territoire difficile, ressources rares, des malchances aussi comme ces années de sécheresse auxquelles la famine succède immanquablement, sont des paramètres qu’il est difficile d’imputer à une quelconque impéritie de ses dirigeants ; en revanche, sur ce fond calamiteux, la guerre de l’Ogadèn de 1977 a constitué une fuite en avant nationaliste désastreuse, venue encore tout compliquer. C’est en tout premier lieu la nécessité de subvenir aux besoins de la famille restée au pays qui, au fur et à mesure de la dégradation des situations, économique puis sécuritaire, de la Somalie, a conduit certains immigrés à rechercher des solutions à l’acheminement de l’argent de la diaspora. On se souvient que depuis les années 70 dans les pays du Golfe puis à partir du milieu des années 80 en Occident, la Somalie a constitué un réservoir de main-d’œuvre, seule richesse à bien y regarder que ce pays n’ait jamais eue à exporter. Recevant, aussi modestes soient-ils, des salaires incomparables à ceux que pouvait leur offrir leur propre pays, ces migrants ont à cœur soit d’acquérir des biens de consommation soit d’acheminer de l’argent à leurs proches par le truchement de commerçants. Ceux-ci payaient les parents en shillings somaliens – monnaie non convertible – et utilisaient les devises lourdes qui leur avaient été remises pour effectuer leurs propres achats. La faible valeur de la monnaie somalienne et la rigueur de la politique monétaire d’un pays dramatiquement dépourvu de devises lourdes rendait alors difficile l’acquisition de biens coûteux pourtant nécessaires au développement du pays. Il reste que ces contraintes liées aux choix gouvernementaux – contrôle des changes, autorisation précaire des licences en franco valuta notamment – ont, dès les premières difficultés surgies dans les années 1970, conduit les expatriés de plus en plus nombreux à rechercher des solutions à l’acheminement de devises vers la Somalie. Le système des importations de marchandises en franco valuta, tant qu’il a été toléré, permettait aux exportateurs de pallier la pénurie de devises fortes en 1
La Lettre de l’océan Indien (LOI) n°749. 18 I 1997.
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leur offrant la possibilité de ne rapatrier qu’une partie de leurs bénéfices. Les commerçants qui détenaient des devises acquises à l’étranger sous-facturaient des transactions et, par ce biais, y conservaient une partie de leurs recettes d’exportation. Afin de compléter leurs disponibilités, ils se procuraient des devises sur les marchés parallèles ou recouraient à une collecte auprès de travailleurs émigrés auxquels ils rachetaient en shillings la part de leur salaire envoyé au pays. Se chargeant de son acheminement, ils n’avaient plus besoin de passer sous les fourches caudines d’un système de contrôle des changes surévaluant systématiquement la monnaie nationale. Quant aux devises fortes collectées, elles étaient investies en nature dans les importations les plus variées. Ce système d’échanges commerciaux non officiels était justifié par l’écart croissant entre le taux de change officiel du shilling somalien et le taux du marché parallèle. L’impatriation de fonds détenus à l’étranger par des expatriés, opération désignée par le terme anglais de remittance, peut s’opérer selon cinq méthodes de transfert : - en transportant l’argent soi-même ou en le faisant transporter par l’intermédiaire d’un tiers de confiance, un proche le plus souvent ; - en acquérant des articles de bonne valeur dans le pays de résidence en vue de les revendre ou d’en faire soi-même usage dans son propre pays ; - en procédant à une transaction de banque à banque ; - en usant des services de compagnies de transfert d’argent dont les plus connues sont déjà Western Union et MoneyGram ; - en recourant à un système informel. Les deux premières méthodes ont été utilisées entre les pays du Golfe et la Somalie tant que la situation sécuritaire n’a pas posé de problèmes aussi dissuasifs que les dysfonctionnements aéroportuaires ou l’institutionnalisation des rackets. Les deux suivantes n’ont été possibles que tant que banques et sociétés de transfert ont pu maintenir leur enseigne dans les villes somaliennes. Mais avec la disparition définitive de l’État à partir de 1991, une solution plus pertinente s’impose naturellement : la xawaalad. Ce système, depuis longtemps répandu sous diverses formes dans l’ensemble du Moyen-Orient et jusqu’au continent indien, existait déjà en Somalie à l’état rudimentaire.
La xawaalad Autour de l’année 1995, l’usage de la xawaalad accuse un développement exponentiel. Propre à répondre à l’isolement croissant de l’espace somali, la méthode bénéficie fortuitement de l’essor concomitant de nouveaux procédés de télécommunication à l’échelle planétaire. Internet, téléphonie mobile, numérique, réseaux radio 33
satellitaires, etc. octroient ainsi des outils inattendus au désenclavement financier des Somaliens. Pourtant en soi, le principe de la xawaalad est vieux de plusieurs siècles. Il était déjà présent, semble-t-il, le long des grandes routes de commerce, « Route de la Soie », « Route de l’Encens ». Le mot, à défaut de lui reconnaître une autre origine, serait fondé sur une racine arabe, plus précisément sur une forme dérivée1. Il n’en reste pas moins depuis longtemps utilisé en Inde où il est désigné sous le terme hindī de hawala qui signifie « confiance ». Reproduit dans l’ensemble du Proche et surtout du Moyen-Orient par la tradition islamique dont il ne contrevient pas aux règles en matière d’usure, les Somali se le sont approprié sous l’orthographe de xawaalad2. Le fonctionnement est d’une extrême simplicité. Un Somalien installé dans un étranger ultramarin souhaite envoyer de l’argent à un parent habitant en Somalie ou dans un camp de réfugiés en Éthiopie, à Djibouti ou au Kenya. Il apporte l’argent, en livres sterling ou en dollars, au courtier de la xawaalad de son pays d’accueil. Celui-ci prend alors contact par fax ou par téléphone avec son correspondant somali établi quoi qu’il en soit au plus près du parent récipiendaire. Une fois que les identités ont été enregistrées et vérifiées, la somme équivalente – hors commission – est aussitôt remise à ce dernier3. Ce système fondé sur la confiance se révèle beaucoup moins onéreux et bien plus rapide que les autres moyens de transfert d’argent, d’autant que des sociétés comme Western Union ou MoneyGramm ne sont pas ou plus implantées sur le territoire somalien. Le modus operandi qui s’organise se veut le plus économique possible, tant pour le donateur que pour le récipiendaire. Accédant à la performance, son succès même le met en situation de s’améliorer puis, partant, de se développer. Aussi est-ce très précisément cette pertinence qui, entre autres, atteste de l’exceptionnelle adaptabilité du peuple somali et du caractère fallacieux de la mise en exergue simpliste d’un « chaos somalien ». L’affaire bien plus complexe mérite d’être analysée avec davantage d’acuité. Dans la première moitié des années 1990, le système d’envoi de fonds est resté très informel et individualisé. Il est fondé sur la relation de confiance établie avec un porteur ou courtier connu : - le premier procédé peut être le convoyeur se rendant en avion vers les villes avec la livraison quotidienne de qaad ; la médiocrité des [ ﺣﺎلar. ḥāla] « changer d’état » et précisément [ َﺣﻮاﻟَﺔar. ḥawāla] qui désigne le « transfert d’une créance sur un tiers ». 2 [som. xawilaad - pl. xawaalado]. Nous retenons le féminin puisque le somali tient le mot au féminin : xawaalad-da. 3 La commission qui oscille entre 2% et 5% tendra à diminuer au fil des ans. Pour les petites sommes, au fur et à mesure de son succès, il arrivera fréquemment qu’aucune ne soit prélevée. 1
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communications à l’intérieur de la Somalie en limite toutefois considérablement la capacité et la sécurité ; - le second engage l’opérateur radio d’une station haute fréquence (HF) locale qui fait office d’intermédiaire, de courtier. L’argent ne voyage plus. Le procédé, qui présente ainsi pour les fonds un risque a minima et s’appuie à l’ordinaire sur une relation clanique, prend dès lors un essor important. Les transferts s’effectuent désormais par une autorisation de paiement délivrée sur des réseaux de radios HF privées, seul moyen de télécommunication alors disponible. Les opérateurs ont affaire à de petites sommes d’argent, de l’ordre de 50 à 100 dollars pour une famille, dont le remboursement leur est assuré, commission incluse, par le courtier établi à l’étranger. La réception de l’argent est confirmée par le bénéficiaire sur le réseau HF. De la sorte, les opérateurs radio HF locaux constituent le premier embryon somali du système xawaalad, même si leur manque de capital confine le service à un niveau d’affaires réduit. Après l’effondrement de l’État, et en l’absence d’un système bancaire formalisé et fiable, le succès de la méthode prend une ampleur nouvelle. Cet accroissement devient exponentiel après que les troupes étrangères ont quitté le pays de sorte que les xawaalado prennent peu à peu un tel volume qu’il leur devient nécessaire de structurer de manière rigoureuse leur organisation. Dès lors, et bien que le principe vienne en aide à une grande partie de la population en difficulté, hommes d’affaires, mais aussi affairistes trouveront commode d’en user voire d’en abuser. C’est pourquoi se dessine le moment où, à leur insu parfois, des argents délictueux sont en passe d’être véhiculés : argent de la guerre, argent des trafics et notamment argent d’un islam intégriste de moins en moins somali. Vers le milieu des années 1990, dans un pays sans État, ces types d’activité se développeront d’autant plus librement que toutes les opérations techniquement envisageables pourront être mises en œuvre sans qu’aucune préoccupation éthique ne se dessine, propre à entraver les mouvements. Leur caractère opaque se situe le plus souvent aux confins de l’informel et du criminel. À l’intérieur du pays somali, l’entreprise ne sera jamais illégale puisque aucune coercition légitime n’y prévaut plus désormais ; à l’extérieur, nul n’en prendra – sinon maladroitement – ombrage : on ne peut guère reprocher aux banquiers de n’avoir jamais engorgé les prisons de la planète. Reste qu’à partir de 1995, bien que dans les petites localités les opérateurs radio HF continuent à jouer un rôle dans ces transferts, la plupart sont alors absorbés, engagés par des compagnies de plus grande taille qui les recrutent comme agents locaux, opérant sur commission. Cette implantation locale donne aux compagnies la capacité d’atteindre virtuellement chaque communauté du pays. Dès lors, les xawaalado proposent des remises sur l’achat à crédit de postes
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HF aux opérateurs établis dans les villages les plus isolés, leur demandant en retour de travailler exclusivement pour leurs agents.
Le mécanisme de la xawaalad Or, coïncidence de l’histoire des sciences et des techniques, il se trouve que l’addiction croissante des Somaliens à l’argent de la diaspora coïncide avec l’évolution du secteur des télécommunications sur l’ensemble de la planète. Dès lors, la ressource monétaire jusqu’alors contenue entre pays de la périphérie et pays du Golfe prend désormais une envergure mondiale. Profitant de l’aubaine, les sociétés de xawaalad connaissent un développement sans précédent, favorisé entre 1994 et 1995 par l’introduction en Somalie de la première compagnie privée de téléphone satellitaire. Si les réseaux téléphoniques sont dans un premier temps confinés autour de Hargeysa et de Muqdishu, ils s’étendent rapidement entre 1995 et 2000 à la plupart des villes de moyenne dimension, voire jusqu’à quelques villages. De la sorte ébauchées, de nouvelles possibilités de contacts préparent l’aire somalienne à intégrer un modèle économique nouveau au seuil d’une mondialisation largement balbutiante encore. Au fur et à mesure de son succès, l’espace occupé par le phénomène xawaalad change donc de forme. Des regroupements s’opèrent et une concurrence s’établit, souhaitant étendre son propre territoire. À la fin des années 90, trois sociétés auront ainsi émergé jusqu’à prendre une dimension internationale spectaculaire : - Dahabshiil1, la plus ancienne et désormais la plus puissante, s’est progressivement constituée à partir d’une entreprise commerciale ordinaire fondée par un Isxaaq Habar Jeclo de Burco, Maxamed Siciid Cabdi Ducaale. Son histoire offre un parfait exemple du processus qui conduit à la constitution des xawaalado somaliennes. Dans les années 1970, les activités commerciales que la société a développées aux EAU suggèrent à ses dirigeants de se spécialiser dans le transfert d’argent. Les Habar Jeclo émigrés dans le Golfe cherchent en effet à envoyer au moindre coût une partie de l’argent qu’ils gagnent à leurs parents restés en Somalie. Les contrôles des changes drastiques imposés par le gouvernement de Siyaad Barre engagent alors les commerçants à jouer de la franco valuta pour importer en Somalie des marchandises qu’il leur faut acquérir en monnaies fortes aux Émirats. Observant qu’ils peuvent acquérir de ces devises auprès des travailleurs émigrés en échange de la livraison de leur contrepartie en shillings somaliens à leurs familles, ce type de transaction en vient à constituer le cœur de leur entreprise au cours des années 1980. Ruinée cependant par la guerre civile qui fait rage au Somaliland, la famille de Maxamed Ducaale se réfugie alors dans l’Ogadèn éthiopien. À partir de là, grâce au réseau de contacts qu’il a conservé dans le 1
[ar. ذَھَﺐ ﺷ ﯿﻞḏahab shīl « coquillage d’or »]. En somali, « fondeur d’or » ou « flux d’or ».
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Golfe, Maxamed parvient à remettre sur pied une petite entreprise et à ouvrir un petit comptoir en Éthiopie à l’usage des réfugiés à Djibouti et en Éthiopie. Peu après, en 1989, le fils de Maxamed, Cabdirashiid, ouvre un bureau à Londres où de nombreux Somaliens du Nord se sont également réfugiés durant la guerre, et d’où il commence à étendre son affaire au fil de l’accroissement de la population somali au RoyaumeUni. L’affaire est suffisamment florissante pour qu’établi à Dubaï et à Londres, Cabdirashiid obtienne avec ses quatre enfants la citoyenneté britannique. - Al Barakaat a entrepris son activité en 1986. Elle prend également une dimension nouvelle au fur et à mesure que le système de la xawaalad s’impose ; établie à Muqdishu en octobre 1996 la société, dirigée par Axmed-Nuur Cali Jimcaale, sera inquiétée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Bien que blanchie, elle ne se relèvera cependant jamais vraiment de cette mise en cause. - Amal Express fondée en 1997 constitue le modèle du regroupement des « micro » xawaalado fondamentales dont elle regroupe 7 puis 13 d’entre elles en une organisation unique afin de résister à la pression de la concurrence1. Al Barakaat et Dhahab Shil, qui se sont notablement développées dès 1991, prennent à partir de 1995, mais plus encore à partir de 2000, un essor considérable. Mettant en relation la diaspora avec parents ou associés demeurés en pays somali jusqu’au fond de la brousse, elles opèrent et interagissent à travers deux places financières installées dans la péninsule arabique : Jedda et Dubaï. Pourvues d’une population somalienne nombreuse, c’est à partir de ces positions ainsi que d’établissements aux Émirats arabes unis que va s’organiser une plateforme économique reliant les milieux d’affaires somaliens au reste du monde, plus particulièrement au monde musulman, mais plus particulièrement encore à la nébuleuse islamiste. Une mise en garde toutefois est maintenant nécessaire. Il est en effet inapproprié d’observer le système qui prévaut jusqu’aux années 2000 en le mesurant à l’aune de ce qu’il sera devenu quelque dix ans plus tard. Il conservera certes la simplicité de sa fonction de base, l’envoi de fonds, la remittance, fondement essentiel de sa réussite dans les années qui nous occupent2. Mais sa croissance exponentielle, son succès,
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D’autres encore suivront : Mustaqbal Express dont le siège est installé à Dubaï est fondé sous législation des EAU en novembre 1999 ; Kaah Express en février 2000 ; Hodan Global Online créé en février 2001 par un groupe d’actionnaires privés ; Qaran Express également fondée en 2005 par un groupe d’actionnaires privés ; Iftin Express basée au Royaume-Uni, Olympic qui demeure une organisation discrète, Amana Express, Tawakal Express, etc. 2 MENKHAUS, Ken. Remittance companies and money transfers in Somalia. October 2001. 37
l’auront alors conduit à se diversifier au fil d’une somme de fonctions annexes1. Adossés à leur fonction primitive, l’accroissement de leur surface et le caractère informel de leur mode de fonctionnement rendent par ailleurs les xawaalado vulnérables à des intrusions indésirables. Car la disparition de l’Etat a fait de la Somalie non cet espace de non-droit particulier que l’on se plaît à décrire, mais un espace de non-droit international. Autorisant puis sanctuarisant tous les dévoiements possibles de l’intelligence politique et économique, prototype monstrueux d’un libéralisme incontrôlé, l’ancienne Somalie est devenue un terrain vague sur lequel aucune police n’est plus en mesure de veiller. Aussi contient-elle en gésine une matière prête à exploiter toutes les faiblesses de cette mondialisation qui se dessine. Pays sans ordre politique aisément compréhensible par le reste du monde, le monde somali renoue avec ses structures précoloniales, ses fractionnements claniques tant à travers ses luttes qu’à travers ses modes de solidarité. Dans ce vide, les plus entreprenants, qui ne seront jamais les plus probes, attesteront sans vergogne de l’exceptionnelle adaptabilité de ce peuple rendu plus astucieux peut-être par la rudesse de son espace. En quelques années, des chefs de bandes délinquantes2 y prennent le contrôle de territoires en instrumentalisant la force du lignage ; ils disposent dès lors d’outils nouveaux dont ils apprennent à user par une maîtrise étonnante des réseaux de télécommunications, en rétablissant des lignes de transport – aériennes et maritimes – et fort de tous ces moyens en fondant une nouvelle économie. Celle-ci sera construite sur un système bien moins informel qu’il n’a semblé à beaucoup, voire qui se révélera suffisamment rigoureux pour créer des fortunes. Pas de chaos donc, mais un autre ordre, simplement hors du nôtre, pas même sans morale, mais simplement hors de l’idée que les Occidentaux s’en font. Il reste que le tout économique qui en résultera ne tardera pas à montrer les vulnérabilités de ce qui relève d’une mondialisation dévoyée, allant jusqu’à miner les fondements de l’âme somali, auto sacrifiée en moins d’un lustre sur l’autel d’un islamisme ravageur.
De l’informel au criminel Au milieu des années 1990, plus que jamais, la diaspora somali constitue la principale sinon la seule source de revenus d’une population qui ne produit quasiment rien. Au mieux les Somaliens parviennent-ils parfois, dans quelques régions épisodiquement épargnées par la guerre, à subvenir approximativement à leur
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PEROUSE DE MONTCLOS, Marc-Antoine. Diaspora et terrorisme. Presses de Sciences Po. Paris 2003. 2 Ceux que les journalistes nommeront « seigneurs de guerre ». 38
autosubsistance1. Sauf qu’après le départ des Nations unies, dans cet espace abandonné à la discrétion des plus forts, des fiefs impunément s’organisent. Constitués autour de quelques personnalités tirant dans leur sillage des solidarités claniques, leur activité s’éloigne de plus en plus des considérations politiques particulières pour s’inscrire dans la recherche ordinaire d’un enrichissement erratique. La multiplicité des mouvements qui en résultent comme la diversité des agrégats qui se constituent dès lors donnent une apparence de désordre, d’incohérence. Pourtant, ces plates-formes d’intérêts qui s’organisent ont besoin, notamment pour fonctionner avec leurs relais extérieurs, d’un certain nombre de règles. Se met alors en place un système informel puisque nul Etat désormais n’est en mesure de le revendiquer, un système à la fois autiste et prédateur, rendu opaque par l’absence presque totale sur son sol d’observateurs étrangers pertinents, sinon quelques humanitaires, les myopes de circonstance, ou quelques indispensables complices mafieux. Acteurs utiles que ces derniers, alors que la société somali lance entre les divers fiefs qui se partagent son territoire originel et ses implantations étrangères cette somme de passerelles qui finit par constituer un réseau à la fois intrusif, épiphyte et hermétique : - intrusif parce que grâce à sa diaspora, il insinue rapidement ses harpons dans les failles que présentent les différentes législations étrangères, notamment celles qui s’inscrivent dans cet espace libéral radical qui découvre les prémisses d’une mondialisation encore loin d’avoir trouvé ses marques. Rapidement maîtres des progrès que les télécommunications réalisent à la fin du siècle et des techniques virtuelles de l’internet qui les accompagnent, ils sont très vite en mesure de s’affranchir de tout contrôle désobligeant de la part des pays d’accueils. Ces mêmes contrôles, s’ils y ont jamais existé, sont bien sûr parfaitement chimériques sur le territoire somalien. À l’étranger, la situation permet de développer des bases d’implantation et des centres nodaux de fait, propres à gérer toutes sortes de mouvement d’argent, de biens, voire d’idées. - épiphyte parce qu’il se comporte à la façon du nomade en transhumance identifiant un pâturage ou un point d’eau. Posé sur son environnement à l’étranger, il jette sur celui-ci un regard purement utilitaire, voire prédateur parfois, mais indifférent à tout ce qui le constitue hors le service spécifique qu’il en attend. Ne considérant que leur état d’État, il s’attache à leur écorce 1
MAHDI Abdi Abdille. Diasporas and their role in the Homeland Conflicts and Peacebuilding : The Case of the Somali Diaspora. Diaspeace Workingpaper n°7. 2010 ABDI M. Kusow, BJORK Stephanie R. From Mogadiscio to Dixon, the Somali diaspora in a global context. Red Sea Press. 2007. PINAULDT, Géraldine. « La Diaspora somalienne – Éléments sur un acteur clé du conflit » MinDéf & AC /DAS : Paris, mars-avril 2011. 39
institutionnelle, administrative et organisationnelle dont il se nourrit et use à l’envi. L’exercice trouvera cependant ses limites quand plus malin il retournera contre lui le processus, à son insu parfois, parfois avec des complicités intérieures. C’est ainsi qu’un activisme musulman radical et violent pénétrera le tissu somali. - hermétique parce que, transcendant les luttes internes, il passe par un consensus de sanctuarisation de l’espace où fondamentalement nul non-Somali n’est le bienvenu ; il en résulte que, d’un point de vue somali, de l’homme d’affaires dévoyé au berger misérable, il y a d’une part le sanctuaire, l’aire soomaali traditionnelle, le « Somal », avec son peuple, sa langue et ses lois, et d’autre part un nouvel espace d’évolution, la planète, the rest of the world. Certes, le dispositif informel dont il s’agit suscitera nombre de commerces légitimes à défaut d’être légaux. Mais cet informel assurera surtout la prospérité de domaines où prévaudra un manque de transparence délictueux. Les Somaliens usent de trois métaphores pour évoquer ces applications troubles : - musuqmaasuqa, la corruption, - suuqa madow, le marché noir - hawlfududaynta, la malversation, la combinazione (mot à mot, « le travail facilité » ) Il est aisé de trouver dans le quotidien des personnes des applications de ces principes, insignifiantes, somme toute, tant qu’elles ne dépassent pas le niveau de la simple débrouille. Certaines d’entre elles en revanche revêtent d’emblée une dimension véritablement criminelle qui nécessite un regard plus attentif alors que, après les Somaliens euxmêmes, le monde a renoncé à tout contrôle crédible de cet État en déshérence. C’est ainsi qu’en dépit de la résolution 733 du 23 janvier 1992 stipulant l’embargo, le commerce des armes – à la fois outils de la guerre et objets du commerce – ne peut en Somalie que reprendre un essor déplorable, mais patent. Il revêt en quelque sorte trois aspects qui suscitent à des degrés divers des gains donc une circulation d’argent : - les échanges intérieurs à proprement parler ; - l’acquisition d’armes sur le marché international au profit des factions ; - la situation de plate-forme régionale pour la contrebande. Le commerce intérieur est complexe. Vendre un stock d’armes en surplus permet par exemple d’acquérir de la nourriture ou du qaad ; en acheter pendant que les finances sont florissantes signifie aussi une préparation à l’affrontement. Ce contexte est favorisé par les nouvelles tensions qui s’établissent entre l’Éthiopie et l’Érythrée. Lorsqu’elles se transformeront en hostilités les deux États du Nord deviendront d’actifs pourvoyeurs de matériels de guerre dont ils regorgent, entreprenant par 40
procuration la poursuite de leur propre différend sur le théâtre somalien. Mais le secteur criminel est beaucoup plus complexe, plus étendu aussi. Il se décline jusqu’à la passation de marchés criminels tels que l’autorisation d’enfouir des déchets toxiques ou de les larguer au large des côtes somaliennes. La plupart du temps, ce type de forfait résulte de ou passe par la complicité voire la sollicitation d’affairistes non somaliens, occidentaux notamment. Les déversements identifiés de déchets toxiques seront effectués par des sociétés européennes, l’Italie restant la plaque tournante des trafics, avec l’accord de chefs somaliens rémunérés pour la circonstance, indifférents ou inconscients face au danger représenté. De même, la réaction des populations de la côte nord-est face au pillage de leur ressource halieutique par les marins occidentaux et asiatiques va glisser du simple octroi de licence de pêche à l’industrie de la piraterie. Ce type de dérive prend un réel essor à la fin de l’année 1994, moment à partir duquel on verra se multiplier rapts et assassinats. Mais avant de revenir sur ces deux aspects particuliers, il faut encore observer comment se réorganisent les moyens matériels indispensables à la mécanique des échanges internationaux.
LA REDISTRIBUTION DES PLATES-FORMES D’ECHANGES Car que ce soit la banane, les armes, le qaad ou un peu plus tard les rançons, tous les commerces exigent des infrastructures disponibles et fonctionnelles, a minima ouvertes sur le vaste monde.
La territorialisation C’est cette nécessité qui fonde la territorialisation de toute faction ou bande criminelle dont la survie économique dépend de l’existence d’un aérodrome, d’un port ou d’un axe routier, installations dévolues à son propre usage certes, mais dont il peut aussi négocier des droits d’utilisation. Le territoire du clan est naturellement tout indiqué à cet usage. Sa protection fournit des emplois donc se fonde sur les liens ordinaires de la solidarité qu’il encourage. Il n’y suffit pas toujours néanmoins. On observe par exemple que, bien située au milieu de la côte du Banaadir, Muqdishu occupe une position stratégique. La ville-port est en effet établie à la poignée de l’éventail des axes de redistribution du Sud somalien, que ce soit vers Eyl, Beledweyne, Baydhabo ou la vallée de la Jubba, une situation qui justifie partiellement – hors tout symbole politique – l’intérêt que les chefs de bandes criminelles portent à la capitale. Aussi, au fur et à mesure de l’accroissement du pouvoir des affairistes, seuls en mesure de dispenser quelque richesse à un peuple qui attend de moins en moins de ses candidats politiques, se met en place une 41
sanctuarisation des bandes criminelles à base clanique sur l’ensemble des districts de la capitale et de sa périphérie. Subsumant l’espace urbain, ce territoire reproduit les caractéristiques du domaine provincial originel du lignage. Dans la capitale, la délimitation plus étroite d’un espace à défendre les armes à la main suscite aussi un complexe obsidional qui interprète tout mouvement exogène au groupe comme une menace avérée. Seul échappe à ce phénomène la quartier de Bakaaraha, sorte de zone franche où s’installent les entreprises financières et de télécommunications. Là, au milieu d’une capitale ruinée vont s’élever bientôt quelques immeubles modernes abritant leurs bureaux et leurs installations. Devant eux sont rangées de somptueuses voitures 4x4 dont en province le prix d’une seule suffirait à faire vivre une année entière une poignée de villages.
La sanctuarisation des plates-formes portuaires et aéroportuaires Mais la territorialisation en soi n’y suffit pas, il faut des exutoires et des points d’entrée. Autour de Muqdishu, l’accaparement du port et de l’aéroport par la puissante milice de la SNA a conduit les autres factions à entreprendre la construction d’installations périphériques1. Avant d’en être complètement arrivées là, les milices somaliennes avaient depuis un moment déjà pris soin de se positionner pour l’aprèsONUSOM. À l’issue des combats qui, en juillet 1994 à Muqdishu, ont chassé les Xawaadle du quartier de Madiina2, les miliciens Cayr du général Maxamed Nuur Galaal ont pris le contrôle de l’aéroport. Ce succès des Habar Gidir ne doit pas faire oublier que cet officier avait ouvertement pris parti pour Cali Mahdi après la chute du régime puis s’était fait politiquement plus discret tout en restant hostile à Caydiid. Sa fraction en particulier, le clan Ayaanle des Cayr s’est en effet souvent posée en rivale des Sacad du général Caydiid. Il n’en demeure pas moins que, depuis la fin de l’année 1994, le contrôle de l’aéroport et de ses alentours est bien resté entre les mains de la SNA ; celui du port aussi d’ailleurs3. Ainsi, après s’être emparé de Baraawe en novembre 1993 et de Marka vers mars 1994, la SNA contrôle maintenant la plus grande partie du littoral c’est-à-dire, dans l’immédiat arrière-pays, les points de sortie des bananeraies du Shabeellaha Hoose. Autour de Muqdishu, de nouvelles installations se sont donc développées, qui prendront toute leur importance au fur et à mesure de l’intensification de la circulation des biens et des services à destination de la Somalie. Car il faut surtout garder à l’esprit que l’absence de pouvoir politique ne se traduit absolument pas par une paupérisation 1
MARCHAL, Roland. A survey of Mogadishu’s Economy. European Commission Somali Unit. Août 2002. 2 Nom récent du quartier de Wadajir. 3 Les 5 et 8 mars 1995, un modus vivendi précaire est trouvé entre les deux factions. 42
générale. Muqdishu va devenir, dans les années qui viennent, le duty free de l’Afrique de l’Est. Seul le marché prévaut ; la Somalie est devenue le seul exemple planétaire achevé de l’ultralibéralisme économique vers lequel beaucoup craignent que désormais se dirige le cours du monde. C’est ainsi que sont apparus respectivement situés au nord et au sud de la capitale, les mouillages « secondaires » de Jasiira ou de Ceel Macaan, naguère simple rade foraine. De même, à côté des aérodromes de Aadan Cadde à Muqdishu et de Balli Doogle à Wanleweyn ont été aménagées les pistes d’atterrissage de Jasiira à proximité du port et du K501 sur la route de Marka, de Cisaleey et surtout de Dayniile au nord et à l’ouest de la capitale. Bien plus au nord sur la rivière Shabeelle, la région du Hiiraan est quasiment tombée depuis août 1994 sous le contrôle de la SNA au terme d’une opération organisée par Cismaan Caato. Les Xawaadle, déjà chassés presque sans combat de Beledweyn, ont aussi perdu Buulo Barde et Jalalaqsi et en sont réduits à miner les itinéraires pour tenter de reprendre pied dans ces villes situées sur leur territoire et pour empêcher d’y circuler les convois de la SNBulxan2.
Télécommunications et compagnies aériennes Parallèlement à l’ensemble de cette conquête des infrastructures territoriales se développent par ailleurs les sociétés de transmission et les compagnies aériennes. Xawaalado, compagnies aériennes et sociétés de télécommunications s’apprêtent à constituer, hors tout cadre étatique, l’infrastructure d’un système économique fondé sur le principe de confiance induit par les solidarités lignagères3. Aux deux compagnies aériennes kenyanes qui arment initialement les approvisionnements en qaad et assurent le transit des armes – Knight Aviation et Bluebird Aviation – s’ajoutent puis se substituent à partir de 1996 des entreprises somaliennes dont les principaux directeurs seront Cismaan Caato et Muuse Suudi Yalaxoow. De la même façon, des sociétés de communications performantes sont sur le point de s’installer, adossées aux principaux lignages. A Muqdishu ce seront Aerolite et Al Barakaat Telecom dirigées par les Habar Gidir et Nationlink par les Abgaal. Mais d’autres compagnies, plus petites, assurent les communications avec les centres indispensables de province. Ainsi se développent entre autres GAICOM à Gaalkacyo ou NETCO à Boosaaso qui devient un centre économique majeur. Au
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Il se substitue à celui du K60, situé dix kilomètres plus au sud et détruit par les Pakistanais en 1993. 2 À la fin octobre, Cismaan Caato lui-même est blessé à proximité de Beledweyn par l’explosion d’une mine. Il sera hospitalisé à Nairobi. 3 PEROUSE de Montclos, Marc-Antoine. Réseaux financiers, diaspora et hawilad : le rôle clé de la péninsule arabique entre l’Occident et la Somalie. Autrepart 16. 2000 : 99-116. 43
Somaliland se développe le même processus, avec la création à Hargeysa de la SOTELCO qui appartient aux Isxaaq.
L’espace portuaire Au port de Muqdishu, toujours entre les mains de la SNA, la situation est chaque jour plus tendue entre les deux factions qui en contrôlent les accès et les installations. Certes les convois de Sombana et de Somalfruit y accèdent librement. Les incidents ne s’en multiplient pas moins. Les deux sociétés s’accusent mutuellement d’utiliser leurs milices pour empêcher l’accès au quai d’embarquement des cargaisons du concurrent. Ainsi, le 10 janvier, un commando ouvre le feu sur la maison des employés philippins de Sombana et le 2 février, un bref accrochage oppose à l’entrée du port les transporteurs des deux sociétés. Ce jour-là, les milices de la compagnie Sombana bloquent le port pour empêcher les camions appartenant à Somalfruit d’y décharger leurs cargaisons de bananes. Une douzaine de Somaliens sont tués dans les affrontements qui s’ensuivent. Dans l’après-midi du même jour, des tirs d’armes lourdes parties de Muqdishu visent en représailles le bateau de la Sombana à l’ancre dans le port sans toutefois parvenir à le toucher. La concurrence prend un tour plus dramatique avec l’assassinat d’un cameraman de la RAI, Marcello Palmisano, le 9 février, à une centaine de mètres de l’aéroport gardé par l’ONUSOM, et l’enlèvement de la présentatrice Carmen Lasorella. Un projet de visite de la région agricole à bord de véhicules arborant les marques de Somalfruit se conclut, en plein jour, sur l’encerclement du convoi par 9 technicals et l’exécution sommaire du journaliste italien, seul blanc présent, peut-être par méprise. L’assassin sera identifié comme étant le beau-frère du directeur de Sombana, Axmed Ducaale Geelle Xaaf, par ailleurs propriétaire de la compagnie de transport Somali-Italian Transport and Trade (SITT). Devant la magistrature italienne de Venise, cinq producteurs somaliens de bananes, tous associés la compagnie Somalfruit, accuseront Maxamed Cali Faarax Badane d’être responsable de l’opération. S’appuyant sur ce témoignage, la presse italienne titrait le 5 avril : « Palmisano tué par la Dole ». Le directeur de Dole pour l’Europe, Francis Feeney est entendu par la police judiciaire italienne tandis que l’avocat italien de la firme américaine, Gian Giacomo Chiavari, menace de porter plainte contre les journalistes qui impliquent directement Dole dans l’assassinat du cameraman1. Mais il est encore une fois intéressant d’observer les collusions multiples qui existent sur ce théâtre somalien, avec des entreprises étrangères en 1
Pasquale Lapadura, chargé de l’enquête, obtient du commandement de l’ONUSOM la preuve de la responsabilité de Maxamed Cali Faarax Badane. Un enregistrement filmé effectué par les Casques bleus préposés à la garde de l’aéroport et récupéré à Nairobi par le SISMI a permis d’identifier le chef du commando ainsi que la plupart des neuf hommes qui participaient à cette opération. 44
particulier. En effet Dole-Italie qui n’est pas directement impliqué par ces accusations diffuse un long communiqué pour se disculper et produit un rapport de police émanant d’un certain colonel Cali Cabdiraxmaan Fiqi, désigné comme « chef de la police d’investigation, expert en droit ». Excluant toute relation entre la guerre des bananes et la mort de Palmisano, le document se propose de disculper Dole et Sombana. Ce rapport, rédigé sur papier à en-tête de la république somalienne porte l’attache « ONUSOM/police somalienne en voie de reconstitution/bureau spécial d’investigation ». Or les deux seuls bureaux d’investigation de la police somalienne reconstituée, au nord et au sud de Muqdishu sont dirigés respectivement par les colonels Cismaan Cumar Weheliye Gaas-Gaas [Abgaal] et Saciid Axmed Kediye [Habar Gidir] qui ni l’un ni l’autre ne sont signataires du document excipé.
Plates-formes portuaires et aéroportuaires du Banaadir D’emblée, sa qualité est mise en doute et il apparaît vite que, bien que rédigé en apparence à Muqdishu, son tampon laisse apparaître qu’il a en réalité été légalisé par le consulat général de Somalie à Dubaï. Le seul colonel Cali Fiqi connu en Somalie appartenait à l’armée de l’ex45
président Siyaad Barre et vit à Marka, d’où depuis longtemps maintenant il n’a plus bougé. Chacun en vient donc à la conclusion suivante : en dépit de l’absence d’un gouvernement central en Somalie auquel rendre compte, le consulat somalien à Dubaï est resté ouvert depuis 1991. Le consul, Saciid Cabdalla, à l’instar d’autres diplomates somaliens dépourvus de ressources, y gagne sa vie en établissant de nouveaux passeports et en usant et abusant des cachets officiels, cela va sans dire hors de tout contrôle étatique1.
L’entremise malaisienne et l’accord manqué
[20 II 1995]
Mais la problématique de l’accès au port ne se résume pas à une rivalité portant sur le déchargement de l’aide humanitaire et des affrontements entre factions SNA autour du commerce des bananes. Le potentiel du port ne laisse en effet personne indifférent : Maxamed Caydiid, maître des lieux, Cali Mahdi, les entreprises bananières, mais bien d’autres encore qui n’ont pas renoncé à voir les affaires reprendre un cours plausible. C’est dans cette perspective par exemple qu’en décembre 1994, par l’intermédiaire de Cabdiraxmaan Cali Cismaan, un Abgaal ayant la citoyenneté américaine, des opérateurs malaisiens invitent des représentants des deux alliances rivales, SSA et SNA, à envoyer des représentants à Kuala Lumpur. Ainsi, en janvier 1995, l’ancien directeur de la banque commerciale, Maxamed Cali Xersi [Habar Gidir/Sacad] pour le compte de la SNA et Cabdullaahi sheekh Ismaaciil [Dir/Biyomaal] un natif de Marka pour la SSA, se rendent effectivement en Malaisie. Au même moment cependant, les mouvements de technicals observés près du port comme les combats qui ont eu lieu le 30 janvier dans le quartier de Madiina entre les miliciens abgaal et les Muruursade proches de Caydiid ne présagent rien de bon. De plus, la défaite des miliciens de Cali Mahdi à Bermuda les a forcés à se retirer dans une étroite poche, coincés entre les zones contrôlées par les factions de Caydiid et les Muruursade de Maxamed Qanyare Afrax. Ce dernier a d’ailleurs clairement indiqué que toute tentative des partisans de Cali Mahdi pour fermer l’accès au port par des tirs de mortier depuis leurs positions provoquerait une vive réaction de la part de la SNA. Au même moment, un autre intervenant se manifeste quand David Morris homme d’affaires néo-zélandais président de la société Morris Supplies2 tente de réunir un groupe d’hommes d’affaires pour trouver une solution à l’avenir du port de Muqdishu après le départ des dernières forces de l’ONUSOM. À cet effet, il a su séduire le syndicat des propriétaires et chauffeurs de camion du nord et du sud de la 1
Rapporté par Horst Rashdorf, le responsable allemand de la Muqdishu Port Operation Corporation, société qui gère le port, et le général Morshad qui dirige le contingent du Bangladesh. 2 La société emploie 2000 personnes à travers le monde et a un chiffre d’affaires de 150 millions de dollars par an. 46
capitale à tel point qu’en janvier, grâce à un blocus commun du port, ils sont parvenus à obtenir du général Caydiid qu’il sécurise les environs du port en les débarrassant des bandes armées incontrôlées. David Morris qui campe à l’intérieur du port de Muqdishu avec sa propre protection rapprochée, dont quelques anciens Khmers rouges recrutés au Cambodge lors d’un précédent contrat pour les Nations unies, a décidé de rester en Somalie après le départ de l’opération. L’individu n’est pas un inconnu. Sa société a obtenu le contrat d’approvisionnement en nourriture des Casques bleus de Somalie ; ses services ont d’ailleurs été en l’occurrence diversement appréciés au sein de l’ONUSOM. Il n’en a pas moins déjà réhabilité deux poissonneries et installé un réseau de communications mobiles par satellite qui compte déjà près de 1 000 abonnés et lui assure un monopole dans le pays1. Est-ce sous son influence que – peu de choses ont filtré sur la teneur de leurs conversations –, le 25 février, dans un communiqué commun lu à l’antenne de leurs radios respectives2, Maxamed Caydiid et Cali Mahdi annoncent qu’un comité conjoint était entré en fonction pour assurer la gestion commune du port et de l’aéroport de la capitale somalienne3 ? Ce comité qui doit prendre en charge l’administration, les services de sécurité des ports et aéroport avant le départ définitif des troupes de l’ONUSOM, prévu le 2 mars, demeurera sous l’étroite surveillance de ses instigateurs politiques. Ainsi toute décision en son sein nécessitera une majorité des deux tiers et les chefs des deux alliances rivales devront être consultés préalablement à l’envoi par ce comité de toute correspondance aux organisations internationales relative à ses activités. À Nairobi, Cabdiraxmaan Cali Cismaan, l’intermédiaire abgaal auprès des Malaisiens, annonce que grâce à un financement de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), la Malaisie s’apprêtait à envoyer un petit contingent de techniciens, tous militaires, dotés des équipements nécessaires pour gérer le port et l’aéroport de Muqdishu. L’équipe était attendue en Somalie entre les 19 et 25 mars 4. Mais naturellement, un tel rapprochement peine à se réaliser. L’enlisement rapide de l’accord du 20 février rend difficile d’imaginer que la bataille pour le contrôle du port et de l’aéroport, élément déterminant de l’affrontement politique ou clanique pour le pouvoir dans la capitale, ne vienne à cesser durablement. Effectivement, au cours du mois de mai, la violence entre les factions fait plus de 30 1
Lettre de l’océan Indien (LOI) n°658. 11 II 1995. Voice of the Somali People, contrôlée par la SNA, diffuse à partir de Muqdishu-sud. Vers la mi-juin 1995, le général Caydiid change le nom de la station en Voice of the Masses of the Somali Republic. Voice of the Somali Republic, contrôlée par la SSA de Cali Mahdi diffuse à partir de Muqdishu-Nord. A celles-ci viendra s’ajouter la Voice of Somali Pacification contrôlée par les partisans de Cismaan Caato et qui diffuse dans Muqdishu. 3 LOI n°661. 4 III 1995. 4 LOI n°664. 25 III 1995. Un projet qui, compte tenu des conditions sécuritaires dans la capitale, ne verra finalement pas le jour. 2
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morts. Le port de Muqdishu est soumis à des bombardements, qui viennent confirmer les doutes émis1. Le 28 mai 1995 pourtant, après avoir consulté les chefs des deux alliances, un comité de négociations réuni à Muqdishu se met d’accord sur un document en cinq points : - un appel à l’arrêt des bombardements et des déclarations de guerre qui bloquent « depuis quelque temps » les activités du port : la dénonciation des vols de véhicules en invitant à leur restitution à leurs propriétaires ; la mise en œuvre de cette décision particulière est confiée aux associations de transporteurs et de commerçants, ainsi qu’aux chefs traditionnels des clans de la capitale ; - la reprise des activités du comité formé à l’issue des précédents accords du 20 février, pour veiller à une gestion commune des activités portuaires et aéroportuaires ; - le retrait des technicals qui empêchent la libre circulation et l’ouverture des principales routes et marchés de Muqdishu ; - les responsables des districts sont appelés, de même que la population, à participer à la concrétisation de ces nouveaux accords dont le contenu a été simultanément diffusé par les radios les deux principales factions de la capitale. Modus vivendi que, dans la capitale, transporteurs et commerçants réclament afin de poursuivre leurs affaires, l’accord du 28 mai n’apparaît guère qu’un timide signe de bonne volonté des factions somaliennes rivales, au moment où une délégation de l’OUA, conduite par l’ambassadeur de Tunisie en Éthiopie tente une ultime médiation à Muqdishu2. On se souvient en effet que la prise de décisions du retrait des Nations unies s’était en effet accompagnée d’une sollicitation d’autres organisations internationales, OUA et Ligue arabe notamment afin qu’elles investissent le dossier somalien.
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Keesing’s Record of World Events. 27 VI 1995, p. 40539. LOI n° 674. 3 VI 1995.
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I I - L A CRIMINILISATION DE L ’ ESPACE
LE DEVELOPPEMENT DE LA PIRATERIE MARITIME Un autre aspect des rivalités déclarées dans le Nord-est somalien se traduit par l’apparition d’actes de piraterie qui mettent en évidence la façon dont certains opérateurs étrangers profitent du non-droit qui prévaut en Somalie. Les premières captures de bateau à proximité relèvent de deux logiques. Une petite partie résulte d’une délinquance ordinaire. L’autre se développe en réaction à l’intrusion illégale dans les eaux somaliennes, exceptionnellement poissonneuses, des flottes de pêche de toutes nationalités qui se lancent dans le pillage systématique et indu d’un espace maritime dont aucune force navale n’est plus désormais en état de procéder à la protection. La toute première capture de navire par un embryon de piraterie est réalisée début janvier 1994 quand le bateau italien SIBA de l’armateur Balzarini, spécialisé dans le transport du bétail, est capturé dans le port de Boosaaso. Il y restera gardé pendant six mois sans que la presse n’en soit informée. Après des négociations entre les pirates et l’armateur, assisté de l’ambassade d’Italie à Ṣanʿā’ et du SISMI, il est finalement récupéré en échange d’une rançon de 400 000 dollars. Au début du mois suivant, un navire de pêche taïwanais est à son tour arraisonné par une flottille de boutres. Quelques jours plus tard, l’armateur récupérera son bateau au prix d’un virement de 420 000 $ effectué dans une banque de Dubaï pour le compte du pirate majeerteen.
L’affaire du FAARAX CUMAR [4 III 1994] L’affaire se corse véritablement quand, le 4 mars 1994, un bateau de pêche de 70 mètres battant pavillon somalien, le FAARAX CUMAR est capturé dans les eaux internationales. Celui-ci est l’un de ces six 49
bateaux offerts par l’Italie à la Somalie entre 1982 et 1987 et qui ont permis, en 1983, la création de la coentreprise [joint-venture] somaloitalienne SHiFCo, placée sous la direction de Muniye Siciid Cumar1. Originaire de Baraawe, Muniye est membre de l’organisation politique des reer Xamar et des Banaadiri, la Somali National Union (SNU). Le mouvement est par ailleurs dirigé par le frère de l’ex-amiral Siciid Cumar Marino, et l’avocat Maxamed Maxamed Raagis. Il faut, afin de ne rien oublier des liens unissant les différentes platesformes de concussion, se remémorer qu’un an plus tôt, l’hebdomadaire italien Espresso avait ressorti une affaire concernant la société de pêche. Il y était dénoncé le versement d’une commission de 900 millions de lires2 à Paolo Pillitteri, beau-frère de Bettino Craxi et adjoint au maire de Milan, mais aussi président de la Chambre de commerce italosomalienne et consul honoraire de Somalie. L’affaire remontait à la visite de Bettino Craxi en Somalie, en 1983, au terme de laquelle Maxamed Faarax Caydiid et Cali Xaashi Dhoore avaient été chargés de superviser la coopération avec l’Italie pour le compte du gouvernement somalien au moment où était créée la société en participation. En 1989, les deux hommes avaient porté plainte en Italie contre leurs partenaires italiens, Bettino Craxi et le secrétaire général de la Chambre de commerce italosomalienne, Pietro Bearzi, auxquels ils reprochaient de n’avoir pas partagé la commission de 10 % convenue au terme des contrats de Somalfish et d’autres sociétés. Ce différend était d’autant plus délicat qu’il portait aussi sur des contrats de ventes d’armes et que, outre la Somalfish qui servait de couverture à cette activité du régime de Siyaad Barre, un autre projet italien avait eu la même fonction : le complexe agro-zootechnique de Afgooye, d’un coût de 52 milliards de lires3 mis en œuvre notamment par la société italienne Giza installée à Parme. Dans le cadre de ce projet, le consortium GISOMA, formé en 1988 et présidé par Muniye Siciid Cumar, devait acquérir des bovins. Mais selon le témoignage d’un ex-technicien ayant travaillé auprès de l’ambassade d’Italie à Muqdishu et publié par l’Europeo, le régime somalien se faisait ainsi livrer des armes… à la place de placides ruminants4. Bien qu’impliqué dans le scandale de la Craxigate de la coopération italo-somalienne, Muniye ne s’en était pas moins vu en 1993 reconnaître par l’ONUSOM le droit de poursuivre son activité à la tête de la SHiFCo avec le concours d’un partenaire italien, le roi du poisson surgelé, Vito Panati. Au moment de sa capture, le FAARAX CUMAR est occupé par 25 pirates qui contraignent le capitaine italien Nazareno Fanesi à 1
Muniye Saciid Cumar est un Somali Tunni avec du sang portugais. Naguère proche de Siyaad Barre, il a dirigé la société en participation (joint-venture) soviéto-somalienne Somalfish, fermée en 1977. Après 1991, il a été nommé directeur général du ministère de la Marine dans le gouvernement de Cumar Carte Qaalib. 2 Soit environ 576 000 $. 3 Soit environ 33 millions $. 4 Espresso (hebdomadaire). 28 II 1993. 50
arraisonner pour leur compte quatre ou cinq bateaux pakistanais. Les assaillants, armés de mitrailleuses, de fusils automatiques et de petits canons s’emparent ainsi le mois durant d’une demi-douzaine de petits bateaux de pêche pakistanais et yéménite dont la rançon est fixée entre 30 et 40 000 dollars chacun. La facilité avec laquelle se déroule l’exercice apparaît immédiatement aux astucieux Somaliens qui sont encore loin d’entrevoir la dimension qu’ils vont pouvoir donner à l’entreprise. Mais il apparaît aussi que, pendant cette période, certains chefs de guerre somaliens montent à bord du bateau, le général Maxamed Moorgan par exemple. Le FAARAX CUMAR est finalement racheté le 13 avril par la SHiFCo pour la somme de 460 000 dollars, somme qui leur permet de suspendre leur activité pendant la mauvaise saison. Au cours des six premiers mois de 1993, les pirates auront obtenu près d’un million et demi de dollars d’amende-rançon. Jusqu’à la capture du AIRONE.
Le révélateur du trouble des situations : l’affaire du AIRONE Le AIRONE appartient à la flotte de Meridional Pesca, propriété de la famille De Giosa-Sciacovelli, établie à Bari dans le sud de l’Italie. Le 13 août, ce bateau de pêche italien avec 32 membres d’équipage à son bord est arraisonné par des Majeerteen au nord-est de la Somalie puis conduit à Boosaaso. Une partie de l’équipage somalien s’est mutinée le 5 août après son départ de Djibouti et a détourné le bateau vers le port du Bari où son destin a été pris en charge par « deux pirates ». La relation faite, une fois encore, occulte nombre d’éléments. L’un des deux hommes en effet se nomme Yuusuf Maxamed Ismaaciil Bari Bari [Cismaan Maxamuud], représentant du SSDF en Italie et signataire avec l’armateur du AIRONE au ministère des Affaires étrangères à Rome en octobre 1993, d’un accord de pêche dans les eaux majeerteen. Cet accord stipule que l’autorisation de pêcher est accordée en contrepartie du paiement comptant de 200 000 dollars assortis d’une prime équivalant à 10 % de la valeur des prises, soit de 50 à 60 000 $ par mois. Après de nombreux conciliabules tenus à Boosaaso avec les autorités politiques et traditionnelles majeerteen, les inspecteurs maritimes somaliens présentent le 27 août leurs exigences à l’armateur et au consul honoraire italien à Djibouti, Massimiliano Ameglio, qui l’assiste. Les Somaliens se sont entendus sur une amende de 260 000 dollars infligée au AIRONE pour avoir utilisé des filets trop serrés et une autre de 4 millions au motif qu’un autre bateau appartenant à l’armateur Giuseppe De Giosa, aurait péché en fraude au large de Boosaaso. La diplomatie de Rome est d’abord encline à minimiser l’incident jusqu’à ce que la justice commence à s’intéresser à Yuusuf Maxamed Ismaaciil Bari Bari qui, résidant à Bologne, est aussi en passe d’obtenir la nationalité italienne. Une situation propre à faciliter les négociations. Le 51
colonel des carabinieri Luca Rajola, ancien coopérant militaire en Somalie et chef du bureau Afrique du SISMI est envoyé sur place afin de creuser l’affaire et, le 10 septembre, les négociations aboutissent effectivement à la restitution du AIRONE dont un des membres d’équipage, malade, a d’ores et déjà été libéré1.
Pirates ou victimes récalcitrantes ? En ce qui concerne le second bateau, le Giuseppe De Giosa, l’armateur italien n’a guère intérêt à une trop grosse publicité. Meridional Pesca a beau affirmer que celui-ci a été vendu en octobre 1993 à un armateur kenyan de Mombasa et qu’il n’entrait pas dans l’accord de pêche signé à la même date avec Yuusuf Bari Bari, il reste que l’entreprise détient 40 % de la nouvelle société armatrice du bateau, via la holding italokenyane Marship, dont le siège est à Mombasa et dont le patron est un entrepreneur napolitain de Mombasa, Michele Esposito. Si celui-ci, consul honoraire d’Italie dans cette ville depuis 1991, coordonne un programme d’aide aux réfugiés somaliens de quelques dizaines de millions de dollars financés par la coopération italienne, il fait également de lucratives affaires avec les deux factions hawiiye rivales à Muqdishu. On observe enfin que le changement de pavillon du navire de Giuseppe de Giosa permet aussi à ses propriétaires d’empocher des primes européennes à la création de coentreprises avec des pays du Tiers-monde. L’armateur italien est donc accusé d’avoir violé l’accord de pêche signé à la fin 1993 entre la société Meridional Pesca et le représentant du SSDF en Italie, Yuusuf Bari Bari. Sans ambiguïté, ce dernier avait été mandaté par le général Maxamed Abshir Muuse2[Ciise Maxamuud], alors président du mouvement, pour s’occuper des questions de pêche au large des côtes majeerteen et dont chacun, à partir de la côte, assiste impuissant au pillage. Aussi peut-on légitimement considérer qu’il s’est créé à la fin de 1993 à Boosaaso une coentreprise qui associe les commerçants de Boosaaso aux anciens militaires somaliens placés sous la protection des dirigeants du SSDF. En l’occurrence, il s’agit tout particulièrement de ceux du lignage des Cismaan Maxamuud dont l’autorité traditionnelle est le boqor Cabdullaahi boqor Muuse King Kong. Dotés par la coopération italienne d’un port moderne et par Siyaad Barre d’une route reliant Boosaaso au sud somalien, les Majeerteen sont rapidement parvenus à faire de Boosaaso le port le plus sûr de la côte somalienne. Un mandat du SSDF y a suscité la mise en place d’une administration. Une garde côtière de la région Nord-est placée aux ordres de Cabdulqaadir Xayd et de Cabdulwaxid Jowhar a été instituée 1
L’armateur dit avoir payé une amende de 250 000 $ via la banque Indosuez à Djibouti mais certains estiment à 1 million le prix de la rançon. 2 Il a été le premier commandant de la police somalienne. 52
tandis que deux inspecteurs maritimes, Aadan Jaamac Biyi et Cabdulqaadir Ciise Gacayte, ont été chargés de notifier aux capitaines des bateaux capturés le montant de leurs amendes1.
La dérive délinquante Le 20 août 1994, au cours du congrès du SSDF, une résolution de la fraction des Cumar Maxamuud dénonce implicitement Yuusuf Bari Bari ainsi que le boqor Cabdullaahi King Kong voire même le général Maxamed Abshir d’être à l’origine des actions pirates. En fait, ce qui pouvait un moment passer pour une forme de récupération des droits des Somaliens sur leur patrimoine par une para-administration majeerteen s’est rapidement transformé en captation de prébende. La dérive devient patente après la capture le 15 décembre 1994, en face de Hurdiyo, dans le redan du raas Xaafuun, de deux nouveaux bateaux de pêche de la SHiFCo. le 21-KA OCTOBAR I et le CISMAAN GEEDI RAAGE ainsi que leurs équipages composés de deux commandants italiens et d’une soixantaine de marins portugais, croates et somaliens. Muniye Siciid Cumar, qui, en tant que patron de la société, négocie la rançon réclamée par les pirates, sollicite alors le boqor Cabdullaahi King Kong2 et l’invite à se rendre au Yémen pour intervenir dans les tractations. Son montant est finalement négocié, à Ṣanʿā’ puis à Djibouti, au nom du boqor par sept délégués3 envoyés par les pirates. Le 9 janvier 1995, la libération des deux bateaux de pêche et de leurs équipages est obtenue après de longues tractations. Il en coûtera finalement un million de dollars à la SHiFCo, somme conforme au tarif habituel désormais soit environ 500 000 $ par bateau capturé. Ce nouvel incident appelle cependant un certain nombre de commentaires. En tout premier lieu, il faut observer combien l’activité de la compagnie de pêche est devenue rentable avec l’effondrement de l’État. Sans taxe à payer désormais, les autorités somaliennes étant inexistantes, la SHiFCo vend l’ensemble de ses prises à l’entreprise de congélation de Vito Panati. Mais outre la rançon, il n’échappe à aucune des parties prenantes que l’immobilisation des bateaux constitue désormais pour la SHiFCo une perte de quelque 5000 $ par jour. Il ne leur échappe pas non plus qu’une autre difficulté point maintenant depuis que les assurances se font de plus en plus tirer l’oreille pour participer à la prise en charge de ce risque de rançonnement à répétition. 1
LOI n°638. 17 IX 1994. Le boqor est par ailleurs l’un des principaux soutiens du général Maxamed Abshir Muuse dont les partisans disputent à ceux du colonel Cabdullaahi Yuusuf Axmed la gestion de la province autonome. LOI 652. 25 XII 1994. 3 Deux d’entre eux sont des étudiants et ont des passeports occidentaux : l’un des ÉtatsUnis et l’autre du Canada. Cabdirashiid Muuse Artan et Maxamed Cismaan sont réfugiés dans ces deux pays dont ils ont obtenu la nationalité. 2
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Or la prudence s’impose. Lors des dernières négociations, les responsables de la compagnie se sont rendu compte que le groupe de flibustiers échappait en réalité à tout contrôle et à toute autorité, qu’elle soit politico-militaire ou traditionnelle, ce qui avait eu pour effet de rendre plus délicats et plus longs les pourparlers pour la restitution des bateaux capturés. L’absence de contrôle étatique véritable favorise l’essor d’une piraterie consécutive à l’absence de moyens propres à contrôler l’espace maritime. C’est pourquoi, afin d’éviter des captures prématurées, SHiFCo et Vito Panati négocient tout d’abord avec succès à ‘Aden un accord de pêche dans les eaux yéménites pour une période qui court de février à avril 1995. Face à la pêche illégale effectuée par les navires étrangers dans les eaux territoriales somaliennes, un système parallèle a certes permis aux Somaliens de récupérer un peu de leur dû, sauf qu’une fois en place les sommes récupérées sont très vite tombées dans l’escarcelle de quelques-uns. Dans le Nord-est, ces « quelques-uns » sont à considérer selon leurs accointances, soit avec le colonel Cabdullaahi Yuusuf soit avec le général Maxamed Abshir qui, avec la direction du SSDF, se disputent la maîtrise du pays majeerteen. Très vite au fait de cette situation particulière, un accord de pêche a ainsi été signé en août 1994 entre la famille italienne De GiosaSciacovelli, propriétaire de la société Meridional Pesca de Bari1 dont le bateau AIRONE avait été arraisonné par les pirates, et le millionnaire Yuusuf Nuur Bidde [Majeerteen Cumar Maxamuud] et principal financier du colonel Cabdullaahi Yuusuf. De même, après avoir été contrainte de se replier au Yémen à la suite des actes de piraterie, la SHiFCo revient pêcher dans les eaux somaliennes au large de Boosaaso, suite à un accord qu’elle passe à la fin 1995 avec le boqor Cabdullaahi King Kong chef traditionnel des Cismaan Maxamuud dont il est permis de s’interroger sur le rôle exact joué naguère dans l’affaire du 21-KA OCTOBAR I et du CISMAAN GEEDI RAAGE. King Kong juge d’ailleurs utile d’adresser une attestation officielle à la commission d’enquête parlementaire italienne et aux compagnies d’assurance précisant qu’il était étranger à ces actes de piraterie maritime et qu’il avait seulement joué les médiateurs entre les pirates de son clan et les armateurs. À Boosaaso également, Abshir Muuse2, un ancien directeur de la compagnie d’État somalienne d’électricité de l’ancien président Siyaad Barre et aujourd’hui homme d’affaires établi à Dubaï, a également créé sa société de pêche. Propriétaire d’une flottille de bateaux acquis en Russie et affrétés par ses soins, il a entrepris de contacter les bâtiments russes pêchant de nuit en fraude dans les eaux territoriales somaliennes 1
Il s’agit de la ville de Bari, dans la région des Pouilles, dans le Sud italien. La province somalienne du Bari, « nord » en somali, est la province de l’extrême nord-est de la péninsule, habitée par les lignages majeerteen. 2 Qu’il ne faut pas confondre avec le général Maxamed Abshir Muuse. 54
pour leur proposer de régulariser leur situation en se plaçant sous sa protection, proposition à laquelle plusieurs préfèrent se soumettre. Certains représentants italiens soupçonnent aussi Yuusuf Bari Bari, qui a également été vu sur le bateau captif, de s’être approprié l’argent de l’accord de pêche et de vouloir maintenant en obtenir un peu plus afin de pouvoir en partager le pactole avec d’autres factions du SSDF. Certes, bien qu’appartenant au même lignage que lui, Yuusuf Bari Bari ne semble pas avoir tout d’abord été un partisan du colonel Cabdullaahi Yuusuf. Mais en fin de compte, il se révélera que ce sont bien les partisans de ce dernier qui ont pris le contrôle du bateau italien captif à Boosaaso.
Les affaires au Banaadir Au large de la côte sud, les affaires s’organisent également en l’absence d’État. Deux bateaux qui ont fait l’objet de l’accord passé par Meridional Pesca, le AIRONE et le ANTONIETTA MADRE, sont vendus à la mi-1995 par cette même société à la firme italo-kenyane Afrikmer de Mombasa. Il apparaît alors que cette société, de constitution récente, est dirigée par le capitaine Nazareno Fanesi, un ancien de SHiFCo, capturé à deux reprises par les pirates en 1994, et se trouve apparenté au groupe Marship, contrôlé par le consul honoraire italien de Mombasa, Michele Esposito, il compte aussi dans son actionnariat la famille De Giosa-Sciacovelli. Il en résulte que les bateaux sont en réalité restés dans la famille avec, au passage, la perception d’une prime – 18 000 FF par tonne – octroyée par la communauté européenne pour changement de pavillon1. À Kismaayo enfin, le général Maxamed Moorgan a autorisé l’installation d’une société de pêche kenyane à capitaux européens, probablement d’anciens colons italiens en Somalie, pour exploiter les ressources halieutiques au large des îles Bajuuni. Parallèlement, l’ancien directeur du port de Muqdishu sous Siyaad Barre, Axmed Gal [Hawiiye/Abgaal], aujourd’hui versé dans les affaires à Sharjah, a été autorisé par Cali Mahdi à créer une société de pêche somalo-kenyane dont les bateaux pêcheront au large de Muqdishu, Marka et Baraawe. Pour sa part, profitant d’une invitation officielle de l’ONUSOM II à Muqdishu, le colonel Cabdullaahi Yuusuf envoie une délégation d’hommes de confiance à Djibouti pour tenter de récupérer dans une banque de la place les 570 000 $ versés depuis décembre 1994 par l’armateur italien de Meridional Pesca au titre des royalties prévues par l’accord de pêche passé avec le SSDF.
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LOI n° 687. 30 IX 1995. 55
Piraterie : extension du phénomène Le 28 février 1995, c’est au large du Somaliland, que le NOURBERG MOFARRIJ, navire battant le pavillon de Belize et qui transportait des marchandises provenant de l’aide fournie par l’Allemagne en direction de Boosaaso est pris à partie par des pirates dans le golfe d’Aden. Le bateau est attaqué près du banc Arabe, au-delà de Seylac, par cinq personnes à bord d’une vedette armée appartenant aux autorités du Somaliland et immatriculée à Djibouti 304. Le navire attaqué appartient à la Nour Travel Ltd, basée à Djibouti et appartient à un Somalilandais, Maxamed Cabdullaahi Nuur dont le clan est récemment passé dans l’opposition à l’actuel président Maxamed Ibraahin Cigaal. Après avoir essuyé les tirs des pirates, le bateau a semé ses assaillants en faisant route vers Aden avant de rentrer Djibouti pour évaluer les dégâts1. Restés inactifs pendant quelques mois, car aucun navire marchand ne s’aventure plus dans les eaux du nord-est somalien, les pirates de Boosaaso font une sanglante réapparition le 14 mai 1995 en abordant un bateau yéménite transportant depuis Berbera vers Aden 114 réfugiés isxaaq fuyant la guerre civile. L’abordage est réalisé par un commando de 15 bandits appartenant à un garde-côte du SSDF dirigé par Maxamed Cismaan Negale, un Somalien détenteur d’un passeport canadien. Ce dernier, bien que les dirigeants du SSDF nient aujourd’hui son appartenance au mouvement, est un ancien capitaine de l’armée de Siyaad Barre qui a quitté la Somalie en mars 1978 après la tentative infructueuse de coup d’État. Selon les médias yéménites, les pirates ayant opéré le 14 mai font partie du groupe qui, le 15 décembre précédent au large de Hurdiyo, avait arraisonné les bateaux de pêche de la SHiFCo restitués contre rançon2. Ainsi, si elle demeure plus particulièrement le fait de l’espace majeerteen, le phénomène de piraterie s’étend désormais à une échelle variable selon les secteurs sur l’ensemble de la côte somalienne. Ainsi, le 11 juin, un bateau kenyan de faible tonnage, l’EL AMIN est arraisonné par des pirates Habar Gidir à Muqdishu. Le navire qui appartient à la Zuha Company, enregistrée à Mombasa, est la propriété d’un homme d’affaires d’origine somalienne installé au Kenya, Zubeyr Maxamed ElAmin. La piraterie désormais est résolument inscrite dans le registre d’une délinquance organisée qui ne fera au fil des ans qu’améliorer ses capacités techniques et tactiques.
Le développement des rapts et des assassinats Si la mise en place d’infrastructures nouvelles est maintenant patente dans l’espace somalien, elle n’a pas pour vocation la reconstruction du 1 2
LOI n° 661. 4 III 1995. LOI n° 673. 27 V 1995.
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pays. Il ne s’agit que de disposer des outils indispensables aux trafiquants ainsi qu’aux hommes d’affaires – étrangers parfois – qui occupent l’espace économique somalien. Mais ce faisant, il n’y a par essence aucune vocation non plus à faire perdurer un chaos. Il s’agit bien au contraire de s’organiser tout en s’affranchissant résolument des contraintes qui résultent inéluctablement d’une structure étatique. La disparition de toute forme de justice régalienne, la culture de l’impunité qui s’installe et la multiplication des mooryaan1 en maraude favorisent naturellement une criminalité devenue ordinaire. Cela une fois encore ne signifie en rien que la Somalie soit devenue la juxtaposition de bandes armées ou de bandits individuels. Cette population représente peut-être, tous porteurs d’armes confondus, quelques dizaines de milliers d’individus. Cela ne doit donc pas faire oublier les quelque six ou sept millions de Somali et Somaliens qui subissent ce non-système, même si les liens familiaux leur permettent parfois d’en tirer avantage. Il reste qu’une population socialement nuisible s’organise maintenant autour de chefs ou d’organisations qui diversifient les modes de délinquance mais n’ont surtout, et même surtout pas d’objectif politique. Aussi, depuis 1994, a-t-on pu observer des événements comme l’assassinat à Muqdishu le 20 mars de deux journalistes de la troisième chaîne de la RAI, Ilaria Alpi et son opérateur croate Miran Hrovatin ou, un mois plus tard, le 19 avril, l’enlèvement par des Somaliens en armes affirmant appartenir au clan Xawaadle, de l’ambassadeur du Soudan à Muqdishu,ʿAbdul Baggī Muḥammed Ḥasan. À la fin de cette année 1994 encore, Rudy Marcq, un logisticien français de l’Aide internationale contre la faim (AICF) est à son tour enlevé à Muqdishu sud où il restera détenu par les hommes de main d’un riche homme d’affaires Habar Gidir Duduble surnommé Orfano. Le processus particulier de ce rapt est intéressant parce qu’il décrit assez clairement ce que sont devenus les mobiles et les us de la délinquance particulière. La raison invoquée en est la suspension par AICF d’un contrat de location de voitures de protection passé entre l’ONG et l’entrepreneur somalien. Après une première demande de dédommagement, Orfano fait monter les enchères en réclamant 50 000 $ pour libérer le logisticien. Une affaire dont s’empare Maxamed Faarax Caydiid. Orfano en effet a expliqué son acte par le désir de discréditer le général et l’un de ses alliés, Maxamed Ibraahin Liqliqato [Sheekhal] qui lui-même fournit des véhicules à AICF et assure la protection de son personnel. Voyant son autorité sur Muqdishu-sud bafouée par un petit lignage, Caydiid offre 150 000 $ pour récupérer l’otage avant de lancer ses propres miliciens à la recherche du malfaiteur. Aucune rançon ne sera payée et l’on considère que la décision des ONG et des organisations relevant des Nations unies de suspendre leurs opérations d’aide à Muqdishu, prise le 13 janvier, aurait largement contribué à faire céder 1
FONTRIER 2012/1 : 52, note 3. 57
les ravisseurs. Rudy Marcq est ainsi libéré cinq semaines après son enlèvement1. Caydiid intervient encore après que le 9 avril 1995, le vice ambassadeur d’Éthiopie en Somalie, Yemani Abdi, a été enlevé à Muqdishu par un groupe armé d’une dizaine d’hommes à bord d’un véhicule. Les ravisseurs réclament naturellement une rançon2. Mais tandis que les autorités éthiopiennes demandent la libération sans condition de leur diplomate, Maxamed Caydiid une fois encore s’engage à tout faire pour obtenir sa libération, élargissement qui aura effectivement lieu trois semaines plus tard3. En définitive, la principale observation qu’il eut alors fallu faire de ces différents événements est que ces actes de banditisme exécutés par des individus somme toute isolés préfiguraient la perte d’autorité du général Caydiid au sein de l’alliance qu’il avait créée. La meilleure position eut été d’admettre que si lui-même usait également d’actes délictueux, il s’agissait de maintenir à flot sa propre trésorerie et lui faire le crédit qu’aussi terrible se montra ce redoutable personnage, il était dans le Sud somalien le dernier à porter encore un projet politique.
LES DECHETS TOXIQUES Dans le répertoire des comportements illicites, un autre trafic encore est dénoncé en 1994, en particulier grâce à l’action énergique et pérenne du directeur du United Nations Environment Programme (UNEP)4 dans le domaine des déchets toxiques. Ce sont, hélas ! les assassinats de la jeune journaliste italienne Ilaria Alpi et de son cameraman croate Miran Hrovatin, le 20 mars, qui vont servir de caisse de résonnance à son action.
Les premiers soupçons
[1980/85]
Car en réalité, les affaires sont anciennes. Au début des années 1980, le magistrat italien Carlo Palermo avait enquêté sur un trafic international d’armes et de drogue organisé à partir de la péninsule. Au cours de son enquête, il avait été amené à interroger Giovanni Nistico, « frère » de la Loge P25 et responsable du service de presse de Bettino Craxi. Nistico 1
LOI n° 656. 28 I 1995. Africa Research Bulletin V 1995: p. 11813. 3 Africa Research Bulletin VI 1995: p. 11842. 4 Le United Nations Environment Programme (UNEP) est dirigé de 1975 à 1992 par le scientifique égyptien Muṣṭafā Kamāl Ṭolba. 5 La loge Propaganda Due dite P2, a été une loge maçonnique du Grand Orient d’Italie de 1945 à 1976. Suspendue par cette obédience en 1976, elle poursuit cependant son activité de manière indépendante sous la direction de Licio Gelli jusqu’en 1981. La publication d’une liste de ses membres comportant des personnalités très importantes d’Italie et d’Argentine a alors créé un véritable scandale. L’action de la P2 a – parfois hâtivement – été vue derrière maints scandales ou affaires de l’histoire de l’Italie. 2
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avait déclaré au juge que le général Giuseppe Santovito, ancien directeur du SISMI et également « frère » de la Loge, lui avait longuement parlé de la Somalie et, plus particulièrement, de ses intérêts en Somalie, un intérêt alors partagé, semble-t-il, avec Silvio Berlusconi1. Le 2 avril 1985, visé par un attentat à la voiture piégée auquel il avait échappé de justesse, le magistrat s’était vu contraint d’abandonner son enquête. Il avait eu néanmoins le temps d’appeler l’attention de la justice sur un certain nombre de sociétés dont certaines étaient plus particulièrement liées à des affaires de déversement de déchets toxiques en Somalie2. Deux d’entre elles semblaient jouer un rôle particulier : - International Waste Group Europa (IWG) Europa) dont le siège était à Dublin3 comptait parmi ses dirigeants Luis Ruzzi directeur d’une clinique privée à Rome et consultant de l’ambassade d’Argentine en Italie –, le financier Diego Colombo et surtout Nickolas Bizzio riche homme d’affaires italoaméricain ; - Instrumag AG4 enregistrée à Vaduz au Liechtenstein et qui sera la plate-forme fondamentale du Progetto Urano. Clairement, ces sociétés autour desquelles tournent les mêmes personnes se consacrent à tous les aspects de la problématique des déchets qu’ils soient hospitaliers, industriels ou radioactifs. Elles procèdent à l’identification de sites, voire des zones, susceptibles d’accueillir des fûts, la préférence allant aux régions désertiques côtières ou parfois aux ports disposant d’un minimum d’infrastructure de déchargement dans des pays peu regardants ou résolument corrompus. Le chargement, le transport et l’organisation des décharges sont également pris en compte ainsi que la recherche de clients, industriels délinquants en quête des solutions les plus économiques5.
L’exportation du Progetto Urano vers la Corne
[1987/1989]
C’est dans ce contexte qu’en 1987, un protocole était signé d’une part par Nickolas Bizzio, et Luciano Spada, homme de confiance de l’ancien 1
Commission d’enquête parlementaire sur la loge P2, volume 7, tome 4. GREENPEACE ITALY report. The toxic ships : The Italian hub, the Mediterranean area and Africa. Greenpeace Onlus. Roma: june 2010. 3 Deux autres filiales d’IWG International opèrent également dans l’écoulement des déchets toxiques : IWG Argentina et IWG Mozambique. Cette dernière est à 25% détenue par Amodel, l’agence nationale de développement du Mozambique. 4 15, Egetastrasse à Vaduz. 5 La première pollution importante répertoriée – probablement involontaire - concerne le port de Muqdishu avec l’échouement le 24 août 1985 du porte-conteneurs ARIADNE, abandonné en l’état. Cent dix-huit des conteneurs embarqués sont chargés de matières chimiques, s’abîment au fur et à mesure de la fatigue de la structure du bâtiment. Dilués dans les eaux ou ramassés par la population, les matériaux toxiques déversés forment une première pollution identifiée sur la côte somalienne. Somalia Hazardous Materials Accident UNDRO Information Reports 1-3. 25 IX 1985. 2
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Premier ministre italien, le socialiste Bettino Craxi, pour la société Instrumag et d’autre part par Guido Garelli, un aventurier serbo-italien, francophone par ailleurs, agissant en tant que représentant de l’Administration territoriale du Sahara et de la Compania Minera Rio de Oro Ltd. Baptisé Progetto Urano, le document définissait le cadre d’une opération d’envergure portant sur le stockage de déchets industriels toxiques provenant des pays industrialisés, principalement des États.Unis., dans un énorme cratère naturel situé au Sahara occidental1. Le projet, entre temps éventé par le UNEP, n’avait alors pu être mené à terme. La même année, en février 1987, un porte-conteneurs quittait le port de Marina di Carrara en Toscane pour Djibouti avec à bord 2000 tonnes de déchets industriels, donnant le coup d’envoi aux opérations en Afrique de l’Est. Le LYNX est alors armé par deux compagnies : la première, Intercontract SA, est américaine de droit suisse, la seconde Jelly Wax est italienne. Détourné avant d’avoir pu atteindre sa destination par les autorités de Djibouti, le LYNX fait route vers le Vénézuéla d’où il est à nouveau éconduit. Après deux ans de pérégrination, il regagnera l’Italie avec son chargement. Ces échecs cependant précèdent de peu la débipolarisation est-ouest et la multiplication des renversements de régimes – africains notamment – qui l’accompagne. Du point de vue des trafiquants de tous poils, armes, drogues, déchets, il en résulte un contexte dont il leur appartient de saisir les nouvelles opportunités. C’est ainsi que le Projet Urano au Sahara occidental resurgit très vite de l’autre côté du continent où Guido Garelli est aperçu à Muqdishu tentant de négocier dès la fin des années 1980 l’exportation d’un cargo de déchets nucléaires. À cet effet, il opère en coopération avec un entrepreneur italien vivant en Somalie, Giancarlo Marocchino, et qui depuis 1984 fournit un soutien logistique important aux activités de la coopération italienne. En août 1992, c’est sur papier à en-tête de l’Administration territoriale du Sahara que Guido Garelli, Ezio Scaglione, consul de Somalie en Italie, et Giancarlo Marocchino signent à Nairobi un accord confidentiel concernant l’exportation de déchets dans la Corne de l’Afrique. Sur une lettre d’intention classifiée « réservée » on peut clairement lire : « Les rencontres et les conversations que nous essaierons d’avoir et de conduire, grâce au travail irremplaçable du consul de Somalie en Italie, le professeur Ezio Scaglione, porteront sur la possibilité de développement du Projet Urano dans la Corne d’Afrique ».
Une fois encore toutefois, en septembre, alors que les troupes américaines n’ont pas encore débarqué à Muqdishu, le UNEP est informé que des déchets toxiques arrivent en Somalie et son directeur, 1
Selon le repenti Gianpiero Sebri.
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Muṣṭafā Kamāl Ṭolba, dénonce cette fois explicitement l’activité de la mafia italienne qui cherche à exporter des déchets. Mafia au sens propre ou au sens figuré, toujours est-il qu’en 1993, on trouve un certain Francesco Fonti, membre de la Ndrangheta, la redoutable mafia calabraise, se rend personnellement en Somalie pour y superviser un déchargement de déchets toxiques1.
Les aventuriers italiens Chez les Européens, ce sont en fait quatre personnages qui vont apparaître au premier plan d’un trafic portant sur deux produits, les déchets et les armes. Le premier, très probablement le plus important donc le plus discret, est Nickolas Bizzio, dont la position sociale solide autorise à le soupçonner d’être le véritable chef de l’entreprise. À la tête d’une constellation de sociétés qui se sont spécialisées dans les marchés d’armes ainsi que dans les trafics de déchets toxiques, il réside à Monaco et semble être le véritable chef de l’organisation. Celle-ci, structurée en Italie avec des ramifications en Europe dépasse largement le simple théâtre somalien2. Peu connu du grand public, Nickolas Bizzio a pourtant ses entrées internationales ; vice-président de l’Association Internationale des Chevaliers des Ordres dynastiques de la Maison Royale de Savoie (AICODS), très proche de Vittorio Emanuele de Savoie- un habitué des prétoires – , ancien membre de la loge P2, il a aussi ses entrées dans les loges de la haute société monégasque où il réside. Mais les fréquentations de Bizzio ne s’arrêtent pas aux résidences de la principauté. Il est aussi propriétaire, dans l’extrême sud de la Corse, sur l’île de Cavallo, d’une luxueuse villa précisément située juste en face de celle de son ami, le prince Vittorio Emanuele de Savoie, à la réputation souvent mise en cause. Dans son carnet d’adresses figure au demeurant le trafiquant d’armes syrien Mundar al-Kasār3. Guido Garelli, serbo-italien francophone qui est à l’origine du Projet Urano est un aventurier de terrain. Chien de chasse du dispositif, il est l’homme des contacts ultramarins ; c’est lui qui assure la reconversion du projet vers les sites africains ; 1
Francesco Fonti, après avoir révélé au procureur Bruno Giordano que l’organisation avait coulé au moins trente bateaux chargés de déchets toxiques au large de la Calabre, devant La Spezia et devant Livourne, affirme que « différents acteurs politiques » étaient impliqués dans le trafic international. 2 Du 25 novembre 1997 au 25 juillet 1998, le magistrat Miranais Romanelli autorisera une opération d’infiltration. Dans l’une des écoutes réalisées par les fonctionnaires de la police judiciaire italienne, Bizzio qui se présente en homme d’affaires s’exclame : « Il y a quelque chose qu’il faut comprendre. Moi, dans ce secteur j’y suis depuis plusieurs années, j’ai été l’un des tout premiers, des tout premiers ! ». 3
Mundar al-Kasār dit le Prince of Marbella, trafiquant d’armes syrien. Il arme certains bateaux de la SHIFCO, amène des armes pour décharger des déchets. Tombé en 2009, il purge depuis une peine de prison de 30 ans à la prison de Sing Sing. 61
Ezio Scaglione est quant à lui d’un tonneau différent, plus vicieux, entre mythomane et escroc. Un moment membre d’une secte templière, il revendique par ailleurs sa reconnaissance comme chef d’État de la Principauté de Navassa, un îlot inhabité au large de Haïti ; une requête qui toutefois, si elle avait une chance d’aboutir… le placerait sous immunité diplomatique. C’est lui qui démarche auprès des grandes sociétés de l’Italie du Nord, à la recherche de produits toxiques dont elles souhaitent se débarrasser ; Giancarlo Marocchino enfin est un entrepreneur à la réputation sulfureuse qui est le contact en Somalie. Proche de Cali Mahdi alors que celui-ci n’est encore qu’hôtelier, il en a épousé une parente et réside luimême dans le quartier de Kaaraan1. C’est lui qui présentera Ezio Scaglione à Cali Mahdi qui, devenu entre-temps président, propulse celui-ci consul honoraire de Somalie en Italie. Marocchino, impliqué dans de nombreux projets liés à la coopération italienne est engagé dans trois chantiers liés aux trafics des déchets : le port de Boosaaso, la route Boosaaso - Garoowe au nord, en pays majeerteen, puis au sud un peu plus tard, l’aménagement du petit port de Ceel Macaan utilisé par l’USC-Abgaal. On note aussi que l’affaire des déchets ne lui est pas étrangère. Entre 1987 et 1988, un opérateur italien lui avait déjà demandé de l’aider à obtenir un contrat permanent d’importation de déchets des compagnies européennes. En 1993, pendant Restore Hope, les troupes américaines arrêteront Giancarlo Marocchino sur l’accusation de trafic d’armes avec les factions en guerre. Cependant, au terme de négociations vigoureusement menées par les représentants du contingent militaire italien, les Marines leur remettront l’entrepreneur qui sera libéré peu après. Dans le même temps, deux correspondants somaliens se signalent à la charnière des trafics : il s’agit au nord du chef traditionnel des Majeerteen, le boqor Cabdullaahi King Kong, et au sud du président par intérim, Cali Mahdi.
Le développement des filières abgaal et majeerteen
[1992/1994]
Principaux interlocuteurs des entrepreneurs italiens, Cali Mahdi et le boqor Cabdullaahi King Kong sont, il faut le rappeler, tous deux signataires du Manifesto2, ce qui les situe dans l’orbe des sociétés italiennes d’affaires, orthodoxes ou moins. Tous deux ont passé la plus grande partie de leur vie à Muqdishu, Cali Mahdi qui en est originaire comme hôtelier et King Kong comme avocat, dans le contexte d’intronisation traditionnelle que l’on a précédemment décrit3. Ceci ne 1
Selon les témoignages de Franco Oliva recueillis en 1995. Cet ancien cadre humanitaire italien travaillant en Somalie dans les années 1986 à 1990 collaborera avec la commission conjointe du parlement mise en place pour faire des recherches sur la corruption dans les programmes d’aide italienne à la Somalie. 2 FONTRIER 2012/1: 28-29. 3 Ibid.: 138. 62
peut qu’inciter les deux hommes, qui se connaissent bien, à s’entendre, notamment contre les deux officiers qui représentent le principal obstacle à leur pouvoir, Maxamed Faarax Caydiid d’une part, Cabdullaahi Yuusuf Axmed de l’autre. C’est ainsi que le 30 mars 1992, à Rome, on a pu voir le ministre somalien de la Santé et des Affaires sociales de Cali Mahdi, Nuur Cilmi Cismaan, signer un accord autorisant la compagnie italienne Interservices SRL, représentée par Roberto Ruppen et Ferdinando Dall’O, à importer en Somalie deux millions de tonnes de ferrailles pour recyclage, projet d’une valeur approximative de 76 millions de dollars. Mandat est donné par Cali Cabdi Camalow, gouverneur de la banque centrale de la République de Somalie, pour procéder à la gestion financière de l’opération. Le pot aux roses cependant est une fois encore découvert, le 4 septembre 1992, par le vigilant directeur exécutif du UNEP. Au terme d’un discours prononcé à Nairobi à l’occasion d’un séminaire au Centre international pour la recherche agroforestière, Muṣṭafā Kamāl Ṭolba sonne à nouveau l’alarme à l’encontre des compagnies italiennes mafieuses qui ont ciblé la Somalie pour le trafic des déchets. Trois jours plus tard, à l’aplomb de son propos, il remet aux Nations unies la copie d’un document signé par Nuur Cilmi Cismaan par lequel la compagnie suisse Achair Partners est autorisée à y construire un site polyvalent de stockage de déchets. À quelques jours de là encore, c’est Greenpeace qui révèle qu’une compagnie italienne, Progresso SRL, basée à Livourne est aussi engagé dans le projet - un contrat de 80 millions de dollars signé en décembre 1991 par lequel les deux firmes, suisse et italienne, sont autorisées à construire un site de stockage de 10 millions de tonnes pour des déchets dangereux. Les déchets seront importés au rythme de 500 000 tonnes par an. Il faut noter que les tarifs tournent autour de 100 $ américains par tonne enlevée, ce qui pour un bateau embarquant 10 000 tonnes représente la somme d’un million de dollars. À la suite de cette nouvelle intervention du UNEP, le contrat est annulé et la construction du site de stockage semblera ne jamais avoir eu lieu. Le directeur de l’agence fait cependant remarquer que les firmes comme Achair Partners et Progresso SRL sont en réalité des compagnies fictives, mises sur pied pour la circonstance, au gré d’un système protéiforme de nature à se reconstituer à tout moment, sous une forme différente. Et c’est précisément ce qui se dessine à une trentaine de kilomètres au nord de Muqdishu où la plage de Ceel Macaan offre un site abrité déjà utilisé pour le déchargement des navires. L’aménagement d’une petite installation portuaire serait de nature à fournir une alternative acceptable à la fermeture devenue récurrente du port principal de la capitale. Ceel Macaan devient ainsi immédiatement une entrée stratégique à la fois pour l’acheminement de l’humanitaire et celui de l’armement au profit des factions combattantes qui le contrôlent. Franco Giorgi, trafiquant d’armes ayant notamment fourni les groupes armés 63
serbes durant la guerre des Balkans entre 1991 et 1993 se rend en Somalie à l’été 1997, pensant en homme d’affaires avisé qu’il pourrait y entreprendre quelque trafic. Il y rencontre en effet Marocchino alors occupé à la construction du port. Or la rumeur s’est installée selon laquelle pour construire le quai de Ceel Macaan des conteneurs de déchets radioactifs auraient été utilisés coulés dans un sarcophage de béton. Seul l’avenir infirmera ou confirmera ce scénario jugé cependant improbable par la plupart des observateurs. Il n’en reste pas moins que de nombreux témoins se souviennent et que de nombreuses photographies attestent que quelque 400 conteneurs dont nul ne sait ce qui a été stocké à l’intérieur ont été enfouis dans le port. Les allégations les plus plausibles font état de vernis, de boues contaminées, de cendres de filtres électriques, etc. Au Nord, en pays majeerteen, à l’écart, loin de Muqdishu, les trafics sont par nature plus discrets. De nombreux dossiers accaparent l’énergie des dirigeants du Nord-est – pétrole, armes, déchets - mais peu d’informations sortent toutefois. On connaît seulement les commodités offertes par le port de Boosaaso, construit par les Italiens. Des Italiens qui ont également livré des bateaux de pêche armant la SHiFCo et que l’on soupçonne à l’occasion se prêter à d’autres usages. À Boosaaso, comme sur la route menant de Garoowe a Boosaaso, on retrouve Marocchino qui assure le transport des matériels et matériaux nécessaires jusqu’au site de construction. Là, entre les deux localités, l’entrepreneur organise aussi l’enfouissement de nombreux conteneurs1. Dans le pays abgaal aussi, la région de Cali Mahdi, Marocchino creuse des trous. Des déchets auraient encore été transférés dans le pays xawaadle. Mais nul n’est en mesure d’en apporter la preuve. Gianpaolo Sebri acteur repenti du trafic de déchets et qui collabore depuis avec les magistrats italiens déclarera à la commission d’enquête parlementaire créée pour élucider le meurtre des deux journalistes : « Je ne sais pas combien de déchets ont été envoyés en Somalie. La Somalie était devenue une nouvelle poubelle, et aussi le pays de destination de plusieurs cargaisons d’armes. Je sais que ces affaires pouvaient se réaliser grâce à l’engagement des mafiosi qui garantissaient la protection. Je sais que les Calabrais étaient très intéressés par la Somalie ».
Retour sur l’assassinat d’Ilaria Alpi et Miran Hrovatin Mais il est vrai aussi qu’en ces temps de Mani pulite, le dossier Alpi Hrovatin que chacun sent lié à nombre de trafics – armes ou déchets toxiques voire simultanément les deux – interpelle plus particulièrement la société italienne.
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Interception téléphonique du 25 octobre 1998.
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Lorsqu’en mars 1994, Ilaria Alpi et Miran Hrovatin viennent enquêter sur le rôle joué par les bateaux de pêche offerts par l’Italie à la SHiFCo, ils plongent sans s’en rendre immédiatement compte dans un monde très complexe, mais que les protagonistes eux-mêmes résument par une phrase : « On apporte des armes et on nous fournit un trou ».
Sauf que les intervenants sont nombreux et méchants. Ici un trafic s’est établi qui bat son plein et contente tout le monde. Les industriels se débarrassent de leurs déchets, les intermédiaires européens et somaliens font des affaires juteuses et les chefs de guerre obtiennent des armes en échange d’un coin de désert. À Boosaaso, les deux journalistes rencontrent le boqor Cabdullaahi qu’Ilaria Alpi soupçonne d’utiliser les bateaux de la SHiFCo à des fins de trafic d’armes. Le comportement général de son interlocuteur est hostile, comme l’atteste le document filmé au cours de l’entretien. Quelques jours plus tard, les deux journalistes sont assassinés à Muqdishu. Embuscade préméditée de l’avis de tout le monde. Giancarlo Marocchino, premier arrivé sur les lieux, ramasse les objets personnels de la jeune femme. Sur son magnétophone, plus tard remis aux autorités italiennes, il s’avérera qu’une partie de l’entretien est effacé. La jeune femme a touché à un secret jalousement gardé que nul n’avait intérêt à dévoiler : le droit de décharge de déchets payé avec de l’argent et des armes écrivit plus tard, dans une lettre adressée aux journalistes Barbara Carazzolo, Alberto Chiara, et Luciano Scalettari de Famiglia Cristiana, Guido Garelli, condamné à une peine de 14 ans de prison pour escroquerie et recel1. Son nom ayant été prononcé au moment de la mort des journalistes, le 11 octobre 1995, le boqor décide pour sa part de prendre les devants et lance un appel à la communauté internationale afin que certaines sociétés occidentales cessent d’immerger des conteneurs de déchets toxiques au large des côtes somaliennes. King Kong indique aussi que ces activités sont effectuées de connivence avec les responsables de certaines factions somaliennes, Maxamed Caydiid 2 par exemple ; la lettre précise les coordonnées du lieu de cette pollution au large du cap Gardafui, le gees Caseyr, ainsi que d’autres entre le raas Caluula et le raas Shannaqiif. Les informations sont fournies par la SHiFCo avec laquelle les autorités du Nord-est ont passé un accord de pêche prévoyant une aide aux autorités locales en matière de surveillance des
1
BASHIR Mohamed Hussein, Ph.d. The evidence of toxic and radioactive wastes dumping in somalia and its impact on the enjoyment of human rights: a case study. SOMACENT Development Research Foundation, Geneva : 2010. 2 Une assertion qui reste à prouver. Après 1993, la diabolisation de Maxamed Caydiid étant devenue une règle de fonctionnement médiatique. Sur fond de détestation américaine, le général s’est vu accusé systématiquement de tous les maux, souvent de manière infondée. 65
activités maritimes dans cette zone1. Son discours est renforcé un peu plus tard par celui du vice-président du SSDF, le beeldaaje2 Yaasiin Faarax Cartan, qui adresse à son tour une lettre en ce sens à Greenpeace et au UNEP. Naturellement, le propos du boqor King Kong se doit d’être lu en contrepoint de ses menaces voilées à l’adresse de Ilaria Alpi et de ses accointances avec la SHiFCo qui assure l’acheminement de ses cargaisons d’armes à Boosaaso3.
Le Progetto Urano Il reste que cet incident de parcours, qui semble sans relation directe avec les opérations dans le nord du pays, n’a pas justifié une quelconque interruption des démarches commerciales liées au Progetto Urano. C’est pourquoi Cali Mahdi qui doit recueillir 35% des bénéfices délivre-t-il le 19 août 1996 à Ezio Scaglione les autorisations nécessaires à la mise en place d’un « site de traitement » des déchets importés en Somalie. De la sorte rassuré, l’Italien se met aussitôt en quête de clients soucieux de se débarrasser de produits qui les encombrent. Sauf que l’une des personnes contactées, avertie sur la législation européenne afférente à leur exportation vers les pays hors OCDE avise la police forestière de la proposition qui vient de lui être faite. Cette démarche permet au procureur d’Asti, Luciano Tarditi, d’ouvrir en 1997 une enquête sur les activités de Scaglione. Les conversations téléphoniques entre celui-ci et Giancarlo Marocchino sont mises sur écoute. L’une d’elles, en août, montre ce dernier pressant son associé de hâter l’embarquement de 2 à 3000 barils de déchets, Cali Mahdi favorisant en effet l’ouverture d’une décharge. Marocchino rassure Scaglione sur la fiabilité du projet en lui envoyant l’original du document par l’intermédiaire de Franco Giorgi, le marchand d’armes. Marocchino suggère même à Scaglione de contacter un expéditeur du nom de Nesi et établi à Livourne afin qu’il organise l’expédition des déchets ; Livourne où est aussi situé le siège de Progresso SRL, la compagnie impliquée dans l’entreprise dévoilée par le UNEP en 1992. Cette coïncidence conduit le procureur à tenter de vérifier si Marcello Giannoni, unique administrateur de Progresso SRL, pourrait apporter quelques lumières sur l’expédition actuelle de déchets vers la Somalie. Or celui-ci, sans faire de difficultés, déclare sans ambages aux enquêteurs que des déchets industriels et peut-être des déchets hospitaliers étaient effectivement envoyés en Somalie afin de servir de matériel pour la construction de port de Boosaaso et de la route menant à Garoowe. 1
GREENPEACE. The Italian hub, the Mediterranean area and Africa. Greenpeace Italy Report. June 2010. 2 « Qui fait paître les troupeaux de plusieurs familles ». Titre porté par certains chefs coutumiers, en particulier chez les Daarood Dashiishe. 3 MOREIRA Paul. Toxic Somalia : l’autre piraterie. (titre allemand : Somalia und die Giftmüll mafia). Premières lignes et Arte France. 53’. 66
Il reste toutefois que la plupart du temps, les éléments qui remontent en surface ne concernent que ce qui, du point de vue des trafiquants, n’a pas ou mal marché. Les opérations menées à leur terme ne font pour leur part l’objet que de quelques supputations. C’est ainsi que pour ce qui concerne les immersions, par exemple, il faudra attendre des années – le ras de marée de 2004 – pour s’assurer qu’elles ont bien eu lieu et que les multiples maladies apparues chez les populations du bord de mer ne relevaient pas de l’un de ces mystères dont l’Afrique a le secret.
Ilaria Alpi et Milan Hrovatin : l’aveu d’ignorance Quant à l’hypothèse selon laquelle le meurtre des deux journalistes aurait été lié à un trafic d’armes auquel auraient été mêlés la SHiFCo et le boqor King Kong, elle est finalement abandonnée à la fin de l’année 1994, suite à un rapport confidentiel des services de renseignements italiens remis au gouvernement de Rome. Sans être parvenus à éclaircir véritablement les mobiles, ceux-ci avançaient deux explications plus ou moins convaincantes : il se serait agi soit d’un règlement de comptes entre les sous-clans hawiiye qui servaient d’escorte aux journalistes, soit d’un acte de terrorisme antiitalien au moment où le contingent militaire de l’ONUSOM se préparait à quitter la Somalie. À ce moment, les soldats étaient consignés dans leur cantonnement et les journalistes priés, pour leur sécurité de loger sur un bateau ancré au large de la capitale. Pendant un an, quelques collègues des deux journalistes assassinés appartenant à la TG3 – la 3e chaîne de la RAI – avaient affirmé que les deux reporters avaient été mis au courant par King Kong d’un trafic d’armes mené par la flotte de la SHiFCo, ce qui les aurait perdus. La saisie des livres de bord de la compagnie par la justice italienne de Naples n’avait cependant rien donné… et les services de renseignement avaient obtenu des témoignages selon lesquels King Kong niait avoir accusé la SHiFCo de quoi que ce soit. Les services indiquaient au contraire qu’il avait subi des pressions de TG3 pour qu’il mette en cause la compagnie de pêche et son partenaire italien Vito Panati1. Deux hypothèses certainement contestables mais suffisamment alambiquées pour permettre d’enfouir une affaire qui gênait beaucoup de monde tant en Europe qu’en Somalie.
LE DESARROI MAL DISSIMULE DE LA SOCIETE INTERNATIONALE Toujours est-il qu’après l’échec retentissant de l’ONUSOM, opération des Nations unies phagocytée par les États-Unis, cette remontée au grand jour d’une somme de trafics où les Somaliens ne sont pas les seuls acteurs tant s’en faut, suscite une certaine confusion à défaut d’une certaine gêne au sein de la société internationale. 1
LOI n° 657. 14 I 1995. 67
La sentinelle des Nations unies
[IV 1995]
Pourtant, après le démontage de l’opération, le Conseil de sécurité s’était proposé de maintenir en Somalie une « petite mission politique » pour « favoriser la réconciliation nationale » c’est-à-dire un bureau de liaison chargé de coordonner l’aide humanitaire et de faciliter les négociations entre les différentes factions1. L’idée avait suffi à faire immédiatement resurgir le clivage entre les deux groupes de factions qui se partagent le pouvoir à Muqdishu. Néanmoins, dès le 15 avril 1995, Cali Mahdi s’empresse d’accueillir favorablement cette proposition après une déclaration de Maxamed Caydiid affirmant « qu’aucun nationaliste somalien ne souhaitait le retour des Nations unies en Somalie ». Le général en avait également profité pour accuser celles-ci, et tout particulièrement Boutros Boutros Ghali, d’avoir contribué à créer la plupart des factions rivales dont la représentativité avait été et demeurait au centre des controverses. Ces controverses avaient selon lui empêché jusque-là plusieurs conférences de réconciliation nationale d’aboutir à un quelconque résultat durable. La seule nouveauté de la conjoncture somalienne réside dans certains propos de Cismaan Caato qui ayant récemment pris ses distances avec Maxamed Caydiid prend même, le 17 avril, nettement le contre-pied de la position de son ancien allié en approuvant la proposition des Nations unies d’ouvrir un bureau dans la capitale somalienne. Aussi, à New York, la nomination d’Aldo Jello, ancien représentant des Nations unies au Mozambique, comme Envoyé spécial en Somalie est déjà pressentie et son nom circule déjà avec insistance, début juin, dans l’entourage du Secrétaire général des Nations unies2.
Le symposium de Ṣanʿā’
[17/20 IV 1995]
Précédant cette nomination, l’UNESCO tente également sa chance et réunit du 17 au 20 avril, à Ṣanʿā’, plus de soixante Somaliens de diverses factions en un symposium organisé avec l’aide du gouvernement yéménite autour d’un thème prometteur : « la culture et la paix en Somalie ». La SSA y est représentée par son porte-parole, Cabdullaahi sheekh Maxamed, ancien diplomate et secrétaire adjoint du SSNM, tandis que l’avocat Maxamed Raagis Maxamed représente la SNU qu’il préside. En revanche, l’alliance de Maxamed Caydiid dont la délégation compte seize personnes ne comprend aucune personnalité de premier plan.
1 2
AFP. 6 IV 1995. LOI n° 668. 22 IV 1995.
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Trois professeurs de la diaspora et trois experts internationaux1 animent les discussions autour de trois thèmes : - la reconstruction de la société ; - la réhabilitation de l’État ; - la réintégration au sein de la communauté internationale. Un seul point semble faire l’unanimité au terme des multiples interventions : le fédéralisme en Somalie. Le document final émet toutefois le vœu de voir créer un mécanisme susceptible d’assurer le suivi de cette réunion2. Mais quelle démarche attendre d’un débat certes généreux, mais à l’audience aussi limitée. Une action se dessine pourtant autour du chanteur et musicien populaire Axmed Nagi dont le délégué de l’Union européenne pour la Somalie a remarqué les succès remportés auprès de ses compatriotes dans la capitale yéménite. Sigurd Illing décide donc de financer une tournée musicale de l’artiste qui avant la guerre civile était le directeur du théâtre de Muqdishu. Ce militant de la SNU souhaite en effet encourager la vocation pacifiste des quatre petites factions du sud qui représentent une population opposée à l’aristocratie pastorale des chefs de guerre. Hormis la SNU, il s’agit du SDM des Raxanweyn et des Digil, de la SAMO des Bantous et du SSDM des Biyomaal de la ville de Marka. Or ces quatre factions appartiennent aussi formellement au camp de la SSA de Cali Mahdi et leur surface semble bien étroite pour mettre sur pied un groupe de pression pacifiste autonome.
Le bilan américain Même chez les Américains que l’on ne peut guère soupçonner de sympathie à l’égard de Caydiid, les interrogations sont là. Dans le livre qu’il vient d’écrire avec son adjoint John Hirsch et qu’il présentait à Washington le 4 avril 19953, Robert Oakley faisait une nette distinction entre le bilan de l’action de l’UNITAF en décembre 1992 et celui de l’ONUSOM II un an plus tard. D’après lui, la première opération avait atteint ses objectifs parce qu’elle s’était limitée et avait été un modèle d’action militaire des États-Unis comme sous-traitant des Nations unies. Par contre la seconde opération avait échoué car son but était trop ambitieux, le Conseil de sécurité ayant choisi un mandat coercitif et inapproprié qui a conduit à la confrontation. Pour l’ambassadeur le principal problème est venu de ce que le Secrétaire général des Nations unies avait considéré que ce mandat devait inclure le désarmement des Somaliens. En comparaison, toujours selon 1
Maxamed Cabdi Maxamed Gandhi, Macow Aweys Cabdiraxmaan et Axmed Ismaaciil Samatar venus de France, d’Allemagne et des Etats-Unis d’une part, les ambassadeurs algérien Muḥammad Saḥnūn, soudanais Nureddin Satti et guinéen Lansana Kouyate. 2 LOI n° 669. 29 IV 1995. 3 OAKLEY, Robert et HIRSCH, John. Somalia and Operation Restore Hope: Reflections in Peacemaking and Peacekeeping. United States Institute of Peace Press : Washington, 1995. 69
l’ambassadeur, l’UNITAF en revanche n’avait eu comme objectif qu’un programme limité de contrôle des armes et non une campagne massive de désarmement « qui aurait demandé au moins deux fois plus de moyens »1. L’université américaine aussi considère qu’un positionnement différent eut été plus pertinent. Au terme d’une mission dirigée par le professeur Harold Marcus de l’université du Michigan dans la zone de l’interfluve, le 17 septembre, l’universitaire en concluait que le gouvernement de Maxamed Caydiid constituait actuellement la principale réalité politique de la Somalie. Il estimait qu’il conviendrait de mettre fin à la diabolisation entreprise au lendemain des combats avec les forces de l’ONU et les troupes des États-Unis à Muqdishu en 1993. Le professeur Marcus qui entretient un rôle de conseiller officieux du Département d’État admettait la perspective de voir le général somalien se lancer d’ici peu dans une opération visant à contrôler Kismaayo. Non sans une certaine naïveté, il allait jusqu’à déceler chez lui le désir d’y « parvenir de manière pacifique ainsi qu’il convient à un leader de stature nationale ». Mais, dans ces bonnes dispositions de Marcus, il faut aussi considérer un positionnement pragmatique. En effet, le professeur a fait le voyage en Somalie en compagnie de l’ancien ambassadeur des États-Unis, Franck Criger, et du révérend Harry Covert. Les trois hommes avaient ensemble rencontré le chef de la SNA qui retenait alors en otage plusieurs personnes des Nations unies. Après que ses hôtes américains eurent participé aux négociations pour leur libération, Harry Covert avait accepté à leur retour de lancer une opération humanitaire en faveur du général, via son organisation chrétienne, Harry Covert Ministries Inc/ International Relief Federation. Or celle-ci avait déjà offert en août d’envoyer au général Caydiid dix conteneurs d’aide humanitaire, vêtements et fournitures scolaires, médicaments, fournitures hospitalières, semoirs, d’une valeur de plus de 20 millions de dollars pour le seul prix du transport et de la manutention. Deux conteneurs de médicaments étaient aussi attendus à Muqdishu à la fin décembre2.
Le regard sceptique de la France Moins claire dans son appréciation sur le général Caydiid, la France fondait sa position sur le rapport du député français Jean-Bernard Raimond, réalisé au nom de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale sous le titre « La déroute de l’humanitaire ». Le député estimait que la Résolution 837 avait été une erreur car elle prétendait résoudre un problème politique par des moyens militaires. Ainsi l’intervention s’étant transformée en une guerre entre l’ONUSOM 1 2
LOI n° 667. 15 IV 1995. MARCUS, Harold G. President Aidid’s Somali. Michigan State University. IX 1995.
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et la faction Caydiid était à considérer comme un engagement en faveur de l’un des partis. Ainsi, si selon le député les objectifs humanitaires de l’ONUSOM avaient été partiellement remplis, les objectifs politiques étaient restés lettre morte. Ce bilan devrait vraisemblablement amener les États-Unis à refuser désormais d’engager des hommes au sol dans des opérations de maintien de la paix où leur intérêt n’était pas engagé. En revanche, le bilan de l’engagement militaire français dans la région de Bakool entre décembre 1992 et mars 1993 était jugé plus positif. La principale raison de ce succès était attribuée à l’unité d’action et de commandement dans l’ensemble de la zone considérée. À l’inverse, l’échec de l’intervention à Muqdishu tenait en grande partie à l’aide civile de l’ONUSOM qui s’était révélée peu compétente, sans imagination, plus soucieuse de profiter de la logistique mise à sa disposition que d’en faire bénéficier la population, tandis que l’aide militaire était de son côté handicapée par l’impossibilité pour l’étatmajor de contrôler l’ensemble des unités1. Sans avancer une « hypothèse Caydiid », le rapport n’en expliquait pas moins que c’était une résolution émise à son encontre qui avait engagé un processus de diabolisation d’un interlocuteur certes difficile mais somme toute le seul peut-être à offrir une dimension politique plausible.
Les factions somaliennes et l’argent italien Du point de vue italien, l’évolution de la situation somalienne s’inscrit par essence dans un contexte plus délicat. En effet, une approche un peu simpliste mais somme toute explicite des sources de revenus des principaux chefs de faction ramène incontournablement à leur relation avec la nébuleuse affairiste italienne. Sans qu’aucune limite précise n’existât réellement et que l’imbrication des processus soit fréquente, on peut considérer que Maxamed Caydiid, officier et homme d’appareil, avait naguère plutôt profité des compromissions directes de l’État Siyaad Baare avec les diverses malversations de l’État italien, de la coopération en particulier ; d’un autre côté, les gens d’affaires, tels que Cali Mahdi et surtout Cismaan Caato, semblaient avoir privilégié leurs relations avec la Mafia et ses antennes américaines. Celle-ci avait en effet amplement investi cette ancienne colonie italienne dont elle utilisait les rouages de l’administration et de l’État pour blanchir de l’argent. La vaste opération baptisée Mani pulite qui avait lancé le 17 février 1992 la justice italienne contre la corruption du monde politique italien2 avait abouti en 1994 à la disparition de partis comme la Democrazia Cristiana (DC) et le Partito Socialista Italiano (PSI). Ce vaste coup de balai concernait entre autres le fonctionnement de la coopération italienne en Somalie. Aussi Mani pulite profitera-t-elle de manière 1 2
LOI n° 666. 8 IV 1995. L’affaire des pots-de-vin, Tengentopoli, éclate à Milan le 17 février 1992. 71
inattendue de la situation somalienne. En effet, selon le juge milanais Gemma Gualdil, l’un des magistrats s’occupant des scandales de la coopération, le chef de la SNA aurait, au début des années 1980, accumulé au moins un million de dollars de commissions et de pots-devin payés par des entreprises italiennes. À cette époque, Maxamed Caydiid était aide de camp du président Siyaad Barre et responsable de la sécurité à la présidence. Il était aussi le correspondant de la chambre de commerce italo-somalienne basée à Milan et présidée par le consul honoraire de Somalie, Paolo Pillitteri. Ce dernier également maire de Milan était aussi le beau-frère du dirigeant socialiste Bettino Craxi1. En 1987-1988, les socialistes milanais avaient tenté de rompre leur relation avec un Caydiid tombé en disgrâce qui avait entre-temps été nommé ambassadeur de Somalie en Inde. Sauf que le futur président de la SNA ne l’entendait pas de cette oreille et avait comme nous l’avons vu choisi de saisir le tribunal de Milan pour réclamer à la chambre de commerce italo-somalienne plusieurs centaines de milliers de dollars de commissions commerciales non versées. Ainsi, bien qu’il ait finalement perdu son procès, son action avait paradoxalement facilité la tâche des juges de l’opération Mani pulite2. Dans ce contexte, les autorités italiennes auront d’excellentes raisons d’être partagées sur la conduite à tenir à l’égard du gouvernement que se prépare à mettre en place un Maxamed Caydiid dont les troupes tiennent le Sud de Muqdishu et, comme nous allons le voir, s’apprêtent à contrôler la ville de Baydhabo. Ainsi le SISMI lui est-il plutôt favorable du fait des bonnes relations entretenues avec les militaires somaliens formés comme lui à l’académie militaire italienne. Il en va surtout ainsi du chef du bureau Afrique, le colonel Luca Ragola, qui a longtemps été conseillé technique militaire de Siyaad Barre et qui a conservé depuis de nombreux amis chez les anciens dignitaires militaires. Le ministre italien des Affaires étrangères en revanche ne voit pas du tout l’affaire du même œil. C’est pourquoi, lors d’une visite à Rome, un ministre du gouvernement du Maxamed Caydiid se verra refuser d’être reçu à la Farnesina comme le sont à l’accoutumée les représentants de factions de passage en Italie. Les fonctionnaires de ce ministère lui proposeront une rencontre plus discrète dans une trattoria, afin de ne pas donner l’impression qu’ils accordaient une quelconque reconnaissance au gouvernement du général.
1
Inculpé en 1992, il est condamné à 27 ans et demi de prison, dont 10 ans fermes pour une demi-douzaine d’affaires de financement illicite de parti politique et de corruption. Malade, il parvient à s’enfuir en Tunisie où il mourra, à Hammamet, en 2000. 2 LOI n° 661. 4 III 1995. 72
I II – S OMALILAND : INSTRUMENTALISATION DES CONFLITS CLANIQUES
Pendant qu’une criminalité polymorphe prend un tour quasi institutionnel dans les régions méridionales de l’ancienne Somalie, au nord-ouest en revanche, le Somaliland dont l’indépendance a été autoproclamée, il y a cinq ans maintenant, continue seul à lutter pour intégrer une certaine normalité. Certes, mis à l’épreuve par la poursuite des luttes de pouvoir1 et par un banditisme récurrent, l’année 1995 reste sur le plan sécuritaire une année difficile pour le président Maxamed Ibraahin Cigaal. En revanche, si 1996 constituera encore une année de tous les dangers pour la survie d’un État à la fois isolé et fragile, elle se révélera aussi l’année où le Somaliland prend un virage politique déterminant. Jeune État qui cherche à affermir une substance encore trop fluide, les pôles d’instabilité qui persistent à menacer son intégrité restent somme toute centrés sur quelques problématiques aisément identifiables. Tandis qu’en Awdal, problème circonstanciel lié à la fragilité du pouvoir de Hargeysa, les Ciise confortés par le gouvernement djiboutien affichent des velléités centrifuges, en pays isxaaq, les perceptions politique et clanique se focalisent autour des centres économiques : - Berbera, où le lignage Ciise Muuse des Habar Awal dispute à quelques familles Habar Yoonis implantées à proximité la gestion du premier port du pays et les axes qui en procèdent ; - la région de Hargeysa où l’opposition Habar Garxajis des clans ciidagale dispute au pouvoir la maîtrise de la première plateforme aéroportuaire du pays ; 1
FONTRIER: 2012/1: 460-468. 73
la région de Burco enfin, où sur fond d’opposition Habar Yoonis et d’islamisme commerçant, il s’agit pour le pouvoir de contrôler les flux centrifuges du principal centre du commerce du bétail du pays. La géographie de ces affrontements relève de deux problématiques distinctes mais interconnectées.Depuis l’élection de Maxamed Ibraahin Cigaal à la tête du gouvernement en juin 1993, deux pôles conflictuels fragilisent la pérennisation du jeune État. Le premier, transclanique en dépit des apparences, oppose un camp sécessionniste majoritaire à un camp fédéraliste minoritaire. Le second relève plus explicitement des équilibres claniques, envisagés sous l’angle de la représentation à la Guurti d’une part et de la captation des ressources douanières d’autre part. Naturellement traversés par les devoirs de solidarité clanique, les deux débats interagissent de façon si complexe que paradoxalement ils finissent par imposer une lecture simpliste de leur réalité. Ainsi, ces préoccupations, essentielles pour un gouvernement qui ne dispose quasiment pour seule ressource que des revenus douaniers, donnent lieu à des lectures différentes. Les uns voient dans les conflits qui perdurent l’activité politique des opposants à l’indépendance, les autres la perduration de l’activité des clans. Dans ce contexte, il s’agit pour le président Cigaal de procéder à un choix : soit considérer que la normalisation passe par la mise en œuvre des moyens de coercition légitimes de l’État soit admettre qu’elle relève par l’arbitrage des autorités claniques et de la Guurti nationale, chambre haute du Parlement somalilandais1. -
ACTEURS ET FACILITATEURS DES PROCESSUS DE RECONCILIATION Identifier clairement la ligne politique suivie par le président somalilandais, au plan intérieur en particulier, nécessite un bref retour sur la façon dont ont été jusqu’alors gérées les autorités traditionnelles du Somaliland, notamment la place qui leur avait été octroyée après la chute du régime de Siyaad Barre. Au bout de quelques mois en effet, le Somali National Movement (SNM) avait souffert d’une forme de factionnalisme sous certains aspects comparable à celui qui touchait les mouvements politiques de la Somalie du Sud. Comme les tensions à l’intérieur du mouvement atteignaient la sphère dirigeante, même l’illusion du contrôle de l’espace s’était évanouie et, en janvier 1992, le mouvement était entré en guerre contre lui-même2. Toutefois, alors que dans la partie méridionale du pays, les instances traditionnelles demeuraient inopérantes, dans le Nord, elles étaient parvenues à procéder moins à un processus global de réconciliation qu’à des arbitrages ponctuels. Ceux-ci conduiraient 1
Nous convenons de désigner avec une majuscule la Guurti nationale, chambre haute du Parlement et avec une minuscule les conseils particuliers des clans. 2 FONTRIER 1992: 161-187. 74
dans un premier temps les Isxaaq à ne pas avoir à affronter les autres faisceaux lignagers et dans un second à trouver des solutions à la plupart des différends développés en leur propre sein.
Le rôle des chefs traditionnels Sous Siyaad Barre s’était instauré un système du « diviser pour régner » qui avait littéralement discrédité les chefs traditionnels et miné leur capacité à régler les contentieux locaux et à maintenir la paix. Sous couvert de lutte contre le clanisme et en usant d’un système de prébendes, la plupart d’entre eux avaient été réduits au silence. Cette collusion pernicieuse avec le régime, assez proche de la méthode dont avaient naguère usé certains colonisateurs, avait considérablement réduit leur crédibilité au sein de leurs propres communautés. L’idée sous-tendue visait à imposer l’homogénéisation de la modernité à une culture du lignage considérée comme obsolète et contreproductive. Les références à celle-ci et à l’ancêtre commun étaient vigoureusement découragées. Le régime avait interdit officiellement l’un des principaux instruments juridiques traditionnels, le système de compensation collective, le mag, le prix du sang1. De la sorte, au milieu des années 1970, le régime de Siyaad se prévalait d’avoir aboli le système des clans dans toute la Somalie. Sauf que, lorsqu’au début des années 1990 la guerre civile se déclenche dans le Nord, les notables 2 n’ont pas d’alternative. Leur seule option consiste à prendre le parti de leurs parents de sorte qu’une fois la paix revenue, ces positionnements se sont naturellement révélés propres à réhabiliter puis à renforcer leur autorité. Les partisans qui venaient de combattre le régime avaient en effet été recrutés au sein des clans et avec l’aval des odayaal jusqu’à constituer les milices du SNM. Au terme de l’exercice, ce rôle de relais avait contribué à ramener les autorités traditionnelles, ainsi réhabilitées, sur le devant de la scène. Dans un premier temps, pendant la période de turbulences et d’incertitude qui, créant une situation d’absence d’institutions légitimes, avait accompagné la disqualification de l’État, lignages et clans avaient éprouvé la nécessité de reconsidérer les structures traditionnelles. Une attention particulière était accordée à la nomination des autorités,caaqil, suldaan, ugaas, institutions politiques particulières que la religion entérinait. C’est ainsi qu’en 1993, on comptait deux fois plus d’ugaaso au Somaliland qu’en 1960 au moment de l’indépendance3.
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Le recours au mag est interdit en 1974 par Siyaad Barre. Terme générique retenu dans cet ouvrage pour les « Aînés », les « Anciens », les Elders, etc. dont nombre il est vrai sont loins d’être chenus… 3 AHMED Yuusuf Farah, et I.M. LEWIS. Somalia, the roots of reconciliation.. Peace making endeavours of contemporary lineage leaders : a survey of grassroots peace conferences in "Somaliland". International Division, Resource Centre, ACTIONAID : London,1993. 2
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Mais force était aussi d’admettre qu’en dépit d’une période d’éclipse sous le régime socialiste, les notables des lignages étaient restés bien présents à la tête des unités sociales les plus petites. C’est cette possibilité d’un retour à des solutions éprouvées de gouvernance qui permettra aux Somaliens du Nord de briser l’élan de la guerre et des pillages. Il s’avérait que les cuqaal, autorités de médiation, chefs de lignages, chefs de jilib solidaires du mag non seulement étaient restés présents mais que leurs fonctions se développaient maintenant dans le vide laissé par l’effondrement de l’administration centralisée de l’État somalien. La plupart des lignages du Somaliland, en particulier les plus importants d’entre eux, retrouvaient leur propre conseil de notables, leur guurti, chacune remplissant un double rôle, législatif et exécutif. Contribuant à rétablir solidement leur autorité, leurs responsabilités couvraient à nouveau les contentieux quotidiens qui se levaient à l’intérieur des familles et procédaient aux dispositions d’arbitrage entre des clans voisins. En avril 1992 par exemple, les Gadabuursi dont la dynastie des ugaaso avait été interrompue au cours des années 50 rétablissaient leur chef traditionnel. C’est leur ugaas qui est envoyé avec la délégation de paix pour réconcilier les combattants auprès du faisceau lignager des Isxaaq. Ce sont enfin ces notables qui appelleront à la réunion d’une assemblée dont on attendait qu’elle délibérât sur la restauration de la paix et avance des propositions pour l’avenir de la région. Il eut donc été bien inconséquent d’exclure ou de marginaliser les autorités traditionnelles, de se priver de leur participation au fur et à mesure que se développait l’État moderne et se reconstruisaient les infrastructures professionnelles à nouveau permises par la paix. D’autant que la remise sur pied des services de base s’enracinait au niveau du district plutôt que de se développer du haut vers le bas. Cette approche « par la base » se trouvait en accord avec le système décentralisé de gouvernance, tel qu’il s’était exprimé dans la Charte nationale provisoire formulée par les notables lors du shir de Boorama.
Les protagonistes des conciliations En 1991, bien que le Nord – comme le Sud – continuât à souffrir d’un banditisme erratique, la perspective d’une reconnaissance internationale avait donné un élan supplémentaire au désir populaire de paix. Dans ce registre, le Somaliland avait la chance de ne pas subir la contrainte de chefs de guerre influents, enfermés dans une lutte farouche et désespérante pour le pouvoir. Ce phénomène qui dans le Sud restait un obstacle majeur à la paix s’y alimentait de façon non négligeable de la concentration de l’aide humanitaire sur la seule place de Muqdishu, ce qui constituait un stimulus puissant pour l’entretien du conflit. Dans le Nord en revanche, les mécanismes de mise en place de la paix reposaient sur des comités conjoints des communautés, formés au niveau local et habilités à mettre en œuvre des accords conclus par les 76
conseils de notables, les guurtiyo. Des mesures adaptées à la situation sécuritaire étaient prises, telle la création de ces comités Haramee1, chargés de régler le problème du banditisme ainsi que les troubles mineurs. Cette approche de reconstruction de la paix avait pris forme dès 1991 au fil d’une série d’abord restreinte de réunions de réconciliation qui s’étaient peu à peu étendues au niveau du district, de la région puis, très vite, du Somaliland tout entier. La réalisation des accords lors de ces conférences de paix – shir nabadeed – était scellée par les notables des clans, certes, mais aussi grâce à l’intervention d’autres autorités. Politiciens, militaires, plus particulièrement encore hommes de religion et poètes, tous jouaient un rôle important dans le processus de reconstruction de la paix. Les personnalités religieuses, sheekh et wadaad, férus d’islam, tous prenaient très au sérieux leur fonction d’architectes de la paix. Leur autorité, fondée sur l’estime que conférée par leur rôle de chef spirituel, les distinguait notamment des suldaanno au statut plus séculier. Ainsi s’étaient naturellement reconstitués les rôles traditionnellement dévolus au waranle et au wadaad2. Les autorités spirituelles étaient en l’occurrence considérées comme des arbitres idéaux et neutres, compte tenu de leur attachement à l’universalité des valeurs islamiques propres à transcender les loyautés claniques. N’ayant pas vocation à régler ellesmêmes les disputes ni à prononcer de jugements, tâche impartie aux conseils des notables, leur démarche consistait à encourager les protagonistes à s’entendre au nom de la foi. À cette fin, au Somaliland, des délégations indépendantes composées d’hommes à la piété reconnue avaient pris part à toutes les initiatives de paix entreprises entre des clans hostiles. La poésie, qui reste la forme artistique la plus respectée en pays somali, avait également été mise au service du rétablissement de la paix. Usant de la métaphore et de l’allusion, la poésie orale jouait ainsi de la richesse du processus discursif somali. Connu, reconnu et apprécié, le poète conservait sa capacité à infléchir les comportements de l’opinion. Il est patent par exemple qu’au fil des principales réunions de réconciliation entre les Habar Yoonis-Bari et les Dhulbahaante à Dararweyne en 1992, les poètes avaient enflammé leurs auditoires en déclamant en faveur de la paix, notamment lors des cérémonies d’ouverture et de fermeture des shirar. Les femmes avaient également joué un rôle important dans le processus de pacification car même une fois mariées, celles-ci conservent le lien de parenté qui les unit au lignage de leur père. Ce double aspect de la parentèle, établi le plus souvent entre deux lignages voisins, avait conduit les femmes a souffrir particulièrement des bouleversements de 1
Comités « désherbage ». LEWIS Ioan M. A Pastoral Democracy: Study of Pastoralism and Politics Among the Northern Somali of the Horn of Africa. Oxford University Press - International African Institute : London, 1961: 196-7.
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la Somalie quand les affrontements mettaient aux prises les familles où elles étaient mariées et celles où elles sont nées. Néanmoins, cette situation, qui correspondait à la vocation fondamentale de leur exogamie, à leur rôle traditionnel dans les systèmes d’échange, conférait aussi aux épouses une fonction d’ambassadeurs actifs. Au plus fort de la guerre civile, les femmes avaient souvent constitué les seuls moyens de communication entre clans rivaux, leur état à la fois de filles et d’épouses leur permettant de dépasser les frontières claniques ordinaires. Vingt-quatre jours par exemple après que la guurti des Dhulbahaante avait échoué à se présenter sur le site convenu pour tenir la première réunion de paix, les Habar Yoonis-Bari, avec lesquels elle devait se rencontrer, envoyaient une délégation de personnes nées de femmes dhulbahaante, afin qu’elles persuadent leurs parents d’assister au shir et de rejoindre leurs parents maternels parmi les Habar Yoonis. Phénomène considéré sous un autre angle, les femmes sont traditionnellement, échangées pour sceller un traité de paix entre les parties. Une fille est offerte comme un signe de confiance et d’honneur pour marquer le pacte entre donneur et receveur. De même, quand le sang a été versé, les Somali voient dans le don d’un conjoint une compensation matérielle et symbolique pour la perte d’une vie. De telles traditions ont ainsi perduré et sont venues renforcer les principaux accords de paix comme cela s’est passé à Berbera entre les Habar Yoonis et les Ciise Muuse, quand chaque lignage a octroyé à l’autre cinquante filles à marier. La technologie moderne enfin a également contribué à la relative stabilité du Somaliland. Dans le passé, la communication radio était le monopole du gouvernement et des organisations internationales. Depuis la fin des années 80, les notables des clans engagés dans des affrontements pouvaient désormais rester en contact radio permanent pendant les périodes de tension, le lien ainsi établi contribuant à entretenir les liens de la négociation.
Les atouts du gouvernement somalilandais De la sorte, dans un contexte relationnel difficile mais loin d’être fermé, nombre d’éléments se conjuguent, attestant du sérieux du régime en place comme de la volonté sincère et partagée par la plus grande partie de la population de parvenir au relèvement et à la construction de leur pays. Ainsi, force est d’abord de constater que la coalition de lignages qui a contribué à la formation de l’État restait solide. Les Isxaaq Habar Awal, Habar Jeclo, les familles arab des Habar Garxajis, mais aussi les Gadabuursi ainsi que de nombreuses familles ciise, dhulbahaante et warsangeli, demeurent solidaires. Bien sûr, l’intelligence du système dont cette agrégation procède passe par la prise de conscience de la 78
capacité gouvernementale à payer les soldats, les fonctionnaires… ainsi que les parlementaires et les membres de la Guurti. Nul n’ignore non plus qu’à cet effet, l’essentiel des revenus provient des taxes douanières levées par le gouvernement dans les zones sous son contrôle et que précisément toute perte de ce contrôle constitue un risque pour le bien-être de chacun. De la sorte, il est nécessaire d’être maître du commerce sur Berbera, principal port du pays1, du commerce du bétail qui, négocié à Burco, tend à échapper au contrôle gouvernemental en privilégiant l’exutoire majeerteen voire islamiste de Boosaaso, de contrôler enfin Hargeysa, la première plate-forme aéroportuaire du pays. Il faut dire en effet que la multiplication des octrois – au niveau du gouvernement, de la région voire du district mais en même temps des clans – a provoqué une augmentation des prix et tend par voie de conséquence à dérouter les flux de marchandises vers des ports voisins et à susciter un accroissement de la contrebande. Une situation qui entraîne mécaniquement une baisse des revenus gouvernementaux2. Pour le reste, il existe dans le quotidien des signes rassurants. Policiers et soldats sont en tenue. Si rien n’est parfait, dans les zones contrôlées par le gouvernement, la sécurité est plutôt bien assurée. Le commerce reprend de la vigueur ; les biens importés à Hargeysa sont réexportés jusqu’au Soudan à travers l’Éthiopie – qui, désormais enclavée, commence à considérer Berbera comme un exutoire stratégique – et vers le Kenya enfin à travers l’Ogadèn. À Hargeysa, les cours de justice de district et de région ont recommencé à fonctionner depuis mars 1994. En ville, l’activité est interdite aux commerçants sans licence, les rues ont été nettoyées et les constructions interdites sans autorisation. Les automobiles sont enregistrées et des plaques d’immatriculation délivrées. Certes, les contrôles gouvernementaux sont encore insuffisants et la coordination des différents niveaux administratifs laisse encore à désirer mais il est patent que l’on a quitté le contexte d’anarchie qui cinq ans plus tôt prévalait encore. On observe même que dans les zones où des affrontements perdurent un système administratif fonctionne tant bien que mal, et ce malgré l’absence des cadres ciidagale et Habar Yoonis, démissionnaires ou en fuite. Le président Cigaal utilise d’ailleurs sans vergogne l’argument de la persistance des affrontements pour légitimer l’établissement des administrations régionales. Aussi passe-t-il souvent outre les résistances des autorités traditionnelles quand, sans consultation préalable, il appointe des gouverneurs chargés de mettre en œuvre les décisions du pouvoir central. De la sorte, quand, en 1
En septembre 1993, de nouveaux tarifs douaniers ont été établis à Berbera et dans les autres ports. 2 Il faut aussi considérer que sont mises en place au niveau des municipalités et des districts des taxes sur lesquelles l’Etat ne parviendra pas à établir son contrôle avant 1996. 79
octobre 1994, il désigne des administrateurs dans le Togdheer et le Sool, l’objectif est clair : il s’agit de signifier sa volonté d’étendre le pouvoir de l’État sur l’ensemble du pays1.
LA GESTION PRAGMATIQUE DES DIFFICULTES Mais au cours de l’année 1995, outre les problèmes sécuritaires, le président du Somaliland et son gouvernement sont aussi confrontés à d’autres difficultés. Les unes résultent de l’isolement extérieur du pays et de sa volonté d’affirmer cette indépendance que la communauté internationale se refuse à lui reconnaître, les autres de la nécessité de poursuivre la tâche de réorganisation qui seule attestera de la crédibilité de cette revendication. Parmi les préoccupations qui s’imposent au chef du jeune État où tout reste à construire, il y a au premier chef cette hostilité généralisée des organisations internationales à admettre une dichotomie de l’État somalien. Aussi, bien qu’attentif à affirmer la légitimité de ses positions, le président Cigaal peine-t-il aussi à obtenir une aide dispensée sous réserve de céder à d’inacceptables ukases tandis que son voisin djiboutien n’a pas exclu de tirer parti de l’isolement somalilandais.
Djibouti et les tensions en pays ciise Au cours de l’année 1995, un souci politiquement périphérique vient compliquer les relations du gouvernement d’Hargeysa avec la République de Djibouti qui par de nombreux aspects sert de plateforme économique et financière au jeune Somaliland. La confrontation qui, à l’extrême Nord-ouest, oppose les forces du gouvernement et la milice de l’United Somali Front (USF) s’inscrit dans la préoccupation des clans ciise qui vise à occuper la bande de territoire occupée le long de la frontière avec Djibouti. Elle renvoie à un lancinant conflit puisque déjà en juillet-août 1994, il avait donné lieu à de violents combats après que certaines familles ciise réfugiées à Djibouti ont tenté de se réinstaller sur ces espaces naguère abandonnés par eux2. Les problèmes resurgissent au début de l’année 1995 dans l’Awdal avec de nouvelles tensions, au sein de l’ensemble du lignage Dir cette fois, plus particulièrement entre les familles Gadabuursi Maxad Case et Ciise Mamaasan3. Le 27 janvier, de violents combats mettent aux prises autour de Geerisa des clans des deux lignages.4 Sérieusement étrillés, 1
GILKES, Patrick. Acceptance, not recognition : the Republic of Somaliland (1993-1995). London : Save the Children, 1995. 2 GILKES 1995 : 460-461. 3 LOI n°657. 4 II 1995. Le faisceau lignager des Dir est dans cette région constitué des lignages Ciise et Gadabuursi. 4 Selon la version officielle, le décès concommitant du vice-ministre de la Défense du Somaliland, Maxamed aw Cali Cumar, le 5 février, sera attribué à un accident. 80
les Ciise chez lesquels on a observé un manque inhabituel de réactivité se replient alors vers Djibouti tandis que leurs assaillants s’empressent de s’emparer de leurs biens1. Avec le soutien matériel de la France, le différend parviendra cependant à se régler au terme de deux shirar, respectivement tenus à Geerisa et à Agabar. Toujours est-il que, dans le même temps, les relations entre le président du Somaliland et Djibouti où ses appuis se comptent surtout parmi les commerçants de son clan, les Habar Awal/Sacad Muuse, se détériorent de nouveau. Elles s’étaient tendues après que Maxamed Cigaal s’était convaincu des menées du chef de cabinet du président Hassan Gouled, Ismaël Omar Guelleh, qu’il soupçonne de vouloir contrôler le territoire occupé par les Ciise au Somaliland2. Néanmoins, bien que la tension perdurât et hormis une nouvelle série d’accrochages qui surviennent le 10 août à Toqoshi, à 20 km de la frontière, le calme était revenu jusqu’à ce que, le 28 octobre, les forces du gouvernement du Somaliland tuent trente-cinq Ciise montés à l’attaque de leur poste, dans le village de Jidhi, au sud-est de Saylac3. La nouvelle, diffusée par Radio Hargeysa, est aussitôt démentie par le président du Unified Somali Front (USF) Abdiraxmaan Cumar Axmed Awga sur les ondes pro-Caydiid de Radio Muqdishu, le 31 octobre. Sauf que l’affaire n’en est pas moins avérée quand Radio Hargeysa qui dénonce la politique trouble de la République de Djibouti qui a conduit aux affrontements exhibe à l’aplomb de ces allégations six prisonniers, dont un ancien officier Ciise Mamaasan de l’armée somalienne du président Siyaad… car les soldats du président Cigaal ont bien étrillé les miliciens sis de l’USF auxquels les militaires djiboutiens étaient venus prêter main-forte. La défiance perdure entre les deux pays au point qu’en septembre 1996, le président Maxamed Cigaal exprimera sans ambages deux récriminations à l’encontre du président djiboutien : - la première relève de la tolérance de celui-ci envers les milices ciise qui militent pour le rattachement à Djibouti de la partie ouest du territoire du Somaliland ; il évoquera les attaques armées régulièrement menées contre les camions circulant entre le poste-frontière de Loyada et la ville de Saylac, le dernier incident ayant eu lieu fin août. Cette situation – dont le chef de cabinet du président Hassan Gouled est accusé d’être largement complice – contraint effectivement le Somaliland à maintenir de nombreux militaires déployés aux abords de la frontière ; - le second grief repose sur le fait que Maxamed Cigaal rend les autorités djiboutiennes en partie responsables de l’échec de sa 1
Selon les protagonistes, qui cachaient mal une mésentente entre les clans Ciise de la région frontalière, l’absence de contre-offensive s’expliquait par un manque de munition. 2 LOI n°666. 8 IV 1995. 3 Africa Research Bulletin, XII 1995 : 12063. 81
campagne pour la reconnaissance internationale du pays. Au sein de l’OUA comme dans le cadre de la Ligue arabe, Djibouti défend en effet l’idée du maintien d’une Somalie unie et s’oppose à l’indépendance du Somaliland1.
L’étrange courrier vers Israël
[VII 1995]
Alors que le président Cigaal vient d’achever la deuxième année de son mandat survient un événement étrange dont il reste à déterminer s’il relève de la manipulation, de la malveillance ou de la provocation. Il est déclenché au mois de juillet 1995 par un article hâtivement publié dans la Lettre de l’océan Indien qui reprend en l’occurrence une information diffusée par Africa Confidential. Il y est fait état d’une lettre adressée au Premier ministre israélien, Itshak Rabin, correspondance au fil de laquelle il propose l’établissement de liens stratégiques avec Israël. Le journal explique la démarche supposée de Maxamed Cigaal par la fin de non-recevoir qui lui a été opposée au Caire l’année précédente par la Ligue arabe. À l’aplomb de cette offre, le Président insistait sur l’influence passée de la culture hébraïque au Somaliland et sur le fait qu’Israël avait été parmi les premiers États à reconnaître son indépendance, le 26 juin 1960. Il mettait surtout en avant le danger que faisait courir le fondamentalisme dont l’expansion dans la Corne de l’Afrique devenait préoccupante et faisait part de ses craintes, renforcées par l’influence grandissante dans cette région des Saoudiens et du Yémen. Ayant découvert que l’Érythrée n’était pas intéressée à se comporter comme un satellite arabe, Ṣanʿā’ et Riyāḍ envisageraient maintenant d’amener le Somaliland à abandonner son indépendance afin d’installer un régime fédéral islamique en Somalie. Selon les propos rapportés par le journal, l’Arabie saoudite et le Yémen se trouvaient placés dans le camp des régimes fondamentalistes au même titre que le Soudan, l’Iran… et même la Libye. Afin de résister à ces pressions islamistes, Cigaal sollicitait donc la coopération israélienne. Son carnet de commandes portait sur une aide en équipements militaires et en experts en contre-espionnage, un appui à l’organisation du référendum sur l’indépendance du pays prévu entre la fin 1996 et le début 1997, une assistance humanitaire, une aide à la reconstruction ainsi que des conseillers en développement et des experts dans les domaines de l’exploitation pétrolière et minière. Maxamed Cigaal précisait au terme de sa missive l’idée d’une demande d’aide à Israël lui était venue après une visite officielle en Érythrée effectuée peu auparavant par le vice-président et le ministre des Affaires étrangères du Somaliland. À Asmära, ses deux collaborateurs avaient rencontré l’ambassadeur d’Israël en Érythrée, Ariel Kerem, lequel lui aurait suggéré que le président du Somaliland adressât une lettre
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LOI n°735. 5 X 1996.
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personnelle au Premier ministre israélien afin de l’informer de son désir de collaborer avec son pays1. Qu’il s’agisse d’un document authentique ou d’un faux, sa divulgation de façon aussi brutale ne pouvait que mettre en difficulté le président somalilandais. Cigaal n’avait donc d’autre choix que d’adresser, le 17 mars, à la Lettre de l’océan Indien un courrier par lequel il rejetait catégoriquement et sans équivoque les assertions du journal. Il réaffirmait qu’il s’agissait d’un faux dénué de tout fondement, précisant « qu’il était né arabe, avait grandi arabe, avait vécu arabe et pensait comme un arabe ». Après avoir rappelé ses nombreuses relations passées avec certains dignitaires arabes, il ne pouvait faire moins que de conclure sa lettre en reconnaissant que lui et son gouvernement étaient très déçus par l’abandon de leurs frères arabes mais en précisant aussi que ce désappointement restait celui d’un frère déçu que ses amis et parents n’aient pas répondu à ces attentes. Implicitement, mais sans jamais prononcer le nom d’Israël, le président excluait toute idée de se tourner après une telle déception vers les autorités israéliennes. Un événement, quoi qu’il en soit, dont le fin mot n’a jamais encore été établi2. Il reste que, toute contestable que puisse être l’arabité des Somaliens telle qu’avancée par Cigaal, l’incident intervient alors que la problématique islamiste se révèle de plus en plus préoccupante dans l’espace somali. C’est pourquoi, s’il est toujours possible d’y voir un coup de sonde des services israéliens, il se fonde de toute façon sur la visibilité nouvelle des fondamentalistes. Car si les difficultés, autour de Burco par exemple, sont certes liées aux clans, elles le sont tout autant aux entreprises de l’islam intégriste.
Les ONG et les difficultés avec l’Union européenne
[V/VI 1995]
Plus préoccupante en soi, une crise surgit entre Cigaal et l’Union européenne lorsque le représentant de celle-ci, Sigurd Illing est déclaré persona non grata par Hargeysa le 14 mai 1995. La crise résulte d’une décision prise à Bruxelles, à savoir la stricte application au Somaliland de la déclaration d’Addis Abäba de 1993 et du « Code de conduite pour la réhabilitation et l’assistance au développement en Somalie »3. Ces deux textes limitent en effet l’engagement européen à des projets menés « dans un environnement stable et dans des régions où les autorités sont légitimes ». Or, en vertu de cette règle et préoccupé par la reprise des combats au Somaliland, le Somalia Aid Coordination Body (SACB) a décidé d’y geler tout nouveau projet. Il n’en demeure pas moins que, 1
LOI n°696. 3 VII 1995. LOI n°711. 23 III 1996. 3 Le Code of Conduct for International Rehabilitation and Development Assistance to Somalia a été adopté le 17 février 1995 par le SACB qui sous l’égide de Bruxelles et la direction de Sigurd Illing regroupe les ONG et les agences des Nations unies actives en Somalie. 2
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malveillance ou inconséquence, la décision du SACB se transforme en sanction politique lourde contre le président somalilandais. En effet, après avoir dépensé plus de 13 millions de dollars depuis 1991 dans la région d’Hargeysa, Bruxelles s’était engagé à réhabiliter le port de Berbera et à remettre en état l’approvisionnement en eau de cette ville. La suspension de ces projets met le chef de l’État en devoir d’en répondre devant ses administrés en général et plus particulièrement devant les forces – issues pour l’essentiel de son propre lignage, les Sacad Muuse - qui lui assurent en ces temps troublés le contrôle du port et de la ville. Mais il faut aussi reconnaître que la décision du SACB résulte également de propos ravageurs prononcés le 11 janvier précédent par Maxamed Cigaal sur les ondes de la BBC après que les clans Habar Yoonis et Ciidagale ont été chassés d’Hargeysa. Le Président avait alors multiplié les menaces contre ses opposants et le SACB avait en conséquence estimé qu’il ne faisait guère d’effort pour apaiser les esprits et trouver une solution politique à la guerre civile. Quand, le 23 avril, Sigurd Illing s’était rendu au Somaliland pour informer les autorités locales du gel des projets de Bruxelles, une querelle personnelle avait éclaté entre les deux hommes, venant encore envenimer les choses : pour des raisons protocolaires. En effet, l’Union européenne ne reconnaissant pas l’indépendance du pays donc la légitimité de son président, son représentant avait refusé de rencontrer Maxamed Cigaal. Dans le même temps, absolue maladresse davantage que provocation, semble-t-il, Illing avait encore, sans en informer le Président, fait état de sa décision d’ouvrir un bureau à Berbera. Au-delà de ses aspects politiques stricto sensu, l’incident mettait clairement en évidence les divergences prévalant au sein du SACB dont la plupart des membres se montraient eux-mêmes très critiques au regard du fameux « Code de conduite ». D’ailleurs certaines agences qui voyaient nombre de leurs projets compromis l’ignoraient purement et simplement tandis que d’autres, à l’instar du PNUD, géraient difficilement leur embarras. La plupart des critiques reprochaient à ce code d’aller trop loin et d’interdire par des règles trop strictes tout projet de développement en Somalie1. Et le 17 mai, cette montée des tensions conduit le représentant de l’Union européenne à répondre à la lettre que lui ont adressée trois jours plus tôt cinq ONG – Care International, Handicap International, OXFAM, Save the Children et Swiss Group. Le document exprime en effet leur protestation contre sa décision de suspendre maintenant les vols vers Berbera, Boorama et Kalabaydh de l’agence de l’European Community Humanitarian Office ECHO2. Cette mesure qui a fait suite à la rupture des relations entre Cigaal et l’Union européenne est maintenant jugée irresponsable par les organisations humanitaires ne serait-ce qu’eu égard à la sécurité des coopérants 1 2
LOI n° 672. 20 V 1995. European Community Humanitarian Office (ECHO.
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bloqués au Somaliland. Soucieuses de régler rapidement l’affaire, les ONG qui voient leur protestation relayée par le ministre britannique de la Coopération, Lynda Chaker, envoient aussi une copie de leur lettre à Bruxelles, fournissant ainsi tous les éclaircissements nécessaires. Sigurd Illing, pris à contre-pied, ne s’en insurge pas moins en rappelant qu’un avion portant les couleurs de l’Union européenne avait été la cible de tirs sur l’aéroport de Ceerigaabo, le 2 mai, et que la responsabilité de la suspension des vols revenait à l’administration de Hargeysa qui avait décrété la Communauté européenne indésirable1. Mais en dépit de ce courrier officieux, on observe qu’aucune ONG n’est venue publiquement contester le « Code de conduite » du SACB. Pourtant, dans un autre courrier daté du 31 mai, plusieurs d’entre elles, aussi critiques soient-elles en privé à l’encontre de ce code, font état de leurs inquiétudes quant à la poursuite de leur projet. Elles craignent notamment que leurs donateurs ne considèrent imprudent d’aller à l’encontre de la décision de l’Union européenne et n’exercent des pressions en vue d’un abandon de leur activité au Somaliland. La position de Sigurd Illing n’en reste pas moins à la fois claire et ferme à leur égard. Aussi ne se prive-t-il pas de rappeler que le Code de conduite ainsi contesté avait été adopté à l’unanimité des membres du SACB le 26 février, neuf jours après sa publication, et qu’aucun membre alors ne l’avait publiquement dénoncé. Il se juge donc en droit de décider que la suspension « temporaire » des vols de l’ECHO vers le Somaliland ne serait pas levée avant que l’administration de Hargeysa n’ait fourni les garanties de sécurité adéquates. Il faudra attendre le milieu de l’année pour que la tension enfin s’apaise. La situation se détend quand Maxamed Cigaal se déplace au Kenya afin d’y rencontrer le représentant européen. Le 15 juin à Nairobi, au terme de discussions serrées, le président du Somaliland fait diffuser un petit communiqué indiquant que toutes les différences qui demeuraient avaient été aplanies et que des relations de travail mutuellement acceptables avaient été établies. De la rencontre, il résulte que la Commission européenne maintiendra le financement de ses projets tant que les circonstances le permettront et que son représentant informera Hargeysa de toutes les activités mises en œuvre au Somaliland2. Maxamed Cigaal exprime également le souhait de voir se tenir une autre réunion, à Hargeysa cette fois, afin de renforcer la coopération entre la Communauté européenne et « l’administration de Hargeysa », formule que l’Union préfère à celle de « Somaliland » puisque la légalité internationale de celui-ci n’est toujours pas reconnue en tant qu’État indépendant. Ceci étant établi, les vols de l’ECHO reprennent le 24 juin tandis que l’Union s’engage à ouvrir à Berbera un bureau technique qui couvrira tout le nord de la Somalie y compris la 1 2
LOI n° 675. 10 VI 1995. LOI n° 679. 8 VII 1995. 85
région majeerteen du Nord-est. Un autre bureau de même type sera installé à Baydhabo dans le Sud de la Somalie. Lors de sa rencontre avec Sigurd Illing, le président Maxamed Cigaal confirme aussi très officiellement son intention d’entreprendre des négociations de paix avec les rebelles qui s’opposent encore à son autorité et assure sans vergogne que des contacts préliminaires ont déjà été pris à cet effet. Car au sein de cet espace de crises récurrentes que constitue le pays somali, la normalisation au Somaliland difficilement engagée depuis 1993 au shir de Boorama1 demeure un concept précaire. À Berbera, l’Union européenne choisit de financer la réhabilitation du système de distribution d’eau de la localité qui compte certes quelque 35 000 habitants mais par laquelle transite chaque année 1,7 million de tête de bétail. Un projet doublement important pour le président dont le lignage est majoritaire dans la cité portuaire. La réalisation du projet est confiée à l’ONG italienne Cooperazione Internazionale (COOPI)2. La représentation de l’Union européenne basée à Nairobi fait ainsi savoir que COOPI procéderait au nettoyage et à la clôture des abords des puits approvisionnant la ville en eau ainsi qu’à la construction de deux citernes et d’un aqueduc de neuf kilomètres afin de remplacer de vieux ouvrages. Le projet prévoit aussi la poursuite du forage des puits de Faradeero entrepris en 1988 à 25 kilomètres au sud-est de la ville mais resté inachevé3. Ces dispositions de bon augure n’empêchent cependant pas le Somaliland de rester intraitable sur le principe de sa souveraineté. C’est ainsi qu’à la fin de l’année, deux Norvégiens, Roy Sunde et Einride Bustnes, pilotes de la compagnie allemande Florus Air, sont condamnés à un an de prison et à 3000 dollars d’amende pour avoir atterri sans autorisation à Berbera. L’avion avait été affrété par l’ambassade de Norvège à Nairobi pour transporter trois Somaliens expulsés de Norvège et auparavant fait escale à Kismaayo. Un incident du même ordre s’était produit en août quand un autre appareil, affrété par la même ambassade et transportant également des Somaliens expulsés, s’était posé à Hargeysa où l’équipage avait été contraint de payer une amende pour atterrissage illégal avant de repartir. Or, si l’appareil disposait en effet comme l’avance Florus Air d’une autorisation, celle-ci n’avait pas été délivrée par le Somaliland ce qui visait à rappeler aux compagnies
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FONTRIER 2012/1: 309-333. Coopi a été fondée par Paolo Giorgi qui a créé en Lombardie un consortium d’ONG intitulé UNA. Coopi est présidée par le père Vincenzo Barbieri et dirigée par Michele Romano. Elle n’est pas inconnue au Somaliland où, avec sa dizaine de volontaires, elle opère depuis 1990 et où elle gère les 200 lits de l’hôpital de Berbera et, depuis 1992, son service chirurgical. Coopi supervise aussi dans la région une douzaine d’autres projets, dont un sur la pêche. 3 LOI n°686. 23 IX 1995. 2
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mais plus encore aux représentations diplomatiques qu’il leur appartenait de ne pas se tromper et de solliciter les autorités légitimes1.
Le dossier de la monnaie Une autre polémique tombe dans le panier de Maxamed Cigaal dont on se souvient qu’en septembre 1994, la politique monétaire avait été mise en cause. Le Président avait alors justifié sa décision de mettre en circulation une nouvelle monnaie en précisant que si elle s’imposait comme référence dans le commerce régional en l’absence de gouvernement d’union nationale à Muqdishu, cela accroîtrait les chances d’une reconnaissance internationale du pays. Un beau discours, contestable certes sur le plan technique, mais riche aussi de non-dits. En effet, pour s’assurer du soutien de son clan, Cigaal n’avait pas hésité à signaler discrètement à son lignage, les Habar Awal/Sacad Muuse, que cette monnaie contribuerait à faire d’eux la force politique et économique dominante non seulement à l’intérieur du Somaliland mais dans toute la région. Aussi, s’était-il empressé de rappeler à ses soutiens à Djibouti que les arrangements concernant les taxes qui leur avaient été accordés cesseraient une fois consommé son mandat présidentiel. C’est aussi pourquoi il les avait rassurés en avançant que, sous réserve de leur aide, il serait en mesure de leur permettre de continuer à bénéficier de ces avantages, voire en obtenir l’extension. À toutes fins utiles, il leur avait enfin fait savoir qu’afin de disposer des fonds nécessaires à sa politique, un nouveau compte bancaire off-shore allait être établi. Le président avait quand même alors eu bien du mal à convaincre aussi avait-il alors dû affronter certains hommes d’affaires qui jusque là lui avaient apporté leur soutien2. L’affaire resurgit le 12 janvier 1996, quand le Somalia Aid Coordination Body (SACB) s’inquiète d’un projet de loi dont les donateurs s’inquiètent des dispositions. Ils craignent, si elles venaient à être adoptées, qu’elles ne se révèlent préjudiciables au processus régissant l’aide octroyée. Le projet prévoit en effet d’imposer sur les marchés locaux le shilling du Somaliland dont le taux de change serait fixé par la banque centrale de Hargeysa et de permettre l’utilisation de deux autres monnaies, sur la base d’un taux officiel décidé par les autorités : le berr éthiopien et le franc djiboutien. En revanche, aucune transaction locale ne pourrait plus être effectuée en dollars américains ou en shillings de Somalie3. Les mesures d’accompagnement prévues sont tout aussi drastiques : ceux qui détiennent encore de ces dernières doivent les échanger 1
LOI n°699. 23 XII 1995. L’un d’eux, Ibraahin Kaahin Dheere, établi à Djibouti, connu pour avoir soutenu financièrement le gouvernement Cigaal était emprisonné à Berbera en novembre pour avoir effectué des transactions en dollars au Somaliland. 3 Horyaal. 27 XII 1997. 2
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immédiatement à la Banque centrale contre des shillings du Somaliland et tout commerçant conservant par-devers lui ce type de devise plus de trois jours est passible de procès et risque de se les voir confisquer. Il en va de même pour les personnes qui échangeraient des devises étrangères à un taux différent de celui fixé par la Banque centrale : tout commerçant qui vendrait ses produits à des prix fixés en d’autres devises étrangères que les monnaies éthiopiennes ou djiboutiennes serait également passible d’une amende portant sur le quart de la transaction concernée et se verrait retirer sa licence. Le texte, déjà avalisé par le Conseil des ministres doit encore être voté par la chambre des Représentants et reste donc encore susceptible d’être amendé. Outre les perspectives personnelles de Cigaal, l’idée sous-tendue consiste surtout à dégager le Somaliland d’un espace économique qui lui échappe. Ainsi vise-t-il en particulier tout un pan du commerce, effectué essentiellement en shillings somaliens et en dollars américains, qui se développe en direction de Boosaaso et représente un manque à gagner important pour le pays. Cette fois cependant, la décision met en difficulté le Président lui-même au regard de ses propres soutiens. À Djibouti notamment, ceux-ci commercent d’autant plus facilement en dollars que le franc Djibouti est couvert par la monnaie américaine donc indexé sur cette dernière. Le caractère monolithique de la démarche rend enfin celle-ci d’autant plus maladroite que l’essentiel de l’aide octroyée aux Somaliland se négocie à travers des bailleurs de fonds usant de dollars américains1. C’est pour cette raison, entre autres, que Sigurd Illing se rend à Berbera dans la troisième semaine de février 1996. Il se propose, en guise d’entrée en matière, de rappeler au président Cigaal que l’Union européenne avait financé la première phase de réhabilitation du port de Berbera – infrastructures de déchargement et de stockage, sécurité portuaire –, en vue d’en renforcer sa compétitivité régionale et qu’une aide à la formation de l’administration portuaire aux techniques modernes de gestion était également envisagée. La firme grecque qui avait réalisé l’étude de ce projet devait être maintenant chargée de superviser la réalisation des appels d’offres pour des contractants locaux. Il allait de soi que l’Union européenne ne déciderait l’octroi de cette aide qu’après un ferme et solennel engagement à ne pas poursuivre la politique monétaire engagée. L’expérience s’était d’ailleurs d’ores et déjà soldée par un échec qui avait déjà coûté quelques millions de dollars aux autorités du Somaliland. Ces arguments entendus, le Somaliland proposait de fixer un taux officiel de sa monnaie proche du taux parallèle du moment, lequel tournait alors autour de 560 shillings par dollar2.
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LOI n°702. 20 I 1996. LOI n°706. 17 II 1996.
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Plongé dans le marasme somalien à l’un des pires moments de l’histoire, le diplomate allemand aura tout au long de son mandat usé d’une rigueur toute germanique1. À chaque fois laissé seul devant les problèmes par un système ignorant, il n’en a pas moins toujours été capable de remettre en cause ses propres décisions quand il les jugeait inappropriées. Aussi faut-il lui reconnaître qu’il était souvent parvenu, in extremis parfois, à sauver tout ce qui semblait susceptible de l’être dans le contexte du moment.
LA STRATEGIE DU PRESIDENT CIGAAL À l’intérieur des frontières du Somaliland, les efforts déployés par les chefs de clan du Somaliland pour ramener la paix ont au cours des dernières années largement participé à la naissance au sein de la population d’un changement positif. Le statut moral et les compétences légitimes des notables traditionnels désormais réhabilités se sont réaffichés comme des éléments essentiels afin de s’attaquer aux nombreux problèmes auxquels le pays, sans surprise, se trouve encore confronté. Désormais, il s’agit d’attendre de la participation des chefs des lignages qu’elle permette maintenant une représentation équilibrée de groupes locaux au sein de l’administration, laissant espérer une répartition équitable des ressources politiques et économiques et une démobilisation plus efficace des groupes armés. Il apparaît très vite toutefois que les structures traditionnelles ne peuvent de leur propre chef prétendre régler l’ensemble des problèmes qui de toute part se posent. Les processus de rétablissement de la paix sont certes convenablement fondés mais se révèlent lents et lourds, nécessitant l’octroi d’un soutien logistique important. Or, si leurs diverses initiatives doivent sans conteste être soutenues, il n’en demeure pas moins vrai que l’indispensable aide extérieure doit elle-même prendre en considération l’extrême fragilité du processus de redressement. Bien que beaucoup ait été accompli en termes de retenue de banditisme et de conflits interclaniques, la précarité de la situation sécuritaire génère des pièges à chaque fois nouveaux, au regard desquels toute hâte inopportune suscite un accroissement de la dangerosité. Aussi toute tentative d’établir un programme global de reconstruction exige-t-il au moins une grande prudence, sinon une grande modestie. Si, par exemple, l’aide extérieure doit chercher à compléter les initiatives locales qui existent déjà, elle doit surtout prendre garde à ne pas les submerger. Pour ce faire, elle doit faire preuve de discernement et, en temps opportun, admettre les progrès que l’alliance de la volonté populaire et du gouvernement ont déjà accomplis dans le Nord de la Somalie. 1
Son poste devant être supprimé, officiellement pour des raisons budgétaires, Sigurd Illing refusera le poste de représentant de l’Union européenne au Rwanda qui lui avait été proposé en remplacement. 89
L’investissement par le polique du débat interclanique Dans ce contexte fragile, Maxamed Cigaal a identifié la somme des dangers qui menacent le jeune État et partant, son propre régime. On se souvient qu’aligné derrière son prédécesseur, Cabdiraxmaan Axmed Cali Tuur [Isxaaq/Habar Garxajis/Habar Yoonis], et soutenu par des personnalités telles que le général Jaamac Maxamed Qaalib Yare [Isxaaq/Habar Garxajis/Ciidagale], un groupe de mécontents se présente comme « les Garxajis ». Cette appellation confraternelle loin de refléter la réalité de l’anti-sécessionnisme a été retenue afin de donner du volume au mouvement. Aussi cette stratégie suscite-t-elle des tensions notamment parmi les Ciidagale, lignage majeur du faisceau des Habar Garxajis. La plupart en effet n’ont jamais fait leur les déclarations des deux conférences Liibaan qui, en juillet 1993 et en octobre 1994, ont posé le principe d’une opposition favorable à une fédération avec la Somalie et de l’illégitimité du gouvernement. Or, aussi hostiles soient-ils à l’administration Cigaal, les familles Ciidagale sont loin de remettre en cause le concept de l’indépendance du Somaliland . De nombreux Habar Yoonis sont également opposés aux agissements de leurs dirigeants politiques ; certains clans, tout plus particulièrement les Cabdalla Isxaaq résidants de Hargeysa, ont refusé d’assister aux conférences Liibaan et d’en approuver les déclarations1. Quant aux raisons de l’opposition populaire à l’administration Cigaal, elles ne relèvent pas des mêmes mobiles que ceux qui agitent la classe politique. Ici, les adversaires du gouvernement se révoltent d’abord contre la mise en circulation, le 20 octobre 1994, d0es nouveaux billets de banque. Le taux de change retenu qui a largement profité au gouvernement, a suscité la colère de nombreux habitants et attisé le mécontentement contre l’administration2. Mais les hommes politiques de l’opposition ont également commencé à accaparer un autre litige : comme avec le conflit Berbera en 1992, il se fonde sur le contrôle des ressources. Deux unités de la milice ex-SNM, l’une Ciidagale, la Force III, l’autre Habar Yoonis, sont resté stationnées sur l’aéroport de Hargeisa et ont refusé d’être intégrées dans l’armée nationale. Ces milices ont établi un système de harcèlement des usagers de l’aéroport, extorquant de l’argent sous le prétexte que l’aéroport était situé sur des terres traditionnellement identifiées comme appartenant» aux Ciidagale. Bien que les notables Ciidagale aient tenté de convaincre la milice de renoncer à ces pratiques, leurs efforts n’ont pas été suivis d’effet. En octobre 1994, Cigaal à bout de patience avait envoyé les milices du gouvernement saisir l’aéroport par la force. Cette 1
BRYDEN M., and FARAH A. Y. The Somaliland Peace Committee: Case Study of Grassroots Peace-making Initiative, Report for United Nations Development Programme Emergencies Unit for Ethiopia. 1996, Addis Ababa, Ethiopia. 2 Les shillings somalilandais, les sish, avaient été commandés par Tuur alors qu’il était encore au pouvoir, avec l’intention de remplacer le shilling somalien, le sosh, toujours en circulation. 90
action qui avait créé un climat d’hostilité lourd n’était pas insoluble car de nombreux Habar Garxajis admettaient que l’aéroport soit placé sous contrôle gouvernemental. En revanche, l’attaque du gouvernement sur le village ciidagale de Toon avait été jugée disproportionnée et avait permis de rassembler les clans contre l’administration Cigaal1. Considérant l’échec des instances traditionnelles et soucieux de rester maître de tous les leviers participant à la normalisation du pays, Cigaal élabore alors une stratégie visant à ramener systématiquement sur le terrain politique tout comportement collectif propre à fragiliser l’ordre public. L’accaparement qui en résulte a pour conséquence une marginalisation des instances traditionnelles, au premier rang desquelles la Chambre haute du Parlement, la Guurti. La stratégie à double entrée dont il use dès lors tient à ce que le président a d’autant moins à craindre des affrontements qu’il n’hésite pas à susciter qu’il est assuré de tirer un bénéfice politique d’un règlement gouvernemental. En effet, la Guurti qu’il circonvient sans état d’âme lui étant globalement acquise, il peut sans grande opposition circonscrire en toute légitimité les processus de normalisation dans le champ politique. On se souvient que, dans le cadre des différends encore à apaiser, les lignes de solidarité isxaaq se dessinent autour des trois grands lignages : - les Habar Garxajis et leurs lignages ciidagale et Habar Yoonis, soutiens naturels du prédecesseur de Maxamed Cigaal, Cabdiraxmaan Tuur, et dont quelques éléments défendent encore l’option fédéraliste avec la Somalie ; - les traditionnels rivaux de ceux-ci, les Habar Jeclo ; - les Habar Awal, soutiens naturels de Maxamed Cigaal, en particulier son propre clan, les Ciise Muuse. Depuis son entrée en fonction en mai 1993, les principaux opposants au gouvernement appartiennent au lignage isxaaq des Habar Garxajis, famille de Cabdiraxmaan Tuur qui, transfuge du camp sécessionniste, est désormais réfugié à Muqdishu. On se souvient enfin que, les combats avaient éclaté en octobre 1994 autour de Hargeysa quand les forces loyales au gouvernement Cigaal s’étaient heurtées aux milices Habar Garxajis à majorité ciidagale de la Force III à propos de la gestion de l’aéroport de Hargeysa. Il s’était ensuivi des combats sporadiques qui avaient vidé en deux mois la cité des deux tiers de ses habitants2. Face à une situation devenue alarmante, le président Cigaal avait déclaré le 2 décembre l’état d’urgence au Somaliland, décision entérinée à contrecœur par la Guurti. À peu de temps de là, les relations s’étaient une nouvelle fois envenimées quand, le 14 décembre, le suldaan des Ciidagale avait 1
A propos de l’attaque sur Toon, le gouvernement avait allégué que, tandis qu’ils poursuivaient les miliciens expulsés de l’aéroport, ceux-ci avant de s’enfuir avaient attaqué un marché Habar Awal à Hargeysa. 2 FONTRIER 2012/1: 461-464. 91
accusé le président de tribalisme et hâtivement clamé que ses miliciens constituaient les seules forces armées légitimes dans la région de Hargeysa où ils étaient majoritaires. Toujours est-il que, tant à Hargeysa qu’à Burco où les tensions sont également présentes, Cigaal refuse de réunir un shir traditionnel propre à résoudre les problèmes avec les lignages impliqués. Le président campe en effet sur une position : les dirigeants de l’opposition politisent les troubles en y dénonçant un différend entre sécessionnistes et fédéralistes, et rendent par essence caduc tout effort d’apaisement qui serait engagé par les instances traditionnelles. Il est vrai aussi qu’après leur succès à Sheekh et à Boorama, les membres de la Guurti qui avaient souhaité exploiter leur propre capital politique se sont cette fois révélés incapables de mener un processus à son terme, en dépit des efforts successifs déployés par nombre d’odayaal, Ciidagale et autres. Constatant cette limite, Cigaal considère la nécessité d’inventer un nouveau mécanisme de dialogue et de négociation, en dehors de la sphère traditionnelle.
L’initiative du Somaliland Peace Committee
[I 1995]
Dans ce contexte houleux, une action particulière est entreprise à partir du début de l’année 1995 par un groupe d’expatriés venus de divers horizons. L’idée est d’inventer un processus susceptible d’allier tradition, innovation et initiative individuelle. Si, dans leur ensemble, les résultats de ce Comité de paix auront été peu probants aux yeux de beaucoup, il ne peut être contesté que leur investissement personnel aura contribué à promouvoir un environnement au sein duquel a prévalu le dialogue. Il permet aussi de s’inscrire en faux face à nombre de propos visant à ne décliner le monde somali que selon des paradigmes belliqueux ou instables. Reste à considérer que cette initiative ne s’inscrit pas vraiment dans la stratégie du chef de l’État. Quoi qu’il en soit, dès le début des affrontements, en octobre 1994, nombre de voix s’étaient élevées contre la reprise des combats. Un comité de paix s’était alors formé au terme d’une réunion tenue en janvier 1995 entre Faysal Cali Waraabe, un ingénieur ciidagale formé en Russie, et le suldaan « en exercice » des Habar Yoonis proche du gouvernement1. Avec d’autres Somaliens établis en Europe, ils tiennent au mois d’avril à Göteborg, en Suède, une réunion au cours de laquelle ils décident d’organiser une conférence plus dimensionnée, à Londres cette fois. Leur effort est relayé par un Somalien originaire de Hargeysa et établi aux États-Unis, Xuseen Bulxan2, qui, ce faisant, établit un lien solide avec les organisateurs européens. En mars avril, ce dernier circule 1
Celui-ci, nommé par Maxamed Cigaal, remplaçait son prédécesseur naturel qui avait rejoint la milice Habar Garxajis et se trouvait alors à l’étranger. 2 Probablement le Dr. Xuseen Cabdilaahi Yuusuf Bulxan qui pourrait être Dir, Ciise ou Gadabuursi, compte-tenu de son nom. 92
entre Hargeysa, Djibouti et Addis Abäba pour s’assurer de soutiens régionaux. Le moment semble d’autant plus propice que le 20 février une délégation du clan Cabdulla Isxaaq des Habar Garxajis est venue déposer les armes auprès du gouvernement. Les chefs se sont déclarés consternés par les récents affrontements armés dans et autour de Hargeysa et ont affirmé leur volonté de soutenir un Somaliland uni. La Conference of Somaliland Intellectuals Abroad, qui se tient comme prévu à Londres les 29 et 30 avril 1995, réunit quelque 80 délégués venus du Canada, du Danemark, de Finlande, de France, de Hollande, de Suède, des États-Unis et du Royaume-Uni. Des résolutions sont adoptées, appelant à un cessez-le-feu, et un Somaliland Peace Committee est institué avec un comité permanent composé de membres britanniques1. Cette instance est chargée de recueillir des fonds pour une mission de paix qui se rendra dès que possible au Somaliland et en Éthiopie, étant entendu que les contributions ne pourront explicitement provenir que des communautés de la diaspora originaires du jeune État. Les résolutions portant sur la constitution du comité établissent que le nombre de ses membres ne dépasserait pas la quinzaine. Xasan Meygaag Samatar et Cabdi Xasan Buuniya2 sont respectivement choisis comme président et vice-président. Tous s’accordent pour qu’il soit fait usage des méthodes traditionnelles récemment utilisées par le Somaliland pour régler les différends. Ils conviennent enfin de dissoudre leur association lorsque, après avoir facilité le dialogue entre les parties belligérantes, ils auront remis un rapport sur leurs activités. Mais si la bonne volonté est là, les moyens restent limités. Le financement est déjà rendu difficile par le simple fait qu’au sein de certaines communautés la diaspora est elle-même divisée et peine à soutenir une initiative qui a d’emblée condamné les positions retenues par les deux parties en conflit. Par ailleurs, parmi les membres les plus entreprenants, il s’avère que nombre d’entre eux ont récemment fui les combats et ne se trouvent guère en position de participer à l’effort financier. Fort de ces restrictions, il est décidé que seuls ceux qui pourraient payer leur propre déplacement se rendraient à Addis Abäba où il est convenu qu’une deuxième réunion se tiendrait en octobre 1995, avec à la fois des délégués du Somaliland et des représentants de la région Somali d’Éthiopie, la région Cinq. Les difficultés rencontrées par le Peace Committee à obtenir un financement de la diaspora contraignent finalement celui-ci à élargir ses demandes de soutien à des organismes externes. L’Unité d’urgence du 1
C’est semble-t-il Bulxan Xuseen qui, au cours de cette réunion, aurait proposé la constitution du Somaliland Peace Committee. 2 Les treize autres membres du Committee sont : Cabdi Xuseen Ciise et Maxamed Xaashi Cabdi venus du Canada, Cabdullaahi Daria Cabdi d’Angleterre, Faysal Cali Xuseen de Finlande, Bulxan Xuseen des 2tats-Unis, Rashiid Sheekh Cabdillaahi, Maxamuud Cali Beyr, Aadan Muuse Jibriil, Cabdi Jaamac Xasan et le dr Axmed Yuusuf Faarax venus d’Ethiopie, xaaji Cismaan xaaji Jaamac originaire de Gaashaamo en Ethiopie et Barre Xasan de Hargeysa. 93
PNUD pour l’Éthiopie (PNUD-EUE) accepte de contribuer à hauteur de 5000 $ et d’intervenir auprès d’autres donateurs potentiels sous réserve que soit préparée une proposition de financement acceptable. Conciliation Resources, une ONG basée à Londres, ainsi que les gouvernements éthiopien et djiboutien offrent pour leur part un soutien en nature, y compris l’aide à la production de documents et de visas.
Débiliter la Guurti, délégitimiser le Calan cas En attendant, sur le terrain, les tensions perdurent. Afin de venir à bout durablement de cette opposition qui lui dispute l’autorité gouvernementale, Cigaal comprend qu’il doit s’affranchir de deux contraintes, celle des durs du SNM et celle des clans. A cet effet, il prend le parti d’anesthésier les autorités traditionnelles tout en en prenant soin de ne pas se mettre la Guurti à dos et entreprend par ailleurs de se libérer de l’emprise des Calan cas dont, leur épée dans les reins, il se sent implicitement l’otage. Car Cigaal est très au fait de l’animosité entre les familles Habar Garxajis et ces derniers qui les ont marginalisées au cours du shir de Boorama en 1993. Héritier de ce contexte, le président s’était alors politiquement inscrit dans cette ligne dure du SNM aux dépens des Habar Garxajis, alimentant de la sorte le conflit. Pour comprendre la tactique retenue par Maxamed Cigaal, il n’est pas inutile de recontextualiser la problématique en procédant à un bref rappel de la situation sur les différents théâtres intérieurs au tournant des années 1994-1995. À Hargeysa, les combats de l’été 1994 ont commencé quand deux milices ciidagale sur le territoire desquelles l’aéroport est situé se sont emparées de celui-ci. Outre les conséquences politiques de cette entreprise, il se trouve que les taxes exorbitantes exigées par les milices sur les vols humanitaires et sur les vols commerciaux interfèrent avec les affaires des entrepreneurs Habar Awal de la cité. Or l’activité de ces derniers est essentielle au président qui voit en elle la garantie du maintien des capacités gouvernementales. Les défis qui dès lors se posent à Cigaal ressemblent à ceux qui deux ans plus tôt l’ont opposé à Cabdiraxmaan Tuur à propos de Berbera1. Mais cette fois, rejetant tout appel à un nouveau shir, le président lance en novembre 1994 ses officiers les plus durs contre les sanctuaires de l’opposition avec pour mission de reprendre et de sécuriser l’aéroport. Les forces gouvernementales menées par deux membres du Calan cas, le ministre de l’Intérieur, le colonel Muuse Biixi Cabdi [Habar Awal], et le viceprésident et ministre de la Défense, Cabdiraxmaan aw Cali Faarax [Gadabuursi], s’en acquittent sans ménagement en lançant une violente attaque sur le village ciidagale de Toon.
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FONTRIER 2012/1: 167-9 & 171-80.
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La tension monte à nouveau dans la troisième semaine de mars 1995 quand des affrontements ont lieu à Arabsiyo, à l’ouest d’Hargeysa ainsi que dans les villages de Hamas et de Daragodle distants d’une dizaine de kilomètres l’un de l’autre et situés à proximité de Berbera sur la route de Mandheera et où les Habar Yoonis tentent de reprendre aux Habar Awal quelques droits sur le port1. Le conflit reprend également au cours du même mois à Burco quand les troupes gouvernementales tentent de s’emparer des points de contrôle Habar Yoonis établis autour de la ville. L’initiative en revient à Saleebaan Maxamuud Aaadan Gaal [Habar Jeclo], ministre de l’Éducation récemment nommé gouverneur de Burco. Cette nomination d’un Calan cas connu pour tenir une ligne dure et les conséquences de cette décision pourraient avoir relevé d’un choix délibéré du président. Car celui-ci joue de finesse et fait une fois encore preuve d’une grande habileté. Laissant officiellement carte blanche aux chefs militaires et présentant l’effort de guerre comme une « opération Calan cas », Cigaal dégage subtilement sa responsabilité de violences qui ne manquent pas de prendre des proportions insoutenables. Les combats qui s’ensuivent pourraient avoir été les plus féroces depuis le renversement du régime de Siyaad Barre. Début avril, tandis qu’à Hargeysa des accrochages viennent de coûter la vie à l’ex-ministre de l’Information, le colonel Jamaac Khayre [Arab] , à Burco et à Sheekh, les rebelles Habar Garxajis parviennent à prendre pied dans les deux localités où deux officiers de l’armée gouvernementale, le général Xasan Cali Abokor [Habar Jeclo] et le colonel Cabdi Faarax perdent la vie dans les combats. Un total de 4 000 morts et près de 180 000 fuyards trouvent refuge en Éthiopie2. On évoque alors une alliance tactique entre les rebelles Habar Gerxaajis et les miliciens ciise du United Somali Front (USF), soutenus par le pouvoir djiboutien en délicatesse avec Maxamed Cigaal.
La prolongation du mandat de Maxamed Cigaal
[19 IV 95]
S’il se plaît à laisser entendre qu’il ne briguera pas un second mandat, le président n’en affirme pas moins son souhait de régler le problème des Habar Garxajis, problème survenu sous sa gouvernance. La Guurti qui est dans sa majorité acquise au gouvernement s’interroge alors sur la façon de procéder au regard des lignages pour prolonger en toute légitimité de deux ans son mandat. Son vieux président, le respecté sheekh Ibraahin sheekh Madar3 considère cependant que sa crédibilité ainsi que celle de l’institution qu’il préside nécessitent quelques aménagements, de forme tout au moins, à cette décision. 1
LOI n°664. 25 III 1995. BRADBURY, Mark. Becoming Somaliland – African Issues Catholic Institute for International Relations. Boydell & Brewer : Woodbridge, 2008. 3 Sheekh Ibraahin sheekh Yuusuf sheekh Madar [Habar Awal / Sacad Muuse/ reer Nuur Ismaaciil]. 2
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Certes, à presque toutes les étapes des conflits, tant celui qui l’a opposé aux milices ciidagale que celui qui l’a opposé aux Habar Yoonis et à Tuur, Cigaal a soigneusement veillé à consulter la Guurti dont le sheekh Madar lui est acquis. Or son vice-président, le vieil Cabdi Waraabe [Ciidagale], l’engage à insister pour qu’elle soit soumise à l’approbation du Parlement. C’est ainsi qu’il est décidé de réunir, du 2 au 30 avril 1995, une Conférence de sauvegarde de la République du Somaliland1 qui réunirait les deux chambres. Toutefois, les conditions difficiles du moment ne permettant pas d’en maîtriser l’ensemble des aspects organisationnels, il est pris le parti de nommer un conseil réduit représentatif des deux chambres2. Or au même moment, Cigaal prend tout le monde de vitesse. Mettant en avant la violence des affrontements, il fait savoir début avril qu’il était prêt à démissionner si cela devait ramener la paix mais à la condition expresse qu’auparavant les oppositions s’engagent à déposer les armes. Bien qu’elles déclarent aussitôt que cette extension illégale était une provocation et dénoncent immédiatement une manœuvre politicienne, toutes en fait sont prises à contre-pied. Car bien qu’à première vue les opérations militaires semblent de nature à accroître l’animosité des familles Habar Garxajis contre le gouvernement, elles profitent en réalité de façon indirecte au président. D’une part, la campagne militaire lui permet de porter un coup important à cette opposition qu’il est désormais en mesure d’affaiblir à grand renfort de pots-de-vin. Mais elle le met d’autre part en situation d’affaiblir le Calan cas auquel il lui est aisé de faire porter la responsabilité des combats et, partant, de les délégitimer politiquement parlant. Aussi est-ce sans grande difficulté que, le 19 avril, le Président obtient du conseil réduit, émanation du Parlement, la prolongation pour une période de 18 mois de son mandat dont le terme du 4 mai se trouve désormais repoussé au 4 novembre 1996. De l’opération, la Guurti établie en porte-parole sort grande perdante. « Marionnette entre les mains du gouvernement » selon les Habar Garxajis, sa stature morale et son poids politique s’en trouvent considérablement amoindris3. Ce laps de temps donne au chef de l’État une nouvelle liberté de mouvement, limitée certes, mais bien réelle et qu’il aura à cœur d’optimiser. Ainsi assuré du soutien d’une Guurti prise à son piège, Cigaal convainc aisément les membres du parlement que le Calan cas constituait une menace sur la paix et la stabilité au Somaliland. À l’aplomb de cette 1
Shirweynihii Badbaadinta Qaranimada Somaliland. Les membres désignés sont : xaaji Cabdikariin Xuseen Yuusuf Waraabe, sheekh Daahir xaaji Xasan, Yuusuf sheekh. Axmed Nuur et Cabdi Ismaacil Qabile Cagadable pour la Guurti et Xasan Cumar Colow, Axmed Maxamed Maxamud Siilaanyo, Cumar Jaamac Ismaacil et Yuusuf Xirsi Galow pour la chambre basse. 3 GILKES 1995 : 24-25. 2
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attaque quelque peu fratricide, jugeant opportun de faire un geste de réconciliation, le président entreprend un remaniement ministériel. En dépit des protestations relayées par les représentants des clans, douze portefeuilles sont concernés, dont nombre détenus par le Calan cas, réputés l’aile dure du camp gouvernemental mais aussi symboles de l’aile militaire de l’ancien SNM. Ces ministres sont remplacés par des personnalités appartenant à de petits clans, des notables traditionnels voire même des Habar Garxajis. Afin de dissuader à la fois les dirigeants Habar Garxajis et les commandants du Calan cas de contester par les armes ses manœuvres politiques, Cigaal les intègre par ailleurs avec leur grade et leurs miliciens dans la garde présidentielle. Le bénéfice est double : il prive ainsi ses challengers de leurs moyens et envoie aux autres milices un signal fort par lequel il leur montre l’intérêt qu’il peut y avoir à servir l’État1. Désormais, alors que Cigaal tient fermement en main le camp gouvernemental, l’opposition, elle, reste divisée. Deux projets s’affrontent : une alliance majoritaire de clans Habar Yoonis et Ciidagale partisans de l’indépendance mais qui s’opposent à Cigaal et, derrière Cabdiraxmaan Tuur, une minorité de fédéralistes proches de la mouvance de Maxamed Caydiid à Muqdishu. Parmi eux, nombreux sont ceux qui ont perdu toute crédibilité tant ils ont d’ores et déjà développé des stratégies individuelles orientées vers le sud somalien.2 Ainsi, de cette longue demi-année de conflit et de tensions politiques, le président sort non seulement vainqueur mais aussi considérablement renforcé. Peu après la prolongation de son mandat, œuvrant à l’aplomb de l’action présidentielle, l’un de ses proches, l’ancien ambassadeur Xuseen Cali Ducale Cawil, annonce à Nairobi le 9 mai la création d’un Comité pour la paix ainsi que la tenue d’une conférence de paix à Hargeysa « sans doute pour la première semaine de juillet ». Le comité gouvernemental se positionne bien sûr comme une réponse face au Peace Committee dont on craint de mal maîtriser certaines initiatives. Parmi les dix-sept membres qui le composent figure Axmed Maxamed Maxamuud Siilaanyo [Habar Jeclo] qui avait en 1990 été remplacé par Cabdiraxmaan Tuur à la tête du SNM. Minimisant les succès rebelles à Burco, Xuseen Cawil affirme qu’en réalité, ceux-ci auraient été contenus à une quinzaine de kilomètres de la localité. Il reste que le danger qu’y représente l’implantation islamiste est pris en compte par les politiques. C’est pourquoi, au cours du déplacement qui peu avant la mi-mai le conduit à Addis Abäba et à Asmära, Axmed Siilaanyo n’omettra pas de
BALTHASAR, Dominik. The Making of a Nation Somaliland. 30 X 2013. Bryden rapporte l’humiliation publique infligée à Xasan Aadan Wadadiid, membre fondateur du SNM, à Oodweyne par les Habar Yoonis. Ceux-ci lui reprochent d’avoir conduit une action contraire aux intérêts de son lignage et sans son consentement. 1 2
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sensibiliser ses interlocuteurs au danger que représente la présence d’éléments religieux radicaux parmi les rebelles1. Si le projet de conférence de paix reste en suspens, d’autres mesures sont prises. Au début du mois de juillet notamment, le président annonce que le processus de rédaction de la constitution pour le Somaliland serait terminé d’ici un an. Dans le domaine de l’indépendance de la justice encore, témoignant de cette volonté nationale de reconstruire un État, le Parlement de Hargeysa met en place un comité judiciaire indépendant, responsable « du recrutement, de la promotion, du renvoi, du transfert et de la discipline des juges ». Il est décidé que ce comité serait confié au président de la Haute cour et constitué de l’ensemble des membres de cette dernière, de l’attorney général et de quatre membres élus par le Parlement pour une durée de trois ans. Il est enfin entendu que les membres du gouvernement et les avocats en exercice ne pourraient pas en faire partie. On note que le comité aurait, entre autres, le pouvoir de s’assurer qu’aucun juge ne puisse être arrêté sans son accord, sauf en cas de flagrant délit dans un acte criminel encourant une peine d’au moins trois ans d’emprisonnement2. Ainsi, si rien n’est encore définitivement réglé et qu’il serait prématuré de parler déjà de normalisation, il est clair que le temps désormais joue d’autant en la faveur du président que son opposition se délite. Ainsi, après l’assignation en justice le 25 mai de personnalités antisécessionnistes, une attaque sur Hargeysa soutenue par Cabdiraxmaan Tuur est lancée en août par des miliciens Ciidagale conduits par le général Jaamac Maxamed Qaalib Yare. Mais cette attaque ayant finalement été repoussée, la lassitude s’installe dans le camp usé des fédéralistes. Quelques miliciens Habar Yoonis et Ciidagale en fuite vers le sud en sont finalement une preuve. Le combat leur semblant bel et bien perdu, ils préfèrent rejoindre les forces de Maxamed Faarax Caydiid réputé apporter son soutien aux miliciens Habar Garxajis. Quant à Cabdiraxmaan Tuur, son procès pour trahison s’ouvre par contumace au début de la deuxième quinzaine d’octobre 1995. Avec trois de ses collaborateurs, il est accusé de mener une guérilla contre le président Cigaal et de s’opposer à l’indépendance autoproclamée du Somaliland.
Les tribulations du Peace Committee Du côté du Peace Committee, bien que momentanément perturbés tant par le manque de moyens que par la tiédeur des soutiens recueillis, les préparatifs et le développement de son action se relancent en octobre dans l’atmosphère incertaine qui continue à prévaloir. Finalement, en maintenant un calendrier de rencontres très chargé, les membres 1 2
LOI n° 671. 13 V 1995. LOI n° 681. 22 VII 1995.
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parviennent à générer de la part du public un soutien acceptable à leur initiative. Réunis à Addis Abäba qui devient la plate-forme de travail de ses membres, une stratégie plus précise est alors élaborée. Craignant d’être accusés de partialité s’ils venaient à prendre un premier contact avec l’une ou l’autre des parties en conflit, ils décident de se scinder en deux groupes afin que simultanément l’un entreprenne le gouvernement tandis que l’autre approchera l’opposition. Conformément à leur engagement envers le PNUD-EUE, ils rédigent en guise de lettre de présentation deux courriers identiques, datés du 25 novembre 1995, par lesquels ils exigent de chacun des belligérants une déclaration de cessez-le-feu inconditionnel pour le 10 décembre. Cet effort de prudence pour établir leur impartialité ne parvient malheureusement pas à convaincre puisque, avant même toute réunion, chaque camp considère que le Peace Committee est en réalité piloté par le parti adverse, voire en être une émanation pure et simple. Le ministre des Affaires étrangères publie d’ailleurs dès avant la fin du mois de novembre un communiqué critique de cette « Proposition de paix ». Passant outre ces prémisses incertaines mais partant du principe que les questions relatives au contrôle de l’aéroport d’Hargeysa seraient les moins difficiles à résoudre, le Peace Committee détermine qu’il concentrerait ses efforts sur ce théâtre. Échaudés par l’accueil reçu par les protagonistes et en craignant d’autant les traquenards politiques, les deux groupes songent à procéder avec prudence. Ainsi leur apparaît-il primordial d’identifier un système de communication qui leur permette de s’informer de leurs acquis respectifs, une tâche malaisée alors que la téléphonie numérique n’est encore nulle part suffisamment développée. En l’occurrence, ils décident d’utiliser comme moyen de communication le service de la BBC en langue somali et conviennent que, chaque fois que l’un des deux groupes progressera dans ses démarches, il contactera le service et publiera une déclaration. C’est ainsi que les membres du Comité de paix en viennent à compter parmi les auditeurs les plus assidus de la BBC1. Puis afin d’économiser de l’argent, il est enfin décidé que la moitié du Committee chargé des contacts avec le gouvernement s’envolerait d’Addis Abäba le 26 novembre pour Djibouti afin d’y informer les partisans de sa démarche avant de continuer vers Hargeysa tandis que l’autre moitié entreprendrait de se rendre par la route dans la capitale du Somaliland. En fin politique qu’il est, Cigaal se garde de désavouer personnellement l’initiative du Committee et choisit plutôt d’en accueillir à Hargeysa les 1
Le BBC Somali Service joue un rôle important dans la vie de nombreux Somali. Bien que les chiffres soient difficiles à établir, une enquête menée en 2005 par la BBC montrait que 88% des habitants des régions rurales écoutaient la radio, dont 85% la BBC. Dans les zones urbaines comme dans les zones rurales, beaucoup de gens se rassemblent chaque soir dans les cafés des villes et villages pour écouter les nouvelles. 99
membres. Il nomme alors un comité dirigé par son vice-président, Cabdiraxmaan aw Cali Faarax, qu’il charge d’assurer la communication. En situation de surveiller ainsi leur action, le président décidera même de la soutenir avec une contribution en espèces de 5000 $. Le second groupe quitte à son tour Addis Abäba le 30 novembre pour Deré Dawa puis Djedjega où vivent de nombreux Habar Yoonis et Ciidagale, en relation avec la milice d’opposition. Pendant leur séjour à Djedjega où ils parviennent à gagner la confiance des Ciidagale installés dans et autour de la ville, les membres du Peace Committee entretiennent également de leur action l’administration éthiopienne locale. En chemin, ils apprennent aussi, par la BBC donc, que le gouvernement du Somaliland a donné son accord de principe à une rencontre avec leurs compagnons. En revanche, ils découvrent que, sur le terrain, l’opposition en général – tant dans le Galbeed que dans le Togdheer – est dirigée par un groupe de chefs militaires qui ne se rencontrent que lorsque la situation l’exige. Le Peace Committee se trouve donc confronté à la tâche délicate de déterminer le ou les interlocuteurs appropriés. Il prend alors le parti de diviser le groupe après être convenu d’une réunion collégiale qui se déroulerait au siège de la milice Habar Garxajis de Oodweyne où les rejoindraient le suldaan des Ciidagale et le suldaan en exercice des Habar Yoonis. Un premier sous-groupe se rend ainsi au camp de réfugiés d’Abokor1 où il rencontre les notables ciidagale qui y sont installés. Si les discussions sont présentées comme « fructueuses », les membres du Peace Committee ne peuvent qu’y noter la frustration de certains dont la volonté manifeste reste d’en découdre. Ils observent surtout que ces réunions ne sont pas suffisantes car elles ne rassemblent pas les principaux décideurs – notamment les clans du Togdheer – de l’ensemble du faisceau lignager des Habar Garxajis, au sein duquel existent également des tensions. Aussi est-il bien signifié aux membres du Committee que leur réflexion devrait prendre en considération l’ensemble des positions des Habar Garxajis2. Cette difficulté paraît avoir été d’emblée identifiée puisque la seconde délégation est déjà en route vers le village Habar Garxajis de Darroor. Là, une série d’incidents tant matériels que diplomatiques vient encore compliquer les choses, exhaustifs des difficultés mais aussi des limites de l’exercice entrepris. Tout d’abord, le véhicule utilisé par le groupe a été fourni par l’administration éthiopienne de la Région Cinq qui ne les a pas autorisés à l’utiliser pour se rendre au Somaliland, créant de la sorte un sujet de dispute. Un membre du Commitee loue alors une voiture privée à partir de Darroor qu’ils quittent le 15 décembre. 1
Le camp Abokor [som. Kaam Abokor] est avec Rabasso et Daaroor, l’un des trois principaux camps de réfugiés installés en Éthiopie au nord de Dhagax Buur. 2 er Reuter en effet rapporte le 1 août 1995 qu’à la fin juillet, des affrontements entre deux lignages Habar Garxajis, Ciidagale et Cabdalla Isxaaq, avaient fait 23 morts et 30 blessés près de Qotonweynweyn, à 40 km au sud-est de Hargeysa. 100
Parvenus à Oodweyne au terme d’un pénible voyage de sept heures, la délégation y rencontre les deux suldaanno qu’ils prient de convoquer le conseil des Habar Garxajis. Or les deux notables font état de leur incapacité à répondre favorablement à leur requête, la guurti devant au préalable être remaniée. Tous deux refusent même de prendre connaissance des lettres préparées par le Commitee. Confrontés à cette fin de non-recevoir, les membres du Peace Committee n’ont d’autre choix que de regagner Darroor le lendemain, seulement nantis de la vague promesse d’une rencontre avec le conseil des Habar Garxajis lorsque les membres en auraient été désignés. Interrogés un peu plus tard par le BBC Somali Service, les deux suldaanno reconduiront leur position en refusant également de rencontrer des représentants du gouvernement. Bien que les deux équipes aient obtenu des succès très mitigés, le Commitee parvient au début de l’année 1996 à recruter des personnalités éminentes. Un mouvement se développe en effet autour de leur action, constituant une Caravane de la Paix qui « ... sollicite le soutien de tous les segments de la société du Somaliland en faveur de la cause de la paix. » Mais Maxamed Cigaal, redoutable manipulateur, n’a cure de tout cela. Il connaît désormais sa force, mesure clairement les faiblesses de ses adversaires et considère qu’il n’a besoin que de garder les coudées franches. Les fédéralistes à base Habar Yoonis qui sur l’argument économique de l’aéroport de Hargeysa ont entraîné dans leur sillage leurs cousins Ciidagale lui paraissent maintenant en perte de vitesse. Aussi n’a-t-il pas besoin de ces intercesseurs dont il craint que la bonne volonté ne vienne en fait lui compliquer la tâche en remettant en selle ces processus d’arbitrage clanique dont il se méfie quand il ne doute pas de leur pertinence. Et en effet, un an plus tard, au terme du processus qu’il a engagé avec violence à l’encontre de ses adversaires et avec discrétion à l’encontre d’alliés objectifs trop prégnants, Maxamed Cigaal, par son exceptionnelle capacité à instrumentaliser à des fins politiques les problématiques claniques, octroiera aux Somalilandais la plus longue paix de leur histoire ; certes, elle lui apportera personnellement nombre de détestations mais elle lui apportera plus encore pouvoir et notoriété.
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Le faisceau lignager isxaaq
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I V – L E GOUVERNEMENT MANQU E DU GENERAL M AXAMED C AYDIID
Dans le Sud de la Somalie en revanche, la situation est bien différente. Le départ de l’ONUSOM, au mois de mars 1995 a conduit à Muqdishu les belligérants à convenir d’un modus vivendi sur le port et sur l’aéroport, arrangement qui demeure un compromis précaire1. En effet, l’effacement de l’opération internationale a suggéré à Maxamed Caydiid que le moment était venu de mettre en évidence sa capacité à établir un gouvernement somalien légitimé par l’emprise du SNA sur le Sud du pays. Il compte à cet effet mettre en avant son aptitude à remettre en route l’appareil économique et sa volonté affichée de reconstruire une Somalie unie. L’exercice nécessite encore d’établir aux yeux de la communauté internationale la surface territoriale effective dont il peut se réclamer et de capter les ressources disponibles du pays afin de restaurer un appareil d’État. L’opposition catégorique des autres protagonistes, la raideur et l’intransigeance de ses propres positions et son incapacité à susciter un dialogue vont rapidement laisser entrevoir les limites de ce projet. En effet, dès le milieu de l’année 1995, la dégradation de la situation de Maxamed Caydiid et de la SNA prend un tour inquiétant. Cette détérioration résulte du télescopage de plusieurs événements qui tous semblent procéder d’une fuite en avant du général, acculé par des alliés rétifs sinon rebelles.
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FONTRIER 2012/1: 504-6. 103
DELITEMENT DE L’USC ET RECOMPOSITION DES FACTIONS La rupture entre Maxamed Caydiid et Cismaan Caato
[8 V 1995]
La rupture la plus spectaculaire apparaît au cœur même de l’appareil SNA quand, le 8 mai, Cismaan Caato officialise son désaveu du général dont il a pourtant été le financier pendant plus de quatre ans. Reprochant à Caydiid son inflexibilité et sa mauvaise volonté à conclure avec Cali Mahdi un accord de paix – ils se sont déjà posés en semiadversaires dans la « guerre des bananes »1 –, Caato n’envisage ses propres ambitions politiques qu’à travers le filtre de son propre enrichissement. En cela, ses capacités à dialoguer avec les professionnels des affaires de Muqdishu sont plus naturelles que celles du général qui, quelles que soient ses violences et ses maladresses, se sent encore un destin avant tout politique. Or on peut imaginer que Cismaan Caato a estimé que Caydiid était désormais engagé sur la pente irréversible de l’échec. Lui, Caato, a avancé les moyens – financement et armes – et il n’a pas été payé en retour d’un ordre économique dont il aurait su profiter. Le marché a failli, le contrat de solidarité se dissout. La rupture survient après que, le 30 avril, Caydiid s’est séparé de deux membres de son premier cercle, ralliés depuis à Caato : le chef de ses milices, le colonel Cabdi Xasan Cawaale Qeybdiid, son chargé des Affaires étrangères au sein de l’alliance, et son frère, Maxamed Xasan Cawaale. Les deux hommes sont des Habar Gidir Sacad comme Caydiid et Caato mais, au sein de ce même lignage, ils appartiennent au reer Hilowle alors que le général appartient au reer Jalaf, comme ce Cali Maxamed Cali qui vient de remplacer Qeybdiid. Une rupture s’est donc opérée au sein même du faisceau lignager, caractéristique des alliances somali. Une rupture qui conduit par ailleurs les autres familles Sacad à opérer des choix : ainsi, les Nimcaale et les Culus se rangent derrière le reer Jalaf, les Wuqujire derrière le reer Hilowle ; une rupture lourde qui scelle le destin de Maxamed Caydiid. Cabdi Qeybdiid était l’un des plus proches confidents du général, une relation scellée depuis les jours héroïques de 1989-1990, quand les deux hommes menaient la guérilla contre le président Siyaad ; Qeybdiid avait même eu l’occasion de sauver la vie du général avant de le suivre dans les méandres de son aventure politico-militaire. Mais Cabdi Qeybdiid est aussi un proche de Cismaan Caato en l’absence duquel il gère les stocks de munitions et de carburant, décidant ou non de ravitailler les combattants. Ces derniers disent d’ailleurs de lui qu’il n’est pas très généreux et qu’il leur porte malheur. Il reste que son renvoi témoigne de la profondeur du désaccord qui s’est installé entre Caydiid et Caato. Ce 8 mai donc, c’est en présence du frère de Cabdi Qeybdiid, Maxamed, que Cismaan Caato entame un discours virulent à l’encontre de son 1
Au cours de laquelle par ailleurs, Caato a perdu un fils.
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ancien mentor, affirmant qu’il se prétendait le président d’un gouvernement fantôme qui n’avait ni le soutien du peuple somalien, ni même celui de son clan. Caato en profite aussi pour se dédouaner de quelques antécédents fâcheux1. Il déclare que Maxamed Caydiid était seul responsable de l’isolement international de la Somalie et assure que son différend avec lui datait de novembre 1992, quand le général lui avait demandé de l’aider à chasser les 500 Casques bleus pakistanais qui venaient d’arriver à Muqdishu. Il aurait alors en vain répondu que « la Somalie avait grand besoin d’assistance humanitaire ». Maintenant, Caato appelait les Somaliens et la communauté internationale à ne plus accorder de crédit aux paroles que le général pourrait prononcer au nom de la SNA et l’accuse même d’avoir créé des groupes clandestins afin de pourchasser ses opposants. Maxamed Xasan Cawaale qui avec les deux autres limogés occupe toujours son bureau au quartier général de la SNA affirme également ne plus travailler pour Caydiid dont, selon lui, l’autorité n’était plus reconnue. Ainsi, quels que soient les motifs de la dispute, Maxamed Caydiid avait par ces limogeages coupé les ponts avec les dernières personnes qui auraient encore pu le réconcilier avec Cismaan Caato. Or pour ce dernier, la logique des affaires prenait résolument le pas sur ses allégeances politiques afin de rétablir un climat propice au commerce. Représentant de la CONOCO à Muqdishu et possédant des garages spécialisés dans la construction des technicals, donc en position de force, un compromis lui paraissait maintenant nécessaire avec les adversaires de Caydiid et notamment les partisans de la SSA au sein desquels, bien qu’il ait récemment conduit la conquête du pays Xawaadle en 1994, il bénéficie globalement d’un préjugé favorable. Et puis Caato, notamment depuis son séjour dans les prisons américaines et depuis sa récente blessure de Beledweyne, semble percevoir les choses sous un autre angle. Devenu plus conciliant, il n’a pas voulu soutenir dans ses dernières entreprises un Caydiid que manifestement il a déjà trahi. N’est-il pas troublant de constater comme il n’a pas craint de fragiliser son mentor en refusant de mettre ses technicals à sa disposition alors que le général s’apprêtait à reconquérir Beledweyne et Buulo Barde, repris le 14 avril par les Xawaadle2. Il est vrai aussi que lorsque son véhicule avait sauté sur une mine, au mois d’octobre précédent, les chefs et la population de Beledweyne ne s’étaient pas opposés à son transfert sur Nairobi pour y soigner ses deux jambes brisées.
Les raisons de la défection de Cismaan Caato
[11 VI 1995]
Si c’est bien cet événement qui détermine le moment de la rupture entre les deux hommes, le désaccord est en réalité plus profond et ses 1 2
Africa Confidential. 12 V 1995. LOI n° 671. 13 V 1995. 105
fondements sont multiples. À l’évidence, il résulte en tout premier lieu du gouvernement dont Maxamed Caydiid se propose incessamment d’annoncer la composition et de la façon dont il entend procéder à sa mise en place. Mais le différend politique remonte aussi à la libération de Cismaan Caato en février 1994, après ces mois passés en détention aux mains de l’ONUSOM. Durant sa captivité, par exemple, Caato s’est surpris à négocier auprès de Washington un dédommagement pour sa propriété, détruite entre juin et septembre 1993 par les pilonnages aériens des AC130 Spectre. Plus pragmatique que le général, il a depuis lors pris le parti de susciter d’une façon ou d’une autre un rapprochement avec les forces regroupées autour de Cali Mahdi, plus enclines, lui semble-t-il, au compromis. Entretenant également de bonnes relations avec Maxamed Moorgan, il a signé avec ce dernier en mai 1994 un accord de paix au nom de la SNA. C’est cet accord qui lui a permis d’élaborer les règlements en matière agricole dans le nord de Kismaayo, entre Jilib et Jamaame. Caato s’est ensuite montré critique à l’égard de la conférence de réconciliation tentée en novembre 1994 au motif qu’elle ne comprenait pas les factions qui n’avaient pas rallié la SNA. Tandis que courait le projet de formation d’un gouvernement d’union nationale, il soutenait alors les prétentions du chef du SSDF, le colonel Cabdullaahi Yuusuf, au poste de Premier ministre alors que, dans l’espoir de rallier les Somaliens du Nord, le général préférait confier ce poste à l’ancien président du Somaliland, Cabdiraxmaan Tuur. Cette maladresse conduira le colonel majeerteen à prendre quelques distances avec son ancien camarade pour se tourner finalement vers d’autres factions en vue de proposer sa propre conférence de réconciliation, à tenir à Boosaaso, à Kismaayo ou à Addis Abäba. Maladresse d’autant plus manifeste que Cabdiraxmaan Tuur et Jaamac Maxamed Qaalib Yare, deux personnalités retenues par Caydiid, se trouvaient alors à Muqdishu davantage parce qu’ils n’osaient pas retourner au Somaliland que parce qu’ils y attendaient un poste ministériel. Au centre de la rupture entre les deux hommes se situait enfin le contrôle de l’accès à Caydiid et la manipulation de son entourage. Jusqu’en 1994, le reer Hilowle des Habar Gidir/Sacad dominait ses rivaux par l’intermédiaire de représentants établis à des postes-clés : l’ancien idéologue du parti unique de Siyaad Barre par exemple, Cumar Salaad Cilmi, maintenant quasi réfugié aux Pays-Bas et toujours prêt à donner son opinion sur la réorganisation de l’État ; mais Cabdi Qeybdiid aussi, chargé des affaires intérieures, et son frère Maxamed, secrétaire et porte-parole de toutes les réunions importantes de la SNA. Quant à Caato dont dépend le financement de l’Alliance, il est aussi présent sur tous les fronts économiques. Représentant local du géant pétrolier CONOCO, il a conservé de nombreux contacts avec les ÉtatsUnis ; soutien de Somalfruit, il a aussi ses entrées dans les milieux italiens. Le monopole du reer Hilowle qui en résulte a engendré l’hostilité de nombreux hommes politiques Habar Gidir, peu nombreux, 106
mais ambitieux, qui ont su attirer l’attention de Caydiid sur le poids des Sacad du reer Hilowle, au détriment de sa propre famille, le reer Jalaf. Ces polémiques se traduisent, les 21 et 22 mai, par une manifestation en faveur du général Caydiid à l’aéroport de Muqdishu qui s’achève sur une série d’affrontements entre ses partisans et ceux de Cismaan Caato. Mais cette fois le sang coule entre les anciens alliés. On rapporte au moins huit morts et une dizaine de blessés.1 La rupture dès lors est officiellement consommée. Cismaan Caato se proclame le 11 juin président de l’USC-SNA à l’issue d’une réunion à laquelle assistent certains membres éminents des lignages Habar Gidir. De leur côté, les partisans du général réagissent en annonçant le maintien de ce dernier à la tête du mouvement ainsi que l’exclusion de Cismaan Caato et de ses partisans. Maxamed Caydiid déclare que 15 des 16 factions l’ont élu président, ce à quoi Caato rétorque que 140 membres du mouvement ont voté pour lui. L’alliance SNA se divise ainsi en deux factions rivales. Les détracteurs de Caydiid l’accusent d’avoir privilégié ses intérêts personnels aux dépens de ceux de la nation et d’avoir « nui aux efforts de la communauté internationale pour aider les Somaliens »2. Mais avant même que n’éclatent ces affrontements, la faction de l’USCCaato s’est entendue avec Cali Mahdi sur une formule gouvernementale élaborée autour d’un président qui ne soit pas un militaire et un Premier ministre à venir du Somaliland. On s’attend même alors à ce que cette formule soit avalisée par le groupe de contact de l’OUA et de l’InterGovernmental Authority on Development (IGAD) qui la semaine suivante doit se réunir dans à Nairobi en vue de programmer une rencontre à Addis Abäba avant la fin du mois3. Un tel accord qui l’évince de facto des principales fonctions décisionnelles ne manque pas d’inquiéter un Maxamed Caydiid qui ne peut réellement compter que sur la force militaire de ses milices.
L’autoproclamation de Caydiid et la dérive clanique
[15 VI 1995]
Aussi les événements qui se précipitent le placent-ils dos au mur. Considérant qu’il lui faut maintenant verrouiller sa situation, il se fait le 15 juin élire par ses partisans « Président par intérim de la Somalie ». Le lendemain, ses deux principaux adversaires dénoncent cette autoproclamation4. Le général n’entreprend pas moins, le 19, de nommer puis de prendre la tête d’un gouvernement d’union nationale composé de 64 membres parmi lesquels on compte un nombre important de représentants ou d’alliés de son reer5. Un gouvernement 1 2 3 4 5
AFP. 22 V 1995. AFP. 11 VI 1995. LOI n° 676. 17 VI 1995. New African. IX 1995 : 29. 31 ministres, 33 vices-ministres auxquels viennent s’ajouter 34 secrétaires d’État. 107
auquel peu prêteront attention mais dont la composition est révélatrice de ce qu’aura été le système Caydiid et de la façon dont il aura finalement infiltré l’ensemble du paysage clanique somalien. Ainsi autoproclamé, le général nomme quatre vice-présidents : l’Isxaaq Cabdiraxmaan Tuur, Maxamed xaaji Aadan [Majeerteen/Ciise Maxamuud], Maxamed Nuur Yalaxoow [Reewin/Eelay] et Maxamed Faarax Cabdullaahi Xasharo [Dir/Gadabuursi] de la SDA1. Les grands faisceaux lignagers de la Somalie, Hawiye, Dir, Raxanweyn et Isxaaq – sont représentés. Les Majeerteen, lignage exclusivement somalien, représentent les Daarood au détriment par exemple des Mareexaan et des Ogaadeen. Il est intéressant dès lors d’observer comment Caydiid concentre la plus grande partie de ces nominations autour de deux pôles. D’une part, il octroie 9 portefeuilles de ministre sur 31 à l’ensemble des familles du Somaliland. C’est ainsi que se trouvent investis les chefs de la SDA Gadabuursi, de l’USF Ciise de même que certains membres du SNM Isxaaq, voire peut-être certaines personnalités ayant travaillé jusqu’à la fin avec Siyaad Barre. On trouve ainsi Jaamac Maxamed Qaalib Yare aux Affaires étrangères, un ancien colonel de la police, Caydiid Cabdullaahi Ilkaxanaf aux Affaires constitutionnelles, un ancien fonctionnaire de police, Maxamed Cige Cilmi, aux Travaux publics. Ciidagale et Habar Yoonis sont surreprésentés par rapport aux autres lignages isxaaq. On constate d’autre part que la présence Habar Gidir est importante : 6 ministres sur 31, 8 vice-ministres sur 33, 20 secrétaires d’État sur 34, 16 postes sur 28 à la Cour suprême. Mais on trouve aussi des personnages significatifs : Xuseen Cabdulle Calasow Nuuriyow, à la Justice est un des rares Xawaadle ; ministre sous Siyaad Barre, il est désormais considéré comme un traître par son clan, les Cali Madaxweyne, qui ne le laisseront pas revenir dans sa province du Hiiraan. Cumar sheekh Aadan est un Sheekhal qui travaillait pour l’ONUSOM II au sein duquel il était son informateur, renseignant le général sur les politiques de l’ONU et ses contacts avec les autres factions. Le ministre de la Coopération économique internationale, Cabdiraxiin Faarax Ismaaciil Kabaweyne, un ancien ambassadeur en Égypte, appartient à un sous-clan influent et bien armé des Cayr, les Yabar Dhowrakace. En y regardant de plus près, il apparaît aussi que Habar Gidir ou non, nombre des nouveaux investis ont des mères ou des épouses Habar Gidir Sacad, souvent du reer Jalaf, la famille de Caydiid. Il en va ainsi de Xaakima Maxamuud Cabdi, nommée Secrétaire général à la présidence pour les Relations avec les femmes après s’être plainte d’avoir été oubliée de la liste. Elle est par ailleurs mariée à Axmed Xaaf, l’un des principaux financiers de Caydiid et un actionnaire-clé de la société Sombana. La femme de Xuseen Nuuriyow également ministre est une Ayaanle ; Siciid Maxamed Nuur à l’Éducation est un Isxaaq de mère reer Jalaf. Xasan xaaji Cumar 1
LOI n° 677. 24 VI 1995.
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Ameyr aux Transports aériens et terrestres est un Harti Dhulbahaante dont la femme est du reer Jalaf . Le Dhulbahaante Maxamed Xasan Maxamed, vice-ministre de l’Élevage et le Habar Gidir/Cayr Xasan Maxamed Nuur Qalaad, vice-ministre de la Réhabilitation et du Désarmement ont leurs deux épouses Sacad. Il reste que tous les Habar Gidir ne se satisfont pas de ces arrangements. Au sein des Duduble, seuls les clans Maqlisame et Awradeen ont été favorisés tandis que d’autres familles importantes ont été oubliées. Parmi les Cayr, le groupe influent des Ayaanle a été négligé en faveur des Cabsiye et des Habar Aji. Autant d’insatisfactions qui risquent de ranger plusieurs d’entre eux aux côtés de Cismaan Caato. D’autant qu’il ne faut pas ignorer que Caydiid n’arrive toujours pas à obtenir le retrait des groupes Habar Gidir qui normalement sont réputés se réclamer de lui de l’aéroport international Aadan Cadde ni de certains bâtiments gouvernementaux de Muqdishu sud. Par cette construction complexe mais hasardeuse aussi, le général tente de reconquérir les Habar Gidir par un partage des postes qu’il souhaite le plus judicieux possible. Mais ce faisant, force est de constater qu’après Siyaad Barre et Cali Mahdi, Maxamed Caydiid se trouve à son tour rattrapé par le repli identitaire clanique. Cette décision hâtive, largement bâclée même, représente un pari politique dont Caydiid ne sortira pas indemne. Élaborée dans l’urgence, certains y ont vu une erreur politique majeure qui laisserait à supposer que le général ait, à ce moment de l’histoire, perdu de sa lucidité. Il n’en est rien. En fait, il a simplement réalisé que, désormais, le rapport de forces dans la capitale avait basculé à son détriment et qu’il se trouvait considérablement affaibli par les défections de ces dernières semaines tandis que, au même moment, la situation de Cali Mahdi était sur le point d’être renforcée par le retournement de Caato. L’inéluctable face-à-face qui se dessine promet de dégénérer tôt ou tard en de nouveaux affrontements1.
L’alliance de l’USC-Caato et de la SSA
[16 VI 1995]
Ce pressentiment est d’autant plus fondé que l’accord entre Cismaan Caato et Cali Mahdi est entériné le 16 juin au cours d’une déclaration commune au fil de laquelle les deux hommes condamnent la décision de Caydiid et appellent à la tenue immédiate d’une conférence de réconciliation nationale afin de former un gouvernement à base large. Un appel est lancé aux gouvernements africains, arabes et islamiques ainsi qu’à la communauté internationale afin qu’ils aident à une réunion dont ils s’engagent ensemble à assurer la sécurité, tant à Muqdishu que dans ses environs. Un groupe d’émissaires communs aux deux factions s’apprête à faire le tour des régions pour convaincre chacun de s’opposer au général Caydiid. Cismaan Caato et Cali Mahdi appellent 1
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également les responsables du nord de la Somalie à dialoguer pour mettre fin aux affrontements au Somaliland où ils comptent prochainement envoyer une délégation. Outre de nombreuses résolutions de paix, la rencontre décide surtout de la tenue d’une conférence de réconciliation nationale. Tout porte alors à croire que celle-ci, qui se tiendrait à Muqdishu, tenterait de marginaliser le général Caydiid et ses partisans. Un projet qui naturellement revient à une nouvelle déclaration de guerre.
Le positionnement des voisins éthiopiens et kenyans À l’extérieur de la Somalie, dans sa périphérie immédiate, le retrait des Nations unies n’a pas non plus été sans susciter nombre d’inquiétude. Le 16 février 1995 déjà, le quotidien al-Ayat avait fait état d’une proposition adressée par Mälläs Zénawi au Secrétaire général des Nations unies, proposition selon laquelle Addis Abäba pourrait, avant le retrait total des forces, prendre avec l’aide de Djibouti et du Kenya l’initiative de tenter une fois encore de rapprocher les deux principales factions de Muqdishu. L’Éthiopie, bientôt dépourvue du bouclier de l’ONUSOM II, voyait sans plaisir le retrait des troupes internationales découvrir maintenant son flanc sud, face aux turbulences récurrentes du monde somali. Après être intervenue contre les islamistes du Geedo aux confins de l’Ogadèn, Addis Abäba souhaitait maintenant impliquer l’OUA dans une problématique d’où venaient peu glorieusement de s’échapper les Nations unies. Le projet ayant été retenu, une réunion devait finalement se dérouler à la fin du mois de juin sous couvert de l’Organisation de l’Union africaine. Mais après la recomposition des alliances survenue à Muqdishu au mois de mai, le projet était condamné à se révéler sans lendemain. Seule intervention notable, le positionnement du Kenya qui par la voix de son président faisait le 27 juin l’éloge de Maxamed Caydiid. Après avoir félicité le général pour « le pas accompli dans la bonne direction » avec la formation de son gouvernement, Daniel arap Moi demandait à Cali Mahdi de se ranger derrière le général. À l’aplomb de cette prise de position, un mois plus tard à Nairobi, le 26 juillet, Cismaan Caato était momentanément arrêté avec une vingtaine d’autres Somaliens par la police kenyane. La veille au soir, plusieurs dizaines de policiers avaient perquisitionné la maison qu’il occupait dans la banlieue de la capitale et, au terme d’une longue fouille qui devait se prolonger tard dans la nuit, les policiers avaient finalement emmené Caato. Tous devaient être libérés, après une journée de détention et d’interrogatoire. Sans qu’il puisse en être tiré de conclusion particulière, on observait aussi que cette interpellation intervenait après que, dans la semaine, le Président kenyan avait reçu des délégations somaliennes dans le cadre
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d’une médiation mise en œuvre par l’intermédiaire de religieux néerlandais et allemands1. Mais pour comprendre au mieux la position kenyane, il faut considérer le sentiment de vulnérabilité que Nairobi développe simultanément au regard du développement de l’islamisme sur son sol et au regard de cette région somali qui lui semble difficile à contrôler et où s’accroît encore l’insécurité frontalière. Certes, au moment où les troupes de l’ONUSOM se sont définitivement retirées, les États-Unis ont discrètement renforcé leur présence militaire sur leur base navale conjointe du camp Simba installé sur la baie de Manda face à l’archipel des Lamu, à moins de cent kilomètres de la frontière somalienne. Désormais l’installation est régulièrement visitée par des bâtiments de l’US Navy et des hélicoptères Cobra y sont déployés. Car depuis 1990, les attaques de véhicules et d’autobus ont augmenté de façon notable dans l’ensemble du Northern Frontier District. En mer également, les pêcheurs et les navires qui cabotent au large sont souvent rançonnés par des pirates. La base militaire elle-même a fait l’objet d’un audacieux coup de main à la fin de l’année 1994. Le rayon d’action des shifta2, des bandits, s’étend maintenant jusqu’aux abords de Kilifi, à une soixantaine de kilomètres au nord-est de Mombassa3. Cette insécurité endémique s’inscrit dans plusieurs registres. Elle résulte bien sûr de la déstabilisation de l’espace somali mais elle se fonde aussi sur les tensions récurrentes qui opposent les habitants de la côte kenyane à majorité musulmane à des policiers, militaires en poste et administrateurs tous originaires de l’intérieur du pays, donc chrétiens. Cette situation qui développe les ressentiments favorise naturellement les menées subversives de l’Islamic Party of Kenya (IPK)4.
Les tentatives d’imposition d’un « Etat Caydiid » Quant à la décision d’imposer un gouvernement, elle s’est naturellement traduite aussi pas des mesures institutionnelles. Maxamed Caydiid doit l’assumer au regard des siens, certes, mais aussi au regard des institutions internationales et des États dont, hors sa périphérie immédiate, il sait l’animosité à son encontre. C’est ainsi que, dès le 1er juillet, à l’occasion du 35e anniversaire de l’indépendance de la République somalienne, il a prononcé un discours prônant la libre 1
LOI n°682. 29 VII 1995. Le mot est amharique ሺፍታ [amh. shifta]. Il se répand depuis la Kenyan Shifta War de 1963-1968, lorsque les Somali se sont révoltés contre le sous-développement dans lequel les Britanniques avaient laissé leur région. 3 LOI n°662. 11 III 1995. 4 Le gouvernement répond sans grand succès à cette situation en renvoyant chez eux les ressortissants d’ethnies non-côtières, Luo ou Kikuyu notamment. L’idée du majimbo qui consiste à relocaliser les populations dans leur région d’origine remonte à 1967 et à l’indépendance du Kenya. Le concept est largement repris par Daniel arap Moi. 2
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entreprise et invitant les Somaliens résidant à l’étranger « à retourner au pays pour participer à la reconstruction » de la Somalie. Poursuivant sa logique de normalisation, il demande le 9 juillet aux organisations humanitaires de reprendre leurs activités en Somalie. Il argue à cet effet de la malnutrition et des maladies qui font de nouveau beaucoup de victimes « tant dans la capitale Muqdishu qu’ailleurs dans le pays »1. Dans un article paru le 28 juillet, le quotidien français Libération signale en effet que « quatre mois après le retrait des Casques bleus de l’ONU, la faim avait fait une réapparition brutale dans la capitale somalienne ». Sur le plan institutionnel, Caydiid donne le 17 juillet l’ordre de récupérer et de repeindre de vieux véhicules de combat — des technicals en particulier – afin d’engager la mise sur pied et la formation d’une armée nationale. Il informe par ailleurs ses partisans que la Libye lui avait promis d’en prendre à sa charge les réparations ainsi que d’assurer pendant trois mois les gages des miliciens2. Se lançant dans la défense de la souveraineté somalienne – et accessoirement en vue d’améliorer ses propres finances -, on apprend le 7 août que douze pêcheurs, onze Pakistanais et un Palestinien, sont détenus depuis quelques mois par ses forces pour avoir pêché illégalement dans les eaux somaliennes. Bien sûr, Cismaan Caato et Cali Mahdi s’empressent de condamner cette détention qu’ils qualifient d’acte de terrorisme. Un mois plus tard, l’affaire finalement tournera court et le général Caydiid ordonnera leur libération, le 6 octobre, « dans l’esprit de la fraternité musulmane »3. Le 4 septembre, la radio annoncera encore un train de mesures administratives stipulant que le président de la République de Somalie et ses vice-présidents venaient avec le cabinet d’adopter plusieurs lois concernant, entre autres, « les passeports, les voyages, l’autonomie régionale et les organismes d’aide »4.
La tentative de désarmement des milices
[30 VIII/1 IX 1995]
Mais après avoir autoproclamé son gouvernement et pris acte de la défection de Cismaan Caato, il reste à Caydiid à faire la démonstration de sa capacité à affirmer son autorité. C’est ainsi que le 16 août, il ordonne à tous les clans, factions et individus armés de rendre leurs armes dans les six prochains mois5. Ce désarmement, outre son objectif strictement sécuritaire, vise aussi à montrer aux Somaliens qu’ils avaient désormais un gouvernement qui pouvait appliquer ses décisions, un gouvernement dirigé par le général 1 2 3 4 5
Voice of America. 9 VII 1995. Africa Research Bulletin. VIII 1995: 11927. Xinhua. 6 X 1995. Voice of the Masses of the Somali Republic. 4 IX 1995. AFP. 16 VIII 1995.
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Caydiid et non par son rival. Les organisations humanitaires étrangères devront également constater au terme de l’opération que le général était vraiment l’homme fort avec lequel elles devraient traiter si elles voulaient reprendre leur travail dans la capitale. Le lendemain même de cette injonction, la faction Caato dénonce sur les ondes de la Voice of Somali Pacification, la « confiscation illégale des armes » à laquelle le général prévoit de se livrer. Face à cette provocation, Caydiid lance le 19 une opération qui conduit immédiatement à la reprise des combats, le long de la Ligne verte. Après les échauffourées de la journée, les affrontements les plus violents se déroulent entre le 26 et 29. Quand les miliciens du général tentent de désarmer les partisans de Cali Mahdi, les combats éclatent dans le district de Xamar Weyn, en arrière du port, et sur le quartier de Bermuda dans le district de Hawl Wadaag. Ils dureront trois jours pour s’achever sur un fiasco avéré et un bilan de plus de 18 morts et quelque 130 blessés1, conduisant certaines ONG – AICF notamment – à évacuer temporairement la capitale, le 292. L’opération de désarmement aura finalement dégénéré en simple bataille de rue et n’aura montré que la faiblesse politique de Maxamed Caydiid. Les miliciens du général n’ont même pas pu discuter du désarmement de leurs nouveaux ennemis, ces 5 à 600 combattants rangés derrière Cismaan Caato et qui se déplacent armés jusqu’aux dents depuis le retour de leur chef de Nairobi à la fin août.
LA MAITRISE DE L’ESPACE Mais si la plupart de ces mesures se révèlent les unes dérisoires, les autres maladroites, il reste un domaine où le général en revanche n’a pas droit à l’erreur : la maîtrise du terrain. Outre de nombreuses résolutions de paix, la rencontre qui s’était naguère tenue à Nairobi entre Caydiid et Cali Mahdi en mars 1994 avait surtout décidé d’une future conférence de réconciliation nationale à Muqdishu. Bien sûr, tout porte à croire que si jamais elle se tenait maintenant, elle reviendrait à marginaliser Maxamed Caydiid et ses partisans. Quoi qu’il en soit, il reste que la nouvelle situation politique se traduit aussi par une nouvelle redistribution de l’espace et la nécessité de rafraîchir les stratégies retenues par chacun des camps. Moins solide désormais sur sa propre base clanique, les Habar Gidir Sacad, Maxamed Caydiid doit aussi s’appuyer maintenant sur les lignages Cayr, segment le plus nombreux des Habar Gidir auquel il a promis conquête et butin. À l’appel, de nombreux Cayr sont descendus du centre de la Somalie d’où ils sont originaires et se sont engagés dans son armée qui compte maintenant une centaine de technicals. Face à lui, Cali Mahdi n’aligne qu’une soixantaine d’engins mais ceux-ci sont 1 2
Keesing’s Record of World Events. 25 IX 1995 : p. 40669. LOI n° 683. 2 IX 1995. 113
désormais renforcés par la cinquantaine de véhicules armés dont dispose Cismaan Caato, lequel détient aussi de l’artillerie et un important stock de munitions1. De nouvelles stratégies se dessinent par ailleurs. Côté SSA, il s’agit d’étouffer économiquement Maxamed Caydiid en le privant de l’usage du port de Muqdishu et de l’aéroport de Balli Doogle. Pour la SNA, il s’agit de conserver ses acquis et d’affirmer son autorité, notamment face aux velléités d’autonomie des lignages de l’interfluve et à la fragilisation de son allié du sud, Axmed Cumar Jees. La situation dans trois régions mérite donc une attention particulière : l’interfluve, l’Outre-Jubba et plus au nord le Hiiraan.
La recherche par la SNA du contrôle de l’interfluve
[V/IX 1995]
Dans l’interfluve, en pays raxanweyn, un conseil suprême des DigilMirifle placé sous la présidence de Cabdulqaadir Maxamed Aadan Zoppe a été établi en mai 1995. Après d’intenses consultations, cette instance a retenu pour chef de son exécutif un avocat de Muqdishu, Xasan sheekh Ibraahin [Raxanweyn/ Jiroon] qui présente l’acte constitutif d’une nouvelle entité régionale regroupant les régions administratives du Baay et du Bakool et dont la capitale serait Baydhabo2. Cette quasi-constitution affirme et revendique l’identité Digil Mirifle, fait de l’islam la religion d’État, prône le désarmement de la population et, rejetant tout séparatisme, propose un cadre fédéral pour la Somalie. Le 25 mai, le représentant de l’Union européenne, présent à l’intronisation de ce Conseil suprême à Baydhabo, annonce aussitôt l’ouverture dans la ville d’un bureau de représentation de l’Union. Il serait installé dans un immeuble mis à sa disposition par la nouvelle entité régionale et en prendrait à sa charge la restauration, estimée à environ 70 000 $. D’autres locaux sont mis à la disposition de l’USAID et de l’UNDP. Rapidement, le Conseil suprême promulgue une loi fiscale et une autre sur la détention d’armes. Des contacts sont pris pour réaménager l’aéroport qui dispose d’une piste en dur et dont il semble que Bruxelles pourrait assurer le financement. Tous assurent que les relations sont bonnes entre la nouvelle entité régionale et les Mareexaan du SNF qui administrent le Geedo ainsi qu’avec la coalition Xawaadle - Muruursade qui contrôle la partie du Hiiraan située entre Beledweyne et le nord de Muqdishu, le long du webi Shabeelle. Les Raxanweyn se reconnaissent par ailleurs les alliés 1
LOI 686. 23 IX 1995. Xasan sheekh Ibraahin a été l’un des dirigeants du SDM, héritier du parti Hisbiga killer qui, avant l’indépendance, militait pour l’instauration en Somalie d’une république fédérale. Licencié en droit de l’université de Padoue, il a exercé la profession d’avocat à Muqdishu. Jusqu’à la chute du président Siyaad, il était associé à Gianfranco Cenci, né en Somalie où il avait vécu jusqu’en 1991. Cet avocat italien installé à Rome y préside l’association des réfugiés italiens de Somalie.
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naturels des populations représentées par la SNU, la SAMO et le SSNM. Ces accointances avérées, le territoire de l’entité régionale de Baydhabo pourrait progressivement s’étendre jusqu’à la côte vers Baraawe1. Quelque trois mois plus tard cependant, un raid des technicals de Maxamed Caydiid met fin, les 16 et 17 septembre 1995, à l’expérience d’autonomie régionale des Raxanweyn de Baydhabo. La ville est occupée au terme d’une attaque qui fait une dizaine de morts2. Vingt et un expatriés, employés d’organisations humanitaires, se retrouvent prisonniers des assaillants3. Le général a en réalité réussi son coup de force grâce à l’aide des clans Eelay conduits par le président de la faction SDM rangée au sein de la SNA, Maxamed Nuur Yalaxoow. C’est pourquoi une fois la ville prise, les clans Leysaan qui s’opposent aux visées de Maxamed Caydiid sur la région voient plusieurs de leurs dirigeants arrêtés et transférés à Muqdishu. Quoi qu’il en soit, la prise de Baydhabo est suivie d’une normalisation progressive de la région par les nouvelles autorités. Interdiction est faite de porter des armes sans l’autorisation de la police, les marchés sont de nouveau ouverts et fonctionnent, les transports reprennent.
Création de la Raxanweyn Resistance Army (RRA)
[13 X 1995]
Pour autant, l’affaire n’est pas aussi simplement réglée. On se souvient que les Raxanweyn rassemblent divers lignages dont la cohérence est moins à rechercher dans la succession des agnats que dans leur répartition dans l’espace, à savoir l’occupation de la zone mésopotamienne. On y observe plusieurs segments, la plupart liés à la descendance de Digil d’où ressortent deux groupes de clans largement majoritaires, les Caleemo Sagaal, les « neuf Caleemo » et les Sideed Mirifle « les huit Mirifle ». Avant la prise de Baydhabo par les milices de Caydiid, un grand nombre de Leysaan étaient employés par l’ONUSOM et les différentes organisations de délivrance d’aide. Celles-ci utilisent alors des sociétés d’entremise : la Al-Ahli Company, par exemple, est dirigée par Caliyoow Wardheere du clan Leysaan. Si l’associé de celui-ci Shariif Xasan sheekh Aadan est un Mirifle du clan Ashraaf Sarmaan, sa mère est aussi du clan Leysaan. De la sorte, leur société monopolise le pouvoir de passer des contrats avec la Relief Service Organisation stationnée à Baydhabo afin de fournir de l’aide aux victimes de la famine sévissant entre les deux fleuves. La plupart des employés sont ainsi recrutés par les expatriés parmi les Leysaan. La marginalisation des autres clans raxanweyn qui résulte de ce monopole conduit à partir de septembre 1995 à de fréquents 1
LOI n° 679. 8 VII 1995. Africa Research Bulletin X 1995 : p.11994. 3 Les sept femmes seront relâchées le 20, les 14 autres, retenus à Baydhabo, un peu plus tard. Reuter. 22 IX 1995. 2
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affrontements entre les Leysaan d’une part et les Xariin, les Jiroon, et finalement les Eelay d’autre part. Quand les Leysaan s’emparent de Buur Hakaba, ville dominée par les clans Eelay1, les notables des Eelay se tournent vers Maxamed Faarax Caydiid et lui demandent de s’emparer de Baydhabo où les Leysaan sont nombreux. Une aubaine pour le chef de guerre qui considérait que sans l’aide des autres clans raxanweyn il ne parviendrait pas à s’emparer de la capitale du Baay2. La plupart des clans raxanweyn, Xariin et Eelay au premier chef, accueillent tout d’abord bien le général Caydiid. D’autres en revanche, Leysaan et Hadame3 ont recours à la résistance armée dans l’espoir de reprendre Baydhabo. À la suite de l’attaque nocturne perpétrée par des miliciens dirigés par Maxamed Caydiid qui a résolument détruit le 11 octobre l’administration régionale en place à Baydhabo4, les Leysaan et leurs alliés fondent de concert avec d’autres politiciens raxanweyn, le 13 octobre, à Jhaffey5, la Raxanweyn Resistance Army (RRA). L’un d’entre eux, Cabdullaahi Maxamuud Tawo, est nommé président et un comité exécutif est mis en place, composé d’officiers, de chefs traditionnels, de chefs religieux et d’intellectuels. Mais des différends s’installent aussitôt sur le registre clanique. Car un contentieux existe aussi au sein même des Leysaan où certains ont capté les emplois offerts par les Nations unies à Baydhabo au détriment des autres clans. C’est en l’occurrence un certain Maxamed Ibraahin Xaabsade qui s’oppose à Cabdullaahi Tawo et travaille à faire reconnaître le colonel Xasan Maxamed Nuur Shaatigudud pour prendre la direction du mouvement6. Mais naturellement, ces disputes facilitent la tâche des troupes de Maxamed Caydiid qui, quelques semaines plus tard, le 17 janvier 1996, complètent leur occupation de l’interfluve en s’emparant de la ville de Xuddur, chef-lieu de la province du Bakool. Jusqu’alors contrôlée par la Raxanweyn Resistance Army (RRA), la ville tombe entre les mains de la SNA au terme d’un raid mené à bord d’une trentaine de technicals équipés d’armes lourdes.
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Il faut noter d’une part que les Eelay sont le clan raxanweyn le plus nombreux et d’autre part que les Eelay de Baydhabo sont à l’origine des esclaves Sab des Eelay de Buur Hakaba. 2 On observera aussi à Goobweyn au nord de Baydhabo, quelques incidents sans lendemain qui paraissent impliquer des milices associées à Cismaan Caato. 3 Majoritaires dans la région de Xuddur dans le Bakool. 4 L’attaque fait une quinzaine de morts et une trentaine de blessés. Xinhua. 11 X 1995. 5 Toponyme difficile à localiser. Il existe bien un Jafay mais ce point d’eau est situé dans le Geedo, à proximité de Awdheegle. 6 Le colonel Xasan Shaatigudud appartient au lignage des Xariin. Il a été formé en Italie, en Russie et en Égypte, et a, sous Siyaad Barre, dirigé le National Security Service (NSS) dans le Nord-ouest somalien. 116
La position de la SNA dans l’outre-Jubba
[XI 1995]
Mais c’est encore un autre sujet de préoccupation qui, pour Maxamed Caydiid dont le bateau commence à faire eau de toute part, semble se dessiner dans le Sud du pays. En effet, tandis que des défections apparaissent au sein du SPM-Jees, le SNF de Maxamed Moorgan et la faction SPM de son allié, le général Aadan Cabdullaahi Nuur Gabiyow, deviennent, à son détriment maintenant, les interlocuteurs privilégiés de la communauté internationale1. Le premier souci apparaît quand le journal de Muqdishu Xoog Ogaal publie une lettre attribuée au colonel Axmed Cumar Jees par laquelle celui-ci annonce son intention de quitter ses fonctions de ministre de la Défense du gouvernement du général Caydiid. Cette lettre aurait été adressée au chef d’état-major de l’Armée kenyane, le général Mahmud Mohamed qui est lui-même un Somali Ogaadeen. Le document s’élève contre la visite effectuée à Kismaayo par l’un des vice-présidents, Maxamed xaaji Aadan, alors que le port du Sud est contrôlé par les miliciens du SNF de Maxamed Moorgan, rival du SPM de Cumar Jees. Ce dernier, qui brûle de se venger de son expulsion de Kismaayo par Moorgan au nez et à la barbe du contingent belge de l’ONUSOM au début 1993 est habitué à être trahi. Aussi n’est-il véritablement rassuré ni par les quelque quatre-vingts technicals rassemblés à Baydhabo par la SNA ni par le souvenir des deux raids qu’ils ont menés quelques mois plus tôt en direction du sud-ouest. Plus ennuyeux surtout, la position de ce même Cumar Jees au sein du SPM vient d’être fragilisée par la défection de vingt-cinq de ses associés, ralliés maintenant à Cali Mahdi. Porte-parole des dissidents, le colonel Maxamed Cismaan Bixiyar a justifié sa défection en l’accusant le 6 novembre d’avoir détourné des fonds octroyés à son mouvement par l’Iran, la Libye et le Soudan, et employés à l’acquisition à Addis Abäba d’un immeuble réputé lui rapporter quelque 9000 $ par mois2. Un autre processus de marginalisation de Caydiid et des siens s’engage à la fin de l’année, quand le représentant du Secrétaire général des Nations unies pour la Somalie, Abdi Kabla et l’Envoyé spécial de l’Union européenne en Somalie, Sigurd Illing, entament de conserve une visite dans la basse vallée de la Jubba. L’objectif est d’y rencontrer les représentants des trois grands lignages darood – Harti, Ogaadeen et Mareexaan – que l’on dit engagés dans une conférence de réconciliation à Kismaayo. La réalité n’est pas aussi lénifiante que veulent bien le présupposer les représentants internationaux. Certes, si Moorgan ici a perdu de son prestige, il est encore respecté et, surtout, sa capacité à rebondir est connue. Gêné par les activités de Caydiid et le désaveu de la communauté internationale, c’est lui qui a organisé cette conférence qui prétend mettre sur pied dans le Jubbaland une 1 2
FONTRIER 2012/1: 444-450. LOI n° 693. 6 XI 1995. 117
administration régionale qui inclurait différentes milices ainsi que d’autres organisations. Naturellement, les conseils régionaux sont tout autant une fiction ici que dans le reste de la Somalie, mais puisque l’Union européenne aime à en entendre parler, Moorgan n’est pas homme à laisser passer pareille occasion. Aussi, le 29 novembre, les deux diplomates s’entretiennent-ils avec le vice-président de la conférence, Cali Maxamed Siyaad, Cali Dheere, ainsi qu’avec le général Maxamed Moorgan du SNF et Aadan Gabiyow du SPM rallié à Moorgan. Face à leurs interlocuteurs, ces derniers s’engagent une fois achevée la conférence de réconciliation à mettre durablement en place des autorités représentatives dans les régions de la basse et de la moyenne vallée de la Jubba. De leur côté les représentants des Nations unies et de l’Union européenne reconnaissent que l’existence d’une administration qui fonctionnerait dans cette zone permettrait aux agences internationales d’y accroître leur aide à la réhabilitation et à la reconstruction1. Mais dans la basse vallée de la Jubba, les visées du général Caydiid se télescopent aussi avec les projets de Cismaan Caato qui a besoin de sauvegarder ses investissements. En effet, l’accord de paix conclu en mai 1994 avec Moorga n avait stabilisé la situation et favorisé en particulier l’expansion du commerce entre Kismaayo et Muqdishu. Cette normalisation avait permis à Caato de ressusciter le grand projet de culture du riz connu à l’époque de Siyaad Barre sous le nom de Mugambo Paddy Rice Project (MPRP)2. C’est dans l’espoir de venir à bout de l’ensemble de ces menaces qu’à Kismaayo, les représentants de Caydiid tentent de diviser les clans harti. A cet effet, le principal agent d’influence du général est le viceprésident Maxamed xaaji Aadan qui appartient à la plus puissante des factions de la ville, les Majeerteen Ciise Maxamuud. À ce titre, celui-ci peut se rendre sur place en toute sécurité et distribuer au nom du général les faveurs et prébendes habituelles. Quant aux adversaires majeerteen de Caydiid, notamment les dirigeants du SSDF comme Maxamed Abshir Muuse et Xasan Abshir Faarax3, il leur est difficile d’interférer dans les affaires de la cité car ils appartiennent à un lignage concurrent, les Muuse Ciise, peu représentés dans le Sud. Ne laissant rien au hasard, Caydiid courtise également les clans des environs de Kismaayo. Circonvenu, un certain colonel Cabbaas qui dirigeait les milices galjecl abandonne ainsi Moorgan et déclare sa neutralité. Mais dans cet Outre-Jubba incertain, Caydiid compte surtout sur les clans ogaadeen même si, sur la réserve, ceux-ci sont jusqu’alors restés en dehors des conflits. Cela explique le maintien au sein de son 1
LOI n° 696. 2 XII 1995. Africa Confidential n°252. 19 II 1996. 3 Ancien gouverneur du Sahbeellaha Dhexe et du Bakool, maire de Muqdishu dans les années 1970, il a été ambassadeur de la République de Somalie au Japon puis en Allemagne. 2
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gouvernement du colonel Axmed Cumar Jees dont les sentiments à son encontre tiédissent et dont la position même est instable. Mais si Caydiid est très vigilant à contrôler Kismaayo, souci auquel il consacrerait, dit-on, 100 000 $ par mois, il y est aussi prudent. Il sait qu’il ne doit y utiliser qu’à bon escient la menace militaire, d’autant que ses forces sont largement sollicitées par ailleurs. Mais il sait aussi que Moorgan reste fort dans la région et dispose de promesses crédibles de renforts et de munitions en provenance du Geedo, notamment à venir des milices mareexaan commandées par le colonel Cumar Jaamac Cartaan Af Gabdheed . Le 11 janvier 1996, les violents combats qui éclatent dans la vallée de la Jubba entre Daarood et miliciens Habar Gidir de la SNA-Caydiid font encore de nombreuses victimes. Néanmoins, après cette date, Kismaayo et la vallée connaissent une paix relative, simplement troublée de temps à autre par quelque acte d’hostilité entre les clans locaux, soubresaut la plupart du temps consécutif à un affrontement à Muqdishu. La région du Geedo vivra ainsi une paix relative jusqu’aux événements des 8 et 9 août, lorsque les forces d’Addis Abäba pénétreront en territoire somalien. Le vice-président du SNF élèvera aussitôt une protestation contre cette incursion, ce à quoi le gouvernement éthiopien rétorquera qu’il avait agi dans le cadre d’une opération limitée en vertu du droit de poursuite… « contre un groupe extrémiste fondamentaliste multinational qui se livrait depuis un certain temps à des activités terroristes le long de la frontière entre l’Éthiopie et la Somalie et dans d’autres zones situées à l’intérieur de l’Éthiopie »
Une décision éthiopienne lourde de conséquences et qui nécessitera de plus amples explications.
La situation dans le Hiiraan Restons pour l’heure dans le Hiiraan où les forces de Caydiid menacent également Beledweyne qu’elles avaient perdu en octobre 1994. Les clans xawaadle qui contrôlent la ville ont depuis négligé les intérêts de la minorité locale appartenant au lignage de Caydiid, entretenant ainsi une insatisfaction intérieure propre à constituer un cheval de Troie dont le général sait pouvoir opportunément profiter. Mais ici, dans le Hiiraan, Cismaan Caato a déjà entrepris de négocier avec les Xawaadle. Plutôt que de les réduire par la force comme l’envisage le général Caydiid, il leur a pour sa part proposé d’établir une gestion mixte de la ville et la mise en place d’une force de police régionale conjointe. Une stratégie bien pensée sauf que, après avoir longuement hésité, Caydiid fort du seul soutien des Cayr prend le parti de mener une contre-offensive sur la ville. L’opération est alors révélatrice de la situation réelle du général, incapable de réunir les fonds suffisants pour cette aventure, et qui se trouve quasiment contraint de forcer les 119
hommes à se battre. Plus que jamais, le risque est pour lui lié à sa capacité à reprendre la guerre et à rassembler les Habar Gidir, dont il a tant besoin de l’unité pour sa survie politique1.
CAYDIID A LA RECHERCHE D’ALLIES Or le général qui a besoin de toujours plus d’argent pour payer et équiper des milices est par ailleurs d’autant plus conscient de son affaiblissement économique que ses adversaires sont plus nombreux, plus riches et mieux soutenus.
La guerre économique contre le général Caydiid
[IX/X 1995]
C’est pourquoi le 25 septembre, afin de renflouer ses caisses, il annonce la mise en place d’un système de taxes sur les revenus, bâtiments, véhicules et terres qui – dans le cadre de son nouveau gouvernement – seront dorénavant collectées par son ministre des Finances. Toute personne ne s’acquittant pas de ces taxes sera punie d’une amende dix fois supérieure à la somme due. En dépit des récentes dispositions acceptées par les deux parties sur la circulation portuaire, il institue aussi une taxe de 0,4 dollar pour chaque caisse de bananes exportée via le port de Muqdishu et une autre de 0,3 dollar pour les fermes produisant les fruits. Cismaan Caato, qui sait combien le manque d’argent de son ancien allié constitue son véritable talon d’Achille, entend bien fonder sur cet argument la tactique qui lui permettra d’en venir à bout. Car il sait aussi que tout nouveau revenu se traduirait par de nouvelles acquisitions d’armes susceptibles de modifier à son avantage un rapport des forces militaires qui a maintenant atteint une sorte de point d’équilibre dans la capitale somalienne. Aussi, en riposte, Cali Mahdi et Caato annoncentils le 30 septembre que les bateaux des deux compagnies exportatrices de bananes ne seront plus autorisés à accoster dans les ports somaliens. Cette décision concerne aussi bien Sombana que Somalfruit, toutes deux accusées maintenant d’avoir alimenté le général en moyens financiers, en armes et en carburant. Une assertion que Cismaan Caato est bien placé pour corroborer. Aussi pour couper Maxamed Caydiid de ses sources de financement via les taxes imposées aux exportations de bananes, Cali Mahdi rend-il difficile les approches du port de Muqdishu en bombardant les navires qui tentent d’y accoster. Cette rivalité pour le contrôle de l’activité portuaire se transforme en une véritable guerre sur l’océan. Elle oppose aux technicals boats de Maxamed Caydiid qui tentent de protéger les bateaux et de les amener à quai, ceux de Cali Mahdi qui cherchent à les en empêcher. Six semaines durant, le port se trouve ainsi bloqué et une inquiétante pénurie alimentaire commence à se développer dans la ville.
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Africa confidential n° 234. 15 V 1995
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Acceptant de la sorte de sacrifier une partie des revenus qu’il tire luimême de la banane, Cismaan Caato, qui est très présent sur les marchés périphériques extra somaliens où il compte de nombreuses connaissances d’affaires, demande maintenant aux avions commerciaux de ne plus utiliser les pistes d’atterrissage contrôlées par son rival1. Décidé à asphyxier son adversaire, le 10 octobre, sa milice soutenue par les moyens de la SSA parvient même à s’emparer de l’aérodrome de Balli Doogle. Cette fois, de façon rédhibitoire, Cismaan Caato a retourné ses armes contre son ancien allié. Depuis le départ des Nations unies, la piste de l’ancienne base militaire est utilisée par Maxamed Caydiid pour ses mouvements aériens2. Aucun avion ne se pose plus en effet à Muqdishu dont les installations de l’aéroport international Aadan Cadde, bien que tenues par des miliciens officiellement rangés sous la bannière de la SNA, sont placées sous le feu direct des armes lourdes de ses adversaires. Ce succès est néanmoins éphémère et le général réagit aussitôt en positionnant des troupes à une vingtaine de kilomètres au sud de Wanleweyn, village à proximité de la piste maintenant occupée par les alliés de la SSA3. Et une fois encore le talent du chef de guerre s’impose de sorte que moins d’une semaine plus tard, Balli Doogle retombe entre ses mains.
La recherche du soutien libyen Caydiid, meilleur stratège militaire que politique, n’en a pas moins bien senti le danger. C’est ainsi qu’à peine l’aéroport repris, et en dépit de ses propres dénégations, une délégation libyenne se rend en Somalie pour le rencontrer. La mission se serait déplacée à Balli Doogle, aéroport que Tripoli propose même de réhabiliter afin de lui donner une capacité d’accueil pour les marchandises, capacité qu’il n’a jamais eue, sa vocation étant d’accueillir des avions de combat. D’autres sujets concernant une aide militaire sont abordés et la Libye promet entre autres de financer la réparation des technicals ainsi que d’assurer pendant trois mois le salaire des miliciens. À nouveau, le 18 octobre, selon la radio du général, Maxamed Caydiid accueille à Baydhabo une délégation de représentants du ministère libyen des Affaires étrangères. La rencontre est présentée comme une rencontre intergouvernementale. Les deux délégations auraient exprimé des vues identiques sur des questions internationales « particulièrement en ce qui concernait les pays africains et arabes ». L’affaire qui alimente les appréhensions concernant une aide militaire aux miliciens du général amène naturellement son rival à dénoncer « cette flagrante ingérence de la Libye dans les affaires intérieures somaliennes » et à 1
LOI n° 688. 7 X 1995. Le même jour, profitant de la situation, à Baydhabo des miliciens raxanweyn s’en prennent aux éléments de Caydiid commis à la normalisation de la capitale du Baay. 3 LOI n° 689.14 X 1995. 2
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accuser directement Tripoli d’avoir encouragé les récentes attaques des miliciens contre leurs adversaires dans les environs de Baydhabo. Cali Mahdi menace enfin de faire ouvrir le feu sur les militaires libyens qui seraient aperçus à proximité de la ligne de démarcation entre le nord et le sud de Muqdishu1. Peu sensible à ce genre d’intimidation, le colonel Qaḏḏāfī reconnaît officiellement le 6 novembre son aide économique et militaire au gouvernement du général. En réponse, Cali Mahdi renouvelle deux jours plus tard son avertissement en déclarant que tout Libyen aperçu sur le territoire somalien serait considéré comme un terroriste et qu’il ne pourrait être répondu de sa sécurité. Il ajoute enfin que ses partisans mèneraient désormais des actions appropriées contre les ressortissants de Tripoli présents en Somalie.
Segments et clans majoritaires du lignage Habar Gidir
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LOI n° 691. 28 X 1995.
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V – I SOLEMENT ET MORT DU GENERAL M AXAMED C AYDIID
Mais si la situation de Maxamed Caydiid semble de plus en plus difficile, la situation de Cali Mahdi, son principal rival n’est à bien y regarder pas non plus très brillante.
ISOLEMENT FACE A LA SOCIETE INTERNATIONALE La situation générale à Muqdishu
[III 1996]
Dans le nord de Muqdishu en effet, Cali Mahdi a été difficilement réélu le 10 mars 1996 à la présidence du United Somali Congress/Somali Salvation Alliance (USC-SSA) qui a pour assise le lignage Mudulood du faisceau Hawiiye. Deux mois avant cette élection en effet, l’unité du lignage a été mise à rude épreuve quand un segment rival, les Waceysle, a annoncé la création d’un United Somali Congress-North Muqdishu prétendant représenter l’ensemble des lignages Mudulood dont les Abgaal ne constituent qu’un élément de la mosaïque clanique. Ces péripéties et les luttes pour le pouvoir qui s’en sont ensuivies entre Cali Mahdi et le tribunal de la sharīʿa dirigé par le sheekh Muuse Macallin Axmed Cagaweyne perturbent toujours de manière latente la paix dans le nord de Muqdishu. Plus au sud, la tension qui n’avait cessé de monter entre les milices du général Caydiid et celles de Cismaan Caato se transforme à la mi-mars 1996 en accrochages violents pour le contrôle du port de Marka. Or ces combats qui baissent finalement d’intensité dans la petite cité portuaire à la suite de l’intervention des notables, se déplacent en avril à Muqdishu où ils se concluent une fois encore par la perte de nombreuses vies humaines. 123
Les affrontements y éclatent après que Cismaan Caato s’est emparé des locaux naguère occupés par l’État-major de l’ONUSOM à Muqdishu. Récemment, Caato a également conclu une alliance avec Muuse Suudi Yalaxoow, allié Mudulood de Cali Mahdi qui occupe en quelque sorte à Madiina, quartier du sud de la capitale, une enclave SSA. Or les milices de Cali Mahdi ont au même moment eu la mauvaise idée d’attaquer dans le nord de Muqdishu le quartier Heliwaa, fief des Habar Gidir. Comme nous l’avons vu, ces combats se sont aussi propagés vers l’aéroport de Balli Doogle à une centaine de kilomètres au sud-est. Ainsi que l’on s’est battu pour le contrôle du port de Marka, on s’affronte donc aussi pour celui de l’aéroport dont les forces du général parviennent assez rapidement à reprendre le contrôle sur les forces conjointes de Cali Mahdi, de Cismaan Caato et de Muuse Suudi. Il reste que l’animosité et les conflits d’intérêts qui la fondent ont atteint un point tel que c’est en vain que les notables traditionnels ont tenté une médiation des conflits1.
Maxamed Caydiid et l’Union européenne : une défiance partagée Bien qu’à la fin novembre 1995, son ministre de l’Intérieur, Maxamed Qanyare Afrax, ait sommé l’Union européenne et les Nations unies de remplacer leurs envoyés en Somalie, Maxamed Caydiid se trouve contraint de revoir ses positions. Certes les divergences de vues entre le général et le représentant de Bruxelles restent entières, plus encore peut-être après le déplacement à Beledweyne d’un Sigurd Illing qui n’en revient pas débordant de complaisance à son endroit. Mais c’est surtout la propension du diplomate allemand à soutenir l’hypothèse d’une mise en place de pouvoirs locaux dans plusieurs régions du pays qui exaspère Caydiid, soucieux au contraire d’étendre progressivement son pouvoir sur leur ensemble. Une forme de revirement s’impose à lui pourtant, dictée par la prudence. Le Somalia Aid Coordination Body (SACB) qui regroupe les agences d’assistance à la Somalie a fait savoir le 8 décembre que les menaces proférées par la SNA à l’encontre de ses représentants obéraient le futur de la réhabilitation et des activités de développement dans les zones établies sous le contrôle des autorités concernées2. Cette déclaration suscite, le 21 décembre, un communiqué officiel du « gouvernement Caydiid » par lequel celui-ci garantit la sécurité et assure la protection de tous les représentants d’organismes internationaux se rendant en Somalie. Le général prend ainsi le contre-pied de son ministre qui avait précisément menacé naguère l’envoyé spécial de l’Union européenne de ne pas assurer sa sécurité. Il reste que, malgré tout, Maxamed Caydiid qui fonde son hostilité à participer à un processus de paix sur sa prétention à représenter un 1 2
Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie. S/1997/135. 17 II 1997. LOI n°700. 6 I 1996.
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gouvernement est maintenant considéré par Bruxelles comme le principal obstacle à tout règlement de la situation. Mais identifie-t-on en Europe combien les réticences du général s’expliquent par certains revers qui ont accru son isolement politique à l’intérieur même de la Somalie ? Ce n’est pas que la situation de Cali Mahdi soit fondamentalement meilleure, sur le terrain militaire en particulier, mais celui-ci sait accepter un compromis pour se tirer d’affaire là où son rival cherche inexorablement à passer en force. C’est ainsi que, par exemple, lorsque Sigurd Illing séjourne à Muqdishu entre les 9 et 11 mars 1996, il y rencontre sans difficulté dans le nord de la capitale les représentants de plusieurs factions politiques alliées à la SSA. Or bien qu’il ait été à l’origine prévu qu’il se rende aussi dans la zone contrôlée par la SNA, ce déplacement est finalement annulé à la suite de divergences entre plusieurs ministères du gouvernement Caydiid. Le différend se fonde sur un argument du ministre des Affaires étrangères qui fait savoir au dernier moment à l’envoyé spécial qu’il ne pouvait se rendre au sud de la capitale à partir du nord, car il aurait dû, pour ce faire, débarquer à l’aéroport de Balli Doogle afin d’y obtenir un visa. La visite se limite donc à la zone nord où, bien que la fermeture du port et de l’aéroport de Muqdishu rende toujours difficile l’acheminement de l’aide internationale, le représentant de l’Union européenne ne constate pas une situation humanitaire vraiment catastrophique. Ce tableau est cependant assombri quand, le 9 mars, le pacifiste somalien Cilmi Cali Axmed est assassiné dans le sud de la capitale par des individus non identifiés1 alors qu’il s’apprêtait à se rendre à son rendez-vous avec le représentant européen. Au plan politique, le diplomate allemand prend également acte de certains rapprochements survenus au sein de la communauté abgaal. Non sans quelque mansuétude, il se plaît à observer par exemple que si Cali Mahdi s’est officiellement désigné, le 10 mars, président de l’USCSSA, deux vice-présidences ont été attribuées à des représentants de deux fractions abgaal, Cali Ugaas Cabdulle [Abgaal/Waacbudhaan] et Xuseen xaaji Maxamed Bood2 [Abgaal/Waceysle/ reer Cabdiraxmaan] tandis que, plus intéressant encore, une troisième est revenue au président du conseil de la sharīʿa [som. shareecada], le sheekh Shariif Macallin. Côté Caydiid, les relations sont bien moins cordiales. Le 5 avril à Kismaayo, les partisans de la SNA ouvrent le feu sur le convoi du Commissaire européen pour l’aide humanitaire, Emma Bonino. Finalement, cette impossibilité de fait d’établir une relation constructive avec le chef de la SNA conjuguée aux violences de tous ordres à l’encontre des organisations internationales conduit l’Union européenne à mettre un terme à ses propres velléités de dialogue. Finalement, cette 1
Cilmi, Habar Gidir lui-même, est assassiné dans la zone tenue par Caydiid. Celui-ci niera toute responsabilité dans ce meurtre qu’il condamnera. 2 Il a été ministre du Plan sous Siyaad Barre entre 1979 et 1981. 125
fermeture de l’Europe face à Caydiid n’arrête en rien bien au contraire l’activité de Bruxelles où certains considèrent déjà que ses jours sont comptés.
Second plan de réhabilitation de l’Union européenne
[22 IV 1996]
En effet, le comité du Fonds européen de développement (FED) qui rassemble les représentants des États membres de l’Union se réunit le 22 avril sur le dossier somalien. Une proposition a été avancée dans la continuité des actions qui ont été engagées en janvier 1994 par un premier programme de 38 millions d’écus. Les fonds de celui-ci seront épuisés à la fin du mois de juin et il s’agit maintenant de débattre en faveur d’un second programme de réhabilitation portant sur un montant de 47 millions d’écus. Celui-ci prévoit de se concentrer sur les régions qui connaissent « une paix et une stabilité relatives », au Nord ainsi que dans certaines régions du Sud, excluant les zones du Banaadir et du Shabeellaha Hoose jugées insuffisamment sûres pour entreprendre les chantiers nécessaires. Le programme est relativement généreux : - Le secteur productif doit bénéficier d’un apport de 10,5 millions d’écus dont deux iront à l’élevage, deux serviront à maintenir la Food Security Assessment Unit1, 2,7 à l’agriculture et un à l’environnement. Dans le Nord, les communautés et les négociants vivant de la pêche recevront 2,8 millions d’écus de crédits ; - les secteurs sociaux sont également gratifiés d’une enveloppe globale de 10,5 millions dont 4,5 seront affectés à la santé, 3 à l’éducation et 3 à la réhabilitation des puits profonds, des forages, des réservoirs d’eau souterrains, des barrages et de l’approvisionnement des villes en eau ; - 10 autres millions d’écus seront affectés à divers projets d’infrastructures, dont la réhabilitation des ports exportateurs de bétail, les pistes d’atterrissage, routes, ponts, dispositifs de protection contre les inondations ; - 2 millions enfin seront attribués aux PME encouragées à s’associer pour obtenir des crédits, de l’assistance technique et des fournitures d’équipements. L’augmentation du budget alloué résulte du bilan du premier programme jugé très satisfaisant par l’Unité somali de la Commission européenne basée à Nairobi. L’élevage, colonne vertébrale de l’économie somalienne a reçu une impulsion déterminante grâce aux projets financés par la FED à hauteur de 6 millions d’écus. Mais il faut aussi observer la dimension politique de certaines actions financées par ce premier programme tel ce Menu of Options commandé à la London 1
La Food Security Assessment Unit a été créée en 1994 par le World Food Programme et l’USAID afin d’apporter des informations et des analyses en profondeur sur la sécurité alimentaire en Somalie. 126
School of Economics and Political Science et qui se propose d’identifier les différents modèles de structures politiques et administratives décentralisées qui pourront être présentés aux dirigeants et intellectuels somaliens1. Quoi qu’il en soit, lorsqu’en juin, la Commission européenne décaisse une aide de 1,52 million d’écus pour la Somalie via l’ECHO, aucun de ces financements ne concerne les zones contrôlées par Maxamed Caydiid2.
La lutte d’influence entre l’Éthiopie et l’Égypte Après le départ des troupes de l’ONUSOM, alors que des pays comme l’Éthiopie estiment que la seule solution consiste à favoriser une alliance gouvernementale autour du Maxamed Caydiid, l’Égypte s’oppose toujours radicalement à une quelconque hégémonie de ce dernier. L’un des principaux artisans de la sympathie éthiopienne à l’égard du général est le Représentant permanent à Muqdishu du Comité interafricain de réconciliation de l’OUA. Ce comité qui a été chargé du dossier somalien est présidé par l’Éthiopie et comprend cinq pays avec l’Égypte, la Libye, la Tunisie et le Yémen. Depuis 1992, Lisane Yohannès, fonctionnaire tegray, chef de cabinet de Mäsfen Seyum, le ministre éthiopien des Affaires étrangères, est un ami personnel du général Caydiid. Il tient par ailleurs également en grande estime le colonel majeerteen Cabdullaahi Yuusuf et, en privé, n’hésite pas à affirmer que tôt ou tard Caydiid finira par avoir gain de cause. Qualifiant Cali Mahdi de « fantoche des Daarood », il se plaît aussi à traiter de « légume3 » tout allié de celui-ci. Aussi, bien qu’il ait discuté avec les représentants de ces diverses factions, il évite en réalité tout dialogue collégial avec eux. Finalement, après avoir influencé les positions de l’ONUSOM II puis celles du gouvernement d’Addis Abäba sur le dossier somalien, il se trouve que Lisane Yohannès est aujourd’hui le conseiller le plus écouté du représentant des Nations unies en Somalie, le Ghanéen Victor Gbeho4. Face à une Éthiopie favorable à Caydiid et à Cabdullaahi Yuusuf, la Ligue arabe propose sur ce théâtre une alternative exprimée par l’Égypte. Le 10 décembre 1994 déjà, au Caire, le Secrétariat de la Ligue avait réclamé une réunion urgente du Comité de réconciliation afin d’étudier la situation somalienne à la lumière des récents affrontements qui venaient de se dérouler tant au Somaliland qu’à Muqdishu. Dans la
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LOI n°715. 20 IV 1996. La Commission avance néanmoins que si le général acceptait de se porter garant de la sécurité des ONG, certains projets humanitaires pourraient être envisagés en particulier à Marka et dans le sud de Muqdishu. 3 አትቅልት ፥ ateqält ! 4 LOI n°641. 15 X 1994. 2
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capitale, le clan Muruursade rallié au général Caydiid s’affrontait alors aux partisans de Cali Mahdi dans le quartier de Madiina1. Or, un peu plus d’un an plus tard, c’est l’hostilité de Caydiid à l’encontre des institutions internationales qui dessine paradoxalement quelque espoir lorsque Bruxelles identifie un interlocuteur politique plausible à travers le rapprochement opéré entre Cismaan Caato et les partisans de Cali Mahdi. On s’y prend même à espérer que cette alliance bénéficie de la bienveillance de Maxamed Cigaal dont on pense qu’il serait prêt à échanger l’indépendance autoproclamée du Somaliland contre l’assurance d’un futur statut d’État autonome au sein d’une fédération somalienne. Les experts de l’Union européenne estiment disposer maintenant du panel d’interlocuteurs le plus crédible qui soit apparu en Somalie depuis le début de la guerre civile. Certes, l’émergence d’un tel pôle reste conditionnée à l’isolement et au déclin du général. Aussi reste-t-il aux représentants de l’Union à convaincre les dirigeants de la Ligue arabe ainsi que ceux de l’OUA avec lesquels une réunion est envisagée les 7 et 8 mai 1996 à Addis Abäba. La tâche promet d’être d’autant plus malaisée que la plupart des pays de la région sont loin de partager de telles vues et s’inquiètent plutôt de la stratégie européenne de contournement du général. L’ambassadeur d’Italie en Éthiopie, Maurizio Melani, et le délégué de l’Union européenne s’en sont bien aperçus lors d’un récent entretien avec le vice-ministre éthiopien des Affaires étrangères, Taqädda Alämu. Ce dernier leur a clairement fait savoir que son gouvernement ne s’associerait pas à une démarche diplomatique visant à marginaliser Maxamed Caydiid, de crainte que celui ne devienne ensuite un instrument entre les mains de la diplomatie soudanaise en Somalie. À l’aplomb de ses réserves, le ministre fait observer à ses interlocuteurs européens la capacité militaire que conservait le général. Cette position éthiopienne par ailleurs est également partagée par l’Érythrée, une fois n’est pas coutume.2 Dans ce contexte, rassuré quant à la position de son grand voisin enclin par prudence à admettre sa démarche unitariste, Caydiid ne peut que se défier de la position de la Ligue arabe qui redouble d’efforts en vue d’organiser au Caire, au mois de juin, une nième conférence de réconciliation. Craignant que ses rivaux somaliens n’adhérassent à ce projet, le général prend le parti de se rapprocher de ses ennemis naturels du SNF. Cette démarche contre nature se conclut en effet, le 4 mai, sur la désignation au sein du « gouvernement Caydiid d’un viceprésident mareexaan Cabdirashiid Nuur Mucallin. Par prudence politique et pour le cas où l’approche de la Ligue arabe viendrait à prendre corps, un second vice-président est également nommé, Hilowle Iimaan Cumar [Harti Abgaal/Abeekar], que l’on se serait plutôt attendu à trouver au sein de la SSA. Expression d’un faire semblant davantage que 1 2
LOI n°651. 17 XII 1994. LOI n°716. 27 IV 1996.
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d’une réalité politique significative, la base de la SNA paraît encore s’élargir quand sont désignés un gouverneur de Muqdishu, Maxamed Cumar Xabeeb Dheere [Abgaal/Warsangeli], ainsi que huit ministres, choisis au sein des transfuges des deux mouvements1. Caydiid complétera un peu plus tard ce train de nominations par l’annonce de la création d’un Parlement dans le sud de Muqdishu2.
Face aux Nations unies et aux ONG Peu de temps auparavant, à la mi-mai 1996, afin de contraindre les populations à se rallier à sa cause, le général avait signé un décret ordonnant aux organismes des Nations unies et aux ONG humanitaires de limiter leurs activités aux seules zones placées sous son contrôle. Ce décret qui faisait une exception pour la Croix-Rouge internationale et la Société somalienne du Croissant-Rouge menaçait de rétorsion – emprisonnement de leur personnel et confiscation de leurs biens – les ONG qui ne se conformeraient pas à cette directive3. Or au début du mois de juillet, Caydiid se lance à nouveau dans une violente diatribe contre ses vieux ennemis, Sigurd Illing, le représentant de la Commission européenne, et Boutros Boutros Ghali, le Secrétaire général des Nations unies. Cette fois, les deux fonctionnaires internationaux sont accusés, non sans fondement il est vrai, d’avoir vilipendé le gouvernement qu’il s’était échiné à mettre en place au terme de la conférence nationale qui avait rassemblé ses partisans à Muqdishu, entre novembre 1994 et juin 1995. Il accuse sans détour les deux diplomates de rassembler, financer et armer des groupes somaliens opposés à son entreprise et d’avoir encouragé la sécession du Nord de la Somalie afin de favoriser dans le pays la mise en place de micro-États. Dans la lettre qu’il adresse aux médias, le général conteste une fois encore les démarches de Boutros Boutros Ghali visant à la tenue au Caire de la conférence de réconciliation placée sous l’égide de la Ligue arabe et à laquelle il a par avance indiqué que son gouvernement ne participerait pas. Face à ce nouveau blocage, certains pays occidentaux concluent que les Nations unies feraient mieux désormais de s’abstenir de toute nouvelle initiative diplomatique en Somalie. Ainsi, à la mi-juin, lorsque le Conseil de sécurité est amené à débattre de la situation, les représentants des États-Unis et de la Grande-Bretagne s’interrogent-ils ouvertement sur le bien-fondé d’un engagement spécifique dans un pays où l’institution avait aussi bien échoué. Faisant observer que l’action des Nations unies était précisément contestée par le plus dangereux des chefs de faction, le général Caydiid, il leur semblait plus judicieux de confier les 1
LOI n°722. 8 VI 1996. Son cabinet comporte désormais 6 vice-présidents et 93 ministres. Africa Research Bulletin VI 1996 : p. 12303. 3 LOI n°719. 18 V 1996. 2
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initiatives diplomatiques portant sur le dossier somalien à l’OUA, à la Ligue arabe ou à l’Organisation de la conférence islamique. Positionnement bien compréhensible, car même la médiation égyptienne tentée en mai par une visite à Muqdishu de son viceministre égyptien des Affaires étrangères s’était heurtée de la part du général Caydiid à un refus catégorique de la moindre entrevue. Reste que sur fond de renoncement des nations occidentales, la marge de manœuvre d’une nouvelle mission conjointe de l’OUA, des pays musulmans ou de l’Union européenne n’en apparaissait donc que plus étroite1.
LA DEFIANCE INSTALLEE AU SEIN DE SON PROPRE APPAREIL Mais c’est en réalité un phénomène nouveau dont nul ne relève çà et là les symptômes, qui insidieusement s’installe. Prenant inconsciemment acte de la disparition de l’État, l’espace somali s’organise non plus autour de la recherche à tout prix du pouvoir politique dans un État à reconstruire, mais le cède peu à peu à l’idée d’un ordre imposé par le pouvoir de l’argent. Prototype de la mondialisation, la Somalie abandonne le schéma d’un État sans ordre pour celui beaucoup plus moderne, visionnaire peut-être, d’un ordre sans État.
La guerre civile change de mode Dans cet espace en effet d’où tout appareil d’État a désormais disparu, à l’économie de guerre se substitue maintenant une économie de la guerre. La guerre pour certains n’est plus ce chemin obligé vers la restauration d’équilibres perdus, un moment où l’on consent les dépenses nécessaires à la victoire qui ramène la paix. La guerre devient progressivement pour toute une catégorie de la population une simple méthode d’enrichissement, une fin en soi. Un système en résulte, organisé par des individus rompus à la gestion de la violence, que la presse reconnaît sous le terme de warlords. Si cette acceptation pouvait à l’extrême s’appliquer aux concurrents de l’après-Siyaad Barre, l’archétype est désormais en passe de disparaître. À partir du départ de l’ONUSOM, il ne s’agit plus que de simples chefs de bandes criminelles, dirigeant des gangs territorialisés, même si ce sont souvent les mêmes personnages qui occupent le devant de la scène. Dans cet espace, Caydiid, bien davantage homme de pouvoir qu’homme d’argent, restait porteur d’un projet politique. Aussi contestables ses activités économiques puissent-elles être considérées, elles demeuraient au service de ce dernier. Sauf que c’est l’échec de ce projet politique dont les gens d’affaires comptaient tirer parti qui l’un après l’autre les éloigne de lui. Certes, il reste quelques semaines encore au général pour jouer son va-tout, mais à bien y regarder, dès les premiers mois de 1996 il est entré en agonie politique, son destin est scellé. 1
LOI n°726. 6 VII 1996.
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La situation rappelle par certains aspects celle de ces années surréalistes qui ont précédé la chute du régime de Siyaad, quand la désintégration sociale n’empêchait pas les hommes d’affaires de faire de l’argent. Une ambiance également comparable aux premiers mois de la présidence de Cali Mahdi, en 1991. L’aide étrangère venait alors d’Italie, aujourd’hui elle viendrait plutôt de la Libye bien que les promesses à demi-tenues restassent l’ordinaire. À l’époque, les Abgaal comme aujourd’hui les Habar Gidir pensaient que leur gouvernement était le seul à avoir une légitimité et que demain sans nul doute serait meilleur qu’aujourd’hui. Il a fallu plus d’un an et la destruction de la capitale pour que les Abgaal comprennent qu’aucun gouvernement ne pourrait prétendre à la stabilité s’il se fondait sur un faisceau lignager unique. Quand d’autres éléments d’analyse auront été publiés, il faudra se demander, si les interventions étrangères, de l’affairisme italien à l’arrogance américaine, de l’impertinente myopie des organisations humanitaires à la pitoyable pédanterie des Nations unies, n’ont pas contribué à une diabolisation inopportune du général Caydiid. Il y a peu de chance que l’on revienne sur son obstination, sur sa dureté, sur sa férocité même. Il reste qu’au moment où il rentre dans Muqdishu en janvier 1991, seule sa capacité militaire est suffisamment forte pour imposer une normalisation de la situation. Cinq ans plus tard, ses insuccès et la multiplication de ses adversaires ont développé chez l’ultime warlord du Sud somalien un complexe obsidional calamiteux. Conjuguée à son charisme et nourrie de sa capacité à transmettre à ses compagnons une paranoïa avérée à l’encontre de l’étranger, la situation ne laisse entrevoir désormais aucune issue plausible1. D’autant qu’au sein de son propre système, le général se sait désormais fragile. Échaudée par les nombreuses défections, sa confiance en ses associés est chaque jour plus limitée. Quinze personnes seulement, par exemple, ont accès aux réserves financières de la SNA : un Majeerteen, le « ministre des Finances » Cabdi Cabdulle Siciid Jini Boqor, trois Habar Gidir Saleebaan - deux chefs de guerre proche de lui et le vice-ministre des Finances - et pas moins de onze Habar Gidir Sacad. Le viceministre de la Défense, un Cayr, n’a pas accès aux fonds alors que son subordonné, le commandant des forces armées qui lui est un Sacad, y est autorisé. Le retour du fils de Maxamed Caydiid, Xuseen Maxamed Faarax, qui avait servi naguère dans le corps des Marines américains ainsi que la place qui lui est accordée donne maintenant lieu à des plaisanteries acerbes sur le thème du « nouveau Meslaax »2. D’autres plaisanteries malicieuses, comme aiment à s’en délecter les Somali, courent aussi à propos de la première femme du général qui est revenue d’Amérique pour entrer en compétition avec sa dernière et bien plus jeune épouse. 1 2
Africa Confidential n°252. 19 II 1996. En référence au général Meslaax, fils de Siyaad Barre. 131
L’isolement définitif de Caydiid Maxamed Caydiid maintenant n’a d’autre option que de s’échiner à maintenir ses partisans sur le pied de guerre. Aussi veille-t-il à ce que ne vienne pas à s’installer dans la région du Galguduud, entre Cayr et Mareexaan, une paix préjudiciable à la mobilisation de ses troupes. Un risque à double détente d’ailleurs, alors qu’il peine à conserver les armes lourdes qui lui ont été confiées avec réticence par des factions laissées de ce fait sans défense en cas d’attaque sur leur terroir. Critique aussi la situation de Caydiid à Muqdishu où des affrontements éclatent fin juin entre SSA et SNA le long de la Ligne verte qui sépare les deux camps1. La reprise des combats est survenue après que les miliciens de la SNA ont tenté de s’emparer des armes lourdes entreposées à Madiina dans le garage de Muuse Suudi Yalaxoow, allié de Cali Mahdi au secours duquel ont aussitôt volé les miliciens de Cismaan Caato2. Malgré tout, sa situation de chef de guerre paraît moins fragilisée que celle de son adversaire qui n’a aucune alternative séduisante à proposer dans le nord de Muqdishu. Les faiblesses de Cali Mahdi se manifestent de multiples façons. Retenons plus particulièrement les rivalités qui s’aggravent au sein des clans abgaal au point que, après la fermeture du port de Muqdishu, il lui est même maintenant devenu difficile de faire fonctionner le petit port de Ceel Macaan. Il reste que d’autres aspects sont plus rassurants pour Cali Mahdi dont la grande intelligence et la solide fortune de son nouvel allié, Cismaan Caato, ne sont jamais diminuées par d’inopportuns scrupules. C’est ainsi que des représentants de la faction USC ralliée à celui-ci et des représentants du haut commandement de la RRA, qui s’opposent à l’occupation de Baydhabo par les troupes de Caydiid, décident au début du mois de mai de renforcer leurs échanges commerciaux et de coordonner leur action. Le point le plus important du communiqué commun qui scelle leur alliance, capté par la BBC, est lu à la radio des partisans de Caato le 16 mai. Il s’agit de l’engagement des deux parties à s’opposer conjointement « au groupe autoproclamé connu pour sa politique de division du peuple somalien et instigateur d’affrontements dans les régions du Baay, du Bakool et du Banaadir ». Cette terminologie, référence explicite à Caydiid, précise l’encerclement progressif de ses forces grâce aux alliances conclues par Cismaan Caato dont les capacités à acheter les gens sont bien supérieures aux siennes. Déjà allié aux partisans de Cali Mahdi dans le nord de la capitale et aux Xawaadle de Beledweyne, en affaire avec Moorgan dans les projets agricoles en Jubbada Hoose, sa coopération avec la RRA contribue drastiquement à cet isolement du général que depuis quelques mois 1
Les sept expatriés d’Action contre la faim (AICF) évacuent encore une fois leur base de Muqdishu-nord le 29 juin. Ils regagneront la capitale le 9 juillet. 2 LOI n° 725. 29 VI 1996. 132
certains diplomates, au sein de l’Union européenne notamment, appellent de leurs vœux1.
L’APPROPRIATION DES TRIBUNAUX ISLAMISTES La cour de la SSA En août 1994, dans la partie nord de Muqdishu, Cali Mahdi avait pris le parti d’instrumentaliser les sentiments religieux de la population ainsi que le désir de chacun de voir reculer l’insécurité et le banditisme en favorisant la mise en place de tribunaux islamiques. Le projet était largement financé par l’Arabie saoudite ainsi que par les États du Golfe, Koweït et Émirats arabes unis en particulier. Ce recours à l’argument religieux qui visait à affaiblir ses détracteurs avait fini cependant par se retourner d’une certaine façon contre lui. En effet, rapidement, ces États contributeurs s’étaient révélés davantage intéressés par l’établissement d’un système judiciaire avec lequel ils pourraient travailler que par Cali Mahdi lui-même. Il reste que le système se met en place, de manière modérée d’abord, lorsque sheekh et wadaad rendent une justice imprégnée de la mesure traditionnelle du xeer et du madhhab shāfiʿī. Mais rapidement, des individus véhiculant une pensée résolument salafiste s’insinuent au sein de ces tribunaux jusqu’à y faire valoir un ordre d’autant plus sévère que le désordre par ailleurs prévaut. Des peines jusqu’alors inconnues en Somalie commencent à être infligées. C’est ainsi qu’en avril 1995 par exemple un tribunal islamique de Muqdishu condamne une jeune femme à une ablation labiale partielle pour la punir d’avoir arraché une partie d’une lèvre à une camarade en la mordant. Les médecins ayant refusé d’exécuter la sentence, c’est un séide du tribunal qui s’en charge au moyen d’un rasoir2. L’imposition de la sharīʿa dans ses applications les plus strictes ne se fait pas sans résistance et, le 5 mai, elle donne lieu à une série de combats acharnés qui en arrière du port met aux prises Abgaal et Muruursade dans le quartier de Bermuda où ces derniers sont nombreux. La journée se termine sur plusieurs morts et de nombreux blessés3. Les tensions se révèlent d’autant plus fortes que le pénal s’accompagne de velléités d’ordre moral. Le 8 janvier 1996, la milice d’un tribunal islamique a interrompu un concert de musique, appréhendé une trentaine de musiciens et confisqué leurs équipements. Deux jours plus tard, les artistes sont accusés « d’empoisonner la morale des Somaliens » et condamnés par le tribunal à 20 coups de fouet chacun, punition que 1 2 3
LOI n°720. 25 V 1996. Jeune Afrique. 20-26 IV 1995 :36. Reuter. 5 V 1995. 133
certains d’entre eux subissent en public1. Puis assez rapidement, le phénomène ne se limite plus à la capitale pour s’étendre à l’ensemble des secteurs y compris ceux contrôlés par l’USC-SNA. Le 15 mars, à Jowhar, au nord de Muqdishu, un homme marié de 30 ans est lapidé après avoir été condamné à mort par un tribunal islamique pour avoir violé une jeune fille de 15 ans2. Il s’agit là de la septième exécution par lapidation en Somalie depuis l’effondrement de l’État3. Or, lors d’une réunion tenue le 27 avril à Muqdishu, la faction USCCaato décide à son tour d’élaborer un programme visant à appliquer la sharīʿa, dans la partie sud de la capitale cette fois, secteur sur lequel elle tente d’imposer son contrôle face aux partisans du général Caydiid. Un comité est désigné afin de préparer l’installation de tribunaux islamiques et un appel lancé aux élites musulmanes pour qu’elles s’entendent sur les personnalités religieuses qui leur semblent le plus à même de prendre la tête de ces institutions. Sur la même lancée, un autre appel est adressé aux hommes d’affaires musulmans de la capitale et d’ailleurs afin qu’ils octroient un soutien matériel à leur mise en place. Les jeunes gens disposés à servir dans une force chargée de veiller à l’application de la sharīʿa dans le sud de la capitale sont invités à se faire connaître et à faire enregistrer leur nom auprès des responsables de l’USC-Caato qui s’engagent à garantir l’intégrité des tribunaux et appellent la population de la zone sud de la ville à se rallier à cette proposition4. Au nord ou au sud de la capitale, il s’agit de poser la sharīʿa en bannière de ralliement aux opposants au général Caydiid. Un appel d’autant plus facile que les relations de celui-ci avec les dirigeants religieux viennent de sérieusement se détériorer. Peu après l’annonce faite par Cismaan Caato de recourir à la création de tribunaux islamiques, une fusillade est survenue à l’extérieur d’une mosquée de Madiina dans le secteur tenu par Muuse Suudi Yalaxoow, suivie de l’arrestation de quatre sheekhakh5.
La première apparition des « Afghans arabes »
[V/X 1995]
Mais en cette période de grande tension, c’est une tout autre menace qui se dessine quand certaines organisations musulmanes dont on ne sait encore précisément l’origine n’hésitent plus à se manifester. Un phénomène qui passe relativement inaperçu s’esquisse en effet au milieu de l’année 1995. Un peu plus d’un mois avant que Maxamed Caydiid n’ait présenté son gouvernement est apparu dans le sud de 1
Deutsche Presse-Agentur. 11 I 1996. S’il avait été célibataire, le violeur aurait été condamné à 100 coups de fouet et non à la mort. 3 AFP. 16 III 1996 & Amnesty International. AFR 52/01/96. 18 III 1996. 4 LOI n°717. 4 V 1996. 5 Africa Confidential n° 262. 8 VII 1996. 2
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Muqdishu un groupe nommé Jihad al-Islaam. Non établi sur une base somali, semble-t-il, il est dirigé par un certain shaykh ʿAbbās bin ʿUmar, personnage dont on n’entendra plus jamais parler par ailleurs, mais qui, le 13 mai, a tenu une réunion d’information dans la capitale somalienne1. Shaykh ʿAbbās appelle tous les groupes, toutes les factions fondamentalistes somali à s’unir sous une bannière unique afin de lancer le jihād. Il assure que des milliers de jeunes gens ont déjà rallié les organisations islamistes2 et offert de défendre les intérêts du petit peuple, réduit à un rôle de chair à canon par les chefs de guerre dans leur lutte pour le pouvoir et le profit. Le Jihād al-Islām affirme être présent dans de nombreux pays, notamment au Yémen, au Pakistan, au Kenya et au Soudan. Sheekh ʿAbbās déclare que son organisation constitue une nouvelle autorité qui survient en temps opportun pour sauver le peuple somalien du désastre de la guerre civile et qu’il a obtenu le soutien inconditionnel du mouvement des talibans afghans et d’autres États voisins dont il ne précise pas le nom. Cet appel restera dans l’immédiat lettre morte et ne sera suivi d’aucun soulèvement ni d’aucune manifestation particulière. Mais si shaykh ʿAbbās disparaît effectivement du paysage, il n’en est pas moins vrai que c’est en se fondant sur ce discours que dans le nord de Muqdishu un groupe de 17 hommes organise en 1996 un Sharia Implementation Club (SIC). Son objectif déclaré est d’établir des tribunaux islamiques à travers le pays. Au mois de juin, son porteparole, Maxamed Xasan Axmed déclare que plus de 200 volontaires ont rejoint son organisation. Le chiffre est crédible et doit être considéré à l’aune de l’infinie patience qui caractérise les organisations musulmanes dont le rapport au temps est si différent de celui des Occidentaux. C’est aussi à partir de ce moment qu’apparaissent de plus en plus nombreux à Muqdishu, dans les lieux de prière et de réflexion religieuse, d’une part les jeunes gens ayant combattu au Moyen-Orient dans les rangs fondamentalistes, d’autre part ceux qui se sont naguère investis dans les tentatives d’États islamiques dans le Nord du pays ou dans le Geedo..3 L’affaire aurait pourtant pu mettre les observateurs en alerte. Le SIC pose en effet un ultimatum aux chefs des deux alliances les sommant de sortir de l’impasse et de mettre fin à leurs affrontements dans les deux mois à venir. L’injonction est assortie d’une menace et d’un appel. Or depuis environ un an et en particulier depuis l’attentat manqué contre le président égyptien Ḥusnī Mubārak à Addis Abäba4, des 1
LOI n° 672. 20 V 1995. Le sheekh Abbas évoque Al Itixaad, Ahlu sunna wal-Jaamaca, Majmaca al-Islaam, le Xizbu islaam et le Tabliiq. 3 Quelques années plus tard, il apparaîtra que de nombreux membres du Transitional National Government (TNG) ont joué un rôle clé dans l’établissement de ces tribunaux. 4 FONTRIER 2012/2: 393-396. 2
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groupes signalés sous le nom singulier de « Afghans arabes » ont quitté le Soudan pour s’installer au Yémen. Leur situation y étant cependant devenue ces derniers temps difficile, certains d’entre eux ont migré en Somalie, en particulier dans les régions contrôlées par Maxamed Caydiid. Un rapport des Services égyptiens fait précisément état début octobre d’un groupe de 316 intégristes yéménites « appartenant au groupe al-jihād » qui, commandités par le prêcheur salafiste Muqbil alWādiʿī, aurait traversé le golfe d’Aden sur trois boutres affrétés par de riches Yéménites. Ce mouvement fait suite à une directive de leur chef qui a défini la Somalie comme une base de repli privilégiée pour les groupes de combattants arabes engagés naguère en Afghanistan. Par ailleurs, un dirigeant fondamentaliste égyptien, Muṣṭafa Hamzi1, passé du Soudan au Yémen vient récemment d’en repartir, et précisément cette fois à destination de la Somalie2. Il semble que cette délocalisation des groupes intégristes musulmans vers la Somalie ait été négociée avec le général Caydiid par Al Itixaad al Islaami, la Somali Islamic Union (SIU), dont les appuis au Soudan sont désormais avérés. De la pertinence de cette entente, Caydiid, médiocre pratiquant par ailleurs doutera finalement assez vite. Reste qu’un processus est lancé. On soupçonne par exemple que parmi les centaines de combattants arabes présents en Bosnie, près de Tuzla, et qui doivent quitter l’ex-Yougoslavie au terme du récent accord de paix3, certains aient été tentés de se rendre en Somalie. Les organisations islamiques y déclareraient la guerre sainte [ar. ﺟﮭﺎد اﻟﻤﻘﺪسjihād almuqaddas] pour sauver le peuple somali, libérer le pays et y établir les règles de la shaʿria. Aussi, prenant immédiatement la mesure de la menace, Maxamed Caydiid s’applique à contrarier toute velléité fondamentaliste en Somalie dès lors qu’il la considère de nature à mettre en danger son propre pouvoir4. En attendant, au cours du mois d’août, à l’instigation de l’Arabie saoudite,de l’Indonésie et de la Malaisie, les 56 États de l’Organisation of Islamic Cooperation (OCI) lancent également à Nairobi une nouvelle initiative de paix appuyée par les gouvernements kenyan et éthiopien. Les passerelles de facilitation des dialogues ne manquent pas avec les pays arabes. On sait par exemple que depuis 1992 le colonel saoudien 1
ʿĀlim yéménite formé en Arabie saoudite, il commence à diffuser la da’wa salafiyya, le prêche salafiste, à son retour dans son pays d’origine, le Yémen. Malgré l’opposition de la ʾashāʿira [ar. ]أ ﺷﺎﻋﺮةles « acharites », des ismaéliens et des zaydites, il réussit à établir ce qui deviendra l’une des plus importantes institutions éducatives de l’islam salafiste dans le monde : la madrasa dar al-ḥadit ḫayriyya « la maison du Ḥadit » de Dammaj. 2 On se souvient aussi qu’interdit de séjour en Arabie saoudite, Usāma ben Lāden est installé depuis 1992 à Khartūm. 3 Conclu le 21 novembre 1995 à Dayton aux États-Unis et signé à Paris le 14 décembre. 4 En février 1996, des miliciens de Caydiid tueront trois personnes et en blesseront quatre autres au domicile d’un religieux radical trop entreprenant. 136
ʿAbduraḥmān al-Qāʿidī, attaché aux services de renseignement de son pays, fait office d’officier de liaison entre le régime d’ar-Riyāḍ et les deux mouvements islamistes somaliens, Al Itixaad d’une part et l’organisation à vocation humanitaire Ar-Raabiya al-Islaami. Disposant d’un très confortable bureau à Djibouti, d’un budget apparemment tout aussi confortable et d’une radio lui permettant de demeurer en contact permanent avec les antennes intégristes éparpillées sur tout le territoire somalien, le colonel entretient aussi des relations suivies avec les principales factions armées somaliennes1.
Caydiid et la sharīʿa À une éphémère velléité près, le général Caydiid s’est donc jusqu’alors opposé à l’application de la règle islamique dans les zones placées sous le contrôle de ses miliciens. Abandonnant au wadaad le rôle que lui confiait la tradition, il s’en tient pour sa part à son statut social de waranle, de « porteur de lance ». Mais face à la recrudescence des combats et à la montée en puissance des milices islamistes, Caydiid dont les accointances avec le monde religieux ne semblent jamais avoir relevé d’une foi infaillible se trouve quelque part contraint de rejoindre un mouvement d’ensemble qui, ne se réclamant pas des factions, n’est pas encore en mesure de dimensionner ses ambitions politiques. Ainsi, dans un discours prononcé le 1er juillet 1996 sur les ondes de sa radio, le général annonce-t-il qu’à son tour il allait introduire la sharīʿa dans les zones sous son contrôle, retournant l’argument idéologique utilisé contre lui par ses principaux adversaires2. Dans son discours, Maxamed Caydiid opère une volte-face spectaculaire en demandant aux chefs religieux qui le soutiennent de lui proposer les moyens d’introduire la loi musulmane dans le quotidien de la population et de participer à l’élaboration de ses modes d’application. Il les enjoint également à ne pas prêter attention aux allégations selon lesquelles son gouvernement se refuserait à introduire la règle musulmane dans le pays. Il précise que bien au contraire, dans la charte de son gouvernement, il avait fait de l’islam la seule religion du pays et décidé qu’aucune autre religion ne pourrait être prêchée en Somalie. Cette évolution dissimule aussi un élément plus inquiétant : un rapprochement possible de Caydiid avec certains groupes islamistes intégristes internationaux dont les membres ont été chassés de plusieurs pays arabes et qui ont trouvé désormais refuge à Muqdishu3. Ce procès au général ne lui sera fait que plus tard. En revanche, il reste significatif qu’à ce moment de l’histoire, les deux parties ont identifié comme une nécessité stratégique au mieux de s’assurer l’appui et le soutien de la société religieuse, au moins de ne pas s’en faire des ennemis. 1 2 3
LOI n° 664. 25 III 1995. Reuter. 2 VII 1996. LOI n°727. 13 VII 1996. 137
De la sorte, non seulement le général dame le pion à ses rivaux qui avaient fait de sa réserve à l’égard de l’islam un argument de poids contre lui, mais par sa nouvelle position il apporte de la cohérence à sa stratégie politique puisque ses principaux soutiens viennent de pays musulmans, Soudan, Libye ou Malaisie, souvent intégristes1. Ainsi, la semaine suivante les « milices des tribunaux islamiques » participent-ils pour la première fois aux combats opposant les partisans de Caydiid à ceux de Cali Mahdi, combats qui en deux jours font une quarantaine de morts et une centaine de blessés2. Il est une fois encore patent que la morale transclanique prônée par les islamistes radicaux n’a pas la capacité, en leur propre sein, de s’imposer aux solidarités lignagères.
La mort du général Maxamed Faarax Caydiid
[1 VIII 1996]
Quelque chose d’inéluctable désormais semble devoir régler le cours des choses quand, le 24 juillet 1996, Maxamed Faarax Caydiid est blessé au cours d’une échauffourée qui dans le sud de Muqdishu a mis aux prises ses miliciens et ceux de Cismaan Caato. Les hommes de ce dernier sont intervenus au profit de l’allié de Cali Mahdi, Muuse Suudi Yalaxoow, dont le SNA convoite toujours les matériels entreposés à Madiina. Le général qui souffre de deux blessures, l’une à l’épaule, l’autre au foie, a été immédiatement transporté à l’hôpital Forlani où il est opéré par un chirurgien italien. Trois jours plus tard, une infection se déclare autour de la plaie au ventre. Opéré à nouveau le jeudi 1er août, le cœur de Maxamed Caydiid lâche dans la soirée sur la table d’opération devant laquelle les médecins sont toujours penchés. Lorsque la nouvelle de la mort du chef de la SNA est connue, des milliers de Somaliens se répandent alors dans les rues de la ville. Nombreux sont ceux qui se pressent vers le domicile du défunt où se trouve sa troisième épouse, Khadiijo Siciid Gurxan3, puis vers la mosquée où son service funèbre est tenu le lendemain. Il est inhumé à proximité de sa propriété, située dans district de Heliwaa, au nord de Muqdishu, dans la zone Cali Mahdi donc, au-delà de la Ligne verte4. Les radios de Cali Mahdi et de Cismaan Caato annoncent avec sobriété et pudeur la mort de leur redoutable adversaire et, le 2 août, appellent au 1
Trois représentants de Kuala Lumpur se rendent à Muqdishu pour rencontrer les proches de Caydiid. Il s’agit de l’octroi d’une aide importante concernant la mise sur pied d’une banque commerciale et de la création d’un centre de télécommunications dans la partie sud de la capitale. Des initiatives qui provoquent la colère de Cali Mahdi lequel diffuse la même semaine un communiqué critiquant sévèrement le soutien que les autorités malaisiennes apportent à son rival. 2 Ad-daʿwa. 8 VII 1996. 3 Maxamed Faarax Caydiid est âgé de 62 ans, a trois femmes et est le père de 14 enfants. 4 Sa tombe est située à un kilomètre environ à l’est du carrefour SOS, en bord de route, côté sud du goudron. 138
cessez-le-feu. La radio de la SNA ne reprend pas cette invite et annonce qu’un comité avait été désigné pour diriger l’Alliance et choisir un nouveau chef. La station lit un communiqué appelant la milice du général à « rester vigilante et à défendre leurs droits ». Cali Mahdi demande aux partisans du général disparu de renoncer à la prétention d’avoir formé un gouvernement. Déclarant que la paix, l’unité et la réconciliation nationale étaient essentielles à l’installation d’un nouveau gouvernement somalien, il lance un appel en faveur de l’assistance humanitaire internationale et de la réconciliation nationale. Pour sa part, Cismaan Caato qui a également déclaré un cessez-le-feu invite les sympathisants du général Caydiid à lui désigner un successeur. Quant au colonel Cabdullaahi Yuusuf (SSDF), qui est peut-être celui qui aura entretenu la relation la plus complexe avec son vieux compagnon de jeunesse, à la fois adversaire et ami, il accueille favorablement les déclarations unilatérales de cessez-le-feu émanant de Cali Mahdi et de Cismaan Caato et engage les partisans du défunt à mettre un terme aux hostilités. Chez tous, une sorte de stupéfaction prévaut tant, depuis plusieurs années, la personnalité du général a enflammé l’histoire du pays. Pour l’étranger, il était l’incarnation du caractère somali : spirituel, intelligent, imprévisible, charmeur, impitoyable, courageux et perfide. Trois jours plus tard, les Habar Gidir rassemblés désignent son fils, Xuseen Maxamed Faarax âgé de 34 ans, pour représenter les intérêts du lignage au sein de l’USC. Le 4 août, il est nommé président de l’USC-SNA puis investi comme président de la Somalie1. L’habitude journalistique davantage que la coutume fera survivre son père sous la naanays, le surnom de ce dernier, et on parlera désormais de Xuseen Caydiid. Dans son premier discours, prononcé le lendemain, le jeune homme fait vœu de suivre le chemin de son père et « d’éliminer ses adversaires intérieurs et extérieurs »2. La réaction ne se fait pas attendre, Cali Mahdi menace de rompre le cessez-le-feu et Cismaan Caato avertit que les « propos incendiaires » de Xuseen Caydiid risquaient de provoquer une reprise de la guerre clanique en Somalie3. Le 9 août, les responsables du Bureau politique des Nations unies pour la Somalie et certains représentants de missions diplomatiques et d’organisations établies à Nairobi tiennent des consultations sur ces péripéties. Ils en concluent que la situation n’était toujours pas favorable à une initiative majeure ou à une mission officielle de la communauté internationale en Somalie. Ils conviennent cependant que le moment était venu pour les Nations unies, les États voisins et les organisations régionales telles que l’OUA, l’IGAD, la Ligue arabes et l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) de faire le point de la situation. 1 2 3
Le Monde. 6 VIII 1996. IPS. 9 VIII 96, repris par le Journal de Genève et la Gazette de Lausanne. 24 VIII 1996. AFP. 5 VIII 1996. 139
Mais dès le 10 août, les accrochages qui s’étaient produits les 6 et 7 août dans Madiina et le long de la Ligne verte dégénèrent à nouveau en de véritables affrontements. Ils se poursuivront de manière sporadique jusqu’à ce que le président kenyan Daniel arap Moi parvienne à organiser en octobre une rencontre entre les principaux dirigeants ayant leur fief à Muqdishu1. Pour l’heure surtout, ce sont les mobiles de la guerre qui se déplacent. Celle-ci devient un système cohérent d’organisation commerciale. Protéiforme, la compétition politique qui prévalait jusqu’alors justifie les ambitions économiques cachées. Deux modèles s’imposaient à partir de la dictature éclatée de Siyaad Barre. Le premier modèle, celui du Somaliland, se transforme laborieusement mais résolument en un nouvel État ; le consensus est difficile, mais il est. Le second en revanche reste en panne au milieu du gué ; il se traduit par une dislocation de l’appareil, un refus de tout arbitrage et de toute contrainte étatique susceptible de faire obstacle à la simple loi du marché. Seul maintenant la recherche du profit envahit l’espace social et impose sa règle. Or ce système ne peut perdurer que s’il génère des bénéfices à l’avantage des protagonistes s’affrontant dans le champ clos somalien. Une économie de la guerre s’apprête à construire un système cohérent fondé sur la violence, l’avidité et l’agressivité d’où le profit résulte non d’une victoire militaire finale, mais du principe et du mécanisme de la guerre en elle-même. Un retour à l’ordre ne peut plus résulter désormais que de la réhabilitation d’une morale sociale quelconque, qu’elle vienne de la tradition clanique et de ses règles, d’une idéologie politique – procédé auquel les Somaliens échaudés ne croient plus guère – où qu’elle vienne de la religion. Il apparaît ainsi, dans le sud de la Somalie, que les chefs de guerre euxmêmes ont, inconsciemment ou non, pris en compte leur incapacité à restaurer un ordre politique. Ils ont dès lors soit explicitement fait appel au religieux soit implicitement toléré son intrusion. La disparition de Caydiid est venue figer cette situation. Le nouvel ordre social se fondera donc sur un diptyque : le juridique glissant vers un référentiel spirituel appelé à se radicaliser, l’économique s’organisant autour d’un maillage transnational bâti autour de bases territoriales sanctuarisées. De cet espace, le politique a disparu et avec lui, définitivement, l’État.
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Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie. s/1997/135. 17 II 1997.
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V I – S OMALILAND : LE DIFFICILE CHANTIER DE LA PAIX INTERIEURE
Au Somaliland, c’est un tout autre scénario qui s’est profilé. Un scénario contraire. Ici, une demi-année avant la disparition du général Caydiid, le chef de l’État autoproclamé a entrepris avec opiniâtreté d’imposer le pouvoir de l’État. A cet effet, tenant à distance raisonnable la société religieuse, il s’est appliqué à circonvenir avec ménagement la représentation clanique, la Guurti, et à mettre habilement l’aile militaire dure du parti historique, le Calan cas, en situation de se discréditer. Cette stratégie exige cependant qu’il transforme en irrévocable victoire les difficiles succès obtenus sur le terrain. C’est à ce chantier qu’il s’attelle résolument au début de l’année 1996. Depuis la fin de l’année précédente, les tensions se sont traduites sur la plus grande partie du pays par un état de guerre endémique, ponctué d’explosions de violence. Mais malgré tout, il est aussi vrai que les dégâts sont par bonheur restés limités, en partie compte tenu du manque certain de moyens dont souffrent les protagonistes. En fait, les accrochages les plus spectaculaires se sont déroulés tout au long du mois d’août 1995 et ne se poursuivent maintenant que de manière épisodique1. À vrai dire, ils se confondent souvent avec un banditisme ordinaire, certes en régression mais toujours bien présent, et qui se manifeste surtout au détriment des organisations humanitaires. Il reste donc malaisé de distinguer ce qui relève de l’affrontement clanique de ce qui relève de la délinquance. Au début du mois de juin 1996, quinze civils, dont deux employés somaliens de l’organisation humanitaire Care International, trouveront la mort au cours de ce type d’affrontements interclaniques. Mais le 13 du même mois, près de Hargeysa, les 1
FONTRIER 2012/1 : 460-471. 141
individus qui attaqueront et pilleront un convoi du Programme alimentaire mondial (WFP), tuant trois personnes et en blessant quatre autres relèvent probablement davantage du brigandage que d’une rébellion à laquelle la presse relayée par la diplomatie attribuera hâtivement leur action1.
LA REPRISE EN MAIN DE LA NORMALISATION PAR MAXAMED CIGAAL En décembre 1995 donc, fort de la légitimité qui lui a été conférée par l’état d’urgence établi avec l’aval de la Guurti et fort de la prolongation exceptionnelle de son mandat, Cigaal décide de placer des ministres « à poigne » comme gouverneurs des régions et localités difficiles, Burco et Saylac notamment. Ainsi en Awdal, l’administrateur se voit confier la tâche de rétablir l’administration de la région et de désarmer la milice avant d’en incorporer les combattants dans l’armée nationale.
Les offensives militaires gouvernementales [I 1996] En cette fin d’année, sur le terrain, la situation est globalement la suivante : l’armée nationale contrôle les localités de Boorama, Hargeysa, Berbera et Burco ainsi que les routes qui les relient ; dans le Togdheer, les milices de l’opposition sont cantonnées dans la partie ouest de Burco, vide de ses habitants, comme le sont par ailleurs dans le Galbeed de nombreux quartiers de Hargeysa. Notons en aparté combien les commentaires diffèrent à ce propos. Le conflit de Burco par exemple a la réputation d’avoir vidé presque toute la ville de ses habitants. On dénombre effectivement un grand nombre de déplacés, au point que certaines estimations suggèrent que 85 000 personnes auraient quitté la ville, c’est-à-dire davantage celle-ci ne compte d’habitants. En ce qui concerne Hargeysa, les chiffres vont jusqu’à 200 000 alors que d’autres chiffres suggèrent des niveaux significativement plus bas. Il est notoire que les annonces à propos des déplacés constituent une part non négligeable de la politisation du conflit. Mais dans ce processus, les acteurs internationaux tels que l’ONUSOM en l’occurrence jouent une part active. Ce sont eux qui souvent avancent les estimations les plus élevées de déplacement, notamment en ce qui concerne Hargeysa2. Aussi peut-on sans grand risque considérer qu’ils cherchent ainsi à promouvoir la nécessité de rétablissement des activités de l’ONUSOM en Somaliland. Or la relation de l’ONUSOM avec Cigaal n’a jamais été bonne, et l’on se souvient qu’en septembre 1993 le 1
TASS. 13 VI 1996. RENDERS, Marlene. ‘‘Traditional’ Leaders and Institutions in the Building of the Muslim Republic of Somaliland’, PhD thesis, Faculteit Politieke en Sociale Wetenschappen, Universteit Gent, Gent 2006 : 274-276.
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président avait exigé le départ du personnel de l’opération, avançant qu’ils n’avaient jamais apporté « une aide significative ». C’est dans ce contexte encore fragile qu’au début de l’année 1996, le gouvernement décide une opération de grande envergure contre les trois positions rebelles qui lui semblent les plus menaçantes. Les deux premières attaques sont lancées dans le Galbeed, le 12 janvier. L’une vise le village de Toon où sont toujours regroupés les miliciens ciidagale de la Force III et l’autre Salaley, à l’est de Hargeysa. Les résultats sont médiocres et les assauts gouvernementaux finalement repoussés1. Le 19, après que dix personnes ont été tuées et dix-sept blessées, les affrontements qui perdurent se révèlent suffisamment violents pour que les organisations humanitaires décident de quitter Hargeysa pour s’installer à Boorama2. Là, bien que les notables des Ciidagale soient convenus d’un cessez-le-feu, une nouvelle attaque des forces gouvernementales sur Salaley laisse momentanément planer un doute sur la bonne volonté du gouvernement à voir la situation s’apaiser. Pourtant, en dépit de ses premiers insuccès, Maxamed Cigaal a estimé assez justement sa situation et tient à ce que les rebelles mesurent bien la fragilité de la leur3. Il lui est en effet revenu qu’à Salaley, les Ciidagale avaient menacé de tuer Jaamac Maxamed Qaalib Yare si jamais celui-ci tentait de rentrer de Muqdishu où il a accepté un maroquin au sein du gouvernement de Caydiid. Le message délivré par ses anciens compagnons est clair : après les avoir lancés contre Hargeysa au milieu de l’année passée, il les a laissés en plan avant de disparaître. De la sorte, entre Hargeysa et Gabiley, les Ciidagale qu’il dirigeait naguère se sont retrouvés isolés et sans chef. La troisième attaque est lancée le 14 janvier dans le Togdheer contre Burco. La ville est alors investie puis occupée par les forces du président Cigaal avec le soutien de la faction Calan cas des Habar Jeclo. Mais ici encore, une contre-offensive menée par les Habar Yoonis de Cabdiraxmaan Tuur qui bénéficient du soutien matériel du général Caydiid parvient à reconquérir une partie de la ville où deux militaires, les colonels Axmed Mire et Ibraahin Axmed Ismaaciil, se partagent maintenant le pouvoir. Au terme de l’affrontement, sérieux, on relève une soixantaine de morts et plus de 130 blessés4. C’est pourquoi à la mi-janvier, constatant que ses forces piétinaient et ne parvenaient pas à obtenir de résultats décisifs, le Président tient une réunion au cours de laquelle il se dit prêt à organiser un shir dès lors que l’indépendance du Somaliland ne figurerait pas à l’ordre du jour. Son offre cependant est accueillie avec la plus grande suspicion par une grande partie des instances des Habar Garxajis de sorte qu’un mois 1 2 3 4
LOI n°702. 20 I 1996. Xinhua News Agency. 20 I 1996. Africa Confidential n°252. 19 II 1996. AFP. 16 I 1996. 143
plus tard à peine, en février, ceux-ci repartent à l’offensive dans la région de Burco. Pour autant Cigaal ne s’y trompe pas : il sait que le mouvement s’essouffle. Sur le terrain, en dépit de leurs relatifs succès, les rebelles ont le sentiment d’avoir été abandonnés par leurs dirigeants, envolés vers Muqdishu et désormais intégrés dans le gouvernement de Maxamed Caydiid : Cabdiraxmaan Tuur en vice-président, Xasan Aadan Wadadiid en ministre de l’Eau et des Ressources minérales, l’ancien chef de la police somalienne et vieil ennemi de Maxamed Cigaal, le général Jaamac Maxamed Qaalib Yare [Ciidagale], aux Affaires étrangères. Doucement mais sûrement, la main passe, peu à peu reprise par le chef de l’État. C’est aussi à ce moment-là que, bien qu’enclin par tempérament à tisser en solitaire la toile dans laquelle viendront se prendre ses adversaires, le président Cigaal trouve sur son chemin, importuns mais armés des meilleures intentions, les membres du Peace Committee for Somaliland, lancés dans leur propre processus d’arbitrage des différends claniques.
La recherche de l’apaisement Faysal Cali Waraabe, membre du Peace Committee et médiateur non officiel entre le gouvernement et ses adversaires Habar Garxajis, est en effet entré en contact avec les rébellions du Togdheer et du Galbeed. En l’occurrence, sa première impression l’a porté à penser que les Habar Yoonis et les Ciidagale étaient finalement peu nombreux à soutenir l’appel de Tuur en faveur d’un État fédéral somalien. À l’instar de beaucoup d’autres, il s’est aussi convaincu que s’entêter dans l’action armée ne pouvait que pousser les rebelles dans le camp fédéraliste et renforcer les divisions au sein des lignages isxaaq. Il devient donc urgent de réunir les différentes composantes du faisceau lignager. Un membre du Commitee envoyé au Kaam Abokor1 et dans les villes ciidagale des environs y apprend que si la guurti des Ciidagale était maintenant en place, celle des Habar Yoonis restait encore à désigner. À la fin du mois de janvier, une lettre exprimant le souhait de faciliter de nouvelles discussions est adressée aux Ciidagale par le Committee. Celle-ci semble être parvenue à quelques résultats quand, au début de février, un suldaan Habar Yoonis fait savoir que la constitution de leur guurti serait avancée afin de permettre une réunion avec celle des Habar Garxajis en mars. Dans cette perspective, fort d’une réponse positive à leur offre d’une nouvelle réunion avec les Ciidagale, les deux groupes du Commitee se retrouvent à Djedjega à la fin de mars, afin d’organiser le dialogue attendu avec le conseil des Habar Garxajis. Deux éléments cependant viennent encore entraver le processus : d’une part, en dépit des promesses, il n’y a toujours aucun signe de constitution de la guurti des Habar Yoonis et d’autre part le Commitee 1
C’est à dire le « camp (de réfugiés) Abokor ».
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s’inquiète de voir le gouvernement employer des tactiques dilatoires pour éviter toute rencontre avec leurs adversaires. L’accrochage qui se produit à Hargeysa début d’avril, causant la mort du ministre de l’Information, le colonel Jaamac Khayre [Arab]1, suscite bien un bref regain de tension au point que chacun redoute une reprise des hostilités autour de la capitale2. Mais les esprits finalement s’apaisent et, en dépit d’un nouvel affrontement rapporté par Radio Hargeysa, le 15 août, la tendance dans le Galbeed reste malgré tout à l’apaisement. Aussi jusqu’à la fin de l’année 1996 aucun nouveau combat d’importance n’y est-il signalé. Pendant ce temps, une interrogation nouvelle s’installe au sein de la population. Elle tient aux intentions politiques du président lui-même : au terme de la prolongation de son mandat, Maxamed Cigaal va-t-il en solliciter un second ? Le 19 mai 1996, Radio Hargeysa, citée par la BBC, rapporte un propos tenu par le président au Kherida stadium de Hargeysa, à l’occasion des célébrations marquant l’anniversaire de l’indépendance, propos selon lequel « il ne chercherait pas à être réélu au terme de son mandat ».
L’affaire de Gaashaamo
[V 1996]
Alors que sur le territoire du Somaliland la situation demeure à peu près calme en effet, en mai 1996, c’est dans la région 5, la région somali d’Éthiopie, que de façon inattendue une grave crise éclate après que des heurts violents ont mis aux prises les milices Habar Jeclo et Habar Yoonis près de la ville de Gaashaamo. Or depuis l’établissement du principe ethnofédéral, les autorités du gouvernement de transition d’Addis Abäba sont très vigilantes à prévenir tout conflit s’étendant sur leur sol3. La région Somali, la Région Cinq, où se côtoient indépendantistes et fondamentalistes musulmans représente un espace d’instabilité récurrent. Mais alors que leurs craintes ordinaires les poussaient à considérer que toute escalade des hostilités au Somaliland risquait de s’exporter du côté éthiopien de la frontière, c’est aujourd’hui, chez eux, à Gaashaamo, dans la zone des camps de réfugiés qu’une crise a surgi. Dans cette partie du Hawd où viennent d’avoir lieu les affrontements, la plupart des Habar Garxajis estiment que l’administration est entre les mains des Habar Awal. Cette considération justifie de leur part une alliance conjoncturelle avec les lignages ogaadeen, eux-mêmes en lutte contre l’administration éthiopienne de la Région Cinq. Mais si de tels incidents qui restent imprévisibles ne peuvent en aucun cas être tolérés par Addis Abäba, il reste que les garnisons éthiopiennes sont impuissantes à agir, sauf à travailler avec les seules autorités 1 2 3
LOI n°666. 8 IV 1995. Reuter. 14 II 1996. FONTRIER 2012/2 : 117-131.
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identifiables, à savoir les notables des clans. C’est pourquoi, le conflit menaçant de se généraliser, une réunion entre les deux lignages est à la hâte organisée par les militaires éthiopiens. Leurs notables décident donc d’intervenir à Gaashaamo au cours du même mois dans le cadre d’un processus également facilité par le Peace Committee for Somaliland1. La situation provisoirement figée, les odayaal qui craignent encore de voir les affrontements se propager en brousse conviennent de tenir au plus vite de nouvelles réunions afin de consolider la paix. Préoccupé par cette flambée de violence de son côté de la frontière, le gouvernement éthiopien se montre d’emblée très favorable à ce projet. Il en résulte une saine dynamique et les entretiens de Gaashaamo ouvrent finalement la voie à la participation des Habar Yoonis à la réunion qu’il est convenu de tenir dès que possible au Kaam Abokor. Il a été entendu que ce shir viserait à construire la confiance indispensable à l’engagement d’un dialogue en face à face entre les différentes parties. L’agenda s’en veut a priori informel, sans aucune intention de mettre en avant des griefs particuliers.
Le shir du Kaam Abokor
[VI 1996]
La forme retenue est donc celle d’un shir traditionnel. Les Habar Yoonis qui accueillent la réunion reçoivent des subsides à cet effet. Des hommes d’affaires contribuent financièrement à son organisation : 120 sacs de riz et de sucre ainsi que 50 millions de shillings somalilandais provenant de capitaux privés sont octroyés au comité organisateur. Il est entendu qu’aucun politicien ne sera invité et qu’aucun sujet relatif au partage du pouvoir d’État ne sera évoqué. L’agenda se limite à déterminer la manière de mettre un terme aux affrontements entre les hommes des deux lignages. Plus encore, le shir exclut les chefs de clans considérés comme « impliqués dans la politique ». Les suldaanno sont exclus sous l’argument que les suldaanno Habar Jeclo, membres de la Guurti, sont partie prenante dans le gouvernement de Hargeysa. Les notables directement impliqués dans le conflit tels que les membres de la guurti des Habar Yoonis – le chef de leur milice Axmed Mire par exemple – sont aussi exclus. Les officiels du gouvernement sont également écartés du processus. La conférence qui s’ouvre le 3 juin réunit 252 notables dont 72 sont venus de Hargeysa. Les 180 autres appartiennent aux deux principaux lignages des Habar Garxajis. Combinant comme il se doit repas et discussions informelles, elle se poursuit jusqu’au 30 pour se conclure sur un accord de toutes les parties, affirmant à la fois la nécessité de protéger les modèles traditionnels de commerce et d’échanges ainsi que les valeurs morales. La décision est aussi prise d’observer le processus de paix jusqu’au 15 août, date retenue pour une ultime conférence de paix qui se tiendra à 1
SULEIMAN Dirir Abdi. Report on peace-making initiative in Somalia – April 1995January 1997. London 1996. 147
Balli Gubadle et dont ils espèrent qu’elle viendra résoudre le contentieux entre le gouvernement et les clans Habar Garxajis du Togdheer. Dans cette perspective, le Peace Committee s’organise en vue de ce qui promet d’être son opération la plus ambitieuse. A cet effet, il se divise une fois encore en deux groupes : l’un, dirigé par Cabdi Xasan Buuniya et Faysal Cali Waraabe, est envoyé en Europe avec pour mission de collecter de fonds, l’autre, dirigé par Xasan Meygaag Samatar, se rend à Hargeysa puis à Burco avec pour objectif de consolider les acquis. Il est aussi intéressant d’observer comment, avant que n’éclatent les affrontements de Gaashaamo, les dirigeants Habar Jeclo avaient pris l’initiative d’inviter des délégués Habar Yoonis à assister à une réunion de leur lignage dans la ville de Beer, en tant qu’observateurs. Bien que les Habar Yoonis aient décliné l’invitation, cette proposition avait ouvert un espace de communication opportun, peut-être aidé en l’occurrence par la présence du vice-président du Peace Committee, Cabdi Xasan Buuniya. Maintenant, avec le conflit de Gaashaamo et la réunion du Kaam Abokor, ce processus de dialogue se trouvait formalisé et prenait aisément ainsi une dimension nouvelle.
La rencontre de Balli Dhaye et l’accord de Duruqsi
[1-13 VII 1996]
Un deuxième shir organisé à Balli Dhaye1 en juin rassemble 274 participants des deux lignages conduits par leurs autorités traditionnelles, odayaal et suldaanno ainsi que, très probablement, des représentants des familles Muuse Ciise des Habar Awal. Cette nouvelle réunion ouvre la voie à la conférence plénière qui se tient à Duruqsi du 1er au 13 juillet. L’accord qui en sortira est le plus achevé. Non seulement il entraîne une cessation des combats dans Burco, mais il suscite un engagement de l’ensemble des parties propre à mettre en place une administration représentative dans le Togdheer. Les résolutions entérinées à Duruqsi stipulent que : les deux parties conviennent de suivre les préceptes de la sharīʿa ; chaque clan demeure responsable de l’usage de ses propres armes et de l’emploi de ses miliciens dans le cadre de toutes les activités qui se déroulent sur son territoire reconnu ; chaque clan garantira ainsi spécifiquement la sécurité des membres de l’autre clan quand ils se trouveront sur son terrain ; tout soutien militaire, financier, logistique ou autre d’un clan à l’ennemi de l’autre est interdit, y compris l’utilisation de son espace comme base ou comme refuge ; la milice de chaque clan doit être cantonnée dans des endroits précis ;
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La localité est également reconnue sous le toponyme de Waraabeeye.
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toute violation ou menace de violation des accords conclus entre les clans doit être résolue conjointement entre les parties ; toute provocation délibérée ou propagande hostile doit cesser ; deux sous-comités seront formés pour régler conjointement les questions liées à la défense et à la sécurité, sous l’égide du comité de sécurité commune conjoint. Les responsabilités spécifiques de ces sous-comités seront décidées ultérieurement ; la population sera autorisée à regagner ses maisons à Burco dès que le comité mixte de sécurité se sera engagé sur la sécurité du processus ; chaque clan enverra une délégation dans sa zone afin de faire savoir qu’un accord a été conclu ; quand la paix et la stabilité auront été complètement rétablies, la négociation débutera en établissant une administration représentative du Togdheer. Comme toujours, une réserve ne manque de s’installer quand quelques observateurs non Habar Garxajis ne voient dans ce résultat qu’un accord politique au terme duquel les délégués Habar Yoonis ont accepté de soutenir une présidence Habar Jeclo dans le cadre d’un défi direct au président Cigaal1. -
LA MANŒUVRE POLITIQUE DE CIGAAL Mais cette fois, Cigaal prend une position qui prend de court tout le monde : il refuse purement et simplement d’entériner tout accord de paix fondé sur un arrangement clanique. Son gouvernement imposera la paix selon la règle de l’État et non sur une base lignagère qui risquerait de le marginaliser puisqu’il n’en est pas l’instigateur. Le président se souvient en l’occurrence de l’aventure de 1993 quand, à Boorama, Tuur avait été quasiment exclu par les membres de la Guurti. Soucieux de ne pas voir se répéter un même scénario, le président choisit de s’appuyer sur les affrontements de Gaashaamo – dont une rumeur avance même qu’il les auraient suscités – pour saboter les tentatives de règlement strictement claniques et établir une bonne fois pour toutes l’autorité de l’État sur tous les processus de réconciliation. Dans le Galbeed, Maxamed Cigaal se limite donc à récuser les acquis. Dans le Togdeer en revanche, c’est l’action du Peace Committee qui se heurte de plein fouet à la stratégie engagée par le président.
L’éviction du Peace Committee
[VIII 1996]
Car si l’accord de Duruqsi a quoi qu’il en soit constitué un progrès significatif dans le règlement du conflit de l’Est, la situation à Hargeysa
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BRADBURY, Mark. Becoming Somaliland. James Currey : Oxford, 2008 p. 123. 149
échappe totalement au contrôle du Peace Committee contrairement à ses prévisions1. Aussi, constatant qu’aucun parti n’avait vraiment la volonté de sortir de l’impasse mais prenant acte de la résolution de l’opinion publique, le Committee choisit de changer de tactique. Au lieu de s’échiner en vain à tenter de réunir les chefs du gouvernement et de l’opposition, il décide de susciter directement une vague populaire de soutien au cessez-lefeu, vague suffisamment importante pour qu’elle ne puisse être ignorée. À cet effet, il organise des rassemblements de plus petite ampleur, voire de simples ateliers qui réunissent un éventail de notables, de femmes, de chefs de communautés et d’autres encore. Sur la base de ces réunions et bien que les Ciidagale n’y soient pas représentés, il parvient à réunir un panel suffisamment étoffé pour se considérer comme représentatif de la communauté de Hargeysa. C’est sur cette base que le Committee retint en séance le projet d’adresser aux dirigeants de Hargeysa une lettre établissant les griefs de chacun. Cette lettre exprimerait par ailleurs de la part du reste de la communauté de la ville la volonté de les rencontrer. La missive dûment livrée, les représentants ciidagale font finalement savoir qu’en acceptant les termes, ils rejoignaient l’exercice. Sauf que cette initiative vient encore contrarier la stratégie du président Cigaal et que, en fin de compte, son succès même va pour elle se révéler fatal. Pour l’heure, le Peace Committee encouragé poursuit ses efforts à la fois pour lever des fonds au profit de la conférence qu’il est toujours prévu de tenir à Balli Gubadle mais aussi en vue d’obtenir l’assurance que le gouvernement y assistera. Or, le 13 août, deux jours seulement avant la date prévue pour l’ouverture du shir, le ministre des Affaires présidentielles de Cigaal, Cabdullaahi Maxamed Ducaale, publie une lettre adressée au Peace Committee stipulant que : « …nouveaux dans ce travail… vos démarches entravent la finalisation de la paix dans certaines régions, aussi, dans la mesure où cela vous est possible, nous vous demandons d’y mettre un terme. »
Confronté de la sorte à l’hostilité explicite du gouvernement et n’étant pas parvenu par ailleurs à amasser suffisamment d’argent pour financer la conférence en Europe, le Committee qui n’a guère d’alternative choisit d’abandonner l’événement de Balli Gubadle et de concentrer plutôt ses efforts à l’amélioration de la situation dans le Togdheer. En fait, depuis Duruqsi, alors que le processus de normalisation semblait approcher de son terme, le Committee marginalisé et condamné à demeurer à la périphérie des événements se trouve cantonné à un rôle d’observateur. De ce point de vue, la charge de travail énorme et les sacrifices personnels importants consentis par ses membres ont échoué à produire la percée qu’ils avaient si vivement 1
RENDERS, Marleen. Consider Somaliland: State-Building with Traditional Leaders and Institutions Leiden: Brill, 2012/1 : pp. 117-151.
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recherchée. Ce qui leur avait d’emblée semblé le plus facile, régler le différend « économique » sur l’aéroport de Hargeysa, s’était entre-temps politisé et était devenu ingérable par des particuliers. Le Committee avait alors tout simplement manqué de fonds, d’énergie et peut-être d’idées nouvelles. Certains observateurs évoqueront un calcul de Cigaal qui jugeait tenir toutes les chances de parvenir à un résultat plus avantageux en prolongeant suffisamment un conflit pourrissant en attendant de l’emporter. D’autres suggéreront que le gouvernement se sentait menacé par un processus qui lui semblait être hors de son contrôle. Mais, quelle qu’en soit la raison, il restait que le Peace Committee n’était pas parvenu à susciter une adhésion suffisante parmi les protagonistes. Néanmoins, refusant de baisser les bras, il décide de se lancer dans l’organisation au mois de septembre d’une grande réunion qui se déroulerait au Kaam Abokor où les Ciidagale sont nombreux. Tous espèrent que s’y rencontreront la plupart des lignages isxaaq, notamment les autres lignages des Habar Garxajis de Hargeysa.
Le sabotage des shirar de Mandheera et de Beer Débarrassé désormais de cette contribution inopportune, Maxamed Cigaal exige, selon ses propres termes, « de se trouver au centre de toute initiative de paix ». Martelant que les combats exprimaient un conflit d’ordre politique et non un différend clanique, il s’immisce maintenant dans tous les projets de shir, sabotant le moindre processus de réconciliation fondé sur un arrangement local. Sa première intrusion a lieu à Mandheera. Quelque temps plus tôt, afin de résoudre leurs différends, Habar Yoonis et Habar Jeclo avaient entrepris des discussions préliminaires à une réunion de plus grande envergure. L’essentiel des propos avait tourné autour des combats de Burco où des prisonniers avaient été faits de part et d’autre et dont chacun aspirait maintenant à voir régler le sort. À Burco avaient aussi été impliqués les Habar Awal Ciise Muuse. Ceuxci, lignage de Cigaal, avaient été sollicités en tant que force gouvernementale dans le cadre du rétablissement de la paix régionale. Or au cours du conflit, les Habar Yoonis avaient dû se retirer de la plupart des principales villes du Somaliland, Berbera notamment où, bien que moins nombreux qu’eux, ils côtoyaient traditionnellement les Ciise Muuse. Fort de l’importance économique du port, ils aspiraient maintenant à retrouver un accès à la ville. Deux shirar sont donc envisagés afin de régler l’ensemble de ces problèmes, l’un doit se dérouler à Mandheera et le second à Beer. Mais alors qu’à Mandheera – localité située entre Berbera et Hargeysa – la préparation du shir entre Habar Yoonis et Ciise Muuse bat son plein, Cigaal intervient et demande purement et simplement aux notables Ciise Muuse de se retirer des négociations. Ceux-ci contraints d’obtempérer 151
laissent de la sorte en plan les Habar Yoonis, naturellement furieux. La réunion n’aura ainsi jamais lieu. Un scénario assez proche se déroule dans le Togdheer où dans un premier temps les choses devoir courir plus simplement, Habar Yoonis et Habar Jeclo étant d’ores et déjà convenus des termes de leurs accords. Organisé et accueilli par les Habar Jeclo dans leur ville de Beer, le shir qui se tient entre les 18 septembre et 15 octobre 1996 doit tout d’abord procéder à l’échange des prisonniers avant que ne soit scellé l’accord définitif. Or d’emblée, Cigaal empêche les Habar Jeclo d’honorer leur premier engagement envers les Habar Yoonis. Alors que les deux partis sont convenus d’échanger leurs prisonniers, les autorités refusent de relâcher ceux qu’ils détiennent, arguant qu’ils étaient prisonniers non des Habar Jeclo mais du gouvernement. Sous la pression populaire, y compris à partir de son propre camp, le Président finit par céder et les prisonniers sont relâchés. Loin de rester pourtant sur cette déconvenue, Cigaal entreprend alors de mettre en pièce les dispositions prises en vue de la poursuite des négociations. Fondant son initiative sur sa promesse faite en janvier d’organiser une conférence des clans, il lance dès lors la Guurti dans la préparation d’un shir nabadeed, conférence de paix séparée qui sera organisée cette fois au niveau national. Mettant en avant les notables des lignages, elle devra se tenir à Hargeysa où la Guurti annonce début octobre la convocation d’une Grand Conference of the Somaliland Communities, un shirweyne caalami dans les deux semaines à venir.
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V II –L ES INITIATIVES DE PAIX KENYANE ET ETHIOPIENNE
Avec la mort de Maxamed Caydiid et l’arrivée de son fils Xuseen aux affaires des Habar Gidir, un paysage nouveau se dessine dans le Sud somalien. Naturellement, les forces s’y organisent toujours autour des deux coalitions majeures sur lesquelles s’agglutinent ou desquelles se séparent, au gré des circonstances, des factions plus ou moins mineures. Cependant, affranchies désormais de la prégnance de Maxamed Caydiid qui tirait vers une solution politique, deux principes s’apprêtent à peser plus lourdement que les armes sur l’improbable futur du pays : la société des affaires et son discret accompagnateur, l’islam politique qui l’infiltre. C’est aussi le moment où sur fond de démission des institutions internationales, les deux principaux voisins de la Somalie, le Kenya et l’Éthiopie, entreprennent des processus de réconciliation concurrents mais complémentaires aussi.
LES REUNIONS DE REFLEXION
[ VI/XI 1996]
Prenant acte de l’échec des multiples conférences de paix visant à reconstruire un État centralisé uni autour d’un gouvernement central, les donateurs comme les États voisins en viennent en effet à s’entendre sur une idée jusqu’alors évoquée avec les plus grandes réticences, la régionalisation provisoire.
Les timides velléités de l’ONU et de l’OUA Cinq mois avant la mort du général Caydiid, à la suite du débat public sur la Somalie qui s’était tenu le 15 mars 1996 au Conseil de sécurité, l’idée de constituer une mission d’enquête commune ONU/OUA avait 153
investi peu à peu les esprits. Le Secrétaire général avait alors consulté son homologue de l’OUA qui s’était également déclaré favorable sur le principe. Tous deux avaient cependant abouti à la conclusion que l’évolution de la situation en Somalie où toutes les forces étaient en train de s’atomiser n’était pas à ce moment précis propice à l’envoi d’une mission. Trois mois plus tard, le Conseil des ministres de l’OUA tenu en juin à Yaoundé se rangerait à cette conclusion. Pourtant, le 30 mars, Cali Mahdi avait pour sa part convoqué à Muqdishu une réunion de la SSA afin d’y débattre de la question de la réconciliation nationale. Les participants étaient convenus de tenir une réunion à laquelle seraient invités tous les Somaliens, y compris le général Caydiid et Maxamed Cigaal. L’objectif déclaré visait à « unir leurs forces pour s’opposer à tous ceux qui s’efforçaient, d’une façon ou d’une autre, de faire avorter les efforts de paix. » Dans le même dessein, l’USC-Caato et quatre autres factions s’étaient réunis un peu plus tard, du 15 au 18 avril à Nairobi, et avaient réfléchi à ce que pourraient être les grandes les étapes d’un processus de mise en place d’un gouvernement en Somalie. Les participants à ces deux réunions avaient fait appel à la communauté internationale pour qu’elle apporte son soutien au processus de réconciliation et appuie la décision qu’exprimerait la majorité des Somaliens lors d’une conférence de réconciliation nationale. C’est dans ce contexte que le 30 avril 1996, le Secrétaire général des Nations unies avait rencontré, à leur demande, plusieurs dirigeants somaliens à Nairobi. Seul le groupe dirigé par le général Caydiid ne s’était pas joint à l’exercice. Prenant acte, Boutros Boutros Ghali avait confirmé à ses interlocuteurs qu’en coopération avec les efforts régionaux déployés par l’OUA, l’IGAD et d’autres organisations, il poursuivrait ses efforts afin d’aboutir à un règlement pacifique de la crise, mais leur avait aussi demandé de chercher pour leur part de nouvelles idées susceptibles de contribuer à la résolution de leurs problèmes. Renvoyés d’une certaine manière dos à dos, les chefs de factions n’avaient pu que remercier les Nations unies de l’assistance que l’Organisation leur apportait depuis des années et affirmer qu’ils ne ménageaient pas leurs efforts en vue de la réconciliation nationale. Ils avaient plus généralement prié la communauté internationale, OUA, IGAD, Ligue arabe, OCI, Union européenne et Organisation des Nations unies confondues... de poursuivre leur assistance. Et l’affaire en était restée là. Les Nations unies n’en avaient pas moins laissé apparaître une velléité de se réapproprier le dossier dès lors que d’autres organisations internationales appuyaient de plus en plus activement le processus de réconciliation. L’Union européenne, agissant par l’intermédiaire du Groupe pour la Somalie de la Commission de Bruxelles, ne parrainaitelle pas d’ailleurs deux consultations entre des membres de la société
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civile somalienne portant sur d’éventuelles structures politiques décentralisées ?
Le séminaire de Naivasha
[20/22 VI 1996]
L’idée qui avait donc fait quelque chemin se formalise mieux encore au cours d’un séminaire précisément soutenu par l’Union européenne et qui réunit du 20 au 22 juin 1996 à Naivasha au Kenya une trentaine d’intellectuels somaliens. L’objectif est de discuter d’une étude financée par Bruxelles et réalisée en août 1995 par la London School of Economics and Political Science, étude qui proposait pour la Somalie un « menu d’options »1. Les participants avaient entériné les principes de décentralisation et de partage du pouvoir comme conditions préalables à la création d’un nouvel État somalien rassemblant à nouveau le Nord et le Sud. Une démarche qui avait mis hors de lui Maxamed Caydiid, lequel avait déclaré persona non grata Sigurd Illing, le représentant européen, jugé coupable d’avoir tenté de démembrer le pays. Depuis la mort du général cependant, le concept qui n’avait jamais été définitivement enterré peut à nouveau reprendre plus sereinement son essor. L’idée sous-tendue vise à encourager la constitution d’administrations régionales viables susceptibles d’être rassemblées à terme en vue de reconstituer un État somalien. Il est attendu de ce processus qu’il permette la formation d’un gouvernement, au terme de négociations qui substitueraient des autorités régionales agréées aux simples chefs de factions armées. Trois régions semblent d’ores et déjà de nature à s’inscrire dans cette stratégie : le Somaliland certes, mais aussi le pays des Majeerteen, dans le Nord-est du pays, et la région interfluve où la RRA a déjà engagé la remise en place d’une administration, aussi embryonnaire soit-elle. Reste à envisager la situation dans le Banaadir et à Muqdishu, à l’ouest de la Jubba et dans le Hiiraan à l’est du Shabeelle2. Or après la mort du général Caydiid, alors que sa faction désormais dirigée par son fils est encore désemparée par la disparition de son chef, les événements s’accélèrent, prenant un tour nouveau.
La rencontre de Ṣanʿā’
[4 IX 1996]
C’est ainsi qu’à la mi-août 1996, répondant aux vœux de Boutros Boutros Ghali, le Secrétaire général de la Ligue arabe demande aux dirigeants somaliens de s’efforcer de mettre sur pied une conférence de réconciliation nationale dont la Ligue se dit disposée à assurer le financement. 1
LEWIS, Ioan M. et coll. A Study of Decentralised Political Structures for somalia : A Menu of Options. London School of Economics. London. August 1995. 2 BRYDEN, Matt. New Hope for Somalia ? The building block Approach. Review of African Political Economy. Vol. 36, n° 79. March 1999 : 134-140. 155
À la fin du mois, répondant ce faisant aux appels lancés par les Nations unies, la Ligue arabe, l’OUA ainsi que certains pays de la région, les deux factions dirigées par Cismaan Caato et par Cali Mahdi décident de tenir une réunion de consultation en vue d’organiser une conférence de réconciliation nationale. Cette réunion préparatoire débattrait du calendrier et des conditions de participation à la conférence nationale, à envisager un mois plus tard, autour du 10 octobre. Un appel est également lancé aux institutions internationales pour qu’elles aident à la tenue de cette réunion. Naturellement, les promoteurs de l’exercice veulent tirer parti de l’affaiblissement de la principale faction rivale pour faire avancer leurs propres solutions. Ainsi le 24 août, rencontrant une délégation du PNUD, Cali Mahdi remet-il un message destiné à Boutros Boutros Ghali au terme duquel il détaille le projet en indiquant que ses initiateurs entendaient bien aboutir à la formation d’un gouvernement1. Cette offre se concrétise au début de septembre, lorsque le Président du Yémen invite Cali Mahdi, Cismaan Caato et Xuseen Caydiid à se rendre à Ṣanʿā’ pour des consultations. La rencontre se déroule finalement le 4 septembre dans la capitale yéménite, sous le patronage du président ʿAlī ʿAbdullāh Ṣāliḥ et grâce aux bons offices de la Somali National Union (SNU), le mouvement pacifiste dirigé par Maxamed Raagis Maxamed. Elle réunit principalement Cali Mahdi et Cismaan Caato ainsi que les représentants des lignages xawaadle, toujours portés à s’allier à l’USC-Caato. Les trois groupes s’entendent sur la tenue d’une nouvelle rencontre avant la fin du mois, toujours dans la capitale yéménite, avec pour objectif la préparation de la conférence nationale de réconciliation qui pourrait se tenir à Muqdishu. Une ombre de taille subsiste au tableau, car nul ne s’attend vraiment à ce que Xuseen Caydiid, qui a décliné l’invitation, n’accepte de se joindre au processus de discussion. Les initiateurs de ce dialogue comptent néanmoins sur le fait que, même s’ils rejettent le dialogue politique engagé à Ṣanʿā’, les partisans du général défunt, maintenant affaiblis, ne seraient guère en mesure de s’opposer dans les mois à venir à la réunification de la capitale en supprimant la Ligne verte qui depuis des années coupe la ville en deux2. Mais Xuseen Caydiid à lui seul ne constitue pas le seul écueil. Tout aussi ennuyeux, avant même que le dialogue ne puisse s’élargir, d’autres dirigeants de faction, en particulier ceux des lignages majeerteen, considérant qu’ils avaient été tenus à l’écart de la réunion de Ṣanʿā’, en qualifient déjà les résultats d’« accord inter-hawiiye ». Aussi déclarent-ils qu’ils ne s’y associeraient que sous réserve que Cali Mahdi et Cismaan Caato s’engagent à organiser une réunion préparatoire dans
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LOI n° 730. 31 VIII 1996. LOI n° 731. 7 IX 1996.
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le Nord-est du pays avant que ne se tienne la moindre réunion de réconciliation à l’échelle nationale. Aucune de ces prises de contact n’a le moindre effet apaisant sur le terrain. Pendant ce temps en effet, à Muqdishu, les combats qui se poursuivent ont au début du mois d’octobre conduit les agences des Nations unies à suspendre leurs actions et à replier leurs employés vers le Kenya. Cette décision prise à la demande du SACB est intervenue en guise de protestation contre l’enlèvement, le 19 septembre à Muqdishu, de l’un de leurs employés, Hilaal Maxamed Aadan responsable de la Life and Peace Institute Agency et qui n’est autre que le frère de Cabdulqaadir Zoppe, le principal dirigeant de la RRA en lutte contre les miliciens de Xuseen Caydiid1.
L’accord de Nairobi
[17 X 1996]
Pourtant, alors qu’à Muqdishu les partisans de la SNA-Caydiid se livrent à des représailles contre la faction rivale dirigée par Cismaan Caato, le président kenyan, Daniel arap Moi, parvient à rassembler entre les 9 et 16 octobre à Nairobi, les chefs des trois principaux groupes armés en lutte pour le pouvoir. Cette nouvelle médiation du président kenyan intervient quelques jours après que, à la demande du gouvernement australien, il est directement intervenu auprès de Xuseen Caydiid afin d’obtenir la libération d’un pilote. Celui-ci, Justin Frazer, âgé de 24 ans, était détenu par les forces de Caydiid qui l’avaient condamné à 25 ans de prison pour avoir atterri en Somalie sans leur autorisation. Fort de l’opportunité ainsi créée, le président kenyan prend l’initiative de négociations préliminaires et séparées avec les chefs somaliens dans l’intention de les réunir ensuite à nouveau, si les échanges se révélaient fructueux2. Et le 17 octobre en effet, après une semaine de pourparlers, Cali Mahdi, Cismaan Caato et Xuseen Caydiid paraphent à Nairobi un accord sous l’égide du président kenyan. Le document prévoit l’arrêt des hostilités – y compris les violences médiatiques –, la libre circulation dans Muqdishu, la levée des barrages routiers, l’aide à l’acheminement de l’assistance humanitaire ainsi que la poursuite du dialogue en vue du processus de paix3. Un peu plus tard, portant un regard sceptique sur la situation, Rino Serri, nouveau sous-secrétaire d’État italien pour l’Afrique, la Coopération et la Méditerranée, avancera l’idée d’une démarche visant à tester la bonne volonté unitaire des chefs de faction. Il suggérera qu’il leur soit proposé de créer une organisation humanitaire somalienne qui servirait d’interlocuteur aux agences internationales pour tous les projets d’assistance humanitaire ou de réhabilitation. Selon lui, la réponse des 1 2 3
LOI n° 735. 5 X 1996. LOI n° 736. 12 X 1996. LOI n° 737. 19 X 1996. 157
chefs de guerre à cette proposition constituerait un bon moyen d’évaluer le degré de maturation des perspectives de paix en Somalie1. Pour l’heure, dans une déclaration qui est publiée peu après la signature de l’accord de Nairobi, les chefs de faction en appellent à Daniel arap Moi afin qu’il poursuive ses efforts de médiation en liaison avec les autres chefs d’État de la sous-région dans le cadre de l’IGAD. Il n’en reste pas moins qu’au fil de l’exercice, le président kenyan a mesuré combien les chances d’exécution de cet accord se trouvaient affectées par la répugnance de Xuseen Caydiid à régler son différent avec Cismaan Caato qu’il tient pour responsable de la mort de son père. Un soupçon d’optimisme cependant : depuis 1994, il s’agit de la première participation de la faction USC-Caydiid à un quelconque processus, maigre argument sur lequel tout le monde se plaît néanmoins à s’accrocher. Du point de vue des Nations unies par exemple, il reste clair que ce sont les conflits entre les lignages hawiiye – en particulier Mudulood, Habar Gidir, Xawaadle et Muruursade – qui font essentiellement obstacle à la réconciliation nationale et au règlement du conflit à Muqdishu. Mais à New York, à la lumière de cette rencontre qui pour la première fois est parvenue à réunir les chefs des trois factions les plus puissantes, on se prend quand même à espérer. Nul ne doute que s’il était possible de réconcilier les dirigeants hawiiye, les perspectives s’amélioreraient considérablement tant en ce qui concerne la réouverture du port et de l’aéroport de la capitale que la réconciliation nationale et la mise en place d’un gouvernement à base large.
La réunion de Nakuru
[15/18 XI 1996]
Or poursuivant sur la même lancée, un mois plus tard, la Commission européenne invite de nouveau une trentaine d’intellectuels, de chefs traditionnels et d’anciens dignitaires somaliens à débattre à Nakuru, du 15 au 18 novembre, de l’hypothèse d’une structure politique décentralisée pour la Somalie. Ce séminaire s’inscrit directement dans le prolongement de la réunion de Naivasha tenue au mois de juin précédent. La nouvelle conférence vise à se concentrer sur les deux modèles politiques de ce Menu of Options retenu par les participants à la réunion de Naivasha : la décentralisation dans le cadre d’un État unitaire et le modèle fédéral. Elle doit aussi aborder les problématiques de redistribution de ressources et de la démobilisation 2. La réunion qui réunit finalement vingt-huit chefs traditionnels et anciens dignitaires politiques du pays originaires de différentes régions se 1
LOI n° 768. 7 VI 1997. Afin de faciliter les débats, seront présent l’un des auteurs de l’étude réalisée par la LSE, le professeur James Mayall, ainsi que deux autres professeurs, Hans Genberg du Graduate Institute of International Studies de Genève et Chris Smith du Center for Defence Studies du King’s College de Londres. LOI n° 741. 16 XI 1996. 2
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conclut sur un appel à un cessez-le-feu immédiat, l’instauration d’un dialogue entre toutes les factions et la poursuite des efforts de paix des organismes internationaux. Un comité de suivi est constitué, composé de sept membres : Axmed Raage Cabdi, ancien gouverneur du Banaadir, Cumar Xasan Maxamed Istarliin, ancien maire de Muqdishu, Maryan Caarif Qaasin, exfonctionnaire de la Banque centrale, Cumar Mucallin Maxamuud, ancien ambassadeur aux États-Unis, Saalax Maxamed Cali, ancien ministre et ambassadeur en Italie, en Grande-Bretagne et en Chine, Cali sheekh Girde, ancien diplomate, et Yuusuf Jaamec Cali Dhulu, un juriste1. Au terme de l’exercice, les participants à la réunion émettent le vœu de voir les organisateurs et les contributeurs continuer à mettre à leur disposition les ressources nécessaires et à faciliter aux notables et aux dignitaires leur mission de paix en visitant toutes les parties de la Somalie. L’appel de Nakuru s’achève sur un satisfecit chaleureux prononcé à l’adresse de la Commission européenne et de son envoyé spécial Sigurd Illing, promoteurs de l’initiative. L’engagement de Daniel arap Moi, qui rencontre les participants à cette conférence le 21 novembre, n’est pas négligeable. Le président du Kenya, membre à la fois de l’OUA et de l’IGAD, rappelle que toutes les factions somaliennes devaient se conformer à l’accord de cessation des hostilités passé à son initiative quelques semaines plus tôt à Nairobi et qui n’a jamais été respecté dans les faits. Il propose également de faire converger toutes ces résolutions vers la tenue d’une conférence unique qui réunirait à la fois les chefs des factions politico-militaires signataires de l’accord de Nairobi, les participants à la conférence de Nakuru et ceux qui s’étaient rencontrés sur le même thème en juin de l’année précédente à Naivasha. Le but de cette rencontre serait d’élaborer résolument un plan de paix pour la Somalie. En l’occurrence, le président kenyan réaffirme que, si le besoin s’en faisait sentir, il était toujours disposé à réunir une telle conférence, à condition que plus aucune vie ne soit sacrifiée.
L’EVOLUTION DU CONTEXTE ECONOMIQUE Pendant que se mettent en place ces démarches visant à une solution politique, il faut se remettre en mémoire le processus qui a permis à de nombreux hommes d’affaires de Muqdishu d’acquérir une visibilité.
L’établissement des fortunes coupables Commençant à constituer leur fortune au début des années 1990 dans l’économie de guerre en trafiquant aide humanitaire, armes et diverses ferrailles et autres métaux, ces parasites du conflit étaient alors incapables de mener une quelconque action de manière autonome et étaient de ce fait étroitement associés aux chefs de faction. Or deux 1
LOI n° 743. 30 XI 1996. 159
années plus tard, la présence importante des Nations unies dans les années 1993-1994 s’est révélée un fabuleux coup de chance pour ceux qui venaient d’acquérir une position en vue. Celle-ci en effet allait désormais leur octroyer des profits importants à travers toutes sortes de locations et loyers, contrats, services divers, transferts d’argent, contrats de transports et de protection. À partir de 1994, lorsque les forces internationales s’apprêtent à quitter la Somalie, les mêmes commencent à se reconvertir dans des activités moins délictueuses, aux confins sinon hors de leur précédente opacité. Ainsi, nombre d’entre eux s’établissent dans l’import-export, l’hôtellerie, les compagnies de transfert d’argent, les xawaaladdo, voire les télécommunications ou les compagnies aériennes. Cette nouvelle classe devient dès lors une force politique indépendante capable peu à peu de se substituer à de nombreux chefs de faction ou de bandes armées naguère puissants. Dans les principales cités comme Muqdishu, mais aussi comme Hargeysa au nord, une petite douzaine de commerçants et d’entrepreneurs très riches prennent ainsi une influence considérable, au point de constituer une puissante ligue politique. À partir de 1996, après avoir déjoué les manœuvres des chefs de milices issus de leur propre clan en refusant de leur payer les taxes réclamées, ces hommes d’affaires leur substituent des groupes de sécurité constitués de combattants individuels. Ce processus les conduit à financer leurs propres forces et à rendre leur propre justice dont ils confieront même souvent la gestion aux tribunaux islamiques locaux.
Établissement de la Barakaat Bank
[28 X 1996]
Cette situation nouvelle permet à un nouvel acteur appelé à devenir représentatif de la société musulmane radicale de prendre pied sur le sol somalien. Le 28 octobre 1996 en effet, un groupe de riches Somaliens conduits par l’homme d’affaires hawiiye Axmed-Nuur Cali Jimcaale lance à Muqdishu une banque privée, la Al Barakaat Bank of Somalia. Le groupe détient déjà la Al Barakaat Telecommunication Service in Somalia qui offre dans la capitale les services d’un réseau de communications satellitaires. Après la chute de Siyaad Barre, alors que le pays était dépourvu d’une réelle structure étatique et d’une banque centrale, la monnaie somalienne était restée convertible et relativement stable à l’intérieur du pays, sur le marché de la capitale notamment. En revanche, la réduction progressive de la masse monétaire en devises circulant à Muqdishu, consécutive au départ des contingents militaires et des responsables civils de l’ONUSOM, avait provoqué au début de l’année 1995 une chute de la valeur du shilling somalien par rapport au dollar américain. Alors qu’au 1er janvier 1995, le dollar américain se négociait à Muqdishu autour de 4500 shillings, le 15 du même mois, il en fallait déjà 75001. 1
LOI n° 657. 4 II 1995.
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Aujourd’hui, la monnaie de référence de la Barakaat étant le dollar américain, l’activité bancaire consiste à proposer de petits prêts aux commerçants somaliens, à permettre les opérations de change et à effectuer des opérations de transferts d’argent vers ou en provenance de l’étranger. Adossé à un capital de départ de deux millions de dollars, Axmed-Nuur Jimcaale s’engage lors de la cérémonie d’inauguration de son établissement à ne pas appliquer de taux usuraires pour ses prêts. Se disant disposé à une coentreprise avec des investisseurs étrangers, il annonce que quatre-vingt-dix agences seraient ouvertes à travers le pays1.
La réapparition de la diplomatie italienne Dans un autre registre, on observe aussi comment les bonnes dispositions des autorités traditionnelles et des intellectuels italiens conduisent Rome à concrétiser sa volonté de reprendre pied en Somalie où aucune mission officielle ne s’est rendue depuis plus d’un an et demi. Un représentant spécial, basé à la Farnesina mais appelé à effectuer des missions dans l’ensemble de la Corne de l’Afrique, est désigné en la personne de Giuseppe Cassini. Le sous-secrétaire d’État pour l’Afrique, la Coopération et la Méditerranée, Rino Serri, a pris de son côté contact avec l’ancien député diplomate italien, Mario Raphaelli, pour lui proposer de travailler avec lui sur les questions concernant la Corne2. Mais naturellement, les affaires économiques ne sont pas étrangères à ce regain d’intérêt italien. La commission de l’Agriculture du Parlement européen adopte ainsi quelques semaines plus tard un rapport du député italien Giacomo Santini qui contient deux idées propres à favoriser des pays producteurs de bananes tels que la Somalie. La première, d’ordre général, consiste à proposer un amendement à l’organisation des marchés. Il recommande de porter de 26 à 30 % la part du contingent tarifaire des importations de l’Union européenne octroyée aux pays ACP et de réduire en conséquence la part des bananes dollars d’origine latino-américaine. Ceci représenterait un accroissement de 109 000 tonnes du tonnage global des exportations somaliennes. La seconde idée de Santini est plus spécifique. Le député italien souhaite qu’il soit instauré un mécanisme propre à remédier au préjudice subi par un opérateur à cause de « circonstances exceptionnelles » ayant provoqué une réduction de sa quantité de référence. Nul ne se trompe sur les fondements d’une telle proposition. D’autant que le rapport de Santini recommande que la Somalie obtienne une révision à la hausse de ses quotas d’exportation de bananes vers 1
LOI n°739. 2 XI 1996. Mario Rafaelli est un ancien sous-secrétaire d’État à la coopération en Afrique. Il a joué un rôle important dans les négociations de paix au Mozambique qui se sont quatre ans plus tôt tenues à Rome avec l’aide de la Comunità di Sant’Egidio. LOI n° 731 – 7 IX 1996. 2
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l’Union européenne, arguant du fait que de telles circonstances ont fait chuter entre 1989 et 1994 les exportations de ce pays vers l’Union européenne de 60 000 à 4 600 tonnes. On attend maintenant de cette proposition, entérinée par l’Union, qu’elle satisfasse les deux compagnies rivales – Sombana et Somalfruit – qui se livrent toujours une âpre concurrence1.
L’ACCORD DE SODERE
[3 I 1997]
C’est dans ce contexte social et économique en pleine mutation et après les différentes rencontres effectuées sous la médiation kenyane, qu’à la fin du mois de novembre 1996, l’Éthiopie mandatée à la fois par l’OUA et l’IGAD parvient à réunir à Addis Abäba puis un peu plus tard à Sodere, une station de villégiature voisine, vingt-sept délégués représentant vingt-six factions somaliennes venues négocier la composition d’un comité de coordination appelé à préparer la conférence de réconciliation nationale. La réunion se déroule en l’absence de la SNA-Caydiid car les combats font toujours rage dans Muqdishu où son chef veut avant tout s’imposer militairement pour ne pas être marginalisé en cas d’accord entre les autres factions2. Aussi, grand absent de la réunion, a-t-il fait savoir dès le 20 novembre qu’il ne participerait pas aux négociations de paix organisées par les autorités éthiopiennes3.
Mise en place des instances d’exécution Malgré cela, le 3 janvier 1997, après six semaines de délibérations, les délégués de la Réunion consultative de haut niveau des mouvements politiques somaliens signent un accord de paix et une déclaration solennelle d’engagement national par laquelle ils acceptent la mise en place de deux instances : - un National Salvation Council (NSC) de 41 membres désignés parmi les organisations représentées à la conférence ; - un National Executive Committee de 11 membres, dirigé par cinq coprésidents investis de l’autorité d’agir et de s’exprimer au nom du National Salvation Council. Le rôle de ce dernier consistera à concevoir un processus propre à établir une Transitional Central Authority ou un Provisional Central Government of Somalia. Trois grands faisceaux lignagers – Daarood, Hawiiye, Raxanweyn – se voient attribuer neuf sièges, les Dir en reçoivent trois, cinq sont réservés aux groupes plus petits4, six autres restent vacants dans l’hypothèse où les Isxaaq du SNM viendraient à rejoindre le conseil. Pour la première 1 2 3 4
LOI n°741. 16 XI 1996. LOI n°746. 21 XII 1996. LOI n°742. 23 XI 1996. Groupes sab et clans castés.
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fois, les Daarood ont accepté que les grandes tribus aient toutes le même nombre de sièges. Il revient à chaque lignage de distribuer à sa guise son propre quota. Le National Executive Committee soigneusement équilibré selon les familles est dirigé par : - Cali Mahdi Maxamed, chef de la SSA et représentant les intérêts des Hawiiye Abgaal ; - Cismaan Caato représentant sa faction USC et, imparfaitement, les Hawiiye Habar Gidir ; - Cabdulqaadir Maxamed Aadan Zoppe, chef de la RRA du SDM Raxanweyn ; - Cabdullaahi Yuusuf du SSDF représentant les Daarood Majeerteen ; - Aadan Gabiyow du SPM, représentant les Daarood Ogaadeen et accessoirement les Mareexaan. Les autres chefs de factions importants qui composent le conseil doivent présider les commissions de la Défense, de la Sécurité, de l’Économie, des Affaires étrangères, des Affaires politiques et de la Réconciliation. Les membres du Conseil de sécurité saluent les déclarations comme représentant un pas dans la bonne direction et expriment l’espoir de voir les factions somaliennes qui n’avaient pas participé à la Réunion rallier rapidement le processus. Ils prennent acte avec satisfaction des efforts déployés par le gouvernement kenyan puis par le gouvernement éthiopien en faveur de la paix. Dans le dessein d’épauler ces initiatives régionales, le Conseil demande au Secrétaire général des Nations unies d’engager des consultations avec les pays de la région et de lui présenter un rapport assorti de recommandations sur le rôle que New York pourrait jouer dans ce sens, dans le cadre de son mandat1.
La déclaration de Sodere La déclaration de Sodere préconise un programme en cinq points portant sur : - la restauration de la paix, de la stabilité, de la loi et de l’ordre ; - la recherche de la réconciliation entre les clans dans les zones en conflit ; - l’établissement d’une Transitional National Charter pour la future Transitional Central Authority ; - la coopération en vue de rassembler l’aide d’urgence, et de faciliter les programmes de réhabilitation et de restauration des autres services sociaux ; - l’offre, en contrepartie des efforts de la communauté internationale, d’une participation active au processus de réconciliation et de réhabilitation. Pour le National Salvation Council, la prochaine étape sera la rédaction d’une charte visant à légitimer la constitution de la Transitional Central 1
Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie. S/1997/135. 17 II 1997. 163
Authority ou d’un Provisional Central Government of Somalia. Cette charte devra être soumise à l’approbation de la Conférence de réconciliation nationale. Celle-ci, qui pourrait se tenir à Boosaaso, donnerait lieu, en présence d’observateurs internationaux, à l’annonce du gouvernement provisoire. Initialement prévue à la fin du mois de février 1997, après le ramadan, les plus optimistes estiment cependant qu’elle avait peu de chance de se tenir avant le milieu de l’année. Car en dépit de ses acquis, d’importants problèmes politiques et logistiques restent encore à résoudre. Il n’y a pas eu d’accord par exemple sur le lieu où siégera le NSC. Muqdishu a été rejeté à la fois pour des raisons de sécurité et parce que la capitale somalienne était considérée comme une ville hawiiye. Gaalkacyo, dans le Nord-est du pays, ville à la fois hawiiye et darood, a été évoquée tout comme Baydhabo en pays raxanweyn, bien que celle-ci soit désormais tombée entre les mains de la SNA-Caydiid. Il a même été suggéré d’établir un centre de coordination de l’administration qui serait situé quelque part le long de la frontière kenyane ou éthiopienne. Le rapport insiste aussi sur le fait que les clans constituent un obstacle majeur à la réconciliation nationale et au règlement du conflit dans la capitale. Il considère cependant que si la réconciliation des chefs de clans hawiiye – en particulier Cali Mahdi, Xuseen Caydiid et Cismaan Caato – pouvait être menée à bien, les démarches pourraient être rapidement entreprises en vue de la réouverture de port et de l’aéroport de Muqdishu et de l’établissement d’un gouvernement à base étendue. Il est enfin demandé aux « factions » dirigées par Maxamed Ibraahin Cigaal et Xuseen Caydiid , qui n’ont pas participé à la réunion de Sodere de rejoindre le plus tôt possible le processus de reconstruction. Ce dernier qui a purement et simplement rejeté les résultats de la réunion de Sodere justifie son absence par l’incursion de l’Éthiopie en Somalie et le fait que ce pays aurait fourni des armes à certains de ses adversaires. Cette accusation ayant aussitôt été rejetée par l’Éthiopie comme dénuée de tout fondement, le chef de la SNA poursuit sur le même registre en déclarant que de toute façon il n’appartenait pas à ce pays de négocier la paix entre les Somaliens. À l’aplomb de son propos, il rappelle que la déclaration de Nairobi de mars 1994 stipulait que c’était à l’intérieur de la Somalie que devaient se conclure tous les accords à venir tout en mettant en doute la légitimité de certaines des factions et de certains des mouvements qui participaient à la réunion de Sodere. Xuseen soutient enfin que la plupart des véritables factions somaliennes s’étaient réunies à Muqdishu en juin 1995 et avaient mis en place un gouvernement au sein duquel toutes celles qui désiraient le rejoindre seraient les bienvenues. Ainsi, bien qu’appuyée par une reconnaissance internationale et la promesse d’un soutien financier, la réconciliation promet d’être
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extrêmement difficile. On observe cependant qu’aussi fragile soit-il, ce résultat constitue l’avancée la plus positive depuis plusieurs années.
Les positions internationales Après l’adoption des déclarations de Sodere, les États membres et les organisations internationales accréditées en Somalie tiennent à Nairobi, où elles sont installées, trois réunions sous les auspices du Bureau politique des Nations unies pour la Somalie afin d’évaluer l’envergure réelle des engagements obtenus. Les déclarations leur semblent marquer une étape importante et tous expriment l’espoir que l’on pourrait persuader Xuseen Caydiid et Maxamed Cigaal de se joindre au processus amorcé. De même, Djibouti, Éthiopie, Érythrée, Kenya et Ouganda, membres de l’IGAD, semblent portés à reconnaître cet accord en dépit des réserves émises par les uns ou par les autres. Plusieurs de leurs ambassadeurs ont assisté à de nombreuses sessions des pourparlers. Le ministre éthiopien des Affaires étrangères, Seyum Mäsfen, s’est personnellement rendu sur place à plusieurs reprises et a assisté à la session de clôture. Le Premier ministre, Mälläs Zénawi, a de son côté exprimé publiquement son soutien à l’initiative et l’OUA et promis un soutien logistique rapide. Les affaires de financement étant naturellement au cœur des préoccupations, le NSC réclame maintenant le dégel si nécessaire des avoirs gouvernementaux somaliens à l’étranger et, en dépit des considérables difficultés d’ordre pratique et juridique que pose l’exercice, l’intercession à cet effet des membres de l’IGAD. Après que les délégués somaliens ont rencontré l’ambassadeur américain en Éthiopie, David Shinn, qui était le coordinateur de Bill Clinton pour la Somalie en 1993, Washington promet son concours financier une fois la réconciliation menée à terme. L’Italie pour sa part se félicite du résultat. Le NSC a des doutes en revanche sur la position de Bruxelles. Sigurd Illing n’a fait qu’une rapide apparition à Sodere et semble plus intéressé par le Menu of Options pour la Somalie, mis au point lors des conférences tenues au Kenya l’année précédente. Plus inquiétant peutêtre, il semble aussi à certains que Xuseen Caydiid a déjà entrepris d’exploiter le scepticisme apparent du diplomate allemand1. Du côté des Nations unies, Kofi Annan, le nouveau Secrétaire général2, se fend le 17 février d’un rapport au Conseil de sécurité au fil duquel il déclare avoir identifié la bonne volonté des chefs somaliens, à Nairobi puis à Sodere. Aussi affirme-t-il, avec l’autorité enthousiaste de son début de mandat, qu’il ne tolérerait pas que le refus de coopérer de quelque fraction minoritaire vienne obscurcir les progrès significatifs réalisés au terme des récents efforts régionaux vers la paix. Sentant la 1 2
Africa Confidential n° 274. 20 I 1997. er Le Ghanéen Kofi Annan succède à l’Égyptien Boutros Boutros Ghali le 1 janvier 1997. 165
nécessité d’expliquer la discrétion de l’ONU sur la situation somalienne ces derniers temps, Kofi Annan avance que la présence de l’Organisation s’était en réalité manifestée dans de nombreux registres : missions de bons offices, facilitations à travers la United Nations Political Office for Somalia (UNPOS), coopération avec les organisations régionales et les États voisins, assistance humanitaire et alimentaire et progrès dans le respect des droits de l’Homme. Il rappelle que le mandat ordinaire des Nations unies et la nécessité de disposer d’une aide internationale importante propre à reconstruire la Somalie avaient déjà conduit son prédécesseur à proposer au mois de décembre dernier une sollicitation des États membres à hauteur de 46,5 millions de dollars. Kofi Annan – qui considère la situation somalienne d’un autre œil que l’Égyptien Boutros Ghali – évoque aussi, afin d’aider les gouvernements hôtes tels que l’Éthiopie et le Kenya dans leurs efforts, la constitution d’un trust fund, tel que ceux qui ont conduit aux déclarations de Nairobi et de Sodere1. Il rappelle enfin que le Conseil devait insister pour que tous les États observent pleinement leurs obligations relatives à l’embargo sur les armes établi par la Résolution 733 de 1992.
Les livraisons d’armes Car le problème récurrent des livraisons d’armes est en train de trouver une nouvelle vigueur. La reprise, début janvier, des combats qui dans la capitale n’avaient cessé que faute de munitions attestent de nouveaux approvisionnements. Les forces de Cali Mahdi ont reçu en ce début d’année plus de 70 tonnes de matériels militaires, acheminés par sept camions poids-lourds depuis la base militaire de Shilaabo en Éthiopie. Ils contiennent avec une cargaison de fusils d’assaut Kalashnikov – les AK-47 –, plus de 30 tonnes de munitions légères et 20 tonnes de munitions antichars, de mortiers et quelques missiles. Xuseen Caydiid, qui ne semble pas avoir été aussi vite réapprovisionné que son adversaire, rattrape son retard en milieu du mois. Une cargaison de 28 conteneurs d’armes et de faux billets en provenance de Hong Kong a été transbordée le 7 janvier au large des côtes de Dubaï sur le SEA IMPRESS, cargo qui fait route en direction de Marka dont les installations sont aux mains de la faction SSNM restée fidèle à la SNA2. En revanche, il apparaît que la Libye et le Soudan qui ont tous deux envoyé des émissaires aux dernières réunions octroient désormais peu de matériels au fils de Caydiid. L’approvisionnement via le Kenya semble aussi être tari et les livraisons d’armes qui il y a quelques mois encore arrivaient d’Éthiopie ont cessé.
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Security Council - 5 - Press Release SC/6327 - 3742nd Meeting (AM). 17 II 1997. LOI n° 749. 18 I 1997.
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Le National Salvation Council (NSC) face à l’Éthiopie Le Premier ministre éthiopien a en effet peu goûté de voir Xuseen Caydiid saboter le travail d’apaisement entrepris sous les auspices d’Addis Abäba. Sabotage en deux temps : échec tout d’abord à convaincre Xuseen de ne pas former son propre gouvernement afin de ne pas voir réduire les perspectives d’un accord plus large, embarras ensuite face à son refus de rejoindre la réunion de Sodere. L’Éthiopie est par ailleurs d’autant plus encline à accorder sa préférence à Cismaan Caato que non seulement Addis Abäba s’est irrité des critiques proférées par Xuseen Caydiid à l’encontre des incursions éthiopiennes en Somalie, mais qu’elle s’inquiète maintenant davantage encore des efforts entrepris par ce dernier pour s’assurer les faveurs du mouvement islamiste. La position du NSC qui résulte de cette situation se complique singulièrement quand l’Itixaad annonce son intention de devenir un parti politique. En effet, le Conseil sait combien la question de l’islam radical est déterminante pour les relations entre Addis Abäba et les factions somaliennes dont en aparté les membres laissent entendre qu’ils tenteront malgré tout de négocier avec le mouvement islamiste. Or s’il ne peut, aux yeux des Somaliens, paraître cautionner les incursions de l’Éthiopie dans le Geedo en août et en décembre pour tenter d’éradiquer les implantations salafistes, il n’en reste pas moins dépendant de la bonne volonté d’Addis Abäba dont le gouvernement est convaincu du rôle déterminant joué par l’Itixaad, soutenu par Kharṭūm, au sein de l’opposition somali dans la Région Cinq. C’est pourquoi, en janvier 1997, les troupes éthiopiennes tiennent toujours la ville de Doolow ainsi qu’une bande large d’une dizaine de kilomètres au-delà de la frontière. Pour autant, elles ne sont parvenues ni à réduire les poches islamistes ni à permettre aux miliciens SNF du général Cumar xaaji Maxamed Masalle, qu’elles soutiennent de prendre le contrôle de la région. En fait, la présence éthiopienne apporte même plutôt aux islamistes de nouvelles recrues au point qu’il a été conseillé au général de ne pas regagner son quartier général de Garbahaarey en raison de l’hostilité de la population. Le NSC, ainsi contraint à la plus grande prudence politique, préfère se positionner sur une acceptation des droits de l’Éthiopie à l’autodéfense tout en déplorant les atteintes perpétrées à la souveraineté somalienne. Mais cette ambiguïté permet par ailleurs à Xuseen Caydiid de se poser en champion de la Somalie en condamnant sans ambages les incursions étrangères. Or dans cet exercice, il trouve le soutien de Kharṭūm. Le 29 décembre 1996, après les combats qui ont opposé les troupes éthiopiennes et les islamistes dans le Geedo, le chargé d’affaires soudanais auprès du « gouvernement » de Xuseen Caydiid appelle à la guerre sainte contre l’Éthiopie lors d’un rassemblement à Muqdishu des
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partisans d’Al Itixaad1. Addis Abäba peu enclin à laisser faire proteste officiellement en imposant des restrictions aux diplomates en poste dans la capitale. Car bien que le Soudan ait par la suite démenti l’information, Addis Abäba ne doute pas un seul instant du fait que Kharṭūm est sinon l’instigateur au moins le principal mentor des activités d’Al Itixaad en Éthiopie. C’est pourquoi l’analyse des services éthiopiens les porte à considérer qu’un personnage comme Xuseen Caydiid se comporte entre Somalie et Ogadèn comme les hommes du Jihād islamique et de l’Eritrean Libération Front de Abdullah Idriss qui basés au Soudan opèrent principalement le long de la frontière soudanaise ou érythréenne. Le soutien dont ils bénéficient tient moins d’ailleurs à leurs orientations islamistes qu’au fait qu’ils soient perçus comme les protecteurs d’intérêts musulmans menacés par le gouvernement d’Asmära.
NSC, SNM et SNA-Caydiid Mais d’autres obstacles se dressent par ailleurs, conséquences notamment de l’existence des groupes refusant de participer au processus. La partie en fait se joue à trois. Face au NSC se positionne en effet un Somaliland indépendant, toujours contesté par les instances internationales en dépit du succès relatif mais incontestable de ses six années d’indépendance. Le pouvoir de Hargeysa est en ce mois de janvier engagé dans une Grand Conference of the Somaliland Communities qui tente de régler les problèmes entre les lignages isxaaq et s’apprête à élire un nouveau président. Maxamed Cigaal qui se représente malgré les controverses a vivement rejeté le 5 janvier l’accord de Sodere ; à l’aplomb de sa position, le Congrès somalilandais a déploré l’appel lancé au SNM par le NSC, le qualifiant de « malheureux », « d’ingérence flagrante » et de « quasi-déclaration de guerre par rapport à l’existence du Somaliland ». Certes, quelques groupes non sécessionnistes du Somaliland sont venus - Dir Gadabuursi et Ciise, Harti Warsangeli et Dhulbahaante. Aussi, bien qu’ils soient peu nombreux, nul à Hargeysa n’en sous-estime l’importance tant on y mesure combien la reconnaissance du Somaliland perdrait de son intérêt si le NSC obtenait le soutien international auquel il aspire. Bien qu’à l’égard du SNA-Caydiid le NSC tente de se montrer conciliant, il lui fait aussi savoir sans ambages qu’avec ou sans lui, il appliquerait le processus prévu et qu’il était en l’occurrence prêt à recourir à la force. Un problème de représentation se poserait d’ailleurs si, hypothèse improbable, Xuseen acceptait de se ranger à cette quasi-sommation. Deux représentants des principaux clans hawiiye – Abgaal et Habar Gidir – figurant déjà au Comité, il serait inacceptable qu’il en vienne s’ajouter un troisième. Il faudrait une nouvelle conférence au niveau du 1
Mugadishu Times. 29 XII 1996. Plusieurs autorités musulmanes somaliennes traditionnellement plutôt modérées appellent également à s’opposer à l’intervention militaire éthiopienne.
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lignage, voire un nouveau conflit pour décider qui de Xuseen Caydiid ou de Cismaan Caato pouvait légitimement représenter les Habar Gidir. Or le gouvernement SNA/Caydiid rangé derrière la position de son ministre de l’Intérieur, Maxamed Qanyare Afrax, qui a menacé d’arrêter lui-même quiconque se rendrait à Sodere, n’est pas dans son meilleur état. Ses forces sont trop dispersées. Elles combattent en Jubbada Hoose, dans la région de Mogaanbo contre les milices de Cismaan Caato, s’efforcent de tenir Baydhabo où elles sont soumises à la pression de la RRA et ont pris part en décembre à de violents combats dans le sud de Muqdishu contre l’allié de Cali Mahdi, Muuse Suudi Yalaxoow, combats qui en une seule semaine ont selon les agences fait au moins 140 morts et 1500 blessés.
APRES NAIROBI ET SODERE : LA BOUSCULADE DES BONS OFFICES Certes, ce sont deux initiatives de paix quelque part concurrentes qui ont été lancées en faveur de la Somalie. La première est soutenue par le Kenya, la seconde par l’Éthiopie ce qui constitue une rivalité somme toute dommageable. Toutes deux présentent cependant des aspects intéressants et peuvent aussi être considérées comme deux fers au feu. L’initiative kenyane a l’avantage de faire intervenir la SNA-Caydiid et celle de Sodere est forte du mandat accordé à Addis Abäba par l’Organisation de l’unité africaine. Aussi les partisans de cette dernière tentent-ils de susciter une dynamique politique assez puissante pour que Xuseen Caydiid, absent de l’exercice, ne puisse l’ignorer. Et puis ces accords successifs suscitent surtout un nouvel espoir dans ce pays épuisé par la guerre au point que, faute de munitions, les combats pour l’instant se limitent à quelques tirs de mortier.
L’Italie et la contribution européenne
[I/II 1997]
Or au lendemain de l’accord de Sodere, le représentant spécial italien pour la Somalie, Giuseppe Cassini, obtient coup sur coup à la fin du mois de janvier deux succès diplomatiques qui laissent un moment augurer d’un retour de la SNA-Caydiid dans le processus de négociation. Le diplomate italien parvient d’une part à organiser, le 20 janvier, une rencontre entre Xuseen Caydiid et son rival Cali Mahdi sur la Ligne verte à Muqdishu. Pour la première fois depuis 1992, les dirigeants des deux factions hawiiye se rencontrent sur le territoire somalien. Au terme de leur entretien, les deux hommes conviennent de mettre en place un comité commun pour envisager la suppression des barrages routiers et de la Ligne verte, la création d’une force de police municipale commune et la réouverture du port et de l’aéroport de Muqdishu. Toutes les parties à la déclaration de Nairobi nommeraient des représentants à ce comité. Le projet tombe néanmoins à l’eau après que Xuseen refuse catégoriquement d’y voir siéger des représentants de Cismaan Caato. 169
Un tel débordement de bonnes intentions ne suscite en soi guère d’illusion il est vrai tant le moindre détail vient vite en sceller rapidement l’échec. Mais cette position surtout signifie que l’Italie est en passe de se réinsérer dans les négociations de paix. L’abandon par Rome de ce terrain a en effet depuis des mois obéré le bon déroulement des activités économiques des entrepreneurs italiens et nul n’ignore que la levée de la Ligne verte permettrait de relancer l’activité du port et l’aéroport de la capitale. Or, Giuseppe Cassini a bien estimé que, sauf à se voir définitivement considéré comme un obstacle à toute négociation, voire assimilé aux groupes islamistes intégristes somaliens, il y allait de l’intérêt de Xuseen Caydiid de donner quelques signes de bonne volonté. Quant à Cali Mahdi, il n’a rien à refuser aux Italiens, ses amis de toujours, et rien à perdre dans un tel accord puisque, comme il l’a annoncé immédiatement après l’avoir signé, c’est le National Salvation Council of Somalia (NSC) formé à Sodere qui demeure l’instrument de mise en place d’un gouvernement de transition 1. Cette position a par ailleurs permis au diplomate italien de convaincre Xuseen Caydiid de lever l’interdiction de séjourner en Somalie formulée en avril 1996 par son père à l’encontre de l’envoyé spécial de l’Union européenne, Sigurd Illing. Ce succès permet à celui-ci de se rendre le 26 janvier à Muqdishu où il rencontre les chefs des trois principales factions rivales de la ville, Xuseen Caydiid, Cali Mahdi et Cismaan Caato. Aux trois hommes, il affirme le soutien de l’Union européenne aux deux plans de paix quelque peu concurrents intervenus ces derniers mois. Sigurd Illing met en exergue la non-incompatibilité des deux projets, Nairobi recherchant surtout l’apaisement à Muqdishu, Sodere projetant de façon plus ambitieuse la constitution d’un gouvernement pour toute la Somalie. Au terme de cet entretien dont l’objet est une mise au point visant à rapprocher les points de vue, il apparaît que chacun des chefs rencontrés déroule sa propre interprétation de la visite du diplomate. Ainsi la Voice of the Somali Republic de la SSA rapporte que le représentant de l’Union européenne avait surtout félicité leur chef pour l’accord obtenu à Sodere et que Cali Mahdi lui avait rappelé que cet accord envisageait la formation d’un gouvernement d’ici à six mois. Pas un mot en revanche sur le plan de paix tripartite paraphé à Nairobi. La Voice of the Masses of the Somali Republic2 précise que Xuseen Caydiid a insisté auprès de Sigurd Illing pour que Bruxelles intervienne auprès du gouvernement éthiopien afin que celui-ci mette un terme à ses ingérences dans les affaires somaliennes et renonce à ses incursions militaires dans le Geedo. Elle insiste aussi sur le fait que le communiqué commun signé avec le représentant de l’Union européenne indiquait 1
LOI n° 750. 25 I 1997. L’ancienne Radio Muqdishu puis Voice of the Somali Republic, renommée à la mi-juin 1995 par le général Maxamed Caydiid.
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qu’aucun pays n’avait l’exclusivité de la médiation dans les affaires somaliennes, nouveau pavé dans la mare d’Addis Abäba. Beaucoup plus malin enfin, Cismaan Caato par la Voice of Somali Pacification tenait une position médiane dans ce débat et rapportait le soutien de l’Union à la conférence de Sodere, tout en souhaitant la mise en pratique du plan de paix tripartite de Nairobi1.
Les faiblesses de Sodere Bien que l’accord de Sodere ait incontestablement jalonné un processus plausible de paix, il n’échappe à personne combien l’absence de Xuseen Caydiid en obère la crédibilité, d’autant que nul n’ignore non plus les importantes livraisons d’armes consenties par l’Éthiopie à Cali Mahdi2. Mais d’autres faiblesses encore se trouvent identifiées. Inclure maintenant Xuseen Caydiid dans le processus de paix – comme un improbable engagement du Somaliland – impliquerait une renégociation des accords dont il a été dit que les dispositions étaient à prendre ou à laisser. Mais il est patent que Sodere est une affaire de chefs de factions qui ne prend en compte ni les autorités locales ni les autorités régionales indépendantes. Ses vingt-six signataires sont, à l’exception de Cismaan Caato et du colonel Cabdullaahi Yuusuf, tous membres de l’une ou l’autre des factions qui composent la SSA. Celle-ci, qui s’était construite autour des oppositions au général Caydiid, s’en trouve maintenant de facto renforcée. L’égide éthiopienne est aussi un paramètre difficile à gérer dans l’esprit de nombreux Somaliens. D’autant qu’Addis Abäba paraît imposer son propre ordre du jour : Lisane Yohannès vient de reprendre le dossier au ministre des Affaires étrangères éthiopien, Seyum Mäsfen, ce qui a pu expliquer que l’Éthiopie ait paru négliger Cali Mahdi à Sodere. Cabdullaahi Yuusuf en revanche, absent un bon moment de la scène politique pour cause de maladie, y a joué un rôle important bien que sa présidence du SSDF restât controversée. Mais son autorité malgré tout est difficilement contestable et même s’il ne dispose au moment de Sodere d’aucun mandat pour négocier au nom du SSDF, cette situation sera rapidement réglée et il le lui sera accordé rétrospectivement. Et puis les Éthiopiens le connaissent bien alors que de leur point de vue Cali Mahdi, somme toute, n’est que l’un des cinq membres du NSC. Au sein des partisans de Cali Mahdi enfin nombre sont peu enclins à entendre la voix de l’Éthiopie. Ainsi, Cumar Macallin qui fut ambassadeur du président Siyaad Barre aux États-Unis n’a pas été invité à Sodere. Et en bon Ogaadeen, il clame haut et fort que la Somalie ne peut se doter d’un gouvernement dès lors que son territoire est occupé, au fil des incursions éthiopiennes contre les islamistes. Or l’Éthiopie se 1
LOI n° 751. 1 II 1997. Au point que le prix d’une cartouche de fusil automatique à Muqdishu a chuté de plus d’un tiers. 2
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reconnaît plusieurs bonnes raisons d’intervenir. C’est pourquoi Addis Abäba arme toujours le SNF Mareexaan du général Cumar Masalle dans le Geedo, moins pour le soutenir contre les miliciens de Xuseen Caydiid que pour le voir contribuer au règlement du problème des islamistes. Car la lutte contre les islamistes somali qui fomentent des troubles dans l’Ogadèn, revendiquent les attaques à Addis Abäba et soutiennent les mouvements d’oppositions éthiopiens armés par le Soudan constitue une priorité pour le gouvernement éthiopien. Il reste enfin qu’une rivalité existe entre Addis Abäba et Nairobi, inscrite dans leurs politiques d’influence régionale respectives. Le Kenya joue un rôle prépondérant dans la région ainsi qu’autour des lacs et jusqu’au Soudan : entretenant de bonnes relations avec le régime islamiste du NIF à Kharṭūm, il s’oppose à l’intervention rwandaise et ougandaise dans la guerre du Zaïre tandis que l’Éthiopie entretient d’excellentes relations avec Kampala et avec Kigali. Mälläs Zénawi s’inquiète aussi du rôle du Kenya en Somalie qui empiète selon lui sur le processus de paix engagé à Sodere sous les auspices de l’OUA. On observe enfin que les autorités d’Addis Abäba ont perdu l’intérêt qu’elles manifestaient pour les orientations politiques des Hawiiye, surtout depuis que Xuseen Caydiid a vivement condamné les incursions frontalières et paraît désormais se rapprocher singulièrement de la société islamiste. Les réticences somaliennes à Sodere ne sont donc pas négligeables. Nombre de Somaliens s’inquiètent de voir l’Éthiopie souhaiter une Somalie divisée donc affaiblie. Et à Muqdishu, où l’on se méfie toujours des Daarood, les Abgaal ne peuvent accepter Boosaaso, choisi à Sodere comme siège du gouvernement.
Les tentatives de mise en convergence de Nairobi et de Sodere En dépit des faiblesses de la situation, à la mi-février, Giuseppe Cassini qui a le vent en poupe rencontre Cali Mahdi pour tenter de le convaincre d’engager des pourparlers avec son rival, négociations de paix qui pourraient se tenir à Nairobi1. L’initiative est heureuse puisque les navettes diplomatiques italiennes de part et d’autre de la Ligne verte qui divise la capitale parviennent à convaincre Xuseen Caydiid et Cali Mahdi de ranimer l’accord de paix conclu en octobre 1996 à Nairobi et qui avait avorté au bout de quelques jours. Malgré quelques échanges acerbes consécutifs aux accords de Sodere en janvier, l’ambassadeur italien a également convaincu les deux hommes de tenter de démanteler à nouveau les postes de contrôle de la Ligne verte, de constituer une police commune et une commission de cessez-le-feu. Au terme des discussions entreprises avec le représentant résident des Nations unies, Dominik Langenbacher, et avec Sigurd Illing, les secours peuvent désormais se rendre dans les régions frappées par la sécheresse. Alors que les accords ont un effet immédiat sur la chute des 1
LOI n°753. 15 II 1997.
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prix des denrées alimentaires, la Commission examine les moyens de rouvrir les ports et aéroports fermés depuis près de deux ans1. Quelques jours plus tard, jouant de ce contexte favorable, Giuseppe Cassini annonce à Muqdishu qu’il serait rejoint le mois prochain dans son entreprise de médiation par des représentants de l’Éthiopie et du Kenya. Il s’agira d’une part du représentant spécial de l’Éthiopie en Somalie, Lisane Yohannès, qui a déjà séjourné à Muqdishu entre 1992 et 1995 et de L.K. Sombeya, le conseiller pour la Somalie du président kenyan. Lisane Yohannes illustre bien les méandres de la politique de son pays à l’égard de la Somalie. Tegray, chef de cabinet en 1991 de Seyum Mäsfen, le ministre éthiopien des Affaires étrangères, il était un ami personnel du général Caydiid et tenait déjà en grande estime le colonel Cabdullaahi Yuusuf du SSDF. Les orientations politiques d’Addis Abäba ayant par la suite changé, il a été rappelé en 1994. Mais en poste à Muqdishu, il n’hésitait pas en privé à qualifier de « fantoche des Daarood » ce même Cali Mahdi, avec lequel il lui va falloir maintenant négocier. Aujourd’hui, l’Éthiopie soutient ce dernier non sans réticence et lui préfère clairement son vieil allié Cabdullaahi Yuusuf, militaire et hostile aux islamistes, comme il l’a si bien démontré à Boosaaso puis à Gaalkacyo quelques années plus tôt2. Mais une difficulté d’un autre ordre se profile encore. Comment faire pour que l’Union européenne vienne en aide aux populations somaliennes en l’absence d’un programme indicatif national pour la période 1996-2000 ? À cette question adressée à la Commission par l’eurodéputé socialiste italien Luciano Vecchi, le commissaire européen au développement, Joao Pinheiro, répond que les actions de réhabilitation en faveur de ce pays seront menées à partir des reliquats des 5e et 6e FED et d’autres à partir du budget communautaire. Les ressources semblent donc disponibles dans un avenir proche, d’autant qu’un programme de réhabilitation de 47 millions d’écus couvrant les besoins des prochaines années a été adopté l’année précédente. On regrette seulement que le commissaire européen n’ait pu préciser jusqu’à quand les besoins seraient couverts. En effet, étant donné que la Somalie n’a pas été en mesure, faute de structures étatiques, de ratifier la convention de Lomé IV couvrant la période de 1990 à 1995 dans les délais impartis, le pays n’a pas pu avoir accès aux 111 millions d’écus alloués au titre du 7e FED. Or, cette situation est en passe de se perpétuer pour les fonds alloués au titre du 8e car la Commission n’est pas en droit d’importer de manière unilatérale une assistance à la Somalie provenant de telles ressources. C’est pourquoi, en ce début d’année 1997, ce n’est que si le pays se dote d’un niveau suffisant d’organisations gouvernementales lui permettant de solliciter l’accès à la
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Africa Confidential n° 276. 17 II 1997. LOI n°754. 22 II 1997. 173
Convention de Lomé IV révisée, qu’une procédure accélérée lui permettra d’accéder à ces aides européennes1. Ainsi, les années qui suivent la mort du général Caydiid, moins chaotiques, vont se révéler moins riches en événements. Sans entrave, stabilisée, organisée, terrain partagé, une délinquance généralisée désormais ronronne. Sauf qu’il s’agit plutôt d’une délinquance d’affaires qui a besoin d’un minimum d’ordre pour prospérer. Afin de maîtriser les bandes incontrôlées qui continuent à sévir, les groupes d’intérêt se doivent de les embrigader ou de les détruire. L’exercice les conduit le plus souvent à les circonvenir et à les reconvertir en quelque sorte en leur propre service d’ordre. Mais au regard d’une société épuisée par la guerre, il est aussi nécessaire de retrouver un fondement moral crédible à leur action. C’est pourquoi, afin de lutter contre la violence ordinaire qui sévit toujours, cet ordre qui s’installe se réclame maintenant de la loi musulmane. Ainsi, d’une manière de plus en plus patente, les religieux depuis longtemps en attente investissent-ils aisément le tissu social de cette Somalie balkanisée où aucune structure étatique n’est plus en mesure de s’imposer. Là où la loi laïque et la loi traditionnelle ont failli, la loi religieuse paraît une dernière chance à l’inconscient collectif. Il reste que l’action menée la rend, souvent malgré elle, complice de cette société d’affaires plus ou moins délictueuses, construite sur l’effondrement de l’État et les possibilités offertes par l’intervention internationale, et qui maintenant prospère. Une situation nouvelle se met en place. Le mouvement islamiste impose un ordre religieux progressivement draconien là où tout a échoué désormais.
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LOI n° 753. 15 II 1997.
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V III – A L I TIXAAD , DE L ’ ORGANISATION AU SYMBOLE
Cet établissement qui se profile d’un ordre religieux résulte d’un processus dont nous avons observé les prémisses dès 1991 dans le Nord somalien1 puis les développements en Somalie méridionale, à Muqdishu et dans le Geedo notamment2. Mais aujourd’hui, existe aussi une action islamiste armée. Celle-ci prend une dimension nouvelle quand la menace induite par ses implantations dans le Geedo entre en synergie avec les mouvements irrédentistes de l’Ogadèn éthiopien3
LA DECISION ETHIOPIENNE D’EN FINIR
[XII 19.96 - VI
1997]
C’est à la fin de 1996 et au début de 1997 que l’Éthiopie décide de lancer une offensive terrestre et aérienne le long de la frontière somalienne, opération à laquelle auraient peut-être participé des éléments américains4.
La pression éthiopienne En décembre 1994 déjà, la pression militaire éthiopienne semblait avoir payé. Sans avoir pour autant bien sûr été mené à résipiscence, Al Itixaad avait alors accepté de rencontrer des représentants de l’ONLF et de l’EPRDF afin d’entreprendre des discussions de paix. 1
FONTRIER 2012/1 : 144-152. Ibid. 335-349. 3 FONTRIER 2012/2 : 264-271. 4 Hypothèse avancée par le porte-parole de Al Itixaad dans le magazine Nida’ul Islam n°19 de juillet-août 1997. 2
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La réunion s’était déroulée à Qäbri Dähar, au centre de l’Ogadèn où les islamistes étaient représentés par le président adjoint du mouvement, Cabdullaahi Cumar. La principale exigence des Éthiopiens, communiquée par l’intermédiaire des anciens des clans, tenait en deux termes : Al Itixaad acceptait de désarmer et le mouvement renonçait à tous ses liens avec le mouvement en Somalie. Sur ce dernier point, les représentants s’étaient récriés et avaient juré leur grand Dieu n’avoir aucune relation avec un quelconque mouvement, que ce soit en Somalie ou ailleurs ; pour le reste, ils n’acceptaient de déposer les armes qu’entre les mains de leurs notables, en aucun cas entre celles de l’EPRDF. Faute de s’entendre, en mars 1995, les discussions avaient fait long feu et les hostilités avaient repris, par intermittence, car le mouvement était loin d’avoir les moyens de sa politique.
Les attentats en Éthiopie
[V 1995/ IV et VII 1996]
Pour cette raison aussi et probablement sous l’impulsion d’al-Qāʿida maintenant, l’échec des discussions annonçait surtout un changement de tactique de la part d’Al Itixaad et l’émergence de nouveaux modes d’action à l’encontre le gouvernement éthiopien. En mai 1995, une attaque à la grenade sur un marché de Deré Dawa, la deuxième ville du pays, coûtait la vie à quinze personnes. Huit hommes, tous supposés membres d’Al Itixaad, étaient traduits devant les tribunaux éthiopiens1. Moins d’un an plus tard, une bombe éclatait de nouveau dans deux hôtels, à Addis Abäba et à Deré Dawa, faisant sept morts et vingt-trois blessés. Cette fois, Cabdulqaadir Maxamud Dhaqane, porte-parole d’Al Itixaad installé à Muqdishu, en revendique aussitôt la responsabilité au nom de l’organisation2. La donne change désormais puisque Al Itixaad peut être désormais purement et simplement identifié comme un mouvement terroriste. En juillet 1996, le ministre éthiopien des Transports et des Communications, le Somali isxaaq Abdulmejid Husén [som. Abdulmejid Husén] est à son tour victime d’un attentat – auquel il survivra – alors qu’il arrivait son bureau. Une fois encore le porte-parole d’Al Itixaad à Muqdishu revendique la responsabilité de cette tentative d’assassinat. L’affaire pourtant n’est pas aussi évidente car, cette fois, le gouvernement éthiopien a ses propres pistes. Le chef de la cellule qui a perpétré l’attentat est un terroriste entraîné en Afghanistan. Or l’homme, qui s’est en effet rendu, aurait fini par fournir des informations sur 1
BRYDEN, Matt. No quick fixes : Coming to terms with terrorism, Islam and statelessness in Somalia. The Journal of Countries Studies, vol. XXIII, n°2. University of New Brunswick. Fall 2003, p.32. 2 SHINN, David H.. Ethiopia : Coping with Islamic fundamentalism before and after September 11. Africa notes n°7. Centre for Strategic and International Studies. February 2002, p. 5. 176
d’autres membres du groupe. Ces révélations conduisent à des arrestations complémentaires et à des condamnations sauf que, parmi eux, seul un membre d’Al Itixaad dénommé Xasan Yare - ancien lieutenant de l’armée somalienne - est identifié par les Éthiopiens avant d’être finalement remis en liberté. Si certains observateurs songent alors à une tentative de récupération d’une action par un mouvement qui apparaît désormais très diminué, c’est aussi d’une menace de même nature mais aux fondements différents dont il s’agit et qui semble devoir maintenant peser sur l’Éthiopie.
Les deux premiers raids éthiopiens dans le Geedo
[9 VIII 1996]
Toujours est-il qu’Addis Abäba est maintenant décidé à en finir avec Al Itixaad. Le 9 août 1996, l’Éthiopie lance par-delà la frontière avec la Somalie le premier de deux raids contre les bases du mouvement, l’un à Luuq, l’autre à Beled Xaawo. L’opération qui met en œuvre artillerie, hélicoptères armés et infanterie est ciblée : les pertes sont relativement faibles et les dégâts restent somme toute limités au poste de police et aux bâtiments administratifs. Dans l’attaque de Luuq, les Éthiopiens ont manqué leurs objectifs majeurs, à savoir la direction fondamentaliste qui est parvenue à se mettre à l’abri. Cet échec explique que cinq mois plus tard, en janvier 1997, les forces éthiopiennes reviennent à l’assaut, déterminées à finir le travail. Et en effet, l’opération est cette fois un succès. De nombreux islamistes parmi lesquels des étrangers sont tués ou blessés, les camps d’entraînement démantelés. La brève campagne de terreur lancée dix-huit mois plus tôt par Al Itixaad en Éthiopie semble toucher à sa fin. Mais le succès est plus réel encore qu’il n’y paraît. Au point que jamais, à la fois en Éthiopie et en Somalie, le mouvement ne se relèvera vraiment de cet assaut. Aussi peut-on considérer qu’à partir de janvier 1997, tel qu’il avait été identifié depuis les années 1980, Al Itixaad alislaami a alors cessé d’exister. Certes, bien qu’ayant disparu en tant que telle, l’organisation restera dans l’esprit de certains Somali une idée, une enseigne, le symbole et la nostalgie d’un rêve d’islam. Pourtant, au lendemain des raids éthiopiens, certains chefs de l’Itixaad luttent pour garder le mouvement en vie. Le 10 août 1996, jour qui avait suivi le premier raid sur Luuq, Xasan Daahir Aweys1 avait condamné les attaques qu’il attribuait à une coalition conduite par l’Éthiopie et les États-Unis et dont les forces auraient été guidées par des collaborateurs du SNF 2. Selon lui, des civils, des marchés et des orphelinats auraient été délibérément attaqués tant à Luuq qu’à Beled Xaawo. Il désignait ainsi explicitement les États-Unis et Israël au nombre des ennemis des 1
FONTRIER 2012/1 : 149-163. Déclaration de Xasan Daahir Aweys. Baaq. 10 VIII 1996. Reprise dans le journal de Muqdishu Panorama.
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musulmans et accusait Washington et Tel-Aviv de chercher à placer l’ensemble de la Corne sous le gouvernement éthiopien chrétien. Dans une tentative infructueuse pour internationaliser le conflit, il avait également appelé les musulmans du monde entier à montrer leur solidarité avec les salafistes en résistant à l’agression américaine et en envoyant de l’aide à leurs frères somali agressés. Cette déclaration avait été publiée sous le timbre d’une organisation jusqu’alors inconnu : Jaamacada al-Ictisaam Bilkitaabi Wassunnah1.
AL ICTISAAM
[10 VIII 1996]
Se démarquer pour survivre Cette tentative de reconstitution d’Al Itixaad sous la dénomination d’Al Ictisaam relève bien sûr d’une initiative visant à rassembler les morceaux pour redonner vie à l’ensemble. Mais l’affaire n’est pas aisée. Il reste que pour ce faire, les rescapés rejoignent le sheekh Cali Warsame Xasan Kibisdoon qui, après la désastreuse défaite du mouvement contre le SSDF en 1992, avait regagné Burco et rejoint les rangs de la Waxdat al-Shabaab qui n’avait jamais mis un terme à son activisme au Somaliland. À partir de là, loin de renoncer à son projet islamiste, il avait appelé à la formation d’un Islamic Congress for Salvation2. C’est ainsi qu’en 1996 Xasan Daahir Aweys et ses partisans tentent de légitimer Al Ictisaam en redonnant quelque honorabilité dans le monde musulman somalien à l’Itixaad que ses maladresses avaient à tort ou à raison fourvoyé ou pour le moins compromis en Éthiopie dans le registre terroriste. Ce changement de nom s’effectue dans un double dessein : détourner d’une part la pression militaire éthiopienne et d’autre part recentrer l’action islamiste sur la Somalie. Reste à se déterminer sur le « où » et sur le « comment ». Car plusieurs paramètres politico-claniques conditionnent le raisonnement. Les salafistes isxaaq tout d’abord ne peuvent raisonnablement songer à prospérer dans un Somaliland en phase de restructuration et où prédomine un nationalisme renforcé du soutien éthiopien. Le Somaliland, qui est identifié comme participant de l’atomisation de l’ensemble somali – une vieille obsession d’Addis Abäba –, a de plus une carte à jouer avec l’exutoire maritime du port de Berbera face à un Djibouti qui s’engorge et à un Asäb désormais interdit pour cause de délicatesse avec l’Érythrée. Deuxième considération : les Daarood Ogaadeen sont naturellement soumis au tropisme lignager qui les porte à rejoindre sinon à continuer la lutte en Éthiopie où ils sont les Somali majoritaires. Cette part 1
Par somalisation de l’arabe [ar. jamaʿat al-iʿtisām bi-l-kitābi wa-s-suna ].
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som. Al-Tajammuc al-Islaami lil-Inqaadh de [ar. ﺗﺠﻤﻊ اﻹﺳﻼﻣﯿﺔ ﻟﻺﻧﻘﺎذtajammuʿ alislāmīya li-l-inqād]. 178
importante, la plus importante peut-être du contingent fondamentaliste global, est par nature résolument incrustée dans l’irrédentisme somali en Éthiopie dont il constitue la colonne vertébrale. Chez les Daarood Majeerteen en revanche, les fondamentalistes ont peu de chance de se maintenir encore moins de se réimplanter dans un contexte qui les a déjà chassés et où un ordre plausible est en train de se mettre en place dans le cadre du jeune Puntland. Les Daarood Mareexaan enfin peuvent encore donner à espérer que quelque chose est possible, à condition de rester suffisamment éloigné des troupes éthiopiennes. Ce sud somalien demeure donc une option, dans l’instant la seule peut-être, pour l’islam radical.
3e assaut éthiopien sur le Geedo
[11 VI 1997]
Sauf que l’Éthiopie, vraiment soucieuse d’en finir, marque en juin 1997 un nouveau point dans sa lutte contre les islamistes quand Al Itixaad perd ses dernières grandes bases lors d’un assaut éthiopien lancé le 11 juin. Il s’agit de la troisième grande offensive éthiopienne contre le mouvement dans le Geedo et, comme prévu, elle a visé la principale base à Luuq, à quelque 90 km de la frontière. Chez les islamistes, la surprise, tant du fait du moment que de l’ampleur de l’attaque, est totale ; en quelques heures en effet, l’Éthiopie a pris d’assaut Luuq et Beled Xaawo et s’est emparée de toute une série de villages contrôlés par les islamistes. Alors que les victimes sont sans doute très nombreuses1, comme lors de l’attaque de décembre, Al Itixaad doit désormais également résister aux assauts de son rival pour le contrôle du Geedo, le général Cumar Masalle du SNF, signataire de l’accord de Sodere dont il dirige la commission de la Défense qui en est issue. En janvier, alors que l’Éthiopie avait envoyé quelque 80 tonnes d’armes à des factions somaliennes essentiellement pour soutenir la lutte de Cali Mahdi contre les milices des tribunaux islamiques, il plusieurs camions d’armes étaient en réalité allés au SNF pour empêcher l’Itixaad de se replier vers l’intérieur de la Somalie. Tous les efforts de l’Éthiopie tendent donc à mettre fin à l’activité islamiste dans sa Région Cinq, en supprimant tout soutien externe à l’Ogaden National Liberation Front (ONLF)2, toujours en lutte contre le gouvernement. Le 6 septembre à Muqdishu, divers mouvements islamistes publient une résolution renforcée par l’annonce de la création d’une Oromo Somali Afar Liberation Alliance (OSALA). Son ambition affichée est de « renverser l’oligarchie d’une minorité non démocratique » au pouvoir à Addis Abäba. Mais de la nouvelle alliance qui se propose de « mettre fin 1
Les Nouvelles d’Addis font état de 20 morts dont 12 civils. Cependant, au cours d’une conférence de presse donnée le 21 juin, Mälläs Zénawi dément l’incursion éthiopienne contre les bases de l’Itixaad qu’il attribue à des organisations somaliennes. Les Nouvelles d’Addis (LNA) n°1. 12 IX 1997. 2 [som. Jabhadda Waddaniga Xoreynta Ogaadeeniya (JWXO)].. 179
à des siècles d’hégémonie judéo-chrétienne en Éthiopie et en Érythrée et de porter au pouvoir des gouvernements attachés aux droits à l’autodétermination de tous les peuples », on n’entendra jamais plus parler1. De la même façon, on observe que l’Érythrée appuie l’attaque menée par l’opposition soudanaise sur Tugan où sont cantonnés les islamistes érythréens. Autant d’actions qui soulignent la détermination d’une alliance de fait entre l’Érythrée, l’Éthiopie et l’Ouganda, alliance soutenue par les États-Unis et qui vise à éradiquer l’islamisme dans la Corne de l’Afrique. L’enthousiasme pour cette association de fait va croissant à Washington, en particulier au Congrès2.
LA NEBULEUSE D’AL ITIXAAD AL-ISLAAMI Le déni d’al-Ictisaam par la branche éthiopienne À la mi-1997 un porte-parole de l’Ogaden Islamic Union(OIU) qui continue à se réclamer d’Al Itixaad souligne la distinction entre son propre mouvement et une Somali Islamic Union qu’il appelle alIctisaam. A l’aplomb de cette position, sheekh Maxamuud Ciise, ancien président des deux branches du mouvement, déclare sans s’étendre que les combattants Al Itixaad à l’intérieur de l’Éthiopie sont exclusivement des ressortissants de la Région Cinq, donc des Ogaadeen éthiopiens . Mais tandis que le mouvement cherche misérablement à changer son nom, le fait est que sa structure administrative et militaire autrefois importante s’est désormais délitée et que sa direction est en plein trouble. Les correspondances internes pendant cette période révèlent en effet le désarroi des chefs face à leur catastrophique défaite devant les forces éthiopiennes. Le mouvement dans le Sud somalien met bas les armes. C’est affaire de survie de sorte qu’en août 1998, al-Ictisaam signera un accord de coopération avec son ancien rival, le SNF. Deux mois plus tard, le chef du maktab du mouvement dans le Geedo, sheekh Cabdulqaadir Macalin Nuur, intentera sans succès un procès pour la paix avec Addis Abäba. Il est clair qu’en réalité, en terme de communication, la tentative de changement de nom est un signal d’échec. Peu de Somaliens et même peu d’étrangers n’auront jamais entendu parler de al-Ictisaam alors que le nom d’Al Itixaad restera toujours en usage. Il reste que les opinions resteront longtemps profondément partagées quant à se prononcer sur la disparition ou la perduration du mouvement et, le cas échéant, sous la forme retenue.
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LNA n°2. 12 XI 1997. Africa Confidential n°285. 23 VI 1997.
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L’incapacité à s’imposer dans l’après-Siyaad Barre Bien que tout soit loin encore d’être dit, à ce point des connaissances, il semble qu’après la destruction des bases du Geedo par les forces éthiopiennes en 1996, quelques éléments d’appréciation puissent néanmoins être retenus à propos de l’Itixaad. On peut en effet d’ores et déjà tenir pour avéré que : - la pensée salafiste en général a pénétré depuis les années 1950 les sphères intellectuelles et l’administration de la future République de Somalie ; - cette même pensée a trouvé une opportunité inespérée de développement dans le contexte de la déliquescence générale du pays à partir de la fin des années 1980 ; - ce salafisme a globalement été rejeté par l’ensemble de la société somalienne elle-même et que ce ne sont que des groupuscules aux effectifs réduits qui sont parvenus à s’imposer, de façon éphémère dans le Bari et dans le Geedo. De ces deux implantations, ils ont été finalement expulsés par les clans et les factions indigènes avant que l’assaut éthiopien ne mette pour plusieurs années un terme aux velléités d’émirat islamique. Se pose néanmoins le problème de l’homogénéité de l’organisation et de la cohérence de son action. La réponse se trouve peut-être dans un autre regard porté sur le phénomène. Car de quoi s’agit-il ? D’emblée, on s’aperçoit que le mouvement islamiste ne tient pas en une organisation très structurée. Ce n’est pas et cela ne sera jamais un parti salafiste transnational, même si d’aucuns l’ont espéré. C’est en revanche, et ce dès le début de son histoire, une idée, une convergence de vue, un idéal commun jusqu’à parvenir, à l’occasion, à la réalisation éphémère de quelques actions concertées. Mais le souhait partagé d’établir un État islamique ne doit pas occulter le fait qu’il s’inscrit alors dans des espaces dont le seul point commun est d’être somali. Pour le reste, les différences voire les facteurs de divergence l’emportent : stratégie d’action, tactiques locales, partage des moyens, difficultés à échapper à la logique clanique, pressions différentes de l’environnement, etc.
Les trois visages d’Al Itixaad Or, fondamentalement, dans l’Itixaad de 1985 déjà, l’alliance du Somaliland avec celle de Muqdishu ne va guère plus loin que l’engagement de quelques chefs charismatiques, sheekh Cali Warsame Xasan Kibisdoon ou Xasan Daahir Aweys par exemple. Pour le reste cela relève de la déclaration d’intention, c’est tout. Le Somaliland qui déclare son indépendance et souhaite sa reconnaissance par la communauté internationale ne peut entretenir avec le fondamentalisme qu’une relation réservée, voire hostile. Sauf à être très implanté, ce qui n’est pas le cas, au sein de la communauté isxaaq qui fait le nombre au 181
Somaliland, il n’y a guère d’illusion à entretenir, sauf à poursuivre un travail de sape en exploitant chaque échec du projet nationaliste. De même, le pays majeerteen – futur Puntland - est en l’occurrence sur une trajectoire assez semblable à celle de son voisin. Dans le Sud il est vrai, l’affaire est différente. Ni État, ni projet d’État, simplement une capitale qui subsume à peu près tous les lignages somaliens, les peuples agriculteurs de la région mésopotamienne, et surtout le reste où, à l’ouest du webi Jubba en particulier, rien ne peut échapper à la mosaïque clanique et aux affrontements qu’elle induit. Là s’affrontent en effet des lignages certes tous darood mais, faute d’autre faisceau à combattre, avant tout mareexaan, ogaadeen et harti. Aucune symbiose transclanique conforme à l’idéal salafiste n’apparaîtra ici ; seule une éphémère sanctuarisation dans le Geedo mareexaan y parviendra quelque temps. Quant à l’Itixaad en Éthiopie, son parcours relève d’une tout autre histoire, fondée sur l’irrédentisme récurrent des clans ogaadeen. La dialectique y est différente, elle se fonde sur la lutte contre un pouvoir chrétien, sur le pansomalisme et, accessoirement sur le salafisme dont on retient surtout les accents du jihād. Certes, en 1988, les Isxaaq et les Gadabuursi réfugiés en Éthiopie dans les camps du Hawd ont contribué aux efforts de leurs congénères contre le régime éthiopien. Mais de façon probablement très limitée ; leur collaboration n’aura été que de circonstance et ne concernera que quelques individus aux convictions transclaniques avérées. Certes, les islamistes du Geedo les soutiennent, sur le plan de la logistique et des zones refuges au moins, voire leur prêtent main-forte, mais le combat n’est pas le même. Ici prévaut la foi salafiste, là le nationalisme ogaadeen. Le point de convergence pour ces derniers, c’est la violence, habillée d’islam antichrétien, parfois de nationalisme pansomali toujours d’identité lignagère qu’elle soit avouée ou non.
La reconversion des membres Certains ont avancé qu’ayant réalisé le peu de viabilité de leur stratégie activiste, les membres d’Al Itixaad auraient dissous l’organisation avant d’entrer dans la clandestinité. L’allégation est tout à fait plausible. Un groupe de contrôle des Nations unies responsable de la surveillance des violations de l’embargo sur les armes en Somalie décrit en effet le mouvement comme une force commerciale et militaire importante. En 2001, les Américains désigneront le mouvement comme un groupe lié au terrorisme international puis en avril 2004 certains analystes – bien que, sur ce point, il n’existât aucun consensus dans le gouvernement de Washington - le décriront comme une sorte de franchise d’al-Qāʿida. D’autres encore considéreront que le mouvement est devenu une force marginale si elle n’est pas défunte en tant qu’organisation. Un conseiller proche du président de Djibouti estime que le mouvement qui existait autrefois comme force politique a abattu ses cartes trop tôt, qu’il ne 182
pouvait dès lors survivre, qu’un petit nombre d’individus restent actifs mais que ce ne sont désormais que des électrons libres qui peuvent être arrêtés à n’importe quel moment. Alors que rien de ceci ne paraît vraiment contestable, il reste que seule la branche éthiopienne du mouvement semble de nature à véritablement survivre. Comptant peu d’adeptes, semble-t-il, elle est toutefois de nature à radicaliser ses positions et, conservant ses accointances avec la Qāʿida, capable de se lancer à l’occasion dans l’action terroriste. Ainsi, le délitement d’Al Itixaad n’a pas signifié sa disparition totale. Il n’est pas vraiment passé, comme les plus subtils l’avancent, d’une organisation à une idée car si elle a certes été un mouvement, elle n’a jamais été « une » organisation. Elle a seulement été la juxtaposition de groupes engagés sur des théâtres d’activité à la surface très inégale. Toujours est-il qu’à partir de 1996, les chefs somaliens d’Al Itixaad Somalie et Somaliland - retournent dans leurs communautés où ils deviennent des clercs salafistes respectés. Ils continuent à inspirer certains par la rigueur de leur comportement, se forgeant ainsi un contingent de successeurs potentiels. D’autres se cantonnent dans des rôles publics plus visibles comme chefs religieux, juges, hommes d’affaires aussi. Seul un petit nombre reste ostensiblement lié à un agenda révolutionnaire et continue à être associé au militantisme. Nombre de salafistes réapparaîtront quelques années plus tard, après que de nouvelles opportunités se seront présentées à l’activisme musulman. Il ne s’agira plus d’Al Itixaad même si le nom en ressortira souvent. Celle-ci est désormais devenue un symbole, un point de référence pour désigner l’islam fondamentaliste dans la Corne de l’Afrique, une entrée de dictionnaire. Car l’islam empruntera cette fois un autre cheminement lorsque la conjoncture favorisera la perspective d’un semblant d’ordre à travers l’implantation de tribunaux islamiques au sein de la société somalienne. Il reste que le mouvement qui les suscite est résolument distinct et ne peut être considéré ni comme une pérennisation ni comme une résurrection de l’Itixaad.
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Régions et districts : découpage de 1986
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I X – S OMALILAND : L E CHEMIN DIFFICILE V ERS LA C ONSTITUTION
Pendant qu’un ordre fondamentaliste continue à s’insinuer en Somalie méridionale, les réunions de réconciliation qui se succèdent souffrent des préoccupations particulières tant des États que de diverses organisations telles que les Nations unies ou la Ligue arabe. En revanche, le Somaliland qui n’entre dans aucun des schémas préconisés par la société internationale poursuit seul, en interne, avec le soutien discret de l’Éthiopie, sa route vers la normalisation. À cet effet, depuis le début de l’année 1996, Maxamed Cigaal a entrepris de recentrer sur un arbitrage d’État les différends interclaniques. Considérant que les affrontements résultaient de l’instrumentalisation de quelques clans par des politiciens en perdition, il a habilement disqualifié à la fois les autorités traditionnelles, la Guurti, et l’aile dure du SNM, les anciens du Calan cas.
LE SHIRWEYNE DE HARGEYSA
[15 X 1996 - 23 II 1997]
Ce faisant, le président parvient à canaliser les insatisfactions et les doutes qui subsistent quant à son action en suscitant un processus de réconciliation dont il a méticuleusement organisé la mise place. La conférence de paix séparée qu’il a annoncée se présente sous la forme d’un shir nabadeed organisé au niveau national. Aussi, tout en paraissant ménager les notables des lignages, il en impose la tenue à Hargeysa, sanctuaire du pouvoir, où la Guurti n’a d’autre choix que d’annoncer la convocation d’une Grand Conference of the Somaliland Communities1.
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Shirweynaha Beelaha Somaliland ee Hargaysa. 185
Changer la nature des conférences Bien qu’il soit généralement considéré comme une extension du processus de Boorama en 1993, ce nouveau shirweyne en différera sur de nombreux aspects. Une première spécificité résulte de l’implacable volonté de Cigaal d’exclure toute forme de shir beleed, de « convention des lignages » au profit d’un shir qarameed, une « convention nationale », terme visant à rappeler qu’il existait au Somaliland un gouvernement légitime. Une autre expression, tout aussi révélatrice est prononcée à propos de la réunion qui se prépare, celle de shirweyne caalami, littéralement de « grande conférence universelle », de « grand symposium ». De la sorte, la construction de la paix est résolument retirée aux seules instances traditionnelles locales pour être désormais prise en charge et assumée par le pouvoir politique central. D’ailleurs, si c’est la Guurti qui annonce l’événement et procède à la convocation, il est entendu que contrairement aux précédentes conventions, ce ne sont ni le peuple ni la diaspora mais bien le gouvernement qui en supporte la charge. Aussi, arc-bouté sur ce principe, le président manœuvre et obtient que les membres de la chambre basse du Parlement constituent la moitié des délégués à la conférence, l’autre moitié revenant aux représentants des lignages. De nombreux groupes, dont le Peace Committee récemment échaudé, considèrent cette initiative avec défiance, enjoignant le Gouvernement à retarder la manifestation jusqu’à ce que le shir réuni à Beer soit achevé et que le processus de paix soit ainsi au préalable finalisé dans le Togdheer. Il lui est aussi demandé de faire d’autres propositions quant au choix des participants. Mais, à la requête du président, les demandes visant à retarder la conférence et à en déplacer le lieu sont rejetées par la Guurti ellemême, les autorités insistant sur la date d’octobre. Seules certaines suggestions telles que l’augmentation de la représentation à la fois des Habar Yoonis et des clans minoritaires, Gabooye, Gahayle et autres, sont cependant acceptées. Les nouvelles dispositions impliquent d’augmenter le nombre de délégués de 151 à 315 par rapport à ceux qui avaient assisté à la conférence de Boorama1. Par ailleurs et pour la première fois aussi, les femmes sont autorisées à assister comme observateurs officiels.
Circonvenir les instances lignagères Cette hâte du président à réunir au plus vite une convention procède de deux mobiles. Le premier, le principal aussi, tient à ce que son mandat expire en novembre. Or Maxamed Cigaal n’a encore ni réglé ni même 1
La représentation des lignages attribuait alors : pour les Dir : 21 sièges aux Gadabuursi (Samaroon) et 9 aux Ciise ; pour les Daarood : 12 aux Warsangeli et 21 aux Dhulbahaante ; pour les trois faisceaux Isxaaq : 28 aux Habar Jeclo et 5 aux Habar Toljecle, 18 aux Habar Garxajis et 13 aux Arab, 18 aux Habar Awal et 6 aux Ayuub. 186
abordé un certain nombre de questions pour lesquelles il avait été prolongé dix-huit mois plus tôt, à savoir mettre fin à la guerre, préparer une constitution et organiser des élections. Aussi lui faut-il un forum représentatif de la société somalilandaise tant pour expliquer ses choix que pour avancer un projet. Le second mobile, qui relève de sa politique de mise au pas des guurtiyo lignagers, vise les notables toujours réunis à Beer. L’idée qui prévaut vise à assécher la réunion et à miner tout accord qui y serait convenu. Fin manœuvrier comme à l’accoutumée, le président commence par envoyer des invitations pour la conférence de Hargeysa à l’aile dure des Habar Yoonis opposés à son régime, mais qui sont aussi ceux qui ont précisément refusé de participer au shir de Beer. Cette offre de Cigaal ouvre de nouvelles perspectives à des notables qui savent qu’ils ont d’ores et déjà perdu le combat contre lui. Trouver un terrain d’entente leur devient une quasi-aubaine. Aussi prennent-ils le parti de se rallier et d’accepter l’invitation du Président. La plupart seront d’ailleurs largement récompensés et compteront après la guerre parmi ses alliés les plus éminents. Cigaal invite ensuite les délégués réunis à Beer à se rendre à Hargeysa et à venir y finaliser les accords de paix qu’ils ont pu d’ores et déjà engager. Afin d’assurer le succès de sa manœuvre, le président s’attache à rallier à ses vues – en lui octroyant quelques facilités financières dit-on – l’un des suldaanno les plus influents des Habar Yoonis qui amène avec lui la représentation de la moitié de leurs familles. Seuls quelques autres qui considèrent toujours que la paix locale doit résulter d’une entente locale persisteront dans leur refus de se déplacer. Maxamed Cigaal procède de la même manière avec les Habar Jeclo dont les notables, suldaanno et membres de leur guurti, reçoivent de l’argent afin qu’ils contribuent à parachever le processus de paix. Cette stratégie qui ne porte pas immédiatement ses fruits finit néanmoins par payer. Le président est parvenu à diviser les odayaal de sorte que, bien que certains choisissent de rester, la plupart se décident à rejoindre Hargeysa. Finalement vidé de la plus grande partie de sa substance, le shir de Beer est abandonné ; l’assistance partielle qui reste sur place ne suffit plus à en assurer la légitimité. Au terme de l’exercice, Cigaal accordera des responsabilités politiques et divers avantages à ceux qui auront immédiatement répondu à son appel. Les autres, ceux qui sont restés à Beer mais aussi ceux qui le rejoindront tardivement, seront marginalisés. Le centre du pouvoir au Somaliland s’est définitivement déplacé à Hargeysa.
Atrophier les irréductibilités Rien de tout cela naturellement ne se déroule de bonne grâce. La position initiale des délégués Habar Yoonis à Beer avait été de boycotter la conférence de Hargeysa. Dans la perspective de soutenir 187
une candidature commune contre Cigaal, cette position avait été partagée par certains notables Habar Jeclo avant que ne soient exercées quelques promesses compensatrices, voire rémunératrices peut-être. Il est quand même permis de se demander comment le président est parvenu à cette reddition en rase campagne, amère mais indiscutable. Plusieurs réponses peuvent être apportées. La première tient à ce que depuis quelques mois déjà Maxamed Cigaal a compris la faiblesse de ses adversaires et considéré qu’il n’avait plus qu’à porter le fer au sein même des lignages afin d’en atomiser les solidarités naturelles. C’est précisément à cela que s’applique le président dont la stratégie menace de conduire à de plus graves divisions encore au sein de chacun des lignages. La nouvelle problématique introduite par Cigaal suscite et entretient les débats vigoureux, voire enflammés, qui auront caractérisé la conférence de Beer. La tension à certains moments devient telle que même le principe d’une meilleure représentation des Habar Yoonis ne paraît plus constituer une concession suffisante pour convaincre les délégués de se rendre à Hargeysa. Évitant cependant le pire, les éléments les plus modérés dirigés par le Habar Yoonis Axmed Siilaanyo auquel ces dangers n’ont pas échappé parviennent finalement à s’imposer. En contrepartie, il est convenu d’une part d’un compromis stipulant que la délégation serait porteuse d’une déclaration faisant état des réserves émises au sujet de la conférence, et d’autre part qu’il serait demandé au gouvernement d’autoriser une série de réunions de réconciliation sur l’ensemble du pays avant que ne se soit organisée une conférence nationale générale. Beaucoup n’ont vu dans cet engagement qui ne satisfaisait fondamentalement personne qu’un pis-aller dont viendra progressivement à bout la désaffection qui se précise à l’encontre du shir de Beer. Si toutefois, très vite, nul n’en reparle plus, il reste que ceux qui, à leur corps défendant, se sont finalement ralliés à l’envoi de délégués à Hargeysa n’en sont pas pour autant apaisés. Aussi cette atmosphère qui demeure lourde de menaces et le potentiel de violence qui reste élevé planera tout au long des premières semaines de la convention réunie à Hargeysa. Beaucoup craignent aussi de voir Cigaal acheter son retour au pouvoir alors qu’il était nécessaire maintenant que le Somaliland introduise une forme de gouvernance légitime, représentative et responsable. Or l’administration gouvernementale ne leur paraît pas de nature à évacuer ce doute. Cependant, en cette fin d’année 1996, en dépit des difficultés rencontrées mais fort de la légitimité politique que lui avait conférée le processus de Boorama, de la disposition des revenus du port de Berbera et d’une armée unifiée sous son commandement, Cigaal est véritablement en position de force. Il se trouve même dans une bien meilleure position pour renforcer son pouvoir que Cabdiraxmaan Tuur n’avait pu l’être en 1992. Certes les affrontements du début de 1996 ont marqué le pas sans qu’aucun des antagonistes ne soit parvenu à 188
imposer sa volonté de façon décisive mais les populations depuis longtemps lasses des combats en entrevoient maintenant le terme. Certes aucune convention globale n’a été signée et seuls quelques shirar sont parvenus à conclure des accords de paix entre les clans, accords aussi précaires que limités mais chacun se prend maintenant à attendre de la conférence qui débute qu’elle procède à une synthèse des velléités de paix.
L’ouverture de la conférence de Hargeysa C’est ainsi que, tandis que le shir de Beer s’essouffle inexorablement, s’ouvre, le 15 octobre 1996 à Hargeysa, une conférence qui s’attachera à trois thèmes particuliers : résoudre les divisions du Somaliland et entreprendre la reconstruction du pays, relancer le chantier constitutionnel et décider de la recomposition d’un exécutif légitime. Quand s’ouvre la conférence1, Maxamed Cigaal a déjà dépassé de plus de deux ans le terme du mandat pour lequel il a été élu en 1993, à savoir le mois de mai 1995. Il a depuis habilement instrumentalisé la guerre civile pour imposer un état d’urgence de six mois. Les affrontements qui n’en finissaient toujours pas ont conduit en septembre 1995 le Parlement a lui accorder une prolongation de son mandat pour 18 mois encore, portant son nouveau terme à mars 1997. Mais maintenant que le thème de sa réélection sous-tend l’ensemble des débats, il s’installe une ambiance générale qui est loin d’être sereine. L’âpreté des discussions constituera d’ailleurs l’un des traits marquants du rassemblement. Cependant, progressivement, l’évolution du mode de représentation parvient à constituer une concession suffisante pour que les délégués ne renoncent pas à censurer l’exercice de sorte que la nouvelle règle, habilement utilisée par le président, lui assurera à la fin de l’exercice un large succès. Le 8 janvier par exemple, Maxamed Cigaal et son vice-président Cabdiraxmaan aw Cali Faarax reçoivent à Hargeysa une délégation des Ciidagale conduite par le suldaan Maxamed Cabdillaahi Galaal pour discuter de la sécurité. La délégation est composée de plusieurs dizaines de personnes, autorités religieuses et traditionnelles, intellectuels, responsables militaires, toutes représentatives du lignage. Au prix de nombreuses concessions de part et d’autre, ces discussions parviennent à réconcilier le gouvernement avec cette communauté qui avait particulièrement mis en difficulté le pouvoir avec la dissidence de la Force III en novembre 19942. La conférence se sera finalement révélée un moyen de mettre un terme aux blocages qui perduraient en rassemblant autour du projet constitutionnel une population fragmentée et un gouvernement divisé et en les mettant à l’ouvrage. Cela dit, il est clair aussi que la crédibilité 1 2
Cf. en fin de chapitre la composition du Comité exécutif de la Conférence. LOI n°751. 1 I 1995. 189
des membres de la Guurti en tant que forum politique en ressortait largement endommagée1. Toujours est-il qu’après cinq mois de discussion, de négociation et de délibération, de réels progrès seront accomplis, des principes acceptés et retenus : finalisation de la cessation du conflit, notamment par entérinement des propositions des différents shirar, dépôt des armes [som. hubka dhigis] et démobilisation [som. abaabul ka saaris] des milices, constitution sur leur base d’une armée nationale [som. qarameyn « nationalisation »], mise en place d’un fonds gouvernemental pour la reconstruction [som. dibu-dhis], de Burco par exemple grâce à l’imposition d’une nouvelle taxe levée au niveau national mais redistribuée au nom de la collectivité, et l’usage de la nouvelle formule de représentation des clans que confirme désormais le parlement.
LE PROCESSUS CONSTITUTIONNEL Naturellement, l’une des tâches les plus pressantes de ce second mandat porte sur la rédaction de la nouvelle constitution. Depuis 1994, Cigaal et le Parlement sont aux prises sur la question de savoir à qui il revenait de rédiger le projet, chacun y allant de sa propre version.
L’ouverture du chantier
[VII 1995]
Depuis l’adoption de la Axdiga qarameed, la « Charte nationale », le 25 avril 1993 au terme du shirweyne de Boorama2, le Somaliland est en effet dans l’attente d’une constitution en bonne et due forme. Le processus constitutionnel a réellement été lancé en janvier 1994, après que le parlement a désigné un comité national de dix membres chargé d’en rédiger une ébauche. La tâche de rédaction commence au milieu de l’année avec le dessein d’impliquer un éventail le plus large possible d’intervenants représentatifs de la société somalilandaise. Ce comité est assisté par un groupe consultatif composé de vingt à vingtcinq personnes comprenant des odayaal ainsi que des politiciens, des spécialistes juridiques et des chefs religieux. Les choses paraissent devoir s’accélérer l’année suivante quand, au début du mois de juillet 1995, le président annonce que le processus de rédaction devrait être terminé d’ici un an. À cet effet, le comité national tient une réunion commune avec les parlementaires à Hargeysa. À l’issue des premières discussions, un différend fondamental portant sur l’esprit du projet surgit entre le président et le comité : Maxamed Cigaal souhaite un régime présidentiel de type américain alors que le Parlement qui prépare un texte concurrent penche clairement pour une démocratie parlementaire de type anglais. Le Président laisse alors entendre que des experts étrangers pourraient être invités à donner leur 1
ICG. Somaliland : Democratisation and its discontents. Africa Report N° 66. 28 VII 2003. 2 Cf. FONTRIER 2012/1 : 309-335. 190
avis afin que le projet débouche sur une constitution claire et compréhensible par chacun. À la fin de l’année 1995, soit qu’il ne sente pas disposer d’un contrôle suffisant sur ce système de rédaction, soit qu’il préjuge du réalisme voire de la durée que pourraient encore prendre les débats, le président Cigaal passe, à l’insu du Parlement, une annonce dans les pages de l’hebdomadaire britannique The Economist. Il y appelle à candidature d’experts constitutionnels afin qu’ils rédigent une constitution qui, aux dires de ses détracteurs, se révélerait plus à son goût peut-être. En réalité, Maxamed Cigaal s’est personnellement assuré depuis octobre des services d’un conseiller juridique en la personne d’un ancien ministre soudanais des Affaires étrangères, Muḥammad ‘Ibrāhīm Ḫalīl, dont la présence déclenche immédiatement la colère de nombreux députés1. Procédant lui-même à l’accréditation du constitutionnaliste, Cigaal a aussi demandé que le comité et le groupe consultatif cessent leur travail et quittent les bureaux qui leur avaient été alloués pour permettre au juriste sollicité d’y entreprendre ce pour quoi il a été mandaté. Afin de verrouiller sa décision, le président enfin empêche le transfert de fonds publics au comité parlementaire, mettant ainsi un terme à leur activité de consultation. Les réactions bien sûr ne se font pas attendre. Les députés supportent d’autant plus mal la présence du juriste soudanais que non seulement celui-ci travaille aux frais du Somaliland2 mais encore qu’il réserve ses rapports à la seule présidence et non au parlement, alors qu’un différend fondamental portant sur l’esprit du projet oppose ces deux institutions. Quand face à la dispute qui se profile surgissent quelques problèmes, plus impatient que jamais, mais las de cette impasse Cigaal demande finalement à Muḥammad ‘Ibrāhīm Ḫalīl de mettre de côté son projet constitutionnel pour se consacrer à l’établissement d’une législation relative à la réglementation des investissements étrangers. Mais s’il cède effectivement face à la tension qui s’est installée, le président, comme l’y autorisent les pleins pouvoirs qui lui ont été accordés, gouverne maintenant quasiment par décrets et tend à s’isoler. Les consultations se font de plus en plus rares et au cours des derniers mois, il a rarement quitté le palais présidentiel. Dès lors, les membres de son gouvernement se plaignent d’être traités comme des secrétaires et, ce faisant, il est accusé par ses détracteurs de violer le fondement de cet État fragile : la charte de Boorama qui stipule une séparation des pouvoirs. Néanmoins, les deux projets seront menés à terme. Il restera à la conférence réunie à Hargeysa de sortir de l’impasse en combinant les deux en un document unique propre à fournir une base de travail 1
Africa Confidential. 16 II 1996. Son contrat aurait été de 100 000 £ soudanaises, soit quelque quelque 500 $ par jour, frais en sus. 2
191
certes provisoire, mais commune, en attendant la ratification par referendum d’un texte définitif.
La constitution provisoire C’est ainsi qu’il est décidé de mettre en place un comité1 chargé de rédiger un document combinant les deux versions et exploitable à temps pour être entériné par la convention réunie. La tâche demeure problématique tant pour le comité constitutionnel que pour la conférence elle-même. Le gouvernement en effet ne parvient pas à résoudre le différend qui l’oppose au Parlement, lequel se tient pour investi de la charge rédactionnelle du document. Le comité, choisi parmi les délégués de la Conférence, se met néanmoins au travail le 26 novembre. Représentant chacun des lignages, ses membres constituent un groupe de 15 personnes placées sous la présidence d’un notable gadabuursi respecté, sheekh Cabdilaahi sheekh Cali Jowhar. Munis des deux versions d’ores et déjà préparées – d’une part le document de 82 pages et de 254 articles par le consultant soudanais et d’autre part la version plus courte élaborée par le comité parlementaire –, il s’agit de trouver un accommodement susceptible d’obtenir l’accord et le soutien de toutes les parties. La conférence d’Hargeysa aura donc la tâche délicate de se prononcer sur un projet de nature à satisfaire le plus grand nombre. La copie préparée par le consultant est rédigée dans un bon anglais et suit à peu près la même structure que le texte établi par les parlementaires, à cette différence près qu’elle accorde naturellement davantage de pouvoir à l’exécutif. La version du Parlement est manifestement le travail laborieux d’un comité plus consensuel mais dont la rédaction atteste aussi de leur inexpérience dans le registre constitutionnel. Travaillant le document article par article mais pressé par le temps, le comité finit par s’entendre sur un texte retenant un peu plus de la moitié de la version parlementaire, le reste relevant de la version préférée de Cigaal, en dépit du fait que certains au sein du comité aient estimé que la version soudanaise était la meilleure des deux. Le président sort insatisfait de l’exercice, et tout au long des quatre années qui vont suivre, cherchera des façons de l’adapter avant qu’elle ne soit soumise au referendum prévu. En attendant et pour une période de trois ans, le document adopté tiendra lieu de constitution provisoire. La version finalement soumise à la conférence comporte 156 articles2, dont certains portent en mention que l’édition pertinente devrait être 1
[som. Guddiga isku duba ridka Dastuurka]. Litt. « Le comité de préparation de la Constitution ». Cf annexe p. 455. 2 Le texte est constitué d’un préambule [som. arar] suivi de cinq chapitres [som.qayb] eux-mêmes divisés en sections [som. xubin], le tout représentant 156 articles [som. qodob]. 192
ultérieurement déterminée « par une loi parlementaire » ; cette manière a vocation d’éviter que certains des arguments les plus controversés compromettent l’acceptation du texte par la conférence mais les imprécisions qui en résultent provoqueront aussi certains problèmes qui perdureront jusqu’au texte définitif voté en 2001. Cette première constitution, provisoire, du Somaliland est adoptée par la Grand Conference of the Somaliland Communities en février 1997 en tant que document intermédiaire. Son article 151-§1 précise qu’elle est mise en œuvre pour une période de trois ans à compter de son approbation mais qu’elle n’entrera pleinement en vigueur qu’après la tenue d’un referendum. Cet article est assorti (151-§2) d’une disposition permettant aux deux chambres du Parlement d’augmenter la période intermédiaire. Il s’agit principalement de donner plus de temps pour l’achèvement de la révision de la Constitution avant qu’elle ne soit soumise à un referendum national ainsi que de mettre en place les lois et les mécanismes de changement de l’actuelle démocratie « représentative » au Somaliland pour parvenir à une démocratie populaire fondée sur les élections directes du président et du Parlement du Somaliland. Rien ne sera donc facile et il faudra près de quatre années encore pour que soit enfin organisé un referendum portant à la fois sur l’indépendance du pays et sur le texte constitutionnel1. Cigaal est profondément contrarié d’un tel compromis et la constitution restera un point de blocage jusqu’à ce qu’en 2000, un comité de 45 membres nommés conjointement par l’exécutif et le législatif parviennent enfin à rédiger un projet acceptable par tous. Le texte retenu octroiera davantage de pouvoirs à l’exécutif ainsi que le recherchait Cigaal tandis que le parlement recevra des pouvoirs supplémentaires dans le domaine du contrôle financier ainsi qu’un rôle dans l’approbation des nominations administratives. Les derniers obstacles ainsi levés, il faudra attendre encore quatre ans avant que le referendum prévu en 1991 à Burco pour 1993 ne se déroule finalement, le 31 mai 2001. Une fois ce nouveau projet constitutionnel accepté comme document provisoire, l’attention se porte maintenant sur l’élection du président et du vice-président qui peuvent maintenant se dérouler selon les termes établis par le texte adopté.
1
La Constitution sera adoptée par le Parlement le 30 avril 2000 et approuvée par référendum le 31 mai 2001 Au début de 2000, les deux chambres voteront un prolongement d’un an de la période. Bien qu’initialement le gouvernement du Somaliland ait proposé des modifications assez importantes de la Constitution en 1999, la Constitution révisée finale n’en est finalement pas très différente ; la réduction du nombre d’articles de 156 à 130 été surtout atteint par la fusion de certains articles et non à des abrogations. Contrairement aux projets de propositions antérieurs, les parties de la Constitution relatives aux principes directeurs et aux droits de l’Homme ont été conservés. Dans l’ensemble, les révisions aménageront davantage le texte qu’elles ne lui apporteront des changements fondamentaux. 193
La réélection de Maxamed Cigaal
[23 II 1997]
En attendant cette issue heureuse, la défiance de la classe politique et celle de nombreux observateurs à l’encontre de Cigaal s’alimente d’un soupçon qui se transforme maintenant en certitude, à savoir que le président est en train de capter à son profit les bénéfices de l’exercice. Beaucoup pointent du doigt le caractère antidémocratique d’une réunion qui a été imposée de manière autoritaire. Le Peace Committee lui-même, qui a si longtemps fait preuve de patience et de persévérance est incapable de dissimuler sa frustration. L’atmosphère politique qui prévaut apparaît à ses membres très chargée de factionnalisme et de clanisme souvent favorisés par Cigaal. La polarisation interclanique et interrégionale comme l’alignement politique devient claire : le président, avec toutes les ressources publiques à sa disposition, joue contre tous les autres candidats à sa succession. Sous de nombreux aspects, le premier mandat de Cigaal s’était achevé sur des frustrations, sinon sur des échecs. Contraint à présider pendant une guerre civile, son gouvernement n’avait guère eu le temps il est vrai d’accomplir les progrès attendus en vue de l’établissement de la nouvelle constitution, de l’organisation d’un referendum ou de nouvelles élections. De plus, la république autoproclamée n’était parvenue à aucune reconnaissance internationale. Or, concernant l’hypothèse de briguer un second mandat, Cigaal, à l’intelligence politique acérée, avait initialement déclaré qu’il ne souhaitait pas se représenter, jusqu’à ce qu’au fil de la conférence, il devienne patent qu’il prévoyait exactement le contraire. C’est ainsi que, le 23 février, douze candidats se présentent devant les membres de la conférence. Ils doivent être musulmans de même que leurs épouses et ne pas être mariés à une étrangère. Plusieurs sont immédiatement écartés pour des raisons techniques. Pour une large part soutenu par ses adversaires du temps de guerre, les clans Habar Garxajis, Cigaal est élu à une écrasante majorité de 223 voix (70,8%) sur les 315 votants de la conférence1. L’ancien ministre Saleebaan Gaal [Habar Jeclo], son rival le plus proche, obtient 90 suffrages, tandis que le maire de Hargeysa, Maxamed Xaashi Cilmi [Habar Gexajis], n’en obtient que deux. C’est, comme convenu, un Gadabuursi, Daahir Rayaale Kaahin, qui est élu vice-président, les deux hommes étant mandatés pour un mandat de cinq ans. La réunion nomme enfin les membres des deux Chambres du Parlement dont le nombre a été porté à 164, la Chambre basse des représentants pour un mandat de cinq ans, et la chambre haute, la Guurti, pour six. En fin de compte, les conflits à Hargeysa et à Burco auront davantage servi à renforcer l’administration Cigaal qu’à saper son pouvoir, comme 1
Maxamed Cigaal rallie non seulement le suuldaan des Habar Garxajis mais aussi des chefs de milice importants tels que Axmed Mire Maxamed [Habar Jeclo] ou Maxamed Xuseen Qalinle. 194
ils auront contribué à renforcer la détermination indépendantiste du pays. Certains observateurs craignaient que les résultats du scrutin ne se conclussent sur une reprise des affrontements. Mais c’était sans compter sur la lassitude de la population, fatiguée des conflits incessants. Ces résultats allaient apporter la période de paix la plus durable que le Somaliland connaîtrait dans l’histoire contemporaine. Le second mandat de Cigaal en revanche sera beaucoup plus fécond1. Au lendemain de la conférence d’Hargeysa, le Somaliland entame en effet une période de reconstruction et de croissance longue et spectaculaire. Dans tous les registres, l’administration s’impose sur presque tout le territoire et le processus de démocratisation qui était resté quasiment gelé depuis la conférence de Burco en 1991 se prend à démarrer. Acquis collatéral le plus important peut-être de la Grand Conference of the Somaliland Communities, elle scellait la volonté indépendantiste du pays en en signant un nouveau départ : la convention engageait en effet au passage d’un beel system qui avait montré ses limites à un nouveau concept de démocratie multipartite. Quant à Maxamed Cigaal, aimé ou détesté, allié ou adversaire, nul ne pouvait contester son intelligence politique hors du commun. Son aptitude à conjuguer un sens du risque mesuré et son courage dans les choix imposait désormais sa silhouette comme figure fondatrice de l’État somalilandais.
1
Radio Hargeysa rapporte 6 novembre 1996 que le président du Somaliland a amnistié et relâché 669 prisonniers de guerre capturés au cours de guerres civiles ayant eu lieu au Somaliland. 195
Répartition spatiale des principaux lignages et clans hawiiye
196
X – LA L IGUE ARABE ET L ’ ACCORD DU C AIRE : LA PAIX DES H AWIIYE
Tandis que le Somaliland se met en situation de fonder de façon durable ses prétentions à une indépendance reconnue, dans le Sud somalien, les affaires se compliquent maintenant des ambitions impérialistes du monde arabe. Sur le terrain de la diplomatie en effet, on observe que Le Caire n’entend pas se trouver marginalisé à propos d’une Somalie que, d’une façon réflexe, il considère toujours comme une arrière-cour naturelle. L’initiative de Sodere est une affaire mal perçue tant par l’Égypte que par la Ligue arabe. La géographie a en effet placé la Somalie sur la ligne de front entre les sphères d’influence éthiopienne et arabe. Aussi, la compétition égypto-éthiopienne, patente dans les années 1990, resurgitelle clairement à propos du projet géré par l’Éthiopie. Le processus de Sodere risquant en effet de se conclure sur un nouveau gouvernement, l’Égypte de son côté en a invité les principaux participants à prendre part au Caire à une conférence parallèle dont le but caché serait de faire avorter l’initiative éthiopienne. Mais la conférence de Sodere n’a pas besoin de ce coup de pied puisque l’absence de Xuseen Caydiid impose en soi-même le constat d’un semi-échec. Pourtant, si l’exercice laisse la Somalie aussi divisée qu’avant, il reste qu’un mouvement est engagé, que se dessine une véritable envie de sortir de cette guerre, tout au moins d’en changer la forme, de lui donner maintenant un tour qui ne vienne pas compromette les affaires des particuliers.
LA SITUATION DES PRINCIPAUX CHEFS HAWIIYE L’équation à résoudre n’en est pas pour autant aisée. Car si la société internationale s’échine en vain à une identification rationnelle et binaire des solidarités clanique, il est clair que chaque faction – incapable par 197
essence d’une position monolithique – présente ses propres lézardes qui viennent compliquer à l’envi tout processus de paix.
Xuseen Caydiid et la crainte d’un isolement des Habar Gidir Les liens que Xuseen Caydiid est parvenu à nouer avec les présidents Daniel arap Moi et Yuweri Museveni, lui permettent maintenant de communiquer en termes presque cordiaux avec le Commissaire européen au développement, Joao de Deus Pinheiro, et même avec Sigurd Illing. Mais malgré tout, l’Union européenne s’inquiète de voir s’installer un processus de paix auquel il ne participerait pas activement. Pour de multiples raisons d’ailleurs. En effet, hors le fait en soi, il apparaît qu’à l’exception d’un noyau dur qui se sentirait menacé si Xuseen changeait de tactique, les Habar Gidir dans leur ensemble considèrent que le gouvernement instauré par son père a mené à une impasse. Personne ne l’a reconnu et le soutien que la Libye, le Soudan, l’Iran et l’Iraq lui ont a minima consenti laisse plutôt entrevoir maintenant qu’ils sont las de financer une administration qui n’offre toujours ni services publics ni paix1. D’autres se prennent à craindre que le fils n’ait ni le charisme ni l’envergure du général défunt et que ses choix politiques, auprès des islamistes notamment, ne soient pas judicieux voire de nature à l’isoler. Pourtant, parallèlement au processus de Sodere, des contacts discrets se sont établis entre Cali Mahdi et Xuseen Caydiid. En janvier, les deux hommes sont même parvenus à constituer des comités de travail. Dirigés par Maxamed Faarax Jimcaale pour la SNA et par Axmed Jilow Caddoow pour Cali Mahdi, ils ont commencé à se réunir en mars. Soutenu par l’Italie, le Kenya s’est prononcé en faveur de ces travaux que l’Éthiopie tente pour sa part de décourager, de la même façon qu’elle s’oppose aux rencontres entre Xuseen Caydiid et Cismaan Caato, qui bien que difficilement débutent également à Nairobi en février. Car Xuseen sait que s’il refuse de discuter, les Habar Gidir dans leur ensemble pourraient lui tourner le dos. Or bien qu’il redoute la reconnaissance internationale d’un gouvernement issu de Sodere, il n’en reste pas moins qu’il sait que d’une façon ou d’une autre il lui en faut intégrer quelque chose du message à défaut d’accepter les conditions de l’accord. Cela dit, en dépit de ces réserves, le gouvernement Caydiid bénéficie toujours d’une audience non négligeable et ses soutiens transcendent souvent les lignages Habar Gidir, particulièrement parmi les Muruursade, de plus en plus nombreux par ailleurs à répondre au chant des sirènes de l’islam radical. En l’occurrence, le chef de file de ces alliés n’est autre que le ministre de l’Intérieur, Maxamed Qanyare Afrax. Mais certaines familles abgaal, concurrentes de celle Cali Mahdi, 1
En mars, l’ambassadeur de Libye a dû déménager du secteur de Cismaan Caato, Xuseen Caydiid ayant anticipé une victoire qui n’a pas eu lieu. 198
sont également acquises à la SNA : Abiker Iimaan Maxamuud [Hawiiye/ Abgaal/Harti Abgaal/ reer Abiker] par exemple, l’imam des Abgaal, en a rejoint les rangs depuis février 1996. Pour leur part, les membres du gouvernement Caydiid originaires du Somaliland sont plus prudents. Certes, il vient de se créer une Northern Somali Alliance qui alliée à Xuseen regroupe les organisations unitaristes originaires du Somaliland, Harti de l’USP et Dir Ciise de l’USF, toutes deux opposées à Cigaal1. Mais, sans être directement concernés par les affaires claniques du Sud, les Isxaaq de Caydiid – au premier rang desquels son vice-président Cabdiraxmaan Tuur et son ministre des Affaires étrangères Jaamac Qaalib Yare [Isxaaq/Ciidagale] – n’ignorent pas que le Centre-Sud est une région densément peuplée et relativement riche. Ils savent aussi toutefois que la sécheresse qui menace pourrait y aggraver dans les prochaines semaines la famine et faire monter les tensions. Aussi, disqualifiés dans leur pays vers lequel un retour se révélerait difficile, ils se rassurent prosaïquement mais réalistement en admettant que le fait d’accorder aux Hawiiye un rôle politique décisif reste pour l’heure leur seule planche de salut à travers le démarrage de l’aide étrangère que le moindre espoir de paix devrait favoriser.
Cismaan Caato, richesse, intelligence mais manque de surface La position de Cismaan Caato est encore plus paradoxale. Sodere paraît lui avoir conféré une dimension nationale. Les intervenants étrangers qui ont constaté son astuce, son intelligence et son pragmatisme se félicitent de voir un tel interlocuteur siéger au NSC. Ils évaluent mal en revanche le fait que son seul pouvoir soit économique et qu’en réalité il ne compte guère d’appuis en dehors du champ de son clan, le reer Hilowle. Lui en revanche le sait. Homme d’affaires, il sait qu’il ne peut s’emparer du pouvoir en se contentant d’assister à des conférences nationales à l’étranger ou en bombardant tel ou tel marché du sud de Muqdishu avec les « obus de la paix » comme les ont malicieusement nommés les habitants de la capitale en référence à des propos tenus à sa radio, la Voice of Somali Pacification2. Mais si parmi ses propres partisans, Cismaan Caato est également soumis à la pression des durs qui s’opposent aux engagements de Nairobi, il reste qu’une réelle volonté de dialogue est apparue lors des entretiens qu’il a eus en février avec deux des plus proches conseillers de Xuseen Caydiid, Ugaas Cali [Cayr/reer Ugaas] et Maxamed Faarax Jimcaale [Habar Gidir/Sacad/ Lugayare]
1
LOI n° 759. 29 III 1997. En décembre janvier et février, ces pilonnages de mortiers ont causé la mort de plusieurs centaines de personnes. 2
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Cali Mahdi confronté à une opposition abgaal Si la position de Cismaan Caato exige de sa part vigilance et adresse, celle de Cali Mahdi au sein de son propre lignage est loin d’être confortable. Certains Abgaal souhaitent clairement maintenant voir se développer un processus de paix qui pourrait venir à bout de leurs propres disputes. Car c’est avant tout pour des raisons de conflits intraclaniques que certains avaient décidé en 1996 de rejoindre Caydiid, mettant explicitement en lumière les tensions établies entre Cali Mahdi et les Waceysle/Cali Gaaf1. Une autre menace a également surgi à travers la personnalité de sheekh Cali Maxamuud Raage Dheere (sheekh), Cali Dheere [Abgaal/Waacbudhaan/Maxamed Muuse], très proche des musulmans radicaux. Elle a conduit en novembre, janvier et février à des affrontements comparables à ceux qui dans le sud de la capitale avaient opposé le reer Jalaf de Xuseen Caydiid au reer Hilowle de Cismaan Caato. Cette fois encore, les combats sont devenus suffisamment violents pour convaincre les représentants des ONG de quitter provisoirement la ville. Certes, Cali Mahdi qui sent le danger a beau jeu d’expliquer que ses divergences avec le sheekh Maxamed Dheere portaient sur des questions de pouvoir et non sur l’application de la loi coranique, il est évident que les affrontements ont avant tout une dimension clanique. Si le conflit a été momentanément arrêté par les médiateurs des clans, Cali Ugaas Cabdulle [Abgaal/ Waacbudhaan/Da’uud] et sheekh Mucallin Nuur [Waceysle/ Cabdiraxmaan] sous l’autorité de l’imam des Mahmud Maxamed, la situation ne laisse guère présager d’un règlement facile. C’est pourquoi, pour conserver sa position parmi les Abgaal, Cali Mahdi a besoin du soutien de nouvelles personnalités de son lignage. Mais sachant qu’il dispose maintenant de ressources, certains lui créent des problèmes pour lui imposer leurs conditions. Dans cette logique, la confrontation avec l’ambitieux Cali Dheere menace de s’envenimer du soutien tactique des partisans abgaal de Xuseen Caydiid. Or, Cali Dheere pouvant alors jouer dans le nord de Muqdishu un rôle déstabilisateur comparable à celui de Caato dans le sud de la capitale, Cali Mahdi se prend à envisager que la réconciliation avec le sud de la capitale pourrait à tout prendre se révéler moins coûteuse. Car chacun des protagonistes est confronté à une évidence conjoncturelle : l’équilibre régional des pouvoirs évolue, et avec lui la richesse. La majeure partie des exportations, surtout le bétail, ne transite plus par Muqdishu, rendant la situation économique plus difficile, y compris pour les commerçants. Or, tant le devenir de Xuseen Caydiid que celui de Cali Mahdi dépendent en grande partie de la prospérité de la capitale. Homme d’affaires, ce dernier sait mieux que quiconque que 1
Dans le nord de Muqdishu, ces alliés abgaal de Xuseen Caydiid sont surnommés Faah-tuug, « ceux qui élargissent le domaine des voleurs ».
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si elle venait à décliner, elle pourrait les entraîner tous les deux vers la chute1.
L’ENTERREMENT DU PROCESSUS DE SODERE La réunion du NSC à Muqdishu
[7 IV 1997]
C’est sur ce fond de tableau toujours préoccupant que se tient à Muqdishu le 7 avril une réunion des factions somaliennes signataires de Sodere dont il s’agit coûte que coûte de faire avancer le processus. La veille, l’envoyé spécial de l’Union européenne y a rencontré le président du National Salvation Council (NSC), le général Aadan Cabdullaahi Nuur Gabiyow. Sigurd Illing lui a précisé que, bien que l’Union soutint le NSC, elle estimait que la paix ne pourrait être restaurée que par un accord entre les trois factions qui se partageaient le contrôle de la capitale, donc avec la présence et l’assentiment de Xuseen Caydiid qui ne reconnaissait toujours pas la légitimité du conseil. Bien que les modalités de désignation de ses membres n’aient encore fait l’objet d’aucun agrément, il est décidé que le futur parlement somalien compterait 251 membres, ce qui laisse supposer qu’un accord de principe a été obtenu quant à sa composition. Rendez-vous est également pris le 10 mai pour une nouvelle réunion dont l’objet sera de préparer le congrès qui, le 10 juin à Boosaaso, aura pour tâche de proclamer un gouvernement. Il reste que, outre l’opposition de la SNA à cette démarche, de nouvelles dissensions de nature à compromettre la réunion pointent d’ores et déjà au sein même du NSC. Le Majeerteen Cabdullaahi Yuusuf et Cismaan Caato en effet, tous deux parties prenantes de Sodere, semblent avoir été écartés des conversations qui viennent de se tenir à Muqdishu2. Aussi, que ce soit à Nairobi, à Sodere ou à Muqdishu, les résultats de ces exercices laissaient à chaque fois les observateurs perplexes. Pourtant, le pessimisme forcené de certains n’est pas forcément de bon aloi car il faut bien admettre qu’aussi imparfait se soit-il révélé, le processus de Sodere restait dans sa forme un point de passage obligé en vue de n’importe quel accord de paix, aussi improbable soit-il. C’est pourquoi, dès le mois de février 1997, le ministre égyptien des Affaires étrangères, ʿAmrū Mūsā, qui a très bien cerné le contexte et identifié la principale faiblesse de Sodere, invite-t-il les cinq coprésidents du NSC à se rendre au Caire3.
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Africa Confidential n° 279. 31 III 1997. LOI n° 761. 12 IV 1997. LOI n° 752. 8 II 1997. 201
Le lancement d’une initiative arabe : Le Caire
[IV 1997]
À la mi-avril, Xuseen Caydiid se rend au Caire où il est reçu par le même ʿAmrū Mūsā ainsi que par les responsables de la Ligue arabe. L’objet de la rencontre ne fait aucun doute. Il vise à organiser l’alternative à Sodere, initiative éthiopienne favorisée par l’OUA, en suscitant voire sollicitant un processus égyptien arbitré par la Ligue arabe et de nature à ouvrir la voie à une rencontre générale de réconciliation. Trop content de cette opportunité propre à disqualifier à la fois Nairobi et Sodere et à lui permettre de prendre le train en marche, le ministre égyptien conforté par la Ligue arabe annonce à son interlocuteur que son pays était tout à fait disposé à entreprendre de nouvelles initiatives de médiation en Somalie1.
Rencontre Xuseen Caydiid – Cismaan Caato : Ṣanʿā’
[12 V 1997]
Cette idée égyptienne qui convient à la SNA n’empêche pas Xuseen Caydiid de conserver son premier fer au feu et de poursuivre sur la ligne de Nairobi. Aussi, à peine sorti du Caire et avant de prendre le chemin des États-Unis où demeure toujours sa famille, rencontre-t-il Cismaan Caato, le 12 mai 1997, à Ṣanʿā’. Là, après une semaine de palabres, les deux hommes adoptent une déclaration commune selon les termes de laquelle ils s’engagent à appliquer les neuf points convenus à Nairobi en octobre2. La déclaration propose ainsi d’établir un cessez-le-feu immédiat dans la région du Banaadir – Muqdishu et ses environs –, mettre en place un comité technique chargé de séparer les deux factions, lever les barrages routiers entre leurs zones d’influence respectives et rouvrir à la circulation les routes de la capitale. Un comité de réconciliation sera enfin constitué propre à résoudre les différends entre les clans de la région ainsi que dans le sud-est de la capitale. Plus tard, ce seront les représentants de l’ensemble des clans Sacad qui se réuniront dans la capitale, le 17 octobre 1997, pour décider d’un accord de paix entre l’USC-Caydiid du reer Jalaf et sa dissidence, l’USCCaato du reer Hilowle.
Rencontre Xuseen Caydiid – Cali Mahdi : Le Caire
[29 VI 1997]
À l’issue de cette rencontre somme toute fructueuse, la question demeure quant à la place qu’elle pourra occuper dans la relation globale entre les chefs de faction. Elle interroge en effet sur une éventuelle arrière-pensée visant à isoler la troisième faction influente à Muqdishu, celle de Cali Mahdi, engagée pour sa part dans la préparation de la conférence de réconciliation toujours prévue à 1 2
LOI n° 762. 19 IV 1997. LOI n° 767. 31 V 1997.
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Boosaaso au mois de juin1, un exercice qui par ailleurs, dès la fin mai, paraît à chacun largement improbable. Le 25 juin en effet, Cali Mahdi annonce qu’une réunion des responsables du NSC se tiendrait incessamment à Sodere afin de convenir d’une nouvelle date2. Or depuis le 22 juin, les 26 factions du SNC ont ouvert à Addis Abäba la deuxième session du Conseil en présence du corps diplomatique résidant en Éthiopie et des représentants du gouvernement. D’emblée, on observe que contrairement à ce que l’on espérait, Xuseen Caydiid n’est pas présent à la réunion. Cette absence de mauvais augure n’empêchera pas cependant celle-ci de se poursuivre, une semaine durant, à Sodere3. Le danger n’échappe pas à la Ligue arabe. Aussi, postée derrière l’Égypte, suscite-t-elle, le 29 juin, une rencontre entre Xuseen Caydiid et Cali Mahdi. Une rencontre qui comme à l’accoutumée se résume à une série d’engagements dont chacun sait à l’instant où il les prononce les mille raisons qu’il a déjà de ne pas s’y soumettre. Mais dans l’esprit des dirigeants de la Ligue arabe, une telle rencontre conjuguée à tant d’autres finira par tisser les rets dans lesquels ils pensent prendre puis contraindre les dirigeants somaliens.
Les initiatives extracontinentales De cette Somalie de l’après-ONUSOM, il semble à certains observateurs que les grandes institutions internationales aient désormais disparu. Une telle assertion n’est pas justifiée. Nombre d’organisations non gouvernementales sont présentes qui, au quotidien, contribuent à soulager de nombreuses souffrances. Il reste que, le chemin de l’enfer étant pavé de bonnes intentions, elles entretiennent toujours pour se maintenir des comportements regrettables tandis que politiquement parlant elles demeurent parfaitement contre-productives. Et si, malgré la subtilité prudente de Kofi Annan, les Nations unies restent assurément disqualifiées sur le plan politique, les principales centrales humanitaires demeurent incontournables dans la plupart des registres de l’aide. Il semble même que, dans l’absolu, ce soit l’Union européenne qui se sorte encore le mieux de ces ingrats exercices.
L’HESITANT RETOUR DES NATIONS UNIES Au début de l’année 1997, Langer Bacher, le coordinateur des actions humanitaires des Nations unies en Somalie où il représentait également le PNUD, avançait l’idée d’une prise de contrôle par New York du Somalia Aid Coordination Body (SACB). Une telle perspective avait été vertement repoussée lors de la réunion, tenue à Rome les 29 et 30 mai 1 2 3
LOI n°766. 27 V 1997. LOI n°771. 28 VI 1997. LNA n°1. 12 IX 1997. 203
sous les auspices du ministère italien des Affaires étrangères, qui rassemblait les donateurs et ONG intervenant en Somalie. Provoquée par le sous-secrétaire d’État italien pour l’Afrique, la Coopération et la Méditerranée, Rino Serri, la réunion établissait sans ambiguïté le rôle actif que Rome entendait jouer sur le dossier somalien. Langer Bacher avait pour sa part exposé ses vues dans une lettre dont la discussion s’était imposée comme un point important de l’ordre du jour de cette rencontre. La position du représentant des Nations unies n’en avait pas moins été unanimement repoussée tant par le ministre italien que par le représentant spécial de l’Union européenne, Sigurd Illing, le délégué du G8 de la commission européenne, Basile Papadopoulos, et le représentant de l’USAID, Richard Mac Call. Tous avaient globalement estimé qu’étant donné les problèmes posés par les interventions passées des Nations unies en Somalie et vu les timides perspectives de réconciliation ouvertes par les récents accords entre les chefs de bandes armées, il était encore préférable que les Nations unies gardassent un profil bas et que la SACB continuât à se charger de la coordination des actions humanitaires internationales.
La mission de l’envoyé spécial des Nations unies
[6/20 VIII 1997]
Mais ce qui surtout ne laissait de surprendre c’était de voir à nouveau investi du dossier somalien par New York Ismet Kittani dont l’action de représentant spécial du Secrétaire général pour la Somalie s’était révélée pour le moins médiocre entre la fin 1992 et février 19941. Pourtant, le 6 août 1997, rien manifestement ne servant de leçon à personne, c’est à nouveau celui-ci qui entreprend en tant que nouvel envoyé de l’organisation, une tournée d’évaluation de la situation en Somalie, tournée qui du 6 au 20 août 1997 le conduira notamment à Hargeysa. L’agenda de Ismet Kittani est particulièrement étoffé, ce qui semble attester de la ferme intention de Kofi Annan, Secrétaire général des Nations unies depuis le 1er janvier 1997, d’investir à son tour la problématique somalienne. Après s’être longuement entretenu avec la plupart des responsables internationaux engagés sur le dossier, Ismat Kittani rencontre le 14, à Addis Abäba, le groupe de Sodere. Le SNC qui quasiment les rassemble est conduit par le colonel Cabdullaahi Yuusuf, Cali Mahdi et le général Aadan Nuur Gabiyow. Tous souhaitent que l’investissement des Nations unies soit le plus important possible mais font part de leurs vaines tentatives de convaincre Xuseen Caydiid de rallier le processus. Cela étant, ils s’engagent à tenter encore d’obtenir son accord ainsi que celui de Maxamed Cigaal afin qu’ils participent à la future conférence de paix tout en se disant aussi décidés à passer outre s’ils n’y parvenaient pas. Et en effet, en dépit du refus essuyé, le NSC considère qu’à l’exception
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FONTRIER 2012 : 246-251.
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d’une partie des Habar Gidir et des Isxaaq, le Conseil représentait sans conteste possible la majorité des Somaliens. Au fil de l’entretien, Cismaan Caato, tout en s’affirmant solidaire du groupe exprime toutefois un désaccord avec certains de ses membres. Il considère que la précipitation à tenir une conférence à Boosaaso sans une préparation adéquate et la participation de tous les partis concernés serait une erreur. Caato avance aussi que la direction de l’exercice devait revenir à un conseil plutôt qu’à un individu afin de venir à bout des ambitions individuelles. Il pense enfin qu’avant de songer à tenir une conférence de réconciliation nationale, il importait d’abord de réconcilier à tous prix les intervenants dans les zones de conflits, à commencer par Muqdishu. Le 20, l’envoyé spécial rencontre à Nairobi une délégation de la SNACaydiid conduite par Hilowle Iimaan Cumar [Harti Abgaal] qui lui remet un message de Xuseen. Au fil de sa missive, le chef de la SNA reprend les mêmes arguments qu’il avançait naguère à l’ambassadeur italien, à savoir qu’il n’y avait pas de région où son gouvernement ne soit représenté car il contrôlait 11 des 18 provinces de Somalie et jouissait de la confiance du peuple somalien. Commentant le processus de Sodere, il considérait que parmi les 26 factions et groupes qui le soutenaient une majorité était soit inexistante, soit était représentée par des présidents qui avaient été écartés. À l’encontre de l’Éthiopie, il dénonçait l’occupation militaire du Geedo consécutive à une invasion par ses troupes, la violation de l’embargo sur les armes et les interférences d’Addis Abäba dans les affaires somaliennes. Il constatait enfin que la politique éthiopienne était source d’instabilité en Somalie et affirmait que les problèmes somaliens devraient être laissés aux Somaliens pour qu’ils les résolussent. La délégation de la SNA assurait enfin que le gouvernement de transition n’était opposé ni à une réconciliation nationale ni à une conférence nationale de réconciliation et se disait lui-même engagé dans des efforts analogues à Muqdishu et ailleurs. Toutefois, il objectait à l’hypothèse d’une conférence à Boosaaso l’absence de consensus parmi les Somaliens, l’insuffisance des préparations et surtout l’absence d’un facilitateur impartial. Peu auparavant, le 15, Ismet Kittani s’était par ailleurs entretenu à Djibouti avec Maxamed Salah Nuur, le ministre des Affaires étrangères du Somaliland. Celui-ci avait déclaré d’emblée à l’Envoyé spécial que son voyage à Djibouti visait à lui demander de faire part au Secrétaire général du souhait du Somaliland de bénéficier d’une assistance plus substantielle de la part des Nations unies afin de consolider la paix fragile qui régnait chez lui. À propos du processus de paix, il déclarait que le Somaliland serait prêt à discuter « dès que ses frères du Sud auraient résolu leurs différends ». Au regard du projet de conférence à Boosaaso en revanche, il émettait de nombreuses réserves quant à la crédibilité de la représentation de certains des chefs de factions qui seraient parmi les participants. Aussi n’était-il pas prêt à donner une réponse formelle à la question de savoir si le Somaliland souhaitait ou 205
non envoyer un observateur. Cela dit, le ministre affirmait sans réserve que le gouvernement somalilandais était prêt à faire toute chose qui pût aider ses frères du Sud à mener à bien le processus de paix et que comme demandé par l’IGAD, le Somaliland serait même prêt à accueillir la conférence prévue à Boosaaso. Prudent à l’encontre des Nations unies, il exprimait enfin l’opinion que la résolution du conflit somalien devrait être laissée à l’IGAD en vue d’épargner à la Somalie des interventions extérieures avec des agendas cachés… tout en précisant qu’il ne mettait pas les activités des Nations unies au nombre de telles interventions1. Deux mois plus tard, le Secrétaire général des Nations unies nommait à compter du 1er octobre David Stephen chef de l’United Political Office for Somalia (UNPOS). Ce citoyen britannique encore chef du bureau exécutif au Secrétariat général de l’ONU était plutôt un spécialiste de l’Amérique latine où il venait de diriger entre 1996 et 1997 une mission de vérification des droits de l’homme au Guatemala. Un cursus qui loin de préjuger des qualités intrinsèques de ce fonctionnaire ne le prédisposait peut-être pas à la gestion d’un dossier aussi alambiqué2.
CONTRE-PROPOSITION ARABE : L’ACCORD DU CAIRE
[22 XII 1997]
S’attarder quelque peu maintenant sur le mécanisme conçu par la Ligue arabe au Caire permet aussi d’entrevoir le pourquoi de l’échec récurrent de toutes ces réunions.
L’enterrement du projet de conférence à Boosaaso
[1 XI 1997]
Déjà, au début du mois de septembre, il est évident que Maxamed Cigaal ne se rendra pas en Égypte. Recevant le 3 à Hargeysa une délégation conduite par le vice-ministre égyptien des Affaires étrangères, le président du Somaliland lui a refusé l’invitation de se rendre au Caire transmise à cette occasion. Le diplomate était venu convaincre les dirigeants somalilandais de participer aux pourparlers de paix prévus à Boosaaso au mois de novembre, projet lui aussi sur le point de faire long feu. La conférence une première fois reportée au 1er novembre se trouve de nouveau repoussée, sine die cette fois. Ce retard est officiellement imputé à un manque de moyens logistiques, les appels lancés à l’OUA et à la Ligue arabe n’ayant pas permis de récolter les fonds nécessaires au financement de la rencontre. Mais là n’est pas bien sûr la vraie raison du blocage. La rencontre qui doit rassembler 500 délégués représentant 26 factions ayant été décidée dans la continuité de Sodere, il tient simplement au fait que l’accord de paix a été rejeté à la fois par les dirigeants du Somaliland et par Xuseen Caydiid. Or l’impasse qui en résulte ouvre à des pays comme l’Égypte 1 2
Report of the Secretary-general on the situation in Somalia S/1997/715. 16 IX 1997. LOI n° 784. 25 X 1997.
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une possibilité d’intervenir à leur tour dans le processus de réconciliation somalienne et autant que faire se peut d’en exclure l’Éthiopie. Une telle perspective sied parfaitement à Caydiid qui en ce mois de novembre se trouve alors au où le gouvernement égyptien, vivement appuyé par la Ligue arabe, a également invité les autres factions somaliennes à entreprendre de nouvelles discussions de paix. Pour la partie égyptienne, il s’agit de relancer les engagements pris au Caire le 29 mai dernier par Xuseen Caydiid et Cali Mahdi et qui ne se sont jamais concrétisés depuis1. Exit en conséquence la conférence de Boosaaso, acte de décès des accords de Sodere.
Les résultats peu convaincants de la réunion du Caire L’offensive diplomatique est véritablement lancée les 7 et 8 novembre et présentée par le Secrétaire général de la Ligue des États arabes, Aḥmad ʿIṣmat ʿAbd al-Majīd, comme la négociation de la dernière chance pour la Somalie. Aussi celui-ci demande-t-il en préalable aux chefs de factions réunis de mettre un terme à leurs tournées respectives dans les pays voisins et de venir une bonne fois pour toutes négocier sérieusement et exclusivement au Caire. Cette introduction sans ambages ne cache donc pas que l’initiative égyptienne consiste bien à damer le pion à la médiation entreprise par Addis Abäba. Au-delà des intérêts particuliers de chacun, Le Caire et d’autres capitales arabes s’inquiètent également des suites que pourrait avoir l’engagement militaire éthiopien aux côtés des factions somaliennes en lutte contre Al Itixaad et son allié objectif, la SNA-Caydiid. Cette influence croissante de l’Éthiopie dans la Corne de l’Afrique ne peut complaire à l’Égypte. Deux craintes récurrentes entretiennent cette aversion : la perspective de voir les Éthiopiens mettre à exécution leurs projets de barrage hydroélectrique sur le Nil bleu, l’Abbay, et celle de voir le pouvoir à dominante chrétienne d’Addis Abäba devenir le cheval de Troie d’une pénétration israélienne dans la région2. Les conversations préliminaires qui commencent le 12 novembre au Caire pour s’achever le 1er décembre aboutissent à un résultat partiel. En l’absence des représentants du Somaliland, les délégués de la SNA de Xuseen Caydiid et les représentants des 26 groupes du National Salvation Council (NSC) rassemblés autour de Cismaan Caato et de Cali Mahdi signent un accord global. Celui-ci prévoit la création d’un gouvernement d’union nationale où le président serait choisi parmi les Hawiiye, le Premier ministre parmi les Daarood et le président du parlement parmi les Raxanweyn. Cet accord présente d’emblée une faiblesse de taille : il admet implicitement la sécession du Somaliland puisque le faisceau lignager des Isxaaq qui domine la république autoproclamée ne se voit réserver 1 2
er
LOI n° 785. 1 XI 1997. LOI n° 786. 8 XI 1997. 207
aucun poste important dans le gouvernement prévu. Mais par ailleurs ce plan aliène aussi les Majeerteen du SSDF rangés derrière le colonel Cabdullaahi Yuusuf Axmed qui a adhéré aux choix de Sodere proposés il y a quelques mois par une Éthiopie qui a en Somalie des intérêts et des vues diamétralement opposés à ceux des Égyptiens. Le Caire tente de reconstruire un gouvernement national unifié dans l’espoir de recréer dans la Corne une Somalie forte qui pourrait constituer un contrepoids militaire et diplomatique face à l’Éthiopie. Celle-ci au contraire cherche à maintenir une Somalie divisée mais dont les diverses composantes entretiendraient de bonnes relations avec Addis Abäba. Ajoutons à cela le souci éthiopien prioritaire de sécuriser la frontière du Geedo à partir de laquelle les islamistes d’Al Itixaad, soutiens de la dissidence somali, n’ont cessé de lancer des raids vers l’Ogadèn. L’armée éthiopienne a d’ailleurs procédé ces dernières semaines à d’importantes livraisons d’armes aux trois chefs de guerre opposés aux islamistes, le colonel ogaadeen Cumar Jees, le général harti Maxamed Moorgan et le général mareexaan Cumar Masalle1. C’est pourquoi, lorsque le 20 décembre, il est envisagé de réunir en février 1998 à Baydhabo une conférence pour procéder au choix du gouvernement d’unité nationale, les représentants du SSDF annoncent qu’ils ne s’y rendraient pas tant que la ville serait occupée par une faction étrangère à la région, la SNA-Caydiid en l’occurrence. Le colonel Cabdullaahi Yuusuf Axmed et le général Aadan Nuur Gabiyow refusent ainsi de signer l’accord et quittent Le Caire pour Addis Abäba où ils s’entendent sur une réunion d’urgence du NSC.
L’ORGANISATION DU NATIONAL COORDINATION COMMITTEE En dépit de la fronde des Daarood, le 22 décembre 1997, les délégués de la SNA-Caydiid et les représentants des 26 groupes du National Salvation Council (NSC) rassemblés autour de Cismaan Caato et de Cali Mahdi finissent par signer un accord exceptionnellement alambiqué2. Il faut noter que peu auparavant, le 18 décembre à Muqdishu, Al Itixaad et les Frères musulmans, avaient fait part de leur volonté de participer à la conférence de réconciliation. Seules conditions posées : l’adoption de la loi islamique et le retrait immédiat des troupes éthiopiennes de la région du Geedo. Une bonne disposition mais qui, cousue de fil blanc, ne retiendra à vrai dire l’attention de personne3. Il reste qu’en abandonnant l’hypothèse d’une conférence à Boosaaso, dont la procrastination est devenue récurrente, l’accord du Caire enterre résolument les précédentes réunions dont sans jamais y faire référence il reprend néanmoins de nombreux principes. Maintenant, sous la houlette égyptienne, ce sont Baydhabo et le 15 février 1998 qui sont 1 2 3
LOI n° 790. 6 XII 1997. Cf. annexe p.433 – Déclaration du Caire. LNA n°3. 12 I 1998.
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retenus pour la tenue d’une National Reconciliation Conference, étant entendu que dans toutes les zones de conflit, les milices seraient préalablement cantonnées dans des sites prédéterminés et qu’une force de sécurité conjointe serait mise sur pied. Un National Coordination Committee sera chargé de préparer, d’organiser et de conduire la Conférence qui rassemblera 465 délégués. Ceux-ci devront être représentatifs de tous les segments de la société somalienne et seront répartis de la façon suivante : - 160 sièges – 80 chacun - seront dévolus aux deux partis participant à la réunion du Caire, l’USC-Xuseen Caydiid et l’USCCali Mahdi ; - 90 seront réservés aux collectivités du « Nord de la Somalie », Dir et Isxaaq ; - 58 représenteront les trois faisceaux lignagers Daarood, Hawiiye et Raxanweyn ; - 23, 10 et 8 délégués représenteront les collectivités somaliennes non incluses dans les entités précédemment définies, à savoir les lignages isolés et castés ainsi que les femmes.
Les dispositions en vue de la National Reconciliation Conference Ce shir nabadeed, dont délibérations et décisions se tiendront en présence d’observateurs internationaux et des médias, aura pour tâche d’élire un Conseil présidentiel avec à sa tête un Premier ministre et d’adopter une Charte de transition. L’ordre du jour de la Conférence portera donc sur : - l’adoption d’une Charte de transition destinée à servir de cadre au Gouvernement national de transition ; - l’organisation du Gouvernement national de transition établi sur la base de la Charte de transition. Il est convenu que, désigné pour une période de trois ans, il pourra voir son mandat prolongé si nécessaire de deux années supplémentaires ; - la création d’une Assemblée constituante avec un président et deux vice-présidents. Elle sera composée de 189 membres dont 46 sièges seront attribués à chacun des quatre grands faisceaux lignagers somaliens – soit 184 membres. Les autres groupes sociaux se verront respectivement attribuer 3 et 2 sièges – soit 5 membres ; - la mise en place d’un pouvoir judiciaire indépendant avec l’interdiction de tribunaux spéciaux ; - l’élection d’un Conseil présidentiel de 13 membres - trois pour chacun des quatre faisceaux lignagers majeurs et un membre représentant les autres collectivités ; - l’élection d’un Premier ministre qui sera placé à la tête du gouvernement en transition. - Il est enfin entendu que la Conférence serait dissoute une fois parvenue au terme de l’ordre du jour. 209
Le document qui ne manque d’évoquer l’indispensable réouverture du port et de l’aéroport de Muqdishu s’achève sur un appel incantatoire à la bonne volonté de chacun, au pardon réciproque et sur une série de remerciements à l’adresse des organisations internationales et régionales, plus particulièrement aux présidents de l’Égypte et de la Ligue arabe. Xuseen Caydiid, accompagné des représentants de la Ligue arabe et des diplomates égyptiens, quitte le 28 janvier 1998 Le Caire à bord d’un avion militaire égyptien qui se pose sur l’aérodrome de Balli Doogle. Comme il apparaît évident que la conférence de réconciliation prévue à Baydhabo le 15 du mois suivant ne pourra pas avoir lieu, ils entreprennent de mettre en place une administration pour la région du Banaadir, efforts encouragés par l’Envoyé spécial égyptien pour la Somalie. Il reste que les progrès en vue de la formation d’une telle administration sont d’emblée handicapés par un nombre important de problèmes survenant au sein même de la communauté hawiiye. Le premier, la prétention de Xuseen Caydiid à être président de la Somalie est naturellement inacceptable à tous. Mais dans le camp de son principal adversaire, l’opposition que rencontre désormais Cali Mahdi au sein des lignages mudulood précarise d’autant sa position qu’elle est conduite par d’anciens alliés, Xuseen Bood et Muuse Suudi Yalaxoow1.
L’immédiate installation de la discorde Ainsi contesté dès le début du mois de décembre, l’accord du Caire aura d’emblée échoué à susciter la moindre l’unanimité. Au plan régional, il est immédiatement contesté par l’Éthiopie qui a parrainé le précédent accord de Sodere mais aussi par l’Érythrée qui lui a emboîté le pas sur ce dossier. Dès le 24 décembre en effet, l’agence de presse ENA2 a qualifié l’accord de « menace pour la sécurité en Somalie » estimant qu’il n’incluait pas toutes les factions en cause3. Le surlendemain à Addis Abäba, les 26 factions du SNC qui se sont retrouvées pour une réunion d’urgence avec le gouvernement éthiopien considèrent également que l’accord ouvrait une période dangereuse pour la Somalie4. Les deux principaux chefs darood, Cabdullaahi Yuusuf Axmed du SSDF et le général Aadan Cabdullaahi Nuur Gabiyow, qui avaient été parmi les promoteurs de l’accord de Sodere se désolidarisent maintenant catégoriquement des décisions du Caire. La rupture se profile au terme de la réunion après que les factions ont annoncé que, dans le cadre du NSC, elles avaient entrepris l’examen d’amendements de nature à 1
Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie. S/1999/882. 16 VIII 1999. L’Ethiopian News Agency [amh:የኢትዮጵያ ፡ ዜና ፡ አገልግሎት yä-ityopya zéna agälgelot]. 3 Le 30 janvier au Caire, interrogé à la télévision, le président égyptien Ḥusnī Mubārak se déclarera étonné du rejet éthiopien de l’accord de paix. LNA n°3. 12 I 1998. 4 LNA n°4. 12 III 1998. 2
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favoriser une meilleure participation au projet de conférence de réconciliation nationale. Leurs propositions se fondent sur deux thèmes : - définir clairement les critères de participation sur les lignages plutôt que sur une affiliation politique, plus évanescente ; - obtenir dès le 15 janvier que la milice de Xuseen Caydiid se retire de Baydhabo. La rupture est consommée après que les deux thèmes sont rejetés par celui-ci. À l’aplomb de cette réaction quasi immédiate, le porte-parole de la SNA admet certes « que chaque partie peut, sans condition préalable, proposer de nouvelles idées propres à enrichir l’accord du Caire » mais établit que « nul n’a le droit de modifier unilatéralement les accords signés par les différents groupes » Se dessine ainsi une fracture condamnée à s’ouvrir davantage. Car audelà de la compétition diplomatique patente entre Le Caire et Addis Abäba et les réticences partagées à l’encontre de Xuseen Caydiid dont les accointances avec les islamistes d’Al Itixaad préoccupent, le colonel Cabdullaahi Yuusuf Axmed du SSDF et le général Aadan Cabdullaahi Nuur Gabiyow du SPM partagent également des réticences de nature clanique. Il est en effet apparu aux deux chefs darood, le Majeerteen et l’Ogaadeen que l’accord du Caire était une affaire qui faisait la part trop belle aux lignages hawiiye. Ils ne peuvent ignorer qu’aux 58 sièges dévolus aux Hawiiye en tant que lignage s’ajoutent les membres des 80 sièges octroyés à chacune des deux factions alignées derrière Cali Mahdi et Xuseen Caydiid, et au sein desquelles, la part des Hawiiye n’a pas été consensuellement établie. Or l’accord de Sodere avait précisément été avalisé par les Daarood parce que, bien que conclu en l’absence de Xuseen Caydiid, il était fondé sur un équilibre de représentation acceptable entre les principaux lignages – dont les Hawiiye – au sein du National Salvation Council (NSC). Mais l’accord du Caire fait aussi des mécontents au Somaliland où les Isxaaq, campé sur leur déclaration d’indépendance se refusent toujours à participer à un processus de réconciliation nationale global en Somalie. Aussi le 31 janvier à Addis Abäba, le président Maxamed Cigaal appelle-t-il l’IGAD à tenir une réunion d’urgence pour débattre de » la violation de la paix par l’Égypte dans la Corne de l’Afrique ». Entre temps, à l’occasion de la première réunion ministérielle de la Joint IGAD International Partners Forum Joint qui se tient à Rome les 19 et 20 janvier, il est décidé – comme à l’accoutumée quand on ne sait plus quoi faire – la mise en place d’un Committee of the IGAD International Partners Forum explicitement dédié au soutien du processus de paix en Somalie1.
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Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie. S/1999/882. 16 VIII 1999. 211
Une réconciliation exclusivement hawiiye De retour fin janvier à Muqdishu après une absence de plusieurs mois, Xuseen Caydiid est le premier à confirmer la tenue, à Baydhabo comme prévue, d’une conférence de réconciliation visant à mettre en place un État fédéral et un gouvernement de transition1. À l’aplomb de cette annonce, la semaine suivante, les trois principaux chefs hawiiye – Cali Mahdi, Cismaan Caato et Xuseen Caydiid –, signataires de ce même accord de paix, se rencontrent dans la capitale. Les trois hommes acceptent alors de démanteler la Ligne verte, de rouvrir le port et l’aéroport de la ville et confirment la tenue de la conférence. Le 3 février, des milliers de personnes manifestent dans la capitale leur soutien au processus engagé2. Dans le Banaadir, en dépit de cette situation encourageante, l’affaire n’est pas gagnée pour autant. Dès le 10 février en effet, la conférence est reportée, sine die dans un premier temps, ce qui inquiète naturellement tout le monde, puis finalement à nouveau arrêtée, au 31 mars cette fois. Les lézardes les plus préoccupantes résultent de la désolidarisation de l’accord du général Aadan Gabiyow. Celui-ci en effet est toujours maître, avec son allié le général Maxamed Moorgan, de la côte sud du Banaadir et du port stratégique de Kismaayo, pièce majeure du dispositif de paix. Lorsque, à son tour, le SSDF refuse de se rendre à Baydhabo en arguant du fait que Xuseen Caydiid, qui se posait en puissance invitante, s’était en réalité emparé par les armes de la ville au détriment de la population raxanweyn, le plan cette fois apparaît véritablement moribond. Paix hawiiye concoctée entre les divers segments de ce faisceau lignager, l’accord du Caire a finalement pour résultat pervers de solidariser contre eux les trois grands lignages darood – Harti, Ogaadeen et Mareexaan. D’autant que, même au cœur du dispositif hawiiye, aucun ordre véritable ne règne davantage. Les accrochages sévères qui mettent aux prises les 15 et 16 février à Muqdishu des miliciens Habar Gidir Saleebaan et leurs cousins Cayr font au moins douze morts. Ces combats qui montrent un Xuseen Caydiid incapable de contrôler l’intérieur de son propre camp laissent les observateurs perplexes au regard de la formation rapide d’un gouvernement d’union nationale3. À Baydhabo, où doit se tenir la conférence de réconciliation nationale, la situation n’est guère meilleure. Les partisans de Xuseen Caydiid ayant continué d’occuper la ville, les responsables de la RRA ont à leur tour annoncé début février qu’ils boycotteraient la réunion. Tentant légitimement d’en reprendre le contrôle par la force, ils en hypothèquent ce faisant la tenue. Or à la fin du mois, de violents affrontements y opposent toujours les partisans de la RRA à ceux de la 1 2 3
LOI n° 797. 31 I 1998. LOI n° 798. 7 II 1998. LOI n° 800. 21 II 1998.
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SNA-Caydiid qui loin d’en retirer ses forces vient d’y acheminer des renforts. Ainsi, les dissensions qui avaient semblé un moment apaisées par l’accord du Caire réapparaissent alors qu’il s’agit de débattre de l’organisation de la conférence, notamment en matière de sécurité. À la fin du mois de février, aucun terrain d’entente n’a toujours été trouvé pour placer la ville sous le contrôle d’une force armée interclanique, condition sine qua non à la tenue de la réunion1. Bien au contraire les combats qui ont repris viennent de faire plusieurs dizaines de morts et de blessés dans Baydhabo où Xuseen Caydiid vient d’acheminer des renforts alors qu’au Caire il s’était engagé à en retirer ses forces. Finalement, les 14 et 15 mars à Djibouti, le 17e sommet de l’IGAD s’en prend ouvertement à la prolifération des initiatives qui « mettent en péril le processus de paix en Somalie ». Réaffirmant le rôle dévolu à l’Éthiopie dans la conduite du processus de paix, l’institution est africaine adopte le principe de la création d’un Liaison Group on Somalia – à imaginer à travers le Partners Forum par exemple -, qui permettrait aux nations intéressées de s’associer au processus de paix en définissant une position commune et en évitant ainsi les « initiatives parallèles »2. Le sommet invite enfin la communauté internationale à adopter une nouvelle approche, le peace dividend, en soutenant plus particulièrement les régions dont les chefs démontrent leur engagement en faveur de la normalisation3.
Opiniâtreté de la position arabe Le lendemain, 16 mars 1998, à Muqdishu, Cali Mahdi déclare mort l’accord du Caire du fait du refus de Caydiid de retirer ses troupes de Baydhabo avant la tenue de la conférence4. Il reste à la Ligue arabe à ne pas perdre la face. Aussi le 23 avril, au Caire, ignorant les désordres et s’arc-boutant sur le processus qu’elle a initié, l’organisation panarabe se dit prête à accueillir une conférence internationale sur la Somalie. Elle attend qu’un comité regroupant la Ligue Arabe, l’OUA et l’Organisation de la conférence islamique (OCI) et auquel participeraient les Nations unies, l’Union européenne et les 1
LOI n° 801. 28 II 1998. Le Groupe de liaison tiendra son premier sommet le 12 juin 1998 à Addis Abäba sous la présidence de l’Italie. Y assisteront les États membres de l’IGAD, les donateurs dont la Commission européenne, l’UNPOS et l’UNDP. Un autre organe consultatif, le Standing Committee on Somalia auquel sont invités l’IGAD, et les membres de son Partners Forum Liaison Group ainsi que tout État ou organisation intéressés est constitué le 5 novembre 1998 sous la présidence de l’Éthiopie. Les deux groupes continueront à se réunir à peu près tous les deux mois à Addis Abäba et à peu près aux mêmes dates. 3 Le concept de « Dividend Approach » est développé par l’IGAD in Recent Developments in the IGAD Peace Process on Somalia. Addis Abeba. August 1999. Prepared for the United Nations. 4 LNA n°4. 12 III 1998. 2
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pays voisins concernés dont l’Éthiopie, accepte de fournir l’aide nécessaire à sa tenue1. Compte tenu de la silencieuse réserve qui désormais résolument s’installe, le 28 octobre 1998, le Secrétaire général de la Ligue arabe informe Kofi Annan que le Conseil de la Ligue avait adopté une résolution appelant ses membres à fournir une assistance financière immédiate visant à soutenir les résolutions de l’accord du Caire. Il exprime aussi aux Nations unies sa gratitude pour le travail accompli, en particulier les agences travaillant en Somalie, et demande au Secrétaire général de trouver les moyens de soutenir l’administration de Muqdishu ainsi que la préparation de la conférence de paix envisagée par l’accord du Caire2. Cette offensive de séduction lancée par l’Égypte en direction de l’Afrique trouve finalement quelque écho puisque, le 24 novembre à Addis Abäba, l’Éthiopie et l’Égypte se déclarent prêtes à coordonner leurs efforts en faveur de la paix en Somalie. Cette position des diplomaties éthiopiennes et égyptiennes qui étaient jusqu’alors résolument divisées sur ce sujet constitue une étape intéressante dont on se prend à attendre ce qu’il pourra en résulter3. Plus longue à réagir, sept mois plus tard, l’OCI réunie au Burkina Faso du 28 juin au 2 juillet 1999 appellera à son tour à « une conférence de réconciliation et de paix internationale sur la Somalie… à tenir dès que possible ».
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LNA n°5. 12 V 1998. Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie. S/1999/882. 16 VIII 1999. Courrier international. 19 XI 1998.
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X I – L A NAISSANCE DE L ’E TAT FEDERAL DU P UNTLAND
Dans le Nord-est de la Somalie toutefois, dans la région qui s’étend de Gaalkacyo à Boosaaso et englobe les provinces du Bari, du Nugaal et du Mudug, c’est une perspective plus construite qui se dessine en pays majeerteen. Quand nous avons laissé la région à la fin de l’année 19941, le calamiteux shir de Qardho venait d’entériner la fracture politique au sein du Somali Salvation Democratic Front (SSDF), le parti emblématique de la lutte majeerteen contre le régime de Siyaad Barre : d’un côté le général Maxamed Abshir, homme pieux assez proche des milieux salafistes, homme de consensus aussi, disposé à s’entendre avec la SSA hawiiye de Cali Mahdi, homme honnête bien que naguère engagé malgré lui auprès de ce que le groupe du Manifesto comptait d’affairistes somaliens ou occidentaux ; de l’autre le colonel Cabdullaahi Yuusuf Axmed, fondateur du SSDF, sorti en 1991 des geôles éthiopiennes, homme de guerre, volontaire, ambitieux, obtus à ses heures mais parfait connaisseur des arcanes de la politique régionale. Un personnage charismatique aussi, dont la personnalité n’est pas sans rappeler celle de son compagnon et adversaire défunt, le général Maxamed Faarax Caydiid. Aujourd’hui, le colonel est l’homme qui a énergiquement résolu l’affaire des islamistes. Il est aussi celui qui a passé avec les clans hawiiye du Mudug un accord qui a mis un terme aux affrontements interclaniques et, partant, libéré le commerce de Boosaaso vers le sud et vers l’Éthiopie. Une fracture politique qui naturellement s’inscrit aussi dans le cadre des rivalités lignagères, 1
FONTRIER 2012/1 : 475-480. 215
Cabdullaahi Yuusuf rassemblant en priorité autour de lui les plus méridionaux des clans majeerteen, notamment les Cumar Maxamuud face à Maxamed Abshir et aux gens du Centre, les Ciise Maxamuud.
LE CHEMIN DE L’AUTONOMIE Toutefois, en dépit de cette rivalité qui ralentit toute construction politique régionale, les autorités traditionnelles des trois provinces du Nord-est ont eu à cœur de contenir voire de résoudre de conserve toutes les velléités conflictuelles qui pointaient, faute de mise en place d’une administration.
La mise en condition de l’environnement Après l’effondrement de l’État en 1991 en effet, les chefs coutumiers des trois provinces du Nord-est ont pris le parti de remplir le vide laissé par le pouvoir déchu. Leur initiative visait à reprendre en main le fonctionnement de la région majeerteen et à se réapproprier un rôle et une responsabilité qui par compromission ou par force leur avait peu ou prou échappé sous la dictature. Ces autorités traditionnelles ont cherché dès lors à mettre en synergie des politiciens, des intellectuels, des religieux et des membres de la diaspora afin de prévenir les conflits communautaires ou politiques voire en s’imposant en médiateurs. Cette posture, si elle n’explique pas tout, a largement contribué à réaccréditer la hiérarchie régulatrice issue de la tradition et, ce faisant, à en assurer la stabilité. À partir de 1996, sur ces dispositions se développe l’idée de création d’une administration régionale pour la région du Nord-est. S’emparant du concept, un groupe de professionnels et d’intellectuels somaliens entreprend une série de consultations approfondies dans le cadre d’un War-torn Societies Project (WSP). Dans une perspective de consolidation de la paix, leur objectif consiste – en s’appuyant sur une étude commandée par l’Union européenne à la London School of Economics – à explorer les possibilités de reconstruction et de relèvement de la région Nord-est en fondant leur étude sur les communautés. En dépit des difficultés liées à la personnalité de certains hommes politiques dans le processus de réconciliation nationale, ces initiatives suscitent d’une part un réel consensus et trouvent un large appui au sein des communautés ; d’autre part, elles trouvent grâce au soutien des isimo1 les moteurs pour la relance d’un processus qu’avait bien mis à mal le congrès de Qardho. Aussi le Nord-est qui a maintenu un niveau de stabilité suffisant se révèle-t-il en mesure, à travers un rétablissement raisonnable de la confiance, d’établir les fondements d’une administration régionale. 1
Le terme isin (pl. isimo), est utilisé dans le Nord-est de la Somalie pour désigner les « chefs traditionnels ». Le mot est synonyme de magac, « nom ». Les isimo sont ceux « qui ont un nom ». Un synonyme est oday (pl. odayaal), plus utilisé au Somaliland. 216
La conférence SSDF de Sodere
[7/20 I 1997]
En pays majeerteen en effet, épargné par la guerre civile, s’est reconstituée a minima une infrastructure économique. Des chambres de commerce se sont organisées à défaut d’une structure administrative rigoureusement gérée. Aussi est-ce à partir de l’une d’elles que se créent le 19 avril 1996 un parlement et un conseil de la région de Bari. Ce parlement, composé de 51 membres, a approuvé la nomination d’un gouverneur et de deux vice-gouverneurs comme chefs de l’administration de la région. Les trois régions majeerteen, dont le Bari est la plus vaste, entreprennent dès lors de se doter d’une administration unique appelée à gouverner à titre intérimaire en attendant l’installation d’un gouvernement national à Muqdishu. Mais en 1996 aussi, dans le Nord-est somalien, les tensions entre les deux mouvances du SSDF se sont accrues au point que ce sont quatre factions rivales qui se sont maintenant constituées. C’est pourquoi en octobre, des membres du SSDF établis au Kenya décident de prévenir la catastrophe et de les réunir toutes à Nairobi, avec l’appui logistique et le financement de la Commission européenne. Le groupe prend d’abord contact avec le général Maxamed Abshir et le colonel Cabdullaahi Yuusuf Axmed, qui tous deux en acceptent le principe. A ce même moment cependant, l’Éthiopie craint qu’une réunion SSDF à Nairobi ne vienne distraire les dirigeants majeerteen et les empêche de participer à la conférence nationale prévue à Sodere. Aussi, Addis Abäba propose aux dirigeants du SSDF d’accueillir leur réunion d’ici deux à trois semaines du 7 au 20 janvier 1997, à Sodere également, après la conclusion de la Conférence nationale qui en effet s’achève le 3 janvier. Cette proposition ayant été acceptée, la réunion SSDF rassemble trentecinq participants. Quand elle s’achève, tous ont accepté un compromis selon les termes duquel le général Maxamed Abshir serait nommé président du Front pour les Affaires intérieures et chef du Conseil politique provisoire [som. Golaha Ku Meelgaarka ee Siyaasadda]. Quant au colonel Cabdullaahi Yuusuf, président du SSDF, il serait chargé de gérer les questions d’intérêt national et de représenter le SSDF au National Salvation Conseil (NSC). Quinze membres constituant le comité exécutif du conseil politique par intérim du SSDF sont également nommés. La réunion paraît ainsi avoir résolu les conflits d’autorité les plus problématiques. Un accord a été trouvé autour d’un futur plan d’action comprenant la convocation d’une conférence d’ici la fin de l’année, la formation d’une administration provisoire intégrant les régions du Mudug, du Nugaal et du Bari, et l’organisation à Boosaaso de l’ensemble des conférences de réconciliation nationale. Des différends mineurs perdurent néanmoins que s’empresse de mettre en exergue la radio de Xuseen Caydiid a Muqdishu. Le 24 février 1997, le chef hawiiye fait en effet savoir qu’une semaine plus tôt a été créée une Somali People’s Democratic Union (SPDU), présidée par le major 217
général Maxamed Jibriil Muuse [Majeerteen/prob. Cismaan Maxamuud]. Cette éphémère faction, établie au sud du pays majeerteen, à proximité des zones habitées par les Hawiiye, s’allie à Xuseen Caydiid qui n’a pas participé à la conférence nationale, tandis que les dirigeants du SSDF signaient l’accord de Sodere avec ses adversaires. Critique à l’égard des dirigeants du SSDF dont elle est en effet une scission, le mécontentement de cette SPDU se confond avec celui des lignages darood des Leelkase et des Awrtable1 qui constituent la Somali National Democratic Union (SNDU)2.
L’impact dans le Nord-est de la conférence du Caire
[XI/XII 1997]
À la suite des réunions de Sodere – conférence nationale et réunion SSDF – les préparatifs avancent à Boosaaso afin d’accueillir comme convenu la Conférence de réconciliation nationale à la fin de l’année. Tout semble courir normalement jusqu’à ce que, de façon somme toute inattendue, le nouveau processus engagé au Caire entre novembre et décembre 1997 ne change radicalement la donne. L’affaire suscite en effet un grand mécontentement dans le Nord-est où les comportements de l’Égypte, du Yémen et des autres pays arabes qui ont détourné l’exercice au profit des factions hawiiye sont vigoureusement dénoncés. Les doutes à leur encontre sont encore renforcés après que la conférence du Caire s’est conclue sur un accord reconnaissant Cali Mahdi et Xuseen Caydiid comme les seuls représentants du peuple somalien, et ce selon un accord de partage du pouvoir convenu singulièrement entre eux. En outre, l’accord du Caire relocalise le site proposé de la Conférence de réconciliation nationale qui ne se tiendrait plus à Boosaaso mais à Baydhabo en janvier 1998. Le déménagement de la Conférence de réconciliation nationale du port relativement sûr du Bari vers la capitale du Baay, placée qui plus est sous occupation militaire par les forces de Caydiid, est considéré à la fois comme mal commode mais surtout comme une humiliation pour la région Nord-est. L’accord du Caire est donc perçu comme une trahison de l’espoir de reconstruire une Somalie unie ; il est aussi perçu comme un affront, un moyen de minimiser l’influence des Majeerteen dans les affaires du pays. Confrontée à une fin de non-recevoir, la délégation harti conduite par Cabdullaahi Yuusuf au Caire se résout à appeler le Comité central du SSDF à Boosaaso afin d’en obtenir des instructions ; par la voix du docteur Faarax Yasiin, il lui est explicitement demandé de se retirer et de rentrer. La représentation ogaadeen du SPM, conduite par Aadan Nuur Gabiyow prend le même parti. Le refus de deux des principaux 1
Les Leelkase dont la principale implantation est le Mudug et les Awrtable établis dans la région de Burtiinle dans le Nugaal sont des lignages Daarood non Harti. L’on retrouve les deux lignages au sein de la population de Garoowe ainsi que de plus en plus nombreux à Boosaaso. 2 LOI n° 755. 1 III 1997. 218
dirigeants darood de cautionner l’accord du Caire et leur retrait public reçoit d’ailleurs l’assentiment de la majorité de leurs communautés respectives. Quant à Maxamed Abshir, qui pour sa part a approuvé le document, il est censuré par ses partisans et perd désormais toute crédibilité, marquant le début du déclin historique de son influence politique dans les régions du Nord-est. Finalement, dans le Nord-est, l’échec des initiatives de réconciliation nationale à Sodere puis au Caire se conjugue avec le profond désir populaire de voir s’établir un environnement propice à la paix et à la prospérité. Ces échecs successifs consacrent la volonté d’une impulsion nécessaire pour un changement politique. La dynamique qui en résulte invite des personnalités de la diaspora à intervenir et à favoriser la formation d’un seul État associant les régions du Nord-est.
L’ETABLISSEMENT DE L’AUTONOMIE ET LA NAISSANCE DU PUNTLAND Vers un État simplement majeerteen ou un État harti À ce moment de leur histoire, les lignages harti établis sur la province du Bari mais aussi au Somaliland sur celles du Sool et du Sanaag considèrent que toute inaction les rend vulnérables. Ils en concluent à la nécessité d’une démarche coordonnée pour protéger leurs intérêts et éviter d’être balayés dans ce qui est perçu à l’échelle somalienne comme une lutte des lignages pour le pouvoir et pour l’intégrité de leur territoire. Ils identifient aussi combien le contrôle de celui-ci constituera toujours un argument puissant, quelle que soit la négociation visant à recréer une autorité centrale nationale. Dans ce contexte, Cabdullaahi Yuusuf et le SSDF exploitent judicieusement la crainte que suscite la construction d’une solidarité pan-harti. Warsangeli et Dhulbahaante, moins nombreux mais liés par leurs agnats aux Majeerteen, apparaissent dans l’ensemble favorables au projet d’un État autonome à propos duquel circule déjà le nom de Puntland. Au Somaliland en revanche, dans le Sool et le Sanaag où ils sont largement majoritaires, des réserves sont exprimées eu égard à la manière forte utilisée sans vergogne par Cabdilllahi Yuusuf pour convaincre les dirigeants récalcitrants. Mais dans le Bari, les isimo des deux lignages savent ce qu’il pourrait leur en coûter de contester le SSDF de manière trop explicite. Aussi dans leur ensemble les participants accepteront-ils la proposition autonomiste. Ceci étant établi, les architectes du projet ont aussi à intégrer des paramètres politiques plus pressants et à se positionner en conséquence. Les Majeerteen craignent en effet de voir le temps jouer contre eux avant que ne soit acquise la pleine reconnaissance du Somaliland. Ils savent que la présence d’un voisin sécessionniste internationalement reconnu minerait naturellement toute revendication sur le Sool et le Sanaag. Ils considèrent en revanche que la proclamation d’un Puntland semi-autonome mais non sécessionniste 219
saperait la position séparatiste de Hargeysa et grèverait sa campagne de reconnaissance. Un autre registre retient leur attention. Bien que le SSDF ait naguère vaincu l’Itixaad, Cabdullaahi Yuusuf et les siens n’ignorent rien de la menace que représentent toujours dans le long terme les puissants groupes islamistes. Ceux-ci, qui ont d’ores et déjà commencé à s’emparer insidieusement du commerce, entretiennent maintenant des relations clandestines étroites avec certains isimo et au sein de la société civile. Or il est évident pour le SSDF que ces groupes ont conservé des ambitions politiques et qu’ils chercheront à remplir tout vide politique si l’occasion s’en présentait. Aussi le front juge-t-il impératif de prévenir ce problème en suivant l’exemple du Somaliland où le SNM s’est transformé en mouvement politique. Cabdullaahi Yuusuf et ses alliés enfin ont besoin de maîtriser leurs adversaires au sein du SSDF. Le principal rival du colonel reste le général Maxamed Abshir, en dépit des tentatives de conciliation menées par l’Éthiopie en 1997. Cet antagonisme personnel, renforcé au moment où commence la conférence de Garoowe, se conclura sur une disqualification du général. En effet, alors que la réunion est initialement limitée aux isimo des trois principaux segments majeerteen, Cabdullaahi Yuusuf en parvenant à y inclure les autres lignages, Warsangeli et Dhulbahaante en particulier, jouera un coup de maître. Maxamed Abshir dont le plus grand soutien se trouve au sein des Majeerteen en sortira affaibli. La manœuvre ayant largement payé, Cabdullaahi Yuusuf s’imposera comme la personnalité dirigeante incontestée du Puntland.
La réunion consultative communautaire de Hobyo
[25 II 1998]
En attendant, au début de l’année 1998, alors que la consternation prévaut toujours au regard de l’initiative arabe du Caire, il se trouve que l’échec du processus national, les menaces que l’USC fait peser sur le sud du pays majeerteen et l’absence d’une administration efficace qui perdure dans le Nord-est suscitent un certain nombre de réunions du Comité central du SSDF. Elles sont suivies d’une série de consultations appropriées entre les membres dirigeants du comité central, des comités locaux et de la diaspora du SSDF, ainsi que des intellectuels, des religieux et des autorités traditionnelles à Boosaaso, Qardho et Garoowe. Bien que ces entretiens laissent apparaître des approches et des options différentes, presque tous les participants tombent d’accord sur la nécessité de se doter d’une structure de gouvernance régionale propre à répondre aux besoins politiques, économiques et sociaux de la région. Au terme de l’exercice, tous conviennent de convoquer une Conférence constitutionnelle communautaire à Garoowe en février 1998, afin de définir les modalités de convocation, au mois de mai suivant, d’une conférence constitutionnelle pour l’ensemble du Nord-est. Entre temps, le colonel Cabdullaahi Yuusuf, en cela conforté par Mälläs 220
Zénawi, le Premier ministre éthiopien, a pris le parti d’opter pour la régionalisation. Le 20 février, il informe les Nations unies que sa priorité était d’achever la mise en place d’une structure administrative opérationnelle tant au niveau de la région qu’au niveau local. La construction est présentée comme une unité constitutive d’un futur État somali mais aussi, en attendant, comme la structure qui représentera la région Nord-est à toute conférence de réconciliation nationale à venir1. Le 25 février, à Hobyo, les lignages majeerteen et les autres clans harti entament à cet effet une série de pourparlers qui dureront jusqu’au 4 mars. De ces entretiens ressortent, outre le SSDF, l’établissement de deux partis représentant les lignages darood non majeerteen, le Somali National Democratic Union (SNDU) qui autour de Cali Cismaaciil Cabdi rassemble les familles Leelkase et Awrtable et le United Somali Party (USP) dirigé par Maxamed Cabdi Xaashi qui rassemble les clans Warsangeli et Dhulbahaante. Quelques jours plus tard, une nouvelle réunion qui du 10 au 12 mars inclut les délégués du Sool et du Sanaag convient de donner le nom d’État du Puntland à la nouvelle administration régionale.
L’Assemblée constituante de Garoowe
[15 V/23 VII 1998]
La Community Constitutional Conference est le produit d’un long processus qui a certes débuté officiellement en 1997 mais dont il faut rechercher les prémisses dans la deuxième Conférence de réconciliation somalienne qui s’est tenue en 1993 à Addis Abäba. Elle se fonde également sur une observation de la conférence de Boorama au Somaliland. En effet, au cours de la Conférence de réconciliation nationale, la direction du SSDF avait avancé une vision « fédéraliste » de l’avenir de la Somalie. Un peu plus tard, en 1994, il avait à nouveau été évoqué ce concept au cours d’une déclaration prononcée par le Centre d’information de la communauté somalienne à Londres. Ainsi, au cours des cinq dernières années, la position fédéraliste n’avait fait qu’acquérir de la substance, consciente des réalités de la situation de facto sur le terrain, à savoir une Somalie divisée en lignages. L’échec des différents processus de réconciliation nationale, tant à Nairobi qu’à Sodere (1996) ou au Caire (1997), avait fini par créer les conditions favorables à un processus d’autonomie régionale, en attendant la formation d’autres entités et la création d’une Somalie fédérale. Aussi les délégations qui doivent se retrouver à Garoowe se constituentelles, en deux temps, sur la base du faisceau lignager des Harti. Les sièges sont attribués par province et il revient ensuite à chaque lignage majeur de procéder à la désignation des sièges selon ses propres segments. Cela étant établi, la participation ne se limite pas aux 1
Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie. S/1999/882. 16 VIII 1999. 221
habitants du « Nord-est somalien », les invitations sont étendues à tous les clans harti - ainsi qu’au Mareexaan du Galguduud. Les délégués commencent à arriver à Garoowe au début de mai 1998. L’organisation de ce shir beeleed1 – y compris l’inscription et l’hébergement des délégués – est entreprise par un comité préparatoire qui a organisé l’ensemble du processus et rédigé le projet de charte avec l’aide d’un groupe international d’experts en droit constitutionnel. Lorsque s’ouvre le 15 mai la conférence constituante, 469 délégués sont rassemblés, représentant les différents segments ainsi que l’ensemble des couches sociales du Nord-est somalien.
La création de l’État du Puntland
[24 VII 1998]
Le 18 juillet à Garoowe, au terme d’un processus constitutionnel qui aura duré plus de deux mois, une charte provisoire est ainsi adoptée. L’événement marque la création de l’État du Puntland. Avec 377 voix sur 469 soit plus de 80% des votants, le 23 juillet le colonel Cabdullaahi Yuusuf est élu président, résultat immédiatement contesté par le général Maxamed Abshir, l’un des deux autres candidats opposés au colonel. Maxamed Cabdi Xaashi, issu de United Somali Party-Somali Salvation Alliance (SSA-USP) est élu un vice-président2. La nouvelle est officialisée le lendemain par sa diffusion sur les ondes de la BBC. Un gouvernement de neuf membres est nommé le mois suivant et un Parlement à soixante-neuf députés inauguré en septembre. La Charte nationale du Puntland tiendra provisoirement lieu de constitution. Elle suit de très près le modèle de la Charte nationale du Somaliland, établie en 1993à Boorama et qui avait officialisé la naissance de l’État autoproclamé.
UNE CHARTE AMBIGUË La première remarque qui s’impose à l’analyste porte sur les différences entre la proposition de texte établie avec le concours des experts internationaux et la version retenue par la Conférence constitutionnelle de la communauté. Cette dernière insiste en effet tout particulièrement sur l’identité musulmane du nouvel État. Sur sa dimension territoriale, il apparaît que l’accord des clans a précédé la rédaction de l’acte et toute hypothèse de redéfinition de l’espace a été d’une certaine façon éludée3.
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Shir beledka dastuuriga ah ee Garoowe : « Assemblée communautaire constituante de Garoowe ». 2 Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie. S/1999/882. 16 VIII 1999. 3 BATTERA Federico. Remarks on the 1998 charter of Puntland state of Somalia. UNDOS Working Paper. Sept. 1999. 222
Les caractéristiques de la Charte La Charte définit un système présidentiel. Le Président est en droit de démettre la Chambre des représentants qui est un parlement monocaméral (Art.5 §12) et de décréter l’état d’urgence (art. 12.5. Le titre de Chief Minister, proposé pour le chef de l’exécutif, est abandonné pour celui de Président. Si aucun contrôle et contre-pouvoir fort n’a été formellement dessiné, l’exécutif fait face à un contre pouvoir informel à travers la forte autonomie politique des isimo, les « notables ». Leur assemblée, envisagée dans l’esprit de la Guurti institutionnalisé au Somaliland, s’en distingue par ses attributions laissées imprécises. Ici, en cas de différends ou de blocages entre les clans, les isimo sont en mesure de jouer un rôle important puisque la Charte reconnaît officiellement leur vocation médiatrice entre les institutions – État, régions et districts (Art. 30.2). Ils prennent en revanche le parti de renoncer à un rôle plus précis qui risquerait de limiter l’exercice de leur autorité. Préférant maintenir un espace non institutionnalisé, ils conservent ainsi toute latitude pour y intervenir sans restriction clairement établie et œuvrer avec plus de flexibilité afin de parvenir à un consensus politique. Le pouvoir de choisir ensemble les membres de la Chambre des représentants (Art.3 §30) leur confère de toute façon un rôle essentiel. Cette sélection des membres du Parlement est effectuée en recherchant un juste équilibre fondé sur le nombre de communautés identifiées et le volume de la base respective que chacune d’elles représente. L’objectif est d’éviter l’exclusion de toute minorité politique. S’agissant d’une élection indirecte, sans mise en concurrence de partis et de candidats, l’exercice nécessite de longs débats. De la même façon, s’il revient à l’État, à l’exécutif en particulier, de désigner les gouverneurs des régions et les chefs de districts, cela ne peut être conduit qu’au terme d’une consultation directe avec les notables des districts (art. 18 §3). La Chambre des représentants qui se compose de 69 membres est bien représentative de toutes les régions (Art. 8). Outre ses fonctions législatives, elle est investie d’autres responsabilités (art.10 §3) telles que l’approbation ou le rejet des nominations ministérielles proposées par le président et la ratification ou le rejet des accords et des négociations menées en vue de parvenir à une solution fédérale nationale avec d’autres entités régionales. La Charte confère en outre à la Chambre des représentants le pouvoir de lever l’immunité présidentielle en recourant à une procédure de mise en accusation par un vote des deux tiers (Art 14 §1)1. Le pouvoir judiciaire enfin est indépendant de l’exécutif et du législatif (art. 19.1). Trois niveaux de procédure sont mis en vigueur : tribunaux 1
La mesure d’empeachment issue du droit anglo-saxon. La procédure doit être soumise à la Chambre par le procureur général. Celui-ci est certes nommé par l’exécutif mais sa nomination doit être approuvée par le Parlement. 223
de première instance, cours d’appel et Cour suprême (art. 19,2). À côté de cela, la Charte reconnaît, encourage et soutient la résolution des disputes interclaniques dans un cadre alternatif (art. 25,4), en harmonie avec la culture traditionnelle du Puntland. Ce faisant, l’État reconnaît directement la force du xeer.
L’ambiguïté à propos de l’islam Mais c’est au niveau du droit aussi que se signale naturellement la configuration religieuse du nouvel État dont il est établi que le président doit être lui-même un musulman pratiquant (art. 12,3). La Charte affirme que la jurisprudence islamique, le fiqh [ar.]ﻓﻘﮫ, est le fondement de la loi (articles 2 et 19.1). Une reconnaissance implicite de la supériorité de la sharīʿa est établie, même si l’expression contraignante de « seule source » du droit, comme on la rencontre fréquemment dans d’autres contextes juridiques, a été évitée. Il est retenu une formule plus ambiguë qui tend à la fois à reconnaître les processus régionaux en cours de réislamisation tout en réfrénant ses aspects excessifs. Le texte n’en met pas moins sans cesse en exergue les valeurs de l’islam, la religion d’État (article 2). Réserve formelle mais prudente, la Cour constitutionnelle est dûment mandatée pour régler tous les différends qui pourraient surgir entre la jurisprudence islamique d’une part et d’autre part le droit de l’État et la Constitution elle-même (art. 21,5). Cette conformité aux valeurs islamiques et la référence permanente de la Charte à l’identité musulmane du Puntland sont encore soulignées par les bonnes relations que le Puntland se déclare disposé à entretenir avec l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) en attendant que puisse être organisée la Somalie fédérale (art. 5.3). L’insistance globale sur cette identité musulmane est encore confirmée dans le chapitre sur les droits fondamentaux et la liberté (art. 6). Sur ce point, la Charte introduit les plus larges changements par rapport au projet qui avait été proposé. Elle reconnaît certes la liberté de pensée et de conscience, mais interdit dans le même temps le prosélytisme aux autres religions (art. 6.2). Il est dit toutefois que l’interdiction de la propagande religieuse ne visait pas pour autant à limiter un droit fondamental de la pensée, qui est par essence non limitable. De telles déclarations visent certes à définir plus précisément l’identité religieuse de l’État, en particulier en ce qui concerne le monde musulman à l’extérieur, mais il s’agit aussi de faire face aux nombreuses allégations qui courent dans le pays selon lesquelles l’Éthiopie se cacherait derrière le processus constitutionnel. Le paragraphe 3 de l’article 6 enfin contient l’interdiction de la torture à moins que la personne n’ait été condamnée par les tribunaux conformément à la loi islamique. Il s’agit donc d’une acceptation
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implicite de la légalité des châtiments corporels. Ces sanctions1 sont admises par la loi musulmane mais pas par le xeer, le droit coutumier somalien. Or la définition de ces châtiments comme « torture » contredit l’acceptation par le nouvel État de la Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 5.2). Cette contradiction apparente a évidemment résulté d’un problème d’incompréhension entre les différentes versions linguistiques. Le projet, initialement écrit en anglais, interdit formellement la torture (art. 6.3) et d’autres traitements dégradants – « nul ne peut être soumis à la torture, traitements cruels, inhumains ou dégradants.. ». Mais la version anglaise de la Charte approuvée coupe la phrase relative au traitement dégradant en introduisant une distinction trompeuse entre la torture et les punitions corporelles de l’islam – « nul ne peut être soumis à la torture sauf à avoir été condamné par les tribunaux islamiques. « Cette distinction est plus évidente dans la version somalienne de la Charte, avec l’expression « corps frappé » [som.jir-dil] qui remplace « torture » trop explicitement suggestive de châtiments corporels.
La problématique territoriale Jusqu’alors, le territoire du Puntland n’avait pas encore été clairement défini sur la carte, sinon par une vague identification avec l’extrémité nord-est de la Somalie, l’ancienne « Midjourtine » de la Somalia italienne. La constitution d’un État en revanche exige une autre démarche. Elle résulte d’un accord intercommunautaire établi entre toutes les communautés harti du Nord, accord auquel, bon gré mal gré, sont contraints de se rallier les petits lignages Leelkase et Awrtable, dont les territoires sont insérés dans l’aire des Cismaan Maxamuud. Ce consensus cependant est de nature à susciter un grave conflit frontalier et génère par essence un sujet de préoccupation. En effet, l’article premier de la Charte établit le territoire du Puntland sur les provinces et districts qui rassemblent une majorité harti. Si Bari, Nugaal et Mudug - à l’exception des districts de Hobyo et Xarardheere - ne posent pas problème, il n’en va pas de même du Sool, du district de Buuhoodle dans le sud du Togdheer ou de l’Est et du Nord-est du Sanaag. Ici en effet l’État du Puntland revendique ni plus ni moins la souveraineté sur des territoires qui font partie du Somaliland historique,
[ar.ّ ﺣﺪḥadd pl. ﺣﺪودḥudūd] est un terme du droit musulman qui désigne les peines légales non modulables par les juges. Elles sanctionnent sept délits : la fornication et l’adultère [ar. اﻟـﺰﻧﺎaz-zinā], l’accusation infondée de ce crime [ar. اﻟﻘـﺬف ﺑﺎﻟﺰﻧﺎal-qaḏf bi-z-zinā], la consommation de boisson fermentée [ar. ﺷـﺮب اﻟﺨـﻤﺮshurb al-ḫamr], le vol [ar. اﻟﺴـﺮﻗـﺔas-sariqa], le banditisme [ ﻗﻄﻊ اﻟﻄﺮﯾﻖqaṭʿ aṭ-ṭarīq], l’apostasie [ar. اﻟـﺮدة ar-rida] et la désobéissance [ar. اﻟﻌﺻـﯿﺎنal-ʿiṣiyān]. 1
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prenant de la sorte une solide option pour un conflit futur entre les deux États. Au plan strictement politique, une telle situation a des conséquences qui la rendent d’autant plus inextricable. En effet, il se trouve que si les communautés des districts revendiqués n’ont pas toutes pris part au premier shir beeleed de Burco en 1991 qui a déclaré l’indépendance du Somaliland, elles ont participé en 1993 au congrès à Boorama qui en a élaboré la première charte. Or, le Somaliland, depuis la déclaration de 1991, est à la recherche d’une reconnaissance internationale qu’il fonde sur la base juridique de sa précédente indépendance en 1960, aussi brève a-t-elle été1, avant sa fusion avec l’ancien territoire sous tutelle italienne de la Somalie. La proclamation d’un État du Puntland en Somalie crée donc entre les deux entités une impasse qui n’a pas encore tourné en conflit militaire car le gouvernement du Somaliland est encore incapable d’exercer une autorité directe sur cette partie orientale, qui de fait néanmoins a largement rejoint le Puntland. Or la paix fragile qui prévaut encore tient surtout à la médiation politique de l’Éthiopie. En effet, la proximité géographique de cette dernière, la dépendance économique ainsi que l’hostilité ouverte de l’Égypte et de la Ligue arabe à l’encontre du processus d’indépendance du Somaliland a conduit Hargeysa en mal d’alliés à aligner sa position politique sur celle de son puissant voisin. Il reste que rien n’est clair, rien n’est simple à propos de ce qui chaque jour davantage devient une zone grise. Maxamuud Faagade par exemple est Dhulbahaante ; il n’en demeure pas moins ministre des Affaires étrangères du gouvernement Cigaal, portefeuille auquel il n’a pas renoncé. Par ailleurs, ce sont 213 des 469 délégués présents à la conférence constitutionnelle du Puntland qui sont venus du Sool et du Sanaag. Ils représentent maintenant 27 de 69 représentants du Parlement du Puntland. Maxamed Cabdi Xaashi, ancien chef récusé du United Somali Party (USP), la principale faction politique de l’est du Somaliland, a été élu à la vice-présidence du nouvel État et trois des neuf ministres du Puntland proviennent des régions contestées. On observe enfin que si une déclaration officielle des isimo warsangeli et dhulbahaante s’est associée au processus de formation du Puntland et, ce faisant, en a légitimé ce processus, il reste que, en tant qu’autorités traditionnelles, ils demeurent membres de plein droit de la Guurti du Somaliland, poste dont ils hésitent bien sûr à récuser le salaire. En d’autres termes, l’Est du Somaliland paraît se poser maintenant comme une zone à haut risque entre les deux entités, sans souveraineté clairement définie.
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Cinq jours mais surtout un passé colonial anglais de plusieurs décennies.
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X II – L’ APPROCHE MODULAIRE , LES B UILDING BLOCKS
Au cours de l’année 1990 déjà, Irvin Hicks, alors assistant du secrétaire d’État adjoint aux Affaires africaines avait noté : « Les arrangements et les structures gouvernementales mises en place après 1960 n’ont pas été couronnés de succès dans la Corne de l’Afrique. »
Fort de ce constat, il avait proposé que des « constitutions fédérales » soient « au centre de la reprise des discussions de paix et de cessez-le-feu » en Somalie, en Éthiopie et au Soudan. Depuis, la chute des présidents Siyaad Barre et Mängestu Haylä-Maryam avaient renforcé le sentiment de pertinence que suggérait cette option fédérale, mise en œuvre en Éthiopie, sans minimiser pour autant le danger d’une implosion ethnique qu’elle faisait peser sur ces États et sur leurs sociétés. Ce même concept, non formalisé mais également évoqué dès 1992 par l’ambassadeur Muḥammad Saḥnūn, s’impose entre 1995 et 1998 aux stratèges internationaux. Longtemps occulté, décrié quand il refaisait surface, évoqué à Nairobi, le concept des Building blocks porte finalement les nouveaux espoirs d’une renaissance somalienne. S’il ne donne pas tout ce qu’en attendaient les impénitents optimistes, il va au moins permettre de conduire l’ensemble de la Somalie du Nord vers un destin plus construit.
HISTORIQUE DE LA STRATEGIE REGIONALISTE En 1998, l’idée en soi n’est donc pas nouvelle sauf que, sous l’œil complaisant des Nations unies et de l’OUA, elle s’inscrit dans une vision 227
contraire à celle que le monde arabe et d’une certaine façon l’Éthiopie ressuscitée ont de leur propre environnement.
De Muḥammad Saḥnūn à la conférence d’Addis Abäba [1992-1993] Le véritable précurseur de cette stratégie des « modules », que l’on désigne dans la presse anglophone par l’expression de Building blocks, a été l’ambassadeur Muḥammad Saḥnūn, nommé à la mi-1992 Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies en Somalie. Face à la menace d’une famine généralisée et fort d’un environnement politique difficile, le diplomate avait alors prôné l’utilisation de quatre grands ports somaliens en vue de la délivrance de l’aide humanitaire. Bien qu’il ne s’agisse là que d’une décision opérationnelle fondée sur la problématique de la distribution de l’aide, la référence de Muḥammad Saḥnūn à Berbera, Boosaaso, Muqdishu et Kismaayo correspondait à quatre zones où se dessinait déjà une certaine cohérence, aussi précaire soit-elle parfois, dans le Sud notamment. Ainsi, Muḥammad Saḥnūn avait déjà identifié des logiques de fonctionnements : le gouvernement SNM dans le Nord-ouest de la Somalie déjà sécessionniste, les factions majeerteen du SSDF dans le Nord-est, les factions rivales de l’USC dans la capitale et son arrière-pays ainsi que l’instable coalition darood évoluant à l’ouest du fleuve Jubba. Entre les deux derniers, le pays raxanweyn ravagé par la famine était susceptible d’être ravitaillé par Muqdishu et par Kismaayo1. Alors que le Représentant spécial était encore soutenu et relayé par le Secrétaire général des Nations unies, la Résolution 767, votée le 27 juillet 1992 par le Conseil de sécurité stipulait dans son § 12 que celui-ci : « Approuvait la proposition du Secrétaire général d’établir quatre zones d’opération en Somalie, dans le cadre de l’Opération renforcée des Nations unies en Somalie (ONUSOM) ».
Développant son point de vue devant la Conférence des donateurs à Genève le 12 octobre 1992, les propos aussi lucides que brillants du Représentant spécial y avaient rencontré un incontestable succès. Mais la mésentente s’était installée avec Boutros Boutros Ghali et la démission de Muḥammad Saḥnūn allait dissiper toute perspective de bonnes idées. Après un Restore Hope satisfaisant, mené dans l’esprit de sa politique, le déploiement des forces internationales d’ONUSOM II transformait l’esprit de l’intervention. L’activité frénétique imposée aux successeurs de Muḥammad Saḥnūn par Boutros Ghali et les États-Unis suivait une logique forcenée de centralisation qui dès lors seule admise devait coûte que coûte être retenue. À l’étranger, confortant le désastre, désinformation ou mauvaise information conduisaient à identifier la situation à Muqdishu à celle prévalant dans l’ensemble du pays. 1
Mohamed SAHNOUN. Somalia : The missed opportunities. Usip press. Washington 1994 : pp. 25-41.
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L’idée d’une approche plus décentralisée refaisait brièvement surface en mars 1993, lors de la conférence de réconciliation pour la Somalie organisée à Addis Abäba. L’ambassadeur du Canada dirigeait alors un groupe de pays donateurs enclins à apporter un soutien plus prononcé aux zones où prévalaient une paix relative voire quelque stabilité, une proposition inspirée par la normalisation qui s’installait dans le nord de la Somalie, tant au Nord-est qu’au Nord-ouest. Mais bien que la proposition ait été déposée et approuvée par nombre de participants, à commencer par ceux qui se sentaient les plus concernés, la direction de l’ONUSOM II n’était pas encline à entendre une telle hypothèse. Les États-Unis qui dirigeaient l’opération des Nations unies développaient leurs propres plans, souvent extravagants, visant à reconstruire un État unitaire en fondant leur stratégie sur les seuls chefs de guerre. Au terme de cette aventure, conclue sur le retrait pitoyable de 1995, le désastre politique était total et il faudrait presque deux ans avant que chaque territoire en voie de normalisation recouvre la stabilité à laquelle il était parvenu avant l’intervention américano-onusienne.
Le Somali Aid Coordinating Body (SACB)
[1995]
Les organisations humanitaires, mieux immergées dans l’ensemble du théâtre, avaient cependant acquis une vision beaucoup plus réaliste des choses que les diplomates installés à Nairobi. Elles avaient en effet identifié ce paysage politique fragmenté de la Somalie que les chancelleries se refusaient à assumer. Non que les propositions des humanitaires puissent toujours être intégrées dans une stratégie globale des nations, voire tout simplement réalisables, mais force est d’admettre que dans l’ensemble, leur analyse de la situation était la plupart du temps pertinente. Elles en étaient venues d’ailleurs à infléchir le vocabulaire d’usage qui reflétait désormais une compréhension de la radicalisation de la société somalienne. Ainsi, quand en 1995, le Somali Aid Coordinating Body (SACB) établit un « code de conduite », celui-ci parle des « conditions de l’aide extérieure aux responsible local authorities ». Cette simple périphrase permettait aux organismes d’aide et à leurs bailleurs de fonds de circonscrire les revendications de différents candidats à la direction du pays1. Auprès des partenaires de l’aide en Somalie, il résultait de tout cela une prise de conscience progressive de l’importance et, partant, du caractère incontournable des dynamiques régionales dans un contexte d’État effondré. Dès lors, l’intérêt international et les ressources commençaient, au détriment des régions du Centre et du Sud, à se réorienter vers le nord où la sécurité était relativement meilleure et où des administrations
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BRYDEN, Matt. New Hope for Somalia? The Building Block Approach. Review of African Political Economy. March 1999, Vol. 26. 229
fonctionnelles avaient, aussi embryonnaires fussent-elles, commencé à émerger.
Nakuru et le Menu of Options
[1995]
La réflexion menée par le monde humanitaire aurait pu, à ce moment de l’histoire, au moins inspirer une autre approche à l’espace politique international. D’autant qu’en août 1995, le rapport des consultants de la London School of Economics and Political Science, proposé à la réunion de Nakuru de novembre 1996, avait exploré les possibilités ouvertes à la bonne volonté des Somaliens et à la sagacité des organisations internationales. Cette étude intitulée A Study of Decentralised Political Structures for Somalia, sous-titrée A Menu of Options déroulait pour la première fois, tout au long de ses 97 pages, les scenarii possibles de l’hypothèse détestée : le renoncement à l’État jacobin. Tout y était ébauché, fédération, confédération, État unitaire décentralisé avec garanties d’autonomies régionales ou locales, consociation. Mais les tentatives rivales menées en 1996 et 1997 par l’Éthiopie et l’Égypte au regard du rétablissement d’un gouvernement central exclusivement fondé sur les chefs de faction allaient pour un moment encore accaparer les choix stratégiques et occulter définitivement un texte qui ne passait par aucun intérêt particulier.
L’APPROCHE MODULAIRE : L’IDEE DES BUILDING BLOCKS Lorsque, considérant les échecs successifs des médiations, le Nord-est de la Somalie décide de s’organiser en position d’attente et déclare le 24 juillet 1998, la création de l’État du Puntland, les Nations unies sont bien contraintes de s’arracher des paupières les écailles dont elles s’étaient affublées.
L’électrochoc du Puntland
[1998]
Il semble alors que les échecs les plus récents aient injecté un pragmatisme nouveau dans les efforts internationaux pour rétablir la Somalie dans la communauté des nations. Les faits sur le terrain parlent d’eux-mêmes : les gouvernements régionaux et locaux deviennent une évidence, le gouvernement national une chimère. Muqdishu restant loin derrière le reste de la Somalie en matière de sécurité, de stabilité et de respect de la primauté du droit, une telle situation induit que les dirigeants qui s’y disputent perdent toute légitimité à détenir les clés de la réconciliation nationale. Ce sont jusqu’aux perspectives d’un gouvernement unitaire qui semblent endommagées, irrémédiablement selon certains, compte tenu de l’ambition sécessionniste du Somaliland puis désormais de la déclaration de l’État du Puntland, aussi « fédéral » prétende-t-il être. C’est ainsi qu’à l’été de 1998, forcées et contraintes, les Nations unies acceptent l’idée d’infléchir leur réflexion politique. Elles se résolvent à 230
renoncer à l’approche globalisante de la reconstruction somalienne pour se ranger à une approche régionale. À cet effet, elles conviennent de s’impliquer dans la recherche de la paix en considérant plutôt les dirigeants civils que les chefs de bandes armées afin de développer des administrations régionales. Pour ce faire, elles privilégieront la distribution de l’aide aux administrations émergentes, telles que celles du Puntland, voire du Jubbaland peut-être, qui se dessine aussi, dans l’espoir de conduire finalement le pays tout entier vers une structure fédérale viable.
La réunion du Forum des partenaires de l’IGAD
[VII 1998]
L’événement déclencheur surgit lors de la réunion internationale organisée en juillet 1998 à Addis Abäba par le SACB et qui réunit l’IGAD International Partners Forum (IPF). Le but du symposium est de faire le point sur les projets d’aide à la Somalie et, comme cela avait été souhaité quatre mois plus tôt, en mars à Djibouti par le dernier sommet de l’organisation régionale, de coordonner les initiatives qui se multiplient de manière désordonnée en faveur de la paix dans le pays. Dans leur grande majorité, les participants à ce forum – Représentants des agences des Nations unies, des pays de l’Union européenne et de l’IGAD elle-même – affichent leur scepticisme à propos du dernier en date des accords de paix, signé au début du mois sous l’égide de la Libye1 par les factions qui se partagent le contrôle de Muqdishu. Un large consensus apparaît en revanche au cours de cette réunion quand il s’agit de saluer l’administration du Somaliland pour l’efficacité de son gouvernement. De même, la mise en place imminente d’une administration civile autonome dans le Nord-est apparaît aux yeux de nombreux participants comme « l’option la plus souhaitable » pour la Somalie ; le plus farouche partisan de cette autonomie du Puntland, étant le président de la SACB lui-même, le Portugais Joao Duarte de Carvalho. Cet enthousiasme est cependant tempéré. Il n’échappe à personne qu’outre la lenteur avec laquelle les signataires du Nord-est en congrès depuis de longues semaines débattent des futures institutions, un autre foyer de tensions existe dans cette zone. Les Daarood Harti installés entre le port de Laas Qorey et la frontière éthiopienne refusent de continuer à être administrés par les Isxaaq qui dominent les institutions du Somaliland. Ils réclament leur attachement au Puntland, dont les Majeerteen se réclament comme eux – Warsangeli et Dhulbahaante - du faisceau agnatique de l’ancêtre Harti2.
La discrète proposition éthiopienne Or un peu plus tard, à la fin de l’année 1998, un document issu du ministère des Affaires étrangères éthiopien préconise à son tour de ne 1 2
Cf. infra p.307. LOI n° 821. 25 VII 1998. 231
plus s’attacher à la reconstitution d’un État unitaire mais propose au contraire une approche décentralisée en vue de la reconstruction de l’ensemble somalien. Il s’agirait, selon le degré de viabilité de certains ensembles régionaux, de considérer la présence de Building blocks, de « modules ». Le document est présenté au Committee on Somalia of the IGAD International Partners Forum qui rassemble entre autres l’Italie, l’Éthiopie, l’Égypte et l’Organisation des Nations unies. Acceptée à contrecœur par de nombreux membres du Comité, la proposition de l’Éthiopie se trouve enfouie dans les derniers paragraphes du texte concluant sa deuxième réunion. Apparaissant quasiment comme un argument accessoire, il n’en est retenu que quelques mots qui s’en tiennent à préciser que « les structures administratives locales pourraient constituer des modules » propres à favoriser le rétablissement de la paix et qu’« un rôle important devait être joué par la société civile, rôle dont l’émergence devrait être encouragée par la communauté internationale ». Aussi laconique soit elle, la pertinence d’une telle observation ne pouvait être plus longtemps tenue sous le boisseau. Ces intervenants extérieurs, réunis autour de la même table, avaient passé une grande partie de la décennie à tenter d’imposer un gouvernement centralisé unitaire, semblable à celui-là même qui avait conduit à la guerre civile et à l’interminable misère qui n’avait jamais pu être enrayée depuis. Pourtant, bien que l’abandon progressif des solutions verticales s’imposât irrévocablement, la prise en considération d’une Building blocks approach, d’une « approche modulaire » n’allait pas se faire sans traînement de pieds. L’opportunité n’en est pas moins immédiatement saisie par le Somali Aid Coordination Body (SACB) qui, après avoir encore une fois rafraîchi les intelligences en dénonçant la progression quasiment nulle de la situation somalienne sur le plan politique, souligne derechef les risques du moment en matière de famine et de sécheresse pour une population à risque d’un million de personnes environ.
L’identification des modules Évidemment, la transformation du concept modulaire en décisions politiques devait passer par un certain nombre d’identifications préalables. Les précédentes conférences, à Sodere comme au Caire, n’étant parvenues qu’à mettre en évidence les divisions entre les chefs de factions et accessoirement entre les pouvoirs régionaux impliqués, l’idée des modules se construirait sur la reconnaissance de certaines unités administratives locales considérées comme responsables. Les Nations unies procèdent alors à un classement en « zones en redressement », « zones en transition » et « zones en crise ». La superposition du concept d’unité compatible avec celui des grands faisceaux lignagers conclut ainsi à l’identification de cinq ou six territoires : 232
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deux entités existent déjà, le Somaliland et le Puntland, respectivement fondées sur des régions où dominent ici les Isxaaq et là les Daarood Harti Majeerteen ; un module Raxanweyn pourrait couvrir les régions du Baay, du Bakool et une partie du Shabeellaha Hoose ; un quatrième pourrait rassembler en un Jubbaland, largement dominé par les Daarood, les différents lignages installés à l’ouest du fleuve Jubba ; le pays Hawiiye, dans le centre de la Somalie en incluant le Banaadir, pourrait constituer une cinquième région au sein de laquelle Muqdishu, capitale nationale fédérale serait susceptible d’être administrée séparément.
LES MODULES ENVISAGEABLES
A LA FIN
1998
Une fois admise, sans enthousiasme, l’évidence de l’approche modulaire, il en résulte tout d’abord une démultiplication des démarches à tous les niveaux, politique et humanitaire en particulier. Il faut désormais consacrer une réflexion plus ciblée sur chacun des théâtres tout en gardant un œil sur la finalité « fédérale » de l’exercice. Un rappel de certaines tendances lourdes de ces espaces s’impose donc, au risque de se répéter.
Un Somaliland et un Puntland « en redressement » Le plus achevé des modules est incontestablement le Somaliland sécessionniste. Bien qu’ayant entretenu naguère un discours unitariste, le SNM à base isxaaq avait en 1991 très mal ressenti la déclaration unilatérale de mise place d’un gouvernement USC par Cali Mahdi à Muqdishu. Suite à ce hold-up fondateur de la crise somalienne, le 18 mai 1991, il avait dénoncé l’union de 1960 avec la Somalie et déclaré le rétablissement de la souveraineté du Somaliland en tant qu’État indépendant. Sans reconnaissance internationale, vilipendés par les hommes politiques somaliens du Sud, les gouvernements successifs du Somaliland n’en ont pas moins avancé des arguments historiques et juridiques probants à l’appui de leur cause. Sur le plan des réalisations et du retour à la paix civile, des progrès considérables ont été réalisés. Depuis la « restauration de la souveraineté » de l’ancien protectorat de la Somalie britannique, celui-ci a survécu à un certain nombre de vicissitudes, parmi lesquelles on retiendra deux brèves guerres civiles mais aussi ses difficultés à convaincre la communauté internationale de son existence. Mais le gouvernement de Hargeysa est aussi parvenu à établir sur la plus grande partie du territoire une administration fonctionnelle comprenant forces de défense et police, parlement et pouvoir judiciaire, tout en intégrant les autorités traditionnelles en une Chambre haute, la Guurti. Certes, la rédaction d’une constitution permanente traîne en longueur. Selon certains même, ce retard est délibéré. Les personnages les plus 233
éminents du gouvernement, le président Maxamed Cigaal au premier chef, cultiveraient une certaine ambiguïté à propos de l’indépendance. Mais malgré ces supputations, l’économie du pays, bien qu’affligée depuis 1998 d’une interdiction d’exporter sa viande par l’Arabie saoudite a été étonnamment soutenue. Ce succès du Somaliland peut être attribué à quelques facteurs à la lumière desquels il est n’est pas inintéressant de lire la situation des autres modules. Le moindre n’est pas l’engagement de nombreux Isxaaq dans le processus d’indépendance. Car si le développement séparé des territoires a contribué sous la domination coloniale à favoriser un sentiment d’identité distincte, c’est la violence des affrontements au cours de la guerre civile qui, plus récemment, a suscité des velléités d’autonomie à la fois politique et économique. In fine, ce sont peut-être l’ostracisme de la communauté internationale et une certaine animosité du Sud qui ont finalement le plus irrévocablement cimenté une nation somalilandaise. Dans l’adversité, il s’est passé ce qui ne s’est pas passé au sud de l’ancienne Somalia, les dix années de lutte ont accouché d’une maturité politique. La guerre civile a servi d’université dans les arts de la mobilisation politique et populaire, préparant le SNM mieux que la plupart des fronts aux défis du temps de paix. La lutte du SSDF majeerteen, antérieure à celle du SNM avait été interrompue en 1985 par des querelles internes et la détention de dirigeants du Front par le gouvernement éthiopien. L’apparition des autres factions, en général postérieure à 1989, ne leur a pas laissé le temps de développer la plateforme idéologique nécessaire à la transformation de la victoire militaire en un gouvernement responsable1. Cela dit, bien sûr, tout ne file pas pour autant sans nuages car de grandes parties du Somaliland échappent à l’administration de Hargeysa. Cette situation résulte tout d’abord d’une relative pauvreté qui ne permet pas l’expansion des institutions. Les fonctionnaires sont très mal rémunérés et la plupart des bureaux de la fonction publique ont un budget de misère. L’allégeance au Somaliland demeure ensuite très inégalement répartie entre les différents faisceaux lignagers du territoire. Confronté à la position toujours irrévocable de la communauté internationale à son encontre, le pays inquiète notamment par l’incapacité du gouvernement à gagner l’adhésion des clans non isxaaq, en particulier les Dhulbahaante et les Warsangeli de la frontière orientale, enclins à se rapprocher des Majeerteen du Puntland, récemment créé, et Harti comme eux-mêmes. Beaucoup de non-Isxaaq craignent leur subordination à un état isxaaq, une préoccupation que la direction du Somaliland n’a pas encore abordée de façon convaincante. Les groupes non isxaaq ont en effet inégalement partagé l’expérience de la persécution, de l’exil et de la lutte populaire, avec ses espoirs et ses enthousiasmes pour l’indépendance. C’est pourquoi la victoire 1
BRYDEN, Matt. Op.cit.
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venue, ils ont tendance à aborder la reconstruction politique avec moins de conviction. Au regard de l’approche modulaire enfin, il faut admettre que l’engagement du Somaliland dans un processus indépendantiste rend le concept de Building blocks inapproprié à sa situation particulière. Peu d’Isxaaq envisagent de rejoindre une Somalie ressuscitée, même si cette hypothèse entretient toujours quelques discussions discrètes dans les milieux politiques et commerciaux. Car il reste que la récupération de souveraineté offre un exemple unique de réussite. Le pays est parvenu à instituer des organes de gouvernement et à créer un climat propice à la croissance économique en l’absence d’assistance bilatérale. À se demander même si ce n’est pas ce qui l’a sauvé. Toujours est-il qu’il y a là un modèle à retenir pour ceux qui voudraient restaurer un gouvernement sur tout ou partie de l’ancienne Somalie. S’il aura fallu une longue période de sept ans aux provinces du Nord-est pour qu’elles parviennent à leur tour à établir une administration indépendante, le Puntland quoique fort différent de son voisin n’en a pas moins marché sur ses brisées. Officiellement déclaré le 24 juillet 1998 au terme de la conférence tenue à Garoowe par les représentants des clans harti, il est certes encore hâtif de considérer le nouvel État comme un module à succès. Néanmoins une administration et un gouvernement ont été mis en place. Si depuis, le SSDF a été officiellement démantelé, ses structures informelles sont restées intactes, soutenant les fragiles organes gouvernementaux. Bien que nombre de têtes anciennes soient toujours en place, à l’instar du SNM naguère, la direction du SSDF a abandonné la plupart de ses pouvoirs entre les mains de la nouvelle administration. Reste bien sûr une interrogation, une hypothèque même. Alors que, par son précédent historique, le Somaliland était naturellement prédisposé à s’inscrire dans les anciennes limites du protectorat britannique, la délimitation de l’espace est bien moins évidente pour le nouvel État. Aussi ce constat fonde-t-il ce tropisme préoccupant qui incline le Puntland à inscrire sa géographie dans des frontières claniques et le porte à revendiquer comme territoire les régions occupées par les Daarood Harti du Somaliland oriental. Au sein de ces derniers, les points de vue divergent et le consensus incomplet parmi les populations dhulbahaante et warsangeli peut encore se révéler décisif dans l’avenir politique du Puntland. Il reste que dans une approche globale des Building blocks, la situation suggère d’emblée qu’aussi attractive soitelle, l’idée d’un fédéralisme clanique n’est pas sans faire surgir sa lourde part de menaces. Au sud du Puntland aussi perdurent quelques risques de confrontation avec les Habar Gidir qui soutiennent, de façon récurrente pendant les périodes de sécheresse, que l’espace de vie réclamé par la fraction harti relève de leurs propres terres. Contrairement au Somaliland, le jeune Puntland qui ne se revendique pas sécessionniste est plus proche que ce dernier de l’approche 235
modulaire. Son projet de constitution est fondé sur l’idée qu’il pourrait constituer la pierre angulaire du futur État fédéral somalien décentralisé. Plus encore, la version finale du document laisse apparaître quelque arrière-pensée du colonel Cabdullaahi Yuusuf qui – à l’instar du président Cigaal – se verrait bien en investir le destin.
Pays hawiiye et Jubbaland : les zones « en crise » Les autres régions en revanche ont encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir être considérées comme sorties de la zone des « crises » et considérées comme des modules en fonctionnement. Dans les régions centrales du pays, les Hawiiye ont bien tenté de trouver une solution à leurs divisions locales afin de présenter une approche cohérente de leur devenir politique au niveau national. Ils ont toutefois échoué à trouver un équilibre acceptable entre factions claniques, chefs de guerre locaux grisés par leurs succès aussi limités soient-ils et fractions administratives peinant à s’imposer. La réunion des chefs traditionnels à Beledweyne en novembre 1998 a laissé les principaux intéressés campés sur leurs positions. Certes, une administration destinée à encadrer une région hawiiye a bien été établie en août 1998 pour le Banaadir, Muqdishu incluse. Mais favorisée par le soutien égypto-libyen et par une coalition de chefs de faction rassemblant Xuseen Caydiid, Cali Mahdi et Maxamed Qanyare Afrax, il lui a fallu d’emblée s’opposer à un autre rassemblement, soutenu celui-là par les Éthiopiens et impliquant des personnalités telles que Muuse Suudi Yalaxoow et Xuseen Bood. L’avenir d’ensemble de la région centrale, dominée par les Hawiiye, souffre enfin d’une certaine myopie internationale. La lutte pour le contrôle de Muqdishu entre les chefs hawiiye est systématiquement confondue avec la recherche d’un pouvoir national. Les factions établies dans la capitale encouragent cette confusion qui met au premier plan leur rôle. Elles sont également parmi les plus réticentes à accepter un modèle politique décentralisé, en faisant valoir qu’il pourrait conduire à l’éclatement de l’État somalien. Finalement, la focalisation de l’attention internationale sur l’ancienne capitale et ses politiciens accrédite ces idées fausses, y entravant tout progrès en direction d’un règlement politique global et acceptable par une majorité. Certes, la création récente d’une administration suggère que les groupes hawiiye ont entrepris la recherche d’une solution locale avant de passer à l’échelon national. Mais les progrès restent suspendus au démantèlement des factions et au développement d’une administration commune. Or les chefs de factions et le « gouvernement » de la SNACaydiid cohabitent dans un même espace politique confiné, interdisant tout développement propre à établir une solution durable.
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LES DIVISIONS DU PAYS RAXANWEYN Au terme de l’accord du Caire, en décembre 1997, les sociétés darood et raxanweyn ont aussi pris conscience de leur marginalisation, alors que les lignages hawiiye leur paraissaient prêts à trouver un point d’équilibre autour de la problématique de Muqdishu. C’est pourquoi, plus ou moins exclus du débat par la simple géographie clanique, les deux grands faisceaux lignagers entreprennent également d’organiser leur espace. Dans le Baay et le Bakool, Digil et Raxanweyn de l’interfluve sont toujours partagés entre les tenants de Xuseen Caydiid et ceux de Cali Mahdi. Il est vrai qu’au début de l’année, la SNA a perdu l’audience dont elle bénéficiait naguère quand la menace bien réelle du SNF dans le Geedo justifiait de la part de la population une alliance, aussi prégnante soit-elle. Sauf que le protecteur d’alors paraît maintenant un véritable occupant. Il se maintient pourtant, grâce à Maxamed Nuur Yalaxoow, son allié Eelay de Baydhabo, dont les forces ont vite été renforcées dans la capitale régionale par des partisans du jeune Caydiid venus de Balli Doogle. Exercice somme toute aisé puisqu’une route goudronnée relie les deux positions, facilitant d’autant les éventuelles interventions. On observe en revanche qu’à partir de Baydhabo vers le nord, les pistes sont beaucoup plus chaotiques, ce qui rend le Bakool et la frontière éthiopienne bien plus difficiles d’accès. C’est cette réalité, politique et géographique à la fois, qui renforce la position des partisans de la Raxanweyn Resistance Army (RRA) et leur rend, en février 1997, plus aisé le lancement de nouvelles attaques contre les forces de la SNA déployées à Waajid, dans l’ouest du Bakool. Cette position de force complique le soutien octroyé par Caydiid aux islamistes de Luuq.
La trêve d’octobre 1997 et l’acheminement de l’aide Les choses néanmoins s’apaisent momentanément lorsque sous la pression internationale les deux principaux chefs de guerre conviennent d’un cessez-le-feu. Il s’agit avant tout de permettre aux agences des Nations unies de recueillir les 100 millions de dollars nécessaires à la poursuite de leur assistance alimentaire à la Somalie1. Les conditions climatiques et la nouvelle alerte humanitaire qu’elles suscitent calment également les ardeurs belliqueuses quand, au mois d’octobre 1997, des pluies torrentielles font déborder la Jubba et le Shabeelle autour de leur confluent, dans la région de Jilib au nord de Kismaayo, inondant les terres sur plus de douze kilomètres au-delà de leurs lits. Les organisations humanitaires estiment à 1200 le nombre de morts et à plusieurs dizaines de milliers les personnes chassées de leur domicile. La communauté internationale décide d’intervenir. Entre les 15 et 22 novembre, par exemple, une mission gouvernementale française dirigée par un officier se rend sur place avec des délégués du CICR pour 1
LOI n° 754. 22 II 1997. 237
évaluer les dégâts et estimer les besoins. Le désastre touche plus particulièrement les populations agricultrices des Digil Tunni et des Bantu Wa Gosha du fleuve, mais aussi les Dir Biyomaal et les Ogaadeen Maxamed Subeer établis dans la région du confluent. De leur côté, les agences des Nations unies à Nairobi affrètent quatre hélicoptères pour évacuer les personnes les plus menacées avec le projet d’en louer six autres ; des moyens à première vue dérisoires par rapport à l’ampleur de la catastrophe mais qui sauveront néanmoins bien des vies1. Accessoirement, les opérations de secours aux populations touchées permettent aux agents des Nations unies et au CICR de mesurer le degré d’implication de l’Éthiopie dans la guerre civile somalienne. S’il était établi que des troupes d’Addis Abäba avaient pénétré le Geedo à la fin de l’année 1996, dans la région frontalière autour de Luuq, sur le cours supérieur de la Jubba, leur présence massive sur place encore aujourd’hui était restée ignorée de ces organismes. Or cette situation provoque des difficultés administratives dont seules pâtissent les populations sinistrées. Dans le cadre de leur programme UN Food Response in Somalia, les agences de l’ONU, le WFP et l’UNICEF, refusent d’intervenir dans une zone sous contrôle éthiopien où c’est donc le CICR seul qui prend en charge les victimes somaliennes des crues. Lorsque sont finalement versées les sommes allouées aux organisations humanitaires, une autre surprise attend encore ces dernières, lors de la réouverture du pays raxanweyn, situé plus au nord. Une bonne partie du pays, en particulier autour de Baydhabo, est miné donc inaccessible. Les Raxanweyn de la RRA, de même que les Xawaadle et les Mareexaan, ont en effet été pourvus en armement de ce type par les Éthiopiens au cours de l’année précédente. Or, l’usage de ces armes a des conséquences dramatiques lorsqu’elles sont simplement disséminées et ne font pas l’objet d’un relevé rigoureux des poses, c’est-à-dire des champs de mines. Des années après les conflits, elles continuent à tuer. Un phénomène que viennent maintenant aggraver les pluies torrentielles qui se sont abattues sur le pays.
Les luttes des pays arabes contre l’influence éthiopienne Plus simplement pour l’heure, tous cherchent à exercer une pression militaire sur les miliciens de Xuseen Caydiid qui se sont rapprochés des islamistes de Luuq. En bref, à la fin de l’année 1997, les Habar Gidir contrôlent les rives orientales de la basse vallée de la Jubba, autour de Jilib, tandis que les mujahidūn d’Al Itixaad tiennent plus au nord les zones du Geedo là où les Éthiopiens ne sont pas présents. 1
LOI n° 788. 22 XI 1997. La location de ces hélicoptères va faire l’objet d’un marchandage aussi sordide que sévère avec une société installée aux Seychelles qui réclame 400 000 $ par appareil plus 8000 $ par jour. L’accord s’établira finalement avec une compagnie sud-africaine pour 1,7 million de dollars par mois tout compris. 238
L’idée de ces derniers est à moyen terme de créer une zone tampon, confiée aux milices claniques sous leur contrôle, attendu qu’à plus longue échéance, ils espèrent installer à Muqdishu un gouvernement central bien disposé à défaut d’être ami. Une stratégie cohérente certes, mais qui pour l’instant s’est plutôt signalée par ses effets pervers. En effet, en réaction à l’engagement éthiopien contre les islamistes de Luuq par exemple, la Libye et l’Arabie saoudite ont financé de nouvelles livraisons d’armes venues d’Ukraine et d’Afrique du Sud aux partisans de Caydiid. Or ce dernier a aussi réussi à pactiser avec certains Mareexaan vivant au sud de la capitale. Un nouveau retournement d’alliance, à la pérennité aléatoire certes, compte tenu de la tendance à l’autonomisation des milices somaliennes, mais qui permet aux Habar Gidir de la SNA de récupérer également des armes éthiopiennes. Leur prochain objectif est de se renforcer autour de Baydhabo où les diplomates égyptiens avaient un moment pensé que pourrait se tenir, le 20 décembre, la conférence de réconciliation nationale. On est encore bien loin d’un tel dénouement car à ce moment de l’histoire, ce sont vingt-six factions qui sont réunies en conciliabules dans une caserne du Caire, sous haute surveillance égyptienne, à tenter de s’entendre1.
La reprise des affrontements à Baydhabo et Xuddur
[II 1998]
Après que les combats ont éclaté à nouveau en février 1998 autour de Baydhabo entre la SNA-Caydiid et la RRA, le président du Somaliland s’en prend à l’Égypte qu’il accuse de s’ingérer dans les affaires intérieures de la Somalie par détournement du processus de paix. Sur les ondes de Radio Hargeysa, Maxamed Cigaal déclare vertement que la politique menée par Le Caire rendait la Corne de l’Afrique « ingouvernable ». Aussi offre-t-il, à titre de bons offices, d’accueillir au Somaliland la Conférence de réconciliation nationale, tout en rappelant que son pays ne faisait plus partie de la Somalie depuis la déclaration d’indépendance en 1991. En effet, après plusieurs jours de combats sporadiques à Baydhabo et à Xuddur, les affrontements qui s’achèvent le 25 février entre la RRA et les forces loyales à Xuseen Caydiid laissent encore sur le terrain, 37 morts et 54 blessés. À leur terme, la préfecture du Bakool est repassée entre les mains de la RRA. À Baydhabo en revanche, où aucun des partis n’a vraiment envie de céder le moindre pouce de terrain, les combattants raxanweyn sont contraints après plusieurs jours d’escarmouches de se replier à 5 kilomètres au sud de la ville. Les miliciens de Xasan Shaatigudud n’accordent en effet aucun crédit à l’engagement pris par Xuseen Caydiid et selon lequel il retirerait ses forces de la ville dix jours avant la conférence une fois sa date d’un commun accord arrêtée. D’ailleurs la RRA déclare qu’elle boycottera la réunion, jurant de reprendre auparavant la ville par la force. Quant à la population, 1
LOI n° 792. 20 XII 1997. 239
prisonnière des solidarités claniques, elle réalise à peine tant elle en est imprégnée, l’infernal carcan dans lequel elle se trouve corsetée. Quoi qu’il en soit, le 14 février, comme beaucoup s’y attendaient, Xuseen Caydiid et Cali Mahdi ont annoncé que la conférence était à nouveau reportée en raison de « problèmes logistiques ». Le dirigeant abgaal a jugé opportun de préciser que ce retard ne résultait d’aucun contretemps politique sérieux tandis qu’un peu plus tard le Secrétaire général-adjoint de la Ligue arabe, Aḥmed Ben ʿAli, tentait pour sa part de rassurer tout le monde en avançant que la conférence aurait lieu avant le 31 mars. Si certains observateurs considèrent ce troisième report comme un grave revers pour le processus de paix, de plus en plus nombreux sont ceux qui ne voient plus dans l’hypothétique conférence qu’un simple mécanisme de réconciliation des lignages hawiiye visant à l’établissement de leur hégémonie économique et politique. Et il est difficile de ne pas admettre que l’accord du Caire a surtout eu pour effet secondaire de convaincre les grands lignages darood – Harti, Mareexaan et Ogaadeen – de resserrer leurs rangs face aux Hawiiye qui semblent quelque part engagés dans un processus cohérent d’alliance. Reste que, continuant d’occuper Baydhabo, où ont à nouveau éclaté des combats, Xuseen Caydiid ignore délibérément les injonctions lancées à son encontre. À l’aplomb de cette posture, il souligne à qui veut l’entendre que l’accord du Caire n’impliquait pas que les factions mettent un terme à ses revendications tant qu’un nouveau gouvernement n’aurait pas été mis en place à l’issue d’une conférence nationale de paix. Un pas est fait cependant quand, s’engageant à ne retirer ses forces que dix jours avant la réunion, il propose en gage de sa bonne foi la mise en place d’une « équipe de coordination nationale » qui viendrait organiser les modalités du retrait. Face à ce qui reste une impasse toutefois et après que de nouveaux affrontements, les 15 et 16 février à Muqdishu, ont mis aux prises les factions Cayr et Saleebaan et occasionné la mort d’une douzaine de personnes, la Ligue arabe rappelle son envoyé spécial pour la Somalie, Samīr Ḥusnī, pour des consultations politiques sur les contretemps qui ont conduit à ajourner la conférence au 30 mars. Le diplomate doit aussi évoquer devant ses pairs la position du Somaliland qui bien qu’ayant refusé de prendre part à la conférence, a néanmoins déclaré qu’il s’ouvrirait au dialogue quand le Sud aurait recouvré un gouvernement viable. Préoccupé, Samīr Ḥusnī estime alors que les États arabes membres de la Ligue devraient s’apprêter à financer la conférence si, ainsi que certaines factions l’ont toujours affirmé, le problème logistique se trouvait avéré. Mais le 18 mars à nouveau, les factions somaliennes reportent la conférence au 15 mai : d’une part certains groupes – le SSDF, la RRA et même les autorités du Somaliland – contestent toujours l’opportunité du lieu proposé et accusent explicitement l’Égypte de manipuler le 240
processus de paix en faveur des chefs de factions hawiiye ; d’autre part, les factions estiment à 4,5 millions de dollars la somme nécessaire à l’exercice1 alors que la Ligue arabe n’est jusqu’à présent parvenue à collecter que 500 000 dollars offerts par le Koweït et le Qatar2. Dès lors certains songent aussi, après Boosaaso, à rechercher un nouvel emplacement pour la tenue de l’exercice. En attendant, avec une singulière constance, la Ligue arabe se déclare satisfaite de ce report et décide d’envoyer courant avril une nouvelle mission à Muqdishu pour vérifier sur place l’application des accords du Caire. La délégation est cette fois dirigée par le Secrétaire général de la Ligue arabe, Aḥmad ʿIṣmat ʿAbd al-Majīd. Elle comprend des représentants de plusieurs états membres – Algérie, Djibouti, Égypte, Libye, Soudan, Tunisie, Yémen – et doit en tout premier lieu s’enquérir de la réouverture de l’aéroport et du port de Muqdishu. Mais nul n’est vraiment dupe. Le véritable obstacle résulte du différend suscité par le refus de Xuseen Caydiid de retirer ses troupes du Baay, ainsi que l’ont prévu les accords du Caire. Puis le 26 avril, afin de dissuader résolument tout le monde, Xasan Shaatigudud, le commandant de la RRA, menace de lancer une attaque sur Baydhabo si quiconque le 15 mai s’essayait à y tenir une conférence. Aussi dès le 13, les responsables annoncent-ils une fois encore que la conférence de réconciliation avait finalement été annulée en raison des « querelles entre factions et de manque de financement »3.
La reprise des combats [VI 1998] La situation semble gelée quand, tandis que s’espacent maintenant les grandes pluies de gu’, reprennent le 4 juin des affrontements qui dans le Baay occasionnent encore la mort de plus de 25 personnes et laissent 50 blessés. Le porte-parole des Raxanweyn indique que l’intensification des combats est survenue après que la SNA a acheminé des renforts venus de l’ancienne base militaire de Balli Doogle vers le Baay et le Bakool. Parmi eux, il signale, assertion plus tard avérée, que des Oromo sont venus d’Éthiopie afin d’aider Caydiid à conserver sous son contrôle Baydhabo et le district voisin de Xuddur. Cette présence oromo est contestée par le gouvernement éthiopien qui assure au contraire que c’est Xuseen Caydiid qui apporte son soutien aux mouvements d’oppositions armées tant somali qu’oromo opérant sur son territoire, l’Oromo Liberation Front mais aussi l’Islamic Front for the Liberation of Oromiyaa (OILF) du sheekh Jarra abba Gada4. Toujours est-il que les 6 1
Sur la base d’une évaluation qui se monte à 10 000 $ par participant. AFP. 18, 24 & 30 III 1998. 3 AFP. 13 V 1998. 4 Abdulkarim Ibrahim de son vrai nom. Dans le gada, système social traditionnel oromo fondé sur les classes d’âges, les détenteurs élus des trois pouvoirs sont désignés par les titres de Abba Gada pour le chef d’État, Abba Dula pour le chef de l’armée et Abba Halanga pour les juges. 2
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et 7 juin, les troupes de Caydiid reprennent le contrôle de l’ensemble de Baydhabo dont elles chassent une nouvelle fois les combattants de la RRA qui en occupaient certains quartiers1. Au même moment, Cismaan Caato dans une émission diffusée sur sa radio, la Voice of Somali Pacification déclare que l’accord de paix signé en décembre au Caire était « mort ». Aussi appelle-t-il à un processus de paix alternatif pour sauver la Somalie. Une nouvelle réunion permettrait « de mieux orienter le processus de paix » ajoute Caato qui a renvoyé dos à dos Xuseen Caydiid et Cali Mahdi après qu’ils se sont tous deux proclamés coprésidents du National Coordination Committee (NCC). Cismaan Caato dont on peut toujours contester la loyauté mais certainement pas l’intelligence s’impatiente de voir que l’on se préoccupe davantage des préparatifs officiels pour la supervision de la Conférence de réconciliation alors que nul ne s’applique au préalable à déterminer de quoi il s’agira et qui participera à l’exercice. Ce constat d’évidence nourrit l’échec vers lequel depuis le début de l’année – après Addis Abäba, Nairobi et Sodere – se dirige le projet égyptien développé au terme de l’accord du Caire. Ainsi, dans l’interfluve, les combats se poursuivent en septembre. Les miliciens de la SNA-Caydiid y sont accusés d’avoir brûlé trois villages dans la région de Bakool, opération qui aurait coûté la vie à six paysans et en aurait blessé douze autres2. Si le porte-parole de Caydiid à Nairobi nie ces exactions, il reste que les combats se poursuivent à Baydhabo et à Buur Hakaba où les organisations humanitaires font état de la mort de 19 personnes ainsi que de 21 blessés. Pendant ce temps, dans le registre de la délinquance, des hommes armés établissent des barrages routiers le long la route de Afgoye, rançonnant les camions transportant des produits alimentaires et volant la nourriture. Cette situation contribue à faire monter le prix des denrées à Muqdishu où les tribunaux islamiques s’engagent maintenant à démanteler la quarantaine de points de contrôle et barrages tenus par ces bandits ordinaires dont la seule activité consiste à l’extorsion.
Affrontements entre Macalin-Weyne et Geelidle
[X-XII 1998]
Luttes fractionnelles, banditisme, ce sont aussi des affrontements interclaniques ordinaires qui mettent aux prises maintenant MacalinWeyne et Geelidle dans le district de Saakoow à l’ouest du pays raxanweyn. Les combats accompagnés de pillage ont éclaté à la fin du mois d’octobre 1998 à propos de l’aide humanitaire et des emplois octroyés par une agence humanitaire suédoise. Après cinq semaines de combats sanglants, une certaine accalmie s’installe quand les deux lignages décident le 3 décembre d’un arrêt des hostilités3. Elles 1 2 3
LOI n° 815. 13 VI 1998. Banaadir. 5 IX 1998. AFP. 3 XII 1998.
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reprendront brièvement deux jours durant après que quatre médiateurs ont été pris en embuscade et tués par des hommes armés non identifiés alors qu’ils se rendaient de Muqdishu à Saakow. En deux mois de combats, les deux clans pouvaient déplorer 89 personnes tuées, plus de 180 blessés et de 200 familles sans abri1. Au même moment plus au sud, à Baydhabo, l’échec de l’attaque lancée par des miliciens de la RRA contre un poste tenu par la SNA-Caydiid laissait, outre six tués et douze blessées, le contrôle total de Baydhabo aux miliciens Habar Gidir2. Un geste de bonne volonté intervient au mois de décembre quand à la suite d’un appel à la communauté internationale lancé par le porteparole de la RRA, Maxamed Aadan Qalinle, la SNA-Caydiid accepte de libérer 36 prisonniers, hommes et femmes de la RRA, sur les 80 réclamés. Le mouvement raxanweyn avançait à l’aplomb de sa requête que ces gens capturés au cours des combats de la fin novembre n’étaient pas des combattants. Bien sûr, il est toujours difficile dans ces situations de faire la part des choses tant la désinformation, de part et d’autre, va bon train. Car sur le terrain, il s’agit hors les villes d’une juxtaposition de petits théâtres. La RRA par exemple est impliquée dans une attaque à la roquette perpétrée sur un autobus circulant entre Baydhabo et Muqdishu. L’affaire provoque la mort de 28 personnes et en blesse une dizaine d’autres. Il est vrai que depuis plusieurs mois la RRA qui accuse Caydiid d’utiliser la route de Baydhabo pour transporter hommes et moyens en vue d’attaquer Xuddur dans le Bakool, y a déployé ses combattants qui en interdisent l’accès aux véhicules. Mais le journal proche de la SNA qui rapporte l’événement assure que les passagers étaient des civils alors que la RRA de son côté prétend que celui-ci transportait des miliciens qui convoyaient des armes légères et d’autres fournitures logistiques destinées à leurs ennemis3. Il reste que la situation dans l’interfluve reste pour la population d’une grande précarité. Ainsi, en janvier 1999, Médecins sans Frontières fait état de l’arrivée de 5000 Somaliens, principalement des femmes et des enfants, qui déplacés par les combats ont franchi la Jubba et sont arrivés sans aucun moyen de subsistance dans la ville frontalière de Beled Xaawo. L’organisation qui avait prévu de cesser ses opérations dans le district en décembre juge la situation suffisamment préoccupante pour prolonger de trois mois son mandat afin de faire face à la situation4. Il faudra donc attendre près d’une année encore pour que le pays raxanweyn puisse revendiquer d’être placé par les instances internationales parmi les « zones en transition ». 1 2 3 4
AFP. 20 20, 22, 25, 30 et 31 XII 1998. The Monitor. 19 XI 1998 ; AFP, 17, 19, 23 & 27 XI 1998. Xog Ogaal. 20 XI 1998. IRIN. 2/3 I 1999. 243
Les faisceaux lignagers
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X III – L A REDISTRIBUTION DES MOUVEMENTS MUSULMANS
C’est aussi pendant que change l’avant-scène du paysage politique régional que se déploient d’autres formes de pouvoirs, jusqu’alors discrèts sinon étrangers à la Corne de l’Afrique. L’espace religieux y échappe d’autant moins que l’Itixaad, ce noyau salafiste autour duquel gravitaient des électrons à la course erratique a en tant que tel vécu. Ce schéma somme toute fréquent dans la société musulmane préfigure, à la façon somali, le destin de certains avatars des Frères musulmans mais plus encore celui d’al-Qāʿida. La dilution d’Al Itixaad dans d’autres organisations n’induit ni la disparition de ceux qui en ont porté les idéaux ni celle d’autres mouvements dont les objectifs sont également d’imprégner la société somalienne de ce que la loi musulmane porte de plus rigoureux. En cela se propage un esprit résolument nouveau. L’islam traditionnel somali qui obéit à l’école juridique de l’imam shafi’i a jusqu’alors été un islam résolument apaisé, largement imprégné d’idéal sūfī par l’intermédiaire de son espace confrérique1.
LA DIFFUSION DU SALAFISME Or maintenant dans le Sud de la Somalie, alors que ni la loi traditionnelle, le xeer, ni les différents processus entrepris à Nairobi, à Sodere ou au Caire ne sont venus à bout des désordres, deux aspects de l’islam fondamentaliste insidieusement s’installent dans le paysage social. Ils proposent à la société somalienne, avant quelques années plus tard de le lui imposer, un ordre qui, faute d’en avoir fait َ [som. daraawiishta]. En arabe, on parle de ṭarīqa [ ﻃ ِﺮﻘﺔpl.: ṭuruq: ] طﺮقqui signifie littéralement « procédé, voie, méthode ». 1
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l’expérience, n’a pas encore failli : un ordre religieux rigoriste. Venant se juxtaposer à la tradition religieuse somali, cet ordre qui privilégie la référence à l’islam des premiers compagnons1 se décline selon deux paradigmes : - Le premier, le tablīgh [ar. – ﺗ ﺒ ﻠ ﯿﻎsom. tabliiq], est fondé sur le prêche et la persuasion. La jama’at ad-daʿwa wa-t-tabligh « groupe pour le prêche et la propagation » fonde son activité prosélyte sur le verset 104 de la troisième sourate du Coran2 :
وف َو َﯾ ْﻨ َﮭ ْﻮنَ ِﻦ َﻋ ْﻟ ُﻤﻨﻜ َِﺮا ِ َو ْﻟﺘ َ ُﻜﻦ ِ ّﻣﻨ ُﻜ ْﻢ أ ُ ﱠﻣﺔ ٌ َﯾ ْﺪﻋُﻮنَ ِإﻟَﻰ ْاﻟ َﺨﯿ ِْﺮ َو َﯾﺄ ْ ُﻣ ُﺮونَ ِﺑ ْﺎﻟ َﻤ ْﻌ ُﺮ ََوأ ُ ْوﻟَـﺌِﻚَ ُھ ُﻢ ْاﻟ ُﻤ ْﻔ ِﻠﺤُﻮن
« Puissiez-vous former une communauté qui prêche le bien, ordonne ce qui est convenable et interdise ce qui est répréhensible. Ce sont ceux qui agissent ainsi qui seront les bienheureux »
Originaire de l’Inde où il a été lancé en 1926, il se présente comme un mouvement quiétiste et apolitique dont l’objectif est de faire revivre leur foi aux musulmans du monde entier dans le cadre d’une interprétation littérale. En Somalie, le mouvement est représenté par la salafiya jadiida « la nouvelle salafiya » et un mouvement plus structuré sur le terrain, la Jaamacat al tabliiq. - Le second, le takfīr [ar. – ﺗ ﻜ ﻔ ﯿﺮsom. takfir], avatar dévoyé de l’islam, se fonde sur la violence. Le takfīr wa-l-ḥijra, « l’anathème et l’exil » rassemble des extrémistes qui considèrent les musulmans ne partageant pas leur lecture de la foi comme des apostats, et en font par là même les cibles privilégiées de leurs attaques à l’instar de n’importe quel noncroyant. Poussant à l’extrême les théories de Sayyid Qubt, l’un des théoriciens des Frères musulmans, il est fondé en 1971 au Caire et justifie son action par l’ayat 9 de la quarante-neuvième sourate3 :
َ َو ِإن ْ ﺻ ِﻠ ُﺤﻮا َﺑ ْﯿ َﻨ ُﮭ َﻤﺎ ﻓَﺈِن َﺑﻐ َﺖ ِإﺣْ ﺪَا ُھ َﻤﺎ َﻋﻠَﻰ ْ َ َﺎن ِﻣﻦَ ْاﻟ ُﻤﺆْ ِﻣﻨِﯿﻦَ ا ْﻗﺘَﺘَﻠُﻮا ﻓَﺄ ِ طﺎﺋِ َﻔﺘ ُ َ ﱠ ُ ْ َ ﱠ اﻷ ْﺧ َﺮى ﻓَﻘَﺎﺗِﻠﻮا اﻟﺘِﻲ ﺗ َ ْﺒ ِﻐﻲ َﺣﺘﻰ ﺗَ ِﻔﻲ َء إِﻟﻰ أ ْﻣ ِﺮ ﱠ ِhا
« Si deux partis de croyants se combattent, réconciliez-les. Si l’un se rebelle encore contre l’autre, luttez contre celui qui se rebelle jusqu’à ce qu’il s’incline devant l’ordre de Dieu. »
Le takfīr justifie donc la pratique du terrorisme auquel il engage. A cet effet, il autorise des actes contraires à l’islam dans l’intérêt d’une lutte dont la finalité est paradoxalement sa généralisation. Ainsi meurtres d’innocents, viols, suicides, destructions des tombeaux sont autorisés et même encouragés. C’est cet islam dépravé qui, après l’échec des modérés et au terme des interventions contestées des États-Unis et de l’Éthiopie, s’imposera quelques années plus tard sur l’espace somalien.
1
[ar. اﻟﺴﻠﻒ اﻟﺼﺎ- as-salaf aṣ-ṣāliḥ] Les »pieux prédécesseurs ».
2
[ar. آل ﻋﻤﺮان- āl-ʿimrān] « La famille de ʿImrān ». [ar. اﻟ ﺤﺠﺮات- al-ḥujurā] « Les appartements privés ».
3
246
Peu ou prou donc, il est possible pour tenter d’en saisir les cohérences, de ranger les comportements religieux en Somalie dans trois groupes qui tous s’interpénètrent : - un islam traditionnel représentatif de la plus grande partie de la population, mais qui va se trouver progressivement contraint ; - un islam salafiste qui se réclame de la priorité du prêche ; on parle en effet de « prêche salafiste » : da’wat us-salafīya [ar. ]اﻟ ﺪﻋﻮة اﻟ ﺴ ﻠ ﻔ ﯿﺔ - un islam salafiste radical qui revendique le jihād armé dont nous avons rencontré les prémisses à travers l’Itixaad. Un élément nouveau apparaît maintenant : les mouvements salafistes abandonnent tout souci de territorialisation pour se diffuser de façon pernicieuse, mais de plus en plus profonde dans le tissu social somali.
LES MOUVEMENTS MODERES Jaamacat al-tabliiq et salafiya jadiida La démarche du tabliiq vers la salafiya jadiida est illustrée en Somalie par sheekh Cali Wajis, exemple d’un idéologue salafiste de premier plan qui après avoir soutenu puis brièvement participé à la direction d’alIttixad a fini par s’opposer à la violence de sa théologie dogmatique. Cette renonciation s’est opérée à la lumière d’une réévaluation rationnelle des règles musulmanes sur la guerre et de l’observation des fractures secouant les mouvements islamistes. La démarche lui a ainsi permis de parvenir à une remise en question de ses propres positions théoriques. Car on ne peut confondre sous le même terme de jihād les efforts menés par un croyant en quête de son propre accomplissement spirituel et l’activité d’individus à l’ego surdimensionné. En définitive, ces quelques illuminés plus ou moins pervers – de Ḥasan ibn as-Ṣabbāḥ à Usāma ben Lāden – qui n’auront songé qu’à lancer des kyrielles d’assassins fanatisés et ne seront trop souvent parvenus planétairement qu’à rendre l’islam insupportable au sens commun. Le mouvement tabliiq en Somalie constitue le groupe religieux prosélyte le plus nombreux. Sa tactique de prêche apolitique, explicitement apaisé, mais néanmoins ardent, explique en partie son succès – notamment au sein d’un peuple épris de poésie. Il reste que l’accroissement important de ses adeptes le rend aussi victime de son propre succès. Le mouvement devient vulnérable, sujet à des infiltrations et à la manipulation de la part d’éléments radicaux intéressés à se trouver portés par leur réussite. Or, parmi les cinq à sept cents sheekhakh étrangers présents en Somalie, nombreux sont ceux qui viennent du monde arabe, mais aussi d’Afghanistan, du Pakistan, de Tchétchénie et ailleurs. Donnant au mouvement une certaine dimension, mais aussi une hétérogénéité incontrôlable, cette infiltration par des éléments jihadistes dissimulés ne peut vraiment surprendre. 247
Aussi la dénégation de la direction du mouvement au regard de toute infiltration de ce type ne cessera cependant d’étonner les observateurs. Pourtant il est vrai également que non seulement le mouvement ne dispose d’aucun moyen de filtrage de membres dévoyés, mais il se trouve par ailleurs pauvrement équipé pour répondre aux allégations selon lesquelles certains seraient engagés dans l’extrémisme et la perpétration d’actes de violence. Cette ambiguïté permet au doute de s’installer. Étant donné la taille du mouvement, l’hétérogénéité de ses membres et son message fondamentaliste, il est difficile d’échapper aux liens extrémistes et partant, aux dérives de certains de ses membres.
Ahlu Sunna Waljaamaca Le groupe est créé en 1991 pour contrer précisément l’influence des tendances islamistes les plus radicales. Le mouvement rassemble des responsables religieux politiquement motivés dont l’objectif premier est d’unifier l’action de la communauté sūfī sous une direction commune. L’objectif est de consolider le pouvoir des trois principales confréries en un front dont la seule mission serait le rajeunissement de l’interprétation traditionaliste de l’islam et la délégitimisation des convictions et des vues politiques de l’Itixaad et des autres mouvements islamiques radicaux. En fait, bien que moins fréquemment rencontrée et employée à son propos, il conviendrait de préférer l’expression arabe originale ahl-us-sunna wa-aj-jamāʿa, expression générique qui a depuis fort longtemps désigné l’ensemble des confréries et des sectes sunnites1. Ainsi, voisinant avec les grandes confréries plutôt présentes dans les villages, il existe dans les villes des regroupements dont l’action se réfère à l’esprit de la daraawiish. À Muqdishu, on parle d’Ahlu Sunna Waljaamaca, parfois d’As-sunna wā-l-jamāca, par transcription de l’arabe. Soutenu naguère par le général Caydiid, ce groupe anti-fondamentaliste par essence, peut donc être rapproché d’un courant néo-réformiste sūfī. Il rassemble, dans la capitale, les principaux notables des deux plus importantes confréries, la Axmadiya et la Qaadiriya. Mais, fort de leur rivalité ordinaire, ceux-ci s’appliquent davantage à répondre aux injonctions de leurs propres sheekhakh que de tenter d’organiser vraiment la communauté musulmane. De plus, la faiblesse de son organisation interne et son manque de ressources propres ne permet 1
. Louis Massignon fait commencer le parti des ahl us-sunna wa-al-jamā’a vers 106/725 à Baṣra, chez quelques pieux docteurs de la Loi ou traditionnistes, disciples de Ḥasan alBasrī, d’Abū Qilāba et de ‘Ibn Sīrīn, qui interdisaient de copier, de lire ou de transmettre des récits survenus avant la grande fitna, de 35 à 41 AH. Une remarque de Ibn Taymīyya montre combien a été lente à s’imposer l’expression de ahl us-sunna wa-ljamā’a pour désigner l’ensemble des associations sunnites. Ceux-ci eux-mêmes étant désignés sous les termes de ahl al-kitāb wā-l-sunna, ahl al-jamā’a, ahl al-ʿijtimā’, etc.
248
pas Ahlu Sunna Waljaamaca de capter l’audience d’une jeunesse urbaine scolarisée, plus portée à écouter des discours plus radicaux. Son influence est néanmoins loin d’être négligeable et ses efforts visent en particulier à s’opposer et à neutraliser le prosélytisme d’Al Itixaad et de ses avatars dans la partie sud de Muqdishu. Pour ce faire, il a par exemple organisé en 1993 les nombreuses manifestations qui, dans la capitale et à Marka, ont protesté contre la distribution de l’aide saoudienne aux seuls groupes radicaux islamiques. Ces marches protestataires étaient discrètement appuyées par le général Caydiid, dont le lieutenant Cismaan Caato louait encore à cette époque « …l’intervention des Américains… pour endiguer le raz de marée intégriste ».
Le 26 mars 1993, dans un bref discours sur les ondes de radio Muqdishu alors tenue par Caydiid, le mouvement qui célébrait son anniversaire expliquait par la voix du chef des ʿulamā’ les cinq principes de leur union : - un ordre fondé sur le Coran ; - l’oubli de tout ce qui peut diviser les Somaliens ; - la recherche de l’unité somalienne ; - la lutte contre pillards et malfaiteurs ; - une étude approfondie du Coran afin de combattre toute propagande éventuelle. Après le mois de juin 1993 et l’engagement américain contre le général Caydiid, le mouvement avait retrouvé immédiatement les réflexes de la solidarité somali et expressément affiché sa détermination à lutter contre les forces de L’ONUSOM et plus particulièrement son hostilité à la politique américaine. Les membres d’Ahlu Sunna Waljaamaca auront aussi véritablement été les premiers à lutter avec quelque crédibilité contre la manipulation de la religion par les fondamentalistes accusés de vouloir satisfaire des « intérêts égoïstes », expression qui s’adressait tout particulièrement à l’Arabie saoudite.
Majmac Culimadda Islaamka ee Soomaaliya Évoquons enfin l’Assemblée des érudits musulmans de Somalie. Comme le laisse entendre sa dénomination, le groupe représente un rassemblement de savants musulmans dont le principal objectif est l’établissement d’un gouvernement fondé sur la sha’ria à travers l’école juridique shafi’ite, madhhab ordinaire de l’Est africain. Après la mort en 2001 de son président fondateur, sheekh Maxamed Ma’alim Xasan, l’organisation sera dirigée par sheekh Axmed Cabdi Dhi’isow.
249
Xarakada Islaax ee Soomaaliya Autre mouvement modéré, Xarakada Islaax1 est apparu à la fin des années soixante-dix à un moment où un réseau assez disparate de groupes tentait de s’organiser en opposition au régime2. Avant la chute de Siyaad Barre, l’organisation opérait dans la clandestinité. Elle était structurée en cellules et était dirigée par le sheekh Maxamed Garyare3, le docteur Cali sheekh Axmed et le docteur sheekh Ibraahin Dusuuqi. En 1991, avec la disparition du régime, Islaax sort de l’ombre en se consacrant exclusivement à la promotion d’activités sociales et humanitaires. Ses membres jouent dès lors ostensiblement un rôle de premier plan au sein des appareils éducatifs. Leur emprise sur l’université de Muqdishu et d’autres organismes éducatifs comme le Formal Private Education Network in Somalia suscite alors la crainte de voir l’organisation opérer un travail de fond propre à réaliser méthodiquement une prégnance plus accomplie de l’islam sur la société4. Il n’a échappé à personne que l’instrumentalisation de la fonction éducative permettait de propager ses vues et de procéder de façon éclectique au recrutement de cadres. Aujourd’hui, le mouvement professe publiquement son attachement aux principes de la démocratie et du pluralisme culturel. Les perspectives sur la religion et la politique ainsi que les tentatives de réconciliation des principes de l’islam avec les notions de démocratie apparaissent dans sa construction interne. À la tête de l’organisation, les membres du « haut conseil » sont élus pour deux mandats au maximum par un conseil consultatif [ar. ﻣﺠ ﻠﺲ ﯩﺎﻟﺸﻮرmajlis ash-shūrā]. On compte notamment parmi les membres dirigeants du mouvement le docteur Cali Sheekh Axmed, président de l’Université de Muqdishu5. L’Islaax toutefois reste suspectée par les Somaliens et par les services de sécurité étrangers de tenir en réalité pour un islam radical et d’être associée à l’Itixaad. De nombreuses preuves pourtant attestent de la réelle rivalité qui a opposé les deux organisations, chacune d’elles mettant en compétition sa propre vision de la relation devant être établie entre la religion et le pouvoir. Des différences idéologiques et de grosses divergences sur la stratégie, la tactique et les interprétations religieuses ont également naguère distingué les deux mouvements. Les chefs de l’Islaax par exemple ont toujours résolument condamné la 1
[ar. ]ﺣﺮﻛ ﺔ اﻹ ﺻ ﻼحḤarakat al-iṣlāḥ « mouvement de la réforme ». André LE SAGE. Al Islah in Somalia : An analysis of modern political islam. Document non publié. 2
3
Naguère membre fondateur de [ar. ]ﺣﺮﻛ ﺔ اﻟ ﻨﮭ ﻀﺔḤarakat an-nahḍah « mouvement de la renaissance ». 4 Car la vieille tradition somali conseille prudemment : « s’il te faut choisir entre le xeer et la sharīʿa, choisit le xeer ». 5 Alain CHARRET. Mouvements islamiques somaliens soupçonnés d’être liés au terrorisme international. Les Nouvelles d’Addis N° 51 - 15 I/15 III 2006. 250
violence et le takfir présentés comme étant à la fois contraires à l’islam et proprement contre-productifs par ailleurs. Il est enfin vrai que l’Islaax a longtemps appelé à la construction d’un futur commun qui transcendât à la fois l’extrémisme et la bigoterie enkystés dans l’Itixaad et l’idéologie jihado-salafistes du takfīr wa-lḥijra1.
LA DERIVE TERRORISTE ET L’EMERGENCE DU TAKFIR Au cours des années soixante-dix, les relations entre les islamistes somaliens et la Qāʿida ne sont que circonstancielles et la présence d’une nébuleuse terroriste islamiste en Somalie reste un phénomène marginal.
La nébuleuse al-Qāʿida et la Somalie : une hypothèse de repli En effet, bien qu’elle s’y soit étroitement maintenue depuis le début de la décennie 1990, al-Qāʿida n’a jamais adopté la Somalie comme une base essentielle pour ses opérations. L’absence d’un gouvernement central coercitif, des frontières sans surveillance et un marché d’armes non régulé n’ont pas suffi à faire du pays un refuge suffisamment attrayant. Aussi, afin de mener quelque action sur des cibles étrangères ça ou là dans la région, la Somalie n’a-t-elle qu’occasionnellement servi de plate-forme à des individus qui par ailleurs sont pour la plupart des étrangers. Si l’on considère leur action avec un recul suffisant, quinze années par exemple, il est clair que si des facilités ont été accordées à des membres de la mouvance al-Qāʿida, il est tout aussi clair que les Somaliens et les Somali impliqués sont infiniment peu nombreux. Les premiers engagements de l’organisation de ‘Usāma ben Lāden en Somalie remontent aux années 1992 et 1995, période des interventions des Nations unies conduites sous l’égide des États-Unis. Des militants islamistes de diverses origines parmi lesquels des membres d’al-Qāʿida ont alors afflué dans le pays offrant leurs services mais aussi équipements, armes et entraînement dans l’espoir de combattre les Américains. Il ne s’agit pas, comme cela a été écrit, de détruire Muqdishu en la transformant en un « second Kabul » ou un « second Beyrouth », mais d’y engager un combat visant à chasser les nonmusulmans d’une terre musulmane. Usāma ben Lāden dénonce l’intervention des Nations-unies comme une tête de pont jetée par les États-Unis afin d’assurer leur domination sur des terres musulmanes. Aussi appelle-t-il ses partisans « à couper la tête du serpent ». Cela sera l’une des initiatives les plus ambitieuses d’al-Qāʿida et elle connaîtra un certain succès. Mais d’autres groupes par ailleurs – Gardiens de la révolution iraniens, Hezbollah… participent également à l’affaire en 1
Anouar BUKHARS. Understanding Somali Islamism. Terrorism Monitor, Volume 4, Issue 10. 18 V 2006). 251
même temps qu’al-Qāʿida, organisation qui est loin d’avoir atteint la notoriété qu’elle acquiert au début des années 2000. Pourtant, l’opportunité que pourrait représenter l’espace somalien en terme de refuge alternatif n’échappe pas au chef de l’organisation terroriste. Aussi y confie-t-il l’organisation des opérations à son second, qui est aussi chef du comité militaire d’al-Qāʿida, AbūʿUbayda alBanshīrī1. L’adjoint de celui-ci, MuḥammadʿĀṭaf2, s’est déplacé à de nombreuses reprises dans le pays au cours de l’année 1993. De nombreux cadres de la Qāʿida, parmi lesquels des maîtres instructeurs réputés tels que ʿAli Muḥammed et Muḥammad Ṣaddiq ʿŪda3, sont dépêchés pour organiser les camps d’entraînement ; il s’agit de former des islamistes somali à proprement parler mais aussi d’autres groupes opposés à la présence américaine dans la région. C’est à partir de ce moment qu’un embryon de coordination se met en place entre les activités d’al-Qāʿida et certains chefs d’Al Itixad, parmi lesquels figure probablement Xasan Daahir Aweys [Habar Gidir Cayr], ainsi que peut-être, brièvement, avec la milice de général Maxamed Caydiid4. Après son arrestation, Muḥammad Ṣaddiq ʿ Ūda avouera à la police kenyane avoir entraîné, en sept mois, vingt-cinq combattants destinés à entraîner à leur tour d’autres personnels pour combattre les forces américaines des Nations unies. De la formation de formateurs en quelque sorte. Durant l’été 1993, la violence entre la milice de Caydiid et les troupes étrangères atteint son paroxysme quand, le 3 octobre, les hélicoptères américains sont abattus au centre de Muqdishu5. Usāma ben Lāden qui revendique l’événement comme une victoire des musulmans somali en coopération « avec d’autres combattants de la foi arabe qui étaient en Afghanistan » pense, comme d’autres, que l’affaire va se conclure sur un retrait américain. Cela dit et bien que certains combattants d’al-Qāʿida aient plus tard revendiqué leur participation à la bataille, rien ne permet de supposer que leur contribution fut autre chose que marginale, si tant est qu’elle ait été. Toujours est-il que le retrait des Américains et des forces internationales de Somalie conduit al-Qāʿida à recentrer ses objectifs vers des pays où 1
AmīnʿAlī ar-Rashīdī dont le nom de guerre est AbūʿUbayda al-Banshīrī est un ancien policier égyptien. Après avoir combattu en Afghanistan où Usāma ben Lāden lui confie le commandement militaire des « arabes afghans », il devient le second d’al-Qāʿida et le responsable des opérations pour l’Afrique. Il trouve la mort le 23 mai 1996 dans un accident de ferry sur le lac Victoria. 2 MuḥammadʿĀṭaf - alias Abu Hafs al-Masri, al-Khabir, Taysir Abdullah, Abu Khadijah, Abu Fatima - de son vrai nom Sobhi abu Sitta est également un ancien policier égyptien. Il succèdera à AbuʿBayda à la mort de celui-ci. 3 Ce dernier, Palestinien originaire de Jordanie, sera arrêté par la police Kenyane et passera sans difficulté aux aveux avant d’être emprisonné. 4 Selon un interrogatoire de Muḥammad Ṣaddiq ʿŪda par la police Kenyane. 5 FONTRIER 2012/1 : 386-390. 252
se présentent des cibles américaines vulnérables. Tels se présentent le Kenya et la Tanzanie. Les relations établies en Somalie peuvent alors se révéler d’une aide précieuse pour planifier à proximité une nouvelle attaque terroriste susceptible d’attirer une nouvelle fois l’attention sur le mouvement. Il apparaîtra plus tard que dès la fin 1993, alors qu’il poursuit l’entraînement de combattants en Somalie,ʿAli Muḥammad, l’instructeur d’al-Qāʿida a déjà envisagé des objectifs à Nairobi. Les membres de son groupe y ont loué un appartement en janvier 1994 et se sont mis à la recherche de cibles potentielles ainsi qu’à la constitution de dossiers d’objectifs, exercice qu’ils ont également conduit à Djibouti. Jusqu’à ce qu’en accord avec Usāma ben Lāden, la première cible désignée soit l’ambassade américaine à Nairobi.
L’attaque des ambassades 1998 Wadī’ al-Ḥājj1, un Américain d’ascendance libanaise, est chargé d’organiser l’opération en établissant une infrastructure d’al-Qāʿida au Kenya. Pour ce faire, il organise une ONG, Help Africa People, et se rapproche étroitement du bureau de la Mercy International Relief Agency (MIRA) à Nairobi. Cette organisation basée à Dublin est dirigée par un religieux saoudien, Safar binʿAbduraḥman al-Ḥawālī2, l’un des idéologues mentors de Usāma ben Lāden. Quant au bureau de la MIRA à Nairobi, il est alors dirigé par un Somali décrit comme un personnage proche du chef d’al-Qāʿida lorsque celui-ci séjournait au Soudan au début des années 1990. En Somalie, MIRA qui a soutenu l’administration régionale d’Al Itixaad dans le Geedo jusqu’à ce que le mouvement soit anéanti par les raids éthiopiens de 1996 sert aussi à organiser les déplacements des combattants étrangers se rendant ou quittant la Somalie. Le temps que Wadī’ al-Ḥājj se rende aux États-Unis pour comparaître devant un jury …recherchant Usāma ben Lāden, il est remplacé à la tête de la cellule de Nairobi par FāṣulʿAbdallāh Muḥammad3, un Comorien titulaire d’un passeport kenyan. Les communications directes de la cellule avec Usāma ben Lāden passent alors par le chef du réseau de Mombasa, ṢālaḥʿAlī Ṣālaḥ Nabhān. C’est aussi à ce moment-là, au début de l’année 1998, tandis que l’administration Clinton bombarde les camps d’entraînement terroristes 1
[ar. ودﯾﻊ اﻟﺤﺎ ّجWadī’ al-Ḥājj] alias ʿAbd aṣ-Ṣabūr [ar.]ﻋﺒﺪ اﻟﺼﺒﻮر. [ar. ] ﺳﻔﺮ ﺑﻦ ﻋﺒﺪاﻟﺮﺣﻤﻦ اﯾﻠﺤﻮالSafar binʿAbduraḥman al-ḥawālī, docteur saoudien en théologie islamique [ar. ﻋﻘﯿﺪةʿaqīda] de l’université de La Mecque a été emprisonné au cours des années 1990 pour ses sermons incitant à renverser le gouvernement. Avec un autre prêcheur, Salmān al-’ūda, il est à l’origine du mouvement « Réveil » [ar. ﺻﺤﻮة ṣaḥwa] en Arabie saoudite, qui soutient un salafisme takfiri enterrinant le terrorisme. 3 Alias Abū Saif as-Sudanī, Abū Aysha, Abū Luqman, Fadel ‘Abdallah, Muḥammed ‘Alī, Fouad Muḥammed, Harūn ‘Abdulkarim. 2
253
en Afghanistan, que le chef du contre-terrorisme américain, Richard Clarke, achève de se persuader que Usāma ben Lāden ne peut ignorer la Somalie dans l’hypothèse d’un départ précipité d’Afghanistan. Le 7 août 1998, les préparations soigneuses trouvent leur sinistre récompense quand un camion conduit par un certain « Azzam1 » explose devant l’ambassade de Nairobi et que quelques minutes plus tard un second véhicule saute à son tour à l’extérieur de l’ambassade de Dar esSalaam. Le bilan est lourd. Les deux attentats tuent 225 personnes et en blessent plus de 4000. Douze seulement parmi les morts sont Américains, la grande majorité des victimes est constituée de Kenyans et de Tanzaniens.
1
Peut-être en référence àʿAbdullah Yūssuf ʿAzzam, shaykh palestinien à l’origine du maktab al-khadamāt. Cette structure a été fondée en 1984 pour accueillir et orienter les volontaires arabes venus prendre part au jihād afghan dans le cadre de l’invasion soviétique (1979-1989). Il a été l’un des maîtres à penser de ‘Usāma ben Lāden. L’un de ses slogans était : « Le jihād et les fusils uniquement. Pas de négociations, pas de conférences, pas de dialogues ». 254
X IV – C HANGEMENTS ET BOULEVERSEMENTS REGIONAUX EN É THIOPIE ET A D JIBOUTI
Deux événements indépendants l’un de l’autre vont toutefois avoir d’importantes incidences sur le paysage politique régional entre 1998 et 2000. Le premier revêt une dimension dramatique. Il s’agit de l’affrontement fratricide qui met aux prises l’Éthiopie et l’Érythrée autour d’une revendication territoriale. Le second est d’une nature toute différente. Il s’agit de l’arrivée au pouvoir à Djibouti du directeur de cabinet du vieux président Hassan Gouled Abtidon, Ismaël Omar Guelleh1.
LA STRATEGIE ETHIOPIENNE AU REGARD DE LA SOMALIE En 1998, le positionnement éthiopien au regard de l’affaire somalienne dans sa globalité vise avant tout à damer le pion à la position arabe. C’est pourquoi le gouvernement d’Addis Abäba, après avoir publiquement critiqué l’accord du Caire, entreprend de le neutraliser avec toute la prudence nécessaire.
Le retrait éthiopien de Somalie
[4 I 1998]
Addis Abäba a hébergé, au début du mois de janvier 1998, la troisième réunion du National Salvation Council (NSC), structure issue de Sodere. Les cinq coprésidents du NSC, pourtant fortement divisés ces dernières semaines, se sont donné les moyens d’atermoyer et ont affiché une unanimité de façade pour réclamer le retrait des milices du SNA-Caydiid
1
Pour Xasan Guuleed Abtidoon et Ismaaciil Cumar Geelleh. A l’indépendance en 1977, la République de Djibouti n’a pas « somalisé » l’écriture, de ses noms propres, patronyme et toponymes. 255
de Baydhabo en préalable à leur participation à la conférence de réconciliation qui est toujours prévue s’y tenir. C’est à ce prix, naturellement jugé inacceptable par le SNA-Caydiid, que Mälläs Zénawi, s’engouffrant dans la brèche, accepte de changer son fusil d’épaule et de soutenir les dispositions de l’accord du Caire ; il appelle même à la tenue à Baydhabo de cette conférence que jusqu’alors son gouvernement s’efforçait de réunir à Boosaaso, à proximité de son allié Cabdullaahi Yuusuf et à l’écart de l’influence des troupes de Xuseen Caydiid. Le Premier ministre éthiopien va jusqu’à proposer à ce dernier une rencontre à Addis Abäba afin d’éclaircir leurs divergences, invitation que celui-ci, pris à contre-pied se garde bien d’accepter, soucieux d’éviter toute modification des arrangements du Caire1. D’autant que l’Éthiopie s’est mise en situation d’interdire à Xuseen Caydiid toute instrumentalisation de la présence de ses troupes en territoire somalien. En effet, Addis Abäba, qui a mené en juin 1997 une ultime opération contre les islamistes du Geedo et n’ignore pas les effets négatifs du maintien de sa présence militaire, vient d’ordonner le retrait des forces qui occupaient les villes somaliennes de Luuq, Beled Xaawo et Doolow depuis plusieurs mois. Le 4 janvier 1998, plus de 500 militaires éthiopiens avec tous leurs matériels se rassemblent dans cette dernière localité, établie sur la frontière, avant de traverser le pont qui sépare les deux États et rentrer en Éthiopie2. La région restera relativement calme jusqu’aux 14 mars 1998 quand, prenant acte du retrait éthiopien, l’Itixaad engage ses miliciens contre le Somali National Front (SNF) du général Cumar Masalle dans une tentative réussie pour prendre le contrôle du district de Ceel Waaq. Le 5 août, les clans mareexaan parviendront à stabiliser la ligne de démarcation établie entre les miliciens de l’Itixaad et les hommes de Masalle.
Un seul parti pour la Région Cinq Il reste qu’à l’intérieur de leurs propres frontières surtout, le monde somali reste pour les dirigeants éthiopiens un souci permanent. Un répit a semblé poindre après que les deux principales formations politiques qui se partagent les postes au sein de l’exécutif de la Région Cinq, la région somali3, ont décidé au début du mois de janvier 1998 de fusionner en un seul parti. Les comités centraux de l’Ethiopian Somali Democratic League (ESDL) et de l’Ogaden National Liberation Front (ONLF) réunis séparément à Jigjiga ont mis sur pied un comité commun chargé de préparer cette 1 2 3
LOI n° 796. 24 I 1998. LOI n° 794. 10 I 1998. የሶማሌ ፡ ክልል ፥ [amh. yä-somalié kelel] .
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fusion et de gérer d’ici là l’État régional somali1. Ce rapprochement entre les deux mouvements est conforme aux vœux des dirigeants de l’EPRDF et, à l’instar de la plupart des autres États régionaux dirigés par un parti unique. Le régime attentif à stabiliser l’administration dans ces régions périphériques n’y était toujours pas parvenu en Région Cinq. Aussi la vigilance reste-t-elle grande, tant l’affaire se complique du risque lié à l’islam radical qui se développe et aux éventuels débordements des conflits politiques ou lignagers de la Somalie voisine2.
L’affrontement Éthiopie/Égypte Au regard des positionnements régionaux, l’affrontement Éthiopie Égypte sur le dossier somalien se manifeste ostensiblement le 18 mars au Centre de conférence des Nations unies à Addis Abäba, au cours de la séance d’ouverture du 5e séminaire OUA/CICR sur la mise en œuvre du droit international humanitaire dans un contexte de conflits anarchiques. Présentant la Somalie comme l’exemple type d’un État déliquescent, Takädda Alämu, vice-ministre éthiopien des Affaires étrangères, déplore l’absence de soutien efficace de la communauté internationale dans les efforts de paix. Il met en particulier en exergue la complexité du dossier et les difficultés à se reconstruire qui se posent à un État après son effondrement3. Une situation il est vrai dont s’est en son temps remarquablement sorti l’Éthiopie. Or face au problème somalien, l’Éthiopie et l’Égypte se sont enfermées dans une rivalité pour le contrôle du processus de paix, adossées à des objectifs géopolitiques contradictoires. Ainsi, l’Éthiopie accuse-t-elle l’Égypte de saboter ses efforts tandis que cette dernière maintient que le processus de paix ne pouvait suivre plus d’une piste à la fois et qu’elle s’était engagée à coopérer avec les six pays de l’IGAD pour instaurer une paix durable. À l’aplomb de sa critique de la position éthiopienne, le ministre égyptien des Affaires étrangères, ʿAmrū Mūsā, fait valoir que la résolution du problème somalien revêtait plusieurs aspects, arabes, africains et musulmans et que, par conséquent, personne ne pouvait prétendre monopoliser le règlement de la situation. Dans l’hebdomadaire éthiopien Efoyta, le ministre développerait un peu plus tard ce postulat en affirmant que le rôle de l’Égypte en Somalie était tout à fait conforme à la charte de l’OUA, qu’il se fondait sur des liens 1
Ce comité composé de 17 membres dont 9 pour l’EDSL et 8 pour l’ONLF est présidé par Abdulmejid Husén, ministre des Transports et président de l’EDSL. Mohamed Maalim Ali, le nouveau président de l’État régional, en est nommé vice-président et Mohamed Dirir ambassadeur d’Éthiopie au Zimbabwe prend en charge le secrétariat général. Ce comité commun doit ensuite désigner un exécutif de 21 membres répartis entre l’EDSL (12) et l’ONLF (7) pour diriger l’État régional. Les deux derniers sièges étant réservés aux clans non représentés au sein de ces deux organisations. 2 LOI n° 796. 24 I 1998. 3 AFP. 18 III 1998. 257
fondamentaux et historiques remontant entre les deux pays « à des milliers d’années » et que le but ultime de la politique égyptienne était d’assurer la paix et la stabilité dans la Corne de l’Afrique1. Quelques jours plus tard à Addis Abäba, le 25 mars, le ministère éthiopien des Affaires étrangères accueillait une réunion du Joint IGAD Partners Forum. Prenant acte du différend, son coprésident, l’ambassadeur d’Italie, annonçait que son pays appellerait à une réunion des partenaires sur la question de la Somalie à Rome le 4 mai, réunion à laquelle l’Égypte serait également conviée.
LE DEPLACEMENT DES PREOCCUPATIONS VERS LA FRONTIERE NORD Mais c’est un autre souci, aussi imprévu que coûteux tant en vies humaines qu’en moyens qui est sur le point d'accaparer l’énergie des Éthiopiens à partir du milieu de l’année 1998 et venir bousculer l’ordre prévalant dans la région depuis 1990. Afin de suivre ses implications sur le dossier somalien, il est nécessaire de rappeler sommairement le déroulement du conflit qui est sur le point d’opposer – de mai 1998 à 2000 – l’Éthiopie et l’Érythrée : une guerre qui va occuper le devant de la scène régionale et préoccuper les instances internationales jusque là observatrices enthousiastes du redressement économique entrepris par Addis Abäba, une guerre qui va occulter une nouvelle fois aux yeux de l’opinion les drames somaliens. Entre 1961 à 1991, un long conflit parfois larvé, parfois paroxystique, avait opposé les gouvernements centraux éthiopiens du roi des rois Haylä Sellasié puis du lieutenant-colonel Mängestu Haylä-Maryam à la province Érythrée résolument sécessionniste. La guerre s’achève en 1991, au moment où le régime communiste du derg est renversé par une juxtaposition et une coalition de fronts armés issus de plusieurs horizons du pays2. L’Éthiopie et l’Érythrée divorcent à l’amiable en 1993 au terme d’un référendum d’autodétermination, conservant quelques contentieux sur les questions monétaires et commerciales ainsi que sur la délimitation de leur frontière autour de certains points, dont Badmä, Tsorona et Bure3. Compagnons de lutte contre le régime du derg, les deux gouvernements qui restent de proches alliés conviennent de mettre en place une commission chargée de surveiller leur frontière commune et les lieux contestés.
Le repli nationaliste de l’Érythrée, la nécessité d’en découdre Le destin des deux États diverge cependant dès après la fin de la guerre civile. L’Éthiopie, vieil État et vieille nation, en rejoint le concert au prix de difficultés nombreuses, mais attendues et approchées avec lucidité et 1
እፎይታ ፥ [amh. efoyta] – 31 III 1998.
2
Cf. FONTRIER 1999. ባድመ ፥ [amh. badmä] ; ፆሮና ፥ [amh. tserona] ; ዛለ ፡ አንበሳ ፥ [amh. zalä anbesa] ; ቡሬ ፥ [amh. buré]. 3
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compétence. Se dessinent ainsi deux scénarios bien différents : d’un côté le gouvernement d’un État de plus d’un million de km² et de quelque 80 millions d’âmes, au sol et au sous-sol prometteurs, qui abandonne d’emblée le treillis et le drapeau rouge ; de l’autre celui d’un État de 4 millions d’âmes qui en couvre le dixième de la surface1, posé sur ce qui pour l’heure demeure un tas de cailloux, riche du seul courage de ses habitants, et qui ne parvient pas vraiment à abandonner la logique des maquis. Ainsi, lassant par nombre de ses positions une société internationale a priori bien disposée à son égard, le gouvernement érythréen se trouve assez vite isolé et rapidement menacé dans ses équilibres internes. Pour pallier les risques, Asmära choisit de solliciter le réflexe nationaliste. Un positionnement qui conduit tout d’abord à un conflit avec le Yémen, en 1995, à propos des îles Hānish, puis une tension avec Djibouti en avril 1996 à propos du tracé frontalier à hauteur du ras Doumeira. C’est ce même filon qui se trouve encore lourdement exploité deux ans plus tard quand, le 6 mai 1998, quelques soldats d’Asmära pénètrent dans la région de Badmä, alors sous contrôle de l’Éthiopie, et située le long de la frontière entre l’Érythrée et la région Tegray2. L’incident aussitôt suscite un échange de coups de feu. Le 12 mai, l’affaire prend une tout autre dimension quand au moins deux brigades de soldats réguliers érythréens3 appuyés par des chars et de l’artillerie, attaquent la ville de Badmä et quelques autres localités éthiopiennes4 avant, dans les jours qui suivent, de poursuivre leur progression jusqu’aux hautes terres situées à l’est de la zone. Le lendemain, l’Éthiopie mobilise ses forces pour organiser la contre-attaque, ce que la radio érythréenne s’empresse aussitôt de décrire comme un politique de « guerre totale »5. Rapidement, les combats dégénèrent en échange de tirs d’artillerie et de chars qui perdurent au fil de quatre semaines d’intenses combats. Les troupes au sol se battent sur trois fronts jusqu’à ce que, le 5 juin, les Éthiopiens lancent une attaque aérienne sur l’aéroport d’Asmära. Les Érythréens répliquent aussitôt en attaquant la ville éthiopienne de Mäqälé, la capitale de la Région Un6. Une certaine accalmie s’ensuit, mais il s’agit d’un faux répit : les deux partis mobilisent maintenant des forces importantes le long de la frontière où ils creusent de vastes tranchées. Plusieurs centaines de 1
En fait respectivement 1 127 127 km² et 121 320 km². L’Éthiopie est une fédération ethnique. Il existe entre autres une Région Un, la région tegray [amh. ትግራይ ፡ ክልል tegray kelel], peuplée d’une majorité tegray comme il existe en Region Cinq, région somali, une majorité somali. 3 Soit environ 2000 hommes. 4 Dans le district [amh. ወረዳ ፥ wäräda] de Tahtay Adiyabo [amh. ታህታይ ፡ አዲያቦ ] ainsi que deux localités situées dans celui, voisin, de Laʿelay Adiyabo [amh. ላዕላይ ፡ አዲያቦ ]. 5 LOI n° 811. 16 V 1998. 6 LOI n° 814. 6 VI 1998. 2
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millions d’euros sont engloutis en équipements militaires neufs, malgré les efforts de médiation menés par l’OUA qui propose un retour de chacun à ses positions d’avant-guerre. L’Érythrée refuse le plan de paix et demande la démilitarisation de toutes les régions disputées, leur surveillance par une force neutre de surveillance et l’engagement de pourparlers directs1.
Une paix qui tarde Après que l’Érythrée a refusé le plan de paix proposé par l’OUA, l’Éthiopie lance le 22 février 1999 une offensive militaire massive pour reconquérir Badmä. Dans les jours qui suivent la reconquête, le 27 février, alors que l’Éthiopie vient de briser le front fortifié et de pénétrer de 10 kilomètres en territoire érythréen, Asmära accepte finalement la proposition de l’OUA. Mais bien que les deux pays affirment se ranger au plan de paix, l’Éthiopie n’arrête pas immédiatement son avance car elle exige que les pourparlers soient subordonnés au retrait de l’Érythrée des territoires occupés depuis les premiers combats. La situation reste donc tendue au point que, le 16 mai, après une accalmie de deux semaines, les Éthiopiens attaquent à nouveau avant d’être défaits après deux jours d’intenses combats sur la ligne de front entre Tsorona et Zalä Anbesa. En juin 1999, les combats se poursuivent, chaque camp restant accroché à ses positions. Il faudra attendre encore un an avant que les armes cessent de parler. Les discussions entre les deux pays seront encore interrompues au début du mois de mai 2000, lorsque les Éthiopiens accuseront l’Érythrée d’imposer des conditions inacceptables. Désireux d’en finir, le 12 mai, ils lanceront une offensive qui brisera les lignes érythréennes, coupant notamment l’axe principal pour le soutien des troupes érythréennes sur le front ouest. Le 23 mai, l’Éthiopie annoncera que ses forces se sont emparées des principaux postes de commandement déployés dans la zone de la ville frontière de Zalä Anbesa, à environ 100 km au sud d’Asmära. Acculés désormais, les Érythréens déclareront s’être retirés de la localité et d’autres zones sur le front central en « geste de bonne volonté pour relancer les négociations de paix ». Ce ne sera que le 25 mai 2000 qu’Addis Abäba, conformément à la demande de l’OUA, déclarera la fin de la guerre.
1
Le mobile de l’intrusion érythréenne résulte aussi de deux événements qu’il convient d’identifier afin de procéder à une plus juste lecture des causes du conflit : Addis Abäba a sommé les habitants de la zone disputée de choisir entre prendre la nationalité éthiopienne ou repartir en Érythrée ; cette décision est une mesure de rétorsion liée à la création en août 1997 d’une monnaie érythréenne, le naqfa [teg. ናቕፋ]. Sauf à voir ses réserves en devises partir à Asmära, cette disposition a conduit l’Éthiopie à imposer que les échanges commerciaux entre les deux pays soient effectués en devises étrangères. LOI n° 811. 16 V 1998. 260
À ce moment, l’Éthiopie occupe près d’un quart du territoire érythréen1. Les combats auront entraîné l’exode de 650 000 personnes, détruit les éléments clés des infrastructures de l’Érythrée et contribué à ruiner les deux pays au prix de quelque 70 000 morts2.
Les débordements du conflit éthio-érythréen en Somalie La relation même sommaire d’un tel affrontement, deux années durant, engage à considérer la dimension régionale que l’affaire a pu prendre, s’agissant de l’Éthiopie, l’État le plus puissant de la région. Dans un tel contexte, la problématique somalienne ne pouvait que passer au second plan et perdre de son intérêt. Un détournement bien compréhensible, tant de la part des Éthiopiens que des observateurs internationaux accaparés par ce nouveau drame venu secouer la Corne de l’Afrique. Il reste que, du point de vue des factions somaliennes qui se sont opposées au plan de paix concocté par les Éthiopiens – l’accord de Sodere -, ce désintérêt prend rapidement une tournure d’aubaine. Aussi profitent-elles de cette situation pour adopter une posture plus offensive. Le conflit avec l’Érythrée oblige l’armée éthiopienne à revoir à la baisse ses actions en Somalie où naguère elle est intervenue à plusieurs reprises, directement ou en soutien à des factions alliées. L’Éthiopie ne reste naturellement pas inactive face à cette nouvelle menace. Il lui faut isoler autant que possible ses propres opposants éthiopiens d’un Xuseen Caydiid particulièrement prompt à leur octroyer une aide par l’intermédiaire de la Libye ou de l’Érythrée. Ceci conduit Addis Abäba à consentir quelques efforts au profit des groupes hostiles à Xuseen Caydiid qui, dans le sud de la Somalie, recherchent sans ambages son parapluie protecteur3. Sur le plan diplomatique, elle conforte par ailleurs ses relations avec Djibouti où se profile un nouveau président de la République, avec le Somaliland où elle n’a guère de difficulté à trouver une oreille attentive et avec le Puntland maintenant où on espère trouver des interlocuteurs 1
Le 18 juin 2000, les parties concluent un premier accord de paix global prévoyant en outre l’arbitrage obligatoire de leurs différends dans le cadre d’accords signés à Alger. Une « zone de sécurité temporaire » de 25 kilomètres de large est créée à l’intérieur de l’Érythrée, contrôlée par des patrouilles de la force de paix des Nations-Unies regroupant au sein de la Mission des Nations unies en Éthiopie et en Érythrée (MINUEE) des soldats de 60 pays. Le 12 décembre 2000, un accord de paix sera signé entre les deux Etats. 2 Il s’achèvera sur des changements de frontières mineurs. La commission internationale de La Haye établira que l’Érythrée avait violé la loi internationale et déclenché la guerre en envahissant l’Éthiopie. 3 Et en renouant par ailleurs des relations avec le régime islamique de Kharṭūm (qui était accusé de soutenir un groupe islamique basé au Soudan qui avait lancé des attaques sur la frontière entre l’Érythrée et le Soudan) et en fournissant de l’aide à divers groupes rebelles érythréens, dont le Jihad islamique érythréen, émanation des Frères musulmans. Celui-ci, Harakat al Jihad al Islami (Eritrea Islamic Jihad Movement) est devenu en septembre 1998 Harakat al Khalas al Islami (Islamic Salvation Movement). 261
crédibles. Début mai en effet, une délégation militaire éthiopienne conduite par le général Lämma Gutämma1 se rend à Garoowe afin de rencontrer le Président du Puntland. La question d’une assistance militaire éthiopienne est au menu de leurs discussions qui se prolongent une semaine durant. Le colonel Cabdullaahi Yuusuf entame le 12 mai à Djibouti une visite officielle qui doit le conduire ensuite à Addis Abäba. Auparavant, les dirigeants du Puntland se sont concertés à Beledweyne avec ceux du Jubbaland et ceux de la région du Hiiraan pour adopter une position commune face à l’acheminement récent d’armes en provenance de Libye à l’attention de l’USC-Caydiid et de ses alliés.
UN NOUVEAU PRESIDENT EN REPUBLIQUE DE DJIBOUTI La petite République de Djibouti, État hydrocéphale, présente une physionomie tout à fait particulière. Sa situation géographique en effet la condamne à une certaine schizophrénie politique. Située à la charnière sud de la mer Rouge, entre Méditerranée et océan Indien, elle a, depuis son indépendance en 1977, dû prendre d’autant garde à son voisin éthiopien que celui-ci, l’arme au poing, sombrait dans un socialisme scientifique à peine moins menaçant que le voisin somalien. La présence française et la politique prudente du président Hassan Gouled devaient néanmoins se conjuguer pour contenir à bout de gaffe les velléités – rares à tout prendre – des uns et des autres.
La débipolarisation dans la Corne et le trublion érythréen En cette dernière décennie du siècle cependant, passées les fièvres progressistes, la débipolarisation du monde a changé la donne y compris dans la Corne de l’Afrique. On y assiste ainsi à une remise en cause des États, suivie selon l’endroit d’une construction, d’une reconstruction ou d’une déconstruction rédhibitoire. Djibouti se trouve à la charnière de nouvelles guerres, dans l’œil d’un cyclone qui n’en finit pas de tourner. Après la fin de la guerre civile en Éthiopie qui s’est conclue sur la naissance de l’Érythrée, la Somalie a de son côté, dans des circonstances différentes, engendré un enfant non désiré, le Somaliland. Djibouti, dos à la mer se retrouve ainsi sertie par trois griffes incertaines : au nord et au sud les deux nouveaux États tandis qu’à l’ouest perdurent les turbulences récurrentes du pays somali éthiopien, ciise notamment. Cette situation appelle d’autant plus à la vigilance qu’au cours des dix années, Djibouti a également connu la guerre civile. L’insurrection y a été toutefois limitée à la partie nord de son territoire, région où le monde afar a maladroitement tenté, sans en payer vraiment le prix, de rétablir quelque équité dans l’ordre 1
ለማ ፡ ጉተማ [amh. lämma gutämma] est un ancien vice-président du Conseil d’État sous er le régime du derg. Il s’était rendu aux rebelles le 1 juin 1991, quelques jours après la chute du régime. FONTRIER 1999 : 413.
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djiboutien. Car à Djibouti, le pouvoir reste accaparé par les Somalis ciise qui peuplent la partie sud du pays et dont les clans débordent sur le Somaliland et plus largement encore sur les basses terres éthiopiennes. Cette situation sommairement rappelée, il convient encore de se souvenir de la position adoptée par le gouvernement érythréen qui a aussi glorieusement réussi sa guerre de libération qu’il a désespérément manqué son indépendance. Trop sûr de lui, trop fier de son courage et de ses succès militaires, le jeune État n’a su saisir toutes les mains qui lui étaient tendues et transformer l’immense capital de sympathie dont il disposait. Les échecs et la ruine immédiate qui ont résulté de sa morgue et de ses intransigeances l’ont conduit à jouer maladroitement de la corde nationaliste, que ce soit aux îles Hanish, sur le trait de frontière à Doumeira ou, de la façon la plus calamiteuse, dans le Nord éthiopien. Au niveau régional, il est également ressorti de ce contexte un postulat : tout État en difficulté avec Asmära est assuré de voir l’Érythrée encourager la moindre de ses dissidences ; indépendantistes oromo ou somali en Ogadèn, islamistes, factions somaliennes en délicatesse avec Addis Abäba, la SNA-Caydiid par exemple. À Djibouti, on tient qu’un soutien à son évanescente rébellion afar est toujours plausible de la part de l’Érythrée.
La relation triangulaire Djibouti Éthiopie Somaliland Sur ce fond de tableau s’inscrit par ailleurs un maillage de relations complexes et protéiformes. On peut ainsi observer que, si une défiance séculaire oppose Djibouti et le Somaliland – tous deux héritiers des vieilles principautés musulmanes –, à une Éthiopie historiquement identifiée à un pouvoir chrétien, les préoccupations communes et les conflits d’intérêts entre les trois entités sont loin de se résumer à une dichotomie simpliste d’ordre politico-religieux. La situation doit être considérée du point de vue de chacun. Vu d’Addis Abäba et de Hargeysa, un point d’application essentiel de leurs relations résulte des exutoires maritimes de l’Éthiopie, aujourd’hui enclavée depuis la perte de ses accès à la mer. Avant l’indépendance érythréenne et surtout avant la détérioration des relations entre les deux États, les ports de Massawa au nord et d’Asäb au sud ainsi que celui de Djibouti assuraient les mouvements de marchandises vers les hauts plateaux, qui par la route, qui par la voie ferrée. Aujourd’hui, les difficultés avec l’Érythrée contraignent Addis Abäba à chercher d’autres exutoires. Djibouti a acquis une position monopolistique d’autant plus intolérable que le port n’est plus suffisamment dimensionné pour subvenir aux besoins du trafic. Au point que la seule possibilité de créer une alternative se situe à Berbera au Somaliland. Cette position engage naturellement Addis Abäba et Hargeysa à s’entendre, établissant un paramètre qui, parmi d’autres, crée une interdépendance favorable à de nombreux compromis. 263
Les trois États interagissent aussi autour d’une donnée sécuritaire. La guerre éthio-érythréenne a conduit l’Éthiopie à alléger son flanc sud-est, même si les agents d’Asmära y demeurent actifs. Une situation propre à mettre en alerte Hargeysa, de ce fait privée de la vigilance de son soutien le plus sûr, son meilleur allié au regard de la poussée islamiste, assurément, mais aussi face à Djibouti. Car si les grands commerçants isxaaq y ont pignon sur rue, le développement probable de Berbera laisse entrevoir aux autorités djiboutiennes une concurrence malvenue. Une autre entreprise, plus discrète, peu identifiée par la plupart des observateurs, sous-tend enfin la relation entre Djibouti et ses deux voisins où sont également présents les Somali Ciise. Il faut rappeler que, dans la petite république, la quasi-totalité du pouvoir est entre les mains de ces derniers, plus particulièrement des Ciise appartenant aux Mamaasan, lignage dont le centre se situe dans la région de Geerisa au Somaliland. Or à partir de 1991, confortées par sa propre dissidence afar qui laisse planer une incertitude sur la partie septentrionale du pays, par l’acceptation internationale de revenir sur le tracé des frontières en adoubant la république érythréenne, par la promulgation en Éthiopie d’une constitution ethno-fédéraliste, certaines autorités djiboutiennes se sont plu à imaginer un Issaland composé des régions djiboutienne, éthiopienne et somalilandaise, peuplées par les Ciise. Un Ciiseweyn en quelque sorte, à la façon de la Soomaaliweyn des années soixante en Somalie voire de la Grande Afarie avancée par Ali Aref quelques années plus tard. Un concept qui n’a pas été étranger aux affrontements frontaliers survenus depuis 1991. Or l’artisan de cette affaire était alors le chef de cabinet du président de la République de Djibouti : Ismaël Omar Guelleh.
Un personnage hors du commun : Ismaël Omar Guelleh Avec le président Maxamed Cigaal, le général Maxamed Faarax Caydiid et le colonel Cabdullaahi Yuusuf, Ismaël Omar Guelleh aura assurément été ces vingt dernières années l’une des quatre personnalités somali à avoir réellement attesté d’une stature d’homme d’État, stature qu’il serait hâtif de ne juger qu’à l’aune de leurs succès. Ismaël Omar Guelleh est né en Éthiopie. Entré à dix-sept ans au service de la police française, il sera promu en 1975 inspecteur de police adjoint des Renseignements généraux. Élément jugé brillant, il montre une prédilection pour les activités opaques. Si cette disposition lui attire quelques soucis, il sait aussi la mettre à la disposition du mouvement dirigé par Hassan Gouled, la Ligue populaire de l’Afrique pour l’Indépendance (LPAI). Quoi qu’il en soit, il adopte ostensiblement à cette époque, les théories révolutionnaires de Che Guevara et se déclare solidaire de l’action des commandos-suicides. C’est d’ailleurs dans le cadre de ses activités politiques qu’il se rend en avril 1976 à Tripoli. Ce sera pour lui l’occasion de nouer avec les Libyens des contacts qui, discrets, n’en resteront pas moins toujours réguliers et durables. 264
Ismaël Omar Guelleh devient alors le chef des services de renseignement de la LPAI. Peu après l’indépendance, il est nommé chef de Cabinet du président de la jeune République puis prend la direction de la Sécurité intérieure et extérieure. Ce faisant, il se trouve en situation de centraliser toute la production renseignement apportée par la Gendarmerie nationale, la Force nationale de sécurité (FNS) et les Renseignements généraux, coiffe la police politique et le contreespionnage réunis au sein du Service de documentation et de sécurité, le SDS. La Garde présidentielle enfin est également placée sous son autorité. Fort de son emprise tentaculaire sur ce système, en 1979, le chef de Cabinet mène avec la même brutalité que l’année précédente une nouvelle répression contre les Afar, en réponse aux attaques portées contre les postes militaires de Randa et de Khor Angar. Ainsi installé, le réputé « neveu » du président semble bénéficier de toutes les faveurs et de la confiance de celui-ci. Il sera toujours difficile de savoir jusqu’à quel point le chef de l’État ne s’est pas retrouvé prisonnier de son redoutable « parent ». Toujours est-il que, le 6 mars 1982, il entre au Comité central du Rassemblement populaire pour le progrès (RPP), le parti unique gouvernemental, avant d’être nommé au Bureau politique du Parti. Au cours de l’année 1979, Ismaël Omar est approché par les Services spéciaux éthiopiens qui le jugent « vénal, corrompu, aimant l’alcool et les divertissements »1. Il n’en reçoit pas moins vingt millions de francs djiboutiens, une collaboration qui lui permet de se lancer dans les affaires immobilières. Ces accointances avec le dangereux voisin poussent plusieurs parlementaires et hauts fonctionnaires djiboutiens inquiets à demander son remplacement. Mais rien ne peut plus ébranler sa position. Au contraire, ce sont de nouvelles fonctions qui lui échoient. Quelques années à peine après l’indépendance, il fait d’ores et déjà figure de dauphin du président en place. En 1986, il est mêlé à une affaire de marché et de livraison d’armes polonaises dont une partie, détournée, sert vraisemblablement à équiper sa milice personnelle. Beaucoup de choses seront dites sur cette dernière dont les chiffres avanceront un effectif de plusieurs centaines d’hommes. En réalité, celle-ci ne rassemblera jamais plus de 100 à 150 individus qui se connaissent d’ailleurs assez peu entre eux. Sa gestion et son fonctionnement, plutôt aligné sur le modèle des cellules palestiniennes, sont confiés à son frère aîné, Idriss, exécuteur des basses œuvres d’Ismaël2. D’ailleurs en mars 1987, ne refusera-t-il pas aux envoyés spéciaux français une rencontre avec le Tunisien Adouani, 1
Au cours de cette même année, il épouse en deuxième noce, Kadra Mahamoud Haïd, avant de prendre pour maîtresse Anissa Warsama, ex-épouse d’un officier emprisonné… puis un certain nombre d’épouses de ses anciennes victimes. Ce dynamisme lui vaut localement le surnom de « Masochiste ». 2 D’autre part il pilote les milices mamaasan déployée au Somaliland et agit auprès des milices ciise présentes en Éthiopie par l’entremise du directeur de l’Ecole Peicoule. 265
auteur de l’attentat du restaurant-bar l’Historil ? Une affaire qui gêne Hassan Gouled, homme politique retors certes, mais globalement « sain ». Quand, en 1990, Ismaël Omar est invité par le gouvernement américain, il s’agit d’une opération destinée d’une part à se positionner face au candidat le plus vraisemblable à la succession du président Hassan Gouled et d’autre part à contrebalancer l’influence arabe que l’Iraq et la Libye exercent sur lui. Deux ans plus tard, cependant, sa gestion brutale de la crise intérieure conduit à une détérioration de ses relations avec le président Gouled. Mais les jeux sont faits. Riche et puissant1, il détient désormais tous les leviers d’un pouvoir dont il n’abandonne que des rênes désormais coupées au président Gouled. À la veille de l’élection présidentielle, il a main mise dans les domaines administratifs, financiers, judiciaires, militaires et policiers, soit en accaparant directement certaines fonctions, soit en mettant en place à des postes clés des hommes de confiance. L’ultime verrouillage intervient au dernier trimestre de 1995, quand le décret portant attribution des responsabilités au sein du Cabinet de la Présidence lui attribue de fait la quasi-totalité des pouvoirs. Intelligent et habile, dynamique et travailleur, Ismaël Omar Guelleh apparaît aussi comme un homme totalement corrompu, affairiste et ambitieux, sans aucun scrupule moral ou humain. De caractère parfois violent, de comportement scandaleux, il allie pragmatisme et réalisme, tyrannie et rouerie. Manipulateur exceptionnel, cet homme redoutable n’agit que selon son ambition, ses appétits et ses intérêts. Ses brutalités et sa richesse ostentatoire le rendent particulièrement impopulaire et craint. Servi par une intelligence et une détermination incontestables, il a toujours su dès que mis à quia, se mettre en situation de ne pas avoir à laisser les preuves matérielles de ses intrigues, employant à cet effet de manière extrêmement judicieuse un certain nombre de ses agents. Lui-même n’écrit jamais ou peu. Il « travaille » avec deux ou trois téléphones posés devant lui. Certains services, peu au fait de la duplicité d’Ismaël et de son passé, l’ont hâtivement considéré parfois comme pro-américain, parfois proéthiopien ; ils sont passés à côté du talentueux opportunisme qui résume l’individu. Le seul positionnement à peu près assuré tient à son peu de sympathie pour les Français dont il n’ignore pas l’hostilité, mais qui, eux, ignorent délibérément la sienne.
L’élection du nouveau président
[9 IV 1999]
Au début du mois de février 1999, âgé est malade, le président djiboutien, au pouvoir depuis l’indépendance de Djibouti en 1977 annonce qu’il ne se représenterait pas à la présidence au mois d’avril. Ce faisant, il laisse son parti, le Rassemblement populaire pour le 1
Il est considéré faire partie des cinq plus grandes fortunes d’Afrique.
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progrès (RPP) décider à l’unanimité de soutenir pour ce scrutin la candidature de son neveu et chef de cabinet… Ismaël Omar Guelleh. L’opposition ayant été dûment étrillée par ses soins1, ces dernières années, le candidat n’a aucun mal à se faire élire. En effet, la faction ralliée au pouvoir de l’ancien front armé afar, le Front pour la restauration de l’unité de la démocratie (FRUD) qui participe au gouvernement n’a d’autre choix, sauf à disparaître, que de lui apporter son soutien. Quant à l’opposition ciise, ses deux seuls prétendants crédibles, Moumine Bahdon Farah et Ismaël Guedi Hared, ne pourront pas faire acte de candidature. Un procès politique les a privés de leurs droits civiques après qu’ils ont été reconnus coupables de diffamation envers le chef de l’État. Autre adoubement toujours souhaitable, la France, qui a récemment changé de majorité, s’est décidée dès 1995, sous l’impulsion de Jacques Dewatre l’ancien directeur de la DGSE, à pactiser avec le chef de cabinet dont la réputation à Paris était jusqu’alors exécrable. Estimant qu’il était le véritable homme fort du pays, donc incontournable, une rencontre en janvier 1999 au domicile privé d’Ismaël Omar entre celui-ci et le ministre français de la Coopération, Charles Josselin, confirme l’adoubement par une France réaliste qui, si elle n’y gagnait rien en grandeur, assurait la pérennité de sa position stratégique à Djibouti, entre le canal de Mozambique, et les détroits d’Ormuz et du Bab al-Mandab. Rien d’extravagant en réalité puisque nul n’ignore sur les rives de la Seine que Paris vaut bien une messe et que la raison d’État ne s’oppose jamais à la canonisation de la peste2. Si l’on admet l’improbabilité de le voir trouver quelque obstacle majeur sur la voie de son élection à la présidence, nul ne doute alors qu’Ismaël Omar gouvernera Djibouti grâce à sa longue maîtrise des services secrets et à la toile d’araignée de ses réseaux d’influence. Pour éviter des dissidences au sein de son propre clan il a, comme directeur de cabinet, considérablement renforcé l’influence des Mamaasan en établissant 25 d’entre eux aux postes de directeurs de l’administration qui en compte une trentaine. Parents ou affidés ont ainsi été placés à divers postes sensibles. Ainsi, son cousin, Djama Ali Guelleh est directeur de la Compagnie nationale d’électricité, son beaufrère, le lieutenant-colonel Omar Bouh, commande la Force d’action rapide. Le frère de son épouse Kadra, Djama Mahamoud Haïd, est gouverneur de la Banque Nationale ; en tant qu’Isxaaq, il constitue aussi un relais privilégié vers les dirigeants du Somaliland. Parmi ses autres partisans figurent le ministre des Finances, Yacine Elmi Bouh, qui 1
Deux représentants de l’ancien front armé afar sont d’ores et déjà présents au gouvernement, ses deux principaux rivaux Ciise, le Walaaldoon Moumine Bahdon Farah [som. Mu’min Bahadon Faarax] et le Sacad Muuse Ismaël Guedi Hared [som. Cismaaciil Geeddi Xareed] ont tous deux été récemment privés de leurs droits civiques et sont en passe d’être jugés. 2 LOI n° 844. 6 II 1999. 267
faisait auparavant partie de la cellule informelle de ses conseillers ainsi que le secrétaire général à l’Information, Ismaël Tani, qui contrôle les médias gouvernementaux. Mais les réseaux d’Ismaël Omar Guelleh s’étendent aussi dans le secteur privé en particulier par l’intermédiaire Abdourahman Boreh, le viceprésident de la Chambre internationale de commerce et d’industrie. Celui-ci est une personnalité dont les intérêts s’étendent bien au-delà de la République de Djibouti, jusqu’en Éthiopie voire en Somalie du Sud où il se révélera un intermédiaire important, mais discret de la diplomatie djiboutienne. Après avoir été lié à Munir Buri et aux frères Kassim en Éthiopie1, Abdourahman Boreh s’était éloigné d’eux lorsqu’ils avaient été arrêtés pour corruption avec le vice-président éthiopien, Tamrat Layne. Il s’est alors rapproché de Muḥammad Ḥusayn al-ʿAmūdī, magnat saoudo-éthiopien proche du régime d’Addis Abäba, ce qui lui a permis de se dédouaner et de continuer cette fonction d’intermédiaire que traditionnellement des commerçants de la côte pérennisent avec les autorités du haut plateau. Mais le réseau commercial de l’homme d’affaires s’étend aussi en Somalie. En juin 1998 par exemple, il s’est rendu à Marka avec un de ses partenaires en affaires, Maxamed Cabdulle Deylaaf [Cayr/Absiye]. Celui-ci, l’un de ces gros commerçants travaillant avec le WFP et certaines ONG, Care International en l’occurrence, est aussi l’un des financiers des tribunaux islamiques somaliens2. Il reste aussi qu’Abdourahman Boreh aide généralement Maxamed Deylaaf à obtenir des lettres de crédits et autres documents bancaires indispensables pour acheter le sucre qu’il lui vend. Quand enfin, quelques mois plus tôt, celui-ci s’était associé avec un groupe de commerçants somaliens pour financer une commande de nouveaux billets de banque3, des observateurs à Muqdishu s’étaient demandé si l’homme d’affaires djiboutien n’avait pas quelque peu aidé dans cette transaction… L’argent ne pouvant lui faire défaut, il reste à Ismaël Omar à organiser son élection. Dans la perspective du scrutin qui se profile et pour lequel la date du 9 avril a été retenue, le gouvernement djiboutien rechigne à enregistrer le candidat de l’Opposition djiboutienne unifiée (ODU), Moussa Ahmed Idriss. Ancien parlementaire français et politicien de longue date, ce Ciise Horoone est parvenu au fil des ans à évincer la plupart de ses rivaux. Aussi nul ne néglige qu’il pourrait se révéler un rival menaçant. Bien que les faits datent maintenant, chacun se souvient qu’autrefois, bien avant l’indépendance il avait battu le futur président Gouled lors des élections à l’Assemblée nationale française en 19624 Il 1
Il avait créé la société Crystal avec Wissam Kassim. Notamment le tribunal auquel on doit le nettoyage de la route entre Marka et Muqdishu. 3 Des coupures de 500 et de 1000 auprès de l’al-Baraakaat Bank de Muqdishu. 4 LOI n° 848. 6 III 1999. 2
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s’agit donc maintenant de le « fatiguer ». C’est pourquoi le ministère de l’Intérieur refuse de recevoir son dossier de candidature. Les autorités djiboutiennes justifient cette décision par les arriérés d’impôts importants que l’intéressé doit au fisc, ce qui trois plus tôt, en décembre, ne l’avait nullement empêché de se présenter à la députation et d’être élu. Mais le trésor lui devant aussi de l’argent, Moussa avait proposé de régler cette affaire par compensation de deux dettes croisées, voire par la saisie d’une de ces maisons. Selon les opposants unis derrière lui, cette décision relève en fait d’instructions verbales du candidat de la coalition RPP-FRUD, Ismaël Omar Guelleh, en charge par ailleurs de la sécurité nationale. L’occasion est trop belle d’essayer ainsi de désorganiser l’opposition d’autant que ce n’est pas sans difficulté que celle-ci est parvenue à se mettre d’accord, le 6 février, et sur le principe d’une candidature unique, et sur le choix de Moussa Ahmed Idriss. Finalement le gouvernement se résout à abandonner une position intenable et accepte le 3 mars d’enregistrer sa candidature. La campagne se trouve dès lors lancée. Début mars, le Chef d’état-major des armées, le général Zakaria Chekh Ibrahim se rend accompagné du lieutenant-colonel Osman Nour Soubagleh dans les casernes du Nord du pays pour observer et prévenir tout signe de manquement. Mais il n’est guère à craindre des forces armées qui entre août et septembre 1998 ont été purgées des éléments soupçonnés d’être des sympathisants de l’opposition. C’est ainsi que le 9 avril 1999, sans surprise, au terme d’un scrutin qui le crédite officiellement de plus de 74 % des voix, Ismaël Omar Guelleh est investi le 8 mai second président de la République de Djibouti. Du 25 aux 27 du même mois, après avoir été sollicité par Michel Dupuch, le conseiller Afrique du président Jacques Chirac, il effectue à la tête d’une forte délégation sa première visite officielle à Paris. S’appliquant à démontrer une francophilie virginale, il ne craint pas de se plaindre des critiques françaises à l’encontre de sa politique en matière de droits de l’homme.
La stratégie régionale du nouveau président Au plan international, Ismaël Omar Guelleh se prévaut de son expérience en matière de négociations avec les États voisins. Une prétention dont il va d’ailleurs bientôt user au regard de la situation somalienne. Aussi à son arrivée au pouvoir, entreprend-il une politique qui résulte d’une vision assez précise du contexte régional et du sentiment que, d’un point de vue djiboutien, l’équilibre qui faisait contrepoids à l’Éthiopie s’est rompu avec la disparition de l’État somalien. Le nouveau président se trouve en effet face à une suprématie éthiopienne qui cherche à remodeler la région en fonction de ses propres besoins stratégiques. Or Ismaël Omar Guelleh est conscient de 269
ses moyens limités face à ce qu’il appelle le diktat éthiopien qui vise à le mettre en situation de vassalité. Mais il sait aussi qu’il n’est pas complètement démuni face au pouvoir d’Addis Abäba : l’Érythrée depuis sa sécession ayant scellé l’enclavement éthiopien, la situation qui se tend maintenant entre les deux pays rend de plus en plus critique la recherche d’exutoires alternatifs à Asäb et à Massawa. Ismael sait aussi que cet avantage a ses limites puisque se développe par ailleurs l’hypothèse d’un axe stratégique entre Berbera et les hauts plateaux. Cette situation explique que, à peine élu, il entreprenne une démarche visant à la tenue d’une conférence de réconciliation somalienne, aussi coûteuse soit-elle, qui défendrait le principe de reconstitution d’un État. Cette entreprise ne peut que conduire à une politique de confrontation sinon d’hostilité déclarée vis-à-vis du Somaliland, ceci expliquant tout au moins pour partie ses agissements dans la région frontalière du pays ciise somalilandais. Car la perte du fameux équilibre régional, avec sur fond de dislocation de la Somalie l’émergence d’une nouvelle entité mitoyenne, le Somaliland, constitue un danger. Celui-ci remet en cause les « acquis » de Djibouti et l’équilibre des forces politico-ethniques établies et héritées du processus de décolonisation1. Il reste que, pour le nouveau président djiboutien, l’Éthiopie demeure l’espace des positionnements paradoxaux. Ainsi s’applique-t-il malgré tout à entretenir une relation plutôt cordiale avec le Premier ministre éthiopien, Mälläs Zénawi. Les armées des deux États par exemple coopèrent sans difficulté quand cela paraît nécessaire au pragmatisme de leurs dirigeants. Ainsi, le 4 février, deux hélicoptères éthiopiens pilonnent-ils deux camps de la résistance afar installés dans le district de Tadjourah2. Les intérêts convergent : l’opposition afar en effet se rapprochait plus encore des Érythréens après que Mälläs avait fait arrêter plusieurs de ses dirigeants désormais emprisonnés à Djibouti dans des conditions difficiles. Il se dit que, le 12 mars, l’un d’entre eux serait même mort dans sa cellule dans des conditions suspectes. Mais dans ce contexte, la stratégie du président djiboutien est condamnée à l’ambiguïté. Ismaël Omar Guelleh par exemple a aussi rencontré une délégation érythréenne à Rome le 10 février et espère établir le contact avec le gouvernement. Cela ne contrevient pas fondamentalement à son tempérament car s’il le juge nécessaire, en cela très somali, il joue sans vergogne de sa capacité à s’allier conjoncturellement avec n’importe quel intervenant susceptible d’agir dans le sens qui lui complaît. Mais s’il a une excellente connaissance de la société éthiopienne dont il sait les modes de fonctionnement et dont il connaît jusqu’à la langue amharique, Ismaël Omar n’en est pas moins pour elle sans sympathie particulière. Contrairement à ce qu’il peut avoir laissé entendre ou ce 1
ABDOURAHMAN Yassin. Géopolitique de la Corne d’Afrique : Le pouvoir d’Ismaël Omar Guelleh Les Nouvelles d’Addis. 9 XII 2003. 2 Ayri et Dalḥa. Africa confidential n°328. 14 IV 1999. 270
qui peut avoir été écrit à son propos, le nouveau président n’a de sympathie pour personne sinon pour les siens car il est avant tout profondément Somali, Ciise de surcroît, une identité qu’il fonde sur son lignage, les Mamaasan. L’opportunisme du chef de l’État favorisera aussi l’apparition sur le théâtre djiboutien des pays du Golfe, Dubaï en particulier. Certes, chacun se plaît maintenant à ignorer les débuts de sa carrière qui le plaçaient par essence plus proche des milieux musulmans radicaux que d’une Éthiopie chrétienne ou d’une France incertaine. Mais maintenant que la société musulmane radicale s’est bien implantée à Djibouti, Dubaï est mis en situation d’y aménager une base logistique avancée en direction du nord somalien. Il y a bien sûr un terme à l’échange, à savoir la disponibilité de l’émirat à intervenir auprès du FMI qui conditionne ses prêts destinés à étancher la ruine nationale occasionnée par la guerre civile. En bref, de manière très naturelle, Ismaël Omar Guelleh déteste profondément tout ce qui, dans la durée ou dans l’instant, s’oppose à lui : la France qui lui a semblé un temps soutenir la guérilla afar, avant de venir à Canossa, une Éthiopie trop hégémonique qu’aucun contrepoids ne vient plus compenser ni même soulager, un Somaliland enfin qui jouant contre un État somalien reconstitué se prête ce faisant au jeu de l’Éthiopie. En permanence l’exceptionnelle sagacité de l’individu, son aptitude à la brutalité, sa réactivité et son sens de l’intrigue le portent à mettre en adéquation son intérêt personnel, l’intérêt de son clan et, in fine l’intérêt de l’État qu’il dirige. Un marché gagnant gagnant pour tout individu qui fait le choix de s’en remettre à la volonté de cet exceptionnel manipulateur.
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Le Jubbaland
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X V – L A CRISE HUMANITARO - SECURITAIRE DE 1998-1999
Pour reprendre le fil des événements tel qu’il se présente pour l’ensemble de la Somalie méridionale au cours de l’année 1999, il faut une fois encore revenir sur la problématique humanitaire. Qu’elle résulte de troubles sociaux ou de vicissitudes liées au climat, c’est toujours à elle en dernier ressort qu’il revient de perturber la normalité de l’existence des populations. Trois types de situations d’urgence en effet nécessitent une réaction immédiate : les désastres naturels tels que les inondations ou la sécheresse, les épidémies, depuis le choléra à celles qui affectent le bétail, et les désastres enfin causés par les hommes, victimes des déplacements de population et de la famine. De même, sur un plan politique et économique, la Somalie offre trois contextes régionaux particuliers : - des zones en pleine crise, où l’autorité politique s’est effondrée ou est disputée, où le conflit est sporadique, où l’économie est fondée sur le pillage, où des populations sont déplacées, autant de facteurs créant des conditions assez fragiles pour qu’éclate une nouvelle crise humanitaire ; - par contraste, certaines zones sont en plein relèvement. L’activité économique y est ranimée, des autorités politiques régionales et interrégionales apparaissent à nouveau et s’attachent à redonner aux collectivités locales un minimum de stabilité, de sécurité, de services publics et d’administration ; - d’autres zones enfin qui sont en transition. Elles constituent même la plus grande partie du territoire somalien. On y trouve une certaine sécurité de l’exercice du pouvoir, une certaine stabilité, une certaine activité économique, mais elles demeures extrêmement fragiles, susceptibles d’une rechute faute d’assistance. 273
Fort de ce cadre d’observation, il apparaît que dans le prolongement d’une situation climatique préoccupante depuis la mi-1998, l’année 1999 s’apprête à connaître une aggravation des conditions de vie. En l’occurrence, la situation se complique à la fois du retour des réfugiés et d’un banditisme endémique.
LES MULTIPLES ASPECTS DE LA DELINQUANCE Le banditisme endémique Au cours de l’année 1998, plusieurs membres du personnel des Nations unies et des organisations humanitaires, gouvernementales ou non, ont trouvé la mort, ont été blessés, menacés, enlevés ou victimes d’extorsions d’argent. Cette insécurité dans laquelle vivent ceux qui mènent les opérations de secours et de relèvement touche aussi les collectivités locales et reste le principal obstacle à l’acheminement de l’assistance aux Somaliens. À l’évidence, c’est dans les régions les plus touchées par les affrontements des factions qu’une banalisation de la violence induit la multiplication de ces actes délictueux. Nul ne se soucie et ne se souciera plus jamais des meurtres, des vols ou des viols perpétrés par des Somali à l’encontre de leurs congénères. On observera en revanche à travers quelques exemples les procédés dont pâtissent les travailleurs humanitaires oeuvrant sur le théâtre. Rien de tout cela n’est certes bien nouveau, mais la récurrence des événements s’inscrit invariablement dans la détérioration des contextes. C’est ainsi que le 15 avril 1998 par exemple, alors que les principaux chefs de factions sont réunis au Kenya, dix employés du CroissantRouge et de la Croix-Rouge sont kidnappés sur l’aérodrome de Cisaleey par un groupe d’Abgaal appartenant à un clan Da’uud opérant au nord de la capitale. Les ravisseurs demandent une rançon de 100 000 $ pour chaque otage, menaçant de les exécuter dans les 24 heures si aucun paiement ne leur était parvenu1. Quelques jours plus tard, le journal libanais en langue arabe al-Jumhūriya avancera que Cismaan Caato aurait organisé ce rapt parce que ses services avaient été récusés par le directeur du bureau somalien du Comité international de la CroixRouge, Thomas Gurtner, qui figure parmi les prisonniers. Le groupe est ainsi retenu pendant neuf jours dans une emprise située au nord de Muqdishu avant d’être relâché le 24 avril, sans qu’une rançon autre que les 50 000 dollars supposés « couvrir les dépenses » n’ait été payée2. À la suite de cet incident, les Nations unies suspendent toute opération humanitaire dans la ville et évacuent l’ensemble de leurs travailleurs étrangers en attendant une évaluation de la situation sécuritaire et 1
Deux d’entre eux sont Suisses tandis que les autres viennent de Belgique, de France, d’Allemagne, du Kenya, de Norvège, de Somalie, d’Afrique du Sud et des États-Unis. 2 AFP. 23 & 24 IV 1998. 274
politique1. Fondant sa décision sur cet enlèvement, le CICR annonce le 20 septembre qu’il n’enverra plus de travailleurs en Somalie où il réduit drastiquement ses activités jusqu’à ne plus fournir que les « premiers secours et l’assistance chirurgicale pour blessés de guerre et les soins de base. » Un coup dur pour les populations puisque ce retrait a été précédé quelques semaines plus tôt par celui de l’UNHCR et de Care International2. Car l’événement est loin d’être isolé . Le 2 avril déjà, à Mareerey, dans la Jubbada Dhexe, un avion affrété par les Nations unies et convoyant de la nourriture d’urgence a été pillé avant qu’un autre appareil ne subisse le même sort le 21, à Garbahaarey dans le Geedo où ont disparu dix fûts de carburant pour avion. Un mois plus tard en mai, les combats qui à Kismaayo s’accompagnent de pillages amènent la plupart des organismes d’aide à suspendre leurs opérations dans la région et à évacuer leur personnel expatrié. Une telle mesure revient à suspendre l’assistance à quelque 500 000 personnes. Le 6, six travailleurs humanitaires appartenant à MSF-Belgique sont évacués. Tous travaillaient à l’hôpital où depuis la reprise des affrontements à la mi-avril ils jouaient un rôle essentiel dans le traitement des blessés. Mais la situation est désormais jugée trop volatile d’autant plus que des exactions de toutes sortes se multiplient maintenant à l’encontre des organisations. Au mois de septembre, une religieuse italienne est enlevée par des hommes armés du lignage Cayr dans la capitale somalienne. Sœur Maria-Angela Fuerra dirige l’hôpital SOS-Kinderdorf établi dans le sud de Muqdishu et qui est spécialisé dans les urgences pédiatriques. On découvrira rapidement que l’auteur de l’enlèvement est un ancien employé de l’hôpital. Avant de l’appréhender, lui et ses complices, l’administration conjointe de Muqdishu leur avait refusé la rançon de 200 000 dollars qu’ils avaient exigée. La religieuse est libérée après trois jours de captivité et après négociations entre les représentants de la milice et les ravisseurs. Peu après, six d’entre eux seront condamnés à un an de prison par un tribunal islamique du sud de Muqdishu3. Quelques mois plus tard, en février 1999, à proximité de Garbahaarey dans le Geedo, des hommes armés assassinent un expatrié kenyan d’origine pakistanaise, Manmohan Singh Bhogal. Celui-ci travaillait pour l’agence d’aide italienne Terra Nuova, spécialisée dans la fourniture des services vétérinaires, et qui œuvre principalement dans les régions de Geedo, de la Jubbada Hoose et de la Jubbada Dhexe. Les agresseurs n’étant pas identifiés, la SACB recommande aussitôt la suspension
1 2 3
AFP. 25 IV 1998. AFP. 20 & 25 IX 1998. AFP, 10 & 20 IX 1998 ; IRIN Update. 11 IX 1988 ; The Monitor IX X 1998. 275
immédiate des activités des agences humanitaires dans la région du Geedo1. Mais les réserves et les craintes des ONG s’inscrivent aussi dans un contexte de développement des affrontements entre factions. C’est ainsi que dans un communiqué diffusé au mois de novembre, les membres somaliens de MSF-Belgique déclarent qu’ils suspendront à leur tour l’activité hospitalière dans le sud de la Somalie pour des raisons de sécurité à partir de la fin du mois. Leur déclaration se fonde cette fois sur l’évacuation depuis le 12 juin de la totalité du personnel expatrié de MSF, personnel dont l’absence prolongée ne permet plus de garantir la qualité des soins de santé. Démunie, quasiment abandonnée, l’équipe indique cependant qu’elle restera en contact étroit avec l’hôpital à partir de Nairobi, dans l’espoir d’être en mesure de reprendre certaines des activités de soins de base dès que la situation sécuritaire se sera améliorée. Quelques jours plus tôt au cours du même mois, MSFHollande avait temporairement retiré son personnel de Gaalkacyo à la suite d’un vol à main armée perpétré à l’intérieur de la mission ; trois hommes avaient fait irruption dans le centre de l’organisation et forcé sous la menace le coordinateur du projet à ouvrir le coffre-fort avant de prendre la fuite avec son contenu2. Parmi les attaques les plus meurtrières, notons encore le 30 janvier 2000, les quinze personnes qui trouvent la mort dans l’attaque d’un convoi de vivres destiné aux victimes de la famine dans le Bakool. Les camions de Care International qui livraient 254 tonnes de vivres à Tiyeegloow tombent dans une embuscade tendue par des miliciens sur la piste venant de Muqdishu3.
Surveillance côtière ou piraterie maritime Un autre phénomène encore, depuis 1995, prend lentement de l’ampleur le long des côtes somaliennes. Tant il est difficile à distinguer des opérations de police effectuées au large de leurs côtes par les Somaliens, l’on ne l’évoque encore qu’avec réserve. En l’occurence, les pêcheurs étrangers, venus de Taiwan ou du golfe de Gascogne, ne jouent pas il est vrai un rôle très glorieux. Initialisée par une volonté de lutter contre la pêche illégale dans leurs eaux territoriales, l’activité rapidement se dévoie jusqu’à donner naissance à une activité lucrative dont les années 2000 verront l’ample développement. Si, en l’occurrence, les victimes ne sont pas somali, il est difficile de passer sous silence ce qui à partir de 1995 constitue les débuts encore artisanaux, mais déjà bien patents de la piraterie maritime. Entre 1994 et mai 1995, on compte autour de la péninsule somalienne environ quinze attaques de bateaux. Toutes ne sont pas le fait de 1 2 3
AFP, 27 I & 2 II 1999. AFP. 14 & 20 XI 1999. LNA n°16. III/IV 2000.
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Somaliens, peuple qui, il est vrai, ne s’est jamais distingué dans l’histoire par son goût prononcé pour les affaires maritimes1, et nombre sont perpétrées au large des côtes yéménites. À partir de 1998 en revanche, on observe un glissement progressif vers la pérennisation d’une activité vraiment délictueuse. En janvier 1998 par exemple, l’un des premiers actes de piraterie pure est perpétré au large du Bari où des miliciens capturent un cargo bulgare remorqué par un navire syrien. Notables et commerçants de Boosaaso contribuent alors à la négociation qui le 13 février se conclut sur la libération des équipages moyennant la somme de 110 000 dollars. On peut encore se situer dans la lutte contre la pêche illégale quand, en avril, un chalutier italien attaché à Mombasa, le BAHARI ONE, est retenu 50 jours durant par une milice plus gourmande qui exige 200 000 dollars pour libérer le bateau. Celui-ci a été arraisonné sous de multiples chefs d’accusation : pêche illégale dans les eaux somaliennes, détention d’armes à feu, destruction de la faune marine et vol de produits de la mer dans les eaux territoriales. Or en décembre, le même navire et son équipage de 33 membres sont à nouveau arrêtés pour avoir de nouveau violé les eaux territoriales, mais cette fois aussi pour avoir détruit les filets des pêcheurs et ouvert le feu sur leurs bateaux de pêche. Finalement, navire et équipage sont libérés en février 1999 après que les propriétaires ont versé les 230 000 dollars cette fois réclamés. En revanche, la dérive délinquante devient patente quand, le 27 juillet, ce sont deux plaisanciers français qui sont retenus pendant 55 jours en otage près de Boosaaso avant d’être remis à un représentant de la communauté internationale en échange de la somme de 50 000 dollars. Le 28 décembre, quatre Ukrainiens et leur yacht, VOYAGER, sont capturés au large de Caluula au Puntland alors qu’ils « ramassaient des coquillages. L’affaire quitte encore le registre du maintien de l’ordre pour s’inscrire dans celui du racket. Retenus un mois durant, ceux-ci regagneront l’Ukraine dépossédés de leur bateau. Puis en 1999, avec le mélange des genres, les prises s’accélèrent. Le 4 janvier, le SEA JOHANA, un grand ferry est arraisonné avec ses 21 hommes d’équipage près de Kismaayo par des miliciens se réclamant cette fois de l’Itixaad. Le bateau qui venait de subir quelques avaries techniques est conduit de force vers le port de Buur Gaabo2, au sud de Kismaayo. Trois mois plus tard, en avril, le SEA JOHANA sera retrouvé à la dérive au large de la côte de Mombasa après avoir été abandonné par ses ravisseurs somaliens. 1
Contrairement à ce qui est souvent avancé à partir des années 2000 quand le phénomène prend de l’ampleur. La rumeur résulte probablement d’une confusion avec des faits avérés de pilleurs d’épaves ou des agressions perpétrées sur le rivage dont e certains ont été rapportés au XIX siècle. Aucun mot somali en revanche ne définit explicitement un banditisme maritime : badeeda, burcad badeeda semblent des néologismes. 2 Le Hohenzollernhafen de la Deutsche Somali Küste. 277
En mars 1999 ce sont deux navires de pêche de Taiwan et d’Ukraine qui sont encore détournés par des Somaliens en arme. À la fin avril, deux Finlandais naviguant vers Madagascar sont à leur tour interceptés par des pirates au large des côtes du Puntland. Un phénomène encore limité donc, mais qui annonce les véritables entreprises de piraterie qui s’établissent à partir des années 2000/2004 et infesteront les abords de la péninsule somalienne.
Les déchets toxiques Mais la délinquance revêt aussi bien d’autres aspects. On peut aussi évoquer un problème déjà mentionné, mais qui resurgit à la fin de l’année 1998 et au début de 1999, après que des poissons morts ont été trouvés flottants dans les eaux côtières près de Muqdishu et des localités voisines. Si le gouvernement Caydiid fait alors appel aux organisations environnementales internationales afin qu’elles les aident dans leurs recherches, Cali Caato conspue son adversaire qui selon lui a passé des accords avec des compagnies étrangères afin qu’elles déversent des déchets radioactifs et chimiques dans leurs eaux1.
LA PERSPECTIVE D’UN NOUVEAU DESASTRE HUMANITAIRE
[1998/1999]
Mais c’est une menace d’une tout autre dimension et d’une tout autre nature aussi qui depuis la mi-1997 préoccupe le World Food Program (WFP). Cette menace résulte à la fois de la très mauvaise récolte de l’année et des inondations consécutives au phénomène El Niño qui a endommagé les cultures dans les vallées de la Jubba et du webi Shabeelle ; celles-ci ont en effet amené une infestation par les rats, les criquets et autres parasites, mais ont surtout provoqué la destruction des semences et simultanément entraîné un accroissement de l’insécurité. Aussi le WFP, qui prévoit de monter l’aide alimentaire à plus de 20 000 tonnes dans la période comprise entre mars et août de l’année à venir2, annonce-t-il que la Somalie fait face à son pire problème alimentaire depuis cinq ans, ce qui menace la vie de milliers de Somaliens3. Dans le centre du pays, où il ne s’agit pas de pluies, c’est la sécheresse qui pousse 10 000 personnes à entrer en Éthiopie dans les régions d’Afdheer et de Wardheer. Naturellement, les problèmes alimentaires auxquels la population ordinaire de ces zones a déjà à faire face s’en trouvent accrus d’autant. C’est pourquoi, afin qu’un traitement rapide de 1
AFP. 8, 23, 26 & 28 XII 1998. Les effets de cette pollution avérée se feront sentir au nord, jusqu’au-delà du ras Xaafuun. 2 UNCT Somalia Monitor. 27 VIII & 10 IX 1998. 3 Dans sa troisième livraison du 12 janvier 1998, Les Nouvelles d’Addis consacraient un article important à la menace qu’El Niño faisait peser sur l’Éthiopie, induisant les difficultés qui promettaient de s’étendre sur l’ensemble du pays somali. Bien que les sources n’en semblassent pas toutes fiables, il restait que l’inquiétude était visible après un premier bilan dressé en janvier. LNA n°3. 12 I 1998. 278
la situation évite qu’elle ne prenne des dimensions ingérables, le bureau local de prévention des catastrophes alerte le bureau fédéral à Addis Abäba. L’administration éthiopienne en l’occurrence précisera que ce sont bien des problèmes alimentaires et non des problèmes ethniques ou sécuritaires qui ont poussé ces populations à passer la frontière1.
Après la sécheresse, les inondations
[IX 1997/ I 1999]
Or après la sécheresse qui dans le Sud somalien a sévi comme cela s’est produit dans le Nord, c’est par les inondations que, durant le dernier trimestre de 1997, les récoltes ont été cette fois dévastées. Les estimations du WFP en Somalie méridionale considèrent que, de la mioctobre à janvier 1998, les fortes pluies ont inondé 60 000 hectares de terres agricoles dans les vallées de la Jubba et du Shebeelle. Mais alors que l’aide alimentaire apportée devrait permettre de tenir jusqu’à la récolte de juin, le WFP craint maintenant qu’à nouveau de plus fortes pluies entre mars et mai viennent de nouveau compromettre les récoltes2. Aussi, entre la mi-décembre 1997 et la mi-mars 1998, au rythme d’une vingtaine de vols par semaine, 2 100 tonnes de nourriture sont livrées au profit de 298 000 personnes dans les zones sinistrées3. Mais autre chose encore vient ajouter aux difficultés des populations quand les Nations unies décident de suspendre l’acheminement de l’aide après que, faisant suite à un premier incident survenu en décembre, l’un des avions soit contraint de regagner Nairobi après avoir essuyé des tirs audessus de Saakoow Weyne dans le Jubbada Dhexe4. Finalement, entre janvier et la mi-mars, le WFP aura néanmoins pu fournir un total de 6 933 tonnes de nourriture aux personnes le plus vulnérables. En réponse à l’appel lancé en février, 12,8 millions de dollars sont alloués aux opérations d’urgence dans le Sud de la Somalie tandis que les États-Unis accordent 3 620 tonnes de céréales, y compris une contribution pour couvrir le transport. D’autres pays octroient 5,9 millions de dollars pour financer les opérations aériennes. L’on espère alors que l’injection de nouveaux fonds permettront au WFP de disposer des avions nécessaires jusqu’à la fin du mois de mars5. Car la situation est loin de s’améliorer. Les bilans effectués en juin et en juillet 1998 font état d’une récolte de maïs de 22 000 tonnes seulement contre 110 000 en 1997 et de 22 000 tonnes de sorgho contre 108 000 l’année précédente. En janvier 1999, les faibles précipitations de la dernière saison des pluies et la faible reconstitution des nappes phréatiques qui en a résulté n’ont permis qu’une deuxième récolte de 1 2 3 4 5
LNA n°9. 12 I 1999. UN-IRIN. 3 III 1998. UN IRIN. 24 III 1998. Reuter. 15 III 1998. AFP. 3 & 27 III 1998. 279
deyr très décevante. Plus inquiétant encore, les conditions climatiques permettent d’ores et déjà de prévoir que la récolte principale de gu’ en juillet sera également très en dessous de la normale.
Les problématiques sanitaires Mais l’on observe aussi par ailleurs que les inondations ont entraîné un développement de la malaria et d’autres maladies, en particulier dans les zones où sont concentrées les personnes déplacées dont le nombre a augmenté. Là, les mécanismes d’adaptation mis en œuvre par les ONG sont maintenant arrivés au bout de leurs possibilités. D’autant que le choléra et la poliomyélite demeurent des fléaux récurrents sur l’ensemble du territoire. Pourtant, afin de les combattre, des campagnes sont menées avec succès depuis le début de l’année. Ainsi, la désinfection au chlore des sources, la sensibilisation de la communauté et la mobilisation sociale ont en particulier permis une baisse du nombre des cas de choléra, tout particulièrement à Muqdishu et à Marka. Il reste que les deux agglomérations continuent à recevoir des patients venant de régions éloignées. La présence de la maladie est en effet bactériologiquement confirmée dans de nombreuses localités1 tandis que, maintenant, les conditions climatiques déplorables de l’année 1998 promettent une épidémie beaucoup plus importante que celle de l’année précédente. À la date du 26 mars déjà, l’OMS signale que selon les organisations internationales et les autorités locales le nombre total de foyers infectés s’élevait à 8786 maisons avec 365 décès2. En revanche, la campagne de vaccination contre la poliomyélite en Somalie méridionale et centrale menée à terme entre le 13 et 17 septembre par les travailleurs de santé locaux et les ONG et soutenue par l’OMS et l’UNICEF est considérée comme un réel succès puisque 950 000 enfants de moins de 5 ans ont reçu les deux vaccins consécutifs contre la maladie, ainsi que de la vitamine nécessaire dans la lutte contre la cécité3. Il reste pourtant que, dans l’ensemble, les agents de santé considèrent qu’à la suite du retrait des organismes d’aide, il se dessine maintenant une grave pénurie de médicaments pour poursuivre la lutte contre l’épidémie4.
L’appel des Nations unies aux donateurs pour l’année 1999 De ces inquiétantes données, le WFP conclut qu’entre août 1998 et juillet 1999 la Somalie aura besoin de 125 000 tonnes d’aide alimentaire. 1
Selon l’OMS, à Baardheere, Awdheegle, Beledweyne, Baydhabo, Luuq, Garbahaarey, Kismaayo, Berbera et Jamaame. 2 UNCT. 9 & 19 III 1998 ; IRIN. 31 III 1998. 3 Une étude de terrain est également menée pour poursuivre à la fin de septembre la campagne dans le nord de la Somalie, au Somaliland et au Puntland. 4 The Monitor. 11-21 IX 1998 ; AFP. 9 X 1998. 280
L’augmentation que cela implique pour le seul programme d’urgence couvrant la période de novembre à juillet est estimée à 7,4 millions de dollars. Sur les 300 000 personnes considérées en grand danger – un million sont menacées par la famine –, 60 000 enfants de moins de cinq ans sont en risque de malnutrition, étant entendu qu’en plus des exigences alimentaires ordinaires, les petits ont besoin de nourriture, d’eau, d’une alimentation spécifique et d’une assistance sanitaire soutenue. La précarité de la situation se complique par ailleurs de l’interdiction de l’exportation de bétail vers l’Arabie saoudite qui craint peut-être moins la fièvre de la Rift Valley qu’elle ne souhaite favoriser la spéculation de certains princes sur la viande australienne. Toujours est-il que, depuis un an, cette disposition est venue affecter les revenus d’un grand nombre de pasteurs auxquels la solidarité musulmane n’a suscité aucune alternative. Aussi le 20 novembre 1998, après avoir pris acte de ces prévisions alarmantes, les Nations unies lancent un appel aux donateurs dans l’espoir de rassembler les 65,7 millions de $ dont 18 au titre de l’aide alimentaire iront aux 300 000 personnes qui sont jugées courir un risque particulièrement élevé. L’appel lancé porte sur la sécurité alimentaire, mais aussi sur un niveau a minima en termes de sécurité sanitaire, d’approvisionnement en eau ainsi que de facilitation du retour et de réintégration pour déplacés et réfugiés1. La réponse apportée par l’Union européenne semble certes de bon augure quand Bruxelles octroie 10 899 tonnes d’aide en faveur des programmes d’alimentation d’urgence dans le Sud de la Somalie, mais cela par ailleurs demeure insuffisant. Une mission conjointe2 menée par le WFP dans les régions du Baay, du Bakool et du Geedo indique que la pénurie de nourriture parmi les déplacés était devenue critique, et que les migrations à l’intérieur même de la région - en particulier depuis le district de Waajid – dans l’ouest du Bakool – étaient maintenant l’objet d’une inquiétude toute particulière3.
1
Afin de pouvoir comparer les données, notons qu’en décembre 1996, les agences des Nations unies ont lancé un appel à hauteur de 46,5 millions de $ pour les programmes communs dans 5 domaines particuliers : urgence, réintégration, réhabilitation, sécurité alimentaire et gouvernance. Une enveloppe supplémentaire de 54 millions a été individuellement demandée par chaque agence pour ses propres projets. En réponse, à la date du 14 juillet 1997, 20.4 % des demandes étaient honorées. Au début de l’année 1997, ce sont 13 agences des Nations unies qui travaillent toujours en Somalie, en collaboration avec environ 50 ONG internationales et 10 nationales. 2 La mission se compose de membres du WFP, de l’Union européenne, de l’US-AID, de la Food Security Assessment Unit (FSAU) et d’Action Contre la Faim (ACF) 3 AFP. 25 XI 1998 ; IRIN. 24 XI 1998. 281
L’inquiétude s’installe vraiment quand on apprend du colonel Nuur Maxamed Maxamuud Shirdow gouverneur du Shabeellaha Dhexe1, que la menace se précise et que sept personnes étaient déjà mortes de faim en moins de deux semaines dans sa région. Déplorant les récoltes insuffisantes qui ont suivi les inondations du début de cette année, le gouverneur assure que la famine s’accroissait de façon dramatique et menaçait de se traduire par un exode de la population vers Muqdishu si la fourniture d’approvisionnements d’urgence ne parvenait pas à temps. Or si l’UNDP, l’UNICEF et MSF-Espagne sont bien présents dans la région, leur capacité à faire face est d’autant plus limitée que les conditions sécuritaires n’engagent pas les travailleurs humanitaires à revenir sur le théâtre. Pourtant, en ce même mois de novembre, l’UNICEF lance un premier appel pour 4,9 millions de $ auquel les donateurs répondent rapidement à hauteur de 2,5 millions. Mais très vite, la sévérité de la crise qui s’installe conduit l’agence à une révision à la hausse de ses besoins d’urgence en les portant à 7,4 millions pour la période courant de novembre 1998 à juillet 1999, car un grand nombre des 60 000 enfants de moins de 5 ans sont d’ores et déjà considérés comme souffrant de malnutrition. Cela dit, grands et petits, tous ont besoin d’eau, de semences et d’une assistance sanitaire propre à prévenir certes la famine, mais aussi l’ensemble des problèmes liés à la survie. Pour l’UNICEF et les autres, le principal souci porte sur la période de soudure qui promet d’être compliquée au moins jusqu’au mois de juillet à venir et à sa récolte espérée. En janvier 1999 cependant, le Somali Aid Coordination Body (SACB) qui a déclaré avoir reçu 25 millions de $ des donateurs depuis novembre 1998 estime maintenant que des fonds supplémentaires seront indispensables pour maintenir les efforts de secours jusqu’à la fin juin. Aussi un nouvel appel destiné à lever 9,6 millions de $ est-il lancé afin d’assurer le financement entre avril et juin des activités de secours dans les zones touchées2.
La désastreuse récolte de juillet 1999 Or en juillet, comme on le redoutait, la récolte de céréales de gu’ se révèle également insuffisante. Elle est marquée par des pluies tardives et un faible volume de précipitations condamnant à une pénurie d’eau et à une levée inégale des cultures. Pour parfaire ce tableau calamiteux, des 1
Il sera tué au cours d’un attentat-suicide des Shebaab contre la Villa Somalia le 21 février 2014. 2 IAG Monthly Update I/II 1999 : Volume 7, N° 1. Le Puntland est également touché par les difficultés liées à la sécheresse. Son ministre des Affaires intérieures, Xasan Abshir Faarax, annonce que 20 personnes mouraient chaque jour de faim et de soif dans la région majeerteen où, en dépit d’un appel aux organismes de secours lancé quatre mois plus tôt, aucune agence ne s’était manifestée afin de se porter à leur aide. 282
nuées d’oiseaux1 se sont attaquées au sorgho tandis que localement des parasites provoquaient également des pertes de récoltes. C’est ainsi que, conformément aux prévisions les plus pessimistes, une menace de famine portant sur plus d’un million de personnes pèse désormais sur le Sud du pays. L’insuffisance de la récolte a particulièrement affecté la « ceinture du sorgho » du Baay, Bakool, Hiiraan ainsi que les pâturages du Geedo, les provinces du Shabeelle et de la Jubba. Le désastre est d’autant plus profond que nombre de zones aujourd’hui touchées par la sécheresse ont été inopportunément inondées l’année précédente et que les stocks de grains entreposés sous terre dans des urnes d’argile ont été détruits par les inondations2. Dès le mois d’août 1999, réagissant dans l’urgence, la Commission européenne et l’USAID s’engagent sur un don de 38 000 tonnes de vivres, en réponse directe aux appels lancés en novembre 1998 et au mois de juillet suivant par la coordination de l’aide de la SACB3. Au fil d’une déclaration conjointe, les deux institutions indiquent respectivement que l’Europe délivrerait une nouvelle aide de 8 000 tonnes de vivres au WFP en plus des 10 000 déjà allouées et des 4 000 tonnes de Care International. Les États-Unis décident également de délivrer à Care 10 000 tonnes de vivres au titre du programme 1999 et 6 000 au titre de l’aide alimentaire d’urgence. L’US-AID s’engage également à fournir dès septembre un fonds de 5,3 millions de $ afin de pourvoir au financement des activités d’urgence – santé, eau et besoins logistiques – à l’usage des ONG internationales et des agences des Nations unies4.
L’appel des Nations unies aux donateurs pour l’année 2000 L’appel des Nations unies5 pour l’année 2000 est lancé à Genève le 23 novembre 1999. Les prévisions s’élèvent à 50,5 millions de dollars pour l’aide humanitaire tandis qu’une enveloppe de 73,7 autres millions est demandée pour une assistance prioritaire visant à répondre à la reconstruction et aux besoins de réhabilitation post-conflit dans le Nord et le Nord-ouest du pays. En décembre, Randolph Kent, représentant résident de l’UNDP et coordonnateur des Nations unies, précise que la moitié de cet argent serait utilisé pour permettre aux gens de rester sur leurs terres et notamment pour acheter des semences afin de fixer les agriculteurs. Il considère non sans raison qu’en procédant ainsi, ils pourraient profiter des pluies dont on espère toujours la venue alors qu’ils risquent de 1
Il s’agit probablement des passereaux que l’on nomme kwelea en swahili et dont le comportement n’est pas sans rappeler celui de nos étourneaux. 2 AFP. 20 VIII 1999. 3 AFP. 31 VIII 1999. 4 FSAU. 1999 Gu Harvest and Food Security Report ; AFP. 31 VIII 1999 ; IRIN 3 IX 1999 5 UN Humanitarian Consolidated Inter-Agency Appeal. 283
devenir des déplacés voire des réfugiés et n’en seraient alors que plus vulnérables. Aussi les agences entreprennent-elles de négocier avec les chefs de guerre et les milices afin de les convaincre de permettre au WFP et aux ONG telles que Care International et World Vision de fournir des semences aux agriculteurs. Randolph Kent, opérateur sagace bien que probablement trop optimiste, déclare aussi, lors de la conférence d’information concomitante au lancement de l’appel que : « La Somalie doit être considérée sous un jour totalement différent de celui que nous avons vu au cours des 5 dernières années… »
À l’aplomb de son propos, il fait observer que le pays disposait de l’un des réseaux téléphoniques portables les plus sophistiqués d’Afrique. Aussi exhorte-t-il les donateurs à : « …Se débarrasser désormais du modèle d’une Somalie considé1 rée comme une grande tragédie. »
LA PROBLEMATIQUE DES REFUGIES Mais c’est aussi sur ce fond humanitaire une nouvelle fois calamiteux que tout au long de l’année 1999, la moindre tentative d’accompagnement d’un processus de normalisation se heurte à des résistances insurmontables de la part des factions qui dénoncent toute tentative d’ingérence étrangère. De facto, la crise humanitaire est là, mais nul n’ose s’engager très avant pour régler la crise politique. Car du point de vue des instances internationales, le désarroi maintenant semble le céder à la lassitude. Aussi, dans cette situation difficile, la décision du HCR d’engager un processus de rapatriement des réfugiés vers la Somalie paraît à la plupart des observateurs loin de tomber à point nommé. Dans un Nord où l’économie est précaire et où la situation est en train de se stabiliser, il est clair que les retours risquent de peser sur des points d’équilibre encore bien incertains. Dans le Sud, cela revient simplement à ajouter au marasme et à menacer les villes.
Les retours vers le Somaliland L’ensemble des rapatriements effectués dans le cadre du programme de rapatriement volontaire a commencé en 1997. À la frontière du Somaliland, les premiers retours depuis les camps d’Éthiopie s’organisent en avril 1998. Le 3 en effet, à Djedjega, les autorités éthiopiennes organisent les mouvements conformément au plan conçu avec le Haut-commissariat. Celui-ci prévoit 60 000 retours pour l’année 19982. C’est ainsi qu’à partir du 9 septembre, 3538 volontaires parmi les quelque 10 000 réfugiés du camp de Awbarre [amh. Täfari Berr] 1 2
UN Somalia Monitor. 17 XI 1999 ; AFP. 7 XII 1999. LNA n°5. 12 V 1998.
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reprennent le chemin du Somaliland. Chacun regagne le pays muni de rations de survie pour neuf mois et de 30 $ américains1. Envisagée sur les différents camps, l’opération touche en fait un peu moins de 40 000 personnes. Le HCR espère pourtant que ce chiffre atteindra les 70 000 à la fin 1998. Pour les camps les plus excentrés, les rapatriés reçoivent aussi neuf mois de vivres, mais une allocation pouvant atteindre 90 $ pour le transport. Le 19 juin 1999 à nouveau, un contingent de 2500 volontaires regagne le nord de la Somalie avec un pécule de 200 berr, neuf mois de vivres et des ustensiles de cuisine. Le Somaliland qui se trouve maintenant dans une situation relativement paisible est désormais confronté à cet afflux à un moment où son économie semble entrer en récession. Le HCR s’est cependant trouvé sous la pression des bailleurs de fonds pour procéder au retour de ces personnes que la communauté avait soutenues pendant de nombreuses années dans l’Est de l’Éthiopie certes, mais au Kenya et au Yémen aussi. Il reste que ni le HCR ni d’autres agences humanitaires ne sont en mesure d’apporter autre chose qu’une aide transitoire à la réintégration des rapatriés alors que la nécessité porte sur une aide au développement à plus long terme, en particulier au Somaliland. Quant à la motivation des returnees, le défi réside bien dans la capacité à offrir un programme de développement global leur promettant au retour un style de vie meilleur que celui qu’ils ont pu connaître dans les camps. Or le HCR se prépare d’ici l’an 2000 à fermer les sept camps de réfugiés demeurant dans l’Est de l’Éthiopie, camps qui abritent encore à la fin 1998 environ 250 000 réfugiés somaliens2. Toujours est-il qu’inexorablement, le processus se poursuit. Après que Djibouti a négocié avec Hargeysa le retour de ses réfugiés, c’est un contingent d’environ 400 Somali, somaliens ou éthiopiens, qui le 18 décembre 1999 quittent Djibouti où ils étaient installés depuis plus de 20 ans pour regagner leurs pays d’origine3.
Les passages vers le Yémen Mais des mouvements inverses se signalent également. Ainsi au même moment, vingt-sept réfugiés somaliens embarqués en bateau de Boosaaso accostent dans le district de Mayfaʿa [ar. ]ﻣ ﯿ ﻔ ﻌﺔdans le gouvernorat de Šabwa au Yémen. Une destination pourtant plus incertaine, car si le pays accueille 10 000 réfugiés somaliens, il aura expulsé en 1998 1600 réfugiés illégaux4. Or il se profile aussi un phénomène inquiétant qui ne soucie encore véritablement personne.5 Parmi les 105 personnes qu’un bateau de 1 2 3 4 5
LNA n°7. 12 IX 1998. Refugees International. 12 XI 1998. LNA n°12. VII/VIII 1999. AFP. 18 XI et 3 XII 1999. The Ethiopian Herald. 9 et 29 IX 1998 ; IRIN. 27 VIII 1998 ; UNHCR10 IX 1998. 285
contrebande dépose un peu plus tard à Bir ʿAlī [ar. ]ﺑ ﯿﺮ ﻋ ﻠﻲ, toujours dans le gouvernorat de Šabwa, certains font état de la mort de cinq d’entre eux pendant la traversée « en raison du mauvais temps », un passage qui dure trois jours… Pourtant, un an plus tôt déjà, le 10 août 1997 à Aden, les gardes-côtes avaient repêché au large d’al-Mukhā [ar ]اﻟ ﻤﺨﺎles corps de quinze ressortissants éthiopiens et somaliens tandis que 36 autres étaient portés disparus. Partis d’Erythrée le 3 août à bord d’un bateau de pêche à destination de l’Arabie Saoudite, les voyageurs avaient été contraints de se jeter par-dessus bord par l’équipage qui craignait un contrôle1. Car pour les pays de la périphérie somalienne, et en dépit des nombreuses aides accordées, l’affaire des réfugiés demeure une véritable préoccupation et nécessite une politique rigoureuse. Éthiopie, Kenya, Yémen, tous se sentent handicapés par la dimension régionale du problème et tous sont d’autant plus pressés d’en finir que le désengagement du HCR, sauf à se débarrasser des réfugiés, leur promet maintenant d’en assumer seuls la charge.
Au Kenya : réfugiés et insécurité Au Kenya comme ailleurs, la majorité des réfugiés somaliens ont fui la guerre civile au début des années 19902 ; en 1998, on estime leur nombre à 188 000 personnes établies dans quatre secteurs : près de 120 000 occupent les camps situés à l’est, autour de Dabaab, et 10 000 environ dans le camp de Kakuma, au nord-ouest du pays ; les autres sont éparpillés dans les camps installés à proximité de Mombasa, ce qui leur donne un accès aisé à la ville. Une quatrième concentration occupe les zones urbaines, à Nairobi notamment. Or cette population qui s’active à toutes sortes de trafics illicites génère aussi une importante criminalité. En mars 1997, plusieurs incidents se sont produits au point qu’à partir de juillet les autorités kenyanes ont fait pression sur le HCR en vue d’accélérer la fermeture progressive des camps. D’ultimatum en ultimatum cependant, rien ne s’est passé, le HCR discutant à chaque fois la volonté kenyane jusqu’à ce que, submergé, le gouvernement de Nairobi décide de prendre le mors aux dents et de se retirer résolument des processus d’assistance humanitaire. Pressé par les commerçants et les hommes d’affaires locaux, il décide de changer radicalement de politique et ordonne que les camps soient officiellement fermés, exigeant que tous les réfugiés soient relocalisés soit à Dabaab3 soit à 1
LNA n°1. 12 IX 1997. En 1992, ils y représentent une population de quelque 400 000 personnes. 3 La ville de Dabaab située à 80 km de la frontière somalienne rassemble trois camps : Ifo, Hagadera, et Dagahaley. A sa création en 1991, le site a été conçu pour accueillir 90 000 réfugiés. Il est considéré en 2010 comme le plus grand camps de réfugiés du monde avec quelque 350 000 personnes. KRON, Josh. Somalia’s Wars Swell Refugee Camp. The New York Times. New York. 12 XI 2010. 2
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Kakuma. Sommé de s’exécuter, le HCR doit procéder à la fermeture de dix camps de réfugiés dont celui de Jomvu qui à quelques kilomètres de Mombasa accueille plus de 100 000 Somaliens. En mars 1998, 700 réfugiés installés depuis sept ans dans le camp de Dabaab sont ainsi rapatriés vers Boosaaso. L’opération qui se déroule six jours durant est réalisée à l’aide d’un unique appareil, un C-130 Hercules loué par le HCR. Chaque personne reçoit une ration alimentaire de trois mois et un pécule de 40 $ pour subvenir à trois mois supplémentaires de nourriture sur le marché local. Le personnel du HCR basé à Boosaaso supervise la mise en œuvre de projets régionaux à impact rapide par la mise en place de financements pour les puits, les écoles, les hôpitaux et les projets générateurs de revenus. On estime alors à 134 000 le nombre des Somaliens vivant encore entre les camps de Dabaab et de Kakuma1. Sauf que, cette même année 1998, la situation climatique conduit au moins 5000 personnes à chercher aide et refuge au Kenya. Or l’ambiance est loin de se prêter à l’accueil. Après les attentats de Nairobi et de Dar as-Salam le 7 août 19982, la police kenyane procède à l’arrestation d’au moins 1 000 non-Kenyans dont 200 seront jugés suspects. Six cents d’entre eux sont arrêtés à Eastleigh, banlieue de Nairobi où sont installés la plupart des immigrants somali3. La frontière est fermée. Les événements conduisent le gouvernement à exiger que s’accélère le processus de fermeture des camps. C’est ainsi que dans la dernière quinzaine de décembre 1998, après la fermeture de Jomvu, plus de la moitié des 1 000 Somaliens bloqués au port de Mombasa sont embarqués pour rejoindre Kismaayo. En raison d’avaries motrices, les réfugiés se trouvent immobilisés pendant plus de trois jours à bord des navires affrétés par des hommes d’affaires musulmans de Mombasa. Mais c’est à ce moment aussi que l’exercice soulève d’autres problèmes. Certaines personnes évoquent leurs craintes de retomber à leur retour dans la précarité. Aussi accusent-elles le HCR de les avoir contraintes à renoncer à leur statut de réfugié avant de les abandonner à leur sort. Le Haut-commissariat cependant justifie aisément son action en affirmant qu’il s’agissait de personnes ayant refusé d’être réinstallées dans les camps de Dabaab et de Kakuma, secteurs excentrés où le Kenya accueillait toujours les réfugiés4. Finalement, plus de la moitié des Somaliens bloqués sont acheminés par voie maritime à Kismaayo5.
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UNHCR. 21 III 1998 ; AFP, 19 &23 III 1998. Le 7 août 1998 à Nairobi et le à Dar as-Salam en Tanzanie. Cf. supra. 3 U.S. Committee for Refugees World Refugee Survey 1998 – Kenya. 4 AFP. 15 et 22 XII 1998/ 11 I 1999. 5 The Monitor. 24 XII ; The Economist Intelligence Unit. 28 XII. IRIN. 15 & 14 XII ; AFP. 15 & 22 XII. 2
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Plus tard, en septembre 1999, considérant que les problèmes sécuritaires sont devenus insupportables, le président kenyan déclare la fermeture de la frontière avec la Somalie afin d’empêcher la contrebande d’armes, l’entrée illégale de biens, les vols et les pillages1. Dommage collatéral, la fermeture de la frontière conduit à une crise du commerce des bovins. Le manque de marchés pour le bétail vient s’ajouter à la problématique des points d’eau, forages et captages, existants dans le Sud de la Somalie lesquels sont soit taris soit hors d’usage. La décision qui intervient aussi d’interdire tous les vols à destination ou provenant de Somalie se fera sentir jusqu’à Muqdishu. Neuf bureaux de compagnies aériennes locales, dont trois pratiquent des vols passagers tandis que six autres convoient le qaad sont amenés à fermer2. Une semaine après l’interdiction, le dollar chute au marché de Bakaaraha où un dollar se négocie pour seulement 9900 shillings somaliens contre 10 150 shillings la semaine précédant l’interdiction de vol. Les marchands considèrent qu’il leur faudra quotidiennement plus de 300 000 dollars pour importer le qaad du Kenya. Avant l’interdiction, une dizaine d’avions légers voire davantage quittait chaque jour l’aéroport Wilson de Nairobi pour approvisionner en balles de qaad Muqdishu et d’autres villes somaliennes. De cette situation, les commerçants ne pâtissent guère. Les principaux concessionnaires de qaad de Muqdishu considèrent que l’interdiction du commerce transfrontalier privera surtout le gouvernement kenyan de revenus, mais qu’il aura peu d’impact à long terme sur leurs propres affaires, puisqu’ils ont, à la place, la possibilité de s’approvisionner en Éthiopie3.
1 2 3
LNA n°13. IX/XI 1999. FSAU. 1999 Gu Harvest and Food Security Report. 23 VIII 1999 ; IRIN. 3 IX 1999. Reuters, 3 IX 1999.
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XVI – L’ ECHEC DE M AXAMED M OORGAN DANS LE J UBBALAND
Si les difficultés ne manquent pas dans un Somaliland confronté à des difficultés économiques certaines, la paix semble y être ainsi qu’en pays majeerteen durablement installée. Il en va différemment en revanche de l’interfluve où se poursuivent les affrontements pour le contrôle de la région. Il en va différemment aussi à l’ouest de la Jubba, où prévaut une situation aussi complexe qu’instable. Deux espaces interconnectés mais cependant distincts caractérisent les trois provinces de cette région insérée entre la frontière kenyane, poreuse, et un fleuve sur lequel la rareté des ponts facilite la sanctuarisation de l’espace. Ici les lignes de fractures, géographiques, économiques, ethniques et factionnelles, compliquent d’autant la lecture du théâtre qu’aucune d’elles ne définit des espaces superposables de compatibilité et que le caractère protéiforme des alliances en nécessite en permanence une relecture politique. Avant de revenir sur les aspects factionnels et économiques, retenons pour l’instant que dans les provinces du Geedo, de la Jubbada Dhexe et de la Jubbada Hoose cohabitent avec le bonheur que l’on sait plusieurs faisceaux lignagers : au nord les clans Daarood Mareexaan, divisés entre occupants historiques et nouveaux venus, ces derniers comptant parmi eux les sympathisants islamistes ; au centre les clans Daarood Ogaadeen, en majorité Cawlyahan et Maxamed Subeer ; au sud les clans Daarood Harti, dans et autour de Kismaayo, ville qui naturellement subsume l’ensemble des lignages de la région. Sur les rives de la Jubba, demeurent aussi les populations Boon, d’origine bantou, victimes expiatoires de la violence des clans somali ; sur la côte et les îles, les Bajuun constituent un peuple de pêcheurs, peu impliqué dans les différends. 289
LA LUTTE POUR KISMAAYO : MASALLE ET MOORGAN
[IX 1997]
À la fin du mois d’août 1997, un nouveau regain de tension était apparu dans Kismaayo entre les factions mareexaan et harti. Il avait conduit à l’assassinat de deux employés somaliens de l’ONG World Concern qui, le 30 septembre, avait décidé d’y cesser son activité. La veille, l’UNICEF avait également pris le parti de fermer ses bureaux après qu’un avion de l’agence avait essuyé des tirs de miliciens au moment où il s’apprêtait à se poser sur l’aérodrome. L’appareil avait alors dû rebrousser chemin et gagner Nairobi1. À y regarder de plus près pourtant, les incidents s’inscrivaient dans le cadre de la recomposition politico-militaire qui se dessinait dans la région du Geedo après que le général Maxamed Siciid Xersi Moorgan, appuyé par des troupes éthiopiennes, avait pris la tête de l’opération visant à repousser les islamistes qui bénéficiaient de soutien des partisans de Xuseen Caydiid. C’est un regard sur la géographie factionnelle à l’ouest du fleuve qui permet de comprendre combien le site de Kismaayo est au centre de la problématique : - le SNF Mareexaan du général Cumar Masalle, enfermé dans le Geedo, a besoin d’une ouverture sur la mer au sud, vers Kismaayo précisément ; or, outre ses propres dissensions internes, le front est pris en tenaille entre les islamistes installés à Luuq et les autres milices darood au sud ; - les Harti et les Ogaadeen Cawlyahan qui, bien que Daarood comme eux, se sont séparés du SNF, se rassemblent aujourd’hui autour du général Aadan Nuur Gabiyow et de sa faction SPM ; or ceux-ci tiennent le port que leur disputent donc les Mareexaan de Cumar Masalle mais aussi les Ogaadeen Maxamed Subeer du SPM-Jees2, même si pour l’heure ces derniers, affaiblis, ont été repoussés à l’extérieur de Kismaayo, vers le nord-ouest à la frontière kenyane. Mais d’autres paramètres jouent également un rôle, en pesant selon la conjoncture, sur l’un ou l’autre des plateaux de la balance en fonction de leur propre intérêt. En effet : - l’USC-Caato à l’est de la basse vallée a remis en route de nombreux projets agricoles – le projet Mogaanbo par exemple –, ce qui porte le chef hawiiye à chercher alliance avec celui, quel qu’il soit, qui tient Kismaayo ; 1
LOI n° 781. 4 X 1997. La tension devait retomber quelques semaines plus tard, l’affaire se révélant difficile à distinguer de la délinquance ordinaire. 2 Il faut rappeler que si le faisceau des Maxamed Subeer est sans doute l’un des lignages ogaadeen les plus nombreux, ils vivent surtout dans l’Ogadèn éthiopien, entre Qorahay, Degeh Buur et Nogob, à l’est du webi Fafen. Outre Jubba, ils sont moins nombreux que les Cawlyahan par exemple, ce qui donne une meilleure assise à Aadan Nuur Gabiyow qu’à Axmed Cumar Jees. 290
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l’USC-Xuseen Caydiid est aussi positionné sur la rive est du fleuve, mais plus au nord. Son levier tient à sa capacité à ravitailler Al Itixaad en armes libyennes ou saoudiennes à travers le Baay et le Bakool. La situation qui en résulte conduit, le 17 octobre, des représentants du lignage Sacad auxquels appartiennent Caydiid et Caato à se réunir à Muqdishu pour décider d’un accord de paix entre eux. Dans ce contexte particulièrement alambiqué, alliances et défections vont donc bon train, au rythme des intérêts particuliers des clans. Or rien ni personne n’est en mesure de les transcender. Ainsi, prenant acte du renforcement de la position du SNF, six membres d’une faction dissidente de ce mouvement qui avaient rejoint Xuseen Caydiid l’année précédente l’abandonnent le 16 octobre pour réintégrer les rangs du SNF1. Les ralliés expliquent sans vergogne leur comportement par leur volonté, désormais, de soutenir les accords de Sodere. Ils en espèrent qu’il conduira à la tenue d’une conférence de réconciliation nationale à Boosaaso, conférence à laquelle Xuseen Caydiid refuse toujours de participer. Au même moment, un représentant d’Al Itixaad à Muqdishu annonce que son mouvement était disposé à des négociations de paix avec ses rivaux du SNF tout en précisant que le retrait des forces éthiopiennes de la région du Geedo serait une condition préalable à tout accord… Établir une relation quotidienne de ces événements mène à une impasse. Paradoxalement, la situation est figée par un excès d’événements impropres à toute construction politique et d’où ne peut sortir aucun élément décisif.
L’offensive d’Al-Itixaad
[14 III 1998]
Dans le Geedo, le SNF dirigé par le général Cumar Masalle président autoproclamé du mouvement, contrôle depuis les offensives éthiopiennes la plus grande partie de la province. Il doit pourtant faire face le 14 mars 1998 à une attaque d’Al Itixaad qui semblait éteint depuis la dernière offensive éthiopienne. Après deux jours de combat qui coûtent la vie à 23 personnes, les mujaahidin s’emparent de la région de Ceel Waaq, localité située sur la frontière et où du personnel médical kenyan intervient pour soigner les blessés. Ne pouvant se résoudre à admettre trop explicitement sa défaite, le général Cumar Masalle déclare que ses forces, qui « avaient opéré un repli tactique après avoir infligé de lourds dommages à l’ennemi », s’étaient maintenant regroupées avant de lancer une offensive pour reconquérir la ville2. Les Éthiopiens toujours en alerte opèrent aussitôt une rapide 1
Il s’agit de l’ex-commandant de Xuseen Caydiid dans le Geedo, le colonel Aadan Sanweyn Dhaquane, du porte-parole de cette faction du SNF, Maxamed Siyaad Aadan Camerun, de son président du comité exécutif, Cabdullaahi Bulla Macammin Daroga, du secrétaire de ce comité, Cali Axmed Qasiin et de deux membres, Cali Cabdi Xaashi et Ibraahin Cismaan Ibraahin Ilkaweyne. 2 Reuters & AFP. 9 III 1998. 291
incursion dans le Geedo où, le 24 mars, à Beled Xaawo, ils procèdent à des distributions d’armes à leurs alliés du SNF. Ce succès momentané des islamistes donne quelque voix à Muqdishu à un certain Qaasin sheekh Axmed, président d’un Xisbul Islaam, un « Parti islamique », qui se manifeste ainsi pour la première fois. Celui-ci déclare que, les factions n’ayant pas réussi à apporter la paix dans la Corne de l’Afrique, elles devaient être remplacées par une force alternative islamique. Affirmant que l’adoption rigoureuse de la sharīʿa était la seule solution pour surmonter la crise somalienne, il appelle à un soulèvement massif des musulmans contre les factions belligérantes. Cette déclaration du sheekh Qaasin, prise à la légère par les observateurs, n’en est pas moins la position soutenue par les autres musulmans radicaux qui considèrent une alternative plausible. Une alternative d’autant plus audible que le processus de paix en Somalie en est toujours au point mort sinon déjà, comme le pense Cismaan Caato, une fois encore moribond.
Reprise des combats pour Kismaayo
[III/V 1998]
Mais c’est surtout Kismaayo qui préoccupe maintenant. Les accrochages fréquents mais de basse intensité qui y ont ponctué les premiers mois de 1998 cèdent la place à de violents combats qui dès le 30 mars se révèlent suffisamment violents pour faire 33 morts et plus de 100 blessés parmi les miliciens harti du général Maxamed Moorgan et ses adversaires mareexaan du général Cumar Masalle1. Les affrontements se poursuivent tout au long du mois d’avril et jusqu’à la première semaine de mai. Il n’en sort cependant rien de décisif aussi, bien qu’elle reste sous le contrôle de Moorgan, la ville est-elle investie par les chefs de faction qui ne parviennent qu’à renforcer leurs milices à sa périphérie. Les affrontements en revanche menacent maintenant de déstabiliser l’ensemble de la vallée voisine de la Jubba dont la production agricole depuis deux ans a repris quelque essor. Aussi, les combats qui s’accompagnent de pillages amènent-ils une fois encore les organismes d’aide à suspendre leurs opérations dans la région – c’est-à-dire à suspendre leur assistance à quelque 500 000 personnes – et à évacuer leur personnel expatrié basé à Kismaayo. La situation est devenue trop précaire. Les exactions de toutes sortes se multiplient maintenant à l’encontre des organisations d’aide. Le 2 avril, à Mareerey, dans le Jubbada Dhexe, un avion affrété par les Nations unies et convoyant de la nourriture d’urgence a été pillé, un autre appareil a subi le même sort le 21, à Garbahaarey cette fois. Maxamed Moorgan qui contrôle la zone lance néanmoins un appel au retour des travailleurs humanitaires, affirmant que les combats avaient cessé et qu’il n’y avait pas lieu pour les organismes de s’alarmer2. Car 1 2
AFP. 30 III 1998. Les six travailleurs internationaux regagneront Kismaayo le 22 mai. AFP. 23 V 1998.
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Moorgan reste l’homme fort de la situation. Bien accroché à Kismaayo, il a aussi étendu la zone sous son contrôle. Le 2 avril encore, ses miliciens se sont emparés du village de Kamsuuma, à 90 km au nordest, dans le Jubbada Hoose1. Il reste qu’à la fin du mois d’avril, les combats n’ont pas cessé et que l’on compte encore au moins 45 morts et de nombreux autres blessés. Le 8 mai, une attaque conjointe des milices Habar Gidir et Mareeexaan du SPM est repoussée par Moorgan. Cette fois, le pont de Kamsuuma qui constitue l’unique point de passage entre Kismaayo et Muqdishu est détruit. Le 25, alors que les combats se poursuivent, les Nations unies à nouveau n’ont d’autre chose à faire qu’état de leur préoccupation face aux violences et à appeler les milices à cesser les hostilités.
UN PROJET POUR LE JUBBALAND Renversement d’alliance et scission au sein du SNF
[V-VIII 1998]
C’est aussi à ce moment que l’on apprend un nouveau renversement d’alliance. Le 12 mai 1998, le gouvernement éthiopien – peut-être surpris par l’hypothèse d’une défection de son allié – dément fermement une allégation de la presse selon laquelle il soutiendrait la faction du général Moorgan. Car peu auparavant encore, il était réputé soutenir et armer son adversaire, le SNF du général Cumar Masalle, dans son effort pour contenir Al Itixaad2. Le 19 avril à Baardheere, l’Éthiopie avait encore aidé militairement le SNF aux dépens des islamistes en octroyant au front formation militaire et des conseillers3. En dépit de ce déni d’Addis Abäba cependant, on apprend deux jours plus tard que des miliciens hawiiye, du lignage Habar Gidir pour la plupart, sont venus de Muqdishu pour soutenir l’entreprise de Masalle4. Cette alliance se confirme lorsque, le 5 août, au terme d’un compromis avec les islamistes qui reprennent de la surface dans le Geedo, le général Masalle passe officiellement un accord avec Xuseen Caydiid. Ce positionnement du général mareexaan, qui quitte ainsi la ligne de son ancien allié éthiopien, suscite néanmoins au sein du SNF une profonde discorde. Elle se conclut sur une division : Axmed sheekh Cali Axmed Buraale5 et Cali Nuur Maxamed Mukhtaar conduisent dès lors la
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AFP. 2 IV 1998. Reuters. 14 V 1998. 3 LNA n°5. 12 V 1998. 4 Reuters. 4 V 1998. 5 Axmed Buraale est un juriste né à Luuq en 1937. Il a rejoint le SNF dès 1991 et en est devenu membre du Comité exécutif en 1997. Il est connu entre autres pour ses ouvrages sur les coutumes somali et leur traduction en anglais. Il a aussi traduit de l’arabe en somali le Kalīla wa Dimna de ʿAbdalla ibn al-Muqaffaʿ dont s’était inspiré Jean de La Fontaine pour certaines de ses fables. 2
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faction dissidente qui reste convaincue de la nécessité de ménager l’alliance avec Addis Abäba1. C’est ainsi qu’en octobre, le SNF-Masalle lance avec l’appui de Xuseen Caydiid une offensive visant à déloger de Kismaayo Moorgan qui y paraît pourtant solidement ancré. Après une première tentative infructueuse, les milices mareexaan se regroupent le 27 octobre dans le village de Mogaanbo2 à un peu moins de 50 km au nord de Kismaayo. Leur premier objectif est de se rapprocher et reprendre leur ancienne base de Buulo Guduud située à une trentaine de kilomètres du port. De leur côté, les forces de Moorgan réagissent en effectuant une sortie à leur rencontre. La rencontre se déroule à Wirkooy, village situé à une quarantaine de kilomètres où les violents combats qui les opposent le 29 octobre se concluent sur l’échec des milices mareexaan3. Au mois de novembre toutefois, Xuseen Caydiid parvient à prendre momentanément le contrôle de Kismaayo. Mais cette situation une fois encore extravagante atteste des talents de stratège somme toute médiocres des protagonistes : dans le même temps en effet, le 5 novembre, les Raxanweyn de la RRA qui ont vu Xuseen Caydiid découvrir ses forces sur le théâtre de l’interfluve reprennent le district de Waajid dans le Bakool qui jusqu’alors était entre ses mains. Les groupes qui attaquent maintenant les positions de Caydiid à l’est de la Jubba créent ainsi un second front qui permet à Moorgan de récupérer rapidement Kismaayo. On observe que pour ce faire, il coopère ainsi avec ces mêmes anciens adversaires raxanweyn qu’il massacrait encore sans vergogne quelques années plus tôt.
Maxamed Moorgan et la création d’un Jubbaland
[3 IX 1998]
Mais à tout prendre cependant, entre 1995 à 1998, Moorgan aura gouverné Kismaayo avec une relative mais incontestable tranquillité, mesurée à l’aune du contexte général. Aussi est-ce après la récente installation d’une administration autonome du Puntland que, prenant acte du nouvel environnement qui se dessine, Maxamed Moorgan annonce à son tour, le 3 septembre 1998, son intention de créer une région autonome qu’il nomme Jubbaland autour de Kismaayo et de la basse vallée de la Jubba qu’il contrôle. À l’instar du Puntland, la nouvelle entité s’inscrirait dans le cadre d’une fédération ou d’une confédération qui à terme pourrait engerber la République du Somaliland, et préserver ainsi l’unité sacrée de la Somalie. 1
Cali Nuur Mukhtaar perdra la vie le 8 avril 1999 à Beled Xaawo, ainsi que le commissaire du district de Baardheere, proche de Masalle. Buraale, sera alors proclamé président du SNF. Les milices fidèles à Masalle prises à partie à Burdhubo se retireront alors à Beled Xaawo. 2 Le site de Mogaanbo est occupé par le projet agricole administré par Cismaan Caato qui s’est depuis peu rapproché de Moorgan. 3 LOI n° 831. 31 X 1998. 294
Moorgan envisage ainsi d’unifier les Daarood Harti et les Ogaadeen du Sud du pays1 autour d’une province dont les contours géographiques demeurent assez imprécis. Le processus d’approfondissement de ce projet d’autonomie peinera par la suite à se concrétiser en raison des différences au sein d’une société darood que certes la généalogie rapproche mais que l’histoire divise. On observe en effet une ligne de fracture profonde entre les lignages autochtones, les Guri, et les lignages considérés comme des migrants extérieurs. Il reste que l’idée de Moorgan ne s’en inscrit pas moins dans cette nouvelle perspective de renoncement au principe d’un État somalien rigoureusement unitaire, un État désormais auquel de bon sens plus personne ne croit plus. C’est à cette perspective fédéraliste de Moorgan que la coalition Hawiiye Mareexaan, résolument hostile, va chercher à s’opposer2. Dans ces nouvelles velléités de regroupements lignagers qui s’opèrent, on observe à la mi-novembre la position du colonel Cabdullaahi Yuusuf, président du Puntland, qui se montre attentif à affirmer sa solidarité avec les Harti du sud, c’est-à-dire principalement avec Maxamed Moorgan, le maître de Kismaayo. D’autant que ce processus viendrait conforter la position politique des États issus de l’approche modulaire. Un positionnement judicieux par ailleurs pour qui observe que le contrôle de la cité portuaire du sud et celui de Boosaaso au Puntland rassemble alors la quasi-totalité du trafic portuaire somalien. Un trafic dont une grande passerait ainsi sous contrôle majeerteen puisque Berbera suit au Somaliland son destin particulier et que Muqdishu semble devoir rester pour un bon moment encore largement hors du jeu. C’est ainsi que volant au secours du Jubbaland, le colonel Cabdullaahi Yuusuf ne craint pas de déclarer devant ses partisans, lors d’un rassemblement le 17 novembre à Boosaaso, que « toute action militaire lancée contre Kismaayo serait une déclaration de guerre au Puntland ». Depuis son intronisation, le colonel majeerteen se pose en chef des lignages harti dans leur globalité, donc en défenseur des partisans du général Moorgan, par ailleurs alliés dans la défense de Kismaayo avec les Ogaadeen3. Cette déclaration se veut aussi un avertissement aux miliciens mareexaan de Masalle qui en octobre ont lancé une nouvelle offensive. Les lignages ogaadeen qui achèvent le 10 décembre 1998 une convention régionale semblent pour leur part plutôt acquis au projet. À l’issue de la réunion qui a rassemblé 500 de leurs délégués, le général Aadan Cabdullaahi Nuur Gabiyow a été choisi pour représenter les clans 1
Ces Ogaadeen sont souvent désignés sous le nom de Absaame. Il s’agit de leur ancêtre. Sont en effet issus de Absaame quatre lignages peu nombreux, les Balcad, Weyteen, Waaq et Cabdegalle qui plus ou moins éteints ont été assimilés par le grand faisceau lignager des Ogaadeen. 2 Moorgan accusera plus tard le SNF d’avoir tenté une attaque sur le port de Kismaayo à l’aide de bateaux armés à moteur. The Monitor, 6 IX 1998. 3 LOI n° 834. 21 XI 1998. 295
de la basse Jubba. Un comité exécutif de 55 personnes a aussi été désigné, acte préparatoire à la constitution dans le sud du pays de l’État fédéral du Jubbaland, bâti sur le modèle du Puntland. Deux adjoints, les généraux Bile Rafle Guuleed1 et Cabdiraxmaan Khaliif Dhicis, sont nommés aux côtés du général Aadan Gabiyow pour représenter respectivement les deux lignages majoritaires, Cawlyahan et Maxamed Subeer2. Le premier est le frère du suldaan Dulane Rafle, chef traditionnel des Cawlyahan. Le second est un ancien commandant de l’Académie militaire nationale de Somalie qui vivait à Toronto au Canada où il a été rappelé il y a trois mois pour venir renforcer les partisans du Jubbaland et les défenseurs de Kismaayo3. Quant à Maxamed Cumar Jees, sans qu’il ait officiellement pris position sur ce rassemblement, on ne peut alors relever que sa grande discrétion. Quant aux Éthiopiens, pour l’heure engagés malgré eux dans une guerre inattendue et fratricide contre l’Érythrée, leur position est discrète. Il n’en demeure pas moins que l’idée de Moorgan va dans le sens de ce qu’ils préconisent alors même que leur allié Masalle vient de leur tourner le dos. Toutefois, l’Éthiopie qui a maintenant bien d’autres chats à fouetter est aujourd’hui encline à rester sur un quant-à-soi prudent, limitant son activité à la surveillance d’un éventuel regain de l’activité islamiste dans le Geedo. Finalement, il apparaît surtout, dans un contexte aussi mouvant et au sein d’une situation aussi intriquée, que l’élaboration d’un accord global sur le pouvoir et sur le partage des ressources le long de la vallée de la Jubba promet au mieux de prendre beaucoup de temps. Or dans le cadre de l’approche modulaire, l’espoir d’intégrer le camp des zones « en transition » passe inéluctablement par la condition sine qua non d’un accord qui reste à trouver. Pour autant, au vu de l’expérience somalilandaise somme toute réussie et de l’établissement prometteur du Puntland, l’idée d’un Jubbaland semble à la communauté internationale participer d’un projet plausible. Aux Nations unies, maintenant, la volonté s’affiche de jouer un rôle plus actif dans le soutien aux organisations comme l’IGAD pour mettre fin aux conflits, tant en Somalie qu’au Soudan d’ailleurs. C’est donc dans cette perspective qu’à la mi-novembre 1998, le Secrétaire général de l’ONU pour les affaires politiques, Kieran Prendergast4, se rend au Kenya, en Éthiopie et au Soudan pour des 1
Bile Rafle Guuleed [Ogaadeen Cawlyahan] a été sous Siyad Barre duqa magaalo « maire » de Gaalkacyo dans le Mudug. On lui doit le système d’irrigation qui a rendu l’agriculture possible à Yamayska, à la sortie nord de la localité. Néanmoins, quand il a essayé afin d’étendre le projet en achetant le terrain, il s’est heurté aux familles du lignage majoritaire des Cumar Maxamuud. Il a plus tard été nommé maire de Hargeysa. 2 Le région compte aussi des Ogaadeen Bartire, Makabul ainsi que, sur la frontière et au Kenya, des clans Talamooje. 3 LOI n° 837 - 12 décembre 1998. 4 Qu’il ne faut pas confondre avec l’Américain John Prendergast. 296
consultations sur la fin des conflits en Somalie et au Soudan et afin de s’entretenir avec les dirigeants régionaux, les parties prenantes aux conflits et les bureaux des agences des Nations unies travaillant sur le théâtre1.
Les promesses des basses vallées de la Jubba et du Shabeelle Pourtant, ce n’est pas tant la complexité des accords lignagers que les tentatives de captation des ressources stratégiques et matérielles de la région qui entravent la mise en place d’une administration dans la vallée de la Jubba. Dans la basse vallée, entre Jilib et Kismaayo en particulier, la relance d’anciens projets agricoles a inspiré des personnalités aussi entreprenantes que Cismaan Caato ou Maxamed Moorgan, tout aussi intéressés à faire la guerre qu’à développer une activité d’hommes d’affaires. C’est donc ce qui a survécu d’anciennes installations qui suscite aussi aujourd’hui l’intérêt et occasionne les affrontements entre les milices qui se réclament de leur exploitation. Ces fertiles terres agricoles qui s’étendent le long des rives de la basse Jubba sont également sur le plan clanique l’objet d’une multitude de contestations et de revendications. La plupart, qui résultent des vagues successives de peuplement venues de l’intérieur et de l’extérieur de la vallée, se sont conclues d’une manière ou de l’autre sur l’occupation des terres arables ; mais elles résultent aussi de convoitises plus récentes. Cette situation une fois encore complexe explique pourquoi la poursuite des combats dans la région du confluent de la Jubba et du Shabeelle implique non seulement les autochtones mais aussi les Mareexaan du Geedo ou les Habar Gidir venus du centre du pays. Deux espaces d’intérêt justifient ainsi les luttes pour son contrôle : d’une le port de Kismaayo à travers les revenus qu’il assure et d’autre part la zone qui, située de part et d’autre du fleuve entre Jilib et son embouchure, se poursuit vers le nord-est en suivant le cours de la rivière Shabeelle. Rappelons quelques particularités de ces deux grands cours d’eau permanents somaliens qui se constituent dans les hautes terres des provinces éthiopiennes du Balé et des Arsi. La Jubba au cours pérenne porte en Éthiopie le nom de Genalé [amh. ገናሌ ] ; elle se jette dans la mer quelques kilomètres au nord-est de Kismaayo. Le webi Shabeelle dont le cours a changé aux temps préhistoriques semble jadis s’être jeté dans la mer à proximité de Marka. Aujourd’hui, non loin de Balcad – environ 35 km au nord de Muqdishu –, la rivière infléchit son cours vers le sud-ouest, et suit sur environ 250 km un chemin parallèle à la côte. Permanente jusqu’au sud-ouest de Muqdishu, elle se fractionne ensuite en segments marécageux alternant avec des segments secs pour finalement se perdre dans les sables à l’est de Jilib, pas très loin du 1
Xinhua. 13 XII 1998. 297
cours du fleuve Jubba. Durant les saisons des pluies de gu’, d’avril à mai, et au moment de la petite saison de dayr, entre octobre et novembre, le lit de la rivière peut se remplir jusqu’à Jilib, voire à l’occasion confluer avec la Jubba un peu plus au sud de la localité. Naturellement, la nature alluvionnaire des sols et les conditions favorables liées à la pluviosité ont rendu la plaine côtière entre Jowhar et Kismaayo propices à l’agriculture et, partant, à la sédentarisation. Cette sédentarisation concerne les populations digil de la basse vallée du Shabeelle et les populations boon d’origine bantu principalement installées sur les rives des deux grands cours d’eau à l’intérieur des terres. C’est grâce à leur présence aussi que nombre de projets ont resurgi. Dans le Shabeellaha Hoose, comme nous l’avons déjà observé, les plantations ont repris une activité sous l’impulsion de Dole et de Sombana à travers leurs relais somaliens. Un scénario assez proche se déroule entre Jilib et la côte. Dès les années 1930 déjà, recourant au travail forcé, les Italiens y avaient développé quelques plantations. Pendant la période du Trusteeship, d’autres projets agricoles de petite envergure ont également été établis mais c’est à partir des années 1980 que des aides financières et techniques massives ont permis d’investir dans des projets de développement coopératif plus étendus. Deux d’entre eux en particulier occupent un espace important : - le Mugambo Paddy Rice Project (MPRP) établi à Mogaanbo en 1980 qui devait produire du riz paddy et du coton a, au début de 1985, commencé à battre de l’aile avec l’aménagement d’un seul tiers de la zone prévue et seulement 40 % de l’irrigation et de la construction des canaux de drainage ; - le Mareerey Sugar Plant (MSP), développé par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, avait pour vocation de remplacer les installations de Jowhar, à savoir à la fois les anciennes plantations de canne à sucre, touchées par une acidification des sols, et la raffinerie. Ces projets, mal gérés, semblaient promis à un avenir médiocre auquel la guerre civile semblait avoir porté le coup de grâce1. Cependant aussi maladroits aient-ils été, des travaux d’irrigation avaient été entrepris et, bien qu’abandonnés, voire détruits, au début des années 1990, ils ont quelques années plus tard été jugés en partie récupérables par quelques Somaliens entreprenants capables de lever des fonds, à l’étranger notamment… Cismaan Caato par exemple.
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De nombreuses réalisations ont été entreprises dans cette région : la route entre Kismaayo et Muqdishu construite par les Italiens et la Communauté européenne ; la conserverie de viande de Kismaayo par l’Union soviétique ; le port de Kismaayo par les Américains à travers l’USAID ; la centrale hydro-électrique de Jilib par la République populaire de Chine, l’hôpital de Kismaayo et d’autres programmes de santé développés par l’UNICEF, World Concern ou la Chine. 298
L’INCAPACITE A S’ENTENDRE DANS L’OUTRE JUBBA La remontée de la tension à Kismaayo
[XI 1998]
Depuis novembre 1998 à Kismaayo, et bien que le général Moorgan ait à deux reprises appelé à la résolution pacifique des différends, les combats ont repris entre les Harti majeerteen du SPM qui tiennent la cité et la coalition SNF-Masalle/Habar gidir de Caydiid qui occupent une base située à Goobweyn, cinq kilomètres à l’est de Kismaayo. Devant la multiplication des affrontements qui début janvier ont occasionné la mort d’une soixantaine de personnes et fait une centaine de blessés, le SNF annonce qu’il va se mettre en situation d’interdire l’accès à la ville aux aéronefs et aux navires, soupçonnés de livrer des armes et sur lesquels le feu sera ouvert à la moindre tentative. Un avion du Puntland est en effet accusé d’avoir récemment livré des munitions au SPM1. Dans le même temps toutefois, le SNF fait savoir qu’il était disposé à libérer 16 prisonniers de guerre capturés pendant les récents combats et appelle le CICR à gérer leur retour en toute sécurité2. Bien que l’opération de libération soit effectivement menée à bien, les choses se compliquent à nouveau le 18 janvier pendant les prières de la ʿid, lorsque s’achève le mois de jeune de ramaḍān. En effet, les dirigeants de Kismaayo relayés par le sheekh Caabdiraxman, l’imam ogaadeen de la cité, appellent leurs miliciens à renforcer les défenses de la ville contre les risques de nouvelles attaques du SNF dont les milices bénéficient maintenant de l’appui militaire de Xuseen Caydiid. Mais audelà de ces mises en garde, ils ont aussi la sagesse d’appeler les habitants à éviter toute représailles à l’encontre de Mareexaan et des Habar Gidir vivant à Kismaayo ou contre les miliciens SNF ou SNA capturés et que le SPM peut retenir prisonnier dans la ville3. Une heureuse disposition, sauf que vers le 20 janvier, la situation se tend après que trois miliciens du SPM-Gabiyow capturés par leurs adversaires du SNF-Masalle et qui ont été relâchés à l’occasion de la fête révèlent à leur retour que onze autres membres de leur groupe de prisonniers avaient été tués par leurs geôliers à Goobweyn. Si la tension finit par retomber, chaque camp n’en reste pas moins l’arme au pied. Le bruit court en effet que Xuseen Caydiid a reçu le 15 janvier sur l’aéroport de Baali Doogle une cargaison d’armes et de matériels militaires dont
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IRIN. 16 XII 1998. AFP. 3 & 6 I 1999. 3 Après son prône, l’imam aborde aussi le problème du choléra qui se répand dans la ville en demandant aux habitants de respecter les mesures d’hygiène. MSF-Belgique a comptabilisé 707 cas dont 6 mortels pour le seul mois de décembre 1998. En janvier, 7 malades, pour la plupart des enfants, ont été admis à l’hôpital de Kismaayo pour la seule journée du 17. 2
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chacun craint non sans raison qu’elle vienne renforcer les assiégeants de Kismaayo1.
Les luttes interclaniques dans le Geedo
[IV/VI 1999]
Les accrochages qui ne manquent de se poursuivre aux abords de la cité portuaire marquent cependant une pause en avril 1999 quand, dans le Geedo, ce sont les deux factions rivales du SNF qui décident d’en découdre, soulageant momentanément le front de la basse Jubba. La situation entre les Mareexaan s’envenime le 8 avril lorsque la faction SNF du général Cumar Masalle tend une embuscade à Cali Nuur Maxamed Mukhtaar, de la faction SNF-Buraale. Or ce dernier est tué dans l’accrochage ainsi que Xasan Ugaas, le district commissioner de Baardheere, et quatre autres personnes ; un dignitaire local, Khalif Qoryooley, est sérieusement blessé dans l’assaut. En représailles, la faction assaillie fait immédiatement prisonniers des membres de la faction rivale résidants à Beled Xaawo dont le district commissioner, Yuusuf Muuse Cali, a juste le temps de s’enfuir en direction de Mandera au Kenya. Aussi, le 21 avril, est-ce au tour de Cumar Masalle d’attaquer à Burdhubo les partisans de Axmed Buraale parmi lesquels on relève dix tués et seize blessés avant que ceux-ci ne fassent retraite vers leur base de Belet Xaawo. Aucune des agences des Nations unies présentes dans la région ne corrobore en revanche les rumeurs persistantes de mouvements de troupes éthiopiennes à l’intérieur de la région2. Reste que les combats qui se multiplient sont suffisamment violents pour que Nairobi ferme sa frontière avec la Somalie et qu’Addis Abäba décide clairement d’envoyer des troupes en territoire somalien. Les militaires éthiopiens pénètrent alors dans la région afin d’y prêter mainforte à la faction opposée au général Cumar Masalle, consolidant ainsi l’emprise sur le Geedo du SNF-Buraale. Ces affrontements relèvent bien d’une lutte de pouvoir au sein du front pour le contrôle de la région frontalière stratégique du Geedo. Comme souvent les lignes de clivage politique s’inscrivent dans la géographie clanique. En l’occurrence, ils subdivisent les Mareexaan dont le lignage est implanté sur deux régions, la région du Geedo et la région centrale, à cheval sur la frontière avec l’Éthiopie, à l’ouest de Dhuusa Mareeb : - d’un côté les reer Dalal, les familles « des autres régions », la région centrale notamment, dont sont issus le général Cumar xaaji Masalle et son adjoint le général Maxamed Xaashi Gaani ; 1
Le transport a été effectué par la Daallo Airlines, compagnie fondée en 1992 à Djibouti par deux Isxaaq originaires de Somalie, au moyen d’un avion charter IL-75 immatriculé T9-CAB d’une capacité de 40 tonnes et piloté par un mercenaire slave du nom de Semionov. Le chargement a suivi l’itinéraire Sharjah, Aden, Balli Doogle et retour. LOI n° 842. 23 I 1999. 2 Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie. S/1999/882. 16 VIII 1999. 300
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de l’autre les reer Guri, les familles « de la maison », indigènes du Geedo1. Les ressentiments déjà anciens entre les deux groupes se sont accentués quand les reer Dalal ont voulu imposer leur hégémonie sur le Geedo. Sur fond d’effondrement de l’ancien régime, cette animosité s’est aussi alimentée des revirements du général Masalle, d’abord lié à la coalition darood contre Maxamed Caydiid, combattant ensuite le groupe islamiste Al Itixaad avec le soutien de l’Éthiopie avant de s’allier à Xuseen Caydiid, le fils de son ancien rival… pour se retourner contre la nouvelle coalition darood dans le bas Jubba et s’opposer maintenant à l’Éthiopie dans le Geedo. Ce désordre a fini par lasser les plus aguerris au point que lors des attaques du SNF contre Kismaayo les mois passés, il s’est trouvé que certains Mareexaan exaspérés par une stratégie erratique ont quitté le champ de bataille. Parmi eux figuraient le commandant des milices, le colonel Barre Aadan Shire Hiiraale du reer Kooshin2 des Diini Faarax ainsi que Cali Nuur Maxamed Mukhtaar et le colonel Cabaas Ibraahin Gureey du reer Talxe3.
Recomposition des alliances et défaite de Moorgan
[11 VI 1999]
La somme de ces affrontements éclaire la recomposition des alliances telles qu’au milieu de l’année 1999, elles se mettent en place dans l’ensemble de la région : - dans le Geedo, un SNF-Buraale centré sur Garbahaarey contient, avec le soutien de l’allié éthiopien, des islamistes toujours bien implantés dans les trois districts de Beled Xaawo, Doolow et Luuq ; - plus au sud, à partir d’une ligne Ceel Waaq - Baardheere, un SNF-Masalle a établi un modus vivendi avec les islamistes. Ainsi couvert, il s’active maintenant avec le soutien du SNA-Caydiid et d’un SPM-Jees incertain à chasser Moorgan de Kismaayo et de la basse vallée de la Jubba. En cas de succès, Axmed Cumar Jees, toujours rival du général Aadan Gabiyow parmi les Ogaadeen, se poserait en candidat sérieux pour obtenir leur soutien et défendre leurs intérêts dans le contrôle de Kismaayo ; - à Kismaayo même, les Harti de Moorgan et le SPM-Gabiyow, alliés objectifs de Buraale peuvent espérer la sympathie sinon le soutien de l’Éthiopie à laquelle leur adversaire Cumar Masalle vient de faire défaut. En dépit des difficultés observées en pays mareexaan, c’est avant tout dans le dessein de chasser Moorgan de Kismaayo que se profile cette 1
En somali, guri-ga « la tente du nomade », par extension, « la maison ». Dal-ka, pl. dala-sha « le pays, le territoire ». Reer Dalal exprime « ceux des (autres) territoires ». 2 Au sein du faisceau Mareexaan, il existe également un reer Kooshin chez les reer Gadiid des Wagardhac. 3 LOI n° 854. 17 IV 1999. 301
recomposition des alliances. Ainsi émerge une nouvelle coalition, les Allied Somali Forces (ASF). Placée sous le commandement du général mareexaan Axmed Warsame Maxamed, elle rassemble désormais les Ogaadeen Maxamed Zubeer du SPM-Jees, les Habar Gidir de la SNACaydiid et les Mareexaan du SNF-Masalle. C’est ainsi que le 11 juin 1999, au terme d’une opération conduite par Axmed Warsame, la nouvelle alliance remporte son premier succès en parvenant à chasser de Kismaayo Moorgan et ses ultimes alliés. Il est ainsi mis fin à une mainmise de six années sur la cité. Le mois suivant, les ASF installent un embryon de gouvernement dans la ville1. La prise de ce port qui après Muqdishu et Berbera est le troisième de Somalie est un succès pour Xuseen Caydiid qui vient d’être chassé de Baydhabo mais se retrouve maintenant maître d’un site stratégique majeur. Bien que la rumeur prétende que ce succès aurait été facilité par les Érythréens et les Oromo, Asmära et Addis Abäba s’entendront au moins pour nier toute participation aux luttes interfactionnelles en Somalie…2 Moorgan, isolé, est contraint avec ses forces de se retirer vers le sud. Pas très loin d’ailleurs puisqu’à Beled Xaaji où il s’installe, il est en pays harti. Nul ne songeant cependant à le poursuivre, il se prend à partir de là à reconsidérer sa situation. Tandis qu’autour de raas Koombooni, des affrontements intermittents opposent maintenant Al Itixaad qui y est implanté aux miliciens Maqaabul des clans Ogaadeen Cawlyahan du SPM-Gabiyow, Moorgan entreprend pour sa part un certain nombre de voyages. De façon pragmatique et sans renoncer à une approche modulaire du problème somalien, il multiplie ainsi à partir du Kenya les contacts qui lui éviteront d’être marginalisé quand un nouveau processus se mettra clairement en route. Ainsi, le moment venu, s’inscrira-t-il rapidement dans le processus de réconciliation qui se profile à travers un récent discours du nouveau président djiboutien, Ismaël Omar Guelleh.
1 2
Le 18 Juin 2001, elles prendront le nom de Jubba Valley Alliance (JVA). Reuter. 20 VI 1999.
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X VII – L’ IMPOSSIBLE PAIX DES H AWIIYE
Mais avant que ne se détermine ainsi la situation dans l’outre-Jubba, à Muqdishu et dans le Banaadir, dans un contexte général difficile tant sur les plans sécuritaire qu’alimentaire et sanitaire, les deux principaux chefs de factions hawiiye auront tenté au cours de l’année 1998 de s’entendre autour de l’accord du Caire que tous deux ont contresigné. À bien y regarder, les décisions qui vont être prises tiennent surtout en une somme de modi vivendi propres à faciliter la prospérité de leurs affaires. Aussi sont-ce principalement la défiance et les conflits d’intérêts qu’ils rencontrent avec leurs propres alliés qui cette fois se mettront en travers du projet.
LE PROJET D’ADMINISTRATION DU BANAADIR
[II 1998 /VII 1998]
Dans le cadre de la concurrence diplomatique que, pour obtenir la pacification de Muqdishu, se livrent désormais la Ligue arabe derrière l’Égypte, l’Éthiopie et le Kenya derrière l’OUA et l’IGAD, c’est Daniel arap Moi président en exercice de cette dernière qui reprend l’initiative.
Le recours à la loi islamique à Muqdishu nord [II 1998] Ce retour du président kenyan est précédé d’un véritable travail des principaux chefs de faction hawiiye. Ayant compris que l’accord du Caire était pour eux une opportunité de mettre la main sur la Somalie, les plus sagaces d’entre eux se montrent soucieux de ne pas gâcher cette chance. Aussi s’apprêtent-ils, avec un succès très inégal, à calmer dans un premier temps les clans les plus turbulents et à convaincre les chefs de bandes les plus réticents. Aucun en effet n’est a priori disposé à voir s’instaurer un ordre qui rendrait plus difficile l’ensemble de leurs trafics. C’est dans ce contexte que, peu de temps après son retour en 303
Somalie, Xuseen Caydiid rencontre à Muqdishu ses deux principaux adversaires, Cali Mahdi et Cismaan Caato. La réunion se termine sur une promesse de réouverture du port et de l’aéroport, fermé depuis mars 1995, après trois ans de désaccord sur le partage des revenus générés par les installations, ainsi que sur le démantèlement de la Ligne verte qui divise la ville en deux. Il est ainsi convenu que les miliciens seraient cantonnés et une force conjointe déployée pour assurer la sécurité. Un accord du Caire a minima en quelque sorte, circonscrit à la capitale. La réunion est d’ailleurs suivie par une importante délégation conduite par l’ambassadeur d’Égypte en Somalie ainsi que par des observateurs de la Ligue arabe. Quelques jours plus tard, les trois hommes organisent un grand rassemblement public dans le plus grand stade de Muqdishu sud. Au cours de son allocution, Xuseen Caydiid exhorte tous les Somaliens à lutter contre les bandits qui s’opposent à la paix et promet – en se gardant toutefois d’avancer une date – la réouverture imminente du port et de l’aéroport. Symboliquement, pour participer à la réunion et se rendre au sud de la ville, les partisans de Cali Mahdi franchissent librement la Ligne verte qui a pour la circonstance été abandonnée par les gardes des milices. Un peu plus tard, un porte-parole de Xuseen Caydiid annonce que le port et l’aéroport seront administrés et exploités par un comité conjoint, et, plus particulièrement, le port avec « l’aide de pays amis ». Il ajoute prudemment que « non seulement les factions armées auront leur mot à dire dans le fonctionnement des deux institutions, mais aussi que tous les habitants de Muqdishu auront l’opportunité d’y obtenir un emploi. » Immédiatement, les autorités musulmanes sont impliquées dans ce projet qui induit un rétablissement de l’ordre. Le sheekh Muuse Macallin Axmed Cagaweyne, président des tribunaux islamiques du Nord de Muqdishu, prononce un arrêté au terme duquel la détention de technicals et le port d’armes par des particuliers sont interdits dans le secteur sous sa juridiction, consigne qui doit être garantie par les miliciens du tribunal. Les tribunaux islamiques, créés en 1994, avaient perdu le pouvoir en octobre 1996, après que leur ancien président était entré en conflit avec Cali Mahdi. Aussi, afin de sceller la nouvelle alliance, celui-ci déclare officiellement que les différends ont été résolus et que nul ne pourrait nuire à leur relation désormais harmonieuse1. À l’aplomb de ce repositionnement, Cali Mahdi légitime l’application de la stricte loi islamique dans sa zone d’influence en affirmant que la population avait assez souffert depuis que le pouvoir des tribunaux avait été réduit, il y a plus d’un an. Arguant du fait que des hommes en armes avaient honteusement attaqué et tué des civils avant de piller leurs maigres biens, il confirme que c’est bien cela qui a conduit, le mois dernier, à sa décision de réactiver les tribunaux dont les jugements seraient appliqués « sans pitié ». 1
AFP. 6 III 1998.
304
Cette disposition en revanche ne parvient pas à s’étendre au sud de la capitale. Bien que des discussions soient engagées avec Xuseen Caydiid à propos de la mise sur pied d’une autorité commune pour toute la cité, les secteurs de Muqdishu gouvernés par ce dernier refusent l’ouverture de tribunaux islamiques, ce qui peut sembler paradoxal compte tenu des affinités entretenues avec les islamistes du Geedo. Une certaine défiance demeure par ailleurs à l’encontre des tribunaux qui, dit-on, sanctionnent rarement les miliciens et ne sont véritablement actifs que lorsqu’ils ont affaire avec les minorités1. Toujours est-il que bien que des affrontements sporadiques perdurent entre les miliciens loyaux envers les uns ou les autres, un cessez-le-feu est finalement conclu le 15 mars. Rompu le 17, il est restauré le 18, le temps de permettre à Muuse Suudi Yalaxoow de s’emparer de la radio et des autres équipements hertziens avant tout ses rivaux. Le 20 mars 1998, Cali Mahdi et Xuseen Caydiid établissent de conserve un plan de paix qui prévoit le partage du pouvoir à Muqdishu et dont on espère qu’il mettra fin à une lutte qui aura duré 7 ans. Ce scénario prometteur sera compromis par Muuse Suudi, jusqu’alors lieutenant de Cali Mahdi, qui s’opposera au projet. Il bénéficie en l’occurrence des soutiens de Cismaan Caato et de Xuseen Bood, séparé de Caydiid puis rallié à Mahdi en 1991.
Daniel arap Moi : la rencontre de Nakuru
[7/16 IV 1998]
Alors qu’au début du mois d’avril 1998, la Ligue arabe venait d’annoncer son intention d’envoyer une mission dans la capitale somalienne afin de s’enquérir des réouvertures du port et l’aéroport, prévues par les accords du Caire de décembre, c’est à Nairobi que se rendent le 7 avril les quatre principaux chefs de guerre somaliens de Muqdishu, Cali Mahdi, Xuseen Caydiid, Cismaan Caato et Maxamed Qanyare Afrax2. Daniel arap Moi les a en effet invités à le rencontrer à Nakuru avec un seul point à l’ordre du jour de leurs discussions : la normalisation de la situation dans la capitale et la mise en place d’une administration commune, problématique qui revient principalement à évoquer le partage du pouvoir et la réouverture du port et de l’aéroport de Muqdishu. Dès leur arrivée à Nairobi, les quatre chefs de factions, résolument confiants dans l’action du président kenyan, expriment avec enthousiasme le vœu de voir celui-ci inaugurer en personne la réouverture du port et de l’aéroport dès qu’ils seront convenus d’une date. Par ailleurs, outre leurs propres entretiens, ils sollicitent son soutien afin d’obtenir auprès des pays amis et des organisations internationales une assistance financière qui leur permettrait de démobiliser leurs milices et d’instituer une police et une administration3. 1 2 3
AFP. 6 III 1998. AFP. 12 IV 1998. LOI n° 807. 11 IVl 1998. 305
De nouvelles promesses d’apaisement se dessinent le 14, à la suite d’une seconde rencontre avec le président kenyan. Tous semblent être tombés d’accord pour procéder avant la fin du mois aux réouvertures envisagées. Mais bien plus important encore, ils se seraient entendus sur les modalités de répartition des différents secteurs de l’administration commune qu’ils se sont engagés à mettre en place. L’enthousiasme est tel qu’ils font d’ores et déjà appel au Kenya afin qu’il aide directement à former le personnel de la nouvelle administration. Les propos s’envolent même quand ils déclarent attendre du chef de l’État kenyan qu’il use de son influence auprès des provinces centrifuges pour œuvrer à la réunification de l’État somalien1. C’est dans l’espoir de mieux circonscrire le problème de Muqdishu – et peut-être dans son esprit du Banaadir – que Daniel arap Moi n’a rassemblé que les quatre principaux chefs de guerre, ceux qui à Muqdishu même disposent d’une milice armée. Dans l’exercice cependant, il n’a qu’approximativement évalué l’autonomie et, partant, la capacité de nuisance de chefs de bandes armées mineurs, réputés alliés de l’un ou de l’autre. C’est ainsi que Muuse Suudi Yalaxoow par exemple, que l’on dit proche de Cismaan Caato, et qui contrôle le quartier stratégique de Madiina, en arrière de l’aéroport et pas très éloigné du port, n’est pas présent à ces discussions, une absence qui fragilise considérablement le processus engagé. Aucun Daarood par ailleurs n’a été ne serait-ce que convié aux discussions. C’est pourquoi les plus pessimistes, les plus lucides aussi, sont enclins à considérer que la mise à l’écart des négociations d’un seul des acteurs peut suffire à empêcher la concrétisation de l’accord. D’autant que ces chefs de guerre qui vienne de pactiser à Nairobi sont ceux-là même qui ont déjà promis l’ouverture du port et de l’aéroport au terme de la longue conférence de réconciliation qui s’est conclue quatre mois plus tôt par les accords du Caire. Or depuis, il ne s’est rien passé, rien n’a changé dans la situation de ces deux infrastructures2. Tout ceci fait d’autant plus désordre que, comme cela a déjà été rapporté, le 15 avril, pendant la réunion des chefs de faction au Kenya, dix employés du Croissant-Rouge et de la Croix-Rouge ont été kidnappés sur l’aérodrome de Cisaleey par un groupe d’Abgaal appartenant à un clan Da’uud et opérant au nord de la la capitale3. Et en effet, à leur retour à Muqdishu, les quatre hommes échouent à tenir la moindre réunion de suivi. En l’absence de mesure concrète, c’est un porte-parole des Xawaadle dans la capitale qui procède au constat d’échec de la rencontre. Il établit un diagnostic frappé au coin du bon sens : le port et l’aéroport sont toujours fermés ; la tentative 1
AFP. 30 IV 1998. LOI n° 808. 18 IV 1998. 3 En l’occurrence, il est intéressant d’observer que Muuse Suudi Yalaxoow, allié de Cismaan Caato est un Abgaal Da’uud, lesquels sont majoritairement implantés dans les districts de Madiina au sud de la capitale et à Kaaraan au nord. 2
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d’unir la capitale somalienne a échoué parce que le processus de paix en Somalie doit être « réinventé » et se fixer pour premier objectif de rassembler toutes les parties1. Venant encore compliquer l’affaire, l’impasse se confirme au moment où Cali Mahdi décide unilatéralement de prolonger de six mois son mandat sur la SSA, le portant jusqu’à septembre où une nouvelle élection doit avoir lieu. Or trois députés de sa mouvance contestent cette décision, déclarant que son mandat était maintenant terminé et qu’il ne pouvait se prévaloir désormais d’aucune légitimité. Or le positionnement de ces trois hommes bénéficie d’un soutien important au sein du faisceau abgaal. Préfigurant un défi sérieux à la direction de Cali Mahdi sur la SSA2, il ne promet que complication pour parvenir à un consensus entre les chefs de faction puisque la discorde menace de s’installer au sein de l’une des principales d’entre elles. C’est pourquoi, malgré une nouvelle annonce par Cali Mahdi et Xuseen Caydiid, le 11 mai, selon laquelle le dévoilement d’une administration conjointe de la ville était imminent, les observateurs restent sceptiques sur tout réel progrès quant au partage du pouvoir3.
L’engagement de la Libye et l’accord de Tripoli
[VII 1998]
Quoi qu’il en soit, conformément à ses engagements, Daniel arap Moi, président en exercice de l’IGAD, démarche avec adresse auprès des éventuels contributeurs. Bien accueillie par la société internationale, son action trouve un écho suffisant pour que chacun accepte d’y aller de sa contribution, aussi modeste soit-elle. Le projet en soi est loin d’être insensé. Aussi est-ce tout d’abord avec le soutien de l’Égypte et de la Libye que les deux partis hawiiye vont pouvoir tenter de mettre en place la nouvelle administration de Banaadir dont ils espèrent étendre ensuite le pouvoir au reste de la Somalie. Ce même pari engagé par Tripoli et le Caire a aussi pour effet de susciter la colère des responsables du Puntland et des chefs Daarood du sud du pays, pour leur part favorables à un projet autonomiste. Pour autant, Tripoli semble bien décidé à vouloir mettre réellement la main à la poche. Ainsi, dès le mois de mai, l’ambassadeur libyen à Muqdishu, Muḥammad Zubeyd, laisse-t-il entendre que son pays envisageait d’octroyer 800 000 $ à la nouvelle autorité de la région somalienne de Banaadir. Une promesse qui lui vaut par ailleurs un concert de menaces. Mais il est entendu que cette aide financière serait employée à rembourser les hommes d’affaires somaliens qui depuis deux mois ont payé les premiers salaires des policiers. En complément du projet, cinq Italiens sont également dépêchés fin juin à Muqdishu, proposant aux chefs des différentes factions de participer à la formation 1 2 3
The Monitor. 4-5 IV 1998 ; AFP. 12 et 30 IV/11 V 1998. AFP. 8 V 1998. AFP. 11 V 1998. 307
de la force de police conjointe en vue de restaurer la sécurité dans la ville, une spécialité italienne historique en Somalie que Rome semble alors disposée à financer1. Quant au reste du don libyen, il doit être affecté à des dépenses qui seront décidées au retour à Muqdishu de Xuseen Caydiid lequel se prépare pour l’heure à entreprendre une tournée régionale à l’étranger. C’est ainsi que le 5 juillet 1998, quarante représentants somaliens quittent la capitale pour la Libye afin de se joindre aux prières du Mawlid, commémoration de la naissance du prophète2. Sous l’égide de Muʿammar al-Qaḏḏāfī, Xuseen Caydiid et Cali Mahdi se retrouvent ainsi à Tripoli où ils signent un nouvel accord de réconciliation. Le colonel les presse une nouvelle fois de finaliser la mise en place d’une administration conjointe pour la région du Banaadir et de procéder à la réouverture du port et de l’aéroport de Muqdishu. En contrepartie, la Libye confirme son engagement à fournir les équipements et assurer la formation de 6 000 policiers ainsi qu’à payer pendant six mois leurs salaires3. Accompagnés par l’envoyé libyen pour la Somalie chargé de s’assurer que les dispositions élaborées par les chefs de guerre sont bien mises en œuvre, les deux chefs de faction regagnent enfin Muqdishu le 11 juillet. Mais alors que Cali Mahdi et Xuseen Caydiid s’engagent à mettre en place l’administration du Banaadir à partir du 18 juillet, les premières protestations se font entendre. Celle de Muuse Suudi Yalaxoow en particulier, le plus menaçant, qui objecte que les consultations ont été insuffisantes et affirme que toute tentative de mettre en place une administration se transformera en une confrontation sanglante. Une contestation s’élève par ailleurs à propos de la présentation de certains clans, dont des clans minoritaires. Il reste que les projets de Xuseen Caydiid et de Cali Mahdi ont suscité une inquiétude suffisamment profonde parmi leurs rivaux pour que ceux-ci solidarisent à leur détriment les laissés pour compte de la nouvelle administration. Ainsi, Xuseen Bood, naguère proche de Cali Mahdi, se rapproche-t-il de Muuse Suudi Yalaxoow et de Cismaan Caato qui tiennent les quartiers sud de la ville. Une coalition bien résolue à empêcher la mise en place d’une administration du Banaadir contrôlée par Xuseen Caydiid et par Cali Mahdi4. C’est ainsi que d’emblée, le 15 juillet, Muuse Suudi Yalaxoow, chef de faction dont l’autorité somme toute ne dépasse
1
LOI n° 818. 4 VII 1998. La fête anniversaire de la naissance du prophète [ar. ي ّ اﻟﻤﻮﻟﺪ اﻟﻨﺒﻮal-mawlidu n-nabî] qui n’est pas l’une des deux fêtes majeures de l’islam est célébrée le 12 de [ رﺑﯿﻊ اﻷولar. rabīʿ al-awwal], troisième mois du calendrier hégirien. 3 La somme potentiellement allouée est de 250 000 US$. 4 LOI n° 822. 29 VIII 1998. 2
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encore pas le secteur sud du quartier de Madiina, avertit qu’il ne reconnaîtrait pas la nouvelle administration de Muqdishu1. Après maints atermoiements et en dépit de maintes tergiversations, ces menaces ne parviennent à entamer la détermination de Cali Mahdi et Xuseen Caydiid qui, le 3 août, annoncent la mise en place d’une administration pour la région du Banaadir. Un conseil suprême de 50 personnes chargé de superviser le corps administratif de la région est constitué. Ces fonctionnaires seront dirigés par un homme d’affaires, Xuseen Cali Axmed. Trois jours plus tard, Cali Mahdi annonce la réouverture du port et la nomination de Cabdi Qeybdiid comme chef de la force de police. Mais après que Cismaan Caato, Muuse Suudi et Xuseen Bood ont contesté la formation de l’administration régionale, la situation menace de s’envenimer davantage encore quand, le 10 août, Muuse Suudi fait ouvrir le feu sur un bateau pour empêcher son entrée dans le port2.
LES CHEFS DE BANDES ACCULENT LE PROCESSUS DANS UNE IMPASSE Au cours de la deuxième quinzaine du mois d’août 1998, après avoir ainsi lancé les affaires en accord avec Cali Mahdi, les menaces qui pèsent sur le processus n’empêchent pas Xuseen Caydiid de s’envoler pour une tournée régionale qui durera quatre mois et dont tous espèrent qu’il en rapportera des financements et des soutiens.
La mise en place d’une administration conjointe
[IX 1998]
Pendant cette absence aussi, les tensions ne cessent de s’accroître à Muqdishu où l’administration conjointe est de plus en plus vivement rejetée par les chefs de guerre rivaux qui se sentent menacés et exclus. Cismaan Caato notamment, qui ne décolère pas, a fait savoir qu’aucun terme ne pourrait être mis à la guerre, en particulier dans Muqdishu, tant que lui et les autres chefs de faction ne seraient consultés ou inclus dans le processus. Enclin à exagérer la duplicité de ses adversaires, il se dit même convaincu qu’après avoir capté le pouvoir, les trois dirigeants autoproclamés se préparaient à attaquer les régions somaliennes du Centre et du Sud dans le but d’étendre de manière dictatoriale l’administration de leurs lignages sur l’ensemble du pays. D’ailleurs, Caato a demandé aux gouvernements éthiopien et italien de préciser leurs positions à l’égard de cette nouvelle administration après que Xuseen Caydiid lui-même a récemment déclaré que Rome et Addis Abäba en soutenaient la mise en place. D’autres chefs de bandes aussi, sortis de nulle part comme Ismaaciil Mo’alin Muuse ou Ismaciil xaaji Muuse Xuseen, accusent maintenant l’Égypte de s’immiscer dans les affaires somaliennes. À l’aplomb de son 1 2
LOI n° 820. 18 VII 1998. Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie. S/1999/882. 16 VIII 1999. 309
propos, le premier dénonce par exemple la visite des nouveaux locaux des forces de police dans la capitale somalienne par Maḥmūd Muṣṭafā, l’envoyé spécial de l’Égypte en Somalie. D’autres encore s’opposent au plan d’administration conjointe visant à taxer importations et exportations afin de payer les 6 000 membres de la force de police sous le prétexte qu’ils garderaient aussi les locaux abritant les marchandises. Aussi engagent-ils les résidents de Muqdishu à ne pas payer un impôt qui ne vise qu’à extorquer de l’argent à des civils trop crédules1. En septembre, en violation d’un cessez-le-feu qui n’aura duré que neuf jours, de nouveaux combats qui coûtent la vie à quinze personnes et font vingt-cinq blessés reprennent dans le quartier de Ceel Dheer entre des miliciens abgaal et muruursade. Cali Mahdi et Maxamed Qanyare Afrax, blâmés par Xuseen Bood, nient toute responsabilité dans ces affrontements qu’officiellement ils condamnent. En l’occurrence, Bood accuse explicitement Caydiid d’avoir armé des miliciens d’Al Itixaad et des Oromo éthiopiens afin qu’ils luttent par procuration contre son rival dans Muqdishu. Depuis Addis Abäba, Caydiid se contente de déclarer que sa faction ne soutiendrait aucun des deux groupes, condition de son entente avec l’Éthiopie2. La tension monte encore d’un cran lorsque, au début du mois d’octobre, les représentants du « front du refus » amenés par Xuseen Bood enjoignent de quitter la ville aux ambassadeurs d’Égypte et de Libye – Maḥmūd Muṣṭafā et Saʿīd Ṣābir qui assure l’intérim de Muḥammad Zubeyd al-Muʿaṭṭāf. Car si tous alors s’en prennent plus particulièrement au nouveau gouverneur de Muqdishu, Xuseen Cali Axmed, dont ils contestent la légitimité et l’autorité, ils réservent également leur vindicte à l’Égypte et à la Libye pour leur contribution, pédagogique et matérielle, à la mise en place de la nouvelle force de police. Dans un plaidoyer particulièrement virulent, Xuseen Bood n’a pas hésité à accuser l’ambassadeur d’Égypte d’avoir été l’instigateur des affrontements qui viennent de se dérouler en plusieurs points de Madiina et qui lui semblent destinés à affaiblir les positions de Muuse Suudi Yalaxoow. Il a également mis en cause la responsabilité de l’émissaire égyptien dans les combats qui se sont déroulés le 23 septembre dans le sud-ouest de la capitale3. Pourtant, en dépit de toutes ces difficultés mais conformément aux engagements pris auprès du chef de l’État libyen, des initiatives sont prises afin de jeter les bases d’une administration. Des comités sont ainsi mis sur pied pour préparer la réouverture de l’aéroport et du port. Des mouvements encourageants se sont aussi dessinés quand des milliers de personnes sont descendues dans les rues afin d’exprimer leur soutien au nouveau gouverneur de région, Xuseen Cali Axmed. 1 2 3
AFP. 2 & 22 IX 1998. AFP. 6, 15 & 25 IX 1998. LOI n° 827. 3 X 1998.
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Accueilli par Cali Mahdi, Maxamed Qanyare Afrax et Ciise Maxamed Siyaad, celui-ci s’est rendu de l’aéroport au siège de son gouvernorat situé en centre-ville escorté par quarante véhicules armés qui constitueront une partie de la flotte affectée à la nouvelle force de police conjointe de Muqdishu. Et dès sa prise de fonction par ailleurs, le gouverneur a appelé les culimo à soutenir l’application de la sharīʿa par la nouvelle administration et précisé que les tribunaux islamiques seraient également ouverts dans les différentes zones administratives de la région1.
La mise en place de la police Mais c’est en septembre aussi que se dessine la mise en place d’une force de police commune ainsi qu’une force d’action rapide. Concernant cette dernière, on parle de plusieurs milliers de membres dont la première tâche sera de mettre de l’ordre dans la région de Baydhabo où nul n’a encore renoncé à tenir la Conférence nationale de réconciliation. Les 1300 premiers agents de la force de police commandée par le colonel Cabdi Qeybdiid entament leur entraînement au cours de la première semaine du mois. À la fin de l’année 1998, ce seront 2000 hommes qui seront déployés dans et autour de la ville. Soixante-dix pour cent d’entre eux sont des miliciens des différentes factions, le reste est constitué d’anciens policiers de Muqdishu et de femmes. Le chef de la nouvelle police qui attend équipement et moyens logistiques de la part de l’Égypte a longtemps été un compagnon de lutte du général Maxamed Faarax Caydiid2. On se souvient comment, ancien ministre de l’Intérieur de celui-ci, il commandait les milices de la SNA à l’époque où elles affrontaient les troupes américaines. Appartenant au reer Hilowle du clan Sacad, il avait cependant suivi Cismaan Caato lorsqu’en 1995 celui-ci avait rompu avec le général. Ainsi qu’il en va souvent dans la société somalienne, il est maintenant devenu l’ennemi de ce dernier3. Sur le terrain, la police est chargée d’imposer un couvre-feu de la tombée de la nuit à l’aube – entre 22 heures et 6 heures du matin – et d’interdire tout port d’arme non autorisé dans les rues. Elle peut ainsi placer tout suspect en garde à vue et maintenir en prison entre trois et dix mois ceux qui ont été trouvés avec des armes ou qui commettent des actes violents. Confortant le rôle des forces de sécurité, Cali Mahdi, a déclaré que la police aurait recours à la force pour désarmer les récalcitrants et effectuerait des recherches dans les zones soupçonnées d’abriter des « bandits et des saboteurs ». À la mi-novembre, Cabdi Qeybdiid fait savoir que ses hommes rassembleraient le mois suivant toutes les armes non autorisées circulant 1 2 3
LOI 826. 26 IX 1998. LOI n° 823. 5 IX 1998. LOI n° 825. 12 IX 1998. 311
dans les rues, armes de poing et armes légères mais aussi les technicals, les camionnettes armées. Tout objet qu’il qualifie de « choses du passé ». Le colonel explique par ailleurs que le délai mis à entreprendre cette opération résultait du fait que, pour des raisons techniques, la première unité de sa force n’avait pu, comme cela avait été initialement prévu, être opérationnelle à la mi-octobre1. Mais cette police se trouvée aussi confrontée à de lourdes difficultés. Tout d’abord, les tribunaux islamiques de Muqdishu, tous établis sur une base clanique, refusent d’avoir à agir de concert avec les forces de police, déclarant qu’ils établiraient leur propre commandement pour superviser la sécurité. Ensuite, parmi les bandits armés et les anciens des milices qui ont rallié la nouvelle institution, ceux qui ont mis à disposition leurs technicals exigent maintenant une rémunération extravagante, faute de quoi ils menacent de changer de camp. Des forces de sécurité privées enfin sont également embauchées par d’autres chefs de bandes criminelles, voire de grands commerçants, pour assurer la protection du marché Bakaaraha par exemple. Celles-là, dont la rémunération est régulière, refusent catégoriquement de renoncer à leurs prérogatives. Or la force de police souffre de problèmes financiers d’autant plus préoccupants que l’administration n’a pas mis en place un système de recouvrement des recettes qui permit de couvrir les salaires des policiers. Seule l’hypothèse d’une aide extérieure est en l’état plausible. Ainsi, à la fin décembre, quand des combats éclatent entre la milice de la SNA-Caydiid et les hommes de Muuse Suudi Yalaxoow dans le sudouest de la capitale, ce sont Muuse Suudi, Xuseen Bood et Cismaan Caato qui se dressent résolument contre l’administration conjointe et les forces de coercition dont elle dispose.
La grande tournée régionale de Xuseen Caydiid
[VIII-XII 1998]
Mais revenons sur la tournée qui tout d’abord conduit Xuseen Caydiid à Kampala où il rencontre une délégation éthiopienne, première démarche en vue d’engager une résolution de leurs différends : lui condamne l’intervention militaire éthiopienne en Somalie tandis qu’Addis Abäba lui reproche d’avoir pactisé avec les intégristes musulmans. Les relations avec la capitale éthiopienne où il séjourne du 28 août au 4 septembre semblent effectivement devoir se normaliser. Ce voyage de l’ennemi traditionnel des diplomates éthiopiens en Somalie est d’ailleurs salué par Cali Mahdi. Lors de la rencontre avec les autorités, celles-ci n’en soumettent pas moins à Xuseen Caydiid un document en cinq points au fil duquel elles réclament explicitement qu’il s’engage à accepter la médiation de l’IGAD dans la crise somalienne, qu’il mette un 1
AFP. 19 XI 1998.
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terme à son soutien à Al Itixaad1 ainsi qu’aux organisations oromo opposées au régime éthiopien, qu’il accepte d’ouvrir le dialogue avec l’ensemble des organisations somaliennes et qu’il cesse la propagande anti-éthiopienne diffusée sur l’ensemble des médias de Somalie. Le document est étayé par un rapport détaillant le nombre de combattants oromo basés en Somalie et faisant état de la présence à Muqdishu d’un ancien officier de l’armée éthiopienne opposant du gouvernement d’Addis Abäba et qui bénéficierait du soutien de la SNA2. En contrepartie, Xuseen attend des dirigeants éthiopiens qu’ils cessent les livraisons d’armes aux groupes somaliens qui lui sont opposés, les Daarood Harti et Ogaadeen du sud. Car Xuseen Caydiid a en quelque sorte deux fers au feu : d’une part sa position à Muqdishu et dans le Banaadir, certes, mais aussi son activité dans l’interfluve qu’il n’hésite jamais à prolonger à l’ouest de la Jubba. Le périple du chef de guerre somalien se poursuit par les capitales arabes, Égypte, Libye et Arabie saoudite où il sollicite toutes les formes de soutien possible à la mise en place de l’administration à Muqdishu. Des besoins qu’il confesse sans ambages à la presse tripolitaine ; d’ailleurs le Guide libyen lui a remis le don promis de 800 000 dollars au profit de l’administration du Banaadir, don auquel il ajoute 250 000 dollars pour financer la conférence de réconciliation qui doit toujours se tenir à Baydhabo. La télévision d’État annonce aussi que Xuseen Caydiid avait lancé un appel aux investissements arabes dans son pays. En Arabie saoudite enfin, le chef de la SNA rencontre le Conseiller politique du roi. Après lui avoir exposé la situation à Muqdishu, il s’empresse à nouveau de solliciter une aide financière. Son récent voyage à Addis Abäba ne l’empêche naturellement pas de fonder l’essentiel de son argumentation sur une démonstration peu amène à l’égard de l’Éthiopie dont il s’applique à démontrer la perfidie. Les éléments de langage sont simples : une Éthiopie qui se complaît à monter les chefs de guerre du Sud somalien les uns contre les autres, seul moyen d’assurer la prééminence de l’État chrétien dans la Corne de l’Afrique. Xuseen Caydiid regagne finalement Muqdishu à la mi-décembre. Sur l’aéroport de Jasiira où il se pose, un accueil chaleureux lui est réservé par la population. Il explique que ces quatre mois d’absence de Somalie ont été employés à recueillir des fonds… regrettant que son absence ait contribué à la poursuite des hostilités dans les régions de Baay et de Bakool3. Pendant ce temps, ses adversaires n’ont en rien désarmé : six groupes politiques viennent de tenir une réunion pour discuter de l’ingérence de 1
Xuseen Caydiid évoque un accord trouvé avec Addis Abäba afin de « contrôler les frappes d’Al Itixaad sur le territoire éthiopien ». 2 Xog Ogaal. 29 VIII 1998. 3 IRIN. 12 & 15 XII 1998. 313
l’Égypte et de la Libye dans les affaires somaliennes, en particulier dans la région du Banaadir. Une réunion au terme de laquelle tous appellent la communauté internationale à exclure les deux pays du processus de recherche de solutions aux problèmes somaliens et « à prendre les mesures appropriées contre leurs activités terroristes »1.
Le shir de Beledweyne
[XI 1998/VI 1999]
La nécessité de régler rapidement ces tensions inquiétantes surgies entre les factions n’échappe pas aux autorités traditionnelles hawiiye. C’est pourquoi à leur initiative un shir se réunit à Beledweyne. La conférence pan-hawiiye s’ouvre le 19 novembre 1998. Elle rassemble approximativement 400 intellectuels, politiciens, autorité religieuse et représentants des groupes de femmes et de jeunes. Les observateurs des autres clans et régions de Somalie sont aussi invités. Parvenue à son terme, la réunion paraît avoir résolu les différences entre les lignages, Abgaal et Muruursade d’une part et entre Habar Gidir et Xawaadle de l’autre. Un phénomène nouveau qui maintenant fissure la cohésion ordinaire des lignages ressort cependant de l’exercice : la faiblesse des autorités traditionnelles. Celle-ci devient en effet patente dès lors que ne bénéficiant d’aucun protecteur riche et puissant, nul contributeur extérieur n’a songé à octroyer le moindre soutien matériel ou pécuniaire aux aspects organisationnels de leur projet. Un échec aux contours intéressants : de nombreuses personnalités politiques de premier plan comme Cali Mahdi ou Maxamed Qanyare Afrax – Xuseen Caydiid est en tournée – ne se sont même pas déplacées et leurs opposants pas davantage. Bien qu’il ait déclaré soutenir les conclusions de la réunion, Muuse Suudi Yalaxoow n’était pas présent ; Xuseen Bood y a assisté un moment puis s’en est retiré. En dépit de ce dédain à peine dissimulé des chefs de factions, les odayaal persistent cependant et conviennent de se réunir au mois de février 1999 en un nouveau shir destiné à résoudre les aspects politiques des différends entre les lignages. Dans une déclaration publiée le 26 février et qui peine à ne pas passer inaperçue, neuf autorités traditionnelles annoncent ainsi un accord en dix points incluant la formation d’un comité chargé de poursuivre le processus ainsi que leur intention d’engager la réunion dans une seconde phase afin de discuter du futur politique de la région. À ce niveau, le comité de la conférence envisage de prendre contact avec les autres lignages somali2. Il en va autrement de la part de la population de brousse. La conférence par son seul déroulement rassure. Elle fait référence en effet à un ordre connu. Aussi la position des ugaaso hawiiye qui l’ont présidée s’en 1 2
Xinhua. 3 XII 1998. Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie. S/1999/882. 16 VIII 1999.
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trouve renforcée… même s’ils ne sont pas parvenus à s’entendre sur une direction unifiée. La réunion en effet s’achève en juin 1999 dans la confusion quand deux personnes revendiquent chacune de leur côté… avoir été élue à la présidence du Conseil consultatif établi par le shir. Peu après, à Muqdishu, un groupe de sa propre initiative déclare avoir engagé l’étape préparatoire de la seconde phase de la conférence qui doit maintenant se tenir dans la capitale. Cette pagaille révèle certes combien la réunion s’est montrée loin de régler les différends et combien il reste improbable qu’à un moment ou à un autre les représentants des clans Habar Gidir et Abgaal soient en mesure de convaincre les Xuseen Caydiid, Cali Mahdi et même Xuseen Bood tant aucun n’est disposé à réduire d’une once ses prétentions, que ce soit sur Muqdishu, le Banaadir ou plus encore. Toutefois, quelles que soient les difficultés qui perdurent au sein des Hawiiye et même si les autres lignages mesurent mal la profondeur de leurs dissensions, les autres Somaliens ont plutôt le sentiment et veulent croire que c’est une volonté de réconciliation qui prédomine. Néanmoins, ce sentiment s’alimente aussi d’un désagréable constat : Muqdishu est maintenant majoritairement peuplé de Hawiiye, et il est pénible à tous d’admettre que la capitale de la Somalie ne subsume plus l’ensemble des faisceaux lignagers. Ainsi, les conséquences collatérales des tentatives de rapprochement des factions hawiiye se traduiront par un quant-à-soi de fait des autres régions, une tendance à concevoir individuellement sa normalisation.
L’échec de la médiation libyenne
[XII 1998]
Le désintérêt des factions pour le shir de Beledweyne résulte aussi du fait qu’en dépit des reproches qui lui sont adressés, la Libye ne ménage pas ses efforts pour parvenir à un résultat. Au début du mois de novembre, son ambassadeur à Muqdishu, Muḥammad Zubeyd, a annoncé l’octroi des 800 000 $ promis à la nouvelle autorité du Banaadir. Sauf que la mise en place de cette dernière se fait toujours attendre en dépit de l’accord passé entre Xuseen Caydiid et Cali Mahdi. Elle se heurte toujours à l’opposition de Muuse Suudi Yalaxoow, de Xuseen Bood et de Cismaan Caato qui vient de se rapprocher de Moorgan en difficulté à Kismaayo1. À Tripoli, où à la mi-décembre il a invité conjointement les chefs somaliens rivaux, le Guide ne parvient pas davantage à les rassembler dans le cadre de la conférence de réconciliation qu’il souhaitait organiser et qui de ce fait avorte. Le président du Somaliland a pour sa part d’emblée décliné l’offre de se rendre en Libye. Quant à la délégation du Puntland conduite par le président Cabdullaahi Yuusuf et Cawed Axmed Cashara, son ministre de l’Information, sa présence à Tripoli tourne maintenant à la confrontation. En effet, les représentants 1
LOI 833. 14 XI 1998. 315
du Puntland n’ont pas été préalablement avisés par leurs hôtes libyens de la venue des chefs de guerre hawiiye de la capitale. Or ceux-ci – 80 personnes regroupant les deux principaux chefs de partis de Muqdishu et leurs divers alliés politiques – arrivent le 17 à bord d’un avion arborant la cocarde égyptienne. Le traquenard diplomatique tenté par Muʿammar al-Qaḏḏāfī tourne rapidement mal. Non seulement la délégation du Puntland refuse de loger dans le même hôtel mais Cabdullaahi Yuusuf est catégorique : aucune discussion avec les chefs de factions ne pourra contribuer à résoudre le conflit somalien 1. Le 23 décembre, sans avoir accepté de s’entretenir avec les représentants de l’administration du Banaadir, il quitte avec les siens la capitale libyenne pour Le Caire. Ceci n’empêchera d’ailleurs nullement JANA, l’agence officielle de Tripoli, d’annoncer que le chef de guerre somalien Xuseen Caydiid avait déclaré que les différentes factions en conflit en Somalie étaient réconciliées et qu’elles annonceraient sous peu la mise sur pied d’un gouvernement d’union nationale2.
L’ambassadeur Scortino à Muqdishu
[XII 1998]
Parfois quelque événement, certes sans grande incidence sur le cours des choses, permet de se faire une idée sur les décalages établis entre certains individus et le monde dans lequel ils sont réputés vivre. Ces événements permettent cependant de comprendre comment des gens d’une incontestable qualité par ailleurs peuvent dans certaines circonstances se trouver résolument « hors du coup ». Ainsi, le 2 décembre 1998, une délégation de l’International Committee for Somalia3, émanation de l’IGAD, conduite par Francesco Scortino, se rend en Somalie afin de s’entretenir avec les dirigeants et la population sur la meilleure façon de procéder en vue de résoudre le conflit. Diplômé en droit ayant embrassé la carrière diplomatique en 1967, Francesco Sciortino a été désigné en juillet comme envoyé spécial de l’Italie en Somalie en remplacement de Giuseppe Cassini. Âgé de 56 ans, né à Palerme, Sciortino a occupé différents postes à Madagascar et en Tunisie avant de devenir consul en Somalie à la fin des années 19704. Par la suite, il a été en poste au Libéria puis ambassadeur à ʿUmān et enfin à Madagascar à partir de juin 1993. Homme d’expérience donc, il a également exercé un moment des 1
LOI n° 839. 2 I 1999. AFP. 17, 21 & 27 XII 1998 ; 13 & 14 I 1999. 3 La délégation est composée de représentants de l’Égypte, l’Erytrée, l’Éthiopie, l’Ouganda, de la Norvège, l’Italie et le Yémen. Ils représentent l’Union européenne, l’OUA, la Ligue arabe, l’United Nations Political Office for Somalia (UNPOS) et le Somalia Aid Coordination Body (SACB). 4 Il y rencontre sa future femme, une des filles Murri, célèbre famille de colons italiens établis en Somalie – d’abord dans l’agriculture puis dans la construction – ainsi que dans quelques autres pays d’Afrique, Congo, Madagascar, Rwanda et Kenya. 2
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responsabilités à l’inspection générale du ministère italien des Affaires étrangères. Peu enclin toutefois à prendre inconsidérément des risques, le nouvel envoyé spécial qui a inauguré ses nouvelles fonctions par une tournée d’inspection au Somaliland a tardé en revanche a se rendre à Muqdishu étant donné la situation sécuritaire qui est réputée y prévaloir encore1. Il faut donc attendre le 5 décembre alors que la mission d’enquête internationale vient de visiter le Somaliland et le Puntland que Sciortino entreprend à son tour de se déplacer vers la capitale somalienne. Les balbutiements de l’administration du Banaadir, le caractère sourcilleux des chefs somaliens et le tempérament propre du diplomate vont cependant conduire celui-ci à rebrousser chemin vers Nairobi après que les deux principaux chefs de l’administration conjointe de Muqdishu, Cali Mahdi et Xuseen Caydiid, l’auront sans ménagement prié de quitter la Somalie2. Avant d’en arriver là, l’appareil est normalement attendu par un officier de sécurité des Nations unies, ancien du Marines Corps, à Cisaleey au nord de la capitale où Cali Mahdi et Xuseen Caydiid sont en route pour recevoir la délégation. Celle-ci n’est pas vraiment la bienvenue mais apprenant entre temps que certains de leurs rivaux ont décidé de rejoindre l’aéroport avec une escorte armée, les deux chefs de factions demandent que l’avion se déroute vers l’aéroport du PK 50 ou vers celui de Balli Doogle. Quand l’équipage et les occupants sont avisés de la difficulté de se poser à Cisaleey, l’officier de sécurité leur conseille par radio de se poser effectivement sur l’un des deux aéroports suggérés par les chefs somaliens. C’est, conformément à cette surprenante arrogance à laquelle semblent parfois tenir nombre de diplomates, le moment que choisit Francesco Sciortino pour contester l’appréciation de l’officier de sécurité des Nations unies. Il l’informe donc en termes vifs que l’avion ne se poserait sur aucun des aéroports proposés qu’il juge peu sûrs et ordonne à l’équipage de se dérouter sur Marka, provoquant la colère des deux Somaliens en route pour l’accueillir. D’un commun accord, ceux-ci décident de considérer les membres de la mission comme des immigrants illégaux, leur avion s’étant posé sans autorisation sur une piste où ils n’étaient pas attendus. Certes, les plus optimistes ne manqueront de voir dans l’incident une première action vraiment solidaire des deux chefs de faction hier encore ennemis3. Sauf que cette sommation relève aussi de la prudence car elle fait suite à des menaces proférées peu auparavant par cinq des chefs de guerre opposés à l’administration de Muqdishu qui ont prévenu que des combats pourraient éclater si le Committee venait à recevoir une protection de la police conjointe. Portant un regard différent sur 1 2 3
LOI n° 821. 26 VII 1998. The Reporter. 2 XII 1998. LOI n° 837. 12 XII 1998. 317
l’incident, Xuseen Caydiid et Cali Mahdi ont maintenant beau jeu d’accuser la délégation d’avoir délibérément changé le protocole d’accord qui la plaçait sous la protection de la police de Muqdishu et de dénoncer ni plus ni moins une « visite de torpillage ». Xuseen Caydiid déclarera un peu plus tard que l’Italien avait fait circuler ces deux derniers mois des documents visant à « diviser la Somalie en de petits émirats mettant en cause l’unité nationale » et encouragé les factions rivales à ignorer le mandat constitutionnel de Muqdishu en qualité de capitale de la Somalie. Il reprochera par la même occasion à l’Éthiopie de miner le processus de paix par ses incitations à la violence1.
LA REPRISE DES COMBATS A MUQDISHU
[III 1999]
Il est aussi vrai par ailleurs qu’en cette fin du mois de décembre 1998, la situation se tend à Muqdishu. Prenant le contrepied d’une annonce du vice gouverneur de la région de la ville, Daahir Axmed Cabdikariin Cismaan, Caato réaffirme à plusieurs reprises que l’aéroport et le port de Muqdishu ne seraient pas opérationnels tant que toutes les factions ne seraient pas parvenues à un accord sur la question. Il adresse par ailleurs une mise en garde à l’encontre de ce couvre-feu dont il conteste le projet d’emprisonner les habitants de la ville. Dès lors, il fait savoir que lui et son allié allaient former leur propre administration2. Tandis que des affrontements de basse intensité se multiplient à Muqdishu, c’est une organisation non gouvernementale somalienne, la Doctor Ismaciil Jumcaale Human Rights Organization (DIJHRO) qui appelle les chefs de faction à respecter la Déclaration internationale des droits de l’homme et les enjoint à résoudre pacifiquement leurs différends sans que des civils ne se trouvent pris sous leurs feux croisés. L’organisation insiste sur la responsabilité qui était la leur dans l’établissement d’un contexte propice à la délivrance de l’aide humanitaire ainsi que le rôle joué par la communauté internationale dans cette distribution. La DIJHRO attirait enfin l’attention sur le fait qu’à Muqdishu, les tribunaux islamiques appliquaient une loi qui n’était pas compatible avec le droit international3. Une injonction généreuse qui hélas n’allait guère faire recette au cours de l’année qui se profilait maintenant.
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AFP. 2/6 XII 1998. AFP, 10, 15, 29 XII 1998, 3-5 & 10 I 1999 ; IRIN, 6 I 1999. AFP. 11 XII 1998.
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Livraisons monétaires et risque inflationniste
[III 1999]
Car un autre phénomène au début de l’année 1999 joue un rôle déterminant dans la reprise des affrontements dans la capitale jusqu’à sceller l’échec de la tentative libyenne : l’injection d’une masse importante de nouveaux billets de banque. La monnaie somalienne qui était restée forte depuis 1993, après l’intervention des Nations unies, se déprécie quotidiennement après mars 1999 avec l’injection sur le marché de 35 milliards de shillings1. Il s’agit de billets imprimés au Canada au début de l’année 1996 sur ordre du général Maxamed Caydiid qui les avait commandés à la société holding Penang Adorna alors représentée à Muqdishu par le Malaisien John Fonn2. Le général en avait reçu une première livraison d’un montant de 70 milliards de soshs mais la seconde n’avait pas été effectuée, d’une part en raison de son décès en août 1996, mais aussi parce que ses fils, Xuseen et Xasan, n’étaient pas parvenus à rassembler suffisamment de dollars américains pour en payer le prix. Or le chef de la SNA considère que plus que jamais il besoin de cet argent. Les billets de banque somaliens tombent certes en lambeaux et les efforts entrepris pour les remplacer posent de nouveaux problèmes mais le premier souci du chef de faction ne relève pas d’une simple préoccupation de confort à l’attention de ses compatriotes. Il manque cruellement d’argent, et ce à un moment où il lui faut faire face à une agitation au sein de ces milices. Il compte donc surtout sur ces livraisons pour payer ses combattants, mais aussi plus généralement ministres et fonctionnaires de sa rudimentaire administration. Or l’impression des nouveaux billets parvient finalement à être financée grâce à un crédit consenti par la Somali-Malaysian Commercial Bank qui a ouvert à Muqdishu le 9 mai 1997, un vendredi, établissant une connexion entre le système bancaire international et la Somalie isolée. Cette banque repose sur un capital d’investissement de 4 millions de dollars dont 70% appartiennent aux compagnies malaisiennes et 30% à des commerçants somaliens. Établie dans la partie sud de Muqdishu, sur le territoire de Xuseen Caydiid, elle est enregistrée auprès des banques étrangères et est habilitée à effectuer les transferts de chèques internationaux. Son directeur, Galladid Cabdinuur Axmed Darmaan est le fils d’un ancien diplomate. Il réapparaîtra dans l’histoire somalienne proprement dite discrètement d’abord puis plus ostensiblement quelques années plus tard. Pour l’heure, Galladid Cabdinuur Darmaan
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Distingué par son abréviation, sosh, du shilling somalilandais, le sish. L’entreprise qui imprime les billets de banque destinés à Caydiid est une société d’Ottawa, la British American Banknote, filiale de Quebecor Printing alors en processus de cession à une compagnie allemande.
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assure que sa banque est neutre et qu’il envisage d’ouvrir des succursales tant à Muqdishu nord qu’à Boosaaso et à Hargeysa1. Si pour la livraison de mars, ce sont donc des hommes d’affaires, pour partie Habar Gidir et pour partie Abgaal, qui payent finalement la note, instruits par l’expérience, ils n’octroient à Xuseen que 3 millions de shillings et réservent prudemment le reste. Nul n’a oublié que la précédente livraison ayant généré une inflation galopante. Car l’argent peut être une arme en Somalie. En 1991 déjà, Cali Mahdi s’était servi de nouveaux shillings pour soutenir sa lutte contre la SNA. Au Somaliland, Maxamed Cigaal en mettant sur le marché de fortes sommes en shillings somalilandais, avait pu circonvenir les notables des clans et financer la guerre contre les Habar Gerxaajis. Reste que le taux de change avait alors chuté en quelques semaines passant d’un dollar pour 50 shillings somalilandais à un dollar pour 400 shillings en 19952. D’emblée d’ailleurs, les commerçants du sud de la capitale refusent ces nouveaux billets de 1000 shillings signés par le trésorier du gouvernement de Caydiid père et datés de 19963. Ces billets d’un montant équivalent à plusieurs millions de dollars qui arrivent le 4 juin 1997 sur l’aérodrome de Balli Doogle, provoquent immédiatement des affrontements parmi les Habar Gidir entre milices Sacad et Cayr. La situation tend encore à se compliquer un an plus tard quand, le 7 juin 1998, le tribunal islamique du Nord de Muqdishu condamne trois hommes à cinq ans d’emprisonnement chacun pour avoir été trouvé en possession de ces nouveaux billets apportés par les partisans de la faction rivale. Les trois condamnés ont été arrêtés sur le marché de Kaaraan par le corps de police du tribunal islamique alors qu’ils tentaient d’en mettre en circulation plusieurs milliers4. Mais en 1999, bien que les milieux d’affaires locaux redoutent toujours l’arrivée de nouveaux billets, Xuseen Caydiid peut momentanément se passer de leur consentement et se les offrir grâce aux fonds fournis par la Libye et l’Érythrée. Ce qu’il s’empresse de faire tant il a besoin de cet argent pour acheter les soutiens qui lui font cruellement défaut. Les commerçants de la place en revanche sont bien moins enthousiastes et savent pertinemment que le dollar américain qui s’échange maintenant à Muqdishu autour de 9000 shillings pourrait monter à 12 000 en cas de nouvelle livraison. D’autant que cette menace inflationniste n’empêche pas le président du Puntland de tirer profit de l’aide éthiopienne… pour se mettre aussi en quête d’un bon imprimeur, en Indonésie, dit-on5. Reste qu’au début du mois d’avril, la tension monte à nouveau quand se répand la nouvelle d’une nouvelle livraison de nouveaux shillings 1 2 3 4 5
Reuter. 9 V 1997. En 1999, il se stabilise à Hargeysa autour de 4000 shillings. Africa Confidential n°285. 23 VI 1997. Les coupures sont de 1000 shillings, un dollar américain valant environ 8000 shillings. Africa Confidential. 14 VI 1999.
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somaliens d’une valeur de quelque 14 millions de dollars. Les miliciens Cayr se rendent le 5 avril sur la piste de Balli Doogle où elle doit avoir lieu et où ils trouvent les hommes de Xuseen Caydiid qui ont déjà bouclé l’aéroport. Le nombre croissant de milices rivales qui se massent dès lors à proximité de la piste contraint à suspendre les vols. Et c’est en vain que, pour tenter de résoudre cette dispute, l’ugaas Cabdi Daahir Maxamed, ugaas des Cayr à Muqdishu, organise une réunion entre les commerçants1. Xuseen Caydiid a beau tenter d’expliquer que cette monnaie était une chance nationale et qu’elle serait entreposée dans une banque centrale, personne n’est disposé à écouter ses arguments2. Il ne fait pas davantage recette quand il assure qu’ils doivent servir à payer les hommes d’affaires locaux totalement réticents car à juste titre peu enclins à se satisfaire de ce qu’ils identifient à une monnaie de singe, tout juste propre à favoriser l’inflation. Pourtant, la British American Banknote imprimera encore 90 milliards de shillings pour le compte du chef de guerre somalien. Ils seront acheminés en Somalie en trois voyages successifs entre fin mai et début juin3 même si la dernière livraison, d’une valeur nominale de 35 milliards de shillings, et qui doit arriver à l’aéroport de Baydhabo, est finalement bloquée par l’offensive éthiopienne. Le 12 juin en effet, la RRA et ses alliés ont pris la ville, seul aéroport encore accessible à Xuseen Caydiid après que les commerçants locaux lui ont interdit en avril l’utilisation de Balli Doogle. Comme il fallait s’y attendre, l’arrivée des nouvelles coupures de 1000 shillings provoque divers accrochages entre milices rivales mais elle contribue surtout à accélérer la dépréciation de la monnaie locale vis-àvis du dollar américain4. C’est pourquoi à la fin du mois de juin, les habitants de Muqdishu descendent dans la rue pour protester contre la spirale du coût de la vie dans la capitale. Les transporteurs ont triplé leurs tarifs ou suspendu leur activité compte tenu de l’augmentation du prix des carburants. Celui-ci est passé de 2500 shillings le litre à la mijuin pour attendre 8600 shillings deux semaines plus tard. La plupart des magasins établis sur les marchés à Bakaaraha et ailleurs préfèrent fermer en raison de la détérioration de la valeur de la monnaie. Deux manifestations qui se déroulent dans la dernière semaine de juin, causent la mort de deux personnes et font onze blessés. Les manifestants défilent au cri de : « Mort aux hommes d’affaires cupides. Nous avons besoin de nourriture, de transports moins chers, de vêtements et de soins. »
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Xog Oogal. 5 IV 1999. AFP. 6 IV 1999. National Post. Ottawa. 23 VI 1999. LOI n° 863. 26 VI 1999. 321
La plupart des victimes ont été blessées au cours d’une bousculade survenue lorsque des hommes armés protégeant certains centres d’affaires ont tiré en l’air pour effrayer les pilleurs potentiels et disperser les manifestants. Naturellement, aucun commentaire particulier n’émane des importateurs de monnaie1. Si elle participe du processus d’échec d’une administration du Banaadir, cette affaire témoigne aussi des réticences des hommes d’affaires à accepter les diktats des chefs de milice locaux. S’il n’est pas encore possible d’identifier une stratégie claire, chaque action concertée menée par cette catégorie de population dont les stricts objectifs consistent à gagner de l’argent contribue à miner la véritable surface des chefs de factions dont les affrontements ruinent assurément les finances mais tout autant leur crédibilité.
Les combats de mars 1999 et la dissolution des forces de police Tandis que tensions, banditisme et escarmouches claniques intermittentes paraissent devoir se développer, au début du mois de mars 1999 encore, les miliciens de Cali Mahdi entrent violemment en conflit avec une nouvelle catégorie de belligérants, des miliciens directement financés par la communauté des gens d’affaires établis dans le nord de Muqdishu. Les affrontements les plus sérieux mettent aux prises deux lignages abgaal, les Harti Abgaal dirigés par Cali Mahdi2 et les Waacbudhaan principalement rangés derrière Muuse Suudi Yalaxoow. Le différend éclate après que ce dernier a tenté d’imposer des taxes sur le marché de Kaaraan où son clan les Waacbudhaan/Da’uud est fermement installé. Les combats qui ont déjà fait 22 morts dans le nord de la capitale s’interrompent le 15 mars après que les notables abgaal ont arrangé un cessez-le-feu afin d’engager des négociations. Ils reprennent cependant les 17 et 18, portant le nombre total de victimes à 38 morts et 88 blessés depuis le début des combats, après que Muuse Suudi a persisté dans son rejet des propositions avancées, refusant catégoriquement de retirer son projet de taxes. Un autre sujet de friction met par ailleurs aux prises ses séides et les policiers du gouverneur de Muqdishu, Xuseen Axmed Cali. Là, la dispute qui a également débuté à la mi-mars est de nature plus politique et ne résulte pas d’un hypothétique droit d’imposition. Il reste que la résidence du gouverneur est attaquée, suscitant évidemment en retour une attaque de représailles sur celle de Muuse Suudi. Les affrontements ne cessent qu’au début du mois d’avril avec la saisie et la prise de contrôle par Muuse Suudi des installations appartenant à la station de radio de Cali Mahdi au nord de Muqdishu3. 1
AFP. 29 VI 1999. Cali Mahdi appartient également au lignage Abgaal des Hawiiye mais à un segment différent, les Abgaal/ Harti/ Agoonyar. 3 AFP. 3 IV 1999. 2
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Mais plus consternant cependant, et scellant le destin de l’administration du Banaadir, la force de police établie en août 1998 dans l’espoir de réunir la capitale somalienne se dissout à la fin mars faute d’avoir été en mesure d’assurer le soutien alimentaire et le paiement de salaires des sept cents policiers dont 30 % seulement étaient formés de membres de l’ancien corps tandis que le reste venait des milices claniques qui tenaient les barrages routiers et les check-points à Muqdishu. Naturellement, chacun se retire les uns avec leur arme et leur équipement, d’autres à bord des 40 technicals armés de mitrailleuses lourdes et armes antichars. La mise en place de la force de police avait été soutenue par une donation de la Libye de 800 000 $, destinés à financer la force pour trois mois mais le non-paiement des salaires depuis le début de l’année est venu à bout de ce que les chefs de guerre qui n’avaient pas rejoint l’exercice appelaient une démarche irréaliste destinée à s’attirer des fonds de la part d’intervenants extérieurs crédules1. Le 23 avril, Cali Mahdi quitte Muqdishu pour l’Égypte pour un traitement médical. On le dit désillusionné à propos de son autorité sur les clans mudulood dont Maxamed Xuseen Caddow est nommé chef par intérim. Il confie néanmoins le 30 juin au représentant des Nations unies au Caire qu’il avait l’intention de rentrer en Somalie dans les semaines qui viennent et qu’il était fermement décidé à rétablir l’administration du Banaadir et à rouvrir l’aéroport et le port mais jugeait indispensable qu’une conférence nationale de réconciliation se tienne au plus tôt. Xuseen Caydiid, de retour à Muqdishu le 13 juillet, confie aussi au représentant des Nations unies son intention de rétablir l’administration et la force de police, sans toutefois proposer une stratégie plausible.
Guerre Ethiopie-Erythrée : la réalité d’un second front
[15 V 1999]
Pendant que le Sud de la Somalie s’enferme ainsi dans une impasse, il faut revenir sur cet événement régional majeur que constitue le conflit entre l’Éthiopie et l’Érythrée. Lorsqu’il éclate, le rapport initial des forces est loin d’être équitable. D’un côté, l’Éthiopie qui compte au moins quelque 70 millions d’habitants a moins de chance de se trouver à court d’hommes qu’une Érythrée qui tout au plus en rassemble 4 ou 5 millions. C’est donc une considération mathématique parfaitement élémentaire qui engage Asmära à immobiliser ailleurs que face à sa propre ligne de front une partie significative de l’effectif dont dispose Addis Abäba. Comment résister en effet à l’idée de favoriser les difficultés qui peuvent être infligées à son adversaire en suscitant un second front, à son sud par exemple. A cet effet, il suffit de soutenir les fronts irrédentistes qui sévissent dans la Région Cinq, l’ONLF par exemple, ainsi que les mouvements islamistes qui leur sont proches, 1
AFP. 31 III 1999. 323
anciens de l’Itixaad en particulier, établis côté somalien dans la zone frontière d’où ils lancent des incursions en Ogadèn. Quoi de plus aisé, pour ce faire, que de soutenir en Somalie leurs alliés en assurant à tous un approvisionnement en armes et en équipements de toutes sortes ainsi que des camps d’entraînement ou tout simplement en leur facilitant le passage vers l’Éthiopie du Sud. Quelle meilleure stratégie pour l’Éthiopie pour lutter contre ce soutien que de soutenir à son tour ceux qui en Somalie se sont déclarés adversaires des islamistes et de leurs alliés somaliens. Cette proxy war, cette guerre par procuration, monnaie courante désormais en Afrique, déverse donc sur le Sud somalien une quantité d’armes dont n’avait naturellement nul besoin ce pays qui ne parvient pas à se normaliser. Comme cela a déjà été dit, la guerre entre l’Érythrée et l’Éthiopie contribue donc à régionaliser le conflit somalien. Ces combats ont des conséquences dès lors que le gouvernement érythréen tente de susciter un second front sur les arrières éthiopiens en y soutenant tout ce qui peut s’opposer à son adversaire. Au premier rang figurent les fronts somali irrédentistes, mais aussi les fronts oromo comme l’Oromo Liberation Front1, groupe rebelle réclamant l’indépendance de la région éthiopienne d’Oromiyaa et dont nombre de ses membres sont précisément installés en Somalie dans les zones contrôlées par Xuseen Caydiid. Le soutien à vrai dire n’a pas attendu que le conflit atteigne une dimension paroxystique. Nul n’ignore par exemple qu’un an plus tôt, au mois de juin 1998, l’Éthiopie a armé et entraîné des milices, Xawaadle notamment, opposées à Al Itixaad et à leur allié Xuseen Caydiid2. Nul n’ignore davantage que le 26 janvier 1999, Xuseen Caydiid a reçu cinq avions-cargos remplis d’armes en provenance d’Érythrée. À Muqdishu, le 31 mars, Cali Mahdi accuse l’Éthiopie d’armer des factions rivales. Il évoque en l’occurrence des livraisons effectuées à Beledweyne et destinées selon ses dires à l’USC-Xawaadle, proche de Cismaan Caato et à la RRA qui actuellement dans l’interfluve combat la milice de Xuseen Caydiid. Cali Mahdi affirme également que l’Éthiopie a fourni des camions remplis d’armes qui ont été récemment réceptionnés dans la région de Hiiraan par Xuseen Bood et acheminés à Muqdishu. Autant d’allégations que l’Éthiopie s’empresse de nier3. Le 12 avril cependant, Le Caire et la Ligue arabe paraissent vouloir se saisir de l’affaire et s’engagent à intervenir auprès de l’Éthiopie pour 1
[or. Adda Bilisummaa Oromoo « Front de libération oromo »]. Waaqoo Guutuu est la figure emblématique du nationalisme oromo. Rebelle depuis 1958, il avait rallié le gouvernement de transition et l’EPRDF avant de s’en séparer dès 1992. Il rassemble en 2000 les groupes oromo factieux en des United Liberation Forces of Oromiyaa (ULFO) [or. Tokkummaa Humnoota Bilisummaa Oromiyaa (THBO) « Forces de libération unifiées de l’Oromiyaa »]. 2 LOI n° 815. 13 VI 1998. 3 AFP. 6 IV 1999. 324
demander le retrait de ses troupes du district de Beled Xaawo. Le lendemain, sur place, le chef du SNF accuse l’Éthiopie d’avoir torturé un Somalien arrêté alors qu’il tentait d’introduire des explosifs. Stoïque, l’Éthiopie dément la présence de troupes en territoire somalien. Mais le 9 mai, à Muqdishu où la situation devient de plus en plus difficile, Cismaan Caato appelle à une nouvelle intervention militaire internationale en dénonçant explicitement l’ingérence érythréenne dans le pays. En effet, depuis la fin du mois d’avril1, une force composée de rebelles oromo éthiopiens entraînés au camp de Sawa en Érythrée et recrutés par le chef du United Oromo People Liberation Front (UOPLF), le vieux général Waaqoo Guutuu a débarqué à Marka2. Une rencontre y est prévue entre Xuseen Caydiid, ses alliés somaliens et les chefs des deux groupes d’opposition éthiopiens, Waaqoo Guutuu pour le mouvement oromo et Maxamed Cumar Cusmaan pour l’Ogaden National Liberation Front (ONLF)3. Les conversations tournent autour de deux sujets : d’une part il s’agit d’envisager les conditions de leur installation dans les zones tenues par Caydiid et ses alliés, d’autre part de discuter de leurs futures opérations en territoire éthiopien contre les forces gouvernementales de l’EPRDF. Un tel événement aurait pu rester secret si des affrontements n’avaient éclaté à Marka le 8 mai, après l’arrivée trois jours plus tôt4 d’un second bateau transportant des armes quand des membres des milices locales réclamant une part de la cargaison provoquent des heurts avec les miliciens de la SNA. Il devient ainsi patent qu’avec le soutien libyen et la complicité de Caydiid et de ses alliés, le gouvernement d’Asmära tentait désormais de faciliter l’ouverture d’un front sud contre l’Éthiopie par le biais des rebelles oromo désormais5. Le 19 juin encore, à Faax, un bateau en provenance d’Érythrée débarque plus de 450 miliciens oromo venus pour appuyer les milices de Caydiid6. Ces intrusions dont on redoute les possibles dérives ne laissent personne indifférent. Aussi, au cours du mois de mai, les dirigeants du Puntland se concertent à Beledweyne avec ceux du Jubbaland et de la région du Hiiraan. Il s’agit d’adopter une position commune face à l’acheminement récent d’armes à leurs rivaux communs, Xuseen Caydiid et ses alliés, armes dont nul ne doute qu’elles proviennent d’Érythrée.
1
Dès le 27 avril, la RRA a accusé l’Érythrée et l’USC-Caydiid d’entraîner des miliciens oromo dans le sud somalien. 2 Jusqu’alors relativement en paix, le port a attiré bon nombre d’agences d’aide qui se sont établies dans la ville après leur delocalisation de Muqdishu. A partir d’avril 1999 toutefois la situation tend à s’y détériorer. 3 [som. Jabhadda Wadaniga Xoreynta Ogaadeenya] et [amh. ኦጋደን ብሔራዊ ነጽነት ግንባር ogadèn behérawi näṣannät genbar] 4 LNA n°11. 12 V 1999. 5 LOI n° 857. 15 V 1999. 6
LNA n°12. VII/VIII 1999. 325
À Addis Abäba, il est devenu patent qu’Asmära tentait de faciliter au sud, avec la complicité de Xuseen Caydiid et de ses alliés, l’ouverture d’un second front par rebelles oromo et somali interposés. Naturellement, la réponse éthiopienne ne tarde pas. Son alliance avec Djibouti est solide et Addis Abäba entretient de bons rapports avec le Somaliland. Il lui faut encore parfaire ses alliances avec les États « côtiers » en consolidant sa position au Puntland pour isoler autant que faire se peut Caydiid et ses alliés dans leur aide à ses opposants. C’est ainsi que faisant suite à une visite officielle qui avait le 12 mai conduit à Djibouti puis à Addis Abäba le colonel Cabdullaahi Yuusuf, une délégation militaire éthiopienne conduite par le général Lämma Gutämma se rend à Garoowe afin de rencontrer le président du Puntland. La question d’une assistance militaire éthiopienne est au centre de leurs discussions, lesquelles se prolongent dans la semaine du 15 mai1. Ceci étant établi, la stratégie militaire éthiopienne en Somalie se concentre sur trois axes. Le long de la vallée de la Jubba tout d’abord où la prise du port de Kismaayo par les troupes de Xuseen Caydiid et de la faction du SNF dirigé par Cumar xaaji Maxamed Masalle a privé de leur bastion des partisans du général Moorgan, allié de l’Éthiopie. C’est pourquoi, à partir de Luuq, les Éthiopiens et leurs alliés du SNF de Axmed sheekh Cali Axmed Buraale attaquent et s’emparent le 28 juin de la ville de Garbahaarey, chef-lieu de la région du Geedo. À partir de là, les Éthiopiens considèrent qu’ils sont en mesure de soutenir leurs alliés dans une reconquête de Kismaayo. Naturellement, le 29 juin l’Éthiopie dément toute participation de ses forces dans les récents combats ayant eu lieu en Somalie. En revanche, le 26 août, plusieurs unités éthiopiennes pénètrent dans le Geedo et occupent plusieurs villes et villages afin de sécuriser la frontière par où s’infiltrent en particulier les mouvements islamistes2 ; Dans les provinces de Baay et de Bakool ensuite, l’Éthiopie favorise la reprise puis soutient l’occupation de Baydhabo par la RRA qui en s’avançant ainsi au sud de sa région, se soumet à la menace d’une contre-attaque de la SNA-Caydiid ; Dans la zone de Galguduud enfin, où les militaires éthiopiens tentent en vain de négocier un droit de passage à partir de la ville frontière de Balambaale, point ordinaire de pénétration éthiopienne en Somalie. Proposant de protéger Gaalkacyo d’une improbable attaque des forces de la SNA, leur objectif est en réalité de tenir la côte, en particulier le petit port de Faax, à 45 km au sud de Hobyo, où sont déchargées des armes et munitions envoyées par l’Érythrée à Xuseen Caydiid. Au mois de juin 1999, quand il est devenu incontestable qu’Asmära fournissait en armes et en équipements militaires, bottes et uniforme, la 1 2
LOI n°857. 15 V 1999. LNA n°13. IX/XI 1999.
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SNA-Caydiid afin que celle-ci facilite l’infiltration vers l’Ogadèn de rebelles oromo éthiopiens entraînés en Érythrée, les États-Unis s’inquiètent de voir tous leurs alliés dans la région se lancer dans des comportements qu’ils jugent erratiques. Il apparaît aussi que ces rebelles sont utilisées par Caydiid dans les combats contre ses rivaux en Somalie mais que certains d’entre aussi sont parvenus à pénétrer en Éthiopie où ils mènent des actions dans la région du Balé dont une récente et meurtrières embuscade contre un convoi militaire de l’armée éthiopienne. L’Érythrée sans doute financièrement aidée par la Libye avec l’aval tacite de l’Égypte joue avec le feu au risque comme c’est déjà arrivé que des armes envoyées à ses alliés somaliens tombent aux mains des islamistes. Quant à l’Éthiopie, elle combat les rebelles oromo en s’enfonçant toujours plus avant en Somalie au risque d’un dangereux embrasement. Dans ce contexte l’Égypte n’a cure d’incommoder Washington en collaborant avec la Libye pour soutenir Caydiid. Lors de la visite de Ḥusnī Mubārak à Washington au mois de juin, ces questions sont abordées. Soutien principal de l’administration de Banaadir jusqu’à ce que celle-ci succombe aux rivalités entre les factions, l’Égypte est soupçonnée de pencher vers la SNA-Caydiid et donc vers Asmära. Afin de clarifier le rôle du Caire dans la guerre érythréo-éthiopienne et dans le conflit somalien, la directrice Afrique du National Security Conncil (NSC), Gayle Smith, et le conseiller Corne de l’Afrique du département d’État, John Prendergast, rencontrent, le 28 juin le ministre des Affaires étrangères, ʿAmrū Mūsā, et le président du Conseil national de sécurité égyptien, ʿUmar Suleymān. Les deux hommes assurent naturellement leurs interlocuteurs de la neutralité de leur pays dans la guerre entre l’Éthiopie et l’Érythrée. Sur la Somalie les deux responsables égyptiens ne peuvent que relayer l’embarras de leur ambassadeur à Muqdishu, Maḥmūd Muṣṭafā. Coordinateur de l’aide égyptienne dans le Banaadir, plus particulièrement l’aide aux forces de police, celui-ci confesse qu’il assiste impuissant à l’effondrement du projet. S’étant rendu au Caire deux semaines plus tôt pour discuter avec ses supérieurs de la marche à suivre, il explique que l’accord sous médiation égyptienne pour critiqué qu’il soit se concentrait principalement sur les deux factions de Cali Mahdi et de Xuseen Caydiid et déplorait qu’aucune des résolutions prises n’ait été réalisée1.
La prise de Baydhabo par la RRA
[6 VI 1999]
Le 6 avril 1999, le porte-parole de la RRA indiquait que quatre personnes avaient été tuées et six autres blessées après que des combattants de la RRA infiltrés dans Baydhabo se furent affrontés aux miliciens de Caydiid. Reconnaissant que cette attaque avait été menée à l’instigation de ses propres miliciens, il les justifie en évoquant des 1
Reuters. 22 VI 1999. 327
représailles à l’assassinat de trois sympathisants et à l’incendie de quatorze maisons perpétrés une semaine plus tôt par les miliciens de la SNA1. Mais c’est deux mois plus tard, le 6 juin, après plusieurs jours de combat intenses, que Xuseen Caydiid perd définitivement le contrôle de Baydhabo que son père avait pris en septembre 1995. Depuis l’occupation de la région, les escarmouches n’avaient jamais cessé entre le mouvement raxanweyn et les miliciens Habar Gidir. Le jour de la chute de la cité, Caydiid ne manque d’accuser l’Éthiopie d’avoir fait intervenir ses troupes aux côtés des attaquants. Afin que cela se sache, le 15 juin à Muqdishu ses partisans organisent au Stadium une manifestation tournée contre l’envahisseur éthiopien. Comme à l’accoutumée, Addis Abäba réfute toute accusation d’implication dans la capture de la ville. Entre temps, la RRA qui poursuit son avancée vers le sud-est s’est emparée de Buur Hakaba. Or une centaine de miliciens Habar Gidir et 130 membres du front oromo ont été capturés à l’occasion de la chute de Baydhabo. Libérés le 20 juin et peut-être afin de minimiser leur responsabilité dans la défaite, ces prisonniers libérés par la RRA confirment que les forces éthiopiennes avaient bien participé à la prise de la cité aux côtés de la milice raxanweyn2. Dans cette partie du territoire somalien, le 4 octobre quelques affrontements meurtriers opposeront encore les factions rivales de Xuseen Caydiid et de la Digil Salvation Army. Mais quelques jours plus tard, le 13 octobre à Baydhabo, le Secrétaire général adjoint des Nations unies aux affaires humanitaires Sergio Vieira de Mello déclarera que : « …le pays avait été négligé par la communauté internationale ces dernières années mais que son voyage devrait être perçu comme le symbole d’un nouvel engagement des Nations unies à aider les Somaliens dans leur poursuite de la paix et du développement. »
À la fin de l’année 1998, dans les régions du Baay et du Bakool, la possibilité d’une administration semblait déjà plausible en dépit de la complexité politique de ses deux principaux faisceaux lignagers. Raxanweyn et Digil, à la fois confédérations politiques et constructions généalogiques. Maintenant, la victoire de la Raxanweyn Resistance Army (RRA) accrédite la perspective de voir les Raxanweyn remettre sur pied le Supreme Governing Council qu’ils avaient établi en 1995. On se souvient que l’affaire avait fait long feu après que le mouvement raxanweyn, le Somali Democratic Movement (SDM), s’était divisé en trois factions. Le père de Xuseen Caydiid avait saisi l’opportunité pour s’emparer d’une grande partie des deux régions de l’interfluve, en particulier les villes de Xuddur dans le Bakool et de Baydhabo dans le Baay. Mais aujourd’hui, la donne a changé. Avec le soutien des troupes 1 2
AFP. 31 III & 6 VI 1999. LNA n°12. VII/VIII 1999.
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éthiopiennes, la RRA a repris l’avantage et est parvenue à expulser des deux régions les forces de Xuseen Caydiid. Cette victoire qui donne aux gens de l’interfluve le sentiment d’être davantage unis leur octroie aussi le soutien populaire nécessaire à une conférence constitutionnelle réussie. Leur malak se sent même de nouvelles ambitions, inquiétantes même à tout prendre. Après avoir assuré que les Raxanweyn allaient bientôt mettre en place leur propre administration, il ne craint pas d’assurer que son peuple avait l’intention d’aller plus loin encore et d’expulser les Habar Gidir de l’aéroport de Balli Doogle, de reprendre la vallée du bas Shabeelle et même d’inclure dans une grande région raxanweyn les ports de Marka et de Baraawe ainsi que la côte jusqu’au sud de Jilib. Ce projet certes ambitieux mais intellectuellement très soutenable ne manquerait cependant de lui assurer des difficultés de tous ordres. Mais il est vrai aussi qu’aujourd’hui il se trouve les coudées beaucoup plus franches. Les soutiens de Xuseen Caydiid à l’intérieur de son propre clan ont en effet singulièrement flanché ces derniers mois à la suite de ses revers face à la RRA, comme l’ont discrédité par ailleurs son alliance avec l’Érythrée et ses recrutements de combattants oromo. Un argument doit en revanche inciter le malak à la prudence : une attaque des Raxanweyn sur les Habar Gidir dans le Banaadir ferait courir le risque que voir ceux-ci reconstituer leur unité derrière Xuseen Caydiid afin de sauvegarder leur espace et empêcher toute avancée vers la mer des clans Digil. Il se poserait également alors la question de l’accueil que les habitants de la côte, Dir Biyomaal, Baraawi et clans addoon leur feraient face à une telle avancée des tribus sab.
Les clans du lignage Abgaal 329
Situation générale 1999 - 2000
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X VIII – M AXAMED C IGAAL : PROUESSES ET SOLITUDE
POLITIQUE INTERIEURE Réélu président pour un mandat de cinq ans, Maxamed Cigaal est en droit d’espérer qu’un nouveau climat politique s’installe. Il reste toutefois que les mesures de contrôle de la fonction présidentielle qu’il a contribué à mettre en place menacent maintenant de se retourner contre lui.
La contestation du président Maxamed Cigaal L’année 1997 sera sans concession pour le redoutable stratège qui se tirera une fois encore magistralement d’affaire. Les premiers reproches à son encontre fusent autour de sa pratique systématique du clientélisme. Ils lui sont adressés par ses opposants ordinaires mais aussi par nombre de ses concitoyens. Il en va ainsi de l’usage personnel qu’il fait des fonds de l’État, en moyenne 1,5 million de dollars par mois prélevés sans autre forme de procès sur les revenus des exportations de bétail vers l’Arabie Saoudite ; les sommes ont atteint de telles proportions que d’aucuns y voient une menace économique réelle pour un pays aux ressources en devises des plus limitées. Et il est vrai que pour calmer certains de ses interlocuteurs qui le rappellent à certaines promesses ou à certains engagements, le président n’hésite jamais à apaiser leurs récriminations par quelques cadeaux dont on prétend qu’ils auraient atteint parfois plusieurs dizaines de milliers de dollars. En outre, tout le monde est persuadé que sa récente réélection a été obtenue grâce à l’achat de voix. La rumeur prétend que si des enveloppes de 1500 $ semblent avoir suffi à circonvenir les moins éduqués, les diplômés plus gourmands se seraient vu remettre de petits magots de l’ordre de 5000 $ chacun. 331
Si ces allégations suscitent naturellement au sein de la population un réel ressentiment, il n’en demeure pas moins que l’opposition se refuse à agir par la force, consciente de l’extrême fragilité de cette paix sociale récemment acquise. Tous conviennent que les jeunes institutions qui sont en train de se mettre en place ne résisteraient pas à une action armée. Certes, quelques anciens commandants du Calan cas, écartés du pouvoir ces dernières années, seraient bien disposés à en découdre mais ils sont encore sous le contrôle d’une opposition civile qui est multiclanique, tout comme le camp des partisans du président luimême. Car c’est là une des nouveautés de la situation politique : les clivages d’opinion ne sont désormais plus seulement liés aux appartenances lignagères même si ces liens demeurent des éléments importants de l’équation politique générale ; les institutions mises en place par la nouvelle constitution fonctionnent démocratiquement. La vie au quotidien s’est également pacifiée : aucune arme n’est désormais visible dans les rues de Hargeysa où même les policiers ne disposent que de bâtons. Les barrages sur les routes ont été levés, le gouvernement n’a pas institué de police secrète et l’opinion publique est dynamique. Il reste cependant que la mise en place de nouvelles institutions est d’une extrême lenteur. En ce même mois de mai 1997, seuls quatre ministres ont été nommés : Axmed Maxamed Biixi [Habar Jeclo] aux Mines, Axmed Xuseen Cumar1 à la Pêche, Maxamuud Maxamed Saalax Faagade [Dhulbahaante] aux Affaires étrangères et l’ancien médecin de Siyaad Barre Maxamed Cabdi Yuusuf Gaboose [Habar Yoonis] à l’Intérieur2. Certes, on observe toutefois qu’aucun des ministres n’appartient au lignage ni même au clan du président [Habar Awal/Ciise Muuse], ce qui légitime ainsi sa réputation de ne pas laisser investir sa gestion des affaires politiques par des questions de lignage. Le 17 mai, Maxamed Cigaal complète son gouvernement en nommant quatre nouveaux ministres dont aucun une fois encore ne relève de son propre entourage familial. Il faudra cependant attendre plusieurs semaines encore pour que soit réellement constitué un gouvernement. Mais en ce mois de septembre 1997 encore, on observe aussi l’activisme de Cabdiraxmaan Axmed Cali Tuur, revenu depuis quelque temps de Muqdishu avec l’intention à peine déguisée, à partir de son fief de Burco, de se faire réintégrer dans la vie politique somalilandaise. Or si les manifestants du 10 septembre ont effectivement lancé des slogans hostiles à Cigaal, d’autres dans la même réprobation, ont dénoncé le retour de Cabdiraxmaan Tuur et de ses intentions fédéralistes. Cette réaction est d’autant plus vive que la réunion pour l’heure encore prévue à Boosaaso en novembre pour former un gouvernement d’union
1 2
Il s’agit d’un Gadabuursi qui s’était naguère opposé au SNM. Il est limogé et remplacé le 7 septembre par Maxamed Axmed Samatar.
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nationale est très mal perçue au Somaliland où l’opinion craint un coup de force contre l’indépendance du pays1. Il reste qu’une anecdote significative de l’évolution des mentalités, de cette maturité qui s’installe dans les institutions, apparaît avec la mésaventure survenue au rédacteur en chef du journal Jamhuuriya, Maxamuud Cabdi Shide Tuur, mésaventure dont le dénouement attestera des limites imposées désormais à un pouvoir autoritaire. L’affaire commence à la fin du mois d’avril 1997, lorsque Jamhuuriya dénonce le scandale qui a permis à deux ministres du gouvernement de détourner pendant plusieurs mois les taxes levées par la ville de Hargeysa sur les importations de cigarettes2. Le président Cigaal adresse alors au journaliste une lettre enjoignant à celui-ci de se calmer et de laisser ses ministres tranquilles. Or loin d’obtempérer, Maxamuud Tuur a la fâcheuse idée, dès le lendemain de sa réception, de publier in extenso, dans son journal la missive comminatoire. Confondu et furieux, le président le fait d’abord arrêter le journaliste puis unilatéralement résilier le bail de location de l’imprimerie… dont les locaux appartiennent au gouvernement3. Or le jour de l’expulsion, des manifestants se rassemblent devant le bâtiment, finissant de dissuader une police ostensiblement peu empressée à intervenir. Un sursis de trois mois est alors accordé au journal sous la forme d’un préavis que son directeur met à profit pour déménager et acheter à Hargeysa un terrain et une structure préfabriquée4 à partir de laquelle il poursuit sa publication… indépendante et critique5. Or on parle à nouveau de Jamhuuriya quand le 1er septembre, trois employés du journal sont arrêtés puis remis en liberté sur ordre des tribunaux. Le 8 septembre, l’arrestation de Maxamuud Tuur par le Criminal Investigation Department (CID) et la fermeture du journal relance la bataille de procédure engagée depuis le début du mois à propos des précédentes arrestations. L’adjoint du rédacteur en chef, Xasan Siciid Yuusuf, qui a été laissé en liberté porte aussitôt plainte pour détention arbitraire. L’avocat général du parquet de Hargeysa ayant déclaré qu’il n’avait jamais délivré de mandat permettant d’arrêter Maxamuud Tuur, des députés de l’opposition se saisissent de l’affaire et interpellent alors le gouvernement. Par ailleurs, une manifestation de protestation se déroule le 10 septembre. Explicitement autorisée par décision de justice, elle se révèle raisonnablement houleuse, la Garde présidentielle tirant quand même à plusieurs reprises par-dessus la tête 1
LOI n° 779. 20 IX 1997. Jamhuuriya (République) qui ne ménage pas ses critiques, tire à 2500 exemplaires par jour et n’a pour concurrent que Huuriya (Liberté) dont le niveau d’information lui est bien inférieur et qui de ce fait n’indispose nullement le pouvoir en place. 3 LOI n°764. 10 V 1997. 4 Il est encore malaisé de trouver à Hargeysa, sévèrement bombardée en 1988, des bâtiments assez grands pour abriter ses presses. 5 LOI n°765. 17 V 1997. 2
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des manifestants sans toutefois faire de blessés graves. Le 15, Maxamuud Cabdi Shide Tuur est relâché et deux jours plus tard, Jamhuuriya est à nouveau sous presse. Sans vergogne, Cigaal déclarera à cette occasion qu’il ignorait tout de l’affaire et qu’il appartenait aux tribunaux de statuer. Furieux quand même d’avoir encore perdu sur ce dossier, le président peste quelques jours plus tard « contre un système judiciaire corrompu » et évoque « la nécessité de disposer de pouvoirs renforcés afin d’exercer un contrôle plus efficace sur les tribunaux »1. Jamhuuriya n’en restera d’ailleurs pas là. L’année suivante, au début du mois de mars 1998, le comité de rédaction du quotidien adresse à l’AFP une lettre accusant le gouvernement du Somaliland d’avoir tenté d’empêcher la presse de critiquer la direction politique du pays. L’éditorial réagit à une lettre du procureur général Xasan Xirsi dans lequel celui-ci met en garde contre des critiques intempestives qui discréditent l’image du Somaliland. Jamhuuria accuse le procureur de « saper la démocratie ». Les échanges sont bientôt suivis de l’arrestation de Xasan Siciid Yuusuf mais aussi de Ismaaciil Yaasiin, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire en langue anglaise The Republican2. Quelles que soient les modalités regrettables – parfois brutales mais parfois cocasses aussi – qui président à ces événements, « l’affaire Jamhuuriya » appelle à un constat. Les institutions somalilandaises qui se sont créées au cours des trois dernières années et ont été légitimées par la constitution proclamée en février disposent désormais d’un ancrage suffisant pour fonctionner y compris face à une offensive du pouvoir exécutif3. Or, et c’est bien en cela que l’on voit combien les temps sont en train de changer. Dans un réflexe d’indépendance de la justice, c’est sans crainte ni faiblesse d’aucune sorte qu’un juge a pris sur lui d’élargir un prévenu pour cause de détention arbitraire. Entre temps, à la fin de cette année 1997, afin d’affaiblir les accusations de corruption dont il fait régulièrement l’objet, Cigaal tente à nouveau, à défaut d’y mettre un terme, l’un de ces coups politiques dans lequel il excelle. Conscient d’avoir les mains liées par une société civile en voie de reconstruction et au sein de laquelle l’opinion publique joue un rôle déterminant, il tente un va-tout sur le thème implicite de « moi ou le chaos ». Accusé depuis l’affaire du Jamhuuriya d’attenter à la liberté de la presse, il annonce le 17 décembre qu’afin de se libérer de toute critique il présentait sa démission au Parlement. La veille, il a transmis 1
Un nouvel incident éclate quand le Département des enquêtes criminelles arrête à nouveau le rédacteur en chef à propos d’un article stipulant que l’arrestation de membres d’Al Itixaad constituait une violation des droits de l’homme par le pouvoir politique. AFP. 8 IX 1998. Il semble également qu’au début du mois de décembre, Cigaal ait tenté de soudoyer les typographe de l’imprimerie, suspendant quelques jours la publication du journal… 2 AFP. 3 III 1998. 3 LOI n° 778. 13 IX 1997. 334
par écrit sa décision à la Guurti. Exposant ses motifs, il indique en substance qu’il avait bien été élu « non pour être roi mais pour être le président d’un État démocratique » mais qu’il ne supportait plus en revanche l’obstruction qu’il rencontrait dans l’accomplissement de sa tâche. Il expose également dans sa missive les voies constitutionnelles de sa succession : la présidence doit soit être confiée à son viceprésident Daahir Rayaale Kaahin, soit donner lieu à une élection présidentielle. Naturellement, cette démission est rejetée le lendemain même. Mais nul n’est dupe d’une déclaration qui apparaît comme un véritable chantage politique. Car nul n’ignore non plus que l’opposition est incapable de se rassembler pour proposer un candidat susceptible de le remplacer1. D’autant que les ministres issus de l’opposition, Maxamuud Maxamed Saalax Faagade, Axmed Maxamed Siilaanyo, se montrent à la fois compétents, responsables et loyaux.
Le limogeage de Maxamed Samatar
[17 V 1998]
Une histoire encore, rapportée par la Lettre de l’océan Indien tout anecdotique qu’elle soit, mérite d’être racontée tant elle illustre mieux qu’un long discours à la fois l’ambiance, le contexte profond de la construction de l’État somalilandais mais sa fragilité aussi. Elle précise les circonstances qui conduisent le président Cigaal à demander le 17 mai 1998 leur démission à son ministre de l’Intérieur, Maxamed Axmed Samatar et au vice-ministre des Affaires étrangères Maxamed Cawwale Fariid. La décision naît d’un imbroglio local né de la dette d’un commerçant envers un autre quand le mauvais payeur, un Habar Awal Sacad Muuse, est kidnappé par son créancier qui demande le paiement de son dû en échange de la remise en liberté de son prisonnier. Comme le créancier kidnappeur est un Habar Jeclo, les Habar Awal kidnappent à leur tour Saleebaan Gaal qui n’a strictement rien à voir avec l’affaire mais qui se trouve avoir été le candidat malheureux à la présidence de la République contre Maxamed Cigaal. L’idée des ravisseurs consiste seulement de l’échanger contre le commerçant de leur clan. Or non seulement le ministre de l’Intérieur se révèle en l’occurrence incapable de régler cette situation mais il parvient de surcroît à se mettre tout le monde à dos. Quant au vice-ministre, il se trouve être luimême un Habar Awal Sacad Muuse mais surtout s’affichant avec ses frères de clan, il aurait même proclamé que ceux-ci avaient bien fait et normalement agi en enlevant Saleebaan Gaal. L’affaire prend dès lors un tour gênant pour le président Cigaal qui peut être soupçonné d’avoir porté un coup bas à son rival politique. 1
Maxamed Cigaal évoquera aussi un affaiblissement dû à des problèmes cardiaques pourtant bien réels. Nul n’en tiendra compte et l’on considèrera plutôt la duplicité du chef de l’Etat. 335
Finalement, les deux otages sont libérés sans violences après négociations mais le président rendu furieux par cet incident en soi ridicule, prend le parti de limoger ses deux collaborateurs. Le ministère de l’Intérieur sera alors confié au colonel Cumar Maxamed Nimaale Yare.
Le remaniement gouvernemental
[23 V 1999]
Mais, quelles que soient les turpitudes qu’on lui prête, les pires problèmes auxquels se heurte le président Cigaal tiennent à l’incompétence de ses ministres ou relèvent de la corruption. À plusieurs reprises, les donateurs ont abordé ces questions avec lui. Mais le 18 mai 1999, lorsqu’il prononce le discours officiel des fêtes de l’indépendance, c’est le président lui-même qui est hué par l’assistance. C’est pourquoi, convaincu maintenant de la nécessité de réagir à la colère populaire, le 23 mai, il procède à un remaniement ministériel. Quatre de ses ministres sont limogés. Cabdullaahi Cumar Qawdan de la Justice et Ismaaciil Aadan Cumar du Commerce perdent leur portefeuille pour avoir commis de grosses erreurs sinon des fautes, Xasan Mawlid Axmed celui de l’Information, et Rashiid Cabdi Cabdilaahi celui de la Défense. Ce dernier est remplacé par Cumar Maxamed Nimaale Yare ministre de l’Intérieur depuis la destitution Maxamed Axmed Samatar. Cette nomination pose un problème d’équilibre clanique car l’ancien titulaire du portefeuille de la Défense est un Ciidagale, clan qui a perdu face à Cigaal en 1996 et considérait depuis que sa position à la Défense lui était assurée. Le président remercie en outre le chef de la police, Cilmi Roble Fuure Kabaal ainsi que le directeur du port de Berbera, Cali Xoor-Xoor qui est remplacé par Saleebaan Faarax. Le ministre du Plan, Maxamed Siciid Maxamed Gees, et celui des finances Axmed Maxamed Siilaanyo échangent quant à eux leurs portefeuilles1. Quatre mois plus tard, au début du mois de septembre, coupant court aux critiques alimentées par le fait que le ministre de la Justice, Cismaan Xuseen Khayreh avait conservé ses fonctions malgré un vote de défiance à son encontre prononcé fin juillet par le Parlement, le président Cigaal le limoge début septembre et le remplace par son adjoint, Xuseen Cabdi Qalib2. Ces sanctions tombent soit sur les responsables de graves erreurs, soit sur des corrompus notoires comme Cali Xoor-Xoor. Or le président est soucieux d’améliorer l’image de son gouvernement tant à l’intérieur qu’à l’extérieur d’autant qu’il lui faut maintenant affronter les revendications du Puntland sur la partie orientale du pays.
1 2
UNCT Monitor. 28 V 1999 LOI n°871. 10 IX 1999
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La montée des tensions à l’est du pays En effet, alors que rien ne laissait craindre une velléité de sécession des lignages harti – Warsangeli et Dhulbahaante – établis à l’est du pays, la situation commence à se compliquer à partir de la fin de l’année 1997. Les premiers incidents, aussi mineurs soient-ils, sont précédés d’une controverse après que le 12 octobre le président Cigaal a accusé l’Éthiopie d’avoir consenti à l’entraînement et à l’équipement sur son territoire de 300 combattants recrutés dans la région du Sool dans l’intention de déstabiliser le Somaliland. Les forces armées de Hargeysa sont alors placées en état d’alerte et déployées le long de la frontière afin de prévenir toute infiltration1. Depuis le mois précédent en effet, une série d’incidents a été rapportée qui ne cesse d’inquiéter. En fait, l’affaire est tout autre. Quelles que soient ses bonnes relations avec Cigaal, l’Éthiopie éprouve face aux infiltrations islamistes la nécessité de mettre plusieurs fers au feu. Or si le Somaliland, c’est l’exutoire de Berbera, le colonel Cabdullaahi Yuusuf qui se prépare à dissocier provisoirement les destinées du pays majeerteen du reste de la Somalie n’en est pas moins un vieil allié également préoccupé par le phénomène salafiste. Or l’Éthiopie sait aussi que, bien que relativement discrets, des communautés islamistes sont présentes au Somaliland, tant en pays gadabuursi qu’en pays Habar Jeclo, dans la région de Burco. Cette problématique en rejoint donc une autre lorsque l’autonomie du Puntland est décrétée le 24 juillet 1998. En effet, il apparaît dès lors régulièrement dans le discours, de façon plus ou moins explicite, que parmi les deux lignages Daarood Harti, des voix expriment leur volonté de rejoindre la Somalie, tout du moins être rattachés aux destinées des Majeerteen du Nord-est. La situation est d’autant plus délicate pour Maxamed Cigaal que certains de leurs membres servent actuellement au sein de son gouvernement. Le message est suffisamment clair pour qu’au cours de son discours de célébration du 7e anniversaire de l’indépendance, le 19 mai 1998, le président réaffirme qu’il n’a aucune intention de réintégrer la Somalie, message qui s’adresse plus particulièrement aux Dhulbahaante et aux Warsangeli. Mais après que le Puntland a annoncé son autonomie, une certaine instabilité s’installe. Au milieu du mois d’octobre par exemple, le président Cigaal est amené à dépêcher à Laas Caanood, principale ville du Sool, une mission chargée de réconcilier deux communautés qui se sont affrontées à la suite du meurtre de chefs locaux2. Mais c’est en mars 1999 toutefois que les tensions entre le Puntland et son voisin prennent un tour plus sérieux quand une centaine de soldats dont certains ont achevé leur entraînement à Garoowe sont envoyés à Laas Caanood par l’administration du Puntland. Là, dans la capitale de la province du Sool, ils se sont emparés du commissariat de police 1 2
LNA n°2. 12 XI 1997. BBC. 14 X 1998. 337
jusqu’alors sous le contrôle de Hargeysa. Face à cette quasi-déclaration de guerre, Maxamed Cigaal fait une déclaration accusant le Puntland d’avoir tenté de s’emparer par la force de la localité, tout en précisant que l’attaque avait été repoussée sans mort ni blessé. Peu enclin toutefois à envenimer les choses, il ajoute en sus qu’aucune troupe du Somaliland ne serait envoyée à Laas Caanood pour combattre mais que les forces armées de la région du Sool opposées à l’administration du Puntland seraient renforcées1. La fin de l’année 1999 est un moment que choisissent les antisécessionnistes, qui n’ont pas renoncé, pour entreprendre quelques ultimes actions propres à se conjuguer autour de l’idée d’une Somalie unifiée, concept également défendu, de façon ambiguë certes, par un Puntland autonome mais fédéraliste. Cabdiraxmaan Axmed Cali Tuur tout d’abord se rend à Hargeysa le 9 septembre pour lancer un appel en faveur d’un système fédéral de gouvernement pour la Somalie. Deux semaines plus tard, le 23, il se résout à regagner son domicile de Muqdishu après qu’il lui est revenu que le président Cigaal avait fait établir pour le lendemain un mandat d’arrêt contre lui. Il n’en demeure pas moins qu’un travail en sous-main se poursuit. Les 18 et 19 novembre en visite à Boorama où il s’agit de régler les problèmes qui ont éclaté entre les familles gadabuursi, le président Cigaal et sa délégation sont accueillis par les propos hostiles d’un groupe de citoyens qui s’opposent à la sécession du Somaliland2. La veille, quelques chefs politiques, parmi lesquels figurent Cabdiraxmaan Tuur, Maxamed Faarax Cabdullaahi Hasharo, le général Jaamac Qaalib Yare et Xuseen Ceelabe Faahiyeh, ont publié dans un journal de Muqdishu un communiqué de presse exprimant leur ferme soutien à ceux qui protesteraient contre la visite à Boorama du président et de sa délégation3. Le gouvernement en l’occurrence jouera la discrétion. La police de Boorama qui arrête six personnes dont un journaliste ne donnera aucune raison officielle à leur détention et le chef de la police de la ville ainsi que le juge du district se refuseront à commenter l’événement4. Sauf que fin décembre, la petite manifestation d’hostilité fondée sur le mécontentement de deux clans gadabuursi s’estimant lésés par la répartition des postes dans la fonction publique se transforme aux yeux de l’UNDOS basé à Nairobi en une véritable insurrection gadabuursi « à suivre de près ». Il est difficile cependant de ne pas identifier dans la position de certains fonctionnaires internationaux une manipulation opérée depuis Muqdishu par une presse – en l’occurrence Araamaya et
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AFP. 7 III 1999 ; Xog Ogaal. 21 III 1999. Ayaama. Muqdishu 16 XI 1999. Qaran. Muqdishu, 17 XI 1999. BBC. 15 XII 1999.
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Qaran – favorable à l’antisécessionisme et à ses thuriféraires originaires du Somaliland, au premier rang desquels figure Cabdiraxmaan Tuur.
POLITIQUE EXTERIEURE Alors que le nouveau président djiboutien s’apprête à lancer une initiative sur la Somalie, l’annonce que les Nations unies allaient affecter 120 millions de dollars à la solution politique de la crise réactive des prises de position pour le moins disparate. D’un côté, la Ligue arabe mais aussi en privé les diplomates de certains pays de l’Union européenne et des fonctionnaires des Nations unies affichent leur préférence pour la démarche fédéraliste de l’IGAD et du président djiboutien. De l’autre, l’approche modulaire est défendue par l’Éthiopie et nombre de Somaliens autres que les chefs de faction. Or le Somaliland qui est le mieux structuré des modules constitue un obstacle pour ceux qui défendent la reconstruction d’un État somalien unitaire. Un obstacle mis à mal par la mise en exergue d’un prétendu soulèvement gadabuursi1.
Normalisation des relations avec Djibouti
[XI 1997]
À partir de 1997, avec la paix qui s’installe, le Somaliland est aussi confronté à un problème que, bien que de bon augure, il lui faut gérer : le retour des réfugiés dans les États voisins, République de Djibouti et Éthiopie. Le phénomène ne suscite d’ailleurs pas que des difficultés. La normalisation en effet tend à rapatrier une population ordinaire mais elle engage aussi un monde mieux nanti à regagner le pays. Depuis 1991 par exemple, l’économie du Somaliland se trouve entre les mains de sept grands marchands isxaaq installés à Djibouti2. Bien qu’âgés et peu éduqués, ces commerçants illettrés n’en savent pas moins compter. Aussi se sont-ils révélés très au fait du transit des marchandises, du fret et des opportunités offertes par ces temps de reconstruction. Ce sont eux notamment qui acheminent vers le Somaliland des produits de base tels que la farine, le sucre ou l’huile. Ils ont, grâce à ce commerce, réalisé d’énormes bénéfices allant jusqu’à 300 % par cargaison. L’une des transactions les plus lucratives a permis à l’un d’entre eux d’acquérir un chargement de sucre acheté 4,5 millions de dollars à Cuba et de le revendre… 13 millions à Berbera. Or aujourd’hui, ces sept millionnaires s’inquiètent de la crise économique qui sévit à Djibouti et envisagent d’ouvrir des bureaux à Berbera3.
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LOI n°886. 8 I 2000.
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Il s’agit de Ibraahin Cabdi Kaahin Dheere, Cumar Jaamac Mula, Cali Maawwee Diruya, Axmed Baxsane, Jaamac Cumar Seid, Cismaan Geelle Arab et le dénommé Juujuula. 3 LOI n°765. 17 V 1997. 339
Si le projet de ces richissimes aïeuls n’est pas de nature à complaire aux autorités djiboutiennes, celles-ci ne seraient pas fâchées en revanche de voir regagner leur pays des réfugiés ciise, gadabuursi et isxaaq qui pèsent sur leur économie en difficulté. Une hypothèse qui, s’agissant des Ciise, n’est pas dénuée de toute arrière-pensée politique. C’est ainsi qu’au mois de novembre 1997, une mission conduite par le gouverneur de la Banque centrale de Djibouti, Djama Mahamoud Haïd [som. Jaamac Maxamuud Xayd], se rend à Hargeysa, accompagné d’une importante délégation notamment composée d’Isxaaq établis à Djibouti. Ceux-ci viennent présenter au président Cigaal les résultats d’entretien qui s’y sont déroulés entre Isxaaq et Ciise Mamaasan. En l’occurrence, ils évoquent l’hypothèse d’un accord au terme duquel le gouvernement djiboutien serait prêt à reconnaître officiellement le Somaliland et à concéder certains avantages aux Isxaaq de Djibouti, en l’occurrence deux portefeuilles ministériels et cinq sièges de députés aux législatives de décembre. En contrepartie le Somaliland collaborerait au rapatriement des quelque 20 000 Ciise originaires du Somaliland pour l’heure réfugiés dans les camps de Hol-Hol, Ali Adde et Assamo. Hargeysa serait ensuite invité à ouvrir sa première représentation diplomatique à l’étranger. Il reste qu’à Hargeysa précisément, peu sont enclins à favoriser le retour des familles ciise dont nul ne sait s’ils ne viendront pas renforcer un parti avant tout favorable aux ambitions territoriales du gouvernement de Djibouti1. Le premier à s’élever contre cette proposition est le vice-président, Daahir Rayaale Kaahin2, un Gadabuursi3 qui sait que sa famille a tout à craindre d’une installation ou réinstallation de Ciise le long de la frontière. Or pour rassurer le Somaliland en effet, les autorités de Djibouti n’ont rien trouvé de mieux que de promettre aux Maxad Case un poste ministériel pour l’heure tenu par un Makaahiil. Passant outre ces réserves, Maxamed Cigaal accepte le marché. Il dépêche son ministre de la Réhabiliation, du Rapatriement et de la Reconstruction, Cabdillaahi Xuseen Iimaan Dirawal, à Djibouti où il le charge au début du mois de novembre d’ouvrir la première représentation diplomatique du Somaliland. Ainsi, ce dernier y prend part à une réunion tripartite avec des autorités djiboutiennes et des 1
Court aussi l’hypothèse selon laquelle le pouvoir djiboutien, Ciise mais surtout Mamaasan se place en mesure d’étouffer toute sédition des autres familles ciise qui pourraient impunément prendre le Somaliland comme base arrière. Court aussi celle d’une crainte d’alliance avec les Afar qui avaient trouvé une oreille bienveillante au er Somaliland lors de la révolte de 1991-1994. Or le 1 septembre à nouveau, le mouvement afar a perpétré une attaque dans le nord du pays. 2 Gadabuursi/Makaahiil/ Jibriil Yoonis/Cismaan Qayr/reer Dudub. 3 Le lignage Gadabuursi est constitué de trois familles majeures : Habar Cafaan, Makaahiil et Maxamed Case (dits Maxad Case). Ces deux dernières sont les plus nombreuses à Djibouti. Or, la mère d’Ismaël Omar Guelleh est issue des Maxad Case. Il en ressort que, contrairement aux membres Makaahiil, considérés comme des citoyens de seconde zone, ceux-ci ne font l’objet d’aucune discrimination de la part du régime. 340
représentants du HCR, au terme de laquelle est adopté un communiqué annonçant le rapatriement des réfugiés somalilandais1. Ainsi, à partir de la fin de l’année 1999, le Somaliland doit faire face à un réel afflux de candidats au rapatriement. Cette opération est amenée à sa dérouler à un moment où la reprise de l’économie donne quelques signes de ralentissement. Mais il faut aussi admettre que la spontanéité du mouvement résulte aussi de la pression des donateurs qui observent que la situation présente des signes d’apaisement. Le moment paraît donc propice pour que le HCR entreprenne le retour des réfugiés qu’ils ont soutenus plusieurs années durant en Éthiopie orientale. Un processus qui n’est pas sans présenter de nombreuses difficultés. Si le HCR et les autres agences humanitaires peuvent fournir une assistance de transition pour aider à la réintégration des candidats au retour, ils ne peuvent en revanche assumer le coût d’une assistance au développement à long terme au Somaliland. Pourtant, le Haut commissariat planifie déjà la fermeture, à l’horizon 2000, de sept camps de réfugiés qui en Éthiopie, de l’autre côté de la frontière, hébergent toujours quelque 250 000 réfugiés somali2. Le défi en l’occurrence tient donc à la mise en place d’un programme qui permettrait de meilleures conditions de vie au Somaliland que dans les camps aux réfugiés candidats au retour. C’est aussi dans ce contexte que le président Cigaal missionne son ministre de la Culture et du Tourisme afin qu’il entreprenne une tournée diplomatique régionale qui le conduit dans la première quinzaine de novembre à Addis Abäba, à Asmära et à Djibouti. Celui-ci, Cali Sheekh Ibraahin, qui est le seul Ciise du gouvernement, est porteur d’une lettre à chacun des trois présidents ainsi qu’au secrétaire général de l’OUA. Ses termes expliquent son refus de participer à la conférence de réconciliation de Boosaaso et laissent pressentir l’ouverture prochaine d’une représentation à Djibouti. Mais Cali Sheekh a aussi reçu pour mission de prendre contact avec les autorités françaises. Reçu par Michel Tretout, le premier conseiller de l’ambassade, il l’informe des ravages causés par les pluies torrentielles et demande à la France une aide humanitaire, nourriture et médicaments, qui lui sera en effet accordée3. Un peu plus tard, le 27 novembre, les ministres djiboutiens de l’Intérieur et du Commerce, Idriss Harbi Farah et Ali Abdi Farah remettent au ministre somalilandais une aide de soixante millions de francs djiboutiens, de la part du président Hassan Gouled. De plus, des camions – bennes à ordure et camions frigorifiques - sont offerts au Somaliland. Une cérémonie est organisée à cet effet dans le village de Barisle situé entre Loyada[som. Lowyada] et Seylac. En retour, au nom 1 2 3
LOI n°786. 8 XI 1997. Refugees International, 12 XI 1999. LOI n°787. 15 XI 1997. 341
de son gouvernement, Cali Sheekh s’engage, au cours d’un entretien diffusé à la radiotélévision, à assurer « une meilleure surveillance de ses propres frontières » pour garantir la sécurité de Djibouti. Le lendemain, le représentant du Somaliland Cumar Maxamuud arrive à Djibouti. Proche de l’homme d’affaires isxaaq Ibraahin Cabdi Kaahin Dheere, établi dans la capitale, il s’agit d’un ancien fonctionnaire des Affaires étrangères somaliennes qui s’est pendant la guerre civile expatrié aux Émirats arabes unis.
La grande offensive diplomatique de 1998
[XII 1997/I 1998]
Le 24 novembre 1997, le président Cigaal déclare au représentant du Secrétaire général des Nations unies, David Stephen, que, attendu l’environnement paisible établi au Somaliland, il devrait lui être accordé un statut spécial de territoire autonome jusqu’à ce que les dirigeants du Sud se soient entendus sur un futur mutuellement acceptable. Un tel statut permettrait l’accès du pays aux institutions financières internationales aussi bien qu’aux autres organisations telles que l’Union internationale des télécommunications. Cette requête a minima n’empêche pas le président de mettre à profit la rencontre pour demander la souveraineté du Somaliland. Un peu plus tard, dans une lettre datée du 3 janvier 1998, Maxamed Cigaal suggère habilement que la France, l’Arabie Saoudite, l’Afrique du Sud, le Royaume-Uni et les États-Unis constituent un panel qui organiserait la formation d’un État dans les territoires habités par des Somali dans la Corne de l’Afrique. Bien qu’il fut peu probable que, dans son for intérieur, il ait pu un instant supposer que sa proposition trouve un quelconque écho, il n’en affirme pas moins avec aplomb que faire l’économie de cette démarche rendrait irréaliste tout appel à l’intégrité territoriale de la Somalie. Aussi, poussant un peu plus loin le chantage diplomatique, il avance qu’à défaut, rejetant avec véhémence toute identification de son pays avec la problématique des factions qui mine la Somalie, l’alternative consisterait, pour le Somaliland, à demander la reconnaissance de sa souveraineté1. Depuis le début du mois de décembre 1997 par ailleurs, Maxamed Cigaal s’est engagé dans une offensive diplomatique majeure. Celle-ci a été entreprise en envoyant à Paris son ministre des Affaires étrangères, Maxamuud Maxamed Saalax Faagade. Ce dernier y rencontre au quai d’Orsay Bernadette Lefort, la sous-directrice Afrique orientale ainsi que des représentants du patronat mais aussi du département distribution de TOTAL qui n’exclut pas de réanimer le réseau de stations-service que la compagnie possédait naguère au Somaliland. Le ministre se rend ensuite à Londres avant de s’arrêter sur le chemin du retour à Asmära puis à Addis Abäba. À Asmära, il rencontre le président Issaiyyas Afäwärqi, avec lequel il entretient de longue date une relation amicale. 1
Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie. S/1999/882. 16 VIII 1999.
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En effet, alors que le président érythréen n’était encore que le chef de l’Erythrean People’s Liberation Font (EPLF), il avait à plusieurs reprises eu l’occasion de l’héberger, chez lui, à Muqdishu1. Plus récemment, ce dernier lui a notamment servi d’intercesseur auprès du Premier ministre éthiopien, Mälläs Zénawi. Car le Somaliland souhaite maintenant éclairer d’un jour nouveau certains dossiers qui intéressent son puissant voisin. Le premier porte sur les livraisons d’armes effectuées par Addis Abäba à certaines familles dhulbahaante du Somaliland afin qu’elles luttent contre les fondamentalistes musulmans qui y pullulent encore. Maxamuud Faagade convainc aisément en l’occurrence ses hôtes de ne traiter qu’avec le gouvernement de Hargeysa et non directement avec les clans comme ils le font dans le Sud de la Somalie. Le second dossier porte sur le souhait d’améliorer les échanges entre l’Éthiopie et le port de Berbera en évoquant un éventuel goudronnage de l’axe qui y conduit à partir de Deré Dawa en passant par Djedjega, Boorama et Hargeysa. Il ressort de ces conversations un accord de coopération et de sécurité prévoyant des opérations conjointes contre les éléments fondamentalistes encore établis aux limites du pays gadabuursi et dans le Sool, ainsi que l’ouverture de bureaux de liaison, en fait de véritables consulats, à Deré Dawa et à Djedjega, ce qui a d’ores et déjà valeur de reconnaissance implicite. Le ministre somalilandais se rend ensuite aux États-Unis où il rencontre John Prendergast, chargé de l’Afrique orientale au National Security Council, avec lequel il défend une éventuelle reconnaissance diplomatique tout en lui rappelant que la CONOCO avait opéré jusqu’en 1988 au Somaliland où elle avait semble-til trouvé des gisements de pétrole. Cette mission confiée à Maxamuud Faagade constitue en quelque sorte une visite de reconnaissance puisque, au mois de février 1998, à peine réélu, le président somalilandais toujours flanqué de son ministre des Affaires étrangères entreprend à son tour une tournée qui le conduit en Éthiopie, en France et en Italie. À l’invitation de Mälläs Zénawi, qui après la déconvenue de ses tentatives de médiation en Somalie a accepté de recevoir le représentant de l’État autoproclamé, Maxamed Cigaal arrive les 29 janvier à Addis Abäba où est entériné le 30 l’accord bilatéral de sécurité avec Hargeysa. Certes l’Éthiopie soutient toujours un processus de paix supposé à terme conduire à la réintégration du Somaliland au sein d’une Somalie fédérale, mais cet accord n’en constitue pas moins un pas de plus vers la reconnaissance de facto de l’indépendance du pays. Addis Abäba sait en effet son intérêt à s’entendre avec le Somaliland alors qu’en décembre 1997, de nouvelles difficultés ont surgi au sein du parti somali gouvernemental éthiopien, l’Ethiopian Somali Democratic League (ESDL) tandis que d’autres encore se profilent au niveau de la direction 1
L’EPLF alors en guerre contre le régime de Mängestu Haylä-Maryam bénéficiait entre autres choses de la part du régime de Siyaad Barre de passeports diplomatiques et de facilités de résidence. 343
du chemin de fer djibouto-éthiopien. Or si la plupart des soucis sécuritaires de l’Éthiopie viennent de la Somalie méridionale, pour ne pas dire en général du pays somali, Addis Abäba n’a rien à perdre à entretenir de bonnes relations avec le Somaliland depuis que celui-ci à autoproclamé son indépendance. Et puis Mälläs a une oreille disposée à entendre combien une paix des Hawiiye risquait par contrecoup de susciter une alliance entre les clans darood contre les trois principaux chefs de factions hawiiye. Par ailleurs, en contrepartie de l’abandon de Sodere par l’Éthiopie, le Somaliland proposait d’accueillir à Hargeysa une conférence de 500 membres de la société civile afin de « contourner » les chefs de faction et négocier une paix excluant la présence de tout dirigeant en armes. En Italie, où à son arrivée on déclare toujours soutenir la démarche des accords de Sodere et du Caire , il apparaît rapidement que les certitudes de la Farnesina sont en train de s’ébranler. Dans la dernière semaine de décembre, une tentative a été faite d’officialiser les résultats du Caire en en invitant les signataires à Rome, à l’occasion de la réunion des États membres et des pays amis de l’IGAD. L’affaire ayant fait long feu, les dispositions d’esprit du secrétaire d’État italien, Rino Serri, se montrent désormais moins catégoriques. Au cours de l’entretien en effet, une empoignade oppose l’ambassadeur italien à Muqdishu, Giuseppe Cassini, à Maxamuud Faagade qui, excédé, sort finalement vainqueur de l’affrontement verbal1. C’est pourquoi, lassées et déçues par les interminables querelles des factions dans le Sud somalien, les Affaires étrangères italiennes offrent à Cigaal de soutenir devant l’Union européenne une proposition de reconnaissance « semi-diplomatique » qui donnerait au pays un statut « d’existence à l’international » et lui permettrait d’accéder à une aide financière bilatérale et multilatérale. L’Union disposant de 120 millions de dollars de crédits alloués à la Somalie au titre de Lomé IV, et qui n’ont jamais été débloqués, Cigaal naturellement choisit de se contenter de cette situation intermédiaire. À Paris, où il est reçu par le directeur des Affaires africaines et malgaches, Jean-Didier Roisin, ainsi que par Georges Serre, le conseiller du ministre, les contacts commerciaux sont repris avec TOTAL2 ainsi qu’avec des professionnels de la pêche. Décoré par le Conseil régional d’Ile-deFrance, Cigaal rencontre aussi un certain nombre d’hommes politiques du parti socialiste mais surtout de la droite française tels que Robert Pandraud, Charles Pasqua et Bernard Debré. À Asmära où il est reçu le 7 février, l’Érythrée accepte un échange informel « d’ambassadeurs » avec Hargeysa et soutient la proposition d’inviter un représentant du Somaliland à la prochaine réunion de l’IGAD à Djibouti. 1
Finalement, lâché par son ministre de tutelle, Giussepe Cassini sera muté à Beyrouth. Au mois de mai, lors d’une visite officielle à Addis Abäba, Maxamed Cigaal s’entretiendra à nouveau avec des représentants de la branche distribution de TOTAL. La société voudrait réinstaller le réseau de distribution tandis que le président voudrait l’intéresser à l’exploration pétrolière. Or l’avis du pétrolier est sans appel : il n’y a pas de réelles possibilité de découvrir du pétrole au Somaliland. 2
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À son retour à Hargeysa, le président a fait le plein de bonnes nouvelles. De plus, au même moment, l’ONU accepte de donner au Somaliland un statut d’observateur. Seules, l’Égypte et la Ligue arabe campent sur leur position et se refusent à reconnaître toute forme de souveraineté à l’État autoproclamé. Mais le mois suivant, l’IGAD suscite la colère du président somalilandais en lui refusant le statut d’observateur au terme du sommet qui réunit à Djibouti les 14 et 15 mars le conseil des ministres et des chefs d’État de l’institution1. Cigaal qui faisait antichambre avec une délégation du Somaliland est contraint de regagner sa capitale sans avoir eu l’opportunité de sortir de sa poche la déclaration qu’il avait préparée. C’est au terme de cet affront que, s’adressant aux habitants de Hargeysa sur la Khayriyada goobta, il déclarera sa volonté de privilégier maintenant l’entretien de relations plus étroites avec les pays du Golfe plutôt qu’avec l’IGAD et les pays d’Afrique orientale. C’est néanmoins en juin aussi que, sans toutefois procéder à sa reconnaissance officielle, l’Éthiopie autorise le Somaliland à ouvrir une mission diplomatique à Addis Abäba en contrepartie de l’ouverture d’un bureau à Hargeysa. Ce rapprochement est d’emblée vivement condamné par les factions alliées à Xuseen Caydiid. Les chefs de la faction SNM de Cabdiraxmaan Tuur, de la Somali Democratic Alliance (SDA) et du United Somali Front (USF) accusent aussi l’Éthiopie de fournir des quantités importantes d’armement, de munitions et d’uniformes au régime sécessionniste de Maxamed Cigaal. Mais faut-il encore considérer que la décision du puissant voisin repose sur de multiples fondements. Un an plus tard, à la fin du mois de janvier 1999, une délégation militaire éthiopienne d’une douzaine de personnes conduites par deux généraux se rend à Hargeysa pour rencontrer le président du Somaliland. La démarche d’Addis Abäba vise à obtenir l’autorisation d’utiliser le port de Berbera et la route le reliant à Deré Dawa pour faire transiter des livraisons d’armes destinées à l’armée éthiopienne. Une requête que Cigaal accepte avec suffisamment de réticences pour que le ministre éthiopien des Affaires étrangères se déplace en personne à la mi-février à Hargeysa pour une courte visite au président somalilandais2. Trois mois plus tard à peine, le 6 mai, le président Cigaal accompagné de son nouveau ministre des Affaires étrangères, Maxamuud Salax Nuur, et d’autres officiels se rend à Addis Abäba afin de discuter de la coopération et de la réalisation de la paix régionale. La visite dure cinq jours au cours desquels la délégation rencontre Mälläs Zénawi ainsi que d’autres responsables de l’État éthiopien. Un voyage fructueux puisqu’à son retour, Cigaal annonce que l’Éthiopie et le Somaliland étaient parvenus à un accord de coopération portant sur de nombreux points susceptibles d’accélérer le processus de reconnaissance diplomatique. 1 2
IRIN. 31 III 1998. LOI n°847. 27 II 1999. 345
Par ailleurs, pendant leur séjour à Addis Abäba, la délégation du Somaliland s’est appliquée à sensibiliser donateurs et agences des Nations unies sur l’impact économique de l’interdiction saoudienne des importations de bétail en provenance de la Corne de l’Afrique. A cet effet, Maxamuud Salax Nuur n’a eu de cesse d’insister sur le fait que le marché d’exportation du bétail était le premier poste de l’économie du Somaliland et que d’une façon ou d’une autre, 80% de la population en tenait ses revenus. Il faisait encore remarquer que, de ce fait, il représentait aussi la principale source de revenus de l’État et d’approvisionnement en devises lourdes.
La vision régionale de Maxamed Cigaal
[21 V 1998]
Alors que l’actualité soufflait le chaud et le froid sur l’avenir du jeune État, le 21 mai 1998, le président Cigaal présentait à la presse ses vues sur la situation au Moyen-Orient et dans la Corne de l’Afrique. Ses propos semblaient faire référence à un entretien accordé quelques jours plus tôt par le chef de cabinet du président djiboutien, Ismaël Omar Guelleh, au magazine éthiopien progouvernemental Efoyta. Celui-ci dont nul ne doute déjà qu’il succédera à Hassan Gouled à la tête du petit État estimait que Djibouti ne « devait pas être prisonnier de son histoire coloniale ». Prônant une alliance stratégique avec l’Éthiopie et le démantèlement des bases militaires étrangères qui poseraient un danger pour la sécurité de la région, il considérait que l’intégration régionale était pour son pays un objectif stratégique. À propos de la France et sans remettre en cause explicitement sa présence militaire, il observait que Paris « avait quelques réserves sur certaines des politiques djiboutiennes » et concluait que « tôt ou tard la France quitterait la région » alors que les pays voisins de Djibouti seraient toujours là. La position de Maxamed Cigaal, plus préoccupé par un avenir immédiat et la survie de son État, relevait en l’occurrence d’une tout autre approche. Le président somalilandais considérait l’Éthiopie « comme un pouvoir majeur dans la région, entouré d’un collier de plus petits États qui raccrochent ce pays à la mer ». Cette situation induisait une complémentarité qui devait permettre « une coopération sincère et bénéfique ». Il estimait aussi que la présence d’une force française dans la région se posait « en garant officieux de la stabilité régionale ». Aussi souhaitait-il voir le gouvernement français maintenir cette force dans la région où l’hospitalité devait lui être garantie. Il estimait en conséquence que si se confirmaient les informations concernant « l’érosion de l’hospitalité des hôtes de ces forces », il était prêt à offrir « au gouvernement français des facilités alternatives et l’hospitalité sans réserve de la République du Somaliland ». Cela dit, au plan régional, Cigaal garde toute prudence. Lorsqu’à la fin du mois de janvier une délégation éthiopienne d’une douzaine de personnes conduite par deux généraux se rend à Hargeysa pour lui demander l’autorisation d’utiliser le port de Berbera et la route reliant 346
Berbera à Deré Dawa afin d’acheminer importations et armes, il fait part de ses réticences. Les Éthiopiens en conflit avec l’Eryhrée ont plus que jamais besoin de diversifier leurs axes stratégiques aussi, en février, une courte visite du ministre éthiopien des Affaires étrangères, Seyum Mäsfen, sera quand même nécessaire – mais suffisante – pour que Cigaal accède à la requête de son puissant voisin.
Rapprochement des positions, au Caire et auprès de la Ligue arabe Échaudé par les réserves de l’IGAD, le président Cigaal comme il l’a laissé entendre entreprend aussi maintenant de reconsidérer ses relations avec les pays arabes. L’accord signé au Caire en décembre 1997 entre les deux principaux chefs de faction du sud somalien et établissant un État fédéral et un gouvernement de transition avait été rejeté par Cabdullaahi Yuusuf et Maxamed Cigaal qui étaient allés jusqu’à refuser de se joindre aux pourparlers de paix. La Ligue arabe et l’Égypte en particulier campaient depuis sur leur position. Or, entre la fin février et le 12 mars 1999, le président décide de mettre un second fer au feu aussi se rend-il en Égypte et au Yémen à la recherche d’une ouverture. Au cours de ses visites, il choisit de lâcher du lest au regard du monde arabe. Proposant les services du Somaliland afin d’aider les lignages du Sud à faire la paix, il laisse entendre que, sous réserve de succès, des négociations pourraient être ensuite entreprises selon une formule susceptible de conduire à la réunification du pays. Le Premier ministre yéménite voit dans ce propos un assouplissement de la position de Maxamed Cigaal et considère qu’une alliance entre le Puntland et le Somaliland constituerait un premier pas vers la reconstitution d’une Somalie unie. De retour à Hargeysa cependant, le président tient un discours plus ambigu. Il admet benoîtement qu’une différence d’appréciation l’opposait certes toujours au gouvernement du Caire à propos de l’avenir politique de la Somalie mais laisse entendre aussi que, quelque part, les lignes avaient bougé. Si Maxamed Cigaal était en effet venu à bout des réticences de fond de ses interlocuteurs, ceux-ci lui avaient fait valoir qu’ils ne pouvaient faire volte-face de façon trop brutale après avoir si longtemps campé sur leur refus de reconnaître l’indépendance autoproclamée du pays et défendu la thèse de la recomposition d’une Somalie unifiée. À l’heure des Building blocks, les Égyptiens ne pouvaient faire mieux que de promettre à Cigaal l’envoi d’une délégation qui, à Hargeysa, poursuivrait les discussions engagées. C’est pourquoi, dans leurs déclarations publiques, les dirigeants du Caire continuent à plaider fermement en faveur de l’unité de la Somalie, ce qui revient à nier l’indépendance du Somaliland. Pourtant, atténuant subtilement leurs propos, le président Cigaal annonce aussi que l’Égypte avait envoyé quelques enseignants au Somaliland et que le Yémen ouvrirait un bureau de liaison commerciale à Hargeysa. Autant de façon
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aussi pour les pays arabes de se mettre, au moindre frais, en état de surveiller la réalité de la situation1.
Le voyage de Maxamed Cigaal à New York et à Washington [X 1999] Côté occidental, la position américaine au regard du Somaliland aussi reste longtemps ambiguë. Le 24 janvier 1997 à Hargeysa, la radio faisait savoir qu’une délégation des États-Unis avait visité le siège du gouvernement et les bâtiments de la presse locale. Chargés d’une mission d’évaluation, ses membres avaient, selon la radio de Hargeysa, loué la stabilité et la sécurité prévalant dans le pays et constaté les efforts consentis par la population et le gouvernement pour développer et reconstruire l’économie2. Aux États-Unis en revanche, rien n’avait transpiré de ce satisfecit et l’affaire dès lors en était restée là. On se souvient le 30 janvier 1998 des discrets propos du président Cigaal qui avait proposé à Mälläs Zénawi d’organiser une conférence de paix à Hargeysa. Au mois de juillet 1999, il apparaît qu’un tel exercice, bien qu’activement promu par l’Italie, était loin de rencontrer les faveurs des États-Unis. Cigaal y tient pourtant et a préparé à cette intention un plan de paix dont il distille régulièrement les éléments à ses interlocuteurs étrangers de sorte que certaines organisations des Nations unies commencent à s’y intéresser. L’IGAD même semble-t-il, puisque le président kenyan n’a manqué de l’évoquer au cours des nombreux entretiens qu’il a eus avec le président du Somaliland reçu à Nairobi du 27 juin au 2 juillet. Le Département d’État américain qui peine toujours à comprendre l’affaire somalienne reste cependant dubitatif et, semblant ou faisant semblant de ne pas comprendre le coup diplomatique que Cigaal s’apprête à tenter, considère qu’une telle réunion risque surtout d’entraîner le Somaliland, dernier îlot de stabilité dans la région, dans le conflit qui déchire toujours le reste de la Somalie. Certains fonctionnaires américains pourtant souhaitent en privé que les ÉtatsUnis fassent une ouverture en direction de la reconnaissance diplomatique du Somaliland3. Leur petit groupe dispose de soutiens au Capitole, en particulier celui du démocrate du New Jersey, Donald Payne, mais ils demeurent désespérément minoritaires dans l’administration qui peut difficilement se faire l’avocat d’une quelconque partition même officieuse de la Somalie. Une position qui s’est affirmée à travers son indéfectible soutien à l’intégrité territoriale et aux principes de la charte de l’Organisation de l’unité africaine dans le règlement de la guerre en République démocratique du Congo. Ces dissidents 1
LOI n°850. 20 III 1999. Radio Hargeysa & BBC. 24 I 1997. 3 En distinguant par exemple le Somaliland de la Somalie dans le Travel Advisory , les « conseils aux voyageurs » que le département d’État publie à l’attention de ses concitoyens. 2
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attendent cependant beaucoup des tentatives de Maxamed Cigaal pour faire admettre le Somaliland comme observateur aux Nations unies. À cet effet, lors de son récent voyage au Caire, Cigaal a rencontré plusieurs responsables de l’OLP auprès desquels il s’est fait expliquer les démarches et les soutiens politiques nécessaires pour obtenir un tel statut.1 Après avoir, toujours à cet effet, multiplié les entretiens à New York, le président somalilandais se rend à Washington pour une nouvelle série de consultations avec l’administration américaine. Il y rencontre le 5 octobre la sous-secrétaire d’État aux Affaires africaines, Susan Rice, la directrice Afrique au National Security Council, Gayle Smith , ainsi que le conseiller spécial de Susan Rice pour la Corne de l’Afrique, John Prendergast. Le président tente à nouveau d’intéresser l’administration américaine à l’idée d’une conférence de paix somalienne à Hargeysa, proposition qui rencontre toujours aussi peu d’approbation aux ÉtatsUnis. Il tente aussi de convaincre le département d’État de soutenir plus directement les efforts du Somaliland. Si Gayle Smith et surtout John Prendergast, sont plutôt favorables à un soutien américain à Hargeysa, Susan Rice reste inflexible sur la question, s’alignant en cela sur les positions de son ministre, la secrétaire d’État Madeleine Albright. Au Capitole, Cigaal rencontre également ses soutiens les plus résolus, le représentant démocrate du New Jersey, Donald Payne, et le républicain Tom Campbell de Californie. Membres du sous-comité aux Affaires africaines de la Chambre des représentants. Tous deux se montrent très ouverts aux propos du président somalilandais et se disent prêts à présenter au comité des Relations internationales une résolution indiquant que « la partie nord de la Somalie appelée le Somaliland par les représentants démocratiquement élus de cette région, s’était stabilisée et développée » et au terme laquelle ils regrettent que l’aide humanitaire y ait été « réduite, retardée ou annulée ». Aussi demandent-ils au président Bill Clinton d’encourager les agences américaines à intervenir en Somalie « y compris dans la région nord, connue sous le nom de Somaliland ».2 Outre ces contacts au Département d’État et au Congrès, le président du Somaliland effectue lors de son passage à Washington une brève visite au Département américain de la Défense puis au Fonds monétaire international. Au Pentagone, il rencontre le Deputy Assistant Secretary for African Affairs, Bern Mac Connel, auquel il présente son point de vue sur le conflit somalien et son analyse des forces en présence. Un incident survient durant l’entretien quand l’Américain présente à Cigaal les cartes militaires américaines de la région. En effet, ce dernier ne peut contenir sa colère lorsqu’il constate qu’à côté du Somaliland figuraient en pointillé… les contours du territoire du Puntland. Cigaal se lance alors 1 2
LOI n° 864. 3 VII 1999. LOI n° 874. 9 X 1999. 349
dans une longue diatribe en expliquant à Mac Connel combien il était incongru de mettre sur le même plan les deux territoires. Maxamed Cigaal se rend ensuite auprès du directeur du département Moyen-Orient du FMI, Paul Chabrier, auprès duquel il sollicite une assistance technique. Le président somalilandais reçoit une fois encore une fin de non-recevoir et se voit expliquer que le FMI ne pouvait rien entreprendre tant qu’il n’y serait pas autorisé par un gouvernement somalien disposant d’une légitimité internationalement reconnu. Car si le département Moyen-Orient du FMI était actif dans plusieurs territoires non reconnus par les Nations unies, en particulier la Palestine, il ne le faisait qu’au terme d’un accord passé avec les gouvernements dont dépendent ces territoires. En l’absence de sollicitation d’un tel gouvernement, explique en substance Chabrier, le FMI ne pouvait prendre aucune initiative. Aussi conseille-t-il à Cigaal de se tourner vers les États-Unis pour obtenir des aides techniques, en particulier dans le domaine de l’organisation fiscale1. Ainsi, après nombre de témoignages de sympathie dont n’ont été avares aucun de ses interlocuteurs, Maxamed Cigaal regagne Hargeysa avec des conseils et des promesses. Néanmoins, si peu d’avancées concrètes ont été faites en terme de reconnaissance du pays, la normalisation en cours encourage les opérateurs économiques mais aussi les grandes organisations internationales à s’intéresser davantage à son devenir.
PROJETS DE RECONSTRUCTION L’intérêt croissant des opérateurs économiques se développe d’autant plus opportunément que l’ensemble de la région – et pas seulement le Somaliland – souffre de conditions climatiques désastreuses.
Des conditions climatiques désastreuses au blocus saoudien Depuis plus de deux ans maintenant, la sécheresse s’est abattue sur la plupart des régions de la Corne de l’Afrique et le Somaliland n’échappe pas à la situation décrite pour le reste du pays somali. Le 19 janvier 1997 déjà, le pays avait lancé un appel d’urgence à l’aide internationale afin de venir à bout de ses conséquences, depuis l’assèchement des puits et des gueltas jusqu’à la destruction des zones de pâturage. Réunis à Hargeysa à la mi-janvier, les responsables des Nations unies avaient appelé à une aide d’urgence. Mais au début de l’année, tandis que l’IGAD mettait en relief la précarité de la situation alimentaire dans la région, le bureau du Haut commissaire aux Réfugiés annonçait la planification du rapatriement de 10 000 réfugiés vivant en Éthiopie dans le cadre d’un programme de retour portant sur 100 000 réfugiés pour l’ensemble de l’année. Trois mois plus tard, en mars, cette attention des organisations internationales n’avait pu empêcher la mort de vingt-quatre personnes et d’un nombre 1
LOI n°876. 23 X 1999.
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important de têtes de bétail dans l’est du Sanaag. Puis passant d’un désastre à un autre, de novembre 1997 à janvier 1998, faisant suite à la sécheresse, des pluies torrentielles s’étaient ici aussi abattues, causant cette fois des inondations un peu partout dans le pays. Des dizaines de familles perdaient ainsi leurs maisons tandis que se déclaraient les maladies apportées par la stagnation des eaux, malaria, choléra, typhoïde faisant maintenant peser des menaces d’épidémie. Mais ce désastre humanitaire cette fois se double d’un désastre économique qui trouve son fondement dans l’état sanitaire du bétail à la suite d’une épidémie de fièvre de la Rift Valley. Le 10 février 1998, à Rome le WFP lance un appel pour lutter contre les maladies infectieuses du bétail dues aux pluies persistantes, maladies causées par la prolifération des moustiques1. Or depuis les premières semaines de janvier, l’Arabie saoudite a décrété un embargo sur le bétail dont l’importation est désormais interdite2. La mesure est catastrophique pour un État qui tire de ce commerce l’essentiel de ses revenus. Seules les exportations vers le Yémen, soit 20% du total, permettent tout juste à l’État d’éviter l’implosion instantanée qui toujours le menace. Si Riyāḍ évoque officiellement une épidémie de fièvre aphteuse puis cette fièvre de la Rift Valley dont souffrirait le troupeau somalilandais, la réalité apparaît rapidement plus oiseuse. Car cette interdiction n’est pas la première du genre. Elle a connu en effet un précédent en 1981 quand les princes saoudiens avaient acquis en Australie de vastes ranchs à partir desquels ils comptaient imposer leurs moutons sur le marché. Or depuis le mois de mars 1998, le coordonnateur humanitaire résident des Nations unies pour la Somalie, Dominik Langenbacher, a annoncé que les analyses scientifiques avaient montré que l’épidémie de fièvre de la vallée du Rift était terminée en Somalie méridionale3. Il ajoutait par ailleurs qu’il n’existait aucune preuve de son extension au-delà des zones inondables riveraines dans le sud. Maintenant, à ces arguments mercantiles s’ajoutent les revirements de la diplomatie italienne qui vient d’abandonner la position éthiopienne d’une Somalie fédérale mais rassemblée. Une affaire qui entre parfaitement dans les vues des pays arabes dont les arguments sont multiples puisque d’une part l’Égypte compte sur son plan pour affaiblir et faire contrepoids à l’Éthiopie en cas d’affrontements pour le contrôle des eaux du Nil et que d’autre part, la Ligue arabe considère que le démembrement de la Somalie – qui en est membre – créerait un dangereux précédent pour l’Iraq voire pour la Syrie après la mort de 1
LNA n°4. 12 III 1998. PINAULDT, Géraldine. « Epizooties et géographie du commerce du bétail dans la Corne d’Afrique », http://echogeo.revues.org/11021. 3 UNCT. 19 III 1998. L’équipe d’investigation de l’OMS, EPICENTER, EPIET, le South African National Institute of Virology et la FAO estimait que les décès des animaux résultaient davantage des conséquences directes ou indirectes des inondations – stress, pneumonie, infections etc. – que de la fièvre de la vallée du Rift proprement dite. 2
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Ḥāfiẓ al-ʾAsad. Dans ce contexte chacun trouve son compte en enjoignant l’Arabie saoudite à faire pression sur Hargeysa en bloquant ses exportations de bétail. Or dès ce même mois de mars 1998, faute de revenus, le gouvernement du Somaliland dont l’économie est à flux tendu se trouve incapable de verser leur solde à ses soldats, ce qui menace maintenant de précipiter l’effondrement et la désagrégation du jeune État. Un autre événement vient encore compliquer les choses. Après que, lors de la conférence de l’IGAD, l’institution n’a pas accordé à Hargeysa le statut d’observateur, humilié mais en fait aux abois, Cigaal tente de se tourner, assez maladroitement ce qui est rare, vers la Ligue arabe dont il déclare accepter l’arbitrage. En vain. Dès lors la situation ne cesse de s’aggraver jusqu’à ce que le 15 février 1999, un rapport publié par les Nations unies considère que la famine menaçait de s’étendre au Somaliland si des efforts à la mesure des risques n’étaient pas consentis pour assurer une distribution de semences suffisante afin de régénérer la production locale de nourriture. Le rapport évoque également la pénurie d’eau potable tant à usage des hommes que du bétail1. Le 4 mai à nouveau, le président Cigaal appelle de toute urgence à l’aide la communauté des donateurs afin qu’elle octroie un soutien budgétaire au gouvernement et qu’elle fasse pression sur les autorités saoudiennes pour qu’elles lèvent l’interdit. À défaut d’une telle assistance, il prévenait que l’administration de Hargeysa pourrait s’effondrer avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir sur la stabilité de la région2.
Le retour des investissements C’est pourtant sur ce fond calamiteux que se développent maintenant de nombreux projets. La stabilité de plus en plus rassurante quoi qu’il en soit du pays ainsi que les conditions difficiles mais résolument assumées qui y prévalent suscitent aussi une dynamique dont celui-ci va finalement tirer parti. En avril 1998, le Somaliland signe un accord avec des compagnies internationales afin de réhabiliter ou de reconstruire les centrales électriques détruites pendant la guerre civile. Le premier projet porte sur la réhabilitation d’une installation de 25 mégawatts à Hargeysa où le président Cigaal passe contrat au milieu du mois avec deux petites sociétés, la Collins Engineering basée au Texas et la British-American Energy3… qui sollicitent des investisseurs locaux pour participer au 1
Africa News Service, Inc. Government of Somaliland appeal. 4 V 1999 repris par AFP. 6 V 1999 et The Monitor. 12 V 1999. 3 Collins Engineering travaille également avec un Britannique qui dirige une société du nom d’Air Bridge. 2
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financement des réparations. L’affaire toutefois ne parvient pas à se développer et il faut attendre le 16 octobre 1999 pour que le projet prenne une dimension nouvelle quand les Nations unies décident d’en organiser le financement. Une société somalienne, Red Sea Distribution Company se porte alors candidate pour participer à ce projet. On considère que la compagnie qui appartient à l’un des sept grands marchands isxaaq de Djibouti, Axmed Daahir Cumar Baxsane [Isxaaq/Habar Awal/Sacad Muuse/Xuseen Aboqor] pourrait être l’actionnaire majoritaire de ce projet, voire le seul si elle y investissait suffisamment de fonds1. Dans la première quinzaine de mai, le président de passage à Addis Abäba sollicite cette fois l’ambassadeur de Chine afin qu’il appuie l’envoi d’une mission d’étude en vue de la réhabiliter le système d’adduction d’eau à Hargeysa, installé par Pékin dans les années 1970. Dans le domaine des télécommunications, au début de l’année 1999, une petite société britannique, Digital Exchange Products (DXP) passe avec la Somaliland un contrat visant à fournir du matériel de seconde main, centraux et téléphone. On observe encore ici le comportement raisonnable des responsables qui loin de songer à se doter de matériels de dernière génération s’installent véritablement dans une logique de réhabilitation. La société créée en 1989 et dirigée par Stuart Eccles et Phil Sawyer est spécialisée dans le recyclage de matériels de télécommunications qu’elles récupèrent auprès de grosses sociétés avant de les réparer et de les reconditionner. Cette opération constitue en fait le second contrat puisqu’en février de l’année précédente la Somaliland Telecommunications Corporation avait déjà entrepris d’acquérir, acheminer et installer un premier lot de matériel. DXP est représentée à Hargeysa par Maxamed Arwo. Cet ancien responsable des télécommunications en Somalie avant la guerre, celui-ci travaille maintenant à la préparation et l’hébergement d’un site internet à l’intention des autorités du Somaliland2. Mais c’est un projet de plus grande dimension qui voit le jour quand le 27 août, l’UN Habitat Agency (UNCHS) alloue 1,5 million d’US dollars à la réhabilitation du port de Berbera. L’agence considère sa décision comme une réponse positive à l’appel à la communauté internationale lancé par le Secrétaire général Kofi Annan et visant à revoir le rôle des Nations unies en Somalie. Le directeur exécutif de l’agence, Klaus Toepfer, émet aussi le vœu de voir ce projet, alimenté par la Commisison européenne avec des fonds provenant du gouvernement italien, constituer « le début d’une collaboration fructueuse en vue de reconstruire et réhabiliter une société dévastée »3. 1
LOI n°875. 16 X 1999. Le projet se heurtera un moment au désir de petits entrepreneurs d’Hargeysa d’avoir dans ce projet une place que leur capacité financière ne leur permet pas. 2 LOI n° 839. 2 II 1999. 3 IRIN. 27 VIII 1999. 353
Ainsi, le 7 novembre 1999, la Commission européenne et le gouvernement danois signent avec le groupe d’entrepreneurs East-West contractors of Somaliland un contrat visant à entreprendre la réhabilitation des ponceaux et des radiers situés sur la route entre Hargeysa et Dila. Ce contrat est le premier des cinq projets qui doivent être conduits sur deux ans et comprendre la réfection des sections endommagées du réseau routier principal sur l’axe Dila-HargeysaBerbera-Burco. Le porte-parole de l’Union européenne déclarera que c’était la volonté des autorités du Somaliland d’investir dans l’entretien des routes qui avait permis de débloquer des fonds dans ce dessein. Ceux-ci poursuivait-il étaient le résultat de « leurs efforts pour maintenir cette infrastructure routière vitale… en établissant un budget et en mettant en place une autorité qui les rendaient éligibles à des fonds de la communauté internationale ». Le coût de la première phase du projet, dont les travaux sont placés sous la supervision du cabinet français Louis Berger SA., est estimé à environ 1 million de dollars. Un peu plus tôt, le 15 mai, c’est un autre projet, appelé à fonder bien des espoirs mais bien des soucis également qui s’est dessiné quand Axmed Maxamed Biixi ministre de l’Eau, des Mines et de l’Énergie s’est rendu au 4e colloque annuel du Third Millennium Petroleum consacré à l’exploration et la production pétrolière qui se tient à Londres les 21 et 22 juin 1999. Le ministre doit intervenir sur le thème du nouveau départ de l’exploration pétrolière dans la région du Nord-ouest de la Somalie1. À Hargeysa nul ne considère que ce dossier constitue un espoir chimérique. La présence d’hydrocarbure est depuis longtemps attestée dans le Nord somalien. Reste à savoir précisément où, à déterminer la rentabilité de son exploitation, et le cas échéant à en envisager les modalités. Or on n’en est pas là. Lors de son passage à Paris, le président a bien insisté auprès de TOTAL pour inciter l’entreprise à s’investir dans les prospections mais celle-ci catégoriquement pessimiste en est résolument restée à ses projets de distribution.
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LOI n°857. 15 V 1999.
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X IX – L E PROTO - ETAT DU P UNTLAND
La décision de prendre une distance mesurée avec le Sud somalien qui ne parvient à s’entendre permet au jeune gouvernement du Puntland de mettre en place avec une légitimité populaire les institutions nécessaires au fonctionnement d’un embryon d’État. Bien que l’autonomie dont il se réclame ne relève pas du même processus que l’indépendance résolue du Somaliland, les tenants essentiellement arabes d’une Somalie unitariste, qu’elle soit unitaire ou fédérale, observent avec réserve le processus en cours. Il reste que Garoowe entame la transformation du proto État majeerteen.
LES DEBUTS DE L’ÉTAT FEDERAL L’installation d’un appareil d’État Ainsi, le nouveau président du Puntland qui vient de constituer son gouvernement avec l’aval de la Chambre des représentants met progressivement son équipe en place. Son mandat vise à répondre aux préoccupations prioritaires de la population, à savoir rétablir des institutions publiques, assurer la loi et l’ordre et planifier une politique de développement socio-économique. On attend encore de lui qu’il joue un rôle plus efficace dans le processus de paix et de réconciliation nationale. Il dispose enfin des trois années pour rédiger une nouvelle constitution. Et en effet, rapidement l’administration se met au travail, de conserve avec les autorités traditionnelles. D’anciens policiers sont retenus pour établir les premières unités de la police ; une force paramlitaire est créée qui prend le nom de
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Daraawiish1. Une première campagne est lancée, visant à faire disparaître l’activité des coupeurs de route qui interceptent les camions de charbon de bois. Grâce à la conjugaison de leurs efforts, des opérations simultanées sont menées sur toute la longueur des 680 km de route qui séparent Boosaaso de Gaalkacyo, permettant la levée de plus de soixante barrages routiers illégaux. Ceci fait, une seconde campagne est aussitôt lancée afin d’éradiquer le trafic lui-même d’un produit dont, ainsi que dans le Sud somalien, l’exportation vers les pays arabes pose de sérieux problèmes écologiques. Non seulement l’abattage a des effets néfastes sur l’environnement mais il crée de surcroît une pénurie de bois de chauffe chez certaines populations sédentaires. Comble du paradoxe, les trafiquants étant financièrement plus intéressés à exporter le charbon qu’à le commercialiser sur le marché local, Boosaaso à son tour en vient à en manquer. Aussi, après que les autorités du SSDF ont interdit son exportation, l’Union européenne envoie une mission technique effectuer une étude sur le sujet2. Naturellement, souvent protégés à haut niveau dans la jeune administration, les trafiquants continuent à opérer dans la clandestinité. Il reste que les forces de l’ordre n’en poursuivent pas moins leur tâche comme en atteste l’affrontement qui le 10 mai coûtera deux morts aux contrebandiers. De l’ordre qui s’installe, les avantages se font immédiatement sentir et au cours des deux années qui vont suivre, l’administration poursuit sa mise en place, rétablissant la paix, la stabilité et la confiance dans la région.
La tradition suggère un nouveau modèle La mise en place de structures politiques plausibles dans le nord de la Somalie mérite qu’il en soit tiré quelques conclusions. Force est de constater qu’au Somaliland comme au Puntland, les conflits civils qui ont suivi l’effondrement spectaculaire du régime de Siyaad Barre ont à chaque fois été circonscrits, notamment grâce au rôle joué par les chefs traditionnels. Même si les deux régions nord n’ont pas été entièrement préservées de tout conflit, tant s’en faut, elles ont conservé des liens sociaux suffisamment forts pour que l’action médiatrice avérée des notables permette leur reconnaissance institutionnelle. Au Puntland, sept ans de paix ont prévalu qui, dans une situation de non-État, ont permis d’aboutir à la conclusion d’un processus. Ce constat suggère que si le droit international continue à jouer un rôle important en affectant le futur cadre constitutionnel et juridique des nations, il ne peut faire l’économie d’une réappropriation de formules 1
L’utilisation contemporaine du terme Daraawiish au Puntland s’applique au moment de l’établissement de l’État à des forces paramilitaires. Il fait naturellement référence aux membres de la fraternité religieuse armée, en particulier les quatre unités militaires du e Sayid Maxamed Cabdullaahi Xasan, le Mad Mullah des Anglais, qui au début du XX siècle menait la lutte contre les puissances coloniales. 2 LOI n°764. 10 V 1997. 356
institutionnelles importées par les traditions politiques et juridiques locales. Ceci inclut la question de la greffe hasardeuse d’institutions occidentales et leur rencontre avec le secteur dit informel, concept qui mérite d’être considéré non seulement dans sa dimension économique, mais aussi dans ses dimensions politique et juridique. Ce constat induit encore d’autres contraintes. L’une est liée à la relation au temps. En l’occurrence, la recherche incessante du plus large consensus politique autour des problèmes et les questions au sujet de l’unanimité ne peuvent s’envisager une montre à la main. La Conférence constitutionnelle par exemple aura duré bien au-delà des quinze jours prévus. Toutes choses qui montrent comment la tradition peut résister et s’adapter à la fois à la dimension moderne du temps. Les contraintes spatiales évoquent aussi d’autres pistes à ouvrir. Certains observateurs osaient avancer au regard de l’exemple somalien que les solutions passaient par une idée plus flexible, voire plus restreinte, de la définition de l’État et de ce que l’on pouvait espérer le voir représenter sur certains terroirs africains. En l’occurrence, un processus intéressant est alors en développement, sans heurts, entre le Puntland et la Région Cinq de l’Éthiopie. Bien que largement ignoré, il se trouve en effet que certains représentants harti d’Éthiopie siègent à la Chambre des représentants du Puntland. Une situation de ce type suggère que la formation de nouvelles entités étatiques ne serait pas nécessairement matière à conflits. Des territoires aujourd’hui contestés par les capitales pourraient à l’avenir jouer un rôle de marches – au sens ancien du terme - pour peu que le concept de souveraineté de l’État local ne restât pas naturellement incompatible avec la notion rigide de territoire d’État, notion absconse sur des espaces traditionnellement nomades. Il s’agirait alors de développer des solutions alternatives dans le contexte africain, partagé entre les concepts de souveraineté des États et de souverainetés lignagères1.
LA MISE EN PLACE DES PREMIERES INSTITUTIONS La mise en place des premières institutions se déroule tant bien que mal, entravées les unes par la nécessité de solidarité avec les populations harti du Sud somalien, les autres par la sécheresse qui désole le pays.
L’établissement de forces de coercition légitimes
[XII 1998/II 1999]
L’ordre public exigeant la présence de forces armées légitimes, la construction d’une armée nationale – Dagaallada Ciidanka Puntland – à partir des milices claniques et des miliciens du SSDF est confiée au général Cabdullaahi Cali Cumar Daad. Natif de Gaalkacyo, celui-ci a fait ses études à la Jamal Abdel Nasser High School de Muqdishu avant de 1
HASSAN Adan Mohamed, AMINA Abdulkadir M. Nur. Peace Initiatives in Puntland 1991—2007. Pat Johnson, Interpeace : Garoowe, 2008. 357
rejoindre les armées en 1965. Formé pendant deux ans à l’académie militaire en Égypte, il suit divers stages de formation, tant en Union soviétique qu’aux États-Unis1. Après avoir occupé diverses fonctions de commandement dans l’armée somalienne, il devient chef d’État-major de l’armée du Nord puis commandant de division ; pendant la guerre de l’Ogadèn, il combat à Djedjega. Il est ensuite nommé attaché militaire en Chine puis vit en Grande-Bretagne après la chute de Siyaad Barre. À son retour en Somalie en 1996, il s’implique dans l’unification des deux factions rivales du SSDF puis, délégué à la conférence de Garoowe, il est nommé à la tête de l’armée du nouvel État autonome2. En décembre 1998, Cabdullaahi Siciid Samatar [Majeerteen/Cismaan Maxamuud], originaire du district de Beyla dans le Bari, est quant à lui nommé à la tête d’une force de police qu’il lui revient de mettre sur pied. Cet homme de 55 ans a fait ses études à Muqdishu avant de rejoindre la police somalienne en 1967. Après avoir suivi en Italie les cours de la Guardia di Finanza, il y a aussi acquis une formation juridique. Après avoir dirigé divers départements de la police, il rompt au début des années 1980 avec le régime de Siyaad Barre pour rejoindre le SSDF où il est nommé au Comité central en 1991. Il y demeurera jusqu’à la dissolution du mouvement en 1998. Délégué depuis à toutes les conventions qui se sont tenues dans le nord-est de la Somalie, il participe notamment à celle qui en mars 1998 décide de la constitution du Puntland. À cette occasion, il avait été le guide et l’interprète de l’ambassadeur italien Francesco Sciortino3. Ainsi, au début du mois de février 1999, le président Cabdullaahi Yuusuf est-il en mesure de passer en revue les cinq cents hommes de la nouvelle force de police, à l’entraînement dans l’ancien camp militaire situé à proximité de Garoowe. Avec la nomination d’un chef de la police, la formation de ce contingent constitue le premier pas vers la mise en place de la force de sécurité promise par le président du Puntland lors de son investiture. Quelque 700 autres membres recrutés parmi les anciens membres de la police somalienne ou parmi les miliciens du SSDF sont déjà à pied d’œuvre, le projet visant à créer une double force de sécurité : l’une sera chargée du maintien de l’ordre dans les zones urbaines ; l’autre, la Daraawish Police Force4, constituera une police des frontières dont le rôle sera aussi d’assurer la sécurité dans les zones rurales. Le processus se trouve un moment suspendu lorsque le conflit éclate à Kismaayo entre les troupes de Maxamed Moorgan et les miliciens de Xuseen Caydiid. Les Harti qui habitent la région et sont majoritaires 1
Il sera en particulier l’élève du cours d’Etat-major au Kansas Staff College puis de l’Ecole de guerre à l’Army War College de Pennsylvanie. 2 LOI n°848. 6 III 1999. 3 LOI n°842. 9 I 1999. 4 Ciidamada Daraawiishta Puntland. 358
dans la cité sont pour la plupart issus de familles majeerteen originaires du Nord-est de la Somalie.
Aggravation de la famine Afin d’affirmer la souveraineté du jeune État au regard de l’étranger, Cabdullaahi Yuusuf adresse une lettre aux responsables du WFP pour les avertir qu’ils devront dorénavant obtenir la permission des autorités du Puntland avant de délivrer l’aide alimentaire dans cette région1. Cette dernière décision se transforme rapidement en regrettable maladresse quand il devient évident que la sécheresse fait peser une menace chaque jour plus critique sur les populations de la brousse. L’urgence se précise désormais de manière alarmante après que, début mai, le ministre de l’Intérieur, Xasan Abshir Faarax2, a indiqué que vingt personnes mouraient de faim chaque jour au Puntland. Une mission est aussitôt dépêchée par les autorités dans les zones les plus touchées, le Mudug et du Nugaal. Considérant que la sécheresse pourrait être pire que celle des années 19703, le gouvernement est convoqué le 7 avril afin d’envisager les mesures nécessaires. Au terme d’une réunion de neuf heures dirigée par le président lui-même, l’état d’urgence est décrété tandis que le gouvernement s’engage à fournir les médicaments et les transports nécessaires pour approvisionner ces zones. Le lendemain, 8 avril, les représentants des ONG internationales sont invités à visiter les zones touchées. Le ton est suffisamment péremptoire pour que l’on devine que celles qui refuseraient de participer à cette opération se verraient interdites d’activité dans le pays. Les autorités entendent de la sorte attirer l’attention des institutions internationales et surtout du SACB basé à Nairobi. Sauf que le Board qui ne dispose que de 2000 sacs de nourriture disponibles pour le Puntland attend pour les acheminer la réouverture de l’aéroport et du port de Muqdishu, toujours bloqués du fait des affrontements. Devant l’urgence et en toute logique, les autorités demandent que cette assistance leur soit fournie via Boosaaso, port disponible et sous leur contrôle4.
La garde des côtes de Puntland Une activité déjà observée depuis quelques années sous une forme semi-délictueuse reprend aussi maintenant, légitimée cette fois par l’existence d’un État : la surveillance de l’espace maritime. Depuis 1991, les miliciens qui se sont emparés de plusieurs bateaux de pêche le long de la côte ont toujours demandé de fortes sommes d’argent pour la 1
LOI n°845. 13 II 1999. Ex-maire de Muqdishu, gouverneur de la région de Banaadir et ambassadeur de Somalie en Allemagne. 3 Cette sècheresse dite de la « longue queue » [som. dabadheer] avait été le facteur déclancheur principal de la dérive du régime de Siyaad Barre. 4 LOI n° 853. 10 IV 1999. 2
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libération des équipages délinquants. Mais à la fin de l’année 1998, c’est au nom de l’administration du Puntland que trente-trois pêcheurs illégaux, Kenyans pour la plupart, sont en quelques semaines appréhendés dans les eaux territoriales. Condamnés par une cour improvisée à une amende de 500 000 $, il leur est signifié qu’ils auraient à subir une longue période de prison s’ils se révélaient incapables de la payer. Un peu plus tard, en janvier 1999 quatre Ukrainiens sont arraisonnés par des miliciens qui se sont emparés de leur navire afin qu’il soit entrepris à leur encontre une action judiciaire légale1. Il faut dire qu’à la charnière des deux années 1998/1999, dans le cadre d’un contrat de protection de la zone économique exclusive (ZEE) du Puntland, une firme britannique spécialisée dans la gestion des risques a été invitée à installer une antenne au port de Boosaaso. Après avoir procédé à une étude de la problématique, un premier accord portant sur la gestion pendant cinq ans des eaux territoriales du Puntland est signé le 29 septembre 1999 entre le président Cabdullaahi Yuusuf et une compagnie privée la Puntland International Development Company (PIDC)2. Le mois suivant, la compagnie passe la main par un nouveau contrat à la Hart Nimrod Bermuda Limited3 qui a obtenu, toujours pour cinq ans, la responsabilité de la gestion de la protection des eaux territoriales du Puntland, y compris la délivrance des licences de pêche. L’accord inclut la collaboration d’officiers spécialisés dans la protection des pêches ainsi que la mise à disposition de bateaux rapides d’interception et de moyens de surveillance aérienne. Neuf Britanniques du Hart Group Ltd s’installent ainsi à l’hôtel Huruse, le meilleur hôtel de Boosaaso, pour former le noyau de la future garde côtière du Puntland. Néanmoins, comme le pays ne dispose guère de revenus pour financer ce type de contrat, il est convenu que les intervenants britanniques se payeront par la délivrance de licences de pêche4. Les autorités de Garoowe font ainsi savoir qu’à partir du 1er janvier 2000, elles exerceraient leurs droits légitimes sur leurs eaux territoriales, accordant aux chalutiers un mois pour acquérir une licence sous peine, ce délai écoulé, d’arraisonnement et d’amendes. Il est intéressant aussi d’observer l’émergence de comportements nouveaux et l’implication de la société civile dans la construction régionale notamment à travers l’action des mouvements de femmes. En 1
AFP. 8, 23, 26 & 28 XII 1998 ; IRIN. 10 I 1999. Celle-ci est entre les mains d’actionnaires internationaux omanais et britanniques ainsi que d’actionnaires locaux parmi lesquels les propriétaires de la compagnie Daallo Airlines dont l’aéroport de Djibouti est le centre distribution (hub) et dont le siège est établi à Dubaï. 3 Cette compagnie appartient au groupe Hart Group Ltd basé à Londres dont le PDG Richard Bethell est un ancien militaire du Special Air Service britannique. Celui-ci avait travaillé à partir de 1991 pour la société de sécurité Defence Systems Limited (DSL) dont il avait été le PDG de 1994 à 1998. DSL très active en Afrique notamment dans la zone Zaïre Angola a été rachetée en avril 1997 par la firme américaine Armor Holdings. 4 LOI n°894. 4 III 2000. 2
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effet, afin de susciter quelque émotion et d’impliquer l’Europe dans sa bataille pour l’écologie, la représentante du mouvement We are the Women Activists (WAWA), Xaawa Ciise Maxamuud alerte le Parlement européen sur les méthodes de pêche destructrices pour les fonds, employées par les flottes étrangères. Son intervention se déroule lors du « Sommet du P7 » - les sept pays les plus pauvres – manifestation qui se déroule à Bruxelles du 7 au 10 juin 2000 où elle a été invitée par les parlementaires Verts européens1. La représentante somalienne y dénonce les chalutiers qui détruisent poissons et coraux et dont leurs équipages s’en prennent aux filets voire aux embarcations des pêcheurs locaux. Dissimulant leur identité véritable et leur pavillon, ils pénètrent de manière délictueuse dans les eaux somaliennes, ce qui justifie l’arraisonnement de ces navires dont l’activité s’apparente à de la piraterie. À l’aplomb de ses propos, Xaawa diffuse un document qui met en cause plusieurs compagnies – Meridional Pesca, WattCo, SHiFCo – et dénonce plus particulièrement le groupe AFMET, basé à Londres, à Rome et au Yémen, formé de Somaliens et d’étrangers, et qui aurait vendu 163 licences de pêche en huit ans2. Dans ce contexte à la fois encourageant mais difficile, le gouvernement procède à la mise en place au mois de février 1999, d’une structure de planification et d’une structure bancaire. La tâche une fois encore est confiée à un professionnel avéré, Axmed Maxamed Goonle. Natif de Laas Caanood dans la province somalilandaise du Sool, cet économiste âgé d’une cinquantaine d’années a fait ses études à Sheekh puis dans des universités britanniques et américaines. Après avoir travaillé deux années durant, de 1969 à 1971 au ministère du Plan, il est recruté par la Banque africaine de développement (BAD) à Abidjan où il demeure jusqu’à son retour en pays somali. Au Puntland, il sera l’un des quatre concurrents à la vice-présidence de l’État autonome Puntland dans la compétition finalement remportée par le président du United Somali Party (USP) Maxamed Cabdi Xaashi3. Ainsi, sous son contrôle, le Parlement se réunit le 11 mars à Garoowe pour une session de 25 jours afin d’élaborer le premier budget. Au cours du discours inaugural, exprimant le vœu de voir l’administration compléter la mise en place de ses institutions et améliorer la collecte de ses revenus, il promet que la
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Les Verts du Parlement européen avaient organisé le 17 juin 1997 le premier Sommet de sept pays parmi les plus pauvres de la planète, contre-manifestation au Sommet du G7 qui se déroulait au même moment. L’Orient - Le jour. 18 III 1997. 2 WAWA est membre du Resource Management Somalia Network, un réseau apolitique et à but non lucratif établi à à Ceerigaabo et, depuis mars 2000, à Boosaaso. Il a été créé par le regroupement de quinze organisations de femmes qui faisaient auparavant partie de la Bari Women’s Confederation (BWC). En 2014, le réseau rassemblera 46 organisations de femmes. Soutenu par CARE International, WAWA développe le Xoojinta Nabada Project, le « Projet de renforcement de la paix ». 3 LOI n°847. 27 II 1999. 361
question des pratiques illégales de pêche dans les eaux territoriales serait une priorité du gouvernement1. Cabdullaahi Yuusuf profite par ailleurs de cette réunion, à vocation a priori économique, pour évoquer le problème qui de plus en plus clairement se précise à propos des régions dhulbahaante du Sool et warsangeli du Sanaag qu’il s’engage à régler par la négociation.
DIFFICULTES ET MENACES Le président par ailleurs appelle aussi au cessez-le-feu les milices qui d’ores et déjà dans le Sud semblent vouloir en découdre.
Menaces hawiiye contre le Puntland
[X 1999]
Les autorités du Puntland il est vrai semblent alors disposées à soutenir l’initiative diplomatique qu’à la fin du mois de septembre le président djiboutien a présentée à l’Assemblée générale des Nations unies afin de rassembler une conférence de paix à base large. Mais tous craignent aussi d’être la cible d’actions militaires de déstabilisation de la part des chefs de guerre de Muqdishu. Ces derniers en effet ont rejeté d’emblée ce projet de plan de paix, soutenus en cela par l’Égypte et la Libye. Lors d’une réunion tenue au Caire le 5 octobre, des diplomates égyptiens et libyens ont même mis au point avec les partisans de Xuseen Caydiid et de Cali Mahdi une stratégie propre à faire échouer l’action diplomatique d’Ismaël Omar Guelleh. À cet effet, l’idée est d’engager l’Égypte dans une mobilisation des pays arabes et de la communauté internationale sur une proposition différente : la tenue d’une nouvelle conférence de réconciliation visant à rapprocher les administrations du Puntland et du Somaliland avec la faction militaire ou clanique de Caydiid. Les craintes de Cabdullaahi Yuusuf se fondent aussi sur les réactions souvent imprévisibles du président libyen qui n’a pas apprécié que le président du Puntland rejette son offre de rencontrer Xuseen Caydiid à Tripoli. L’incident était survenu alors que les deux hommes assistaient aux cérémonies du 30e anniversaire de sa prise de pouvoir, et qu’alQaḏḏāfī venait de renouveler sa promesse de financer la mise en place de l’administration de Muqdishu. Or le bruit courait maintenant que, de leur côté, les partisans de Xuseen Caydiid planifiaient une opération militaire contre la ville de Gaalkacyo. À cette fin, des camps étaient établis dans le centre de la Somalie dans les provinces du Mudug et du Galguduud et des armes étaient distribuées à des partisans à l’intérieur de la cité. D’autres préparatifs à l’encontre du Puntland étaient également entrepris à Daari et à Bitaal, bourgades situées respectivement à 30 et 50 km au sud de Gaalkacyo, tandis que d’autres assaillants potentiels se rassemblaient dans la région mareexaan de Balli Migaan, toujours au sud de la ville. 1
LOI n°850. 20 III 1999.
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La menace se trouvait prise d’autant plus au sérieux que le Puntland traversait une période quelque peu agitée. En effet, un long conflit avait éclaté à Burtiinle, juste au sud de Garoowe, entre les partisans d’une confrérie sunnite proche de la Qaadiriya1 et connue sous le nom de Timaweyne, « cheveux longs », très influente dans les zones rurales et des membres se réclamant d’Al Itixaad dont les membres se recrutaient plutôt chez les musulmans formés en Arabie saoudite. L’affaire avait dégénéré le 7 octobre après le jet d’une grenade sur la mosquée de Burtiinle, qui avait fait plusieurs victimes. Les autorités du Puntland arrêtent alors quelques Timaweyne soupçonnés d’être les auteurs de l’attentat bien que ce soit surtout la visibilité des activistes musulmans qui inquiétât la population. Or la rumeur court que les avatars d’Al Itixaad, alliés à Xuseen Caydiid, projettent de tenir un congrès en Somalie auquel serait invité ben Lāden, aujourd’hui hébergé en Afghanistan mais qui est désormais en quête d’un nouveau pays disposé à l’accueillir2.
ACTIVITE DIPLOMATIQUE Très vite aussi par ailleurs, le gouvernement du Puntland entreprend une série de contacts propres à se faire reconnaître au plan international. Dans la dernière semaine de septembre, le président Cabdullaahi Yuusuf a ses premiers entretiens diplomatiques avec une délégation de quatre responsables du ministère allemand des Affaires étrangères et de l’Intérieur. Ces diplomates sont venus à lui pour discuter du rapatriement au Puntland de Somaliens actuellement réfugiés en Allemagne et originaires de cette région. En l’occurrence, le chef du nouvel État leur fait savoir que pour le moment la situation n’était pas suffisamment stabilisée dans certaines zones du Puntland pour rendre possible le rapatriement de ces réfugiés 3. Du côté de l’allié éthiopien, la relation également avec aménité s’installe. Un représentant spécial d’Addis Abäba auprès de l’administration régionale du Puntland, Hirale Haylé, est envoyé le 9 décembre 1998 à Garoowe où il est chaleureusement accueilli par Xasan Abshir Faarax et les autres ministres du Puntland. Sa représentation doit assurer la relation entre le gouvernement local et les autorités éthiopiennes4.
Déplacement officiel en Libye et en l’Égypte
[12/14 & 27/30 XII 1998]
Quelques jours plus tard, à la mi-décembre, le président du Puntland entreprend un bref périple qui le conduit tout d’abord à Tripoli puis au 1
La qādirīya [ar. ]اﻟ ﻘﺎدرﯾ ﮫest l’une des trois confréries majeures établies dans l’espace somali. 2 LOI n°875. 16 X 1999. 3 LOI n° 826. 26 IX 1998. 4 IRIN. 13 & 15 XII 1998, 3 I 1995 ; AFP. 27 XII 1998. 363
Caire. Cabdillaahi Yuusuf se rend en Libye à l’invitation du président Muʿammar al-Qaḏḏāfī, l’un des bienfaiteurs historiques du SSDF. De fait, les deux hommes se sont déjà rencontrés plus d’une dizaine de fois dans le passé mais leur dernière entrevue remonte cependant à 1991, quand les forces de l’EPRDF entrées victorieuses dans Addis Abäba avaient libéré le colonel de sa prison. Ce dernier avait alors été invité par le chef de l’État libyen à se reposer un mois à Tripoli avant de rentrer en Somalie. Cela dit, il est vrai aussi que, depuis, les relations entre les deux hommes ont plutôt eu tendance à se rafraîchir1. Quittant la capitale libyenne où ses propos autonomistes n’ont pas été accueillis avec un grand enthousiasme, la délégation conduite par Cabdullaahi Yuusuf arrive le 27 décembre au Caire où elle rencontre le Secrétaire général de la Ligue arabe, ‘Ismat ʿabd al-Majīd, puis le ministre égyptien des Affaires étrangères, ʿAmrū Mūsā. Les discussions portent sur les problèmes de la Somalie en général et sur la formation de l’administration du Puntland que les deux diplomates arabes promettent autant que possible d’aider. De leur passage à la Ligue arabe en particulier, où leur a été réservé un accueil très chaleureux, ils concluent qu’elle sera encline à assister une région où, contrairement au Banaadir, des institutions crédibles se mettent progressivement en place. Comme il l’a déclaré quelques jours plus tôt à ses interlocuteurs libyens, le dirigeant du Puntland établit que l’heure n’était plus à la convocation d’une nième conférence de réconciliation entre chefs de guerre mais à la réorganisation du pays en s’appuyant sur les États régionaux existants de fait, comme le Puntland. Sa position se fonde toujours sur le même principe, la nécessité d’établir un gouvernement fédéral central avec la pleine participation de toutes les factions. Rassuré sur leur convergence de vues, le Secrétaire général de la Ligue arabe s’engage aussi à appeler l’Arabie saoudite à lever son interdiction sur l’importation du bétail, décision qui, dans le Nord comme dans le Sud du pays, a créé des difficultés suffisamment graves pour mettre en péril les tentatives de redressement de l’ensemble. Cabdullaahi Yuusuf défend encore sa position auprès du Directeur général du ministère des Affaires étrangères égyptien puis du ministre lui-même qu’il rencontre le 30 décembre. Ceux-ci lui proposent un compromis qu’ils jugent de nature à combler le fossé qui le sépare de la position des chefs de factions à Muqdishu. L’idée du Caire consiste, dans le cadre d’une future réconciliation, à répartir les fonctions de président et de Premier ministre de la Somalie entre un représentant de 1
Il faudra attendre le mois de mars 1999 pour qu’une délégation de diplomates et d’hommes d’affaires (réputés par ailleurs entretenir de bonnes relations avec des compagnies asiatiques de Hong Kong) se rende à Galkacyo puis à Garoowe pour une visite de deux jours. A Boosaaso, un long entretien se tient avec les membres de la chambre de commerce. L’intérêt libyen étant centré sur la pêche et l’élevage, un projet de joint-ventures est élaboré dans ces secteurs. Une seconde visite en juin finalisera les accords commerciaux. LOI n°849. 13 III 1999.
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Muqdishu et un autre du Puntland. À cet effet, l’Égypte s’engage à convaincre Cali Mahdi et Xuseen Caydiid en dépit du fait que lors de la conférence du Caire en janvier 1998 ceux-ci ont déjà décidé de se réserver ces deux postes. Aussi Cabdullaahi Yuusuf, à la fois sceptique et prudent, rejette-t-il cependant la proposition égyptienne. Le président considère que la seule conférence possible serait celle qui réunirait des représentants légitimes des diverses communautés comme ceux qui doivent être désignés par la réunion qui est en cours à Beledweyne… et dont les chefs de guerre de Muqdishu ont d’ores et déjà dénoncé les conclusions1.
Parlement du Puntland en deuxième session [1 XI 1999] Au cours de sa deuxième session qui s’ouvre le 1er novembre, le Parlement du Puntland décide de faire le point sur la situation qui maintenant prévaut dans le nouvel État. Le slogan retenu pour la discussion est « Dire la vérité » [som. run sheeg]. Il s’agit pour les députés de porter un jugement sur leur propre activité afin de mettre en évidence les problèmes qu’ils considèrent avoir été gérés de manière non satisfaisante par l’administration régionale. C’est ainsi que nombre d’entre eux expriment leur mécontentement sur la façon dont les affaires de la région ont été conduites. Changements législatifs et amendements administratifs sont proposés. Les députés discutent aussi du budget pour l’année 2000, de la réglementation sur les médias que nombre considèrent répressive, les activités de pêche illégale dans les eaux du Puntland et comment les combattre. Le colonel Cabdillaahi Yuusuf soumet personnellement au parlement une proposition de loi visant à interdire la détention et le transport d’armes et de matériel militaire, sauf par la police et les forces spéciales de l’administration. Il propose également que le port ostensible d’armes à feu soit déclaré illégal2.
Les inquiétudes du Somaliland Il reste que les autorités de Hargeysa qui observent sans plaisir et même plutôt avec une inquiétude certaine l’évolution de la situation sur leurs confins orientaux. Face aux intrusions, dont certaines sont purement « administratives » certains suggèrent même une réponse militaire immédiate. D’autres cependant jugent qu’un tel discours peut nuire à l’image du Somaliland et qu’il était plus judicieux d’opter pour un comportement responsable en se montrant enclins à résoudre pacifiquement le conflit qui ne manquera pas de survenir. Ceux-là considèrent qu’une réaction inappropriée leur aliénerait à coup sûr l’Éthiopie ainsi que les 1 2
LOI n°840. 9 I 1999. Xog Ogaal. 2 XI 1999. 365
partenaires occidentaux, anéantissant par là même tout espoir de reconnaissance. Faute de levier pour agir, Hargeysa choisit donc de limiter son action à une campagne de propagande. Ainsi, les médias, Radio Hargeysa, la radio d’État en particulier, usent systématiquement de l’ancien nom de Majertenia, considéré comme offensant, pour évoquer le Puntland en prenant soin toutefois de réserver les propos ambigus ou désobligeants qu’au seul faisceau harti des Majeerteen.
Le Puntland 366
X X – L’ EMERGENCE D ’ UNE SOCIETE DE GENS D ’ AFFAIRES
INITIATIVES BILATERALES ET ENTREPRISES PRIVEES Or l’ensemble des précarités et des difficultés qui définissent les ensembles somaliens ne dissuadent pas certains opérateurs pourtant d’y entreprendre.
Les opérateurs anglo-saxons Au mois de juin 1998, enclin à espérer que quelque chose était en train de changer, l’Open Learning Centre International (OLC) envisage d’envoyer dans l’année un représentant en Somalie afin de s’entretenir avec les hommes d’affaires de ce pays qui seraient intéressés aux programmes d’enseignement de la firme britannique. Son directeur, Brian Mee, a récemment rencontré plusieurs d’entre eux lors d’une foire commerciale au Yémen. À cette occasion, ils lui avaient fait alors savoir qu’ils formeraient volontiers les responsables de leurs sociétés aux programmes de gestion de l’OLC. Le Centre donnait déjà en Somalie des cours du niveau de fin d’études secondaires à des personnes qui avaient des activités commerciales avec l’Éthiopie voisine. L’OLC qui avait effectué en février une mission de prospection à Addis Abäba en envisageait une autre dans le courant de l’année 19991. Dans un domaine plus technique, quelques semaines plus tôt, le PDG et fondateur de la WorldWater Corporation, Quentin T. Kelly s’est personnellement rendu à Muqdishu pour y signer avec les trois chefs de factions de la capitale un accord au terme duquel sa compagnie a été désignée comme consultant d’un futur gouvernement somalien pour 1
LOI n° 815. 13 VI 1998. 367
tous les projets concernant l’eau et l’énergie. D’autant que, si WorldWater est spécialisé dans l’approvisionnement en eau et l’énergie solaire, elle propose également des réseaux de télécommunication et d’éclairage à partir précisément de cette source renouvelable, particulièrement bien adaptée au pays. Lors de sa visite, Quentin Kelly qui est un ex-assistant du président de Westinghouse Electric Corporation, est accompagné par Vincent Uhl, représentant de la firme américaine Hydrogeologic Consultants. Un pari audacieux, certes, mais le chef d’entreprise considère que parmi ses trois interlocuteurs, il en est bien un qui sera de la partie lorsqu’il s’agira de réhabiliter les infrastructures d’un pays où, jusque dans les rues, il n’est plus un fil de cuivre qui n’ait été déterré et vendu. Un marché juteux possible, si par bonheur les choses venaient à s’améliorer1.
L’inoxydable collaborateur malaisien Parmi les entreprises prêtes à s’investir, il est encore une fois difficile de ne pas évoquer la Malaisie toujours assez présente sur le théâtre somalien, voire à l’occasion dans des registres un peu glauques. Après avoir fourni jusqu’en 1995 des troupes à l’opération des Nations unies, Kuala Lumpur à l’occasion s’intéresse toujours au pays. On avait observé cette disponibilité dès février 1995 quand il s’était agi de participer aux relances du port et de l’aéroport de Muqdishu, un projet qui ne s’était jamais concrétisé compte tenu de l’insécurité dans la capitale. Au mois de mars 1997 cependant, la SNA reprenait contact avec les autorités malaisiennes. Les sujets évoqués portaient alors sur les questions de sécurité et des projets de reconstruction. Xuseen Caydiid avait à cet effet reçu Ahmad Kamil Jafar, envoyé spécial du 1er ministre malaisien2. Peut-être est-ce à cause de cette participation malaisienne à l’économie de Muqdishu que, le 1er juin, Mohamed Rashid Musa, un colonel malaisien reconverti dans les affaires est assassiné en plein centre de la capitale par un commando qui, armé de fusils d’assaut, semblait plutôt vouloir l’enlever. Mohamed Rashid Musa avait, entre 1994 et 1995, servi comme officier au sein du contingent malaisien des Nations unies. Il y était ensuite revenu dans le cadre d’une activité commerciale au titre de la Somali Telecommunications Service (STS)3. Il reste que les accointances somaliennes avec Kuala Lumpur sont toujours à rechercher dans l’entourage des Caydiid. Outre la compagnie de télécommunications, c’est une Somali-Malaysian Commercial Bank
1
LOI n° 802. 7 III 1998. LOI n° 759. 29 III 1997. 3 Une compagnie de radiotéléphone contrôlée à 70% par des intérêts malaisien et à 30% par des partenaires locaux. Parmi les Somaliens figure Cabdi Nuur Raxmaan [Habar Gidir/Cayr], fils de l’ancien ambassadeur de Somalie à Washington. 2
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qui a aussi ouvert ses portes à Muqdishu en avril 19971. En octobre 1998, quand Xuseen Caydiid se rend au Yémen et de là en Malaisie, il est avéré qu’il s’y entretient avec les dirigeants de la compagnie Adorna, la compagnie qui a fait imprimer les fameux billets de banque et qui a maintenant des projets à Muqdishu2.
L’Union européenne satisfaite de ses réalisations Un an plus tard, côté Union européenne en revanche, l’heure est plutôt au satisfecit. Un rapport de la firme Quest Consult ayant conclu au relatif succès du premier programme de réhabilitation pour la Somalie – pour un montant de 38 millions d’écus sur la période 1994/1997 –, la Commission recommande aux États membres de l’Union la poursuite de cet effort par un second programme de 47 millions d’écus, d’ores et déjà en fait entamé depuis un an. Le rapport admet, il eut été difficile de faire autrement, que l’un des objectifs du premier programme, la promotion de la paix, s’était révélé une tâche plus ambitieuse que prévu et extrêmement difficile. Le rapport fait en outre l’éloge des ONG internationales, jugées bien adaptées aux conditions prévalant en Somalie, mais estimait encore inapproprié de confier un rôle direct aux ONG somaliennes, concluant qu’il fallait plutôt privilégier les solutions de partenariat. Il conseille aussi de réorienter les priorités en matière de réhabilitation scolaire : sous la pression des notables, les investissements dans la construction de bâtiments avaient trop souvent pris le pas sur les activités de formation des enseignants et sur la fourniture de livres scolaires. Dans le domaine de la santé, en dépit de signes encourageants comme la baisse de la mortalité infantile et maternelle ou l’amélioration de l’approvisionnement en médicaments, il observe que la prise en charge des dispensaires par les communautés restait insuffisante, le manque d’expérience des ONG locales et la capacité limitée des contractants locaux ayant freiné la réalisation de projets d’infrastructure. En revanche, l’introduction de procédures d’appel d’offres avec préqualification avait contribué à la réémergence de l’ingénierie civile locale, bien que restât un gros besoin en formation de techniciens et que restassent à déplorer les nombreuses lacunes en matière de maintenance. Le rapport recommande encore d’accroître la participation des professionnels somaliens au sein de la Food Security Assessment Unit, mise en place par les agences internationales. En la matière, la stratégie devait demeurer de réduire au minimum les distributions de nourriture, de prévenir l’érosion génétique des cultures vivrières et l’érosion des sols ainsi que d’encourager la production de semences et la réhabilitation de canaux. L’appui aux PME enfin n’étant pas encore pleinement opérationnel, le second programme de réhabilitation devrait 1 2
LOI n° 814. 6 VI 1998. LOI n° 828. 10 X 1998. 369
mettre l’accent sur les microentreprises, en particulier dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche1. L’action européenne en Somalie se fondait sur la réelle connaissance que la Farnesina avait d’un dossier duquel elle ne comptait pas être exclue. La diplomatie italienne s’était une fois encore manifestée, le 4 mai 1998, quand Rino Serri avait annoncé, lors d’une visite à Nairobi, que Rome accueillerait incessamment une réunion internationale sur la Somalie.Mais il faut aussi reconnaître que l’action européenne passait par la constance de son représentant, le social-démocrate bavarois Sigurd Illing. Dans un contexte parfaitement erratique, le diplomate allemand était parvenu à évoluer en évitant la plupart des chaussestrappes - pas toutes somaliennes d’ailleurs, tant s’en faut – dispersées sur son parcours, assurément épuisant.
LES DECONVENUES Mission diplomatique égyptienne en Somalie
[12 VIII 1999]
Huit mois plus tard en revanche, la mission diplomatique égyptienne menée par le sous-secrétaire aux Affaires étrangères, Fāyiza abū n-Naǧā, procédait courageusement à un constat d’échec. À la mi-août, la diplomate entreprend en Somalie un voyage de cinq jours qui la conduit au Somaliland et à Muqdishu. Là, au cours des quarante-huit heures qu’elle passe dans la capitale, elle s’entretient avec les représentants de la faction de Xuseen Caydiid et les notables Habar Gidir. Au terme de sa visite cependant, Fāyiza abū n-Naǧā admettait l’échec des efforts consentis par l’Égypte en vue d’établir l’administration espérée. Afin d’illustrer sa déception, elle faisait remarquer combien il était décevant de constater que l’argent octroyé avait davantage servi à décorer des immeubles qu’à promouvoir la paix qui seule pouvait rendre une administration performante2. Nul ne se risquait pourtant à reconnaître que les chefs de faction, s’ils cherchaient bien à trouver entre eux les compromis propres à sécuriser leurs affaires respectives, n’avaient en aucune façon envie de voir se perpétrer en Somalie mais plus précisément encore à Muqdishu une quelconque paix des États qui imposerait à terme un ordre de nature à les ruiner.
Le quant-à-soi américain et l’épuisement de l’aide
[VII/X 1999]
Côté américain, la lassitude aussi est là. Les modestes fonds de l’USAID consacrés au développement en Somalie arrivent à épuisement fin octobre sans qu’aucune initiative particulière n’ait été prise pour trouver de nouvelles sources de financement. En 1999, l’agence américaine de 1 2
LOI n° 837. 12 XII 1998. AFP. 12 VIII 1999.
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développement a dépensé un million et demi de dollars pour financer plusieurs projets agricoles dans la vallée de la Jubba et du Shabeelle, soutenir les systèmes de soins dans le Sud et le Centre du pays et renforcer les structures communautaires dans le Nord c’est-à-dire au Somaliland et au Puntland. À la fin de l’été, seuls demeurent les financements alloués par l’agence pour l’assistance humanitaire qui représentent 3 millions de dollars et ne sont pas pour leur part proches de l’épuisement. Ce flottement apparaît, cause ou effet, avec le départ du responsable Somalie au bureau des Affaires africaines du département d’État, George Frederick, affecté au Mali. Attaché politique à Muqdishu de 1988 à 1990, il y était revenu en 1992 avec Restore Hope puis y avait secondé les trois représentants américains, Robert Oakley, Robert Gosende et Richard Begosian avant de revenir à Washington en 1994… s’occuper de la Somalie. Signe encore de la lassitude du Département d’État, il est remplacé par Arlene Ferril, une diplomate qui arrive du Kazakhstan via le Tadjikistan et ne dispose d’aucune expérience somalienne. Cet arrêt programmé de fait de l’aide au développement ne suscite une certaine inquiétude que chez les fonctionnaires américains désireux de soutenir les efforts de l’administration du président du Somaliland. Mais rien ne semble devoir parvenir à réintéresser l’Amérique. Bien que plusieurs rencontres aient lieu entre représentants du département d’État et l’agence pour tenter de négocier une solution, aucun compromis n’est trouvé et chacun estime alors que l’aide de l’agence de développement s’arrêtera en octobre1.
LE DEVELOPPEMENT DE SECTEURS DETERMINANTS Cela dit, malgré les déceptions et les lassitudes des pays et des personnels engagés, l’ensemble de ces dispositions et démarches, contribue par ailleurs, à Muqdishu comme à l’extérieur de la capitale, non seulement à l’enrichissement mais aussi à l’organisation d’une société marchande. Or leur relative discrétion, l’intérêt peu marqué que lui porte la société des journalistes peu présente en fait, et la société des humanitaires déjà bien occupée par ailleurs, contribue maintenant à perpétuer une image déformée du pays en général et de sa capitale en particulier.
Le prisme déformant De par le vaste monde, chacun sans le céder jamais au doute, continue à se représenter Muqdishu comme un immense champ de ruines où les armes probablement crépitent sans discontinuer. Tous ignorent les activités qui en réalité s’y développent, les immeubles modernes qui commencent à s’y construire. Près du marché de Bakaaraha notamment prennent pignon sur rue les institutions bancaires de transfert d’argent, 1
LOI n° 867. 24 VII 1999. 371
les xawaaladdo, les compagnies aériennes et les compagnies de télécommunication, tout ce qui relie la Somalie au monde arabe en particulier. Une société affairiste qui se distancie aussi imperceptiblement des luttes politiques car comme tout monde d’affaires, elle a besoin d’une règle du jeu, d’un retour à la fiabilité de l’échange, à la disqualification du vol. Ce monde qui ne peut plus voir transcender cette nécessaire sécurité qu’à travers la règle religieuse ne rechigne pas par conséquent à largement s’imprégner de la règle musulmane. Sauf qu’il faudra pour rétablir l’ordre que cette règle soit forte. Or en l’occurrence, on craint déjà que les wadaado et l’ordre religieux traditionnel ne soient pas en mesure d’y suffire. Car c’est un contexte radicalement nouveau qui se dessine maintenant avec l’émergence de comportements dont nul n’a encore vraiment reconnu depuis quelques années la mise en place. Un contexte qui touche aussi le reste de la planète où il posera dans les décennies à venir ses propres interrogations mais où il s’appuiera raisonnablement, pas toujours aisément, sur les structures des États. Ces changements largement bâtis sur l’émergence de nouvelles technologies donnent naissance d’une part à une nouvelle classe de gens d’affaires pour la plupart issue de la diaspora et d’autre part à une nouvelle intrusion de l’islam dans le quotidien. Toutes choses bien sûr qui laissent à des années-lumière la plus grande partie de la base somalienne. En effet, lorsque, à l’initiative djiboutienne, se mettra résolument en route un processus propre à recréer un semblant d’État, on ne pourra le dissocier d’un autre processus qu’incontestablement il aura plus ou moins suscité, favorisé même sans aucun doute : l’émergence soudaine de projets qui ex nihilo trouvent les fonds et les investisseurs indispensables à leur réalisation avec, pour corollaire, la faillite de l’économie simpliste dont se sont jusqu’alors accommodés les chefs de guerre.
Cisaleey : un nouvel aéroport hors du champ des factions Dans le nord de Muqdishu par exemple, sans incident majeur, l’aérodrome de Cisaleey est rénové et réaménagé sous l’impulsion du directeur du site, Bashiir Raage Shiraar [Abgaal/Warsangeli]. Celui-ci, qui dirige la Camel Transport Company (CTC) a pu, et c’est nouveau, se passer du soutien politique des chefs de guerre et même récuser leur collaboration. Dans la première quinzaine d’octobre 1999, lors la cérémonie d’inauguration de la piste, qui vient d’être prolongée de 1 700 à 2 500 mètres pour accueillir davantage d’avions commerciaux et d’aide, il déclare que l’aéroport ne pourra être utilisé par aucun bandit armé comme point d’extorsion ou de rapt, comme cela avait été le cas durant les neuf dernières années. Il précise en outre qu’une taxe d’aéroport minime serait demandée et que des reçus seraient délivrés1. 1
AFP. 18 IX 1999.
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Aussi force est-il de constater que si la faction Cali Mahdi a jusqu’à présent utilisé cette piste d’atterrissage, elle n’a en réalité su garantir ni la sécurité de l’installation à proprement parler, ni celle de son environnement. Officiellement, la CTC – qui se pose en troisième voie où chacun trouvera son bénéfice – espère maintenant en garantir le libre accès à ses utilisateurs « grâce à l’amélioration des relations avec toutes les factions dans la capitale divisée ».
Le développement des télécommunications L’entreprise Aerolite Somalia Telecommunications Company plus connue sous le nom d’Olympic Computers car elle utilise les locaux de l’ancien Olympic hotel à proximité du suuq Bakaaraha1 est la première compagnie de téléphone public opérant à Muqdishu. Depuis décembre 1993, elle a également développé ses activités à Afgooye, Marka, Qoryooley, Kismaayo ainsi qu’à Boorama et Hargeysa. Dans ce secteur d’activité, florissant dans un pays qui serait sinon coupé du monde, elle collabore à la loyale avec deux autres compagnies, Al Barakaat Telecom et Nationlink. Ces trois compagnies établies depuis quelques années dans un pays en guerre y prospèrent parfaitement néanmoins. Aerolite est la propriété d’un groupe d’hommes d’affaires comprenant les frères Maxamed et Cabdicaziiz Cabdulqaadir Sheekh [Ogaadeen/reer Isxaaq]2, la bellefamille gadabuursi de Maxamed ainsi que Siciid Coloow, un jeune homme d’affaires issu du lignage Habar Gidir Cayr. La société a également un actionnaire indien à Nairobi et un associé en Norvège. Barakaat Telecom est dirigée depuis la mi-1994 par Axmed-Nuur Cali Jimcaale [Duduble], un religieux qui bénéficie d’une aide substantielle de l’Arabie saoudite. L’entreprise s’est tout d’abord investie dans le transfert d’argent des émigrés vers leurs familles restées en Somalie. Cette activité nécessitant un moyen de communication fonctionnel, la société s’est dotée d’équipements modernes de télécommunications dont elle a alors entrepris d’étendre le réseau sur l’ensemble du territoire. Établie à Muqdishu, Marka, Baraawe et Balcad, elle a ensuite développé son implantation à Baydhabo mais aussi à Boosaaso et à Hargeysa. À chaque fois, ce sont de riches commerçants de ces régions, directement intéressés au succès de l’entreprise, qui en sont devenus les actionnaires. Nationlink est pour sa part une société créée à Muqdishu en septembre 1997 puis qui a très vite étendu ses activités vers Beledweyne, puis à Marka et à Balcad. Il s’agit d’une société par actions au sein de laquelle sont très bien représentés des intérêts Muruursade et Cayr, même si son 1
Ce même hôtel a été le théâtre, les 3 et 4 octobre 1993, du Maalintii Rangers. FONTRIER 2012 : 388-390. 2 Leur père qui était un commerçant ayant pignon sur rue sous le régime précédent, a récemment été assassiné à Kismaayo. 373
manager Cabdirisaaq Iddo est un Abgaal Waceysle1. Associée à d’autres firmes - GAICOM à Gaalkacyo, NETCO à Boosaaso, STC à Hargeysa, Nationlink constitue le Somali Telecom Group.
L’apparition de l’internet Autre registre plus spectaculaire encore dans un pays réputé en proie à la guerre, la Somalie, l’un des derniers pays d’Afrique à être sans connexion à l’internet, accède soudain au réseau2. En dépit du fait qu’il ne dispose d’aucune infrastructure adaptée, que la violence des factions fasse toujours peser une menace sur la moindre installation, un fournisseur d’accès prend le risque de se lancer dans l’aventure. C’est l’administrateur du réseau Olympic Computers, Ibraahin Cabdulqaadir Sheekh, qui annonce que sa compagnie a entrepris de fournir un accès non seulement dans la capitale mais aussi à Marka, Boorama et à Hargeysa. Sur ce substrat déjà étoffé, le 29 septembre 1999, Ibraahin qui est le fils de l’un des principaux actionnaires d’Aerolite, fait savoir que les 25 premiers utilisateurs internet étaient déjà connectés à Muqdishu et que d’autres seraient en ligne dans les jours à venir. Certes, le coût élevé de la souscription semble dissuasif avec une installation initiale de 120 dollars et de 30 dollars par mois pour louer une ligne, comme tout aussi exorbitant apparaît le coût de 75 cents la minute pour naviguer sur la toile. Mais cette difficulté semble avoir été prise en compte puisque la compagnie précise par ailleurs que les prix descendront dès que le nombre de ses clients aura dépassé les trois cents3.
LA PAIX DES GENS D’AFFAIRES Hors Muqdishu, des développements particuliers se dessinent aussi à partir d’autres parties de l’ensemble somalien. Des moyens financiers plus étoffés et la volonté d’hommes d’affaires expatriés sont sur le point d’identifier un nouveau mode de fonctionnement et développer à son aplomb de nouveaux projets propres à favoriser la normalisation. La mise en place se déroulera en trois temps. Parti d’une initiative du président du Puntland, il sera repris par les organisations internationales avant d’être quasiment confié au nouveau président de la République de Djibouti, tout récemment élu.
Le développement du lobbying à l’étranger Car d’autres démarches encore appellent l’attention. Celle par exemple, de l’ancien ambassadeur de Somalie à Washington, Cabdullaahi Axmed 1
LOI n°874. 9 X 1999. Trois pays africains ne sont pas encore reliés à la toile : le Congo Brazzaville, l’Érythrée et la Somalie. 3 BBC Online Network. 27 IX 1999. 2
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Caddow. Habar Gidir Sacad comme Xuseen Caydiid dont il bénéficie de la protection, il a engagé au début de l’été un cabinet d’avocats américains pour faire du lobbying en faveur « d’un plan de règlement politique en Somalie ». Son projet, en soi simpliste, prétend unifier les clans pour établir un gouvernement démocratique en instituant une économie de marché. Il attend ainsi du cabinet Imman Deming qu’il lui obtienne un soutien de l’administration américaine à son initiative. Il faut observer qu’ici encore, on assiste au retour d’un membre du précédent régime dont il a été ambassadeur aux États-Unis pendant plus de 10 ans après avoir été le ministre des Finances de Siyaad Barre. L’une de ses filles est d’ailleurs l’épouse d’un fils de l’ex-chef de l’État somalien, Cabdullaahi Siyaad Barre, médecin qui a longtemps dirigé le ministère de la Santé quand son père était président. Dans son profil, on observe aussi ses relations avec le Moyen-Orient, où l’un de ses fils travaille pour un homme d’affaires d’origine indienne basé à Dubaï. Aujourd’hui reconverti dans le commerce du bétail entre les Émirats et la Somalie, l’ancien ambassadeur a choisi pour faire sa propagande l’avocat Stuart Deming qui dispose d’une expérience de la Corne de l’Afrique et surtout de solides contacts au sein de l’administration américaine. Durant les dix dernières années, il a en effet conseillé le département d’État, le département de la Défense, le département du Commerce ainsi que celui de la Justice1 avant, en 1994, d’être envoyé par l’American Bar Association en Éthiopie pour assister le procureur du gouvernement de l’EPRDF 2.
L’islam et le moteur économico-religieux des Cayr Mais à côté de ces évolutions techniques et de ces extra territorialisations des alliances, le monde des affaires en quête de stabilité se montre enclin à solliciter le monde religieux. Rapidement maintenant, un nouvel environnement se dessine, au détriment des chefs de factions condamnés à composer ou à disparaître. Ainsi une vague lentement déferle qui ramène une population expatriée venue de plusieurs horizons : les uns ont fui il y a des années le régime de Siyaad, d’autres plus récemment le renversement du dictateur et la guerre civile. Les premiers à revenir sont les harpons d’une diaspora éduquée qui maintient une base somali aux quatre coins de la planète. Car le temps des chefs de guerre issus de 1991 est en l’état révolu. Dans son fief au nord de la capitale par exemple, l’autorité de Cali Mahdi qui séjourne de plus en plus souvent au Caire est contestée par des chefs religieux. La précarité de sa situation devient bien réelle quand les autorités musulmanes annoncent le rétablissement de la sharīʿa dans 1
LOI n° 872. 25 IX 1999. Imman Deming est également un spécialiste du droit de la guerre, et plus particulièrement de la poursuite des criminels de guerre : il est depuis 1994 le secrétaire de la Task force sur les crimes de guerre de l’American Bar Association. 2
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certaines parties de la Somalie. À Muqdishu, alors que le rétablissement de la loi musulmane est sur le point de s’imposer, une Cour suprême est mise en place, avec sa propre milice et ses enquêteurs. La compétence du tribunal couvre rapidement Muqdishu Nord ainsi que d’autres zones habitées par des clans abgaal. Face à leur succès, l’ancien président de la Commission de mise en œuvre de la loi islamique, le sheekh Shariif sheekh Muxyadiin, en appelle même à la prudence et à la mesure, rappelant que « … si les sous-clans ne sont pas en paix les uns avec les autres, il ne peut pas y avoir le même système de justice » et de préciser à l’aplomb de ses craintes que « …les clans abgaal sont toujours en guerre les uns contre les autres. » Songeant ainsi à ses propres déboires, tous se souviennent en effet qu’un précédent tribunal s’était effondré il y a deux ans à peine, après une fracture survenue entre les musulmans et les anciens des lignages. Le sheekh Cali Dheere, avait alors prononcé des sentences d’exécution publique, l’amputation et la flagellation contre des contrevenants présumés qui avaient été privés de représentation légale et de droit d’appel. Aussi, dans le nouveau système, des précautions sont-elles prises de sorte que le tribunal supervise la mise en œuvre de la sharīʿa et que la police soit recrutée avec soin et équitablement parmi les miliciens embauchés au sein du complexe réseau des milices claniques. À Muqdishu, l’annonce de ces dispositions est suivie du rassemblement de plusieurs centaines de personnes à l’hôtel Ramadan où une personnalité religieuse neutre, sheekh Camuud Axmed Siyaar, est nommée président du nouveau tribunal islamique formée de 114 membres1. Pour Xuseen Caydiid aussi, la situation est devenue compliquée, économiquement d’abord. Déjà militairement affaibli par sa défaite en juin face aux miliciens de la RRA, celle-ci ayant pris le contrôle de la ville et de l’aéroport de Baydhabo. Xuseen est devenu dépendant de l’aéroport de Balli Doogle. Or celui-ci n’est plus sous le contrôle militaire direct des miliciens de son clan, les Sacad mais plutôt sous celui des miliciens Cayr, lignage très présent désormais, tant dans le monde des gens d’affaires que dans celui des sympathisants islamistes. En effet, mis à part Cabdulqaadir Ceeno [Harti Abgaal] et Maxamuud Maxamed Guuleed2 [Abgaal/ Waceysle], les bailleurs de fonds des tribunaux islamiques sont pour la plupart des Habar Gidir. Il en va également ainsi du principal actionnaire de la Barrakat Telecom, Axmed-Nuur Cali Jimcaale [Habar Gidir/Duduble], de Maxamed Cabdulle Deylaaf [Cayr] qui travaille avec Care International et dont le partenaire commercial à Djibouti n’est autre que Abdourahman Boreh, le rénovateur de l’aéroport de Cisaleey, et de Cali Dheere. C’est également au lignage Cayr qu’appartient Cabdinuur Axmed Maxamed 1
AFP. 30 IX 1999. Enrichi en assurant la protection des entrepôts du WFP à Muqdishu à raison de 250 $ par tonne à protéger et de 170 $ par tonne à distribuer, payés rubis sur l’ongle.
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376
Darmaan, ce fils de l’ex-ambassadeur somalien qui a récemment lancé le United Somali Republic Party (USRP), et Xaakima, l’influente épouse de Axmed Xaaf. On observe ainsi que des entrepreneurs comme Axmed Xaaf ou Maxamed Faarax Jimcaale, bien que du clan Sacad, prennent maintenant leurs distances par rapport à Xuseen Caydiid. Un certain nombre de gros commerçants de Muqdishu préfèrent compter sur les milices des tribunaux islamiques pour lever les barrages militaires sur les routes qui gênent leurs transactions. Ce faisant, ils prennent aussi le risque de voir les islamistes radicaux, avatars d’Al Itixaad, tirer profit de cette situation1. Et puis tous ces commerçants Habar Gidir sont intéressés par l’opportunité de disposer à Marka d’un exutoire portuaire pour leurs activités. Attendu que nul n’est parvenu à s’y entendre, le port de Muqdishu reste fermé et celui de Ceel Macaan plus au nord est contrôlé par les Abgaal qui ont acheté de nouvelles barges et réclament de fortes sommes pour leur utilisation.
La création du United Somali Republic Party (USRP)
[7 X 1999]
Aussi faut-il considérer maintenant comment la relation entre le monde hawiiye et les hommes d’affaires établis aux États-Unis prend en cette fin d’année 1999 un tour résolument nouveau. À ce moment de l’histoire en effet se met en place en Somalie un nouveau parti, le United Somali Republic Party(USRP), qui tient pour la première fois une grande réunion dans le stade de la capitale, le 7 octobre 1999. Bien que nul hors de Muqdishu n’en ait vraiment entendu parler, il est dit que le nouveau mouvement aurait été créé un an plus tôt et qu’il était dirigé par Galladid Cabdinuur Axmad Darmaan [Habar Gidir/Cayr/Cabsiye], Somalien d’Amérique, directeur de la SomaliMalaysian Commercial Bank que nous avons vu en avril 1997 s’installer dans la capitale et par l’intermédiaire duquel parviennent les billets financés par la Malaisie2. Des centaines de membres du lignage Cayr qui en constituent indéniablement le cœur animent la manifestation à laquelle assistent également certains dignitaires des autres lignages. Des dizaines de technicals et des centaines de miliciens entourent alors le stade afin de prévenir tout incident. Les manifestants agitant des drapeaux et criant des slogans accompagnent la manifestation tout au long des rues menant au stade. La veille, des véhicules équipés de hautparleurs ont sillonné les rues de Muqdishu-sud en distribuant des brochures à l’attention de la population. Lors du rassemblement, le parti demande aussi aux Nations unies et aux États-Unis d’indemniser les Somaliens pour la mort, les blessures et la perte de biens occasionnés 1
LOI n°878. 6 XI 1999. Galladid Cabdinuur Darmaan soutien au début des années 1990 la SNA du général Maxamed Faarax Caydiid auquel il fait parvenir des fonds. L’alliance qui s’établit au niveau des Hawiiye/Habar Gidir dont les Cayr constituent un lignage s’oppose aux Hawiiye/Abgaal qui soutiennent Cali Mahdi.
2
377
par les combats le 3 octobre 1993 au cours desquels plus de 500 Somaliens pourraient avoir été tués. Mais un élément nouveau se dessine également : la manifestation sousentend un désaveu de la communauté Habar Gidir à l’encontre de Xuseen Caydiid, chef de bande bien éloigné il est vrai de l’envergure de son père et dont l’action se solde par une inquiétante fragmentation du faisceau lignager1. Dans un premier temps, celui-ci accuse le nouveau parti d’être manipulé par des éléments étrangers qui sont en train de diviser les Habar Gidir. Il menace ensuite en déclarant qu’aucune manifestation ne se déroulerait sur sa zone sans son autorisation. Mais en réalité aucun incident ne vient gâcher la fête du nouveau parti dont le porte-parole, Bashiir Nuur Geeddi n’a de cesse d’affirmer que son objectif était de mettre sur pied un gouvernement de réconciliation, d’encourager la liberté d’expression et de conscience, ainsi que d’établir des relations de respect mutuel et de coexistence pacifique avec les pays voisins, y compris l’Éthiopie. Une diaspora avertie se présente donc maintenant, décidée à imposer ses réseaux commerciaux à travers un nouvel ordre somalien. Une diaspora qui dispose de contacts ultramarins. William Grant par exemple, représentant de la Floride au Congrès à la fin des années 1980, participe largement à cette nouvelle reconstruction. Avocat de formation, il a commencé à s’impliquer dans les affaires somaliennes en 1994 par l’entremise d’une association d’avocats africains, la Central African Lawyers Union (UNAAC) 2. Très proche de Maxamed Faarax Caydiid, il a, au décès de ce dernier, contribué à l’établissement de son fils en participant activement à la rédaction de l’accord du Caire signé en décembre 1997. Mais durant l’année 1998, il s’éloigne de celui-ci dont il a vite senti que s’il n’avait pas les qualités de son père, il en avait en revanche retenu les plus fâcheux défauts. Grant choisit alors de se rapprocher de Galladid Cabdinuur Axmad Darmaan et d’aider le fondateur de l’USRP à rédiger une proposition de résolution du conflit somalien qui sert de programme politique à son parti. Comme son père, Axmed Maxamed Darmaan, ancien ambassadeur de Somalie à Washington, Galladid Cabdinuur cherche à se faire passer pour le futur chef des Cayr afin d’y obtenir des appuis. On se rappelle aussi que, quelques années plus tôt, il s’était aussi lié avec le colonel malaisien Mohamed Rashid Musa devenu homme d’affaires, tué à Muqdishu en juin 19983. Mais c’est un tout autre scenario qui se profile. Si Galladid participe incontestablement de cet élan qui disqualifiera les chefs de guerre issus du renversement de Siyaad, il ne sera pas en mesure d’imposer sa propre personne et devra se contenter de surfer sur la vague, non sans quelque réussite il est vrai. 1 2 3
Xinhua News Agency. 7 X 1999. Créée par le juriste et homme politique camerounais Bernard Acho Mouna. LOI n°875. 16 X 1999
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X XI – M ARGINALISER LES CHEF S DE GUERRE
Tandis que s’éloignent les perspectives de conférence, que ce soit à Boosaaso, à Baydhabo ou ailleurs, une nouvelle approche fait son chemin au milieu de l’année 1999. Elle est méticuleusement lancée à l’initiative du nouveau président de la République de Djibouti, Ismaël Omar Guelleh, et se démarquera de précédentes tentatives par l’ampleur de son organisation, les moyens mis en œuvre, le temps dévolu a sa réalisation et une approche bien particulière de la crise. La Somalia National Peace Conference (SNPC) qui se réunira à Arta en République de Djibouti à partir de mai 2000 constituera avec la conférence d’Addis Abäba en 1993, la tentative la plus achevée de règlement de la situation somalienne. Elle se conclura sur l’institution d’un parlement, l’élaboration d’une charte constitutive, l’élection d’u président et l’instauration d’un gouvernement. Quel que soit son destin dont il est prématuré de préjuger, il s’agira d’un processus qui à défaut de faire l’unanimité en Somalie obtiendra, bon gré mal gré, l’adhésion de l’ensemble des acteurs internationaux.
UNE NOUVELLE APPROCHE DU PROCESSUS DE RECONCILIATION. Proposition de la Ligue arabe
[22 VI 1999]
Selon une déclaration diffusée le 22 juin 1999, après avoir rencontré Xuseen Caydiid et Cali Mahdi, la Ligue arabe dont il est toujours prudent d’attendre le minimum propose par la voix de son Secrétaire général d’accueillir des conversations de paix entre les factions. Sont conviés des intervenants nationaux et régionaux dont certains à venir de pays étrangers à la crise. Les invitations sont lancées alors que des 379
fonctionnaires égyptiens sont réunis pour examiner les progrès accomplis depuis l’accord de paix signé au Caire à la fin de 1997.
La proposition djiboutienne aux Nations unies
[22 VII 1999]
Mais c’est un autre événement encore qui s’apprête à fonder l’avenir immédiat de la Somalie. Il résulte d’une réflexion originale qui maintenant conduit la République de Djibouti à mettre en chantier un processus nouveau. L’initiative procède des travaux d’un symposium réuni en avril 1997 à Ṣanʿā’ sous l’égide de l’UNESCO autour du thème « Culture et paix en Somalie »1. Dans le cadre d’un projet baptisé Social Integration and Development through Building Culture for Peace, l’UNESCO avait alors commandé une étude dans le dessein d’évaluer quelle place la culture et l’art pourraient tenir dans une dynamique de règlement de la guerre civile. L’étude en question avait été confiée à deux intellectuels somaliens, Cabdullaahi Maxamed Shirwac et Maxamed Daahir Afraax2. Le premier s’était penché sur les transformations sociopolitiques survenues après l’effondrement des institutions gouvernementales, le second avait tenté d’identifier les éléments culturels et les moyens susceptibles d’aider à transformer la culture de la violence en une culture de la paix. Tous deux, et cette originalité pouvait s’étendre à d’autres domaines de réflexion, proposaient une analyse de la situation à partir de l’intérieur. Des travaux de Maxamed Afraax, il concluait d’une part à la nécessité d’utiliser la culture et l’éducation en faisant appel aux moyens de communication de masse afin de changer les comportements notamment au sein de la jeunesse. Il ressortait d’autre part la nécessité, fort de ce nouveau concept, de travailler avec les structures ordinaires de la société civile somali. Maxamed considérait que négliger ces deux aspects rendrait inopérantes toutes les tentatives engagées. C’est à travers ce regard que le gouvernement de Djibouti prendra sérieusement en compte les aspects culturels qui conduiront par exemple à l’organisation dans la capitale, en mars 2000, du Festival of Somali Art and Literature for Peace Symposium. Mais c’est depuis un an déjà qu’Ismaël Omar Guelleh, élu à la présidence en avril 1999, s’est emparé du projet culturel qu’il s’applique à transformer en projet politique. Dès lors, il se propose simplement « d’accélérer les événements » parce que les Somaliens ne pouvaient pas se permettre le luxe d’un processus lent. C’est ainsi que pressé de s’affirmer sur le terrain international, mais homme d’affaires aussi dans tous les sens du terme, le président djiboutien identifie tout l’intérêt qu’il peut retirer d’un hypothétique succès. Aussi avec ce brio qu’il est difficile de ne pas 1
Cf. supra : 72.
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Maxamed Daahir Afraax. Channels of Communication for Peace-building in Somalia.1994. 380
lui reconnaître, s’apprête-t-il moins à disqualifier des chefs de guerre qui vont continuer d’exister çà et là qu’à leur arracher des mains les leviers qui entretiennent leur contre-productif pouvoir. Une autre force qui dans un premier temps échappe à la plupart s’invite aussi à l’exercice, l’islam intégriste. Mais il s’agit moins en l’occurrence de celui qui opère dans sa version la plus radicale à travers les survivances d’Al Itixaad que de celui qui a investi puis pénétré l’ensemble de l’appareil économique somalien jusqu’à ses relais les plus éloignés à travers Al Islaax. Ainsi, quand le Comité permanent du Conseil de sécurité se réunit le 22 juillet 1999, la République de Djibouti propose un plan de paix. Celui-ci contient des éléments à la fois culturels et politiques. L’élément culturel prend en compte un programme étalé entre janvier et juin 2000. Les propositions de Djibouti incluent ainsi l’établissement d’un conseil représentatif basé sur la région plutôt que sur le clan avec un tiers des sièges réservés à la société civile. Le conseil lui-même serait composé de deux chambres, à l’instar de ce qui fonctionne au Somaliland : une chambre haute réservée aux notables et une chambre basse dévolue à la représentation politique. Le conseil aurait un mandat de trois ans durant lequel il préparerait une constitution de transition et un référendum afin de l’approuver. Un conseil exécutif agirait en tant que gouvernement par intérim. Le représentant de Djibouti suggère enfin que la communauté internationale joue un rôle important en octroyant dès le début de l’exercice les soutiens technique et financier nécessaires. Un tel plan est bien accueilli par les autres membres du Comité permanent qui acceptent de l’étudier1.
Le mandat de l’Assemblée générale
[14 IX 1999]
Ainsi la nouvelle démarche est-elle rapidement avalisée puisque, dès le 23 septembre, la 54e Assemblée générale des Nations unies charge Djibouti de présenter un rapport établissant la convergence des points de vue des institutions internationales – IGAD, Ligue des États arabes, Nations unies, OUA et Union européenne – à propos de la Somalie2. Si le travail est confié à Djibouti, c’est aussi parce que depuis quelque temps, l’ébauche de son plan de paix circule à Nairobi entre les ambassades de France, d’Allemagne, de Hollande et de Norvège. Lors de sa dernière visite à Djibouti en compagnie d’un responsable de la Commission européenne, l’envoyé permanent italien pour la Somalie, Francesco Sciortino, a arrêté avec le président Ismaël Omar le principe d’une collaboration des États européens et des représentants de l’Union européenne. C’est donc à l’aplomb des approches effectuées par le
1
Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie. S/1999/882. 16 VIII 1999. 2 LOI n° 870. 11 IX 1999. 381
diplomate, que certains pays d’Europe rejoignent le processus qui se dessine à la Farnesina. Naturellement, rien n’est encore décidé, ni le où ni le quand. Mais au début du mois de décembre, sur les brisées de la Ligue arabe, le président yéménite ʿAlī ʿAbdullāh Ṣāliḥ fait déjà savoir que son pays était disposé à accueillir et à financer une conférence afin de parvenir à une résolution consensuelle du conflit intérieur somalien1. Les velléités de bons offices ne manquent pas, toutes menacées par l’obstination de véritables chefs de gangs qui a la tête de leurs bandes armées n’ont plus, si jamais ils l’ont vraiment eu, le moindre dessein consensuel de construction politique. Le 28 septembre 1999, devant l’Assemblée générale des Nations unies, Ismaël Omar Guelleh présente un programme visant à écarter les chefs de factions réticents ou hostiles à un processus global de reconstruction du pays. La Somali National Peace Conference a pour dessein de définir un mouvement, un « processus de paix » [Geeddi Socodka Nabadda] en sollicitant les chefs traditionnels venus de toutes les régions. Cette approche vise non seulement à chercher une solution, mais encore à mettre en route un processus de reconstruction d’une société affectée par la guerre en en responsabilisant à nouveau l’ensemble des acteurs. Ce faisant, il interpelle la communauté internationale sur ses propres devoirs envers le peuple somalien en détresse. Le discours met aussi en lumière la personnalité d’un président récemment placé à la tête d’un pays en crise socio-économique depuis dix ans, et qui attend de sa démarche qu’elle le crédibilise auprès des grands bailleurs de fonds. Pour Ismaël Omar Guelleh, réussir, c’est aussi repositionner Djibouti au sortir de sa propre crise interne. Outre ses propres qualités intrinsèques, notamment sa réputation d’avoir un style très affirmé et une prédisposition innée à l’interventionnisme, le président djiboutien assoit sa crédibilité sur son partage avec les Somaliens d’une même langue et d’une même culture, mais plus encore le crédit d’être récemment sorti vainqueur d’une guerre civile. Mais en l’occurrence, il peut aussi accessoirement user de la caisse de résonnance que lui procure l’IGAD dont la République de Djibouti assume alors la présidence.
La création de la Somali Peace Alliance
[16 VIII 1999]
Un autre événement survenu un mois plus tôt mérite aussi quelque attention. Le 16 août 1999 en effet, Cabdullaahi Yuusuf a pris pour prétexte les fêtes du premier anniversaire de l’État du Puntland pour rassembler à Garoowe les chefs des factions somaliennes. La manifestation donne lieu le lendemain à la mise sur pied d’un nouveau regroupement à quatre composantes qui prend le nom de Somali Peace Alliance (SPA) et rassemble des représentants : 1
AFP. 3 XII 1999.
382
-
du Puntland, donc de l’ex-SSDF ; de la Somali Consultative Conference, nouvelle formation dirigée par Cumar Xaashi Aadan. Formée au terme d’une longue conférence de dignitaires hawiiye en l’absence de représentants des clans Habar Gidir, elle s’articule autour du United Somali Congress-Somali Patriotic Movement (USC-SPM), la faction xawaadle de l’USC ; - des Mareexaan la faction du Somali National Front (SNF) rassemblés autour d’Axmed sheekh Cali Axmed Buraale ; - de la RRA dirigée par Aadan Maxamed Nuur Shaatiguduud. L’ensemble se dote ainsi d’un cabinet de vingt-sept membres dont six constituent un présidium - Cabdullaahi Yuusuf, Axmed Buraale, Cumar Xaashi Aadan, Maxamed Cumar Maxamed, Xasan Maxamed Nuur et Aadan Shaatiguduud. La SPA se fixe comme objectif de constituer à partir des groupes qui la composent et qui rassemblent des représentants des trois grands faisceaux lignagers du Sud – Daarood, Hawiiye et Raxanweyn - une autorité centrale et des administrations assises sur une base régionale. Elle prévoit également d’en unifier les groupes armés et d’installer un commandant militaire uni à Beledweyne, dans la région du Hiiraan, au centre du pays. Les dirigeants du Puntland sont clairs : cette démarche concrétise leur stratégie de reconstruction par la base – bottom-up approach – destinée à recomposer une autorité centrale en Somalie à partir des entités régionales qui se sont constituées au terme de sa fragmentation. Naturellement, une telle perspective est toujours combattue par les chefs de guerre de Muqdishu qui ont leurs propres intentions ; elle reste en outre ignorée par les dirigeants du Somaliland qui ne se situent plus dans le cadre d’une Somalie unifiée1. Sans tarder bien sûr, les chefs des autres factions, au premier rang desquels figurent Xuseen Caydiid, Cali Mahdi, Maxamed Qanyare Afrax, Axmed Cumar Jees et Cumar Masalle dénoncent vigoureusement le nouveau mouvement, avertissant que sa constitution pourrait conduire à un nouveau bain de sang en Somalie. Xuseen Bood, qui contrôle une partie du nord de Muqdishu semble devoir rester sur sa réserve, faisant seulement remarquer que le rassemblement de Garoowe était supposé commémorer le premier anniversaire de la formation du Puntland et non donner lieu à des discussions politiques ou militaires. Menaces et invectives ne perturbent pas pour autant la nouvelle organisation, dont l’un des membres fondateurs, le colonel Cumar Xaashi Aadan, déclare qu’elle entendait rassembler les Somaliens à la recherche d’une paix que menaçaient des « interventions anarchistes étrangères »2. Le 20 août, la nouvelle SPA, entreprend à l’invite de la RRA de poursuivre ses conversations à Baydhabo. Les pourparlers tentent 1 2
LOI n°870. 11 IX 1999. AFP. 17 VIII 1999. 383
d’identifier les modalités d’un processus de paix. Le général Aadan Nuur Gabiyow, qui représente les clans absaame, et Xuseen Bood, assistent à la conférence qui a maintenant également été rejointe par le dirigeant Galjecl Cabdullaahi Macalin Faax afin de représenter la région centrale du Hiiraan. Axmed Buraale assiste en tant que représentant du groupe dissident du SNF dans la région de Geedo. Et bien que les consultations commencent sans représentant de l’État du Puntland1, c’est bien dès septembre, une délégation du présidium de la SPA conduite par Cabdullaahi Yuusuf qui se rend successivement en Éthiopie et en Libye pour présenter aux gouvernements la nouvelle alliance politico-militaire.
LA MISE EN ROUTE DU PROCESSUS Les premières démarches
[X/XI 1999]
Pendant ce temps, au-delà de Muqdishu, l’initiative djiboutienne suit son cours. Au mois d’octobre 1999, sous l’égide de l’IGAD International Partners Forum, le gouvernement italien tient un symposium international rassemblant l’ensemble des pays intéressés par l’affaire somalienne. Parmi les états membres de l’IGAD, la République de Djibouti et l’Éthiopie décident d’envoyer des délégations de haut niveau. La réunion est présidée par le ministre des Affaires étrangères italien qui commente le récent rapport du Secrétaire général des Nations unies sur la Somalie ainsi que les récentes propositions présentées à New York par le nouveau président djiboutien. Les recommandations de la réunion doivent être envoyées au Secrétaire général à New York ainsi qu’à toutes les parties prenantes à la démarche en cours. Pendant ce temps Ismaël Omar Guelleh entreprend de consulter des personnalités somali et somaliennes, autorités traditionnelles, chefs d’opinion et hommes politiques sur ses récentes propositions de paix2. Il met ainsi en place un processus d’entretiens qui conduit à Djibouti des représentants de l’ensemble des sensibilités somaliennes : la délégation des représentants du clan Habar Gidir déjà présents est rejointe par certaines personnalités qui depuis quelques années maintenant avaient quitté le pays. Le 19 octobre, Cabdiqaasin Salaad Xasan et le général Maxamed Nuur Galaal, tous deux Cayr et anciens proches de Siyaad Barre, arrivent ainsi à Djibouti où les délégations de l’administration du Puntland et du Somaliland sont également attendues3. David Stephen, le représentant des Nations unies pour la Somalie prévoit aussi d’appuyer cette démarche qui pourrait signifier des moyens accrus d’aide à la Somalie et la possibilité d’un suivi plus sérieux de l’embargo sur les armes. Le projet présente par ailleurs 1 2 3
AFP. 20 VIII 1999. La Nation. 21 I 2000.
Qaran 20 X 1999; Xog ogaal 20 X 1999.
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l’avantage d’être toléré par l’Éthiopie qui n’y voit pas de trace de soutien à son ennemi somalien, Xuseen Caydiid 1. Un ballet diplomatique se déploie dans les pays de la région, et même au-delà auprès des pays intéressés par le problème. Fort de ce projet, une demi-année durant, Ismaël Omar entreprend de convaincre. Convaincre en tout premier lieu ses homologues des États périphériques et naturellement les interlocuteurs somaliens… ou somalilandais, mais aussi le concert des nations en franchissant à chaque fois l’un de ses cercles concentriques : IGAD dont il assure la présidence, OUA, Ligue arabe puis Union européenne et Nations unies. Partout le président djiboutien plaide la cause somalienne et tente de rapprocher les différents points de vue et d’appréciation des gouvernements. Les divergences ont en effet atteint leur paroxysme avec la guerre que se livrent l’Éthiopie et l’Érythrée qui par procuration entretiennent un second front dans le pays somali2. Le succès apparent que rencontre le plan de réconciliation auprès de ses interlocuteurs laisse un peu prématurément accroire à beaucoup d’observateurs à « la fin des divergences à propos de la Somalie ». Dans un entretien, même le représentant de l’ONU, David Stephen souligne dans le processus djiboutien « […] that is that there is no competition »3. Peu à peu, à travers le discours tenu, Djibouti s’impose comme le lieu où s’élabore la politique somalienne au détriment de Muqdishu et dans une moindre mesure de Hargeysa. Des émissaires gouvernementaux y convergent, des représentants des organisations internationales s’y déplacent afin de prendre connaissance du projet d’Ismaël Omar Guelleh. Lui-même reçoit des personnalités et des chefs politiques somaliens dans le cadre d’une concertation autour de son plan.
Position du Puntland
[20 X 1999]
Après les entretiens qu’ils ont eus à Addis Abäba, le président du Puntland et Ismaël Omar Guelleh se rencontrent donc à nouveau à Djibouti le 20 octobre pour échanger sur la situation dans l’ensemble somalien. Les deux hommes tombent d’accord sur la nécessité d’appuyer un processus de réconciliation nationale en le fondant sur les nouvelles autorités régionales du Puntland et du Somaliland. Mais le colonel Cabdullaahi Yuusuf qui apporte ainsi son soutien à l’initiative remet aussi au président djiboutien un document adopté le 18 octobre à Addis Abäba par la Somali Peace Alliance, document qui précisément avance huit recommandations en vue de la tenue d’une conférence de réconciliation nationale et de la restauration d’un État central. Ces recommandations avec lesquelles le président djiboutien semble d’accord visent avant tout à disqualifier les chefs de guerre de 1 2 3
LOI n° 872. 25 IX 1999. PRUNIER, Gérard. Le Monde diplomatique. IV 2000. IRIN. 8 V 2000. 385
Muqdishu et à éviter qu’ils ne tiennent à nouveau le haut du pavé au terme d’une énième conférence de réconciliation. Elles indiquent aussi que l’exercice envisagé devra absolument être précédé de consultations, c’est-à-dire d’une série de conférences régionales pour le financement desquelles il serait souhaitable de solliciter une aide extérieure. La SPA souhaite aussi qu’aucune faction militaire ou clanique ne soit autorisée à envoyer de délégués à de telles conférences sous prétexte de représenter des régions qu’elles occupent dès lors que celle-ci ne relève pas de sa zone d’habitation traditionnelle. Songeant clairement à la présence de Xuseen Caydiid dans le Baay, la SPA considère que des problèmes de légitimité se poseront également dans les provinces de Jubbada Hoose et Jubbada Dhexe ainsi que dans celles des Shabeelle et dans le Banaadir. La SPA met enfin en garde Djibouti contre les forces, somaliennes ou étrangères, qui chercheraient à saboter son initiative de paix1. Aussi, après ses visites en Éthiopie et à Djibouti, le président Cabdullaahi Yuusuf se hâte-t-il de rentrer au Puntland dont la loi lui interdit de rester plus de 60 jours absent. Après ce qui ne sera simplement qu’un passage, il repartira en Éthiopie et à Kampala où l’a invité le président Yuweri Museveni2.
L’approbation du plan de paix par l’IGAD
[25-26 XI 1999]
La République de Djibouti conforte encore son image de médiatrice régionale quand à l’occasion du 8e sommet des chefs d’État de l’IGAD qu’elle accueille les 25 et 26 novembre, son président réussit d’une part à faire approuver un plan de paix pour la Somalie et d’autre part à réconcilier le président soudanais, ʿUmar al-Bashīr, avec son principal opposant, Ḥasan at-Turābī. Seuls l’Éthiopie, le Kenya et le Soudan sont présents ; l’Ouganda est absent, l’Érythrée a boycotté le sommet et la Somalie, bien sûr, ne dispose d’aucun gouvernement propre à représenter l’ensemble du pays. Reste que les deux initiatives sont de nature à diminuer les tensions et sont accueillies avec satisfaction par les Éthiopiens dont la diplomatie cherche à la fois à isoler l’Érythrée et à protéger ses frontières à l’ouest et au sud. Le plan de paix du président Ismaël Omar ouvre de nouvelles perspectives politiques par son implication d’un pouvoir civil sur fond de désarmement des milices. Il est ainsi évoqué la mise sur pied d’une force de coercition légitime, en l’occurrence une police, avec l’aide des Nations unies. Le sommet reconnaît enfin les efforts de pacification réalisés au Somaliland et au Puntland ainsi que ceux entrepris dans les régions du Baay et du Bakool3. 1
LOI n° 876. 23 X 1999. LOI n°877. 30 X 1999.
2 3
AFP. 14 & 27 XI 1999.
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Dès lors, d’autres organisations internationales dont l’OUA, la Ligue arabe, l’IGAD International Partners Forum1 et l’OCI prennent le parti d’emboîter le pas et d’apporter leur soutien à une initiative résolument novatrice.
Le plan de paix avalisé par les Occidentaux
[II 2000]
Le plan de paix présenté par le président djiboutien est également avalisé, au milieu du mois de février, par les partenaires occidentaux de l’IGAD. Ce plan ambitieux se précise et prévoit maintenant la tenue à Djibouti d’une conférence de réconciliation qui se tiendrait entre le 20 avril et le 5 mai et à laquelle participeraient 1500 délégués. À raison d’un coût minimum de 100 $ par personne et par jour, le budget de cette conférence devrait donc tourner autour de 2,5 millions de dollars, une somme que Djibouti et la diaspora somalienne ne pourront assumer. Il est sinon prévu que cette conférence désignerait un parlement qui siégerait à Muqdishu. Celui-ci serait chargé de nommer un Premier ministre qui proposerait un gouvernement de transition dont le mandat ne devrait pas excéder deux ans. Si la procédure pour parvenir à ce résultat promet d’être compliquée, l’objectif affiché en soi reste très raisonnable. Puis le président djiboutien poursuit ses démarches auprès des gouvernements de la région et des pays arabes en faveur de son plan, tandis que son directeur de cabinet, Ismaël Tani, s’emploie à convaincre les Somaliens de former des délégations pour cette conférence. Nul ne doute toutefois que cette initiative ait la moindre chance d’imposer ses décisions aux chefs de guerre qui refuseront de les avaliser2.
LA RECOMPOSITION DU CONTEXTE POLITIQUE Pendant ce temps sur le terrain, les choses continuent également d’évoluer. Observons la façon des tribunaux islamiques à partir de l’exemple de Marka, ville portuaire de taille moyenne et pas trop excentrée des épicentres de la crise somalienne.
La reprise de Marka par les milices islamiques
[29 X 1999]
Pendant deux ans, avant l’intervention internationale en décembre 1992, la petite cité portuaire de Marka avait été régie par la règle islamiste3. Passerelle importante pour la distribution de l’aide humanitaire en Somalie méridionale, elle avait sombré dans l’anarchie après le départ des Nations unies avant d’être réoccupée puis abandonnée après la mort d’une douzaine de personnes lorsque des miliciens du tribunal 1
La Nation. 30 II 2000. LOI n°892. 19 II 2000. 3 FONTRIER 2012: 202. 2
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islamique avaient combattu les forces de Cali Mahdi dans Muqdishu. Le tribunal islamique avait fermé à la suite de ces violences et les navires avaient cessé d’y faire escale en raison de l’insécurité croissante1. À titre anecdotique pourtant, sur le marché de la violence, une petite lueur d’espoir apparaît à Marka quand, en décembre 1998, cent cinquante anciens bandits armés acceptent d’échanger leurs armes automatiques contre une formation dans un centre de démobilisation. Celui-ci, fondé par l’Union européenne et mis en œuvre par une ONG locale est dirigé par des femmes de la ville. Les volontaires, répartis selon leur âge qui court de 18 à 40 ans, y apprennent les mathématiques, l’agronomie, les techniques d’élevage, les procédés de mécanisation de l’agriculture et l’anglais. Le centre est organisé comme un collège ordinaire, avec ses salles de classe, ses dortoirs, son réfectoire, ses ateliers et une petite mosquée. Toutes choses facilitées par la présence du port utilisé par le WFP et d’autres agences afin d’acheminer l’aide alimentaire dispensée dans la région2. À la fin de l’année 1999 aussi, il devient patent que le pouvoir des tribunaux islamiques et de leurs milices s’accroît dans le Sud somalien. Après leur disparition survenue deux ans plus tôt, le système maintenant se rétablit, comme en témoigne la cérémonie pour la restauration de la sharīʿa qui se tient en septembre 1999 dans le nord de Muqdishu. À la fin du mois suivant, les progrès de la nouvelle cour islamique sont rapportés par divers quotidiens qui évoquent également la mise sur pied de leurs propres milices. Le 26 octobre, 140 recrues des tribunaux du sud de la ville sont en mesure de suivre une formation d’un mois. Les membres de ces tribunaux assistent à la cérémonie de remise des premiers diplômes attribués au terme d’une formation suivie au camp de Ceel Cirfiid, à une dizaine de kilomètres au nord-est de Muqdishu. Peu de temps après, les tribunaux commencent à prendre des mesures afin de restaurer la sécurité en Somalie du Sud. Les opérations du tribunal islamique commencent le 28 octobre quand, au terme d’un l’ultimatum les enjoignant à lever un barrage routier sur l’axe reliant Muqdishu à Marka, neuf bandits sont tués et au moins onze blessés. Sept barrages tenus par des hommes lourdement armés et une douzaine de petits points de contrôle sont également démantelés. Le lendemain à Marka, les milices des tribunaux islamiques procèdent à la saisie des installations portuaires, de la prison et du siège de la police, promettant de débarrasser la région des bandits armés et des délinquants ordinaires3. Marka pris, les tribunaux islamiques jugent 149 individus pour des actes de banditisme. Les hommes sont condamnés pour vol à main armée, extorsion et occupation illégale de maisons et de fermes. Les inculpés qui n’ont pas d’avocats pour les défendre se voient infliger des peines qui courent de deux mois à deux ans de 1 2 3
Xog Ogaal. 1 & 13 XI 1999. AFP. 16 XII 1998.
AFP. 28&29 X 1999.
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prison. Le porte-parole du tribunal précise que plusieurs des détenus seraient soumis à la bastonnade pour « comportement non musulman ». Si certains des condamnés sont soupçonnés d’être des partisans de Xuseen Caydiid, la plus grande partie d’entre eux relèvent il est vrai d’un banditisme ordinaire. Au terme d’un entretien entre les représentants du tribunal islamique et le représentant des Nations unies, il est convenu que les opérations d’aide humanitaire pourraient reprendre le 11 novembre à Marka, jour où se retireront les miliciens des tribunaux après avoir remis la gestion du port à un comité d’hommes d’affaires1. La milice qui a géré le port depuis le 29 octobre n’a levé qu’un unique dollar sur chaque sac de produits de base, une initiative saluée par les importateurs. La somme a d’ailleurs été consacrée à l’entretien de la milice qui en contrepartie a assuré le maintien de la sécurité dans le port. Les miliciens remettent enfin le poste de police de la ville aux autorités locales. Les commerçants qui soutiennent vivement les forces islamiques déploient début novembre leurs propres forces de sécurité avec l’intention de rouvrir le port. Dès lors les premiers navires accostent à Marka. Ils sont affrétés par des commerçants somaliens et débarquent des produits de première nécessité : blé, farine, spaghetti et autres biens de consommation. L’occupation de Marka par les miliciens d’un tribunal islamique de Muqdishu le 29 octobre illustre aussi la perte relative des capacités militaires des chefs de guerre traditionnels. Elle révèle l’émergence d’une nouvelle force ayant tiré profit de l’affaiblissement des chefs de guerre tenant jusque-là le haut du pavé dans l’ensemble de la région. Pourtant, sur le plan idéologique, les milices islamiques relèvent de projets certes convergents, mais qui s’inscrivent dans des courants bien différents les uns des autres. Il y a tout d’abord les chefs religieux traditionalistes comme Cali xaaji Yuusuf qui sont longtemps restés dans l’ombre des chefs de guerre et pourraient, maintenant qu’ils sont armés, laisser libre cours à leurs visées politiques. Mais il y a ensuite les islamistes fondamentalistes, émanations de l’Itixaad et irréductiblement hostiles à l’Éthiopie comme à ses alliés somaliens, qui se sont glissées dans l’entourage des dignitaires des tribunaux. Le plus représentatif d’entre eux est le colonel Xasan Daahir Aweys. Ce Habar Gidir, marié avec une Soudanaise et ami du chef islamiste Ḥasan at-Turābī, a participé à la prise de Marka en conseillant notamment aux miliciens de mettre d’emblée la main sur le poste de police de la ville. Il y a enfin les financiers de ces miliciens islamistes, une poignée d’hommes d’affaires de Muqdishu, enrichis naguère par les activités de protection ou de transport en relation avec les ONG internationales et surtout attentifs à assurer la sécurité de leurs propres transactions commerciales. Leur accompagnement de l’opération résulte des manques à gagner 1
Xog Ogaal. 11 XI 1999. 389
occasionnés par les difficultés de circulation entre Muqdishu et Marka, du fait des dizaines de barrages qui rançonnent les véhicules. Cela dit, la situation des tribunaux islamiques à Marka n’en est pas pour autant durablement assurée. Certes, le gouverneur Mahdi Maxamed Jimcaale qui avait été nommé par Xuseen Caydiid était parvenu à se faire détester de la population au point qu’un mouvement civique s’était organisé ces derniers mois pour réclamer son départ. Mais maintenant, tout appréciées qu’elles aient été dans un premier temps pour l’avoir renversé puis avoir chassé les bandits, il est clair que la sévérité dont usent les milices islamiques menace à tout moment de leur valoir l’hostilité de la population locale. D’autant que les chefs de guerre de Muqdishu, Xuseen Caydiid et Cismaan Caato sont également à l’affût. Ils n’ont pas apprécié l’intrusion sur la scène politico-militaire somalienne de ces concurrents qui recrutent dans toutes les familles Habar Gidir, à l’exception des Sacad. Cette ambiance délétère explique notamment le regroupement des partisans armés de Xuseen Caydiid à Afgooye où ils attendent une opportunité pour fondre sur Marka. Car en fait, les chefs de faction craignent que les tribunaux les privent du pouvoir politique. Aussi résistent-ils autant que possible à leur autorité. Or ceux-ci ont établi un système cohérent et somme toute complet. Ils ont nommé des administrateurs locaux, recrutent des membres pour le tribunal ainsi que des miliciens. À Marka précisément, capitale régionale du Shabeellaha Hoose, ils sont parvenus à en recruter une bonne centaine. C’est ainsi que le 11 décembre 1999, l’atmosphère se tend après que certains ont été dépêchés à Jamaame où un commissaire nommé par le tribunal islamique a été tué alors que son véhicule approchait d’un barrage routier à l’entrée de la localité. Celui-ci, le sheekh Cabdiraxmaan Barre qui avait été nommé en octobre, était également responsable de la gestion des tribunaux pour l’ensemble la région1. Le poids de plus en plus sensible des milices islamiques ne laisse pas non plus indifférent les ennemis de Xuseen Caydiid, RRA et groupes armés digil qui restent en alerte l’arme au pied à Baydhabo puisque l’Éthiopie a renoncé à accompagner ses alliés au-delà de la ville prise en juin. Mais maintenant que les islamistes se mettent à utiliser le port de Marka pour s’approvisionner en armes et aider les opposants éthiopiens soutenus par l’Érythrée à le faire, il est évident qu’Addis Abäba s’apprête à revoir sa position2.
Normalisation entre l’Éthiopie et la SNA-Caydiid
[XII 1999]
Un mois après s’être réconcilié avec les autorités éthiopiennes, la SNACaydiid estime avoir rempli la part de ses engagements envers Addis Abäba. Elle affirme avoir désarmé les quelques centaines de rebelles 1 2
AFP. 12 XII 1999. LOI n° 879. 13 XI 1999.
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éthiopiens oromo installées en Somalie, avoir fermé les bureaux de leur représentation et demandé à leurs dirigeants de quitter le pays, vers l’Érythrée par exemple. Toutes choses que les représentants diplomatiques de la Libye et de l’Égypte en Somalie sont en mesure de confirmer. Ainsi en novembre 1999, Ciise Maxamed Siyaad, allié de la SNA-Caydiid déclare que ses combattants ont désarmé 108 membres de l’OLF. L’opération a été effectuée en présence des envoyés libyen et égyptien en Somalie, al-Maʿtūq Zubayr et Magdī Muḥammad as-Sayīd. Un peu plus tard il est vrai, Caydiid sera accusé par la Digil Salvation Army et le Southern Somalia National Movement (SSNM) d’avoir en réalité procédé à un simulacre de désarmement. Il aurait été demandé à des mendiants des rues de se présenter comme des rebelles de l’OLF et de prendre part à une cérémonie de désarmement dans Muqdishu1. Il est enfin passé sous silence qu’une partie de ces rebelles ont maintenant trouvé refuge en Érythrée où ils suivent un entraînement militaire les préparant toujours à l’ouverture d’un front à partir du pays somali. En contrepartie toutefois, la SNA attend que l’Éthiopie remplisse à son tour ses engagements, en particulier le retrait des troupes stationnées en soutien de la RRA, retrait qui sera comme convenu contrôlé par des diplomates libyens. D’autant que le mouvement raxanweyn a annoncé son intention de créer dans le courant de l’année 2000 une administration autonome dans la zone qu’elle revendique et qui couvre les provinces du Baay, du Bakool et du Shabeellaha Hoose. Ces dispositions suggèrent que l’Éthiopie s’apprête à prendre, au moins formellement, quelque distance avec ses alliés de la RRA. Un incident survenu le 8 novembre a en effet suscité quelques tensions qui lui permettent aussi de justifier leurs réserves à l’encontre du mouvement. Les Éthiopiens ont en effet rendu certains miliciens responsables de la mort d’un de leurs officiers qui aurait officiellement sauté sur une mine près de Baydhabo. L’atmosphère se tend encore lorsque les militaires d’Addis Abäba arrêtent plusieurs dirigeants locaux de la RRA. Il se révélera cependant que leur activité ne visait en réalité qu’à calmer les ardeurs de certains miliciens raxanweyn qui envisageaient de prendre appui sur la zone proche d’Afgooye où se trouvent les soldats éthiopiens, pour attaquer les troupes de Xuseen Caydiid, cantonnées en amont de Muqdishu2.
L’atomisation des intérêts hawiiye
[XII 1999/ I 2000]
Mais en attendant, à Muqdishu, où les efforts diplomatiques libyens déployés pour mettre sur pied une administration de Banaadir se sont révélés vains, les chefs de guerre sentent que la situation commence à leur échapper. Délaissant de facto les aspects politiques de leurs entreprises, tous se concentrent désormais sur la sauvegarde de leurs 1 2
AFP, 28 & 30 XI 1999. LOI n°883. 11 XII 1999. 391
intérêts économiques. Une rivalité particulière s’installe ainsi autour de la captation des importations de biens par la voie maritime. Pourtant un nouvel accord est sur le point de se conclure entre Xuseen Caydiid et Cali Mahdi sur Muqdishu. Le processus retenu cherche à s’inscrire dans un registre de bonne volonté dont il est difficile de supposer que les protagonistes aient pu eux-mêmes y croire. Toujours est-il que le 22 décembre, une fois encore, après trois jours de négociations, les cinq principaux chefs de bandes armées de Muqdishu, tous Hawiiye, Xuseen Caydiid, Xuseen Bood, Cismaan Caato, Maxamed Qanyare Afrax et Cali Mahdi, conviennent de mettre en place une autorité conjointe afin de procéder à une normalisation administrative de la région1. Selon le communiqué diffusé par leurs radios respectives, la nouvelle administration portera ses premiers efforts sur la réouverture de l’aéroport et du port de Muqdishu. Celui-ci en particulier, qui toujours inactif redevient un enjeu important. Si elle réussit dans son projet, l’autorité conjointe devrait ouvrir la voie à la reprise du processus de réconciliation nationale qui demeure dans l’impasse. Aussi, la réunion décide-t-elle également d’établir un comité de coordination pour l’administration de Muqdishu et de ses environs. Le comité, composé de 26 membres, recevra pour mandat de procéder à la supervision du cadre des opérations, au suivi et à l’évaluation du travail des différents sous-comités qui ont été précédemment mis en place ainsi qu’à l’évaluation par les différents chefs de faction des progrès réalisés2. L’affaire semble plutôt bien engagée sauf que dès sa réouverture, le 21 décembre, le port de Muqdishu est immédiatement réoccupé par les milices de Jaamac Maxamed Furux, un Habar Gidir Saleebaan qui relève bien de l’autorité de Caydiid mais à tout prendre pas suffisamment quand même. En effet, les Saleebaan contrôlant le port depuis bien avant sa fermeture, Jaamac Furux entend résolument remettre la main sur l’activité portuaire si celle-ci venait à reprendre. En l’occurrence il se trouve de connivence avec un autre larron, Cabdilkariin Maxamed Farabbadan, le Cayr Absiye qui contrôle l’aéroport de Balli Doogle et que l’accord des cinq chefs de guerre de Muqdishu maintenant inquiète. Alors que l’atmosphère reste à Muqdishu bien pesante, deux autres chefs de faction, Muuse Suudi Yalaxoow et Cabdi Xasan Qeybdiid, préfèrent pour leur part prendre quelque champ en ouvrant le 6 janvier 2000 le petit port de Jasiira, à 12 kilomètres au sud-ouest de Muqdishu. Pour mener à bien leur projet, ils bénéficient de l’accord des Sacad, mais surtout du soutien de Cabdirashiid Ilkacade qui a fait venir l’une de ses barges de Marka à Jasiira. Ils sont par ailleurs associés à un gros commerçant qui vit entre Dubaï et les États-Unis, Muriidi xaaji Dalfac. Waceysle comme Bood, il a fait installer une grue au nouveau port. Dès 1 2
AFP. 22 XII 1999. Aayamaha press. 5 I 2000.
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lors, il s’agit pour eux de présenter une alternative commerciale à la réouverture du port de Muqdishu sous le contrôle des Saleebaan, ainsi qu’au port de Marka auquel il est relié par une route en mauvais état et tenue, qui plus est, par les milices des tribunaux islamiques. Comme les activités portuaires de Ceel Macaan au nord de Muqdishu sont toujours gênées par les affrontements entre les divers sous-clans abgaal qui s’en disputent le contrôle, les promoteurs du port de Jasiira cherchent à la fois à en tirer des revenus tout sécurisant leurs propres approvisionnements1. Ainsi, le 9 janvier 2000, le début de l’activité du nouveau port est marqué par l’accostage de deux bateaux transportant de la nourriture. Les grands navires seront facturés 6000 dollars pour l’entrée tandis que les plus petits en acquitteront 3000. Les deux chefs de guerre toucheront 50% des revenus du port moyennant quoi ils assureront la sécurité des utilisateurs tandis que le solde reviendra aux hommes d’affaires qui ont financé sa construction. Naturellement, Xuseen Caydiid et Xuseen Bood s’opposent catégoriquement à cette ouverture qui compromet leurs efforts visant à ouvrir le port principal de Muqdishu2. Mais au-delà de son aspect commercial, la création du port de Jasiira sous-entend un nouveau regroupement de factions désireuses de prendre leurs distances avec cette alliance qui vient de se former à Muqdishu. Un nouveau fief clanique en effet est en train de se dessiner à travers la position de Muuse Suudi Yalaxoow par exemple qui estime que son clan abgaal, les Waacbudhaan, devrait tenir un rôle plus important à Muqdishu que celui des Waceysle (Warculus Abgaal) de Xuseen Bood ou des Harti Abgaal de Cali Mahdi… et qui de plus en plus a les moyens de ses prétentions3.
L’ACTIVITE DU PRESIDENT DJIBOUTIEN Tandis que les factions du sud poursuivent leurs affrontements en vase clos, le 25 janvier 2000, le président djiboutien effectue en Égypte sa première visite d’État. Au Caire, les entretiens portent sur les questions arabes, africaines et régionales d’intérêt commun ainsi que sur les relations bilatérales. La visite revêt une importance particulière dans la mesure où Djibouti préside en ce moment l’IGAD. Aussi Ismaël Omar Guelleh est-il particulièrement attentif à la position égyptienne dont il sait combien Le Caire – quelque peu contraint par la Ligue arabe – reste vigilant au regard du problème somalien. Mais c’est surtout auprès de l’Occident que le président djiboutien trouve ses meilleurs soutiens dans le processus qu’il a initié. Le 6 février Rino Serri entame une nouvelle tournée qui le conduit à Asmära, à 1 2 3
AFP. 6 I 2000. The Monitor. 11 I 2000. LOI n°887. 15 I 2000. 393
Addis Abäba et à Djibouti. Le diplomate vient avant tout soutenir les efforts de l’ONU en faveur de la paix entre l’Éthiopie et l’Érythrée, mais il a cœur aussi d’appuyer l’initiative de paix du président djiboutien concernant la Somalie. C’est pourquoi, dès le lendemain, des représentants djiboutiens, italiens, français, américains, égyptiens ainsi que des représentants des Nations unies entreprennent une réunion de concertation autour du plan de paix proposé par Ismaël Omar1.
La sollicitation des médias Le projet djiboutien bénéficie aussi, et c’est un fait nouveau, d’un vaste programme de publicité médiatique. En dehors de la radio et des télévisions locales qui couvrent l’événement, une station de télévision, Soomaaliyey Maqal, reliée sur Arabsat est expressément dédiée à l’événement. La diaspora somalienne de même que les populations du pays se retrouvent ainsi complètement insérées dans un réseau que rien de comparable n’a précédé. La section somali de la BBC – à laquelle il est reproché par certains l’abandon de sa position de neutralité vis-à-vis de la crise – est pour la première fois mise à contribution. D’autres médias encore sont créés pour la circonstance : sites Internet, journaux, radios locales à Muqdishu et ailleurs. Le plan de paix djiboutien bénéficie même de la couverture médiatique du système des Nations unies, à travers l’Integrated Regional Information Network (IRIN) qui relaiera l’événement du début à la fin. Chanteurs et artistes somaliens et djiboutiens enfin sont sollicités. Dès le 22 septembre 1999, au Palais du Peuple, une grande représentation est donnée en la présence de la femme du chef de l’État, Kadra Mahamoud Haïd. Au cours de la conférence, des artistes venus des quatre coins de la planète animeront l’événement par de petites pièces de théâtre, des représentations folkloriques et de la poésie, cet incontournable pilier de la culture somali. Sans préjuger de la qualité de ces spectacles, il reste que cette dimension publicitaire aura été l’un des facteurs décisifs du succès rencontré par la conférence.
Djibouti lève des fonds pour la Somalie
[II 2000]
Et Ismaël Omar n’en reste pas là. À la fin du mois de janvier, un décret gouvernemental instaure une augmentation de 20% de la taxe sur les alcools afin d’abonder un fonds spécial destiné à pourvoir aux dépenses liées à l’initiative diplomatique du président. Certes, cette nouvelle recette fiscale n’a pas été inscrite au budget 2000 débattu à l’Assemblée nationale à la fin de l’année précédente et pose en conséquence quelques problèmes de droit. Mais dans le même dessein, il est déjà prévu de taxer à l’identique les tabacs et le qaad. Par ailleurs, les ministres sont eux-mêmes conviés à mettre la main à la poche à hauteur de 112 dollars par mois tandis que les membres du parlement sont 1
LNA n°16. III/IV 2000.
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sollicités pour 56 dollars chacun toujours afin d’alimenter le fonds pour la Somalie1. Une contribution de 2000 francs Djibouti est également imposée à chaque Djiboutien salarié2.
Un gala pour financer la paix en Somalie
[2 IV 2000]
Le 5 avril enfin, amicalement sollicités par la présidence, une cinquantaine d’hommes d’affaires étrangers établis à Djibouti où ils sont recensés par la Chambre de commerce et d’industrie participent à un dîner de gala organisé dans la capitale par Abdourahman Boreh, le président du comité chargé de rassembler les fonds nécessaires à la tenue de la conférence. La participation à cette soirée se monte à 20 000 francs Djibouti par personne, soit environ 113 $. L’événement est présidé par l’épouse du chef de l’État, Kadra Mahamoud Haïd, et par plusieurs ministres, dont celui des affaires étrangères, Ali Abdi Farah. Une vente aux enchères de tableaux d’un peintre somalien rapportera ainsi plus de 26 millions de francs Djibouti. Les fonds recueillis sont placés dans deux banques de la place, la BCIMR et la BIS/Crédit Agricole, avant d’être transférés sur un compte particulier de la Banque centrale. Outre les responsables de sociétés françaises installées à Djibouti, Air France, Colas, TOTAL, etc., les principaux dirigeants étrangers de sociétés djiboutiennes participent également au gala du 5 avril. On y croise par exemple Frédéric Ries, représentant les marques de voitures Peugeot et Nissan qui se fait remarquer en faisant systématiquement monter les enchères… pour chercher dit-on à se faire bien voir de la première dame. Ceci ne changera rien à l’arrivée à Djibouti d’un concurrent de taille qui sous la forme d’une société chinoise commercialisera aussi des véhicules sous licence Nissan3. Il reste que le comité chargé des finances de la conférence doit encore engranger 650 millions de francs Djibouti pour couvrir les frais d’une réunion qui, pense-t-on, devrait compter quelque 800 Somaliens. De ces préparatifs transpire déjà largement une stratégie générale qui vise à marginaliser les chefs de faction en privilégiant parmi les mesures retenues le désarmement, à chaque fois bien sûr qu’une autorité se sentira assez forte pour l’imposer. Le président du Puntland qui a présenté au parlement de Garoowe un projet de loi visant à la démilitarisation de la population ne s’y trompe pas. L’un des articles de son propre projet concerne l’interdiction de détention d’armes de guerre de type AK-47 ou fusils MG-3 ainsi que de toute arme lourde montée sur véhicule. Deux articles en l’occurrence ont fait l’objet d’un vif débat : l’un autorisant les représentants du gouvernement et la police à pénétrer en cas d’urgence dans des locaux commerciaux, l’autre donnant le droit à l’État de récupérer les armes 1 2 3
LOI n°890. 5 II 2000. LOI n°900. 15 IV 2000. LOI n°889. 28 I 2000. 395
lourdes et dangereuses détenues par des civils1. L’exercice a connu bien sûr à Muqdishu le succès que l’on sait. Il n’en demeure pas moins que c’est un nouveau positionnement qui se dessine. Dans l’esprit des candidats à diriger tout ou partie du pays, il s’agit de mettre définitivement un terme à la violence endémique.
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LOI n°885. 25 XII 1999.
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XXII - L A CONFERENCE D ’A RTA
Le processus de la conférence d’Arta est officiellement lancé le 21 mars 2000 au cours d’une cérémonie qui réunit au Palais du peuple à Djibouti une soixantaine de représentants de la société civile somalienne, intellectuels et doyens. La cérémonie se déroule en présence de l’envoyé du Secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique, Muḥammad Saḥnūn, de David Stephen, l’envoyé spécial des Nations unies pour la Somalie, de l’ambassadeur de Djibouti à New York, Robleh Olhayé, et des membres du gouvernement et de l’Assemblée nationale djiboutienne. Des représentants des instances diplomatiques accrédités à Djibouti assistent aussi à une cérémonie où l’on observe la présence d’une représente des femmes somaliennes, Caasha Xaaji Cilmi. Il est alors officiellement annoncé que la conférence de paix se déroulerait du 20 avril au 5 mai1. D’emblée, l’affaire prendra quelque retard. Aussi, quand le Geeddi Socodka Nabadda, « le processus de paix » se mettra véritablement en route le 2 mai, ils seront près de deux mille participants à s’engager dans un exercice au sein duquel pour la première fois, les chefs de guerre n’auront pas le contrôle de l’ordre du jour. Les travaux seront fondés sur deux principes admis d’emblée : le désarmement des milices et l’établissement d’un programme de relance économique. Si l’espoir est partagé par ceux qui voient dans la conférence un chemin vers la renaissance de l’État somalien, l’enthousiasme est aussi de mise pour ceux auxquels s’imposent d’emblée de nombreuses réserves. Il n’échappe à personne en effet que cette tentative n’en est pas moins la 1
La Nation. 23 III 2000. 397
treizième du genre depuis la chute de Siyaad Barre. Aussi restera-t-elle de toute façon et à juste titre considérée comme la tentative la plus sérieuse qui ait été tentée pour résoudre la crise somalienne. Le Geeddi Socodka Nabadda dans son ensemble est en fait précédé de trois colloques : - un symposium consultatif assisté par des intellectuels somaliens dont l’objectif est de déterminer les aspects techniques de la conférence et dont il vient d’être évoqué l’ouverture ; - un symposium de la communauté des affaires ; - une consultation des notables traditionnels auxquels il reviendra de déterminer les modalités de désignation de la représentation. La Somali National Peace Conference (SNPC) à proprement parler, retenue sous l’appellation de Conférence d’Arta constituera l’étape finale du processus.
L’ORGANISATION DE LA CONFERENCE La complexité de la logistique En dépit de son appel pressant en vue d’obtenir une aide internationale, il apparaît rapidement que Djibouti supportera quasiment seul les dépenses d’une conférence qui, non seulement s’apprête à réunir de nombreux participants, mais dont la durée dépassera largement les trois semaines tout d’abord envisagées par le président de Djibouti. À elle seule, la petite république dont les finances sont déjà précaires assure le transport – souvent aérien –, l’hébergement dans des hôtels, l’aménagement du site d’Arta proprement dit, l’alimentation, la desserte entre Djibouti et le village où se tient la conférence. Arta est une petite localité située sur les hauteurs, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale, et où de nombreux dignitaires du régime possèdent une résidence qui leur octroie quelques degrés de confort par rapport à la canicule du bord de mer. Force est de reconnaître aux autorités djiboutiennes qu’elles n’auront fait l’économie d’aucun effort pour acheminer les délégués des fins fonds de la Somalie tandis que, sur des vols spéciaux, des délégations sont envoyées un peu partout, à Muqdishu, Hargeisa, Garoowe ou ailleurs. La population du village ainsi que celle de celui de Wéah, situé en contrebas, est également sollicitée par le gouvernement et participe, à titre intermittent, à l’organisation matérielle sous forme de dons en nature ou de services. Un véritable état-major logistique placé sous la responsabilité de deux ministres se met progressivement en place. Assisté d’un comité technique de la diaspora somalienne, il constitue le nœud de l’encadrement djiboutien avec la constitution d’un certain nombre de bureaux : secrétariat, collecte des dons, distribution des véhicules et du carburant, gestion de l’hébergement, etc.. Pour subvenir 398
aux besoins des participants, cet état-major doit bien sûr être rompu à l’art de la palabre, c’est-à-dire être en mesure d’organiser au pied levé, au fil des sessions, de minis sommets ou réunions propres à aplanir les différends qui ne manquent jamais de survenir entre les lignages, différends souvent fondés sur des prérogatives territoriales qui opposent les uns aux autres. Finalement, l’encadrement djiboutien, bien que mal outillé et somme toute peu habitué aux négociations de coulisse inhérentes à ce genre d’opération, accompagne avec doigté et avec une incontestable maturité politique les interminables chicanes qui ont vite fait de surgir. Pour expliquer ce talent, l’histoire récente rappelle qu’en 1994, le pouvoir djiboutien est sorti vainqueur d’un processus de réconciliation interne qui, à coup de prébendes, de promesses discrètes et de palabres sous l’arbre1, a mis fin à la guerre civile et à la rébellion afar du FRUD. Reste qu’à maintes reprises, les organisateurs se trouvent confrontés à des blocages hypothéquant la poursuite de la conférence. Les plus délicats à gérer portent sur la contestation de la représentativité de tel ou tel clan ou sous-clan par rapport à d’autres. Heureusement, l’appareil djiboutien mis en œuvre partage au moins avec les Somaliens la même tradition d’oralité, c’est-à-dire d’une certaine façon les mêmes impatiences, mais aussi une même capacité au compromis. Il n’en demeure pas moins que souvent l’intervention du président Ismaël Omar Guelleh lui-même se révélera nécessaire afin de débloquer les situations les plus délicates. Il faut enfin observer, et cela est loin d’être négligeable que l’encadrement djiboutien aura à gérer des Somaliens qui, rompus aux arcanes des conférences, savent pour les faire durer user de toutes les ruses et de tous les subterfuges…
Une représentation imparfaite et contestée Afin de déterminer la représentation des différents faisceaux lignagers sous le grand chapiteau dressé pour la conférence, un schéma discuté en amont par les délégations a été proposé. La catégorisation retenue se conclut sur la représentation de 175 Daarood, 175 Hawiiye, 175 Digil et Raxanweyn, 100 Isxaaq et 105 Dir. Ces derniers seront répartis entre , 40 Gadabuursi, 30 Ciise et 35 Biyomaal, le lignage Dir du sud2. Certes ce panel suscite beaucoup de contestations et d’atermoiements et la façon d’opérer semble loin de refléter les réalités territoriales. Le résultat se révélera néanmoins suffisant pour faire fonctionner les choses et constituera finalement un cadre à partir duquel la conférence pourra entreprendre ses travaux. Le principe d’efficacité aura en l’occurrence primé l’esprit de justice et d’équité.
1
En pays ciise, on parle dans un contexte d’arbitrage de xeerka geedka, de « verdict de l’arbre ».
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IRIN webspecials. 26 VI 2000. 399
Il n’en reste pas moins qu’une première infraction à la logique de la représentation, donc à la légitimité, résulte du fait d’avoir permis aux personnes consultées de prétendre à représenter leurs groupes sans s’en retourner en Somalie afin de consulter leur base. Mais on convient aussi du fait que cela serait revenu à décupler la charge financière d’un exercice déjà bien coûteux. Pourtant, ce type de violation, à bien y regarder, a fondé la plupart des échecs des précédentes conférences. Toujours est-il que, les délégués refusent pour la plupart tout retour vers leurs régions respectives afin de consulter la population. Dans ce contexte inconfortable, Djibouti gère avec subtilité la représentativité des lignages, cette épineuse question sur laquelle ont trébuché la plupart des États prétendant parrainer la réconciliation somalienne. Aussi, les organisateurs jouent-ils en la matière d’une prudence particulière1. Le parti pris initial, à l’aplomb des choix retenus, est fondé sur une considération : dans le contexte de bouleversements sociaux tel que les a vécus la Somalie, seuls les districts [som. degmo] peuvent constituer l’unité juridico-administrative de base à laquelle il doit revenir de choisir ses représentants. Toutefois, pour laisser une marge de manœuvre acceptable aux administrations régionales déjà en place, il est suggéré que le processus ne les favorise ni ne les entrave, étant entendu que la future gouvernance serait fondée sur un système décentralisé d’administration. En bref, il s’agit de faire émerger une gouvernance fédérale fondée sur un système d’autonomies régionales.
La disqualification des chefs de guerre Mais ceci étant établi, le principal fait nouveau réside ailleurs encore. Alors que les précédentes conférences avaient privilégié les chefs de guerre et de factions, le processus nouveau prend le contre-pied de cette stratégie. Contournant la question, il choisit de s’adresser directement à la base somalienne et de privilégier la voix des chefs traditionnels, dépositaires de l’ordre culturel. Ainsi, la totalité des odayaal du pays somali est-elle invitée à la Conférence, ce qui répond à plusieurs règles sociales fondamentales, en particulier la règle d’égalité de chacun et le droit de tout Somali, jeune ou vieux, riche ou pauvre, à s’exprimer en amont de la décision consensuelle du groupe. La plupart se retrouvent ainsi à Arta où tous ont été sans exception conviés. Car les Somali ne disposent d’aucune autorité centrale traditionnelle. Aucune appellation commune même ne désigne l’autorité suprême d’un lignage ou d’un faisceau lignager2. Seul, incontestable, règne le xeer, la loi traditionnelle, juste aménagée de quelques particularités selon l’endroit et tempérées d’un esprit religieux paisible 1
La méthode retenue est exposée dans l’annexe IV article 32 d’un document publié en 1999 et intitulé Somalia National Peace Conference: An Action Plan for the Peace Process. 2
Il existe de nombreux titres pour désigner l’autorité garante de l’intégrité du lignage : ugaas, malaakh, boqor, suldaan, garaad, imaan, isin…
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inspiré de la tradition sūfī 1. Car l’espace somali avant la colonisation n’a jamais connu d’autorité centrale, toute juste des institutions lignagères parcellaires et juxtaposées, contexte vers lequel tend à le rediriger naturellement la disparition de l’État. L’après-Siyaad ne constitue ni plus ni moins qu’un retour au statu quo ante la colonisation. La représentativité de la femme somali à cette occasion est également affirmée, à l’instar de ce qui quelques années plutôt a prévalu au Somaliland. Alors que les structures claniques de régime patriarcal des Somali font peu de cas du rôle de la femme, le plan d’Ismaël Omar Guelleh intègre la présence de délégués féminins dans la conférence qui se dessine, même si la sélection des représentantes se fait sur une base ne transcendant pas le cadre du lignage. On verra notamment à ce moment émerger la personnalité de Caasha Xaaji Cilmi qui fonde le réseau dit du Beesha Lixaad, la « Sixième communauté ». Celui-ci fait référence aux cinq faisceaux lignagers majeurs de la société somali et désigne la société des femmes en la présentant d’abord comme un groupe distinct dans les pourparlers de paix. En revanche, la Conférence réduit de manière drastique le rôle des chefs de guerre et autres chefs de factions, les confinant délibérément dans des positions marginales. Il en résulte que ceux-ci n’ont guère d’autre choix que de s’aligner derrière leurs chefs traditionnels, dépendant de leur bon vouloir quant à la qualité de leur poids de délégué au sein la conférence. Car c’est aux odayaal en effet qu’échoit la responsabilité de désigner ces derniers. Habitués à être les principaux, sinon les seuls acteurs de la vie politique depuis la chute de Siyaad Barre, les chefs de faction boudent donc tout d’abord une conférence au sein de laquelle ils refusent d’être marginalisés. Ainsi seul Cali Mahdi participera à l’exercice. Cumar Jees, après quelques jours de présence, regagnera le Sud somalien. D’autres rejoindront il est vrai, Maxamed Moorgan par exemple, ou Aadan Maxamed Nuur Shaatiguduud, le 19 juin. En ce qui concerne la RRA précisément, elle annoncera le 5 juillet avoir résolu les malentendus qui avaient surgi en son sein au cours des deux dernières semaines ». Son chef, Aadan Shaatiguduud, et le secrétaire général de l’organisation, Cabdalle Isaaq Deeroow, indiquent qu’ils étaient en effet parvenus à résoudre leurs divergences. À la faveur d’une conférence de presse organisée à Arta, les deux hommes préciseront qu’ils sont convenus « de faire table rase de leur différence d’appréciation du processus et d’œuvrer ensemble au succès de la conférence sur la base d’une plateforme commune renfermant les aspirations de la communauté Digil et Mirifle »2.
1
VAN NOTTEN, Mickael. The Laws of the Somali : a stable foundation for economic development in the Horn of Africa. Red Sea Press, Trenton. 2002. 2 La Nation. 6 VII 2000. 401
Il reste qu’à côté de ces comportements engageants, la marginalisation des chefs de guerre sera à certains moments telle que, dans les rumeurs, il sera même évoqué l’hypothèse de les traduire devant le tribunal pénal international pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
LES PREMISSES HOULEUSES DE LA CONFERENCE Avant de revenir sur la substance de la conférence et en prenant un peu d’avance sur ce qui va en résulter, il faut observer la position particulière de ceux que l’exercice inquiète. Somaliland et Puntland en effet considèrent avant tout les menaces qu’elle fait peser sur la situation des États autoproclamés, qu’ils soient sécessionnistes ou non.
La colère du Somaliland
[XI 1999 – VI 2000]
D’emblée, dès que se font sentir à la fin 1999 les premières pressions de la diplomatie djiboutienne, le Somaliland choisit de réagir notamment en exprimant sans compromis possible son choix de boycotter l’exercice. Jusqu’à l’édification du projet, Hargeisa aura entretenu avec Djibouti des relations acceptables, sinon privilégiées. L’État autoproclamé y dispose d’un bureau de représentation et ses officiels sont traités avec les égards dus à leur rang. Frontalier du Somaliland, Djibouti draine à partir et vers celui-ci des flux commerciaux, financiers, économiques et humains beaucoup plus importants que la petite république n’en a avec le reste de la Somalie. La situation se complique cependant quand un malentendu de taille se glisse dans leurs relations. Il trouve son origine après que le Somaliland, que Djibouti a pourtant pris soin d’inviter en priorité, refuse d’être considéré sur le même plan que des factions « n’ayant pas même encore entrepris leur processus de pacification ». Car les autorités d’Hargeisa s’opposent à une réunion dont il est clair que l’objectif ultime est d’instaurer un gouvernement central pour toute la Somalie. Dès lors, les Somalilandais considèrent que la conférence d’Arta constitue une forfaiture par rapport à des positions naguère établies à propos de leur propre identité. Il est vrai que les ces derniers n’ont à aucun moment été associés aux conférences de Sodere ou de Nairobi ni même à celle du Caire. À chaque fois, seules les factions du Sud ont été engagées à accepter un processus de pacification et de réconciliation, le Nord étant considéré comme calme et relativement stable. Mais de nombreuses maladresses dans le choix des mots ont fait que ce statut de différenciation dont ils ont de facto bénéficié leur paraît aujourd’hui remis en cause. À juste titre, le Somaliland estime avoir accompli, par des efforts continus, ce long processus de pacification et de réconciliation au fil duquel les différentes composantes claniques ont établi un minimum d’ordre et d’administration commune.
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Or il faut bien comprendre que Hargeisa ne s’oppose pas à la réunion en tant que telle. Au contraire. Mais elle en attend toute autre chose que la façon dont elle se dessine ne le lui laisse espérer. En effet, le Somaliland a bien conscience que contrairement à ce qui a pu se passer en Érythrée, il pâtit du manque d’une autorité centrale somalienne avec laquelle pourrait être négociée son indépendance aujourd’hui contestée. Aussi les dirigeants de Hargeisa attendaient-ils d’une conférence que précisément elle favorise la mise en place du contexte indispensable à leur reconnaissance. Or celui-ci passe par la réconciliation en Somalie du Sud et l’établissement d’un gouvernement avec lequel il puisse négocier la séparation. Sauf que le handicap désormais vient du gouvernement de Djibouti qui n’est pas prêt à endosser une démarche conduisant à entériner la partition de l’ancien État somalien. La position adoptée par Ismaël Omar Guelleh, et la cohérence de son discours l’y contraint, se limite à affirmer que c’est aux Somaliens et à eux seuls qu’il revient de décider du destin final de leur pays. Face à ce que Maxamed Cigaal considère comme une félonie, il résulte une nouvelle et inéluctable dégradation des relations entre les deux pays. Et dans ce différend, très vite, la surenchère s’installe tandis que la guerre des ondes entretient d’emblée une situation de quasibelligérance. À la fin du mois de novembre, le ministère de l’Intérieur du Somaliland ordonne la fermeture de la principale voie d’accès terrestre à Djibouti au poste de Loyada, point de passage ordinaire pour l’importation de biens de consommation. La décision fait suite à des rumeurs stipulant que des agents infiltrés « interféreraient dans les affaires intérieures du pays ». Leur action réelle ou supposée viserait à convaincre les odayaal influents de la nécessité d’inverser la position sécessionniste du Somaliland et de venir participer à l’exercice qui se précise. Mais ces moments de grande exaspération alternent avec des moments de baisse de tension. Les vols entre les deux pays par exemple ne seront pratiquement pas affectés1. Même au niveau des frontières terrestres, le 19 janvier, après sept semaines de fermeture, une directive émise par le président Cigaal en annonce la réouverture à la circulation routière, tant la situation ainsi créée s’établit au détriment du Somaliland lui-même2. Et puis nombre de ces mesures relèvent de la posture ou du mouvement d’humeur. Certes des actes inamicaux à l’occasion s’ensuivent. Ainsi, le 13 avril, une délégation officielle djiboutienne conduite par Osman Ahmed Youssouf, conseiller auprès du président de la République et responsable de la commission politique du comité national d’organisation de la conférence de paix se rend à Muqdishu. La délégation a entrepris une série de contacts pour expliquer à ses interlocuteurs du Banaadir et de la capitale les tenants et aboutissants 1 2
AFP. 5 XII 1999. Radio Hargeysa. 19 I 2000. 403
du processus de paix initiée par Djibouti. Particulièrement bien accueillie, la délégation est invitée à assister à la cérémonie d’ouverture d’une grande assise qui regroupe l’ensemble des lignages de la communauté hawiiye. À son arrivée en effet, elle est reçue par un accueil enthousiaste ponctué de vingt et un coups de canon. Sur le chemin du retour, le 16, la délégation a par ailleurs prévu de se poser à Hargeisa1. Or non seulement les autorités du Somaliland refusent catégoriquement de la recevoir, mais encore dès le lendemain fermentelles de nouveau la frontière. L’agence djiboutienne d’information aussitôt déplore cette décision inattendue et la rétorsion ne se fait pas attendre. Le même jour, le gouvernement de Djibouti prie le responsable du bureau de liaison du Somaliland et son personnel de quitter le pays2. Un peu plus tard, à la mi-mai, pour s’assurer qu’aucune délégation du Somaliland ne se rendra à Djibouti, les autorités d’Hargeisa décident à de retirer à la compagnie privée Air Djibouti son autorisation de survoler leur territoire et surtout d’y atterrir3. C’est cette interdiction qui explique qu’au début du mois de juin 2000, un avion venant du sud et transportant une délégation du sud de la Somalie vers Djibouti où la conférence bat son plein, effectue une escale mouvementée à Laas Caanood. Là, il est momentanément empêché de repartir par des militaires du Somaliland, avant qu’au terme de délicates tractations il ne soit finalement autorisé à se ravitailler en carburant et à s’envoler pour Djibouti.
Les réserves du Puntland et le retrait
[IV 2000 / 7 VI 2000]
Mais le regard porté par le Puntland sur la conférence connaît aussi des difficultés également fondées sur le refus de voir remettre en cause la légitimité des progrès réalisés. À la fin de 1998, la Somali Peace Alliance (SPA), composée on s’en souvient du Puntland, de la RRA, du SPMGabyow et de la faction USC de Suudi Yalaxoow s’était présentée comme un groupe ayant répondu aux exigences de l’initiative d’Ismaël Omar Guelleh. Pour tirer profit de la nouvelle initiative, la SPA avançait cependant le droit de ses membres à représenter leurs régions respectives. Il justifiait cette exigence par le fait d’avoir établi un environnement au sein duquel la société civile avait trouvé sa place. Or, de manière assez inattendue, l’Alliance, mise en alerte, retire son soutien à Djibouti avant même que la règle du jeu ne soit officiellement diffusée. Certaines spéculations suggèrent que le pacte aurait été rompu après que le Puntland a tenté de dévoyer le processus à son propre avantage. Car il est vrai que soucieux d’épargner au projet un échec précoce, Ismaël Omar craint que le processus ne soit « détourné » par quelque partie prenante au conflit somalien. 1
LOI n°903. 13 V 2000. La Nation. 17 IV 2000. 3 LOI n°903. 13 V 2000. 2
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Reste qu’au cours du mois de mars, la SPA prend le mors aux dents et déclare que l’autorité djiboutienne avait trafiqué l’ordre du jour de façon à compromettre l’appropriation par les Somaliens des décisions de la réunion. Le premier membre de l’Alliance à retirer sa confiance et son soutien est ainsi le Puntland qui accuse Djibouti d’avoir joué un rôle ambigu et de « s’être écarté » du principe entendu à propos des initiatives de paix en tentant de faire fi de ce qui avait été déjà réalisé. Quant à la RRA, elle objecte que son territoire était toujours occupé1. Afin d’améliorer l’assise de son entreprise, le président djiboutien envoie alors dans le pays de nouvelles délégations chargées de rencontrer les populations locales. Le 18 avril, l’une d’elles, dirigée par Idriss Harbi Farah, le vice-président du Parlement de Djibouti, arrive à Garoowe pour s’entretenir avec les dirigeants du Puntland et les isimo, les chefs traditionnels. Après plusieurs jours d’intenses discussions, un accord intervient finalement sur les conditions de leur participation. Elle sera conditionnée à la reconnaissance de la légitimité du gouvernement de Garoowe et l’assurance que seul le peuple somalien décidera d’un gouvernement central et d’une capitale nationale sans interférence étrangère ; de ce fait, le gouvernement et la Guurti du Puntland devront être les seuls habilités à choisir la composition de la délégation qui les représentera à Djibouti. Affirmant représenter une entité élue, les dirigeants indiquent aussi d’emblée qu’une fois à la conférence, ils n’accepteront de négocier qu’avec d’autres entités régionales élues. C’est pourquoi, avant de se rendre à Djibouti, les régions du Sud de la Somalie devront établir une autorité régionale élue. Certes le vice-président de l’Assemblée nationale djiboutienne peut penser qu’il a eu plus de chance à Garoowe que son collègue au Somaliland où les autorités n’ont même pas voulu le recevoir. Mais son succès diplomatique consistant à avoir arraché un accord du bout des lèvres au gouvernement du Puntland n’en reste pas moins bien mince. D’autant que parmi les conditions posées, bien peu d’entre elles ont la moindre chance d’être pleinement remplies d’ici le 2 mai, date prévue pour l’ouverture de la conférence2. Car en fait l’affaire est simple. Le Puntland redoute de voir la position de Djibouti se conclure sur un rejet de l’existence de l’administration de Garoowe et « le mandat donné à cette administration par son peuple pour les représenter ». Tout est fondé sur la défiance et, pour l’administration du Puntland, la décision de l’Assemblée consultative des isimo consistant à formuler la représentation sur une base clanique devrait fournir une bonne excuse pour se retirer de la conférence pour de bon. En attendant, la délégation qui se rend à Arta est dirigée par le viceprésident du Puntland, Maxamed Cabdi Xaashi. Celui-ci voyage léger. 1
Leur position évoluera plus tard à la suite d’une scission au sein de la direction du mouvement. 2 LOI n° 901. 22 IV 2000. 405
Porteur du questionnement en neuf points déjà évoqué dont la plupart portent sur la question de la légitimité et de la représentation, il n’est accompagné que par vingt-deux chefs traditionnels et d’un secrétariat de trois personnes. Mais les autorités du Puntland ont quand même l’impression de s’être laissé forcer la main par le président djiboutien. Aussi la mauvaise humeur prévaut-elle d’emblée. Maxamed Cabdi Xaashi se plaint par exemple d’avoir été logé dans une résidence fréquentée par des enfants des rues. Et finalement, le 7 juin, Cabdillaahi Yuusuf lui-même écrit au président djiboutien et à diverses organisations internationales pour demander aux autorités de Djibouti de » prendre les arrangements nécessaires pour un retour immédiat de sa délégation ». Il en profite également pour réclamer la liberté de parole pour tous les membres de sa délégation et pour informer la communauté internationale que son administration autonome régionale ne reconnaîtrait pas les décisions qui seraient prises à Arta car il considérait que les autorités djiboutiennes « avaient violé tous les points de l’accord » signé à Garoowe en avril avec Idriss Harbi Farah1.
Les influences extérieures : Égypte et Éthiopie Mais le processus de paix pâtit aussi de la multiplicité des initiatives contradictoires qui l’ont précédée. Nombre d’observateurs locaux considèrent en effet que ces acteurs extérieurs ont davantage exacerbé le conflit somalien qu’ils n’ont contribué à lui porter remède. Pour l’heure, la plupart des critiques, qui souvent il est vrai émane de l’espace arabo-musulman, évoquent l’influence de l’Éthiopie comme principale cause des difficultés rencontrées par la conférence. Addis Abäba n’a en effet aucune raison de favoriser le succès d’une manifestation dont elle serait exclue. Cela dit, l’Égypte sera aussi accusée de sabotage par Djibouti après qu’en mai 2000, Xuseen Caydiid et Cismaan Caato auront refusé leur participation à l’exercice. L’affaire somalienne est donc traversée par des conflits d’intérêts entre certains États régionaux qui entretiennent leurs propres conflits. Le plus récurrent relève du contentieux établi depuis des lustres entre l’Éthiopie et l’Égypte et dont de nombreux aspects se fondent sur la problématique du Nil et de sa vallée, mais tout autant d’une volonté impérialiste sur l’ensemble de la Corne. L’affaire avait déjà pris toute son importance dans le cadre de la politique menée au début de l’expansion européenne en Afrique en 1869. Les stratégies antagonistes de l’Égypte et de l’Éthiopie avaient alors suggéré la politique régionale des puissances coloniales. Or aujourd’hui ce conflit pousse toujours les deux États à considérer la Somalie à travers le filtre de leurs propres intérêts. Aussi, si officiellement Éthiopie et Égypte soutiennent les processus de paix en Somalie, il est tout aussi vrai qu’aucun des deux 1
LOI n°907. 10 VI 2000.
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États ne tient vraiment à voir se reconstituer une nouvelle Somalie qui échapperait à leur influence.
Débat très préliminaire avec le FMI Quoi qu’il en soit, l’optimisme somme toute prévaut au sein des instances internationales au regard de l’exercice. La conférence d’Arta est encore loin d’être terminée que des représentants de la Banque mondiale et du FMI ont successivement rencontré à Nairobi au début du mois de juillet des officiels des administrations du Somaliland et du Puntland. Leurs entretiens, sans enjeu financier immédiat, se tiennent dans le cadre d’un processus initié un an et demi plus tôt par un responsable du PNUD pour la Somalie, le Canadien Michel Del Bono. Celui-ci avait alors réuni un groupe d’experts de la Somalie prêts à se mobiliser pour relancer l’intérêt des bailleurs de fonds pour ce pays à la dérive. La délégation du FMI était menée par le chef de son département Moyen-Orient, Milan Zavadjil, assisté d’un économiste S.Nuri Erbas, tandis qu’un autre économiste en poste à Addis Abäba, S.Subbarao, représentait la Banque mondiale. Les discussions s’étaient révélées assez riches et fructueuses avec la délégation du Somaliland conduite par le ministre du Plan, Axmed Siilaanyo, lui-même accompagné du directeur de la Banque centrale, Cabdiraxman Ducaale, et du directeur général du ministère des Finances. Ils avaient été en revanche plus formels avec les représentants du Puntland, moins bien préparés à ce type de réunion. L’idée des promoteurs du dialogue était de convaincre la Banque mondiale d’apporter une aide à la Somalie par le truchement de son nouveau département post-conflit. Quant au FMI, il s’agissait essentiellement d’une reprise de contact avec le dossier somalien : les experts du fonds le méconnaissent d’autant que depuis 10 ans ils n’avaient pu se rendre dans le pays puisque celui-ci ne disposait plus d’un gouvernement central, seul interlocuteur possible. Les experts du FMI et de la Banque mondiale avaient également invité à Nairobi, à titre individuel, trois hommes d’affaires somaliens de faisceaux lignagers différents pour les questionner sur les problèmes de techniques financières liées à leur activité économique dans un pays ne disposant pas de système bancaire. Il s’agissait de Cabdi Sabriye [Hawiiye] gérant de la toute nouvelle usine de pâte de Muqdishu, de Qaasin Cali [Majeerteen] général manager de l’une des plus importantes xawaaladdo du Puntland et de Maxamed Diiriye [Isxaaq] homme d’affaires installé à Dubaï et travaillant aussi bien avec Muqdishu qu’avec le Somaliland1.
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LOI n°911. 8 VII 2000. 407
DEROULEMENT ET OBJECTIFS À Arta, le dispositif mis en place est géré par l’État djiboutien dans le cadre d’une commission mise sur pied à cet effet. Cinq comités composent cette dernière dont deux assurent plus particulièrement le bon fonctionnement de l’ensemble. Le Comité secrétariat dirigé par Mohamed Ahmed Awale, Secrétaire général du ministère de l’Agriculture, a élu domicile au sein même du chapiteau qui abrite la conférence et où son bureau jouxte le salon aménagé pour le président de la République. Vingt-cinq personnes y travaillent, toutes venues de Djibouti, à l’exception des hôtesses recrutées parmi les habitantes de Wéah et d’Arta. Le Comité secrétariat travaille en collaboration avec les autres comités. Un pool de secrétaires a été mis en place. Certaines viennent du ministère de l’Éducation nationale, d’autres du ministère des Affaires étrangères et d’autres encore de l’IGAD qui a aussi fourni trois ordinateurs et un autobus. Le CRIPEN1 a pour sa part mis à disposition un photocopieur qui permet d’effectuer des tirages à grande échelle des différents procès-verbaux et comptes rendus établis. Les choses ont été bien faites ; les documents sont accompagnés de bloc-notes, d’un stylo, le tout rangé dans une chemise qui a été remise aux participants. Ces documents, rédigés en somali, contiennent des conseils et des recommandations établis sur la base de précédents symposiums par les intellectuels somaliens qui constituent le Comité technique. Celui-ci est dirigé par Maxamed Cabdi Maxamed Gandhi 2. Il est composé de 14 membres choisis pour leur connaissance de la Somalie. Leur rôle est de conseiller la Commission nationale, mais aussi d’expliquer aux chefs traditionnels ce que l’on attend d’eux. La fonction de ce comité, apolitique et établi sur aucune considération clanique ou tribale, est purement consultative ; il ne peut donc prendre aucune décision3. Dans l’ensemble donc, autant que le permette le contexte, l’improvisation a été réduite au minimum et l’administration djiboutienne a vaillamment assumé son rôle. Pour le reste, il faut compter sur le caractère astucieux et entreprenant des Somali pour, entre colère et pirouette, venir à bout des innombrables difficultés suscitées par un dynamisme pas toujours productif.
La première session de la conférence
[2 V/15 VI 2000]
C’est donc le 2 mai que, pour trois mois espère-t-on, s’ouvre sur le plateau d’Arta la Somali National Peace Conférence (SNPC). Il est impossible d’établir précisément le nombre de représentants de la population somalienne qui participent à la réunion. Les allers et retours 1
Centre de Recherche, d’Information et de Production de l’Éducation Nationale. Anthropologue et historien chargé de recherche, spécialiste de l’histoire de la Somalie, Maxamed Gandhi est docteur HDR de l’université de Besançon. 3 La Nation. 15 V 2000. 2
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sont nombreux. Certains partent en cours d’exercice pour ne plus revenir, d’autres à tous moments viendront se joindre aux débats. C’est de ce maelström que l’on déduira le chiffre approximatif de 2000 participants. Mais ils ne sont finalement que quelque 300 à se réunir à huis clos à partir du 3 mai sous le grand chapiteau dressé à Arta, sur le stade. Il est convenu qu’au terme des premiers entretiens, ils communiqueront le mardi 9 au président de la Commission nationale d’organisation de la conférence et ministre des Affaires étrangères, Ali Abdi Farah, la liste des délégués ainsi que le nom du président choisi. Les discussions menées dans le cadre des palabres traditionnels requièrent cependant énormément de temps. À la fin de la semaine, devant la lenteur du déroulement des travaux, le chef de la diplomatie djiboutienne, qui n’en peut mais, exhorte les conférenciers à accélérer le processus. Le 10 mai pourtant, seuls les notables hawiiye sont parvenus à s’entendre sur la désignation de 26 délégués. Aussi se révèle-t-il nécessaire d’octroyer aux participants un délai supplémentaire de trois jours, ce qui reporte d’autant l’ouverture des débats proprement dits au samedi 13 mai, échéance que tout le monde espère voir respecter par les chefs coutumiers. Une gageüre. Sur le plan des principes pourtant, les anciens en séance plénière s’accordent sur la nécessité de tendre la main « aux frères du Nordouest » somalien. Mais à bien y regarder, cette proposition résulte pour l’essentiel de l’activité des Isxaaq présents, pour la plupart partisans de Cabdiraxmaan Tuur. Celui-ci qui participe à la conférence se dit confiant dans les chances de rétablissement de l’État de droit en Somalie. Il déclare en substance qu’en dépit de l’interdiction faite par Maxamed Cigaal aux habitants du Nord-ouest – le terme de Somaliland est rigoureusement proscrit – de participer aux assises, les conférenciers ont réussi à venir par voie aérienne et terrestre. Le 11, un accord de plate-forme commune conclu entre les clans Daarood et Hawiiye donne lieu à de nombreux commentaires favorables. Il donne en effet la primauté à la réconciliation entre les deux lignages en fondant leur discours sur les principes du pardon et du rétablissement d’une autorité centrale1. Il est aussi intéressant d’observer que Kāmil ash-Sharīf, Secrétaire général de l’International Islamic Council for Daʿwa and Relief 2, et Ḥamūd ibn Aḥmed, Secrétaire général adjoint du Congrès du monde musulman, très proches des positions wahhabites saoudiennes, montent à la tribune pour assurer l’assemblée du soutien au processus de leurs organisations respectives.
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La Nation. 11 V 2000. اﻟ ﻤﺠ ﻠﺲ اﻹ ﺳ ﻼﻣﻲ اﻟ ﻌﺎﻟ ﻤﻲ ﻟ ﻠﺪﻋﻮة واﻹﻏ ﺎﺛ ﺔ. Organisation créée en 1988 par l’Arabie saoudite et placée sous l’autorité de l’université al-Azhar au Caire. 2
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Mais clairement, comme on pouvait s’y attendre, tout traîne. Ali Abdi Farah tente encore d’accélérer le processus en insistant sur le fait que la semaine du 15 au 22 mai devrait porter sur la désignation des 650 hommes et femmes qui serviront dans l’Assemblée constituante chargée de mettre en place la future autorité de transition. Or le lundi 15, un intervenant s’insurge contre cette gestion du temps et déclare : « Faites abstraction du calendrier et laissez-nous poursuivre le débat à la manière traditionnelle ! » 1 Aussi le lendemain, les travaux entament leur 14e jour de pourparlers, Arta abrite alors pas moins de 900 Somaliens composés de dignitaires traditionnels, mais aussi des politiciens ou d’intellectuels venus apporter un soutien technique purement consultatif à leurs camps respectifs. Plusieurs conseillers des chefs de factions jouent en coulisse un rôle important. Certains chefs de guerre eux-mêmes comme Cali Mahdi ou récemment Axmed Cumar Jees, affaibli, mais non repentant, ont reçu le meilleur accueil à Djibouti. Chez les femmes, Caasha Xaaji Cilmi s’apprête à faire entendre la voix des épouses et des mères. Mais pour les observateurs les plus avertis, la conférence donne surtout l’impression de vouloir faire du neuf avec du vieux. Les délégués comptent en effet de nombreux dignitaires du précédent régime qui trop compromis avaient, au début des années 1990, choisi à sa chute un confortable exil dans les pays scandinaves, en Amérique du Nord, en Australie ou dans certains pays arabes. Le 20 mai, le président Ismaël Omar Guelleh, qui commence à considérer à la mesure du temps l’ampleur de la tâche à laquelle il s’est attelé, décide d’intervenir. Se rendant à Arta, il prononce sur un ton ferme une allocution invitant les dignitaires à procéder dans les plus brefs délais à la désignation des quelque 750 hommes et femmes – les chiffres fluctuent encore – qui formeront l’Assemblée constituante qui sera mandatée pour poser les jalons des institutions de la future Somalie. Aussi, coupant court à un certain nombre de discussions, le président déclare que ce pays ne pouvait se permettre d’avoir un collectif de mandataire qui dépasserait le seuil des 800 personnes. Dans son discours il fait également siennes les remarques d’un dignitaire religieux qui a dénoncé les agissements de personnalités hostiles à la paix et soutient avec enthousiasme les recommandations de l’oratrice somalienne qui avait exhorté ses concitoyens à être extrêmement rigoureux dans le choix des représentants de l’Assemblée constituante. Le lendemain, à l’aplomb des propos d’Ismaël Omar Guelleh, le viceprésident du Conseil islamique mondial et ancien chef de l’État soudanais, ʿAbduraḥman Sawār adh-Dhahab, ainsi que le président de l’université Al-Azhar, tous deux de passage à Djibouti expriment à leur tour leur soutien au processus2. 1 2
La Nation. 15 V 2000. La Nation. 22 V 2000.
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Pour le reste, il est convenu que la conférence devrait se conclure, avant la fin du mois de juillet, sur la nomination d’un président, d’un Premier ministre, voire d’un parlement afin d’entreprendre le chantier de la reconstruction du pays. Mais très vite, l’unanimisme de façade vole en éclats. Une question notamment suscite des tensions particulières : la nomination du président. Les délégués néanmoins parviennent non sans peine à en dresser le profil : il devra avoir un diplôme d’études supérieures et n’être pas directement impliqué dans la guerre civile, ce qui met hors jeu Cali Mahdi. Pour l’heure il semble qu’il sera Hawiiye et que son Premier ministre devra être un Daarood. En l’occurrence, plusieurs candidats sont en lice. Parmi eux Cabdilaahi Axmed Caddoow1 [Habar Gidir/Sacad], ancien ministre de Siyaad Barre revendique son opposition, à bien y regarder plutôt passive par ailleurs, au général Maxamed Caydiid pourtant du même lignage que lui. Il se réclame aussi de ses appuis aux États-Unis où il a été ambassadeur et où l’avocat Stuart Deming qui se charge de son lobbying a déjà sollicité les contributions d’hommes d’affaires de son lignage. Son principal rival est Cabdiqaasin Salaad Xasan [Habar Gidir/Cayr] lui aussi ancien du régime précédent. Cet opposant actif au général Caydiid est sans doute le véritable instigateur de la conférence. Il dispose du soutien des hommes d’affaires Cayr, lesquels par ailleurs sont les principaux interlocuteurs du Djiboutien Abdourahman Boreh, ce proche du président Ismaël Omar Guelleh. D’autres candidats encore ont à un moment ou un autre été en course comme Cusmaan Maxamed Jeelle [Xawaadle]2 lui aussi figure importante du précédent régime ainsi que Cabdullaahi Cosoble Siyaad Gamadheere, un ministre des Postes et Télécommunications de Siyaad Barre de 1974 à 1980. Cette compétition préfigure le débat à venir sur le processus de désignation du futur président. Cabdiqaasiin qui a su tisser un ample réseau de relations avec l’ensemble des lignages souhaite une élection par les délégués tandis que Cabdullaahi Caddoow dont le réseau n’est pas aussi dense pousse à une élection par un parlement, établi selon des bases régionales et non claniques. Cette distinction subtile, en donnant plus de poids aux Daarood, augmenterait mécaniquement le nombre de ses électeurs. Mais rien n’est réellement tranché et d’autres scénarii peuvent encore émerger alors que la compétition divise fortement les participants. Pour le poste de Premier ministre en revanche, le consensus pose moins de problèmes et c’est le président de la conférence Xasan Abshir Faarax [Majeerteen/Ciise Maxamuud] qui paraît en meilleure position. Officier supérieur sous Siyaad Barre, il a rejoint le SSDF au début des 1
Ambassadeur aux Etats-Unis de 1970 à 1980, puis de 1986 à 1988. Entre temps, de 1980 à 1984, il tient le portefeuille de ministre des Finances. 2 Ministre de l’Elevage, de l’Agriculture et des Forêts de 1973 à 1974. 411
années 1980 avant de retourner à Muqdishu pour occuper des fonctions officielles jusqu’à l’effondrement du régime en 19911. Au début du mois de juin, un sujet de fond est mis à l’étude. Il porte sur l’administration intérimaire qui sera mise en place. Les délégués doivent en effet s’entendre sur les mécanismes politiques de transition qui permettront l’installation d’un gouvernement, la question restant de savoir si les Somaliens opteront pour un régime présidentiel ou pour un système parlementaire. L’entente s’établit autour d’une Assemblée nationale de transition qui se présentera sous la forme d’une institution bicamérale composée d’une chambre de doyens et d’une chambre des représentants. Le système de gouvernance que les délégués doivent encore choisir présente deux options fondées sur un pouvoir décentralisé : le mécanisme sera construit soit sur le principe d’une autonomie régionale soit sur une structure fédérale. Il est aussi entendu que le futur système judiciaire prendra en compte « le rôle des tribunaux islamiques ». Le rétablissement d’une administration civile figure également dans l’ordre du jour de la conférence qui à cet effet se dote de commissions spécialisées. La charte qui se dessine, revue et corrigée, s’inspirera de la constitution de 1960 tout en répondant aux exigences de la période de transition. Sur le plan sécuritaire, les délégués doivent envisager le rétablissement d’une force de police intégrant les milices, y compris celles appartenant aux tribunaux islamiques. Le processus de leur désarmement, leur intégration et leur réhabilitation dans la société, le statut de Muqdishu et la restitution des biens publics et privés sont les principales questions auxquelles les commissions s’appliquent à trouver des éléments de réponse2. Mais pour son promoteur, le président djiboutien, il s’agit avant tout dans cette affaire qui maintenant s’éternise de sauver les apparences. Chacun sait que de toute manière, même en cas d’accord, rien ne permet d’affirmer que les décisions qui seront prises, d’ores et déjà dénoncées par les administrations du Somaliland et du Puntland ainsi que par les chefs de guerre de Muqdishu, trouveront un début d’application en Somalie. Pire même, s’il se révélait que le gouvernement concocté à Arta n’était qu’un assortiment des diverses équipes gouvernementales de l’avant 1990, il est à craindre qu’il soit rejeté par nombre de Somaliens. Toute tentative pour le leur imposer susciterait très certainement des troubles et ce jusque dans des zones aujourd’hui réputées calmes. Ce qui serait un curieux résultat pour une conférence de réconciliation.
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LOI n°912. 15 VII 2000. La Nation. 19 VI 2000.
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La deuxième session de la conférence
[15 VI 2000]
Faute d’avoir tout décidé en dépit d’interminables débats, la conférence ouvre le samedi 15 juin, toujours à Arta, sa deuxième session. La séance inaugurale est marquée par l’intervention chargée d’émotion et quelque peu dérangeante du « suldaan » Axmed Jaamac Xirsi qui se présente en tant que « dignitaire des minorités opprimées ». Cet homme aux cheveux blancs et sans âge prend la conférence à contre-pied lorsqu’il monte à la tribune pour dénoncer les vicissitudes de la tragédie somalienne qui avait fait de lui un suldaan. L’homme qui appartient à la minorité castée des Yibro mesure la dérision de son titre. Aussi se présente-t-il comme le suldaan de « toutes les communautés somaliennes qui ont dû endurer jusque-là la discrimination et les brimades des clans ». L’homme ne mâche pas ses mots dans le registre de la provocation : « vos actions et exactions font de vous des candidats qui aspirent à se rabaisser au rang de Yibir, ceux-là mêmes que vous méprisez depuis des lustres » déclare-t-il, poussant sa logique à la caricature, en se proclamant dignitaire coutumier de « tous les Somaliens qui ont jeté aux orties leur dignité d’êtres humains (...) Pour devenir les fossoyeurs de nos enfants, femmes séparant. » Dénominateur commun « le plus insignifiant » de la problématique somalienne, Axmed Jaamac réussit le tour de force de laisser la conférence stupéfaite et respectueuse à la fois d’avoir osé dresser un tableau trop cru de ses excès voire même des aberrations. Avec une grande dignité, le vieil homme déclare : « J’ai perdu mon fils ma femme et mon foyer. Aussi aujourd’hui je veux prendre ma revanche à travers la paix des cœurs entre tous les Somali et la mise au ban de la minorité qui voudrait nous retenir en otage. » Non sans noblesse, le vieux Yibir ne manquera pas de remercier le représentant des Nations unies pour la Somalie, « cet homme blanc qui m’a permis de monter dans un avion, depuis mon exil de Nairobi afin de témoigner que tous les Somaliens ordinaires de la diaspora, comme du terroir, aspirent à retrouver la paix. » C’est sous les applaudissements que le vieil homme quittera la tribune non sans avoir remercié le président Ismaël Omar de lui avoir donné l’occasion d’interpeller la conscience des Somaliens réunis à Arta1. Le samedi 24, les membres de la conférence qui doit reprendre ses travaux décident toutefois d’un commun accord de marquer une pause pour la durée de la semaine. Diverses commémorations il est vrai se présentent : l’indépendance de Djibouti le 27 et de la Somalie le 1er juillet ainsi que celle autoproclamée du Somaliland le 26 juin. Il se dit alors que l’anniversaire de l’indépendance somalienne devrait être pour Xuseen Caydiid l’occasion d’organiser à Muqdishu une grande manifestation de dénonciation de la conférence d’Arta2. 1
Le rapport sans ambages de cette intervention par La Nation du 19 juin 2000 est incontestablement à mettre au crédit du journal. 2 La Nation. 22 VI 2000. 413
Devant les difficultés qui freinent tous les entretiens, le président djiboutien qui n’a guère d’alternative accepte le 25 juin de prolonger pour deux semaines encore la conférence afin de permettre aux participants d’élire l’assemblée provisoire qui devra désigner un président par intérim. Car à vrai dire, nulle part l’on ne décolère vraiment. À Hargeisa, le ministre de l’Information met en exergue les menaces que fait peser une telle réunion sur la paix qui prévaut dans le pays1. Les autorités du Puntland et du Somaliland n’ont de cesse, à travers documents et déclarations officielles, de dire tout le mal qu’elles pensent d’une conférence qui cherche à rétablir un gouvernement central en Somalie sans tenir compte de l’existence de leurs États respectifs. Une position récemment exacerbée au Puntland par la désignation le 16 juin d’un bureau de la conférence coprésidée par Xasan Abshir Faarax2. Celui-ci en effet, un Daarood, a récemment démissionné de son poste de ministre de l’Intérieur du Puntland pour protester contre la décision de son gouvernement de ne pas participer aux discussions de paix3.
La Charte de transition En dépit de la défection du Puntland qui s’en est retiré, ce sont finalement 642 délégués qui, au terme de débats houleux, se réunissent en séance plénière le 6 juillet pour entériner par 638 voix contre 4 la charte intérimaire qui fera office de constitution pour les trois années à venir, années dites de transition de la Somalie. Le texte est composé de 38 articles qui définissent les modalités d’élection, pour une période de trois ans, de l’Assemblée nationale de transition ainsi que celles du président et du Premier ministre de l’Administration intérimaire. Comme cela avait été pressenti, le pouvoir législatif reposera sur un Parlement bicaméral composé d’une chambre de 225 représentants qui doivent compter en leur sein des femmes et des élus des minorités jusque-là exclues des centres de décision. Les délégués se prononcent également sur une large autonomie des 18 provinces que compte la Somalie. Le calendrier de la Charte prévoit de perpétuer ce principe jusqu’en 2003, date à laquelle la Somalie devra se doter d’un gouvernement fédéral. Les débats ont donc conclu à une structure étatique unitaire décentralisée, mais au sein de laquelle l’autonomie régionale se tiendrait à la discrétion de l’autorité centrale. L’article 32 stipule toutefois que, durant la période de transition, le système se fonderait sur l’autonomie
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Radio-Vatican 17 VI 2000. LNA n°18. VII/VIII 2000. L’autre coprésident de la conférence est le secrétaire général de la RRA, Cabdilaahi Deeroow. 3 LOI n°910. 1 VII 2000. 2
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des régions et que ce n’est qu’après la fin de cette période que le pays fonctionnerait selon un système fédéral à 18 régions. Le texte qui garantit par ailleurs la liberté d’expression et d’association, l’accès aux soins de santé et d’éducation du public, sépare le législatif et le judiciaire. Le choix se porte sur Baydhabo pour établir la nouvelle capitale provisoire du pays. Mais les deux semaines supplémentaires accordées par Ismaël Omar Guelleh pour mener à bien l’exercice se révèlent encore vite bien loin d’y suffire. Cependant, comme le gouvernement djiboutien ne cache plus sa hâte de voir la fin de cette ruineuse et éprouvante affaire, la conférence prend maintenant un tour quasi schizophrénique. À Arta, d’un côté, les délégués poursuivent des discussions qui sans se soucier de leur représentativité parviennent quand même à se conclure sur l’adoption de la charte de transition ; de l’autre, le médiateur djiboutien qui se rend compte de la fragilité de l’opération juge que le moment est maintenant venu d’intégrer dans les pourparlers les chefs de guerre de Muqdishu que dans un premier temps il avait explicitement souhaité tenir à l’écart. À cet effet, Osman Ahmed Youssouf, conseiller politique du président djiboutien, est missionné à Muqdishu pour tenter de convaincre Xuseen Caydiid de rallier l’exercice. À l’issue de leur entretien qui se déroule le 18 juillet, Osman pense avoir obtenu de ce dernier qu’il se rende à Djibouti le 20. Mais en fait le chef de faction se ravise. Selon certains, il se serait rallié à l’avis de l’ambassadeur d’Égypte en Somalie, Ṣalāḥ ʿAbdurazāq Ḥalīm, qui s’était déplacé de Nairobi à Muqdishu pour le rencontrer le 17 juillet. Hypothèse improbable. En fait Caydiid considère que les conditions qu’il a mises à sa participation ne sont pas remplies. Celles-ci se résumaient à deux dispositions dont la dernière en particulier a peu de chance d’être avalisée : sa venue à Djibouti en tant que chef de la SNA et l’éviction de la conférence de plusieurs dizaines d’anciens collaborateurs de Siyaad Barre. Aussi, à la fin du mois de juillet, alors que la conférence compte toujours autant de détracteurs tant parmi les principaux chefs de guerre de Muqdishu que les dirigeants du Puntland et du Somaliland, il est clair que la seule chose sur laquelle tout un chacun vraiment s’accorde, c’est que les décisions prises à Arta seront fort délicates à mettre en œuvre1.
L’INSTITUTION DU DISPOSITIF DE TRANSITION Reste encore à entreprendre le processus d’élection des membres de l’Assemblée. L’affaire peine à se concrétiser. Un consensus émerge fin juillet autour de l’attribution de 44 sièges à chaque faisceau lignager majeur, Hawiiye, Raxanweyn et Digil, Daarood, Isxaaq et Dir, 24 pour les lignages minoritaires confondus dans l’exercice, et 25 pour les femmes – 5 pour chacun des quatre clans majeurs et 5 pour les clans 1
LOI n°913. 22 VII 2000. 415
mineurs. Le problème se situe maintenant dans la répartition au sein de ces mêmes faisceaux. Réuni depuis le mercredi 2 août, le comité d’arbitrage composé d’une cinquantaine de personnes poursuit à cette nouvelle échelle sa mission de conciliation dans le partage des sièges. Depuis une semaine, les Dir et l’alliance des communautés somaliennes minoritaires ont finalisé et déposé la liste de leurs représentants. Ce n’est que le 5 en revanche que le comité parvient à procéder à la répartition des sièges des Daarood avant de s’employer le lendemain à départager les lignages hawiiye 1.
L’Assemblée nationale de transition
[8 VIII 2000]
Le 8 août 2000, selon les termes convenus le mois précédent, les participants à la conférence se mettent enfin d’accord sur la constitution de l’Assemblée nationale de transition, Transitional National Assembly (TNA), qui sera désignée pour trois ans sur une base lignagère. Cette assemblée aura pour tâche immédiate d’élire un président et donc de préparer des élections à échéance de trois ans. Le même jour, après que les chefs des lignages ont révélé la composition de la TNA, un millier de personnes manifestent dans les rues de Muqdishu pour protester contre les résultats du processus répartition des sièges2. Le 10 août, le président djiboutien est obligé d’admettre que le partage des sièges au sein de l’Assemblée nationale aura été beaucoup plus complexe que prévu. Il attribue cet état de fait aux rivalités interclaniques qui ont animé le débat au point de l’étendre sur trois semaines. Aussi recentre-t-il les priorités en rappelant que les objectifs de la conférence étaient de rétablir la paix et de poser les jalons d’une nouvelle Somalie. Mais Ismaël Omar Guelleh dénonce également les manœuvres entreprises dans la sous-région pour « torpiller la conférence » : « C’est en septembre dernier que je suis monté à la tribune de l’assemblée générale des Nations unies pour plaider la cause de la Somalie et tenter de convaincre la communauté internationale que la Somalie ne relève nullement d’un cas désespéré. J’attends de chacun d’entre vous un engagement, une volonté de transcender les divergences du moment pour démontrer à la face du monde entier que je ne me suis pas trompé dans mon postulat qui s’attelle à prouver que seul le dialogue de proximité permettra aux Somaliens de sortir de l’ornière. »
Peu après le départ du président, les conférenciers approuvent par acclamation une proposition habilitant le chef de l’État djiboutien à choisir vingt nouveaux parlementaires appelés à siéger au sein de la future assemblée de transition. Il s’agit de lui donner la possibilité de
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La Nation. 7 VIII 2000. Radio-Vatican. 10 VIII 2000.
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trancher dans le partage clanique des sièges dont les effectifs passent ainsi à 245 élus dont 25 femmes1. La première session de la Transitional National Assembly (TNA) s’ouvre le 13 août à Arta en présence du président djiboutien, du représentant des Nations unies et du corps diplomatique accrédité à Djibouti. Ce sont 176 députés qui tiennent ainsi leur première séance de travail. Le 20 août, la présidence de la TNA est confiée à Cabdalle Deeroow Isxaaq [Raxanweyn], et la vice-présidence à Maxamed Cabdi Yuusuf Gaboose [Daarood/Awrtable]. À New York pendant ce temps, prenant acte des manifestations survenues à Muqdishu la semaine précédente, un document publié le mercredi 16 par le Conseil de sécurité réitère son soutien au président djiboutien et met en garde les chefs de guerre somalienne contre toute entrave aux travaux du parlement de transition somalien2.
Le choix du Chef de gouvernement
[27 VIII 2000]
L’Assemblée aussitôt entreprend d’élire un président. Le titre de Chef du Transitional National Government,(TNG) est retenu au cours de la séance qui, le 26 août, désigne à cette fonction Cabdiqaasin Salaad Xasan [Habar Gidir Cayr]. Le lendemain, celui-ci prête serment au terme d’une cérémonie à laquelle assistent les chefs d’État des pays voisins ainsi que des représentants des organisations internationales. Cabdiqaasin Salaad Xasan n’est pas un inconnu. Formé en URSS à l’université Lomonosov où il a étudié la biologie, il a soutenu en 1969 le coup d’État de Siyaad Barre qui lui confie successivement plusieurs ministères. Le 3 septembre 1990, il est nommé ministre de l’Intérieur puis le 21 janvier 1991, pour six jours, devient le numéro Deux au sein du gouvernement de Cumar Carte Qaalib qui disparaîtra avec le régime. Le 27, Cabdiqaasin quitte la Somalie pour s’installer au Caire3. La nomination du chef du gouvernement de transition suscite son cortège de réactions, souvent hostiles de sorte qu’en Somalie même, les incertitudes pèsent dans les esprits quant à la durée de vie du parlement mis en place. Ces incertitudes se fondent notamment sur l’hostilité affichée par Xuseen Caydiid qui ne décolère pas, estimant que l’installation de cette institution à Djibouti est une atteinte au pouvoir qu’il affirme représenter4.
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La Nation. 10 VIII 2000. Radio-Vatican. 18 VIII 2000. 3 Ministre de l’Industrie et du Commerce de 1973 à 1976, de l’Information de 1976 à 1978, de la Jeunesse et des sports de 1978 à 1980, de la Culture et de l’enseignement supérieur de 1982 à 1984, ministre d’Etat en 1987 et ministre du Commerce en 1989. De 1990 au renversement de Siyaad, il tient le poste de Vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur et brièvement ministre du Travail et des Affaire sociales. 2
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Africa One. 14 VIII 2000. 417
Pourtant le 28 août, au lendemain de l’élection du nouveau président, l’Égypte, pragmatique, annonce son soutien aux nouvelles institutions de l’État somalien. Deux jours plus tard au Yémen, quatre chefs de guerre opposés au nouveau président sont reçus par le chef de l’État qui lui aussi se positionne en tentant de promouvoir la réconciliation.
La nomination du Premier ministre [8 X 2000] Le 8 octobre 2000, Cabdiqaasin Salaad Xasan nomme à son tour son Premier ministre. Celui-ci, Cali Khaliif Galaydh, est un Dhulbahaante originaire de Laas Caanood, la principale ville du Sool au Somaliland où il est né en 1941. Homme d’expérience, il a suivi un cursus universitaire étoffé au sein des universités américaines de Boston, de Syracuse dans l’État de New York où il enseignera plus tard, ainsi qu’à Harvard. Rompu aux arcanes de la politique publique, de la diplomatie et de l’administration publique, il est aussi un excellent connaisseur du monde des affaires. Entre 1974 et 1980, il a successivement dirigé les Jowhar Sugar Enterprises avant de devenir le directeur exécutif du Jubba Sugar Project de Mareerey. En effet, ministre de l’Industrie de Siyaad Barre de 1980 à 1982, il a fait partie de ces ministres réformateurs qui ont dû fuir la Somalie avant d’être arrêtés. Entre 1996 et 2000, c’est lui qui a fondé la SOMTEL, compagnie de télécommunication privée.
L’institution du Transitional National Government (TNG) Le Président et le Premier ministre quittent Djibouti le 14 octobre 2000 pour Muqdisho où un accueil triomphal leur est réservé. Les deux hommes sont escortés par une milice armée composée d’un millier d’hommes mis à leur disposition par les factions qui ont soutenu le processus d’Arta, par le milieu d’affaires et par les chefs religieux. Le lendemain, le Premier ministre entreprend de constituer son cabinet et nomme Ismaaciil Maxamuud Hurre ministre des Affaires étrangères. Le reste de son gouvernement sera annoncé cinq jours plus tard, le 20 octobre. Au sein de celui-ci, on relève aux postes régaliens la présence du boqor Cabdullaahi King Kong, chef traditionnel des Majeerteen, nommé au ministère de la Défense, de Daahir sheekh Maxamed au portefeuille de l’Intérieur et de Saciid sheekh Daahir au ministère des Finances.Une nouvelle page de l’histoire somalienne s’engage maintenant. * Dans l’euphorie il est vrai, on ne distingue pas encore vraiment bien l’ampleur de la contestation qui s’est installée dès avant la fin de la réunion d’Arta et qui promet de connaître un développement exponentiel. Car une vie politique somalienne nouvelle s’installe aussi, en parallèle à la vie du TNG. Ce gouvernement virtuel, isolé sur le terrain, n’est guère reconnu qu’au-delà des frontières du pays lui-même, là où il n’a aucune raison d’être. 418
Vite considéré comme une faction parmi les autres, il lui faudra maintenant lutter contre les vieilles factions en mal de reconversion avant que le fait religieux ne vienne imposer sa loi. Une loi tout à fait plausible tout d’abord avant qu’une nouvelle fois déchaînée par des ingérences inutiles, l’ignorance des jeunes musulmans ne reconduise le pays sur le chemin du désastre, du désespoir et de l’horreur. Un autre logique se profile désormais. Les exemples du Somaliland et du Puntland avaient donné sa crédibilité à l’approche modulaire, mais à Arta, contre toute attente, elle a été dévoyée. La société internationale, incorrigible, n’a pas compris que le processus engagé sous l’égide du président djiboutien renonçait en réalité à l’approche modulaire pour s’enferrer une nouvelle fois dans le schéma d’une Somalie unifiée. Or le rapport de force a radicalement changé. Les chefs de guerre qui perdurent ne maîtrisent plus que des fiefs en peau de chagrin et sont désormais plus proches du délinquant ordinaire que du dirigeant politique. Les hommes d’affaires et les religieux intégristes se sont substitués à eux, dans un espace qui désormais maintenant se confond. Même l’Éthiopien qui probablement a vu s’installer l’affairisme a mal mesuré le danger, dès lors que l’existence de fait du Somaliland et du Puntland atomisait comme il le souhaitait la République somalienne, son adversaire naturel. Bien qu’en alerte, il n’a simplement pas mesuré la dimension que pourrait prendre un islam agressif, formé hors d’Afrique, à des lieues spirituelles de l’islam somali traditionnel et avec lequel maintenant il lui faudra compter. Et c’est sur ce chemin menant à un nouveau pandémonium qu’il nous faudra maintenant nous pencher.
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E PILOGUE
HAANTA SALKA AYEEY KA UNKANTAA
Un pot à lait se construit en commençant par le fond
Arta : l’exercice est certes imparfait mais, hélas ! la politique ayant horreur du vide, du point de vue des institutions internationales, il est acceptable. Aussi n’est-il pas question de conclure avec la réunion d’Arta ce qui n’est qu’un épisode de l’histoire somalienne. Cette conférence, à propos de laquelle le terme traditionnel de shir ne sera que rarement employé, constitue cependant un tournant. Un tournant parce que la société internationale et ses administrations ont recréé à leur propre usage cet interlocuteur qui leur faisait défaut. Probablement plus aveugle et ignorante qu’immorale, elles ont abandonné une nouvelle fois les Somaliens à leur sort, camouflant leur abandon derrière le voile impudique d’un gouvernement virtuel. N’inventant rien de nouveau au profit d’un peuple pour lequel le concept d’État n’a pas de chair, il laisse la Somalie aux mains des affairistes avant que ce que l’islam, ce monde protéiforme, a de pire ne s’empare de son destin. Trois forces auront donc contribué à l’établissement d’un interlocuteur acceptable par la bonne société internationale. Celle-ci ne voyait comment considérer l’espace somalien autrement que comme un corps sans âme, donc inexistant au regard de ses instances. Quelque souplesse d’esprit mais plus encore d’administration y aurait vu une âme sans corps et aurait tenté de lui redonner vie en lui restituant un droit à la parole.
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Toujours est-il que loin d’avoir été une fin en soi, tant s’en faut, la conférence d’Arta marque un changement de modus dans l’histoire somalienne. C’est en effet à partir de cette réunion que les hommes de guerre sont contraints de céder la place à une autre logique, pas moins violente à bien y regarder, celle du monde des affaires et celle des religieux. Ces deux forces vont en l’occurrence associer leurs énergies et leur capacité pour tenter de rétablir en Somalie un minimum d’ordre social. L’exercice va naturellement se révéler complexe. Tandis que s’éloigne le troisième protagoniste, le Président djiboutien, qui peut maintenant recueillir les bénéfices, diplomatiques et autres, de son entrée fracassante dans la politique internationale, il reste à voir l’usage que les Somaliens vont faire de ce retour d’un État. Un État bien étrange vis-à-vis duquel une fois encore ses interlocuteurs vont accepter de se tromper délibérément dans l’espoir d’avoir un jour raison. Il reste qu’en dépit d’un bon départ, d’une assise théorique innovante et d’une stratégie plutôt solide, les résolutions de la conférence et ses attentes ne se matérialiseront pas. Privée du temps et des moyens nécessaires à un projet aussi complexe que la conception d’un processus de pacification de la Somalie, la Somali National Peace Process est rapidement promise à un destin similaire à celui des précédentes conférences de paix. Il reste à tenter de comprendre pourquoi. Or tout d’abord le plan djiboutien évacue la question des causes de l’éclatement de l’État somalien. Il n’a ni le temps ni la volonté de l’aborder. L’on se contente d’un constat : le malheur du peuple somalien proviendrait d’un « manque d’État », sans se préoccuper de la forme qu’il serait souhaitable que ce dernier revête. Or la conséquence perverse de cette économie de réflexion autorise une « relégitimation » silencieuse du régime défunt de Siyaad Barre dont on en vient presque maintenant à déplorer la disparition. Aussi n’est-il pas étonnant de voir d’anciens dignitaires du régime déchu accaparer la marche de la conférence ; comme il n’est pas plus surprenant de voir ceux qui ne sont pas de l’ancien sérail s’insurger face à leur participation. Ces derniers qui, divisés en deux groupes, n’ont en commun que le fait d’avoir combattu l’ancien régime et l’idée partagée que la solution à la reconstruction de l’État ne peut en aucun cas être confiée à ses fossoyeurs. D’un autre point de vue, certains vont jusqu’à considérer avec circonspection le phénomène « Somalie ». Les uns suggèrent qu’elle n’aura existé qu’une trentaine d’années seulement et qu’elle n’aurait pas disparu si au cours de cette brève période elle avait eu une base suffisamment intégrée et unie, apte à survivre après les soubresauts des régimes. Corollaire tentant de cette thèse, d’autres, les mêmes parfois, pensent aussi que la Somalie n’était pas une donnée immuable et 422
intrinsèque apte à transcender les facteurs temporels mais une réalité structurellement artificielle et précaire, formée à partir de 1960 entre deux anciennes colonies. Cela dit, l’échec de la conférence ne tient pas à son incapacité à ramener le Somaliland dans le giron de la Somalie : un détail somme toute puisque la plupart des observateurs s’entendent à reconnaître que la crise est circonscrite à Muqdishu et à ses environs. Partout ailleurs en effet, la paix et la concorde civile peu ou prou prévalent. Les affrontements concernent surtout le faisceau lignager des Hawiiye, prompts à la dispute, qui dans un contexte éclaté depuis dix ans, ont mis à profit toutes leurs fractures lignagères pour procéder à une forme d’autodestruction. Au-dessus de tout cela, les États et groupes d’États ont périodiquement appelé à des conférences de réconciliation souvent stériles avec comme objectif la formation d’un gouvernement impossible à concevoir. Solennels, péremptoires et sclérosés dans leurs procédés, ils ont du même coup contribué à attiser les guerres civiles et les rivalités internes. Ainsi, l’échec d’Arta résulte du dévoiement d’un processus qui par sa complexité échappe à un moment à son instigateur, le président djiboutien. En cela ce dernier a préjugé de ses forces. Sortant d’une victoire totale contre la rébellion afar dans le cadre de sa propre guerre civile puis de son succès à l’élection présidentielle, il a pensé sortir victorieux d’un défi lancé par son propre peuple. En cela, ce qui lui arrive rarement, il n’a pas été très « somali ». Beaucoup d’éléments étaient prometteurs pourtant. En faisant glisser le processus de paix des mains des chefs de guerre entre celles d’une certaine société civile, il responsabilisait une population depuis trente ans dépouillée de son destin. La logique aurait voulu qu’un tel processus induise la reconstruction d’un État – quelle que soit sa forme – en procédant du bas vers le haut. Dans ce contexte, les chefs de guerre auraient été condamnés soit à prendre le train en marche soit à disparaître : Either on board or die out. Mais reconstruire après un si long conflit ne pouvait se résumer à fabriquer des ministres et des présidents. L’exercice nécessitait avant tout et surtout de restaurer la confiance, de restaurer les liens et d’imaginer un espoir dans le futur, autant d’efforts qui ne pouvaient être entrepris qu’à partir des racines profondes de la population afin qu’elle se sente incluse dans le processus. Or, que ce soit les Nations unies, l’Organisation de l’unité africaine, la Ligue arabe, l’IGAD International Partners Forum, ou l’Organisation de la Conférence islamique, tous ont salué cette approche mais sans jamais véritablement l’entériner. Leur soutien au président djiboutien ne s’est pas révélé à la hauteur de l’enjeu. Il a résulté de ce quasi-forfait une forfaiture, une inversion du mouvement et la formation d’une autorité
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centrale en procédant du haut vers le bas, un concept aberrant en Somalie pour qui a compris trois mots de l’histoire de ce peuple. Car de quelque point de vue que l’on se place, la question de la légitimité est au centre de la construction de tout pouvoir humain et sa carence détermine toujours tôt ou tard l’échec d’un l’État qui penserait s’en accommoder. Or le pouvoir politique procède de l’autorité politique comme l’autorité politique à son tour exige la légitimité.
Plufur, 22 février 2015
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A NNEXES
I. CONFERENCE DE HARGEYSA – 15 OCTOBRE 1996/23 FEVRIER 1997 Organisation de la conférence Comité exécutif de la Conférence de Hargeysa Shirgudoonka shirka 1.Sheekh Ibraahim sheekh Cali sheekh Madar - Président 2.Sheekh Axmed Nuux Furre – Président adjoint 3. Docteur Maxamed Cabdi Yuusuf – Secrétaire général 4. Cabdiraxmaan Xuseen Cabdi Baydaani 5. Suldaan Cabdiraxmaan sheekh Maxamed 6. Suldaan Maxamed suldaan Faarax 7. Xaaji Cabdi Xuseen Yuusuf Waraabe 8. Cilmi Xirsi Cali 9. Sheekh Cabdilaahi sheekh. Cali Jawhar 10. Sheekh Muse Cabdi Fadal 11. Caydiid Cabdi Maxamed 12. Axmed Cali Jaamac Gamco dheere 13. Cumar Faarax Budeeye Comités constitutionnels Comité chargé de la préparation de la Constitution Guddiga isku duba-ridka Dastuurka 1. Sheekh Cabdilaahi sheekh. Cali Jawhar - Président 2. Maxamed Axmed Cabdulle – Vice-président 3. Cabdiqaadir xaaji. Ismaacil Jirde - Secrétaire 4. Sh. Maxamud Suufi Muxumed 5. Maxamed Sicid Maxamed Gees 6. Sheekh Cali sheekh. Cabdi Guleed 7. Faysal xaaji Jaamac Qareen 8. Cismaan Xuseen Khayre Shunuu Garsoore 9. Professeur Faarax Cabdilahi Farud 10. Professeur Maxamud Nuur Caalim 11. Xasan Cabdi Xabad 12. Axmed Maalim Jaamac 425
13. Yuusuf Aden Xuseen 14. Cismaan Cali Bile 15. Maxamed Jaamac Faarax Comité chargé de la réforme et la révision de la constitution Guddida dib u habaynta iyo dib u eegidda Dastuurka Golaha Guurtida 1. Siciid Jaamac Cali - Président 2. Axmed Nuur aw Cali - Secrétaire 3. Cabdilahi sheekh Xasan 4. Siciid Cabdullaahi Yaasir 5. Cali xaaji. Cabdi Ducale 6. C/raxmaan Axmed Areye 7. Maxamed Ciise Faarax 8. Yuusuf Cabdullaahi Cawaale 9. Muxumed Aw Axmed 10. Maxamed Gaaxnuug Jaamac Booshcade 11. Maxamed Cismaan Guleed Langadhe-libaax Golaha wakiilada 1. Xasan Axmed Ducaale Xasan Macalin - Président 2. Cali Maxamed Cumer - Secrétaire 3. C/raxmaan Xusen Cabdi Beydaani 4. Maxamed Xuseen Dhamac 5. Cabdi Daahir Camuud 6. C/lahi Ibraahim Kaarshe 7. Faysal X. Jaamac 8. Maxamed Aden Gabaloos Dhukur 9. Cumar Nuur Aare 10. Yaasin Faarax Ismaacil 11. Yaasin Maxamud Xiir 12. Cali Obsiye Diriye Cali Gabiley Comité pour la correction, l’authentification et la diffusion de la version de la constitution soumise au référendum Guddida sixidda, hubinta iyo soo saaridda nuqulka dastuurka qaranka aftida dadweynaha ka hor 1. Axmed Maxamed Aden Qaybe Gudomiyaha (Golaha Wakiilada) 2. Axmed Nuur Aw Cali Xoghaye (Golaha Guurtida) 3. Cabdilahi Sh. Xasan Xubin (Golaha Guurtida) 4. Maxamed Xuseen Cismaan (Mu’adin) Xoghayn (Golaha Wakiilada) 426
II. COMMUNIQUE DE PRESSE DE NAIROBI - 17 OCTOBRE 1996 Les dirigeant somaliens se sont réunis à Nairobi du 9 au 15 octobre 1996, à l’invitation de S. E. M. Daniel T. arap Moi, Président de la République du Kenya, qui a manifesté son souci constant de la paix, de la tranquillité et de la réconciliation en Somalie. Dans son allocution liminaire, le Président a engagé les dirigeants à songer au fait que, durant les six dernières années, la Somalie n’a pas eu de gouvernement internationalement reconnu et que le peuple somalien, en particulier les femmes et les enfants, a énormément souffert. Il a souligné que la présence des dirigeants somaliens à Nairobi témoignait leur ferme intention de parvenir à la paix, à la réconciliation et à un règlement durable du problème somalien. Après un débat et un échange de vues approfondis et désireux d’atteindre l’objectif d’une paix durable et de la tranquillité en Somalie, les dirigeants somaliens ont fait la déclaration suivante : - Les dirigeants procèdent actuellement à des entretiens après avoir été encouragés par S. E. le Président Daniel T. arap Moi à communiquer entre eux ; - Ils ont proclamé la cessation des hostilités, y compris l’arrêt de la propagande dans les médias, qui doit prendre effet immédiatement; La population pourra circuler librement dans la capitale Muqdishu et tous les barrages routiers entre les diverses régions seront démantelés; Les dirigeants faciliteront l’acheminement de l’aide humanitaire destinée au peuple somalien ; - Ils s’engagent à poursuivre le dialogue afin de parvenir à la paix et de préserver son unité, sa souveraineté et son intégrité territoriale ; - Ils engagent instamment S. E. le Président Daniel T. arap Moi à poursuivre sa médiation et lui demandent de s’opposer à tout acte de déstabilisation provenant de l’étranger et à toute ingérence extérieure dans les affaires somaliennes ; - Ils expriment à S. E. le Président Daniel T. arap Moi leur gratitude pour le rôle actif qu’il continue de jouer en vue de promouvoir le processus de paix et la réconciliation en Somalie, conjointement avec les dirigeants de la sous-région de l’Afrique de l’Est (membres de l’IGAD) ; - Ils s’opposent énergiquement à toute tentative visant à entamer des négociations bilatérales susceptibles de détourner l’attention du processus de paix somalien ou de saper celui-ci; Ils demandent à la communauté internationale de renforcer son appui à cet effort. - Les dirigeants somaliens et leurs délégations ont exprimé leurs remerciements et leur profonde gratitude à S. E. le Président Daniel T. arap Moi pour la préoccupation fraternelle dont il a 427
fait preuve à l’égard du peuple somalien, pour l’hospitalité dont a bénéficié la délégation somalienne dans la capitale kényenne et pour toute l’attention qui a été accordée aux réfugiés somaliens au Kenya.
III. DÉCLARATION DE SODERE - 3 JANVIER 1997 A. BACKGROUND We, the undersigned Somali political leaders, meeting at Sodere, Ethiopia, for the period from 22 November 1996 to 3 January 1997, for the High-level Consultative Meeting, - having thoroughly discussed the situation in Somalia; - being concerned about the continued violence in our country and the senseless loss of human lives in the conflict; - having been humbled by our inability so far to arrest the conflict and to ameliorate the condition of life of our people; - having realized that the main obstacle to progress in Somalia is the lack of a central authority capable of providing vital public services, including public safety, economic opportunity, and social justice; - having further realized that the international community cannot provide adequate assistance to the Somali people without the necessary security in the country and without the institutional mechanisms through which to channel aid; being conscious that the establishment of a central authority requires adequate preparation and a stepby-step approach to ensure political groups and grass-roots participation and acceptance. Have agreed on the following: B. THE OUTCOME OF THE HIGH-LEVEL CONSULTATIVE MEETING At Sodere we have established a National Salvation Council whose 41 members have been selected from the 26 political movements participating in the High-level Consultative Meeting and a National Executive Committee with 11 members led by five 5 member Co-Chairmen with the authority to act and speak on behalf of the National Salvation Council. The National Salvation Council will embark on a preparatory course of action leading to the establishment of a Transitional Central Authority or Provisional Central Government of Somalia and in this connection will pursue a five point programme: - To work for the restoration of peace, stability and law and order. - To help reconcile the differences among the clans in the zones of conflict and to revive and strengthen the national cohesion of the Somali people so as to ensure the return of a lasting peace and the full participation of political groups in the political decisionmaking process. 428
-
To carry out other preparatory programmes including drafting a Transitional National Charter for the Transitional Central Authority and the Provisional Central Government, as well as preparing such other documents as are deemed necessary. - To coordinate and facilitate the provision of emergency relief and rehabilitation programmes as well as other social services such as education, health care, environmental protection and the reactivation of the productive sectors. - To act as the counterpart to the international community in its efforts to assist in the reconciliation process and the rehabilitation of Somalia. - We have decided to spare no effort to pave the way for the establishment of a Government of national unity as well as the restoration of peace and stability in our country. C. NATIONAL RECONCILIATION CONFERENCE AND CONCLUDING NATIONAL CONFERENCE We have also agreed to convene a National Reconciliation Conference at Bossasso, Somalia, to approve the charter of the Transitional Central Authority or the Provisional Central Government. The National Reconciliation Conference will be attended by delegates representing a crosssection of Somali society including elders, intellectuals, women, political and religious leaders. A Concluding National Conference will be convened following the completion of the National Reconciliation Conference to announce the formation of the Transitional Central Authority or the Provisional Central Government in the presence of the representatives of the international community. D. THE SODERE SPIRIT The process that culminated in the agreement to set up the National Salvation Council was driven by a new attitude and thinking, which the leaders displayed abundantly during the course of the consultation. The new thinking is based on the realization that the interest of the nation should and must come before and above personal ambition. What was also evident was the spirit of cooperation and compromise in working out differences and a willingness to forge lasting solutions to the problems that have plagued Somalia in the past six years, as well as the determination to implement the agreement signed at Sodere. E. À NATIONAL CALL We wish to affirm to the majority of the Somali people, on whose behalf and by whose mandate we have deliberated at Sodere, that we shall work without any hesitation or reservation for peace and reconciliation to make Somalia a better place to live in. This noble goal can be realized only with the support, participation and cooperation of all Somali. Thus, we urge them to set aside their differences and to opt for peace and unity. In the same spirit we call upon the Somali National Movement/Egal political groups to joint with us as soon as possible in the search for a 429
lasting solution to the crises in the country. Similarly, we call upon the Aidid group to participate in the ongoing reconciliation process. We wish to convey to our compatriots that Somalia can be salvaged and its problems resolved only if its people are united and work together for the common good. On our part we are prepared to meet with out compatriots at any time and at any place, to enter into dialogue for the purpose of reaching a mutually satisfactory agreement in the best interest of our people. We welcome and express our full encouragement for all the peace and reconciliation efforts that have been undertaken in the various parts of the country and that have led to the formation and establishment of local authorities. F. OUR VISION FOR SOMALIA Taking into account of the fact that the collapse of the national institutions was due in part to structural defects and in part to the mismanagement of previous regimes, we have decided to construct a system of State and form of government that are suitable for our socio-political conditions and realities. We envisage in this restructuring approach a system of checks and balances ensuring not only the proper functioning of the Government, but also guaranteeing individual liberty and the democratic rights of the citizenry. Under such a system, propelled and fostered by the Somali people, a new Somalia that is strong, democratic and prosperous can be created. During this interim period our focus will be on the achievement of reconciliation and the restoration of law and order as well as the preparation of a new constitutional arrangement for Somalia. G. APPEAL TO THE INTERNATIONAL COMMUNITY During the course of the Consultative Meeting, two themes have dominated the discussions around the conference table. One theme was the plight of the Somali people, whether at home or abroad, suffering under extremely difficult conditions. The other theme centred on our failure to bring about any meaningful progress in the fulfilment of our obligations to our people. However, we have resolved solemnly to pledge our commitment to carry out the terms of the agreements we have signed at Sodere and to discharge our responsibilities to our people. In this connection, it is self-evident that the rebuilding of Somalia is of such a magnitude as to call for massive international aid in support of reconciliation, rehabilitation and reconstruction. We, therefore, appeal to the international community to continue to provide the necessary assistance while expressing our gratitude to all donor countries for extending humanitarian relief aid to our people.
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H. ACKNOWLEDGEMENT AND EXTENSION OF GRATITUDE We wish to express our deep appreciation to the Government of Ethiopia as well as the IGAD member countries for providing the facilities to the delegates of the High-level Consultative Meeting without which the conference would not have been possible. In particular, we would like to thank Prime Minister Meles Zenawi of Ethiopia for his tireless endeavour in promoting peace and reconciliation in Somalia. We wish also to thank the heads of State of the IGAD countries for their unwavering support of the peace process in Somalia. Our gratitude goes also to the United Nations and the regional organizations such as the Organization of African Unity (OAU), the League of Arab States (LAS) and the Organization of the Islamic Conference (OIC), the Movement of Non-Aligned Countries, the European Union and the United States of America for their consistent support to Somalia to preserve its unity, national and territorial integrity as well as for their continuing promotion of peace and reconciliation in our country. Finally we wish to express our deep thanks to all those countries that have provided humanitarian aid to Somali refugees in their respective homelands. Signed by all the Somali political leaders participating in the High-level Consultative Meeting held at Sodere, Ethiopia : 1. Somali Afrikans Muki Organization/Somali Salvation Alliance Mohamed Ramadan Arbow - Chairman 2. Somali Democratic Alliance/Somali Salvation Alliance Ali Haji Hersi - Chairman 3. Somali Democratic Movement/Bonkai Abdulahi Mohamed Idris "Lesto" - Acting Chairman 4. Somali Democratic Movement/Somali National Alliance Issaq Malaq Ibrahim - Chairman 5. Somali Democratic Movement/Rahanwein Resistance Army Hassan Mohamed Nur - Chairman 6. Somali Democratic Movement/Somali Salvation Alliance Abdi Musa Mayow - Chairman 7. Somali Democratic Union Abukar Abdi Osman - Chairman 8. Somali National Democratic Union Ali Ismail Abdi - Chairman 9. Somali National Democratic Union/Somali Salvation Alliance Mohamed Adan Yuusuf - Vice-Chairman 10. Somali National Front/Somali Salvation Alliance Omer Haji Mohamed - Chairman 431
11. Somali National Union/Somali Salvation Alliance Mohamed Rajis Mohamed - Chairman 12. Somali Patriotic Movement/Somali National Alliance Ahmed Xaashi Mohamud - Chairman 13. Somali Patriotic Movement/Somali Salvation Alliance Adan Abdulahi Nur - Chairman 14. Somali Salvation Congress Abdullahi Moallin Mohamed - Chairman 15. Somali Salvation Democratic Front Mohamed Abshir Musa - Chairman 16. Somali Salvation Democratic Front Abdilahi Yuusuf Ahmed - Chairman 17. Southern Somali National Movement/Somali Salvation Alliance Abdullahi Shiek Ismail - Chairman 18. SUDO/Somali Salvation Alliance Abdi Abdulahi Ibrahim - Chairman 19. United Somali Congress Osman Roble Mohamud - Vice-Chairman 20. United Somali Congress/Somali National Alliance Osman Hassan Ali, Ato - Chairman 21. USCs/Patriotic Movement/Somali Salvation Alliance Abdi Osman Farah - Acting Chairman 22. United Somali Congress/Somali Salvation Alliance Ali Mahdi Mohamed - Chairman 23. United Somali Congress/Upper Jubba Yuusuf Sheekh Mohamed - Chairman 24. United Somali Front/Somali Salvation Alliance Abdi Omer Ahmed - Chairman 25. United Somali Party Ahmed Gure Adan - Chairman 26. United Somali Party/Somali Salvation Alliance Mohamed Abdi Xaashi - Chairman 27. USR Mohamud Hussein Farah – Chairman
IV. DÉCLARATION DU CAIRE – 22 DÉCEMBRE 1997 The undersigned political leaders of the Republic of Somalia, in an effort to achieve peace and reconciliation within our beloved country, having met in Cairo from 12 November to this 22nd day of December 1997, hereby affirm and solemnly declare and pledge ourselves to the following principles and actions:
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Whereas, the undersigned Somali leaders desire lasting peace, stability and an end to the conflict and civil war in Somalia; and Whereas, we recognize these Cairo talks as unique in nature and result, as embodying Somalia’s national and individual aspirations, and as unifying all the socio-political forces of our country; and Whereas, we have jointly and with the spirit of brotherhood and common responsibility discussed all relevant issues consistent with national reconciliation, restoration of unity, and social harmony in Somalia; and Whereas, we are deeply saddened over the immense suffering, destruction and devastation inflicted upon the Somali people during the years of civil strife, and aware of the magnitude of such problems, including the lack of progress and development, the dysfunction of all basic services, and total non-existence of state institutions; and Whereas, we agree to set aside our differences for the common good of our people and wish to embark on a new path towards national unity and re-establishment of the basic rights, aspirations and freedom of the Somali people; and Whereas, we declare our rejection of violence, threat and use of force as means to achieve political and social goals, and therefore, we have decided unanimously to cease fire, and on a cessation of all hostilities and disengagement of opposing forces; and Whereas, we reiterate our firm belief in the principles of democracy, equality, social justice and the constitutional guarantees of individual human rights as provided by international conventions and declarations; and Whereas, there is a need and desire for the re-establishment of the rule of law and the institution of a federal democratic system of governance; and Whereas, realizing the strong will of the Somali people to enjoy their God-given birthrights under the sovereign State of Somalia; and Whereas, the undersigned recognize the need for a transitional mechanism of national authority until the succeeding constitutional Government is instituted by the people of Somalia. The Transitional Government will be based on a system of federal governance and will carry out its functions and responsibilities, within the transitional period; and Whereas, the undersigned further recognize the importance of individual responsibility to create an atmosphere of peace and harmony; and Whereas, the undersigned declare that they are a united national front for Somalia. Be it Therefore Resolved: That the undersigned hereby agree that this Declaration shall be binding upon each one of us; and 433
That, bearing in mind the efforts made in Nairobi in October 1996, Sodre in January 1997, Ṣanʿā’ in May 1997, Cairo in May 1997, and the separate Cairo Understanding of 21 December 1997, respectively; and That it shall be an indication of our unfailing desire to unite our people, protect their rights and form the institutions that can and will serve basic needs; and That to preserve Somalia as an independent and indivisible State within internationally recognized boundaries; and That Mogadishu is the capital of the Republic of Somalia, and for that we shall act to create an atmosphere conducive to peace in Mogadishu and its surroundings; and That the Transitional Government will be bound by the rules of international laws and the objectives and principles of the United Nations and all other international and regional organizations in which Somalia is a member; and That to respect all the international and regional conventions entered into by the former Somali governments; and That we pledge our lives and our sacred honour to protect and defend the precepts included herein. Be it Further Resolved: That the undersigned agree to convene a National Reconciliation Conference in Baidoa, the capital of Bay region, on the date of 15 February 1998; and That all militias shall be encamped in prearranged sites in all conflict areas; and That a joint security force will be established for the National Reconciliation Conference;nd That the undersigned shall establish a national coordination committee to prepare, organize and hold the National Reconciliation Conference; and That the National Reconciliation Conference will be constituted of four hundred and sixty-five (465) delegates, who shall be allocated as follows: (a) One hundred and sixty (160) delegates shall be allocated to the two sides participating in the Cairo Somali meeting (80 delegates each); (b) Ninety (90) delegates to specific northern Somali communities; (c) Fifty-eight ((58) delegates of the three Somali social groups not included in paragraphs (a) and (b) above; (d) Twenty-three (23) delegates, 10 delegates, and 8 delegates for each of the three Somali social groups not included in paragraphs (a), (b), and (c) above. That the delegates for the Conference shall be selected from all segments of Somali society. Such selection should be on a careful consideration of community balance; and 434
That invitations to attend the National Reconciliation Conference shall be extended to Governments, regional and international organizations as well as local and international mass media for the purpose of observing the deliberations and decisions of the Conference; That the purpose of the National Reconciliation Conference shall be to elect a Presidential Council, a Prime Minister and to adopt a Transitional Charter; That the agenda for the National Reconciliation Conference shall expressly include: (a) A Declaration of National Commitment that the Somali people desire the formation of a Constitutional Transitional Government guaranteeing individual freedoms and the creation of the democratic national Government; and (b) A Declaration of Peace and Cooperation among the people of Somalia to work with the Transitional Government towards the establishment of a succeeding constitutional federal Government; and (c) Adoption of a Transitional Charter, which shall serve as a framework of the branches of the established National Transitional Government for the protection of individual rights and fundamental liberties and shall be the supreme law of the land; and (d) The organization of the established National Transitional Government on the basis of the Transitional Charter, shall specifically provide for the creation of: (i) A Constituent Assembly with a Chairman and two Vice-Chairmen; and (ii) Establishment of an independent judiciary, and prohibition of special courts; and (iii) Election of the 13 members of the Presidential Council; and (iv) Election of a Prime Minister who shall form and be the head of the Government in Transition. That the National Reconciliation Conference shall be dissolved once it achieves the above agenda. Be it Further Resolved: That, pursuant to such provisions of a National Reconciliation Conference, there shall be a Government in Transition; and That the accomplishment of such work, as described above, will receive the full support f the undersigned in its fulfillment and implementation. Be it Further Resolved: That the 13 members of the Presidential Council shall be designated as follows: (a) Three members for each of the four major social groups in Somalia (12members); 435
(b) One member of the remaining Somali social group (1 member). That the Presidential Council shall, by simple majority vote, designate one of its members as President of the Presidential Council; That the Prime Minister of the Transitional Government, designated by the National Reconciliation Conference, shall be responsible for establishing the programmes, executive functions of the Transitional Government and public administration. The Prime Minister shall also nominate the Ministers and Vice-Ministers and such other officials as he/she shall consider necessary to conduct the affairs of the Transitional Government as authorized by the Transitional Charter; That there shall be established, as provided in the Transitional Charter, a Constituent Assembly which will function as a legislative authority as stipulated in the Transitional Charter; That the Constituent Assembly will be composed of 189 members who shall be distributed as follows: (a) Forty-six (46) seats are allocated to each of four Somali social groups (184 members); (b) The remaining social groups are entitled to 3 and 2 seats respectively (5 members); That there shall be established, as provided in the Transitional Charter, an independent judiciary system with no special courts; That all functions and actions of the Transitional Government shall be effectual and binding upon the succeeding Government; That the Transitional Government shall, as provided in the Transitional Charter, conduct, as soon as possible, a national census, from which an electoral system, including electoral registration, elections and other related democratic functions can be implemented; That the Transitional Government shall act immediately to enlist the assistance of other nations in the fulfillment of all goals towards national unity and governance; That the Prime Minister, acting on behalf of the Transitional Government, shall immediately take all steps necessary and continue to monitor the withdrawal of all confronting militias and the undersigned agree to offer any and all assistance and cooperation as may be required to permanently complete such disengagement; That all checkpoints and lines of demarcation shall be withdrawn, and that the institution of such checkpoints and lines of demarcation shall be considered as a felonious act; That the necessary actions to reopen the port and the airport of Mogadishu shall be taken as soon as possible; and That the Transitional Government shall immediately take such actions as are necessary to implement and sustain full civilian enforcement of the rule of law as provided in the Transitional Charter; 436
That the Transitional Government will limit its existence, and therefore the time of completion of its responsibilities, to a period of three years, with a possible extension of two additional years as provided for in the Transitional Charter; and That the popular approval of a permanent Constitution and first election of a succeeding Constitutional Government will be held before the completion of the transitional period and by the Transitional Government; and Be it Further Resolved: That there is a need for a permanent constitution to be drafted during the transitional period, which enshrines, inter alia, the fundamental rights, liberties and duties of the Somali people; and a system of checks and balances on the power of the Government should be established and approved through a national referendum; That we, the undersigned, call upon all the Somali people to forget the painful differences of the past and to magnanimously work together for common forgiveness, reconciliation and the end of hatred and mistrust forever; and That every Somali should recognize that our common survival, wellbeing, interests and development depend upon our solidarity, indivisible unity and mutual respect; and That we need the help of, and appeal to, the nations of the world to assist us at this critical time of our history, and further appeal to the international community to recognize and support the Transitional Government of National Unity of Somalia upon its formation; and That we are most grateful to the international and regional organizations that have so persistently contributed to the promotion of peace and national reconciliation in Somalia, particularly the United Nations, the Organization of African Unity, the League of Arab States, the Organization of the Islamic Conference and members of the Movement of Non-Aligned Countries; and That we are likewise grateful to the friendly nations that have so generously provided their assistance in this process, with special thanks and gratitude to the Government and people of the Arab Republic of Egypt and H.E. President Mohamed Ḥusnī Mubārak for the enormous effort extended to enable us to come together and to conclude this unique, successful, historic and unprecedented breakthrough; and That we express our deep appreciation to all the States members of the Intergovernmental Authority on Development (IGAD), namely, Kenya, Ethiopia, Djibouti, Eritrea, the Sudan and Uganda, for the collective and individual efforts in promoting peace and reconciliation in Somalia; and That we are deeply appreciative to the Republic of Yémen for its contribution to and keen interest in the restoration of peace and promotion of national reconciliation in our country; and That the undersigned are today confident and proud to announce to the entire world our belief that the work accomplished here in Cairo lays a 437
solid foundation for a new, bright beginning for Somalia and ushers in a new era of peace and reconciliation dawning on our land; and That we express profound thanks to Almighty God for having guided our steps towards the path of understanding, forgiveness, the attainment of common goals, the creation of a Government of National Unity and the restoration of Somalia in its rightful place among the world community. That this solemn Declaration is signed and sealed in Cairo this 22nd day of December 1997, 22nd day of Shabaan 1418, in nine (9) authentic originals, together with annexed signature page consisting of all the delegates, in the English language. That all originals and their annex have the same force and effect. That each delegation has received an original, with one original to be deposited with rhe Government of the Arab Republic of Egypt, the United Nations, the League of Arab States, the Organization of African Unity, the Organization of the Islamic Conference IGAD and the Movement of Non-Aligned Countries. Co-Chairmen Hussein Mohamed AIDEED, Ali Mahdi MOHAMED, Mohamed Members Haji ADAN, Hilowle Iman OMAR, Mohamed Nuur ALIYOW, Mohamed Farah ABDULHAI, Mohamed Kanyare AFRAH, Ahmed Omar JES, Jama Mohamed GALIB, Abdilkarim Ahmed ALI, Abdirham Farah ISMAIL, Ali Haji Mohamed JABIRI, Hassan Mohamed NUUR, Mohamed Farah JIMALE, Mohamed Khalif SHIRE, Abdullahi Yousuf AHMED, Abdelkader Mohamed ADDAN, Adan Abdullahi Nuur GABYOW, Osman Hassan Ali ATTO, Abdi Mouse MAYOW, Mohamed Raagis MOHAMED, Abdullahi sheik ISMAIL, Omar Hagi MOHAMED, Abdi Osman FARAH, Abukar Abdi OSMAN, Mohamed Ali HAMED, Mohamed Abshir MOUSE, Ali Adan HUSSEEN,
V. CONFÉRENCE D’ARTA – MAI/AOÛT 2000
Section 1 - Outline of the Peace Process In his inaugural address to the fifty-fourth session of the United Nations General Assembly last September, 1999, H.E. Mr. Ismail Omar Guelleh, President of Djibouti, put forth several proposals marking out an alternative direction in the quest for peace and return of government of Somalia. The response of these proposals, both international and among Somali of all walks of life, inside and out of the country and in large numbers, has been immense. Its sheer breadth clearly demonstrated that a vital nerve had been touched, opening a window of opportunity for the people of Somalia to come together in an attempt to resolve their prolonged crisis of statelessness and conflict. 438
What is patently clear is that the overwhelming majority of Somali reject the status quo, firmly believing that any government s better than no government and an indefinite paralysis. The desire for a real change appears genuine ---- a change that transforms the lives of people, restores respect and integrity to the country, brings peace, security and development. The member countries of IGAD are fully supportive of this process as are also other organizations, indeed, the entire international community. Djibouti acknowledges the relentless, valiant and construction effort of so many countries and organization, particularly Ethiopia, mandated for this conflict both by IGAD and OAU; as well as Kenya, Egypt, Yémen, Italy, the United Nations, OAU, League of Arab States, EU and OIC. Their valuable contributions to this initiative are deeply appreciated as well. This is also true of the impressive cascade of ideas, recommendations and proposals put forth by Somali of every station of life, in and out of the country. The essential purpose of the peace process and conference is to reestablish the sovereign state of Somalia and initiate those steps necessary to realize a democratic government and administration, under a framework which fairly with liberty and justice for all. Djibouti will, therefore, convene a Somalia National Peace Conference (SNPC) in Djibouti in April/May 2000, attended by representatives of all Somali people. The SNPC will in turn lead to the convening of a "Transitional National Assembly" (TNA) which will elect an interim President and Prime Minister and set in train the process of national recovery. It is crucial to maintain the heightened momentum prevailing. Therefore, the process leading to the conference, the interim arrangements and final government, will take place in a measured but timely manner. The ultimate objectives of the entire process will be peace, legitimacy, reconstruction and government. The conference will be decisive event, for it will open all other processes, and put in place the interim arrangements. Most Somali tends to believe that "centralism" coupled with a President enjoying absolute, almost stifling power, unaccountable to no one but to himself, have contributed largely to corrupted, waste, nepotism and clanism. A clear separation, therefore, between " centralism" coupled with president enjoying absolute, almost stifling power, unaccountable to no one but to himself, have contributed largely to corruption, waste, nepotism and clanism. A clear separation, therefore, between "central " and " regional" powers, as well as separation of powers between the branches of government, including a system of accountability, and checks and balance, are of paramount importance. The proposed "transitional mechanism" seeks to institute a system of governance that places a limit to the powers of the chief executive.
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The transitional government will have to address the issues of peace and reconciliation, and an end to hostilities. Fortunately, most of the country is now at peace, while the factions responsible for the strife no longer hold sway in the minds of the people as they once did. The new framework will have a degree of legitimacy, which will enable it to command respect. It can thus govern and administer the country with more authority, as well as initiative the process of reconstruction. At the same time, a process of dialogue, negotiation and reconciliation will commence among Somali, leading in turn to elections and the establishment of permanent political arrangements within period of 2 years. These proposals differ from previous attempts to promote peace in Somalia, in that they seek to convene a wide ranging, broadly representative and legitimate group of Somali ( elders, religious groups, the business community, women and intellectuals - in short, what is inclusively called the "civil society!") to establish a national framework of governance, whereas previous process concentrated on power sharing among faction leaders, based upon clan hegemony. For essentially the first time, there is an alternative in sight to self-anointed proxies of the people. It will be power to the people! There is also an increasing evidence that the Somali people, traumatized and war weary, are ready for peace as the power and prestige of the armed factions continue to decline. Djibouti’s approach is holistic, as are those of IGAD the OAU, U.N and the international community, in so far as this process embraces the whole of Somalia as one entity. An approach, which is not holistic, is unrealistic, and the onus lies on those who diverge to demonstrate otherwise, through full and unreserved participation in the conference, cogently arguing their specific case before their brothers and sisters. The conference is the only forum to tackle pernicious and divisive national issues. No one and no region should miss this golden opportunity! There are of course some who gain considerable benefit form the current chaotic state of rift in Somalia, and wish to thwart any meaningful attempt to restore government, law and order. Let there be no doubt. This conference is not intended as a seminar for intellectuals or a poetry reading workshop glorifying some mystical past. It shall be pragmatic and result - oriented. It must deliver! One theme is persistent: time does not appear to favour Somalia. There is a persuasive sense of urgency in the messages of the majority, which feel the suffering cannot be allowed to continue . Postponing or even prolonging the process will merely provide those with the hidden agendas more latitude to derail the effort. Obviously there is a minority that is simply fearful of an orderly, functioning and reconstituted Somalia. The fact remains however that Somalia is now energized, full of hope and expectation. It is this spirit that must be captured now and utilized 440
for the greater benefit of the people. Djibouti is merely a vessel, a locus, a facilitator. We have simply responded to a mighty force from the people of Somalia, which has overwhelmed us all! It has virtually assumed a life of its own, and cannot now be thwarted. The center stage now belongs to the real people of Somalia and the world waits and watches with great expectation. The Somalia National Peace Conference (SNPC) The SNPC will establish national political framework, to allow national political life to resume in Somalia. It will prepare the basic political mandate for the Transitional National Government, which will convene after SNPC, has completed its work. SNPC will also define the fundamental role and powers of the TNA Vital to the success of the SNPC is that it should be, and should be seen to be, fully representative of the entire Somali society. Careful consideration is being given as to how this objective might be attained , to ensure, that no sector, region or group is excluded, and that those claiming "separateness" or possessing military power, won’t deprive the Somali people the right to freely participate in this conference whose outcome will have a definitive impact on their lives and their future. The Transitional Assembly (TNA) During the crucial transitional phase, the locus of authority and governance, in the fact the very heart and soul of the process will rest with the TNA. Given the diversity of identities, affiliations and interests represented within it, this body must come to symbolize and exemplify the essence of pragmatic Power-sharing. This does not however, diminish the power and responsibility of the other branches of government. The Transitional Assembly (TNA) will be the sole body with legislative powers during the interim or transitional period. It is intended that it should initially convene in Djibouti , following the Somali National Peace Conference, for the purpose of electing the President and the Prime Minister. Subsequently sessions will take place in Somalia. The 1960 Somali constitution, amended as necessary shall guide the TNA during the interim period TNA’s major tasks will include legislative authority in setting-up a commission to draft a new constitution; establishing a national police force; forming commissions to consider such issues as disarmament and cease-fire, security, and stolen property; and the establishment of a National Electoral commission and census Board to lay the groundwork for elections prior to June 1, 2002 Disarmament and security. Special mention is warranted with great regard to the questions of disarmament, cease-fire and security. In addressing them the critical 441
factor will be the formation of a national government that has the support of the people of Somalia. With this legitimacy, it will be able, with the support of the international community, to organize a multiphase carrot and stick plan of action leading to cease-fire and disarmament. The Government will undoubtedly draw upon the varied experiences and lessons provided by other countries where disarmament has been successful . Incentives will be considered, such as employment creation schemes, weapons, buy-back, startup loans, resettlement assistance, and possible integration of some into the national police. Alternatively, where certain groups prove obstructive to the peace and disarmament process, or worse, continue their destructive behavior against the people or the authorities, the government would have to galvanize support from the Somali people and the international community; to charge these incalcitrant elements with crimes against humanity for their decade-long atrocities and destruction. In this whole area of disarmament, it is expected the expertise of the United Nations, as well as the resources and experience of the international community, will be available and necessary. Somali needs to reestablish police to maintain security , reclaim coastal areas and to deal with terrorism, arms flows and drug-trafficking across its borders. Steps are currently underway to enlist the knowledge and experience of former senior Somali police officers untainted by the conflict, in order to put together and quickly train a small, mobile, and disciplined force to provide the necessary security to the new government, and work toward restoring peace and security in the whole country. Discussions are going with certain countries for the provision of essential equipment and supplies. International Pledging Conference An international pledging conference for the reconstruction of Somalia will be convened in July 2000. It is expected the international community will able to join with Somalia in the essential task of realizing the long awaited reconstruction of the country’s infrastructure, institutions, and services. The government of Djibouti has made it clear that, in its view, for the process in Somalia to succeed, a real partnership between Somalia and the international community will be required. Until now, this partnership has waited for a demonstration by the Somali people of their serious determination and commitment to a united vision and process for rebuilding their country. Successfully establishing a national framework will be pivotal.
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Section 2 - The Transitional Mechanism Draft agenda of the conference 1. a) the civil war which has ravaged the country and inflicted untold suffering and destruction on the people, and addressing the refugees situation. b) the egregious acts of human rights violations in the last decade. 2. The immediate and unconditional cessation of hostilities and disarmament throughout the entire country. 3. The establishment of a transitional, national, representative government (national assembly, cabinet and judiciary), and the creation of a "decentralized system of government, based on "regional autonomy" for the transition period. 4. Consideration of the issue of "Somaliland" in all it ramifications; and in the context of sovereignty and territorial integrity of Somalia. 5. Return of all properties unlawfully taken since the outbreak of hostilities in Somalia. 6. The national capital of Somalia..... has Mogadishu the necessary requisites to retain its status? 7. Issues of: a) External Relations (Bilateral, multilateral, regional, sub-regional and international financial organizations) b) .humanitarian, rehabilitation, and reconstruction assistance 8. Any Other Business. Declaration of national commitment • The Somalia people are desirous of reaffirming the sovereign state of Somalia, and of forming transitional mechanisms (transitional national assembly, transitional government, an independent judiciary) which shall prepare the country for a peaceful, permanent and democratic future. • The form of government shall be parliamentary democracy, with a bicameral national assembly ("Chamber of Elders" to provide legitimacy, stability and assist in the reconciliation process; and a "Chamber of Representatives"). • The Transitional period shall last 24 months. • The Transitional mechanism shall be based on a "Decentralized" system of governance ""regional autonomy " or federal structure"), during the transitional period. • The decentralized system of governance is one that brings different political communities under a common government for common purposes, and separates regional government for the particular needs of each region 443
• Representation in the Conference and in the "Transitional National Assembly" shall be on the basis of local constituencies (regional /clan mix) The National Assembly The TNA shall: • Symbolize power-sharing • be the sole authority with legislative function during the period in question • elect an interim President (Head of State ) of the country • elect a "government" headed by a Prime Minister. TNA shall approve the Cabinet of the Prime Minster. The Prime Minster shall be accountable to the TNA • establish an independent judiciary • approve, with the recommendation of the Prime Minister, the establishment of a Somali police force • establish or appoint various committees, commissions and bureaus on recommendation of the Prime Minster, as required, including a: • constitutional review commission to draft a new constitution based on a regional or federal system of government • cease-fire and disarmament committee • committee to investigate and evaluate the return of properties (private and public) unlawfully taken during the fighting • National Census Bureau • National Electoral Commission to prepare for democratic national elections • Organize a referendum o the draft Constitution • Utilize, during the transitional period, the 1960 Somali Constitution, adjusted as required • Be bound by the principles of the Charter of the United Nations, the rules of international law and by the objectives of international and regional organizations in which Somalia is a member The judiciary The representatives to the Conference shall elect a Chief Justice with proven legal credentials and highest integrity. He shall work toward uprooting the culture of impunity and random violence and restoring the confidence of the people in the State.
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The executive branch President • There shall be a President (Head of State) of Somalia who shall exercise and perform the powers and functions conferred on the President • Shall be the symbol of nationhood and national sovereignty • Shall be chosen from outside and elected by the Transitional National Assembly • Except for a residual power to run the country temporarily in the event of some of the parliamentary complete breakdown system, the President shall have ceremonial duties and advisory powers • The President shall bot be answerable to the National Assembly Prime Minister • The Prime Minster is chosen from outside and elected by the Transitional National Assembly • The real Executive authority is in the hands of the Cabinet, under the direction of the Prime Minister • The Prime Minister chooses Ministers from outside the national assembly, but the whole cabinet, including the Prime Minster must be confirmed by the National Assembly, and are collectively answerable to the assembly • The Cabinet shall consist of not less than ten and not more than fifteen members including the Prime Minister • The Cabinet develops government policy and is responsible to the National Assembly Declaration of binding principles: Today there is a great cause for optimism. The huge attendance of this historic conference by all segments of our society, heralds a fresh new resolve to put an end to armed conflict and to reconcile our differences through peaceful means. It is a unique occasion that is indicative of our overwhelming desire for the restoration of peace and national governance. In conformity, therefore, with the clearly expressed wishes of the people of our nation, we who are assembled here, collectively pledge our commitment to lasting peace and reconciliation. The essential purpose of this Somali National Peace Conference is to re-establish the sovereign state of Somalia, and initiate those steps necessary to erect a democratic government and administration which fairly represents and protects the people and values of Somalia, with liberty and justice for all. Toward this end we : 1. reaffirm the unity, national sovereignty and territorial integrity of Somalia 445
2. reject violence, and the threat or use of force as a means of achieving political goals 3. urge the international community to give respect for human rights in Somalia high priority, for such abuses lie at the heart of the conflict in this country 4. reiterate our firm belief in the principles of democracy, equality, social justice and constitutional guarantees of individual human rights 5. commit to promote the cultural values, traditional wisdom and tolerance of the Somali society 6. reaffirm the rightful place of Somalia in the community of nations 7. affirm that the people of Somalia have the right to freely express their political views and take decisions on matters, which affect them. This basic principle is an essential component of peace in Somalia 8. pledge national interest above clan self interest, personal greed and ambitions 9. commit to harnessing the skills, resources, and dynamism of the Somali Diaspora in realizing the rehabilitation and reconstruction of Somalia 10. resolve to promote friendly relations with all nations, and actively pursue a policy of good neighborliness and mutual cooperation with member countries of IGAD 11 are determined to confront our responsibilities t replace the era of suffering, destruction an bloodshed that has turned Somali against Somali, with one of healing and rebuilding where cooperation and trust overcome hatred and suspicion 12. accept that shaping the destiny of Somalia cannot and shall not remain the exclusive domain of a few individuals or groups, who represent no one but themselves 13 condemn the forcible acquisition of properties (private and public) and demand their immediate return to their rightful owners, be they local, regional or national entities, private organizations or individuals 14. commit to implementing the peace process in cooperation with IGAD member states, IGAD Partners Forum, O.A.U. UN League of Arab States and the OIC 15 affirm that cease-fire and disarming by all factions are key to real and tangible peace and security in Somalia 16. express our deep appreciation to donor countries, U.N agencies and NGO’s for their continued humanitarian assistance to Somalia, and call upon them to assist on the basis of priority in the effort of reconstruction and rehabilitation, including infrastructure 17. urge all countries, organization and individuals not to violate Security Council resolution 733 (199), which demands that "------ all states shall, for the purposes of establishing peace and stability in Somalia, immediately implement a general and complete embargo on all 446
deliveries of weapons and military equipment to Somalia until the Council decides other wise". The proliferation of weapons continues to be a great concern to us despite the existence of the United Nations embargo. Conclusions As other nations and people have done before, the Somali people will overcome this adversity through forgiveness, understanding and reconciliation. Somalia shall not only endure, it will prevail. In the final analysis, we must recognize that our survival will depend on our mutual respect, solidarity, and loyalty to our country. We appeal to our neighbours, IGAD, the United Nations, members f the OAU, the Arab League, the OIC and EU, to stand with us at this crucial moment in our long tribulations. We full recognize their unswerving commitment to the promotion of peace, unity and national reconciliation in Somalia. Our deep appreciation goes to all member states of IGAD for their long perseverance and relentless sacrifices, and for their collective and individual efforts in promoting peace and reconciliation in Somalia. Likewise, we express our profound gratitude to all the members of the IGAD Partners Forum (IPF) for their strong and growing renewed interest in the revival of Somalia. Special gratitude is reserved to the people and government of Djibouti, in particular to H. E. President Ismail Omar Guelleh for his bold; farsighted initiative, on that already opened the deadlock in the peace process. Through his courageous intervention, we see a light at the end of the tunnel. Finally, we confirm that while the process itself is inclusive and is not designed to exclude any groups of indivuals, at the same time, we will not allow it be held hostage or hijacked by those who, on their own volition fail to participate or cooperate. The international community should make it unequivocally clear to those who choose t o obstruct or not be part of the process, that it would not remain idle. Rather, the international community will not only protect the protect from such elements, but would ensure that the outcome of the conference is given backing during its implementation.
Annexe 1- Cease-fire, Disarmament and Security The desire of the Somali people for peace and security through disarmament is unambiguous. This call is heard repeated throughout the country from all segments of the Somali society, who have consistently demand an end to violence. Unless this is realized, the entire process of reconciliation, rehabilitation and reconstruction would be jeopardized, if not stillborn. One of the first responsibilities of 447
Somalia’s new transitional government will be to insist on an immediate and comprehensive cease-fire, together with binding, complete and simultaneous disarmament of al militias throughout the country consistent with the agreements they signed from 1991 to 1997, but never implemented. Representing the will of the Somali people, the representatives to the conference hold the faction leaders to their own word, and hereby demand that they recommit themselves to: a. a viable and verifiable cease-fire throughout the entire country b. undertake to disengage their forces and refrain from all hostilities c. refrain from further deployment or action to extend the territory under their control d. affirm the termination of banditry and crime as a necessary condition for peace, security, stability and reconciliation e. affirm that disarmament shall be comprehensive, impartial and transparent f. disarm all militias under their control, including armed bandits, and to facilitate the rehabilitation and reintegration of demobilized militias into the civil society g. cooperate fully with the transitional government, including mechanisms that may be put in place to disarm, demobilize and disband the militias h. facilitate the uninterrupted flow of people and goods throughout the entire country as a measure of confidence building to the peace process i. respect and comply fully with the Security Council Resolution 733 (1992) on arms embargo
Annexe II - Reconstruction and Recovery Given the prolonged paralysis sustained by all the productive sectors of the economy, the international community is called upon to initiate a planning format for the long term reconstruction and recovery for Somalia. The preparation of such a framework should be entrusted to a task force comprising donors, United Nations agencies and NGO’s under the coordination of the World Bank. The purpose of this structure is to ensure that limited human and financial resources are employed to their fullest potential to support the re-emergence of the country as a stable and economically productive member of the international community. The Somali people must contribute to the design of the framework and eventually take ownership of the planning process. A major objective of this effort is to establish a common vision and overall priorities for reconstruction. Somalia clearly requires substantial international assistance to begin reconstruction and rehabilitation and essential infrastructure, services, institutions, including the nursing of capacity building on a large - scale. 448
This will necessitate the creation of proper mechanisms of coordination The Somali people are fully conscious of the heavy responsibility confronting them to recreate a state based o democratic governance, and they would therefore, require genuine, flexible and supportive environment, given the highly complex and continually evolving situation in Somalia. The secretary-general of the United Nations clearly underscored this fact in his August 1999 comprehensive report on Somalia: " the reestablishment of a functioning state in Somalia will require not only an enormous effort of political will on the part of the Somali people and their leaders", but also, " a massive rebuilding operation " as an " accompaniment of any peace process." This is a welcome commitment for the "UN to play an enhanced role in Somalia", by working with its partners " to help bring about national unity and the restoration of a national government." The United Nations and Somalia The United Nations is committed to assist the people of Somalia, and as the Secretary General of the United Nations pointed out, there must be a reappraisal of the internationals community’s relationship and approach to Somalia in an effort to reestablish a functioning state. Following the peace conference, and assuming a positive outcome, the United Nations will be expected to consider a presence in Somalia, by way of a monitoring/observer mission with both a civilian and a military components, to assist in re-establishing administrative structures, institutions, and systems; to exercise its goods offices to support the transitional government to implement the peace agreement; developing a suitable framework for holding of elections; to monitor, and verify compliance with cease-fire, disarmament, and arms embargo; support of humanitarian activities as appropriate; and investigate violations of human rights. The appointment of a special representative to Somalia becomes, therefore, of crucial importance.
Annex III - Base of representation 1. National Peace conference 2. Transitional National Assembly In any country, " legitimate representation" represents the will of the people. For a country such as Somalia which has undergone a traumatic breakdown, where basic information on population is woefully lacking, and major population displacement as well as movement has occurred, not to mention there number of people who have left the country to settle abroad or are refugees in neighboring countries, the will of the people is determined only by considerable effort. coupled with this massive population dispersal is the continuing violence and insecurity in certain parts of the country.
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In most parts of the country, however, relative peace and security prevail, and there are also in existence administrative region with internal governmental structures. What to guard against • It must be stressed that representation based on clan affiliations or the assumed strength or importance of certain clan, including the size of territories presumed or traditional belonging to certain clans, would only succeed in perpetuating or reinforcing the division of the nation. • The division has its genesis in the divide and conquer tactics of the past regime; pitting one clan against another, or elevating one or some over others. The widespread injustices of the 1980s triggered the mayhem and civil strife of the 1990; once again accentuating clan struggle in its most egregious sense. Surely, using clan as the criteria for representation in the conference, or even in the National Transitional Assembly, would be tantamount to institutionalizing the cause of Somalia’ woes. • Certain regions may be considered " occupied" by its inhabitants, raising the possibility that they may not feel consulted regarding their representation. In such situations, all concerned are urged , for the sake of future peace and stability, to let the people exercise their legitimate rights, to have a say on the choice of their representatives. • In the same vein, care must be exercised not to pursue arbitrary and contrived methods. The way forward It would be highly imprudent to be dogmatic on representation based on "clans." Flexibility, understanding, serious and hard compromises, and loyalty to nationhood, are of essence. Somalia, as a member of the international community, needs to imbibe democratic principles and practices governing representations. Note this pertinent view from a Somali politician in the North in 1992: " The clan system is the mainspring of Somali culture and identify. It has been useful in its traditional , pastoral setting and even today it is an instrument of survival during times of deep trouble and provides a safety net for the poorest and most vulnerable. However, it has its negative dark side and is in a sense irreconcilable with modern, democratic state. Clan politicking is playing havoc with ----- security and stability at present." • Representatives must be men and women of high integrity, moral character and devotion to community and public service, and whose national interest and loyalty transcends narrow self-interest. • Any basis used for representation in the future " transitional assembly" of participation the peace conference, should incorporate a common sense approach capable of broad appeal and support. • Having considered all possible methods or criteria, it seems fair to say that representation based on local constituency appears to yield the 450
most realistic approach as it recognizes people at grassroots level, including minorities. • Recognition must also be made of the iniquities inflicted on the people by the previous regime through creation of new regions and new districts to accommodate specific clans. Such grievances are issues certainly that need to be addressed by a future government. For now, however, an attempt must be made to redress the potential imbalance in the representation by providing extra allocation to the affected clans.
Annex IV - the national capital As things stand now, all agree the entire country, including towns and cities, are controlled by various clans, sub-clans, or groups of clan. The concept of " nationhood" is so weakened that "national" entities are in short supply, with the exception of the national "flag" and country’s "name"! Mogadishu, since the outbreak of fighting in 1991 has undergone dramatic demographic changes, becoming more and more narrowly identified with a major clan, to the exclusion of other Somali that worked, lived, owned properties, and businesses in the city. If it is to regain the confidence of all Somali, Mogadishu must become a truly " national " capital city belonging to all, not to a clan or group of clans. The Somali people, given the harrowing experience they have endeared over a longtime, do not feel safe in a Mogadishu claimed by a clan and occupied by an array of armed factions, all sub-clans of one major clan. This is not an ideal environment for multi-clan, multicultural , multi-racial co-existence in peace and harmony. Mogadishu could restore its former position, therefore, only by revamping and restructuring both its physical jurisdiction and status, in line with this over-riding concern. This cannot be ignored. Requisites of the future capital • Among other things, it must have a specific land area not forming part of any regional jurisdiction, and not belonging to, or claimed by any clan or sub-clans, and be acceptable as well as accessible to all people. Or • in the case of Mogadishu, the clans there must strive hard to restore security and safety in full compliance with the desire of the Somali people to enjoy their capital city and to live in peace and harmony: to work and invest, without fear or anxiety. Numerical superiority or majority of one clan in Mogadishu is not the issue. The issue is the "ownership" claim of Mogadishu by a clan, and this is incompatible with the notion of "national" capital. The sooner this critical matter is fully and satisfactorily resolved by the majority clan there, the better. Other Common features . It must: • serve as the set of government for the nation, and as a centre for international representation (Embassies, international organization, etc)
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• symbolize the ideals of freedom, unity, peace and reconciliation, as well as soul and diversity of a united nation. • hold the nation’s most sacred monument, artifacts of its history, national art and treasures, national organizations, public buildings, etc.
Annex V - Somalia regions and districts as at 31 XII 1990 1. Awdall (Boramo, Baki, Lughaya, Saylac) 2. Galbeed (Hargeysa, Berbera, Gebiley) 3. Togdheer (Burco, Buuhodle, Odwenyen, Sheik) 4. Sanaag (Ceerigabo, Ceelafyeyn, Badhan, Las Qorey, Dhahar) 5. Sool (Lascaanood, Telex, Xudun, Caynabo) 6. Bari (Bosaso, Qardho, Qandala, Iskhushuban, Bender bayla, Alula) 7. Nugaal (Garowe, Eyl, Burtinle, Dangoryo) 8. Mudug (Galkacyo, Jeriban, Hobyo, Haradhere, Goldogob) 9. Galguduud (Dhusa-Mareb, Ceelbur, Ceeldeer, Cadaado, Cabudwaaq, Galhareeri) 10. Hiraan ( Beletweyne, Bulo- Burte, Jalalaqsi) 11. Middle Shabelle (Jowhar, Ballcad, caadale, Adan Yabal) 12. Banadir Muqdisho and its environs (15 Districts: Bondhere, Wadajir, Darkeynle, Karaan , Heliwaa, Yaqship, Shibis Waberi, Hara Jabjab, Hawle Wadaag, Xamar Weyne, Shangani, Hodan, Wardhiglye, Abdi Asis) 13. Bay (Baydhaba, Burhakaba, Qansadhere, Dinsor) 14. Bakool (Hudur, Ceel Barde, Yeed, Wajid, Tiyeglow) 15. Lower Shabelle (Mark Afgooye, Wanlaweyne, Qoryoyley, Kurtunwaarey, Sablaale, Braawe) 16. Gedo (Garbaharey, Bardhere, LUuq, Dolow, Beletxawa, Ceelwaaq) 17. Middle Jubba (Buale, Sakow, Jilib) 18. Lower Jubba (Kismayo, Afmadow, Jamame, Badhadhe) 1
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On observera l’orthographe somali très approximative retenue par une conférence dont nombre des membres ne sont pas alphabétisés et nombre d’autres ont depuis longtemps perdu leur somali au profit de l’anglais ou de l’arabe. 452
B IBLIOGRAPHIE NON EXHAUSTIVE
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I NDEX
Noms, patronymes Toponymes Ethnonymes Organisations, traités Navires
: : : : :
21-KA OCTOBAR I, 54 Aadan Cabdullaahi Nuur Gabiyow (général) Voir Aadan Gabiyow AADAN CADDE (aéroport), 43, 109, 121 Aadan Gabiyow, 117, 118, 163, 201, 204, 208, 210, 211, 212, 218, 290, 295, 301, 384 Aadan Jaamac Biyi, 53 Aadan Maxamed Iman, 27 Aadan Maxamed Nuur Shaatiguduud, 383, 401 Aadan Muuse Jibriil, 93 Aadan Sanweyn Dhaquaneh, 291 abaabul ka saaris, 190 abaartii dabadheer, 30 Abba Dula, 241 Abba Gada, 241 Abba Halanga, 241 ʿAbbās bin ʿUmar (shaykh), 135 Abdi Kabla, 117 Abdiraxmaan Cumar Axmed Awga, 81
romain PETITES CAPITALES
gras italique italique MAJUSCULE
Abdourahman Boreh, 268, 376, 411 ʿAbdul Baggī Muḥammed Ḥasan, 57 Abdulkarim Ibrahim Voir Jarra abba Gada (sheekh) Abdullah Idriss, 168 ʿAbdullah Yūssuf ʿAzzam, 254 Abdulmejid Husén, 176, 257 ʿAbduraḥmān al-Qāʿidī, 137 Abduraḥman Sawār al-Dahab, 410 Abeekar, 128 Abgaal, 17, 43, 64, 123, 125, 131, 132, 133, 168, 172, 198, 314 Abgaal Warsangeli, 372 Absaame, 295, 384 Abshir Muuse, 54 Absiye, 268, 392 Abuker Iimaan Maxamuud, 199 AbūʿUbayda al-Banshīrī, 252 AC-130 Spectre, 106 Achair Partners, 63 ADDIS ABÄBA, 128, 176, 394
ADDIS ABÄBA (conférence d’), 229 Addoon, 329 adduction d’eau, 353 ADEN, 11, 12, 25, 29, 54, 56, 286 ADEN (golfe d’), 10, 56, 136 ADORNA, 369 Aerolite, 43, 373, 374 Afar, 10 AFDHEER, 278 AFGHANISTAN, 136, 176, 247 Afghans arabes, 136 AFGOOYE, 50, 373, 390, 391 AFMET, 361 Afrikmer, 55 AFRIQUE DU SUD, 239, 342 AGABAR, 81 Agoonyar, 322 Ahlu Sunna Waljaamaca, 248, 249 Aḥmad ʿIṣmat ʿAbd al-Majīd, 207, 241, 364 Ahmad Kamil Jafar, 368 AICF, 57, 113, 132
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Air Djibouti, 404 AIRONE, 51, 52, 54, 55 Ajuraan, 11, 17 Al Barakaat, 37 Al Barakaat Bank of Somalia, 160 Al Barakaat Telecom, 43, 160, 373 Al Islaax, 250, 251, 381 Al Itixaad, 136, 137, 167, 168, 175, 176, 177, 179, 180, 183, 207, 208, 220, 238, 249, 251, 256, 291, 293, 301, 310, 313, 363, 381 Al Itixaad al Islaami Voir Al Itixaad Al-Ahli Company, 115 AL-AZHAR (université), 410 Albright, Madeleine, 349 ALGERIE, 241 Ali Abdi Farah, 341, 395, 409 ʿAlī ʿAbdullāh Ṣāliḥ, 156, 382 ALI ADDE (camp de), 340 ʿAli Muḥammed, 252 Al-Ictisaam, 178, 180 ALLEMAGNE, 68, 118, 363 Allied Somali Forces (ASF), 302 al-Maʿtūq Zubayr, 391 AL-MUKHA, 286, 473 Alpi, Ilaria, 57, 58, 65, 66 al-Qāʿida, 20, 176, 182, 245, 251, 252 Amal Express, 37 Amana Express, 37 Ameglio, Massimiliano, 51 American Bar Association, 375 AMERIQUE DU NORD, 30, 31, 410 AmīnʿAlī ar-Rashīdī, 252 Amodel, 59 ʿAmrū Mūsā, 202, 257, 327, 364 ANGLETERRE, 29 Annan, Kofi, 165, 166, 203 Antonietta Madre, 55 approche modulaire Voir Building Blocks Araamaya, 338 Arab, 78, 145, 186 ARABE (banc), 56 ARABIE SAOUDITE, 29, 82, 133, 136, 234, 239, 313, 342,373 Arabsat, 394 ARABSIYO, 95 Arap Moi, Daniel, 110, 140, 157, 158, 159, 198, 303, 305, 306, 307 Ariadne, 59
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Armor Holdings, 360 Ar-Raabiya al-Islaami, 137 AR-RIYAḍ, 137 ARSI, 297 ARTA (conférence), 379, 397, 398, 400, 401, 402, 405, 406, 407, 408, 409, 410, 412, 413, 415, 416, 418, 421 ASÄB, 12, 178, 263, 270 Ashraaf Sarmaan, 115 ASMÄRA, 393 ASSAMO (camp de), 340 Association Internationale des Chevaliers des Ordres dynastiques de la Maison Royale de Savoie (AICODS), 61 AUSTRALIE, 31, 351, 410 AWBARRE, 284 AWDAL, 80, 142 AWDHEEGLE, 116, 280 AWRADEEN, 109 Awrtable, 218, 221, 225, 417 Axmadiya, 248 Axmed Baxsane, 339, 353 Axmed Buraale, 293, 326, 383, 384 Axmed Cabdi Dhi’isow (sheekh), 249 Axmed Cumar Jees Voir Cumar Jees Axmed Daahir Cumar Baxsane Voir Axmed Baxsane Axmed Ducaale Geelle Xaaf Voir Axmed Xaaf Axmed Gal, 55 Axmed Ismaaciil Samatar, 68 Axmed Jaamac Xirsi (suldaan), 412, 413 Axmed Jilow Caddoow, 198 Axmed Maxamed Biixi, 332, 354 Axmed Maxamed Darmaan, 378 Axmed Maxamed Goonle, 361 Axmed Maxamed Maxamuud Siilaanyo Voir Axmed Siilaanyo Axmed Mire Maxamed (colonel), 143, 146, 194 Axmed Nagi, 69 Axmed Raage Cabdi, 159 Axmed sheekh Cali Axmed Buraale, 293 Axmed Siilaanyo, 96, 97, 188, 335, 336, 407 Axmed Warsame Maxamed, 302 Axmed Xaaf, 27, 28, 44, 108, 377 Axmed Xuseen Cumar, 332
Axmed Yuusuf Faarax, 93 Axmed-Nuur Cali Jimcaale, 37, 160, 161, 373, 376 Ayaanle, 42, 108, 109 Ayuub, 186 Azzam, 254 BAALI DOOGLE (aérodrome), 299 BAARDHEERE, 280, 293, 300, 301 BAAY, 114, 132, 233, 237, 241, 281, 283, 291, 326, 328, 386, 391 Bacher, Langer, 203 BADMÄ, 258 BAHARI ONE, 277 Bajuun, 18, 289 BAJUUNI (îles), 55 BAKAARAHA (marché de), 42, 288, 312, 321, 371, 373 BAKOOL, 71, 114, 116, 132, 233, 237, 241, 242, 276, 281, 283, 291, 294, 326, 328, 391 BALAMBAALE, 326 BALCAD, 295, 297, 373 BALE, 297 BALLI DHAYE, 147 BALLI DOOGLE (aérodrome), 43, 114, 121, 124, 125, 210, 237, 241, 317, 320, 321, 328, 376, 392 BALLI GUBADLE, 147, 149 BALLI MIGAAN, 362 Balzarini (armateur), 49 BANAADIR, 25, 41, 126, 132, 155, 202, 210, 212, 233, 236, 303, 307, 309, 314, 329, 359, 386, 391, 403 BANAADIR (administration du), 315, 321, 322, 323 Banaadiri, 50 banane, 27 Banque mondiale, 407 Bantous, 69 BARAAWE, 25, 42, 55, 115, 329, 373 Baraawi, 329 Barbieri, Vincenzo, 86 BARI (Italie), 51, 54 BARI (Somalie), 15, 51, 54, 181, 215, 217, 218, 219, 225, 277, 452 Bari Women’s Confederation (BWC), 361 BARISLE, 341 Barrakat Telecom, 376 Barre Aadan Shire Hiiraale (colonel), 301 Barre Xasan, 93 Bashiir Nuur Geeddi, 378 Bashiir Raage Shiraar, 372
BAYDHABO, 24, 41, 86, 114, 115, 117, 121, 132, 164, 169, 211, 212, 237, 238, 239, 240, 241, 242, 256, 280, 326, 327, 328, 379, 390, 391, 414 BAYDHABO (aérodrome), 321, 376 BAYDHABO (conférence), 208, 210, 212, 218, 256, 311, 313 BBC, 99, 394 BCIMR, 395 Bearzi, Pietro, 50 BEER, 147, 151, 186, 187, 188, 189 Beesha Lixaad, 401 Begosian, Richard, 371 BELED XAAJI, 302 BELED XAAWO, 177, 179, 243, 256, 300, 301, 324 BELEDWEYNE, 41, 105, 119, 132, 262, 280, 324, 325, 365, 373, 383 BELEDWEYNE (shir de), 236, 314, 315 BERBERA, 12, 56, 73, 79, 84, 85, 88, 178, 188, 228, 280, 339 BERBERA (port), 79, 84, 263, 270, 343, 345, 346, 353 Berlusconi, Silvio, 59 BERMUDA, 46, 113, 133 bétail, 25, 74, 79, 86, 126, 200, 273, 331, 351, 375 bétail (embargo), 281, 288, 346, 351, 352, 364 Bethell, Richard, 360 BEYLA, 358 Bile Rafle Guuleed, 296 BIR ʿALI, 285, 474 BIS/Crédit Agricole, 395 Bitaal, 362 Biyomaal, 18, 45, 69, 238, 329, 399 Bizzio, Nickolas, 59, 61 Bluebird Aviation, 43 Bonino, Emma, 125 Boon, 18, 289, 298 BOORAMA, 76, 84, 142, 143, 338, 343, 373, 374 BOORAMA (shir de), 94, 186, 188, 226 BOOSAASO, 43, 51, 52, 54, 56, 62, 65, 79, 88, 172, 173, 215, 218, 220, 228, 277, 285, 295, 356, 361, 373, 379 BOOSAASO (conférence), 164, 201, 205, 206, 207, 208, 217, 218, 241, 256, 291, 332, 341
BOOSAASO (port), 49, 52, 64, 66, 359, 360 BOSNIE, 136 bottom-up approach, 383 Boutros Boutros Ghali, 68, 129, 154, 156, 228 British American Banknote, 319, 321 British-American Energy, 352 Building blocks, 227, 228, 232, 235 Bulxan Xuseen, 93 BURCO, 36, 74, 79, 95, 142, 143, 147, 178, 190, 332 BURCO (shir de), 226 BURDHUBO, 300 BURE, 258 BURTIINLE, 218 Bustnes, Einride, 86 BUUHOODLE, 225 BUULO BARDE, 43, 105 BUULO GUDUUD, 294 BUULO XAAWO Voir BELED XAAWO BUULXAAR, 11 BUUR GAABO, 277 BUUR HAKABA, 116, 242, 328 Caasha Xaaji Cilmi, 397, 401, 410 Cabaas Ibraahin Gureey (colonel), 301 Cabbaas (colonel), 118 Cabdalla Isxaaq, 90, 100 Cabdalle Deeroow Isxaaq, 416 Cabdegalle, 295 Cabdi Cabdulle Siciid Jini Boqor (boqor), 131 Cabdi Daahir Maxamed (ugaas), 320 Cabdi Faarax (colonel), 95 Cabdi Ismaacil Qabile Cagadable, 96 Cabdi Jaamac Xasan, 93 Cabdi Nuur Raxmaan, 368 Cabdi Qeybdiid, 104, 106, 311 Cabdi Sabriye, 407 Cabdi Waraabe, 96 Cabdi Xasan Buuniya, 93, 147 Cabdi Xasan Cawaale Qeybdiid (colonel) Voir Cabdi Qeybdiid Cabdi Xasan Qeybdiid, 392 Cabdi Xuseen Ciise, 93 Cabdicasiis sheekh Yuusuf, 27 Cabdicaziiz Cabdulqaadir Sheekh, 373
Cabdikariin Xuseen Yuusuf Waraabe (xaaji) Voir Cabdi Waraabe Cabdilaahi Axmed Caddoow, 411 Cabdilaahi sheekh Cali Jowhar (sheekh), 192 Cabdilkariin Maxamed Farabbadan, 392 Cabdillaahi Xuseen Iimaan Dirawal, 340 Cabdinuur Axmed Maxamed Darmaan, 319, 377 Cabdiqaasin Salaad Xasan, 384, 411, 417 Cabdirashiid Cali Sharma’arke, 13 Cabdirashiid Ilkacade, 392 Cabdirashiid Maxamed Ducaale, 37 Cabdirashiid Muuse Artan, 53 Cabdirashiid Nuur Mucallin, 128 Cabdiraxiin Faarax Ismaaciil Kabaweyne, 108 Cabdiraxmaan, 200 Cabdiraxmaan aw Cali Faarax, 94, 100, 189 Cabdiraxmaan Axmed Cali Tuur Voir Cabdiraxmaan Tuur Cabdiraxmaan Barre (sheekh), 390 Cabdiraxmaan Cali Cismaan, 45, 47 Cabdiraxmaan Khaliif Dhicis, 296 Cabdiraxmaan Tuur, 90, 91, 97, 98, 106, 108, 144, 188, 199, 332, 338, 339, 345, 409 Cabdiraxman Ducaale, 407 Cabdirisaaq Iddo, 374 Cabdulla Isxaaq, 93 Cabdullaahi Axmed Caddow, 375 Cabdullaahi boqor Muuse King Kong (boqor) Voir Cabdullaahi King Kong Cabdullaahi Bulla Macammin Daroga, 291 Cabdullaahi Caddoow, 411 Cabdullaahi Cali Cumar Daad (général), 357 Cabdullaahi Cosoble Siyaad Gamadheere, 411 Cabdullaahi Cumar, 176 Cabdullaahi Cumar Qawdan, 336 Cabdullaahi Daria Cabdi, 93
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Cabdullaahi King Kong, 52, 53, 54, 62, 65, 67, 418 Cabdullaahi Macalin Faax, 384 Cabdullaahi Maxamed Ducaale, 149 Cabdullaahi Maxamed Shirwac, 380 Cabdullaahi Maxamuud Tawo, 116 Cabdullaahi sheekh Ismaaciil, 45 Cabdullaahi sheekh Maxamed, 68 Cabdullaahi Siciid Samatar, 358 Cabdullaahi Siyaad Barre, 375 Cabdullaahi Yuusuf Axmed, 15, 24, 53, 54, 55, 63, 106, 127, 139, 171, 173, 201, 204, 208, 210, 211, 215, 216, 217, 218, 219, 220, 222, 236, 256, 262, 295, 315, 325, 337, 358, 362, 363, 365, 382, 383, 384, 385 Cabdulqaadir Ceeno, 376 Cabdulqaadir Ciise Gacayte, 53 Cabdulqaadir Maxamed Aadan Zoppe Voir Cabdulqaadir Zoppe Cabdulqaadir Maxamud Dhaqane, 176 Cabdulqaadir Xayd, 52 Cabdulqaadir Zoppe, 114, 157, 163 Cabdulwaxid Jowhar, 52 Cabsiye, 109, 377 Caire (accord du), 210, 344 Calan cas, 94, 95, 96, 97, 143 Caleemo Sagaal, 115 Cali Axmed Qasiin, 291 Cali Cabdi Camalow, 63 Cali Cabdi Xaashi, 291 Cali Cabdiraxmaan Fiqi, 45 Cali Cismaaciil Cabdi, 221 Cali Fiqi (colonel), 45 Cali Khaliif Galaydh, 417 Cali Maawwee Diruya, 339 Cali Madaxweyne, 108 Cali Mahdi, 42, 45, 46, 55, 62, 66, 68, 69, 71, 104, 107, 109, 110, 112, 113, 125, 127, 128, 131, 138, 139, 154, 156, 157, 163, 164, 166, 170, 171, 172, 198, 200, 203, 204, 212, 236, 237, 240, 242, 304, 305, 307, 308, 310, 314, 322, 362, 373, 375, 379, 383, 392, 410, 411 Cali Maxamed Cali, 104 Cali Maxamed Siyaad, Cali Dheere, 118
460
Cali Maxamuud Raage Dheere (sheekh), Cali Dheere, 200, 376 Cali Nuur Maxamed Mukhtaar, 293, 300, 301 Cali sheekh Axmed (dr.), 250 Cali sheekh Girde, 159 Cali Sheekh Ibraahin, 341 Cali Ugaas Cabdulle, 125, 200 Cali Wajis (sheekh), 247 Cali Warsame (sheekh), 178, 181 Cali xaaji Yuusuf, 389 Cali Xaashi Dhoore, 50 Cali Xoor-Xoor, 336 Caliyoow Wardheere, 115 CALUULA, 277 Camel Transport Company (CTC), 372 Campbell, Tom, 349 Camuud Axmed Siyaar (sheekh), 376 CANADA, 93, 229 Carazzolo, Barbara, 65 Care International, 84, 141, 268, 275, 276, 283, 284, 376 Carvalho, Joao Duarte de, 231 Cassini, Giuseppe, 161, 169, 172, 173, 344 CAVALLO (île de), 61 Cawed Axmed Cashara, 315 Cawlyahan, 289, 290, 296, 302 Caydiid Cabdullaahi Ilkaxanaf, 108 Cayr, 42, 108, 109, 113, 119, 131, 132, 199, 212, 240, 268, 275, 320, 368, 373, 376, 377, 378, 384, 392 CEEL CIRFIID, 388 CEEL DHEER, 310 CEEL MACAAN (port), 43, 62, 63, 132, 377, 393 CEEL WAAQ, 256, 291, 301 CEERIGAABO, 85, 361 Cenci, Gianfranco, 114 Center for Defence Studies du King’s College, 158 Central African Lawyers Union (UNAAC), 378 Chabrier, Paul, 350 Chaker, Lynda, 85 charbon de bois, 25, 356 Chiara, Alberto, 65 Chiavari, Gian Giacomo, 44 CHINE, 298, 353 CICR, 238, 275 Ciidagale, 17, 73, 79, 84, 90, 97, 100, 108, 143, 144, 150, 189, 336
Ciise, 18, 78, 80, 168, 186, 264, 341, 399 Ciise Maxamed Siyaad, 311, 391 Ciise Maxamuud, 52, 108, 118, 411 Ciise Muuse, 73, 78, 91, 150 Cilmi Cali Axmed, 125 Cilmi Roble Fuure Kabaal, 336 CISALEEY (aérodrome), 43, 274, 306, 317, 372, 376 Cismaan Caato, 28, 43, 68, 71, 104, 105, 106, 107, 109, 110, 112, 113, 114, 118, 119, 120, 123, 124, 128, 132, 138, 139, 156, 157, 158, 163, 164, 167, 169, 170, 171, 198, 199, 201, 202, 212, 242, 274, 294, 297, 304, 305, 308, 309, 311, 315, 318, 324, 392, 406 Cismaan Cumar Weheliye GaasGaas, 45 Cismaan Geedi Raage, 54 Cismaan Geelle Arab, 339 Cismaan Maxamuud, 52, 225, 358 Cismaan xaaji Jaamac (xaaji), 93 Cismaan Xasan Cali Caato Voir Cismaan Caato Cismaan Xuseen Khayreh, 336 Clarke, Richard, 254 Clinton, Bill, 349 Clutton, Greg, 26 Code de conduite pour la réhabilitation et l’assistance au développement en Somalie, 83 Collins Engineering, 352 Colombo, Diego, 59 Compania Minera Rio de Oro Ltd., 60 Conciliation Resources, 94 Conference of Somaliland Intellectuals Abroad, 93 C ONOCO, 105, 106, 343 consociation, 230 COOPI, 86 Coran, 249 Covert, Harry, 70 Craxi, Bettino, 50, 58, 72 Craxigate, 50 Criger, Franck, 70 CRIPEN, 408 Croissant-Rouge, 274, 306 Croix-Rouge, 274, 306 Culus, 104 Cumar Carte Qaalib, 50, 417
Cumar Jaamac Cartaan Af Gabdheed, 119 Cumar Jaamac Ismaacil, 96 Cumar Jaamac Mula, 339 Cumar Jees, 114, 117, 119, 290, 296, 301, 383, 410 Cumar Macallin, 171 Cumar Masalle, 167, 172, 179, 208, 256, 290, 291, 292, 293, 300, 301, 326, 383 Cumar Maxamed Nimaale Yare (colonel), 336 Cumar Maxamuud, 53, 216, 342 Cumar Mucallin Maxamuud, 159 Cumar Salaad Cilmi, 106 Cumar sheekh Aadan, 108 Cumar xaaji Maxamed Masalle Voir Cumar Masalle Cumar Xaashi Aadan (colonel), 383 Cumar Xasan Maxamed Istarliin, 159 cuqaal, 76 Cusmaan Maxamed Jeelle, 411 Da’uud, 200, 274, 306, 322 da’wat us-salafīya, 247 Daahir Axmed Cabdikariin, 318 Daahir Rayaale Kaahin, 194, 335, 340 Daahir sheekh Maxamed, 418 Daahir xaaji Xasan (sheekh), 96 Daallo Airlines, 300, 360 DAARI, 362 Daarood, 10, 17, 108, 162, 172, 179, 182, 186, 207, 209, 228, 231, 233, 383, 399, 409, 411, 415 DAAROOR, 100 DABAAB (camps), 286, 287 dabadheer, 359 Dagaallada Ciidanka Puntland, 357 Dahabshiil, 36 Dall’O, Ferdinando, 63 DAMMAJ, 136 DANEMARK, 32, 93 Dar al-Ḥadit ḫayriyya (madrasa), 136 DAR ES-SALAAM, 254 Daraawiish, 355 Daraawish Police Force, 358 DARAGODLE, 95 DARARWEYNE, 77 DAYNIILE (aérodrome), 43 De Giosa, Giuseppe, 51 De Giosa-Sciacovelli, 51, 54, 55
De Nadai (famille), 25, 26 Debré, Robert, 344 Defence Systems Limited (DSL), 360 degmo, 400 Del Bono, Michel, 407 Deming, Stuart, 411 Democrazia Cristiana (DC), 71 DERE DAWA, 100, 176, 343, 345, 347 Dewatre, Jacques, 267 DGSE, 267 DHAGAX BUUR, 100 Dhahab Shil, 37 Dhulbahaante, 17, 30, 77, 78, 109, 168, 186, 219, 220, 221, 226, 231, 234, 235, 332, 337, 343, 362, 417 DHUUSA MAREEB, 300 dibu-dhis, 190 Digil, 17, 69, 114, 115, 237, 298, 328, 329, 390, 399, 415 Digil Salvation Army, 328, 391 Digital Exchange Products (DXP), 353 Diini Faarax, 301 DILA, 354 Dir, 18, 80, 162, 209, 399 Dividend Approach, 213 Djama Mahamoud Haïd, 267, 340 DJEDJEGA, 100, 144, 284, 343 DJIBOUTI, 30, 60, 110, 137, 165, 178, 231, 241, 255, 263, 381, 394 Doctor Ismail Human Rights Organization, 318 Dole, 26, 27, 45, 298 Dole Middle East, 26 Dole Sombana, 27 DOOLOW, 167, 256, 301 DUBAÏ, 31, 37, 45, 49, 166, 271 DUBLIN, 59, 253 Duduble, 28, 57, 109, 373, 376 Dulane Rafle (suldaan), 296 Dupuch, Michel, 269 DURUQSI, 147, 148, 149 East-West contractors of Somaliland, 354 Eccles, Stuart, 353 ECHO, 84, 85, 127 Eelay, 17, 108, 115, 116, 237 ÉGYPTE, 29, 127, 210, 211, 218, 226, 230, 232, 241, 257, 311, 345, 362, 393 EL AMIN, 56
El Niño, 278 ELABÄR’ED, 25 élabär͑ed gännet, 25, 475 ÉMIRATS ARABES UNIS, 133 EPRDF., 176 Eritrean Libération Front, 168 Erythrean People’s Liberation Font (EPLF), 343 ÉRYTHREE, 40, 128, 165, 178, 180, 210, 258, 260, 261, 320, 323, 325, 326, 386, 390 ESDL, 256 Esposito, Michele, 52, 55 ÉTATS-UNIS, 68, 93, 177, 180, 228, 229, 283, 342, 348 Ethiopian Somali Democratic League (ESDL), 343 ÉTHIOPIE, 30, 40, 110, 127, 165, 167, 171, 180, 182, 198, 210, 226, 230, 232, 256, 257, 260, 301, 313, 323, 326, 339, 343, 345, 357, 384, 385, 386, 391 European Community Humanitarian Office Voir ECHO Europeo, 50 EYL, 41 Faah-tuug, 200 FAARAX CUMAR, 49, 50 Faarax Yasiin, 218 FAAX, 325, 326 Famiglia Cristiana, 65 Fanesi, Nazareno, 50, 55 FARADEERO, 86 FāṣulʿAbdallāh Muḥammad, 253 Fāyiza abū n-Naǧā, 370 Faysal Cali Waraabe, 92, 144, 147 Faysal Cali Xuseen, 93 Feeney, Francis, 44 Ferril, Arlene, 371 Festival of Somali Art and Literature for Peace Symposium, 380 FINLANDE, 31, 93 Florus Air, 86 FMI, 350, 407 Fonti, Francesco, 61 Food Security Assessment Unit, 126, 369 Force III, 90, 143, 189 Forlani (hopital), 138 Formal Private Education Network in Somalia, 250 FRANCE, 68, 70, 267, 271, 341, 342, 343, 346
461
franco valuta, 32, 36 Frazer, Justin, 157 Frederick, George, 371 Frères musulmans, 29, 208, 245 Front pour la restauration de l’unité de la démocratie (FRUD), 267, 269, 399 GAALKACYO, 43, 164, 173, 276, 296, 326, 356, 362 GAASHAAMO, 93, 145, 146 GABILEY, 143 Gabooye, 186 Gadabuursi, 18, 76, 78, 80, 168, 182, 186, 339, 399 Gahayle, 186 GAICOM, 43, 374 GALBEED, 100, 142, 143, 145 GALGUDUUD, 132, 222, 326, 362 Galjecl, 17, 118, 384 Galladid Cabdinuur Axmad Darmaan, 377, 378 GARBAHAAREY, 167, 275, 280, 292, 301, 326 GARDAFUI (cap) Voir raas CASEYR Garelli, Guido, 60, 61, 65 GAROOWE, 62, 66, 218, 220, 235, 262, 326, 337, 361, 363, 382, 395 GAROOWE (conférence), 220, 221, 222 Gbeho, Victor, 127 Geeddi Socodka Nabadda, 397 GEEDO, 110, 114, 119, 135, 167, 170, 172, 179, 180, 181, 182, 238, 253, 256, 276, 281, 283, 289, 290, 291, 293, 296, 300, 301, 326 Geelidle, 242 GEERISA, 80, 81, 264 GENALE Voir JUBBA Genberg, Hans, 158 Giannoni, Marcello, 66 Giordano, Bruno, 61 Giorgi, Franco, 63, 66 Giorgi, Paolo, 86 GISOMA, 50 Giza, 50 Golaha Ku Meelgaarka ee Siyaasadda, 217 Golaha sare ee kacaanka, 13 gommes aromatiques, 25 GOOBWEYN, 116, 299 Gosende, Robert, 371 GÖTEBORG, 92 Graduate Institute of International Studies, 158
462
Grand Conference of the Somaliland Communities, 151, 185 Grant, William, 378 Greenpeace, 63, 66 Gualdi, Gemma, 71 Guriga Nabada, 28 Gurtner, Thomas, 274 Guurti, 74, 79, 91, 92, 94, 95, 96, 146, 151, 186, 194, 226, 233, 335 Habar Aji, 109 Habar Awal, 17, 73, 78, 81, 91, 147, 186, 335, 353 Habar Cafaan, 340 Habar Garxajis, 17, 73, 78, 90, 94, 95, 97, 144, 148, 150, 186 Habar Gidir, 17, 42, 43, 56, 106, 108, 113, 120, 124, 131, 168, 198, 235, 239, 293, 302, 314, 329 Habar Jeclo, 17, 36, 78, 146, 147, 148, 151, 186, 187, 188, 332, 335 Habar Toljecle, 186 Habar Yoonis, 17, 73, 74, 77, 78, 79, 84, 90, 95, 97, 100, 108, 143, 144, 146, 147, 148, 150, 186, 187, 332 Habar Yoonis Bari, 78 Hadame, 17, 116 Ḥāfiẓ al-ʾAsad, 352 Hamas, 95 Ḥamūd ibn Aḥmed, 409 Handicap International, 84 Harakat al Jihad al Islami, 261 Harakat al Khalas al Islami, 261 Haramee (comités), 77 HARGEYSA, 36, 44, 73, 79, 84, 98, 141, 142, 145, 147, 160, 333, 343, 348, 354, 373, 374, 404 HARGEYSA (aéroport), 79, 86, 91, 99, 101, 150 HARGEYSA (conférence), 151, 185, 187, 188, 189, 191, 195 Harry Covert Ministries Inc/ International Relief federation, 70 Hart Group Ltd, 360 Hart Nimrod Bermuda Limited, 360 Harti, 17, 117, 182, 212, 219, 222, 225, 231, 233, 234, 290, 295, 301, 337, 357, 358 Harti Abgaal, 128, 199, 322, 376, 393 Ḥasan at-Turābī, 386, 389 Hassan Gouled Abtidon, 255, 262, 264, 266, 341, 346
HAWD, 182 Hawiiye, 15, 17, 30, 162, 207, 209, 211, 218, 233, 236, 295, 315, 383, 392, 399, 409, 411, 415 HAWL WADAAG, 113 hawlfududaynta, 40 HCR, 284, 341 HELIWAA, 124, 138 Help Africa People, 253 Hicks, Irvin, 227 HIIRAAN, 43, 108, 114, 119, 155, 262, 283, 324, 325, 383, 384 Hilaal Maxamed Aadan, 157 Hilowle Iimaan Cumar, 128, 205 Hirale Haylé, 363 Hirsch, John, 69 Hisbiga killer, 114 Historil (attentat de l’), 266 HOBYO, 11, 225, 326 HOBYO (conférence), 221 Hodan Global Online, 37 HOL-HOL (camp), 340 HOLLANDE, 93 HONG KONG, 166 Hrovatin, Miran, 57, 58, 65 hubka dhigis, 190 HURDIYO, 53, 56 Ḥusnī Mubārak, 327 HUURIYA, 333 Hydrogeologic Consultants, 368 Ibraahin Axmed Ismaaciil, 143 Ibraahin Cabdi Kaahin Dheere, 339, 342 Ibraahin Cabdulqaadir Sheekh, 374 Ibraahin Cismaan Ibraahin Ilkaweyne, 291 Ibraahin Dusuuqi (sheekh), 250 Ibraahin Kaahin Dheere, 87 Ibraahin sheekh Yuusuf sheekh Madar (sheekh), 95 Idriss Harbi Farah, 341, 405, 406 Iftin Express, 37 IGAD, 107, 159, 165, 206, 211, 213, 231, 339, 352, 381, 382, 384, 386, 393 IGAD International Partners Forum, 211, 231, 232, 258, 384, 387, 423 Illing, Sigurd, 69, 83, 84, 85, 86, 88, 89, 117, 124, 125, 129, 155, 165, 170, 172, 198, 201, 204, 370 Imman Deming (cabinet), 375 INDONESIE, 136 Instrumag AG, 59
Integrated Regional Information Network (IRIN), 394 Intercontract SA, 60 InterGovernmental Agency on Development Voir IGAD International Islamic Council for Daʿwa and Relief, 409 International Waste Group (IWG), 59 Interservices SRL, 63 IRAN, 82, 198 IRAQ, 198, 266 Islamic Congress for Salvation, 178 Islamic Front for the Liberation of Oromiyaa Voir OILF Islamic Party of Kenya (IPK), 111 islamistes, 170, 173, 179 Ismaaciil Aadan Cumar, 336 Ismaaciil Maxamuud Hurre, 418 Ismaaciil Mo’alin Muuse, 309 Ismaaciil Yaasiin, 334 Ismaciil xaaji Muuse Xuseen, 309 Ismaël Guedi Hared, 267 Ismaël Omar Guelleh, 81, 255, 264, 266, 269, 271, 302, 340, 346, 362, 380, 382, 384, 385, 393, 399, 401, 410 Ismaël Tani, 268, 387 ISRAËL, 177 Issaiyyas Afäwärqi, 342 Isxaaq, 15, 17, 30, 44, 75, 76, 150, 162, 178, 181, 182, 186, 199, 209, 233, 234, 235, 340, 399 ITALIE, 29, 131, 169, 232, 343, 344, 348, 370 Itshak Rabin, 82 Jaamac Cumar Seid, 339 Jaamac Khayre, 145 Jaamac Maxamed Furux, 392 Jaamac Maxamed Qaalib Yare, 108 Jaamac Maxamed Qaalib Yare(général) Voir Jaamac Qaalib Yare Jaamac Qaalib Yare, 90, 98, 106, 143, 144, 199, 338 Jaamacada Al-Ictisaam Bilkitaabi Wassunnah, 178 Jaamacat al-tabliiq, 246 JALALAQSI, 43 jama’at ad-daʿwa wa-t-tabligh, 246 Jamaac Khayre (colonel), 95 JAMAAME, 106, 280, 390
Jamhuuriya, 333, 334 JAPON, 118 Jarra abba Gada (sheekh), 241 JASIIRA, 43, 313, 392, 393 JEDDA, 31, 37 Jello, Aldo, 68 Jelly Wax, 60 JHAFFAY, 116 JIDHI, 81 Jihād al-Islām, 135, 168 jilib, 17, 76, 329 JILIB, 106, 237, 238, 297, 298 Jiroon, 17, 114, 116 John Fonn, 319 JOMVU (camp), 287 Josselin, Charles, 267 JOWHAR, 134, 298 Jowhar Sugar Enterprises, 418 JUBBA (webi), 41, 118, 119, 228, 233, 237, 238, 278, 289, 297, 298, 371 Jubba Sugar Project, 418 Jubba Valley Alliance (JVA), 302 JUBBADA DHEXE, 275, 279, 289, 292, 386 JUBBADA HOOSE, 132, 169, 275, 289, 386 JUBBALAND, 118, 231, 262, 295, 296, 325 Juujuula, 339 K50 (aérodrome), 43 K60 (aérodrome), 43 Kaah Express, 37 KAAM ABOKOR, 100, 144, 146, 150 KAARAAN, 62, 306, 320, 322 Kadra Mahamoud Haïd, 265, 394, 395 KAKUMA (camp), 286, 287 KALABAYDH, 84 Kāmil ash-Sharīf, 409 KAMPALA, 312, 386 KAMSUUMA, 293 Kelly, Quentin T., 367, 368 Kent, Randolf, 283 KENYA, 30, 110, 159, 165, 172, 198, 217, 285, 287, 386 Kerem, Ariel, 82 Khadiija Macalin, 14 Khadiijo Siciid Gurxan, 138 Khalif Qoryooley, 300 KHARTUM, 167, 261 Khayriyada goobta, 345 Kherida stadium, 145 KHOR ANGAR, 265
KILIFI, 111 KISMAAYO, 18, 24, 25, 55, 70, 86, 106, 117, 119, 125, 228, 275, 280, 287, 290, 292, 294, 295, 297, 302, 326, 373 Kittani, Ismet, 204, 205 Knight Aviation, 43 KOWEÏT, 133, 241 LA MECQUE, 253 LA SPEZIA, 61 LAAS CAANOOD, 337, 338, 404 LAAS QOREY, 11, 231 LAʿELAY ADIYABO, 259 Lämma Gutämma (général), 262, 326 Langenbacher, Dominik, 172, 351 Lansana Kouyate, 68 Lapadura, Pasquale, 44 Lasorella, Carmen, 44 LE CAIRE, 128, 129, 197, 202, 207, 218 LE CAIRE (accord du), 207, 211, 213, 242 Leelkase, 218, 221, 225 Lefort, Bernadette, 342 Leysaan, 17, 115, 116 Liaison Group on Somalia, 213 LIBYE, 82, 121, 127, 131, 138, 166, 198, 231, 239, 241, 261, 266, 307, 308, 315, 320, 362, 363, 384, 391 Life and Peace Institute Agency, 157 LIGNE VERTE, 132, 138, 156, 172, 212, 304 Ligue arabe, 82, 127, 128, 130, 156, 197, 202, 210, 226, 240, 241, 305, 345, 351, 352, 364, 379, 381, 387 Liibaan (conférences), 90 Lisane Yohannès, 127, 171, 173 LIVOURNE, 61, 63 livraisons d’armes, 239 Loge P2, 58, 61 London School of Economics and Political Science, 127, 155, 230 LONDRES, 37 LONDRES (conférence de), 93 Louis Berger SA, 354 LOYADA, 81, 341, 403 LPAI, 265 LUGAYERE, 199 LUUQ, 177, 179, 237, 238, 256, 280, 301, 326
463
LYNX, 60 MAAKHIR, 11 Mac Call, Richard, 204 Mac Connel, Bern, 349 Macalin-Weyne, 242 Macow Aweys Cabdiraxmaan, 68 Madhibaan, 18 MADIINA, 46, 124, 128, 132, 134, 138, 306, 309 Mafia, 71 mag, 16, 17, 19, 75, 76 Magdī Muḥammad as-Sayīd, 391 Mahdi Maxamed Jimcaale, 390 Mahmud Maxamed, 200 Mahmud Mohamed (général), 117 Maḥmūd Muṣṭafā, 310 Majeerteen, 11, 15, 17, 30, 51, 64, 108, 131, 155, 179, 208, 211, 215, 216, 218, 219, 228, 231, 233, 234, 337 majimbo, 111 Majmac Culimadda Islaamka ee Soomaaliya, 249 Makaahiil, 340 MALAISIE, 45, 47, 136, 138, 368, 369, 377 Mälläs Zénawi, 110, 165, 172, 221, 256, 270, 343, 345, 348 Mamaasan, 80, 81, 264, 267, 271, 340 MANDERA, 300 MANDHEERA, 95, 150 Mani pulite, 64, 71, 72 Manifesto, 62, 215 Manmohan Singh Bhogal, 275 Maqaabul, 302 MÄQÄLE, 259 Maqlisame, 109 Marcq, Rudy, 57, 58 Marcus, Harold, 70 MAREEREY, 275, 292, 298, 418 Mareexaan, 14, 17, 30, 108, 114, 117, 128, 132, 163, 172, 179, 182, 212, 222, 238, 289, 295, 302, 383 Maria-Angela Fuerra (sœur), 275 Marina di Carrara, 60 MARKA, 42, 43, 55, 69, 127, 268, 280, 297, 329, 373, 374, 388, 389, 390, 392 MARKA (port), 123, 124, 166, 317, 325, 377, 387, 389, 390, 393 Marocchino, Giancarlo, 60, 62, 64, 65, 66
464
Marship, 52, 55 Maryan Caarif Qaasin, 159 Mäsfen Seyum, 127 Maslaax Maxamed Siyaad, 14 MASSAWA, 263, 270 Maxad Case, 80, 340 Maxamed Aadan Qalinle, 243 Maxamed Abshir, 52, 53, 54, 118, 215, 217, 219, 220, 222 Maxamed Abshir Muuse (général) Voir Maxamed Abshir Maxamed Arwo, 353 Maxamed aw Cali Cumar, 80 Maxamed Axmed Samatar, 332, 335, 336 Maxamed Cabdi Maxamed Gandhi, 68, 408 Maxamed Cabdi Xaashi, 221, 222, 226, 361, 406 Maxamed Cabdi Yuusuf Gaboose, 332, 417 Maxamed Cabdillaahi Galaal (suldaan), 189 Maxamed Cabdullaahi Nuur, 56 Maxamed Cabdulle Deylaaf, 268, 376 Maxamed Cabdulqaadir Sheekh, 373 Maxamed Cali Xersi, 45 Maxamed Case Voir Maxad Case Maxamed Cawwale Fariid, 335 Maxamed Caydiid, 26, 28, 45, 46, 50, 57, 63, 68, 70, 71, 72, 97, 98, 103, 105, 107, 110, 111, 115, 116, 124, 127, 137, 138, 155, 301, 328 Maxamed Cigaal, 74, 81, 85, 101, 144, 145, 164, 168, 186, 189, 191, 195, 211, 234, 239, 335, 338, 342, 343, 346, 350, 403, 409 Maxamed Cige Cilmi, 108 Maxamed Cismaan, 53 Maxamed Cismaan Bixiyar (colonel), 117 Maxamed Cismaan Negale, 56 Maxamed Cumar Cusmaan, 325 Maxamed Cumar Xabeeb Dheere (sheekh) Voir Maxamed Dheere Maxamed Daahir Afraax, 380 Maxamed Dheere, 129, 200 Maxamed Diiriye, 407 Maxamed Ducaale, 36 Maxamed Faarax Badane, 44 Maxamed Faarax Cabdullaahi Hasharo, 338
Maxamed Faarax Caydiid Voir Maxamed Caydiid Maxamed Faarax Jimcaale, 198, 199, 377 Maxamed Faarax Xasharo, 108 Maxamed Garyare (sheekh), 250 Maxamed Ibraahin Liqliqato, 57 Maxamed Ibraahin Xaabsade, 116 Maxamed Ibraahin Cigaal Voir Maxamed Cigaal Maxamed Jibriil Muuse (majorgénéral), 218 Maxamed Ma’alim Xasan (sheekh), 249 Maxamed Maxamed Raagis, 50 Maxamed Moorgan, 14, 51, 55, 106, 117, 118, 119, 132, 208, 212, 290, 292, 294, 295, 296, 297, 301, 302, 315, 326, 358, 401 Maxamed Muuse, 200 Maxamed Nuur Galaal (général), 42, 384 Maxamed Nuur Yalaxoow, 108, 115, 237 Maxamed Qanyare Afrax, 46, 124, 169, 198, 236, 305, 310, 383, 392 Maxamed Raagis Maxamed, 68, 156 Maxamed Salah Nuur, 205 Maxamed Siciid Cabdi Ducaale Voir Maxamed Ducaale Maxamed Siciid Maxamed Gees, 336 Maxamed Siciid Xirsi Moorgan (général) Voir Maxamed Moorgan Maxamed Siyaad Aadan Camerun, 291 Maxamed Subeer, 238, 289, 290 Maxamed xaaji Aadan, 108, 117, 118 Maxamed Xaashi Cabdi, 93 Maxamed Xaashi Cilmi, 194 Maxamed Xaashi Gaani (général), 300 Maxamed Xasan Axmed, 135 Maxamed Xasan Cawaale, 104 Maxamed Xasan Maxamed, 109 Maxamed Xuseen Caddow, 323 Maxamed Xuseen Qalinle, 194 Maxamed Zubeer, 302 Maxamuud Cabdi Shide Tuur, 333, 334 Maxamuud Cali Beyr, 93 Maxamuud Ciise (sheekh), 180
Maxamuud Faagade, 226, 332, 335, 342, 343, 344 Maxamuud Maxamed Guuleed, 376 Maxamuud Maxamed Saalax Faagade Voir Maxamuud Faagade Maxamuud Salax Nuur, 345, 346 Mayall, James, 158 MAYFAʿA, 285, 476 Mee, Brian, 367 Melani, Maurizio, 128 Menu of Options, 126, 158, 165, 230 Mercy International Relief Agency (MIRA), 253 Mareerey Sugar Plant (MSP), 298 Meridional Pesca, 51, 52, 54, 55, 361 Midgaan, 18 MINUEE, 261 Mirifle, 114, 115 MOGAANBO, 169, 294, 298 Mohamed Ahmed Awale, 408 Mohamed Dirir, 257 Mohamed Maalim Ali, 257 Mohamed Rashid Musa (colonel), 368, 378 MOMBASA, 52, 55, 286 Morris Supplies, 46 Morris, David, 46 Moumine Bahdon Farah, 267 Moussa Ahmed Idriss, 268, 269 MOZAMBIQUE, 59 MSF-Belgique, 275, 276, 299 MSF-Espagne, 282 MSF-Hollande, 276 Muʿammar al-Qaḏḏāfī, 122, 308, 316, 364 Mucallin Nuur (sheekh), 200 MUDUG, 15, 215, 217, 218, 225, 359, 362 Mudulood, 123, 124, 158, 210, 323 Mugambo Paddy Rice Project (MPRP), 118, 298 Muḥammad ‘Ibrāhīm Ḫalīl, 191 Muḥammad Ḥusayn al-ʿAmūdī, 268 Muḥammad Ṣaddiq ʿŪda, 252 Muḥammad Saḥnūn, 68, 227, 228, 397 Muḥammad Zubeyd, 307, 315 MuḥammadʿĀṭaf, 252
Mundar al-Kasār, 61 Munir Buri, 268 Muniye Siciid Cumar, 50, 53 Muqbil al-Wādiʿī, 136 MUQDISHU, 11, 24, 36, 41, 55, 97, 107, 112, 123, 125, 127, 135, 155, 160, 181, 208, 210, 228, 230, 231, 233, 241, 248, 249, 250, 251, 252, 280, 368, 390, 392 Murdock, David H., 26 Muriidi xaaji Dalfac, 392 Muruursade, 17, 46, 114, 128, 133, 158, 198, 310, 314, 373 Museveni, Yuweri, 198, 386 Muṣṭafa Hamzi, 136 Muṣṭafā Kamāl Ṭolba, 58, 61, 63 Mustaqbal Express, 37 musuqmaasuqa, 40 Muuse Biixi Cabdi, 94 Muuse Ciise, 147 Muuse Macallin Axmed Cagaweyne (sheekh), 304 Muuse Suudi Yalaxoow, 43, 124, 132, 134, 138, 169, 210, 236, 305, 306, 308, 312, 314, 315, 322, 392 NAIROBI, 60, 105, 157, 217, 253, 254, 286 NAIROBI (accord de), 159, 166, 172 NAIVASHA (séminaire), 155, 158, 159 NAKURU (séminaire), 158, 159, 230, 305 naqfa, 260 National Executive Committee, 162, 163 National Salvation Council Voir NSC National Security Service (NSS), 116 Nationlink, 43, 373, 374 Nations unies Voir ONU NAVASSA (île de), 62 Ndrangheta, 61 Nesi, 66 NETCO, 43, 374 NIL BLEU (ABBAY), 207 Nimcaale, 104 Nistico, Giovanni, 58 NORTH EASTERN PROVINCE, 10, 29 NORTHERN FRONTIER DISTRICT VOIR NORTH EASTERN PROVINCE Northern Somali Alliance, 199 NORVEGE, 86 Nour Travel Ltd, 56
Nourberg Mofarrij, 56 NSC, 162, 163, 164, 165, 167, 168, 170, 201, 207, 208, 211, 217, 255 NUGAAL, 11, 15, 215, 217, 218, 225, 359 Nuri Erbas, 407 Nuur Cilmi Cismaan, 63 Nuur Maxamed Maxamuud Shirdow (colonel), 281 Oakley, Robert, 69, 371 OCI, 47, 130, 136, 214, 387 Ogaadeen, 10, 17, 108, 117, 145, 171, 178, 180, 182, 211, 212, 218, 289, 295, 301, 302, 373 OGADEN, 14, 29, 110, 118, 176, 208 OGADEN (guerre de l’), 30, 32 Ogaden National Liberation Front Voir ONLF OILF, 241 OIU, 180 OLF, 391 Oliva, Franco, 62 Olympic, 37 Olympic Computers, 373, 374 OMS, 351 ONLF, 179, 256, 325 ONU, 57, 63, 118, 124, 127, 129, 154, 156, 158, 165, 204, 206, 230, 231, 232, 237, 274, 275, 281, 296, 353, 362, 381 ONUSOM II, 110 OODWEYNE, 97, 100, 101 Open Learning Centre International (OLC), 367 Opposition djiboutienne unifiée (ODU), 268 Orfano, 57 OROMIYAA, 324 Oromo, 10, 241, 310, 313, 391 Oromo Somali Afar Liberation Alliance (OSALA), 179 Osman Ahmed Youssouf, 403, 415 Osman Nour Soubagleh (lieutenant-colonel), 269 OTTAWA, 319 OUA, 110, 130, 156, 159, 165, 169, 260, 381, 387 OUGANDA, 165, 180, 386 OXFAM, 84 PAKISTAN, 29, 112, 247 Palermo, Carlo, 58 PALESTINE, 112 Palmisano, Marcello, 44, 45
465
PAM, 142, 238 Panati, Vito, 50, 53, 67 Pandraud, Robert, 344 Papadopoulos, Basile, 204 Partito Socialista Italiano Voir PSI Pasqua, Charles, 344 Payne, Donald, 348, 349 PAYS-BAS, 31, 106 Peace Committee, 99, 101, 144, 146, 147, 149, 194 peace dividend, 213 PENANG ADORNA, 319 Pernice, Tom, 26 PERSIQUE (golfe), 29 pétrole, 25, 343 Pillitteri, Paolo, 50, 72 Pinheiro, Joao de Deus, 173, 198 PNUD, 203 Prendergast, John, 327, 343, 349 Prendergast, Kieran, 296 Progetto Urano, 59, 60, 61, 66 Progresso SRL, 63, 66 Propaganda Due Voir Loge P2 Provisional Central Government of Somalia, 162 PSI, 71 PUNTLAND, 179, 221, 222, 225, 230, 231, 234, 235, 356, 359, 362, 383 Puntland International Development Company (PIDC), 360 qaad, 28, 34, 40, 43, 288, 394 Qaadiriya, 248, 363 Qaasin Cali, 407 Qaasin sheekh Axmed, 292 QÄBRÄ DÄHAR, 176 qarameyn, 190 Qaran, 339 Qaran Express, 37 QARDHO, 215, 216, 220 QATAR, 241 QORYOOLEY, 373 QOTONWEYN, 100 Quebecor Printing, 319 Quest Consult, 369 raas CALUULA, 65 raas CASEYR, 17, 18, 65 raas KOOMBOONI, 302 raas SHANNAQIIF, 65 raas XAAFUUN, 53 RABASSO, 100 Radseresht, Mehrdad, 26, 27
466
Ragola, Luca (colonel), 72 RAI, 44, 57 Raimond, Jean-Bernard, 70 Rajola, Luca, 52 RANDA, 265 Raphaelli, Mario, 161 Rashdorf, Horst, 45 Rashiid Cabdi Cabdilaahi, 336 Rashiid Sheekh Cabdillaahi, 93 Rassemblement populaire pour le progrès (RPP), 265, 266 Raxanweyn, 17, 69, 114, 115, 121, 162, 207, 209, 228, 233, 237, 238, 294, 328, 329, 383, 391, 399, 415 RDD, 10, 80, 81, 262, 268, 339, 379, 380, 381, 382, 384, 386 Red Sea Distribution Company, 353 reer Abiker, 199 reer Cabdiraxmaan, 125 reer Dalal, 300 reer Gadiid, 301 reer Hilowle, 28, 104, 106, 199, 202, 311 reer Isxaaq, 373 reer Jalaf, 28, 104, 107, 108, 200, 202 reer Kooshin, 301 reer Talxe, 301 reer Ugaas, 199 reer Xamar, 50 Reewin Voir Raxanweyn réfugiés, 56, 182, 281, 341, 363 REGION CINQ (somali), 10, 100, 145, 167, 179, 180, 256, 257, 323, 357 Relief Service Organisation, 115 remittance, 33 REPUBLIQUE DE DJIBOUTI Voir RDD Résolution 767, 228 Résolution 837, 70 Resource Management Somalia Network, 361 Restore Hope, 228 Rice, Susan, 349 Ries, Frédéric, 395 Rift Valley (fièvre de la), 281, 351 Robleh Olhayé, 397 Roisin, Jean-Didier, 344 Romanelli, Miranais, 61 Romano, Michele, 86 ROYAUME-UNI, 31, 93, 342
RRA, 116, 132, 155, 157, 163, 169, 212, 237, 238, 239, 240, 241, 242, 243, 294, 321, 324, 326, 328, 383, 390, 391 Ruppen, Roberto, 63 Ruzzi, Luis, 59 RWANDA, 172 SAAKOOW, 242 SAAKOOW WEYNE, 279 Saalax Maxamed Cali, 159 Sab, 18, 116, 329 ŠABWA, 285 Sacad, 28, 42, 104, 106, 108, 113, 131, 199, 202, 291, 320, 390, 392 Sacad Muuse, 81, 84, 87, 267, 335, 353 SACB, 83, 84, 85, 87, 124, 157, 203, 204, 229, 231, 232, 282, 359 Saciid Cabdalla, 45 Saciid sheekh Daahir, 418 Safar binʿAbduraḥman alḤawālī, 253 ṣaḥwa, 253 salaf as-salih, 246 salafiya jadiida, 246, 247 Ṣalāḥ ʿAbdurazāq Ḥalīm, 415 ṢālaḥʿAlī Ṣālaḥ Nabhān, 253 SALALEY, 143 Saleebaan, 131, 212, 240, 392 Saleebaan Faarax, 336 Saleebaan Gaal, 95, 194, 335 Saleebaan Maxamuud Aaadan Gaal Voir Saleebaan Gaal Samaroon Voir Gadabuursi Samīr Ḥusnī, 240 SAMO, 69, 115 ṢANʿA’, 49, 53, 68, 156, 202, 380 SANAAG, 219, 221, 225, 226, 351, 362 Sant’Egidio (Comunità di), 161 Santini, Giacomo, 161 Santovito, Giuseppe (général), 59 šarīʿa, 123, 125, 134, 224, 292, 311, 375, 388 Save the Children, 84 SAWA (camp), 325 Sawyer, Phil, 353 SAYLAC, 11, 81, 142 Sayyid Qubt, 246 Scaglione, Ezio, 60, 62, 66 Scalettari, Luciano, 65 Sciortino, Francesco, 316, 358, 381
SDA, 108, 345 SDM, 69, 115, 328 Sea Impress, 166 SEA JOHANA, 277 Sebri, Gianpaolo, 64 Sebri, Gianpiero, 60 Serre, Georges, 344 Serri, Rino, 157, 161, 204, 344, 370, 393 SEYLAC, 56, 341 Seyum Mäsfen, 165, 171, 347 SHABEELLAHA DHEXE, 281 SHABEELLAHA HOOSE, 26, 42, 126, 233, 298, 390, 391 SHABEELLE (webi), 114, 237, 278, 297, 328, 371 shareecada Voir šarīʿa Sharia Implementation Club (SIC), 135 Shariif Macallin (sheekh), 125 Shariif sheekh Muxyadiin (sheekh), 376 Shariif Xasan sheekh Aadan, 115 SHARJAH, 26, 55 sheekh, 77 SHEEKH, 95 sheekh Caabdiraxman, 299 Sheekhal, 108 SHiFCo, 50, 53, 54, 55, 56, 61, 64, 65, 67, 361 SHILAABO, 166 shilling somalien Voir sosh shilling somalilandais Voir sish Shinn, David, 165 shir beleed, 186 shir nabadeed, 185 shir qarameed, 186 Shir-beledka dastuuriga ah ee Garoowe, 222 Shirweynaha Beelaha Somaliland ee Hargaysa Voir Grand Conference of the Somaliland Communities shirweyne caalami, 186 Shirweynihii Badbaadinta Qaranimada Somaliland, 96 SIBA, 49 Siciid Cumar Marino, 50 Siciid Kediye, 45 Siciid Maxamed Nuur, 108 Sideed Mirifle, 115 SIMBA (camp), 111 sish, 90, 319, 320 SISMI, 44, 49, 52, 59, 72 SITT, 44
SIU, 136 Smith, Chris, 158 Smith, Gayle, 327, 349 SNA, 27, 103, 115, 117, 124, 125, 131, 132, 139, 166 SNA-Caydiid, 157, 162, 168, 169, 207, 208, 213, 242, 256, 301, 302, 312, 326, 390 SNC, 203, 204, 210 SNDU, 221 SNF, 117, 119, 128, 172, 180, 290, 291, 293, 295, 299, 300, 326, 383 SNF-Buraale, 300, 301 SNF-Masalle, 299, 300, 301, 302 SNM, 15, 74, 75, 97, 168, 220, 228, 234, 345 SNPC, 379, 398, 408, 422 SNU, 50, 68, 69, 115, 156 Social Integration and Development through Building Culture for Peace, 380 SODERE (accord), 162, 164, 166, 167, 168, 169, 171, 179, 197, 201, 207, 211, 217, 218, 255, 291, 344 Somalfish, 50 Somalfruit, 25, 26, 27, 28, 44, 106, 120, 162 Somali Aid Coordinating Body Voir SACB Somali Consultative Conference, 383 Somali Democratic Movement Voir SDM Somali Islamic Union Voir SIU Somali National Democratic Union (SNDU), 218, 221 Somali National Movement Voir SNM Somali National Peace Conference, 382 Somali Peace Alliance Voir SPA Somali Salvation Democratic Front Voir SSDF Somali Telecom Group, 374 Somali Telecommunications Service, 368 Somalia Aid Coordination Body Voir SACB Somalia National Peace Conference Voir SNPC & Arta (conférence d’) Somali-Italian Transport and Trade Voir SITT SOMALILAND, 17, 18, 106, 127, 178, 181, 183, 205, 211, 225,
230, 233, 235, 240, 248, 270, 284, 345, 362, 365 Somaliland Peace Committee, 93 Somali-Malaysian Commercial Bank, 319, 368, 377 Sombana, 25, 26, 28, 44, 120, 162, 298 Sombeya, L.K., 173 Sommet du P7, 361 SOOL, 80, 219, 221, 225, 226, 337, 362 Soomaaliweyn, 13, 14 Soomaaliyey Maqal, 394 sosh, 90, 160, 288, 319 SOS-Kinderdorf (hôpital), 275 Sotelco, 44 SOUDAN, 29, 79, 82, 136, 138, 166, 168, 198, 241, 386 Southern Somalia National Movement Voir SSNM SPA, 382, 384, 386, 404 Spada, Luciano, 59 SPDU, 217 SPM, 117, 118, 163, 211, 218, 290, 299 SPM-Gabiyow, 299, 301, 302 SPM-Jees, 117, 290, 301, 302 SSA, 68, 69, 105, 114, 121, 124, 125, 132, 170, 215, 307 SSA-USP, 222 SSDF, 15, 51, 52, 53, 56, 139, 163, 171, 178, 208, 210, 211, 212, 215, 217, 219, 220, 228, 234, 235, 240, 356 SSDM, 69 SSNM, 115, 166, 391 STC, 374 Stephen, David, 206, 342, 384, 385, 397 SUEDE, 32, 93 Sunde, Roy, 86 Supreme Governing Council, 328 suuqa madow, 40 Swiss Group, 84 tablīgh, 246 TADJOURAH, 270 TÄFARI BERR Voir AWBARRE TAHTAY ADIYABO, 259 Takädda Alämu, 128, 257 takfīr, 246 takfīr wa-l-ḥijra, 246, 251 Tamrat Layne, 268 Tarditi, Luciano, 66 TAWAKAL EXPRESS, 37 TCHETCHENIE, 247
467
technicals, 105, 113 technicals boats, 120 TEGRAY, 259 Tengentopoli, 71 TG3, 67 The Republican, 334 Third Millennium Petroleum, 354 Timaweyne, 363 TNG, 135, 417, 418 Toepfer, Klaus, 353 TOGDHEER, 80, 100, 142, 143, 147, 151, 186, 225 TOON, 91, 94, 143 TOQOSHI, 81 TOTAL, 342, 344 Transitional Central Authority, 162 Transitional National Assembly (TNA), 416 Transitional National Government Voir TNG Travaglini, Vittorio, 25 Tretout, Michel, 341 Tribunaux islamiques, 133, 134, 135, 138, 160, 179, 183, 225, 242, 268, 304, 305, 311, 312, 318, 376, 377, 388, 389, 390, 393 TRIPOLI (accord de), 308 TSORONA, 258, 260 TUGAN, 180 Tumaal, 18 TUNISIE, 127, 241 Tunni, 238 TUZLA, 136 Ugaas Cali, 199 Uhl, Vincent, 368 UKRAINE, 239 ʿUmar al-Bašīr, 386 ʿUmar Suleymān, 327 UN Food Response in Somalia, 238 UN Habitat Agency (UNCHS), 353 UNDOS, 338 UNDP, 282 UNEP, 58, 63, 66 UNESCO, 68, 380 UNHCR, 275 UNICEF, 238, 282, 290 Union européenne, 83, 85, 88, 118, 124, 125, 170, 231, 369, 381 Union soviétique, 14 United Nations Environment Programme Voir UNEP
468
United Nations Political Office for Somalia Voir UNPOS United Oromo People Liberation Front (UOPLF), 325 United Somali Congress Voir USC United Somali Congress-North Muqdishu, 123 United Somali Front Voir USF, United Somali Party Voir USP United Somali Republic Party Voir USRP UNPOS, 166, 206 USAID, 114, 204, 370 Usāma ben Lāden, 251, 253 USC, 13, 132, 228 USC-Caato, 107, 134, 154, 156, 290 USC-Cali Mahdi, 209 USC-Caydiid, 209, 291 USC-SNA, 107, 134, 139 USC-SPM, 383 USC-SSA, 123 USF, 81, 95, 108, 199, 345 USP, 199, 221, 226, 361 USRP, 377, 378 VADUZ, 59 Vecchi, Luciano, 173 Vieira de Mello, Sergio, 328 Vittorio Emanuele de Savoie (prince), 61 Voice of Somali Pacification, 46, 242 Voice of the Masses of the Somali Republic, 46 Voice of the Somali People, 46 Voice of the Somali Republic, 46 VOYAGER, 277 Wa Gosha, 238 Waacbudhaan, 125, 200, 322, 393 WAAJID, 237, 281, 294 Waaq, 295 Waaqoo Guutuu (général), 325 Waceysle, 123, 125, 200, 374, 376, 392, 393 wadaad, 77 WADAJIR, 42 Wadī’ al-Ḥājj, 253 Wagardhac, 301 wahhabīya, 29 Walaaldoon, 267 WANLEWEYN, 43, 121 WARAABEEYE Voir BALLI DHAYE waranle, 77 WARDHEER, 278
Warsangeli, 11, 17, 78, 168, 186, 219, 220, 221, 231, 234, 235, 337, 362 Warsangeli (Abgaal), 129 War-torn Societies Project, 216 WattCo, 361 Waxdat al-Shabaab, 178 We are the Women Activists (WAWA), 361 WEAH, 398, 408 Westinghouse Electric Corporation, 368 Weyteen, 295 WIRKOOY, 294 Wissam Kassim, 268 World Concern, 290 WorldWater Corporation, 367, 368 Wuqujire, 104 Xaakima Maxamuud Cabdi, 108, 377 Xaawa Ciise Maxamuud, 361 XAMAR WEYN, 113 Xarakada Islaax Voir Al Islaax XARARDHEERE, 225 Xariin, 17, 116 Xasan Aadan Wadadiid, 97, 144 Xasan Abshir Faarax, 118, 282, 359, 363, 411, 414 Xasan Cali Abokor (général), 95 Xasan Daahir Aweys (colonel), 177, 178, 181, 252, 389 Xasan Mawlid Axmed, 336 Xasan Maxamed Faarax, 319 Xasan Maxamed Nuur Qalaad, 109 Xasan Maxamed Nuur Shaatigudud (colonel), 116, 239, 241 Xasan Meygaag Samatar, 93, 147 Xasan sheekh Ibraahin, 114 Xasan Siciid Yuusuf, 333 Xasan Ugaas, 300 Xasan xaaji Cumar Ameyr, 109 Xasan Yare, 177 Xawaadle, 17, 42, 43, 57, 64, 105, 108, 114, 119, 132, 156, 158, 238, 306, 314, 324, 383 xawaalad, 33, 36, 372 Xisbul Islaam, 292 Xoojinta Nabada Project, 361 XUDDUR, 116, 239, 243, 328 Xuseen Aboqor, 353 Xuseen Axmed Cali, 322
Xuseen Bood, 125, 210, 236, 305, 308, 309, 310, 312, 314, 315, 324, 383, 392, 393 Xuseen Bulxan, 92 Xuseen Cabdi Qalib, 336 Xuseen Cabdilaahi Yuusuf Bulxan, 92 Xuseen Cabdulle Calasow Nuuriyow, 108 Xuseen Cali Axmed, 309, 310 Xuseen Cali Ducale Cawil, 97 Xuseen Caydiid, 139, 156, 157, 158, 162, 164, 165, 166, 167, 169, 170, 171, 172, 197, 198, 201, 203, 210, 211, 212, 237, 238, 239, 240, 241, 242, 256, 261, 294, 299, 301, 302, 304,
305, 308, 319, 328, 329, 345, 362, 376, 377, 378, 379, 383, 385, 386, 389, 390, 392, 393,∊406, 413, 415 Xuseen Ceelabe Faahiyeh, 338 Xuseen Maxamed Faarax Voir Xuseen Caydiid Xuseen xaaji Maxamed Bood Voir Xuseen Bood Yaasiin Faarax Cartan (beeldaaje), 66 Yabar Dhowrakace, 108 Yacine Elmi Bouh, 267 YAMAYSKA, 296 Yemani Abdi, 58 YEMEN, 30, 54, 82, 136, 218, 241
Yibro/Yibir, 18, 413 Yuusuf Bari Bari, 51, 52, 55 Yuusuf Jaamec Cali Dhulu, 159 Yuusuf Maxamed Ismaaciil Bari Bari Voir Yuusuf Bari Bari Yuusuf Muuse Cali, 300 Yuusuf sheekh. Axmed Nuur, 96 Yuusuf Xirsi Galow, 96 Zakaria Chekh Ibrahim (général), 269 ZALÄ ANBESA, 260 Zavadjil, Milan, 407 Zubeyr Maxamed El-Amin, 56 Zuha Company, 56
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GEOLOCALISATION DES TOPONYMES Orthographe somali Aadan Cadde Abaarso Adhi Adheeye (E) Afgooye Agabar
Amharique/ translittération Orthographe kenyane (aérodrome Muqdishu) አዲ ፡ አደዬ [adi adäyé]
al-Mukhā (Y) اﻟ ﻤﺨﺎ Anoole Araare Arabsiyo Arar Yarey Awaare (E) አዋሬ [awaré] Awbarre Awdhiinle Awdheegle Ayri (D) Ayshaca Baardheere Badhan Balanballe Balcad Balli Dhaaye Balli Doogle Balli Gubadle (E) Bandar Salaam (Jubbada Hoose) Bandar Salaam (Gedo) Bariisle Baydhabo
Coordonnées polaires
045°15’E/02°00’N 043°53’E/09°36’N 043°30’E/06°31’N 045°07’E/02°08’N 043°55’E/09°55’N 043°15’E/13°19’N 041°55’E/00°52’S 042°41’E/00°02’N 043°46’E/09°41’N 00°11’N/042°40’E 044°09’E/08°16’N 043°13’E/09°46’N 043°24’E/03°11’N 044°48’E/01°59’N 042°52’E/12°05’N 042°34’E/10°45’N 047°17’E/02°20’N 048°21’E/10°43’N 046°13’E/08°30’N 045°23’E/02°21’N voir Waraabeye 044°47’E/02°39’N 043°23’E/09°30’N 042°46’E/02°00N 042°10’E/02°21’N 043°18’E/11°26’N 049°39’E/03°07’N 471
Beerdaale Beerxaani Beled Xaawo Bir ʿAlī Boocame Boon Boorama Buufow Buuhoodle Buulo Guduud Buur Gaabo Buur Hakaba Cabdulqaadir Cadale Caduur Caluula (raas) Caseyr (gees) Ceel Afweyn Ceelaayo Ceel Berde Ceel Cirfiid Ceel Dheer Ceel Dheere Ceel Baraf Ceel Gaal Ceel Macaan Ceel Qoxle Ceel Xume Ceynta Cisaleey (aérodrome) Dabaab Dalow Dacarbudhug Dagaari Dalḥa Damara Xagale Dameerjog Dannood Dar Wanaaji Daragodle Dararweyne Dariiqalo’le Darroor 472
045°15’E/03°16’N 042°12’E/00°14’S 041°53’E/03°56’N (Y)
ﺑ ﯿﺮ ﻋ ﻠﻲ
(K)
(D)
(E) ዳኖት [danot]
(E) ዳሮር ፥ [daror]
048°20’E/14°01’N 047°56’E/08°23’N 045°05’E/10°12’N 043°11’E/09°56’N 044°45’E/01°45’N 046°20’E/08°15’N 043°18’E/03°16’N 041°50′E/01°13′S 044°05’E/02°47’N 042°56’E/10°31’N 046°19’E/02°45’N 047°11’E/10°27’N 050°47’E/11°59’N 051°15’E/11°49’N 047°15’E/09°55’N 048°13’E/11°11’N 043°39’E/04°50’N 045°23’E/02°08’N 047°11′E/03°51’N 046°11’E/05°22’N 045°46’E/03°14’N 043°43’E/10°59’N 045°04’E/02°09’N 047°40’E/09°57N 045°11’E/09°24’N 045°32’E/02°57’N 045°30’E/02°07’N 040°18’E/00°15’N 047°17’E/10°46’N 044°31’E/09°51’N 047°17’E/06°33’N 042°54’E/12°11’N 047°58’E/09°55’N 043°12’E/11°31’N 045°’17E/07°33’N 043°02’E/09°50’N 044°51’E/10°10’N 047°31’E/09°45’N 044°39’E/10°07’N 043°42’E/08°14’N
Dayaxa Dayniile (aérodrome) Dayuun Dhagax Buur (E) ደገሃቡር ፥ [dägähabur] Dhahar Dermo Dhoobley Dhuusa Mareeb Dilla DireDawa (E) ድሬዳዋ [deréDawa] Dobo Dhoobley Elabär͑ed gännet (Er) ኤላበርዕድ ፡ ገንት Faax Ferfer (E) ፌርፌር [férfér] Fiiq (E) ፊቅ [fiq] Fiqi Fuliye Gaalshire Galgala Gabiley Galaadi (E) ገላዲን [gäladin] Geerisa Garsaale Gaashaamo (E) ጋሻሞ [gashamo] Ged Debti Godey (E) ጎዴ [godé] Ceel Godle Goobo Goroyacawl Gowlalaale (Togdheer) Gowlalaale (Nugaal) Guri Ceel Hadaaftimo Hadhagaala (E) ሃዲጋላ [adigala] Hamas Hartisheekh (E) ሃርቲሼክ [hartishēk] Jafay Jalalaqsi Jasiira (port & aérodrome) Jidaali Jidhi Jilib Jowhar
047°11’E/10°35’N 045°16’E/02°07’N 043°47’E/03°03’N 043°34’E/08°13’N 049°10’E/11°17’N 041°46’E/03°29’N 042°19’E/02°30’N 046°24’E/05°31’N 043°14’E/10°23’N 041°52’E/09°36’N 046°16’E/10°17’N 042°19’E/02°30’N 038°37’E/15°40’N 050°48’E/09°23’N 045°05’E/05°05’N 042°18’E/08°08’N 047°47’E/10°01’N 047°17’E/06°29’N 048°12’E/11°10’N 045°34’E/10°11’N 046°25’E/06°57’N 043°28’E/10°38’N 045°22’E/02°40’N 045°22’E/08°06’N 044°00’E/09°44’N 043°01’E/06°06’N 044°17’E/03°59’N 044°34’E/02°25’N 048°08’E/10°50’N 046°10’E/08°52’N 048°43’E/07°52’N 046°04’E/05°20’N 048°24’E/10°36’N 042°13’E/10°25’N 044°50’E/10°10’N 043°21’E/09°09’N 043°06’E/03°24’N 045°35’E/03°24’N 045°12’E/01°58’N 047°40’E/10°43N 043°04’E/10°37’N 042°46’E/00°29’N 045°31’E/02°46’N 473
Kakuma (K) Kala Baydh Kala Beer Kaam Abokor (E) ካም ፡ አቦኮር [kam abokor] Kamsuuma Kilo 50 (aérodrome) Kilo 60 (aérodrome détruit) Koyaama (île) Kulaal Liboi (K) Lowyada (D) Loyada Lughaya Luuq Maguurto Mahadaay Maji Yaha Mandheera Mandheera (K) Mandera Mareero Matabaan
034°52’E/03°43’N 047°14’E/08°14’N 045°13’E/04°55’N 043°55’E/08°27’N 042°47’E/00°15’N 044°58’E/02°00’N 044°56’E/01°59’N 00°39’N/042°19’E 047°38’E/09°39’N 040°57’E/00°24’N 043°15’E/11°28’N 043°56’E/10°41’N 042°32’E/03°48’N 043°27’E/02°59’N 045°33’E/02°58’N 049°01’E/11°04’N 044°43’E/09°54’N 041°50′E/03°55′N 049°18’E/11°20’N 045°32’E/05°12’N
Mayfaʿa (Y) ﻣ ﯿ ﻔ ﻌﺔ Mogaanbo Mood Mooda Mustaxiil (E) ሙስታሂል ፥ [mustahil] Oodweyne Oog Qabri Dahare (E) ቀብሪ ፡ ደሃር [qäbri dähar] Qalimow Qallaafo (E) ቀላፎ [qällafo] Qar Adag Qar Sheekh Qararro Qoow {Bandar Siyaada} Qoryoole (Qorxaleey) Qotonweyn Quljeed Saakoow Salaley Saliid Sannirgood Saraar Sarmaanyo Satawa Weyne
047°35’E/14°16’N 042°43’E/00°09’N 043°54’E/03°01’N 044°44’E/05°15’N 045°04’E/09°24’N 046°38’E/08°56’N 044°17’E/06°44’N 045°22’E/02°36’N 044°08’E/05°37’N 046°52’E/0929’N] 045°11’E/09°59’N 046°05’E/08°52’N 048°58’E/11°15N 045°42’E/03°16’N 044°29’E/09°07’N 043°01’E/10°05’N 042°27’E/01°38’N 044°12’E/09°01’N 048°34’E/11°13’N 047°14’E/09°08’N 047°11’E/10°27’N 047°59’E/09°29’N 043°06’E/09°59’N
474
Seegeg Seylac Shannaqiif (raas) Sheekh Sheekh Abdal Shilaabo Shimbiraale Shiniile Tayeeglow Toqoshi Tog Wajaale Toon Tugan Waajid Waldena Wanleweyn Waraabeye Wardheer War Xoolo Wasiilo Xaamus Xaraf Xaliimale Xariirad Xuddur Yagoori Yasoomman Yiroowe Yubbe Yufle
(E) ሳጋግ [sagag]
(E) ሺላቦ [shilabo] (E) ሺኒሌ [shinilé]
(Sd)
{Balli Dhaaye} (E) ዋርዴር [wardér]
042°50’E/07°41’N 043°29’E/11°29’N 051°15’E/11°40’N 045°22’E/09°56’N 044°42’E/09°57’N 044°46’E/06°05’N 047°55’E/10°07’N 041°31’E/09°41N 044°31’E/04°02’N 043°25’E/11°21’N 043°20’E/09°36’N 044°07’E/09°24’N 037°59’E/17°52’N 043°15’E/03°48’N 041°01’E/00°25’N 044°54’E/02°37’N 045°34’E/08°52’N 045°20’E/06°58’N 046°10’E/04°40’N non localisé 044°49’E/10°05’N 047°47’E/04°40’N 043°13’E/10°12’N 042°58’E/10°34’N 043°54’E/04°07’N 046°58’E/08°45’N 045°44’E/04°04’N 045°41’E/09°26’N 049°10’E/11°17’N 047°12’E/10°23’N
D : Djibouti - Er : Erythrée – E : Ethiopie – K :Kénya ; Sd : Soudan ; Y : Yémen
475
C ARTES , TABLEAUX ET CROQUIS
État des factions à la fin de l’année 1994 ................................................. 22 Plates-formes portuaires et aéroportuaires du Banaadir ......................... 45 Le faisceau lignager isxaaq ..................................................................... 102 Segments et clans majoritaires du lignage Habar Gidir ........................ 122 Le Somaliland ........……………………………………………………… 145 Régions et districts : découpage de 1986 ............................................... 184 Principaux lignages et clans hawiiye ..................................................... 196 Les faisceaux lignagers ............................................................................ 244 Le Jubbaland ............................................................................................ 272 Les clans du lignage Abgaal ................................................................... 329 Situation générale 1999 - 2000................................................................ 330 Le Puntland .............................................................................................. 366
L’ensemble des cartes, tableaux et croquis ont été réalisés par l’auteur.
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BIBLIOTHEQUE PEIRESC DERNIERS TITRES PARUS 15 – Marc FONTRIER. Abou-Bakr Ibrahim - Pacha de Zeyla, marchand d’esclaves. L’Harmattan. Paris 2003 16 – Henri de CONTENSON. Antiquités Éthiopiennes d’Axoum à Haoulti. Sépia. St-Maur 2005. 17 – Job LUDOLF. Histoire de l’Éthiopie – livre I. Traduction du latin sous la direction de J. Tubiana et F. Enguehard. L’Archange minotaure. Apt 2008. 18 – Mickaël BETHE-SELLASIE. La Jeune Éthiopie. Sous la direction de Marc FONTRIER. L’Harmattan. Paris 2009. 19 – Serge TORNAY. Rencontres lumineuses au cœur de l’Afrique. Sépia. St-Maur 2009. 20 – Marc FONTRIER. Le Darfour : Institutions internationales & crise régionale 20032008. L’Harmattan, Paris 2009. 21 – Job LUDOLF. Histoire de l’Éthiopie - livre II. Traduction du latin sous la direction de Joseph TUBIANA et François ENGUEHARD. L’Archange minotaure. Apt 2009 22 – Alfred BARDEY. Barr Ajjam. L’Archange minotaure. Apt 2010 23 – Youri ZAWADOWSKI. Le Méroïtique La langue des pharaons noirs. Présenté par Marc FONTRIER, notes de Claude RILLY. L’Harmattan. Paris. 2010 24 – Marc FONTRIER. Annales de Somalie. L’État démantelé – 1991-1995. L’Harmattan, Paris 2012 25 –. Job LUDOLF. Histoire de l’Ethiopie tome III. Traduction du latin sous la direction de Joseph TUBIANA et François ENGUEHARD. Sépia. St-Maur. 2012 26 – NAʿUM Shuqayr. Géographie du Soudan. Traduit par V.A. NAGI. L’Harmattan. Paris. 2012 27 – Marc FONTRIER. Ethiopie – Le choix du fédéralisme ethnique. Chronique du gouvernement de transition (1991-1995). L’Harmattan. Paris. 2012 28 – Michel PERRET. L’histoire de l’Ethiopie vue du Tigré et autres lieux – Essais, notes, réflexions. L’Harmattan. Paris 2013 29 – Serge TORNAY. Le journal de Loceria – Chronique d’Ethiopie (1970-2000). Editions du Parc. St-Maur 2012 30 – Serge DEWEL. Mouvement charismatique et pentecôtisme en Ethiopie - Identité et religion. L’Harmattan. Paris. 2014
En collaboration avec PMCT : Marie-José TUBIANA. Carnets de route au Dar For – Soudan (1965-1970). Sépia. St-Maur 2006.
488
L’HARMATTAN ITALIA Via Degli Artisti 15; 10124 Torino L’HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L’HARMATTAN KINSHASA 185, avenue Nyangwe Commune de Lingwala Kinshasa, R.D. Congo (00243) 998697603 ou (00243) 999229662
L’HARMATTAN CONGO 67, av. E. P. Lumumba Bât. – Congo Pharmacie (Bib. Nat.) BP2874 Brazzaville [email protected]
L’HARMATTAN GUINÉE Almamya Rue KA 028, en face du restaurant Le Cèdre OKB agency BP 3470 Conakry (00224) 657 20 85 08 / 664 28 91 96 [email protected]
L’HARMATTAN MALI Rue 73, Porte 536, Niamakoro, Cité Unicef, Bamako Tél. 00 (223) 20205724 / +(223) 76378082 [email protected] [email protected]
L’HARMATTAN CAMEROUN BP 11486 Face à la SNI, immeuble Don Bosco Yaoundé (00237) 99 76 61 66 [email protected] L’HARMATTAN CÔTE D’IVOIRE Résidence Karl / cité des arts Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03 (00225) 05 77 87 31 [email protected] L’HARMATTAN BURKINA Penou Achille Some Ouagadougou (+226) 70 26 88 27
L’HARMATTAN ARMATTAN SÉNÉGAL SÉNÉGAL L’H 10 VDN en face Mermoz, après le pont de Fann « Villa Rose », rue de Diourbel X G, Point E BP 45034 Dakar Fann 45034 33BP825 98 58Dakar / 33 FANN 860 9858 (00221) 33 825 98 58 / 77 242 25 08 [email protected] / [email protected] www.harmattansenegal.com L’HARMATTAN BÉNIN ISOR-BENIN 01 BP 359 COTONOU-RP Quartier Gbèdjromèdé, Rue Agbélenco, Lot 1247 I Tél : 00 229 21 32 53 79 [email protected]
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L’ILLUSION DU CHAOS 1995-2000 ANNALES DE SOMALIE
Mars 1995. Les Nations Unies mettent fin à l’opération internationale déployée depuis deux ans dans une Somalie en déliquescence. Le territoire de l’ancienne République, atomisé, est abandonné aux ambitions personnelles des chefs de factions et à l’égoïsme des clans. Sur le plan politique émerge l’idée de reconstruire le pays non pas à partir de ses institutions étatiques mais à partir de ses régions, souvent engagées déjà dans une logique d'apaisement. Dans le Nord du pays, le Somaliland qui depuis 1993 a autoproclamé son indépendance montre la voie, suivi un peu plus tard du Puntland qui décrète son autonomie. Dans le Sud et le Centre en revanche, en dépit de conférences de réconciliation manquées, l'exercice est plus compliqué. Les régions existent, bien identifiées, mais les chefs de factions ne parviennent pas à consentir les renoncements nécessaires au rétablissement de la paix. Cette instabilité n’empêche en rien les affaires, licites ou délictueuses, de s’organiser en un système largement mondialisé qui n’a rien de chaotique. Sur cette scène qui n'est pas sans rappeler la période ante-coloniale et sur fond de lutte d'influence arabo-éthiopienne, le président de la République de Djibouti organise en 2000 une réunion qui se veut définitive. Bien que mené avec soin, l’exercice ramènera vers un pouvoir plus que virtuel nombre d’anciens du régime déchu mais surtout un fondamentalisme musulman étranger au monde somali. Marc Fontrier, officier des Troupes de Marine, est docteur en Études africaines de l’Institut national des langues et civilisations orientales où il a étudié l’arabe, l’amharique et le somali. En plus de trente ans, il a effectué de nombreux séjours de longue et de moyenne durée en Afrique subsaharienne, la plupart dans des pays en crise : Éthiopie, Somalie, Djibouti, Sierra Leone, etc. Ses recherches portent en particulier sur l’histoire de la Corne de l’Afrique et sur la polémologie africaine dans le dernier quart du xxe siècle.
ISBN : 978-2-343-06408-6
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