La théorie du chaos en images 9782759823581

Si un papillon bat des ailes au Brésil, est-ce que cela peut provoquer une tornade au Texas ? La théorie du chaos tente

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French Pages 176 [177] Year 2019

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2

Le yin, le yang et le chaos La pensée chinoise ancienne reconnaissait l’existence d’un lien entre le chaos et l’ordre. Dans la mythologie chinoise, le dragon représente le principe de l’ordre, le yang, émergeant du chaos. Dans certains récits chinois de la création, un rayon de lumière pure, le yin, jaillit du chaos et construit le ciel. Le yin et le yang, respectivement les principes femelle et mâle, ont œuvré pour créer l’Univers. Mais même après avoir émergé du chaos, le yin et le yang en ont conservé les propriétés. Un excès de l’un ou de l’autre ramène inévitablement le chaos.

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Le chaos ancien Hésiode, un Grec du viiie siècle avant notre ère, est l’auteur de La Théogonie, un poème cosmologique qui affirme qu’« au commencement était le Chaos », puis vint la Terre et tout ce qui est stable. Les Grecs anciens semblaient avoir accepté l’idée que le chaos précède l’ordre, en d’autres termes que l’ordre provient du désordre.

Aucune précision n’a été apportée à cette conception « mythique »…

4

… jusque récemment, au xxe siècle, quand la théorie du chaos est arrivée.

La théorie du chaos La théorie du chaos constitue un nouveau champ d’investigation scientifique passionnant. Le phénomène du chaos est une découverte étonnante et controversée, que les scientifiques les plus respectables auraient qualifié de fantaisiste il y a environ une décennie.

Mais aujourd’hui, il figure parmi les découvertes les plus importantes depuis l’avènement de la théorie quantique au début des années 1900.

Si la théorie du chaos exprime pleinement son potentiel, elle va changer radicalement la manière dont nous concevons la nature et nous-mêmes. 5

Pourquoi le chaos est-il si passionnant ? Le chaos est passionnant pour toutes les raisons suivantes… Il relie nos expériences quotidiennes aux lois de la nature, en révélant les liens subtils entre simplicité et complexité, et entre l’ordre et l’aléatoire. Il présente un univers à la fois déterministe et qui obéit aux lois fondamentales de la physique, mais est capable d’être désordonné, complexe et imprévisible.

Il est étonnamment attrayant ! Shakespeare avait vu juste en faisant dire à Hamlet dans l’acte 1, scène 5…

« Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n’en rêve votre philosophie. »

Il montre que la prédictibilité est un phénomène rare qui n’opère qu’au sein de contraintes que la science a extraites de la riche diversité de notre monde complexe. Il offre la possibilité de simplifier des phénomènes complexes. Il combine les mathématiques imaginatives et la puissance de calcul phénoménale des ordinateurs modernes. Il sème le doute quant aux démarches classiques de construction de modèles en science. Il met en évidence le fait qu’il existe des limites inhérentes à notre compréhension et à notre capacité à prédire l’avenir à tous les niveaux de complexité. 6

Bonjour ! Je m’appelle Chou-Choux. Regardez ce que le chaos m’a fait !

D’où provient le chaos ? Trois développements majeurs récents ont fait du chaos un terme familier. 1. La puissance de calcul stupéfiante, qui permet aux chercheurs d’exécuter des millions de calculs complexes en quelques secondes. 2. L’augmentation de la puissance de calcul s’est accompagnée d’un intérêt scientifique croissant pour des phénomènes irréguliers tels que… les changements aléatoires des conditions météorologiques

la propagation d’épidémies

le métabolisme des cellules

l’évolution des populations d’insectes et d’oiseaux

l’essor et le déclin de civilisations

la propagation des signaux le long de nos nerfs 7

3. La théorie du chaos est née quand ces progrès ont été combinés à l’émergence d’un nouveau style de mathématiques géométriques…

Au-delà des formes connues de la géométrie euclidienne…

… jusqu’aux structures non euclidiennes de la géométrie fractale.

Ces progrès ont eu un impact dans presque tous les domaines de l’entreprise humaine. La théorie du chaos ressemble à une mer dans laquelle se déversent les fleuves et leurs affluents de presque toutes les disciplines et tous les sujets – depuis les mathématiques, la physique, l’astronomie, la météorologie, la biologie, la chimie, la médecine à l’économie et l’ingénierie, de l’étude des fluides et des circuits électriques à l’étude des marchés financiers et des civilisations. 8

Définir le chaos Différentes définitions ont été proposées pour décrire le chaos. En voici quelques-unes… « Une sorte d’ordre sans périodicité. » « Un comportement récurrent en apparence aléatoire dans un système simple déterministe (comme un mécanisme d’horloge). » « L’étude qualitative du comportement apériodique instable dans les systèmes déterministes dynamiques non linéaires. » Et en voici une autre que nous devons à un mathématicien du domaine, Ian Stewart [1945-].

La capacité de modèles simples, sans caractéristiques aléatoires innées, de générer des comportements extrêmement irréguliers.

Les définitions techniques du chaos ne sont pas faciles à comprendre. Commençons donc par nous familiariser avec sa terminologie. 9

Le langage du chaos Dynamique, changement et variable Le chaos est un phénomène dynamique. Il a lieu quand quelque chose change. Fondamentalement, il existe deux sortes de changements. Ceux réguliers étudiés par la physique et la dynamique classiques.

Et ceux chaotiques. Il se peut qu’il y ait d’autres types de changements que nous n’avons pas encore découverts !

Ce qui peut subir un changement dans une situation donnée s’appelle une variable. 10

Les systèmes Une entité qui change au cours du temps est appelée système. Les systèmes possèdent par conséquent des variables. Voici quelques exemples de systèmes.

Le corps humain

La population des manchots dans l’Antarctique

Des molécules dans une boîte imaginaire

La progression de la grippe à travers un pays

« X-Files »

Une école

Le changement est monnaie courante, sauf pour les distributeurs automatiques. 11

Définir les systèmes Un système déterministe est à la fois prédictible, stable et totalement connaissable. Un exemple classique de système déterministe est la vieille horloge de nos grands-parents. Les boules sur une table de billard ont un comportement circonscrit aux limites d’un système déterministe.

En physique classique, l’Univers lui-même était considéré comme un système déterministe. Donnez-moi les coordonnées passées et présentes de n’importe quel système et je vous dirai son avenir.

Pierre-Simon de Laplace [1749–1827], mathématicien français.

12

Dans les systèmes linéaires, les variables sont simplement et directement liées. Mathématiquement, une relation linéaire peut être exprimée comme une équation simple, où les variables impliquées apparaissent uniquement à la puissance un : x = 2y + z

Il n’y a ici ni carré, ni cube, ni puissance 4, etc. Ces types d’équations peuvent être résolus facilement, même si ils contiennent plusieurs variables.

Les relations non linéaires impliquent des puissances autres que un. Voici une équation non linéaire : A = 3B2 + 3C3

De telles équations sont plus ardues à analyser et nécessitent souvent l’aide d’un ordinateur pour être comprises. 13

Équations périodiques et apériodiques Une période est un intervalle de temps caractérisé par l’occurrence d’une certaine condition ou d’un certain événement. Une variable dans un système périodique reproduit exactement son comportement passé à intervalles réguliers – songez au mouvement d’un pendule. Un comportement apériodique se produit lorsqu’aucune variable conditionnant l’état du système ne présente de répétition parfaitement régulière de valeurs – visualisez le flux d’eau qui s’écoule dans un lavabo.

Un comportement apériodique instable est extrêmement complexe. Il ne se répète jamais et continue de montrer les effets de la moindre petite perturbation du système. Cela rend les prédictions exactes impossibles et produit une série de mesures qui semblent aléatoires. C’est pourquoi, en dépit de nos observations par satellite et de nos modèles informatiques, il est encore impossible de prédire le temps qu’il fera avec précision. 14

Qu’est-ce qu’un comportement instable apériodique ? Un comportement instable, mais périodique, est difficile à imaginer – en effet, il semble contradictoire par définition. Cependant, l’histoire de l’humanité nous fournit justement plusieurs exemples d’un tel phénomène. Il est possible de rendre compte des schémas généraux dans l’essor et le déclin des civilisations. Nous pouvons voir que ces schémas sont périodiques. Mais nous savons que les événements ne se répètent en réalité jamais exactement. Dans ce sens réaliste, l’histoire est apériodique. Nous pouvons aussi lire dans nos livres d’histoire que de petits événements apparemment insignifiants ont débouché sur des changements durables dans le cadre des affaires humaines.

Jusque très récemment, notre principale image du comportement, si complexe qu’il en devient instable et apériodique, était celle d’une foule.

Maintenant que notre perception a évolué, nous observons un tel comportement dans les événements les plus courants : l’eau qui goutte d’un robinet, un drapeau qui ondule dans le vent, la fluctuation des populations animales. 15

Les systèmes linéaires Donc : tout simplement, le chaos est l’occurrence d’événements apériodiques, en apparence aléatoires, dans un système déterministe. Il y a de l’ordre dans le chaos et du chaos dans l’ordre. Les deux sont plus étroitement liés qu’on ne l’avait jamais imaginé. Mais puisque les systèmes déterministes sont prédictibles et stables, cela paraît illogique. Les Hommes ont l’habitude de chercher des schémas et des relations linéaires dans tout ce qu’ils voient. Les relations linéaires nous permettent de prédire ce qui va se passer dans un système donné et peuvent être représentées facilement sur un graphique.

Autrement dit, elles forment une ligne droite sur le graphique et nous savons où va cette ligne. Les relations linéaires et les équations sont résolubles. Il est ainsi plus facile de les aborder et les manipuler. 16

Difficulté non linéaire En revanche, les équations non linéaires sont insolubles. La friction, par exemple, rend souvent les choses difficiles en introduisant de la non-linéarité. Sans friction, la quantité d’énergie nécessaire pour accélérer un objet est exprimée par une équation linéaire… force = masse × accélération

La friction complique les choses car la quantité d’énergie varie selon la vitesse de déplacement de l’objet. Par conséquent, la non-linéarité modifie les règles déterministes au sein d’un système et rend la suite des événements difficile à prédire. 17

Il existe un exemple très connu de relation non linéaire dans l’histoire du chaos. Robert May [1936-], un biologiste, étudiait une population imaginaire de poissons. Le modèle mathématique dont il se servait pour la population des poissons était l’équation xprochaine = rx(1 – x), où x représente la population actuelle de poissons dans une zone. Lorsque le paramètre r (taux de croissance) était de 2,7, May trouva que la population était de 0,6292.

1. Au fur et à mesure que le paramètre r augmentait, la population finale augmentait aussi légèrement, dessinant une ligne qui montait au fur et à mesure qu’elle se déplaçait de gauche à droite sur le graphique. 2. Soudain, alors que r avait dépassé la valeur 3, la ligne se subdivisa en deux et May dut réaliser le tracé de deux populations. Cette scission signifiait que la population passait d’un cycle annuel à un cycle bisannuel. 3. Au fur et à mesure que le paramètre augmentait encore plus, le nombre de points doublait encore et encore. Le comportement était complexe mais régulier. Au-delà d’un certain point, le graphique devint totalement chaotique – et le graphique fut entièrement noirci. Cependant, même au milieu de ce chaos, des cycles stables revenaient alors que le paramètre augmentait. 18

La plupart des forces dans la vie réelle sont non linéaires. Pourquoi alors n’avons-nous pas découvert cela plus tôt ? La raison pour laquelle le comportement chaotique n’avait pas été étudié jusqu’à présent réside dans le fait que les scientifiques réduisaient des problèmes non linéaires difficiles à des problèmes linéaires plus simples afin de les analyser. Les travaux de Galilée sur la gravité nous en offrent un excellent exemple. Galilée [1564–1642], un physicien italien, négligeait les petites non-linéarités afin d’obtenir des résultats nets. Les plumes ne tombent pas à la même vitesse qu’une boule à cause de la résistance de l’air. Et alors… ?

Un monde scientifique parfait avait été créé, dans lequel les régularités étaient isolées de l’expérience réelle et du « désordre ».

Depuis l’avènement de la science occidentale « moderne », nous vivons dans un monde qui se comporte comme si le seul animal existant était l’ornithorynque ! 19

La rétroaction La rétroaction, tout comme la non-linéarité, est aussi fréquente dans les manifestations de la vie réelle. La rétroaction est une caractéristique de tout système où la sortie, ou le résultat, affecte l’entrée du système, modifiant ainsi son fonctionnement. Une rétroaction (« effet Larsen ») est très souvent observée quand on utilise un microphone. Une partie du signal de sortie est littéralement « réintroduite » à l’intérieur du système et produit les crissements tant redoutés par les ingénieurs et les musiciens. Cependant, la rétroaction peut s’avérer utile dans la production d’amplificateurs quand elle est remise délibérément à l’intérieur d’un système. La rétroaction est observée aussi sur le parquet de la Bourse et se trouve être en réalité une forme d’autorégulation. Par exemple, si les prix augmentent trop, la demande va diminuer, entraînant une baisse des prix. L’accord initial revient dans le système et les prix sont réajustés.

Nous pouvons observer aussi des boucles de rétroaction quand une enzyme fabrique une copie d’elle-même au cours d’une réaction chimique. C’est une boucle de rétroaction positive. Cela se produit quand l’ADN devient un organisme vivant et il s’agit d’un phénomène très courant en chimie organique. 20

Cependant, les scientifiques ont tendance à ignorer la rétroaction pour créer des modèles plus simples à étudier et à utiliser. Ils connaissaient la rétroaction et les complexités, mais ne les comprenaient pas. Par exemple, il est bien plus facile d’étudier la population en tant que système linéaire simple plutôt qu’en tant que système impliquant de la rétroaction et de la complexité. Une équation linéaire simple pour la croissance de la population x est xprochaine = rx où r est le taux de croissance de la population. Il est facile de la résoudre.

Même si les scientifiques savaient que la population de l’année en cours alimentait celle de l’année suivante – que la croissance d’une population est une boucle de rétroaction –, ils ont préféré garder un modèle simple afin qu’il soit maniable.

Les systèmes oscillants deviennent chaotiques car ils possèdent un élément de rétroaction. Le comportement chaotique se produit lorsque des forces non linéaires s’inversent. Cela s’appelle la rétroaction non linéaire – et il s’agit d’un prérequis essentiel pour le chaos. Voici à présent un exemple de rétroaction non linéaire. 21

Le problème des trois corps Un exemple d’un système linéaire simple qui manifeste un effet de rétroaction non linéaire est le classique « problème des trois corps » de la gravitation. La trajectoire dessinée par la Lune est bien connue – elle a été décrite intégralement par les lois mathématiques de la gravité de Sir Isaac Newton [1642–1727]. Mais supposons que nous introduisions une seconde Lune de la même taille que la première. Le calcul des orbites des lunes serait-il juste un peu plus compliqué ?

Il se trouve que les équations déterministes simples qui régissent ce système à trois corps sont insolubles. Elles ne peuvent prédire les trajectoires sur le long terme des deux lunes en orbite. 22

La raison pour laquelle il n’y a pas de solution au problème des trois corps réside dans le fait que la gravité est une force non linéaire (plus précisément, elle est en « carré inverse »), et dans un système à trois corps, chacun des corps exerce sa force sur les deux autres. Cela entraîne une rétroaction non linéaire et résulte en un mouvement chaotique des orbites des lunes. Mais nous avons « résolu » aujourd’hui le problème des trois corps en démontrant que les orbites sont intrinsèquement imprédictibles. Une telle solution aurait été considérée comme rien de moins qu’un sacrilège il y a quelques années. Un savant amateur de la Bible, Immanuel Velikovsky [1895–1979], avait été jugé fou à lier par les astronomes quand il avait soutenu dans son Worlds in Collision (Mondes en collision, 1948) que les orbites de Mars et Vénus avaient changé considérablement vers l’an 1000 avant J.-C. Sa théorie avait bien aidé à résoudre certaines difficultés concernant la chronologie du monde antique.

C’est seulement petit à petit que nous avons pris conscience que nos solutions aux équations décrivant les mouvements des planètes étaient approximatives.

Et que nous étions incapables de définir l’étendue d’imprécision possible !

À présent, grâce à la théorie du chaos, les scientifiques peuvent s’affranchir de l’ignorance de leur ignorance. 23

La modélisation du chaos Au cours des deux dernières décennies, les scientifiques, qui travaillent dans des domaines aussi variés que les prévisions météorologiques, la mécanique des fluides, la chimie et la biologie des populations, ont développé des modèles de phénomènes naturels qui tiennent compte de la non-linéarité et de la rétroaction. Ces modèles exhibent deux caractéristiques incongrues. En premier lieu, ils se composent de quelques équations simples seulement. Et en second lieu, les solutions de ces équations sont complexes et parfois imprédictibles. L’analyse de ces modèles, et de comportements similaires lors d’expériences, est ce que nous appelons dorénavant la « théorie du chaos ». Si nous prenons la simple équation x² + c = résultat, où x est un nombre complexe variable et c un nombre complexe fixé, et que nous l’injectons continuellement le nombre variable (x) avec le résultat de l’équation – c’est-à-dire que nous appliquons une itération à l’équation –, des figures chaotiques telles que celles ci-dessous sont produites...

24

Des questions de comportement à long terme La théorie du chaos œuvre en posant des questions relatives au comportement à long terme d’un système. Au lieu de faire des prédictions quant à l’état futur d’un système, le chaos entreprend une étude qualitative du système, en se focalisant sur le comportement qui est instable et apériodique. L’astronomie classique, par exemple, s’emploie à déterminer quand un système de trois planètes s’alignera. En revanche, la théorie du chaos s’interroge : quelles circonstances aboutiraient à des orbites elliptiques ?

Ou circulaires ?

Quelles seront les caractéristiques communes à toutes les solutions de ce système ?

Comment ce système change, passant d’une forme de comportement à une autre ? 25

La signature du chaos Une caractéristique notable des systèmes étudiée par la théorie du chaos est le fait qu’un comportement apériodique instable peut être trouvé dans des systèmes mathématiquement simples. Des modèles mathématiques extrêmement simples, rigoureusement définis, peuvent exhiber un comportement superbement complexe. Une autre caractéristique notable des systèmes chaotiques est leur dépendance sensitive aux conditions initiales – des changements infinitésimalement petits au départ engendrent des changements plus grands par la suite. Ce comportement est appelé la signature du chaos.

Certains scientifiques voient cette caractéristique des systèmes chaotiques comme une source importante de nouveauté et de diversité dans notre monde naturel.

D’autres scientifiques y voient une frontière, contre laquelle la connaissance humaine s’accumule par rapport aux limitations – où la nature décrète : « À partir d’ici, vous ne pouvez plus progresser. » 26

La petite diablesse Pour expliquer la dépendance sensitive, le physicien mathématicien David Ruelle [1935-] raconte cette histoire. « La petite diablesse, qui n’avait sans doute rien de mieux à faire, décide un jour de bouleverser votre existence. Pour cela, la diablesse perturbe le mouvement d’un seul électron dans l’atmosphère. Mais vous ne remarquez rien. Pas encore. Une minute plus tard, la structure de la turbulence dans l’air a changé. Vous ne remarquez toujours pas que quelque chose ne va pas. Mais deux semaines plus tard, le changement a pris des proportions bien plus grandes, et alors que vous pique-niquez avec quelqu’un d’assez important, le ciel s’ouvre et une averse de grêle éclate. À présent, vous vous rendez compte de ce que la petite diablesse a accompli. En réalité, elle voulait vous tuer dans un accident d’avion, mais je l’en ai dissuadée. »

Passons maintenant en revue l’histoire de la théorie du chaos et faisons connaissance avec les personnes qui ont contribué à la modeler. 27

Benoît Mandelbrot et la géométrie fractale Benoît Mandelbrot [1924–2010], mathématicien franco-américain d’origine polonaise, qui a travaillé pour IBM, a développé le domaine de la géométrie fractale, qui a joué un rôle clef dans l’émergence de la théorie du chaos. Il a accompli la majorité de son travail pionnier durant les années 1970 et a publié ses découvertes dans un livre savant intitulé Fractals: Forms, Chance and Dimensions (Les objets fractals : forme, hasard et dimension). Personne ne comprenait ce qu’il racontait – en grande partie parce que sa prose était difficile à appréhender. En 1977, une réédition très épurée de ce livre a été publiée, The Fractal Geometry of Nature (La Géométrie fractale de la nature) – et la géométrie fractale a suscité l’intérêt des scientifiques.

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Chaos et ordre en économie Mandelbrot, un « mathématicien touche-à-tout », a commencé ses travaux en économie. Les économistes pensaient que les petits changements transitoires et les grands changements, sur le long terme, n’avaient rien en commun. Mandelbrot a étudié cela – mais sans faire de distinction entre les petits et les grands changements. Il a considéré le système comme un tout. J’ai introduit les données des prix du coton, sur plusieurs années, dans des ordinateurs. Je me suis rendu compte que si chaque variation de prix en particulier était aléatoire et imprédictible, la séquence des variations était quant à elle indépendante de l’échelle des observations.

En réalité, les courbes des variations de prix quotidiennes et mensuelles coïncidaient parfaitement. Le degré de variation était resté stable pendant soixante ans, une période englobant deux guerres mondiales et une dépression. En d’autres termes : dans le chaos, il y avait de l’ordre. 29

Du chaos dans les lignes téléphoniques Mandelbrot a travaillé également sur des lignes téléphoniques utilisées pour transmettre des informations d’un ordinateur à un autre. Le problème de bruits parasites sur les lignes laissait les ingénieurs perplexes. Le courant transporte l’information sous forme de « paquets discrets » sur les lignes. Mais certains bruits impromptus ne pouvaient être éliminés. Parfois, ils effaçaient le signal, induisant une erreur. L’interférence était aléatoire, mais se produisait par paquets.

J’ai commencé mes recherches en analysant le temps, divisant la journée en deux parties, puis en divisant cette période en deux, et ainsi de suite.

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Il trouva une heure sans aucune erreur. Mais en divisant une heure comprenant des erreurs en deux, il trouva à nouveau une période sans erreur et une période avec des erreurs. À nouveau, lorsqu’il divisa la période avec erreurs en deux, le même phénomène se produisit – une période sans erreur et une période avec des erreurs. Il y avait toujours un laps de temps sans erreur – et il y avait une relation géométrique systématique entre les décharges d’erreurs et les périodes de temps où la transmission était claire.

Ce phénomène était incompréhensible pour les ingénieurs, mais connu des mathématiciens sous le nom d’ensemble de Cantor – un motif créé en retirant des segments d’une ligne, puis en retirant des segments des segments, et ce, jusqu’à l’infini, laissant une poussière de points disposés en amas. Au lieu d’augmenter l’intensité du signal afin de noyer l’interférence, il a été conseillé aux ingénieurs de convenir d’un signal plus faible et d’accepter que des erreurs surviennent. Ils devaient trouver le moyen de les capturer et les modifier. 31

Mesurer la longueur de la côte Dans un article célèbre, Mandelbrot demandait « Quelle est la longueur de la côte de la Grande-Bretagne ? » Supposons que nous mesurions le littoral britannique à l’aide d’une règle en bois d’un mètre. La réponse sera approximative, puisque les petits coins et recoins seront négligés par cette règle en particulier. Mais admettons que nous mesurions le littoral avec une graduation plus petite, disons 10 cm, et que nous réitérions l’opération. Nous trouverons une longueur totale plus grande, car la règle pourra rentrer dans ces espaces plus petits et les compter.

Si nous prenons une règle de 5 cm, la mesure sera encore plus grande. Donc si nous mesurons le littoral à une échelle de plus en plus petite, la réponse sera de plus en plus grande. Au fur et à mesure que nous nous approchons d’une très petite échelle de mesure, le littoral devient de plus en plus grand, sans limite. 32

La dimensionnalité fractale Mandelbrot a suggéré que nos observations dépendent de notre position et de la manière dont nous les mesurons. Prenons un ballon de football. De loin, il ressemble à un disque en deux dimensions. En nous en approchant, il devient un objet en trois dimensions.

Alors qu’en est-il des zones comprises entre les points « loin » et « proche » ? À quel moment un objet en deux dimensions se transforme-t-il en un objet en trois dimensions ?

Mandelbrot a donné aux systèmes ayant une dimensionnalité fractale le nom de fractales. La côte de la Grande-Bretagne est un exemple de fractale. Et, soutenait-il, la seule façon de résoudre ce problème consiste à quitter le domaine tridimensionnel classique pour ce qu’il appelait les « dimensions fractales ». 33

Que sont les fractales ? La géométrie que nous utilisons tous est attribuée à Euclide, un mathématicien grec [environ 300 av. J.-C.]. Les formes euclidiennes sont régulières – triangles, carrés, cercles, rectangles. La géométrie fractale est la géométrie propre à des types particuliers de formes irrégulières. Les fractales offrent un moyen de mesurer des qualités qui, autrement, ne posséderaient pas de définition claire : le degré de rugosité ou de fragilité ou d’irrégularité dans un objet.

En effet, une fractale constitue un moyen d’entrevoir l’infini.

Mandelbrot : « J’ai inventé le terme fractale en 1975 à partir du latin fractus, qui décrit une pierre brisée – cassée et irrégulière. Les fractales sont des formes géométriques qui, à la différence de celles d’Euclide, ne sont pas du tout régulières. D’une part, elles sont irrégulières de partout. D’autre part, elles possèdent le même degré d’irrégularité à toutes les échelles. Un objet fractal semble identique qu’il soit observé de près ou de loin – il est autosimilaire. » 34

La notion d’autosimilarité implique que n’importe quel sous-système d’un système fractal est équivalent au système entier. Dans un triangle fractal, chaque petit triangle est structurellement identique au grand triangle. Quoique certaines fractales ne sont que statistiquement autosimilaires – leurs petits éléments agrandis ne se superposent pas au système entier –, mais elles présentent la même apparence générale.

Les fractales peuvent révéler la nature géométrique abstraite du chaos, particulièrement sous la forme d’infographies.

Au sein de la forme globale, il existe un schéma répétitif dont la sublime sous-structure caractérise la nature du chaos, en indiquant où la prédictibilité s’effondre. 35

Elles sont partout, les fractales… Les fractales nous offrent aussi un lien immédiat avec la nature. Les arbres et les montagnes sont des exemples de fractales. Elles sont partout.

Viens, je te montrerai mes fractales un jour !

36

L’ensemble de Julia Les fractales peuvent générer de splendides figures, dont certaines sont connues depuis des années. Gaston Julia [1898-1978] et Pierre Fatou [1878-1929] ont découvert, pendant la Première Guerre mondiale, l’ensemble de Julia. Ce dernier explore des nombres imaginaires dans un plan complexe. Les nombres imaginaires sont obtenus quand on recherche la racine carrée d’un nombre négatif. La racine carrée de –1 est désignée par i et la racine carrée de –4 est 2i. Mais à l’époque, personne ne s’était rendu compte de l’importance de ces ensembles pour « la physique du monde réel ». Mais ils obtenaient bien des

ensembles de figures lorsque

ces nombres étaient reportés sur un graphique – de belles figures sans style particulier.

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De l’utilisation des fractales De nos jours, la géométrie fractale est utilisée pour décrire de nombreux phénomènes complexes. Les fractales nous aident à comprendre la turbulence, non seulement comment elle survient, mais aussi le mouvement de la turbulence elle-même. Les vaisseaux sanguins peuvent être considérés aussi comme des fractales, puisqu’ils peuvent se diviser en segments de plus en plus petits. Ils accomplissent ce qui peut être décrit comme une « magie dimensionnelle », faisant tenir une grand surface dans un volume limité. Les poumons et le système digestif sont également fractals.

Il en est de même pour les tremblements de terre. On sait que la répartition des tremblements de terre se conforme à un modèle mathématique. Celui-ci a été découvert par les géologues et s’est révélé être fractal. Les dimensions fractales d’une surface métallique nous renseignent aussi quant à la résistance de ce métal. 38

Mandelbrot a prêté aussi son nom à cette célèbre fractale – elle est connue sous le nom (comment pouvait-il en être autrement ?) d’ensemble de Mandelbrot. Des millions de personnes de par le monde ont admiré les fractales mathématiques – sans le savoir – assis devant la trilogie Star Wars.  Les images de paysages extraterrestres avaient été générées par ordinateur au moyen de fractales. En effet, les fractales constituent aujourd’hui une part importante des effets spéciaux dans les films.

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Edward Lorenz Edward Lorenz [1917–2008], un météorologue, fut le premier à rapporter un cas connu de comportement chaotique. Lorenz avait commencé son travail postdoctoral en 1948 au Département de météorologie du Massachusetts Institute of Technology. En 1955, il devint directeur d’un projet portant sur les prévisions statistiques météorologiques, un domaine dont son département fut le pionnier. Le premier chaos généré mathématiquement que j’ai rencontré avait été produit en utilisant un modèle primitif d’un système météorologique global. Ce modèle était censé donner une vague idée de la manière dont se comportait réellement le temps. Il comprenait 12 variables.

À l’instar des astronomes des xviiie et xixe siècles, Lorenz a réalisé les calculs à la main pour estimer les solutions. 40

Plus tard, en faisant appel à des modèles informatiques de l’atmosphère terrestre et des océans, Lorenz a étudié les corrélations entre trois facteurs météorologiques non linéaires : la température, la pression atmosphérique et la vitesse du vent.

J’ai découvert que de très petits changements dans les conditions initiales produisaient des réponses imprédictibles avec des variations très étendues. Comment un simple modèle à trois équations pouvait-il mener à des résultats aussi étranges ?

Lorenz dut admettre que ce type de réponse était inhérent à son modèle. En 1963, il publia ses résultats dans un article intitulé « Deterministic Nonperiodic Flow » (Flux non périodique déterministe) dans le Journal of the Atmospheric Sciences. Les chercheurs ont mis presque une décennie pour saisir l’importance de ce papier. 41

Petites différences, grandes conséquences La découverte du phénomène du chaos par Lorenz est relatée souvent dans une histoire amusante. Un jour de 1961, la légende veut que Lorenz décida de prendre un raccourci avec sa machine météorologique. Il voulait étudier une séquence plus en détail. Ainsi, au lieu de relancer tout le programme informatique depuis le début, il le relança à mi-parcours. Il rentra directement les chiffres d’une précédente impression, puis partit se chercher un café. En revenant, il eut du mal à en croire ses yeux.  La nouvelle météo générée n’avait plus rien à voir avec l’originale. Il s’agissait de deux systèmes totalement différents ! Lorenz a réalisé alors ce qu’il s’était passé. Il avait reporté la valeur 0,506, la valeur enregistrée sur l’impression, alors que la valeur originale enregistrée dans la mémoire de l’ordinateur était 0,506 127. Cette petite différence – de 1 pour 5 000 – n’était pas sans conséquences. Lorenz comprit que de minuscules différences dans les conditions initiales – un souffle de vent par exemple – pouvaient s’avérer catastrophiques.

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Les conséquences de sa découverte furent expliquées par Lorenz en ces termes : « Cela implique que deux états ne différant que par des quantités imperceptibles peuvent évoluer finalement vers deux états considérablement différents. Alors, s’il y a une quelconque erreur d’observation de l’état présent – et dans n’importe quel système réel, de telles erreurs semblent inévitables –, une prévision acceptable de l’état instantané dans un futur lointain pourrait bien être impossible. »

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L’exemple de la roue à eau L’un des exemples pris par Lorenz pour démontrer le chaos est la roue à eau. Ce dispositif mécanique simple est capable d’adopter un comportement étonnamment complexe. À certaines vitesses lentes, le système fonctionne bien.

Mais lorsque le débit d’eau est augmenté, la roue tourne plus vite, les seaux ont peu de temps pour se remplir ou se vider et le comportement du système devient chaotique.

La rotation va alors ralentir, voire même changer de sens. Dans ces conditions, elle ne se répète jamais sous forme de schémas prédictibles. Quand le comportement chaotique de la roue à eau est traduit graphiquement, il génère une très belle figure – une double spirale dans l’espace, connue sous le nom d’« attracteur étrange ». 44

Les attracteurs étranges En général, les systèmes complexes possèdent une propriété que les mathématiciens appellent attracteurs. Ces derniers représentent les états dans lesquels le système finit par se stabiliser, qui dépendent des propriétés du système.

Imaginons une bille qui tourne rapidement dans un bol. La bille finit par se stabiliser au fond du bol. Le point où se stabilise la bille attire la bille.

Une autre manière de considérer les attracteurs est d’examiner des situations du monde réel où certains modes de comportement imaginables ne peuvent se produire. Le pendule d’une horloge qui fonctionne bien n’oscille pas doucement à certains moments et violemment à d’autres. Les températures arctiques ne se rencontrent pas près de l’équateur. Normalement, les cochons ne volent pas (allusion à un vers de Lewis Carroll dans Through the Looking-Glass and What Alice Found There, 1872). Des choses peu ordinaires qui ont bien lieu appartiennent par conséquent à une sphère particulière – ou, traduit en termes techniques, à un ensemble restreint. Il s’agit de l’ensemble des attracteurs. 45

Attracteurs culturels et identitaires L’équivalent culturel des attracteurs serait les chefs, les tribus, les états et tout ce qui nous confère une identité, comme la religion, la classe sociale et les visions du monde.

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Les attracteurs chaotiques Il existe maintenant une catégorie d’attracteurs qui sortent un peu de l’ordinaire – connus sous le nom d’« attracteurs étranges » ou « chaotiques ». Ils comprennent un nombre infini de courbes, surfaces ou solides aux dimensions plus grandes. Ils sont en réalité des objets fractals.

Les attracteurs étranges vivent dans une construction mathématique appelée espace des phases. L’espace des phases est un espace imaginaire – il offre un moyen de transformer des nombres en images, en produisant une cartographie flexible de toute l’information disponible. Définissons « l’espace des phases ». 47

Représenter l’espace des phases Nous connaissons les dessins d’architecte représentant des bâtiments en trois dimensions sur un plan en deux dimensions. Mais supposons qu’au lieu d’un objet fixe (un bâtiment), nous ayons un objet mobile – un pendule par exemple. Nous pouvons représenter les mouvements horizontaux et verticaux du pendule sur un graphique en deux dimensions. L’axe horizontal et l’axe vertical nous renseignent sur la position du pendule.

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De même, l’espace des phases représente l’état d’un objet dans un plan multidimensionnel. Le mouvement du simple pendule pourrait être montré sur un graphique où l’axe des abscisses x correspond à l’angle de déplacement par rapport à la verticale et l’axe des ordonnées y à la vitesse angulaire du pendule. Sur ce graphique d’espace des phases, le simple pendule est considéré comme un cercle. L’espace des phases transforme des données statistiques sans intérêt en une image très parlante, résumant toute l’information essentielle des parties mobiles et nous fournissant une vue d’ensemble du comportement du système au cours du temps facile à appréhender. Dans l’espace des phases, l’état complet des connaissances d’un système dynamique à un instant donné se réduit à un point. Ce point représente alors le système dynamique à cet instant. À l’instant d’après, le système aura évolué, entraînant un déplacement du point.

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L’espace des phases facilite l’observation d’un système dynamique

C’est l’image qu’une mouche volant dans une pièce aurait d’un système fluctuant.

Flux

vitesse

Espace des phases

temps

vitesse

1. Stationnaire

2. Périodique

vitesse

temps

3. Quasi périodique

temps

Les boucles correspondent à la périodicité, les torsions aux changements et l’espace vide à l’impossibilité physique. 50

Qu’y a-t-il d’étrange chez les attracteurs étranges ? Premièrement : ils ont une étrange allure. Un objet imaginaire multidimensionnel paraîtra forcément étrange. Deuxièmement : le mouvement sur les attracteurs étranges a une dépendance sensitive aux conditions initiales. Troisièmement : les attracteurs étranges réconcilient des effets contradictoires : (a) ils sont des attracteurs, ce qui signifie que les trajectoires proches convergent vers eux ; et (b) ils affichent une dépendance sensitive aux conditions initiales, ce qui signifie que des trajectoires initialement proches des attracteurs divergent rapidement. Quatrièmement : – et c’est là que ça se complique – alors que les attracteurs étranges existent dans un espace à dimensions infinies (l’espace des phases), ils n’ont eux-mêmes qu’un nombre fini de dimensions.

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L’attracteur de Lorenz Le plus célèbre attracteur étrange est connu sous le nom d’attracteur de Lorenz, car il a été découvert en premier par Lorenz. Voici ce à quoi il ressemble.

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L’expression « attracteur étrange » a été inventée par David Ruelle, professeur honoraire de physique théorique à l’Institut des hautes études scientifiques, à Bures-sur-Yvette en Essonne. Il a introduit le terme au début des années 1970 dans un article coécrit avec un collègue, dans lequel il avançait que la turbulence des fluides est un exemple de chaos. L’expression « attracteur étrange » a suscité des objections. Par exemple, les mathématiciens russes Boris Chirikov [1928-2008] et Felix Izrailev suggèrent que les attracteurs étranges ne sont étranges que pour un étranger. Ces figures infiniment complexes de courbes et surfaces sont précisément celles auxquelles nous nous attendions.

Même si nous étions peu nombreux à réellement nous y attendre.

Cependant, le nom a séduit la majorité des scientifiques et le terme est resté. Les attracteurs étranges ont ravivé la flamme de la théorie du chaos. Dorénavant les chercheurs se mettent en quête partout d’attracteurs étranges – dans tout système ayant un comportement en apparence aléatoire. 53

L’effet papillon Le nom de Lorenz est associé également au concept de « l’effet papillon ». En 1972, lors d’une conférence à Washington, il présenta un article intitulé « Does the Flap of a Butterfly’s Wings in Brazil Set Off a Tornado in Texas? » (Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ?). En réalité, il ne répondait pas à la question.

Il remarqua toutefois que si un seul battement d’une aile pouvait générer une tornade, il pouvait alors aussi empêcher une tornade. De plus, un seul battement n’aurait pas plus ou moins d’effet que n’importe quel autre battement de n’importe quelles ailes d’un autre papillon.

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Deux facteurs ont assuré à « l’effet papillon » de devenir un emblème du chaos. Premièrement, parmi les premiers systèmes chaotiques étudiés par Lorenz figurait le célèbre « attracteur étrange » qui ressemblait à un papillon. Il était normal pour certaines personnes de supposer que le nom d’« effet papillon » provenait de cet attracteur. Deuxièmement, James Gleick [1954-] a conféré un statut mythique à « l’effet papillon » dans son best-seller Chaos (1988). « L’effet papillon » souligne le fait que les conditions initiales et les petites perturbations sont très importantes dans le chaos.

Dans la nouvelle « A Sound of Thunder » (Un coup de tonnerre.), de Ray Bradbury [1920-2012], la mort d’un papillon préhistorique modifie le résultat d’une élection présidentielle aujourd’hui.

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David Ruelle Le physicien mathématicien David Ruelle a redonné un coup de fouet à la théorie du chaos avec ses travaux sur la turbulence. Pendant des décennies, la turbulence avait été un problème majeur pour les physiciens. Werner Heisenberg [1901–1976], qui a contribué au « principe d’incertitude » en physique quantique, s’en souciait encore probablement sur son lit de mort. Mon Dieu ! Pourquoi la relativité ? Et pourquoi aussi la turbulence ?

Moi-même, Je n’ai pas de réponse pour la turbulence.

Alors la turbulence est le cimetière des théories.

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Qu’est-ce que la turbulence ? Vous pouvez voir la turbulence en action en allant faire un petit tour à la salle de bain. Ouvrez à peine le robinet, tout doucement, et vous pourrez obtenir un écoulement d’eau stable entre le robinet et l’évier. La colonne d’eau paraît immobile – mais le robinet est, bien évidemment, toujours ouvert. Si vous ouvrez un peu plus le robinet – avec précaution – vous pourriez être capable d’obtenir des pulsations régulières de la colonne d’eau. C’est le mouvement périodique.

En ouvrant un peu plus le robinet, les pulsations deviennent irrégulières. Finalement, lorsque le robinet est grand ouvert, c’est le désordre le plus complet – l’écoulement d’eau est très irrégulier. C’est la turbulence.

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Comment la turbulence survient-elle ? La turbulence est un désordre absolu à toutes les échelles. Elle est instable et extrêmement dissipative, cela signifie qu’elle absorbe de l’énergie et crée une traînée. Le mystère qui subsiste est comment un flux régulier, stable devient turbulent ?

Comment une volute de fumée de cigarette montant doucement se divise-t-elle soudainement en plusieurs filets de fumée ?

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L’approche de Ruelle En réalité, les équations d’écoulement de fluide sont généralement impossibles à résoudre. Ce sont des équations différentielles partielles non linéaires. Ruelle décida qu’il tenterait d’élaborer une alternative condensée de l’approche traditionnelle.

J’ai suggéré que trois mouvements indépendants étaient la cause de toutes les complexités de la turbulence.

Ruelle publia son analyse en 1971, dans un article intitulé « On the Nature of Turbulence » (de la nature de la turbulence), coécrit avec Floris Takens [1940-2010], un mathématicien néerlandais. (En réalité, Ruelle était l’un des éditeurs du journal et a validé lui-même la publication de l’article. En général, ce n’est pas une procédure conseillée, mais il a estimé qu’elle était justifiée dans ce cas particulier.) 59

Bien qu’une grande partie des mathématiques dans l’article de Ruelle était obscure voire tout simplement fausse, certains éléments firent forte impression. Le flux turbulent n’est pas décrit, comme on le pense généralement, par des superpositions de nombreux modes, mais par des attracteurs étranges.

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Son utilisation du terme « attracteur étrange » se révéla déterminante.

De nouvelles questions furent soulevées. Comment un nombre infini de boucles et de spirales pourrait-il être contenu dans un espace fini ? Comment peut-il se passer autant de choses dans un espace aussi minuscule ? Pourquoi faut-il invoquer la logique infinie pour comprendre ce que va faire un point dans le temps ? Ruelle suspectait que les schémas visibles dans un flux turbulent – qui vont et viennent de manière aléatoire – devaient être liés à des lois qui n’avaient pas encore été découvertes. L’une des choses que l’on savait sur la turbulence était le fait qu’un large spectre de cycles étaient présents simultanément. Mais comment pouvait-on représenter cela ? Cela pouvait-il émerger de simples équations ? L’attracteur aurait dû être stable et représenter l’état final du système dynamique. Il aurait dû être aussi non périodique, ne jamais se répéter et ne jamais se traverser non plus. Pour produire tous les rythmes, il devrait être infiniment long dans un espace fini – soit une fractale.

Mais l’expression « attracteur étrange » n’était pas encore connue alors. Ruelle soutenait qu’un tel objet devait exister.

Il prit sa revanche lorsque des attracteurs étranges commencèrent à apparaître ici et là, de l’Allemagne au Japon. 61

Robert May et les populations animales Robert May [1936-], un biologiste mathématicien australien qui travaillait à l’université de Princeton et fut nommé plus tard professeur à la Royal Society à l’université d’Oxford, est l’auteur de travaux pionniers sur la dynamique des populations qui ont aidé à mettre en forme la théorie du chaos.

J’ai étudié des populations de proies-prédateurs et j’ai découvert que des forces de rétroaction non linéaires dans l’environnement induisaient des changements pseudo-aléatoires au sein des populations animales. 62

La population de certaines espèces, les antilopes par exemple, varie d’une année sur l’autre et le nombre total d’animaux d’une année particulière donne une bonne indication du nombre d’animaux l’année suivante. À la différence du pendule ou d’une boule sur une table de billard, les populations animales n’obéissent pas à ma « loi de Newton ».

La sagesse populaire admet que, généralement, la population fluctuera autour d’une valeur – en fonction des prédateurs, de l’apport en nourriture, de l’environnement et des maladies, tous ces paramètres jugulant le nombre d’animaux.

Ainsi, si une population dépasse un certain niveau, les sources de nourriture vont diminuer, de plus en plus d’animaux seront affamés et mourront de faim, et la population retournera alors à son état « normal ». L’année où l’on compte une plus forte population suivra donc une année où la population est de taille moyenne. 63

Les bifurcations de May Dans les années 1970, les recherches de May ont révélé que les équations employées pour décrire les fluctuations au sein des populations animales étaient plus complexes qu’elles ne semblaient de prime abord. Il constata que, lorsque le paramètre de croissance était très élevé, le système tendait à s’effondrer, et la population oscillait entre deux valeurs en alternance. Les écologistes avaient étudié ces équations auparavant. Mais ils cherchaient des constantes et ne s’intéressaient pas aux informations contenues dans les graphiques. May et ses collègues ont observé les graphiques et se sont rendu compte des « implications plus larges ».

Je considérais les équations toutes en même temps, comme un tout, non comme des points sur le graphique comme cela avait été fait précédemment.

May a assimilé sa découverte à un « serpent caché dans l’herbe mathématique » et les changements furent surnommés bifurcations, comme nous l’avons déjà vu page 18. Ses travaux ont confirmé l’idée que les systèmes biologiques sont gouvernés par des mécanismes non linéaires. 64

Le chaos dans les événements de la vie réelle May a observé que dans son laboratoire, les populations animales ne se comportent pas de manière chaotique. En effet, elles fluctuent autour d’une valeur en fonction de divers facteurs environnementaux – elles sont linéaires. Mais cela ne reflète pas ce qui se passe dans le monde réel où les populations connaissent des doublements périodiques. La réponse aux prédictions des populations animales incombe aux ordinateurs où, dans un monde imaginaire, le chercheur peut spécifier tous les facteurs pouvant affecter la vie des animaux.

De l’aléatoire environnemental est ajouté, par exemple en faisant varier le nombre d’œufs pondus par un insecte.

Bien que cette approche soit intéressante, elle ne permettait pas de couvrir en totalité tous les événements de la vie réelle. Les espèces interagissent, et nous ne pourrons jamais connaître tous les facteurs qui affectent un groupe d’animaux. Ou comme dit May : « Cette partie de l’histoire n’a malheureusement pas de chute ! » 65

Mitchell Feigenbaum : les schémas non linéaires Mitchell Feigenbaum [1944-], un chercheur postdoctorant du Massachusetts Institute of Technology, a été le premier à démontrer que le chaos n’est pas une bizarrerie mathématique mais une propriété universelle des systèmes à rétroaction non linéaires. Il a fourni la première preuve théorique significative que le chaos existe dans de nombreuses situations du monde réel.

Pendant mes recherches, j’ai remarqué qu’un certain schéma se transposait d’un système non linéaire à un autre. Il s’agissait de la valeur limite d’une séquence de nombres qui apparaissait dans les calculs. Sur ma calculatrice, cette valeur particulière était 4,669.

Feigenbaum consulta ses collègues, qui lui conseillèrent de vérifier ses résultats en utilisant plus de données et un ordinateur. L’ordinateur donna une valeur de 4,669 201 609 0. Cela a convaincu Feigenbaum qu’il se tramait quelque chose. 66

« Imaginons qu’un zoologiste de la Préhistoire décide que certaines choses sont plus lourdes que d’autres – elles possèdent une qualité abstraite qu’il nomme poids – et veuille étudier ce concept scientifiquement. En réalité, il n’a jamais mesuré de poids, mais il pense avoir une certaine compréhension du concept. Il observe de grands serpents et de petits serpents, de grands ours et de petits ours, et devine qu’il peut y avoir un rapport entre le poids et la taille de ces animaux. Il fabrique une balance et commence à peser les serpents. À son grand étonnement, tous les serpents pèsent le même poids. À sa grande consternation, tous les ours ont le même poids aussi. Et à sa plus grande stupéfaction, les ours et les serpents pèsent autant. Tous pèsent exactement 4,669 201 609 0. Il est clair que le poids n’est pas ce qu’il avait imaginé. Tout le concept a besoin d’être repensé. » (Gleick, Chaos, p. 174)

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Des solutions faciles pour des problèmes difficiles Feigenbaum ne savait pas pourquoi la régularité se manifestait. Il supposa que ses fonctions numériques exprimaient des lois naturelles sur des systèmes se trouvant au point de transition entre ordre et turbulence. Des schémas dans les nombres impliquaient des schémas dans la turbulence. Il expliqua finalement sa découverte en inventant la notion d’universalité. Elle n’expliquait pas le phénomène, mais marquait tout de même une différence entre les belles mathématiques et la théorie utile. L’universalité suggère qu’en résolvant un problème facile,  les physiciens peuvent résoudre des problèmes bien plus ardus. Les réponses seront identiques. Cela signifie aussi que des systèmes différents auront un comportement identique.

Les physiciens trouvaient cela difficile à encaisser, car ils avaient toujours cru que des problèmes difficiles nécessitaient des solutions difficiles. La communauté scientifique mit donc du temps et fut tourmentée avant d’accepter la découverte de Feigenbaum. 68

Ilya Prigogine et les systèmes dissipatifs Le chimiste belge Ilya Prigogine [1917–2003] est l’un des véritables pionniers du chaos. Il a reçu le prix Nobel de chimie en 1977 pour ses travaux sur les structures dissipatives. Prigogine fut le premier à introduire les concepts de systèmes dissipatifs et d’auto-organisation, et à démontrer que les conditions qui donnent naissance aux structures sont « loin de l’équilibre ».

Certaines parties de l’Univers sont des zones fermées qui fonctionnent comme des machines, mais elles constituent seulement une petite partie de l’Univers. La plupart des autres zones sont ouvertes et échangent de l’énergie ou de l’information avec leur environnement.

Les systèmes biologiques et sociaux sont ouverts, par conséquent les appréhender en termes mécaniques ne marchera pas. La majeure partie de la réalité n’est pas stable, mais pleine de désordre et de variations. 69

Du désordre à l’ordre Prigogine fait une distinction entre les systèmes « à l’équilibre », ceux « proches de l’équilibre » et ceux « loin de l’équilibre ». Une petite population au sein de laquelle quelques naissances et décès en plus n’affectent pas beaucoup la situation est à l’équilibre. Cependant, si le taux de natalité venait à augmenter soudainement de façon incontrôlée, alors d’étranges phénomènes pourraient apparaître – « loin de l’équilibre ». Dans les systèmes loin de l’équilibre, nous constatons que la matière est réorganisée considérablement. Il y a une transformation d’un état de désordre – le chaos thermique – à un état d’ordre. De nouveaux états dynamiques de matière peuvent être créés – états qui reflètent les interactions d’un système donné avec son environnement. Prigogine nomma ces structures structures dissipatives, car il faut plus d’énergie pour les maintenir. En général, les structures dissipatives impliquent un certain processus d’amortissement, tel que la friction.

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Auto-organisation et temps De plus, quand un système loin de l’équilibre entre dans une période chaotique, il évolue vers un niveau d’ordre différent « spontanément » grâce à ce que Prigogine appela l’« auto-organisation ». Au début, les idées de Prigogine sur l’auto-organisation furent très controversées. Mais il a ajouté aussi le temps à son équation du chaos et de la complexité.

Le temps est ce qui empêche que tout se passe au même moment.

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Le temps et le problème de l’entropie En physique newtonienne, le temps n’était qu’une « réflexion après coup ». Pour Newton, chaque moment était identique à n’importe quel autre. La machine pouvait avancer ou reculer dans le temps, cela importait peu. Cependant, la thermodynamique et sa seconde loi cruciale plaçaient le temps en position centrale. La machine se fatigue et le temps ne peut être qu’unidirectionnel. Vous ne pouvez pas compenser l’entropie – l’Univers est voué à une mort thermique. Selon Prigogine, le temps ne pouvait apparaître qu’aléatoirement. C’est seulement lorsqu’un système se comporte de manière suffisamment aléatoire que la distinction entre le passé et le futur, et par conséquent l’irréversibilité, peut être prise en compte pour le décrire.

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La source de l’ordre Dans certaines réactions chimiques, deux liquides mélangés ensemble diffusent jusqu’à ce que le liquide résultant soit homogène. Ils ne se « dé-diffusent » pas. À chaque moment, le liquide est différent, et par conséquent « orienté dans le temps ». Les chimistes considèrent cela comme une anomalie.

Ces processus unidirectionnels dépendant du temps ne sont pas des anomalies. L’inverse pourrait être vrai. Des systèmes fermés avec un temps réversible pourraient être anormaux.

Les processus irréversibles constituent en réalité la source de l’ordre – d’où le titre du plus célèbre livre de Prigogine, coécrit avec Isabelle Stengers, Order out of Chaos (l’ordre naît du chaos, 1984). 73

Prigogine : « Les études des cas loin de l’équilibre m’ont convaincu que l’irréversibilité joue un rôle constructif. Elle donne la forme. Elle crée des êtres humains. » Le temps irréversible n’est pas une anomalie, mais est lié au temps réversible. Il ne s’agit pas d’une situation SI/OU. La réversibilité s’applique uniquement aux systèmes fermés. L’irréversibilité s’applique au reste de l’Univers.

Et le chaos représente la flèche du temps.

Un mystère chaotique. Pourquoi Prigogine est-il absent de manière aussi évidente de tous les travaux de vulgarisation sur le chaos et la complexité ? 74

D’autres caractéristiques de l’auto-organisation Prigogine a défini l’auto-organisation comme le phénomène par lequel un système auto-organise sa structure interne, indépendamment des causes externes. De tels systèmes auto-organisés affichent aussi d’autres propriétés du chaos – non-linéarité, rétroaction, structures fractales et dépendance sensitive. Le physicien français Henri Bénard [1874-1939] avait donné une démonstration de l’auto-organisation – même avant que Prigogine établisse le concept. L’expérience de Bénard était la suivante. Il plaçait du liquide dans un récipient qu’il chauffait par en dessous.

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Au départ, quand l’écart de température entre la base chauffée et le haut frais était faible, la chaleur était transmise par conduction sans que de macromouvement ne soit observé dans le liquide. Plus tard, cependant, alors que l’écart de température entre la base et le haut avait augmenté, un seuil était atteint. Le mouvement dans le liquide devenait instable et chaotique, et soudainement un nouveau schéma ordonné apparaissait alors. Les molécules du liquide, qui se déplaçaient de manière aléatoire, exhibaient un macromouvement clair en rouleaux plusieurs millions de fois plus grands qu’elles-mêmes. Quand le liquide était contenu dans un récipient rond, le mouvement des rouleaux formait une figure hexagonale à la surface du liquide. Cette figure est le résultat combiné du liquide chaud remontant par le centre des cellules en nid d’abeille et du liquide refroidi descendant le long des parois. Tout cela semble résulter d’une force, mais nulle force n’est en jeu. L’ordre est spontané. C’est l’auto-organisation en action !

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Les systèmes s’auto-organisant ont trois caractéristiques principales. 1. Ils sont ouverts et font partie de leur environnement, et pourtant ils peuvent parvenir à une structure et la maintenir dans des conditions loin de l’équilibre. Cela ébranle la vision classique selon laquelle les systèmes doivent être étudiés comme s’ils étaient isolés de leur environnement. Ces systèmes contredisent aussi la seconde loi de la thermodynamique qui stipule qu’ils devraient tendre vers le désordre, et non l’ordre, moléculaire. 2. Le flux d’énergie au sein de ces systèmes les autorise à s’autoorganiser spontanément – créant et maintenant une structure dans des conditions loin de l’équilibre. De tels systèmes créent aussi des structures inédites et de nouveaux modes de comportement. Ainsi, les systèmes auto-organisés sont dits « créatifs ». 3. Les systèmes auto-organisés sont complexes, et ce, de deux manières. En premier lieu, leurs parties sont si nombreuses qu’il est impossible d’établir un lien de cause à effet entre elles. En second lieu, leurs composants sont interconnectés via un réseau de boucles de rétroaction.

La vie elle-même est une expression d’auto-organisation.

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Chaos, période trois Tien-Yien Li [1945-] et James Yorke [1941-], deux mathématiciens américains travaillant à l’université du Maryland, sont crédités de l’invention du terme « chaos ». Le terme fut introduit pour la première fois dans leur article abondamment cité publié en 1975, au titre étrange « Period Three Implies Chaos » (« Période 3 implique chaos »). Qu’est-ce que la période trois ?

Une séquence de période trois est une séquence dans laquelle chaque état est identique à celui s’étant produit trois étapes plus tôt.

Mais pas à l’état s’étant produit une ou deux étapes plus tôt.

Li et Yorke ont démontré qu’il était impossible de mettre sur pied un système qui se répèterait avec une oscillation de période trois, sans produire de chaos. Yorke explique sa découverte en ces termes : « Dans n’importe quel système unidimensionnel, si un cycle régulier de période trois apparaît, alors ce même système va produire également des cycles réguliers de toutes les autres longueurs, ainsi que des cycles totalement chaotiques. » 78

Formulons cela autrement. Considérons une population d’insectes, par exemple. Pour une population donnée, lorsque le paramètre taux de croissance de la population, r, est augmenté, la population augmente aussi au début. Puis, parvenue à un point critique, deux lignes apparaissent – la bifurcation. Cela correspond à une population passant d’un cycle annuel à un cycle bisannuel. Ces deux lignes vont elles-mêmes se dédoubler au fur à mesure que le taux de croissance est augmenté et le schéma de renouvellement de la population va s’effondrer petit à petit. Soudain, le chaos apparaîtra, avec des pans entiers du graphique noircis. Puis, tout aussi soudainement, apparaîtront des fenêtres de régularité, toujours impaires, telles que 3 ou 7.

Cela signifiait que la population oscillait à ce moment-là selon un cycle de 3 ou 7 ans.

Tout système qui se répète lui-même avec une oscillation de période trois génèrera du chaos. Il ne peut exister sans cela. 79

Cette description technique du chaos semble être en adéquation avec la définition non technique du chaos. Donc, qu’ils en aient eu l’intention ou non, Li et Yorke ont réussi à établir un nouveau terme scientifique. Chaos est un terme riche. Son application répandue comme nom pour une nouvelle science, une nouvelle perspective du monde naturel, ne véhicule pas avec précision ou clarté la nature des phénomènes que sa méthodologie a mise en évidence. De nombreux scientifiques sont d’avis que « chaos » est un nom pauvre pour cette nouvelle science, car elle implique de l’aléatoire. Pour eux, le message primordial de cette théorie est que de simples processus dans la nature peuvent produire des édifices de complexité sans qu’il y ait véritablement de l’aléatoire.

Avec la non-linéarité et la rétroaction, vous disposez de tous les outils nécessaires pour encoder puis déployer des structures aussi riches que le cerveau humain.

Après tout, chaos est bien son nom et le nom est resté.

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Vers le bord du chaos : la théorie de la complexité Dans les années 1980, l’étude du chaos a approfondi des situations du monde réel. Les scientifiques ont commencé à mettre sur pied des expériences qui recherchaient, et trouvaient, du chaos dans les systèmes physiques. C’était important car le chaos était retiré du monde de l’abstraction théorique pour devenir une caractéristique objective de la nature. Dans le même temps, le phénomène « au bord du chaos » commença à attirer une attention accrue des scientifiques dans la plupart des disciplines. Et les contours d’une science encore plus nouvelle commença à émerger – la complexité.

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Qu’est-ce que la complexité ? Les systèmes dynamiques non linéaires étudiés par la théorie du chaos sont complexes, en ce sens que de très nombreuses variables indépendantes interagissent d’une multitude de façons différentes. Ces systèmes complexes sont capables d’équilibrer l’ordre et le chaos. Ce point d’équilibre – appelé le bord du chaos –, où le système est momentanément suspendu entre stabilité et disparition totale dans la turbulence, possède de nombreuses propriétés particulières. La complexité est la nouvelle science des systèmes complexes. Elle étudie « la vie au bord du chaos » et explore les propriétés de systèmes complexes se trouvant dans cet état.

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Quelles sont les caractéristiques spécifiques que les systèmes complexes exhibent au bord du chaos ? Les véritables richesse et diversité des interactions entre une foule de variables interdépendantes permettent aux systèmes complexes de s’auto-organiser. Le processus d’auto-organisation se produit spontanément – comme par magie ! Imaginez un vol d’oiseaux décollant pour rejoindre leur lieu de migration. Ils s’ajustent et s’adaptent à leurs voisins, et s’auto-organisent inconsciemment en nuée.

Simplement par le fait d’acheter et vendre, les personnes s’auto-organisent en une économie.

Et cela se produit automatiquement, sans que quiconque dirige le processus ou le planifie consciemment.

Les atomes forment des liaisons chimiques entre eux et s’organisent en molécules complexes. L’auto-organisation spontanée est l’un des principaux emblèmes des systèmes complexes. 83

Adapter et mettre en relation L’autre caractéristique principale des systèmes complexes est leur nature adaptative. Les systèmes complexes ne sont pas passifs – ils répondent activement pour transformer tout ce qui se passe à leur avantage. Les espèces s’adaptent aux changements de leur environnement. Les marchés réagissent aux conditions évolutives (prix, progrès technologiques, changements de style de vie, etc.). Le cerveau humain organise et réorganise constamment ses milliards de connexions neuronales afin d’apprendre d’expériences. Les systèmes complexes mettent aussi en évidence les interrelations entre les choses.

La complexité souligne

l’interconnexion de toutes les choses.

Tout est connecté à tout le reste : les arbres aux climats, les personnes à l’environnement, les sociétés entre elles. Nous ne sommes plus seuls. Rien ne l’est. 84

Quelle différence y a-t-il entre la complexité et la théorie du chaos ? La complexité traite la manière dont les choses surviennent, tandis que le chaos tend à observer et étudier des comportements instables et apériodiques. Le chaos cherche à comprendre la dynamique qui sous-tend un système complexe. La complexité se saisit de questions vraiment fondamentales.

Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Qu’est-ce que la vie ? Pourquoi les marchés boursiers craquent-ils ?

Pourquoi l’Empire soviétique s’est-il effondré en quelques mois ?

Pourquoi d’anciennes espèces restent-elles stables sous forme de fossiles pendant des millions d’années ?

Le journaliste scientifique Roger Lewin [1944-] dit que « tout comme la théorie de la vie au bord du chaos, la complexité comprend l’ensemble, depuis le développement embryonnaire, l’évolution, la dynamique des écosystèmes, les sociétés complexes, jusqu’à Gaïa (ancêtre maternelle de races divines selon la mythologie grecque) – c’est une théorie de tout. » 85

Au-delà de l’entropie La plus grande contribution de la complexité a été de montrer que la seconde loi de la thermodynamique ne saurait suffire. La seconde loi introduit « la flèche du temps » en physique et énonce que l’entropie, ou désordre, dans l’Univers ne peut aller que dans une seule direction – elle peut seulement augmenter. L’Univers est condamné à un état définitif de désordre absolu. La complexité montre que tous les systèmes ne tendent pas vers le désordre ou entropie.

La nature renferme un désordre profond, qui « émerge », pense-t-on, naturellement.

De nouvelles variables font leur apparition au fil du temps et n’exigent pas de force extérieure pour « exister ». Cela ne pose aucun problème aux physiciens, mais davantage aux biologistes, car cela semble contredire les idées darwiniennes. De nombreuses recherches récentes sur la complexité ont été réalisées à l’Institut de Santa Fe, un établissement de recherche interdisciplinaire d’excellence, établi en 1984, avec comme but précis de développer la théorie de la complexité. 86

Ensemble, le chaos et la complexité semblent commander notre monde. Tout ce qui est réel est chaotique – les vols dans l’espace, les circuits électroniques, les déserts, l’écologie des jungles, la bourse, les économies nationales… La liste est sans fin. Et tous les systèmes vivants, et la plupart des systèmes physiques, sont des systèmes complexes.

Étant donné leurs caractéristiques complémentaires, il paraît sensé de combiner le chaos et la complexité.

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La chaotique C’est ce que trois savants européens, George Anderla, Anthony Dunning et Simon Forge, suggèrent : « Ensemble, le chaos et la complexité forment la chaotique. » La chaotique, suggèrent-ils, pourrait servir à bâtir un cadre dans lequel des solutions inédites à des problèmes pourraient être trouvées, de même que de nouvelles manières d’aborder et de résoudre des problèmes sont explorées.

La chaotique impacte non seulement la réponse, mais aussi la pensée qui soulève la question.

Voyons comment le chaos et la complexité, ou la chaotique, s’appliquent au monde physique et comment ils modifient nos perceptions de la vie, de l’Univers et de tout ce qui se trouve entre les deux. 88

Chaos et cosmos Des dynamiques complexes sont observées partout dans l’Univers. Les galaxies tournoient sur elles-mêmes. Les supernovas explosent en ondes de choc, donnant naissance aux étoiles et aux marmites de chaos. Les trous noirs engloutissent l’énergie qui passe. Les étoiles à neutrons tournent à des vitesses de rotation frénétiques. Les planètes exhibent des schémas fractals qui signalent les processus chaotiques se produisant à leur surface.

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La découverte de Poincaré Avant l’avènement de la théorie du chaos, le système solaire était considéré comme un parfait exemple de « mécanique céleste ». En dépit du fait qu’au début du xxe siècle, le physicien et mathématicien français Henri Poincaré [1854–1912] avait montré qu’il y avait de sérieux problèmes dès lors que l’on considérait les orbites de plus de deux corps célestes. Il traça les orbites de trois planètes qualitativement dans l’espace des phases, puis étudia une partie de leur trajectoire.

Mes résultats suggèrent que la présence d’un troisième corps pourrait inciter une planète à tourner sur elle-même, à osciller, voire à quitter son orbite définitivement.

Ce que Poincaré avait découvert, bien que lui et les autres ne le savaient pas à l’époque, était le chaos. La découverte de Poincaré – impliquant que le système solaire était chaotique, à quelques décimales de l’annihilation – a été délaissée durant des décennies. 90

Les conditions de la stabilité Dans les années 1950 et 1960, trois scientifiques russes, Andrei Kolmogorov, Vladimir Arnold et Jurgen Moser, reprirent les travaux de Poincaré. Ils découvrirent que la stabilité d’un système planétaire à trois corps nécessite deux conditions essentielles. La première implique la résonance.

Deux mouvements périodiques quels qu’ils soient peuvent être en résonance, tels que deux lunes en orbite autour d’une planète.

Si l’une tourne autour de la planète une fois pendant que l’autre en fait deux fois le tour, on dit qu’elles sont en résonance 2: 1.

De plus, les deux lunes peuvent être en résonance avec la propre orbite de la planète.

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La stabilité quasi périodique Pour que trois planètes soient en orbite stable, il est nécessaire que leurs résonances ne s’expriment pas en rapports simples tels que 1:2 ou 2:3. Pour rester stables, les planètes doivent être quasi périodiques – c’est-à-dire que leurs périodes ne se répètent jamais à l’identique.

Si les périodes se répètent, la perturbation pourrait être amplifiée à chaque révolution et la résonance se met en place – c’est l’équivalent d’une rétroaction positive.

De petits événements dans cette situation peuvent avoir un effet majeur. Les orbites des planètes pourraient se « rompre », les propulsant dans l’espace. 92

Le théorème KAM La seconde condition de la stabilité des corps implique la gravitation. Les scientifiques russes ont formulé cette condition sous forme de théorème. Le théorème KAM, baptisé d’après les initiales de leurs noms, affirme : Si vous commencez par un système linéaire simple pour lequel une solution existe et que vous ajoutez une petite perturbation, le système restera qualitativement le même. En d’autres termes, si l’influence de la troisième planète n’est pas plus grande que l’attraction gravitationnelle exercée par une mouche en Australie…

… les trois corps conserveront des orbites stables.

Malheureusement, notre système solaire ne satisfait pas rigoureusement à ces conditions.

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Les lunes de Saturne Des études basées sur les données fournies par la sonde Voyageur II, lors de son survol de la planète Saturne en 1981, ont montré que de nombreuses lunes du système solaire ont connu un état chaotique à un moment ou un autre, avant de se stabiliser sur des orbites quasi périodiques. Hypérion, une lune de forme oblongue qui tourne autour de Saturne, est dans un tel état à l’heure actuelle. D’autres lunes, telles que la plus grande lune de Neptune, Triton, ont cannibalisé des satellites célestes en état chaotique. Les astronomes croient que l’orbite de Pluton (N.D.L.R. : nouvellement rétrogradée en planète naine et n’est plus la neuvième planète) peut aussi se trouver dans une région chaotique.

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Le chaos empêche les astéroïdes d’occuper certaines parties du système solaire. C’est la raison pour laquelle il y a des espaces vides dans la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter. Il existe aussi des espaces vides en orbite dans les anneaux de Saturne. Ces vides semblent être le résultat d’effets de rétroaction de la gravité, exercés par Saturne et ses lunes, rendant ces régions chaotiques et donc inhabitables.

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Un Univers chaotique Les astronomes sont encore loin de bâtir un modèle de la création du système solaire basé sur le chaos. Mais nous ne voyons plus le système solaire comme une simple horloge mécanique. Il s’agit d’un système complexe, en constante évolution.

Crois-tu qu’il y a un papillon en train de battre des ailes quelque part ? 96

Le chaos quantique L’Univers pourrait être lui-même un produit du chaos. Il est admis communément que certaines fluctuations ont créé les galaxies – des fluctuations qui ont eu lieu vers le début de la formation de l’Univers. Le chaos y a peut-être joué un rôle.  À l’époque, l’Univers était dans un état proche du chaos, et la seule description valable de ce qui s’est passé est une description quantique.

Par conséquent, ce qui s’est passé a pu être un chaos quantique.

Pour comprendre cette notion, nous devons évoquer brièvement la théorie de la physique quantique. 97

Une brève histoire de la théorie quantique La physique quantique est une théorie du microcosme qui ne s’applique qu’au monde atomique. Depuis les années 1920, nous savons que la physique classique de Newton n’est qu’une approximation de la physique qui décrit le monde subatomique. Au milieu des années 1800, les scientifiques commencèrent à se rendre compte que certains événements ne se conformaient pas aux lois de Newton.

La trajectoire d’une balle le pourrait – mais pas la courbe de rayonnement d’un objet chauffé.

Le problème majeur avec ce rayonnement est qu’un métal, une fois chauffé, émet plus de rayonnement à certaines fréquences qu’à d’autres.

Dans le cas d’un corps imaginaire, appelé corps noir, le graphique de l’intensité du rayonnement en fonction de la fréquence affiche une courbe bien connue. 98

Le problème du corps noir La quantité de rayonnement passe par un pic puis diminue. Le pic sera à des emplacements différents pour des températures différentes. Personne n’était parvenu à comprendre ce qu’il se passait jusqu’à ce que Max Planck [1858–1947], un professeur allemand de l’université de Berlin, se rende compte que la physique classique ne fonctionnait pas.

J’ai décidé d’envisager le rayonnement provenant de l’objet non comme un flux continu, mais sous forme de morceaux – ou quanta.

J’ai supposé l’existence d’une nouvelle constante, que j’ai appelée h, afin de faire correspondre ma courbe à celle expérimentale.

Au départ, il trouva cette hypothèse gênante, mais elle marchait bien et elle mena à une nouvelle découverte des plus étonnantes. La constante de Planck, telle que nous la connaissons, était liée à la structure des atomes. 99

Appliquer la constante de Planck Ernest Rutherford [1871–1937], le physicien nucléaire britannique, avait envisagé que le monde atomique se comportait comme un petit système solaire, où le noyau représentait le Soleil et les électrons les planètes. Niels Bohr [1885–1962] appliqua la constante de Planck au modèle de Rutherford.

J’ai découvert que cela expliquait beaucoup de choses, telles que les raies spectrales de l’atome d’hydrogène.

Les raies spectrales apparaissent quand la lumière provenant d’hydrogène chauffé est passée dans un spectroscope. La théorie prédisait la position de toutes les raies. Toutefois, Bohr fut déçu quand il appliqua ces nouvelles idées à l’atome d’hélium, bien plus complexe – la théorie s’effondra. Quelque chose avait échappé à la compréhension. 100

Les ondes de probabilité Ce « quelque chose » fut découvert par un prince français, Louis de Broglie [1892–1987]. Il s’était demandé si les particules n’étaient pas associées à des ondes. Il a envisagé l’existence d’ondes de type stationnaire. Erwin Schrödinger [1887–1961] se rendit compte qu’une équation d’onde était nécessaire. En 1926, Max Born [1882–1970] suggéra que la fonction d’onde ne représentait pas l’onde elle-même, mais seulement une probabilité.

Chaque orbite de l’atome d’hydrogène possède un nombre différent de bosses – mais toujours un nombre entier.

J’ai utilisé une « fonction d’onde » pour expliquer de nombreux problèmes de physique pertinents à l’époque. Mais, je n’étais pas vraiment sûr de ce qu’était réellement la fonction d’onde.

Elle donne la probabilité de trouver une onde à un endroit particulier.

Aujourd’hui, la théorie quantique en est là : des ondes de probabilité dans des bosses stationnaires. 101

Le chaos en physique quantique La théorie quantique marche dans le monde atomique : les particules sont restreintes à des niveaux d’énergie. Le niveau le plus bas est le niveau fondamental auquel le système existe habituellement. Elles quittent ces niveaux lorsqu’elles sont éclairées (ou, en termes de particules, quand elles sont frappées par des photons), sautant jusqu’à des niveaux d’énergie plus élevés ou états excités.

La physique quantique est identique à la physique newtonienne à la limite classique.

La question qui intéresse la théorie du chaos est la suivante. Est-ce que les systèmes quantiques deviennent chaotiques en s’approchant de la limite classique ?

Cette question a été explorée au cours des années 1980. Et cela a donné lieu à un résultat surprenant. 102

Les physiciens ont étudié comment les électrons dans des atomes fortement excités – c’est-à-dire des atomes avec des électrons dans des états d’extrêmement haute énergie et proches de la transition entre les physiques classique et quantique – absorbent de l’énergie quand ils sont illuminés.

Ils ont réalisé les variantes classique et quantique des expériences, et découvert que la mécanique quantique supprimait en réalité le chaos classique !

Cette suppression est un effet subtil et délicat d’interférence d’ondes. 103

Le chaos aux états intermédiaires Le chaos a été étudié aussi au niveau quantique en plaçant les atomes dans un champ magnétique. À faible intensité, l’électron est attiré par le noyau et il n’y a pas de chaos. À forte intensité, l’électron est si faiblement attiré par le noyau que le champ magnétique le domine, et que l’électron se déplace autour des lignes de champ magnétique. Il n’y a pas de chaos. Cependant, entre ces deux états, l’électron ne sait plus où aller et devient chaotique.

1. Dans un champ magnétique faible, l’électron reste en orbite autour du noyau.

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2. Dans un champ magnétique fort, l’électron gravite autour des lignes de champ.

Le chaos est observé aussi quand un électron est sous l’effet de plusieurs molécules. Au fur et à mesure qu’il se déplace à travers les molécules, sa trajectoire devient chaotique. De petites variations de la direction d’entrée ou de l’énergie génèrent de grandes différences de trajectoire et du point de sortie. Cette trajectoire ne peut être calculée qu’en utilisant la mécanique quantique et, dans la mesure où elle dépend des conditions initiales, elle possède des caractéristiques chaotiques. En général, les scientifiques recherchaient le chaos dans ce que l’on appelle des systèmes « semi-classiques », qui intègrent des quantités limitées d’effets quantiques. Mais la discipline du chaos quantique se trouve au stade embryonnaire et nous avons encore beaucoup à apprendre.

3. Le mouvement chaotique se produit dans les champs combinés.

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Chaos et économie L’environnement économique a changé fondamentalement au cours des décennies précédant le xxie siècle. Le monde est connecté à un seul marché global régi par le transfert instantané des capitaux par des signaux électroniques. De petits changements peuvent se multiplier rapidement dans le marché électronique global et aboutir à de sérieuses perturbations. Les entreprises de haute technologie modernes sont radicalement différentes des vieilles entreprises traditionnelles. Les innovations technologiques prolifèrent rapidement, ôtant tout sens aux idées conventionnelles sur ce qui confère un avantage concurrentiel.

Une part de plus en plus grande de l’économie ne consiste plus du tout en des biens – l’« économie en apesanteur » passe de la fabrication aux services.

La valeur est générée dans le cyberespace, tandis que les emplois, les pensions et les aides sociales se dissolvent et se retrouvent en état d’apesanteur. Après des milliers d’années, cet « étalon-or » de la valeur monétaire est en train de devenir obsolète. La turbulence semble être à l’ordre du jour. Tout est « à vendre ». 106

Dans de telles circonstances, le chaos et la complexité – ou chaotique – nous offrent une meilleure compréhension de ce qui est en train de se passer que les théories traditionnelles sur l’économie. En effet, le chaos et la complexité bouleversent les théories économiques classiques – et ouvrent aussi des perspectives optimistes sur la création de richesses.

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La rétroaction en économie Le chaos défie la notion classique de l’équilibre économique. Ce défi provient du concept de rétroaction. La rétroaction négative en termes d’économie est analogue aux rendements décroissants ; la rétroaction positive aux rendements croissants. Cette vision des choses n’est pas nouvelle en réalité.

En Angleterre, au xviiie siècle, les entrepreneurs opéraient dans des conditions de rendements décroissants.

La France, en revanche, à la même époque, opérait dans des conditions de rendements croissants, misant sur des profits à long terme.

Les conditions sur les marchés aujourd’hui ressemblent à celles en France au xviiie siècle, et non à celles trouvées dans la plupart des manuels sur l’économie. 108

Généralement, on suppose qu’il faut attendre les toutes dernières phases d’une opération afin de savoir dans quel sens la balance va pencher en affaires. Une entreprise est dite « à l’équilibre » quand son revenu net est aussi élevé que possible. On considère qu’il s’agit du « résultat le plus profitable, qui est atteint grâce à une combinaison spécifique et unique de données ».

Ainsi, en « concurrence parfaite », il n’y a qu’un point d’équilibre.

Il n’y a aucune incitation à faire varier les quantités d’intrants ou de modifier le niveau de l’extrant, car bouger les choses pourrait affecter le point d’équilibre et mener à une perte de stabilité. Mais le chaos nous apprend qu’il existe, en réalité, plusieurs positions d’équilibre sur ce marché. 109

Les problèmes liés à l’équilibre Ruelle a des choses intéressantes à dire au sujet de l’« équilibre ».

Supprimer les barrières commerciales a été considéré longtemps comme le meilleur moyen d’améliorer la vie de tout le monde. Mais qu’en est-il réellement ?

Il n’y a jamais seulement deux pays commerçant l’un avec l’autre, mais un ensemble de pays et d’individus connectés. Ce système dynamique peut ne pas produire d’équilibre, mais du chaos. Contrairement à la croyance populaire, les meilleurs plans élaborés par les gouvernements pour atteindre un meilleur équilibre pourraient mener en réalité au scénario opposé – un scénario de chaos total. 110

De plus, l’idée d’un seul point d’équilibre est renforcée par la loi des rendements décroissants. Cette loi d’économie énonce que si « des augmentations équivalentes d’un facteur variable, par exemple la main d’œuvre, sont ajoutées à une quantité constante d’autres facteurs, prétendument fixes (la terre, les compétences technologiques, les talents d’organisateur, etc.), les augmentations successives de l’extrant vont diminuer au bout d’un certain temps ». Le chaos défie cette loi et frappe ainsi en plein cœur la croyance en un système économique stable soumis à la concurrence. George Anderla : « Les économistes orthodoxes ont défendu cette vision principalement pour des raisons de confort intellectuel... Mais l’obstination ne peut triompher face à la dure réalité. »

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Rendements croissants en technologie de pointe Cette interprétation unilatérale de l’« équilibre unique » de la loi est indéfendable désormais, en raison de l’essor d’industries de haute technologie. Ordinateurs, logiciels, fibres optiques et équipements de télécommunications, électronique médicale et produits pharmaceutiques sont tous sujets aux rendements croissants. C’est parce que, depuis le début, ils nécessitent d’énormes dépenses en recherche et développement, conception et révision, développement de prototypes, et mise en place d’outils et d’installations automatisées pour la fabrication.

Chaque fois qu’un constructeur d’avions, tel que Boeing, développe un nouvel avion, il investit une somme qui dépasse la moitié de la valeur nette de la société.

Cependant, une fois que les produits commencent à sortir de l’usine, le coût de chaque unité supplémentaire décroît très rapidement par rapport à l’investissement initial. 112

Comment pouvons-nous réconcilier l’hypothèse classique des rendements décroissants avec la tendance actuelle de rendements apparemment croissants ? W. Brian Arthur, de l’université de Stanford et de l’Institut de Santa Fe, a développé de nouvelles idées au sujet du rôle déterminant de la rétroaction positive en économie. Il s’est rendu compte que la rétroaction positive fait fonctionner l’économie comme un système non linéaire. La rétroaction positive fait grimper les ventes une fois que l’économie a atteint un certain seuil et que le marché a atteint un seuil d’éducation et de promotion sociale. Plus de personnes adoptent une technologie particulière, plus cette dernière s’améliore et plus elle devient attractive, tant pour les concepteurs et les adoptants que pour les éventuels fabricants et vendeurs. Dans le même temps, le coût de fabrication des produits diminue.

Et tout le processus est accéléré au fur et à mesure que les consommateurs se multiplient.

Un logiciel, une fois écrit, testé, débogué et amélioré, ne coûte presque rien à dupliquer. Il peut devenir ainsi une source massive de rendements continuels, qui ne cessent d’augmenter – jusqu’à ce que les producteurs décident qu’il est temps de sortir une meilleure version. 113

Prenez garde aux « conditions initiales » La sensibilité aux conditions initiales peut aussi bien signifier la vie ou la mort d’un produit. Le meilleur exemple est offert par l’histoire du VCR. Sony arriva le premier sur le marché avec le Betamax, battant son rival JVC, une petite société japonaise qui avait développé un format alternatif, la VHS. Cependant, en très peu de temps, le format VHS a conquis complètement le marché. Les économistes classiques ne parviennent pas à expliquer ce qui s’est passé. La VHS n’a pas divisé le marché, comme attendu, mais s’en est emparé. Les théoriciens du chaos soulignent les similarités entre les deux sociétés. Les deux enregistreurs vidéo sont sortis à peu près en même temps et avaient à peu près le même prix. Mais de petits « événements fortuits en phase d’émergence » ont fait pencher la compétition en faveur de la VHS.

Alors, qu’est-ce qui a fait pencher réellement la balance en faveur de la VHS ?

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Dans ce cas, c’est le fait qu’ils avaient un produit qui enregistrait plus longtemps que le Betamax, permettant aux téléspectateurs d’enregistrer des longs métrages.

De ce fait, la dépendance sensitive rend les prédictions difficiles.

Créer une technologie à l’épreuve des imbéciles et on trouvera quelqu’un d’encore plus idiot.

Encore Ruelle : « Bien qu’un système puisse montrer une dépendance sensitive aux conditions initiales, cela ne signifie pas que tout est imprévisible à son sujet. Déterminer ce qui est prévisible et ce qui ne l’est pas est un vaste problème, encore non résolu. » Cela peut paraître évident, mais on peut facilement prédire que la température corporelle d’un humain sera proche de 37 °C.

Une température bien au-dessus ou bien en dessous signifierait une mort certaine.

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La fin de l’économie néoclassique

Dans le contexte de l’économie néoclassique, l’extrant est doublé si l’intrant (capital et main d’œuvre) l’est également.

Cela ne s’applique plus pour les systèmes non linéaires, avec de multiples intrants et des boucles de rétroaction complexes.

Si vous mettez tous les facteurs ensemble, la fonction de la production montre des rendements croissants. Par conséquent, si vous doublez tous les facteurs, l’extrant sera plus que doublé. Les entreprises sont capables d’engranger de plus grands bénéfices en « augmentant leur extrant, en diminuant les coûts et en réduisant les prix simultanément, pour booster les ventes ». Le postulat néoclassique d’une « parfaite concurrence » est donc rejeté. 116

Comment jouer au Monopoly De plus en plus d’entreprises fonctionnent désormais en rendements croissants et cette situation a mené de facto à un monopole. Le succès de Microsoft est fondé sur le fait qu’une fois le coût du développement initial d’un logiciel particulier tel que Windows 95 amorti, les rendements perdurent en une spirale croissant sans cesse – menant à un monopole. Cette tendance ébranlera progressivement l’essence même des économies compétitives du monde occidental.

Nous sommes Microsoft. Toute résistance est inutile. Vous serez phagocytés.

Simon Forge : « Est-ce semblable au jeu de go japonais – plus vous gagnez, plus il est facile d’encercler votre adversaire ? » 117

La gestion chaotique La « gestion scientifique » moderne est devenue très tendance pour la première fois suite à la publication en 1911 du livre The Principles of Scientific Management (les principes de la gestion scientifique) de Frederick W. Taylor [1856–1915]. Taylor était un ingénieur industriel américain qui a introduit la gestion scientifique en affaires et qui était obnubilé par la nécessité de rendement maximal. Cependant, au cours des trente dernières années, la notion de gestion scientifique a évolué – surtout avec l’avènement des ordinateurs. La Harvard Business School a introduit le concept de planification stratégique dans les années 1960 et 1970. Cela mettait l’accent sur la nécessité d’intégrer les fonctions commerciales classiques, telles que la production, la comptabilité et le marketing avec une approche systématique, à une stratégie globale.

Mais l’expérience a montré que des plans hautement mécaniques et les prévisions mathématiques ne fonctionnent pas toujours.

Le Massachusetts Institute of Technology a introduit alors la

dynamique des systèmes. Mais ces deux techniques de gestion comportent des risques et sont basées sur des suppositions subjectives et des jugements de valeur. 118

Selon Simon Forge, cette approche s’apparente à « conduire en utilisant le rétroviseur » – en essayant d’évaluer la route devant d’après ce qui se passe derrière.

Sur un marché stable, vous pourrez vous en tirer comme ça.

Mais sur un marché instable et turbulent, vous risquez l’accident !

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Anticiper les futures avancées Donc, les dirigeants peuvent-il anticiper, avec un certain degré de confiance, le fait qu’une avancée technologique et industrielle est sur le point d’émerger ? Parfois, les avancées technologiques surviennent par hasard – de petits événements, considérés comme insignifiants sur le moment, déclenchent une réaction en chaîne qui débouche sur une nouvelle découverte technologique. La découverte de la pénicilline est un exemple de découverte résultant d’un événement aléatoire en recherche médicale.

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D’autres avancées, en revanche, résultent d’années de recherche. L’alunissage et les événements qui l’ont suivi en offrent un excellent exemple.

L’alunissage a engendré de nombreuses retombées dans des secteurs tels que les communications et les technologies informatiques.

Il a même conduit à la découverte du Téflon, revêtement anti-adhérent pour les poêles à frire.

Ce genre d’avancée est devenu courant de nos jours. La recherche est devenue multidisciplinaire et menée à très grande échelle. Selon George Anderla, le fait d’intégrer le concept dynamique des rendements croissants à la philosophie de la recherche multidisciplinaire à grande échelle – l’approche holistique – produit des « percées progressives ». Les percées progressives sont mieux étudiées par l’effet papillon de la théorie du chaos. 121

Facilitation et prévision Mais anticiper les « percées progressives » ne suffit pas. La direction doit réfléchir non seulement à ce qu’une nouvelle technologie peut apporter, mais envisager aussi son système de sauvegarde. Pour être productives, les inventions doivent s’accompagner de co-inventions, dans la mesure où les choses sont rarement seules. Les bombardiers longue portée, par exemple, étaient une bonne idée (sauf pour ceux qui allaient être bombardés), mais jusqu’à ce qu’un moyen de les ravitailler en vol ne fût trouvé, l’idée ne put être mise en œuvre.

Le fait de réfléchir simultanément aux inventions et aux co-inventions est appelé « facilitation ».

Les percées progressives et les besoins de la facilitation signifient que les anciennes méthodes de prévision du développement technologique ne sont plus valables. Et puisqu’il revient au premier arrivé d’établir la norme, passer à côté des phases initiales revient à manquer l’opportunité de mener la danse. Un moyen systématique de déceler les avancées est, par conséquent, d’une importance primordiale. 122

L’approche classique consiste à évaluer l’importance relative des différents éléments d’une possible avancée et à identifier tous les éléments encore en suspens, pour déceler le potentiel de nouvelles idées, et récapituler ensuite de nouveaux scénarios d’usage et concepts, peut-être en combinant de vieux concepts avec de nouvelles méthodes.

La nouvelle approche consiste à réfléchir à la pertinence du chaos et de la complexité, et à essayer de comprendre les messages et les développements ambigus ou discordants.

La prévision se doit d’être un processus holistique et continu avec la rétroaction, la dépendance sensitive et les développements non linéaires gardés fermement à l’esprit. 123

Chaos et villes Les villes ont changé, de même que notre perception des villes. Les villes ont évolué d’entités ordonnées, contrôlables vers des milieux non apprivoisés et non apprivoisables. Notre image des villes a évolué, passant de la ville de la modernité positive, humaniste et structuraliste (au sens marxiste) à la ville du post-modernisme en constante évolution, chaotique. Il y a un kaléidoscope pluraliste de cultures et sous-cultures dans chaque ville : de l’asiatique, l’italienne et la chinoise aux hétérosexuels et homosexuels, des régions productives et désolées aux trottoirs pédestres et zones « interdites ». Rien n’est stable, rien n’est vrai et rien n’a d’importance longtemps.

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Les villes sont des microcosmes et des miroirs des sociétés et des cultures en général. Aussi, pour développer une compréhension complète des villes, nous devons prendre en compte la majorité, si ce n’est la totalité, de la diversité qui fabrique une ville contemporaine. Les visions traditionnelles des villes comme « architectures poussées à l’extrême » ne peuvent être aisément associées à la théorie des villes en tant que systèmes sociaux, culturels, économiques et institutionnels. Il n’est pas facile d’associer les systèmes sociaux à leur forme spatiale. Donc notre compréhension actuelle se trouve submergée par leur complexité et leur diversité.

C’est là que le chaos intervient. Le chaos nous fournit des connaissances approfondies sur l’ordre spatial de la ville. 125

Toutes les villes présentent de l’irrégularité dans la plupart de leurs quartiers et deviennent ainsi des candidates idéales pour de l’application de géométrie fractale. En réalité, les villes possèdent des structures fractales distinctes en ce sens que leurs fonctions sont autosimilaires à plusieurs ordres et échelles. Le concept de quartiers, districts et secteurs à l’intérieur des villes, celui des différents ordres de réseaux de transports en commun et l’organisation des villes selon une hiérarchie centrale qui reflète la dépendance économique du local sur le mondial et inversement, offrent tous des exemples de structures fractales. Les propriétés fractales des villes permettent aux géographes et aux urbanistes d’étudier les densités de population, l’utilisation du territoire et la texture spatiale qui reflètent les juxtapositions spatiales.

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Les villes fractales La géométrie fractale peut s’appliquer aux villes d’au moins deux manières. Premièrement, en visualisant les formes urbaines au moyen de modèles et de graphiques numériques ; deuxièmement, par le biais de mesures de schémas dans des villes réelles et leur modélisation dynamique.

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Michael Batty [1945-], professeur d’analyse spatiale et d’urbanisation à l’université de Londres, est un pionnier dans le domaine des « villes fractales ». Batty : « En nous servant de la géométrie fractale, nous pouvons explorer la géométrie des villes, d’abord en fixant les dimensions et en faisant varier les échelles, puis en fixant l’échelle et en faisant varier les dimensions. Cette approche revêt une importance majeure pour le développement d’une théorie d’une ville fractale. » Ses travaux ont montré que les rapports fondamentaux des dimensions fractales pour la ville impliquent d’associer la population et sa densité à la dimension linéaire et la surface. Ces rapports sont structurés sous forme incrémentale ou cumulative.

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Cette fascinante fractale représente en réalité la ville de Londres (sa densité de population).

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Des lignes d’horizon fractales Batty : « Ces relations fractales semblent refléter une logique bien plus solide que celles utilisées traditionnellement, et l’approche dans son ensemble montre combien il faut être prudent en définissant et mesurant des densités. L’une des conclusions de mon travail est que la majorité du travail accompli sur la théorie de la densité urbaine et son application au cours des quarante dernières années devra être repensée à la lumière de ces développements. » Les lignes d’horizon des villes – telles que Manhattan – peuvent être aussi de nature fractale.

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Les villes dissipatives Au-delà des villes fractales, des études urbaines récentes ont mis en évidence un certain nombre d’autres types de villes chaotiques. Les villes dissipatives résultent de la théorie de Prigogine sur les structures dissipatives et son application. La théorie des villes dissipatives a été développée, entre autres, par Peter Allen [1944-], professeur émérite et directeur de l’International Ecotechnology Research Centre (centre de recherche international d’écotechnologie) de l’université de Cranfield. Ses travaux impliquent la construction de modèles numériques des infrastructures d’agglomérations dans une région, chacune avec des habitants et des emplois. Les individus migrent pour trouver du travail et les employeurs offrent ou retirent des emplois en fonction du marché. Cette migration entre agglomérations et l’introduction ou l’extraction d’activités économiques créent une « capacité porteuse » locale, ce qui donne naissance à des non-linéarités et à des boucles de rétroaction pour le système qui lie la population et les activités de production. En conséquence, cela mène à un processus évolutif par le biais duquel de nouveaux centres urbains croissent tandis que d’autres périclitent.

Ce va-et-vient entre interactions et fluctuations, d’une part, et dissipation, d’autre part, offre un nouveau paysage. Allen a appliqué ce modèle par la suite à Bruxelles. 131

Chaos local et chaos global Les idées de Prigogine sur l’auto-organisation ont débouché aussi sur le concept de « villes auto-organisées » ou « villes chaotiques ». Dans les villes, l’auto-organisation prend deux formes : le chaos local ou microscopique et le chaos global macroscopique ou déterministe. Le chaos local résulte du comportement des composantes individuelles d’une ville, par exemple la circulation des véhicules sur une autoroute.

Foutu chaos !

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Le chaos déterministe survient quand, comme conséquence de l’auto-organisation, les éléments individuels sont attirés par quelques attracteurs. La ville oscille alors de manière chaotique d’un attracteur à l’autre. Par exemple, sur une autoroute, la circulation des véhicules est distribuée aléatoirement la nuit et distribuée presque uniformément aux heures de pointe.

On observe ainsi une translation du chaos vers l’ordre, puis un retour au chaos.

Le va-et-vient entre le chaos et l’ordre se manifeste dans la vie quotidienne et pas seulement lors d’évolution sur le long terme. 133

Contrôle ou participation Le chaos a apporté une nouvelle perspective à notre compréhension des villes en tant qu’espaces urbains. Il a montré que les facteurs qui contrôlent l’évolution d’une ville sont des systèmes s’auto-organisant et, en tant que tels, sont eux-mêmes incontrôlables. Batty : « De ce point de vue, il s’ensuit une nouvelle forme d’action au sein de la ville, une nouvelle méthode d’aménagement urbain, qui vise à participer au lieu de contrôler. »

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L’architecture chaotique Il n’est guère surprenant que les formes fractales soient utilisées en architecture postmoderne. L’architecte Bruce Goff [1904-1982], par exemple, fut l’un des premiers à utiliser les attracteurs étranges pour organiser un champ de force de mouvement à l’intérieur de l’une de ses maisons. Dans sa conception primée pour la Maison d’opéra de la baie de Cardiff, Zaha Hadid [1950-2016] s’est servie de la géométrie fractale pour créer un bâtiment utilisant le langage des avions qui renferment des différences de continuité. Toutefois, son projet est devenu polémique, car jugé trop postmoderne au goût de la majorité, et sa construction n’a jamais été entreprise.

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De tels concepts du chaos comme la non-linéarité, le doublement de période et la rétroaction sont de plus en plus courants en architecture postmoderne. Selon Charles Jencks [1939-], architecte et grand spécialiste de l’architecture postmoderne du chaos et de la complexité, ces notions engendrent « une architecture de vagues et de tourbillons, une architecture qui ondule, croît et diminue de façon continue et abrupte ». Mais l’utilisation du chaos ne se limite pas à l’architecture postmoderne. Certains bâtiments classiques expriment les mêmes idées. L’échelle fractale se distingue, par exemple, à l’Opéra de Paris baroque, conçu par Charles Garnier [1825–1898] et construit entre 1861 et 1875. Il consiste en une combinaison élaborée de styles basée sur une harmonie sous-jacente. Une promenade dans la rue de l’Opéra révèle les détails autosimilaires de l’édifice : plus vous vous en approchez, plus vous voyez apparaître de détails.

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Le chaos et le corps Le modèle classique dépeint le corps humain comme une machine. Le cœur bat comme une horloge, le système nerveux est un standard téléphonique et le squelette n’est autre qu’un assemblage de joints et de charnières. Cette représentation du corps, si prisée des publicités d’assurance santé, est dangereusement obsolète à l’époque du chaos.

Biologistes, physiologistes et experts médicaux commencent aujourd’hui à décrire la physiologie humaine comme un système holistique rempli de fractales et de chaos. 137

Les fractales du corps Notre corps est tout simplement couvert de fractales – elles sont partout, de la circulation sanguine au système lymphatique, en passant par les poumons, le tissu musculaire, les calices rénaux, l’intestin grêle et jusqu’aux circonvolutions à la surface du cerveau. Ces fractales rendent le corps flexible et résistant. Parce qu’elles sont autosimilaires, les structures fractales de parties du corps peuvent être endommagées voire perdues sans conséquences graves. Les structures fractales augmentent également la surface disponible pour la collecte, la distribution, l’absorption et l’excrétion d’une foule de fluides vitaux importants, de même que de toxines, qui traversent régulièrement notre corps.

N’oubliez jamais : vous êtes unique, comme tout le monde.

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L’attracteur du cœur La dynamique chaotique est présente également dans le corps. Elle résulte d’une rétroaction constante entre de nombreuses parties du corps. Lorsqu’un ECG (électrocardiogramme) est tracé dans l’espace des phases, il révèle un attracteur étrange en « forme d’araignée ».

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Le chaos dans le cœur Un doublement de période peut indiquer le début d’une attaque cardiaque. Dans un cœur en bonne santé, les impulsions électriques traversent sans difficulté les fibres musculaires qui forcent les ventricules cardiaques à se contracter et à pomper le sang. Lorsque les fibres musculaires sont contractées, elles deviennent imperméables aux signaux électriques. Cette phase est appelée période réfractaire.

Les chercheurs ont découvert que lorsqu’un groupe de fibres musculaires cardiaques ont une période réfractaire plus longue que l’intervalle entre deux battements de cœur, la turbulence peut s’installer.

Ces connaissances ont été exploitées pour développer un prototype de stimulateur cardiaque intelligent. Ce dispositif surveille en permanence le cœur, identifie quand du chaos indésirable est en train de s’installer, détecte ce qu’il va se passer dans la fraction de seconde suivante et envoie un signal électrique au cœur pour l’empêcher de se dérégler. 140

Chaos et bonne santé Mais toutes les formes de chaos dans le corps ne sont pas mauvaises. Il existe un bruit de fond chaotique naturel dans le corps – par exemple au niveau de l’activité cérébrale – qui exécute des fonctions utiles. Perdre ce chaos pourrait engendrer des fonctions anormales. Une crise d’épilepsie, par exemple, peut ressembler à une attaque de chaos, mais elle est due en réalité à une perte de chaos. Cela résulte d’un ordre anormalement périodique au sein du cerveau. La sagesse populaire voudrait qu’une mauvaise santé résulte d’une combinaison de stress et d’autres facteurs qui perturbent les rythmes périodiques normaux du corps.

Le chaos nous dit que l’irrégularité et l’imprédictibilité sont les caractéristiques importantes d’une bonne santé. 141

Chaos et cerveau L’une des découvertes de la théorie du chaos réside dans le fait que le cerveau est organisé par le chaos. Le cerveau humain est un système à rétroaction complexe non linéaire. Il est composé de milliards de neurones, connectés les uns aux autres. Les signaux dans le cerveau s’y propagent par le biais de boucles de rétroaction perpétuelles, acheminant de vastes quantités d’information. Bien que nous sachions que certaines régions du cerveau accomplissent certaines fonctions, l’activité dans une zone peut déclencher plus de réponses neuronales à travers une grande région.

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Des expériences ont montré que le cerveau possède des attracteurs étranges – en réalité d’innombrables attracteurs étranges, chacun correspondant à une activité en particulier. Des tracés d’EEG (électroencéphalogrammes) d’activité cérébrale mettent en évidence un type spécifique d’attracteur étrange lorsque le sujet est au repos, mais un autre attracteur quand le même sujet est en train de résoudre un problème mathématique. Un cerveau en bonne santé maintient un faible niveau de chaos, qui s’auto-organise souvent en un ordre plus simple quand se présente un stimulus familier.

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Un modèle chaotique de la conscience Si nous admettons que les états dans le cerveau sont liés à la conscience, nous pouvons parvenir à un modèle radical de la conscience. Mais comment la théorie du chaos nous aide-t-elle à comprendre la conscience ? En règle générale, les neurones ne déclenchent un signal que quand ils ont été activés par des signaux entrant en provenance d’autres neurones. Le concept d’espace des phases sert à imaginer ce qui se passe dans le cerveau. Chaque neurone est considéré comme représentant une variable. Ainsi, dans l’espace des phases, à chaque neurone correspond une dimension. Par conséquent, il y a 10 milliards de dimensions. Si la conscience est liée, en réalité, à l’activité de ces neurones, alors avec ce modèle, nous avons une représentation de la conscience qui peut être analysée.

La conscience peut être représentée par un point qui se déplace à l’intérieur de cet espace des phases. Ce point est décrit comme étant notre « ego rendu tangible ».

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La conscience est cet intervalle ennuyeux entre les siestes.

Quelles conclusions pouvons-nous tirer à partir de ce point ? Premièrement, sa trajectoire est chaotique. Le système a beau être déterministe, le comportement du point est imprédictible. À partir de là, on peut en conclure que nous ne pourrons jamais vraiment prédire le comportement des gens. Deuxièmement, le déplacement du point, tout en étant de nature chaotique, n’est pas aléatoire. Il suit un attracteur étrange. Cet attracteur étrange pourrait être le phénomène que nous appelons « personnalité ». Troisièmement, ce modèle n’est pas algorithmique – il n’est ni prédictible ni séquentiel. Il est fluide et flexible. Quatrièmement, il n’y a aucune limite quant au nombre d’états atteignables par ce système. Le nombre de neurones est fini, mais les points dans l’espace des phases sont illimités. Par conséquent, la conscience elle-même est sans limite.

Ce qui ne surprendra personne, n’est-ce pas ?

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Chaos et météo La théorie du chaos est très redevable à la météo – sans elle, elle ne se serait sans doute pas développée comme elle l’a fait. En effet, le temps est un système chaotique quintessentiel. Ce qui n’est pas surprenant, car il exhibe une structure fractale – exhibant par conséquent de l’autosimilarité. Ce que nous observons à l’échelle de la planète reste généralement conforme à ce que nous voyons à l’échelle continentale et nationale. Et toutes les composantes du temps, de la température, la pression atmosphérique, la vitesse du vent à l’hygrométrie, sont sensibles aux conditions initiales. Puisqu’il se replie constamment sur lui-même – son itération –, le temps affiche une vaste gamme de comportements chaotiques à plusieurs échelles. Mais il reste confiné à une large gamme d’un attracteur étrange que nous appelons climat.

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Nonobstant le chaos, nous continuerons à essayer de prédire le temps à partir d’observations de certaines conditions initiales. Les modèles de prévision du temps dont nous disposons aujourd’hui comprennent environ un million de variables et sont sans cesse développés.

Évidemment, les prévisions des météorologues ne sont pas toujours correctes.

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Les prévisions météorologiques à long terme Mais qu’en est-il des prévisions à long terme ? Quel climat auronsnous au siècle prochain ? Les prévisions à long terme sont totalement différentes du fait d’essayer de prédire le temps pour demain ou la semaine prochaine. Nous ne cherchons pas dans ce cas une trajectoire spécifique dans l’attracteur, mais plutôt la forme de l’attracteur climatique lui-même dans son ensemble.

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Le climat global est sujet à la rétroaction. Il existe toujours le danger d’une rétroaction positive qui puisse transformer la moindre perturbation due aux humains en une catastrophe environnementale. Cependant, la rétroaction négative maintient la température atmosphérique stable. Étant donné le nombre infini de boucles de rétroaction positives et négatives, il devient impossible de prévoir quel destin nous attend réellement.

Et si l’attracteur climatique subit une perturbation ?

Ou si l’attracteur change de forme ?

De tels scénarios pourraient mener à des schémas météorologiques nouveaux et potentiellement désastreux.

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Qu’en est-il de l’effet de serre ? Toutefois, la répétition des schémas météorologiques peut signifier qu’une trajectoire tourne simplement autour de l’une des ailes du papillon – une fois, deux fois ou un millier de fois. Il n’y a pas de nombre de fois prédéterminé ici. Nous devrions par conséquent faire attention quand nous avançons des prédictions sur « l’effet de serre », par exemple. Une série d’hivers doux et d’étés chauds peut signifier simplement que le système gravite autour d’une région de l’espace des phases. Cela ne veut pas dire nécessairement qu’un changement permanent à long terme soit établi.

Pendant que le chaos tente de déchiffrer les mystères de notre temps turbulent, il vaut mieux garder votre parapluie sur vous et bien appliquer votre crème solaire.

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Le chaos et la nature Le chaos et la complexité reflètent une nouvelle sensibilité au monde qui nous entoure. Il n’y a pas si longtemps, les gens croyaient que la science allait simplement vaincre toute l’ignorance. Qu’à l’aide de la technologie, nous allions simplement dominer le monde naturel. Le chaos nous apprend que la nature n’est pas un système simple, prêt à se soumettre à notre volonté. En effet, la nature peut répliquer et le fait – comme lorsque nous produisons des souches résistantes de micro-organismes par l’utilisation massive d’antibiotiques.

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La sécurité scientifique Jusque récemment, les gens associaient la science à deux objectifs – les connaissances et le pouvoir. Elle éliminerait la superstition, l’ignorance, la maladie et la pauvreté. Mais force est de constater qu’il y a un prix à payer pour cette vision simpliste de la nature. Les réussites de la science qui ont été accomplies au regard de cette vision étaient certes grandes, mais unilatérales.

Grâce à la théorie du chaos et à notre expérience de l’environnement, nous avons une nouvelle compréhension. Quand même les systèmes déterministes ne peuvent être prédits, l’incertitude devient une préoccupation majeure. Dorénavant, on assigne à la science un troisième grand objectif : la sécurité. 152

Nous pouvons même considérer les risques anthropiques comme une sorte de « complexité chaotique ». Parce que les cycles naturels complexes de la matière, de l’énergie et de la vie qui ont été accomplis depuis la nuit des temps se trouvent perturbés aujourd’hui. De nouvelles substances et de nouvelles formes d’énergie sont venues s’ajouter aux processus naturels pérennes. Combien de « papillons » ont été créés dont les conséquences sont inconnues ?

Nous savons désormais que le monde naturel qui nous entoure ne peut plus être assuré de tourner régulièrement et sûrement dans notre intérêt. De nouvelles maladies, la pollution globale, l’extinction d’espèces et le changement climatique résultent tous d’effets imprévus sur la nature de notre science et de notre technologie naïves. 153

La nouvelle nature Donc tant que l’image de la science consistait en des équations déterministes simples, ces nouveaux phénomènes étaient difficilement concevables. Mais avec le chaos, nous pouvons à nouveau considérer la nature par rapport à nous-mêmes. Auparavant, la nature était « sauvage » et en nous servant de la technologie issue de la science, nous l’avons « apprivoisée ». Les lois normales de son comportement ont été révélées et elle a été mise sous le joug de nos machines. Mais maintenant, à l’âge du chaos, nous devons reconnaître un nouvel état de la nature : une présence qui est « farouche ». Nous pouvons imaginer ces états de la nature en termes de systèmes pollués qui ont échappé à notre domestication. Mais ils ne sont pas seulement sauvages, ou « naturels » comme dans le système précédent pré-chaotique. Au contraire, comme nous le constatons quand des chèvres, des rats ou des lapins sont introduits dans un nouvel habitat, il y a un déséquilibre destructeur, peut-être catastrophique, parmi les espèces.

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Est-ce sans danger ? Le chaos et la complexité nous fournissent des outils conceptuels pour faire face à ces nouveaux problèmes. Nous savons que la science est incapable de produire des prédictions solides quant aux états futurs de tels systèmes complexes chaotiques. En particulier, il est scientifiquement impossible de démontrer que quelque chose est parfaitement « sûr ». Le fait que nous acceptions, ou tolérions, un certain risque va dépendre en partie seulement de ce que nous disent les experts scientifiques. Cela dépendra aussi des jugements et des engagements de valeur de tous ceux affectés par le problème.

Lorsque l’enjeu est la sécurité, au lieu des connaissances ou du pouvoir, la science classique est un serviteur inestimable pour prendre des décisions, mais peut être un maître trompeur.

La nouvelle compréhension de la nature basée sur le chaos exige une nouvelle notion de la forme appropriée de pratique scientifique. Cette nouvelle pratique de la science est appelée science « post-normale ». 155

La science post-normale La science post-normale est une idée originale de deux philosophes de la science, Silvio Fontowicz [1946-] et Jerry Ravetz [1929-]. Ravetz : À l’époque pré-chaotique, nous supposions que les valeurs n’étaient pas pertinentes pour l’inférence scientifique et que toutes les incertitudes pouvaient être domptées. C’était la « science normale », au sein de laquelle étaient menées presque toute la recherche, l’ingénierie et l’observation. Bien sûr, il existait déjà une catégorie spéciale de « consultants professionnels » qui se servaient de la science, mais qui étaient confrontés à des incertitudes particulières et à des choix de valeur dans leurs travaux. Il s’agissait par exemple de chirurgiens et d’ingénieurs chevronnés pour qui chaque cas était unique et dont les compétences étaient d’une importance capitale pour assurer le bien-être (voire même la survie) de leurs clients.

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Fontowicz : Mais dans un monde dominé par le chaos, nous sommes bien loin des garanties de la pratique traditionnelle. Dans de nombreux cas importants, nous ne savons pas, et ne pouvons pas savoir, ce qui va se passer, ou si notre système est sûr. Nous faisons face à des problématiques où les faits se révèlent incertains, les valeurs en conflit, les enjeux élevés et les décisions urgentes. La seule voie pour avancer est de reconnaître que nous en sommes là. Dans les sciences pertinentes, le type de discours ne peut plus être la démonstration, c’est-à-dire partir de données empiriques pour tirer de vraies conclusions. Nous devons plutôt nous servir du dialogue, reconnaître l’incertitude, les engagements de valeur et une pluralité de perspectives légitimes. Voilà les bases de la science post-normale.

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Un simple schéma peut illustrer ce qu’est la science post-normale. Proche du point zéro se trouve la « science appliquée » sûre désuète. Dans la bande intermédiaire se trouve la « consultation professionnelle » en chirurgie et en ingénierie. Mais plus loin encore, là où les problèmes de la sécurité et de la science sont chaotiques et complexes, nous sommes dans le domaine de la « science post-normale ». C’est précisément ici que vont se retrouver les défis scientifiques majeurs du futur.

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La science post-normale possède les caractéristiques principales suivantes. Fontowicz : En science post-normale, la Qualité s’est substituée à la Vérité comme principe d’organisation. Ravetz : Dans l’espace des phases heuristique de la science postnormale, aucune vue partielle particulière ne peut englober le tout. La tâche ne consiste plus désormais à ce que l’un des experts accrédités ne découvre les « véritables faits » qui permettent de déterminer la « bonne politique ». La science post-normale accepte la légitimité des perspectives et de l’engagement de valeur variés sur un enjeu politique de tous ces intervenants autour de la table. Parmi ceux participant au dialogue, il y aura des gens possédant une accréditation officielle, tels que des scientifiques ou des experts. Leur participation est essentielle au processus car leur expérience spécifique sert au processus de contrôle qualité. La femme au foyer, le patient et le journaliste d’investigation peuvent évaluer la qualité de résultats scientifiques dans le contexte de situation réelle.

Fontowicz : Nous appelons ces gens-là une « communauté de pairs étendue ». Ce sont eux qui apportent des « faits étendus », comprenant leur propre expérience personnelle, des études et des informations scientifiques qui, autrement, auraient pu ne pas atterrir dans le domaine public. La science post-normale ne se substitue pas à la science classique et à la technologie de haute qualité. Elle reproduit, ou effectue un rétrocontrôle de, leurs résultats dans un processus social d’intégration. De cette manière, le système scientifique deviendra une contribution utile à l’établissement de nouvelles formes de politique et de gouvernance. 159

Le chaos et le non-Occident La théorie du chaos et la complexité sont des outils pour comprendre. Mais ces nouvelles sciences renferment une compréhension qui est indigène aux sociétés non occidentales. En réalité, c’est comme cela que les non-Occidentaux se voient traditionnellement, perçoivent leur environnement, leur place dans le cosmos et ce qu’ils ont entrepris par le passé.

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Par exemple, les indigènes de l’Inde ont fait des fractales un art depuis des siècles. Les artisans indiens peuvent reproduire ce célèbre kolam très rapidement – et on peut l’admirer sur leurs tapis de soie chatoyants, les « durrees », et sur d’autres types de revêtement de sol (voir en bas de page). Des fractales symétriques ornent les plafonds de la plupart des mosquées médiévales – voir ci-dessous le plafond du vestibule de la Chahar Bagh Theological School (une école), à Isfahan. L’art et l’architecture islamiques ont toujours mis en œuvre des motifs simples, fractals afin de créer de la complexité comme outil mental pour concentrer l’esprit sur la contemplation de l’Infini.

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Mais plus que cela : les connaissances du chaos et de la complexité peuvent se trouver dans la plupart des cultures non occidentales. Être humble devant la nature, la richesse et la diversité de la vie, l’apparition de la complexité à partir de la simplicité, la nécessité de comprendre le tout avant de comprendre une partie – voilà les choses auxquelles croient non seulement les populations non occidentales, mais qui ont guidé leurs actions. Elles sont intrinsèques à la plupart des visions du monde non occidentales. Les pratiques agricoles traditionnelles non occidentales, de l’utilisation des nappes phréatiques au Moyen-Orient à la lutte antiparasitaire par des oiseaux au Sri Lanka, se sont révélées plus saines écologiquement que l’agriculture moderne.

Cela résulte du fait que les populations traditionnelles ne connaissent pas seulement l’adage « pas de pluie, pas d’arbres », mais qu’ils étaient conscients aussi de la boucle de rétroaction « pas d’arbres, pas de pluie ».

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Dans les systèmes mystiques non occidentaux, tels le bouddhisme et le soufisme, des affirmations contradictoires en auto-boucle servent à amener l’esprit des élèves au bord du chaos, puis à l’illumination par le biais de l’auto-organisation. Un élève demande :

Qu’est-ce que Bouddha ?

Qu’est-ce que Bouddha ?

L’esprit, c’est Bouddha.

Mais l’esprit n’est pas Bouddha.

Ainsi est né un mouvement où la compréhension mentale de la vérité et celle du mensonge se replient continûment l’une sur l’autre. 163

Une large part de la littérature portant sur les développements alternatifs, depuis les critiques des écoles de l’Amérique latine sur les colonies, la critique indienne de la modernité, à l’enseignement musulman sur l’occidentalisation, a soutenu que la dépendance sensitive aux conditions initiales ne permettrait pas au modèle de développement occidental de fonctionner dans leur région ! La critique de l’expérience non occidentale insiste encore et encore sur le fait que les conditions initiales complexes des civilisations et des environnements non occidentaux n’ont pas été suffisamment bien comprises, que les précieux éléments dans le contexte holistique non occidental n’ont pas été pris en compte et que, par conséquent, les programmes déterministes grandiloquents ne pourraient pas atteindre leurs objectifs. Il existe une litanie d’études de cas pour justifier ce point de vue. C’est comme si l’on demandait à un chariot de tirer le cheval !

Vingt ans après, le chaos renferme la même critique des mathématiques ou des éblouissantes illustrations numériques. On pourrait dire que l’arrivée du chaos justifie que la critique face autorité. 164

Il n’est guère surprenant que la complexité soit comparée souvent au taoïsme. Brian Arthur [1946-], économiste britannique, professeur à l’université de Stanford et ancien directeur de l’Institut de Santa Fe, déclare : L’approche complexe est totalement taoïste. Dans le taoïsme, il n’existe pas d’ordre inhérent. « Le monde commence un, puis le un donne naissance au deux, puis le deux donne naissance à un grand nombre, et le grand nombre aboutit à une myriade de choses ». L’univers dans le taoïsme est perçu comme vaste, amorphe et en perpétuel changement. Vous ne pouvez jamais le déterminer. Les éléments demeurent toujours identiques, mais ils se réorganisent en permanence. C’est comme un kaléidoscope : le monde est une question de schémas qui changent, qui se répètent en partie, mais jamais en totalité, qui sont sans cesse nouveaux et différents.

Confucius dit : « N’arrêtez jamais de penser, vous pourriez oublier de recommencer. »

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Tout comme il n’y a pas de dualité entre l’Homme et la nature dans les visions du monde non occidentales – telles que celles islamique, chinoise et hindoue – il n’y a pas de dualité dans la complexité. Arthur : Nous faisons partie nous-mêmes de la nature. Nous sommes au milieu d’elle. Il n’y a pas de distinction entre celui qui fait et celui qui subit car nous faisons tous partie de ce réseau imbriqué.

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Finalement, Arthur admet : Fondamentalement, ce que je dis n’est pas du tout nouveau pour la philosophie orientale. Elle n’a jamais perçu le monde autrement que comme un système complexe. Mais c’est une vision du monde qui devient, au fil des décennies, de plus en plus importante en Occident – à la fois en science et dans notre culture en général. À vrai dire, nous commençons à perdre notre innocence, notre naïveté. Il semble qu’après des siècles de dénigrement des idées et des concepts non occidentaux, la science revienne aux points de vue non occidentaux.

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Critique du chaos Au cours des dernières décennies, la quête pour la Vérité incontestablement avérée s’est accélérée, en partie à cause de l’effondrement de tous les systèmes de croyance en Occident et en partie à cause de la puissance phénoménale de la manipulation mathématique libérée par les ordinateurs. En mathématiques, cette quête se manifeste par bon nombre de modes et de lubies. Chaque mode était censée nous fournir de nouvelles visions exhaustives de la nature et de la réalité, et nous mettre face à la réalité ultime. Dans les années 1950, la « théorie des jeux » était supposée décrire le comportement humain et nous permettre ainsi de le contrôler et le gérer. Dans les années 1960, la « théorie des catastrophes » de René Thom, qui décrit la dynamique de certains systèmes non linéaires, avait été propulsée loi universelle qui expliquait tout, du développement embryonnaire à la révolution sociale. Puis vinrent les « ensembles flous », pour lesquels des affirmations tout aussi grandioses avaient été énoncées. Et maintenant, nous avons le chaos et la complexité. Le chaos et la complexité sont-ils simplement de nouvelles modes passagères ? Le chaos sera-t-il encore au rendez-vous au siècle prochain, ou sera-t-il remplacé par une autre mode ? Peter Allen a toujours soutenu que le chaos n’est pas une discipline en soi. Il s’agit plutôt d’un sousélément de la dynamique non linéaire, qui est ellemême une simple partie des systèmes complexes. « En réalité, l’élément le plus important se trouve être les origines et l’évolution de la structure et de l’organisation dans les systèmes complexes – et non un événement banal de sensibilité dans les attracteurs étranges. Cependant, le chaos pourrait être utilisé dans la nature pour produire du « bruit » avec lequel maintenir adaptabilité et surprise. » 168

Ian Stewart, titulaire de la chaire de mathématiques à l’université de Warwick et l’une des figures d’autorité dans le domaine du chaos en Grande-Bretagne, déclare : « Le terme « chaos » a dépassé ses frontières d’origine et, ce faisant, a été quelque peu dévalorisé. Pour de nombreuses personnes, il n’est qu’un nouveau terme à la mode pour aléatoire. Prenez un système quelconque sans schéma évident, décrétez qu’il s’agit d’un exemple de chaos et, tout d’un coup, il prend vie aux frontières de l’intellect au lieu d’être relégué au vieux domaine ennuyeux des statistiques. Le chaos est devenu une métaphore, mais bien trop souvent une mauvaise métaphore. Non seulement la métaphore est étendue à des domaines où il n’y a aucune raison de trouver un système dynamique, mais les implications mêmes de cette métaphore sont mal représentées. Le chaos sert de prétexte à l’absence d’ordre ou de contrôle, plutôt que de technique pour établir l’existence d’un ordre caché ou de méthode pour contrôler un système qui nous paraît de prime abord incontrôlable. »

Toutes les généralisations sont fausses.

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Ce n’est pas surprenant. De tels abus apparaissent dès lors qu’un concept intellectuel profond devient à la mode. Stewart : « La même chose est arrivée à la théorie de la relativité d’Einstein qui avait été largement utilisée aux États-Unis comme excuse pour l’inégalité sociale. « Tout est relatif, comme Einstein l’a dit » était devenu un slogan. Ce n’est pas vrai. La chose la plus intéressante qu’Einstein ait dite est que certaines choses, notamment la vitesse de la lumière, ne sont pas relatives. » Ce n’est pas que le chaos n’offre pas de solutions toute prêtes à tout, mais c’est qu’il est aussi « difficile de réconcilier un univers complexe avec la simplicité supposée de ses règles ».

170

Stewart : « Un grand nombre de mystères de la science sont des phénomènes émergents. L’esprit, la conscience, les formes biologiques, les structures sociales – il est tentant de sauter sur la conclusion selon laquelle le chaos et la complexité détiendraient les réponses à ces mystères. Cependant, tout du moins sous leur conception actuelle, ils ne le font pas ni ne le peuvent. Le rôle du chaos et de la complexité a été primordial et positif : ils nous ont obligés à commencer à poser des questions pertinentes et à cesser de faire des suppositions naïves quant à la source de la complexité ou d’un schéma. Mais, ils ne représentent qu’un tout petit premier pas sur un chemin ardu, et nous ne devrions pas nous laisser emporter par des spéculations trop ambitieuses basées sur une définition trop simple de la complexité. » Le danger réside dans le fait que le chaos et la complexité deviennent la « Bible » – une nouvelle théorie de tout. Les champions excessivement zélés projettent déjà la nouvelle science comme une sorte de nouveau calculateur universel. La véritable importance du chaos réside dans sa capacité, en tant que nouvel outil, à résoudre des problèmes et offre une nouvelle manière de considérer la nature, le monde physique et nous-mêmes. Dans ce sens, c’est un domaine au potentiel riche qui pourrait véritablement structurer notre futur.

Tout est dit !

171

Lectures complémentaires Le récit le plus populaire et fascinant du Chaos (Sphere, Londres, 1988) est de James Gleick, qui a conféré aussi à cette nouvelle science un cachet de style pop. Roger Lewin, dans Complexity [Une complexité – Une théorie de la vie au bord du chaos] (Dent, Londres, 1993), a essayé de surpasser Gleick. En revanche, Mitchell Waldrop a su garder le sens des proportions dans Complexity (Viking, Londres, 1992). Il existe nombre de beaux livres grand format sur le chaos, tous agrémentés d’illustrations étonnantes et de somptueux graphismes. Les meilleurs d’entre eux sont Fractals – The Patterns of Chaos (Simon & Schuster, New York, 1992) de John Briggs et Symmetry in Chaos [La symétrie du chaos – À la recherche des liens entre mathématiques, art et nature] (Oxford University Press, Oxford, 1995) de Michael Field et Martin Colubitsky. Des explorations du chaos plus portées sur les mathématiques peuvent être trouvées dans Turbulent Mirror [Un miroir turbulent – Guide illustré de la théorie du chaos] (Harper & Row, New York, 1989) de John Briggs et David Peat, et The New Scientist Guide to Chaos (Penguin, Londres, 1992) de Nina Hall (éditrice). Des expériences encore plus approfondies sont fournies par Benoît B. Mandelbrot dans The Fractal Geometry of Nature (W.H. Freeman, San Francisco, 1982), Stephen H. Kellert dans In the Wake of Chaos (University of Chicago Press, 1993), Edward Lorenz dans The Essence of Chaos (UCL Press, Londres, 1995), David Ruelle dans Chance and Chaos [Hasard et chaos] (Penguin, Londres, 1993) et Stuart Kauffman dans The Origins of Order (Oxford University Press, Oxford, 1993). L’exploration entreprise par Michael Batty et Paul Longley sur les villes chaotiques est considérée comme étant révolutionnaire : Fractal Chaos (Academic Press, Londres, 1994). Dans Chaotics, George Anderla, Anthony Dunning et Simon Forge offrent une description pointue des théories de nouvelle économie et de gestion du chaos et de la complexité. Charles Jencks a accompli un excellent travail de relations publiques sur l’architecture chaotique dans The Architecture of the Jumping Universe [Mouvements modernes en architecture] (Academy Editions, Londres, 1993) et Barry Parker offre un tour d’horizon, remarquable mais à haute dose mathématique, du Chaos in the Cosmos (Plenum Press, Londres, 1996). Order Out of Chaos (Fontana, Londres, 1985) d’Ilya Prigogine et Isabelle Stengers est l’une des toutes premières explorations minutieuses du chaos – un 172

ouvrage de référence à plus d’un titre ! Dans Uncertainty and Quality in Science for Policy (Kluwer Academic, Dordrecht, 1990), Silvio Funtowicz et Jerome Ravetz explorent la gestion des risques en période chaotique. Des analyses critiques du chaos sont fournies par Ian Stewart, Does God Play Dice? [Dieu joue-t-il aux dés ? : Les nouvelles mathématiques du chaos] (Basil Blackwell, Oxford, 1990), Jack Cohen et Ian Stewart, The Collapse of Chaos (Viking, Londres, 1994) et dans le numéro spécial de la prestigieuse revue Futures (vol. 26, n° 6, juillet/août 1994), Complexity: Fad or Future, édité par Ziauddin Sardar et Jerome R. Ravetz.

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Index Allen, Peter 131, 169

météo 40–43, 146–150

Anderla, Georges 88, 111, 121

origines 7

Architecture et chaos 135–136

première mention du 40

Arnold, Vladimir 91–93

Chaotique (la) 88

Attracteurs 45–53, 133

Chirikov, Boris 53

voir aussi attracteurs étranges

Climat, cf. météo et chaos

Attracteurs chaotiques,

Cœur et chaos 139–140

cf. attracteurs étranges

Comportement apériodique 14–15, 25

Attracteurs étranges 45, 47–53, 55

Corps humain 38, 138–145

architecture 135

Corps noir 98–99

corps humain 139, 143

Désordre 4, 16, 70, 86

temps 146, 148

Dunning, Anthony 88

turbulence 60–61

Économie à l’équilibre 108–111, 113

Auto-organisation 71, 75–77, 133 systèmes complexes 83villes 132

et chaos 29, 106–117 néoclassique 116

Autosimilarité 34–335

Effet papillon 54–56

Batty, Michael 128–130

Effet de serre 150

Bénard, Henri 75–76

Einstein 170

Bifurcation 64, 79

Ensemble de Cantor 31

Bohr, Niels 100

Ensemble de Julia 37

Born, Max 101

Entropie 72, 86

Broglie, Louis de 101

Équation d’onde 101

Cerveau et chaos 142–143

Équilibre 70, 108–111

Champ magnétique et atomes 104

Espace des phases 47–50

Chaos

Fatou, Pierre 37

au bord du 81–83

Feigenbaum, Mitchell 66–68

corps humain 138–145

Fontowicz, Silvio 157, 159

critiqué 168–171

Forge, Simon 88, 119

description du 9, 80, 169

Fractales 33–39, 47

déterministe 133

corps humain 38, 138

et architecture 135–136

dans les sociétés orientales 161

et complexité 85 et suite

174

théorie 5–8, 24–25

Arthur, W. Brian 113, 165–167

utilisation 38

et économie 29, 106–117

Gleick, James 55

et nature 151–155

Gravité 19, 23, 93

et physique quantique 102–105

Heisenberg, Werner 56

et système solaire 90

Infini 34

et villes 124–134

Izrailev, Felix 53

histoire 4

Jencks, Charles 136

Kolmogorov, Andrei 91–93

Ruelle, David 27, 56, 59–61, 110, 115

Lewin, Roger 85

Rutherford, Ernest 100

Li, Tien-Yien 78–80

Schrödinger, Erwin 101

Lorenz, Edward 40–41, 52

Science post-normale 155–159

Mandelbrot, Benoît 28–39

Seconde loi de la thermodynamique

Mathématiques fractales 28–39, 126–130

72, 77, 86

May, Robert 18, 62–65

Stabilité quasi périodique 92

Météo et chaos 40–43,146–150

Stewart, Ian 9, 169–170

Mise en œuvre 122

Système solaire 90–96

Monde atomique, cf. physique quantique

Systèmes 11

Monopole 117

au comportement instable 26

Moser, Jurgen 91–93

complexes 81

Mouvement périodique 57

comportement à long terme 25

Nature 151–155

déterministes 12

Newton, Isaac 22

dissipatifs 69–70, 131

Newton et temps 72

fermés 69, 73–74

et physique quantique 98

linéaires 13, 16–19, 21–22

Ondes de probabilité 101

loin de l’équilibre 70–71

Ordre 4, 16, 70, 73–74, 169

non linéaires 13, 17–19, 113, 116

Période

ouverts 69

doublement de 65, 136, 140 réfractaire 140 trois 78–80 Perturbation 54, 149, 153 Physique quantique 97, 102–105

périodiques 14–15 Systèmes instables, cf. comportement apériodique Systèmes mathématiques et comportement instable 26

Planck, Max 99–100

Takens, Floris 59

Planètes, orbites des 22–23, 90–96

Taylor, Frederick W. 118

Poincaré, Henri 90

Temps 71–72

Prigogine, Ilya 69–77, 131

Temps réfractaire 140

Principe d’incertitude 56

Théorème KAM 93

Problème des trois corps 22–23

Théorie de Darwin 86

Processus irréversible 72–74

Théorie de la relativité 170

Ravetz, Jerry 156, 159

Théorie des catastrophes 168

Rendements décroissants, loi des 108, 111

Turbulence 56–61

Résonance 91

Univers, l’ 89–97

Rétroaction 20–21

Universalité 68

négative 108–109, 149

Velikovsky, Immanuel 23

non linéaire 21–23, 62

Villes et chaos 124–134

positive 113, 149

Yorke, James 78–80

175

Biographies Ziauddin Sardar a toujours vécu au bord du chaos. Ayant débuté comme journaliste scientifique, il s’est auto-organisé spontanément en reporter télévisuel, futurologue, expert d’études islamiques, critique culturel et professeur invité en sciences politiques. Ce comportement chaotique l’a poussé tout naturellement vers un attracteur étrange appelé gribouillage ; et le doublement périodique l’a conduit à produire une bonne vingtaine d’ouvrages académiques et populaires. Il est l’auteur d’études classiques, dont The Future of Muslim Civilisation et Islamic Futures. Parmi ses écrits plus récents, on trouve Mathematics, Muhammad, Cultural Studies et Postmodernism (coauteur) dans la collection « Introducing… », Postmodernism and the Other, Barbaric Others (coauteur), Cyberfutures (coédité) et The Consumption of Kuala Lumpur. La dépendance sensitive aux conditions initiales ont nécessité une vie de famille : il est marié, a trois enfants et vit à Londres. Iwona Abrams – illustratrice et graveuse. Diplômée de l’Académie des beaux-arts de Cracovie en Pologne et du Royal College of Art de Londres. Ses œuvres ont été exposées en Grande-Bretagne et à l’étranger. Commandes: Vintage, Woman’s Press, Heinemann International, Cambridge University Press, The Sunday Times, GQ, The Economist, The Observer, Spero Communications.

Remerciements Nous remercions Gail Boxwell pour son aide chaotique. Iwona Abrams remercie Teresa Frodyma pour avoir joué le rôle de Chou-Choux.

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Biographies Ziauddin Sardar a toujours vécu au bord du chaos. Ayant débuté comme journaliste scientifique, il s’est auto-organisé spontanément en reporter télévisuel, futurologue, expert d’études islamiques, critique culturel et professeur invité en sciences politiques. Ce comportement chaotique l’a poussé tout naturellement vers un attracteur étrange appelé gribouillage ; et le doublement périodique l’a conduit à produire une bonne vingtaine d’ouvrages académiques et populaires. Il est l’auteur d’études classiques, dont The Future of Muslim Civilisation et Islamic Futures. Parmi ses écrits plus récents, on trouve Mathematics, Muhammad, Cultural Studies et Postmodernism (coauteur) dans la collection « Introducing… », Postmodernism and the Other, Barbaric Others (coauteur), Cyberfutures (coédité) et The Consumption of Kuala Lumpur. La dépendance sensitive aux conditions initiales ont nécessité une vie de famille : il est marié, a trois enfants et vit à Londres. Iwona Abrams – illustratrice et graveuse. Diplômée de l’Académie des beaux-arts de Cracovie en Pologne et du Royal College of Art de Londres. Ses œuvres ont été exposées en Grande-Bretagne et à l’étranger. Commandes: Vintage, Woman’s Press, Heinemann International, Cambridge University Press, The Sunday Times, GQ, The Economist, The Observer, Spero Communications.

Remerciements Nous remercions Gail Boxwell pour son aide chaotique. Iwona Abrams remercie Teresa Frodyma pour avoir joué le rôle de Chou-Choux.

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