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French Pages 568 [564] Year 2012
L’ÉTAT DÉMANTELÉ *** ANNALES DE SOMALIE 1991 – 1995
BIBLIOTHEQUE PEIRESC Collection dirigée par François ENGUEHARD et Marc FONTRIER Association française pour le développement de la recherche scientifique en Afrique de l’Est (ARESÆ)
« Servant un chacun quand nous l’avons pu, et principalement le public, pour lequel seul nous avons travaillé quasi toute notre vie » PEIRESC
La Bibliothèque Peiresc a été créée par Joseph Tubiana en hommage à l’érudit provençal d’ascendance italienne Nicolas Claude Fabri de Peiresc (1580-1637), pour y accueillir des œuvres correspondant à l’exigence et à l’éclectisme de ce magistrat humaniste et bibliophile. Savant et curieux de toute chose, au point qu’on ne saurait énumérer tout ce qui l’a intéressé et diverti : sciences naturelles, numismatique, art, histoire, littérature, astronomie, philosophie, mœurs, religions, poésie, avec un souci particulier des langues et des cultures de la Méditerranée antique et contemporaine. Dans les dernières années de sa vie il s’était pris d’un vif intérêt pour les chrétientés orientales, notamment d’Égypte et d’Éthiopie. C’est dans cette direction que notre collection est surtout orientée, sans s’interdire aucun des sujets qui ont retenu l’attention de Peiresc, en s’efforçant de satisfaire, avec le respect qui lui est dû, la curiosité diverse de nos contemporains.
MARC FONTRIER
L’ÉTAT DÉMANTELÉ ****
ANNALES DE SOMALIE 1991-1995 De la chute de Siyaad Barre au retrait de l’ONUSOM
Publié avec le concours de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales
BIBLIOTHEQUE PEIRESC 24
L’Harmattan
Du même auteur : - La Chute de la Junte militaire éthiopienne (1987-1991). L’Harmattan. Paris 1999. - Abou-Bakr Ibrahim - Pacha de Zeyla, marchand d’esclaves. L’Harmattan. Paris 2003 - Le Darfour : Institutions internationales & crise régionale 20032008. L’Harmattan, Paris 2009.
© L'HARMATTAN, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-56013-0 EAN : 9782296560130
Au colonel Laurent Tabournel, mon ami et mon frère d’armes
NOTES SUR L’ORGANISATION GENERALE DE L’OUVRAGE
Ce document n’est pas une fin. L’intrication des événements relatés conduira à des points de vue nouveaux et des corrections, sinon des contradictions ; assurément à des précisions. Il a pour vocation première d’être une aide aux étudiants et aux chercheurs. La Somalie en effet a fait l’objet de nombreuses études mais peu d’ouvrages historiques de synthèse sont consacrés à la période complexe qu’il recouvre. Il en résulte une table des matières anormalement mais délibérément précise, destinée à faciliter la recherche d’un événement particulier. Le plus souvent, le lignage des personnes apparaît à la première mention du nom. Il peut donc normalement être retrouvé à partir du renvoi de l’index. Les noms de personnes sont cités à leur première apparition selon l’ordre agnatique traditionnel : nom, nom du père, nom de l’aïeul. Selon la tradition somalie, l’ensemble est souvent suivi d’un sobriquet [som. naanays], ici écrit en italique. À partir de la deuxième apparition, les individus sont simplement cités – sauf lorsqu’il existe un risque de confusion – par leur nom et celui de leur père, leur nom et leur surnom, voire parfois par leur seul surnom. Ainsi, Maxamed Faarax Xasan Caydiid apparaîtra simplement à la deuxième rencontre sous Maxamed Caydiid voire Caydiid. Cabdullaahi Yuusuf Axmed sous Cabdullaahi Yuusuf. L’index final permettra de retrouver le nom complet. Pour les noms propres arabes et éthiopiens, la majuscule, bien qu’absente de ces écritures, sera utilisée pour le confort visuel. Les noms non somaliens et régionaux sont orthographiés, translittérés ou transcrits d’après l’usage du pays concerné. Les toponymes jugés ambigus ou malaisés à localiser sont repris en annexe avec leurs coordonnées polaires. Quelques écritures entérinées par la presse française – Sharjah, Le Caire, Boutros Ghali… – seront utilisés selon l’usage de cette dernière. Une partie de la substance de l’ouvrage repose sur des notes personnelles, prises au moment des faits. Quand elles sont corroborées par les articles de la presse, elles ont été confondues avec ceux-ci. À une bibliographie supplémentaire, il a été préféré la simple mention des ouvrages qui ont paru sinon essentiels, tout au moins les plus pertinents.
T RANSCRIPTION ET TRAN SLITTERATION
La langue somalie, af soomaali, a été fixée en 1972 par le gouvernement somalien. Le choix de la transcription s’est alors porté sur l’alphabet latin, au détriment de l’arabe et de certains systèmes d’écriture tout aussi pertinents mais plus complexes proposés par des érudits autochtones. C’est pourquoi, par respect pour cet idiome, il est utilisé dans cet ouvrage l’orthographe ordinaire somalie désormais retenue, aussi inconfortable soit-elle pour le lecteur occidental. Une difficulté mineure en soi en réalité puisque quatre phonèmes seulement méritent quelque précision. Il s’agit des : - « x » utilisé pour la fricative pharyngale sourde identique au ﺡḥa arabe, - « c » utilisé pour la fricative pharyngale sonore identique au ﻉcayn arabe, Ces deux sons peuvent, dans la lecture d’un non-somalophone, être rendus : le premier par notre « h » ordinaire, le second par son omission pure et simple, ce qui permet une approche moins déroutante. Ainsi, Cabdullaahi se lira « Abdullahi », Axmed « Ahmed ». - « kh » utilisé pour la fricative vélaire sourde identique au ﺥḫa arabe, au ch allemand de Buch, au j de la jota espagnole, etc. - « dh », d rétroflexe sans équivalent acceptable que l’on lira comme un d ordinaire. L’intrusion de l’arabe dans la langue a par ailleurs suscité une somalisation des mots, voire des expressions, patente après le retour des étudiants somalis dans les pays arabes après les années cinquante. Le phénomène n’a fait que s’accélérer depuis. Cela n’a pas fait pour autant de l’ensemble des Somalis des locuteurs arabophones, tant s’en faut. Aussi se sont-ils souvent contentés de transcrire dans leur langue ce qu’ils entendaient. C’est pourquoi, à chaque fois qu’un concept a été accaparé, c’est l’orthographe somalie résultant de cette appropriation qui a été retenue. L’expression ou le mot arabe original est précisé en note – en arabe et en translittération. La règle de translittération utilisée est précisée dans le tableau cidessous qui ne reprend que les signes nécessitant une transcription ou une translittération spécifique.
SYSTEME DE TRANSLITTERATION ET TRANSCRIPTION arabe
somali
amharique
transcription
er
(1 ordre)
ء
‘ t
‘
ﺙ ቸ ጨ
ḉ
ﺡ
x
ḥ
ﺥ
kh
ḥ
ﺫ
-
d
ﺵ
sh
ሸ
š
ﺹ
ṣ
ﺽ
ḍ ጠ
ﻁ
ṭ
ﻅ
ẓ
ﻉ
ʿ ġ
c
ﻍ ﻕ
ቀ
q
ﻙ
ከ
k
dh
ɖ
Pour les quelques mots ou expressions amhariques cités, les ordres utilisent la translittération suivante : 1er ordre
2e ordre
3e ordre
4e ordre
ä
u
i
a
5e ordre y
é
6e ordre ə ou silence
7e ordre w
o
I NTRODUCTION
Toute approche du monde somali doit être précédée d’une connaissance a minima de sa grammaire sociale : - sa morphologie tout d’abord qui revient à identifier les principales lignes de sa géographie clanique, - sa syntaxe ensuite qui consiste à connaître la règle et la façon dont les éléments interagissent. Ceci fait, il reste encore à en considérer les fioritures, c’est-à-dire à la fois les embellissements et les altérations. La principale d’entre elles, la religion, n’est pas des moindres. Elle se décline selon deux paradigmes, celui, traditionnel, majoritaire et populaire, d’un islam apaisé et celui, somme toute récent, minoritaire et populiste, d’un islam radical, accompagné ou non d’une incitation à la violence. Alors que dans la période qui nous préoccupe le second infiltre de plus en plus la société somalienne, c’est encore l’ordre lié au premier qui prévaut dans les cœurs de cette Somalie qui s’effondre. L’autre cortège de fioritures résulte de la dépravation humaine, des égoïsmes ordinaires, de l’appât du gain ou du mépris de la souffrance d’autrui. Toutes choses d’autant plus aisément identifiables que nos propres sociétés savent aussi en fournir des exemples achevés. Dans le modèle somali néanmoins, il est nécessaire d’en considérer les tenants et les aboutissants à la lumière de la logique clanique. Cela dit, cet ouvrage n’entend dispenser ni un cours d’ethnologie, ni un cours d’islamologie. Il souhaite cependant présenter, de façon simple, voire simpliste parfois, les éléments indispensables à la compréhension de l’ensemble des événements de ce milieu hermétique et complexe, aux logiques si souvent inaccessibles à l’entendement occidental.
Venons-en au peuple somali et posons les principaux éléments de son histoire et de la géographie de ses faisceaux lignagers ; sur tout cela, au fil des chapitres, il sera revenu autant que de nécessaire. Les Somalis comptent environ de 7 à 8 millions d’âmes et occupent un vaste territoire couvrant la partie orientale de la Corne de l’Afrique. Ils sont entourés de peuples cousins mais, comme il arrive souvent, ennemis à leurs confins dès lors qu’aucune chaîne de montagnes, région aride, grand fleuve ou zone de grande endémie ne vient se poser en obstacle aux velléités belliqueuses des uns et des autres. De souche couchitique, les ʿAfar vivent au nord et les Oromoo au nord-ouest et à l’ouest. Au sud et au sud-ouest résident des populations avec lesquelles les contacts sont peu ou moins significatifs. Au nord et à l’est, l’océan. Ce peuple de pasteurs, fondé sur le mode nomade, s’est toujours détourné de l’élément marin. En revanche, il a cherché sa survie en s’organisant dans un paysage, semi-aride pour l’essentiel, dominé par le bush. Son espace connaît aussi quelques régions de montagne, dans l’arrière-pays face au golfe d’Aden. En bord de mer, un désert côtier inhospitalier où des commerçants étrangers sont jadis venus organiser des emporia, simples rades foraines souvent, qui, devenues des ports, puis villes voire cités États s’y sont aussi révélées dès le xe siècle les points d’entrée de la foi musulmane. Aujourd’hui, l’aire somalie s’étend sur quatre États : la République de Somalie elle-même, dont nous allons narrer la déliquescence, est l’une des rares entités politiques quasiment mono-ethniques du continent africain ; le sud de la République de Djibouti ; le Northern Frontier District kényan ; la République fédérale d’Éthiopie dont la partie sud-est constitue la Région 5, région somalie de la fédération ethnique ; résolument irrédentiste, elle abrite avec d’autres le grand faisceau lignager des Darood Ogaadeen, jouxte au nord la dépression ʿafar et à son ouest la région oroomo. Cette géographie politique contemporaine résulte d’une histoire qui mérite un rapide excursus. Tard venus dans l’histoire, on ne les identifie guère avant le XVIe siècle, les Somalis n’y sont entrés de plain-pied qu’au cours du XIXe. Pasteurs nomades, ils n’ont en effet réellement investi que depuis quatre cents ans à peine les côtes brûlantes et inhospitalières si peu propices par leur aridité à la survie des troupeaux. Cantonnés dans l’hinterland, ils se sont jusque-là forgé auprès des rares voyageurs une réputation de férocité qui n’a pas été de nature à encourager les contacts. Hors les cités États posées en bord de mer par des acteurs économiques étrangers – la plupart venus des mondes arabe et indo-iranien –, les Somalis se sont donc peu préoccupés du reste d’un monde que leur aversion pour les choses de la mer limitait à ses côtes. Pas véritablement d’États organisés donc, mais néanmoins la présence de quelques chefferies plus puissantes : entre le sud du webi
Nugaal et le nord de Muqdisho, celle des Ajuuraan, installée aux XVIIe et e e XVIII siècles avec son centre commercial, Hobyo ; au XIX siècle, les Majeerteen s’organisent sur la côte nord, ainsi qu’un peu plus à l’ouest les Warsangeli du Maakhir, établis autour de Laas Qorey. Dans le Sud, au XIXe siècle toujours, et avant que ne se déploie le dispositif colonial, on assiste à un déclin des cités États établies aux confins de la zone swahilie. Au nord, au contraire, l’activité des ports adossés à l’Éthiopie prospère. C’est pourquoi à la fin du siècle, les côtes somalies se trouvent sollicitées par une présence étrangère pressante, encline à se déplacer vers l’arrière-pays, c’est-à-dire notamment vers le haut plateau méridional et la cité de Harär. Ainsi est-ce l’histoire coloniale qui, bien malgré eux, inflige à ce peuple ombrageux des concepts nouveaux dont sa tradition s’était bien gardée d’imaginer jusqu’à l’existence, au premier chef le concept d’État. En quelques années, le monde somali – nul ne songe à contester leur sentiment identitaire – voit s’installer des étrangers, païens de surcroît, gaal, venus lui disputer la souveraineté territoriale : Angleterre, Éthiopie, Italie, les armes à la main, Allemagne encore sur les rivages océaniques et France aux confins septentrionaux, celles-ci par la négociation. Les installations se font sur les côtes où depuis des siècles les commerçants orientaux ont établi ou ressuscité d’antiques cités. Les surfaces colonisées vont cependant connaître des destins différents. Après la rapide disparition de l’Allemagne, quatre nations colonisatrices vont rester à s’approprier et à se partager l’espace : l’Angleterre installée depuis 1839 à Aden approvisionne son point d’appui grâce au bétail du pays somali. Ici, autour des années 1875 dans les ports de la côte nord, les Égyptiens se sont substitués à l’autorité turque avant de s’emparer de l’émirat de Harär. Avec leur complicité, Londres a pris soin de barrer la route à la France qui en 1862 s’est timidement montrée dans la région. Mais au départ des Égyptiens en 1884, les Britanniques s’établissent à leur place sur la côte nord à Seylac, Buulxaar et Berbera1 où ils installent des consuls et une milice d’une centaine d’hommes, la Somali Coast Policy. Seulement intéressée à s’assurer des points d’appui sur la côte et soucieuse de protéger la sécurité de ses rares ressortissants, la Grande-Bretagne ne procède à aucune ingérence dans les affaires locales. Seules sont menées quelques expéditions punitives dans l’intérieur, parfois avec un renfort ponctuel venu d’Aden. Aux confins du protectorat, la frontière avec l’Éthiopie sera pour la première fois établie en 1934 ; la France, propriétaire depuis 1862 en pays ʿAfar, s’y installe en 1884 à Obock, avant de s’installer de l’autre côté du golfe de Tadjoura, à Djibouti, où au terme d’accords passés avec les chefs 1
Respectivement rapportées par les Européens sous les noms de Zeyla, Bulhar et Berbera.
somalis, elle fonde en 1892 la Côte française des Somalis 1 ; la frontière entre celle-ci et le protectorat anglais sur le Somaliland est délimitée en 1888 ; la société italienne Filonardi s’installe en 1889 sur la côte du Banaadir, prémices d’un projet colonial2. Peinant en effet à se soutenir, l’entreprise cède finalement ses droits à l’Italie qui, après avoir signé en 1889 un premier accord de protectorat et d’amitié avec le sultan de Zanzibar, réitère l’exercice avec le suldaan de Hobyo et le boqor Majeerteen des Cismaan Maxamuud. En 1892, Rome à la recherche d’un empire colonial transforme ce comptoir privé sur la façade occidentale de l’océan Indien – la côte du Banaadir -, en Colonia Somalia ; l’Éthiopie enfin, partie en 1886 à l’assaut de l’émirat de Harär sous l’impulsion du negus du Shäwa, Sahlä Maryam3, pousse ses troupes vers l’espace musulman situé à son sud, aménageant ainsi le décor de bien des affrontements à venir. Au cours des vingt premières années du XXe siècle, dans le nord du pays somali, entre Somaliland, Somalia et Ogadén, les Britanniques, Italiens et Éthiopiens sont confrontés à une révolte qui semble devoir relayer celle du mahdī soudanais Muḥammad Aḥmad et de son successeur le khalife ʿAbdullāhi, vaincu en 1898. L’esprit de la révolte darwīš se perpétue ici, menée par un personnage étonnant, à la fois homme de foi, poète et guerrier, le sayid Maxamed Cabdille Xasan, le Mad Mullah des Anglais. Présentée, hâtivement peut-être, comme la première manifestation d’un nationalisme somali, cette insurrection qui trouve son terme à la mort du Sayid en 1920, est à coup sûr l’expression d’un irrédentisme qui tout au long du siècle ne se démentira pas. Une quinzaine d’années plus tard, la conquête de l’Éthiopie lancée à partir du Banaadir par les troupes italiennes bouscule en 1936 l’ordre colonial des choses en donnant naissance à l’Africa italiana orientale, entité qui regroupe l’ensemble des territoires acquis d’une façon ou d’une autre par Rome depuis la fin du siècle précédent. Très vite néanmoins, dans l’Est africain, la défaite du régime fasciste se conclut en Éthiopie sur la restauration du pouvoir du Roi des rois. La France conserve son enclave autour de Djibouti face au détroit de Bab al-mandeb, le Somaliland britannique son territoire au prix de quelques difficultés de frontière avec le pouvoir éthiopien portant sur les pâturages du Hawd et des Reserved Areas. Quant à la Somalia italienne, provisoirement placée sous mandat britannique, les Nations unies décident en 1950 d’en laisser pour dix années encore la gestion à Rome, avec pour mandat de la conduire à l’indépendance. 1
Tarritoire Français des Afars et des Issas en 1967 puis République de Djibouti en 1977 L’Italie est déjà présente à Asäb en Érythrée dont la rade a été acquise en 1869 par le père Sapetto et où la société Rubattino s’est installée en 1882. 3 [ge’ez. ሳህለ ፡ ማርያም ፥], le futur roi des rois Menilek II [amh. ምኒልክ ፥] (1844-1913). 2
En 1960, après que les deux emprises coloniales ont accédé à l’indépendance, le Somaliland le 26 juin et la Somalia quatre jours plus tard, les deux jeunes États décident d’unir leur destin le 1er juillet en une République de Somalie. Seul pays africain à présenter une unité ethnique, linguistique et culturelle, celle-ci a d’emblée la faveur d’une société internationale, plus inquiète au regard de la stabilité d’autres pays du continent où les affrontements ethniques n’ont été contenus que par la présence des forces de coercition occidentales. En dépit d’une économie peu prospère – la Somalie ne dispose guère de ressources naturelles – les années qui suivent l’indépendance n’en sont pas moins assez prometteuses. Peu à peu cependant, l’encouragement des velléités nationalistes visant à rassembler l’ensemble des populations somalies suscite une forte défiance, tant en Éthiopie qu’au Kenya ou à Djibouti ; ce concept de Grande Somalie, de Soomaaliweyn, est symbolisé par les cinq branches de l’étoile du drapeau, représentation de chacun des territoires composant le Somal. À l’intérieur, la multiplication des dissensions fondées sur des affrontements lignagers fragilise par ailleurs un appareil où fraude et corruption vont achever de miner le système libéral mis en place à l’indépendance. L’assassinat du président Cabdirashiid Cali Sharma’arke, le 15 octobre 1969, conduit à une prise de pouvoir le 21 octobre par la police et les forces armées cantonnées dans et autour de Muqdisho. Évitant ainsi la guerre civile, un Conseil suprême de la révolution (CSR)1 est mis en place avec notamment à sa tête le général Maxamed Siyaad Barre. Entendant mettre fin au tribalisme, au népotisme et à la corruption, le Conseil dissout les partis politiques et l’Assemblée nationale, suspend la constitution et engage la désormais République démocratique de Somalie2 sur la voie du socialisme scientifique. Adossées à un culte exponentiel de la personnalité du chef de l’État, les premières années du gouvernement de Siyaad Barre n’en profitent pas moins incontestablement au pays. Le CSR donne la priorité au développement économique et social. Véritable despote éclairé, Siyaad Barre instaure la gratuité des soins, de l’éducation, et favorise la condition des femmes, ce qui lui vaut l’hostilité des milieux religieux. Il fixe par ailleurs la langue somalie, tranchant sur une transcription dans l’alphabet latin. Deux handicaps majeurs vont cependant faire obstacle à la poursuite de cette action prometteuse. La crise pétrolière d’une part et une sécheresse inhabituelle d’autre part fragilisent rapidement une économie qui en dépit des progrès réalisés n’en demeure pas moins structurellement précaire. 1 2
[som. Golaha Sare ee Kacaanka] [som. Jamhuuriyadda Dimuqraadiga Soomaaliya]
La détérioration définitive du régime va cependant résulter de la guerre catastrophique menée en Ogadén entre 1977 et 1978. Fort de la fragilisation de l’Éthiopie qui vient de renverser le régime impérial et fort du soutien de l’Union soviétique, Siyaad Barre croit le moment venu d’entreprendre la réalisation de cette Grande Somalie, la Soomaaliweyn, en lançant ses forces armées à l’assaut de l’Éthiopie. C’est, outre de solides erreurs tactiques, sans compter avec la pugnacité des Éthiopiens et leur propre sentiment national. C’est surtout sans prévoir le renversement d’alliances opéré par l’Union soviétique qui en l’espace de quelques jours octroie désormais son soutien au nouveau régime d’Addis Abäba, un régime qui promet de rejoindre maintenant le camp des pays de l’Est. La Somalie ne se relèvera jamais de ce désastre. Militaire et économique certes, il l’est plus encore sur les plans psychologique et politique. La défaite alimentant le mécontentement intérieur, des groupes d’opposition apparaissent. Le pouvoir de Siyaad Barre commence à s’effriter. Au sortir de la guerre, sur fond de tentative de renversement, les contestations se multiplient, en particulier dans les régions au nord du pays. Le président opère alors un repli clanique aussi préjudiciable à la Somalie dans son ensemble qu’il va se révéler l’être pour sa propre autorité. Un comportement conforté par la maladie qui le ronge et surtout par un accident de voiture qui le laisse diminué. De nature obtuse, développant un véritable complexe obsidional, Siyaad Barre dès lors va privilégier les conseils d’une famille rapace et inconséquente, le faisceau lignager des Darood Mareexaan, sa propre femme Khadiija Macalin Ismaaciil au premier chef. Il va autoriser des répressions menées par ses officiers les plus brutaux, le général Maxamed Siciid Xirsi Moorgan par exemple, voire les moins avisés comme son propre fils Maslax Maxamed Siyaad. Trois mouvements armés se développent successivement au cours des années 1980 qui, souvent renforcés d’autres clans au fil de la révolte, vont conduire au renversement du régime, le 27 janvier 1991 : - Le Somali Salvation Democratic Front (SSDF)1, le plus ancien, a été créé en 1978 par le colonel Cabdullaahi Yuusuf Axmed après la défaite en Ogadén. Dès l’année suivante, il affirme sa vocation à renverser le pouvoir de Siyaad Barre. Fondé sur les lignages Darood Majeerteen du Nord-est, il disparaît après 1985 pour redevenir actif à partir de 1988 dans les provinces du Mudug, du Nugaal et du Bari ; - Le Somali National Movement (SNM)2, institué à Londres en avril 1981 est fondé sur les lignages Isxaaq du nord-ouest, l’ancien Somaliand. Celui-ci est le plus vigoureux des groupes armés 1 2
[som. Jabhadda Diimuqraadiga Badbaadinta Soomaaliyeed] [som. Haq Dhaqaaqa Wadaniga Soomaaliyeed]
-
opposés au régime. Ainsi en 1988, craignant une attaque de l’armée régulière, le SNM décide-t-il d’une offensive sur l’ensemble du nord de la Somalie qui coûtera à la région une répression aussi fulgurante que meurtrière. Le SNM, très profondément implanté dans la société Isxaaq, n’en prend que davantage de poids politique jusqu’à finalement s’imposer sur l’ensemble du territoire de l’ancien protectorat britannique ; Le United Somali Congress (USC) fondé à Rome en janvier 1989 rassemble les faisceaux lignagers Hawiiye du centre de la Somalie. Absent du conflit jusqu’à la mi-1990, il conquiert cependant la capitale en janvier 1991, provoquant la chute du régime et s’arrogeant dans la confusion les profits de la victoire finale au détriment de mouvements rebelles plus anciens et plus actifs.
Terminons cette présentation par une indispensable description, aussi sommaire soit-elle, de la géographie des clans. Au moment de l’indépendance de la Somalie, la plupart des observateurs plaçaient beaucoup d’espoirs dans ce nouveau pays, vaste et peu peuplé, installé aux confins orientaux de l’Afrique, et qui partageait avec le Botswana la particularité d’une homogénéité ethnique : au Botswana des Tswana et quasiment rien d’autre, en Somalie des Somalis. Promesse de fraternité et de cohérence dans un continent où l’on augurait dans chaque nouvelle entité politique le cauchemar des querelles ethniques. Si le Botswana a effectivement répondu aux espérances de paix, le pandémonium somalien a rappelé nombre de politologues imprudents à certaines réalités. Certes, l’apparente homogénéité des populations somalies se fonde sur des évidences : une langue commune, un espace géographique hébergeant une myriade de familles parlant ce même idiome, un paysage social dessiné selon un concept lignager et une façon à peu près identique d’envisager le fonctionnement de chacun de ces fameux lignages. Cela semblait suffisant pour nourrir tous les espoirs sans qu’il ne soit vraiment envisagé que cela même qui apparaissait promesse de stabilité puisse vite se révéler autant de ferments de disputes. Car certains détails aussi ont été ignorés. Le monde somali, par exemple, s’est façonné dans un espace géographique et climatique exceptionnellement difficile. Un peu hors du temps, largement hors du monde. Peu d’ouvertures sur celui-ci, hors une petite dizaine de ports dont trois de quelque importance, étroits écoinçons dispersés le long d’une côte de plus de 3000 kilomètres. Plus préjudiciable encore l’ardeur du climat qui sauf en certains endroits rend improbable l’hypothèse agricole ; seuls le troupeau et le commerce tentent de se porter garants de la survie des individus. Dans le même temps, la rigueur de l’environnement ne permet que l’établissement d’unités sociales de petite envergure, chaque puits et chaque pâturage ne pouvant subvenir qu’aux besoins d’un petit nombre. Ce numerus clausus a in fine imposé un modèle social qui s’est développé à partir de l’individu et de son foyer, avec une préoccupation : la survie.
Et survivre se pense pour un berger en terme d’eau et de pâturages, à conquérir parfois, à sauvegarder toujours, à espérer seulement quand la pluie ne vient pas. Les règles de solidarité se sont ainsi construites à partir de là, en cercles d’intérêt concentriques : autour d’un puits, d’une zone de pâturage, de part et d’autre d’un itinéraire de transhumance, de la charge sécuritaire assumée par plusieurs groupes liés autour du paiement du prix du sang, le mag, du partage d’un espace pour le mariage, d’un autre pour l’affrontement. C’est donc bien à partir de sa propre situation que tout Somali voit le monde. Quand il porte son regard au-delà, c’est du proche au plus éloigné qu’il cherche à investir l’espace en identifiant les différents cercles qui pourront contribuer à assurer sa sécurité et sa survie. Ils sont, de son point de vue, imbriqués à la façon des poupées russes. Pour ce peuple de petits nomades, l’extension de chaque famille s’est opérée à partir d’un territoire relativement limité, mais en direction d’un espace disponible à la fois immense et inhospitalier. Au fil des générations, le terrain a ainsi été occupé par les enfants puis par les enfants des enfants, dessinant un puzzle social décliné en tribus, en fractions ou en clans. Sinon que les paradigmes occidentaux que ces termes induisent restent illisibles pour les intéressés. Aussi, sauf à utiliser le terme somali approprié, contraignant celui-là pour le lecteur non initié, nous tenterons de résoudre l’équation en préférant le concept plus global de faisceaux lignagers. Car la société somalie est avant tout segmentaire et acéphale. Aussi le vocabulaire utilisé pour désigner un regroupement de personnes sert-il surtout à établir le droit d’un individu à revendiquer son état de Somali, c’est-à-dire une sorte de droit d’exister. Et c’est tout. Pour le reste, chacun fait référence à une surface lignagère répondant à ses préoccupations du moment, en particulier à l’organisation d’alliances toujours conjoncturelles. Donc pas de grandes constructions hiérarchisées des lignages, source de nombreuses interprétations erronées et supposées donner ou non un quelconque droit de préséance. En pays somali, chacun a une place égale au sein d’un nonsystème. Le recours exclusif aux démonstrations fondées sur une rigoureuse mécanique clanique relève d’une connaissance imparfaite du milieu. Cela dit, un savoir a minima de la configuration des lignages est naturellement nécessaire dès lors que l’on ne se trompe point sur les priorités à accorder dans l’observation d’une séquence événementielle : un problème survient, il donne lieu à des propositions de règlement fondées sur le lignage, c’est incontestable, mais cela n’a rien de rigoureux ni de systématique. Dans tout problème il y a une alternative dont on retiendra tel ou tel volet en fonction du contexte. Car il n’y a aucun consensus clair sur les structures tribales et leurs déclinaisons claniques. Le clan est tout, mais le clan n’est rien. Unique exception, la solidarité autour du paiement du mag : l’unité sociale appelée jilib.
Aussi, sauf à noircir des pages entières sur les lignages, toute description s’en révèle invariablement partielle et simplificatrice quand elle n’est pas contextualisée. Cette réserve étant apportée, on n’en identifie pas moins cinq faisceaux lignagers majeurs se réclamant chacun de leur propre ancêtre éponyme : - les Hawiiye, majoritaires dans le centre du pays, regroupent à peu près le quart de la population somalie. Nous aurons à reparler de ses faisceaux ou de ses segments les plus nombreux : Abgaal, Ajuuraan, Xawaadle, Muruursade, Habar Gidir, Gaaljecel,… ; - les Isxaaq un peu moins nombreux occupent la plus grande partie du Somaliland avec les ensembles Habar Awal, Habar Garxajis – dont les Ciidagale et les Habar Yoonis –, Habar Jeclo, etc. ; - les Darood occupent l’espace le plus vaste, entre le gees Caseyr1, le Sud-est éthiopien et les régions frontière de part et d’autre de la Somalie du sud et du Kenya. Ils ne semblent cependant représenter qu’un cinquième de la population et se reconnaissent dans les faisceaux Harti qui rassemblent Majeerteen, Warsangeli et Dhulbahaante, Mareexaan, Ogaadeen, etc. ; - les Raxanweyn et les Digil à peine moins nombreux que ces derniers occupent la région mésopotamienne et la basse vallée des fleuves ; parmi leurs tribus, sédentaires ou semi-sédentaires, figurent les Leysaan, Xariin, Hadame, Eelay, Jiroon, etc. - le faisceau lignager Dir, aux confins du Somaliland, de la République de Djibouti et de l’Éthiopie est moins nombreux – moins de 10% ; il est représenté par les Ciise, les Gadabuursi ainsi que, au sud, les Biyomaal installés entre Muqdisho et Kismaayo.2 À tous ceux-là, il faut encore ajouter les clans Sab, identifiés par leur caste – magiciens Yibir, chasseur M adhibaan (Midgaan), forgeron Tumaal ainsi que les populations identifiées par une origine ethnique différente, Boon (bantou), Bajuun, etc., tous étant considérés d’une condition sociale subalterne voire servile. Il est donc important de comprendre qu’un Somali considère toujours le monde en partant d’un centre identifié, lui-même et sa famille nucléaire, avec leurs peurs, leurs besoins, le concret de leur quotidien, leur eau, leurs chameaux et leurs chèvres. À partir de là, plus son esprit est amené à concevoir ce qui s’en éloigne géographiquement, moins il y voit « avec ses yeux » ce qui représente son nécessaire, moins il lui attache d’importance. Plus il s’éloigne, moins lui importe ce reste du monde. Il en sait ou préfère en ignorer l’existence et les mots qu’il utilise pour les identifier vont de moins en moins recouvrir de concepts précis.
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Le cap Gardafui. À chaque fois que nécessaire, le déroulement des événements conduira à préciser la géographie des clans.
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Pour ceux qui désormais habitent la ville, la disposition d’esprit n’est pas loin d’être la même, aussi est-il toujours nécessaire de la prendre en considération, même parmi les plus instruits, avec seulement quelques réserves. Aussi ces comportements, transposés au niveau des politiques mises en oeuvre pour tenter de reconstruire la Somalie, ont-ils fondé les échecs enregistrés ces vingt dernières années. Car il s’agit bien d’une société construite à partir de l’individu et de la famille nucléaire. Aussi, n’est-ce qu’au prix de l’acceptation et de la restauration préalable de ce concept qu’un ordre social plus large peut être reconstruit, un nouveau pays réédifié. Toute tentative négligeant ce principe et privilégiant le rétablissement d’institutions étatiques d’inspiration étrangère est vouée à l’échec. Car ces institutions demeurent en l’occurrence des entités virtuelles que ne peut naturellement s’approprier l’imaginaire collectif somali sensibilisable au concept de nation, mais viscéralement hostile à celui d’État. C’est pourquoi il est enfin nécessaire d’observer la façon dont se réalisent les solidarités en milieu somali. Celles-ci se construisent toujours à partir d’un projet – matériel, politique, guerrier. Ce projet nécessite la participation d’un nombre optimum d’individus. Son ou ses initiateurs vont donc tenter de rassembler l’effectif jugé souhaitable en sollicitant la famille proche, puis plus éloignée et ainsi de suite jusqu’au niveau requis, clan, groupe de clans, faisceau tribal, faisceau lignager si cela est nécessaire. Ainsi que les moyens d’ailleurs. Finalement, ce contrat de participation1, clairement établi, définit la liste des moyens nécessaires pour parvenir à l’objectif. 2 Dès lors tout ce qui en sort ou tout ce qui ne s’y conforme pas une fois le projet arrêté est considéré comme hostile. Le groupe de solidarité ainsi établi se délite de lui-même dès la réussite ou l’échec avéré de ce qui l’avait suscité. C’est pourquoi on assiste régulièrement à des analyses hasardeuses qui tendent à tout expliquer par le seul « clanisme » - mot magique des géopolitologues africains -, conçu dans une simple verticalité, à travers un prisme féodaliste en quelque sorte. Il ne s’agit pas évidemment de nier l’importance des lignages, mais de bien comprendre qu’en amont de toute situation, il existe forcément un contrat qui seul peut justifier que des individus somalis éprouvent le besoin ou la nécessité de construire un espace solidaire, toujours conjoncturel par ailleurs. Pour en déterminer les volumes, les surfaces et la temporalité, il est donc avant tout nécessaire de chercher l’objet plausible de l’action, le mobile, seule clé qui permette d’identifier la logique dont procède une situation. À cette réalité sociale seule 1
En somali heshiis(-ka) « accord, règlement », « réconciliation » aussi. On retrouve ce mot dans l’expression heshiiska ganacsiga, « l’accord de commerce ». 2 VAN NOTTEN, Michael. The Laws of the Somalis. A Stable Foundation for Economic Development in the Horn of Africa. Spencer Heath Mac Callum. 2005, Trenton.
échappe l’intangible règlement du mag, dont la responsabilité reste invariablement dévolue au jilib. Une dernière disposition d’esprit enfin doit accompagner la lecture de la relation qui va suivre. Nous allons évoquer des environnements moraux, sociaux ou politiques où rien n’a jamais été et où probablement rien ne sera jamais monolithique. S’échapper des schémas est donc indispensable. Il est vain d’opposer de façon réductrice le chrétien au musulman, l’Éthiopien au Somali, les sociétés soufies au salafisme, la pensée des Frères musulmans au wahhabisme saoudien, telle tribu à telle autre. La boîte pour l’analyste est un outil maudit alors que l’esprit du tao est une panacée. Car si tous ces antagonismes certes existent peu ou prou, à leurs marges aussi, tous s’interpénètrent. De la même façon il est aisé d’observer, comment dans ce qui semble apparemment constituer une même famille de pensée, des oppositions mineures prennent soudain un tour anormalement violent. Les gens qui constituent le peuple dont nous allons parler globalisent leur environnement. Or dans cet environnement nomade, un mot peut avoir des connotations redoutables et des expressions que nos peuples ne savent plus : ici le mot fierté court dans les cœurs plus vite que le mot raison et, aussi regrettable que cela puisse nous paraître, il est tout à fait vain de tenter d’en mesurer le prix1. Cette complexité nécessite donc une souplesse de notre outil de compréhension. Sur le plan de l’islam, il faut considérer la justesse du mot retenu par ‘Usāma ben Ladīn pour désigner son organisation : la Qāʿida2. Nombre de concepts ou d’organisations auxquelles nous allons avoir affaire représentent des nébuleuses au sein desquelles des gens se reconnaissent sans pour autant parvenir à s’y organiser de façon rigoureuse – voire même pour certaines tout simplement le souhaiter. Ainsi en va-t-il donc de la Qāʿida, des Frères musulmans, de l’Ittiḥād al’islāmī, de la salafīya et d’autres encore. Parmi les organisations concurrentes ou rivales qui seront citées au fil de cet ouvrage, nombre peuvent se réclamer de la même école de pensée et n’en aller pas moins jusqu’à s’affronter les armes la main. Toute compréhension nécessite donc davantage de sentir les situations que de chercher à en catégoriser les protagonistes. Cet exercice, normalement frustrant au pays de Descartes, devient impraticable quand intérêts nationaux ou raisons d’État viennent, par leur discours, brouiller encore l’entrelacs des pistes voire détruire les brisées. De la même façon, on assiste parfois à des démarches au fil desquelles certains esprits scientifiques délitent leur propre raison d’être en choisissant de désigner des bons et des méchants. En tentant d’expliquer à tout prix 1
OMAR Osman Rabeh. Somalia : psychology of the nomad. Somali Studies International Association. Document lu au congrès de Hambourg - 1/6 août 1983. 2 [ar. « ﺍﻟﻘﺎﻋﺪﺓla base »]
les tenants et les aboutissants des choses, ils finissent par oublier combien passion et raison se disputent l’âme humaine. Le plan de l’ouvrage cherche toujours à replacer la Somalie dans le contexte du moment, contexte des faits, mais aussi contexte des idées. Il en résulte une construction des chapitres parfois un peu déroutante, des digressions importantes, des retours parfois perturbants, mais auxquels il n’est pas possible d’échapper par simple nécessité pédagogique. Bien que le propos s’en trouve incontestablement alourdi, ce choix est néanmoins délibéré, aussi sollicite-t-il l’indulgence du lecteur. Il semble enfin qu’en ces temps où une hâte toute journalistique et le culte des systèmes alimentent tant de jugements approximatifs et suscitent tant de choix déconcertants de la part des décideurs, tout un chacun d’entre nous peut s’entendre à reconnaître qu’il n’est ni humainement digne ni intellectuellement raisonnable de s’en tenir à considérer le « Somal » comme un lieu de relégation pour un peuple pestiféré. Il faut donc faire l’effort de se souvenir que ce sont la brutalité, l’égoïsme et la violence de quelques-uns qui infligent à d’autres des fléaux dont, tant que nous n’y sommes pas confrontés, nous oublions nombre d’aspects paroxystiques : la faim, la soif, la douleur ou le chagrin. Faire par ailleurs l’effort de croire qu’aucune adversité ne pourra néanmoins les détourner du rêve, ni les priver du courage, encore moins de l’espoir.
I – D ECEMBRE 1990 : L’ INSURRECTION GAGNE M UQDISHO
Après 1978, au lendemain de la défaite en Ogadén1, le régime somalien a navigué à vue pendant quelques années encore, grâce à la duplicité et à l’habileté politique du président Siyaad Barre. Après 1986, si l’accident dont ce dernier a été victime ne l’a pas définitivement privé de ses facultés intellectuelles à proprement parler, l’homme déjà réputé souffrir d’un cancer du foie n’a plus le ressort nécessaire pour lutter contre la pression d’une famille exceptionnellement rapace. Le dernier virage est pris avec l’affaire du 13 juillet 1989, lorsque la répression qui s’abat sur les religieux dégénère les jours suivants en de réels massacres, perpétrés par les diverses officines sécuritaires du pouvoir 2. Le président Siyaad a alors 70 ans. À ce moment la partie est déjà perdue, mais l’événement agit cette fois comme une postcombustion qui va précipiter l’effondrement du régime.
L’ISOLEMENT DEFINITIF DE SIYAAD BARRE En réalité, le coup décisif a été porté lorsque le pays ruiné qui bénéficiait encore dans les années 1986-1987 de l’aide internationale s’en est vu soudain paradoxalement privé par l’accord de paix somaloéthiopien de 1988. Celui-ci ôtait en effet aux Occidentaux autant de 1
Ogadén est un mot amharique [amh. ኦጋዴን ፥]. Il est utilisé pour désigner la province e conquise à la fin du XIX siècle par l’Éthiopie et qui constitue aujourd’hui la plus grande partie de son actuelle Région Somalie – la Région 5. Le terme relève d’une appropriation puisqu’il tient son nom du lignage somali qui en occupe la quasi-totalité, les Darood Ogaadeen 2 En particulier aux HANGASH, aux Duub Cas, la garde prétorienne Mareexaan du président, aux escouades de la Birmadka Boliska, la police antiémeute, le tout renforcé par des militaires du 77e secteur.
bonnes raisons de poursuivre leur aide à la Somalie que l’Union soviétique agonisante et l’Est dans son ensemble procédaient de leur côté à un désengagement planétaire.
La défection du soutien américain La location de Berbera en 1980, l’intrusion éthiopienne de 1982 et le bombardement de Boorama en 1984 avaient certes un moment assoupli les positions occidentales à l’égard du régime, celle des États-Unis en particulier. Il n’en demeure pas moins que l’accord de paix du 3 avril 1988 enlève, par essence, une grande partie de sa raison d’être à cette sollicitude, tant Michael Gorbatchev, de Glasnost en Perestroïka, rend chaque jour un peu plus obsolète la politique d’endiguement du communisme, fondement majeur des investissements occidentaux. À Washington donc, en dépit de la volonté du Pentagone enclin à poursuivre un soutien économique et militaire au régime somalien, il apparaît que le Congrès se montre de plus en plus sensible à la question des droits de l’homme, sujet sur lequel Muqdisho est loin de faire figure de parangon. Assurément, les États-Unis ne sont pas le premier partenaire de Siyaad Barre et les importations d’armes américaines ne représentent que 22 % du total des acquisitions. Mais d’environ 34 millions de dollars en 1985, l’aide miliaire américaine ne s’en trouve pas moins réduite en 1988 à 6 millions à peine. Cette évolution reflète le scepticisme croissant des responsables américains à propos du rôle que la Somalie peut tenir dans leur dispositif régional. À Berbera, un minimum de travaux a été effectué sur le port et sur la piste que leurs avions utilisent rarement. L’anniversaire de la signature de l’accord sur Berbera dont la durée initiale était de dix ans passe en août 1990 sans que Washington n’ait présenté de demande de renouvellement. Certes, une clause du traité prévoyait la reconduction tacite par période d’une année afin de permettre aux Américains de préserver leur accès théorique au port et à l’aéroport sans aucune contrepartie. Mais d’un point de vue strictement stratégique, la guerre du Golfe a montré a posteriori que Berbera n’était pas réellement utile au déploiement des Task Forces, compte tenu de l’existence de la base de Diego Garcia dans l’océan Indien ainsi que des facilités offertes par l’Égypte et par le sultanat d’Oman, largement suffisantes. Lorsque le port de Berbera a paru menacé par le SNM en juillet 1988, les autorités américaines se sont empressées de rappeler leur neutralité dans le conflit et ont sans tarder évacué leur personnel vers Djibouti. Sans être officiellement désavouée, l’alliance somalo-américaine se vidait ainsi de son contenu. Mais outre ces mobiles stratégiques, il est aussi patent que la question des droits de l’homme s’est imposée courant 1988 comme un paramètre essentiel dans le positionnement des États-Unis au regard du régime. À partir du deuxième semestre de 1988, Washington oppose donc une fin de non-recevoir aux demandes pressantes du président somalien,
sommant ce dernier de s’engager dans une politique de réconciliation nationale. Certes, le 2 février 1989 à Washington, le premier ministre Maxamed Cali Samatar, a reçu les encouragements du Département d’État après avoir confirmé l’amnistie et la libération entre février et juin de trois cents prisonniers politiques ainsi que l’engagement solennel du gouvernement en faveur d’une solution négociée au conflit. Mais le Congrès pour autant ne se laisse pas fléchir et ne verse pour soutenir la nouvelle politique économique du pays qu’une partie de l’enveloppe envisagée et qui a été bloquée. Encore la verse-t-il directement au FMI au titre des arriérés de la dette. Ce sont finalement les événements de juillet 1989 à Muqdisho qui suffisamment relayés par la presse américaine déterminent les États-Unis à se retirer définitivement. Deux rapports officiels sont venus confirmer l’ampleur des exactions commises en pays Isxaaq. Toute aide-militaire est alors immédiatement suspendue à la demande du Congrès et, le 1 er août, l’aide économique est définitivement bloquée pour les mêmes motifs que l’assistance militaire.
La complaisance circonspecte du HCR En corollaire à cette décision américaine, le régime perd surtout sa crédibilité vis-à-vis des donateurs occidentaux dans leur ensemble, des États arabes conservateurs, mais aussi vis-à-vis des organisations internationales ainsi que l’illustre la rupture avec le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR). Avec le HCR, les relations ont été très tôt altérées par la gestion politique du dossier des réfugiés par le président somalien. Des problèmes de surpopulation1 aux litiges récurrents portant sur le nombre des personnes secourues, donc des ajustements financiers réclamés, ou encore à l’enrôlement forcé des réfugiés dans les milices, tout contribue à rendre exécrables les relations entre les autorités somaliennes et le Haut-commissariat2. Celui-ci entretiendra cependant un comportement ambigu dont beaucoup ne se priveront pas de lui faire reproche, ignorant délibérément les termes d’une alternative pourtant éclatante de simplicité : composer ou partir, hypothèse totalement incompatible avec la mission de l’institution. Reste qu’en novembre 1988, Genève annonce unilatéralement sa décision de mettre un terme à son assistance aux réfugiés éthiopiens installés en Somalie. Le retrait est désormais possible, l’accord de paix levant le principal obstacle juridique à leur retour en territoire éthiopien. 1
Comme à Tug Wajaale en 1986 où les réfugiés s’entassent dans un camp à l’approvisionnement en eau précaire. 2 COMPAGNON Daniel. Ressources politiques, régulation autoritaire et domination personnelle en Somalie – Le régime de Siyad Barre (1969-1991). Thèse pour le doctorat en Sciences politiques. Université de Pau, 1995. (non publié). - pp. 651-658.
Fin janvier 1989, la distribution de rations est effectivement suspendue pour reprendre en mars et s’arrêter de nouveau en novembre. Dans les camps du Sud et du Centre, à Luuq et à Beledweyne où sévissent banditisme ou rébellion, les personnels humanitaires sont repliés ; dans le nord, autour de Boorama assiégée, l’aide est suspendue. Compte tenu de la pression des donateurs, une série d’allées et venues mène à une révision radicale des effectifs des réfugiés et, partant, se conclut sur une réduction de la ressource à des montants dérisoires. Un manque à gagner alimentaire qui conjugué au manque à gagner militaire provoqué par le désengagement financier américain enfonce davantage encore le régime somalien dans le marasme.
À l’intérieur : Le groupe du Manifesto [20.V-1989] D’autant qu’à l’été 1989, une opposition civile s’organise à Muqdisho avec le soutien des pays occidentaux, celui de l’Italie notamment, toujours très impliquée dans les affaires somaliennes. Cette opposition a choisi de s’exprimer à travers un manifeste remis à Siyaad Barre le 20 mai 1989 et symboliquement daté du 15, date anniversaire de la création de la Somali Youth League en 19431. Le document dresse un bilan très sévère de la nature et des comportements du régime. Ses signataires, retenus sous le nom de Groupe du Manifesto, réclament l’abrogation des lois sur la sécurité nationale, la dissolution des organismes chargés de les appliquer ainsi que le retour au système judiciaire d’avant 1969. Il dénonce explicitement la répression exercée par l’armée contre les populations civiles dans sa lutte contre les fronts armés et demande un changement radical de gouvernement et le retour au système démocratique. Il propose enfin l’organisation d’une conférence nationale rassemblant le gouvernement, l’opposition armée, les chefs traditionnels de tout le pays et des représentants de la société civile. Les 114 signataires du Manifesto n°1 sont des notables, commerçants, hauts fonctionnaires voire anciens officiers de l’armée ou de la police, résidants pour la plupart dans la capitale. Socialement, ils représentent clairement une bourgeoisie commerçante foncière qui désire par-dessus tout éviter que la guerre ne gagne Muqdisho et la région du Banaadir où ils ont leurs intérêts. Sur le plan des logiques lignagères, s’il faut noter la relation très étroite entre le Groupe du Manifesto et les membres des Hawiiye de l’USC établis à Rome, la réalité semble surtout relever de l’extrême proximité supraclanique des milieux d’affaires au sein du Manifesto. Et en l’occurrence, la société Darood y est aussi bien sinon mieux représentée que la société Hawiiye. Ces deux faisceaux lignagers constituent donc 1
La Somali Youth League est le premier parti politique de Somalie. Fondée en 1943 mais ainsi rebaptisée en 1947, alors que la Somalie italienne se trouvait sous administration britannique, elle joue un rôle capital dans l’accession du pays à l’indépendance, dans les années 1950 à 1960.
les neuf dixièmes d’un mouvement d’où sont en revanche quasi absentes les familles Isxaaq. Cela dit, première opposition véritablement multiethnique, le groupe n’est pas pour autant l’expression d’un hypothétique œcuménisme politique des élites économiques »1. Naturellement, la réaction du président ne se fait pas attendre. Furieux, il ordonne l’arrestation de la plupart des signataires, au nombre desquels le Premier président de la Somalie, le vieil Aadan Cabdulle Cusmaan, Aadan Cadde, et l’ancien chef de la police, le général Maxamed Abshir Muuse qui seront tous deux relâché après l’intervention de l’ambassadeur d’Italie. Les autres en revanche demeurent en attente de jugement.
LES ULTIMES ERREURS D’UN POUVOIR ACCULE Dernières manœuvres dilatoires du pouvoir Cette opposition civile vient bien sûr en complément en quelque sorte des fronts armés qui un moment étourdis par les conséquences de l’accord de paix de 1988, ont depuis quelques mois recouvré de la vigueur. Ainsi inquiété de partout, le gouvernement se lance dès lors dans la quête désespérée de nouveaux appuis. La première stratégie envisagée vise à dénoncer une forme de néo-colonialisme qui se traduirait par les soutiens octroyés au SNM par le Royaume-Uni. L’argument semblant faire long feu, le président somalien envoie aussi ses pigeons voyageurs sur l’ensemble de la planète. La démarche auprès de l’Union soviétique se révèle un fiasco complet. Au sein du monde arabe, la Libye, l’Iraq, l’Égypte, le Koweït [ar. ﺍﻟﻜﻮﻳﺖal-kūwayt] et les Émirats arabes unis (EAU)2 consentent quelques efforts, jusqu’à ce qu’à l’automne 1990, le soutien politique de Muqdisho auprès de la coalition ne lui coûte la perte du soutien de Bagdad et de Tripoli. Au bilan, l’agitation diplomatique des années 1988-1990 donnera finalement de maigres résultats. Seuls le gouvernement italien – bien que certains centres de pouvoir romain accordent à l’un des mouvements rebelles3 un soutien avéré – et les Égyptiens persisteront à assister Siyaad Barre. Un retour loyal d’une certaine façon. À l’Italie dont il était un pur produit, Siyaad Barre n’avait jamais fait défaut, en dépit de certaines positions officielles de pure circonstance. De l’Égypte, lorsqu’au moment des accords de Camp David celle-ci s’était trouvée en délicatesse avec la Ligue des États arabes, il s’était montré un fidèle allié. 1
COMPAGNON. op cit. p. 711
[ar. ﺩﻭﻟﺔ ﺍﻹﻣﺎﺭﺍﺕ ﺍﻟﻌﺮﺑﻴّﺔ ﺍﻟﻤﺘّﺤﺪﺓ- dawlat al-ʾimārāt al-ʿarabiyyat al-muttaḥida] - État des Émirats arabes unis (EAU). 3 Le United Somali Congress (USC) des Hawiiye. 2
Mais pour le reste, définitivement contrôlé par les siens, installé dans la violence arbitraire et la prédation sans scrupule, jaalle1 Siyaad maintenant est désespérément seul.
Le carnage du CONS Stadium [6.VII-1990] Cette perte de contrôle se manifeste à nouveau le 6 juillet 1990 dans l’ancien stade de la capitale lorsque, la population scandant des slogans contre le président, les Duub Cas2 perdent leur sang-froid et ouvrent le feu au hasard sur la foule. Quelque soixante-cinq personnes sont tuées. Une semaine après l’émotion suscitée par cet événement que l’on évoque à Muqdisho comme l’affaire du CONS Stadium3, le tribunal condamne à la peine de mort 46 des 114 membres, signataires du Manifesto au mois de mai précédent. Or, le procès n’a pas commencé depuis quatre heures que les manifestants investissent le tribunal alors que toute activité a cessé dans la cité. Le 13 juillet, ébranlé par les réactions mais n’ayant pas perdu tout sens politique, Siyaad Barre abandonne les accusations. Sur cette première concession, la ville prend la mesure d’une victoire sans précédent qu’elle célèbre. Sauf que le Président lui aussi a compris et se prépare à l’affrontement final. Pour échapper à la colère de la foule, il lui faut se réfugier à la base aérienne, l’Afisiyooni, tandis que les Duub Cas vident les dépôts d’armes de la police et des gardiens de prison – qui appartiennent à des unités multiclaniques – pour les distribuer aux civils Mareexaan et équiper les nomades de leur clan, rameutés vers la capitale dans la deuxième quinzaine de juillet. Le départ à la mi-septembre pour Genève de Khadiija Macalin, la femme du président, accompagnée des épouses de plusieurs dignitaires Mareexaan signifie clairement que chacun s’attend à la poursuite des combats. De juillet 1988 à janvier 1990, le président se sera employé à gagner du temps. Le 18 septembre 1990, il place à la tête du NSS4 le général Aadan Jaamac Cirde [Darood Leelkase] en remplacement du major-général Maxamed Jibriil Muuse un Majeerteen qui ne lui semble plus assez sûr5. 1
Jaalle « camarade » ; la vieille habitude révolutionnaire « citoyen » dans la France de 1989, tavaritch à Moscou, gwad en Éthiopie… 2 Duub Cas, « béret rouge », est le nom donné à la garde présidentielle du président Siyaad Barre. Elle est quasiment recrutée dans son lignage, les Darood Mareexaan. 3 Il y a deux grands stades à Muqdisho : le Muqdisho Stadium, situé à proximité de la rocade nord dans la degmo de Wardhiigle, et le Stadio CONI. Ce dernier, le plus ancien, a été construit en 1956 par les Italiens d’où son nom, acronyme de Comitato Olimpico Nazionale Itali (CONI). Egalement appelé Banaadir Stadium, il devient plus tard CONS Stadium, acronyme de Comitato Olimpico Nazionale Somalo (CONS). L’ignorance le fait passer par de nombreux noms Corni, Corna, Conis. Il est situé dans la degmo de Sheekh Cabdulcasiis. 4 Nabad Sugida Soomaaliyeed « Veille de sûreté somalienne ». Le National Security Service dans la terminologie anglaise. 5 Dans le Mudug, les Leelkase, lignage Darood moins nombreux, sont traditionnellement alliés aux Mareexaan ou aux Majeerteen contre les Hawiiye Habar Gidir
On peut déjà observer que le refus catégorique de se retirer auquel l’a poussé sa proche famille et l’imminence d’une bataille pour Muqdisho privent d’ores et déjà de sens les tentatives diplomatiques encore à venir de l’Italie et de l’Égypte. Pour leur part, convaincus désormais de l’imminence de leur victoire, les fronts n’ont plus aucune raison de négocier une fin honorable à un dictateur aux abois et à ses séides abhorrés. Abhorrés d’autant que pendant tout l’été et l’automne 1989, parallèlement aux mouvements se déroulant dans la capitale, l’armée commandée par des officiers Mareexaan a renouvellé contre les clans Ogaadeen cette même tactique de terreur qui dans le Nord leur avait définitivement aliéné les familles Isxaaq et les familles Majeerteen1. À l’ouest du fleuve Jubba, les combats provoquent ainsi un exode de plus de 5 000 personnes qui entrent au Kenya à partir du 13 août à la hauteur de Liboi. Pour la plus grande part d’entre eux, ils appartiennent aux Maxamed Subeer, le lignage Ogaadeen du colonel Axmed Cumar Jees, chef du SPM. Au Nord, sur fond de multiplication des défections, le régime enrôle les réfugiés dans des unités spéciales et recrute même à Djibouti des milices anti-Isxaaq. Autant d’événements qui déterminent les trois fronts armés à conjuguer leurs efforts.
L’armée du United Somali Congress : Maxamed Faarax Caydiid En pratique, la bataille pour Muqdisho commence lorsqu’à la fin du mois de mai 1990, les miliciens de l’USC quittent leur sanctuaire éthiopien de Mustahil2 pour s’emparer des petits villages situés le long de la route menant à Beledweyne. Un peu plus de deux mois plus tard, ils se sont rendus maîtres de quasiment tout le pays Hawiiye, la partie est de la province du Hiiraan ainsi que des provinces du Mudug, du Galguduud et du Shabeellaha Hoose, occupant notamment les centres importants de Beledweyne, Dhuusa Mareeb et Ceel Buur. A la fin du mois d’août, leurs éléments avancés opèrent à moins de cent kilomètres de la capitale. Cette petite armée de l’USC, forte d’environ un millier d’hommes est assez bien équipée, disposant notamment d’une bonne artillerie composée de canons de 135 et de 155mm ainsi que de mortiers dont quelques pièces de 120mm. Mais surtout, elle a à sa tête un officier habile, le général Maxamed Faarax Xasan Caydiid [Hawiiye/Habar Gidir/Sacad/reer Jalaf]. Le général Caydiid est né en 1934 aux environs de Beledweyne. Formé en Italie à l’école d’application de l’infanterie, la Scuola di Fanteria de Cesano puis à l’académie Frunze en URSS, il a rapidement gravi les échelons de la hiérarchie militaire. Cependant, peu après le coup d’État de Siyaad Barre, il tombe en disgrâce et passe six années en prison, à 1
Le 9 juin, des soldats Ogaadeen ont tiré délibérément au mortier sur la Villa Somalia, palais présidentiel où sont cantonnés ceux qui sont devenus leurs adversaires déclarés, les Duub Cas, la garde du président constituée de Mareexaan. Un mois plus tard, de nombreux Ogaadeen rejoindront dans le sud le SPM du colonel Axmed Cumar Jees. 2 [amh. ሙስታሂል ፥ mustahil] [som. Mustaxiil]
Mandheera, dans le Galbeed. Élargi en 1975, il sert brillamment durant la guerre la guerre de l’Ogadén au terme de laquelle il est promu général, mais Siyaad qui se défie de lui ne se résout pas à lui confier un commandement. Aussi en fait-il son aide de camp, poste qui lui permet de le garder sous surveillance. En 1984, Maxamed Caydiid est nommé ambassadeur en Inde, jusqu’à ce qu’en juin 1989, de sa propre initiative, il rompe son établissement pour se rende en Éthiopie d’où il organise depuis la milice de l’USC.
SNM, USC, SPM : l’alliance des fronts [2.X-1990] Depuis les émeutes de l’été à Muqdisho, c’est donc avec les Hawiiye que la rupture est consommée, ces Hawiiye qui dans la capitale ont toujours conservé de nombreux intérêts. En juillet 1990, une série d’attentats à la bombe leur a été attribuée, alourdissant encore le climat au point que le traditionnel défilé du 21 octobre est annulé par crainte d’une nouvelle attaque. Mais ce sont les alliances qui s’opèrent entre les fronts armés qui amplifient radicalement la menace à l’encontre du régime. Un accord de principe est tout d’abord passé entre les miliciens de l’USC et la guérilla Ogaadeen du colonel Cumar Jees qui opère dans le Baay et le Bakool. Le 12 septembre, le SNM Isxaaq conclut un accord avec l’USC et les miliciens du général Caydiid. Tout s’accélère désormais. D’ores et déjà, les trois fronts s’entendent aussi sur la façon dont ils gouverneront en commun après la chute du régime. Le 2 octobre, Caydiid ainsi que les chefs des milices du SPM et du SNM conviennent de n’accepter aucun pourparler de paix avec Siyaad Barre, de former dès son renversement un gouvernement provisoire puis d’organiser dès que possible des élections. À l’intérieur de Muqdisho, les partisans de l’USC dirigés par Xuseen xaaji Maxamed Bood choisissent de se rapprocher du groupe du Manifesto. Présent à Rome, celui-ci leur paraît devoir s’imposer aux yeux de la communauté internationale, relayée notamment par l’ambassadeur italien en Somalie, Mario Sica. Au sein du monde Hawiiye, le discours paraît donc un peu confus. Si les trois mouvements déployés sur le terrain sous-estiment les desseins du Manifesto et de la faction USC de la capitale, ces derniers en revanche négligent la menace purement politique que font peser les succès remportés sur les forces gouvernementales dans la région centrale par les miliciens de Caydiid au fil de leur avance sur Muqdisho. Quant aux Nations unies, plus préoccupées par la situation qui se tend au Proche-Orient entre l’Iraq et le Koweït1, elles sous-estiment largement la gravité de la situation. Aussi n’est-ce qu’au début du mois de novembre que l’hypothèse d’une guerre civile à Muqdisho intra-muros se transforme rapidement en certitude. Ce n’est qu’après que les milices de Caydiid ont submergé les 1
L’Iraq envahit le Koweït le 8 août 1990.
troupes gouvernementales de la 21e division déployées dans les régions du Mudug, du Galguduud et du Hiiraan, que l’inquiétude s’installe véritablement dans la capitale. De nombreux habitants ont acheté des armes. Le 19 novembre 1990, le SNM et le SPM font officiellement part de leur unified stance on internal and external political policy. Le 24 novembre, les trois fronts conviennent d’une stratégie contre les forces gouvernementales1. Sur le terrain, le rapport de forces a basculé, leur bataille est gagnée face à une armée tellement Mareexaan qu’il n’y a plus que ceux-ci et leurs ultimes et rares alliés Darood à se dresser face aux insurgés qui sentent l’hallali. La nomination du général Maxamed Moorgan comme ministre de la Défense et chef d’État-major des Armées, aussi féroce soit-il n’y pourra rien changer.
L’INSURRECTION DE LA FIN DECEMBRE 1990 À la fin du mois de novembre, des accrochages ont lieu sur la route de Balcad entre les forces progouvernementales et la guérilla USC qui s’organise à la périphérie de Muqdisho. L’affaire est menée par les miliciens Hawiiye du faisceau lignager Abgaal qui depuis leur cantonnement de Cadale au nord de la ville se sont maintenant lancés dans l’action. Quelques jours plus tard, le 3 décembre, des Hawiiye en armes engagent les troupes cantonnées dans la Villa Somalia parvenant même jusqu’à la Villa Baydhabo2. Prenant la mesure de l’affaire, Siyaad Barre déclare l’état d’urgence3 dans une ville où affluent maintenant de nombreux réfugiés fuyant les combats en province. Le « maire de Muqdisho », comme le surnomment ses adversaires, n’a plus le total contrôle du centre d’une capitale que, depuis le mois de juin, les forces de sécurité ont aussi entrepris de piller. Police, armée et administration qui ne reçoivent plus aucun salaire se sont en effet maintenant mises à leur compte. En dépit du fait qu’une révolte s’organise à l’intérieur même de la ville, on y observe aussi que les notables Hawiiye qui financent le bureau de l’USC établi à Rome et dont le Manifesto est ici le prolongement s’inquiètent du différend latent qui déjà les divise. La dimension que prend désormais le faisceau lignager Habar Gidir - et les clans Sacad en particulier – dont le chef, Maxamed Caydiid, dirige la composante armée la plus puissante du mouvement n’est pas sans préoccuper les clans Abgaal majoritaires dans et autour de la cité.
1
En réalité, le SNM a conclu son accord d’unité avec Maxamed Caydiid, car un fossé se creuse entre les deux factions de l’USC. 2 Située à proximité de l’hôpital Banaadir, ses locaux destinés à accueillir les hôtes de marque ont abrité un temps le ministère du Plan. 3 Somalia Beyond the Warlords. Africa Watch occasional report. Mars 1993.
L’échec du projet italo-égyptien de réunion au Caire [11/13.XII-1990] Mais quoi qu’il en soit, en dépit de ces difficultés émergentes, la guérilla bénéficie au fil de son avance de tous les soutiens et complicités nécessaires. Tandis que la pression augmente tant en province que dans la capitale, une nouvelle réunion, à tenir du 11 au 13 décembre au Caire, est encore proposée par l’Italie et l’Égypte dont l’alignement aux côtés du gouvernement ne fait aucun doute dans l’esprit des rebelles. Aussi, les propositions qui, le 14 décembre, en ressortent sont-elles unanimement rejetées par le SNM, le SPM et plus encore peut-être par l’USC dont les forces ont déjà infiltré la capitale. D’autant que les rebelles sont très bien renseignés. Les Hawiiye n’ont pas hésité à faire état du paiement ordonné ce même 13 décembre par le ministre des Finances Cabdiraxmaan Jaamac Barre qui vient de décaisser 600 000 dollars destinés à payer des pilotes mercenaires 1. À Muqdisho, un avion-cargo égyptien qui acheminait des armes au gouvernement est cloué au sol par un tir de roquettes tandis qu’un Boeing civil des Somali Airlines essuie un tir antiaérien au moment de son décollage. Pour leur part, de plus en plus équivoques, les tenants du Manifesto imputent l’échec de la réunion du Caire à l’arrestation de quatre de leurs dirigeants, la veille de leur départ pour Londres où ils devaient rencontrer des responsables du SNM pour débattre du projet.2 Le 16 décembre, par la voix de Radio Muqdisho, le gouvernement « pour éviter un bain de sang… renouvelle son appel à l’opposition, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, en particulier à ceux qui se battent pour qu’ils prennent part à des négociations ». Mais ce discours est de moins en moins audible, d’autant que chacun campe catégoriquement sur des préalables inacceptables par l’autre. Et d’autant moins aussi que si le gros des forces rebelles se rapproche de plus en plus de la capitale, à l’intérieur de celle-ci la révolte s’organise. Les milices USC qui ont depuis longtemps passé la frontière éthiopienne entre Férfér et Mustahil3, sont chaque jour renforcées par de nouveaux miliciens.
Renforcements et soutiens des forces rebelles Car les défections se poursuivent au sein des troupes gouvernementales. Des soldats Isxaaq, Darood Majeerteen et Hawiiye rejoignent les rebelles. Dans l’organigramme militaire du général Caydiid figurent de nombreux officiers Hawiiye, transfuges des forces gouvernementales. Certains sont des individus de talent comme le général Maxamed Nuur 1
Cinq pilotes et un mécanicien originaires de l’Afrique du Sud sur un contrat d’un an. La dépense est couverte par une promesse d’aide de 70 millions de dollars promis par l’Arabie saoudite. Les trois Hawker Hunter FGA9, version conçue pour l’attaque au sol, seront d’ailleurs sabotés à peine arrivés sur l’aéroport militaire de Balli Doogle probablement par des miliciens d’Axmed Cumar Jees. 2 LOI n°459, 22 décembre 1990 3 [amh. ፌርፌር ፥ férfér - som. Feerfeer].
Galaal [Habar Gidir/Cayr/ Ayaanle], ex vice-ministre de la Défense dans les années 70, ou le lieutenant-colonel Maxamuud Maxamed Xaashi Shabeelle. Un nouveau coup dur pour le pouvoir survient quand la garnison de Jowhar à 90 km au nord de Muqdisho tout entière se mutine, abandonnant aux rebelles à la fois son armement lourd et ses savoir-faire. Les forces de Maxamed Caydiid disposent également du soutien des Isxaaq du SNM ainsi que, par défaut, de celui d’Addis Abäba. Dans le Nord où il s’est récemment rendu, le général a demandé au chef du SNM, Cabdiraxmaan Axmed Cali Tuur, de lui octroyer une nouvelle aide-militaire tout en discutant avec lui de la formule gouvernementale de la Somalie qu’ils envisageaient de reconstruire. Certes la qualité de sa collaboration avec Maxamed Caydiid et son alliance avec l’USC et le SPM, n’empêche pas le SNM de conserver sa propre vision des choses. Mais pour l’instant, la stratégie est claire. Ses forces s’emploient à fixer les troupes gouvernementales cantonnées dans le Nord afin de les empêcher de venir en aide à Siyaad Barre et afin ce faisant de précipiter sa chute. Sans équivoque, les rebelles nordistes sont déterminés à refuser toute négociation et tout compromis avec Siyaad Barre. Ils paraissent par ailleurs enclins à envisager un gouvernement de transition sous la forme d’un partage des responsabilités entre les trois seuls fronts armés. Enfin, ils estiment que de nouvelles institutions devraient reconnaître une large autonomie administrative à leur région et ne cachent pas qu’ils se sentent en droit d’attendre d’un tel gouvernement une part prépondérante des crédits qui seraient alloués à la reconstruction du pays. On observe enfin qu’à leurs côtés, parfaitement excentrés, un petit groupe composé de Dir Biyomaal1 se réclamant du SNM est également actif dans la région de Marka où il combat aux côtés du SPM. Quant au régime éthiopien, à peine moins moribond que celui de Siyaad, il est bien occupé par ses propres rebelles dans le Nord du pays. Aussi abandonne-t-il aux insurgés somaliens les stocks d’armes ayant appartenu naguère au SSDF et qui sont toujours entreposés dans les garnisons de l’Ogadén, à Qäbri Dähar et à Shilabo2 notamment. À la faveur de l’anarchie qui prévaut maintenant dans Muqdisho depuis plusieurs semaines, les rebelles de l’USC n’ont plus à hésiter. Venus à bout des forces gouvernementales défaites quasiment sans combats à Buulobarde, à Ceel Buur et dans la plupart des garnisons du Hiiraan et du Galguduud, ils sont en situation de déclencher l’insurrection dans la capitale. Aussi des éléments infiltrés cherchent-ils maintenant à organiser le soulèvement général des quartiers où maintenant des fusillades sporadiques éclatent chaque nuit. 1
Les Biyomaal sont un segment excentré du faisceau lignager des Dir, principalement constitué des lignages Ciise et Gadabuursi de l’extrême nord-ouest du Somal. 2 [amh. ቀብሪ፡ ደሃር ፥ qäbri dähar - som. Qabri Daharre] et [amh. ሺላቦ ፥ šilabo - som. Shilaabo]. Shilabo est très probablement le district natal de Siyaad Barre.
La première bataille de Muqdisho [28.XII-1990/3.I-1991] Profitant de ce climat de crainte qui s’installe, les milices de l’USC rapprochent maintenant leur armement lourd des entrées nord de la capitale, sur la route de Balcad. Mais c’est une tension particulière qui s’installe quand, le 27 décembre, l’aéroport est fermé 24 heures durant. Les passagers sont retenus à l’intérieur de l’aérogare et les avions bloqués au sol tandis que les troupes gouvernementales ratissent les abords de la piste. La capitale somalienne n’est plus déjà desservie que par la compagnie nationale, les Somali Airlines, Kenya Airways et l’Aeroflot1. Le lendemain, c’est dans les quartiers nord où la population prend les armes que de violents combats éclatent pour résister aux exactions des Duub Cas. Ces différents affrontements semblent attester un plan mûri par les rebelles qui considèrent que les principaux enjeux de la confrontation seront l’aéroport et les bâtiments de la radio et de la télévision. L’insurrection à l’intérieur de la cité hâte naturellement la progression des milices. Car la guerre a définitivement rattrapé la capitale où le soulèvement est maintenant général. La principale pression venant du nord, le président lui-même se retranche avec une partie de sa garde prétorienne au sud de la ville, dans les locaux de l’Afisiyooni, la base aérienne militaire située entre la piste de l’aéroport international et le port, puis en bout d’aérodrome au camp de Ifka Xalane 2. Depuis le début du mois de décembre, le chef de l’État a pris l’habitude d’y séjourner, les bâtiments de la présidence et la Villa Somalia elle-même, situés dans le centre-ville, étant trop exposés. Les combats qui le 30 décembre ont pris une ampleur nouvelle font rage tout au long de la nuit pour se poursuivre à l’arme lourde toute la journée du lendemain. Les lance-roquettes multiples3 jadis octroyés par l’Union soviétique sont entrés de part et d’autre en action. Le mardi 1er janvier, la situation est bloquée. Les rebelles tiennent les quartiers nord et progressent vers le centre de la ville ; des affrontements se poursuivent autour de la Villa Somalia régulièrement pilonnée où de nombreux bâtiments sont en feu. En fin de matinée, un communiqué conjoint de l’USC et du SNM annonce que la plus grande partie de 1
Les embarquements à bord des appareils de l’Aeroflot donneront l’opportunité à de nombreux réfugiés de s’enfuir vers la Finlande via Moscou où les contrôles sont très relâchés. 2 Les rebelles en effet ont progressé depuis le nord sur la route qui, de Beledweyne à Muqdisho par Balcad, suit la rive gauche du webi Shabeelle. C’est pourquoi, la ville n’étant pas totalement investie – et elle ne le sera pas –, le président se réfugie dans la partie sud de la capitale où est situé l’aéroport. Sur ce côté sud, le pouvoir craint surtout infiltrations, coups de main et sabotages sur les installations. Quant aux forces SPM de Cumar Jees, elles combattent au sud-ouest dans la basse vallée de la rivière. 3 BM 21 – Héritiers des célèbres Katiusha que les Allemands pendant la 2e Guerre mondiale avaient surnommés « Orgues de Staline ».
quatre des treize districts de Muqdisho – Yaaqshiid, Kaaraan, Hawl Wadaag et Wardhiigle – était entre les mains des rebelles1. Puis les communications par télécopie et téléphone qui fonctionnaient encore la veille entre la capitale somalienne et l’étranger sont coupées dans l’après-midi. La radio d’État diffuse cependant le mardi à 3h30 GMT, soit avec une demi-heure de retard, un bulletin d’informations précédées des indicatifs habituels sans qu’il ne soit fait état de la situation dans la capitale. Profitant d’une accalmie survenue au même moment dans les combats, une délégation des membres du Manifesto2 rencontre le président le lendemain. Enjoignant à celui-ci d’abandonner le pouvoir, l’entretien se conclut sur un désaccord total, le président s’en tenant à réclamer l’arrêt des combats. Cette fin de non-recevoir conduit à un revirement au sein des Hawiiye de la capitale. Parmi les membres du Manifesto prévalait jusqu’alors l’option d’une transition négociée par la mise à l’écart en douceur du chef de l’État au terme d’une entente entre les belligérants, sous l’égide de l’Italie et de l’Égypte. Mais à nouveau, l’option militaire seule s’impose, sauf que cette fois, elle s’impose désormais aux notables de Muqdisho3. Dans le même temps, paradoxalement, ces succès semblent aussi accentuer les clivages qui se précisent au sein du parti Hawiiye, patents surtout pour l’heure à travers les propos des non-combattants, en particulier les notables signataires du Manifesto, leurs relais USC de Rome, mais aussi de l’ensemble du faisceau Abgaal majoritaire à Muqdisho. Au fil de ses succès, ceux-ci mesurent combien sur le terrain c’est bien le général Maxamed Faarax Caydiid qui a la haute la main sur les combattants de la coalition, Habar Gidir pour la plupart. À l’USC en effet, la main passe aux milices armées de Caydiid. Aussi, quand la Libye propose d’envoyer une aide alimentaire et des médicaments à la population civile, la méfiance prévaut. Les rebelles à bon escient s’y opposent, craignant une intervention en faveur de Siyaad Barre. Une prudence opportune il est vrai, car ce dernier qui compte toujours sur le renfort des garnisons de l’intérieur et un réapprovisionnement en armes et en munitions espère aussi en la dizaine d’avions chargés de matériels militaires qui lui ont été promis par le colonel Qaḏḏāfī et qui attendent toujours sur l’aéroport de Tripoli. Mais leur acheminement pose d’insolubles problèmes. Un pont aérien à partir de Kharṭūm a bien été envisagé, mais avec la crise du 1
Une référence hasardeuse à un district de Gubadle et le fait que la Villa Somalia soit située dans le district de Wardhiigle oblige à des réserves. Néanmoins, à ces détails près, l’occupation du terrain revendiquée par les rebelles est recoupée par les centrales de renseignement occidentales. 2 Elle est conduite par les Hawiiye Xiireey Qaasim Weheliye [Muruursade], xaaji Axmed Raage Cabdi [Habar Gidir/Cayr/], ancien gouverneur de Région et Maxamed Siciid Ciyoow Gentleman [Saruur], négociant de bétail. 3 La Nation – Djibouti, 3 janvier 1990
Golfe, le trafic aérien au-dessus du Soudan est soumis à une surveillance systématique des États-Unis à partir de l’Égypte. Le 6 janvier, un émissaire égyptien ʿAbd al-Ḥamīd al-Bakūš1 se rend à Kampala, itinéraire de variantement plausible pour ravitailler Siyaad mais le président Yuweri Museveni, qui n’a jamais eu de sympathie particulière pour son homologue somalien, refuse catégoriquement qu’une aide militaire transite par son pays.
LA DEBACLE GOUVERNEMENTALE – JANVIER 1991 Évacuation des étrangers et ultime tentative de médiation italienne Prudents à l’extrême à l’encontre de l’Italie et de l’Égypte, les rebelles s’inquiètent maintenant de la demande de Rome qui souhaite faire atterrir deux avions C-130 à Muqdisho afin de rapatrier les quelque cinq cents Européens présents dans la capitale somalienne, Italiens pour la plupart. En fait, nombre d’étrangers parmi lesquels le personnel international des Nations unies ont commencé à évacuer le pays depuis la mi-décembre. Mais le 1er janvier 1991, la détérioration de la situation convainc l’ambassadeur américain James Keough Bishop de solliciter l’assistance des forces armées de son pays. L’opération Eastern Exit2 est aussitôt montée. Elle a pour mission d’assurer l’évacuation de l’ambassade des États-Unis. Entre le 5 janvier à 7 h00 et le 6 à 3 h 30 du matin, 281 personnes dont les diplomates, leurs familles ainsi que des ressortissants d’une trentaine de pays sont ainsi évacués au terme de quatre rotations d’engins amphibies. La France à partir de Djibouti déploie pour sa part entre le 5 et le 9 janvier sa propre opération héliportée, l’opération Bérénice3 soutenue par la Marine nationale. Sitôt les chefs de mission partis, l’ambassade des États-Unis et l’ambassade de France sont pillées par des soldats. Seule l’Italie qui a fait savoir qu’elle s’apprêtait à acheminer une centaine de parachutistes 1
Il est en effet peu probable que, comme l’avance la LOI n°462 du 19 janvier, celui-ci ait agi pour le compte de la Libye. Il s’agit bien d’un ancien premier ministre libyen – de 1967 à 1968, mais dès la prise du pouvoir par Muʿammar al-Qaḏḏhāfī, il s’est exilé à Londres, à Paris puis après 1977 au Caire. À partir de la capitale égyptienne, il s’est toujours révélé l’un des opposants les plus déterminés au régime de Tripoli qui a, à plusieurs reprises, tenté de l’éliminer. Il pouvait en revanche trouver une occasion de remercier l’hospitalité égyptienne. 2 Durant neuf jours, l’opération met en œuvre le bâtiment de débarquement portehélicoptères USS GUAM, le bâtiment de transport de chalands de débarquement (Landing th Platform Dock – LPD) USS TRENTON, la 4 Marine Expeditionary Brigade, un AC-130 Spectre de l’Air Force et un élément des forces spéciales de la Navy, les Navy SEALs. 3 La frégate LA MOTTE PICQUET et le navire-atelier JULES VERNE évacuent avec le soutien des Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDJ) 98 ressortissants de 11 nationalités, dont l’ensemble des 11 Français, 40 Italiens et les 22 membres du Comité international de la Croix rouge. Cf. Cols bleus N°2967 - 12 mars 2011.
de ses forces spéciales pour protéger ses locaux conserve encore ouverte une mission diplomatique à Muqdisho. À toutes fins utiles, Rome rappelle cependant du golfe Persique la frégate SICA qui mouille au large de la ville et se prépare à évacuer les Italiens. Une opération plus complexe que pour les autres nations dont les ressortissants sont beaucoup moins disséminés sur le territoire. Le 8 janvier, la Farnesina propose encore un plan de paix en sept points qui prévoit entre autres le maintien du président Siyaad Barre pour une période de transition d’un an, la mise en place d’un gouvernement de transition dotée d’importants pouvoirs, la convocation d’une conférence de réconciliation nationale dans les trois mois et, au terme de la phase de transition, des élections générales sous supervision des Nations unies. Naturellement, aussi bien les représentants des trois mouvements de guérilla à Londres que la représentation de l’USC à Rome, composée pour l’essentiel d’anciens membres du gouvernement vivant en exil – parfois depuis longtemps –, rejettent cette initiative qui ne semble destinée qu’à sauver le dictateur. Aussi la décision est-elle prise d’évacuer les derniers ressortissants italiens. L’opération est exécutée le 12 janvier par le bataillon de carabiniers du 1° Reggimento carabinieri paracadutisti « Tuscania » et le 9° Reggimento d’assalto paracadutisti incursori « Col Moschin »1. 846 personnes dont 310 Italiens sont évacués sur Monbassa où les deux avions requis par l’armée de l’Air italienne – un C-130 et un G-222 - se posent trois heures après le début de l’extraction. L’ultime initiative diplomatique italienne illustre bien l’impasse dans laquelle se trouve déjà la diplomatie internationale, à la fois discrète et ambiguë, face au conflit somalien. Toute réflexion sur une issue pacifique du conflit se heurte à de multiples problèmes : intransigeance de Siyaad Barre, multiplicité des interlocuteurs parmi les opposants, composants techniques de la confrontation... mais aussi positionnements équivoques de certains bons offices. Aussi faut-il rester lucide. Comment devant la cacophonie diplomatique les insurgés auraient-ils pu raisonnablement faire leurs les initiatives italoégyptiennes supposées obtenir l’ouverture de négociations afin de mettre fin aux combats ? Reste qu’autour du chef de l’État, le cercle se rétrécit chaque jour un peu plus. Hors ses proches, Mareexaan pour la plupart, de moins en moins de soldats ont envie de combattre quand ils ne prennent pas la fuite pour rejoindre les milices. Autour du 20, c’est le ministre adjoint à la présidence de la République, Axmed Jaamac Cabdulle puis le ministre de l’Agriculture, Maxamuud Cabdi Nuur qui s’enfuient vers le Kenya. Nul ne pouvait penser que les rats quittaient le navire puisque c’est précisément à bord d’un bateau de pêche que le ministre de la Culture, Axmed Xabiib Axmed parvient le 1
Plus communément appelé Il Nono.
24 janvier à rallier Mombasa. Quant à la population de brousse qui quelques semaines plus tôt avait cherché refuge et subsistance à Muqdisho, sentant venir les ultimes assauts, elle n’a de cesse que de s’en échapper avant que le piège ne se referme sur elle1. Les combats ne s’en poursuivent pas moins. Depuis la mi-janvier, les rebelles de l’USC qui tiennent Jowhar et le Shabeellaha Hoose cherchent maintenant à parachever l’investissement de la capitale par l’ouest et le sud-ouest. La localité stratégique de Afgooye et son pont sur le webi Shabeelle mais surtout la base militaire de Balli Doogle à Wanleweyn sont entre les mains de l’USC tandis que Baydhabo, la grande ville du centre est sur le point de tomber entre celle de Cumar Jees. À Muqdisho, les forces gouvernementales ne tiennent plus que le sudest de la capitale, la zone aéroportuaire, le port et le palais présidentiel, la Villa Somalia. La guérilla urbaine s’installe avec son cortège de vols et de pillages. Dans Xamarweyne, cœur historique de la cité, la cathédrale saccagée est la proie des flammes, comme l’ancien palais du gouverneur et la célèbre auberge de la Cruce del sud qui a subi d’irréparables dégâts. Les rues de la capitale sont jonchées de cadavres. Le front de mer, de l’aéroport jusqu’au port, demeure la clé du dispositif de défense gouvernemental. Nul ne doute que son contrôle décidera de l’issue de la guerre. Progressant à l’intérieur de la cité en direction du sud, les rebelles contrôlent aussi la rocade nord – l’avenue du 21 octobre2 – et occupent autour du 20 janvier le siège du ministère de la Défense, l’Académie militaire, située en face ainsi que plusieurs quartiers généraux des forces armées, dont celui de la 77 e division chargée de défendre la capitale. Parvenus au carrefour du PK 7, les miliciens tentent d’orienter leurs mouvements vers le port. Dans le Nord du pays, la situation des forces gouvernementales n’est guère plus brillante. Hargeysa s’est rendue le 18, Boorama, Burco, Ceerigaabo et Berbera sont encerclées ; leur chute est juste différée par les pourparlers en vue de la reddition de certaines garnisons gouvernementales. Depuis une semaine déjà, l’ancien gouverneur de Hargeysa, le général Mareexaan Maxamed Xaashi Gaani accompagné de nombreux officiers de son état-major s’est enfui vers le Kenya où les autorités de Nairobi les ont interceptés au poste frontière de Mandera3. Au même moment, depuis la capitale kényane, un porte-parole de l’USC 1
Les camps de réfugiés éthiopiens établis le long du webi Shabeelle, se vident aussi de leur population. Depuis le départ en décembre des représentants du HCR et des autres organisations humanitaires, ils ne reçoivent plus aucune aide alimentaire. Cinq mille Éthiopiens et 2 000 Somaliens ont ainsi pris la route du Kenya. Près de 20 000 attendent de pouvoir en faire autant. À la fin du mois de janvier, le HCR comptera 10 000 nouvelles arrivées en Éthiopie. LOI n°463, 26 janvier 1991. 2 Jidka 21 Oktobar, on l’appelle aussi la « route des usines et des ministères » [jidka warshadaha iyo wasaarada]. 3 Mandera [som. Mandheera], côté kényan de la trifrontière avec la Somalie et l’Éthiopie ; à ne pas confondre avec Mandheera, localité du Galbeed, camp militaire et centre carcéral important sous le régime renversé.
annonce que dès la fin du conflit armé, le mouvement organisera à Muqdisho une conférence regroupant toutes les tendances de l’opposition. Dans l’esprit de chacun, la défaite est d’ores et déjà consommée.
Cumar Carte Qaalib et le Sulux [21.I-1991] Pourtant, le lundi 21 janvier, Radio Muqdisho annonce la nomination imminente par Siyaad Barre d’un nouveau premier ministre en remplacement de Maxamed Xawaadle Madar1. La démission de ce dernier a été réclamée par le groupe de conciliation que la presse étrangère identifiera sous le nom de Sulux2. Cette structure qui vient d’être mise en place à la demande du président se compose des principaux ministres de Siyaad Barre parmi lesquels le nouveau premier ministre. Celui-ci, Cumar Carte Qaalib [Isxaaq/Habar Awal/Sacad Muuse] est un ancien ministre des Affaires étrangères. Arrêté en 1982, condamné à mort en février 1988 et gracié six mois plus tard, il a vécu dès lors en résidence surveillée jusqu’à son entrée officielle en fonction, le 24 janvier. Avec l’obstination que chacun lui connaît, Siyaad Barre espère encore, en nommant un nouvel Isxaaq, faire une concession suffisante pour obtenir un cessez-le-feu auquel il doit se résigner et que le nouveau chef du gouvernement sera chargé d’appliquer. Or la veille, le 23, une délégation composée du Sulux et de membres du Manifesto est parvenue à rencontrer Maxamed Faraax Caydiid et a tenté de le convaincre d’accepter un cessez-le-feu immédiat. À l’aplomb de leur requête, ils lui ont signifié que Siyaad Barre avait accepté l’idée d’abandonner incessamment son poste, ajoutant que la formation d’un nouveau gouvernement composé de 75 membres du Manifesto et de 25 membres nommés par le président – précisément le Sulux – allait être annoncée3. Sauf que, appuyé sur les termes de son engagement auprès des deux autres mouvements – SNM et SPM – stipulant qu’aucun ne conclurait une paix séparée, le général rebelle indigné se limite à répondre à cette demi-injonction que Siyaad Barre « devait être exclu du pouvoir par la force et qu’aucun gouvernement intérimaire ne serait établi jusqu’à ce qu’il ait été tué ou capturé ou qu’il se soit enfui ». Ce propos aurait du suffire à faire comprendre à tout ce que le Manifesto comptait d’affairistes, aux familles Abgaal du Banaadir et au membre du pouvoir en passe d’abandonner le président Siyaad, que jamais Maxamed Caydiid ne se laisserait dépouiller d’une victoire que d’ores et déjà il considérait comme sienne, irréfutablement. 1
Trois jours plus tôt, celui-ci a eu son fils Xasan assassiné par des voyous à Londres au terme d’une dispute à une station essence. 2 Le mot somali sulux(-a) signifie précisément « conciliation ». 3 C’est au cours de l’un de ces déplacements que deux membres éminents du Manifesto sont tués dans une embuscade : Muuse boqor Yuusuf, homme d’affaires, ancien parlementaire, proche du président Sharma’arke, assassiné en 1969, et Xaashi Weheliye Maalin, directeur de l’hôtel Weheliye et l’un des hommes les plus riches de Muqdisho.
Les lignes de fractures au sein de la communauté Hawiiye Toute forme accord est de la même façon immédiatement rejetée par certains représentants des mouvements de guérilla à l’étranger. Explicitement, le porte-parole de l’USC à Nairobi réaffirme le refus de son organisation de négocier avec le président Siyaad Barre et son gouvernement, quel que soit le premier ministre. Ce bel élan unanime n’en cache pas moins certaines réalités qui de manière rédhibitoire vont engager la destruction de l’État somalien. On peut se cantonner pour l’heure à observer comment de différencie la position des membres de l’USC : les uns, proches du Manifesto de la capitale, majoritairement Hawiiye Abgaal, disposants de relais à Rome sont enclins à négocier ; les autres, majoritairement Hawiiye Habar Gidir, rassemblés autour du général Caydiid sont décidés les armes à la main à combattre jusqu’au bout les forces gouvernementales aux côtés de leurs alliés du SNM et du SPM. Ceci permet de discerner, dans la ville en plein chaos, comment certaines personnalités qui semblaient naguère « en attente » paraissent désormais se dégager ; Xuseen Maxamed Bood par exemple, du clan Waceysle des Hawiiye Abgaal1 et président du comité politique de l’USC de Muqdisho. L’homme fait le lien depuis le début du soulèvement entre les membres du Manifesto, les officiers Hawiiye qui combattent les forces gouvernementales dans la capitale, le plus sensible des théâtres. Radiotéléphone en main, il est également en contact avec le bureau USC de Rome ainsi qu’avec les milieux d’affaires italiens2. Xuseen Bood est enfin très proche d’un autre Waceysle, Ismaaciil Jimcaale Cosoble, un avocat, ministre de l’Information sous la Première république et avec lequel il a collaboré au célèbre journal La Tribuna. Ces deux-là contribuent depuis quelques semaines à mettre en selle un autre membre du clan Waceysle. Cali Mahdi Maxamed qui a été parlementaire avant 1969 a aujourd’hui de 52 ans. Il est un homme d’affaires jusque-là prospère, notamment propriétaire d’un des principaux hôtels de la capitale, le Makka Al-mukarrama. Membre fondateur du Manifesto, il est également l’un des bailleurs de fonds à la fois de l’USC de Muqdisho mais aussi de son bureau de Rome. Face à cette société d’affaire urbaine et à ses projets se dresse un officier de carrière brillant, charismatique et intraitable, Maxamed Faarax Caydiid. Au regard de la chute imminente de Siyaad et des siens, d’ores et déjà la problématique est simple : comment prendre de vitesse celui qui porte désormais leurs propres armes à tous ? Comment maîtriser ses 1
Du reer Cabdiraxmaan plus précisément. Âgé d’environ 50 ans, il a autrefois suivi des cours d’économie à Rome puis, à son retour, a travaillé au ministère de la Planification avant d’être nommé directeur de l’agence pour le Tourisme dans les années 1970 puis de revenir à la Planification comme directeur général du ministère. Mis à la retraite d’office en 1985 à vers d’autres Hawiiye, il a jusqu’à l’insurrection dans la capitale exercé comme consultant pour des compagnies étrangères, italiennes en particulier. 2
ambitions et, partant, celles du lignage provincial des Habar Gidir, les clans Sacad en particulier qui attendent beaucoup de ses succès. Il se cristallise ainsi un USC à dominante Abgaal, les autochtones de la région de Muqdisho qui, tout Hawiiye qu’il soit, ne souhaite pas reconnaître l’autorité d’un USC Habar Gidir. Cette existence de « deux USC », qui remonte certes à la fondation du mouvement, se complique encore du fait qu’il est dirigé par un Maxamed Caydiid associé à d’autres mouvements non Hawiiye ceux-là et avec lesquels il faudrait donc le moment venu envisager un indésirable compromis. L’accord d’unité passé par le général avec un SNM à majorité Isxaaq et un SPM à majorité Ogaadeen en octobre 1990 vient donc encore aggraver un différend originel. Le hiatus est d’autant plus patent que chacun vit sur son propre théâtre une guerre fort différente. Les miliciens de la faction Caydiid guerroient depuis des mois dans le centre du pays tandis que le comité de la faction de Muqdisho, d’abord clandestin, n’est actif que dans l’espace urbain. Or là dominent des Abgaal qui ne se sont résolus que depuis peu à passer à l’action armée.1 Il est néanmoins probable qu’il puisse leur être attribué les attentats perpétrés en décembre contre le bureau de la Poste centrale et contre la caserne du corps des vigiles.
La chute de Muqdisho [27.I-1991] Puis à Muqdisho soudain les combats baissent d’intensité. Le calme avant la tempête. Le front armé qui, excepté au sud, a presque investi la capitale accumule le matériel militaire et les hommes nécessaires à s’en emparer. Le SPM conduit par le colonel Cumar Jees, qui opère à partir de l’ouest, est sur le point de faire sa jonction avec les combattants de l’USC à hauteur d’Afgooye. Ses éléments contrôlent Baydhabo, la grande ville du Baay. Poursuivant leur progression vers la capitale, les miliciens Ogaadeen s’apprêtent maintenant à s’emparer de l’aéroport militaire de Balli Doogle. Sur le terrain, la débâcle gouvernementale est totale.2 Mais la prise de Muqdisho, supposée entériner la chute du régime sera affaire de Hawiiye, Hawiiye Abgaal depuis l’intérieur de la ville, Hawiiye Habar Gidir, à partir de sa périphérie. Dans la capitale où les rebelles progressent difficilement, les affrontements se poursuivent. L’attaque qui se révélera décisive de la Villa Somalia est lancée au matin du samedi 26. Dans la matinée, à proximité, les rebelles se sont emparés de la radio, autour de midi, les communications sont interrompues. En fin de journée, vers 17 heures, peu avant le coucher du soleil, le Président a quitté l’emprise par la porte sud pour se réfugier à l’Afisiyooni. Trois heures plus tard, tandis que les combats se poursuivent, un important convoi rejoint Siyaad Barre par le même 1
En s’appuyant sur le ralliement d’officiers Hawiiye de l’armée gouvernementale parmi lesquels le général Maxamed Nuur Galaal. Bien qu’ayant tout d’abord été en contact avec les membres du Manifesto, ce dernier n’a rallié ouvertement l’opposition que dans les dernières semaines de décembre. 2 MOHAMOUD M. Afrah. Target, Villa Somalia. 1991
chemin. Le général Maxamed Siciid Xirsi Moorgan, emportant dollars et lingots d’or, abandonne un palais présidentiel que les principaux chefs militaires et officiels du régime ont déjà déserté. Une demi-heure plus tard, surpris de ne plus être soumis au feu des Duub Cas, les insurgés se risquent à escalader l’enceinte crénelée avant de donner l’assaut par le nord, l’est et l’ouest à une position quasiment désertée. Les quelques soldats laissés en arrière-garde qui n’ont pas eu le temps de jeter leur uniforme avant de s’enfuir sont massacrés sur place, à l’instar des lions du Président. Une situation chaotique s’installe dans et autour de la Villa Somalia qui dans la nuit et la matinée est totalement pillée et dévastée. Maxamed Moorgan a appris que la route côtière était encore libre. Le dimanche 27 janvier 1991, au petit matin, rassemblant encore ce qui peut l’être dans les installations de l’Afisiyooni, Siyaad Barre monte à bord d’un engin blindé et s’engage avec les quelques centaines de partisans qui l’accompagnent sur l’axe qui au bout de l’aérodrome passe devant le camp d’Ifka Xalane1. Avant de partir, il a été ordonné aux derniers soldats retranchés dans l’aéroport militaire de « tenir la position ». C’est ici que dans la matinée se dérouleront les derniers combats. Parallèlement au rivage, le convoi se dirige vers Marka. Il s’agit d’éviter Afgooye peut-être déjà entre les mains des rebelles et de reprendre à proximité de Awdheegle la route de Kismaayo encore tenue par ses troupes. Les forces de Caydiid et de Cumar Jees qui progressent à partir du nord et de l’ouest sont certes parvenues à mettre en déroute la 1ère division blindée de l’armée gouvernementale, mais elles ne contrôlent pas encore cet axe qui, via l’aéroport, se dirige vers le sud. Lorsque la fuite de Siyaad Barre est confirmée, le général Maxamed Nuur Galaal qui a mené l’assaut des forces USC sur Muqdisho annonce, le lundi 28 janvier sur les ondes de Radio Muqdisho : « La bataille est finie, déposez les armes et ne réagissez pas violemment contre ceux qui n’appartiennent pas à votre tribu. Le United Somali Congress a pris en main le destin de la nation afin de garantir la paix et la sécurité de ses citoyens qui, dorénavant, sont protégés sans distinction de catégorie. »
Le général appelle en particulier les fonctionnaires à reprendre le travail et annonce la création d’un comité pour le salut de la nation dont feront également partie les autres fronts armés, SNM et SPM. Ce comité, dit-il, se transformera ensuite en gouvernement de transition afin de conduire le pays vers la démocratie.
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L’ancien camp Bottego où, après l’avoir rebaptisé, le régime socialiste avait établi le centre de formation des masses populaires.
I I – 1991 : CHUTE DU REGIME ET M ISE A MAL IMMEDIATE DES ALLIANCES
Si la fuite de Siyaad Barre consomme effectivement l’effondrement du régime, il sonne aussi, en dépit de l’appel du général Maxamed Nuur et en dépit du succès rebelle, le glas de l’accord conclu naguère entre le SNM, le SPM et l’USC. Plus inquiétant surtout, il révèle l’éclatement imminent du front Hawiiye dont on entrevoit depuis longtemps la dimension des lézardes.
FRACTURES ENTRE LES MOUVEMENTS REBELLES ET AU SEIN DE L’USC À peine en effet Siyaad a-t-il quitté la capitale qu’un scénario de fort mauvais augure se met immédiatement en place, qui va prendre de vitesse la plupart des protagonistes. De nombreux analystes considèrent que, lorsque le président quitte Muqdisho, il n’y a plus d’État à saisir. L’ensemble est ruiné et, sauf au Somaliland peut-être, nulle part ailleurs dans l’ancienne République ne perdure une hypothèse de substitution crédible. C’est pourquoi, face à ce vide, ils imputent à la volonté de se voir reconnaître la légitimité du pouvoir cette division immédiate de la société Hawiiye qui met face à face les clans Abgaal représentés par Cali Mahdi et les clans Habar Gidir par le général Maxamed Faarax Caydiid. Pourtant la fracture n’est pas encore aussi ouverte1. Elle ne deviendra insurmontable qu’à partir du mois de novembre après que les deux tendances auront sans équivoque pris le parti d’en découdre en bataille rangée. En cette fin du mois de janvier 1991, l’ensemble des faisceaux Hawiiye, restés solidaires jusqu’au départ de Siyaad, a rempli les termes du contrat stipulant leur volonté commune de se débarrasser du dictateur 1
Des personnalités Habar Gidir soutiennent l’Abgaal Cali Mahdi et vice versa.
Darood. Mais la chute de ce dernier ouvre naturellement sur un nouveau processus, sauf qu’il s’agit d’un processus pour lequel rien n’a vraiment été préparé, ni la transition ni la substitution. Aussi un délitement en cascade vient-il rompre l’union sacrée qui avait jusqu’alors prévalu. Quand d’emblée, le Hawiiye Abgaal Cali Mahdi tente d’en accaparer la représentation, les faisceaux lignagers non Hawiiye puis, au sein même du cercle Hawiiye, les faisceaux tribaux non Abgaal se trouvent en situation de se retourner les uns contre les autres.
Le hold-up de Cali Mahdi Maxamed [29.I-1991] Le 27 janvier en effet, les combattants Habar Gidir du général Maxamed Faarax Caydiid qui viennent de s’emparer de la capitale se rendent compte que les Abgaal ont entrepris depuis la veille de former de leur propre initiative un gouvernement provisoire1. Une première partie de bras de fer pour le contrôle de la radio tourne dans la journée à l’avantage de ces derniers dont les partisans, résidants de Muqdisho, sont naturellement les premiers arrivés sur les lieux. Le 29 janvier, deux jours seulement après la chute du régime, Xuseen Maxamed Bood, cerveau politique et président de l’USC à Muqdisho désigne pour une période de 28 jours Cali Mahdi Maxamed, président par intérim de la Somalie. Immédiatement, celui-ci reconduit Cumar Carte Qaalib dans sa fonction le premier ministre. Après avoir été investi de tous les pouvoirs exécutifs, Cali Mahdi annonce le 3 février la formation d’un gouvernement provisoire. Celui-ci présente la double caractéristique de faire la part belle : - aux lignages Hawiiye dont il paraît établir la suprématie puisqu’il leur est attribué huit maroquins contre cinq pour les Isxaaq tandis que les huit autres sont répartis entre les Darood et les Dir ; - aux membres du dernier gouvernement nommé le 24 janvier par Siyaad Barre sur proposition du Sulux dont plusieurs sont reconduits dans leur poste. C’est notamment le cas du général Maxamed Abshir Muuse, nommé vice-premier ministre, de Cabdiraxiin Cabdi Faarax, un Isxaaq désigné à la Reconstruction, et du ministre de la Justice, le Hawiiye Xuseen Maxamed Bood. Les nouvelles autorités somaliennes ainsi établies annoncent pour le 28 février une rencontre de concertation nationale, projet que soutient
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Bien que cela ne représente pas une scission officielle, mais une rupture de fait au sein de l’USC, nous désignerons provisoirement - en attendant la restructuration du mouvement - par USC-Caydiid les forces à majorité Habar Gidir de Maxamed Faarax Caydiid qui quelques mois plus tôt se sont organisées à Mustahil autour de ce dernier, USC-Mahdi celles à majorité Abgaal de Cali Mahdi Maxamed, peu ou prou héritières des signataires du Manifesto, et enfin USC-Rome son pendant installé au sein de la communauté expatriée en Italie.
notamment l’ancien premier ministre, l’Isxaaq Maxamed Ibraahin Cigaal, qui lance même un appel empressé en vue de sa tenue. En attendant, afin d’asseoir une légitimité déjà largement contestée, une délégation gouvernementale, dirigée par le nouveau ministre d’État auprès du premier ministre, Maxamed Siciid Cilmi, se rend le 6 février à Djibouti afin de s’entretenir avec les autorités djiboutiennes. Quelques jours plus tard encore, un ancien haut responsable de la police, Jaamac Maxamed Qalaab Yare se déplace en compagnie d’autres notables de Muqdisho à Hargeysa ou se tient une importante réunion du SNM, interpellé par les nouveaux développements à Muqdisho. Cet Isxaaq, considéré comme proche du mouvement rebelle, est une personnalité respectée notamment pour avoir, dit-on, refusé quelques mois plus tôt le poste de premier ministre que lui offrait le président Siyaad Barre. Il reste que cantonné dans un quant-à-soi légitime, on constate déjà le peu d’empressement de l’état-major du SNM à envoyer dans la capitale somalienne la moindre délégation qui pourrait être perçue comme un aval donné au processus imposé par l’USC-Mahdi.
Les factions USC face aux autres mouvements rebelles Ces décisions, cela va de soi, apparaissent parfaitement inacceptables au plus grand nombre des factions. Toutes ont été prises sans qu’aucun allié n’ait été consulté, surtout pas le général Caydiid dont ce sont quand même les troupes qui de façon décisive viennent de renverser le pouvoir. Conformément à ses engagements auprès des autres fronts combattants, celui-ci avait pourtant insisté sur la nécessité d’établir une administration provisoire et non un gouvernement, au moins jusqu’à ce que le SNM soit en mesure d’être représenté. Ce point de vue est bien sûr partagé, précisément par son président lui-même, Cabdiraxmaan Tuur, qui n’est pas en faveur d’une sécession du Nord-ouest – hypothèse qui suit son chemin – et estime qu’une transition apaisée au Sud conforterait la position des non-sécessionnistes au Nord. Partagé par le SNM, ce point de vue de Caydiid l’est aussi par le SPM de Axmed Cumar Jees, qui n’a pas davantage été sollicité à propos de la désignation de Cali Mahdi et du processus en cours. Vu de l’intérieur de l’USC, Caydiid observe que seuls quatre membres du comité central sur un total de 105 ont en réalité participé à la décision. Il fait donc aussitôt valoir que le choix de Cali Mahdi ne pouvait être décemment entériné de façon collégiale par l’ensemble du congrès. Mais même immédiatement dénoncé par l’USC-Caydiid, par le SNM et par le SPM, les Abgaal largement majoritaires dans la capitale estiment que leur participation massive à l’insurrection populaire rend légitime leur prise en main de la situation. Les milieux d’affaires, dont certains bénéficient du soutien de la mafia italienne, ont sans vergogne choisi parmi eux leurs correspondants ordinaires pour assurer le pouvoir. Il reste cependant que Maxamed Caydiid, vainqueur militaire de Siyaad Barre, n’entendra pas si facilement se voir privé des fruits d’une victoire
qu’il vient de remporter, aux côtés de ses alliés, sur la presque totalité du territoire somalien. Mais, partagé pour l’heure entre la nécessité de se lancer à la poursuite des forces de l’ancien dictateur et celle de tenter d’arrêter ceux qui viennent de former un gouvernement provisoire, le général se trouve confronté à un dilemme. Il craint en effet de voir les forces du président déchu se ressaisir puis, prenant acte des dissensions au sein de l’USC, se lancer dans une contre-attaque. C’est pourquoi, choisissant entre deux maux le moindre, il prend le parti de considérer que le moment venu, il pourra toujours se reprendre avec Cali Mahdi. Sauf qu’il en sous-estime la capacité mobilisatrice sur le plan clanique, la dimension des soutiens sur le plan financier et ses accointances politiques largement relayées à l’international par la société romaine. Maxamed Caydiid qui ne rejoint personnellement Muqdisho que le 29 janvier a certes été pris de vitesse mais il considère que ses troupes bien armées et l’accord passé en octobre avec le SNM et le SPM, tout autant que lui floués, lui permettront le moment venu de reprendre aisément la main. Cela dit, il semble négliger deux corollaires qui n’établissent pas vraiment en sa faveur la balance des forces : - d’une part Cali Mahdi a constitué un gouvernement autour de la plupart des autres clans Hawiiye dont il s’est ainsi assuré le soutien ; - d’autre part, au regard du SNM Isxaaq et du SPM Ogaadeen, l’accord d’octobre a été passé avec un ensemble USC et non une faction particulière, la sienne en l’occurrence. Il en résulte, outre la défiance légitimement induite à l’encontre de n’importe quel Hawiiye, un risque de délitement total de l’alliance qui lui serait préjudiciable. En cela, il présume en effet d’un soutien qui ne lui est pas naturellement acquis ; encore moins quand se déclenche à Muqdisho une chasse aux Darood sur laquelle nous allons revenir. Cette situation le laisse donc relativement isolé. En effet, lui, Caydiid, officier puis diplomate, est un homme d’appareil et de gouvernement. Il a face à lui une personnalité soutenue par la finance italienne et son puissant associé occasionnel, la Mafia, habituée depuis des décennies à blanchir une partie de ses profits dans la lessiveuse somalienne. La lutte en conséquence promet d’être serrée. Par ailleurs, les solidarités cristallisées par la société de Muqdisho rassemblent aussi les principaux clans Hawiiye non Habar Gidir, ceuxci restant en quelque sorte des provinciaux du nord. Certes, çà et là, quelques otages Isxaaq ou Majeerteen ont donné un moment l’illusion d’un parti USC pansomalien. Mais il n’en demeure pas moins que la coalition est dominée par les Abgaal bien sûr, mais aussi par d’autres grands clans Hawiiye : Xawaadle, Muruursade, Saleebaan, Wacdaan et même Sheekhaal1. La plupart des personnalités qui ont soutenu naguère 1
Bien que ces derniers contestassent souvent leur appartenance au faisceau lignager Hawiiye.
l’USC-Rome, voire son avatar le Manifesto, tendent à s’aligner aujourd’hui derrière Cali Mahdi. Il est vrai que cela est loin de conférer à ce dernier une légitimité suffisante. Sur le plan strictement politique, les désapprobations sont nombreuses. Bien sûr, la décision a été d’emblée rejetée par les autres mouvements rebelles – SPM, SNM et même rescapés Majeerteen du SSDF qui tarde encore à renaître de ses cendres1 – tous révoltés à l’idée de voir les derniers arrivés au sein de l’insurrection rafler la mise sur la seule bataille de Muqdisho. Mais au sein de l’USC aussi, la désapprobation s’installe, fruit du sentiment d’être allé un peu vite en besogne, de ne pas avoir mesuré toutes les conséquences d’une téméraire décision. Car le général Caydiid, certes s’est indigné, mais d’autres comme Xuseen Maxamed Bood lui-même paraissent un moment envahis par le doute. Au bureau de l’USC à Londres, on juge totalement inacceptable la nomination d’un Cali Mahdi dont la femme a été conseillère juridique de Siyaad Barre jusqu’en 1990. Un argument tombant à l’aplomb des propos du général Caydiid qui considère que l’accès à la table des pourparlers de paix doit être réservé à ceux qui ont combattu la dictature par les armes et que doivent en être exclus ceux qui ont collaboré avec elle. Or cet argument va à l’encontre de la politique préconisée par Cali Mahdi qui se déclare même clairement partisan d’une large participation incluant les Mareexaan et qui maintient par exemple dans son entourage des personnalités de l’acabit du général Axmed Jilicow Cadow, ancien chef de la police secrète et tortionnaire de renom.
Les Hawiiye face à eux-mêmes : la réunion du 21 février 1991 C’est pourquoi, en dépit de ses nombreux atouts, le contexte qui s’installe suscite une certaine défiance à l’encontre de Cali Mahdi. C’est dans cette ambiance devenue délétère que des représentants du Manifesto et de la plupart des clans Hawiiye dont sept intellectuels forment une sorte de consistoire prennent le parti de se réunir à l’hôtel Lafweyne à Muqdisho. Leurs entretiens se déroulent du 21 au 24 février. Le 24, veille de l’échéance de l’intérim présidentiel de Cali Mahdi et de son gouvernement provisoire, ils finissent, difficilement, par s’entendre sur trois points : - avant que ne soit formé un gouvernement, un congrès de l’USC devra être tenu afin que tous les litiges entre les différentes factions soient mis à plat et réglés ; - Siyaad Barre qui est en liberté dans le Geedo devra être bouté hors de Somalie, argument qui revient à placer officiellement le 1
En 1985, après l’arrestation de son président, le colonel Cabdullaahi Yuusuf Axmed, par les autorités éthiopiennes, le Somali Salvation Democratic Front (SSDF), fondé sur les lignages Darood Harti Majeerteen du Nord-est, disparaît pour reprendre quelque couleur à partir de 1988 dans les provinces du Mudug, du Nugaal et du Bari.
commandement de l’ensemble des forces de l’USC entre les mains du général Caydiid ; - une mission devra être immédiatement envoyée dans le Nord-ouest afin de prévenir toute velléité de sécession. Or Cali Mahdi et son clan attendaient entre autres de l’exercice qu’il asseye son pouvoir, au moins par une proposition de reconduction de son gouvernement, lequel serait devenu dès lors de moins en moins provisoire. Mais l’affaire est indéfendable. Il lui faut admettre par exemple que parmi les ministres Darood figurant sur la liste proposée tous sont d’ores et déjà réfugiés à Kismaayo au sud ou à Gaalkacyo au nord, à l’abri des massacres qui, à Muqdisho, ont commencé à frapper leur communauté. Aussi, même si le président et son premier ministre sont reconduits dans leur charge, aucun gouvernement n’est explicitement formé au terme de la réunion. Seul un vice-premier ministre Majeerteen est nommé en la personne de l’ancien général de police Maxamed Abshir Muuse, qui a mis à profit sa longue détention à la prison de Labatan Jirow pour étudier profondément le Coran au point d’en devenir un véritable érudit en sciences islamiques. Les partisans de Cali Mahdi sortent donc furieux de la réunion. Quand les délégués se séparent, dans la plus grande confusion, la milice Abgaal qui vient de surgir aux abords de l’hôtel ouvre le feu dans sa direction, tirant au hasard en signe de protestation. Le projet d’une conférence de réconciliation nationale qui devait commencer ses travaux le 28 février est également reporté, au 14 mars espère-t-on. Il apparaît donc déjà qu’en dépit de leur victoire sur les forces de Siyaad Barre, ni Caydiid, ni Cali Mahdi ne sont en mesure de restaurer l’ordre à Muqdisho. Le premier refusant de reconnaître la présidence par intérim du second et le second refusant de reconnaître le premier comme président de l’USC, l’anarchie règne dans la capitale et dans ses environs, désormais livrés au pillage et au meurtre. Les mois de février et de mars seront des mois terribles pour une ville qui se vide soudain d’une grande partie de ses habitants.
LE RETOURNEMENT DES HAWIIYE CONTRE LES FAMILLES DAROOD Une violence sans précédent en effet s’abat maintenant sur la Somalie méridionale. Et cette violence qui est tout d’abord ostensiblement tournée contre le faisceau lignager des Darood va en définitive se propager à l’encontre de la plupart des autres lignages voire même audelà : le père franciscain Pietro Turati par exemple, arrivé en Somalie en 1948 et qui avait refusé de quitter la léproserie et l’orphelinat qu’il dirigeait à proximité de Jilib sera assassiné, probablement le 8 février, sans qu’il en soit établi ni les circonstances, ni les culpabilités.
La fuite des Darood vers le sud [II-1991] On peut considérer qu’une situation aussi paroxystique répond sous certains aspects aux excès du régime déchu. Elle est psychologiquement
fondée sur une accumulation de haines et tend à reproduire les exactions commises contre les Majeerteen entre 1980 et 1982, les Isxaaq entre 1987 et 1990, les Ogaadeen en 1989 et les Hawiiye enfin, entre 1989 et la chute du régime. Les événements de février 1991 subsument dans l’inconscient collectif l’ensemble des violences perpétrées naguère par les NSS, HANGASH1, Duub Cas et autres Guulwadayaal2. La retraite des Darood fuyant la capitale s’effectue en deux étapes. Dans un premier temps, elle concerne les forces loyalistes qui se replient par Baydhabo et Baardheere en direction du sanctuaire Mareexaan du Geedo où Siyaad Barre va tenter de réorganiser ses moyens. Mettant à profit le court répit résultant des différends au sein de l’USC une fois Muqdisho tombée, les généraux Maslax Maxamed Siyaad, fils du président, et Maxamed Moorgan, son gendre, se rendent l’un aux Émirats arabes unis – à Abu Dhabi [ar. abū ẓabī] où il a déjà fait une escapade à la fin décembre – l’autre au Kenya afin d’y acquérir les armes nécessaires à une contre-attaque dont ils espèrent qu’elle se conclura sur une reprise de la capitale3. À cet effet, ils acquièrent sur différents marchés noirs pour 27 millions de dollars d’armes et de carburant. La seconde vague du repli des populations Darood est d’une autre nature. Elle procède de la multiplication spectaculaire des exactions qui se multiplie entre janvier et février à l’encontre des tribus Darood, réputées sans grand souci de discernement associées à l’ancien régime4. Ces représailles se concluent au mieux sur l’exigence d’une rétribution immédiate contre la vie sauve, le plus souvent sur une exécution sommaire5. C’est dans ce cadre que les incidents qui éclatent début février entre les Ogaadeen du SPM et les Abgaal de l’USC à Afgooye contraignent Axmed Cumar Jees à se replier vers le sud et à chercher refuge à Kismaayo et son arrière-pays, terroir ordinaire de son clan les Maxamed Subeer. Là, à l’instar d’autres familles Darood, il va conserver son autonomie, mais accepter une alliance tactique de sauvegarde y compris avec le SNF établi à son nord. Le SPM va s’entendre également avec les éléments Darood Harti, majoritairement Majeerteen qui 1
Le HANGASH, acronyme pour HAy’adda Nabadgalyada GAaSHaandhiga, « Agence de sûreté des Forces armées » a été créé au lendemain de la tentative de putsch de 1978 afin de surveiller à la fois les Forces armées et le NSS lui-même. 2 La milice urbaine dénommée les « Pionniers de la Victoire » ; au singulier Guulwade. 3 SAMATAR. Somalia : Minority Rights Group. Londres 1991. 4 Siyaad Barre avait assis son pouvoir, après la guerre de l’Ogadén, sur trois faisceaux lignagers Darood que les Somaliens appelaient les MOD : le sien propre, les Mareexaan, les Dhulbahaante, celui de sa mère et les Ogaadeen. À la fin des années 80, il avait opéré un repli ethnique sur son propre clan. 5 WILSON Hamish. Unsettled Dust : Despite Barre’s Fall, Peace Does Not Seem to Have Won The Day Yet. Africa Events. Londres, mars 1991 ; AMNESTY INTERNATIONAL. Somalia: A Human Rights Disaster. 5 août 1992 (AI Index: AFR 52/01/92). SAMATAR, Dr. Said S. Somalia: A Nation in Turmoil. Minority Rights Group. Londres, août 1991.
habitent dans et autour de Kismaayo. Ceux-ci sont naturellement soutenus par le front du nord-est, le SSDF qui renaît peu à peu de ses cendres. Sous la direction du général Maxamed Abshir Muuse, également contraint à la fuite, il a fallu en effet s’organiser pour protéger le repli des Majeerteen, mais aussi couvrir celui des reer Woqooyi1, Isxaaq, Darood et Dir, fuyant également les massacres à Muqdisho. Car au fil des exactions liées à la convoitise des pillards, les milliers de meurtres perpétrés touchent en définitive tous les non-Hawiiye de la capitale. De nombreux Isxaaq par exemple font aussi les frais de l’affaire. Les miliciens USC les confondent avec les Dhulbahaante alliés à Siyaad avec lesquels ils partagent le parler de l’ancien Somaliland fortement imprégné de mots d’origine anglaise. De la même façon, les meurtriers s’empressent de tourner leur arme contre quiconque s’avise de protéger une victime potentielle. On mesure mal le traumatisme que suscitera cette purification clanique, un phénomène tel que le pays somali n’en a jamais connu. D’autant qu’en contrepartie bien sûr, à Kismaayo, des massacres de Hawiiye alimentent en retour l’infernale spirale des représailles2. Dans la capitale, devenue ville Hawiiye, la terreur suscite également l’apparition d’un phénomène nouveau. Le départ de Siyaad Barre a laissé certes un pays sans gouvernement mais aucune force de maintien de l’ordre surtout n’a pu s’y imposer. Le banditisme urbain se diffuse à un niveau jamais atteint. Le vol et l’extorsion deviennent un mode de vie pour de jeunes hommes en armes venus de la brousse dans les rangs de l’USC. Ces mooryaan3 trouvent désormais devant eux une ville à piller sans que ne se dessine un semblant d’institution propre à les contenir.4 En n’ayant pas été en mesure d’établir la loi et l’ordre dès janvier 1991, en ayant renoncé à contrôler les masses qu’ils avaient armées pour les lancer contre la Villa Somalia, les dirigeants des deux factions de l’USC portaient une lourde responsabilité dans la dégradation ultérieure de la 5 situation.
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Littéralement « les gens du Nord », expression sous laquelle à Muqdisho on désigne communément les ressortissants de l’ancien Somaliland. 2 Immigration and Refugee Board of Canada, Somalie : information sur les massacres perpétrés contre les membres du clan Darod par Ali Mahdi au lendemain de la chute de Siad Barre dans le but de rallier les clans Hawiye pour faire face aux clans Darods. 19 Août 1991 SOM11475 3 Le terme mooryaan(-ka) désigne en somali une sorte de gale dont sont atteints les animaux. Une expression en est dérivée : Dad mooryaan ah utilisée pour décrire une personne réduite à la misère, un misérable, un « galeux » dirait-on. Aujourd’hui, il s’agit d’un mot collectif désignant les jeunes broussards acculturés qui ont accompagné le processus de délinquance urbaine dans la décomposition de la société somalie. 4 Cf. MARCHAL Roland. Les mooriyaan de Muqdisho : formes de violence dans un espace urbain en guerre ». 5 COMPAGNON D. [1995 : 741]
Les alliances de sauvegarde des clans Darood [II/IV-1991] Pour les Darood qui ont trouvé le salut dans la fuite, il s’agit de se mettre en sûreté voire de se préparer si nécessaire à faire face. Cela exige de se réorganiser au plus vite dans un but défensif contre des Hawiiye qui continuant à avancer vers le sud les talonnent. Cela induit de se solidariser avec d’autres Darood – voire même le récent ennemi Mareexaan. C’est ainsi qu’afin de contenir l’avance de l’USC se compose outre-Jubba une coalition de circonstance qui rassemble maintenant des adversaires de la veille : - les Mareexaan du Somali National Front (SNF) repliés vers leurs sanctuaires du Geedo et le Galguduud ; - les quelques Harti1 appartenant aux familles établies au sud ainsi que certains Majeerteen du nord, membres du SSDF qui ralliés pour la circonstance se replient vers Kismaayo ; - les Ogaadeen Maxamed Subeer du SPM du colonel Axmed Cumar Jees et les Ogaadeen Cawlyahan du dernier ministre de la Défense, Aadan Cabdullaahi Nuur Gabiyow qui gagnent Kismaayo, la frontière kényane et la vallée de la basse Jubba ; - d’autres Darood encore de la capitale : Bartire et Abasguul naguère venus de Harär, Awrtable de Garoowe… Au début du mois de mars, du fait de cet afflux de personnes qui fuient Muqdisho, Kismaayo compterait 600 000 habitants soit 10 fois plus qu’en janvier2. Pour l’heure, la ligne de front entre les défenseurs de la ville et les assaillants de l’USC se situe à Baraawe, à mi-chemin entre Kismaayo et la capitale, Kismaayo contrôlée par les Ogaadeen du SPM et où les miliciens du SNF sont présents.
Les ambiguïtés kényanes à l’égard du SNF Mais si les réfugiés Darood relèvent globalement d’un simple problème de survie, il en va autrement du SNF dont la plupart des éléments sont repliés dans le Geedo. Ceux-ci en effet ont un projet, bien politique celui-là, ni plus ni moins que la reconquête du pouvoir. Leur réorganisation et les allées et venues qu’elle nécessite entre le Kenya et le refuge du Geedo finissent, à la fin du mois de février, par mettre en porte à faux les autorités de Nairobi où demeurent de nombreux dignitaires de l’ancien régime, accompagnés de leurs familles. Ceux-ci en effet s’emploient à rallier à leur cause des membres de la communauté somalienne au Kenya. Depuis les hôtels de Nairobi où ils résident, tous les membres du gouvernement déchu participent à l’opération et de riches commerçants distribuent de l’argent parmi les 1
On se souvient que les Harti sont, avec les Ogaadeen et les Mareexaan, l’un des trois principaux faisceaux lignagers Darood. Les Harti pour leur part rassemblent les tribus Majeerteen, Dhulbahaante et Warsangeli, toutes implantées dans le Nord avec, depuis la fin du XIXe siècle, de petites communautés dans et autour de Kismaayo. 2 The Guardian – Londres, 8 mars 1991
réfugiés somaliens du Kenya pour assurer de nouvelles recrues aux forces de Siyaad Barre. Or l’attitude kényane est quelque part ambiguë. Daniel arap Moi qui se place dans l’hypothèse du « rien n’est joué » s’est rangé en position d’attente. S’il accueille sans broncher les réfugiés qui passent la frontière, l’habile Kalenjin ferme par ailleurs les yeux sur les agissements des anciens dignitaires du régime déchu. Il fait même souvent preuve à leur égard d’une certaine complaisance que seul vient compromettre le manque patent de discrétion de ses hôtes et de leurs relais à Nairobi. Et c’est très précisément ce que dénonce le 20 février un ancien parlementaire kenyan, Abdi Mohamed Sheikh, lui-même d’origine somalie et dont, sans ambiguïté, les sympathies se portent sur les insurgés. Selon lui, les réfugiés somaliens partisans de l’ancien président demeurent rassemblés au Kenya précisément pour préparer une opération de reconquête du pouvoir. En conséquence de quoi, l’ancien député réclame des mesures plus sévères de contrôle de leur activité, requête inévitablement relayée au début du mois de mars par le gouvernement qui met résolument en garde les réfugiés somaliens contre toute incitation des Somalis du Kenya à prendre part à la guerre civile1. Car certains faits sont de nature à surprendre. On retiendra en particulier les livraisons de carburant. Une vingtaine de véhicules de 40 tonnes transitent par Mandera le 28 février, livraisons effectuées par une compagnie kényane, la Abdi Kawar Company, dont le propriétaire est un Dhulbahaante. Au sud, un autre convoi de 18 véhicules arrive à Kismaayo le 6 mars en provenance du Mombasa, transport effectué par la société kényane Moss. Le gouvernement provisoire de Muqdisho dénonce cependant plus encore le laxisme des autorités de Nairobi qui permet également à l’entourage de Siyaad Barre de s’approvisionner en armes sur place. À l’aplomb de leurs récriminations, elles évoquent un chargement qui, venu de Mombassa a pu, le 28 mars, passer sans encombre la frontière.2 C’est ce dernier transit qui envenime les relations le 2 avril quand, depuis Mascate où il est en visite officielle, Cumar Carte Qaalib accuse sans détour le Kenya d’aider les mouvements « qui s’opposent à son autorité dans le sud de la Somalie en leur fournissant soutien et munitions ». Réclamant l’intervention de l’OUA, le premier ministre par intérim adosse son propos au courrier récemment adressé par Cali Mahdi à Daniel arap Moi et par lequel, « afin d’améliorer les relations bilatérales entre les deux États », il est demandé au président kényan de n’apporter aucune aide aux partisans de l’ex-président. Le lendemain, Nairobi réagit par une déclaration officielle du ministre des Affaires 1 2
LOI n°467, 23 février 1991 LOI n°474, 13 avril 1991
étrangères, Wilson Ndolo Ayah, qui se montre surpris par ces accusations et précise que si son pays n’avait pris aucun parti dans le conflit somalien, il n’en avait pas moins accueilli des réfugiés de tous bords. Et il est certes incontestable que dans l’attente d’un autre lieu d’accueil le Kenya accueille quelques milliers de réfugiés, regroupés pour l’heure autour de Mombasa, et dont la situation sanitaire est considérée comme sérieuse. Mais il n’en est pas moins aussi exact que plusieurs hôtels de Nairobi abritent toujours des dignitaires de l’ancien régime parmi lesquels le moins visible n’est pas le général Maslax Maxamed Siyaad1. Mais en dépit des saintes colères de Cumar Carte Qaalib, le Kenya se révèle aussi pour beaucoup une étape sur le chemin de l’exil. Dans la deuxième semaine de février, Dalaayad xaaji Xaashi Jaamac-Gari, la seconde femme de l’ex-président somalien ainsi que vingt-neuf membres de sa famille quittent Nairobi où il est clair qu’ils sont devenus indésirables pour Le Caire où ils demandent l’asile politique. Discrètement d’ailleurs puisqu’ils entretiennent quelque espoir de voir la situation finalement se retourner en leur faveur. Au même moment, le cousin de l’ancien président, l’ancien ministre des Finances, Cabdiraxmaan Jaamac Barre obtient un visa de trois jours pour faire escale à Paris avant de se rendre en Italie où il n’exclut pas de réveiller certaines solidarités2.
La position des islamistes Dans la débandade qui a suivi la prise de Muqdisho par les Hawiiye, les salafistes Darood établis dans la capitale se voient contraints à fuir pour des impératifs de survie. Ils se trouvent ainsi écartelés entre leur idéal panislamique transtribal et l’impitoyable logique des clans. Pour les salafistes Hawiiye sincères, s’ils ne se trouvent pas exposés aux mêmes dangers, le drame moral n’en est pas moins incontestable. Il reste que, dépassés par l’événement, tous n’ont guère d’autre choix que de se montrer discrets. Certains, plus éduqués, au sein de l’Islaax en particulier, cherchent refuge à l’étranger et se placent en situation de créer une plate-forme pour une action ultérieure ; d’autres restent à Muqdisho où ils vont tenter d’infiltrer tous les espaces de pouvoir – politique et économique – au fur et à mesure qu’ils vont se dessiner. Une certitude : nombre d’entre eux qui avaient déjà infiltré l’appareil d’État du temps de Siyaad ont approuvé le Manifesto, un courant que globalement ils n’ont pas renoncé à suivre. Plus au sud en revanche la situation est critique. La menace qui pèse sur la communauté Darood induit ipso facto que le clanisme rattrape 1
La presse kényane a accusé Meslaax d’avoir fui son pays en emportant les 70 millions de dollars que le roi Fahd avait accordés à la Somalie quelques mois avant la chute de Siyaad. 2 LOI n°467, 23 février 1991
tout autant les membres de Al-Itixaad al-islaami1 (AIAI) que les affidés de l’Islaax dans ce qui est à la fois un exode et un repli. Jetés sur la route de Kismaayo, port stratégique et ouverture sur la fertile vallée de la Jubba, ils sont rapidement invités, à leur corps défendant parfois, à participer à la défense armée de la grande ville de l’extrême sud. Là, afin de venir à bout des réticences des plus tièdes, certains chefs de clans autochtones n’hésitent pas, en échange de leur soutien militaire, à leur promettre que la ville deviendrait le centre d’un émirat musulman. En attendant que la situation s’éclaircisse, les futurs combattants s’installent pour quelques jours dans le camp militaire naguère connu sous le nom de Guulwade2, proche de l’entrée nord de la cité.
Le gouvernement de Cali Mahdi en quête de légitimité Mais pendant que ces événements déplacent la guerre vers le sud somalien, à Muqdishu, le gouvernement de Cali Mahdi tente de se faire reconnaître par une communauté internationale qui ne mesure pas encore l’étiolement d’une hypothétique normalisation. Il est vrai que dans ce registre, l’activité du gouvernement provisoire reste bien peu fébrile. Le chaos le plus absolu prévaut sans qu’aucune décision ne soit prise propre à rétablir un minimum d’ordre et un minimum de services. C’est, au-delà du concept lui-même, ce que l’État a de plus élémentaire pour le quotidien de la population – eau, électricité, fonctionnement des services – qui maintenant achève de s’effondrer sur lui-même3. La conférence de réconciliation nationale qui devait s’ouvrir le 14 mars est ainsi de nouveau reportée. Dans un communiqué diffusé le 9, Radio Muqdisho a évoqué « la situation qui règne dans le pays, la poursuite des consultations entre les différents fronts armés et la proximité du mois sacré de jeûne du ramadaan », fondant la décision sur l’avis des [som.wadaado]5 et de la intellectuels4, des hommes de religion commission de réconciliation Sulux]. La radio précise aussi qu’une nouvelle date serait annoncée lorsque les différents mouvements se
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La plupart des appropriations somalies de termes arabes donnent lieu à des transcriptions parfois hasardeuses. 2 Comme son nom l’indique, l’ancien cantonnement des Guulwadayaal, les milices populaires urbaines. 3 Deux études documentées de Roland Marchal consacrées à Muqdisho facilitent la compréhension du rôle joué par la capitale somalienne dans la construction du conflit : A Survey of Mogadishu’s Economy. European Commission/Somali Unit (Nairobi). August 2002 ; Mogadiscio dans la guerre civile : rêves d’État. Etudes du CERI n°69, octobre 2000. 4 On parle en Somalie d’aqoonyahan pour désigner les groupes de réflexion, think tank, « laboratoires d’idées ». 5 Le terme procède d’une distinction essentielle au sein de la société traditionnelle somalie entre le wadaad (pl. wadaado), homme de religion et le waranleh, l’homme de guerre, littéralement « celui qui a une lance ».
seraient mis d’accord.1 On compte en effet beaucoup ici sur l’approche de la trêve du mois de ramaḍān – qui doit commencer le 17 mars – pour voir les tensions retomber. Au regard des relations internationales en revanche, le gouvernement provisoire se montre beaucoup plus actif. Son principal souci est d’être reconnu. À cet effet, il entreprend tout d’abord d’approcher les pays arabes. Cumar Carte Qaalibè se rend ainsi le 19 mars en Arabie saoudite où, dès le lendemain de son arrivée, il est reçu par le roi Fahd et par le prince héritier, l’émir ʿAbdalla Ben ʿAbdelʿAzīz2. C’est sur le même registre qu’il se rend ensuite aux Émirats arabes unis, au Qaṭar, à ʿUmān et à Baḥrayn3 puis en Égypte et en Syrie. Le voyage arabe s’achève sur une visite de cinq jours en Libye où l’accueil qui lui est réservé est particulièrement chaleureux. On s’y souvient qu’au début des années 80, Cumar Carte Qaalib avait sympathisé avec le Mathaba international4 et avait même rédigé à Tripoli un poème à la gloire du Guide 5. Après un passage en Suisse où il tente de faire geler les comptes des membres du précédent régime, il se rend enfin à Paris afin de résoudre un différend portant sur un avion des Somali Airlines, acheté en leasing en France et immobilisé en Allemagne.
Prémices hésitantes de l’aide des nations Mais il faut aussi évoquer le regard des étrangers sur la crise somalienne. En l’occurrence, on observe tout d’abord l’absence des Nations unies, très occupées au Moyen-Orient par la guerre du Golfe, un conflit dont le calendrier coïncide quasiment avec la chute de Siyaad Barre. Le 2 août 1990, après que l’Iraq a entrepris l’invasion du Koweït, une activité diplomatique planétaire s’était déployée afin de convaincre Ṣaddām Ḥusayn de retirer ses troupes. Face à l’inflexibilité du président iraquien, cette entreprise se conclut sur un projet d’opération multinationale menée avec le soutien de l’organisation internationale. L’opération Desert Storm est ainsi lancée le 16 janvier 1991 avec une préparation aérienne qui durera plus d’un mois. Elle se poursuivra par l’offensive dite « des 100 heures » qui à la fin de février scelle l’échec de 1
LOI n°470, 16 mars 1991 On se souvient que peu avant sa chute, Siyaad Barre avait bénéficié d’une aide saoudienne estimée à 70 millions de dollars dont une partie a servi à financer l’achat des avions Hunter et le salaire des mercenaires chargés de les piloter et les entretenir. 3 LOI n°471, 23 mars 1991 4 Le Mathaba ou Mathaba International est une organisation créée en 1982 par le Guide libyen. Elle se présente en tant que « Centre libyen anti-impérialiste », chargé de prospecter dans les zones de tensions, notamment en Afrique, afin d’y déceler et soutenir des individus engagés dans le terrorisme international. Des agents libyens y offrent des stages de formation à la guérilla et aux techniques terroristes à plusieurs mouvements, africains ou non. 5 L’agence de presse libyenne JANA le présente comme le « héros de l’arabité de la Somalie ». 2
l’Iraq. Après la victoire, les Nations unies cependant conservent autant de bonnes raisons de rester en alerte qu’au printemps 1991, Ṣaddām a en effet entrepris le massacre des Kurdes et des Shiʿites que la coalition avait incités à se révolter contre lui. Dans un agenda aussi chargé, le drame somalien ne préoccupe encore personne. Le plus intéressant à observer est le comportement italien, toujours attentif, pour nombre de raisons généreuses et d’autres moins avouables, au destin de son ancienne colonie. Car l’ensemble des vainqueurs, SNM au nord mais aussi USC ou SPM au sud, tous observent une réserve de principe face aux propositions de Rome, quelles qu’elles soient. La défiance prévaut. Car l’Italie, c’est beaucoup de choses : un passé commun et une connaissance réciproque, avec son meilleur et son pire, un gouvernement qui n’a jamais abandonné la Somalie aux mauvais coups du sort, mais c’est aussi une longue alliance avec Siyaad Barre, la présence des réseaux mafieux, un processus alchimique étrange fait d’accointance et de répulsion. Pour l’heure, les vainqueurs de Muqdisho sont plutôt enclins à prendre ombrage de la rumeur qui attribue aux Italiens l’octroi de 1500 tonnes de carburant aux combattants de Siyaad, acheminés les 24 et 28 février de Mombasa à Kismaayo. Mais ceci n’empêche pas une délégation de la Farnesina de séjourner au même moment dans la capitale dévastée afin d’évaluer les besoins d’urgence du pays. Paranoïa peut-être quand un mois plus tard, le 25 mars, un Boeing italien posé sur la piste de Kismaayo est à son tour soupçonné d’avoir acheminé des armes à la coalition SNF. Ce jour-là, un des rares Mig somaliens de la base de Balli Doogle à voler encore survole l’appareil et lâche quelques coups de semonce dans sa direction. Le doute est là, récurrent, même si une telle accusation est énergiquement réfutée par l’ambassadeur italien Mario Sica et son premier conseiller, Claudio Pacifico, qui affirmeront que leur présence à tous deux à Kismaayo ne relevait que de la délivrance d’une aide alimentaire. Il reste que la rencontre avec le SNF a bien eu lieu à cette occasion. De la part du SNM, au passé italien insignifiant, prévalent les mêmes réserves. La délégation militaire composée de plusieurs officiers qui vient le 26 mars à Berbera proposer une aide militaire au mouvement Isxaaq est poliment éconduite. Un autre État, grand familier de l’aire somalienne, s’est également manifesté à la fin du mois de février, il s’agit bien entendu de l’Égypte. Une délégation diplomatique cairote forte de douze personnes est arrivée dans la capitale où l’ambassade envisage déjà avec un surprenant optimisme de reprendre très vite son activité. Les propositions françaises en revanche semblent moins ambiguës aux Somaliens. Paris envisage d’acheminer dans la première quinzaine de mars une aide humanitaire : dix tonnes de médicaments, de sels minéraux et de lait en poudre devraient être débarquées à Berbera et remises au SNM, trois autres livrées à Muqdisho. La délégation qui
convoiera cette aide doit également réaliser une estimation des besoins en nourriture des populations locales avant que la France n’envisage l’envoi d’une aide alimentaire plus substantielle. En fait, c’est d’un autre côté que surgiront les difficultés. L’hypothèse d’une aide humanitaire ponctuelle avait été débattue depuis quelque temps déjà au quai d’Orsay. Mais on y avait jugé inopportun d’indisposer par une telle entreprise les autorités de Djibouti qui, en délicatesse avec le mouvement Isxaaq, ne voyaient pas d’un très bon œil une telle sollicitude. Des tensions sur lesquelles nous allons revenir sont en effet apparues à la frontière entre les deux pays. Or maintenant, poussée par son secrétaire d’État à la Coopération, Bernard Kouchner, la France revient sur sa stratégie et accepte de venir en aide au SNM, ce qu’elle s’était refusée à faire en dépit des nombreuses demandes formulées auprès de Paris par les représentants du mouvement. Venant encore retarder l’opération, les ministères français compétents, Affaires étrangères, Coopération et secrétariat d’État à l’Action humanitaire se renvoient la balle pour assumer les dépenses. Le projet traîne donc un peu et la mission est reportée d’une dizaine de jours, officiellement sous prétexte de l’insécurité régnant à Muqdisho. Il s’agit en réalité d’une opposition personnelle du président Hassan Gouled Aptidon [som. Xasan Guuleed Abtidoon] 1 cette fois, hostile à la présence à l’escale de Djibouti du représentant du SNM en Europe. Il était en effet prévu que ce dernier accompagnât la délégation de Bernard Kouchner. Le différend sera discuté plus tard lors d’un voyage à Djibouti du ministre de la Coopération, Jacques Pelletier, mais en attendant, Paris prend le parti de contourner le problème en programmant une escale à Nairobi avant que le navire ne se rendre à Muqdisho puis à Berbera2. Finalement, les 19 et 20 mars, Bernard Kouchner arrive dans la capitale somalienne où il peut s’entretenir avec Cali Mahdi avant de gagner comme prévu Berbera et Hargeysa. Radieux, il déclare le 21 que la France allait fournir vingt tonnes de médicaments et d’aliments à la Somalie, neuf étant déjà arrivées à Berbera et une dizaine devant prochainement être déchargées à Muqdisho.3
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En République de Djibouti, où cohabitent Afars, Somalis et Arabes, l’orthographe retenue pour la langue somalie n’a pas été appliquée, aux patronymes notamment. Aussi utilisons-nous l’orthographe issue des transcriptions coloniales sous laquelle les Djiboutiens ont choisi de continuer à se reconnaître. 2 LOI n°469, 9 mars 1991. Elle comprend un représentant du SNM, mouvement avec lequel la République de Djibouti est en délicatesse. 3 LOI n°471, 23 mars 1991. Les responsables du SNM seront par exemple très intrigués par la présence d’un général dans la délégation qui accompagne Bernard Kouchner, lequel est en réalité simplement responsable de la mise en place logistique de l’aide française.
Les misères de la diplomatie somalienne Mais d’autres difficultés se profilent aussi qui, parfois cocasses, n’en causent pas moins quelque embarras à la communauté internationale. Depuis quelques semaines en effet des affrontements de personnes ont eu lieu dans plusieurs ambassades somaliennes. À Nairobi par exemple, le premier conseiller déclare avoir été nommé chargé d’affaires par Muqdisho en remplacement de l’ambassadeur, révoqué le 19 février ; une décision que refuse catégoriquement d’admettre ce dernier. Mais c’est Genève qui réserve l’affaire la plus croustillante. Le premier conseiller de la mission diplomatique auprès des Nations unies y revendique la place de l’ambassadeur Faadumo Isxaaq Biixi, une Mareexaan en poste depuis 1984 mais révoquée dit-il par le nouveau pouvoir. Cette dernière affaire ouvre un imbroglio diplomatique sur lequel les Nations unies peinent à trancher. Certes, en février, l’ambassade de Somalie à Rome a effectivement annoncé ce remplacement. Mais, selon la règle internationale, un changement d’ambassadeur ne peut être prononcé que par le chef de l’État, le chef du gouvernement ou le ministre des Affaires étrangères. Aussi le message de l’ambassadeur de Rome a-t-il été rejeté par New York. Une autre dépêche, émanant du ministre des Affaires étrangères et envoyée depuis Djibouti cette fois, n’a pas non plus été jugée par les Nations unies conformes aux canons diplomatiques ordinaires1. Il reste que les aventures de l’extravagante diplomate connaîtront d’autres rebondissements. Au début du mois de juin en effet, Faduumo Isxaaq Biixi et sa collaboratrice, Cusub Maxamed Siyaad, fille de l’exprésident, seront contraintes de quitter la Suisse après que leur statut diplomatique leur a été retiré par le département des Affaires étrangères de Berne pour « abus de privilèges et immunités ». Arrivée à Paris, l’exambassadeur s’élèvera contre le blocage de son compte personnel, estimant que cette mesure avait été prise pour des raisons politiques sur pression de Muqdisho. Ces situations parfois burlesques conduisent le gouvernement provisoire à convoquer les représentants des missions diplomatiques somaliennes à l’étranger pour éclaircir les situations et surtout régler les nombreux différends. L’exercice qui a lieu à Djibouti, le 20 mars, ne résout pas tous les litiges auxquels le gouvernement est confronté. À Berne, le département des Affaires étrangères suisse examine maintenant la demande officielle de blocage des fonds somaliens dans des banques helvétiques, requête émanant du ministre somalien des Affaires 1
Le gouvernement de Muqdisho accusait l’ambassadrice d’avoir détourné une cargaison de riz destinée à la Somalie et d’avoir transféré d’un compte de la mission à Genève sur son compte personnel à Washington la somme de 300 000 $ ; ce que réfute naturellement l’intéressée qui affirme que cette cargaison de riz avait été mise « en lieu sûr », le bateau n’ayant pu accoster… Force est aussi de reconnaître que la réputation de la diplomate souffrait de certaines de ses extravagances, ce qui lui vaudra plus tard encore d’autres désagréments.
étrangères envoyée par télécopie depuis Djibouti. Ces fonds sont estimés à 130 millions de francs suisses dont une grande partie serait constituée… par le fameux don de 70 millions de dollars octroyé par l’Arabie saoudite1. Affaires de chancellerie, arguties juridiques, générosités empêchées ou presque, du dérisoire à bien y regarder. En revanche, nul à l’extérieur de la Somalie ne semble identifier que ce pays ne parvient à s’extraire du pandémonium dans lequel il va maintenant finir de se corrompre.
LA NOUVELLE DEROUTE DES FORCES DE SIYAAD BARRE Pourtant, face à une situation qui ne présage rien de bon et fort de la discrétion de la communauté internationale, une démarche est entreprise à la mi-mars par d’anciens dirigeants somaliens qui conscients du drame qui se profile se prononcent pour la reprise du projet de négociations prévues au Caire peu avant la chute de Siyaad Barre. Ainsi, sous l’impulsion de Cumar Mucallin Maxamuud, ex-premier ambassadeur de Somalie aux États-Unis devenu récemment porte-parole du SPM, ce groupe lance à Nairobi une initiative de paix que, saisissant au bond la balle qu’elle avait peut-être lancée, l’Italie s’empresse d’appuyer2. Une initiative derrière laquelle tend à se ranger aussi l’USC de Cali Mahdi. Afin de lui faire prendre forme, un ancien ministre de l’Intérieur du président Siyaad Barre, Cabdulqaadir Maxamed Aadan Zoppe, est mandaté pour entreprendre sinon poursuivre ces discussions. À cet effet, il est depuis Nairobi en contact radio avec Cumar Mucallin maintenant à Kismaayo et dont on espère qu’il va rallier les Ogaadeen de Axmed Cumar Jees. Si ses efforts se révèleront rapidement vains, le groupe n’en sortira pas pour autant découragé et nous retrouverons notamment quelques années plus tard l’ambassadeur Cumar Mucallin au sein de l’une des équipes de réflexion les plus sérieuses à avoir travaillé sur le dossier somalien3. Cet échec ramène cependant au terrain où les Darood dos au mur semblent toujours n’avoir guère d’autres choix que de s’allier face à la menace Hawiiye. L’alternative en fait n’est pas aussi simpliste. Elle tient au fait que si l’USC-Mahdi est prêt à calmer le jeu et à composer – comme certains éléments SPM qui renâclent à combattre aux côtés du SNF –, il n’en va de même ni de Moorgan, ni de Caydiid qui considèrent tous deux qu’il faut un vainqueur et un vaincu. 1
LOI n°470, 16 mars 1991 LOI n°472, 30 mars 1991 - Le groupe rassemble sept personnalités somaliennes : l’ambassadeur Cumar Mucallin Maxamuud, l’ancien premier ministre Cabdulrisaaq xaaji Xuseen, l’ex-ministre de l’Agriculture puis ambassadeur en Éthiopie Maxamed Yuusuf Aadan, deux proches de l’USC, Xasan Dembil Warsame et l’ancien ministre des Finances Cismaan Axmed Roble ainsi que des hommes d’affaires comme Cabdulqaadir Maxamed Aadan et Muuse Xasan Sheekh. 3 LEWIS, Ioan M. et coll. A Study of Decentralised Political Structures for somalia : A Menu of Options. London School of Economics. London. August 1995. 2
Le Somali National Front, coalescence des factions Mareexaan L’alliance des clans Darood organisée par Maxamed Moorgan est une alliance défensive face aux clans Hawiiye. Il reste que son cœur Mareexaan y entretient une ambition supplémentaire : la reconquête du pouvoir. Or le plus talentueux d’entre eux est incontestablement le gendre de Siyaad Barre qui va devoir entretenir une position ambiguë au sein de l’espace clanique dans lequel il se trouve contraint d’évoluer. Non Mareexaan, ceux-ci ont besoin de son talent, comme lui a besoin de leur surface lignagère pour reprendre le combat. Et cette surface s’appelle Somali National Front (SNF). Or, bien que solidaires du même combat, le Front sur le terrain est déployé en deux groupes, configuration résultant de la double implantation traditionnelle des lignages, à la fois dans le Geedo au sud et dans le Galguduud au centre de la Somalie. Le groupe Sud, le plus consistant, est dirigé par le général Axmed Warsame Maxamed Xaashi qui apparaît davantage comme un primus inter pares au sein du SNF que comme un véritable dirigeant.1 Sur le terrain, le commandement est assumé par le colonel Barre Aadan Shire Hiiraale2. De facto, les efforts de celui-ci qui commande les troupes SNF de l’ensemble du Geedo visent à contenir la pression exercée par les miliciens de l’USC-Caydiid en direction du sud-ouest. Bénéficiant du soutien de Maxamed Moorgan et de ses divers alliés, le groupe rassemble en grand nombre les anciens membres de l’armée de Siyaad Barre. Sur le plan logistique par ailleurs, il est assez bien loti, profitant de la présence des Mareexaan installés au Kenya et sur les frontières de l’Éthiopie. Le groupe Nord est dirigé par le général Maxamed Xaashi Gaani. En dépit d’une relation tumultueuse avec l’ancien président, ce dernier l’a toujours ménagé en raison de ses origines afin d’assurer la cohésion des familles Mareexaan. En effet, le général est issu du reer Dalal, lui-même rival du reer Kooshin, le lignage de Siyaad Barre, au sein du puissant reer Diini3,. Très vite, installé dans le Galguduud, le groupe armé du 1
Issu du lignage Ceeli des Mareexaan, il est originaire de Dhuusa Mareeb dans le Galguduud où il est né en 1943. Officier d’artillerie depuis 1967, il a été formé dans les écoles militaires d’Odessa en URSS puis en Italie et en Egypte. Il est décrit comme un officier loyal, au commandement peu énergique. Sensible à la flatterie, facilement influencé, il est aisément trompé par ses subordonnés et ses collègues. Très attaché à son lignage mais discrètement hostile au retour au pouvoir de Siyaad Barre et de sa famille, il n’a ni ambition, ni goût pour la politique. 2 Le colonel Barre Hiiaale, originaire de Geladin en Éthiopie, est le premier officier somalien à avoir suivi les cours de l’Académie militaire américaine de West Point. 3 Le général Xaashi Gaani, originaire du Geedo avait émergé au moment de la mise en place du régime de Siyaad Barre d’un poste obscur de troisième adjoint au ministère de la Défense. Tout aussi connu pour sa brutalité dans son commandement des troupes que par son addiction à l’alcool qui semblera expliquer certains de ses comportements insolites, il n’en est pas moins très populaire dans l’ensemble du Reer Diini dont il porte les intérêts.
général Xaashi Gaani s’est allié aux forces du SSDF, également occupées à contenir l’USC-Caydiid qui dans le district de Gaalkacyo font effort vers le nord et le pays Majeerteen. La zone d’opérations du SNF est ici difficile. Ses lignes logistiques en effet sont précaires. Quelques munitions et équipements lui sont octroyés par le SSDF qui conserve pour un moment encore des stocks à Geladin ; nourriture et carburants viennent de Boosaaso, accordés par l’entremise du général Maxamed Abshir Muuse. Dans l’affaire, chacun y trouve son compte, le SSDF trouvant ici une substantielle force d’appoint à laquelle vient s’ajouter la milice Darood des Leelkase. Mais à l’instar de celle du général Axmed Warsame, la position de Maxamed Xaashi Gaani est en fait honorifique et sur le plan militaire il n’a pas de réels pouvoirs. Les troupes sur le terrain sont dirigées par son chef d’état-major, le colonel Cabdirisxaaq Isxaaq Biixi. Celui-ci est assisté du colonel Isxaaq Maxamed Warsame Dheere qui établi à Dhabat commande le front de Gelinsoor et de son propre adjoint, le colonel Faraax Salad qui tient celui de Balambaale. Ces troupes sont exclusivement constituées de Mareexaan issus du reer Diini, en particulier des reer Dalal. Les relations entre les deux armées du SNF sont difficiles à estimer. Les grandes décisions sont convenues de concert aussi tentent-ils de coordonner leurs opérations respectives. Cependant les opérations au jour le jour sont laissées à l’initiative des commandants du terrain. Il reste que comparé à d’autres factions armées somaliennes, le SNF dans son ensemble est mieux équipé, mieux entraîné et mieux commandé sur le plan militaire. Le cœur du front est en effet composé d’anciens officiers et sous-officiers de métier. L’organisation suit le modèle militaire, de petites brigades sont soutenues par des milices qui peuvent être appelées à partir des populations locales. Au sein de cet ensemble donc, une intelligence domine, une volonté aussi, celle de Maxamed Moorgan qui pâtit cependant de son statut clanique. Pour en pallier la faiblesse, il s’inscrira tantôt auprès du SNF, tantôt auprès du SPM, rassemblant pour l’heure autour de lui la partie vive des Darood en armes à l’ouest du fleuve Jubba.
La contre-offensive Darood et l’échec à Afgooye [8.IV-1991] Installé à Buurdhuubo à proximité de Garbahaarrey, Siyaad Barre compte sur le talent militaire de son gendre Moorgan qui est parvenu à constituer ce précaire front Darood, pour entreprendre une contreoffensive fructueuse en direction de Muqdisho. Le SNF constitue un ensemble pas toujours bien ficelé de clans dont le seul dénominateur commun est leur appartenance à un même faisceau lignager mais il représente encore un ensemble militaire puissant, fort de près de deux mille hommes. De plus, Siyaad a aussi dit-on emporté le stock d’or et de devises de la Banque centrale. Il a aussi quitté la capitale avec son armement, un arsenal important renforcé de ces ultimes livraisons qui
avaient eu tant de peine à lui parvenir, octroyées par l’Égypte puis par la Libye le 4 janvier. Son fils Maslax Maxamed Siyaad enfin vient de rentrer des Émirats au Kenya où il a semble-t-il mis en lieu sûr le trésor de guerre du SNF – dont le reliquat des 70 millions de dollars saoudiens - et où il s’affaire à acheter des armes au marché noir. Aussi, tandis que l’ancien président dont la santé se dégrade de jour en jour reste retranché dans le Geedo avec quelques centaines de combattants armés, ses forces refranchissent-elles la Jubba pour converger vers Afgooye et la capitale. Le 4 avril, la représentation du SNF à Londres fait état d’une offensive lancée depuis le 1er du mois pour chasser « les bandits de l’USC hors de Muqdisho ».1 En effet, après avoir franchi le fleuve à Baardheere, les miliciens progressent en direction de la capitale à travers la province du Baay sur l’axe Dinsoor, Baydhabo, Wanleweyn où ils vont prendre position ; au sud, le SPM a longé la côte sur l’axe Jilib, Baraawe et Buufow2, à 85 km de Muqdisho, où il a pris également position à la fin du mois de mars face à Afgooye ; une force SSDF doit converger depuis le pays Majeerteen par la grande route de Gaalkacyo3. Mais l’incongruité de cette coalition en révèle immédiatement la fragilité même si, vu de Muqdisho, il est hors de question d’en négliger la menace. C’est pourquoi dans la capitale, où prévaut une anarchie que nul ne parvenait à contenir, ce 1er avril tout s’arrête cependant. Au moment même où les troupes de Moorgan se mettaient en mouvement, une foule importante se pressait dans le stade de Muqdisho. Là, le général Caydiid prenait la parole et galvanisant la population s’engageait à assurer la défense de la ville. Manquant de munitions, il parvient tout d’abord à entrer en contact avec son allié du SNM, Cabdiraxmaan Tuur qui fait aussitôt envoyer à Muqdisho en soutien à l’USC un avion rempli de matériels saisis dans les casernes du Nord à la fin du mois de janvier. Sept jours plus tard, l’armée levée par Siyaad Barre est à 30 km à l’ouest de Muqdisho. L’affrontement a lieu le 8 avril à proximité de Afgooye où le gros des forces de l’USC a déjà pris position. Le général Maxamed Faarax Caydiid est un officier de l’armée de Terre, compétent, charismatique et rompu au combat d’infanterie, ses miliciens sont pour la plupart d’anciens soldats de métier. Disposant ses unités de part et d’autre du pont sur la rive droite du webi Shabeelle, il laisse son artillerie et ses réserves de l’autre côté de la rivière. L’engagement est sévère, la défaite infligée au SNF cuisante. La coalition Darood qui opère sous les ordres du général Moorgan a éclaté au cours même de la bataille : les Harti de Kismaayo, les Majeerteen en particulier, refusant 1
LOI n°474, 13 avril 1991 Buufow est situé sur l’axe principal, à 5 km au nord du port de Marka auquel on accède par une petite rocade conduisant au bord de mer. 3 Cette progression du SSDF dont les moyens sont encore insuffisants est stoppée dès la fin du mois de mars par les forces USC au niveau de Ceel Buur dans le Galguduud. 2
de se porter en soutien des Mareexaan du Geedo. Les troupes de Siyaad Barre vaincues doivent se replier vers le fleuve Jubba. Deux jours plus tard, Moorgan fait retraite avec ses forces en direction d’une zone située entre Baraawe et Jilib, toujours talonné par les forces de Caydiid. Ce qui reste du SNF, mis en déroute par les milices de l’USC, n’a d’autre choix que de se replier vers le sud-ouest. Les Mareexaan reprennent le chemin du Geedo. Les autres Darood poursuivent vers les provinces de la basse vallée de la Jubba – Jubbada Hoose et Jubbada Dhexe – et vers Kismaayo dont les accès paraissent dès lors dangereusement menacés et vulnérables.
Le premier engagement des islamistes à Araare [19.IV-1991] Tandis que la ville se prépare au siège, la décision est prise de relocaliser la milice de l’Itixaad, qui compte environ 300 personnes à Araare. C’est dans ce secteur situé entre Jamaame et Kismaayo que l’USC va rencontrer la principale résistance. Là, à quelque 60 km au nord de Kismaayo, sur la route de Muqdisho, un pont commande les accès au sud du pays1. Personne alors ne songe à mesurer les conséquences politiques du combat qui va mettre aux prises l’avant-garde du général Caydiid et le petit contingent islamiste. La perspective d’une bataille menace cependant de diviser le mouvement. Les militants à Araare, commandés par Faarax Xasan Rooble et son adjoint Cabdullaahi Rabi Kaahin, accueillent avec ferveur la perspective d’une guerre sainte. Mais les chefs les plus conservateurs en revanche sont réticents à l’idée de se transformer en faction armée. Aussi un membre Harti âgé de ce groupe, sheekh Kooxda Cabdulqaadir Gacamey, se rend-il au camp de la milice et tente sans succès de convaincre les militants de se retirer vers Dhoobley, en direction de la frontière kényane, afin d’éviter un désastre militaire. Quand il réalise que les milices resteront inflexibles à l’idée de tenir leur ligne de défense, il renonce à les convaincre et choisit de regagner sa région d’origine, en pays Majeerteen. Pourtant, avant de lancer son offensive contre Kismaayo et afin d’économiser ses propres forces dans un combat dont les islamistes ont peu de chance de sortir vainqueurs, le général Maxamed Faarax Caydiid décide de donner aux mujahidun une dernière chance d’éviter la bataille. À cet effet, il leur envoie une délégation conduite par un ancien colonel de l’armée somalienne, Xasan Daahir Aweys [Habar Gidir/Cayr/Ayaanle] par l’intermédiaire duquel il leur propose un marché : s’ils acceptent de rester dans leur camp, les forces USC garantiront leur sécurité et s’engagent à ne pas les attaquer durant leur propre progression en direction de Kismaayo. Les combattants de l’Itixaad, chauffés à blanc par leurs chefs, rejettent ces propositions. Il 1
Bundada Araare « le pont de Araare » est parfois confondu avec Arar Yarey, plus aisément identifiable mais situé en réalité plus au nord.
semble que Xasan Daahir Aweys aurait alors opté pour rejoindre leur cause, laissant le reste de la délégation rejoindre Caydiid les mains vides. Dans la personne du colonel Hawiiye, l’aile militante du mouvement islamiste vient de rallier une recrue de choix. Il n’en demeure pas moins que malgré leur enthousiasme, le petit contingent islamiste à Araare est balayé par les miliciens aguerris du général Caydiid. Ceux-ci prennent le 24 le contrôle de Kismaayo dont ils seront à leur tour chassés un peu plus tard par les forces du SPM.
La quête d’un refuge et la séparation des Ansar as-sunna [IV-1991] Pour les combattants islamistes de Araare, l’affaire est un véritable désastre. Aux combattants de souche Harti, il reste à charger leurs blessés sur un bateau afin de rallier le port de Boosaaso tandis que les autres combattants – Ogaadeen et Mareexaan notamment – refluent en désordre en direction de Raas Kambooni et de Dhoobley où, soutenus par leurs frères du Kenya, ils tentent d’établir un nouveau camp et commencent à se réorganiser. Les disputes avec la population locale se multiplient cependant à un point tel que les militants sont une fois encore contraints de se déplacer. Ils partent cette fois en direction de l’Éthiopie. Certains vont s’arrêter dans le Geedo, l’un des deux territoires Mareexaan. Poursuivant à travers la région habitée par les Somalis Ogaadeen d’autres vont tenter de rallier le mouvement islamiste Ogaadeen éthiopien, d’autres encore de rejoindre leurs camarades réfugiés dans le Bari, à Boosaaso. Entre temps, un quatrième groupe choisit de se diriger vers le nord en longeant la côte ; il va alimenter le petit contingent qui s’établit dans la ville portuaire de Marka. Mais si la bataille de Kismaayo a été une défaite militaire de première grandeur pour l’Itixaad, elle s’est paradoxalement révélée une victoire politique décisive pour l’aile militante de l’organisation dont la plus grande partie des membres est maintenant convaincue que le succès de la mission religieuse du mouvement ne pouvait passer que par l’insurrection armée, que le prochain chapitre de l’histoire du mouvement ne s’inscrirait plus sous le principe du prêche, de la daʿwa mais sous celui du jihād. Il reste que les sympathisants de l’Islaax et certains de l’Itixaad ne suivront pas leurs camarades sur ce chemin, se fondront dans la population puis conserveront à Kismaayo une forte emprise sur l’économie du port. A ce propos, il aurait certainement été intéressant de connaître les termes réels du marché qu’ont pu passer avant Araare Xasan Daahir Aweys et Maxamed Faarax Caydiid. Entre les deux Habar Gidir, le Cayr et le Sacad, les affrontements seront inexistants et les complicités demeureront aussi discrètes que probables. L’éclatement géographique du mouvement va cependant entraîner sur le terrain des situations particulières. Il s’y ajoute aussi un éclatement idéologique auquel ne sont pas étrangères les réalités claniques. Un
mouvement, les Ansar as-sunna, s’est constitué au terme de divisions internes surgies au sein de l’Itixaad. Araare, premier engagement armé du mouvement, a consolidé deux tendances : la première renforce les mujahidun dans leur détermination à affermir le mouvement ; la seconde considère surtout que l’Itixaad plaçait les intérêts des lignages Darood résolus à défendre Kismaayo, au-dessus du devenir de leurs frères Hawiiye, identifiés aux forces du général Caydiid. Déçus par ces développements, un groupe de religieux pour la plupart Hawiiye se sépare alors pour établir sa propre organisation, les Ansar as-sunna. Constituée autour de chefs religieux d’inspiration wahhābī, elle est dirigée par sheekh Xasan Alasow, qui avant la guerre civile avait prêché le message de l’Islaax puis de l’Itixaad à la mosquée de Lafweyne dans le nord de Muqdisho. Nombre de ses membres sont des hommes d’affaires qui entretiennent des relations avec l’Arabie saoudite et utilisent l’aide des institutions saoudienne pour encourager la pratique religieuse wahhābī jusqu’à leur habillement. La durée de vie des Ansar as-sunna cependant sera brève. En quelques mois, ses dirigeants abandonneront leur projet en faveur d’une position salafiste qu’ils appellent lā jamaʿa, terme qui exprime leur refus d’établir une « communauté » [ar. jamaʿa ] distincte et tacitement opposée à la communauté des croyants de l’ensemble de la Somalie. Ceux-ci adoptent ou plus précisément souhaitent revenir à une pratique ordinaire du salafisme et dénoncent une dérive tribale de l’Itixaad. Il reste que, si la création de cette dissidence est la conséquence de ce qui leur semble une appropriation Darood du mouvement, il est vrai aussi qu’une grande partie des Ansar as-sunna appartient pour sa part aux Hawiiye Abgaal. Aussi est-ce sans surprise que certains d’entre eux se trouveront attirés dans l’orbite de Muuse Suudi Yalaxoow [Abgaal/Da’uud], chef de faction du district de Madina où ils vont établir le premier tribunal islamique de la région. Une personnalité, sheekh Cali Wajis, l’un des fondateurs du groupe, s’impose aussi d’emblée comme autorité morale de ce courant salafiste au sein duquel il restera très actif. Figurant parmi les premiers chefs de l’Itixaad, il aura joué un rôle clé à la fois dans la création des Ansar et dans leur dissolution. Toujours considéré comme une figure dirigeante d da, il apparaît sur le devant de la scène du mouvement salafiya jad après le 11 septembre 2001. Devenu un critique salafiste très virulent à l’encontre de l’Itixaad, il sera tout particulièrement représentatif des tensions idéologiques installées entre les nouveaux salafistes et les salafistes du jihād.
La perplexité internationale et les premières attentions Mais cette intrusion de l’islam dans la sphère politique, phénomène marginal sinon anormal dans la société somalie, n’est pas encore considérée à sa juste dimension par les observateurs. Les plus avertis se limitent à considérer que nul n’ayant été en mesure de s’imposer et de
normaliser la situation, ce sont maintenant plusieurs conflits qui simultanément accablent le Sud somalien : - l’un s’apprête à mettre aux prises les factions USC entre elles ; - un autre oppose les Mareexaan de Siyaad Barre et leurs alliés Darood, forcés par la conjoncture, aux forces Hawiiye de l’USC dirigées par le général Caydiid ; - d’autres, à la périphérie des deux précédents, se fondent sur la construction ou le délitement d’alliances conjoncturelles, en milieu Ogaadeen et en milieu Raxanweyn en particulier ; - d’autres enfin, de moindre amplitude, se développent çà et là au gré d’intérêts claniques particuliers ou plus simplement au fil de la délinquance. Car après la défaite de la coalition Darood à Afgooye puis la prise de Kismaayo quelques jours plus tard, il est devenu plus aisé de mesurer la volatilité d’un contexte qui en deux mots se caractérise ici au nord par un quant-à-soi prudent et là au sud par une victoire Hawiiye qui ne cesse d’inquiéter. Car si à Hargeysa le ton est à la réconciliation, à Muqdisho en revanche, le gouvernement de transition n’est prêt ni à composer avec la faction de Caydiid, ni à rencontrer les divers mouvements qui contestent son pouvoir. Aussi l’environnement international commence-t-il à s’interroger sur les perspectives de normalisation du pays. Un premier signal vient du continent africain quand, le 4 avril, la radio ougandaise annonce que le président éthiopien, président en exercice de l’IGADD, venait d’accepter la proposition que lui avait faite le président Yuweri Museveni, qui pour sa part préside alors l’OUA, afin d’aider à l’instauration d’un dialogue entre les différentes factions somaliennes. Et l’affaire en reste là. Mängestu Haylä-Maryam étant luimême largement préoccupé par sa propre situation intérieure, la proposition ougandaise reste suspendue aux nouveaux développements sécuritaires entre Hawiiye et Darood. Quant aux rescapés de Afgooye et de Kismaayo, ils n’ont d’autre choix que de s’installer à proximité de la frontière voire de la franchir pour trouver refuge de l’autre côté. Pour les Mareexaan reste le refuge du Geedo, sanctuarisé parle fleuve, compliqué à attaquer et où les troupes USC hésitent à les poursuivre. À Buurdhuubo où il est installé, Siyaad Barre vit dans une sorte de cabane de paysan, couverte d’un toit en tôle et aux quatre murs peints à la chaux. Un lit de planche lui sert de bureau, deux tampons, une prise de courant et une petite sonnette pour appeler ses assistants. À peine s’aperçoit-il de l’entrée de visiteurs, le président déchu n’est plus en mesure de soutenir un entretien, ramenant désormais tout propos aux dawaco, aux « chacals » qui se sont emparés de la Somalie1.
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NIGRO, Vincenzo. La Repubblica, 17 mai 1991
I II – 1991 : LE SNM FACE AU PROCESSUS DE RECONCILIATION
Tandis qu’à la tête des forces de l’USC, Maxamed Faarax Caydiid s’empare de Muqdisho, le SNM au Somaliland est également engagé dans la phase finale des opérations militaires consistant à réduire les derniers îlots de résistance de l’armée nationale. Quand tombe la capitale, au Nord l’ensemble de la zone peuplée par les clans Isxaaq est d’ores et déjà passé entre les mains des rebelles, avec naturellement les trois principales villes, Hargeysa, Berbera et Burco. Sur le plan politique, le SNM a d’emblée dénoncé l’auto-investiture de Cali Mahdi et refusé de participer au gouvernement de Cumar Carte Qaalib. Tout Isxaaq qu’il soit, celui-ci n’en demeure pas moins le dernier premier ministre désigné par Siyaad Barre1. Sa reconduction par Cali Mahdi ne peut complaire à ceux qui depuis des années, luttent les armes à la main contre le régime. Le quant-à-soi est donc immédiat, la rupture par conséquent possible. Autrement dit, le ressentiment ne peut qu’être profond à l’égard de ces résistants de la dernière heure, certes membres d’un front armé, mais dont la plupart n’ont jamais pointé le moindre fusil sur les séides du régime renversé. C’est pourquoi, convaincues d’être flouées, les populations Isxaaq – plus que le SNM lui-même – prennent des positions qui, sans que cela soit encore absolument patent, sont psychologiquement prêtes à engager la région dans un processus sécessionniste. Cela dit, en attendant, l’urgence impose de réorganiser a minima la région tout en procédant à des choix réfléchis vis-à-vis des ennemis d’hier ainsi que de leurs soutiens. Quel sort réserver aux vaincus ?
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Il a été investi le 24 janvier, trois jours avant la chute du régime.
LE SNM ET LA FIN DE L’INSURRECTION Siyaad Barre enfui, le SNM s’emploie tout d’abord à réduire les dernières positions gouvernementales qui l’une après l’autre déposent les armes. Le mouvement qui contrôle déjà Hargeysa et Burco tient maintenant les localités de Boorama et de Sheekh. À Berbera, les rebelles sont entrés dans la ville où les combats se poursuivent encore autour de l’aéroport.
Les difficultés du SNM : des réfugiés, de l’eau et des mines Au plan politique, le SNM est déjà travaillé par une double préoccupation : d’une part le désir de proclamer rapidement une autonomie du Nord, de façon à faciliter une éventuelle sécession au cas où l’on ne ferait pas droit à ses exigences, d’autre part la crainte de provoquer un retour massif des milliers de réfugiés qui dans les camps au-delà de la frontière attendent en Éthiopie de regagner leurs villages ou leurs zones ordinaires d’établissement. Le SNM, à la direction duquel il sera trop souvent reproché une immaturité politique, n’est pas sans savoir qu’il n’est pas en mesure de gérer un tel afflux de population. Aussi désire-t-il, une fois la victoire assurée, disposer du délai qui lui permettra de se retourner vers les institutions internationales, le HCR au premier chef, afin de mettre au point un programme de rapatriement rationnel. Et c’est bien ce qu’il advient. Dès que se répand la nouvelle de l’arrêt des combats, les réfugiés somaliens vivant notamment dans les camps de Hartishék et d’Awaré1 situés en Éthiopie en arrière de Hargeysa commencent à rentrer. Confronté à de lourdes difficultés logistiques, le mouvement contacte donc le HCR pour obtenir que l’aide alimentaire qui était accordée aux camps de réfugiés en Éthiopie soit maintenant acheminée en Somalie par le port de Berbera. Mais les difficultés ne s’arrêtent bien sûr pas là. En attendant ces livraisons encore hypothétiques, l’électricité, l’eau et les médicaments font tout autant défaut que la nourriture. La sécheresse du jiilaal2 conjuguée à la destruction de nombreux puits par l’armée somalienne contraignent les populations à creuser de nouveaux forages pour recueillir ce qui peut l’être d’eau. Là également, le mouvement en appelle à l’aide de certaines ONG. Tout aussi dramatique se pose le problème des mines, préoccupante dans l’ensemble du pays mais plus encore semble-t-il dans le Nordouest du pays. Les garnisons gouvernementales en ayant protégé leurs abords, les accidents font de nombreuses victimes tant parmi les combattants du mouvement que dans la population civile. À Hargeysa, ville fantôme qui à plusieurs reprises a fait l’objet d’âpres combats, on en retrouve jusque dans les habitations. Prenant leur bâton de pèlerin, 1
[amh. ሃርቲሼክ ፥ hartišēk] ; [amh. አዋሬ ፥ awaré] La grande saison sèche ; les pluies, si elles arrivent, ne viendront qu’autour de la mimars avec la saison du gu’.
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les responsables du SNM à l’étranger démarchent plusieurs gouvernements occidentaux en vue d’obtenir une aide technique et un personnel qualifié capable d’effectuer au plus vite la relève des redoutables engins dans les zones les plus polluées. Car à l’instar de ce qui peut se passer sur d’autres théâtres, les mines ont été dispersées par dizaines de milliers sur le territoire du Somaliland jusqu’au début de l’année 1991. Seul et démuni de tout, c’est un militaire formé en Égypte aux techniques de démolition et de déminage, Cabdullaahi Biixi, qui le premier ébauche une campagne de dépollution. Ayant rejoint les rangs du SNM après avoir servi dans l’armée régulière, il a commencé les opérations de déminage avec 60 hommes dont près de la moitié sera tuée ou blessée au cours de ses six premiers mois d’activité.
La problématique des populations non Isxaaq Ainsi tandis que le Sud dessine en pleine inconscience ses propres lignes de fracture, le SNM tente en revanche de mettre en place un embryon d’administration dans la région où il se sent le dépositaire de la souveraineté somalienne. Mais une autre problématique encore se présente à lui, liée à la qualité des différents individus présents en cette fin de guerre civile dans le Nord-ouest somalien. Quel sort convient-il tout d’abord de réserver aux Ogaadeen et aux Oromoo supplétifs des forces gouvernementales, Éthiopiens que les populations de la région entendent bien punir pour leur participation aux exactions commises ? Cherchant à éviter un nouveau bain de sang forcément porteur de représailles, le mouvement prend rapidement le parti de les renvoyer en Éthiopie. Somme toute donc, cette affaire des populations allochtones est assez gérable. Et puis, aussi cynique l’argument soit-il, il s’agit avant tout de se débarrasser de bouches à nourrir quand la nourriture menace de faire défaut. Le problème des militaires et des fonctionnaires de l’ancien régime relève d’une certaine façon de la même logique et s’affirme loin d’être le plus difficile à régler. Par rapport au reste de la population, ils sont en nombre limité. Aussi la reddition de centaines de soldats gouvernementaux donne-t-elle lieu à des jugements assez rapides, parfois sommaires : ceux qui sont convaincus d’avoir perpétré des crimes de guerre sont immédiatement exécutés. L’immense majorité est cependant relâchée et il leur est accordé de rentrer chez eux. À Burco, on voit même la plupart des Darood de la garnison et leurs familles préférer rester temporairement sur place plutôt que d’affronter l’anarchie et le bain de sang qui a commencé à Muqdisho. Mais au cours du mois de février, au fur et à mesure que les armes se taisent, une autre problématique se pose au SNM. Quel positionnement adopter à l’égard des clans autochtones non Isxaaq ? Certains, à un degré ou à un autre, se sont naguère alignés aux côtés du régime déchu et se préoccupent à juste titre de ce que leur réserve leur futur somalien ?
Car il faut surtout au SNM envisager la normalisation des territoires qui, à la périphérie du pays Isxaaq – cœur du mouvement, mais aussi cœur géographique du Nord-est –, sont habités par d’autres lignages. Sur le territoire de l’ancien Somaliland britannique cohabitent en effet plusieurs faisceaux lignagers. Les Isxaaq eux-mêmes, largement majoritaires y côtoient d’un côté les lignages Darood Harti : Warsangeli au nord-est et Dhulbahaante au sud-est. De l’autre, avec les lignages Dir, ils sont en mitoyenneté avec les Gadabuursi et, au-delà de ceux-ci, les Ciise installés sur la frontière avec la République de Djibouti.
Au début du mois de février 1991, après que les dernières garnisons gouvernementales se sont rendues, le SNM procède à la reprise des émissions de la radio à partir d’Hargeysa. Ce moyen lui permet de procéder à des appels dont on attend qu’ils calment des cœurs encore débordants de haine et de velléités de vengeance. Or on se souvient que parmi les mesures d’accompagnement entreprises par le général Maxamed Moorgan afin de mater la révolte du SNM en 1988, l’idée lui était venue de créer des milices claniques. Les notables Gadabuursi, Warsangeli et Dhulbahaante, sollicités, s’étaient sans vergogne ralliés à cette idée dont ils avaient très vite commencé à négocier vigoureusement les termes1. Mais maintenant, contrairement aux Ogaadeen et autres Oromoo recrutés pour leur part dans les camps de réfugiés, ceux1
En octobre 1988 par exemple, une réunion d’une centaine de notables Gadabuursi s’était tenue à Quljeed dans le district de Boorama. Plus que des armes et des munitions, ils avaient tenté d’obtenir du gouvernement davantage d’investissements, de nouvelles routes et un soutien à leurs activités commerciales. Leur idée était d’obtenir des 4x4 Toyota pour transporter leur qaad et des routes sur lesquelles les faire circuler.
ci sont chez eux et il va maintenant falloir apprendre à vivre à nouveau ensemble. Le chemin retenu va passer entre 1990 et 1997 par une kyrielle d’innombrables réunions, le plus souvent spontanées, qui toutes visent à établir un règlement des litiges dans des espaces géographiques et sociaux d’abord limités, quelques familles s’affrontant autour d’un puits ou d’un pâturage. Accompagnée tambour battant par les autorités traditionnelles, chaque réunion de paix, chaque shir nabadeed1, concourt à apaiser un espace géographique toujours plus large, impliquant à chaque fois davantage de clans, jusqu’à permettre au bout de quelques années un véritable retour à la paix. De grandes étapes ponctuent naturellement ces réconciliations entre les segments les plus importants de la société du Nord-ouest et ce sont une quarantaine de conférences de paix et de rencontres interlignagères qui vont ainsi progressivement venir à bout des contentieux exacerbés par la guerre. Ces rencontres restructurantes vont mettre en relation les autorités d’un SNM vainqueur et les autorités traditionnelles, notables Isxaaq et notables des lignages périphériques.
Avec les Dhulbahaante, le shir de Oog [2.II-1991] En pays Dhulbahaante, hors action spécifique du SNM en tant que mouvement, le processus des circuits d’arbitrage traditionnel somali a été largement anticipé par les nomades et les notables qu’ils représentent. Aussi est-il intéressant, à fin d’éclairage voire d’édification, d’en rapporter ici le déroulement. Le processus a commencé au début de l’année 1990, quand le garaad2 Cabdulqaani garaad Jaamac garaad Cali des Dhulbahaante envoie deux messagers aux Habar Yoonis alors en transhumance à Danot 3 afin qu’un entretien lui soit accordé. Sa requête ayant reçu un accueil favorable, il se rend à son retour à Qararro4 pour évoquer, avec les siens cette fois, les résultats de la démarche entreprise et la perspective d’une nouvelle réunion. Au même moment, à quelques kilomètres de là, quelques notables et jeunes gens Habar Jeclo de Gowlalaale qui ont 1
Le terme shir désigne une réunion, quels que soient sa dimension et son niveau, autour des notables traditionnels. Tout Somali est en droit d’y assister et de s’y exprimer. Un shir nabadeed est une conférence dont l’objectif est l’apaisement [som. nabad(-da) « (la) paix »]. Le terme a naturellement rejoint le lexique politique moderne. 2 Les chefs des lignages somalis portent des titres divers – ugaas, suldaan, boqor… dont celui de garaad, notamment chez chez les Harti Dhulbahaante. Il ne confère aucun pouvoir exécutif, mais a valeur de garant de l’unité d’un lignage dont il assure par ailleurs la représentation. 3 Danot est un petit village éthiopien dont la réserve d’eau est partagée depuis plus d’un siècle par les Isxaaq/Habar Yoonis et les Darood Ogaadeen. 4 En Somalie : Qararro et Gowlalaale, à proximité de Qararro (Il existe aussi un Gowlalaale dans le Nugaal ; en Éthiopie : Danot [amh ዳኖት ፥ dannot & som. Dannood] et Gashamo [amh. ጋሻሞ ፥ gašamo & som. Gashaamo]
entendu parler de l’initiative Dhulbahaante se rendent à Qararro pour y rencontrer le garaad et discuter également avec lui de modalités possibles de paix. La réunion qui se déroule les 10 et 11 février est impromptue, mais elle est bien accueillie de part et d’autre, allant même jusqu’à prendre un tour formel ; Habar Jeclo et Dhulbahaante conviennent alors de se réunir une fois encore à Gowlalaale du 20 au 22 du même mois, peu avant l’ouverture du 6e congrès du SNM qui doit se tenir en mars et en avril à Balli Gubadle1. Le rassemblement de Gowlalaale, plus étoffé que celui de Qararro se tient en présence d’officiers supérieurs Habar Jeclo du SNM. La cordialité est de mise et les deux lignages acceptent de s’échanger le bétail pillé et de procéder à un partage des zones de pâturage. Les Habar Jeclo invitent même garaad Cabdulqaani à visiter la base SNM de Balli Gubadle. Au terme de cette rencontre, ce dernier propose aux Habar Jeclo de se joindre à la réunion prévue entre les siens et les Habar Yoonis à Danot, shir qui ne doit toutefois se tenir qu’à la miaoût. Les Habar Jeclo acceptent et mettent donc sur pied le moment venu une délégation plus représentative qui se rend comme convenu à Danot. Or à leur arrivée, les Habar Yoonis refusent de se réunir en leur présence, arguant du fait qu’ils n’attendaient que la délégation Dhulbahaante. Les Dhulbahaante interrogent cependant les Habar Yoonis sur les raisons qui les avaient conduits à éconduire les Habar Jeclo. Pour toute réponse, les Habar Yoonis leur proposent un nouveau rendez-vous, à Gashamo, où entre le 20 et le 22 août, les deux parties conviennent effectivement de mettre un terme à leurs affrontements et de partager les pâturages. Entre temps Habar Jeclo et Dhulbahaante étaient convenus de maintenir la tenue de leur propre réunion au cours de laquelle, les 15 et 16 août2 ont été entérinées les propositions de paix élaborées à Qararro et à Gowlalaale. Quant à l’invitation lancée par les Habar Jeclo du SNM au garaad Cabdulqaani, celui-ci y répondra le 15 septembre pour une dizaine de jours. Les 25 et 26 du même mois, il rencontrera le comité exécutif du mouvement. À cette occasion, avec les notables qui l’accompagnent et conformément à la coutume somalie, il exprimera leurs regrets pour les crimes perpétrés en 1988 par le régime de Siyaad Barre à l’encontre des Isxaaq. À ce moment, le comité acceptera de poursuivre le processus de paix et s’engagera à ne pas attribuer la responsabilité des crimes commis à des clans particuliers tout en se réservant la possibilité d’en 1
Balli Gubadle, posé sur la frontière, donc au plus près du théâtre d’opérations, est alors le siège de l’État-major du SNM, aisément réfugié en Éthiopie en cas de menace directe. 2 GIIR, Saeed Ali. “notes”, unpublished discussions with Peace Mapping Team, Academy for Peace and Development, Hargeisa. 11 December 2007. Siciid Cali Giir, est le secrétaire de la délégation Dhulbahaante qui accompagne le garaad Cabdiqaani DUALE, Boobe Yusuf. Dhaxal-Reeb: Horaad. Flamingo Printing Press, Addis Ababa 2007. Giir reste dans l’ensemble moins catégorique sur les dates précises des shirar.
tenir pour responsables certains individus. Quand le garaad Cabdulqaani quitte Balli Gubadle pour poursuivre la politique d’apaisement convenue dans les districts de Laas Caanood et de Buuhoodle1, il y laisse, à la demande du SNM, un certain de nombre de membres de sa délégation, à la fois représentation diplomatique et otages d’honneur. Deux enseignements simples peuvent être tirés de ces événements : d’une part, les négociations séparées laissent entrevoir les tensions établies entre Habar Jeclo et Habar Yoonis et préfigurent bien des difficultés à venir ; d’autre part, la souplesse des procédures de conciliation, rodées par le temps entre les lignages, atteste de la vivacité de la coutume et désigne les portes qu’elles ouvrent sur l’apaisement et la normalisation. Aussi, quelque mois plus tard, quand le SNM entre dans Burco en janvier 1991, les officiers et les garaado Dhulbahaante de la région de Laas Caanood prennent par radio contact avec lui par le biais des quelques Dhulbahaante qui figurent dans ses rangs2. Ils font savoir leur disponibilité à poursuivre le processus de réconciliation engagé naguère avec les Isxaaq. Le SNM répond favorablement à cette proposition et accepte d’assister à la réunion qui doit se dérouler à Oog.Le 28 janvier, ceux-ci conviennent pour le début du mois de février d’une rencontre à laquelle assisteront des représentants des Habar Jeclo, des Habar Yoonis ainsi que des Habar Awal/Ciise Muuse. La délégation SNM arrive comme convenu le 2, conduite par le commandant de la province du Togdheer, le colonel Maxamed Kaahin Axmed, et son gouverneur Xasan Cabdullaahi Walanwal Kayd. Vingt camions les accompagnent, acheminant les notables Isxaaq. Les Dhulbahaante qui sont néanmoins sur leurs gardes craignent de voir une telle armada se livrer à des représailles aussi demandent-ils aux arrivants de laisser leurs armes, de descendre de leurs véhicules et de se mêler aux Dhulbahaante afin d’attester de leurs intentions pacifiques. La délégation Dhulbahaante est dirigée par le garaad Cabdulqaani, le garaad Saleebaan et d’autres notables, des intellectuels et des officiers3. Les Warsangeli n’ayant pu envoyer de représentants, il est convenu que les Dhulbahaante parleraient en leur nom. Toute crainte dissipée, ces gens qui se combattaient depuis près de dix ans acceptent de mettre fin aux hostilités et conviennent que chaque partie se chargerait de mettre 1
Le district de Buuhoodle est une enclave Dhulbahaante de la province du Togdheer à majorité Isxaaq. 2 Un groupe conduit par le garaad Cali garaad Jaamac avait rejoint le SNM à ses débuts. Cette participation suscitait des réserves au sein du mouvement car la plupart des Dhulbahaante étaient davantage enclins à jouer la carte du gouvernement et à suivre Axmed Saleebaan Cabdalle Dafle, le chef du National Security Service (NSS). À la mort du garaad Cali, le garaad Cabdulqaani qui devient le plus éminent des garaado Dhulbahaante continue à entretenir un contact raisonnable avec le SNM. 3 Parmi eux, Daa’uud Ismaaciil Xasan, Ibraahin Caydiid, Saciid Cawad Baxar et Abshir Salaax. Tous ont été autrefois collègues dans l’armée somalienne avec les officiers passés au SNM, mais ces hommes de ce fait ne se sont plus revus depuis dix ans.
en place un environnement non hostile en informant l’ensemble de ses clans que la paix avait été acceptée. Le shir de Oog est surtout une occasion de s’entendre sur les prochaines étapes du processus de réconciliation. Le SNM propose aux chefs traditionnels de se rallier, en échange de postes de responsabilité dans la future administration autonome de la Somalie du Nord. Il est aussi convenu qu’une conférence plus large aurait lieu à Berbera dans les jours à venir. Après la réunion qui n’aura finalement duré qu’une journée, les délégués du SNM regagnent dans la soirée Burco où ils se réunissent avec les membres du comité central et du comité exécutif du mouvement autour de Cabdiraxmaan Tuur qui vient lui-même d’arriver de Hargeysa. De leur côté, les Dhulbahaante regagnent Laas Caanood pour leur propre consultation interne. Ils ont accepté de faire part aux Warsangeli de cet arrangement et de les inviter à assister au shir de Berbera. Dirigés par leur propre garaad, ces derniers se joignent en effet à la délégation. Tous attendent de la conférence qui s’ouvre le 15 février la formalisation d’un accord par lequel le SNM accordera aux deux lignages Harti une place dans l’administration autonome sur le point de se constituer. Sans rivalité déclarée pour l’heure, de ce côté la normalisation paraît devoir s’établir sans peine.1
Avec les Gadabuursi, shirar de Tulli et Boorama [9.II & 28.II/3.III1991]
Dans l’Awdal, à l’ouest du pays Isxaaq où le faisceau Dir des Gadabuursi s’est montré l’allié déterminé du régime déchu, c’est un scénario un peu différent qui se dessine. Là comme ailleurs, le SNM est occupé à parachever sa victoire tout en cherchant à faire reconnaître sa légitimité. Dans la situation assez tendue qui prévaut, une personnalité va s’affirmer au centre des processus d’arbitrage entre les notables et les chefs militaires de chaque camp, le colonel Cabdiraxmaan aw Cali Faarax2. Celui-ci, l’un des rares membres Gadabuursi du SNM va mettre toute son énergie à prévenir les affrontements, notamment au titre des tensions anciennes qui sur l’usage de la terre opposent le clan Jibril Abokor des Habar Awal/Sacad Muuse et le reer Nuur des Gadabuursi. Dans l’esprit des démarches entreprises dès 1990 par le garaad des Dhulbahaante auprès du SNM, un homme politique Gadabuursi, Jaamac Rabiile Good3 avait aussi tenté d’instaurer un semblable 1
BRADBURY, Mark & alia. Peace in Somaliland: An Indigenous Approach to StateBuilding Burao, Borama, and Sanaag Conferences. The Search for Peace. Somali Programme. Academy for Peace & Development. Hargeisa, Somaliland. 2 Plusieurs surnoms lui sont attribués qui tous font allusion à son appartenance au faisceau Gadabuursi et à son engagement auprès des Isxaaq du SNM : Laba-tolle, « celui qui a deux tribus », Tolbadane « celui qui a beaucoup de tribus »… 3 Souvent confondu avec son frère Muuse Rabiile Good, ministre de Siyaad Barre (Habitat de 1987 à 1989, Travail et Sports de 1971 à 1973, Transports de 1973 à 1974, Santé de 1976 à 1980, Travaux publics, Commerce de 1984 à 1985, des Transports aériens et terrestres de 1989 à 1990).
dialogue. Trop lié au régime, son entreprise ne s’était pas révélée concluante, mais elle avait cependant laissé entrevoir aux Isxaaq que quelque chose était possible auprès de ces ennemis, très impliqués auprès du pouvoir central. Après la défaite de la 26e division à Hargeysa dans les premiers jours de 1991, les membres Gadabuursi de l’armée gouvernementale défaite se replient vers l’ouest en direction de Boorama où ils sont pris en chasse par les éléments du SNM. Quand, le 8 février, le dirigeant Gadabuursi sheekh Cabdullaahi sheekh Cali Jowhar appelle à la fin des combats, c’est en fait au sein du SNM qu’il trouve véritablement un écho: le colonel Haybe Cumar Jaamac [Habar Awal/Sacad Muuse/Jibril Abokor] ordonne en effet à ses miliciens de se retirer de Goroyacawl, à proximité de Dilla. Une délégation dirigée par Jaamac Rabiile arrive alors de Berbera à bord d’un avion du CICR afin d’entreprendre un processus de négociation. Mais les unités Gadabuursi convaincues qu’un piège leur est tendu refusent de se rendre et de lourds accrochages se produisent encore à Gabiley et à Dilla1 où le village est quasiment détruit. Les troupes du SNM poursuivent alors leur avancée vers Boorama, centre historique des Gadabuursi dont ils s’emparent le 9 février faisant de nombreux prisonniers et saisissant le matériel de guerre. Les deux officiers du SNM en charge du secteur, les colonels Haybe Cumar Jaamac qui commande les troupes ayant conquis Boorama et Cabdiraxmaan aw Cali, qui est en charge de la province d’Awdal, ordonnent à leurs troupes qui occupent depuis la veille la cité de s’en retirer le lendemain dans l’espoir de parvenir à engager des pourparlers de paix. Au terme d’un entretien avec les notables Gadabuursi à Tulli, un cessez-le-feu est finalement convenu. Bien que des accrochages aient encore lieu, ça et là, une première réunion de paix est organisée, à Tulli encore, le 16 février en présence du caaqil des Jibril Abokor, Cabdi Iidle Aman, et des notables Gadabuursi. Chacun s’accorde alors à reconnaître que sans l’intervention du colonel Cabdiraxmaan aw Cali, la chute de Boorama se serait terminée sur une mise à sac en bonne et due forme de la cité. Mais la tendance à l’apaisement dépasse largement les hauteurs de Boorama. La veille, à Berbera, a commencé la Conférence de fraternisation des communautés du Nord, aussi est-il convenu qu’une prochaine réunion se réunirait à son issue afin de préciser les termes de la paix dans cette partie de l’Awdal. Ces nouveaux pourparlers se déroulent comme prévu du 28 février au 3 mars, à Boorama où le colonel Cabdiraxmaan aw Cali a rassemblé une guurti2 Gadabuursi forte de 21 membres avec lesquels le SNM pourra 1
À 28 km à l’est de Boorama. Guurti(-da) désigne un conseil de notables, un comité d’experts, etc.. Il sera finalement repris pour désigner la Chambre Haute - Golaha Guurtida - du Parlement de la république du Somaliland lorsque celui-ci sera institué. 2
négocier. Le mouvement est assisté des représentants des clans Isxaaq de l’Ouest, rassemblés derrière sheekh Ibraahin sheekh Cali sheekh Yuusuf sheekh Madar[Habar Awal/Sacad Muuse/ Xuseen Abokor]. Cette série de réunions aboutit effectivement à un accord de paix et à la définition d’un processus de réconciliation entre les familles Jibril Abokor des Habar Awal/Sacad Muuse et du reer Nuur des Gadabuursi. Au terme de l’exercice, un comité de quatorze personnes comprenant des membres des deux lignages est désigné pour que l’accord de paix soit promulgué au sein de leurs communautés respectives : les notables Jibril Abokor vers les zones côtières où les milices armées SNM sont déployées dans le secteur de Seylac par où passent les marchandises en provenance de Djibouti ; les notables Gadabuursi vers les campements du Hawd où se trouvent à cette époque la plupart des troupeaux. Il peut être ici rendu hommage à ces personnes le plus souvent âgées et évoquer les difficultés auxquelles elles soumettent, en pleine saison sèche de jiilaal, à travers un terrain montagneux où il est difficile aux véhicules de progresser sans dommages. Parfois, quand les plus vieux se révèlent incapables de poursuivre leur chemin à pied, leurs camarades les montent sur des chameaux. Quatorze jours durant, la caravane de paix sillonnera ainsi les hauteurs du Hawd afin de dissiper l’inimitié entre les clans. De retour à Boorama les notables poursuivront leur mission d’apaisement, engageant chacun à consentir la restitution des bâtiments ou des véhicules confisqués ou dérobés à leurs propriétaires pendant le conflit.
Guul Alle, le shir de Berbera [15/27.II-1991] Mais, tandis qu’à Boorama se construisait la paix, revenons sur la réunion qui à Berbera du 15 au 27 février réunissait le Shir Walaalaynta Beelaha Waqooyiga, la « Conférence de fraternisation des communautés du Nord. Ce premier shir engage véritablement la politique de conciliation entreprise par le SNM afin de parvenir à une coexistence pacifique entre tous les clans. Les gages de bonne volonté affichés de part et d’autre ont en effet dans un premier temps permis à la direction du mouvement de réunir des représentants des clans Dir, Ciise et Gadabuursi, ainsi que des clans Darood Harti, Warsangeli et Dhulbahaante pour engager des discussions préliminaires. D’emblée, le SNM allait tout particulièrement insister sur sa détermination à ne procéder à aucunes représailles contre les clans qui avaient soutenu le régime vaincu. Certes, quatre militaires du régime de Siyaad Barre convaincus de crimes de guerre ont été jugés et exécutés sur place, mais la quasi-majorité d’entre eux a reçu un sauf-conduit afin
qu’ils puissent rentrer chez eux. Les prisonniers Dhulbahaante détenus par le SNM sont à cette occasion rendus à leurs familles. 1 Ces engagements rassurants suffisent pour que la conférence convienne d’un cessez-le-feu général et la simplicité des objectifs qu’elle s’est fixés par ailleurs se révèle le meilleur garant du succès de l’entreprise. Il ne s’agit pas en effet de prendre des décisions de fond allant au-delà de la confirmation des accords bilatéraux de cessez-le-feu, mais de les confirmer ensemble en réaffirmation une volonté partagée de mettre fin aux combats. Quelques principes sont néanmoins affirmés et quelques dispositions prises, de nature à préparer le futur de la région : - le processus de réconciliation entre les clans doit être poursuivi ; - le gouvernement formé à Muqdisho est considéré comme illégitime par les populations des provinces du Nord ; - pour celles-ci, une conférence se tiendra à Burco en avril afin de convenir d’un processus de construction de l’État ; - le SNM prendra la responsabilité de l’administration de la région jusqu’à la prochaine conférence à Burco ; - les clans s’abstiendront de toute action de représailles ou autres qui puisse provoquer un retour à la guerre ; - tous les clans participeront de plein droit à la conférence prévue à Burco, qui se déroulera deux mois après la fin de la conférence de Berbera, c’est-à-dire après le mois de ramaḏān ; - chaque clan sera responsable, en attendant, de ses propres milices et de leurs technicals. Pour tous mais en particulier pour les Gadabuursi qui parlent encore du Guul Alle, « Victoire de Dieu », le shir de Boorama est un réel soulagement. Pour sa part, le SNM prévoit de faire suivre la conférence du mois d’avril à Burco d’un congrès rassemblant l’instance suprême du mouvement, c’est-à-dire son comité central et ses 99 membres. En attendant, il lui faut consolider son contrôle sur l’ensemble de la région Isxaaq où apparaissent déjà des différends entre les principaux lignages. Une certaine anarchie perdure en effet. L’administration dissoute dans la tourmente de la guerre civile laisse de nombreux miliciens hors de tout contrôle, entre pillages et règlements de comptes. Par ailleurs, le niveau de destruction de Hargeysa et le danger posé par les milliers de mines et de munitions non explosées autour de la cité contraignent momentanément le mouvement à utiliser Berbera, plus épargnée par les combats, comme capitale provisoire. 1
C’est sur cet événement que se fondera l’organisation Gadabuursi, la Somali Democratic Alliance (SDA) pour affirmer que quatre personnalités avaient été exécutées à Berbera. Mais sans conteste, il existe surtout désormais une volonté de venir à résipiscence et de solliciter le pardon, procédé ordinaire de la coutume somalie. Aussi est-ce ce choix délibéré qui d’ici quelques semaines prévaudra et parviendra finalement à contenir la violence.
DE L’IDEE D’AUTONOMIE A L’IDEE D’INDEPENDANCE La première tâche à laquelle se consacre le SNM après la chute du régime porte donc sur l’établissement de la paix et la réconciliation entre les faisceaux lignagers du nord.
L’indépendance, une idée de la base À ce moment de l’histoire, une fois assuré le contrôle du Nord somalien, le mouvement ne donne pas de signes particuliers de velléité indépendantiste. Il reste que le comportement de l’USC à Muqdisho, à travers sa prise unilatérale de pouvoir et la nomination de Cali Mahdi au poste de président, a ostensiblement fâché la direction du mouvement. La nomination de Cumar Carte Qaalib au poste de premier ministre n’a en aucune façon satisfait les aspirations des reer Woqooyi, les gens du Nord comme on les appelle à Muqdisho. Une délégation a même clairement exprimé les exigences du mouvement, à savoir un système fédéral avec un premier ministre chargé de la Défense et des Affaires étrangères, la délégation aux régions de l’ensemble du contrôle de leur économie ainsi qu’un contrôle régional sur la sécurité y compris les passeports. L’indépendance n’est pas évoquée et il ne semble pas que le SNM envisageât en l’état de changer autre chose que la structure de l’autorité centrale. Il s’agit d’octroyer au Nord un partage plus équilibré des ressources et de favoriser son développement en lui accordant un plus grand rôle dans le gouvernement central. Mais un autre phénomène se dessine qui va rapidement apparaître à la direction du SNM : les notables, représentants traditionnels de la base ont d’autres perspectives ; réunis à Berbera à la fin du mois de mars afin d’exprimer leurs doléances et leurs espoirs, deux tendances ont dominé les discussions : - le souhait de réconciliation à travers l’ensemble de la région Nordouest où tous étaient convenus de la nécessité de réconcilier ceux qui avaient soutenu le SNM et ceux qui ne l’avaient pas soutenu ; - un soutien général au concept d’indépendance. La pression venait en fait de la base où un sentiment populaire en faveur de la sécession se révélait profondément enraciné. Il allait très clairement et très fermement s’exprimer, tout autant par la voix des autorités traditionnelles Isxaaq que par celles des représentants des autres lignages, au fil des réunions qui se tiendraient à travers le Nord en février et en mars. Tous appelaient à une grande conférence des peuples du Nord, à se tenir à Burco en mai, et qui se prononcerait solennellement sur le devenir de la région. 1
1
GILKES P.S. Two wasted years. The republic of Somaliland -1991-1993. Biggleswade: Save the Children Fund, 1993
Les petits mouvements périphériques : SDA Gadabuursi et USP Harti Tandis que le SNM Isxaaq qui tarde à envisager sa transformation en parti politique se trouve désormais confronté à ce nouveau concept, trois petits mouvements confirment au même moment leur volonté de représenter les lignages démographiquement moins importants que le mouvement Isxaaq : Le plus turbulent est le United Somali Front (USF) dans l’Awdal sur lequel nous allons revenir. Il représente les clans Ciise, établis de part et d’autre de la frontière djiboutienne et de la frontière éthiopienne. À leur Est, certains clans Gadabuursi soutiennent la Somali Democratic Alliance (SDA). Leur particularité est naturellement liée au soutien qu’ils ont apporté au pouvoir de Siyaad Barre. Outre les conflits autour des zones de pâturage, il s’agissait davantage de contrebalancer la prééminence des clans Isxaaq que d’une sympathie avérée pour le système aujourd’hui déchu. Cela dit, les clans Gadabuursi ont aussi été les bénéficiaires du pillage et la confiscation des propriétés et des terres Isxaaq pendant la répression de 1989-1990. Au cours de la conférence de réconciliation de mars 1991 cependant, les Gadabuursi ont reconnu les faits et se sont excusés, répondant ainsi aux exigences de leurs vainqueurs. Il reste qu’après la victoire du SNM, beaucoup craignent toujours d’avoir des comptes à rendre au nouveau pouvoir, quelle que soit sa forme d’ailleurs, qui viendrait à s’installer au Somaliland. La SDA qui a été créée à Londres le 4 novembre 1989 est dirigée par Maxamed Faarax Cabdullaahi Asharo et Liibaan Jaamac Rabiile Good, le fils d’un ministre de Siyaad Barre. Il regroupe principalement les familles Gadabuursi résidant dans la région de Boorama. Après le renversement du régime, l’Alliance qui craint le poids des Isxaaq dans un Somaliland sécessionniste se positionne pour un Somaliland autonome au sein d’une Somalie fédérale. Lorsque le choix de l’indépendance aura été fait, il se rangera aux côtés de Cabdiraxmaan Tuur avant de rallier finalement le président Maxamed Cigaal. À l’Est par ailleurs tente de resurgir un vieux parti qui dans les années cinquante représentait les populations non Isxaaq, en particulier les Harti du Somaliland, le United Somali Party (USP). Le parti formait alors une coalition opposée au nationalisme Isxaaq de la Somali National League. Après la fusion des deux Somalies, le mouvement était tombé en sommeil. Il est relancé en 1991 par ces mêmes groupes minoritaires et quelques Gadabuursi, en réaction au sentiment d’hégémonie qu’ils sentent poindre parmi les Isxaaq dès lors que se précise un positionnement général en faveur de l’indépendance. L’objectif principal de l’USP reste de s’opposer à la domination Isxaaq dans le Somaliland. Après de nombreux accrochages avec le régime, le mouvement qui se joint au processus de Djibouti va, à l’instar de la SDA, momentanément faire
alliance avec le courant autonomiste du SNM aligné derrière Cabdiraxmaan Tuur.1 Mais ces deux partis restent des épiphénomènes politiques que leur volume et leur situation géographique, dans le contexte du moment au moins, isolent. Aussi sont-ils contraints de s’adosser, quels qu’ils soient, à des courants intérieurs à l’espace somalien. Il n’en va pas de même du petit parti Ciise qui pour sa part a l’opportunité de sa juxtaposition territoriale à la république de Djibouti et de la proximité lignagère avec le gouvernement qui la dirige.
VELLEITES CIISE ET VISEES GOUVERNEMENTALES DJIBOUTIENNES Dans cette région frontière au-delà de laquelle se sont réfugiés de nombreux Somaliens, le pouvoir djiboutien a en effet identifié une opportunité. Aussi un contentieux s’est-il développé, corollairement à la guerre civile somalienne. Les difficultés qui en effet surgissent en pays Dir ne sont finalement pas venues d’où le SNM était le plus en droit de les attendre. C’est face à leurs alliés Ciise, répartis sur trois pays – l’Éthiopie, la République de Djibouti et la Somalie elle-même – que le mouvement Isxaaq est confronté à un problème. Si les événements en question restent sans commune mesure avec ce qui se déroule dans le Sud du pays, ils ne peuvent être négligés dans un contexte par essence fragile. Gardons à l’esprit en effet que le gouvernement éthiopien s’effondre en juin 1991, phénomène qui ne laisse pas non plus indifférent le pouvoir à Djibouti et observons qu’avant la fin de cette même année, la révolte des Afars du nord va secouer à son tour la petite république.
L’hypothèse d’un Ciiseland Les difficultés qui apparaissent au niveau des frontières occidentales de la Somalie du Nord-est ne sont pas nouvelles et ont, au cours du siècle, revêtu maints aspects. Elles résultent principalement de deux faits : d’une part le fait colonial et les choix opérés au moment des indépendances qui ont entériné le partage du pays Ciise entre trois États souverains ; d’autre part la construction politique clanique de la Somalie de Siyaad Barre qui a induit des solidarités entre les Dir Ciise et les Isxaaq d’une part, les Dir Gadabuursi coincés entre ces deux derniers et le pouvoir central de Muqdisho de l’autre. C’est cette situation qui naguère, en mai 1988, avait déjà mis aux prises au poste frontière de Loyada2 les Ciise djiboutiens, sympathisants 1
BALENCIE Jean-Marc & LA GRANGE Arnaud de (sous la direction de). Mondes rebelles. Guérillas, milices, groupes terroristes. Michalon. Paris, 2001 - pp. 948-9. 2 Loyada [som. Lowyada], sur le territoire djiboutien est situé à mi-chemin entre Djibouti et Seylac. Le 3 février 1976, le poste frontière avait été le lieu du règlement de la prise en otage d’un car scolaire. Celui-ci avait été capturé à Djibouti-Ambouli par des militants indépendantistes du Front de libération de la Côte des Somalis (FLCS).
ordinaires des Isxaaq donc du SNM, aux Gadabuursi progouvernementaux. Car l’entente entre Isxaaq et Ciise est plus que tacite et a fait l’objet d’un véritable pacte entre les autorités traditionnelles des deux faisceaux lignagers. Or la situation, à la fin 1990, est comme beaucoup en ont le pressentiment sur le point de changer. Au début du mois de décembre, les représentants des clans Ciise se réunissent à Aysha1 afin de débattre de leurs préoccupations. Il s’agit non seulement de considérer les conséquences que pourrait avoir sur la sécurité de la communauté Ciise un possible renversement des régimes tant en Éthiopie qu’en Somalie, mais aussi d’envisager les opportunités qui pourraient en résulter. Bien que la situation éthiopienne ait été rapidement évoquée, c’est surtout la protection des Ciise de Somalie contre de nouvelles attaques des forces gouvernementales et de leurs supplétifs Gadabuursi qui occupe principalement les échanges. Des discussions il ressort entre autres la décision de constituer un front de résistance capable de saisir toute opportunité susceptible d’asseoir l’autorité de la communauté sur le territoire qu’elle occupe en Somalie. Deux lignages Ciise confrontent plus particulièrement leurs points de vue, chacun tentant d’imposer ses vues au sein du nouveau mouvement : les Mamaasan, originaires de la région de Geerisa au Somaliland mais bien implantés à Djibouti où ils tiennent les rênes du pouvoir, et les familles Odaxgob dont la plus grande partie des membres nomadisent sur la frontière et en arrière de Seylac dans la province de l’Awdal2. Les deux lignages bien sûr sont également présents en Éthiopie où les clans Ciise contrôlent notamment le territoire traversé par le chemin de fer. À l’aplomb de cette affaire, il faut encore rappeler une rumeur qui à Djibouti courait bon train les mabrazes3. Elle était fondée sur un document daté du 2 janvier 1990 formalisant les conclusions du shir Ciise et dont l’article n°2 stipulait que : « …quel qu’en soit le prix, l’annexion de Lughaya et de Seylac à la République de Djibouti doit devenir un objectif à atteindre impérativement. Ces territoires qui ont toujours appartenu aux Ciise ont révélé dernièrement des gisements de pétrole ». 1
[amh. አይሻ ፥ ayša ; som. Ayshaca]. Chef-lieu de district éthiopien situé au cœur du pays Ciise, dans la région administrative de Deré Däwa [amh. ድሬ ፡ ደዋ ፥ deré däwa]. L’Éthiopie est encore divisée en 30 régions administratives [amh. አስተዳደር ፡ አካባቢ ፥ astädaddär akababi] elles-mêmes divisées en arrondissements [amh. አውራጃ ፥ awradja] puis en districts [amh. ወረዳ ፥ wäräda]. 2 En Somalie, l’espace est divisé en provinces [som. gobol] elles-mêmes divisées en districts [som. degmo] puis en communes [som. xaafad], arrondissements [som. waax pl. waaxyo] et cantons [som. tabeello]. 3 Le mabraze [ar. ﻣﺒﺮﺯmabraz] est la pièce dédiée à la cérémonie du qaad. C’est un lieu d’échanges et de convivialité, un élément essentiel de socialisation pour les peuples musulmans de la Corne de l’Afrique et du Yémen. Tout naturellement, l’euphorie aidant, on y refait le monde, on y parle de la famille, des amis, de la politique, du pays, du lignage.
Cette rumeur laissait aussi entendre que l’assemblée des notables Ciise avait envisagé un renforcement de l’unité du lignage en marginalisant les autres entités du pays : les Afars en premier lieu bien sûr, au nord du pays1, mais les Arabes aussi ainsi que les autres Somalis, frères Gadabuursi et cousins Isxaaq. Certains rappelaient, à l’aplomb de ce ouï-dire, l’affaire de l’attentat du Café de Paris qui à Djibouti, le 27 septembre 1990, avait coûté la vie à un enfant français et avait été aussitôt suivi d’une chasse surprenante à d’hypothétiques coupables Gadabuursi.
Or il se trouve que dans les derniers mois de la guerre civile, le SNM compte à ses côtés une petite brigade composée de miliciens Ciise qui soutiennent sa lutte, en particulier contre les éléments Gadabuursi, alliés de Siyaad Barre et auxquels leurs familles disputaient par ailleurs depuis des lustres quelques pâturages du Hawd2. C’est sur la base de cette formation, le United Somali Front (USF), que la réunion de Aysha a envisagé un nouveau mouvement, propre à se consacrer exclusivement aux intérêts du lignage. Jusqu’alors dirigé par Cabdiraxmaan Ducaale Cali qui appartient comme ses deux adjoints, Cabdullaahi Diiriye et Miyaad Nuur, au clan des Odaxgob, il va maintenant passer sous la coupe du principal moteur des ambitions Ciise, le pouvoir mamaasan 1
Son directeur de cabinet, Ismaël Guedi Hared, ne lâchera-t-il pas quelques mois plus tard au cours d’un cocktail à l’ambassade de France : « Nous ferons des Afars une réserve d’Indiens au pied du Moussa Ali ». 2 Le Hawd, du mot somali hawd, « forêt, maquis épais » désigne les hauteurs arrosées sur et au sud de la frontière somalo-éthiopienne. Les fortes précipitations qui y tombent en font la destination privilégiée des transhumances.
en place à Djibouti, seul à même par ailleurs de fournir les moyens nécessaires au projet. C’est sous son impulsion que le front dès lors va jouer son va-tout afin de contrôler la région dans la perspective de la rattacher à terme à l’État djiboutien. Il n’est pas invraisemblable en effet de songer qu’à la faveur de l’effondrement du régime de Siyaad Barre, il puisse se constituer sans réaction insurmontable une zone tampon Ciise à la frontière djibouto-somalienne. Il pourrait même dans le meilleur des cas favoriser l’émergence d’un Ciiseland qui rassemblerait en une entité unique centrée sur Djibouti l’ensemble du lignage éparpillé sur les trois États mitoyens. Une hypothèse que l’entourage du président Hassan Gouled néglige d’autant moins que l’équilibre démographique rompu écarterait définitivement du pouvoir les populations ʿAfar établies dans le nord du pays.
La consolidation de l’United Somali Front (USF) À nouveau déployé en Somalie, l’USF juxtapose son action à celle d’un autre mouvement Ciise, éthiopien celui-là, l’Issa and Gurgura Liberation Front (IGLF), supposé disputer à un régime éthiopien aux abois les terres occupées par le lignage.1 Dans le contexte régional qui prévaut désormais, l’engagement de l’USF s’affiche comme le coup d’envoi d’une stratégie Ciise hégémonique. Le soutien de Djibouti en l’occurrence est patent : armes, munitions, tenues militaires et vivres ainsi qu’avec une cinquantaine de postes de transmission HF, tous les matériels nécessaires transitent par Gistir, poste du Régiment commando des frontières situé sur le point trifrontière entre les trois États. Ces intrigues identifiées dans la région de Deré Däwa finissent par provoquer la colère du président Mängestu Haylä-Maryam qui convoque quasiment les dirigeants de Djibouti, le 27 février 1991, pour leur faire part de son irritation. Mais ce sont aussi ces velléités trop patentes qui peu auparavant, à la fin du mois de janvier 1991, conduisent le SNM à réagir face à une volonté d’occupation sans partage de l’Awdal par la milice Ciise. Militairement battus, les 300 rescapés de l’USF se réfugient à Djibouti où le pouvoir les cantonne momentanément dans le camp de Shebelley 2 [som. Shabeelle] d’où ils continuent à harceler les troupes du mouvement Isxaaq. Ce faisant, le Front se trouve aussi réduit à répondre aux sollicitations du pouvoir djiboutien qui en contrepartie continue à l’équiper. Un soutien dont bénéficie également par ailleurs l’IGLF éthiopien. Au cours de l’année 1991, d’autres livraisons auront lieu à Assamo, poste situé 1
LOI n°471, 23 mars 1991 et A. GASCON et M. FONTRIER. « Gurgura » in Encyclopedia aethiopica - t. II. Harasowitz. Wiesbaden. 2005 2 Situé au sud-ouest de la capitale, il est adossé à la piste aérodrome normalement réservée aux appareils militaires de l’armée djiboutienne.
face à l’Éthiopie où sont également entreposés nourriture et carburant. Au mois de mars, le général Ali Mehidal Weyss [som. Cali Maydeel Wacays], chef d’État-major des Armées de Djibouti, jugera même opportun de s’informer sur l’état de ces marchandises et sur l’utilisation des moyens financiers mis à la disposition des propriétaires de l’entrepôt pour appuyer les deux fronts. Une problématique extra-somalienne conduit également certaines personnalités du gouvernement de Djibouti, le chef de cabinet de la présidence en particulier, Ismaël Omar Guelleh [som. Ismaaciil Cumar Geelle], à encourager l’activité de l’USF. Ceux-ci en effet n’y voient que des avantages au plan de la politique intérieure. Deux importantes échéances se profilent à Djibouti : la fin du mandat de l’Assemblée nationale en 1992 et une élection présidentielle en 1993 à laquelle, aux termes de la constitution, le président Hassan Gouled déjà élu deux fois ne devrait pas pouvoir se représenter. En prévision de confrontations politiques qui s’annoncent serrées, Ismaël Omar Guelleh qui reste la seule personnalité d’envergure d’une république qui compte de bons intellectuels mais peu de décideurs est entré en action. Le Chef de cabinet cherche par tous les moyens à renforcer le poids électoral des Ciise certes, mais surtout en leur sein celui du clan présidentiel, les Mamaasan, son clan. Cette stratégie s’appuie sans vergogne sur les noyaux « intégristes » Ciise. D’autant que ceux-ci sont bien représentés au sein d’un gouvernement pour lequel le verrouillage politique signifie le renforcement de son contrôle sur les rouages de l’État. On note que l’exercice s’accompagne aussi d’une volonté d’accélérer le recrutement de membres du clan mamaasan dans l’armée gouvernementale. Mais au sein du monde Ciise, la résistance des clans, aussi brouillonne et inopérante soit-elle, existe néanmoins. Quand le 16 décembre 1990 à Deré Däwa, devant l’hôtel Karamara, le colonel Xamuud Axmed Faarax Langadeh1, figure emblématique du Western Somali Liberation Front (WSLF), et Cabdullaahi Ducaale, tous deux Odaxgob, sont assassinés par un commando d’hommes armés, nul ne doute – sans présumer d’ailleurs d’une affaire strictement djiboutienne – qu’il s’agisse d’une querelle de pouvoir au sein de la société Ciise. Toutefois, face à la menace d’affrontements qui se profile, une délégation de responsables djiboutiens Ciise se rend dare-dare en Éthiopie pour y rencontrer l’ugaas Xasan Xirsi et contribuer à ramener le calme au sein des clans établis en Somalie et en Éthiopie. L’enquête sur ce double meurtre conduira les autorités éthiopiennes à arrêter un Isxaaq, proche du SNM, mais on observera aussi que le jeune homme avait également des liens familiaux avec le clan Mamaasan2. 1
Xamuud « le Boîteux ». Le colonel, issu de la communauté Ciise de Djibouti, a été l’un des chefs historiques du Western Somali Liberation Front (WSLF), dont il s’est séparé au cours de l’année 1989, dans le cadre d’une dissension au sein du mouvement. 2 Son père, dit-on, aurait fait don au régime de Djibouti des locaux qui abritent aujourd’hui le siège du parti présidentiel, le Rassemblement populaire pour le progrès.
C’est peut-être dans ce registre aussi qu’il faut inscrire le rapport du 22 février rédigé par la brigade de gendarmerie djiboutienne de Loyada et qui révèle qu’un groupe ʿAfar a été pris à partie le 20 février au puits de Bariisle1 en Somalie. Trente-huit combattants appartenant à l’Afar Liberation Front (ALF), le Front ʿAli Mirah, et venant de Boorama qu’ils ont pu quitter après la prise de la ville par le SNM, ont été arrêtés et tués par des combattants Ciise appartenant à l’USF. Seul un ʿAfar aurait réussi à s’enfuir tandis que les blessés étaient rassemblés en République de Djibouti, au camp militaire de Dameerjog 2. Pour prendre la bonne mesure de l’incident, il faut avoir à l’esprit l’implantation géographique des clans et observer que les clans Ciise sont pris en tenaille entre les Gadabuursi et les ʿAfar, de la même façon que les Gadabuursi sont coincés entre les Ciise et les Isxaaq3. Il en résulte des solidarités ordinaires fortes bien que, comme à l’accoutumée sans valeur pérenne tant qu’un contrat n’est pas venu en sceller les dispositions. L’ensemble de ces ambiguïtés, à défaut de faits absolument avérés, contribue à entretenir plus qu’une gêne aux yeux des Isxaaq du SNM. Sentant venir le coup, il ne peut être question pour eux de s’accommoder d’une autonomie Ciise dans le Nord somalien. Cependant, à bien y regarder, il est clair que la simple création de l’USF porte en elle-même la rupture du pacte qui depuis des décennies, contre vents et marées, a uni les lignages Isxaaq et Ciise dans leurs réserves sinon dans leurs luttes à l’encontre du régime déchu.
Les tensions entre le gouvernement de Djibouti et le SNM. Le facteur déclencheur de la crise entre USF et SNM remonte au milieu du mois de janvier 1991, après qu’une rencontre sur la frontière entre des officiers de l’armée djiboutienne et un groupe de militaires gouvernementaux somaliens a mis en alerte la direction du SNM sur un allié djiboutien de plus en plus suspect. Tandis que les soldats de Siyaad Barre négocient les modalités de leur imminente défection, les Djiboutiens au terme de l’entretien se déclarent disposés à les accueillir sur leur sol, à subvenir à leurs besoins et à leur reconnaître le statut de réfugié politique « avant de leur trouver un pays d’accueil ». En contrepartie, les candidats à l’asile, Gadabuursi pour la plupart, devront remettre entre les mains de l’USF leurs armes, mais aussi le contrôle des zones qu’ils occupent dans le nord de la Somalie. Face au SNM, grand vainqueur sur le terrain d’un pouvoir dont il entend revendiquer 1
À une trentaine de kilomètres au sud de Djibouti. Le village est venu entourer un poste militaire établi pour participer au contrôle des migrations. 2 Sur le territoire djiboutien, à une quinzaine de kilomètres de la capitale. Cet accrochage représente également un avertissement du gouvernement djiboutien à l’organisation nationaliste afar rassemblant d’anciens rebelles du Front démocratique de libération de Djibouti (FDLD) et du Mouvement populaire de libération (MPL), qui depuis plusieurs mois tente de s’organiser à partir de l’Éthiopie. 3 LOI 470, 16 mars 1991
l’héritage mais aussi le devoir de garantir la souveraineté du territoire, c’est en bonne et due forme une déclaration de guerre. Quoique l’accord entre Ciise et Isxaaq n’ait jamais été formellement dénoncé par l’ugaas Xasan Xirsi1 qui semble toujours y être favorable, comment imaginer qu’une telle tractation resterait sans conséquence sur les relations entre les deux communautés 2 ? Et aussitôt en effet, la situation se tend. Elle se tend davantage encore après que les membres du United Somali Front (USF) ont un instant hissé leur emblème sur le poste de Loyada où les soldats de Siyaad Barre se sont regroupés en vue de leur reddition. Elle devient critique quand, le 9 février, le commandant Zakaria Cheick Ibrahim [som. Sakariiya sheekh Ibraahin] qui commande la force d’intervention du camp Cheick Osman3 à Djibouti fait brièvement mettre aux arrêts, toujours à Loyada, plusieurs membres du SNM avec lesquels il est en pourparlers, précisément sur le principe de telles redditions. Lorsqu’un peu plus tard d’autres éléments du SNM viennent récupérer leurs partisans, le face-à-face avec l’USF se limite certes à quelques coups de feu, mais n’en menace pas moins de dégénérer en affrontement armé pour le contrôle de la frontière. Chaleureusement sollicité par la diplomatie française, le président Hassan Gouled qui ne tient aucunement à voir l’affaire s’envenimer dépêche alors les députés Isxaaq de Djibouti afin qu’ils interviennent auprès du SNM et calment les ardeurs belliqueuses de chacun. Ce qui se passe en effet. Mais nul cependant n’est dupe. Ces événements résultent bien de pressions exercées par des responsables djiboutiens afin que les militaires somaliens qui souhaitent se rendre remettent plutôt leurs armes à l’USF qu’au SNM. Il en résulte une course de vitesse entre les deux mouvements dont l’objet principal est le contrôle de la région frontière, c’est-à-dire le contrôle du pays Ciise.4 Quant à l’armement récupéré, Ismaël Omar Guelleh entend bien l’utiliser afin d’équiper au moindre coût l’USF dont il souhaite prendre en main les destinées, mais également en faire profiter ses propres hommes de main que son frère Idriss se charge de diriger. Il reste qu’après l’incident de Loyada, le président du SNM se fend d’une lettre relative à la situation qu’il adresse au président djiboutien. Une rencontre est organisée. La veille, sur les ondes de la BBC et afin de 1
L’ugaas, chez les Ciise mais aussi au sein d’autres faisceaux lignagers de la société somalie, est la plus haute autorité traditionnelle. Il est choisi au sein du plus petit des clans cisse, les Wardiiq. 2 LOI n°463, 26 janvier 1991 3 Zakaria Cheick Ibrahim qui ne s’est jamais distingué par une grande finesse est davantage connu par sa piété, sa rudesse, un sens absolu de la discipline et une totale dévotion aux intérêts du clan. Il est intéressant de rappeler que sur une petite stèle située devant l’entrée de son bureau, il a fait inscrire en somali ce qui est devenu la quasi-devise de son unité : « Le bouclier [som. gaashaanka] du pouvoir mamaasan ». 4 LOI n°466, 16 février 1991
préparer les esprits, le responsable des Affaires étrangères du SNM, Saleebaan Maxamuud Aadan Gaal n’hésite pas à mettre vertement en garde l’Italie et Djibouti contre toute ingérence en Somalie. Car les combattants du SNM sont formels : c’est bien un affrontement armé qui a eu lieu à Loyada, affrontement au cours duquel les militaires djiboutiens ont appuyé les feux de l’USF dirigés contre le SNM. Aussi, le 20 février, est-ce dans le but de mettre les choses au clair qu’une délégation composée de cinq personnes en provenance de Berbera se rend à Djibouti à bord d’un avion affrété par le CICR. Dirigée par le président Cabdiraxmaan Tuur, elle est reçue par Ismaël Omar Guelleh avant de rencontrer le lendemain le président de la République. Agissant avec fermeté du côté Isxaaq, mais aussi avec intelligence de part et d’autre, chacun est attentif à ce que la situation ne s’envenime pas. À moitié satisfaite, la délégation somalienne quitte alors Djibouti pour le Yémen où le mois précédent le gouvernement a reconnu officiellement le SNM et l’USC auxquels il a accordé le droit d’ouvrir des bureaux de représentation à ʿAden et à Ṣanʿā’. Le contrôle de la frontière semble donc appelé à demeurer un sujet de friction qui pourrait devenir récurrent. Les Ciise de l’USF ont tout à gagner à tenter leur chance selon la façon dont la normalisation va se poursuivre dans le Nord-est somalien. À Hargeysa, nul n’est dupe de la duplicité de ses interlocuteurs. Aussi, quand le 6 mars la frontière maritime entre Djibouti et la Somalie est rouverte, le SNM ne manque de s’inquiéter de ce bateau qui quitte le port à destination de Boosaaso avec à son bord des dizaines d’hommes armés, anciens soldats gouvernementaux et membres de l’USF.
IV – 1991 : C ONFERENCES DE D JIBOUTI ET REPRISE DES AFFRONTEMENTS
À la fin du mois de mai, alors que la situation entre Hawiiye et Darood tend à se calmer1, les notables Hawiiye voient maintenant se profiler à Muqdisho une guerre fratricide. Aussi interviennent-ils auprès des chefs de factions afin qu’une rencontre soit organisée afin de rétablir l’unité du pays. L’USC-Mahdi accepte de tenir à Djibouti une réunion de réconciliation à laquelle assisteraient le SNM ainsi que les autres groupes rebelles qui ne reconnaissent pas son gouvernement. À Djibouti au même moment s’apprêtent également à se rassembler les musulmans radicaux qui peinent à trouver leur place dans l’espace politique somalien.
LA CONFERENCE DE PAIX DJIBOUTI I La principale affaire porte évidemment sur la conférence qui doit réunir les vainqueurs de Siyaad Barre, un exercice bien aléatoire car si tous sentent combien il est nécessaire de combler le vide politique laissé par le vieux dictateur, nul n’est réellement décidé à la moindre concession.
Djibouti I [5/11.VI-1991] Faute d’une représentation des Nations unies à Muqdisho, c’est donc à Djibouti que l’Égypte et l’Italie, sous l’autorité morale du président Hassan Gouled Aptidon, organisent avec l’aide financière de l’Arabie saoudite une conférence de réconciliation politique. 1
L’ambassade d’Italie envisage ainsi le 24 avril la réouverture de son ambassade.
Quelques heures auparavant, le 5 juin à Muqdisho, les notables des clans Hawiiye se sont également réunis. Cali Mahdi et Maxamed Caydiid qui tous deux comptent sur le soutien des autorités traditionnelles y ont été conduits par celles-ci à signer un protocole en neuf points dont il ressort trois principes : - les trois factions renonceront à leurs différends ; - le président par intérim respectera la constitution de l’USC dans les domaines de la police, de la sécurité et de la défense ; - il consultera les instances du mouvement sur tous les problèmes politiques importants. Il n’en demeure pas moins certaines controverses. Cet accord obtenu de haute lutte par les notables Hawiiye n’induit pas en effet un engagement des deux chefs de factions à participer en personne à la réunion qui d’ores et déjà se tient à Djibouti et durera du 5 au 11 juin 1991. On y constate en effet l’absence de Cali Mahdi, en mal de reconnaissance, et le refus de Maxamed Caydiid de se joindre à un exercice dans lequel il juge inopportun d’impliquer des étrangers. La conférence rassemble néanmoins des représentants des Hawiiye de l’USC, les Raxanweyn et Digil du SDM, les Darood Ogaadeen du SPM et les Darood Majeerteen du SSDF. Un grand absent, le SNM Isxaaq qui, trois semaines plus tôt, le 18 mai, a déclaré son indépendance et ignore délibérément l’invitation. Cette première réunion que l’on retiendra sous la dénomination de Djibouti I s’est fixé des objectifs modestes : trouver les moyens de venir à bout du désordre qui règne dans la capitale, définir une stratégie propre à faire sortir le président Siyaad Barre du pays et enfin convaincre chacun d’accepter la présidence de Cali Mahdi à la tête de la Somalie. Après une petite semaine de débats houleux, cinq résolutions sortent péniblement de cet exercice indigent : - l’ostracisation de Siyaad Barre du territoire somalien ; - l’établissement d’un cessez-le-feu ; - la restauration de l’unité nationale, définie comme « sacrée » ; - la convocation dans les 30 jours d’une seconde conférence à laquelle il sera dévolu de nommer un chef de l’État et un gouvernement provisoire d’unité nationale ; - la mise sur pied d’une délégation composée de trente personnes, représentant le gouvernement djiboutien et des quatre factions présentes, à laquelle il appartiendra de convaincre Cabdiraxmaan Tuur de renoncer à la position indépendantiste. Mais la mise en route de ce processus d’apaisement demeure d’une fragilité extrême. Dès le 17 juin, les combats reprennent dans certains quartiers de Muqdisho. L’hôpital de Madina où travaille une équipe de Médecins sans frontières accueille une quarantaine de blessés en deux jours. Les affrontements ne cessent le 19 qu’après une nouvelle intervention des notables Hawiiye encore qu’en dépit de cette trêve, la situation demeure confuse. Le mécontentement à l’égard du président
par intérim s’est maintenant propagé à plusieurs clans non-Abgaal qui lui reprochent un accaparement personnel du pouvoir. Des pétitions demandant sa démission circulent. Un proche de Caydiid, Cumar Salaad Cilmi lui lance un ultimatum pour le 20 juin tandis que la tentative de désarmement des milices claniques lancée dans la capitale suscite la colère, en particulièrement celle des Habar Gedir Cayr. Au sein de la communauté internationale, l’inquiétude s’accroît sans excès au regard du cas somalien. Une simple fièvre diplomatique. À la fin du mois de juin, procédant d’une mission de médiation, la Ligue arabe décide quand même d’envoyer à Djibouti une commission d’enquête pour tenter de hâter la reprise d’un processus de paix. Tous s’interrogent et beaucoup se désolent de la tournure des événements dans la région Nord-ouest. Une région dont certains mesurent égoïstement le futur à l’aune de leurs propres préoccupations stratégiques et d’autres à celle d’une idée préconçue de l’ordre universel.
Le SNM et les médiations djiboutiennes de mai 1991 Au Somaliland en revanche, ces réticences étrangères suscitent des crispations. Alors que de partout on tente de contenir la région dans le giron somalien, Radio Hargeysa lance le 10 juin une première mise en garde aux autorités djiboutiennes pour leur ingérence dans les affaires somaliennes. Les responsables du SNM leur reprochent en effet d’être intervenues auprès de différents pays afin d’empêcher la reconnaissance de la république qui vient de déclarer son indépendance. Le président Hassan Gouled est notamment soupçonné, lors de sa récente visite à Pékin, d’avoir adjuré les autorités chinoises de ne pas venir en aide au Nord de la Somalie. Des démarches identiques auraient été effectuées en direction de plusieurs pays africains et arabes. Au point que le représentant du SNM à Paris sollicite l’intercession des autorités françaises afin d’obtenir un changement d’attitude de Djibouti à l’égard du Somaliland1. Dans la même veine, les responsables du mouvement ont également vu d’un très mauvais oeil la discrète conférence sur la Somalie organisée à Djibouti sous l’égide du ministre des Affaires étrangères, Moumin Bahdon Farah [som. Muumin Bahdoon Faarax]. Cette réunion qui a rassemblé des représentants Hawiiye de l’USC, des groupes Darood du SPM et du SSDF ainsi que du SDM Raxanweyn était présidée par un comité des sages. Ce comité était entre autres composé du premier président de la Somalie indépendante, Aadan Cabdulle Cusmaan, Aadan-Cadde, et de deux anciens premiers ministres de Siyaad Barre, 1
Beaucoup plus tard la colère du président Hassan Gouled ressurgira quand son ancien premier ministre, Aḥmed Dīni Aḥmed, sera invité officiellement par les autorités du Somaliland à conduire à Hargeysa une délégation du FRUD. Celui-ci qui prendra en août 1992 la tête de la rébellion afar aura en effet officiellement reconnu la république du Somaliland le 16 mars précédent.
Cabdirisxaaq xaaji Xuseen et Maxamed Ibraahin Cigaal1. À l’issue de la réunion, les quatre mouvements se sont prononcés pour « l’unité nationale et l’intégrité territoriale » de la Somalie et ont décidé d’envoyer une délégation rencontrer le SNM en vue de sa participation à la tenue de la nouvelle conférence prévue pour le mois suivant. Un émissaire est au préalable dépêché à Burco pour prendre contact avec les responsables du mouvement et préparer une rencontre. L’envoyé cependant ne parvient à convaincre personne d’accepter la visite d’une délégation. Néanmoins, si le SNM signifie clairement son refus de participer à une conférence de réconciliation à Djibouti, il se déclare prêt à discuter avec l’USC du pouvoir à Muqdisho. Quant aux missions de bons offices prévues pour le 18 juin, le porte-parole de la république du Somaliland en Grande-Bretagne dissuade à son tour toute velléité d’envoi d’une délégation afin de débattre avec le SNM ; Maxamed Daahir Xirsi qualifie l’indépendance du Somaliland de « non négociable et irréversible ».2
L’USC ET LA CONFERENCE DE PAIX DJIBOUTI II Après le déroulement, décevant et préoccupant, de Djibouti I, les Italiens et les Égyptiens s’investissent de nouveau en juillet dans l’organisation d’une autre réunion à laquelle ni Cali Mahdi, ni Maxamed Caydiid n’acceptent davantage d’assister.
Les assises de l’USC [2/5.VII-1991] Ce dernier estime en effet qu’il ne conviendra de l’envisager qu’après la tenue du 3e congrès de l’USC, initialement prévu le 27 juin, et en présence d’une délégation du SNM, compagnon d’armes et parti ami. Cabdi Cismaan Faarax qui en préside le comité d’organisation en annonce dans un premier temps le report pour des raisons techniques en fait liées aux affrontements qui opposent les clans à Muqdisho. Car la réunion n’est pas une mince affaire. Prévue ouvrir le 2 juillet pour commencer ses travaux le 4, elle doit rassembler 769 délégués représentant 47 communautés et fractions Hawiiye. Ils seront en fait un peu moins nombreux. Toujours est-il que c’est en présence du ministre de l’Intérieur du Somaliland sécessionniste, Saleebaan Gaal, que finalement le congrès de l’USC peut se tenir, huit jours durant, à l’hôtel Guuleed de Muqdisho afin d’élire un président. Parmi les 670 délégués qui votent le 5 juillet, 395 des 548 suffrages exprimés se portent sur Maxamed Faarax Caydiid et 28 sur le candidat présenté par Cali Mahdi. Une solide déconvenue pour le parti du président par intérim. On observe aussi qu’un petit clerc radical Habar Gidir nommé Cali xaaji Yuusuf a également pu se 1 2
Respectivement de 1964 à 1967 et de 1967 à 1969. LOI n°483 et 484, 15 et 22 juin 1991
présenter contre Caydiid, dessinant discrètement l’espace que les milieux fondamentalistes sont d’ores et déjà en train de s’octroyer. Un comité central de 150 membres est également désigné, mandaté pour élire rapidement un nouveau comité exécutif. Le représentant à Londres du mouvement, Cali Xasan Xuseen, précise encore, le 6 juillet, que le congrès s’était fixé comme priorité d’anéantir les forces restées fidèles à Siyaad Barre et engagé à consulter les autres mouvements d’opposition dans le but de former un gouvernement intérimaire représentatif qui soit largement accepté par le peuple somalien. La priorité a été donnée à une discussion entre les forces qui ont contribué à renverser l’ancien régime, à savoir le SNM, le SDM et le SPM. Une délégation du SNM forte d’une quinzaine de personnes et dirigée par l’ancien président du mouvement Axmed Maxamed Maxamuud Siilaanyo [Habar Jeclo/ Maxamed Abokor], arrive d’ailleurs le 10 juillet à Muqdisho, en provenance d’Addis Abäba.1
La promotion d’une seconde conférence Si les décisions du congrès USC n’ont rien de déterminant en tant que tel, elles répondent toutefois à une sorte de consensus international et placent sur ses rails la seconde conférence. Le 2 juillet à Paris, Barkat Gourad, premier ministre djiboutien, a à ce propos rencontré Roland Dumas, le ministre des Affaires étrangères pour lui demander l’appui matériel et le soutien moral de la France en vue de l’organisation d’une réunion dont on espère qu’elle commencera le 14 juillet. Le même jour, l’Américain Herman Cohen fait escale à Djibouti en provenance d’Addis Abäba où le régime du président Mängestu s’est effondré et où il est venu assister à l’ouverture de la conférence de paix. Le diplomate américain qui a géré de main de maître la fin du régime éthiopien vient apporter l’appui des États-Unis à l’initiative du président Hassan Gouled. Mais si la conférence est assurée d’un important soutien diplomatique, son résultat final reste plus qu’hypothétique. Pourtant, l’Égypte qui a annulé la rencontre qu’elle avait proposée au Caire, la Libye et certains pays du Golfe apportent ostensiblement leur appui à la médiation djiboutienne. Le ministre libyen des Affaires étrangères, Ibrāhīm Bišārī, qui doit se rendre à Djibouti à la tête d’une forte délégation, a bien rencontré à Paris le 10 juillet son homologue français pour coordonner les actions des deux pays à propos de cette conférence. Des observateurs français, italiens et américains sont également présents. Herman Cohen a promis d’envoyer son adjoint comme observateur. Le président kenyan enfin a annoncé qu’il se rendrait à Djibouti à partir du 15 juillet. La présence de Daniel arap Moi organisateur à Nairobi au début du mois d’une rencontre entre les représentants du SPM et les
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LOI n°487, 13 juillet 1991
anciens dignitaires du régime déchu1 a été explicitement réclamée par les groupes Darood. Cette rencontre avait de prime abord semblé relever d’une démarche concurrente de celle des autorités djiboutiennes mais, en y regardant de plus près, il était apparu qu’il s’agissait d’une approche différente : alors que les soucis kényans se portaient plutôt sur la pacification du Sud de la Somalie, le gouvernement de Djibouti était avant tout soucieux d’obtenir la réintégration du Somaliland dans un ensemble somalien réunifié. D’ailleurs, à son retour à Djibouti où il a choisi depuis plusieurs mois de résider, Cumar Carte Qaalib est parvenu à déclencher – ce qui n’est pas trop difficile - la colère du président Hassan Gouled quand il lui a demandé de reporter la date de la conférence de Djibouti. Beaucoup de monde donc en soutien d’une manifestation dont on redoute que, sur les brisées de la première, elle ne fasse long feu. Car l’incertitude demeure sur la participation de certaines des principales forces somalienne. Le SNM qui a déjà déclaré le 18 mai l’indépendance du Somaliland se refuse sans équivoque de se compromettre dans la réunion. De passage à Djibouti début juillet le président Cabdiraxmaan Tuur en a d’ailleurs directement informé le président djiboutien.2 Quant à l’USC, s’il vient de se donner pour président le général Caydiid, chacun se souvient que ce dernier avait abondamment conspué le premier exercice dont il avait naguère qualifié les participants d’« octogénaires non représentatifs ». Et puis toujours tenu en garde dans le sud du pays par les tenants de l’ancien régime, n’est-il pas en droit de craindre qu’un déplacement vers la capitale n’enjoigne ces dernières à reprendre le contrôle du port de Kismaayo ? En fin de compte, il ne reste de l’USC que l’envoi d’une délégation réduite à deux proches de Cali Mahdi.
La conférence Djibouti II [15/21.VII 1991] La conférence Djibouti II s’ouvre néanmoins le 14 juillet, dans la grande salle du Palais du Peuple, boycottée comme cela avait été annoncé par un Somaliland sécessionniste qui ne se reconnaît plus droit au chapitre dans les affaires somaliennes. À côté des représentants des principaux partis qui tirent leur légitimité de leur potentiel militaire – l’USC, le SSDF, le SPM – ou de leur surface démographique – le SDM – siègent d’anciennes autorités politiques de la Première république pour la plupart déjà présentes à Djibouti I : Aadan-Cadde, le premier président de la République qui est élu président de la conférence, sheekh Muktar Maxamed Xuseen, ancien président de l’Assemblée nationale de 1966 à 1969, ainsi que les deux anciens Premiers ministres, Cabdirisxaaq xaaji Xuseen et Maxamed Ibraahin Cigaal. Le 15, deux nouvelles factions 1
Parmi lesquels son fils Maslax, Cabdiraxmaan Jaamac Barre ainsi que Cumar Carte Qaalib – ultime premier ministre de Siyaad reconduit par Cali Mahdi. 2 LOI n°486, 6 juillet 1991
rejoignent les réunions, la Somali Democratic Alliance (SDA) et le United Somali Front (USF), ces deux fronts mineurs qui représentent les communautés Dir du Nord-ouest du pays. De nombreux observateurs réputés influents, le Kényan Daniel arap Moi, l’Ougandais Yuweri Museveni, ont également été conviés. Ils représentent les Nations unies, l’Organisation de l’unité africaine (OUA), la Communauté européenne, la Ligue des États arabes, l’IGADD, l’Organisation de la Conférence islamique1. Non sans mal, le symposium parvient à quelques décisions intéressantes et, le 21, les travaux se concluent sur un accord autour des principes suivants : - un cessez-le-feu dont le contrôle sera confié à une commission somalienne composée de « sages » et de représentants des mouvements et du gouvernement provisoire est convenu pour le 26 juillet ; - le lancement d’une offensive militaire conjointe contre Maxamed Siyaad Barre et, dans l’hypothèse de sa capture, sa traduction devant un tribunal ; - la reconnaissance du caractère sacré de l’unité et de l’intégrité territoriale de la République somalienne et le pouvoir donné au gouvernement provisoire afin qu’il assure son inviolabilité ; - la désignation d’une commission chargée d’enquêter sur les conséquences de la guerre fratricide qui vient de se dérouler ; - la formation d’un gouvernement national et la prise en considération de l’autonomie régionale. Des sujets quand même qui n’engagent à rien tant qu’ils relèvent de la déclaration d’intention. La constitution somalienne de 1960 encore est adoptée à titre provisoire. Le document retient enfin le principe de la mise en place d’une assemblée constituante de 123 membres, nombre établi selon le modèle de distribution des sièges antérieur à 1969. Il lui incombera d’assumer la décentralisation régionale et d’entreprendre la rédaction de la nouvelle loi fondamentale. Celle-ci stipulera que le président doit être élu par le Parlement et sa nomination prononcée par l’USC ; il choisira alors un premier ministre issu de la région Nord-ouest. Deux postes de viceprésident seront attribués à des représentants du SDM et du SPM. Quant à la présidence de l’Assemblée constituante, elle reviendra à un Majeerteen du SSDF ou à un Ogaadeen du SPM ; sa vice-présidence sera attribuée à un Dir, Gadabuursi du SDA ou Ciise de l’USF.
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Assistent également à la conférence des représentants des gouvernements des ÉtatsUnis, de l’Union soviétique, d’Allemagne, de Chine, de France, d’Italie, d’Égypte, d’Arabie saoudite, de Libye, du Yémen, du Nigéria, de l’Éthiopie, du Kenya, du Soudan et du sultanat d’Oman.
Il reste que la mise en application de cet accord laisse d’emblée plus d’un observateur perplexe1 ; sur le seul cessez-le-feu, aucune disposition de nature à le faire accepter voire à l’imposer n’a été arrêtée. À peine terminée par ailleurs, la représentativité de certaines délégations est contestée, celle du SPM notamment. De son côté, le président de l’USC, le général Caydiid se pose éminemment critique au regard du document. Quant au SNM, impavide en dépit des nombreuses pressions, son président Cabdiraxmaan Tuur réaffirmera encore le 23 juillet à Paris que l’indépendance du Somaliland était irréversible, sans omettre de considérer qu’à son sens, la conférence de Djibouti avait monté un échafaudage surréaliste, inapplicable sur le terrain.2
Le renversement du régime éthiopien de Mängestu Haylä-Maryam En revanche, au même moment en Éthiopie, les révoltes conjuguées de l’Ethiopian Peoples Revolutionnary Democratic Front (EPRDF) et de l’Erythrean People Liberation Front (EPLF) viennent conclure un processus de crise courant durant depuis plusieurs années. L’EPRDF, conduit par Mälläs Zénawi est fondé sur un parti tegray dont il n’a jamais été aisé de mesurer la dimension autonomiste. Aujourd’hui, ayant élargi sa base à d’autres communautés ethniques de l’Éthiopie, il se pose en héritier de l’empire. L’EPLF, initiateur de la révolte contre Addis Abäba est dirigé par Issaiyyas Afäwärqi ; il porte la volonté de l’Érythrée de se séparer de l’Éthiopie. Si l’association des forces de ces deux fronts conduit à la victoire sur les armées de Mängestu Haylä-Maryam et à la chute du régime, le nouveau pouvoir éthiopien devra payer le prix de la sécession érythréenne. Quand ces fronts entrent dans Addis Abäba et dans Asmära respectivement les 28 mai et juin 1991, scellant la défaite de la deuxième armée d’Afrique, l’ordre et le calme s’y imposent le lendemain même de leur victoire. Deux guérillas motivées et disciplinées, menées de mains de fer, s’apprêtent en un tour de main à construire deux pays. Deux remarques cependant. L’Éthiopie s’engage sur la voie d’un système fédéraliste fondé sur l’ethnie, l’Érythrée sur une éthique ultranationaliste. Or cette guérilla érythréenne portée des années durant par une presse progressiste et romantique à la fois ne voit pas immédiatement combien le rapport de force a irrémédiablement basculé en sa défaveur. Le monde qui s’attarde à fêter la victoire sur le tyran ne voit pas en effet combien l’EPLF, combattant de la première heure auréolé du prestige d’un vainqueur de Goliath, et son petit élève en guerre révolutionnaire, l’EPRDF, nouveau maître d’Addis Abäba ne 1
Sa signature a dû être par deux fois reportée, notamment parce que le SSDF protestait contre l’attribution future des postes de vice-président. Il avait en effet été initialement décidé de les supprimer puisque les délégués ne parvenaient à se mettre d’accord sur le groupe auquel ils devaient revenir. 2 Le Monde, 25 juillet 1991
jouent plus sur le même registre. L’Érythrée chemine certes vers son referendum d’indépendance qui se tiendra entre le 23 et le 25 avril 1993 avec la bénédiction puisque le contrôle de la société internationale. Mais le 28 juin 1991, il s’est passé autre chose encore : les Érythréens demeurent riches de leur courage mais ce courage est appelé à faire évoluer 4 millions d’habitants sur un paysage minéral dont on ignore tout de ce qu’il pourrait receler ; de l’autre côté, Mälläs Zénawi et les siens se trouvent désormais à la tête d’un pays de 70 millions d’habitants, grand comme deux fois la France, riche dessus et riche dessous dont il ne reste qu’à organiser le développement.1 L’autre remarque nous ramène à la problématique somalilandaise. L’Érythrée a été une colonie italienne récupérée in extremis par Haylä Sellasié. Au nom de quel principe international non oiseux qui la différencierait de la revendication du Somaliland, son accession à l’indépendance peut-elle se réclamer ? Comment imaginer qu’il n’y ait ici matière à différend puis à terme un profond sentiment d’injustice ? Comment expliquer que le préambule de la Charte de l’OUA sur l’intangibilité des frontières issues de la décolonisation soit à géométrie variable ?
PREMIERS AFFRONTEMENTS INTER-HAWIIYE
[VIII/IX-1991]
Les décisions malheureuses d’août 1991 C’est au cours de la première semaine du mois d’août que le comité central de l’USC se réunit pour procéder à la nomination du président par intérim. L’actuel président, Cali Mahdi, est reconduit pour deux années comme chef d’un gouvernement provisoire dont les membres restent à désigner. Il est également confirmé que Maxamed Faarax Caydiid serait chargé de mettre sur pied une armée nationale et signifié que le gouvernement par intérim consulterait l’USC en vue de la formation du nouveau gouvernement. Ainsi Cali Mahdi semble reconnaître Caydiid comme président de l’USC et Caydiid reconnaître Cali Mahdi comme président par intérim. Ce dernier prête donc serment le 18 août et commence les consultations en vue de la désignation d’un premier ministre. Dans cette perspective, le 21 août, conformément aux décisions de Djibouti II, Cumar Carte Qaalib présente sa démission sans toutefois que l’événement soit immédiatement suivi de la nomination d’un nouveau Premier ministre. Un cabinet surgit néanmoins dont les 32 membres sont presque tous Hawiiye et appartenant à des lignages alliés au président. En sont exclus les partisans de Caydiid. Afin de rendre peut-être la potion moins amère, le terme de « ministre » a été soigneusement évité au profit de
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FONTRIER, Marc. La chute de la junte militaire éthiopienne (1987-1991). L’Harmattan ARESÆ, Paris : 1999
celui de « responsables ministériels »1. Cela ne peut suffire à ce qu’une situation délétère une fois encore ne s’installe. Tout, de la reconduction de Cali Mahdi à l’accaparement du pouvoir tient de la maladresse et condamne inéluctablement un processus déjà fragile par essence. Effectivement, bien qu’elle semblât tout d’abord susciter quelques réactions positives de la part des factions minoritaires, il devient vite patent que sans l’aval du général Caydiid, de Cumar Jees, voire du SNM, de tels choix ne sont que de nature à conduire au désastre. Les divers clans Darood maintenant, procédant d’une logique d’alliance des marginalisés, s’apprêtent plutôt à faire cause commune avec l’USCCaydiid. Un processus d’autant plus risqué que, dans le Nord-est, le SSDF Majeerteen qui a bénéficié de récentes livraisons d’armes libyennes est sur le point de récupérer son chef naturel, le colonel Cabdullaahi Yuusuf Axmed. Détenu en Éthiopie depuis 1985, celui-ci vient d’être libéré après la chute de Mängestu et s’est réfugié en Libye où il profite de l’hospitalité du colonel Muʿammar al-Qaḏḏāfī, un vieil allié. On est alors en droit de craindre dans les semaines qui viennent à une avancée vers Muqdisho de troupes Darood rangées sous la bannière de Caydiid alors que nul n’ignore combien l’autorité de Cali Mahdi est limitée. Loin de s’étendre sur l’ensemble de l’orbe Hawiiye, au-delà de son lignage maintenant, elle ne compte que des adversaires sinon des ennemis. Mais le plus grave tient au fond de défiance qui se réinstalle à l’encontre du président par intérim tant il est difficile de ne pas soupçonner quelque manigance visant à faire glisser la totalité de l’exécutif gouvernemental entre ses mains. À tous en effet, il devient patent que celui-ci tente d’ignorer à la fois les dispositions convenues lors de la réunion du comité central de l’USC et de la conférence de Djibouti II. N’ayant pas assisté à ce dernier exercice, il a beau jeu en effet de s’en démarquer des accords. Face à la situation qui se tend à nouveau, le 6 septembre, Cumar Carte Qaalib, seul membre de l’équipe de Cali Mahdi à posséder une certaine stature internationale, est finalement rappelé à ses fonctions. Reste à s’interroger sur l’assurance dont a fait preuve Cali Mahdi. Elle semble se fonder désormais sur plusieurs éléments : l’aisance financière dont il dispose, les nombreux achats d’armes qu’il a eu le loisir d’effectuer ainsi qu’un soutien italien patent. Ce soutien se manifeste par l’intervention à son profit du Fundo Aiuti Italiano mis à la disposition du sous-secrétaire d’Etat italien aux Affaires étrangères2. N’at-il pas d’ailleurs dès sa réélection demandé à la Farnesina de rouvrir son ambassade à Muqdisho. Mais Cali Mahdi – aux côtés duquel sont déjà rangés la plupart des clans Muruursade – bénéficie également de 1
LOI n°491, 31 août 1991 Institué par la loi n°73 du 8 mars 1985 au profit des Etats en difficulté d’Afrique subsaharienne. Cf. GATTI, Pietro. Il Fundo Aiuti Italiano: diciotto mesi che sconvolsero la cooperazione allo sviluppo. Democrazialegalita. Elio Veltri 2
la défection d’un élément important de la faction adverse : le colonel Cumar Xaashi Aadan [Xawaadle] dont les miliciens occupent la zone de l’aéroport international et où il maîtrise avec brio le trafic par l’extorsion de demandes de droits d’atterrissage.
À Muqdisho, la guerre de quatre jours [5/9.IX-1991] Les tensions qui dans ce contexte resurgissent se traduisent par des difficultés à établir le cessez-le-feu convenu. Dans un Sud somalien, à la fin des chaleurs de xagar, trois foyers de crise retiennent l’attention : - la capitale, Muqdisho, où les deux factions USC s’observent en chiens de faïence ; - Kismaayo et la basse vallée de la Jubba où le général Caydiid reste positionné face aux forces Darood de Moorgan : le SNF de Axmed Warsame Maxamed Xaashi et le SPM Ogaadeen ; - la zone disputée aux confins des pays Hawiiye et Majeerteen où le SSDF et les éléments du SNF Mareexaan du général Maxamed Xaashi Gaani sont installés ; les premiers en garde face au Sud sur le parallèle de Gaalkacyo, les autres face à l’Est au niveau de la frontière. À Muqdisho, la situation se détériore dans la soirée du 5 septembre après que Cali Mahdi a accordé au SPM une allocation en nourriture et en argent au titre des dommages de guerre. Selon l’accord de Djibouti II, le président est bien tenu de prendre en considération l’octroi aux Ogaadeen d’un poste de vice-président mais Maxamed Caydiid s’oppose vigoureusement à une telle mesure puisqu’il affronte toujours le SPM dans le sud du pays. Une confrontation qu’il est pour l’instant de l’intérêt du général d’entretenir même si en réalité elle tend à se résoudre. Quatre représentants du mouvement Ogaadeen ont en effet début septembre appelé à une intervention de l’OUA et des Nations unies afin qu’un terme soit mis aux combats qui opposent leurs partisans à ceux de l’USC dans la région de Kismaayo. Quand fort de sa position de président de l’USC et de commandant des forces du mouvement, Caydiid réclame une nouvelle fois la démission d’un Cali Mahdi1 jugé félon, il provoque ipso facto l’embrasement d’une capitale où l’atmosphère est depuis longtemps résolument tendue. Les combats sont d’une extrême violence et ne s’arrêtent que le 9 septembre lorsque les notables Xawaadle interviennent auprès des belligérants pour obtenir un cessez-le-feu. Fort de leur médiation, le colonel Cumar Xaashi Aadan qui vient d’être nommé par Cali Mahdi responsable militaire de la région du Banaadir lance un appel au calme, appuyé sur ses miliciens qui tiennent l’aéroport. Ces combats modifient cependant dans la capitale le rapport de forces entre les deux factions Hawiiye. La représentation de l’USC à Londres affirme, le 11 septembre, que Caydiid serait parvenu à imposer sa 1
Auquel il est d’ailleurs proposé une substantielle compensation financière.
domination militaire sur une bonne partie de la cité. Cette assertion est corroborée par les équipes humanitaires occidentales qui constatent au même moment une présence accrue des miliciens du général aux abords de leurs hôpitaux et de leurs postes de santé. En revanche, les partisans du président conservent le contrôle de la radio qui émet depuis la Villa Somalia dont on sait depuis le renversement de Siyaad Barre qu’elle est aisée à défendre sauf à risquer de lourdes pertes humaines. Reste que pour l’heure, un embrasement général menace. Les violents combats qui viennent d’éclater à Muqdisho confirment les propos de l’ambassadeur italien qui affirmait le 30 août que d’importants accrochages armés se déroulaient non seulement au sud de la capitale mais aussi dans le Mudug, autour de Gaalkacyo.1
Cismaan Cali Caato Cette guerre des quatre jours a par ailleurs mis en avant un personnage jusqu’alors discret, Cismaan Xasan Cali Caato [Habar Gidir/Sacad/reer Hilowle]. Propriétaire d’une entreprise de travaux publics sous l’enseigne OSTHACO, cet homme d’affaires est aussi réputé avoir naguère collaboré avec la pétrolière américaine CONOCO. Depuis juin 1986, cette compagnie détient dans les provinces du Nugaal et du Togdheer un permis d’exploration de 98 700 km² – les blocs 27, 28 et 29. En privé, ses responsables reconnaissent que la zone pourrait receler d’importants gisements. En effet, outre la compagnie CHEVRON qui avait effectué des forages jugés encourageants dans une zone située entre Berbera à la frontière djiboutienne, des indices de pétrole ont également été trouvés par CONOCO dans la région de Garoowe et de Laas Caanood. Aussi, lorsque le régime de président Siyaad Barre s’est mis à chanceler de façon préoccupante, CONOCO s’est rapprochée de certaines personnalités de l’opposition avec lesquelles elle a noué des contacts assez étroits. C’est ainsi qu’en août 1990, suite à un incident armé entre un groupe rebelle et des personnels de CONOCO dans la zone concessionnaire, la compagnie américaine a eu recours à un intermédiaire somalien, membre du groupe du Manifesto, pour parlementer avec les rebelles. Celui-ci, un Majeerteen, s’est déplacé dans un avion affrété par CONOCO pour mener à bien sa mission de médiation. Selon certains cet émissaire n’aurait été autre que l’ancien chef de la police Maxamed Abshir Muuse nommé dès le 3 février 1991 vice-premier ministre du gouvernement provisoire dirigé par Cumar Carte Qaalib. Mais les Américains ont établi un autre contact encore, un homme d’affaires intelligent, vif, réactif et séduisant, ce Cismaan Caato qui entretient depuis un bon moment déjà des relations suivies avec l’ambassade des États-Unis, à Nairobi comme à Muqdisho d’ailleurs. 1
LOI n°492, 7 septembre 1991
L’homme est surtout proche des hommes d’affaires américains. Début janvier 1991, il s’est rendu à Nice en France pour y rencontrer un représentant de CONOCO, naguère installée à Muqdisho, Jean-Claude Baraton. Un mois plus tard, au mois de février, en pleine tourmente, la compagnie pétrolière passait pour deux ans un contrat avec une société d’avions taxis basée à Nairobi pour deux vols hebdomadaires à destination de la Somalie. Des échanges de facilitation donc, car c’est également Caato qui organise pour le compte des Habar Gidir le vol quotidien de l’avion commercialisant le qaad.1 Et puis dans la situation tourmentée qui précède le renversement de Siyaad Barre, il est géographiquement bien placé. Son garage entrepôt et sa résidence sont en effet dans la toute proximité de l’ambassade américaine à laquelle ils font quasiment face. Situés dans le district de Hodan, on trouve encore dans la même rue les locaux de Médecins sans frontières – auxquels il fournit des escortes militaires… et les bureaux de CONOCO. Dans le prolongement, à quelques centaines mètres, Cumar Jees a sa maison. Quant à Maxamed Faarax Caydiid il a également installé son quartier général à deux pas2. Car Caato est aussi l’un des principaux, sinon le principal bailleur de fonds du général au service duquel il a mis son organisation dès l’arrivée des troupes USC autour de Muqdisho, le 22 janvier. Et puis Cismaan Caato n’est pas non plus resté inactif lors des événements qui ont précédé la chute du président Siyaad. Le 24, le jour même de la désignation de Cumar Carte Qaalib comme premier ministre par l’exprésident somalien, il a fait enlever certains membres de ce nouveau gouvernement pour les conduire auprès de Caydiid. Ces personnalités ont ensuite été libérées sur l’intervention du général Maxamed Nuur Galaal, proche du comité exécutif de l’USC alors dirigé par Xuseen Maxamed Bood, et celle de l’actuel président par intérim, Cali Mahdi. Toujours est-il que depuis les récents affrontements entre les deux factions, personne ne songe à contester la dimension prise par Caato dans la capitale. Aussi le 20 septembre, si l’ambassade italienne s’en tient officiellement à la légitimité du président Cali Mahdi, le premier conseiller, en l’absence de l’ambassadeur, ne rechigne absolument pas à recevoir discrètement Caato. Celui-ci, qui a sollicité l’entretien, déclare sans ambages au diplomate qu’il souhaitait donner aux Italiens une chance de « se mettre en accord avec la réalité des choses avant qu’il ne soit trop tard ». Un conseil que pris sous des tirs croisés ils ne parviendront à pleinement suivre.
Factionnalisation définitive des Hawiiye [IX/X-1991] En effet, depuis la cessation des combats début septembre, il n’échappe à personne que c’est un statu quo précaire qui prévaut. Tout autant 1 2
LOI n°465, 9 février 1991 Voir croquis p.371
d’ailleurs que la situation humanitaire : selon les estimations des organisations, MSF, CARE et Save the Children, les quatre jours de combat à l’arme automatique et au canon de 106 mm ont fait quelque 400 morts et près de 1500 blessés. La mort de trois personnes chargées de la protection des équipes des Nations unies a amené New York à suspendre ses programmes d’assistance à Muqdisho. MSF a réduit son personnel pour permettre, si cela se révélait nécessaire, une évacuation rapide. Quant aux experts allemands qui, sur financement de la Communauté européenne, devaient remettre en état l’adduction d’eau, ils sont partis depuis la fin des combats sans esprit de retour. La plupart des quartiers de Muqdisho ont donc dû reprendre le chemin incommode des anciens puits. Mais ce sont les clivages politico-claniques qui ont atteint dans la capitale des proportions extrêmes. Même dans les hôpitaux, les malades et le corps médical se séparent en fonction du lignage, Abgaal ou Habar Gidir. Seule l’équipe du médecin du projet SOS villages d’enfants est parvenue à maintenir à l’hôpital Banaadir un service interne classique. Comme la plupart des hôpitaux se trouvent au sud, en secteur Habar Gidir, les Abgaal ont pris d’assaut la petite clinique montée par Save the Children où désormais les enfants campent dans la cour tandis que les combattants blessés occupent les bâtiments. Sur le plan politique, prévaut également un statu quo inquiétant : si Caydiid ne reconnaît toujours pas la légitimité du président à qui il vient à nouveau de demander de démissionner, il a soin de ne courir le risque de provoquer chez ses adversaires politiques une unité qui se retournerait contre lui. Aussi se refuse-t-il dans l’immédiat à prendre le pouvoir par la force. En tant que président de l’USC en revanche, il revendique le droit de regard prévu sur la composition du prochain gouvernement. Or de son côté Cali Mahdi temporise. Il semble avoir des soutiens à l’extérieur et ne pas être pécuniairement démuni. Il n’en est pas moins pratiquement sans force militaire. Résidant dans la maison de son chef de la sécurité, il n’a guère les moyens de s’opposer au général malgré l’impopularité de celui-ci chez les Abgaal de la capitale qui outre précisément de ne pas être Abgaal, lui reprochent aussi son autoritarisme. Cependant, Caydiid ayant affirmé qu’il serait prêt à accepter un autre Abgaal « plus raisonnable », la question du remplacement de Cali Mahdi passe à l’ordre du jour des délibérations des notables Hawiiye qui se mettent un moment en quête d’un successeur plausible1. Dans le même temps enfin, le général veille aux yeux de son environnement à donner l’image d’un homme d’État crédible. Une délégation du comité central de l’USC dirigée par Cumar Salaad Cilmi, fidèle entre ses fidèles, se rend à Addis Abäba le 21 septembre. Des discussions sont engagées avec les nouvelles autorités éthiopiennes, portant notamment sur le problème de leurs réfugiés et sur un 1
LOI n°494, 21 septembre 1991
engagement à combattre le banditisme qui sévit à la frontière. Du point de vue de Caydiid, il s’agit de s’assurer, si cela se révélait nécessaire, d’un soutien pertinent face aux Mareexaan du Geedo voire des Ogaadeen, majoritaires en Éthiopie, ainsi que face aux implantations islamistes.
Nouveau gouvernement et consommation de la rupture [1.X-1991] La guerre des quatre jours déclenchée le 5 septembre, le lendemain même de la nomination à la primature de Cumar Carte Qaalib, ne pouvait trouver dans l’événement matière à apaiser les esprits. Dès son officialisation, Caydiid réclame la destitution d’un premier ministre auquel il reproche de ne représenter aucun des groupes politiques locaux. Et celui-ci assurément n’a pas la tâche facile. Ce n’est-ce que le 1er octobre, au terme d’hallucinants marchandages, qu’il parvient à former un Conseil. Fort de 72 membres, il est composé de 14 ministres, 35 ministres d’État et 23 vice-ministres, représentant cette fois un dosage savant entre diverses factions rivales. Ainsi les Finances et l’Économie reviennent à l’Isxaaq Cilmi Faarax Nuur, les Affaires étrangères à un ancien ministre de Siyaad Barre, le Raxanweyn Maxamed Cali Xaamud et la Défense à l’ancien chef du SSDF, Muuse Islaan Faarax. L’ancien premier ministre Maxamed Ibraahin Cigaal est nommé ministre de la Reconstruction. On observe aussi que plusieurs membres de la nouvelle équipe se trouvent à l’étranger lors de leur nomination, Maxamed Cali Xaamud, par exemple, qui se trouve alors au Caire. Toujours est-il que dès le 3 octobre, au cours d’une conférence de presse, Caydiid annonce que l’USC se refusait à reconnaître un gouvernement par intérim autoproclamé qui contrevenait aux consignes établies le 5 juin à son 3 e congrès, en particulier celle qui stipulait que le mouvement devait être consulté sur la formation du gouvernement. Caydiid ne peut, qui plus est, se satisfaire d’un cabinet qui ne fait pas à ses partisans la place qui leur revient. La rupture entre les deux hommes, déjà largement entamée, semble désormais inévitable. Une impasse d’autant plus préoccupante que désormais ils ont accumulé de l’armement et élargi le champ de leurs alliances respectives. Le nouveau gouvernement tient cependant son premier conseil à Muqdisho le 8 octobre. L’ordre du jour, particulièrement copieux, est consacré à la réorganisation des forces de sécurité, à la pacification du pays, à la collecte des taxes gouvernementales et à la situation des ambassades somaliennes à l’étranger. Le général Axmed Salal Sayyid est retenu comme chef d’état-major de l’Armée somalienne. Cet ancien viceministre de la Défense de Siyaad Barre qui a fait partie de la faction favorable à Caydiid est nommé, tout en tentant de lui complaire, dans le but de marginaliser peu ou prou ce dernier1.
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LOI n°497 et 498, 12 et 19 octobre 1991
Le jour même de cette première réunion, Maxamed Caydiid appelle les membres du nouveau gouvernement à démissionner immédiatement et sans condition. Dans un long texte de quatre pages portant son paraphe, il fait le bilan de ses récriminations : la première, qui fonde la plupart des autres, reprend l’argument selon lequel l’USC n’avait pas été consulté sur la mise en place de la nouvelle équipe et qu’il en considérait donc la désignation comme nulle et non avenue. Après avoir expliqué son rejet des accords de Djibouti II, conclus par des personnalités sans représentativité et non fondés sur l’intérêt du peuple somalien, il remet en cause la création des deux postes de viceprésident attribués respectivement à des représentants du SPM Ogaadeen et du SDM Raxanweyn. Il insiste ensuite sur la nécessité de poursuivre la lutte armée contre les partisans de Siyaad Barre et lance un appel à l’unité de tous les fronts ayant combattu l’ancien régime, le SNM, l’USC et le SDM, mais également le SPM qui s’est un moment rapproché du SNF, afin que ses membres réintègrent « sa juste lutte ». Caydiid appelle enfin la communauté internationale à ne plus accorder d’aide alimentaire d’urgence aux autorités de Muqdisho qu’il accuse de détournement en affirmant que moins de 15 % de l’assistance humanitaire reçue depuis neuf mois étaient parvenus aux populations et que les habitants de la ville de Afgooye à moins de trente kilomètres de la capitale n’avaient toujours rien obtenu. Après la première réunion de son cabinet, Cumar Carte Qaalib, artisan historique du rapprochement somalo-arabe des années 1970, ne rassemblera plus l’ensemble de ses ministres. Peu après en effet, accompagné des membres de sa famille et de plusieurs de ses proches, il s’envole à bord d’un avion prêté par Riyāḍ pour l’Arabie saoudite où il doit suivre un traitement médical. Le premier ministre épuisé prévoit déjà de se rendre ensuite en Grande-Bretagne pour y résider un certain temps. Aussi ne reviendra-t-il qu’occasionnellement à Muqdisho, employant une grande partie de son temps à organiser un projet pétrolier avec l’aide de ses amis saoudiens tout en nourrissant celui de réintégrer la vie politique du Somaliland, sa région d’origine. Une période de fausse accalmie s’installe pour quelque temps dans la capitale. De part et d’autre de la « Ligne verte » qui sépare désormais les zones d’influence des factions, chacun fourbit ses armes.
Les difficultés de la diplomatie italienne De la part de Maxamed Caydiid, une totale défiance aussi prévaut à l’encontre de Rome accusée d’ingérence dans les affaires intérieures de la Somalie. Alors que l’Italie envisage, à la demande de Cali Mahdi, la réouverture de son ambassade, une mission est dépêchée pour en évaluer la faisabilité. À cet effet, Andrea Borruso, sous-secrétaire d’État italien aux Affaires étrangères, se rend à Muqdisho afin de rencontrer les responsables somaliens, dont les deux principaux antagonistes qui ont été prévenus 48 heures avant son arrivée. Or, le 29 octobre à 8h35,
quand le Falcon-10 de l’armée de l’Air italienne se présente à la verticale de l’aérodrome, la tour de contrôle lui interdit le poser en raison de combats près de l’aéroport. Sommé de quitter immédiatement l’espace aérien somalien, l’appareil se déroute sur Nairobi. Une situation conflictuelle délibérément entretenue par Caydiid qui certes averti n’a pas été consulté à propos de la visite. Au terme de cette quasidéclaration de guerre, Maxamed Caydiid prend soin deux jours plus tard d’adresser un avertissement à la diplomatie italienne dont il n’ignore rien des accointances avec son adversaire. Le 31, le comité exécutif de l’USC adresse officiellement à Flaminio Piccoli en sa qualité de président de la commission des Affaires étrangères du Parlement et à Mario Morace Maresca, chef du bureau Afrique du ministère à la Farnesina un long réquisitoire dénonçant le comportement du gouvernement italien. Au terme de celui-ci, le comité demande explicitement à Rome le rappel de son ambassadeur Mario Sica, jugé « responsable de la rapide détérioration des relations italo-somaliennes ».
La réaction de Caydiid et la reprise des combats [15.XI-1991/III-1992] Poursuivant son offensive sur le théâtre politique intérieur, le 10 novembre, le comité central de l’USC se réunit pour envisager la riposte. Le 15, après cinq jours de débats animés, quatre résolutions sont adoptées : - le gouvernement provisoire de Cali Mahdi est déclaré déchu ; - un certain nombre de commissions seront constituées par l’USC en vue d’expédier les affaires courantes ; - une commission sera chargée d’organiser, le plus rapidement possible, une conférence rassemblant tous les organisations et mouvements actuellement existants en Somalie, sans exception ; - ces résolutions sont à appliquer immédiatement. Ainsi, le 16 au matin, un membre Muruursade – ce qui n’est pas innocent – du Comité central procède à leur lecture sur les ondes de Radio Muqdisho, plongeant aussitôt la cité dans la panique générale. C’est une déclaration de guerre ; Cali Mahdi n’a plus qu’une alternative, se soumettre au diktat de l’USC ou prendre les armes. Alors qu’au cours de la première quinzaine de novembre les combats s’étaient limités à quelques accrochages sporadiques, dès le 15 novembre les affrontements ont regagné en intensité. Ce sursaut de violence résulte d’initiatives imputables à des partisans de Cali Mahdi qui prévenus des derniers événements tentent maintenant de reprendre les positions tenues par leurs adversaires. La situation s’envenime véritablement le dimanche 17, à la suite d’un sérieux accrochage survenu à propos d’un véhicule volé aux miliciens de Caydiid. Ceux-ci réagissent avec une vigueur telle que la milice Abgaal poursuivie par les troupes de son adversaire est repoussée dans le district de Kaaraan, au nord de Muqdisho. Le lendemain 18, les petits immeubles loués par l’ambassade d’Italie sont totalement saccagés par des partisans du
général qui lancent des invectives menaçantes à l’encontre de l’ambassadeur Sica, alors à Nairobi. Après avoir submergé la dizaine de carabiniers1 censés protéger les bâtiments, ceux-ci sont incendiés. Caydiid réprouvera ensuite cette initiative sans qu’il soit assuré que les dommages réalisés l’aient réellement affligé. Le personnel de l’ambassade, 18 personnes dont le conseiller Gianfranco Colgnato, est fait prisonnier puis transféré au siège de MSF. Rome décidera le surlendemain d’envoyer deux avions depuis Nairobi pour procéder au rapatriement de la plupart d’entre eux. Mais en dépit du sac de l’ambassade italienne, ce même 18 novembre est cependant une journée plutôt calme. Sa prise d’avantage autorise Caydiid à annoncer à la radio qu’il contrôlait la ville et que seules demeuraient quelques poches de résistance dans les quartiers nord. Les combats reprennent cependant le 19 sur une ligne de front qui s’étire grossièrement de la plage Martini à la Villa Somalia. Les Xawaadle qui lors des d’affrontements meurtriers de septembre étaient surtout intervenus dans les combats en tant que médiateurs entrent cette fois en lice aux côtés des troupes du général Caydiid. Le 20, après plusieurs jours de combats, celles-ci contrôlent la plus grande partie de Muqdisho, contraignant Cali Mahdi lui-même à trouver refuge dans un village au nord de la ville et d’où il organise un regroupement de ses partisans. Les partisans de Caydiid tiennent maintenant la présidence, la radio et le sud de la capitale. Mieux armés et plus aguerris, ses hommes sont toutefois moins nombreux que leurs adversaires, en revanche autochtones de la capitale et de ses environs immédiats pour la plupart. Cela dit, des deux côtés, les moyens s’épuisent. Aussi le général cherche-t-il à se procurer le matériel militaire suffisamment performant qui lui permettra d’arracher une victoire décisive. À cet effet, après s’être tourné vers le Somaliland, qui ne lui fournit que des munitions, il s’adresse à la Libye pour tenter d’obtenir de l’armement lourd. Le 22 novembre, après le saccage de l’ambassade italienne et les multiples camouflets reçus, la Farnesina décide – en dépit des réserves émises par le député socialiste Mario Raffaelli – de suspendre son aide humanitaire et d’abandonner la Somalie à son destin2. Au moment peutêtre où elle en aurait eu le plus besoin, il est vrai. Mais la lassitude est là. Car, quels qu’en soient les mobiles, il faut reconnaître que Rome n’avait pas ménagé ses efforts. Entre le 12 janvier et le 30 juillet, la plupart du temps guidée par l’ambassadeur Mario Sica, la diplomatie italienne s’est rendue dix fois à Muqdisho, huit à Berbera ou Hargeysa, quatre à Kismaayo et deux à Garoowe et Boosaaso. Aussi, loin se calmer, le 27 novembre les accrochages dégénèrent en une véritable guerre. À la fin du mois, les quatre organisations 1 2
Avec intelligence et sang-froid, les carabiniers ne font pas usage de leurs armes. L’Indipendente, 23 novembre 1991
humanitaires demeurées dans la capitale estimaient que les nouveaux combats avaient en deux semaines fait près de 600 morts et 4500 blessés surtout parmi les populations civiles1. Quand l’affaire tendra à s’apaiser, en mars, le nombre des tués sera estimé selon les organisations entre 24 et 27 000 personnes. En dépit d’une brève accalmie obtenue le 2 décembre à l’occasion d’une tentative de médiation, les combats dureront quatre mois et séviront presque quotidiennement. La ville devient très vite le champ de ruines auxquels les affrontements du début d’année l’avaient largement promise. Sans réserve, les deux côtés font usage d’armes lourdes, canons, mortiers, missiles antichars, et bien sûr de toute la panoplie disponible d’armes automatiques. L’artillerie tire sans objectif précis, la tactique visant simplement à semer la terreur dans les quartiers adverses2. Un nouvel embrasement a lieu le 11 janvier après que les forces de Caydiid à court de munitions, d’armes et de carburant ont pillé la maison d’un riche Muruursade, Mire Cismaan Weheliye Indhayare. Les Muruursade majoritairement établis au sud-ouest de Muqdishu, dans le district de Dayniile, sont jusque-là restés plutôt neutres bien que réputés proches de Cali Mahdi. La confrontation qui résulte de l’incident tourne le 13 janvier à l’avantage des combattants du général3 qui dans leur élan s’emparent également du port jusqu’alors contrôlé par un groupe armé connu sous le sobriquet de Ashamo4. Ceux-ci, recrutés au mois d’août par le président par intérim pour assurer la police dans la capitale comptent des Muruursade mais aussi des Abgaal et quelques reer Shabeelle. Déployés en plusieurs points de la ville et notamment sur le port et l’aéroport, ils y avaient progressivement pris une autonomie certaine par rapport au gouvernement avant d’être finalement expulsés de cette dernière emprise par les de Cumar Xaashi Aadan. C’est un rapprochement avec une partie au moins d’entre ces derniers qui permet aux partisans du général Caydiid d’étendre son contrôle sur la capitale somalienne. L’affaire se passe tout d’abord au détriment des Muruursade établis dans le sud-ouest de la cité, puis aux dépens des Ashamo au port. Peu après la mi-janvier, les combattants du général sont parvenus à éliminer les membres des clans Abgaal et Muruursade du groupe de Ashamo qui ne comprennent plus désormais que des Habar Gidir et des Xawaadle. Une aubaine logistique car les entrepôts portuaires contiennent toujours un reliquat de l’aide alimentaire acheminée par l’organisation humanitaire américaine CARE, soit quelques milliers de tonnes de nourriture. L’alliance entre les Xawaadle 1
CICR, SOS Children, Save the Children et MSF, rapporté par l’International Herald Tribune, 26 novembre 1991 2 FAVA, Claudio. L’Indipendente, 10 décembre 1991 3 The Independant. Londres, 14 janvier 1992 4 Terme incertain. Peut-être de xashin pl. xashimo qui désigne un sac de cuir utilisé par les nomades pour contenir leurs affaires.
et les Habar Gidir du général Caydiid fait également main basse sur les réserves de carburant1. Dans l’extrême sud, au même moment, prévaut à Kismaayo une situation nouvelle. L’alliance Darood vient de voler en éclats après que les Ogaadeen du SPM ont été chassés de la ville par les Harti. S’ouvre ainsi une perspective de recomposition des alliances, seule perspective dans un conflit qui promet maintenant de durer. Dans le Nord du pays en revanche prévaut une situation très différente. Combats et controverses n’y sont pas absents, certes, mais il s’installe surtout un autre état d’esprit. Fondant sur le droit coutumier et le consensus la résolution des conflits en souffrance, l’intervention déterminée des autorités traditionnelles vient y refonder leur légitimité. Aussi, tandis que dans le Sud tout finit de se déliter, il se construit dans le Nord-ouest à force de temps et de palabres un État viable, le Somaliland. Un chemin reste à faire, il faut auparavant y surmonter les comportements issus de la culture frontiste ainsi que venir à bout des égoïsmes claniques.
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LOI n°511, 25 janvier 1992
V – 1991 : I NDEPEN DANCE DU S OMALILAN D ET PAIX AVEC LES COMMUNAUTES H ARTI
Une sagesse que les turbulences résiduelles ne peuvent suffire à démentir prévaut en effet au sein du SNM Isxaaq. Le consensus régional visant à l’apaisement s’est affirmé dès le Shirka Walaalaynta Beelaha Waqooyi, « la Conférence de fraternisation des communautés du Nord ». Il reste que, pour de nombreux observateurs déjà, ce shir fleurait plus ou moins le dessein de se séparer d’un Sud qui, il y a peu encore, les avait tourmentés.
LE SHIRWEYNE DE BURCO Le shir de Berbera a aussi eu pour effet de servir de fondement à une conférence plus large destinée à rassembler les principales autorités traditionnelles du Nord-ouest, anciens et chefs de clans. C’est ainsi que la réunion des notables du nord de la Somalie qui s’était placée le 22 mars sous l’égide du SNM décide de convoquer pour le 27 avril une nouvelle rencontre au cours de laquelle sera désigné un gouvernement autonome et une administration du Nord.
La réunion des notables [27.IV/5.V – 1991] La Grande conférence de fraternisation des communautés du Nord », Shirka Walaalaynta Beelaha Waqooyiga se tient en effet à Burco du 27 avril au 4 juin 1991 et se déroule parallèlement à la réunion du comité central du SNM. Une commission chargée de la préparation a été constituée à Berbera pour préparer l’ordre du jour, identifier les lieux de rencontre appropriés et recueillir les fonds nécessaires. Burco a été retenu pour sa situation centrale et la facilité de ses accès. Le financement doit principalement provenir des communautés ellesmêmes et de la diaspora, toutes sollicitées. Dans cette préparation, les
femmes joueront un rôle essentiel, s’investissant tant dans la collecte de fonds que dans la logistique de l’opération. Les objectifs de la réunion, déterminés à Berbera, visent à poursuivre le processus de restauration de la confiance, de définir les moyens d’entériner la paix ainsi que de se décider sur une future administration régionale. Avec intelligence, bien que militairement vainqueur et politiquement puissant, le SNM a décidé de prôner la table rase des événements passés et est convenu avec les autres communautés qu’aucune réclamation ne pourrait désormais être émise et que les morts ne seraient pas compensés. Chaque lignage accepte aussi de présenter une délégation plus représentative que celle du shir de Berbera et qui inclût chefs traditionnels, politiciens, hommes d’affaires, femmes, personnalités religieuses, poètes1 et gens de la diaspora. La conférence se décline en deux réunions distinctes. Une réunion des notables représentant tous les lignages majeurs du Nord qui se déroulera entre le 27 avril et le 5 mai, suivie d’une réunion du comité central du SNM entre le 5 mai et le 4 juin. Le lieu de rencontre convenu pour la réunion de ce dernier est une salle construite par le précédent gouvernement dans le quartier de Shacab, quartier qui depuis la période coloniale rassemble les administrations de la province. Le bâtiment a été sévèrement endommagé par les combats, n’a plus de toit et nécessite quelques réparations effectuées à la hâte. La réunion des notables qui commence le 27 avril se déroule quant à elle sous un arbre à proximité du lieu de réunion du comité central. Un tel emplacement est symbolique ; la réunion et la protection de tous sous les branches d’un même arbre signifie harmonie, destinée commune donc entente. Le go’aan geedka, le verdict de l’arbre, sera éclairé, juste et équitable. Le shirweyne est placé sous la présidence d’un comité, une guurti, constituée au cours du 6e congrès du SNM à Balli Gubadle et augmentée des représentants de lignages non Isxaaq. Chaque lignage est représenté selon les errements convenus : Dhulbahaante, Warsangeli et Gadabuursi disposent de dix représentants chacun, tandis que la représentation Isxaaq mandatée par le SNM, dispose d’une légère majorité et inclut une représentation des clans Ciise alliés du mouvement dans la guerre. La réunion est présidée par le sheekh Ibraahin Madar, le président de la guurti Isxaaq ; un secrétariat établit l’ordre du jour et enregistre la procédure. La réunion des notables porte sur un certain nombre de questions essentielles : la nécessité d’assurer une paix durable, de convenir d’un système pour la restitution des biens et de l’ensemble des actifs physiques qui ont été pillés et la détermination d’un système approprié à un gouvernement futur des provinces du Nord. Les Anciens 1
On ne dira jamais assez l’importance du poète dans la société somalie, prompte à s’enflammer et à s’émouvoir des mots.
s’interrogent aussi sur le profit qu’ils ont tiré de l’union avec le Sud sinon une perte importante en vies humaines et la destruction de leurs principales cités. Ils tombent d’accord toutefois sur le fait que ce qui était arrivé ne pouvait être porté à la charge de l’un ou l’autre des faisceaux lignagers, rappelant plutôt au contraire les relations anciennes qui ont existé entre eux et leurs procédures éprouvées en vue du règlement des disputes, autant de choses qui en définitive ont été mises à mal par l’unification avec l’est et le sud. Il en ressort un fort sentiment populaire en faveur de l’établissement d’une administration séparée dans les frontières de l’ancien protectorat britannique. Finalement, les notables tombent d’accord sur six résolutions qu’ils vont soumettre au comité central du SNM à titre de recommandations et selon lesquelles ils déclarent souhaiter que : - le Nord-ouest se sépare du Sud ; - la šarīʿa soit adoptée ; - la sécurisation du Nord-ouest soit assurée ; - un gouvernement soit établi dans le Nord-ouest aussi rapidement que possible ; - les postes gouvernementaux, tant au niveau local que national, et les circonscriptions électorales seraient distribuées équitablement entre les lignages ; - la question de la paix dans le Sanaag soit parachevée par des assises particulières. Après s’être ainsi entendus, les notables désignent un groupe de 18 membres, dont le président, pour signer leur résolution au nom de tous les clans du Nord avant de la soumettre au comité central du SNM, pour approbation et publication.
La réunion du comité central du SNM et la pression populaire La réunion des notables achevée, le comité central ouvre sa propre séance sous la présidence d’Ibraahin Maygaag Samatar, qui en a été élu président au congrès de Balli Gubadle. La discussion s’engage après qu’il a procédé à la lecture des résolutions. Celles-ci ne sont pas séparément reprises, mais considérées dans leur globalité. Un thème cependant domine tous les autres : l’hypothèse d’une sécession du Somaliland. La perspective d’une indépendance totale n’a jamais été une idée défendue par le SNM. La plus grande partie des membres de sa direction, dont le président Cabdiraxmaan Tuur lui-même, y est même clairement opposée. Jugeant en effet l’économie incapable de se soutenir face à un rejet de la société internationale, les cadres du mouvement préconisent plutôt une sorte d’autonomie conçue au sein de l’ensemble somalien. Il n’en reste pas moins que l’abandon de l’union avec le Sud bénéficie d’un large soutien populaire, en particulier, mais pas exclusivement au sein des populations Isxaaq. Aussi, tandis qu’à l’intérieur du bâtiment se déroule la réunion du comité central, la foule massée alentours se fait de plus
en plus nombreuse, composée maintenant de nombreux miliciens et civils en armes venus de tout le Somaliland.1 Jusqu’à ce que le rassemblement, qui devient houleux, réclame l’indépendance. La manifestation atteint son paroxysme le 15 mai. Radio Muqdisho en effet vient d’annoncer que les dirigeants du SNM avaient accepté de participer à une réunion au Caire bien que le chargé des Affaires étrangères du mouvement, Saleebaan Gaal, ait explicitement rejeté l’hypothèse d’une participation. Le spectre d’un retour à un régime discrétionnaire surgit, provoquant maintenant la colère. Une foule réclamant maintenant explicitement l’indépendance se rassemble autour de la salle des congrès. Dans la soirée, montés sur leurs chars et à bord de leurs véhicules de combat, les combattants du SNM se joignent aux manifestations, allant jusqu’à prendre des positions menaçantes. Le comité central n’a dès lors guère d’autres choix que de se préoccuper de la résolution elle-même. Les arguties se multiplient à propos de sa rédaction. Dans un premier jet, la résolution omet de préciser que le Somaliland souhaitait devenir une nation souveraine, rétablie sur le tracé colonial de ses frontières. Mais il lui faut finalement se résoudre à modifier le texte et entériner une résolution stipulant qu’il s’agissait pour l’État du Somaliland de « revenir à la situation juridique qu’il détenait le 26 juin 1960 », lorsque la Grande-Bretagne avait accordé son indépendance au pays. Une septième résolution enfin est ajoutée qui vise à faciliter le processus de démobilisation et à récompenser les services de ceux qui ont contribué au succès militaire du SNM. Il est donc prévu que les vétérans du SNM soient prioritaires dans les processus de mise à disposition des emplois.
La déclaration d’indépendance [18.V-1991] Aussi est-ce quasiment dans la hâte et la confusion que, le 16 mai, à contrecoeur, le président du SNM passe à Cali Mahdi sur le réseau de transmissions militaires, le seul qui fonctionne encore, un message par lequel il lui fait part de la proclamation d’indépendance du Somaliland dans les frontières de l’ancien protectorat britannique 2. Le lendemain est un vendredi, jour férié donc. Le samedi 18 mai en revanche, une très grande foule se rassemble pour écouter la déclaration officielle d’indépendance prononcée par Cabdiraxmaan Tuur et pour applaudir, avec en réalité davantage d’émotion et de soulagement que d’euphorie, à la levée des couleurs du SNM. Une semaine plus tard, une charte nationale provisoire est publiée dont l’article premier établit que : 1
Cali Mahdi avait d’emblée suscité un rejet de son gouvernement quand, le 31 janvier, il l’avait présenté depuis Muqdisho son gouvernement comme celui de « l’ensemble de la Somalie, de Raas Kambooni à Seylac ». 2 C’est-à-dire sur les régions administratives de l’Awdal, du Togdheer, du Sanaag et du Sool.
« L’État autrefois connu comme le Somaliland, qui a obtenu son indépendance du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et de l’Irlande du Nord le 25 juin 1960 est par la présente reconstituée en tant qu’État pleinement indépendant et souverain. »
La charte stipule également que pour une période de transition de deux ans le gouvernement de la nouvelle république – Jamhuuriyadda Soomaaliland – restera sous la responsabilité du SNM dont le président et le vice-président deviendront respectivement le président et le viceprésident. Des dispositions doivent également être prises pour que les membres des autres clans puissent être intégrés au nouveau cabinet et au parlement. Celui-ci est en fait une version élargie du comité central du SNM qui en l’occurrence a reçu un mandat spécifique des notables du shirweyne ce qui a pour conséquence de conserver fermement le pouvoir entre les mains des Isxaaq. Au terme de la période de transition cependant, la charte provisoire a vocation à être remplacée par une constitution qui sera approuvée par un référendum national.1 A cet effet, un comité chargé de l’élaboration d’une loi fondamentale doit être mis en place, composé de 45 Isxaaq, 20 Gadabuursi, 25 Dhulbahaante, 10 Warsangeli et de 5 Ciise. À l’échelle du monde somali, il s’agit d’un séisme. Le concept de la Soomaaliweyn, le rassemblement dans un seul État de tous les Somalis, écrit dans les constitutions et qui depuis plus d’un demi-siècle avait porté les rêves de tous les Somalis, s’éteint sur un constat d’échec ; et pour ceux qui l’avaient porté, s’achève sur un chagrin.
L’organisation du nouvel État La proclamation du 18 mai est adoptée par 304 voix pour et 16 abstentions. Équivalant à un rejet du traité d’union de 1960 entre le Nord et le Sud, elle est diffusée par Radio Hargeysa qui affirme que cette association n’avait alors revêtu aucune forme juridique légitime puisque les populations n’avaient pas été consultées et que le référendum organisé un an après l’union avait même été désapprouvé par 90 % de la population du Nord. En attendant que le gouvernement soit constitué, après qu’ont été mises en place les dispositions permettant d’accueillir des membres non Isxaaq du Nord somalien, la nouvelle République du Somaliland se dote des premiers symboles de sa souveraineté : elle prend pour emblème le drapeau du SNM2 et Radio Hargeysa devient Radio Somaliland. Le 19 mai, Cabdiraxmaan Tuur y proclame que le nouveau gouvernement indépendant serait provisoire et qu’il y aurait des élections libres dans deux ans.
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DRYSDALE John. Whatever Happened to Somalia ? Haan Publishing. 1994. Londres. pp. 139-142. 2 Blanc frappé d’un rond vert entouré de la šahāda [ar. ]ﺷﻬﺎﺩﺓ
Au plan institutionnel, il est sans tarder procédé à la mise en place d’un embryon d’administration civile mais aussi à la création d’une série de charges officielles ; dans le secteur judiciaire notamment est établi un Ministère public, un Attorney General. La justice d’ailleurs s’est déjà mise en route puisque le SNM a entrepris de juger les militaires gouvernementaux soupçonnés d’exactions parmi lesquels 57 officiers capturés à Berbera. Le premier à être jugé est le colonel Maxamed Axmed Ibraahin Shiide, âgé de 54 ans et en poste depuis 1978 dans le Nord qui sera d’ailleurs relaxé le 30 mars par un tribunal présidé par un ancien magistrat de la Cour suprême de Muqdishu, Cabdixakiin Maxamed Aadan Sumuni1. Il est également désigné un gouverneur de la Banque centrale. Dès avant la fin du mois, afin d’irriguer l’économie intérieure, une délégation conduite par Cismaan Jaamac Cali2 se rend à Muqdisho afin de réclamer une partie des billets de banque imprimés au Pakistan et récemment livrés qui correspondent au reliquat d’une commande de 180 milliards de shillings faite par le président Siyaad Barre. Une situation étonnante puisque la délégation profite aussi de son séjour pour faire imprimer des documents officiels à en-tête du gouvernement de son nouvel État. Cismaan Jaamac tente aussi de réorganiser la reprise des vols intérieurs des Somali Airlines à destination de Hargeysa.3 Pendant ce temps, le 28 mai, Cabdiraxmaan Axmad Cali Tuur [Habar Garxajis/Habar Yoonis] est élu président du nouvel État autoproclamé. Président du SNM depuis 1990, cet ancien diplomate est âgé de 60 ans. C’est un homme intelligent doté de peu de charisme qui aurait largement préféré la fédération à l’indépendance. Aussi assume-t-il la présidence du Somaliland davantage parce que les circonstances l’y ont conduit que par conviction personnelle. Homme de dossiers, il sait que pour l’heure son administration misérable exerce encore peu de contrôle réel, même sur la capitale, Hargeysa. Quoi qu’il en soit, une semaine plus tard, le 4 juin, un gouvernement élargi est comme convenu établi sous son autorité et celle de son viceprésident Xasan Ciise Jaamac [Habar Garxajis/Arab], les deux hommes sont les principaux dirigeants du SNM depuis son 6e congrès en mars et avril 1990. Le cabinet compte dix-sept ministres et quatre secrétaires d’État parmi lesquels on compte, soigneusement répartis :
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LOI n°474, 13 avril 1991 Ancien ministre des Tansports maritimes de 1973 à 1976, de la Pêche de 1977 à 1984, des Travaux publics et à l’Habitat de 1989 à 1990. 3 À leur retour, le 22 septembre, les trois membres de la délégation essuieront des tirs en quittant Muqdisho pour Berbera à bord d’un Boeing de la compagnie charter African basée à Nairobi. 2
13 Isxaaq1 dont Ismaaciil Maxamuud Hurre Buubaa [Habar Garxajis] aux Finances, Saleebaan Gaal [Habar Jeclo] à l’Intérieur, sheekh Ibraahin Madar aux Affaires étrangères et Maxamed Kaahin Axmed [Habar Jeclo/Maxamed Abokor/Daahir Faarax] à la Défense ; - 2 Darood Dhulbahaante ont en charge l’un l’Élevage, l’autre les Mines et l’Eau ; - 1 Darood Warsangeli tient les Transports et les Communications ; - 2 Dir Gadabuursi : le colonel Cabdiraxmaan aw Cali Faarax à l’Éducation nationale, aux Sports et à la Jeunesse et Jaamac Rabiile Good2, un ancien ministre du Tourisme de 1974 à 1980 ; - 1 Dir Ciise. Ce dispositif suggère quelques observations. Deux ministres sont représentatifs de l’aile religieuse du SNM : l’ancien président du mouvement, sheekh Yuusuf Madar et l’ancien ambassadeur en Arabie saoudite, Xasan Aadan Wadaadid [Habar Yoonis/Cumar Cabdalla/ Caynanshe/Xirsi]. Le colonel Maxamed Kaahin Axmed, très critique à l’encontre de la réorganisation militaire entreprise par Cabdiraxmaan Tuur deux ans plus tôt est aussi l’un des membres du comité militaire qui a contribué en 1983 au remplacement de sheekh Ibraahin Madar à la présidence du mouvement. On constate enfin qu’un nombre significatif de personnalités importantes du SNM ne trouvent pas place dans le nouveau cabinet, en particulier Axmed Siilaanyo [Habar Jeclo/ Maxamed Abokor], le prédécesseur de Tuur à la présidence du SNM et Cismaan Jaamac Cali [Habar Yoonis/Cumar Cabdalla/Sagule Xirsi], tous deux longtemps ministres de Siyaad Barre3. -
Les premières réactions : Muqdisho et Djibouti [V-1991] Bien que le SNM ait d’emblée affirmé que son gouvernement entretiendrait avec le gouvernement somalien des relations fraternelles, c’est naturellement la consternation qui prévaut à Muqdisho. Cali Madi et les siens refusent de reconnaître la sécession. Dans ce registre, il a toutes les chances d’être suivi par l’étranger. Cette proclamation d’indépendance ne se résume pas en effet à sa portée symbolique. Constituant la première remise en cause sérieuse de frontières dans la Corne de l’Afrique, elle en laisse aussi présager d’autres, chacun 1
Trois appartiennent à chacun des quatre lignages majeurs Isxaaq – Habar Awal, Habar Jeclo, Habar Garxajis et Arab –, un poste supplémentaire étant attribué au clan présidentiel, les Habar Garxajis/Habar Yoonis. 2 Confondu dans certains documents avec son frère Muuse Rabiile Good. 3 Axmed Siilaanyo, président du SNM de 1982 à 1990, a auparavant été ministre du Plan et de la Coordination de 1969 à 1973, du Commerce intérieur et extérieur de 1774 à 1976 et du Commerce de 1980 à 1982.
songeant en particulier à cette indépendance de l’Érythrée qui s’esquisse au fil des déboires des armées gouvernementales éthiopiennes. Immédiatement, les autorités de Djibouti multiplient les missions diplomatiques dans les pays arabes afin d’endiguer toute reconnaissance intempestive. Le ministre djiboutien de la Défense, Ismaël Ali Yusuf se rend avant la fin du mois de mai à Tripoli, afin de s’entretenir notamment avec le colonel Abūbakar Yūnis Jabar, ministre libyen de la Défense. Il ne manque d’y faire état de l’accord de coopération que vient de lui proposer le premier ministre de Cali Mahdi, Cumar Carte Qaalib – par ailleurs très en cour à Tripoli –, en contrepartie d’une politique commune de mise au pas du SNM. C’est avec le même objectif qu’une délégation se rend également à Sanaʿa au Yémen.1 Ces positions hostiles sont d’autant plus vives qu’elles se sentent fortes des réticences qui subsistent à l’intérieur du Somaliland lui-même et dont on n’ignore rien à l’étranger. Car la décision de renoncer à l’union a été prise sans aucun enthousiasme par la direction politique du SNM. Un comportement qui résulte en partie de leurs soucis à propos de l’état d’un pays dévasté, de la crainte de ne parvenir à une reconnaissance internationale et la préférence pour un système fédéral de gouvernement de la Somalie qui, une fois le sud apaisé, leur semble bien plus simple. Sauf que, en particulier à l’intérieur de la communauté Isxaaq, l’appel à l’indépendance s’est imposé par sa profonde popularité. Il est même devenu une quasi-évidence après l’annonce à Muqdisho d’un gouvernement somalien intérimaire, unilatéralement annoncée par l’USC et Cali Mahdi, et qui a sonné comme une trahison aux oreilles de chacun. Si le soutien du SNM aux combats d’Afgooye contre le SNF en avril pouvait laisser accroire à une baisse de sa vindicte à l’encontre de l’USC, cette aide avait en fait procédé d’une tout autre raison elle-même relevant d’une double logique. D’une part, le SNM avait à l’évidence intérêt à ce que Moorgan n’ait aucune chance de reprendre la main ; d’autre part, ce soutien était allé exclusivement à Caydiid, tout aussi victime que le mouvement Isxaaq de la forfaiture de Cali Mahdi. Un autre élément encore aide à une meilleure compréhension des faits. Il faut se souvenir que le SNM à ses débuts se réclamait de l’ensemble de l’opposition somalienne. Bien que les Isxaaq y aient déjà été majoritaires, sa direction tentait de le poser comme un mouvement nordiste. En 1984, il cherche à accentuer son caractère national. À cet effet, il ouvre son comité central à dix représentants du sud – un Majeerteen, un Raxanweyn et huit Hawiiye, Habar Gidir pour la plupart. Le Secrétaire général du SNM en 1983 est le colonel Cabdisalaam Cismaan Diini Gorgor et son représentant à Washington, Maxamed Cali Warsame, tous deux Habar Gidir. C’est une querelle entre le président Isxaaq et un vice-président Hawiiye qui conduit en 1
LOI n°480, 25 mai 1991
1989 à la séparation et la formation de l’USC mais il reste que ce sont les liens particuliers du SNM avec les Habar Gidir qui expliquent leurs relations qui resteront toujours étroites avec la communauté du général Caydiid. Avec le général en effet, même quand les points de vue divergeront, les relations resteront acceptables. Car de tous les protagonistes du drame somalien, Caydiid restera le plus sûr en termes de tenue de ses engagements auprès de ses alliés comme de l’ensemble de ses interlocuteurs ; un trait de caractère qu’identifiera l’ambassadeur Muḥammad Saḥnūn.
L’APAISEMENT DIFFICILE DES HABAR YOONIS-BARI Depuis 1990, les négociations de paix entre lignages Darod et Isxaaq ont donné lieu à de nombreuses réunions auxquelles vont se joindront en 1992, les petits lignages minoritaires comme les Gahayle et les Jibraahiil1. Orientées sur la vie en bonne intelligence des clans, ces réunions revêtent aussi un aspect plus politique, s’agissant notamment du SNM et des Harti établis dans l’Est du pays. Les limites entre les Isxaaq et Darood du Somaliland sont tracées sur le territoire du Sanaag mais aussi sur celui du Sool et, dans une moindre mesure, du Togdheer. Ainsi le processus de paix implique-t-il plus précisément quatre lignages majeurs : - deux lignages Darood Harti, les Dhulbahaante et les Warsangeli, alliés durant la guerre civile au gouvernement de Siyaad Barre ; - deux lignages Isxaaq, les Habar Jeclo et les Habar Yoonis, unis sous l’étendard du SNM dans la lutte contre le régime. L’ensemble Habar Yoonis occupe deux espaces. Au contact avec les Harti, il s’agit surtout d’évoquer les lignages orientaux désignés en tant que Habar Yoonis-bari2. Ici, les procédures nécessaires au règlement des divers contentieux et litiges vont nécessiter des réunions nombreuses, localisées, bilatérales, trilatérales parfois, qui entre 1991 et 1993 s’échelonneront sur trois années. Leurs laborieuses avancées, favorisées au lendemain de la conférence de Boorama qui se déroulera en 1993, se concluront entre août et novembre de la même année sur le shirweyne de Ceerigaabo, point d’orgue de la réconciliation entre les communautés du Sanaag. L’ensemble de ce processus mérite d’être relaté avec un minimum de détails. Il met en exergue la complexité des problématiques, l’efficacité des procédures traditionnelles mais aussi leur aspect chronophage qui dérouteront les intervenants étrangers au point qu’ils en refuseront toujours plus ou moins consciemment la contrainte.
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Les Gahayle sont des Majeerteen qui revendiquent une filiation Siwaaqroon. Associés aux Dir Magan – Madoobe, Minsale, Turre et Jibraahiil -, ils vivent parmi les Habar Yoonis-bari et les Warsangeli de la région de Ceerigaabo. 2 De [som. bari(-ga)] : « Est, Orient ».
Pour expliquer ces événements, deux approches sont possibles, spatiale ou chronologique. C’est cette dernière qui est suivie afin de pouvoir à tout moment mettre en parallèle la situation particulière du Sanaag avec le déroulement plus général des événements à l’intérieur du Somaliland voire dans le reste du pays. Entre Isxaaq et Harti, la première tentative de cessation des hostilités dans le Sanaag s’est manifestée à la fin du mois de décembre 1990 à Ceel Qoxle, quand les notables Habar Jeclo et Habar Yoonis en lutte contre les Harti Dhulbahaante et Warsangeli ont pour la première fois exprimé leur lassitude de la guerre et leur souhait d’y mettre un terme. Spontanément, un processus s’est mis en place après que deux hommes, Maxamed Cismaan Axmed des Habar Yoonis et Maxamed Ducaale Qoorsheel des Warsangeli, affairés avec leurs troupeaux de part et d’autre d’une rivière asséchée, avaient pris le parti de s’échanger, de loin, un signe de paix1. La portée de leur geste s’est alors propagée à l’ensemble des familles, sans qu’aucune consigne particulière n’ait été donnée par les notables d’un côté ou de l’autre. Il en a toutefois résulté une réunion informelle qui s’est conclue sur un accord oral stipulant que les échauffourées cesseraient à Ceel Qoxle et que les pâturages y seraient raisonnablement partagés. Entre Habar Jeclo et Dhulbahaante, la volonté de paix s’est manifestée plus tôt, dès le début de l’année 1990 qui a vu se multiplier les réunions de paix, dans le Togdheer notamment, à Gowlalaale puis à Qararro. La lassitude en effet a manifestement atteint tout le monde. Sauf qu’après la chute de Siyaad Barre et la victoire du SNM, le rapport des forces n’est plus exactement le même. Il reste en effet, du point de vue des vaincus, un paramètre essentiel : la bonne volonté des vainqueurs. Les shirar nabadeed, les conférences de paix, de Berbera et de Boorama, dans la deuxième quinzaine de février, ont cependant laissé entrevoir que de tous côtés, l’ambiance générale était plutôt à l’apaisement.
Tensions entre le SNM et les Habar Yoonis-bari [II/IV-1991] Dans l’Est du pays cependant, il est vite apparu aussi que les motifs de dispute ne pouvaient se résumer à une simple problématique entre communautés Isxaaq et Harti. Au lendemain de la guerre civile ont resurgi des contentieux développés naguère entre les Habar Yoonisbari, les Habar Yoonis de l’Est, et la direction du SNM, contentieux de nature à nuire au bon déroulement d’un processus de paix dans le Sanaag. Parmi leurs principaux griefs, ces Habar Yoonis se plaisent à rappeler qu’au cours des opérations de guerre, la direction du mouvement avait à de nombreuses reprises saboté leurs efforts et mis en danger leur position. Ils lui reprochent plus particulièrement son 1
La pratique du go’ isu tag de go’, le « chiffon », la pièce de tissus et de isu tag « entrer en relation » ; agiter le drapeau blanc en quelque sorte.
incapacité d’alors à fournir le soutien logistique attendu, en munitions notamment, alors qu’ils subissaient la pression des troupes gouvernementales et de leurs alliés. Vis-à-vis d’autres lignages Isxaaq, les récriminations existent aussi. Un incident avait suscité une animosité particulière et une perte de confiance, quand un jour de 1990, deux combattants, Ismaaciil xaaji Nuur et Axmed Mire, s’étaient rendus à la base arrière éthiopienne de Gashamo où le SNM était réuni, pour demander des armes afin de poursuivre leurs opérations dans le Sanaag. Sur le chemin du retour à Ceerigaabo, ils s’étaient heurtés à une milice Habar Jeclo qui avait tenté de s’emparer des armes qui venaient de leur être remises. La situation s’était résolue sans combat, mais depuis lors, la suspicion s’était installée entre les deux lignages. La défiance prend une nouvelle dimension encore quand, en mars avril de la même année, les Habar Yoonis-bari se mettent à craindre d’être lésés quant à leur représentation au congrès du mouvement qui est sur le point de se tenir à Balli Gubadle. Pour leur part, les dirigeants du SNM reprochent à leurs partisans du Sanaag de ne pas partager l’argent des rançons tirées de la capture des bateaux pêchant indûment dans le golfe d’Aden. Depuis le début de l’année 1990, sur fond d’injustice, un trouble malsain s’est donc installé et le fossé s’est suffisamment élargi pour que réunis à Dalow, les miliciens du Sanaag aient un moment envisagé une action contre leurs propres compagnons. Maintenant, la paix venue, les Habar Yoonis-bari se trouvent d’autres bonnes raisons d’appréhender un cessez-le-feu qui donnerait à la direction centrale du SNM la haute main sur l’ensemble des frontières du Somaliland alors que leur intérêt est naturellement de garder le contrôle sur la partie orientale du pays. En effet, les Habar Yoonis de l’Est, installés sur une étroite bande de terrain sont géographiquement et économiquement isolés du reste du Somaliland ; ils ne peuvent entretenir qu’un commerce limité à travers le port de Maydh dont le trafic déjà maigre est condamné à décroître au fur et à mesure que Berbera deviendra opérationnel. A contrario, leurs voisins Warsangeli ont pour leur part accès aux ports de Boosaaso et de Laas Qorey et entretiennent de bonnes relations économiques aussi bien avec les Habar Jeclo qu’avec les Dhulbahaante. Ce sentiment d’isolement façonne un complexe obsidional qui contribue à les convaincre qu’il leur faut immédiatement tirer avantage, sur leur propre terrain, de cette victoire militaire du SNM à laquelle ils ont contribué.
Face aux Dhulbahaante, les premiers shirar nabadeed Au sud, entre Habar Jeclo et Dhulbahaante la mitoyenneté des territoires dans le Sool et le Togdheer a depuis des lustres suscité de nombreux mariages et procuré de nombreuses opportunités d’échanges entre les deux communautés. Cela dit, il en a aussi résulté nombre de
querelles, de morts, de pillages de bétail que sont venus envenimer des griefs personnels à la fois nombreux et durables. Le processus de réconciliation entre Habar Jeclo et Dhulbahaante commence au début de l’année 1990 bien avant la chute du régime. Il se précise alors par une série de réunions tenues à Yagoori en février 1991 puis à Oog sept mois plus tard, le 30 octobre 1991. Les discussions portent sur le cessez-le-feu, la restitution du bétail volé et la reprise du partage des points d’eau et des pâturages, problématique séculaire des pasteurs nomades.
Le difficile endiguement des miliciens Habar Yoonis-bari En février 1991 encore, sur fond de susceptibilité au sein du SNM cette fois, les choses se compliquent après que la direction du mouvement a invité en priorité les clans Harti au shir de Berbera. La démarche s’est assez naturellement effectuée par l’intermédiaire de ceux qui, demeurant dans la ville, ont été directement approchés, en particulier les Warsangeli1 qui y sont assez nombreux. En apprenant cela, les Habar Yoonis par radio enjoignent– mais trop tard – ces derniers de ne pas se rendre à la réunion tant que leurs propres litiges dans le Sanaag n’auront pas été réglés. Leur colère est alors à son comble, tant à l’encontre des Warsangeli que, une fois encore, à l’encontre de la direction centrale du SNM. À vrai dire, parmi les chefs Warsangeli rassemblés à Laas Qorey, certains partagent le point de vue des Habar Yoonis et estiment aussi qu’il ne convient pas assister au shir de Berbera ; leur chef, le caaqil Bashiir Ducaale Cabdi, par exemple, considère qu’il importe avant tout de régler sur place les différends qui perdurent encore avec leurs voisins Isxaaq. Bien que le caaqil n’obtienne pas gain de cause, deux fers sont mis au feu : une délégation conduite par Ismaaciil Suldaan, le représentant des Warsangeli Suldaan Cabdisalaan, rejoindra au nom des siens le shir de Berbera ; quant au caaqil Bashiir, il décide de se rendre dans le tog Caduur, à proximité de Ceerigaabo, où il confie à une femme nommée Caysha Cali Tahar, née parmi les Habar Yoonis/ Muuse Ismaaciil mais mariée à un Warsangeli, la charge d’inviter en son nom les notables et les officiels du SNM à le rencontrer à Ceerigaabo. Le message est remis à l’un des chefs Habar Yoonis-bari et commandant du SNM, Yuusuf Ciise Ducaale Talaabo qui se déplace personnellement vers le tog Caduur à la rencontre du caaqil. À son arrivée, celui-ci invite Yuusuf Talaabo à l’accompagner à Hadaaftimo, résidence du garaad suldaan Cabdusalaan suldaan Maxmuud et de nombreux notables Warsangeli. De retour à Ceerigaabo, Yuusuf Talaabo est en mesure de rassurer les siens sur les bonnes dispositions qu’il a rencontrées à Hadaaftimo. Son discours cependant suscite une 1
Le processus de réconciliation avec les Dhulbahaante a été géré après le shir de Oog.
division entre ceux qui cherchent à faire avancer le processus de paix et un groupe de miliciens qui préfère continuer à combattre et prendre à tout prix une revanche sur les Warsangeli. En dépit de l’injonction des notables menés par le caaqil Ismaaciil Muuse, ceux-ci décident même d’envenimer délibérément la situation en menant une attaque sur Hadaaftimo puis, plus au sud, sur le village de Damala Xagale. Après avoir eu leurs véhicules pris dans les bourbiers occasionnés par les lourdes pluies, l’expédition tourne au fiasco. Bien sûr, les Warsangeli qui ont eu vent de l’affaire jugent plus prudent de se tenir sur leurs gardes et, à toutes fins utiles, de cantonner une force de défense à proximité de Damala Xagale précisément. Lorsque la nouvelle de ce renforcement parvient à la connaissance des Habar Yoonis-bari de Ceerigaabo, de nombreux miliciens décident une fois encore de monter à l’attaque du village : ignorant le nouvel avertissement du caaqil Ismaaciil Muuse, le combat fait de nombreuses victimes de part et d’autre. Car Damala Xagale située en pays Warsangeli est un endroit où leur implantation est en fait située un peu à l’écart de la localité où, en revanche, les Dhulbahaante sont nombreux. Aussi, les premiers volent-ils en soutien de leurs cousins Harti, de sorte que l’engagement se conclut sur une défaite de la milice Habar Yoonis dont les survivants regagnent Ceerigaabo marris, se disant résolus maintenant à écouter les injonctions de caaqil Ismaaciil et à rallier le processus de paix. Mais les attaques perpétrées par les Habar Yoonis-bari ne se sont pas limitées aux villages Warsangeli. Les Dhulbahaante en effet ont également été la cible de leurs miliciens. Aussi, bien que le cessez-le-feu progressât dans le Sanaag, la milice s’est-elle aussi attaquée à la communauté Dhulbahaante de Dararweyne et aux villages de Dogoble et Sannirgood dont certains habitants sont même retenus prisonniers et d’autres sont tués en prison. Or l’ensemble de ces événements intervient tandis que se déroule la grande conférence de paix de Burco. Là, les délégués Warsangeli, informés au cours de la conférence de l’attaque de leurs villages, protestent avec colère. Sentant arriver la catastrophe, l’un des participants, Jaamac Maxamed Qaalib Yare, politicien de père Habar Garxajis et de mère Warsangeli, prend l’initiative de susciter, à Burco même, une réunion particulière entre les deux lignages afin d’engager immédiatement un règlement négocié du problème. Le bon sens finalement prévaut, et à tout prendre, l’impétuosité intempestive des miliciens produit un effet contraire à celui escompté en renforçant les autres participants aux shirar régionaux dans leur détermination à poursuivre le processus de paix. La fragilité récurrente de la situation dans l’Est n’en a pas moins été clairement identifiée ; c’est pourquoi l’une des résolutions adoptées au shirweyne de Burco stipulera que « la paix dans le Sanaag devrait être poursuivie par la désignation d’un comité spécial chargé de faciliter les
négociations ». Cette précision en fera la seule des sept résolutions adoptées à faire référence à un processus local de réconciliation. Méfiants à l’encontre de ce consensus, les Dhulbahaante, peu désireux de s’engager dans un nouveau conflit et qui redoutent une nouvelle vengeance des Habar Yoonis préfèrent alors replier leurs familles plus au sud, vers la région du Sool, cœur historique de leur communauté. Le territoire abandonné est aussitôt occupé par les Warsangeli, glissement qui met ceux-ci au contact des clans Habar Jeclo. À peine cet incendie est-il éteint qu’un nouveau foyer de tension apparaît, entre deux lignages Isxaaq cette fois quand, en avril 1991, des Habar Jeclo du Hawd s’établissent à proximité de la route traversant la plaine de Saraar1, à l’est de Burco, d’où ils procèdent à des attaques sur les véhicules et à des enlèvements de passagers. Un incident prend une dimension particulière quand, se rendant de Hargeysa à Ceerigaabo, deux véhicules sont attaqués dont l’un appartient au suldaan des Ciidagale, lignage qui avec celui des Habar Yoonis constitue le faisceau des Habar Garxajis. Les miliciens conduisent les véhicules capturés à Berde, quartier de Ceerigaabo, où l’affaire sème rapidement le trouble dans la ville. Aussitôt, les autorités Habar Yoonis du SNM réagissent en récupérant par la force les camionnettes avant de les restituer à leurs propriétaires. Cet incident bien sûr affecte une fois encore les relations entre les lignages Isxaaq. La tension aura été même suffisamment forte pour que les Habar Jeclo sentent la nécessité de quitter Ceerigaabo, où ils sont peu nombreux. Ils s’établissent dès lors au sud-ouest, vers les localités de Yufle et Dayaxa, où nombre d’entre eux ont déjà des parents installés. Ainsi, dans un contexte sécuritaire encore précaire, on observe d’ores et déjà une accumulation des incidents au sein de la communauté Isxaaq alors que dans le reste du Nord-est la tendance est résolument à l’apaisement. Ces tensions vont au fil des mois se cristalliser jusqu’à conduire en 1992 à de réels affrontements parmi les lignages Isxaaq.
La paix entre Habar Yoonis-bari et Warsangeli - Yubbe I [18.VI1991]
En dépit de ces signaux d’alerte, ces tensions ne ralentissent en rien le rythme des accords passés dans le Sanaag et le Sool où, à l’égard des Harti, de meilleures dispositions semblent momentanément animer les Habar Yoonis-bari. Avec les Warsangeli, ceux-ci entretiennent des relations de la même veine que celles qu’entretiennent plus au sud – dans le Sanaag et le Sool mais aussi dans le Hawd éthiopien –, les Habar Jeclo et les Dhulbahaante : mitoyenneté donc mariages mais cortèges aussi de simples querelles sinon de conflits plus sévères. Après décembre 1990
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Bannaanka Saraar.
et le cessez-le-feu du go’ isu tag de Ceel Qoxle, une première réunion formelle entre les deux communautés se tient le 18 juin 1991 à Yubbe.
Elle prend sans surprise le nom de Yubbe I. Ici aussi, après les dommages matériels et humains mais aussi après les dégradations relationnelles occasionnées par la guerre, de nombreux notables, ostensiblement soutenus par de nombreuses femmes, sont déterminés à mettre une fin aux combats. Le processus est engagé par le caaqil Bashiir des Warsangeli qui prend l’initiative d’un contact radio invitant Warsame Xirsi, l’autorité des Habar Yoonis de Ceerigaabo, ainsi que les autres notables à se réunir avec les Warsangeli ; le village de Yubbe est habité par le clan Warsangeli des Nuur Cumar mais est situé à proximité de la limite de leur territoire et de celui des Habar Yoonis. Ceux-ci répondent à l’invitation et neuf représentants conduits par Warsame Xirsi se rendent ainsi dans le village convenu. Les deux délégations y conviennent d’emblée de mettre fin aux hostilités et de partager les pâturages. Ils décident aussi d’une autre réunion où seront abordés plus précisément les problèmes plus complexes de gouvernance du terrain. Comme il se doit, les frais du shir sont pris en charge par les Nuur Cumar.
Yubbe II [6/9.IX -1991] Trois mois plus tard, une nouvelle réunion se déroule comme prévu de nouveau à Yubbe et baptisée sans plus de surprise Yubbe II. L’accord final se conclut sur un échange des prisonniers et précise la limite entre les territoires dévolus aux deux communautés 1. Il est aussi entendu que les modalités de la restitution des propriétés et de la terre seront décidées au cours d’un troisième shir. Yubbe II est organisée et dirigée par l’ensemble des notables, suldaano, cuqaal, mais l’assistance plus étoffée rassemble cette fois des nomades venus de la brousse, des femmes et des représentants locaux du SNM. Toutes les dépenses sont prises une nouvelle fois en charge par les Warsangeli de Yubbe. Un incident toutefois vient un moment mettre en grand péril le processus engagé et un contentieux perdurera qui ne sera définitivement réglé que plusieurs années plus tard. Au cours de l’échange des prisonniers en effet, il apparaît qu’un Warsangeli a été tué au cours de sa détention par les Habar Yoonis ; une offense pour les Harti qui pour leur part ont bien traité leurs douze prisonniers et qui considèrent ce meurtre inacceptable. Soucieux de ne pas compromettre les résultats du shir, quelques esprits pratiques demandent qu’il soit simplement permis de prendre un des prisonniers Habar Yoonis afin de le tuer en retour pour solde de tout compte. Aussi simple et de bon sens cette solution puisse-t-elle paraître, les notables Warsangeli ne sont pas enclins à recourir à un tel expédient d’autant que suldaan Cabdirashiid propose immédiatement le paiement du mag. Sauf qu’il 1
Il est important ici de comprendre la signification des mots « frontière », « limite », etc., rarement identifiables à des frontières telles que nous les concevons. Il s’agit par son imprécision d’une notion à rapprocher plutôt de l’anglais frontier que du border que nous avons davantage exploité.
s’agit d’un engagement qu’il n’est pas en mesure d’honorer immédiatement puisque, dit-il, la guerre a laissé les Habar Yoonis démunis. Le serment ne sera pas pour autant oublié. Le paiement n’étant toujours pas parvenu deux ans plus tard, quand commence le shirweyne nabadeed de Ceerigaabo, l’ensemble du clan Bah Idoor auquel appartient la victime refusera d’assister à la manifestation. L’affaire ne sera définitivement résolue qu’en 1997 après la réélection du président Ceegal. Suldaan Cabdirashiid et suldaan Saciid des Warsangeli se réuniront alors pour discuter des modalités du paiement du mag. Suldaan Cabdirashiid confirmant qu’il n’était toujours pas possible aux Habar Yoonis de rassembler les fonds nécessaires, les deux notables conviendront finalement d’écrire une lettre conjointe demandant au gouvernement son assistance pour couvrir la compensation. Certains y verront un chantage, un monnayage, contre la promesse que le clan tout entier participerait à la conférence de Hargeysa en 1997. Une assez bonne idée en effet puisqu’au terme de nombreuses palabres encore, en 1999, le gouvernement de Maxamed Cigaal payera rubis sur l’ongle la somme dans sa totalité.
AU SEIN DU SNM : LA FIN DE L’UNION SACREE
[VI/XII-1991]
Mais c’est sur la situation au sein du SNM et des lignes de fracture qui s’y sont dessinées qu’il faut maintenant momentanément revenir. Depuis le shirweyne de Burco et la déclaration d’indépendance en mai 1991, un premier gouvernement a bien été formé, composé de 18 ministres dont six portefeuilles ont été dévolus à des clans non Isxaaq. Mais cette nouvelle administration est immédiatement confrontée à la problématique décourageante de la reconstruction d’un pays dévasté, dépourvu de ressources de base, financières et matérielles, et condamné à une assistance internationale limitée. Cette situation difficile établit, entretient ou aggrave au sein du SNM et des clans qui le composent des divergences d’intérêts d’autant plus enclines à sombrer dans la violence qu’aucune force de sécurité n’a encore pu être mise en place.
Aux origines du SNM en armes Dans le domaine de la paix intérieure, le mouvement est en effet confronté à une problématique à trois entrées étroitement imbriquées et dont il peinera à trouver les solutions : - l’urgence de la mise en place de forces de sécurité crédibles, c’est-àdire supraclaniques, passe par l’exercice périlleux de la démobilisation et de la réintégration des milices ; - la nécessité de ménager l’intérêt des clans Isxaaq, c’est-à-dire de gérer au plus fin les compétitions qui opposent les familles Habar Garxajis – en particulier les Habar Yoonis de Burco qui participent au pouvoir à Hargeysa, soutenus par leurs cousins Ciidagale autochtones –, les Habar Awal de Berbera dont les Ciise Muuse tiennent le port et les Habar Jeclo ;
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gérer l’opposition récurrente qui au sein du SNM oppose civils et militaires. Un quatrième élément participe du fond de tableau. La présidence du SNM doit revenir cette année à la troisième composante majeure du mouvement qui a été dirigé par un Habar Jeclo, Axmed Siilaanyo auquel a succédé un Habar Garxajis/Habar Yoonis, Cabdiraxmaan Tuur. Les Habar Awal attendent maintenant leur tour de la part d’un mouvement qui n’a rien de fusionnel et reste constitué d’une juxtaposition d’intérêts, qu’ils soient purement politiques, claniques ou religieux. Une structure qui lui a néanmoins appris pour survivre les nécessités de se plier à la règle du jeu. Il est donc nécessaire d’identifier les fondements de l’affaire pour mesurer le peu qui, tout au long de l’année 1992, a séparé le jeune Somaliland du désastre. Après la défaite des forces gouvernementales, de nombreux membres des quelque 6 000 combattants du SNM et des diverses milices claniques se sont spontanément démobilisés et sont retournés à leur vie ordinaire, des combattants qui ont toujours été volontaires et non payés. Mais cette démobilisation s’est aussi accompagnée d’une prolifération de milices irrégulières. Certaines, identifiées sous le sobriquet de deydey, rassemblent des vétérans et de jeunes gens désoeuvrés cherchant à gagner leur vie par le banditisme et l’extorsion ; ces mêmes bandes mais d’autres encore, opérant sur le territoire de leurs clans, coupent les principales routes commerciales entre les villes, entravant la circulation des personnes et des biens. Certains éléments contrôlent les installations publiques telles que les ports et les aéroports situés à l’intérieur de leur propre territoire clanique, en collectant les revenus et en perpétuant l’insécurité. En 1993, le gouvernement du Somaliland estimera encore à 50 000 le nombre de ces miliciens et autres jeunes gens armés qu’il est nécessaire de désarmer, de démobiliser et de réintégrer. L’incapacité de l’administration de Cabdiraxmaan Tuur à en contrôler la prolifération et, partant, à restaurer la loi et l’ordre, empêchera son gouvernement d’étendre réellement son autorité au-delà de Hargeysa. Or un nouveau phénomène est également en train de se mettre en place. Quand les combats reprendront quelques mois plus tard en effet, les combattants qui armeront les milices claniques ne seront plus les mêmes. Il s’agira de jeunes gens qui n’ont pas participé aux combats contre Siyaad. Une population de miliciens bien plus difficile à gérer que celle de leurs aînés. La crise qui se profile se trouve aussi compliquée par une lutte pour le pouvoir alimentée par l’élite politique qui manipule les loyautés claniques. En l’absence d’un ennemi commun, la cohésion entre les clans s’est effondrée et la lutte s’est déplacée vers la recherche de la captation des ressources publiques qui devient la nouvelle source de tension. Cet effondrement de la solidarité du SNM au lendemain de la victoire du mouvement rendra même impossible la réunion de son
comité central durant les deux années que va durer l’administration intérimaire. L’une des causes principales de cette situation tient au fait que, fondamentalement, il a toujours manqué une unité idéologique au SNM, constitué sur le terrain d’une coalition de lignages dont chacun soutient sa propre milice avec ses propres ressources. Un fractionnement que viennent compliquer des relations contradictoires induites par l’opposition entre une élite urbaine et une masse de combattants issus des communautés nomades. On se souvient qu’en 1988, le SNM s’était vu contraint à une fuite en avant par l’accord intervenu entre les gouvernements de Muqdisho et celui d’Addis Abäba, accord qui le privait des complaisances et de l’asile éthiopien. Profitant dans un premier temps de la surprise, il s’était lancé à l’assaut de Hargeysa et de Burco. Cependant, la faiblesse de son soutien logistique et la fragilité de sa chaîne de commandement avaient permis au général Moorgan d’enfoncer en deux mois ses positions puis quelques semaines plus tard, de boucler la frontière. Des dizaines de milliers de personnes avaient fui vers l’Éthiopie tandis que les lignes et communications du SNM étaient rompues. Avec l’exceptionnelle répression infligée par l’armée gouvernementale aux provinces révoltées, l’insurrection de 1988 s’était conclue sur un désastre total. Mais autre chose encore s’était passé. Jusqu’à cet échec, l’aile politique du SNM organisée selon la segmentarité clanique avait trouvé avantage à voir les militaires du mouvement organisés selon les mêmes errements. Pour les chefs militaires qui, discrédités par la défaite, avaient maintenant perdu leur autorité, le point de vue était naturellement différent. Officiers de métier pour nombre d’entre eux, ils avaient compris que pour construire la nouvelle armée il s’agissait à tout prix de transcender les clans. Une seule stratégie était possible : mettre en place des unités où la mixité lignagère serait la règle tout en établissant un système préservant les intérêts particuliers des combattants et récompensant leur courage. Cette considération était confirmée par le fait qu’après la chute du gouvernement et la conquête du Nord par le SNM, la construction ethnique de cette armée de miliciens avait failli virer au désastre en substituant à la guerre de libération une série de représailles à l’encontre de ceux qui avaient combattu au sein des forces gouvernementales. On se souvient comment, à Boorama par exemple, la tragédie avait été évitée de peu. Se réconcilier avec les clans non Isxaaq passait donc par une reconsidération du système sécuritaire de l’aile militaire du SNM. Mais si la déclaration d’un Somaliland indépendant impose en effet la création d’une armée du Somaliland représentative de tous les faisceaux lignagers, il s’agit aussi à chaque fois de considérer leur propre segmentarité interne. Au sein des Isxaaq par exemple, les conflits d’intérêts sont loin d’être absents entre les trois grandes familles, Habar Awal, Habar Jeclo et Habar Garxajis.
L’affaire part cependant sur de bonnes bases quand le président Cabdiraxmaan Tuur confie le portefeuille de la Défense à un officier de carrière, le colonel Maxamed Kaahin. Cette désignation se fait certes sans enthousiasme puisque, précisément, celui-ci appartient au même faisceau lignager que Axmed Siilaanyo et Suleyman Gaal, les principaux contradicteurs du président dont il n’est lui-même à titre personnel pas particulièrement proche.
La réunion des militaires [VIII-1991] Le colonel Maxamed Kaahin est cependant une figure historique de premier plan au sein du SNM militaire. Officier de carrière formé en Union soviétique, il est l’un des premiers cadres de haut rang de l’armée de Siyaad Barre a avoir fait défection. En février 1982, il franchit la frontière éthiopienne afin de constituer avec ses collègues ce qui va devenir l’aile militaire du mouvement rebelle 1 dont il devient en 1983 le Secrétaire général. Pourtant, les tensions anciennes entre aile politique et aile militaire du SNM resurgissent lorsqu’est entrepris le chantier de transformation des milices en une armée nationale. Chantier d’autant plus délicat qu’il faut garder à l’esprit combien ce SNM est un mouvement disparate, sans idéologie précise, organisé selon les lignes de fractures claniques, philosophiques et religieuses et dont le seul ciment véritable semble avoir été le combat. Une réunion rassemblant autour de membres du gouvernement des représentants des Forces armées se tient ainsi le 6 juin à Burco, afin d’ébaucher l’esprit de la réforme. Maxamed Kaahin, Axmed Ismaaciil Duqsi Cabdi, ministre des Affaires religieuses et de la Justice, Saleebaan Gaal, ministre de l’Intérieur, Wadaadid Aadan Xasan, ministre de la Reconstruction et de la Réinstallation ainsi que quelques membres du comité central abordent les questions relatives à la restructuration de l’armée et au maintien de la sécurité. Tous semblent s’entendre sur le fond, tout comme ils tombent d’accord sur la nécessaire application la loi musulmane en vue de la préservation et du maintien de l’ordre2. La suspicion puis la discorde s’installent cependant au mois d’août quand Maxamed Kaahin organise une réunion d’officiers supérieurs afin de discuter de la réorganisation des forces du SNM et de s’interroger sur les modalités de la mise en place d’une armée nationale régulière. Il s’agit de l’effort le plus sérieux entrepris pour résoudre le double problème de la sécurité en tant que telle et du rôle qu’il convient de reconnaître aux miliciens dans le cadre d’un État indépendant. Le but de cette réorganisation vise à retirer le contrôle même théorique des
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Avec entre autres les colonels Aadan sheekh Maxamed Shiine et Axmed Daahir Nuur Dhagax. 2 Radio Hargeysa. Voix de la République du Somaliland en Somalie. 7 juin 1991/16h45
milices aux clans qui les instrumentalisent et à procéder à la mise sur pied de véritables brigades transcendant les lignages. Pendant la guerre, les forces du SNM étaient constituées de groupes de guérillas formés sur une base clanique. Chaque grand clan Isxaaq avait sa propre formation soit, d’est en ouest, celle des Habar Jeclo, celle des Habar Yoonis, celle des Ciidagale et les deux unités Habar Awal. Dès la fin des combats, l’état-major du SNM avait entrepris de créer à côté de cet ensemble une force interethnique sans base territoriale propre, susceptible de devenir l’embryon de la future armée nationale. Appelée force Cood bur, son rôle consistait à désarmer les combattants du Jabhad, le Front de libération, qui n’avaient pas d’appartenance à ces cinq régiments réguliers. Cependant, au moment de procéder à l’intégration finale des régiments, Maxamed Kaahin hésite et entreprend de consulter les Dhulbahaante, ennemis des années de guerre et dont la fidélité au nouveau régime ne lui semble pas absolument acquise. Cinquante-quatre officiers assistent à la réunion qui va proposer une force intégrée appelée à être dirigée par l’un des chefs de guerre du SNM, le colonel Muuse Biixi Cabdi [Habar Awal/Sacad Muuse, Xuseen Abokor]. Un choix avant tout fondé sur le fait que durant la guerre d’indépendance, les Sacad Muuse ont mis sur pied de nombreuses unités et fournis beaucoup de combattants de qualité. Sauf qu’une telle réunion met par ailleurs en alerte certains éléments du gouvernement, en particulier le président. Celui-ci, pourtant favorable à des forces de sécurité nationale coalescentes, semble douter de la loyauté de l’initiative du colonel Maxamed Kaahin. Les soupçons s’inscrivent à la fois dans la politique des lignages et dans le différend entre civils et militaires. Une rumeur suggère que les ministres Habar Jeclo auraient préparé une action armée contre le président Cabdiraxmaan Tuur, un Habar Yoonis, et qu’ils auraient tenté d’obtenir à cet effet le soutien des Dhulbahaante somme toute peu à l’aise dans un état dominé par les Isxaaq. L’idée est même approfondie, car un tel rapprochement laisse déjà à craindre qu’avec le concours du SSDF qui dirige actuellement un État quasi indépendant en pays Majeerteen n’émerge une troisième entité somalienne, distincte à la fois du Sud et du Somaliland. Tuur enfin n’est pas sans savoir que de nombreux chefs militaires nourrissent du ressentiment à l’égard d’un gouvernement qui sur 17 ministres et 3 secrétaires d’État, ne compte qu’un seul colonel. Aussi, les sentiments sont partagés : dans la direction du SNM, certains opposants au président sont aussi inquiets que lui par ce qui leur semble une velléité de prise en main du mouvement par un groupe de militaires ; d’un autre côté d’autres politiciens qui souhaitent se débarrasser de Cabdiraxmaan Tuur éprouvent quelque sympathie pour ces officiers de carrière. Ceux-là s’interrogent : issus des anciennes Forces armées et devenus miliciens, ne serait-ce pas leur seule approche ultra-professionnelle qui leur vaut aujourd’hui d’être ainsi vilipendés.
Il est vrai que la réunion n’a rassemblé que des officiers de métier. Même les combattants issus du monde civil et incorporés dans les forces du SNM n’ont pas été consultés. Clairement, il est reproché aux organisateurs de n’avoir inclus dans leur réflexion aucun homme politique. À ce moment réapparaît d’ailleurs à leur propos l’expression plutôt désobligeante de Calan cas, « Drapeau rouge »1. À l’origine, dans les années 1970, elle avait été utilisée par les opposants pour brocarder les groupes exilés de l’aile gauche comme le Socialist Workers Party et le Democratic Front for the Liberation of Somalia. Dans les années 1980, elle avait cette fois été appliquée par certains politiciens du SNM à leur aile militaire multiclanique que leur sympathie pour l’Éthiopie et son marxisme ouvert rendait suspecte. Elle réapparaît une nouvelle fois maintenant pour essayer, sans grand succès en fait, de limiter les soutiens au colonel Maxamed Kaahin. Ce sont donc bien les luttes d’influences du temps de guerre entre l’aile civile et l’aile militaire du mouvement qui refont ainsi surface.
Xasan Yoonis Habbane nommé chef d’Etat-major Cabdiraxmaan Tuur réagit tout d’abord en refusant d’accréditer le compte rendu de la réunion. Sa réponse à ce qu’il perçoit comme une réelle menace le porte ensuite à demander le soutien du comité exécutif de la Guurti qui depuis le shirweyne de Burco siège désormais en tant qu’institution permanente. Il en attend qu’il soit procédé au remplacement de six ministres au premier rang desquels Maxamed Kaahin et Saleebaan Gaal. Bien que la nature et la façon de ce soutien aient été controversées, il reste que les six hommes sont effectivement démis. Le portefeuille de la Défense alors est confié au vice-président, Xasan Ciise Jaamac, et le colonel Xasan Yoonis Habbane [Habar Awal/ Sacad Muuse/ Jibril Abokor] est nommé chef d’Etat-major 2. À la réunion tenue en août par les militaires, le nom de ce dernier avait été évoqué mais ses relations personnelles, depuis des années médiocres à la fois avec Maxamed Kaahin et avec Muuse Biixi, n’avaient pas conduit à sa nomination, ce dont il devait concevoir un fort dépit. Quand Cabdiraxmaan Tuur se débarrasse de son ministre, il se tourne vers Xasan Yoonis parce qu’il lui semble l’une des rares hypothèses plausibles au sein des lignages Habar Awal. Quant au nouveau ministre, il est non seulement un moderniste assez peu soucieux de clanisme mais il appartient de plus au petit lignage Arab qui ne dispose en propre d’aucune puissance militaire. Sous sa houlette, l’intégration des forces armées semblera progresser en douceur notamment grâce à 1
Sa base, délibérément transclanique, est plus particulièrement Habar Jeclo et Habar Awal. Dans les années 1980, ses figures les plus notables s’appelaient Maxamed Kaahin, Ibraahin Dhegaweyne, Muuse Biixi, etc. 2 Cet ancien chef d’état-major du SNM avait été désigné en 1987 comme adjoint du colonel Axmed Mire Maxamed mais avait perdu sa position l’année suivante quand celui-ci avait été remplacé à la tête des forces du mouvement.
l’attribution d’avantages matériels aux militaires qui acceptent de jouer le jeu. Des rations plus abondantes sont ainsi octroyées aux soldats acceptant de servir aux côtés d’autres lignages, hors de leur région d’origine. C’est cette image rassurante, à l’opposé de la guerre endémique qui ravage Muqdisho, que le président du Somaliland doit promouvoir afin d’obtenir une évolution du dossier sur l’éventuelle reconnaissance diplomatique de son pays, que ce soit au Caire où il séjourne fin décembre ou à Londres et à Washington où il doit se rendre ensuite, accompagné de plusieurs membres de son gouvernement. Des contacts ont d’ailleurs déjà eu lieu avec les ÉtatsUnis à propos du renouvellement du bail de la base de Berbera et la poursuite de l’exploration pétrolière par une compagnie américaine1. En dépit de ces efforts, l’opposition soupçonne le pouvoir de vouloir établir une force essentiellement fondée sur des éléments Habar Garxajis, lignage rassemblant les Habar Yoonis, les Ciidagale et les Arab au détriment des Habar Awal et des Habar Jeclo. Bien que cette assertion soit réfutée avec véhémence par le président Tuur, il reste que les actions qu’il va mener seront perçues comme telles par ses opposants et que les événements de Berbera en 1992 vont donner quelque crédibilité à ces soupçons 2.
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LOI n°506, 14 décembre 1991 GILKES P.S. Two wasted years – The Republic of Somaliland 1991-1993. Biggleswade. Bedfordshire. 1993
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VI – 1991 : R ECONSTRUCTION DU N ORD - EST ET IM PLANTATION DES ISLAMISTES
Tandis que lentement mais sûrement la paix s’organise dans le Somaliland, tout occupé à assumer une déclaration d’indépendance qui l’a lui-même surpris, rien ne laisse entrevoir un scénario d’apaisement dans le Sud somalien. Hors ces deux espaces assez clairement dessinés, peu évoquent la région Nord-est du pays dont le quant-à-soi discret de la communauté des Majeerteen mérite aussi quelques commentaires.
DANS LE N ORD-EST, LE QUANT-A-SOI DU PAYS MAJEERTEEN Après que les combats se sont éloignés de leur terroir et avant même la chute du régime, les Majeerteen ont entrepris un processus de reconstruction de leur environnement. A cet effet, ils ont usé de deux leviers. D’une part, ils ont procédé à une réhabilitation de leurs instances traditionnelles pour dire le droit, d’autre part ils ont ressuscité leur vieux front, le SSDF, dont les dirigeants n’étaient pas étrangers à une certaine modernité.
Regard sur la géographie des clans Pour comprendre l’évolution que va connaître la région au fil des deux décennies à venir, il est nécessaire au préalable d’en identifier certaines caractéristiques. Le Nord-est de la Somalie est occupé par un grand faisceau lignager Darood dont les communautés se réclament d’un ancêtre commun : Harti. Ce sont les enfants de ce dernier en effet qui ont engendré les grandes familles : Majeerteen, Warsangeli, Dhulbahaante pour les lignages primaires majeurs, mais aussi Deshishe, Kaptanle, Tinle ou autres Gesugle. Cet espace Harti est circonscrit au nord et à l’ouest par
l’océan, à l’ouest approximativement par le 47e méridien aux confins du pays Isxaaq et au sud à hauteur du parallèle de Gaalkacyo par le pays Hawiiye des Habar Gidir Sacad. La géographie clanique de ces confins va avoir deux conséquences. La première, qui touche aux relations avec le Somaliland, est la plus problématique et la plus probable mais ne va pourtant pas immédiatement se révéler. En effet le Somaliland qui a déclaré son indépendance en mai 1991 se reconnaît dans les frontières de l’ancien protectorat britannique. Cependant, l’établissement Isxaaq/SNM qui préside à sa naissance procède à des politiques d’apaisement aux deux extrémités du territoire. Aussi, les clans Isxaaq de l’Est sont-ils plus ou moins tacitement convenus avec leurs lignages Harti, Warsangeli et Dhulbahaante, de définir les modalités d’un vivre ensemble serein. Mais ceci ne règle pas pour autant la problématique frontalière orientale du nouvel Etat où un tropisme ethnique menace structurellement de tirer Dhulbahaante et Warsangeli en direction des lignages Majeerteen, leurs frères en la communauté Harti. La seconde conséquence, d’emblée plus visible, mais qui finalement trouvera assez vite un règlement, résulte de la poussée au sud des pasteurs Hawiiye, favorisée par la présence des miliciens USC ; un scénario ambigu qui, aux premiers mois de 1991, s’inscrit entre disputes nomades ancestrales à propos des pâturages et contexte de chasse aux Darood telle qu’elle a été entreprise par les Hawiiye. Un troisième espace de difficultés, totalement inopiné, va également résulter de la problématique clanique quand, en avril 1991, après la chute de Kismaayo, des islamistes en fuite, Harti accompagnés de quelques Hawiiye, tentent de s’implanter à Boosaaso et dans la région de Garoowe. Depuis le XVIIe siècle en effet des familles Majeerteen et Dhulbahaante sont venues s’installer à l’autre bout du pays, autour de Kismaayo1, situation qui légitimise aux yeux des fuyards le choix de chercher maintenant refuge au pays de leurs pères.
Le retour aux arbitrages traditionnels Reste qu’avant d’être rattrapé par une problématique conflictuelle, c’est avec l’aide des clans que se remet progressivement en place en pays Majeerteen, où certes les clivages ancestraux sont toujours présents, un embryon d’administration. La société Majeerteen s’articule en une multitude de segments dont trois lignages cependant rassemblent la plus grande partie et dominent l’espace : du nord vers le sud, les Cismaan Maxamuud du Bari voisinent à l’est avec les Warsangeli, les Ciise Maxamuud du Nugaal avec les Dhulbahaante et les Cumar Maxamuud se partagent le Mudug avec les clans Hawiiye des Habar Gidir Sacad.
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Ils y ont été rejoints en 1975 par des familles Ogaadeen et Dhulbahaante relocalisées pour échapper à la famine.
Et pour l’heure, alors que le sud du pays plonge dans le chaos, chacun songe à réorganiser a minima la vie dans cette région dont les parties centrales et méridionales ont connu les exactions des troupes gouvernementales mais sans avoir été ravagées et qui se trouve aujourd’hui très éloignée de l’épicentre des conflits. Pas de problématique de réconciliation complexe à gérer non plus, comme au Somaliland, seulement un isolement, protecteur de fait, mais qui exige de gérer le manque de ressources qu’il induit. C’est pourquoi, dans un premier temps, le constat de la disparition de toute institution moderne formelle conduit à réhabiliter les pouvoirs des chefs de lignage, que l’on désigne ici sous le terme générique d’isimo1. Ceux qui représentaient naguère le jilib – le groupe de solidarité du mag – se voient dès lors naturellement impliqués dans l’administration et l’application de la loi coutumière retrouvée, le xeer. Certes, les pouvoirs recouvrés des isimo contribuent aussi inévitablement à renforcer l’attachement de la population au clan. Il n’en demeure pas moins que le fait est structurant même si la situation conduit aussi à une nouvelle tendance : les petits lignages cherchent à imposer leur propre isin, susceptible de les représenter, phénomène qui conduit à une multiplication des notables. La même tendance a d’ailleurs été observée au Somaliland. Il en ressort naturellement une situation tout à fait déconcertante pour qui ignore les règles de fonctionnement d’une société segmentaire décentralisée par nature au point qu’elle en vient même parfois à mettre à l’épreuve la patience… de ses propres isimo. Mais au plus haut niveau, ceux-ci voient bien leurs pouvoirs renforcés. Ils sont, en ce début d’année 1991, présidés par leur plus haute autorité, boqor Cabdullaahi boqor Muuse boqor Yuusuf King Kong, héritier des boqorro Majeerteen2, signataire du Manifesto et qui jouera un rôle important dans les prochains congrès du SSDF. En mars 1986, à la mort de son père, boqor Muuse boqor Yuusuf, la tradition voulait que sa succession revienne à Maxamuud boqor Muuse, à la fois fils aîné et fils comme l’impose l’usage d’une femme issue d’un clan Dir. Cette perspective allait dans le sens des souhaits des nomades du Bari et de la population de Qardho. Sauf que ni le gouvernement, ni les membres de son lignage résidant à Muqdisho ne tenaient à voir un simple nomade investi de cette charge. Il avait alors été imposé son frère cadet, Cabdullaahi boqor Muuse, avocat à Muqdisho. Les négociations s’étaient poursuivies jusqu’au mois de novembre, date à laquelle ce dernier avait été intronisé. En dédommagement, Maxamuud s’était vu remettre un véhicule 4x4 Toyota flambant neuf et 200 chameaux. Cette anecdote 1
Au singulier isin(-ka), le terme désigne une « personne honorée et respectée ». Au pluriel isimo(-ada) désigne les hautes autorités d’une entité lignagère. Le mot vient de l’arabe ﺳﻢ ْ [ ﺇar. ‘ism] le « nom ». Il prend ici le tour emphatique que l’on suggère en français dans une expression comme « il a un nom ». 2 Le boqor des Majeerteen est issu du lignage des Cismaan Maxamuud, établis dans le Bari et dont le centre est Qardho.
montre la nature des relations qui dans le paysage somalien relient toujours, même en ville, un individu aussi riche, aussi instruit, aussi éduqué soit-il – selon nos critères de modernité – à ses agnats et à leur territoire.
La reconstruction du SSDF et la poussée Hawiiye 14.[II-1991] Sur fond d’effondrement du régime, dans un contexte qui sur sa frontière méridionale conserve sa part de menace, est réapparu dans le Nord-est le mouvement d’opposition historique des Majeerteen, le Somali Salvation Democratic Front (SSDF). Passablement décati depuis l’enfermement du colonel Cabdullaahi Yuusuf en Éthiopie en 1985, il réinvestit maintenant un espace politique devenu vacant. Le mouvement, fondé en 1978 au lendemain de la guerre de l’Ogadén et le premier à s’opposer à Siyaad Barre les armes à la main, a connu des heures sombres. Après l’arrestation de son président, Xasan Cali Mire qui lui succède au congrès de 1986, démissionne deux années plus tard. En 1988 en effet, outre les dissensions internes qui le minent, c’est surtout l’accord de paix signé entre l’Éthiopie et la Somalie qui le neutralise, puisqu’il a pour conséquence immédiate le retrait de l’appui d’Addis Abäba au front. Ses armes sont confisquées et sa radio, Radio Halgan, qui diffusait depuis 1981 est fermée. Jusqu’à ce qu’en plein marasme, un Majeerteen installé à Deré Däwa, Muuse Islaan Faarax, se proclame chef du SSDF et s’attelle à la préparation d’une nouvelle assemblée. Au terme de celle-ci, le général Maxamed Abshir Muuse prend en 1989 le contrôle de l’organisation. Le général Maxamed Abshir, qui a croupi pendant de longues années dans les geôles de Siyaad Barre est une figure respectée dans toute la Somalie pour son intégrité. Un respect encore conforté par sa connaissance approfondie de l’islam, acquise pendant son séjour prolongé de treize années en prison.1 Mais c’est véritablement le 14 février 1991, quinze jours après la fuite de Siyaad Barre qu’une réunion décidée à la hâte à Gaalkacyo relance réellement le mouvement. Un comité de 76 membres est formé, pour la plupart Majeerteen, mais comprenant aussi des représentants des Leelkase et des Awrtable ainsi que quelques Mareexaan et des Ogaadeen. L’événement est placé sous le signe de la menace des Hawiiye qui ont entrepris à Muqdisho une chasse aux Darood. Maxamed Abshir est reconduit dans la présidence régionale pour le Nord-est, Muuse Islaan Faarax reste président national et porte-parole des Affaires étrangères par intérim. Il conduira la délégation du SSDF aux deux conférences de réconciliation qui se tiennent à Djibouti en juin et juillet 1991. Suite à ces conférences cependant, il abandonne la présidence au général Maxamed Abshir pour « assurer l’unité du SSDF et 1
Dont la plus grande partie à Labatan Jirow perdue au milieu de la brousse du Baay puis à Laanta Buur, au sud de Muqdisho.
le bien des gens du Nord-est de la Somalie ». En dépit de quelques dysfonctionnements, ce choix permettra en effet de surmonter les divisions et de créer une position cohérente sur la Défense. Contre les forces de l’USC, le SSDF unit alors ses forces avec celles de la milice Mareexaan du Galguduud et avec la Somali National Democratic Union (SNDU). Celle-ci, fondé en 1991, est implantée dans les régions du Mudug, du Galguduud et dans le district de Bartinle dans le Nugaal. Dirigée par Cabdullaahi Azari et par Cali Ismaaciil Cabdi Giir, son président, elle représente les clans Darood des Leelkase et des Awrtable. Une stratégie d’alliance justifiée. Depuis le mois de février 1991 en effet, au niveau du parallèle de Gaalkacyo, la poussée des pasteurs Hawiiye vers des zones de pâturages traditionnels des Majeerteen est vigoureusement soutenue par la pression des miliciens de l’USC du général Caydiid. La situation s’est détériorée le 26 février, quand vers 3 heures du matin, les troupes de l’USC-Caydiid ont attaqué Gaalkacyo, capitale du Mudug dont la partie sud est habitée par les clans Hawiiye. Un millier de miliciens pénètrent dans les maisons situées au nord de la ville et où demeurent la plupart des Majeerteen, massacrant la population. Simultanément, tirs d’artillerie et de roquettes s’abattent sur cette partie de la ville occasionnant près de 500 morts et plus de 1000 blessés. Le 28 février, le bureau USC de Londres annonce que la ville de Gaalkacyo a été « libérée des éléments du régime de Siyaad Barre », inscrivant clairement l’attaque dans le processus lancé à l’encontre des Darood du Mudug et du Bari.
LA REORGANISATION DU SSDF ET DE SON ESPACE Bien que la tension perdure autour de Gaalkacyo mais également en brousse, l’alliance autour des Majeerteen parvient finalement à se ressaisir. Une ligne de front est rétablie, le long de laquelle les accrochages ne diminueront que lorsque les pluies de gu’ seront venues remplir les puits et redonner quelques couleurs aux pâturages.
La convention de Garoowe [VI-1991] Au mois de juin, face à l’évolution rapide de la situation à travers l’ensemble de la Somalie, une seconde conférence des régions du Nordest est convoquée. Elle rassemble les dirigeants du SSDF parmi lesquels on compte Cabdirisxaaq xaaji Xuseen and Maxamuud Yuusuf Aadan Muuro qui viennent de rentrer de la conférence qui s’est tenue à Djibouti entre les 5 et 11 juin, Djibouti I. Elle compte aussi des représentants des clans Mareexaan du Galguduud qui se sont joints aux forces du SSDF dans la bataille pour Gaalkacyo1. L’ordre du jour de la conférence porte sur quatre points : - la défense du Nord-est, notamment la protection la route GaalkacyoBoosaaso et du port de Boosaaso ; 1
Dr. Z. Farah, 1998
- la résolution du problème de direction du SSDF et la désignation de son comité central ; - le positionnement des régions du Nord-est vis-à-vis de la prochaine conférence de Djibouti II prévue pour le mois de juillet ; - le positionnement face à la déclaration d’indépendance du Somaliland prononcée en mai 1991. Quatre jours de délibérations intenses se concluent sur une série de principes. C’est à eux qu’en dépit des lectures pas toujours identiques qui en seront faites, les autorités du faisceau lignager Majeerteen vont néanmoins s’accrocher : les Go’aanada shirweynaha Gaaroowe, les « décisions de la convention de Garoowe » vont fonder l’organisation du Nord-est, à défaut d’en toujours établir clairement les positionnements politiques. C’est ainsi que, pour la première fois, il est convenu qu’une administration interrégionale – Bari, Nugaal et Mudug – serait établie afin de rapprocher les administrations locales des régions et des districts. Jaamac Cali Jaamac, mandaté comme coordinateur de l’exercice se voit octroyer des pouvoirs d’exception propres à lui faciliter la tâche. Il peut notamment s’appuyer sur un accord en 16 points lui donnant, on l’espère, les moyens de venir à bout des oppositions ou des obstructions. La question essentielle étant de savoir si l’administration de la région serait indépendante ou si elle se placerait sous l’égide du SSDF, l’affaire est réglée par un compromis transitoire : quinze secrétaires d’État seront désignés, cinq pour le SSDF et dix pour les régions. Les décisions prises lors de la conférence de Djibouti I, à laquelle ont assisté SSDF, USC, SPM, SNM, SDA et USF, ont été rapportées par Cabdirisxaaq xaaji Xuseen et le reste de sa délégation. Fort du fait que les principaux points évoqués se sont conclus sur la décision de convoquer dans les trente jours une prochaine conférence, Cabdirisxaaq souligne l’importance de participer à ce Djibouti II et invite la communauté à bien s’y préparer. Le shirweyne de Garoowe répond à la déclaration d’indépendance du Somaliland en évoquant la contribution de celui-ci à l’histoire politique de la Somalie, en particulier dans le travail d’union du Nord et du Sud en juillet 1960 pour former la République de Somalie. Appuyée sur cet argument, elle lance à son gouvernement un appel à ne pas cautionner une logique séparatiste. Sur le plan de l’organisation sécuritaire régionale enfin, la stabilité de Boosaaso se pose en toute priorité. La protection du port est identifiée comme l’élément-clé de la survie économique de la région. Un accord est enfin trouvé pour faire de Garoowe la capitale d’une région qui n’est encore que région Majeerteen. Ainsi, bien que perdurent des divisions au sein du SSDF et que demeurent de nombreuses différences dans l’approche régionale, il est clair que sans présumer des difficultés à venir, la conférence n’en est pas moins largement couronnée de succès.
Le SSDF et le retour du colonel Cabdullaahi Yuusuf Axmed Mais c’est en juin 1991 aussi que, libéré des geôles éthiopiennes après le renversement de Mengestu, le colonel Cabdullaahi Yuusuf regagne son pays. A Garoowe, comme l’on pouvait s’y attendre, il cherche immédiatement à récupérer la direction d’un mouvement qu’il a créé quelques années plus tôt. Déclinant l’offre d’un second rôle dans sa
hiérarchie, le portefeuille de la Défense, il revendique d’emblée son ancienne position de président du SSDF. Celui-ci se scinde alors en trois tendances sans qu’il n’en résulte pour autant une rupture définitive : d’ailleurs, la première qui rassemble d’anciens officiels de haut rang du précédent régime – Xasan Abshir Faarax, ancien maire de Muqdisho, le major général Maxamed Jibriil Muuse, ancien chef du NSS, et d’autres encore – se résigne à un mariage de raison avec la deuxième, l’aile armée du SSDF rassemblée derrière le colonel Cabdullaahi Yuusuf ; la troisième autour du général Maxamed Abshir Muuse représente en définitive les signataires du Manifesto et ceux qui maintenant se rallient à son esprit. Au bout du compte, force est de constater que si les deux hommes se positionnent différemment sur les problèmes, ils suscitent par ailleurs des soutiens complexes qui dépassent facilement la stricte obédience clanique. Le général Maxamed Abshir Muuse, personnalité respectée, est perçu comme un partisan de la conciliation, un sulux, près à s’entendre avec les Hawiiye du Manifesto, alors que de nombreux Harti qui viennent de perdre des parents dans la chasse aux Darood récemment lancée par l’USC ou sur le front de Gaalkacyo, sont davantage enclins à la vengeance ; et pour l’heure, sa principale préoccupation porte sur la représentation du Nord-est à Muqdisho comme au niveau national et international. Cet excellent profil ne l’empêche pas, par naïveté ou par conviction, d’avoir récemment été le cheval de Troie de l’Itixaad dans le Nord-est somalien. Peut-être aussi pense-t-il que cette sagesse et cette mesure que chacun se plaît à lui reconnaître pourraient le poser en recours face aux deux dirigeants de l’USC qui ne parviennent à s’accorder. C’est en tous cas le point de vue du Caire qui mise sur lui et le finance, la perception d’Addis Abäba également mais qui a contrario s’accommoderait mal d’un rôle important dévolu au dévot général. Le colonel Cabdullaahi Yuusuf se pose pour sa part en champion du Nord-est, homme de guerre, impliqué sur la défense de terrain, garant de l’intégrité du pays. Tout intransigeant soit-il, il renvoie néanmoins l’image pragmatique d’un politique prêt à reconnaître et à utiliser l’expérience des hommes de l’ancien régime. Chef Darood charismatique, il apparaît – même si le moment ne s’y prête pas crédible dans sa capacité à s’entendre avec Caydiid, également considéré comme un chef charismatique parmi les Hawiiye. Pour l’heure, c’est la pression aux portes de Gaalkacyo qui permet de rapprocher les positions1. S’agissant avant tout d’envisager unis la reprise de la localité, le comité central du SSDF et les isimo Majeerteen décident de se réunir une nouvelle fois à Boosaaso. Les différends y 1
En 1992, alors que la guerre civile fait rage dans le reste du pays, le SSDF et la population du Nord-est resteront arc-boutés sur la défense de cette frontière sud. Mais entre 1991 et la Conférence de réconciliation à Addis Abäba, en mars 1993, il y aura eu environ douze affrontements armés d’importance entre l’USC et le SSDF à Gaalkacyo et dans le Mudug.
sont momentanément aplanis et un compromis est trouvé : Maxamed Abshir Muuse conservera la fonction de président et Cabdullaahi Yuusuf occupera celle de vice-président. Le secrétariat général sera dévolu à Maxamed Abshir Waldo. Car si la relation est difficile entre les deux dirigeants du SSDF, si chacun appartient à un segment Majeerteen différent, les points communs ne manquent pas non plus entre les deux hommes. Dans des contextes peu comparables il est vrai, ils ont subi l’arbitraire du précédent régime. Maxamed Abshir est resté en détention en Somalie pendant la plus grande partie du gouvernement de Siyaad Barre ; Cabdullaahi Yuusuf a été un détenu politique à la fois dans les prisons somaliennes puis éthiopiennes. Aussi, quelques semaines plus tard, toujours en juin, alors que commence la petite saison sèche de xagar, les miliciens du SSDF sous l’autorité du colonel Cabdullaahi Yuusuf, réengagent-ils les forces Hawiiye à Gaalkacyo dont le contrôle est finalement repris à la fin de l’été. Une nouvelle ligne de front est alors établie à 30 km au sud de Gaalkacyo au niveau de Dagaari, courant vers l’est jusqu’à l’océan Indien. De même, sur le plan de l’organisation du territoire et avec l’autorité morale du clan du boqor, les Cismaan Maxamuud, parviennent-ils à unir, même de mauvaise grâce, leurs efforts jusqu’à parvenir à mettre en place une administration rudimentaire pour les trois régions Majeerteen. Aussi résulte-t-il de tout cela des aspects rassurants. Le siège de l’administration du SSDF est installé à Boosaaso. Une chambre de commerce rudimentaire s’y est mise en place, comme dans les deux autres provinces, à Garoowe et à Gaalkacyo. Le Front s’active aussi à établir un dynamisme local propre à développer un certain nombre d’activités et à favoriser les importations à travers le port, en pleine expansion. La mise en place d’embryons de services sociaux comme la santé et l’éducation se poursuit avec succès. La diaspora commence à revenir massivement de l’étranger. Le front asseoit ainsi son contrôle sur les provinces du Bari, du Nugaal et du nord de la région du Mudug, territoire traditionnel des Majeerteen, tout en évoquant discrètement son intérêt pour ceux des autres Harti, les cousins de l’ouest. Dans le domaine de l’établissement des administrations régionales et des conseils de districts en revanche, l’imbroglio clanique ne facilite pas les choses et rien ne se passe aisément. Si conformément aux décisions de la convention de Garoowe, le SSDF et les provinces du Mudug et du Nugaal se sont entendus sans difficulté particulière sur leurs représentants, la sélection se révèle plus compliquée dans le Bari où cohabitent des lignages en plus grand nombre. Aussi, malgré les pouvoirs qui lui ont été conférés, Jaamac Cali Jaamac se montre incapable de rassembler les propositions nécessaires. Pour sortir de l’impasse, le 21 décembre 1991, le SSDF, les chefs traditionnels et les chefs religieux, les hommes politiques et les intellectuels prennent le parti de former sous la direction du général Maxamed Abshir Muuse une administration du Nord-est dont le boqor Cabdullaahi boqor Muuse King Kong est nommé coordinateur. Mais rien n’y fait. Chargé de former
un cabinet, le boqor ne parvient pas davantage à mettre réellement en place la moindre administration. En désespoir de cause, on prévoit alors de soumettre le problème au 3e congrès du SSDF qui doit se tenir à Garoowe, à partir du 10 janvier 1992 1.
A l’ouest, les interrogations des clans Harti Un autre questionnement se dessine à propos des lignages Warsangeli et Dhulbahaante du Somaliland, les parents Harti des Majeerteen. Dans l’ensemble du Nord-ouest, les premiers accords de paix ont été conclus – accords de cessation des hostilités à Berbera en février 1991, shir de Burco en avril-mai de la même année, processus de paix en cours dans le Sanaag et le Sol. Aussi, dans le Somaliland Harti ils assureront jusqu’en 2003 une compétition politique à peu près pacifique. Ils ne seront pas suffisants néanmoins pour assurer la pleine sécurité et la stabilité au niveau local. Dans l’ensemble cependant, chez les Majeerteen du Nord-est comme chez les Isxaaq et les Dir du Nord-ouest, l’insécurité et l’anarchie qui ont suivi l’effondrement de l’État incitent les principaux dirigeants traditionnels et religieux ainsi que les intellectuels à s’entendre. Et il en va de même, dans les régions du Sool et du Sanaag. Dans la région de Sool par exemple, à majorité Dhulbahaante, le garaad Cabdulqaani convoque dès juin 1991 à Boocame une réunion dans le but de mettre en place une administration locale chargée de rétablir l’ordre dans les zones habitées par les clans Dhulbahaante. Sans ambiguïté, l’une des principales conclusions de ce shir interne a laissé apparaître une volonté de continuer à s’inscrire au sein d’une Somalie unie, seule vraiment capable de les protéger leur semble-t-il d’une hégémonie Isxaaq. Mais en ces temps de grande incertitude, il apparaît aussi à tous inopportun d’engager un tel débat quand il s’agit d’abord de consolider autour de soi la paix.
RESTAURATION DE L’ISLAM RADICAL : LE SANCTUAIRE DE BOOSAASO En revanche, alors qu’une somme de compromis prévaut sur l’ensemble du nord somalien, une situation plus complexe surgit inopinément en pays Majeerteen. Elle résulte de ces islamistes réfugiés de Kismaayo dont le comportement à Boosaaso commence à inquiéter la population jusqu’à ce que le Front lui-même s’en inquiète.
L’activité des islamistes à Boosaaso [IV/V-1991] C’est avec l’accord tacite du président du SSDF, le général Maxamed Abshir, que les membres de l’Itixaad al-islaami et de l’Islaax rescapés d’Araare ont trouvé refuge à travers l’ensemble du Nord-est et y ont obtenu des facilités incluant l’usage du port de Boosaaso et de son 1
LOI n°507, 21 décembre 1991
hôpital. Là, rétablis et réorganisés, le général qui les a jugé « libres de corruption » les a aussi laissés mettre la main sur la gestion du port ainsi que sur de nombreux établissements commerciaux. Une fois requinqués dans leur sanctuaire Majeerteen, les islamistes établissent une base importante à proximité de Qoow, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest. Conçu sur le modèle des camps d’entraînement afghans, le camp porte le nom de Nasruddiin, terme peu équivoque, grammaticalement construit sur un schéma morphologique « afghan » et que l’on peut traduire par « victoire de la religion ». L’installation devient rapidement le centre de l’activité régionale de l’Itixaad de sorte que, au milieu de l’année 1991, on estime déjà à un millier d’hommes le nombre des miliciens établis dans cette région. Car la plupart de ces islamistes appartiennent bien à une mouvance salafiste radicale qui a résolument opté pour la conquête du pouvoir par la lutte armée. Aussi, avant de poursuivre faut-il observer la situation de l’Itixaad et dimensionner son activité à l’aune des événements en cours. En dépit de leur récente défaite à Araare en effet, le mouvement s’insinue désormais dans tous les systèmes d’une société somalie déréglée et ouverte à tous vent, dans la moindre de ses fissures. Au point que, tant par les armes que par le prêche, Itixaad ou Islaax, jihād ou daʿwa, ostensiblement ou en secret, cet islam, à quelques années de là, pèsera lourd sur le destin de la Somalie. Mais pour en saisir la teneur, un retour est maintenant nécessaire sur les fondements récents du phénomène. C’est en 1979, après que l’imām Khumaīnī a renversé le régime iranien, que l’islam politique prend une dimension nouvelle. Commençant à devenir une force géopolitique importante, il remplace dès lors peu à peu le marxisme et le panarabisme comme principale idéologie populaire au Moyen-Orient. Lorsque l’Union soviétique envahit l’Afghanistan le 24 décembre 1979, de nombreux mujahidūn affluent de tout l’islam pour combattre en Afghanistan contre l’URSS. Ils sont soutenus d’une part par l’Arabie saoudite qui y voit une possibilité de diffusion du wahhabisme et d’autre part par la CIA, toujours prompte à rejouer l’histoire de l’Apprenti sorcier. À Peshawar, au Pakistan, l‘accueil et l’organisation des combattants étrangers sont confiés par le prince Turkī al-Faīṣāl – qui dirigera le renseignement saoudien de 1977 à 2001 – à un jeune homme issu d’une très riche famille saoudienne originaire du Yémen, ‘Usāma ben Lāden. Dix ans plus tard, en décembre 1989, après le retrait soviétique qui a été engagé à la fin du mois précédent, le 29 novembre, certains jeunes combattants somaliens commencent à regagner leur pays, accompagnés parfois de quelques camarades de lutte momentanément désoeuvrés. Ils ont alors acquis la certitude du bien-fondé et de l’efficacité de la lutte armée en vue d’imposer dans leur propre pays la lettre de l’islam.
L’Itixaad dans le Nord somalien Or en Somalie, depuis 1988, dans le Nord-ouest en particulier, la guerre civile a atteint un niveau de violence inouï. Au fil des combats, une partie importante de la population – au sein de laquelle figurent les membres de la branche nordiste de l’Itixaad – a trouvé asile en Éthiopie. Dans les camps près de la frontière, parmi les réfugiés se trouve un prêcheur réputé, le sheekh Cali Warsame Xasan Kibisdoon. Il y côtoie avec ses compagnons les membres de l’Islaax, tout aussi radicaux, mais qui pour leur part défendent une vision non jihadiste de l’islamisation. Tous contribuent en revanche, principalement à travers l’action humanitaire, à soutenir la lutte contre le régime somalien. Les fonds proviennent de la péninsule arabe et l’on peut observer, dans les camps de réfugiés répartis sur le côté éthiopien de la frontière, l’activité prosélyte autant qu’humanitaire de la Muslim World League comme celle de l’International Islamic Relief Organization, deux organisations dont on retrouvera la piste quand il s’agira d’évoquer le financement de la Qāʿida. C’est à ce moment-là aussi que l’on observe une dérive radicale devenue patente dans le discours de l’Itixaad. Sans impliquer une rupture rédhibitoire au sein du mouvement, elle atteste seulement les différents choix opérés dans le registre des formes d’actions. Ceux-ci sont orientés par le discours des mujahidūn revenus au pays après leur expérience afghane ainsi que d’une pression notable exercée à partir de Kharṭūm par Ḥasan at-Turābī, mentor du National Islamic Front (NIF) au pouvoir au Soudan et de son hôte – indésirable maintenant à Riyāḍ – le Saoudien acquis au salafisme radical qu’il a entrepris de développer : ‘Usāma ben Lāden. Pour la plupart cantonnés dans l’espace religieux, les salafistes ne disposent encore d’aucun équipement lourd en matière d’armement et ne représentent de ce fait qu’une force individuellement négligeable. Néanmoins, au fur et à mesure de la dégradation de la situation sécuritaire et de la mise en place concomitante du soutien saoudien, il se manifeste chez certains une volonté de quitter le strict espace du prosélytisme pacifique pour répondre à la sollicitation des héritiers des Frères musulmans dans leur forme la plus radicale. Ceux-ci sont en effet de plus en plus actifs dans la sphère musulmane dont, à la suite de l’effondrement du mur de Berlin, penseurs et théoriciens observent certes l’abandon occidental du Tiers monde, mais aussi et surtout son corollaire, une liberté d’agir recouvrée. Ici, en Somalie, loin des grands débats planétaires, s’installera, modestement dans un premier temps une petite milice, cantonnée à Satawa Weyne, à quelque 13 km au nordouest de Boorama. Spécifiquement chargée du transit logistique entre Djibouti et les groupes fondamentalistes de l’Est et du Sud de la Somalie, son camp proche de la frontière éthiopienne est petit, mais très actif. Il est géré par une poignée de Gadabuursi avec un effectif de 120 hommes.
Vers 1990, l’Itixaad met encore en place deux autres bases sur le territoire du Somaliland : à Yiroowe, près de Burco où réside le sheekh Cali Warsame Xasan et qui représente en quelque sorte le quartier général du mouvement ainsi qu’à Laas Caanood en pays Dhulbahaante, dans la région du Sool où se monte maintenant une base d’entraînement plus importante pour les milices. D’autres éléments de moindre importance s’éparpillent aussi, tant dans la province de l’Awdal que dans celle du Galbeed. Il reste qu’au fur et à mesure que se scelle le destin du régime de Siyaad Barre, la situation politique désolidarise mécaniquement les provinces du Nord où une paix relative va prévaloir assez vite de celles du Sud où un chaos protéiforme va s’installer pour des décennies. C’est pourquoi lorsque, en 1991, année 1410 de l’hégire, l’Itixaad apparaît pour la première fois sur la scène nationale par la proclamation d’un appel au jihād, elle peut légitimement se réclamer d’une existence plus ancienne et d’une stratégie déjà « longuement étudiée et mûrement réfléchie. »1
Le salafisme à l’heure des choix : daʿwa ou takfīr Avec la chute du régime toutefois, le mouvement salafiste somali se trouve au pied du mur. Enfin presque, car deux tendances sont déjà identifiables dans cette volonté de revenir à l’islam des aînés : un salafisme de prédication fondé sur le modèle wahhābī, préconisant un retour à l’islam des compagnons par la purification des comportements et l’éducation et un salafisme jihādī visant à renverser les États impies et à rétablir un khalifat musulman. Cette approche fonde progressivement sa légitimité dans les années 1980. Il sera conforté par les subsides d’ores et déjà reçus de l’Arabie saoudite et de certains émirats, en particulier Dubaï où les Somaliens ont émigré nombreux et Sharjah [ar. ﺍﻟﺸﺎﺭﻗﺔash-shāriqa], le plus intégriste d’entre eux. Mais un autre phénomène se dessine également sur la planète musulmane au fil puis au terme du conflit afghan ; ce que la sunna définit comme le petit jihād – le jihād du sabre – prend le pas sur les autres, celui « de la main », celui « de la parole » et surtout sur le grand jihād, le jihād « du cœur ». Concept complexe, peu accessible aux esprits les plus faibles, le jihād va, conjugué à la myopie tout autant qu’à l’ignorance des Occidentaux, replonger des pans entiers du monde musulman dans des ténèbres moyenâgeuses et le conduire aux pires excès. Ainsi, avant que l’Itixaad ne disparaisse en tant qu’activiste de la scène somalienne, il ne sera apparu à personne que ses éléments les plus déterminés aient pu être tentés par un aspect particulier de l’islam
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Le commandant désigné du bureau du jihād est Faarax Xasan Rooble.
militant : le takfīr1. Quelques précisions sur cette pratique qui va profondément marquer la société contemporaine et détériorer les relations ordinaires de l’islam avec le reste du monde. Les idées takfirī sont anciennes et remontent aux groupes kharijites qui depuis le VIIe siècle mènent une campagne violente contreʿAlī, ʿAlī ibn abu Ṭālib, tué en 661, quatrième khalife2 musulman, dernier des khalifes « bien guidés » [ar. ﺧﻠﻔﺎء ﺭﺍﺷﺪﻭﻥḫulafā’u r-rāšidūn] et gendre du Prophète. Le cœur de la doctrine soutient que la communauté musulmane contemporaine a sombré dans l’état d’apostasie et la pratique de l’incroyance, de l’athéisme et du refus [ar. ﻛﻔﺮkufr]. Pour la doctrine salafiste, les musulmans contemporains sont retournés à l’État antéislamique d’ignorance [ar. ﺟﺎ ِﻫﻠﻴّﺔjāhilīya]. En 1971 en Égypte, un mouvement nommé jamaʿa al-muslimīn et qui préconise la mise en œuvre systématique de cet aspect de l’islam, se forme sous la direction de Šukrī Muṣṭafa. Les médias égyptiens, probablement sur ordre du gouvernement, le feront connaître sous l’appellation de takfīr wa-l-hijra [ar. « ﺗﻜﻔﻴﺮ ﻭﺍﻟﻬﺠﺮﺓexcommunication et exode »]. Recrutant au sein des Frères musulmans, son fondateur s’est rangé aux vues révolutionnaires à travers la lecture de Sayyid Quṭb (1906-1966) et à travers sa propre expérience de la détention dans les prisons égyptiennes. Le mouvement étant responsable du kidnapping et de la mort d’un ancien ministre, Šukrī Muṣṭafa est exécuté en 1978. Les militants inspirés par les idées du takfīr n’en sortiront que plus enclins à prêcher l’extrême violence. Parmi eux, on comptera notammentʿ Aīman aẓ-Ẓuwāhirī, idéologue de la nébuleuse de la Qāʿida. Partant de l’idée simple selon laquelle le monde se divise en deux espaces : le domaine de la guerre [ar. ﺩَﺍﺭ ﺍﻟ َﺤﺮْ ﺏdār al-ḥarb] et le domaine de l’islām [ar. ﺩﺍﺭ ﺍﻹﺳﻼﻡdār al-’islām], il s’agit de procéder à une purification progressive de la planète, chemin théologique irréfutable vers l’idéal du jihadisme salafiste.
Conférence à Djibouti et restructuration de l’Itixaad [VI-1991] C’est ainsi qu’après Araare, chez les partisans somalis d’un islam radical, l’heure passe à la concertation. En juin 1991, la direction du mouvement convient de la tenue de ses premières assises, les premières depuis la chute du régime de Siyaad Barre. Elles seront placées sous l’autorité du sheekh Cali Warsame qui ne se prive pas de rappeler ses ouailles à la discipline en leur faisant remarquer comment, en contrevenant aux choix fondamentaux du mouvement, les chefs de la milice avaient à Araare occasionné une défaite catastrophique.
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Le terme [ar. ﺗﻜﻔﻴﺮtakfīr] correspond à une sentence d’apostasie et désigne la prononciation de la déchéance de l’état de musulman. 2 [ar. ﺧﻠﻴﻔَﺔḫalīf] « successeur »
Mais pour l’heure, l’organisation de la conférence a un coût aussi, comme toujours, tout commence par une histoire d’argent. Si l’Itixaad tire déjà une part de ses revenus des taxes sur le port de Boosaaso, il obtient plus encore désormais des donateurs étrangers. Parmi eux figurent les généreuses œuvres de charité saoudiennes, la Muslim World League1 en particulier à travers sa filiale l’International Islamic Relief Organization (IIRO)2. Les deux organisations sont représentées à Djibouti par un ressortissant saoudien, ʿAbduraḥmān al-Qāʿidī. Aussi peu de choses que l’on sache à son sujet, on sait qu’il a été entraîné en Afghanistan et qu’il ressemble fort à un officier des services de renseignement de l’Arabie saoudite. Il disposera en effet jusqu’à son rappel au Riyāḍ d’un statut diplomatique et on le verra régulièrement visiter la base de Qoow. C’est ainsi qu’au moment même où à Djibouti se réunit la première conférence de paix Djibouti I, se réunissent aussi les délégués de l’ensemble des courants fondamentalistes de l’islam somalien. Au fil de la conférence prévaut l’idée qu’il était nécessaire de consolider et de restructurer le mouvement. Les arbitrages s’arrêtent sur cinq divisions : - sheekh Cali Warsame est élu président et chef de son aile politique ; - Xasan Daahir Aweys3, son adjoint, est désigné chef de l’aile militaire ; - sheekh Kooxda Cabdulqaadir Gacamey, l’homme qui avait échoué à convaincre les militants de renoncer à leur choix insensé à Araare devient responsable pour la daʿwa. - les ressources financières et matérielles de l’organisation constituent les deux divisions encore à pourvoir : ressources et administration. La réunion entérine leur rassemblement en un bureau exécutif, le Maktaab4, qui en 1991 a donc dépassé le stade embryonnaire. Aussi estil envisagé, cela va sans dire dans la clandestinité, de parfaire en secret l’entraînement d’un millier de membres et de les soutenir financièrement, à partir de Muqdisho notamment. C’est à ce Maktaab aussi que revient la responsabilité de concevoir le nouveau jihād pour une période considérée, dans le domaine de l’entraînement militaire et dans celui des études religieuses, en vue de renforcer la qualité et la cohésion de l’organisation. À ce titre, le bureau est chargé d’administrer les milices et les camps d’entraînement5, ayant 1 2 3
[ ar. ﺭﺍﺑﻄﺔ ﺍﻟﻌﺎﻟﻢ ﺍﻹﺳﻼﻣﻲ- rābiṭat al-ʿālami al-’islāmī] [ar. ﻫﻴﺌﺔ ﺍﻹﻏﺎﺛﺔ ﺍﻹﺳﻼﻣﻴﺔ ﺍﻟﻌﺎﻟﻤﻴﺔ- haī’at al-’iġāݐa al-’islāmīya al-ʿālamīya]
Le colonel Hawiiye qui a quitté Caydiid à Araare pour rejoindre la milice islamiste. De [ar. « ] َﻣﻜﺘﺎﺏbureau » 5 En 1991, outre des revenus collectés directement à partir du port de Boosaaso, le mouvement bénéficie d’un financement de 1,4 million de dollars de la part de l’Arabie saoudite. En cette période « d’entraînement » où le souci essentiel porte sur le regroupement des milices, une première allocation a été répartie de la façon suivante : 2 000 dollars au profit du Nord-est, 1 000 dollars à Marka, 1 000 dollars pour le camp de Belet Xaawo… et 10 000 dollars pour les dépenses de Dhoobley. 4
toute latitude tant pour les déplacer que pour en changer les commandants. Ses principes d’actions s’efforcent d’être réalistes et la nécessité d’unifier les milices apparaît rapidement comme une nécessité. De même, le Maktaab doit rester vigilant face à certains écueils, notamment les dangers de sécession qui pourraient résulter d’un sentiment régionaliste particulier. À cet effet, il compte sur la coexistence au sein d’une organisation animée par une direction et un idéal communs pour éliminer tout réflexe clanique. On peut ainsi lire dans le manifeste de 1991 : « Une gestion cohérente de la coopération entre les différentes composantes des forces islamiques devra tout d’abord permettre aux régions de déclarer un autogouvernement islamique. Au terme de cette étape s’imposera naturellement un gouvernement islamique, émanation de ces régions islamiques unifiées. La croissance économique viendra naturellement à bout des conflits en cours et des querelles intestines. La vengeance n’aura droit de cité où aura été déclaré le droit musulman. »
Définition d’une stratégie La politique retenue par le Maktaab consiste tout d’abord à s’entendre sur l’emplacement à partir duquel, les milices une fois réunies, le jihād pourra être lancé. Après un long débat et une discussion serrée, c’est la province de Bari qui est retenue. Outre le fait qu’ils y soient confortablement installés, ce choix tout à fait défendable se fonde aussi sur un certain nombre de caractéristiques naturelles de la région. Sa situation centrale au sein d’un environnement exclusivement musulman apparaît propice au rayonnement vers le reste du monde somali. Elle dispose aussi d’une côte importante, le long de laquelle chaque crique peut devenir un port et où l’arrière-pays dispose d’abondantes ressources en eau la rendant à la fois propice à l’agriculture, à l’élevage et à la pêche. Par ailleurs, au plan sécuritaire, son environnement montagneux est approprié aux exigences de la sécurité et aux opérations de guérilla. La présence d’une base islamique forte se trouve confortée enfin par l’existence d’un port sous contrôle, puisque la sécurité du port de Boosaaso est maintenant déléguée à la communauté religieuse. Aussi estiment-ils, non sans un certain optimisme, qu’il serait impossible à quiconque de s’en emparer sans pertes conséquentes. L’échec récent d’Araare aurait pu inciter tout ce monde à la prudence. Il n’en est pourtant rien. Cette analyse euphorique n’envisage à aucun moment que d’autres forces, politiques notamment, sont alors en train de chercher à s’organiser autour du mouvement Majeerteen, le SSDF. Afin de tourner court aux nombreuses objections qui ne manquent quand même pas de s’élever, Xasan Daahir Aweys conclut la réunion en avançant qu’Allah « trouverait à la milice un passage sûr vers la destination choisie ». Face à cet apodictique argument, il ne reste aux
tièdes qu’à se taire. Après avoir approuvé le lieu et le principe du regroupement des milices, le Maktaab propose le moment venu de lancer le futur jihād le long des axes suivants : - la milice établie dans le secteur Marka/Qoryoole fera mouvement en direction de Cadaado, dans le Galguduud, entre Dhuusa Mareeb et Gaalkacyo ; - la milice du Bari progressera le long de la route du Mudug au Galguduud par Buur Yaqab et Gaalkacyo ; - la milice de la zone Dhoobley/Belet Xaawo1/Ceeleeye se dirigera vers la région de Ceel Cad. - l’axe propre à rapprocher de la capitale les milices du Nord et du Nord-ouest, renforcées des éléments du Sool et du Sanaag, sera ultérieurement déterminé dans le cadre de trois opérations envisagées à partir de Satawa Weyne, Yiroowe et Dägähabur en Ogadén éthiopien. Au terme de ce congrès, l’Itixaad sort réellement de l’ombre le 29 novembre 1991, à l’occasion d’une conférence de presse qui trouve un large écho dans les journaux somaliens et au cours de laquelle sheekh Cali Warsame s’affirme clairement comme le chef du mouvement. C’est paradoxalement la situation politique en perpétuelle dégradation de la Somalie qui va venir à la fois contrarier le plan pour le moins optimiste du Maktaab mais également lui permettre d’augmenter confortablement les effectifs du mouvement. Très vite la coordination entre les provinces, les bureaux et les camps se révélant difficile, la nécessité de déterminer une stratégie plus claire, plus globale et surtout plus réaliste, s’impose. La décision est prise d’améliorer les contacts avec les groupes du Sud, relais indispensables pour mener à bien le grand projet sur l’ensemble de l’espace somalien. Mais il est aussi un sous-entendu dans les propos du mouvement islamiste, un sous-entendu auquel il n’a pas renoncé. Le choix du Bari et plus particulièrement de Boosaaso comme centre stratégique ou comme base arrière de ses opérations induit une volonté de s’y imposer sans réserve. Le port ouvre effectivement nombre de facilités sur le monde en général, mais il les ouvre en particulier sur les espaces radicaux du monde arabo-musulman. Pour ce faire, il convient au préalable de s’affranchir impérativement de toute organisation politique qui pourrait concurrencer leur pouvoir et la prendre de vitesse dans la conquête de l’espace. Or là encore, la cotte est mal taillée et le mouvement va faire preuve d’une myopie étonnante. Il n’identifie ni la réalité du terrain ni la représentation identitaire profonde des clans Majeerteen à un parti politique ; un parti qui a représenté leur révolte contre le régime déchu et s’affirme aujourd’hui leur rempart contre les débordements des factions Hawiiye qui combattent à son sud. 1
Le « village » [som. buulo(-da)], mot formé sur le pluriel de buul(-ka), la « hutte »] de Buulo Xaawo, qui a grandi, est identifié maintenant comme une ville [som. beled(-ka)] et est devenu Belet Xaawo.
L’indulgence à leur égard du général Maxamed Abshir leur occulte enfin une autre menace. Face à eux, ils vont maintenant trouver un vrai soldat de métier, aguerri et de talent, le colonel Cabdullaahi Yuusuf Axmed qui vient de reprendre sa place dans le paysage politique Majeerteen.
LES PREMIERS COMBATS DE CABDULLAAHI YUUSUF AXMED Quels que soient les congrès, les controverses et les inimitiés qu’il puisse susciter, quand en juin 1991 le colonel Cabdullaahi Yuusuf resurgit dans le débat, il s’impose de la tête et des épaules comme l’homme fort du Nord-est.
Le registre relationnel de Cabdullaahi Yuusuf L’énergie et le charisme du fondateur du SSDF fascinent davantage ses congénères qui le voient d’emblée réagir face aux miliciens Hawiiye à Gaalkacyo que Maxamed Abshir ou le boqor Cabdillahi aussi respectés soient-ils, l’un pour sa foi l’autre pour son rang. En juin 1991, quand il revient aux affaires, deux préoccupations et un sujet de réflexion se présentent à l’esprit du colonel : - au sud se situe le souci le plus immédiat, la menace des attaques de l’USC à hauteur de Gaalkacyo ; - dans le nord, l’activité de l’Itixaad qui a maintenant la haute main sur la gestion du port de Boosaaso et dont la présence devient de plus en plus prégnante ; - à l’ouest, une interrogation sur l’indépendance du Somaliland et la légitimité de son autorité sur les régions du Sool et du Sanaag. C’est à partir du problème du Mudug que le SSDF va se séparer radicalement en deux mouvances, après que le colonel Cabdullaahi Yuusuf est entré en conflit ouvert avec le général Maxamed Abshir et le boqor Cabdullaahi King Kong. À ses yeux, le premier trop proche des mouvements musulmans et le second trop lié aux affairistes de Muqdisho sont peu ou prou plus globalement disqualifiés par leurs accointances avec le Manifesto et la seule mouvance de l’USC-Mahdi. L’aile militaire du SSDF conduite par le colonel est favorable à une stratégie de consolidation à long terme de leur récente victoire à Gaalkacyo et préconise aussi une alliance avec les anciens agresseurs. Une alliance avec Caydiid, contre Cali Mahdi donc, mais aussi une sortie de guerre ordinaire dans le monde somali. Sauf qu’elle ne se déroulera pas dans les mêmes conditions que ce que préconisent ses concurrents. Car sa façon résultera d’une relation ancienne avec Maxamed Caydiid. Tous deux sont nés dit-on le même jour, le 15 décembre 1934, le premier à Beledweyne, le second à Gaalkacyo. Entre eux, outre des similitudes de tempérament, il existe aussi une relation familiale du côté de leurs mères. Et puis ils se connaissent, ont une forme d’intimité. Leur état d’officier, leurs formations, à l’école des
cadets de Gaalkacyo puis en Italie1, leurs prouesses de soldats en Ogadén, leur fréquentation des prisons de Siyaad favorisent la capacité à s’entendre sur bien des points. L’aile intellectuelle en revanche conduite par Maxamed Abshir Muuse, n’éprouve aucune sympathie pour le général Hawiiye. D’autant moins que dès 1991, après l’attaque sur Gaalkacyo, un envoyé de l’USC-Mahdi a rencontré Mohamed Abshir en lui faisant valoir le souhait de son mouvement à engager les régions de Mudug et du Bari dans des pourparlers de réconciliation. Et puis il ya cette indulgence à l’égard des islamistes qui chagrine Cabdullaahi Yuusuf. C’est donc bien au regard des menaces qui se dessinent, sinon des agressions qui viennent d’être perpétrées que les divergences entre les deux hommes vont prendre un tour plus rude. Le général Maxamed Abshir Muuse, représentant en l’occurrence le clan du Centre, les Ciise Maxamuud, rassemble plutôt un SSDF politique porté au compromis tandis que le colonel Cabdullaahi Yuusuf représentant le clan du Sud, les Cumar Maxamuud, géographiquement établis sur la ligne de front face aux Hawiiye, porte le discours d’une aile militaire, souvent plus audible en ces temps incertains.
Le colonel Cabdullaahi Yuusuf et le SSDF Emergency Committee [16.V-1992]
Cela dit, à travers leurs négociations avec les chefs du Sud, il faut observer que si les deux hommes auront fréquemment des divergences de point de vue sur l’intérêt du Nord-est à soutenir Muqdisho, aucun ne suggérera explicitement de rompre avec la Somalie comme a pu le faire le Somaliland. Et puis, fort d’un contexte régional stable, au niveau lignager notamment, le SSDF dès le second semestre de 1991, utilise surtout son énergie à établir une situation prospère. La mise en place d’embryons de services sociaux comme la santé et l’éducation se poursuit avec succès. La diaspora même commence à revenir massivement de l’étranger. L’administration du front asseoit ainsi son contrôle sur les provinces du Bari, du Nugaal et du nord de la région du Mudug, territoire traditionnel des Majeerteen, tout en évoquant déjà son intérêt pour ceux des autres Harti, situés à l’ouest. L’exercice est favorisé par l’existence d’un port qui d’une part n’a pas été détruit par la guerre et qui d’autre part bénéficie d’un accès routier le mettant en situation d’irriguer toute la Somalie. Favoriser les importations à travers le port de Boosaaso, en pleine expansion, il se met en place un contexte une atmosphère sous bien des aspects 1
Il existe une photo datée au crayon de 1954, mais plutôt prise entre 1956 et 1957, qui montre les deux jeunes gens côte à côte à l’académie militaire de Cesano en Italie. Tous deux figurent parmi les quatorze jeunes cadets qui ont été désignés par le colonel Ibraahin Rooble Warfaa Doonyaale pour y suivre le cours de l’école d’infanterie en vue de constituer la future armée somalienne.
rassurants pour la population. Le siège de l’administration du SSDF est installé à Boosaaso. Une chambre de commerce rudimentaire s’y est mise en place comme dans les deux autres provinces, à Garoowe et à Gaalkacyo. Une note discordante cependant, le comportement de plus en plus envahissant de la communauté islamiste installée précisément dans la cité portuaire. En mai 1992, un shir rassemblant les chefs traditionnels et les chefs politiques du pays Majeerteen se tient à Garoowe pour discuter de la mise en place de la nouvelle administration interrégionale. La réunion, placée sous la direction d’un comité préparatoire [som. guddi qabanqaabada] conduit par un isin du Nugaal, suldaan Saciid Mohamed Garasse, compte des experts et des civils, la plupart proches du général Maxamed Abshir Muuse. Mais au même moment, à Djibouti, un autre groupe de dirigeants, alliés ceux-là à Cabdullaahi Yuusuf – Xasan Abshir Faarax, Abshir Muuse, le général Cabdullaahi Siciid Samatar – se réunissent pour évoquer un ordre du jour qui revient toujours somme toute sur les trois points habituels, mais qui en l’occurrence diffèrent sur l’ordre de leur traitement : le problème posé par l’Itixaad, la défense contre les attaques menées par l’USC dans la région de Mudug et la manière dont il convenait de renforcer l’administration du SSDF. Aussi, en toute confidentialité, le groupe élabore-t-il un projet de décrets appelant à la mise sur pied d’un SSDF Emergency Committee [som. degdeg ah guddi] habilité à agir « uniquement pour les questions de défense, mais lui attribuant des pouvoirs extraordinaires ». À leur retour à Boosaaso, ils persuadent d’éminents chefs traditionnels de la nécessité de placer Cabdullaahi Yuusuf à la tête de ce comité afin de faire face aux menaces posées et par l’Itixaad et par l’USC. D’emblée, le général Maxamed Abshir atermoie en avançant qu’il tenait à s’assurer du fait que le colonel ne briguait pas la présidence du SSDF, mais qu’il s’attachait uniquement à défendre les régions Nord-est. Sauf que Siyaad Barre venant de fuir vers le Kenya et Maxamed Caydiid contrôlant une grande partie du Centre-Sud de la Somalie, y compris le sud de la région de Mudug, la menace Hawiiye est devenue telle que Maxamed Abshir n’est pas en mesure de s’opposer à la pression des événements. C’est ainsi que, le 16 mai 1991, le comité central du SSDF et les chefs traditionnels des clans de la région Nord-est publient conjointement un décret dissolvant le cabinet formé par le boqor Cabdullaahi King Kong qu’ils remplacent par un comité d’urgence dirigé par le colonel Cabdullaahi Yuusuf, commandant de la milice du SSDF.
L’élimination de l’Itixaad [19/26.VI-1992] Au fil des mois, la présence de l’Itixaad dans le Nord somalien s’est de plus en plus mise à ressembler à un État à l’intérieur de l’État SSDF. Or si on avait accueilli ici les islamistes, il est clair aussi néanmoins que l’on ne les y avait pas invités. Or leur agressivité, religieuse et économique,
suscite désormais un nombre croissant de tensions entre les deux organisations. Les islamistes en effet se sentent le devoir d’entreprendre in situ l’éradication de toute présence étrangère à l’islam, ce qui ne correspond pas à la stratégie politique d’un SSDF plutôt enclin à trouver à l’étranger, même en Occident, les moyens nécessaires à sa transformation en une entité politique définitivement viable. La mise en alerte des Majeerteen a définitivement dépassé le seuil de l’agacement le 5 janvier 1992, quand des miliciens portant les tenues de l’Itixaad ont ouvert le feu sur un groupe de travailleurs humanitaires dans un bar à thé situé près de l’hôtel Ga’ayte à Boosaaso. L’attentat fait une victime, Martinka Pumpalova, une pédiatre bulgare de 51 ans travaillant pour l’UNICEF et blessant deux de ses collègues somaliens. Moins d’un mois plus tard, la milice de l’Itixaad attaque une station de police de Boosaaso où l’un de leurs membres, originaire du sud a été emprisonné. L’opération qui tourne mal se termine sur la mort d’un certain nombre de policiers et d’une femme des environs ; deux autres policiers et de nombreux badauds sont blessés. Au cours des mois qui suivent, il est devenu évident que les membres de l’Itixaad de plus en plus despotiques cherchaient à étendre leur influence et leur pouvoir sur le Nord-est. C’est pourquoi, à l’ordre du jour de la réunion qui rassemble à la mijuin, à Garoowe les dirigeants le SSDF figure une requête du colonel Cabdullaahi Yuusuf. Celui-ci considère que le port de Boosaaso devait être à nouveau placé sous le contrôle du front. Changeant aussitôt de casquette, il établit que le comité d’urgence à la tête duquel il a été nommé le mois précédent était désormais habilité à gérer les revenus des installations portuaires ainsi qu’à procéder à la saisie des propriétés et des actifs qui s’y trouvaient. Ce dernier argument, astucieux, vise à dissuader les attaques Hawiiye dans le nord du Mudug en menaçant leurs avoirs à Boosaaso. Bien qu’irrités d’avoir perdu la gestion du port, les membres de l’Itixaad qui ont considérablement investi le tissu économique régional ne considèrent pas encore vraiment que ce soit le début d’une campagne à leur encontre et estiment que ni le SSDF ni le comité d’urgence ne les percevaient encore à ce stade comme une menace majeure. En réalité, les dirigeants du SSDF soutenus par les clans locaux considèrent bel et bien que l’Itixaad doit être débandé. Cabdullaahi Yuusuf a d’ailleurs déjà obtenu à cet effet de son allié éthiopien l’approvisionnement en armes et en munitions nécessaire à assurer le succès d’une éventuelle opération qui ne manquera pas de s’imposer. Ainsi, dans la deuxième quinzaine de juin, après de nouveaux affrontements entre les forces du SSDF et les partisans de la formation islamiste, le colonel Cabdullaahi Yuusuf profite d’une absence de Maxamed Abshir, parti en Arabie saoudite, pour se défaire d’un mouvement devenu désormais trop encombrant. Cette fois cependant, les décisions de la réunion ont été anticipées par Xasan Daahir Aweys, le chef opérationnel de l’Itixaad. Informé de ce qui se tramait désormais
à son encontre, le mouvement se signale au matin du 19 juin, en décrétant le jihād. Avec ses quelque 1 500 hommes, il se lance simultanément dans une tentative de prise du pouvoir et s’empare de la ville de Garoowe, du port de Boosaaso, ainsi que des principales localités situées le long de la route qui relie les deux villes stratégiques. À Garoowe, plus de cinquante chefs traditionnels, hommes politiques et autres personnalités sont réunis afin d’échafauder un plan de mobilisation des ressources pour le comité d’urgence. Les mujahidūn qui interdisent les axes entrant et sortant de la localité s’emparent de l’ancien camp militaire situé à proximité de l’endroit où la direction du SSDF est encore réunie en session. Aussitôt pris en otage par les miliciens, ils sont rassemblés sous bonne garde dans le camp de Higle, à quelques centaines de mètres de la sortie sud-ouest de la ville. Avec la direction du SSDF et les principales localités de la région entre leurs mains, l’Itixaad déclare une nouvelle administration pour le Nord-est. Mais le rêve brutal et hâtif d’instauration d’un émirat islamique dans le Bari n’est pas appelé à un destin brillant. Sous l’impulsion du colonel Cabdullaahi Yuusuf, les forces du SSDF, soutenues par un cortège de milices Majeerteen, se rassemblent en toute hâte ; la conclusion est rapide. L’incontestable courage des mujahidūn n’a aucune chance de venir à bout de la détermination des Majeerteen qui réagissent en l’occurrence comme savent le faire les Somalis à toute velléité d’ingérence étrangère à leurs propres desseins. Après de violents combats, le mouvement islamiste est mis en déroute et le SSDF reprend le contrôle de l’ensemble. Les port et aéroport de Boosaaso sont repris. Les otages de Garoowe sont libérés sains et saufs. Au 26 juin 1992, plus de 600 miliciens de l’Itixaad ont été tués. L’ancien commandant militaire de Kismaayo, sheekh Maxamuud Ciise Abuu Muxsin est blessé et il ne reste aucun combattant dans les zones du Nord-est, désormais sous contrôle du SSDF. 1 Mais le conflit aura aussi été résolu au terme d’un compromis. Les membres Harti du groupe salafiste sont autorisés à demeurer en tant qu’organisation non armée. Cantonnant leur activité dans les registres religieux et sociaux, ils s’engagent à abandonner toute activité politique. Ce compromis, largement inspiré par le général Abshir Muuse qui les avait naguère soutenus, conduit bon nombre d’entre eux à demeurer dans le Nord-est, réorientant tranquillement leur énergie vers les
1
Le SSDF fait état de 200 morts dans ses rangs et d’un millier de blessés au total. Parmi les victimes au sein de l’Itixaad, se trouvent le docteur Cabdirisaaq Faarax, chef politique du Nord-est, les colonels Maxamuud Ciise Abu Mushiin, Faarax Xasan Faarax Waji Xun et sheekh Siciid Maxamed Orfaane, le lieutenant-colonel Ina Ciisman Garyare Abu Jabr, ex-commandant de la base de Qoow et le commandant Cabdurashiid Guuleed Warfaa.
affaires, la prédication, l’enseignement et le secteur judiciaire, toute activité compatible avec la règle de l’Islaax1. Pour les autres, l’affaire est moins simple. Il s’agit d’une véritable débâcle. D’autant que compte tenu de ses accointances claniques, leur chef, Xasan Daahir Aweys [Hawiiye/Habar Gidir/Sacad] est soupçonné par les Majeerteen d’utiliser l’Itixaad comme un front de soutien au général Caydiid. Aussi, prenant avec eux leurs familles et formant une colonne de plusieurs centaines de personnes, les autres rescapés se dirigent en désordre vers une sécurité qu’ils vont chercher dans les reliefs situés en pays Warsangeli dans la région du Sanaag, à l’ouest de Boosaaso.
La menace Hawiiye, le charbon de bois et le pillage des eaux Les islamistes chassés, peu d’incidents armés, dans les années qui suivent, ne viennent perturber la stabilité intérieure de la région Nordest. Seule, aux confins sud de l’aire Majeerteen, une tension perdure face aux tribus Hawiiye et à leur protecteur l’ USC-Caydiid. Le retour à un calme acceptable va procéder de deux démarches. Caydiid en effet est sollicité sur trois fronts : Muqdisho bien sûr où perdure la contestation de USC-Mahdi, Kismaayo et l’outre-Jubba où Moorgan, Gabiyow et les Mareexaan du SNF accumulent de l’armement et menacent de reprendre l’offensive, le nord enfin où il a entrepris de concentrer des troupes dans les provinces centrales du Mudug et du Galguduud. Une menace qu’au début du mois de mai 1992, le SSDF prendra suffisamment au sérieux pour reporter sine die le congrès qu’il devait tenir à Garoowe. 2 Ne pouvant assumer simultanément ces trois fronts, Caydiid n’a d’autre choix que de soulager le moins menaçant. Or les Majeerteen du Mudug n’étant qu’en posture défensive, un relâchement de la pression sur Gaalkacyo suffit à libérer des effectifs qui lui sont bien plus utiles à Muqdisho et au Sud. Quelques affrontements auront bien lieu encore mais de moindre intensité. La seconde démarche interviendra un an plus tard en 1993 quand un accord formel sera conclu entre Majeerteen et Habar Gidir. Sans surprise, il sera le fruit d’une entente entre Cabdullaahi Yuusuf et de Maxamed Caydiid. A partir de 1992 aussi, deux préoccupations d’un autre ordre se développent dans le Nord-est, toutes deux inscrites dans le registre de la délinquance. La première résulte du développement de l’insécurité lié à la transformation illégale de milliers d’arbres en charbon de bois, essentiellement la forêt d’acacia située sur le plateau du Sool au Somaliland. Ce commerce d’exportation, très rentable, transite par les 1
Maxamed Abshir déclarera le 30 octobre 1993 à l’ambassadeur de France à Djibouti : « Les islamistes sont certes présents un peu partout et notamment à Boosaaso qui constitue leur centre principal dans la zone mais ils conservent un profil bas ». 2 LOI n°528, 23 mai 1992
ports de Ceelaayo et Mareero où est organisée la contrebande vers les pays arabes. Dévastateur pour l’environnement, il entretient aussi un véritable banditisme entretenu par des coupeurs de route. Barrages, extorsions et embuscades rendent insécure la route principale. Or Boosaaso est devenu le poumon de l’ensemble de l’aire somalie, Somaliland et Ogadén éthiopien inclus1 ; Muqdisho est inutilisable dans des conditions ordinaires et le port de Berbera au Somaliland n’est pas reconstruit. Sauf que Boosaaso ne vaut que par cette route goudronnée, octroyée dans les années 1980 par Siyaad Barre sur le Fundo Aiuti Italiano (FAI), et qui rejoint le grand axe transsomalien. L’affaire du charbon de bois est donc loin d’être anodine. Outre les dommages écologiques catastrophiques occasionnés, elle est emblématique de la perduration d’une forme de banditisme, toléré par les clans donc difficile à maîtriser. Mais c’est face un autre type de délinquance que le SSDF est le plus démuni. Il s’agit des bateaux de pêche qui faute de contrôle viennent piller les réserves halieutiques des eaux somaliennes. Le 1er avril 1992, deux chalutiers taïwanais sont arraisonnés au large de Bandar Beyla avec 33 hommes à bord2. L’événement fait l’objet, le 6 avril d’un communiqué affirmant que les deux capitaines et leurs membres d’équipage passeront « en jugement devant un tribunal pour violation et pêche illégale » dans les eaux territoriales somaliennes. Pourtant, le SSDF a officiellement dénoncé ces bateaux étrangers qu’il accuse de profiter de la situation pour exploiter et voler les ressources de la Somalie comme il a aussi souligné qu’une licence de pêche pouvait être obtenue si les bateaux s’adressaient à l’administration régionale du SSDF à Boosaaso3. La pêche illégale, qui abandonne la Somalie à ses prédateurs sans que la communauté internationale ne s’en préoccupe, commencera bientôt à fonder un autre phénomène. Une poignée d’individus entreprenants, après une démarche qui les aura menés de l’exaspération à la délinquance, réagiront en mettant à la mer quelques flottes pirates dont le monde surpris s’entendra sans vergogne à condamner l’activité4. En quelques années, son essor inattendu laissera souvent planer un doute sur la parfaite innocence du pouvoir Majeerteen mais mettra également en exergue la présence d’un réseau planétaire de grande délinquance, commanditaire des pirates, courant de l’Europe à l’Amérique du Nord, de Jedda jusqu’aux Etats du Golfe.
1
Boosaaso qui comptait 10 000 habitants en 1986 en compte en 1996 environ 300 000. Les deux navires, le CHENG OF YUE n°3 et le CHIAN YUEIN n°232 viennent de la province de Kaohsung. 3 LOI n°522, 11 avril 1992 4 Il est parfois difficile de distinguer les pirates du Nord-est de ceux du Somaliland. Tous sont certes somalis mais on sait aussi que les Warsangeli, depuis la colonisation anglaise, ont armé bon nombre d’équipages et ont une expérience avérée de marins. 2
La mise en place d’un proto-Etat Néanmoins, sauf les affrontements exogènes liés à la présence islamiste et à la poussée Hawiiye, les trois provinces du Nord-est somalien sont les seules à n’avoir connu aucun différend interne de nature à se transformer en conflit armé. Aussi les événements dignes d’être rapportés vont-ils pour quelques années s’y révéler rares. Le SSDF se consacre à l’organisation de la région et plus encore à son développement économique. Alors qu’est-ce qui a permis au Nord-est de réaliser ce que le Somaliland n’est pas encore parvenu à faire ? Sans prétendre à l’exhaustivité, quelques explications peuvent être modestement avancées. Tout d’abord, observer le fait qu’au printemps de 1991, la tentative d’invasion des Hawiiye du Sud a eu un effet fédérateur parmi les clans Majeerteen soucieux de ne pas voir le conflit basculer sur leur territoire. À ce moment-là, le SSDF encore faible a abdiqué une grande part de son pouvoir entre les mains des comités de notables, les isimo. Or ce sont ces milices claniques représentant les différents clans Majeerteen, qui entreprennent dans un premier temps de lutter contre l’invasion, suscitant une sorte de sentiment national Majeerteen, voire Harti. Il faut ensuite observer que, après que Maxamed Abshir et Cabdullaahi Yuusuf sont venus revigorer le SSDF, l’un plus politique et plus diplomate, l’autre plus militaire et plus administrateur, tous deux ont joué de raison. Soucieux de ne pas donner à leur rivalité le tour catastrophique pris par celle qui s’était installée entre Caydiid et Cali Mahdi, les deux personnalités, respectées par tous, sont raisonnablement convenues de coopérer en dépit sinon à travers des stratégies de persuasion, de pressions voire même parfois de menaces. Toujours est-il que leurs différends n’ont jamais menacé l’édifice fragile en train de se construire. De tout cela est sorti un type d’administration original, assez proche de ce que le Somaliland mettait simultanément en place dans un environnement clanique plus complexe : un réseau administratif lié au SSDF et, en parallèle, à chaque niveau de la société, une administration traditionnelle. Et les deux ont fonctionné ensemble. Les comités de notables ont pu contrôler, avec un inégal succès, leurs collègues plus jeunes, plus instruits, mais aussi souvent à la tête plus près du bonnet. Rien certes n’a été parfait, mais l’ensemble est parvenu, dans le cadre d’une solidarité Harti, à prévenir des conflits entre les différents lignages. En quelques années, Boosaaso est devenue une ville moderne, avec un bon approvisionnement électrique, une force de police, des magasins achalandés, des transmissions satellitaires, des banques, des hôtels avec air conditionné et un réseau, rudimentaire certes, de transports publics. Ainsi, les vendeurs de bétail de toute la Somalie sont en constantes relations avec leurs clients du Moyen-Orient et les autorités pensent déjà à moderniser et à agrandir le port qui approche de sa pleine capacité.
Notons enfin que, partisan d’une solution fédérale pour la Somalie, le front dont le discours reste prudemment en retrait ne suscite guère de controverses, ni à l’intérieur ni à l’extérieur du pays. Indépendant de fait, le Nord-est a discrètement échappé aux chausse-trappes de la symbolique d’un État indépendant et se contente de jouer discrètement le rôle clé d’intermédiaire commercial que lui permet une situation exceptionnelle, économiquement centrale et géographiquement excentrée. Clairement, au début de l’année 1992, trois entités fonctionnent indépendamment l’une de l’autre dans l’ancienne Somalie. Un Sud en plein marasme contraste avec ce Nord-est apaisé. Dans l’entre-deux, la situation dans le Nord-ouest demeure encore fragile. En effet, après avoir hérité des islamistes installés à Boosaaso, le Somaliland va devoir en gérer la présence et surtout trouver des solutions aux différents internes qui agitent maintenant la société Isxaaq.
VII – 1992 : LA PREMIERE GUERRE DE S I SXAAQ
En effet, si les menaces conflictuelles entre les Isxaaq et les autres communautés du Somaliland s’estompent dans des conditions acceptables, au cours de l’année 1992, la situation prévalant au sein du faisceau lignager en revanche se tend considérablement. Parallèlement, le pays se trouve confronté à la présence des islamistes du Nord-est qui ont trouvé refuge dans le Sanaag, en pays Warsangeli où le massif de la Cal Madow, la « montagne Noire » leur procure un refuge opportun.
L’ARRIVEE DES ISLAMISTES Chassés de Boosaaso et de Qoow, les islamistes s’installent tout d’abord sur le tombant nord du relief à Saliid1, dans une zone offrant de bonnes défenses naturelles et de l’eau en abondance. Pendant environ trois mois, les forces SSDF, sans succès, lancent encore, avec l’assentiment discret des Warsangeli, des raids visant à les déloger.
Réorganisation du Maktaab et recherche d’un repli sûr L’installation n’en est pas moins inconfortable. Aussi, avec le soutien de nouveaux arrivants, des Dhulbahaante venus de Laas Caanood notamment, les mujahidūn parviennent à désenclaver leur situation et à prendre le contrôle du petit port de Laas Qorey où le colonel Xasan Daahir Aweys est nommé commandant de la nouvelle garnison. Port de pêche perdu sur le golfe d’Aden, Laas Qorey présente un certain nombre d’avantages, au nombre desquels son accès facile et son ouverture vers le Yémen et le golfe d’Aden ; à l’instar de Boosaaso,
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Sur les contreforts nord de la Cal Madow, à mi-chemin entre Qoow et Laas Qorey.
mais les installations portuaires en moins1. Il est loin toutefois de représenter une position idéale, même si Xasan Daahir Aweys et nombre de ses combattants ont commencé à épouser des femmes locales et paraissent s’y installer pour durer. Jusqu’à ce revers majeur au cours duquel nombre de chefs militaires et politiques ont trouvé la mort, la direction du mouvement avait été gardée secrète ; maintenant, des changements importants s’imposent en son sein et un comité exécutif de treize personnes, un majlis aš-šūrā 2 est désigné. Parmi ses membres les plus éminents, on compte : - sheekh Cali Warsame qui demeure président de l’Itixaad ; - le colonel Xasan Daahir Aweys, vice-président et commandant militaire de Laas Qorey ; - le colonel Maxamed Dheere3, commandant militaire adjoint de Laas Qorey ; - Cabdi Wahab Maxamuud Gurey, officier politique de Laas Qorey ; - sheekh Axmed Maxamed bin Hoodaan, secrétaire des finances à Dubaï ; - Maxamed Cali Daahir, l’assassin présumé du père Colombo à Muqdisho en 1990 ; - Maxamed Rashiid Cismaan Af Caddey, coordinateur général ; - Axmed Macallin Jumaale, représentant à Jedda ; - Cabdulqaadir Axmed Cabdullaahi, représentant à La Mecque ; - Cabdulcasiis Babaraqiis représentant à Riyāḍ ; - sheekh Maxamed Xaaji, représentant de la région de Geedo. Le fait que neuf d’entre eux ne soient pas originaires du Nord-est contribue à entretenir une solide suspicion à leur encontre de la part de la population. C’est pourquoi, conscient de la précarité de leur situation, un groupe de chefs de l’Itixaad rencontre à Djibouti les anciens des Warsangeli afin de négocier un passage en sécurité vers des destinations plus sures. En retour, sheekh Axmed Maxamed bin Hoodaan offre de laisser derrière eux leur armement lourd, à la garde des Warsangeli. Mais les exigences de ces derniers, soucieux de tirer le meilleur parti des riches soutiens des islamistes, conduisent à un échec et la demande de sauf-conduit est refusée. Furieux, sheekh Axmed Maxamed tente 1
Laas Qorey est le centre historique du sultanat Warsangeli. Le précédent régime y avait fait construire une conserverie de poisson. 2 D’un strict point de vue musulman, le ﻣﺠﻠﺲ ﺍﻟﺸﻮﺭﻯest plutôt un conseil consultatif, l’une des deux méthodes, avec la nomination, conduisant au choix d’ un khalife. Mais le terme a été retenu par des États modernes : à Baḥrayn [ar. ]ﺍﻟﺒﺤﺮﻳﻦpar exemple, il désigne la Chambre haute du Parlement. On observe qu’au sein de leur propre système les membres de l’Itixaad ne somalisent plus leur vocabulaire ; ils conservent le vocabulaire arabe qu’impose, leur semble-t-il, la permanente référence coranique. 3 Ce Maxamed Dheere est Hawiiye et Abgaal. Il peut s’agir du sheekh Maxamed Cumar Xabeeb Maxamed-Dheere que nous retrouverons quelques années plus tard à Muqdisho.
l’intimidation, affirmant que les combattants de l’Itixaad convergeraient de toute la Somalie pour assister leurs frères. Une politique sans grande chance de succès en pays Warsangeli. Aussi, au cours d’une réunion tenue à Boocame 1, les notables des clans Dhulbahaante invitent-ils plutôt les membres de l’Itixaad à s’engager dans une participation pacifique au processus de reconstruction de la région. Deux tendances dès lors s’affrontent au sein de l’Itixaad. La direction politique n’a de cesse de trouver pour le groupe un endroit plus propice et tente dans cette perspective d’en convaincre ses membres. Redoublant de méfiance après l’échec de Boosaaso, ils sentent bien les subtiles pressions que les anciens des Warsangeli et des clans Isxaaq voisins exercent par une variété de canaux afin de les convaincre de s’en aller. L’autre hypothèse défendue par Xasan Daahir Aweys et l’aile combattante du mouvement vise à s’arc-bouter sur la stratégie définie naguère et préconisent de se lancer dans une nouvelle tentative visant à se réinstaller au Bari. Il reste qu’avec ou sans l’accord du Maktaab, les intégristes se lancent au début du mois de décembre 1992 à l’assaut de Boosaaso. Menée avec deux mille hommes, l’opération se solde par un nouvel échec 2. Après cette bataille qui a encore coûté cher en vies humaines aux islamistes, le front se stabilise sur une ligne minée qui se situera encore en décembre 1993 à quelque cinquante kilomètres de Boosaaso 3. Les mujahidūn défaits n’ont alors d’autre choix que de regagner leur repaire de Laas Qorey sauf que, mis en confiance désormais, les clans Warsangeli ont moins que jamais renoncé à les chasser de leurs installations4. Sauf que le 28 décembre 1992, les éléments de l’Itixaad repoussent avec succès une attaque des Warsangeli sur lesquels ils remportent cette fois une indiscutable victoire. Ceux-ci ont bien demandé aux éléments du SSDF cantonnés à Boosaaso de venir leur prêter main-forte, mais le souci des Majeerteen est ailleurs. Au sud, à Gaalkacyo, le front est engagé contre les milices de l’USC du général Caydiid et le mouvement
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Boocame, situé dans la province du Sool, à l’est de Laas Caanod, est un centre traditionnel important des clans Dhulbahaante qui y expriment fréquemment les positions de leur faisceau lignager. 2 Certains ont avancé l’hypothèse selon laquelle cette attaque aurait représenté un avertissement au regard de l’éventuelle venue d’un contingent des Nations unies dans cette région. Aucun acte hostile toutefois n’aurait alors été envisagé à son encontre. 3 Maxamed Salaax Nuur, chargé des relations internationales au sein du Conseil régional Dhulbahaante dénoncera encore, le 16 mars 1993, le danger que fait peser sur la région le mouvement islamiste. Il estime toutefois qu’à la suite d’un ultimatum des Dhulbahaante auquel se sont associés les Isxaaq de Burco, les mujahidūn se sont effectivement dispersés. Seule une partie est restée en pays Warsangeli où elle s’est employée à cacher l’armement lourd dans les montagnes entre Maydh et Xiis. 4 Ils tiennent une réunion à cet effet à Hadaaftimo – où siège le suldaan des Warsangeli – du 27 au 30 septembre 1992.
semble alors plutôt prêt à abandonner Boosaaso aux intégristes qu’à dégarnir le front de Gaalkacyo1. Toutefois, la direction de l’Itixaad admet à ce moment qu’il ne lui sera pas possible de contenir éternellement la pression à laquelle les soumettent les populations autochtones. Aussi, dans un premier temps, Xasan Daahir Aweys est-il remplacé, sur ordre du sheekh Cali Warsame semble-t-il, par une figure plus pragmatique, disposant surtout de liens de parenté plus étroits avec les communautés locales. Ensuite, après avoir négocié une allocation d’essence et embarqué leurs familles sur leurs véhicules, une partie des membres de l’Itixaad avec armes et bagages prend la route du sud et passe la frontière éthiopienne.
L’explosion et le départ vers le sud Ce retrait de Laas Qorey est suivi d’une période de fragmentation et de désorientation. Peu après ce fiasco, sheekh Cali Warsame Xasan est luimême remplacé à la tête du mouvement par sheekh Maxamuud Ciise Abuu Muxsin, un membre du clan Abgaal des Hawiiye de Muqdisho. Hors les quelques individus qui choisissent de rester sur place, les éléments du mouvement désormais éclaté se lancent sur différents chemins : - de nombreux membres vont errer en direction de leurs régions d’origine où ils rejoindront d’autres groupes religieux ; - d’autres se mettent à travailler pour leur compte ou pour des ONG ; - un groupe plus important essentiellement composé de Darood poursuit vers le sud-est éthiopien et la région Ogadén où ils participeront aux combats de leurs parents contre le contrôle des Éthiopiens ; - le reste poursuit sa route vers le sud, repasse en Somalie et s’installe dans la vallée du webi Jubba. Là, un groupe, dirigé par Xasan Cabdullaahi Xirsi Turki2 [Ogaadeen/Maxamed Subeer/reer Cabdille] s’établit à la frontière kényane, près du village côtier du Raas Kambooni. Un autre plus important s’établit dans le Geedo, à proximité de la frontière éthiopienne. C’est ici que l’Itixaad tente une nouvelle fois d’établir un État et une administration islamique. Tandis que ses troupes se dispersent vers le sud et face à l’échec avéré de sa tentative dans le nord de la Somalie, le Maktaab décide ainsi de se repositionner autour de quatre pôles tactiques, Marka, Muqdisho, Raas Kambooni et surtout la province du Geedo.
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D’ailleurs, le 14 avril 1993, Maxamed Abshir Muuse, le président du SSDF rencontrera son homonyme, Maxamed Abshir Waldo, un ex-journaliste proche des intégristes, afin d’envisager une union de leurs efforts contre le général Caydiid, 2 Ancien officier des Forces armées somaliennes (FAS), il appartient à ces clans Ogaadeen installés dans la basse vallée de la Jubba.
LES AFFRONTEMENTS INTERLIGNAGERS ISXAAQ DE 1992 Tandis qu’aux confins du pays les Warsangeli sont en train d’en découdre avec les islamistes, d’autres préoccupations agitent le centre du pays où de bonnes intiatives et un contexte plutôt favorables sont soudain mis en péril par une querelle interclanique.
Difficultés économiques [XII-1991] Un redémarrage lent mais incontestable de la vie économique se dessine pourtant. Déroulé au fil d’initiatives souvent individuelles, il se manifeste tout d’abord par la relance des relations commerciales avec plusieurs pays de la Corne et du monde arabe. Les choses se mettent en place modestement. Par exemple, un appareil petit porteur effectue chaque semaine de vols réguliers entre Djibouti et Hargeysa tandis qu’un riche commerçant somalien utilise par ailleurs un Boeing 707 affrété pour une liaison hebdomadaire entre Nairobi Djibouti Hargeysa et les Émirats arabes unis. D’un autre côté, la compagnie américaine qui s’est engagée dans la restauration du système d’adduction d’eau à Hargeysa rentabilise le petit avion dont elle dispose en effectuant à la demande des vols entre Djibouti et diverses destinations au Somaliland. Ceci pour les affaires. D’autres acteurs encore se manifestent. En janvier, le gouvernement de Djibouti, en dépit des tensions, a promis aux autorités du Somaliland de leur fournir un ancien central téléphonique qui doit être installé à Hargeysa1. Un peu plus tard, en février, ce sont les autorités françaises qui déclarent étudier la proposition qui leur a été transmise par le représentant du Somaliland à Paris. Il s’agit en particulier de prendre en charge la réhabilitation de la cimenterie de Berbera qui avait naguère été construite sur financement français. Pour le commerce et les mouvements de marchandises, il existe maintenant un trafic maritime régulier entre Berbera et plusieurs ports du Yémen, d’Arabie saoudite et du Sultanat d’Oman. Ces liaisons sont principalement destinées à l’exportation du bétail, étant entendu que le port de Berbera et ses revenus constituent encore la seule clé de l’économie renaissante ; un Boosaaso mais à reconstruire et à développer en quelque sorte.
L’affaire emblématique de l’eau de Hargeysa Il reste que l’État est pauvre et que la remise en état du pays soulève des difficultés énormes. L’équation est simple : un État à reconstruire et deux sources de revenus. Or le port de Berbera est resté trop longtemps hors contrôle et les dons octroyés par la communauté internationale sont parcimonieux et ciblés. En outre, aucun d’eux ne prend en compte
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LOI n°509, 11 janvier 1992
de manière satisfaisante une réhabilitation institutionnelle qui ne peut que commencer par la neutralisation des milices. Anecdotique certes, mais exhaustive, l’affaire de l’eau de Hargeysa permet d’identifier l’infernale spirale dans laquelle se trouve engagé un gouvernement sans ressources et surtout les expédients auxquels il se trouve réduit et dont on lui fera hâtivement reproche. Un programme de réhabilitation de l’alimentation en eau potable, financé grâce à un don de 990 000 $, a été octroyé à l’UNICEF par le Refugee Programs du Département d’État et lancé en septembre 1991 au profit de la ville de Hargeysa. Confiée à la société américaine Turnkey, l’alimentation en eau est effectivement remise en route début février 1992. Mais quand quelques semaines plus tard, la société se fait voler ses véhicules, elle cesse aussitôt son assistance technique et replie son personnel sur Djibouti. Dans son rapport adressé aux autorités américaines, elle fait aussi état des graves problèmes de liquidités financières qui pèsent sur le président Cabdiraxmaan Tuur et qui l’empêchent de payer ses soldats, aux prises à Berbera avec la rébellion qui tente de lui distraire les revenus du port. Une mission comprenant les délégués des bailleurs de fonds américains, de l’UNICEF et de l’entreprise Turnkey est dépêchée en mars au Somaliland où elle remet au président Tuur une lettre du représentant de l’UNICEF pour la Somalie, David Bassiouni. Celui-ci y déplore en termes vigoureux le traitement réservé aux techniciens étrangers et réclame des mesures de sécurité plus convaincantes. Or il apparaît par ailleurs que les véhicules volés à Turnkey, comme ceux qui ont été volés à diverses ONG, ont été transformés en technicals le plus souvent conduits par des soldats identifiés comme des partisans du président. La mission qui s’est rendu Hargeysa estime alors qu’il était inutile de maintenir à Djibouti des techniciens de Turnkey et le 18 mars, à Nairobi, le représentant de l’UNICEF adresse au gouvernement du Somaliland un télex pour l’informer de la suspension du contrat de réhabilitation de l’alimentation en eau de la capitale. Après le départ de Turnkey la maintenance des pompes restera heureusement assurée par quatre techniciens somalis. Un autre problème surgit quand ce sont les habitants de Ged Debti1 qui se rendent à Hargeysa au ministère de l’Eau pour réclamer un dédommagement de 12 millions de shillings – soit environ 4600 $ – en contrepartie de l’eau extraite du forage creusé à proximité de leur village. Après avoir été vertement éconduits, les habitants de Ged Debti n’en quittent pas moins le ministère en emportant tout ce que celui-ci pouvait contenir d’une quelconque valeur. Il apparaît alors qu’OXFAM qui avait fourni jusqu’alors le carburant pour l’alimentation des pompes vient d’abandonner ce contrat parce que les exigences de la population rendaient l’ambiance impossible. 1
Le forage de Ged Debti est situé à 45 km environ au nord de Hargeysa.
L’explication n’est pas aussi simple. L’ONG avait surtout mis en place un système d’autofinancement de l’installation tel que le produit de la vente de l’eau devait subvenir à l’achat du carburant servant à la faire fonctionner. Or la suspension du contrat survient en réalité après que le gouvernement a soustrait 8000 $, produit de la vente de l’eau, et qu’il a détourné cette somme à d’autres fins que l’achat de carburant pour les pompes. Procédé certes répréhensible mais que faire d’autre quand il faut payer des soldats qui risquent à tout moment de se retourner contre vous et de plonger le pays dans un marasme ingérable ? Que faire quand la suspicion de détournement s’installe et que les donateurs – verrouillés dans leur seul secteur de responsabilité – n’ont que rarement les moyens d’appréhender toute la complexité d’une situation ? D’autant que l’affaire de l’eau de Hargeysa ne reste pas sans conséquence. La part de l’aide alimentaire européenne destinée à la Somalie et distribuée au Somaliland semble inéquitable aux autorités. 5000 tonnes de farine de blé seulement ont été délivrées au Somaliland en 1991 sur les 22 millions d’écus d’aide d’urgence qui ont été déboursés au profit de la Somalie. Les responsables contestent également la démarche effectuée par CARE international auprès des responsables européens pour leur recommander de vendre l’aide alimentaire européenne destinée au pays à des commerçants installés à Djibouti qui se chargeront ensuite d’approvisionner les populations. Alors les défections se multiplient. La société Rimfire qui emploie quatre Britanniques et 220 Somaliens à des travaux de déminage s’apprête à arrêter ses activités par défaut de paiement de la part des organismes qui s’était engagés à les financer à hauteur de 700 000 $, CEE, USAID1 et l’Overseas Development Agency britannique. Pourtant cent tonnes de munitions de surface, obus et bombes, ont déjà été détruites, 30 000 mines neutralisées. Et il reste quelque 80 champs de mines encore, sur la frontière et autour de Hargeysa.
L’affaire du port de Berbera [30.XII-1991] Mais c’est autour de Berbera que surgit la situation la plus préoccupante, qui révèle les fragilités structurelles d’un jeune État sans ressource, orphelin puisque non reconnu. À Berbera en effet, à la mi-décembre 1991, des affrontements ont lieu, conséquence selon Hargeysa d’une volonté de mise au pas d’une « mafia du port » par les troupes du Somaliland. En l’occurrence, le ministre de l’Intérieur, Saleebaan Gaal, a été soupçonné par le viceprésident Xasan Ciise Jaamac, d’avoir fait preuve d’une étrange mansuétude envers un « groupe organisé » qui pratiquerait l’extorsion auprès des commerçants étrangers en prélevant sa dîme sur les importations tout en se gardant d’en reverser le moindre sou au trésor 1
U.S. Agency for International Development
public. Or la douane de Berbera est pratiquement la seule source de devises du gouvernement. Le vice-président Xasan Ciise Jaamac qui occupe alors la fonction présidentielle par intérim durant la tournée diplomatique à l’étranger du président Cabiraxmaan Tuur décide de prendre les choses en main. Ainsi, après avoir suspendu le ministre de l’Intérieur de ses fonctions, il entreprend, en attendant le retour du président, d’utiliser les forces gouvernementales pour mettre fin à ces pratiques. D’emblée bien sûr il se heurte à une résistance des clans locaux qui ne reconnaissent pas la légitimité nationale de la troupe qui leur est envoyée. On se souvient comment, après son différend avec Cabdiraxmaan Tuur, le colonel Maxamed Kaahin avait été relevé du ministère de la Défense. Après cette mauvaise affaire, il s’est rendu à Berbera où l’ont rejoint son cousin et chef d’état-major durant la guerre, le colonel Carab Ducaale Cilmi [Habar Jeclo/Muuse Abokor] ainsi que l’ancien adjoint de ce dernier, le colonel Ibraahin Cabdullaahi Xuseen Dhegaweyne [Habar Awal/Ciise Muuse]1. Ce dernier est aussi un officier de renom qui a joué en 1988 un rôle essentiel dans l’assaut sur Hargeysa. Se joignent également à eux un certain nombre d’anciens commandants insatisfaits du tour que prennent les événements. Là, Maxamed Kaahin et ses amis s’impliquent dans l’organisation d’une milice locale à base Ciise Muuse qui opère en particulier sur le port et perçoit les taxes exigées des commerçants étrangers. Or les notables de Berbera, pour la plupart Ciise Muuse, n’ont depuis des mois fait parvenir aucun fond à Hargeysa, sous prétexte qu’il y avait trop de corruption et de malversations au sein du gouvernement central. L’essentiel de cet argent non versé a en revanche été consacré à l’entretien des 200 miliciens placés sous le commandement du colonel Ibraahin Dhegaweyne. Jusqu’à ce que, le 30 décembre, missionné par le vice-président Xasan Ciise Jaamac, arrive à Berbera le colonel Xasan Yoonis. Celui-ci vient de recruter à Hargeysa une force dont il a obtenu le financement en promettant qu’il sécuriserait la route menant à la mer. Une route qui, sur les 158 km qui séparent les deux localités, ne compte pas moins de trente barrages établis par les milices locales. La troupe de Xasan Yoonis est en grande partie constituée de Habar Garxajis mais aussi de quelques Habar Awal/Sacad Muuse pour la plupart des Jibril Abokor de son propre lignage. Dès leur arrivée, ces forces occupent le port et l’aéroport au nom du gouvernement. Une situation acceptée bon gré mal gré par les notables Ciise Muuse qui n’ont rien à gagner à l’affaire mais tout à perdre à une confrontation. La situation prend un tour différent en revanche le 30 décembre 1991 quand, dans le cadre de son opération de normalisation, Xasan Yoonis décide d’aller plus avant et tente de désarmer la milice Ciise Muuse et d’en arrêter les officiers. Les combats font autour de 170 morts. 1
Les Ciise Muuse comptent deux clans principaux : les Maxamed Ciise sont établis entre Sheekh et Berbera et les Aadan Ciise le long de la route de Hargeysa.
Maxamed Kaahin qui tente de profiter de la nuit pour s’échapper est arrêté et restera en détention pendant plusieurs mois à Hargeysa. Ibraahin Dhegaweyne parvient pour sa part à prendre la fuite et à gagner Sheekh d’où il est originaire et où il lève une force Ciise Muuse. Il se rend ensuite à Burco où il tente également avec quelque succès de rassembler quelques Habar Jeclo afin de constituer une milice qui lui permettrait d’obtenir la libération de Maxamed Kaahin.
Le déplacement des combats sur Burco [I-1992] Burco est une de ces villes, établies aux confins de plusieurs territoires, où vivent avec plus ou moins de sérénité deux ou plusieurs lignages. Ici, Habar Jeclo et Habar Yoonis qui chacun disposent de leurs propres miliciens cohabitent au prix de quelques disputes que venaient jadis régler les notables des deux clans. La prééminence de leur conseil des notables [som. guddi odayaasha] revient à un Habar Jeclo mais les membres y sont répartis par exacte moitié. Maintenant, représentant l’autorité de Hargeysa, le gouverneur nommé est un Habar Awal. Dans ce nouveau contexte, les affrontements tendent à se multiplier entre les milices Habar Yoonis, lignage du président, que l’on pourrait être tenté d’identifier à une force gouvernementale et des Habar Jeclo qui défendant leurs propres intérêts constituent ce que l’on pourrait être tenté d’appeler une opposition, chacune contrôlant respectivement l’Est et l’Ouest de la ville. Les incidents les plus sévères commencent autour du 20 janvier 1992 quand le colonel Xasan Yoonis qui vient de quitter Berbera arrive à Burco pour y contrebattre les efforts entrepris par Ibraahin Dhegaweyne venu circonvenir les Habar Jeclo. D’emblée, le chef d’État-major tente de reconduire ici sa politique de contrôle des milices et de réquisition des armes lourdes. Aussi, quand la milice Habar Yoonis s’empare de quatre technicals appartenant aux Habar Jeclo et qu’ils refusent de les restituer, l’incident se transforme en une bataille rangée. Localement, l’administration est soupçonnée de parti pris et si une partie de la ville est disposée à faire bon accueil à la nouvelle force, l’autre s’oppose vigoureusement à son déploiement. Les deux camps continuent d’en découdre une semaine durant jusqu’à ce que leurs chefs – le colonel Jaamac Cali Cilmi des Habar Yoonis et le colonel Maxamed Cabdalla Biixi des Habar Jeclo – parviennent à reprendre le contrôle de leurs troupes et à établir un cessez-le-feu. Seulement alors les notables seront en mesure d’entreprendre une médiation au terme de laquelle le CICR dénombrera cette fois près de 360 morts dont une cinquantaine de non-combattants. Il faut encore observer que le conflit sera résolu grâce à l’intercession de trois groupes. Le premier est constitué de vingt Dhulbahaante dépêchés de Laas Caanood par le garaad Cabdulqaani et conduits par une personnalité particulièrement respectée, Maxamed Cali Shire ; le deuxième vient de Hargeysa et rassemble des membres de la Guurti
issue du shirweyne de Burco ; les notables Gadabuursi qui forment le troisième sont venus de Boorama, conduits par une autorité religieuse, le sheekh Muuse Jaamac Goodaad. La coopération entre les notables Gadabuursi et Dhulbahaante au sein de la Guurti nationale est appelée à devenir la pierre angulaire de la plupart des réconciliations entreprises dans les années à venir. Les deux milices qui se sont affrontées à Burco finissent donc par parapher un accord aux termes duquel elles s’engagent à ne plus recourir aux armes pour régler leurs différends. Mais Burco a douloureusement fait sentir combien la situation sécuritaire demeurait fragile. Les combats ont déplacé pratiquement la moitié de la population et nombre de réfugiés récemment rentrés des camps éthiopiens ont repris pour quelque temps le chemin de l’exil.
Le remaniement ministériel [II-1992] Cette tribalisation du débat n’a bien sûr pas échappé aux autorités du pays qui, le 1er février, se sont réunies à Berbera à la demande du président. Celui-ci, de retour de sa tournée diplomatique à l’étranger, est encore en transit à Djibouti. Dès son arrivée, Cabdiraxmaan Tuur entreprend un remaniement ministériel et statue sur le sort du ministre de l’Intérieur, suspendu de ses fonctions par le vice-président après l’affaire de Berbera. Cinq ministres sont ainsi écartés dont les deux Habar Jeclo Maxamed Kaahin et Saleebaan Gaal, deux Dhulbahaante ainsi que le colonel Gadabuursi jusqu’alors chargé de l’Éducation nationale, Cabdiraxmaan aw Cali1. Afin de préserver les intérêts des clans, les nouveaux ministres appartiennent tous au même lignage que ceux qui ont été limogés ; à l’exception du portefeuille de la Défense qui glisse à la charge du vice-président, Xasan Ciise Jaamac. Ce remaniement ministériel est supposé conclure l’agitation interne à l’équipe dirigeante qui remonte au mois de novembre 1991 et qui s’est par la suite transformée en une véritable sédition. Reste que dans le fond rien n’est pour autant réglé. A Berbera, un Somali Salvation Commitee jusqu’alors inconnu a fait son apparition. Il affirme dans un document daté du 21 février avoir pris le contrôle de la ville, ce que dément formellement Xasan Ciise Jaamac. Au début du mois de mars, c’est le ministre Gadabuursi du Plan, Jaamac Rabiile Good, qui depuis Londres annonce à son tour sa démission. Rien n’est donc réglé et la tension perdure. Le gouvernement ne gouverne guère hors Hargeysa. Dans les villes, les manifestations antigouvernementales se multiplient. Les axes entre Hargeysa, Boorama, Seylac, Berbera et Burco sont toujours coupés par des éléments dont il 1
Le fait qu’ils aient tous été limogés ou que certains aient démissionné, Cabdiraxmaan aw Cali par exemple, n’est clairement attesté par aucune source consultée. Saleebaan Gaal par ailleurs semble n’avoir été que momentanément écarté.
est difficile de déterminer s’ils sont dissidents ou bandits. Devant la sécurité qui se détériore, nombre d’ONG se retirent, d’autres rentrent leurs personnels le soir à Djibouti. Seul à Berbera, le CICR continue à faire fonctionner un hôpital.
BERBERA, LA REPRISE DES AFFRONTEMENTS
[II/IX-1992]
Car il est vrai qu’après les affrontements de janvier, la prise de Berbera par Xasan Yoonis a finalement tourné court1. Deux semaines plus tard en février, profitant de l’atmosphère délétère qui y prévaut, le colonel Dhegaweyne soutenu par Muuse Xasan Bidix qui dirige la milice Habar Jeclo lève une force suffisamment importante pour tenir la passe de Sheekh et se mettre en situation de poursuivre vers Berbera. Les notables de la cité portuaire, qui craignent de nouveaux combats, tentent de négocier à l’approche d’un nouveau désastre. Rencontrant le vice-président, Xasan Ciise Jaamac, ils le pressent d’obtenir le retour de Cabdiraxmaan Tuur de Londres afin que les troupes Habar Yoonis soient retirées du port. Celui-ci s’y refuse pourtant, arguant qu’il n’y a pas matière à intervenir puisque c’est une troupe gouvernementale multiclanique et non pas seulement Habar Yoonis qui se trouve engagée contre les rebelles.
L’enjeu de Berbera et la dérive clanique [II/VI-1992] Ibraahin Dhegaweyne prend alors le parti de gagner Berbera où il entre sans coup férir à la fin du mois de février. Les forces gouvernementales commandées par le colonel Cabdullaahi Darawal se sont retirées sans combattre2 bien qu’elles restassent stationnées plus au sud, sur la route de Hargeysa. Considérant ce succès d’un des leurs, les notables Ciise Muuse, par le fait en position de force, entreprennent de négocier avec le gouvernement un accord sur le contrôle de la ville. En contrepartie, Dhegaweyne et ses miliciens accepteraient de se retirer de la cité, ses alliés Habar Jeclo de regagner Burco. Les forces gouvernementales sont alors constituées de Habar Yoonis mais aussi d’un grand nombre de Sacad Muuse et d’Arab. Quand elles reçoivent l’ordre de reprendre le contrôle du port, ces deux derniers lignages se montrent plutôt enclins à négocier et commencent à envisager différemment leur devenir. Sacad Muuse et Ciise Muuse appartiennent en effet tous deux au faisceau des Habar Awal aussi n’y a-t-il pas une réelle volonté de leur part d’en découdre.
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Lui-même blessé dans un accident de voiture, il est évacué sur l’hôpital Bouffard à Djibouti. 2 Il a été donné comme explication le fait que l’arrivée de Dhegaweyne avait correspondu avec l’arrivée d’un bateau de nourriture des Nations unies. Les technicals gouvernementaux étaient tellement chargés avec les denrées pillées qu’il leur avait été impossible de dégager leurs armes et de s’en servir.
Reste qu’après une impasse de deux semaines, le 13 mars, à la requête des notables de Berbera, Dhegaweyne qui ne dispose que de deux véhicules armés à opposer aux quatre du gouvernement prend acte de mauvaise grâce de la nouvelle situation. Laissant les forces de Hargeysa entrer dans Berbera, il s’installe lui-même à la périphérie de la ville où se situe le territoire traditionnel de son lignage, les Ciise Muuse. Les réticences des Sacad Muuse n’ont cependant pas échappé au gouvernement qui prend alors le parti d’acheminer une force plus sure, en l’occurrence un nouveau contingent Habar Yoonis. Il s’ensuit immédiatement un accroissement des tensions entre les diverses milices, les clans de Berbera accusant Hargeysa d’avoir acheminé une force Habar Yoonis propre à les contraindre. Le 28 mars, les affrontements éclatent, mais après trois jours de combat, les Habar Yoonis parviennent à s’imposer. Ibraahin Dhegaweyne entré dans la bataille est contraint de se replier vers Sheekh. Les Habar Yoonis prennent alors le contrôle non seulement des installations portuaires et aéroportuaires, mais de l’ensemble de la cité. Avec une absolue maladresse, ils déclarent Berbera territoire conquis. Plusieurs dizaines de personnes sont tuées. Le suldaan des Habar Yoonis, Yuusuf Xirsi [Cumar Cabdalla/Sagule Xirsi] utilise au nom de son lignage des mots très forts1 pour évoquer ce qui aurait dû être présenté sous l’angle d’une victoire gouvernementale allant jusqu’à déclarer que les siens prévoyaient de s’installer définitivement. Fondée sur un principe de restauration de l’ordre, l’opération s’est transformée en conquête militaire.
L’échec gouvernemental [VI/IX-1992] Une telle situation est naturellement insupportable. Afin d’apaiser les esprits, Cabdiraxmaan Tuur annonce à la fin du mois de mai, l’envoi d’une force multiclanique pour relever cette force gouvernementale indéniablement issue de son propre lignage. Il y est entre autres contraint par les exportateurs de bétail qui désespèrent de voir le port rouvert avant le hajj2. Car en dépit de son interdit en Arabie saoudite, le bétail somalien parvient sur les marchés des villes saintes en transitant par le Yémen et Djibouti. Et puis le vice-président compte enfin sur les revenus douaniers précédant le pèlerinage pour assurer d’ici deux mois la première solde de son armée. Mais Cabdiraxmaan Tuur est toujours à l’étranger. Rien ne se passant, il est difficile de convaincre ses interlocuteurs dans un tel contexte. Au début du mois de mars 1992, Xasan Ciise Jaamac s’est bien rendu à Paris pour une tournée diplomatique qui le conduit ensuite à Londres, à Bonn et à Washington. Mais quand, expliquant que son périple est 1 2
Il utilise le verbe ka gacansarree, littéralement « mettre la main sur »
Le pèlerinage qui se déroule durant les dix premiers jours du mois de ﺫﻭ ﺍﻟﺤﺠﺔ, dhū lḥijja doit, en 1992, avoir lieu entre les 2 et 12 juin du calendrier grégorien. Le jeune de ﻀﺎﻥ َ َﺭ َﻣramaḍān a eu lieu cette même année entre le 5 mars et le 3 avril.
destiné à faire du lobbying en faveur de la reconnaissance diplomatique du Somaliland, il inscrit les incidents de Berbera comme les récents affrontements de Burco dans une lutte de pouvoir et affirme que la situation était maintenant sous contrôle, il a bien du mal à convaincre ses interlocuteurs1. En revanche un autre paramètre refait surface quand, à son retour, Xasan Ciise Jaamac la reprise des opérations de rétablissement de l’autorité gouvernementale à Berbera au colonel Xasan Yoonis, revenu le 12 mai de Djibouti où il était hospitalisé. L’exercice passe par la maîtrise des diverses formations de miliciens dont certaines sont déjà sous le contrôle du ministère de la Défense. Et dans l’esprit du viceprésident, la ville portuaire, plaque tournante de l’économie nationale, doit servir d’exemple. Il reste qu’à Berbera, davantage encore qu’à Burco, la population est divisée sur la position à prendre au regard des initiatives gouvernementales. Ici, la ville est habitée par de nombreux lignages. Les Habar Awal, les plus nombreux se partagent en deux clans majeurs : Sacad Muuse qui ont de substantiels intérêts dans la ville et Ciise Muuse qui en sont les habitants originels et dont les milices contrôlent à l’accoutumée le port. Les Habar Yoonis sont aussi présents, les Muuse Cabdalla en particulier, mais d’autres encore, bien que plus modestement représentés. Et une nouvelle fois, l’action entreprise est perçue moins comme une décision gouvernementale légitime de restauration de l’autorité que comme une usurpation par les Habar Yoonis du contrôle d’installations qui apportent aux Habar Awal l’essentiel de leurs revenus. Cette situation va entretenir des combats sporadiques qui dureront jusqu’à ce qu’en octobre les forces d’opposition parviennent à expulser les forces gouvernementales. Car dans l’arrière-pays, Ibraahin Dhegaweyne toujours replié dans la région de Sheekh est parvenu à la mi-juillet à reconstituer une force de quelque 500 miliciens. Quand il se sent de taille à prendre l’avantage sur un Tuur affaibli, il se dirige vers la région de Mandheera d’où il entreprend d’interdire les accès à Berbera avant de poursuivre, si cela se révèle possible, son avancée jusqu’à Hargeysa. Le premier engagement entre les deux partis a lieu à Dacarbudhug 2 d’où il sort vainqueur après avoir affronté un élément d’environ 500 hommes et capturé un char de combat. Ce succès lui apporte des recrues au point que début août, à la bataille de Sheekh Abdal, il est en mesure de déployer 2000 combattants et 60 véhicules. Les forces gouvernementales pour leur part ne disposent que de 23 véhicules à peine et de bien moins d’hommes. Dhegaweyne une nouvelle fois sort vainqueur de l’affrontement. Or au cours de ce même mois d’août, un événement vient encore inopportunément fragiliser la position gouvernementale. Dans le cadre 1 2
LOI n°518, 14 mars 1992 Site rapporté sous la transcription de {Darbo, Darburuk, Darburruk}
d’un différent mineur entre deux clans Habar Yoonis, le suldaan Yuusuf Xirsi a été assassiné par un Muuse Cabdalla. Une affaire qui remet en question les projets d’annexion de Berbera intempestivement prononcés par le défunt quelques semaines plus tôt, propos qui avaient été il est vrai substantiellement désavoués par les clans portés à les interpréter comme une volonté Habar Yoonis de s’approprier un territoire qui ne leur appartenait pas. Profitant de ces opportunités, Ibraahin Dhegaweyne est aisément parvenu à s’emparer de Berbera. Au mois de septembre, après avoir sécurisé la route et l’avoir débarrassée de ses barrages, il contrôle le terrain jusqu’à mi-chemin de Hargeysa sur laquelle il menace maintenant de marcher. Pour le gouvernement, tactiquement isolé, privé à nouveau des revenus du port, la situation est maintenant réellement calamiteuse. Même son contrôle sur Hargeysa est devenu très relatif. Vols, tirs et petite délinquance se multiplient, il est clair que la situation se détériore de plus en plus. Une réserve importante toutefois. L’essentiel du conflit est circonscrit au sein de l’appareil SNM lui-même et des milices directement affiliées à ses clans. Des milices qui la plupart du temps ne bénéficient pas d’un soutien populaire au sein même des lignages qu’elles prétendent représenter.
L’hypothèse du déploiement de la force internationale Mais une menace d’une tout autre nature pèse maintenant sur le Somaliland indépendant. Elle se présente au président Cabdiraxmaan Tuur alors qu’au milieu du mois de septembre il se rend à Djibouti pour s’entretenir avec le ministre italien des Affaires étrangères, Émilio Colombo, et le représentant spécial des Nations unies, Muḥammad Saḥnūn. Arrivé un jour trop tard pour pouvoir les rencontrer, le diplomate italien qui rentrait d’un voyage en Somalie et le représentant des Nations unies ont néanmoins pu s’entretenir avec le ministre des Télécommunications somalilandais et les délégués du SNM à Djibouti auxquels ils ont demandé leur avis sur l’éventualité d’un envoi de troupes des Nations unies a Hargeysa et à Berbera, conformément à la récente proposition du Secrétaire général, Boutros Boutros Ghali. Immédiatement en alerte, les représentants du Somaliland expriment aux deux diplomates l’opposition catégorique des autorités d’Hargeysa à un quelconque déploiement étranger sur leur territoire. Ce positionnement politique ne signifie pas, les besoins du pays étant nombreux, une fin de non-recevoir au regard de l’activité des agences de l’organisation internationale. Ni d’autres opérateurs étrangers d’ailleurs. Aussi, après ce rendez-vous marqué, Cabdiraxmaan Tuur rentre-t-il à Hargeysa où est attendu James Kunder, le directeur du bureau américain du Foreign Disaster Assistance1. 1
LOI n°542, 19 septembre 1992
Mais autre chose encore attire l’attention du gouvernement du Somaliland : les rumeurs de préparation d’une conférence nationale de réconciliation sur la Somalie à propos de laquelle ils n’ont pas encore été contactés. Or le 2 octobre, le général Caydiid annonce qu’il souhaitait envoyer des délégations dans les régions du Nord-ouest et du Nord-est de la Somalie pour discuter de l’affaire avec leurs représentants. Il n’échappe à personne que ces propositions font partie des manoeuvres entreprises par les deux factions rivales de l’USC. Il leur faut s’entourer d’alliés en perspective de la convocation d’une conférence qui doit se dérouler sous une supervision internationale dont tous ont été contraints d’accepter le principe.1
Kulanka nabadeed [X-1992] Mais pour Hargeysa, le plus préoccupant demeure le terrain somalilandais. Là, en octobre, Ibraahin Dhegaweyne a légèrement replié son dispositif vers le sud pour le réarticuler à seulement 30 km de Hargeysa. Sous la menace d’une possible reprise de son avancée et la perspective d’un conflit clanique généralisé, le gouvernement renonce à l’affrontement. Depuis le mois de mai d’ailleurs, nombreuses personnalités se sont investies dans la recherche d’un apaisement. Depuis son retour à Hargeysa le 12 mai, le chef d’État-major, le colonel Xasan Yoonis a lui-même entrepris une vaste tournée dans le pays, accompagné des notables et de religieux en vue de réconcilier les uns et les autres. C’est ainsi qu’au terme de réunions préliminaires entre sheekh Ibraahin Madar pour le gouvernement et du colonel Cali Askar pour les opposants, les Isxaaq acceptent qu’une médiation soit entreprise, notamment avec le concours des Gadabuursi, des Dhulbahaante et des membres de la Guurti. Pour tenter de parvenir à une solution définitive, un comité spécial pour la paix, identifié sous le nom de Kulanka2 se réunit à Berbera. Il est composé de trente membres choisis dans chacun des deux partis : les quinze premiers sont rangés derrière sheekh Ibraahin Madar soutenant Cabdiraxmaan Tuur et les quinze autres derrière Axmed Siilaanyo représentant les opposants. La réapparition de ce dernier n’est pas d’ailleurs sans susciter nombre d’interrogations. Chacun sait en effet combien il s’était montré particulièrement actif dans les mois qui ont précédé la sédition. Vieil adversaire de Xasan Ciise Jaamac pendant les années de guerre, il s’est également brouillé avec Cabdiraxmaan Tuur son ancien lieutenant à Londres après que celui-ci l’a remplacé à la présidence du SNM, en mars 1990.
1
LOI n°545, 10 octobre 1992 kulanka nabadeed « la réunion de paix ». Le mot est kulan « réunion », kulanka « la réunion ».
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Toujours est-il que pour l’heure, l’un des premiers réflexes de la réunion est de solliciter le concours des notables pour arranger la paix. Ceux-ci dans un premier temps s’y refusent, considérant que les solliciteurs étant responsables des troubles, il leur revenait au préalable d’en proposer les modalités du règlement. Kulanka propose dans un premier temps de placer les port, aéroport et dépôt de carburants de Berbera sous l’autorité gouvernementale. Cet accord est cependant récusé par les chefs Ciise Muuse de Berbera qui objectent que toutes les installations à caractère stratégique dans le pays devaient alors recevoir le même traitement. Précisant leur pensée, ils font valoir que parmi elles figure par exemple l’aéroport de Hargeysa, lequel est pour l’heure contrôlé par les Ciidagale, proches parents des Habar Yoonis. Les discussions étant engagées dans une nouvelle impasse, les notables Gadabuursi interviennent, avançant l’impartialité de leur état de non Isxaaq pour offrir leur médiation. Après avoir rencontré à Hargeysa les deux délégations de Kulanka, ils se rendent à la fin septembre à Berbera où sont rassemblés un plus grand nombre de Ciise Muuse. Après les avoir entendu, ils enjoignent les deux partis à considérer l’avis de ces derniers et suggèrent de proposer un transfert au gouvernement de la totalité des établissements publics encore entre les mains des clans. Au-delà de l’événement en tant que tel, c’est aussi la première fois depuis les années 1950 que des Gadabuursi jouent un rôle central dans le règlement d’un conflit entre les lignages Isxaaq. Et en effet, au terme de laborieuses discussions, les Ciise Muuse acceptent de remettre le contrôle du port au gouvernement, sous réserve que toutes les installations d’intérêt public lui soient également transférées. L’aéroport de Hargeysa, les ports de Seylac et de Lughaya sont tous explicitement portés sur la liste, à l’instar des dépôts de carburants et que les principales routes. Ainsi conclu, l’accord est ensuite ratifié par les deux délégations du Kulanka. Ainsi, de même qu’ils auront été à l’ouvrage à l’est et à l’ouest du pays Isxaaq, les notables des différentes régions parmi lesquels figurent les chefs traditionnels les plus éminents coopèrent avec le gouvernement et se posent en médiateurs entre les parties pour restaurer la paix et la stabilité. Dans cet exercice, ils sont aussi, au sein de la population, relayés par les femmes qui dans les deux villes organisent des démonstrations publiques en faveur de la paix. En octobre par ailleurs, après de très fortes réticences, le gouvernement de Hargeysa donne finalement son accord pour le déploiement de 750 Casques bleus, à Berbera et sur l’aéroport de Hargeysa. Nombreux sont ceux qui attendent de cette manifestation de bonne volonté une reconnaissance internationale. L’accord de Kulanka et la perspective du déploiement des troupes des Nations unies favorisent donc l’apaisement des tensions tandis que se prépare maintenant dans la ville de Sheekh une conférence de réconciliation visant à entériner le travail du kulanka nabadeed.
Le shir de Sheekh [28.X/8.XI-1992] L’initiative des Gadabuursi à Berbera qui aura conduit à l’acceptation d’un cessez-le-feu entre Ciise Muuse et Habar Yoonis contribue à entériner le principe déjà établi à Burco d’une Guurti représentative de l’ensemble des lignages du Somaliland. Quand un nouvel obstacle surgit. Alors que les Ciise Muuse ont déjà fait part de leur présence et que la réunion est sur le point de commencer, les Habar Yoonis font savoir qu’ils n’y participeraient pas. Pour calmer les esprits, une délégation comprenant des Habar Yoonis se rend à Oodweyne à la mi-octobre afin de tenter de débloquer la situation mais après cinq jours de négociation, tous leurs efforts semblent avoir échoué. Alors que les délégués s’apprêtent à remonter dans leurs véhicules, un groupe de Habar Jeclo prend l’initiative de tenter une intervention de dernière minute, enjoignent la délégation de retarder d’une journée encore son retour. Or l’initiative porte finalement ses fruits et les Habar Yoonis après quelques palabres encore acceptent finalement de se rendre à la réunion et s’engagent à y jouer pleinement leur rôle. C’est ainsi qu’en octobre 1992, après neuf mois de combats sporadiques, la guurti Gadabuursi propose qu’un nouveau shir se tienne dans la ville de Sheekh, propre à compléter et à consolider le processus de paix. Le garaad Cabdulqaani garaad Jaamac des Dhulbahaante qui jouera un rôle essentiel dans le succès de l’entreprise est invité à se joindre aux délégations de Hargeysa et de Boorama. Il s’y rendra avec une délégation de vingt personnes venue de Laas Caanood et dirigée par Maxamed Cali Shire. À Sheekh, le comité directeur du shir, le shirguddoon, sera placé sous la présidence de xaaji Cabdikariin Xuseen Yuusuf Waraabe. Comme à Boorama, les femmes jouent cette fois encore un rôle déterminant dans la collecte de fonds et le soutien logistique nécessaire. Un certain nombre d’entre elles est également sollicité pour participer aux réunions. La plus active, Shukri Xariir Ismaaciil, organise une manifestation et rédige un manifeste. À l’aube du 28 octobre, toutes entament une marche autour de la ville au fil de laquelle elles affirment qu’elles ne mettraient pas un terme à leurs revendications tant que des décisions solides n’auront pas été prises. Plus particulièrement, elles réclament que les systèmes d’adduction et de distributions de l’eau soient réhabilités. Elles demandent également qu’une lettre soit adressée aux Nations unies afin que les forces de l’ONUSOM ne soient pas déployées au Somaliland, se disant prêtes en revanche à payer avec leur propre argent l’alimentation et l’habillement d’une force de police, si celle-ci était mise sur pied. Désireuses de prévenir les dérapages de leurs époux et pères, elles achètent enfin micros et haut-parleurs qu’elles placent à l’intérieur de la salle de réunion pour pouvoir depuis l’extérieur suivre les débats. L’affaire ayant été acceptée, elles promettent de se tenir en dehors de la salle jusqu’à ce que toutes les
questions aient été traitées. Bien que Kulanka ait déjà effectivement déclaré un cessez-le-feu, le shir nabadeed de Sheekh en consolide les décisions qu’il étend aux résolutions suivantes : - les biens pris pendant la guerre doivent être de part et d’autre restitués à leurs propriétaires ; - les milices doivent être retirées du champ de bataille ; - toutes les routes doivent être libérées de milices armées et être ouvertes à la circulation, en particulier la route qui relie Berbera à Burco ; - les prisonniers de guerre doivent être échangés. Mais au-delà de ces décisions circonstancielles, le shir règle aussi au fil des 19 résolutions retenues un certain nombre de principes susceptibles de faire jurisprudence et quelques litiges territoriaux notamment sont à cette occasion réglés. Mais l’une de ces résolutions revêt une importance toute particulière. Elle arrête que chaque clan est responsable de tout ce qui se passe sur son territoire donc qu’il lui appartient de mettre en place une capacité à l’administrer et à en garantir la stabilité1. Inespérée, la conférence de Sheekh qui conclut les conflits de Burco et de Berbera sera opportunément retenue sous le nom somali de Towfiiq, une appropriation du mot arabe tawfīq [ar. ]ﺗَﻮْ ﻓﻴﻖqui désigne une « assistance accordée par Dieu ». Mais conscients de la fragilité de la situation, les participants au shir proposent également la tenue dès les premiers mois de l’année à venir d’une conférence de paix et de réconciliation propre à consolider la paix et à discuter cette fois de l’avenir de la nation. Pour le calme qui y règne et pour rendre hommage au rôle à la fois impartial et essentiel joué par les Gadabuursi dans la résolution du conflit de Berbera, Boorama est retenue comme lieu de réunion pour le futur shir. À son terme, cinq mois plus tard, le Somaliland aura véritablement accouché de lui-même. Avec la conclusion réussie de la conférence, il s’agit maintenant d’en mettre en œuvre les décisions. La priorité mise sur l’échange des prisonniers de Berbera2 est confiée au comité de médiation Gadabuursi qui rejoindra ensuite Hargeysa où le processus se poursuivra tout au long des dernières semaines de décembre 1992.
L’arbitrage de la Guurti et le gouvernement de décembre 1992 Lors de la conférence de Burco, à la déclaration d’indépendance, le SNM s’était donné pour mandat de diriger le pays pour une période de deux ans, après quoi il remettrait le pouvoir à une administration civile. L’établissement de ce délai qui devait expirer en mai 1993 garantissait 1
Ama dalkaa qab, ama dadkaa qab : « préoccupe-toi ou du pays, ou des gens » Le processus subit tout d’abord un contretemps, quand un Habar Yoonis, en délicatesse avec des membres de son propre clan, enlève les prisonniers détenus par la Ciise Muuse alors qu’ils étaient en transit vers Burco. Il s’ensuit un moment de flottement au cours duquel le comité de médiation Gadabuursi demeure à Burco jusqu’à ce que l’échange ait effectivement lieu. 2
de facto une nouvelle conférence qui déciderait de la façon selon laquelle ce transfert aurait lieu. Techniquement, les dispositions préparant ce processus devaient avoir été prises par le comité central du SNM, tenu de se réunir deux fois l’an. Mais une fois au pouvoir, Cabdiraxmaan Tuur montre peu d’intérêt à convoquer la moindre réunion. S’étant lui-même trouvé en conflit avec de nombreux membres du comité, il explique par ailleurs ce manquement en avançant que son président, Ibraahin Maygaag Samatar, n’était jamais parvenu à rassembler le quorum nécessaire. Face à cette impasse, les deux hommes rencontrent au début du mois de novembre les notables de la Guurti dont ils sollicitent la médiation. Ce faisant, le président et le président du comité central offrent à la docte assemblée non plus une voix consultative mais la quasi-possibilité de décider en lieu et place du comité central du SNM. Cette évolution jouera un rôle important dans les événements qui vont au cours des mois suivants se dérouler. Reste qu’ignorant les difficultés d’ordre institutionnel que son comportement ambigu suscite, Tuur forme unilatéralement le 4 décembre un nouveau gouvernement. Ce geste malvenu lui vaut notamment la réprobation précisément de la Guurti. Le gouvernement du président Tuur a en effet perdu une légitimité que son remaniement ne peut maintenant suffire à endiguer. Au sein de ce nouveau cabinet, Xasan Ciise Jaamac conserve la viceprésidence, mais abandonne le portefeuille de la Défense. Le ministre des Affaires étrangères, sheekh Ibraahin Madar conserve son poste ; quant à l’ex-ministre de l’Intérieur, Saleebaan Gaal, il refuse le ministère du Port qui lui est proposé. Les autres ministres sont des nouveaux venus, inconnus pour la plupart ; ils ont été choisis en fonction des répartitions claniques habituelles. Seize des dix-neuf postes sont attribués aux divers clans Isxaaq, deux aux Gadabuursi et un aux Dhulbahaante. Ce cabinet est évidemment transitoire puisque le président n’a pu réunir le quorum des membres du parlement, beaucoup depuis un an ayant quitté le pays. Pour le reste, malgré quelques actes sporadiques de banditisme, la situation dans le pays est calme. La dissidence militaire de 1992 a été conjurée et le colonel Ibraahin Dhegaweyne, réintégré dans l’armée dirige la garnison de Berbera. Car l’un des premiers soucis après le shir de Sheekh consiste à imaginer l’organisation des forces nationales. À Hargeysa une proposition initiale du maire avait porté sur la constitution d’une force de sécurité de 2 000 hommes. La force de police retenue finalement et mise en place en novembre 1992 par le major Cumar Maxamed Xandulle Boobe [Habar Awal/Sacad Muuse] compte environ 300 hommes. Ils sont recrutés à partir de l’ancienne force de police, des officiers de l’aile militaire du SNM et des membres volontaires de la force de police qui avait été mise en place à Hargeysa après la prise de la ville en 1991. Le commandant est un général de la police à la retraite, un Ciidagale répondant au
naanays de Beelel1 » ; son adjoint est l’ancien chef des unités de sécurité du SNM le colonel Maxamed Xasan Cabdullaahi Jidhif [Habar Awal/Sacad Muuse/Jibril Abokor]. Les uniformes ont été financés par des Somaliens résidant dans le Golfe. À la fin de l’année 1992, les forces de police couvrent également les secteurs de Boorama et de Gabiley. D’autres efforts sont entrepris dans la gestion des brigades de milices claniques qui doivent être réorganisées par les notables avec le concours de leurs commandants et du ministère de la Défense. Le problème est complexe, il ne sera véritablement pris à bras le corps qu’en avril, à la guurti de Boorama. Dans l’immédiat, la plupart des technicals sont rassemblés en une brigade unique comptant entre 300 et 400 véhicules. Cette unité, largement dirigée par les Sacad Muuse/Cabdulla Abokor, est commandée par le colonel Maxamed Cabdi [Cabdulla Abokor]. Celui-ci reçoit également la responsabilité du secteur de Berbera, ce qui – la confiance n’excluant pas le contrôle – permet d’exercer une certaine surveillance sur Ibraahin Dhegaweyne. Une seconde unité de technicals, plus modeste et composée de Arab et de Ciidagale est cantonnée à l’aéroport de Hargeysa. Le dernier point porte sur la levée de la totalité des barrages établis sur les territoires des clans. C’est à peu près chose faite à la fin de l’année. Au rassemblement qui se tient le 25 novembre 1992, 150 notables et 30 chefs de milice claniques prêtent serment d’allégeance à l’État et s’engagent à maintenir la paix et l’ordre public. Dès lors, une dynamique se met en place et des progrès se font rapidement sentir. Les stocks d’armes sont saisis, de nombreux technicals sont désarmés et l’on observe une diminution du nombre des armes circulant dans les rues. Il reste que le gouvernement de Cabdiraxmaan Tuur et le SNM sortent profondément affaiblis de l’affaire de Berbera alors qu’a contrario la Guurti se trouve légitimée par sa médiation dans le conflit de Burco. Maintenant, des délégués non Isxaaq ont rejoint l’assemblée, des délégués qui viennent de jouer un rôle de tout premier plan dans le shir de Sheekh. La fin de la guerre civile a eu raison du pouvoir du SNM désormais moribond. Un autre souci cependant se profile, lié à la présence des groupes islamistes chassés du littoral. En effet, certains éléments semblent maintenant avoir étendu leur influence dans la région de Burco où il leur a été donné asile mais dont nombre d’entre eux sont en fait originaires. Une certaine unanimité existe par ailleurs pour refuser une intervention militaire étrangère massive, bien que l’installation d’un contingent de 500 Casques bleus à Berbera ait été d’ores et déjà été acceptée. Les autorités de Washington ont toutefois fait prévenir les responsables du Somaliland que seules des troupes de l’ONUSOM seraient déployées dans leur zone et qu’elles ne compteraient pas d’éléments américains.
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Peut-être Cismaan Cismaaciil Jaamac Beelel.
LA POURSUITE DE LA NORMALISATION DANS L’EST DU SOMALILAND Alors qu’en pays Isxaaq les difficultés interclanique avaient pris un tour préoccupant avant de finalement se résoudre, dans le Sanaag et le Sool, la normalisation lentement mais sûrement progressait.
Habar Jeclo et Warsangeli [10.V-1992] Jusqu’à ce que les Dhulbahaante se soient retirés vers le sud à la suite de l’incident de Damala Xagale en 1991, Habar Jeclo et Warsangeli n’avaient pas véritablement partagé de frontière. En conséquence, les mariages entre leurs lignages avaient été plus exceptionnels qu’avec les autres clans du Sanaag1. Toutefois, après que le retrait des Dhulbahaante a permis aux Warsangeli d’avancer vers le sud, jusqu’à Fiqi Fuliye puis jusqu’à Kulaal, ceux-ci se sont trouvés à leur sud-ouest en contact avec les familles Habar Jeclo…et leur milice. Dès lors, tous ont ressenti la nécessité de préciser les modalités de leur coexistence : problèmes de sécurité, modalités des échanges, des mouvements entre les deux territoires ont constitué le programme de la seule réunion formelle qui se soit tenue entre les deux communautés. Ce sont les Habar Jeclo qui ont les premiers senti la nécessité d’établir un contact séparé avec les Warsangeli. À cet effet, une réunion s’est tenue le 10 mai 1992 dans la localité Habar Jeclo de Ceel Qoxle où ont été essentiellement déterminées les règles de partage de l’espace. Il reste que pour cet ensemble de raisons, les shirar locaux entre ces deux lignages auront été moins nombreux que ceux qui se sont révélés nécessaires entre les autres communautés de la province.
Habar Jeclo et Dhulbahaante : Kulaal et Awr Boogays [1/22.VI-1992] Au fil des pourparlers toutefois, et bien qu’il y ait déjà eu des entretiens particuliers entre chacun d’eux et les Dhulbahaante, il est aussi apparu aux deux partis l’intérêt qu’il y aurait à tenir une réunion entre les trois lignages. C’est dans cette perspective que, à Kulaal puis à Awr Boogays entre les 1er et 22 juin 1992, les Habar Jeclo rencontrent les Dhulbahaante qui conviennent également de l’opportunité de se réunir avec les Warsangeli dans le cadre d’une réunion tripartite. Fort de cet élan partagé, ces shirar sont favorisés par le commandement central du SNM, attentifs à réorganiser le partage des pâturages et à procéder à l’échange des prisonniers, toute mesure propre à mettre un terme durable à toute forme d’hostilité. À ces réunions, les représentants des lignages négocient au nom de leurs propres communautés, mais aussi dans le contexte général de la démarche entreprise au niveau du Somaliland. 1
Un proverbe somali décrit ces mariages godobtir « qui suppriment le ressentiment » : Meeshii xinjiri ku daadato, xab baa lagu bururiyaa. Mot à mot : « au lieu de répandre du sang qui se coagule, il répand à profusion du liquide amniotique ».
Habar Jeclo et Harti : la Danwadaag Bari [16/21.VIII-1992] Le projet d’accord tripartite se dessine par ailleurs dans un contexte particulier. On se souvient qu’au même moment, les Habar Jeclo sont brouillés avec les Habar Yoonis de l’ouest, autour de Burco mais aussi avec les Habar Yoonis-bari qui se sont retirés de Ceerigaabo. Informés du récent contact entre les Habar Yoonis et les Warsangeli, les Habar Jeclo sont d’autant plus intéressés à entretenir, voire à accroître leurs relations avec ces derniers qu’ils inscrivent le processus dans le cadre de la lutte d’influence qui les oppose à leurs cousins Isxaaq. Car les Habar Jeclo sont aussi profondément mécontents du gouvernement national de Hargeysa, clairement perçu comme un gouvernement Habar Yoonis dirigé par Cabdiraxmaan Tuur. Une coopération avec les deux clans Harti apparaît donc aux Habar Jeclo une hypothèse attrayante. C’est ainsi qu’une délégation Habar Jeclo dirigée par Yuusuf Maxamed Cali Tuke se rend à Hadaaftimo et à Badhan pour de nouveaux entretiens avec les Warsangeli. Les notables parviennent à arranger une réunion qui se tient à Shimbiraale du 16 au 21 août 1992. Les Warsangeli sont les hôtes du shir auquel assistent donc aussi les Dhulbahaante. L’accord qui y est conclu, établit une coalition formelle retenue sous le nom de Danwadaag Bari, la Coalition de l’Est. Un comité permanent est institué, chargé de régler les différends entre les trois parties et des principes décisifs sont également édictées : - la restitution immédiate, dès le 18 août, de tous les biens volés ; - l’engagement de la part de l’ensemble des groupes qui ont souffert d’un dommage ou de la perte de l’un de leurs membres à cause de l’une des parties signataires de l’accord de ne pas se venger luimême, mais d’en informer le comité ; celui qui contreviendrait à cette règle devrait être traité comme un bandit ; - les membres de la milice clanique chargée de maintenir la paix seront mis à la disposition du comité à chaque fois que cela se révélera nécessaire ; - quiconque tuera ou blessera quelqu’un surpris à commettre un acte de banditisme ne se verra réclamer aucun prix du sang [mag] ; il sera dénié tout droit à compensation au bandit s’il en réchappe ; s’il n’en réchappe pas, il sera traité comme un « âne mort » [dameer bakhtiyay]; - tout clan engagé dans un acte de banditisme ayant causé un décès ou occasionné des pertes matérielles devra, pour l’ensemble des dommages, payer une amende augmentée de cent chameaux femelles. Pour étendre ces décisions à l’ensemble de la zone, les Habar Jeclo à la fin de la réunion proposent qu’il soit organisé une autre réunion à laquelle seraient invités cette fois les Habar Yoonis.
Habar Yoonis-bari et Warsangeli : Jiidali [5/9.XI-1992] Si les Warsangeli sont divisés quant à la position à prendre à l’égard des Habar Yoonis-bari, ils acceptent néanmoins de les approcher au nom de la coalition. En dépit du litige qui demeurera en suspens pas moins de huit années entre les deux lignages, un shir entre les parties se déroule du 5 au 9 novembre 1992 à Jiidali où il rassemble près de 400 délégués. La réunion s’inscrit dans le prolongement de Yubbe II dont il s’agit d’entériner les décisions, c’est-à-dire de se mettre en situation de résoudre pacifiquement les incidents qui pourraient survenir désormais. Les deux communautés acceptent que chaque clan soit reconnu responsable du maintien de la loi et de l’ordre sur son propre territoire, selon le principe du ama dalkaa qab, ama dadkaa qab. Un comité conjoint de 30 membres est ici aussi institué, chargé du règlement des différends selon les termes convenus. Des mesures spécifiques propres à l’accès aux herbages en période de sécheresse sont établies, comme le sont les règlements des compensations en cas d’acte de banditisme armé. Ainsi, si davantage de pluie tombe sur le territoire d’un clan, la communauté accueillie pour profiter des pâturages sera comptable des vies comme du bétail de la communauté d’accueil. En l’occurrence, si un vol armé provoque décès, blessures ou perte de propriété et si le coupable se révèle dans l’incapacité de payer la compensation, la charge en retombera sur son père et son frère plutôt que sur l’ensemble de son jilib1. Cette disposition, contraire au droit traditionnel, vise à rendre les hommes responsables du contrôle des membres de leur famille immédiate. En tant qu’hôtes, les dépenses de la conférence sont prises en charge par les Habar Yoonis.
Le shir de Gar Adag et le regain de tension [XI/XII 1992] Reste maintenant à se préparer au shir que les Habar Jeclo organisent à Gar Adag et qui doit rassembler deux semaines plus tard les quatre grands lignages du Sanaag, du Sool et d’une partie du Togdheer. Or cette fois, les Habar Yoonis-bari ne les rejoignent pas. Leur absence suscite tout d’abord nombre d’interrogations et de discussions. La plupart en déduisent qu’il se trouve en leur sein un parti qui, hostile à toute forme de négociation, reste résolu à en découdre. Les Habar Jeclo ayant pris à Shimbiraale la responsabilité d’inviter les Habar Yoonis à la réunion de Gar Adag, il leur revient maintenant de dépêcher une délégation à Ceerigaabo afin de savoir plus précisément de quoi il retourne. Or celle-ci regagne Gar Adag sans avoir obtenu d’autre explication qu’un simple rejet de l’invitation par les Habar Yoonis. Cette réponse cavalière est ressentie comme une insupportable insulte par les Dhulbahaante et de nombreux Warsangeli. Quelques-uns, confortés 1
L’unité de solidarité lignagère responsable du paiement du mag.
par les récriminations des Habar Jeclo eux-mêmes, sont d’avis de monter une attaque sur Ceerigaabo. Cette colère partagée renforce dans un premier temps la Danwadaag Bari, la coalition de l’Est. Cependant, parmi les Warsangeli, d’autres considèrent que cette position ne reflète pas les intentions de la majorité des Habar Yoonis. Confortés dans leur sentiment par le Siciid Maxamed Ismaaciil Bidaar, Habar Yoonis luimême, ils parviennent à convaincre les autres d’attendre la fin du shirweyne qui est maintenant sur le point de commencer à Boorama. C’est cet atermoiement qui, évitant toute initiative malheureuse, va permettre à la réunion de Yubbe III de se dérouler en juin 1993. En dépit de ce contretemps, le shir de Gar Adag se sera tenu comme convenu. La conférence qui dure 40 jours, du 23 novembre au 1 er décembre 1992, réunit quelque 720 délégués : 300 Habar Jeclo, 130 Warsangeli, 180 Dhulbahaante, 30 Gahayle ainsi que 80 invités d’honneur. Quatre membres éminents du gouvernement du SNM, dont Maxamed Kaahin, Maxamuud Axmed Cali et Cali xaaji Cabdi Ducaaale sont présents, en tant qu’observateurs. Un shirguddoon de 17 notables assistés d’un secrétariat de neuf membres dirige les opérations. Le principal objectif du shir vise à faire entériner par le plus grand nombre les dispositions prises au cours des précédentes réunions. En effet, hors Shimbiraale, la plupart d’entre elles n’ont rassemblé que deux et au mieux trois lignages ; aucune n’a inclus par exemple les Gahayle aujourd’hui représentés. Bien que l’objectif d’intégrer les Habar Yoonis n’ait pas été atteint, la quasi-totalité des décisions prises au cours des précédents shirar est entérinée à Gar Adag. Restitution des biens volés durant la guerre, réhabilitation du système traditionnel d’accès commun aux pâturages et à l’eau, libre circulation des biens et des personnes, modalités afférentes au retour des animaux errants ou perdus, modalités de mise en place des résolutions précédemment acceptées. L’ensemble de ces décisions fait alors l’objet d’un accord écrit. Reste maintenant à trouver le moyen de convaincre les Habar Yoonis-bari de rejoindre cette démarche collégiale propre à établir la paix dans le Sanaag. En dépit de ce problème momentanément laissé en suspens, le shir de Gar Adag est le catalyseur qui va déterminer les dernières négociations, notamment Yubbe III et Ceel Afweyn. Bien que certains défis dussent encore être relevés, il pave surtout résolument le chemin pour la grande conférence de Ceerigaabo.
Les entretiens de Hadaaftimo [XII-1992] Quittant donc Gar Adag au début du mois de décembre 1992, les Warsangeli se rendent à Hadaaftimo rendre compte à leurs propres lignages de la nouvelle situation et des interrogations qu’elle suscite. Habar Jeclo et Dhulbahaante portent également un regard sévère sur le comportement des Habar Yoonis envers le processus de paix. D’autant que leur décision de ne pas se rendre au shir se complique maintenant
de la publication d’une lettre équivoque qui ne fait que jeter un trouble plus grand encore au sein des trois lignages où les avis restent partagés. Mais là aussi, le processus s’interrompt momentanément, la conférence de Boorama accaparant toutes les attentions. Celle-ci achevée, les délégués Warsangeli rentreront à leur tour à Hadaaftimo pour discuter des dispositions retenues. Le Habar Yoonis Siciid Maxamed Ismaaciil Bidaar demeuré à Ceerigaabo décidera alors de les rejoindre.
Habar Yoonis-bari et Dhulbahaante : Dararweyne [2.I/5.II-1993] Au sein des Dhulbahaante, la suspicion est plus lourde encore, mais là également, la volonté de normaliser les rapports va finir par l’emporter. Un groupe de dix Dhulbahaante ayant vécu à Ceerigaabo et y possédant des biens, décide en effet, contre l’avis de leur propre communauté, de prendre contact radio avec des représentants des Habar Yoonis. Ceux-ci s’étant dits prêts à les entendre, le groupe entame un voyage en direction de Fiqi Fuliye. Suldaan Rashiid suldaan Cali Ducaale, la principale autorité des Habar Yoonis-bari, accepte de les accueillir un peu plus loin sur la route de Ceerigaabo, sur le territoire de sa communauté. À cet effet, il envoie à leur rencontre une délégation conduite par Siciid suldaan Cali Ducaale. Les deux groupes s’entendent alors sur le principe d’une rencontre officielle à Dararweyne. Cette localité est choisie pour la réunion parce que c’est une ville Habar Yoonis séparée d’une vingtaine de kilomètres seulement du village Dhulbahaante de Kilaal1. De nombreux Dhulbahaante étant restés sceptiques sur l’opportunité de cette initiative, les dix retournent en direction du Sool pour tenter de les convaincre d’assister à la réunion prévue. La délégation Habar Yoonis conduite par le suldaan Ciise suldaan Xirsi Qaani suldaan Madar, autorité traditionnelle de l’ensemble du lignage Habar Yoonis, arrive ainsi début décembre 1992 à Dararweyne où elle doit attendre un long moment que l’ensemble des Dhulbahaante se soit finalement résolu à prendre part à la réunion. Impatienté, mais décidé à résoudre le différend, Suldaan Ciise leur fait alors savoir que s’ils ne venaient pas à Dararweyne, il ferait personnellement le voyage à Awr Boogays afin de les rencontrer. À la réception de ce message, après que le groupe Habar Yoonis a patienté 23 jours, la délégation Dhulbahaante arrive finalement à Dararweyne. Ismaaciil Muuse, caaqil des Habar Yoonis-bari et artisan principal de l’apaisement étant malade, il est représenté par son fils Jaamac Ismaaciil Muuse. C’est ainsi que du 2 janvier au 5 février 1993, les Habar Yoonis-bari et les Dhulbahaante s’assoient pour la première fois face à face depuis la chute du régime de Siyaad Barre, deux ans plus tôt. Les premières discussions visent naturellement à raffermir la paix entre les clans et à 1
Dararweyne, ville Habar Yoonis est également peuplée de Warsangeli et de Dhulbahaante dont les territoires respectifs sont tout proches.
établir les règles d’accès aux ressources pastorales. Les problèmes soulevés sinon restent globalement toujours les mêmes, bétail volé, propriété de la terre et paiement du mag. Les délégués Dhulbahaante n’oublient pas de rappeler leurs griefs après les attaques de Sannirgood et de Dogoble. Éludant la question, les Habar Yoonis font valoir qu’à un moment ou à un autre, des pertes significatives ont été déplorées des deux côtés et qu’il convenait maintenant de tirer leçon des drames du passé. En l’occurrence, la tradition vient une fois encore à la rescousse des protagonistes. Les hostilités entre Habar Yoonis, Habar Jeclo, Dhulahaante et Ogaadeen du Hawd se résolvaient naguère, quand les contentieux devenaient inextricables, par un accord consistant en une annulation pure et simple des griefs. Une remise à zéro des compteurs dirions-nous. Cette disposition dite xaladhaley1 n’a cependant jamais prévalu dans l’Est du Somaliland où tout jusqu’alors est resté comptabilisé, du prix du sang aux pertes en bétail. Sauf que la guerre civile a occasionné de tels dégâts qu’il est devenu impossible de procéder à un tel décompte. Mais en brousse et dans le désert, tout se sait. Aussi semble-t-il que c’est l’épisode du go’ isu tag à Ceel Qoxle, qui, en voyageant, a ouvert progressivement les clans du Sanaag à s’approprier maintenant le principe du xaladhaley. Favorisant l’initiative de paix, c’est son extension qui – quelles que soient les difficultés qui ne vont pas manquer de surgir - aura à bien y regarder permis la réunion de Gar Adag et finalement facilité le règlement des litiges, au cours des shirar qui suivront. Mais pour l’heure, le shir de Dararweyne courant tandis qu’a commencé la conférence de Boorama, il est d’un commun accord convenu d’interrompre pour quelques mois le cours de la réunion. Le shir de Dararweyne, qui donne lieu à un document rédigé, apparaît d’ores et déjà comme un succès. Permettant de rétablir la confiance entre les clans et d’ouvrir sans attendre aux familles le partage les pâturages, il constitue aussi un pas nouveau vers une conférence interlignages de l’ensemble des clans du Sanaag. Le shirweyne de Boorama, le Allaa mahad leh, commence le 24 janvier 1993. Dans le Sanaag comme partout, il détermine donc une pause dans la tenue des shirar provinciaux, l’attention portant désormais sur la rédaction de la Charte et l’organisation générale du gouvernement. Mais en ce début d’année 1993, d’autres événements s’apprêtent à changer le paysage somalien, en particulier en Somalie du Sud où vient de se déployer l’opération Restore Hope et où les factions s’apprêtent à engager à Addis Abäba des pourparlers dont on attend la paix.
1
xaladhaley(-ga), de xalaydhaley(-ga, -da) : (l’)innocent, (l’)innocente.
V III – 1992 : D AROOD , R AXANWEYN ET ISLAMISTES
Revenons quelques semaines en arrière. Avec un Somaliland et un Nord-est maintenant décalés par rapport à sa propre histoire, la Somalie a basculé. Dans le Sud, le dictateur renversé ne semble plus qu’un élément évanescent de l’espace conflictuel qui s’organise maintenant. L’enjeu semble être la saisie du pouvoir mais en dépit de quelques soubresauts, son temps est révolu. Il reste que c’est un pouvoir en trompe-l’œil qui s’offre à la concupiscence des prétendants, vide de substance car la Somalie n’offre d’ores et déjà plus que le spectacle d’un pays ravagé, un pays sur lequel il n’y a plus rien à saisir. Et c’est bien ce « quelque chose à saisir » que maintenant il va falloir inventer. Au tout début de l’année 1992, la foire d’empoigne qui s’annonce est précédée d’une réorganisation des alliances. Les uns ont maintenant identifié leur principal adversaire, les autres procèdent à des ralliements conjoncturels, d’autres encore se rallient dans le seul but d’affaiblir une faction tierce. Ce contexte engendre des alliances par nature instables, usant superficiellement mais ostensiblement du fait clanique dans l’espoir d’asseoir en réalité des pouvoirs ou des fortunes personnelles dont les lignages espèrent tirer des avantages voire une immédiate redistribution. En amont de ce Scramble for Somalia, trois faisceaux lignagers majeurs procèdent à leur fragmentation : les communautés Darood, les communautés Raxanweyn et Digil de l’interfluve et les communautés Hawiiye, principales instigatrices du drame. C’est ce qu’il nous faut observer maintenant.
L’ECLATEMENT DE L’ALLIANCE DAROOD
[I-1992]
Aussitôt Muqdisho conquise par les Hawiiye de l’USC, les lignages Darood qui venaient de s’affronter s’étaient trouvés condamnés à s’entendre face aux exactions perpétrées à leur encontre par la communauté Hawiiye. Cette improbable alliance rassemblait notamment les Mareexaan de Siyaad Barre du Somali National Front (SNF) ainsi que les Ogaadeen et les Harti du Sud dont la plupart venaient de participer au renversement du président déchu. La position la plus paradoxale est alors celle du Somali Patriotic Movement (SPM) rangé derrière le colonel Cumar Jees et le général Aadan Gabiyow qui représentent respectivement les deux principaux lignages Ogaadeen de l’Outre-Jubba, les Maxamed Subeer et les Cawlyahan.
La réunion du comité dirigeant du SNF [5.I-1992] Quand le SNF réunit le 5 janvier 1992 son 21e congrès pour tenter de définir une nouvelle stratégie, nombre de ses dirigeants officiels, le général Maxamed Xaashi Gaani et le général Maxamed Siciid Samatar Gacaliye, qui officiellement vit en exil en Italie, sont absents. Mais chassés de Muqdisho en janvier, vaincus à Afgooye en avril, la position du SNF ne peut, toute honte bue, faire l’économie d’une analyse méticuleuse de sa situation. Cette analyse passe par celle de la responsabilité collective des Mareexaan qui doivent répondre des crimes imputés à Siyaad Barre et payer le prix du sang. Au sein du mouvement des fidèles à l’ancien régime, deux tendances émergent : - le groupe des durs, partisans de la fuite en avant, propose de continuer la lutte. Rassemblés autour des lignages Mareexaan des Awrsame, reer Xasan et Fiqi Yaquub, ils ambitionnent de reprendre Muqdisho par les armes afin de rétablir le pouvoir politique du faisceau tribal ; - le groupe des modérés, dirigé par le général Cumar xaaji Maxamed Xirsi Masalle1, est d’avis de négocier le prix du sang, de demander aux autres groupes leur pardon pour la répression pendant la dictature et de proposer la réconciliation avec les autres faisceaux lignagers. Le général Maxamed Moorgan qui n’est pas Mareexaan ne peut être intégré dans une procédure de pardon. Aussi, contraint pour l’heure à se montrer plus royaliste que le roi, il se positionne autour du parti des 1
Professeur de langue de formation, Cumar Masalle a intégré les armées sous le régime révolutionnaire. Son frère, le colonel Cabdulqaadir Maxamed Masalle, est membre du Conseil révolutionnaire suprême [som. Golaha Sare ee Kacaanka] et juge au Tribunal de la sécurité nationale [som. Maxkamadda Badbaadada Qaranka]. Commandant militaire dans le Hiiraan, Cumar Masalle a été nommé ministre de la Défense de 1981 à 1982, ministre de la Santé de 1982 à 1984 avant d’être arrêté puis emprisonné par Siyaad Barre de 1984 à 1989. Son frère Cabdulqaadir restera l’un des bras droits de Siyaad pendant sa détention.
durs. Cela dit, il tient aussi à composer avec les modérés sans lesquels d’une part il sait l’insignifiance du mouvement et parmi lesquels, d’autre part, il espère trouver – Mareexaan et hors Mareexaan – une sorte de planche de salut politique. Les discussions portent ainsi les modérés à évoquer un rapprochement avec Cali Mahdi, moins pour le reconnaître en tant que président d’ailleurs qu’en considération du fait que Maxamed Caydiid, leur adversaire le plus dangereux, peut être envisagé comme ennemi commun. Mais les Mareexaan mesurent la difficulté de leur position. Selon la tradition somalie, ils doivent rendre des comptes et payer le prix du sang pour les crimes commis par un régime auquel ils sont identifiés. Dos au mur, cette situation permet à la ligne dure de momentanément l’emporter. D’autant que la fuite en avant du SNF se trouve maintenant confortée par le ralliement de certains Ogaadeen. L’alliance entre le Harti Maxamed Moorgan et l’Ogaadeen Aadan Gabiyow représente un projet mixte élaboré par les stratèges non-Mareexaan qui prétendent convertir le mouvement en une organisation Darood1. Au plan stratégique, ce projet passe par une sanctuarisation du mouvement, ce qui est à peu près acquis dans le Geedo et à l’ouest de la moyenne Jubba mais qui nécessite aussi un exutoire. Le Kenya, d’accès malaisé, est surtout de moins en moins complaisant. Un objectif s’impose : Kismaayo.
La rupture au sein du SPM [I-1992] Mais dans cette orientation, les Darood ne se reconnaissent pas tous. On se souvient qu’après la chute du régime, le colonel Cumar Jees s’en était violemment pris au comportement félon de Cali Mahdi. Le SPM représentant cependant une force militaire non négligeable, le président autoproclamé avait jugé opportun d’envoyer une délégation au poste de commandement du mouvement Ogaadeen, alors établi à Afgooye, pour lui offrir quelques postes ministériels. Cumar Jees hors de lui avait renouvelé son refus de reconnaître le gouvernement par intérim et avait exigé le respect pur et simple des accords passés avec Caydiid et le SNM, accords stipulant un partage égal du pouvoir entre les factions victorieuses. Mais la forfaiture de l’USC conjuguée aux exactions qui avaient suivi contre les Darood avait rapidement donné à Cali Mahdi l’opportunité de faire courir le bruit que le SPM avait rejoint les forces de Siyaad Barre. Il en avait résulté l’attaque de ses positions par les troupes USC situées à l’ouest de la capitale. Acculé, le mouvement se trouvait dès lors contraint à rejoindre les fidèles du régime renversé, trop content de ce renfort inespéré, et à se retirer vers le sud afin d’échapper aux éléments de l’USC qui maintenant les talonnaient. 1
Dirigeant tout ou partie des milices de ces deux factions, Maxamed Moorgan dominera la région ouest du fleuve Jubba entre 1993 et 1999. En 1993, une faction du SNF signera les accords d’Addis Abäba.
Cependant, instrumentalisant la situation à l’instigation de Moorgan, les partisans non Mareexaan de Siyaad Barre avaient aussi pensé prendre du volume en proclamant que le SPM était représentatif de tous les clans du sud du groupe Darood. De nombreux Darood Harti – Majeerteen du Sud, Dhulbahaante et Warsangeli - rejoignaient alors un mouvement au sein duquel ils diluaient par ailleurs le poids initial des Ogaadeen. Le torchon avait toutefois de grandes chances de s’enflammer dès que s’éloignerait la menace directe des miliciens USC. Au SNF par ailleurs, nul n’a oublié que les forces loyales à Siyaad Barre lancées à l’attaque de Muqdisho en avril 1991, ont été en partie défaites à cause des réticences Ogaadeen à combattre aux côtés de leurs pires ennemis de naguère. Et même si, à la conférence de paix de Djibouti, la représentation du SPM par Cumar Mucallin est rejetée parce que jugée probablement envoyée par les partisans de Siyaad Barre, chez ces derniers désormais la défiance est de mise. Fort cependant d’une entente qu’aucun des protagonistes n’est encore venu dénoncer, Cumar Jees, installé à Kismaayo, est occupé à préparer le congrès de son mouvement, quand Gabiyow et Moorgan lancent de conserve une attaque sur la cité. L’objectif est d’importance car son port facilité non seulement le transit le matériel nécessaire à la poursuite de leurs opérations mais il est l’assurance aussi de généreux profits. Le général Aadan Cabdullaahi Nuur Gabiyow, ancien ministre de la Défense a donc pris le parti de rallier la cause des durs du SNF et de son ancien collègue, Maxamed Moorgan. De facto, le SPM se scinde en deux factions : - un SPM-Gabiyow représente les Ogaadeen Cawlyahan, proches géographiquement des Mareexaan du Geedo avec lesquels les alliances sont nombreuses, en particulier au nord du parallèle de Baardheere. Outre les Cawlyahan, la nouvelle faction ratisse aussi chez les autres Darood et rassemble par l’intermédiaire du Harti Moorgan des Majeerteen, des Warsangeli et des Dhulbahaante mais aussi nombre de Bartire, Abasguul et Awrtable de la Jubbada Hoose ; - un SPM-Jees résolument Ogaadeen. Cumar Jees en effet est un Maxamed Subeer dont le lignage est établi au sud des Cawlyahan auxquels ils disputent les pâturages de la région de Dhoobley, entre Kenya et nord de la province de la Jubbada Dhexe. À Kismaayo et dans sa périphérie, il cohabite avec plus ou moins de bonheur avec les clans Harti installés dans la ville. C’est ainsi que, tout en résistant à ses agresseurs, Cumar Jees forme autour des dirigeants Ogaadeen historiques du mouvement un nouveau SPM qui, non sans avoir exercé quelques représailles contre des Harti de Kismaayo et de ses environs, tente de renouveler avec le général Maxamed Caydiid l’alliance qui avait été rompue l’année précédente à cause des exactions conduites par l’USC contre les Darood.
Une autre dimension mérite encore d’être relevée. En dépit du fait que Moorgan et Gabiyow, tous deux anciens dignitaires du régime déchu se connaissent, leur conception de la violence, de la politique et de la façon dont elle doit être menée, est somme toute assez proche. Ils ont un même carnet d’adresses à l’extérieur du pays, dont nombre de noms figurent aussi sur ceux des bourgeois Hawiiye de Muqdisho, tenants de Cali Mahdi, héritiers du Manifesto et de ses accointances occidentales. En l’occurrence, Cumar Jees n’est pas du même monde. Sa plus haute fonction a été celle de commandant adjoint d’une grande unité ; il n’appartient pas à l’ancien sérail. Quelles que soient les exactions qui peuvent être reprochées à ses troupes, assez ordinaires hélas dans le contexte du moment, il s’agit d’un homme plutôt loyal, qui paraît, pour l’heure en tout cas, moins corrompu que les deux autres. Cela dit, Maxamed Moorgan relève d’un tout autre calcul. Dans son esprit, il s’agit de constituer ce front Darood à la tête duquel il espère s’imposer. Issu d’un petit segment Majeerteen des Cumar Maxamuud du Nugaal, son assise clanique dans le Sud est faible, quasi nulle même. Aussi son souci permanent est-il de faire du volume. Cette lacune lui avait été compensée naguère par la grâce de son beau-père en échange d’une loyauté sans faille. Aujourd’hui, la moindre alliance clanique a tendance à se retourner contre lui. Le SNF le regarde avec suspicion parce qu’il n’est pas Mareexaan ; les Ogaadeen, les plus nombreux, ont leurs propres champions. Pour que la communauté Harti du Sud, la seule dont il puisse se réclamer, ait une voix suffisante, il lui faut d’une part en rassembler les morceaux, de petits morceaux à tout prendre, puis surtout diviser la communauté Ogaadeen. C’est ainsi que, tout en restant proche du SNF, il débauche aisément son ancien collègue, le général Aadan Gabiyow. Ce faisant, il dilue le poids de ce puissant lignage, ce dont son nouvel associé n’a cure ou plus vraisemblablement ce dont il ne prend pas conscience. Quelques mois plus tard, forcé de se tourner vers Aaden Gabiyow, Moorgan qui auprès du SNF combat dans la même région le même ennemi, se présentera comme un chef militaire de la faction SPMGabiyow.
DANS LE BAAY ET LE BAKOOL, LE SOMALI DEMOCRATIC MOVEMENT (SDM) Mais revenons avant de poursuivre sur cette région interfluve que la défaite de Siyaad Barre a entraîné dans la tourmente de la guerre civile. Comme nous l’avons entrevu, le Somali Democratic Movement (SDM) est un mouvement politique récent qui représente les clans établis entre les deux grands cours d’eau, le Shabeelle et la Jubba, en particulier autour de Baydhabo.
La spécificité des lignages de la région interfluve Les lignages de la région interfluve se caractérisent par le fait qu’ils ne pratiquent pas une activité exclusivement pastorale mais consacrent l’essentiel de leur activité à la culture des terres fertiles de la région qu’ils occupent. Selon la tradition, ils sont les descendants de Sab – un Arabe chassé dit-on d’Arabie pour avoir refusé de se soumettre à la dîme – comme Samaale est le père des faisceaux lignagers nomades. Toujours est-il que les enfants de Samaale méprisent ceux de Sab dont les coutumes diffèrent quelque peu, comme diffère leur langue d’ailleurs, l’af maay étant clairement distinct de l’af soomaali, sans intercompréhension. Deux souches différentes donc. De nombreux chercheurs admettent la parenté entre les Sab et les Oromoo. Il reste que les Sab sont urbi et orbi considérés comme somalis, à la façon dont on parle facilement des Anglais pour désigner les habitants des îles Britanniques1. Deux faisceaux tribaux composent le paysage social de la société sab aux liens claniques plus relâchés qu’au sein des populations somalies nomades : - Les Raxanweyn des provinces du Bakool et du Baay rassemblent une multitude de clans dont une vingtaine de segments majeurs se reconnaissent en deux lignages, les Alemo Sagaal (Huit de Alemo) du Nord et du Nord-est et les Sideed Mirifle (Neuf de Mirifle), les plus nombreux, du Centre et du Sud ; il s’agit moins, concernant les Raxanweyn, d’une structure agnatique claire que de multiples coalitions collatérales, comme le suggère d’ailleurs leur nom2 ; - les Digil du Shabeellaha Hoose et de la Jubbada Dhexe, comptent vingt-trois clans dont dix majeurs, les Toddobadii aw Digil. [de som. toddoba : dix] La région est aussi occupée par d’autres populations telles que les reer Guuleed, descendants des esclaves bantous, les divers Banaadiri ainsi que des poches Darood, Hawiiye et Dir. Politiquement, les clans suivent une règle hiérarchique plus féodale qu’en milieu nomade. À l’instar des autres régions de la Somalie, les chefs traditionnels portent des noms divers, malak, ugaas, suldaan. Ils président les conseils des représentants des familles appelés gob dans les fractions Mirifle, et ulhay « porteur de bâton » ou akhyar chez les Digil. Dans ces sociétés où saints3 et sheekho jouent un rôle particulier dans la structuration de la société et où la vie des communautés paysannes s’organise à l’ombre des mosquées, il fleurit aussi d’autres groupes et associations telles que les barbaar, associations de jeunes, ooji, associations de bâtisseurs, hergaanti, guerriers conduits par un aw et surtout les jameecoyin, associations religieuses des communautés agricoles. 1 2 3
L’analogie est du professeur I.Lewis. La « grande horde », de [som. raxan(-ta)] « (la) horde » et de [som. weyn] « grand ». weli(-ga) pl. awliya(-da).
Avec ses fermes irriguées par le fleuve ou par les pluies, le pays offre de bons pâturages ainsi qu’une vie sauvage abondante. Les principales cultures sont le sorgho, le maïs, le sésame ainsi qu’une importante variété de fruits et de légumes en particulier des bananes, des mangues, du sucre de canne, du coton, des tomates et des agrumes. Il s’agit aussi d’un espace traversé par des routes caravanières anciennes. Le commerce s’est développé le long des rives elles-mêmes reliant les ports de la côte au marché intérieur, courant jusqu’au plateau méridional de l’Éthiopie des hautes terres. À l’instar des ports de la côte swahili, ceux du Banaadir alimentent aussi depuis des siècles un commerce florissant avec le monde arabe, les Indes et même avec les lointaines Chine et Indonésie. Toutes choses qui confèrent à la région un caractère cosmopolite.
La naissance du parti Le SDM a été fondé le 22 avril 1989 au cours d’une réunion tenue à Dubaï qui avait élu un comité exécutif dirigé par le docteur Cumar sheekh Cismaan. Cette initiative s’est trouvée relayée à l’été au sein de la communauté expatriée à Rome, à l’instigation et sous l’autorité morale d’une forte personnalité politique, Cabdulqaadir Maxamed Aadan Zoppe1. La raison d’être du mouvement porte essentiellement sur la protection des cultivateurs désarmés et sans défense face aux violentes attaques des factions en guerre. A sa création, le mouvement, encouragé en particulier par les wadaado dans le cadre des jameecoyin, reste plutôt politico-associatif et s’inscrit dans la perspective d’une solution fédérale. Face au pouvoir des MOD2, le mouvement va chercher des alliances parmi les lignages non Darood. En juin 1989, il tente ainsi un rapprochement avec les Isxaaq du SNM mais l’éloignement géographique laisse le projet en l’état. Avec les voisins Hawiiye en revanche, la chose se révèle plus aisée. Sous le gouvernement de Siyaad Barre, les populations de l’interfluve étant relativement peu représentées au sein des instances nationales, le parti n’apparaît réellement sur la scène somalienne qu’après la chute du régime. Ainsi le gouvernement 1
Parfois somalisé en Soobe, par appropriation de l’italien zoppo « boiteux ». Né en 1919, il appartient à une famille Desow originaire de Godle, au sud de Wasiilo. Il a intégré en 1944 la Somali Youth League puis rejoint en 1950 le parti Hezbiya Digil-Mirifle (HDM) dont il deviendra Secrétaire général avant de le transformer en parti politique, le Hezbiya Dastur Mustaqil al-Sumal (HDMS) en 1957. Sous la Première république, il occupe les fonctions de ministre des Finances puis de l’Intérieur mais abandonne la politique durant le régime de Siyaad Barre pour se consacrer aux affaires d’importexport – bananes, carburants et cigarettes. En octobre 1989, tandis que l’opposition s’accroît, il suscite la rédaction de la Bayaanki Labada Webi, « Explication des deux fleuves ». Le document, publié sous le titre anglais de Inter-riverine Declaration, décrit les spécificités de la région interfluve et les revendications de ses peuples. 2 Sigle-sobriquet donné aux membres du système de solidarité politico-clanique établi par Siyaad Barre pour Mareexaan, Ogaadeen, Dhulbahaante.
de Cali Mahdi offre-t-il alors à Cabdulqaadir Zoppe la fonction de Premier vice-président de la République. Cet événement marque le véritable acte de naissance du mouvement qu’il faut se garder de considérer comme une organisation politique militante délibérément créée. Il s’agit plutôt d’un moyen d’expression, d’un médium dont l’émergence plus ou moins spontanée répond au souci de populations traditionnellement à l’écart du débat, de se faire quelque peu entendre dans la turbulence ambiante. Toutefois, pour ce faire la marge de manœuvre est réduite et ils n’ont pas d’alternative sauf à se doter d’une structure de parti. Une telle démarche est moins aisée en milieu Raxanweyn ou la cohésion clanique est plus difficile à solliciter que dans le reste du monde somali. Ce détail prend toute son importance dans une période où les seules entités qui échappent à l’anarchie générale sont de facto fondées sur les liens agnatiques. Toujours est-il que le SDM se défend alors être un parti politique et préfère se voir défini par les termes plus généraux de « mouvement » ou d’« organisation ». La structure qui reste simple s’articule autour de deux instances principales : un comité exécutif de 15 membres qui prend toutes les décisions et un comité central qui rassemble les représentants de la quarantaine de tribus composant les deux faisceaux lignagers. L’ensemble est en relation dans la campagne avec les comités de district et les comités des villages. Le programme, assez vague, se résume à un souhait de voir la Somalie devenir un État fédéral divisé en quatre régions autonomes regroupant respectivement les Darood, les Hawiiye, les Raxanweyn et les Digil ainsi que dans le cadre du Somaliland les Dir et les Isxaaq.
Le SDM emporté dans la turbulence des factions À l’été 1991, quand le SNF prend pied dans Baydhabo dont il fait son pivot opérationnel et un avant-poste, le SDM conserve la maîtrise du Bakool et du Baay, de la périphérie de la ville et de son aéroport. Le mouvement Mareexaan ne contrôle que le nord-ouest de la ville et les deux axes menant vers le Geedo, la route de Luuq au nord et au sud, celle de Baardheere. C’est le caractère partiel de cette occupation qui, à fin de prise de contrôle du territoire, explique les raids meurtriers et les exactions perpétrés aux dépens d’une population rétive. Aussi dans Baydhabo, une résistance s’installe. À la fin de l’année, cette situation inconfortable et quelques complications claniques conduisent le SDM à se réorganiser. Car dans le paysage politique cataclysmique qui résulte de l’affrontement des factions, le SDM n’a guère d’autre choix que de s’allier un chef de guerre. D’une part, celui-ci doit être suffisamment pourvu pour être moins tenté par ce qui n’a pas encore été pillé ou détruit que par l’alliance avec une région au potentiel économique et humain prometteur ; d’autre part il doit être suffisamment fort pour que s’inscrire dans son giron en fasse un
protecteur crédible. C’est à partir de ce postulat qu’au sein du nouveau mouvement vont émerger puis cohabiter trois tendances : - les partisans du non-alignement : ce sont les chefs traditionnels relativement paisibles du Baay et surtout du Bakool dont la plupart en fait s’accommodaient même très bien du précédent régime. Ceux-là ne voient pas vraiment la nécessité de prendre position aux côtés de l’un ou de l’autre de leurs traditionnels ennemis ; - les partisans d’une alliance avec Cali Mahdi qui semble la moins aberrante à défaut d’être la plus naturelle. Les objectifs de celui-ci inquiètent d’autant moins à terme qu’il semble se montrer à leur écoute. Ne vient-il pas d’offrir à l’un d’eux une vice-présidence ? Et puis, homme d’affaires, sa raison sociale est connue de ces cultivateurs qui représentent la seule partie de la population somalie à avoir en temps normal une production à écouler ; - les partisans d’une alliance avec le général Maxamed Caydiid procèdent à un autre calcul. Il s’agit dans leur esprit d’une alliance conjoncturelle conclue d’une part dans le but de ne pas engager le fer avec ses alliés, les Hawiiye de l’Est, Jijeele et Gaaljecel, et d’autre part dans celui de bénéficier, si cela se révélait une nouvelle fois à nécessaire, d’une protection contre les éléments du SNF présent dans la zone Mareexaan du Geedo à l’ouest, voire de ceux établis à l’Est, autour de Dhuusa Mareeb. Le constat de leur extrême vulnérabilité établi par les dirigeants du mouvement détermine finalement leur choix. Leur faiblesse patente en armement lourd par exemple est insoutenable pour un parti. Comment espérer faire entendre sa voix autrement qu’armé dans la cacophonie factionnelle ? Victimes plutôt qu’acteurs des guerres et des conflits qui périodiquement depuis 1977, traversent la région, les Raxanweyn sont dans l’ensemble peu armés. Ils ne semblent même pas avoir été en mesure de s’approprier les matériels des unités des forces armées somaliennes qui stationnaient naguère dans le Bakool et le Baay 1. Ceuxci étaient déjà tombés entre les mains de factions combattantes à une époque où le SDM balbutiait encore à peine. Il semblerait même, en ce qui concerne l’armement individuel, qu’ils aient plutôt profité de la ressource provenue d’Éthiopie au moment de l’effondrement du régime de Mengestu Haylä-Maryam en mai 1991 que de la ressource locale.
La restructuration d’un mouvement d’emblée divisé Ce constat disqualifie rapidement l’option du quant-à-soi défendue par les chefs coutumiers tout au long de l’année 1992. C’est donc en deux tendances que va se fractionner le SDM :
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Les Forces armées somaliennes disposaient dans le Bakool et le Baay de deux divisions d’infanterie, la 7e à Xuddur et la 13e à Ceel Barde sur la frontière. Une unité de défense antiaérienne stationnait à proximité de l’aéroport de Baydhabo.
un SDM qui sera plus tard identifié sous l’appellation de SDM-Asali1, c’est-à-dire de SDM-fondamental. Aligné derrière Cali Mahdi, il est dirigé par Cabdi Muuse Mayyow et soutenu par Cabdulqaadir Zoppe. Tous deux ont été investis dans le gouvernement Cali Mahdi. Le premier qui avait déjà présidé la délégation SDM à la conférence de réconciliation nationale à Djibouti le 5 juin 1991 s’est vu confier le portefeuille de ministre de la Constitution et de l’Unité. Le second, comme nous l’avons vu, a été nommé Premier viceprésident et a également participé à la réunion de Djibouti. Le 25 janvier 1992, c’est précisément Zoppe qui demande au Conseil de sécurité des Nations unies d’étudier l’envoi d’une force de maintien de la paix en Somalie ; - un SDM aligné derrière Maxamed Caydiid est dirigé par le colonel Maxamed Nuur Yalaxoow2. Celui-ci, qui rompt avec les alliés politiques de Cabdi Muuse Mayyow et de Zoppe, s’engage dans la mise sur pied d’une milice efficace. Les choses évoluent encore après que le 5 janvier 1992, au cours de son 21e comité réuni à Kismaayo, le SNF et ses alliés prennent la décision de s’attaquer aux clans Raxanweyn, considérés non sans raison comme les alliés de l’USC, de quelque faction qu’il s’agisse, tous Hawiiye qu’ils sont. En brousse, des attaques systématiques sont lancées, attaques qui se traduisent comme à l’accoutumée par des pillages, des incendies et des meurtres. Cela signifie aussi qu’à Baydhabo, certains quartiers sont pris et repris au SNF. La guerre s’est installée. Mais les succès militaires de Caydiid et les perspectives sécuritaires ont finalement tôt fait de renforcer la position de ceux qui préconisent un rapprochement avec Caydiid. Après que les troupes de Siyaad Barre ont été une nouvelle fois vaincues à Afgooye, ils réussiront à convaincre un plus grand nombre d’inscrire le SDM dans le cadre de la SNA sur le point de se créer le 14 août 1992, à Baardheere. Mais dès la défaite du SNF en avril, le général Caydiid profitera de cette opportunité pour entreposer armement et munitions dans les provinces du Bakool et du Baay. Il aura soin aussi d’y installer des partisans sûrs, profitant notamment des personnels de sécurité des ONG, par exemple, capables de surveiller l’évolution de la bonne volonté du SDM à son égard comme ils le feront des forces de l’UNITAF, le moment venu. Dès lors au sein des comités de districts et de villages, les tendances s’affichent mais cohabitent. Aucune nouvelle instance n’est formellement élue ; les comités directeurs se sont simplement scindés et deux délégations représentent désormais le SDM dans les différentes réunions. Du point de vue Raxanweyn, ce sont quand même bien les hommes du général Maxamed Caydiid, seules forces à tenir la province, qui sont venus à leur secours et ont une fois -
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De [som. asal(-ka)], « (l’)origine, (le) fondement » Maxamed Nuur Yalaxoow appartient au clan Eeleye. Ancien vice-ministre de l’Industrie et du Commerce, il représente à partir du 19 août le SDM au sein de la SNA.
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encore rejeté le SNF outre-Jubba, hors du Bakool et du Baay. Ainsi une nouvelle organisation du théâtre s’établit-elle maintenant dans ce pays désormais ravagé.
UN ETAT ISLAMIQUE DANS LE GEEDO
[VIII-1992]
Mais avant de revenir sur la situation en pays Hawiiye et le processus qui conduit au déploiement d’une opération internationale, observons comment le petit monde des islamistes parvient à se réinstaller au lendemain de ses déboires dans le Nord du pays. Une réinstallation au terme de laquelle il passera en toute discrétion et sans problèmes majeurs la présence des troupes des Nations unies. Chassées de Boosaaso en juin 1992 puis du Sanaag dans les premiers mois de l’année suivante, nombre de familles islamistes évoluent maintenant hors du temps, hors du temps somalien en tout cas. Tandis que beaucoup ont abandonné les structures communautaristes de l’islam radical pour rejoindre des groupes proches de l’Islaax, socialement plus confortables, d’autres rallient des mouvements qui, du Harärgé à l’Ogadén, tentent depuis longtemps déjà de lutter contre l’Éthiopie chrétienne et ses gouvernements. D’autres encore reprennent le chemin du Sud de la Somalie où s’organisent à nouveau à l’intérieur d’un triangle Raas Kambooni Muqdisho Luuq quelques communautés.
Entre Mareexaan et SNF, l’installation dans le Geedo C’est Luuq1, chef-lieu de la province du Geedo, qui accueille la plus importante implantation fondamentaliste avec à peu près 1200 hommes, placés sous le commandement de Maxamed xaaji Yuusuf. En août 1992, l’Itixaad s’installe ici en pays Mareexaan où nombre d’entre eux ont de la famille. La situation de la ville, à proximité de la trifrontière avec le Kenya et l’Éthiopie, lui confère la maîtrise d’une région d’autant plus stratégique que les Américains, auxquels la zone est attribuée lors du déploiement de Restore Hope, n’oseront jamais s’y aventurer vraiment. À partir de là, les islamistes sont en mesure, en cas de grand danger, de se replier au-delà de la frontière vers les camps de réfugiés qui sont autant de bases arrières, tant en Éthiopie qu’au Kenya. Ils sont aussi en mesure de contrôler l’axe routier et les carrefours importants qui canalisent le prospère commerce kényan depuis Doolow et Mandera. Toujours est-il qu’à Luuq, grâce à l’ordre et la discipline qu’ils parviennent à établir dans un environnement par ailleurs chaotique et sans loi, les islamistes s’imposent pour les quelques années à venir comme la force politico-militaire la plus stable de la région. En effet, l’administration qu’ils mettent en place interdit le libre port des armes, assure la sécurité du secteur et parvient à convaincre un certain nombre 1
Le Lugh Ferrandi des Italiens, du nom de l’explorateur Ugo Ferrandi ; Luuq Ganaane, abrégé en Luuq pour les Somalis.
d’organisations humanitaires internationales et de donneurs de reprendre leurs activités1. Cela dit, l’efficacité de la gouvernance islamiste est loin de lui valoir une popularité sans partage : les édits qui appellent à une stricte application de la šarīʿa et à l’interdiction du qaad sont particulièrement impopulaires. Pas toujours impartiale, la population observe aussi que certains miliciens sont davantage intéressés par le fait d’avoir un salaire que par l’utopie de construire un État islamique, et que leur conduite laisse beaucoup à désirer. Quoi qu’il en soit, en décembre 1992, à l’instar des groupes éparpillés depuis 1991 à Marka ou à Raas Kambooni, les islamistes sont en alerte. Leur éthique les pousse à s’opposer à l’éventuelle arrivée de forces coalisées dans leur zone mais le bon sens leur commande de plutôt tirer parti de la nouvelle situation. Le problème ne se posera pas. Chacun, Américain et Somalien, choisit de rester sur son quant-à-soi. Une sorte de modus vivendi s’installe. On se salue mais on ne se fréquente pas. Et si on se surveille du coin de l’œil, les islamistes ne sont pas encore la préoccupation du moment. Dans le Jubbada Hoose, autour de Kismaayo,, la priorité est donnée au prêche, à la daʿwa, ce qui exclut toute confrontation directe avec les forces coalisées, le contingent belge en l’occurrence pour ce secteur. Seules des actions conventionnelles incluant le minage des routes sont envisagées, notamment dans la région de Baardheere dans l’hypothèse où la coalition se montrerait agressive à l’encontre de l’islam. Mais là aussi, la situation restera calme.
Une implantation fondamentaliste : Luuq Une rapide description de leur installation à Luuq et dans ses environs permet de se représenter le quotidien d’une cité administrée par un islam radical, ferme mais sans excès. Ainsi vit la petite ville de Luuq engoncée sur l’isthme formé par un méandre de la Jubba, large ici d’une trentaine de mètres. En saison des pluies, seul le pont en mauvais état mais praticable aux camions permet de franchir le fleuve. En saison sèche, il peut être en revanche franchi à pied par endroits. Un aérodrome offre deux pistes presque perpendiculaires de 1300 mètres dont l’une permet de poser des avions porteurs de la taille d’un C-160 Transall. Bien située à l’intérieur du méandre, sa réhabilitation par le génie militaire américain facilitera incontestablement l’activité interlope des islamistes de la région, une fois les expatriés partis. Sur les quelque 15 000 habitants que compte la cité, les adeptes convaincus ne représentent probablement pas plus d’un dixième de la population. Deux à trois cents hommes constituent une milice équipée d’armes légères dont la valeur combative et opérationnelle semble très moyenne. Répartis par groupes de cinq à 1
KING, Basil. Security in Geedo – The AMREF view, unpublished letter. Nairobi, 3 septembre 1996 Cité par ICG 100 p.7
vingt combattants, ils sont éparpillés à différents points-clés de la localité. Cinq à dix technicals, deux camions et une demi-douzaine de véhicules légers constituent leur parc automobile. L’administration de Luuq, placée sous l’autorité d’une « association islamique » est stricte. Assistée d’un conseil de district désigné par elle, elle rassemble l’ensemble des pouvoirs et contrôle le quotidien. Un tribunal islamique administre la justice, en privilégiant la loi musulmane au détriment de la loi coutumière du clan, le xeer. Ceci signifie que les punitions incluent les peines prévues par la šarīʿa telles que l’amputation ou la lapidation. Ces peines sont tout à fait étrangères aux coutumes somalies bien que d’autres tribunaux islamiques les aient naguère imposées, en particulier dans le nord de Muqdisho. La police est composée d’une milice islamique séparée des autres forces de sécurité. L’usage du qaad est interdit ainsi que celui du tabac ; les femmes sont contraintes à se voiler, le soutien-gorge interdit. Dans les écoles, l’éducation est librement dispensée mais les cours sont faits en arabe et le cursus privilégie une orientation islamique non séculière. Sinon chacun vaque normalement à ses occupations. La route de Baydhabo est régulièrement fréquentée par les convois humanitaires et un bureau du HCR est présent dans la ville, gardé par trois miliciens1. Mais en dépit du calme qui prévaut, les accès à la localité sont sérieusement surveillés et gardés. Le petit poste de garnison qui abrite en permanence de 100 à 150 hommes est situé sur l’isthme, au plus près des directions potentiellement dangereuses. Il abrite l’armurerie où l’on peut apercevoir une cinquantaine de Kalashnikov, AK 47 flambant neuves ainsi qu’une petite réserve de mines antichars, à toutes fins utiles. Deux canons de 60mm, orientés l’un vers la ville, l’autre vers les accès est sont en batterie à l’entrée du pont, servis l’un par une vingtaine, l’autre par une dizaine de combattants. Leur mission est de couvrir un éventuel repli en direction de l’ouest où, sur la route de Doolow, est établie une deuxième ligne de pièces, à moins de 5 km de Luuq. À 25 km au sud, sur la route de Beerdaale, un char T55 en état de tirer et de rouler marque la limite de territoire contrôlé par les fondamentalistes. Sur cette même route, après le déminage réalisé les 4 et 5 mars 1993, quelques mines seront délibérément laissées en place à certains carrefours mais balisées par des branchages ou des cailloux afin de prévenir les conducteurs des convois humanitaires. Cette aire fondamentaliste toutefois est loin d’être homogène. À proximité immédiate de Luuq se trouvent plusieurs villages qui échappent à leur influence. Mais aucun n’ayant les moyens de prendre l’avantage sur l’autre, un statu quo ici aussi prévaut et ni les uns ni les autres ne viennent délibérément se provoquer. Pourtant, les choses se savent. À Halgan par exemple, les hommes disposent d’une centaine d’armes, à Horsel sont cantonnés 100 à 150 partisans de Siyaad Barre, 1
En mai 1993, il compte 12 expatriés : 4 Danois, 2 Français, 2 Kenyans, 1 Américain, 1 Bengladeshi, 1 Hollandais(e), 1 Ougandais.
désarmés semble-t-il. À Luuq Goobey à une trentaine de kilomètres à l’est, la population est réputée viscéralement hostile aux islamistes. C’est pourquoi on ne peut-on parler d’un territoire tombé entre leurs mains mais plutôt l’établissement de points d’appui, de sanctuaires à partir desquelles ils peuvent en toute discrétion et en toute impunité organiser leurs activités, zones refuges, camp d’entraînement, centres commerciaux, base de départ d’actions lancées vers l’Éthiopie, en attendant mieux. Constitués par leurs trois installations à Luuq, à Doolow et surtout à Belet Xaawo, sur la frontière, les autorités militaires et policières kényanes se disent impressionnées par l’amélioration de la sécurité locale. L’emprise des islamistes diminue en réalité au fur et à mesure que l’on s’éloigne de leurs établissements, ne serait-ce que de quelques kilomètres. Des centres d’influence donc, pas de gouvernement.
Le Geedo et la problématique Mareexaan Reste que dans le Geedo, c’est plutôt le clanisme que l’islam qui va susciter une dégradation de la situation. Jusqu’à ce que, de la même façon que l’influence du mouvement dans le Nord-est de la Somalie s’était détériorée avec le SSDF, sa présence dans le Geedo les oppose au SNF qui s’y est replié dès février 1991. Or cette faction rassemble les Mareexaan de l’ancien dictateur dont les derniers fidèles se sont réfugiés dans cet endroit qui militairement présente naturellement ces avantages que les islamistes ont aussi identifiés. Tout d’abord accueillis par les leurs, il n’y a pas d’emblée de rumeur d’affrontement des islamistes ni avec la population, ni avec le SNF qui les a précédé. Mais des différends claniques vont pourtant détériorer les relations entre quatre protagonistes, les Mareexaan du cru, les réfugiés du SNF, les islamistes de l’Itixaad et les autres lignages autochtones à la périphérie du Geedo. Sur le plan de la géographie clanique, les lignages Mareexaan occupent deux territoires de la mosaïque somalie. Le Geedo en est un, l’autre est situé plus au nord, à cheval sur la frontière éthiopienne, dans la région plus lointaine du Galguduud. Or les fuyards, qu’ils soient du SNF en 1991 ou islamistes deux ans plus tard, aussi Mareexaan soient-ils, ne sont pas tous originaires de la même région. Tandis que la direction du front est plutôt aux mains des familles originaires du Galguduud, les militants de l’AIAI s’appuient plutôt sur celles du Geedo. Jusqu’à ce qu’une exaspération s’installe parmi les Mareexaan originaires du Geedo. Le guri, l’indigène, supporte de moins en moins celui qui vient d’ailleurs, le galti1. Situation que vient compliquer la présence au sein du SNF de quelques Daarod Ogaadeen et de quelques Harti ainsi qu’au sein de l’Itixaad d’une minorité de Hawiiye et 1
De guri(-ga), « (la) maison » et de galti(-da) « (l’)étranger, (la) personne ignorante de l’intérieur, le barbare ».
désormais de quelques combattants professionnels venus de n’importe où via les maquis afghans1. Une autre ligne de fracture apparaît également lorsque les Mareexaan galti se heurtent aux Hawiiye Garre, établis au nord-ouest du Geedo et en Éthiopie, contribuant au fil des mois à rendre la cohabitation difficile. Sur le plan social, une différence existe entre les pasteurs du Geedo et les cadres arrogants de Muqdisho, guri ou galti confondus, qui au fil d’une guerre bien lointaine viennent aujourd’hui perturber leur espace. Tout ceci enfin se déroule au séculaire détriment de ceux dont on ne parle jamais, les Gowsa Weyne, agriculteurs bantous établis le long du fleuve et que chacun de toute façon peut dépouiller à l’envi. Le Geedo, une province retirée, mais une petite poudrière aussi, toute repliée qu’elle soit sur elle-même, tapie derrière le fleuve. La situation se tend surtout quand le SNF trouve un allié de poids dans le gouvernement éthiopien qui depuis longtemps souhaite éliminer la présence de ses propres islamistes de l’Ogadén. Ceux-ci participent en effet de la précarité sécuritaire qui prévaut dans la région somalie de la nouvelle Éthiopie fédérale. À Addis Abäba, les dirigeants du SNF s’empressent donc de faire savoir que les camps établis à Luuq et près de Dermo entraînent des combattants venus de Somalie, d’Éthiopie, d’Érythrée, du Kenya et d’Ouganda à toutes les disciplines allant de l’utilisation d’armes légères à l’attaque suicide en passant par les techniques de guérilla, les mines et explosifs, l’espionnage et la logistique2. Selon le SNF, les camps seraient en partie financés par une ONG islamique basée à Dublin, la Mercy International Relief Agency (MIRA). Les événements vont non seulement venir confirmer les liens avec la MIRA mais aussi révéler une relation avec un réseau terroriste plus large et que l’on va bientôt reconnaître sous le nom de Qāʿida.3
L’implantation côtière : Marka et Muqdisho Si les implantations islamistes sont assez nombreuses dans le Sud, leur activité autour des ports revêt une importance tout à fait particulière. Absents de Kismaayo où des forces disproportionnées aux leurs se disputent la place, d’autres sites ont retenu leur attention. Or Marka par exemple, l’un des rares ports utilisables de la côte du Banaadir, figure au nombre des sites retenus pour la livraison de l’aide humanitaire. C’est aussi à partir de Marka que depuis 1991 le colonel Xasan Daahir Aweys, issu d’une famille de Hawiiye Habar Gidir implantée dans la ville, gère de manière assez erratique parfois la dynamique du 1
Chaque nouvelle recrue reçoit 1 000 shillings kényans au moment de son recrutement. On estime à 20% seulement les intégristes convaincus. L’attrait principal tient à la nourriture et à l’argent. 2 Somali National Front. Mercy International Relief Agency. 24 mai 1996. Lettre non publiée citée par ICG 100 3 MEKHAUS, Ken. Kenya-Somalia Border Conflict Analysis. USAID. 31 August 2005
mouvement islamiste dans le sud. On se souvient que c’est vers Marka aussi qu’après la débâcle d’Araare est remonté un petit groupe de combattants qui s’y sont installés. Bien que Dir Biyomaal et Ashraaf soient majoritaires dans la cité, il y a retrouvé des familles Habar Gidir des clans Cayr, installés dans cette région rendue prospère par le commerce des bananes et des fruits cultivés le long de la rivière Shabeelle. L’Itixaad peut s’assurer ainsi de la sécurité d’un port, même si dans le reste de la ville la population intégriste en tient plutôt pour l’Islaax. Mais les choses ici ne se passent pas trop mal. Le Comité international de la Croix-Rouge a recours aux services de l’Islaax afin d’assurer sa sécurité et même aider au déchargement de ses boutres. Ces prestations lui coûtent 10% de l’aide distribuée. Une petite partie en est commercialisée et l’autre redistribuée, sous le timbre du mouvement cette fois, dans ses propres centres d’alimentation. Au point qu’à la fin du mois de décembre 1992, au moment où l’opération Restore Hope s’engage, certains éléments de l’Islaax à Marka se disent prêts à collaborer avec les Américains. Cette idée, moyennement partagée en laisse cependant plus d’un réticent et sceptique de sorte que la plupart choisit de se replier vers le Geedo1 tandis que d’autres, à l’invitation de membres du SNM, préfèrent partir vers le Somaliland. À Muqdisho en revanche le ton est très différent. Il permet de se faire une idée de l’homogénéité toute relative de la stratégie et de la cohésion réelle de l’Itixaad. Ici, le sheekh Xamid développe d’emblée un discours anti-occidental et mène simultanément une action ouvertement hostile au général Caydiid2. Tout en contrôlant le district de Wadajir, que l’on appelle couramment Medina, le redoutable imām a établi son quartier général à la mosquée centrale du quartier de la Casa Populare3. À partir de là, ses membres parviennent, par l’intermédiaire des clans Muruursade et Xawaadle, à ponctionner l’aide internationale. Les recettes réalisées sont investies dans des ouvertures d’écoles qui fonctionnent comme de véritables centres de recrutement pour les instituteurs et d’embrigadement pour les élèves, orphelins ou enfants perdus pour la plus grande partie d’entre eux. Bien que leurs capacités soient limitées dans la capitale, où règnent les factions USC et les clans, les islamistes n’ont de cesse de s’y renforcer et de s’y organiser. À la fin du mois de décembre 1992, des instructions leur sont données afin qu’ils emploient les fonds disponibles à acheter tout l’armement possible auprès des groupes fuyant la ville. 1
En fait, leur effectif est passé de mille hommes au début de l’année à trois cents personnes armées et équipées de vingt technicals. Le repli se poursuit vers le Geedo tout au long du premier trimestre de 1993. 2 Le commandant Abduraxmaan, officier de Caydiid, expliquait aux Américains, le 28 novembre 1992, la manière dont les islamistes avaient attaqué son camp. 3 Les Américains découvriront le 19 mars 1993 une importante cache d’armes dans un bâtiment du mouvement. L’arsenal comporte 2 missiles sol-air, 6 mitrailleuses, 2 LRAC, 35 armes légères et 20 postes radio.
IX – 1992 : DECISION D ’ INTERVENIR DES N ATIONS UNIES , ONUSOM I
Depuis le mois de septembre 1991, sur le plan strictement humanitaire, la société internationale a limité son action au service minimum, une sorte d’indifférence planétaire. Selon les Nations unies en effet, à la fin de l’année, le bilan est estimé par Pérez de Cuellar à environ 7 000 morts et 13 000 blessés1. Tandis que se déroulent ces événements dont l’irréversibilité de certains aspects n’apparaît encore à personne, la famine qui s’est installée en Somalie méridionale finit cependant par attirer l’attention de la communauté internationale.
LE REVEIL DE LA SOCIETE INTERNATIONALE
[XI-1991/II-1992]
La laborieuse prise de conscience du désastre Les rares agences d’aide qui opèrent en Somalie et à Muqdiho ont en effet été témoin de l’accroissement des violences certes mais elles voient aussi l’imminence d’une famine, davantage provoquée par les ravages de la guerre que par des conditions météorologiques, toujours préoccupantes ici. Nombre de ces agences, Croix-Rouge internationale, Save the Children, Médecins sans frontières et International Medical Corps (IMC) en particulier, lancent alors un appel afin qu’il soit procédé à des livraisons de nourriture suffisantes pour prévenir la catastrophe. Fin octobre, après une interruption de deux semaines due aux problèmes d’insécurité, le CICR a repris ses opérations de distribution de semences et de nourriture aux populations de la région de 1
Chiffre fourni lors d’une conférence de presse à Nairobi et rapporté par Le Monde, 31 décembre 1991
Kismaayo. Il s’agit de préparer la récolte de janvier/février, échéance jusqu’à laquelle le Comité a prévu de fournir des vivres à ces populations démunies pendant la période de « soudure »1. Le 6 novembre 1991, un porte-parole de l’exécutif européen annonce à Bruxelles que la Commission européenne avait décidé d’ouvrir une ligne de crédit de 1,2 million de dollars pour financer des opérations humanitaires en Somalie. Les fonds doivent servir à l’achat de matériel médical, de médicaments, de nourriture et de produits de première nécessité qui seront ensuite distribués par les ONG collaborant avec la Commission européenne, par la Croix-Rouge et par les agences des Nations unies. Cette bonne nouvelle n’en laisse pas moins redouter que le projet d’aide financière européenne ne vienne, à travers les possibilités de détournements qu’elle laisse déjà entrevoir, alimenter les antagonismes. Chacun d’ailleurs se positionne. Récemment Maxamed Caydiid a accusé le gouvernement de Cali Mahdi d’accaparer l’aide alimentaire internationale. Plus récemment, afin de s’imposer comme interlocuteur unique des étrangers, le comité central de l’USC qu’il préside a réclamé le rappel de l’ambassadeur italien Mario Sica, réputé complice des Abgaal, et précisé que seuls ses représentants seraient dorénavant habilités à servir d’interlocuteur aux gouvernements et organismes étrangers. Le 1er décembre, le cri d’alarme des organisations humanitaires est relayé par un éditorial du Washington Post dénonçant le mur de silence qui prévaut face au drame somalien ainsi que le comportement des Nations unies qui ont retiré leur délégation de Muqdisho. Le quotidien revient à la charge le 29 en enjoignant à l’OUA d’organiser l’envoi d’un contingent international, avec l’assistance de New York et éventuellement le soutien de Washington2. À partir de ce moment, une prise de conscience, modeste, va peu à peu s’insinuer dans une conscience internationale dont l’attention reste rivée sur l’affaire irakienne. Feignant saisir la balle au bond, l’OUA, par la bouche de son Secrétaire général, Salim Ahmed Salim, se dit prête à mettre sur pied une force d’interposition mais à condition que cette intervention soit sollicitée par l’ensemble des protagonistes du conflit. Aux Nations unies, l’Égyptien Boutros Boutros Ghali vient de succéder le 1er janvier 1992 à Javier Perez de Cuellar. Naguère ministre des Affaires étrangères de son pays, il porte sur le dossier somalien un regard très égyptien aussi le fait-il immédiatement inscrire comme priorité absolue à l’ordre du jour des Nations unies. D’emblée, il décide d’envoyer à Muqdisho une mission d’exploration dirigée par son viceSecrétaire général, le Sierra-Léonais James Jonah. La justification de ce déplacement est simple : face à la recrudescence des combats et les 1
Dans ce scénario, faute d’aide alimentaire d’accompagnement, les populations sinistrées sont contraintes de manger les semences, rendant dès lors le désastre inexorable. 2 Washington Post, 29 décembre 1991
difficultés que cela induit dans la distribution de l’aide, la société internationale se reprend à craindre pour le point d’entrée de celle-ci, Muqdisho où la situation chaque jour dégénère davantage. La délégation, composée de deux fonctionnaires italiens, l’un du PAM et l’autre de l’UNDP, arrive le 3 janvier dans la capitale somalienne. Sa mission consiste à proposer une médiation entre les parties pour obtenir au moins une trêve et la délimitation d’une zone franche où il soit possible de rassembler et d’assister la population civile. Rencontrant tout d’abord le général Caydiid, celui-ci explique sans détour à l’envoyé du Secrétaire général qu’il appartenait à la Somalie « de trouver elle-même des solutions à ses problèmes actuels, c’est-àdire sans intervention extérieure ». La seule concession obtenue par le représentant des Nations unies consiste en la démilitarisation des hôpitaux de la capitale, disposition à laquelle il sera contrevenu dès le 18 janvier par le bombardement de l’hôpital Banaadir. Sur cette quasifin de non-recevoir, la délégation rencontre le président par intérim puis se rend successivement à Hargeysa, à Berbera, à Boosaaso et à Kismaayo. Mais nulle part elle n’aura le sentiment de rencontrer un terreau véritablement propice à une négociation de paix. Sauf chez Cali Mahdi dont naturellement, le positionnement est différent. En difficulté sur le plan militaire mais également en délicatesse au sein de son propre camp, la situation du président Abgaal le porte au contraire à prendre le contre-pied de son adversaire et à solliciter auprès de James Jonah une intervention des Nations unies dont il serait le premier bénéficiaire de la protection. La sollicitation intervient en deux temps. Un premier courrier est adressé le 15 décembre 1991 par Cumar Carte Qaalib au Secrétaire général et au président du Conseil de sécurité, au terme duquel il propose de venir à New York présenter la situation somalienne 1. Cette démarche est relayée le lendemain par une intercession du président en exercice de l’OUA, Abdou Diouf, sollicité par une résolution prise au 6e sommet de la Conférence islamique qui s’est tenu à Dakar du 9 au 12 décembre. Une seconde missive est adressée au chargé d’affaires de la mission permanente des Nations unies le 11 janvier, par laquelle le premier ministre remercie James Jonah et exprime toute sa confiance dans l’action du nouveau Secrétaire général2. Entre temps, emboîtant le pas aux Nations unies, le 5 janvier, la Ligue arabe - dont la Somalie fait partie – s’est réunie au Caire en session extraordinaire pour offrir sa contribution à la pacification du pays. A cet effet, elle s’est proposé d’organiser une conférence de réconciliation au profit de laquelle son 1
Lettre du Secrétaire général des Nations unies au Président du Conseil de sécurité, faisant part de la demande de la Somalie à être inscrite à l’agenda du Conseil - 27 décembre 1991 2 Les deux correspondances seront adressées par le chargé d’Affaires a.i., Fatun Mohamed Hassan au président du Conseil de sécurité qui fait état de l’aggravation de la situation sécuritaire. Nations unies - Lettre S/23445, 20 janvier 1992
Secrétaire général, Aḥmad ʿIṣmat ʿAbd al-Majīd1, a été chargé de prendre les contacts nécessaires. On observe aussi un nouvel intervenant qui fait également son entrée sur la scène somalienne : l’Érythrée. Depuis la chute de Mängestu, l’État sécessionniste vit à l’instar du Somaliland en état de quasiindépendance, en attendant qu’un référendum n’en vienne asseoir l’inéluctabilité. Début janvier, le gouvernement provisoire d’Asmära déclare qu’en remerciement du « grand soutien moral » qu’il avait reçu de la Somalie durant sa guerre de libération, il offrait ses bons offices et était d’ores et déjà prêt à rassembler autour d’une même table l’ensemble des organisations somaliennes2. Il faut dire qu’une première visite effectuée en décembre dans la capitale somalienne en faveur d’une médiation érythréenne avait sans difficulté obtenu l’accord des deux factions, le futur État n’étant pas considéré comme impliqué dans la crise. Ainsi, à la mi-janvier, est-ce une nouvelle délégation, dirigée par le ministre des Affaires étrangères, Muhamed Said Barry, et le représentant érythréen en Éthiopie, Haylä-Makarios, qui effectue une visite en Somalie, se rendant à Muqdisho, à Kismaayo ainsi qu’à Hargeysa.
La Résolution 733 des Nations unies [23.I-1992] En dépit de la première visite au résultat mitigé de James Jonah mais face à une situation qui dérive vers un désastre humanitaire, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte à l’unanimité, le 23 janvier 1992, la Résolution 7333. Par celle-ci il évoque « les lourdes pertes en vies humaines, les destructions de biens et une menace pour la stabilité régionale », « exprime son inquiétude face à la situation en Somalie » et appelle le Secrétaire général à prendre immédiatement des mesures propres à accroître l’aide humanitaire délivrée par la communauté internationale. Il lui demande également, de concert avec les secrétaires généraux de l’OUA et de la Ligue arabe, de communiquer avec toutes les factions concernées afin qu’elles mettent fin aux hostilités et permettent l’acheminement de l’aide. La résolution exhorte enfin toutes les parties à garantir la sécurité du personnel humanitaire et invite les États membres à contribuer à l’effort d’aide. Agissant en vertu du Chapitre VII de la charte des Nations unies, le Conseil : « …décide que tous les États devront, aux fins d’établir la paix et la stabilité établir immédiatement un embargo général et total
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Diplomate égyptien, Aḥmed ʿIṣmat ʿAbd al-Magīd [ar. ]ﺃﺣﻤﺪ ﻋﺼﻤﺖ ﻋﺒﺪ ﺍﻟﻤﺠﻴﺪsera Secrétaire général de la Ligue des États arabes de 1991 à 2001. 2 International Herald Tribune, 7 janvier 1992 3 Outre les 5 membres permanents, la résolution est adoptée par l’Autriche, la Belgique, le Cap-Vert, l’Équateur, la Hongrie, l’Inde, le Japon, le Maroc, le Vénézuéla et le Zimbabwe.
sur toutes les fournitures d’armes et d’équipements militaires à la Somalie jusqu’à ce que le Conseil en décide autrement. » 1
Stricto sensu, cette simple décision peut laisser rêveur. Comment surveiller plus de 3000 km de côtes et un hinterland où viennent d’être volés en Éthiopie l’armement et les munitions de ce qui sous Mängestu Haylä-Maryam appartenait à la deuxième année d’Afrique ? D’autant qu’en dépit de la requête de certains États membres, la résolution ne peut que prendre acte des réticences somaliennes aux propositions de déploiement d’une force de maintien de la paix. Les uns évoquent des raisons financières, d’autres, comme les États-Unis, déclarent qu’ils ne sauraient intervenir à ce stade car il n’y avait pas de sollicitation officielle émanant du pays en crise. Le 26 janvier, Cali Mahdi fait savoir à New York qu’il acceptait les termes de la résolution. Le 31, Caydiid envoie son propre commentaire ; s’il demande au Conseil d’en reconsidérer certains points, il ne fait pas non plus explicitement état d’un rejet de la résolution. Aussi, devant le fait accompli, annonce-t-il sur les ondes de Radio Muqdishu dont il contrôle désormais les installations, l’établissement d’un cessez-le-feu immédiat dans la capitale et appelle toutes les organisations politiques du pays à participer à une conférence nationale au terme de laquelle il réclamera la formation d’un gouvernement élargi. Cet appel à la concertation s’accompagne d’une attaque en règle contre le groupe du Manifesto, accusé une fois encore d’avoir accaparé le pouvoir à Muqdisho après renversement de Siyaad Barre.2 Le même jour, Boutros Boutros Ghali adresse aussi un courrier séparé au président par intérim et au président de l’USC afin qu’ils participent à une série de consultations, à New York, durant la semaine du 10 février afin de définir un accord de cessez-le-feu. Sont également conviés les secrétaires généraux de la Ligue des États arabes, de l’OUA et de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI), respectivement représentés par Mahdī Muṣṭafā al-Hādī, Machivenyika Mapuranga et Ibrāhīm Ṣāleḥ Bakr3.
Consultations à New York [12/14.II-1992] Naturellement, côté somalien, la bonne volonté et l’enthousiasme ne relèvent pas d’un élan unanime. Reste que si les deux chefs de faction 1
Le Chapitre VII traite des conditions de l’action du Conseil de sécurité « en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’actes d’agression ». Il est dérogatoire par rapport à certains principes établis par la Charte comme le non-recours à la force dans les relations entre États (Art 2 §4) et la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État (Art. 2 §7). Le Chapitre VII définit par ailleurs les conditions du recours à la force et confie au seul Conseil de sécurité l’autorité de sa mise en application. Chapitre de l’exception, de la contrainte et de la rétorsion collective et progressive, il est au centre du mécanisme coercitif prévu par la Charte. Par son application, le Conseil peut permettre l’usage de la force et l’intervention militaire au sein d’un État. 2 er LOI n°512, 1 février 1992 3 Lettre du Secrétaire général des Nations unies adressée aux Secrétaires généraux de l’OUA, de la Ligue arabe et de l’OCI. Datée du 31 janvier 1992
ne se déplacent pas à New York, ils adressent chacun le 9 février un courrier par lequel ils font connaître au Secrétariat général la composition de leurs délégations dont les chefs sont officiellement investis des pleins pouvoirs de décision dans les négociations. L’USCMahdi sera représentée par Maxamed Qanyare Afrax, Aweys xaaji Yuusuf et Xuseen Cali Shiddo, l’USC-Caydiid par Cismaan Caato, sheekh Cadi Nuur Nuur Xaashi et Maxamed Xasan Cawaale. Avant le début des discussions, le 12 février, au Palais de verre à New York, la Ligue arabe et l’OUA que Boutros Ghali souhaite pleinement impliquer, lancent conformément à la Résolution 733 un nouvel appel à un cessez-le-feu immédiat1. Le Secrétaire général compte fonder les consultations sur une stratégie en deux temps : - chercher l’accord des belligérants de Muqdisho sur le principe de la cessation des hostilités propre à permettre la distribution de l’aide et promouvoir l’établissement d’un accord de cessez-lefeu puis les modalités de son application ; - dans un second temps, aider au processus de règlement politique du conflit en convenant d’une conférence sur la réconciliation et l’unité nationale. Après deux jours de discussion, le 14 février, James Jonah à la tête d’une délégation conjointe avec les trois organisations régionales présentes, obtient des deux chefs de faction leur engagement à cesser immédiatement les hostilités et à établir un accord de cessez-le-feu. Il est entendu que cette même délégation se rendrait avant la fin du mois de février à Muqdisho où seront établies à haut niveau les modalités de l’accord convenu2. Durant les consultations et la signature des promesses d’apaisement, des tentatives sont aussi entreprises afin de faire se rencontrer les deux factions. Autant d’efforts qui se brisent sur le refus catégorique de l’USC-Caydiid de voir les envoyés de Cali Mahdi qu’ils se refusent catégoriquement à reconnaître comme président. D’un commun accord, les représentants des Nations unies et des trois organisations intergouvernementales assistent à la réunion du Conseil des ministres de l’OUA des 24 au 28 février ; le 29, la délégation conjointe arrive à Muqdisho3.
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Communiqué conjoint du Secrétaire général et des représentants officiels de l’OUA, de la Ligue arabe et de l’OCI. UN Press release IHA/431, 12 février 1992 2 Communiqué conjoint établi au terme des discussions entre les représentants des Nations unies de l’OUA, de la Ligue arabe et de l’OCI et les représentants des factions. UN Press release IHA/434, 14 février 1992 3 Elle est dirigée par James O.C. Jonah et se compose par ailleurs : pour ces dernières de Tayye-Brook Zerihun, officier des Affaires politiques, le major Neuludole Mataitini, conseiller militaire adjoint ; pour la Ligue des États arabes, Mahdī Muṣṭafā al-Hādī, Soussecrétaire général et Samīr Ḥusnī Atteye ; pour l’OUA Machivenyika Mapuranga Secrétaire général adjoint et Emile Ognimba, officier politique ; pour l’OCI, de Ibrāhīm Ṣāleḥ Bakr et Salmān Bashīr.
Consultations à Muqdisho et cessez-le-feu [29.II/3.III-1992] Reçue par Maxamed Caydiid, à son quartier général proche de l’aéroport, la délégation se rend en voiture au cours de l’après-midi dans la partie nord de la ville où elle rencontre Cali Mahdi. Ici et là, James Jonah s’applique à préciser que l’objectif des Nations unies n’était pas de reconnaître une faction ou une autre, mais bien de recueillir l’avis de toutes dans la perspective d’une conférence de réconciliation nationale et d’unité1. Les questions à traiter sont la participation, l’agenda et le lieu de rencontre. Après avoir passé la nuit à Nairobi, la délégation regagne Muqdisho le lendemain 1er mars. Les conversations portent sur le cessez-le-feu et les modalités de son contrôle par les Nations unies qui proposent le stationnement d’un groupe d’observateurs sans armes d’un volume réduit, mais suffisant pour superviser, vérifier et confirmer le caractère effectif du cessez-le-feu. La proposition est immédiatement acceptée par Cali Mahdi ; Caydiid donne rendez-vous le 3 mars à 12 heures pour confirmer son accord. Il insistera pour que les observateurs militaires soient en tenue civile avec leurs propres insignes des Nations unies, bérets bleus et brassards par exemple. Caydiid n’ignore pas que la société internationale préfère un directeur d’hôtel soutenu par les milieux d’affaires romain à un général dont la fonction même de militaire paraît par nature à tout diplomate inquiétante. Mais il sait qu’ici, il va être contraint de lâcher du lest, aussi s’en tient-il à quelques manœuvres dilatoires. Il faudra attendre le 3 mars 1992 pour que, sous l’égide des Nations unies soit contresigné par les deux adversaires un cessez-le-feu dont on espère qu’il mettra un terme aux échanges de tirs d’artillerie qui n’ont pas vraiment cessé entre les deux factions. Il n’en demeure pas moins que cette fausse paix occulte une autre réalité qui à Muqdisho en particulier s’affirmera au fil de l’année 1992 : le délitement des alliances originelles. Car la guerre en effet divise de plus en plus les partis en de multiples factions. Une anarchie généralisée règne maintenant. La plupart des combattants des clans portent exclusivement leur activité sur le pillage et le vol. Et le banditisme qui prévaut n’est pas uniquement affaire d’individus, il est une conséquence directe de la manière dont procèdent les factions armées elles-mêmes pour recruter leurs forces. Il est probable que sans la perspective, sinon la promesse implicite de pillages fructueux, nombre de chefs n’auraient jamais pu lever les effectifs prêts à en découdre dans la capitale, des effectifs qu’ils eussent par ailleurs été bien en peine de rétribuer sur leurs propres deniers. Ce sont donc bien toutes les factions qui sont responsables des attaques lancées contre les populations sur la base de leur appartenance lignagère. 1
Naturellement cette « unité » est l’antienne qui inlassablement répond à la position sécessionniste du Somaliland.
Particulièrement flagrante en l’occurrence aura été la campagne de terre brûlée qui a été menée par les forces de Maxamed Siciid Xirsi Moorgan ravageant au cours de leur repli vers le Geedo, les régions agricoles habitées par quelques clans Hawiiye et surtout par les Raxanweyn et Digil de la région interfluve. Ravages encore quand il s’est agi de s’emparer de Baydhabo qui, disposant d’un aérodrome et d’où part la route goudronnée, représente une base idéale pour organiser ses forces avant de se lancer à nouveau à l’assaut de la capitale. La communauté internationale qui vient à peine de sortir de la guerre du Golfe pour replonger dans le bourbier des Balkans a identifié la dangerosité du théâtre somalien. Elle n’en a pas pour autant identifié sa spécificité et les difficultés induites.
Consultations à Kismaayo [4.III-1992] Avec ce qui paraît encore un succès, le Secrétaire général fait état dans son rapport du 11 mars du déplacement de la délégation à Kismaayo, le 4, afin de prendre l’avis des groupes et factions de la basse vallée de la Jubba1. La crédibilité du document laisse à désirer : confusion entre les factions, positionnements lénifiants de ces dernières, associations incertaines. Le niveau des interlocuteurs semble avoir considérablement baissé à moins que la géographie des factions n’ait ici totalement échappé aux missionnaires. Quoi qu’il en soit, tout le monde étant à peu près tombé d’accord sur la tenue d’une conférence de réconciliation, seul l’endroit où elle se tiendra paraît susciter pour des questions d’intendance, l’intérêt des interlocuteurs. Sinon, les poncifs ordinaires et une vision des choses qui se révélerait chère au nouveau Secrétaire général en concluaient les propositions. Certes, certaines assertions pouvaient laisser un peu perplexe, l’établissement des clans Darood « sous l’égide du SPM » par exemple, un SPM qui rassemblerait trois groupes politiques, USP, SSDF et SNDU. L’ordre du jour en revanche, pour optimiste qu’il soit, n’en paraissait pas moins défendable. Il porterait sur : - la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Somalie ; - la fin des hostilités entre tous les groupes et factions en guerre et l’établissement d’un cessez-le-feu à travers le pays ; - l’établissement d’une constitution provisoire fondée sur des principes démocratiques et parlementaires ; - la formation d’un gouvernement national intérimaire ; - la création d’un système administratif fondé sur une autonomie régionale ; - la mise en place d’une assemblée nationale provisoire ;
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Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité. S/23693, 11 mars 1992
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l’établissement du maintien de la paix sous garantie internationale et le désarmement des forces. Une méconnaissance des spécificités somaliennes, compréhensible en soi, était quand même sur le point d’altérer la démarche. Des certitudes trop affirmées et des difficultés à voir l’autre autrement qu’à travers le prisme de son propre regard, un manque d’empathie en quelque sorte, allaient inéluctablement compliquer un exercice déjà difficile.
UNE APPROCHE INAPPROPRIEE DU CONTEXTE SOMALIEN La première erreur est élémentaire. Aucun des protagonistes qui se sont senti un destin après le renversement de Siyaad Barre – et Maxamed Caydiid moins que tout autre – ne pouvait admettre l’attention accordée par les Nations unies à Cali Mahdi, un personnage que personne n’avait jamais vu les armes à la main et dont la situation a toujours été on ne peut plus équivoque. D’autant qu’en ce début d’année 1992, les siens n’occupent somme toute qu’une enclave dans le nord de Muqdisho. Bien qu’il bénéficiât du soutien de son clan et de quelques opposants aux ambitions de son adversaire, l’importance que lui attribue la communauté internationale reste illisible à l’ensemble des fronts qui attendent avant tout de se voir au moins traiter avec lui sur un pied d’égalité. Cette erreur initiale, une faute peut-être, assurera une défiance constante, un désaveu à l’occasion à l’encontre des Nations unies et du gouvernement italien. Lorsque James Jonah et Cali Mahdi conviennent de la nécessité d’une intervention étrangère extérieure, Maxamed Caydiid considère dans son for intérieur que cette proposition est une ruse qui ne vise qu’à établir l’autorité de ce dernier. Aussi faudra-t-il l’intervention d’un Canadien des Nations unies pour que Caydiid se résolve à envisager l’hypothèse d’une impartialité de l’ONU et à admettre enfin l’idée d’un accord de cessez-le-feu. Le diplomate parvient également à faire accepter la mise en place de 50 observateurs militaires des Nations unies à Muqdisho pour en contrôler l’application. Quant à l’idée d’envoyer des troupes en Somalie, il est clair qu’elle se fonde à New York moins sur une réflexion propre à régler le problème politique que sur un souci de résoudre les difficultés rencontrées par les ONG dans la distribution de l’aide aux populations souffrant de la famine dans la région mésopotamienne. Car l’instabilité politique dans le Sud ne cesse de susciter chez les jeunes gens des vocations de bandits armés. Les entrepôts sont pillés dès que les livraisons parviennent dans les ports et les aéroports, les convois de nourriture attaqués le long des routes avant qu’ils ne puissent être distribués dans les centres appropriés. À Muqdisho où arrive quasiment la totalité de l’aide destinée au Sud somalien, le port et l’aéroport sont tenus par différentes factions dont l’allégeance à Cali Mahdi, à Caydiid ou aux notables des clans est très
conjoncturelle. Des bandes, le plus souvent de jeunes gens, s’organisent afin de s’emparer de tout ce qu’ils peuvent, le fusil à la main.
La Résolution 746 et le détachement technique [17.III-1992] Adoptée à l’unanimité le 17 mars, la Résolution 746 réaffirme les dispositions de la Résolution 733. Elle prend par ailleurs acte de l’accord de cessez-le-feu du 3 mars et engage le Secrétaire général à poursuivre le travail humanitaire entrepris. L’objet de la résolution vise à convaincre les parties engagées dans la guerre civile à coopérer avec les Nations unies. Son ton déjà laisse aussi transparaître un certain étonnement – pas encore un désarroi – face au peu d’effet des premières dispositions. Aussi la nouvelle résolution décide-t-elle aussi l’envoi d’un détachement technique dont on espère qu’elle pourra proposer au plus vite une conférence de réconciliation propre à restaurer l’unité nationale en Somalie. Cette mission, proposée par le Secrétaire général dans son rapport du 11 mars, a pour premier objet la préparation d’une opération de supervision du cessez-le-feu. Elle a également pour tâche d’établir in situ les procédures qui permettront d’acheminer sans entrave l’aide humanitaire1. Composée d’une vingtaine de personnes, dont quelques militaires, elle est accompagnée de représentants de l’OUA, de la Ligue arabe et de l’OCI. Pour coordonner cette aide, Boutros Ghali vient de nommer David Bassiouni, de nationalité soudanaise et jusqu’alors le représentant de l’UNICEF pour la Somalie. Le détachement technique conduit par le Canadien Robert Gallagher, se rassemble le 21 mars à Nairobi où il s’entretient avec les représentants des Nations unies et des ONG déployées en Somalie. Il arrive à Muqdisho le 23 où se tiennent des rencontres séparées avec les deux principaux chefs de faction. Évoquant auprès d’eux les termes de la Résolution 746, il leur demande de faciliter la délivrance de l’aide humanitaire, d’assurer leur sécurité et la liberté de mouvement du groupe et des organisations humanitaires à Muqdisho. Le général Caydiid leur confirme que l’USC respectait le cessez-le-feu, mais réitère la réserve émise sur le stationnement d’une force de maintien de la paix comme de quelque présence militaire que ce soit des Nations unies. Il appelle la communauté internationale à fournir une assistance humanitaire, en particulier dans le domaine alimentaire afin qu’elle soit distribuée par les soins de l’USC. À l’opposé de cette position, Cali Mahdi soutient qu’aucune sécurité et stabilité ne prévaudrait à Muqdishu sans que n’y soit déployée une importante force de maintien de la paix, comme aucune distribution de denrées n’y serait raisonnablement possible. Finalement, les 26 et 27 mars, les deux chefs de faction signent des lettres d’agrément portant sur les modalités du 1
L’urgence est là : selon une évaluation réalisée par un nutritionniste de la Croix-Rouge, dans trois camps de personnes déplacées au sud de Muqdisho, 59 % des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition grave, 35 % de malnutrition sévère et 6 % seulement seraient dans un état acceptable.
cessez-le-feu et les arrangements en vue d’une distribution équitable de l’aide humanitaire dans et autour de Muqdisho. Le détachement technique se rend ensuite à Hargeysa le 29 mars où il rencontre successivement Cabdiraxmaan Tuur, les notables conduits par sheekh Ibraahin Madar puis un groupe de colonels du SNM. Tuur et les notables font état des besoins du Nord-ouest en assistance humanitaire, réhabilitation et développement ; ils font aussi état de leurs besoins en matière d’aide à la démobilisation pour rétablir la paix et la sécurité. En effet, compte tenu de la situation qui à ce moment prévaut à Berbera, le groupe technique se trouve dans l’impossibilité de visiter la cité. Le même jour, les missionnaires ne peuvent se rendre à Boosaaso mais rencontrent à Djibouti le général Maxamed Abshir Muuse. Celui-ci leur fait part du calme relatif qui prévaut dans le Nord-est mais appelle leur attention sur l’opportunité d’une aide alimentaire qui permettrait d’assurer la subsistance des éléments armés et de maintenir la paix. La rencontre est cordiale et le même jour, le président du SSDF signe un accord avec le détachement. Le 31 mars, à Kismaayo, une rencontre est organisée avec les notables de la région et les généraux Aadan Gabiyow et Maxamed Moorgan, qui se présentent tous deux respectivement comme président et commandant des forces du SPM. Un accord est signé avec Gabiyow, un accord séparé avec les notables. Le même jour, un entretien a encore lieu avec des proches de l’ancien président qui lui font état des problèmes de famines jusqu’ici ignorés prévalant dans la région. Quant à Maxamed Moorgan, il ne se livre bien sûr à aucune confidence sur l’ultime et imminente attaque que le SNF s’apprête à lancer sur Muqdisho.
L’étonnante requête de Cali Mahdi Il est encore intéressant de signaler, hors l’accord signé par les deux principaux protagonistes, la soumission par Cali Mahdi au détachement technique d’un document attestant sa préoccupation à se placer au plus vite sous le parapluie des Nations unies. Après avoir rappelé les bonnes relations historiques entre la Somalie et l’Organisation, il demande explicitement l’envoi d’urgence d’un contingent international « afin de sauver la nation d’une destruction totale ». Démarche inaccoutumée chez un directeur d’hôtel, il suggère plus précisément de mettre en place à Muqdisho et dans ses environs une force d’environ 4 500 hommes dont il propose et la fois la composition et une hypothèse de déploiement. Ainsi demande-t-il que soit acheminée une brigade d’infanterie mécanisée de 2 500 hommes avec ses éléments de soutien et son unité logistique, deux régiments de cavalerie légère blindée à 1 000 hommes, un bataillon de chars à environ 250 hommes, un escadron d’artillerie composé de 6 pièces de 155mm et de 105mm avec 200 hommes ainsi qu’un petit groupe aérien
composé de 4 à 6 hélicoptères armés et 2 à 4 avions légers. Selon le président, ces forces pourraient être déployées de la façon suivante : - l’un des bataillons d’infanterie pourrait occuper le camp de Ifka Xalane pour assurer la garde du port et de l’aéroport, les installations de l’Afisiyooni, le dépôt de carburant et la station électrique de Jasiira ; - le deuxième bataillon occuperait les bâtiments de la Marine situés à l’intérieur du Vieux-Port afin d’assurer la sécurité du port, de la Banque centrale et du bâtiment des Postes et Télécommunications ; - le troisième occuperait le quartier général de la Police et serait chargé d’assurer la sécurité de Radio Muqdisho, de la Villa Somalia et de la station électrique centrale ; - un régiment de cavalerie légère installé à l’Académie militaire protégerait la station de transmission radio et les stations d’approvisionnement en eau à la fois de Afgooye et de Balcad ; - l’autre, renforcé d’une compagnie de char occuperait le village de Degmoley à 25 km au nord de Muqdisho et assurerait la stabilité du triangle Muqdisho Afgooye Balcad, constituant ainsi la défense extérieure de la capitale ; - un groupe d’artillerie et un bataillon de tank moins une compagnie seraient cantonnés respectivement dans le premier et la deuxième caserne d’artillerie de chars ; ce groupe serait en réserve pour le commandement de la division ainsi que le petit groupe aérien établi près de l’aviation militaire. Si l’on considère que les Habar Gidir ainsi que la plupart des alliés de Caydiid ne sont pas originaires de la région, il faut reconnaître que cette proposition – dont le véritable auteur restera inconnu – aurait peut-être mérité quelque considération. En tous cas, elle restait révélatrice de la position de son champion ainsi que de ses craintes.
La Résolution 751 et la création de l’ONUSOM [24.IV-1992] Mais c’est surtout la Résolution 751 qui va infléchir le destin de la Somalie1. En effet, adoptée à l’unanimité le 24 avril, elle accorde avec le consentement des parties représentées dans l’accord de cessez-le-feu l’établissement d’une force de sécurité, l’Opération des Nations unies en Somalie (ONUSOM)2. Celle-ci, dotée d’un budget de 23 millions de dollars, est constituée d’un groupe de 50 observateurs chargés de contrôler le cessez-le-feu dont le premier groupe arrivera à Muqdisho dans les premiers jours de juillet. Elle donne aussi son accord de principe « à l’établissement, sous la 1
Elle fait suite au rapport du Secrétaire général S/23829 et son addenda 1 du 21 avril ainsi que l’addenda 2 du 24 avril 1992. L’addenda 1 porte sur le Plan inter-agences renforcé de 90 jours. 2 Soit la United Nations Operation in Somalia (UNOSOM). Afin d’éviter les confusions entre les deux opérations, il sera anticipé l’acronyme d’ONUSOM I pour désigner l’opération précédant puis concomitante au déploiement de l’UNITAF.
direction du Secrétaire général, d’une force de sécurité des Nations unies qui sera déployée au plus tôt ». Un comité est mis en place dont le rôle consistera à superviser l’embargo, proposer des mesures visant à améliorer son efficacité et prévoir des mesures de rétorsion à l’encontre des États qui le violent. L’opération est placée sous la direction de l’ambassadeur Muḥammad Saḥnūn, désigné Représentant spécial du Secrétaire général en Somalie1. Celui-ci se rend à la fin du mois de mai à Muqdisho où il s’installera après la réunion du Conseil de sécurité qui doit décider des moyens à consacrer à la sécurité de l’intervention humanitaire. On prête en effet à Boutros Ghali l’intention de demander aux agences des Nations unies de s’installer dans la capitale somalienne où un récent acheminement d’une cargaison alimentaire a été réparti de façon satisfaisante entre les clans rivaux de l’USC. Un bateau transportant 7 000 tonnes d’aide est attendu pour la dernière semaine de mai2.
LES DERNIERS FEUX DES PARTISANS DE SIYAAD BARRE Naturellement, de ces débats aussi sont absents les vaincus. C’est pourtant sur un contexte assez surréaliste qu’il faut revenir maintenant. Alors qu’à Muqdisho les vainqueurs Hawiiye se disputent la dépouille du pouvoir, alors que le Nord-est et le Nord-ouest de la Somalie organisent leurs propres systèmes de gouvernement, alors que les Nations unies s’apprêtent à déployer une mission destinée à venir en aide à la population, resurgit dans l’histoire somalienne un fantôme que l’on était en droit de croire définitivement évanoui. Pour comprendre le caractère extravagant de cette histoire, un rapide retour une nouvelle fois s’impose.
Le ravage du pays Raxanweyn [IX-1991] En dépit de sa défaite à Afgooye en avril 1991, Moorgan qui dirige encore le SNF ne s’est pas pour autant senti disposé à abandonner la lutte. Après un séjour récupérateur à Lamu, il quitte le Geedo à la tête de ses miliciens autour du 15 septembre 1991. Traversant le webi Jubba il s’établit un moment à la limite orientale de la province, à Baardheere que vient de quitter Caydiid, avant de se diriger avec environ deux mille hommes, Mareexaan pour la plupart, vers Baydhabo en pays Raxanweyn. S’emparant sans coup férir de la ville, il en expulse le Somali Democratic Movement (SDM), créé à l’été 1989 mais qui, peu armé, ne peut encore peser dans le rapport des forces. Là, se font douloureusement sentir les ravages occasionnés par les miliciens à travers le Baay, le Bakool et le Shabeellaha Hoose. Ces provinces, compte tenu de leur potentiel agricole, ont le malheur d’être 1
Fonction qu’il occupera d’avril à novembre. À la suite de son différend avec le Secrétaire général, il est remplacé par le diplomate iraqī Ismat T. Kittani. 2 LOI n°528, 23 mai 1992
les plus riches de la Somalie. Elles sont aussi très exactement situées entre les principaux belligérants dont elles vont devenir le champ de bataille. Six mois durant, la région mésopotamienne naguère prospère sera au gré des combats le théâtre de va-et-vient et d’occupations successives par les divers belligérants. Au fur et à mesure de leur avancée et de leurs raids erratiques vont se multiplier pillages des récoltes conservées dans les silos souterrains, vols ou massacres du bétail, destructions des puits et des pompes, viols des femmes et meurtres des hommes des clans adverses pour les empêcher de prendre les armes. Le tribut payé par les populations se révélera d’autant plus dramatique que ce cortège d’actes inconséquents condamne la partie ordinairement la plus prospère du pays. Plus que tout autre phénomène météorologique, plus que l’insuffisance des pluies de gu’, ce sont ces destructions qui occasionneront la famine générale qui s’abat sur la région de la mi-1992 jusqu’à 1993, suscitant la sympathie internationale et la mise en place d’une aide tardivement venue. Mais ces derniers partisans du régime déchu nourrissent également d’autres desseins. Le congrès du SNF de janvier 1992 qui a conduit l’alliance Darood à se débarrasser de Cumar Jees, allié trop incertain, l’a renforcée d’une faction plus résolue autour de Gabiyow. Ainsi, la nouvelle alliance qui n’ignore rien des luttes inter-Hawiiye reprend ce faisant quelque espoir. Il la convainc même de reprendre des armes qu’en dépit de la défaite d’Afgooye nul n’a jamais pour autant déposées, tant s’en faut. Avec l’aide des militaires kényans et en violation de l’embargo prononcé par les Nations unies1, le SNF est même parvenu à refaire ses forces via son sanctuaire du Geedo, alors même qu’au Kenya, des centaines de fusils enroulés dans des chiffons huileux attendent, enterrées dans et à proximité des camps de réfugiés. Au mois de mars cependant, cette alliance Darood réalise aussi qu’un accord de cessez-le-feu était sur le point de se conclure entre les factions Hawiiye. Risquant d’être prise de vitesse2, elle décide de passer à l’action. Deux pôles semblent alors s’être dessinés : au nord, au début du mois d’avril, les forces Mareexaan dont paraît s’être démarqué – ou qui ont marginalisé – Moorgan quittent Baydhabo sous le commandement du général Maxamed Xaashi Gaani et se dirigent vers Muqdisho ; au sud, dans la basse vallée de la Jubba, Moorgan qui se réclame maintenant des Darood du SPM-Gabiyow tente de fixer autour de Kismaayo le plus grand nombre possible d’adversaires, le SPM-Jees en tout premier lieu.
L’ultime tentative du SNF Mareexaan [23.IV-1992] Observant que les miliciens de Caydiid étaient engagés dans des combats au sud de Muqdisho, dans la région de Baraawe, et profitant 1
Par la résolution 733 du 23 janvier 1992, les Nations unies ont décidé de soumettre à un embargo toutes les livraisons d’armes et d’équipements militaires à la Somalie. 2 Le 3 mars 1992 à Addis Abäba.
de la vigilance encore incertaine des factions Hawiiye qui n’ont pas tout à fait fini d’en découdre entre elles, les Mareexaan reprennent le même itinéraire que l’année précédente. La colonne motorisée parvient ainsi sans encombre à Wanleweyn, à 70 km de Muqdisho, où les miliciens s’installent autour de l’aéroport de Balli Doogle1. Sur leur passage, il n’est naturellement pas manqué de procéder aux massacres ordinaires parmi les clans Hawiiye rencontrés – Gaaljecel pour la plupart – ainsi que parmi les clans Raxanweyn et Digil, soutiens reconnus de l’USC. Tout d’abord pris de court, le général Caydiid distrait alors les milices Hawiiye engagées dans leurs différends internes et les met en situation de mener une contre-attaque coordonnée contre la menace fondamentale représentée par le SNF, encore largement prioritaire dans l’ordre des détestations. Rassemblant et équipant à la hâte ses 1 200 miliciens, il les lance à bord de leurs camions en direction du nordouest, à la rencontre des miliciens Mareexaan. Face à la réactivité de leur adversaire, les forces de Maxamed Xaashi Gaani n’ont d’autre choix que de précipiter leur attaque avant que l’USC n’ait réellement refait son unité, aussi précaire soit-elle. Alors que la bataille se précise, le SNF commet l’erreur de diviser ses forces dont une partie s’est avancée vers le carrefour et le pont de Afgooye. Arrivant le 18 avril, les miliciens de l’USC engagent aussitôt le combat. Les premiers moments de la bataille ne se déroulent pas à l’avantage de Caydiid dont le flanc droit est contraint de se replier. Mais l’habile tacticien reprend peu à peu le dessus après que les réserves acheminées depuis la capitale lui ont permis de contre-attaquer dans trois directions, désolidarisant ainsi les forces adverses qui sont bousculées. Les nouvelles unités acheminées sont équipées d’une artillerie légère, de missiles et de canons antiaériens2. Elles utilisent des systèmes d’armes montés sur des véhicules 4x4, sommairement assemblés dans le garage du principal conseiller et trésorier de Caydiid, Cismaan Caato. Poursuivant vers Balli Doogle, après deux jours de combats et la capture de 500 combattants du SNF qui seront ultérieurement remis entre les mains de la Croix-Rouge internationale, le général Maxamed Xaashi Gaani, lui-même blessé, donne à ses forces sur le point de se débander l’ordre de se replier vers Baydhabo. De nouveaux affrontements ont lieu à Balli Doogle où le SNF laisse un élément couvrir sa retraite. Rien n’y fait. Le front Mareexaan même renforcé avec les Ogadeen Cawlyahan de son allié Gabiyow est une nouvelle fois vaincu par Maxamed Caydiid, bien meilleur stratège, de la tête et des épaules. Cette fois, la déconfiture du SNF est suivie d’une contre-attaque au fil de laquelle les traînards attrapés sont sauvagement massacrés par les habitants Raxanweyn, Digil et Hawiiye dont le pays a été quelques mois plus tôt ravagé. Le 25 avril, les miliciens du SNF sont contraints 1 2
LOI n°524, 25 avril 1992 Montés sur les véhicules de façon à pouvoir effectuer des tirs tendus !
d’abandonner Baydhabo où entrent le lendemain les troupes conjointes de l’USC et des deux factions du mouvement local, le SDM, momentanément réconciliées sous la bannière de Maxamed Caydiid. Plusieurs centaines de miliciens du SNF sont ici aussi capturés. Pour la population, la libération a encore un prix. À l’instar de ce qui a pu se passer en France en 1944 avec certains libérateurs, les viols de femmes Raxanweyn sont fréquents. Les meurtres en revanche resteront rares il est vrai, les miliciens de Maxamed Caydiid craignant en effet de voir la population se retourner contre eux. À l’ouest, la retraite se révèle difficile pour les miliciens défaits. Les troupes du général Caydiid poursuivent leur avance et occupent Garbahaarrey capitale du Geedo ou l’ex-président s’était réfugié depuis des mois. Talonnée, l’armée de Siyaad Barre poursuit sa retraite en direction de Buurdhuubo puis de Luuq où ses combattants parviennent deux jours plus tard. Le 28, après une halte à 7 km de Belet Xaawo, ils doivent encore reprendre leur retraite, harcelés par les mortiers de l’USC toujours à leurs trousses et qui ne laissent aucun répit. Le 29 avril à 9h 30 du matin, Siyaad Barre se présente au poste frontière kényan d’El Waq [som. Ceel Waaq] afin d’obtenir l’asile politique. Il est accompagné d’une poignée de membres de sa famille, de ministres et de généraux ainsi que de 1 200 fidèles, à bord de 80 véhicules. Le provincial commissioner du Nord-est kényan, Amos Bore, rencontre le 29 avril à Mandera ] le général Caydiid. Lors de cet entretien, il proteste contre l’incursion la veille de ses combattants en territoire kenyan. L’incident en reste là. Le chef de l’USC explique à son interlocuteur qu’il contrôlait Belet Xaawo, la partie somalienne de la ville de Mandera, mais que cette incursion avait été effectuée sans son accord et que de tels incidents ne se reproduiraient plus. Caydiid qui réclame au Kenya l’extradition de l’ancien président promet également de restituer les marchandises volées par ses soldats à Mandera. Quant à Siyaad Barre, il quitte la ville de Wajir [som. Wajeer] le 29 pour s’installer en compagnie de sa plus jeune femme à l’hôtel Safari Park de Nairobi situé sur la route de Thika au nord-est de la capitale. L’établissement est gardé par des militaires kenyans en armes et toute la zone est bouclée par un étroit dispositif de sécurité. Certains s’interrogent encore sur le devenir de l’ancien président. Les uns avancent qu’il pourrait se rendre au Caire où sa famille possède des affaires commerciales, d’autres qu’il cherchera une destination au Moyen-Orient. À d’autres encore il semble ne pas avoir abandonné tout espoir de reprendre pied en Somalie puisque, dans son hôtel, il reçoit plusieurs personnalités somaliennes. Dans la région de Belet Xaawo, le général Maxamed Xaashi Gaani tente toujours de regrouper les Mareexaan pour organiser une bien hypothétique riposte. Le 13 mai en fait, les partisans du général Caydiid qui entreprennent de stabiliser leur contrôle dans la région du Geedo coupent court à toute velléité en nommant un administrateur basé à Luuq, Axmed Jaamac Aadan.
Au sud en revanche, dans la basse vallée de la Jubba, la province de la Jubbada Hoose, les combats se poursuivent encore. Le 5 mai, la radio annonce que les forces du général Caydiid ont pris le contrôle de Jilib et de Kamsuuma et qu’elles se rapprochent de Kismaayo dont elles se trouvent à une trentaine de kilomètres. Une violente contre-offensive de Moorgan conduit à des combats acharnés qui mettent aux prises les deux partis au sud de Kamsuuma et se concluent le 10 sur un revers du SPM-Jees face aux groupes Darood1 qui tiennent le carrefour menant à Baraawe. Moorgan annonce que ses forces ont repoussé les assaillants déclare que les affrontements ont fait au moins 300 tués chez ses adversaires et de nombreuses victimes au sein de ses propres troupes ; il ajoute aussi que ses partisans sont remontés jusqu’à Baraawe et s’apprêtent maintenant à marcher sur la capitale.2 Une assertion fallacieuse. Après s’être reprises, les forces de Cumar Jees lancent peu après un premier assaut sur le port de Kismaayo où elles prennent pied avant de s’emparer le 15 du reste de la ville. Repoussés une première fois, les assaillants fortement appuyés par l’artillerie lancent entre le 15 et le 20 mai une nouvelle attaque qui vient cette fois définitivement à bout des défenseurs de la ville. Autour de Kismaayo, les combats se poursuivront jusqu’à la mi-juin entre les éléments dirigés par le général Maxamed Moorgan et les miliciens de Cumar Jees auxquels se sont joints les Dir du SSNM et des Raxanweyn et Digil du SDM. Le 16 juin, les derniers fuyards du SNF franchissent à leur tour la frontière du Kenya. Cette coopération entre les quatre mouvements qui s’identifient sous le signe de Somali Liberation Army (SLA) préfigure la constitution de la future Somali National Alliance (SNA) qui va bientôt se ranger autour du général Maxamed Caydiid.
Siyaad Barre, la fin de la route [V-1992] Plus au nord, aux confins du Geedo, les forces USC remontent maintenant vers les districts habités par les clans Mareexaan et Ogaadeen Cawlyahan. L’affaire s’accompagne comme il se doit d’une vague d’exactions tandis que des raids meurtriers sont lancés de l’autre côté de la frontière d’où il s’agit de déloger les éléments du SNF qui y sont réfugiés. Mais moins de deux semaines plus tard, les forces du général Caydiid mettent un terme aux opérations, au terme d’un engagement sévère, mené le 24 mai à Waldena à proximité de la frontière et qui ne laisse d’autre possibilité à leurs adversaires que de se réfugier dans la région de Liboi au Kenya. Évoquant l’utilisation du Kenya comme zone refuge, un porte-parole de l’USC, furieux de voir leurs proies leur échapper, accuse Nairobi 1
Reuter fait état de centaines de corps en décomposition « parsemant le désert autour de Kamsuuma ». 2 LOI n°530, 16 mai 1992
d’apporter son soutien aux partisans de Siyaad Barre et d’avoir massé de nombreuses troupes face à la Somalie, notamment à Ceel Waaq, au sud de Mandera. Peu chevaleresque certes. Il n’en apparaît pas moins que des boîtes de munitions marquées au nom du ministère kényan de la Défense auront été récupérées sur leurs adversaires par les forces du général Caydiid.1 Afin de prévenir un nouveau retour des forces SNF, aussi bien étrillées aient-elles été, et ce faisant éviter un nouveau pillage de l’interfluve dont il convient de s’allier les populations, le général Caydiid installe en mai son poste de commandement à Baardheere, sur le fleuve Jubba. De l’ensemble de ces combats, il ressort qu’entre décembre 1990 et avril 1992, le sud de la Somalie a subi seize mois d’affrontements quasi ininterrompus. Les villes côtières de Marka, Baraawe et Kismaayo ainsi que les villes de l’intérieur, Baydhabo et Baardheere en particulier, ont été soumises aux exactions de combattants non disciplinés, que ce soit ceux de l’USC, du SPM, du SNF ou même du SDM, bien que tard venus dans la mêlée. Les viols des femmes, à l’encontre des populations côtières surtout, les exécutions de masse, le saccage des terres agricoles, le pillage de magasins de grains et bétails, la destruction des systèmes d’adduction et de distribution d’eau et la destruction des habitations ont désormais provoqué une famine généralisée. Conjuguée à la peur, elle suscite un nouvel exode des populations en direction du Kenya, de l’Éthiopie et du Yémen. Pour Siyaad Barre enfin, malade, diminué et qui souffre désormais de sénilité2, la seconde défaite d’Afgooye a inexorablement balisé la fin de la route. L’ancien président, dont le trésor de guerre a qui plus est fondu, n’a d’autre choix que de s’enfuir vers un exil dont il ne reviendra pas. Car même à Nairobi, il est tenu pour indésirable. Au bout de deux semaines, devant la levée de boucliers de groupes d’opposition kenyans, il doit partir. Le 17 mai, il gagne le Nigéria qui lui offre un asile politique temporaire. C’est là, à Lagos, que sept mois plus tard, le 2 janvier 1995, mourra d’une attaque cardiaque celui qui avait porté vingt-cinq ans plus tôt les espoirs de la Somalie. Ses restes seront rapatriés en Somalie où il sera inhumé à Garbahaarrey qu’il revendiquait comme ville natale3.
LE DECLENCHEMENT DE L’ONUSOM
[VIII-1992]
Cette disparition du vieux dictateur se passe dans une atmosphère de totale indifférence. D’autres priorités s’imposent aujourd’hui et ni ses 1
LOI n°529, 30 mai 1992 BRADBURY, Mark. The Somali conflict: prospects for peace. Oxford, 1993. 3 Rongé par un diabète qui depuis trois semaines rend son état de santé précaire, Siyaad Barre s’éteint à 5 heures 15 du matin lors de son transfert dans un hôpital de Lagos. On pense aujourd’hui qu’il était plus probablement né à proximité de Shilabo en Éthiopie et qu’il se serait jeune homme déclaré originaire du Geedo pour pouvoir intégrer aisément l’administration italienne. 2
héritiers, ni les prétendants à sa succession ne laissent augurer qu’ils auront mieux à offrir que lui. Quant à la société internationale, prise de vitesse par la catastrophe qui menace, elle peine à établir un diagnostic et soigne dans l’urgence. Globalement, le rôle de l’ONUSOM, cantonnée à Muqdisho, consiste à y surveiller le respect du cessez-le-feu, y assurer la protection du personnel, des installations et du matériel de l’ONU dans les ports et aéroports et à escorter l’aide humanitaire jusqu’aux centres de distribution de la capitale et de ses environs immédiats.
L’inconfortable installation de l’ambassadeur Saḥnūn. Arrivé sur place le 4 avril, sans bureau, sans secrétaire et sans budget, sans le moindre élément des Nations unies auquel il puisse se raccrocher sinon le solide Roumain Liviu Bota qui restera en poste à ses côtés de mai à décembre 1992, il appartient à Muḥammad Saḥnūn de mettre de toutes pièces l’ONUSOM sur pied. Intrinsèquement, sa connaissance de la Somalie est réduite. Aucune analyse politique récente ne lui a été fournie ; il tient son savoir le plus pertinent d’une conférence à laquelle il a assisté au mois d’août précédent à Uppsala où une quinzaine d’experts internationaux et de chercheurs étaient invités à discourir sur les causes profondes de la désintégration de la société somalienne. Considérant qu’aucun chef de faction ne devait être légitimé d’emblée, ceux-ci conseillaient alors de s’appuyer sur les structures traditionnelles, les notables et leurs conseils, sur les femmes, les commerçants, les ONG locales et les intellectuels ; concernant ces derniers, si leur société pouvait fort ne pas être désintéressée, il convenait toutefois de les inclure dans le processus de paix. Les experts réunis à Uppsala avaient aussi considéré que le désarmement devait coïncider avec une restauration des services de police et avec la mise en place d’opportunités économiques viables. Mais entre-temps, soit près d’un an plus tard, beaucoup de choses sur le terrain avaient radicalement changé. C’est cependant muni de ce modeste viatique que dès son arrivée, le Représentant des Nations unies se lance dans l’action et, faute de mieux, cherche à rencontrer les chefs de faction, seuls interlocuteurs possibles. Car en ce registre encore, Muḥammad Saḥnūn se trouve aussi bien seul. Les seuls recours dont il eût pu disposer dans la communauté internationale sont les Égyptiens et les Italiens, tous trop compromis naguère auprès de Siyaad Barre pour lui être aujourd’hui auprès des Somaliens d’une réelle utilité. De plus, le général Caydiid qui poursuit sa guerre au Sud est toujours absent de Muqdisho. Quant à Cali Mahdi, dont les nominations gouvernementales contreviennent aux décisions de Djibouti II et dérogent aux règles retenues par le congrès de l’USC, il s’est lui-même délibérément placé dans une situation contestable. Entre le 4 avril et le 29 juillet, Muḥammad Saḥnūn entreprend de patientes consultations qui, outre à Muqdisho, le mènent dans le Sud à
Belet Xaawo, Baydhabo et Baardheere où Caydiid et ses miliciens sont occupés à parfaire leur contrôle du terrain face aux ultimes menaces des fidèles de Siyaad Barre. A Kismaayo, il rencontre les représentants du SPM, du SSNM et du SDM. Dans le nord, à Boosaaso et à Garoowe, il rencontre également le président du SSDF, Maxamed Abshir Muuse, ainsi que les chefs de l’administration provisoire jetée dans la région Nord-est, le boqor Cabdullaahi King Kong qui dirige l’administration régionale ainsi que le gouverneur, Maxamed Faarax Warsame. Au Somaliland, il s’entretient à Hargeysa avec le président Cabdiraxmaan Tuur ainsi qu’avec son ministre des Affaires étrangères, sheekh Ibraahin Madar avec lesquels il se rend à Berbera. A Burco, il s’entretient avec les notables locaux et avec le gouverneur, Xuseen Xirsi. A chaque fois, Muḥammad Saḥnūn prend un soin méticuleux à rencontrer également les notables, les intellectuels ainsi que toute personnalité investie d’un quelconque pouvoir.
La déclaration de Baher Dar [31.V/3.VI-1992] Sans en tenir particulièrement compte, le Conseil de sécurité reçoit le 25 juin afin qu’il soit versé au dossier somalien une lettre transmise par le gouvernement de transition d’Addis Abäba. Le document fait état d’une Bahir Dar All-Party Meeting, tenue du 31 mai au 3 juin, à Baher Dar dans le Gwojjam, par une dizaine de personnes soucieuses des aspects humanitaires du problème somalien et résolues à œuvrer à la restauration de la paix. Pas ou peu connues pour la plupart, elles se réclament, qui des principales factions, qui de quelque groupe de réflexion. Les représentants se réclament des formations suivantes : Cali xaaji Xirsi Cawaale (SDA), Xasan Cali Mire (SSDF), Cawad Axmed Cashara(USP), A. Maxamed Faarax Jimcaale (USC), Cabdiladiif Maxamed Afdub (SPM) 1 pour les SDM et SSNM, Maxamed Khaliif Shire (SNF) et Cali Ismaaciil Cabdi Giir (SNDU) ; Xasan Xumar Rooraye pour le Somali Peace and Resettlement Organization (SOPRO), Aadan Muuse Jibriil pour les Somali Intellectuals for Peace and Democracy (SIPD) et Cabdi Shire Faarax pour la Somali Relief Society (SRS). Il faut reconnaître que leur propos a le mérite d’éviter les habituelles déclarations d’intentions oiseuses et de mettre en exergue quelques démarches de bon sens propre à relancer la machine somalienne. Il appelle ainsi à : - un cessez-le-feu suscité par une démarche commune de l’ensemble des partis, de la société somalienne et des pays concernés ; - une conférence de réconciliation nationale sous les auspices du Comité exécutif de l’IGADD et en présence d’observateurs ; - la mise en place au cours de cette conférence d’un gouvernement par intérim ; 1
Il est le représentant de la SNA au Kenya
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la mise en place par ce gouvernement intérimaire d’un contexte permettant la formation d’un gouvernement démocratiquement élu ; - envoyer une délégation afin qu’elle assiste à la conférence de l’OUA prévue se tenir à Dakar au nom de la Somalie et informer le comité exécutif de l’IGADD de sa composition avant la tenue de la 56 e session du Conseil des ministres de l’OUA qui doit se réunir à Dakar 21 au 27 juin. L’étude relève également assez précisément les axes, les sites, les installations et les centres de distribution qu’ils jugent nécessaire de considérer en vue de l’acheminement et la distribution de l’aide humanitaire.1 Il reste que la représentativité du groupe est difficile à démontrer. Peutêtre aussi leur éloignement du théâtre condamnera-t-il leur réflexion à rester lettre morte et ne leur permettra pas de faire valoir la pertinence de leur propos. Néanmoins, tant le jeune gouvernement éthiopien que les instances des Nations unies en retiendront la pertinence au point d’en faire état.
Le déploiement des observateurs à Muqdisho [VII-1992] Deux mois seront nécessaires au représentant des Nations unies pour obtenir l’accord formel des deux principaux chefs de guerre au déploiement des observateurs. Si Cali Mahdi qui a tout à gagner dans l’opération s’est montré d’emblée coopératif, Maxamed Caydiid que Muḥammad Saḥnūn rencontre à Belet Xaawo le 9 mai est beaucoup plus réticent. Défiant à l’encontre des initiatives du nouveau Secrétaire général2 qu’il sait égyptien, il craint surtout que l’arrivée des observateurs ne précède une mise en place définitive de troupes des Nations unies. Une telle mesure ferait basculer le rapport de forces en faveur de son adversaire, bien mieux introduit que lui auprès de la société internationale. Face à ce réel dilemme, Caydiid engage sa stratégie d’atermoiement en exigeant que les personnels de l’ONU portent des vêtements civils. Ce n’est que le 21 juin que rencontrant une nouvelle fois Muḥammad Saḥnūn à Baydhabo, il reviendra sur cette exigence. Il lui sera plus aisé encore, le 7 juillet, de revenir à la charge contre les Nations unies en mettant en cause un avion affrété par l’Organisation qui, supposé acheminer de l’aide alimentaire à Muqdisho, est suspecté d’avoir transporté des équipements militaires et de l’argent en faveur de son rival. Ipso facto, et bien que les quatre premiers membres du groupe de contrôle du cessez-le-feu soient arrivés deux jours plus tôt 1
Lettre de l’Éthiopie faisant état de la déclaration de Baher Dar et de l’accord sur les aspects humanitaires du problème en Somalien. S/24184, 25 juin 1992 2 er Le 1 janvier 1992, le Péruvien Javier Pérez de Cuéllar Guérra a cédé le Secrétariat général des Nations unies à l’Égyptien copte Boutros Boutros Ghali [ar. ﺑﻄﺮﺱ ﺑﻄﺮﺱ ﻏﺎﻟﻲ buṭrus buṭrus ġālī ] qui le cédera à son tour le 1er janvier 1996 au Ghanéen Kofi Annan.
avec le général pakistanais Imtiaz Shaheen qui les commande, Caydiid exige la suspension leur déploiement. Les 46 autres observateurs militaires qui doivent être à pied d’oeuvre le 12 juillet ne pourront être acheminés tant que ne seront fournies des explications satisfaisantes à propos de l’avion incriminé1. Évidemment, l’incident sent le coup fourré et donne encore au général Hawiiye d’autant matière à hésiter qu’il craint de plus en plus de voir des forces internationales se déployer dans les provinces où se trouve ses forces, c’est-à-dire ses propres miliciens mais aussi ses alliés2. Or l’assertion à propos de l’avion est fondée, ce qui rend équivoques les dénégations – ou silences – des uns ou des autres. Il s’avère en effet que les services de sécurité kenyans ont bien immobilisé le 25 juin un Antonov 32 loué par les Nations unies et réputé transporter de l’aide alimentaire. Sauf que si l’avion-cargo russe portait effectivement les couleurs de l’Organisation et du World Food Program, il s’était illégalement posé sur la piste que Cali Mahdi vient de faire aménager à Cisaleey au nord de Muqdisho. Il apparaît surtout que loin de contenir les approvisionnements qui auraient rendu sa mission présentable, il avait en réalité acheminé un chargement de billets de banque commandés naguère par Siyaad Barre ainsi que des tenues destinées aux miliciens de la faction Abgaal. À leur arrestation à Nairobi, au retour de ce vol, les autorités kényanes avaient découvert que, bien que l’appareil volât depuis trois semaines sous les couleurs de l’ONU, la licence de vol de l’Antonov était périmée3. Dès l’annonce de l’incident, les représentants des Nations unies désavouent naturellement l’équipage dont il sera entre temps établi que les trois hommes avaient loué pour 16 000 $ leurs services à un riche Somalien, avant de faire disparaître les marques de l’Organisation peintes sur la carlingue de l’appareil. Une coïncidence troublante quant même, puisque Cali Mahdi vient effectivement de mettre en circulation une nouvelle monnaie dans la partie de la capitale qu’il contrôle, initiative qui suscite aussitôt la colère de son rival qui déclare aussitôt une « guerre de la monnaie ». Les partisans de Caydiid entament ainsi le 10 juillet une chasse aux détenteurs de ces nouveaux billets tandis que son second, Cabdi Cismaan Faarax, clame haut et fort que ces coupures avaient été acheminées par un avion soviétique de Grande-Bretagne jusqu’au Kenya, avant d’être transportées à Muqdisho… dans un avion frappé aux couleurs des Nations unies. Laissant Caydiid et les siens instrumentaliser l’affaire, Muḥammad Saḥnūn néanmoins décide d’avancer. Aussi, Cali Mahdi se trouvant dans 1
Les pays contributeurs sont : l’Autriche, le Bangladesh, la Tchécoslovaquie, l’Égypte, les Fidji, la Finlande, l’Indonésie, la Jordanie, le Maroc et le Zimbabwe. 2 Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité des Nations unies. S/24343 – 22 juillet 1992 3 Kenya Times, 1er juillet 1992
la capitale1, est-ce auprès de lui qu’il négocie d’abord la mise en place des observateurs décidés par New York et surtout qu’il engage l’affaire des troupes pakistanaises appelées à assurer leur sécurité. Ceci n’est qu’une entrée en matière puisqu’il lui faudra ensuite réfléchir à l’acheminement de l’aide humanitaire vers les zones les plus sinistrées. Plus délicat encore, il lui faudra évoquer le problème de la réconciliation nationale alors que, depuis le 16 mai, le Somaliland a déclaré son indépendance. Si quelques succès venaient par bonheur couronner ses efforts, il lui faudrait enfin entreprendre la remise en route des institutions de l’État. Le 27 juillet cependant, les cinquante observateurs commandés par le brigadier général pakistanais Imtiaz Shaheen mettent enfin le pied sur le sol somalien où ils sont accueillis par Cali Mahdi qui entérine aussitôt leur déploiement.
La Résolution 767 : déploiement de la mission technique et de la force de sécurité [27.VII-1992] Ce modeste succès acquis de haute lutte pousse le Conseil de sécurité à suivre à l’unanimité les propositions de son Secrétaire général et à envoyer en Somalie la mission technique qui doit maintenant préparer le terrain à la mise en place d’un dispositif de plus grande envergure. Quand les Nations unies adoptent à cet effet, le 27 juillet, la Résolution 767, celle-ci se veut aussi une mise en garde à l’adresse des factions. Elle stipule en effet que faute de coopérer, le Conseil prendrait « d’autres mesures pour assurer l’acheminement de l’aide humanitaire ». Un avertissement dont in situ nul n’a cure évidemment. Cette mission, placé sous la direction de Muḥammad Saḥnūn n’en doit pas moins être mise en place au mois d’août. Le plan des Nations unies, proposé par le Représentant spécial2, prévoit d’établir quatre zones opérationnelles sur l’ensemble du pays : - la région Nord-ouest avec le port de Berbera ; - le Nord-est avec celui de Boosaaso ; - la région centrale et Muqdisho ; - le Sud et Kismaayo. Sans que cela ne figure explicitement dans la résolution, les Nations unies envisagent plus que jamais de déployer une force de 500 soldats afin de superviser le cessez-le-feu et la distribution d’une aide humanitaire massive sur l’ensemble du pays. Dans l’immédiat, le Conseil de sécurité songe surtout à la mise en place d’un pont aérien propre à permettre une distribution plus rapide et plus massive de l’aide 1
LOI n°536, 18 juillet 1992. Il inaugure, le 8 juillet, un nouveau centre de télécommunications par satellite, installation qui doit permettre d’établir des communications directes par téléphone, télex et téléfax avec le reste du monde sans passer par un pays tiers. Le centre appartient à la société Somalphone, fondée par plusieurs hommes d’affaires somaliens. 2 La résolution se fonde notamment sur le § 59 du rapport du Secrétaire général S/24343 du 22 juillet, lui-même fondé sur la proposition Muḥammad Saḥnūn.
alimentaire1. Un accord est signé finalement avec Muḥammad Saḥnūn le 12 août par les chefs de faction alliés à l’USC-Caydiid au sein de la nouvelle Somali National Alliance (SNA)2. Dans ce document, tous acceptent le déploiement de 500 personnels des Nations unies sous l’autorité du Représentant spécial qui doit se porter garant du comportement des soldats pakistanais qui composeront ce contingent. Leur mission se limitera à assurer la sécurité des travailleurs humanitaires, de leurs matériels ainsi que de leurs dépôts. Aucune activité de maintien de la paix ne devra être entreprise. Il leur est seulement permis d’opérer à l’intérieur des port et aéroport de Muqdisho, et de procéder, dans la capitale, à l’escorte des convois d’approvisionnement humanitaire vers les lieux de stockage et les centres de distribution. Un tel accord est clairement bien éloigné de ce qu’avait envisagé le Secrétaire général. Mais celui-ci, impatient d’obtenir des résultats plus rapides, entend faute de pouvoir appliquer l’article 41 du chapitre VII de la Charte, user de son article 42. Pour mémoire, rappelons que les deux articles respectivement stipulent que : Article 41 Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l’interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques. Article 42 Si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues à l’Article 41 seraient inadéquates ou qu’elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationale. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d’autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de Membres des Nations Unies.
Ainsi pourvu, la machinerie des Nations unies peut maintenant se mettre en place. 1
L’hypothèse du déploiement de cette force de 500 hommes figure explicitement dans les propositions du détachement technique du rapport du Secrétaire général du 21 avril(§ 29). Elle est reprise aux § 5 et § 6 de la résolution 751 puis encore une fois dans le rapport du Secrétaire général du 22 juillet (§63). Dans une correspondance adressée le 6 août par Boutros Ghali au sénateur américain Nancy Kassebaum, le principe en semble alors acquis. 2 Lettre du Secrétaire général au Conseil de sécurité. S/24451, 12 août 1992. Le feu vert au déploiement sera donné deux jours plus tard par le Conseil. Lettre au Secrétaire général S/24452, 14 août 1992.
X – 1992 : LE DEPLOIEMENT D ’ UNE MISSION SOUS - DIM ENSIONNEE
Mais si quelques ouvertures politiques ont pu, de haute lutte être finalement acquises par le Représentant spécial des Nations unies, c’est un désastre aux dimensions imprévues qui se déclare en Somalie, consécutif à la destruction des récoltes et des réserves.
URGENCES HUMANITAIRES ET ARROGANCES POLITIQUES C’est d’ailleurs bien l’image de la faim à Baydhabo, véhiculée par les médias occidentaux à l’été 1992, qui détermine une intervention internationale d’envergure. Mais après des mois d’indifférence, la multiplication des opérations d’aide aux civils menacés par la famine répond souvent à des raisons bien éloignées des considérations strictement humanitaires.
Des besoins importants mais un contexte incontrôlable [VII- 1992] Au fil du rapport qu’il adresse au Conseil de sécurité le 22 juillet 1992, le Secrétaire général dresse un bilan général de la situation humanitaire et des besoins1. Celui-ci constate tout d’abord qu’une année et demie après le renversement de Siyaad Barre, la Somalie est aujourd’hui dépourvue de toute administration centrale, régionale ou locale. Électricité, communications, transports, santé, aucun service ne fonctionne plus à travers un pays où se multiplient en revanche les zones où règnent la famine, les maladies et les décès d’enfants.
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Conseil de sécurité des Nations unies. Rapport du Secrétaire général S/24343 – 22 juillet 1992
La situation alimentaire est critique. La guerre civile a empêché ou détruit toute activité agricole dans les régions productives du Sud ; au Centre se fait maintenant sentir une sécheresse sévère. La menace de famine dans les zones rurales est devenue réalité. Le prix des aliments a sextuplé alors que la plus grande partie de la population dispose d’autant moins d’argent pour acheter de la nourriture que virtuellement toute activité économique a été interrompue par la guerre. Quatre millions et demi de personnes nécessitent désormais une assistance alimentaire d’urgence. Plus d’un million d’enfants sont menacés par la malnutrition. Plus de 300 000 sont enregistrés comme réfugiés au Kenya où leur nombre s’accroît d’un millier par jour. Des dizaines de milliers errent sur les zones frontière avec le Kenya, l’Éthiopie et Djibouti. D’autres ont trouvé refuge dans des camps. D’autres encore restent isolés en petits groupes épars ou ont quitté le pays. Les réfugiés sont aussi présents en Éthiopie, à Djibouti et dans d’autres états de la Corne de l’Afrique. Le manque de nourriture est à la fois la cause et le résultat de l’insécurité qui prévaut. La situation dans le secteur de la santé est également tragique. Sur les 70 hôpitaux qui fonctionnaient en Somalie en 1988, quinze seulement restent partiellement opérationnels en juillet 1992. La plupart n’ont ni eau, ni électricité, ni médicaments et ne disposent même plus de l’équipement médical le plus élémentaire. La malaria et la tuberculose sévissent, les programmes de vaccination ont été interrompus. L’eau potable devenue rare et les rues jonchées de détritus laissent planer, avec l’arrivée pourtant souhaitée des petites pluies de dayr1, un sérieux risque d’épidémie. En attendant, la sécheresse a d’ores et déjà eu un impact sévère sur le bétail, pilier de l’économie somalienne. Chèvres et moutons ont déjà faute de traitement succombé par milliers à la maladie, tout service vétérinaire de base ayant disparu. Face au désespoir qui s’est installé, la nécessité porte certes sur des interventions de sauvegarde, mais aussi sur les activités de reconstruction et de remise en état des institutions qui seules pourraient offrir la perspective d’un meilleur devenir. Heureusement, le Plan interagences renforcé de 90 jours lancé par l’Action for Emergency Humanitarian Assistance in Somalia a fourni une structure initiale pour assurer la mise en place de l’aide humanitaire par le système des Nations unies2. Assurément les conditions de sécurité, précaires, continuent à gêner les activités de secours organisées par le système des Nations unies, en coopération étroite avec le CICR et les organisations non gouvernementales. Les agences sont néanmoins parvenues à s’établir à Muqdisho ainsi que dans les endroits où la sécurité a rendu 1
De mi-septembre à mi-décembre. Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité des Nations unies. S/23829, 21 avril 1992
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leur présence possible. Bien que non exhaustifs, les éléments suivants apportent un éclairage sur la dimension des opérations entreprises par le système des Nations unies et la Croix-Rouge. Alors que depuis le début de l’année 1992, CICR et PAM ont respectivement délivré 60 000 et 19 000 tonnes d’aide alimentaire, à la mi-juillet, 113 500 tonnes sont en cours d’acheminement, pour des besoins estimés entre 30 à 35 000 tonnes par mois1. L’aide alimentaire délivrée par le PAM est principalement distribuée à Muqdisho, les accords pour la livraison à Kismaayo peinant encore à être finalisés. Dans le Nord-ouest, des négociations pour la livraison par Berbera sont à un niveau avancé. Les missions d’évaluation ont été entreprises quand les conditions sécuritaires permettaient d’explorer la possibilité et les modalités des livraisons complémentaires dans le Centre et le Sud de la Somalie, les régions les plus problématiques. Le PAM a par ailleurs fourni une assistance au chargement et la distribution de l’aide directement fournie par des donneurs bilatéraux, en particulier l’Arabie saoudite. Depuis le mois de mars également, des livraisons par air organisées conjointement par le PAM et l’UNICEF ont transporté environ 500 tonnes d’aide supplémentaire entre Nairobi et Muqdisho, Kismaayo et Baydhabo, à raison de deux livraisons par jour. L’UNICEF s’est investi dans l’approvisionnement en eau potable dans les villes, les villages et les camps de déplacés, l’organisation du soutien pédiatrique et de l’alimentation complémentaire pour les enfants ainsi que la réhabilitation de l’environnement scolaire. L’agence a aussi participé aux livraisons par air des fournitures médicales essentielles. Le HCR a utilisé des groupes locaux pour maintenir son programme d’assistance aux réfugiés éthiopiens présents dans le Nord-ouest et a finalisé des plans visant à établir une présence internationale propre à gérer le problème des retours. Quant à l’OMS, il a contribué approximativement à hauteur de 1,2 million de dollars au secteur santé et a mis en place des cadres de santé à Muqdisho, Kismaayo et Hargeysa ainsi que dans le Nord-est. Mais ces actions qui peuvent sembler importantes ne doivent pas masquer la réalité des besoins dans un espace aussi sinistré. En effet, les demandes d’assistance d’urgence totales pour 1992 sont estimées à 117 millions de dollars dont seulement 41 ont été octroyés à la mi-juillet par les donateurs internationaux. Or les projets spécifiques, identifiés dans l’appel du 15 juillet 1992, portent sur une autre somme impressionnante de chantiers : assistance au retour dans le Nord-ouest, aide alimentaire d’urgence, réhabilitation des infrastructures portuaires et aéroportuaires, aménagement des installations sanitaires, aménagement des systèmes d’approvisionnement en eau, alimentation et soutien nutritionnel complémentaire aux tout petits, services de santé publique, contrôle 1
On peut approximativement considérer qu’un sac de riz de 100 kg nourrit pendant un mois une famille de 8 personnes.
sanitaire, restauration des services vétérinaires, réhabilitation de l’agriculture et des points d’eau pour le bétail, soutien aux petits agriculteurs, fourniture de semences et de petit outillage... Une liste non exhaustive qui donne une idée de l’ampleur des tâches qui restent à accomplir ou qui doivent être poursuivies. Mais un élément manque à ce tableau, une précision en fait : faute d’avoir déployé assez tôt un dispositif sécuritaire dissuasif, toutes ces actions sont menées sous la protection de miliciens. Des miliciens qu’il faut payer en numéraire et qui se constituent de petites fortunes grâce au détournement de l’aide qu’ils convoient. Une aide dont il est difficile de s’assurer de ce qui en parvient réellement à destination.
L’opération Provide Relief [VIII-1992] Deux facteurs vont déclencher de manière déterminante la générosité internationale. Le premier tient à l’interpellation, le 8 août 1992, du président George H.W. Bush par le candidat démocrate Bill Clinton sur la question somalienne. Même si celle-ci ne représente qu’un faible enjeu des voix afro-américaines, la compétition est si serrée entre les deux candidats à la présidence des États-Unis qu’en moins d’une semaine, le 14 août, l’administration américaine décide de s’engager massivement en envoyant 145 000 tonnes de nourriture. Washington nomme provisoirement, pour suivre ce théâtre qui promet déjà d’être compliqué, un Représentant spécial des États-Unis pour la Somalie. La tâche de Peter Jon De Vos1 consistera à conduire les discussions politiques avec les diverses factions mais surtout, car c’est l’urgence, à coordonner l’action humanitaire américaine avec les Nations unies et les différents pays impliqués ainsi que d’informer son gouvernement des besoins. Dans l’immédiat, le déclenchement de l’opération Provide Relief ordonnée par le président Bush engage les appareils de transport militaires américains en soutien de l’effort international entrepris. Huit C-130, trois C-141 sont envoyés à Mombasa les 21 et 22 août accompagnés de soldats américains armés sans même que les autorités kényanes aient été prévenues. Furieux, le président Daniel arap Moi convoquera l’ambassadeur Smith Hempstone qui finalement s’excusera maladroitement en affirmant… qu’on avait oublié de prévenir Nairobi. Par ailleurs, les appareils étant arrivés avant la nourriture, les Américains doivent emprunter 2 000 tonnes au World Food Program2. L’acheminement des vivres sur Wajir, dans le nord-est du Kenya ne se fait pas non plus sans difficulté. L’aérodrome local ne peut encore 1
Ambassadeur des États-Unis au Libéria, il a été désigné en mai comme ambassadeur en Tanzanie. 2 Afin de transporter l’aide humanitaire en Somalie, celui-ci a passé contrat en mars 1992 avec une firme américaine basée à Miami, la Southern Air Transport (SAT), dont les pilotes expérimentés dans ce genre d’exercice ont déjà délivré en août plus de 17 000 tonnes de nourriture.
accueillir les gros-porteurs et, rien n’étant prévu pour assurer ni la sécurité des appareils au sol ni leur ravitaillement, l’US Air force n’envisage pas de se poser en territoire somalien. Aussi suggère-t-elle des largages de vivre plus ou moins ciblés. Une décision qui provoque la colère du CICR. Le Comité qui s’est, tout au long de l’année écoulée, efforcé de construire patiemment parmi les chefs de guerre un réseau diplomatico-humanitaire voit dans ce déversement aveugle de nourriture l’assurance de nouveaux affrontements.
Les erreurs d’appréciation du Secrétariat général Le second facteur déclencheur de l’aide résulte des affrontements au sein du Conseil de sécurité autour de la question yougoslave. Les ÉtatsUnis ayant insisté sur la nécessité d’une aide humanitaire escortée pour la Bosnie puis expliqué quelques jours plus tard que le cas de la Somalie était plus complexe et relevait d’un traitement purement humanitaire, la position de Washington a suscité un tollé. Les représentants africains des États membres se sont révoltés contre une telle assertion, soutenus dans leur révolte par la France, par le Secrétaire général des Nations unies lui-même ainsi que par l’Autriche qui très active dans le dossier yougoslave, ne veut pas se voir accusée de pratiquer deux poids deux mesures1. Il est vrai que lorsque Boutros Boutros Ghali est entré en fonction le 1er janvier 1992, il s’est immédiatement trouvé accaparé par une problématique qui intéressait directement l’Occident : l’éclatement de la Yougoslavie, dernier avatar majeur de l’implosion du communisme planétaire. Mais face au désastre en cours dans la péninsule somalienne, le Secrétaire général a alors eu beau jeu d’accuser l’Occident d’être plus préoccupé par une « guerre de riches » qui se déroulait en Europe. Or, avec la fin de la guerre froide, Boutros Ghali est convaincu que les nations sont d’une certaine manière condamnées à disparaître et qu’une gouvernance mondiale allait inéluctablement s’imposer. Cette vue, peutêtre erronée, assurément prématurée, allait susciter un certain nombre de désastres dans le monde. En Somalie en particulier, la myopie qu’elle favorise devait en une paire d’années se transformer en aveuglement. Une autre erreur comportementale, fondée probablement sur les récents succès du Golfe, tient à un manque de patience jugé arrogant des Nations unies et de leur mentor américain. En dépit du discours, chacun pense déjà, à New York comme à Washington, que si l’on est aisément venu à bout de l’imposante armée de Ṣaddām Ḥusayn, régler l’histoire d’un petit pays arriéré et de sa poignée de bandits doit relever de la promenade de santé pour peu que chacun là-bas accepte sans broncher d’exécuter ce que la communauté internationale lui enjoint de faire. Tout ceci résulte d’une profonde méconnaissance des problèmes et surtout des gens sur lesquels Muḥammad Saḥnūn et Liviu Bota étaient 1
LOI n°539, 29 août 1992
en train de travailler et auxquels, lentement mais sûrement, ils apportaient peu à peu des solutions.
SECURISATION DE L’AIDE, ENTRE DELINQUANCE ET FACTIONS C’est pourquoi, alors que progressivement s’impose la difficulté du théâtre, dans son rapport du 22 juillet au Conseil de sécurité, le Secrétaire général défend l’idée qu’une force de sécurité importante jouerait un rôle dissuasif dans la stabilisation de la situation à Muqdisho. Il fonde son argumentaire sur le fait qu’en dépit des efforts des Nations unies, les armes ne se sont pas tues sur l’ensemble la Somalie et que les combats continuent même à prendre de l’ampleur compromettant finalement la plupart des opérations de secours. Il argue aussi du fait que les principales parties prenantes au cessez-le-feu, le général Caydiid et le président Cali Mahdi, montrent une fois de plus la difficulté qu’il y avait à évoluer dans l’imbroglio des relations établies entre les chefs de guerre. Partenaires de négociations difficiles, ils tentent en permanence d’accaparer les produits acheminés et de manipuler les soldats de maintien de la paix. Si l’analyse est irréfutable, la mise en œuvre des solutions proposées se révélera cependant à terme désastreuse.
La constitution de la Somali National Alliance (SNA) [12.VIII-1992] Fondamentalement en effet, Caydiid s’oppose toujours à un véritable déploiement des forces des Nations unies. Étendant son pouvoir dans le Sud du pays, il a maintenant rassemblé autour des miliciens de l’USC Hawiiye, ceux du South Somali National Movement (SSNM)1 de Cabdi Warsame Isxaaq, du SPM des Ogaadeen Maxamed Subeer de Cumar Jees et du SDM Raxanweyn de Maxamed Nuur Yalaxoow pour former une Somali Liberation Army (SLA). Déployée le 27 juillet à Baardheere où il a établi son quartier général de campagne, cette SLA est présentée par le général comme « un premier pas vers la constitution d’un nouveau gouvernement à Muqdisho »2. Et quinze jours plus tard en effet s’opère la formalisation politique de cette alliance militaire. Le 12 août, au moment où se décide l’arrivée des forces de l’ONU, les Hawiiye proches de l’USC-Caydiid, à majorité Habar Gidir, se réunissent à Baardheere. Là, sur les bords du webi Jubba ils sont rejoints par les autres membres de la SLA qui tous s’entendent pour fonder, le 14 août, une Somali National Alliance (SNA) qui apparaîtra désormais sous le sigle de USC-SNA. Dans l’esprit du général Caydiid, cette décision représente une étape importante dans la perspective de construire une autorité translignagère. 1
Un avatar du SNM rassemblant les Dir Biyomaal installés sur la côte – autour de Marka et au nord de Kismaayo –, ainsi que quelques petits clans Hawiiye. Isolés désormais du grand parti du nord, ils prennent cet acronyme en mars 1992. 2 LOI n°538, 1er août 1992
De leur côté, face à cette nouvelle alliance, Gabiyow et Moorgan tentent de mettre en place une organisation composite à partir d’un SPMGabiyow étrillé et d’un SNF vaincu. Tandis que le premier se charge à partir de Nairobi de l’aile politique du Front, le second tente d’occuper un terrain où il ne rencontre que réticences ou résistances. Il ressort cependant de la nouvelle situation que ce nouveau SNF qui reste centré sur les clans Mareexaan voit maintenant leur proportion, donc leur influence, notablement diminuer au sein du nouvel ensemble. Celui-ci en effet rassemble d’autres clans plus petits issus du faisceau lignager Darood et compte des Bartire, Abasguul, Awrtable, Harti du Sud Majeerteen, Dhulbahaante, Warsangeli – ainsi que les Ogaadeen Cawlyahan du général Gabiyow. Moorgan dans des conditions difficiles est, dans une certaine mesure, parvenu à ses fins. Mais le concernant, un autre point de vue impose un autre constat, assez prosaïque somme toute, mais peu contestable. Ici outre-Jubba, dans le Geedo et à Kismaayo, toute force levée ne peut être qu’Ogaadeen ou Mareexaan. Or lui, Moorgan, n’est rien de tout cela. Il reste un Majeerteen issu d’un tout petit clan dont le terroir historique est situé à 1800 km au nord, aussi ne peut-il prétendre au mieux rassembler ici qu’une poignée de Harti, plus commerçants que guerriers par ailleurs voire certains des petits clans Darood un peu plus haut évoqués. C’est pourquoi, ayant perdu avec le départ de Siyaad Barre sa colonne vertébrale relationnelle, il est désormais condamné à naviguer aux confins incertains de ces derniers, entre les OgAadan Cawlyahan du SPM-Gabiyow et les Mareexaan galti d’un SNF en perdition. Siyaad Barre disparu, Moorgan maintenant est devenu un ronin.
L’affrontement inter-Hawiiye de Kismaayo [VIII-1992] Lorsque des combats reprennent à Kismaayo à la fin du mois d’août, ils constituent pour la SNA une sorte de test de crédibilité. Ces combats mettent cette fois la nouvelle coalition aux prises avec des clans Xawaadle qui appartiennent également au faisceau Hawiiye. Demeurés à peu près neutres durant la bataille de Muqdisho, ceux-ci ont dès avril pris à Kismaayo le contrôle direct de la zone portuaire. Aussi, si l’Alliance parvient à leur imposer des règles plutôt que d’abandonner le port à la captation pure et simple de l’aide humanitaire que préparent les Xawaadle, Caydiid en attend de se prévaloir du statut de gouvernement de facto de la région et de son port. Mais le général ici est bien loin de ses bases. En dépit de tirs d’artillerie nourris, les troupes dirigées par Cismaan Caato, désormais le lieutenant le plus influent du général Caydiid, ne parviennent à obtenir un avantage décisif sur leurs adversaires. La situation se tend à nouveau à la fin août après que onze employés du Croissant-Rouge et du CICR,
tous Harti, ont été froidement assassinés sur la route de l’aéroport dans un convoi de la Croix-Rouge1. La SNA doit négocier un modus vivendi. Mais surtout le contexte est en train de changer avec l’arrivée imminente de l’aide humanitaire octroyée par les États-Unis, l’ONU et la Communauté européenne. Les gerfauts ont cure maintenant de bien affûter leurs serres.
La résolution 775 et les projets de déploiement [VII/VIII-1992] Après l’adoption de la résolution 767, le Secrétaire général des Nations unies met sur pied, sous la direction de l’ancien Secrétaire général adjoint, Peter Hansen, une nouvelle mission technique qui, après s’être rassemblée à Nairobi le 4, parcourt entre le 6 et le 15 août l’ensemble de la Somalie où ils s’appliquent à rencontrer chefs et représentants des différents mouvements et factions ainsi que les notables. Un programme tellement fourni que l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la qualité des entretiens forcément hâtifs et sur la pertinence de ce qui peut en avoir été retenu2. Après le retour de la mission, le 21, le Secrétaire général établit un rapport dont les recommandations conduisent à une nouvelle résolution du Conseil de sécurité. Après avoir tout d’abord rendu hommage à l’initiative américaine, celuici décide, le 28 août, par la Résolution 775, d’élargir le mandat de l’ONUSOM dont il « autorise le renforcement des effectifs et leur déploiement ultérieur ». Il s’agit de permettre de protéger les convois humanitaires et les centres de distribution dans l’ensemble de la Somalie cette fois. Sautant par-dessus son propre projet de 500 hommes prévus par la Résolution 751 et toujours pas réalisé, le Conseil de sécurité autorise l’envoi de quatre fois 750 hommes, un contingent par secteur, soit 3 000 hommes supplémentaires… qui ne seront pas davantage levés. New York entreprend ainsi sa plus audacieuse intervention en Afrique depuis des décennies. Le coût de l’opération, étalée sur six mois, est déjà estimé à 130 millions de dollars dont un tiers doit être assumé par Washington. La situation des quelque 280 000 réfugiés établis sur la frontière kényane a aussi suggéré à Boutros Ghali un concept intéressant de preventive zone, développé dans son rapport et visant avec le concours de l’UNHCR à réduire les déplacements des populations à la recherche de nourriture3. Mais la voie retenue d’une ingérence humanitaire est à la fois étroite et accidentée. Elle est aussi menacée par des actions contreproductives, tel un récent largage de lait effectué par avion, ainsi que 1
LOI n°539, 29 août 1992 En neuf jours, le Technical Team se rend à Baardheere, Baydhabo, Beledweyne, Kismaayo, Gaalkacyo, Garoowe, Boosaaso, Hargeysa, Burco et Berbera. De son propre aveu, il visite aussi Xuddur et Dhuusa Mareeb ainsi que Mandera, Liboi, etc. sites proches de la frontière somalo-kényane à laquelle il consacre un survol complet. Cf. annexe du rapport du Secrétaire général S/24480 du 24 août 1992. 3 Rapport du Secrétaire général S/24480, chap. II § 22, 24 août 1992 2
par le risque d’un engrenage militaire qui conduirait à terme à placer le pays sous tutelle internationale. La mise en application d’un tel plan exige donc une extrême prudence. Au Somaliland, il apparaît d’emblée que non seulement les autorités ne souhaitent pas l’arrivée de troupes étrangères mais surtout que la situation alimentaire n’y est pas catastrophique. Même la dissidence militaire du colonel Ibraahin Dhegaweyne qui sévissait à Berbera est maintenant en passe d’être réglée. Dans le Nord-est, après plusieurs semaines d’affrontements avec les groupes fondamentalistes islamistes, les troupes du SSDF commandées par le colonel Cabdullaahi Yuusuf ont repris le contrôle du port et de l’aéroport de Boosaaso. Ne demeure maintenant que la concurrence politique entre le colonel, chef historique charismatique du mouvement Majeerteen, et le général Maxamed Abshir Muuse auquel il est revenu en disputer la direction. Au regard de l’ensemble somalien, ce dernier qui avait fini par se trouver en conflit idéologique avec l’Itixaad a été reconnu imaam au début du mois d’août et jouit dans tout le pays d’une réputation de modération. Peu enclin à se rallier aux vues du général Caydiid, il s’est rapproché du président par intérim lui même à la recherche d’alliés pour contrebalancer l’influence de la SNA. Aussi, comme Cali Mahdi, Maxamed Abshir a donné son accord au débarquement des forces des Nations unies à Boosaaso où le Canada s’est déjà proposé d’envoyer 758 militaires dès le début du mois d’octobre. Reste à convaincre le colonel Cabdullaahi Yuusuf. Mais la situation la plus compliquée se rencontre évidemment dans le Sud qui se partage en deux zones d’influence aux limites assez imprécises : - un triangle délimité par la ligne de côte Marka Baraawe Kismaayo et s’étendant dans l’hinterland jusqu’à Baardheere où le général Caydiid a installé son quartier général. Cette zone est entre les mains de la SNA. - plus au nord vers le Geedo, une zone que se disputent précisément les troupes de la SNA et les rescapés de l’alliance Darood dirigée par les généraux Maxamed Xaashi Gaani et Maxamed Moorgan. Après s’être repliés au Kenya, ceux-ci se sont maintenant établis dans le sud de l’Ogadén éthiopien qui échappe encore au contrôle d’Addis Abäba, laissant s’installer une situation plus calme dans le Nord-est du Kenya. Dans ce secteur frontalier où s’accumulent les réfugiés et qui pourrait être approvisionné à partir de Mandera et de Ceel Waaq, Nairobi ne semble pas pressé de donner son accord pour un déploiement de l’ONUSOM. Quant à la région interfluve qui présente toujours la plus forte urgence alimentaire, le général Caydiid s’oppose toujours catégoriquement à tout déploiement de troupes des Nations unies à Kismaayo, port à partir
duquel elle pourrait être le plus aisément ravitaillée 1. Caydiid trouve d’ailleurs un relais inattendu auprès des présidents des branches françaises et néerlandaises de Médecins sans frontières, respectivement Rony Brauman et Jacques de Milliano, qui déclarent à Nairobi le 9 septembre que l’aide aux personnes affamées en Somalie n’avait pas besoin de la présence de soldats étrangers. Une position diamétralement opposée à celle prise par Boutros Ghali dans son rapport du 24 août, laquelle est confortée à New York par le Conseil de sécurité qui approuve le 8 septembre sa demande visant à porter à 4 219 hommes au lieu des 3 500 prévus les effectifs de l’ONUSOM2. Prévoyant d’établir quatre quartiers généraux de zones, d’assurer la sécurité des ports, des aéroports et des convois humanitaires ainsi que la protection des centres de distribution, il s’agit maintenant d’ajouter une unité d’appui logistique de 719 hommes à l’effectif initialement prévus. Un projet encore, certes, puisqu’au moment de la rédaction du rapport, aucun accord entre les protagonistes n’a encore été obtenu et que toutes ces délibérations restent virtuelles. Aussi au terme de tous ces atermoiement n’est-ce qu’à la mi-septembre que les 63 premiers Casques bleus peuvent débarquer à Muqdisho, rejoints à la fin du mois par leurs 437 collègues. Le contingent, composé de soldats du Pakistan et placé sous les ordres du général Imtiaz Shaheen ne sera opérationnel qu’à partir du 10 novembre 1992. Malgré cela, la France à partir de Djibouti, l’Allemagne, le Canada et le Royaume-Uni à partir de Mombasa ont déjà entrepris les ponts aériens humanitaires à destination de la Somalie.
Les réactions à chaud de la nébuleuse islamiste Si les déclarations d'intention des islamistes seront nombreuses à l'encontre du déploiement international, force est de constater que leur expression viendra essentiellement de l'étranger. In situ, elle sera contenue dans des discours intersomaliens sans qu’il n’en résulte grandchose d’autre que des déclarations d’intention. D’autant que la société somalie, traditionnellement adepte d’un islam modéré, voit non sans défiance le mouvement radical s’insinuer dans une société peu encline à l’accueillir. En revanche à l’étranger, la planète intégriste proche des Frères musulmans entonne sans vergogne une antienne connue. Le 11 décembre, le secrétaire de la Jamāʿa al-‘islāmīya3 libanaise accuse Washington de mettre en place une base américaine en Somalie visant à 1
LOI n°540, 5 septembre 1992 Correspondances entre le Secrétaire général et José Ayala Lasso, le Président du Conseil de sécurité. S/24531 et S/24532 du 8 septembre 1992. 3 [ar. ]ﺍﻟﺠﻤﺎﻋﺔ ﺍﻹﺳﻼﻣﻲÉmanation des Frères musulmans, la Jamāʿa est présente dans de nombreux pays. Au Liban, elle a adopté une posture pro-syrienne très modérée. 2
« encercler le mouvement de libération islamique afin de lui faire échec, en particulier au Soudan et dans le Nord de l'Afrique ». Il soupçonne les États-Unis de chercher à parachever le mandat présidentiel de M. George Bush et de profiter de la situation consécutive à la guerre du Golfe pour faire avorter toute renaissance islamique ou arabe propre à créer un équilibre dans le nouvel ordre mondial.1 Le Front National du salut syrien2, plus virulent, dénonce l'invasion de la Somalie et appelle à la mobilisation du monde arabe pour refouler les envahisseurs. Au début du mois de janvier 1993, le quotidien panarabe ash-sharq alawsaṭ rapportera les déclarations du religieux yéménite ʿAbd al-Majīd Zandānī qui critique les facilités accordées par le gouvernement à Aden aux militaires américains opérant en Somalie3. Mais dans l’ensemble, même si dès leur déploiement les forces seront sur leurs gardes face aux mouvements radicaux, les tenants du jihād laisseront largement la main aux tenants de la daʿwa, en général plus proches du wahhabisme saoudien et de l’Islaax. La politique islamiste en Somalie se jouera avant tout sur le registre de l’aide humanitaire et du prêche, car il leur faut tout d’abord conquérir l’esprit et le cœur des Somaliens eux-mêmes. Quant à l’ONUSOM, ses principales difficultés pour l’heure vont résolument venir des Nations unies elles-mêmes.
LE CONSTAT D’INSUFFISANCE D’ONUSOM I Si au regard de ce monde islamiste, Maxamed Caydiid est défiant, il sait aussi qu’à un moment ou à un autre, il pourrait le servir. En l’occurrence, il ne peut avoir oublié que, depuis la bataille d’Araare, il conserve en Xasan Daahir Aweys, Habar Gidir comme lui, un allié conjoncturel en puissance. En attendant, sur le terrain, la stratégie du général qui tient à conserver les coudées franches et dont la capacité militaire est incontestablement la plus forte, consistera à entraver les efforts visant à accroître le potentiel de l’ONUSOM.
L’échec de Muḥammad Saḥnūn sur Kismaayo [X-1992] Depuis mai 1992, le général est installé dans une vaste maison à Baardheere, au bord du webi Jubba, d’où il est en mesure d’intervenir rapidement contre toute velléité du SNF. Il n’ignore pas en effet qu’au 1
À Beyrouth, fin décembre, le chef du bureau politique du Ḥizbu-llāh [ar. ] ﺣﺰﺏ ﷲ, le parti shīʿite libanais financé par l’Iran, s'en prendra à son tour à la France, traitée d'agent de l'administration américaine. 2 [ar. ﺟﺒﻬﺔ ﺍﻟﺨﻼﺹ ﺍﻟﻮﻁﻨﻲ ﻓﻲ ﺳﻮﺭﻳﺔ- jabhat ul-ḫalāṣ ul-waṭanī fī sawrīa] Le front, basé en Belgique et hostile au gouvernement syrien, est pourtant d’orientation nationaliste et libérale. 3 Issu de la puissante tribu des Ḥashād []ﺣﺸﺎﺩ, il s’agit d’une personnalité très charismatique, proche des Frères musulmans, dont la pensée inspirera ’Usāma ben Lāden et Anwar al-‘Awlaqī.
Kenya, un fleuve plus loin au bord de la Tana, dans les camps de réfugiés autour de Garissa vivent toujours près de 3 000 vétérans de l’ancien président avec leurs armes enterrées à portée de la main. Dans l’interfluve, seule partie de la Somalie profondément touchée par la famine, la pénurie alimentaire provoque encore la mort de quelque 30 000 personnes par mois. Il reste que si le nombre des décès commence à diminuer, il n’en va de même ni du banditisme ni des combats sporadiques qui perdurent çà et là, dans les rues de la capitale en particulier. Le port et l’aéroport sont toujours entre les mains de clans exclusivement intéressés par ce qu’il leur est possible d’extorquer à l’aide humanitaire, phénomène que se refusent obstinément d’intégrer les ONG. Pourtant, qu’elles l’admettent ou non, et même si ostensiblement elles le déplorent, c’est cette politique qui d’ores et déjà alimente tous les trafics et toutes les extorsions qui vont faire la fortune de certains chefs de bandes délinquantes au point d’entretenir pour plusieurs années le drame somalien. Paralysé par cette situation, Muḥammad Saḥnūn va chercher au moins partiellement à en sortir en obtenant de Caydiid la possibilité de déployer à Kismaayo du personnel de sécurité. C’est donc à Baardheere que dans la première semaine de septembre, le Représentant des Nations unies se rend pour rencontrer Maxamed Caydiid. Le but de l’entretien est, compte tenu de l’urgence humanitaire, d’obtenir de ce dernier la possibilité de déployer davantage de personnel de sécurité pour assurer la protection des livraisons de nourriture et de médicaments par le port de Kismaayo. Durant les neuf jours que dure la visite, les deux hommes se rencontrent en tête à tête à trois occasions. Les échanges se déroulent avec courtoisie et franchise, chacun jouant cartes sur table. Maxamed Caydiid gagne une nouvelle fois du temps en objectant à son interlocuteur qu’à propos de Kismaayo, il ne pouvait agir sans consulter auparavant ses alliés. Muḥammad Saḥnūn lui explique qu’il envisageait d’établir quatre quartiers généraux, dirigés par des civils de l’ONUSOM à Berbera, à Boosaaso, à Muqdisho et à Kismaayo. C’est cette velléité de déploiement dans le Nord où chacun sait qu’il n’existe aucun problème humanitaire d’urgence qui met en alerte Maxamed Caydiid et ses alliés. Au terme de ces entretiens, le Représentant spécial repart dans l’immédiat bredouille. Quand le 19 septembre, après cinq mois d’absence, Caydiid regagne Muqdisho, il y est accueilli en héros. Aux Nations unies, il avance par ailleurs une contreproposition : « Nous contrôlons maintenant les deux tiers de la Somalie, en termes de territoire et de population, ainsi que les deux fleuves du pays. Nous pouvons donc nous charger nous-mêmes de mettre fin à l’insécurité en levant une force de police de 6 000 hommes. C’est à cet effet que nous demandons une aide pour l’organiser. »
Cette proposition est assortie de certains corollaires. Si des troupes étrangères doivent être stationnées en Somalie, elles devront – à l’instar
des ONG – employer un nombre équivalent de Somaliens comme policiers, de sorte qu’au départ des militaires, une force de sécurité sera en mesure de prendre leur relève. A tout prendre, ce marché convient parfaitement à Muḥammad Saḥnūn comme au brigadier général Imtiaz Shaheen dont les 500 Pakistanais campent toujours depuis la fin octobre à proximité de l’aéroport international. Caydiid exige cependant qu’avant le déploiement des 500 personnels de sécurité proposés, il soit procédé au recrutement de 500 Somaliens dont l’entraînement devra immédiatement commencer à Muqdisho. Arc-bouté sur l’immédiateté de ce préalable, Caydiid sait que l’opération des Nations unies n’est pas en mesure de répondre rapidement à une telle demande. Aucun équipement, financement, moyen administratif et technique propre à entraîner et administrer une telle force de police ne peut être mobilisé dans un laps de temps aussi court. Un comité conjoint est certes mis en place en vue d’élaborer les modalités de l’opération, mais la négociation ne peut qu’achopper. Elle se diluera finalement dans la problématique du financement après le départ des troupes étrangères ainsi que dans celle des engagements financiers nécessaires au démarrage de la future administration somalienne. Pour le patient Muḥammad Saḥnūn, c’est une difficulté de plus à résoudre, mais pour la fébrile et envieuse technocratie newyorkaise, c’est un échec de son représentant. New York se complaît dans un unique constat : Kismaayo ne sera toujours pas ouvert au déploiement de l’ONUSOM. Quant à Maxamed Caydiid que soutient sans état d’âme son principal conseiller, Maxamed Xasan Cawaale, il n’a pas alors mesuré combien il jouait à la fois contre son interlocuteur, mais aussi contre lui-même. Car compte tenu de l’urgence humanitaire, ses atermoiements seront considérés par la communauté internationale comme un entêtement criminel et son inflexibilité contribuera à donner de lui une image de cruauté et de totale insensibilité à la souffrance des siens.
La démission de Muḥammad Saḥnūn [26.X-1992] Car à ce moment où tout reposait sur la flexibilité de chacun, la méthode utilisée par Muḥammad Saḥnūn face à un interlocuteur difficile nécessitait beaucoup de temps, donc beaucoup de compréhension de la part des autorités de New York. Mais dans le grand immeuble de verre, après les concessions consenties sur les modalités de déploiement des Pakistanais, l’échec d’un déploiement immédiat à Kismaayo rendait la position de Muḥammad Saḥnūn bien difficile à soutenir. Alors qu’il avait initialement prévu de se rendre début octobre au siège des Nations unies, cet échec, dû notamment à un manque de moyens de pression ainsi que de moyens tout court, le conduit tout d’abord au siège européen de l’Organisation, à Genève, où au milieu du mois doit se tenir la première Conférence de coordination sur l’assistance humanitaire pour la Somalie. L’objectif est de lancer un programme
d’action de 100 jours, avec une priorité donnée à la région mésopotamienne où le nombre des décès reste encore inacceptable. La prestation de Muḥammad Saḥnūn est un véritable succès et sa gestion de l’opération lui vaut un vote de confiance particulièrement flatteur. Sur les 82,7 millions de dollars demandés, 67,3 millions lui sont immédiatement attribués. À New York en revanche, où il effectue un passage éclair, il a le temps d’observer que le Secrétariat général est divisé à son sujet et que son dernier adoubement par Genève en consterne en réalité plus d’un. Il y apprend aussi officieusement que son remplacement a d’ores et déjà été envisagé. Sachant que ses soutiens sont ailleurs, le subtil diplomate décide néanmoins de ne pas s’attarder et se rend, le 26 octobre, avec le plein appui des ambassades occidentales, à une réunion d’experts sur la Somalie qui se tient aux Seychelles. Regagnant Muqdisho via Nairobi il trouve dans la capitale kényane un courrier acerbe de Boutros Ghali lui reprochant d’avoir omis de l’informer de la réunion de Victoria, de « trop voyager hors de la Somalie » et surtout d’avoir critiqué indûment les Nations unies lors d’une émission de télévision diffusée aux ÉtatsUnis. Selon Africa Watch, cette lettre aurait été rédigée par James Jonah, son plus farouche adversaire au sein de l’ONU. À vrai dire Muḥammad Saḥnūn ne cachait plus guère en effet son irritation vis-à-vis de la confusion, de l’inefficacité et même de la lâcheté de nombreux fonctionnaires de haut rang, que ce soit à la FAO, à l’OMS ou au OXFAM, organismes dont les bureaux au Kenya étaient suffisamment éloignés des zones de combats. Seule parmi les agences, l’UNICEF, très présente sur le terrain, trouvait grâce à ses yeux. Il ne se privait pas non plus de féliciter certaines ONG - MSF, OXFAM, le CICR en particulier – certaines pour la pertinence de leurs procédés, toutes pour la qualité de leur engagement. Des positions qui à New York exaspéraient éminemment des personnes aussi influentes que James Jonah. Aussi est-ce à partir de la capitale kényane que, précédant une élimination dont il percevait l’imminence, il répond en présentant sa démission et en proposant ses services comme Envoyé spécial plutôt que comme Représentant spécial, « selon ce qui semblerait le mieux convenir au Secrétaire général ». Persuadé qu’il en a perdu la confiance, il élude courtoisement les demandes de ses proches qui, consternés, le pressent de revenir sur sa décision puis, au cours d’une conférence de presse, il explique qu’une importante assistance humanitaire était en train d’être délivrée par mer, par terre et par air en Somalie et que d’importants progrès avaient été réalisés ces dernières semaines en vue d’une réconciliation politique.1 Ce que l’ambassadeur ne disait pas, par élégance probablement, mais peut-être aussi ne l’avait-il pas alors encore réalisé, c’est que le nombre 1
DRYSDALE, John. Whatever happened to Somalia - A tale of tragic blunders. Haan London 1994.
de décès à Baydhabo était tombé de 1700 par semaine au début du mois de septembre à environ 300 au moment de sa démission, ce qui représentait naturellement un poignant et ultime hommage à sa patiente diplomatie1. Un autre signe encore : les évaporations de l’aide alimentaire de la Croix-Rouge dues à des captations en tout genre – vols, détournements, etc. - repasseront de 20 % à 80 % de leur volume acheminé sous le mandat de son successeur.
Les solidarités autour du démissionnaire Cette mise à l’écart du diplomate algérien suscite une désapprobation partagée par les représentants de plusieurs pays occidentaux. Les ambassadeurs à New York des gouvernements de Paris, de Londres et de Washington se rendent en délégation afin de demander au Secrétaire général de revenir sur sa décision d’accepter la démission de son représentant. Les membres du Conseil nordique – Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède – protestent également à l’unisson. Les contacts se multiplient pour tenter de débrouiller l’imbroglio des Nations unies en Somalie. La situation est d’autant plus préoccupante que la mise en œuvre du programme de 100 jours décidé à Genève le mois précédent pose maintenant le problème du devenir des accords politiques négociés avec les factions somaliennes et celui du déploiement des moyens logistiques nécessaires. Face à cette urgence, les pressions se multiplient pour essayer d’amener Boutros Ghali à rétablir Muḥammad Saḥnūn dans ses fonctions. D’autant que son remplacement par Ismat Kittani, fonctionnaire des Nations unies depuis 30 ans inquiète. Cet homme de sérail, malade de surcroît, se révèle d’emblée peu susceptible d’initiatives audacieuses propres à venir à bout de la lourdeur de l’Organisation. Le tollé se trouve encore relayé par une lettre ouverte de trois pages que la puissante organisation américaine de défense de droits de l’homme, Africa Watch, adresse le 29 octobre au Secrétaire général. Un geste d’autant plus intéressant que sa directrice internationale, Holly J. Burkhalter, dispose de bons contacts au Parti démocrate alors que Bill Clinton vient d’être élu à la présidence des États-Unis2. Le document réclame non seulement le rétablissement de l’Envoyé spécial dans ses fonctions, mais aussi la réalisation d’une enquête publique indépendante sur ce qui apparaît déjà comme un échec colossal des Nations unies en Somalie3. Une lettre qui s’en prend sans ambages au carriérisme général au sein de la bureaucratie des Nations unies et plus 1
Un succès qui, il est vrai, doit être mis aussi au crédit de la victoire de Caydiid et de ses alliés qui quelques mois plus tôt étaient parvenus à repousser les miliciens prédateurs du SNF au-delà du fleuve Jubba et même au-delà de la frontière kényane. 2 Élu le 3 novembre 1992, il entrera en fonction le 20 janvier 1993. 3 La directrice du département Afrique d’Africa Watch, Raaqiya Cumar, est une Somalienne établie à Londres et qui ne cache pas non plus la grande estime en laquelle elle tient Muḥammad Saḥnūn.
particulièrement au prédécesseur de Muḥammad Saḥnūn en Somalie, l’actuel Sous-secrétaire général de l’ONU, James Jonah dont on sait les manigances et le dépit après que la mission de médiation qu’il avait conduite au début de l’année s’était conclue sur un patent échec. Cette appréciation sévère d’Africa Watch est globalement partagée par l’ensemble de responsables américains du dossier somalien, Peter Jon De Vos, l’envoyé spécial de Washington en particulier. En France, le ministre français de la Santé et de l’Action humanitaire, Bernard Kouchner, se demande même en privé s’il sera encore possible désormais de poursuivre l’aide à la Somalie.1 Rien n’y fera. Seule restait la valeur de l’exemple, mais le modèle ne sera pas suivi.
La réflexion de Muḥammad Saḥnūn Dans les négociations, Muḥammad Saḥnūn ne dissimulait pas qu’il préférait le général Maxamed Caydiid « un tueur, mais qui tient sa parole » à un Cali Mahdi « qui dit toujours oui, mais se renie à la première occasion ». Le diplomate jugeait notamment inopportune la surenchère systématique de ce dernier sur le nombre de Casques bleus que les Nations unies devaient envoyer en Somalie. Les propos de Cali Mahdi le gênaient dans ses discussions avec les autres factions auprès desquelles il tentait faire accepter un déploiement progressif des soldats. Dans ce registre, il se sentira aussi trahi par Boutros Ghali. Et c’est très amer qu’il délivre le 22 novembre 1992 au quotidien al-ḥayā2 un entretien critique de la gestion de la crise somalienne à l’encontre de son ancien chef. Il s’y montre notamment froissé d’avoir appris par la BBC que Boutros Ghali venait de solliciter l’envoi de 3 000 Casques bleus en Somalie alors qu’à Muqdisho, lui-même avait dû négocier avec difficulté un accord pour le déploiement de 500 soldats.3 Par ailleurs, Muḥammad Saḥnūn considérait que l’entourage de Cali Mahdi était une représentation assez directe du groupe du Manifesto, appuyé sur les nombreux commerçants Hawiiye de Muqdisho. Il voyait en eux ceux qui avaient tenté de passer des compromis de dernière minute avec le président Siyaad Barre à la veille de son renversement ; il identifiait aussi un groupe d’opposition, certes modérée, mais qui aussi à l’époque avait reçu l’appui diplomatique de l’Italie et de l’Égypte, c’est-à-dire entre autres de Boutros Ghali lui-même. Le diplomate algérien était conscient de ce « coefficient égyptien » aux Nations unies dans la position du Secrétaire général qui de plus se 1 2
LOI n°550, 14 novembre 1992
Al-hayat [ar. ﺍﻟﺤﻴﺎﺓal-ḥayā « la vie »] est un quotidien généraliste arabophone libanais. Acheté en 1990 par le prince saoudien Khalid bin Sultan, sa ligne éditoriale est résolument pro-américaine et alignée sur les positions saoudiennes officielles. Il reste la tribune préférée des intellectuels favorables à la stratégie américaine dans le monde arabe, mais est très contesté par une large partie des élites arabes et notamment saoudiennes. 3 LOI n°750, 25 janvier 1997
devait, en tant que chrétien, de donner des gages à la Ligue arabe. Or en l’occurrence, sur la question somalienne, un autre paramètre ne pouvait être négligé : l’influence sur Cali Mahdi de son premier ministre, Cumar Caarte Qaalib, ancien ministre des Affaires étrangères de Siyaad Barre et principal artisan de l’adhésion de Muqdisho à la Ligue arabe en 1974. Ar-Riyāḍ et Le Caire notamment considéraient à la fois celui-ci comme leur homme en Somalie où il semblait le meilleur rempart contre une dérive intégriste qui entraînerait ce qui restait de diplomatie somalienne dans la sphère d’influence de Kharṭūm et de Téhéran. Mais ce qui avait tout rendu difficile à Muḥammad Saḥnūn relevait en somme de trois phénomènes : - l’obstination de Caydiid bien que Saḥnūn ait identifié le format psychologique de son interlocuteur et que, armé de son incroyable patience, il avait aussi compris qu’il avait en tout premier lieu besoin de temps, que toute hâte conduirait à l’échec ; - le fait que les factions soient en réalité divisées en factions plus petites encore qui n’obéissaient que partiellement à ce que l’on supposait trop aisément être leur autorité. Cette scissiparité non maîtrisable rendait inapplicables les accords concernant la distribution de nourriture passés avec un parti quand les stocks devaient être acheminés à travers le territoire d’un autre ; - l’accroissement exponentiel de la criminalité individuelle, la prolifération des mooryaan et autres deydey ; un phénomène entretenu par les organisations humanitaires au sein desquelles les compromissions sécuritaires favorisaient puis enkystaient la délinquance. Aussi la stratégie de Muḥammad Saḥnūn visait-elle à gérer la problématique en avançant progressivement sur ces trois registres, au fil des acquis, et au fil des échecs aussi. Mais d’autres comportements encore plombaient son action. Ils résultaient pour la plupart de l’ignorance absolue du contexte somalien dans laquelle se trouvait le Secrétariat général. Englué dans une kiryelle d’a priori et de certitudes erronées, il n’était pas en mesure d’octroyer ce dont avait le plus besoin le Représentant spécial, de la confiance et du temps. Contrairement à ceux qui lui succéderont, Muḥammad Saḥnūn, diplomate, mais homme de réflexion, s’était d’emblée interrogé sur les causes qui sous-tendaient les antagonismes. Tout au long de son trop bref mandat, il aura quotidiennement mené, au prix d’un engagement personnel singulier, une politique de dialogue intensif non seulement avec les chefs politiques, mais aussi avec l’ensemble des Somaliens. Il en a tiré plus qu’une compréhension, il en a tiré une intelligence du pays. Courant inlassablement d’un bout à l’autre du territoire dans le but de régler les différents litiges, il avait compris que la reconstruction se ferait à partir de sa base et qu’il importait avant tout de façonner les clés du dialogue. Seule cette stratégie favoriserait la mise en place de
l’environnement sécurisé indispensable à la distribution de l’aide et à la formation d’un futur gouvernement.1 C’est pourquoi, si les premiers contacts entre le Secrétaire général des Nations unies et les Somaliens ont mené à un échec patent, le choix de Muḥammad Saḥnūn en revanche était incontestablement pertinent. Le représentant du Secrétaire général bénéficiait de la confiance tant des donateurs étrangers que des Somaliens eux-mêmes, et même de Caydiid qui reconnaîtra souvent plus tard à des proches l’estime en laquelle il tenait le diplomate algérien. Plus jamais après le départ de celui-ci, la Somalie ne retrouvera la moindre chance de disposer d’une intervention extérieure, suffisamment ferme sans jamais être humiliante, acceptable par tous les Somaliens.
L’EXTRAORDINAIRE AMBASSADEUR ISMAT KITTANI Le bref intérim entre le départ de l’ambassadeur Saḥnūn et l’arrivée de son successeur début novembre est mis à profit par le général Imtiaz Shaheen, temporairement en charge de l’opération, et par Liviu Bota pour tenter de comprendre l’hostilité partagée des Somaliens à l’encontre du déploiement de troupes étrangères. L’arrivée à Muqdisho le 4 novembre 1992 de Ismat Taha Kittani, diplomate iraqien de souche kurde, comme nouveau Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies dont il est un ami personnel, rend inutile toute poursuite de leur réflexion. Dès la première réunion avec les officiels de l’ONUSOM, il est clair que le nouveau venu envisage de suivre une politique diamétralement opposée à celle jusqu’alors mise en œuvre par son prédécesseur dont il est proprement interdit désormais de prononcer jusqu’au nom.
L’affaire de l’aéroport [2/6.XI-1992] L’ambassadeur Kittani trouve d’emblée une situation assez tendue. Le 2 novembre en effet, le général Imtiaz Shaheen a pris le contrôle de l’aéroport international avec le consentement des clans Xawaadle qui bien que liés à l’USC – auquel un différend les oppose néanmoins à Kismaayo – sont jusque-là restés neutre dans la querelle entre Maxamed Caydiid et Cali Mahdi. La principale préoccupation des Xawaadle porte sur la captation des droits d’atterrissage ; l’aéroport a dû jusqu’alors être régulièrement fermé au trafic aérien par l’ONUSOM, soit à cause des tentatives d’extorsion de droits exorbitants, soit à cause de la simple insécurité due aux affrontements sporadiques dans le secteur. L’aide par ailleurs reste soumise à tous les détournements, contrairement à ce qui avait été convenu avec les chefs de factions de la SNA le 12 août précédent. Il faut dire qu’en l’occurrence, leur force insuffisante a conduit les Pakistanais à des arrangements certes, mais négociés de 1
SAHNOUN Mohamed. Somalia: The Missed Opportunities. U.S. Institute of Peace. Washington. October 1992.
sorte que les clans n’extorquent que des droits d’atterrissage raisonnable. Pour le reste, attendant plutôt ou relève ou renforts, les soldats d’Islamabad se sont patiemment enterrés dans des tranchées creusées autour du périmètre de l’aéroport. Quand Caydiid se rend compte qu’un accord bilatéral vient d’être conclu avec une partie seulement des membres de l’USC, le général entre dans une colère homérique. S’affirmant humilié, il fait valoir que les Pakistanais ont délibérément bafoué son autorité sur l’USC. D’autant que la BBC en langue somalie diffuse au même moment partout dans le monde que les Nations unies et le clan Xawaadle - sans mention de l’USC - étaient parvenus à un accord sur l’aéroport. Caydiid réagit alors émotionnellement en déclarant que si les Pakistanais ne se retiraient pas des installations avant de nouveaux arrangements ne soient convenus, il demanderait le retrait de Somalie à la fois de leur contingent et de l’ONUSOM dans son ensemble. Une menace qui n’a rien d’anodin. Un précédent en effet avait abouti au départ du coordinateur de l’aide humanitaire, le Soudanais David Bassiouni, après l’affaire de l’Antonov posé quelques mois plus tôt en juin sur l’aéroport de Cisaleey. Tandis que l’ONUSOM défend sa position en avançant que le règlement avait été conclu conformément aux termes de l’agrément du 12 août, Maxamed Caydiid soutient que celui-ci portait sur les escortes de convois et non sur l’occupation de l’aéroport, que le rôle de l’ONUSOM n’était pas d’imposer sa volonté à l’USC mais de la soutenir. En conséquence, il estime que l’ONUSOM devait reconnaître son erreur et présenter des excuses pour le préjudice moral occasionné. Maxamed Xasan Cawaale renchérit en certifiant que le nouveau représentant avait sans aucun doute reçu de Boutros Boutros Ghali la mission de mettre en place une « politique du diviser pour régner » dont l’affaire des Xawaadle ne représentait probablement que le premier volet. Dans le camp de Caydiid, où le retrait de Muḥammad Saḥnūn conservait ses mystères, on restait convaincu que le Secrétaire général avait un agenda caché en vue d’introduire en Somalie des troupes opérant sous mandat. La tension tombe deux jours plus tard après la visite à Muqdisho du ministre des Affaires étrangères indien. Celui-ci parvient à convaincre Maxamed Caydiid, qu’il avait connu pendant son établissement en Inde, que l’erreur des Nations unies avait été une erreur plutôt technique que politiquement fondée. La nécessité de négocier finit donc par s’imposer. Jusqu’à ce que, face à ce qui lui semble un accommodement dont profite son rival, Cali Mahdi à son tour menace de tirer sur tout bateau tentant d’accoster afin de contrecarrer les revendications posées par Maxamed Caydiid sur les entrepôts du port.
Premier contact entre Ismat Kittani et Maxamed Faarax Caydiid Mais un autre incident suscite également quelque émoi quand, peu après son arrivée et alors même que l’affaire de l’aéroport est à son pic émotionnel, Ismat Kittani se sent à juste titre offensé par une lettre de
Maxamed Xasan Cawaale lui demandant sur un ton péremptoire la tenue d’une réunion urgente dès le lendemain. Le courrier est délibérément retourné sans réponse et le lendemain Caydiid présente ses excuses et propose de façon plus courtoise au nouveau représentant des Nations unies un entretien à sa convenance. Or cette première rencontre se tient chez Caydiid. Peu habitué à de telles réunions, Kittani ne laisse pas son interlocuteur placer un mot ou l’interrompt sèchement avant de s’en prendre subitement à Maxamed Xasan Cawaale qui a eu l’impudence de s’adresser directement à lui les jours précédents. Le ton qui s’installe et la controverse établie autour de l’affaire de l’aéroport laissent Caydiid avec la certitude que le nouveau représentant spécial n’était pas quelqu’un avec lequel il serait possible de parler. Mais cette fausse note ne sera pas un incident isolé au fil des rares rencontres entre Ismat Kittani et les Somaliens.
Premier contact entre Ismat Kittani et Cabdiraxmaan Tuur Ainsi, auprès du SNM Isxaaq et auprès du SSDF Majeerteen, la prestation est tout aussi désastreuse. Lors de sa première et unique visite à Hargeysa dans le Somaliland sécessionniste, la controverse se dessine à propos du déploiement de troupes étrangères dans le port de Berbera ; une unité égyptienne est en attente au terme d’une négociation menée avec succès par Muḥammad Saḥnūn auprès du président Cabdiraxmaan Tuur, avec la participation du conseil des notables de Hargeysa. Une semaine avant que Ismat Kittani ne fasse une rapide escale de deux heures au Somaliland, le président somalilandais demande au bureau de l’ONUSOM à Hargeysa copie de l’accord qu’il s’attend à signer, ce que celui-ci se révèle incapable de faire. L’explication en dit long sur le décalage qui s’installe lorsque l’Organisation est confrontée à des situations exceptionnelles. Tuur en effet n’a pas eu en retour copie du document, car le processus a été retardé par un problème survenu entre l’ONUSOM et le département juridique des Nations unies : quelle titulature convient-il de retenir pour le signataire du Somaliland, un État non reconnu ? Ce n’est qu’après divers atermoiements qu’il est finalement admis par les juristes des Nations unies que la rédaction en minuscule de la lettre « g » du mot government dans President of the government of the Somaliland Republic impliquerait qu’il n’y avait pas de reconnaissance de la république. Quand Ismat Kittani se rend à Hargeysa, il n’emporte qu’un exemplaire du document que sans se perdre en courtoisie, il demande cavalièrement de signer au président du Somaliland. Celui-ci hésite moins à cause de la façon peu amène du Représentant spécial que du fait que c’était la première fois qu’il voyait le document. Aussi déclare-til souhaiter avant tout en discuter avec ses ministres. Ismat Kittani menace alors d’annuler toute aide alimentaire au Somaliland s’il n’était pas immédiatement signé. La réunion est finalement interrompue par
Cabdiraxmaan Tuur qui, exaspéré, déclare que dans ces conditions il n’y avait rien à disputer et qu’une escale aussi brève n’était pas raisonnable. C’est ainsi qu’à son retour à Nairobi, Ismat Kittani réunit les diplomates auxquels il annonce qu’il ne se rendrait plus à Hargeysa, mettant ainsi un terme à l’aide octroyée au Somaliland, affaire qui se conclura sur la fermeture du bureau de l’ONUSOM à Hargeysa, deux mois plus tard1.
Premier contact entre Ismat Kittani et Maxamed Abshir Muuse La prestation de Ismat Kittani à Boosaaso où il rencontre le président du SSDF, le général Maxamed Abshir Muuse, n’est pas d’un meilleur acabit. Ce dernier l’accueille à l’aéroport accompagné du boqor, des isimo et de représentants de la classe politique. Un repas a été préparé, Maxamed Abshir Muuse a passé plusieurs jours à réfléchir à la réunion qui se profile, de conserve avec le directeur de zone de l’ONUSOM qui a envoyé à Kittani une biographie élogieuse du président du SSDF. Non seulement celui-ci a été un chef de la police remarqué dans les années 60 quand la jeune police somalienne était considérée par les diplomates comme l’une des meilleures d’Afrique, mais ses profondes qualités humaines ainsi que sa maîtrise de l’anglais et de l’italien faisait l’admiration des étrangers qui le connaissaient et ne tarissaient pas d’éloges à son égard. Se refusant à toute compromission, il avait été emprisonné puis placé en maison d’arrêt pendant 21 ans sous le régime de Siyaad Barre. Aujourd’hui, sa haute spiritualité et sa connaissance de l’islam – il a été reconnu imaan au mois d’août - le font considérer parmi la population comme un véritable guide. Or, après un déjeuner pénible et en dépit des efforts consentis par ses hôtes, Ismat Kittani demande soudain à être raccompagné à l’aéroport plutôt que de se rendre dans le bureau du directeur de zone pour la réunion tant attendue par Maxamed Abshir et ses collaborateurs. Alors que, interloqué, le président du SSDF raccompagne le Représentant spécial à son auto, celui-ci en guise d’au revoir lui demande simplement, à brûle-pourpoint, où il avait appris un aussi bon anglais ?2 Chacun a donc très vite eu l’opportunité d’identifier combien un tel représentant spécial était peu approprié à la situation 3. Pour l’heure, quittant peu son téléphone et encore moins sa villa, la diplomatie, lui semble-t-il, ne peut ici que le céder à la force. Reste qu’en Somalie, son investissement personnel se révèle vite insuffisant, brutal et maladroit. De Muḥammad Saḥnūn à Ismat Kittani, en novembre 1992, le général Caydiid a pris la mesure de ce qu’il pouvait attendre ou craindre de la 1
Sans que rien ne vienne en donner quelque explication, le bureau de l’ONUSOM sera finalement rouvert sans que personne ne sache vraiment pourquoi. 2 Drysdale : 74-82 3 De santé fragile, il est déjà souffrant et décédera en 2001.
mission des Nations unies. Face à son incompétence, il prend assez de confiance pour en défier formellement le Conseil de sécurité. Ainsi, après s’être déclaré hostile à tout déploiement ultérieur demande-t-il – sans probablement trop y croire – le retrait des forces en place. Certains autour de lui entretiennent cette animosité à l’encontre de l’intervention internationale. Aussi les troupes sont-elles régulièrement la cible de tirs sporadiques tandis que les bateaux transportant l’aide humanitaire sont attaqués à l’intérieur même du port ou leur déchargement est empêché1. Sur l’aérodrome, les avions-cargos sont également la cible de tireurs et les agences d’aide publiques ou privées sont sujettes à des menaces, des vols et des extorsions. Confronté à la totale intransigeance des chefs de factions, à la fin de l’année 1992, le bilan d’ONUSOM est proprement désastreux. Psychologiquement, les Nations unies sont déconsidérées, il leur sera impossible de recouvrer auprès des Somaliens la moindre crédibilité.
1
Le 23 novembre notamment, un incident a été provoqué par le parti de Cali Mahdi, quand un bateau du World Food Program est menacé par des tirs.
X I – 1992/1993 : U NIFIED T ASK F ORC E : R ESTORE H OPE
D’après son Secrétaire général, cette dégradation de la situation devait être circonscrite par une action des Nations unies. Dans cette période d’après-Guerre froide, l’intangible souveraineté des nations ne pouvait que se diluer dans l’expression suprême de la sécurité collective que selon lui elle représentait.
L’OPPORTUNITE D’UN RENFORT POUR ONUSOM I : L’UNITAF Ce n’en est pas moins face à un constat peu glorieux qu’au début du mois de décembre, le Conseil de sécurité entreprend de débattre sur une intervention militaire à des fins humanitaires des Nations unies, opération au sein de laquelle les États-Unis joueraient un rôle prépondérant.
La proposition américaine [XI-1992] Face aux multiples options théoriquement envisageables en vue de parvenir à la paix civile, toutes se heurtent au problème récurrent du financement. Or en novembre, une opportunité de relancer l’affaire se dessine quand les États-Unis offrent de contribuer de façon significative au contingent en Somalie, sous réserve que ce personnel ne soit pas placé sous l’autorité de l’ONU. Les premières discussions portent donc surtout sur cette question du commandement et du contrôle de l’opération. Le débat est simple, Washington souhaite prendre la direction d’une affaire qu’ils financeront alors que Boutros Ghali qui n’a pas d’argent voudrait qu’elle soit dirigée par New York. Cette idée d’envoyer des troupes américaines a été proposée quelque jours plus tôt au Secrétaire général par un conseiller du président
George Bush, en accord avec le conseiller présidentiel à la sécurité nationale, Ben Scowcroft, le directeur de la CIA, Robert Gates, le ministre de la Défense, Dick Cheney, et le chef d’État-major des armées, le général Colin Powell. Leur plan provisoire porte sur la mise en place d’une division d’infanterie de 15 à 25 000 hommes bénéficiant des appuis nécessaires de l’Air force et de la Marine soit 8 à 10 000 hommes, l’ensemble rassemblant donc un corps expéditionnaire compris entre 23 et 35 000 hommes. Cet effectif proprement américain serait à moduler en fonction de la violence des réactions locales et du complément apporté par d’éventuels contingents alliés. La mission consisterait à s’emparer puis à sécuriser les ports, les aéroports et les routes servant à l’acheminement de l’aide alimentaire dans le Sud de la Somalie, en particulier dans la région de l’interfluve. L’idée, disait Georges Bush, lui en était venue après la dernière tentative sur Muqdisho effectuée en avril par les partisans de Siyaad Barre. Le concept d’opération, formulé le 25 novembre par le président des États-Unis, propose trois options : - renforcer l’ONUSOM I par un contingent de 3 500 soldats américains ; - apporter un soutien naval et aérien à une force d’intervention des Nations unies ; - ou – proposition du Pentagone – déployer une division américaine en Somalie. C’est cette dernière possibilité qui est finalement retenue : les États-Unis mettront sur pied une force constituée de 17 800 Marines renforcés de 10 000 hommes de l’Army, l’armée de Terre, laquelle sera ultérieurement rejointe par des contingents étrangers. La question d’une telle intervention a déjà été discutée avant la campagne électorale américaine, mais, paradoxalement, la défaite du président Bush lui rend aujourd’hui la marge de manoeuvre nécessaire à sa mise en oeuvre avant la passation de pouvoirs à Bill Clinton, le nouveau président élu1. Celui-ci n’avait pas manqué au cours de la campagne d’interpeller son adversaire sur le sujet ; une manière de coup de pied de l’âne peut-être, avant de rendre son tablier2. Mais alors que Washington insiste pour garder le commandement direct de ses troupes, Boutros Ghali cherche à protéger les Nations unies d’une identification trop évidente avec les États-Unis. Aussi le Sécrétaire général souhaite-t-il aussi pour cela un engagement européen dans l’opération. En tant qu’arabe, il n’ignore pas qu’une deuxième opération type Desert Storm même petitement dimensionnée comporterait le risque politique d’être instrumentalisé par les intégristes islamistes. 1
Battu le 3 novembre 1992, George H.W. Bush quitte la présidence des États-Unis le 20 janvier 1993. 2 Georges Bush n’oubliera pas non plus d’informer le Congrès, le 16 janvier, que l’opération Restore Hope allait coûter 560 millions de dollars aux États-Unis si elle se prolongeait pendant trois mois.
Ceux-ci ne manqueraient d’utiliser cette opportunité pour étendre leur influence, tant en Somalie où leur rôle encore modeste n’en va pas moins croissant, que dans la Corne de l’Afrique sinon au Moyen-Orient en général. Par ailleurs, sur ce théâtre particulier, Boutros Ghali se fait aussi l’avocat d’une reconstruction sous l’égide des Nations unies, afin de contrer la mouvance islamiste qui demeure, selon lui, la seule force organisée du pays. Côté américain, l’ancien secrétaire d’État Henry Kissinger se montre préoccupé par le niveau d’effort nécessaire et la permanence de l’engagement probable en Somalie. D’autant que certains estiment que l’on s’achemine vers l’installation d’un protectorat des Nations unies dans ce pays. Une réticence transparaît aussi dans le discours de Bill Clinton qui n’a pu que soutenir l’initiative de son « futur prédécesseur », mais qui – sachant qu’il va lui revenir de gérer un processus que ses équipes n’auront pas conçu – a tendance à s’inscrire dans la procrastination : avant de se prononcer sous la forme exacte qu’il convient de donner à l’opération, ne vaudrait-il pas mieux attendre que s’éclaircissent les différentes options ? Il reste que les dés sont jetés et que c’est à partir de New York que s’engage désormais l’affaire.
La Résolution 794 – le feu vert à Restore Hope [3.XII-1992] Face à la pression croissante de l’opinion, Boutros Boutros Ghali présente donc plusieurs options au Conseil de sécurité. Jugeant que la voie de la diplomatie s’était révélée largement inopérante, il y propose au fil d’une correspondance adressée les 24 et 29 novembre de procéder à une démonstration de force, en autorisant une opération agissant sous chapitre VII, afin de faire pression sur les groupes armés. Le Secrétaire général explique que le moment est venu d’utiliser cette clause et qu’il convient de passer maintenant à une phase proprement dite de maintien de la paix. Pour la première fois de son histoire, le Secrétariat général prend la responsabilité de recourir à un procédé qui, selon la règle, nécessite le consentement du pays concerné. C’est pourquoi il n’est pas proposé de se déployer sur l’ensemble du territoire somalien, mais de circonscrire l’engagement aux zones où la distribution de l’aide humanitaire reste entravée par toutes les formes de la délinquance, individuelle ou factionnelle. Boutros Boutros Ghali explique également qu’une telle action était difficile à appliquer dans le cadre du mandat de l’ONUSOM I car la résolution du problème nécessitait un déploiement d’une ampleur telle que le Secrétariat général ne serait en mesure ni de le commanditer ni de le contrôler. En conséquence, il recommande le Conseil de sécurité autorise la constitution d’une force d’intervention importante habilitée à mener des opérations sous le commandement des États membres. L’objectif de ce déploiement est officiellement de « préparer la voie à un retour à la paix et à la reconstruction postconflit. »
L’offre américaine acceptée par le Conseil de sécurité est par le fait entérinée par la Résolution 794 unanimement adoptée le 3 décembre 1992. Celle-ci toutefois ne désigne pas spécifiquement les États-Unis comme étant responsables de la future task force, mais « note l’offre faite par des États membres » et « se félicite de l’offre d’un État membre » (§ 8). Le Conseil autorise donc l’utilisation de « tous les moyens nécessaires pour instaurer aussitôt que possible un environnement sécurisé pour les opérations de secours humanitaire en Somalie » et prie le Secrétaire général et les intervenants potentiels de prendre des dispositions en vue d’assurer « l’unité de commandement et de contrôle » des forces militaires qui seraient impliquées. Le président George H.W. Bush réagit dès le lendemain en ordonnant le 4 décembre, conformément à la Résolution, l’opération dont les ÉtatsUnis assumeront le commandement. Les membres du Conseil de sécurité n’ont plus qu’à se féliciter de l’offre américaine. et de la constitution de la Unified Task Force (UNITAF) plus connue sous l’appellation d’opération Restore Hope. Elle sera déployée entre le 5 décembre 1992 et le 4 mai 1993 1. La majorité des personnels de l’UNITAF – 25 000 sur un total de 37 000 seront américains.2 Les contingents nationaux seront coordonnés et supervisés par l’U.S. Central Command (CentCom) dont le quartiergénéral est situé à la MacDill Air Force Base, à Tampa en Floride ; la relation entre CentCom et les nations contributrices variera cependant selon les contingents. D’emblée en effet, quelques crispations vont se faire jour sur le terrain diplomatique voire sur les méthodes. A Washington, on est plutôt porté à considérer qu’il pourrait s’agir d’une simple promenade. Le président Cali Mahdi, comme à l’accoutumée, a accueilli avec bienveillance cette initiative. Plus étonnant, le général Caydiid semble avoir changé son fusil d’épaule et officiellement accepté le déploiement de l’opération, sur le conseil dit-on de son banquier, Cismaan Caato. Plusieurs éléments en fait ont contribué à ce revirement. Il en espère tout d’abord que telle intervention bloquera l’avance de ses adversaires au moment où le général Maxamed Moorgan, sorti de son exil kényan, s’apprête à attaquer Kismaayo3. Depuis octobre en effet, fort de certains soutiens à Nairobi et en pays Majeerteen, celui-ci et les forces d’un SNF requinqué sont parvenus à reprendre pied dans le territoire somalien. Contraint de 1
Infiltré avant le déploiement américain en mission de reconnaissance spéciale, Larry Freedman, agent de la Special Activities Division de la CIA et ancien de la Delta Force sera la première victime américaine du conflit en Somalie. 2 Outre les pays contributeurs d’ONUSOM I dont certains renforcent leur présence, viennent se juxtaposer des éléments sous commandement UNITAF venus d’Allemagne, Arabie saoudite, Australie, Belgique, Botswana, Canada, EAU, États-Unis, France, Grèce, Inde, Italie, Koweït, Malaisie, Nigeria, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni., Suède, Tunisie, Turquie. 3 LOI n°553, 5 décembre 1992
se replier sur Baydhabo, Caydiid a dû abandonner le 16 octobre Baardheere où la population, soupçonnée d’avoir soutenu l’USC et entravé l’acheminement de l’aide vers le Geedo subit maintenant les représailles du front. Et puis surtout, il a bien mesuré le caractère inéluctable du déploiement international. Aussi met-il à profit la semaine qui précède l’arrivée des troupes américaines pour retirer son armement lourd, ses véhicules de transport et ses munitions qu’il déplace d’une part au-delà de la frontière, en Éthiopie, et de l’autre en les repliant vers le nord-est, en pays Habar Gidir, hors de la zone d’opération retenue par l’UNITAF. Et puis la perspective de voir se superposer d’autres interlocuteurs aux Nations unies et à Ismat Kittani lui convient d’autant mieux que l’Envoyé spécial du président américain, Robert Oakley, a naguère servi comme ambassadeur en Somalie, de 1982 à 1984. L’opération enfin, dirigée par les États-Unis, ne doit durer que quelques semaines, rien d’insoutenable donc. Il peut même au mieux en attendre une réconciliation voire une légitimation de ses revendications par ces intervenants extérieurs qui sauront même dans le meilleur des cas peut-être la relayer.
La position des partisans de l’ancien régime Pour leur part, face au déploiement qui se profile, les anciens de Siyaad Barre font tous bonne figure. Si le but ultime du SNF consiste à protéger le territoire clanique traditionnel des Mareexaan dans le nord de la province du Geedo, il s’agit aussi de préserver l’ensemble du pays Darood à l’ouest de la Jubba. Le Front a intérêt en effet à préserver l’intégrité du pays Ogaadeen car avec ceux-ci, plus nombreux, à leurs côtés, les Mareexaan se sentent une meilleure chance de maintenir leurs positions de pouvoir en Somalie. Aussi le général Axmed Warsame Maxamed Xaashi soutient-il sans équivoque la mise en place de l’UNITAF. Il considère en effet que se montrer coopératif ne peut que servir les objectifs du SNF. Non seulement cela devrait tenir à distance les troupes de Caydiid, mais cela devrait lui assurer une place dans les discussions de réconciliation. Également guidé par un certain instinct de conservation, il fournit d’emblée des cartes où sont précisés les emplacements des champs de mines connus. Le général Maxamed Xaashi Gaani qui semble moins enthousiaste se prononce néanmoins en faveur de l’effort des Nations unies, aussi longtemps qu’il contribue à minimiser l’influence des Hawiiye en général et de Caydiid en particulier dans la Somalie centrale. Son second, le colonel Cabdirisxaaq Isxaaq Biixi est en revanche plus favorable à la coalition et aux ÉtatsUnis. Il se dit prêt à accueillir les forces UNITAF dans sa zone et se propose de coopérer avec les forces de la coalition dans le travail d’identification des zones minées. Dans la région centrale, le SNF continuera à soutenir ses alliés du SSDF aussi longtemps qu’ils auront besoin de leur soutien contre Caydiid. Le colonel Cabdullaahi Yuusuf compte en effet sur les armes lourdes de
Maxamed Xaashi Gaani et sur son soutien clanique régional important. La relation n’est pas pour autant facile. Bien qu’ils aient ensemble contenu la poussée du général Caydiid, l’alliance entre SNF et SSDF est rendue problématique par la relation difficile entre leurs deux chefs. Une dette de sang existe entre les deux hommes. L’alliance se fonde sur un intérêt commun à maintenir une présence militaire suffisante dans la zone propre à maintenir Gaalkacyo hors du contrôle de l’USC-Caydiid. Elle est aussi rendue possible par l’excellence de la relation établie entre Cabdullaahi Yuusuf et le colonel Cabdirisxaaq Biixi, au point que celuici et d’autres commandants du SNF-Galguduud participent en effet au SSDF Emergency Committee [som. degdeg ah guddi] et participent le cas échéant aux réunions de planification militaire du front majeerteen. Certes, nul n’ignore qu’une fois l’antagonisme commun contre les Hawiiye éliminé ou neutralisé, les anciennes animosités entre Mareexaan et Majeerteen peuvent refaire surface. Mais on peut aussi tenir pour assuré que les deux mouvements continueront à soutenir la coalition, aussi long que les efforts des Nations unies ne seront pas perçus comme allant à l’encontre de leurs intérêts politico-militaires à long terme.
Le développement de la délinquance individuelle Mais un autre phénomène est aussi apparu désormais, beaucoup plus pernicieux. À la fin de 1992, les luttes entre les factions ont achevé de détruire l’ensemble des institutions et des installations qui constituent la trame d’un État. Les infrastructures, certes, mais aussi tout ce qui les fait fonctionner, depuis les agents et les fonctionnaires jusqu’aux procédures qu’ils appliquent. Plus de forces de police, plus de coercition possible. Les factions occupées de lutter entre elles ne se préoccupent en rien d’organiser le pays. Une situation diamétralement opposée à ce qui venait de se passer en Éthiopie où, le renversement du pouvoir le 26 mai 1991, avait été immédiatement suivi, dès le 29, d’une injonction à reprendre le travail. Une injonction qui dès le 30 était suivie d’effet. Dans l’esprit des dirigeants de l’EPRDF, tout était prêt à assurer la continuité du domaine du « roi des rois », qu’il soit héritier de Lénine ou du roi Salomon. En Somalie en revanche, misère et destruction s’accompagnent d’une importante circulation d’armes. Celles-ci proviennent des dépôts abandonnés par l’armée somalienne délitée, mais aussi des arsenaux de l’armée de Mängestu installés en Ogadén, grandes installations comme à Qäbri Dähar ou garnisons plus modestes comme à Qällafo, Gäladin ou Wardér1. Des centaines de milliers d’armes et d’importants stocks de munitions quand ils ne sont pas pillés, sont ainsi revendus à bas prix. 1
Cités dans la translittération éthiopienne, soit respectivement [amh. ቀብሪ ፡ ዳሃር ፥ som. Qabri Dahare] ; [amh. ቀላፎ ፥ - som. Qallaafo] ; [amh. ገላዲን ፥ - som. Galaadi] ; [amh. ዋርዴር ፥ - som. Wardheer]
Très vite, les pays de l’ancien bloc soviétique vont à leur tour assurer les approvisionnements, à des prix défiant bien sûr toute concurrence. Un trafic mené au nez et à la barbe des nations occidentales qui, armées d’un blocus surréaliste, se proposent naïvement de ramener la sérénité dans la région. Cette prolifération de l’armement s’accompagne de la multiplication des vols de voiture pick-up qui offrent l’opportunité d’installer à l’arrière une arme lourde, mitrailleuse la plupart du temps, mais aussi mortier ou canon antiaérien. Ces véhicules transformés peuvent également transporter des hommes en armes dont le nombre peut aller jusqu’à dix selon le chargement retenu. Ce sont les « technicals »1. Ces véhicules d’abord sont soit récupérés à des particuliers enfuis soit volés sous la menace des armes. Très vite surtout, ils sont saisis aux ONG qui n’ont d’autre choix que de se laisser dépouiller de leur véhicule et de ce qu’il contient. Ces vols sont perpétrés par des individus, deux ou trois copains d’une même famille ou d’un même clan. Ils agissent isolément et ne relèvent pour la plupart d’aucun chef de faction, sauf à être ponctuellement embauché par l’un ou l’autre, en vue d’une opération particulière, des contrats à durée déterminée dirions-nous. Ainsi, naturellement s’organise un système. Les uns récupèrent tout l’armement disponible ou se spécialisent dans le vol de voiture, le tout étant acheminé vers les marchés ad hoc, suuqa Bakaaraha à Muqdisho étant naturellement le plus actif et le plus renommé. À la fois mobiles et armés, il leur reste à repérer les itinéraires d’acheminement de l’aide humanitaire au départ de Muqdisho. Renseignés parfois par les clans Saleebaan qui tiennent le port ou Xawaadle qui tiennent l’aéroport, ils se placent en embuscade le long des routes et attaquent en toute impunité les camions. Leur forfait perpétré, ils s’emparent du chargement qu’ils vont ici ou là revendre à leur propre profit. Effectuant rarement eux-mêmes la revente au particulier, c’est tout un système d’intermédiaires et de revendeurs qui se met ainsi en place2, une économie dans laquelle vont s’investir à leur tour, mais à bien plus grande échelle les chefs de guerre, à commencer par les plus nécessiteux. Ces coupeurs de routes, les mooryaan, ont vite identifié les ONG dont l’exceptionnelle vulnérabilité leur assure un vivier inépuisable de proies. Ils en ont aussi conclu qu’un autre type de travail pouvait leur octroyer 1
Technicals sera le terme retenu par la presse ; les Somalis parlent de tiknika(-da). La plus grande partie d’entre eux est constituée de véhicules à quatre roues motrices Toyota type Landcruiser. Mitsubishi, Daihatsu ou Nissan fournissent également des engins très prisés. 2 Lorsque, lors du déploiement de Restore Hope, les unités de l’opération française Oryx ouvrent le couloir humanitaire à travers le Baay et le Bakool jusqu’à la frontière éthiopienne de Ceel Barde et de Yeet. Là, dans les petits villages frontière plantés en plein désert, ils trouvent de petites échoppes bondées des sacs de riz et autres produits estampillés par l’ONU qui les y ont précédés.
des bénéfices juteux. Nombre d’entre eux se sont reconvertis dans la sécurité et proposent leurs services prétextant de protéger les convois qu’ils escortent. Quand ceux-ci traversent le territoire de leur clan, la dîme à payer est souvent versée en nature, quand il s’agit de traverser le territoire d’un autre lignage, il leur revient de faire parler les armes. Souvent un consensus s’installe cependant entre les membres de deux familles et les convois parviennent à passer sans encombre. Il reste que les services de ces agents de sécurité, la police d’assurance en quelque sorte, ont un coût prohibitif. Mais pour les organisations humanitaires, l’alternative est simple : délivrer l’aide et payer ou se trouver dans l’impossibilité d’en assurer l’acheminement.
Le déclenchement de l’opération [9.XII-1992] La manière du débarquement de Restore Hope vise à marquer les esprits, sans se préoccuper d’un certain ridicule, très hollywoodiens par ailleurs. L’opération placée sous le commandement du lieutenant général1 du Marine Corps Robert Johnston est lancée dans les premières heures du 8 décembre 1992, lorsque des éléments du 8e bataillon des Opérations psychologiques dispersent des dépliants sur Muqdisho. Des unités spéciales américaines chargées de missions de reconnaissance ont été dépêchées en Somalie bien avant le débarquement des troupes américaines. Au mois d’août en effet, une mission de renseignement a été effectuée, ce qui permet au porte-parole de la CIA, Peter Earnest, d’affirmer que l’agence était en mesure d’apporter les renseignements les plus pertinents en appui de l’opération en passe de se déployer2. Le lendemain, à partir de la mer, les Marines lancent sur la capitale un pseudo assaut largement retransmis grâce aux caméras de la CNN. Les unités du 2e Bataillon du 9e de Marine effectuent des raids simultanés sur le port et l’aéroport international ou elles sécurisent une zone qui permette le débarquement des troupes. Deux compagnies s’emparent ainsi de l’aéroport l’une par un assaut héliporté et l’autre par un assaut amphibie tandis qu’une troisième sécurise le port au terme d’un raid mené à bord de bateaux pneumatiques. Le 1er bataillon du 7e de Marine – unité appartenant à la 1ère division de Marine – arrivé dès que la sécurisation de l’aéroport est réalisée. Au même moment, à l’intérieur des terres, des éléments héliportés des mêmes régiments contrôlent dans des conditions à peu près identiques l’aéroport de Baydhabo, la ville portuaire de Kismaayo, et celle de Baardheere sur les rives du fleuve Jubba. Arrivé dans les bagages d’une opération qu’il a conseillée au président américain, Robert Oakley, l’ancien ambassadeur en Somalie, ne tarde 1
Par rapport au référentiel français, un lieutenant général du Marine Corps tient un rang intermédiaire entre un général de division et un général de corps d’armée. 2 LOI n°558, 16 janvier 1993. C’est un ancien béret vert que la presse de sa ville natale présente comme « ayant des fonctions secrètes » qui sautant sur une mine le 23 décembre sera la première victime américaine de l’intervention à proprement dite.
pas à disqualifier Ismat Kittani, peu au fait d’une réalité somalienne à laquelle somme toute il paraît consacrer moins de temps qu’à l’étude du saint Coran. Une bonne chose à tout prendre puisque le Conseil de sécurité a pris le parti de suspendre tout renforcement significatif de l’opération ONUSOM I – si tant est qu’il en ait eu réellement la volonté voire les moyens – et de considérer que l’affaire serait assumée par l’UNITAF. Avec un projet portant sur un renfort de 3 000 hommes qui ne seront jamais déployés, le Conseil de sécurité, par l’article 6 de la Résolution 734, laissait à la discrétion du Secrétaire général le choix des mesures qui pourraient être prises à l’égard de la mission. La cause est maintenant entendue.
Dès leur arrivée, Robert Oakley et le général Robert Johnston précisent publiquement que l’objectif de l’opération était strictement humanitaire et que les soldats n’entreprendraient rien qui ne visât exclusivement à se protéger eux-mêmes et à protéger les convois. Et ils s’y tiendront. Restore Hope, opération militaire injustement décriée est placée sous le commandement d’un officier dont la lucidité et l’honnêteté seront reconnues sans équivoque par l’ensemble des contingents engagés,
quelles que soient par ailleurs les réserves très vite émises à propos des choix de Washington. Mais un autre aspect des choses, plus ambigu, met un peu tout le monde en alerte sur la position américaine quand Lawrence Eagleburger, éphémère Secrétaire d’État1, déclare – maladresse, inconséquence ou provocation délibérée – qu’il s’agissait de « pacifier » la Somalie. Une vue des choses assurément plus proche de celle de Boutros Boutros Ghali et de Ismat Kittani que de celle de Oakley et de Johnston. Sur le terrain, au fur et à mesure de leur arrivée, les différents contingents commencent à se déployer. Le 8 décembre, les premiers éléments du détachement français Oryx qui comptera 2100 hommes aux ordres du général René Delhome débarquent à Muqdisho. Le 11, sont mis en place les premiers éléments italiens. Le 15 décembre, une opération baptisée Deliverance est lancée par les forces armées canadiennes. Elle compte environ 1 400 hommes, une unité d’hélicoptère et une unité de la Marine2.
LA PREEMINENCE DE L’ACTEUR AMERICAIN L’opération ONUSOM I néanmoins est quasiment éliminée de tous les pourparlers. Robert Oakley néglige délibérément Ismat Kittani dont il a vraisemblablement mesuré l’incompétence sur ce théâtre sinon la dangerosité.
Rencontre entre Maxamed Caydiid entre Cali Mahdi [11.XII-1992] En revanche, discrètement conseillé par l’anglais John Drysdale, il tente un rapprochement entre Maxamed Caydiid et Cali Mahdi au lendemain même de l’arrivée du gros des forces. C’est au terme d’une réunion convenue le 10 décembre et tenue le 11 que « coincés » par l’impressionnant débarquement américain, les deux chefs de faction acceptent à contrecœur, mais publiquement de cesser les hostilités. Plus précisément, les protagonistes conviennent de lever les points de contrôle établis le long de la « Ligne verte » qui à Muqdisho délimite leurs territoires respectifs, de cantonner les miliciens et leur armement sur des sites établis à l’extérieur de la ville et de mettre un terme à toutes leurs actions de propagande hostile. Bien sûr ce succès précaire mérite d’être relativisé car bien que la situation semblât en passe de s’améliorer, des combats sporadiques ne s’en poursuivent pas moins dans la capitale alors même que se déroulent ces 1
Il ne dirigera la diplomatie américaine que du 8 décembre 1992 au 23 janvier 1993, l’équipe du président Bill Clinton se mettant alors en place. Il cède alors son fauteuil à Warren Christopher qui l’occupera jusqu’en 1997. 2 Bien qu’ayant par ailleurs normalement rempli ses missions, l’opération s’achèvera à la fin de mai 1993 sur un désastre politique pour les Forces canadiennes à la suite d’exactions perpétrées par deux soldats. Outre les sanctions qui leur seront infligées, le scandale conduira à la dissolution du régiment et à des démissions tout au long de la chaîne hiérarchique.
négociations tendues. Cet apparent succès se prolonge le lendemain par une nouvelle réunion, tenue deux heures durant sur le bâtiment français VAR, mais en l’absence d’Oakley cette fois. Il s’agit de s’entendre sur le retrait de toutes les armes hors de la capitale, un sujet en réalité sur lequel aucun n’est vraiment prêt à faire le moindre pas. La conversation se tend même au point que les débats achoppent quand Cali Mahdi demande qu’un maire de Muqdisho soit nommé, en la personne de Cali Ugaas Cabdulle [Abgaal/Wacbuudhan]. La colère de Caydiid qui refuse catégoriquement de souscrire à une telle requête réinstalle immédiatement l’embarras, au grand dam des négociateurs qui ne tiennent pas à contrarier de façon irrévocable le plus dangereux des chefs de faction. Quant à la situation des milices, il apparaît à la fin du mois de décembre que : - les forces du SNF qui avaient été rejetées au Kenya ont repris pied en octobre dans les districts centraux – Baardheere, Saakow et Afmadow, à l’ouest de la Jubba ; - le SPM du colonel Axmed Cumar Jees, membre de l’USC-SNA est maître de Kismaayo où et d’où il n’a pas entre-temps manqué d’exercer quelques représailles contre les familles Harti des basses vallées de la Jubba et du Shabeelle ; - le SDM de Maxamed Nuur Yalaxoow occupe le Baay et le Bakool ; - le SSNM tient la zone occupée par les clans Dir Biyomaal de la côte au nord de Kismaayo, Baraawe et surtout Marka ; - les miliciens Hawiiye Habar Gidir, force majeure de l’USC, tentent pour leur part d’étendre leur influence dans le Galguduud et de s’imposer en pays Muruursade autour de Ceel Buur afin de faire plus aisément pression sur les clans Abgaal installés à leur sud et maîtriser ainsi à partir de Ceel Dheere, la route du sud-ouest menant à Muqdisho.
Face à l’hyperpuissance américaine, la stratégie française Avec la fin de la guerre froide, soudain, les États occidentaux déconcertés se sont momentanément retrouvés sans ennemi. Dans cette nouvelle situation qui ruinait certes le fonds de commerce de certaines administrations, mais plus encore la dynamique de certaines industries, il ne s’agissait pas de se perdre en des rêves lénifiants. D’autres guerres, peu identifiables encore, se profilaient. Toutes passaient par un positionnement politique, diplomatique et économique affirmé dans ce monde devenu unipolaire. C’est ainsi qu’en Somalie, soucieuse de ne pas laisser le terrain aux seuls responsables américains, mais aussi en prévision du moment où les Nations unies seraient amenées à reprendre les rênes de l’opération, les autorités françaises cherchent leur propre créneau d’action politique. Le président Mitterrand qui connaît peu ou
mal les dossiers n’a qu’une certitude, il faut marquer de près les ÉtatsUnis d’Amérique qui pourraient bien flouer une fois encore la France1. En fait Paris songe surtout à devenir le porte-parole de la communauté européenne en Somalie. L’idée est politique, elle est économique aussi puisqu’il s’agit de se positionner dans la perspective d’une reprise des crédits européens de ce pays en vue de futurs travaux de réhabilitation. Pour parvenir à s’imposer à la CEE, le gouvernement français joue de la position inconfortable d’un de ses plus sérieux concurrents, l’Italie. Celle-ci en effet, ancienne puissance coloniale impliquée dans le soutien à l’ex-président Siyaad Barre, a échoué, à la fin de l’année 1991, dans ses tentatives de parvenir à un compromis entre l’ancien régime et le groupe du Manifesto dont Cali Mahdi est issu. Or maintenant, c’est l’ombre immense de l’oncle Sam et l’interventionnisme politique américain qui ici agace les diplomates français. D’autant que Paris a déjà mal vécu le fait d’avoir été doublé par les diplomates de Washington, premiers à obtenir le 11 décembre un premier et fragile engagement à la réconciliation entre le général Caydiid et le président Cali Mahdi. L’accord a été paraphé dans les locaux de la firme pétrolière américaine CONOCO à Muqdisho où réside depuis lors l’ambassadeur américain en Somalie, Robert Oakley. Une initiative bien mieux menée que la rencontre du lendemain sur le navire français et qui a failli se conclure sur un petit désastre. Paris qui bénéficie d’une position intéressante à Djibouti entend donc dorénavant engager son effort diplomatique sur deux axes : - d’une part en se posant comme intermédiaire entre l’USC-SNA et certains interlocuteurs locaux, tel le général Majeerteen Maxamed Abshir Muuse, président du SSDF, qui s’est allié au président Cali Mahdi pour faire contrepoids à l’influence du général Caydiid ; - d’autre part en servant de relais avec le gouvernement du Somaliland autoproclamé. La mise en œuvre de ces orientations revient à l’ambassadeur de France au Kenya, Michel de Bonnecorse, en attendant qu’un représentant diplomatique permanent soit accrédité à Muqdisho. La zone d’intervention dévolue à la France est située autour de la ville de Xuddur dans le Bakool, région d’environ 25 000 kilomètres carrés peuplée de quelque 200 000 habitants. Ses experts estiment que la tâche sera facilitée par la relative homogénéité de la zone où vivent surtout les lignages Raxanweyn, en lisière des populations Ogaadeen.
L’opération Oryx et la tactique française dans le Bakool Oryx est le nom de baptême donné par Paris à l’opération française au sein de Restore Hope. Son mode de déroulement se révélera exemplaire 1
Dans le monde des services secrets et chez les diplomates sérieux, on se souvient avec quelque déplaisir de certains moments difficiles, au premier rang desquels entre 1981 et 1985 la gestion calamiteuse de l’affaire Vladimir Vetrov, « l’affaire Farewell ».
et ne donnera pas lieu à contestation. Bien que Paris estime qu’un millier d’hommes suffiraient à contrôler la région jusqu’à la frontière éthiopienne, 2 200 militaires français sous le commandement du général René Delhome sont déployés sur l’ensemble d’un terrain d’où le banditisme disparaît rapidement. Ici en effet, le commandement préfère jouer un éparpillement raisonnable de ses troupes sur le terrain. Cette tactique qui rapproche les Français des Somaliens contribue à asseoir la confiance en créant une certaine intimité entre la population et les soldats d’Oryx déployés à Xuddur mais aussi à Waajit et à Tiyeegloow. Les relations avec la population sont bonnes, les shirar entre Français et Somaliens presque quotidiens. Même les relations avec les ONG françaises, dont les états-majors parisiens sont souvent enclins à conspuer le déploiement militaire, entretiennent sur le terrain des relations amicales avec des équipes dont l’engagement et le dévouement ne peuvent souffrir aucune mise en cause. Par ailleurs, l’envoi rapide, à partir de Djibouti, de 15 tonnes de riz contribue à en réduire le cours à Xuddur et à Waajit, ce qui contribue à la popularité du contingent. D’autant qu’à moyen terme le déblocage de crédits non militaires est envisagé par Paris pour asseoir les relations élémentaires de coopération. Ces fonds doivent financer des approvisionnements divers et des opérations de réhabilitation : construction d’une dizaine d’écoles, de ponts et de radiers, de forages pour l’eau. Le 31 janvier, à la demande des Nations unies, trois experts européens allemand, français et italien arrivent à Muqdisho pour étudier la réorganisation d’une police somalienne. Bien que vivement souhaitées par Washington, quelques divergences d’approche entre Paris et Bonn en retardaient l’envoi. Cette remise sur pied d’une force de police était défendue depuis des mois par les Nations unies dont les spécialistes estiment que, sur les 3 500 membres de l’ex-force de Siyaad Barre, 2 400 seraient susceptibles d’être immédiatement incorporés dans cette nouvelle unité. Les arguments américains en faveur de cette solution indigène tiennent au fait que cette force formée par des policiers venus d’Allemagne entre 1978 à 1988 n’a jamais été totalement contrôlée par le gouvernement et concernerait des hommes d’âge plus mûr, réputés plus avisés et plus prudents dans leur manière d’agir. L’idée n’est pas en soi mauvaise mais pour une tout autre raison : elle s’appuie sur un recrutement local qui légitime les capacités d’arbitrage et de coercition de ses composantes. Car malgré le déploiement militaire international, la sécurité dans les quartiers et les zones à l’écart des grands axes n’est toujours pas assurée.
La stratégie du Secrétaire général des Nations unies La façon dont se déroule l’affaire cependant est loin de convenir au Secrétaire général qui par Ismat Kittani interposé vient momentanément de se faire prendre la main. Pourtant, dans son esprit, des hypothèses de fonctionnement inédites se mettent en place. Elles préconisent une
conception plus intrusive de l’Organisation et tournent autour des concepts maintien de la paix, de renforcement de la paix et d’imposition de la paix. La Somalie, où aucun pouvoir n’est en mesure de légitimer les modalités d’intervention des Nations unies, se pose en laboratoire d’expérimentation pour des stratégies susceptibles d’être retenues au profit d’autres théâtres.
Or, le rôle dévolu à Restore Hope lui paraît clairement insuffisant. Protéger les lignes de communication afin de délivrer l’aide humanitaire ne peut suffire à résoudre les problèmes politiques de la Somalie. Ceuxci passent par un désarmement total, lequel ne peut être mené à bien sans l’assistance de troupes déployées sur l’ensemble le pays et qui disposeraient de tous les moyens matériels et juridiques nécessaires. C’est dans cet esprit que le 19 décembre 1992, le Secrétaire général fait parvenir au Conseil de sécurité une lettre dans laquelle il avance que l’opération en cours devait à tout prix étendre son champ d’action à
l’ensemble du pays et prendre à son compte la neutralisation des armements lourds et le désarmement des bandes de mooryaan. Dans son esprit cela signifie aussi assurer le cessez-le-feu, procéder au déminage du Somaliland1 et créer une force de police susceptible d’être déployée sur l’ensemble du pays. Un ordre du jour bien lourd pour une opération qui dans l’esprit du président Bush ne devait durer que six semaines. Ce dessein globalement irréaliste est surtout un non-sens puisque dans le Nord la situation est déjà en passe de se gérer toute seule, à la façon somalienne. Toute présence étrangère dans ces circonstances ne peut y être considérée que comme une ingérence motivée par des dessins douteux. Boutros Ghali demande donc au Conseil de différer sa décision de transition de l’opération à une ONUSOM II jusqu’à ce que l’opération en cours soit parvenue à atteindre ses objectifs. Mais ceux-ci réalisés, il avance aussi que le vaste programme qu’il envisage ne pourra se satisfaire de la même position que les forces de Restore Hope. Celles-ci déployées sous commandement américain exécutent des ordres très précis qui se limitent à établir un environnement sécurisé dans la seule perspective de la distribution de l’aide humanitaire d’urgence. Leur destin est de rentrer à l’issue aux États-Unis, après avoir remis la direction des opérations à une nouvelle mission, une ONUSOM II par exemple. Entre les velléités modestes du gouvernement américain, la réserve des militaires à engager la sécurité de leurs troupes, la misère d’ONUSOM I et les projets grandioses du Secrétaire général, une cacophonie peu glorieuse s’installe qui suscitera peu à peu la défiance puis le dédain des factions somaliennes.
1ERE REUNION D’ADDIS ABÄBA
[4/16.I-1993]
Pourtant, du 4 au 16 janvier 1993, Mälläs Zénawi, le président éthiopien qui vient de donner l’exemple d’une transition réussie, ouvre à Addis Abäba, dans les locaux de l’ Economic Commission for Africa (ECA) une réunion préparatoire informelle qui vise à rassembler les factions autour de la problématique du désarmement2. Le Secrétaire général est parvenu à rassembler quatorze d’entre elles. Le SNM n’a pas souhaité être de l’exercice. Les différentes sessions sont dirigées par le Suédois Jan Eliasson, Secrétaire général adjoint pour les Affaires humanitaires et Coordinateur des secours d’urgence, Ismat Kittani, le ministre des Affaires étrangères adjoint de l’Éthiopie, Lesanä Yohannes, ainsi que l’ambassadeur d’Érythrée en Éthiopie, Haylä-Makarios3. Les réunions 1
En 1993, 50 000 mines ont été neutralisées en deux ans et il reste encore 56 champs identifiés avec chacun 3 000 mines environ. 2 Sont présents les secrétaires généraux des Nations-Unies, de la Ligue arabe, de l’OCI et le président de l’IGADD. 3 ልሳነ ፡ ዮሃንስ [gz. lesanä yohannes] ; [gz. ኃይለ ፡ ማካርዮስ ፥ haylä makarios]
suivantes sont dirigées par les participants somaliens, en particulier Maxamed Caydiid et Cali Mahdi, mais aussi par des personnages plus contestés comme Maxamed Moorgan, convié à rejoindre l’exercice. Le 6 janvier, la réunion débouche péniblement sur un fragile accord qui porte sur la tenue en avril d’une conférence de réconciliation à Muqdisho. Elle se poursuit dans la plus grande confusion par des tractations entre les factions jusqu’à ce que le surlendemain 8, les responsables des Nations unies se fassent l’écho de la signature d’un premier accord qui serait enfin survenu entre les 14 partis représentés. Il apparaît néanmoins que la validation de cet engagement reste encore dépendante d’un second accord, portant sur trois points qui posent toujours problème. Ces trois points concernent le cessez-le-feu, le programme de la conférence de réconciliation et les critères présidant au choix de ses participants. Le consensus ne s’établira pas, le 13 janvier, sans que le dernier point n’ait auparavant posé les plus grandes difficultés. Caydiid défend l’idée que seules les factions ayant renversé le régime de l’ancien président pourraient y participer. Or, s’y soumettre reviendrait à exclure le SNF et à marginaliser le SSDF.
Le manque de crédibilité de l’opération internationale Mais le général se joue de ses interlocuteurs. Tandis qu’il débat d’une hypothétique négociation de paix, le 8 janvier en effet, ses partisans, soucieux d’étendre leur territoire avant un cessez-le-feu qui gèlerait les positions des diverses factions, montent à l’attaque de Gaalkacyo. Sans vergogne d’ailleurs. Car il faut dire que les difficultés entourant l’organisation de la rencontre se déroulent sur fond de perte de crédibilité dissuasive de la Task Force. Le 4 janvier, les responsables américains ont annoncé pour le 20, date de la passation de pouvoir entre George Bush et Bill Clinton, le retrait progressif de leurs troupes. L’effet en est d’autant plus déplorable que la faible capacité de dissuasion militaire de l’opération a déjà, à plusieurs reprises, été éprouvée par les chefs de guerre. Certains parmi les notables qui ont été contactés par les Nations unies pour ébaucher les concertations locales après le retrait des troupes américaines ont été assassinés en toute impunité ; comme a été assassiné, le 2 janvier à Kismaayo, Sean Devereux, le travailleur humanitaire qui avait publiquement dénoncé le 20 décembre les opérations de nettoyage auxquelles venait de se livrer selon lui Cumar Jees. Le meurtre du jeune Anglais1 qui communiquait beaucoup avec les journalistes et avait été à l’origine d’un article paru le 28 décembre dans le New York Times n’était pas sans rappeler l’assassinat le 5 janvier 1992 de la pédiatre bulgare Martinka Pumpalova par l’Itixaad à Bosaasso.2 1
Missionnaire salésien et travailleur humanitaire à l’UNICEF, il était arrivé depuis le 5 septembre en Somalie en provenance du Liberia. 2 ALBERIZZI, Massimo A.. Corriere della Sera, 4 janvier 1993
Les exactions dénoncées avaient eu lieu juste avant que les contingents belge et américain ne parviennent à soustraire le port aux intégristes de l’Itixaad et de l’Islaax qui s’en étaient préalablement emparés. Aussi l’affaire n’était-elle peut-être pas aussi simple et une partie de ces derniers écartés de toute responsabilité. Durant ces trois journées de terreur, une centaine de religieux, de commerçants et un médecin avait été assassinés sans mobile particulier, simplement à cause de leur appartenance à un clan. Les deux pistes pouvant être liées par ailleurs. Le 3 janvier en effet, Cumar Jees promulguait une loi selon laquelle les jeunes gens sortant des campements occidentaux devraient être passés par les armes sans autre forme de procès. Il reste qu’après l’arrivée des Américains, les islamistes qui après avoir contrôlé le port de Boosaaso puis celui du Kismaayo contrôlaient aussi le port de Marka se sont clairement divisés sur la conduite à tenir. Les modérés de l’Islaax ont souhaité collaborer avec les Occidentaux à condition que ceux-ci n’interfèrent pas dans la vie sociale somalienne ; les radicaux de l’Itixaad au contraire ont déclaré la guerre aux envahisseurs et se sont retirés en Éthiopie pour préparer la jihād. À Muqdisho, lors des affrontements entre les clans Muruursade et Habar Gidir qui ont fait plus de 20 morts le 31 décembre, les partisans du général Caydiid ont utilisé leurs armes lourdes sans susciter la moindre réaction de la part de l’UNITAF. Tous ces événements montrent aux chefs de guerre somaliens les limites de l’engagement international : les soldats américains ne riposteront qu’en cas de menace directe et se refusent même à protéger le personnel des Nations unies dans toute tâche autre qu’humanitaire. Au point que cette stratégie du retranchement, coupant l’opération des réalités de la ville, conduit les Marines à prendre le 6 janvier le contrôle du quartier de Muqdisho où sont concentrées leurs propres troupes 1. Non seulement, dans l’esprit des chefs de guerre, l’UNITAF ne peut plus être considérée avec le respect dû à la manifestation tangible d’une puissance armée, mais les dernières déclarations américaines laissent maintenant entendre qu’elle est déjà presque partie. Les aspects tapageurs de la mise en place de décembre contribuent aujourd’hui au mépris du matamore. Quelques mois plus tard, il aura un prix.
Les accords d’Addis Abäba [8&15.I-1993] La conférence d’Addis Abäba, jeu de dupes n’en suit pas moins son cours. Ultime provocation, la prétention de Caydiid à tenir un rôle prééminent au sein de la présidence collégiale de la future conférence est naturellement rejetée par les factions non membres de la SNA2. Un accord global est signé le 8 janvier, par lequel les parties conviennent :
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LOI n°557, 9 janvier 1993 LOI n°558, 16 janvier 1993
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de la tenue d’une Conférence de réconciliation nationale à Addis Abäba, le 15 mars ; - d’un cessez-le-feu immédiat dans toutes les régions contrôlées par les factions signataires ; - de la cessation de toute propagande hostile ; - de l’implication de l’ONUSOM dans la préparation logistique de la conférence ; - de la mise en place de mécanismes propres à permettre le dialogue entre toutes les parties en préparation de la conférence - de faciliter le travail des organisations de distribution de l’aide humanitaire ; - de permettre la liberté de mouvement de tous les Somaliens afin de présenter une mesure de reconstruction de la confiance avant la réunion de la Conférence de réconciliation nationale. Deux accords complémentaires sont conclus le 15 janvier. Le premier porte sur le groupe de contrôle du cessez-le-feu et sur les modalités du désarmement. Le désarmement doit être général avec cantonnement des groupes armés hors de la ville, remise des armes lourdes aux forces des Nations unies et mise en place d’un Cease-fire monitoring group composé de Somaliens et chargé d’assurer le contrôle du processus. Maxamed Ramadaan Arbow
SAMO
Maxamed Faarax Asharo
SDA
Cabdi Muuse Mayyow Maxamed Nuur Yalaxoow
SDM
Cali Ismaaciil Cabdi Giir
SNDU
Cumar xaaji Maxamed Xirsi Masalle Maxamed Raagis Maxamed
Somali African Muki Organisation
Bantou
Somali Democratic Alliance
Gadabuursi
Somali Democratic Movement
Raxanweyn
SDM/SNA
Somali National Democratic Union
SNF
Somali National Front
Mareexaan
SNU
Somali National Union
Benaadiri
Somali Patriotic Movement
Ogaadeen
Axmed Cumar Jees Aadan C/laahi Gabiyow
SPM/SNA SPM
Maxamed Abshir Muuse
SSDF
Somali Salvation Democratic Front
Majeerteen
Cabdi Warsame Isxaaq
SSNM
South. Somali National Movement
Biyomaal
Maxamed Qanyare Afrax Maxamed Faarax Caydiid
USC USC-SNA
United Somali Congress
Hawiiye
Cabduraxmaan Ducaale Cali
USF
United Somali Front
Ciise
Maxamed Cabdi Xaashi
USP
United Somali Party
Harti
Les 15 signataires des accords des 8 et 15 janvier 1993 Le second, un document en sept points, porte sur la mise en place d’un Comité ad hoc dont la première réunion est fixée au 22 mars et qui sera chargé de discuter des conditions de participation à la conférence et d’en rédiger l’ordre du jour. Ce comité comprendra sept délégués dont deux représenteront la SNA et cinq les autres factions. La SNA obtient le
droit de changer ses représentants au comité selon son choix après chacune des réunions. En plus des représentants des quatorze mouvements politiques présents en ce début janvier, des représentants des notables, des associations de femmes, des intellectuels, des hommes d’affaires et des chefs religieux seront conviés1. Alors que certains diplomates occidentaux espéraient que la future conférence débattrait d’un gouvernement intérimaire, le général Caydiid annonce, le 16 janvier, qu’elle devrait avoir pour but la formation d’administrations régionales et non celle d’un gouvernement central, concept dont il ne pourrait être discuté qu’en dernier ressort.2 Car Caydiid se sent fort. Assez serein vis-à-vis d’Oakley et du général Johnston qu’il juge sur le départ, il s’en montre plus amène à l’égard des États-Unis. Ses réserves demeurent à l’encontre de Ismat Kittani et de l’ONUSOM I, supposés normalement rester en Somalie. Encore que même à l’égard de l’ONUSOM dont les effectifs sont gelés, il poursuit maintenant une idée ébauchée naguère auprès de Muḥammad Saḥnūn, et qui pourrait instrumentaliser l’imminent départ de l’UNITAF. Aussi cherche-t-il à convaincre le général Imtiaz Shaheen de l’intérêt qu’il y aurait à transformer ses milices en une force de police. Consolidant ainsi l’emprise de la SNA sur le pays, une telle opération lui permettrait aussi l’économie de leur entretien.
Incident Ciise et luttes au sein de l’USF Mais un autre événement se déroule au cours de la conférence d’Addis Abäba, indirectement lié à cette dernière, mais qui atteste celui-là de l’imbrication des fragilités régionales. Outre les théâtres somaliens demeurent en effet une somme d’incertitudes : reconstruction de l’Éthiopie, indépendance érythréenne, guerre civile à Djibouti. Or c’est la représentation des Ciise de l’USF à la conférence des factions somaliennes qui vient inopinément poser un problème. Un problème qui une fois encore met en exergue les activités du pouvoir djiboutien à la périphérie somalienne. Un mois plus tôt en effet, entre le 13 novembre et le 15 décembre, le comité central du front s’était réuni à Seylac pour désigner son président. Cali sheekh Ibraahin Araaye [Abgaal/Odaxgob/reer Geddi] avait été élu à la place de Cabduraxmaan Ducaale Cali [Abgaal/ Odaxgob/reer Kool], membre du même reer, de la même famille élargie, que le précédent ministre djiboutien des Affaires étrangères, Moumin Bahdon Farah, récemment déplacé à la Justice. Alors que celui-ci est proche du pouvoir, le nouvel élu se situe dans la
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L’accord est intégralement rapporté in Progress report of the SG S/25168 du 26 janvier 1993 2 LOI n°559, 23 janvier 1993
mouvance de Aden Robleh Awaleh [som. Aadan Rooble Awaale], dirigeant du Parti national démocratique (PND), parti d’opposition1. Or lorsque Cali sheekh Ibraahin tente de se rendre à Addis Abäba pour assister à la conférence sur la Somalie, les protecteurs djiboutiens de son rival tentent tout d’abord de l’en empêcher. N’y parvenant pas, ils dépêchent un de leurs hommes de main, un ex-marin de l’armée française, qui organise son arrestation dans la capitale éthiopienne. C’est ainsi que dès son arrivée, Cali Araaye est emprisonné sous un prétexte fallacieux pour n’être libéré que quatre jours plus tard, à quelques heures de la fin de la conférence, avant d’être expulsé vers Deré Däwa. Cette diversion permet à Cabdiraxmaan Ducaale Cali de représenter l’USF, confirmant à la fois les visées du pouvoir djiboutien sur le destin de la région Ciise et les luttes d’influence menées au sein de ce petit parti par les familles odaxgob.2 Nul ne doute que le véritable maître du jeu au sein du petit front ne soit autre que le directeur de cabinet du président djiboutien, Ismaël Omar Guelleh, dont la milice personnelle est très investie en territoire somalien. L’activité subversive de Djibouti marquera cependant une longue pause avec l’éclatement de la révolte ʿafar du FRUD à partir de novembre 19913. Celle-ci entraîne une diminution de la capacité opérationnelle de l’USF en tant que mouvement somalilandais. De nombreux miliciens sont en effet maintenant mobilisés au service des forces armées djiboutiennes et, avec d’autres mercenaires, engagés dans la lutte contre les insurgés. Il faut observer enfin que dans le contexte global des ambitions Ciise, l’IGLF éthiopien continuera aussi à entretenir une forme de nationalisme et, partant, un climat de confrontation avec ses voisins ʿAfar et Oromoo qui se fera sentir jusqu’à Djibouti. Ainsi, en juillet 1991, alors que le pouvoir vient de s’effondrer à Addis Abäba, plusieurs affrontements entre membres de l’Oromo Liberation Front (OLF) et de l’IGLF ont lieu dans la région de Deré Däwa. Le 9, après un rassemblement oromo tenu dans un stade, les participants se déplacent vers les quartiers Ciise de la ville où a été arboré un drapeau djiboutien. Un premier accrochage fait huit morts. Lorsque les forces de l’EPRDF nouvellement au pouvoir s’interposent, sans ménagement, quinze autres personnes 1
L’USF élit également alors un nouveau comité exécutif de sept membres composés entre autres de Maxamed xaaji Cali Xasan, son porte-parole extérieur établi à Jedda, de Shide Axmed Rooble, secrétaire à la Défense, et de Maxamed Cismaan Cali, Secrétaire général. 2 LOI n°563, 20 février 1993 3 Le 11 mars 1991, une alliance rassemblant quelques membres de deux anciens mouvements afar proscrits, le Front démocratique de libération de Djibouti (FDLD) et le Mouvement populaire de libération (MPL) s’est constituée à Djibouti sous le nom de Action pour la révision de l’Ordre à Djibouti (AROD), (du terme afar arod désignant « le fait de récupérer des forces après la disette »). Le 12 août, à Balḥo près de la frontière éthiopienne, les trois fronts s’uniront officiellement en un Front pour la Restauration de l’Unité et de la démocratie (FRUD)
sont tuées. Les miliciens oromo se replient alors vers Harär tandis que les Ciise se dirigent vers Shinilé1 au nord de la ville. A la suite de ces incidents, à Djibouti, les forces de sécurité djiboutiennes interpelleront les Oromoo éthiopiens qui, les 11 et 12 juillet, seront victimes de représailles de la part de la population. Finalement, ces événements contribueront à entretenir la discorde au sein du lignage Ciise car seule une fraction minoritaire de l’IGLF soutient en réalité le régime du président djiboutien. Cette évolution est due au fait que l’ugaas Xasan Xirsi, qui vit à Deré Däwa2, et surtout son fils, sont préoccupés par la situation de leur communauté en Éthiopie où elle doit trouver sa place dans l’ensemble somali qui résiste à l’expansion du nationalisme Oromoo. Or la préoccupation pérenne des Ciise d’Éthiopie est le contrôle de Deré Däwa, deuxième ville du pays, située sur le chemin de fer et capitale du commerce du qaad et de toutes les contrebandes. À cet effet, l’ugaas compte sur une entente avec les Amhara eux-mêmes menacés, souvent physiquement même, par les Oromoo et sur l’aide de certains groupes somalis comme le front Horyaal, organisation Gadabuursi éthiopienne qui ne les appuiera qu’à condition que l’IGLF lâche Djibouti dont la politique clanique expansionniste est explicitement dénoncée dans leur programme.
L’UNITAF A KISMAAYO Quand à la fin de l’année 1992, les Forces américano-belges de l’UNITAF ont bloqué l’offensive de Moorgan en direction de Baydhabo, celui-ci s’est replié à la périphérie de Kismaayo et vers les régions limitrophes du Kenya. Maintenant, tandis que se déroulent les conversations à Addis Abäba, les événements paraissent devoir évoluer autour du port tenu par le SPM de Cumar Jees.
L’intérêt stratégique de Kismaayo [I/II-1993] Kismaayo est l’une des cités clés de la Somalie qui tout au long de ses 3 000 km de côtes ne dispose que de trois sites portuaires naturels 3. Cette importance s’inscrit dans plusieurs registres. Au plan commercial, son port protégé fournit un des rares endroits qui, Muqdisho mis à part, peut en sûreté, avec le matériel nécessaire et les personnels compétents, charger ou décharger un bateau de grande taille. Au plan militaire, sa relative proximité de la capitale et sa position géographique lui donnent la maîtrise de l’ensemble des axes de communication dans le sud de la Somalie. Ce faisant, il peut contrôler toute force militaire qui tenterait de se déployer dans la région de la vallée de la Jubba. Politiquement, la ville a une force symbolique largement utilisée dans les actions de 1
Shinilé [amh. ሺኒሌ፥ šinilé] [som. Shiniile] est situé en pays Ciise, à une trentaine de kilomètres au nord de Harär, sur la ligne de chemin de fer. 2 [amh. ድሬ ፡ ዳዋ፥ deré däwa] 3 Berbera au Somaliland, la rade de Hurdiyo au raas Xaafuun et Kismaayo.
propagande. D’un point de vue humanitaire enfin, le libre accès à Kismaayo est critique pour les opérations des ONG dans le Sud somalien. Son contrôle par la moindre faction hostile y interrompt en effet toutes leurs activités. C’est pourquoi, hors les ONG qui n’ont besoin que d’un accès libre à la cité, les deux factions en attendent davantage, notamment que son interdiction à la faction adverse favorise l’étouffement de celle-ci. Stratégiquement, Kismaayo est ainsi devenu le deuxième enjeu majeur de la guerre civile.
L’attaque de Kismaayo par Moorgan [25. I-1993] Lorsqu’au terme de la conférence d’Addis Abäba Maxamed Caydiid rentre à Muqdiho, il y reçoit la confirmation que Maxamed Moorgan s’apprêtait à lancer une attaque visant à s’emparer de la ville. Au même moment en effet, celui-ci a déclaré qu’il ne respecterait le cessez-le-feu qu’après avoir repris Kismaayo à son adversaire, le port revenant selon lui aux Harti et à son clan. Un tel discours fragilise d’emblée l’accord sur le désarmement des milices, sauf à voir les forces internationales endosser les tâches sécuritaires naguère assurées par les milices elles-mêmes. Mais en dépit de la menace, la SNA prend le parti de jouer le jeu et de rassembler comme convenu les armes dans les camps où l’ONUSOM doit aider à la réintégration sociale des miliciens. À Kismaayo qui a déjà changé deux fois de mains au cours de l’année 1992, Cumar Jees accepte donc de rassembler les miliciens de sa faction SPM et leurs armes dans les sites1 prévus à cet effet sous le contrôle de la coalition. Quant à Moorgan, il lui a aussi été assigné un site de regroupement de ses armes lourdes et de sa milice à Dhoobley sous contrôle américain. Bien que son autorité sur la coalition Darood du Sud souffre de nombreuses fragilités, Moorgan en reste le meilleur chef de guerre. Sous ses ordres sont rangés les miliciens Mareexaan du Geedo mais aussi la plupart des Darood établis dans et autour de Kismaayo. Or cet ensemble est financé par les hommes d’affaires somaliens établis à Nairobi. Parmi eux figurent de nombreux Mareexaan venus du Geedo qui, sous Siyaad Barre, ont largement investi avec la complaisance du gouvernement le secteur des affaires et celui du commerce dans le grand port méridional. Parmi eux figurent aussi les Harti qui depuis plus d’un siècle maintenant y sont établis. Tous attendent de pouvoir regagner Kismaayo et jugent justifiée toute action armée visant à les remettre aux affaires. Ici Moorgan et ses compétences militaires se trouvent au carrefour des intérêts des clans. Conscient de sa supériorité numérique et comptant sur la frilosité de Restore Hope, il s’apprête donc à lancer une opération contre les forces de Cumar Jees cantonnées au nord-ouest de la ville. 1
Ammunitions and Weapons Storage Sites (AWSS)
Par la conquête du port de Kismaayo, hors les avantages économiques octroyés par le site, le SNF cherche aussi un accès à la mer inscrit dans la logique de partition de la Somalie qui s’installe maintenant. Moorgan est un Majeerteen et ses troupes comprennent de nombreux Ogaadeen. Son projet viserait à fonder une entité territoriale à cheval sur le sud de l’Ogadén éthiopien et les provinces somaliennes du Baay, du Geedo et de la Jubbada Hoose, une visée en concurrence directe avec le contrôle que le colonel Cumar Jees envisage sur la zone sud de la Somalie. C’est pourquoi le lundi 25 janvier à Kismaayo, après un week-end agité, les forces américaines et belges sont conduites à prendre à partie un élément des forces du général Moorgan. Sommées par radio d’évacuer leurs positions de Beer Xaani, à 40 km au nord-est de la cité, celles-ci ont délibérément ignoré l’injonction, conduisant la Force multinationale à tirer des coups de semonce dans l’espoir que les miliciens allaient déposer leurs armes et se retirer. Ripostant bien au contraire, les troupes de Moorgan endommagent légèrement un hélicoptère américain avant que les quatre Cobra n’ouvrent le feu et délivrent leurs roquettes, appuyés par les canons de 30 mm du 3e régiment de parachutistes belges. L’attaque permet de détruire six technicals, un transport blindé de troupes et quatre pièces d’artillerie. Les troupes belges pénètrent aussitôt dans le village, stoppant les forces du général Moorgan dans leur avancée sur Kismaayo. Le 1er février, les forces américaines attaquent à nouveau les miliciens du SNF dans un accrochage sans lendemain. Attentif à pousser plus loin son avantage en profitant au maximum des moyens de la coalition, Maxamed Caydiid demande une poursuite de l’intervention de la force multinationale à l’encontre des miliciens du SNF qu’il accuse de violer le cessez-le-feu. À juste titre, il fait valoir que le SNA, donc le colonel Cumar Jees qui tient Kismaayo, ont remis une grande partie de leurs armes à la force multinationale et qu’il n’est plus de ce fait en mesure de s’opposer à l’avance de son adversaire. Mais celle-ci, tenue par son mandat, se garde néanmoins d’en faire davantage. A Kismaayo, le colonel qui commande le détachement belge1 rencontre en revanche les notables de la ville qui sollicitent le prêt de haut-parleurs afin de pouvoir s’adresser à la population qu’ils prétendent maintenant rassurer et calmer. C’est tout autre chose qui se prépare en réalité.
Nouvel assaut de Moorgan [22/24. II-1993] La situation en effet se tend à nouveau à la fin du mois de février quand, six jours avant le désengagement des Américains qui doivent laisser derrière eux la position au contingent belge, Moorgan et 150 de ses miliciens parviennent sans armes dans la nuit du 21 au 22 février à 1
Dans le secteur de Kismaayo où les Américains déploient environ un millier d’hommes, 587 Belges sont placés sous le commandement du colonel Marc Jacqmin.
s’infiltrer jusqu’aux abords de la ville. Ce sont en effet des femmes et des enfants qui ont acheminé l’armement, entreposé dans des caches octroyées par quelques commerçants de Kismaayo1. Dans la nuit, ceuxci facilitent aux miliciens la récupération des armes. Nul n’a été prévenu de leur mouvement. Ils ont traversé les 150 km qui les séparaient de la frontière avec une telle célérité que courent les rumeurs les plus fantaisistes. La plus extravagante évoque l’improbable mise en place d’une avant-garde sur le bord de mer, suivie d’un héliportage à partir de trois hélicoptères à partir du Kenya et de l’atterrissage près de l’aéroport d’un contingent plus conséquent. En fait, ils n’ont eu aucune peine à déjouer la surveillance des contingents belge et américain. Déployés le jour dans la ville et dans la région, ceux-ci en revanche sont repliés pour la nuit dans leur périmètre de sécurité2 et donc aisément pris au dépourvu. Toujours est-il que les quelque 3 000 membres du lignage de Cumar Jees, dont son père, n’ont d’autre choix que de s’enfuir en direction de Jilib tandis que ses miliciens auxquels ne restent que leurs armes légères entreprennent de contenir les forces de leurs adversaires. Le lendemain 22, les combats se poursuivent. Le général Robert Johnston lance alors un ultimatum au SNF donnant à tous ses combattants – y compris ceux qui ne sont pas engagés à Kismaayo - jusqu’au jeudi 25 février avant minuit pour regagner avec leurs armes la zone de cantonnement qui leur a été assignée près de Dhoobley, précisant que toute arme qui se trouverait alors en dehors de celle-ci serait confisquée ou détruite. Choisissant de prendre l’Américain de vitesse, Moorgan ignorant l’injonction lance en début de soirée une soixantaine de Somaliens à l’attaque des éléments belges installés près de l’aéroport où l’UNITAF tente de protéger ses propres installations, de renforcer la surveillance des dépôts et de protéger la population. Pris sous le feu, les Belges chargés de la protection des bâtiments de la Croix-Rouge et de certaines ONG ainsi que ceux qui sont déployés au commissariat de police, à l’aéroport, aux entrepôts et sur les carrefours d’accès à la ville n’hésitent pas à riposter. Malgré cela, ils ne sont en mesure ni d’improviser de véritables actions de police, ni de séparer les belligérants. De violents affrontements se poursuivent encore dans la nuit de lundi à mardi.
Manifestations SNA contre l’opération internationale [24/27.II-1993] Or depuis qu’il a dû également faire face, le 1er janvier, aux clans Muruursade qui tentaient en vain de reprendre le territoire contrôlé par les Habar Gidir, ainsi qu’aux Majeerteen qui leur disputent Gaalkacyo, Caydiid n’a que peu de solutions à apporter à Kismaayo en soutien du SPM-Jees. 1
Siyaad Barre a naguère favorisé l’implantation des commerçants et des hommes d’affaires Mareexaan à Kismaayo, registres d’activité où ils côtoient les Harti. 2 Les périmètres du port et de l’aéroport de Kismaayo.
Sa colère n’en est que plus grande, aussi prend-il le parti de l’exprimer en enregistrant, le 23, à Radio Muqdisho une vive condamnation de l’inaction de l’UNITAF qui avait permis à Moorgan d’infiltrer ses troupes à l’intérieur de Kismaayo. Il appelle ses soutiens à exprimer dès le lendemain leur mécontentement et leur esprit de résistance contre les étrangers par des manifestations sans violence contre l’ONUSOM et les Américains. Tôt le matin suivant à Muqdisho, l’UNITAF installe des barrières le long des routes où une foule importante défile portant des banderoles hostiles, lançant des pierres et criant des insultes. Le défilé se termine sans incident majeur et sans coup de feu. Le lendemain en revanche, les partisans du général Caydiid se rassemblent devant plusieurs ambassades. Deux cents d’entre eux attaquent la représentation française qui après deux heures d’encerclement est dégagée par l’arrivée de blindés américains. Des incidents identiques se déroulent en plusieurs points de la capitale. L’ambassade d’Égypte est mise à sac. La manifestation prend de l’ampleur dans la nuit. Des véhicules américains sont lapidés, les rues de la capitale bloquées par des barrages de pneus enflammés. Le début d’évacuation annoncé des troupes américaines et l’impression de flottement que donne la relève des Nations unies renforcent les positions des manifestants. Tout ceci permet de mesurer à quel point le succès humanitaire de l’opération s’accompagne d’un échec politique. Inquiet de la tournure que prennent les événements, Robert Oakley réagit le 24 février en reprenant à la BBC et à la Voice of America, l’ultimatum par lequel il a été donné 48 heures à Moorgan pour retirer ses troupes de Kismaayo, ajoutant que l’attaque était en violation flagrante du cessez-le-feu et des accords de désarmement récemment conclus à Addis Abäba. Ceci ne suffit pas cependant à calmer Caydiid qui demeure extrêmement critique à l’encontre de Oakley, de Johnston ainsi que de l’officier supérieur des Marines en place à Kismaayo. Martelant qu’il avait depuis longtemps prévenu l’UNITAF des intentions de Moorgan, il affirme non seulement que celle-ci n’avait rien entrepris pour la prévenir1 mais que d’autres renseignements qui lui étaient parvenus laissaient entendre que les Américains avaient en l’occurrence joué un étrange double jeu. Il lui paraît évident qu’une grande partie des éléments de Moorgan vont maintenant se fondre dans Kismaayo avec la complicité passive des Américains présents. Il faut dire qu’en effet le même jour, 73 membres du SNF sortent du quartier général de l’UNITAF avant de quitter la cité. Face à une situation qui menace de dégénérer, le Pentagone qui ne veut pas quitter la région aussi longtemps que la situation n’est pas sous contrôle diffère le premier retrait de 3 000 Marines prévu2. Ces 1 2
Reuter, mardi 23 février 1993 Sur les 18 000 soldats américains engagés dans l’opération.
affrontements retardent donc aussi la passation de pouvoirs entre commandements américain et belge, jusqu’alors prévue se dérouler le 27 en présence du chef d’état-major de l’armée belge, le lieutenant général Charlier. C’est pourquoi le 25, conformément à l’ultimatum et après avoir encore une fois sommé les troupes de Moorgan de se retirer, les hélicoptères de l’armée américaine et les forces belges au sol passent à l’attaque. La plus grande partie de l’armement lourd du SNF est détruit et son chef contraint à se replier. Mais cette complaisance de Robert Oakley trouve très vite ses limites. Bien qu’ayant dans un premier temps souscrit à la requête de Caydiid, le Représentant spécial des États-Unis est amené à revenir sur son engagement. Si les soldats américains sont soucieux de ne pas avoir à souffrir de pertes dans les dernières semaines de leur mission, le mandat du Conseil de sécurité exclut l’usage de l’Article VII en dehors des opérations d’aide humanitaire. Or la poussée inattendue de Moorgan en direction de Kismaayo n’entre pas dans ce scénario aussi la coercition ne s’exerce-t-elle qu’a minima. Le jeudi 26 février, des réunions avec les notables ainsi que des entretiens séparés avec le général Moorgan et le colonel Cumar Jees sont organisés afin de détendre la situation. Le calme se réinstalle le lendemain. Les Américains qui ont reçu le renfort d’un bataillon estiment qu’un tiers environ des troupes du général Moorgan infiltrées dans la ville ont maintenant répondu à l’ultimatum et se sont rendues aux forces coalisées. Le vendredi soir, 71 miliciens remettent encore leurs armes à l’UNITAF. Ils rejoignent les soixante qui se sont rendus la veille et ont été acheminés vers le camp de Dhoobley sous le contrôle de l’armée américaine. Les ONG qui dressent un bilan sommaire font état d’une centaine de morts au cours des affrontements et attestent de nombreuses exécutions sommaires. Une « ligne verte», démarque maintenant les espaces contrôlées par les deux partis. Le colonel Jacqmin s’entretient une nouvelle fois avec les deux chefs de clans en vue de les convaincre de contenir leurs troupes et s’emploie également à trouver un règlement pour la restitution des armes lourdes. Car c’est bien à l’officier belge qu’il revient maintenant de gérer le secteur. Le 5 mars la relève de la compagnie américaine basée à Bandar Salaan, au sud de Jilib1 scelle le désengagement américain du secteur de Kismaayo. Le colonel Marc Jacqmin relève ainsi le général américain Lawson Macgruder au commandement opérationnel de l’ensemble du secteur sud de la Somalie. Avant de remettre le contrôle de la ville de Kismaayo aux troupes belges, les troupes américaines demandent au SPM-Jees de cantonner son équipement lourd et son artillerie à 150 km au nord de cette ville. Une décision qui contribue à attiser à Muqdisho les manifestations d’hostilité à l’encontre des forces internationales qui, aux yeux des partisans du général Caydiid, ont été défaillantes. En effet l’occupation de la ville de Kismaayo peut à tout moment être remise en 1
Il existe également un Bandar Salaam dans le Geedo, à l’ouest de Baardheere.
cause par les troupes de Moorgan qui, toujours positionnées dans l’arrière-pays, restent prêtes à profiter de tout intérim militaire pour tenter leur chance, en particulier grâce au soutien de la population locale composée en majorité de Harti et qui lui est a priori acquise.1 In fine, la tournure prise par les événements revient à livrer Kismaayo au SNF bien que ses forces ainsi que celles de Cumar Jees aient été enjointes de quitter une cité où ce sont les Mareexaan et les Harti alliés de Moorgan qui peuvent reprendre tranquillement leurs activités. Mais c’est surtout le contretemps survenu avec Oakley qui restera sur le cœur de Caydiid. À l’instar des autres chefs de factions, il mesure combien un désarmement prématuré pourrait les conduire au désastre pour peu qu’en contrepartie, les forces étrangères n’assurassent pas leur sécurité. En attendant, la vie reprend. Les escortes de convois par l’UNITAF se poursuivent. La Force navale procède même au balisage du port de Kismaayo et y installe un radar afin de faciliter les approches et la navigation. Une reconnaissance des fonds marins est effectuée en vue d’améliorer l’accès du port aux navires transportant de l’aide. Les choses paraissent momentanément se calmer.
Nations unies : la volonté de reprendre le contrôle des opérations Mais au plus grand dam également de Kittani et de Boutros Ghali, il est clair que la force déployée sous commandement américain ne souhaite être engagée dans aucune saisie d’armes par la force. Cette propension des États-Unis à éviter tout engagement de leurs soldats conduit à des situations très différentes de ce qu’en attendaient le Secrétaire général et son Représentant spécial. Une affaire en particulier met en émoi le Secrétaire général et son Représentant spécial quand, après qu’une cache d’armes appartenant à Cismaan Caato a été découverte par un lieutenant des Marines près de l’ambassade américaine, celui-ci refuse de s’en saisir. Le porte-parole des Marines dont les ordres sont clairs déclare en effet sans vergogne : « nous ne sommes pas là pour procéder au désarmement ». Le Secrétariat se dit dès lors qu’il était temps pour les Nations unies de reprendre la main. Rien n’étant satisfaisant à défaut d’être clair entre l’UNITAF et les Nations unies, New York décide de lancer sous un format nouveau une seconde mission en Somalie. Le 3 mars 1993, le Secrétaire général adresse au Conseil de sécurité un rapport au fil duquel il propose qu’il soit confié à l’ONUSOM un mandat couvrant l’ensemble du territoire somalien et exécuté sous Article VII de la charte. Ce mandat plus large confié à la future ONUSOM II stipulera que l’opération devra « sécuriser les efforts de secours de façon pérenne
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LOI n°566, 13 mars 1993
et, de manière plus significative, restaurer la paix et reconstruire l’État somalien et son économie »1.
LA SITUATION DANS LA REGION INTERFLUVE Mais avec le déploiement de Restore Hope, des comportements nouveaux se sont aussi dessinés dans la région interfluve. L’arrivée de l’UNITAF change pour les Raxanweyn et les Digil le regard qu’ils portent sur leur propre situation en leur laissant accroire désormais à une protection plus puissante qui les mettrait à l’abri des appétits des factions. C’est pour cette raison qu’à partir de la fin 1992, la tendance Caydiid perd peu à peu de son audience. La désaffection se déroule en deux temps. Dans un premier temps l’intérêt se déplace au profit de Cali Mahdi qui d’emblée s’est inscrit dans une logique d’acceptation de l’intervention internationale. Le 6 janvier 1993, Cabdi Muuse Mayyow déclare à son aplomb en soutenir le principe avant, deux jours plus tard, de demander aux miliciens de Caydiid de quitter le territoire Raxanweyn. L’animosité s’accroît alors ostensiblement entre les deux courants qui composent le SDM dont l’un déclare n’avoir aucune troupe et aucun armement lourd tandis que le second revendique 10 900 combattants. Dans un deuxième temps, après le déploiement de Restore Hope, le monde Raxanweyn Digil tend à se rapprocher du point de vue des chefs traditionnels. Ceux-ci sont devenus les interlocuteurs privilégiés des forces de l’UNITAF déployées sur le terrain. Une relation de bonne qualité s’installe avec les nouveaux venus aussi les notables en profitent-ils pour reprendre leur place dans un discours dont – contrairement à ce qui s’est passé dans le Nord du pays – ils avaient été résolument exclus. Grâce à leurs nouveaux interlocuteurs, partie non prenante des intérêts des clans, l’idée d’un parti Raxanweyn Digil neutre et indépendant des alliances se trouve relancée dès la fin janvier. Ces situations fragilisent la SNA de Caydiid qui met tout en œuvre pour entraver l’action de l’ensemble des modérés. C’est ainsi que le 23 février, la réunion prévue à Baydhabo est annulée après que la veille, Maxamed Nuur Yalaxoow l’a déclarée illégale. Les notables pourtant ne désarment pas. Ils décident de la reporter et de n’en communiquer la date qu’au dernier moment afin d’éviter qu’elle ne soit perturbée. Elle se déroule finalement le 27. Très agitée, Maxamed Nuur Yalaxoow et Cabdi Muuse Mayyow s’y opposent ouvertement au point que ce dernier déclare se retirer finalement d’un SDM où le SDM-SNA crée une situation dans laquelle il dit décidément ne pas se reconnaître. En revanche, il souscrit à un communiqué commun diffusé par Cali Mahdi
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Rapport du Secrétaire général soumis en référence aux § 18 et 19 de la Résolution 794. S/25354 du 3 mars 1993 et addenda S/25354/Add.1 du 11 mars 1993 et S/25354/Add.2 du 22 mars 1993.
et condamnant la politique de Caydiid « qui refuse toute coexistence des partis et les encourage à la violence contre la coalition ».
Le congrès de Doonkay et la réémergence du non-alignement [7/10.III-1993]
À une semaine de la conférence d’Addis Abäba, du 7 au 10 mars 1993, un nouveau colloque réunit le SDM à Doonkay, au nord-ouest de Baydhabo. Cette réunion procède d’un double objectif : tenter encore une fois de rassembler les deux courants et préparer la conférence d’Addis Abäba. Parmi les 350 participants, on remarque l’absence de Maxamed Nuur Yalaxoow et du SDM-SNA, la présence du SDM-Asali en dépit de l’absence de Cabdulqaadir Maxamed Aadan Zoppe, et surtout une importante représentation de chefs traditionnels avec à leurs côtés les partisans d’un mouvement non aligné. Cette réunion donne également lieu à l’élection d’un nouveau bureau au sein duquel le SDMSNA ne trouve plus sa place désormais. De nouveaux personnages font en revanche leur apparition parmi lesquels : - xaaji Maxamed Cali Xamid, le nouveau président, un Jelible de Tiyeegloow. Ministre d’État de Cali Mahdi dans son gouvernement de 1991, il en a démissionné le 4 février 1992 pour se consacrer à la direction de l’orphelinat de Baydhabo ; - Maxamed Macallin Xasan, un Digil, premier vice-président ; - Cabdullaahi Maxamed Idris Lesto, conseiller de l’ancien chef de la sécurité de l’aéroport de Baydhabo – et accessoirement organisateur des principaux rackets locaux – est élu second vice-président ; - Yuusuf Macalin Amiin Baadiyow, dont chacun remarquera la parfaite éducation anglaise, assure le secrétariat général. Un nouveau comité de 153 membres est également élu, appelé à son tour à ultérieurement choisir les membres du comité exécutif.
Caydiid et la problématique du SDM À l’instar de Kismaayo, cette affaire encore ne fait pas celles du général Caydiid dont les réactions se font immédiatement entendre sur les ondes de Radio Muqdisho par l’intermédiaire du Secrétaire général du SDM-SNA, Aadan Cismaan Cabdi, qui déclare que : «.. Ces derniers temps des mercenaires se disant œuvrer pour la cause du SDM sont apparus et organisent des réunions en vue de diviser les partisans du mouvement ».
Caydiid lui-même ne cache pas son inquiétude face à l’affaiblissement du SDM-SNA au sein de l’alliance. Une telle situation conjuguée avec les événements de Kismaayo ne peut que l’inquiéter, car elle fragilise d’autant sa position dans le Sud somalien qu’il n’en est pas originaire et que son allié Cumar Jees est lui-même en difficulté. Courant désormais le risque de voir toute la partie sud de la Somalie lui échapper, le général se retrouverait ipso facto relégué à la simple dimension des
autres chefs de factions, voire dans le seul espace géographique de son propre lignage. Certes, on n’en est pas encore là. Caydiid a aussi observé que si le SDM et les Nations unies étaient conscients de l’atout représenté par l’espace Raxanweyn Digil dans les domaines du rapport de forces et du contrepouvoir, au moment où le 15 mars s’ouvre la conférence d’Addis Abäba, le mouvement s’y présente encore en ordre dispersé. Mais il ne peut ignorer non plus que, sur le terrain, les clans espèrent qu’une ONUSOM II aura les moyens de poursuivre le travail de normalisation entrepris par Restore Hope. Or si tel était le cas, il est déjà évident que la base politiquement peu combative des communautés de l’interfluve chercherait à entretenir de bonnes relations avec les forces alliées qui lui assureront la paix et une relative prospérité1. L’opération Restore Hope s’achèvera officiellement le 26 mars 1993 tandis que l’opération ONUSOM II succédera à ONUSOM I. Durant les huit mois qu’aura duré cette dernière, 54 observateurs militaires et 893 militaires auront servi sous le Casque bleu, soutenus par quelques personnels internationaux civils et des locaux. Son coût aura approximativement été de 43 millions de dollars. La mission aura compté sept morts, accidentels pour la plupart. Si elle n’a rien changé à la situation politique dans le pays, Restore Hope aura rempli son mandat de sécurisation des approvisionnements humanitaires sous le commandement serein du général Robert Johnston et en dépit des faiblesses d’un appareil des Nations unies devenu à la fois impatient et inopérant après le départ de Muḥammad Saḥnūn. Un tout autre scénario se met maintenant en place. Les conceptions de l’ordre international avancées par le Secrétaire général des Nations unies seront mises en oeuvre par une opération où la méconnaissance du milieu par l’Organisation entrera en synergie avec l’arrogante puissance des États-Unis. Dès lors, la Somalie du Sud perdra pour longtemps toute chance de venir à bout de ses contradictions et de ses désordres, donc de se reconstruire dans des délais acceptables.
1
Un groupe de 450 hommes dont relèvent les gardes engagés par les ONG continueront toujours à suivre à proximité de Baydhabo un entraînement militaire.
X II – 1993 : REPLI DE L ’UNITAF ET MISE EN PLACE DE L ’ONUSOM II
Avant même que, dans le Nord, n’ait commencé à Boorama le processus de réconciliation somalilandais, le général Caydiid entreprend de préparer la deuxième réunion d’Addis Abäba dont on espère qu’elle contribuera à normaliser la situation dans le Sud somalien. Cette conférence doit se dérouler concomitamment à la reprise de l’intervention internationale sous couvert d’une seconde intervention des Nations unies, ONUSOM II, dont le principe progressivement s’impose. En effet, si Restore Hope a largement amélioré le contexte humanitaire en Somalie, il reste qu’au plan politique l’échec de l’UNITAF est patent. Sur trois théâtres, les combats perdurent de façon plus ou moins sporadique : à Muqdisho, à Kismaayo et dans la région de Gaalkacyo, aux confins des pays Hawiiye et Majeerteen.
LE GOUVERNEMENT CALI MAHDI FACE A L’ENTREPRENANT CAYDIID Tandis que la société internationale s’interroge encore sur la stratégie à adopter, les factions somaliennes poursuivent sans états d’âme leurs propres desseins. Très attentives à louvoyer au mieux entre les contraintes induites par la présence internationale, chacune identifie surtout l’incapacité des Nations unies à imposer une solution. Il reste toutefois qu’elles sont là et semblent se préparer à rester. Il convient donc de s’adapter à cette excroissance qui dans un an ou dans dix finira bien par s’en aller.
La Somali Salvation Alliance C’est ainsi que pour peser dans une balance qui donne encore le meilleur plateau à Caydiid, les factions regroupées autour de l’USCMahdi se rassemblent le 21 novembre 1993 en une alliance qui se fait reconnaître sous l’appellation de Somali Salvation Alliance (SSA). Le sigle ne fera guère recette ; toujours est-il que cet USC-SSA correspond à une coalition formée de manière informelle au cours de la première moitié de 1992 dans les districts de Muqdisho contrôlés par Cali Mahdi. Plus fournie que celle de son adversaire, elle est aussi de nature plus volatile que la SNA de Caydiid. C’est pourquoi ce rassemblement évolue au gré du temps et des circonstances. Mais il faut la considérer selon un double aspect, structurée à la fois autour de certaines personnalités politiques ou gens d’affaires, en fonction de leurs loyautés et de leurs défections et autour de partis représentant la plupart du temps des intérêts claniques. S’en réclamera ainsi, au fil des recompositions d’alliances, une pléthore de mouvements tout à fait disparates : - L’USC des Hawiiye Abgaal de la faction de Cali Mahdi Maxamed, cœur de l’Alliance ; - la faction du SPM-Gabiyow des Ogaadeen Cawlyahan; - les partisans du SNF proches du général Cumar Masalle ; - la faction du Somali Democratic Movement (SDM) de Cabdi Muuse Mayyow [Raxanweyn/Bah Geda (Begedi)] ; - la Somali African Muke Organisation (SAMO). La SAMO cherche à défendre les intérêts des populations d’origine bantoue des rives des fleuves ainsi que les populations d’origine arabe de la côte. De facto, elle rassemble l’ensemble des populations minoritaires qui ne sont pas structurées par le système clanique somali. Le parti, présidé par Maxamed Ramadaan Arbow, a aussi créé une petite milice ; - le Somali Salvation Democratic Front (SSDF) Majeerteen ; - La Somali African National Union (SANU). La SANU est un parti politique ancien, fondé en 1956 et qui représentait le reer Xamar, population d’origine arabe vivant essentiellement à Muqdisho et à Kismaayo1. Bien que non intégrée dans le registre clanique somali, elle est interdite en 1969 par le régime socialiste, mais réapparaît sous le nom de Somali National Union (SNU), en 1991, présidée par l’avocat Maxamed Raagis Maxamed ; - le Southern Somali National Movement (SSNM) créé en mars 1992, rassemble les membres du SNM appartenant aux clans Dir Biyomaal du sud somalien installés principalement autour de Marka et à Muqdisho. Isolé de fait par l’indépendance du Somaliland en mai 1991, allié de l’USC-Caydiid, le mouvement élit à sa tête le 1
Xamar est le nom arabe de Muqdisho. On évoque à propos de son origine les mythiques Shungwaya. Les Bantus qui selon certains, occupaient autrefois la région située au nord du fleuve Tana y auraient été absorbés par les clans oromos puis par les Arabes avant que les Somalis à proprement parler n’investissent le Banaadir.
colonel Cabdi Warsame Isxaaq et le 12 août 1992, à la réunion de Baardheere. Il rejoint la SNA aux côtés de laquelle il combattra dans le Geedo et à Kismaayo notamment avant de se rallier à Cali Mahdi. - Somali Democratic Alliance (SDA) rassemble les membres des clans Dir Gadabuursi de la région de Boorama. Le mouvement est dirigé par Maxamed Faarax Cabdullaahi Asharo et Liibaan Jaamac Rabiile Good, le fils du ministre de Siyaad Barre. SNA et SSA, deux alliances majeures semblent s’être dessinées. Il s’agit en réalité d’alliances instables. Non seulement elles se révéleront incapables de se vaincre ou de s’accorder, mais encore va-t-il s’opérer une scissiparité de la plupart des partis qui les composent, rendant encore plus improbable tout espoir d’apaisement.
La SSA et le monde arabo-musulman Cumar Carte Qaalib, a été en 1974 l’un des principaux artisans de l’entrée de la Somalie dans la Ligue arabe. Toujours très proche des Saoudiens, il réside fréquemment à Riyāḍ où il tente d’établir, avec la collaboration de pétroliers saoudiens, une compagnie d’État qui prendrait le nom de Somali National Petroleum Corporation(SNPC). Déjà à la tête d’une North Petroleum Development Corporation, basée en Arabie saoudite, il emploie comme consultant Mujaffar al-Ḥuseynī, l’ancien directeur de la division exploration de la Saudi ARAMCO et frère de Saddam al-Ḥuseynī, le vice-président du département exploration et production de la compagnie pétrolière nationale saoudienne. Afin de mener à bien son projet, Cumar Carte Qaalib a entrepris depuis septembre d’établir plusieurs contacts. C’est ainsi qu’il a demandé à la société International Ingineering Consultants, installée à Londres et dirigée par le Britannique Paul Browner, de définir ce que pourraient être les statuts d’une compagnie pétrolière nationale somalienne sous réserve de leur ratification par le conseil des ministres du gouvernement de Cali Mahdi. Les statuts de la SNPC devraient permettre de placer temporairement ses actifs en tutelle jusqu’à ce qu’ils puissent être dévolus à un gouvernement somalien plus définitif.1 De son côté, Cali Mahdi déploie également une activité diplomatique en direction des pays arabes et met plusieurs fers au feu. Ces efforts se concrétisent par l’accréditation d’un nouvel ambassadeur du Soudan en Somalie, que s’empresse bien sûr d’accueillir le président par intérim. Après que le diplomate lui eut transmis une invitation du président ʿUmar al-Bachir à se rendre à Kharṭūm, Cali Mahdi annonce que le nouvel État ami s’apprêtait à envoyer 100 000 tonnes d’aide alimentaire à la Somalie et à accueillir 10 000 étudiants somaliens2. Un Soudan où sous l’influence du National Islamic Front, de Ḥasan at-Turābī et des Frères musulmans qui l’inspirent, prévalent l’islam radical et la shaʿria. 1 2
LOI n°558, 16 janvier 1993 LOI n°565, 6 mars 1993
Deux espaces donc, la machinerie des Nations unies d’une part avec ses règles et ses programmes, ses abaques de déploiement, ses fonctionnaires et ses solutions toutes faites ; la Somalie de l’autre, sa cruauté et ses passions, un ordre lignager qui ne peut trouver sa place dans le référentiel occidental ; un peuple qui préférera à un ordre étranger les souffrances que lui imposent les siens. Deux mondes qui sur fond de défiance ne se rejoignent déjà plus.
BILAN SECURITAIRE AU DEPART DE RESTORE HOPE Pourtant des choses se sont améliorées en Somalie. N’en déplaise à ceux dont l’opération mettait en évidence les ambiguïtés, s’il n’est pas parfait, le bilan humanitaire de Restore Hope est bon. Les itinéraires d’approvisionnement des denrées ont été rouverts, les centres de santé et les centres d’approvisionnement ont bien fonctionné 1 ; ces derniers s’apprêtent peu à peu à fermer puisque les pluies de gu’ s’annoncent abondantes. Pour ce qui est de la remise en route du pays en revanche, il ne s’est que peu ou rien passé, mais, somme toute, ce n’était pas la mission. Aussi, s’il doit en être fait reproche, celui-ci ne peut s’adresser aux éléments déployés, mais à ceux qui en ont rédigé le mandat.
La compromission des ONG auprès des miliciens Car le constat est plus déprimant au plan sécuritaire. Les 100 premiers jours de l’opération Restore Hope n’ont mis un terme ni aux exactions ni aux rackets dont les organisations humanitaires sont les cibles obligées. Le déploiement militaire n’a pas permis aux ONG de se séparer de leurs gardes somaliens. Ce surcoût de l’action humanitaire en dépenses de protection n’est pourtant justifié ni par l’urgence de la situation alimentaire qui tend à se réduire ni par le nombre des victimes de la famine prises en charge qui tend également à diminuer ; le raisonnable consiste maintenant à imaginer une transition, certes délicate, qui vise à passer du tout alimentaire à un programme de réhabilitation à moyen terme des routes, des écoles et surtout des puits. Mais ce passage de l’un à l’autre est pour les ONG une véritable épreuve à risque. Les habitudes étant prises, le limogeage des gardes de sécurité comme l’abandon progressif des activités humanitaires dans les zones d’où l’urgence a disparu sont difficiles à mettre en œuvre sans encourir des mesures de rétorsion de la part des factions armées. C’est pourquoi, au moment où l’ONUSOM II s’apprête à prendre la relève de
1
LOI n°558 du 16 janvier 1993 note qu’en décembre 1992, le gouvernement d’Israël avait offert d’envoyer 500 médecins et 3 tonnes de matériel médical en Somalie dans le cadre de l’intervention des Nations unies. Après avoir consulté les représentants des pays arabes, Boutros Ghali avait décliné l’offre.
l’UNITAF, plusieurs ONG en profitent pour opérer un repli qu’elles veulent le plus discret possible1. Il reste qu’il faut se représenter les processus et les volumes de captation de l’aide humanitaire, comme il faut avoir une vision réaliste de la dangerosité des comportements prévalant dans cet univers dévoyé. Pour ce faire, il est possible d’observer les difficultés conjuguées d’une ONG américaine de terrain, CARE en l’occurrence, et d’une agence des Nations unies, le Programme alimentaire mondial (PAM), le World Food Program dans la terminologie anglaise. Le secteur de Baardheere reconquis en octobre 1992 par le SNF a longtemps été considéré comme l’une des grandes poches de famine. La ville n’avait vu arriver les premiers secours humanitaires qu’en novembre, à travers la présence en particulier de l’ONG américaine CARE, que certains considèrent comme le bras humanitaire de la CIA. Au même moment en effet, les ONG installées à Muqdisho sous la protection encombrante des factions USC se montraient réticentes à s’engager chez les partisans de l’ex-dictateur. Après avoir distribué dans la région de Kismaayo, sans contrôle excessif, les rations sèches du PAM largement détournées au profit des combattants du SNF, CARE qui était parmi les plus favorables à l’intervention américaine a le temps de se rendre compte que malgré la présence de soldats, elle n’échappait pas aux menaces des miliciens. Aussi, après avoir déclaré qu’il n’y avait plus d’urgence alimentaire à Baardheere s’apprête-t-elle à quitter la position. Mais au moment où les soldats de l’UNITAF sont sur le point de passer la main aux troupes des Nations unies, l’ONG est obligée de quitter la ville où ses représentants sont agressés à chaque fois qu’ils annoncent qu’il fallait diminuer l’aide alimentaire au profit d’actions de réhabilitation. ONG d’exécution, CARE a son sort lié à celui du PAM qui est lui-même en situation très délicate non seulement à Baardheere – alors abandonné par son représentant –, mais aussi à Muqdisho. Là, en mars, les anciens gardes de sécurité du port, officiellement 900, mais en réalité moins de 700, revendiquent le paiement de trois mois d’arriérés de salaires, soit 500 000 $. Cette somme correspond en réalité à leur manque à gagner après la prise de contrôle du port par les marines américains. Menacé, le PAM évacue dix de ses quinze expatriés. Ceux qui restent sont placés sous protection américaine, changeant chaque nuit de maison. Dès les premières tensions, l’emblème et le drapeau du PAM ont dû être enlevés de la résidence officielle de l’agence. Quant aux bureaux de CARE, situés à 500 mètres de l’ambassade des États-Unis sur la route d’Afgooye, ils sont déserts ; déserts certes, mais la sécurité locale qui a été congédiée continue à 1
Nombre d’entre elles en profitent en particulier pour s’implanter au Sud-Soudan en prévision soit d’un accord de paix entre Kharṭūm et le colonel John Garang soit d’une intervention humanitaire internationale telle que l’envisagent déjà certains responsables américains.
percevoir sa rémunération bien qu’elle ait été remplacée par des marines installés jusque sur le toit.
Le détournement consenti de l’aide alimentaire Outre les chantages des miliciens, le fond du malaise tient au fait que PAM et CARE distribuaient depuis trois mois des rations sèches, les plus faciles à détourner ou à commercialiser. L’opération se faisait à raison de 10 000 tonnes par mois sur 35 points de distribution dont chacun est géré par une dizaine d’employés locaux. Or il est évident que si l’urgence est finie à Baardheere, elle devrait depuis longtemps l’être à Muqdisho où la fermeture des points de distribution est régulièrement envisagée puis reportée à plus tard. Le poison du système tient au fait que plus de 350 salariés et les bénéficiaires de 10 000 t de nourriture représentent un nombre important de mécontents susceptible de s’en prendre au personnel des deux organisations. Dans le même ordre d’idée, le CICR éprouve les plus grandes difficultés à fermer ses cuisines collectives en place depuis près de deux ans. Les problèmes de la nourriture, des emplois et de la sécurité sont tellement liés qu’il ne peut être envisagé une fermeture sélective de ses installations. De ce fait, l’option retenue est plutôt celle d’une fermeture générale, quitte à ouvrir ensuite selon les besoins identifiés de nouveaux centres de nutrition pour des groupes bien ciblés. Le 7 avril, quand le CICR annonce la fermeture de 700 de ses 900 cuisines, il ne pourra se défaire des miliciens qui lui fournissaient protection et véhicules. Il replie néanmoins sur Nairobi ses sept délégués permanents de la région de Kismaayo et quitte Muqdisho-Nord après le vol de 180 000 $, retirant 18 personnes, dont dix sont également renvoyées Kenya. Si ces phénomènes quasiment généralisés gangrènent l’ensemble du dispositif humanitaire, ils ne laissent pas encore apparaître les individus, organisateurs ou commanditaires des détournements, qui se construisent ces fortunes qui, resurgissant quelques années plus tard, constitueront les principales organisations délinquantes à base clanique. Les problématiques de redéploiement ne concernent pas seulement l’aide alimentaire. MSF s’est également retiré depuis la mi-mars de toutes ses missions à l’intérieur du pays : Waajit, Qansaxdheere et même Xuddur et Marka. Ce repli qui doit s’achever par un retrait total de l’ONG doit être terminé avant la relève officielle par l’ONUSOM, le 1er mai. Bien que de nombreuses régions n’aient fait l’objet d’aucune enquête sanitaire sérieuse, il répond à la fois à la diminution de l’urgence médicale certes, mais aussi à l’explosion des coûts. En effet, alors que le nombre des enfants pris en charge par les centres de nutrition intensive a chuté de façon spectaculaire depuis le début l’année 1993, il ne peut être question de licencier le personnel local naguère embauché au plus fort de la crise et surtout pas les gardes de sécurité susceptibles de se retourner de manière imprévisible contre
leurs anciens employeurs. Avec 800 employés locaux et 25 expatriés en Somalie, chaque enfant pris en charge a fini par coûter à MSF quelque 3000 francs français par mois1. Dans un domaine cependant, beaucoup reste encore à faire, lié à la présence des mines dispersées sur l’ensemble du territoire somalien.
L’ingérable problématique des mines Les experts estiment qu’entre 300 000 et 2 millions de mines sont éparpillés à travers la Somalie. Mises en place de façon souvent erratique, elles sont en particulier installées le long des frontières, autour des zones urbaines et des villages ainsi que le long des 2 à 3000 km de routes et de pistes. Leur mode de distribution, le piégeage de nombreux engins et la poursuite des hostilités compliquent les opérations de déminage quand celles-ci ne s’en trouvent pas simplement contrariées. La pose a commencé avec la guerre de l’Ogadén en 1977-78 quand l’Armée nationale somalienne en a déployé sur la zone frontière afin de se protéger d’une invasion éventuelle éthiopienne. Entre 1984 et 1988, le régime a poursuivi ces mises en place, au Nord-est cette fois afin de se protéger des incursions du SNM, à partir de l’Éthiopie, puis, çà et là dans le pays contre d’autres factions au fur et à mesure que la guerre civile s’étendait. Depuis la chute du régime, chefs de factions et de clans pour protéger leurs fiefs ont usé des mêmes engins qui causent des victimes tout en empêchant l’utilisation d’infrastructures, de terres arables et de pâturages. Le problème est suffisamment important pour représenter également une menace à long terme pour toutes opérations de maintien de la paix, d’aide humanitaire et de rapatriement des réfugiés. La principale difficulté rencontrée en Somalie par les experts du déminage résulte du fait que les mines ont été mises en place par du personnel sans entraînement et de manière tout à fait hasardeuse. Les emplacements ont été déterminés en fonction de l’imagination de ceux qui plaçaient les engins. Il en a résulté des zones minées allant de quelques engins à plusieurs milliers, la plupart du temps installés en petite quantité sur des secteurs très vastes. Ces emplacements de champs de mines sont rarement conformes aux modèles militaires ordinaires et ne suivent aucun modèle géométrique identifiable. Seuls certains champs – espacement, types, densités et ratio entre mines antipersonnel et antichars – relèvent de la doctrine d’utilisation du pacte de Varsovie. La plupart sont situés autour de Hargeysa et de quelques installations militaires particulières datant du précédent régime. Durant la guerre dans le Nord, d’anciens rapports indiquent que les unités plaçaient souvent des mines pour protéger leur bivouac la nuit, laissant les engins en place sans procéder au moindre repérage et au 1
LOI n°571, 17 avril 1993
moindre enregistrement. Nombre sont disposés aux alentours des aéroports, des lignes de communication y compris les bords des routes pour empêcher les débordements adverses. Les mines sont aussi utilisées comme arme psychologique et économique contre les civils des factions rivales auxquels il s’agit de contester l’usage d’un espace à fin de culture ou de pâturage. À côté des emplacements stratégiques comme les centres urbains et les installations militaires, les emplacements favoris se trouvent autour des points d’eau et des puits, près des caches de munitions et de matériels militaires, dans les maisons et le long des chemins pédestres à fin de gêner les mouvements des clans ou des miliciens ennemis voire des réfugiés. Les zones minées le long des routes sont fréquemment petites et les engins très dispersés, sous des arbres par exemple où soldats ou miliciens viennent à l’accoutumée se reposer. Du fait de la dissémination irrégulière des mines et du manque d’information à leur propos, l’image des champs de mines en Somalie reste incomplète, en particulier dans les régions du Sud et du Centre où, en 1992, aucune enquête n’a encore été conduite. Dans le Nord, la plupart des informations disponibles sont fondées sur les observations des ONG, les dires des populations et les rapports des experts de Rimfire. Dans le Centre-Sud, elles viennent des ONG, des résidents, des rencontres accidentelles par des travailleurs humanitaires et depuis la fin 1992 des investigations réalisées par les forces étrangères opérant dans le pays. Il reste qu’en janvier 1993, 146 champs de mines dont 98 sont situés le long de la frontière avec l’Éthiopie ont été répertoriés au Somaliland par le personnel de Rimfire. De larges concentrations ont aussi été rapportées autour des villes de Berbera, de Burco et plus particulièrement de Hargeysa où le plus vaste champ de mines modélisé – 1,5 sur 9 km de long – est situé à l’est de l’aéroport. De nombreux petits villages et villes autour de la cité sont également pollués, comme le sont dans l’extrême nord-ouest les pistes parallèles aux frontières avec l’Éthiopie et Djibouti, la route côtière entre Seylac et Berbera et les routes reliant les cités de Hargeysa, Burco et Ceerigaabo. Dans le Sud, la plupart des principaux centres urbains tels que Muqdisho, Baydhabo, Xuddur, Baardheere et Kismaayo ont des engins enfouis à l’intérieur et autour des agglomérations ainsi que sur leurs accès. La zone située dans le triangle formé par les villes de Gaalkacyo, Dhuusa Mareeb et Hobyo est d’autant plus dangereuse que les champs n’ont jamais été répertoriés. Ici comme dans le Nord, les routes et les points de passage frontaliers entre les camps de réfugiés de l’Est de l’Éthiopie et les petites villes somaliennes situées sur la frontière sont pour la plupart ainsi piégés. Mais c’est un autre souci qui perdure maintenant, rendant aléatoires des opérations de dépollution qui dans ces conditions demeurent extrêmement dangereuses, coûteuses et nécessitent beaucoup de temps.
En effet, les opérations se trouvent compliquées par un certain nombre de facteurs. La détection des mines en Somalie est certes rendue difficile par l’ignorance du nombre des emplacements, la densité des répartitions, la variété des mines utilisées et le manque de documents fiables. Mais la question essentielle du déminage ne peut être vue comme un problème isolé mais plutôt comme partie du vaste problème de la lutte des factions et du chaos politique. Les efforts de déminage ont en effet peu de chances de succès tant que les conditions sécuritaires ne sont pas établies. Rimfire explique que dans le Nordouest, des mines sont souvent remises en place après le départ de l’entreprise, parfois même par des employés locaux de la firme qui sont parvenus à subtiliser certains engins récupérés. Parfois, le personnel de déminage est pris à partie dans des combats entre les factions rivales. Les rapports de Rimfire font état en janvier de sept morts et 22 blessés au cours de leurs opérations dans un Nord-ouest qui demeure une région relativement stable comparée aux autres parties du pays. Aussi est-il d’ores et déjà clair que tant que le désordre politique, militaire et social ne sera pas réglé, les groupes armés soit s’opposeront aux efforts de déminage qui érodent leur capacité militaire, soit procéderont à une remise en place des engins. Nul n’ignore que milices et même des bandits continuent à miner de nouvelles zones. À l’évidence, face à cette version moderne du tonneau des Danaïdes, nul n’ignore que, au prix d’efforts dangereux et coûteux, plusieurs années seraient encore nécessaires à réduire cette menace.
2E CONFERENCE D’ADDIS ABÄBA
[15/27.III-1993]
Avant que ne s’ouvre à Addis Abäba la Conférence de réconciliation nationale prévue depuis janvier, Boutros Boutros Ghali prévient les Somaliens que faute de se conclure sur un accord politique, les Nations unies imposeraient une administration de transition. Cette menace est prise très au sérieux par la société somalienne qui dans l’ensemble ne goûte guère l’idée de voir le pays administré par l’ONU. Néanmoins, certaines personnalités comme le général Maxamed Abshir Muuse du SSDF, contemplant l’étendue du désastre, en tiennent pour une mise sous tutelle des Nations unies qui seules à leur sens possèdent les moyens d’une solution. Quoi qu’il en soit, c’est dans le même créneau de temps que vont se jouer trois événements déterminants pour le futur du pays : - la réunion à Addis Abäba du 15 au 27 mars ; - le vote de la Résolution 814 qui décidera le 26 mars de transformer l’équipage ONUSOM/UNITAF en une ONUSOM II ; - au Somaliland, à partir du 4 avril la guurti de Boorama qui va ou non entériner le choix irrévocable de l’indépendance.
La Réunion de coordination de l’aide humanitaire [11/13.III-1993] La conférence d’Addis Abäba est précédée par un 3rd United Nations Coordination Meeting for Humanitarian Assistance for Somalia. Présidé par Jan Eliasson, il se tient du 11 au 13 mars, à Addis Abäba également 1. Dans l’ensemble, il reprend les inquiétudes des donateurs, soulignées dans le rapport complémentaire que Boutros Boutros Ghali a adressé le 3 au Conseil de sécurité2. Le Secrétaire général a identifié trois défis majeurs auxquels allait se trouver confrontée l’Organisation : - le retour volontaire d’environ 300 000 réfugiés et déplacés ; - la fourniture de travail aux centaines de milliers de Somaliens sans emploi, en particulier les bandits et les membres des diverses milices et armées privées ; - la levée des fonds propres à permettre aux Somaliens de reconstruire leur société et de réhabiliter des infrastructures décomposées. Ces préoccupations, vastes et vagues à la fois, forment aussi la base du nouveau programme d’aide et de réhabilitation qui vient d’être soumis aux donateurs, à la fois par les agences des Nations unies, la CroixRouge internationale et les organisations non gouvernementales. Une lacune apparaît cependant : les priorités humanitaires excluent toute réflexion sérieuse sur les problèmes de reconstruction institutionnelle. Sur un programme de réhabilitation estimé à 165,5 millions de dollars, les donateurs se sont engagés à fournir une somme de 142 millions. Les principales promesses viennent de la CEE, à hauteur de 43 millions, des États-Unis pour 30 millions et de l’Allemagne pour 20. Les représentants ont aussi indiqué que le déblocage de ces fonds destinés à des opérations de reconstruction et de réhabilitation des infrastructures serait conditionné au retour à plus de sécurité et d’ordre et aux efforts attestés par les Somaliens eux-mêmes dans la reconstruction de leur pays. Deux réunions sont prévues, en avril et en août, pour revoir ces engagements en fonction des progrès accomplis. Cela dit, cinq mois plus tard, Hugh Cholmondeley, le nouveau coordinateur des Affaires humanitaires de l’ONUSOM fera observer que 25 millions seulement, soit 17 % des fonds promis, avaient été effectivement abondés. Cette réticence résultera incontestablement de la persistance des zones d’insécurité dans le Sud de la Somalie. Mais il ne sera pas sans relation non plus avec les réserves de la société internationale sur la façon dont l’amiral Jonathan T. Howe qui a succédé à Ismat Kittani aura dirigé l’ONUSOM. Reste que la conférence qui commence le 15 mars ne consacre pas le temps nécessaire aux problèmes essentiels de la reconstruction institutionnelle. Pas davantage que les Italiens et les Égyptiens à la 1
United Nations Relief and Rehabilitation Programme for Somalia, 1 march-31 december 1993. Department of Public Informations. 11 mars 1993 2 S/25354 du 3 mars et addenda S/25354/Add.1 du 11 mars 1993.
conférence de Djibouti en 1991, l’ONUSOM n’a les moyens ni les capacités de mettre en place les dispositifs indispensables au redémarrage a minima des administrations régionales. L’argent n’est pas là. Les donateurs se retournent vers la Banque mondiale qui ne peut seulement faire affaire qu’avec des gouvernements centraux établis. Et il n’y en a pas. La situation est étonnante, le paradoxe prévaut. Sommairement, la situation est la suivante : il s’agit de reconstruire un État disparu. En tant que telle, cette entité à venir, puisqu’elle n’existe pas encore, n’a pas d’argent, bien évidemment. Mais la norme internationale veut que pour débloquer des fonds, il existe un interlocuteur, c’est-à-dire un État existant. La quadrature du cercle. Cette situation absurde induit qu’il faudrait qu’un vide institutionnel se mît en état de répondre aux exigences du système international et non que le système international ne se mette en situation de venir en aide à ce pour quoi, entre autres, il a été créé. Un pas eût été envisageable, dès lors qu’un noyau administratif aurait été établi en amont de la conférence établie à Muqdisho par des cadres civils de l’ONUSOM par exemple. À cet effet, John Drysdale1 proposait de s’appuyer sur certains cadres somaliens désormais inemployés et sur les revenus tirés des taxes portuaires et aéroportuaires en vue d’identifier une autorité non politique en mesure de gérer les problèmes municipaux de la capitale puis d’étudier les implications de la construction institutionnelle. Mais aucune préparation n’avait jamais été envisagée par les Nations unies dans ce secteur essentiel de l’administration. Or tant qu’aucune structure administrative ne serait mise en place, les gouvernements à venir et la Banque mondiale se trouveraient dans l’impossibilité de déclencher de conserve la moindre action qui les mit en relation. Ainsi, à Addis Abäba, où l’argent avait été débloqué pour financer la conférence de réconciliation, pas un sou n’avait été envisagé en vue de la reconstruction du pays. On en restait au stade des soins palliatifs, avant de passer d’ici quelques années à l’acharnement thérapeutique.
Travail préparatoire du comité de la SNA [II-1993] Au début du mois de février, en amont de la conférence prévue, Maxamed Caydiid qui a choisi de s’investir pleinement dans un processus dont il compte à long terme recueillir les bénéfices met en place le comité de sept membres issu de l’accord signé lors de la réunion de janvier. Ce comité, établi à Muqdisho, est dirigé par Cumar Salaad Cilmi auquel il est confié la préparation d’un document au nom de la SNA. Il s’agit d’élaborer des propositions acceptables par la plupart des participants. Mais avant même qu’il n’ait tenu la moindre séance plénière, les réticences apparaissent. Le général Bile Rafle Guuleed par
1
DRYSDALE, J. [1994 :120-121]
exemple1, vice-président de la tendance du SPM-Gabiyow alliée au SNF, ainsi qu’un membre du comité central de la SNDU, Maxamed Cabdi Yuusuf, refusent de se rendre à Muqdisho et de participer aux travaux. Il n’en demeure pas moins qu’au terme de plusieurs sessions de travail menées tout au long des trois semaines qui précèdent la conférence, le comité est parvenu à rédiger un texte assez complet, propre à se substituer en particulier à celui qu’aura omis de rédiger le chef de la division politique de l’ONUSOM, Leonard Kapungu. Le document stipule en exergue que la formation d’un gouvernement national était prématurée et qu’il paraissait plus opportun d’envisager la mise en place d’administrations régionales autonomes liées à une administration centrale provisoire2. Cette approche s’articule autour d’un projet qui sera quelques années plus tard repris sous le nom de Building blocks, l’approche modulaire. Elle se fonde sur quatre postulats : - le vide créé par l’absence d’administration en Somalie menace d’être rempli par certains groupes soutenus par des fonds importants venus de l’étranger, les islamistes de l’Itixaad et de l’Islaax en l’occurrence ; - la centralisation du pouvoir politique en Somalie entre 1960 et 1991 ne peut plus être accepté telle quelle après qu’a disparu la confiance en de tels gouvernements ; - la souveraineté et la dignité du peuple somalien doivent être rapidement restaurées ; il importe que ce soit celui-ci et non la communauté internationale – quelle que soit par ailleurs sa bonne volonté – qui détermine sa destinée ; - un dialogue avec la région sécessionniste du Nord-ouest est nécessaire ; après la mise en place d’une administration centrale provisoire, une invitation pourra être adressée à Hargeysa en vue de la tenue de discussions informelles et amicales. Il s’agit donc de rétablir une administration centrale provisoire qui soit en mesure de soutenir la formation d’un véritable gouvernement central. Restaurer la souveraineté nationale passe par la mise en place d’une législation, de modalités et de règles de procédure propres à rendre possible la tenue d’élections directes et à établir les structures et les mécanismes nécessaires au fonctionnement d’un bon gouvernement. La proposition de Maxamed Caydiid envisage aussi la tenue de scrutins, la désignation d’une commission constitutionnelle, la réorganisation de la justice et la mise en place de forces de police régionale3.
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LOI n°561, 6 février 1993 – Il a été ministre de l’Agriculture sous l’ancien régime. Le général Caydiid a alors renoncé à sa position selon laquelle aucun gouvernement ne pourrait être formé tant que le Somaliland n’aurait pas rejoint la république. 3 Cf DRYSDALE, J. Op.cit. pp. 117-118. Le détail des propositions du comité est développé dans l’ouvrage de référence par l’auteur qui a participé à leur élaboration. 2
La Conférence de réconciliation nationale d’Addis Abäba [15/27.III1993]
Le 15 mars, la conférence s’ouvre donc sur bien des incertitudes. Le tout nouveau Représentant spécial adjoint du Secrétaire général, Lansana Kouyate, prend au nom des Nations unies la présidence d’une réunion au cours de laquelle il s’affirme d’emblée comme un remarquable négociateur, habile à réconcilier les plus irréductibles1. La conférence accueille à l’Africa Hall à Addis Abäba une assistance composée de 770 Somaliens. Les invités officiels sont au nombre de 150. Les communautés et les religieux comptent 80 représentants, les organisations non politiques et les intellectuels 51, les femmes 24, les mouvements politiques et les partis 119 ; parmi ces derniers, le SNM participe en tant qu’observateur. Avant toute chose, Lansana Kouyate prévient les chefs politiques que le Conseil de sécurité était sur le point de publier une résolution qui mettrait les militaires de l’ONUSOM en situation d’interpréter dans leur acceptation la plus radicale les articles du chapitre VII de la Charte. Il serait donc selon lui souhaitable pour tout le monde qu’un accord soit conclu avant le 26 mars, date retenue pour la publication de la résolution. Il reste qu’en dépit de cette énergique prise en main, le 17, deux jours après son ouverture, la conférence est déjà dans l’impasse, embourbée dans un différend politique. La position de Caydiid et de la SNA, favorable à la reconstruction d’autorités administratives régionales, est contrebattue par les onze autres factions qui défendent la mise en place d’une administration nationale voire d’un gouvernement. C’est le moment aussi où la SNA suspend sa participation pour protester contre la reprise des combats à Kismaayo entre le colonel Cumar Jees et le SNF de Moorgan. Ses délégués relèvent au passage qu’à chaque réunion de réconciliation, le SNF lançait quelque action militaire. Aussi réclament-ils de la conférence qu’elle condamne explicitement cette agression ; ce à quoi se refusent les autres factions. La SNA demande alors que la force multinationale se charge de vider Kismaayo de ses agresseurs. A l’approche de l’échéance fixée par Lansana Kouyate, les dirigeants politiques restent plus que jamais arc-boutés sur leurs positions. La conférence est sur le point d’échouer. Le Président éthiopien y va de son sermon et après s’être entretenu avec les chefs des diverses factions pour leur conseiller de s’entendre, les enjoint d’élaborer au moins une synthèse de leurs débats. Kouyate est sur tous les fronts et les 15 protagonistes finissent quand même par rédiger un document qui reste à valider par les chefs de délégation.
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Boutros Ghali est à New York. La Conférence se tient en présence du Président du Comité exécutif de l’IGADD.
L’accord d’Addis Abäba [27.III-1993] Après avoir réaffirmé les dispositions prises en janvier en matière de désarmement, de réhabilitation et de restitution des biens volés, l’accord envisage une série de mécanismes politico-administratifs transitoires destinés à faciliter la reconstruction du pays. Il est tout d’abord prévu que sera élu pour deux ans un Transitional National Council (TNC) de 74 membres: - trois d’entre eux dont une femme seront choisis au sein de chacun des 18 conseils régionaux – cinq relevant du Somaliland sécessionniste ; - un pour chacun des quinze mouvements politiques ; - cinq pour la ville de Muqdisho. Celui-ci désignera les chefs des Central Administrative Departments (CAD), qui auront pour charge de rétablir et de remettre en route les administrations civiles, les bureaux des affaires sociales, économiques et humanitaires, préparant ainsi la voie à la relance du pays. Il désignera également un Comité de rédaction du projet de constitution, Transitional Charter Drafting Committee, fondé sur la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’éthique traditionnelle des Somalis. Sur le plan administratif, il est ensuite institué une sorte de système fédéral. Le territoire sera divisé en dix-huit régions autonomes dotées chacune d’un Conseil régional responsable devant le TNC. Chaque région sera elle-même divisée en districts – les 92 districts de l’avantguerre civile – dont les membres, élus ou désignés par consensus, formeront un conseil. Il est vrai qu’entre un pouvoir central aux contours incertains et le fractionnement du pays en dix-huit régions autonomes, une par lignage majeur disposant chacune de leur propre force de police, le futur de la Somalie oscille entre une perspective d’État-nation et d’État-clans. L’accord entérinant cette solution et qui devait être initialement paraphé le 24 mars donne lieu à des discussions qui se poursuivent encore toute la journée du lendemain jusqu’à durer tard dans la nuit. Et soudain, le jour suivant 27 mars – cela semble à chaque fois miraculeux – les chefs des quinze mouvements représentés s’accordent à signer l’ Addis Abäba Agreement, un geste de bonne volonté de Maxamed Caydiid étant venu au dernier moment sauver la situation1. Cet accord paraphé par les 14 factions somaliennes diffère sur deux points de la version présentée le 24 mars par les partisans du général. Alors que le premier document, affirmant le caractère non négociable de l’unité et de l’intégrité du territoire somalien, proposait la formation d’un comité pour négocier avec le Somaliland, l’accord final se réfère seulement à la Somalie dans sa totalité. Par ailleurs le rôle des conseils
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Cf. annexe 2, p. 510. Accord d’Addis Abäba – mars 1993
régionaux est renforcé tandis que demeurent vagues leurs relations avec le TNC supposé diriger pendant deux ans le pays. SAMO
Somali African Muki Organisation
Bantou
Maxamed Faarax C/laahi
SDA
Somali Democratic Alliance (SDA)
Gadabuursi
Cabdi Muuse Mayyow Maxamed Nuur Yalaxoow
SDM
Somali Democratic Movement
Raxanweyn
Cali Ismaaciil Cabdi Giir
SNDU
Maxamed Ramadaan Arbow
SDM/SNA
Somali National Democratic Union
Cumar xaaji Maxamed Xirsi Masalle
SNF
Somali National Front
Mareexaan
Maxamed Raagis Maxamed
SNU
Somali National Union
Benaadiri
Axmed Xaashi Maxamuud Aadan C/laahi Gabiyow
SPM/SNA SPM
Somali Patriotic Movement
Ogaadeen
Maxamed Abshir Muuse
SSDF
Somali Salvation Democratic Front
Majeerteen
Cabdi Warsame Isxaaq
SSNM
South. Somali National Movement
Biyomaal
United Somali Congress
Hawiiye
Maxamed Qanyare Afrax Maxamed Faarax Caydiid
USC USC-SNA
Cabduraxmaan Ducaale Cali
USF
United Somali Front
Ciise
Maxamed Cabdi Xaashi
USP
United Somali Party
Harti
Signataires des accords d’Addis Abäba le 27 mars 1993 Une ambiguïté, Cali Mahdi qui n’a pas signé en personne le texte de l’accord en a laissé le soin au président de sa faction au sein de l’USC, Maxamed Qanyare Afrax. Or celui-ci, en tant que Muruursade, ne peut engager les Abgaal, le lignage de Mahdi. Un autre sujet d’inquiétude n’effleure personne. Le choix retenu par les éléments belges à Kismaayo d’un soutien passif à Moorgan vient conforter les inquiétudes d’un général Caydiid quelque peu contrarié par les termes de l’accord. Aussi serait-il d’ores et déjà hasardeux d’en attendre une coopération facile avec l’opération internationale qui se profile. Quoi qu’il en soit néanmoins, l’accord est signé et se définit sans ambiguïté comme un accord de transition. On observe encore que cet accord, paraphé par le général Cumar Masalle pour le SNF marque une fracture entre Moorgan et le front Mareexaan. Au-delà de la Jubba, les troupes du général Axmed Warsame ont résisté avec succès aux contre-attaques du général Caydiid jusqu’à reprendre pied, le 16 octobre 1992, à Baardheere. Dès lors, la direction Mareexaan du mouvement prend-elle assez confiance pour soutenir aux côtés de Cali Mahdi l’accord d’Addis Abäba tout en s’abstenant de s’engager dans le conflit. Le SNF replie ainsi la majeure partie de ses forces à Garbahaarrey, observant attentivement dès lors l’évolution des événements en Somalie centrale. La position dans le Geedo est bonne et seul lui échappe le fief de l’Itixaad à Luuq, communauté réputée affranchie de toute base clanique. Quant à
Maxamed Moorgan, il préconise davantage d’agressivité afin de gagner davantage de reconnaissance avant de poursuivre les négociations de paix1. Il se posera désormais en chef militaire du SPM-Gabiyow. Les deux généraux maintiendront cependant une vague mais effective alliance propre à contenir les forces de Caydiid dont ils empêcheront la pénétration à l’ouest du fleuve Jubba, sur les territoires traditionnels des clans Mareexaan et Ogaadeen. Notons enfin que le 20 avril, un sous-comité des représentants des factions somaliennes recommandera que la sharīʿa fonde l’ensemble de la législation. Composé de 15 membres et portant ostensiblement l’empreinte des proches de l’Islaax, il a entrepris le 17 avril la rédaction d’un document de travail destiné à être présenté et discuté au sein de la commission chargée d’élaborer la charte de transition.
L’antichambre de l’échec Les signataires se sont donc accordés pour reconnaître que le TNC serait le dépositaire de la souveraineté somalienne. Or, Leonard Kapungu et Robert Gosende qui vient de relever Robert Oakley comme Envoyé spécial du président américain, se déclarent hostiles à cette mention. Ils craignent qu’une telle institution, aussi provisoire soit-elle, n’exerce ses droits souverains et n’agisse au détriment de la position des Nations unies – donc des États-Unis – en Somalie, en imposant des restrictions qui disputeraient l’autorité au Conseil de sécurité. C’est pourquoi le UN Reference Paper intitulé United Nations and the Situation in Somalia publié le 30 avril 1993 ne mentionne nulle part l’accord portant sur la représentation de la souveraineté de la Somalie. C’est pourquoi aussi Kapungu, en total désaccord avec la phase finale de la conférence, est renvoyé à Muqdisho par Lansana Kouyate qu’il indispose, pour être remplacé par le Libérien Al-Hassan Conteh, un responsable politique de l’ONUSOM dont chacun s’accorde à reconnaître la conscience et l’intégrité. Quant à la colère de Robert Gosende, elle porte sur le fait que les résultats de la conférence sont allés selon lui trop loin. Hormis la question de la souveraineté, il était partisan d’un développement politique qui se serait arrêté uniquement aux institutions régionales. Il est aussi particulièrement préoccupé par la place que Lansana Kouyate a accordée au sein de la conférence à Maxamed Caydiid auquel il est même revenu l’honneur de prononcer le discours de clôture. Le point de vue du diplomate guinéen est fondé sur le fait que Caydiid a apporté la contribution personnelle la plus significative à la conférence en offrant des suggestions originales et en soutenant fermement les positions de compromis.
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Les relations entre le général Axmed Warsame et le général Maxamed Moorgan remontent au temps où tous deux servaient à la Garde présidentielle de Siyaad Barre.
Des discussions privées et fructueuses ont aussi eu lieu en marge de la conférence entre Caydiid et Cabdullaahi Yuusuf du SSDF, à la fois vieux camarade et adversaire à propos de la situation dans le Mudug autour de Gaalkacyo. Mais les antagonismes entre les Somaliens et la Société internationale qui ressort des velléités d’ingérence de certains de ses représentants vont corrompre les espoirs fragiles qu’autorisait la réunion. Ils préfigurent les heures les plus sombres de la relation entre les Nations unies et les États-Unis avec la Somalie.
LA MISE SUR PIED D’ONUSOM II Aux États-Unis, les prises de position nouvelles qui se sont révélées à propos de la Somalie résultent de la mise en place de la nouvelle administration américaine. George Moose, le nouveau secrétaire d’État adjoint pour les Affaires africaines affirme lors de sa première intervention au Sénat américain, le 29 mars, que s’il y avait une leçon à tirer de l’expérience américaine en Somalie, « ce serait la nécessité de trouver les moyens de répondre aux conflits de ce genre avant qu’ils ne deviennent des tragédies humaines majeures réclamant une intervention massive et des dépenses importantes en matériel et en hommes ». Moose déclare par ailleurs que la politique américaine en Afrique consisterait dorénavant à soutenir des gouvernements élus démocratiquement et non pas à permettre que l’aide de Washington soit « utilisé par des dictateurs ». Sauf qu’ici, en Somalie il n’y a plus de dictateur certes, mais il n’y a pas non plus de gouvernement. Aux Nations unies, loin de s’interroger en priorité sur des scenari globaux de reconstruction du pays, les discussions précédant la résolution qui décidera d’une nouvelle opération portent principalement sur deux points : les règles d’engagement de la force et la nature de son commandement. Un paradoxe s’est installé entre la nouvelle administration américaine qui peine à se positionner sur le dossier somalien et le Secrétariat général des Nations unies. D’une part celui-ci souhaite reprendre la main, mais sait ne rien pouvoir entreprendre sans le concours des ÉtatsUnis. D’autre part, l’administration Clinton est pressée par l’état-major américain – qui n’a jamais été très favorable à l’opération – de rapatrier ses troupes dans les meilleurs délais ; ce qui ne peut se faire sans que les Nations unies ne prennent le relais. Or à Washington, la Somalie n’est pas au centre des préoccupations. Le working commitee qui réunissait chaque semaine les représentants des diverses agences américaines déployées a même suspendu ses réunions depuis la fin février. La situation s’éclaire quand il devient évident que si les États-Unis ne veulent plus assumer officiellement la responsabilité politique d’une opération en Somalie, leur participation à cette dernière n’en est pas
moins incontournable. Cet état de fait les met en revanche en situation d’en exiger la direction.
La préemption déguisée de Washington sur la nouvelle opération C’est donc dans ce contexte que les États-Unis insistent pour qu’à l’instar de l’UNITAF, la nouvelle opération puisse faire usage de ses armes autrement qu’en situation défensive. Ce désir est partagé par la France qui propose que, dans cette hypothèse, l’ONUSOM II ne soit plus désignée comme une opération de maintien, mais d’imposition de la paix. Le débat n’est pas seulement formel puisqu’il revient à prendre date en vue de futures interventions des Nations unies. Les États nordiques et certains pays du Tiers-monde qui fournissent traditionnellement le gros du contingent des Casques bleus sont plus réticents au regard d’un mandat offensif, lui préférant une stricte mission d’interposition dissuasive. Les Occidentaux sont également unanimes à vouloir confier la direction de l’opération à un général de l’OTAN. Il est ainsi convenu que le général de corps d’armée turc Çevik Bir commandera la force de l’ONU. Le Conseil de sécurité devant se décider le 18 février sur le mandat de l’ONUSOM, le général se rendra à Muqdisho pour une visite de trois jours le 19 avant de prendre son commandement au début du mois de mars. Les États-Unis cependant entendent aussi conserver le commandement d’une force autonome. Leurs éléments chargés de la logistique de l’ONUSOM II, soit quelque 4000 hommes, passeraient sous les ordres du général désigné tandis qu’une force opérationnelle, une task force, forte de quelques milliers d’hommes, et disposant de moyens aériens serait embarquée sur des bâtiments américains, stationnés au large ou dans un pays voisin et en toute circonstance conservée sous commandement américain. L’ONUSOM II pourrait faire appel à cette force pour des actions offensives ponctuelles contre les chefs de guerre, mais la conduite opérationnelle relèverait du seul État-major américain. Les Américains sont aussi attentifs à assurer une continuité entre l’intervention militaire actuelle et la prochaine mission de l’ONUSOM II. À l’aplomb de cette préoccupation, Robert Oakley annonce qu’il prévoyait une période de transition de plusieurs mois entre les deux opérations afin de préparer la relève du commandement américain par celui de l’ONUSOM II. Mais il est déjà évident que ce souci de ne pas bâcler la relève cache surtout une volonté de conserver la mainmise sur la nouvelle opération. Déjà, des responsables américains déjà placés au sein de l’état-major des Nations unies en Somalie, le major Jim Nelson et Kate Franworth par exemple, désignés à la tête de l’Humanitarian Operation Commitee (HOC), le comité humanitaire de l’ONU. Afin de participer aux discussions, Muḥammad Saḥnūn se rend à New York au début du mois de février. Il est vrai que son retour sur le dossier somalien est réclamé par beaucoup de monde, chacun continuant à déplorer la démission d’un homme unanimement apprécié
pour ses qualités de négociateur et d’homme de terrain. Le diplomate algérien a par exemple été approché par les Français qui lui proposent de les aider à mener leur politique en Somalie. Paris dispose bien de quelques experts sur ces sujets, mais ils sont loin d’être suffisamment dimensionnés dans les hiérarchies administratives. Le projet restera sans suite. Il reste que Robert Oakley également ne tarit pas d’éloges envers celui qu’il considère très sincèrement comme un ami et avec lequel, en privé, il se déclare volontiers prêt à travailler1. Et puis les États-Unis ont toujours le sentiment que Boutros Boutros Ghali ex-ministre égyptien des Affaires étrangères mène en Somalie une politique qui manque de neutralité. Un sentiment défendable certes, mais les États-Unis, après le départ d’Oakley n’auront bientôt plus de leçons à donner. Aux Muḥammad Saḥnūn, Kouyate, Oakley et Johnston vont se substituer à l’ombre de Boutros Ghali des responsables malhabiles, souvent arrogants et dépourvus de toute empathie qui d’un pas résolu vont conduire l’opération des Nations unies au désastre. Il restera quand même aux États-Unis à gérer la mauvaise humeur de Robert Oakley qui maintenant n’en peut mais, face au désordre politicodiplomatique ambiant. En effet, au moment où Washington s’apprête à mettre en place un nouveau dispositif à Muqdisho, la prochaine passation de pouvoir entre les représentants américains nécessite un changement de ton. Les récentes prises à partie des Nations unies par Robert Oakley ont en effet suscité un malaise. Nul ne s’est jamais étonné dans les états-majors des positions sévères prises par les meilleurs diplomates du moment sur la question somalienne. Toujours est-il que soumis à la pression des militaires américains, Oakley vient de reprocher au général Çevik Bir d’avoir tardé à rejoindre Muqdisho, au risque d’indisposer un homme qui remplissait toutes les conditions pour cette fonction : haut gradé venant d’un pays musulman, ayant travaillé avec l’OTAN et surtout qui disposait de la confiance de Washington. Robert Gosende son successeur aura donc à rectifier l’image de la diplomatie américaine en Somalie.
Le rapport décisif du Secrétaire général [3.III-1993] Dans la soirée du 25 février, Boutros Ghali annonce qu’il s’apprêtait à transmettre un rapport au Conseil de sécurité en vue de l’adoption d’une résolution fixant le mandat d’une seconde opération. Peu avant que ne se déclenche la conférence d’Addis Abäba, le 3 mars 1993, il présente au Conseil ses recommandations afférentes à la transition entre l’ensemble ONUSOM I/UNITAF et ONUSOM II2. En dépit de la dimension consentie à la mission Restore Hope, il estime qu’un environnement sécurisé n’avait pas encore été établi et constate qu’il n’y
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LOI n°562, 13 février 1993 S/25354 du 3 mars 1993
avait toujours ni gouvernement ni force de police en mesure de l’assurer. À l’aplomb de la requête américaine, le Secrétaire général conclut que si le Conseil de sécurité pensait que le moment de la transition à ONUSOM II était venu, cette dernière devait être investie des mêmes pouvoirs que l’UNITAF. Elle devait être mise en situation d’agir en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies afin de créer cet environnement sécurisé qui faisait toujours défaut. ONUSOM II devrait tenter d’accomplir ce qui manquait dans le mandat de Restore Hope, la restauration de la paix et de la stabilité. Le nouveau mandat habiliterait aussi ONUSOM II à « aider le peuple somalien à reconstruire sa vie économique, politique et sociale, par le biais de la réconciliation nationale de manière à recréer un État démocratique ». Le caractère exorbitant d’un tel programme, vaste s’il en est, la volonté de se donner le plein usage de la force sans préciser plus avant les règles d’engagements, mais, plus encore, l’ignorance la plus absolue des comportements somalis après l’élimination ou la démission des personnes averties attestait qu’à New York nul n’avait véritablement pris la mesure du problème. Le désastre déjà était inscrit dans le marbre. Mais la décision est prise. Le Conseil de sécurité arrête le déploiement de 28 000 hommes dans le cadre d’une opération devant démarrer le 1er mai. Un des points les plus controversés concerne l’extension de la présence militaire internationale au nord de la Somalie. le 21 février déjà depuis Jedda, le ministre des Affaires étrangères du Somaliland, sheekh Ibraahin Madar, en a déjà rejeté l’idée dans un document qui estime ce déploiement inutile et superflu. Il y évoque ses craintes qu’il n’occasionne des tensions dangereuses pour la paix et la stabilité et réaffirme avec vigueur que la question de la réunion du Somaliland et de la Somalie était une affaire classée. Sur un ton plus direct, le représentant de Hargeysa en France affirme le 5 mars que les forces du Somaliland étaient prêtes à s’opposer militairement à l’arrivée des troupes des Nations unies. Dans le Nord-est, administré par le SSDF, les perspectives semblent en revanche plus favorables. Les dirigeants s’y sentent menacés, au sud par les forces de l’USC qui maintiennent toujours la pression sur Gaalkacyo, et au Nord par les islamistes de l’Itixaad. Ceux-ci, réfugiés au-delà de la frontière du Somaliland, à Laas Qorey, en pays Warsangeli, échappent au contrôle des autorités de Hargeysa et demeurent très actifs, lançant même encore quelques raids sur Boosaaso1.
La Résolution 814 : le redimensionnement de l’ONUSOM [26.III-1993] Le 26 mars 1993, jour qui précède la signature de l’accord d’Addis Abäba entre les factions somalienne, après que le Secrétaire général Boutros Boutros Ghali a fait état des progrès de la Conférence de 1
LOI n°566, 13 mars 1993
réconciliation nationale et rendu compte de la réunion de coordination humanitaire, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte à l’unanimité la Résolution 814. Elle marque le transfert de pouvoir de l’UNITAF opération conduite par les États-Unis à l’UNUSOM II, conduite par les Nations unies. Le Conseil, agissant sous chapitre VII de la Charte, autorise la poursuite de l’opération jusqu’au 31 octobre 1993 et donne à l’opération un mandat dont les termes essentiels l’enjoignent à : - soutenir la délivrance de l’aide humanitaire en Somalie conformément au programme de réhabilitation établi par le Bureau de coordination des affaires humanitaires ; - aider au rapatriement des réfugiés et à la réinstallation des personnes déplacées ; - promouvoir la réconciliation politique en incluant la restauration des institutions nationales et régionales ainsi que des administrations en s’assurant du concours de tous les secteurs de la société somalienne ; - faciliter la remise en place de la police somalienne et la restauration de l’ordre public en incluant les enquêtes portant sur les violations du droit international humanitaire ; - participer aux opérations de déminage et au développement de services d’information publics ; - créer des conditions permettant à la société civile de jouer à tous les niveaux un rôle dans le processus de réconciliation politique. Le Conseil qui a décidé d’étendre et de renforcer le mandat de l’UNOSOM II en plaçant l’opération sous Chapitre VII, met l’accent sur la nécessité de procéder au désarmement. Il demande aux partis somaliens de remplir leurs obligations au regard des accords qu’ils ont signés et de garantir la sécurité de personnel de Nations unies et des organisations internationales. Il requiert le Secrétariat général afin de faire respecter à l’intérieur de la Somalie l’embargo sur les armes déjà imposé aux États membres par la Résolution 733.1 Le Conseil demande enfin à Boutros Ghali de permettre au commandant des forces d’organiser une transition rapide, lisse et échelonnée de l’UNITAF à l’ONUSOM II. Le général turc Çevik Bir qui assurera le commandement en chef de la mission reçoit explicitement mandat de « Consolider la détente et de maintenir la sécurité dans l’ensemble de la Somalie, en tenant compte des circonstances propres à chaque localité ».
Nations unies et États-Unis, la redistribution des rôles La perspective d’une nouvelle opération des Nations unies, d’une part, et la mise en place du nouveau président américain Bill Clinton, d’autre part, induisent l’établissement de nouvelles équipes. 1
S/RES/814(19993). Nations unies, 26 mars 1993
Le Secrétaire général a nommé un Représentant spécial adjoint en Somalie que nous avons déjà vu à pied d’œuvre à Addis Abäba. Le Guinéen Lansana Kouyate qui jusqu’alors représentait Conakry aux Nations unies est arrivé au tout début du mois de mars pour prendre ses fonctions à Muqdisho. Sa situation « d’adjoint » résulte d’une exigence de Washington qui entend légitimement voir un Américain nommé au poste de Représentant spécial, compte tenu de l’investissement financier disproportionné consenti par Washington dans l’affaire somalienne. Le subtil Guinéen 1 a tout de suite compris que s’il insistait pour devenir le Représentant spécial en titre, son autorité serait quasiment sapée par les Américains à Muqdisho. L’ambassadeur de France au Kenya, Michel de Bonnecorse, qui avait aussi été approché par le Secrétaire général ne s’y était pas non plus laissé prendre et avait décliné l’offre ; quant à l’espoir d’un retour de Muḥammad Saḥnūn, il n’avait reçu aucun écho. Aussi est-ce un officier général américain en retraite, l’amiral Jonathan Trumbull Howe qui, le 9 mars 1993 et, dans un premier temps au moins pour une période de trois mois, est désigné par le Conseiller à la sécurité nationale – National Security Advisor – d e Bill Clinton, Tony Lake, pour remplacer Ismat Kittani2. L’amiral dont l’action suscitera assez vite un certain nombre de réserves aura pour tâche de superviser la transition entre les deux opérations. Il devra également gérer la coordination entre les organisations humanitaires, les diverses factions et le commandement militaire américain en Somalie. Selon le souhait de Boutros Ghali, il sera responsable du déploiement – toujours très hypothétique – de troupes dans le Nord du pays. Côté américain, apparaît un nouveau secrétaire d’État adjoint aux Affaires africaines, George Moose. Armé d’un discours très idéaliste sur les problématiques africaines, il s’était en décembre rangé à la position de Boutros Ghali concernant le désarmement des milices, prenant résolument le contrepied de la politique menée jusqu’alors par l’administration Bush. Le Département d’État renouvelle donc son Bureau de liaison. Le 4 mars est officiellement annoncé le remplacement de Robert Oakley par Robert Gosende qui a déjà été en poste à Muqdisho de 1968 à 1970. Responsable de l’agence américaine d’information USIA où il dirige le Bureau des Affaires africaines, il travaille depuis décembre sur le dossier somalien. Un adjoint lui est octroyé, Walter S. Clarke, réputé connaître la région au moins pour avoir été chargé d’affaires à Djibouti entre 1977 et 1980. Clarke qui a 1
Il deviendra plusieurs années plus tard, entre 2007 et 2008, le Premier ministre de son pays alors plongé dans une situation difficile. 2 L’amiral qui donnait des cours au National War College de Washington a été second adjoint pour les Affaires de sécurité nationale dans l’administration du président George Bush en 1992. Il avait auparavant servi au sein du National Security Council de 1969 à 1973. Diplômé de l’Académie militaire navale américaine, il a été directeur des Affaires politico-militaires au Département d’État de 1982 à 1984 ainsi que commandant des Forces alliées pour l’Europe du Sud dans le cadre de l’OTAN, en Italie.
récemment rédigé un dossier d’information sur la Somalie pour le compte du Departement of National Security and Strategy du War College de Carlisle en Pennsylvanie, est réputé bien informé sur les différentes composantes somaliennes. Quant au général turc Çevik Bir, qui doit commander l’opération militaire, il sera flanqué de deux adjoints, le général américain Thomas Montgomery et le général canadien James Cox. Dans le dispositif qui se dessine, il est clair que Lansana Kouyate et le général Çevik Bir ne sont que les cautions étrangères destinées à maquiller sans pudeur excessive la main-mise des États-Unis sur la nouvelle opération. Quand les postes de responsabilité seront distribués à l’État-major d’ONUSOM II, il apparaîtra de la même façon que les rares bureaux à ne pas être dirigés par un officier américain y seront pourvus d’un ou deux adjoints venus d’outreAtlantique.
Le transfert des pouvoirs de l’UNITAF à ONUSOM II [3.V-1993] C’est ainsi que, le 3 mai 1993, l’UNITAF est dissoute tandis que s’effectue le transfert des pouvoirs à l’ONUSOM II qui dès le lendemain assume pleinement la responsabilité des opérations. Afin de ne pas interrompre les flux de l’aide humanitaire, une opération Continue Hope est également mise sur pied en appui d’ONUSOM II. Son rôle est d’entretenir un environnement sûr pour les opérations de secours humanitaire en fournissant du personnel, la logistique, les communications, le soutien du renseignement, une force de réaction rapide, et d’autres éléments comme l’exige la résolution. Plus de 60 avions militaires et un millier d’aviateurs travailleront dans ce cadre entre 1992 à 1994. Si l’on considère que Boutros Boutros Ghali a atteint avec le mandat d’ONUSOM II son premier objectif, à savoir une interprétation la plus large possible de l’article 42 du chapitre VII de la Charte, il lui reste toutefois à démontrer maintenant l’efficacité de cette stratégie de renforcement de la paix. Un pari risqué, car l’usage de la force sans le consentement des autorités locales favorise l’évolution de situations dangereuses, en particulier s’il n’est assorti d’aucune règle d’engagement précise. Placée entre les mains de personnalités qui, en prenant leurs fonctions, ne connaissent quasiment rien des caractéristiques de l’histoire ni du peuple auquel ils vont avoir à faire, elle risque fort de déboucher sur de cruelles méprises sinon de se conclure sur des drames. L’opération Restore Hope, placée sous le commandement avisé du général Johnston avait échappé à ce travers fort du fait que les règles d’engagement avaient été clairement formulées afin de gagner la confiance des autorités locales et que Johnston s’y était rigoureusement tenu. Cette situation s’achève le 4 mai, quand la responsabilité militaire de l’ONUSOM, devenue ONUSOM II, passe sous le commandement de jure du général Çevik Bir de l’armée turque et en réalité sous le
commandement de facto du major-général Thomas Montgomery de l’armée des États-Unis d’Amérique.
Misères et ambitions des nations européennes : l’Italie et la France Une situation d’autant plus incertaine que, tandis que sans ménagement particulier les États-Unis ont fait main-basse sur l’opération, les Européens jouent inégalement leurs cartes. Les dirigeants italiens en effet sont alors englués dans le Craxi Gate, somme de scandales politico-financiers qui mettent notamment en cause les rapports avec la Somalie de l’entourage du Secrétaire général du Parti socialiste italien, Bettino Craxi. Son beau-frère, Paolo Pilliteri, ancien maire de Milan, a été naguère consul honoraire de Somalie dans la capitale lombarde où il s’était un moment illustré par la rédaction d’une surprenante apologie de l’ex-président Siyaad Barre. Or le 16 février, un rapport officiel de 49 pages est venu dresser le bilan de l’aide octroyée par la coopération italienne à la Somalie. Il y apparaît que, de 1981 à 1990, Rome a accordé au total plus d’un milliard de dollars d’aide au gouvernement aujourd’hui déchu. Cette prodigalité s’explique par l’étrange engouement du Secrétaire général du Parti socialiste italien, Bettino Craxi, pour l’ancien président somalien. Mais en 10 ans, Muqdisho a quand même aussi bénéficié de 114 projets dont nombre ont été surfacturés et sont devenus des éléphants blancs. On peut aussi lire dans le rapport en question qu’entre 1979 et 1985, par l’intermédiaire des sociétés Breda, Fiat et OTO Melara1, l’Italie a fourni pour 550 millions de dollars d’armes au gouvernement.2 Après 1985, la liste des extravagances de la coopération en Somalie a ainsi coûté à l’agence nationale environ le quart de son budget : la route entre Garoowe à Boosaaso par exemple qui est revenue au triple du montant prévu en 1986, la fabrique d’engrais de Muqdisho qui n’a jamais connu de phase productive, le programme de formation universitaire qui a servi à payer des enseignants italiens pour donner des cours en italien à des étudiants somaliens qui ne le comprenaient pas. Autant de dossiers qui dans le cadre de l’opération Mani pulite font maintenant l’objet de procédures devant les tribunaux.3 Bettino Craxi et le président de la Chambre de commerce italienne ont même eu en 1988 un différend d’ordre commercial avec le général Caydiid. Celui-ci leur a reproché ne pas s’être acquitté de la commission
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La Società Italiana Ernesto Breda per Costruzioni Meccaniche a été une très importante entreprise italienne spécialisée dans la mécanique lourde. Ses activités concernaient, entre autres, les avions militaires, les camions, la sidérurgie et l’armement. OTO Melara SpA est une entreprise, filiale du groupe public italien Finmeccanica, spécialisée dans la défense et l’armement, avec des bases à Brescia et à La Spezia. 2 LOI n°564, 27 février 1993 3 CARLUCCI, Antonio. 1992: i primi cento giorni di Mani pulite. B.C. Dalai, Mirano : 2002
de 10 % convenue à propos d’un marché, procédé ordinaire en Somalie, mais aussi fréquent soit-il moins orthodoxe en Europe1. À Paris, où l’exécutif et le législatif sont en « cohabitation » à partir du 29 mars, la problématique est différente. D’autres priorités que l’affaire somalienne s’y imposent et l’on y surfe sur une tout autre vague plus ou moins porteuse. Néanmoins, attentive à tenir son rang sur la scène internationale dans le prolongement d’une opération Oryx qui pour les Français s’était plutôt bien passée, la France décide de rester sur le théâtre où elle entend d’autant jouer un rôle qu’elle aura été le deuxième contributeur de l’opération en terme d’effectif. C’est pourquoi le 1 er février, décidé à rester, Paris fait aussi le point sur son intervention. Il en ressort que les militaires français ont éprouvé quelques difficultés logistiques dans le Bakool, la zone qui leur avait été confiée. Ils souhaitent maintenant avoir le contrôle de Baydhabo, sa piste aérodrome bien sûr, mais aussi la faculté de disposer d’une route goudronnée vers la capitale. La piste entre Baydhabo et Xuddur est en effet difficile, pour devenir exécrable pendant la saison des pluies. La requête n’est pas nouvelle, mais la capitale du Baay ayant été confiée pour dix-sept semaines au contingent australien, la patience s’imposait. Paris attend donc le futur découpage des zones d’implantation de l’ONUSOM II pour en solliciter le contrôle. En l’occurrence, Bernard Kouchner, soutenu par l’ambassadeur français au Kenya, Michel de Bonnecorse, est solidaire des militaires français qu’il ne souhaite pas voir s’enfermer dans le Bakool. Le diplomate a d’ailleurs obtenu à leur attention la promesse de 3 millions de francs de crédits non militaires. Une somme qu’il reviendra au ministère de la Coopération de débloquer bien que la Somalie ne soit pas dans son escarcelle.2 Le quai d’Orsay vient aussi de désigner son ex-ambassadeur au Burkina Faso pour tenir la mission de France en Somalie que gère pour l’instant en chargé d’affaires, Serge Tell, un ancien conseiller diplomatique du ministre Kouchner. Alain Deschamps s’est préparé dans le cadre de la cellule interministérielle de crise sur la Somalie organisée à Paris. Âgé de 64 ans et en poste à Ouagadougou depuis 1987, il avait réclamé une ultime affectation avant son départ à la retraite.3 Mais surtout la France a pris du retard dans la lutte pour la distribution des postes à l’état-major de l’ONUSOM II. L’attaché militaire de la délégation à New York n’a pas introduit à temps les demandes françaises. Sur place en Somalie, le général René Delhome tente maintenant de rattraper in extremis l’affaire tandis que, dans le même 1
Corriere della Sera, 26 novembre 1991 ; L’Espresso, 1er décembre 1991. LOI n°561, 6 février 1993 3 Diplômé de cambodgien, son expérience africaine passe par la Tanzanie, les Comores et le Burkina Faso. Il est le fils de Hubert-Jules Deschamps, ancien administrateur général des colonies et ne sera qu’un ambassadeur de transition, en dépit de sa curiosité, de son grand cœur et de son réel souci des gens. Il est l’auteur de : Somalie 93 Première offensive humanitaire. Paris : L’Harmattan, 2000. 2
temps, une délégation spéciale est dépêchée à New York à la mi-mars. L’objectif est d’obtenir deux des sept postes-clés constituant l’état-major de l’ONUSOM II. Alors qu’un conflit latéral de préséance au sein du futur état-major de la force s’installe entre Pais et Rome, les autorités françaises rencontrent un autre déboire. Envisageant d’étendre leur dispositif vers le centre de la Somalie, les Français comptaient sur le maintien à Balli Doogle du contingent marocain initialement prévu y demeurer sous leur commandement opérationnel tandis qu’un bataillon tunisien viendrait les relever à Xuddur dans le Bakool. Or il est maintenant prévu de déployer les Marocains le long de la frontière kényane et au sud de Kismaayo. Cette décision pose problème aux Français. Avec un effectif qui doit début avril tomber à 1100 hommes, ils espéraient gérer l’ensemble du pays Raxanweyn, de la frontière éthiopienne jusqu’à Balli Doogle, avec un nouveau quartier général que juste avant les pluies de gu’, ils comptaient installer à Baydhabo. Quant aux autres contingents, ils semblent dans l’ensemble moins exigeants. La plupart sont déjà installés, d’autres peu à peu signalent leur arrivée. Le 21 avril, le Bundestag approuve l’envoi de 1640 soldats allemands pour une mission humanitaire. Pour la première fois depuis 1955, l’armée allemande envoie des troupes hors de la zone OTAN. Boutros Ghali souhaite qu’ils soient déployés dans la zone de Boosaaso, mais c’est le vœu du général turc qui prévaudra et l’unité allemande s’installera à Beledweyne, dans le centre du pays. Il est aussi établi qu’un bataillon de 800 militaires malaisiens viendra début juillet renforcer le contingent de Kismaayo afin de permettre aux troupes belges de se déployer dans l’arrière-pays. L’ONUSOM II se met en place avec son cortège d’incertitudes, dans un contexte débordant de non-dits. Tout se déroule dans un espace où les ambitions personnelles le disputent aux intérêts des clans, une partie où, de plus, le présumé arbitre se révélera ignorant de la règle du jeu. Car dans ce monde de culture nomade, beaucoup de choses se jouent sur la valeur de la parole. Or au moment même où se conclut à Addis Abäba un accord entre les factions, le système des Nations unies laisse imprudemment Maxamed Moorgan reprendre pied dans Kismaayo. Ipso facto, cette faute politique majeure disqualifie les Nations unies et réduit singulièrement toute prétention de l’opération à jouer un rôle de médiateur. Comment une telle complaisance pourrait-elle être comprise par tous ceux qui, du Somaliland au pays Majeerteen voire récemment dans l’interfluve, ont eu à souffrir des méthodes expéditives du boucher de Hargeysa ? Plus prosaïquement encore, comment Caydiid qui vient de jouer les bons élèves à Addis Abäba peut -il voir autre chose qu’une forfaiture dans cette complaisance ? Moorgan qui non seulement reste le dernier représentant en armes du régime déchu mais qui s’est dit
quelques mois plus tôt prêt à reconnaître la présidence de Cali Mahdi. L’ONUSOM II d’emblée se préparait des lendemains qui chantent. Au même moment en revanche, un événement d’une tout autre nature se déroule au Somaliland. Celui-là ajoute une pierre à la construction de la normalisation. Il en faudra d’autres encore certes, mais il prévaut ici une différence de taille : au Somaliland une ferveur existe et il est au moins un point sur lequel sont tombées d’accord les élites, l’impérieuse nécessité de parvenir à s’entendre.
X III – 1993 : L E SHIRWEYNE DE B OORAMA
Au Somaliland, en dépit de quelques difficultés somme toute maîtrisées, c’est avec enthousiasme que chacun se prépare à un événement dont beaucoup attendent qu’il scelle une réconciliation définitive. L’élément remarquable de l’exercice tiendra au transfert de l’autorité du SNM à un gouvernement civil, chargé de procéder à la mise en place d’un véritable État au terme de la rédaction d’une constitution. Considéré comme le point d’origine de la création de l’État somalilandais, le shirweyne de Boorama portera le beau nom de Allaa mahad leh, la « grâce rendue à Dieu ».
PREPARATION ET ORGANISATION DE LA CONFERENCE La préparation du shirweyne et l’environnement sécuritaire Le processus de préparation de la conférence est mené avec enthousiasme. La Guurti nationale, c’est-à-dire le conseil des notables du Somaliland constitué de fait par le shirweyne de Burco, forme à cet effet, sous la direction de sheekh Ibraahin Madar, un comité préparatoire de sept membres. Le premier souci porte naturellement sur le financement de l’opération. A cet effet, les appels sont lancés dans de multiples directions : dans le pays certes, mais aussi auprès des institutions et des États étrangers1 ; la diaspora est largement sollicitée. Sheekh Ibraahin par exemple se rend à Djibouti pour y chercher un soutien financier tandis qu’un groupe de huit Dhulbahaante dirigés par
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Les États-Unis, la France, la Norvège, la communauté mennonite, quelques ONG y répondent.. l’ONU reste discrète.
sheekh Daahir aw Cabdi et Cabdullaahi Ibraahin Habbane Dheere se rend avec le même dessein dans le Sool et le Sanaag. Reste à organiser l’accueil. À Boorama, il est prévu de loger les 150 délégués officiels dans les bâtiments de l’école du district de sheekh Cali Jawhar où se tiendront les sessions ; le reste des participants cherchera refuge ailleurs, ce qui ne présentera d’ailleurs aucune difficulté. L’école a été légèrement endommagée pendant la guerre et nécessite quelques réparations, mais dans l’ensemble, la ville a peu souffert des combats. Épargnée à la fin des années 1980 par les troupes gouvernementales de Moorgan dont les Gadabuursi étaient les alliés, elle a été in extremis sauvée des représailles par l’intervention de Cabdiraxmaan aw Cali. Les bâtiments sont même plutôt en bon état, de nouvelles constructions en dur apparaissent et beaucoup de réalisations montrent que la population s’est effectivement prise en main 1. Pour l’observateur étranger, tout reflète le sérieux de la préparation : accueil des délégations, attribution des salles de réunion, de l’hébergement, organisation de la sécurité, sonorisation, couverture médiatique, photo et vidéo, jusqu’à la confection locale de divers badges. Tout corrobore une volonté sincère et très affirmée de parvenir réellement à un résultat. Dans la ville, qui compte environ 20 000 âmes2, des policiers dotés d’armes individuelles et collectives sont chargés de la sécurité à la fois du congrès et de la ville. Leur tenue est relativement homogène et tous portent le béret bleu de l’ancienne police. Aucun véhicule armé en revanche n’est visible. Seule une rafale d’une dizaine de coups de feu entendus dans la matinée du 4 février rappelle la présence en périphérie de mitrailleuses de gros calibre. Parfois claquent des rafales d’armes individuelles, tirs probablement fortuits ou visant à contrôler le bon fonctionnement. Les troupes naguère stationnées dans la localité, milices Gadabuursi et troupes gouvernementales ont été cantonnées à Goroyacawl, 10 km à l’est de la cité, sur la route de Hargeysa. Dans le pays, les communications posent encore quelques problèmes. La ville est ravitaillée par de gros-porteurs – y compris les camionsciternes de gasoil – qui viennent de Djibouti au terme d’un voyage de deux jours3 car les pluies ont rendu la circulation difficile. Quelques coupeurs de route sévissent encore çà et là. La tension reste aussi relativement élevée vers Arabsiyo aux heures d’arrivée du qaad d’Éthiopie. Quant à l’aéroport, il est praticable par temps de pluie et 1
Un groupe électrogène de 200kWA de fabrication anglaise fournit le courant électrique tous les soirs de 18 à 23 heures pour environ 600 abonnés. 2 Dont une part peu nombreuse de réfugiés. À proximité de Boorama, quelques milliers d’entre eux sont encore installés dans les camps situés de l’autre côté de la frontière, à Dar Wanaaji et Awbarre où sont également présentes les troupes éthiopiennes. Les deux camps ont surtout accueilli des Gadabuursi fuyant le SNM mais aussi des Absame – Jidwaaq et Ogaadeen – ainsi que quelques Gabooye, familles castées. 3 La piste utilisée passe par Boon, Xaliimale (Halimale), la passe de Dobo, Ceel Gaal, Seylac, Toqoshi, Loyada. Il existe aussi une rocade entre Xaliimale et Ceel Gaal qui traverse successivement : Xariirad, Cabdulqaadir et Jidhi.
dispose d’une piste revêtue qui permet de faire atterrir des C-130 Hercules. La société britannique Rimfire qui effectue le déminage autour de Hargeysa y est venue en reconnaissance il y a quelques semaines. Mais son activité est ralentie par les clans qui l’accusent de favoriser celui du président Tuur.1 Les fondamentalistes, 200 personnes environ, mal perçus par la population, ont quitté Boorama au mois de janvier en direction de l’Éthiopie, située à une quinzaine de kilomètres. Une poignée d’entre eux demeure encore au sein de l’école de Camuud, à la sortie de la ville où avait été développé un projet agricole2. L’antipathie à leur encontre n’exclut pas une religiosité plus patente ici que dans le sud du pays. Pour le reste, aucune ONG n’est présente à Boorama ; l’UNDP et l’UNICEF y sont bien installés, mais aucun expatrié n’y réside en permanence. Et puis la question de la présence de l’ONUSOM est un sujet sensible. L’évoquer suscite un réel malaise. Si les autorités reconnaissent qu’une aide technique médicale serait souhaitable, tous affirment que l’instauration de la paix et la sécurité revient aux Somaliens eux-mêmes.
La Conference des communautés du Somaliland [4.II- 1993] Prévu débuter le 24 janvier, le shirweyne de Boorama3 ne s’ouvre officiellement que le 4 février à cause du retard pris par certaines délégations pour rejoindre le lieu de l’assemblée. Rappelons qu’au même moment, deux réunions d’inégale ampleur se tiennent qui toutes deux intéressent aussi le futur du pays somali. La plus importante bien sûr rassemble à Addis Abäba les représentants des divers factions et partis somaliens. Mais une autre série de conférences dont l’espace d’intérêt est plus restreint se déroule aussi dans l’Est du Somaliland où les clans Warsangeli, Dhulbahaante et Isxaaq mettent laborieusement une dernière touche à leur processus de réconciliation. Bien que les efforts entrepris par les Dhulbahaante pour résoudre leurs problèmes avec leurs voisins Isxaaq Habar Yoonis au shir de Dararweyne touchent à leur fin4, au moment où commence la conférence de Boorama, il leur reste à s’entendre sur les délégués qu’ils souhaitent y envoyer. Réunis à Boocame, 53 notables choisissent ainsi ceux qui parmi eux porteront leurs voix. 1
Elle n’a pas été autorisée par exemple à travailler sur l’axe Hargeysa – Berbera où pourtant sont visibles, dûment signalées par de petits tas de cailloux, une demidouzaine de mines antichars. 2 Camuud, vieille cité ruinée du sultanat de ʿAdal [som. Cadal] est un site archéologique important. Elle accueille aujourd’hui l’université de Boorama. 3 Somaliland Inter-Clan Council Conference 4 Le shir de Dararweyne dit Khaatimo – terme suggérant le « règlement », la « conclusion » – a commencé le 2 janvier et s’achève le 5 février.
C’est pourquoi, le jour de l’ouverture du shirweyne, moins de 200 personnes – autorités traditionnelles, autorités religieuses, politiciens, anciens fonctionnaires, intellectuels, hommes d’affaires et autres – sont présentes dans la salle sur les 390 officiellement attendues. Des responsables étrangers ont aussi été invités. Le secrétaire de l’ambassade des États-Unis à Djibouti est venu accompagné d’un « fonctionnaire » venu de Washington ; le dernier gouverneur britannique est également présent ; il quittera la ville avec l’avion qui vient d’amener la délégation française. Celle-ci est conduite par le premier conseiller à l’ambassade France à Djibouti, Jean Guilbau, et le chargé d’affaires à Muqdishu, Serge Tell. On attend aussi, pour un peu plus tard, la visite du ministre anglais de la Coopération et du Développement, Lynda Chaker. La délégation américaine a pris rendezvous pour une visite de Robert Oakley, la semaine suivante. Aucun membre du gouvernement de Muqdisho n’est en revanche attendu, si ce n’est Cumar Carte Qaalib, premier ministre du gouvernement de Cali Mahdi, qui vient d’annoncer sa démission1 et s’apprête à regagner le Somaliland dont il est originaire. Très naturellement, la journée d’ouverture est placée sous le signe de la religion. L’imaan de Boorama dirige les prières ; quelques femmes voilées arpentent les rues. Les deux heures de travail de cette première journée sont entièrement consacrées aux discours d’usage. Le premier est prononcé par sheekh Ibraahin Madar au nom de la Guurti nationale, le second par sheekh Muuse Jaamac Goodaad qui dirige la délégation des notables de l’Awdal. On relève également parmi les observateurs : Maxamed Cigaal ancien Premier ministre de la Somalie, Maxamed Xaashi Cilmi opposant au gouvernement actuel du Somaliland et Maxamed Xawaadle Madar, avant-dernier Premier ministre de Siyaad Barre. Le lendemain, vendredi 5 février, jour chômé, un représentant de la Muslim World League sera reçu avec beaucoup d’égards dans l’enceinte de la conférence : ʿAbduraḥmān al-Qāʿidī, installé à Djibouti, est l’un des financiers saoudiens de l’Itixaad.
Organisation de la conférence et déroulement des débats Avant que ne s’ouvre la conférence, il a été établi qu’elle serait présidée par un comité non-votant composé de huit personnes. Ce shirguddoon est présidé par sheekh Ibraahin Madar flanqué de deux assesseurs, sheekh Axmed Nuur Furre et suldaan Muuse sheekh Jaamac Goodaad ; il compte également cinq personnalités à la fois réputées pour leur sagesse et représentatives des ensembles lignagers : xaaji Cabdikariin Xuseen Yuusuf Waraabe, Cismaan Cashuur Cabdulle, Cabdi
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Rien d’officiel en fait, aussi sera-t-il considéré jusqu’en 1997 comme le Premier ministre de la Somalie, même en parfaite déliquescence.
Nuur Samatar, suldaan Cabdiraxmaan sheekh Maxamed et Cabdi Xuseen Siciid. L’organisation des sessions est gérée par un comité constitué au sein des Gadabuursi qui accueillent la conférence ; il sont soutenus par des Dhulbahaante qui se montreront également très actifs tout au long de l’exercice. Chaque lignage est représenté parmi les 150 électeurs que compte la Guurti. Celle-ci, constituée au shirweyne de Burco, est maintenant souvent écrite avec une majuscule, annonciatrice de son devenir et de son rang. La répartition des sièges jusqu’alors établie n’en est pas moins contestée par les Warsangeli et les Ciise qui jugent leur représentation inéquitable eu égard à la surface de leur population. Assez vite, un accord est trouvé : les Habar Awal renoncent à trois de leurs sièges qui vont aux Ciise et les Habar Garxajis à deux, attribués aux Warsangeli.1 Il en résulte finalement le paysage suivant : - 90 Isxaaq au lieu des 95 initialement prévus soit 17 Habar Awal, 18 Habar Garxajis, 6 Ayuub, 13 Arab, 20 Habar Jeclo (Muuse), 6 Toljecle (Axmed), 4 Sanbuur (Ibraahin) et 6 Cimraan (Maxamed Abokor), - 34 Darood Harti soit 27 Dhulbahaante et 7 Warsangeli, - 26 Dir soit 20 Gadabuursi et 6 Ciise. L’exercice peut maintenant commencer. C’est donc à partir du samedi 6 février que se déroulent les premières réunions décentralisées des divers comités, étant convenu que la prochaine séance plénière se tiendra la semaine suivante afin de faire le point sur les travaux. Comme il en va de la plupart des grandes réunions somalies, l’essentiel des activités a lieu en dehors des assemblées formelles. L’exercice est très ouvert. Comme le veulent les us, il doit permettre à chaque individu de s’exprimer librement. Dans le meilleur des cas, les positions font l’objet de débats collatéraux jusqu’à ce qu’une proposition claire et consensuelle émerge des échanges. Dès lors, les délégués regagnent la salle de conférence principale où siège le shirguddoon puis, chacun ayant accepté la pondération de ses propres préférences, la position retenue d’un commun accord ne nécessite plus qu’une simple ratification. Car les décisions se doivent d’être prises sur la base du consensus, ce qui est généralement le cas. Le recours au vote n’est utilisé que pour les situations jugées inextricables et dont l’objet, forcément mineur, ne nécessite pas absolument de poursuivre la discussion. À l’aplomb de cette méthode, xaaji Cabdi Waraabe avec l’assentiment général prêche la prudence : « voter, c’est s’assurer d’un conflit, optons pour le consensus ». La conférence se refuse donc souvent à imposer des solutions qui n’auraient pas été collégialement acceptées dans les temps 1
Il s’agit d’un débat de proportion : il s’établit entre la formule de 1960 qui distribuait 33 sièges : 21 Isxaaq, 7 Harti et 3 Dir et la formule établie par le congrès SNM de Balli Gubadle auquel il s’agit d’ajouter des voix supplémentaires pour les clans non- Isxaaq.
impartis. Plutôt que de recourir à un suffrage, les parties allongent en général le délai au terme duquel un accord aurait dû être obtenu ; audelà, faute d’entente, certaines séances sont annulées en raison d’une « indisposition passagère » de la présidence ou en usant d’une excuse tout aussi fallacieuse, le tout étant de permettre aux délégués de poursuivre les palabres dans l’espoir qu’un compromis puisse être effectivement trouvé.
LES NOUVELLES INSTITUTIONS Le 25 avril, deux résolutions essentielles sont ainsi adoptées : l’une, Axdiga Nabadgaladyada ee Beelaha Soomaaliland, la « Charte sécuritaire des communautés du Somaliland » porte sur l’établissement d’un système sécuritaire étendu à l’ensemble du pays ; l’autre, Axdiga qarameed, la « Charte nationale » définit une structure constitutionnelle.
Le débat institutionnel Au plan sécuritaire, des dispositions sont prises qui seront rapidement complétées au fil des décisions retenues par le shirweyne. Il faut cependant tout d’abord évoquer les choix auxquels il est procédé dans le registre institutionnel. Car il s’agit avant toute chose de s’arrêter sur un système. Plusieurs options sont étudiées à propos des structures dont souhaite maintenant se doter le pays. Parmi les nombreux systèmes de gouvernement plausibles, les principales propositions portent sur : - la mise en place d’une présidence tournante à 5 présidents, chacun représentant un faisceau lignager du Nord – Harti, Habar Yoonis, Habar Jeclo, Habar Awal et Dir – tenant à tour de rôle la présidence pour la durée d’un mandat ; - un président garant de l’unité nationale et de l’ordre constitutionnel, disposant de peu de pouvoirs administratifs, et assisté d’un premier ministre et d’un parlement forts ; - un exécutif fort avec un conseil des ministres et un parlement contrôlant le pouvoir exécutif. Différents groupes favorisent ces différentes positions qui se révéleront en compétition jusqu’à ce qu’une constitution soit enfin adoptée. Les Calan cas sont partisans d’un exécutif fort, mais s’activent à éliminer Cabdiraxmaan Tuur dont les partisans sont bien en faveur d’un exécutif fort mais à condition qu’il s’établisse clairement en faveur de leur candidat. Les Gadabuursi en revanche préfèrent un Premier ministre fort avec un parlement puissant et une présidence constitutionnelle, tout comme les Dhulbahaante qui ont déjà un prétendant possible en la personne de Cali Khaliif Galaydh1. Les négociations sur le système de 1
Il deviendra finalement premier ministre de la Somalie après la mise sur pied du TNG à Arta en 2000.
gouvernement sont ainsi très animées sans qu’aucun groupe ne paraisse disposé à céder. Quand après de longs débats, le président de la conférence sheekh Ibraahin Madar déclare que les parties devraient se prononcer dans les 24 heures, les débats redoublent d’ardeur jusque tard dans la nuit. Ce sont une fois encore les Gadabuursi qui, sentant en tant qu’hôtes de la réunion leur responsabilité engagée, vont permettre de sortir de l’impasse et débloquer la situation. Se tenant devant l’assemblée, leur représentant déclare que, comme aucun accord ne se profilait, les siens étaient prêts à abandonner le soutien à l’option parlementaire et à se ranger à l’option présidentielle. Ce changement dans la position Gadabuursi serait en contrepartie tempéré par la nomination de l’un d’entre eux à la fonction de Vice-président. C’est ainsi que le choix se portera finalement sur un Président chef de l’exécutif, président du Conseil des ministres et assisté d’un vice-président. Après cet acquis prometteur, un autre débat acharné s’installe à propos des tailles respectives de la Guurti et de la Chambre des représentants : les uns maintiennent que les deux chambres devront comprendre le même nombre de membres pour équilibrer efficacement le poids de chacune, d’autres contestent un tel raisonnement, arguant que la Guurti devrait être plus restreinte pour refléter le fait que leur charge de travail y serait plus légère. Finalement un accord est trouvé : les chambres seront établies à nombre égal au sein d’un Parlement bicaméral composé des 150 membres répartis à 75 pour chacune des deux assemblées. Le système législatif est donc bicaméral : un Parlement Baarlamaanka composé d’une une chambre haute, le Golaha Guurtida et d’une chambre basse, le Golaha Wakiilada. Il associe une représentation de type occidental à une représentation traditionnelle. Les qualifications pour la chambre basse qui doit légiférer exigent d’avoir au moins suivi une éducation secondaire. La chambre haute qui participe à toutes les délibérations ne requiert pas de qualification particulière ; elle est sollicitée sur les problématiques sécurité et a pour charge principale la résolution des différends politiques et, faute d’y être parvenu, la saisine du congrès national1.
Charte sécuritaire et Charte nationale Le shir de Sheekh avait établi les principes visant au règlement et à la résolution des conflits. La priorité à Boorama vise à les formaliser dans un cadre strict. C’est l’objet de la Axdiga Nabadgaladyada ee Beelaha 1
On parle désormais de beel system. Le mot beel(-sha) désignant le territoire occupé par une communauté, une zone de rassemblement et par extension, cette communauté ellemême. Cf. CABDIRAXMAAN Jimcaale. Consolidation and Decentralisation of Government Institutions. Hargeysa. WSP-International /Academy for Peace and Development. 2002, pp. 29-43.
Soomaaliland, la Charte de paix et de sécurité des communautés du Somaliland1 à laquelle se consacre la première période de la conférence. En accord avec le principe du ama dalkaa qab, ama dadkaa qab, les clans endossent la responsabilité des événements survenus sur leur territoire et par le fait deviennent responsables de la délinquance, budhcad iyo deydey, qui peut y sévir ou s’y développer. Un comité de contrôle et de surveillance doit être établi afin de s’assurer que chacun d’eux s’acquitte de ses responsabilités. La force de police ainsi ébauchée a vocation à se fondre au sein d’une force nationale. Pour ce faire, la Charte établit plus précisément qu’en amont du processus : - chaque communauté, responsable sur son territoire, établira un Conseil de sécurité pour superviser l’ordre public ; - chaque communauté dissoudra sa milice ; toutes les armes seront désormais considérées comme propriété gouvernementale et leur port interdit dans les espaces urbains et lors des réunions publiques ; - il sera fait appel à l’aide internationale pour les opérations de déminage et de démobilisation ; - chaque communauté coopérera en vue d’interdire toute intrusion provenant de l’extérieur de Somaliland ; - chaque communauté s’engage par serment à ne pas en agresser une autre. La Charte établit enfin une hiérarchie des recours : les conflits locaux seront réglés par une guurti locale responsable pour les affaires locales, et des instances de plus haut niveau compétentes seront simultanément mises en place selon la surface considérée au sein de l’espace lignager2. Le document établit explicitement par les articles 19 et 20 que la plus haute de ces instances sera le comité exécutif du Golaha Guurtida Soomaaliland, le Conseil des notables du Somaliland. Cet adoubement de la Guurti et l’officialisation de son rôle relèguent définitivement le SNM qui ne s’en relèvera pas. Les jours suivants, la conférence se prononce sur l’adoption de la Charte nationale avant de procéder à l’élection du président et du viceprésident puis à la mise en place de la législature.
Élection du President et du Vice-President [5.V-1993] Vient ainsi l’exercice visant à élire les futures autorités. Le mécontentement à l’encontre de Cabdiraxmaan Tuur qui est resté à l’extérieur du pays avant la conférence reste prononcé. Le fait de se rendre directement à Boorama sans juger opportun de rencontrer au préalable son gouvernement semble un comportement insupportable. Mais sachant son impopularité, le Président n’a pas besoin d’un scrutin pour deviner le scénario qui se dessine. Sheekh Ibraahin Madar n’a-t-il 1 2
Somaliland Communities Security and Peace Charter Cf. croquis p.134
pas écrit au roi d’Arabie saoudite pour lui demander de surseoir au versement de l’aide que Riyāḍ a promise Somaliland, en expliquant que le mandat de l’actuel président viendrait bientôt à son terme et pourrait ne pas être reconduit ? Jouissant depuis longtemps de la confiance des Saoudiens, ceux-ci suspendront provisoirement le versement de leurs aides. L’assemblée de Boorama consacre en effet l’isolement croissant de l’actuel président qui, absent pendant toute la durée de la Guurti, ne rentrera à Hargeysa que le 23 février. Bien qu’il ait fait de son mieux pour conserver la confiance du public, il est conscient de cette impopularité et le débatteur brillant semble avoir perdu toute inspiration au moment de la conférence. D’où peut-être sa répugnance à passer du temps à faire de la politique à l’intérieur du Somaliland. Pourtant, sur le plan lignager autant que sur celui des compétences, il restait l’un des plus solides candidats. Sauf qu’un autre prétendant a inopinément fait son apparition : Maxamed Ibraahin Cigaal. En 1990, celui-ci qui vit maintenant dans la péninsule arabique s’était montré très critique envers la tentative de récupération de la guérilla par le groupe du Manifesto – dont il était pourtant signataire – puis l’année suivante, envers le gouvernement intérimaire de Cali Mahdi. Par ailleurs, ses positions plutôt favorables à une Somalie unie n’ont que très récemment évolué vers une position de soutien à l’idée d’indépendance du Somaliland. A ussi ne semble-t-il à personne anormal qu’il n’ait auparavant fait état d’une candidature à la présidence. Mais quand, décidant d’assister à la conférence, il avance son nom, beaucoup jugent que sa participation vise surtout à s’opposer à la direction des Calan cas, aile militaire d’un SNM opposé au SNM politique de Tuur. En réalité, depuis un moment déjà, l’offre du poste lui a à plusieurs reprises été faite, un Habar Awal devant normalement arriver maintenant aux affaires. Beaucoup qui n’ont pas envisagé l’hypothèse Maxamed Cigaal attendaient que les Habar Awal mettent en avant un candidat tel que Maxamed Xaashi Cilmi ou Muuse Biixi Cabdi. D’autant que l’ancien Premier ministre qui argue coquettement de son âge avancé – il n’a en fait que 65 ans - et des difficultés matérielles de la vie à Hargeysa où il s’est vu voler sa propre voiture l’année précédente hésite à renoncer à une vie autrement plus confortable auprès des princes arabes. Reste qu’après s’être décidé, une dernière demi-surprise se prépare : alors que Cabdiraxmaan Tuur et Maxamed Ibraahin Cigaal1 semblaient les seuls concurrents probables à la présidence, on apprend au cours de la conférence l’arrivée de Cumar Carte Qaalib, premier ministre de Cali Mahdi. À peine posé sur l’aéroport d’Hargeysa où il est accueilli par les membres de son lignage, il se dirige vers Boorama, non sans avoir 1
Celui-ci a été le premier Premier ministre du Somaliland à l’indépendance en 1960 puis est devenu le dernier Premier ministre de la République de Somalie, de 1967 jusqu’au coup d’État de 1969.
octroyé une généreuse contribution à la conférence « afin d’aider les notables à prolonger leurs délibérations ». Il devient ainsi l’un des trois candidats au fauteuil présidentiel jusqu’à ce qu’un quatrième ne se manifeste encore : Axmed Maxamed Halac, représentant les Habar Jeclo en lieu et place de Axmed Siilaanyo ainsi protégé d’un insuccès d’emblée acquis, fort du consensus d’alternance au sein des lignages Isxaaq. Le 5 mai au matin encore, un incident semble un moment sur le point de gâcher le déroulement de l’élection quand 29 des 150 votants quittent la salle avant le scrutin. Le prétexte tient au fait que le président, sheekh Ibraahin, a refusé à Cabdiraxmaan Tuur et à Cumar Carte Qaalib une harangue de dernière minute devant la Guurti, exercice réputé avoir été effectué les jours précédents. L’affaire s’arrange et, finalement au terme du scrutin, Maxamed Cigaal est élu par 99 voix contre 61. Ses trois concurrents acceptent sans tergiverser leur défaite. Un vice-président est aussitôt élu. Le choix se porte sur le colonel Cabdiraxmaan aw Cali, gouverneur de Boorama, auquel après le départ des troupes gouvernementales, il était revenu la responsabilité de remettre en place un embryon d’administration régionale. Collectant des impôts et établissant une nouvelle force de police, il était parvenu à établir l’ordre, à faire fonctionner la justice et à reconstruire la prison. Une belle et énergique personnalité dont nul n’aurait songé à discuter l’intégrité. Comme cela avait été le cas au cours de la conférence, le vote de chacun a en grande partie été élaboré avant le vote réel. Les Habar Jeclo avaient admis dès avant la conférence que c’était au tour d’un Habar Awal conformément aux us du SNM de prendre la présidence. Leurs votes se sont donc d’emblée portés sur Maxamed Cigaal comme l’on fait les Harti et les Gadabuursi. Face à eux, les Habar Garxajis ont formé le coeur du soutien au gouvernement sortant et se sont fermement campé derrière Cabdiraxmaan Tuur tandis que le groupe transclanique des Calan cas, implacablement hostile à celui-ci, s’était rangé derrière la candidature de Maxamed Cigaal.
Le passage du pouvoir à un gouvernement civil [8.VI-1993] Le shirweyne concluait donc avec succès les luttes entre les clans tout en supervisant le transfert de pouvoir du SNM à un pouvoir civil et à de nouvelles administrations. Il fixait également le cap pour la gouvernance en Somalie, mettant en place un modèle susceptible d’être reproduit dans d’autres territoires somaliens. Il était aussi intéressant d’observer que le succès de la conférence de Boorama avait résulté d’un certain nombre d’éléments : les préparatifs méticuleux du comité d’organisation, son financement par les
communautés du Somaliland qui avait évité les gabegies1 et son fonctionnement selon un calendrier flexible. Un dernier fait toutefois mérite encore d’être relevé. Le choix de Maxamed Ibraahin Cigaal pour conduire le nouveau gouvernement ne va pas sans controverse. A l’origine de l’indépendance du Somaliland en 1960 et incontestablement le plus accompli des hommes d’État Isxaaq, son aptitude à diriger ne peut être mise en doute. En revanche, nul n’ignore que durant les conversations de Djibouti en 1991, il s’est fermement prononcé, contre l’indépendance et en faveur d’un gouvernement national à Muqdisho. Tant que le sujet a fait débat, entre 1991 et 1993, il a préféré s’exiler en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Au moment où il est élu à Boorama, peu de Somalilandais pensent dans leur for intérieur qu’il est résolument rallié à la cause indépendantiste. Sauf que peu auparavant, le doute s’est peut-être installé dans l’esprit du nouveau président. Maxamed Cigaal arrive à Boorama après avoir assisté, comme observateur, à la conférence de réconciliation des factions somaliennes organisée à Addis Abäba avec le soutien des Nations unies. Une réunion qui peut avoir laissé à un observateur aussi averti des prémonitions pessimistes. Ainsi, peut-être est-ce la somme de ses propres désillusions conjuguée à son expérience d’homme d’État qui ont donné au Somaliland son premier président. Maintenant, contraints à s’entendre, il reste aux lignages du Somaliland à surmonter ses ultimes différends et à se débrouiller face à l’injustice d’une société internationale qui s’apprête à cautionner un cheval rétif, l’Érythrée, alors qu’elle lui refuse toujours le même traitement.
Le gouvernement du Somaliland [8.VI-1993] Au terme de longs conciliabules, le président Cigaal désigne son gouvernement aux alentours du 8 juin. Les portefeuilles sont répartis au sein d’une équipe résolument nouvelle où les principaux postes sont ainsi attribués : - Affaires étrangères : Warsame Axmed Aw-Aadan [Isxaaq], - Affaires religieuses : Cabdiraxmaan Daahir*2, - Affaires sociales : Deeqa Cali Joog [Isxaaq], - Agriculture : Haybe Cumar Magan [Isxaaq], - Commerce et industrie : Maxamed Axmed Ibraahin Cilkacase [Isxaaq], - Défense : Maxamed Ibraahin Bullaale [Isxaaq], - Education : Saleebaan Maxamed Aadan Gaal [Isxaaq], - Finances : Cabdullaahi Cali Ducaale, 1
Si la conférence qui s’est tenue à Addis Abäba sous l’égide des Nations unies a coûté 1,3 million de dollars, celle de Boorama ne lui aura rien coûté sinon quelques facilités dans le domaine du transport aérien. 2 * lignages non identifiés.
-
Intérieur : Muuse Biixi Cabdi [Isxaaq], Justice : Maxamed Cali Biyar*, Plan : Cismaan Cabdillaahi Jaamac Postes et Télécommunications : Cismaan Aadan Dhool Quule [Isxaaq], - Réhabilitation et reconstruction : Xasan Aadan Wadaadid [Isxaaq], - Ressources minérales : Maxamed Cali Caateeye [Harti/Dhulbahaante], - Santé et Travail : Yasine Xuseen [Isxaaq], - Travaux publics : Daahir Maxamed Cismaan*, - Urbanisme : Cabdi Maxamed Gagaleh,… Un seul ministre du cabinet de l’ex-président Cabdiraxmaan Tuur est reconduit, Cismaan Aadan Dhool Quule qui était en charge de l’Information et est nommé aux Postes et Télécommunications. Le président lui-même se réserve le portefeuille des Affaires étrangères. Saleebaan Gaal qui avait quitté le précédent gouvernement en décembre 1992 après avoir été ministre de l’Intérieur retrouve un maroquin à l’Éducation. Pour la première fois enfin une femme, Deeqa Cali Joog, originaire du Sanaag, est nommée à un poste ministériel, aux Affaires sociales. Quant au vice-président et ministre de la Défense sortant, Xasan Ciise Jaamac, il ne fait plus partie de l’équipe gouvernementale. Le nouveau cabinet est formé d’hommes n’ayant joué aucun rôle décisif dans les affrontements de Burco ni dans la crise qui s’était ensuivie. Le président Cigaal ne fait pas davantage appel aux personnalités originaires du Nord et avec lesquelles il avait collaboré au sein du groupe du Manifesto à Muqdisho. Quant à Cumar Carte Qaalib, malgré les nombreux présents – vêtements, billets d’avion pour le ḥajj,… – offerts aux dignitaires locaux, il n’obtient aucun poste gouvernemental. Pour faire bonne mesure enfin, avec un président Isxaaq et un viceprésident Dir Gadabuursi, la présidence du Parlement est attribuée à un Darood, le Harti Dhulbahaante Axmed Cabdi Xaaabsade. En dépit de l’insatisfaction des Habar Garxajis, les perdants du shirweyne, la conférence de Boorama apparaît d’autant comme un succès qu’elle contraste avec les tribulations d’une conférence de paix qui au sud ne parvient à rassurer personne. Peut-être la principale raison de ce succès tient-elle à la présence d’un parti lignager assez puissant pour exercer une influence politique forte, mais au sein duquel ses propres divisions ont suggéré que l’intérêt commun était d’accorder aux autres une place légitime. La conférence a ainsi pu mener à bien un exercice aussi délicat que la transition d’un gouvernement milicien issu des maquis à un gouvernement civil. Un autre point qui mérite d’être relevé tient à la pression exercée par les groupes de femmes dont l’engagement dans le processus politique s’est conclu sur la désignation de la première ministre femme du Somaliland.
Mais surtout la conférence requalifie un système de négociation somali mis à mal par le précédent régime. Ce système qui fonde sur le consensus l’élaboration des réponses à un problème donné confère aux réunions un tour certes déconcertant pour l’oeil occidental dès lors que l’essentiel des délibérations se tient à l’extérieur des sessions formelles. Un tel système bien sûr prend davantage de temps que ne le conçoit la norme sous des systèmes représentatifs plus hiérarchisés. La conférence aura ainsi duré cinq mois. Mais c’est pourtant l’usage tacitement convenu de dates limites dynamiques, de médiations et de pressions exercées en arrière-main – procédés évidents à Boorama – qui aura garanti l’efficacité de la réunion. Un autre aspect du processus de médiation vaut encore que l’on s’y attarde. Les clans non Isxaaq dont on sait la faible représentation au sein du SNM ont été très actifs dans l’organisation et les facilitations de l’exercice. À de nombreuses reprises, Gadabuursi et Dhulbahaante ont joué un rôle-clé comme médiateurs, « extérieurs » en quelque sorte, dans les conflits internes qui pouvaient opposer les lignages Isxaaq à l’appareil SNM, voire ces lignages entre eux au sein de la conférence elle-même. Un travail soigneusement élaboré bien en amont par des personnalités aussi avisées et pertinentes que le garaad Saleebaan garaad Aw-Daahir Afqarshe des Dhulbahaante, Maxamuud Cabdi Cali Bayr des Warsangeli et bien sûr Cabdiraxmaan aw Cali, à la fois Gadabuursi et membre du SNM. Il est clair qu’en tant que non-Isxaaq, tous ces membres du comité de préparation étaient conscients du caractère décisif que pourrait revêtir leur travail.1
La sédition des Habar Yoonis : Liibaan I [VII-1993] Dans un premier temps, dans le sillage de la conférence de Boorama, et confortée par le large soutien accordé à Cigaal, la nouvelle administration qui se trouve en situation d’agir se met aussitôt au travail. Mais l’affaire fait aussi son lot de mécontents, les Habar Yoonis en particulier qui ont non seulement perdu la présidence, mais encore un certain nombre de postes dans l’administration. Aussi les tensions apparaissent-elles rapidement. Après que, quelques semaines seulement après la conclusion de la conférence de Boorama, Cigaal a annoncé son premier cabinet, le 8 juin 1993, les Habar Yoonis auxquels s’est joint un Warsangeli refusent les portefeuilles pour lesquels ils ont été pressentis. En juillet, les Habar Yoonis rassemblent à Burco un shir dit Liibaan I2 au cours duquel ils font savoir qu’ils ne siégeraient pas au Parlement, pas plus qu’ils n’entretiendraient de relations avec l’État du Somaliland.
1
WALLS, Michael. State Formation in Somaliland : Bringing Deliberation to Institutionalism. Development Planning Unit. UCL : February 2011 2 Liibaan(-ta) signifie « succès, victoire », à l’instar du mot guul(-sha), qui a à peu près la même signification.
Le premier grief qui ressort de Liibaan I porte sur le nombre de voix qui leur a été octroyé pendant le shirweyne. La contestation repose sur la formule retenue, fondée sur les huit fils de sheekh Isxaaq, l’ancêtre éponyme du faisceau lignager. Les Habar Yoonis en effet ne peuvent se réclamer, en dépit de leur poids démographique, que de la descendance de l’un de ses petits enfants, fils de Saciid Ismaaciil Garxajis, aussi huit délégués leur ont-ils été attribués sur cette base. Mais d’un autre côté, les Habar Jeclo, lignage qui rassemble les descendants de l’un des quatre fils de sheekh Isxaaq à obtenu une trentaine de représentants. En l’absence d’un décompte acceptable de la population, ce système qui propose une solution pragmatique au problème de la représentation ne peut empêcher les Habar Yoonis, plus nombreux que les Habar Jeclo, de se sentir largement lésés, d’où le développement d’une vigoureuse vindicte. Tout est donc une fois encore prêt pour qu’un conflit éclate entre les Habar Garxajis et le gouvernement de Cigaal. En dépit de ses incontestables acquis, tant sur le fond que sur la méthode, la conférence de Boorama ne s’affirme donc pas comme un succès absolu, une panacée propre à établir une paix définitive au Somaliland. Cette tâche ne sera pas parachevée avant la conférence de Hargeysa en 1997 et la légitimation d’une constitution. Entre temps, le gouvernement devrait encore louvoyer entre les vieux démons des sociétés somalies avec en toile de fond une société internationale résolue à ne lui octroyer aucune concession politique.
LE SHIRWEYNE DE CEERIGAABO Mais en dépit des difficultés qui se profilent, d’autres nouvelles se révèlent plus encourageantes, aux confins orientaux du pays. Pendant que se déroulait la conférence de Boorama, dans les premiers mois de 1993, les délégués du Sanaag se réunissaient également pour discuter du processus de paix dans leur province. Au fil de leurs conversations, ils décidaient qu’il était temps de mettre un terme au long processus des shirar et d’annoncer collectivement leur intention de tenir une grande conférence à Ceerigaabo. En effet, après plus de deux ans de réunions entre deux ou trois clans, réunions simultanées parfois, chacun a eu l’opportunité de faire le point de ses revendications et d’envisager le règlement approprié des tensions qui en résultaient. Au lendemain du shirweyne de Boorama, les négociations dans le Sanaag prennent peu à peu un tour définitif.
Habar Yoonis et Warsangeli : Yuube III [VI-1993] C’est ainsi qu’en juin 1993, immédiatement après le shir de Hadaaftimo, un troisième shir se réunit à Yubbe, Yubbe III. Les affaires pourtant ne se présentent pas au mieux. En effet, quand les onze délégués Habar Yoonis conduits par Saciid Bidaar rencontrent leurs dix interlocuteurs
Warsangeli de Hadaaftimo, c’est pour s’entendre relater les événements survenus à la réunion manquée de Gar Adag. Ils leur signifient notamment que compte tenu des circonstances, les Habar Jeclo et les Dhulbahaante étaient déterminés à attaquer Ceerigaabo en précisant que, sauf à ce que les Habar Yoonis ne s’engagent dans des négociations de paix avec les trois autres lignages, les Warsangeli se joindraient aussi à eux. Mais tandis que se poursuit cette réunion à Yubbe, certains notables restés à Hadaaftimo qui soutiennent l’engagement des Warsangeli dans le processus de paix se rendent compte qu’à leur insu, la plupart des dix délégués envoyés à Yubbe sont en fait déterminé à miner le processus de paix dans l’espoir que ceci minerait par voie de conséquence le processus de l’indépendance du Somaliland. Aussitôt, une demi-douzaine de notables parmi lesquels figurent Maxamed Cabdi Cali Bayr, Maxamed Cabdi Hamus Nine, Maxamed Saciid Maxamed Gees et Axmed xaaji Cali Adami rejoignent Yubbe III afin d’y soutenir résolument le parti de la paix. C’est ainsi qu’après des conversations tenues avec une délégation maintenant élargie des Warsangeli, les Habar Yoonis acceptent de s’engager dans le processus de paix. Les Warsangeli décident d’envoyer des délégués aux Habar Jeclo et aux Dhulbahaante afin de leur confirmer cet engagement et inviter les autres clans du Sanaag à se rendre au shirweyne prévu à Ceerigaabo. Les onze notables Habar Yoonis se joignent aux démarches. Huit d’entre eux se rendent à Fiqi Fuliye en juin 1993 pour rencontrer les Dhulbahaante. À la réunion, cinq délégués de chacun des deux lignages sont désignés pour représenter leur communauté aux futures négociations de paix. Il est donc entendu que les Dhulbahaante participeront à la conférence de Ceerigaabo. Au même moment, un autre sujet de discussion apparaît au fil des réunions : l’hypothèse du déploiement au Somaliland d’une force des Nations unies. Le projet suscite un grand débat et beaucoup d’opposition. Les Warsangeli en particulier sont divisés ; la plupart pensent que le Somaliland n’a pas besoin d’une telle intervention tandis que d’autres considèrent que si l’ONUSOM II parvenait à désarmer les milices, il ne serait plus nécessaire de poursuivre l’initiative de paix dans le Sanaag. La dispute s’envenimera au point de compromettre un moment la participation des Warsangeli au processus de paix… jusqu’à ce que finalement la tension retombe.
Habar Jeclo et Habar Yoonis : Ceel Afweyn [VI-1993] Dans le Sanaag, Habar Jeclo et Habar Yoonis partagent limites territoriales et mariages. Durant les combats, sous la bannière du SNM, ils ont tous deux été unis tandis que la plupart des clans Harti soutenaient le gouvernement. Si après la guerre les relations entre les deux clans ont été moins incertaines qu’avec ces derniers, elles n’en ont
pas été pour autant sereines. Au fil des nombreux désaccords survenus au sein du SNM, il en a résulté une fracture qui s’est notamment manifestée, après juin 1991, par le déplacement de la plupart des Habar Jeclo de Ceerigaabo vers d’autres zones du Sanaag. Aussi, la première réunion entre les deux lignages Isxaaq n’intervientelle que deux ans après la fin de la guerre, quand le caaqil général des Habar Yoonis, Ismaaciil Muuse, prend l’initiative de se rendre à Ceel Afweyn en février 1993 après les conférences de Gar Adag et de Dararweyne. Comme ailleurs, le processus est un moment interrompu par la conférence de Boorama mais en juin, celle-ci achevée, caaqil Ismaaciil Muuse accompagné d’une petite dizaine de notables retourne à Ceel Afweyn. Il y rencontre une délégation Habar Jeclo avec laquelle il voyage jusqu’à Yufle où il les invite à venir à Ceerigaabo en vue de sceller la réconciliation des clans. Laissant là sa propre délégation qui y poursuit le règlement des litiges, cet homme âgé et épuisé regagne Ceerigaabo ramenant avec lui quelques Habar Jeclo.
La grande conférence de paix de Ceerigaabo [19.VIII/11.XI-1993] Au cours de la conférence de Boorama, à laquelle ont assisté les notables du Sanaag, il a été arrêté qu’une conférence particulière, à Ceeribaabo, traiterait des problèmes spécifiques de la province, décision entérinée par le président Cigaal qui vient tout juste d’être élu. L’affaire étant entendue, la priorité suivante consiste à en assurer le financement. Or si plus d’un millier de personnes souhaite participer à l’exercice, la population du Sanaag appauvrie par la guerre civile ne peut guère en assumer le coût. Ismaaciil Suldaan des Warsangeli approche alors la Somalia Development and Relief Agency (SDRA) établie à Djibouti et demande son assistance. L’agence en accepte le principe sous la simple réserve qu’une demande précise et exhaustive lui en soit adressée par écrit. Les représentants des quatre principaux lignages du Sanaag rédigent de concert le document demandé et, en retour, l’agence organise comme promis un programme de levée de fonds auquel répondent de nombreuses organisations nationales et internationales. Les dons arrivent, accordés en nature, en services ou en liquidités. L’agence elle-même offre les transports terrestres, aériens et maritimes afin d’acheminer la nourriture et le soutien santé à partir de Djibouti. Un souci surgit cependant quand il apparaît combien le montant nécessaire a été sous-estimé et combien il promet un déficit alarmant. Basé sur une présence de 500 délégués rassemblés pour un maximum de 45 jours, ce sont en fait plus de 1000 représentants qui se présentent à une assemblée qui va durer trois mois. Tout se réglera pourtant, de la façon la plus étonnante parfois, au terme d’une gymnastique logistique mettant en synergie la population locale et les diverses organisations impliquées qui couvriront finalement le déficit de l’exercice.
Afin de s’assurer que la conférence se déroulera sans hiatus et que les Habar Yoonis-bari coopéreront au processus de paix avec les Harti, une délégation se rend à Ceerigaabo afin d’assister au shirweyne sur le point de s’ouvrir. Se mettant en route dès la fin de leur propre conférence qui vient de s’achever à Ceel Xuume dans le Togdheer, elle est conduite par Jaamac Maxamed Qaalib Yare et constituée de suldaan Maxamed Cabdelqadiir, suldaan Ciise Xirsiqaani et d’autres notables des Habar Garxajis de l’Ouest. La présence de ces notables doit donner un élan déterminant et encourager la population du Sanaag à régler effectivement ses problèmes. À Ceerigaabo, un comité préparatoire a été établi pour organiser et gérer la conférence, représentant à nombre égal les quatre principaux lignages. Cette procédure de préparation reproduit le modèle de Yubbe III où un comité préparatoire comptait cinq membres de chaque communauté à l’exception des hôtes - qui en comptaient sept. Un ensemble de 22 membres donc. Un bureau est aussi ouvert à Ceerigaabo d’où le processus est administré, les invitations envoyées. Dans un premier temps avait été retenu le chiffre de trente délégués, rapidement porté à cinquante, avant que les clans minoritaires, Jibraahiil et Gahayle, ne soient également conviés à y envoyer leurs propres représentants. Et puis chaque chef de lignage vient avec une délégation qui inclut tous ceux qui sentent leur présence nécessaire, ce qui conduit très vite à excéder la limite des trente puis des cinquante, la règle somalie ne pouvant interdire à un individu de se représenter. De la sorte, le comité juge raisonnable de demander à chaque chef de communauté une limite du nombre de ses délégués. Mais quand bien même, de nombreux chefs sont venus, accompagnés par davantage de représentants qu’il n’était possible de le prévoir, rendant la nouvelle limite elle-même symbolique. Le shirweyne nabadeed s’ouvre officiellement à Ceerigaabo le 19 août 1993, il durera jusqu’au 11 novembre. Comme les précédentes réunions, il se déroule conformément aux procédures de négociations traditionnelles somalies entre les principaux notables – suldaanno, garaado et cuqaal – qui représentent leurs clans au sein d’un grand conseil, la guurti. L’objet du shir est d’officialiser la décision de mettre un terme aux hostilités, de négocier la restitution des biens pillés et d’établir les règles susceptibles de fonder la coexistence, y compris le droit de libre passage et de commerce à travers les territoires des clans. Cette dernière mesure prend ici toute sa dimension économique puisqu’elle induit d’une part l’accès à l’axe goudronné reliant l’ouest du Somaliland à la Somalie du sud, mais aussi un accès aisé au port de Boosaaso. Ces accords devant être finalisés dans une charte régionale de paix, chacun des quatre grands lignages du Sanaag a vocation à y être également représenté. Médiations et négociations doivent se dérouler sous la responsabilité des notables et les procédures soumises aux
principes du xeer et de la šarr ʿa, plaçant ainsi l’ensemble sous le double signe de la coutume et de la religion. L’ouverture de la conférence donne lieu à de nombreuses déclarations fondées sur tel verset du d t. La poésie est bien sûr omniprésente dans les Coran ou sur tel ḥad discours éloquents qui rappellent les conflits passés et les leçons qu’il convenait d’en tirer. À l’instar des notables Habar Garxajis arrivés de Ceel Xuume, un grand nombre d’hommes politiques, de militaires, de religieux ainsi que des poètes se joignent à l’exercice. Les femmes qui ont joué un rôle majeur dans la préparation et l’organisation de la réunion seront en revanche exclues de débats sur lesquels elles sauront néanmoins garder un œil vigilant. Pour fonctionner, les délégués ont été organisés en quatre groupes ; le comité de préparation d’abord, le shirguddoon, un comité de négociation et un comité ad hoc, la somme de tout ce monde constituant l’Assemblée générale. Président Vice-président Membres
Secrétariat
Cali Warsame Guuleed Maxamed Cali Shire Maxamed Xasan Ducaale Axmed Sheekh Salaax Axmed Xasan Badhasab Xasan Sheekh Ducaale CabdalIa Boos Axmed Maxamed Axmed Cabdulle
Habar Yoonis Dhulbahaante Habar Jeclo Warsangeli Warsangeli1 Habar Jeclo Habar Yoonis Dhulbahaante
Cabdillahi Jaamac Faarax Habar Yoonis Garaad Saleebaan garaad Aw- Dhulbahaante Daahir Afqarshe Habar Jeclo Dalmar Cabdi Diiriye Warsangeli Maxamed Xasan Jaamac Le shirguddoon de Ceerigaabo et son secrétariat
Le shirguddoon présidé par Cali Warsame Guuleed est composé de huit personnes soit deux membres élus au sein des quatre principaux clans. Ils sont responsables de la présidence des réunions de l’Assemblée qui publiquement entérine les accords passés par le comité de négociation. Le comité de négociation est constitué de onze cuqaal ou notables de chaque lignage, choisis par chaque délégation. À ce total initial de 44 viendront s’ajouter quelques personnes désignées pour assurer la représentation des familles Gahayle. Ce comité est en charge d’organiser les cercles de réunions en s’assurant qu’y figure un représentant de 1
Des Ogayslabe, un petit lignage vivant entre Hadaaftimo, Badhan et la côte du Maakhir.
chaque clan. Les réunions ont lieu hors assemblée générale et donnent lieu à des accords sur les dispositions retenues. Ainsi, les principaux problèmes sont résolus en aparté et par accords mutuels, l’assemblée faisant office de chambre d’enregistrement de chaque nouvel accord, tout comme cela s’est passé à Boorama d’ailleurs. Le comité ad hoc est constitué d’un groupe d’intellectuels et de politiciens du Sanaag incluant des membres de chacun des principaux lignages et qui se sont signalés dans le passé pour leur engagement processus de paix. Bien que venus avec la délégation de leurs communautés respectives, ils ont décidé de travailler sur une base non clanique, cherchant clairement à éviter toute identification avec un lignage ou un autre. Ils jouent un rôle d’assistance en matière de protocole et de publicité. Travaillant très étroitement avec le comité préparatoire puis avec le shirguddoon, ils délèguent à celui-ci un secrétariat de quatre personnes soutenu grâce à l’aide du SDRA. Un petit journal est ainsi publié, informant les lecteurs sur les sujets en discussions et les problématiques relevant de la construction de la paix. À tout ce monde s’est jointe une kyrielle d’observateurs indépendants, garaado, suldaano, notables, wadaado et poètes de tout le Somaliland, témoins d’un espoir partagé de contribuer à la paix.
Les acquis du shirweyne du Sanaag À l’issue de l’assemblée de Ceerigaabo est adoptée une charte de dixneuf articles. Elle reprend les thèmes habituels, déclarations de principes autour de la paix et rédaction des accords passés entre les lignages entre 1991 et 1993. Elle envisage aussi des mesures plus pratiques liées à la sécurité des biens et des personnes, au partage des ressources pastorales, eau et pâturages. La guurti de chaque communauté, de chaque beel, est désormais directement impliquée dans les processus de maintien de la paix, de la loi et de l’ordre ainsi que dans la composition des organismes régionaux. Les procédures de restitution des terres à leurs propriétaires d’origine seront quasiment réglées dans l’année bien que les Habar Yoonis prennent ostensiblement leur temps. Des atermoiements qui ne manquent pas d’agacer les Dhulbahaante. Patients pourtant, ils leur demanderont au bout de trois ans de se conformer à leurs obligations avec suffisamment de véhémences pour qu’une réunion soit organisée en juillet 1996. Les deux clans achèveront alors les procédures liées à la restitution des propriétés. Trois cents délégués, 150 de chaque clan, réunis à Ceerigaabo mettront encore trois mois pour conclure le processus. Il est vrai que, bien que la plupart des problèmes aient été résolus au fil du shirweyne, certains litiges concernant la propriété foncière restent en suspens, et cela sans malveillance établie. La chute du régime et les destructions d’archives qui l’ont précédée ou accompagnée ont simplement occasionné la perte de nombreux dossiers. En
conséquence, certaines revendications relatives à la terre et datant d’avant le conflit resteront sans solution entre Warsangeli et Habar Yoonis ainsi qu’entre ceux-ci et les Dhulbahaante. Par ailleurs s’agissant de réalisations concrètes, nombre de projets évoqués à Ceerigaabo ne pourront, faute de moyens, être suivis. Ainsi une administration régionale sera bien mise en place, avec à sa tête un gouverneur, Saalax Axmed Jaamac, sauf que démuni de tout, cet organisme ne fonctionnera pas longtemps. La force de police également restera pour sa part indigente et mal équipée. Un manque cruel de moyens qui ne se limite pas aux provinces.
LES CONTRAINTES LIEES A LA PREOCCUPATION SECURITAIRE À Hargeysa, à peine achevée la conférence de Boorama, le nouvel exécutif s’est trouvé immédiatement confronté à des défis propres à en décourager plus d’un. Néanmoins, pendant que la Guurti déroulait son carnet de route, les premières mesures ont-elles été prises sur le plan de la sécurité.
Les premières dispositions sécuritaires [V/VIII-1993] Dans ce registre en effet, il a été d’emblée convenu des mesures immédiates. Elles portent sur le cantonnement des milices, leur retrait de toutes les agglomérations et des axes de communication majeurs où tous les points de contrôle sont levés. La mise en œuvre de ces mesures est conjointement confiée aux commandants de milices et aux guurtiyo, les conseils de notables des clans. Au départ de Boorama, les délégués ont d’autant moins de peine à se convaincre de l’urgence de la démobilisation des milices que, très prosaïquement, c’est avec appréhension qu’ils entreprennent le voyage de retour vers leurs districts. Il faut même le concours des chefs du Calan cas et d’autres chefs militaires pour que l’entourage présidentiel parvienne sans délai à gagner Hargeysa où les attend une tâche de titan. Aussi est-il aisé de reconnaître que ce que chacun attend en tout premier lieu du gouvernement tient au rétablissement d’un niveau acceptable de la loi et de l’ordre. Sur le sujet, l’étude des mesures à long terme est simultanément entreprise. Plus complexes à organiser, elles portent sur l’enregistrement des armes, le dimensionnement de la future armée nationale, les critères de sélection de ses membres et leur formation. Un appel est lancé à la communauté internationale en vue d’en obtenir une assistance financière. Depuis septembre 1992 déjà, près de 6 000 miliciens ont rendu spontanément leurs armes. Rassemblés au camp de Mandheera, un processus de démobilisation a été engagé afin de dispenser aux meilleurs la formation nécessaire à un rôle dans la future armée nationale et dans les forces de police. À la fin 1993, Cabdiraxmaan aw Cali estime que, globalement, les groupes de miliciens ont pour 70 % d’entre eux volontairement participé au processus de désarmement.
Quand Maxamed Cigaal et son Premier ministre regagnent Hargeysa, le 27 mai, ils y reçoivent une réception enthousiaste. Il se trouve aussi que c’est le jour choisi par l’amiral Howe pour rendre au Somaliland sa première visite officielle. Au cours des échanges, Cigaal reconnaît qu’il ne s’attendait pas à voir immédiatement l’indépendance de son pays reconnue par les Nations unies, mais confie que cet atermoiement ne lui posait pas un problème majeur. Il comptait en revanche sur le soutien de tous pour mener à bien les tâches de réhabilitation et de reconstruction qui lui incombaient maintenant. Dans l’immédiat, il sollicitait en particulier l’octroi d’un soutien dans le domaine alimentaire au profit de la nouvelle force de police cantonnée à Mandheera pour y recevoir une formation. Or si les agences des Nations unies basées à Hargeysa, principalement l’UNICEF et l’UNDP en relation avec Save the Children, sont bien parvenues à se mettre en synergie et à assurer quelques livraisons, ni l’ONUSOM qui n’a pas d’argent, ni l’USAID ni le PAM investis par ailleurs dans le Sud, ne parviennent à se mettre d’accord sur les modalités d’octroi d’un soutien. Alors Maxamed Cigaal s’interroge : en ont-ils réellement la volonté ? Car pour l’heure, il se trouve contraint d’emprunter de fortes sommes à des hommes d’affaires afin de subvenir, sauf à risquer des défections voire des prises de maquis, aux besoins alimentaires de ses futurs policiers. Sur le sujet de l’extension du déploiement de la mission de l’ONUSOM au Somaliland, l’amiral Howe reçoit sans équivoque une fin de nonrecevoir, cette hypothèse étant largement rejetée à la fois par les populations locales et par les autorités. Ces dernières craignent de se trouver enferrées dans un recours à des troupes alors que le contexte qui se développe depuis le mois de juin à Muqdisho et en Somalie du Sud n’engage guère à l’exercice. Séduit toutefois par la personnalité et la crédibilité du nouveau président, le Représentant spécial promet d’aider à la réhabilitation et à la mise sur pied de l’administration, notamment en ce qui concernait la force de police et le système judiciaire. Sachant combien parmi les siens perdurent certaines frustrations, Maxamed Cigaal sait aussi que l’aide des Nations unies ne sera pas congrue. Elle ne pourra en aucun cas suffire aux besoins nécessaires à désarmer populations civiles et milices claniques. Aussi relance-t-il les démarches diplomatiques susceptibles de lui apporter une aide internationale propre à renforcer la nouvelle police : matériels, uniformes, mais aussi salaires et formation, toutes requêtes déjà lancées sans grand succès par le précédent gouvernement. Au début du mois de juillet 1993, après la visite de deux experts britanniques venus évaluer à Hargeysa les besoins en matière d’organisation d’une police locale, le Royaume-Uni donne son accord pour une collaboration en ce domaine dans son ancien protectorat.
Mais rien ne se faisant sans difficulté au sein du nouvel appareil où perdurent des conflits d’intérêts, il se trouve qu’à la fin du mois août, le président du Somaliland est conduit à limoger le chef d’État-major des armées, Xasan Yoonis Habbane, pour le remplacer par un civil, le secrétaire d’État à la Défense, Xasan Gurey. Une rivalité en effet s’est peu auparavant installée entre Xasan Yoonis et le ministre de l’Intérieur, Muuse Biixi, à propos de la mise en place d’une force de police dont ce dernier aurait eu la tutelle. Les nouvelles autorités ayant donné la priorité à la formation de policiers, il avait été convenu que les recrues seraient choisies parmi les meilleurs éléments de l’armée, au grand dam du chef d’état-major qui y voit une concurrence conclue au détriment de la force qu’il dirige. Or cette querelle d’assez mauvais effet intervient alors que Londres vient de débloquer son aide à la police du Somaliland en offrant 450 uniformes de policiers et du matériel de communication radio. Mais par ailleurs les choses ne vont pas trop mal. Les policiers somalilandais sont déjà en activité à Hargeysa et la GrandeBretagne a promis l’envoi de 23 instructeurs pour encadrer des stages de formation qui se dérouleront dans le camp de Mandheera1. Un autre dossier préoccupe aussi le Président qui souhaite que la sécurité extérieure du pays soit garantie par un traité militaire avec une puissance occidentale. La demande adressée début juillet à la France en vue de l’envoi de conseillers militaires à Hargeysa se heurte officiellement au problème de la non-reconnaissance diplomatique du Somaliland par Paris. Cette fin de non-recevoir se fonde aussi et surtout sur le fait que la seule menace aux frontières vient du pays Ciise, plus particulièrement de la République de Djibouti. Or avec cette dernière, Paris en semi-délicatesse sur le dossier ʿafar ne tient absolument pas à créer un nouveau sujet de crispation. L’affaire n’en est pas moins finement jouée par Maxamed Cigaal qui en l’occurrence s’est dit prêt à mettre à la disposition de la France les installations de Berbera, si le torchon venait à brûler de manière rédhibitoire entre Paris et son ancienne colonie. Une France bien connue des vieux du Somaliland qui, deux Guerres mondiales durant, ont armé le Bataillon somali, une unité prestigieuse en grande partie recrutée au sein des Gadabuursi établis à Djibouti.
La montée de la tension avec les Nations unies [15.IX/6.XI-1993] Quant à la demande officielle d’adhésion du Somaliland aux Nations unies adressée fin août par le président Cigaal, elle n’a suscité à vrai dire aucun enthousiasme à New York. Aussi les relations avec Hargeysa ne vont pas aller en s’améliorant. Car même si aucun drame paroxystique ne se déroule ici, il faut bien reconnaître que sur ce théâtre non plus, les officiels des Nations unies n’auront pas été véritablement performants. 1
LOI n°588, 4 septembre 1993
D’autant qu’une déception guette Cigaal. A la fin août 1993, une fuite porte en effet à sa connaissance un mémorandum confidentiel daté du 16 du même mois, rédigé par le directeur de zone américain de l’ONUSOM à Boosaaso et adressé au Représentant spécial adjoint à Muqdisho. Par ce document, le directeur de zone presse entre autres l’ONUSOM de hâter la désintégration de l’État autoproclamé du Somaliland. Il lui suggère à cet effet de couper la région du Sanaag de ses contacts directs avec le directeur de l’ONUSOM à Hargeysa et de soutenir les minorités hostiles de la frontière orientale, contiguë avec la région nord-est du Bari. Une révélation qui tombe d’autant plus mal que quelques jours plus tard, Lansana Kouyate se rend en visite à Ceerigaabo dans le Sanaag et à Laas Caanood dans le Sool en compagnie du directeur de zone de Boosaaso précisément, sans que l’accord de Maxamed Cigaal auquel il avait pourtant rendu visite quelques jours auparavant, le 25 août, n’ait été sollicité. Au cours du mois de septembre, la visite à Hargeysa de Leonard Kapungu, le chef du département politique de l’ONUSOM, venu tenter de négocier un déploiement de troupes, se conclut sur un retentissant fiasco. Le président Cigaal avait pourtant pris les devants le 31 août en adressant à Boutros Ghali une lettre de protestation contre les conclusions du rapport qui projetait d’étendre au Somaliland 1 la présence d’un contingent militaire. L’argument développé portait sur un appui aux opérations de désarmement. Sans réponse du Secrétaire général, il lui avait adressé le 4 septembre un second courrier dans lequel il affirmait que « le peuple du Somaliland n’avait besoin d’aucune aide pour restructurer son pays et certainement pas celle de l’ONUSOM ». Maxamed Cigaal se disait aussi « complètement dépassé » par la raison qui pouvait bien pousser l’ONUSOM à vouloir à tout prix se mêler du « paisible rétablissement du Somaliland alors que son autorité, là où elle devrait s’exercer, se révélait inadéquate et insuffisante ». Le président du Somaliland poursuivait en affirmant que les Nations unies étaient « en train de devenir un facteur de guerre en Somalie », ajoutant qu’il espérait de tout son cœur que Boutros Ghali interviendrait « pour restaurer un minimum de santé mentale dans ce coin ignoré de la Corne de l’Afrique. » Un propos auquel il faut bien dire que la situation en plein dérapage à Muqdisho donnait toute sa pertinence. Non seulement l’humour de Cigaal n’y avait rien fait mais quand Leonard Kapungu se présentait, porteur d’une carte de la Somalie sur laquelle la région orientale du Somaliland était rattachée à la province somalienne du Nord-est contrôlée par le SSDF, l’entretien était d’emblée condamné à être tendu. Et la colère s’empare en effet du président somalilandais au point que le ton monte rapidement entre les deux hommes. Au représentant du Secrétaire général qui, suprême adresse, lui affirme qu’il était en droit de faire intervenir les forces de l’ONUSOM 1
Rapport S/26319 du 17 août 1993
au Somaliland, Maxamed Cigaal répond que dans ce cas, « Hargeysa serait le Dien-Bien-Phu des Nations unies ». Jusqu’à ce que, de guerre lasse, il demande finalement à son hôte de quitter le pays sous 24 heures. Les autorités n’avaient déjà guère apprécié une précédente visite de Kapungu dans le Sool quand accompagné de Axmed Saleebaan Cabdalle Dafle, un Dhulbahante ancien ministre de Siyaad Barre1, et en l’absence des notables Dhulbahaante de la ville alors en réunion à Ceerigaabo, il s’était rendu à Laas Caanood où il avait fait applaudir l’idée d’une Somalie unifiée. Reste que pour l’heure, la visite de Kapungu contribue à creuser un peu plus encore le fossé entre les autorités de Hargeysa et les responsables du dossier somalien aux Nations unies. Les premières qui se voient refuser leur reconnaissance internationale enragent de ne pouvoir se prévaloir de leur indépendance de fait dans une région sans grande urgence alimentaire ni gros problèmes de sécurité. Les seconds toujours convaincus de la nécessité d’un déploiement militaire au Somaliland entendent marquer le maintien de ce territoire dans l’ensemble somalien. Car aucune autre solution politique que la formation d’un gouvernement national à l’échelle de l’ensemble du pays n’est envisagée par les stratèges de New York. La visite de Kapungu est donc venue illustrer l’entêtement des responsables des Nations unies en préférant l’épreuve de force avec les autorités de Hargeysa plutôt que la reconnaissance d’une parcelle d’autonomie. Tant et si bien que le 14 septembre, le président somalilandais adresse un courrier comminatoire à l’amiral Howe par l’intermédiaire de Keith Beavan2. Après avoir rappelé l’ensemble de ses récriminations à l’encontre de l’ONUSOM, il prend le parti d’en exiger le départ des fonctionnaires. Simultanément, il ordonne la fermeture provisoire de l’aéroport afin de prévenir toute tentative de coup de force des troupes de l’ONU. Mais Maxamed Cigaal est un homme d’État rompu à l’exercice politique et qui sait les bienfaits du compromis. Aussi, au plus fort de la crise, fait-il valoir que l’ordre d’expulsion ne s’adressait qu’aux représentants politiques de l’organisation et ne concernait pas les fonctionnaires engagés dans diverses tâches d’assistance technique. Pour que ceci soit clair, Maxamed Cabdi Dimbiil, le chargé de la coordination avec les ONG, écrit le 16 septembre à leurs représentants pour leur exprimer la satisfaction du gouvernement de Hargeysa au regard de leurs efforts et les informer qu’il ne souhaitait pas leur départ. Regrettant les actes de banditisme qui pouvait avoir lieu ici ou là à leur détriment, il confirme l’engagement des autorités du pays à assurer leur sécurité malgré les difficultés en cours avec l’ONUSOM.
1
Ministre de l’Intérieur du président Siyyad Barre de 1985 à 1987 puis de 1989 à 1990. Lettre du Président Maxamed Cigaal à Keith Beavan. RSLP/U.II-1014/993 du 14 septembre 1994
2
Le collectif d’ONG1 qui se réunit à Hargeysa le 21 septembre en présence des représentants des agences de l’ONU prend acte de ce propos et confirme que les difficultés survenues entre le gouvernement et l’ONUSOM ne devaient pas interférer dans la poursuite de l’aide humanitaire. Aussi décide-t-il de rester au Somaliland. Le même jour, le directeur de zone des Nations unies en désaccord avec sa hiérarchie démissionne de ses fonctions. Keith Beavan est en effet pris entre la fermeté du Secrétaire général dont Kapungu se fait le porte-parole et la rébellion des employés humanitaires qui refusent d’appliquer l’ordre de New York d’évacuer le Somaliland en même temps que les représentants politiques des Nations unies. Pressé par son entourage afin qu’il réitère à l’ONUSOM l’injonction de quitter le pays, Cigaal s’exécute le plus courtoisement possible, discrètement, mais grandement aidé dans la manière par le directeur démissionnaire, Keith Beavan. Le 28, personne n’ayant bougé, il précise que la date exécutoire était fixée au lendemain. Cette décision portée à la connaissance de l’amiral Howe est habilement assortie d’une demande d’information sur les intentions réelles de l’Organisation au regard du Nord-ouest, dans les domaines à la fois politique et économique. Dans le même temps, il confirme que dans l’attente d’une réponse, il remettait au 2 octobre la date limite du retrait. Le 1 er octobre, un échange aussi bref que savoureux a lieu entre le Secrétaire général et le Président du Conseil de Sécurité auquel Boutros Ghali vient de demander quelle ligne il convenait selon lui d’adopter. En retour, il lui est fait état de « l’espoir que l’ONUSOM II pourrait continuer à travailler sous son mandat dans le Nord-ouest de la Somalie en usant de tous les moyens pacifiques pour l’intérêt des populations ». Le Conseil de sécurité lui dit aussi être confiant dans le fait qu’il prendrait « toutes les précautions nécessaires à la sûreté et la protection de l’ensemble du personnel des Nations unies déployé dans le Nord-ouest de la Somalie (« Somaliland ») ». Boutros Ghali est laissé seul devant l’obstacle2.
La normalisation de la relation [6.XI-1993] Ralentissant momentanément ses activités, l’ONUSOM qui vit au même moment ses pires heures dans le Sud somalien, se refuse néanmoins à évacuer le Somaliand. Le statu quo s’installe un mois durant, les autorités de Hargeysa choisissant sagement de ne pas poursuivre dans la voie de l’affrontement. Rien ne bouge donc jusqu’à ce que le 6 novembre Lansana Kouyate se rende à Berbera afin d’y rencontrer Maxamed Cigaal et les membres de son gouvernement. Le ton redevient alors plus amène. Les conversations reprennent sur un certain nombre de sujets parmi lesquels l’aide à la remise en place des forces de police 1
Action Aid, Handicap International, Médecins sans frontières-Hollande, Save the Children Fund, Association of Medical Doctors for Asia, CARE, Médecins du monde, OXFAM-Grande-Bretagne et Somali Relief Association 2 Échange de lettres S/26526 et S/26227 du 1er octobre 1993
ainsi que des systèmes judiciaire et pénal. Les efforts en vue du désarmement et de la réhabilitation sont également abordés ainsi que la participation du Somaliland à la 4e Conférence de coordination de l’aide humanitaire en Somalie qui doit se tenir du 29 novembre au 1er décembre 1993 à Addis Abäba. La visite de Lansana Kouyate qui clarifie quelque peu la situation a surtout le mérite de rétablir une relation acceptable entre l’ONUSOM et le gouvernement somalilandais. Mais il ne faut pas s’y tromper, cela reste un pis-aller. Alors que Hargeysa cherche une reconnaissance de fait, la communauté internationale lui objecte toujours que c’est à un gouvernement central somalien d’en décider. Il en résulte que bien que le pays soit dirigé par un gouvernement crédible, les contraintes financières pèsent. Pourtant, les processus de démobilisation et de désarmement sont désormais engagés et le pays entreprend de restructurer les services douaniers du port de Berbera où est mis en place un système d’audit. Il s’agit de faire repartir le commerce, celui du bétail en particulier en direction des villes saintes du Ḥejjāz, du Yémen et des pays du Golfe. On constate cependant qu’aucun des efforts engagés par le pays n’aura été relayé à un niveau souhaitable par une initiative des Nations unies. Deux ans et demi durant, le Somaliland aura attendu en vain le soutien de la Banque mondiale et du FMI afin d’accélérer le processus de réhabilitation et de développement de sa macro-économie. Pénalisé par l’incapacité de la Somalie du Sud à former une administration centrale sans laquelle la Banque mondiale et le FMI ne peuvent trouver le chemin nécessaire à leur engagement, le pays n’a d’autre choix que de redoubler d’efforts dans sa recherche de parrains au sein de la société internationale non institutionnelle. Il reste que maintenant, le gouvernement civil du Somaliland va aussi devoir composer avec une opposition entretenue et financée par l’ensemble des forces hostiles à l’indépendance du pays. Les Nations unies par exemple, par action ou par omission, mais aussi les tenants de l’unité somalienne. Ceux-ci trouveront en Maxamed Caydiid rejoint par Cabdiraxmaan Tuur un soutien politique auquel Maxamed Cigaal ripostera le moment venu en favorisant dans l’interfluve les opposants au général. Un soutien financier important sera enfin octroyé aux opposants par les islamistes Habar Jeclo qui à partir de leur fief de Yiroowe près de Burco, maîtrisent une part importante du commerce du bétail en direction des villes saintes. Le problème sécuritaire qui perdure de ce fait taraudera encore tout au long de l’année 1994 l’esprit des nouveaux dirigeants du Somaliland.
XIV – 1993 : L A DIM ENSION REGIONAL E DE L ’I TIXAAD
Pendant qu’en dépit de ses multiples vicissitudes se met en place au Somaliland une structure étatique irréfutable, une autre entité s’organise dans le Nord-est, de façon moins éclatante, mais tout aussi sûrement. Dans le Sud en revanche aucun espoir d’apaisement ne se dessine. Les lignes de fracture entre les factions semblent devoir se creuser tandis qu’apparaissent maintenant d’inquiétantes lézardes dans l’édifice déjà précaire des relations entre l’opération internationale et les Somaliens. L’obstination de certains chefs de factions et le durcissement des positions de la nouvelle opération ONUSOM II vont assez vite faire tourner l’affaire à l’affrontement direct.
LES ISLAMISTES RADICAUX FACE AU DEPLOIEMENT INTERNATIONAL Ces luttes sur le point de se multiplier occultent le phénomène islamiste radical qui engage dans la Corne de l’Afrique une autre stratégie dont il faut maintenant reparler. Celle-ci passe par une analyse du terreau social au sein duquel ils évoluent afin d’en identifier les points faibles, les points d’entrée les plus judicieux. Deux axes d’effort sont ainsi identifiés : - le premier les porte à étendre résolument leur surface vers l’Ogadén en jouant à la fois de l’irrédentisme somali et de la fragilisation d’une Éthiopie encore en phase de réorganisation après la guerre civile ; - le second les engage à s’insinuer dans une société somalienne plus fragmentée que jamais et au sein de laquelle la présence internationale n’a apporté qu’un semblant de paix par des méthodes incompréhensibles ; incompréhensibles d’emblée par
sa façon déraisonnablement généreuse perçue comme une inexplicable faiblesse, incompréhensibles bientôt par la nature des réflexes de défense. Le reste du monde jette bien un regard sur ces groupes activistes dont nul n’ignore l’existence, mais cela demeure un regard vague. Les musulmans radicaux sont là, certes, mais ils semblent encore recouvrir une surface supportable à la périphérie de l’histoire du pays. Or il n’est déjà plus possible d’analyser les organisations islamistes somaliennes sans les situer dans les développements encore houleux de l’histoire régionale tant les échanges, discrets ou secrets, et les interférences sont devenus multiples.
L’apparition de Ahlu Sunna wal-Jamaca D’ailleurs, les Somaliens eux-mêmes ne s’y sont pas trompés. Dans le même temps en effet, certains éléments de la société musulmane traditionnelle somalie, culimo ou wadaad, s’organisent face à une pression islamiste dont ils ont identifié la dangerosité. Leur constitution en un mouvement s’est opérée en plusieurs temps. À la chute de Siyaad Barre, une trentaine d’entre eux se sont interrogés sur la façon la plus judicieuse de pallier le vide institutionnel et moral qui s’installait dans tous les registres de la société. Les clercs favorisent alors la mise sur pied d’une milice baptisée Horseed, « avant-garde » dont la première fonction consiste à assurer la sécurité dans certains quartiers de la capitale et à rendre une justice aussi embryonnaire soit-elle, par l’intermédiaire de tribunaux islamiques. Cependant,quand ils se proposent d’établir un Conseil islamique suprême, leur projet est combattu par les chefs de factions qui craignent de les voir disputer leur propre autorité. Aussi s’organisent-ils finalement en une Majmaca Culimada islaamka ee Soomaaliya, une « Assemblée des docteurs musulmans de Somalie ». Leur intention avouée vise à « défendre une conception et une pratique appropriée de l’islam », entendue dans le cadre d’un gouvernement somalien acquis à l’esprit de l’école juridique [ar. ﻣﺬﻫﺐmaḏhab] de l’imām Šāfiʿī. C’est ainsi que, d’emblée, la Majmaca est impliquée dans les initiatives de paix, notamment dans la médiation menée en 1992 par Robert Oakley. Entre temps toutefois, au fil des mois, Maxamed Caydiid s’est pris à considérer que les miliciens de l’Itixaad représentaient pour lui une menace plus tangible que ce modeste groupe de doctes religieux. Aussi entreprend-il de se rapprocher de ces derniers, ouverture qui provoque une scission au sein du mouvement. Certains, dirigés par le sheekh Maxamed Macalin Xasan et le sheekh Axmed Cabdi Dhicisow, n’y voient qu’une initiative politique et rejettent l’offre de Caydiid. Cette Majmaca, devenue Majmaca Culimada Soomaaliyeed, consacrera désormais son activité à des fonctions sociales de base telles que l’éducation religieuse, la scolarisation, la préparation et la célébration des mariages. D’autres au contraire considèrent qu’il est
nécessaire de prendre des mesures exceptionnelles afin de conserver la pratique traditionnelle de l’islam et de la protéger des influences fondamentalistes étrangères. Ceux-là acceptent de se rapprocher du général et fondent un nouveau mouvement, Ahlu Sunna wal-Jamaca1, qui prendra de l’importance dans le Banaadir et le Shabeellaha Dhexe2. A Muqdisho, le mouvement est particulièrement implanté dans le district de Madine. Sa direction est installée à proximité du PK4 et dirige la mosquée principale du village [som. xaafad] de la Kasa Bobolare3. Mais la grande affaire maintenant s’inscrit dans la perspective du déploiement international.
La perspective du déploiement international L’ONUSOM I avait en début d’année 1992 reçu pour mandat de veiller au respect du cessez-le-feu à Muqdisho, d’assurer la protection du personnel, des installations et du matériel de l’ONU dans les ports et aéroports et d’escorter l’acheminement de l’aide humanitaire jusqu’aux centres de distribution de la capitale et de ses environs immédiats. La mission se révélant disproportionnée par rapport aux moyens de contrôle voire de coercition consentis, il est clair qu’en Somalie, elle n’avait gêné personne. Quand en août 1992, son mandat et son effectif sont élargis de manière à lui permettre de protéger les convois humanitaires et les centres de distribution dans l’ensemble du pays, on lui demande de faire davantage avec des moyens déjà insuffisant. En décembre, après une nouvelle détérioration de la situation, le Conseil de sécurité autorise finalement les États membres à créer une Unified Task Force (UNITAF) et à lancer l’opération Restore Hope afin de garantir un environnement sûr pour l’acheminement de l’assistance humanitaire. La Force doit travailler en coordination avec ONUSOM I pour assurer la sécurité des principales zones habitées et faire en sorte que l’aide soit acheminée et distribuée. Vu des Somaliens, c’est un nouveau contexte qui se dessine pour les factions occupées à en découdre. C’est un nouveau contexte aussi pour l’Islaax dont la direction dans un premier temps n’exclut pas qu’une paix retrouvée – même imposée par l’Occident – puisse aller dans le sens de ses projets sur l’échiquier de la reconstruction. Quant à l’Itixaad, après quelques gesticulations en amont du déploiement, elle préfère également le quant-à-soi à l’affrontement et prend ses distances en attendant son heure. Au début de l’année 1993, on la sait présente à Muqdisho. Dans le district de Madina, 500 miliciens proclament ouvertement mais sans perpétrer d’actes subversifs leur opposition à Par appropriation de l’arabe [ar. ﻞ ﺍﻟﺴﻨّﺔ ﻭﺍﻟﺠﻤﺎﻋﺔ ُ ﺁﻫ- ahl-us-sunna wa-aj-jamāʿa] « Le peuple de la tradition et de la communauté (la majorité) » 2 Caydiid au terme de ses affrontements avec les forces coalisées décidera finalement de se rapprocher de l’Itixaad. 3 La Casa Populare, le village indigène du Muqdisho de l’Italie coloniale. 1
Restore hope. De même entre Afgooye et Marka, plusieurs groupes islamistes s’emploient à recruter et à entraîner de jeunes militants dont on estime également le nombre à 500 hommes environ. Mais la citadelle fondamentaliste reste le Geedo, où l’on estime à 1200 les miliciens de l’Itixaad. Six cents d’entre eux, à Luuq, dirigés par le sheekh Maxamed Yuusuf, organisent la mise à l’abri des moyens. Une quarantaine de technicals en effet ont été vus entre la ville et la frontière éthiopienne.
La réunion de Kharṭūm [14.II-1993] C’est dans cette perspective que quatre organisations islamistes somaliennes tiennent à Kharṭūm le 14 février 1993 une réunion, la seconde depuis le début de l’opération internationale engagée deux mois plus tôt. Ces assises réunissent des représentants de ce qui est devenu cette nébuleuse que la presse a entrepris de rassembler sous l’appellation générique de l’Itixaad. Ces représentants sont le sheekh Isxaaq Cali Warsame Xasan fondateur du mouvement historique, le colonel Xasan Daahir Aweys de la Xarakat al-Islaax, Maxamed Cali Ibraahin de la Mujtamaca al-Culamaa de Maxamed Macallin Xasan et la Waxda al-Shabaab al-Islaam du sheekh Xasan Cabdi Salaan. Cette rencontre se déroule en présence de représentants du National Islamic Front (NIF), de Ḥasan at-Turābī et peut-être de son financier, le Saoudien en exil ‘Usāma ben Lāden qui présent au Soudan de 1991 à 1996 s’active à mettre sur pied sa propre organisation, la Qāʿida. C’est notamment grâce à la fortune de ce dernier que le Turābī, ratissant large, a pu dès 1991 développer autour d’une cinquantaine de mouvements radicaux arabo-africains la Conférence populaire araboislamique1. Sur cette plate-forme, il entend cristalliser la déception du monde arabe en rassemblant sous une même bannière les militants islamistes purs et durs ainsi que les nationalistes 2. Sans qu’il soit possible de préciser la qualité de la relation qui s’établit alors entre le NIF, la Qāʿida et les mouvements somaliens, on peut en retenir au moins une solidarité de principe et admettre qu’elle pourra toujours, d’une façon ou d’une autre, être reconsidérée. On ignore encore que quelques mois plus tôt, Xasan Daahir Aweys, après ses déboires dans le Nord somalien s’est déjà rendu à Kharṭūm, en quête d’argent et de soutien. On ne sait pour l’heure que la bienveillance soudanaise tant à l’égard de Caydiid qui en reçoit des armes qu’à l’endroit de Cali Mahdi qui a accueilli un ambassadeur à Muqdisho. 1
ﺍﻟﻤﺆﺗﻤﺮ ﺍﻟﺸﻌﺒﻲ ﺍﻟﻌﺮﺑﻲ ﻭﺍﻹﺳﻼﻣﻲ- Réunie une première fois du 25 au 28 avril 1991, elle regroupe des délégués venus de 45 États et essaie de conférer à Kharṭūm le statut de centre du monde islamique. Une deuxième conférence se tient du 2 au 4 décembre 1993, suivie par près de 500 délégués dont le commun dénominateur est le refus de l’hégémonie américaine. Les débats sont centrés sur les défis du monde arabomusulman face au nouvel ordre international dicté par l’Occident. Cette conférence se veut le concurrent populaire de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) 2 JACQUARD, Roland. Au nom d’Oussama ben Laden. Jean Picollec : Paris, 2001
Toujours est-il que les quatre organisations somaliennes s’entendent à constituer un front uni voué à regrouper tous les mouvements et groupuscules se réclamant de la mouvance islamique en Somalie. Un accord intervient également en vue d’organiser les préparatifs d’une « campagne du printemps 1993 », appelée à être déclenchée avant la fin mars, et qui aura pour but l’occupation de nouveaux secteurs et de nouvelles localités. Des équipes sont constituées pour mener des pourparlers avec les islamistes indépendants comme le mufti Shariif Cabd el-Nuur et de petits groupes comme le Tabliiq et les Ansar assunna1.
Un réseau transnational : Kenya, Djibouti Ce n’est cependant qu’au début de l’année 1994 que les observateurs les plus vigilants prennent conscience du fait que la stratégie de l’Itixaad reposait désormais sur des réseaux régionaux et internationaux très structurés, pénétrant les communautés somalies par l’intermédiaire de ses différentes diasporas où qu’elles se trouvent. Les membres du mouvement ont toujours pu librement voyager entre le Kenya, la Somalie et partout ailleurs dans la région. Mais à partir du début des années 1990, ses représentants ont pu étendre leur réseau en Ouganda, au Soudan, aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite, en Égypte, ainsi qu’en Europe, au Royaume-Uni, en Italie, en Suède et au Canada. Il devient alors patent que son influence s’exerce partout où existe une diaspora significative. Le mouvement sait également diffuser les récits triomphants de ses exploits afghans dans de nombreuses publications rédigées en somali et en arabe ; ses combattants y présentent régulièrement des images vidéo du champ de bataille à l’aplomb de leurs relations, suscitant nombre de vocations parmi certains jeunes désoeuvrés des villes.2 Au Kenya plus particulièrement, le mouvement met en place une infrastructure importante pour le recrutement, la levée de fonds et la communication au sein des populations somalies présentes à Nairobi, à Mombasa et dans la North Eastern Province. Comme leurs correspondants somaliens, les membres kenyans de l’Itixaad se réclament d’une version radicale de l’islam inspirée par la doctrine wahhābī ; mais en fait, à la lire et à l’entendre, elle est beaucoup plus proche des Frères musulmans, incitatrice à l’action armée. La confusion est simple à expliquer, elle résulte de la proximité de deux mouvements dont les procédés diffèrent, mais dont le dessein est résolument identique, l’Islaax et l’Itixaad. À Nairobi, l’ensemble des sympathisants salafī est étroitement associé à la mosquée Salaama Aleykum de la 6e rue, dans la banlieue de Eastleigh où ils s’emploieront à plusieurs 1
LOI n°564, 27 février 1993 BRYDEN, Matt. Report on Mission to Haud Area, Region 5, 2-15 november 1994. Addis Ababa. United Nations Emergencies Unit for Ethiopia. 1994
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reprises à lever des fonds pour le mouvement. On sait qu’un chef kenyan de l’Itixaad surnommé Boqolsoon a été tué au barrage routier de Jowhar à la mi-1992, tandis qu’il rendait visite à ses confrères somaliens. Une autre figure de l’Itixaad, Aadan Garweyne, était le propriétaire du Ramadan Hotel, établi également dans le district de Eastleigh jusqu’à ce qu’il trouve la mort à Ceel Waaq en Somalie. Il reste cependant qu’au Kenya, l’Itixaad ne parvient pas à devenir une force vraiment dimensionnée ; aussi son influence en vient-elle à diminuer au fil des mois. Peu à peu même, le mouvement est discrédité car il apparaît rapidement que sa dimension est très éloignée de ce qu’elle prétend être. Le nom est utilisé peu à peu de manière sarcastique et certains en viennent à se demander si les cellules kényanes ont été dissoutes ou si elles ont simplement définitivement abandonné l’idéologie militante qui les avait fondées. L’Islaax et accessoirement l’Itixaad ont aussi longtemps entretenu une présence tranquille à Djibouti. En 1992, les cellules implantées dans la chaîne de soutien logistique et financier de l’organisation travaillent étroitement avec le financier saoudien, ʿAbduraḥmān al-Qāʿidī, représentant pour l’Éthiopie et la Somalie de l’International Islamic Relief Organization (IIRO) et de la Muslim World League. Implanté à Djibouti, celui-ci a organisé la distribution de nourriture à Marka et à Luuq ainsi qu’à Boosaaso, jusqu’à l’expulsion des islamistes. Par ailleurs, l’IIRO approvisionne environ 120 centres d’alimentation à Muqdisho et dans ses environs, et ce jusqu’à Kismaayo, chacun distribuant – selon les dires de l’organisation – entre 1000 et 2000 rations par jour. L’IIRO qui se revendique d’un financement privé et d’une position d’ONG saoudienne, affirme intervenir au Somaliland, tout en se démarquant explicitement des sites de Burco et de Boorama, réputés sans vergogne « centre d’entrainement et centre logistique voués à l’islamisme ».1 En 1994, le gouvernement de Djibouti qui n’ignore rien de la présence des membres de l’Islaax voire de l’Itixaad laissera cependant accroire qu’il n’était plus aussi actif qu’au moment de son installation en 1990. D’autres estiment alors que, hors les complicités ordinaires de l’État djiboutien avec l’Arabie saoudite, cette attitude résultait tout simplement de la reconversion dans les affaires de nombre de ses membres.
LA REORGANISATION ET LA REORIENTATION DU MOUVEMENT L’histoire en réalité est loin d’être aussi simple. Les difficultés rencontrées par l’Itixaad face au déploiement de l’ONUSOM l’amènent à se fondre dans certaines organisations tout aussi radicales, mais moins convaincues par la promesse d’un succès immédiat de l’option militaire. Il faut attendre. Momentanément donc, certains membres du mouvement se rapprochent des procédés de l’Islaax dont ils viennent maintenant renforcer les agences humanitaires. Cette infiltration 1
Africa Confidential n° 33/25, 18 décembre 1992
naturelle peut sembler corrompre le message de l’Islaax mais force est de constater qu’une fusion s’opère, rendant désormais difficile de distinguer ceux-ci de ceux-là. En mai 1993, lorsque ONUSOM II prend le relais de Restore Hope, l’Itixaad qui a pris la mesure de l’intervention des Nations unies se donne alors les moyens de coordonner son action. Renonçant provisoirement à l’action armée, elle circonscrit son action dans l’organisation et la gestion de son émirat du Geedo et pour le reste, auprès de l’Islaax, se cantonne dans les activités susceptibles de tomber discrètement à l’aplomb de sa vocation prosélyte.
La propagation de la foi C’est fort de cette stratégie que tout d’abord, l’action islamiste se divise en trois organisations distinctes, toutes largement financées par Riyāḍ : - Ḥadith prend en charge la formation religieuse des adultes ; - Ḥuneyn1 Welfare Society (HWS), la plus importante, dirigée par Nuur Aadan Cabdiraxmaan, un Raxanweyn de Xuddur, se consacre à l’ensemble des problèmes liés aux enfants ; - la Ibraahiimiya, se charge de l’aide humanitaire. Ensuite, dans le souci d’opérer un travail de fond et de venir à bout des spécificités de la société somalie incompatibles avec leurs objectifs, le réflexe clanique au premier chef, le couple Itixaad/Islaax élabore un nouveau programme et une méthode d’instruction. Dans le contexte qui prévaut, il lui apparaît judicieux d’agir sur les mentalités et de procéder à un endoctrinement en préparant dès le plus jeune âge les enfants et les jeunes femmes au retour à un islam fondamental. Cette méthode, a priori incidente pour inscrire les thèses islamistes dans le style de vie des Somaliens, laisse en réalité toute latitude pour, au moment opportun, dénoncer la menace que les armées de la coalition représentent pour la foi. L’Itixaad, qui a de grandes ambitions, détermine enfin six pôles à partir desquels son action devra être successivement menée, et ce selon un calendrier qui se veut réaliste et pragmatique, mais qui ne sera en fait jamais formellement déterminé. Il s’agit : - du Nord-est somalien, berceau du mouvement auquel nul ne renonce et tremplin vers les objectifs futurs ; - du Nord-ouest, proche de l’exutoire djiboutien où il bénéficie de l’indulgence gouvernementale ; - du Sud où, à Muqdisho et dans le Geedo, une présence islamiste significative est déjà en place ; - du Centre afin de parfaire la conquête de la Somalie ; - des basses terres et du plateau sud de l’Éthiopie à travers l’Ogadén ; - de Djibouti puis du Kenya où les partis islamistes comptent bon an mal an une communauté significative de sympathisants. 1
Référence à la bataille menée en 630 par Muḥammad contre la tribu des Hawazān.
L’organisation du soutien De telles perspectives paraissent d’autant plus plausibles aux cadres de l’Itixaad qu’au sein de l’ONUSOM II, l’Arabie saoudite s’octroie une place qui lui permet à la fois de participer à l’opération internationale et de soutenir directement sur le terrain le déploiement de ses prosélytes. Les moyens importants consentis au profit des combattants de l’islam et de ses organisations humanitaires lui offrent d’assurer en toute quiétude la logistique des intégristes, à l’ombre des Nations-Unies. Cet état de fait comporte un corollaire : de telles conditions compliquent les velléités soudanaises ainsi mises en difficulté par la concurrence du rival saoudien. Aussi faudra-t-il à Kharṭūm envisager une stratégie différente. Quant à Nairobi et Djibouti1, ils accueillent déjà des cellules actives dans les domaines de la politique et de la diplomatie, de la propagande, de la recherche et de l’acquisition de fonds. Ce sont aussi des places financières et des nœuds de communications internationaux particulièrement prisés. Les collectes y sont effectuées à la fois auprès de partisans et de financiers étrangers. Il semblerait même que la cellule de Djibouti se soit chargée de faciliter le financement et les approvisionnements en armes et munitions de certains groupes par le biais du chef de cabinet du président Hassan Gouled et responsable des Services spéciaux Ismaël Omar Guelleh. Pour la République de Djibouti, confrontée à des problèmes de trésorerie importants, il s’agit de complaire à tous les bailleurs de fonds possibles. Or, de ce point de vue, l’Arabie saoudite est naturellement un interlocuteur privilégié. Une fois encore, tous ces atouts ne doivent pas occulter la véritable dimension du courant salafiste. Si l’Itixaad est une unité cohérente, son effectif reste limité et il faut se garder de surestimer sa capacité à coordonner ses actions, notamment entre le Sud et le Nord du pays somali. A contrario, il ne faut pas sous-estimer sa capacité à s’organiser sur des théâtres plus exigus.
L’implication humanitaire Au début du mois de janvier 1994, le détachement français à Baydhabo constate que l’Itixaad loue de plus en plus de maisons au profit de la Huney Welfare Society (HWS),, financée et approvisionnée par l’Arabie saoudite. Or cette HWS se charge, à Baydhabo même, de l’éducation religieuse et générale de 450 orphelins et assure le fonctionnement de deux centres d’alimentation. Soixante-sept bénévoles travaillent ainsi dans la province du Baay. Le travail effectué est alors jugé 1
À Nairobi, les correspondants de l’Itixaad sont Aadan Garweyne propriétaire du Ramadan hotel, Maxamed Kaahin, Cabdulqaadir Cukaashe et Siciid Maalin. À Djibouti, l’Itixaad est dirigé par Cabdulqaadir Maxamed Jaamac Gaamey qui réside à l’hôtel Horseed, Cabdullahi Cali Xaashi, Somalien radio-télégraphiste à bord du remorqueur GUUL, Xuseen Cabdulle Oodweyne, Djiboutien employé à la boulangerie du Stade et Siciid Cabdi Cabdullaahi, Djiboutien employé à la compagnie aérienne Puntavia.
« remarquable » par les Français dont on n’hésite pas à requérir l’aide, du médecin notamment. Une autre ONG, la Madrisiya1 apparaît également au mois de janvier 1994. À vocation enseignement comme son nom l’indique, elle opère à Luuq où deux écoles sont ouvertes et à Doolow où elle participe également à la création d’un établissement.
LITIXAAD EN REGION OGADEN L’observation du parcours de l’islam salafiste, jihadī en particulier, dans la sphère somalienne, ne peut faire impasse sur la façon dont celui-ci se développe en Éthiopie dans la région 52.
Al-Itixaad al-islaami ee Soomaaliya galbeed3 Car c’est bien ici que se manifeste le courant le plus authentique du militantisme de l’Itixaad. Le mouvement qui s’y engage dans la lutte armée y conjugue son action avec celle de fronts politiques qui se sont fixé pour objectif le contrôle de l’ensemble du territoire habité par les Somalis. Là où les premiers voient, pour la plus grande gloire de l’islam, un espace à délivrer de l’autorité des héritiers du vieil empire chrétien abyssin, les autres voient une guerre de libération pansomali aux accents parfois indépendantiste. Il reste que les stratégies retenues vont à un certain moment quitter le registre de la guerre de libération pour rejoindre celui du terrorisme, acoquinant alors sans vergogne les mujahidūn avec des organisations manipulées par les ténors islamistes du moment. Ceux-ci relèvent d’États comme l’Iran ou le Soudan, d’organisations émergentes comme la Qāʿida ou des innombrables avatars des Frères musulmans ; leurs mentors dans un combat mené en toute priorité contre l’Occident vont, de Ḥasan at-Turābī à ‘Usāma ben Lāden, trouver à consolider leur discours lorsque va dégénérer l’intervention internationale en Somalie. Cet engagement dans la violence paroxystique deviendra vraiment patent à la fin des années 1990 avec les attaques terroristes perpétrées à Addis Abäba et à Deré Däwa. Depuis le partage colonial du territoire somali, des générations d’irrédentistes ont rêvé de réunifier l’ensemble de la nation somalie sous un drapeau unique. L’ensemble de ces territoires contrôlés par les Éthiopiens est identifié sous le nom de « Somalie occidentale »4. Après 1
De [ar. ﻣ ْﺪ َﺭﺳﺔ- madrasa] « école » L’Éthiopie qui se reconstruit autour du principe d’une fédération établit des régions ethniques. La région 5 qui recouvre la plus grande partie de l’ancienne province Ogadén est la région somalie. Cf Marc FONTRIER. L’Éthiopie et le pari ethnofédéraliste. Thèse de doctorat. 1994. INALCO. Paris. 3 « L’Unité islamique et de la Somalie occidentale » identifiée également sous le sigle de Ogaden Islamic Union (OIU). 4 Western Somalia selon la terminologie anglaise, Soomaaliya galbeed en somali. 2
l’indépendance somalienne, en 1960, une succession de mouvements de libération ont ainsi cherché à venir à bout de la souveraineté éthiopienne sur la région. Parmi eux, autour de 1990 1, est apparu en Ogadén un mouvement revendiquant son action au nom de l’islam : l’Itixaad al-islaami ee Soomaaliya galbeed2. À l’instar des autres groupes de guérillas régionaux, il a puisé ses ressources au sein de la tribu éponyme des Ogaadeen et envisagé la réunification de tous les territoires peuplés par les Somalis à l’intérieur d’une entité politique unique. Les autres groupes avec lesquels il est, selon les moments, entré en synergie, en concurrence, voire parfois en conflit sont : - le Western Somali Liberation Front (WSLF), le plus vieux front somali d’Éthiopie et qui à la fin des années 80 ne représente plus que les populations Darood non Ogaadeen du plateau du Harärgié ; - le Somali Abbo Liberation Front (SALF) lié aux populations oroomo avec lesquelles il est en contact à l’ouest du pays somali ; - l’Ogaden National Liberation Front (ONLF) formé en 1984 par scission du WSLF et qui, contrairement à celui-ci, propose un programme au terme duquel un processus d’autodétermination doit conduire à permettre l’union avec la Somalie.3 L’Itixaad al-islaami ee Soomaaliya galbeed, contrairement aux autres forces de résistance, inclut dans ses objectifs un ordre politique islamique fondé sur une interprétation rigoureuse du Coran et de la sunna. L’organisation se décrit elle-même comme un front pour le daʿwa et le jihād et décrit sa lutte en termes de libération des musulmans de l’oppresseur chrétien des hauts plateaux.
Une problématique strictement éthiopienne En 1991, quand l’Ethiopian Popular Revolutionnary Democratic Front (EPRDF) renverse la dictature militaire de la junte éthiopienne, L’Itixaad rejoint d’autres segments de la société éthiopienne. Les plus modérés et les non-Darood se rapprochent de l’Islamic Solidarity Party of Western Somali, proche du WSLF, tandis que les plus radicaux de ce que les Éthiopiens nomment l’Ogaden Islamic Union (OIU), en fait la branche Ogaadeen de l’Itixaad, se rapprochent pour leur part de l’ONLF. Chaque parti somali éthiopien se trouve ainsi plus ou moins traversé par des tendances fondamentalistes.4 Pour les salafistes d’Éthiopie, il s’agit de saisir les opportunités offertes par la nouvelle donne politique et de profiter des libertés que le 1
Un peu avant semble-t-il. Nida’ul islam n°12 - mars-avril 1996 Union islamique de la Somalie occidentale. Islamic Union of Western Somalia 3 [FONTRIER 1998 : 117-121] 4 Sur le problème islamiste voir : FONTRIER Marc. « Éléments pour une réflexion sur les organisations musulmanes dans la Corne de l’Afrique (1992-1993) – « Confréries et Intégrisme » - Paris, INALCO, 1994. 2
mouvement en espère. L’Itixaad s’insère au sein de ces partis politiques officiels dont les chefs sont désormais libres de faire campagne et peuvent exprimer leurs vues sur les médias. Il n’en demeure pas moins que l’organisation continue aussi à développer son aile militaire et à se doter d’une flotte de technicals. Par ailleurs, elle maintient dans différents endroits de l’Ogadén des sites dévolus à l’entrainement dont les plus actifs sont identifiés à Adi Adäyé, Sagag et Fiq1.2 Dans ces centres sont enseignées les tactiques de guérilla et d’évitement des confrontations de haute intensité avec leurs adversaires. Aussi, tandis que l’EPRDF peine à pacifier la région somalie et à y normaliser la situation, les combattants de l’Itixaad se manifestent par des actions de guérilla de plus en plus nombreuses. C’est pourquoi, inévitablement, les relations avec le pouvoir d’Addis Abäba se détériorent rapidement et que dès l’été 1991, les forces éthiopiennes attaquent tard dans la nuit et sans sommation une installation du mouvement connue sous le nom de Tarīq bin Ziyad3, opération au cours de laquelle un certain nombre de dirigeants islamistes sont tués4.
L’impossible compromis Car le nouveau gouvernement éthiopien est loin de prendre l’affaire à la légère. En 1992, au cours d’un entretien avec l’ambassadeur de France, le ministre de la Défense Seyyé Abreha5 n’a pas manqué de faire part au diplomate français de ses préoccupations face au développement de l’Itixaad dans la Corne de l’Afrique. Il estime que la France, grâce à sa bonne connaissance de l’environnement et grâce aux moyens dont elle dispose à Djibouti serait bien inspirée en exerçant une surveillance étroite du littoral nord de la Somalie, particulièrement dans la région de Laas Qorey. Il préconise même qu’elle entre en contact avec les troupes éthiopiennes après le déploiement du contingent français dans le Bakool6. Reste qu’à la fin de 1992, à nouveau, les forces d’Addis Abäba interceptent près de Buuhoodle un important groupe de fondamentalistes venus de Laas Qorey et dont on ne sait s’il s’agit de 1
Respectivement [amh. አዲ ፡ አደዬ ፥ adi adäyé, som. Adhi Adheeye] ; [amh. ሳጋግ ፥ sagag, som. Seegeg] ; [amh. ፊቅ ፥ fiq, som. Fiiq] 2 Omar KHATIIB. The islamic factions in Somalia. Al-Mustaqbal n°3. Toronto 1994. 3 Non localisé, proche de Dägäh Bur semble-t-il. Son nom fait référence au général omeyyade [ar. ﻁﺎﺭﻕ ﺇﺑﻦ ﺩﺯﻳﺎṭāriq ibn ziyād] d’origine probablement berbère qui, en 711, dirige l’invasion de la péninsule ibérique chrétienne. 4 Nida’ul Islam n°19, juillet/août 1997. La date reste incertaine. On identifie mal si elle se place avant ou après le changement de gouvernement en Éthiopie et si les islamistes ont déjà commencé à conduire des opérations de guérilla. 5 Seyyé Abraha [amh. ስዬ ፡ አብርሃ ፥ ], proche de Mälläs Zénawi, est un des six dirigeants historiques du TPLF puis de l’EPRDF et l’un de ses stratèges les plus accomplis. 6 Cette démarche allait être compromise par un incident de frontière survenu à Yeet entre un élément français et une unité de la division Qey Kwokeb [amh. ቅቀይ ፡ ኮከብ ፥ « Étoile rouge »], le 1er janvier 1993.
traînards qui viennent de franchir la frontière après la retraite ou bien d’un déplacement ordinaire entre la base demeurée dans le Nord et l’installation du Geedo. Pourtant, les salafistes de l’Itixaad ne comprennent pas que même si dans le Geedo leurs projets de société semblent remporter quelques succès, plus globalement, leur situation demeure précaire. Ils peinent à réaliser que s’ils ont une chance d’imposer l’ordre islamique dans un petit secteur sanctuarisé, ils n’en ont aucune face à une armée telle que l’armée éthiopienne, constituée de maquisards aguerris par des années d’une lutte remportée contre la deuxième armée d’Afrique subsaharienne. Ce faisant, ils s’attaquent aussi à 2 000 ans d’histoire, à un peuple à la tradition guerrière avérée et à un jeune gouvernement peu enclin à admettre le moindre désordre. Il va cependant falloir attendre quelques mois encore pour que l’Éthiopie scelle une bonne fois pour toutes le sort du mouvement.
L’IMMIXTION DU TERRORISME INTERNATIONAL DANS LE SALAFISME Une autre assimilation médiatique se met à prospérer après que l’islam somalien radical commence à côtoyer un terrorisme international dont il n’a culturellement aucune raison objective de se rapprocher. Mais ce dernier est encore orphelin. Le terrorisme a perdu son principal pilier avec la défaillance des idéologies d’extrême gauche à établir le Grand soir et le bonheur universel au détriment de la société capitaliste. Il va néanmoins pouvoir se refaire une nouvelle santé et, partant, trouver une nouvelle raison d’être, en exhumant de cette même pensée musulmane qui avait sorti jadis les esprits les plus éclairés de son temps, une folie furieuse, apologue du crime, de l’obscurantisme et de l’horreur.
Usāma ben Lāden et la Qāʿida Quelques rappels sont nécessaires pour situer l’intrusion de ce qui va devenir la Qāʿida en Afrique orientale. Lorsque l’Union soviétique se désengage d’Afghanistan, dès 1990, ÉtatsUnis et Arabie saoudite mettent un terme au financement et au soutien logistique massifs qu’ils avaient jusque-là consentis. ‘Usāma ben Lāden et ses mujahidūn se sentent alors trahis. De retour en Arabie saoudite, accompagné de nombre de ses miliciens, ‘Usāma organise des conférences dans les mosquées, dans les écoles et à l’université au fil desquelles il raconte leur jihād, son jihād. Si tant est qu’il ait pu jamais en douter, ce succès conjugué à une ambition sans pareille fige définitivement son esprit dans le bien-fondé de la pensée salafiste activiste. Considéré comme un héros, il ressent sa propre puissance. Lorsque survient la guerre du Golfe en 1990, ‘Usāma ben Lāden propose au roi Fahd d’utiliser sa milice pour défendre le pays contre une éventuelle invasion des troupes irakiennes. Ce dernier refuse et préfère ouvrir son territoire à l’armée américaine, prêtant ainsi le flanc à
l’accusation selon laquelle il aurait autorisé le kāfir, le mécréant, à « souiller le sol sacré » de l’Arabie saoudite. Dès lors, ‘Usāma ben Lāden se fait de plus en plus critique vis-à-vis de la famille royale, choisissant même de s’allier à des opposants au régime wahhabite établis en Iran et en Syrie1. En 1991, devenu franchement indésirable, il est pressé de quitter le pays et s’installe avec certains de ses fidèles à Kharṭūm au Soudan où il est accueilli par Ḥasan at-Turābī, qui dirige le National Islamic Front (NIF) soudanais, émanation des Frères musulmans égyptiens, option dure. Faisant largement bénéficier son hôte de son immense fortune, il n’en est pas moins vrai qu’en cette année 1991 ‘Usāma n’est encore qu’un milliardaire exilé. Mais bien qu’assez isolé, il est néanmoins représentatif d’un mouvement qu’il cherche à développer, la Qāʿida, au sein duquel la presse, par les raccourcis emblématiques d’un certain journalisme, va dissoudre l’ensemble de l’activisme salafiste musulman. Une décennie plus tard, la Qāʿida sera ainsi devenue davantage un concept ou un symbole qu’une organisation à proprement parler. Ce mouvement fondé par le cheikh palestinien ʿAbdullah YusūfʿAzzām2 alors secondé par ‘Usāma ben Lāden, émerge en 1987 d’une organisation, le maktab al-khadamāt3. Celui-ci a été établi trois ans plus tôt dans le cadre du soutien de la résistance afghane contre les forces soviétiques, sa fonction consistant à relayer et à orienter les multiples dons en provenance de pays musulmans ainsi que du gouvernement américain. Dans le contexte de la guerre froide en effet, la CIA contribuait à travers l’Operation Cyclone à la formation de mujahidūn et des talibān pour contrer l’expansionnisme soviétique. Ceci rappelle évidemment que ‘Usāma ben Lāden à l’instar des ṭālibān4 et autres mujahidūn reste un produit de la CIA ; de la CIA plus que du gouvernement américain d’ailleurs qui, comme tout gouvernement privé d’un corps diplomatique averti, ne peut fonder ses choix que sur son propre référentiel culturel. Inspirée par les Frères musulmans, l’idéologie de la Qāʿida s’inspire plus particulièrement de la pensée de l’Egyptien Sayyid Quṭb et de celle plus radicale encore de Muḥammad ʿAbdu-s-Salām Faraj, tête pensante 1
Ar-Riyāḍ lui attribuera notamment la responsabilité d’un attentat contre son ambassadeur au Pakistan ainsi qu’une tentative avortée de détournement d’un avion saoudien effectuant la liaison Karachi-Jedda. Les relations s’envenimeront au point qu’au début du mois d’avril 1994, l’Arabie saoudite le déchoit de sa nationalité. Il reste cependant en relations discrètes avec certains membres du régime saoudien voire peutêtre avec certains membres de la CIA sous le nom de code de « Tim Osman » 2 L’un de ses slogans favoris était : « Le jihād et les fusils uniquement. Pas de négociations, pas de conférences, pas de dialogues ». Il sera assassiné en 1989 dans des conditions assez étranges pour laisser supposer que Usāma ben Lāden n’aurait pas vu d’un mauvais œil la disparition de son mentor. 3 Exactement [ar. ﻣﻜﺘﺐ ﺍﻟﺨﺪﻣﺎﺕ ﻟﻤﺠﺎﻫﺪﻳﻨﺎ ﻟﻌﺮﺑﺎmaktab al-ḫadamā al-mujahidīn al-’arab] « Bureau des services des combattants arabes » 4 Il s’agit d’un mot pashto emprunté à l’arabe ﻁﺎﻟﺐṭālib [« étudiant », « chercheur », au pluriel ﻁُ ّﻼﺏṭullāb].
du commando qui avait assassiné Anwar as-Sādāt en 19811. Celui-ci considère que les gouvernements occidentaux avec à leur tête celui des États-Unis interfèrent dans les affaires intérieures des nations islamiques en reproduisant un schéma apparu au temps des Croisades. Aussi juget-il légitime de recourir aux attentats pour faire entendre ses revendications.
Les repérages de la Qāʿida en Somalie Tandis que ‘Usāma ben Lāden finit de s’installer à Kharṭūm et d’y prendre ses repères, au début de 1992, MuḥammadʿĀṭaf2, chef militaire d’une Qāʿida pour l’heure modeste effectue de nombreux voyages en Somalie à partir du Soudan. Là, il est présenté par d’anciens d’Afghanistan aux dirigeants de l’Itixaad, notamment à son chef militaire, Xasan Daahir Aweys, dont la situation depuis ses déboires dans le Nord-est n’est pas très brillante et qui est notamment en quête de financement. Il semble en effet que depuis ses derniers échecs, la générosité de certains de ses contributeurs se soit quelque peu rétractée. Après avoir évalué les possibilités offertes par l’environnement et la détermination de ses interlocuteurs, MuḥammadʿĀṭaf lui propose un cursus d’entraînement pour ses combattants et s’engage par ailleurs à lui fournir des armes. Après que la Qāʿida a dû quitter assez précipitamment l’Arabie saoudite, l’ancien policier égyptien et son chef peuvent avoir considéré le territoire somalien comme une hypothèse de sanctuarisation de leur mouvement, un espace de non-droit où l’installation d’une position de repli serait possible en cas de nécessité. Mais ce repérage prometteur effectué, un autre aspect des choses se dessine désormais, l’intervention des Nations unies. Lancer l’Itixaad contre les États-Unis dans le cadre de l’opération qui doit se déployer à la fin de l’année 1992 en Somalie devient une hypothèse certes plausible mais à haut risque. C’est une autre stratégie qui sera retenue par les salafistes radicaux somaliens qui vont garder profil bas et plutôt inscrire leur action dans le prêche et les associations humanitaires aux côtés de l’Islaax en attendant le départ de la mission. Aussi, si l’affaire va effectivement mal tourner pour ONUSOM II qui retire ses dernières troupes en mars 1995, jusqu’à démonstration du contraire, le monde du salafisme radical n’aura guère eu à voir avec l’échec de l’opération internationale.
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Et auteur d’un livre essentiel à la compréhension du jihād terroriste : L’obligation oubliée [ar. ﺍﻟﻔﺮﻳﻀﺔ ﺍﻟﻐﺎ ﺋِﺒﺔal-farīḍa al-ġā’iba]. 2 Ingénieur électricien, ancien policier aussi, ce gendre de ‘Usāma ben Lāden est l’un des principaux organisateurs des attentats du 11 septembre 2001. Il sera tué le 16 novembre 2001 lors du bombardement américain du sud de Kaboul. Il avait publié dans les années 80 un ouvrage également incontournable : Études militaires pour mener la guerre sainte contre les tyrans.
XV – 1993 : E RREURS ET MALADRESSES DE L ’ONUSOM II
Mais en Somalie, c’est bien sur le Centre et le Sud somalien que se concentre maintenant l’attention. Car depuis le passage du témoin entre l’UNITAF et l’ONUSOM II – sous la direction de droit des Nations unies, mais le commandement de fait des États-Unis – incompréhensions et erreurs se multiplient jusqu’à établir une irréversible animosité entre l’intervention internationale et le monde somalien. La première faute majeure a lieu à Kismaayo dont Maxamed Moorgan s’est de nouveau rendu maître.
L’ABANDON DE KISMAAYO A MOORGAN : LA FAUTE POLITIQUE Dans le grand port du Sud en effet, avant de se retirer, le contingent belge de l’UNITAF a établi une situation qui, aux yeux de tous les Somaliens, suscite une défiance regrettable à l’encontre de l’opération internationale. En procédant au désarmement – volontaire – des miliciens du SPM-Jees et à leur cantonnement, les militaires belges viennent de favoriser d’étonnante façon un SNF qui lui-même ne s’y était pas résolu.
La faute politique Quand le 4 mai, le colonel belge Marc Jacqmain remet le commandement de la zone de Kismaayo à son successeur, Maxamed Moorgan et ses miliciens se sont déjà sans coup férir emparés en mars de la cité portuaire. Nul n’étant venu, et surtout pas l’UNITAF, s’opposer à leur action, les troupes du colonel Cumar Jees n’ont eu d’autre choix que de se replier dans la vallée de la Jubba, plus précisément en pays Maxamed Subeer, dans la région d’Afmadow. De retour à Bruxelles, le
colonel belge déclare sans vergogne qu’il a laissé à son successeur une situation plus claire. La ville est contrôlée par les troupes du SNF de Maxamed Moorgan et les forces du SPM-Jees sont maintenant repliées vers le nord1. Pour les militaires de l’ONUSOM II, cette situation aura l’avantage de rendre plus aisée la distinction entre les factions somaliennes en conflit. Interrogé sur le fait de savoir si l’action de ses troupes n’avait pas favorisé l’un des deux belligérants, l’officier reconnaît sans ambages qu’en désarmant Cumar Jees et en le privant de sa liberté de mouvement, il avait délibérément fait le jeu de son adversaire. Il n’en avance pas moins curieusement à sa propre décharge que le problème n’avait de solution que politique et que ses soldats s’étaient contentés de constater que, quelques semaines après la prise de la ville par Moorgan, celle-ci avait désormais revêtu un tout autre aspect. Cumar Jees avait laissé passer sa chance en refusant durant des semaines de parlementer avec les notables de la ville proches de son adversaire et ce dernier n’avait eu d’autre recours que d’employer la force. Le 7 mai toutefois, pensant profiter de la relève des troupes à Kismaayo, Cumar Jees tente de reprendre la cité, au terme d’une marche audacieuse. Mis en alerte, le contingent belge considère qu’il s’agit d’une attaque directe sur ses positions et repousse les forces de Cumar Jees auxquelles il inflige des pertes importantes. Pour Maxamed Caydiid, cette affaire le prévient à nouveau contre les contingents internationaux. Boutros Ghali déplorera un manque de discernement délibéré de la part de Caydiid qui n’identifie pas la différence de politique entre la quasi remise de Kismaayo en mars à Moorgan par les Belges de l’UNITAF et le fait que l’ONUSOM II ne prenne que le 4 mai le commandement de la zone. De cet argument byzantin, il peut attendre une oreille complaisante du Conseil de sécurité ; de la part des Somaliens, c’est beaucoup plus improbable. Du point de vue de la SNA, quels que soient son mandat et son statut, il y a simplement en Somalie une force étrangère qui s’est tournée contre ses alliés. Et une telle forfaiture promet des conséquences dramatiques. La remise de fait de Kismaayo à son ennemi juré par les troupes occidentales suscite d’abord chez Maxamed Caydiid une colère aisée à comprendre. Lui-même étant incapable de porter sur-le-champ secours à Cumar Jees, l’événement le met en porte-à-faux non seulement vis-à-vis de celui-ci, mais encore de ses autres alliés de la SNA, en droit de s’interroger sur les solidarités au sein de l’Alliance et sur la capacité à réagir de son chef. Bien que plus éloignés du théâtre, on peut imaginer que les dirigeants du SNM et la population Isxaaq du Somaliland ont également pris acte de cette bienveillance politique à l’égard du « boucher d’Hargeysa » dont ils ont 1
Au début du mois de juin, Moorgan demande un entretien avec le commandant des forces belges, le lieutenant-colonel Fred Van De Weghe pour discuter du sort de son associé, Saciid Xuseen. Celui-ci venait d’être arrêté le 27 mai à Dhoobley le long de la frontière kényane, après que sa milice avait été accusée de rackets par le CICR.
eu cinq ans plus tôt à subir la destruction de leurs villes, de leurs villages, de leurs puits et de leurs troupeaux. Mais cette affaire surtout participe de la construction de la défiance de Caydiid à l’encontre des Nations unies qu’il juge hostiles à son égard. Celles-ci lui ont déjà retiré Muḥammad Saḥnūn, le seul interlocuteur pour lequel, aussi disputés aient été leurs entretiens, il éprouvait un respect sincère, pour le remplacer par un Ismat Kittani qu’il avait d’emblée méprisé pour son arrogance et son incapacité à entrer dans le jeu somalien. Une exécrable relation que n’allait pas améliorer l’arrivée de l’amiral Howe. Maintenant, après avoir sérieusement préparé la réunion d’Addis Abäba, Maxamed Caydiid estime avoir fait sa part dans la rédaction de l’accord. Il observe d’ailleurs avoir été le seul à s’y être appliqué. En retour, à défaut d’un soutien patent, il ne pensait pas que lui-même et son camp puissent être soumis à quelconque forfaiture voire humiliation. Ultime coup de pied de l’âne de l’UNITAF, l’affaire de Kismaayo lui paraît un révélateur puissant du positionnement international à son encontre. Aussi eut-il été invraisemblable qu’il ne se dressât pas contre une société qui par l’intermédiaire de l’Italie, de l’Égypte et de bien d’autres encore, soutenait les forces de l’ancien dictateur et lui préférait de facto le plus grand criminel de guerre qu’auront jusqu’à aujourd’hui compté vingt années de crise somalienne. Une surenchère s’installant à travers la violence de ses propos puis de ses positions, Caydiid ne rencontrera plus que le cortège des idées préconçues et les décisions hâtives de la nouvelle équipe. La seule voix plausible, celle de l’ambassadeur Kouyate, lui-même souvent asphyxié, est condamnée à ne recevoir aucun écho. Dès lors, alors que nul n’a été capable de mesurer la dangerosité du général et son potentiel de nuisance, l’ONUSOM II est condamnée à des lendemains difficiles.
Kismaayo entre Belges et Moorgan Cela dit, il faut néanmoins reconnaître qu’en contrepartie de cette faute stratégique, le département de la Coopération belge s’attelle aussitôt à développer des programmes d’éducation scolaire, réhabilitant les écoles et fournissant le matériel nécessaire. En attendant que les Nations unies prennent le relais, l’armée belge et les ONG rétribuent les enseignants somaliens sous forme de nourriture. Simultanément d’ailleurs, ces dernières s’activent à rééquiper en matériel agricole les paysans de la vallée de la Jubba. Des projets entreprennent de réparer le système d’irrigation et de fournir de l’électricité à Kismaayo. Demeure encore le danger des mines, dont plus d’un millier déjà ont été trouvées et détruites, mais dont beaucoup, fabriquées en plastique, sont indétectables. En l’occurrence, les militaires belges redoutent que le SPM-Jees ne dissémine d’autres engins sur les routes afin de diminuer sinon d’entraver la liberté de mouvement des miliciens du SNF.1 1
LOI n°574, 8 mai 1993
Pour sa part, Moorgan n’ignore rien de la précarité de son établissement. Aussi, afin d’être en mesure de s’opposer à un éventuel soutien octroyé par Caydiid à ses adversaires, prépare-t-il ses troupes – entre 1000 et 1500 miliciens environ – à défendre la ville. Il sait en effet que son adversaire s’est déjà renforcé et qu’il s’apprête à nouveau au combat. Dans ce branle-bas, ni les forces belges ni les notables de cette ville où les Harti sont majoritaires ne s’opposent aux déplacements de sa milice à l’intérieur de la cité. Libre accès et libre circulation lui donnent l’opportunité de bouger rapidement et toute latitude pour installer de façon convenable les armes nécessaires. La proximité de ses troupes et leur équipement lui permettent ainsi de jeter rapidement une structure de commandement et de contrôle. De la même façon, ils lui permettent d’aménager des sites de stockage de son armement dans certaines constructions en dur situées dans les zones clés de la cité. Les milices équipées de technicals sont massées tout autour. Personne à l’ONUSOM II ne trouve d’ailleurs à redire à ces préparatifs de siège.
Le face à face entre Moorgan et Cumar Jees Moorgan naturellement porte un grand intérêt à la cité. Il est largement convaincu d’être un général très compétent et ses talents sont supposés bien supérieurs à ceux de Cumar Jees. Il sait surtout que le contrôle de Kismaayo représente le contrôle de la vallée du fleuve Jubba ; y établir une base d’opérations serait un point de départ idéal pour s’emparer du nord de la vallée. Il pense aussi que s’il était en mesure de contrôler complètement la ville et ses alentours, les ports de Baraawe et de Marka suivraient probablement. Aussi entreprend-il de nouer avec l’ensemble des factions opposées à la SNA des alliances solides propres à mettre la pression sur les régions qui entourent les deux ports. Il se dit aussi que si ses propres miliciens attaquaient ces secteurs, des alliés venus de Muqdisho pourraient alors venir épauler ses troupes. Contrôler la côte de la frontière kényane jusqu’au nord de Baraawe voire de Marka lui octroierait un succès économique propre à lui procurer davantage d’argent afin de se pourvoir en matériels de guerre et payer les membres de sa milice. Un chef puissant en Somalie doit avoir des armes, des hommes et de l’argent. Un tel contrôle mettrait donc à sa merci les lignages de l’intérieur, Mareexaan, Ogaadeen, Raxanweyn et Digil voire certains Hawiiye et ouvrirait la géométrie variable d’un possible État autonome dans le Sud somalien, un Jubbaland peut-être. Ce sont ces mêmes raisons qui poussent le SPM à vouloir contrôler Kismaayo. Sauf qu’observées par ce bout de la lorgnette, les Nations unies dont Caydiid et lui-même ont pris naguère le déploiement pour une opportunité viennent de leur faire défaut et se retourner contre eux. Cette erreur de jugement a coûté cher à Cumar Jees. Allié loyal de Caydiid dont il attend maintenant à nouveau le soutien, le chef Ogaadeen s’installe en attendant à Goobweyne, petite localité située au
nord de Kismaayo, qu’il entreprend de fortifier. Quant au chef de la SNA qui sait intuitivement que l’accès à Kismaayo est une opportunité à ne pas manquer, il s’emploie pour l’heure à des actions de propagande. Radio Caydiid et les journaux qui lui sont favorables font état d’un retour imminent d’Cumar Jees à Kismaayo. Sauf que pour l’heure Caydiid n’a pas les moyens de sa stratégie. Il lui faut, pour la mener à bien, soulager ses autres fronts avant de pouvoir déplacer des forces au profit de son allié et ainsi ouvrir un nouveau théâtre au sud. Une opportunité s’offre au nord, face à Gaalkacyo.
LE SHIR DE GAALKACYO ET LES NATIONS UNIES
[29.V/2.VI-1993]
En cette période de transition et peu avant que ne se mette en place la nouvelle opération des Nations unies, Maxamed Caydiid qui n’est pas immédiatement rentré d’Addis Abäba à Muqdisho s’est rendu au cours du mois d’avril en Ouganda, au Soudan et au Yémen à l’invitation de leurs gouvernements respectifs. Ces déplacements suscitent une certaine inquiétude parmi les responsables de l’ONUSOM II et ceux du bureau de liaison américain à Muqdisho – l’ambassade des États-Unis en fait – qui leur sont étroitement associés. Tous sont préoccupés par la propension que prend le redoutable général à occuper le devant de la scène politique somalienne.
Heshiiska Nabadda Mudug, le contrat de paix du Mudug [2.VI1993]
Quand, à son retour, la rumeur court d’une conférence organisée par ses soins à Muqdisho en mai, les esprits se mettent résolument en alerte. Le projet vise à rassembler les délégations régionales représentant des notables de son propre lignage, les Habar Gidir, et ceux des Majeerteen, leurs voisins du nord afin de formaliser les problèmes de bon voisinage au niveau de Gaalkacyo. Le 6 mai, Maxamed Caydiid annonce pour le 9 sur les ondes de Radio Muqdisho son projet de conférence qui doit réunir dans la capitale des délégations des quatre régions du Centre et du Nord-est, Bari, Nugaal, Galguduud et Mudug. Discutant deux jours plus tard du projet avec Lansana Kouyate, celui-ci n’y voit pas d’objection et accepte même d’assurer le transport aérien des délégués ainsi que quatorze jours de soutien au profit des délégations. Caydiid lui explique qu’évoquant les difficultés aux confins des pays Hawiiye et Majeerteen à Addis Abäba avec son ancien camarade, le colonel Cabdullaahi Yuusuf, ils étaient parvenus à un accord de principe sur les droits de pâturages et d’accès à l’eau dans la région de Gaalkacyo. L’entente devait être maintenant définitivement entérinée par les chefs traditionnels. D’une certaine manière, Maxamed Caydiid était d’ailleurs personnellement impliqué dans l’affaire puisque son propre grand-père, Xasan Maxamed Faarax, avait jadis été tué pour s’être opposé au règlement de ces différends avec les Cumar Maxamuud.
Ainsi, un problème demeuré en suspens et qui menait régulièrement à des accrochages trouve-t-il une opportunité de règlement. Car chaque dispute entre bergers en brousse donne lieu à une série d’affrontements dans Gaalkacyo, ville dont le Nord est occupé par les familles Majeerteen et le Sud par des familles Habar Gidir. Par ailleurs, au-delà de la seule affaire des nomades, cela revient aussi à rétablir un commerce normal entre le port de Boosaaso au nord-est et Muqdisho, ce qui n’est pas un moindre acquis pour l’économie somalienne. Aussi, avant que les délégués n’arrivent à Muqdisho le 18 mai et avant qu’il n’ait quitté lui-même Muqdisho pour New York, l’astucieux Kouyate a-til compris de quoi il retournait et donné son aval. En son absence cependant, les premières difficultés de l’opération s’installent autour des modalités d’acheminement des délégations. Celles-ci en effet arrivaient à Muqdisho à bord d’un avion privé loué par Caydiid pour la circonstance et non d’un avion mis par l’ONUSOM à leur disposition. La raison invoquée tenait à ce que l’avion canadien basé à Beledweyne avait bien été requis, mais que l’ONUSOM avait considéré qu’il ne revenait pas aux militaires d’être impliqué dans ce qui était une prérogative des Nations unies. Les jours passants et aucun avion n’ayant été mis à sa disposition à Gaalkacyo pour embarquer les délégués, Caydiid avait décidé de procéder autrement et de louer luimême un appareil. Dans son discours d’accueil des notables à l’aéroport, discours retransmis par Radio Muqdisho, il n’avait pas manqué d’exprimer son ressentiment à l’encontre de l’ONUSOM. Il expliquait que s’il avait effectivement sollicité des moyens, il avait aussi récusé toute interférence dans ce qui devait demeurer une affaire interne. Précisant qu’il ne revenait pas à l’amiral Howe de lui dire ce qu’il convenait de faire ou de ne pas faire, il l’avait prié de rester éloigné des salles de réunion « à l’intérieur et à l’extérieur » car l’ONUSOM devait savoir que c’était à eux Somaliens qu’il revenait de résoudre leurs problèmes.
L’organisation de la détestation à l’encontre de Caydiid Une telle diatribe naturellement, aussi pertinente soit-elle, ne peut être du goût ni du bureau politique de l’ONUSOM ni du bureau de liaison des États-Unis. Par son discours, le général relègue à la fois l’ONUSOM, les États-Unis et leurs alliés objectifs, ses rivaux politiques. Seul contre tous, Maxamed Faarax Caydiid prend surtout ce faisant un ascendant inacceptable sur l’ensemble de la problématique somalienne. C’est pourquoi l’image rendue par ce dernier, outre les inquiétudes et désapprobations suscitées auprès de ses opposants, résulte désormais de la charge d’avoir causé par son inflexibilité et son manque de compassion quelque 300 000 morts. Chacun lui compte ainsi aisément – sans envisager un partage des responsabilités avec Cali Mahdi ou Moorgan par exemple – les victimes de la guerre interclaniques interUSC de 1991 et 1992 ou la mise en danger des enfants mourant de faim
dans la région interfluve. Ici, sans preuve véritable, il est réputé avoir autorisé ses miliciens à piller l’aide octroyée. D’ores et déjà à son encontre s’installe une aversion politique émotionnelle non seulement de la part de ses opposants qui le craignent, mais de la part aussi des fonctionnaires de l’ONUSOM et du bureau de liaison américain. Il ne s’agit naturellement pas par ce propos de dédouaner le général, mais simplement sur le sujet de renvoyer dos à dos l’ensemble des protagonistes. Côté intervention internationale, les Nations unies, déconsidérées par la faiblesse d’ONUSOM I, ne veulent pas reconduire leurs erreurs ; quant à leurs mentors américains, toujours enclins à exhiber leur puissante musculature, ils ne conçoivent même pas d’être brinquebalés. La force a gagné face à l’imposante armée iraqienne, comment pourrait-il en aller autrement ici, face à des milices d’un autre âge ? Tous en font donc une affaire de prestige. Côté factions somaliennes, la vision est différente encore. On s’inquiète plutôt des conséquences d’une entente trop étroite, une collusion peutêtre, entre les clans Sacad des Habar Gidir auxquels appartient un Caydiid en conflit avec Cali Mahdi, le Hawiiye Abgaal, et un Cabdullaahi Yuusuf Darood Majeerteen du clan Cumar Maxamuud luimême en délicatesse avec le président du SSDF, Maxamed Abshir Muuse, Majeerteen du clan des Cisse Maxamuud. Les deux hommes se connaissent, ont été cadet à Garoowe ensemble et semblent même être apparentés par leur mère. Tous deux sont des officiers compétents et des lutteurs intelligents, bien qu’obstinés, voire parfois obtus. Ce sont aussi des personnalités énergiques, inflexibles et impitoyables ; dangereuses donc, mais à un point que nul n’imagine. Quand Caydiid entreprend d’héberger les délégués conduits par Cabdullaahi Yuusuf dans un immeuble de la SNA, l’ONUSOM II ulcérée procède à un constat d’insolence. Quand il dédaigne l’assistance de l’ONUSOM II afin d’assurer la sécurité de la conférence, la confrontation devient inévitable1. Si incontestablement l’ONUSOM II ne cesse dès lors de jouer de maladresse, ses mobiles n’en sont pas moins compréhensibles. En charge depuis à peine plus d’un mois, la direction de l’opération est excessivement sensible à tout ce qui lui paraît de nature à affecter sa crédibilité. Se voir demander une assistance logistique d’un côté et se voit rétorquer de l’autre que la conférence était une affaire privée est inacceptable, à peine compréhensible même. D’autant que certains délégués, tels que Maxamed Abshir Muuse, se montrent favorables à l’action des Nations unies. La seule réserve du président du SSDF, hors son aversion pour Caydiid et ses réticences à l’encontre de Cabdullahi Yuusuf, président du comité politique et de
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Pendant ce temps, Maxamed Abshir Muuse dispose d’un véhicule de l’ONUSOM, conduit par un officier de sécurité des Nations unies et accompagné par une imposante escorte de Pakistanais.
défense du mouvement Majeerteen, porte sur son désir de voir la problématique de Kismaayo inscrite à l’ordre du jour de la réunion. Venant encore ajouter à la confusion, il se trouve que, de façon inattendue, Cali Mahdi rentre en ce milieu de mois de mai d’un voyage en Arabie saoudite. Unissant sa voix à celle de Maxamed Abshir et de dix autres chefs de factions alliées, il saisit l’opportunité de l’antagonisme des Nations unies à l’encontre de Maxamed Caydiid et de Cabdullaahi Yuusuf pour se rapprocher ostensiblement des fonctionnaires politiques gravitant autour du système ONUSOM-ÉtatsUnis ; en particulier l’ambassadeur April Glaspie qui en l’absence de Lansana Kouyate assure les tâches qui lui sont dévolues.
L’ONUSOM II face à des adversaires disposés à s’entendre Pourtant, au terme d’un interminable débat, un modus operandi consensuel semble se dégager quand vient à se poser le problème du discours d’ouverture. À qui de l’amiral Howe ou du général Caydiid vat-il revenir l’honneur de le prononcer ? Chacun campant sur ses positions, il s’agit de trouver un intervenant « neutre ». Viennent ensuite des tracasseries sécuritaires sur les cartes d’identité. Finalement, à l’insu de l’ONUSOM, Caydiid rompt de sa propre initiative cet interminable dialogue et choisit un nouveau lieu de réunion où sa conférence commence le 28 mai, soit 19 jours après la date initialement prévue. Le lendemain, furieux, l’amiral convoque, sur le ton de l’invitation, Maxamed Caydiid, Cabdullaahi Yuusuf et Maxamed Abshir Muuse à un entretien. Il s’agit maintenant d’obtenir de Caydiid le traitement du problème de Kismaayo dans la conférence afin de préserver la structure des factions politiques telle qu’elle s’est présentée à la conférence d’Addis Abäba en quinze mouvements séparés : la SNA et ses quatre factions d’un côté, de l’autre les onze factions proches de Cali Mahdi, à savoir sa propre faction USC, le SSDF et le SNF ainsi que huit petites factions mineures. À cet argument, Caydiid en oppose un autre tout aussi pertinent : les problèmes de Gaalkacyo et de Kismaayo sont radicalement différents et les réunir en une conférence unique n’irait dans le sens des intérêts de personne. L’affaire risquerait même fort de devenir stérile et il paraissait plus judicieux de tenir des conférences séparées, le problème de Kismaayo nécessitant des négociations de fond. Campant sur cette position, la table ronde de l’amiral ne se concluait sur aucun accord. La fin de non-recevoir de Caydiid se soldait en revanche par un ultimatum de l’amiral Howe : la représentation à la conférence de toutes les parties concernées était une condition sine qua non pour que l’ONUSOM continue son soutien logistique et financier ; il était donné aux récalcitrants 24 heures au terme desquelles les délégations seraient immédiatement reconduites chez elles. Bien sûr, les Somaliens prennent le parti de passer outre une telle injonction, à la fois incompréhensible, mais surtout humiliante. Aussi le 29 mai, Caydiid
parvient-il à ouvrir le shir comme il l’entendait. Quand il outrepasse l’avis de l’ONUSOM, le général Hawiiye agit cette fois avec l’appui du SSDF - Maxamed Abshir Muuse, Cabdullaahi Yuusuf et même la SNDU des Leelkase, tous intéressés au règlement de l’affaire de Gaalkacyo. D’autant plus furieux que le SSDF se soit rangé à l’avis du général, les responsables de l’ONUSOM mis en porte à faux mettent leur menace à exécution et suspendent le 1er juin leur aide financière. Sauf que le ralliement des Majeerteen n’est pas innocent. Aussi un rapide aparté sur le sujet particulier de la situation à Kismaayo où un autre différend perdure permet incidemment d’observer une inflexion politique au sein du SSDF. En effet, la conférence sur la Jubbada Hoose, la basse vallée de la Jubba, reportée à plusieurs reprises, fait l’objet d’un litige car le chef de la SNA s’oppose catégoriquement à toute présence de délégués du SNF. Le front commun entre la SNA et le SSDF illustre surtout un rééquilibrage des alliances politiques Majeerteen, assez conforme au jeu de bascule suivi par ce mouvement depuis le début de la crise somalienne. Après le renversement de Siyaad Barre, le SSDF avait fait cause commune avec le SNF pour faire pièce à l’agressivité des Hawiiye à l’encontre des Darood et plus précisément dans la région de Gaalkacyo où Habar Gidir et Majeerteen s’affrontaient dans une lutte aussi ancestrale que conjoncturelle. Aujourd’hui le SNF étant installé à Kismaayo où les amis du général Caydiid ont subi de sérieux revers, le SSDF se sent les coudées plus franches pour envisager avec le chef de la SNA la situation autour de Gaalkacyo où les troupes des deux camps se font face. En agissant ainsi, il prend certes le risque d’offrir au général l’occasion d’un rétablissement politique dans la région Centre, mais il compte aussi profiter de son affaiblissement passager pour négocier avec lui dans les meilleures conditions 1. Aussi la conférence, menée par Caydiid appuyé par sa faction USC et par Cabdullaahi Yuusuf fort du soutien du comité de Défense du SSDF, se poursuit-elle sans la participation de l’ONUSOM. Quelques difficultés surgissent encore, nées d’incompréhensions avec les proches de Maxamed Abshir mais la réunion ne s’en achève pas moins le 2 juin sur un incontestable succès après avoir été menée en douceur quatre jours durant. Les intérêts convergents des deux dirigeants permettent de conclure un accord de coexistence pacifique entre les principaux protagonistes : les lignages Majeerteen Cumar Maxamuud et les Habar Gidir Sacad. L’accord envisage la mise en place de structures d’arbitrages conjointes impliquant les autorités traditionnelles des deux parties ; il est entendu que leur rôle consistera à prévenir ou à régler les actes de violence, du vol de chameaux en brousse au pillage des biens des commerçants en ville. Il est aussi convenu que le SSDF conserverait le contrôle des trois districts du nord Mudug, Goldogob, Gaalkacyo et Jariiban, les Habar Gidir les deux du Sud, Hobyo et Xarardheere. Les milices reculeront de 1
LOI n°578, 5 juin 1993
70 km, de part et d’autre de la ligne Tomaselli1, puis seront désarmées. Les armes ainsi récupérées seront rassemblées et remises aux forces de l’ONUSOM qui se chargera de leur stockage. D’autres accords portent sur la liberté de commerce et d’établissement dans les zones urbaines et le paiement du mag pour les familles qui ont perdu un parent dans les affrontements. Dans les semaines qui suivent, le trafic reprendra en effet entre Boosaaso et Muqdisho ; la ville de Gaalkacyo reprendra alors toute la dimension à laquelle la prédispose sa position géographique, à la croisée du trafic nord-sud, mais aussi du commerce ouest-est. Si quelques réserves empêcheront la pleine application de l’accord et la mise en place de structures de gouvernement local dans le Mudug, le symposium restera l’une des rares initiatives à avoir eu un incontestable impact sur l’établissement de la paix. Non seulement il met un terme aux effusions de sang qui perdurent depuis des années, mais il permet aussi au Nord-est de se sanctuariser vis-à-vis d’un Sud qui reste turbulent 2. Maxamed Abshir, homme honnête et religieux, admettra publiquement en visitant Gaalkacyo quelques jours plus tard que ses réticences avaient été infondées. En revanche, l’amiral Howe invité à se rendre pour constater l’accord décline l’offre3. L’ONUSOM avait escompté que la menace du retrait de son soutien financier assouplirait les comportements de Maxamed Caydiid et de Cabdullaahi Yuusuf, résipiscence au terme de laquelle l’opération était prête à entériner tout accord obtenu par ces derniers. Non seulement le chantage n’avait pas marché, mais l’ONUSOM courait maintenant le risque de se voir accusée de faire obstruction au processus de paix. Le problème cependant allait surgir d’ailleurs.
L’OPERATION DE L’ONUSOM SUR LA RADIO DE CAYDIID
[VI-1993]
Loin de reconnaître le succès de l’affaire, des voix s’élèveront quelque temps plus tard pour dénoncer cette entente tacite entre Caydiid et Cabdullaahi Yuusuf, et expliquer à travers elle la détérioration rédhibitoire des relations avec l’ONUSOM dans les mois qui vont suivre.
April Gaspie et l’obsession de Radio Muqdisho Car soutenu par les onze factions proches de Cali Mahdi dans son interprétation de la Résolution 814, l’amiral Howe considère maintenant 1
Établie par les Italiens dans les années 30, elle sépare le pays Majeerteen du pays Hawiiye à hauteur du parallèle de Gaalkacyo. 2 L’accord de paix aura aussi quelques effets pervers. Un grand nombre de miliciens démobilisés retournent en effet au sein de leurs communautés. Beaucoup d’entre eux manquant de compétences et de moyens de subsistance, le problème de leur réinsertion n’a effleuré personne. Aussi des groupes armés se reconstituent-ils qui dressent des barrages sur la route de Boosaaso. D’autres se reconvertissent dans la production illégale du charbon de bois et dans son lucratif commerce d’exportation. 3 PDRC. Peace Initiatives in Puntland 1991—2007- The Puntland Experience: A Bottomup Approach to Peace and State Building. Garoowe. 2008
qu’il pourrait par un acte de fermeté restaurer toute perte de prestige que Radio Muqdisho, la radio de Caydiid, est supposée lui faire subir. Cette radio devient en effet une obsession, en particulier dans l’esprit d’April Glaspie qui ne se sent pas liée par l’accord passé entre Lansana Kouyate et Caydiid, accord naguère approuvé pourtant par l’amiral Howe. Le document avait établi un comité de contrôle conjoint portant à la fois sur Radio Maanta1, la radio de l’ONUSOM, et sur Radio Muqdisho, comité chargé de s’assurer de l’impartialité des propos. Or si l’ONUSOM avait effectivement désigné ses propres membres du comité en question, Caydiid avait pour sa part délibérément omis de le faire. Le général n’était bien sûr pas assez naïf pour se priver d’un tel outil de propagande à l’adresse de la population. Dans l’esprit d’April Glaspie qui y voyait une preuve patente de malhonnêteté, la radio devait donc être soit détruite soit placée sous contrôle de l’ONUSOM. Il semble toutefois que ni la conseillère ni aucun autre officier politique des Nations unies n’aient jamais réellement porté attention aux traductions en anglais des enregistrements effectués. Considération d’autant plus regrettable qu’en l’occurrence, les États-Unis disposaient d’un opérateur intéressant, un réserviste du corps des Marines dénommé Hussein Mohammed Farah [som. Xuseen Maxamed Faarax] et qui n’était, on ne s’en apercevra que plus tard… que le propre fils du général Maxamed Faarax Caydiid. Une faiblesse semble-t-il des services de renseignement américains. Toujours est-il que durant le mois de mai, les propos tenus sur Radio Muqdisho à l’encontre de l’ONUSOM restent somme toute modérés. Pas d’incitation à la subversion, l’entretien simplement de la défiance publique, l’essentiel de la vindicte de la SNA s’effectuant à l’adresse le Cali Mahdi et des siens2.
Le contrôle des sites de stockage de l’armement C’est pourquoi à la fin du mois, les onze chefs des factions rassemblées autour de Cali Mahdi qui ont senti la tension installée entre Caydiid et l’ONUSOM après l’affaire de la conférence décident de se repositionner. Aussi s’entendent-ils pour adresser à l’amiral Howe un certain nombre de propositions. Dans une lettre qu’ils lui adressent le 31 mai ils lui demandent entre autres que l’ONUSOM désormais traitât séparément avec eux et lui suggèrent de prendre le contrôle de Radio Muqdisho. Averti de cette démarche, Caydiid reste sur ses gardes et met discrètement en alerte les quelque cinq cents miliciens dont il dispose toujours dans la capitale. Plutôt satisfait de la proposition de Cali Mahdi qui semble lui garantir un soutien somalien, le général Montgomery planifie avec son état1
[som.maanta] : « aujourd’hui ». Radio Maanta émet de décembre 1992 à février 1995 Une nouvelle dispute se dessine le 27 mai quand des juristes relevant de l’autorité de Caydiid se heurtent au chef de la Prévôté de l’ONUSOM qui leur refuse l’accès à la prison de l’opération. 2
major l’inspection des cinq sites de stockage des armes1 de l’USCCaydiid dont l’un se trouve précisément dans l’enceinte de Radio Muqdisho2. Ces sites ont été établis de leur propre gré par les milices, au terme des discussions sur le désarmement qui s’étaient tenues avec Robert Oakley et le général Johnston, après l’arrivée des troupes américaines en décembre 1992. Cali Mahdi a également entreposé son armement dans des emplacements similaires. La raison avancée pour justifier l’inspection est simple : depuis leur aménagement les sites n’ont été visités qu’une fois, par l’UNITAF ; il est donc légitime de procéder à une nouvelle inspection d’autant qu’entre temps les AWSS sont passés sous le seul contrôle des milices elles-mêmes. L’opération ne s’adressant pas aux installations de Cali Mahdi, il n’échappait à personne et surtout pas à Caydiid qu’il s’agissait d’une mesure de rétorsion du commandant des forces, destinée à laver l’affront consécutif au double refus de laisser l’ONUSOM assurer la protection de Cabdullaahi Yuusuf ainsi que l’hébergement et la sécurité des membres des délégations durant la conférence sur Gaalkacyo. Ceci avait été interprété par le commandement militaire comme un défi direct à son autorité. Au cours de la planification cependant, le général commandant le contingent pakistanais appelle l’attention de Montgomery et de ses officiers sur le fait que l’inspection du site de Radio Muqdisho était politiquement sensible et dangereuse. Une mise en garde écartée puisque le 3 juin, le général américain fait parvenir à l’amiral Howe une copie de la lettre qu’il souhaitait remettre le jour suivant à Salim Ahmed Salim, secrétaire général de l’OUA en situation d’intermédiaire auprès de la SNA. Cette lettre dont l’amiral ne devait prendre connaissance que dans la soirée spécifiait que le commandement militaire de l’ONUSOM procéderait à l’inspection des cinq entrepôts de la SNA, dont celui de la station de retransmission radio, situé au nord de la route du 21 octobre, face au Stadium où était cantonné le contingent pakistanais. Tôt le matin suivant, le 4 juin, l’amiral appelle April Glaspie qui est sur le point de quitter le quartier général pour l’aéroport afin de prendre un court congé au Kenya. Il lui montre la lettre de Montgomery qui paraît à celle-ci tout à fait opportune, au point de lui complaire. Dans la soirée du vendredi 4 juin, jour chômé en Somalie, des officiers de l’ONUSOM délivrent la notification du général américain à la porte de la maison de Maxamed Caydiid. Le colonel Cabdi Xasan Cawaale Qeybdiid, qui en prend connaissance sur le seuil même est stupéfait. Signifiant laconiquement que l’injonction était inacceptable, il ajoute également aussitôt : « ceci signifie la guerre ». 1
Ammunitions and Weapons Storage Sites (AWSS). Selon les Italiens, les deux AWSS de l’USC-Mahdi – Scibis et l’hôtel Panorama – sont réputés désaffectés et ne seront donc pas visités. 2 Le général Çevik Bir, commandant de la force, étant alors en déplacement à l’extérieur du pays, Montgomery assure alors l’intérim de son commandement.
La déclaration de guerre [5.VI-1993] Au matin du 5 juin, accompagnées par quelques officiers américains dont les missions ne leur sont pas communiquées, les troupes pakistanaises s’apprêtent à procéder à l’inspection des sites. Une centaine de soldats sont déployés dans la zone en cas d’incident. L’opération est planifiée de sorte que les quelques Américains s’occupent de l’inspection des dépôts d’armes tandis que les Pakistanais prendront le contrôle de la radio. Nul ne se rend compte que, depuis la veille, de jeunes Somaliens sont déjà en alerte et surveillent les abords de la station, prêts à intervenir. Au petit matin, à 4h30, les troupes des Nations unies investissent la concession. À 5h00, le studio est occupé de force, les personnes qui y travaillent en sont expulsées, les portes sont brisées et une partie des installations endommagées. La réaction des Somaliens est immédiate. Spontanément, les miliciens embusqués se mêlent à une foule immédiatement rameutée et se ruent sur la station radio et ses abords. Hurlant leur colère à l’encontre d’un acte jugé contraire aux résolutions du Conseil de sécurité et aux accords d’Addis Abäba, ils en retiennent ce qu’on leur en a expliqué, à savoir qu’il visait à les priver de leur média. Les troupes de l’ONUSOM, vite débordées, ouvrent le feu ou ripostent. Chercher à savoir qui a tiré le premier coup de feu est dépourvu de sens. Tel que se présentait la situation, l’affrontement était devenu inéluctable, la lettre de Montgomery était écrite avec du sang. En quelques minutes de nombreux manifestants sont tués – 75 semble-til – ainsi que 24 soldats pakistanais1. Indéniable évidence, l’objectif de l’opération était bel et bien la station radio. Reste que le déclenchement du feu et la vigueur de l’opposition somalienne avaient fait avorter ce plan. Les Pakistanais étaient tombés dans une quasi-embuscade. Le communiqué de presse somalien dénonçait aussitôt une action de l’ONUSOM conduite par dépit et colère au regard du succès obtenu trois jours plus tôt par Caydiid et Cabdullaahi Yuusuf. À 7h 00 du soir, Caydiid déclarait à la radio, toujours entre ses mains, que les forces de l’ONUSOM avaient envahi le bâtiment de Radio Muqdisho et s’en étaient emparées deux heures plus tard, détruisant une partie des installations et ouvrant le feu sur des civils désarmés. Il appelait les auditeurs au calme « pour continuer sur le chemin de la paix » et les enjoignait à ne pas tirer tant qu’ils n’étaient pas attaqués et rendait hommage aux Somaliens qui avaient laissé leur vie en défendant l’honneur de leur pays. L’ONUSOM présentait naturellement un point de vue différent sur la nature de ce qui avait déclenché l’affrontement. Quoi qu’il en soit, les soldats pakistanais des Nations unies avaient été tués ou blessés par des membres de la SNA dans des circonstances particulièrement cruelles. Enfermés dans un entrepôt destiné à l’aide alimentaire, sans équipement 1
56 blessés dont deux mourront un peu plus tard des suites de leurs blessures.
de combat et peu de munitions, ils avaient en effet été sauvagement abattus puis mutilés. Naturellement, c’est à la fois la colère et la consternation qui prévalent dans les états-majors de l’opération. Un universitaire américain, Tom Farer, est diligenté pour tenter de déterminer les responsabilités1. Après une enquête exclusivement menée auprès des témoins américains, ce qui limitera la crédibilité de son travail – il remettra un rapport concluant à la responsabilité des Somaliens2. L’attaque aurait été conduite par des miliciens de la SNA en parfaite violation à la fois du Code pénal somalien de 1962 et de la loi internationale. Certes, des témoins somaliens avaient accepté de se présenter au quartier général de l’ONUSOM en l’échange de la promesse qu’ils ne seraient pas inquiétés, mais l’amiral Howe n’avait pas donné suite à leur offre de déposition. L’enquête rendait le général Caydiid et ses collaborateurs susceptibles d’être poursuivis devant un tribunal international ou la cour d’assises de n’importe quel État. Rien ne permettait de préciser si Caydiid avait effectivement donné un ordre susceptible de lui faire porter la responsabilité de l’attaque. Mais à la question de savoir qui avait la possibilité, les moyens et les raisons de la perpétrer, les Américains répondaient que lui seul réunissait ces préalables, nul n’ignorant qu’il conservait à l’intérieur de la capitale une milice de 500 hommes armés en état d’être rapidement déployée. Cela dit, son implication directe dans la mort des soldats pakistanais restait beaucoup plus incertaine et il est fort probable que dans un contexte aussi électrique, l’affaire avait dégénéré jusqu’à échapper à tout contrôle. On peut s’interroger sur le fait que cet homme violent mais sagace dont l’ambition était de diriger le pays n’ait pas identifié le point de non-retour que constituerait un tel événement. Fugitivement par ailleurs, un détail moins brillant devait peu après courir la presse. Bien qu’inadmissibles publiquement, l’événement mettait en exergue les inégalités qui selon leur nationalité existait entre les Casques bleus de l’ONUSOM. Lorsque les Pakistanais étaient aux prises avec les combattants de Caydiid, les premiers contingents alertés pour leur venir en aide avaient été ceux de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Or, méprisant les Pakistanais qui sont souvent travailleurs immigrés dans leurs pays, les militaires arabes n’étaient pas sortis de leurs cantonnements et ce sont les soldats français et italiens qui un peu plus tard s’étaient portés au secours des soldats d’Islamabad.
1
La requête de l’universitaire américain visant à lui octroyer une totale liberté d’action pour conduire son enquête est contrariée par l’amiral Howe qui n’y donne pas suite. Bien que n’ayant pu s’entretenir avec des représentants du général Caydiid, le rapport n’en sera pas moins présenté au Secrétaire général des Nations unies, le 12 août. 2 Le rapport et ses annexes ne seront pas intégralement publiés mais rendus disponibles à la consultation au bureau du Sous-secrétaire général chargé des Opérations de maintien de la paix (pièce S-3727). Un executive summary sera diffusé le 14 août sous le S/26951.
Gumeysiga Il semble qu’une fois encore les protagonistes pouvaient être renvoyés dos à dos. L’arrogance, la brutalité et la totale incompréhension du milieu dans lequel ils étaient censés opérer avaient conduit les étatsmajors de l’opération à des provocations insupportables pour des Somaliens sûrs de leur droit, un droit somali, ancestral, souvent fort éloigné il est vrai du droit international. Et c’est cette « somalité » qui avait conduit ce peuple tout aussi arrogant, violent et fier au drame de cette funeste journée. Une différence de taille cependant : les Somaliens étaient chez eux et les Somaliens le vivaient ainsi. Un postulat qui avait largement échappé à Howe, à Montgomery et à Glaspie tout autant qu’à Boutros Ghali à New York. L’espoir que naguère avait pu faire naître l’infinie patience de Muḥammed Saḥnūn, le bon sens de Kouyate ou la sereine intelligence militaire du général Robert Johnston étaient désormais et pour longtemps balayés du théâtre. Car il est un concept important, auquel fait référence John Drysdale, et qui est immédiatement perceptible à qui vit à l’intérieur du monde somali, parmi les nomades en particulier. Un concept que l’on ne peut pas saisir si l’on ne fait que passer, à l’intérieur d’une ambassade ou dans la concession d’une organisation étrangère par exemple. Il s’agit du gumeysi. En somali, le terme est devenu synonyme d’oppression, de colonialisme, d’oppression étrangère donc. En fait, il exprime ce sentiment d’étouffement quasiment physique, au sens médical du terme, d’asphyxie qui envahit un individu que l’on tente de contraindre, que l’on prive de son air, de son espace vital. Cette sensation produit des comportements réflexes, des comportements collectifs notamment. C’est ainsi que la xénophobie, ordinaire ou tout au moins latente chez tous les Somalis, peut soudainement surgir, à la plus grande surprise des étrangers, et rassembler des individus qui sans se concerter vont chercher à briser l’étau qui les étreint. Cette coalescence subite peut, une fois les poumons de nouveau aérés, donner lieu à une fragmentation tout aussi rapide. Un autre élément a échappé aux responsables de l’opération, le rapport des Somalis à l’honneur. Tout ce qui leur semble pouvoir le compromettre, ou menacer l’intégrité de leurs valeurs suscite un profond ressentiment. On peut extraire de ceci un élément particulier. L’honneur d’un Somali ne s’inscrit pas dans sa richesse. Il s’inscrit dans sa capacité à faire front à l’adversité. Celle-ci peut s’appeler ennemi, famine, perte de bétail, sécheresse, peu importe. Cette adversité induit la solidarité, la solidarité familiale, clanique, tribale, nationale selon la dimension de la menace. Partage de la lance, partage du troupeau, partage de l’eau ou de la doura deviennent alors la règle. Quoi qu’il en soit, elle est réflexe ; du fond des âges, elle est un rapport à la survie qui engage la relation agnatique du nomade et justifie sa force. Certes, ce lien solidaire semble se déliter aussitôt la sécurité rétablie, la menace éloignée, mais en fait il est toujours là, latent, la corde est toujours prête
à se tendre. Cela non plus ne sera pas mesuré par les Nations unies, encore moins par les diplomates et les officiers américains. Ils avaient pourtant à leurs côtés un conseiller avisé, l’Anglais John Drysdale, qui, jeune homme, durant la Seconde Guerre mondiale avait servi en Birmanie avec des soldats somalis et qui avait ce savoir du cœur qui seul peut vous faire découvrir l’âme d’un peuple. Drysdale dans un court document à l’adresse de l’UNDP à Muqdisho expliquait entre autres qu’aucun Somali ne pouvait être intimidé par une force militaire fondée sur une supériorité technologique. Il décrivait avec une totale lucidité et sans aucune complaisance leur comportement au combat en affirmant notamment que : - ils ne connaissent pas la peur dans l’attaque et peuvent même en cours d’action partir dans une direction différente de ce qui a été prévu pour saisir une opportunité inattendue placée sur leur chemin ; - les soldats pensent en savoir autant que leurs officiers et, ce faisant, entendent discuter avec eux de la tactique à suivre ; - leur discipline de feu est pauvre dans la défense ; - ils n’ont pas peur de prendre de risques, combattent ou avancent vers le combat plutôt que se rendre ; - ils acceptent la mort.1
Les premières et imparfaites analyses de situation Alors qu’à l’ONUSOM, chacun est conscient du fait qu’une guérilla étendue pourrait rendre intenable la présence de l’opération, la seule solution envisagée s’inscrit dans la perspective d’une confrontation musclée assortie de l’hypothèse de rétablir le statu quo. La première analyse conduit les Nations unies à estimer que le bras de fer engagé résultait de la menace que faisait peser sur l’influence de Caydiid l’effort naissant de l’ONUSOM en vue de rétablir un système judiciaire et une force de police. Ceux-ci étaient jugés susceptibles de mettre un terme à son système informel de domination. Jusqu’au 5 juin, cette conviction était simplement erronée et ne consistait pour l’ONUSOM qu’à prendre pour une réalité un désir qui, moralement, lui aurait simplifié la tâche. Après le 5 juin, le contexte a changé. Les événements à venir s’apprêtent à ébranler nombre de certitude comme en attesteront les performances médiocres des importantes forces militaires lancées aux trousses du général Caydiid entre juin et le début du mois d’octobre 1993. En montrant sa capacité à transformer Muqdisho en une zone de forte insécurité, Caydiid contraint l’ONUSOM à changer ses plans. Au cours des trois mois à venir, les Somalis montreront leur capacité à mobiliser rapidement leurs forces quand ils perçoivent une menace. 1
DRYSDALE, John. Somalis through the Looking Glass : A Glimpse at Somali Society and Culture. Document adressé Peter Shumann, Resident Representative, UNDP, Mogadishu. 4 avril 1993
Cela se traduira sur le terrain par une stratégie de guérilla urbaine, – la plus difficile des situations de combat –, avec l’édification instantanée de barricades et surtout une habileté à rapidement dresser d’imprévisibles embuscades sur des troupes en mouvement. Une situation d’autant plus dangereuse que nul état-major ne se rendait compte ou ne parvenait à admettre que l’opération ONUSOM II était désormais perçue par une grande partie de la population comme une force d’occupation hostile. Pourtant le doute s’installe dans l’esprit de certains dirigeants de terrain qui tentent localement d’échafauder des scénarios de paix plausibles au prix d’idées nouvelles. À Kismaayo, à l’initiative de Marc Walsh, le représentant de l’ONUSOM, et le concours des responsables du contingent belge, un fragile plan visant à marginaliser les chefs de guerre est lancé dans la ville. Une conférence réunissant 150 notables s’y ouvre en présence de deux médiateurs, le président du SSDF, le général Maxamed Abshir Muuse et l’ancien ambassadeur aux États-Unis, Cumar Mucallin Maxamuud, un proche du SPM du colonel Cumar Jees. Dans la ville et dans la région, le contingent belge applique une stricte politique de désarmement et assure la protection des personnels des ONG. L’ordre public a été confié à une police somalienne récemment constituée et qui ne dispose pas d’armes à feu. Les chefs militaires belges gardent ici aussi quelques rancoeurs à l’encontre de l’état-major de l’ONUSOM à Muqdisho qui n’a pas jugé utile de leur prêter un hélicoptère pour amener les notables à la conférence ; ils en veulent toujours aussi au général Johnston qui leur avait demandé peu avant son départ de remettre en liberté le financier et bras droit du général Caydiid, Cismaan Caato, arrêté par leurs soins à Kismaayo. Mais hors ces dysfonctionnements somme toute secondaires, ce sont les conditions de la riposte militaire de l’ONUSOM qui provoquent quelques inquiétudes au sein de certains milieux diplomatiques, italiens notamment. Beaucoup s’interrogent sur les conséquences de cette option guerrière subitement lancée par le couple ONU États-Unis contre le général Caydiid, personnage que Washington avait jusque-là plutôt courtisé, sinon protégé. Ces événements raniment également en Allemagne la polémique lancée par le SPD qui réclame purement et simplement le retrait des Casques bleus allemands de Somalie. À Muqdisho enfin, une semaine après l’affaire de la radio, la violente répression par le contingent pakistanais d’une manifestation des partisans du général Caydiid alimente la contestation de l’action des Nations unies chez les Habar Gidir de la capitale, mais aussi maintenant au sein de la population en général.1 Il reste qu’à New York, loin de conduire à une remise en question de la stratégie employée, les entretiens avec les autorités de terrain à propos du destin tragique des 1
LOI n°580, 19 juin 1993
militaires pakistanais conduisent le Conseil de sécurité à aller plus avant encore dans l’application de l’article 42 du chapitre VII de la Charte.
La Résolution 837 [6.VI-1993] Dans les 24 heures qui suivent les affrontements, le Conseil adopte en effet une nouvelle résolution fondée sur un rapport hâtif, sommairement ficelé par l’ONUSOM à partir de sources militaires. La Résolution 837 du 6 juin 1993 fait bien sûr référence à des attaques préméditées sur l’opération des Nations unies : Condamnant vivement le recours, notamment par l’USC-SNA, à des émissions radiophoniques pour inciter aux attaques contre le personnel des Nations unies...
Agissant sous chapitre VII, le Conseil autorise donc le Secrétaire général à prendre toutes les mesures nécessaires à l’encontre des responsables d’attaques armées, y compris contre ceux qui incitent la population à les perpétrer, afin de rétablir l’autorité effective de l’ONUSOM à travers la Somalie : …Encourage le déploiement rapide et accéléré de tous les contingents ONUSOM II jusqu’à ce que soit atteint le nombre total requis de 28 000 hommes, tous grades confondus, ainsi que de matériels, comme l’indique le rapport du Secrétaire général en date du trois mars 1993 : Prie les états membres de fournir d’urgence à ONUSOM II un appui et des transports militaires, dont des véhicules blindés de transport de troupes, des chars et des hélicoptères d’attaque, afin qu’elle soit en mesure de riposter de manière appropriée aux attaques armées qu’elle subit dans l’accomplissement de son mandat, ou de dissuader de telles attaques…
Ce faisant, le Conseil de sécurité autorise implicitement toute méthode d’investigation, c’est-à-dire arrestation, détention, poursuite judiciaire et punition, légitimant de facto l’action des forces engagées,. Le brouillon de la Résolution dénonce Maxamed Caydiid et son rôle de chef de faction, mention finalement omise après une vigoureuse démarche de Lansana Kouyate qui se trouve alors à New York. Le texte est avant tout fondé sur la notion préconçue que Caydiid avait définitivement déclaré la guerre à l’ONUSOM et qu’il en était à établir une stratégie militaire. Cette position ignorait délibérément le fait que Caydiid et la SNA avaient été soumis à une somme de tracasseries et de provocations politiques de la part de l’opération, tant à travers ses positionnements lors de la réunion sur Gaalkacyo, qu’au moment de déclencher une inspection des sites d’armes, suspectée à juste titre par les Somaliens d’être un artifice destiné à camoufler une prise de contrôle de la radio du mouvement. Les partisans de Caydiid ne faisaient que défendre ce qu’ils savaient relever de leur propre intérêt, la station radio, contre ce qu’ils jugeaient leur être hostile, l’ONUSOM.
XVI – 1993 : D ERIVE DE L ’ OPERATION INTERNATIONALE
Les tensions qui pèsent dès lors sur l’opération internationale font passer largement au second plan l’ensemble des autres problématiques de l’aire somalienne, que ce soit les difficultés de Maxamed Cigaal au Somaliland face aux crispations des Habar Garxajis, le chemin des Majeerteen vers une quasi-autonomie ou la situation des mouvements islamistes ronronnant à l’abri du contingent saoudien de l’opération. Cet islam radical n’en ressortira que mieux plus tard, moins lié au destin de l’Itixaad elle-même, appelée à devenir une entité virtuelle, que par les avatars que son activisme aura engendrés.
LE CHEMIN DE L’HUMILIATION
[VI/X - 1993]
Le jour même où est promulguée la nouvelle résolution, le Représentant spécial du Secrétaire général, l’amiral Jonathan Howe, soumet au Pentagone une demande de moyens supplémentaire, y compris une unité de Forces spéciales, requête qui lui est refusée.
Les opérations de désarmement de Muqdisho sud [12/14.VI-1993] Confortées par la Résolution 837 néanmoins, les forces de l’ONUSOM II commencent leurs opérations contre la milice de Caydiid avec les moyens existants. Le commandement des forces planifie son action : rétablir la sécurité à Muqdisho, sécuriser et contrôler les installations et les axes importants, neutraliser enfin la milice de l’USC-SNA et sa radio. À cet effet, le 7 juin, quatre Lockheed AC-130 Spectre1 sont déployés dans la zone. Le lendemain, avant de lancer l’opération, l’amiral Howe 1
Ainsi que deux Boeing KC-135 Stratotanker, avions ravitailleurs.
demande encore à John Drysdale, son conseiller, de prendre contact avec Caydiid afin de l’entreprendre sur sa disponibilité à coopérer avec une enquête indépendante sur le massacre des Pakistanais. La réponse du Somalien est simple : l’ONUSOM était dans son tort et il ne coopérerait qu’avec une enquête internationale indépendante qui, selon lui, prouverait son innocence. Aussi pour l’heure, refusait-il de s’en remettre au scénario proposé car une enquête émanant de l’ONUSOM n’avait à ses yeux aucune chance d’être impartiale. Comment, concluaitil, des accusateurs pourraient-ils se transformer en juges. À titre d’avertissement, il ajoutait encore : « Je ne crains pas la résolution, dit-il, parce que je suis dans mon droit mais je me soucie du bain de sang qui coulera si je suis arrêté. »1
Face à cette fin de non-recevoir, du 7 au 12 juin, les forces américaines, françaises, italiennes, marocaines et pakistanaises entreprennent d’ouvrir les principales avenues, à l’intérieur de la capitale. Le 12 juin, la QRF américaine, appuyée par les AC-130, prend le contrôle des trois sites de stockage des armes de Caydiid2, les AWSS 1, 3 et 5 où elle procède à la destruction des armes, des matériels et des équipements. Le contrôle plus délicat des bâtiments de Radio Muqdisho est effectué par le contingent français, arrivé depuis la veille de Baydhabo avec ses blindés. L’opération se déroule sans incident, les armoires de transmission sont détruites sur ordre de l’État-major. Les 13 et 14 juin, les AC-130 frappent les bâtiments de Caydiid ainsi que le garage et les entrepôts de Cismaan Caato soupçonnés d’être des caches d’armes de l’USC/SNA.3
Le « camp des meurtriers » et les préparatifs de la bataille Entre temps, l’amiral qui a prévu de déplacer l’état-major de l’ONUSOM dans l’enceinte de l’ancienne ambassade des États-Unis fait exécuter le mouvement le 9 juin. Là, près des bâtiments de l’université situés le long de la route d’Afgooye au sud de la ville, des cabines préfabriquées ont été rapidement installées. L’amiral en personne est conduit à bord d’un véhicule de transport de troupes pakistanais blindé vers le nouveau site qu’il partagera avec le quartier général de la force. Murs et barbelés ont été montés autour de ce qui est transformé en forteresse et que les Somaliens désignent désormais comme le « camp des meurtriers ». À partir de là, l’amiral Jonathan Howe, born again, est prêt à lancer sa croisade contre Maxamed Caydiid. Le 10 juin, l’amiral quitte son préfabriqué jugé à juste titre vulnérable aux tirs de mortier pour s’enfermer dans les bâtiments de l’ancienne ambassade. Toutes ces dispositions qui sont fidèlement rapportées à 1 2 3
Drysdale, John. Op. cit. p. 190 Ainsi que d’un dépôt clandestin utilisé au moment de l’embuscade du 5 juin. Communiqué de presse des Nations unies à Vienne. SG/SM/5009 du 12 juin 1993.
Caydiid par les personnels somaliens embauchés pour l’opération sont lourdes de symboles. Ostensiblement, avec l’aval de New York1, l’opération des Nations unies se met résolument sur pied de guerre. Howe dans son bunker, c’est le branle-bas de combat. D’ailleurs, il n’est plus question de discuter avec Caydiid tant que les six prisonniers pakistanais encore entre ses mains n’auront pas été relâchés. C’est ainsi que pendant trois nuits consécutives entre les 11 et 15 juin, entrent en action les puissants AC-130 Spectre de l’US Air Force2 dont les tirs chirurgicaux de haute précision bombardent avec leur obusier l’ensemble de la zone située autour de la maison de Caydiid, son dépôt de véhicules et ses centres de contrôle et de commandement. Les dommages sont spectaculaires mais en réalité ne sont pas très décisifs. Tout ce qui valait de l’être a depuis longtemps été déplacé. Dépourvus de la plus infime compréhension des ressorts de la société et de la culture somalie, les officiers du PsyOps, les opérations psychologiques, s’enferrent dans une stratégie visant à porter l’effroi parmi les Somaliens, chez Caydiid en particulier. Fusées et haut-parleurs hurlants sont supposés le conduire à renoncer, à mettre bas les armes et à se rendre. Au terme de ces trois nuits dévastatrices pendant lesquelles le général somalien reste calmement à l’abri, la prestation du PsyOps se révèle décevante selon certains, lamentable selon d’autres. Par simple négligence du vieil adage militaire qui prescrit avant tout de connaître son ennemi. Or il aura été étonnant de voir combien les officiers des opérations psychologiques étaient peu enclins à imaginer que les réactions des Somaliens puissent être différentes de celles d’un paysan de l’Arkansas ou d’un trader de Wall Street. Dans ces conditions, l’affaire était inéluctablement condamnée à aller dans le mur.
La bataille de Hodan [17.VI-1993] Après cette préparation aérienne, l’opération au sol commence le 17 juin aux premières heures de la matinée. Peu avant l’aube, des appareils munis de projecteurs et de haut-parleurs survolent le secteur enjoignant à ceux qui s’y trouvent de s’en éloigner. Trente à quarante personnes, dont peut-être Caydiid lui-même, quittent aussitôt l’enclave où est située sa maison. L’avertissement est suivi des tirs de canons de 40 mm avant que des armes plus puissantes, les obusiers de 105 mm des Spectre n’entrent en action. Interrogé durant la nuit par la presse afin de savoir si les militaires étaient sur le point d’arrêter Caydiid, l’amiral Howe 1
Communiqué de presse du Secrétaire général des Nations unies. SC/5647-SOM/24 du 14 juin et SC/5650-SOM/28 du 18 juin 1993. 2 Le Lookheed AC-130H Spectre est un énorme avion d’attaque au sol et d’appui aérien rapproché armé de 2 canons M61 Vulcan de 20 mm, 1 canon L60 Bofors de 40 mm et un obusier M102 de 105 mm. Son équipage compte entre douze et treize hommes dont cinq officiers - 2 pilotes, 1 navigateur, 1 officier de guerre électronique et 1 un officier de conduite de tir. Il embarque aussi un ingénieur de vol, des spécialistes de l’électronique et des canonniers.
précise que ce n’était pas la fonction des militaires de procéder à des arrestations et qu’une telle action relevait d’une autorité civile1. La maison du général est endommagée ainsi qu’aux alentours, celle de Cumar Jees et l’atelier garage de Cismaan Caato. Dans cette opération d’envergure sont engagés : - des troupes pakistanaises du 7e bataillon du régiment de la force frontalière, et du 6e bataillon du régiment du Penjab ; - des unités marocaines ; - des éléments italiens ; - un sous-groupement blindé motorisé français, acheminé depuis Baydhabo pour la circonstance ; - une Quick Reaction Force (QRF) américaine constituée à partir d’équipes des Special Forces et discrètement chargée de la coordination et du guidage de l’appui aérien. Or tandis que les troupes pakistanaises s’apprêtent à pénétrer le quartier, les troupes marocaines préalablement chargées de l’investir sont brutalement soumises aux tirs intenses de miliciens dissimulés dans les villas. Le chef de corps marocain est tué dès le début de l’engagement, son adjoint grièvement blessé2. Immobilisés, les Français qui se portent à leur secours sont à leur tour pris sous le feu d’autres miliciens embusqués dans l’hôpital militaire et dans l’hôpital Digfer situés à proximité. Ce n’est qu’en milieu d’après-midi que les hélicoptères de la QRF parviendront à disperser la foule tandis que les unités italiennes de la brigade Folgore réussissent à dégager les Marocains et les Français, tenus depuis sept heures sous le feu. À peine dégagés, ces derniers reçoivent, sur renseignement américain, pour mission de fouiller le secteur et plus particulièrement les entrepôts réputés appartenir à Caydiid et qui se révèlent vides. Après un peu plus de sept heures de combat, les forces des Nations unies se replient, emportant 5 morts et 46 blessés. Dans la soirée, l’amiral Jonathan Howe émet un mandat d’arrêt contre Caydiid pour la capture duquel il offre une récompense de 25 000 $. Bravache, celui-ci répliquera en promettant un million de dollars pour celle de l’amiral Howe. La radio continue à diffuser sa propagande via des émetteurs clandestins. L’insuccès de la chasse grandit définitivement le prestige de Maxamed Faarax Caydiid qui vient de remporter la seconde bataille. La situation est désastreuse. Vainqueur, il est devenu un héros, vaincu il deviendrait un martyr.
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Débordant d’optimisme, il déclarera aussi par ailleurs que Caydiid ne serait no longer a part of the process. 2 Il mourra le lendemain à Wanleweyn où sont cantonnées les forces marocaines.
Force était de constater maintenant que la stratégie des Nations unies contre les positions de l’USC-SNA relevait d’une impuissance politique tragique. Pour tous ceux qui espéraient trouver de nouveaux interlocuteurs en marginalisant les chefs de guerre, ces opérations militaires constituaient une incontestable contre-performance. Présentées comme une série d’actions visant au désarmement des milices, ces opérations se concluaient sur des résultats médiocres. Les cibles bombardées, y compris le garage de Cismaan Caato, à la fois dépôt d’armes et atelier d’équipement de technicals étaient vides depuis un bon moment déjà. L’ONU d’ailleurs ne fournira aucun bilan des armes détruites après plusieurs nuits de bombardements. Hors Muqdisho cependant, autour du 20 juin, les résultats seront plus probants. À 6 kilomètres au nord de Muqdisho par exemple, la QRF détruit une trentaine de pièces d’artillerie tandis que dans la région de Beledweyne, les forces italiennes procèdent de même après s’être emparées de deux importants sites de stockage d’armement lourd abondamment fournis en chars de combat, pièces d’artillerie, mortiers, mitrailleuses, etc. ainsi que le plus précieux, les munitions. L’organisation des engagements militaires des forces des Nations unies scandalise par ailleurs plusieurs contingents. En application de leur objectif « double zéro », ni blessés, ni morts, les Américains sont restés à bord de leurs véhicules blindés au-delà de la ligne des combats. En revanche, ce sont les Pakistanais et les Marocains appuyés et soutenus par les Français et les Italiens qui ont investi maison par maison le quartier où était supposé se trouver le général somalien1. Durant les combats de Hodan, l’État-major des Armées à Paris dont les soldats étaient engagés face à l’hôpital Digfer a été laissé sans information tandis qu’à l’état-major de l’opération les officiers français n’étaient admis qu’à faire de la figuration au sein du commandement de l’ONUSOM II, totalement noyauté par les Américains. Cloisonnés dans des tâches qui ne permettaient aucune compréhension des enjeux, parfois même plus ou moins délibérément désinformés, ils avaient passé le plus clair de la journée à traduire des ordres américains, obsolètes pour la plupart depuis les premiers coups de feu. Une situation d’autant plus irritante donc que du poste de commandement situé dans l’ancienne ambassade américaine, à quelque 500 mètres seulement des combats, les officiers français entendaient et suivaient avec appréhension le devenir de leurs camarades engagés dans ce qui aura alors été pour les forces françaises leur plus importante bataille depuis la fin de la guerre d’Algérie2.
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Rapport du Secrétaire général S/26022 du 1er juillet 1993 Seul était présent, avec les troupes au contact, un reporter photographe, Eric Bouvet, qui cosignera avec Michel Bessières un article dans le Figaro Magazine. L’Élysée avait suggéré à la presse d’éviter toute publicité sur l’événement. François Mitterrand souhaitait démarquer la France d’une affaire qui ne lui inspirait plus rien qui vaille. 2
En soi, l’opération a le mérite incontestable de réduire les arsenaux de Caydiid. La façon de procéder cependant, sans accompagnement politico-diplomatique réfléchi auprès des Somaliens est interprétée par ceux-ci comme une attaque en bonne et due forme contre leur pays, avec en sus l’un de ces petits parfums de représailles dont ils ont euxmêmes le secret. Aussi ce qui reste une opération coup de poing, moins méthodique qu’il n’y paraît, contribue surtout à resserrer les rangs des Habar Gidir autour de leur chef. Avant de s’engager de la sorte, deux échéances électorales importantes du point de vue des enjeux politiques locaux auraient peut-être gagné à être prises en considération par les analystes politiques de l’ONUSOM. Deux scrutins qui maintenant se trouvent compromis : le 4 juillet, le général Caydiid devait chercher le renouvellement pour deux ans de son mandat de président de l’USC tandis que son rival devait théoriquement remettre en jeu le 18 août son mandat de président par intérim. Des deux côtés, les camps avaient été divisés et d’intenses tractations avaient eu lieu. Chez les Habar Gidir, le ministre de la Défense de Cali Mahdi, Cabdinaasir Axmed Aadan Seerjito [Habar Gidir/Cayr], briguait ouvertement la succession de Caydiid tandis que les Abgaal semblaient disposés à remplacer Cali Mahdi si leurs adversaires renonçaient à Caydiid. De tout cela aujourd’hui, il n’était plus question.
Cacophonie tactique face à Maxamed Caydiid Les adversaires étrangers de Caydiid, unis contre lui, n’en représentent pas moins des sensibilités diverses au sein desquelles il est possible d’identifier quatre courants politiques ou bureaucratiques divergents. Le premier rassemble les représentants américains de Washington convaincus depuis les événements du début de l’année à Kismaayo qu’aucun chef de faction ne pourra être récupéré comme futur président de la Somalie. Une autre sensibilité regroupe les Américains de l’ONUSOM II qui tout en partageant l’analyse de fond des premiers estiment inopportun de diaboliser inconsidérément Caydiid. L’amiral Howe lui-même s’oppose à son arrestation redoutant de ne voir s’établir une « situation à la Panama où finalement les États-Unis avaient été embarrassés d’avoir à juger leur allié déchu, le général Noriega ». Également enclins à une réserve prudente, de nombreux diplomates accrédités auprès des Nations unies font observer à leur gouvernement que la communauté internationale s’était mise hors-la-loi en votant le 6 juin la Résolution 837, texte hâtif qui condamnait en termes vagues, sans les nommer explicitement, les forces de Caydiid pour la mort des soldats pakistanais tués la veille. Or, aucune instance judiciaire n’était en l’occurrence habilitée à juger qui que ce soit et aucun chef d’accusation sérieux n’avait été proposé : « l’incitation à la violence contre l’ONU » n’en était pas un, « les crimes contre l’humanité » seraient difficiles à
prouver et les preuves de la responsabilité personnelle de Caydiid dans les fusillades impossibles à établir. Deux autres sensibilités se manifestent au sein de la direction politique de l’ONUSOM à travers les personnalités de Léonard Kapungu et de Lansana Kouyate. D’accord sur le principe de négocier avec les chefs de guerre somaliens, les deux diplomates s’opposent en revanche sur la manière d’y parvenir, essentiellement pour de pitoyables raisons de préséance et de rivalités internes. Le chef du département politique de l’opération, Léonard Kapungu, avait négocié en mars à Addis Abäba un accord de réconciliation qui se limitait tout d’abord à la mise en place de quatre comités de travail et la promesse de se retrouver en juin à Muqdisho. Mais celui-ci avait été désavoué par Lansana Kouyate, numéro deux de ce même département mais mieux introduit dans l’entourage du Secrétaire général à New York. Lansana Kouyate avait alors prolongé les débats de la conférence jusqu’à obtenir la signature d’un accord qui stipulât explicitement l’instauration d’un Transitional National Council (TNC). Rien de problématique en soi sauf qu’il avait accepté que les candidats appelés à y siéger soient proposés par les factions armées, une concession en opposition avec la politique américaine de marginalisation des chefs de guerre. Aussi, rentrant à Muqdisho où l’amiral Howe venait d’arriver, Lansana Kouyate avait été dès son retour désavoué par le Représentant spécial1.
L’opération du 12 juillet, nouvelle montée des rancoeurs Toujours est-il qu’au terme de ces derniers engagements, plus rien ne semble devoir ramener l’ensemble des protagonistes sur la voie de l’apaisement. D’autant que plus que jamais les opérations de contrôle se poursuivent. Le 2 juillet à 6 heures du matin, les parachutistes italiens de la Folgore soutenus par des policiers somaliens déclenchent une importante opération de ratissage dans le district de Haliwaa, à l’intersection des routes de Balcad – l’ancienne via Imperiale – et du 21 Octobre. Ils sont aussitôt pris à partie par le feu nourri de tireurs embusqués dans la fabrique de pâtes. Après avoir tenté en vain de se replier, ils sont finalement dégagés par les hélicoptères de la QRF après sept heures de combat, au prix de 3 morts et d’une trentaine de blessés. Un nouveau pallier est franchi le 12 juillet 1993, quand les hélicoptères de la QRF lancent avec l’accord de l’ONUSOM une opération sur la maison de Cabdi Xasan Cawaale Qeybdiid, poste de commandement important de la SNA et où pensent-ils pourrait se trouver Caydiid. Au cours des dix-sept minutes que dure l’opération, les Rangers et les hélicoptères Cobra délivrent un feu disproportionné qui tue 54 personnes et laisse également une centaine de blessés parmi lesquelles 1
LOI n°582, 3 juillet 1993
des femmes et des enfants1. Caydiid naturellement reste introuvable. Certains rescapés de l’attaque se rendent alors à l’hôtel Sahafi où résident les journalistes, leur demandant de venir prendre des photos. Quatre d’entre eux, Dan Eldon, Hansi Krauss, Anthony Macharia et Hos Maina sont conduits dans la zone bombardée, dans un convoi protégé par les Somaliens. Alors qu’ils commencent à prendre des photos, une foule folle de colère se rue sur eux, sans même que leurs solliciteurs puissent intervenir. Ils sont alors lapidés puis battus à mort.2 Cette attaque américaine représente un nouveau tournant dans la nature de la vindicte des Somaliens à l’encontre des Américains. Modérés et opposants à Caydiid s’accordent à chaque fois un peu plus pour cristalliser leurs rancœurs contre les étrangers en général et les Américains en particulier. Dès lors, les choses tournent au cauchemar : escarmouches quotidiennes au cours desquelles 6 Casques bleus ont été blessés, manifestations et surtout, le 20 juillet, un retour sur les ondes du général Caydiid. Un véritable camouflet quand on se souvient que c’est l’opération visant précisément à détruire ses installations qui a provoqué l’escalade militaire. À partir du 23 juillet par ailleurs, on constate que la nouvelle radio du général donne largement la parole aux islamistes. Ce jour-là, le sheekh Cali Cabdulla exhorte les fidèles qui ont assisté à la prière du vendredi à mourir pour le jihād contre les infidèles car « il n’existe pas de plus noble mort pour un musulman ».
L’accroissement exponentiel des harcèlements Depuis le 6 juillet, l’ONUSOM a observé des attaques de plus en plus fréquentes au mortier. Les embuscades contre les véhicules de la mission se multiplient également, dans leur nombre et dans leur forme, mines télécommandées, attaques à la roquette, etc. entre le 2 juillet et le 3 octobre, 21 soldats sous Casque bleu sont tués et 46 blessés. À partir du 10 août, ce sont les hélicoptères qui sont souvent pris à partie, le premier appareil étant abattu le 25 septembre. L’axe le plus dangereux reste cependant la route du 21 Octobre où la fabrique de cigarettes et la fabrique de pâtes constituent des points d’appui important de la SNA. Ces deux ensembles de bâtiments permettent en effet de contrôler assez aisément les accès à la ville : la route d’Afgooye et celle de Beledweyne et Balcad. Ainsi, le 9 septembre, les soldats pakistanais y sont-ils pris à partie à partir des mêmes bâtiments que le 5 juin et dans un même contexte de boucliers humains constitué par des femmes et des enfants qui rendent inacceptables le risque de civils tués. 1
L’ONUSOM fait état de 20 Somaliens tués, la Croix-Rouge de 54 morts et 161 blessés, la SNA de 73 tués. 2 BOWDEN, Mark. Black Hawk Down: A defining battle. The Philadelphia Inquirer. November 16, 1997
Parmi les incidents qui mettent aux prises l’ONUSOM aux miliciens Habar Gidir, l’un d’eux est révélateur de l’esprit qui prévaut dans une opération que ses acteurs de terrain de plus en plus rejettent. Le 5 septembre 1993 vers 6 heures du matin, une embuscade est montée par des partisans du général Caydiid contre des soldats nigérians à proximité de la fabrique de pâtes sur la route de Balcad où des soldats de Lagos venus de Beledweyne viennent relever des soldats italiens sur un point d’appui, le Strong point 42 (SP42). Elle fait sept morts dans leurs rangs ; un huitième Casque bleu est capturé. L’événement aurait pu paraître dramatique certes, mais ordinaire aussi, sauf qu’il met une fois encore en exergue le comportement dévoyé de certains contingents. En effet, les Nigérians qui viennent de se déployer dans cette zone relèvent des soldats italiens. Or il se trouve qu’ils semblent aux Somaliens hésiter à « renouveler » les accords notamment financiers passés avec les milices. Celles-ci se sont bien sûr empressées de réclamer le paiement de la sécurité octroyée aux soldats nigérians comme le faisaient naguère les Italiens. Scénario extravaguant où des soldats des Nations unies sont protégés par les miliciens qu’ils sont supposés ramener à la règle de la loi. Préoccupé par un problème qu’il avait déjà bien identifié, l’état-major nigérian avait adressé le 1er septembre un rapport au commandement militaire de l’ONUSOM, expliquant que ces questions d’argent menaçaient le déploiement de ses troupes dans la zone, faisant craindre maintenant de sérieux risques de conflits. Aucune considération particulière n’avait été apportée au document et les soldats nigérians avaient ainsi été attaqués peu après leur déploiement. Mises à quia par Lagos, les Nations unies ne peuvent s’éviter de discrètes négociations en vue d’obtenir la libération du soldat capturé. Il reste que le 11 septembre, le responsable des relations extérieures de la SNA, Maxamed Xasan Cawaale conteste l’information selon laquelle son mouvement aurait détenu ce prisonnier et assure qu’aucun contact n’avait été pris à ce propos. Du côté de l’état-major de l’ONUSOM, on n’a guère d’autre choix que de considérer que le Casque bleu blessé se trouvait bien aux mains des partisans de Caydiid. Mais du côté de ces derniers, on semble aussi s’interroger. D’autant qu’il paraît ressortir de l’affaire que les dirigeants de la SNA n’ont peut-être pas maîtrisé l’attaque perpétrée sur les Nigérians par leurs miliciens. Un certain flottement se fait jour au sein de l’alliance. Il semble en effet que, sans en référer à l’entourage immédiat de Caydiid, Cismaan Caato ait de son propre chef entrepris de proposer l’échange du Casque bleu capturé contre les 17 miliciens de la SNA – parmi lesquels figureraient deux colonels proches conseillers du général – arrêtés la semaine précédente par les forces de l’ONU dans le sud de Muqdisho. 1 Il faudra attendre encore un mois avant que l’affaire ne se règle. Entre temps se sera déroulé un drame d’une autre dimension. 1
LOI n°590, 18 septembre 1993
EXASPERATION ITALIENNE ET LASSITUDE FRANÇAISE L’hostilité somalienne à l’encontre de l’opération se double maintenant d’un désaveu flagrant des alliés qui la composent. Une unanimité émerge à l’encontre de la politique menée par les États-Unis ainsi que de leurs manières de procéder. L’arrogance d’une autorité est vite oubliée quand elle vous mène au succès ; elle devient intolérable quand elle ne conduit obstinément qu’à une cascade de désastre. Plus encore quand prévaut un sentiment d’impuissance, tant les décisions se superposent puis se confondent entre Washington hégémonique et New York à la remorque. Il est intéressant d’observer comment, dans un document confidentiel daté du 30 juillet, Chinmaya R. Gharekhan, conseiller spécial de Boutros Ghali analyse le dévoiement de la mission de l’ONUSOM II. Le diplomate indien relève entre autres que la destruction de la maison de Cabdi Qeybdiid, opération qui le 12 juillet avait fait 73 morts était totalement illégale ; de même que la Résolution 837 qui condamnait le général Caydiid ne donnait aucun mandat qui autorisât son assassinat ou même une tentative d’assassinat. L’affiche mettant à prix la tête du général et la récompense de 25 000 $ offerts pour sa capture relevaient d’une décision qui n’avait pas été prise en concertation avec New York et que Chimaya Gharekan qualifie pudiquement « d’une sagesse douteuse ». Il observe enfin que la concentration des actions militaires des Nations unies sur Caydiid ne faisait que renforcer son prestige aux yeux des Somaliens. En conclusion de ses analyses, le conseiller spécial propose de cesser toute référence à Caydiid un mois durant au moins et de confier davantage de responsabilités à l’ambassadeur Lansana Kouyate, adjoint à l’amiral Howe. Faute d’avoir suivi ces conseils, Boutros Ghali se trouvait maintenant emporté par le courant, à la traîne des États-Unis. Le 30 juillet pourtant, le Secrétaire général avait annoté en marge du rapport qui venait de lui être soumis : « ce document doit servir de base pour une discussion du groupe de travail ».1 À la suite de cette affaire, les troupes de l’ONUSOM imputent leur échec à un manque de moyens spécifiques, nécessaires à une traque. Aussi le commandement américain demande-t-il de nouveau l’envoi de renforts spécialisés. Mais auparavant, au sein de l’appareil de l’opération une exaspération partagée se développe à l’encontre du comportement américain. L’Italie est la première à exprimer son mécontentement.
L’expression du mécontentement italien Les distances prises par Rome depuis le début de la campagne vis-à-vis du commandement de l’ONUSOM ne reflètent ni une politique alternative, ni l’émergence d’un pôle européen au sein des forces coalisées de l’ONU en Somalie. Les critiques distillées par le ministre italien de la Défense, Fabio Fabbri, qui avait évoqué « l’arrogance de 1
LOI n°595, 23 août 1993
certains contingents de l’ONU » au lendemain des combats du 5 juin visent un but précis : obtenir le contrôle de l’ensemble de Muqdisho. Déjà déployé dans la partie nord de la capitale sous le contrôle de Cali Mahdi, le contingent italien souhaite avoir la haute main sur les deux autres tiers de la ville, contrôlés par Maxamed Caydiid et dévolus au contingent pakistanais maintenant discrédité. Fabbri obtient finalement gain de cause de l’amiral Howe avec la promesse d’une extension de la zone italienne, après un certain délai toutefois, afin de ne pas humilier les forces d’Islamabad. Dans la perspective de ces futures responsabilités élargies au sein de l’ONUSOM II, l’état-major du contingent italien se voit par ailleurs confier la garde du général Cali Kadiye capturé par les troupes américaines lors des récents combats. Nommé par Caydiid, celui-ci dirige, conjointement avec le général Axmed Jilicow Cadow désigné par Cali Mahdi, la police somalienne issue de l’accord d’Addis Abäba. Or dans le cadre de la crise politique autour de la conférence sur Gaalkacyo, les responsables de l’ONUSOM reprochent au détenu d’avoir, pour en assurer la sécurité, mis des policiers à la disposition du général Caydiid alors que la nouvelle police somalienne n’était tenue à une bienveillante neutralité qu’à l’égard des Nations unies. Cependant, le 2 juillet, après que trois Casques bleus italiens ont été tués et 21 autres blessés au cours de l’opération à la fabrique de pâtes, l’incident ravive les critiques de Rome autour de la structure de commandement de l’ONUSOM. Le ministre italien des Affaires étrangères, Beniamino Andreatta, est mandaté pour réaffirmer au Secrétaire général la position de son gouvernement « sur la nécessité de maintenir rigoureusement la mission de l’ONU en Somalie dans le cadre de la recherche de solutions politiques ». Le ministre italien de la Défense réitère quant à lui sa demande en vue d’obtenir une participation italienne à l’état-major militaire de l’opération. A cette requête, l’adjoint au commandant des forces, le général Thomas Montgomery, réplique que selon lui, la structure existante était la plus pertinente pour une opération aussi compliquée. Un accord de pis-aller intervient cependant avec la mise en place d’un mécanisme de consultation qui associerait les principaux pays contributeurs de l’ONUSOM II. Une première réunion est prévue à New York dans la semaine. Le 17 juillet revient une première réponse aux requêtes italiennes quand le lieutenant-colonel italien Salvatore Iacono Quarantino, est appelé au sein du DOMP, au siège des Nations unies où il participera au bureau de coordination de l’ONUSOM. Le 12 juillet, avant que ne survienne cette affectation, le ministre italien avait surtout expressément demandé la suspension des opérations de combat afin de diminuer la tension et obtenir la relance du dialogue. La Farnesina souhaitait que soient réexaminées les finalités de l’ONUSOM, estimant que les actions armées prenaient maintenant le pas sur les objectifs de pacification, de conciliation et d’aide humanitaire.
Rome et Washington : l’inversion des genres Mais aussi justifiées que puissent paraître les revendications romaines, il n’échappe à personne que la crise avec New York est directement liée aux bouleversements de la politique intérieure italienne depuis le début de l’opération Mani pulite. Nul n’ignore que la Somalie a joué un rôle très particulier dans la politique italienne, entre Mafia et Partito Socialista Italiano (PSI) : le détournement des crédits du Fondo Aiuti Italiano (FAI) au profit des circuits de financement du Parti a porté sur des milliards de lires. L’ouvrage du professeur Angelo Del Boca récemment publié à Rome fait l’effet d’une bombe en détaillant les rôles directement joués par Bettino Craxi lui-même et par son gendre Paolo Pilliteri, le maire de Milan1. Or l’actuelle politique de Washington ressemble à s’y méprendre à celle qu’ils avaient eux-mêmes menée avant le recentrage actuel. Rendre Maxamed Caydiid responsable de l’insécurité et en faire un terroriste revient inévitablement à soutenir le camp de son rival, très précisément ce qui était la politique suivie par Rome entre la fin 1990 et le milieu de l’année 1992. Un dernier détail propre à asseoir quelque certitude : cette politique était menée de conserve par l’ambassadeur d’Italie à Muqdisho, Mario Sica et celui qui était encore le ministre égyptien des Affaires étrangères, Boutros Boutros Ghali. Aujourd’hui, si ce dernier semble poursuivre au sein des Nations unies ce qui avait été sa politique de ministre, Rome en revanche a complètement remis en cause son engagement derrière la fraction Cali Mahdi, perçue à raison comme l’héritière des réseaux de Siyaad Barre et des affairistes italiens. Car plus que tout, le nouveau gouvernement italien sait combien il joue serré au regard de son opinion publique. D’autant que se produisent encore certains dérapages. Le Servizio per le Informazioni e la Sicurezza Militare, le SISMI2, n’a-t-il pas acheté la tranquillité du déploiement italien en finançant généreusement les deux factions de l’USC lors de l’arrivée du corps expéditionnaire italien du ONUSOM. Cette fois la révélation de l’histoire provoque en Italie la colère d’une opinion publique pour laquelle l’affaire somalienne se situe dans le prolongement direct de sa révolution politique du moment. Ce contexte n’empêche en rien les responsables américains de l’étatmajor de l’ONUSOM de reprocher aux Italiens de mettre en péril l’unité du commandement international. Ils se plaisent en particulier à dénombrer les refus du contingent italien d’appliquer certaines directives. Aux Nations unies qui veulent le rappel à Rome du général Bruno Loi commandant la force italienne, Rome répond en menaçant de retirer purement et simplement ses troupes de Muqdisho pour les placer 1
DEL BOCA, Angelo. Una sconfitta dell’intelligenza. Italia e Somalia. Laterza : Roma, 1993. Ouvrage indispensable à la compréhension du fonctionnement de la république somalienne… et italienne en l’occurrence. 2 SISMI est l’acronyme de l’ancien nom des services secrets militaires italiens. Depuis le er 1 août 2007, ils ont été rebaptisés Agenzia Informazioni e Sicurezza Esterna (AISA).
à son initiative dans le Nord du pays. Car les Italiens en Somalie sont à la fois le meilleur et le pire. A leur tendance affairiste répond une connaissance inégalable du pays, une capacité à la proximité avec la population, et une gaîté aussi. De plus, Rome a déployé ici sa meilleure unité, la brigade parachutiste Folgore que les Français notamment se sont réjouis de voir venir à leur rescousse le 17 juin à Hodan après sept heures de combat. Il ressort quand même de tout cela que les actions militaires répétées des forces coalisées contre les partisans de Caydiid ont ouvert une brèche au sein des Nations unies. Si les Américains veulent toujours la capture et le procès du général, les actions militaires font de plus en plus de victimes civiles et apparaissent maintenant comme des attaques visant l’ensemble du lignage Habar Gidir. Or les Italiens souhaitent précisément renouer le dialogue avec des personnalités de cette communauté, même si cela doit prendre du temps et alléger la pression sur le général Caydiid. En attendant, profitant en quelque sorte de ces querelles, les partisans de celui-ci harcèlent encore le 14 juillet le siège de l’ONUSOM et l’aéroport de Muqdisho.1 Mais les États-Unis aussi ont du tout au tout changé leur politique, passant d’une position d’engagement limité et aussi peu militaire que possible2 à une propension à l’engagement direct ; il s’agit donc d’une inversion des rôles après que Washington et Rome ont chacun renié leur ancienne stratégie. Seul, à New York, le Secrétaire général des Nations unies maintient inébranlablement la cohérence de ses positions, positions antérieures à son accession au poste. Nombre de tensions au sein de l’ONUSOM viennent aussi du fait que la nouvelle administration américaine s’affirme plus arrogante que celle qui l’a précédée. Si celle-ci manquait de moyens, au moins était-elle pourvue de personnalités plus réalistes. On peut d’ailleurs s’interroger sur les motivations des États-Unis en Somalie. Elles ressemblent beaucoup à celles qui avaient motivé l’intervention de décembre : un problème d’image pour le président Bill Clinton. Critiqué pour son indécision en politique étrangère notamment en Yougoslavie, peut-être songeait-il à bon compte à se rattraper sur un théâtre africain.
Restaurer police et système judiciaire : la Résolution 865 [22.IX1993]
Aux Nations unies, le Secrétariat général tire comme leçon essentielle de cette série de fiascos la nécessité de rendre au plus vite aux Somaliens les tâches de police. Cet acte de restauration de la souveraineté, depuis longtemps déjà proposé par Caydiid dans des conditions certes 1
LOI n°584, 17 juillet 1993 On se souvient que dans la résolution initiale définissant leur engagement dans ce qui allait devenir l’UNITAF, les Américains s’étaient formellement opposés à accepter un mandat de désarmement des factions. 2
discutables mais qui n’avaient pas été discutées, vise aussi à mettre les troupes au sol à l’abri des conséquences désastreuses de l’Article VII. C’est ainsi qu’à la mi-août, Boutros Ghali adresse au Conseil de sécurité un rapport développant les dispositions du § 18 de la Résolution 814, rapport dont l’annexe fait des propositions concernant la reconstruction de la police et le rétablissement des systèmes pénaux et judiciaires 1. Il s’agit aussi de donner un nouveau départ à l’opération après les désastres des deux derniers mois. Le document qui fait le point sur les activités de l’ONUSOM jusqu’au 31 juillet met en exergue les progrès réalisés dans l’application des accords d’Addis Abäba. Il rappelle que des travaux ont été engagés avec le soutien des Nations unies par les différents comités qui en sont issus et que la plupart ont vu leurs travaux interrompus après l’embuscade du 5 juin. La Commission chargée du règlement pacifique des affaires de restitution des biens publics et privés avait tenu ses premières séances du 19 au 21 mars à Addis Abäba puis du 15 au 21 avril à Muqdisho. Elle n’a cependant pas repris ses travaux après une dernière session tenue du 25 mai au 4 juin. Le Cease-fire and Disarmament Committee tient de nombreuses réunions à Muqdisho, entre le 7 mars et le 25 mai. Les 30 et 31 mars, est établie une liste des peines encourues par les factions contrevenant au cessez-le-feu et au cours de sa session des 27 et 28 avril, il obtient que le processus de désarmement couvre également la détention d’armes légères aux mains de la population civile. Le Comité sera également sollicité à Kismaayo les 16 mars, 3 avril et les 6 et 7 mai. Ainsi, le Transitional Charter Drafting Committee s’était une première fois réuni à Muqdisho du 15 au 20 avril 1993. Composé alors de 30 personnes représentant 15 factions, le comité avait rédigé un document de travail. Toutefois, sa représentativité non conforme à la Résolution 814 qui préconisait une participation plus large de la société somalienne, il avait été élargi à 60 personnes, non politiques celles-là mais issues de tous les secteurs de la société somalienne. Quand les travaux qui avaient repris le 26 avril s’étaient interrompus le 3 juin, l’essentiel du document était d’ores et déjà rédigé. Le rapport de Boutros Ghali évoque ensuite l’établissement des conseils de région [som. maamul gobolka] et des conseils de district [som. maamul degmada], condition préalable indispensable à la remise sur pied d’une administration donc d’un système de coercition légitime. Il est ainsi rappelé, ce qui est globalement exact, que les unités de l’ONUSOM déployées en province travaillent sans difficulté majeure avec les populations. Ainsi, 21 des 92 conseils de district prévus sont en place dans sept régions, le premier à avoir célébré l’événement étant
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Rapport du Secrétaire général S/26317 du 17 août 1993
celui de Buur Hakaba, le 3 juillet, suivi les 4 et 5 de Baydhabo et de Xuddur 1. Dans le registre de la remise sur pied du système de police, le Secrétaire général a proposé de reconstituer une force de 18 000 policiers, son effectif avant la guerre civile. À cet effet, aux 5 000 anciens policiers déjà rappelés il songe dans un premier temps ajouter deux contingents de 1 500 hommes chacun, à mettre dès à présent en place dans le Nordest et dans le Nord-ouest de la Somalie. 2 000 autres dont l’entraînement commencerait en octobre seraient recrutés dans l’ensemble du pays. Instruits par groupes de 400, cette stratégie permettrait de déployer à la fin décembre 1994 un effectif de 10 000 policiers sur l’ensemble du territoire. Il resterait naturellement au TNC à décider de la structure générale qu’il conviendrait de donner à l’ensemble. Le chantier du système judiciaire pourrait établir dès le 31 octobre un système à trois niveaux fondé sur le code de procédure criminelle et le Code pénal de 1962, avant que ne soit mis en place le 31 mars 1995, le système judiciaire définitif dont devrait alors avoir accouché le TNC2. En attendant, à Muqdisho, il reviendrait à un conseil de 13 notables conseillés par l’ONUSOM de choisir juges et magistrats, procédé que les Nations unies espèrent reconduire dans les régions. L’ensemble de ces propositions, qui démontre à ceux qui douteraient que les Nations unies n’ont pas baissé les bras, est approuvé au terme de la Résolution 865 émise le 22 septembre par le Conseil de sécurité.
Le général Caydiid et les opportunités soudano-islamistes Il faut aussi noter qu’en ces moments de recomposition du théâtre, la position de Caydiid au sein de son propre parti n’est pas à la hauteur du prestige qu’il y a désormais acquis. Une grande partie de son armement a été détruit, les Hawiiye, Habar Gidir surtout, sont inquiets. La situation est bloquée. Pourtant, les forces des Nations unies demeurent impuissantes à progresser dans la lutte qu’elles lui mènent. Cette capacité à garder envers et contre tout la main est en partie due au soutien, limité, mais constant, que le général reçoit du Soudan. En effet, National Islamic Front de Ḥasan at-Turābī, musulmans radicaux et SNA se trouvent une palette d’ennemis communs : États-Unis, Nations unies, sont autant d’adversaires depuis longtemps affichés du régime islamiste de Kharṭūm qui naguère a politiquement soutenu Ṣaddām Ḥusayn contre la coalition. Les livraisons aériennes soudanaises en 1
Ceel Barde, Tiyeegloow, Xuddur, Waajit et Rabdhuure dans le Bakool ; Baydhabo, Buur Hakaba, Beerdaale et Qansaxdheere dans le Baay, Belet Xaawo, Doolow dans le Geedo, Buulo Burde, Jalalaqsi et Maxaas dans le Hiiraan ; Marka et Afgooye dans le Shabeellaha Hoose ; Balcad, Aadan Yabaal et Cadale dans le Shabeellaha Dhexe ; Qardho et Bander Beyla dans le Bari. (Maxaas et Beerdaale ne couvrent pas la totalité des districts) 2 Au Somaliland, le shirweyne de Boorama a choisi de revenir au Code de procédure criminelle et au Code pénal indien utilisé avant 1960.
Somalie n’étant pas nouvelles, le système est assez bien rodé ; les premières rotations qui remontent à juin 1991 ont même alors été directement effectuées par de gros porteurs. Par la suite, le général Caydiid s’est rendu à plusieurs reprises au Soudan pour y rencontrer des personnalités gouvernementales, et ce à chaque fois grâce à des avions soudanais qui venaient le prendre puis le ramenaient. De même, les livraisons de matériels militaires provenant des surplus iraniens réformés à l’issue de la guerre Iran/Iraq, parviennent au général par voie aérienne. Les responsables de la CIA seront même surpris d’apprendre l’échec d’une tentative de l’Iran d’acheminer des armes à Caydiid. C’est lors d’un petit déjeuner à Washington que le premier ministre israélien Yitzhak Rabin en avait informé Bill Clinton… sans lui dévoiler toutefois par qui avait été intercepté le chargement1. Les atterrissages sont effectués sur de petits terrains de campagne avec des avions légers que les Nations unies ont beaucoup de mal à localiser. En toute logique, quelques avions se « perdent » aussi, dans la région de Luuq par exemple, où la poignée de fondamentaliste tente d’organiser son émirat musulman. Mais ce sont les terrains d’atterrissage situés à proximité de la capitale que l’ONUSOM cherche à contrôler. Un pari impossible, même si l’Organisation y met le prix ; le porte-parole des Nations unies annonce en effet que depuis le 3 septembre une frégate américaine d’observation des mouvements aéronavals, le RENTZ, et qui transporte à son bord deux hélicoptères, a mis en panne au large de Muqdisho. Mais c’est après les affrontements de juin que singulièrement les choses évoluent. Les groupes intégristes se réclamant de l’Itixaad prennent alors ostensiblement le parti de s’associer à la SNA avec laquelle un pacte est conclu au cours de la seconde quinzaine d’août. Il se concrétise au début du mois de septembre par des actions nocturnes conjointes visant à harceler les forces de l’ONUSOM. Cette collaboration représente un tournant dans la stratégie suivie par les groupes islamistes qui récemment encore évitaient de participer directement à des accrochages avec les soldats des Nations unies. N’avaient-ils pas en effet adopté un profil bas, en décembre 1992, à l’arrivée des troupes américaines, se contentant de retirer au préalable leur armement lourd des villes. Mais leur stratégie est cohérente et leur engagement aux côtés du général procède de deux éléments : les préparatifs opérationnels programmés à la réunion de Kharṭūm en février 1993 et l’opportunité d’une entente politique offerte par le chef de la SNA luimême. En mai, conformément à leur projet, les éléments intégristes, en particulier les groupes à base Hawiiye renforcent leur présence et leurs actions de propagande à Marka et à Muqdisho. Certes, bien que dénonçant la présence des forces américaines en Somalie, les militants de la nébuleuse ne se sont pas d’emblée solidarisés avec les troupes de Caydiid lors de leurs premiers accrochages en juin. Mais au terme d’une 1
SAFIRE, William. New York Times, 18 novembre 1993
série de réunion dont certaines sont parrainées par le numéro 2 du NIF, ʿAlī ʿUtmān Ṭahā, les islamistes somaliens optent pour une orientation plus résolument hostile à la présence internationale en Somalie1. En cela, la date du 23 juillet 1993 est un tournant. Ce jour-là, la radio de Caydiid – qui personnellement n’a jamais été et ne versera jamais dans le radicalisme religieux – donne la parole aux islamistes. Dans une Muqdisho sur laquelle il a perçu l’emprise croissante des idéologues musulmans, dans le Nord de la ville en particulier, le général qui fait feu de tout bois entérine alors par opportunisme un pacte au terme duquel, bien après sa mort, la Somalie paiera un lourd tribut.
APRES LES ERREURS DES NATIONS UNIES, LA FAUTE AMERICAINE Il est vrai que la situation le pousse dans de telles directions. En dépit des difficultés interalliées, l’état-major américain campe d’autant plus sur ses positions que la demande de renforts formulée quelques semaines plus tôt vient de recevoir l’aval de Washington.
L’opération Gothic Serpent [22.VIII/6.X-1993] Cette fois en revanche, la nouvelle opération qui se dessine sort du cadre de l’ONUSOM II. Baptisée Gothic Serpent, elle est entièrement placée sous contrôle américain et échappe à celui des Nations unies. Elle est confiée au Joint Special Operations Command (JSOC) qui met sur pied une unité interarmes dite Task Force Ranger. Cette TFR regroupe des éléments de la Delta Force 2, des soldats du 75thRanger Regiment et l’une des unités d’hélicoptères de l’US Army normalement affectées aux opérations spéciales3. L’ensemble est complété par des éléments de l’US Air Force et de l’US Navy et le tout placé sous le commandement du général William F. Garrison, commandant du JSOC de 1992 à juillet 1994. Ces 400 rangers qui arrivent le 27 août à Muqdisho pour tenter de capturer Caydiid mènent leur première opération le 30 août à Hodan, dans le secteur de l’hôpital Digfer, toujours considéré comme le bastion du général. Appuyé par une vingtaine d’hélicoptères, une cinquantaine de Rangers investissent au petit matin le local de l’organisation humanitaire française AICF avant de dynamiter un mur et un portail pour s’emparer des locaux du PNUD. Trois expatriés et cinq Somaliens travaillant pour les Nations unies sont gardés prisonniers pendant la durée du raid. Le 28 septembre, un agacement s’installe avec les Italiens, après que le transporteur Giancarlo Marocchino qui travaille depuis 1984 en Somalie 1
LOI n°589, 11 septembre 1993 Unité chargée des opérations secrètes, de certaines opérations clandestines et du contre-terrorisme. 3 Le 160th Special Operations Aviation Regiment (SOAR). 2
pour des compagnies italiennes mais aussi aujourd’hui pour l’ONUSOM est arrêté par les troupes des Nations unies. Il est reproché à l’entrepreneur, qui connaît trop bien tous les protagonistes somaliens du conflit, d’avoir laissé ses employés menacer des Casques bleus américains venus visiter ses installations1. Sans doute destinée à capturer des partisans du général et montée sur la foi d’informations erronées ou dépassées, cette opération militaire est néanmoins présentée comme un succès par un porte-parole militaire américain et par des représentants de l’administration du président Clinton. Car l’Amérique doute. Le président de la commission des forces armées du Sénat, le démocrate Sam Nunn de l’État de Géorgie a suggéré le 31 août un réexamen de la mission américaine. De son côté, le chef de la minorité républicaine, Bob Dole, qui dirige l’opposition au président Clinton lui a adressé une lettre réclamant le retrait des troupes. Elle stipule qu’il est « temps pour l’Amérique de se désengager et de rendre les rênes aux Nations unies et aux pays africains qui lui semblent avoir un intérêt plus clair dans la stabilité de la zone »2. Toujours est-il que, sentant le danger et toujours renseigné depuis l’intérieur du camp des Nations unies, Caydiid juge plus sage de quitter provisoirement Muqdisho dans la nuit du 1 er au 2 septembre et de se rendre à Beledweyne. Avec l’arrivée des Rangers à Muqdisho, les responsables de sa garde rapprochée jugent imminente une opération américaine de ratissage de grande envergure. Depuis juin déjà, le général installé dans la zone sud de la ville changeait de domicile trois fois par nuit pour tromper la vigilance des forces des Nations unies et de leurs indicateurs. Et puis entre la fin du mois d’août et la miseptembre, la Task Force Ranger a conduit, en vain certes, pas moins de cinq raids visant à le capturer, lui ou ses proches lieutenants3. Le 18 septembre, au cours de leur sixième tentative, ils sont parvenus à s’emparer de Cismaan Caato qui, dans des conditions précaires et sous bonne garde a aussitôt été incarcéré sur une île de la côte bajuni.4 Une détention beaucoup moins inconfortable que cela ne sera écrit mais qui durera quand même quatre mois. La pression américaine rend l’atmosphère électrique dans l’ensemble du pays où l’exaspération des Somaliens croît de jour en jour à l’encontre de l’opération internationale en général et des États-Unis en particulier. 1
Installé en Somalie après certains ennuis avec le fisc italien, il s’est refait une vie à Muqdisho où il épouse Faduumo, une parente de Cali Mahdi. Accusé de commercer des armes par les Américains, il est dans un premier temps expulsé de Muqdisho, mesure révoquée dès janvier 1994. L’enquête italienne finira par être classée en juillet 1995… 2 LOI n°588, 4 septembre 1993 3 Le 28 août à la maison du général Maxamed Ibraahim Axmed Liiqliiqato ; le 6 septembre à l’ancienne ambassade de Russie; le 14 septembre à la maison de Axmed Jilicow Cadow ; le 17 septembre dans l’enceinte de Radio Muqdisho ; le 18 septembre au garage de Cismaan « Caato ». 4 Au sud-ouest de l’île Koyaama, la plus grande des jasiraadda Bajuun.
À la fin août, Leonard Kapungu a même eu quelques frayeurs en se rendant à Qoryoole, près de Marka, où il devait parrainer la mise en place d’un conseil de district. Dès son arrivée en hélicoptère, il est pris à partie par une foule en colère et l’appareil doit redécoller en le laissant sur place. Ayant pris le mauvais parti de se réfugier dans les locaux de la branche américaine de Save the Children, le siège de l’ONG est aussitôt attaqué par les Somaliens, une personne au moins est tuée. Quelques heures plus tard, l’hélicoptère armé de l’ONUSOM qui revient le chercher est amené à tirer sur les manifestants somaliens pour lui frayer un passage, faisant peut-être une quarantaine de victimes.1 Un mois plus tard, le 20 septembre, quand Koffi Anan, alors chef du DOMP arrive à Muqdisho pour effectuer une évaluation de la situation, celle-ci en dépit des termes utilisés ne révélera gère d’optimisme.
Les combats des 3 et 4 octobre 1993 – Maalintii Rangers Le 3 octobre, un informateur somalien de la CIA révèle aux Américains la tenue d’une importante réunion des proches de Caydiid à laquelle devraient notamment assister deux de ses principaux lieutenants : Cumar Salaad Cilmi, son conseiller politique, et Cabdi Xasan Cawaale, Cabdi Qeybdiid, son conseiller pour les affaires internationales 2. La réunion doit avoir lieu dans l’après-midi, à l’hôtel Olympic, près du marché de Bakaaraha. Le commandement américain met aussitôt sur pied une opération visant à capturer les participants. Le plan prévoit que les éléments de la Delta Force prendront d’assaut le bâtiment et procéderont aux captures pendant que des Rangers de la 10e division de Montagne sécuriseront la zone autour du bâtiment. Les deux unités seront héliportées par les hélicoptères du SOAR. Un convoi terrestre mené par un autre groupe de Rangers renforcé de commandos de la Delta Force récupérera les troupes héliportées et leurs prisonniers. Le commandement compte sur l’effet de surprise et la rapidité de ses troupes pour prendre de vitesse les milices du quartier. Le raid lancé peu après 15h30 se déroule tout d’abord comme prévu. Les Delta Force s’emparent de 24 personnes dans le bâtiment, parmi lesquelles figurent Cumar Salaad Cilmi et Maxamed Xasan Cawaale3. Les miliciens somaliens cependant réagissent avec une rapidité et une efficacité inattendues alors que les Américains mettent plus de temps que prévu à effectuer la jonction entre le convoi et les unités héliportées. Très rapidement les deux groupes subissent des tirs nourris ; plusieurs soldats sont blessés. Or vers 16h20, alors que le gros du convoi n’a pas encore quitté les lieux, un des hélicoptères Black Hawk est touché par un tir de roquette 1 2 3
LOI n°590, 18 septembre 1993 Le Mad Abdi des Américains Confondu par l’informateur somalien de la CIA avec Cabdi Qeybdiid.
et s’écrase à quelques rues de l’hôtel Olympic. Le pilote et le copilote sont tués sur le coup mais les soldats en cabine sont vivants1. Leurs camarades se trouvant encore dans le bâtiment décident de rejoindre le site de la chute à pied. De son côté, gêné par les barrages établis à la va-vite par les Somaliens, le convoi se perd et subit de lourdes pertes. Vers 17h00, il compte trois morts et plus de la moitié de son effectif est blessé quand son commandant décide de tenter un retour à la base. Les éléments ayant cherché à atteindre l’hélicoptère abattu rencontrent également une résistance importante. Seule une partie parvient à le rejoindre, l’autre en reste séparé par une rue que rend infranchissable le volume de feu qui y est appliqué. Embusqués dans les bâtiments situés à proximité de l’épave, une centaine de soldats sont désormais encerclés. Entre-temps, vers 16h40, une roquette touche un autre hélicoptère qui s’écrase à plusieurs centaines de mètres au sud des lieux des combats. Son pilote, grièvement blessé, est capturé. Il sera retenu prisonnier durant onze jours par les Somaliens avant d’être libéré. Les autres membres d’équipage sont tués, très probablement sur le site même de l’écrasement de l’appareil. Comprenant la nécessité de disposer de blindés, le commandement américain fait appel aux soldats pakistanais et malais de l’ONUSOM. Un convoi de quatre chars pakistanais et vingt-quatre blindés malais chargés de fantassins est constitué en deux colonnes. Parties vers 23h30, elles atteignent les zones de l’écrasement à 2h00 du matin, le 4 octobre. Vers 5h30, elles quittent les lieux après avoir récupéré les rescapés de l’opération. La bataille des 3 et 4 octobre représente un tournant décisif dans l’idée que non seulement les États-Unis, directement touchés dans leur chair, mais aussi les Nations unies et la société internationale se font de l’affaire somalienne2. Le bilan de ces journées qu’aujourd’hui encore, les Somaliens de Muqdisho évoquent sous le nom de Maalintii Rangers, « le jour des Rangers » est accablant. Leur impact psychologique sera particulièrement lourd aussi. Car il n’y a pas eu un accrochage, il s’est déroulé une véritable bataille, livrée comme telle par les Somaliens ; avec la fronde de David contre les armes de Goliath, ce qui rend son déroulement plus dramatique encore, ses modalités plus barbares aux yeux des Occidentaux, avec femmes et enfants comme boucliers humains 1
Deux hommes écrivent une page héroïque de l’histoire militaire des États-Unis. Gary I. Gordon et Randall D. « Randy » Shughart, tireurs d’élite de la Delta Force se portent volontaires pour être héliportés sur l’épave. Parvenus à mettre à l’abri leurs camarades blessés, ils résisteront pendant environ une heure aux miliciens avant d’être l’un après l’autre tué. Tous deux seront décorés à titre posthume de la Medal of Honor, décoration qui n’avait plus été remise depuis la guerre du Viêt Nam. 2 La bataille est photographiée et filmée par des caméras satellites, un avion de patrouille maritime P-3 Orion et les hélicoptères OH-58 de surveillance.
consentants, prenant à l’occasion eux-mêmes le fusil ou la pierre. Ce sont au moins deux mille personnes qui se sont lancées dans cette lutte d’une violence extrême menée dans un mouchoir de poche, entre quelques ruelles étroites. Dix-neuf soldats américains ont perdu la vie au cours de l’opération et 83 autres ont été blessés1. Après la bataille, les corps récupérés par les miliciens ont été déshabillés et traînés à travers les rues de Muqdisho par une foule composée certes de combattants de la SNA mais aussi et surtout de civils en liesse. Il n’existe pas de bilan précis des pertes somaliennes qui seront estimées par l’ambassadeur américain Robert Oakley à plus de 200 personnes. Deux jours après la bataille, dans une lettre manuscrite au président Clinton, le général Garrison prenait officiellement la responsabilité de l’issue de l’opération. Au terme de son propos, il déclarait que la Task Force Ranger avait disposé des renseignements nécessaires à l’opération et que l’objectif, la capture des cibles, avait été atteint.
États-Unis : la décision du retrait [6.X-1993] Reste qu’à Washington, l’heure est aux remises en question. Certes, au lendemain des combats, les États-Unis procèdent à une augmentation significative de leur présence mais elle sera conjoncturelle et provisoire. Rassemblés en une nouvelle Task Force Somalia, les renforts acheminés sont placés sous le commandement direct du major général Carl F. Ernst, sous le contrôle tactique du général Thomas Montgomery et sous le contrôle opérationnel du commandant du théâtre, le général Joseph P. Hoar. Mais cette fois, il est évident que l’administration entend les consacrer à faciliter le retrait des troupes américaines plutôt qu’à en faire usage contre Maxamed Caydiid. Le général Montgomery a reçu des ordres clairs : protéger la force, protéger les États-Unis et ramener les éléments américains chez eux avec le moins de pertes possible. Car le 6 octobre 1993 à la Maison-Blanche, au cours d’une séance consacrée à la révision de la politique de sécurité nationale, le président Clinton a ordonné au chef du comité des chefs d’États-majors interarmées, l’amiral David G. Jeremiah, de mettre un terme à toute entreprise des forces américaines contre Maxamed Caydiid, hors celles relevant de la légitime défense. Il nomme de nouveau l’ambassadeur Robert Oakley comme Envoyé spécial en Somalie afin qu’il négocie un accord de paix puis annonce que tous les éléments américains devront avoir quitté la Somalie au plus tard le 31 mars 1994. L’ambassadeur Oakley arrive à Muqdisho le 9 octobre, résolu à obtenir la libération du pilote d’hélicoptère capturé par les Somaliens. Après des négociations serrées sur lesquelles nous allons revenir, Caydiid accepte de livrer son prisonnier ainsi que le soldat nigérian capturé peu auparavant, le 14 octobre. En dépit de ce geste qu’il qualifie lui-même 1
Un soldat malais est tué au cours de l’opération de secours.
« de bonne volonté » et d’un cessez-le-feu unilatéralement déclaré, il est évident maintenant que les Américains ne peuvent plus prétendre à jouer un rôle en Somalie tout comme il est vain désormais pour les Nations unies d’attendre la moindre coopération du chef de la SNA et de ses partisans. Néanmoins, une fois établi que les États-Unis allaient partir, l’ambassadeur Oakley précise aussi qu’il ferait « raser » la partie sud de Muqdisho, contrôlée par la SNA, si les troupes américaines faisaient l’objet du moindre harcèlement lors de leur retrait. Caydiid, sur les ondes de sa radio, ordonne à ses partisans de « collaborer loyalement avec l’ONUSOM et de s’abstenir de tout acte violent ». Par mesure de prudence toutefois, il entreprend quelques déplacements et s’expatrie momentanément à Nairobi et à Addis Abäba. À Washington enfin, des comptes sont aussi demandés par le Congrès. On se souvient qu’en septembre 1993, le général Colin Powell, président pour quelques jours encore du comité des chefs d’États-majors interarmées, avait demandé à Les Aspin de répondre favorablement à la requête du commandant américain des forces en Somalie afin qu’il lui soit affecté des chars de combat, des véhicules de transport blindés et des AC-130 Spectre pour assurer la sécurité de ses forces. Le Secrétaire d’État n’avait pas répondu favorablement à cette demande. Aussi, peu après la mort des soldats américains, Les Aspin doit-il faire face à de sérieuses critiques devant le Congrès. Admettant son erreur de jugement, le ministre admet que les renforts blindés ont été affectés aux opérations de délivrance de l’aide humanitaire plutôt qu’à la protection directe des troupes. Affaibli, le 15 décembre, le président Clinton annoncera sa démission.
Chez les Habar Gidir le sentiment d’être allé trop loin [X-1993] Mais du côté des notables Habar Gidir aussi, la situation est immédiatement jugée intenable. C’est pourquoi dès le 7 octobre, trois représentants des principaux lignages, Cabdulqaadir Faarax Sadiiq, Cabdi Daahir Ugaas et Xasan Dembil Warsame demandent à rencontrer Lansana Kouyate afin de reprendre les négociations rompues depuis septembre. Leur démarche est opportune puisque de son côté le diplomate, qui est à la recherche d’un interlocuteur, a récemment envoyé un message à Cabdulqaasin Salaad Xasan qui se trouve alors à Rome pour lui demander de venir s’entretenir avec lui à Muqdisho.1 Renouer ne fait pas l’unanimité parmi les Habar Gidir. Certains souhaitent une reprise des relations afin de mettre fin à l’engagement 1
De nombreuses réunions sont organisées entre les dirigeants de l’ONUSOM II et un comité de 47 notables Hawiiye de haut rang ; l’ensemble travaille à organiser une conférence pan-Hawiiye. Du 30 septembre au 1er octobre, une conférence rassemble ainsi 600 délégués à Muqdisho. Une autre se déroule à Muqdisho du 14 au 16 octobre avec la participation des Habar Gidir. Le lendemain, en dépit des réserves de l’ONUSOM, une marche pour la paix provoque de violents affrontements interclaniques.
meurtrier, estimant que le tribut humain payé par leurs clans dans la guerre entre le général Caydiid et les forces de l’ONUSOM est trop élevé. Reste que cette sensibilité n’est pas majoritaire au sein du comité des 25 qui compte 17 partisans du général. Mais son président, le caaqil Axmed Raage Cabdi qui est un adversaire résolu du général Caydiid a déjà menacé par trois fois de démissionner, réclamant une reprise des discussions avec l’ONUSOM. Son propos est sans concession : selon lui, Caydiid est un obstacle à la paix et doit accepter l’exil. Le comité réuni la première semaine d’octobre se contente de rejeter sa démission tandis que les partisans des négociations obtiennent qu’il soit fait un geste de bonne volonté en libérant le 15 octobre, après onze jours de détention, le pilote américain, Mike Durant1, pris en otage. Capturé par le clan Cayr, celui-ci avait été revendu pour 22 millions de shillings soit 6000 $ au fils de Cismaan Caato qui comptait s’en servir comme monnaie d’échange pour faire libérer son père, détenu depuis le 18 septembre. Mais le pilote américain, la jambe cassée et souffrant d’une blessure dans le dos, n’était pas en bon état. Aussi le fils de Caato souhaitait-il ne pas tarder à le libérer de crainte qu’il ne survive pas à ses blessures. Dommage collatéral mineur, cet incident meurtrier a momentanément discrédité l’un des interlocuteurs politiques de l’ONUSOM, Ciise Maxamed Siyaad, professeur de linguistique de son état. Négociateur en matière de cessez-le-feu mais également responsable des milices qui l’avaient envoyé auprès des Nigérians afin de renégocier les tarifs de leur protection. C’est le même homme qui propose début octobre l’échange du pilote américain contre la libération des prisonniers somaliens des Nations unies. Ce sera chose faite en partie le 16 octobre. Côté SNA, Maxamed Nuur Guutaale Dhalbas, proche de Caydiid et responsable important de son mouvement est remis en liberté le 19 octobre par l’ONUSOM. Il est ainsi le quatrième prisonnier somalien libéré ; Cismaan Caato en revanche, malgré les efforts de son fils, reste toujours sous bonne garde sur son île au large de la côte bajuun.2
1
DURANT, Michael & HARTOV, Steven. The Night Stalkers. Putnam Pub Group : New York 2003. 2 LOI n°593/595, 9/23 octobre 1993
X VII – 1993 : L ES QUESTIONNEMENTS DE LA SOCIETE INTERNATIONA LE
Le 14 octobre, dans le dessein de calmer le jeu, le président égyptien Ḥusnī Mubārak réunit au Caire le Secrétaire général de l’OUA, de la Ligue arabe et de l’OCI autour de Boutros Ghali, son ancien ministre des Affaires étrangères. L’objet officiel de l’entretien porte naturellement sur la promotion de la paix en Somalie. Il en ressort un communiqué de presse conjoint endossé par les mondes arabe et musulman appelant à l’application des accords d’Addis Abäba et à la générosité des donateurs. Il en ressort surtout un acte solidaire autour du Secrétaire général et une assertion sans équivoque : « le processus de réconciliation et de reconstruction commence par les chefs de factions eux-mêmes »1.
LES INTERROGATIONS OCCIDENTALES
[IX/X - 1993]
Reste que l’affaire des 3 et 4 octobre est un séisme. Aussi le mois va-t-il être celui des remises en question. À l’ONUSOM et chez les Américains, chacun procède à un même constat : une invraisemblable guerre pour d’invraisemblables raisons dans un invraisemblable pays. Et de se poser la question, pourquoi et pour quoi faire ? Au terme du cessez-le-feu unilatéralement décrété par le général Caydiid, un calme apparent s’étend sur l’ensemble de la zone
1
Communiqué de presse conjoint SG/T/1818-SOM/44 du 14 octobre 1993. Il sera suivi le 29 octobre d’un rapport du Secrétaire général portant sur l’assistance humanitaire d’urgence et la réhabilitation économique et sociale. A/48/504 du 28 octobre 1993.
méridionale du pays, mais en particulier à Muqdisho où la situation a radicalement changé1. Toutefois, et ce bien avant le dénouement désastreux de l’opération Gothic Serpent, de nombreux contingents, occidentaux en particulier, ont déjà développé un véritable rejet de l’opération. Confrontés à un peuple dont ils ne comprennent pas l’hostilité, coincés entre les positionnements politiques et stratégiques jugés douteux de New York et de Washington, chez beaucoup prévaut maintenant une solide envie de quitter cet univers incompréhensible.
Lassitude des Français sollicités par les Nations unies À Paris, ce sont la perplexité et l’exaspération qui prévalent. Jusqu’à la crise de l’été à Muqdisho, les ministères français des Affaires étrangères et de la Défense ont envisagé le maintien du contingent français jusqu’au printemps 1994. Ceci correspond à deux engagements de six mois chacun, compté à partir du mois d’avril. Mais les considérations changent désormais et il est question d’un retrait dès la fin octobre, à l’expiration du bail en cours 2. Autant que la dangerosité inacceptable prise par le théâtre, il se trouve qu’écartés voire trompés par le commandement américain dans le registre du renseignement, la défiance s’est maintenant installée au sein même de l’opération. L’ambassadeur Alain Deschamps parti à la retraite le 10 juillet est rentré en France sans être remplacé3. Une seule réserve, de taille il est vrai, à cette volonté de désengagement : enferrés dans la crise somalienne comme ils le sont aujourd’hui avec les Nations unies, de hauts responsables parisiens estiment qu’il serait indécent que le contingent français quitte la Somalie à l’automne. D’autant que les troupes vont se faire rares : sur les 28 000 militaires prévus pour participer à l’ONUSOM, moins de 21 000 ont effectivement été mis en place. Le 17 septembre à Paris, le général Philippe Mercier, chef des opérations à l’État-major des Armées indique que, sauf à une intervention du ministère des Affaires étrangères qui pourrait imposer une prolongation de la présence française, les 1 130 Casques bleus du contingent français se retireront de Somalie entre le 15 décembre 1993 et le 15 janvier 1994. Cette réserve se fonde sur le fait que le Secrétaire général souhaite le maintien des troupes occidentales alors qu’au même moment, l’état-major français a déjà déployé au Rwanda plusieurs centaines d’hommes dont Paris espère la relève par des troupes sous Casque bleu. Or Boutros Ghali a estimé qu’il n’aurait pas davantage les moyens de faire face à cette nouvelle mission si les militaires français se 1
Hors un accrochage le 25 octobre. Le budget français de l’ONUSOM jusqu’au 31 octobre 1993 s’élève à 830 millions de francs français, soit l’équivalent. 3 Il a de plus été traumatisé par la mort de sa jeune secrétaire, attaquée par un requin, au large de Muqdisho. 2
retiraient de Somalie où leur contingent devrait être remplacé. Un lien comptable est donc établi entre le retrait français de Somalie et le déploiement des Nations unies au Rwanda. Une problématique assez comparable s’est dessinée à Bruxelles où le ministre de la Défense, Léo Delcroix, vient de confirmer la décision de son pays de retirer son contingent en décembre car Bruxelles a explicitement accepté de participer à la force au Rwanda sous réserve de ne pas devoir s’engager sur deux théâtres d’opérations à la fois.1 À Paris, une commission technique est donc constituée pour planifier le retrait du contingent français de Baydhabo. Les 5 000 soldats du contingent indien cantonné à 6 km au sud de Muqdisho sont pour leur part pressés de les y remplacer et de s’installer ainsi au plus vite au plus loin de la capitale somalienne. Sur leur insistance, les Français hâtent leur départ en en avançant la date-butoir au 15 décembre au lieu du 15 janvier. Finalement, la passation de commandement aura même lieu le 13 novembre. Pourtant, dans le même temps, cédant partiellement aux sollicitations répétées des Nations unies – Boutros Ghali en difficulté a même proposé aux Français la direction de l’ONUSOM – Paris envisagera momentanément un retrait partiel. Le contingent français en effet n’a été impliqué dans aucune affaire douteuse et, même si des combats les ont mis aux prises avec les Somaliens, ceux-ci n’ont jamais exprimé de vindicte particulière à leur encontre. Il s’agirait donc de déployer une partie des troupes dans le Nord où la normalisation suit son cours et l’on sait que l’administration du Somaliland ne serait pas hostile à ces Français qui, installés à Djibouti, les connaissent et qu’ils connaissent également. L’opération serait menée à partir de la base française avec un commandement autonome par rapport aux Américains et à leurs successeurs dans le cadre de l’ONUSOM. La même tentation existe chez les Italiens. Après avoir annoncé leur retrait au cours du premier semestre de 1994, ils se déclarent ouverts à discuter d’une mission autonome, pour peu que ses contours soient clairement définis. Personne surtout ne veut travailler à nouveau avec les Américains dont le comportement est devenu insupportable. C’est pour cette raison qu’exaspérés de ne jamais être correctement informés par l’état-major américain, les responsables français en sont venus à dépêcher au large de Muqdisho la frégate FLOREAL. Officiellement il s’agit d’un exercice de routine pour affirmer la présence française dans l’océan Indien, mais en fait le bâtiment est chargé de renseigner les ministères français sur l’arrivée de moyens américains et notamment celle du porte-avions ABRAHAM LINCOLN. Cela dit, le service de relations publiques des Armées tire un bilan positif de la mission française. Il met en exergue le fait que ce résultat repose sur un savoir-être spécifique que tous les contingents nationaux ne semblent pas posséder. Il estime donc qu’il n’y a pas lieu de se livrer 1
LOI n°591, 25 septembre 1993
à un amalgame de toutes les actions entreprises par les différents détachements des Nations unies. C’est pourquoi aussi, après le retrait français, Paris souhaite conserver une participation au sein de l’étatmajor de l’ONUSOM, réduit à six ou sept officiers dont le chef du bureau logistique et un officier de renseignement. Installés désormais dans une logique de départ, les ordres français privilégient la prudence. Ainsi en va-t-il des missions relevant du programme de rapatriement des réfugiés somaliens à partir des camps de Doolow, Mandera et Ceel Waaq. Bien que la voie la plus directe pour les rapatrier passât par la ville de Luuq, fief des islamistes, l’étatmajor français qui ne veut surtout pas être entraîné à une action militaire contre ce bastion désormais hostile à la présence d’une force internationale, décide de faire transiter les convois de réfugiés par Baardheere, rallongeant de la sorte de près d’un tiers les trajets1.
La mise en cause des contingents belge et canadien de l’ONUSOM Un autre phénomène s’amplifie par ailleurs. Le malaise des ONG travaillant en Somalie s’alimente des révélations sur le comportement de certains soldats de l’ONUSOM. Des militaires canadiens ont été accusés d’exactions à l’encontre de Somaliens et quatre d’entre eux seront traduits en cour martiale pour la mort suspecte d’un civil. De son côté, l’auditorat général de l’armée belge a ouvert depuis la fin août contre des militaires dix dossiers pour homicide volontaire à Kismaayo. Ces décisions font suite aux accusations portées en juillet par l’organisation humanitaire londonienne Africa Rights, selon lesquelles les Casques bleus de Bruxelles auraient tué de 400 à 500 Somaliens depuis leur arrivée en décembre 1992 et maltraité des habitants de la région. Naturellement, ces allégations mettent en difficulté le ministre de la Défense, Leo Delcroix, régulièrement interpellé au Parlement tant sur la pertinence de la présence du contingent belge au sein de l’ONUSOM que sur le comportement des soldats de Bruxelles. Finalement, la commission d’enquête2 mise sur pied le 16 septembre à la demande du ministre vient infirmer les accusations d’exactions portées par African Rights. Elle réfute les allégations selon lesquelles 500 civils auraient été tués à Kismaayo. D’après son rapport, le « tireur wallon » accusé de s’être vanté d’avoir décroché le trophée somalien était en fait un tireur d’élite agissant sur ordre de ses supérieurs et qui au cours des engagements avait touché 25 à 30 tireurs adverses 3. La 1
LOI n°593 à 595, 9/23 octobre 1993 La commission est composée de quatre militaires et d’un civil ; elle est présidée par le général major Jean Henrioul. 3 Il faut savoir que face à la tactique somalienne consistant à embusquer leurs tireurs derrière un rideau de femmes et d’enfants, la seule riposte mesurée possible pour les forces de la coalition consiste à utiliser ses propres tireurs d’élite. Seuls ceux-ci peuvent appliquer des tirs suffisamment précis pour être sélectifs et épargner ce bouclier humain constitué de femmes et d’enfants. 2
commission d’enquête décernait par ailleurs un satisfecit à son contingent, affirmant que la force n’avait été « utilisée qu’en cas de nécessité, de façon mesurée et proportionnelle à la menace ». Certains cas de comportements inacceptables étaient néanmoins reconnus ; treize dossiers restaient ouverts dont neuf étaient en attente d’indemnisation des dommages. Quoi qu’il en soit, l’opposition s’en donne à cœur joie. Le député d’extrême droite du Vlaams Blok, Francis Van Den Eynde, affirme que les soldats belges étaient considérés comme des occupants par les Somaliens et réclame la fin de cette mission inutile. Un député du Groen !, l’écologiste Hugo Van Dienderen, reproche au ministre de n’avoir ordonné qu’une enquête interne concernant les exactions qui avaient été commises alors que la convention de Genève stipulait qu’une telle démarche devait être effectuée par une instance indépendante. La plupart reprochent également aux troupes belges d’avoir aidé Maxamed Siciid Xirsi Moorgan, grand massacreur devant l’histoire, à conserver le pouvoir à Kismaayo1.
Règlement italo-italien du retrait Comme nous l’avons déjà laissé entendre, le gouvernement italien n’a pas non plus attendu le drame de Maalintii Rangers pour réfléchir à la nécessité de quitter le théâtre. Un certain nombre de mesures s’imposent du point de vue de la Farnesina. Le 30 septembre, le ministre des Affaires étrangères, Beniamino Andreatta, a proposé aux Nations unies qu’il soit nommé par les soins de l’Organisation un négociateur international qui tenterait de trouver une solution à la crise. Une autre idée prévaut dans l’esprit du ministre : changer l’équipe italienne engagée en Somalie. Ainsi, peu avant le remplacement du général Bruno Loi par le général Carmine Fiore, c’est l’ambassadeur italien à Muqdisho, Enrico Augelli, qui est discrètement remplacé. Son successeur, Mario Scialoja, ancien second de la délégation italienne aux Nations unies, est un fonctionnaire considéré comme prudent. Il n’échappe cependant à personne qu’Enrico Augelli, en poste à Muqdisho depuis juillet 1992, a été sacrifié par Rome pour complaire à Boutros Ghali et l’amiral Howe. En juin en effet, ce dernier avait clairement exprimé qu’il imputait à Augelli et au général Bruno Loi l’insubordination du contingent italien. N’avait-il pas, à plusieurs reprises, soumis à l’approbation de Rome, les ordres donnés par le commandement militaire de l’ONUSOM ? Rappelé pour consultation fin juin, Augelli devait voir son retour à Muqdisho ajourné sans explication jusqu’à la mi-août, afin de ne pas alerter les médias. Puis, quelques heures avant son départ pour la Somalie, prévu le 14, il avait été informé que le ministère des Affaires étrangères avait décidé son remplacement sans même l’autoriser à retourner ramasser ses affaires 1
Le Soir – Bruxelles, 10 novembre 1993
personnelles à Muqdisho. La gestion de cette affaire portait l’empreinte de l’ancien ambassadeur italien à Moscou, l’aristocrate sicilien Ferdinando Salleo, qui venait de prendre en charge la direction des affaires politiques du ministère des Affaires étrangères aux côtés de son ami, le ministre Beniamino Andreatta. Considéré comme l’homme le plus influent du ministère dont il est candidat au poste de Secrétaire général encore détenu par Bruno Bottai, Ferdinando Salleo est partisan d’un retrait italien total de Somalie. Il est à son avis insensé pour l’Italie de gâter ses relations avec Washington et les Nations unies « rien que pour maintenir son drapeau sur les décombres de Muqdisho ».1
LA MISE EN CAUSE DU SECRETAIRE GENERAL Le 25 octobre, les combats reprennent momentanément le long de la Ligne verte à Muqdisho entre les forces de Caydiid et les partisans de Cali Mahdi qui reprennent ainsi leurs vieilles habitudes. Les affrontements font quelques dizaines de victimes, mais les troupes de l’ONUSOM se gardent d’intervenir ; l’heure de la force est passée.
Robert Oakley et le déblocage du cas Caydiid [X-1993] Ces gestes d’apaisement sont concomitants avec la demande faite aux Nations unies par les dirigeants américains afin qu’ils mettent en place en Somalie, dès le 15 novembre, un gouvernement provisoire. Une démarche absconse tant que, a minima, la base institutionnelle n’est pas stabilisée. Aussi la première phase de ce projet revient-elle à accélérer l’élection des conseils régionaux dont cinq sont établis dans le Nugaal, le Baay, le Bakool, le Shabeellaha Dhexe et le Bari. À raison de trois élus – dont au moins une femme – par conseil, les 15 délégués rejoindront les 15 représentants désignés par l’ensemble des factions politico-militaires existantes au sein d’un Transitional National Council (TNC), réceptacle de la souveraineté somalienne. Ni plus ni moins que ce qui avait été convenu entre les factions à Addis Abäba et que les Nations unies espèrent maintenant mettre en place à l’échéance de mars 1994. Même si certaines factions refusent ce projet, Robert Oakley considère qu’il est nécessaire de transférer « dès que possible des responsabilités aux Somaliens». Si le fond de l’affaire est moins glorieux, la prestation de l’Envoyé spécial américain n’en est pas moins brillante. Bien que nommé sous l’administration de George Bush, celui-ci a été rappelé par le président Bill Clinton pour assurer les conditions politiques d’un retrait honorable des troupes américaines. Au cours d’une carrière qui l’a mené du Zaïre au Pakistan en passant par le Vietnam, le diplomate a toujours travaillé en bonne intelligence avec la CIA. Aussi, en dépit des derniers événements, ne néglige-t-il rien. Procédant à marche forcée, il joue de 1
LOI n°592, 2 octobre 1993
l’intimidation provoquée par les bombardements nocturnes des Spectre pour susciter la division des Habar Gidir en favorisant les lignages Saleebaan et surtout les Cayr, garde prétorienne de Caydiid, par rapport à son propre lignage, les Sacad. Par l’entremise de Ciise Maxamed Siyaad, des tractations secrètes avec la SNA sont menées au sein de la concession de CONOCO1 et une diplomatie parallèle est favorisée qui use de l’influence des envoyés éthiopiens et érythréens. Peut-être même une tentative de retournement de Cismaan Caato estelle entreprise dans son île de Koyaama afin de ramener ce vieil allié de Washington à ses anciennes relations. Le colonel Cabdullaahi Yuusuf qui tente d’obtenir le soutien de l’ONUSOM afin de former des conseils de district dans le nord de Mudug est également mis à contribution. Aussi voit-il ses sollicitations aboutir en contrepartie de son entremise afin de convaincre Caydiid d’assister à une réunion proposée par les Éthiopiens2. C’est ainsi qu’en trois jours, le général Caydiid aura accepté le cessez-le-feu et libéré ses deux otages. Il aura même accepté la réunion d’une commission d’enquête visant à statuer sur sa responsabilité dans la tuerie du 5 juin, pourvu qu’elle soit indépendante. Le chef de la SNA sort par la même occasion de la clandestinité et commence son retour à la politique. Marginalisé dans l’exercice, Robert Gosende ancien bras droit d’Oakley puis son successeur comme représentant spécial à Muqdisho aura ce commentaire perfide : « C’est comme la constitution du Sud-Vietnam. Oakley l’avait écrite et sur le papier elle était bien impressionnante. Mais on sait ce qu’il en est advenu »3. Oui, peut-être, mais quand même.4
Caydiid versus Boutros [28.X-1993] D’autant que la semaine précédente a connu un intense ballet diplomatique. Des entretiens ont eu lieu à Addis Abäba entre Boutros Ghali et le Président éthiopien sans que les deux hommes que séparent encore des divergences conceptuelles ne soient véritablement parvenus 1
Par l’intermédiaire d’un certain Ciise Siyaad semble-t-il. L’ONUSOM approuvera alors les listes des conseils proposés dans le Nord-est par le chef du SSDF. Ceci ne se passera pas sans quelque difficulté et suscitera des manifestations publiques lorsque le représentant de l’ONUSOM se rendra à Gaalkacyo. Cabdullaahi Yuusuf ordonnera à ses miliciens de tirer au-dessus de la tête de la foule pour la disperser. Mais finalement les listes seront approuvées et portées à la connaissance de chaque localité. 3 LOI n°594, 16 octobre 1993 4 Robert Oakley considère que l’amiral Howe présente un problème de compétence, de capacité à délivrer les messages et qu’il faut lui trouver un remplaçant. Mais tout en reconnaissant les difficultés suscitées par les exigences de Caydiid, il considère aussi que le même problème existe chez les gens de l’ONU : « Ils n’ont pas les personnes compétentes et n’ont pas la volonté de travailler vraiment avec les Somaliens ». Aussi pense-t-il à la nécessité d’avoir « des officiers des armées étrangères au sein du bureau de liaison américain ». (conversation du 16 janvier) 2
à un accord de vue. En fait, très simplement, les hauts responsables éthiopiens à l’instar des Érythréens militent pour une relance des négociations de paix sur la base de l’accord paraphé en juin par les factions. Ils proposent à cet effet de les rassembler à nouveau en mars sachant que sans la participation de la SNA, tout exercice est par essence inconséquent. C’est pourquoi les médiateurs éthiopiens qui ont identifié le point bloquant proposent que l’enquête sur les 24 Casques bleus pakistanais tués à Muqdisho le 5 juin soit effectivement confiée à une commission véritablement indépendante, ce que le chef de la SNA a d’ores et déjà accepté. Or le Secrétaire général peine toujours à admettre le retour du général Caydiid à la table de négociations. Il juge en l’occurrence que la prudence s’impose, ne serait-ce que parce qu’à Muqdisho la faction de Cali Mahdi, la plus proche des positions de l’ONUSOM, se sent maintenant trahie par le revirement diplomatique des États-Unis. Quelque part en fait, tout le monde craint maintenant un nouvel emballement de la crise. Mais Caydiid n’en a pas non plus fini avec Boutros Ghali contre lequel il lance une offensive afin d’amener l’ONU au même pragmatisme que les États-Unis sur le dossier somalien. Le 28 octobre, sa radio enjoint le Secrétaire général et ses représentants à reconnaître leurs erreurs. Reprochant à Boutros ses relations avec le régime de l’ex-président Siyaad Barre quand il était ministre égyptien des Affaires étrangères, il estime que la présence de l’ONUSOM a été un obstacle à la résolution des problèmes de la Somalie. Le chef de la SNA adresse ainsi une série de demandes au Secrétaire général qui sont autant de mises en cause de son attitude passée dans le conflit somalien. Il le somme plus particulièrement d’annuler la résolution du Conseil de sécurité réclamant sa capture, de libérer tous les dirigeants de son parti prisonnier de l’ONUSOM, de cesser toute ingérence dans les affaires somaliennes et de limiter le mandat des Nations unies à une assistance humanitaire. Le général en appelle enfin à la communauté internationale pour qu’elle l’amène à accepter, comme l’ont fait les États-Unis, la médiation des pays de la région.1 Cette diatribe a lieu le jour même où, s’adressant au Conseil de sécurité, Boutros Ghali sollicite une prolongation de quinze jours du mandat de l’ONUSOM qui normalement touche à son terme le 31 octobre. Le Secrétaire général compte mettre à profit ce délai pour rendre compte à New York des conversations qu’il vient d’avoir avec les chefs d’État de la région intéressés à soutenir l’action des Nations unies en Somalie. Sa requête est aussitôt acceptée par la Résolution 878 qui prolonge jusqu’au 15 novembre le mandat de l’opération.2
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Radio Muqdisho, 28 octobre 1993 rapportée par LOI n°597, 6 novembre 1993 Lettre S/26663 et Résolution S/RES/878 du 29 octobre 1993
Ainsi prévaut une situation ambiguë. Caydiid souhaite obtenir un total retrait du mandat politique d’une ONUSOM pour laquelle il n’a aucune considération. Tout en prenant acte du statu quo, il confirme que la SNA ne sera jamais satisfaite tant que l’opération ne se sera pas totalement cantonnée dans un rôle humanitaire ou qu’elle ne se sera pas complètement retirée. Une évidence inquiétante cependant : toutes les factions ont d’ores et déjà commencé à se renforcer dans l’hypothèse attendue du retrait des militaires américains annoncé par le président Clinton et d’ores et déjà considéré comme un fait accompli.
Les États-Unis s’expliquent avec Boutros Boutros Ghali [9.XI-1993] Quant à l’amiral Howe, sa campagne menée à l’encontre du général Maxamed Caydiid est maintenant désavouée, par le Pentagone notamment. L’idée, prise en tête-à-tête avec Boutros Ghali, de lancer un avis de recherche contre le chef de la SNA puis de proposer sa mise à prix pour 25 000 $ s’était transformée en obsession. Selon certains officiers américains, cette campagne avait été en réalité suggérée par le général Montgomery, le vrai chef militaire de l’opération, qui en juin 1993 reprochait à l’amiral sa mollesse. Au même moment, l’ancien ambassadeur américain en Iraq, April Glaspie, naguère controversée pour sa complaisance envers Bagdad à la veille de l’invasion du Koweït avait également poussé l’amiral à l’intransigeance. C’est en effet elle qui après la mort des Casques bleus pakistanais, le 5 juin, avait proposé la traque en vue de l’arrestation du général Caydiid. Interrogé en privé sur ses réactions à sa désignation comme bouc émissaire par les Américains, l’amiral répondait non sans quelque pertinence : « Personnaliser, diaboliser des ennemis, mettre leur tête à prix et, ensuite, rater les opérations militaires spéciales, depuis Noriega et Saddam Hussein, depuis la débâcle à Téhéran et à la Grenade, est-ce une spécialité des Nations unies ou des États-Unis ? Du reste quand on a voté la Résolution 837 qui demandait l’arrestation de Caydiid, sous quelle table s’est caché le Représentant américain au Conseil de 1 sécurité ?
Une fois ficelé le retour de Caydiid par Oakley, le Département d’État américain annonce le 26 octobre la nomination de Richard Begosian 2 comme représentant des États-Unis en Somalie. Il remplace Robert Gosende rappelé au Département d’État à Washington pour devenir conseiller pour la Somalie du secrétaire d’État adjoint aux affaires africaines, George Moose. Recevant pour consigne de seconder Robert Oakley dans ses démarches en vue de chercher un règlement entre les 1
LOI n°595, 23 octobre 1993 Francophone et arabophone, spécialiste des questions africaines, il a occupé diverses fonctions dans les ambassades américaines au Tchad, au Niger et au Soudan ainsi qu’au Proche-Orient et en Europe. Au Département d’État, il a dirigé le bureau des Affaires est-africaines. En mars 1990, ambassadeur au Tchad, Richard Begosian a supervisé l’opération des services de renseignement américain chargés d’exfiltrer les opposants libyens de N’djamena à l’arrivée au pouvoir d’Idris Deby.
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factions, il lui revient aussi de superviser le retrait des troupes américaines qui doit avoir lieu avant la fin mars 1994 et de diriger la mission de liaison avec les forces de l’ONUSOM. Le 9 novembre 1993 enfin, la Chambre des représentants approuve, à une majorité de 126 voix contre 201, une résolution acceptant le calendrier proposé par le président Bill Clinton pour un retrait des troupes américaines qui devra être achevé au 31 mars 1994. Peu auparavant, uniquement rejetée pour des raisons de faisabilité, une motion réclamant le retrait des troupes avant le 31 janvier avait été sur le point d’être adoptée. Par ailleurs, ce même 9 novembre à Washington, le secrétaire d’État Warren Cristopher a « une franche discussion » avec Boutros Ghali, formulation qui ne laisse guère de doute sur l’écart qui sépare encore les positions des États-Unis et des Nations unies sur le dossier somalien. Désormais, les responsables américains n’ont plus qu’une idée en tête : parvenir le plus rapidement possible à un accord politique entre factions, aussi éphémère fût-il, afin de couvrir le retrait de leurs troupes. Le destin du pays ne les intéresse plus, il ne s’agit que de sauver la face. C’est à cet effet qu’ils appuient maintenant la médiation éthiopienne dont l’idée est de réunir à nouveau une conférence de réconciliation nationale. Boutros Ghali, s’il a laissé entendre qu’il serait prêt à accepter la mise en place d’une commission indépendante pour envisager l’arrêt de la traque de Caydiid par l’ONUSOM, il est toujours réticent à tenir une conférence à Muqdisho. Plus inquiet que jamais sur l’avenir de la Somalie, il insiste surtout sur les conditions du désarmement des milices en vue d’assurer la sécurité après le départ des troupes américaines1. Car si après cet été calamiteux, les Américains s’engagent sur la voie du retrait, les Nations unies bien que moins ostensiblement sont aussi tentées par un processus que seule leur interdit encore la nature même de leur mission. En l’occurrence il reste à définir une manière de procéder.
La remise de la Draft Transitional Charter [1.XI-1993] La Somalie ne pouvant être abandonnée en l’état, sous la pression des États-Unis, les Somaliens ont été entre temps sommés de se remettre au travail afin que soient préparés les instruments nécessaires à la mise en place d’un gouvernement, aussi provisoire dût-il être. Ainsi, le 25 octobre, quinze membres du Transitional Charter Drafting Committee sont-ils à nouveau réunis afin de traduire et présenter une version finalisée du document. Pour l’essentiel, la rédaction des six premiers chapitres identifiés lors de sa première réunion avait été menée à terme et présentée le 2 mai. Aussi, une Draft Transitional Charter of Somalia 1
LOI n°598, 13 novembre 1993
en date du 1er novembre est-elle présentée le 8 au Directeur des Affaires politiques de l’ONUSOM par le président du Comité de rédaction, Xuseen Celaabe Faahiye. Le projet de charte qui se divise en un préambule et six parties contient 55 articles. Les six parties traitent respectivement des principes généraux, du Transitional National Council (TNC), de l’administration centrale, de la justice, de l’autonomie régionale et des règles de la transition. Le préambule qui rappelle l’histoire récente de la Somalie, de sa lutte pour l’indépendance jusqu’à la fin de la guerre civile, établit que le peuple somalien identifie la nécessité de se réconcilier en vue d’établir un système démocratique gouvernement en respectant l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de la république. La première partie traite des principes généraux habituels. La question de la šariʿa ayant été largement débattue au cours du processus de rédaction, le Comité choisit de retenir, dans son article 2, une phraséologie retenue identique à celle de la constitution égyptienne. Il établit que l’islam est religion de l’État, qu’aucune religion autre que l’islam ne peut être propagée et que la loi musulmane sera la base fondamentale de toutes les lois. Bien que peu compatible sur de nombreux points, l’article 5 établit que l’administration de transition adhère à la déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations unies du 10 décembre 1948. La deuxième partie de la Charte porte sur l’organisation du TNC. L’article 11 détermine que celui-ci « déterminera la présidence, les fonctions et les pouvoirs du conseil et élira un président parmi ses membres ». Les rédacteurs ont préféré le concept de présidence parce que selon la plupart, le conseil ne doit pas être dirigé par une seule personne. Il s’agit d’accommoder les différences lignagères aussi bien que les ambitions personnelles. La présidence exercera donc les responsabilités de chef de l’État. La troisième partie définit les modalités de gouvernement. Celui-ci sera composé d’un Premier secrétaire, chef du gouvernement et des secrétaires des différents départements. Le Premier secrétaire exercera les responsabilités d’un Premier ministre. La quatrième développe l’organisation de la justice et la cinquième évoque l’établissement des conseils de régions et de districts ainsi que les autres aspects de l’autonomie régionale. Sur ce sujet qui fait débat, il est proposé que les conseils désignés sous la supervision de l’ONUSOM soient établis en accord avec les article 36 et 37 du texte. La dernière partie de la Charte – articles 45 à 55 - précise les règles de la transition. L’article 49 stipule que le TNC se réunira 15 jours après sa désignation et qu’il pourra assumer ses responsabilités dès lors que les deux tiers de ses membres seront rassemblés. Ceci signifie en l’occurrence que lorsque 49 des 74 membres auront été désignés, le
Conseil pourra se rassembler1. On observe cependant que le Somaliland auquel il est attribué 16 membres ne participe pas au processus. Il en résulte que c’est sur un collège au mieux de 58 qu’avec 49 membres le quorum sera atteint. Le souci sécuritaire reste la pierre angulaire du fragile édifice. Aussi l’article 51 stipule-t-il que lorsque le Conseil tiendra sa première réunion, tous les mouvements politiques devront avoir été désarmés. Il est établi qu’à la date d’approbation de la Charte, la détention d’armes et d’explosifs de quelque nature que ce soit sera interdite à tous les individus et à tous les groupes hormis les membres des forces de sécurité. Mais, outre certaines mesures préalables difficiles à mettre en œuvre, le recensement par exemple, le document a peu de chance d’obtenir l’approbation unanime des factions. En effet, largement inspiré par les Nations unies, le texte établit que l’ONUSOM devra rester en Somalie les deux années de la transition durant, « …jusqu’à ce qu’une élection libre soit tenue et qu’un gouvernement démocratique soit installé, l’ONUSOM participera à la réhabilitation de 2 l’économie, des services publics et du développement social du pays. »
Mais que faire maintenant avec une Charte en quête d’un pays et dont la suprême maladresse tient à son recours à cette UNISOM dont nul ne veut ?
L’implication salafiste dans le drame Mais avant de voir comment se développe ce constat d’impuissance, il est nécessaire encore de préciser la place occupée par l’islam radical dans les événements passés et ses décisions dans l’après-paroxysme. Il est clair que déjà ses principes, l’idée, le désir peut-être d’un ordre musulman façonnent une alternative dans le paysage social somalien ; mais il est bien tôt encore et quelques lignes dans une Charte provisoire ne permettent pas de tirer d’irrécusables conclusions. Aussi, si les chefs de factions ont commencé à instrumentaliser la religion contre la présence internationale, le retrait américain s’inscrit dans un contexte qui n’est en rien lié à l’islam, qu’il soit activiste en général ou somali en particulier. La décision n’a résulté que du choix du président Bill Clinton, entérinant la volonté de son opinion publique, choquée par le spectacle des soldats pakistanais tués, mutilés et exposés et surtout par celui du corps du militaire américain traîné dans les rues de Muqdisho. Aussi n’est-ce qu’après avoir procédé à un constat d’échec de l’opération que les Nations unies qui ont perdu avec les 1
L’article 49 qui confirme l’usage somali de respecter l’âge établit que la première réunion du TNC sera présidée par le membre le plus âgé et que le président « définitif » sera élu cette occasion. 2 KAPUNGU, Leonard. Transmission of the Draft Tansitional Charter. Memorandum à l’amiral Howe. 8 novembre 1993
Américains leur principal contributeur en viendront à leur tour après quelques ultimes tentatives à décréter leur retrait. Contrairement à ce qu’il a parfois été avancé donc, l’islam radical n’est absolument pas lié à cette décision. Le seul événement qui aurait pu fonder une telle allégation est l’attaque terroriste perpétrée le 26 février 1993 contre le World Trade Center. Cette attaque qui n’a pas eu les conséquences que ses auteurs en attendaient a prévenu les États-Unis sur le risque islamiste. Pour autant, il est resté sans corrélation aucune avec un islam radical somalien dont les Américains ignorent presque tout, dont ils n’ont aucune compréhension et qui en effet ne présente pas une menace patente. Même pour les chefs de factions, enclins à ratisser large, les islamistes, défaits à chacune de leurs velléités d’imposer un ordre salafiste, restent avant tout une force d’appoint.
La Qāʿida, le positionnement d’un prisme déformant Leur dangerosité n’en est pas moins bien réelle. Dans le monde, au Proche et au Moyen-Orient, mais en Europe et en Amérique aussi, de nombreux groupes musulmans radicaux s’organisent. Il leur manque encore un symbole, un σύμβολον au sens exact du terme, un élément rassembleur. Il est lui-même en coalescence, il s’appellera, il s’appelle déjà al-Qāʿida, « la base ». En effet, en Afrique de l’Est, bien que sans relation avec l’affaire de New York, un personnage juge pour lui venu le moment de sortir de l’ombre. ‘Usāma ben Lāden dont la présence à Kharṭūm va rapidement susciter une sorte de vague de fond. Au fil d’interprétations parfois fantaisistes et souvent ambiguës de son activité, sa présence au Soudan – où il réside en fait depuis 1991 – apparaît en surimpression du retrait des Nations-Unies. Une maladresse doublée d’une manipulation de l’information conduit la société internationale à opérer à son propos certaines associations d’idées. Comme il en va souvent avec les processus médiatiques, bien que fallacieuses, mais assidûment réaffirmées, elles vont finir par sembler de moins en moins erronées à une opinion publique par nature assez docile à l’égard de ce qui ne la concerne guère. C’est pourquoi, peu à peu, l’ensemble de la société somalie se trouve stigmatisé au point que l’imaginaire collectif l’identifiera dans son ensemble avec le terrorisme international. Pourtant, la fatwā1 lancée en octobre 1993 par ‘Usāma ben Lāden et appelant à attaquer les intérêts occidentaux en Somalie n’apparaît à la plupart des observateurs que comme une tentative de récupération par la Qāʿida de l’affaire de Maalintii Rangers. On peut certes tenir pour assuré que ce revers des Nations unies n’a pas causé grand chagrin aux 1
Une fatwā ﻓَ ْﺘﻮی. n’est d’un avis juridique donné par un docteur de la foi. En tant que tel, le terme n’a pas le sens de « condamnation », encore moins celui d’une sorte de mandat collectif en vue d’un assassinat. D’un point de vue religieux, ‘Usāma ben Lāden n’a aucune légitimité à prononcer une fatwā.
mujahidūn ; de là en revanche à leur en attribuer le mérite ou la responsabilité, il y a un pas difficile à franchir. La part de la Qāʿida dans cette affaire pourrait tout juste relever du soutien matériel permis par les subsides accordés par le mouvement terroriste. En effet, s’il n’est pour rien dans le processus qui a conduit à l’affaire des Black Hawk down, il est en revanche très probable que ‘Usāma ben Lāden a d’ores et déjà versé quelque 3 millions de dollars destinés à favoriser l’établissement en Somalie d’un État islamique administré par l’Itixaad. Mais malgré tout, les résultats de la Qāʿida dans le processus anti-occidental seront encore loin d’être déterminants au moment où l’ONUSOM lève son dispositif. La raison en est tout d’abord que, manifestement, ce ne sont pas tant les Somaliens qui s’intéressent à la Qāʿida que la Qāʿida qui s’intéresse à la Somalie, havre potentiel dans la perspective de déboires futurs. Les accointances somaliennes ne relèvent pour leur part que de l’opportunisme. Il faudra attendre plusieurs années encore pour que l’idée terroriste fasse véritablement son chemin et soit définitivement admise par les salafistes somaliens même les plus engagés dans la voie du jihād. Jusqu’à ce que des combattants non somaliens soient parvenus à les infiltrer au point de s’emparer des centres de décisions du mouvement, la Qāʿida ne trouvera en Somalie qu’un refuge inhospitalier, au mieux une base de repli, des complicités assurément, voire quelques rares affidés pouvant être comptés sur les doigts de la main. Encore que parmi les organisateurs des attentats à venir, perpétrés à partir de la Somalie, on relèvera surtout un Fāḏul ʿAbdulla Muḥammad de nationalité comoro-kenyane ou un Libanais comme Wadīʿ al-Ḥājj. Le rôle des Somaliens restera en revanche et reste encore difficile à établir. Il reste que le manque de vigilance de la communauté internationale, monde musulman au premier chef laisse se développer parmi la jeunesse un abcès. Au sein d’une société somalienne fragilisée, la guerre civile a faire perdre aux citadins nombre de repères traditionnels structurants. Leur désarroi est relayé par celui de Somaliens immigrés certains la tête remplie de rancoeurs, d’autres le cœur rempli d’un idéal malheureusement dévoyé.
Nations unies : la voie du renoncement Tandis que les acteurs occidentaux et asiatiques de l’opération internationale commencent sérieusement à envisager leur repli, les instances régionales qui s’étaient mises en retrait face à la machine de l’ONUSOM s’emploient maintenant à réinvestir l’espace diplomatique en vue de trouver une solution au problème somalien. Ainsi au cours du mois d’octobre 1993, le Président éthiopien – toujours quelque part préoccupé par ses propres Somalis – obtient le soutien du Soudan, du Kenya et de la République de Djibouti sur le thème de la
tenue immédiate d’une conférence de réconciliation. Boutros Ghali préférerait voir l’exercice se tenir à Nairobi mais le ministre éthiopien des Affaires étrangères, Seyum Mesfen1, l’a précédé en faisant savoir dès le 26 qu’un envoyé spécial en préparait déjà le déroulement. Cette initiative se tiendrait parallèlement à la 4e conférence humanitaire sur la Somalie qui doit se dérouler à Addis Abäba à la fin du mois de novembre, sous l’égide des Nations unies. Depuis Hargeysa, le président du Somaliland y va également de sa proposition de médiation2. Maxamed Cigaal propose la formation d’un comité neutre de 21 dignitaires somalis provenant à parts égales de Djibouti, du Somaliland et de la Région Cinq éthiopienne. Ce comité pourrait se réunir à Djibouti, Deré Dewa ou Hargeysa afin de planifier une mission de réconciliation qui le conduirait dans les principales villes et régions de Somalie à la rencontre des chefs de faction et des notables. Mais cette proposition ne paraissant opportune à personne, elle ne sera ni retenue ni même évoquée.
Les Résolutions 885 et 886 : l’avenir du système [16 & 18.XI-1993] En attendant, comme convenu à la fin du mois d’octobre, le Secrétaire général adresse le 12 novembre au Conseil de sécurité un rapport faisant un point sur la situation en Somalie 3 ainsi qu’un retour plus large sur l’ensemble de l’opération. Il y établit surtout à la lueur de ses entretiens avec les hauts responsables de la région, les trois options qui lui semblent désormais s’offrir à l’ONUSOM4 : - La première consiste à laisser l’actuel mandat inchangé mais en s’abstenant soigneusement de tout recours à la coercition. Cette option conserve l’avantage psychologique lié à la présence d’une force puissante5 qui seule peut tenir les miliciens sur leurs gardes et garantir la poursuite des opérations de désarmement ; naturellement cette option nécessite de remplacer les troupes dont le retrait a été décidé par leur gouvernement voire de les renforcer d’une brigade ; - La deuxième hypothèse consiste à admettre que l’opération ne recourra à la force que dans le cadre de la légitime défense, en accord avec les pratiques ordinaires du maintien de la paix ; cette option ne nécessiterait le remplacement ni du contingent américain qui doit se retirer le 31 mars, ni de ceux qui ont prévu de se retirer peu après. Le volume de forces nécessaire se limiterait à 16 000 1
ስዩም : መስፍን : ገብረ : ድንግል ፥ [seyum mäsfen gäbrä-dengel]. Il restera le ministre éthiopien des Affaires étrangères de 1991 à 2010. 2 Radio Hargeysa, 15 novembre 1993 3 On y relève notamment que six conseils régionaux et 39 conseils de districts sont maintenant en place. 4 Rapport du Secrétaire général S/26738 du 12 novembre 1993 5 e Renforcé au cours du 2 semestre de 1993, il est fin novembre de 29 284 hommes pour un budget annuel tournant autour du milliard de dollars. Ces chiffres n’incluent pas les 17 700 hommes de la US Joint Task Force in Somalia.
hommes : une brigade déployée à Muqdisho, une autre assignée à la protection des convois et une autre encore à la sécurité des réfugiés et aux urgences ponctuelles ; - la troisième option consisterait à se limiter à assurer le contrôle des ports et des aéroports importants du pays ainsi que la sécurité des couloirs humanitaires. Dans l’immédiat, le Secrétaire général demande au Conseil de sécurité de proroger jusqu’au 31 mars 1994 le mandat existant et de ne prendre qu’alors sa décision, en fonction de l’évolution de la situation. Le rapport de Boutros Ghali dont il ne peut être question de mettre en cause la profonde humanité, sent la déception et le désenchantement, un chagrin même, impression peu commune dans un document de ce type. Beaucoup de réserves ont été émises à l’encontre de l’action du diplomate égyptien. Mais même si l’on partage nombre de ces critiques, on ne peut non plus omettre les nombreux arguments à sa décharge. Parti d’une perception idéalisée de l’après-Guerre froide, Boutros Boutros Ghali s’est trouvé engagé en Somalie sur le pire des théâtres. La présence historique du Caire dans la Corne procède de cette vision du Quart Nord-est développée un siècle plus tôt par le khédive Ismaʿīl1. A cela ne peut échapper celui qui il y a peu encore était le ministre des Affaires étrangères du gouvernement égyptien. Copte de surcroît donc chrétien, il lui faut aussi composer avec toutes les variétés de l’islam régional, une tâche par essence malaisée pour qui a ses racines à la fois à deux pas de l’université al-Azhar2, la plus haute autorité de l’islam sunnite, et dans le berceau cairote des Frères musulmans. Pour l’heure, Boutros Ghali suggère deux résolutions au Conseil de sécurité qui entérine ses propositions. La première vise à acquérir des éléments de réflexion suffisants, propres à étayer des décisions ultérieures et à créer une atmosphère favorable à l’apaisement des tensions. A cet effet, la Résolution 885 du 16 novembre autorise d’une part la constitution d’une commission chargée d’enquêter sur les attaques menées à l’encontre de l’ONUSOM et d’autre part suspend les mandats de recherche établis par la Résolution 837. La seconde, la Résolution 886 du 18 novembre 1993, proroge jusqu’au 31 mai 1994 le mandat de l’ONUSOM. Elle demande aussi au Secrétaire général de soumettre pour le 15 janvier une proposition pour le futur de l’ONUSOM II de sorte que dès le 1er février le Conseil de sécurité soit en mesure d’entreprendre une révision fondamentale de son mandat. Le 23 novembre, Boutros Ghali désigne également les trois membres de la commission qui seront chargés d’enquêter sur les attaques menées le 5 juin contre les Casques bleus de l’ONU. Comme on pouvait s’y attendre, Maxamed Caydiid refuse sans hésiter de coopérer avec une 1
FONTRIER, Marc. Abou Bakr Ibrahim, pacha de Zeyla, marchand d’esclaves. Commerce et diplomatie dans le golfe de Tadjoura (1840-1885). L’Harmattan, Paris 2003 2 [ar. ﺟﺎﻣﻌﺔ ﺍﻷﺯﻫﺮ ﺍﻟﺸﺮﻳﻒjāmaʿat ul-’azhar ash-sharīf ]
institution nommée par le Secrétaire général, en dépit d’une correspondance somme toute courtoise entre la Commission et le général somalien1. Une erreur technique et tactique du chef de la SNA par ailleurs, car le document remis se révélera exemplaire par son souci d’objectivité, la finesse de ses analyses et la pertinence de ses mises en garde en vue d’autres opérations. Rendu le 24 février 1994 par ses trois rédacteurs, le texte de 95 pages, particulièrement documenté ne sera officiellement avalisé et publié sous le timbre des Nations unies que le 1 er juin2. Il constitue incontestablement la pièce la plus judicieuse en vue de la compréhension des événements qu’il rapporte.
4th Coordination Meeting on Humanitarian Assistance in Somalia [29/31.XI-1993] A la fin de ce même mois de novembre se réunit à Addis Abäba sous la présidence de Jan Eliasson, Secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des Affaires humanitaires, la 4e Conférence de coordination de l’assistance humanitaire en Somalie. Une réunion informelle des donateurs placée sous l’égide de la Banque mondiale s’est réunie le mois précédent à Paris, le 22 octobre, afin de débattre d’un plan de reconstruction et mettre en forme une proposition. Depuis un bon moment déjà, les agences des Nations unies ont conçu des hypothèses qui sont restées dans les cartons, la situation politico-militaire ne se prêtant pas à leur mise en œuvre. Les projets visant à la relance des administrations et des services sociaux sont toujours difficiles à organiser sans l’assentiment des factions. Dans les zones apaisées en revanche, les réalisations progressent. Dans le Nord et le Nord-est, les plus vigilants au sein de la société internationale ont tôt fait d’identifier les bons élèves. On y remarque les nombreux projets développés par l’Allemagne en pays Majeerteen où Bonn vient de donner son accord à l’envoi de 30 officiers afin d’y former l’encadrement d’une police. L’opération porte sur 3 millions de deutsche marks pour une aide totale au Nord-est qui s’élève à 16 millions. Elle concerne également en effet la reconstruction de logements, la promotion de l’élevage, la remise en état des services sociaux, des activités médicales et vétérinaires, la réhabilitation des points d’eau. L’Allemagne a d’autres projets encore dans ses cartons tels que le financement d’une assistance technique, des opérations de formation et des prêts pour la réinsertion des réfugiés.
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La commission est composée du Zambien Matthew Ngulube, du Ghanéen Emmanuel Erskine et du général finlandais Gustav Hagglund. Boutros Ghali décide par ailleurs d’établir un secrétariat exécutif séparé dirigé par Winston Tubman, ancien ministre de la Justice du Liberia. Lettre du Secrétaire général S/26823 du 1er décembre 1993 2 S/1994/653 du 1er juin 1994
Pour sa part, le PNUD élabore un projet d’assistance financière en vue de la réhabilitation de cinq ports : Marka, Baraawe, Kismaayo, Boosaaso et Berbera, la relance du port de Muqdisho devant faire l’objet d’une étude séparée. Les missions d’experts ont déjà visité les sites et la société Hamburg Port Consultants a été approchée pour prendre en charge leur gestion et fournir les équipements nécessaires aux opérations de chargement, de déchargement et de manutention des marchandises. La première phase du programme d’un coût de 12,5 millions de dollars concernera les ports de Kismaayo pour 4,7 millions, Berbera pour 4,25 et Boosaaso pour 3,1 millions. Jan Eliasson qui doit quitter son poste en janvier souhaite faire de cette 4e Conférence « un exemple de diplomatie humanitaire » permettant la reprise du dialogue entre les factions et relançant sur de nouvelles bases l’action des Nations unies en Somalie. Quant à Mälläs Zénawi qui prononce le discours d’ouverture, il lance un appel puissant enjoignant les chefs de factions à la réconciliation plutôt que de « combattre pour le gouvernement du pays jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de pays à gouverner ».1 Les sujets abordés sont évidemment de toutes natures dans un environnement aussi ruiné et où tout reste à faire : poursuite de l’aide d’urgence, reconstruction et réhabilitation d’ouvrages, reconstruction institutionnelle et économique, gouvernance, autant de sujets dont il conviendrait que s’emparent les Somaliens eux-mêmes. Car les participants reconnaissent d’emblée que la Somalie se trouve à la croisée des chemins : soit s’engager dans la reconstruction d’une société civile, soit retourner au bourbier des luttes factionnelles et à la famine. C’est pourquoi la création de structures institutionnelles représentatives et fiables apparaît à tous comme la pierre angulaire de tout espoir de redressement. La déclaration qui conclut la conférence déplore l’absence des principaux chefs de faction. En effet ni Maxamed Caydiid ni Cali Mahdi n’ont rejoint l’Africa Hall. Le premier y a été représenté par Cumar Jees, missionné pour solliciter l’intercession du président éthiopien auprès de l’ONUSOM en faveur de la libération des membres de la SNA dont le financier du mouvement, Cismaan Caato. Pour sa part, Cali Mahdi a envoyé une délégation qui profitant de l’occasion s’attache à renforcer ses liens avec les autres factions opposées à la SNA. Elle met en revanche en exergue la disponibilité de nombreuses régions à créer les conditions nécessaires à la réhabilitation, voie sur laquelle les donateurs s’affirment prêts à les accompagner2.
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AFP, 30 novembre 1993 th Declaration of the 4 Coordination Meeting on Humanitarian Assistance for Somalia du 1er décembre 1993 in The United Nations and Somalia -- 1992-1996. The United Nations Blue Bks. VIII. UN Publications, 1996, pp. 339-342.
2
La réunion des chefs de faction [2/11.XII-1993] Conformément à la proposition formulée en octobre par le Président éthiopien avec l’assentiment des chefs d’État de la sous-région, une nouvelle tentative visant à catalyser un processus de réconciliation nationale est aussi entreprise à la suite de la 4e conférence humanitaire Le chef Abgaal rejoint personnellement Addis Abäba le 1 er décembre tandis que les autorités éthiopiennes s’activent toujours pour y faire venir le général Caydiid. Finalement, c’est à bord d’un avion militaire américain que celui-ci gagne la capitale éthiopienne dans la soirée du 4 décembre. Il est reçu le jour même par le président Mälläs Zénawi et déclare d’emblée que, pour la SNA, les discussions informelles prévues ici même entre les factions devraient conduire à un accord sur la formation du Transitional National Council (TNC) et définir la date et le lieu d’une conférence de réconciliation qui ne peut se tenir qu’à Muqdisho. Rencontrant également Robert Oakley, le général lui fait aussi savoir sa ferme opposition à la création par l’ONUSOM des conseils régionaux et des districts dans les territoires contrôlés par son mouvement. Le représentant américain lui exprime alors son intention de voir les Nations unies reconsidérer leur position sur ce point précis et s’engage également à tenter d’obtenir la libération des partisans de la SNA encore détenus par les forces de l’ONU. Terrifié par le retournement d’attitude des États-Unis et de l’ONUSOM à l’égard de son adversaire, Cali Mahdi en est réduit à tenter d’élargir ses alliances et à renforcer le potentiel militaire de sa faction en vue d’un affrontement qu’il juge déjà inévitable. De son côté, soutenu par l’Éthiopie, Caydiid propose de se réunir dès janvier 1994. Le général compte bien profiter de conférence pour contrer la stratégie politique de l’ONUSOM qui, hors Nord-ouest, a maintenant installé des conseils dans 13 des 18 provinces. Il est vrai que ces embryons d’un futur et très hypothétique pouvoir politique ont bien du mal à survivre ; non seulement l’ONUSOM qui n’en a pas les moyens ne leur a pas octroyé la ressource matérielle nécessaire à leur fonctionnement mais encore la SNA s’emploie à créer partout où cela lui est possible ses propres conseils régionaux, souvent fantômes, mais en tous cas alternatifs à ceux des Nations unies. Du 2 au 11 décembre, les représentants des deux principales alliances se rassemblent néanmoins pour tenter de discuter des différends qui les séparent. Mais en dépit des avertissements des représentants de la communauté internationale qui attirent leur attention sur le fait qu’un échec pourrait conduire au retrait de l’aide étrangère, ils ne parviennent à se mettre d’accord sur quelque point que ce soit. Manquant d’un ordre du jour précis, la réunion politique, informelle, entre presque immédiatement dans une impasse dès après que la participation des Nations unies au processus de réconciliation nationale a été contestée. Adossée à ses positions, la SNA insiste pour que l’ONUSOM ne joue aucun rôle dans la réconciliation politique préférant s’en remettre à
l’arbitrage des pouvoirs régionaux. A contrario, le groupe de Cali Mahdi se prononce sur son maintien et l’implication des Nations unies dans le processus politique. Les différences cependant ne se limitent pas à cela. La SNA souhaite que l’accord d’Addis Abäba soit amendé alors que le groupe des 12 estime qu’il ne doit pas être touché. Corollaire de cette divergence, Caydiid souhaite qu’il soit procédé à une révision fondamentale du statut des conseils régionaux et des conseils du district qui ont été établis alors que Cali Mahdi reconnaît pleinement leur légitimité. Même sur le format d’un forum approprié à la réconciliation nationale les opinions divergent : la SNA propose de convenir d’un rassemblement à Muqdisho pour une réconciliation nationale dans la première moitié de janvier, proposition récusée par ses interlocuteurs. Ainsi, aucune structure propre à mettre les deux dirigeants Hawiiye face à face en vue des négociations ne parvient à être élaborée. Maxamed Caydiid se plaint aussi d’une certaine stratégie des Nations unies qui inciterait les alliés de Cali Mahdi à entreprendre des actions visant à l’exclure du processus de réconciliation nationale. Ces différences de perspectives sur des points essentiels rendent finalement impossible toute discussion véritable. Le 8 décembre, intervenant dans le débat afin de sortir de l’impasse, le président éthiopien propose qu’il soit créé un comité. A partir de sa propre expérience au moment de l’arrivée au pouvoir de l’EPRDF, Mälläs Zénawi ne cache pas sa préférence pour la « solution Caydiid ». Jugeant qu’après avoir battu les Nations unies et les Américains, le chef de la SNA était le plus puissant des chefs de factions, il estime qu’il est le mieux à même de contrôler le pays. Aussi est-ce sur les alliés de Cali Mahdi qu’il tente d’agir en leur suggérant de se ranger aux vues du général. Appuyant également la demande de libération des huit prisonniers retenus par l’ONUSOM, il propose que soient remis en question les conseils de districts et de régions institués sous l’égide des Nations unies en acceptant le principe d’une nouvelle conférence de réconciliation. De telles conditions sont inacceptables par les Abgaal et leurs alliés arc-boutés sur les accords conclus six mois plus tôt. Mais l’Éthiopien est plus fin que cela. La SNA ayant boycotté les conseils mis en place par les Nations unies et réclamé leur dissolution – au moins dans les zones sous son contrôle – le président Mälläs suggère aux responsables de New York un concept nouveau, la natural survival of the regions dont l’idée de base est la suivante : la faction somalienne qui parvient à assurer la sécurité d’une région doit en être reconnue comme l’autorité politique légitime et bénéficier à ce titre du soutien des Nations unies. Cette suggestion est jugée par les délégués de New York trop partisane pour être retenue. L’appui éthiopien au général Caydiid inquiète en particulier l’Égypte qui de son côté en tient pour les factions proches de Cali Mahdi ; or Boutros Ghali, tout Secrétaire général qu’il est n’en reste pas moins égyptien. Les consignes sont donc données. Les diplomates du Caire en poste à Addis Abäba se chargent par exemple de fournir des passeports
égyptiens aux délégués de Cali Mahdi, afin que tous puissent être présents à la conférence de réconciliation qu’eux espèrent voir se tenir au Caire au début du mois de janvier1. Mais, après Addis Abäba, que ce soit au Caire, à Nairobi où à Muqdisho, dans ce triangle des Bermudes vont s’abîmer au cours de l’année 1994 les bonnes volontés des chefs d’État de la région, résolument incités à soulager les Nations unies du fardeau diplomatique de la normalisation somalienne. Le pessimisme qui a gagné les milieux diplomatiques occidentaux engendre la conviction qu’à la suite du retrait des troupes américaines en mars 1994, l’opération en Somalie serait rapatriée avant la fin de l’année. Dans ces conditions, il semble à beaucoup que la conférence qui vient de s’achever ait très peu de chances d’engendrer à court terme un accord politique entre les factions. En tous cas un accord qui se révélerait plus pérenne que ne l’aura été le précédent, obtenu en mars à Addis Abäba pour être immédiatement bafoué à Muqdisho. La tentative éthiopienne, en dépit d’une certaine complicité américaine, se solde encore une fois par un échec. Mais il y a aussi, bien au-delà des chancelleries, une opinion internationale incrédule et désemparée, gagnée par la lassitude et déconcertée par la violence de ce peuple dont elle ne peut comprendre les comportements.
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LOI n°604, 25 décembre 1993
VIII – 1994 : LA NOUVEL ENVIRONNEMENT DES FACTIONS
Les États-Unis ayant annoncé l’imminence de leur départ, il en résulte dans les esprits que c’est du démontage de l’opération des Nations unies qu’il s’agit. Or pour l’heure, non seulement les troupes sont toujours là, mais elles n’ont jamais été aussi nombreuses. Et si à Muqdisho, elles ne se risquent plus guère à la moindre action, en province, elles assurent toujours une présence dissuasive. À défaut de les empêcher complètement, elles parviennent à circonscrire les flambées de violence qui çà et là ne manquent de se produire. Toujours est-il que chacun suit son propre chemin, dans un déroulé où l’action des uns effleure plus l’action des autres qu’elle ne se conjugue avec. Ainsi, dans cette partie en crise de la Somalie, jusqu’au désengagement des États-Unis au moins, on observe trois processus concomitants : - le repositionnement des Nations unies qui visent à circonscrire leurs efforts autour de deux registres : la recherche d’un compromis à l’ouest du fleuve Jubba et sur la côte du Banaadir d’une part et le soutien au travail de ses agences aux côtés des ONG d’autre part ; - les remises en question qui se développent au sein de la société Hawiiye, société traditionnelle certes, mais surtout ses émanations factionnelles et leurs alliés ; - les tentatives de rapprochement entreprises par les acteurs régionaux avec notamment le repositionnement de l’acteur kényan.
LA NOUVELLE SITUATION DES PROTAGONISTES SOMALIENS Observons tout d’abord l’état du monde Hawiiye en cette fin d’année 1993, alors qu’aucun chef de faction n’a bien sûr renoncé à ses ambitions politiques. Un moment aussi qui coïncide avec une transformation du paysage économique de sorte que les nouveaux paramètres tendent à transformer de manière de plus en plus patente la violence politique en criminalité ordinaire.
Fragilité politique de Cali Mahdi et économique de Caydiid De la confrontation maintenant suspendue, Cali Mahdi est sorti très affaibli. Lâché à la fois par les Nations unies et par les États-Unis, il est maintenant contesté au sein de son propre lignage. Si sur le plan pécuniaire il est considérablement mieux loti que Caydiid, il reste que l’essentiel du contrôle de la capitale lui échappe. La plupart des membres de son gouvernement sont à l’étranger et un débat bilan s’est ouvert au sein des clans Abgaal sur ses premières années de présidence. Une opposition se manifeste, plus agressive à son encontre. Elle est conduite par Cali Ugaas Cabdulle, l’ancien maire de Muqdisho et chef des clans Wacbuudhan, ainsi que par Xuseen Kulmiye Afrax, un ancien vice-président de la République qui a réussi à prendre l’ascendant sur les familles Waceysle, grandes pourvoyeuses de miliciens. Mais si Cali Mahdi continue à bénéficier de l’appui de son clan, les Harti Abgaal, et de celui des Muruursade, c’est le soutien politique italien de la Farnesina, mais aussi celui de la Mafia qui assurent ses arrières financiers1. Pour ceux-ci, tout est préférable à Maxamed Caydiid, avec lequel ils n’ont jamais eu de véritables accointances et qui est entre autres coupable d’avoir mis en cause le PSI dans l’affaire des détournements de fonds de la coopération avec la Somalie. Pour sa part, le chef de la SNA joue pour l’heure de patience avant de se jeter à nouveau sur son adversaire Abgaal qui se prépare également aux affrontements futurs. Toutefois, si le prestige du général est grand désormais parmi les Somaliens, les affrontements de 1993 lui ont coûté cher et, pour la SNA, la situation économique est tendue. Les réserves du général en munitions et en liquidité, il lui faut payer ses miliciens, ont considérablement baissé et hors le Soudan et maintenant la Libye, les soutiens à l’extérieur sont rares. Un constat préoccupant quand le contexte exige de disposer à tout moment d’un nombre suffisant de miliciens c’est-à-dire des moyens nécessaires à leur entretien. Or la capture de Cismaan Caato contribue à rendre les choses difficiles. Faute d’un banquier, la plus grande partie des revenus proviennent de la pression exercée sur les vendeurs des marchés, en échange de 1
BRIQUET, Jean-Louis. Mafia, justice et politique en Italie : L’affaire Andreotti dans la crise de la République (1992-2004). Karthala, Paris 2007.
protection. Les résidents des zones contrôlées doivent ainsi payer leurs 500 shillings par jour à la milice locale. Alors qu’une telle situation rend l’apaisement précaire, Caydiid est aussi pressé par les notables de son propre lignage afin qu’il négocie avec l’ONUSOM un règlement des contentieux réciproques. Le débat au sein des clans vise à le convaincre de convertir le cessez-le-feu en une paix plus définitive. Or une telle demande ne peut entrer dans la stratégie du général puisque précisément, il entend reléguer l’ONUSOM II dans un rôle humanitaire et l’exclure de toute implication politique. Pour éviter d’y souscrire, il avance que ses opposants s’arment contre lui. Un argument non dénué de fondement d’ailleurs puisque Cali Mahdi et Maxamed Moorgan se sont même rencontrés au cours du mois de novembre afin d’élaborer une manœuvre conjointe à son encontre. Persistant dans son rejet de tout contact avec l’ONUSOM pour laquelle il n’éprouve que détestation et mépris, Caydiid à partir de la fin 1993 tente – avec un succès inégal – de reprendre l’attache des États-Unis dont il est prêt à parier sur le réalisme politique. Au plan intérieur, il a stabilisé avec succès la région Habar Gidir en y instituant ses propres conseils de région et de district. Il a également passé l’année précédente un accord de paix avec les Mareexaan de la région centrale et sa gestion de l’accord avec les Majeerteen à Gaalkacyo demeure un succès. Pourtant, au regard des Occidentaux, le général ne renvoie plus que l’image d’un militaire autoritaire, cruel et obstiné. Déjà réputé impitoyable, il est présenté au terme des derniers événements comme l’unique responsable d’une situation qui ne fait que renforcer sa réputation d’intransigeance auprès de la communauté internationale. Pourtant, profitant du prestige de ses dernières victoires, son activité depuis le cessez-le-feu est consacrée à deux questions fondamentales qui visent à remettre sur pieds un État : établir des contacts avec tous les autres fronts armés afin de préparer une conférence de réconciliation nationale et mettre en place ses propres structures administratives dans toutes les zones Hawiiye sous son contrôle. L’inconnue alors est la suivante : va-t-il attendre jusqu’au retrait des forces américaines ? Peut-il entreprendre avec l’ONUSOM un dialogue sérieux alors qu’il s’emploie dans le même temps à établir un gouvernement à l’extérieur de la capitale et à miner les conseils de district mis en place précisément par l’ONUSOM ?
Le réarmement général : acquisition d’armes et de munitions Rien ne paraissant donc devoir se régler, les deux côtés procèdent à leurs réapprovisionnements en matériels de guerre. Beaucoup de rumeurs courent sur le sujet, à New York notamment. Des rapports non confirmés indiquent qu’avec la caution des milieux fondamentalistes de Muqdisho, le colonel Cumar Jees et d’autres cadres de la SNA se seraient récemment rendus en Iran et au Soudan pour obtenir l’assistance de leurs gouvernements dans le combat mené contre
les Nations unies. Une allégation plausible dans la mesure où les fondamentalistes radicaux sont sur la même ligne que Caydiid quand ils cherchent un total retrait de la force internationale. D’autres soutiens du général encore sentent le soufre. Il attend par exemple un bateau affrété en Libye. Muʿammar al-Qaḏḏāfī, impressionné par le recul américain, et qui le qualifiait naguère « d’agent ayant permis aux troupes américaines de se déployer en Somalie » a ordonné maintenant aux médias officiels tripolitains de traiter celui-ci en héros national. Dans le registre de l’armement, parmi les rapports qui se désolent de l’inefficacité de l’embargo, certains font état d’un approvisionnement de la SNA en mines, d’autres, avérés ceux-là, de petits bateaux ayant déchargé des armes et des munitions à Hobyo. Autant d’efforts consentis parce que Caydiid chercherait à monter à 4 000 le nombre de ses miliciens. Comme à l’accoutumée, les hôpitaux sont des lieux de stockage privilégiés. Complexe hospitalier de Madina, hôpital Banaadir, hôpital Digfer, mais aussi la fabrique de pâtes, dans les quartiers au nord de l’avenue du 21 Octobre, l’hôtel Olympic et le suuq Bakaaraha bien sûr. Ainsi, des arsenaux se mettent partout en place dans la capitale, au nez et à la barbe de l’ONUSOM. Dans les zones situées autour du port et de l’aéroport, le phénomène est patent et une véritable course se déroule : Les Habar Gidir y acheminent milices et munitions pour être en mesure de s’emparer de ce secteur stratégique dès que les combats viendraient à reprendre. En contrepartie, Abgaal et Muruursade ne veulent pas être pris de vitesse par les autres lignages. Dans la zone de l’École polytechnique, les clans Boon craignent d’être massacrés s’ils s’engagent d’un côté ou de l’autre. Aussi le plus sage leur semble en l’occurrence de prendre des précautions et d’acquérir également des armes tant qu’il en est encore temps. Les trafics s’inscrivent dans le cadre de procédés et de procédures mêmes rodés. Au début du mois de mars 1993 par exemple, un navire grec, le MARIA avait été intercepté alors qu’il acheminait en Somalie 400 tonnes d’armes serbes qui devaient être déchargées au sud du Kismaayo sans qu’il ait été clairement établi la milice à laquelle elles étaient destinées. Il s’agissait quand même du cinquième bateau intercepté en moins de trois mois. C’est pourquoi les Nations unies avaient souhaité déployer des troupes à Boosaaso, soupçonné à juste titre d’être un point d’entrée privilégié de l’approvisionnement en armes. Mais un phénomène nouveau apparaît également, forme de terrorisme embryonnaire, dont personne n’est encore en mesure de véritablement préciser la nature. Il se traduit en particulier par les enlèvements d’étrangers. Trois Italiens et deux Britanniques ont en effet été capturés puis libérés après des négociations avec leurs ravisseurs. Des attentats à la grenade ont été perpétrés contre des locaux d’ONG occidentales en plusieurs points du pays, Muqdisho, Beledweyne, Baydhabo et Kismaayo. Ces attentats conduisent celles-ci à réduire leur personnel voire à se retirer du pays. Les 9 et 12 février 1994, le CICR et la CroixRouge allemande, trop harcelés quitteront ainsi la province du Hiiraan.
Le shir nabadeed des Hiraab [13/16.I-1994] À leur retour d’Addis Abäba, les douze factions alliées de Cali Mahdi entreprennent d’organiser à Muqdisho et en province des réunions d’information afin d’expliquer leur vision des choses ainsi que les démarches à accomplir en vue de leur réalisation. Réunies au préalable du 13 au 18 décembre, elles émettent une résolution et proposent un plan d’action provisoire. Celui-ci appelle à l’établissement d’un groupe de contact permanent avec la SNA propre à accélérer la mise en oeuvre de l’accord d’Addis-Ababa1. En cette fin d’année 1993, autour des deux principales factions USC, les alliances claniques se nouent approximativement de la façon suivante : - Autour de Maxamed Caydiid se rassemblent au sein de la SNA les Habar Gidir des lignages Sacad, Cayr, Saruur et Duduble, une majorité des Saleebaan ainsi que les Gaaljecel, les Sheekhaal,2 les Biyomaal et quelques clans Xawaadle ; - Autour de Cali Mahdi au sein de la SSA, les principaux lignages Mudulood Darandoole - Abgaal, Ujejeen, Wacdaan, Moblen – et les Muruursade depuis janvier 1992, ainsi que quelques clans des Habar Gidir Saleebaan et des Xawaadle. Cette géographique politique met en évidence que tout progrès dans le processus de paix ne peut que résulter d’un minimum d’entente entre les deux lignages majeurs. C’est pourquoi, faisant suite à la démarche entreprise en octobre auprès de l’ONUSOM et qui avait clairement montré la position réelle de Caydiid parmi les siens, 176 notables représentants les lignages Hiraab du faisceau Hawiiye se réunissent à nouveau, à huis clos, à l’hôtel Kaah dans le Nord de Muqdisho, du 13 au 16 janvier 1994. Cette conférence organisée par l’iimaan des Hiraab, Maxamuud iimaan Cumar, réunit en particulier les représentants Habar Gidir et Abgaal sur lesquels s’étend son autorité morale3. De leurs conversations ressort un accord de paix en huit points dont la rédaction a été confiée à 19 notables représentant l’ensemble des lignages du faisceau. Il porte sur un engagement de tous à résoudre de manière pacifique les conflits au sein du faisceau lignager, la restitution
1
Parallèlement à cet effort, d’autres initiatives sont également prises au niveau régional en pays non Hawiiye, à Garoowe par exemple dans le Nord-est ou à Buulo Xaaji et à Baardheere, dans la vallée de la Jubba. 2 La place des Sheekhaal est particulière dans le faisceau lignager des Hawiiye où ils portent une dimension spirituelle. C’est à partir de leurs clans que s’est implanté l’Islaax dans la société somalie par l’intermédiaire de sheekh Maxamed Axmed Cumar Gadhyare, premier diplômé somalien de l’Université islamique, la Munawara à Médine [ar. ]ﺍﻟﺠﺎﻣﻌﺔ ﺍﻹﺳﻼﻣﻴﺔ ﺑﺎﻟﻤﺪﻳﻨﺔ ﺍﻟﻤﻨﻮﺭ ﺓ. Plutôt présents en Ogadén et dans le North Eastern District kényan, ils sont peu nombreux en Somalie, ce qui éclaire d’un jour particulier cette désignation au comité. 3 Sur le lignage des Hiraab, cf. infra p. 483
des propriétés immobilières à leurs propriétaires légitimes, la sécurité des axes routiers dans la capitale et le renforcement de l’application de la šarīʿa. Un comité de neuf membres est constitué pour veiller à l’application de cet accord. Il comprend sept Abgaal, sept Habar Gidir et deux Sheekhaal, signe patent de l’immixtion de l’Islaax islamiste au sein des autorités traditionnelles Hawiiye. Les conclusions de la réunion, clôturée par l’iiman Maxamuud, emplissent de joie les habitants de la capitale1. L’enthousiasme est partagé ; le porte-parole de l’ONUSOM, George Bennett juge bienvenu l’accord « discrètement financé » ; Cali Mahdi le décrit comme « fragile et délicat » mais « le premier pas d’un long processus de paix ». Les trois dirigeants de la SNA libérés depuis le mardi 18 estiment qu’il constitue « un pas très important » ; Cismaan Caato ajoute : « Nous soutenons cet accord et sommes persuadés que le général Caydiid et Cali Mahdi vont le soutenir ». Un Caydiid qui en l’occurrence s’abstient de tout commentaire. Si ce shir constitue le plus important rassemblement de notables à Muqdisho depuis le début des combats, il n’en connaît pas moins ses limites. Comment par exemple imposer ses conclusions aux chefs militaires des différentes factions armées et notamment au général Caydiid par nature rétif à toute injonction contournable ? Par ailleurs, la restitution des maisons occupées depuis maintenant des années par les jeunes combattants de la SNA originaire du centre du pays ne peut aller de soi. Mais surtout plusieurs lignages n’ont guère eu droit à la parole et considèrent avoir été tenus à l’écart de cette réconciliation : Muruursade, Xaawadle en particulier qui pour le contrôle du port se sont récemment affrontés aux Habar Gidir, les Sacad notamment, le propre lignage de Caydiid.2 Et puis une autre ambiguïté du monde Hawiiye affaiblit les décisions des notables : alors qu’il se trouve à Nairobi dans le cadre de sa recherche de soutiens régionaux, Caydiid a été reconduit pour une période de six mois à la tête de la SNA, confortant momentanément son assise. En effet, pendant que se tenait le shir des Hiraab, se réunissaient également à Muqdisho entre le 10 et le 15 janvier 1994 plusieurs dizaines de représentants de la SNA, porteurs des aspirations de bien d’autres lignages.
LA DECISION DE REDUIRE LE FORMAT DE L’ONUSOM
[I/II-1994]
L’ensemble des événements déprimants qui ont ponctué les six derniers mois ne doit pas occulter qu’ONG et agences des Nations unies n’ont 1
Les notables Hiraab se retrouvent à l’hôtel Tawfiq, dans la degmo de Yaaqshiid, en zone SNA pour partager les huit chameaux abattus pour l’occasion. À leur passage de la Ligne verte, les notables Abgaal sont accueillis par des centaines de Habar Gidir aux cris ordinaires de la bienvenue : nabat geliyo ! - qu’advienne la paix ! 2 LOI n°607, 22 janvier 1994
pour autant cessé grâce à la générosité des États donateurs à faire avancer nombre de chantiers propres à relancer l’économie du pays. Les uns et les autres en effet, surfant sur les faits divers politiques, aussi dramatiques soient-ils, ont continué à travailler. Deux mondes d’une certaine façon qui se rencontrent peu. Aussi, si on peut toujours déplorer la gabegie inhérente aux opérations des Nations unies, il serait parfaitement injuste d’en nier les réalisations.
Les réussites majeures en matière de réhabilitation : l’agropastoral À l’aplomb de cette assertion, l’exemple de l’agropastoral où les projets courent bon train est patent. Il en existe d’autres et il ne peut être question d’aborder ici les multiples chantiers entrepris, mais ceux-ci méritent d’être évoqués car il en dépend la survie des troupeaux, c’està-dire la survie des nomades. Il est en effet apparu qu’en 1992, la détérioration des équipements, pompes et générateurs, en diminuant le nombre des points d’eau disponibles avait provoqué une hyperconcentration du bétail. Le phénomène, préoccupant, concernait jusqu’à la moitié des troupeaux dans le Sud de la Somalie. Un projet financé par la CEE a alors été consacré à la restauration des points d’eau détruits afin de répartir la charge sur l’ensemble des nappes phréatiques. Un incident particulier mérite d’être relevé ici. En avril 1994, on identifiera l’action perturbatrice d’éléments islamistes. Alors que l’OMS vient d’annoncer l’envoi en Somalie d’experts pour coordonner la lutte contre l’épidémie de choléra qui a déjà fait au moins 1500 morts, l’usage du chlore par l’UNICEF, l’AICF ou d’autres organismes afin de combattre l’infection se heurte à la résistance des groupes fondamentalistes. Ces derniers diffusent en effet la rumeur que ces organisations chercheraient à empoisonner les points d’eau. Des bruits proches circulent dans certains quartiers de Muqdisho, à Madina notamment, mais surtout sont colportés dans le Nord-est du pays. Ils n’en resteront pas moins un épiphénomène et leur écho sera faible sur le terrain où le nomade ne s’y trompe pas. Dans le domaine vétérinaire, au dernier trimestre de 1993, le comité du Fonds européen de développement (FED) prélève une subvention d’un million et demi de dollars sur les reliquats de Lomé III afin de financer la prolongation d’une action entreprise six mois plus tôt en mars par le CICR. Celle-ci est consacrée à un programme de soins vétérinaires d’urgence permettant de fournir des produits vermicides et antiacariens aux pasteurs nomades. Deux millions de caprins et d’ovins et 500 000 chameaux sont ainsi traités à la fin de l’année. Au cours de la même période les équipes vétérinaires du CICR vaccinent 100 000 bêtes par mois dans diverses régions du pays : de Liboi au Kenya jusqu’à
Buulobarde, Hobyo, Garoowe, Laas Caanood, Boorama, Hargeysa et même dans la mesure du possible à Muqdisho.1 Dans le domaine purement agricole, le rapport d’activité d’OXFAM 1993 rapporte ses succès dans la mise en oeuvre de programmes financés par la CEE dans la basse vallée de deux fleuves : construction de 88 km de canaux d’irrigation, générations d’une banque de semences de maïs dont plus de 500 tonnes qui au cours de l’année ont été redistribuées aux paysans, distribution de 43 000 engins aratoires, de pompes diesel, etc. Au début du mois de novembre, l’ONG britannique se prépare à étendre ses activités à la moyenne vallée de la Jubba, dans la région de Baardheere.
Les réalisations institutionnelles de l’ONUSOM Des succès donc, incontestables et relayés par la population. Dans l’institutionnel en revanche le bilan est plus mitigé, lié notamment à une situation toujours équivoque en pays Hawiiye. Pourtant, globalement en province le processus de mise en place des conseils se poursuit. Huit conseils de régions sont en place sur les treize prévus - hors Somaliland. Ceux du Bari, de la Jubbada Hoose et du Mudug doivent bientôt être inaugurés. Mais dans la Jubbada Dhexe, le processus a été interrompu à cause de la situation sécuritaire qui se détériore dans deux de ses trois districts. Et si cinquante-trois conseils de districts sont en place à la fin de l’année 1993, il n’est pas réellement possible de déterminer ce qu’il en résulte vraiment. Certes, on sait les objections de Maxamed Caydiid sur la méthodologie et les procédures retenues pour déterminer leur établissement. En cela tient le principal obstacle à l’achèvement du processus. À de nombreuses reprises, par la force ou par l’intimidation, la SNA a tenté d’empêcher leur constitution tandis que dans certains districts, elle leur oppose ses propres conseils. À Muqdisho, les démarches ont été engagées dans les seize districts de la capitale. Le premier a été établi le 6 décembre à Boondheere. Depuis le début de 1994, les consultations se poursuivent dans les districts du Sud à Wadajir et à Dharkenley, au nord à Kaaraan et à Shibis, plus difficilement à Yaqshiid, autour du port et de l’aéroport, à Waaberi et à Xamar Jabjab. Il est vrai qu’à l’exception des factions de la SNA, les participants à la récente réunion d’Addis Abäba attestent leur intention de travailler à l’établissement rapide de ce Transitional National Council (TNC) qui représenterait un pas décisif vers le rétablissement de la souveraineté somalienne. À cet effet, au début du mois de janvier, les Nations unies ont reçu neuf nominations de représentants sur les 15 qui doivent être fournis par les factions politiques. La mise sur pied d’une force de police est également l’un des principaux soucis liés à la restauration de l’État. Le 2 octobre 1993, le président américain a décidé d’accorder aux Nations unies 25 millions 1
LOI n°591, 25 septembre 1993
de dollars en matériel et une aide financière de 2 millions pour aider à la reconstitution des forces de police et du système pénitentiaire. Une force auxiliaire de 3 000 hommes et 50 femmes a été instituée. Dans les régions, les nouvelles recrues sont réparties entre les postes de police placés sous la direction d’un comité de 10 membres. Les deux millions de dollars des États-Unis sont consacrés par New York à payer ces policiers et à nourrir cinq membres de leurs familles, tâche à laquelle le PNUD consacre également 1,2 million de dollars. Ainsi, au début du mois de mars 1994, Boutros Ghali annoncera que 8 000 anciens membres de la police somalienne avaient repris leurs fonctions à travers le pays, dotés par les Nations unies d’uniformes et de véhicules. Un stage de deux semaines est organisé pour former les mécaniciens à l’utilisation et à l’entretien des véhicules supplémentaires que le gouvernement américain s’est encore engagé à leur fournir.1 Le bel enthousiasme du Secrétaire général doit cependant être largement tempéré car sur un total de 64,6 millions de dollars d’engagements des donateurs, les Nations unies n’auront reçu fin février 1994 qu’un peu plus de 9 millions2. Maintenant se font jour les réticences. Les fonds s’épuisent et la Somalie lasse.
La réflexion du Secrétaire général [6.I-1994] Dans l’embarras général qui prévaut à New York sur l’affaire somalienne, on relève à la fin de l’année 1993 deux résolutions de la 48e session de l’Assemblée générale des Nations unies. Ni l’une ni l’autre n’apporte grand-chose au débat sinon l’assurance que les problèmes ont été évoqués. La première qui porte sur les droits de l’homme, comme à l’accoutumée « déplore, rappelle et demande », mais ne propose rien ; la seconde, sur le soutien à l’aide humanitaire et à la réhabilitation économique et sociale, « prend acte, accueille et remercie ».3 Plus intéressant en revanche est le rapport adressé par le Secrétaire général le 6 janvier qui passe en revue les options possibles en vue d’un nouveau mandat de l’ONUSOM II4. Rédigé après le résultat plus que mitigé de la réunion d’Addis Abäba en décembre, Boutros Boutros 1
Les États-Unis se sont également engagés à octroyer une contribution en nature évaluée à 37 millions - 25 millions en équipements et véhicules et en formations, 8 millions affectés à 61 systèmes judiciaires et 2 millions au salaire des policiers. Sept pays - Égypte, Irlande, Italie, Malaisie, Maroc, Pays-Bas et Suède - ont promis d’envoyer 39 personnes pour aider à la formation de la police. Néanmoins les Nations unies estiment que son encadrement nécessitera l’envoi de 50 autres personnes qualifiées. 2 Outre les États-Unis, les dons consacrés à la formation police sont octroyés pour 1 million de $ par la Norvège et 37 000 $ du Royaume-Uni. D’autres aides sont encore à l’état de promesse : 10 millions du Japon, 4,5 de l’Italie, 1,5 de l’Allemagne pour des moyens de communication, 500 000 $ du Danemark pour la remise en route du système judiciaire, 500 000 $ des Pays-Bas et 1,6 million de la Suède. 3 A/RES/48/146 du 20 décembre & A/RES/48/201 du 21 décembre 1993 4 Rapport du Secrétaire général S/1994/12 du 6 janvier 1994
Ghali y soumet au Conseil de sécurité ses réflexions concernant le devenir de la mission. La réflexion est amère, la source de tous les maux est désignée sans équivoque, il s’agit de la SNA qui ne veut à aucun prix entendre parler d’une immixtion des Nations unies dans le processus politique somalien. Le Secrétaire général appuie sa réflexion sur un constat : tel qu’il est, le mandat de l’ONUSOM est fondé sur deux postulats inscrits dans l’accord d’Addis Abäba de mars 1993 : d’une part la réconciliation politique des factions et d’autre part la promotion des conseils régionaux et des conseils de districts. Ces deux principes complémentaires sont supposés se renforcer mutuellement en vue d’une réconciliation nationale et la fondation d’une gouvernance provisoire par représentation, un Transitional National Council. Or deux obstacles se dressent face à ce projet, contrecarrant tout progrès au niveau politique : les profondes divisions entre les deux principales alliances de factions et le rejet systématique par la SNA de toute initiative politique entreprise par l’ONUSOM. Le Secrétaire général en déduit que l’opération se trouvait à la croisée des chemins : ou le conseil de sécurité considérait que les progrès accomplis, aussi réels fussent-ils, étaient insuffisants au regard des moyens engagés, où il se plaçait du point de vue des populations qu’un départ des Nations unies plongerait à nouveau dans la guerre civile. Sauf qu’un autre paramètre se présente maintenant, la question du financement ; car l’opération coûte cher1. Sur les trois options envisagées dans son dernier rapport, la préférence de Boutros Ghali s’était portée sur le maintien du mandat tel qu’il avait été énoncé, au terme de la Résolution 814. Bien qu’il restât convaincu que seul un mandat complet permettrait de créer les conditions de sécurisé nécessaires à la réconciliation nationale et à la reconstitution des fonctions institutionnelles, il considérait maintenant que cette option devait être écartée. En effet, doutant de voir les chefs somaliens avancer assez vite sur le chemin de la réconciliation nationale pour être capables d’entreprendre à temps l’ensemble des activités envisagées, il fonde cet aveu d’impuissance sur un autre doute. Combien de temps l’ONUSOM disposera-t-elle encore des moyens humains, matériels et financiers suffisants ? Le pessimisme du Secrétaire général le conduit même à douter de la viabilité de la seconde option envisagée dans son précédent rapport. Il rejette bien sûr invariablement la responsabilité de l’impasse dans laquelle s’engage l’opération à l’attitude négative persistante de la SNA et de son chef à l’encontre de l’ONUSOM. Mais il évoque aussi les rapports qui lui parviennent maintenant sur le réarmement de toutes les factions somaliennes, la réémergence des affrontements claniques et l’accroissement exponentiel du banditisme. 1
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Le coût total de l’ONUSOM – hors UNITAF – entre le 1 mai 1992 et le 28 février 1995 aura approximativement été de 1, 64 milliards de dollars.
En dépit des réserves émises, le Secrétaire général propose néanmoins de s’en tenir à ce deuxième scénario qui, dans l’hypothèse d’une reprise des combats interclaniques dans les différentes parties du pays, permettrait seul, sans que l’ONUSOM ne s’y implique, de défendre ses propres personnels si les circonstances l’exigeaient. L’opération pourrait aussi assurer la protection des ports et aéroports importants du pays ainsi que les infrastructures essentielles, garder ouverts les principaux couloirs humanitaires entre Muqdisho et la province, poursuivre la réorganisation de la police et du système judiciaire et aider enfin au rapatriement des réfugiés. Ainsi, aussi loin que les aspects humanitaires seraient concernés, l’ONUSOM poursuivrait ses efforts visant à fournir l’aide d’urgence à tous ceux qui en avaient besoin à travers le pays. En fait, Boutros Boutros Ghali a parfaitement pris en compte le message de moins en moins subliminal délivré par la communauté des donateurs lors de la 4e conférence à Addis Abäba. Celui-ci a clairement évoqué une stratégie différente visant à accorder uniquement l’aide aux régions où prévalait la sécurité et où des institutions crédibles étaient en cours de mise en place. Ainsi le Secrétaire général considère-t-il que le volume de troupes exigées pour cette option serait de l’ordre de 16 000 hommes auxquels viendrait s’ajouter l’élément de soutien nécessaire. Si cet ordre de grandeur ne se révélait pas disponible ou si les ressources financières nécessaires n’étaient pas assurées après le 31 mars 1994, il appelait l’attention du Conseil de sécurité sur la nécessité qu’il y aurait à modifier encore le mandat de l’ONUSOM. En conclusion, tout reposait désormais sur la coopération des parties somaliennes. Faute de promouvoir la réconciliation nationale en parallèle au rétablissement et au renforcement des institutions de police et de justice, faute d’établir un gouvernement dans un futur proche, Boutros Ghali considérait que la reprise des combats et la guerre civile étaient inéluctables. Après les drames de l’été, nul ne s’interrogeait en revanche sur ce qui bien en amont avait pu cristalliser l’intransigeance de Caydiid.
La libération des lieutenants de Caydiid [25.I-1994] Le Conseil de sécurité ne répond pas immédiatement aux propositions du Secrétaire général. Il souhaite auparavant épuiser toute mesure susceptible de rapprocher l’ONUSOM II de l’état-major inflexible de la SNA. À la fois du mois de décembre, celle-ci a fait savoir que trois de ses huit responsables détenus par l’ONUSOM, à savoir son financier, Cismaan Caato, son porte-parole, Maxamed Xasan Cawaale et Cumar Salaad Cilmi s’étaient mis en grève de la faim pour protester contre leurs mauvaises conditions de détention. Une assertion non fondée, mais qui laisse alors à penser que l’élargissement de ces détenus est actuellement au centre d’une série de tractations informelles. Une manoeuvre en effet est en cours. Le paragraphe 8 de la Résolution 885 du Conseil de sécurité précisant que les dirigeants de la SNA non
encore détenus demandait :
étaient
désormais
libres
de leurs
mouvements
« …de suspendre, en attendant que la Commission ait achevé son rapport, les mesures d’arrestation visant les personnes qui pourraient être impliquées, mais qui ne sont pas actuellement arrêtées en vertu de la Résolution 837, et de faire le nécessaire pour régler le cas des personnes déjà appréhendées en vertu des dispositions de cette résolution ».
Mais un rapport interne de l’armée américaine sur les attaques contre les soldats américains à Muqdisho est encore réputé apporter la preuve que les huit hommes ont été les cerveaux de l’opération contre les soldats pakistanais ; le document serait entre les mains du Pentagone et de certains membres du Congrès américain. Si la Résolution 885 met un terme à la chasse contre le général Caydiid et facilite sa réapparition publique, le rapport en question implique de conserver ses amis en détention. Sauf que ceux-ci sont aujourd’hui devenus encombrants, le général ne cessant de réclamer leur libération. Or, leur élargissement suppose au préalable l’amendement de la Résolution 885, point sur lequel ni Washington ni New York ne souhaitent s’engager. Les responsables américains attendent des Nations unies qu’elles se chargent de proposer cet amendement car eux-mêmes ne peuvent le faire sans courir le risque d’être pris à partie par le Congrès et d’être critiqués par les médias ou l’opinion publique. Quant à Boutros Ghali, il n’apprécie guère l’idée de se plier une fois de plus aux oukases des États-Unis, au risque de devenir le bouc émissaire des critiques de ce nouveau retournement diplomatique. Il demande donc aux autorités américaines une déclaration écrite lui réclamant la modification du paragraphe en question de la Résolution 885 afin de faciliter la libération des huit prisonniers ce que Washington se refuse toujours à faire.1 Toujours est-il que, de guerre lasse, le 25 janvier 1994, Cismaan Caato est libéré de sa geôle insulaire. Il rejoindra Nairobi accompagné de Maxamed Xasan Cawaale et de Cumar Salaad Cilmi, l’ancien représentant de la SNA en Éthiopie pour y retrouver un général Caydiid dans une meilleure position pour envisager l’avenir.2
La Résolution 897 : réduction du format et révision du mandat [4.II-1994]
Prenant acte des réflexions du Secrétaire général, ce n’est que le mois suivant que le Conseil de sécurité révise le mandat de l’ONUSOM II par la Résolution 897 adoptée le 4 février 1994. Peu auparavant, afin de préparer l’affaire, Boutros Ghali lui a présenté le 1er février le nouveau plan d’action. Le rapport du Secrétaire général recommande la réduction des forces à 15 000 hommes et le maintien de 1 2
LOI n°604, 25 décembre 1993 LOI n°605, 8 janvier 1994
leur mandat sous chapitre VII. Il propose aussi une décentralisation du cantonnement des troupes et des opérations d’approvisionnement, avec l’option de déplacer le quartier général à l’extérieur de Muqdisho tandis qu’un itinéraire circulaire partant du port et contournant la ville serait utilisé pour éviter tout contact avec les éléments de la SNA occupant le Sud de la capitale. Le 4 février donc, outre l’inévitable rappel de tout ce qui reste à faire et qui n’a pas été accompli, le Conseil de sécurité révise effectivement le mandat de l’ONUSOM. La nouvelle résolution invite sans surprises à : - encourager les parties somaliennes à mettre en place les accords d’Addis-Ababa : - protéger les principaux ports et aéroports du pays ainsi que les infrastructures essentielles - maintenir ouvertes les lignes de communication nécessaires à l’acheminement de l’aide humanitaire et de l’aide à la reconstruction ; - continuer ses efforts pour distribuer l’aide humanitaire et tout ce qui peut se révéler nécessaire à travers l’ensemble du pays ; - aider à la réorganisation de la police et du système judiciaire ; - aider au rapatriement et à la réinstallation des réfugiés et des personnes déplacées ; - aider au processus politique en cours qui doit aboutir à l’installation d’un gouvernement démocratiquement élu ; - assurer la protection du personnel, des installations et des équipements mis en place par les Nations unies et ses agences aussi bien que par les organisations non gouvernementales engagés dans le soutien humanitaire et la reconstruction au pays. Le Conseil autorise enfin la réduction progressive des effectifs l’ONUSOM jusqu’à 22 000 hommes, plus le personnel de soutien nécessaire, chiffre susceptible de voir son niveau revu au prochain renouvellement du mandat. Peu auparavant, en janvier, au moment de passer le commandement de l’opération à son successeur, le lieutenant général malaisien Aboo Samah bin Aboo Bakar1, le lieutenant général Çevik Bir aura eu sur ce sujet des mots sévères à l’encontre des États-Unis, condamnant implicitement le retrait de leurs troupes après la mort de leurs soldats. Il affirmait alors que les Nations unies et les pays qui fournissent les Casques bleus : « pourraient accepter la violence et les pertes humaines que suppose la guerre et rester sur place… Il ne peut pas y avoir de demi-mesure ».
Avant de quitter la Somalie, le 18 janvier, le général considérait que les forces de l’ONU avec 25 000 hommes avaient échoué à désarmer les factions par manque d’hommes et d’équipements. Plus de 30 000 1
Le général Aboo Samah assumera le commandement des forces jusqu’au démontage de l’opération en mars 1995.
soldats auraient été selon lui nécessaires pour s’emparer des armes des milices et contrôler le trafic d’armes aux frontières.1 Il reste que la Résolution réaffirme également que le processus de désengagement devra être mené à terme avant mars 1995, date à laquelle doit prendre fin la mission de l’ONUSOM II. Avant le 31 mai, le Secrétaire général devra informer le Conseil de sécurité de la mise en oeuvre de ces recommandations. Le texte se perd ensuite dans la glose habituelle de l’Organisation. Quand le Conseil de sécurité demande au Secrétaire général de se concerter avec l’OUA et la Ligue arabe afin d’établir les contacts nécessaires avec les factions somaliennes pour l’application des accords d’Addis Abäba « en prenant en compte l’objectif d’un achèvement du processus avant mars 1995 », nul ne doute alors que rien ne pourra empêcher l’inévitable relance des combats entre factions, une fois achevé le retrait. Une évidence d’ores et déjà est apparue : les Nations unies ont décidé de passer le relais aux organisations régionales. Le 8 mars 1994 enfin, après le départ de l’amiral Howe, Lansana Kouyate est nommé Représentant spécial par intérim du Secrétaire général des Nations unies. Aussi dans le cadre d’une opération diaphane, ce sont les petits contingents des Nations unies qui tirent d’une certaine façon leur épingle du jeu. Pour quelque temps, un pays africain notamment prend une importance toute nouvelle sur la scène somalienne, montrant par défaut la désaffection générale de la société internationale pour cet inextricable dossier. Les Nations unies, éconduites de toutes parts, demandent en effet au Zimbabwe d’envoyer un second bataillon en Somalie ce qui en fait le plus gros contingent d’Afrique au sein de l’opération et le troisième après ceux de l’Inde et du Pakistan. Le ministre zimbabwéen de la Défense, Moven Mahachi se rend en Somalie avec une délégation d’officiers de haut rang afin d’étudier la requête. Elle est présentée juste après que les autorités de Harare ont rejeté une précédente demande visant à envoyer au Libéria un contingent militaire zimbabwéen. Le refus avait alors été justifié par le fait que l’ONU ne proposait pas assez d’argent pour assurer le déploiement de ses troupes dans un environnement difficile.
LA PRISE EN CHARGE REGIONALE DE L’ACTIVITE DIPLOMATIQUE Le changement de stratégie kényan [I-1994] Aussi intéressant soit-il et quelle que soit la bonne tenue du petit contingent zimbabwéen, pauvre mais discipliné, son engagement n’est pas même un cache-misère pour l’ONUSOM II qui n’en peut mais. Le retrait des États-Unis précédant d’un an le retrait général de mars 1995, la problématique des Nations unies est simple : il reste à Boutros Ghali 1
AFP, 18 janvier 1994
une année à tenir privé de son principal contributeur. Aussi voit-on maintenant les acteurs régionaux s’investir davantage sur le dossier somalien, tout du moins s’y inscrire différemment, en première ligne cette fois. Hormis l’Éthiopie, toujours préoccupée par l’affaire puisqu’elle a sur son territoire son propre problème somali, ce changement de comportement régional se dessine au tournant de l’année 1994. Quittant Addis Abäba le 29 décembre 1993, Maxamed Caydiid s’est aussitôt rendu à Nairobi où il a été reçu par Daniel arap Moi qui envisage d’appeler toutes les factions somaliennes à poursuivre les discussions jusqu’à ce que la paix soit trouvée. Le même jour, le président kenyan s’entretient avec celui du Somaliland, Maxamed Ibraahin Cigaal, qui en compagnie de cinq de ses ministres effectue pour sa part une tournée régionale qui doit ensuite le conduire en Ouganda et en Tanzanie. Aussi tente-t-il d’obtenir son concours afin de convaincre le chef de la SNA de négocier avec les autres factions. Jusque-là, la diplomatie de Nairobi avait pris le parti de favoriser le SNF de Moorgan qui profitait de cette situation pour utiliser le Kenya comme base arrière. Les affaires somalies vues du Kenya ont à l’accoutumée été confiées au chef d’état-major de l’armée kenyane, le général Mahmud Haji Mohamed [Ogaadeen Ajuuraan] en qui le président a une entière confiance depuis qu’il l’a aidé à réprimer le coup d’État qui en août 1982 avait tenté de le renverser1. Mais si jusqu’alors les affinités politiques ou claniques des Ajuuraan ont dicté la politique somalienne de Nairobi, l’option du compromis en vient maintenant à s’imposer comme le seul moyen de contribuer au retour dans leur pays des dizaines de milliers de réfugiés somaliens installés dans les camps du Kenya. L’accueil du général Caydiid comme la visite de Maxamed Cigaal illustrent les nouvelles priorités diplomatiques kényanes en faveur d’une solution de compromis en Somalie. Au terme de ces entretiens, une rencontre gardée secrète a encore lieu au tout début du mois de janvier à la résidence du président arap Moi à Nakuru entre le chef de la SNA et les représentants des douze factions rassemblées autour de Cali Mahdi, réunion d’où il ne sortira rien. D’autres étrangers se présenteront à Muqdisho pour tenter de faciliter une solution politique. Mais pas plus que Robert Oakley, le soussecrétaire d’État italien aux affaires étrangères ne parvient le 19 février à ébaucher une solution négociée de la crise somalienne. Une situation d’autant plus fâcheuse que de sérieux affrontements ont eu lieu au milieu du mois à Belet Xaaji entre les miliciens du SPM-Jees et ceux de 1
Son frère Hussein Moallim Mohamed est ministre d’État dans le bureau du président tandis que leur cousin, Mohamad Yusuf Haji est district commisionner de la Rift Valley. Ce dernier a eu à gérer la politique de tensions ethniques entre les Kalenjin, ethnie du président, et leurs voisins Luo et Kikuyu qui a permis au président arap Moi de reprendre le contrôle de la situation politique quelques mois plus tôt.
Moorgan. Ces combats ont fait une dizaine de morts et de nombreux blessés qui amènent une fois encore des milliers de Somaliens à fuir Kismaayo. Afin de consulter les chefs de factions impliqués dans ce nouveau conflit qui risque de dégénérer et afin de les convaincre d’y mettre fin, Lansana Kouyate multiplie les déplacements, à Kismaayo, à Boosaaso, à Baardheere, à Nairobi, à Addis Abäba et à Muqdisho enfin où il tient un certain nombre de réunions. Il parvient ainsi à les convaincre de se réunir à Nairobi le 15 mars 1994 afin d’y établir d’une part un accord susceptible de mettre un terme définitif aux hostilités et de trouver d’autre part une solution à long terme aux problèmes de la Jubbada Hoose. Nairobi a été choisi comme lieu de rencontre parce qu’y sont présentes de nombreuses personnalités concernées par la problématique.
Les peurs des Abgaal et la réunion du Caire [5.III-1994] Aux multiples raisons de leur incapacité à s’entendre, il faut ajouter qu’au terme des événements d’octobre, les factions regroupées autour de Cali Mahdi se sont senties sacrifiées. Placées en situation de faiblesse, elles sont enclines à refuser toute tentative de réconciliation. Aussi, bien qu’il restât agacé par les interférences égyptiennes, Lansana Kouyate décide d’aider la SSA à se rétablir politiquement en favorisant la médiation que se proposent d’entreprendre les diplomates du Caire. C’est donc en remettant les derniers prisonniers somaliens à l’Égypte plutôt qu’au CICR que l’ONUSOM II met en selle la diplomatie égyptienne, au détriment des Éthiopiens, songeant que cela servirait au moins à ramener Cali Mahdi à la table de négociations. La situation de Ḥusnī Mubārak1 qui préside l’assemblée des chefs d’État de l’OUA lui donne aussi une opportunité d’investir plus ostensiblement l’organisation panafricaine en ménageant la susceptibilité d’Addis Abäba. Le 28 février, à l’invitation du chef de l’État égyptien, Cali Mahdi s’entretient avec le ministre des Affaires étrangères du Caire, ʿAmrū Mūsā, comme l’avaient fait une semaine plus tôt Maxamed Abshir Muuse du SSDF, Cali Maxamed Axmed, président du SDF et un représentant de l’USP. Rendus de plus en plus inquiets par le retrait du contingent américain, les représentants de la SSA acceptent une rencontre le 5 mars au Caire en l’absence de Caydiid et sous l’égide du gouvernement égyptien. Comme d’habitude, la réunion porte sur la formation d’un gouvernement, la répartition des postes ministériels entre les diverses factions et le principe d’une présidence tournante – principe sur lequel Maxamed Abshir s’est prononcé pour un rythme trimestriel. Quelque peu rasséréné, Cali Mahdi annonce dès le lendemain, la création avant la fin du mois d’un Salvation Council
1
Exactement [ar. ﻣﺤﻤﺪ ﺣﺴﻨﻲ ﺍﻟﺴﻴﺪ ﻣﺒﺎﺭﻙ- muḥammad ḥusnī s-saīd mubārak]
composé de 17 membres qui sera chargé de former un gouvernement provisoire dont la présidence sera effectivement assurée par rotation 1. De son côté, Caydiid sur son quant-à-soi attend les conclusions définitives de ces entretiens avant de former de la façon la plus opportune son propre gouvernement à Muqdisho. Or, fort des conclusions de la réunion de la SSA, Cali Mahdi accepte le principe d’une rencontre en vue de négociations directes avec le chef de la SNA. Quant à l’objectif du Représentant spécial des Nations unies, il consiste avant tout à l’établissement d’un calendrier par les protagonistes. Un calendrier à deux volets : l’un comportant au plus vite la tenue préalable d’une conférence sur Kismaayo propre à éviter la relance de la guerre civile, l’autre la réunion sur l’avenir institutionnel du pays.
Lansana Kouyate à Nairobi : Kismaayo et les conseils de districts [11.III-1994]
Le 11 mars, Lansana Kouyate entreprend à Nairobi une série de négociations informelles entre les factions du Sud en vue d’éviter la confrontation armée qui menace toujours de surgir autour de Kismaayo où la situation reste tendue. Après les affrontements qui le mois précédent ont encore causé une quinzaine de morts dans la ville, une concentration de quelque 70 technicals appartenant à la milice du SPM de Cumar Jees vient maintenant semer la confusion ; suffisamment même pour que l’UNICEF, prétextant une conférence de coordination dans la capitale kényane, juge opportun de retirer momentanément ses personnels de la cité portuaire. Quant à Lansana Kouyate, il espère obtenir une conférence de paix, à tenir sous l’égide des Nations unies, et portant sur le contrôle du port. Le Représentant spécial dispose de quelques atouts. En dépit des drames de l’année précédente par exemple, il a su rester en contact avec Caydiid qui lui a téléphoné à plusieurs reprises sur sa ligne directe et n’a de cesse de l’assurer de sa volonté d’éviter le conflit comme il est également en contact avec Cali Mahdi dont la position politique vient d’être quelque peu confortée par l’intérêt que semble lui marquer la diplomatie égyptienne. Sur le sujet précis de Kismaayo toutefois, Cali Mahdi qui a exprimé le souhait de participer aux négociations en sera néanmoins tenu à l’écart ; l’affaire se réglera entre les parties directement concernées. Au terme de cette intercession, à Nairobi comme à Kismaayo, il est entendu qu’en cas de succès il reviendra aux principaux chefs de guerre de définir le modus vivendi qui réglera leur cohabitation dans et autour du port méridional. À propos des ports encore, il convient de noter que depuis le début du mois, à Marka, une série d’affrontements a mis aux prises les miliciens SSNM à leurs alliés officiels de la SNA. Ces combats ont laissé 22 morts, 1
LOI n°614, 12 mars 1994
après que les offres de médiation proposées par l’ONUSOM ont été résolument écartées par les deux adversaires. Mais un autre sujet sensible préoccupe en même temps les Nations unies qui considèrent que si la situation dans le Sud somalien venait à être stabilisée, il conviendrait de mettre à profit ce succès pour envisager de nouvelles négociations à propos de la reconnaissance des conseils de district. Là aussi Lansana Kouyate compte ses atouts. Bien qu’il multipliât les conditions préalables en ce qui concernait les régions qui ne lui étaient pas acquises, le général Caydiid accepte maintenant de donner quelques gages. Il accepterait dit-il de reconnaître le découpage des quelque 92 circonscriptions si l’on en revenait au principe du comité de sélection, entériné il y a un an dans le premier accord d’Addis Abäba et qui conférait un droit de regard aux chefs de factions sur le choix des candidats aux élections. Le chef de la SNA était prêt à accepter les délégués déjà élus lorsqu’ils appartenaient à son camp mais réclamait une renégociation là où cela n’était pas le cas. Bien que le général restât toujours fermement campé sur sa position, il en avait été obtenu qu’il dépassât le refus net et catégorique exprimé naguère sur ce sujet. C’est cette nouvelle disposition d’esprit, apparue en marge des discussions sur Kismaayo, qui donne à Lansana Kouyate quelque espoir de voir un nouveau sommet entre les deux principaux chefs de factions se tenir prochainement à Nairobi où Cali Mahdi l’a rejoint le 13 mars. En aparté, Lansana Kouyate avoue volontiers qu’il préférerait différer un tel succès diplomatique des Nations unies par crainte que, coup de pied de l’âne, les Américains ne soient, avant de partir, tentés de saboter une opération par nature délicate. Aussi pencherait-il plutôt pour qu’une telle réunion ne se déroule pas avant la mi-avril. Les deux événements seront en fait quasiment concomitants.
La Déclaration de Nairobi [24.III-1994] Parvenu à rassembler à Nairobi le 17 mars des chefs politiques qui ne se sont plus rencontrés depuis bien longtemps, le Représentant spécial entreprend de stimuler le processus de réconciliation. Plus important encore, il paraît avoir réussi à mettre les chefs de la SNA et de la SSA en situation d’entériner une proposition visant à établir un gouvernement national. Bien sûr, les choses ne sont jamais simples. Caydiid et Cali Mahdi ne s’entendent toujours pas sur la représentativité du SSNM qui suscite désormais des turbulences à Marka. Aussi, à défaut d’être résolu, le problème va-t-il être contourné. La signature de la déclaration conjointe des chefs de factions, initialement prévue pour le 20 mars, étant de jour en jour reportée, le 23, Lansana Kouyate joue son va-tout et conclut à un échec des pourparlers. Il avertit qu’en conséquence les frais des 80 délégués somaliens, qui s’élèvent à quelque 150 000 $ par jour, ne seront plus financés. Un tel discours parle aux Somaliens rassemblés qui
aussitôt trouvent un compromis. Mais une fois encore il s’agit d’un pisaller qui atteste surtout de la capacité des Somalis à se couler dans un événement qui les désoblige. Aussi un tel compromis vise-t-il moins à véritablement s’entendre qu’à laisser passer confortablement la sainte colère de leur interlocuteur. Reste que le 24 mars 1994, Caydiid et Cali Mahdi paraphent au nom de leurs deux alliances la Déclaration de Nairobi. Se résumant à un appel assez vague, elle réaffirme des principes déjà bien souvent entendus : - l’inviolabilité de l’intégrité et de la souveraineté territoriale de la République de Somalie ; - le refus de toute forme de violence comme moyen de résoudre les conflits et l’implantation d’un cessez-le-feu et d’un désarmement volontaire dans tout le pays ; - le respect et la préservation des droits fondamentaux humains et des principes démocratiques ; la création d’une atmosphère propice à une coexistence fraternelle parmi tous les Somaliens utilisant les canaux traditionnels culturels et politiques ; - la réhabilitation et la reconstruction du pays après les dévastations la guerre civile. Plus intéressant en revanche, la déclaration stipule qu’en vue de restaurer la souveraineté de l’État somalien une conférence nationale de réconciliation se tiendra le 15 mai à Muqdisho. Chargée d’élire un président et deux vice-présidents ainsi que de désigner un premier ministre, celle-ci réexaminera la constitution des autorités locales là où existent des litiges et les rétablira si cela apparaît nécessaire sur la base de l’autonomie régionale et du respect des droits des communautés. Afin de procéder à sa préparation, la déclaration prend des dispositions pour la tenue d’une rencontre, le 15 avril, à Muqdisho, des factions signataires de l’accord d’Addis Abäba, rencontre à laquelle serait également invité le SNM. La réunion s’entendra sur les règles et procédures de vote et déterminera les critères de participation à la conférence. Elle discutera aussi des voies et des moyens à retenir en vue d’établir l’Assemblée législative qui sera constituée après la formation du gouvernement national. Il ne s’agit donc plus de former un Transitional National Council (TNC) mais de mettre en place une assemblée législative nationale. Dans le principe, les chefs de factions semblent avoir accepté les conseils de district et de région établis à ce jour, songeant seulement à en revoir le nombre. Actuellement sont en place 55 conseils de district sur 81 et 8 conseils régionaux sur 13, Somaliland exclu. Pour le reste, il est vrai qu’à bien y regarder le débat n’a guère avancé et que même si la rencontre d’avril venait à se tenir, chacun s’attend à y voir resurgir les traditionnels conflits de légitimité entre les deux alliances.
Quant aux États-Unis, s’ils ne sont pas – à quelques individus prêts – enclins à préparer quelque coup de Jarnac au moment de leur départ, ils sont loin pour autant de partager l’optimisme affiché par Lansana Kouyate. Constatant l’accord des deux adversaires sur le principe de formation d’un gouvernement intérimaire, ils n’en sont pas pour autant dupes. Selon Washington, chacun des protagonistes entend bien le moment venu arranger l’affaire au mieux de ses intérêts, à savoir obtenir au final un pouvoir prééminent ; d’autant que pour l’instant les contours d’un éventuel compromis politique ne sont guère perceptibles. Un nouveau développement, somme toute incident, conduit les signataires de Nairobi à choisir pour leur rencontre une date plus tardive. Les chefs du SNM ont en effet répondu positivement à l’invitation adressée par les chefs de factions dans la déclaration de Nairobi. Axmed Siilaanyo qui a été le président du Mouvement avant la conférence de Boorama et est resté en relation avec le général Caydiid et avec Cali Mahdi déclare à l’encan que le Nord et le Sud doivent être réunis pour résoudre le problème du pays. Il précise que cela exigeait néanmoins de satisfaire le vœu somalilandais d’avoir un statut séparé tout en maintenant l’unité et la fraternité du peuple somalien. Aussi annonce-t-il que le SNM assisterait à toutes les conférences de réconciliation à venir, comme cela se déroulait dans le passé. Pour que le mouvement dispose du temps nécessaire pour entreprendre des consultations préalables, il demandait donc que la réunion des factions soit reportée au 30 mai. Délibérément, Siilaanyo ne mesurait pas combien le Somaliland n’était plus prêt à entendre ce discours et paraissait ignorer que le pays doté désormais d’un gouvernement n’était plus dirigé par le SNM. Aussi, si la réponse à sa requête est globalement positive de la part des factions signataires d’Addis Abäba, son discours est catégoriquement rejeté par les Somalilandais, au premier rang desquels Maxamed Cigaal. Quand à Caydiid, absent de Somalie depuis le 2 décembre 1992, il aura mené auprès des pays voisins une campagne diplomatique vigoureuse qui lui aura permis de rencontrer les présidents éthiopien, kenyan, ougandais et érythréen. Avant de regagner Muqdisho, le 18 mai 1993, le général décide d’optimiser encore la palette de ses contacts en rendant le 30 mars une deuxième visite à Kampala, visite justifiée par sa participation au 7e Congrès du Mouvement panafricain1. Cette manifestation dont l’objectif déclaré est « de réunir le peuple noir et de travailler dans un but commun » doit rassembler 500 personnes, hommes politiques, diplomates, fonctionnaires, chercheurs venus d’Afrique, d’Amérique et d’Europe. Il ressort de cet atermoiement que les consultations restant suspendues, chacun attend un accord sur une nouvelle date, voire sur un nouveau lieu de réunion. Mais en fait rien ne presse dans ce jeu de rôle qui superpose deux histoires, celle d’un jeu politico-diplomatique 1
Le 6e Congrès s’était déroulé en 1974 à Dar es-Salam.
complètement décalé de la réalité et celle de l’impitoyable bras de fer auquel chacun se prépare sans véritablement s’en cacher.
La fragilisation de l’espace et le retrait américain [25.III-1994] Dans ce contexte de pourrissement de la situation, les expatriés ne sont pas épargnés par l’insécurité qui s’accroît sur l’ensemble du territoire. En moins d’une semaine, en février, cinq étrangers – trois Italiens et deux Britanniques - ont été enlevés puis libérés après des négociations avec leurs ravisseurs. Des attentats à la grenade sont perpétrés en plusieurs points du pays – Muqdisho, Beledweyne, Baydhabo et Kismaayo. Ils visent des locaux d’ONG, incitant ces dernières à réduire leur personnel ou à se retirer du pays. Un peu plus tard, au début du mois de mars, la situation se tend à Baydhabo, maintenant sous contrôle du contingent indien. Pour remettre en état les locaux de l’ancienne base aérienne où ils se sont installés, les militaires indiens ont embauché des ouvriers somaliens sur la base du système food for work, cher aux Nations unies et à diverses organisations humanitaires. Une fois leur travail terminé, les ouvriers somaliens n’ont pas reçu la totalité du salaire en nature qui leur avait été promis. Il s’ensuit une importante manifestation de protestation que les militants de Caydiid se plaisent à manipuler en acheminant par autobus entiers des manifestants de toute la région. Face à cette foule en colère, les soldats indiens se déploient en ordre de bataille, prêts à riposter. Déjà suréquipés, dotés d’un armement disproportionné1, leur camp est retranché derrière trois rangées de fil de fer barbelé et un rempart de chars lourds aux canons pointés sur l’extérieur2. La pression montant, peu désireux de subir le sort des Pakistanais quelques mois plus tôt, ils effectuent des tirs à balles réelles au-dessus des têtes des manifestants. Si l’incident ne fait pas de victime, il n’en accroît pas moins le fossé d’incompréhension qui sépare déjà le contingent indien de la population locale. À Muqdisho, le retrait des troupes américaines ne constitue pas une opération réalisable en quelques jours. Aussi n’est-ce que le 25 mars 1994 que la quasi-totalité des soldats aura quitté définitivement la Somalie, mettant par là même fin à l’opération Continue Hope. Seules quelques centaines de Marines restent au large prêts à intervenir en cas d’incident qui pourrait affecter l’évacuation des éléments noncombattants, à savoir le millier de civils et de conseillers militaires restés dans le cadre de la mission de liaison américaine auprès d’ONUSOM II. Le dossier sera définitivement clos quand Washington décidera que les 11
Au moment de la relève, les officiers français s’étaient particulièrement étonnés de l’importance du matériel – chars et artillerie lourde notamment – que Delhi avait décidé de déployer. En fait, l’Inde qui à l’instar de l’Allemagne et du Japon espère pouvoir obtenir un siège au Conseil de sécurité tient ainsi à démontrer que son contingent appartient bien à une armée moderne et efficace. 2 LOI n°616, 26 mars 1994
80 personnels demeurant encore à Muqdisho doivent être retirés pour le 15 septembre. L’adjoint au chef de la mission américaine, Michael Rannberg quittera la ville le 13, juste avant que la semaine suivante son chef, l’ambassadeur Daniel Simpson, ne s’installe à Nairobi.1 Sur un plan plus général, aucune solution politique n’est en cours. Le processus engagé à Nairobi semble courir vers l’oubli. Quelques pourparlers encore entrepris à Muqdisho par Robert Oakley n’ont rien donné de concret. Dans leurs ultimes efforts pour tenter de mettre sur pied une police nationale en Somalie après leur départ, les forces américaines ont offert un fusil, un pistolet et une paire de menottes à chacun des 5 000 hommes qu’elle est prévue de compter. Redouté par Cali Mahdi autant que souhaité pas Caydiid, le retrait des troupes internationales provoque un vide militaire que les belligérants somaliens se préparent à combler. Mais c’est de la reprise des affrontements sur la côte du Banaadir que vont surgir maintenant confusion et nouveaux atermoiements.
L’EVANOUISSEMENT DU PROJET DE NAIROBI
[IV/VI-1994]
Au moment où les premiers combats se précisent à Marka au début du mois d’avril, George Bennett, le porte-parole de l’ONUSOM II à Nairobi, annonce que la conférence des factions qui devait avoir lieu à Muqdisho le 15 était maintenant reportée. Car l’affaire ne se résume pas en effet à un simple affrontement entre factions. Son incidence politique nécessite quelques précisions.
Marka : le SSNM et le positionnement des Biyomaal [5/20.IV-1994] Si les succès de Caydiid contre l’ONUSOM et les Américains lui ont conféré un incontestable prestige, ils ont aussi à son encontre suscité bien des craintes. Celles-ci procèdent en particulier d’un sentiment de spoliation. En effet, les petits lignages associés à la SNA ressentent une très forte pression de la part de ces vainqueurs, les Habar Gidir, qui grisés par leurs succès sont de moins en moins enclins à laisser aux autres la part légitime qui leur revient. Ce quia nominor leo est particulièrement mal ressenti chez les Biyomaal, lignage méridional du faisceau Dir, apparenté aux Ciise et aux Gadabuursi septentrionaux, à l’autre bout du Somal. Le parti des Biyomaal, le SSNM, s’est naguère fondé autour d’une alliance avec le SNM, dont il s’est inspiré pour choisir son nom. Après avoir rallié la SNA, il leur a rapidement semblé que les Hawiiye de Caydiid avaient aussi pour dessein la maîtrise des ports de Baraawe et de Marka. 1
Le Département de la Défense américain a dépensé 885 millions de dollars à la fin de l’année fiscale 1993 pour ses opérations en Somalie. Le transfert des fonds destinés à payer cette facture n’a pas amputé les dépenses prévues par le Département mais ses responsables se sont cependant déclarés préoccupés par un renouvellement des dépenses liées à ce genre d’opération qui, s’il devenait systématique, pourrait à terme créer des problèmes.
Les raisons de leur inquiétude sont multiples : outre qu’une communauté islamiste active est installée sur la côte du Banaadir, ces deux ports sont les exutoires naturels d’une partie de la production agricole de la basse vallée de la rivière Shabeelle. Or cette production maintenant tombe progressivement entre les mains des hommes d’affaires proches de Caydiid. Bien que nouveaux venus dans cette région, ils sont installés dans les anciennes fermes gouvernementales qu’ils exploitent avec la complicité d’hommes d’affaires italiens ou américains au détriment des populations Digil qui les cultivent. Un phénomène sur lequel il faudra revenir quand deux ans plus tard il aura pris une dimension préoccupante. D’autant que dans les zones tenues par la SNA, les Habar Gidir maîtrisent aussi la désignation des conseils de région et de district, s’opposant ainsi à ceux que tente de mettre en place l’ONUSOM. Pour user d’un raccourci, les Digil sont en train de perdre la maîtrise de leur production agricole, les Biyomaal celle de leur exportation. C’est pourquoi une tension forte s’installe. Chacun des protagonistes sait que son avenir dépend de la maîtrise des emporia. Par eux entrent les armes et par eux sortent les produits de l’agriculture. Celle-ci se remet en effet peu à peu en route notamment grâce au travail des ONG et des agences des Nations unies qui n’ont pas vocation à se préoccuper des conséquences politico-sécuritaires de l’exercice. Le SSNM, dirigé par l’ancien secrétaire de la SNA, Cabdi Warsame Isxaaq, a rompu en août 1993 avec cette dernière, au moment où les miliciens du général Caydiid affrontaient l’ONUSOM. Le mouvement a alors rejoint la SSA dont les lignages alliés, plutôt situés au nord de Muqdisho, sont moins menaçants pour leurs affaires et dont il devient ainsi la douzième faction. À la conférence de réconciliation sur la Somalie ébauchée à Addis Abäba en décembre 1993, Caydiid a bien tenté de faire accepter une 16e faction somalienne à la table de négociations, à savoir un SSNM-SNA rassemblant les quelques Biyomaal réputés lui être restés fidèles. Mais en vain. Or ce changement d’alliance a des conséquences sur l’équilibre des forces. Les représentativités ne sont plus les mêmes au regard des positions adoptées aux conférences de Djibouti puis d’Addis Abäba. Il est donc nécessaire pour Caydiid de démontrer qu’il conserve des partisans au sein des Biyomaal. Quoi de mieux que de se revendiquer de leur action et de leur soutien en s’emparant de Marka, c’est-à-dire en s’assurant d’une région en passe de lui échapper. Ainsi, autour du 20 avril, après deux semaines de combats, les partisans du général ont repris le contrôle de la ville. En fait, la prise de la cité tout comme la liquidation de certains opposants au chef de la SNA tendent à montrer que Caydiid entend aussi prendre une revanche sur ceux qui l’ont trahi face à l’ONUSOM. Mais elle montre surtout qu’un processus de reconquête du Sud-est en cours, processus dont la
prochaine étape ne peut être que Kismaayo toujours aux mains de Maxamed Moorgan. Bien sûr, après que les combats ont repris à Marka le 5 avril, la SSA a fait aussitôt savoir qu’elle ne participerait à aucune réunion tant que les forces de la SNA ne s’en seraient pas retirées. Caydiid qui se sait politiquement en plutôt bonne position au regard de son adversaire se laisse alors à moitié fléchir, entreprenant un retrait approximatif de ses miliciens à la périphérie de la cité. Mais alors que, le 25 avril, les représentants de la SSA ont accepté de se réunir à Nairobi le 10 mai, ce sont des affrontements entre Habar Gidir et Xawaadle qui viennent maintenant perturber la situation sécuritaire autour de l’aéroport de Muqdisho, entraînant une série de représailles contre les Sacad dans le centre du pays.
Muqdisho : fragilité des zones portuaire et aéroportuaire [IV/V-1994] Parmi les inquiétudes que développent légitimement les Nations unies, un souci particulier porte sur la sécurité du port et de l’aéroport de Muqdisho après le départ des troupes. Depuis la fin 1993, le port, qui a connu un regain d’activité, est dirigé par l’ex-directeur du port de Hamburg, Horst Rashdorf, en accord avec l’ONUSOM et un consortium somalien, la Muqdisho Port Operation Corporation. L’équipe de la Hamburg Port Consultants qui structure l’affaire n’est cependant pas prête à demeurer à Muqdisho si la sécurité du port n’est plus assurée. Aussi réclame-t-elle d’une part qu’un accord soit passé entre les milices somaliennes et que, d’autre part, une petite force militaire des Nations unies reste en place pour protéger les installations et l’activité portuaire. Autant de requêtes qu’il n’est guère question de prendre en compte. Certes, les États-Unis ont prévu d’envoyer une force d’environ 3 000 Marines pour protéger le départ des Casques bleus et aider au rapatriement de leur matériel militaire, mais une centaine seulement seront déployés à terre et ils n’ont pas envisagé de laisser de troupe derrière eux. Quant à l’hypothèse d’un accord entre les Saleebaan et les Xawaadle qui revendiquent la zone autour du principe d’un comité mixte de gestion du port et de l’aéroport après le retrait de l’ONUSOM, il est catégoriquement rejeté par la SNA dont les propos font planer un sérieux doute sur le devenir des deux installations. Face à cette fin de non-recevoir, les experts allemands n’insistent pas et retirent à leur tour leur personnel. Les Saleebaan reprennent aussitôt le contrôle du port où un de leurs responsables s’empresse de mettre fin aux exportations de ferrailles vers le Kenya que son lignage ne contrôlait pas. Et surtout, en parallèle de ces tractations, les milices somaliennes se positionnent pour l’aprèsONUSOM sur l’ensemble de la côte du Banaadir. De la sorte, après s’être emparée de Baraawe en novembre 1993 et de Marka en mars
1994, la SNA contrôle maintenant le littoral et les plantations de bananes du Shabeellaha Hoose1. L’ONUSOM, gestionnaire légal du port et de l’aéroport, et le PNUD qui doit en assurer la réhabilitation jusqu’en juin 1995 n’en poursuivent pas moins leurs efforts entrepris depuis plusieurs mois en vue de mettre sur pied ce comité de gestion auquel seraient remises les clés du port. Mais toutes les tentatives se concluent sur un échec et aucune autorité n’est en mesure de reprendre la gestion des deux emprises. Pendant que les contingents étrangers quittent progressivement le territoire somalien, les factions savent que l’aventure ne peut se terminer, d’une façon ou d’une autre, que sur une reprise des combats. Sauf que, à part certains individus qui ont su tirer profit de la présence internationale, Nations unies ou ONG, les factions sont relativement épuisées par plusieurs années de guerre civile, économiquement au moins. Aussi, d’ores et déjà nombre d’entre elles ont-elles entrepris soit quelque reconversion, soit quelque recomposition d’alliance.
Muqdisho : les Xawaadle au cœur des affrontements [24.VI/4.VII1994]
Les plus sérieux affrontements entre les lignages Hawiiye éclatent entre Habar Gidir et Xawaadle le 24 juin dans la commune de Makka et à Medina. Ils se poursuivent la journée durant au sud de Muqdisho, dans une zone proche de Jasiira et autour de l’hôpital de Medina, menaçant de se propager au-delà de la capitale et de ses environs. Au cours du mois de mai déjà, les deux communautés s’étaient affrontées pour le contrôle de l’aéroport international Aadan Cadde. Si les Habar Gidir en avaient effectivement pris le contrôle lors du renversement de régime en janvier 1991, ils en avaient été délogés par le déploiement militaire de l’UNITAF en décembre 1992 avant que celleci ne soit relevée quatre mois plus tard par l’opération ONUSOM II. Mais lorsque les troupes américaines se retirent totalement de Somalie, à la fin mars, les Xawaadle cherchent immédiatement à reprendre le contrôle de ces installations prometteuses de profits. Leur tentative s’effectue en dépit de la présence du contingent égyptien de l’ONUSOM qui, sur son quant-à-soi, se fait le plus discret possible et ne se préoccupe que de protéger les transits de marchandises relevant de l’humanitaire. Les Xawaadle se heurtent alors aux miliciens Habar Gidir qui contrôlant déjà la plus grande partie du sud de la capitale parviennent à prendre le dessus dès le début du mois de mai. Dans cette partie sud de la capitale, où Caydiid s’est réinstallé le 19 mai, ce sont les Cayr du général Maxamed Nuur Galaal qui, bien que souvent rivaux des Sacad du général Caydiid ont chassé les miliciens Xawaadle. Ceux-ci et leurs familles n’ont guère d’alternative. Il leur faut se réfugier tout d’abord au 1
LOI n°644, 29 octobre 1994
nord de Muqdisho, dans la zone Abgaal. Des combats à Jalalaqsi les contraignent cependant à poursuivre leur repli vers le nord et leur propre territoire, dans la province du Hiiraan, le long de la rive gauche de la rivière Shabeelle, à proximité de Beledweyne. Et même là, de nouveaux affrontements les attendent qui vont les opposer aux Habar Gidir installés dans la ville. Aussi à la mi-mai, les miliciens Xawaadle doivent à nouveau se déplacer vers le nord pour s’installer dans la localité de Matabaan. Les notables Xawaadle décident alors d’éclaircir leur position et de procéder à des choix. C’est ainsi qu’à la fin du mois de juin se tient à Beledweyne un shir aux termes duquel il est décidé la création d’un parti politique qui prend le nom de United Somali Congress-Peace Movement (USC-PM). Celui-ci vient s’ajouter aux deux factions concurrentes qui partagent déjà la société Hawiiye. Son existence est révélée à Nairobi, le 4 juillet par le porte-parole du nouveau mouvement, Cismaan Maxamuud Jelle. Un avocat ancien ministre, Cabdullaahi Cosoble Siyaad1, en est nommé président et Axmed Maxamed Waaqle, secrétaire général. Afin de bien faire entendre sa voix, l’USC-PM décide de mettre en place une radio susceptible d’émettre à partir de Beledweyne. Au moment où les combats ont éclaté dans Muqdisho, Lansana Kouyate s’en est tenu à lancer un appel au calme, relayé par la presse locale et les stations radios. Un appel entendu puisqu’après s’être entretenus des moyens de calmer les tensions avec Cali Mahdi et Maxamed Caydiid ainsi qu’avec d’autres responsables politiques et militaires, tous se sont engagés auprès de lui à faire le nécessaire pour mettre fin aux combats. A cet effet il a même été convenu d’une réunion entre les notables Abgaal, Habar Gidir et Muruursade. Mais face à ce nouveau délitement, l’ONUSOM joue de la plus absolue prudence. Les consignes et les ordres sont clairs : les points d’appui de l’opération sont tous placés en alerte maximum à l’intérieur de Muqdisho où il est simplement veillé à ce que les milices ne déploient pas leurs technicals autour du point d’appui n°72. La QRF est placée en alerte et les hélicoptères Cobra survolent périodiquement les zones des combats afin de surveiller l’évolution de la situation. Les mouvements des personnels des Nations unies et des véhicules sont réduits, l’ONUSOM intensifiant en revanche ses patrouilles sur les principales routes d’acheminement de l’aide. Au niveau individuel, des consignes de protection des individus sont prises : le port du casque et du gilet pare-balles est ordonné à tous les personnels se déplaçant à l’intérieur des enceintes de l’ancienne ambassade américaine et de l’université. Toujours est-il que l’insécurité perdure au cours du mois de juillet. Le 18, une embuscade contre un convoi de l’ONUSOM à l’intérieur de la ville cause la mort de deux Casques bleus malaisiens et en blesse quatre 1 2
Ministre des Postes et Télécommication de 1974 à 1980 et de 1982 à 1987 Le carrefour de la route d’Afgooye et de l’avenue du 21 Octobre.
autres1. Face à ce regain d’insécurité, Save the Children UK décide de suspendre ses activités ainsi que l’UNDP qui met en sommeil le chantier entrepris au profit du Muqdisho Water Supply Project. Le trafic commercial en direction du port est interrompu deux semaines durant. Le PAM lui-même, confronté à un pillage à grande échelle, cesse son activité face aux menaces contre ses personnels. Au cours du deuxième trimestre de 1994, le Programme n’aura pu sortir du port que 10 000 tonnes de nourriture, soit la moitié des quantités programmées. Les routes d’accès aux ports sont souvent bloquées par les milices en armes. Car reviennent maintenant les vieilles et mauvaises habitudes : agences des Nations unies et ONG ont de nouveau recours au personnel de sécurité locale pour garder leurs installations et leurs stocks, prenant ainsi le risque d’un retour à la situation sans loi qui caractérisait la première phase de la crise somalienne. Ce regain de violence amène les États-Unis à retirer la majeure partie de leur personnel diplomatique de la capitale et à positionner un navire de guerre et 2000 hommes au large des côtes somaliennes. Naturellement, cette dégradation de la situation éloigne surtout un peu plus encore la perspective d’une conférence de réconciliation réellement représentative de l’ensemble des factions. Un nouveau report, sine die cette fois, a été annoncé par l’ONU le 30 mai. Les luttes entre les factions comme les disputes autour des modalités de son déroulement ne permettront finalement jamais la tenue de la réunion prévue. Il n’en est que plus clair que le Secrétaire général aura, avant la date-butoir du 29 juillet, d’énormes difficultés à présenter au Conseil de sécurité un rapport sur les progrès réalisés par la réconciliation des diverses factions. 2 Au début du mois de juillet, décidant de soutenir les Xawaadle, Cali Mahdi et le chef militaire Mareexaan du SNF, Cumar Masalle, se rendent à Beledweyne pour sceller une alliance avec l’USC-PM, le nouveau parti.3 Entre temps, à Muqdisho, de nouveaux combats ont mis aux prises les Habar Gidir aux Abgaal, reprenant leurs combats là où en décembre ils les avaient laissés. Les miliciens de Cali Mahdi s’en prennent aux Habar Gidir, rompant ainsi le cessez-le-feu qui tant bien que mal se maintenait depuis Nairobi. Bien que la radio de la SSA dénonce ses adversaires comme étant à l’origine des échauffourées, la SNA prend le parti de ne pas en faire état et se contente le lendemain de dénoncer des « fauteurs de troubles qui cherchent à saboter l’application des accords de paix signées la semaine précédente à Kismaayo ».
1
Onze soldats dont les quatre blessés sont enlevés au cours de l’attaque ; ils seront un peu plus tard relâchés. 2 LOI n°630 & 632, 2 & 16 juillet 1994 3 LOI n°631, 9 juillet 1994
SNA
SSA
Maxamed Faarax Caydiid Habar Gidir Sacad
Cali Mahdi Maxamed Abgaal
SNM Isxaaq
C/raxmaan Tuur Habar Yoonis
Maxamed Ibraahin Cigaal Habar Awal
SNDU Leelkase
Cali Ismaaciil Cabdi Giir Leelkase
SAMO bantou
sheekh Jaamac Xuseen
USC Hawiiye
NON ALIGNES
Mowlid Maani Maxamed
Maxamed Ramadaan Arbow
Maxamed Faarax Cabdullaahi Asharo
SDA Dir Gadabuursi
Cabduraxmaan Ducaale Cali
USF Dir Ciise SSDF Majeerteen
(Cabdillaahi Yuusuf)
(Maxamed Abshir Muuse)
SSNM Dir Biyomaal
Cabdulcasiis sheekh Yuusuf
Cabdi Warsame Isxaaq
Cumar Mungani Aweys
Maxamed Raagis Maxamed
Maxamed Nuur Yalaxoow
Cabdi Muuse Mayyow
Axmed Cumar Jees Maxamed Subeer
Aadan Cabdullaahi Nuur Gabiyow Cawlyahan
SNU Banaadiri SDM Raxanweyn SPM Ogaadeen SNF Mareexaan
Cumar xaaji Maxamed Masalle
Muruursade
Maxamed Qanyare Afrax
USP Dhulbahaante Warsangeli
Maxamed Siciid Xirsi Moorgan
Maxamed Cabdi Xaashi
Fractionnement des factions à la fin 1994 Car la situation à l’ouest de la Jubba est en train d’évoluer et s’y installe au même moment un rapport de forces nouveau propre à susciter des
alliances nouvelles. L’élément moteur de cette nouvelle dynamique est Maxamed Siciid Xirsi Moorgan.
PREMIERE EBAUCHE D’UN JUBBALAND
[XII-1993/VII-1994]
Trop approximativement loti sur le plan lignager, Moorgan n’en est pas moins le plus astucieux sur le plan politique. Les notables le savent. C’est pourquoi, sans lâcher de leurs prérogatives, s’engagent-ils prudemment à ses côtés en recourant habilement au concours des Nations unies. Après que, à partir d’octobre 1993, les États-Unis ont revu à la baisse leur engagement militaire, Maxamed Moorgan qui s’est réarmé en profitant de la fixation des Nations Unies sur Caydiid, est entré dans Kismaayo où il a tranquillement attendu le départ des soldats belges qui y étaient stationnés. Jouant la carte des conseils de région et de district préconisée par les Nations unies, il compte désormais sur ces derniers pour le protéger des velléités du SPM de Cumar Jees. Il met aussi à profit cette période pour favoriser les rencontres entre les notables des différents lignages de la vallée, avec d’ailleurs un succès personnel relatif. Mais il faut bien reconnaître qu’outre Jubba, il est le seul à véritablement faire cheminer l’idée d’un État autonome, comme elle chemine dans les provinces du Nord-est où s’impose de plus en plus clairement un ordre Majeerteen. Aussi faut-il faire un bref retour sur la fin de l’année 1993 afin de comprendre comment évolue la situation dans l’extrême sud-ouest somalien, au-delà du fleuve Jubba.
Le shir de Belet Xaaji [23/31.XII-1993] De nouveaux équilibres se mettent en effet en place à l’ouest de la Jubba où se reproduit le paradigme conflictuel de la capitale. Kismaayo et la basse vallée restent des secteurs particulièrement turbulents en dépit de nombreuses tentatives de parvenir à une répartition viable des capacités économiques de la région. La réunion qui se tient à partir du 23 décembre 1993 à Belet Xaaji est intéressante à plus d’un titre. Elle donne une image assez précise du rapport de force prévalant dans les deux districts méridionaux de la Jubbada Hoose, en particulier celui de Kismaayo. La rencontre se propose de parvenir à un consensus entre tous les lignages concernés par la distribution des sièges au sein du conseil de district de Kismaayo, conseil qui doit être constitué sous l’égide des Nations unies. Les invitations sont adressées aux notables des principaux clans de la région, à l’exception des Ogaadeen Maxamed Subeer, établis entre Wajir et Afmadow et les Makabul de l’extrême sud du pays. Treize intellectuels de Kismaayo sont aussi invités ainsi que dix hommes d’affaires importants installés à Nairobi. Maxamed Moorgan ouvre la séance par un vigoureux appel à renoncer aux différends claniques et à permettre que tous soient représentés aux conseils de districts. Or les notables Majeerteen qui se considèrent
comme les dépositaires de la défense des intérêts Harti refusent de s’engager dans cette voie et exigent de conserver la majorité des sièges. Bien qu’ils acceptent d’accorder une représentation aux autres clans locaux, ils refusent cette complaisance aux Ogaadeen Maxamed Subeer en faisant observer que ce lignage, majoritaire dans le district septentrional de Afmadow ne leur y ayant pas consenti le moindre siège, il était hors de question de leur en accorder à Kismaayo. De la même manière, ils refusent une représentation aux Mareexaan qu’ils ne considèrent pas comme des occupants légitimes du district puisqu’ils ne s’y sont établis que sous le régime de Siyaad Barre. À leur égard cependant, attendu qu’ils représentent essentiellement une communauté de commerçants, les notables font valoir qu’il leur sera donné de pouvoir poursuivre leurs activités de négoce, mais qu’il ne leur sera pas attribué de représentation politique. Plus maladroit encore, ils refusent une représentation aux Ogaadeen Cawlyahan, le lignage Ogaadeen qui constitue la faction SPM ralliée au général Moorgan ; leur chef, le général Aadan Gabiyow, ayant déjà obtenu un siège au conseil régional en tant que président du SPM, la dimension de son clan dans la province ne justifie pas selon eux une plus large représentation1. Plus fin, le 28 décembre, Moorgan revient à la charge et plaide en vain auprès des notables Harti afin qu’ils reconsidèrent la représentation des Mareexaan et des Maxamed Subeer. Il devient alors évident que Moorgan a été marginalisé non seulement par les notables mais aussi par l’ONUSOM dont peu auparavant, le 17 décembre, il avait sollicité le soutien en vue d’organiser la conférence, démarche qui lui aurait permis de se prévaloir de l’audience d’une instance internationale. Mais non seulement celle-ci a choisi de l’ignorer, mais elle a enclenché le processus de sélection d’un conseil de district à Kismaayo au moment même où commençait la conférence à Belet Xaaji, s’en démarquant ainsi délibérément. Ces insuccès font que dans son propre camp, les réserves à l’encontre de Moorgan sont perceptibles. En effet, en dépit de ses efforts, son ancien lieutenant Siciid Xuseen et le dirigeant fondamentaliste Cabdi Duullane ne sont pas venus appuyer son action. De nombreux indices laissent même apparaître que Siciid Xuseen aurait été sur le point de rompre avec lui, ce que semblerait devoir confirmer son absence. Ainsi, bien qu’invité à la conférence – il reste un chef de guerre menaçant – et bien qu’il appartienne lui-même à un lignage Harti du Nord, les notables ne tiennent compte d’aucune de ses plaidoiries en faveur d’une large représentation des clans. En tant que vice-président du SPM-Gabiyow, il ne lui est finalement attribué qu’un siège au conseil de district dont nul n’a manifestement songé à lui accorder la présidence. Le refus d’octroyer d’emblée une représentation aux Mareexaan, lignage auquel appartient sa femme, Canab, fille de Siyaad 1
Les Cawlyahan sont plutôt présents dans le Sud-Geedo, dans l’Ouest de la Jubbada Dhexe et au Kenya.
Barre, et d’où il tient ses soutiens financiers et clanique, est naturellement perçu comme un affront délibéré. En dépit des efforts de Moorgan, les notables Harti, qui restent sur leurs positions, se séparent le 31 décembre. À sa demande pourtant, une prolongation de la discussion est acceptée par la plupart des participants. De guerre lasse, dans la nuit du 3 au 4 janvier, un compromis est trouvé quand les notables Harti annoncent la distribution retenue : cinq sièges aux Majeerteen – dont celui de Moorgan, deux à chacun des clans Dhulbahaante, Warsangeli, Gaaljecel et Cawlyahan, un à chacun des Awrtable, Leylkase, Bah Geri, Bartire et Mahawai. Cette liste qui exclut irrévocablement les Maxamed Subeer promet naturellement de nouvelles difficultés avec les milices du SPM-Jees1. Ce relatif succès toutefois ne change pas la ligne de l’ONUSOM. Le directeur de zone persiste à ne pas retenir le shir de Belet Xaaji comme une affaire officielle, un consensus acceptable n’y ayant pas été atteint. Entreprise personnelle du général Moorgan en vue d’étendre sa sphère d’influence jusqu’à tenter d’obtenir le soutien des fondamentalistes, celui-ci savait qu’une nomination au conseil de district forcerait la main de l’ONUSOM et légitimerait son entrée dans Kismaayo puis, à terme, au sein du TNC. Pour l’heure, son échec à imposer ses vues aux notables, associé au désaveu a priori du processus par l’ONUSOM, laisse entrevoir de nouveaux affrontements entre les Majeerteen, les Mareexaan et surtout les Maxamed Subeer, qui n’échapperont pas au sentiment d’avoir été privés de leurs droits. Parmi les clés de compréhension de la problématique, il faut surtout garder à l’esprit d’une part la répartition territoriale des lignages régionaux et d’autre part l’idée que la population de Kismaayo, capitale économique de la sous-région, subsume naturellement la plupart des clans du Sud somalien. Sauf que les lignages Harti, résidants traditionnels du grand port, entendent bien y récupérer le pouvoir dont Siyaad Barre les avait partiellement spoliés au profit des Mareexaan.
Conférence de la Jubbada Hoose [24.V/19.VI-1994] Une fois encore donc rien n’était réglé et le 15 février 1994, à Belet Xaaji même, les miliciens du SPM-Jees s’affrontent à nouveau avec ceux de Moorgan. Le terrain leur a en effet été abandonné par les troupes des Nations unies qui ne stationnent plus en permanence dans le Sud somalien. En dépit de certaines maladresses, la simple présence de l’ONUSOM, dissuasive, avait pourtant permis de réduire notablement le banditisme et d’assurer la protection non seulement des équipes expatriées, mais aussi du personnel somalien. C’est pourquoi les incertitudes concernant le redimensionnement des troupes déployées deviennent une nouvelle source d’inquiétude pour la communauté des 1
Indian brigade. UNOSOM/66020/33. Conference at Belet Xaaji
humanitaires. N’en déplaise à certaines de leurs centrales, la sécurisation des accès aux ports et aéroports, la protection des bureaux, des résidences et des entrepôts, les escortes des convois et la capacité à procéder à une évacuation rapide sont considérées par les personnels des Nations unies et les ONG déployés sur le terrain comme la garantie de leur travail humanitaire. C’est dans ce contexte que trois jours après la ratification de la déclaration de Nairobi, un second accord est paraphé le 27 mars 1994 entre divers représentants de la région de la Jubbada Hoose. Par celuici, les notables s’entendent pour organiser une conférence de réconciliation le 8 avril à Kismaayo. Mais si cet accord est obtenu avec l’aval du général Caydiid ainsi qu’avec celui de Moorgan, on observe que leurs deux alliés Ogaadeen respectifs, Cumar Jees et Aadan Gabiyow portent sur le projet un regard circonspect. Mais bien qu’ils en jugent l’idée prématurée, tout le monde s’entend finalement au moins sur le principe d’un cessez-le-feu. Il reste que l’affaire ne se déroule pas aussi sereinement que le bel enthousiasme de Nairobi aurait pu le laisser supposer. L’accord établit néanmoins que le principe de réconciliation serait fondé sur le dialogue et que l’ensemble des différends serait réglé selon les traditions et l’éthique somalies. Un comité technique doit arrêter le nombre des participants qui représenteront l’ensemble des lignages. Les chefs de factions s’engagent à observer un cessez-le-feu, à procéder au cantonnement des milices et à mettre en place un mécanisme de restitution des biens meubles et immeubles volés à leurs propriétaires. Un comité conjoint supervisera la mise en œuvre de l’accord avec l’assistance de l’ONUSOM. Deux jours plus tard, le 10 avril, un comité technique se rassemble à Kismaayo pour finaliser le critère de participation à la conférence. Il est convenu que 160 représentants seront retenus. Une fois la liste établie, la date du 24 mai est confirmée pour l’ouverture de la conférence qui se tiendra à Kismaayo. En dépit du réel effort consenti à la fois par le SPMGabiyow représenté par Moorgan et la SNA représentée par Cismaan Caato pour organiser la manifestation, il plane sur son processus la menace de Cumar Jees. À Nairobi, ce dernier s’est refusé à engager sa faction et les Maxamed Subeer sur l’agenda de la conférence. Des échauffourées d’ailleurs ont encore lieu le 21 avril entre Darood. Mais malgré tout, la conférence de la Jubbada Hoose se conclut le 18 juin sur un accord entre les représentants de dix-neuf lignages de la région qui appellent à un cessez-le-feu général à compter du 24 juin. Tous s’engagent à procéder à l’ouverture des routes, à la restitution des biens à leurs propriétaires légitimes, à assurer la sécurité du personnel et des biens des Nations unies et des organisations ONG et à procéder à des campagnes d’information auprès de la population. Il est enfin entendu que sera remis en place un système d’administration régional, à commencer par les tribunaux, un système pénitentiaire et une force de
police. Quatre comités sont établis afin de superviser la mise en place de ces dispositions. Fort de la décision de faire de Kismaayo une zone démilitarisée, la conférence laisse aux chefs de factions le soin de finaliser les arrangements relatifs aux cantonnements et à la réinsertion des miliciens. L’accord de paix est aussi endossé par Maxamed Moorgan au nom du SPM-Gabiyow et par le financier du général Caydiid, Cismaan Caato au nom de la SNA. On observe cependant l’absence de Gabiyow au point que certains s’interrogent sur la légitimité de la représentation de Moorgan. Quant à Cumar Jees, déçu par ce qu’il considère comme une trahison, il espère reconstituer une unité Ogaadeen en ralliant à ses Maxamed Subeer la faction Cawlyahan du général Gabiyow officiellement toujours allié à Moorgan mais qui n’a pas non plus paraphé l’accord de Kismaayo. Mais au-delà de ces chassés-croisés, une sorte de normalisation politique fragile certes et probablement éphémère s’est dessinée. Elle paraît s’ordonner autour de l’alliance passée l’an dernier, contre l’avis des représentants des Nations unies, entre le colonel Cabdullaahi Yuusuf et le général Caydiid. Un bruit court en effet, selon lequel le colonel Majeerteen aurait conseillé au général de rompre avec Cumar Jees et de négocier un modus vivendi dans le sud du pays avec son pire ennemi de naguère, le général Moorgan. Et c’est effectivement ce qui est advenu. Sans conteste, les grands perdants du nouvel ordre politique qui se dessine sont bien les deux composantes Ogaadeen du SPM au Sud, la SSA de Cali Mahdi à Muqdisho et les partisans SSDF de Maxamed Abshir Muuse en pays Majeerteen.
Conférence dite des clans Absame [26.VI/9.VII-1994] La conférence qui s’achève laisse une semaine plus tard la porte ouverte aux lignages Absame1, absents de la conférence de la Jubbada Hoose afin qu’ils procèdent à leur propre réconciliation avant espère-t-on aux Nations unies de se joindre aux décisions prises à Kismaayo. Une lecture il est vrai un peu optimiste de la situation et hâtive du contexte. À Dhoobley, la conférence à laquelle assistent 500 délégués représentant onze lignages Ogaadeen2 s’ouvre le 26 juin. Une atmosphère de liesse s’installe quand les clans accueillent un grand nombre de réfugiés retournés du Kenya par anticipation de la paix qu’ils attendent des conférences des Harti de la Jubbada Hoose et 1
Les Absame rassemblent deux lignages Darood : les Jidwaaq d’une part pour la plupart établis dans la région de Jigjiga en Éthiopie et surtout le très grand et très complexe faisceau lignager des Ogaadeen - que l’on appelle parfois Agadheer, « Grands pieds ». 2 Les trois principaux segments Ogaadeen représentés sont du nord au sud les Cawlyahan des districts de Saakow et Baardheere, les Maxamed Subeer du district de Afmadow ainsi que les Makabul de l’extrême sud-ouest.
aujourd’hui des Ogaadeen eux-mêmes 1. Le shir s’achève le 9 juillet sur la lecture du texte d’un accord dont il ressort deux points essentiels : la mise en place d’un mécanisme de réunification des deux factions du SPM et un engagement à régler pacifiquement les disputes liées aux droits de propriété et à la restitution des biens. Le document appelle encore à la réconciliation entre les communautés Absame et les autres Somaliens, à la protection des agences humanitaires opérant dans les zones contrôlées par les Ogaadeen, à l’établissement de tribunaux, d’un système de prison et d’une force de police. Concluant la cérémonie de fermeture de la conférence, Lansana Kouyate qui a assisté à l’exercice souligne la nécessité pour le beel communauté d’entrer immédiatement en dialogue avec les autres communautés et d’arriver à un accommodement avec les signataires de l’accord de paix de la Jubbada Hoose, élément majeur du processus régional de réconciliation. 2 Si rien ne se règle à Muqdisho, il faut reconnaître que l’on assiste quand même sur le territoire de l’ancienne Somalie à des tentatives sectorisées de réconciliation. Elles attestent dans nombre de régions une volonté de retrouver un cours ordinaire des choses. Cette tendance se fait maintenant jour dans les provinces à l’ouest de la Jubba, comme il est apparu il y a peu dans le Nord-est. Dans ces deux provinces, l’hypothèse fédéraliste prévaut, bien qu’assortie d’un quant-à-soi en attendant une normalisation du Centre du pays. Dans le Nord-ouest, au Somaliland, où les institutions d’un État indépendant poursuivent leur installation, un certain nombre de difficultés sont apparues au lendemain de l’élection du président Maxamed Cigaal. Elles résultent notamment du regain d’activité du courant anti-indépendantiste. Ce courant s’appuie sur les chefs de faction de la Somalie centrale, sur nombre de responsables de l’ancien SNM ainsi que sur l’intransigeance des Nations unies, tous relayés en l’occurrence par les politiques arabes. Aussi est-ce sur ces difficultés qu’il nous faut maintenant revenir.
1
D’autant qu’il est venu à leur connaissance que d’autres efforts de réconciliation entre clans et factions ont au lieu dans d’autres régions encore : en février, entre deux lignages Ogaadeen et un lignage Digil puis à Baardheere entre des représentants du SPM, du SNF et du SDM. 2 Dans ce Sud qui semble se positionner de façon encourageante, on observe cependant que le banditisme ne baisse guère. À Waajit dans le Bakool, une équipe d’expatriés grecs de Médecins du monde a été tuée en mars et dans certains endroits de la Jubbada Hoose où la présence des réfugiés crée des situations tendues, un membre d’une équipe du HCR a encore été tué en avril.
XIX – 1994 : M AXAMED C IGAAL , LA 2 E GUERRE DES I SXAAQ
Passé l’enthousiasme de la déclaration d’indépendance, l’élection de Maxamed Cigaal et la mise en place d’un gouvernement civil ne suscitent pas une liesse unanime dans les limites de l’ancien Somaliland.
LES DIFFICULTES DE LA POSITION INDEPENDANTISTE Le désarmement auquel s’est attelé le nouveau gouvernement s’est effectué de manière inégale dans l’ensemble du pays où se précise maintenant une nouvelle menace. Si la réunion de Boorama s’est séparée satisfaite de son résultat et avec force éloge envers les talents déployés par le comité d’organisation Gadabuursi, certains Habar Garxajis au sein du lignage Habar Yoonis remâchent toujours un an plus tard leur amertume d’avoir perdu la présidence sans avoir obtenu de contrepartie convenable. Ils ont quitté Boorama suffisamment mécontents pour que le gouvernement de Maxamed Cigaal ait identifié rapidement la nécessité de les apaiser. À cet effet, il a rapidement dépêchés à Burco un équipage de quelque 120 délégués afin qu’ils s’entretiennent avec les notables. L’initiative n’a guère rencontré de succès cependant. De leur propre chef les Habar Yoonis de Burco avaient déjà organisé le shir Liibaan I qui ne présageait rien de bon puisque de cette réunion, il était ressorti une déclaration établissant qu’ils ne reconnaîtraient pas comme légitime la nouvelle administration.
Les faiblesses du beel system Le malaise des Habar Garxajis s’alimente aussi du système instauré du beel1 qui ne se révèle pas panacée politique : s’il résout sans conteste une partie des problèmes, certains aspects approximatifs de sa mise en place hâtive en soulèvent d’autres. Deux exemples sont probants. Le premier fonde les difficultés qui vont surgir avec les Harti établis sur le territoire du Somaliland historique. Sous le gouvernement britannique, ces lignages – Warsangeli et Dhulbahaante – y avaient été considérés au second plan en termes d’importance par rapport à la communauté des Isxaaq. Avec la désignation d’un vice-président Gadabuursi, de nombreux Harti se sentent relégués dans le nouvel État à une troisième place par le tour de passe-passe au terme duquel le poste de président de la Chambre basse est considéré comme une compensation insuffisante. Bien que les représentants des Harti à la conférence de Boorama aient accepté les nouveaux arrangements, ils n’en conservent pas moins une impression d’avoir été marginalisés qui accentue leur sentiment d’aliénation par rapport au Somaliland. Il faudra attendre quelques années encore pour que cette sensation soit instrumentalisée par d’autres pouvoirs au point de devenir crisogène. Le second exemple en revanche fonde les difficultés immédiates du nouveau gouvernement alors que le système du beel complique le délicat problème du partage du pouvoir à l’intérieur même des lignages Isxaaq. La distribution des sièges dans le nouveau parlement est ajustée selon une formule compliquée. Proche de celle établie en 1989 par le comité central du SNM à Balli Gubadle, elle est fondée sur la généalogie de leur ancêtre commun, sheekh Isxaaq. Or, selon cet arrangement, le lignage des Habar Garxajis, à la fois étendu et influent, ne reçoit en partage qu’un nombre ridiculement bas de sièges alors même qu’un politicien Habar Garxajis tient la fonction de président du SNM. De plus, alors que c’est un membre d’un lignage Habar Awal, Maxamed Cigaal, qui assure la présidence depuis mai 1993, aucun rééquilibrage n’a été opéré et la distribution des sièges Isxaaq au Parlement n’a jamais été remise en cause. Il en ressort que la direction politique des Habar Garxajis se sent dupée et refuse de reconnaître la légitimité du nouveau gouvernement. Plus généralement, on observe qu’un certain nombre de verrous nouveaux sont venus s’établir qui demanderont encore de la patience et du sang. Fondés sur les conflits d’intérêt clanique particuliers, il est possible de les considérer selon trois registres : - les Habar Awal, partisans du président Maxamed Cigaal et solidaires de la vision sécessionniste et indépendantiste ; 1
On parle de beel system, de « système de communauté ». Fondé sur le principe du ama dalkaa qab, ama dadkaa qab, il vise à responsabiliser les faisceaux lignagers et à leur reconnaître le droit à régler les problèmes survenant sur le territoire de la communauté.
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les Habar Garxajis, partisans de Cabdiraxmaan Tuur et revenus à une vision fédéraliste de la Somalie ; - certains clans – mais pas tous – du faisceau Habar Jeclo qui autour de Burco sont imprégnés d’une stratégie menée par les groupes islamistes. Un autre élément favorise encore, dès la fin de l’année 1993, les lézardes au sein du jeune appareil. Le gouvernement mis en place par le shirweyne de Boorama souffre du positionnement inamical des institutions internationales et du soutien apporté par le général Maxamed Faarax Caydiid, de toujours allié du SNM, à ceux qui contestent aujourd’hui l’autorité du président Maxamed Cigaal. Les candidats rebelles puisent ainsi le sentiment que le monde les soutient. Le corollaire en est un isolement avéré des dirigeants somalilandais. Aussi, bien qu’aucun embrasement général ne menace la situation particulière du Somaliland, des foyers d’insatisfaction perdurent, suffisamment importants pour se traduire par des affrontements armés violents, aussi ponctuels et localisés soient-ils. Un climat difficile s’installe, climat que conseils de notables et crainte d’un retour à la guerre parviendront à force de patience à ramener à un calme somali, c’est-à-dire un « calme turbulent ».
Frilosité ou indifférence, les réticences du soutien international Au début de l’année 1994, le président Maxamed Cigaal, accompagné de cinq de ses ministres, entreprend une tournée régionale. Elle le conduit tout d’abord au Kenya où, à la requête du président Daniel arap Moi qui a entrepris aux côtés de Lansana Kouyate une nouvelle tentative de médiation, il a rencontré le général Caydiid. Son voyage se poursuit en Ouganda où le président Yuweri Museveni le questionne longuement sur la viabilité économique d’un Somaliland indépendant puis en Tanzanie, autant d’endroits où il tente de convaincre ses pairs de la légitimité de sa déclaration de sécession. Le 19 janvier, à Djibouti, la réception est moins formelle car intérêts et destins sont davantage liés : entretien avec le Premier ministre, Barkat Gourad Hamadou, partie de qaad avec Ismaël Omar Guelleh, le chef de cabinet du Président, et nouvel entretien avec le Président lui-même. Les résultats n’en sont pas pour autant probants et, au final, le voyage se conclut dans l’ensemble sur un accueil parfois aimable, mais surtout réservé. Cette prime au sérieux que le Somaliland attendait de ses voisins n’est pas venue et un certain sentiment d’injustice s’installe en regard du traitement accordé au cas érythréen. La lecture est simple : pourquoi eux et pas nous ; faut-il donc entreprendre une nouvelle guerre civile fratricide pour légitimer un soutien ? Mais à l’évidence, le principal verrou se trouve aux Nations unies, garantes de cette intangibilité des frontières africaines prônée par la charte de l’OUA, une intangibilité qui vue de Hargeysa semble à géométrie variable.
Aussi Cigaal n’attend-il guère tant de l’OUA que de l’IGADD qui doit se prononcer le 5 février à Djibouti sur la demande de reconnaissance transmise par Hargeysa.
La délégation à Paris [5.II-1994] En ce même début du mois de février, trois ministres du gouvernement de Hargeysa, Cusmaan A. Jaamac des Affaires étrangères, Maxamed Cali Caateeye, ministre des Ressources minérales et Muuse Biixi, le ministre de l’Intérieur, effectuent une mission à Paris. Ils doivent y rencontrer la sous-directrice du département Afrique du ministère des Affaires étrangères, Catherine Boivineau, un responsable des questions humanitaires ainsi que le conseiller Afrique de l’Élysée, Bruno Delaye. Sur le registre de la reconnaissance, c’est une fin de non-recevoir ; la consigne est la mise entre parenthèses jusqu’à nouvel ordre. La sousdirectrice, qui est réputée connaître le dossier somalien a trouvé comme échappatoire de recommander aux envoyés de suivre l’exemple érythréen en obtenant de Muqdisho un aval à leur indépendance, comme Asmära l’avait obtenu d’Addis Abäba. Pour le reste, les discussions tournent autour du projet de rapatriement des quelque 15 000 réfugiés installés à Djibouti, Ciise pour la plupart. La délégation souhaite être consultée sur le déroulement d’un programme dont ils avancent à juste titre identifier les effets déstabilisateurs dans la région de Seylac. Aussi les trois missionnaires sollicitent-ils une aide financière pour organiser un shir qui réunirait les dignitaires Isxaaq, Ciise et Gadabuursi.1 Une aide que Paris consent à octroyer, atermoyant en revanche – sans en exclure le principe – sur la requête à propos d’une aide plus large aux réfugiés du Somaliland et au déminage des routes.
L’incident Rimfire [15/18.II-1994] L’affaire du déminage resurgit au milieu du mois quand éclate un incident qui vient momentanément compromettre les relations avec les Britanniques, seuls Européens à s’être montrés véritablement disposés à coopérer avec le Somaliland. Une affaire en soi minime puisque le gouvernement de Hargeysa mesure combien tout incident même bénin peut se retourner contre lui et altérer la crédibilité de ses revendications. L’affaire éclate quand les ouvriers somalilandais de l’entreprise Rimfire, en charge du déminage, prennent en otage à Hargeysa leurs employeurs et collègues britanniques en raison d’un différend portant sur les salaires. Les treize Britanniques parviennent à quitter Hargeysa pour Djibouti le 18 février à bord d’un avion affrété par leur société. Les griefs des Somalilandais envers cette société sont nombreux. Alors que leur travail au sol est nettement plus dangereux que celui des étrangers, 1
LOI n°609, 5 février 1994
ils se plaignent de n’être payés que 150 $ par mois contre 3500 pour les Britanniques. Or, non seulement aucun salaire ne leur a été versé depuis quatre mois, mais la société refuse également de les assurer sur la vie et même de payer leurs frais médicaux en cas de blessure. Au terme de plusieurs accidents mortels, il apparaît enfin que les précautions de sécurité prises sont souvent dérisoires. Le général Jaamac Maxamed Qaalib Yare qui cherche à s’interposer entre les séquestrés et ses compatriotes se fait finalement malmener par ceux-ci et la libération des employés n’intervient qu’après négociations entre les grévistes et le président Cigaal en personne. Commentant ces événements, le porte-parole civil de l’ONUSOM, George Bennett, déclare à Muqdisho le 17 février qu’ils avaient donné lieu à des combats à Hargeysa entre forces de sécurité gouvernementale du Somaliland et anciens miliciens employés par la société. Cette interprétation libre de ces incidents est de toute évidence exagérée et s’inscrit une fois encore dans cette préoccupation compulsive visant à discréditer toute entreprise des Somaliens. En effet, les témoins occidentaux présents à Hargeysa, certifieront que rien ne s’était passé de la sorte et que l’affaire qui s’était réglée sans affrontements graves s’était limitée à quelques bousculades musclées1. Il apparaît alors qu’à l’origine du différend se trouve le fait que ni les dirigeants du Somaliland ni les responsables locaux des Nations unies ne se sont montrés satisfaits du travail de cette entreprise. Aussi, en dépit de leur requête, le Président avait refusé à ses dirigeants de prolonger leur contrat, terminé depuis le 31 décembre, mais dont les responsables voulaient qu’il soit renouvelé. Or Maxamed Cigaal trouve un compromis en demandant aux employés et responsables britanniques retenus en otages de signer, en contrepartie de leur libération, une lettre dans laquelle ils s’engagent à ne pas revenir travailler au Somaliland. Un départ qui ne résout pas le problème des mines et incite une fois encore les dirigeants à se tourner vers Paris, sollicité pour étudier rapidement leurs demandes d’aide en matière de déminage.
La résistance à la pression des Nations unies [II/VIII-1994] Mais c’est encore avec les Nations unies que les difficultés vont apparaître. En octobre 1993, après l’affaire Kapungu, le départ des fonctionnaires des Nations unies et la sédition des ONG, Boutros Boutros Ghali avait donné au président Cigaal l’assurance que l’Organisation travaillerait dorénavant en étroite coordination avec les dirigeants d’Hargeysa. De leur côté, en signe d’apaisement les responsables du Somaliland avaient consenti à ce qu’une poignée de fonctionnaires restât en place, sous haute surveillance, cela va sans dire.
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LOI n°612, 26 février 1994
Mais quand quatre mois plus tard, en février 1994, New York décide de soutenir la conférence des clans Harti qui vise à rapprocher les lignages Majeerteen du Nord-est des lignages Warsangeli et Dhulbahaante du Somaliland, cet appel à un dépeçage du Somaliland est identifié par Hargeysa comme une nouvelle déclaration de guerre. Aussi, provocation, coup de colère, le président du Somaliland annonce au début du mois de mars qu’il appellera la population à se prononcer par référendum sur l’indépendance du Somaliland le 17 mai prochain, veille de l’anniversaire de la proclamation unilatérale de l’indépendance en 1991. Un projet bien au-delà de ses moyens certes, mais qui n’en promet pas moins une nouvelle détérioration des relations. Et en effet, un nouveau différend éclate en août quand la présidence du Somaliland dénonce les contacts entretenus par les représentants de l’ONUSOM II avec l’ancien président Cabdiraxmaan Tuur qui, après avoir été évincé de ses fonctions, s’est prononcé le 29 avril contre l’indépendance de la région Nord-Ouest. Depuis cette prise de position qui tombe opportunément à l’aplomb de leurs desseins, Tuur est régulièrement sollicité par des responsables des Nations unies, trop heureux de s’être trouvés un nouveau champion de poids. Aussi, au fil d’un communiqué par ailleurs bien renseigné, le bureau du président Cigaal reproche-t-il plus précisément au Représentant spécial, Victor Gbeho, d’encourager les discussions visant à faire admettre Cabdiraxmaan Tuur au sein du gouvernement que Maxamed Caydiid projette de mettre sur pied à Muqdisho. Mais entre autres griefs, Hargeysa déplore aussi le refus de New York de reconnaître la Cour suprême du Somaliland et partant, celui de lui apporter le concours financier sollicité. Également éconduites sur une demande de contribution visant à financer le désarmement des milices et les programmes de démobilisation, les autorités d’Hargeysa en concluent que la présence de l’ONUSOM II sur leur territoire était résolument inamicale. C’est pour cet ensemble de raisons qu’après avoir été accusés d’ingérence dans les affaires intérieures du pays, les représentants des Nations unies sont officiellement expulsés le 22 août 1994. La mesure est confirmée par un communiqué du bureau du président Cigaal qui précise le 24 août que les délégués des Nations unies avaient quitté le pays la veille. Loin d’avoir décoléré, le 25 septembre encore, Maxamed Cigaal adresse à Boutros Boutros Ghali et au Conseil de sécurité un courrier au fil duquel il fustige deux assertions contenues dans le rapport présenté le 17 septembre par l’ONUSOM à New York, rapport évoquant la recomposition du paysage somalien alors que se précise maintenant le départ des forces des Nations unies1. Maxamed Cigaal conteste l’affirmation selon laquelle le colonel Cabdullaahi Yuusuf – dont il 1
Rapport du Secrétaire général S/1994/1068 du 17 septembre 1994, § 13, 14 et 15.
n’ignore rien de sa proximité avec Caydiid – aurait été élu président du SSDF après que l’ex-Premier ministre somalien, Cabdirisxaaq xaaji Xuseen, a renoncé à ce poste. Il retient en revanche que c’est Maxamed Abshir Muuse – proche de Cali Mahdi – qui a été élu à l’unanimité par un comité suprême du SSDF.1 Si cette dernière assertion est, comme nous allons le voir, éminemment douteuse, plus intéressante est sa contestation de Cabdiraxmaan Tuur, mentionné par le rapport en tant que président du SNM. Selon Maxamed Cigaal, celui-ci n’est plus qu’un « exilé à Londres » depuis qu’il a été écarté de la présidence du Somaliland par le shir de Boorama. Seul Maxamed Faarax Caydiid considère encore Tuur comme un chef politique du Nord somalien. Dans l’espoir de former un gouvernement à dimension nationale pour l’après-ONUSOM, le général a effectivement sorti Tuur de son exil anglais pour le faire participer aux négociations en cours. Ce n’est que par souci de cohérence que ce dernier a dû au préalable faire amende honorable en dénonçant la sécession du Somaliland à laquelle il avait pourtant participé. En fait, Cabdiraxmaan Tuur s’est rendu à Muqdisho au début de l’année 1994 avec nombre de ses soutiens. Là, circonvenu par les Nations unies, il s’est préparé à participer à la conférence de réconciliation dont New York espérait la tenue, confirmant de fait son ralliement au principe d’une Somalie unie. Il a à ses côtés une délégation de dissidents Habar Garxajis comprenant notamment le général Ciidagale Jaamac Maxamed Qaalib Yare. Ainsi, à Addis Abäba, le 29 avril, l’ancien Président effectue une volte-face spectaculaire à l’issue d’un entretien avec Maxamed Caydiid. Autant de démarches qui apporteront leur lot de difficultés certes au Somaliland, mais qui n’auront jamais suffisamment de densité pour remettre en cause la volonté d’indépendance du pays. Toujours est-il que gagné maintenant à l’idée d’un système fédéral depuis qu’il a perdu ses fonctions à Hargeysa, Cabdiraxmaan Tuur revient à Muqdisho le 30 août. Se présentant toujours comme le président du SNM, il est accompagné cette fois d’une délégation comprenant le président de la SDA, Maxamed Faarax Cabdullaahi Asharo, et le président de l’USF, Cabdiraxmaan Ducaale Cali2. Les trois hommes sont accueillis à l’aéroport par les chefs de plusieurs composantes de la SNA, parmi lesquels Cumar Jees du SPM, et Maxamed Nuur Yalaxoow du SSNM. On observe aussi que, sans 1
Dans son plaidoyer auprès des Nations unies, le Président Cigaal reviendra sur la situation des chefs Majeerteen en évoquant le déplacement à Muqdisho du colonel Cabdullaahi Yuusuf, au début du mois d’octobre. Les entretiens politiques de celui-ci avec le général Caydiid lui font craindre qu’ils ne se dirigent vers la constitution d’une sorte de junte militaire ou clanique en Somalie. 2 À leur propos, au cours d’un entretien à l’émission « l’heure de vérité », à la Radio de Djibouti, le 21 janvier 1994, le Président Maxamed Cigaal s’exprime dans les termes suivants : « Nous ne connaissons pas de fronts appelés SPA et USF qui représentent les communautés du Somaliland, ; il y a bien deux hommes que l’amiral Howe a attachés au pied de la table à Muqdisho mais ils ne représentent personne au Somaliland. »
explication particulière sinon sa fonction de président de l’USC, Maxamed Qanyare Afrax, proche de Cali Mahdi, a également souhaité participer à la réception, « à titre personnel » selon les dires des dirigeants de son propre mouvement. La délégation est ensuite reçue par le général Caydiid auquel tous font profession de leur opposition catégorique au démembrement de la Somalie et à la sécession de l’une ou l’autre de ses régions. En Tuur, Caydiid qui trahit rarement ses alliés retrouve aussi un vieux camarade lutte. En soldat, mais en Somali également, Caydiid se souvient toujours de qui a combattu à ses côtés, de qui a partagé son danger. Or à de nombreuses reprises, en des moments difficiles, devant Muqdisho en janvier 1991 ou plus tard encore quand Moorgan menaçait, Tuur chef du SNM a toujours été là, prêt à apporter son soutien. Ainsi, Cabdiraxmaan Tuur, rappelé à son nouveau credo, plaide désormais en faveur d’une unité fondée sur un système fédéral1. Cette allégeance vient conforter la politique de Caydiid qui dès lors, juste retour des choses, s’empresse d’expédier par avion armes et munitions, livrées sur des pistes de fortune situées aux alentours de Hargeysa.
L’antisécessionisme somalilandais Liibaan II [VII/IX 1994] Caydiid cependant reste prudent à l’égard de son vieil allié aussi prendil soin de préciser officiellement qu’il ne s’agissait pas d’un projet de fusion entre le SNM et la SNA mais d’un « effort de compréhension » entre les deux organisations. Le général souhaite voir Cabdiraxmaan Tuur prendre contact avec les autres signataires de la déclaration de Nairobi. En revanche, si sur ce sujet, à Muqdisho, Cali Mahdi n’a pas jugé opportun de réagir, à Hargeysa en revanche, une foule en colère saccage ipso facto les bureaux de l’ONUSOM II et de l’ONG CARE, accusant l’ONU et les Nations unies d’être responsables de cette nouvelle tentative d’aliénation d’indépendance. Un peu plus tard encore, un an après Liibaan I, la société Habar Yoonis bien travaillée par Cabdiraxmaan Tuur vient se ranger sans vergogne derrière son représentant politique le plus en vue. En juillet 1994, une seconde conférence, intitulée sans surprise Liibaan II, adopte en effet une ligne résolument hostile à l’indépendance en proclamant illégitime l’administration Cigaal et exhortant à l’union entre le Somaliland et la Somalie. Ce groupe de mécontents se manifeste en usant de l’étiquette confraternelle de « Garxajis », procédé qui vise à donner du volume à un mouvement essentiellement Habar Yoonis mais en en fondant la légitimité sur la présence du général Jaama Yare. Cette stratégie met cependant à l’épreuve précisément les loyautés Habar Garxajis. De nombreux Ciidagale ne soutiennent en rien Liibaan II et, s’ils s’opposent par ailleurs à l’administration Cigaal, ils n’en restent pas moins tout à fait attachés à un Somaliland indépendant. Même parmi les 1
LOI n°637, 10 septembre 1994
Habar Yoonis, nombreux sont ceux qui s’opposent aux positions de leurs dirigeants politiques. Les Cabdalla de Hargeysa en particulier ont refusé catégoriquement d’assister aux conférences Liibaan ainsi que de souscrire à leurs prises de position anti-indépendantistes. Néanmoins, les premières difficultés surgissent réellement à l’intérieur du Somaliland, le 29 septembre 1994, quand de petits groupes d’opposants à l’indépendance adoptent une déclaration commune par laquelle ils réclament d’une part l’établissement d’un système fédéral dans le cadre de la Somalie et accusent d’autre part l’administration du président Maxamed Ibraahin Cigaal de faire circuler de la fausse monnaie. Ce texte est paraphé par Cabdiraxmaan Cali Tuur du SNM, Cabdiraxmaan Ducaale Cali de l’USF des Ciise, Maxamed Faarax Cabdullaahi Asharo du SDA des Gadabuursi ainsi que par le représentant des Dhulbahaante et des Warsangeli du United Somali Party (USP), Maxamed Cabdi Xaashi. La manifestation qui en reste encore au niveau de la revendication paisible préfigure toutefois des lendemains plus agités1.
La Ligue arabe et l’Égypte Toujours est-il que le discours de Caydiid et de Tuur se révèle naturellement très lisible en Égypte où à la fin du mois d’août 1994 Ḥusnī Mubārak tente à nouveau de convaincre Maxamed Cigaal de renoncer à la sécession. La diplomatie égyptienne tablant toujours sur la solution politique qui réintégrerait le Somaliland à la Somalie, Le Caire moins que quiconque n’a reconnu l’indépendance déclarée par Hargeysa. L’Égypte table maintenant sur le fait que la défaite militaire et l’exil des dirigeants sud-yéménites, avec lesquels Hargeysa entretenait de bonnes relations, pèseront dans les choix d’un gouvernement décidément bien isolé.2 D’autres déceptions attendent encore au Caire le président du Somaliland qui le 29 août conduit sa délégation auprès du Secrétaire général de la Ligue des États arabes, ‘Ismat ʿAbd al-Majīd. Il s’agit comme toujours de plaider en faveur de la reconnaissance diplomatique du Somaliland, mais aussi de solliciter cette fois une assistance à la mise en place de structures étatiques ainsi qu’une aide humanitaire. Le président Maxamed Cigaal étaye sa demande en affirmant que les citoyens du Somaliland, descendants pour la plupart de sheekh Isxaaq, étaient de vrais Arabes, mais qu’ils avaient toujours été marginalisés, en particulier depuis l’indépendance de la Somalie au début des années 1960. Il regrettait d’autant plus l’indifférence des pays arabes à l’égard du Somaliland que, responsables politiques, intellectuels et chefs traditionnels de ce territoire étaient unanimes à souhaiter la mise en place d’un État indépendant. 1 2
LOI n°641, 15 octobre 1994 LOI n° 632, 16 juillet 1994
Mais une fois encore la réponse est bien en deçà des attentes. ‘Ismat ʿAbd al-Majīd n’y va d’ailleurs pas par quatre chemins pour affirmer sans ambages à ses interlocuteurs que le soutien de son organisation n’irait qu’à l’unité de la Somalie et à la restauration de la sécurité et de la stabilité sur l’ensemble de son territoire. Écartant toute idée de reconnaissance, il demande au contraire au président d’utiliser la relative stabilité du Nord-ouest pour hâter la réconciliation générale et la reconstruction d’un État somalien unifié. Admonestant même son interlocuteur, il lui rappelle son propre changement de position sur la question, regrettant son « actuelle insistance sur la sécession » alors qu’il avait été le principal animateur de la conférence sur l’unité nationale qui s’était tenue à Djibouti en 1991 1.
ENTRE NON-SECESSION ET INTERETS PARTICULIERS DES CLANS Naturellement, c’est pendant ces moments où Maxamed Cigaal, fragilisé, se débat à la recherche d’argent et de soutiens, que ses adversaires, soutenus par Maxamed Caydiid, entreprennent de s’insurger contre l’embryon d’État laborieusement mis en place. C’est pourquoi, après avoir dû nommer six nouveaux ministres et changer les portefeuilles de deux autres, le Président appelle tous les notables du Somaliland à la vigilance et à la tenue de shirar propres à renforcer l’unité du pays. Les milices claniques n’en vont pas moins s’affronter sur trois théâtres : - Ciise et Gadabuursi dans la région d’Awdal pour la maîtrise du trafic entre Djibouti, Seylac et le plateau ; - milice Ciidagale et Sacad Muuse gouvernementaux pour le contrôle du trafic aéroportuaire de Hargeysa ; - Habar Jeclo et Habar Yoonis dans la région de Burco.
Les tensions dans l’Awdal [VII/VIII-1994] Un conflit fondé sur une problématique de captation des ressources éclate en Awdal à propos de Seylac et des zones limitrophes de la République de Djibouti. Cette confrontation, partie d’une querelle à propos du retour des réfugiés, a attiré la milice des lignages Dir locaux, Ciise et Gadabuursi, en compétition avec le gouvernement en vue de contrôler le commerce avec Djibouti et les zones adjacentes du Hawd éthiopien, c’est-à-dire la route qui par Boorama mène à Jigjiga et Harär. La tension apparaît au début du mois de juillet le long de la frontière quand un accrochage met aux prises des hommes venus de Djibouti et des militaires du Somaliland. Ces derniers ont finalement le dessus et récupèrent un véhicule appartenant à leurs adversaires. Craignant de voir la situation s’envenimer, le National Security Service, réuni le 11 à Hargeysa, préconise un déploiement militaire le long de la frontière. Un second incident quelques jours plus tard permet d’identifier le mobile 1
LOI n°637, 10 septembre 1994
des affrontements, plutôt liés à la problématique du retour au Somaliland de réfugiés Ciise. Jouant toutefois la sûreté, les troupes de Hargeysa restent à proximité de la frontière, en garde l’arme au pied. Ces accrochages ne relèvent pas d’un contentieux national. Ils ouvrent néanmoins une brèche dans laquelle, sur fond de rapatriement de réfugiés, s’engouffre discrètement, mais résolument, l’État djiboutien qui n’a pas renoncé à mettre la main sur la bande territoriale occupée par les Cisse au Somaliland, dans cette province de l’Awdal1. Le gouvernement de Hargeysa ne relâchant pas son attention, à partir d’août la situation va momentanément se détendre. Les difficultés resurgiront néanmoins au début de l’année 1995 pour se calmer de nouveau en octobre. Et puis surtout cette inquiétude est reléguée au second plan quand, à l’intérieur même du pays Isxaaq, une opposition se construit autour des courants anti-indépendantistes favorisés par des intérêts aussi disparates que peuvent l’être ceux de la SNA de Caydiid, de l’Égypte et de la Ligue arabe ou des Nations unies. Le prétexte aux affrontements repose une fois encore sur une problématique de captation de ressources.
L’affrontement avec les Ciidagale [IX/XII 1994] Le théâtre le plus préoccupant joue du conflit d’intérêts qui à partir d’octobre met aux prises les Habar Awal et les Habar Garxajis. Les premiers, famille du président Cigaal, sont majoritaires dans la partie ouest du pays Isxaaq ainsi qu’à Berbera ; les seconds ont leurs lignages Ciidagale installés autour de Hargeysa et une partie des Habar Yoonis – famille de Cabdiraxmaan Tuur – dans une partie de l’espace situé entre les deux cités, contrôlant de ce fait la route qui les sépare. Fondé sur les faiblesses du beel system déjà évoquées, le facteur déclencheur de leurs affrontements résulte du profond mécontentement qui s’est installé quelques mois plus tôt autour de la capitale quand, en mai 1994, la décision a été prise par le gouvernement d’ouvrir à Abaarso, à 25 km de Hargeysa, sur la route de Gabiley, un nouvel aérodrome placé sous son contrôle direct. Nul n’est dupe. La nouvelle installation, placée entre les mains des Habar Awal, vise à « pomper » le trafic des installations aéroportuaires situées à proximité de la ville et mises en coupe réglée depuis des mois par les clans Ciidagale autochtones qui extorquent 20 dollars sur chaque mouvement d’avion, au décollage comme à l’atterrissage. Ces clans appuyés sur leur milice justifient leur activité en avançant que la piste était située sur des terres traditionnellement identifiées comme leur appartenant. Une situation très proche de celle qui a été précédemment réglée au Kulanka d’octobre 1992 à propos du port de Berbera, sauf que les miliciens ici ne sont pas disposés à remettre au gouvernement aussi facilement et sans contrepartie les ports, aéroports et autres installations 1
LOI n°632, 16 juillet 1994
et axes stratégiques qu’ils contrôlent. Certains notables ont bien tenté, timidement et sans succès, d’intervenir pour amener leurs miliciens à renoncer à ces pratiques jusqu’à ce qu’en octobre, à bout de patience, Maxamed Cigaal envoie les milices gouvernementales – embryon Sacad Muuse d’une armée en devenir1 – afin qu’elles s’emparent, si nécessaire par la force, des installations aéroportuaires. Les affrontements commencent avec l’incident qui, dans la matinée du 15 octobre, oppose les forces gouvernementales à un petit groupe de 300 combattants de la Force III, unité Habar Garxajis de l’ancienne milice du SNM et composée d’une majorité Ciidagale.2 L’affaire éclate au moment où conduit par le général Jaamac Maxamed Qaalib Yare3, ce groupe réagit à la saisie des 32 pièces d’artillerie dont il dispose, saisie ordonnée au titre du programme gouvernemental visant à rassembler les anciennes milices claniques au sein d’une armée nationale. En fait, les miliciens dissidents veulent obtenir sur l’aéroport un statut équivalent à celui accordé à la milice Ciise Muuse – la fraction Habar Awal du Président Cigaal – qui contrôle le port de Berbera et y perçoit le quart des taxes récupérées sur son activité. Une décision qui naturellement provoque la colère des miliciens, mais qui offre néanmoins une possibilité de sortie de crise rapide dans la mesure où globalement, de nombreux Habar Garxajis sont prêts à admettre que l’aéroport devait effectivement être placé sous contrôle gouvernemental. Un tel incident révèle combien est encore fragile la normalisation au sein du jeune État. Toujours est-il que, se sentant menacés, les jeunes dissidents décident après deux jours de combat d’abandonner la ville et de se replier vers le nord afin de tenir la route menant à Berbera, non sans avoir une fois encore ouvert sans discernement le feu sur les forces « gouvernementales ». Les combats font encore une dizaine de morts quand celles-ci reprennent le contrôle de l’aéroport. Le groupe rebelle se déplace alors vers le sud et se réfugie sur les hauteurs de Toon, village Ciidagale situé à une vingtaine de kilomètres et où est cantonné le reste de la Force III. Sauf que la violence inappropriée de l’assaut donné sur la localité réduit à néant l’espoir d’un règlement rapide et ne parvient qu’à cristalliser les solidarités du clan contre l’administration de Hargeysa. Le gouvernement justifie son attaque en dénonçant les miliciens qui dans leur fuite s’en sont pris au marché du quartier Habar Awal de la capitale. L’aéroport devient ainsi pour un temps une sorte de no man’s land séparant les deux camps.4 1
Le clan Sacad Muuse des Habar Awal est représenté à Djibouti par de nombreux commerçants originaires du Somaliland. 2 Ciidagale et Habar Yoonis constituent avec les clans Arab l’essentiel du faisceau tribal Isxaaq des Habar Garxajis. 3 Général de police, ministre de l’Intérieur de 1974 à 1984 sous le précédent régime. 4 LOI n°643, 22 octobre 1994
Aucun compromis n’ayant pu être trouvé au cours du mois suivant, la situation s’envenime après que le 14 novembre le suldaan des Ciidagale prenant fait et cause pour ses jeunes gens accuse le Président de tribalisme et déclare que la Force III était la force légitime de la région d’Hargeysa. La réponse est immédiate. La nuit suivante – nuit du 14 au 15 novembre – les troupes de Cigaal attaquent leur refuge. La situation se complique encore quand l’offensive gouvernementale est repoussée et que les miliciens reprennent le contrôle de l’aéroport et de la ville, pillant au passage les caisses de la Banque centrale. Le suldaan s’installe au palais présidentiel et le Président est contraint de se replier sur Boorama avec certains de ses ministres, son ministre de l’Intérieur notamment. Les combats se poursuivant tout au long de la deuxième quinzaine de novembre, l’affaire semble alors prendre un tour réellement inquiétant. En effet, tandis que les forces de Cigaal se regroupent à l’ouest de Hargeysa, certains membres de son gouvernement se rendent à Djibouti où les Sacad Muuse cherchent à recruter d’anciens militaires éthiopiens pour leur venir en aide.1 Pour leur part, les Habar Yoonis de l’ex-président Tuur restent sur leur quant-à-soi et, jouant de prudence, se gardent de prendre une part active aux combats. 2 Toujours est-il qu’après une courte accalmie les combats qui reprennent le 4 décembre ne permettent toujours pas aux forces gouvernementales de déloger les combattants de la Force III. Une mésentente s’installe même un moment entre Maxamed Cigaal et son ministre de l’Intérieur, Muuse Biixi, auquel le Président reproche de l’avoir entraîné inconsidérément dans l’action militaire et de ne pas avoir correctement évalué le rapport de force. Dans la capitale, on entend des tirs sporadiques qui conduisent de nombreuses personnes à se réfugier dans les localités alentour. Quinze mille d’entre elles reprennent ainsi la route vers l’Éthiopie. Il faudra attendre le 12 janvier 1995 pour qu’au terme de multiples accrochages soit diffusé un bilan gouvernemental victorieux face aux dissidents. Cent cinquante rebelles ainsi que leur chef, le colonel Xuseen Axmed Guuleed, sont arrêtés avec d’autres officiers, après de lourdes pertes. Le moment du dialogue semble alors revenu. Certains considèrent qu’il s’est agi d’une maladresse du président qui cherchant à marginaliser l’un des clans majoritaires de la capitale avait ainsi fait resurgir d’anciennes rancœurs à son encontre. Mais l’affaire paraît toutefois en passe de se régler. À la fin du mois de mars 1995, des Habar Garxajis s’attaqueront encore aux forces gouvernementales à Arabsiyo, à l’ouest de Hargeysa ainsi que dans les localités de Xaamas et de Dariiqalo’le près de Berbera, jusqu’à ce qu’un shir tenu à Xarshin
1 2
LOI n° 647, 19 novembre 1994 LOI n° 648, 20 novembre 1994
avec les clans Ciidagale ne mette momentanément un terme aux affrontements1.
Les affrontements avec commerçant [IV-1994]
les
Habar
Yoonis
et
l’islamisme
Mais entre temps encore un autre théâtre s’est ouvert à l’est quand des miliciens Habar Yoonis se sont affrontés avec les forces gouvernementales à Burco et à Sheekh. Deux officiers de l’armée du président Cigaal, le général Xasan Cali Abokor [Habar Jeclo] et le colonel Cabdi Faarax sont donnés pour mort dans les combats ; les rebelles auraient pris position dans les deux cités attaquées. En fait, le nouveau foyer de rébellion est plutôt centré sur Burco et repose sur d’autres fondements. Il met aux prises le gouvernement du Somaliland avec les fondamentalistes musulmans nombreux au sein du faisceau lignager des Habar Jeclo. Cette menace islamiste qui apparaît de plus en plus souvent dans le discours du président Cigaal est loin d’être seulement un artifice rhétorique à l’adresse des étrangers. Il relève d’une réalité qui a toutes les raisons de le préoccuper. L’enjeu en est la maîtrise de Burco, majoritairement habitée par les clans Habar Garxajis/Habar Yoonis mais où le faisceau tribal des Habar Jeclo, terreau de l’islam radical, est également omniprésent. Les affrontements autour de Burco sont suffisamment violents pour que l’USAID estime que les combats ont causé le déplacement de 85 000 civils aux alentours de la ville tandis que le HCR fait état, le 8 mai 1995, de quelque 6 000 personnes qui auraient fui les combats pour se réfugier en Éthiopie, y portant à 80 000 le nombre de réfugiés.2 Pour bien saisir la dimension du problème, il faut se placer quelques années en arrière et observer que les fractures politiques claniques auxquelles le Somaliland n’échappe toujours pas continuent à être utilisées tant par les mouvements islamistes radicaux, l’Itixaad et l’Islaax que par les forces politiques opérant en Somalie du Sud. Un autre élément permet cependant de relativiser la portée de cette instrumentalisation. En effet, aussi actifs et organisés soient-ils, les islamistes radicaux n’en sont pas moins peu nombreux donc incapables d’affronter directement l’administration qui se met en place. Conscient de cette faiblesse cette fois, l’Itixaad adopte une stratégie différente de celle dont elle était coutumière. Elle conduit un certain nombre de ses éléments à se rapprocher de l’Islaax voire à se fondre momentanément dans les organisations qui en procèdent. Échaudé par ses expériences malheureuses, le mouvement islamiste a cette fois entrepris une évaluation beaucoup plus rigoureuse du rapport de forces et a engagé une politique d’infiltration systématique du secteur des affaires tout en maintenant sa propre économie alternative. La constance de cet islam 1 2
LOI n°664, 25 mars 1995 AFP, 10 mai 1995.
radical à adapter pendant plus d’une décade sa stratégie est remarquable, intégrant que la situation n’était pas encore propice à une action militaire ou un passage en force. Une stratégie d’autant plus pertinente que ses activités n’ont guère été identifiées ou sont longtemps restées sous-évaluées même par les autorités du Somaliland. Le mouvement peut ainsi s’épanouir au rythme du développement politique du pays. On se souvient par ailleurs que le Somaliland a été le berceau et le bastion du premier groupe islamiste radical militant, la Waxda alShabaab al-Islaam, –Muslim Youth Union –, entre 1968 et 1984. Ce groupe après s’être associé à la Jamciya islaamiya de Muqdisho avait fondé cette même année à Burco l’Itixaad al-islaami, placé sous la présidence d’un chef islamiste charismatique, le sheekh Cali Warsame [Habar Jeclo]. Fort de l’autorité et du respect que celui-ci inspire, le mouvement avait rapidement étendu sa présence à l’ensemble du Nordouest, jusqu’à Hargeysa et Boorama en particulier, par l’intermédiaire des petites communautés Habar Jeclo établies dans ces cités. Au début des années 1990, la ville de Burco, berceau du mouvement, est devenue le véritable bastion de l’islam radical. Mais Burco présente aussi un autre intérêt stratégique, sur le front islamiste de la Somalie du Nord, car elle est l’un des plus importants marchés de bétail de la région. Un bétail qui depuis toujours procure l’essentiel des revenus de l’ancienne colonie britannique et assure aujourd’hui une part importante de l’approvisionnement en viande des villes saintes du Ḥejjāz. Une heureuse coïncidence quelque part et une aubaine économique surtout pour un mouvement inspiré de l’islam wahhabite. C’est ainsi qu’usant maintenant d’un modus operandi qui met à profit la faiblesse des structures gouvernementales, le mouvement est parvenu à prendre le quasi-contrôle de l’ensemble du commerce des animaux dans la péninsule somalienne. Pour s’affranchir le plus confortablement possible des autorités du jeune gouvernement et aussi pour échapper aux affrontements claniques entre Habar Yoonis et Habar Jeclo qui se disputent la cité, les islamistes ont établi dès le début des années 1990 un marché à Yiroowe, à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Burco. La rigueur et le sérieux de l’organisation islamiste sont tels que le village est devenu le centre commercial le plus important du Somaliland. En partie à dessein, pour ne pas apporter à l’administration Cigaal les revenus qu’il espère et échapper au contrôle exercé par les Ciise Muuse sur les installations portuaires de Berbera, les islamistes encouragent les commerçants du village à utiliser le port de Boosaaso pour leurs transactions commerciales à l’importation et à l’exportation. Longtemps maîtres du site grâce au colonel Majeerteen Maxamed Abshir Muuse, ils en ont certes été délogés en 1992, mais nombre d’islamistes Harti y sont restés sous les habits de l’Islaax et continuent à y organiser la plus grande partie du trafic. Cette consigne d’usage est et restera rigoureusement suivie puisque le shilling somalien du Sud continuera à
être utilisé à Yiroowe en dépit de l’introduction du shilling somalilandais par le président Cigaal. Ainsi, à partir de Burco et Yiroowe, plates-formes d’enrichissement, l’Itixaad et l’Islaax, aux destins étroitement liés, étendent leur influence jusqu’à Hargeysa – capitale Isxaaq – et à Boorama, - capitale Gadabuursi1. Cette hégémonique discrète leur permet de prendre le contrepied des principales actions menées par un gouvernement qui cherche à établir une autorité d’État. Car dans les deux aspects de sa stratégie, le religieux et l’économique, le mouvement islamiste ne peut que se distancier par rapport à une politique revenant à fragmenter l’espace somali. Que ce soit la sécession somalilandaise, le quant-à-soi de plus en plus patent du Nord-est ou le concept d’approche modulaire – les Building blocks – qui se profile, toutes ces politiques vont non seulement à l’encontre de son éthique, panislamique et pansomali à la fois, mais également à l’encontre de ses visées commerciales. Elles ne peuvent en effet que compliquer la circulation des biens vers les grands exutoires que sont Djibouti, Berbera, Boosaaso, voire Muqdisho et Kismaayo au sud. A contrario, le mouvement islamiste est politiquement en phase avec tous les unionistes somaliens, de Cabdiraxmaan Tuur qui présente en outre l’avantage d’appartenir à une famille Habar Yoonis jusqu’à Maxamed Caydiid qui, bien que ne les aimant guère, ne rechignera à aucune alliance – même douteuse – en vue de parvenir à ses fins. C’est une situation particulièrement complexe qui prévaut donc, dans laquelle se perdent nombre d’observateurs déconcertés par la prolifération d’alliances a priori aberrantes, mais toujours justifiées. Dans le Nord-est par exemple, le plus rassurant reste le général Maxamed Abshir, allié de principe des islamistes, mais hostile à Maxamed Caydiid. Un Caydiid proche de Cabdullaahi Yuusuf lui-même concurrent de Maxamed Abshir au sein du SSDF. Une situation où les amis de mes amis ne sont pas toujours mes amis et où surtout toute alliance, comme il est de coutume en pays somali, est avant tout conjoncturelle, car liée à un contrat. C’est en vue d’orchestrer une riposte régionale face à cet islam radical qui se développe que l’ancien ambassadeur Xuseen Cali Ducaale, l’un des proches de Maxamed Cigaal, annonce le 9 mai, à Nairobi la création d’un Comité pour la paix et la tenue à Hargeysa dans la première semaine de juillet d’une conférence de paix. Parmi les dix-sept membres de ce comité figure l’ancien président du SNM, Axmed Maxamed Maxamuud Siilaanyo [Habar Jeclo]2 lequel avait été remplacé en mars 1990 à la tête du mouvement par Cabdiraxmaan Tuur [Habar Yoonis]. Sans perdre de temps, Axmed Siilaanyo conduit une mission à Addis Abäba et à Asmära afin de mettre en garde les dirigeants éthiopiens et 1
Medhane Tadesse. Al-Ittihad – Political islam and black economy in Somalia. Meag. Addis Abeba. 2002 2 Axmed Siilaanyo a présidé le SNM de 1982 à 1990.
érythréens en les sensibilisant à la présence d’éléments islamistes dans les rangs des rebelles qui combattent dans la région de Burco. Ces islamistes sont ceux-là mêmes qui s’étaient réfugiés à Laas Qorey après avoir tenté de prendre le pouvoir en pays Majeerteen, en juin 1992, à partir de Garoowe et dont d’autres, installés en Ogadén entretiennent des liens avec leurs camarades réfugiés au Somaliland.1 Les conflits de Burco et de Hargeysa auront eu pour effet de vider une fois encore les villes. En l’occurrence, les chiffres diffèrent. Certaines estimations annoncent 85 000 déplacés hors de Burco et jusqu’à 200 000 de Hargeysa, mais d’autres suggèrent des niveaux significativement plus bas. Les estimations relèvent d’un processus de politisation du conflit dans lequel les acteurs internationaux tels que l’ONUSOM jouent leur rôle. Ce sont eux en effet qui suggèrent certaines des estimations les plus élevées afin de promouvoir la nécessité de rétablir les interventions de l’ONUSOM en Somalie.
Regard sur le rôle de l’environnement Le rôle des clans, des notables et de l’opinion populaire dans ces conflits est complexe et souvent paradoxal. Si tant est que cela soit possible, il n’est jamais facile de discerner dans quelle proportion les prises de position relèvent d’un simple parti clanique ou s’ils s’inscrivent dans le cadre d’une simple lutte politique. Pour de nombreux Ciidagale, leur lutte ne les a pas opposés aux Sacad Muuse mais au gouvernement, comme les Habar Yoonis se sont plutôt opposés au pouvoir de Hargeysa qu’aux Habar Jeclo. Selon certains, l’antagonisme a été alimenté par les politiciens des deux côtés. Un certain nombre de hauts responsables politiques Habar Garxajis proches de Cabdiraxmaan Tuur se sont opposés à la réunification de la Somalie et du Somaliland. Les Habar Yoonis en particulier se sont trouvés divisés entre les opposants au gouvernement et ceux qui souhaitaient la réunification. Parmi les Ciidagale, la tendance générale était en faveur de l’indépendance. Il est clair les concernant que la situation était exacerbée par une poignée de politiciens, rassemblés autour de Tuur qui ont vu une occasion de faire tomber le gouvernement de Maxamed Cigaal avec l’aide, espéraient-ils, d’un succès au sud du général Caydiid. Le conflit a donc été entretenu par l’obstination égoïste des acteurs politiques. Mais leur attitude a aussi été renforcée par la lecture gouvernementale de la crise. Cigaal ayant refusé d’admettre que le conflit pouvait avoir un fondement clanique, son insistance à l’identifier à une problématique strictement politique a empêché tout recours à un shir traditionnel. Une posture qui, faute d’arbitrage, allait contribuer à rendre le conflit interminable.
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LOI n° 671, 13 mai 1996
Cette imbrication complexe d’affiliations politiques et claniques a également été exprimée en termes de relations entre le gouvernement et l’aile militaire du SNM, en particulier à travers le groupe des Calan cas. Beaucoup parmi les dirigeants Habar Garxajis et au sein de la population ont observé la nomination par Cigaal de personnalités associées aux Calan cas majoritairement Sacad Muuse et Habar Jeclo, alors qu’aucun d’entre eux n’appartenait aux familles Habar Garxajis. Il en a été conclu à une volonté délibérée de marginaliser le lignage. Cette perception a également entretenu une certaine vision populaire stéréotypée des membres des différents clans : les Habar Awal sont généralement considérés comme des gens d’affaires prospères, tandis que les Habar Garxajis sont perçus comme des politiciens et les Habar Jeclo comme des guerriers. Si de tels stéréotypes sont naturellement imparfaits, ils contiennent aussi une part de comportements autoréalisateurs. C’est pourquoi un certain degré de désillusion des Habar Yoonis peut sûrement être attribué à l’idée qu’ils se sont fait et se font encore de leur vocation à exercer des droits à la direction politique.
Les réalisations gouvernementales Le bilan des premières années de présidence de Maxamed Cigaal est mitigé. Il reste que quatre ans après avoir fait sécession et sans avoir certes obtenu de reconnaissance internationale, la vie au Somaliland continue par bien des aspects à s’améliorer, au moins dans les zones sous le contrôle du gouvernement. Bien qu’à court terme sa reconnaissance restât fortement improbable, le Somaliland n’en a pas moins acquis une forme d’acceptance de la part de certains états, le Royaume-Uni et l’Allemagne en particulier, qui lui octroient une aide a minima. En deux ans en effet, le Président est parvenu à mettre en place des services publics qui fonctionnent, comprenant une police, un système judiciaire, une armée et une administration. Un comité a été mis en place en octobre 1994 pour décider du nombre de fonctionnaires à attribuer au gouvernement central, aux conseils de régions et de districts, quelque 2500 personnes semble-t-il au total. Et surtout, il est parvenu à payer les personnes travaillant pour ces institutions1. A ce propos, une controverse naît le 20 octobre 1994 lorsque l’administration Cigaal introduit la nouvelle monnaie. Les shillings du Somaliland, commandés naguère par Cabdiraxmaan Tuur, sont introduits en remplacement du shilling somalien encore en circulation. Il est vrai que l’affaire suscite la colère de nombreux habitants et contribue à entretenir une certaine désaffection envers l’administration. Le taux de change retenu se révèle en effet largement favorable au gouvernement, en quête de liquidités. Mais ce shilling somalilandais qui peine à s’imposer participe bel et bien de la construction d’un véritable 1
Africa Confidential n° 231, 3 avril 1995
État. Car la symbolique n’est pas négligée par ce gouvernement qui, dans le domaine des insignes régaliens, dote le Somaliland d’un hymne national1. Le pays a déjà un drapeau, une armée et une monnaie, les timbres sont maintenant en préparation. Les routes qui relient la capitale à Berbera et Boorama sont désormais sûres. Les exportations de bétail par le port de Berbera auront presque doublé en 1995 et le nouveau maire de Hargeysa, Maxamed Xaashi Cilmi, a entrepris un travail tout à fait remarquable au sein de la cité. La ville a été nettoyée, le travail a même été rendu obligatoire l’après-midi afin de réduire le temps passé à mastiquer du qaad dans les mabraz. L’armée nationale compte maintenant environ 3000 hommes. Principalement articulée il est vrai autour des lignages Habar Awal, elle compte aussi des Gadabuursi et des Habar Garxajis/Arab. Des ralliements viennent également grossir ses rangs. En février 1995, le reer Isxaaq des Habar Yoonis qui avait mené les combats de l’année précédente entre Hargeysa et Berbera se réconcilie avec le gouvernement au terme d’un shir de 25 jours conclu sur le ralliement des 350 hommes de sa milice. D’autres notables des Habar Yoonis de Burco où les tensions avec les Habar Jeclo sont fréquentes prennent le parti de parler avec Cigaal à la mi-février, avant la fin du jeûne de ramaḍān. Sur le plan des équipements, le 7 janvier, une commande à l’Angola d’une cargaison de 35 tonnes d’armes légères et de munitions2 donne lieu à une livraison effectuée quatre semaines plus tard par voie aérienne à Berbera3. Un autre stock d’armes et de munitions est acheté à l’Albanie4. Finalement, le regard porté sur la nouvelle « armée gouvernementale » est révélateur d’une évolution. Cigaal est parvenu à y agréger une gamme de clans assez large ce qui somme toute représente un accomplissement significatif quand on considère les difficultés que Tuur avait eues à rassembler une « armée nationale ». La reconnaissance de ce caractère transclanique apparaît dans l’épithète familière qui lui est appliquée : marya alool, terme qui désigne le rideau séparant la cuisine des zones de vie dans la hutte somalie. Le marya alool est généralement confectionné avec des rotins tressés agrémentés de bouts de tissu multicolores. À propos de la nouvelle armée, il cherche à exprimer à la fois sa fonction d’interposition ainsi que son hétérogénéité. Les autres institutions se mettent également peu à peu en place et d’autres choses se passent beaucoup mieux encore. Au milieu de 1
Il a été choisi par le Président parmi une liste de trois Al Mujeehid. Hargeysa, 2 février 1995 3 Elles sont livrées par un Ilyouchine 76 appartenant à la Trans Avia Travel Agency de l’émirat de Sharjah [ar. aš-Šāriqa]. Le détail n’est pas sans intérêt quand on sait qu’une communauté somalie prospère est établie dans ce petit émirat qui vit en toute quiétude son islam radical 4 La Corée du Nord disposée à fournir des armes refusera finalement d’assurer leur acheminement. 2
l’année 1995, le parlement d’Hargeysa décide la création d’un Comité judiciaire indépendant, responsable du recrutement, de la promotion et de la discipline générale du corps des juges. Le comité – dont les membres du gouvernement et les avocats en exercice ne pourront pas faire partie – est placé sous la présidence du président de la Haute cour. Il est formé de l’ensemble des membres de cette dernière, de l’Attorney General et de quatre membres élus par le Parlement pour une durée de trois ans.1 C’est notamment fort de la mise en place de ces institutions que s’ouvrira à Hargeysa le 18 octobre 1994 le procès pour trahison de Cabdiraxmaan Tuur et de trois de ses anciens collaborateurs. Le premier président du Somaliland est accusé avec ses compagnons de mener une guérilla contre l’actuel gouvernement du président Cigaal et de s’opposer à l’indépendance autoproclamée de la région2. Le procès s’achèvera le 14 février 1995 sur la condamnation à mort par contumace des quatre accusés. Mais d’autres événements entre temps seront venus dessiner un nouvel environnement tant à l’intérieur du pays somali qu’à sa périphérie. Chez les Majeerteen de l’Est une situation nouvelle s’établit au sein du SSDF qui assure pour l’heure le fonctionnement des proto-institutions régionales. En 1994, au terme d’un processus houleux, le vieux front s’apprête à adouber sa personnalité la plus résolue mais la plus ambitieuse aussi, le colonel Cabdullahi Yuusuf Axmed.
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LOI n° 681, 22 juillet 1995 AFP, 18 octobre 1995 ; Afrique contemporain,e janvier-mars 1996
X X – 1994 L ES CONFERENCES H ARTI ET LE CON GRES SSDF DE QHARDO
Après s’être débarrassé de l’implantation islamiste et après avoir sécurisé ses confins sud avec le pays Hawiiye, le monde majeerteen se prend à porter un regard plus précis sur son propre destin. Évoluant dans une région homogène et paisible en dépit de quelques conflits d’intérêts, irrigué donc enrichi par le trafic croissant de Boosaaso, les provinces du Nord-est se sont installées dans une autonomie de fait que nul n’est en mesure de leur contester. À partir de 1994, la partie va cependant s’animer.
L’ENTREPRISE DE L’ONUSOM II AUPRES DES NOTABLES HARTI L’intelligence du SSDF, outre une capacité à ne pas transformer ses différends en guerre civile, a tenu au pragmatisme de ses dirigeants et à un talent certain à ne pas se créer des difficultés inutiles. Cela signifie par exemple que, tout aussi libres de leurs mouvements que leurs voisins du Somaliland, ils prennent soin de ne pas s’inscrire dans une logique d’indépendance qui leur mettrait à dos nombre de Somaliens mais plus encore la société internationale dès lors bien disposée à leur endroit. Et puis un commerce somme toute florissant occupe, distrayant la population d’occupations guerrières. Il reste que l’on est en Somalie et que le goût de la dispute est là ; aussi cette description lénifiante du pays majeerteen mérite-t-elle quelques réserves.
Le rôle des chefs traditionnels et les initiatives de paix locales Pourtant, en dépit de la forte division au sein du SSDF et des dysfonctionnements entraînés par une économie à la fois en plein essor
et non réglementée, la région Nord-est est restée relativement calme, en grande partie grâce au travail soutenu des chefs traditionnels à contenir, prévenir et résoudre les conflits. Un exemple d’une de ces initiatives de paix est l’Ergo nabadeed ee Ciid conduite à la fin de 1994 dans l’Est éthiopien1, l’une de ces médiations discrètes non promises à entrer dans l’histoire mais qui se sont révélées décisives dans la construction de la normalisation. Des combats avaient éclaté entre deux clans Majeerteen résidants à la frontière éthiopienne dans le Ciid, « les sables », région située sur la frontière à l’est de Wardér. Le conflit mettait aux prises deux clans des Cumar Maxamuud, le reer Hersi et le reer Maxamuud. Il était fondé sur un meurtre datant de dix ans qui avait de part et d’autre dégénéré en de multiples actes de vengeance, y compris le meurtre d’un homme d’affaires en vue de Gaalkacyo. Le conflit entre les deux familles avait pris de telles proportions qu’il en était venu à compromettre le commerce entre la région de Wardé et le Mudug, risquant une fois encore de s’étendre à la fois dans le Nord de la Somalie et en Éthiopie orientale. Cette mission de paix [som. ergo nabadeed], principalement composée de notables des Cismaan Maxamuud du Bari et des Ciise Maxamuud du Nugaal se rend dans la région sous la direction de Maxamed Islaan Muuse Islaan, principale autorité traditionnelle du Nugaal afin d’entreprendre une médiation. La neutralité de la délégation ayant effectivement été reconnue par les deux parties, une rencontre est organisée avec les autorités des deux clans en conflit. Avec leur assentiment, une assemblée est convoquée au cours de laquelle les deux communautés plaident leurs causes respectives. La médiation négocie ainsi les modalités du mag et un accord est conclu entre les deux communautés. Cet exemple, et il en est d’autres encore, tend à prouver combien, dans le Nord-est comme au Somaliland, la capacité régulatrice des structures traditionnelles reste une réalité vivante. D’autant plus ici peut-être qu’elles ont jadis fonctionné de concert avec des chefferies anciennes. Celles-ci datent du XIXe siècle et avant. Il en va ainsi du sultanat des Majeerteen dont le territoire incluait entre 1901 et 1927 les actuelles provinces du Bari et du Nugaal. À son sud se situait le sultanat de Hobyo dans le Mudug (1885-1925) et à son Ouest dans le Sanaag, celui des Warsangeli (1901-1925). Au sein de ces chefferies, l’autorité morale sur les chefs traditionnels, les isimo [sing.isin], est reconnue à l’un d’eux, davantage garant et représentant de la souveraineté du groupe que détenteur d’un pouvoir exécutif patent2. Il s’agit donc davantage de royauté que de monarchie, 1
Ergo(-ada) délégation (la) : ergada nabadeed, la mission de paix ; ergada samaddoon, la mission de bons offices. 2 Leur intronisation donne lieu à une cérémonie traditionnelle vraisemblablement fort ancienne et appelée Caano-shub qui signifie « verser du lait » ou Caleensaar (ou Caleenmasaar) qui signifie « couronner quelqu’un avec une couronne de feuillage ».
au sein de ce peuple profondément égalitaire. Chez les Majeerteen où il est traditionnellement pris dans le lignage des Cismaan Maxamuud, il porte le titre de boqor.1 L’exemple de l’ergo nabaddeed du Ciid vise une fois encore à réhabiliter ces fonctions de régulation traditionnelle qui peuvent avoir besoin parfois de quelque soutien matériel mais surtout pas que l’on tente de se substituer à eux. C’est cependant la politique inconsidérée des Nations unies qui jouant aux apprentis sorciers va installer dans la région quelques raisons d’en découdre.
Les shirar de Garoowe et de Laas Caanood [16/29.XII-1993 & II-1994] Un an plus tôt, à la fin de l’année 1993, s’est affirmé dans les trois provinces du Nord-est une volonté de s’organiser plus rigoureusement, de se doter à cet effet d’un système politico-administratif suffisamment cohérent pour optimiser les acquis de la paix. Cette recherche s’est accompagnée d’une volonté de mettre en place un système sécuritaire cohérent. Le 21 octobre 1993, à Djibouti, le général Maxamed Abshir laisse percer à l’ambassadeur de France, Régis de Belenet, ses déceptions à l’égard de l’ONUSOM alors qu’il estimait avoir joué le jeu ; le premier conseil régional n’a-t-il pas été installé dans son fief à Garoowe ? Le président du SSDF en profite aussi pour lui faire passer quelques sollicitations. Après l’avoir remercié pour le travail effectué par Médecins du monde à Qardho, à Buurtinle et à Gaalkacyo, il lui fait part de son souhait de voir la France s’engager sur deux chantiers particuliers : l’organisation de l’entraînement et l’équipement – uniformes, véhicules, communications – des unités de police, projet sur lequel ont déjà travaillé les Allemands ; le général souhaite constituer une force de 750 hommes dont 250 seraient distribués dans chaque province contrôlée par le SSDF. Le second chantier porte sur une expertise concernant la gestion et la sécurité du port de Boosaaso, le poumon du pays, bien au-delà des frontières du pays Majeerteen. Mais tout cela mérite une organisation plus rigoureuse des régions. Aussi, fort de l’accord intervenu lors de la conférence d’Addis Abäba en mars sur la formation de conseils régionaux et du succès de l’accord de paix du Mudug en juin, se réunit du 16 au 29 décembre 1993 à Garoowe une conférence. Le Shirka Nabadda iyo Nolosha ee Garoowe constitue dans cette région où sont majoritaires les Majeerteen/Ciise Maxamuud une première conférence dite des Harti. Son objectif est de prendre des décisions propres à renforcer la paix, d’envisager des dispositions de nature à renforcer la coopération régionale et à promouvoir son développement socio-économique.
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Dans la société somalie, les différentes autorités portent selon l’endroit ou la circonstance celui de ugaas, garaad, islaan, beeldaaje, suldaan, caaqil, malak, nabaddoon, samaddoon, ooday, isin…
Organisée sous l’égide du général Maxamed Abshir Muuse et du président de l’United Somali Party (USP), Awad Axmed Ashra [Dhulbahaante/Maxamed Garaad], elle rassemble les chefs traditionnels de l’ensemble du faisceau lignager Harti, de hauts représentants politiques opposés à la sécession du Somaliland ainsi que le représentant de l’ONUSOM. Or l’ONUSOM II a inconsidérément conseillé au président de l’USP de multiplier ses efforts en vue de conforter l’alliance Harti. Une alliance en soi pas aisée en dépit des accointances claniques. Davantage de liens se sont créés, notamment grâce aux mariages, avec les Isxaaq vivants au Somaliland, les Habar Jeclo et les Habar Yoonis-bari en particulier. Cette réunion passée relativement inaperçue aura quelques années plus tard de nombreuses conséquences, la plupart désastreuses pour la paix de la région. Son déroulement, suivi par de nombreux de Somaliens, promeut en effet l’idée de rassemblement des lignages Harti en tant qu’entité politique. L’argumentaire avancé s’inscrit dans l’amélioration de la sécurité du Nord-est. Il reste que la présence avérée des cinq régions Harti lors de cette conférence – Bari, Nugaal, Mudug Majeerteen, Sanaag Warsangeli et Sool Dhulbahaante – fonde l’idée d’un État spécifique, tel qu’il apparaîtra plus tard à travers le Puntland. L’événement est d’autant plus prometteur de troubles qu’au mois de février 1994, une seconde réunion sur le même thème se déroule au Somaliland, à Laas Caanood cette fois, en pays Dhulbahaante,. Patronnée par les Nations unies qui ont délégué le sous-secrétaire général aux Affaires politiques, James Jonah, cette rencontre vise à détacher les clans Warsangeli et Dhulbahaante du Somaliland pour les rattacher administrativement au Nord-est de la Somalie contrôlée par les Majeerteen du SSDF. Awad Axmed Ashra s’y rend accompagné de Cabdullaahi Maxamed Mirax [Dhulbahaante/Faarax Garaad] membre du second clan majeur des Dhulbahaante et par ailleurs époux de Fatuma Syaad Barre, fille de l’ancien président et, accessoirement, ancienne directrice de la Bangi Dhexe, la Banque centrale de Somalie. Cette proposition criminelle est en tout point conforme au plan présenté naguère par le représentant de l’ONUSOM II, Leonard Kapungu, au président du Somaliland Ibraahin Cigaal en septembre 1993. Il reste que si, en tant que construction intellectuelle, le projet pouvait prétendre à créer un pôle interclanique susceptible de contrebalancer à partir du nord l’influence de la SNA, elle consistait surtout, sur le terrain, à apporter la caution des Nations unies à un dépeçage du Somaliland. Cela revenait donc à favoriser de nouvelles difficultés dans une région qui, cahin-caha, n’en était pas moins en voie de normalisation et n’avait pas besoin de cela. Un projet inconsidéré auquel s’oppose d’emblée le colonel Cabdullaahi Yuusuf qui en a perçu toute la dangerosité1.
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LOI n° 612, 26 février 1994
LE DIFFICILE CONGRES DU SSDF A QARDHO
[VI/X-1994]
L’affaire cependant ne prend pas immédiatement une ampleur calamiteuse. Pendant les mois qui suivent les shirar de Garoowe et de Laas Caanood en effet, deux dynamiques différentes encouragent les dirigeants du Nord-est à recentrer leur attention sur les problèmes politiques internes : - le succès relatif et la conclusion de l’accord de paix du Mudug qui a fourni l’assurance d’une amélioration de la sécurité dans cette région ; - l’échec des tentatives d’apaisement au niveau national qui rend d’autant plus attrayante aux gens des régions du Nord-est l’idée de promouvoir leurs propres intérêts.
Les réticences du général Maxamed Abshir Muuse Au plan national, Cabdullaahi Yuusuf a échoué dans ses tentatives de parvenir à un accord global avec Caydiid et Tuur, le quatrième membre, Cumar Jees, étant absent des réunions. Pour leur part, le général Maxamed Abshir Muuse et ses alliés se trouvent dans une même impasse, incapables qu’ils sont de faire progresser les négociations avec Cali Mahdi dans Muqdisho paralysée par la guerre civile. En attendant que d’autres opportunités se dessinent, les deux dirigeants qui sont au moins d’accord sur une hypothèse fédérale sont enclins à reporter leur attention et leurs efforts sur leurs provinces du Nord-est. Là, l’idée de créer des administrations au niveau des régions et des districts entérinée à Addis Abäba suit son cours. Cette approche de reconstruction « de bas en haut » retenue comme solution de transition dans la perspective de former un gouvernement national est notamment encouragée par Cabdullaahi Yuusuf qui participe activement à la création de conseils locaux. Sous sa direction, des conseils de district ont d’ores et déjà élu leurs membres dans certaines parties du nordMudug,ainsi que plus récemment à Burtiinle dans le Nugaal.1 Il s’agit maintenant d’entreprendre la mise sur pied des administrations régionales. Partout, les dirigeants des communautés ont été choisis selon les critères retenus par l’ONUSOM à la conférence d’Addis Abäba. Il reste cependant que dans les trois provinces Majeerteen, en particulier aux alentours de l’axe goudronné qui relie Boosaaso au carrefour de Garoowe les actes de banditisme se multiplient. Barrages routiers, attaques de camions, il est clair que la délinquance voire une certaine anarchie tendent à se réinstaller, et qu’il s’agit de discuter des moyens d’y mettre un frein sinon un terme. C’est à cet effet qu’une série de réunions de consultations ont été organisées à Garoowe puis le 11 mai 1994, à Boosaaso. Au cours de cette dernière, les notables Majeerteen décident de prendre à bras le 1
Des conseils sont aussi établis dans le Sanaag voisin, à Laas Qorey et à Dharan.
corps l’ensemble des problèmes et de réunir un congrès dont les débats porteraient sur l’avenir de la région. Si le principal enjeu résidera dans la désignation du président du SSDF, il s’agira aussi de se déterminer sur le choix des institutions à mettre en place dans le cadre d’une région autonome, de l’orientation économique et de se positionner clairement au regard de la politique de réconciliation nationale. D’emblée le général Maxamed Abshir Muuse considère que la démarche est prématurée. Tandis qu’il milite pour que ce congrès soit reporté, une minorité active baptisée pour la circonstance « groupe des Quatre »1 persuade les isimo qu’il importait de se réunir au plus vite, avant que la situation n’en vienne à se compliquer à nouveau. Cette position est encore renforcée lorsque Maxamed Caydiid contacte certains d’entre eux pour leur faire savoir son soutien à Cabdullaahi Yuusuf, laissant voir combien des progrès vers l’établissement d’une administration dans le Nord-est iraient dans le sens de la résolution des conflits dans le Sud de la Somalie. Et puis à ce stade enfin, de nombreuses autres personnalités influentes, la population en général et les isimo euxmêmes, de plus en plus agacés par les querelles qui se multiplient au sein du SSDF, souhaitent voir les choses aller de l’avant. Même la diaspora Majeerteen au Kenya se montre impatiente de voir la situation se débloquer et quelque chose se dessiner dans l’intérêt de tous. La somme de ces démarches aboutit à une décision : le 5e Congrès du SSDF se tiendra dans la ville de Qardho dans le courant du mois de juin 1994. Son objet sera la restructuration du Comité central du front, l’élection d’un nouveau président, et la mise en place d’une administration fonctionnelle et crédible pour la région Nord-est », propre à y restaurer la loi et l’ordre. On observe que depuis le congrès qui s’était tenu à Harär en Éthiopie, en 1986, il s’agit du premier congrès rassemblant de nouveau l’ensemble du front Majeerteen.
Les frictions du 5e congrès du SSDF [VI/VII-1994] Il reste qu’à la mi-juillet, le 5e congrès du SSDF, dont l’ouverture a été entre temps fixée au 20 juin n’a toujours pas eu lieu. Les atermoiements résultent de la compétition politique que se livrent les deux principaux courants alignés les uns derrière le colonel Cabdullaahi Yuusuf et les autres derrière le président en titre du mouvement, le général Maxamed Abshir. Cette confrontation pour la présidence de l’organisation relève d’une lutte d’influence inscrite dans les rapports de force établis entre les principaux lignages Majeerteen : - les soutiens du colonel se situent principalement dans la délégation du Mudug mais aussi parmi les représentants du sud du Nugaal, territoire des Cumar Maxamuud.
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Il s’agit des généraux Cabdullahi Siciid Samatar, Maxamed Cali Yuusuf Gagaab, du boqor Cabdullaahi Muuse King Kong et de Cali Barre Jaamac Ciddii Libaax.
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dans le Bari, à la mosaïque clanique plus complexe, le colonel Cabdirisxaaq sheekh Cismaan Cali Baadiye s’est engagé à lui disputer la présidence du mouvement. - Pour sa part, le général Maxamed Abshir, Ciise Maxamuud, trouve plutôt des appuis au sein de la délégation de la région du Nugaal qu’il dirige ainsi qu’auprès des anciens membres du Manifesto dont il était cosignataire. Ses soutiens revêtent une allure davantage transclanique. Parmi eux, on retrouve notamment l’ancien responsable de la police et représentant du SSDF à Kismaayo, le général Cabdullaahi Faarax Hoolif [Cumar Maxamuud], d’anciens ministres de Siyaad Barre, Maxamed Cumar Jaamac Dhigic-Dhigic et Maxamed Yuusuf Wayrax [Cismaan Maxamuud]1 ainsi que Xasan Cali Mire et Maxamed Abshir Waldo. Bien qu’il restât un compétiteur de premier plan, beaucoup reprochent par ailleurs au général de s’être à nouveau rallié aux groupes islamistes dont la tentative de prise du pouvoir à Boosaaso en janvier 1992 avait été défaite par les forces du colonel Cabdullaahi Yusuuf. Cet aspect clanique évoqué, l’enjeu du congrès renvoie aussi à des divergences sur les alliances politiques à tisser à l’échelle de la Somalie tout entière. Plus autonome vis-à-vis de la stratégie de l’ONUSOM que son rival, le colonel Cabdullaahi Yuusuf défend l’idée d’une réconciliation nationale s’appuyant sur des cessez-le-feu locaux entre chefs de guerre comme celui qu’il a conclu avec le général Caydiid autour de Gaalkacyo ou celui qu’il a favorisé dit-on à Kismaayo entre ce même Caydiid et leur pire ennemi, le général Maxamed Moorgan. Le colonel Cabdullaahi Yuusuf évoque ainsi de nouveaux accords de paix qui pourraient être conclus à l’identique dans le Galguduud et le Hiiraan. Poursuivant son raisonnement sur cette base, il considère qu’une autonomie régionale pourrait être reconnue à cinq États susceptibles d’être rassemblés dans une fédération somalienne. Il avance aussi comme argument électoral que, sous sa présidence, le SSDF ratifierait l’autonomie régionale de la région Nord-est puis se doterait rapidement d’un gouvernement autonome. Au regard des factions du Sud, le colonel Cabdullaahi Yuusuf et le général Maxamed Caydiid sont solidaires face aux prises de positions exprimées par le général Maxamed Abshir, lié à la SSA, à Cali Mahdi, au Manifesto et aux milieux d’affaires. Depuis le départ des troupes américaines, ce dernier paraît en perte de vitesse, notamment après que, sous l’influence de colonel Cabdullahi Yuusuf, le SNF de Moorgan semble s’être rapproché des vues de la SNA à Kismaayo. Cette situation prête à penser que Caydiid a bien identifié l’hypothèse d’une fédération somalienne. Son vieil allié Tuur ne propose rien d’autre au Somaliland, son allié Cabdullaahi Yuusuf se prépare à instaurer un État autonome dans le Nord-est, alors pourquoi pas ne pas accepter l’hypothèse d’un 1
Respectivement ministre du Commerce (1982-1984) et ministre des Finances (19711974 et 1978-1980)
Jubbaland pourvu que cet ensemble s’inscrive dans un État fédéral dont rien ne lui interdit d’attendre qu’il en sera président.
La candidature de Cabdirisxaaq xaaji Xuseen [17.VIII-1994] D’emblée un certain nombre de difficultés matérielles sont venues compliquer le déroulement du congrès. Sept cents délégués et observateurs sont en effet arrivés à Qardho où 165 personnes étaient initialement attendues. Mais c’est davantage l’imbroglio occasionné par les disputes autour des candidatures qui en empêchent le bon déroulement. En effet, si la procédure de désignation a au moins été formellement respectée dans les régions favorables au colonel Cabdullaahi Yuusuf, en revanche dans le Nugaal, le général Maxamed Abshir n’a reçu le soutien que des seuls chefs traditionnels. Le gouverneur de la région, Maxamed xaaji Aadan [Ciise Maxamuud] a même séparément proposé sa propre liste1. Au sein du SSDF, il est vrai, Maxamed Abshir semble désormais de plus en plus isolé. La pagaille qui perdure conduit même les deux responsables de l’ONUSOM, Lansana Kouyate et James Victor Gbeho, à annuler la visite qu’ils projetaient de faire à Qardho le 12 juillet. Dans le rapport qu’il comptait faire à ses hôtes, Cabdullaahi Yusuuf accusait clairement Maxamed Abshir de s’opposer à la tenue du congrès pour ne pas perdre son poste de président. Il lui reprochait d’avoir rejeté toutes les propositions de compromis et dénonçait également l’influence des fondamentalistes de l’Itixaad tant sur le général que sur ses conseillers. Le 2 août finalement, 139 intellectuels Majeerteen signent une lettre ouverte réclamant la tenue du congrès et l’autonomie du Nord-est de la Somalie. Leur démarche tombe à l’aplomb de celle des notables qui depuis le 26 juillet se sont réunis pour tenter de trouver une issue à la crise. Mais débats et marchandages durent entre les trois principaux faisceaux de la société Majeerteen : les Cumar Maxamuud du Sud, majoritairement rangés derrière le colonel Cabullahi Yuusuf, les Ciise Maxamuud du centre qui avec les autorités religieuses soutiennent plutôt le général Maxamed Abshir Muuse, les Cismaan Maxamuud du Nord, contraints de gérer un espace clanique plus complexe composé des petits clans établis sur le littoral nord. Ces Cismaan Maxamuud bénéficient néanmoins de leur statut d’aînés puisqu’est issue de leurs clans l’autorité traditionnelle la plus prestigieuse de la société Majeerteen, le boqor. Toujours est-il que le 17 août, pour sortir de l’impasse, un groupe de sept isimo envisage de donner la présidence du mouvement à un ancien Premier ministre issu des Cumar Maxamuud, Cabdirisxaaq xaaji
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LOI n° 629 et 633, 25 juin et 23 juillet 1994
Xuseen1. Nombreux en effet sont ceux qui craignent de voir Cabdullahi Yuusuf prendre trop de pouvoir dans le Nord-est. Or cette proposition, avancée par le boqor Cabdullaahi Muuse King Kong, est effectivement interprétée comme une manœuvre destinée à diviser le camp des partisans du colonel en lui opposant une personnalité du même clan que lui. Elle est également de nature à faire rebondir de vieilles querelles politiques ou claniques remontant au début des années soixante entre les Cumar Maxamuud et les Cismaan Maxamuud. Cabdirisxaaq xaaji Xuseen n’a renoué que depuis 1991 avec l’action politique en participant à la première conférence de réconciliation sur la Somalie à Djibouti. Son rôle y a été déterminant dans la désignation de Cali Mahdi comme président intérimaire, position sur laquelle il reviendra ensuite lorsque ce dernier se rapprochera ostensiblement du général Maxamed Abshir. Pour l’heure, il accepte le poste de président du SSDF au terme d’une lettre envoyée le 19 août par télécopie à Qardho depuis New York. Il reçoit cependant dès le lendemain une longue réponse des dignitaires des principales familles Cumar Maxamuud par laquelle les isimo lui demandent de renoncer à cette nomination et de laisser le congrès élire lui-même son président. Parmi les 75 signataires de cette missive figure son propre neveu, l’ancien chef d’état-major du SSDF, Cabdirisxaaq Cumar Seef, pourtant peu suspect de sympathie à l’égard du colonel Cabdullaahi Yuusuf auquel une rivalité ancienne l’a opposé en Éthiopie durant toute la durée de la lutte menée par le mouvement.
Cabdullaahi Yuusuf Axmed, président du SSDF [24.VIII-1994] Cette dernière péripétie a cependant l’avantage de débloquer la situation. Bien que, le 22 août, les sept isimo qui l’ont proposé ne renoncent pas à l’hypothèse Cabdirisxaaq xaaji Xuseen et tentent de négocier un compromis, le congrès du SSDF ouvre finalement sa séance sous une triple présidence. Le boqor Cabdi Cabdulle Siciid Jini-Boqor du Bari, Siciid Maxamed Xirsi Dheere du Nugaal et Axmed Jaamac Bullaale du Mudug représentent les trois faisceaux majeurs. Quant au congrès à proprement parler, il rassemble 115 délégués sur un total de 165. Les choses maintenant sont appelées à rentrer dans l’ordre. Aussi, après avoir débattu les 23 et 24 du programme politique et de la structuration interne du mouvement, le colonel Cabdullaahi Yuusuf est finalement élu par 105 voix contre dix à la présidence du SSDF. Ces dernières se sont portées sur un autre candidat, Siciid Maxamed Raage Aadan [Dashiishe], proposé pour la forme. Pour sa part, le principal rival du colonel, le général Maxamed Abshir Muuse a quitté Qardho avant le début du scrutin. Un Comité central de 72 membres dont huit femmes 1
Ancien ministre de l’Intérieur sous la Première république, il a occupé la primature après les élections de mars 1964 et jusqu’en 1967. Ambassadeur de Somalie auprès des Nations unies à partir de 1974, il demande l’asile aux États-Unis en 1979 où jusqu’en 1991 il réside sans avoir d’activité politique.
est également désigné. Le 25 août, un communiqué signé de Daher Mire Jibril, secrétaire à l’information du colonel Cabdullaahi Yuusuf, annonce officiellement que ce dernier venait d’être élu président du SSDF par le congrès réuni à Qardho. En dépit de cette accélération des événements, Cabdirisxaaq décide de se rendre à Qardho où sont nombreux maintenant ceux qui craignent de voir sa présence relancer un conflit au sein du mouvement. L’ancien premier ministre y rencontre aussitôt Cabdullaahi Yuusuf en compagnie duquel il se rend à Gaalkacyo, capitale du Mudug, mais surtout centre de leur faisceau clanique, les Cumar Maxamuud, afin d’y rencontrer les isimo. Son arrivée le 29 fait l’objet d’un chaleureux accueil de la part de la population. Toutefois, si sa proposition d’organiser une conférence d’un mois pour résoudre la crise politique est acceptée par Maxamed Abshir, elle est catégoriquement rejetée par Cabdullaahi Yuusuf. L’hypothèse Cabdirisxaaq ayant fait long feu, celui-ci choisit de regagner son domicile aux États-Unis, sortant ainsi définitivement de l’histoire somalienne. Loin d’engager le SSDF à s’unir, le Congrès a non seulement exposé les profondes divisions perdurant au sein du mouvement, mais il a également établi qu’aucun des deux partis n’était en droit de se réclamer réellement du contrôle du Nord-est. Une véritable scission politique semble donc cette fois devoir s’installer. Le général Maxamed Abshir qui n’est pas disposé à accepter le verdict de Qardho nomme le 3 octobre 1994 Maxamed Cumar Jaamac DhigicDhigic chef d’une administration apolitique pour les régions du Nordest. Cet ex-ambassadeur est chargé de mettre en place un North-East Somalia State, supposé représenter l’un des États constituant la future Fédération nationale de la Somalie. Des plans sont échafaudés en vue de renforcer les institutions, mais restent sans lendemain, confrontés aux divisions non résolues au sein du SSDF. Toutefois, ces complications qui se dessinent dans le Nord-est somalien restent sans commune mesure avec celles qui depuis trois ans prévalent à Muqdisho et dans le Centre du pays. Au milieu de l’année 1994, après le départ du contingent américain, les Nations unies qui n’espèrent plus guère voir évoluer la situation politique ont résolument pris le parti de s’organiser jusqu’à la fin du mandat en privilégiant la prudence.
X XI - 1994 : LA RECONSIDERATION DU MAN DAT DES N ATIONS UNIES
Une fois retirées les troupes des États-Unis, c’est non seulement la capacité à tenir le terrain qui a diminué, mais les possibilités offertes par l’énorme machinerie qui les accompagnait. Les Français et les Italiens ayant également disparu du théâtre, le monde injustement ne porte plus le même regard sur l’opération somalienne. Les ambitions se doivent de diminuer. D’autant que depuis le 4 avril, le génocide rwandais relègue au rang des faits divers la petite misère somalienne. Celle-ci est devenue tout à fait collatérale aux yeux d’une opinion publique éprise de sensationnel et qui, là, dans l’Afrique des Lacs, s’est trouvée une partition de choix pour son registre compassionnel. À la fois la pitié et l’horreur, le cocktail magique.
CONTEXTE SECURITAIRE ET STAGNATION POLITIQUE Une sorte de réflexe perdure cependant qui pousse le Conseil de sécurité à accorder encore quelques résolutions à une crise dont chacun dans son for intérieur sait qu’on ne la résoudra pas. Aussi tandis que les troupes étrangères continuent à quitter la Somalie, l’appareil des Nations unies continue à tourner, un peu à la façon du hamster dans sa roue. L’habitude semblait d’ailleurs prise à New York de créer une situation inextricable pour le seul plaisir d’y observer l’adresse de quelque diplomate talentueux, envoyé pour éteindre les incendies somaliens. Ainsi fonctionne l’organisation, vaste étang où barbotent nombre de fonctionnaires, à l’abri des vues et des coups comme sous leur feuille de nénuphar ; certains aux ambitions fangeuses, mais d’où émerge heureusement aussi une somme intéressante d’esprits brillants. La suprême gourmandise consistant bien sûr à humilier ceux-ci à chaque
fois qu’une occasion s’en présente. On se souvient de Muḥammad Saḥnūn.
Résolution 903 et nomination de Victor Gbeho [31.V & 1.VII-1994] Ainsi, toujours dans l’expectative d’une évolution politique et à la suite du rapport du 24 mai du Secrétaire général, le Conseil de sécurité vote le 31 mai 1994 la Résolution 903 par laquelle il renouvelle jusqu’au 30 septembre 1994 le mandat de l’ONUSOM, étant entendu que ses conditions restaient susceptibles d’être revues par le Conseil avant le 29 juillet 1994. Avec Lansana Kouyate, le positionnement de New York a radicalement changé. Fonctionnant sur un déploiement territorial beaucoup plus réduit, l’ONUSOM II, outre les tâches liées à l’aide humanitaire et aux travaux de réhabilitation, limite son action à faciliter le processus de réconciliation en s’abstenant d’imposer quoi que ce soit aux protagonistes. Toute option militaire a disparu. Dans sa nouvelle configuration, l’opération renoue avec ce qui avait si bien réussi à l’UNITAF. Le Représentant spécial adopte même un train de mesures précis privilégiant la sauvegarde et excluant l’intervention. Le mandat révisé conduit naturellement le commandement militaire à revoir le concept d’opération en province et à l’intérieur de la capitale. Il en ressort quatre principes majeurs : - la garantie et la sécurisation des accès aux principales installations ports, aéroports et voies de communication ; - le maintien d’une présence continue sur les axes principaux et à l’intérieur des zones de responsabilité par l’intermédiaire de patrouilles ; - l’aide au rétablissement de la police par une assistance à la formation et la conduite de patrouilles conjointes ; - la sécurité des convois d’aide humanitaire. Un mois plus tard, le 1er juillet 1994, Boutros Boutros Ghali confie à James Victor Gbeho le poste de Représentant spécial de l’Organisation en Somalie1. Le diplomate ghanéen prend ses fonctions en remplacement de Lansana Kouyate qui demeure avec lui le mois durant afin d’assurer au mieux à son successeur le pied à l’étrier. Un Lansana Kouyate qui en dépit de tout son talent a échoué à asseoir un processus de réconciliation.
La publication du rapport d’enquête [1.VI-1994] Reste qu’une nouvelle fois, au milieu de l’année, l’heure vient aux bilans, aux mises en cause aussi comme aux mea culpa qui se multiplient. Le volumineux rapport de la commission d’enquête sur les événements du 5 juin 1993, resté non publié jusqu’au 1er juin, critique 1
Alors Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères de son pays, il a précédemment représenté le Ghana auprès des Nations unies.
sévèrement les dysfonctionnements de l’ONUSOM II. Contrairement au rapport remis par Tom Farer, ce nouveau document s’applique davantage à chercher des faits qu’à dénoncer des fautes. Ses observations sont édifiantes, ses conclusions parfois inattendues. La commission par exemple ne trouve de trace ni de préméditation, ni de planification de l’attaque. Elle observe en revanche que l’action a eu lieu dans une zone bien contrôlée par la SNA et que les moyens de communication des miliciens, aidés précisément par Radio Muqdisho, leur offraient la possibilité de diffuser très rapidement des messages. Leur réaction, barrages routiers et déploiement des forces, pouvait de ce fait, être effectuée dans un délai très court. C’est pourquoi les enquêteurs sont plutôt enclins à penser que, éperonnée par les inspections, la SNA aurait orchestré les attaques, mais que celles-ci n’auraient été ni planifiées ni préméditées par elle. Aussi, si leur ampleur et la façon de leur déroulement étaient de nature à surprendre, il n’en allait pas de même de l’événement en soi, car l’intervention des Nations unies était passée outre le consentement des parties en guerre. Au lieu de procéder avec mesure et prudence, l’ONUSOM avait décidé d’user du droit et de l’autorité que lui conférait la résolution 814 et d’appuyer sa toute première inspection sur la force militaire. Or, conformément aux accords, les sites de stockage, les AWSSs, avaient été établis par les milices à l’intérieur de leurs points d’appui où ils étaient gardés par les miliciens eux-mêmes en dehors du contrôle de l’ONUSOM. Le rapport estime qu’il aurait pu être prévu en amont des modalités de visite et de contrôle mutuellement acceptés par l’ONUSOM et les différents mouvements, qu’un modus operandi aurait dû être trouvé en vue des inspections. La réaction hostile de la SNA à la notification indiquait clairement que les milices useraient de la violence pour résister aux inspections. Mais l’irritation avait gagné l’ONUSOM, fondée sur les émissions de Radio Muqdisho et sur le différend autour de l’organisation de la conférence sur Gaalkacyo. Le regard porté sur les défaillances tactiques patentes de l’opération donnait également lieu à des remarques sans équivoques : des troupes non préparées à des attaques aussi violentes, le fait qu’aucune réserve n’ait été mise en alerte avant l’opération, le manque de coordination entre les militaires et les divisions politiques. Une vision incertaine et inappropriée du théâtre somalien avait conduit à des erreurs de jugement sur la sensibilité des intervenants comme sur la chronologie prévue des inspections. Cependant, l’idée maîtresse qui sous-tend le rapport porte sur une condamnation de la posture induite par l’Article VII, erreur structurelle de la Résolution 814, envenimée de surcroît par la réaction inconsidérée de la Résolution 885. Au sortir de la guerre du Golfe, pour de nombreux contingents, la transition d’une posture de combat au maintien de la paix était par essence difficile, même et surtout peut-être pour des soldats de métier. L’usage de la force pour parvenir à un objectif étant au cœur de
la profession des militaires, elle nécessitait une troupe, mais plus encore des chefs entraînés et aguerris. Un autre rapport interne, non publié celui-là, s’interrogera également sur le fait de savoir si les Rangers américains n’auraient pas à d’autres moments agi en dehors du mandat des Nations unies. Une polémique s’installera par exemple quand il sera avéré que Cismaan Caato, arrêté le 18 septembre, n’avait pu être visité par la Croix-Rouge que le 6 janvier 1994 à Koyaama, « l’île aux prisonniers ». Les responsables du contingent indien se disent alors furieux d’avoir été commis par les Américains à la garde d’un pénitencier de fortune. L’enquête, diligentée par les Nations unies elles-mêmes, à la demande de la Croix-Rouge, conclut effectivement à certaines violations des droits de l’Homme sur les prisonniers somaliens : détentions au secret, interrogatoires sans présence d’avocats, incarcération les yeux bandés et les mains liées derrière le dos tout au long des 45 jours suivants leur arrestation. Les Américains auraient commandité ce régime et donné l’ordre de tirer à vue en cas de tentative d’évasion. Mais seule l’équipe des transmetteurs étant américaine, ce sont les officiers indiens qui avaient maintenant à répondre de ces pratiques1. Aux Nations unies donc, l’optimisme n’est pas de mise. D’autant moins que, sur le terrain, on peine à croire que la mise en place d’un gouvernement puisse être réalisée en mars 1995. La responsabilité de cet état de choses en est imputée aux dirigeants somaliens. Aucune avancée n’est jugée envisageable tant qu’ils n’auront pas décidé de travailler ensemble à un établissement politique durable, seul garant possible de la stabilité dans le pays. Dans cette perspective, le report permanent de la conférence de réconciliation nationale et de sa réunion préparatoire n’offre que soucis et désappointements à ceux qui tentent de venir en aide à la Somalie. La communauté internationale s’interroge par ailleurs sur sa capacité à soutenir encore longtemps les efforts de réconciliation. La procrastination répétée des conférences, l’émergence inquiétante de sous-groupes factionnels et le caractère erratique du processus de réconciliation suggèrent qu’à tous niveaux les discussions entre les chefs somaliens pourraient continuer indéfiniment. Une impression renforcée par la certitude que certains d’entre eux ne sont pas disposés à subordonner leurs ambitions personnelles à l’intérêt qu’il y a pour leur population à vivre en paix. Confronté à ces doutes, mais aussi à des problèmes plus triviaux de budget, Boutros Boutros Ghali décide d’entreprendre un examen complet des forces de l’ONUSOM II afin de s’assurer que les perspectives actuelles justifient vraiment le dimensionnement de l’opération en cours. Plus de la moitié des forces stationne actuellement à Muqdisho sans qu’elle soit en mesure de changer quoi que ce soit aux conséquences 1
Approché pour cogérer ce pénitencier, le commandement immédiatement refusé de participer à cet exercice d’emblée jugé illégal.
français
avait
sécuritaires des nombreux affrontements interclaniques. Les quelques succès de l’ONUSOM sont désormais obtenus par des moyens diplomatiques davantage que par des actions militaires. Ce constat conduit le Secrétaire général à penser qu’il pourrait être entrepris une réduction des troupes actuellement assignées. Aussi décide-t-il d’envoyer une mission spéciale chargée de discuter avec Victor Gbeho et le général Aboo Samah de ce que pourrait être le volume de cette réduction et de proposer des recommandations spécifiques en vue de cette opération. La mission est engagée à porter une attention particulière aux agences humanitaires et aux ONG. Leur sécurité reste la priorité dans le cadre de la reconfiguration de la composante militaire.
La mission spéciale et l’accélération du retrait [28.VII/4.VIII-1994] Dirigée par le major général ghanéen Timothy Dibuama accompagné de Élisabeth Linden Meier du DOMP et de Tayyé-Brook Zérihun, officier des affaires politiques, la mission spéciale arrive à Muqdisho le 28 juillet. Elle restera en Somalie jusqu’aux 4 août. Au terme d’un échange long et détaillé avec le Représentant spécial, le commandant des forces et d’autres officiels civils et militaires de l’ONUSOM, la mission s’entretient aussi avec la brigade indienne, à Baydhabo et à Kismaayo. À Muqdisho et Kismaayo, elle rencontre aussi des représentants des agences des Nations unies, des organisations humanitaires et des ONG. Au terme de ces conversations, il est jugé raisonnable de réduire les effectifs à 17 211 hommes à la fin de septembre 1994. La force de 22 000 actuellement autorisée compte en réalité au 2 août 18 761 soldats. Ainsi dimensionnée, elle serait toujours en mesure de remplir les missions assignées sous le mandat actuel comme prévu par la résolution 897. Ces missions touchent la protection des principaux ports et aéroports, la sécurité des opérations d’assistance humanitaire, personnels de l’ONUSOM, installations et équipements des Nations unies et de ses agences ainsi que l’assistance à la reconstruction de la police et du système judiciaire somalien. Les discussions ont aussi conclu à l’absolue nécessité de soutenir dans les progrès réalisés dans la promotion de la stabilité au sein des régions. Dans de nombreuses zones, ils ont été un succès, au fil d’accords régionaux négociés, d’entraînement des unités de police et d’arrangements particuliers dans les initiatives judiciaires prises en particulier dans les régions de Gaalkacyo et des Jubbada Hoose et Jubbada Dhexe, soutien fourni grâce à la présence militaire. Il s’agit maintenant de procéder à une réduction mesurée et progressive des moyens engagés. Les représentants des organisations humanitaires font toutefois état des risques que ferait peser un retrait précipité des troupes de l’ONUSOM des régions dans lesquelles ils sont actuellement en train de travailler. Dans l’ensemble, le chiffre de 15 000 est considéré comme le seuil critique en dessous duquel il serait inopportun du réduire les troupes. La
planification établie par l’état-major du général Aboo Samah prévoit une réduction progressive qui devrait pouvoir se dérouler jusqu’à mars 1995, le niveau de 15 000 pouvant être atteint à la fin d’octobre ou au cours du mois de novembre.
L’intercession de l’iimaan Maxamuud [VIII-1994] Pendant que se mettent en place ces prémices d’un retrait, à Muqdisho, iimaan Maxamuud iimaan Cumar, 15e iimaan des Hiraab, s’active dans l’espoir de parvenir à réconcilier les lignages hawiiye avant que ne s’efface tout frein à leurs affrontements. À Muqdisho, l’iimaan des Hiraab dont la fonction s’enracine dans l’histoire somalienne occupe depuis longtemps une position particulière et respectée1. D’un point de vue strictement clanique, les Hiraab rassemblent une partie importante des segments hawiiye, au nombre desquels figurent notamment Habar Gidir et Abgaal. Sur un plan historique, les Hiraab ont aussi constitué une entité politique née au XVIIIe siècle d’une révolte conduite contre le sultanat Ajuuraan. Un État l’imamat des Hiraab, s’est ainsi constitué sur un territoire s’étendant approximativement à partir de la vallée du Shabeelle et du Banaadir sur les régions situées entre Mareeg et le Mudug. Hobyo en est devenu la capitale commerciale. Là, tandis que les chefs militaires étaient désignés parmi les clans Habar Gidir et Duduble, l’autorité religieuse fiqi, wadaad, était dévolue aux Sheekhaal. L’autorité politique était attribuée à un Mudulood, réputé être le lignage aîné des Hiraab. À la fin du 19e siècle cependant, l’imamat a commencé à décliner. Problèmes internes, pression du sultanat de Zanzibar l’ont affaibli au point que l’imamat s’est trouvé submergé par des Majeerteen qui ont dès lors constitué un sultanat de Hobyo. Cinquante ans plus tard, celui-ci Sultan était à son tour renversé par un commandant de l’iimaan, Guuleed Faarax Jeex, qui rendait pour quelque temps Hobyo aux Hiraab. Peu après, la région était conquise par les Italiens. Néanmoins, la lignée héréditaire des iimaamo de Hiraab qui est restée jusqu’à ce jour intacte a toujours exercé une influence respectée dans les affaires nationales somaliennes . Consultant depuis le mois de juillet les entourages de Cali Mahdi et du général Caydiid au fil de discussions séparées, l’iimaan Maxamuud se plaît à identifier la bonne volonté des deux protagonistes. Afin de s’assurer que ces dispositions se concluront sur des prises de position communes, il souhaite procéder, en amont de la conférence de réconciliation nationale, à une série de réunions séparées entre les Habar Gidir et les autres lignages Hawiiye, en particulier. On songe notamment aux plus impliqués dans le conflit, Muruursade, Xawaadle 1
Une confusion s’est installée. Bien que tous deux issus du même mot arabe [ar. ﺇﻣﺎﻡ imām], le somali a créé deux concepts. Le premier, imaan(-ka) désigne comme en arabe celui qui conduit la prière du vendredi et à l’accoutumée prononce le prône ; le second, iimaan(-ka) désigne un chef, une autorité morale certes mais politique aussi. Il en va ainsi de iimaan Maxmamuud, iimaamka (beelaha) Hiraab.
et Abgaal. Iimaan Maxamuud espère que ces entretiens seront suivis en session plénière d’une conférence de paix inter-Hawiiye. Confiant dans les chances de succès de cette stratégie, il défend auprès de ses interlocuteurs étrangers que, compte tenu des spécificités somalies, c’est le chemin le plus orthodoxe pour parvenir dans le Banaadir à l’établissement d’un conseil régional et de conseils de districts ainsi qu’à la désignation d’un gouverneur. Aussi les semaines suivantes, s’entretient-il avec les divers chefs de clans. Ces efforts se concluent le 20 août sur une réunion à laquelle assistent 36 représentants des Mudulood. À l’unanimité, les participants acceptent de retirer leurs technicals respectifs de Muqdisho vers les zones sous leur contrôle. Un comité est établi afin de surveiller et vérifier leur retrait. À la suite de cette décision, le sous-comité politique du comité de réconciliation des Hiraab qui avait été institué par l’iimaan au cours du mois précédent est convoqué du 28 au 30 août dans un hôtel du nord de Muqdisho. Au terme de la réunion, l’ensemble des clans Hiraab accepte que leurs miliciens soient immédiatement retirés des zones contestées et que tous les points de contrôle et barrages établis dans la ville soient retirés le 3 septembre. À cet effet, un comité conjoint sera établi auquel il appartiendra de résoudre le problème des barrages routiers ainsi que la position des milices à l’entrée du port et de l’aéroport de Muqdisho. Le 3 septembre précisément, l’iimaan Maxamuud conduit une mission de paix composée de treize Mudulood à Madina où il rencontre les clans se disputant le district afin qu’ils acceptent de désarmer leurs milices et de désigner un comité de notables pour régler leurs disputes en accord avec la tradition somalie. Les Habar Gidir et les Muruursade parviennent à des résultats similaires dans Muqdisho. Un mécanisme incluant un comité de contrôle du cessez-le-feu et un comité de notables sont établis. Un moment, l’ensemble des initiatives de l’iimaan et des notables Hawiiye impliqués semblent avoir un effet salutaire sur la situation sécuritaire dans la capitale bien que quelques technicals continuent à rouler dans la ville.
LES MISSIONS D’EVALUATION DES NATIONS UNIES Si les factions paraissent alors avoir fait un pas dans le sens de la paix, il n’en demeure pas moins que la situation sécuritaire liée au banditisme ordinaire n’est d’ores et déjà plus en mesure d’être régulée par les factions elles-mêmes.
L’accroissement de l’insécurité et la remise en selle de Caydiid [VI/IX-1994]
La décision de renoncer à l’emploi de la force qui n’échappe à aucun Somalien est lue comme une promesse de défaites des Nations unies et se double d’un manque de considération pour les contingents restants. Un sentiment que vient décupler la réduction des effectifs.
L’indéniable corollaire en est donc bien une augmentation patente du banditisme, un phénomène qui ne fera que s’accroître jusqu’au repli total de l’opération et qui vient mettre à mal les louables efforts de l’iimaan des Hiraab. Les incidents sécuritaires se multiplient en province, davantage liés l’heure à la délinquance individuelle : un technical, quelques armes et une bande de camarades – qu’à l’action des factions. Pour beaucoup, la déflation des effectifs de l’ONUSOM représente un manque à gagner que d’une façon ou d’une autre, il s’agit de compenser. Le plus sérieux des incidents se passe à Beledweyne dans la zone de responsabilité indienne le 29 juillet quand les troupes du contingent du Zimbabwe sont complètement dépassées par un important groupe de miliciens ; un soldat est tué et les soldats de l’ONUSOM doivent abandonner tous leurs équipements à la milice. Mais c’est l’incident survenu le 22 août qui se révèle déterminant dans la dynamique du retrait après qu’une unité indienne escortant un convoi entre Muqdisho et Baydhabo est tombée dans une embuscade près de Buur Leego à mi-chemin entre Balli Doogle et Buur Hakaba. Sept Casques bleus sont tués durant l’affrontement et le contingent indien doit faire face encore au cours de la même semaine à de sérieux incidents. Le 31 août une nouvelle fois, ce sont trois médecins de Delhi qui sont tués à Baydhabo par l’explosion d’une grenade offensive au moment où ils quittent le mess des officiers. Le Conseil de sécurité cette fois perd patience et enjoint le Secrétaire général de lui faire parvenir non pas le 15 octobre comme convenu, mais bien avant le 30 septembre un rapport circonstancié sur les perspectives de réconciliation nationale et les options possibles pour le futur de l’ONUSOM II. L’embuscade contre les militaires indiens a résolument scellé l’action internationale en Somalie. C’est un non-dit bien sûr, mais la communauté a désormais choisi de laisser cette dernière à son destin. En effet, si à Muqdisho les démarches interclaniques Hawiiye se multiplient afin de parvenir à une réconciliation, les miliciens ont simplement déplacé leur activité à l’extérieur de la ville, notamment sur les deux principaux axes menant l’un à Beledweyne, l’autre à Baydhabo. Début septembre quelque 17 technicals en maraude sont observés près de Afgooye tandis que les échauffourées interclaniques se multiplient à proximité de Balli Doogle. Le 7 septembre un convoi logistique de 18 camions tombe dans une embuscade près de Wanleweyn. Un seul véhicule parvient à atteindre l’aérodrome situé à proximité. L’incident récent le plus significatif se passe à Balcad le 9 du même mois. Au cours d’une cérémonie de remise d’équipements des Nations unies aux autorités locales, ces dernières somment les personnels de l’ONUSOM de leur abandonner l’ensemble de leurs fourniments. Dans l’après-midi, une centaine de miliciens soutenus par les armes lourdes de leurs technicals attaquent les positions protégées par les soldats du
contingent zimbabwéen en vue de s’en saisir avant le départ des troupes. Les Casques bleus de Harare réagissent immédiatement. Quatre miliciens sont tués et 39 capturés durant l’incident. Côté ONUSOM aucune perte n’est à déplorer et le contingent zimbabwéen quitte finalement Balcad avec l’ensemble de son matériel et de ses provisions. Immédiatement après leur départ 300 hommes, femmes et enfants se ruent sur le cantonnement abandonné pour piller ce qui peut encore l’être. Ces incidents sérieux illustrent non seulement la volatilité de la situation, virtuellement incontrôlable, mais aussi la précarité des contingents, car chacun sait qu’en Somalie des incidents similaires peuvent se dérouler n’importe où et à n’importe quel moment. Cette situation a contre toute attente quelques incidences sur la relation avec Maxamed Caydiid. Si au sein de la SNA sa position souffre d’une certaine fragilisation, au sein de la communauté internationale en revanche, de nombreux analystes sont enclins maintenant à repenser leur position à l’égard du général, seule personnalité leur semble-t-il à avoir une réelle dimension politique.
La visite du Sous-secrétaire général de la DOMP [15/17-IX-1994] À la mi-septembre 1994, Kofi Annan, sous-secrétaire général de la DOMP se rend en Somalie accompagné du conseiller militaire de Boutros Boutros Ghali, le major général canadien Maurice Baril. Il y rencontre les principaux protagonistes de la problématique somalienne : le général Maxamed Caydiid, Cali Mahdi, iimaan Maxamuud iimaan Axmed, le général Maxamed Ibraahim Axmed Liiqliiqato, président de la Conférence de réconciliation de la Jubbada Hoose, et le colonel Cabdullaahi Yuusuf Axmed du SSDF. Il rencontre aussi le toujours président du SNM, Cabdiraxmaan Tuur, qui écarté du pouvoir au Somaliland a repris ses habits unionistes, flanqué pour se donner un semblant de volume des représentants de trois petits partis non-Isxaaq du Nord-ouest. Le Sous-secrétaire général insiste auprès de chacun sur l’importance du processus de réconcil iation en précisant que les ressources de la communauté internationale n’étaient pas illimitées. Se dessine alors la stratégie de Maxamed Caydiid, décidé coûte que coûte à établir un gouvernement de son cru. Durant les entretiens tenus à Muqdisho le 16 septembre, le général signifie à son interlocuteur que maintenant il lui semblait possible de réunir dès la fin de ce mois de septembre le comité préparatoire à la Conférence de réconciliation nationale. Selon lui, les consultations intérieures du monde Hawiiye ayant fourni une base suffisante, une conférence de réconciliation générale du faisceau lignager lui semblait désormais superflue. Naturellement, les réactions des dirigeants des autres lignages sont mitigées. Cali Mahdi, à l’origine réticent à participer à une conférence interclanique mais qui s’était finalement rangé à cette idée exprime sa surprise. L’iimaan Maxamuud iimaan Cumar pour sa part demande
davantage de temps afin d’achever ses consultations. Il n’échappe à personne que Caydiid considère que la Conférence de réconciliation devait être rassemblée à son initiative tandis que dans l’esprit de Cali Mahdi elle devait être lancée par le Représentant spécial. La méfiance prévaut à un point tel qu’il reste improbable qu’une telle séance puisse être organisée par le général. Mettant un second fer au feu, Kofi Annan prend l’attache du colonel Cabdullaahi Yuusuf qui donnant suite à une invitation officielle de l’ONUSOM II, se rend à Muqdisho le 30 septembre. Par son entremise, les Nations unies tentent une nouvelle médiation. La connaissance des nombreuses convergences de vue entre le chef de la SNA et le nouveau chef du SSDF ne sont un secret pour personne, pas plus d’ailleurs que les faveurs que l’Éthiopie octroie à chacun d’eux. Et en effet, au terme d’intenses discussions entre le colonel Cabdullaahi Yuusuf, Cali Mahdi et Maxamed Caydiid, ce dernier semble finalement se ranger à l’idée qu’il soit laissé à l’ONUSOM de lancer les invitations en vue de la réunion préparatoire.1 Après s’être engagé à faire le nécessaire auprès de leurs miliciens pour que cessent les harcèlements de tous ordres perpétrés contre les éléments de l’ONUSOM, chacun s’engage à convenir avant la fin du mois d’une date définitive pour la réunion préparatoire à la conférence de réconciliation. Au terme de la visite de Koffi Annan et du rapport du Secrétaire général qui en rapporte les conclusions, le Conseil de Sécurité décide par le Résolution 946 du 30 septembre 1994 d’étendre le mandat de l’ONUSOM pour une période d’un mois. Expirant le 31 octobre, il s’agit de se donner le temps de réfléchir au mandat de l’opération. Sans procéder à un constat d’échec, il faut prendre position et arrêter maintenant une politique, quelle que soit l’hypothèse, le maintien ou le repli.
ONUSOM II : vers l’étude du repli [30.IX/31.X-1994] Il reste que la dégradation sécuritaire observée depuis le mois de juin a déjà conduit le Secrétaire général à diminuer la présence militaire. Après qu’il a demandé à Victor Gbeho d’en réduire les effectifs de 1500 hommes dès la fin septembre, la plupart des déploiements de provinces ont entrepris leur repli. Baardheere tout d’abord puis à partir d’octobre Xuddur, Waajit, Balcad et Marka. Avec un effectif réduit à 15 000 hommes désormais, le dispositif de l’ONUSOM II nécessite une réarticulation. Le commandement décide donc de concentrer les forces sur trois plates-formes – Baydhabo, Kismaayo et Muqdisho –, tout en conservant une unité de réserve mobile pour répondre aux urgences. Le général Aboo Samah estime que le niveau atteint est celui en dessous duquel le mandat actuel ne pourrait plus être rempli et qu’une nouvelle réduction de ses effectifs ne 1
Rapport du Secrétaire général S/1994/1166 du 14 octobre 1994.
permettrait plus d’entreprendre ni d’exécuter un éventuel retrait des troupes en sécurité. Or tout porte à croire que le retrait des troupes pourrait se révéler difficile, voire dangereux, dans un certain nombre de secteurs. Au point que le Secrétaire général a d’ores et déjà approché les États membres disposant de moyens aériens et navals dans l’hypothèse d’un renfort au moment de la phase critique du retrait si celui-ci devait se dérouler sous des conditions hostiles. Le gouvernement d’Italie s’est d’emblée déclaré prêt à fournir à cet effet cinq ou six bateaux et 300 ou 400 soldats de Marine. L’ensemble des opérations de repli devrait demander 60 à 120 jours selon le contexte sécuritaire. Dans l’attente de cette échéance, un nouveau mandat permettra de poursuivre les efforts de nature à mener à bien la réconciliation nationale dans l’espoir que les chefs somaliens parviennent à s’entendre sur un gouvernement de transition. Personne n’y croit vraiment, mais si cela devait par miracle advenir, le Secrétaire général déclare aussi qu’il n’hésiterait pas à se retourner vers le Conseil de sécurité afin que la présence des Nations unies en Somalie se poursuive au-delà du mois de mars. En conséquence, Boutros Boutros Ghali recommande une nouvelle résolution qui prolonge de cinq mois la durée de l’opération, afin de donner aux chefs somaliens le temps d’entreprendre sinon de mener à terme un processus politique. La première réaction à ce positionnement du Secrétaire général vient de la Ligue des États arabes qui demande à New York de maintenir la présence aux Nations unies en Somalie pour prévenir la détérioration des conditions sécuritaires et faciliter la réconciliation nationale. La Ligue avance que des résultats perceptibles ont été obtenus et constate la diminution des combats entre les factions ainsi que le souhait manifeste de leurs chefs de parvenir à des négociations 1.
La proposition de conférence de la SNA [14.X-1994] Cette première démarche a aussi pour effet d’agiter les factions. Un imminent départ des troupes des Nations unies vient bouleverser le ronronnement mortifère de leurs disputes. Des équilibres vont se rompre, dont nul n’est en mesure de cerner les conséquences. S’engage dès lors entre elles une sorte de course de vitesse. Le 14 octobre, les douze factions et organisations associées à la SNA publient un mémorandum annonçant leur décision de convoquer une conférence nationale de réconciliation à Muqdisho pour le 27 de ce mois. Le document appelle les dirigeants de quatre partis signataires de l’accord d’Addis Abäba alignés sur le groupe des Douze, c’est-à-dire implicitement les factions rivales des SDM, SPM, USC et du SNF à rejoindre ce symposium. Il sollicite aussi l’ONUSOM de sorte que les 1
Au cours de la 102e session ordinaire du conseil de la Ligue des États arabes. Lettre référencée aux Nations unies S/1994/1204 du 22 octobre 1994.
invitations soient étendues aux présidents des 16 factions et organisations incluant notamment les groupes dissidents de la SAMO, de la SNU et du SSNM qui n’ont pas de position officielle dans le contexte de l’accord d’Addis Abäba ou de la déclaration de Nairobi. En plus des organisations alliées au général Caydiid, l’initiative est également soutenue par les quatre groupes du Nord-ouest hostiles à l’indépendance du Somaliland, alignés derrière Abdiraxmaan Tuur, ainsi que par le colonel Cabdullaahi Yuusuf. Cet appel prend de court le projet de l’ONUSOM visant à se poser en arbitre organisateur de la réunion. Victor Gbeho avait en effet prévu d’organiser le 15 octobre la signature d’un accord entre l’ensemble des factions portant sur la tenue d’une conférence nationale de réconciliation le 27 du même mois. Délibérément, l’initiative de Maxamed Caydiid non seulement torpille la cérémonie, mais risque fort d’indisposer son rival Abgaal. Saisissant néanmoins la balle au bond, l’ONUSOM II juge « intéressante et encourageante » la proposition du général Caydiid tout en souhaitant que l’ensemble des factions somaliennes reconnues en mars 1993 à Addis Abäba y soit représenté. Le Représentant spécial suggère aussi à tous les chefs somaliens de multiplier les contacts afin de faciliter effectivement une conférence à base large, qui inclue toutes les parties concernées c’est-à-dire les représentants de toutes les factions reconnues par les deux alliances rivales. Il appelle toutefois la SNA à remettre à plus tard son projet afin de poursuivre les entretiens engagés avec la SSA. Répondant à cet appel, le 17 octobre, les factions liées à Cali Mahdi lancent à leur tour un appel à la SNA pour que les deux parties se réunissent dans un exercice qui rassemblerait tous les signataires de l’accord d’Addis Abäba. Une réserve cependant, elles insistent pour que toute conférence soit placée sous les auspices des Nations unies. Pour mieux peser dans un débat qui ne gagnerait rien à afficher trop de dispersion, les douze factions adoptent la semaine suivante, le 23 octobre, une charte par laquelle elles se constituent officiellement en une Somali Salvation Alliance (SSA). Cette organisation jusqu’alors formelle dont Cali Mahdi est élu président rassemble ainsi officiellement les quatorze factions déjà réunies de fait en février 1994. Mais comme cela était prévisible, la situation devient vite autrement complexe. En dépit de nombreux contacts et de consultations informelles, les deux parties ne parviennent toujours pas à s’entendre sur les modalités d’une conférence susceptible de rassembler tout le monde. La SSA la première a manifesté ses réserves, mais suivent aussitôt les dirigeants du Somaliland qui dénient toute représentativité aux quatre organisations du Nord-ouest, parties prenantes de cette initiative, mais dont plusieurs n’étaient présentes ni à Addis Abäba, ni à Nairobi.
Au terme de laborieux échanges, SNA et SSA acceptent finalement d’envoyer des délégués auprès de Victor Gbeho afin de résoudre la question de la représentativité des factions et de fixer une nouvelle date pour la conférence. Pose toujours problème le lieu de la rencontre : Caydiid souhaite qu’elle se tienne dans son fief de Muqdisho-sud, ce qu’est prêt à accepter Cali Mahdi à condition que cela se déroule dans le périmètre du camp de l’ONUSOM II. Certes la conférence reviendrait à reprendre à la base le processus de la négociation, mais, alors que les Nations unies parachèvent maintenant leur désengagement, elle n’en apparaît pas moins à beaucoup comme une démarche de la dernière chance. C’est aussi pourquoi une délégation de sept représentants du Conseil de sécurité conduite par l’ambassadeur de Nouvelle-Zélande auprès des Nations unies, Colin Keating, se rend à Muqdisho le 26 octobre. Celui-ci est chargé de signifier une dernière fois et sans équivoque aux factions somaliennes que sans accord sur un gouvernement central, les donateurs suspendraient leur aide. Il est enfin établi qu’à son retour la délégation présenterait un rapport qui se prononcerait avant la fin du mois sur la date du retrait définitif des derniers soldats de l’ONUSOM II.1 Le 26 octobre, les factions SNA annoncent le report de leur projet au 1er novembre, « eu égard à la visite de la mission du Conseil de sécurité ».
Mission du Conseil de Sécurité et Résolution 954 [26/27.X & 4.XI1994]
Le 21 octobre en effet, le président du Conseil de sécurité a décidé l’envoi immédiat en Somalie d’une mission composée de sept membres du Conseil2 et dirigée par l’ambassadeur Colin Keating, représentant de la Nouvelle-Zélande aux Nations unies3. À toutes fins utiles, le 31 octobre la Résolution 953 du Conseil de sécurité prolonge le mandat de l’ONUSOM pour une période intermédiaire de trois jours expirant le 4 novembre, afin de disposer du délai nécessaire. La résolution signifie aussi explicitement que le rapport de la mission décidera de l’évolution du mandat de l’ONUSOM II ainsi que de son avenir. Avant leur départ, les membres de la mission ont préparé un document destiné aux chefs de factions somaliennes. Par celui-ci, le Conseil les informe de son voeu de les voir collaborer au retrait de l’opération. Il leur rappelle aussi que la disposition de la communauté internationale à poursuivre son assistance, que ce soit dans le domaine humanitaire ou ceux de la reconstruction ou du développement serait étroitement liée à 1
LOI n° 641à 643, 15/22 et 29 octobre 1994 Les ambassadeurs Wang Xuexian, Hervé Ladsous, Colin Keating, Isaac E. Ayewah, Kamran Niaz, Yuriy Fedotov et Karl F. Inderfurth représentant respectivement la Chine, la France, la Nouvelle-Zélande, la Nigéria, le Pakistan, la Fédération de Russie et les États-Unis. 3 Note du président du Conseil de sécurité 2
l’existence d’un environnement sécurisé qui ne pouvait résulter que d’une réconciliation politique. Il précise enfin que la légitimité de toute déclaration unilatérale d’institution d’un gouvernement serait regardée avec suspicion. Arrivant à Muqdisho le 26, la mission est tout d’abord informée par Victor Gbeho des récents développements politiques et par le général Aboo Samah des aspects militaires de la situation, notamment les paramètres afférents au retrait. Elle rencontre également les représentants des agences des Nations unies et des ONG. La veille à Nairobi elle a eu l’opportunité d’échanger avec les représentants des pays de la Corne de l’Afrique et les membres du sous-comité sécurité du Somalia Aid Coordination Body (SACB). Ce dernier rassemble des représentants des organisations des Nations unies, des États-Unis, des pays de l’Union européenne et de l’IGADD. L’arrivée de la mission dans la capitale somalienne coïncide avec les entretiens tenus le jour même entre les factions de la SSA et de la SNA et qui font suite au mémorandum publié le 14 octobre par le général Caydiid. Dans l’après-midi, la mission rencontre Cali Mahdi et les chefs de factions qui lui sont associées dans le cadre de la SSA. Parmi eux figurent de nombreux signataires de l’accord d’Addis Abäba, mais aussi les représentants de nouvelles factions issues du phénomène de scissiparité observé depuis quelques mois au sein des partis. Il est même présenté un nouveau président de l’ USC-SNA, Cabdinaasir Axmed Aadan Seerjito, qui selon Cali Mahdi remplace le général Caydiid à la tête du mouvement Hawiiye. Après lecture du document présenté par la mission, le chef de la SSA assure de sa totale collaboration et fait remarquer que ses factions n’ont jamais été engagées dans quelque confrontation que ce soit avec les Nations unies. Aussi s’engage-t-il à coopérer à la phase de désengagement militaire de l’ONUSOM tout en faisant valoir qu’il comptait cependant sur la coopération et l’assistance des Nations unies en vue de leur reconstruction du pays. Aussi appelle-t-il la communauté internationale à ne pas abandonner la Somalie à la seule raison des obstacles qui ne sont le fait que d’un chef de faction. Le lendemain 27, les diplomates rencontrent Maxamed Caydiid, entouré des chefs de la SNA. En leur nom et au sien, le général se dit bien sûr déterminé à résoudre la crise somalienne et s’engage à ce que tous les chefs influents soient représentés à la conférence de réconciliation nationale. Il ajoute cependant que les chefs présents à ses côtés représentaient 95 % de la population du pays et que, quoi qu’il se passe, il procéderait à la réunion de la conférence même si certains chefs décidaient de ne pas s’y joindre. Il justifie sa position en avançant que les Somaliens ne pouvaient attendre d’être tous d’accord pour former un gouvernement, arguant que ce n’était le cas nulle part ailleurs au monde. La SNA s’engageait à ne pas entraver l’action de la mission
qui protégerait le personnel et la propriété des Nations unies durant sa phase de désengagement. L’événement scellant sa victoire à l’international, il ajoutait grand seigneur que les personnels de l’ONUSOM et le personnel international seraient traités avec respect et considérés comme les hôtes du peuple somalien. Au regard de la participation à la conférence de Cali Mahdi à la conférence projetée, Maxamed Caydiid assurait que lui et ses collègues accueilleraient sans détour sa participation, au nom de l’USC dirigé par Maxamed Qanyare Afrax et qu’il pourrait aussi rejoindre le gouvernement à large base en postulant à un poste à la fois en tant que Somalien et en tant que membre de l’USC. De retour le jour même à Nairobi, les membres du Conseil de sécurité rencontrent des représentants de l’IGADD qu’ils informent des résultats de leurs entretiens. Les représentants des agences des Nations unies, des ONG et du SACB auxquels ils s’adressent ensuite ne peuvent que prendre acte du caractère inéluctable du retrait de l’ONUSOM. Tous affirment néanmoins leur détermination à continuer leur travail, sachant que les conditions sécuritaires se durciraient après le départ de l’opération. Les conversations laissent aussi apparaître des positionnements divergents au regard des processus en cours. Ainsi, contrairement aux agences des Nations unies et aux ONG, les représentants du SACB se montrent plus que sceptiques sur le rôle de facilitateur joué par l’ONUSOM dans la réconciliation politique. L’ambassadeur d’Éthiopie en revanche tient un discours radicalement différent. Il considère que si la lassitude de la communauté internationale était compréhensible, l’immédiateté de l’abandon n’était pas souhaitable. Avec lucidité, il constatait que la Somalie ne disposait ni des infrastructures souhaitables en vue de faciliter la réconciliation politique, ni des infrastructures nécessaires à la coordination des opérations de reconstruction du pays. Le diplomate éthiopien ajoutait en sus que les États voisins étaient trop pauvres pour aider et que seule la société internationale était susceptible de pourvoir aux besoins. Le Conseil de sécurité de visu s’est maintenant fait son opinion et le 3 novembre, ses membres remettent leur rapport. Ils concluent que le 31 mars 1995 était bien la date appropriée au retrait et qu’elle devait être inscrite dans la résolution qui scellerait le mandat de l’ONUSOM II. Aucune des factions somaliennes n’avait demandé sa prolongation, pas plus que les organisations humanitaires et les ONG. Ils observent cependant que le retrait de la composante militaire serait complexe et potentiellement dangereux, la coopération des Somaliens étant possible, mais pas garantie. La mission confirme enfin que ce retrait ne signifiait pas la volonté d’abandonner le pays, les organisations humanitaires et les diverses ONG ayant par ailleurs confirmé leur intention de continuer à opérer la Somalie tant que le permettraient les conditions de sécurité.1 1
Rapport de la mission du Conseil de sécurité S/1994/1245 du 3 novembre 1994
C’est quasiment en ces termes que le 4 novembre 1994, le Conseil de sécurité rédige la Résolution 954.
Les conférences séparées [1&3.XI-1994] Trois jours plus tôt, le 1er novembre, sans que le passage du Conseil de sécurité n’ait changé un iota à leurs projets, la SNA a réuni unilatéralement ses factions dans le sud de Muqdisho en une conférence qui se donne pour objectif d’établir un gouvernement intérimaire sous 45 jours. Victor Gbeho réagit immédiatement par la publication d’une mise en garde contre cette décision non consensuelle en faisant observer que le procédé n’allait pas dans le sens de ce qui avait été récemment convenu entre les deux alliances. Sur cette base, le Représentant spécial décline l’invitation à assister à la réunion en tant qu’observateur qui lui a été adressée par la SNA. À partir de ce jour-là, un fossé s’installe entre Maxamed Caydiid et Victor Gbeho qui tient ferme sur le principe d’une conférence de réconciliation nationale qui inclurait tout le monde alors que le processus en cours mettrait les Nations unies en situation de soutenir un gouvernement partisan. De son côté, Cali Mahdi rassemble à l’identique une conférence des chefs de la SSA au nord de Muqdisho afin d’être en mesure de répondre à toute annonce anticipée d’un gouvernement intérimaire par ses rivaux. Le 3 novembre le chef de la SSA informe Victor Gbeho qu’un plan a été retenu dans l’éventualité où la SNA viendrait à annoncer unilatéralement la constitution d’un gouvernement par intérim. Il fait aussi remarquer qu’une conférence SNA contrevient à tous les accords précédemment conclus et réitère sa position, à savoir que la crise ne serait résolue qu’au terme d’une conférence rassemblant toutes les organisations politiques et toutes les strates de la société somalienne y compris les chefs traditionnels et les notables, les autorités religieuses, les intellectuels et les femmes. Prenant acte de ces positions, Victor Gbeho propose une fois encore aux deux parties d’user des facilités offertes par le quartier général de l’ONUSOM pour reprendre des conversations. Après leur avoir une fois encore souligné la nécessité d’avoir une conférence représentative de tous les Somaliens, il fait remarquer que les Nations unies ne pourraient indéfiniment octroyer l’assistance nécessaire à de telles réunions. Un vague progrès semble se dessiner au terme de cette énième injonction. Les deux groupes désignent chacun six représentants qui tiennent une série de réunions dans le sud de Muqdisho du 4 au 8 novembre 1994. L’objet reste bien sûr les problèmes relatifs à la conférence de réconciliation y compris ceux afférents à la réunion préparatoire. Mais une fois encore les conversations aboutissent à une impasse. Le Représentant spécial songe alors à organiser au quartier général de l’ONUSOM une rencontre entre Cali Mahdi et le colonel Cabdullaahi
Yuusuf qui a été mandaté par les factions SNA pour discuter en leur nom avec la SSA de l’impossible réunion. Par ailleurs, à la demande des deux alliances, l’ONUSOM accepte aussi de faire venir Moorgan de Kismaayo vers la capitale « pour consultation ». Celui-ci y rencontre séparément Cali Mahdi et les factions SNA avant d’entreprendre, avec le colonel Cabdullaahi Yuusuf cette fois, un effort pour réconcilier les factions des deux alliances. Dans le même temps, les chefs de factions des deux alliances s’entretiennent également au quartier général de l’ONUSOM en vue de parvenir un accord. Aucun de ces efforts n’aboutit davantage ; au point que, de guerre lasse, au début du mois de décembre, les assises respectives de la SNA et de la SSA indiquent l’imminence de la désignation de gouvernements séparés. Ces déclarations d’intention ne se concrétisent pas cependant et les deux alliances restent en session. Chacun de son côté discute de la mise en place d’un système fédéral de gouvernement, des pouvoirs du gouvernement central vis-à-vis des autorités régionales, de la distribution des postes gouvernementaux et d’une nouvelle ébauche d’une charte de transition1. À l’ouverture de la conférence SNA, les quatre comités établis pour s’occuper de la réconciliation, de la réhabilitation, de la sécurité et de l’élaboration de la charte ont respectivement achevé leur travail. Or, tandis que se mettent en place maintenant les moyens consacrés aux opérations de retrait, la persévérance de Victor Gbeho porte finalement ses fruits. Sauvant la face de l’opération des Nations unies, le diplomate ghanéen parvient à convaincre Cali Mahdi et Maxamed Caydiid d’organiser un symposium de leurs deux conférences respectives.
1
Un projet, communiqué à l’ONUSOM, a été remis le 1er novembre 1993 par le Transitional Charter Drafting Committee issu de la conférence d’Addis Abäba.
X XII – 1995 : L E RETRAIT DEFINITIF DE L ’ONUSOM II
Quelques délais vont encore être nécessaires toutefois. Aussi, alors que rien de véritablement engageant ne ressort encore des efforts entrepris par le Représentant spécial, d’autres orages se profilent maintenant, sur le continent africain certes, mais en Europe aussi. Les premiers médusent par leur dimension exotique un Occident qui ne comprend pas, les seconds tout aussi cruels lui font d’autant plus peur qu’ils éclatent à ses portes.
POUR LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES, SAUVER LA FACE Effacée peu à peu des émotions collectives planétaires, la Somalie rend aux médias sa place pour d’autres désastres et d’autres compassions. Son tour de sensationnel est passé et elle n’a pas su convaincre. Maintenant, le monde est sommé de consacrer ses efforts à deux nouvelles aubaines, la guerre dans les Balkans et le génocide rwandais.
Déplacement des centres d’intérêt des Nations unies : Bosnie Herzégovine et Rwanda Quand le dispositif des Nations unies est levé et avec lui l’intérêt journalistique, d’autres affaires à peine moins absurdes que ces absurdes confins préoccupent déjà le monde. La Somalie, jugée décevante et ingrate, se trouve en quelque sorte occultée. Les Occidentaux s’inquiètent maintenant des développements de la guerre dans les Balkans. Elle a débuté le 6 avril 1992 après que l’armée populaire yougoslave a attaqué la Bosnie qui venait le 1er mars de déclarer son indépendance. Ce conflit particulier oppose les peuples serbe, croate et bosniaque sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine.
Bien qu’il s’achève sur les accords de Dayton le 14 décembre 1995, il ne manquera de produire pendant plusieurs années encore de nombreuses métastases. Or la guerre s’est développée en dépit de la présence d’une Force de protection des Nations Unies (FORPRONU) établie par la Résolution 743 du 21 février 1992. Devant un conflit complexe et qui ne cesse de s’intensifier au cœur même de l’Europe, son mandat est élargi à plusieurs reprises, se déroulant tant bien que mal au fil d’un processus de stabilisation qui restera longtemps inachevé. Mais une autre catastrophe guette encore les Nations unies. Le drame s’insère cette fois dans le cadre d’une guerre civile qui sur le continent africain une fois encore oppose le gouvernement rwandais, constitué d’une majorité Hutu, aux Tutsi du Front patriotique rwandais (FPR). Le 1er octobre 1990, des Rwandais exilés en Ouganda et regroupés au sein du FPR ont décidé de revenir au pays et de prendre le pouvoir par les armes. En réponse, les autorités rwandaises se mettent tout d’abord en situation de prévenir toute agression militaire. Pour cette raison, d’août 1992 au 12 juillet 1993, les différents protagonistes participent, sous l’impulsion de la communauté internationale, à des négociations de paix. Ces discussions aboutissent aux « accords d’Arusha ». Pour soutenir leur réalisation, l’ONU décide, dans sa Résolution 872 du 5 octobre 1993, d’envoyer pour une période de six mois une mission de maintien de la paix agissant sous chapitre VI de la Charte des Nations unies et intitulée Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR). Placée sous les ordres du général canadien Roméo Dallaire, elle compte environ 2 300 hommes, essentiellement des Bangladeshis, des Belges et des Ghanéens et se caractérisera par son échec à prévenir le génocide. Au-delà des fondements du drame sur lesquels il ne s’agit pas de revenir, une polémique se développe à propos des positions contradictoires sinon des inerties de la communauté internationale donc des Nations unies. Lorsque, le soir du 6 avril 1994, l’avion acheminant les présidents rwandais et burundais et le chef d’état-major rwandais est abattu avant de se poser à Kigali, un phénomène de panique collective se développe, orchestré ou non, qui se conclut sur le massacre de toutes les personnes identifiées comme Tutsi et qui vivent dans le pays. Ce génocide, le 3e reconnu selon les termes de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide 1 se poursuivra 1
Il s’agit d’un traité de droit international approuvé à l’unanimité le 9 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies. La convention est entrée en vigueur le 12 janvier 1951. Son inspirateur et principal rédacteur est Raphael Lemkin, un juriste américain d’origine juive polonaise, qui avait créé le néologisme « génocide » dans les dernières années de la Deuxième Guerre mondiale. Les deux premiers sont le génocide des Arméniens et le génocide des Juifs. Après le génocide des Tutsi, il sera reconnu comme tel par les instances internationales dépendant de l’ONU le massacre des Bosniaques de Srebrenica commis par des Serbes de Bosnie en juillet 1995 pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine.
jusqu’au 4 juillet 1994. Les Nations unies estiment le nombre des victimes à quelque 800 000 Rwandais, en majorité Tutsi. Toujours est-il que ces nouveaux cataclysmes nécessitent de la part de la communauté des Nations de lourds investissements, beaucoup d’argent et souvent la vie de soldats dont les peuples occidentaux ont de plus en plus de mal à admettre le sacrifice. C’est l’un des effets collatéraux majeurs de l’échec somalien qui fait passer l’affaire à l’arrière-plan des préoccupations médiatiques. Or l’exceptionnelle complexité des nouveaux paramètres développe dans l’indifférence générale un modèle de non-État tout à fait inédit. Pour en parler, les experts deviendront rares, les pseudo-experts légion. Et peu à peu nul ne saura entretenir l’espoir de conduire la Somalie vers la paix.
La Résolution 954 [4.XI-1994] Face à ces préoccupations nouvelles et fort du rapport désespérant rendu à la fin octobre par la mission de Colin Keating comme des efforts aussi épuisants que vains consentis par Victor Gbeho, Boutros Boutros Ghali contacte officiellement les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et l’Italie afin de mettre sur pied une force susceptible de protéger le retrait des quelque 15 000 Casques bleus encore présents en Somalie. Abondant en son sens, le Conseil de sécurité adopte à l’unanimité le 4 novembre 1994 la Résolution 954 indiquant que ce retrait se ferait progressivement d’ici aux 31 mars 1995. C’est ainsi que le Conseil de sécurité : …Décide qu’aucun effort ne devra être épargné pour retirer toutes les forces et tous les équipements militaires d’ONUSOM II dès que possible de la Somalie dans l’ordre et la sécurité, selon les modalités exposées dans le rapport du Secrétaire général daté du 14 octobre 1994, et ce, avant la date d’expiration du mandat actuel d’ONUSOM II et sans transiger sur l’impérieuse nécessité d’assurer la sécurité du personnel d’ONUSOM II ; Autorise les forces d’ONUSOM II à prendre les mesures nécessaires pour protéger ONUSOM II et le retrait de son personnel et de ses biens et, dans la mesure où le commandant de la Force jugera que cela est possible et réalisable dans le contexte du retrait, pour protéger le personnel des organismes de secours; Souligne la responsabilité qui incombe aux parties somalies en ce qui concerne la sécurité et la protection du personnel d’ONUSOM II et du personnel des organisations humanitaires et, dans ce contexte, enjoint énergiquement à toutes les parties somalies de s’abstenir de tout acte d’intimidation ou de violence à l’encontre de ces personnels; Demande aux États membres de fournir une assistance pour le retrait de toutes les forces et de tous les équipements militaires d’ONUSOM II, y compris tous les véhicules, armements et autres matériels…
Au sein de l’état-major militaire américain, certains généraux se prennent à fantasmer sur un retour dans le cadre de cette task force afin de laver l’affront ressenti au terme de leur départ de Somalie en mars dernier. Aberration qui fait quand même l’objet de rumeurs insistantes fin octobre parmi les chefs militaires d’ONUSOM II. Plus sérieusement, il est finalement convenu de la force militaire d’intervention qui fournirait une couverture aérienne et maritime aux opérations de retrait des contingents1. L’Italie donne son accord pour l’envoi de trois à quatre cents hommes et de cinq ou six navires. La France assurera la couverture aérienne sous réserve de l’accord des autorités du gouvernement de Djibouti où sont basés ses appareils. Les États-Unis s’engagent à envoyer une force d’environ 3000 Marines dont une centaine seulement seront déployés à terre sous commandement militaire américain. Après avoir rassemblé, de mars 1993 à 4 février 1994, jusqu’à 28 000 militaires et policiers ainsi qu’un contingent civil d’environ 2 800 personnes – internationaux et Somaliens – la déflation de l’ONUSOM se sera donc effectuée en 3 étapes. Elle aura ainsi compté : - Du 4 février au 25 août 1994, 22 000 personnes soutenues par un contingent de civils nationaux et internationaux ; 25 août 1994 au 2 mars 1995, 15 000 personnes soutenues par un contingent de civils nationaux et internationaux ; - 14 968 personnes soutenues par un contingent de civils nationaux et internationaux le 30 novembre 1994, au commencement du retrait.
Dans le contexte du retrait, un modus vivendi entre SSA et SNA Tandis que les états-majors planchent sur l’organisation du retrait, Victor Gbeho se rend en visite à Addis Abäba le 29 décembre pour s’entretenir avec le président d’Éthiopie. Celui-ci, qui a très vite pris une stature politique internationale, a été mandaté par l’OUA et l’IGADD afin d’identifier les chemins qui pourraient amener Cali Mahdi et le général Caydiid à résoudre leurs différends et s’entendre sur la tenue de la conférence de réconciliation. Ainsi, au début du mois de janvier 1995, Mälläs Zénawi envoie en Somalie une mission d’information qui reste en contact étroit avec le Représentant spécial. Peu auparavant, en décembre, une délégation de la Ligue des États arabes est également allée à la rencontre des factions avec la même ambition d’accélérer le projet de réconciliation nationale. À la suite de cette entreprise, la Ligue arabe, l’OUA et l’OCI ont tenu les 22 et 23 février 1995 au Caire une réunion à laquelle les Nations unies ont participé en tant qu’observateur. Les trois organisations sont alors tombées d’accord sur la nécessité d’encourager et de soutenir le 1
Ils proviennent principalement du Pakistan, de l’Inde, du Bangladesh, du Zimbabwe et de Malaisie.
frémissement politique qui semble s’ébaucher entre Caydiid et son adversaire. Une mission conjointe est donc envoyée à Addis Abäba pour tenir des consultations avec l’organe central de l’OUA et de sa coquille vide chargée de la prévention, la gestion et résolution des conflits. Il est évident que le retrait dont se réjouissent de nombreux Somaliens leur amène par ailleurs son cortège d’incertitudes. C’est pourquoi tout au long des mois de janvier et de février, des entretiens se sont poursuivis en effet entre les factions afin de discuter des initiatives nouvelles offertes par chacun afin de sortir de l’impasse politique. En janvier 1995, les deux alliances sont même parvenues à établir un comité de négociations. Le 6 février, la SSA présente officiellement son plan d’action qui est une proposition de réconciliation nationale. Elle appelle à la réunion d’une conférence de réconciliation nationale générale pour le 25 février, mais éventuellement à une autre date qui pourrait inclure les représentants des SSA, SNA, SNM et l’alliance de Maxamed Cigaal pour le Nord-ouest aussi bien que des chefs traditionnels, des notables, des chefs religieux, des intellectuels et des femmes. Les Nations unies joueraient un rôle de médiation et de soutien dans la préparation de la réunion. Dans une conférence de presse tenue à cette occasion, Cali Mahdi insiste sur le fait que ce plan était simplement une proposition qui pouvait être soumise à des modifications. Exprimant l’espoir que la SNA y réagirait favorablement, il insiste seulement sur le fait qu’aucune faction ou alliance politiques ne pourrait former de sa seule initiative quelque gouvernement d’union nationale que ce soit. À l’aplomb de cette proposition, un groupe de dirigeants somalis éthiopiens, kenyans et djiboutiens effectue au début mois de mars une tournée avec le dessein d’impliquer les chefs traditionnels et politiques dans un travail commun.
Le symposium et les accords SNA/SSA [21.II-1995] Suivant l’annonce du plan d’action de la SSA, le comité de négociation SNA-SSA se dote d’un large mandat. Il lui faudra coordonner les règlements politiques et économiques relatifs à la réconciliation entre les lignages Habar Gidir et Mudulood. Il s’agit en tout premier lieu à élaborer un modus operandi propre à conduire le général Caydiid et Cali Mahdi à faire une leurs deux conférences de réconciliation nationale, pour l’heure encore séparées. Et le 19 février, Cali Mahdi et Cismaan Caato tiennent effectivement une réunion dont vont sortir des développements politiques significatifs, durant ces deux dernières semaines qui précèdent la fin du retrait de l’ONUSOM. Ils se concluent le 21 sur un accord de paix signé entre Caydiid et Cali Mahdi au nom des deux factions. Cet accord vise à promouvoir la réconciliation nationale et l’établissement de la paix. Les deux parties y acceptent entre autres le principe du partage du pouvoir et s’engagent à ne pas chercher à s’emparer de la présidence à travers
des moyens militaires, mais au terme d’élections démocratiques. Afin de résoudre les différends par le dialogue et des moyens pacifiques, elles conviennent de la mise en place d’une plate-forme commune pour venir à bout des problèmes. L’accord inclut également un train de mesures, les unes visant au confinement des technicals dans des zones convenues et les autres à décourager le port d’armes dans les rues de Muqdisho. Il est enfin appelé à la levée des barrages et à la réouverture des principaux marchés de la ville. Dans les semaines qui précèdent le retrait des Nations unies, Victor Gbeho suit avec la plus grande vigilance les discussions engagées depuis janvier 1994 afin que les deux alliances forment un comité conjoint propre à gérer les opérations sur le port et l’aéroport de Muqdisho. Cette patience du Représentant spécial est récompensée le 23 février par un autre développement significatif quand les deux parties parviennent à s’entendre sur l’établissement de deux comités conjoints. L’accord, une nouvelle fois ratifié par le général Caydiid et par Cali Mahdi, fournit une base de coopération entre les factions et organisations somaliennes à travers le système des Nations unies. Aussi l’ONUSOM et les agences s’engagent-elles à fournir assistance aux deux comités. New York échappe ainsi à un retrait piteux. Grâce à l’opiniâtreté de Victor Gbeho et son habileté à insinuer les Nations unies dans le processus somalien, la face peut passer in extremis pour avoir été sauvée.
LE MODUS VIVENDI PROVISOIRE L’entente sur le port et l’aéroport [5 & 8.III-1995] Un troisième accord conclu le 5 mars entre les deux chefs de faction porte sur la réouverture au trafic civil, le 9, du port de Muqdisho, administré maintenant par les comités conjoints de la SSA et de la SNA. Les opérations dès lors reprennent, permettant au moins le déchargement des navires de petit tonnage apportant les marchandises nécessaires. Le 8 mars, Caydiid et Cali Mahdi sont également convenus d’un quatrième accord. Celui-ci porte sur la mise en place d’un comité de sécurité composé d’officiers de police et des miliciens appartenant aux deux partis. Ce double comité doit se charger d’interdire aux technicals l’accès aux enceintes du port et de l’aéroport. La force de police assurera la sécurité à l’intérieur des installations tandis que les milices conjointes, dotées de technicals spécialement identifiés, assureront la sécurité du périmètre extérieur ainsi que les itinéraires utilisés pour délivrer les marchandises sur les marchés. Fort de ces avancées inespérées, Victor Gbeho invite à Nairobi les deux présidents du comité conjoint afin qu’ils consultent l’équipe de coordinations des Nations unies et envisagent les arrangements qui
permettront de remettre au plus vite en route les opérations civiles au port et à l’aéroport. Ces entretiens doivent normalement permettre le retour à Muqdisho de l’équipement nécessaire à une mise en oeuvre normale de leurs installations. En effet, faute de moyens adaptés, seuls de petits bateaux peuvent être accueillis dans le port. Les équipements manquants, à l’accoutumée entreposés dans la base logistique des Nations unies à Brindisi en Italie seraient renvoyés à Muqdisho dès que les conditions le permettraient. Dans le même temps, New York sollicite provisoirement l’International Civil Aviation Organisation (ICAO) afin qu’en matière d’aviation civile, elle continue à opérer en Somalie en attendant d’autres avis du Conseil de sécurité et le rétablissement de l’autorité gouvernementale. La signature de ces accords semble avoir un effet salutaire sur le processus politique dans son ensemble. Les deux alliances rivalisent même de mots pour affirmer qu’il n’y aurait plus de guerre entre elles. Victor Gbeho également atteste que sur la base des accords atteints, les factions collaborent maintenant en assurant la sécurité sur les ports et aéroports de Muqdisho de concert avec la force de police somalienne. De tels progrès suggèrent que des deux côtés, les esprits seraient prêts à entreprendre des discussions sérieuses en vue de la réunion d’une conférence de réconciliation nationale à large base. Dans le même calendrier figurerait l’établissement d’un conseil régional et la désignation d’un gouverneur de la région Banaadir.
La poursuite de la réhabilitation institutionnelle Au cours de la même période, l’ONUSOM poursuit ses opérations d’aide à l’établissement des conseils de district. Depuis le 20 novembre, celui de Kismaayo a été mis sur pied, portant leur nombre à 58 sur un total approximatif de 90. Huit conseils régionaux sur 18 sont en place à la fin de l’année. La restauration de ce maillage administratif conforte le Secrétaire général dans son projet d’autoriser l’ONUSOM à leur abandonner certains équipements essentiels durant la phase de retrait de l’opération. Ces matériels parmi lesquels figurent des générateurs, des pompes à eau, des équipements et des fournitures de bureau seront naturellement aussitôt pillés ou détournés. Parfois, comme l’a vécu le contingent zimbabwéen à Beldweyne ou à Balcad, les cérémonies de remise des matériels donneront lieu à des incidents violents. Mais les cessions se poursuivent toutefois et, à Muqdisho par exemple, quatre générateurs sont octroyés en vue de faciliter l’approvisionnement continu en eau potable de la cité et des villages alentour. Dans le principe, le PNUD a accepté de soutenir la réhabilitation des institutions dans la période post-ONUSOM et d’étendre l’assistance nécessaire aux conseils de districts et de régions afin de renforcer leur capacité à administrer et à gouverner localement. La levée des fonds est déjà engagée auprès des donateurs, notamment auprès du Life and Peace Institute de Stockholm.
La poursuite du financement s’annonce en revanche plus difficile en matière de police. À la fin de janvier 1995, la police somalienne est opérationnelle dans 89 stations. Sa réhabilitation a été permise grâce à des contributions volontaires de la communauté des donneurs. Mais en l’occurrence, le programme international de soutien qui inclut le paiement des salaires pour la force de police doit cesser le 31 mars avec l’expiration du mandat de l’ONUSOM tandis que dans le même temps, les ressources du Trust Fund arrivent à épuisement. Dans ce domaine, mais dans d’autres encore, le questionnement s’impose aux esprits : sans ressources supplémentaires disponibles comment continuer l’effort de restauration au-delà de cette date ? Or une mise en péril de l’ensemble des programmes de police aura inéluctablement pour première conséquence une détérioration des conditions sécuritaires dans la plupart des régions.1
Opération United Shield [9.I/3.III-1995] Sur ces perspectives finalement mitigées en dépit des dernières avancées politiques, les Nations unies établissent un bilan de leur action, propre à justifier leur désengagement. Récapitulant les efforts consentis par la communauté internationale et le soutien au processus de réconciliation interclanique, le Secrétaire général revendique le succès des accords d’Addis Abäba et de la déclaration de Nairobi. De la même façon, il accapare sans vergogne celui, bien réel, mais hors son fait, de la réunion de Gaalkacyo en réalité rescapée des sabotages de l’amiral Howe en juin 1993. De même encore, la conférence de paix de l’outre-Jubba qui entre juin et août 1993 abandonnait Kismaayo à Moorgan, probablement le criminel de guerre le plus accompli de toute la Somalie ; la Conférence de réconciliation de la Jubbada Hoose à Kismaayo, deux mois plus tôt en juin 1994 ; la conférence de réconciliation des Absame, tenue à Dhoobley en juin-juillet et même la réunion organisée par l’iimaan des Hiraab sont également portées au crédit des Nations unies.2 Le retrait de l’ONUSOM II s’effectue sans interruption notable. Selon les plans élaborés en consultation avec la force d’intervention combinée, il est décidé que le retrait serait achevé le 6 mars soit trois semaines avant la date limite établie par le Conseil de sécurité. La phase initiale du retrait des forces nécessite de ramener les troupes de Baydhabo, Balli Doogle, Afgooye et Kismaayo à Muqdisho. À Kismaayo, l’opération est appuyée par une Task force navale indienne comprenant deux frégates, un bâtiment logistique et six hélicoptères. Entre le 28 décembre et le 5 janvier, les contingents du Zimbabwe et de la Malaisie sont rapatriés. 1
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Le coût total de l’ONUSOM entre le 1 mai 1992 et le 28 février 1995 aura approximativement été de 1, 64 milliards de dollars. 2 Rapport du Secrétaire général des Nations unies. 17 août 1994. S/1994/977
United Schield à proprement parler est lancée le 9 janvier 1995. Le 3 mars, tout le personnel aura quitté le théâtre. L’opération a reçu pour mission « d’assurer la sécurité du retrait de l’ensemble des troupes de maintien de la paix déployées en Somalie sous le drapeau des Nations unies ». La Combined Task Force (CTF) placée sous le commandement du lieutenant général américain Anthony C. Zinni est composée de soldats venus des États-Unis, de France, de l’Inde, de l’Italie, de Malaisie, du Pakistan et du Royaume-Uni. Les personnels de l’hôpital pakistanais sont rapatriés le 11 janvier 1995. L’état-major de la force, réduit de 50 % le 15 janvier, est relocalisé dans l’emprise de l’ambassade des États-Unis et à l’aéroport. Les établissements humanitaires du Sud sont évacués le 30 janvier. Seule reste une section de la brigade pakistanaise chargée de sécuriser les bâtiments nécessaires à la défense de l’aéroport. L’administration de l’ONUSOM évacue les installations de l’université et de l’ambassade le 31 janvier. La brigade pakistanaise et toutes les troupes situées dans cette zone sont relocalisées sur l’aéroport le 2 février. Après cela toutes les troupes sont concentrées entre l’aéroport, le complexe du nouveau port et l’enceinte du Vieux-Port. À la mi-février, les premiers bâtiments de guerre sollicités en renfort par le Secrétaire général mouillent au large de Muqdisho. L’évacuation du personnel civil et du matériel est fixée au 20 du mois. La passation du commandement opérationnel entre l’ONUSOM et les généraux du contingent américain de United Shield – soit quelque 3 000 hommes – a lieu le 28. Tout d’abord, les troupes américaines et les quelques éléments étrangers qui les accompagnent sont mis à terre et prennent position autour de l’enceinte du port pour assurer une force de réaction en cas d’incident. Des émissaires américains ont déjà rencontré les chefs de factions qui en contrôlent l’accès, notamment Maxamed Qanyare Afrax, le Muruursade rangé aux côtés de Maxamed Caydiid, dont les miliciens contrôlent le quartier de Bermuda, situé en arrière-port et dont ils ont quasiment chassé leurs rivaux Abgaal. Celui-ci affirme que les chefs de factions ont donné la garantie que rien ne serait tenté contre les troupes américaines durant cinq à sept jours dès lors qu’elles demeureront à l’intérieur du port. Au-delà de ce délai, leur présence à Muqdisho serait tenue pour hostile. À côté de cet ukase, le renfort des troupes américaines suscite de violentes critiques à l’intérieur même de l’ONUSOM où l’on n’en entrevoit pas très bien la nécessité. De nombreux officiers pakistanais qui n’ont jamais été consultés estiment qu’ils pourraient très bien poursuivre seuls des opérations qui se sont plutôt bien déroulées jusqu’à présent. Ils craignent que la présence américaine ne soit ressentie comme une provocation. Et cette rumeur qui court toujours aussi, selon laquelle certains officiers américains revanchards auraient fait pression à Washington et à New York, afin de retourner à Muqdisho
donner une ultime leçon aux Somaliens. D’ailleurs, ces derniers qui ont eu vent des rumeurs ont mis en garde les généraux américains contre les conséquences d’un éventuel agenda caché. Au 2 février, après le rapatriement des contingents de l’Inde, du Zimbabwe et de la Malaisie ainsi que d’une partie des personnels du quartier général et de l’hôpital pakistanais, la force ONUSOM encore présente se trouve réduite à 7 956 personnes. Restent les Pakistanais, les Égyptiens, le contingent du Bangladesh et le reliquat des personnels de quartier général. Au fur et à mesure que le retrait s’accélère, le soutien militaire fourni par les troupes de l’ONUSOM aux agents des Nations unies, aux organisations des droits de l’homme et aux ONG encore engagées dans des activités humanitaires sont considérablement réduites. À partir de la mi-février, quand commencent les plus grandes réductions, il n’est plus possible pour les troupes de l’ONUSOM de leur apporter la protection nécessaire à l’intérieur de Muqdisho. En conséquence les agences sont invitées à évacuer leurs équipes internationales vers Nairobi pour le 14 février. Le 8 février après-midi à bord de l’USS BELLEAU WOOD a lieu la réunion entre les états majors de la Task Force en présence du général Zinni et de l’amiral Gunn. Après une présentation générale des structures de commandement et du déroulement des phases d’extraction, il est entre autres évoqué les questions relatives aux règles d’engagement, à l’emploi des bâtiments, à l’appui feu et aux plageages. Les règles de comportement et d’engagement pour les unités navales sont celles du temps de paix avec application de la légitime défense élargie aux bâtiments et navires de commerce participant aux opérations de retrait. Pour les unités à terre, elles sont moins restrictives et prévoient la possibilité d’ouverture du feu si les troupes ne pouvaient accomplir leur mission suite à une opposition somalienne. L’ensemble des bâtiments de la force opère au large en limite de portée optique de la terre. Seule à la demande du général Aboo Samah une frégate reste visible, mission confiée au navire français CDT BORY.1 Du 8 au 10 février, Kofi Annan arrive en Somalie pour passer en revue les préparatifs complexes de la phase finale du désengagement. Au cours de sa visite, il a rencontré le commandant de la Task Force mais aussi Victor Gbeho, le commandant des forces et les personnels civils et militaires de l’ONUSOM, les représentants des agences humanitaires des Nations unies et des ONG avec lesquels il a examiné les arrangements possibles en vue d’une présence ultérieure des Nations unies en Somalie. La phase finale commence le 12 février par le retrait d’environ 1750 Pakistanais dont le bataillon évacue le Vieux-Port le 15. Il est suivi par celui de la brigade égyptienne comprenant 1160 personnels du 17 au 20 février ; du 23 au 27, les 2600 soldats du contingent pakistanais et du 1
Elle sera relevée le 11 février au matin par le HMS EXETER puis par l’ITS LIBECCIO.
bataillon bangladeshi ainsi que l’équipe de quartier général de la force sont rapatriés. Environ 2500 militaires pakistanais et bangladeshi constituent l’arrière-garde de l’ONUSOM. Le port de Mogadishu, fermé au trafic commercial le 28 février, passe entre les mains de la Task force qui prend le contrôle opérationnel de l’ensemble des forces à terre. Victor Gbeho et son état-major, le commandant de la force et les dernières équipes restantes de son étatmajor quittent la capitale somalienne par air le 28 février ; le retrait de l’arrière-garde a commencé la veille et s’achèvera le 2 mars. Les éléments de la Task force qui ont atterri à Muqdisho le 28 février pour couvrir le retrait de l’ONUSOM II quittent Muqdisho le 3 mars sans dommage, mettant un terme définitif à l’opération United Shield. Le retrait de l’ensemble du personnel de Somalie s’effectue à l’exception de 25 personnels civils des Nations unies et de 11 membres de l’équipe logistique contractuelle ainsi que d’un représentant du transport maritime. En sus des équipements particuliers des contingents, plus de 156 000 m³ ont quitté par mer et par air la Somalie durant les deux derniers mois de la présence ONUSOM. Les bureaux de l’ONUSOM II sont temporairement relocalisés à Nairobi où l’État-major de la force clôt officiellement l’opération le 8 mars 1995.
Dresser un bilan, aussi provisoire soit-il, relèverait naturellement du non-sens. Seuls quelques constats peuvent prétendre à être établis. Ainsi, sans être totalement rassurante, la situation dans le Nord du pays, tant au Somaliland qu’en pays Majeerteen, laisse-t-elle malgré tout quelque place à l’espoir. Dans le Sud en revanche où l’avenir demeure au mieux incertain, le retrait définitif de l’ONUSOM scelle véritablement un moment de l’histoire somalienne. Quelles qu’en aient été les péripéties, meurtrières ou stériles, les choses désormais ne peuvent demeurer comme avant. L’opération internationale aura présenté plusieurs visages : arbitre, témoin gênant de la cruauté des hommes, modératrice, dispensatrice de richesses, force de coercition. Sa disparition induit un remodelage du paysage politique car elle libère un potentiel de violence contenue et ce faisant redistribue les cartes entre les différents acteurs. Car on parlera beaucoup du vide sécuritaire créé par le départ des Nations unies. Au plan sociétal, c’est un autre phénomène qu’il prépare en réalité. Un phénomène qui résulte plus précisément d’un vide sécuritaro-économique. Toute une catégorie de la population avait prospéré à l’ombre des trois opérations qui se sont successivement déployées. Après le départ des Nations unies, le nouvel équilibre qui doit s’établir cherche ses marques autour de trois compartiments de la société, en tentant de s’adosser à trois forces : les autorités traditionnelles garantes du xeer, le droit coutumier ; les gens d’affaires, seuls en mesure de rompre l’isolement somalien grâce à une diaspora largement sollicitée. Et puis cette troisième force aussi, dont l’heure n’est pas encore venue et qui habille de religion son intense activité commerçante. Force déjà présente, mais qui pour surgir doit attendre encore son heure, elle propose un espace éthique reconnu par l’ensemble de la population. Préconisant un ordre moral stable et rassurant, fondé sur la šarīʿa, elle se met en situation d’offrir à la population un espoir de justice et de normalité. Au plan politique, après une perspective d’entente qui se révélera à son tour décevante, la maîtrise des événements semble devoir retomber entre les mains des principaux chefs de factions. Illusion donc et précarité. L’instabilité de leurs alliances, le désarroi social des populations et surtout l’appauvrissement qu’entraîne le départ de l’ONUSOM sont proches de les discréditer. Il faudra juste quelques mois, une petite paire d’années peut-être pour que les chefs de guerre perdent définitivement leur pouvoir au profit des nouveaux enrichis qui progressivement se substitueront à eux. Un processus déjà perceptible d’ailleurs puisqu’au cours de l’année de nouvelles fissures sont encore apparues, appelées à s’élargir désormais. Au sein des grands faisceaux lignagers, des scissions se sont opérées et la plupart des partis se sont eux-mêmes partagés en des factions hostiles. Cette scissiparité qui contrarie toute tentative de régulation fondée sur la morale clanique élimine définitivement les perspectives d’une solution politique honorable.
Ainsi, en attendant que l’heure des chefs de guerre ait résolument sonné, le glissement s’opère vers toutes les délinquances économiques imaginables dans un espace atomisé où aucune parcelle territoriale n’est contrainte par un modèle législatif partagé. Avant que ne s’affirme la visibilité de cette dérive, il reste simplement à parfaire le délitement des forces politiques. Une nouvelle forme d’affrontements se profile, ravageuse pour le général Caydiid, le dernier qui, avec Cabdullaahi Yuusuf, ait porté un projet avant tout politique. Elle va en l’occurrence l’opposer à son principal allié d’hier, Cismaan Caato, qui n’a jamais oublié son premier métier d’entrepreneur et d’homme d’affaires. Débarrassées d’une ingérence qui contrariait leurs mouvements, les factions somalies reprennent donc là où elles l’avaient laissé le cours de leur histoire. Certains n’en regretteront pas moins les opportunités exceptionnelles qui avaient accompagné le déploiement international, mais les meilleures choses ont une fin et ces étrangers promettaient désormais de se montrer moins généreux. Heureusement restent quelques organisations humanitaires auxquelles il sera toujours possible d’offrir aide et protection. Seule ombre à leur tableau, la famine a été réduite et le trafic de l’aide alimentaire détournée ne promet plus de revenus aussi lucratifs. Il reste que, quelles qu’en soient les raisons, aucun chef de guerre n’est parvenu à s’imposer. Les gens d’affaires, anciens opérateurs et nouveaux enrichis, vont prendre les rênes et organiser à leur main le théâtre. Libre de contraintes, stabilisée, organisée maintenant, la délinquance ronronne. Les mois qui suivent le désengagement international vont se révéler moins riches en événements, politiquement plus atones. Le glas des warlords commence à sonner, le temps des gangs insidieusement s’installe. Mais il faudra auparavant que l’histoire vienne sceller le destin de Maxamed Caydiid, l’homme qui voulait être roi.
Gouvieux, le 22 novembre 2011
A NNEXES
A - Gouvernement interimaire du 2 octobre 1991 Président Premier ministre
Cali Mahdi Maxamed Cumar Carte Qaalib
MINISTRES: Administration générale Affaires étrangères Affaires religieuses Agriculture Commerce Constitution et Unité Coopération arabe et africaine Défense Développement de la Jubba Développement Rural Education Elevage Enseignement supérieur recherche Finance Industrie Information Interieur Jeunesse et Sports Justice Logistique Pêche Pétrole et Electricité Planification Postes et Télécommunications Réhabilitation et réiinstallation Relations Gouvernment Parlement Resources minérales et Eau Santé Tourisme et Vie sauvage
Xuseen Ceelaabe Faahiye Maxamed Cali Xaamud Cali Nuur sheekh Maxamed sheekh Guuleed Maxamed Jaamac Afbalaadh Cabdi Muuse Mayyow Xuseen Mahdi Cameey Muuse Islaan Faarax Maxamed sheekh Xasan Ismaaciil Bullaale Ibraahin sheekh Maxamed Saalim Yalaxoow Ibroow Maxamed Axmed Cilmi Faarax Nuur Cabdiraxmaan Ducaale Cali Xuseen sheekh Axmed Maxamed Qanyare Afrax Maxamed Xasan Dawaare Muumin Cumar Maxamed Cali Yalaxoow Cusmaan Maxamed Faarax Bashiir Cali Salaad Bililiqo Maxamed Qodax Barre Cabdulqaadir sheekh Cilmi Maxamed Ibraahin Cigaal Maxamed Salaad Axmed Cabdiraxmaan Cusmaan Raage Cabdi Caydiid Xiireey Maxamed Cabdi Xasan
Transport maritimes et Ports Transports aériens et terrestres Travail et Affaires sociales Travaux publics et logement (boqor)
Maxamed Nuur Ileey Cabdi Xasan Cawaale Qeybdiid Maxamed Xuseen Caddow Cabdi Cabdulle Siciid Jini boqor
Governor, Central Bank
Cali Cabdi Camalow
B – Accord d’Addis Ababa – mars 1993 After long and costly years of civil war that ravaged our country, plunged it into famine, and caused acute suffering and loss of life among our people, there is the light hope at last: progress has been made towards the restoration of peace, security and reconciliation in Somalia. We, the Somali political leaders recognize how vital it is that this process continue. It has our full commitment. By our attendance at this historic Conference, we have resolved to put an end to armed conflict and to reconcile our differences through peaceful means. We pledge to consolidate and carry forward advances in peace, security and dialogue made since the beginning of this year. National reconciliation is now the most fervent wish of the Somali people. We commit ourselves to continuing the peace process under the auspices of the United Nations and in cooperation with the regional organizations and the Standing Committee of the Horn as well as with our neighbors in the Horn of Africa. After an era of pain, destruction and bloodshed that turned Somalis against Somalis, we have confronted our responsibility. We now pledge to work toward the rebirth of Somalia, to restore its dignity as a country and rightful place in the community of nations. At the close of the Holy Month of Ramadaan, we believe this is the most precious gift we can give to our people. The serenity and shade of a tree, which according to our Somali tradition is a place of reverence and rapprochement, has been replaced by the conference hall. Yet the promises made here are no less sacred or binding. Therefore, we, the undersigned Somali political leaders, meeting at Africa Hall in Addis Ababa, Ethiopia between 15 and 27 March 1993, hereby reaffirm our commitment to the agreements signed during the Informal Preparatory Meeting on National Reconciliation in January 1993. In concord to end hostilities and to build on the foundation of peace for reconstruction and rehabilitation in Somalia, we agree to proceed within the framework of the following provisions and decisions:
I. Disarmament and security: 1. Affirm that uprooting of banditry and crime is necessary for peace, stability, security, reconciliation, reconstruction and development in Somalia; 2. Further affirm that disarmament must and shall be comprehensive, impartial and transparent; 3. Commit ourselves to complete, and simultaneous disarmament throughout the entire country in accordance with the disarmament concept and timeframe set by the Cease-fire Agreement of January 1991, and request that UNITAF/UNOSOM assist these efforts so as to achieve a substantial completion of the disarmament within 90 days; 4. Further reiterate our commitment to the strict, effective and expeditious implementation of the Cease-fire Disarmament Agreement signed on 8 and 15 January 1993; 5. Reaffirm our commitment to comply with the requirements of the Cease-fire Agreement signed in January of 1993, including the total and complete handover of weapons to UNITAF/UNOSOM; 6. Urge UNITAF/UNOSOM to apply strong and effective sanctions against those responsible for any violation of the Cease-fire Agreement of January 1993; 7. Stress the need for the air, sea and land borders of Somalia to be closely guarded by UNITAF/UNOSOM in order to prevent any flow of arms into the country and to prevent violation of the territorial waters of Somalia; 8. Further stress the need for maximum cooperation by neighboring countries to assure that their common borders with Somalia are not used for the movement of weapons in Somalia, in keeping with the United Nations arms embargo against Somalia; 9. Agree on the need to establish an impartial National and Regional Somali Police Force in all regions of the country on an urgent basis through the reinstatement of the former Somali Police Force and recruitment and training of young Somalis from all regions, and request the assistance of the international community in this regard. II. Rehabilitation and reconstruction: 1. Affirm the need to accelerate the supply and operation of relief, reconstruction and rehabilitation programs in Somalia; 2. Welcome the conclusion of the Third Coordination Meeting on Humanitarian Assistance to Somalia; 3. Express our appreciation to donor countries for their continued humanitarian assistance to Somalia and, in particular, for the generous pledge, made at the Third Coordination Meeting, to mobilize $142 million for relief and rehabilitation efforts in Somalia; 4. Call upon UNOSOM, aid agencies and donor countries to immediately assist in the rehabilitation of essential public and social services, and of necessary infrastructure, on a priority basis by the end of June 1993;
5. Assure the international community of the full desire of Somali leaders to establish with the assistance of UNOSOM, a secure environment for relief, reconstruction and rehabilitation operations and the protection of relief and rehabilitation workers and supplies; 6. Condemn the acts of violence committed against relief workers and all forms of extortion regarding humanitarian operations; 7. Urge the organizations within the UN system and NGOs to effectively utilize Somali human resources in the rehabilitation and reconstruction process in Somalia. III. Restoration of property and settlement of disputes: 1. Affirm that all disputes must henceforth be settled by dialogue, negotiations and other peaceful and legal means; 2. Further affirm that all private or public properties that were illegally confiscated, robbed, stolen, seized, embezzled or taken by other fraudulent means must be returned to their rightful owners; 3. Decide to deal with this matter within the framework specified in the report of the committee on the peaceful settlement of disputes. IV. Transitional mechanisms: The Somali people believe that there is concurrence among the people of Somalia that Somalia must retain its rightful place in the community of nations and that they must express their political views and make the decisions that affect them. This is an essential component of the search for peace. To achieve this, political and administrative structures in Somalia need to be rebuilt to provide the people as a whole with an opportunity to participate in shaping the future of the country. In this context, the establishment of transitional mechanisms which prepare the country for a stable and democratic future is absolutely essential. During the transitional period, which will last for a period of two years effective from the date of signature to the agreement, the emphasis will be upon the provision of essential services, complete disarmament, restoration of peace and domestic tranquility and on the attainment of reconciliation of the Somali people. Emphasis will also be put on the rehabilitation and reconstruction of basic infrastructure and on the building of democratic institutions. All of this will prepare the country to enter a constitutional phase in which the institutions of democratic governance, rule of law, decentralization of power, protection of human rights and individual liberties, and the safeguarding of the integrity of the Somali Republic are all in place. Therefore we have agreed to a broad outline of a framework for a transitional system of governance to allow for the provision of essential services, the creation of a basis for long-term planning, and for the resumption of greater administrative responsibility by Somalis. In general terms, this system will be composed of four basic administrative components that will be mandated to function during the transitional period.
Taking into account the reality of the situation in Somalia today and the need for stability, we hereby agree to the establishment of the following four basic transitional organs of authority: 1. The Transitional National Council (TNC). The TNC will: a. be the repository of Somali sovereignty: b. be the prime political authority having legislative functions during the period in question; c. interact, as appropriate, with the international community, including UNOSOM; d. appoint various committees, including the Transitional Charter Drafting Committee, as required; e. appoint Officers for its various functions; f. appoint the heads of administrative departments; g. oversee the performance of the departments created; and h. establish an independent Judiciary. The TNC shall be composed of: a. three representatives from each of the 18 regions currently recognized, including one women from each region; b. five additional seats for Mogadishu; c. one nominee from each of the political factions currently participating in the first session of the National Reconciliation Conference; 2. The Central Administrative Departments (CADs) The TNC will appoint the heads of the Central Administrative Departments, whose prime function will be to re-establish and operate the departments of civil administration, social affairs, economic affairs and humanitarian affairs, paving the way for the establishment and operation of a formal government. The CADs shall comprise skilled professionals having the ability to reinstate gradually, the administrative functions of national public administration. The performance of these departments will be overseen by the TNC. 3. Regional Council (RCs) Regional Councils shall be established in all the existing 18 regions of Somalia. At present 18 regions shall be maintained during the transitional period. The Regional Council shall be entrusted primarily with the task of implementing humanitarian, social and economic programs in coordination with the TNC and will also assist in the conducting of an internationally supervised census. The Regional Councils will liaise with UNOSOM II, UN specialized agencies, NGOs and other relevant organizations directly and through the Central Administrative Departments and Transitional National Council. The Regional Councils shall also be responsible for law and order at the regional level. In this regard, the law enforcement institution will be a regional police force and a regional judiciary. The District Councils (see below) in each region shall send representatives who will constitute the Regional Councils. 4. District Councils District Councils shall be established in the present districts in every region. District council members shall be appointed through election or
through consensus-based selection in accordance with Somali traditions. The District Councils shall be responsible for managing the affairs of the district including public safety, health, education and reconstruction. V. Conclusions The Conference agreed on the appointment, by the TNC, of a Transitional Charter Drafting Committee referred to in section IV 1 (d) above. In drafting the Transitional Charter, the Committee shall be guided by the basic principles of the Universal Declaration of Human Rights and by Somali traditional ethics. The Conference agreed that the TNC shall appoint a "Peace Delegation" composed of political movements and other social elements to travel to all parts of the country for the purpose of advancing the peace and reconciliation process as well as to explain the agreements reached in Addis Ababa. We further agree that the TNC shall appoint a National Committee to bring about reconciliation and seek solutions to outstanding political problems with the SNM. The Conference also calls upon the international community and in particular on neighboring states to facilitate the noble effort at reconciliation by providing moral and material support. In conclusion, we the undersigned in agreeing to the above, resolve that never again will Somalia suffer the tragedy of the recent past. Emerging from the darkness of catastrophe and war, we Somalis herald the beginning of a new era of peace, healing and rebuilding, in which cooperation and trust will overcome hatred and suspicion. It is a message we must pass on to our children and our grand children, that the proud Somali family, as we knew it, can once again become whole. We, the undersigned, hereby pledge to abandon the logic of force for the ethic of dialogue. We will pursue the process of national reconciliation with vigor and sincerity, in accordance with this declaration and with the cooperation of the people of Somalia as a whole. Recognizing the tragic and painful recent history of problems in our country, we pledge to achieve comprehensive national reconciliation through peaceful means. We also pledge to adopt, in all parts of Somalia, transitional measures that will contribute to harmony and healing of wounds among all the people of Somalia. We invite the Secretary-General of the United Nations and his Special Representative in Somalia, in accordance with the mandate entrusted to them by the Security Council, to extend all necessary assistance to the people of Somalia for the implementation of this agreement.
C – Somaliland : Charte de Boorama - 1993 Preamble As we may all realise, security (of both life and property) and stability are indispensable pillars of the existence of mankind. Naturally, it is also
central to the effective functioning of any central government as well as the attainment of sustainable progress. Moreover, history and experience have also shown us and attest to the fact that the security of the individual, both life and property, that of the community as well as that of the nation, are all inextricably linked together. However, as we may all recognise, historically the world has been subject to subsequent calamities and catastrophes comprising both natural and man-made disasters. These have caused wanton destruction of property and incalculable loss of life, as well as retrogression of both human progress and development. Unfortunately, Somalia’s experience in the recent years is something hitherto unknown to the world. The compounded effects of the disasters that have befallen Somalia have at last resulted in the destruction of the Somali state and the loss of its sovereignty. Furthermore, the Somali citizen has lost all his/her dignity, pride and honour, wherever s/he is in the wider world. This unenviable experience and circumstance that has been the lot of the Somalis for quite some time has resulted from the wilful disregard of justice, and the callous abandonment of all due processes of law, gross human rights violations as well as the criminal neglect of all the obligations of the government towards its citizens, including provision of basic social services. It is after these events and agonising realities that the Somaliland Communities have declared an independent state. In addition to this, the other crucial issues that the communities also agreed upon include the promotion and strengthening of security and stability, maintenance of peace and the establishment as well as enhancement of peaceful coexistence among all of the communities of Somaliland. However, failure to realise these goals has perhaps dictated the collapse of the government that has been established. As the President of Somaliland has highlighted in his speech to the Grand Conference of the Elders in Boroma, lack of security was the single most important factor that dictated the failure of the government in its effective functioning and execution of its obligations, administration and governance. The President also further reiterated the impossibility of the establishment of any effective government while the security situation remains to be much improved. As the President has emphasised, and we all concur with him as to its importance, the most relevant question that begs to be asked, therefore, remains to be if any possibility exists of confronting and tackling other daunting issues of national interest and the realisation of the desired cooperation of the Communities of Somaliland while these conditions of insecurity widely prevail? Perhaps the other crucial question we should ask ourselves and ponder on at this juncture is what are the factors that brought about this situation of insecurity in the first place ?
To provide genuine answers to these vexed questions it requires us to reflect on the present circumstances that are prevalent in our country and the fundamental issues that brought about in the first place these conditions of instability and conflict as well as their perpetuation. We all realise that arms and munitions are widely scattered among all the communities, and are mostly in the hands of immature and callous individuals. Among others, these facts have created the following difficulties and problems: 1. The use of these weapons for private interests and, perhaps more damagingly, their use against the Government in order to undermine its authority, not to mention their use in the destruction of the national assets and interests which the Somaliland Communities have wished to safeguard. 2. It has caused a large number of people and communities to become refugees and dislodged from their localities of residence and inhabitancy, which in turn resulted in the undermining of security and threatened the peaceful co-existence of communities as well as the smooth movements of people and property. 3. It legalised killing, looting, banditry and a host of other illicit activities and attitudes that go against our cherished culture and sacred religion. 4. It has completely grounded and undermined the functioning of the administrative activities of the government and stopped all other commercial activities, as well as the free movement of people and trade. 5. It curtailed and resulted in the suspension of all the humanitarian, rehabilitation and developmental activities as well as all other assistance of the International Organisations. This has also had a negative and devastating effect on internal support and international recognition. 6. It drastically undermined the realisation of the peace accords that the communities have bilaterally and multilaterally agreed upon. 7. It has brought about for the individual citizen a perpetual fear and terror that bred mental instability and other numerous psychological problems for most of the population. 8. And other numerous problems. All these critical issues and problems which we have mentioned above and which are all a threat to the security and instability of our nation have been previously given due attention and deliberated several times, as the attempts made towards their solution include: 1. The unification programme of the clan militias. 2. The latest of which was the WFP programme of demobilisation and corralling/kraaling of the militias. 3. The organisation of Peace Conferences between and among the communities and localities, including that of Sheekh, of which the enactment of the resolutions passed remains yet to be seen. Therefore, in order to realise the aims and objectives of the Somaliland State, and to redress and rectify our past mistakes, it is inevitable that all
the issues that are currently outstanding and those potential tensions should be duly addressed and deliberated at this Grand Conference of Somaliland Communities, and all efforts should be directed to finding objective and lasting solutions to all the issues: this should also be witnessed by the international community in order to hasten recognition of our state(hood), increase humanitarian assistance and step up the rehabilitation and reconstruction of the infrastructure and social services institutions. In view of this, the Grand Conference of Somaliland Communities (in Boroma): After having seen: The recommendations of the Security (issues) Commission. After hearing: The deliberations, views and recommendations of the Grand Conference. After appreciating: The assessment of the general situation of the security in the country, the following articles of this charter have been hereby adopted: Article I: a. GUURTI: Council of Elders at the district, regional and National (Somaliland) levels. b. BEEL: A community that shares common interest and neighbourhood (residence). c. DEEGAAN: Locality. d. DUULAAN: Ten or more persons who share common blood bond or kinship and who harbour interests that do not comply with this accord and the articles of this charter: Article II: The people of Somaliland should rely solely on its efforts and resources in maintaining and strengthening the peace and stability that is prevalent in the country. Since the main threat to peace is at present the armed bandits (budhcad and deydey), the Grand Congress of the Communities of Somaliland hereby agrees that all armed bandits should be vigorously confronted, challenged and dealt with in order to prevent them undermining the prevailing peace and stability. Article III: This nation cannot dispense with outside help and assistance. Therefore, we should seek assistance from the International Community, be they governments or International Organisations. Article IV: Voluntary Organisations should be approached with the following requests: 1. Establishment of employment opportunities and vocational training projects in various skills and professions.
2. (Assistance in the) Maintenance of a clean environment. 3. Training and upkeep of the local security forces. Article V: In cooperation with the International Organisations, mines should be cleared from the roads and all other areas in Somaliland. Article VI: All weapons and munitions are a national (state) property. Therefore, their storage, use as well as other decisions relating to them are the sole province and responsibility of the Government (which calls for the following): 1. Firstly, the registration of all arms for the owners is required and called for, and then means and methods of exchanging arms for other useful projects should be given thought to as well as due consideration. 2. Secondly, arms should be forbidden to be carried in the towns and other places of assembly and congregation of people. Article VII: If a certain locality, district or a region for that matter is invaded from outside, it is incumbent upon the other Communities of Somaliland to come, in earnest, to its defence in unison and hurry to the rescue of the concerned entity, as such act is recognised as a blatant aggression against Somaliland as a whole. Article VIII: It is obligatory upon all the Somaliland Communities to give their utmost assistance and sincere support to any government that is established or chosen through the due process of law, in order to enable it to realise its administrative functions and governance obligations. Article IX: In order to realise the establishment of an effective government administration that can fully undertake the maintenance of peace and stability in the country, we propose the following: 1. It is required that each and every community should demobilise its militia and assemble or kraal the combatants in a certain barracks to be established in its locality, and should effectively restrain their movement. This should come into effect 15 days after this charter is ratified and endorsed. 2. It is incumbent upon every community to wage a relentless war against the armed bandits operating in its own locality and to secure and preserve its own security and stability. 3. In order to realise the satisfactory accomplishment of the above mentioned conditions, it is required that each community should establish its own local Police Force, which will serve as the basis for the establishment of a National Police Force in the (near) future.
4. Each and every region should start to hasten the operation of its judicial institutions in conjunction with the establishment of the Police Force. 5. The operation, inspection and monitoring of these issues is the responsibility of the committee of elders in each district. 6. An Inspection and Monitoring Committee with the responsibility to check and inspect the operation of the above mentioned obligations should be established (sooner rather than later). Article X: Each and every Community which resides in a certain area should establish a Standing Security Committee that will oversee the security matters in its own locality or area. Article XI: Each and every community should remove its own militia from the towns and their vicinities, main roads and other certain areas where people gather for social services. Article XII: It is obligatory upon each and every community to dismantle and demolish all the check-points established by the bandits and which are in operation in its own locality. Article XIII: It is obligatory upon each and every community to effectively safeguard the security in its own locality. Article XIV: The safeguarding and upkeep of any public property in a certain district, subdistrict or locality, etc is the responsibility of the relevant committee in that area. It is also required that the Security Committee of that area take an inventory of all the public properties existing or found in their areas. Article XV: The Communities are hereby allowed to initiate their own by-contracts (xeerhoosaad) and by-laws. Likewise neighbouring or adjacent communities can establish their own security by-laws that are compatible with this charter. Article XVI: Any assistance package (relief or otherwise) that is being assigned or provided for a certain community or locality, but requires to be transported through other areas or communities, should be given safe passage; it is incumbent upon each community to oversee its safe passage and security during the transit period in its locality and pass on this responsibility to its adjacent community, who are also required to do the same until the (assistance) package reaches its destination. Article XVII:
The safeguarding of the security of the Foreign Nationals, and their properties, staying in a certain locality, is the responsibility of the Government and in particular that responsibility falls within the domain of the Security Committee of that area. Article XVIII: Each and every community is hereby required and should take a vow and a solemn oath not to attack any other community. Article XIX: a. If a conflict flares up between two communities, or if one community harbours a certain grudge against another, it is incumbent upon the Committees of Elders of the two communities to attend to, deliberate and strive to find a mutually acceptable settlement and just solution to the disagreement, whatever its magnitude, and in the shortest possible period of time. b. If, however, they themselves find it difficult to find a mutually acceptable settlement, they should call upon the assistance of the Committee of Elders of other neighbouring communities. c. If, again, a settlement is not found at this level, the matter should be referred to the executive committee of the Grand Committee of Elders of Somaliland. d. The Committee of Elders who are assigned to mediate in the matter are required to address the case as soon as possible and in any case in a period of no longer than 14 days from the date of referral or registration of the case. Article XX: a. Every citizen of Somaliland has the right of ownership of his/her own fixed property existing in Somaliland, and no one has the right to misappropriate it or dislodge him/her from the property. b. The Grand Conference of Peace in Boroma should appoint a committee that will engage itself in and oversee the mediation and settlement of the standing disputes and cases arising out of fixed properties that have been misappropriated (excluding those cases which have been settled already) considering the different circumstances of each locality. c. Liquid or other movable properties which have been looted or misappropriated should be returned to the rightful owner/e in earnest (excluding those cases that have been already settled). d. The safe transfer of the fixed and movable properties that have been misappropriated is the responsibility of the Security Committee of the locality in which the property exists or remains at present, with the cooperation of the Committee of Elders of the concerned communities. Article XXI: The meeting which the communities in SANAAG are planning to hold on 10-041993 should be given support and encouragement and assisted to fruition.
Article XXII: The Grand Boroma Conference of the Communities in Somaliland should urgently nominate during its meeting a committee of elders that should find a solution and a settlement to the disputes currently outstanding in Awdal, and those of land disputes in Gebiley that are not yet settled, and should accomplish this feat within an assigned (preferably short) period of time. Article XXIII: a. A checkpoint and control post can only be established at the entrance and exit points of towns and should have a certain accountable administration. b. A control post or checkpoint can only be established by someone authorised (by the relevant authority) to do so and must have a certain emblem that can be easily identified. c. If a new and/or additional control post is needed to be established, it may be done so or established only by the discretion and authority of the Security Committee of the concerned locality. Article XXIV: Any damage (to life and property) caused by a certain bandit (budhcad ama day-day) should be accounted from his clan, but any damage against a bandit is non-accountable/accountable to no one (whatever the circumstances are). Article XXV: All other accords and charters that are not compatible with the articles of this charter are hereby repealed, rescinded and made null and void. Article XXVI: This charter will come into effect 15 days after its ratification and endorsement by the deputations and delegations representing the Communities of Somaliland in Boroma. Article XXVII: This charter is bound/bonded by the penal code, the shariah law and the articles of this charter.
D – Déclaration de Nairobi – mars 1994 Principes généraux 1. À la suite des consultations informelles tenues à Nairobi du 11 au 23 mars 1994, les dirigeants politiques somalis sont parvenus à un accord fondé sur les principes suivants : a) Inviolabilité de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de la République somalie ; b) Renonciation à toute forme de violence comme moyen de résoudre les conflits, et application du cessez-le-feu et du désarmement volontaire dans tout le pay s;
c) Respect et défense des droits fondamentaux de l’homme et des principes démocratiques ; d) Création d’une atmosphère propre à permettre à tous les Somalis de coexister fraternellement, par les voies traditionnelles et par les moyens politiques et culturels ; e) Redressement et reconstruction du pays, afin qu’il se remette des ravages de la guerre civile. 2. Concrètement, les dirigeants ont décidé d’un commun accord de procéder à ce qui suit : a) Rétablir la paix dans toute la Somalie, et en priorité dans tous les lieux où se déroulent des conflits ; b) Tenir une réunion des factions signataires de l’Accord de paix d’Addis-Abeba et du Mouvement national somali (SNM) le 15 avril 1994 à Mogadishupour fixer les règles et méthodes applicables aux élections et les critères régissant la participation à la Conférence de réconciliation nationale. On étudiera également à cette réunion les moyens et les modalités de création de l’Assemblée législative nationale, création qui suivra celle du Gouvernement national ; c) Afin de rétablir la souveraineté de l’État somali, une Conférence de réconciliation nationale devrait être convoquée le 15 mai 1994 afin d’élire un président et des vice-présidents (dont le nombre reste à fixer) et de nommer un premier ministre ; d) Achever et examiner la mise en place d’autorités locales, à chaque fois que le besoin s’en fera sentir, sur lesquelles puissent s’appuyer l’autonomie régionale et le respect des droits des collectivités locales ; e) Exhorter le SNM à participer à la conférence susmentionnée et à toutes les conférences, réunions et consultations de réconciliation nationale ; f) Créer un pouvoir judiciaire indépendant. Appel lancé à la communauté internationale Les dirigeants somalis tiennent à remercier de leur aide précieuse la communauté internationale et particulièrement l’ONU, les pays donateurs d’aide et les pays de la région, et à les prier de poursuivre leurs efforts jusqu’à ce que la Somalie puisse survivre par ses propres moyens. Signé ce 24 mars 1994 au nom du Groupe des 12 et de l’Alliance nationale somalie, (Signé) Ali Mahdi MOHAMED
(Signé) Mohamed Farah Hassan AIDID
G LOSSAIRE
Aqoonyahan Groupe de réflexion, think tank Axdi(-ga) Charte Beel (-sha) Communauté Beeldadje Titre porté par l’autorité supérieure de certains lignages Boqor Titre porté par l’autorité supérieure de certains lignages Caaqil (pl Cuqaal) Chef traditionnel Degmo(da) District Ergo(-da) Mission, délégation Ergo nabadeed Mission de paix Gaal Etranger, païen Garaad Titre porté par l’autorité supérieure de certains lignages Gobol Province Gole Conseil, lieu de réunion Golaha Guurtida Chambre haute Golaha Wakiilada Chambre basse Golaha Ammaanka Conseil de sécurité Golaha Wasiirrada Conseil de ministres Golaha Ganacsiga Chambre de commerce Golaha sare ee kacaanka Conseil Suprême révolutionnaire Guddi Comité Guddi odayaasha Comité de notables Degdeg an guddi Comité d’urgence Guddi qabanqaabada Comité préparatoire Guurti Conseil de notables Imaan imām Iimaan Chef Isbaaro Barrage routier Isin (pl. isimo) Notable, Ancien, Aîné Jilib Ensemble des familles solidaire du paiement du mag Maamulka Gobolka Conseil de région Maamulka Degmada Conseil de District Prix du sang Mag Malak Titre porté par l’autorité supérieure de certains lignages Naanays Surnom Nabad Paix Ooday (pl. oodayaal) Aîné, ancien, notable Reer Famille élargie, « clan » Sheekh Titre attestant d’un savoir en matière de religion (différent َ šayḫ]: « vieux », « chef ») du sens arabe de [ar.ﺷﻴْﺦ Shir Réunion Shirguddoon Comité directeur
Shir nabadeed Shirweyne Suldaan Sulux Tabeello Tol Ugaas Wadaad Waranleh Xaaji Xaafad Xeer Xeerka Qoyska
Conférence de paix Conférence, symposium Titre porté par l’autorité supérieure de certains lignages Conciliation Canton Faisceau lignager Titre porté par l’autorité supérieure de certains lignages Homme de religion Homme de guerre (porteur de lance) Celui qui a fait le pèlerinage aux villes saintes Commune Loi, code de lois (traditionnelles ou non) Loi sur la famille
Saisons Gu’
Xagaa
Dayr
Jiilaal
avril/juillet
juillet/septembre
sept./décembre
décembre/avril
grandes pluies - chaud
sec et très chaud
petites pluies
sèche Saison du risque de sécheresse et de famine
Points cardinaux Woqooyi
Koonfur
Galbeed
Bari
Nord
Sud
Ouest
Est
O UVRAGES CONSULTES
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I N DEX
21 OCTOBRE (avenue du), 376, 377, 441 e 77 division, 40 ʿAbd al-Ḥamīd al-Bakūš, 38 ʿAbd al-Majīd Zandānī, 239 ʿAbdalla Ben ʿAbdelʿAzīz, 57 ʿAbdullah YusūfʿAzzām, 347 ʿAbduraḥmān al-Qāʿidī, 149, 312, 340 ʿADAL, 311 ʿADEN Voir ADEN ʿAfar, 12, 85, 87 ʿAlī ibn abu Ṭālib, 148 ʿAlī ʿUtmān Ṭahā, 386 ʿAmrū Mūsā, 431 ʿUMAN (sultanat de) Voir OMAN (sultanat d’) ʿUmar al-Bachir, 283 Aadan Cabdullaahi Nuur Gabiyow (général) Voir Aadan Gabiyow Aadan Cabdulle Cusmaan Cadde, 29, 93, 96 AADAN CADDE ( AEROPORT), 440 Aadan Ciise, 168 Aadan Cismaan Cabdi, 279 Aadan Gabiyow (général), 53, 188, 189, 190, 191, 215, 218, 219, 235, 268, 296, 443, 445, 447, 448 Aadan Garweyne, 340, 342
Aadan Jaamac Cirde (général), 30 Aadan Madoobe, 95, 117 Aadan Muuse Jibriil, 224 Aadan sheekh Maxamed Shiine (colonel), 130 AADAN YABAAL, 384 ABAARSO, 461, 551 Abasguul, 53, 190, 235 Abdi Kawar Company, 54 Abdi Mohamed Sheikh, 54 Abdou Diouf, 207 Abgaal, 20, 33, 37, 41, 42, 43, 45, 46, 47, 51, 67, 104, 109, 164, 206, 282, 296, 355, 416, 418, 420, 441, 442, 487 Aboo Samah bin Aboo Bakar (lieutenant général), 428, 485, 491, 495, 508 ABRAHAM LINCOLN (porteavions), 395 Absame, 310, 448, 449, 506 Abshir Muuse, 154 Abshir Salaax, 75 ABU DHABI, 51 abū ẓabī Voir Abu Dhabi Abūbakar Yūnis Jabar (colonel), 118 AC-130 Spectre, 369, 371, 399 Action Aid, 333 Action pour la révision de l’Ordre à Djibouti (AROD), 270
ADDIS ABÄBA, 98, 343, 431, 502 Addis Abäba (accords et conférence d’), 275, 281, 294, 295, 319, 412, 428, 429, 493 Addis Abäba Agreement Voir Addis Abäba (accords et conférence d’) ADEN, 13, 89 ADEN (GOLFE D’), 12, 121, 161 Aden Robleh Awaleh, 270 ADI ADÄYE/ADHI A DHEEYE, 345, 551 Adigala/Hadhagaala, 552 Aeroflot, 36 af maay, 192 Afar Liberation Front, 87 AFGHANISTAN, 145, 149 AFGOOYE, 40, 43, 44, 51, 64, 68, 106, 118, 189, 216, 219, 222, 285, 370, 384, 506 AFGOOYE (ROUTE D’), 377, 441 AFISIYOONI, 30, 36, 44, 216 AFMADOW, 261, 349, 444, 445, 448 Africa italiana orientale, 14 Africa Watch, 242, 243 African Rights, 396 AFRIQUE DU SUD, 34 Ahlu Sunna wal-Jamaca, 337 Aḥmad ʿIṣmat ʿAbd al-Majīd, 208 Ahmed Dini Ahmed, 93 AIAI Voir Itixaad
AICF, 422 AJUURAAN (sultanat), 486 Ajuuraan, 13, 20, 430 akhyar, 192 ALBANIE, 469 Alemo sagaal, 192 Al-Hassan Conteh, 297 Ali Mehidal Weyss (général), 86 Allaa mahad leh, 186, 309 ALLEMAGNE, 13, 57, 97, 238, 254, 263, 291, 307, 366, 409, 418, 424, 468, 473 Ammunitions and Weapons Storage Sites Voir AWSS Anan, Koffi, 388 Andreatta, Beniamino, 380, 397, 398 Annan, Kofi, 225, 490 Ansar as-sunna, 67, 339 Anwar al-‘Awlaqī, 239 Anwar as-Sādāt, 348 aqoonyahan, 56 ARAARE, 65, 66, 67, 149, 551 Arab, 116, 117, 132, 133, 171, 180, 313, 462, 469 ARABIE SAOUDITE, 97, 149, 165, 254, 339, 342, 346 ARABSIYO, 310, 463, 551 arap Moi, Daniel, 54, 95, 232, 430, 453 ARAR YAREY, 65, 551 Article VII, 383, 483 Arusha (accords), 500 Ashamo, 109 Ashraaf, 203 ASMÄRA, 98 Aspin, Les, 391 ASSAMO, 85 aš-Šāriqa Voir SHARJAH Association of Medical Doctors for Asia, 333 Augelli, Enrico, 397 AUSTRALIE, 254 AUTRICHE, 208, 226, 233 aw, 192 Awad Axmed Ashra, 474 AWARE/AWAARE, 70, 551 AWBARRE, 310, 551 AWDAL (gobol), 76, 77, 78, 83, 85, 114, 147, 312, 460, 461 AWDHEEGLE, 44, 551 Aweys xaaji Yuusuf, 210 AWR BOOGAYS, 181, 185, 551
Awrsame, 188 Awrtable, 53, 138, 139, 190, 235, 446 AWSS, 272, 360, 370, 483 Axdi Nabadgaladyada ee Beelaha Soomaaliland, 314, 316 Axdiga qarameed, 314 Axmed Cabdi Dhicisow (sheekh), 336 Axmed Cabdi Xaaabsade, 320 Axmed Cumar Jees Voir Cumar Jees Axmed Daahir Nuur Dhagax (colonel), 130 Axmed Ismaaciil Duqsi Cabdi, 130 Axmed Jaamac Aadan, 220 Axmed Jaamac Bullaale, 479 Axmed Jaamac Cabdulle, 39 Axmed Jilicow Cadow (général), 49, 380, 387 Axmed Macallin Jumaale, 162 Axmed Maxamed bin Hoodaan (sheekh), 162 Axmed Maxamed Halac, 318 Axmed Maxamed Maxamuud Siilaanyo Voir Axmed Siilaanyo Axmed Maxamed Waaqle, 441 Axmed Mire Maxamed (colonel), 121, 132 Axmed Nuur Furre, 312 Axmed Raage Cabdi, 37, 392 Axmed Salal Sayyid (général), 105 Axmed Saleebaan Cabdalle Dafle, 75, 332 Axmed Sheekh Salaax, 326 Axmed Siilaanyo, 95, 117, 128, 175, 318, 435, 466 Axmed Warsame Maxamed Xaashi (général), 62, 101, 255, 296 Axmed xaaji Cali Adami, 323 Axmed Xaashi Maxamuud, 296 Axmed Xabiib Axmed, 39 Axmed Xasan Badhasab, 326 Ayaanle, 35, 65 Ayewah, Isaac, 494 AYSHA/AYSHACA, 83, 551 Ayuub, 313
BAARDHEERE, 51, 64, 195, 197, 199, 217, 222, 224, 234, 236, 237, 239, 240, 255, 258, 261, 283, 285, 288, 396, 420, 423, 431, 448, 449, 491, 551 BAAY (gobol), 32, 43, 64, 192, 195, 196, 197, 217, 257, 261, 273, 306, 342, 384, 398 BADHAN, 182, 551 Bah Geda, 282 Bah Geri, 446 Bah Idoor, 127 BAHER DAR, 224 Bahir Dar All-Party Meeting, 224 BAḥRAYN (royaume de), 57 BAJUUN (îles) , 387 Bajuun, 20 BAKAARAHA (suuq), 257, 388, 418 BAKOOL (gobol), 32, 192, 195, 196, 197, 217, 257, 261, 262, 306, 307, 345, 384, 398 BALAMBAALE, 63, 551 BALCAD, 33, 36, 216, 384, 489, 491, 551 BALCAD (route de), 376, 377 BALHO, 270 BALKANS (guerre des), 499 BALLI DOOGLE (aérodrome), 34, 40, 43, 58, 219, 307, 489, 506, 551 BALLI GUBADLE, 37, 74, 112, 113, 121, 313, 452, 551 BANAADIR (gobol), 14, 28, 41, 101, 194, 202, 282, 337, 415, 438, 439, 487 Banaadir (hôpital), 33, 104, 207, 418 BANAADIR STADIUM, 30 Banaadiri, 192, 443 BANDAR BEYLA, 158 BANDAR SALAAN, 276, 551 BANDAR SIYAADA Voir QOOW BANDER BEYLA, 384 Bangi Dhexe, 474 BANGLADESH, 226, 502, 506 Bannaanka Saraar Voir Saraar Banque mondiale, 292, 334 BARAAWE, 53, 64, 65, 218, 221, 222, 237, 261, 352, 410, 437, 439 Baraton, Jean-Claude, 103 barbaar, 192 BARI (gobol), 136, 137, 139, 140, 143, 151, 153, 163, 331,
353, 384, 398, 423, 472, 474, 477, 479 Baril, Joseph Gérard Maurice (major-général), 490 Barkat Gourad, 95, 453 Barre Aadan Shire Hiiraale (colonel), 62 Bartire, 53, 190, 235, 446 Bashiir Cali Salaad Bililiqo, 513 Bashiir Ducaale Cabdi (caaqil), 122 Bassiouni, David, 166, 214, 247 Bataillon somali, 330 Bayaanki Labada Webi, 194 BAYDHABO, 40, 43, 51, 64, 191, 195, 196, 197, 200, 212, 217, 218, 220, 222, 224, 225, 229, 231, 236, 243, 255, 258, 278, 280, 288, 306, 370, 384, 395, 418, 436, 485, 489, 491, 506 BCR VAR, 261 Beavan, Keith, 333 Beel system, 327, 452, 461 Beelel, 180 BEER XAANI, 273, 551 BEERDAALE, 200, 384, 551 Begedi Voir Bah Geda Begosian, Richard, 401 BELEDWEYNE, 28, 236, 307, 354, 374, 418, 436, 441, 489 Belenet, Régis de, 473 BELET XAAJI, 430, 444, 445, 446 BELET XAAWO, 149, 151, 201, 220, 224, 225, 384, 551 BELGIQUE, 208, 254, 273, 307 Bennett, George, 437, 455 BERBERA, 13, 26, 40, 58, 69, 70, 78, 79, 80, 102, 108, 133, 165, 168, 170, 172, 173, 175, 179, 207, 215, 224, 227, 231, 236, 240, 271, 288, 330, 334, 410, 462, 466, 469 BERDE, 124 Bérénice (opération), 38 BERMUDA, 507 Bile Rafle Guuleed, 292 Birmadka Boliska, 25 Biyomaal, 20, 35, 203, 234, 282, 420, 437, 438 Black Hawk, 388, 406 Boivineau, Catherine, 454 Bonnecorse, Michel de, 262, 303, 306
BOOCAME, 144, 162, 311, 551 BOON (localité), 310, 551 Boon, 20, 418 BOONDHEERE (degmo), 423 BOORAMA, 26, 28, 40, 70, 77, 78, 81, 87, 119, 129, 146, 170, 178, 180, 186, 283, 310, 319, 340, 422, 460, 463, 465, 466, 469 Boorama (shirweyne de), 311, 319, 322, 324, 384, 457 BOOSAASO, 63, 66, 89, 108, 121, 139, 142, 149, 151, 152, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 162, 163, 207, 215, 224, 227, 237, 240, 249, 301, 305, 307, 340, 354, 358, 410, 418, 431, 465, 466, 473, 477, 551 Boqolsoon, 340 Bore, Amos, 220 Borruso, Andrea, 106 BOSNIE, 233, 499 Bota, Liviu, 223, 233, 246 BOTSWANA, 254 Bottai, Bruno, 398 BOTTEGO (camp), 44 BOUFFARD (hôpital), 171 Boutros Boutros Ghali, 174, 206, 209, 217, 225, 233, 238, 242, 251, 253, 277, 289, 291, 300, 301, 331, 333, 364, 383, 393, 395, 397, 402, 427, 456, 484 Brauman, Rony, 238 Breda, 305 Browner, Paul, 283 Budhcad, 316 Building blocks, 293 BULHAR Voir BUULXAAR BURCO, 40, 69, 70, 71, 75, 79, 80, 94, 111, 123, 124, 127, 129, 132, 147, 163, 169, 170, 171, 178, 180, 224, 236, 288, 321, 340, 451, 453, 464, 465, 466, 467, 469 Burkhalter, Holly J., 243 BURTIINLE, 475 Bush, George H.W., 232, 252, 254 BUUFOW, 64, 551 BUUHOODLE, 75, 345, 551 BUULO BURDE, 384 BUULO XAAJI, 420 BUULO XAAWO Voir BELET XAAWO BUULOBARDE, 35, 422 BUULXAAR, 13
BUUR HAKABA, 384, 489 BUUR LEEGO, 489, 551 BUUR YAQAB, 151 BUURDHUUBO, 63, 68, 220 BUURTINLE, 473 Caano-shub, 472 Caaqil, 77 CabdalIa Boos Axmed, 326 Cabdi Daahir Ugaas, 391 Cabdi Cabdulle Siciid Jini Boqor (boqor), 479, 514 Cabdi Caydiid Xiireey, 513 Cabdi Cismaan Faarax, 94, 226 Cabdi Duullane, 445 Cabdi Faarax (colonel), 464 Cabdi Iidle Aman (caaqil), 77 Cabdi Maxamed Gagaleh, 320 Cabdi Muuse Mayyow, 197, 268, 278, 282, 296, 443, 513 Cabdi Nuur Samatar, 313 Cabdi Qeybdiid, 360, 376, 379, 388, 514 Cabdi Shire Faarax, 224 Cabdi Wahab Maxamuud Gurey, 162 Cabdi Warsame Isxaaq (colonel), 234, 268, 283, 296, 438, 443 Cabdi Xasan Cawaale Qeybdiid Voir Cabdi Qeybdiid Cabdi Xuseen Siciid, 313 Cabdikariin Xuseen Yuusuf Waraabe, 177, 312, 313 Cabdiladiif Maxamed Afdub, 224 Cabdillahi Jaamac Faarax, 326 Cabdinaasir Axmed Aadan Seerjito, 375, 495 Cabdinuur Nuur Xaashi (sheekh), 210 Cabdirashiid (suldaan), 126 Cabdirashiid Cali Sharma’arke, 15 Cabdiraxiin Cabdi Faarax, 46 Cabdiraxmaan aw Cali Faarax, 76, 77, 170, 310, 318, 321 Cabdiraxmaan Axmed Cali Tuur Voir Cabdiraxmaan Tuur Cabdiraxmaan Cusmaan Raage, 513
Cabdiraxmaan Daahir, 319 Cabdiraxmaan Ducaale Cali, 84, 270, 457, 459, 513 Cabdiraxmaan Jaamac Barre, 34, 55, 96 Cabdiraxmaan sheekh Maxamed (suldaan), 313 Cabdiraxmaan Tuur, 35, 47, 64, 76, 81, 82, 89, 96, 98, 113, 114, 115, 116, 128, 130, 131, 170, 172, 174, 175, 179, 180, 182, 215, 224, 248, 249, 314, 316, 317, 456, 457, 458, 459, 466, 467, 470, 490 Cabdirisaaq Faarax (docteur), 156 Cabdirisxaaq Cumar Seef, 479 Cabdirisxaaq Isxaaq Biixi (colonel), 255 Cabdirisxaaq sheekh Cismaan Cali Baadiye (colonel), 477 Cabdirisxaaq xaaji Xuseen, 94, 96, 139, 140, 457, 479 Cabdisalaam Cismaan Diini Gorgor (colonel), 118 Cabdixakiin Maxamed Aadan Sumuni, 116 Cabdulcasiis Babaraqiis, 162 Cabdulcasiis sheekh Yuusuf, 443 Cabdulla Abokor, 180 Cabdullaahi Azari, 139 Cabdullaahi Biixi, 71 Cabdullaahi boqor Muuse King Kong (boqor) Voir Cabdullaahi King Kong (boqor) Cabdullaahi Cali Ducaale, 319 Cabdullaahi Cosoble Siyaad, 441 Cabdullaahi Darawal (colonel), 171 Cabdullaahi Diiriye, 84 Cabdullaahi Ducaale, 86 Cabdullaahi Faarax Hoolif, 477 Cabdullaahi Ibraahin Habbane Dheere, 310 Cabdullaahi King Kong (boqor), 137, 143, 152, 154, 479 Cabdullaahi Maxamed Idris Lesto, 279 Cabdullaahi Rabi Kaahin, 65 Cabdullaahi sheekh Cali Jowhar (sheekh), 77
Cabdullaahi Siciid Samatar (général), 154 Cabdullaahi Yuusuf (colonel), 16, 100, 138, 141, 142, 143, 152, 153, 154, 155, 157, 159, 237, 255, 298, 353, 356, 360, 399, 448, 456, 474, 475, 476, 478, 479, 490, 491, 493, 497 Cabdullaahi Yuusuf Axmed (colonel) Voir Cabdullaahi Yuusuf (colonel) Cabdullahi Cali Xaashi, 342 CABDULQAADIR, 310, 551 Cabdulqaadir Axmed Cabdul-laahi, 162 Cabdulqaadir Cukaashe, 342 Cabdulqaadir Faarax Sadiiq, 391 Cabdulqaadir Maxamed Aadan Zoppe Voir Cabdulqaadir Zoppe Cabdulqaadir sheekh Cilmi, 513 Cabdulqaadir xaaji Maxamed Masalle, 188 Cabdulqaadir Zoppe, 194, 195, 197, 279 Cabdulqaani (garaad), 73, 74, 75, 144, 169, 177 Cabdulqaani garaad Jaamac garaad Cali (garaad) Voir Cabdulqaani (garaad) Cabdulqaasin Salaad Xasan, 391 Cabdulqader Maxamed Jaamac Gaamey, 342 Cabdulrisaaq xaaji Xuseen, 61 Cabdurashiid Guuleed Warfaa (major), 156 Cabduraxmaan Ducaale Cali, 268, 269, 296, 443 Cabdusalaan suldaan Maxmuud (garaad suldaan), 122 CADAADO, 151 CADALE, 33, 384, 551 CADUUR, 122, 551 CAFE DE PARIS (attentat du), 84 CAL MADOW, 161 Calan cas, 132, 314, 317, 318, 328 Cali Askar (colonel), 175 Cali Cabdi Camalow, 514 Cali Cabdulla (sheekh), 377 Cali garaad Jaamac (garaad), 75
Cali Ismaaciil Cabdi Giir, 139, 224, 268, 296 Cali Kadiye (général), 380 Cali Khaliif Galaydh, 314 Cali Mahdi, 45, 46, 48, 49, 50, 69, 92, 99, 106, 107, 114, 118, 189, 195, 196, 197, 206, 207, 211, 213, 214, 223, 225, 226, 244, 254, 260, 266, 278, 282, 283, 296, 360, 380, 410, 411, 416, 417, 420, 421, 431, 433, 442, 448, 490, 491, 493, 494, 495, 497 Cali Mahdi Maxamed Voir Cali Mahdi Cali Maxamed Axmed, 431 Cali Nuur sheekh, 513 Cali sheekh Ibraahin Araaye, 269 Cali Ugaas Cabdulle, 261, 416 Cali Wajis (sheekh), 67 Cali Warsame Guuleed, 326 Cali Warsame Xasan Kibisdoon (sheekh), 146, 147, 149, 162, 338, 465 Cali xaaji Cabdi Ducaaale, 184 Cali xaaji Xirsi Cawaale, 224 Cali xaaji Yuusuf, 95 Cali Xasan Xuseen, 95 CAMUUD, 311 Canab Maxamed Siyaad, 446 CANADA, 237, 238, 254, 339 CAP-VERT (Rép.du), 208 Carab Ducaale Cilmi (colonel), 168 CARE, 104, 109, 167, 285, 333, 458 CASA POPULARE, 203, Voir KASA BOBOLARE (xaafad) CASEYR (gees), 20, 551 Cawad Axmed Cashara, 224 Cawlyahan, 53, 188, 190, 219, 221, 235, 282, 443, 445, 446, 448 Caynanshe, 117 Cayr, 35, 37, 65, 66, 93, 203, 399, 420, 440 Caysha Cali Tahar, 122 Cease-fire and Disarmament Committee, 383 CEE, 291, 422, 423 CEEL AFWEYN, 184, 324, 551 CEEL BARDE, 196, 257, 384, 551 CEEL BUUR, 31, 35, 64, 261
CEEL CAD, 151 CEEL DHEERE, 261, 551 CEEL GAAL, 310, 551 CEEL QOXLE, 120, 124, 181, 186, 551 CEEL WAAQ, 222, 237, 340, 396 CEEL XUUME, 325, 326 CEELAAYO, 158 CEELEEYE, 151 Ceeli, 62 CEERIGAABO, 40, 122, 123, 124, 126, 182, 184, 185, 288, 323, 324, 325, 331 CESANO (Scuola di Fanteria), 31, 153 Çevik Bir (lieutenant général), 299, 300, 302, 304, 360, 428 Chaker, Lynda, 312 Chapitre VII, 367, 428 Charbon de bois, 158, 358 Charlier, (lieutenant général), 276 CHEICK OSMAN (camp), 88 Cheney, Dick, 252 CHENG OF YUE, 158 CHEVRON, 102 CHIAN YUEIN n°232, 158 CHINE, 97, 494 Cholmondeley, Hugh, 291 CIA, 347, 385 CICR, 205, 231, 235, 242, 286, 418 CIID, 472, 473 Ciidagale, 20, 127, 131, 133, 176, 180, 457, 461, 463, 464, 467 Ciise Maxamed Siyaad, 392, 399 Ciise Maxamuud, 136, 472, 473, 478 Ciise Muuse, 75, 127, 168, 169, 171, 173, 176, 177, 178, 462 Ciise suldaan Xirsi Qaani suldaan Madar (suldaan), 185 Ciise Xirsiqaani (suldaan), 325 Ciise, 20, 72, 78, 81, 82, 85, 87, 88, 89, 97, 112, 115, 117, 269, 271, 313, 330, 443, 454, 459, 460, 461 CIISELAND, 85 Cilmi Faarax Nuur, 105, 513 Cimraan, 313
CISALEEY (aérodrome), 226, 247, 551 Cismaan Aadan Dhool Quule, 320 Cismaan Axmed Roble, 61 Cismaan Caato, 102, 210, 219, 235, 254, 277, 366, 370, 372, 374, 378, 387, 399, 410, 416, 421, 426, 427, 447, 448, 484, 503, 512 Cismaan Cashuur Cabdulle, 312 Cismaan Cismaaciil Jaamac Beelel, 180 Cismaan Jaamac Cali, 116, 117 Cismaan Maxamuud Jelle, 441 Cismaan Maxamuud, 14, 136, 472, 473, 478 Cismaan Xasan Cali Caato Voir Cismaan Caato Cisse Maxamuud, 355 Clarke, Walter S., 303 Clinton, Bill, 232, 243, 253, 302, 382 CNN, 258 Cohen, Herman, 95 Colgnato, Gianfranco, 108 Colombo, Emilio, 174 Colombo, Pietro Salvatore (mgr), 162 Combined Task Force (CTF), 506 Commission/ Communauté européenne, 97, 104, 206, 236 Conférence de fraternisation des communautés du Nord, 77 Conférence populaire araboislamique, 338 CONOCO, 102, 262 CONS Stadium, 30 Conseil nordique, 243 Conseil révolutionnaire suprême Voir SRC Continue Hope (operation), 304, 436 Cood bur, 131 COREE DU NORD, 469 Cox, James (général), 304 Craxi Gate, 305 Craxi, Bettino, 305, 381 Cristopher, Warren, 402 Cumar Cabdalla, 117, 172
Cumar Carte Qaalib, 41, 46, 54, 57, 69, 80, 96, 99-100, 105-6, 118, 207, 245, 283, 312, 317-18, 320 Cumar Jees, 31-2, 34, 43-4, 47, 51, 53, 61, 100, 188, 19-1, 218, 221, 234, 261, 266-268, 271-4, 276-7, 294, 350, 352, 372, 410, 417, 432, 443-4, 447, 457, 475 Cumar Masalle (général), 188, 268, 282, 296, 442, 443 Cumar Maxamed Xandulle Boobe, 179 Cumar Maxamuud, 136, 353, 355, 357, 472, 476, 478, 480 Cumar Mucallin Maxamuud, 61, 366 Cumar Mungani Aweys, 443 Cumar Salaad Cilmi, 93, 104, 292, 388, 426, 427 Cumar sheekh Cismaan, 194 Cumar Xaashi Aadan (colonel), 101, 109 Cusmaan A. Jaamac, 454 Cusmaan Maxamed Faarax, 513 Cusub Maxamed Siyaad, 60 Cyclone (operation), 347 Da’uud, 67 Daa’uud Ismaaciil Xasan, 75 Daahir aw Cabdi (sheekh), 310 Daahir Faarax, 117 Daahir Maxamed Cismaan, 320 DACARBUDHUG, 173, 551 DAGAARI, 143, 552 DÄGÄHABUR/DHAGAX BUUR, 151, 552 Daher Mire Jibril, 480 Dalaayad xaaji Xaashi Jaamac-Gari, 55 Dalmar Cabdi Diiriye, 326 DALOW, 121, 552 DAMALA XAGALE, 123, 181, 552 DAMEERJOG, 87, 552 DANEMARK, 243, 424 DANOT/DANNOOD, 73, 74, 552 Danwadaag Bari, 182, 184 DAR WANAAJI, 310, 552 Darandoole, 420 DARARWEYNE, 123, 185, 186, 311, 324, 552 DARIIQALO’LE, 463, 552
Darood, 12, 20, 28, 46, 48, 50, 51, 52, 53, 61, 65, 67, 71, 139, 195, 218, 344, 447 Dashiishe, 479 daʿwa, 66, 149, 199, 344 DAYAXA, 124, 552 DAYNIILE (aérodrome), 552 DAYNIILE (degmo), 109 dayr, 528 De Vos, Peter Jon, 232, 244 Deeqa Cali Joog, 319, 320 degdeg ah guddi, 154, 256 DEGMOLEY, 216 Del Boca, Angelo, 381 Delaye, Bruno, 454 Delcroix, Léo, 395, 396 Delhome, René (général), 260, 263, 306 Deliverance (operation), 260 Delta Force, 386, 388, 389 Déminage, 71, 167, 200, 265, 287, 302, 311, 316, 454, 455 Democratic Front for the Liberation of Somalia, 132 DERE DÄWA, 85, 86, 270, 271, 343 DERMO, 202, 552 Deschamps, Alain, 306, 394 Desert Storm (operation), 57 Deshishe, 135 Desow, 194 Devereux, Sean, 266 Deydey, 128, 245, 316 DHABAT, 63 DHAHAR, 552 DHARAN, 475 DHARKENLEY, 423 DHOOBLEY, 65, 66, 149, 151, 190, 272, 274, 276, 350, 448, 506, 552 Dhulbahaante, 20, 51, 52, 53, 72, 73, 74, 75, 78, 112, 115, 117, 120, 121, 123, 124, 131, 135, 144, 161, 162, 175, 179, 182, 184, 185, 194, 235, 311, 313, 320, 321, 323, 327, 446, 452, 456, 459, 474 DHUUSA MAREEB, 31, 62, 196, 236, 288, 552 DIEGO GARCIA, 26 DIGFER (hôpital), 372, 374, 386, 418 Digil, 20, 92, 192, 195, 212, 219, 221, 278, 279, 280, 438, 449 DILLA, 77, 552
DINSOOR, 64 Diouf, Abdou, 207 Dir, 20, 35, 46, 52, 72, 76, 78, 97, 195, 221, 282, 313, 314 DJIBOUTI, 83, 86, 91, 230, 238, 342, 461, 466 DJIBOUTI (République de), 12, 330, 342, 406 Djibouti I, 92, 140 Djibouti II, 96, 100, 101, 106, 140, 223 DOBO (passe de), 310, 552 DOGOBLE, 123, 186 Dole, Bob, 387 DOOLOW, 198, 200, 201, 343, 384, 396 Doonkay (congrès de), 279 Drysdale, John, 260, 292, 364, 365, 370 DUBAÏ, 147, 162, 194 DUBLIN, 202 Duduble, 420, 486 Dumas, Roland, 95 Durant, Mike, 392 Duub Cas, 25, 30-31, 36, 44, 51 Eagleburger, Lawrence, 260 Earnest, Peter, 258 Eastern Exit (operation), 38 EASTLEIGH, 339 EAU, 57 ECOLE POLYTECHNIQUE, 418 Economic Commission for Africa (ECA), 265 Eelay, 20 Eeleye, 197 ÉGYPTE, 29, 31, 34, 38, 57, 58, 64, 91, 97, 226, 244, 339, 412, 424, 431, 459 EL WAQ Voir CEEL WAAQ Eldon, Dan, 377 Eliasson, Jan, 265, 291 ÉMIRATS ARABES UNIS, 29, 339, Emmanuel Erskine, 409 EPRDF, 98, 256, 270, 345, 412 ÉQUATEUR, 208 Ergada nabadeed ee Ciid, 472 Ernst, Carl F. (major-général), 390 Erythrean People Liberation Front (EPLF), 98 ÉRYTHREE, 99, 202, 208 ESPAGNE, 254
ÉTATS-UNIS, 95, 97, 133, 233, 251, 254, 255, 262, 291, 299, 300, 304, 309, 346, 366, 390, 415, 424, 494, 501, 502, 506 Ethiopian Popular Revolution-nary Democratic Front Voir EPRDF ÉTHIOPIE, 97, 98, 196, 202, 209, 222, 230, 411 Faadumo Isxaaq Biixi, 60 Faarax Garaad, 474 Faarax Xasan Faarax Waji Xun (colonel), 156 Faarax Xasan Rooble, 65, 147 Fabbri, Fabio, 379 FABRIQUE D’ENGRAIS, 305 FABRIQUE DE CIGARETTES, 377 FABRIQUE DE PATES, 376, 377, 378, 380, 418 Fāḏul ʿAbdulla Muḥammad, 406 Fahd as-Saʿūd, 57, 346 FAI, 158 Faraax Salad (colonel), 63 Farer, Tom, 363, 483 Fatuma Syaad Barre, 474 Fatun Mohamed Hassan, 207 FED, 422 Fedotov, Yuriy, 494 FERFER/FERFER, 34, 552 Fiat, 305 FIDJI, 226 FINLANDE, 36, 226, 243 Fiore, Carmine (général), 397 FIQ/FIIQ, 345, 552 FIQI FULIYE, 181, 185, 323, 552 Fiqi Yaquub, 188 FLCS Voir WSLF FLOREAL (frégate), 395 FMI, 27, 334 Folgore (brigade), 372, 376, 382 Fondo Aiuti Italiano (FAI), 381 Force de protection des Nations Unies (FORPRONU), 500 Force III, 462, 463 Foreign Disaster Assistance, 174 FRANCE, 58, 97, 238, 254, 299, 306, 309, 330, 372, 394, 473, 494, 501, 502 Franworth, Kate, 299 Freedman, Larry, 254
Frères musulmans, 146, 148, 283, 343, 347 Front ʿAli Mirah, 87 Front de libération de la Côte des Somalis Voir WSLF Front démocratique de libération de Djibouti (FDLD), 87, 270 Front patriotique rwandais (FPR), 500 FRUD, 93, 270 Frunze (académie), 31 Fundo Aiuti Italiano, 100, 158 gaal, 13 Gaaljecel, 20, 196, 219, 446 GAALKACYO, 50, 63, 64, 101, 102, 136, 138, 139, 142, 143, 151, 154, 157, 163, 236, 266, 274, 281, 288, 298, 301, 353, 354, 356, 357, 358, 360, 367, 399, 417, 472, 473, 477, 480, 485 Gaalkacyo (conférence sur), 353, 380 GAALSHIRE, 552 GABILEY, 77, 180, 461, 552 Gabooye, 310 Gadabuursi, 20, 72, 76, 78, 79, 81, 83, 84, 87, 97, 112, 115, 117, 146, 170, 175, 176, 177, 178, 179, 283, 310, 313, 315, 318, 320, 321, 330, 443, 452, 459, 460, 466, 469 Gahayle, 119, 184, 325, 326 GÄLADIN/GALAADI, 256, 552 GALBEED (gobol), 32, 147 GALGUDUUD (gobol), 31, 33, 35, 53, 62, 64, 139, 151, 157, 201, 261, 353, 477 Galjecel, 420 Gallagher, Robert, 214 galti, 201, 202 GAR ADAG, 183, 186, 323, 324 Garang, John, 285 GARBAHAARREY, 63, 220, 222, 296 GARDAFUI (cap), 20 GARISSA/GEERISA (Kénya), 240 GAROOWE, 102, 108, 136, 140, 141, 143, 154, 155, 156, 157, 224, 236, 305, 355, 420, 422, 467, 473, 475 Garre, 202 Garrison, William F. (general), 386, 390 73, GASHAMO/GAASHAAMO, 74, 121, 552
Gates, Robert, 252 Gbeho, Victor, 456, 478, 482, 485, 493, 494, 497, 502 GED DEBTI, 166 GEEDO (gobol), 49, 51, 62, 64, 65, 66, 68, 105, 162, 164, 195, 196, 198, 201, 212, 217, 218, 220, 221, 237, 272, 273, 283, 341, 384 GEERISA (Awdal), 83, 552 GELINSOOR, 63 Gesugle, 135 Gharekhan, Chinmaya R., 379 GISTIR, 85 Glaspie, April, 356, 358, 359, 360, 364, 401 Go’ isu tag, 120, 124, 186 Go’aan geedka, 112 Go’aanada shirweynaha Gaaroowe, 140 gob, 192 GODLE, 194 Golaha Guurtida Soomaaliland, 78, 315, 316 Golaha Sare ee Kacaanka, 15, 188 Golaha Wakiilada Soomaaliland, 315 GOLDOGOB, 357 GOOBWEYNE, 352 Gorbatchev, Mickael, 26 Gordon, Gary I., 389 GOROYACAWL, 77, 310, 552 Gosende, Robert R., 297, 300, 303, 399 Gothic Serpent (operation), 386, 394 GOWLALAALE, 73, 74, 120, 552 Gowsa Weyne, 202 Grande Somalie Voir Soomaliweyn GRECE, 254, 418 Gu’, 70, 139, 218, 284, 307, 528 Guddi qabanqaabada, 154 Guddiga odayaasha, 169 Guilbau, Jean, 312 Gumeysi, 364 Guri, 201 GURI CEEL, 552 Gustav Hagglund, 409 Guul Alle, 79 Guuleed Faarax Jeex, 486 GUULWADE (camp de), 56 Guulwado, 51
Guurti, 175, 179, 313, 315, 316 Habar Awal, 20, 41, 75, 76, 78, 127, 128, 129, 131, 132, 133, 168, 169, 179, 313, 314, 317, 318, 452, 461, 462, 469 Habar Garxajis, 20, 116, 117, 124, 127, 129, 133, 168, 313, 318, 320, 325, 451, 452, 461, 463, 464, 467, 469 Habar Gidir, 20, 30, 33, 37, 43, 45, 46, 104, 109, 136, 157, 203, 234, 261, 267, 274, 357, 375, 378, 391, 399, 417, 418, 420, 438, 439, 441, 442, 486, 487, 503 Habar Jeclo, 20, 73, 74, 75, 117, 120, 121, 124, 127, 128, 129, 131, 133, 168, 169, 171, 177, 182, 184, 313, 314, 318, 322, 323, 324, 334, 453, 464, 465, 467, 469, 474 Habar Yoonis, 20, 73, 75, 117, 119, 120, 124, 126, 127, 128, 131, 133, 169, 172, 173, 177, 178, 182, 184, 185, 314, 321, 322, 323, 327, 451, 461, 463, 464, 467, 469, 474 Habar Yoonis-bari, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 182, 183, 185, 325 HADAAFTIMO, 122, 123, 163, 182, 184, 185, 323, 552 Hadame, 20 Ḥadith, 341 HALGAN, 200 HALIWAA (degmo), 376 Hamburg Port Consultants, 410, 439 Handicap International, 333 HANGASH, 25, 51 Hansen, Peter, 236 Haq Dhaqaaqa Wadaniga Soomaaliyeed Voir SNM HARÄR, 13, 271, 476 HARGEYSA, 40, 69, 70, 79, 108, 127, 129, 165, 166, 168, 170, 173, 174, 175, 207, 215, 231, 236, 248, 249, 287, 331, 333, 454, 465, 466 Harti, 20, 51, 53, 64, 72, 78, 110, 119, 135, 144, 235, 236, 261, 272, 313, 314, 318, 325, 352, 452, 456, 465, 474 HARTISHEK/HARTISHEEKH, 70, 552 Ḥasan at-Turābī, 146, 283, 338, 347, 384 Hassan Gouled Aptidon, 59, 88, 91, 93, 270
Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR). Voir UNHCR HAWD, 78, 84, 124, 186, 460 Hawiiye, 17, 20, 28, 31, 32, 33, 46, 52, 53, 67, 164, 191, 194, 195, 196, 202, 212, 219, 416 Hawker Hunter FGA9, 34 HAWL WADAAG (degmo), 37 HAy’adda Nabadgalyada GAaSHaandhiga Voir HANGASH Haybe Cumar Jaamac (colonel), 77 Haybe Cumar Magan, 319 Haylä-Makarios, 208, 265 HCR, 40, 231 ḤEJJAZ, 334, 465 Hempstone, Smith, 232 Henrioul, Jeau (généralmajor), 396 Hergaanti, 192 Heshiis, 21 Heshiiska ganacsiga, 21 Heshiiska Nabadda Mudug, 353 Hezbiya Dastur Mustaqil alSumal (HDMS), 194 Hezbiya Digil-Mirifle (HDM), 194 HIGLE (camp de), 156 HIIRAAN (gobol), 33, 35, 188, 384, 418, 441, 477 Hiraab (iimaan des), 486, 489, 490, 506 Hiraab, 420, 486 Ḥizbu-llāh, 239 Hoar, Joseph P.(général), 390 HOBYO, 13, 14, 288, 357, 418, 422, 472, 486 HODAN (degmo), 103, 374, 382, 386 HONGRIE, 208 Horseed (milice), 336 Horsel, 200 Horyaal (front), 271 hôtel CRUCE DEL SUD, 40 hôtel GA’AYTE, 155 hôtel GUULEED, 94 hôtel HORSEED, 342 hôtel KAAH, 420 hôtel KARAMARA, 86 hôtel LAFWEYNE, 49 hôtel MAKKA, 42 hôtel OLYMPIC, 388, 418
hôtel RAMADAN, 340, 342 hôtel SAFARI PARK, 220 hôtel SAHAFI, 377 hôtel TAWFIQ, 421 hôtel WEHELIYE, 41 Howe, Jonathan T. (amiral), 291, 303, 329, 354, 356, 358, 359, 363, 369, 370, 372, 376, 380, 397, 401, 429 Huney Welfare Society Voir HWS Hurdiyo, 271 Ḥusnī Mubārak, 393, 431, 459 Hussein Moallim Mohamed, 430 HWS, 341, 342 Ibraahiimiya, 341 Ibraahin Cabdullaahi Xuseen Dhegaweyne (colonel) Voir Ibraahin Dhegaweyne (colonel) Ibraahin Caydiid, 75 Ibraahin Dhegaweyne (colonel), 168, 169, 171, 173, 174, 175, 179, 180, 237 Ibraahin Madar (sheekh), 78, 112, 117, 175, 179, 215, 224, 301, 309, 312, 315, 316 Ibraahin Maygaag Samatar, 113, 179 Ibraahin Rooble Warfaa Doonyaale, 153 Ibraahin sheekh Cali sheekh Yuusuf sheekh Madar (sheekh) Voir Ibraahin Madar (sheekh) Ibraahin sheekh Maxamed, 513 Ibrāhīm Bišārī, 95 Ibrāhīm Ṣāleḥ Bakr, 209, 211 IFKA XALANE (camp), 36, 44, 216 IGADD, 97, 225, 454, 496 IGLF, 85, 270, 271 IMPERIALE (via), 376 Imtiaz Shaheen (brigadier général), 226, 227, 241, 246 Ina Ciisman Garyare Abu Jabr (lieutenant-colonel), 156 INDE, 208, 254, 429, 436, 502 Inderfurth, Karl F., 494 INDONESIE, 226 International Ingineering Consultants, 283 International Islamic Relief Organization (IIRO), 146, 149, 340
International Medical Corps (IMC), 205 IRAN, 417 IRAQ, 29, 32 IRLANDE, 424 Islaax, 55, 66, 146, 198, 203, 267, 293, 297, 340, 348, 421, 464, 465 Islamic Solidarity Party of Western Somali, 344 Islamic Union of Western Somalia, 344 ISLANDE, 243 Ismaaciil Bullaale, 513 Ismaaciil Jimcaale Cosoble, 42 Ismaaciil Maxamuud Hurre Buubaa, 117 Ismaaciil Muuse (caaqil), 123, 185, 324 Ismaaciil xaaji Nuur, 121 Ismaël Ali Yusuf, 118 Ismaël Omar Guelleh, 86, 88, 89, 270, 342, 453 Ismat ʿAbd al-Majīd, 459 Ismat Taha Kittani Voir Kittani Ismat T. ISRAËL, 284 Issa and Gurgura Liberation Front Voir IGLF Issaiyyas Afäwärqi, 98 Isxaaq Maxamed Warsame Dheere (colonel), 63 Isxaaq, 16, 20, 27, 29, 31, 41, 46, 52, 59, 81, 83, 87, 92, 112, 115, 129, 146, 161, 163, 179, 194, 311, 313, 320, 452, 466 Italie, 28, 29, 31, 34, 38, 58, 89, 91, 97, 107, 244, 254, 262, 339, 398, 424, 501, 502, 506 Itixaad, 56, 65-6, 142, 144, 146-7, 152, 154-5, 162-3, 198, 201, 203, 266, 293, 301, 312, 338, 340, 343, 345, 348, 385, 464-6, 478 Itixaad al-islaami ee Soomaaliya galbeed, 344 Jaamac Cali Cilmi (colonel), 169 Jaamac Cali Jaamac, 140, 143 Jaamac Ismaaciil Muuse, 185 Jaamac Maxamed Qaalib Yare (général), 47, 123, 325, 455, 457, 462 Jaamac Rabiile Good, 76, 117, 170
Jabhadda Diimuqraadiga Badbaadinta Soomaaliyeed Voir SSDF Jacqmin, Marc (colonel), 273, 276 Jalalaqsi, 384, 441, 552 Jamāʿa al-‘islāmīya, 238 jamaʿa al-muslimīn, 148 JAMAAME, 65 Jamciya islaamiya, 465 jameecoyin, 192, 194 James Keough Bishop, 38 Jamhuuriyadda Dimuqraadiga Soomaaliya, 15 Jamhuuriyadda Soomaaliland, 115 JAPON, 208, 424 JARIIBAN, 357 JASIIRA, 216, 440, 552 JEDDA, 162, 270 J elible, 279 Jeremiah, David G. (amiral), 390 Jibraahiil, 119, 325 Jibril Abokor, 76, 77, 78, 132, 168, 180 JIDAALI, 552 JIDHI, 310, 552 Jidwaaq, 310, 448 JIGJIGA, 448, 460 Jihād, 66, 147, 156, 344, 346 JIIDALI, 183 Jiilaal, 70, 78, 528 Jijeele, 196 Jilib, 19, 22 JILIB, 64, 65, 221, 274, 276 Jiroon, 20 Johnston, Robert (lieutenant général), 258, 259, 269, 274, 280, 360, 364 Joint Special Operations Command Voir JSOC Jonah, James, 206, 207, 210, 211, 213, 242, 244, 474 JORDANIE, 226 JOWHAR, 35, 40, 340, 552 JUBBADA DHEXE (gobol), 65, 190, 192, 423, 485 JUBBADA HOOSE (gobol), 65, 190, 199, 221, 273, 357, 423, 444, 447, 448, 449, 485, 490 JULES VERNE (navire-atelier), 38 Kaaraan (degmo), 37, 107, 423
kāfir, 347 KAM ABOKOR/KAAM A BOKOR, 552 Kamran Niaz, 494 KAMSUUMA, 221, 552 Kaptanle, 135 Kapungu, Leonard, 293, 297, 331, 376, 388, 474 KASA BOBOLARE (xaafad), 337 Kassebaum, Nancy, 228 Keating, Colin, 494, 501 KENYA, 40, 53, 55, 97, 189, 202, 220-2, 230, 232, 237, 339, 406, 430 Kenya Airways, 36 Khaatimo, 311 Khadiija Macalin Ismaaciil, 16, 30 Khalid bin Sultan, 244 KHARṭUM, 283, 338, 348, 405 Khumaīnī (imām), 145 KILAAL, 185 KISMAAYO, 20, 50, 52-4, 56, 58, 64-65, 68, 96, 101, 108, 110, 190, 199, 205, 207, 212, 215, 221-2, 227, 231, 234-8, 240-1, 254, 258, 261, 266, 271-6, 281, 283, 285, 288, 294, 296, 340, 350-2, 355, 356-7, 366, 383, 396-7, 410, 418, 431-2, 436, 444-5, 447-8, 466, 477, 485, 491, 497, 506 Kissinger, Henry, 253 Kittani, Ismat T., 217, 243, 246, 247, 248, 255, 259, 260, 263, 265, 269, 277, 303, 351 Kooxda Cabdulqaadir Gacamey (sheekh), 65, 149 Kouchner, Bernard, 59, 244, 306 Kouyate, Lansana, 294, 303, 331, 333, 351, 353, 367, 376, 391, 429, 431, 432, 433, 441, 453, 478, 482 KOWEÏT, 29, 32, 57, 254 KOYAAMA (île), 387, 399, 484, 552 Krauss, Hansi, 377 KULAAL, 181, 552 Kulanka, 175, 176, 178 Kulanka nabadeed, 175, 176 Kunder, James, 174 Kūwayt Voir Koweït Lā jama’a, 67 LA MECQUE, 162
MOTTE PICQUET LA (frégate), 38 LAANTA BUUR (prison de), 138 LAAS CAANOOD, 75, 76, 102, 147, 161, 169, 177, 331, 332, 422, 474 LAAS QOREY, 13, 121, 122, 161, 162, 163, 301, 345, 467, 475 LABATAN JIROW (prison de), 50, 138 Laba-tolle, 76, Voir Cabdiraxmaan aw Cali Faarax Ladsous, Hervé, 494 LAFWEYNE, 67 LAGOS, 222 Lake, Tony, 303 LE CAIRE, 34, 55, 393 Leelkase, 30, 63, 138, 139, 356, 446 Lemkin, Raphael, 500 Lesanä Yohannès, 265 Leysaan, 20 LIBOI, 31, 221, 236, 422, 552 LIBYE, 29, 37, 57, 64, 97, 100, 108, 416, 418 LIGNE VERTE, 421 Ligue arabe, 29, 93, 97, 207, 209, 214, 245, 393, 429, 459, 492, 502 Ligue des États arabes Voir Ligue arabe Liibaan I, 321, 322, 451 Liibaan II, 458 Liibaan Jaamac Rabiile Good, 81, 283 Linden Meier, Elisabeth, 485 Loi, Bruno (général), 381, 397 Lookheed AC-130 Spectre Voir AC-130 Spectre LOWYADA, 552, Voir Loyada LOYADA, 82, 88, 89, 310 LUGHAYA, 83, 176, 552 LUUQ, 28, 195, 198, 199, 200, 201, 202, 220, 340, 343, 396, 552 LUUQ GOOBEY, 201 MAAKHIR, 13, 326 Maalintii Rangers, 389, 405 maamul degmada, 383 maamul gobolka, 383 Macgruder, Lawson (general), 276 Macharia, Anthony, 377
Mad Abdi Voir Cabdi Qeybdiid Mad Mullah, 14 Madhibaan, 20 MADINA (hôpital de), 92, 418 (degmo), MADINA/WADAJIR 67, 422, 423, 487 Madoobe, 119 Madrisiya, 343 Mafia, 48, 381, 416 mag, 19, 22 Magan, 119 Mahachi, Moven, 429 Mahawai, 446 Mahdī Muṣṭafā al-Hādī, 209, 210 Mahmud Haji Mohamed (général), 430 Maina, Hos, 377 Majeerteen, 13, 14, 16, 20, 30, 31, 51, 53, 63, 64, 92, 97, 135, 156, 235, 274, 357, 409, 417, 456, 472, 474, 476, 486 majlis aš-šūrā, 161 Majmaca Culimada islaamka ee Soomaaliya ou Majmaca Culimada Soomaaliyeed, 336 Makabul, 444, 448 MAKKA (xaafad), 440 Maktaab, 149, 151, 163, 164 maktab al-khadamāt, 347 MALAISIE, 254, 307, 389, 424, 502, 506 Mälläs Zénawi, 98, 265, 411, 412, 502 Mamaasan, 83, 86 MANDERA/MANDHEERA (Kénya), 40, 54, 198, 220, 222, 236, 237, 396, 553 MANDHEERA (prison et camp de), 32, 40, 173, 328, 329, 330, 553 Mängestu Haylä-Maryam, 68, 85, 98 Mani pulite, 305, 381 Manifesto, 28, 34, 55, 137, 142, 320, 477 Manifesto (groupe du), 28, 30, 32, 37, 41, 49, 209, 244, 262 Mapuranga, Machivenyika, 209, 210 MAREEG, 486 MAREERO, 158, 553 Mareexaan, 16, 20, 30, 31, 49, 51, 53, 65, 66, 105, 138,
139, 188, 189, 190, 194, 196, 201, 217, 221, 235, 255, 272, 296, 417, 443, 445, 446 MARIA, 418 Marines, 436 MARKA, 35, 44, 66, 149, 151, 164, 199, 203, 222, 234, 237, 261, 267, 282, 286, 340, 352, 384, 385, 410, 432, 437, 438, 439, 491 MAROC, 208, 226, 254, 307, 372, 424 Marocchino, Giancarlo, 386 MARTINI (plage), 108 marya alool, 469 Maslax Maxamed Siyaad (général), 16, 51, 55, 64, 96 MATABAAN, 441, 553 Mataitini, Neulodole (major), 210 Mathaba international, 57 Matthew Ngulube, 409 MAXAAS, 384 Maxamed Abokor, 95, 117 Maxamed Abshir Muuse (général), 29, 46, 50, 52, 63, 102, 138, 142-4, 152, 153, 154, 156, 159, 215, 224, 237, 249, 262, 268, 289, 296, 3556, 358, 366, 431, 448, 457, 465-6, 474-6, 478-9 Maxamed Abshir Waldo, 143, 163, 477 Maxamed Axmed, 513 Maxamed Axmed Cabdulle, 326 Maxamed Axmed Cumar Gadhyare (sheekh), 420 Maxamed Axmed Ibraahin Cilkacase, 319 Maxamed Axmed Ibraahin Shiide (colonel), 116 Maxamed Cabdalla Biixi (colonel), 169 Maxamed Cabdelqadiir (suldaan), 325 Maxamed Cabdi (colonel), 180 Maxamed Cabdi Cali Bayr, 323 Maxamed Cabdi Dimbiil, 332 Maxamed Cabdi Hamus Nine, 323 Maxamed Cabdi Xaashi, 268, 296, 443, 459 Maxamed Cabdi Xasan, 513 Maxamed Cabdi Yuusuf, 293
Maxamed Cabdille Xasan (sayid), 14 Maxamed Cali Biyar, 320 Maxamed Cali Caateeye, 320, 454 Maxamed Cali Daahir, 162 Maxamed Cali Ibraahin, 338 Maxamed Cali Samatar, 27 Maxamed Cali Shire, 169, 177, 326 Maxamed Cali Warsame, 118 Maxamed Cali Xaamud, 105, 513 Maxamed Cali Xamid (xaaji), 279 Maxamed Cali Yalaxoow (colonel), 513 Maxamed Caydiid (général), 31, 33, 37, 42-4, 46, 47, 64-5, 92, 98, 103, 106, 157, 190, 197, 207, 211, 213, 219, 225, 247, 255, 268, 272-3, 293, 296, 334, 336, 350-1, 367, 390, 401, 410-1, 416, 433, 453, 457, 476-7, 490-1, 495, 497 Maxamed Cigaal, 41, 47, 81, 94, 96, 105, 127, 317-8, 324, 329, 331, 407, 430, 435, 451, 453, 455-7, 459, 464, 466, 468, 474, 503, 513 Maxamed Ciise, 168 Maxamed Cismaan Axmed, 120 Maxamed Cismaan Cali, 270 Maxamed Cumar Jaamac Dhigic-Dhigic, 477, 480 Maxamed Cumar Xabeeb (sheekh), 162 Maxamed Daahir Xirsi, 94 Maxamed Dheere (colonel), 162 Maxamed Ducaale Qoorsheel, 120 Maxamed Faarax Cabdullaahi Asharo, 81, 268, 283, 296, 443, 457, 459 Maxamed Faarax Jimcaale, 224 Maxamed Faarax Warsame, 224 Maxamed Faarax Xasan Caydiid (général) Voir Maxamed Caydiid (général) Maxamed Garaad, 474 Maxamed Ibraahim Axmed Liiqliiqato, 387, 490 Maxamed Ibraahin Bullaale, 319
Maxamed Ibraahin Cigaal Voir Maxamed Cigaal Maxamed Islaan Muuse Islaan, 472 Maxamed Jaamac Afbalaadh, 513 Maxamed Jibriil Muuse (major-général), 30, 142 Maxamed Kaahin, 342 Maxamed Kaahin Axmed (colonel), 75, 117, 130, 131, 132, 168, 169, 170, 184 Maxamed Khaliif Shire, 224 Maxamed Macalin Xasan (sheekh), 336 Maxamed Macallin Xasan, 279, 338 Maxamed Moorgan (général), 16, 33, 44, 51, 62-3, 72, 129, 188, 190, 191, 212, 215, 217, 221, 235, 237, 254, 266, 272, 275-6, 294, 297, 349, 397, 417, 439, 443-445, 447-8, 477, 497 Maxamed Nuur Galaal (général), 35, 43, 44, 103, 440 Maxamed Nuur Guutaale Dhalbas, 392 Maxamed Nuur Ileey, 514 Maxamed Nuur Yalaxoow (colonel), 197, 234, 261, 268, 278, 279, 296, 443, 457 Maxamed Qanyare Afrax, 210, 268, 296, 443, 458, 496, 507, 513 Maxamed Qodax Barre, 513 Maxamed Raagis Maxamed, 268, 282, 296, 443 Maxamed Ramadaan Arbow, 268, 282, 296 Maxamed Rashiid Cismaan Af Caddey, 162 Maxamed Saciid Maxamed Gees, 323 Maxamed Salaad Axmed, 513 Maxamed Salaax Nuur, 163 Maxamed sheekh Guuleed, 513 Maxamed sheekh Xasan, 513 Maxamed Siciid Cilmi, 47 Maxamed Siciid Ciyoow Gentleman, 37 Maxamed Siciid Samatar Gacaliye (général), 188 Maxamed Siciid Xirsi Moorgan (général) Voir Maxamed Moorgan (général)
Maxamed Siyaad Barre (général) Voir Siyaad Barre Maxamed Subeer, 31, 51, 53, 164, 188, 190, 234, 349, 443, 444, 445, 446, 447, 448 Maxamed Xaaji (sheekh), 162 Maxamed xaaji Aadan, 478 Maxamed xaaji Cali Xasan, 270 Maxamed xaaji Yuusuf, 198 Maxamed Xaashi Cilmi, 312, 317, 469 Maxamed Xaashi Gaani (général), 40, 62, 63, 101, 188, 218, 219, 220, 237, 255 Maxamed Xasan Cabdullaahi Jidhif (colonel), 180 Maxamed Xasan Cawaale, 210, 241, 247, 248, 378, 388, 426, 427 Maxamed Xasan Dawaare, 513 Maxamed Xasan Ducaale, 326 Maxamed Xasan Jaamac Cali Bacayr, 326 Maxamed Xawaadle Madar, 41, 312 Maxamed Xuseen Caddow, 514 Maxamed Yuusuf Aadan, 61 Maxamed Yuusuf Wayrax, 477 Maxamuud Axmed Cali, 184 Maxamuud Cabdi Cali Bayr, 321 Maxamuud Cabdi Nuur, 39 Maxamuud Ciise Abuu Muxsin (sheekh), 156, 164 Maxamuud iimaan Cumar (iimaan) Voir Hiraab (iimaan des) Maxamuud Maxamed Xaashi Shabeelle (lieutenantcolonel), 35 Maxamuud Yuusuf Aadan Muuro, 139 Maxkamadda Badbaadada Qaranka, 188 MAYDH, 121, 163 Médecins du monde, 333 Médecins sans frontières (MSF), 205 Medina (degmo), 203, 440 Mercenaires, 34 Mercier, Philippe (général), 394
Mercy International Relief Agency Voir MIRA Midgaan, 20 Milliano, Jacques de, 238 Minsale, 119 MIRA, 202 Mire Cismaan Weheliye Indhayare, 109 Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), 500 Mitterrand, François, 261, 374 Miyaad Nuur, 84 Moblen, 420 MOD, 51 Mohamad Yusuf Haji, 430 Mombasa, 54, 55, 58, 232, 238 Montgomery, Thomas (major général), 304, 305, 359, 360, 380, 390, 401 Mooryaan, 52, 245, 257, 265 Moose, George, 298, 303, 401 Morace Maresca, Mario, 107 Moss (Society), 54 Moumin Bahdon Farah, 93, 269 Mouvement populaire de libération (MPL), 87, 270 MSF, 104, 242, 286, 333 Muʿammar al-Qaḏḏāfī (colonel), 37, 57, 100, 418 Muʿammar al-Qaḏḏhāfī, 38 MUDUG (gobol), 30-31, 33, 102, 136, 139-140, 142-143, 151, 153-154, 157, 298, 353, 357, 399, 423, 472, 474-5, 479, 486 Mudulood, 420, 486, 487, 503 Muhamed Saïd Barry, 208 Muḥammad ʿAbd us-Salām Fa-raj, 348 Muḥammad Saḥnūn, 174, 217, 223, 225, 226, 227, 228, 233, 239, 240, 241, 242, 243, 244, 245, 246, 247, 248, 269, 280, 299, 300, 303, 351, 482 MuḥammadʿĀṭaf, 348 Mujaffar al-Ḥuseynī, 283 Mujtamaca al-Culamaa, 338 Muktar Maxamed Xuseen (sheekh), 96 MUNAWARA, 420 MUQDISHO, 13, 28, 33, 40, 65, 91, 92, 94, 101, 108, 149, 162, 164, 198, 200, 203, 207, 226,
227, 231, 240, 258, 266, 276, 281, 312, 340, 341, 354, 383, 385, 390, 404, 410, 415, 418, 420, 436, 441, 466, 475, 485, 491, 495 Muqdisho Port Operation Corporation, 439 MUQDISHO STADIUM, 30 Muqdisho Water Supply Project, 442 Muruursade, 20, 37, 48, 100, 109, 203, 261, 267, 274, 296, 416, 418, 420, 421, 441, 443, 486, 487, 507 Museveni, Yuweri, 38, 68, 453 Muslim World League, 146, 149, 312, 340 Muslim Youth Union, 465 MUSTAHIL/MUSTAXIIL, 31, 34, 46, 553 Muumin Cumar, 513 Muuse Abokor, 168 Muuse Biixi Cabdi (colonel), 131, 132, 317, 320, 330, 454, 463 Muuse boqor Yuusuf, 41 Muuse Cabdalla, 174 Muuse Islaan Faarax, 105, 138, 513 Muuse Ismaaciil, 122 Muuse Jaamac Goodaad (sheekh), 170, 312 Muuse Rabiile Good, 76, 117 Muuse sheekh Jaamac Goodaad (suldaan), 312 Muuse Suudi Yalaxoow, 67 Muuse Xasan Bidix, 171 Muuse Xasan Sheekh, 61 Nabad Sugida Soomaaliyeed Voir NSS NAIROBI, 222, 231, 286, 342, 431 NAIROBI (déclaration de), 434, 493 NAKURU, 430 NASRUDDIIN (camp), 145 National Islamic Front (NIF), 146, 283, 338, 347 National Security Court, 188 National Security Service (NSS), 30 Natural survival of the regions, 412 Navy SEALs, 38 Nelson, Jim (major), 299 NIGERIA, 97, 222, 378, 494
NORTH EASTERN PROVINCE, 339 North Petroleum Development Corporation, 283 North-East Somalia State, 480 NORTHERN FRONTIER DISTRICT, 12 NORVEGE, 243, 309, 424 NOUVELLE-ZELANDE, 494 NSS, 30, 51, 142 NUGAAL (gobol), 102, 136, 139, 140, 143, 153, 154, 353, 398, 472, 474, 476, 479 NUGAAL (webi), 13 Nunn, Sam, 387 Nuur Aadan Cabdiraxmaan, 341 Nuur Cumar, 126 Oakley, Robert, 255, 258, 262, 269, 275, 277, 297, 299, 300, 303, 312, 336, 360, 390, 398, 401, 411, 430 Odaxgob, 83, 84, 86, 269, 270 Ogaadeen, 12, 20, 25, 31, 51, 53, 61, 66, 71-2, 92, 97, 105, 110, 138, 164, 186, 189, 191, 194, 234-5, 282, 445, 448 OGADEN, 14, 25, 35, 164, 256, 273, 335, 341, 344-5, 467 Ogadén (guerre de l’), 16, 287 Ogaden Islamic Union (OIU), 343, 344 Ogaden National Liberation Front (ONLF), 344 Ogayslabe, 326 Ognimba, Emile, 211 OMAN (sultanat d’), 26, 57, 97, 165 ONG, 257 ONLF, 344 ONUSOM, 176, 180, 238, 247, 248, 249, 311, 378, 492 ONUSOM I, 223, 252, 253, 259, 265 ONUSOM II, 265, 299, 301, 304, 350, 351, 354, 355, 366, 417, 425, 433, 440, 458, 496 OODWEYNE, 177, 553 OOG, 75, 76, 122, 553 Ooji, 192 Opération des Nations unies en Somalie Voir ONUSOM Organisation de la Conférence islamique (OCI), 97, 209, 214, 338, 393, 502
Oromo Liberation Front (OLF), 270 Oromoo, 12, 71, 72, 192, 270 Oryx (opération), 257, 260, 262, 306 OSTHACO, 102 OTAN, 299 OTO Melara, 305 OUA, 97, 209, 214, 225, 393, 429, 454, 502 OUGANDA, 202, 339, 353, 430 Overseas Development Agency, 167 OXFAM, 166, 242, 333, 423 Pacifico, Claudio, 58 PAKISTAN, 254, 362, 389, 429, 494, 502, 506 Parti national démocratique (PND), 270 Partito Socialista Italiano (PSI), 381 PAYS-BAS, 424 Pêche illégale, 158 Pelletier, Jacques, 59 Pérez de Cuéllar, Javier, 206, 225 PESHAWAR, 145 Piccoli, Flaminio, 107 Pilliteri, Paolo, 305, 381 PK4, 337 PNUD, 410, 440 Powell, Colin (général), 252 Programme alimentaire mondial (PAM), 207, 231, 285, 286, 329, 442 Provide Relief (operation), 232 PSI, 416 Pumpalova, Martinka, 155, 266 qaad, 199, 200, 310 QÄBRI DÄHAR/QABRI DAHARE, 35, 256, 553 Qāʿida, 22, 146, 202, 338, 343, 346, 348, 405 QÄLLAFO/QALLAAFO, 256, 553 QANSAXDHEERE, 286, 384 QAR ADAG, 553 QAR SHEEKH, 553 QARARRO, 73, 120, 553 QARDHO, 137, 384, 473, 476, 478, 479, 480 QAṭAR (émirat du), 57 w Qey K okeb (division), 345 Qoow, 145, 149, 156, 161, 553
QORYOOLE, 151, 388, 553 QRF, 370, 372, 374, 376, 441 Quarantino, Salvatore Iacono (lieutenant-colonel), 380 Quick Reaction Force Voir QRF QULJEED, 72 Raaqiya Cumar, 243 RAAS KAMBOONI, 66, 164, 198, 199 RABDHUURE, 384 Radio Halgan, 138 Radio Hargeysa, 115 Radio Maanta, 359 Radio Muqdisho, 44, 216, 359, 362, 370, 387, 483 Radio Somaliland, 115 Raffaelli, Mario, 108 Rannberg, Michael, 437 Rashdorf, Horst, 439 Rashiid suldaan Cali Ducaale (suldaan), 185 Rassemblement populaire pour le progrès (RPP), 86 Raxanweyn, 20, 92, 192, 196, 212, 217, 219, 221, 278, 280, 443 reer Cabdille, 164 reer Cabdiraxmaan, 42 reer Dalal, 62, 63 reer Diini, 62, 63 reer G eddi, 269 reer Guuleed, 192 reer Hersi, 472 reer Hilowle, 102 reer Isxaaq, 469 reer Jalaf, 31 reer Kool, 269 reer Kooshin, 62 reer Maxamuud, 472 reer N uur, 76, 78 reer Shabeelle, 109 reer Woqooyi, 52, 80 reer Xamar, 282 reer Xasan, 188 Réfugiés, 27, 31, 33, 50, 53, 54, 55, 66, 70, 72, 82, 87, 104, 144, 146, 170, 198, 201, 218, 230, 231, 236, 237, 240, 291, 302, 396, 408, 409, 426, 428, 430, 449, 454, 460, 461, 464 RENTZ, 385 Résolution 733, 208, 210, 214, 302 Résolution 734, 259
Résolution 746, 214 Résolution 751, 216, 236 Résolution 767, 227 Résolution 775, 236 Résolution 794, 254 Résolution 814, 302, 358, 425, 483 Résolution 837, 367, 375, 379, 408 Résolution 885, 408, 426, 427, 483 Résolution 886, 408 Résolution 897, 427 Résolution 953, 494 Résolution 954, 496, 501 Restore Hope (operation), 203, 254, 259, 264, 265, 272, 280, 281, 284, 341 Rimfire, 167, 288, 289, 311, 454 RIYAḍ, 317 ROYAUME-UNI, 29, 238, 254, 329, 339, 424, 468, 501, 506 RUSSIE (fédération de), 494 RWANDA, 395, 500 SAAKOW, 261, 448, 553 Saalax Axmed Jaamac, 328 Saalim Yalaxoow Ibroow, 513 Sab, 20, 192 Sacad Muuse, 41, 76, 78, 131, 132, 168, 171, 173, 179, 180, 462, 463, 465, 467 Sacad, 31, 33, 43, 66, 102, 136, 157, 355, 357, 420, 421, 440 Saciid Bidaar, 322 Saciid Cawad Baxar, 75 Saciid Ismaaciil Garxajis, 322 Saciid Mohamed Garasse (suldaan), 154 Saciid Xuseen, 350 Saddam al-Ḥuseynī, 283 Ṣaddām Ḥusayn, 57, 233 SAGAG/SEEGEG, 345, 553 Sagule Xirsi, 117, 172 ALEYKUM SALAAMA (mosquée), 339 Saleebaan Gaal, 94, 114, 117, 130, 132, 167, 170, 179, 319 Saleebaan garaad AwDaahir Afqarshe (garaad), 75, 321, 326 Saleebaan Maxamuud Aadan Gaal Voir Saleeban Gaal
Saleebaan, 48, 257, 399, 420, 439 Saliid, 161, 553 Salim Ahmed Salim, 206 Salleo, Ferdinando, 398 Salmān Bashīr, 211 Salvation Council, 431 Samaale, 192 Samīr Ḥusnī Atteye, 210 SAMO, 268, 282, 296, 493 ṢANʿA’, 89 SANAAG (gobol), 114, 119, 120, 121, 123, 144, 151, 152, 157, 310, 322, 324, 325, 331, 474-5 Sanbuur, 313 SANNIRGOOD, 123, 186, 553 SARAAR, 553 SARAAR (plaine de), 124 šarīʿa, 113, 199, 200, 297, 326, 421 Saruur, 37, 420 SATAWA WEYNE, 146, 151, 553 SAUDI A RAMCO, 283 Save the Children, 104, 205, 329, 333, 388 Sayyid Quṭb, 347 Scialoja, Mario, 397 Scowcroft, Ben, 252 SDF, 431 SDM, 92, 93, 97, 106, 191, 194, 195, 196, 217, 220, 221, 222, 234, 261, 268, 282, 296, 449, 492 SDM-Asali, 197, 279 SDM-fondamental, 197 SDM-SNA, 197, 278, 279 SDRA, 327 SERBIE, 418 SEYCHELLES, 242 SEYLAC, 13, 78, 83, 170, 176, 310, 454, 460, 553 Seyum Mesfen, 407 Seyyé Abreha, 345 SHABEELLAHA DHEXE (gobol), 337, 384, 398 SHABEELLAHA HOOSE (gobol), 31, 40, 192, 217, 384, 440 SHACAB, 112 Shariif Cabd el-Nuur, 339 SHARJAH, 147, 469 SHEBELLEY (camp de), 85 SHEEKH, 70, 168, 169, 172, 177, 178, 464, 553 SHEEKH (shir de), 179, 315
SHEEKH ABDAL, 173, 553 CABDULCASIIS SHEEKH (degmo), 30 SHEEKH CALI JAWHAR (école), 310 Sheekhaal, 48, 420, 421, 486 SHIBIS (degmo), 423 Shide Axmed Rooble, 270 SHILABO/SHILAABO, 35, 222, 553 SHIMBIRAALE, 182, 183, 184, 553 SHINILE/SHINIILE, 271, 553 Shirka Nabadda iyo Nolosha ee Garoowe, 473 Shirka Walaalaynta Beelaha Waqooyi, 78, 111 Shughart, Randall D. "Randy", 389 Shukri Xariir Ismaaciil, 177 SICA (frégate), 39 Sica, Mario, 32, 58, 107, 108, 206, 381 Siciid Cabdi Cabdullaahi, 342 Siciid Cali Giir, 74 Siciid Maalin, 342 Siciid Maxamed Ismaaciil Bidaar, 184, 185 Siciid Maxamed Orfaane (sheekh), 156 Siciid Maxamed Raage Aadan, 479 Siciid Maxamed Xirsi Dheere, 479 Siciid suldaan Cali Ducaale, 185 Siciid Xuseen, 445 Sideed Mirifle, 192 Simpson, Daniel, 437 SIPD, 224 SISMI, 381 Siwaaqroon, 119 Siyaad Barre, 15, 30, 33, 37, 39, 41, 49, 51, 63, 92, 190, 220 SNA, 197, 221, 234, 235, 267, 273, 278, 283, 292, 294, 296, 349, 355, 357, 362, 377, 409, 410, 411, 412, 420, 430, 458, 492, 495, 497, 503 SNDU, 139, 224, 268, 293, 296, 356 SNF, 53, 58, 62, 63, 64, 65, 106, 188, 190, 195, 196, 197, 198, 201, 218, 219, 220, 221, 224, 235, 255, 266, 268, 273, 274, 282, 294, 296, 349, 350, 430, 449, 492
SNM, 16, 26, 29, 33, 34, 36, 44, 47, 58, 64, 69, 70, 71, 74, 85, 88, 92, 106, 118, 119, 128, 129, 179, 180, 181, 194, 234, 248, 265, 287, 294, 316, 321, 350, 435, 459, 490, 503 SNM (congrès du), 74 SNU, 268, 282, 296, 493 SOAR, 388 Socialist Workers Party, 132 Somali Abbo Liberation Front (SALF), 344 Somali African Muke Organisation (SAMO) Voir SAMO Somali Airlines, 36, 57 Somali Coast Policy, 13 Somali Democratic Alliance (SDA), 79, 81, 97, 224, 268, 283, 296, 457, 459 Somali Democratic Movement Voir SDM Somali Intellectuals for Peace and Democracy Voir SIPD Somali Liberation Army (SLA), 221, 234 Somali National Alliance Voir SNA Somali National Democratic Union (SNDU) Voir SNDU Somali National Front Voir SNF Somali National Movement Voir SNM Somali National Petroleum Corporation(SNPC), 283 Somali National Union (SNU) Voir SNU Somali Peace and Resettlement Organization (SOPRO), 224 Somali Relief Association, 333 Somali Relief Society (SRS), 224 Somali Salvation Alliance (SSA) Voir SSA Somali Salvation Commitee, 170 Somali Youth League, 28 Somalia Aid Coordination Body (SACB), 495, 496 Somalia Development and Relief Agency (SDRA), 324 SOMALILAND, 14, 20, 81, 96, 108, 113, 147, 203, 224, 249, 301, 407, 456, 493 Somalphone, 227 Soobe, 194
SOOL (gobol), 114, 119, 121, 124, 144, 147, 151, 152, 310, 474 Soomaaliweyn, 15, 16, 115 SOS villages d’enfants, 104 SOUDAN, 38, 97, 339, 353, 406, 416, 417 South Somali National Movement Voir SSNM Southern Air Transport (SAT), 232 Special Activities Division, 254 SPM, 33, 34, 44, 47, 92, 93, 96, 97, 106, 110, 188, 215, 222, 224, 234, 261, 268, 296, 449, 457, 492 SPM-Gabiyow, 218, 235, 282, 293, 297, 445, 447 SPM-Jees, 190, 218, 274, 276, 349, 350, 366, 430, 446 SSA, 420, 431, 432, 438, 439, 442, 477, 493, 495, 497, 503 SSDF, 16, 49, 53, 63, 64, 92, 93, 96, 97, 100, 131, 139, 154, 159, 161, 224, 237, 248, 249, 262, 266, 268, 282, 296, 298, 301, 331, 357, 431, 457, 471, 477, 479, 490 SSDF Emergency Committee, 154, 256 SSNM, 221, 234, 261, 268, 282, 296, 433, 437, 438, 457, 493 SSNM-SNA, 438 STADIO CONI, 30 SUEDE, 243, 339, 424 SUISSE, 57 Šukrī Muṣṭafa, 148 Suldaan Cabdisalaan, 122 Suleymaan Maxamuud Aadan Gaal Voir Saleebaan Gaal Sulux, 41, 56 SYRIE, 57 Tabliiq, 339 Takfīr, 148 Takfīr wa-l-hijra, 148 TANA (fleuve), 240, 282 TANZANIE, 430 Tarīq bin Ziyad (camp), 345 Tawfīq, 178 Tayye-Brook Zerihun, 210 TCHECOSLOVAQUIE, 226 Technicals, 79, 180, 257, 345 Tell, Serge, 306, 312 THIKA, 220
Tiknika, 257 Tim Osman, 347 T inle, 135 TIYEEGLOOW, 263, 279, 384, 553 TNC, 295, 376, 398, 411, 423, 446 Toddobadi aw Digil, 192 TOG WAJAALE, 27, 553 TOGDHEER (gobol), 102, 114, 119, 121, 325 Tolbadane, 76 Toljecle, 313 TOMASELLI (ligne), 357 TOON, 462, 553 TOQOSHI, 310, 553 Towfiiq, 178 Transitional Charter Drafting Committee, 295, 383 Transitional National Council, 434, Voir TNC Tubman, Winston, 409 TULLI, 77 Tumaal, 20 Turkī al-Faīṣāl, 145 Turnkey, 166 Turre, 119 U.S. Central Command (CentCom), 254 Ujejeen, 420 Ul-hay, 192 UNDP, 311, 329 UNHCR, 27 UNICEF, 166, 231, 242, 266, 311, 329 Unified Task Force Voir UNITAF UNION SOVIETIQUE, 16, 29, 97, 145 UNITAF, 255, 259, 275, 278, 281, 304, 337, 349, 482 United Nations Operation in Somalia Voir ONUSOM United Shield, 507 United Somali Congress Voir USC United Somali CongressPeace Movement Voir USCPM United Somali Front Voir USF United Somali Party (USP) Voir USP UPPSALA, 223 USAID, 167, 329, 464 Usāma ben Lāden, 145, 146, 239, 338, 343, 346, 405
USC, 17, 29, 34, 36, 52, 64, 65, 93, 96, 105, 118, 142, 154, 163, 175, 189, 197, 214, 220, 224, 247, 268, 296, 375, 492, 496 USC (congrès de), 94 USC-Caydiid, 47, 62, 63, 100, 139, 210, 228, 234, 256, 282, 360 USC-Caydiid, 46 USC-Mahdi, 157, 210, 282, 356 USC-PM, 441 USC-Rome, 49 USC-SNA, 234, 374, 495 USC-SSA, 282 USF, 81, 84, 87, 88, 89, 97, 268, 269, 270, 296, 457, 459 USP, 81, 224, 268, 296, 431, 459, 474 USS GUAM (LPH-9), 38 USS TRENTON (LPD), 38 Van De Weghe, Fred (lieutenant-colonel), 350 Van Den Eynde, Francis, 397 Van Dienderen, Hugo, 397 VENEZUELA, 208 Vetrov, Vladimir, 262 VILLA BAYDHABO, 33 VILLA SOMALIA, 31, 33, 36, 37, 40, 43, 44, 102, 108, 216 Vlaams Blok, 397 WAABERI (degmo), 423 WAAJIT, 263, 286, 384, 449, 491, 553 Wacbuudhan, 261, 416 Wacdaan, 48, 420 Waceysle, 42, 416 Wadaad, 56, 194 Wadaadid Aadan Xasan, 130 (degmo) Voir WADAJIR Madina WADIʿ AL-ḤAJJ, 406 WAJIR/WAJEER, 220, 232, 444 WALDENA, 221, 553 Walsh, Marc, 366 Wang Xuexian, 494 WANLEWEYN, 40, 64, 219, 489, 553 Waranleh, 56 WARDER/WARDHEER, 256, 472, 553 WARDHIIGLE (degmo), 30, 37 Wardiiq, 88 Warren, Christopher, 260
Warsame Axmed Aw-Aadan, 319 Warsame Xirsi, 126 Warsangeli, 13, 20, 53, 72, 75, 76, 78, 112, 115, 117, 120, 121, 122, 123, 124, 126, 135, 144, 161, 162, 163, 182, 184, 235, 301, 311, 313, 321, 323, 328, 446, 452, 456, 459, 472, 474 Wasiilo, 194, 553 Waxda al-Shabaab alIslaam, 338, 465 Webi JUBBA, 164, 191, 199, 271, 351, 415, 423 Webi SHABEELLE, 40, 191, 203, 438, 441 Western Somali Liberation Front Voir WSLF Wilson Ndolo Ayah, 55 WOQOOYI GALBEED (gobol), 114 World Food Program Voir Programme alimentaire mondial (PAM) World Trade Center, 405 WSLF, 86, 344 XAAFUUN (raas), 271 XAAMAS, 463, 553 Xaashi Weheliye Maalin, 41 Xaawadle, 421 Xagaa, 528 Xaladhalay, 186 XALIIMALE, 310, 553 XAMAR, 282 XAMAR JABJAB (degmo), 423 (degmo & XAMARWEYNE xafaad), 40 Xamid (sheekh), 203 Xamuud Axmed Faarax Langadeh, 86 Xarakat al-Islaax, 338 XARARDHEERE, 357 Xariin, 20 XARIIRAD, 310, 553 XARSHIN, 463 Xasan Aadan Wadaadid, 117, 320 Xasan Abshir Faarax, 142, 154 Xasan Alasow (sheekh), 67 Xasan Cabdi Salaan (sheekh), 338 Xasan Cabdullaahi Walanwal Kayd, 75 Xasan Cabdullaahi Xirsi Turki, 164
Xasan Cali Abokor (général), 464 Xasan Cali Mire, 138, 224, 477 Xasan Ciise Jaamac, 116, 132, 167, 168, 170-73, 175, 179, 320 Xasan Daahir Aweys (sheekh), 65, 66, 149, 150, 155, 157, 161, 162-3, 202, 239, 338, 348 Xasan Dembil Warsame, 61, 391 Xasan Gurey, 330 Xasan Maxamed Faarax, 353 Xasan Sheekh Ducaale, 326 Xasan Xirsi (ugaas), 86, 88, 271 Xasan Xumar Rooraye, 224 Xasan Yoonis Habbane (colonel), 132, 168, 171, 173, 175, 330 Xawaadle, 20, 48, 101, 108, 109, 203, 235, 246, 247, 257, 420, 439, 440, 441, 442, 486 xeer, 326 Xiireey Qaasim Weheliye, 37 XIIS, 163
Xirsi, 117 XUDDUR, 196, 236, 262, 263, 286, 288, 306, 307, 384, 491, 553 Xuseen Abokor, 78, 131 Xuseen Axmed Guuleed, 463 Xuseen Cabdulle Oodweyne, 342 Xuseen Cali Ducaale, 466 Xuseen Cali Shiddo, 210 Xuseen Ceelaabe Faahiye, 513 Xuseen Kulmiye Afrax, 416 Xuseen Mahdi Cameey, 513 Xuseen Maxamed Bood, 32, 42, 46, 49, 103 Xuseen Maxamed Faarax, 359 Xuseen sheekh Axmed, 513 Xuseen Xirsi, 224 YAAQSHIID (degmo), 37, 421 YAGOORI, 122, 553 Yasine Xuseen, 320 YEET, 257, 345 YEMEN, 89, 97, 165, 222, 334, 353 Yibir, 20
Patronyme Toponymes Lignages, clans Organisations, traités, termes étrangers
: : : :
YIROOWE, 147, 151, 334, 465, 466, 553 Yitzhak Rabin, 385 YOUGOSLAVIE, 233 YUBBE, 124, 126, 323, 553 Yubbe I, 126 Yubbe II, 126, 183 Yubbe III, 184, 322, 325 YUFLE, 124, 324, 553 Yuusuf Ciise Ducaale Talaabo, 122 Yuusuf Macalin Amiin Baadiyow, 279 Yuusuf Maxamed Cali Tuke, 182 Yuusuf Xirsi (suldaan), 172, 174 Zakaria Cheick Ibrahim (commandant), 88 ZEYLA voir SEYLAC ZIMBABWE, 208, 226, 429, 502, 506 Zinni, Anthony C. (lieutenant général), 506
Romain PETITES CAPITALES Gras italique Italique
G EOLOCALISATION DES T OPONYMES
Orthographe somalie
Amharique/ translittération Orthographe kényane
Abaarso Adhi Adheeye (E) አዲ ፡ አደዬ ፥ [adi adäyé] Araare Arabsiyo Arar Yarey Awaare (E) አዋሬ ፥ [awaré] Awbarre Awdheegle Awr Boogays Ayshaca Baardheere Badhan Balambaale Balcad Balli Doogle Balli Gubadle (E) Bandar Salaan (Geedo) Bandar Salaan (Jubbada Hoose) Beer Xaani Beerdaale Belet Xaawo Boocame Boon Boosaaso Buufow Buuhoodle Buur Leego Cabdulqaadir Cadale Caduur Caseyr (gees) Ceel Afweyn Ceel Barde Ceel Dheere Ceel Gaal Ceel Qoxle Cisaleey (aérodrome) Dacarbudhug
Coordonnées polaires 043°53’E/09°36’N 043°30’E/06°31’N 042°41’E/00°02’N 043°46’E/09°41’N 00°11’N/042°40’E 044°09’E/08°16’N 043°13’E/09°46’N 043°24’E/03°11’N 047°45’E/09°34’N 042°34’E/10°45’N 047°17’E/02°20’N 048°21’E/10°43’N 046°13’E/08°30’N 045°23’E/02°21’N 044°47’E/02°39’N 043°23’E/09°30’N 042°10’E/02°21’N 042°46’E/02°00N 042°12’E/00°14’S 045°15’E/03°16’N 041°53’E/03°56’N 047°56’E/08°23’N 045°05’E/10°12’N 049°10’E/11°17’N 044°45’E/01°45’N 046°20’E/08°15’N 044°31’E/02°43’N 042°56’E/10°31’N 046°19’E/02°45’N 047°11’E/10°27’N 051°15’E/11°49’N 047°15’E/09°55’N 043°39’E/04°50’N 046°11’E/05°22’N 043°43’E/10°59’N 047°40’E/09°57N 045°34’E/02°10’N 044°31’E/09°51’N
Dagaari Dalow Damala Xagale Dameerjog Dannood (E) ዳኖት ፥ [danot] Dar Wanaaji Dararweyne Dariiqalo’le Dayaxa Dayniile (aérodrome) Dermo Dhagax Buur (E) ደገሃቡር ፥ [dägähabur] Dhahar Dhoobley Dhoobley Dhuusa Mareeb Dilla Dobo (E) ፌርፌር ፥ [férfér] Ferfer Fiiq (E) ፊቅ ፥ [fiq] Fiqi Fuliye Gaalshire Gaashaamo (E) ጋሻሞ ፥ [gašamo] Gabiley Galaadi (E) ገላዲን ፥ [gäladin] Geerisa Goroyacawl Gowlalaale (Togdheer) Guri Ceel Hadaaftimo Hadhagaala (E) ሃዲጋላ ፥ [adigala] E) ሃርቲሼክ ፥ [hartišēk] Hartisheekh Jalalaqsi Jasiira (port & aérodrome) Jidaali Jidhi Jowhar Kaam Abokor (E) ካም ፡ አቦኮር፥ [kam abokor] Kamsuuma Kilo 50 (aérodrome) Kilo 60 (aérodrome détruit) Koyaama (île) Kulaal Liboi (K) Lowyada (D) Loyada Lughaya Luuq
047°17’E/06°33’N 047°17’E/10°46’N 047°57’E/09°49’N 043°12’E/11°31’N 045°’17E/07°33’N 043°02’E/09°50’N 047°32’E/09°45’N 044°39’E/10°07’N 047°11’E/10°35’N 045°16’E/02°07’N 041°46’E/03°29’N 043°34’E/08°13’N 049°10’E/11°17’N 042°19’E/02°30’N 042°19’E/02°30’N 046°24’E/05°31’N 043°14’E/10°23’N 046°16’E/10°17’N 045°05’E/05°05’N 042°18’E/08°08’N 047°47’E/10°01’N 047°17’E/06°29’N 045°22’E/08°06’N 045°34’E/10°11’N 046°25’E/06°57’N 043°28’E/10°38’N 048°08’E/10°50’N 046°10’E/08°52’N 046°04’E/05°20’N 048°07’E/10°46’N 042°13’E/10°25’N 043°21’E/09°09’N 045°35’E/03°24’N 045°12’E/01°58’N 047°40’E/10°42N 043°04’E/10°37’N 045°31’E/02°46’N 043°55’E/08°25’N 042°47’E/00°15’N 044°58’E/02°00’N 044°56’E/01°59’N 00°39’N/042°19’E 047°39’E/09°44’N 040°57’E/00°24’N 043°15’E/11°28’N 043°56’E/10°41’N 042°32’E/03°48’N
Mandheera Mandera (K) Mareero Matabaan Mustaxiil (E) ሙስታሂል ፥ [mustahil] Oodweyne Oog Qabri Dahare (E) ቀብሪ ፡ ደሃር ፥ [qäbri dähar] Qallaafo (E) ቀላፎ ፥ [qällafo] Qar Adag Qar Sheekh Qararro Qoow {Bandar Siyaada} Qoryoole Saakow Saliid Sannirgood Saraar Satawa Weyne Seegeg (E) ሳጋግ ፥ [sagag] Seylac Sheekh Abdal Sheekh Shilaabo (E) ሺላቦ ፥ [šilabo] Shimbiraale Shiniile (E) ሺኒሌ ፥ [šinilé] Tiyeegloow Tog Wajaale Toon Toqoshi Waajit Waldena Wanleweyn Wardheer (E) ዋርዴር ፥ [wardér] Wasiilo Xaamas Xaliimale Xariirad Xuddur Yagoori Yiroowe Yubbe Yufle
044°43’E/09°54’N 041°50′E/03°55′N 049°18’E/11°20’N 045°32’E/05°12’N 044°44’E/05°15’N 045°04’E/09°24’N 046°38’E/08°56’N 044°17’E/06°44’N 044°08’E/05°37’N 046°52’E/0929’N] 045°11’E/09°59’N 046°05’E/08°52’N 048°58’E/11°15N 045°42’E/03°16’N 042°27’E/01°38’N 048°34’E/11°13’N 047°14’E/09°08’N 047°11’E/10°27’N 043°06’E/09°59’N 042°50’E/07°41’N 043°29’E/11°29’N 044°42’E/09°57’N 045°22’E/09°56’N 044°46’E/06°05’N 047°55’E/10°07’N 041°31’E/09°41N 044°31’E/04°02’N 043°20’E/09°36’N 044°07’E/09°24’N 043°25’E/11°21’N 043°15’E/03°48’N 041°01’E/00°25’N 044°54’E/02°37’N 045°20’E/06°58’N non localisé 044°49’E/10°05’N 043°13’E/10°12’N 042°58’E/10°34’N 043°54’E/04°07’N 046°58’E/08°45’N 045°41’E/09°26’N 047°55’E/10°45’N 047°12’E/10°23’N
C ARTES , TABLEAUX ET CROQUIS
Répartition géographique du peuple Soomaali Perception environnementale de l’individu nin Schéma spatial du faisceau lignager Faisceaux lignagers et lignages primaires Distribution lignagère dans le Nord somalien Awdal, Galbeed et Togdheer : l’extrême Nord-ouest Paysage factionnel en mars 1992 Les assemblées du Sanaag et du Sool Généalogie primaire du faisceau lignager Isxaaq Schéma spatial du faisceau lignager Isxaaq Les lignages majeurs du Nord-est Migrations des islamistes dans le Nord somalien Les lignages et segments Sab majeurs La province du Geedo Déploiement de l’UNITAF – Restore Hope Zones humanitaires UNITAF - décembre 1992 Dissémination des mines – Estimation 1993 Les signataires des accords d’Addis Abäba du 27 mars 1993 Muqdisho – Déploiements juin/septembre 1993 Affiche – Avis de recherche lancé contre le général Caydiid Muqdisho – Madina, Hodan et Hawl Wadaag Déploiement maximum de l’ONUSOM II – novembre 1993 Muqdisho – Le dispositif ONUSOM en zone SNA Faisceau lignager Hawiiye Les Hiraab Fractionnement des factions à la fin 1994 La vallée du fleuve Jubba Régions et districts : découpage administratif de 1986
9 18 18 24 72 84 90 125 134 134 141 160 193 204 259 264 290 296 361 368 373 413 414 419 419 443 450 488
T ABLE DES M ATIERES
TRANSCRIPTION ET TRANSLITTERATION .............................................................. 7 INTRODUCTION ............................................................................................ 11 I – DECEMBRE 1990 : L’INSURRECTION GAGNE MUQDISHO ................................. 25
II – 1991 : CHUTE DU REGIME ET MISE A MAL IMMEDIATE DES ALLIANCES .............. 45
III – 1991 : LE SNM FACE AU PROCESSUS DE RECONCILIATION............................. 69
IV – 1991 : CONFERENCES DE DJIBOUTI ET REPRISE DES AFFRONTEMENTS ............ 91
V – 1991 : INDEPENDANCE DU SOMALILAND ET PAIX AVEC LES COMMUNAUTES HARTI ....................................................................................................... 111
VI – 1991 : RECONSTRUCTION DU NORD-EST ET IMPLANTATION DES ISLAMISTES . 135
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VII – 1992 : LA PREMIERE GUERRE DES ISXAAQ ............................................... 161
VIII – 1992 : DAROOD, RAXANWEYN ET ISLAMISTES ........................................ 187
IX – 1992 : DECISION D’INTERVENIR DES NATIONS UNIES, ONUSOM I .............. 205
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X – 1992 : LE DEPLOIEMENT D’UNE MISSION SOUS-DIMENSIONNEE ..................... 229
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XI – 1992/1993 : UNIFIED TASK FORCE : RESTORE HOPE .................................. 251
XII – 1993 : REPLI DE L’UNITAF ET MISE EN PLACE DE L’ONUSOM II ............... 281
XIII – 1993 : LE SHIRWEYNE DE BOORAMA..................................................... 309
XIV – 1993 : LA DIMENSION REGIONALE DE L’ITIXAAD ..................................... 335
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XV – 1993 : ERREURS ET MALADRESSES DE L’ONUSOM II................................ 349
XVI – 1993 : DERIVE DE L’OPERATION INTERNATIONALE .................................. 369
XVII – 1993 : LES QUESTIONNEMENTS DE LA SOCIETE INTERNATIONALE ............. 393
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VIII – 1994 : LA NOUVEL ENVIRONNEMENT DES FACTIONS ................................ 415
XIX – 1994 : MAXAMED CIGAAL, LA 2E GUERRE DES ISXAAQ............................. 451
XX – 1994 LES CONFERENCES HARTI ET LE CONGRES SSDF DE QHARDO............. 471
XXI - 1994 : LA RECONSIDERATION DU MANDAT DES NATIONS UNIES................. 481
XXII – 1995 : LE RETRAIT DEFINITIF DE L’ONUSOM II.................................... 499
ANNEXES ................................................................................................... 513
GLOSSAIRE ................................................................................................ 527 OUVRAGES CONSULTES ................................................................................ 529 INDEX ....................................................................................................... 533 GEOLOCALISATION DES TOPONYMES ............................................................. 549 CARTES, TABLEAUX ET CROQUIS .................................................................... 552 TABLE DES MATIERES .................................................................................. 553
BIBLIOTHEQUE PEIRESC
1 – TAWFIQ EL-HAKIM, Dans sa robe verte, pièce en deux actes, traduit de l’arabe par V.A. YAGI et J. TUBIANA, 1979 2 – V.A. YAGI, Contes d’Omdurman, recueillis et traduits de l’arabe, 1981 3 – L. FUSELLA, S. TEDESCHI, J.TUBIANA, Trois essais sur la littérature Ethiopienne, 1984 4 – M-J. TUBIANA, Des troupeaux et des femmes, Mariage et transferts de biens chez les Beri (Zaghåwa et Bidåyat) du Tchad et du Soudan, 1985 5 – J. TUBIANA, Ethioconcord, A computerized concordance of the Ethiopian and Gregorian Calendars. Concordance automatique des calendriers Ethiopien et grégorien, 1988 6 – A. LE ROUVREUR, Sahéliens et Sahariens du Tchad, 1989 7 – ZAKARIA FADOUL KHIDIR, Loin de moi-même, 1989 8 – La révolution Ethiopienne comme phénomène de société. Essais, témoignages et documents réunis par J. TUBIANA. L’Harmattan, 1990 9 – MAHAMAT HASAN ABBAKAR, Un Tchadien à l’aventure, 1992 10 – Le temps et la mémoire du temps. Anthropologie et histoire. Textes réunis par M-J. TUBIANA, 1995 11 – Les dynamiques du changement en Afrique sub-saharienne. Freins et impulsions. Textes réunis par M-J. TUBIANA et A. LUXEREAU, 1996 12 – Les Orientalistes sont des aventuriers. Textes réunis par A. Rouaud. Sépia, 1999 13 – M. FONTRIER. La chute de la junte militaire Ethiopienne (1987-1991). L’Harmattan, 1999 14 – HAYLA MARYAM et Hugues LE ROUX. Makeda, reine de Saba. Présenté par J. TUBIANA. Sépia, 2001 15 – M. FONTRIER. Abou-Bakr Ibrahim – Pacha de Zeyla – Marchand d’esclaves. L’Harmattan, Paris 2003 16 – H. de CONTENSON. Antiquités Ethiopiennes d’Axoum à Haoulti. Sepia, 2005. 17 – Job LUDOLF. Histoire de l’Ethiopie. Traduction du latin sous la direction de J. Tubiana et F. Enguehard. L’Archange minotaure, 2008 18 – Mickaël BETHE-SELLASIE. La Jeune Ethiopie. L’Harmattan. 2009 19 – Serge TORNAY. Rencontres lumineuses au cœur de l’Afrique. Sépia, 2009 20 – M. FONTRIER. Le Darfour : Institutions internationales & crise régionale 2003-2008. L’Harmattan : Paris, 2009 21 – J. LUDOLF. Histoire de l’Éthiopie II. Traduction du latin sous la direction de Joseph Tubiana et François Enguehard. L’Archange minotaure, 2009 22 – Alfred BARDEY. Barr Ajjam. L’Archange minotaure : Apt, 2010 23 – Y. ZAWADOWSKI. Le Méroïtique La langue des pharaons noirs. Présenté par Marc FONTRIER, notes de Claude RILLY. L’Harmattan : Paris, 2010
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