LETTRES DE LA CINQUIEME CROISADE 250350745X, 9782503507453

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LETTRES DE LA CINQUIEME CROISADE
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JACQUES DE VITRY Lettres

SOUS lA RÈGLE DE SAINT AUGUSTIN collection dirigée par Patrice Sicard et Dominique Poire!

JACQUES DE VITRY

Lettres de la Cinquième Croisade

Texte latin établi par R.B. C. Huygens Traduit et présenté par G. Duchet-Suchaux

BREPOLS

1'l'l~ BR.EPOLS lH·p!it kgal: septembre 1998

D/1998/0095/'.\'l ISB.\I

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Introduction

VIE DE JACQUES DE VITRY

Jacques de Vitry est né entre 1160 et 1170 dans une localité qu'on peut identifier sans doute à Vitry-en-Perthois, au sud-est de Reims CT· Longère) 1 . Sa famille était de condition aisée, et peut-être noble. Il a fait des études à l'université de Paris, où il a suivi les cours de maîtres en renom, comme Pierre le Chantre. On le trouve au prieuré Saint-Nicolas d'Oignies entre Charleroi et Namur où vivait une communauté de chanoines réguliers de Saint-Augustin. Il fait la connaissance de Marie d'Oignies, femme religieuse, qui se situe dans le mouvement de spiritualité nouvelle. Elle a inspiré une véritable vénération à Jacques de Vitry, qui a écrit plus tard sa biographie. Il a sans doute été ordonné prêtre avant 1210. Il appartient à l'entourage de l'évêque de Liège Hugues de Pierpont (1200-1229), et devient alors un prédicateur renommé. Raymond d'Uzès, légat pontifical, l'engage vers 1212 comme prédicateur de la croisade des Albigeois. Il prêche la croisade dans le pays de Liège de concert avec Foulques de Marseille, qui était évêque de Toulouse. En janvier 1213, le pape Innocent III appelle à une nouvelle croisade, et Jacques de Vitry participe activement à la prédication de celle-ci, à partir de 1214. Sa réputation d' orateur sacré lui vaut sans doute d'être élu évêque de Saint-Jean d'Acre. Arrivé à Pérouse au lendemain de la mort d'Innocent III, le 17 juillet 1216, il est sacré évêque par Honorius III, le 31 juillet. Il part de Gênes pour la Terre sainte à la fin du

l L'ouvrage de référence reste l'étude de P. Funk, Jakob von Vitry. Leben und Werke, Leipzig-Berlin, 1909, réimpr. Hildesheim, 1973. Jean Longère fait le point sur notre connaissance de la biographie de Jacques de Vitry dans l'introduction qu'il a donnée à la traduction en français de l' Historia Occidentalis (Paris, 1997).

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INTRODUCTION

mois de septembre, ou au début d'octobre 1216. À Saint-Jean d'Acre, il accueille les premiers croisés en 1217. Prédicateur à l'armée des croisés de 1218 à 1221, il participe à la campagne d'Égypte, et au siège de Damiette en 1218-1219. Il fait deux voyages en Europe en 1222 et 1225. Lors du second, en 1225, il va jusqu'à Liège, et ne rentre pas en Palestine. Il résigne son évêché de Saint-Jean d'Acre en 1228. De 1226 à 1229, il s'acquitte de différentes missions pour l'évêque de Liège Hugues de Pierrepont, qui meurt le 11avril1229. Quelques semaines plus tard, Jacques de Vitry est créé cardinal évêque de Tusculum par le pape Grégoire IX (première mention de ce titre: 29 juillet 1229). Il meurt à Rome le 1er mai 1240. Conformément au vœu qu'il a exprimé, son corps est inhumé à Oignies. Une petite chapelle y abrite aujourd'hui encore son tombeau.

LA

Ve

CROISADE

Innocent III (pape de 1198 à 1216) avait éprouvé de graves déboires avec la IVe Croisade, lancée à son instigation; déviée vers Constantinople, elle aboutit au sac de la capitale de l'empire byzantin par les croisés au mois d'avril 1204. Persuadé que les jours de l'Islam étaient comptés, il n'en décida pas moins de lancer une cinquième croisade à la reconquête de la Terre Sainte. Le 19 avril 1213, il convoque un concile général pour le 1er novembre 1215. Le IVe Concile de Latran avait pour tâche première de préparer la croisade. Les principes posés par Latran IV sont publiés par Innocent III le 19 décembre 1215. Il entend que cette croisade marque un triomphe de la Croix, sous l'égide du siège pontifical. Or Innocent III meurt un an avant le début des opérations, le 16 juin 1216. D'ores et déjà, tout allait de travers. La France, sur laquelle le pape comptait pour entraîner le reste de l'Europe féodale

INTRODUCTION

9

dans le grand élan, va se dérober. Bien sûr, le mouvement d'enthousiasme de 1096 semblait toujours vivant. Ne vit-on pas la folle croisade des enfants, en 1212, témoigner de manière désastreuse, il est vrai, de la présence d'une force vive encore au sein même de la population? Cependant, le climat politique en France était alors peu favorable à une telle entreprise. La France et l'Angleterre sont en guerre - conflit relancé en 1204 lors de la prise de Château-Gaillard par Philippe Auguste, et en 1214 Philippe Auguste se trouve confronté à une coalition groupant contre lui Jean-sans-Terre et !'Empereur Otton IV. À l'université de Paris, les étudiants échangent des quolibets injurieux, et Jacques de Vitry nous apprend dans son Historia Occidentctlis que les Anglais sont dénoncés par leurs condisciples comme des ccmdati, des « mués » qui portent une queue à l'instar du démon, et tournent volontiers le dos à l'ennemi ... En outre, la papauté s'érige manifestement en pôle responsable de l'entreprise, et place trop ouvertement aussi sous sa protection - et sa juridiction - quiconque prenait la croix - le soustrayant ainsi au pouvoir dont il dépendait normalement. Maintes plaintes et protestations sont nées de ces prétentions pontificales qui se traduisaient aussi par de lourdes ponctions fiscales. Quels qu'en soient les motifs, cependant, une constatation s'impose: le roi Philippe-Auguste s'est désintéressé de cette croisade, et la plupart des grands féodaux n'y ont pas participé. Beaucoup étaient d'ailleurs engagés dans la lutte contre les Albigeois. En 121 7, les forces envoyées par le duc cl' Autriche et le roi de Hongrie pour reprendre le mont Thabor échouent dans leur entreprise. Les Hongrois sont repartis dès l'année suivante. Les croisés restés en Palestine construisirent cependant la forteresse du Mont-Pélerin, au pied du mont Carmel. Après !'arrivée de contingents frisons et rhénans, les croisés déci-

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INTRODUCTION

dèrent de prendre l'offensive en Égypte. Ils mettent le siège devant Damiette dans l'espoir de rendre possible ensuite une attaque sur Jérusalem, et de reprendre enfin la ville sainte. Des renforts comprenant des Français, mais aussi des Italiens et des Espagnols, arrivent à la fin de l'année 1218. Impressionné, le sultan al Kamil offre un compromis aux croisés: qu'ils lèvent le siège de Damiette, et l'ancien territoire du royaume de Jérusalem leur sera rendu - en partie du moins. Le légat Pélage oblige le roi de Jérusalem Jean de Brienne à rompre ces négociations. Damiette est prise le 5 novembre 1219, et le légat veut lancer les croisés à la conquête de l'Égypte toute entière. L'armée est arrêtée dans sa marche vers le Caire par la rupture des digues du Nil. Les croisés doivent évacuer l'Égypte et signent une trêve de huit ans: l'entreprise se solde par un complet fiasco.

JACQUES DE VITRY ET LA Ve CROISADE

Agent très zélé de la politique pontificale, le légat Robert de Courçon était cependant d'origine anglaise, et sa fidélité à ses origines le rendait quelque peu suspect aux yeux du roi de France. C'est sans doute lui qui a choisi Jacques de Vitry au début de 1214 pour prêcher la croisade en France. Prédicateur et personnage très important, Jacques de Vitry se déplaçait toujours avec une suite nombreuse. Il représentait en effet le pape Innocent III, et avait à sa disposition plusieurs chevaux de selle et mulets de bât. Homme du pape, il devait donner quelque lustre à ses apparitions. Orateur de grand talent, sa voix captive les foules, et il aime les haranguer en plein air. Dès son premier appel, il a invité les croisés à se considérer comme les vassaux du Christ, qu'il nomme le Roi des rois, qui demande à ses fidèles croisés de remplir le devoir du service dû par le vassal à son suzerain. Devoir placé au-dessus de toutes les autres obligations des croisés. Dans un de ses ser-

INTRODUCTION

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mons, Jacques de Vitry assimile la croix de laine rouge qu'on fixait sur l'épaule droite du croisé au gant de l'investiture féodale. Homme-lige du pape, Jacques de Vitry fait siennes les vues si discutables du légat pontifical Pélage. Ennemi juré des Sarrasins, il ne manque aucune occasion de les présenter comme lâches et prêts aux ruses les plus viles. Il s'emploie à soutenir le courage des croisés, sans dissimuler le grand nombre de gredins, de gens sans foi ni loi qui déshonoraient la noble cause qu'il défend. Son récit est souvent plein de vie et haut en couleurs. Tout en proclamant la victoire définitive comme assurée, il décrit sans sourciller les erreurs tactiques des croisés, leur indiscipline qui les livrent trop souvent isolés aux coups des cavaliers sarrasins. Ainsi ces lettres ont nettement la couleur du reportage lorsqu'il décrit par exemple les péripéties si périlleuses de sa traversée de la mer Méditerrannée, en allant de Gênes vers la Terre sainte. On s'aperçoit là que ce Jacques de Vitry était un personnage ami du faste, pour lequel il fallait disposer de plusieurs navires où loger ses nombreux chevaux, ainsi que le personnel de sa suite. La rudesse des conditions de vie imposées à cette foule disparate que constituaient les croisés est évoquée non sans verve et vigueur; on les voit aux prises avec un milieu hostile, livrés aux pires maladies, à une mort souvent cruelle ... Tout le feu de l'éloquence de Jacques de Vitry, qui n'hésite pas à risquer sa vie à l'occasion, n'est pas de trop pour aider cette cohue hétéroclite à ne pas perdre courage, et à aller au-delà de ses propres forces. Témoin privilégié d'événements contrastés, Jacques de Vitry est pour nous aussi un conteur au talent vigoureux.

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INTRODUCTION DATES DES LETTRES DE JACQUES DE VITRY

L'éditeur de la correspondance de Jacques de Vitry propose pour chacune des lettres la datation suivante: Lettre 1: Écrite à bord d'un bateau dans le port de Gênes, 4 novembre 1216. Lettre II: Deux parties: la première s'arrête à « que nous ne perdions pas les biens éternels» (p. 61): elle a été écrite entre le 4 novembre 1216 et février 1217. La deuxième partie date du printemps 1217. Lettre III: Elle a été écrite après la prise de la tour défendant l'entrée de Damiette, le 24 août 1218. Lettre IV: Sa date est donnée par le post-scriptum de l'expédition destinée au pape: «Donné ... le 8e jour après !'Exaltation de la Sainte-Croix». Cette fête tombant le 14 septembre, la lettre est donc du 22 septembre 1218. Lettre V: Deux parties: La première va jusqu'à: « Si cependant les nôtres venaient à s'emparer de Damiette ... »(p. 127). Y sont décrits les événements du printemps 1219. Elle constituait une lettre qui n'a pas été envoyée en avril-mai. « En septembre, écrit R.B.C. Huygens, l'évêque d'Acre rédigea le journal de l'été. Il l'introduit par ces mots: "Sachez qu'à Pâques ... " (p. 127). Le récit s'arrête après la bataille du 29 août ... La seconde partie de la lettre date donc de septembre 1219 ». Lettre VI: Elle raconte les événements de l'hiver 1219-1220. R.B.C. Huygens la situe au printemps 1220. Lettre VII: Après discussion des thèses en présence, R.B.C. Huygens la date du 18 avril 1221.

INTRODUCTION

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SUR LA PRÉSENTE ÉDITION DES LETTRES DE JACQUES DE VITRY

La traduction que nous présentons suit le texte latin des Lettres de Jacques de Vitry, édité par R.B.C. Huygens, Lettres de Jacques de Vitry, Édition critique, Leiden, 1960, qui en a établi le texte sur la base de 14 témoins manuscrits. Divers sigles paraissent dans le texte latin, comme dans la traduction, dont il convient de donner ici le sens. L'éditeur distingue deux traditions textuelles différentes pour l'adresse de la Lettre II, signalées dans l'édition par les lettres a et b. L'une de ces deux versions, (a.), est un membrum disjectum, folio unique actuellement conservé dans le ms. Bruxelles, Bibl. Royale 7487-91 (sigle B*), f. 245v. L'autre version, désignée par b., est donnée par le ms. 5 54 de la Bibliothèque Universitaire de Gand (sigle G). L'adresse de la Lettre IV se présente sous deux formes. Le texte a. procède du manuscrit Paris, BNF, lat 5695 (sigle P). Quant au texte b., il vient du manuscrit de Gand. De même, à la fin de cette même Lettre IV, une première version (a.) donne le texte du ms. parisien, et une seconde (b.) celui du ms. gantois. Au début de la Lettre VI, trois versions différentes de l'adresse sont présentées successivement: - en a., texte des manuscrits P et Q (Leyde, Bibl. Universitaire, Voss. lat. Q. 125) - en b., texte commun aux manuscrits A (Londres, British Libr., Add. 2544), F (Leyde, Bibl. Universitaire, Voss. lat. F. 95 ), L (Londres, British Li br., Burney 3 51), et V (Vatican, Bibl. Apost. Vat., Reg. lat. 547)' - en c., texte du manuscrit G. Au début de la Lettre VII, il existe cinq versions différentes pour l'adresse: - en a., texte du manuscrit C (Paris, BN, lat. 515 2A) en b., texte commun aux trois manuscrits F, L, V - en c., texte du manuscrit G.

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INTRODUCTION

end., texte du manuscrit I (Londres, Gray's Inn, 14). en e.,texte commun aux manuscrits C (Paris, BN, lat. 5152 A), F LV, et G I B (ce dernier sigle pour le ms. Bruxelles, BR, II 46). Les caractères italiques, dans le texte latin, signalent à l'attention du lecteur les citations vétéro- ou néo-testamentaires. Les lettres, mots ou groupes de mots présentés entre crochets ou parenthèses dans le texte latin ont été restitués par l'éditeur, qui a en outre apporté, en deux occurrences, des modifications au texte publié en 1960. Les alinéas du texte latin, dont beaucoup ne figurent pas dans !'Édition critique, et qui doivent faciliter au lecteur le passage d'un texte à l'autre, sont le fait du traducteur. Quitte à accepter des redites, nous avons doté le texte et l'introduction d'apparats distincts, destinés à faciliter leur consultation indépendante.

* Nous remerçions vivement M. R.B.C. Huygens d'avoir bien voulu nous autoriser à reprendre le texte latin établi par ses soins et de nous avoir communiqué libéralement les modifications que des travaux ultérieurs, préparant une nouvelle édition attendue des Lettres - qui pourra différer en quelque endroit du texte ici repris - lui ont permis d'apporter au texte de leur première publication. C'est aux notes et aux riches apparats de son édition également que nous avons, pour une très large part que nous nous plaisons à reconnaître, emprunté le matériau des notes de ce volume. Nous remerçions M. Henri Rochais de son aide pour leur présentation. Notre reconnaissance va enfin au Comité Du Cange qui nous a libéralement ouvert ses fichiers, et a bien voulu nous guider dans des recherches parfois ardues.

INTRODUCTION

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LES ŒUVRES DE JACQUES DE VITRY

Historia hierosolimitana abbreviata: Bongars, J., éd. Gesta Dei per Francos, sive orientalium expeditionum et regni Francorum hierosolymitani historia, 2 vol., Hanovre, 1611. Moschus, F., éd. Jacobi de Vitriaco ... Libri duo, quorum prior Orientalis sive Hierosolymitanae, alter Occidentalis historiae nomine inscribitur, Duaci, 1597. Hinnebusch, J.-F., The Historia occidentalis ofJacques de Vitry, a critical edition, Fribourg, 1972. Traduction en français de !'Historia occidentalis: Jacques de Vitry, Histoire occidentale, traduction de G. Duchet-Suchaux, Introduction et notes de J. Longère, éd. du Cerf, Paris, 1997. La traduction de !'Historia orientalis de Jacques de Vitry, ms. français B.N.F. 17203 (éd. C. Buridant, Paris, 1896).

Sermons Longère, J., « Quatre sermons ad religiosas de Jacques de Vitry », dans Les Religieuses en France au XIII' siècle, Nancy, 1985, p. 215230. Longère, J., « Un sermon inédit de Jacques de Vitry ... », dans L'Église et la mémoire des morts dans la France médiévale, Paris, 1986, p. 31-51. Longère, J., « Quatre sermons ad canonicos de Jacques de Vitry », dans Recherches augustiniennes, t. 23, 1988, p. 151-212. Longère, J., « Deux sermons de Jacques de Vitry ad servos et ancillas »,dans La femme au Moyen Âge, Colloque de Maubeuge, 1988, Maubeuge-Lille, 1990, p. 261-297. Gasnault, M.C., «Jacques de Vitry; sermons aux gens mariés », dans Prêcher d'exemples: récits de prédicateurs du Moyen Âge, Paris, 1985, p. 41-67.

Vie de Marie d'Oignies Vira beatae Mariae Oigniacensis », dans Acta Sanctorum, t. 5, 1867, p. 546-576.

«

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INTRODUCTION Vie de Marie d'Oignies par ]acqttes de Vitry. Sttpplément par Thomas de Cantimpré, trad. française de A. de Wankenne, Namur, 1989

(Société d'études classiques).

Les Lettres Huygens, R.B.C., Lettres de ]acqttes de Vitry, édition critique, Leyde, 1960.

ÜUVRAGES CITÉS DANS LES NOTES DU TEXTE FRANÇAIS

Crane, Th. F., The Exempta or illttstrative stories /rom the Sermones vttlgares of Jacqttes de Vitry, Publications of the Folklore Society, Londres, 1890. Deschamps, P., La défense dtt Royattme de}érttsalem, Paris 1939. Donovan, J. P., Pelagitts and the Fifth Crmade, Philadelphie, 1950. Frenken, Ph., Jakob von Vitry, Leben ttnd Werke, Beitrage zur Kulturgeschichte des Mittelalters und der Renaissance, vol. 3, 1909. Greven, J., Frankreich und der 5. Krettzzug, Historisches Jahrbuch der Gi:irresgesellschaft, XLIII, 1923. Greven, J., Der Ursprung des Beginenwesens, Historisches Jahrbuch der Gi:irresgesellschaft, XXXV, 1914. Jacques de Vitry, Historia orientalis, éd. Bongars, Gesta Dei per Francos, 1611. Olivier de Cologne, Historia Damiatina, éd. Dr. Hoogeweg, Bibliothek des literarischen Vereins in Stuttgart, vol. CCII, 1894.

Lettres de Jacques de Vitry

Lettre 1

I

t

sibi in Christo I(acobus), divina sustinente misericordia Acconensis ecclesie minister humilis, eternam in domino salutem. Inter varias dolores et labores continuos et frequentes mee peregrinationis molestias unicum est michi remedium et singulare solarium frequens amicorum meorum 5 memoria, quorum beneficio sustentatur spiritus meus ne corruat, quorum orationibus vegetatur anima mea ne penitus deficiat. Ex hac tamen medicinali memoria, cuius beneficio vulnera mea sanantur, aliquando novum vulnus cordi meo infigi tur: crescente enim vehementi afflictione dum rationis l o virtus opprimitur et debilitatur, circa notas et arnicas meos mens mea adeo occupatur, ut fere omnia alia in tedium convertantur ita, quod appetitus orationis et desiderium lectionis ex hac frequenti afflictione frequenter in me evacuan15 tur.

Hii autem dolores quandoque in anima mea sopiuntur; unus autem est qui me incessanter affligit et sine intermissione stimulat et inpungit, periculum videlicet animarum regiminis, dum defectus meos considero multiplices et qualem oporteat esse episcopum ex apostoli verbis animadverto. 20 Ait enim: oportet episcopum esse irreprehensibilem sobrium prudentem ornatum pudicum hospitalem doctorem, non vinolenturn, non percussorern, sed modestum, non litigiosum, non cupidum, sue domui bene prepositum, filios habentem subditos curn ornni castitate. non

21/27 Cf. I Tim. 3,2-7.

LETTRE

l

t à soi dans le Christ, Jacques, humble ministre de l'église d'Acre avec le soutien de la divine miséricorde, salut éternel dans le Christ. Au milieu de diverses peines, de fatigues continuelles et de désagréments multiples qui font escorte à mon voyage, j'ai pour seul remède et consolation particulière le souvenir toujours présent de mes amis; grâce à eux, mon esprit reste à l'abri de l'abattement, tandis que, fortifiée par leurs prières, mon âme est préservée d'une défaillance complète. Mais voici que le remède même apporté par ces souvenirs qui guérissent mes blessures est parfois source d'une nouvelle meurtrissure infligée à mon cœur. Comme en effet mon tourment croît en violence tandis que la force vive de la raison est contrariée et affaiblie, mon esprit est si bien absorbé par la pensée de mes amis et connaissances que presque toutes les autres préoccupations ne sont plus source que de dégoût; ainsi le goût de la prière et le désir de la lecture des Écritures s'atténuent souvent en moi en raison de ces préoccupations. Certes ces tourments s'apaisent parfois dans mon âme, mais il en est un qui m'afflige sans cesse, me pique inlassablement de son aiguillon, me frappe et c'est le péril où se trouve le gouvernement des âmes lorsque je considère mes multiples défaillances, et considère la qualité requise d'un évêque, selon les paroles de l'apôtre. Il dit, en effet: «Il faut que l'évêque soit irréprochable, sobre, prudent, cultivé, de bonnes mœurs, hospitalier, capable d'enseigner, ni buveur, ni batailleur, mais réservé, non querelleur, ni cupide, sachant bien gouverner sa propre maison, tenant ses fils dans la soumission en toute chasteté; il ne sera pas un néophyte, de peur que, emporté dans l'orgueil, il ne tombe, pris dans le juge-

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EPISTOLAI

neophitum, ne in superbiam elatus, in iudicium incidat diaboli. Oportet autem ilium et testimonium habere ab hiis qui foris sunt, ut non in opprobrium incidat et in laqtJeum diaboli. - Simea in tecto episcopus fatuus in solio: monstruosa res est gradus summus et animus inji(r}mus, sedes prima et vita ima, lingua magniloqua et manus ociosa, sermo multus et nullus fructus, vultus gravis et actus levis, ingens auctoritas et nutans stabilitas. Hec et hiis similia frequenter considerans in me penitus animus meus corrueret et confunderetur, nisi orationibus vestris aliquantulum relevaretur. Dominus autem postquam a vobis recessi vinum et oleum frequenter vulneribus meis infudit aliquando adversitatibus et variis tribulationibus me probando, aliquando consolationibus relevando. Accidit michi cum intrarem Longobardiam quod diabolus arma mea, scilicet libros meos, quibus ipsum expugnare decreveram, cum aliis rebus ad expensas meas necessariis proiecit et subvertit in fluvium vehementer inpetuosum et terribiliter profundum, qui ex resolutione nivis vehementer et supra modum excreverat et pontes ac saxa secum trahebat. V nus ex cophinis meis plenus libris inter undas fluminis ferebatur, alius, in quo matris mee Marie de Oegnis digitum reposueram, mulum meum sustentabat ne penitus mergeretur. Cum autem de mille vix unus posset evadere, mulus meus cum cophino sanus ad ripam devenit, alius autem cophinus quibusdam arboribus retinentibus postea mirabiliter repertus est et, quod mirabilius est, licet libri mei aliquantulum obscurati sint, ubique tamen legere possum.

34/35 Cf. Luc. 10,34.

46 Cf. Eccli. 6,6.

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30

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LETIREI

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ment du diable. Il convient, cependant, qu'il soit bien jugé par ceux du dehors, de sorte qu'il ne tombe pas dans l'opprobre ainsi que dans les filets du diable». Singe sur le toit, évêque dépourvu de sens sur son trône 1 ; c'est chose monstrueuse que de voir accouplé le degré le plus élevé à un esprit débile, ou un siège de primat à une vie de bas-fonds, une langue grandiloquente à une main oisive, un discours abondant à un fruit nul, un visage grave à des mœurs dissolues, une grande autorité à une fermeté chancelante. Tournant et retournant en moi ces pensées et d'autres semblables, pour un peu mon esprit eût chaviré et sombré dans la confusion, s'il n'avait pas été quelque peu soutenu par vos oraisons. Or le Seigneur, après que je me fus éloigné de vous, a souvent versé du vin et de l'huile sur mes blessures 2 ; tantôt il m'a mis à l'épreuve de l'adversité et de diverses tribulations, tantôt il me remettait sur pied par ses encouragements. Comme j'entrais en Lombardie, il arriva que le démon s'empara de mes armes, c'est-à-dire des livres à l'aide desquels je me proposais de le vaincre, les jeta et les engloutit avec d'autres choses nécessaires à ma subsistance dans une rivière au courant particulièrement violent et d'une terrible profondeur; ce cours d'eau avait grossi démesurément à la fonte des neiges, entraînant avec lui les ponts et des quantités de pierres. Tandis qu'un de mes coffres plein de livres était emporté parmi les eaux déchaînées, un autre dans lequel j'avais déposé le doigt de ma mère Marie d'Oignies 3 maintenait à flot mon mulet et l'empêchait de couler à pic. Comme un sur mille4 à peine pouvait s'échapper, mon mulet parvint sain et sauf à la rive avec ce coffre; quant à l'autre coffre, il a été retrouvé par miracle plus tard, retenu par certains arbres et, ce qui est le plus étonnant encore, quoique mes livres eussent été quelque peu délavés, je n'en puis pas moins les lire entièrement.

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EPISTOLAI

Post hoc vero veni in civitatem quandam, Mediolanensem scilicet, que fovea est hereticorum, ubi per aliquot dies mansi et verbum dei in aliquibus lacis predicavi. Vix autem invenitur in tota civitate qui resistat hereticis, exceptis quibusdam 55 sanctis hominibus et religiosis mulieribus, qui a maliciosis et secularibus hominibus Patareni nuncupantur, a summo autem pontifice, a quo habent auctoritatem predicandi et resistendi hereticis, qui etiam religionem confirmavit, Humiliati vocantur; hii sunt, qui omnia pro Christo relinquentes in lacis cliver- 60 sis congregantur, de labore manuum suarum vivunt, verbum dei frequenter predicant et libenter audiunt, in /ide perfecti et stabiles, in operibus efficaces. Adeo autem huiusmodi religio in episcopatu Mediolanensi multiplicata est, quod CL congregationes conventuales, virorum ex una parte, mulierum ex alte- 65 ra, constituerunt, exceptis hiis qui in domibus propriis remanserunt. Post hoc veni in civitatem quandam que Perusium nuncupatur, in qua papam Innocentium inveni mortuum, sed nundum sepultum, quem de nocte quidam furtive vesti- 70 mentis preciosis, cum quibus scilicet sepeliendus erat, spoliaverunt; corpus autem eius fere nudum et fetidum in ecclesia relinquerunt. Ego autem ecclesiam intravi et oculata /ide cognovi quam brevis sit et vana huius seculi fallax gloria. Sequenti autem die elegerunt cardinales Honorium, 75 bonum senem et religiosum, simplicem valde et benignum, qui fere omnia que habere poterat pauperibus erogaverat. Ipse autem die dominica post electionem eius in summum pontificem consecratus est; ego autem proxima sequente dominica episcopalem suscepi consecrationem. Honorius 80

61 Cf. Tob. 2,19; I Cor. 4,12; Eph. 4,28; I Thess. 4,10-11; II Thess. 3,7-12. 62/63 Oratio super populum in feria IVa post dominicam II. in Quadragesima. Cf. Col. 1,23.

LETIREI

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Ensuite, je suis arrivé dans une ville du nom de Milan gui est un repaire d'hérétiques; j'y passai quelques jours, prêchant la parole de Dieu en différents lieux. C'est à peine si l'on trouverait dans toute la ville une seule personne qui résiste aux hérétiques - exception faite de certains hommes saints et femmes religieuses que les hommes pleins de la malice de ce monde nomment Patarins 5 ; quant au Souverain Pontife, d'où ils tiennent le droit de prêcher et de s'opposer aux hérétiques et qui a même confirmé cette forme de vie religieuse, il les appelle Humiliati. Oui, ceux-ci quittant tout pour le Christ, s'assemblant en divers lieux, vivent du travail de leurs mains 6 , prêchent souvent la parole de Dieu et l'écoutent de bon gré, parfaits et solides dans la foi, efficaces dans les œuvres 7 . Cet ordre s'est si bien développé dans le diocèse de Milan que cent cinquante maisons religieuses, les unes d'hommes, les autres de femmes, se sont constituées sans tenir compte de ceux qui sont restés dans leurs propres maisons. Je suis venu ensuite dans une ville appelée Pérouse; j'y ai trouvé le pape Innocent 8 mort, il n'était pas encore enseveli. On lui déroba pendant la nuit certains des vêtements précieux avec lesquels on devait l'ensevelir; on avait laissé cependant dans l'église son corps presque nu et qui sentait mauvais. Lorsque j'entrai dans l'église, je constatai de mes propres yeux 9 combien est brève et vaine la gloire menteuse de ce monde. Le lendemain 10 les cardinaux ont élu Honorius 11 , vieillard bon et religieux; d'une grande simplicité et bénignité, il avait distribué aux pauvres presque tout ce qu'il possédait12. Le dimanche qui a suivi son élection 13 , il a reçu la consécration pontificale; quant à moi j'ai reçu la consécration épiscopale le dimanche suivant 14 . Le pape Honorius s'est montré très bienveillant et familier à mon égard: chaque fois que je l'ai voulu, j'ai été admis en sa présence, et j'ai obtenu entre autres choses de sa bienveillance de pouvoir prêcher la parole de Dieu sous son autorité partout où je le voudrais, aussi bien dans les régions d'Orient qu'en Occident. J'ai obte-

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EPISTOLAI

autem papa satis familiariter et benigne me suscepit ita, quod fere quotienscumque volui ad eum ingressum habui et inter alia ab ipso obtinui quod tam in partibus orientalibus quam occidentalibus ubicumque vellem verbum dei predicarem auctoritate eius. Obtinui preterea ab ipso, et litteras cum executoribus et protectoribus impetravi, ut liceret mulieribus religiosis non solum in episcopatu Leodi[n]ensi, sed tam in regno quam in imperio in eadem domo simul manere et sese invicem mutuis exhortationibus ad bonum invitare, unde, quia in prelatis in regno Francie commissa fuerat crucesignatorum defensio, noluit michi