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French Pages [1197] Year 1953
MADAME DE SÉVIGNÉ
LETTRES -oME 1
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GÉRARD - GAILLY BIBLIOTHÈQUE
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DE LA PLÉIADE
CE
VOLUME,
LE
Q!IATRE-VINGT-
« BIBLIOTHÈQUE » PUBLIÉE AUX ÉDI-
DIX-SEPTIÈME DE LA DE LA PLÉIADE TIONS
GALLIMARD,
A ÉTÉ
ACHEVÉ
D'IMPRIMER SUR BIBLE BOLLORÉ LE TRENTE CENT PRESSES
NOVEMBRE SOIXANTE
TROIS
DE TARDY,
MILLE SUR
NEUF LES
L'IMPRIMERIE A
BOURGES
MADAME DE SÉVIGNÉ
LETTRES I
TEXTE ÉTABLI ET ANNOTÉ PAR GÉRARD-GAILLY
Tom droits de traduflion, de reproduflion et à'adaptation réservés pour tom pqys, y comprü /'U.R.S.S. © I91J, Editions Gallimard.
INTRODUCTION PREMIÈRE NOTICE JUSQU'EN I 696
MARIE DE RABUTIN DONT LA MÈRE ÉTAIT COULANGES ÉPOUSA HENRI DE SÉVIGNÉ LES RABUTIN II 18. C'eft à cette date que l'on découvre le premier an~être paternel de l'épifto/ière : Mayeul de Rabutin, Bourguignon. « Dans le comté de Charolaü, il se trouve un grand boü appelé la forêt de Rabutin, au milieu de laquelle il y a une efjèce de maraü où l'on voit les reftes d'un vieux château, qu'on nomme encore le château de Rabutin. » Phrase écrite par Bta.[)' Rabutin au XVII" siècle. Épiry, Balorre, Bourbif!y, Bm.ry-le-Grand, Cha.reu furent quelques-uns des domaines familiaux. Il y eut au cours des siècles un cortège interminable de ces Rabutin, sonores, cabrés, d'une bravoure folle, virtuoses des combats, des tournoü, des duels, des enlèvements. On peut suivre leurs traces dans les chroniques, annales, ou poèmes, d'Olivier de La Marche, de Paradin de Cuüeaux, de Philippe de Comines, de Guichenon, de Jean d' Ennetières, compte non tenu des généalogies. Maü, autant que par leur bravoure, ils étaient célèbres par leur piquant efjrit. « Fournü de beaux et aornés mots », ils préparaient déjà la définition que Littré, dans son Diéhonnaire, donnera des termes rabutinade et rabutinement : « Trait d' efjrit à la façon de Rabutin; en vrai Rabutin. » Citons au moins Amé de Rabutin, né en r400 et tué à l'âge de soixante-douze ans sur le pont de Beauvais. « Il resr· (,~ q 1 ~~ ~. ;. -~. ,f' .~~~-
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INTRODUCTION
semblait, quand il était auis, à un César après son triomphe. » Son fils Hughes, qui épousa en I 467 Jeanne de Montaigu et par là s'unit à la famiUe royale de Bourgogne. Claude de Rabutin, que son pétillant efprit avait mis « si avant dans la faveur de Louis XII » qu'il « gouvernait le sang royal», et qui tomba en I JI J, à la bataille de Marignan. Sébaflien de Rabutin,favori de Henri II, et à qui ses exploits cynégétiques valurent les honneurs d'un tableau commandé par le Roi lui-même, pour la saUe des Suisses au palais de Fontainebleau. Citons surtout François de Rabutin, frère de Séba4tien, guerrier fougueux, et disciple de SaUufle et de César. Il publia en I JJ J des Commentaires sur le fait des dernières guerres en la Gaule Belgique, et, quatre ans plus tard, une Continuation des dernières guerres. Les Rabutin se diflribuèrent en trois branches : a) les Rabutin Chantal, branche aînée, qu'iUuflrera Mme de Sévigné; b) les Rabutin Bus.ry, branche cadette, qu'iUuflrera Roger de Bus.ry Rabutin; c) les Rabutin Chamuigy, branche mineure, qu'iUuflrera Jean-Louis de Rabutin. Et comme ceci efl moins connu, il convient de le jullifter par quelques mots. Jean-Louis (r6J3-1717), d'élégante mine, de taiUe mince, et de fougue bouiUonnante, fut page de la princesse de Condé. Si eUe le favorisait, elle favorisait aussi, et peut-être davantage, un valet de pied nommé Duval. Rabutin et Duval se prirent de quereUe devant elle, qu'une de leurs lances blessa au sein gauche. Elle fut exilée par Condé, sa vie durant, dans le fort de Châteauroux-sur-Indre. Duval, condamné aux galères, mourut myflérietaement en cours de route, dans la « chaîne ». Qg_ant à Jean-Louis, il se sauva en Lorraine, où une affaire d'honneur le contraignit de ca4ser les reins au marquis de Ba4sompierre, et de là à Vienne, chez l' Empereur, qui l'accueillit. Il devint successivement général de bataille, général de cavalerie, feld-maréchal, gouverneur de Tran.rylvanie, chambeUan et conseiUer d'État de Sa Mqjeflé Impériale. Il fit conflamment trembler les Turcs, eut des chevaux tués sous lui au canon, le poumon troué, sans que rien effr~ât jamais son élan. Il avait conquù, à la pointe de son efprit et de son charme, une princesse danoise, Dorothée de Holf1ein Wissembourg. Et puisqu'il était Rabutin, il écrivit, non sans rabutinade,
INTRODUCTION
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un petit roman autobiographique : L'Heureux page ( I 687), ensuite ses Mémoires, que publiera le prince de Ligne ( I 7 87). LES COULANGES 1 ~ 1 z. Les Coulanges ne sont rien, de minttscules Auvergnats. Au temps de leur fplendeur, som Louis XIV, les généalogifles à leurs gages découvriront tout jufle un Pierre Coulanges, qui époma en I JI 2 une Antoinette Duclos. Son fils Claude, « procureur », c'efl-à-dire homme d'affaires, époma en I J6I une Madeleine Aguesseau, et engendra Philippe, lequel, devenu gabelou puissant, sera le véritable créateur de cette forte famille bourgeoise des Coulanges et sera le grandpère maternel de Mme de Sévigné.
LES SÉVIGNÉ 11**. Les Sévigné bretons font un exaél vu-a-vu d'ancienneté avec les Rabutin. Le premier cité, au XII" siècle, - l'année n'étant pas précisée - et de prénom Gabillart, répond au Mqyeul bourguignon de III 8. Ici amsi, la succession efl ininterrompue; les alliances parfois grandes, avec les Montmorency, les Du Guesclin, par exemple; leurs terres nombremes : Sévigné non loin de Rennes, les Rochers près de Vitré, le Buron près de Nantes, Bodégat dans la région de Ploërmel, etc. Mais on ne rencontre pas dans cette troupe, malgré certaines échappées, le même mouvement ni le même éclat que chez les Rabutin, ni surtout le même efprit. Ceux-là ont été plm « locaux », et d'ailleurs la Bretagne ne deviendra française et royale qu'à la fin du XV'' siècle. Ce qu'il faut dire tout de suite, c'efl qu'il n'y eut jamais de « marquise de Sévigné ». Pour cela, il eût fallu qu'exiflât un marquis de ce nom, et par conséquent un marquisat. Or jamais la terre de Sévigné ne fut érigée en marquisat. Le marquisat de Mme de Sévigné n'efl qu'un marquisat de « courtoisie », autrement dit de contrebande mondaine. Mais pour ne pas offenser un mage séculaire, et parce qu'ily aurait quelque chose de déchirant à la nommer baronne de Sévigné, nom nom en tiendrons à la « courtoisie ».
Le grand-père maternel de Marie, Philippe de Coulanges, à qui elle devra sa fortune, connut des débuts assez. misirables. Mais Madeleine Aguesseau, sa mère, veuve, se remaria en
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INTRODUCTION
troüièmes noces à un trésorier des armées de Picardie, Jacques de Bèze, qui avait une fille d'un premier mariage. On voit le calcul : Philippe, qui dépaKse les trente ans, épousera la fille de son nouveau beau-père, Marie de Bèze, qui n'en a PM dix-sept, et en même temps succédera, dans sa charge, au trésorier de l'extraordinaire des guerres. Six ans plus tard, il acquiert en société la ferme des impôts nouveaux en Normandie, et par la suite la ferme des grandes gabelles comprenant les généralités de Rouen, Caen, Tours, Orléans, Bourges, Moulins, enfin la gabelle du Languedoc. C'efi la moitié de la France. D'année en année, l'or affluait par torrents plus épaü dans ses coffres. Gabelou immense, travailleur acharné, toujours en voyage d'un bout du royaume à l'autre, veillant à des emprunts pour le trésor royal, il était en même temps un père de famille admirable. Il eut de Marie de Bèze au moins treize enfants : Philippe, que nous appellerons Philippe II, en 1 J9 J; puü après un vide mal explicable de huit années, MARIE en 1603; Henriette en 1606; Chrifiophe, le futur bien bon, en 1607; Antoine en 161 2; Louü en 161 4; Charles en 161 6; Alexandre en 161 3. Ce sont ceux qui vécurent. Marie de Bèze n'observa le silence qu'après vingt-huit années de maternités. Tout ce monde se doublait d'une domefiicité non moins considérable, qui faüait moralement partie de la famille, à l'ancienne mode. Philippe avait d'abord habité rue de Braque, puü rue SaintAntoine. En 1606, il acheta un terrain de troü cent trente toües carrées, à l'angle de la place Royale, récemment créée par Henri IV, et de la rue Royale ( aujourd'hui place des Vosges et rue de Birague), et il y confiruüit sa part de bâtiment, en se conformant à la loi architeélurale d'ensemble de la place nouvelle. Après quoi, il voulut posséder un domaine champêtre et de « villégiature », à une difiance raüonnable de Parü, troü heures de route seulement. Il choüit Sucy-en-Brie, lieu fort à la mode, qui n'était que jardins, prairies, étangs, sources, et véritable paysannerie, sur une colline dominant la Marne. Qgand il y eut acquü des terrains nombreux, il y édifia une maüon qui déployait une façade de vingt-cinq mètres. Maü il n'eut de cesse qu'il ne « fieffât » ce domaine roturier. Il y réussit, et son domaine fut érigé en fief vaKsal, sous le nom de Monta/eau, moyennant une redevance annuelle au seigneur du lieu, plus la foi et l'hommage féodal. Le bourgeoü Philippe de Coulanges
devenait ainsi seigneur de Monta/eau.
INTRODUCTION
II
Si l'on a montré aux yeux du leéleur cet hôtel de la place Royale, à Paris (toujours subsiffant), et cette maison champêtre de Sucy (toujours subsiffante), c'eff parce que le richissime gabelou et nouveau riche Coulanges possédait une fille prénommée Marie et que se présenta alors à lui un éblouissant et pauvre baron de Bourgogne, Celse-Bénigne de Rabutin Chantal. L'autre grand-père de Mme de Sévigné, Chriffophe II de Rabutin Chantal, était né en IJ63. Il avait toujours suivi la came de Henri IV. Il fut gouverneur de Semur-en-Auxois. Amsi bon soldat que tota ses ancêtres, et d'un caraélère amsi doux que celui de son père Gui de Rabutin était violent et diflicultueux. Cette douceur, nom affirme Bmsy, « lui attirait des querelles avec les brutaux, qui ne croient PM qu'on puüse être brave sans être fanfaron; mais il les désabmait à grands coups d'épée ». En sorte que cet homme débonnaire soutint dix-huit duels et colleélionna les cicatrices. Le 29 décembre I 592, il époma une jeune fille de vingt ans, Jeanne Frémyot, dont le père était second président au parlement de Bourgogne. Jeanne Frémyot n'eff autre que la future sainte Chantal, et nom la nommerons ainsi dès maintenant, malgré l'anachronisme. Leur union fut parfaite, selon le monde et selon le ciel. Ils vécurent dans leur château de Bourbi/,(y, que les célèbres Lettres immortaliseront. Un double portrait, qui se trouve au palaü de Versailles, nom montre les époux côte à côte, mains jointes en prière, lui d'une santé vaillante et candide, elle en habit presque religieux, de figure grave et douce. En huit années de mariage, six enfants leur naquirent. Qgatre vécurent; mais trois de ces quatre devaient difparaître en leur matinée; et l'unique qui mena son exiffence jmqu' au terme normal, comtesse de Toulongeon, fut un monffre d' avarice. Il faut voir comme parlent d'elle son gendre Bmsy et sa nièce Mme de Sévigné. Chriffophe II, qui avait échappé aux périls de maint combat et de ses dix-huit duels, fut mortellement blessé dans une partie de chaJse, en I6oo. Il avait trente-sept ans. Il laüsait une veuve de vingt-huit. Jeanne de Chantal pMsa les premiers temps de son deuil à Bourbi/,(y, avec sa petite troupe enfantine à peine marchante. Puis elle fut réclamée au château de Monte/on, près Autun, par son âpre beau-père Gui de Rabutin, qui vivait" là avec une
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INTRODUCTION
servante maîtresse. Elle dut accepter la haine de sa famse belle-mère et mêler son fils et ses filles aux enfants du péché. Ne retenons que son fils Celse-Bénigne. Dès I604, on le confia à un abbé Robert, de Dijon. L'abbé quitta vite le soin d'un efjrit atasi peu gouvernable, et l'adolescent fut placé chez les jésuites. Deux hommes veillaient sur lui : le jeune archevêque de Bourges, Mgr André Frémyot, frère de sainte Chantal, et saint François de Sales. Mais ces pieux direéfeurs ne brimèrent jamais la nature du jeune homme, dont l'idéal ne visait pas à une vie religietae. Son idéal visait aux dix-huit duels de son père Chrifiophe. On sait que Jeanne de Chantal, sur les conseils de son époux fjirituel, François de Sales, fonda l'ordre de la Visitation Sainte-Marie, ce qui commandait l'abandon du monde. Les hifioriens ont conté les tragiques épiwdes de son départ, le corps de son fils étendu devant elle, pour la barrer, et enjambé par elle; et le bref de canonisation proclamera ultérieurement : « Depuis ce jour., on ne vit plm à sainte Chantal aucun retour humain sur sa famille. » Il y a dans la bulle du pape un peu d'exagération hagiographique. Sainte Chantal s'occupera tof!Jours des siens, emmènera ses filles avec elle dans ses V(!Jages bâtisseurs, mariera l'une au frère cadet de saint François de Sales, une autre au comte de Toulongeon. Mais de qui elle prend le plta grand souci, c'efi Celse-Bénigne. En I617, Celse-Bénigne de Rabutin Chantal parut à la Cour de France, où il fit sensation et où il charma extrêmement le jeune Louis XIII. Il était d'une fiature imposante, presque écrasante. Il faisait les armes avec une telle aisance, une telle virtuosité, qu'on finissait par ne plm s'en rendre compte. Et ce colosse, d'une légèreté aérienne, dansait avec une grâce sans pareille. Avec cela un efjrit accompli, un enjouement extrême, à la ressemblance de son épée ou de sa danse, et un jaillissement de beaux et aornés mots. « Tout jouait en lui. » Nota ne possédons de lui qu'une lettre lapidaire, de quatre mots, une vraie rabutinade . .Qg_and son ami Schomberg sera créé maréchal de France, il ne manquera pas à /'mage de lui adresser un compliment. Le voici :
Monseigneur, Qualité, barbe noire, familiarité, CHANTAL.
INTRODUCTION
Il voulait dire que Schomberg avait été fait maréchal de France parce qu'il était homme de qualité, parce qu'il portait la barbe noire comme Louis XIII, et qu'il vivait avec lui sur le pied de familiarité. Mme de Sévigné de conclure : « Il était joli, mon père! » L'éloge ne l'efi PM moins. Il était joli. Mai& il était fafiueux. Il n'était PM très riche et faisait des dettes à bride abattue, empruntant à des oncles, à des tantes, à des cot1sins, à des ami&, à des notaires, à des marchands, à des tailleurs d'habits, leur confiituant des rentes, puisqu'il ne pouvait rembourser, ou signant des billets illusoires. Sainte Chantal tremblait des pieds à la tête, et faisait agir l'archevêque de Bourges ou saint François, en vain. Il y avait aussi les dix-huit duels du doux Chrifiophe, que Celse mettait sa gloire à vouloir surpMser. Il s'affichait avec les maîtres du genre, il se battait pour lui-même, il se battait pour ses ami&. Et sa mère priait. Après une première année de Pari&, où il n'avait rien obtenu que les sourires du jeune Roi, sainte Chantal le fit venir à Annecy, pui8 l'emmena à Grenoble en 1618, pour l'y fixer en l'y mariant. Il y avait à Grenoble une « fille digne d'amour » comme la qualifie saint François, Huguette Liotard, dont le père était président au parlement de cette ville. Elle se trouvait déjà accordée à un autre; mai& elle rompit ces fiançailles pour s'accorder à Celse. Saint François « conclut le mariage en son logis ». Lui et sainte Chantal étaient aux anges. Et nous faillîmes avoir une petite Marie de Rabutin qui n'eût PM été la nôtre, qui sans doute n'eût rien été du tout. Heureusement, des difficultés surgirent, par le fait de Mme Liotard, qui découvrit la gueuserie financière du jeune baron. Elle réduisit les « efjérances » qu'elle avait accordées à sa fille. Saint François plaida, marchanda, consentit d'humiliants rabais, et n'obtint finalement que la rupture, après l'accord. Celse s'en retourna à Pari&, à ses duels, à ses dettes, à son des1in cahotant. En 1619, le prince Vié!or-Amédée de Savoie vint épouser Chrifline de France, sœur de Louis XIII. Saint François, qui avait combiné ce mariage, pensa que CelseBénigne, toujours à la poursuite d'une charge, pourrait en obtenir une dans l'auflère maison du Prince, à Turin. CelseBénigne recula d'horreur à la pensée de cet exil, et préféra demeurer à la Cour de France. Peu après, sa mère, qui avait déjà fondé des monaflères dans plusieurs grandes villes de la Lyonnaise, vint à Pari&,
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INTRODUCTION
qui en manquait encore. Et après un essai déplorable dans une maûon du faubourg Saint-Michel, qu'encadraient plusieurs lieux de proffitution, elle inffalla en z62z la communauté nouvelle à l'angle de la rue Saint-Antoine et de la rue du PetitMmc, tout près de la place Royale. Le deffin de Celse se fixait. La sainte eut bientôt découvert dans le quartier la tribu des Coulanges, gens de roture qui ne valaient PM les parlementaires de Grenoble, maû gens solides, honorables, pieux, et démesurément riches. Et Philippe de Coulanges considéra avec une forte envie d'acheteur, d'où la prudence n'était PM exclue, ce gentilhomme de magnifique race, d'une preffance superbe, et d'une pauvreté qui devait être aûément « vénale ». Sainte Chantal, obligée de regagner Annery, laûsa derrière elle le meilleur des ambMsadeurs, Mgr André Frémyot, son frère.
Mai 1623. - Voici comment fut réglée l'éclatante mésalliance entre le fils des preux et la fille du gabelou. Mgr Frémyot acquittera toutes les dettes de son neveu, faute de quoi point de mariage; et il lui conffituera une rente annuelle de mille livres. Louû XIII accordait au baron, qu'il aimait, une fplendide gratification de trente mille livres. Philippe de Coulanges accordait davantage à sa fille : zo.ooo livres en tromseau et bijoux, le petit scel du grenier à sel de Rouen et un greffe en l'éleélion de Falaûe, qui, réunû, valaient 80.000 livres, somme énorme. Il ne reconnaîtrait jamaù les dettes nouvelles que le futur pourrait contraéler. En outre, il exigeait que les jeunes époux tinssent leur résidence chez lui, dans ses maûons de la place Royale et de Sury-enBrie. Il efpérait ainsi tenir à l'œil un gendre qu'il pressentait aventureux. On ne connaît rien de la jeune épomée, sinon son portrait, conservé aux Rochers, qui nous montre une petite figure ronde, tranquille, ordinaire, un brin souriante, et fort semblable à celle de son frère l'abbé Chriffophe de Coulanges. Et l'on possède d'elle deux petits carnets de compte, tout secs. Le mariage fut célébré le z4 mai z623, providentiel pour nom, honteux pour d'autres. Aucun membre de la famille paternelle direde, aucun Rabutin d'aucune branche, ne consentit à y paraître. Du moins, quand ils étaient empêchés, les parents de tout degré envoyaient leur procuration et signaient par là att contrat. Aucun Rabutin ne consentit davantage à envoyer sa procuration ni à signer.
INTRODUCTION
Un tel désaveu ne se pouvait étaler aux yeux du noble Marais. Si le contrat fut signé ce jour-là dans l'hôtel de la place Royale, on évita Paris, les Jalles de l'église Saint-Paul; et l'on courut au modef!e village de Sury-en-Brie, où la bénédiéfion nuptiale fut donnée par Mgr André Frémyot.
Février 1624. -
Naissance d'un fils.
Dimanche de Pâques 1624. - A l'église Saint-Paul, au cours de l'ofjice, un laquais de Bouteville vint avertir le baron Celse qu'on l'attendait à la porte Saint-Antoine. Le baron laisse là sa femme et toute sa bellejamille, et court, simplement chaussé de mules, à la porte Saint-Antoine, où Bouteville et lui se battent avec des couteaux de taverne contre Pontgibaud et Salles. Chantal eft condamné à mort, ainsi que ses complices, et déclaré déchu de sa noblesse : il sera donc pendu en place de Grève. Toutes ses maisons rasées, avec défense de jamais les reconf!ruire; et tous ses arbres sciés par le milieu. Il avait fui à temps. Il ne fut pendu qu'en effigie. Il se cacha en Bourgogne, chez sa sœur Toulongeon. Il y apprit la mort de son fils, et qu'il avait laissé sa femme à nouveau enceinte. Il apprit aussi qu'on n'avait pas rasé ses châteaux de Bourbil!J, de Chauvigny, etc. Au bout de l'année, n'y tenant plus, il sort de sa cachette, revient place Royale, où les Coulanges lui firent sans doute grise mine, et risque un pied à la Cour, où le Roi esquisse pour lui un sourire, malgré Richelieu. La potence était remisée.
Début de 1625. une fille.
Naissance et mort d'un second enfant:
Jeudi 5 février 1626. - Naissance du troisième enfant : Marie de Rabutin Chantal. Elle naquit chez Philippe de Coulanges, dans l'hôtel de la place Royale, et dans la chambre qui se trouvait au-dessus de la salle haute. Elle fut baptisée le lendemain à l'église SaintPaul. On a dit que la naissance de Marie provoqua un premier miracle, qui fut d'assagir sérieusement son père. Ce sont là des enjolivements post rem. S'il se battit un peu moins, sans doute par manque d'occasions, il continua d'élever le monceau désordonné de ses dettes, au risque de ruiner dès ·maintenant
INTRODUCTION
son enfant nouveau-née. En fait de miracle, on peut se contenter d'en reconnaître un, qui sujjit, dans la naüsance même de Marie. Par ailleurs, cette année r626 porta un terrible coup au baron et troubla sa pensée de façon durable. Son ami Chalaü eut la tête tranchée pour avoir comploté contre le Cardinal. Celui-ci trouva l'occaJion bonne de découvrir au Roi les liaisons de Chantal avec le supplicié. Il rappela sa conduite sacrilège de Pâques, son impénitence. Il ajouta que l'homme était encore plm redoutable par sa langue que par son épée et qu'il n'épargnait aucune personne vivante, si auguffe fût-elle. Les épées de l'efprit ont toujours été craintes plm que les autres. Le visage du maître se rembrunit. Celse-Bénigne s'en aperçut. Il s'inquiéta, languit, eut même des hallucinations, qui nom ont été rapportées. 22 mai 1627. Place Royale, Bouteville et Chapelles se battent contre Bm.ry d' Amboüe et Beuvron. Le baron Celse aJsiffe au combat, sans sy mêler, et voit Bm.ry d' Amboüe mourir som le fer de Chapelles. Il recueille son ami Bouteville dans l'hôtel des Coulanges, et l'aide à fuir en lui prêtant des chevaux. Bouteville et Chapelles, rattrapés à Vitry-le-Françoü, furent décapités. La sentence du parlement nommait Chantal et rappelait son duel sacrilège de Pâques. Il eut peur, ou, si ce mot eff indigne de lui, il sentit des remords et voulut se racheter. Il demanda à son ami le marquü de ToirM, qui gouvernait l'île de Ré, de le recevoir comme volontaire. Buckingham préparait une descente dans l'île, dont la possession le mettrait mieux à portée de secourir La Rochelle et les proteffants, a8Siégés par Richelieu. ToiraJ difposa d'abord de 800 fantaJsins et de 200 cavaliers, ceux-ci réparti& en quatre escadrons. Le premier escadron, presque uniquement composé de gentilshommes, réclama d'être commandé par Chantal. Le 22 juillet, 2.000 Anglaü débarquèrent à la pointe de Samblanceau. Chantal fonça dans leurs lignes. Il eut troü chevaux tués som lui. Il recula, revint à la charge, se battit pendant six heures, reçut jmqu'à vingt-sept coups de pique, et fut même, dit-on, touché par un boulet de l'escadre ennemie. Il avait trente-troü ans. Il fut enterré dans l'église Saint-Martin de Ré. (Il y a aujourd'hui, là-bas, une rue Baron-de-Chantal.) Son cœur fut envoyé à Parü, où Marie de Coulanges, sa femme, le déposa dans l'église des Minimes de la place Royale.
INTRODUCTION
Ici commence d'ordinaire le chant plaintif des biographes sur l'enfance trille, solitaire, abandonnée, de l'orpheline. C'eft une pure légende. Elle a un an et demi; elle ignore évidemment sa perte, qui ne change rien à ses jours. Elle refte dans cette maison abondante et jeune de la place Rqyale. Son oncle aîné Philippe II de Coulanges, âgé de trente et un ans, vient de se marier, et lui amsi tient son ménage au f qyer paternel. Si nom nom avançons un peu, jmqu'en uf30, où Marie atteint ses quatre ans, que vqyons-nom autour d'elle? Jamais un Rabutin. Mais, outre sa mère, outre le tuteur Philippe Ier de Coulanges et Marie de Bèze, outre Philzppe II et sa femme Marie Lefevre, nom vqyons le brt[Jant quintette de ses autres oncles : Chriftophe, Antoine, Louis, Charles, Alexandre, alors âgés de vingt-trois, dix-huit, seize, quatorze et douze ans. La domefticité eft considérable. La mère de Marie a pour son seul service un éct[Jer, Claude de Certieu, un valet de chambre, Nicolat Traversier, deux laquais, Claude Pignaudet et Gilles Grelcry, et un cocher refté anonyme. On peut, sans crainte d'exagération, tripler ce nombre pour l'ensemble du personnel familial. Cette abondance admirable façonne tôt à Marie une humeur aisée et liante, qui s'appliquera à tom les milieux où la vie l'introduira. D'autre part, ce monde des Coulanges eft essentiellement « laïque », au sens social, bien entendu. Pat une fille n' e'!trera en religion; des six fils, un seul sera nominalement d'Eglise, l'abbé Chriftophe; mais en réalité il sera de finance, lui amsi, avec un véritable génie. Si l'orpheline avait été retirée dans sa famille paternelle, en Bourgogne, on l'eût cloîtrée. C'était le vœu imprudent de sa grand-mère sainte Chantal. Grâce aux Coulanges, elle échappa à toute clôture, voire à toute école commune. Jmqu'à son mariage, elle ne connut pat une seule journée qui ne chantât libre dans l'hôtel de la place Rqyale ou ne galopât sur les pelomes de Sury-en-Brie. 22 septembre 1631. Henriette de Coulanges épome le marquis de La Tromse, qui sera maréchal des camps et armées du Roi. Seule des enfants mariés, elle s'inftalle hors du logis paternel, mais ce fut porte à porte, l'hôtel de La Tromse se trouvant place Rqyale. Si nom citons cette alliance, c'eft qu'il en résulta quelque chose de considérable pour la formation inte//eélue//e de Marie. Un vieil ami des La Tromse, et nullement parent, àvait atsifté
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INTRODUCTION
au mariage d'Henriette et signé au contrat : l'ancien précepteur du jeune marié et de ses frères. Il était chez eux depuis pltts de quinze ans, et devint l'ami très intime des Coulanges, ils'appelait Jean Chapelain. On sait que l'illufire Jean Chapelain fut le premier maître de lettres de Marie; mai& on ignore communément qu'il la connut lorsqu'elle avait cinq ans, grâce au mariage d'Henriette, et qu'il la suivit très tôt. 2.3 août 1633. - Ce mardi-là, on enterrait la mère de Marie. Et ce même mardi, nai8sait dans la mai8on en deuil un petit bonhomme, dont toute l'exifience n'allait être qu'une chanson, Philippe-Emmanuel de Coulanges. La petite Marie fut sa première gouvernante. f2!!.and il sera devenu un gamin de soixante ans, il la nommera toffiours « mon adorable gouvernante », et elle lui répondra jusqu'au bout « mon enfant ». Le deuil qui la rendait complètement orpheline en I6JJ, ne modifia en aucune façon son exifience. Ils demeurent dix autour d'elle, dont sept personnes jeunes. Il faut citer Anne Gohory, sa gouvernante personnelle, qui d'ailleurs ne la quittera jamai8. Il faut citer surtout celle qui remplace sa mère défunte, la jeune Marie Lefèvre d'Ormesson, âgée de vingt-sept ans, femme de Philippe II et mère du petit bonhomme aux chansons. Elle vivait chez les Coulanges depuis des années et connai8sait sa pupille depui8 le berceau. Les Lefèvre, qui étaient de robe, avaient une avance de plusieurs générations sur les Coulanges. Ils furent les amis d'Henri III, Henri IV, Loui8 XIII, qui tous convoitèrent de posséder leur magnifique domaine d'Ormesson, en vain. On lit dans leurs annales cette phrase grandiose : « Leur mai8on reconnut Henri IV. » Mais ce qui les rendait plus fiers que ne faisaient les caresses royales, c'était leur alliance avec saint Françoi8 de Paule, qu'ils rappelaient incessamment par la couleur brune de leur livrée.
5 décembre 1636. -Marie de Bèze,grand-mère maternelle, était morte le I 2 mai r634. Philippe Ier de Coulanges mourut le J décembre I 6J 6. Qgi sera le nouveau tuteur de Marie ? On répond de toutes parts : le bien bon abbé de Livry, Chrifiophe de Coulanges. C'efi une légende, créée motu proprio par le grand sévignifie Walckenaer. Divers savants l'ont réfutée : François de Mal/avoue, Guillaume Depping, Charles de Beaurepaire, Émile Malherbe. Rien n'y a fait, elle continue de fleurir.
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L'ammblée de famiUe se réunit au Châtelet le 6 janvier 1637, et ce fut un bel orage où la jeunesse de Marie faiUit être bruée, peut-être même sa vie entière. Les Rabutin étaient présents; il ne s' agusait plUK d'une mésaUiance à quoi l'on tourne le dos, mau des grands biens dont cette fiUe de gentilhomme serait pourvue. Ils réclamèrent la tuteUe et la garde de l'enfant, parce que les branches ma!culines prévalent sur les féminines. Sainte Chantal la désirait aUKsi, pour un intérêt tout f}irituel : eUe tenait quatre-vingtdix-huit couvents prêts, où eUe abriterait sa petite-ftUe. La fa[fion materneUe et bourgeoue des Coulanges exprima les vues du bon sens et du cœur. La petite était née chez eux, avait été élevée par eux, n'avait connu qu'eux. Ses biens avaient été sauvegardés, augmentés par eux, et continueraient de l'être. Il n'exiflait aucune rauon d'interrompre et de détruire un ordre de choses que ni la mort de son père ni ceUe de sa mère n'avaient modifié. Ils réclamaient la tuteUe pour Philippe II de Coulanges, et que la garde de l'enfant fût confirmée à sa femme Marie Lefèvre, laqueUe remplusait auprès d'eUe le rôle de mère depuu plUKieurs années. La contrariété entre les deux clans fut absolue. Le conseiller au Châtelet, qui présidait l' Msemblée ( c'était alors la coutume), renvoya les parties, fit son rapport; et comme il jouusait d'un pouvoir discrétionnaire, il décida, le 28 janvier, que Philippe II succéderait à son père dans la tuteUe et que Marie Lefèvre continuerait d'éduquer l'enfant. Sa gouvernante Anne Gohory lui fut maintenue à l'unanimité. On s'occupa aUKsi des maîtres qui l'inflruiraient, et de leur rétribution, - car eUe avait atteint ses dix ans - et le coût de son entretien fut fixé à douze cents livres annueUes, ce qui traduit un grand luxe. Et « la pauvre petite orpheline », comme dit Msez lugubrement sainte Chantal, continua de s'épanouir parmi les mêmes vuages nombreux et jeunes. Il ne se peut enfance et adolescence plUK unie, plUK choyée que la sienne, ni plUK joliment encadrée de part et d'autre : les coUKins fraternels Coulanges ( deux fiUettes rejoignent le futur chansonnier), les petits coUKin et cotaines La TroUKse, qui la suivent, et les adultes, quatre oncles de seize à vingt-trou ans, qui la précèdent. MalheureUKement, on abandonnera la place Royale, pour s'inflaUer rue Barbette, ensuite rue des Francs-Bourgeou. Mau Sury-en-Brie demeure, même accru dans les dernières années. Il faut signaler que le tuteur Philippe II devint quelque
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peu amoureux de sa pupille à mesure qu'elle grandissait. Il faisait ses quatre volontés, quand c'eût été quatre folies. Et comme il s'en fut en mission à Rouen dans les premières semaines de r640, après la terrible révolte des Nu-pieds, elle voulut être du vqyage. Nous avons signalé ailleurs ce séjour inconnu de Marie de Rabutin en Normandie. Sainte Chantal avait reçu de fâcheuses nouvelles de la façon dont on élevait sa petite-fi/le. Elle trouva « grand préjudice qu'on lui laissât toute liberté de faire ce qu'elle voulait, et qu'en rien on ne la voulût fâcher ». C'était là une pédagogie « bien éloignée de ce qu'elle efpérait ». Elle s'adressa à la mère Luillier, supérieure des Sainte-Marie au faubourg Sain/Antoine, pour découvrir « dextrement » la vérité. Après enquête, la mère Luillier lui répondit que ses angoisses étaient vaines, que la « petite Cantaline », si enjouée et si libre qu'elle se montrât, n'en reflait pas moins irréprochable. On a été répétant partout, sauf un Jean Lemoine, à qui nous devons le plus de clartés sur les dix-huitpremières années de Marie, que la sainte ne vit jamais sa petite-fille. Une légende de plus! Sainte Chantal vint à Paris vers la fin de r627, après la mort de son fils. Elle alla prier sur le cœur de ce fils, provisoirement déposé aux Minimes de la place Rqyale; et elle n'eût pas vu l'enfant de ce fils qui vivait à dix toises de là! Elle revint à Paris en I6JJ pour une durée de dix mois. L'enfant dépassait les neuf ans. Le vieux Coulanges avait terminé sa chapelle et son caveau particuliers dans l'église Sainte-Marie, rue Saint-Paul. On y avait déjà réuni les dépouilles de Marie de Bèze, de la jeune baronne de Chantal, et le cœur de Celse; et ces dix mois se seraient écoulés sans provoquer une rencontre, comme l'imaginent les Paul Mesnard et les Vallery-Radot, entre grand-mère et petite-fille, qui vivaient côte à côte ! La sainte vint une dernière fois à Paris en oé!obre r64r. Et cette fois, sa confidente, la mère de Changy, nous apprend qu'elle eut « toujours auprès de soi », c'eft-à-dire quelques inf!ants chaque jour, sa petite Cantaline, tout éblouissante des seize ans proches. Il efl vrai que sainte Chantal n'exerça et n'eût jamais exercé, si elle avait vécu plus longtemps, la moindre influence sur Marie : celle-ci n'était pas du bois dont on fait les myfliques et les dévotes, ni même les contemplatives; elle se contenta d'être appelée, avec une légitime fierté, « la relique vivante » de la sainte.
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Si la religion lui fut diflribuée à dose normale, en revanche la littérature allait couler à pleins bords. Voici venir les maîtres illuflres, les « bons maîtres » auxquels elle sera to,gours reconnaüsante. L'ordinaire des notices, tout en s'enveloppant d'un « peutêtre », donne l'abbé Ménage comme le premier en date, Chapelain comme son successeur, toU8 deux procurés par l'inévitable abbé Chriflophe de Coulanges, lequel n'y fut pour rien. ( Qg_inze ans pltt! tard, il ne connaûsait par encore l'abbé Ménage.) Ce fut Chapelain d'abord, procuré par les La TroU!se, l'abbé Ménage ensuite, procuré par Chapelain, et vraûemblablement des subalternes som leurs ordres. A noter que la formation de Mme de Sévigné fut exltt!ivement littéraire. Point de sciences. Descartes n'a par encore paru ou ne fait que paraître. Une génératirm pltt! tard, les sciences figureront au programme de Mme de Grignan. NoU8 avons vu que Chapelain connut Marie toute bambine. Ce fut lui qui lui donna le goût échevelé des La Calprenède, des Gombauld, et qui surtout lui révéla Corneille dès l'heure brûlante du Cid. Pitt! tard, il lui rappellera, non sans juflesse et fierté, qu'il fut son « père fjirituel ». Ménage continua et compléta Chapelain. C' efl à eux qu'elle dut la connaûsance étendue de la littérature italienne - elle écrira couramment en italien - un peu celle de l'efjagnol, et une certaine vue du latin. On sait que Gilles Ménage devint amoureux de son élève, et que son élève l'aima beaucoup, « de toU8 les ami& l'ami le pltt! cher », sans devenir amoureU!e de lui. Elle le tourneboula, et cela dura des années, avec des audaces de paroles et de gefles. Il faut bien en citer quelques-unes. Comme il se proclamait son « martyr », elle lui répliqua leffement : « Et m,i, Monsieur, je sui& votre vierge. » Elle l'embrarsait publiquement, « comme cela se pratiquait dans la primitive Églüe ». Elle lui abandonnait même ses brar, qu'il caressait avec ferveur. Telle femme, qui fut un jour témoin d'une scène de ce genre, lui dit, au moment où il rendait la liberté à ces désirables ol?fets : « A coup sûr, Monsieur, voilà le plur bel ouvrage qui soitjamaü sorti de vos mains. » On s' efl beaucoup moqué de l'abbé Gilles, et du rôle ridicule que joua un « barbon de son âge » (Gaffon Boûsier et divers). Le barbon de son âge avait tout juffe vingt-huit ans quand sa trop charmante élève en avait seize; il était joli gar-
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çon, une tête de vif-argent, pétiUant d'efprit, peut-être PM du meiUeur, maü enfin d'efjrit, ce qui ne ]'empêchait PM d'être auui savant « que Jufie-Lipse et Lambin ». Il fut jaloux. Non PM des petits poètes qu'il voyait accueillü et que peut-être lui-même avait fait accueiUir dans la maison : Marigny, Saint-Pavin, fort gaillard malgré sa bosse, Montreuil, « douze foü plus étourdi qu'un hanneton », etc. Non pas trop des jeunes oncles Louü et Charles qui regardaient Marie autrement qu'une nièce. On jouait tous ensemble à divers jeux, notamment à colin-maillard; on madrigalisait, et c'était tout. Maü il était jaloux du cousin Bus.ry, et il y avait de quoi. Ce jeune füa.ry manie une épée déjà illufire. Contrairement à tant de gentilshommes, il efi fort cultivé; il pourrait s' entretenir de choses latines ou italiennes avec l'abbé Ménage, s'il ne le méprisait un peu. Qgant à l'efjrit, il l'a redoutable, fringant, plein d'éclairs, fin comme son épée, et d'une gaieté entraînante. Marie l'accueille avec joie et lui donne une réplique rabutine de valeur égale. Il sufjît parfoü aux deux cousins de se regarder sans rien dire, pour que leurs rires fusent. « Nous avions le don de nous entendre avant que d'avoir parlé. L'un de nous répondait fort bien à ce que l'autre avait envie de dire. » Qgi avoue cela? Ce n'efi pas Bu-K.ry, c'efi eUe. Elle avoue encore : « Nous sommes fort sujets aux épanouüsements de rate quand nota sommes ensemble. » Lui aussi amène des amü, comme ce Pierre Lenet qui fut attaché à Condé, laüsera des Mémoires, avait de l'efjrit comme douze, et à qui Marie rappellera plta tard « cette belle jeunesse où nous avons souvent pensé crever de rire ensemble ». Oui certes, malgré les claquements de son fouet, et malgré l'amitié dont elle l'inondait, Ménage n'était pas toujours à l'aile auprès de sa grande élève. Ses études ne s'en poursuivaient pas moins, extrêmement solides. Elles se complétèrent par les arts d'agrément. Mlle de Chantal et1t des maîtres à danser, des maîtres à chanter, des maîtres à déclamer, des maîtres d'équitation. Et elle dansa admirablement, et elle chanta d'un ton fort agréable, et elle joua la comédie d'une manière qui ne se voila un jour la face que devant l'admirable Champmêlé. A cheval, elle ft,1t moins brillante. Elle ne nous cachera pas qu'elle avait « le derrière fort écorché » quand elle montait. Sa préférence ira toujours aux longues marches. Venons-en au chapitre traditionnel de son entrée dans le monde. On va partout répétant qu'elle fut menée, vers les
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seize ans, à la Cour d'Anne d'Autriche, présentée à Mme de Rambouillet et aux illuf!res hôtes de la chambre bleue. On ne nous en a jamaü apporté la moindre preuve, ou bien elle nous a échappé. Cette double présentation ne semble qu'un pof!ulat, infjiré par ce besoin d'anoblir après coup et à tout prix une formation dont nous avons vu le caraffère essentiellement bourgeoü, malgré l'équitation et le ref!e. D'ailleurs, qui l'eût menée à la Cour? Ce ne sont point les financiers Coulanges, à coup sûr, ni un abbé Ménage, ni même un Chapelain, étrange duègne. C'ef! seulement après son mariage qu'elle put pénétrer au château de Saint-Germain et dans la fameme chambre bleue, en ce dernier lieu grâce à Chapelain, qui le dit. Elle atteint les dix-huit ans, saine de corps et d'âme, rayonnante de gaieté, et jolie. « Ai-je été si jolie? On dit que je l'étai& beaucoup. » Sans doute ses petits yeux fjirituels montrent un peu d'inégalité, un peu de « bigarrure », azur l'un, or vert l'autre. Ses cheveux si blonds sont un peu épaü. Son nez, oui, son nez, ef! un peu carré par le bout, et son menton aurait quelque tendance à lui ressembler comme un frère. On peut encore trouver qu'il exif!e des brM plus délicatement arrondi&, des ceintures plm fines. Ce n'ef! PM une beauté régulière de tous points. Mai& pour découvrir ces détails, il faudrait que la vie s'arrêtât, il faudrait l'immobilité et le microscope. Or sa vie vom inonde d'abord, et son efjrit. Il semble que l' efjrit ne doive toucher que les oreilles attentives. « Il ef! certain que le vôtre éblouit les yeux. » Voilà le nryf!ère expliqué par Mme de La Fayette. Tout redevient parfait d'un coup : nez, cheveux, prunelles bigarrées, grâce à la beauté de cet efjrit. Pauvre Ménage! Certaines rumeurs se font entendre, qui annoncent le prochain établüsement de son élève. Ce fut entre eux l'occMion de quelques scènes, dont l'écho nom a été transmü par elle. 1644. - Marie n'avait PM attendu ses dix-huit ans pour qu'on pensât l' « établir ». Dès ses quinze ans, elle fut désirée par un M. de La Grange pour son fils. Sainte Chantal n'eût PM détef!é ce mariage, mai& le projet n'aboutit pM. Un autre projet fut poussé beaucoup plm loin, et Marie aurait pu devenir, au début de r643, la bru de l'hif!orien de Thou. Malheuremement, Jacques-Auguf!e de Thou, qui devait présider plm tard une chambre des enquêtes, vit son frère Françoü périr sur l'échafaud avec Cinq-Mars, à la fin
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de I642. Les Coulanges s'en émurent assez pour écarter Jacques-Augulle, qui toute sa vie regretta et admira Marie. Bw.ry Rabutin, depuis longtemps, rentrait dans certaines vues familiales; mais il n'avait pas attendu l'échec de JacquesAugulle pour s'unir à sa cousine Gabrielle de Toulonl!,eon, qui était atasi la cottsine de Marie. Enfin, l'abbé Chrillophe de Coulanges dénicha pour sa nièce, en I 644, un gentilhomme breton d'une vingtaine d'années, Henri de Sévigné, qui ne valait pas grand-chose; mais il était apparenté aux Gondi, à Retz, et filleul du maréchal de Schomberg. Henri de Sévigné, fils unique de Charles, et né le I6 mars I623, avait perdu sa mère à un an et demi et son père à douze ans. Jusqu'en ces derniers temps, il n'avait vécu que dans le château des Rochers, sous la direélion d'une marâtre qui était une mégère, Marguerite de Coëtnempren, seconde femme de son père, et elle-même veuve d'un premier mari, nommé Gui de Keraldanet. Le mariage Sévigné-Chantal devait avoir lieu le 28 mai I644. Mais le prétendant se battit en duel ce jour-là, ou la veille, et fut grièvement blessé à la cuisse. Il fallut remettre à plus tard. Ce fut le 4 août que la bénédiélion nuptiale leur fut donnée dans l'église Saint-Gervais, par Mgr de Neuchèze, évêque de Chalon, oncle de l'épome. Henri de Sévigné emmena aussitôt sa femme au château des Rochers, où la famille tenait sa résidence depuis I 48J. Cette funelle année I485, à la suite d'une révolte des seigneurs contre le duc de Bretagne, François II, avait été rasé le beau manoir de Sévigné, sur la paroisse de Cesson, dont la grande salle, chauffée par trois cheminées, mesurait troù cents mètres carrés
(JO X 10). 10 octobre 1646. - Naissance à Paris, rue des LionsSaint-Paul, de Françoise-Marguerite de Sévif!,né, future comtesse de Grignan. Pl11s d'une fois, Mme de Sévigné dira à sa fille : « Vo11s qui êtes bretonne ... Venez ref}irer l'air natal [en Bretaar ~n homme qui n'est ni intime ami, ni flatteur. (Son Eminence) trouva le même plaisir que moi à voir que c'était ainsi que la vérité forçoit à parler de lui, quand on ne l'aimait guère, et qu'on croyoit qu'(on) ne le saurait jamais. (Voilà tout le goût que je trouve à le montrer, mais c'est à vous et à lui, car on m'en a priée fortement, et je suis ponB:uelle, je vous prie de l'être aussi.)* M. d:Hacqueville vous mandera* comme se trouve (Son Eminence) dans sa retraite,* je ne l'ai point vu depuis les lettres qu'il a reçues. * Il faut souhaiter que Dieu s'en mêle; sans cela tout est mauvais. Nous avons eu un froid étrange; mais j'admire bien plus le vôtre : il me semble qu'au mois de juin je n'avais pas froid en Provence. Je vous vois (, ma bonne,) dans une parfaite solitude; je vous plains moins qu'une autre : je garde ma pitié pour bien d'autres sujets, et pour moimême la première. Je trouve (de la commodité) de connaître les lieux où sont les gens à qui on pense toujours : ne savoir où les prendre fait une obscurité qui blesse l'imagination. Votre chambre et votre cabinet me font mal, et pourtant j'y suis quelquefois toute seule à songer à vous; c'est que je ne me soucie point de me tant épargner. (Comment dormez-vous, ma bonne ?) Ne faites-vous point rétablir votre terrasse ? Cette ruine me déplaît, et vous ôte votre unique promenade.
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* N'avez-vous point vu la Simiane 20 et la très-sage et très-honnête Mme du Rousset ? Où avez-vous pris un cocher ? Celui de M. le C[ardinal] étoit tout prêt. * (Ma bonne,) voilà une lettre infinie; mais savez-vous que cela me plaît de causer avec vous ? Tous mes autres commerces languissent, par la raison que les gros poissons mangent les petits. J'embrasse (mes) * petites mies, et * le petit marquis; dites-lui qu'il a encore une autre maman au monde; je crois qu'il ne se souvient pas de moi. Adieu, ma très-chère et très-aimable (bonne); je suis entièrement à vous. * M. de Coulanges demande pardon de vous avoir si maltraitée pour ce livre 21 • Voilà une aimable chanson; mais il faut que M. de Grignan la gouverne : vous aurez des airs de l'opéra. Votre ballot partira bientôt; vous aurez vendredi votre petite perruque, c'est-à-dire elle partira d'ici. *
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DE MADAME DE SANZEI
Il n'est pas juste, ma belle, que vous n'entendiez pas parler de moi, passant depuis quinze jours ma vie avec Mme de Sévigné. Je soupe et couche tous les soirs chez elle. Vous croyez bien que je suis très-contente de faire une telle vie, et que je souhaite fort que les maçons qui travaillent chez moi, y demeurent jusqu'à ce qu'elle s'en aille. Nous parlons de vous très-souvent; vous n'aurez pas de peine à le croire. J'ai été fort occupée de votre joli enfant, et j'apprends avec beaucoup de joie qu'il se porte bien22 • J'en aurai encore beaucoup, ma très-belle cousine, si vous vous souvenez toujours un peu de moi. Je vous aime trèstendrement, et j'espère par là que vous aurez un peu d'amitié pour moi. *
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DE MADAME DE SÉVIGNÉ
La bonne Sanzei a fort bien planté là son petit discours. Le Coadjuteur a vu les Bellièvre; nous espérons que tout s'achèvera : je l'ai empêché de vous écrire. Je vous embrasse, ma très-chère enfant. * ·
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veux vous entretenir un moment, ma chère fille, de notre bon cardinal. Voilà une lettre qu'il vous écrit. Conseillez-lui fort de s'occuper et s'amuser à faire écrire son histoire ;tous ses amis l'en pressent beaucoup. Il me mande qu'il se trouve fort bien dans son désert, qu'il le regarde sans effroi et qu'il espère que la grâce de Dieu y soutiendra sa foiblesse. Il me témoigne une extrême tendresse pour vous, et me prie de ne point partir sans achever vos affaires. Il se souvient du temps que vous aviez la fièvre tierce, et qu'il me prioit, pour l'amour de lui, d'avoir soin de votre santé; je lui réponds sur le même ton. Il m'assure que les plus affreuses solitudes ne seroient pas capables en mille ans de lui faire oublier l'amitié qu'il nous a promise. Il a été reçu à Saint-Mihel avec des transports de joie : tout le peuple étoit à genoux, et le recevait comme une sauvegarde que Dieu leur envoie. Les troupes qui y étoient sont délogées, et les officiers sont venus prendre ses ordres pour s'éloigner et pour épargner qui il voudra. M. le cardinal de Bonzi m'a assurée que le pape, sans avoir encore reçu sa lettre\ lui avoit envoyé un bref, pour lui dire qu'il veut et entend qu'il garde son chapeau; que cette dignité ne l'empêchera pas de faire son salut. Le public ajoute qu'il lui ordonne de ne faire sa retraite qu'à Saint-Denis; mais je doute de ce dernier, et je vous nomme mon auteur pour l'autre. Je suis très-persuadée qu'on ne pense plus à la cassolette. Si j'avois prié qu'on ne l'envoyât point, j'en aurois fait souvenir; j'ai donc mieux fait de n'en point parler. Il n'y a point de nouvelle importante : on est toujours alerte du côté de M. de Turenne. Il y avoit l'autre jour une Mme Noblet, de l'hôtel de Vitri, qui jouoit à la bassette avec Monsieur; on lui parla de M. de Vitri, qui est très-malade; elle dit à Monsieur : « Hélas I Monsieur, j'ai vu ce matin son visage : il est fait comme un vrai ffratagème. » Cela est plaisant: que voulait-elle donc dire ? Mme de Richelieu a reçu des lettres du Roi, si excessiveE
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ment tendres et obligeantes, qu'elle doit être plus que payée de tout ce qu'elle a fait 2 • Adieu, ma très-chère et très-parfaitement aimée. J'attends demain de vos nouvelles, et je vous embrasse très-tendrement.
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suis, je vous assure, au désespoir de l'inquiétude que vous avez eue de ma santé : hélas ! ma belle, vous ne pensez à autre chose, et votre raisonnement est fait exprès pour vous donner du chagrin. Vous dites que l'on vous fait un mystère de ma saignée; mais de bonne foi, je ne suis point malade, je n'ai point eu de vapeurs; je plaçai ma saignée brusquement, selon le besoin de mes affaires plutôt que sur celui de ma santé; je me sentais un peu plus oppressée : je jugeai bien qu'il fallait me saigner avant que de partir, afin de mettre cette saignée par provision dans mes ballots. Monsieur le Cardinal, que j'allais voir tous les jours, était parti : je vis cinq ou six jours de repos, et au delà j'entrevis l'affaire de M. de Bellièvre; je voulais m'y donner toute entière, et à la sollicitation de votre petit procès : cela fit que je rangeai ma saignée, pour avoir toute ma liberté. Je ne vous mandai point tout ce détail, parce que cela aurait eu l'air de faire l'empêchée, et cette discrétion vous a coûté mille peines. J'en suis désespérée, ma fille; mais croyez que je ne vous tromperai jamais, et que suivant nos maximes de ne nous point épargner, je vous manderai toujours sincèrement comme je suis; fiez-vous en moi. Par exemple, on veut encore que je me purge : eh bien, je le ferai dès que j'aurai du temps; n'en soyez donc point effrayée. Un peu d'oppression m'avait fait souhaiter plutôt la saignée; je m'en porte fort bien, débarrassez-vous de cette inquiétude. Au reste, ma fille, nous avons gagné notre petit procès de Ventadour 1 ; nous en avons fait les marionnettes d'un grand; car nous l'avons sollicité. Les princesses de E
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Tingry étoient à l'entrée des juges, et moi aussi, et nous avons été remercier 2 • C'est dommage que Molière soit mort : il ferait une très-bonne farce de ce qui se passe à l'hôtel de Bellièvre 3 • Ils ont refusé quatre cent mille francs de cette charmante maison, que vingt marchands voulaient acheter, parce qu'elle donne dans quatre rues, et qu'on y aurait fait vingt maisons; mais ils n'ont jamais voulu la vendre, parce que c'est la maison paternelle, et que les souliers du vieux chancelier en ont touché le pavé, et qu'ils sont accoutumés à la paroisse de Saint-Germain l' Auxerrois; et sur cette vieille radoterie, ils sont logés pour vingt mille livres de rente. ~e dites-vous de cette manière de penser ? Mme de Coulanges a vu la Grande-Duchesse4, entre deux accès de la colique de sa mère : elle dit que cette princesse est très-changée, et qu'elle sera effacée par Mme de Guise. Elle 6 lui dit qu'elle vous avoit vue à Pierrelatte, et qu'elle vous avoit trouvée extrêmement belle : mandez-moi quelque détail de son voyage; vous êtes cause que je l'irai voir. Je m'en vais répondre à votre lettre du 3e. Parlons de notre bon cardinal. Il n'était pas encore vrai, quand Mme de Vins vous l'a mandé, que le pape lui eût envoyé un bref; mais il est vrai présentement: c'était le cardinal Spada qui en avoit répondu. Le bon pape a fait, ma très-chère, sans comparaison, comme Trivelin 6 : il a fait et donné la réponse avant que d'avoir reçu la lettre. Nous sommes tous ravis, et d'Hacqueville croit que notre cardinal ne fera point d'instance extraordinaire. Il répondra seulement que ce n'est point par avoir cru son salut impossible avec la pourpre, et qu'il verra dans sa lettre les véritables raisons qui l'avaient obligé à vouloir rendre son chapeau; mais que si Sa Sainteté persiste à lui commander de le garder, il est tout disposé à obéir. Ainsi toutes les apparences sont qu'il sera toujours notre très-bon cardinal. Il se porte bien dans sa solitude; il le faut croire, quand il le dit. Il ne m'a point dit adieu pour jamais; au contraire, il m'a donné toute l'espérance du monde de le revoir, et m'a paru même avoic quelque joie non-seulement de m'en donner, mais de conserver pour lui cette petite espérance. Il conservera son équipage de
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chevaux et de carrosses; car il ne peut plus avoir la modestie d'un pénitent, à cet égard-là, comme dit la princesse d'Harcourt. Il m'écrit souvent de petits billets, qui me sont bien chers. Il me parle toujours de vous : écrivez-lui sur ce chapeau, et conseillez-lui de s'occuper. On dit que M. de Saint-Vallier a épousé Mlle de Rouvroi; c'étoit un jeu joué que sa disgrâce 7 • La petite Saint-Valleri est hors d'affaire pour sa vie; mais sa beauté est fort incertaine~. La propriété du Coadjuteur ne l'est point du tout : il est parfaitement content, et a raison de l'être. Pour moi, je crois, comme vous, qu'il l'est encore plus du séjour de Paris que de l'archevêque de Paris. Vous avez très-bien fait d'aller voir cette princesse (c'eût été une férocité que d'y manquer), et vous avez très-bien fait de demeurer à Grignan, vous y ferez revenir plus tôt M. de Grignan. Vous y aurez peut-être Mme de Coulanges, Vardes et Corbinelli. Mme de Coulanges mande que votre haine est très-commode, et qu'elle vous fait avoir un commerce admirable 9 • Ma fille, ne me remerciez point de tout ce que je fais pour vous et pour Mlle de Méri; réjouissez-vous plutôt avec moi du p1aisir sensible que j'ai de faire des pas et des choses qui ont rapport à vous, et qui vous peuvent plaire.
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une des plus belles chasses qu'il est possible, que celle que nous faisons après M. de Bellièvre et M. de Mirepoix 1 • Ils courent, ils se relaissent, ils se forlongent, ils rusent; mais nous sommes toujours sur la voie; nous avons le nez bon, et nous les poursuivons toujours. Si jamais nous les attrapons, comme je l'espère, je vous assure qu'ils seront bien bourrés; et puis je vous promets encore que suivant le procédé noble des lévriers, nous les laisserons là pour jamais, et n'y toucherons pas 2 • Mais pour faire justice à tout le monde, il faut vous dire en secret que la pauvre Mme du Puy-du-Fou vint hier ici après dîner, toute tremblante et toute fondue en larmes, pour nous témoigner la douleur où elle· est du 'EST
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procédé de son frère et de son gendre (elle est opprimée du dernier et se cache de lui, il la tient comme prisonnière), et pour nous offrir enfin de signer aujourd'hui un aét:e pour notre sûreté, autant qu'elle le peut donner; et c'est beaucoup, car on croit que l'argent lui appartient. Sa conscience, son honneur et l'amitié qu'elle a pour M. de Grignan, l'ont enfin forcée à faire cette démarche; mais c'est avec des finesses infinies; on la fait épier. * ~e M. de Grignan ne (la) remercie point. Nous la (remercions> pour lui : il faut la servir à sa mode. * Je vous manderai la fin de tout ceci : je ne pense pas à quitter cette affaire; mais comme je vous empêche, sur l'amitié, d'être le plus grand capitaine du monde, l'abbé3 m'empêche d'être la personne la plus agitée et la plus occupée de vos affaires : il m'efface par son aét:ivité. Il est vrai qu'étant jointe à son habileté, il doit battre plus de pays que moi; il le fait aussi, et dès sept heures du matin il sort pour consu~ter les mots et les points et les virgules de cette transàét:1on : ( car nous voulons encore celle de Mirepoix, et ce n'est qu'à ces dernières choses que M. de Mirepoix a pu trouver à redire. Son homme d'affaires qui est quasi devenu mon ami, en pâme de rire, et ne le suit plus chez les avocats). Le bien Bon a quelquefois des disputes avec Mlle de Méri; mais savez-vous ce qui les cause? C'est assurément l'exaét:itude de l'abbé, beaucoup plus que l'intérêt; mais quand l'arithmétique est offensée, et que la règle de deux et deux font quatre est blessée en quelque chose, le bon abbé est hors de lui : c'est son humeur, il le faut prendre sur ce pied-là. D'un autre côté, Mlle de Méri a un style tout différent; quand par esprit ou par raison elle soutient un parti, elle ne finit plus, elle le pousse; il se sent suffoqué par un torrent de paroles; il se met en colère, et en sort par faire l'oncle, et dire qu'on se taise 4 : on lui dit qu'il n'a point de politesse; politesse est un nouvel outrage, et tout est perdu; on ne s'entend plus; il n'est plus question de l'affaire; ce sont les circonstances qui sont devenues le principal. En même temps je me mets en campagne, je vais à l'un, je vais à l'autre, je fais un peu comme le cuisinier de la comédie 5 ; mais je finis mieux, car on en rit; et au bout du compte, que le lendemain Mlle de Méri retourne au bon abbé, et lui demande son avis bonnement, il lui donnera, il la ser-
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vira; il est très-bon, et le bien Bon, je vous en assure; il a ses humeurs : quelqu'un est-il parfait? Je vous réponds toujours d'une chose, c'est qu'il n'y aura qu'à rire de leurs disputes, tant que j'en serai témoin. (Au reste, ma bonne), * Mlle de Montgeron est venue souper ici avec la Sanzei et moi et Mlle de Méri. * * J'apprends Vorrei scoprirti, et je le chanterai agréablement; je songe que vous aimez cet air et que vous me prierez quelque jour de le chanter avec M. de Grignan. O!:!'il apprenne la contre-partie : c'est un air divin! Je méprise bien mon S cocca pur6 ! Nous faisons chercher du damas de revente7, pour faire les rideaux de votre lit; on en trouve assez souvent. Les habiles ont changé vos pentes 8 , nous avons pris celles de satin rouge, brodé de couleurs. Ce lit sera fort beau pour Grignan, et fort noble. Il vous coûtera peu : laissez-moi un peu mener tout cela. L' Abbé entre dans ce conseil, c'est la d'Escars qui aura ce soin en mon absence. Il vous restera de quoi faire un lit d'hiver admirable, avec ces pentes, que je disais de toile d'or, argent et rouge, et des rideaux du plus beau velours du monde, et chamarrés, à la place où ils l'ont été, d'un galon d'or fauve, (et) mêlé dans du rouge et noir, avec un air d'antiquité admirable. Il vous restera vos trois pentes brodées au petit point, qui n'ont point de suite, et qu'il faudrait accompagner de tant de dépense, que nous n'y songeons pas présentement. Mais, en attendant, vous aurez deux lits, l'un cet automne, et l'autre l'année qui vient. Je viens d'envoyer votre ballot; il partira demain 13e. Je l'ai adressé à Péan, secrétaire de M. !'Intendant (à) Lyon : il le fera tenir à Montélimar. Vous y trouverez une commission de laine et de canevas qui vous coûtent quarante-cinq livres cinq sols. Il y a aussi des laines et du canevas pour vous, et un patron sur quoi vous pourrez travailler, en attendant vos soies qui ne sont pas encore teintes : elles seront prêtes dans dix ou douze jours. J'ai cru que vous vous impatienteriez de n'avoir point d'ouvrage. Vous n'aurez pas besoin sitôt des soies; je tâcherai de vous les envoyer par quelqu'un. Vous n'aurez votre mémoire de tout ce que cela coûte qu'avec votre soie. Voilà celui de ce qui est dans votre ballot, que j'ai vu faire moi-même: je m'en vais le recommander à Lyon à Mme de Coulanges. ·
A MADAME DE GRIGNAN
Je ne veux vous rien dire de vos affaires de Bellièvre; j'espérois qu'elles seroient finies aujourd'hui; mais c'est une chimère : j'espère (pourtant) que miraculeusement, nous en viendrons à bout. * Adieu, ma très-chère enfant, je ne sais point de nouvelles. * J'ai reçu une lettre du cardinal de Bouillon qui vous adore et (me prie) de vous le déclarer.* (Le nôtre)9 se porte très-bien; écrivez-lui, et qu'il ne s'amuse point à ravauder et répliquer à Rome; il faut qu'il obéisse, et qu'il use ses vieilles calottes, comme dit le gros abbé, ( qui) se plaint de votre silence 10 • M. de La Rochefoucauld vous mande que la goutte est si parfaitement revenue, qu'il croit que la pauvreté reviendra aussi; du moins il ne sent point le plaisir d'être riche avec les douleurs qui le font mourir. Je vous embrasse* très-tendrement, ma très-aimable bonne. Votre portrait fait est toujours aimable et fait battre le cœur 11 • * *
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A MADAME DE GRIGNAN A Paris, vendredi
19e
juillet [1675].
d'où je vous écris, ma (bonne) : c'est de chez D M. de Pomponne; vous vous en apercevrez par (ce) EVINEZ
petit mot que Mme de Vins vous dira ici. J'ai été avec elle, l'abbé Arnauld et M. d'Hacqueville, voir passer la procession de sainte Geneviève 1 ; nous en sommes revenus de très-bonne heure, il n'étoit que deux heures; (il y en aura beaucoup qui) n'en reviendront que ce soir. Savez-vous (bien) que c'est une belle chose que cette procession? (Toutes les religions, toutes les paroisses, toutes les châsses), tous les prêtres des paroisses, tous les chanoines de Notre-Dame, et Monsieur l' Archevêque pontificalement, qui va à pied, bénissant à (droite) et à gauche, jusqu'à la (Cathédrale); cependant il n'a que la main gauche; et à la droite, c'est l'abbé de Sainte-Geneviève, (nud-pied), précédé de cent cinquante religieux, (nud-pied) aussi, avec sa crosse et sa mitre, comme !'Archevêque, et bénissant(aussi), mais modestement et dévotement, et à jeun, avec un air de pénitence qui fait voir que c'est lui qui va -dire la messe
A MADAME DE GRIGNAN
dans Notre-Dame. Le parlement en robes rouges et toutes les compagnies (souveraines) suivent cette châsse, qui est brillante de pierreries, portée par vingt hommes habillés de blanc, (nuds)-pieds. On laisse en otage à Sainte-Geneviève 2 le prévôt des marchands et quatre conseillers, jusqu'à ce que ce précieux trésor soit (rendu). Vous m'allez demander pourquoi on l'a descendue: c'étoit pour faire cesser la pluie, et (venir) le chaud. L'un et l'autre (étoit arrivé dès qu'on en a eu le) dessein, de sorte que, comme c'est en général pour nous apporter toutes sortes de biens, je crois que c'est à elle que nous devons le retour du Roi. Il sera ici dimanche; je vous manderai mecredi tout ce qui se peut mander. M. de La Trousse mène un détachement de six mille hommes (à M.) de Créquy, pour aller joindre M. de Turenne; La Fare et (les) autres demeurent avec les gendarmes-Dauphin dans l'armée de Monsieur le Prince. (J'aurai une grande joie d'avoir La Garde). Voici des dames qui attendent leurs (époux) au prorata de leur impatience. L'autre jour, Madame et Mme de Monaco prirent d'Hacqueville à l'hôtel de Gramont, (et s'en allèrent) courir les rues incognito, et se promener aux Tuileries. Comme Madame n'est point galante, elle se joue parfaitement bien de sa dignité. On attend à toute heure Madame de Toscane : c'est encore un des biens de la châsse de sainte Geneviève. Je vis hier une de vos lettres (à) l'abbé de Pontcarré, ( qui) est la plus divine lettre du monde; il n'y a rien qui ne_ pique et qui ne soit salé; il en a envoyé une copie à !'Eminence; car l'original est gardé comme la châsse. (Vous écrivez très-parfaitement bien, je vous assure.) * Je crois que nous vendrons notre bureau; si cela est, laissez-moi faire; notre lit se commencera. Je voudrais bien que vous eussiez un bon cocher, cela me paroît important : vous étiez bien recommandée à la moustache de celui du Cardinal; vous ne l'eussiez pas trouvé un gros seigneur. Je ne comprends pas avec quel équipage vous fûtes à Pierrelatte 3 • J'attends demain matin de vos lettres, ma très-chère; c'est mon unique joie et ma consolation en votre absence. C'est une étrange chose, ma bonne, que cette absence; vous avez dit ce qui se peut là-dessus; mais comme il est vrai que le temps nous emporte et nous apporte la mort,
A MADAME DE GRIGNAN
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je trouve qu'on a raison de pleurer, au lieu de rire comme nous ferions si notre pauvre vie ne se passait point. Je médite souvent là-dessus; mais il y faut penser le plus légèrement qu'on peut, et appeler Mme de Vins, afin qu'elle vous dise quelque chose.*
* DE
MADAME DE VINS 4
N'allez pas croire que c'est Mme de Sévigné qui est cause que je vous écris. Si je suivais mon inclination, je vous assure, Madame, que vous entendriez souvent parler de moi. Ne croyez pas en être quitte pour ce petit mot; vous en recevrez davantage au premier jour; et quoique l'on dise qu'il n'y ait rien de tel que de se haïr pour s'écrire 5 , je sens bien que l'amitié fait cet effet-là toute seule. *
* DE
MONSIEUR COURTIN L'AMBASSADEUR 6
Madame votre mère se fait la dernière violence en me cédant la plume; je l'arrache d'entre ses mains, pour vous dire, Madame, que, pour peu qu'il vous reste de bon sens dans un pays où le cerveau dessèche fort aisément, vous l'emploierez pour revenir à Paris sur la fin d'oél:obre. Toute la Cour, qui n'a subsisté cet hiver qu'aux dépens de Mme de Sévigné, vous en conjure 7, et moi plus que personne, quoique je n'aie pas eu la hardiesse de _vous approcher. Vous (y) trouverez encore plus d'une Eminence. Il y en aura deux, en cette ville, qui vous rendront volontiers leurs devoirs; et puisque le pape a la complaisance pour nous de nous conserver la troisième, je ne désespère pas de la revoir encore où j'étais si aise de la rencontrer 8 • Je vous en dirais davantage, mais on me reproche déjà que je retiens trop longtemps la plume, on ne me laisse plus la liberté que de vous assurer qu'il n'y a personne au monde qui vous honore plus que moi, qui ne soit, avec plus de respeél: et de vérité, entièrement à vous que je suis. CouRTIN.
*
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A MADAME DE GRIGNAN
DE MADAME DE SÉVIGNÉ
Adieu, ma très-chère et très-parfaitement aimée, vous êtes si vraie, que je ne rabats rien sur tout ce que vous me dites de votre tendresse; et vous pouvez juger si j'en suis touchée.
323 - A MADAME DE GRIGNAN A Paris, mecredi 24e juillet [1675).
bien chaud aujourd'hui, ma très-chère (bonne), I etfaitau lieu de m'inquiéter dans mon lit, la fantaisie m'a L
pris de me lever, quoiqu'il ne soit que cinq heures du matin, pour causer un peu avec vous. * Je vois que vous avez perdu une de mes lettres, c'est celle du 6; du 3 vous allez au 10; il y en a une entre deux, regardez-y. Je vous fais seulement cette petite observation, sans vouloir en dire plus, car on ne finiroit point 1 • * Le Roi arriva dimanche matin à Versailles. La Reine, Mme de Montespan et toutes les dames étoient allées dès le samedi reprendre tous leurs aprartements ordinaires. Un moment après être arrivé, i alla faire ses visites ordinaires. La seule différence, c'est qu'on joue dans ces grands appartements que vous connoissez. Il y aura pourtant quelque air de naïveté que je ne saurai que ce soir, avant que de fermer ma lettre; car dans le voyage on a pris des manières libres de nommer sans cesse la belle, et toujours comme d'un temps passé qui comportera quelque espèce de régime pour contenter les critiques. Ce qui fait que je suis si mal instruite de Versailles, c'est que je revins hier au soir de Pomponne, où Mme de Pomponne nous avoit engagés d'aller, d'Hacqueville, Mme de Vins et moi, avec tant d'empressement, que nous n'avons pu ni voulu y manquer. Mme de Pomponne n'avoit pas compté sur sa sœur comme sur nous, parce qu'elle se baigne 2 ; mais elle n'eut pas la cruauté de nous laisser aller sans elle. Nous partîmes lundi au soir.
A MADAME DE GRIGNAN
M. de Pomponne, en vérité, fut aise de nous voir et m'a su un gré nompareil de cette petite équipée. Vous avez été célébrée, dans ce peu de temps, avec (toute) l'amitié et toute l'estime imaginables. Je trouvai que la joie faisoit parler parisien, c'est un effet que vous n'avez peut-être jamais remarqué; nous avons fort causé. Une de nos folies a été de souhaiter de découvrir tous les dessous de cartes de toutes les choses que nous croyons voir et que nous ne voyons point, tout ce qui se passe dans les familles, où nous trouverions de la haine, de la jalousie, de la rage, du mépris, au lieu de toutes les belles choses qu'on met au-dessus du panier et qui passent pour des vérités. Je souhaitai un cabinet tout tapissé de dessous de cartes au lieu de tableaux; cette folie nous mena bien loin, et nous divertit fort : nous voulions casser la tête de d'Hacqueville pour en avoir, et nous trouvions plaisant d'imaginer que, de la plupart des choses que nous croyons voir, on nous détromperoit. Vous pensez donc que cela est ainsi dans une maison; vous pensez que l'on s'adore en cet endroit-là; tenez, voyez : on s'y hait jusqu'à la fureur, et ainsi de toute le reste; vous pensez que la cause d'un tel événement est une telle chose : c'est le contraire; en un mot le petit démon qui nous tireroit le rideau nous divertiroit extrêmement. Vous voyez bien, ma très-(bonne), qu'il faut avoir bien du loisir pour s'amuser à vous dire de telles bagatelles. Voilà ce que c'est que de s'éveiller matin; voilà comme fait Monsieur de Marseille; j'aurois fait aujourd'hui des visites aux flambeaux, si nous étions en hiver 3 • Vous avez donc toujours votre bise: ah! ma (bonne), qu'elle est ennuyeuse! Nous avons chaud nous autres; il n'y a plus qu'en Provence où l'on ait froid. Je suis (très-) persuadée que notre châsse a fait ce changement; car, sans elle, nous apercevions comme vous que le procédé du soleil et des saisons (est tout) changé; et je crois que j'eusse trouvé comme vous que c'étoit la vraie raison qui nous avoit précipité tous ces jours où nous avions tant de regret. Pour moi, (ma bonne), j'en sentois une véritable tristesse. (Il est vrai que, depuis trois ans, nous n'avons été que quatre mois séparées, et ce qui s'est passé depuis votre départ) 1 • J'ai senti toute la joie de passer les étés et les hivers avec vous; (et je sens encore plus) le déplaisir de
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voir ce temps passé, et passé pour jamais, cela fait mourir. Il faut mettre à la place de cette pensée l'espérance de se revoir. ( Mais, ma bonne, si vous prétendez que ce soit en Provence), * accordez-moi de ne me point parler présentement de vos six cents francs. Je ne prétends (point) que vous ne me les donniez pas; au contraire. Ma bonne, j'entre dans (toutes) vos raisons, et jamais vous ne trouverez rien en moi qui vous puisse blesser ni vous ôter la liberté de venir à Paris chez moi. Je sais le chagrin et la contrainte que cela vous donnerait, je vous cannois. Mais je vous conjure, puisque je n'ai présentement aucun besoin, de vouloir bien m'obéir, et de laisser Monsieur l' Archevêque et le bien Bon disposer de votre argent de Ventadour pour des choses si extrêmement pressées et nécessaires, que la dissipation de ce fonds (pourrait) causer des malheurs infinis. QEel plaisir et quelle nécessité trouveriez-vous à les causer (vous qui vous sacrifiez pour les retarder), pouvant attendre une année plus favorable? Ne faudrait-il pas que je fusse comme Médée, pour souffrir que vous fussiez la maîtresse d'une disposition comme celle-là? Au nom de Dieu, ne vous mettez pas en colère, mais entrez doucement et raisonnablement dans ce que je vous dis; et laissez-nous un peu penser à vos intérêts, l' Abbé et moi, sans oublier les miens; car ce n'est qu'un arrangement et un peu de temps que je vous demande. Mais je suis ferme, ma bonne, à ne pas vouloir que vous touchiez à cet argent, destiné à payer des arrérages si extrêmement nécessaires 5 • Voilà donc qui est réglé, s'il vous plaît. Si vous m'aimez, vous ne m'en parlerez plus, et vous serez persuadée en même temps que je n'ai nul dessein de vous donner ce billet, mais je veux le placer un peu plus sagement. Soyez en repos, puisque l' Abbé est de mon avis. Il vous ( envoira) le mémoire de votre argent : nous avons vu qu'on ne pouvait pas en prendre pour faire votre lit, nous n'y pensons plus. C'est tout ce qu'on peut faire que de donner de l'argent au mari de la nourrice; nous sommes d'accord avec vous, voilà qui est fait 6 • Celui qui m'avait offert cinquante écus de ce bureau, lanterne beaucoup. S'il revient, voudriez-vous qu'on commençât ou pour mieux dire qu'on achevât ce premier lit? Pour moi, j'en serais fort d'avis : il ne faut que deux cents francs, je (crois vous l'avoir) mandé. Les pentes SÉVIGNÉ l
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sont de ce satin rouge, brodé de mille couleurs. Il y a tout, hormis des rideaux, que nous voudrions de damas rouge. Nous avons mis une maîtresse revendeuse en campagne, pour trouver de certains hasards 7 qui seroient ju~ement notre fait. L'autre(, s'il) e~ de cette toile d'or et incarnat, frisée, (à) celui-là nous mettrions des rideaux de velours rouge, et couvririons ces endroits, qui sont marqués par le galon qu'on en a ôté, d'un autre galon, or fauve, noir et rouge, qui reviendroit très-bien aux pentes. Celui-là coûteroit bien quatre cents livres, parce qu'il faudroit doubler les rideaux. Pour les autres trois pentes brodées de petit point, elles sont si vieilles et si belles, qu'il ne faut pas penser à les mettre en œuvre que vous n'ayez beaucoup d'argent. Il faudroit tâcher (à) les vendre pour faire un dais au Saint-Sacrement : on admira l'autre jour que j'eusse eu cette belle l?ensée! * J'attends un peu de frais, ma (bonne), pour me purger, et un peu de paix en Bretagne pour partir. Mme de Lavardin, Mme de La Troche, M. d'Harouys et moi, nous consultons notre voyage, et nous ne voulons pas nous aller jeter dans la fureur qui agite notre province. Elle augmente tous les jours. Ces démons sont venus piller et brûler jusqu'auprès de Fougères : c'e~ un peu trop près des Rochers. On a recommencé à piller un bureau à Rennes. Mme de Chaulnes (y) e~ à demi morte des menaces qu'on lui fait tous les jours; on me dit hier qu'elle étoit arrêtée, même les plus sages l'ont retenue, et ont mandé à M. de Chaulnes, qui e~ au Fort-Louis 8 , que : si les troupes qu'il a (envoyé querir ici par un nommé Beaumont (que j'ai vu)) 9 font un pas dans la province, (ils mettront en pièces) Mme de Chaulnes. (Je m'in~ruirai de cette dernière chose avant que de fermer ma lettre. Pour demander des troupes et pour en envoyer, il n'e~ que trop vrai, et ce n'e~ pas) une sagesse (que) de partir avant que de voir ce qui arrivera de cet extrême désordre. (Si Beaumont s'en retournoit sans être accompagné, il seroit déchiré en rentrant dans la province : la pensée qu'il e~ allé demander des gens de guerre fait un terrible effet contre le gouverneur et contre lui; cependant ils ont eu raison), car dans l'état où sont les choses, il ne faut pas des remèdes anodins. On croit que la récolte pourra séparer toute cette belle assemblée; car enfin il faut bien qu'ils ramassent leurs
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blés. Ils sont six ou sept mille, dont le plus habile n'entend pas un mot de françois. M. (de) Boucherat me contoit l'autre jour qu'un curé avoit reçu devant ses paroissiens une pendule qu'on lui envoyoit de France (car c'est ainsi qu'ils disent); ils se mirent tous à crier en leur langage que c'étoit la Gabelle, et qu'ils le voyoient fort bien. Le curé habile leur dit sur le même ton : « Point du tout, mes enfants, ce n'est point la Gabelle; vous ne vous y connoissez pas; c'est le Jubilé. » En même temps les voilà à genoux. C2Ee dites-vous ( du bon) esprit de ces Messieurs? C2Eoi qu'il en soit, il faut un peu voir ce que deviendra ce tourbillon. Ce n'est pas sans déplaisir que je retarde mon voyage : il est placé et rangé comme je le desire; il ne peut être remis dans un autre temps sans me déranger beaucoup de desseins; vous savez ma dévotion pour la Providence; il faut toujours en revenir là, et vivre au jour la journée. Mes paroles sont sages, comme vous (le) voyez; mais très-souvent mes pensées ne le sont pas. Il y a un point, que vous devinez aisément, où je ne puis me servir de la résignation que je prêche aux autres. Mlle d'Eaubonne fut mariée avant-hier 10 • Votre frère voudroit bien donner son guidon pour être colonel du régiment de Champagne; M. de Grignan l'a été; mais toutes nos bonnes têtes ne sont pas trop d'avis d'augmenter la dépense de quinze ou seize mille livres dans le temps où nous sommes. Il est revenu une grande quantité de monde avec le Roi : le grand maître 11, MM. de Soubise, Termes, Brancas, La Garde, Villars, le comte de Fiesque. Pour ce dernier, on est tenté de dire : di cortesia piu che di guerra amico 12 ; il n'y avoit pas un mois qu'il étoit arrivé à l'armée : cela vise au garçon pâtissier 13 • M. de Pomponne dit qu'on ne peut jamais souhaiter la bataille de meilleur cœur, ni vouloir être au premier rang plus résolûment ni de meilleure grâce que le Roi, lorsqu'on crut qu'on seroit obligé de la donner à Limbourg. Il nous conta des choses admirables de la manière dont Sa Majesté vivoit avec tout le monde, et surtout avec Monsieur le Prince et Monsieur le Duc : tous ces détails sont fort agréables à entendre. Au reste, ma (bonne), cette cassolette est venue; elle ressemble assez à un jubilé ; elle pèse plus que no1:1s ne
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pensions et [est] beaucoup moins belle. C'est une antique, qui s'appelle donc une cassolette; mais rien n'est plus mal travaillé; cependant c'est une vraie pièce à mettre à Grignan, et nullement à Paris. Notre bon cardinal a fait de cela comme de sa musique, qu'il loue, sans s'y connaître. (Je l'ai fait porter en haut, sans que qui ce soit au monde l'ait vue ni sache qu'elle est arrivée : on ne se souvient pas de la plupart de ces sortes de choses-là. Nous la garderons en attendant vos ordres. Ordonnez, ordonnez.) Ce qu'il y a à faire, c'est (d')en remercier tout bonnement (M. le Cardinal), et ne lui pas donner la mortification de croire que l'on n'est pas (charmée) de son présent. (Il faut entrer dans son sentiment, il a cru vous donner un agréable présent, il faut le recevoir comme tel, n'oubliez pas de bien écrire cette lettre. O!!and j'ai parlé du Boccace, ma bonne, c'était pour dire une folie. Vous n'avez point écrit qu'on lui écrivît de ne rien envoyer, mais seulement d'en détourner ceux qui en avaient l'ordre. Il n'a pas été possible de toucher à toute cette affaire. Elle est allée tout naturellement comme elle a pu. Il faut en témoigner de la reconnaissance, et ne pas croire que ce présent d'argenterie, que vous honorez tant), soit autre chose, selon lui, qu'une pure bagatelle, dont le refus serait une très-grande rudesse (et même une mortification). Je m'en vais l'en remercier en attendant votre lettre. * Notre abbé ne songe pas à donner les trente louis au chevalier de Buous; il faut que M. de Grignan sente un peu le plaisir de ne pas payer ses amis, après avoir eu celui de leur emprunter de l'argent : c'est (une) justice. Je reviens au Cardinal. * O!!and je vous ai (conseillé de lui écrire que vous lui conseilliez) de s'amuser à écrire son histaire 14 , c'est qu'on m'avait dit de le faire aussi, et que tous ses amis ont voulu être soutenus, (et) qu'il parut que tous ceux qui l'aimaient étaient dans le même sentiment. Il se porte très-bien, je vous en assure; ce n'est plus comme cet hiver : le régime et les viandes simples l'ont entièrement remis. Il est vrai que Castor et Pollux ont porté la nouvelle de Rome 15 • Vous dites fort plaisamment tout ce qu'on a dit ici; mais je n'ai fait que l'entendre redire, sans avoir eu le malheur de me trouver avec les gens qui raisonnent si bien. Dieu
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merci, je ne vois que des gens qui voient son aél:ion dans toute sa beauté, et qui l'aiment comme nous. D'Hacqueville veut qu'il ne se cloue point à Saint-Mihel; il lui conseille d'aller à Commerci, et quelquefois à SaintDenis. * Il ne veut point que ses amis le croient fixé dans un seul désert; il doit avoir, comme vous savez, la clé de plusieurs; et, plus tôt que plus tard, on lui conseille de s'en servir. * Il garde son équipage en faveur de sa pourpre; je suis persuadée avec joie que sa vie n'est point finie. , * De cette Eminence, je m'en vais tomber sur votre nourrice. C'est une furieuse créature, et toujours en colère; cela est cruel, ma bonne. Ces clous que vous me représentez, comme à l'autre, me paraissent bien mauvais. C'est du poison que du lait de cette chaleur; et quoique votre fille ne soit pas un garçon, il est fâcheux de lui donner une mauvaise santé pour toute sa vie : c'est lui ôter le seul bien qu'elle possédera en ce monde 16 • Pour moi, je la (renvoirais), cette nourrice, par la première occasion; et j'aimerais mieux, (hasarder la vie pour hasarder la vie), (la) sevrer à un an comme les enfants de paysans, que de lui faire avaler de la bile et du feu pendant vingt-deux ou vingt-trois mois; songez-y, ma belle. Je suis (bien) fâchée de vous avoir fait un si mauvais présent, vous savez comme Mme de Villars me la donna et comme elle avoit bien nourri le marquis de Bellefonds 17 • Je crois que vous n'oubliez pas à lui faire prendre de la casse et des bouillons de gruau, puisqu'il y en a de bon à Grignan.* (C'est un bonheur pour vous, ma bonne. J'espère que ce rafraîchissement vous empêchera d'être maigre.) Madame la Grande-Duchesse et Mme de Sainte-Mesme ont fort parlé ici de votre beauté 18 • Vous aviez donc ce joli visage que j'aime tant; conservez-le(, ma très-chère,) tout le plus que vous pourrez : vous auriez peine d'en trouver un pareil. M. de Pomponne en est bien persuadé, il ne s'en peut taire. J'aurais vu cette princesse sans le voyage de Pomponne. Tout le monde la trouve ici comme vous l'avez représentée. Elle a parlé à Mme de Rarai du mauvais souper qu'elle vous avait donné à Pierrelatte, mais, plus que tout, de votre beauté et de votre bonne grâce. Elle est d'une tristesse effroyable. Mme de Montmartre alla prendre possession de son corps à Foqtaine-
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bleau : elle sera dans une affreuse prison. Elle est suffoquée par toutes les Guisardes 19 • Mme de Montlouet a la petite vérole : les regrets de sa fille sont infinis; la mère est au désespoir aussi de ce que sa fille ne veut pas la quitter pour aller prendre l'air, comme on lui ordonne. Pour de l'esprit, je pense qu'elles n'en ont pas du plus fin; mais pour des sentiments, ma belle, c'est tout comme chez nous, et aussi tendres, et aussi naturels. Vous me dites des choses si extrêmement bonnes sur votre amitié pour moi, et à quel rang vous la mettez, qu'en vérité(, ma bonne,) je n'ose entreprendre de vous dire combien j'en suis touchée, et de joie, et de tendresse, et de reconnoissance; puisque vous croyez savoir combien je vous aime, vous les comprendrez aisément. Le dessous de vos cartes est agréable pour moi. M. de Pomponne disoit, en demeurant d'accord que rien n'est général : « Il paroît que Mme de Sévigné aime passionnément Mme de Grignan : savez-vous le dessous des cartes? Voulez-vous que je vous le dise? C'est qu'elle l'aime passionnément. » Il pourroit y ajouter, à mon éternelle gloire : « et qu'elle en est aimée ». J'ai vos soies; je voudrois bien trouver quelqu'un qui vous (les) portât; ce paquet est trop petit pour les voitures, et trop gros pour la poste : je crois que j'en pourrois dire autant de cette lettre. * Je ne vous parlerai point de vos affaires, quoique cet article me tienne au cœur comme vous pouvez l'imaginer. C'est parce que j'y suis trop sensible que je n'en parle pas : nous en discourons quelquefois, le bon abbé et moi. La rage de M. de G[rignan] pour emprunter, et pour des tableaux et des meubles, est une chose qui seroit entièrement incroyable si on ne la voyoit. Comment cela se peut-il accorder avec sa naissance, sa gloire, et l'amitié qu'il vous doit? Croit-il ne point abuser de votre patience, et qu'elle soit intarissable? N'a-t-il point pitié de vous? QE'avez-vous fait pour être misérable et abîmée? Et il ( croit) que nous croirons qu'il vous aime! Ah! la plaisante amitié! Comptez sur la mienne, ma c_hère enfant, qui assurément ne vous manquera jamais. Eprouvez-la dans l'excès de votre douleur, et jetez-vous dans des bras qui vous seront toujours ouverts. Je ne voulois pas vous en tant dire; mais pourquoi se con train-
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dre et ne pas dire des vérités? C'est ici que vous êtes véritablement aimée! Je ne sais point qu'on ait eu des tableaux en quantité; je sais seulement que Mme du Puy-du-Fou en a payé un vingt-cinq louis à Picart20 : c'est ce qui s'appelle une bonne belle-mère, les autres sont des marâtres! N'êtes-vous point trop aimable sur tout ce que vous me dites d'un voyage (de) Bretagne avec moi? Il y a longtemps que cette pensée vous roule; il y a le même temps que je la trouve la plus tendre chose du monde et qu'elle fait mon château en Espagne; mais je voudrais quelque jésuite pour vous faire disputer. Je ne vous parle plus de ces nez 21 • Voici ce que j'en avais jugé : j'aimerais celui de Mirepoix pour carêmcprenant, et l'autre pour mener en laisse. * (Les bonnes Troche sont comblées de vos aimables souvenirs : elles veulent toujours vous écrire. Nos voyages sont suspendus, comme je vous ai dit.) Adieu, ma très-aimable et très-chère enfant; je ne puis jamais vous trop aimer; quelques peines qui soient attachées à cette tendresse, celle que vous avez pour moi mériterait encore plus, s'il étoit possible. J'ai si bien fait que Mme de Monaco est toujours malade : si elle avait de la santé, il faudrait quitter la partie; (la) faveur est délicieuse entre Monsieur et Madame. Je crains que Mme de Langeron ne se console, et si j'ai fait de mon mieux. Vous expliquez et comprenez fort bien le fantôme; on le dit présentement pour dire un llratagème. (Il est neuf heures du soir.) * J'ai appris que Mme de Chaulnes n'est pas prisonnière en forme; mais une de ses amies voudrait de tout son cœur qu'elle ne fût point à Rennes : les désordres sont comme je vous (les ai dits). Il est certain que l'ami de Q!!_anto a dit à sa femme et à son fils, par deux fois : « Soyez persuadés que je n'ai pas changé les résolutions que j'avais en partant. Fiezvous à ma parole, et instruisez les curieux de mes sentiments. » * (Voilà une lettre du bien Bon. Croyez un peu ce qu'il vous dit tout bonnement, c'est un homme de confiance. Je mets dans mon cabinet la quittance du bon abbé pour deux années.)
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* Mme de Lavardin vous baise mille fois les mains; elle mérite un remerciement, dans une de mes lettres, de toute l'estime qu'elle a pour vous. Adieu encore, ma chère bonne. Otez de votre esprit tout ce que vous y aviez quand vous avez écrit au bien Bon. J'ai vu La Garde, je l'aime et je suis ravie que vous l'ayez tout l'automne. Ah! que vous avez bien fait de demeurer à Grignan, et de mettre un espace entre Paris et Aix! Pour ma très-patiente, si elle lit toute cette lettre. *
324 - A MADAME DE GRIGNAN A Paris, 26° juillet, vendredi [1675).
me semble, ma très-chère, que je ne vous écrirai I aujourd'hui qu'une petite lettre, parce qu'il est fort L
tard. Croiriez-vous bien que je viens de l'Opéra avec M. et Mme de Pomponne, l'abbé Arnauld1, Mme de Vins, la bonne Troche, et d'Hacqueville? La fête étoit faite pour l'abbé Arnauld, qui n'en a pas vu depuis Urbain VIIIe, qu'il étoit à Rome avec Monsieur d'Angers2 : il a été fort content. Je suis chargée des compliments de toute la loge, mais surtout de M. de Pomponne, qui vous prie bien sérieusement de compter sur son amitié, malgré votre absence. La poste partiroit si je voulois vous dire tout ce qu'il dit de vous, et comme vous lui paraissez, et quelle sorte de mérite il vous trouve. Je l'ai instruit des (divisions) de MM. d'Oppède et Marin. Il est bien persuadé de leurs manières brusques. Tout ce qui me consolera quand je serai en Bretagne, c'est que Mme de Vins vous servira dans cette maison; sans cela je vous avoue que je serois inconsolable de vous priver des petits offices que je vous pourrois rendre et dans l'Assemblée et ailleurs. Je vis hier Madame la Grande-Duchesse. Elle me parut comme vous me l'avez dépeinte : l'ennui me paroît écrit et gravé sur son visage; elle est très-sage et d'une tristesse qui attendrit, mais je crois qu'elle reprendra ici sa joie et sa beauté. Elle a fort bien réussi à Versailles;
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le Roi l'a trouvée aimable, et lui adoucira sa prison. Sa beauté n'effraye pas, et l'on se fait une belle âme de la plaindre et de la louer 3 • Elle fut transportée de Versailles, et des caresses de sa noble famille : elle n'avoit point vu Monsieur le Dauphin, ni Mademoiselle. Comme sa réputation n'a jamais eu ni tour, ni atteinte, on se fera une aéHon de charité de la divertir. Elle me parla fort de vous et de votre beauté; je lui dis, comme de moi, ce que vous me mandez: c'est que vous subsistez encore sur l'air de Paris; elle le croit, et que les airs et les pays chauds donnent la mort. Elle ne se pouvoit taire de vous et du mauvais souper qu'elle vous avoit donné 4 • Elle étoit fort contente de M. de Grignan, et de Rippert qui l'avoit relevée de son carrosse versé. Elle a dans la tête Mme de Céreste, comme la plus folle, la plus hardie, la plus coquette, la plus extravagante personne qu'elle ait jamais vue. Si on lui disoit que Madame la GrandeDuchesse n'a remarqué qu'elle dans la Provence, quelle gloire! et voilà ce que c'est5-6. La cour s'en va à Fontainebleau; c'est Madame qui le veut. Je m'en irai en Bretagne avec M. d'Harouys; nous prendrons notre temps : la Bretagne est plus enflammée que jamais. Mme de Chaulnes n'est pas prisonnière, mais elle ne peut sortir de Rennes. C'est une belle différence! J'ai vu tantôt Monsieur le procureur général comme pour prendre congé de lui. Il est ravi que je sois hors d'affaire. Il voudroit que j'eusse déjà la ratification; je le voudrois bien aussi; j'espère qu'elle viendra avant que je parte, car je ne pars pas sitôt que je pensois : ce seroit une folie . .Q!!_antova est une amie déclarée sans aucun soupçon : l'ami le dit ainsi au curé de la paroisse, qui de son côté dit ce qu'il faut et fait un très-honnête personnage et ne laisse aucune vérité étouffée 7• Mais vous savez l'histoire de la méchante paye, et de n'être pas le plus fort : tout se fait a vüo aperto 8 , et tout est admis au jeu. Mlle d'Armagnac est mariée à ce Cadaval; elle est jolie et belle; c'est le chevalier de Lorraine qui l'épouse9 : elle fait pitié d'aller chercher si loin la consommation. J'envoirai bientôt (ces) airs de l'opéra à M. de Grignan; s'il est auprès de vous, je l'embrasse et le conjure d'avoir quelque sorte d'amitié pour lui et pour vous. Adieu,
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ma (très-chère) bonne, soyez bien persuadée que je suis à vous, et que je pense à vous sans cesse. Je ne sais si c'est le cardinal de Retz qui m'a priée d'avoir soin de vos affaires; mais je languis quand je ne fais rien pour vos intérêts : sa recommandation fait en moi plus que sa bénédiéhon. Je vous vois à Grignan, et vous suis pas à pas. Cette peinture vous embarrasse bien (, ma chère bonne) : quelle senteur! et quel plaisir de rendre ce château inhabitable l Votre terrasse n'est-elle point raccommodée? Voilà ce qui me paroît préférable à tout : c'est votre seule promenade. Mandez-moi toujours extrêmement de vos nouvelles : rien n'est petit, rien n'est indifférent. J'en espère demain matin, je verrai votre Rouillé 10 dès qu'elle sera arrivée. J'ai dîné avec La Garde. Il s'en va vous voir; j'en suis ravie.
325 - A MADAME ET A MONSIEUR DE GRIGNAN A Paris, mecredi 31e juillet [1675].
dites du temps est divin, ma chère fille : C ilqueest vous vrai que l'on ne voit personne demeurer au E
milieu d'un mois, parce qu'on ne saurait venir à bout de le passer : ce sont des bourbiers d'où l'on sort; mais le bourbier nous arrête, et le temps va. Je suis fort aise que vous soyez paisiblement à Grignan jusques au mois d'oél:obre : Aix vous eût paru étrange au sortir d'ici. La solitude et le repos de Grignan délayent un peu les idées, vous avez eu bien de la raison. M. de Grignan vous est présentement une compagnie; votre château en sera rempli, et votre musique perfeéhonnée. Il faut pâmer de rire de ce que vous dites de l'air italien; le massacre que vos chantres en font, corrigés par vous, est un martyre pour ce pauvre ( Vorrei)1, qui fait voir la punition qu'il mérite. Vous souvient-il du lieu où vous l'avez entendu, et du joli garçon qui le chantait, qui vous donna si promptement dans la vue? Cet endroit-là de votre lettre est d'une folie charmante. Je prie M. de Grignan d'apprendre cet air tout entier : qu'il fasse cet effort pour l'amour de moi; nous le chanterons ensemble.
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Je vous ai mandé, ma très-chère, comme nos folies de Bretagne m'arrêtoient pour quelques jours. M. de Fourbin doit partir avec six mille hommes pour punir cette province, c'est-à-dire la ruiner. Ils s'en vont par Nantes : c'est ce qui fait que je prendrai la route du Mans avec Mme de Lavardin; nous regardons ensemble le temps que nous devons prendre. M. de Pomponne a dit à M. de Fourbin qu'il avoit des terres en Bretagne, et lui a donné le nom de celles de mon fils 2 • La châsse de sainte Geneviève nous donne ici un temps admirable. La Saint-Géran est dans le chemin du ciel. La bonne Villars n'a point reçu votre lettre; c'est une douleur. Voici une petite histoire qui s'est passée il y a trois jours. Un pauvre passementier, dans ce faubourg SaintMarceau, étoit taxé à dix écus pour un impôt sur les maîtrises. Il ne les avoit pas : on le presse et represse; il demande du temps, on lui refuse; on prend son pauvre lit et sa pauvre écuelle. ~and il se vit en cet état, la rage s'empara de son cœur; il coupa la gorge à trois enfants qui étoient dans sa chambre; sa femme sauva le quatrième, et s'enfuit. Le pauvre homme est au Châtelet; il sera pendu dans un jour ou deux. Il dit que tout son déplaisir, c'est de n'avoir pas tué sa femme et l'enfant qu'elle a sauvé. Songez que cela est vrai comme si vous l'aviez vu, et que depuis le siège de Jérusalem, il ne s'est point vu une telle fureur 3 • On devoit partir aujourd'hui pour Fontainebleau, où les plaisirs devoient devenir des peines par leur multiplicité. Tout étoit prêt; il arrive un coup de massue qui rabaisse la joie. Le peuple dit que c'est à cause de Ouantova : l'attachement est toujours extrême; on en fait assez pour fâcher le curé et tout le monde, et peut-être pas assez pour elle; car dans son triomphe extérieur il y a un fond de tristesse. Vous parlez des plaisirs de Versailles; et dans le temps qu'on alloit à Fontainebleau pour s'abîmer dans la joie, voilà M. de Turenne tué; voili une consternation générale; voilà Monsieur le Prince qui court en Allemagne : voilà la France désolée. Au lieu de voir finir les campagnes, et d'avoir votre frère, on ne sait plus où l'on en est. Voilà le monde dans son triomphe, et des événements surprenants, puisque vous les aimez. Je suis assurée que vous serez bien touchée de celui-ci. Je suis épouvantée de la prédestina-
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A MADAME ET A MONSIEUR DE GRIGNAN [1675)
tion de ce M. Desbrosses : peut-on douter de la Providence, et que le canon qui a choisi de loin M. de Turenne entre dix hommes qui étoient autour de lui, ne fût chargé depuis une éternité? Je m'en vais rendre cette hi~oire tragique à M. de Grignan pour celle de Toulon : plût à Dieu qu'elles fussent égales! Vous devez écrire à M. le cardinal de Retz; nous lui écrivons tous. Il se porte très-bien, et fait une vie trèsreligieuse : il va à tous les offices, il mange au réfeétoire les jours maigres. Nous lui conseillons d'aller à Com~erci. Il sera très-affligé de la mort de M. de Turenne. Ecrivez au cardinal de Bouillon; il e~ inconsolable4 • Adieu, ma chère enfant, vous n'êtes que trop reconnoissante. Vous faites un jeu de dire du mal de votre âme; je crois que vous sentez bien qu'il n'y en a pas une plus belle, ni meilleure. Vous craignez que je ne meure d'amitié; je serois honteuse de faire ce tort à l'autre; mais laissez-moi vous aimer à ma fantaisie. Vous avez écrit une lettre admirable à Coulanges : quand le bonheur m'en fait voir quelqu'une, j'en suis ravie. Tout le monde se cherche pour parler de M. µe Turenne; on s'attroupe; tout étoit hier en pleurs dans les rues; le commerce de toute autre chose étoit suspendu. C'e~ à vous que je m'adresse, mon cher Comte, pour vous écrire une des plus fâcheuses pertes qui pût arriver en France: c'e~ la mort de M. de Turenne. Si c'e~ moi qui vous l'apprends, je suis assurée que vous serez aussi touché et aussi désolé que nous le sommes ici. Cette nouvelle arriva lundi à Versailles : le Roi en a été affligé, comme on doit l'être de la perte du plus grand capitaine et du plus honnête homme du monde; toute la cour fut en larmes, et Monsieur de Condom pensa s'évanouir. On étoit prêt d'aller se divertir à Fontainebleau : tout a été rompu. Jamais un homme n'a été regretté si sincèrement; tout ce quartier où il a logé 5, et tout Paris, et tout le peuple étoit dans le trouble et dans l'émotion; chacun parloit et s'attroupoit pour regretter ce héros. Je vous envoie une très-bonne relation de ce qu'il a fait les derniers jours de sa vie. C'e~ après trois mois d'une conduite toute miraculeuse, et que les gens du métier ne se lassent point d'admirer, qu'arrive le dernier jour de sa gloire et de sa vie. Il avoit le plaisir de voir décamper
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l'armée ennemie devant lui; et le 27e, qui était samedi, il alla sur une petite hauteur pour observer leur marche : il avait dessein de donner sur l'arrière-garde, et mandait au Roi à midi que dans cette pensée il avait envoyé dire à Brissac qu'on fît les prières de quarante heures. Il mande la mort du jeune d'Hocquincourt, et qu'il envoira un courrier apprendre au Roi la suite de cette entreprise : il cachette sa lettre et l'envoie à deux heures 6 • Il va sur cette petite colline avec huit ou dix personnes : on tire de loin à l'aventure un malheureux coup de canon, qui le coupe par le milieu du corps, et vous pouvez penser les cris et les pleurs de cette armée. Le courrier part à l'instant; il arriva lundi, comme je vous ai dit; de sorte qu'à une heure l'une de l'autre, le Roi eut une lettre de M. de Turenne, et la nouvelle de sa mort. Il est arrivé depuis un gentilhomme de M. de Turenne, qui dit que les armées sont assez près l'une de l'autre; que M. de Lorges commande à la place de son oncle7, et que rien ne peut être comparable à la violente affiiétion de toute cette armée. Le Roi a ordonné en même temps à Monsieur le Duc d'y courir en poste, en attendant Monsieur le Prince, qui doit y aller; mais comme sa santé est assez mauvaise, et que le chemin est long, tout est à craindre dans cet entre-temps : c'est une cruelle chose que d'imaginer cette fatigue à Monsieur le Prince; Dieu veuille qu'il en revienne! M. de Luxembourg demeure en Flandre pour y commander en chef : les lieutenants généraux de Monsieur le Prince sont MM. de Duras et de La Feuillade. Le maréchal de Créquy demeure où il est. Dès le lendemain de cette nouvelle, M. de Louvois proposa au Roi de réparer cette perte, et au lieu d'un général en faire huit (c'est y gagner). En même temps on fit huit maréchaux de France, savoir : M. de Rochefort, à qui les autres doivent un remerciement 8 ; MM. de Luxembourg, Duras, La Feuillade, d'Estrades, Navailles, Schomberg et Vivonne; en voilà huit bien comptés. Je vous laisse méditer sur cet endroit 9 • Le grand maître était au désespoir, on l'a fait duc; mais que lui donne cette dignité 10 ? Il a les honneurs du Louvre par sa charge; il ne passera point au parlement à cause des conséquences, et sa femme ne veut de tabouret qu'à Bouillé. Cependant c'est une grâce, et s'il était veuf, il pourrait épouser quelque jeune veuve. ·
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Vous savez la haine du comte de Gramont pour Rochefort; je le vis hier, il est enragé; il lui a écrit, et l'a dit au Roi. Voici la lettre Monseigneur, La faveur l'a pu faire autant que le mérite.
C'est pourquoi je ne vous en dirai pas davantage. LE COMTE DE GRAMONT.
Adieu, Rochefort. Je crois que vous trouverez ce compliment comme on: l'a trouvé ici. Il y a un almanach que j'ai vu, c'est de Milan; il y a au mois de juillet : Mort subite d'un grand; et au mois d'août : Ah, que voi.8-je? On est ici dans des craintes continuelles. Cependant nos six mille hommes sont partis pour abîmer notre Bretagne; ce sont deux Provençaux qui ont cette commission : c'est Fourbin et Vins. M. de Pomponne a recommandé nos pauvres terres. M. de Chaulnes et M. de Lavardin sont au désespoir : voilà ce qui s'appelle des dégoûts. Si jamais vous faites les fous, je ne souhaite pas qu'on vous envoie des Bretons pour vous corriger : admirez combien mon cœur est éloigné de toute vengeance. Voilà, Monsieur le Comte, tout ce que nous savons jusqu'à l'heure qu'il est. En récompense d'une trèsaimable lettre, je vous en écris une qui vous donnera du déplaisir; j'en suis en vérité aussi fâchée que vous. Nous avons passé tout l'hiver à entendre conter les divines perfeél:ions de ce héros : jamais un homme n'a été si près d'être parfait; et plus on le connoissoit, plus on l'aimait, et plus on le regrette. Adieu, Monsieur et Madame, je vous embrasse mille fois. Je vous plains de n'avoir personne à qui parler de cette grande nouvelle; il est naturel de communiquer tout cc qu'on pense là-dessus. Si vous êtes fâchés, vous êtes comme nous sommes ici.
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326 - A MADAME DE GRIGNAN A Paris, vendredi ze août [1675).
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pense toujours, ma fille, à l'étonnement et à la douleur que vous aurez de la mort de M. de Turenne. Le cardinal de Bouillon est inconsolable : il apprit cette nouvelle par un gentilhomme de M. de Louvigny, qui voulut être le premier à lui faire son compliment; il arrêta son carrosse, comme il revenoit de Pontoise 1 à Versailles : le Cardinal ne comprit rien à ce discours. Comme le gentilhomme s'aperçut de son ignorance, il s'enfuit; le Cardinal fit courre après, et sut cette terrible mort; il s'évanouit; on le ramena à Pontoise, où il a été deux jours sans manger, dans des pleurs et dans des cris continuels. Mme de Guénégaud et Cavoie 2 l'ont été voir, qui ne sont pas moins affligés que lui. Je viens de lui écrire un billet qui m'a paru bon : je lui dis par avance votre affliéhon, et par son intérêt, et par l'admiration que vous aviez pour le héros. N'oubliez pas de lui écrire: il me paroît que vous écrivez très-bien sur toutes sortes de sujets : pour celui-ci, il n'y a qu'à laisser aller sa plume. On paroît fort touché dans Paris, et dans plusieurs maisons, de cette grande mort. Nous attendons avec transissement le courrier d'Allemagne. Montecuculi, qui s'en alloit, sera bien revenu sur ses pas, et prétendra bien profiter de cette conjonéture. On dit que les soldats faisoient des cris qui s'entendoient de deux lieues; nulle considération ne les pouvoit retenir : ils crioient qu'on les menât au combat; qu'ils vouloient venger la mort de leur père, de leur général, de leur proteéteur, de leur défenseur; qu'avec lui ils ne craignoient rien, mais qu'ils vengeroient bien sa mort; qu'on les laissât faire, qu'ils étoient furieux, et qu'on les menât au combat. Ceci est d'un gentilhomme qui étoit à M. de Turenne, et qui est venu parler au Roi; il a toujours été baigné de larmes en racontant ce que je vous dis, et la mort de son maître, à tous ses amis. M. de Turenne reçut le coup au travers du corps : vous pouvez penser s'il tomba et s'il mourut. Cependant le reste des esprits fit qu'il se traîna la longueur d'un pas, et que même il serra la main par convulsion; et puis on jeta un manteau sur son corps. Le Boür-Guyot E
A MADAME DE GRIGNAN
(c'est ce gentilhomme) ne le quitta point qu'on ne l'eût porté sans bruit dans la plus proche maison. M. de Lorges était à une demi-lieue de là; jugez de son désespoir. C'est lui qui perd tout, et qui demeure chargé de l'armée et de tous les événements jusqu'à l'arrivée de Monsieur le Prince, qui a vingt-deux jours de marche. Pour moi, je pense mille fois le jour au chevalier de Grignan, et ne puis pas m'imaginer qu'il puisse soutenir cette perte sans perdre la raison. Tous ceux que M. de Turenne aimait sont fort à plaindre. Le Roi disait hier en parlant des huit nouveaux maréchaux de France : « Si Gadagne avait eu patience, il serait du nombre; mais il s'est retiré, il s'est impatienté : c'est bien fait 3 • » On dit que le comte d'Estrées cherche à vendre sa charge4 ; il est du nombre des désespérés de n'avoir point le bâton. Devinez ce que fait Coulanges : sans s'incommoder, il copie mot à mot toutes les nouvelles que je .vous écris. Je vous ai mandé comme le grand maître est duc 5 : il n'ose se plaindre; il sera maréchal de France à la première voiture; et la manière dont le Roi lui a parlé passe de bien loin l'honneur qu'il a reçu. Sa Majesté lui dit de dire à Pomponne son nom et ses qualités; il lui répondit : « Sire, je lui donnerai le brevet de mon grand-père; il n'aura qu'à le faire copier. » Il faut lui faire un compliment; M. de Grignan en a beaucoup à faire, et peut-être des ennemis 6 ; car ils prétendent du 111onseigneur, et c'est une injustice qu'on ne peut leur faire comprendre. M. de Turenne avait dit à M. le cardinal de Retz en lui disant adieu (et d'Hacqueville ne l'a dit que depuis deux jours) : « Monsieur, je ne suis point un diseur; mais je vous prie de croire sérieusement que sans ces affaires-ci, où peut-être on a besoin de moi, je me retirerois comme vous; et je vous donne ma parole que, si j'en reviens, je ne mourrai pas sur le coffre7, et je mettrai, à votre exemple, quelque temps entre la vie et la mort. » Notre cardinal sera sensiblement touché de cette perte. Il me semble, ma fille, que vous ne vous lassez point d'en entendre parler : nous sommes convenus qu'il y a des choses dont on ne peut trop savoir de détails. J'embrasse M. de Grignan: je vous souhaiterais quelqu'un à tous deux avec qui vous puissiez parler de M. de Turenne. Les Villars vous adorent; Villars est revenu;
AU COMTE DE BUSSY RABUTIN
mais Saint-Géran et sa tête 8 sont demeurés : sa femme espérait qu'on auroit quelque pitié de lui, et qu'on le ramènerait. Je crois que La Garde vous mande le dessein qu'il a de vous aller voir : j'ai bien envie de lui dire adieu pour ce voyage; le mien, comme vous savez, est un peu différé : il faut voir l'effet que fera dans notre pays la marche de six mille hommes et des deux Provençaux 9 • Il est bien dur à M. de Lavardin d'avoir acheté une charge quatre cent mille francs, pour obéir à M. de Fourbin; car encore M. de Chaulnes a l'ombre du commandement. Mme de Lavardin et M. d'Harouys sont mes boussoles. Ne soyez point en peine de moi, ma trèschère, ni de ma santé; je me purgerai après le plein de la lune, et quand on aura des nouvelles d'Allemagne. Adieu, ma chère enfant, je vous embrasse tendrement, et je vous aime si passionnément, que je ne pense pas qu on puisse aller plus loin. Si quelqu'un souhaitait mon amitié, il devrait être content que je l'aimasse seulement autant que j'aime votre portrait. *
3 27 - AU COMTE DE BUSSY RABUTIN A Paris, ce 6e août 1675.
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ne vous parle plus du départ de ma fille, quoique j'y pense toujours, et que je ne puisse jamais bien m'accoutumer à vivre sans elle; mais ce chagrin ne doit être que pour moi. Vous me demandez où je suis, comment je me porte, et à quoi je m'amuse. Je suis à Paris, je me porte bien, et je m'amuse à des bagatelles. Mais ce style est un peu laconique, je veux l'étendre. Je serois en Bretagne, où j'ai mille affaires, sans les mouvements qui la rendent peu sûre. Il y va quatre mille hommes commandés par M. de Fourbin. La question est de savoir l'effet de cette punition. Je l'attends; et si le repentir prend à ces mutins, et qu'ils rentrent dans leur devoir, je reprendrai le fil de mon voyage, et j'y passerai une partie de l'hiver. J'ai eu bien des vapeurs, et cette belle santé, que vous avez vue si triomphante, a reçu quelques attaques dont E
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je me suis trouvée humiliée, comme si j'avois reçu un affront. Pour ma vie, vous la connoissez aussi. On la passe avec cinq ou six amies dont la société plaît, et à mille devoirs à quoi l'on est obligé, et ce n'est pas une petite affaire; mais ce qui me fâche, c'est qu'en ne faisant rien les jours se passent, et notre pauvre vie est composée de ces jours, et l'on vieillit, et l'on meurt. Je trouve cela bien mauvais. Je trouve la vie trop courte: à peine avons-nous passé la jeunesse, que nous nous trouvons dans la vieillesse. Je voudrais qu'on eût cent ans d'assuré, et le reste dans l'incertitude. Ne le voulez-vous pas aussi ? Mais comment pourrions-nous faire ? Ma nièce sera de mon avis, selon le bonheur ou le malheur qu'elle trouvera dans son mariage. Elle nous en dira des nouvelles, ou elle ne nous en dira pas. ~oi qu'il en soit, je sais bien qu'il n'y a point de douceur, de commodité, ni d'agrément que je ne lui souhaite dans ce changement de condition. J'en parle quelquefois avec ma nièce la religieuse; je la trouve très-agréable et d'une sorte d'esprit qui fait fort bien souvenir de vous. Selon moi, je ne puis la louer davantage 1 • Au reste, vous êtes un très-bon almanach : vous avez prévu en homme du métier tout ce qui est arrivé du côté del' Allemagne; mais vous n'avez pas vu la mort de M. de Turenne, ni ce coup de canon tiré au hasard, qui le prend seul entre dix ou douze. Pour moi, qui vois en tout la Providence, je vois ce canon chargé de toute éternité; je vois que tout y conduit M. de Turenne, et je n'y trouve rien de funeste pour lui, en supposant sa conscience en bon état. ~e lui faut-il ? Il meurt au milieu de sa gloire. Sa réputation ne pouvoit plus augmenter : il jouissoit même en ce moment du plaisir de voir retirer les ennemis, et voyoit le fruit de sa conduite depuis trois mois. ~elquefois, à force de vivre, l'étoile pâlit. Il est plus sûr de couper dans le vif, principalement pour les héros, dont toutes les aélions sont si observées. Si le comte d'Harcourt fût mort après la prise des îles Sainte-Marguerite ou le secours de Casai, et le maréchal du Plessis Praslin après la bataille de Rethel, n'auroientils pas été plus glorieux ? M. de Turenne n'a point senti la mort: comptez-vous encore cela pour rien ? Vous savez la douleur générale pour cette perte, et
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les huit maréchaux de France nouveaux. Le comte de Gramont, qui est en possession de dire toutes choses san_s qu'on ose s'en fâcher, écrivit à Rochefort le lendemain: Monseigneur, La faveur l'a pu faire autant que le mérite.
Monseigneur, Je suis Votre très-humble serviteur, LE COMTE DE GRAMONT.
Mon père est l'original de ce style : quand on fit maréchal de France Schomberg, celui qui fut surintendant des finances, il lui écrivit : Monseigneur, Qualité, barbe noire, familiarité. CHANTAL.
Vous entendez bien qu'il voulait lui dire qu'il avoit été fait maréchal de France, parce qu'il avait de la qualité, la barbe noire comme Louis XIIIe, et qu'il avoit de la familiarité avec lui. Il étoit joli, mon père ! Vaubrun a été tué à ce dernier combat qui comble Lorges de gloire 2 • Il en faut voir la fin; nous sommes toujours transis de peur, jusques à ce que nous sachions si nos troupes ont repassé le Rhin. Alors, comme disent les soldats, nous serons pêle-mêle, la rivière entre-deux. La pauvre Madelonne est dans son château de Provence. QEelle destinée ! Providence ! Providence ! Adieu, mon cher Comte; adieu, ma très-chère nièce. Je fais mille amitiés à M. et à Mme de Toulongeon : je l'aime, cette petite comtesse. Je ne fus pas un quart d'heure à Monthelon 3 , que nous étions comme si nous nous fussions connues toute notre vie : c'est qu'elle a de la facilité dans l'esprit, et que nous n'avions point de temps à perdre. Mon fils est demeuré dans l'armée de Flandre; il n'ira point en Allemagne. J'ai pensé à vous mille fois depuis tout ceci; adieu. *
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328 - A MADAME DE GRIGNAN A Paris, mecredi 7e août (1675].
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uor ! je ne vous ai point parlé de saint Marceau en vous parlant de sainte Geneviève 1 ! Je ne sais pas où j'avois l'esprit. Saint Marceau vint prendre sainte Geneviève jusque chez elle; sans cela on ne l'eût pas fait aller : c'étoient les orfèvres qui portaient la châsse du saint; il y a voit pour deux millions de pierreries : c'était la plus belle chose du monde. La sainte allait après, portée par ses enfants, nu-pieds, avec une dévotion extrême. Au sortir de Notre-Dame, le bon saint alla reconduire la bonne sainte jusques à un certain endroit marqué, où ils se séparent toujours; mais savez-vous avec quelle violence ? Il faut dix hommes de plus pour les porter, à cause de l'effort qu'ils font pour se rejoindre; et si par hasard ils s'étoient approchés, puissance humaine ni force humaine ne pourrait les séparer : demandez aux meilleurs bourgeois et au peuple; mais on les en empêche, et ils font seulement l'un à l'autre une douce inclination, et puis chacun s'en va chez soi. A quoi pouvais-je penser de ne vous point conter toutes ces merveilles ? Pour votre équipée du feu de saint Jean-Baptiste, je ne puis y penser sans que la sueur m'en monte au front. ~elle folie en l'état où vous étiez ! ~elle foule ! ~elle chambre ! ~el échafaud ! Ma bonne, je vous prie de ne m'en plus parler. Le sermon que vous me fîtes la veille de votre départ ne peut jamais sortir de ma mémoire; mais comme je ne puis ramener cet endroit sans commencer par vous voir entrer dans ma chambre, et que je n'ai plus cette joie ni cette espérance prochaine, il m'en coûte toujours des larmes;_ et ,quand j,e médite sur toute_ cette s_oirée, le souvemr m en est d une amertume que Je ne puis encore soutenir. Tout ce que nous fîmes les derniers jours, tous les lieux où nous fûmes, toute la douleur dont j'étais pénétrée, avec une bonne contenance de peur d'attirer vos sermons, tout cela m'arrache encore le cœur. Je repasse tous les temps : nous étions comme à cette heure à Livry, et ainsi de toutes les saisons. L'amitié que j'ai pour vous porte bien des peines et des amertumes avec
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elle : une absence continuelle avec la tendresse que j'ai pour vous, ne composent pas une paix bien profonde à un cœur aussi dénué de philosophie que le mien; il faut passer sur ces endroits sans y séjourner. Vous me voyez, ma bonne, et je vois que vous vous moquez de moi. Je vous ai mandé que je ne pars pas encore. Vous croyez bien que je vous manderai l'adresse de mon nouvel ami de la poste; il sera plus fidèle que Dubois, et nous aurons deux fois la semaine de nos nouvelles; mais croyez bien que je n'oublierai pas l'article : mon intérêt y est encore plus que le vôtre : c'est ma vie partout; mais aux Rochers, ce serait mourir que de n'avoir pas cette consolation. Je porterai des livres et de l'ouvrage : ces amusements vont bien loin après les soins de notre commerce. Vos lettres sont étranges sur les nouvelles de l'armée, jusqu'à ce que vous ayez su la mort de M. de Turenne. Tout est confondu : il n'y a plus ni Flandre, ni Allemagne, ni petit frère que l'on puisse espérer. Nous verrons dans quelques jours comme tout se rangera, et le train que prendra notre province et M. de Fourbin avec sa petite armée. Je vous conseille d'écrire à notre bon cardinal sur cette grande mort; il en sera touché. L'on disoit l'autre jour en bon lieu que l'on ne connoissoit point d'homme au-dessus des autres hommes, que lui et M. de Turenne : le voilà donc seul dans ce point d'élévation. O!!and vous aurez passé cette première lettre, croyez-moi, ma bonne, ne vous contraignez point quand il vous viendra quelque folie au bout de votre plume; il en est charmé : aussi bien la grandeur et le fonds de religion n'empêchent point encore ces petites chamarrures; il laisse toujours aller les épigrammes au gros abbé. Ce que vous me mandez de d'Hacqueville est plaisant. Voilà votre Mme de Schomberg maréchale; elle est fort louable de passer sa vie en Languedoc, pour être plus près de Catalogne 2 ; peut-être que sa santé contribue à ce séjour. Ce serait un joli voyage à M. de Grignan et à La Garde, de l'aller voir aux eaux. Tout ceci fera sans doute changer de place à son mari. Le chevalier de Buous est bien content de moi : je suis sa résidente chez M. de Pomponne. Guilleragues. a fait des merveilles dans sa Gazette. Je trouve les dernières
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louanges un peu embarrassées: j'aimerais mieux un style naturel et moins recherché 3 • Mon fils me mande que la désolation de son armée lui fait comprendre l'excès de celle d'Allemagne; qu'ils sont pourtant heureux qu'on leur laisse M. de Luxembourg, en leur ôtant Monsieur le Prince. Il me prie d'écrire à ce nouveau général; je pense qu'il vous en prie aussi. Faites-le, ma petite : vous écrivez si bien. Vous ne sauriez croire le plaisir et l'agrément qui en reviendra à votre frère. La pauvre Mme de Vaubrun est entièrement désespérée de la mort de son mari; elle fait grand'pitié 4 • M. d'Harouys pleurait hier à chaudes larmes, et pour sa douleur particulière, et pour celle de cette pauvre femme. Les nouvelles d'Allemagne font toute notre attention. Je vis l'autre jour à la messe le comte de Fiesque et d'autres, qui assurément n'y ont point bonne grâce. Je trouvai heureuses celles qui n'avaient leurs enfants ni aux l\1inimes 5, ni en Allemagne; c'est-à-dire moi, qui sais mon fils à son devoir, sans aucun péril présentement. L'autre jour Monsieur le Dauphin tirait au blanc; comme votre fils, il tira fort loin du but : M. de Montausier se moqua de lui, et dit tout de suite au marquis de Créquy6, qui est fort adroit, de tirer; et à Monsieur le Dauphin : « Voyez comme celui-ci tire droit. » Le petit pendard tire un pied plus loin que Monsieur le Dauphin. « Ah ! petit corrompu, s'écria M. de Montausier, il faudrait vous étrangler. » M. de Grignan se souviendra bien de ce petit courtisan; il nous a conté des choses pareilles. Vous devriez lire, c'est-à-dire avoir les Croisades 7 : vous y verriez un Aimar de Monteil, et un Castellane, afin de choisir : ce sont des héros. On veut relire le Tasse quand on a lu ce livre-là. J'ai vu enfin M. de Péruis 8 : il me paraît passionné pour M. de Grignan et pour vous; je le trouve honnête homme, il me semble doux et sincère et point fanfaron. Nous avons causé une heure de toute la Provence, où je me trouvai encore fort savante. Il m'a donné la lettre de M. de Grignan et la vôtre. Elles sont toutes propres à me faire vivre parfaitement bien avee-·. ce monsieur, puisque vous le comptez au nombre de vos amis. Il nommera qui vous voudrez, pourvu que Monsieur de
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Marseille lui laisse la liberté. Il me paroit bien intentionné aussi pour M. d'Escars. Il est ravi de votre portrait; je voudrais que le mien fût un peu moins rustaud : il ne me paroît point propre à être regardé agréablement, ni tendrement. La bonne d'Heudicourt est ravie d'une lettre que vous lui avez écrite; elle peut vous mander de fort bonnes choses et très-particulières : ce commerce vous divertira extrêmement. J'ai fait conter à Péruis comme il vous a trouvée, à quelle heure, en quel lieu : je vous ai bien reconnue dans votre lit comme une paresseuse; il dit que vous êtes belle, et blanche, et grasse : je n'ai osé le questionner davantage. Il n'y a point de conversation au monde que je puisse préférer à celle d'un homme qui vient de Grignan, et qui me parle de toutes ces choses. Je ne pouvais le quitter. Je gronderai bien Corbinelli de ne vous pas écrire : quelle sottise! que peut-il faire de mieux? Hélas! je viens d'apprendre que le pauvre garçon a pensé mourir: il a eu des maux de tête à perdre la raison, et la fièvre. Il a écrit son nom au bas d'une lettre, et fait écrire qu'on me vienne dire qu'il n'est pas mort, mais qu'il a été à l'extrémité, et que j'ai pensé perdre la personne du monde qui m'est la plus dévouée; je_ voudrois qu'il ne fût pas si bien justifié auprès de vous. Ecrivez-lui une petite amitié, ma mignonne, pour l'amour de moi; c'est un garçon que j'aime, et qui m'a persuadée de son amitié. J'ai été à Versailles : je ne sais si je ne vous l'ai point mandé. J'allai avec d'Hacqueville tête à tête. Kous partîmes à trois heures; nous arrivâmes droit chez M. de Louvois, que nous trouvâmes; ce bonheur me parut comme de donner droit dans le treize d'un trou-madame 9 • Je lui parlai pour mon fils; il ne peut avoir ce régiment10, parce que celui qui l'avait n'est point mort. Il me dit inille choses honnêtes et très-obligeantes; je lui dis l'ennui que nous avions dans notre guidonnage : enfin tout alla bien. Nous remontâmes en calèche, et nous étions à neuf heures à Paris. J'ai retourné depuis à Versailles avec Mme de Verneuil, pour faire ce qui s'appelle sa cour. Monsieur de Condom n'est point encore consolé de M. de Turenne. Le cardinal de Bouillon n'est pas connaissable; il jeta les yeux sur moi, et craignant de pleurer, il se détourna : j'en fis autant de mon côté, car je me sentis fort attendrie. Les dames de la
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Reine sont précisément celles qui font la compagnie de Mme de Montespan: on y joue tour à tour, on y mange; il y a des musiques tous les soirs. Rien n'est caché, rien n'est secret; les promenades en triomphe : cet air déplairait encore plus à une femme qui seroit un peu jalouse; mais tout le monde est content. Nous fûmes à Clagny : que vous dirai-je? C'est le palais d'Armide; le bâtiment s'élève à vue d'œil; les jardins sont faits : vous connaissez la manière de Le Nôtre; il a laissé un petit bois sombre qui fait fort bien; il y a un petit bois d'orangers dans de grandes caisses; on s'y promène; ce sont des allées où l'on est à l'ombre; et pour cacher les caisses, il y a des deux côtés des palissades à hauteur d'appui, toutes fleuries de tubéreuses, de roses, de jasmins, d'œillets : c'est assurément la plus belle, la plus surprenante, la plus enchantée nouveauté qui se puisse imaginer : on aime fort ce bois 11 • Hier au soir je vis La Garde, qui me dit qu'un homme revenu de l'armée avoit dit au Roi tout naïvement des biens infinis du chevalier de Grignan et de son régiment 12 • Il se porte très-bien jusqu'ici. Dieu le conserve! Je veux, ma bonne, vous faire voir un petit dessous de cartes qui vous surprendra : c'est que cette belle amitié de Mme de Montespan et de son amie qui voyage 13 est une véritable aversion depuis près de deux ans : c'est une aigreur, c'est une antipathie, c'est du blanc, c'est du noir; vous demandez d'où vient cela? C'est que l'amie est d'un orgueil qui la rend révoltée contre les ordres de l'autre. Elle n'aime pas à obéir; elle veut bien être au père, mais non pas à la mère; elle fait le voyage à cause de lui, et point du tout pour l'amour d'elle; elle lui rend compte, et point à elle. On gronde l'ami d'avoir trop d'amitié pour cette glorieuse; mais on ne croit pas que cela dure, à moins que l'aversion ne se change, ou que le bon succès d'un voyage ne fît changer ces cœurs. Ce secret roule sous terre depuis plus de six mois; il se répand un peu; je crois que vous en serez surprise. Les amis de l'amie en sont assez affligés, et l'on croit qu'il y en a deux qui ont senti cet hiver le contre-coup de cette mésintelligence. N'admirez-vous point comme on raisonne quelquefois, et que l'on ne comprend pas les choses? C'est quand je dis qu'il y a un fil de manqué; et l'on voit clair quand on voit le dessous des cartes :
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c'est la plus jolie chose du monde. Il y a une grande femme qui pourroit bien vous en mander si elle vouloit, et vous dire à quel point la perte du héros a été promptement oubliée dans cette maison : ç'a été une chose scandaleuse14 • Savez-vous bien qu'il nous faudrait ici quelque manière de chiffre? Je m'en vais faire réponse à votre lettre du dernier juillet. Ma bonne, votre commerce est divin; ce sont des conversations que nos lettres : je vous parle, et vous me répondez; j'admire votre soin et votre exaétitude; mais, ma très-chère, ne vous en faites point une loi; car si cela vous fait la moindre incommodité et le moindre mal de tête, croyez que c'est me plaire que de vous soulager; et sans vouloir exagérer, votre intérêt, votre plaisir, votre santé, le soulagement de quelque chose qui vous peine, est au premier rang de ce qui me tient le plus au cœur : il faut me croire, le dessous des cartes va encore plus loin. Je m'en vais commencer par ma santé, ma bonne. N'en soyez point en peine : je vois très-souvent M. de L'Orme chez Mme de Montmor, qu'il ressuscite 15 ; il a fort approuvé ma saignée du pied, et m'a empêchée jusqu'ici de me purger, trouvant que je suis hors d'affaire, et que je n'aurai plus de ces vapeurs de l'année passée. C'étoient les adieux de ce qu'on croyoit parti : si peu de mal étoit digne de mon bon tempérament. Il me fait prendre de sa poudre avant que je parte, mais ce sera plus par civilité pour lui que par besoin. Si vous lui aviez parlé, vous seriez rassurée sur mon chapitre pour le reste de vos jours et des miens. Fiez-vous donc à lui, ma bonne, et ôtez cette inquiétude des effets de votre tendresse : il vous en reste assez. Pour la proposition d'aller à Grignan, au lieu d'aller en Bretagne, elle m'avoit déjà passé par la tête; et quand je veux rêver agréablement, c'est la première chose qui se présente à moi que ces jolis châteaux : en reculant un peu celui-ci, il ne sera plus en Espagne; et le tour que vous me proposez est joli et si faisable, que je m'en vais emporter cette idée en Bretagne, pour me soutenir la vie dans mes bois; mais pour cette année, mon enfant, l'abbé crie de la proposition en l'air. J'ai des affaires autres que celle de Mme d' Acigné: j'ai le bon abbé, que je n'aurai pas toujours; j'ai mon fils, qui seroit bien étonné de me trouver à Lambesc à son retour : je voudrais bien le marier; mais soyez assurée,
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ma bonne, que le desir et l'espérance de vous revoir ne me quittent jamais, et soutiennent toute ma santé et le reste de joie que j'ai encore dans l'esprit; il faut donc saler toutes ces propositions 16 • Je ne sais ce que vous voulez dire, quand vous croyez que l'abbé se mécompte à votre profit. Ma bonne, comptez mieux si vous pouvez. Vous me serrez le cœur en me disant qu'à l'avenir vous prendrez des mesures plus justes pour me payer : que cefa est rude, ma bonne! QEe trouvez-vous de si extraordinaire, que, m'en allant en Bretagne et n'ayant pas besoin d'argent, je remette à l'année qui vient à prendre cet argent? Il est cruel que je ne puisse pas retarder un ridicule payement comme celui-là, quand je n'en ai pas besoin et que je promets de le prendre dans un autre temps. Si nous prenions des juges, vous seriez bientôt condamnée, et s'il y avoit un peu plus de confiance dans votre amitié, vous comprendriez bien le déplaisir que vous me donnez. Croyez-moi, ma bonne, vous devriez nous laisser faire : quand le bien Bon s'en mêle, vous n'avez rien à craindre; les nombres et les supputations feront droit, nous reverrons le bienheureux paquet que nous desirons, et puis on aura regret aux gronderies; mais c'est un des plaisirs de l'éloignement. Pour la pauvre cassolette, vous me paroissez en colère; cela n'est pas juste. Songez, ma bonne, que celui qui vous la donne, l'a crue très-belle et très-précieuse, et en cette qualité il vous en fait un présent d'amitié; c'est ce qui s'appelle un souvenir : il faut toujours regarder à l'intention et régler par là notre reconnoissance. Après tout ce seroit une très-belle chose à Grignan, car le dessin en est admirable et à l'imitation d'une antique de Rome; mais c'est que l'ouvrier n'est pas si habile que ceux de Paris, et vous comprenez bien que dans votre château on n'y regardera pas de si près. C'eût été une grande rudesse de le refuser. J'ai envoyé vos lettres : nous en voudrions avoir à tout moment du chevalier de Grignan, car jusqu'à ce qu'ils aient repassé le Rhin, nous serons toujours en peine. Voilà la relation du combat de M. de Lorges 17 , où il a fait voir qu'il étoit neveu de son oncle. Dieu veuille que nos prospérités continuent! ce serait l'ombre de M. de Turenne qui seroit encore dans cette armée.
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Le comte du Lude est ici; il est duc : on ne s'attache point à trouver mauvais son retour; mais je vous avoue qu'il y a ici de petits Messieurs à la messe, à qui l'on voudroit bien donner d'une vessie de cochon par le nez 18 • Si nous eussions pu troquer notre guidon contre le régiment, à la bonne heure; mais Mont-Gaillard 19 n'est point mort, et il lui faut de l'argent : c'est ce que me dit M. de Louvois, et que j'étois trop habile femme pour acheter un régiment, ne pouvant me défaire de la charge. Le bien Bon espère de restaurer vos affaires. Mme de Saint-Valleri sera marquée : j'ai si bien fait que son joli nez en sera gâté 20 • On ne peut être plus admirable qu'ils sont. Mme de Monaco est toujours malade; je ne vois plus où aboutira cette maladie : que vous m'êtes obligée! Mais vraiment, ma mignonne, je me dédis de Mme de Langeron : elle est plus affligée que jamais; elle est comme une ombre autour de Madame la Duchesse; mais elle ne parle plus; ce n'est plus une femme qui entende ni qui réponde : Sortez, Ombres, sortez
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Elle pleure sans cesse; elle s'est fait une écorchure aux yeux, qui la rend méconnoissable : je reprends ce que je vous en avois dit. Monsieur le Duc est ici pour un jour; il ira rejoindre Monsieur son père, qui va doucement avec quatre ou cinq mille hommes 22 : il a pris ce temps pour voir le Roi et Madame la Duchesse. Mme de Langeron pensa hier mourir en le revoyant. Je suis comme vous, je ne comprends point bien l'amour de profession. L'été, il n'y a qu'à l'Opéra où Mars et Vénus s'accordent si bien ensemble. Voilà les premiers aél:es de l'opéra 23 : quand vous en voudrez davantage, demandez-les à M. de Boissy 24 : c'est le plus joli garçon du monde, qui pour récompense ne veut que l'honneur d'être nommé dans cette lettre. J'en reçois une de Corbinelli : il est guéri; il a été très-mal. Ils iront à Grignan : j'en suis bien aise; vous parlerez de moi, et vous aurez une bonne compagnie. Vous vous moquez de mes questions, quand je vous demande si vous avez été à pied à Pierrelatte. En voici
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encore une : N'aurez-vous point de cocher? :Êtes-vous bien contente de n'avoir qu'un palefrenier? J'en mène trois : Lombard, Langevin et La Porte : c'e:ft un meuble qui me paraît fort nécessaire. Adieu, ma très-chère et très-aimable bonne : vous m'aimez; c'e:ft assurément le dessous de vos cartes, aussi bien que des miennes. Ne croyez point que j'offense ce que j'aime par négliger ma santé: j'en ai un véritable soin pour l'amour de vous, et c'était pour vous plaire que j'allais voir M. de L'Orme. J'y trouvai Mme de Frontenac et la Divine 25 , et la Bertillac, qui y loge, et qui e:ft comme une potée de souris. Cette maison n'e:ft point ennuyeuse; mais ma lettre, qu'en dites-vous? J'aime à vous parler quasi tous les jours : puisque cela ne vous déplaît pas, et que cela me fait plaisir, quel mal y aurait-il? Adieu encore, ma très:chère belle, croyez-moi bien véritablement et uniquement à vous. J'embrasse et je baise M. de Grignan, c'e:ft à lui à qui j'envoie l'opéra.
329 - A MADAME DE GRIGNAN A Paris, vendredi 9e août [1675].
vous écrivis qu'un petit billet mecredi1, C j'oubliaije neplusieurs choses à vous dire. M. Boucherat OMME
me manda lundi au soir que le Coadjuteur avait fait (des) merveilles à une conférence à Saint-Germain, pour les affaires du clergé. Monsieur de Condom et Monsieur d'Agen me dirent la même chose à Versailles. (Je suis persuadée) qu'il fera aussi bien à sa harangue au Roi : ainsi il faudra toujours le louer. Voilà donc, ma chère bonne, nos pauvres amis qui ont repassé le Rhin fort heureusement, fort à loisir, et après avoir battu les ennemis : c'e:ft une gloire bien complète pour M. de Lorges. Nous avions tous bien envie que le Roi lui envoyât le bâton après une si belle aél:ion, et si utile, dont il a seul tout l'honneur. Il a eu un coup de canon dans le ventre de son cheval, et qui lui passa entre les jambes : il était à cheval sur un coup de canon; la Providence avoit bien donné sa commission
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à celui-là, aussi bien qu'aux autres. Nous n'avons perdu que Vaubrun, et peut-être Montlaur, frère du prince d'Harcourt, votre cousin germain : on n'en parle guère plus que d'un chien 2 • La perte des ennemis a été grande; de leur aveu, ils ont quatre mille hommes de tués; nous n'en avons perdu que sept ou huit cents. Le duc de Sault, le chevalier de Grignan et leur cavalerie se sont distingués; et les Anglois surtout ont fait des choses romanesques; enfin voilà un grand bonheur. On dit que Montecuculi, après avoir envoyé témoigner à M. de Lorges la douleur qu'il avoit de la perte d'un si grand capitaine, lui manda qu'il lui laisserait repasser le Rhin, et qu'il ne vouloit point exposer sa réputation à la rage d'une armée furieuse et à la valeur des jeunes François, à qui rien ne peut résister dans leur première impétuosité. En effet, le combat n'a point été général, et les troupes qui nous ont attaqués ont été défaites. Plusieurs courtisans, que je n'ose nommer par prudence, se sont signalés pour parler au Roi de M. de Lorges, et des raisons sans conséquence qui devoient le faire maréchal de France tout à l'heure; mais elles ont été inutiles. Il a seulement le commandement d'Alsace, et vingt-cinq mille francs de pension qu'avoit Vaubrun. Ah! ce n'étoit pas cela qu'il vouloit. M. le comte d'Auvergne a la charge de colonel général de la cavalerie, et le gouvernement de Limousin 3 • M. de Bouillon se promène aux Tuileries, ravi de pouvoir être ce qui lui plaira, sans que personne y trouve à redire. Vous croyez bien que Mme de Bouillon est de son avis. Le cardinal de Bouillon est très-affligé. Notre bon cardinal a encore écrit au pape, disant qu'il ne peut s'empêcher d'espérer que, quand Sa Sainteté aura vu les raisons qui sont dans sa lettre, elle se rendra à ses très-humbles prières; mais nous croyons que le pape infaillible, ( et) qui ne fait rien d'inutile, ne lira seulement pas ses lettres, ayant fait sa réponse par avance, comme notre petit ami que vous connoissez4 • Monsieur le Cardinal se lève à six heures; il dit son bréviaire en hébreu : vous savez pourquoi; il va à la grand' messe. Il dîne sobrement; il lit le Nouveau Testament, ou il écrit jusqu'à vêpres; il se promène, il soupe à sept, se couche à dix; il (parle de très-) bonnes choses (et) en un mot, il paroît content.
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Parlons un peu de M. de Turenne : il y a longtemps que nous n'en avons parlé. N'admirez-vous point ~ue nous (nous trouvions) heureux d'avoir repassé le Rhtn, et que ce qui aurait été un dégoût s'il étoit au monde, nous paraît une prospérité parce que nous ne l'avons r,lus? Voyez ce que fait la perte d'un seul homme. Ecoutez, ,· e vous prie, ma bonne, une chose qui me paraît bel e : il me semble que je lis l'histoire romaine. Saint-Hilaire, lieutenant général de l'artillerie 5 , fit donc arrêter M. de Turenne, qui avoit toujours galopé, pour lui faire voir une batterie; c'était comme s'il eût dit : « Monsieur, arrêtez-vous un peu, car c'est ici que vous devez être tué.» Le coup de canon vint donc, et (emporte) le bras de Saint-Hilaire, qui montrait cette batterie, et (tue) M. de Turenne. Le fils de Saint-Hilaire se jette à son père, et se met à crier et à pleurer. « Taisez-vous, mon enfant, lui dit-il; voyez (en lui montrant M. de· Turenne roide mort), voilà ce qu'il faut pleurer (cruellement), voilà c~ qui est irréparable. » Et sans faire aucune attention sur lui, se met à crier et à pleurer cette grande perte. M. de La Rochefoucauld pleure lui-même, en admirant la noblesse de ce sentiment. Le gentilhomme de M. de Turenne, qui étoit retourné et qui est revenu, (a) dit qu'il a vu faire des aét:ions héroïques au chevalier de Grignan : il a été jusqu'à cinq fois à la charge, et sa cavalerie a si bien repoussé les ennemis, que ce fut cette vigueur extraordinaire qui décida du combat. Le Boufflers a fort bien fait aussi, et le duc de Sault, et surtout M. de Lorges, qui parut neveu du héros en cette occasion; mais le gentilhomme avoit tellement le chevalier de Grignan dans la tête qu'il ne pouvoit s'en taire : n'admirez-vous point qu'il n'ait pas été blessé, à se mêler comme il a fait, et essuyer tant de fois le feu des ennemis? Le duc de Villeroi ne se peut consoler de M. de Turenne; il croit que la fortune ne peut plus lui faire de mal, après lui avoir fait celui de lui ôter M. de Turenne et le plaisir d'être aimé et estimé d'un tel homme. Il avoit rhabillé à ses dépens tout un régiment anglois6, et l'on n'a trouvé dans son coffre que neuf cents francs. Son corps est porté à Turenne 7 ; plusieurs de ses gens et même de ses amis l'ont suivi. Le duc de Bouillon est revenu; le chevalier de Coislin 8 , parce qu'il est malade; mais le chevalier de Vendôme,
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à la veille du combat : voilà sur quoi on crie, et toute la beauté de Mme de Ludres ne l'excuse point 9 • Voici une nouvelle : vous savez que le chevalier de Lorraine et le chevalier de Châtillon ne sont pas amis. Enfin, pour éviter les discours superflus,
vous savez le resl:e des vers 10 ; Varangeville 11 esl: secrétaire des commandements de Monsieur, et fort attaché au chevalier de Châtillon. Le chevalier de Lorraine prétend qu'il a sujet de se plaindre de Varangeville; il le prit avant-hier matin dans une rue, étant suivi de vingt de ses gens, et lui dit: « Si vous continuez (à) m'offenser, je vous ferai donner vingt coups de bâton; et si vous me dites un mot (présentement), voilà des messieurs (en montrant ses gens) qui vous traiteront comme vous le méritez. » Varangeville (ne dit rien, sinon) : « Je n'ai rien à vous dire, Monsieur, avec une si nombreuse compagnie »; et se va plaindre à Monsieur : il en esl: écouté et l'autre blâmé. Ce prince 12 avoit prétendu que quand il auroit parlé il feroit chasser Varangeville, et peut-être le chevalier de Châtillon, qui esl: la clef de la cabale; et voyant que cela ne (se) tournoit pas comme il l'avoit imaginé, il alla après Monsieur à Versailles, et en présence du Roi lui demanda congé de quitter son service, en disant pourtant toutes les obligations qu'il avoit à Monsieur, et qu'il ne serviroit jamais personne après lui; et prit le Roi pour témoin de sa fidélité pour Monsieur; mais que, voyant qu'il préféroit un petit secrétaire à lui, il ne pouvoit plus être témoin de sa disgrâce, et qu'il s'en alloit où sa desl:inée le conduiroit. Le Roi, qui rioit en lui-même des orages de cette petite cour, n'interposa point son autorité, et après quelques paroles qu'il ne vouloit point dire en maître, il quitta le prince et le favori. Le dernier revint à Paris, où il reçut par Mme de Monaco une lettre très-tendre de Monsieur; mais au lieu de ne pousser pas plus loin sa colère, et de prendre ce prétexte pour revenir, il esl: allé à Chilly 13 , où il dit qu'il attendra quelques jours pour voir ce que Monsieur fera pour sa satisfaB:ion, et qu'ensuite, s'il n'esl: content, il s'en ira à Vichy prendre des eaux, et puis où il plaira à sa mauvaise fortune. Voilà où en esl: présentement l'affaire; on ne doute point que les présents ne
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fassent trouver, comme c'est l'ordinaire, que les absents ont tort. Cependant Mme de Monaco est fort intriguée; et le marquis d'Effiat et Volonne ont été si habiles qu'ils ont donné à Monsieur la démission de leurs charges, faisant voir avec beaucoup d'habileté qu'ils étaient les valets du chevalier de Lorraine, et que, ne l'ayant plus, ils ont perdu leur maître. Je vous manderai la suite de cette belle histoire. Adieu, ma très-chère (et très-aimable bonne). Nous attendons cette ratification avec (une grande) impatience; nous n'osons quitter Paris d'un moment, car nous savons que M. de Mirepoix et sa belle (âme) sont fort tentés de faire une infamie; nous sommes très-attentifs à l'arrivée de ce paquet. Je vous suis(, ma bonne,) si parfaitement acquise (et dévouée) que je ne trouve mes pas bien employés que quand ils ont quelque rapport à vous. J'embrasse M. de Grignan, et vous ma bonne; Montélimar, ma très-chère. DE MONSIEUR DE COULANGES 14
Q!!and je mets sur vos paquets Montélimar, c'est à dire « je vous adore ». Ainsi donc je vous dis réglément deux fois la semaine : « Je vous adore, Madame; Madame la comtesse de Grignan, en votre château de Grignan, je vous adore »; et c'est une manière de rondeau. Recevez donc agréablement le chiffre que je vous ai caché à vous jusques ici pour le rendre plus secret à M. de Grignan, à qui il me paraît qu'il est bon de le cacher éternellement. J'ai reçu votre bonne et aimable lettre, que je conserve comme la prunelle de l'œil. Vous avez donc vu les tableaux de Monsieur votre mari : qu'en dites-vous, et surtout des petits moutons qui font lever la poudre de dessous leurs pieds? Savez-vous bien ce qu'ils signifient, ces petits moutons ? car vous devez faire profit de tout : ils vous apprennent qu'il faut être mouton comme eux : soyez donc toujours mon petit mouton, et soyez-le encore de celui qui a acheté les petits moutons qui parent votre cabinet. Il n'y eut jamais une pareille acquisition; c'est de l'or en barre que les tableaux; vous les vendrez toujours au double quand il vous plaira. Ne vous ennuyez donc point d'en voir arriver de nouveaux à Grignan, et parez-en vos cours et vos avant-cours, quand
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vous en aurez suffisamment pour vos chambres et tous vos cabinets. Il ne tiendra pas à moi que je n'aille voir toutes ces merveilles au mois de septembre; mais jamais la maladie de Mme du Gué ne me le permettra. Je partirai pour Lyon assurément à la fin de ce mois. Je fais tout ce que je puis pour persuader à Madame votre mère d'y venir avec moi. Souffrirez-vous qu'elle aille en Bretagne, quand toute la Bretagne est soulevée, qu'on y pille, qu'on y brûle tous les châteaux et qu'on y viole toutes les femmes? Adieu, ma belle Comtesse; J..1.ontélimar, ma belle Comtesse; je suis tout à vous : vous entendez donc bien présentement ce que veut dire Montélimar.
330 - A MADAME DE GRIGNAN A Paris, lundi
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août [1675].
vous envoie la plus belle et la meilleure relation qu'on ait eue ici de la mort de M. de Turenne : elle est du jeune marquis de Feuquières à Mme de Vins, pour M. de Pomponne. Ce ministre me dit qu'elle était meilleure et plus exaéte que celle du Roi. Il est vrai que ce petit Feuquières a un coin cl' Arnauld dans sa tête, qui le fait mieux écrire que les autres courtisans 1 • Je viens de voir le cardinal de Bouillon : il est changé à n'être pas connaissable. Il m'a fort parlé de vous : il ne doute pas de vos sentiments. Il m'a conté mille choses de M. de Turenne, qui font mourir. Son âme apparemment était en état de paraître devant Dieu, car sa vie était parfaitement innocente. Il demandait à son neveu, à la Pentecôte, s'il ne pourrait pas communier sans se confesser. Il lui dit que non, et que depuis Pâques il ne pouvoit guère s'assurer de n'avoir pas offensé Dieu. Il lui conta son état; il était à mille lieues d'un péché mortel. Il alla pourtant à confesse, pour la coutume; il disait : « Mais faut-il dire à ce récollet comme à Monsieur de Saint-Gervais 2 ? Est-ce tout de même? » En vérité, une telle âme est bien digne du ciel; elle venait trop droit de Dieu pour n'y pas retourner, s'étant si peu gâtée par la corruption du monde. SÉVIGNÉ I 26 E
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Il aimoit tendrement le fils de M. d'Elbeuf; c'est un prodige de valeur à quatorze ans 3 • Il l'envoya l'année passée saluer Monsieur de Lorraine, qui lui dit : « Mon petit cousin, vous êtes trop heureux de voir et d'entendre tous les jours M. de Turenne; vous n'avez que lui de parent et de père : baisez les pas par où il passe, et vous faites tuer à ses pieds. » Le pauvre enfant se meurt de douleur : c'est une affiiB:ion de raison et d'enfance, à quoi l'on craint qu'il ne résiste pas. M. le comte d'Auvergne l'a pris avec lui, car il n'a rien à attendre de son père. Cavoie est affligé par les formes. Le duc de Villeroi a écrit ici des lettres dans le transport de sa douleur, qui sont d'une telle force qu'il les faut cacher. Il met au premier rang de toutes la fortune d'avoir été aimé de ce héros, et déclare qu'il méprise toute autre sorte d'estime après celle-là : sauve qui peut! M. de Marsillac s'est signalé en parlant de M. de Lorges comme d'un sujet digne d'une autre récompense que celle de la dépouille de M. de Vaubrun. Jamais rien n'auroit été d'une si grande édification et d'un si bon exemple, que de l'honorer du bâton après un si grand succès. Mme de Coulanges me mande comme vous vous consolerez aisément si elle passe l'hiver à Lyon, et comme elle est aise aussi que vous soyez dans votre château. Je lui mande en général les commissions que vous me donnez, et qui partent de la même bonté, tantôt d'empêcher l'une de se consoler, tantôt de faire que l'autre soit marquée et malade; enfin la peine que j'ai à faire vos commissions. Elle nous écrit des lettres admirables, et nous parle souvent de la jolie haine qui est entre vous deux. Le chevalier de Lorraine est allé à une abbaye qu'il a en Picardie 4 • Mme de Monaco le fut voir à Chilly; mais elle n'a pu l'empêcher de partir et d'aller plus loin. On ne trouve pas sa politique bonne, et l'on croit qu'il y sera attrapé. C'est un étrange style que de vouloir faire chasser un principal officier dont on est content : c'est à ce prix qu'il met son retour. Je crois qu'il auroit eu contentement il y a quelques années; mais les temps sont différents : on n'efl pas volage pour ne changer qu'une fois. Il n'est pas vrai que le marquis d'Effiat et Volonne aient rendu leurs charges; mais ils ont accompagné le chevalier jusques à Chilly, et ils auront de grands dégoûts pendant cette disgrâce.
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La Garde vous a mandé ce que M. de Louvois a dit à la bonne Langlée5, et comme le Roi est content des merveilles que le chevalier de Grignan a faites. S'il y a quelque chose d'agréable dans la vie, c'est la gloire qu'il s'est acquise dans cette occasion; il n'y a pas une relation ni pas un homme qui ne parle de lui avec éloge. Sans sa cuirasse il étoit mort : il a eu plusieurs coups dans cette bienheureuse cuirasse; il n'en avoit jamais porté : Providence! Providence! On vint éveiller Monsieur de Reims à cinq heures du matin pour lui dire que M. de Turenne avoit été tué 6 • Il demanda si l'armée étoit défaite; on lui dit que non : il gronda qu'on l'eût éveillé, appela son valet coquin, fit retirer son rideau, et se rendormit. Adieu, mon enfant : que voulez-vous que je vous dise? Je vous envoie cette relation à cinq heures du soir : je fais mon paquet toute seule; M. de Coulanges viendroit ce soir qui la voudroit copier, et je hais cela comme la mort. J'ai fait toutes vos amitiés et dit toutes vos douceurs à M. de Pomponne et à Mme de Vins : en vérité, elles sont très-bien reçues. Je lui dis la joie que vous aviez de n'être plus mêlée dans le, sottes querelles de Provence : il en rit, et de la raison de votre sagesse. Il souhaiteroit que les Bretons s'amusassent à se haïr plutôt qu'à se révolter. J'ai vu Mme Rouillé chez elle; je la trouvai toujours aimable; je croyois être à Aix. Je voudrois fort sa fille, mais elle a de plus grandes idées 7 • Adieu, ma très-chère et très-aimée. Mme de Verneuil et la maréchale de Castelnau viennent d'admirer votre portrait : on l'aime tendrement, et il n'est pas si beau que vous. C'est à M. de Grignan, que j'embrasse, à qui j'envoie la relation aussi bien qu'à vous.
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A MADAME DE GRIGNAN A Versailles, mardi 13e août, à minuit [1675].
du jour. Le Roi vient de dire que le V ducladenouvelle Zell ayant assiégé Trèves, et le maréchal de OICI
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Créquy s'étant acheminé pour y aller, ce duc avoit quitté le siège, brûlé son propre camp, passé la rivière sur
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trois ponts, chargé en flanc et battu le maréchal de Créquy, pris son canon et son bagage, l'infanterie défaite, et la cavalerie dans un désordre effroyable. On ne savoit pas ce qu'était devenu le maréchal de Créquy. On croit que les ennemis sont retournés à Trèves, qui est sans gouverneur; car M. de Vignori, allant visiter une batterie, fut renversé par son cheval dans le fossé, dont il mourut sur-le-champ. Le pauvre La Marck et le chevalier de Cauvisson ont été tués : on saura demain les autres. Voilà ce que Sa Majesté a dit; mais à Paris on dit et on croit savoir que c'est une vraie déroute. Toute l'infanterie a été défaite, et la cavalerie en fuite et en désordre 2 • Mecredi 148 août.
J'ai couru tout le matin pour savoir des nouvelles de La Trousse et de Sanzei: on ne dit rien de ce dernier; on dit que La Tr~usse est blessé, et puis d'autres disent qu'on ne sait où il est : ce qui paroît sûr, c'est qu'il n'est pas mort, puisqu'on sait le nom de tant de gens au-dessous de lui3 • La consternation est grande. Rien n'empêche cette armée viél:orieuse de joindre Montecuculi, qui a passé le Rhin à Strasbourg, où malgré la neutralité, on a reçu les troupes allemandes. On ne croit pas que Monsieur le Prince puisse joindre notre armée; il ne se porte pas bien : quelle conjonél:ure pour lui et pour sa gloire! Duras est seul à cette armée; il a mandé au Roi, en le remerciant, que son frère de Lorges méritait bien mieux l'honneur d'être maréchal de France que lui. Les ennemis sont fiers de la mort de M. de Turenne : en voilà les effets; ils ont repris courage. On ne peut en écrire davantage; mais la consternation est grande ici : je vous le dis pour la seconde fois. Mlle de Méri est en peine de son frère, elle a raison : c'est un beau miracle, si La Trousse s'est sauvé de l'état où l'on nous l'a représenté. Nous ne savons point encore la liste des morts : le nombre en est grand, puisque l'on compte sur les doigts ceux qui se sont sauvés. L'état de la maréchale de Créquy est bien affreux, et de la marquise de La Trousse, qui ne savent point du tout ce que sont devenus leurs maris.
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332 - A MADAME DE GRIGNAN A Paris, du 16e août [1675].
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voudrais mettre tout ce que vous m'écrivez de M. de Turenne dans une oraison funèbre : vraiment votre lettre est d'une énergie et d'une beauté extraordinaire; vous étiez dans ces bouffées d'éloquence que donne l'émotion de la douleur. Ne croyez point, ma bonne, que son souvenir (soit) fini ici quand votre lettre est arrivée : ce fleuve qui entraîne tout, n'entraîne pas sitôt une telle mémoire; elle est consacrée à l'immortalité, et même dans le cœur d'une infinité de gens dont les sentiments sont fixés sur ce sujet. J'étais l'autre jour chez M. de La Rochefoucauld. Monsieur le Premier 1 y vint : Mme de Lavardin, M. de Marsillac, Mme de La Fayette et moi. La conversation dura deux heures sur les divines qualités de ce véritable héros; tous les yeux étaient baignés de larmes, et vous ne sauriez croire comme la douleur de sa perte est profondément gravée dans les cœurs : vous n'avez rien par-dessus nous que le soulagement de soupirer tout haut et d'écrire son panégyrique. Nous remarquions une chose, c'est que ce n'est pas depuis sa mort que l'on admire la grandeur de son cœur, l'étendue de ses lumières et l'élévation de son âme : tout le monde en étoit plein pendant sa vie; et vous pouvez penser ce que fait sa perte par-dessus ce qu'on étoit déjà; enfin, ma bonne, ne croyez point que cette mort soit ici comme les autres. Vous faisiez trop d'honneur au comte de Guiche; mais pour l'un des deux héros de ce siècle, vous pouvez en parler tant qu'il vous plaira, sans croire que vous ayez une dose de douleur plus que les autres. Pour son âme, c'est encore un miracle qui vient de l'estime parfaite qu'on avoit pour lui; il n'est pas tombé dans la tête d'aucun dévot qu'elle ne fût pas en bon état : on ne saurait comprendre que le mal et le péché pussent être dans son cœur. Sa conversion si sincère nous a paru comme un baptême. Chacun conte l'innocence de ses mœurs, la pureté de ses intentions, son humilité éloignée de toute sorte d'affeB:ation, la solide gloire dont il étoit plein, sans faste et sans ostentation, aimant la vertu pour elle-même, sans se E
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soucier de l'approbation des hommes : une charité généreuse et chrétienne. Vous ai-je pas conté comme il rhabilla ce régiment anglois (il lui en coûta quatorze mille francs), et resta sans argent? Les Anglois ont dit à M. de Lorges qu'ils achèveroient de servir cette campagne pour le venger; mais qu'après cela ils se retireroient, ne pouvant obéir à d'autres qu'à M. de Turenne. Il y avoit de jeunes soldats qui s'impatientoient un peu dans les marais, où ils étoient dans l'eau jusqu'(au genouil); et les vieux soldats leur disoient : « QEoi ! vous vous plaignez, on voit bien que vous ne connoissez pas M. de Turenne : il est plus fâché que nous quand nous sommes mal; il ne songe, à l'heure qu'il est, qu'à nous tirer d'ici; il veille quand nous dormons : c'est notre père; on voit bien que vous êtes bien jeunes»; et les rassuroient ainsi. Tout ce que je vous mande est vrai: je ne me charge point des fadaises dont on croit faire plaisir aux gens éloignés : c'est abuser d'eux, et je choisis bien plus ce que je vous écris que ce que je vous dirois si vous étiez ici. Je reviens à son âme : c'est donc une chose à remarquer, nul dévot ne s'est avisé de douter que Dieu ne l'eût reçue à bras ouverts, comme une des meilleures qui (soit) jamais (sortie) de lui. Méditez sur cette confiance générale de son salut, et vous trouverez que c'est une espèce de miracle qui n'est que pour lui : enfin personne n'a osé douter de son repos éternel. Vous verrez dans les nouvelles les effets de cette perte. Le Roi a dit d'un certain homme, dont vous aimiez assez l'absence cet hiver, qu'il n'avoit ni cœur, ni esprit : rien que cela. Mme de Rohan, avec une poignée de gens, a dissipé et fait fuir les mutins qui s'étoient attroupés dans le duché de Rohan. Les troupes sont à Nantes, commandées par Fourbin; car Vins est toujours subalterne. L'ordre de Fourbin est d'obéir à M. de Chaulnes; mais comme M. de Chaulnes est dans son Fort-Louis, Fourbin avance et commande toujours. Vous entendez bien ce que c'est que ces sortes d'honneurs en idée, que l'on laisse sans aéhon à ceux qui commandent. (Mais) M. de Lavardin avoit fort demandé le commandement; il a été à la tête d'un vieux régiment2, et prétendoit que ces honneurs lui étoients dus; mais il n'a pas eu contentement. On dit que nos mutins demandent pardon; je crois qu'on leur pardonnera moyennant quelques pendus. On
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a ôté M. Chamillart qui étoit odieux à la province 3 , et l'on a donné pour intendant de ces troupes M. de Marillac, qui est un fort honnête homme. Ce n'est plus ces désordres qui m'empêchent de partir, c'est autre chose que je ne veux pas quitter; je n'ai pas pu même aller à Livry, quelque envie que j'en aie; il faut prendre le temps comme il vient : on est assez aise d'être au milieu des nouvelles dans ces terribles temps. Écoutez, je vous prie, encore un mot de M. de Turenne. Il avoit fait connaissance avec un berger qui sa voit très-bien les chemins et le pays; il allait seul avec lui, et faisait poster ses troupes selon la connaissance que cet homme lui donnait : il aimait ce berger, et le trouvait d'un sens admirable, et disait que le général Beck4 étoit venu comme cela, et qu'il croyait que ce berger ferait sa fortune comme lui. ~and il eut fait passer ses troupes à loisir, il se trouva content, et dit à M. de Roye 5 : « Tout de bon, il me semble que cela n'est pas trop mal; je crois que M. de Montecuculi trouverait assez bien ce que l'on vient de faire. » Il est vrai que c'était un chef-d'œuvre d'habileté. Mme de Villars a vu encore une relation depuis le jour du combat : on lui dit que dans le passage du Rhin le chevalier de Grignan fit encore des merveilles de valeur et de prudence : il est impossible de s'être plus distingué qu'il a fait. Dieu le conserve! car le courage de M. de Turenne est passé à nos ennemis : ils ne trouvent plus rien d'impossible depuis la défaite du maréchal de Créquy. M. de La Feuillade a pris la poste, et s'en est venu droit à Versailles, où il surprit le Roi; il lui dit : « Sire, les uns font venir leurs femmes (c'est Rochefort), les autres les viennent voir : pour moi, je viens voir une heure Votre Majesté, et la remercier mille et mille fois; je ne verrai que Votre Majesté, car ce n'est qu'à elle que je dois tout. » Il causa assez longtemps, et puis prit congé, et dit : « Sire, je m'en vais, je vous supplie de faire mes compliments à la Reine, à Monsieur le Dauphin, à ma femme et à mes enfants », et s'en alla remonter à cheval, et en effet n'a vu âme vivante. Cette petite équipée a fort plu au Roi; il a raconté en riant comme il étoit chargé (des) compliments. Il n'y a qu'à être heureux, tout réussit. (Adieu, ma chère bonne. Je vous embrasse, ma peti_te, et)
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finis, au pied de la lettre, entièrement à vous. J'embrasse le Comte. Nous allons songer à votre tapis de pied. Vendredi au soir, 16° août.
Enfin M. de La Trousse est trouvé; admirez son bonheur dans toute cette affaire. Après avoir fait des merveilles à la tête de ce bataillon, il est enveloppé de deux escadrons, et si bien enveloppé, qu'on ne sait ce que tout cela est devenu : tout d'un coup il se trouve qu'il est prisonnier; de qui? du marquis de Grana, qu'il a vu pendant six mois à Cologne6, et qui l'aime extrêmement. Il a aussi une jolie petite blessure, et pourra fort bien faire ses vendanges à la Trousse; car il viendra trèsassurément sur sa parole; et pour mieux dire, il sera reçu très-agréablement à la cour. Je n'ai jamais vu tant de soins et tant d'amitiés que tous ses amis lui en ont témoigné : je le plains d'avoir tant de remerciements à faire; mais n'est-il pas vrai que si on avoit fait exprès une destinée, on n'auroit pas imaginé autre chose que ce qui lui est arrivé? Pour le bon Sanzei, nous n'en avons aucune nouvelle: cela n'est guère bon. Le maréchal de Créquy est à Trèves, à ce que l'on dit : ses gens l'ont vu passer, lui quatrième, dans un petit bateau : On parle d'eaux, de Tibre, et l'on se tait du reste.
Sa femme est folle de douleur, et n'a pas reçu un mot de lui. Je crois qu'il est noyé ou tué par les paysans en allant à Trèves; enfin je trouve que tout va mal, hormis La Trousse. Monsieur le Prince s'achemine vers l' Allemagne; Monsieur le Duc y est déjà. M. de La Feuillade est allé ramasser les débris de l'armée du maréchal de Créquy, pour se joindre à Monsieur le Prince. Il ne faut point faire d'almanachs; mais si les ennemis ont pris Haguenau, comme on l'a dit, la carte nous apprend que cela n'est pas bon 7 • Si vous trouvez que vous n'ayez pas assez de nouvelles présentement, vous êtes, en vérité, ma fille, bien difficile à contenter : je crois même que de longtemps vous ne manquerez de grao~s événements. On nous dit ici que votre armée de Messine s'est embarquée tout doucement, et s'en revient en -Provence.
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Si le Coadjuteur avait pris dans sa harangue le style ordinaire des louanges, il ne serait pas aujourd'hui fort à propos. Il passe sur l'affaire présente avec une adresse et un esprit admirable; il vous mandera le tour qu'il donne à ce petit inconvénient; pourvu qu'il sache recoudre ce morceau bien juste dans sa pièce, ce sera le plus beau et le plus galant 8 • ~e dit le Comte de toutes nos nouvelles? C'est à lui que j'adresse la parole pour me réjouir des merveilles du chevalier. Saint-Hérem a perdu deux de ses neveux en huit jours; l'aîné était à la tête du régiment Royalcavalerie; je l'avais voulu demander pour mon fils; mais Mme de Montrevel le demande avec la même fureur qu'elle demandait un mari : . le moyen de le lui refuser? Adieu, ma très-chère et très-aimable. On dit que La Marck n'est point mort : je plains sa femme et peut-être sa maîtresse.
333 - A MADAME DE GRIGNAN A Paris, lundi 19e août [1675].
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commence cette lettre, ma bonne, mais je ne la finirai pas sans vous dire beaucoup d'autres choses. Je ballotte présentement, et vous veux conter des choses si raisonnables que le Roi a dites, que c'est un plaisir (que) de les entendre. Il a fort bien compris la perte de M. de Turenne; et quand il rêve et rentre en lui-même, il la prend pour la cause de ce dernier malheur 1 • Un courtisan voulait lui faire croire que ce n'était rien que ce qu'on avait perdu; il répondit qu'il haïssait ces manières, et qu'en un mot c'était une défaite complète. On voulut excuser le maréchal de Créquy; il convint que c'était un très-brave homme; « mais ce qui est désagréable, dit-il, c'est que mes troupes ont été battues par des gens qui n'ont jamais joué qu'à la bassette ». Il est vrai que ce duc de Zell est jeune et joueur; mais voilà un joli coup d'essai 2 • Un autre courtisan voulut dire : « Mais pourquoi le maréchal de Créquy donnait-il la bataille? » Le Roi répondit, et se souvint d'un vieux conte du duc de Weimar, qu'il appliqua très-bièn. Ce E
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Weimar était en France; et un vieux Parabère, cordon bleu, lui demanda, en parlant de la dernière bataille qu'il a voit perdue:« Monsieur, pourquoi la donniez-vous? Monsieur, lui répondit ce duc de Weimar, c'est que je croyais la gagner »; et puis se tourna : « ~i est ce sot cordon bleu-là? » Toute cette application est extrêmement plaisante. M. de Lorraine 3 n'avait pas voulu obéir à ce jeune duc de Zell, qui est frère du duc de Hanovre; et ce duc de Zell, qui avait là toutes ses troupes, avait voulu les commander; tout a bien été pour eux. On ne sait encore rien du maréchal de Créquy, depuis le petit bateau4 ; pour moi, je le crois mort. On ne pense plus au chevalier de Lorraine; il est à son abbaye : voici un méchant temps pour les médiocres nouvelles. J'ai envoyé toutes vos lettres. Je parlerai à M. de Pomponne pour le monseigneur5 • En attendant, je crois que M. de Vivonne a son passe-port sans conséquence; et, comme il est sûr que vous ne devez pas (vouloir) le fâcher, je lui écrirais un billet, et y ficherais un monseigneur en faveur de son nom. Pour les autres, il faut chicaner comme Beuvron et Lavardin: ils font écrire leurs sœurs, leurs mères; ils ont cette conduite, je la sais, et ils évitent la décision. On croit que d' Ambres 6 perdra cette contestation contre le maréchal d'Albret, et que la règle sera générale. C'est le Roi qui doit dans peu de jours prononcer sur cette affaire. Je passe droit au cuisinier. Voilà une terrible chose que le vôtre s'en soit allé avec l'officier 7 • En vérité je ne me mêlerai point de vous en envoyer, à moins que ce fût une perle si orientale que l'on fût (assurée) de n'en avoir aucun reproche. Mais voici ce qui arrive. J'ai mon cuisinier qui est tellement au-dessus de mon mérite que franchement il me fait pitié. L'idée d'avoir été à moi le gâtera peut-être auprès de vous. Vous vous souvenez encore de celui qui voulait se retirer, et qui craignait le feu, (et) qui me voulait servir; mais pour vous remettre, songez que celui-ci a appris son métier avec maître Claude, que vous approuvez. Il a été dans des bonnes maisons, et le premier président de Grenoble, à qui je l'ai ôté par maître Claude, n'est pas consolable de ne l'avoir plus. Je l'ai donné à M. de La Garde, pour deux cent cinquante livres de gages, sans profits. Vous le verrez à Grignan, vous le ferez travailler, vous verrez
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s'il vous est agréable, et vous ordonnerez. Il vous demeurera, si vous vous accommodez de lui et s'il s'accommode de vous, car ce sont deux : sinon il reviendra avec La Garde, et comme il n'envisage que lui, vous n'êtes chargée de rien. Pour moi je pleure de le quitter; il nous fait des ragoûts d'aloyau et de concombres que nous préférons à tout. Il a un goût droit qui me plaît. Voilà(, ma bonne,) tout ce que je puis (vous) dire sur ce beau chapitre. Lundi au soir.
J'ai causé une heure avec M. de Pomponne et Mme de Vins; nous avons un peu battu la Provence, après plusieurs autres choses qui font les conversations du temps; il dit que si on lui laisse nommer le procureur du pays, M. de Saint-Andiol le sera assurément. Il ne voit rien dans le galimatias de Monsieur de Marseille qui ne l'oblige à décider M. de Péruis, qui de son côté ne demande pas mieux. Il a paru à M. de Pomponne tout plein de raison et d'estime pour M. et Mme de Grignan. Après cela j'ai parlé du monseigneur. « Ah! mon Dieu, Madame, m'a dit M. de Pomponne, au nom de Dieu! que M. de Grignan se garde bien du monsieur : il ferait mal sa cour; le Roi s'en est expliqué sur le sujet du marquis d' Ambres; il sera tondu. Ce maréchal de Gramont conte en son langage que le comte de Guiche n'était pas un misérable, sans naissance, sans dignité, et que jamais il n'a marchandé le monseigneur à aucun maréchal de France : je vous prie que M. de Grignan suive sur cela mon conseil. » Voilà ses mêmes paroles que je vous écris tout chaudement : ne le marchandez donc pas à M. de Vivonne; vous pouvez ne point écrire aux autres; mais si vous écrivez, il n'y faut pas balancer. C'est depuis quatre jours que le Roi s'est expliqué là-dessus, et que les prônes du maréchal de Gramont ont soutenu l'affaire. Mme de Vins m'a priée de vous bien assurer de son amitié et de l'estime très-particulière et très-unique qu'elle a pour vous, car elle ne se charge pas d'admirer beaucoup de gens. Mmes de Villars et de Saint-Géran sont arrivées peu après notre conversation. Cette dernière a parlé au Roi pour demander le gouvernement qu'avait Vaubrun, pour son mari 8 • Elle tremblait si fort, qu'~lle ne
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pou voit prononcer; mais sur la fin il n'y avoit plus que pour elle : je ne crois pas qu'elle obtienne rien. Monsieur le Coadjuteur a fait la plus belle harangue et la mieux prononcée qu'il est possible : il passa cet endroit, qui avoit été fait et rappliqué après coup, avec une grâce et une habileté nompareille; c'est ce qui a le plus touché tous les courtisans 9 • C'est une chose si nouvelle que de varier la phrase, qu'il a pris l'occasion que Voiture souhaitoit pour écrire moins ennuyeusement à Monsieur le Prince, et s'en est aussi bien servi qu'il auroit fait. Le Roi a fort loué cette aélion, et dit à Monsieur le Dauphin : « Combien voudriez-vous qu'il vous en eût coûté, et parler aussi bien que Monsieur le Coadjuteur? » M. de Montausier prit la parole, et dit : « Sire, nous n'en sommes pas là; c'est assez que nous apprenons à bien répondre. » Les ministres et tout le monde ont trouvé un agrément et un air de noblesse dans son discours qui donna une véritable admiration. J'ai bien à t:emercier les Grignans de tout l'honneur qu'ils me font, et des compliments que j'ai reçus depuis peu, et du côté d'Allemagne, et de celui de Versailles : je voudrois bien que l'aîné eût quelque grâce de la cour pour m'en faire avoir de Provence. M. de La Trousse a écrit à sa femme : il est prisonnier de son ami le marquis de Grana; (il) se porte très-bien, sans aucune blessure : jamais un homme n'a été si heureux; cette affaire n'a été que pour sa gloire. Il mande qu'on le vient d'assurer que M. de Sanzei a été tué; je le croirois bien, car outre qu'on n'a point de ses nouvelles, c'est que c'étoit un vrai homme à payer de sa personne, voyant que son régiment faisoit mal : nous en saurons de plus sûres nouvelles. Je ne vous parle plus de vos Bellièvres, ni du Mirepoix. Si je vais en Bretagne, ce sera dans le temps des vacances et des premières chicanes, où je semis inutile, car aussitôt qu'il sera temps d'agir, je n'y perdrai pas un seul moment. Nous allons plaider pour avoir la ratification, et pour faire juger la question entre M. de Mirepoix et Mme du Puy-du-Fou. N'ayez aucun soin de cette affaire; c'est la mienne et plus que la mienne. Nous avons toujours un bon aéte de la Puy-du-Fou, et une transaétion qui rend le, Mirepoix infâme : nous nous tirerons de leurs mains avec un peu de temps. La Puy-du-Fou ne fait pas
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ce qu'elle pourrait faire; si elle donnait à M. de Grignan les dix mille écus, en cas que la ratification manque, elle le hâterait bien d'aller 10 , mais elle bobi!lonne 11 et pleure et ne résout rien. Le Bellièvre a enfin abandonné tout son bien à ses créanciers : la démission en fut signée avant-hier. C'est un étonnement général; c'est une banqueroute; car ils n'ont pas à cent mille écus près de quoi tout payer. Ils ne sentaient (point) du tout qu'ils fussent ruinés. La sœur est habile comme le frère. Ils vont déloger à la Saint-Remi 12 • ~elle honte! Ils ne la sentent pas. Mirepoix fait l'étonné et dit qu'il ne savait rien. Il a menti, il le savait mieux qu'eux; mais c'est le prétexte. Nous faisons chercher un tapis de revente 13 , car s'il le faut acheter chez le marchand, il vous coûtera avec la frange d'or et d'argent plus de quatre cents francs. Les velours de Lyon sont moins chers; songez-y (, ma bonne,) pendant que vous êtes à Grignan : si je n'étais ici, la d'Escars vous pourrait toujours obéir. Je n'ai encore rien décidé pour mon départ; cela dépend d'une conférence chez M. de L'Hommeau, où nous raisonnerons beaucoup. Le corps du héros n'est point porté à Turenne, comme on me l'avait dit : on l'apporte à Saint-Denis, au pied de la sépulture des Bourbons; on destine une chapelle pour les tirer du trou où ils sont, et c'est M. de Turenne qui y entre le premier. Pour moi, je m'étais tant tourmentée de cette place, que ne pouvant comprendre qui peut avoir donné ce conseil, je crois que c'est moi. Il y a déjà quatre capitaines aux pieds de leurs maîtres 14 , et s'il n'y en avait point, il me semble que celui-ci devrait être le premier. Partout où passe cette illustre bière, ce sont des pleurs et des cris, des presses, des processions, qui ont obligé à marcher et arriver de nuit : ce sera une douleur grande s'il passe par Paris. On me vient de dire de très-bon lieu que les courtisans, croyant faire leur cour en perfeéHon, disaient au Roi qu'il entrait à tout moment à Thionville et à Metz des escadrons et même des bataillons tout entiers, et que l'on n'avait quasi rien perdu. Le Roi, comme un galant homme, sentant la fadeur de ce discours, et voyant donc rentrer tant de troupes : « Mais, dit-il~ en voilà plus que je n'en avais. >> Le maréchal de Gramont, plus habile que les autres, se jette dans cette pensée : « Out, Sire,
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c'est qu'ils ont fait des petits. » Voilà de ces bagatelles que je trouve plaisantes, et qui sont vraies. Voilà votre officier qui entre et qui me conte comme le cuisinier s'en revient aussi. Un postillon est arrivé, et l'on dit que les laquais suivront. Il conte bien des choses qui assurément empêcheront qu'aucun officier veuille jamais aller en Provence. Il a conté aussi des choses terribles de la nourrice, qui s'est évanouie, parce qu'on a dit qu'elle avoit du mal; et dit qu'elle s'est dépouillée devant vous pour vous faire voir le contraire. La haine paroît vive contre le maître d'hôtel, qui fait mourir, à ce qu'il dit, de faim tous les gens pendant que lui et ses amis font très-bonne chère. Vous croyez bien que pour moi je crois qu'il y a des réponses à toutes ces plaintes, et qu'ils sont peut-être des fripons; mais comme on ne sait point les réponses de Grignan, vous comprenez bien la réputation que cela donne à votre maison, et le déplaisir qu'aura l'officier de Monsieur le Cardinal de ce que son parent aura si mal réussi. Mandez-moi quelquesunes des raisons qu'on a eues de chasser ce garçon; quelquefois dans vos châteaux les vérités y sont aussi étouffées qu'à la cour. Il est venu un courrier qui a vu M. le maréchal de Créquy à Trèves. Nous sommes fort en peine de M. de Sanzei; nous n'avons point de ses nouvelles que de traverse : les uns disent qu'il est prisonnier; d'autres, qu'il a été tué; d'autres, qu'il est à Trèves avec le maréchal de Créquy : tout cela ne vaut rien du tout. On tient Trèves assiégée. Le Roi dit à Monsieur le Premier qu'il étoit bien aise que son fils fût en sûreté. Il lui dit : « Sire, j'aimerois mieux qu'il fût prisonnier ou blessé; cette grande sûreté ne me contente pas. » Le Roi l'assura qu'il avait fort bien fait. On parle encore du voyage de Fontainebleau. Je n'ai pas encore pardonné à ce beau lieu 15 ; je n'y puis penser sans émotion et sans tristesse : il me faut vous y aller recevoir pour me remettre avec lui. Madame de Toscane est abîmée dans son Montmartre et dans ses Guisardes 16 • Elle a témoigné à toutes les dames qu'après les premières visites elle n'en souhaitait plus, et a commencé ce discours par Mme de Rarai. On trouve cette dureté grande : il est vrai qu'elle ressemble assez à la Diane d'Arles; mais je ne trouve pas qu'elle puisse espérer d'être égayée, à la vie qu'elle fait.
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M. le cardinal de Bouillon est venu ici tantôt : il est touché de votre lettre, et persuadé de vos sentiments; il a toujours les larmes aux yeux : je lui ai parlé de vos douleurs; il m'a priée de lui montrer ce que vous m'en mandez; je le ferai, et rien ne vous fera plus d'honneur. Je lui montrerai aussi une lettre du chevalier 17 , qu'on ne peut pas lire sans pleurer. J'ai eu bien du monde aujourd'hui; je me porte très-bien de ma petite médecine; toutes mes amies m'ont gardée : votre portrait a servi à la conversation; il devient chef-d'œuvre à vue d'œil; je crois que c'est parce que Mignard n'en veut plus faire. Adieu, ma très-chère et très-aimable (bonne); que ne vous dirais-je point de ma tendresse pour vous, si je voulais me lâcher la bride ? Croyez, ma (bonne), en un seul mot, que vous ne pouvez jamais être plus parfaitement aimée, ni plus véritablement estimée, que vous l'êtes de moi; car il y a de tout dans l'amitié que j'ai pour vous : mille raisons confirment mes sentiments. Je n'avais pas dessein d'en tant dire, mais on ne peut pas toujours s'en empêcher, en vérité. J'embrasse M. de Grignan de tout mon cœur. Va-t-il pas toujours à la chasse ? n'est-ce pas toujours la même vie que je connais? Parlez-moi de nos petits enfants; Pauline est-elle belle ? Le pichon n'est-il point encore tombé ? La mienne 18 se souvient-elle de moi ? Mon Dieu ! (ma bonne,) que je voudrais bien vous embrasser ( de tout mon cœur) ! Si vous trouvez mille fautes dans cette lettre, excusezles; car le moyen de la relire ?
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août [1675].
vérité, ma bonne, vous devriez bien être ici avec E moi; j'y suis venue ce matin toute seule, fatiguée N
et lasse de Paris, jusqu'au point de n'y pouvoir durer. Notre abbé est demeuré pour quelques affaires; pour moi, qui n'en ai point jusqu'à samedi, me voilà. Je prendrai demain ma troisième petite médecine en paix et en repos; je marcherai beaucoup : je m'imagine que j'en ai besoin. Je penserai extrêmement à vous, pour ne
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pas dire continuellement : il n'y a ni lieu ni place qui ne me fasse souvenir que nous y étions ensemble il y a un an. ~elle différence ! Il m'est doux de penser à vous; mais l'absence jette une certaine amertume qui serre le cœur : ce sera pour ce soir la noirceur des pensées. Je me fais un plaisir de vous entretenir dans ce petit cabinet que vous connaissez; rien ne m'interrompt. J'ai laissé M. de Coulanges bien en peine de M. de Sanzei 1 • Pour M. de La Trousse, depuis mes chers romans, je n'ai rien vu de si parfaitement heureux que lui. N'avez-vous point vu un prince qui se bat jusqu'à l'extrémité ? Un autre s'avance pour voir qui peut faire une si grande résistance : il voit l'inégalité du combat; il en est honteux; il écarte ses gens; il demande pardon. (Ah ! le) vaillant homme, qui lui rend son épée, à cause de son honnêteté ! Car sans (cela, il ne l'eût) jamais rendue; il le fait son prisonnier; il le reconnaît pour un de ses amis, du temps qu'ils étaient tous deux à la cour d' Auguste; iL traite (le) prisonnier comme son propre frère; il le loue de son extrême valeur; mais il me semble que le prisonnier soupire; je ne sais s'il n'est point amoureux : je crois qu'on lui permettra de revenir sur sa parole; je ne vois pas bien où la princesse l'attend, et voilà (justement) l'histoire 2 • ~and je vous mande de certaines choses de Versailles, je les apprends ou de Monsieur le Premier, que je vois assez souvent et chez lui et chez moi et chez Mmes de Lavardin ou de La Fayette, ou de Monsieur le grand maître, ou du fils de M. de La Rochefoucauld : ces auteurs-là ne sont pas méchants; ils ne veulent jamais être cités pour les moindres bagatelles. Il y a des gens bavards dont je ne prends jamais les nouvelles. Voulezvous savoir ce que les valets de chambre ont écrit ? Vous savez comme en certain lieu on aime les lettres ridicules. L'un fait un inventaire de ce qu'il a perdu : son étui, sa tasse, son buffle, son caudebec3 • « C'était, dit-il, un désordre (de) diable; ma foi, si j'avais été général, cela ne seroit pas arrivé. » Un autre dit : « Nous avons été joliment téméraires : nous n'étions que sept mille hommes, nous en avons attaqué vingt-six; aussi faut voir comme nous avons été frottés. » Un autre dit : « Nous nous sommes sauvés (tout) le plùs diligemment que nous avons pu, et nous n'avons pas laissé d'avoir
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grand'peur. » Vous voyez qu'il y a des garçons pâtissiers partout. Il faut avoir, ma bonne, un étrange loisir pour vous conter de telles sottises. Le mari de votre nourrice vint avant-hier crier miséricorde au logis, que sa femme lui avoit mandé qu'on ne lui donnoit pas ses aliments, et qu'on l'avoit accusée d'avoir du mal; qu'elle s'étoit dépouillée toute nue devant vous pour vous faire voir le contraire. Pour le premier article, je lui dis que sa femme étoit la plus difficile, la plus méchante, la plus colère du monde, et qu'il n'y avoit pas moyen de la contenter; que céans elle avoit pensé nous faire enrager, qu'à Grignan on donnoit à la nourrice tout ce qu'il y avoit de meilleur sur la table. Pour l'autre article, je lui dis qu'il étoit fou, et que je ne croyois pas ce qu'il me disoit. Il s'emporta, et dit qu'après l'honneur il n'y avoit plus rien, que si sa femme avoit du mal, elle étoit une (putain), et qu'il me vouloit faire voir qu'il n'en avoit point. Sur cela, il fit comme s'il eût voulu se déshabiller; je le fis sortir de ma chambre; il le fit en disant cent sottises et qu'il alloit se plaindre à Mme de Villars, et l'histoire finit ainsi. Donnez-moi quelque lumière sur cette belle aventure 4 • Vous parlez si dignement du cardinal de Retz et de sa retraite, que (par) cela seul vous seriez digne de son amitié et de son estime. Je vois des gens qui disent qu'il devroit venir à Saint-Denis, et ce sont ceux-là qui (y) trouveroient le plus à redire, s'il y venoit. On voudroit (bien,) [à quelque prix que ce soit,) ternir la beauté de son aéHon ; mais ( on peut se fier à lui, il ne donnera pas de prise sur sa conduite). J'en défie la plus fine jalousie. (Vous dites fort bien sur les occasions : le plus sûr est de les éviter). Il y a des endroits dans vos lettres qui sont divins; j'en relis ici plusieurs. Je vous ferai voir quelque jour ce que vous dites de M. de Turenne. Le cardinal de Bouillon en aura le plaisir, ou le déplaisir, car il en pleurera. Depuis la mort du héros, celui du bréviaire est allé à Commerci; il n'y avoit plus de sûreté à Saint-Mihel 5 • Le premier président de la cour des aides 6 a une terre en Champagne; son fermier lui vint signifier l'autre jour de la rabaisser considérablement, ou de lui remettre le bail qui fut fait il y a deux ans. On demande pourquoi, et que ce n'est pas la coutume; il répond que du _temps
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de M. de Turenne, on pouvait recueillir et compter sur les terres de ce pays-là; mais que depuis sa mort tout le monde quittait, croyant que les ennemis y vont entrer. Voilà des choses naturelles qui sont un panégyrique; ce que vous dites de M. de Lorges en est bien (un) aussi. M. de La Garde n'est point parti encore, il est allé se promener à Chantilly et à Liancourt avec les La Rochefoucaulds. Il en était aise comme quand on a quinze ans. Je le verrai devant qu'il parte. Ne me parlez point de vous aller voir; vous me détournez de la pensée de tous mes tristes devoirs. Si je croyais mon cœur, j'(envoirois) paître toutes mes affaires, et m'en irais à Grignan avec lui; je planterais là le bien Bon, puisqu'il est le bien méchant ; et pour quatre jours qu'on a à vivre, je vivrais à ma mode et suivrais mon inclination : quelle folie de se contraindre pour des routines de devoirs et d'affaires ! Eh, bon Dieu! qui est-ce qui nous en sait gré ? Je ne suis que trop dans toutes ces pensées; la règle n'est plus, à mon grand regret, que dans mes actions; car pour mes discours, ils ont pris l'essor, et je me tire au moins de la contrainte d'approuver tout ce que je fais. Vos affaires règlent ma vie présentement, c'est tout ce qui me console. Je m'en vais courir en Bretagne pendant les vacances, et je serai de retour au mois de novembre, pour m'abandonner à toute la chicane que me prépare l'infidélité de M. de Mirepoix. Dépit mortel, ju§te courroux, Je m'abandonne à vous 7 •
Je ne suis nullement contente de la Puy-du-Fou; si elle aimoit M. de Grignan, elle aurait tout fini, et nous avons vu que ce qu'elle fit l'autre jour n'étoit que l'effet de la rage où elle était contre le Mirepoix, qui l'avait pressurée par vingt signatures. QEand elle a son naturel, elle est incapable d'aucune bonne résolution. La ruine de cette maison fait grand bruit. Je lui dis hier : « Enfin, Madame, c'est par le respeB: que nous avons pour vous, que nous nous trouvons dans l'embarras des affaires de Monsieur votre frère : si nous avions fait, il y a trois ans, ce que nous venons de faire, M. de Mirepoix n'aurait pas le prétexte de cette déroute pour nous refuser notre ratification. » On ne sait seulement ce qu'elle répond; elle
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va regarder aux portes si on ne l'écoute point; et quand elle voit qu'il n'y a personne, elle n'en dit pas davantage. C'est une misérable. On ne parle que des dissipations de cette maison, depuis les plus grandes jusques aux plus petites choses. Sottes gens, sotte besogne : il faut en revenir là. Ne craignez rien de notre guerre de Bretagne; ce n'est plus rien du tout; fiez-vous à ma poltronnerie : je crois que je m'en irai avec le grand d'Harouys. Je me porte très-bien; le bon de L'Orme 8 m'a dit que je gardasse sa poudre pour cet hiver, et que je prisse trois jours de cette tisane; c'est un remède de canicule; il me croit hors d'affaire. Mon fils est désespéré du guidonnage. Vous souvient-il de nos folies de don ~ichotte ? Il se trouve présentement à neuf cents lieues de ce cap dont nous lui (avions) tant parlé. Tout ce qui vaque est demandé par des frères blessés, et par des familles si désolées, qu'on est honteuse d'aller barrer leur chemin inutilement. C'est à la Providence à démêler la fortune de ce pauvre guidon; je le console tant que je puis. Je vous manderai l'adresse qu'il faudra mettre à vos lettres, si je pars. Hélas ! laissez-moi ce soin, c'est ma pauvre vie. Vous m'(envoirez) quand vous pourrez cette courtepointe de Damas; nous en ferons les rideaux de votre lit. Si vous (trouvez) dans Avignon ou dans Lyon de quoi faire des rideaux, un fond, un dossier, des soubassements, des pentes, des bonnes grâces, nous vous fournirions trois pentes admirables, dont assurément (nous n'entreprendrons) pas l'assortiment en ce pays; c'est le pourpoint tailladé. Vous aurez deux autres lits à fort juste prix, ils sont tout réglés. Vous ne voulez rien de plus présentement; on vous cherche un tapis chez ces tapissiers du Roi, c'est justement de ceux-là qu'il nous faudroit. Les (amis) de la voyageuse9, voyant que le dessous des cartes se voit, affeél:ent fort d'en rire et de tourner cela en ridicule; ou bien conviennent qu'il y a eu quelque chose, mais que tout est raccommodé. Je ne réponds ni du présent ni de l'avenir, dans un tel pays; mais du passé, je vous en assure, et qu'il n'y avoit rien de si aigre dans le temps de la mortification des petits. Pour la souveraineté, elle est établie, comme depuis l_)hara-
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mond. Qfj_anto joue en robe de chambre avec (la dame) du château, qui se (trouve) trop heureuse d'être reçue, et qui souvent (est chassée) par un clin d'œil qu'on fait à la femme de chambre 10 • Je crois que vous recevrez plus de relations que vous n'en voudrez, par des inconnus que j'ai priés de me faire ce plaisir et à vous aussi, pendant que je suis ici, c'est-à-dire pour vendredi, car je ne serai t1ue samedi à midi à Paris. Adieu(, mon ange,) pour aujourd'hui: en voilà assez; voilà complies qui sonnent : vous connaissez mon manège. Il fait très-beau, je me promènerai beaucoup, et Dieu sait (, ma bonne,) si je penserai à vous et avec quelle extrême tendresse 1 Jeudi au soir.
Je n'y ai pas manqué, ma très-chère; mais admirèz comb.ien je suis peu destinée à la solitude : j'ai pris ce matin mes deux verres de séné bien sagement; je ne me suis point coiffée en toupet; je suis demeurée jusqu'à midi fjensierata 11 de crainte de troubler mes opérations. Comme je les finissais, voilà un carrosse à six chevaux. J'avais un pigeon pour mon dîner. C'est M. et Mme de Villars, Mme de Saint-Géran et la petite ambassadrice, qui se sont fait un grand plaisir de me surprendre toute seule par le plus beau temps du monde, et montrer ces jardins que vous connaissez à M. de Villars. Vous entendez tout ce qui se dit. Conclusion : mon cuisinier se met à fricasser des poulets, des pigeons, et nous avons trèsbien dîné. Nous noussommes promenés jusqu'à six heures, et puis l'abbé est venu, qui a mis dans sa calèche M. de Coulanges et Mlle Martel : ils ont apporté des perdreaux. Et voilà ma pauvre solitude où je me trouvais parfaitement bien. Le pauvre M. de Sanzei est toujours perdu; on ne le trouve ni dans les morts, ni dans les blessés, ni dans les prisonniers. Guilleragues a demandé au Roi s'il ne savait point de ses nouvelles; il a répondu très-bonnement qu'il en était en peine, et qu'il ne comprenoit point du tout où il pou voit être. Jugez de l'état de cette pauvre femme. Je laisse à M. d'Hacqueville à vous mander les nouvelles; je ne sais que le siège de Trèves; je crains un détachement pour mon fils; envoyez-moi de votre
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courage pour l'aimer mieux en Allemagne qu'à la messe aux Minimes 12 • Vous dites là-dessus des choses admirables. * Le jeu des tambourineurs, c'est de dire la réunion des deux amies; mais assurément cela n'est point fait. Le roi des tambourineurs, c'est Brancas et sa fille. De tous deux, vous savez le reste. C'est un chef-d'œuvre que ce couplet, et un chef-d'œuvre d'en avoir gardé le secret. *13 Le prince d'Harcourt a perdu (un) frère, et M. de Grignan, un cousin germain; je ne sais si vous avez senti ( cette perte; elle) a paru ici à (peu près) comme celle d'une aiguille dans une botte de foin. J'ai appris encore que feu Saint-Luc14 mettoit monseigneur à tous les maréchaux de France, parce que son père l'étoit, et le comte de Guiche par cette (même) raison : cela donne la loi aux autres, et ce n'est plus la mode d'y marchander quand on fait tant (que) de leur écrire. Je vous conseille, après M. de Pomponne, de n'y pas marchander à M. de Vivonne. La royauté est établie au delà de ce que vous pouvez vous imaginer : on ne se lève plus, et on ne regarde personne. L'autre jour, une pauvre mère toute en pleurs, qui a perdu le plus joli garçon du monde, demandoit sa charge à Sa Majesté. Elle passa; ensuite, et toute à genoux, cette pauvre Mme de Froulai se traîna à ses pieds, lui demandant avec des cris et des sanglots qu'Elie eût pitié d'elle; Elle passa sans s'arrêter 15 • Vous me demandez si M. de La Rochefoucauld a été affligé de M. de Turenne. Oui certes, et très sensiblement. Pour son fils, il ne s'est pas ménagé. Demandez à La Garde : il vous dira s'il y a un plus honnête homme à la cour et moins corrompu. Ils sont présentement à Liancourt et à Chantilly ensemble. Il vous contera cent choses. Vous serez trop heureux de l'avoir, par mille raisons ; il vous portera aussi la cassolette. Monsieur le Cardinal m'ordonne de vous l'envoyer, et me paroît piqué de ce que je ne l'ai pas encore fait. Je ne sais comme vous avez pu imaginer qu'il fût honnête de refuser une telle chose : ou je radote et ne sais plus vivre, ou c'eût été la plus rude et la moins respeél:ueuse aél:ion que vous eussiez jamais pu faire. J'ai envoyé au cardinal de Bouillon la lettre de -M. de
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Grignan. J'attends à toute heure votre reine (d')Hongrie, dont je vous remercie mille fois 16 • Mme de Villars en aura sa part; c'est une merveille que d'en avoir de cette bonté. L'abbé a supputé votre tapis à loisir : vous l'aurez pour deux cent (trente) livres, pourvu que la frange soit fausse comme à celui de Mme de Verneuil. La bonne Troche est hors de peine. On croyoit que le frère de Tabine 17 se fût battu comme un petit Mars, et qu'il eût tué son homme; mais cela est devenu faux. Adieu, ma trèschère bonne enfant, pour aujourd'hui. Les Villars vous adorent, nous avons (bien) parlé de vous; elles sont bien éprises et bien entêtées de ce que vous valez. Adieu, ma (très-chère et) très-aimable bonne; j'embrasse mes chers petits-enfants. Je suis en peine de la petite, quand je pense au poison qu'elle avale 18 • Je suis très-convaincue que la nourrice a tort, mais Pauline est bien innocente; et ces sortes de créatures sont des oiseaux de passage, que l'on souffre à cause des pauvres enfants, qui se sentent toute leur vie d'une si terrible nourriture.
33 5 - A MADAME DE GRIGNAN Vendredi, z3e août [1675].
notre journal fini. M. de Coulanges et Mlle MarVorcr tel s'en vont tantôt; je m'en irai demain matin. J'en avois le dessein; mais Mme de Puisieux a trouvé digne d'elle de convertir M. de Mirepoix sur la ratification 1 ; elle se pique de faire les choses impossibles, et m'écrit pour (me prier d')être demain après dîner chez elle avec un Grignan, ou l'abbé de Coulanges. Je n'y manquerai pas. Pour ce que nous avons fait aujourd'hui, il me paroît que M. de Coulanges se dispose à vous le conter. Je lui laisse la plume, après vous avoir embrassé mille et mille fois très-tendrement. D'EMMANUEL DE COULANGES
Si j'avois du temps et de la santé (mais je n'ai ni l'un ni l'autre; il en faut remercier Dieu, et le bénir en quel-
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que état qu'il lui plaît de nous mettre), si j'avais donc du temps et de la santé et du repos d'esprit (car je n'en ai aucun depuis la perte de ce pauvre M. de Sanzei, dont la destinée est très-enveloppée depuis le combat), si j'avais donc du temps, de la santé et du repos d'esprit, je vous prierais de me dire où est la jeune chênaie de Mme de Chelles 2 et par où vous y voudriez aller. Madame votre mère, qui n'ignore jamais rien (car c'est une présomption enragée), nous mène dans la vieille chênaie que vous connaissez, et là nous fait mettre pied à terre (, à la bonne Martel et à moi,) par un temps assez équivoque; et comme l'homme n'est jamais content de ce qu'il possède, elle nous persuade que nous (aurons) le souverain bonheur, dès que nous (serons) parvenus de notre pied, à travers mille jolis sentiers, dans cette haute chênaie de Mme de Chelles. Nous obéissons avec une douceur de moutons; ni plus ni moins; nous enfilons un petit chemin, nous y marchons l'un après l'autre, et nous avançons tant à la fin que nous nous trouvons, devinez où? Dans la chênaie de Mme de Chelles? Point du tout. Dans la plaine de Montfermeil? Vous n'y êtes pas encore. Où donc? Au milieu de quatre chemins, sans savoir lequel prendre pour parvenir à cette chênaie tant vantée. Les plus timides proposent d'y renoncer et de revenir sur ses pas; les autres de prendre un chemin à l'aventure, et tant est procédé, que nous opinons à prendre à gauche, parce, disons-nous, qu'en tout cas celui-là nous conduira plutôt qu'un autre vers Notre-Dame des Anges3, et qu'au moins nous retrouverons-nous. Ce raisonnement est approuvé : nous voilà dans une petite route avec des branches mouillées qui nous donnent par le nez; nous voilà dans de grandes herbes, aussi fort mouillées, et après avoir marché deux grosses heures, espérant nous retrouver vers Notre-Dame des Anges, devinez où nous avons retrouvé le jour? Devinez; mais encore devinez! Au-dessus précisément du village de Livry, et c'est le clocher de Saint-Denis qui a le premier brillé à nos yeux, et qui nous a fait connaître combien nous (possédions) la carte du pays. Madame votre mère, qui aime la haute forêt et la belle vue, s'est consolée : elle a retrouvé tout ce beau pays qui la charme; elle a reconnu l'herbe verte qu'elle a si souvent foulée avec sa charmante fille. Mais tout cela ne nous a point co_nsolés,
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la Martel et moi, qui avions bien faim, et qui nous sommes trouvés bien loin de la cuisine de l'abbaye. Enfin nous avons tant marché que nous avons retrouvé notre abbé et le père prieur, qui nous attendoient impatiemment vers la Vildottière; et (nous) sommes revenus en si pitoyable état, que nous n'avons pas fait autre chose que nous mettre tous au lit. Je m'en vais présentement à Paris, à la quête (toujours) de ce pauvre M. de Sanzei. Adieu, ma belle Comtesse; Montélimar (, et toujours Montélimar,) ma belle Comtesse.
336 - A MADAME DE GRIGNAN A Paris, lundi 26e août [1675].
*Vous en ~iez, mais j'oublie toujours quelque chose : par exemple, M. Davonneau 1 me prioit, de votre part, de lui mander l'adresse de M. d'Hacqueville; je ne trouvai pas de place dans mon dernier billet : c'est à la rue Villedot2, et je ne vous conseille pas désormais, ma très-bonne, de m'adresser des lettres pour les autres; je craindrais de les recevoir en Bretagne; sans cela, ce m'est une joie, et je trouverais bien mauvais que vous ne le fissiez pas. J'ai écrit au Chevalier en lui envoyant votre dernière. Mais il faut vous parler de l'aimable Mirepoix. Mme de Puissieux a donc trouvé cette affaire digne de ses soins. * Je revins samedi matin de Livry; j'allai l'après-midi chez * elle; je la trouvai outrée contre M. de Mirepoix, qui, en vérité, n'a plus d'autre raison pour ne pas donner cette ratification, que parce qu'il est le plus malhonnête homme de France : un cœur bas, un esprit fantasque et capricieux, qui se défie et se blesse de tout, qui craint de faire plaisir, qui fait ses délices de mettre au désespoir ceux qui sont assez malheureux pour avoir quelque chose à démêler avec lui. On l'a assuré qu'il y avoit dans le bien de M. de Bellièvre de quoi payer cette dette, et que, si quelqu'un perd, ce sera depuis six ans 3 ; il n'entend nulle raison. Il parle de lettres de rescision; c'est une infamie qu'on ne donne qu'aux fous, ou à ceux qui ne
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sont pas en âge de raison. Je trouve qu'elles lui sont dues; mais les juges, par bonheur, lui feront trop d'honneur et ne croiront pas qu'il ait été surpris. Il fait mourir devant ses yeux M. de Bellièvre et Mme du Puy-du-Fou, qui, l'autre jour, se jetèrent à ses pieds pour le conjurer de tirer d'affaire M. de Grignan, et d'exercer contre eux à loisir toutes ses cruautés. Il les laissa à genoux, comme un barbare, et ne leur répondit pas un mot. Ils en sont outrés, et n'ont rien de si pressant que cette affaire, parce qu'ils voient bien que nous n'y sommes tombés que par leurs retardements, et par la considération trop grande qu'on a eue pour eux. Mme de Puisieux entreprend donc de faire entendre raison à ce brutal; et Bandeuil4, que je vois tous les jours, assure que nous aurons cette ratification, mais qu'il attend encore un peu afin que la chose soit tout à fait de mauvaise grâce, et qu'il a confié à M. le Coadjuteur 5 un secret de confession, qu'il ne m'a point voulu dire, sur lequel il doit dormir, et moi par conséquent. Ce serait une farce de vous dire tout ce que dit et fait ce Mirepoix; mais comme le sujet en est haïssable, et que Molière qui aurait pu en faire des merveilles, est mort, je ne vous en dirai pas davantage. Voici où se réduit l'affaire : ou Mme de Puisieux et Bandeuil la finiront, c'est-àdire (la) résoudront entre ci et huit jours, ou il faudra plaider. En tous les deux cas, je puis partir, pour donner avec I' Abbé quelque ordre à mes affaires qui sont un peu en désordre depuis quatre ans et demi; et surtout croyez que nous ne réglons nos desseins qu'autant que cette affaire le permet, car on ne peut être plus piqués que nous le sommes. L'abandonnement du bien de M. de Bellièvre fait un tel scandale et un tel désordre (dans Paris et) dans le commerce de l'argent, que tout tremble 6 ; on croit que le ciel va tomber, et Mme de Lavardin cherche quinze mille francs depuis quinze jours pour achever le payement d'une terre - voyez quel emploi! Elle ne peut pas les trouver; on lui dit : « Madame ... , M. de Bellièvre!. .. » et là-dessus on ne voit pas un sol. * (A propos de cette marquise, elle vous a envoyé une relation et vous a écrit un billet. Elle vous révère et vous admire h>eaucoup. N'oubliez pas à répondre), comme vous savez si bien faire. (Il faut lui adresser la lettre à la
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rue des Saints-Pères, faubourg Saint-Germain); elle s'en va de son côté, et d'Harouys et moi (de l'autre. Je vous manderai l'adresse de vos lettres). Les vacances de la chicane font partir bien des gens. La cour est partie ce matin pour Fontainebleau : ce mot-là me fait encore trembler 7 ; mais enfin on y va se divertir : Dieu veuille que l'on ne nous assomme point pendant ce temps-là! Le siège de Trèves se pousse vivement : s'il y a quelque balle qui ait reçu la commission de tuer le maréchal de Créquy, elle n'aura pas de peine à le trouver, car on dit qu'il s'expose comme un désespéré. Monsieur le Prince est à l'armée d' Allemagne 8 ; il a dit à un homme qu'il a vu en passant ici près : « Je voudrais bien avoir causé seulement deux heures avec l'ombre de M. de Turenne, pour prendre la suite de ses desseins, et entrer dans les vues et les connaissances qu'il avoit (en) ce pays et des manières de peindre (de) Montecuculi. » Et quand cet homme-là lui dit : « Monseigneur~ vous vous portez bien, Dieu vous conserve, pour l'amour de vous et de la France! » il ne répondit qu'en haussant les épaules. Mon fils me mande que le prince d'Orange fait mine de vouloir assiéger le O!!esnoy, et que si cela est, ils sont à la veille d'une aétion. M. de Luxembourg a bien envie de faire parler de lui en bonne part; il est bien heureux, car il a bien entretenu l'ombre de Monsieur le Prince. Enfin on tremble de tous côtés. J'ai demandé à M. de Louvois le régiment de Sanzei à pur et à plein, en cas que le pauvre Sanzei fût mort, dont on n'a encore nulle nouvelle, avec la permission de vendre le guidon 9 • Le vicomte de Marsilly est mon résident auprès de lui, et s'est chargé de la réponse; je voudrais qu'elle fût apportée par M. de Sanzei. Vous croyez bien que si Mme de Sanzei y pouvoit avoir la moindre prétention, je ne l'aurois pas barrée, moi qui respeél:e Saint-Hérem pour le régiment Royal; mais le Roi avoit donné ce petit régiment à Sanzei, et on le donnera à quelque autre. M. de Coulanges est dans cette affaire. Pour le régiment de Picardie, il n'y faut pas penser, à moins que de vouloir être abîmé dans deux ans; mais c'est mal dit abîmé, c'est déshonoré; car comme il n'est plus permis de se ruiner et d'emprunter, comme autrefois, on demeure tout court, avec infamie. Ce second
A MADAME DE GRIGNAN
Chenoise, neveu de Saint-Hérem, est ressuscité depuis deux jours; il étoit prisonnier des Allemands : c'est là où nous devrions trouver M. de Sanzei. Pour le pauvre petit Froulai, il a fallu remuer (et) retourner, et regarder quinze cents hommes morts pour trouver ce pauvre garçon, qu'on a enfin reconnu, percé de dix ou douze coups. Sa pauvre mère demande sa charge de grand maréchal des logis, qu'elle a achetée; elle crie et pleure, et ne parle qu'à genoux; on lui répond qu'on verra; et vingt-deux ou vingt-trois hommes demandent cette charge 10 • Pour dire le vrai, on reconnaît tous lesd· ours que jamais une défaite n'a été si remplie de désor re et de confusion, que celle du maréchal de Créquy. Je vis samedi sa femme chez M. de Pomponne : elle n'est pas reconnaissable; les yeux ne lui sèchent pas. M. de Pomponne et Mme de Vins me ( dirent) mille amitiés pour vous; je crois que le détour que vous devez prendre quand vous aurez affaire à ce ministre, c'est de lui écrire à luimême, et d'adresser votre lettre à Mme de Vins, plus pour l'obliger que pour avoir besoin d'elle. M. de Pomponne me dit qu'il y avoit encore du désordre en Provence; je n'en avois pas entendu parler; je lui demandai (ce) que c'était : il me dit que c'était un président de Cariolis qui ne finissait point de faire le provençal 11 • Je lui dis : « Mais M. de Grignan n'est pas mêlé dans ses affaires? - Non, me dit-il, mais on a ses amis, et l'on écrit pour ses amis. » Vous entendez bien que c'est la Provence. Il me parla d'une dépêche qu'on a adressée à M. Colbert, qui est de sa charge à lui; il me parut piqué de cette conduite, et me dit qu'il voulait en savoir la vérité : moi, ne sachant rien, je me trouvai embarrassée. Je lui dis : « Je suis bien assurée que ce n'est pas M. de Grignan qui a fait cette faute. - Non assurément, me dit-il. - Vous voyez bien, lui dis-je, que cela vient bien droit de M. d'Oppède. Q!e ditesvous de cette conduite? - Je la trouve fort ridicule », me dit-il. Je me trouvai de l'esprit ce jour-là; car songez que je ne savois rien, et 9.u'au hasard j' (entrai) tout droit dans ce ton, que j'auro1s pris si j'avais été instruite. Mandez-moi ce que c'est que cette sottise-là; je voudrais qu'elle fût vraie : rien ne vous seroit si bon. M. de La Garde partira dans huit jours; on retarde toujours. Il dîna hier avec moi; nous causâmes fort.
A MADAME DE GRIGNAN
Je vous le souhaite à Grignan. Il craint pour la santé de Monsieur l' Archevêque, et me donna sa crainte. Il vous portera de l'eau, des souliers, et douze boîtes de dragées. Ne croyez pas, ma (bonne), que la mort de M. de Turenne ait passé ici aussi vite que les autres nouvelles; on en parle et on le pleure encore tous les jours : Tout en fait souvenir, et rien ne lui ressemble.
On peut dire ce vers pour lui. Heureux ceux, comme vous dites, qui n'ont pas fait la moindre attention sur cette perte! Celle qui s'est faite, a bien renouvelé les éloges du héros 12 • Vous m'avez fait grand plaisir d'avoir frissonné de ce qu'a dit Saint-Hilaire : il n'est pas mort, il vivra avec son bras gauche, il jouira de la beauté et de la fermeté de son âme 13 • Je crois que vous (aurez) ét~ bien étonnée de voir une petite déroute de notre côté; vous n'en avez jamais vu depuis que vous êtes au monde. Le Coadjuteut en a seul profité, en donnant un air si nouveau et si spirituel à sa harangue, que cet endroit en a fait tout le prix, au moins pour les courtisans, car toutes les bonnes têtes l'ont louée depuis le commencement jusqu'à la fin. Il dîna samedi avec moi et le bel abbé : je suis ravie quand je vois quelque Grignan. Enfin, ma (bonne), cherchez bien dans toute la cour et dans toute la France, il n'y a que moi qui n'aie point la joie de voir une fille si parfaitement aimée, et peut-être que j'étais celle qui méritais le plus de passer ma vie avec elle. Ce sont des règles de la Providence, auxquelles je ne puis me soumettre qu'avec des peines que je ne vous dis point et qui vous feraient pitié. Nous faisons donc bien de nous écrire, puisque c'est tout ce que nous avons. Je comprends l'occupation que vous donnent mes lettres, et combien elles vous détournent de vos civilités : vous perdez connaissance, dites-vous; je souffre deux fois la semaine que l'on m'en dise autant; il ne faut point d'autre livre que ces abominables lettres que je vous écris: je vous défie de les lire tout de suite; enfin (, ma bonne,) vous en êtes contente, c'est assez. Voilà le gros abbé 14 qui me dit cent folies de mon voyage de J)retagne : nous trouvons que je n'ai pris ma résolution .. que depuis ce que j'ai appris du désordre des séditieux; il dit que je ne
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AU COMTE DE BUSSY RABUTIN
veux pas perdre une si belle occasion, que je ne retrouverais peut-être de ma vie. Le chevalier de Lorraine est revenu auprès de Monsieur, comme si de rien n'était : il a trouvé quelque charitable personne qui l'a remis dans le bon ou dans le mauvais chemin. Cette petite nouvelle n'a pas donné beaucoup d'attention : elle a paru une misère, qui n'a pas tenu sa place devant la mort de M. de Turenne et tout ce qui a suivi. Si vous avez cru que ces grandes nouvelles se soient laissé effacer par celle-là, vous vous êtes trompée. Mme d'Armagnac est accouchée d'un fils, et Mme de Louvigny d'un fils aussi; et Mme la princesse d'Harcourt d'une fille, Madame la Duchesse d'une fille; mais il y a déjà huit jours. Voilà un paquet pour Corbinelli; je le crois à Grignan : il y a une lettre de Mlle de Méri dans ce paquet. Notre cardinal est encore à Saint-Mihel; je m'en vais lui écrire, il le trouve bon. L'abbé de Pontcarré est trèsdigne de vos lettres; il les adore et les sait lire, et m'en fait part, et il les cache précieusement. Vous ne sauriez croire le tour surprenant et agréable que vous donnez, sans y penser, à toutes choses. Mademoiselle est arrivée pour se baigner; elle ne va point à Fontainebleau. J'embrasse de tout mon cœur M. de Grignan et mes petits-enfants; mais vous, ma (bonne,) je suis à vous par-dessus toutes choses : vous savez combien je suis loin de la radoterie, qui fait passer (violemment) l'amour maternelle aux petits-enfants : la mienne est demeurée tout court au premier étage, et je n'aime ce petit peuple que pour l'amour de vous. Adieu (donc, ma très-chère et très-aimable) : si M. de Vardes est à Grignan, faites-lui (bien) mes compliments, et me contez votre vie.
337 - AU COMTE DE BUSSY RABUTIN A Paris, ce 27e août 1675.
J
fais réponse à deux de vos lettres, mon cousin. Dans la première, vous me parlez si raisonnablement de la mort de M. de Turenne, qu'il faut avoir un cœur de héros pour savoir le regretter comme E
AU COMTE DE BUSSY RABUTIN
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vous faites, n'ayant pas toujours été de vos amis. Dans la seconde, vous me louez trop de trouver que j'écris fort bien; il est vrai que vous êtes un si bon connaisseur, et que vous flattez si peu les gens, que j'ai peine à douter de ce que vous me dites; cependant je ne sens point que je mérite une si digne approbation. Vous faites une très-bonne remarque sur la mort prompte et imprévue de M. de Turenne; mais il faµt bien espérer pour lui; car enfin les dévots, qui sont toujours dévorés d'inquiétude pour le salut de tout le monde, ont mis, comme d'un commun accord, leur esprit en repos sur le salut de M. de Turenne : aucun d'eux n'a gémi sur son état; ils ont cru sa conversion sincère, et l'ont prise pour un baptême; et il a si bien caché toute sa vie sa vanité sous des airs humbles et modestes, qu'ils ne l'ont pas découverte; enfin ils n'ont pas douté que cette belle âme ne fût retournée tout droit au ciel, d'où elle étoit venue. Mais ne faites-vous pas une remarque que j'ai faite, qui est que çe qui passe aujourd'hui pour une viB:oire, d'avoir repassé le Rhin sans avoir été taillés en pièces depuis la mort de M. de Turenne, eût été un grand malheur s'il fût arrivé pendant sa vie? Au reste, que dites-vous de la déroute du maréchal de Créquy? Le Roi l'a nommée lui-même une défaite complète. Il a répondu divinement aux courtisans qui lui en ont parlé. A ceux qui voulaient excuser ce maréchal, il a dit : « Il est vrai qu'il est fort brave; je comprends son désespoir; mais enfin mes troupes ont été battues par des gens qui n'avaient jamais fait autre chose que de jouer à la bassette. » A ceux qui le blâmaient et qui demandaient pourquoi il avoit donné la bataille, il leur a répondu comme fit autrefois le duc de Weimar, à qui le vieux Parabère demandait : « Monsieur, pourquoi donniez-vous cette dernière bataille que vous perdîtes? Monsieur, répondit le duc de Weimar, c'est que je croyois la gagner. » Cette application est fort juste et fort plaisante. A ceux qui le voulaient consoler, lui disant qu'il n'avoit quasi point perdu de troupes, que tout revenait à Thionville et à Metz, qu'il y avoit tant de cavalerie, tant d'infanterie, il leur répondit : « Mais en voilà plus que je n'en avois; c'est une plaisante manière de faire des recrues. » Le maréchal de Gramont dit : « C'est que vos
AU COMTE DE BUSSY RABUTIN
troupes ont fait des petits, Sire. » Les courtisans trop courtisans devroient bien se corriger de leurs basses flatteries avec un tel maître. Le maréchal de Créquy e~ dans Trèves : si quelque balle a la commission de le tuer, je crois qu'elle le trouvera aisément de la manière enragée dont on dit qu'il s'expose. Monsieur le Prince e~ arrivé à l'armée d'Allemagne. Il a dit à des gens qui l'ont vu à Châlons, qu'il auroit bien souhaité de causer seulement deux heures avec l'ombre de M. de Turenne, pour prendre ses lumières sur la connoissance qu'il avoit des affaires de ce pays-là. Si la goutte l'y vient trouver au mois d'oétobre, comme elle fait tous les ans, ce sera un étrange malheur. Vous avez sans doute entendu louer le chevalier de Grignan sur le passage du Rhin : on ne peut pas avoir été di~ingué plus agréablement; et afin que je fusse aussi contente du côté du maréchal de Créquy, La Trousse y a fait des merveilles. Si M. de Luxembourg fait quelque chose en Flandre, il faudra pour achever ma joie que mon fils se fasse louer, et revienne en bonne santé. Sur la plainte 1 que le maréchal d'Albret a faite au Roi que le marquis d' Ambres, en lui écrivant, ne le traitoit pas de monseigneur, Sa Maje~é a ordonné à ce marquis de le faire, et sur cela il a écrit cette lettre au maréchal : Monseigneur, Votre maître et le mien m'a fait commander d'user avec vous du terme de monseigneur : j'obéis à l'ordre que j'en viens de recevoir avec la même exaétitude que j'obéirai toujours à tout ce qui viendra de sa part, persuadé que vous savez à quel point je suis, Monseigneur, votre très-humble et très-obéissant serviteur, AMBRES.
Le maréchal d'Albret fit cette réponse au marquis d'Ambres: Monsieur, Le Roi, votre maître et le mien, étant le prince du monde le plus ju~e et le plus éclairé, vous a ordonné de me traiter de monseigneur, parce que vous le devez : et
A MADAME DE GRIGNAN
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comme je m'explique nettement et sans équivoque, je vous assurerai que je serai à l'avenir, selon que votre conduite m'y obligera, Monsieur, votre très-humble et très-affeétionné serviteur, LE MARÉCHAL
o' ALBRET.
Je ne sais encore ce que je deviendrai : les affaires de la belle Madelonne m'arrêtent ici. Je ne sais ce qui me tient que je ne vous conte le procès dont il est question, tant je me sens en train de discourir; mais je m'arrête; car il se pourrait fort bien faire que vous ne seriez pas en humeur de m'écouter, et je vous veux plaire. Je veux que vous m'aimiez toujours comme je vous aime. *
338 - A MADAME DE GRIGNAN
(JE
A Paris, mecredi
2se
août [1675].
supprimerai donc le lundi. Je ne me souviens plus quelle brouillerie de dates je pus faire en ce temps-là. Je sais seulement que je vous écrivis trois fois : le lundi, mecredi, et vendredi, afin que vous puissiez choisir. J'en ferai autant cette semaine, parce que je vous écrivis lundi; et puis je reprendrai mon train ordinaire.) Si l'on pouvoit écrire tous les jours, je le trouverais fort bon; et souvent je trouve (invention) de le faire, quoique mes lettres ne partent pas. (Ce) plaisir d'écrire est uniquement pour vous; car à tout le reste du monde, on voudrait avoir écrit, et c'est parce qu'on le doit (vraiment. Ma bonne,) je m'en vais bien vous parler encore de M. de Turenne. Mme d'Elbeuf1 , qui demeure pour quelques jours chez le cardinal de Bouillon, me pria hier de dîner avec eux deux, pour parler de leur affliétion. Mme de La Fayette y était. Nous fîmes bien précisément ce que nous avions résolu : les yeux ne nous séchèrent pas. Elle avoit un portrait divinement bien fait de ce héros, et tout son train étoit arrivé à onze heures 2 : tous ces pauvres gens étoient fondus en larmes, et déjà tous habillés de deuil. Il vint trois gentilshommes qui pensèrent mourir de voir ce portrait : c'.étoient des cris
A MADAME DE GRIGNAN
qui faisoient fendre le cœur; ils ne pou voient prononcer une parole; ses valets de chambre, ses laquais, ses pages, ses trompettes, tout étoit fondu en larmes et faisoit fondre les autres. Le premier qui put prononcer une parole répondit à nos tristes questions : nous nous fîmes raconter sa mort. Il vouloit se confesser le soir, et en se cachotant il avoit donné les ordres pour le soir, et devoit communier le lendemain, qui étoit le dimanche. Il croyoit donner la bataille, et monter à cheval à deux heures le samedi, après avoir mangé. Il avoit bien des gens avec lui : il les laissa tous à trente pas de la hauteur où il vouloit aller. Il dit au petit d'Elbeuf3 : « Mon neveu, demeurez là, vous ne faites que tourner autour de moi, vous me feriez reconnoître. » Il trouva M. d'Hamilton près de l'endroit où il alloit, qui lui dit : « Monsieur, venez par ici; on tirera où vous allez. - Monsieur, lui dit-il, je m'y en vais : je ne veux point du tout être tué aujourd'hui; cela sera le mieux du monde. » Il tournoit son cheval, il aperçut Saint-Hilaire, qui lui dit le chapeau à la main : « (Monsieur), jetez les yeux sur cette batterie que j'ai fait mettre là. » Il retourne deux pas, et sans être arrêté il reçut le coup qui emporta le bras et la main qui tenoient le chapeau de Saint-Hilaire, et perça le corps après avoir fracassé le bras de ce héros. Ce gentilhomme le regardoit toujours; il ne le voit point tomber; le cheval l'emporta où il avoit laissé le petit d'Elbeuf (et) n'étoit point encore tombé, mais il étoit penché le nez sur l'arçon : dans ce moment, le cheval s'arrête, il tomba entre les bras de ses gens; il ouvrit deux fois de grands yeux et la bouche et puis demeura tranquille pour jamais : songez qu'il étoit mort et qu'il avoit une partie du cœur emportée. On crie, on pleure; M. d'Hamilton (fit) cesser ce bruit et ôter le petit d'Elbeuf, qui étoit jeté sur ce corps, qui ne le vouloit pas quitter, et qui se pâmoit de crier. On jette un manteau; on le porte dans une haie; on le garde à petit bruit; un carrosse vient; on l'emporte dans sa tente : ce fut là où M. de Lorges, M. de Roye, et beaucoup d'autres pensèrent mourir de douleur; mais il fallut se faire violence et songer aux grandes affaires qu'il avoit sur les bras. On lui a fait un service militaire dans le camp, où les larmes et les cris faisoient le véritable deuil : tous les officiers pourtant avoient des écharpes de crêpe; tous les tamSÉVIGNÉ I
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A MADAME DE GRIGNAN
bours en étoient couverts, qui ne frappaient qu'un coup; les piques traînantes et les mousquets renversés; mais ces cris de toute une armée ne se peuvent pas représenter, sans que l'on en soit ému. Ses deux véritables neveux 4 (car pour l'aîné5 il faut le dégrader) étoient à cette pompe, dans l'état que vous pouvez penser. M. de Roye tout blessé s'y fit porter; car cette messe ne fut dite que quand ils eurent passé le Rhin. Je pense que le pauvre chevalier étoit bien abîmé de douleur. ~and ce corps a quitté son armée, ç'a été encore une autre désolation; partout où il a passé ç'a été des clameurs; mais à Langres ils se sont surpassés : ils allèrent tous au-devant de lui, tous habillés de deuil, au nombre de plus de deux cents, suivis du peuple; tout le clergé en cérémonie; ils firent dire un service solennel dans la ville, et en un moment se cotisèrent tous pour cette dépense, qui monte à cinq mille francs, parce qu'ils reconduisirent le corps jusqu'à la première ville, et voulurent défrayer tout le train. ~e dites-vous de ces marques naturelles d'une affeél:ion fondée sur un mérite extraordinaire ? Il arrive à Saint-Denis ce soir ou demain; tous ses gens l'alloient reprendre à deux lieues d'ici; il sera dans une chapelle en dépôt, en attendant qu'on prépare la chapelle6 • Il y aura un service, en attendant celui de Notre Dame, qui sera solennel. ~e dites-vous du divertissement que nous eûmes ? Nous dînâmes comme vous pouvez penser; et jusqu'à quatre heures nous ne fîmes que soupirer. Le cardinal de Bouillon parla de vous, et répondit que vous n'auriez point évité cette triste partie si vous aviez été ici. Je (l'assurai) fort de votre douleur; il vous fera réponse et à M. de Grignan, et me pria de vous dire mille amitiés, et la bonne d'Elbeuf, qui perd tout, aussi bien que son fils. Voilà une belle chose de m'être embarquée à vous conter ce que vous savez déjà; mais ces originaux m'ont frappée, et j'ai été bien aise de vous faire voir que v~ilà comme on oublie M. de Turenne en ce pays-ci. (J'approuve fort vos pensées sur le Chevalier. J'attendrai sa réponse à Rousseau 7, et lui dirai qu'il me l'apporte aussitôt; et il vous mandera, et moi aussi, ce que vous aurez à faire pour envoyer votre lettre de change à quelque autre; car Rousseau s'en va à l'abbaye de M. le
A MADAME DE GRIGNAN
Coadjuteur, et nous verrons ensemble à qui vous l'envoirez, car je ne vous conseille point que ce soit à ses frères : ils ne sont jamais ici.) M. de La Garde me dit l'autre jour que, dans l'enthousiasme des merveilles que l'on disoit du chevalier8 , il (les exhorta tous deux 9 ) à faire un effort pour lui dans cette occasion, afin de soutenir sa fortune, au moins le reste de cette année, et qu'il les trouva tous deux (dans le même enthousiasme), fort disposés (de) faire des choses extraordinaires (jusqu'à la moelle des os). Ce bon La Garde est à Fontainebleau, d'où il doit revenir dans trois jours pour partir enfin, car il en meurt d'envie, à ce qu'il dit; mais les courtisans ont bien de la glu autour d'eux. Vraiment l'état de (la pauvre) Sanzei est déplorable; nous ne savons rien de son mari; il n'est ni vivant, ni mort, ni blessé, ni prisonnier : ses gens n'écrivent point. M. de La Trousse, après avoir mandé, le jour de (la bataille, qu'on le venoit d'assurer) qu'il avoit été tué, n'en a (pas dit un mot ni écrit) à la pauvre Sanzei ni à M. de Coulanges 10 • (~ant à moi, je penserois bien que ces grands hommes n'aiment rien.) Nous ne savons donc que mander à cette (pauvre femme qui a commencé à se désespérer) : il est cruel de la laisser dans cet état. Pour moi, je suis très-persuadée que son mari est mort; (il est défiguré de son sang et de la poussière); on ne l'aura pas reconnu, on l'aura dépouillé. Peut-être qu'il a été tué loin des autres par ceux qui l'ont pris, ou par des paysans, et sera demeuré au coin de quelque haie. Je trouve plus d'apparence à cette triste destinée, qu'à croire qu'il soit prisonnier et qu'on n'entende pas parler de lui. Pour mon voyage, l'abbé le croit si nécessaire que je ne puis m'y opposer. Je ne l'aurai pas toujours, ainsi je dois profiter de sa bonne volonté. C'est une course de deux mois, ( car si Mme de Puisieux, dont nous attendons des nouvelles 11, ne nous peut faire avoir notre ratification, nous ouvrirons le Palais avec la Saint-Martin. ~e si par bonheur nous finissons cette affaire, nous reviendrons toujours), car le bon abbé ne se porte pas assez bien pour aimer à passer là l'hiver (et) m'en parle d'un air sincère, dont je fais vœu d'être toujours la dupe : tant pis pour ceux qui me trompent. Je comprends que l'ennui seroit grand pendant l'hiver: les longues soirées
A MADAME DE GRIGNAN
peuvent être comparées aux longues marches pour être fastidieuses. Je ne m'ennuyois point (, ma bonne,) cet hiver que je vous a vois; vous pouviez fort bien vous ennuyer, vous qui êtes jeune; mais vous souvient-il de nos leél:ures ? Il est vrai qu'en retranchant tout ce qui étoit autour de cette petite table, et le livre même, il ne seroit pas impossible de ne savoir que devenir : la Providence en ordonnera. Je retiens toujours ce que vous m'avez mandé: on se tire de l'ennui comme des mauvais chemins; on ne voit personne demeurer au milieu d'un mois (parce qu'on n'a) pas le courage de l'achever; c'est comme de mourir : vous ne voyez personne qui ne sache se tirer de ce dernier rôle. Il y a des choses dans vos lettres qu'on ne peut ni qu'on ne veut oublier. Avez-vous mon ami Corbinelli et M. de Vardes ? Je le souhaite. Vous aurez bien raisonné; et si vous parlez sans cesse des affaires présentes et de M. de Turenne, et que vous l,1.e puissiez comprendre ce que tout ceci deviendra, en vérité vous êtes comme nous, et ce n'est point du tout que vous soyez en province. M. de Barillon soupa hier ici : on ne parla que de M. de Turenne; il en est très-véritablement affligé. Il nous contoit la solidité de ses vertus, combien il étoit vrai, combien il aimoit la vertu pour elle-même, combien par elle seule il se trouvoit récompensé, et puis finit par dire qu'on ne pouvoit pas l'aimer et être touché de son mérite, sans en être plus honnête homme. Sa société communiquoit une horreur pour la friponnerie et pour la duplicité, qui mettoit tous ses amis au-dessus des autres hommes : dans ce nombre il nomma fort le chevalier, qui étoit fort aimé et efümé de ce grand homme et dont aussi il étoit adorateur. Bien des siècles n'en donneront pas un pareil: je ne trouve pas qu'on soit tout à fait aveugle en celui-ci, au moins les gens que je vois : je crois que c'est se vanter (que) d'être en bonne compagnie. Je viens de regarder mes dates : il est certain que je vous ai écrit le vendredi I Ge; je vous avois écrit le mecredi 14e et le lundi Ize. Il faut que Pacolet 12 ou la bénédiél:ion de Montélimar ait porté très-diaboliquement (ma) lettre (du vendredi); examinez ce pr,~dige (et mettez pour mon soulagement le mecredi 3oe et le dimanche).
A MADAME DE GRIGNAN
Mais parlons un peu de M. de Turenne; c'est une honte de n'en pas dire un mot. Voici ce que me conta hier ce petit cardinal. Vous connaissez bien Pertuis 13, et son adoration et son attachement pour M. de Turenne. Dès qu'il a su sa mort, il a écrit au Roi, et lui mande : « Sire, j'ai perdu M. de Turenne; je sens que mon esprit n'est point capable de soutenir ce malheur; ainsi, n'étant plus en état de servir Votre Majesté, je vous rends ma démission du gouvernement de Courtrai. » Le cardinal de Bouillon empêcha qu'on ne rendît cette lettre; mais craignant qu'il ne vînt lui-même, il dit au Roi l'effet du désespoir de Pertuis. Le Roi entra fort bien dans cette douleur, et dit au cardinal de Bouillon qu'il en estimait davantage Pertuis, et qu'il ne songeât point à se retirer, qu'il était trop honnête homme pour ne faire pas toujours son devoir, en quelque état qu'il pût être. Voilà comme sont ceux qui regrettent ce héros. Au reste, il avait quarante mille livres de rente de partage; et M. Boucherat a trouvé que, toutes ses dettes et ses legs payés, il ne lui restait que dix mille livres de rente : c'est deux cent mille francs pour tous ses héritiers, pourvu que la chicane n'y mette pas le nez. Voilà comme il s'est enrichi en cinquante années de service Voici une autre histoire bien héroïque; écoutez-moi. M. le chevalier de Lorraine est donc revenu. Il entra chez Monsieur, et lui dit : « Monsieur, M. le marquis d'Effiat et le chevalier de Nantouillet m'ont mandé que vous vouliez que j'eusse l'honneur de revenir auprès de vous. » Monsieur répondit honnêtement, et ensuite lui dit qu'il fallait dire au moins à Varangeville qu'il était fâché de ce qui s'était passé 14 • Varangeville entre; le chevalier de Lorraine lui dit : « Monsieur, Monsieur veut que je vous dise que je suis fâché de ce qui s'est passé. - Ah ! Monsieur, dit Varangeville, est-ce là une satisfaction ? - Monsieur, dit le chevalier, c'est tout ce que je vous puis dire, et vous souhaiter du reste prospérité et santé. » Monsieur voulut rompre cette conversation, qui prenait un air burlesque. Varangeville rentra par une autre porte, et dit à Monsieur : « Monsieur, je vous supplie au moins de demander pour moi, pour l'avenir, à M. le chevalier de Lorraine son estime et son amitié. » Monsieur le dit au chevalier qui répondit : « Ah ! Monsieur, c'est beaucoup pour un jour; » et l'histoire
A MADAME DE GRIGNAN
finit ainsi, et chacun a repris sa place comme si de rien n'était. Ne trouvez-vous pas toute cette conduite bien raisonnable, et la menace, et la colère, et le retour, et la satisfaétion ? Peut-on voir un plus beau fagotage ? Si vous aviez envie que tout cela fût vrai, vous seriez trop heureuse, car c'est comme si vous l'aviez entendu. (Voilà un billet de Mme de P [uisieux], qui vous fera voir les agréments de M. de Mirepoix. Otez de votre esprit le soin de cette affaire. Comment se porte M. l'archevêque ? n'espérez-vous point de l'avoir ?) Adieu, ma très-chère et très-aimable (et très-parfaitement aimée. J'ai vu ce soir Mme de Brissac et M. le Premier chez la marquise d'Uxelles. Cette duchesse, en mille ans, ne m'attraperait pas. J'admire les hommes encore plus que les femmes). Je vous embrasse mille fois (, ma chère enfant,) avec une tendresse qui ne se peut représenter.
339 - A MADAME DE GRIGNAN A Paris, vendredi 3oe août [1675].
J
prends la résolution de partir le 4e du mois prochain : je vais droit à Orléans; j'y trouverai M. d'Harouys, et nous nous y embarquerons dimanche, après la messe. Je vous écrirai encore mecredi avant mon départ; je serai quelque temps à Nantes et puis aux Rochers. Mon retour est assuré, si je suis en vie, pour le mois de novembre. J'ai un grand regret à notre commerce, qui va être tout déréglé; mais la vie est pleine de choses qui blessent le cœur. Je reviens, ma bonne, du service de M. de Turenne à Saint-Denis. Mme d'Elbeuf m'est venue prendre, et m'a paru me souhaiter; le petit cardinal 1 m'en a priée d'un ton à ne pouvoir le refuser. C'était une chose bien triste : son corps était là au milieu de l'église; il est arrivé cette nuit avec une cérémonie si lugubre, que M. Boucherat, qui l'a reçu, et qui l'a veillé, en a pensé mourir de pleurer. Il n'y avait que cette famille désolée et tous les domestiques en deuil et en pleurs; on n'entendait que des soupirs et des gémissements. Il n'y avoit d'amis que E
A MADAME DE GRIGNAN
MM. Boucherat, de Harlay, de Barillon, et Monsieur de Meaux; Mmes Boucherat y étoient, et les nièces. Mme d'Elbeuf a pensé crever de douleur; sa vapeur s'y est mêlée, qui a fait un grand effet. Ç'a été une chose triste de voir tous ses gardes debout, la pertuisane sur l'épaule, autour de ce corps qu'ils ont si mal gardé, et à la fin de la messe porter la bière jusqu'à une chapelle au-dessus du grand autel, où il est en dépôt. Cette translation a été touchante, et tout était en pleurs, et plusieurs crioient sans pouvoir s'en empêcher. Enfin on a été dans cette chapelle; Mme d'Elbeuf a crié les hauts cris. Il y avoit entre autres un petit page qui devenait fontaine. Enfin nous sommes revenus dîner tristement chez le cardinal de Bouillon, qui a voulu nous avoir; il m'a priée par pitié de retourner ce soir, à six heures, le prendre pour le mener à Vincennes, et Mme d'Elbeuf: ils m'ont fort parlé de vous. Le Cardinal dit qu'il vous écrira aujourd'hui; mais je m'en vais fermer mon paquet avant que de les aller prendre, afin de n'être point en inquiétude de revenir de bonne heure : la lune nous conduira jusqu'où il lui plaira. Peut-être que I"'irai demain passer le soir à Livry, pour jouir de cette bel e Diane, et dire adieu à l'aimable abbaye. L'abbé y est depuis trois jours; il ne nous parle plus que de retraite; c'est la grande mode. Q!!e dites-vous du nom de Monsieur le Prince qui a fait lever le siège d'Haguenau, comme il les fit fuir l'année passée à Oudenarde? Voilà ce qu'il y a de vrai. Je ne sais nulle nouvelle de Fontainebleau 2 ; seulement qu'on y jouera quatre belles comédies de Corneille, quatre de Racine, et deux de Molière. Je ne puis pardonner à Cavoie d'être à Fontainebleau plutôt qu'à SaintDenis ce matin 3 • Adieu, ma chère bonne, embrassez-moi, je vous en conjure, et ne me dites point que vous ne méritez pas mon extrême tendresse; et pourquoi, ma bonne, ne la méritez-vous pas, s'il est vrai que vous m'aimiez? Par quel autre endroit en seriez-vous indigne? Embrassezmoi encore, ma chère enfant, et soyez aise que je vous aime plus que moi-même, puisque vous m'aimez un peu. Les gens du pauvre Sanzei reviennent; et quoiqu'on n'ait pas retrouvé son corps, ils le croyaient mort. On dispose sa femme à cette triste nouvelle, sans pourtant
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oser encore lui faire prendre le deuil. La comtesse de Fiesque fut ainsi trois mois du marquis de Piennes, son premier mari, qui est encore à revenir 4 •
340 - A MADAME DE GRIGNAN A Paris, mecredi 48 septembre [1675].
m'a mandé que je croyais partir M aujourd'hui,Pursrnux et qu'elle me donnait avis que je ne ADAME DE
partais que lundi; je l'ai crue sans raisonner : me voilà donc, ma très-chère, jusques à lundi. La cour revient vendredi. J'irai encore au service de M. de Turenne1, et je recevrai vos lettres réglément encore un peu de jours : c'est précisément la chose que je regrette le plus quand elle me manque. · Je reviens à vendredi dernier : après vous avoir écrit, je retournai- prendre le cardinal de Bouillon, Mme d'Elbeuf et Barillon; notre promenade fut triste, mais charmante, au clair de la lune. Il me donna la lettre que je vous envoie, et me pria fort de l'envoyer le même jour; je ne l'ai pas fait. Le gros abbé m'a fait encore sa cour avec une de vos lettres; il vous a mandé tout ce qu'il y a de nouvelles. Le siège d'Haguenau levé, c'est bien loin des malheurs que vous prévoyiez; mais ce Montecuculi n'a quitté cette ville que pour embarrasser Monsieur le Prince, qui, se trouvant plus faible que lui, s'est un peu retiré vers Sélestat. M. de Lorraine, en écrivant à sa fille sur la déroute 2 , ne nomme le maréchal de Créquy que « le bon maréchal, le bon Créquy » : il y a un air malin dans cette lettre qui ressemble bien à l'esprit de Son Altesse, mon père3 • Il serait à souhaiter que les équipages des morts, ou crus morts, ne revinssent point. Les gens de M. de Sanzei content cette déroute d'une terrible façon. Il y avoit deux mille hommes au fourrage; ils n'étaient que cinq mille contre vingt-deux mille; on ne croyait point la rivière guéable, elle l'était en trois endroits : de sorte que l'armée des ennemis passait, et prenait nos troupes en flanc. La Trousse disait son avis; mais la tête tourne à moins. Le maréchal combattit comme un désespéré, et puis s'alla jeter dans Trèves, où
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il fait une défense d'Orondate. Il s'est sauvé beaucoup de troupes; la terreur et la confusion ont été plus loin que la tuerie. On n'a point trouvé le corps de M. de Sanzei; mais ses gens l'ont vu se jeter dans un escadron qui s'appelle Sans quartier; il cria, en s'y jetant, qu'on n'en fît point aussi; il combattit longtemps; ce qui resta de son régiment se rallia, et de lui point de nouvelles. Le peut-on imaginer autre part que sur le champ de bataille, où l'on n'a pu ni l'aller chercher d'abord, ni le reconnaître quand on y est allé au bout de douze jours? La pauvre Mme de Sanzei arriva samedi à sept heures du matin, comme je montais en calèche pour m'en aller à Livry : je descendis, et ne la quittai pas de tout le jour. Elle pensa trouver à la porte l'équipage de son mari, qui revint une heure après elle : on ne pouvait voir, sans pleurer, tous ces pauvres gens et tout ce train maigre et triste. Elle s'en retournera dans quelques jours à Autry 4 ; elle est fort affligée, et pleure de bon cœur. On ne voulait pas qu'elle prît le deuil; j'ai ri de cette vision : M. de Sanzei reviendra le jour d'Énoch, d'Élie, de saint Jean-Baptiste, du feu marquis de Piennes et du marquis d'Estrées. ~elle folie de douter de sa mort! Et au bout du compte, s'il revenait, on ôterait le bandeau 6 , et on deviendrait grosse: pourvu qu'on ne se marie pas, on est toujours en état de recevoir son mari. Au reste, Lannoi, c'est-à-dire Mme de Montrevel, est enragée. Après avoir été pendue un mois aux oreilles du Roi et de Qganto, et demandé ce régiment Royal avec fureur, comme elle fait toutes choses, on l'a donné au marquis de Montrevel, oncle de son mari, qui leur a déjà ôté la lieutenance générale 6 • On ne sait quelles mesures il a prises, ni de quelle manœuvre il s'est servi; mais enfin, à l'heure qu'il paroissoit le moins, on lui a donné ce joli régiment : il est vrai qu'il est brave jusqu'à la folie. C'est celui qui faisait l'amoureux de Mme de Coulanges, qui est beau et bien fait. J'oubliais qu'il plaide contre son neveu, et qu'il est son ennemi mortel; car toute cette famille est divisée. Le chevalier de Coislin est revenu après la mort de M. de Turenne, disant qu'il ne pouvait plus servir après avoir perdu cet homme-là; qu'il étoit malade; que pour le voir et pour être avec lui, il avoit fait cette dernière
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campagne; mais que ne l'ayant plus, il s'en allait à Bourbon 7 • Le Roi, informé de tous ces discours, a commencé par donner son régiment, et a dit que, sans la considération de ses frères, il l'aurait fait mettre à la Bastille. Je ne sais pourquoi je vous conte toutes ces bagatelles : celle de la Montrevel m'a paru plaisante. Pour cette fois il n'y a pas de grands événements; puisque vous en êtes lasse, on ne vous en mandera plus : mais s'il vous en souvient, vous en aviez voulu; vous fûtes servie fort promptement; et puis tout d'un coup vous dites que c'est assez : nous nous taisons. Faucher, de l'hôtel d'Estrées, me vint voir hier; il s'en retourne à Rome par la Savoie. Nous causâmes fort: il me conta toute la querelle du pape et de l'ambassadeur 8 ; il me fit voir le cardinalat du Marseille 9 fort éloigné; et enfin, après avoir bien discouru et de Portugal, et de Savoie, et d'ogni cosa, il voulut voir votre portrait 10 : il est romain, il s'y connaît; je voudrais que vous et M. de Grignan eussiez pu voir l'admiration naturelle dont il fut surpris, quelles louanges il donna à la ressemblance, mais encore plus à la bonté de la peinture, à cette tête qui sort, à cette gor~e qui respire, à cette taille qui s'avance : il fut une demi-heure comme un fou. Je lui parlai de celui de la Saint-Géran; il l'a vu. Je lui dis que je le croyais mieux peint; il me pensa battre; il m'appela ignorante, et femme, qui est encore pis. Il appelle des traits de maître ces endroits qui me paraissaient grossiers : c'est ce qui fait le blanc, le lustre, la chair, et sortir la tête de la toile. Enfin, ma fille, vous auriez ri de sa manière d'admirer. Il en a fait tant de bruit, que M. de Louvigny vint hier me voir; mais en effet c'était votre aimable portrait; il en fut charmé. Je voudrais bien le porter avec moi. Ah! que je disais vrai l'autre jour, quand je vous assurais que quelqu'un qui m'aimerait, devrait être content d'être aimé comme j'aime cette aimable copie! Je crains que Monsieur le Prince ne soit malade : je crois l'avoir ouï dire. Nous sommes bien loin de faire repasser le Rhin à Montecuculi, c'est lui qui nous presse un peu vers Sélestat. Le maréchal de Créquy fait toujours le démon dans Trèves. La maréchale s'est si bien mis dans la tête que Sanzei y est avec son mari, que Mme de Sanzei n'ose pas encore prendre le deuil : au moins elle attendra jusqu'à la fin du siège.
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M. de Saint-Aoust11, allant reconnaître un mouvement des ennemis avec trente maîtres, en rencontra deux cents; il les prit pour être des nôtres, et s'avança trop. Ses gens l'abandonnèrent. On lui demanda s'il voulait quartier; il dit que non : cela est bien imprudent; ils l'ont tué, et rendu sa sœur et son vilain mari les plus riches gens de France 12 • Je comprends fort bien tous les compliments que vous avez reçus sur le sujet de vos beaux-frères 1 3, et les échos qui répondent un mois après comme ceux d'Olioules; cela est fort incommode, en vérité. Un poltron et un sot, comme vous dites, vous donneraient bien moins d'affaires. Mme de Coetquen n'est pas digne d'être affligée si longtemps 14 : elle prit à Mme d'Elbeuf, il y a deux ans, un petit portrait de M. de Turenne, qu'elle avoit au bras. Mme d'Elbeuf le lui a redemandé plusieurs fois; elle a dit qu'elle l'avoit perdu : il nous est venu une pensée, qu'il ne l'est pas pour tout le monde. Ah! grand héros! faut-il que l'on vous sacrifie? Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on offense les héros, quand ils ne sont pas dans leur tripot 15 • Mme de Vaubrun est à nos sœurs de Sainte-Marie; elle est comme folle, et se moque du P. de Sainte-Marthe, son confesseur. Elle a fait venir dans l'église le corps de son mari 16 : on lui a fait un service plus magnifique que celui de M. de Turenne à Saint-Denis. Elle a son cœur sur une petite crédence, qu'elle voit, et qu'elle touche; elle a deux bougies devant, elle y passe les journées entières du dîner au souper, nettement; et quand on vient l'avertir qu'il y a sept heures qu'elle est là, elle ne croit pas qu'il y ait une demi-heure: personne ne peut la gouverner, et l'on craint tout de bon que son esprit ne se tourne. Mme de Langeron est toujours inconsolable. Si je puis continuer ces deux sortes d'affiiéhons, vous aurez sujet d'être contente. On assurait hier que !'Empereur avoit fait faire un service à M. de Turenne. Adieu, ma très-chère et trèsaimable enfant : on ne peut imaginer plus de tendresse que j'en ai pour vous.
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341 - A MADAME DE GRIGNAN A Paris, vendredi Ge septembre [1675].
J
pars, ma chère bonne, avec la dernière tristesse de m'éloigner encore davantage de vous, et de voir pour quelques jours notre commerce dégingandé. Pour achever l'agrément de mon voyage, Hélène ne vient pas avec moi : j'ai tant tardé, qu'elle est dans son neuf!. J'ai Marie, qui jette sa gourme, comme vous savez; mais ne soyez point en peine de moi, je m'en vais un peu essayer de n'être pas si fort servie à ma mode, et d'être un peu dans la solitude; j'aimerai à connaître la docilité de mon esprit, et je suivrai les exemples de courage et de raison que vous me donnez. Mme de Coulanges ne fait-elle pas aussi des merveilles de s'ennuyer à Lyon? Ce seroit une belle chose que je ne susse vivre qu'avec des gens qui me sont agréables : je me souviendrai de vos sermons; je m'amuserai à payer mes dettes et à manger mes provisions; je penserai beaucoup à vous, ma très-chère bonne; je lirai, je marcherai, j'écrirai, je recevrai de vos lettres : hélas! la vie ne se passe que trop; elle s'use partout. Je porte une infinité de remèdes bons ou mauvais; je les aime tous; mais surtout il n'y en a pas un qui n'ait son patron, et qui ne soit la médecine de mes voisins: j'espère que cette boutique me sera fort inutile, car je me porte extrêmement bien. Je fus avant-hier toute seule à Livry, me promener délicieusement avec la lune; j'y fus depuis six heures du soir jusqu'à minuit, il n'y avoit aucun serein; j'étais faite comme un vrai f!ratagème 2 • Je me suis fort bien trouvée de cette petite équipée : je devais bien cet adieu à la belle Diane et à l'aimable abbaye. Il n'a tenu qu'à moi d'aller à Chantilly en très-bonne compagnie; mais je ne me suis pas trouvée assez libre pour faire un si délicieux voyage; ce sera pour le printemps qui vient. J'ai été tantôt chez Mignard, pour voir le portrait de Louvigny : il est parlant; mais je n'ai pas vu Mignard : il peignait Mme de Fontevrault, que j'ai regardée par le trou de la porte; je ne l'ai pas trouvée jolie; l'abbé Têtu étoit auprès d'elle, dans un charmant badinage; les Villars étaient à ce trou avec moi : nous étions plaisantes. E
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Monsieur le Prince eAf un peu étonné d'être sur la défensive, et de se retrancher vers SéleAfat : la goutte et le mois d'oél:obre ne diminueront pas son chagrin. Pour moi, j'emporte l'inquiétude de mon fils : il me semble que je m'en vais avoir la tête dans un sac pendant dix ou douze jours; et vous jugez bien que sans de bonnes raisons je ne quitterois pas Paris dans ce temps de nouvelles. Saint-AouAf avoit songé, la veille qu'il a été tué, qu'il avoit un démêlé avec M. le prince d'Orange, et qu'il lui avait dit de si bonnes injures, que ce prince l'avoit fait maltraiter par ses gardes : il conta ce songe, et ce fut par ses gardes qu'il fut tué follement; car il ne voulut jamais de quartier, quoiqu'il fût seul contre deux cents : c'eAf une belle chance; tout le monde se moque de lui, quoique Voiture nous ait appris que c' eAf très-mal fait de se moquer des trépassés 3 • La pauvre Sanzei eAf tiraillée par de ridicules espérances que son mari n'eAf point mort, et veut attendre la fin du siège de Trèves pour prendre son deuil. Adieu, ma très-chère enfant, je ne vous puis dire combien je suis à vous, quoique je dise un peu plus que vous ce que je sens.
342 - A MADAME DE GRIGNAN A Paris, lundi 9e septembre [1675].
ma très-chère, je m'en vais monter en carrosse. A Je quitte Paris pour quelque temps, avec la douleur DIEU,
de ne recevoir plus si réglément vos lettres, ni celles de mon fils, dont l'armée n'eAf point tant composée de pâtissiers, que je ne sois fort en peine de lui, non pas quand je pense au prince d'Orange, mais à M. de Luxembourg, qui eAf dans l'armée de mon fils, et à qui les mains démangent furieusement. Hélas! vous souvient-il de notre folie, que M. de Turenne étoit dans l'armée de votre frère? Enfin, voilà tous mes commerces dérangés, et je ne puis plus être bonne seulement à votre divertissement : tout le fagotage de bagatelles que je vous mandais va être réduit à rien; et si vous ne m'aimiez1 vou~ feriez
A MADAME DE GRIGNAN
fort bien de ne pas ouvrir mes lettres. Je m'en vais donc, ma très-chère, avec le bon abbé et Marie, et deux hommes à cheval; j'ai six chevaux; je m'en vais par Orléans et par Nantes; je vous écrirai par les chemins : c'est une de mes tendresses, comme dit Monceaux 1 • Je n'ai jamais vu un homme adorable comme d'Hacqueville; je ne sais pas comme sont les autres, mais pour celui que nous connaissons, je croirais qu'il n'a point son pareil, sans la notoriété qui dit les d'HacqueviUes. Je lui ai recommandé une affaire du sénéchal de Rennes (ne le connaît-on point dans votre voisinage?). Il avait une affaire épineuse, où il fallait de l'habileté : je priai d'Hacqueville d'entrer dans cette affaire; il en a fait la sienne, il y a travaillé, il a disputé contre Parère 2 qui était contraire; il l'a rapportée devant M. de Pomponne, pour empêcher qu'il ne la comprît mal : enfin il n'y a qu'à baiser les pas par où il passe. Le Sénéchal est si étonné de trouver un cœur comme celui-là sur la terre, et d'avoir gagné son affaire, qu'il me croit la plus riche femme de France d'avoir un tel ami : il a raison. Servezvous-en donc, sans crainte de l'ennuyer; et du gros abbé 3 si vous avez quelque lettre de change à envoyer, car il faut connaître les talents. Vous ne manquerez pas de nouvelles : la bonne Troche vous mandera les grandes; mais comme vous dites, tout va bien; il n'y aura que douceur et agrément dans le reste de cette année. Comprenez un peu ce que c'est que ce grand prince de Condé, qui se retire, qui se retranche, et qui envisage le mois d'oél:obre et la goutte. M. de Lorraine ne voulait point qu'on s'amusât au siège de Trèves, et disait : « Vous y périrez, Messieurs : songez qu'il y a quatre mille hommes, et un maréchal de Prance en colère 4 • » En effet, ce maréchal fait des miracles : il nettoie tous les deux ou trois jours la tranchée avec une propreté extraordinaire; mais enfin, mes belles, rien n'est imprenable, il faudra se rendre. La maréchale dit toujours que M. de Sanzei est dans Trèves; je ne le crois point du tout : ce seroit une belle chose si, pendant que sa femme le pleure d'un côté et refuse l'espérance de le trouver dans cette place assiégée, elle allait apprendre qu'il y eût été tué! Je dis hier adieu à M. de La Garde. S'il vous embrasse, laissez-le faire, c'est pour moi : je l'aime et·l'estime beau-
A MADAME DE GRIGNAN
coup; profitez bien de son bon esprit. Conservez votre santé, ma chère enfant, si vous m'aimez. J'entends que vous me dites la même chose, et je vous assure que je le ferai dans la vue de vous plaire. Ne vous amusez point à vous inquiéter en l'air : cela n'est point de votre bon esprit. Conservez bien votre courage, et m'en envoyez un peu dans vos lettres : c'est une bonne provision dans cette vie. Parlez-moi beaucoup de vous : tous les détails son_t admirables quand l'amitié est à un certain point. Ecrivez à notre cher cardinal. Savez-vous bien que vous n'avez point pensé droit sur la cassolette, et qu'il a été piqué de la hauteur dont vous avez traité cette dernière marque de son amitié 5 ? Assurément vous avez outré les beaux sentiments : ce n'est pas là, ma fille, où vous devez sentir l'horreur d'un présent d'argenterie; vous ne trouverez personne de votre sentiment, et vous devez vous défier de vous, quand vous êtes seule de votre avis. Je dis adieu au plus beau de tous les prélats hier au soir. Il me pria de lui prêter mon portrait, c'est-à-dire le vôtre, pour le porter chez Mme de Fontevrault : je le refusai rabutinement, et lui dis que je l'avois refusé à Mademoiselle; et en même temps je le portai moi-même dans une petite chambre; car on ne veut pas s'y accoutumer dans un cabinet; et il fut placé et reçu avec tendresse et envie de me plaire. Je suis sûre qu'on ne l'en tirera pas : on sait trop bien ce que c'est pour moi que cette charmante peinture, et si on le vient demander ici, on dira que je l'ai emporté. M. de Coulanges vous dira où il est. M. de Pomponne le voulut voir hier : il lui parloit, et croyoit que vous deviez répondre, et qu'il y avoit de la gloire à votre fait : votre absence a augmenté la ressemblance; ce n'est pas ce qui m'a le moins coûté à quitter. Nous avons ri aux larmes de votre Mme de La Charce et de Philis, sa fille aînée, âgée de trente-neuf ans : je la vois d'ici 6 • ~e voulez-vous dire, que vous ne narrez point bien? Il n'y a chose au monde si plaisamment contée, et personne n'écrit si agréablement; mais il faut pleurer d'être dans un pays où l'on porte le deuil si burlesquement. Je vous remercie de la peine que vous avez prise de narrer cette folie: c'est un style que vous n'aimez pas, mais il m'a bien réjouie. M. de Coulanges vous
A MADAME DE GRIGNAN
en parlera; il lut cet endroit en perfeél:ion. Il me semble que Je n'ai plus rien à dire; Q!!'on me mène aux Rochers, je ne veux plus écrire; Allons, l'abbé, c'est fait.
Je vais partir, belle Comtesse : Je vais partir, belle Hermione, Je vais exécuter ce que l'abbé m'ordonne, Malgré le péril qui m'attend7 •
C'est pour dire une folie, car notre province est plus calme que la Saône. On fait présentement le service en grande pompe de M. de Turenne à Notre-Dame; le cardinal de Bouillon et Mme d'Elbeuf vinrent hier me le proposer; mais je me contente de celui de Saint-Denis : je n'en ai jamais vu un si bon. N'admirez-vous point ce que fait la mort de ce héros, et la face des affaires depuis que nous ne l'avons plus? Ah! ma chère enfant, qu'il y a longtemps que je suis de votre avis I rien n'est bon que d'avoir une belle et bonne âme : on la voit en toute chose comme au travers d'un cœur de cristal : on ne se cache point; vous n'avez point vu de dupes là-dessus : on n'a jamais pris longtemps l'ombre pour le corps. Il faut être, il faut être, si l'on veut paraître: le monde n'a point de longues injustices; vous devez être de cet avis pour vos propres intérêts. Adieu, ma chère enfant, je vous embrasse de tout mon cœur.
343 - A MADAME DE GRIGNAN A Orléans, [mecredi] 11e septembre [16n].
me voilà prête à m'embarquer sur E notremaLoirebonne, : vous souvient-il du joli voyage que NFIN,
nous y fîmes 1 ? J'y penserai souvent : quoique votre Rhône soit terribilü (et me fasse peur), je voudrais être aussi près de me confier à sa prud'homie. Il ne faut point que je prétende (de) vivre agréablement sans vous. Je
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vous écrirai de tous les lieux où je pourrai j'attends demain de grand matin une lettre de vous, que j'ai (ordonné) qu'on m'adressât ici; (M. Riaux, commis à la grande poste, rue des Bourdonnois, voilà ce qui me soutient). Vous dites que l'espérance est si jolie; hélas! il faut qu'elle le soit encore au delà de ce que vous dites, pour nourrir plus de la moitié du monde, comme elle fait : je suis une des plus attachées à sa cour. J'emporte du chagrin de mon fils : on ne quitte qu'avec peine les nouvelles de l'armée; je lui mandois l'autre jour qu'il me sembloit que j'allois mettre ma tête dans un sac, où je ne verrois ni n'entendrois rien de tout ce qui va se passer sur la terre. Il ne croit (aucun) détachement que vers la mi-oétobre. S'il nous répond du détachement, nous le connoissons assez pour répondre de l'attachement : ainsi vous n'avez pas à souhaiter pour lui. M. de La Trousse reviendra bientôt (à ce qu'il croit); il n'aura point le gouvernement de Philippeville : nous ne saurions deviner encore ce que la fortune lui garde; souvent c'est un coup de mousquet : Dieu l'en préserve! Je vis, le matin que je partis, le grand maître 2 et la bonne Troche; (la dernière) me mena à la messe, et attendre mon carrosse chez Mme de La Fayette, où je trouvai le marquis de Saint-Maurice, qui (revient) d'Angleterre dire la mort de son duc 3 : c'est la cérémonie. Je m'en vais à Orléans jouer de mon reste, et me mêler de vous dire encore des nouvelles : vous devinerez les auteurs. Il est certain que (Mme