Les fondements de la société d’initiation du Komo 9783111330099, 9783110985306


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French Pages 326 [340] Year 1972

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Table of contents :
TRANSCRIPTION PHONÉTIQUE
AVANT-PROPOS
CHAPITRE I. LE KOMO
CHAPITRE II.LES SIGNES
CHAPITRE III.LES 33 CLASSES INITIATIQUES DU KOMO
CHAPITRE IV.LES CÉRÉMONIES DU KOMO
CHAPITRE V.RAPPORTS ENTRE LES CULTES DU KOMO ET DU KORÈ
CHAPITRE VI.LE KOMO ET LE SANCTUAIRE DU MANDÉ
INDEX
INDEX DES AUTEURS CITES
INDEX DES NOMS DE CLASSES
INDEX DES NOMS DE SOUS-CLASSES
NOMENCLATURE DES VÉGÉTAUX
INDEX DES FIGURES ET DES PLANCHES
TABLE DES MATIÈRES
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Les fondements de la société d’initiation du Komo
 9783111330099, 9783110985306

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LES FONDEMENTS DE LA SOCIÉTÉ D'INITIATION DU KOMO

ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES — SORBONNE SIXIÈME SECTION

: SCIENCES

ÉCONOMIQUES

ET

SOCIALES

CAHIERS DE L'HOMME Ethnologie - Géographie - Linguistique NOUVELLE

PARIS

SÉRIE

X

MOUTON & CO MCMLXXII

LA HAYE

G. DIETERLEN

Y. CISSÉ

LES FONDEMENTS DE LA SOCIÉTÉ D'INITIATION DU KOMO

PARIS

MOUTON & CO MCMLXXII

LA HAYE

CET

OUVRAGE

PUBLIÉ DU

AVEC

CENTRE

LE

A

ÉTÉ

CONCOURS

NATIONAL

DE

LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Library of Congress Catalog Card Number : 74-149074

© 1972 Mouton &• Co and École Pratique des Hautes Étudts Printed in France

TRANSCRIPTION PHONÉTIQUE Consonnes Vélaires : y Palatales : dy et ty Nasales : ny Labio-dentales : w Chuintantes : à Voyelles Orales i

u o

e t Q a

Nasales ï ü ë 5 ! 2 à

Les voyelles longues sont redoublées : aa, oo, etc. Les tons hauts sont indiqués par un accent aigu placé sur la voyelle des syllabes concernées.

AVANT-PROPOS En 1951, dans les Signes graphiques soudanais, publiés en collaboration avec M. Griaule, nous mettions à jour une première documentation recueillie sur des idéogrammes dogon, bambara et bozo, et l'un des principaux systèmes graphiques bambara : le glâ glâ zó. L'ouvrage que nous publions aujourd'hui présente, entre autres, l'ensemble des idéogrammes ou « signes » du glâ, considérés comme englobant et résumant à la fois les valeurs intellectuelles et spirituelles permanentes, et les bases matérielles de la société bambara, signes qui sont la propriété de la société initiatique du Komo. Les informations recueillies témoignent de liens étroits établis entre ces graphies et la structure de cette institution, et ceci à tous les niveaux : avec les agents, les membres et l'organisation du groupe, les croyances, le matériel religieux, les rites, les biens matériels et enfin avec la notion de personne telle qu'elle est conçue par les Bambara. Sans être exhaustif, l'ouvrage donne donc les grandes lignes de l'organisation et du fonctionnement de la société du Komo. Le Komo qui est la plus importante des grandes institutions masculines Bambara (groupées sous le terme générique de dyo bdw) a attiré depuis longtemps l'attention des chercheurs 1 . La société comprend tous les individus mâles d'une agglomération qui sont obligatoirement introduits dans le groupe à la sortie de la retraite qui suit la circoncision. Le terme kçmç connote « le complexe formé, 1. Nous donnons ci-dessous une liste bibliographique non exhaustive des principaux ouvrages ou articles traitant de la société du Komo : R . P. Henri, L'âme d'un peuple africain, les Bambara, Bibliothèque Anthropos, Munster i. W., Paris, Picard, 1910, 238 p. ; M. Delafosse, « Terminologie religieuse au Soudan », in L'Anthropologie, Paris, t. X X X I I I , déc. 1923, p. 371-383 ; L. Tauxier, La religion des Bambara, Paris, Geuthner, 1927 ; C. Monteil, Les Bambara du Ségou et du Kaarta, Paris, Larose, 1924, 404 p. ; M. Travele, « Le komo ou koma », in Outremer, I, 2, 1929, p. 127-150 ; H. Labouret, « Les Manding et leur langue », Bulletin du Comité d'Études Historiques et Scientifiques de l'A.O.F., Paris, t. X V I I , 1934 i G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, Paris, P.U.F., 1951, xx-240 p. ; D. Zahan, Sociétés d'initiation bam bara, le N'domo, le Korè, Paris-La Haye, Mouton & Co., i960, 438 p.

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en principe dans chaque village, par les sociétaires vivants et morts, le sanctuaire et ses autels, leur chef responsable, le masque » 1 . Le Komo « est le gardien des croyances et des coutumes traditionnelles de la morale, qui sont enseignées à tous les associés, ainsi que les règles de solidarité, les droits et les devoirs des membres, les interdits, les sanctions qui frappent les contrevenants. Il est le garant de la vie de tout le groupe humain, vie matérielle et spirituelle. Dans ses autels, réservoirs d'énergie vitale constamment renouvelée, sont gardées non seulement les âmes et la force vitale des morts ayant appartenu à la société, mais encore celles des graines » 2 . Fondement de l'organisation sociale, le Komo, société communautaire d'entraide, juridique, cultuelle et culturelle est, au premier chef, une société religieuse : les 266 signes du glâ qui sont sa propriété, sont sacrés au même titre que ses sanctuaires et ses autels. Dans l'introduction aux Signes graphiques soudanais, M. Griaule relate l'approche sur le terrain et la découverte des idéogrammes chez les Dogon, les Bambara, les Bozo. Il souligne les liens étroits de ces graphies — auxquelles les intéressés accordent, comme il le dit, « primauté et souveraineté » — avec les systèmes cosmogoniques, bases de la religion de ces peuples : « Il est permis d'affirmer qu'il est impossible de séparer l'étude des séries graphiques soudanaises de celle des systèmes cosmogoniques dont elles sont l'un des moyens d'expression. Procéder autrement serait ignorer le rôle essentiel des signes dessinés ou gravés qui est avant tout de présenter à l'usager, ou aux puissances invisibles qu'il révère, la vue partielle du mythe que la gesticulation rituelle exploite ou commémore » 3 . Les travaux menés depuis cette parution sont venus confirmer cette perspective. Les recherches poursuivies chez les Dogon et les Malinké ont fait apparaître la présence de systèmes graphiques que les usagers situent au niveau de « genèses » très élaborées : elles s'inscrivent toutes dans les prolégomènes d'un mythe cosmogonique qui relate les événements qui ont jalonné les étapes successives de la création, mythe dont il a été publié plusieurs versions recueillies chez les Bambara, les Malinké et les Dogon. Ces versions font apparaître nettement un parallélisme dû à une civilisation et une culture indiscutablement communes 4. Les enquêtes ont permis d'étendre à 1. Cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 142. (Les références des ouvrages cités dans ce volume sont regroupées dans la bibliographie, infra, P- 3I7-) 2. S. de Ganay, « Un jardin d'essai et son autel chez les B a m b a r a », p. 57, note 1. 3. M. Griaule, « Introduction » aux Signes graphiques soudanais, p. 6. 4. Cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, chapitre 1 : « L e s mythes », et chapitre 11 : « Les représentations » ; G. Dieterlen, « Mythe et organisation

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divers aspects de la vie quotidienne et de la culture de ces populations le rôle — pour elles fondamental — attribué aux systèmes graphiques. Nous verrons que la structure du Komo est, pour l'usager, directement associée au complexe que nous propose la série des « signes » du glà : c'est dire que l'on doit, pour l'appréhender, être instruit de la cosmogonie bambara dont nous avons publié en 1952, dans l'Essai sur la religion bambara, une version réduite à la mesure des informations recueillies à cette époque. D'autre part, sur le plan intellectuel, il apparaît clairement que le Komo se veut et se réalise le détenteur de systèmes classificatoires « encyclopédiques ». En effet, en Afrique Occidentale, des millions d'hommes, dont les Bambara, relevant de sociétés organisées — chacune de façon originale — ont depuis longtemps accumulé, structuré, conservé des connaissances lentement acquises selon des techniques éprouvées : observation des êtres, des choses et des faits, inventaires, collections, échantillonnages, classifications, etc. Parmi ces hommes se trouvent des centaines de vieillards dont la vie active, réduite sur le plan pratique, se prolonge volontairement dans la poursuite d'un travail d'acquisition du savoir traditionnel, pour continuer à apprendre de la nature, de l'homme et des sociétés tout ce qui peut parfaire leurs connaissances. Or, pour ces mêmes hommes, les racines de ces systèmes classificatoires se trouvent au niveau de la série des 266 « signes », considérés comme primordiaux. Chez les Bambara, le Komo, qui en est le dépositaire et le responsable est chargé de distribuer, au cours de l'initiation, dans des conditions précises, l'ensemble des connaissances acquises et ainsi codifiées : ces « savants » que sont les sages africains savent quel appui spirituel et moral apporte à l'individu — et donc à sa société — une vision constamment élargie mais rigoureuse et ordonnée, une mise à jour quasi permanente de l'inventaire des éléments qui composent le monde qui l'entoure. La structure de l'initiation, acquise par étapes au cours de la vie, obéit à des règles parallèles. Sur le plan du rituel, on voit également apparaître cette primauté accordée par les Bambara aux signes et aux classifications : le déroulement de la cérémonie annuelle, dite anniversaire du Komo, qui est à la fois purification et propitiation du groupe, a pour but essentiel de procéder à la réactualisation de l'une des étapes de la genèse, celle de la réalisation des « signes » primordiaux dans la pensée de Dieu, le créateur. Dans un ordre déterminé, les membres de la société qui sont, sur le plan de l'initiation, les témoins vivants des catégories, sociale au Soudan français », p. 43-59 ; M. Griaule et G. Dieterlen, Le renard pâle, t. I : « L e m y t h e cosmogonique », fasc. 1 : « L a création du monde ».

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offrent des sacrifices, dansent et chantent en des lieux symboliquement associés à l'origine et au développement de l'univers préfiguré par les signes, qui sont ainsi « arrosés et rafraîchis », selon la formule bambara, pour toute la durée de l'année à venir. Un fait mérite d'être souligné : pour ces civilisations que l'on a déclarées à juste titre « sans écriture », parce qu'aussi bien, s'ils les ont parfois utilisés pour de courts messages, ils n'ont pas réalisé et transmis de textes, les signes 1 ont une valeur telle qu'ils servent de base à tous les niveaux de l'initiation, c'est-à-dire de l'instruction — au sens le plus large — des membres de ces sociétés. Ceci à rencontre de nos systèmes où l'écriture est profane et sans résonance propre, sinon celle de la pensée qu'elle véhicule ; là, le véhicule luimême agit sur, avec, voire contre la pensée qui a dirigé sa réalisation. Sacrés et dynamiques, les signes ne peuvent ni ne doivent être manipulés qu'avec toutes les précautions que l'on doit prendre pour ce qui est considéré comme essentiel. C'est peut-être là la raison de l'extrême prudence avec laquelle ils sont transmis ou communiqués, c'est aussi pour cela que dans nombre d'ethnies d'Afrique Noire où ont été menées des recherches, ils n'apparaissent pas dans la documentation recueillie. La série des signes publiés, et les tableaux qui les accompagnent, ne constituent que l'un des systèmes graphiques des Bambara. D'autres séries, comparables à celles publiées par M. Griaule (associées à la circoncision dans cette population), existent à d'autres niveaux de la connaissance, ou en relation avec d'autres groupes, et notamment d'autres sociétés initiatiques. Nous avons recueilli chez les Dogon plusieurs centaines de signes et publié la théorie indigène des systèmes graphiques de cette population, pour la série considérée comme primordiale des 266 signes sacrés, théorie qui s'inscrit, comme chez les Bambara, au niveau de la genèse dans leur cosmogonie 2 . Mais, pour le seul groupe des peuples « Mandé », la collecte doit être complétée ou entièrement constituée, chez les Malinké, les Bozo, les Sarakollé 3 ... Nous possédons seulement quelques éléments sur 1. U n seul signe est dit ti, « trace, incision » ; une série de signes formant un ensemble cohérent est dite sêbçni, litt. : « l'âme », ni, « de tout », « pouvôir », sé ; s¿b¿ni est traduit couramment par « écriture » dans l'enseignement traditionnel. Le terme s'applique également à toutes les écritures. Il existerait dans certaines localités des séries de signes gravés sur pierre, comparables aux séries peintes ou gravées sur les planchettes actuelles (cf. infra, p. 186). 2. M. Griaule et G. Dieterlen, Le renard pâle, chapitre 1 : « Amma », p. 61-88. 3. Les documents recueillis récemment chez les Kouroumba et les Gourmantché de Haute-Volta par divers chercheurs ont fait apparaître l'existence

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les systèmes graphiques propres aux sociétés féminines, notamment chez les Dogon, mais nous savons qu'ils sont nombreux. Nous ne savons rien des signes de la caste « internationale » des forgerons, et tout nous permet de croire que c'est elle qui détient — en même temps que les ordres initiatiques les plus profonds — l'une ou l'autre des clefs de ces systèmes graphiques. En effet, nos informateurs ont déclaré que « tous les signes (y compris les signes sacrés du Komo) sont dits kûli tiw, ' signes de l'enclume ', car c'est le forgeron, au titre d'initié majeur de la société bambara (comme au sein des ethnies de même culture en Afrique occidentale), qui en est le maître ». C'est donc auprès de ces artisans que les enseignements les plus complets pourraient être recueillis. Ce petit ouvrage, presque uniquement descriptif, n'a d'autre but que de mettre à jour la documentation collectée chez les Bambara ; sur de nombreux plans celle-ci doit permettre de poursuivre les enquêtes en vue d'analyses et de développements nécessaires : sur les raisons qui ont présidé au choix des signes sacrés du Komo et des termes qu'ils connotent ; sur l'ensemble des relations qu'implique leur classement en catégories ; sur les correspondances établies entre les catégories du Komo et celles qui apparaissent au niveau d'autres sociétés initiatiques ; sur la morphologie des signes ; sur les rapports de ces pseudo-abstractions avec les réalités qu'elles évoquent ; sur leur rôle dans la divination ; sur la sémantique bambara, sur l'histoire de l'origine de ces graphies et de leur diffusion, etc. Et, bien entendu, pour ce qui est aujourd'hui notre objet, il conviendra de parfaire et développer l'étude de la société du Komo et de poursuivre, dans cette perspective, celle des autres grandes institutions initiatiques bambara. Les signes et les informations ont été recueillis en 1949 et 1950, tout d'abord auprès d'informateurs dont nous donnons ci-après la liste : — — — — — — —

Dyodo Diallo, notable de Ségou Moussa Oulalé, notable de Pélengéna Danfing Koulibali, chef du Komo de Ségou Koro Nji Diara, guérisseur, chef du Nama de Soroba Bakonimba Koulibali, chef du Komo de Soroba Soma Koulibali, fils de Bakonimba de Soroba Kotyêni Koné, forgeron de Konodimini, prêtre des ddsMw de Sorotomo et Konodimini — Kariba Koumâré, chef du Komo, du Nama et du Korè de Konodimini de systèmes graphiques comparables qui doivent permettre d'envisager une extension géographique de ces représentations.

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— Kariba, chef des kçrçdiîgàw de Kondomini — Bala Koulibali, chef du Komo, chef du Korè de Banankoroni. Une mention spéciale doit être faite de la documentation apportée par Dyodo Diallo, qui a recueilli patiemment la série des graphies propres au Komo auprès des chefs de cette société et nous a communiqué les commentaires que lui avaient transmis ces « hommes du savoir ». Depuis 1950 et jusqu'à aujourd'hui, nous avons poursuivi des enquêtes qui ont permis leur élaboration. M. Youssouf Cissé, membre de l'Institut des Sciences Humaines du Mali, qui mène depuis plusieurs années des recherches sur les civilisations et l'histoire de ce pays, a pris connaissance de cette documentation. Il a bien voulu apporter à son élaboration les fruits de ses propres connaissances, dus à son expérience personnelle et aux très nombreuses informations qu'il a recueillies chez les Malinké, les Sarakollé et chez les Bambara, notamment auprès de Ba Issa Traoré, chef du Komo de Sabalibougou (région de Koulikoro), Bougoba Dyiré, chef du Komo de Tyébala et chantre des chasseurs de Kaminyandougou (région de Ségou), Mammourou-Ba, Monzon et Konimba Samaké, notables de Tentou (région de Bougouni). Nous remercions de leur appui les membres des gouvernements de la République française, de la République du Mali et tous les organismes de recherche de ces deux pays qui ont soutenu nos efforts et permis la parution de cet ouvrage. C.N.R.S.

Paris,

1970. G.

DIETERLEN.

CHAPITRE

I

LE KOMO Le kçmç ou kçma ou kçmç-sûrûkû est une institution socio-religieuse commune aux deux principaux groupes du peuple Mandé, les Malinké, les Bambara et à leurs proches parents les Kagoro, comme aux Peul du Wassoulou, du Manding, du Fouladougou et du Birgo qui ont abandonné leur langue et ont adopté, depuis des siècles, les us et coutumes et surtout la langue bambara ou malinké. Il se rencontre également chez les Kokoroko de Bougouni, et dans certains groupes ethniques qui l'ont adopté, les Minianka et les Senoufo de San, Koutiala et Sikasso. Son aire géographique s'étendait il y a encore quelques décennies, de la Haute-Guinée au Sud mauritanien, du Sénégal oriental au lac Débo. Sur le plan historique — qui n'est pas aujourd'hui notre objet — l'institution du Komo semble aussi avoir déjà existé sous une forme très comparable chez les Kagoro, premiers occupants probables du Ouagadou et chez les Sarakollé. Elle est cependant postérieure aux sociétés de chasseurs qui sont reconnues comme les premières organisations collectives masculines x . Sous sa forme actuelle, le Komo a connu une grande extension au temps de l'empire du Mali et s'est diffusé en même temps que s'étendaient les frontières et l'influence culturelle de cet empire. La création du culte du Komo est attribuée par une très ancienne tradition à dix-sept forgerons dits les « dix-sept hommes du Komo initial » ( k ç m ç fâlg tyç tâ ni wôlÔ fia), qui sont encore honorés lors des cérémonies 2 , mais dont nous ne connaissons jusqu'ici ni l'origine ethnique, ni les noms. Mais sur le plan des traditions historiques des peuples du Mandé, l'extension de ce culte au début du XIII E siècle est l'œuvre des forgerons Doumbia, Sissoko et Koromaka (groupés 1. Cf. Y . Cissé, « Note sur les sociétés de chasseurs Malinké », p. i . 2. Ces dix-sept ancêtres sont représentés symboliquement au niveau matériel de la société du Komo (cf. infra, p. 43).

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s o u s l ' a p p e l l a t i o n c o m m u n e d e blaw) q u i a g i r e n t s o u s l ' i m p u l s i o n de leur ancêtre F a k o l i , lequel f u t à la fois prêtre et guerrier 1. L e K o m o était généralement présent dans toute agglomération d ' u n e c e r t a i n e i m p o r t a n c e d é m o g r a p h i q u e ; les h a b i t a n t s des h a m e a u x qui n ' a v a i e n t p a s d'organisation socio-juridique étaient initiés au K o m o de leur village d'origine. Il n ' e n est plus de m ê m e a u j o u r d ' h u i , car après avoir victorieusement résisté a u x troupes des trois conquér a n t s e t « p r o p h è t e s s o u d a n a i s » d u x i x e siècle, S é k o u A m a d o u , E l H a d j O u m a r T a l l e t A l m a m y S a m o r y T o u r é , il a é t é b a t t u e n b r è c h e , à l a f a v e u r d e l a c o n q u ê t e , e t n o t a m m e n t à l a fin d e s d e u x guerres mondiales, par l'islamisme qui bénéficia, dans ce domaine précis, de la bienveillance de l'administration coloniale et de l ' a p p u i actif des auxiliaires indigènes de cette dernière, qui étaient en m a j o r i t é des m u s u l m a n s . I l s ' e s t c e p e n d a n t m a i n t e n u d a n s d e n o m b r e u x g r o u p e s e t c e c i à c a u s e d e ses b a s e s r e l i g i e u s e s q u i s o n t c e l l e s d ' u n monothéisme irréfutable, à cause de la richesse des connaissances q u ' i l d é t i e n t et d e l a p r o f o n d e u r d e l ' e n s e i g n e m e n t q u ' i l distribue 2. 1. blaw, litt. « les affranchis ». Ces forgerons furent exemptés de corvées et d'impôts par Soundiata à cause des exploits guerriers de Fakoli. Ils se déclarent d'ailleurs doublement « affranchis » ; brouillés avec Soundiata après l'instauration de l'empire, ils furent un certain temps traités comme des esclaves, mais furent rétablis dans leurs droits après sa mort (voir notamment D . T. Nyane, Soundiata ou l'épopée mandingue). Dans la région de Ségou, une tradition manifestement héritée des griots, ces spécialistes de l'histoire, veut que la création du K o m o soit l'œuvre de Massa Djourou Kali Nani. « Massa Djourou Kali Nani, dit la légende, venait des confins de l'Arabie. Il était ' rouge ' comme un Peul. L a religion qu'il pratiquait incluait cette connaissance totale des êtres et des choses que détient à présent le Komo. C'est pourquoi son nom est invoqué pendant les réunions de cette société dans cette région. Massa Djourou Kali Nani eut une nombreuse progéniture de ses unions avec des femmes noires et fut à sa mort enterré près de Ségou, au milieu d'une grande clairière. » Celle-ci, nommée séli k$nç, « clairière de prière », est de nos jours encore un lieu de culte très important exclusivement réservé aux grands prêtres du Komo, en même temps qu'un lieu de prestation de serment pour les notables de la région. C'est ainsi que trois jours avant chaque fête anniversaire du Komo, on s'y rend nuitamment pour prier. Un taureau « blanc », sd kâbâ misi, est ensuite immolé sur la tombe de Massa Djourou Kali Nani. Les troncs de deux jujubiers avoisinant cette tombe reçoivent leur part du sang sacrificiel. L'animal est instantanément dépouillé et dépecé, et sa viande transportée à Ségou où elle est partagée avant l'aube entre les notables bambara membres du Komo. Nous mentionnons cette légende locale de l'origine du Komo car elle justifie encore actuellement des rites effectués en des lieux précis de la région de Ségou. Quant à Soma Moriba et Makanta Djigui, personnages invoqués respectivement au cours des cérémonies du Komo, d'une part dans la région du Bélédougou, d'autre part dans celles du Mandé et du Wassoulou, ils sont considérés par les initiés comme les propagateurs de ce culte et non pas comme les fondateurs. 2. Ses plus grands détracteurs, les marabouts, reconnaissent implicitement

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Le Komo est l'une — et la plus importante — des six grandes institutions masculines bambara, groupées sous le terme générique de dyo bdw 1 et qui sont, dans l'ordre : le N'domo, société des incirconcis ; le namak^rçku, culte des sociétés de culture (sà sçnç tç) englobant incirconcis et circoncis, dont le masque tyiwdrâ est l'emblème ; le Komo auquel on accède obligatoirement après la circoncision ; enfin le Nama, le Kono et le Korè, sociétés auxquelles peuvent adhérer les jeunes gens et les adultes s'ils désirent parfaire leurs connaissances et asseoir leur autorité 2. Société masculine d'initiation, le Komo —• litt. : « pêcher dans la mare » 3 — est situé à mi-chemin entre le N'domo, confrérie cultuelle et explicitement ces valeurs, car toute la terminologie religieuse et philosophique à laquelle ils ont recours pour rendre l'esprit et la lettre du Coran est puisée dans l'enseignement du Komo ; ils disent d'ailleurs volontiers : « Tout ce que disent les Bambara est la vérité ; seulement ils refusent de faire des génuflexions pour se soumettre à Dieu et de renoncer aux sacrifices aux idoles, bôli s6 ». 1. Le terme dyo connote : le serment prêté sur un autel, notamment pour l'initiation, par extension une société initiatique, un culte ; le secret ; avoir raison, d'où dy$dy$, « vérité », ce qui est rigoureusement exact ; laver, lessiver et par extension purifier. L'expression dyo bdw, « grands dyo » est réservée aux six institutions mentionnées ci-dessus, dyo est distinct de dyç qui signifie : dresser, se dresser, édifier. 2. Une certaine souplesse est observable dans la réalité : dans le cas où un village ne comporte pas de société du Komo, on initie le circoncis à l'une ou l'autre des autres institutions d'adultes présentes chargée alors de l'instruire. 3. Nous donnons ci-dessous les appellations qui désignent cette société dans les régions occupées par les Bambara et les Malinké. Les étymologies indigènes — qui nous ont été communiquées en même temps que les noms par Son Excellence A. Hampaté B a et des initiés bambara et malinké — s'appuient sur des analogies établies par les usagers entre les divers sens d'un même mot. 1. kçç mçç, « mare — fruits mûrs, prémices », prémices de la mare. 2. kçm{f, « mare — pêche, pêcher », pêcher dans la mare. 3. kômç, « choses abstraites — pêche, pêcher » (ko est un collectif mis pour kôw, « les choses abstraites »), pêcher les choses abstraites. 4. kâmd, « choses abstraites — maître », le maître des choses abstraites. 5. kâmd, « choses abstraites — mère », la mère des choses abstraites. 6. kçniQ sûrûkû, « mare •— qui pêche — barboteuse, fouilleuse », l'hyène qui pêche dans la mare (nom commun de l'hyène, mais surtout de l'hyène « noire », grise). Mais, par delà le mot mare, il faut entendre l'univers dans lequel l'esprit (humain) « pêche » — puise — toutes les « choses abstraites », c'est-à-dire toute la connaissance. D'autre part, il convient de souligner que l'hyène mythique a donné son nom aux plus grands cultes bambara, car on dit partout chez les Bambara domo ou ndomo-sûrûkû pour le N'domo, kçrç ou kçrç-sûrûkû pour le Korè et nama sûrûkû pour le Nama, de même que l'on dit kçmç sûrûkû pour le Komo. E t dans toutes ces sociétés d'initiation, une partie du masque de bois représente un crâne d'hyène. Certains groupes ethniques, tels que les Minianka et les Senoufo des cercles de San, Koutiala et Sikasso, l'ont adopté sous les noms de wârd 2

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des incirconcis, « mère, origine et commencement de tout culte », qui donne à l'enfant un premier apprentissage, et le Korè, « société cultuelle des hommes âgés », qui propose à l'homme « de se dépasser, de dépasser la vie pour s'élever vers le néant et vers Dieu » 1 . Le Komo a pour but de « permettre à l'homme de se connaître lui-même », « l'homme qui est le centre des créatures et le résumé de la création ». Ainsi donc, le Komo se veut le dépositaire, l'unique dépositaire de l'ensemble des valeurs spirituelles et de toutes les autres valeurs de l'ensemble de l'univers tangible. Ces valeurs, il est censé les détenir du créateur, dâbâa, l'unique maître dont les adeptes glorifient l'unicité avec insistance et force dans une profession de foi toujours répétée au cours des cérémonies 2 : mà-kélê dâbàa-kélé sébda-kêlé faâma-kélê sird-kélê dyo-kélê SQ-hélê

« Un seul maître un seul créateur un seul puissant un seul ' fort ' (roi) une seule voie un seul culte (ou un seul serment) une seule soumission ».

En quoi consistent ces valeurs ? C'est « la connaissance passée, la connaissance présente, la connaissance à venir ; la connaissance qui nous vient de Dieu et qui nous mène vers Dieu, tout ce qui vient de Dieu et retourne vers Dieu » 3. De plus, le Komo est le fondement, dyu, et le substratum, bd. sigi, de la société. L'entrée dans la société du Komo est obligatoire pour tous les jeunes garçons ayant subi la circoncision ; elle a lieu à la fin de la retraite qui suit l'opération proprement dite. Le culte assure l'éducation, la formation culturelle, politique, sociale et religieuse de ces derniers. Il est dit : « culte des [Bambara] authentiques », yçrç wôlô dyô. Son enseignement commence avec l'instruction donnée aux jeunes circoncis pendant la retraite et peut se poursuivre durant toute la vie, car « il est aussi inépuisable que le savoir ». ou wârâ kçrç, « le fauve » ou « le vieux fauve » — autre appellation de l'hyène mythique — , soit lors de l'extension de l'Empire du Mali au x u i e siècle, soit au x v n e siècle sous la domination des rois bambara de Ségou. 1. Nous renvoyons à l'ouvrage de D. Zahan, Sociétés d'initiation bambara, le N'domo, le Korè, qui présente une remarquable étude de ces deux sociétés. 2. Cf. Y . Cissé, op. cit., p. 202. 3. dçni ml tçmç na, dçni mï bç sëna, dçni mï binâ sé; â sçnd dçni mï na, dçni mï b§ â sé faama ma, /? ml bçrâ faama fê mi bi seki faama ma. Dans son ouvrage sur les sociétés d'initiation D. Zahan a fait plusieurs fois allusion au rôle du Komo vis-à-vis du savoir traditionnel (op. cit., notamment p. 20, 25, 81, 125, 172 n. 2, 226 n. 7, 242). Le Komo, écrit-il p. 35, est « intimement associé au verbe, étant donné qu'il est le principal élément de l'enseignement et de l'instruction, activités éminentes de ce dyo ».

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Ainsi le Komo se veut le garant de la continuité des traditions et de la culture ancestrales, comme le gardien de la cohésion et de l'ordre de la société. C'est pourquoi il assure en secret la police dans la communauté et punit de mort, dite rituelle, tous ceux qui « rompent » les interdits, autrement dit qui transgressent les lois ancestrales. S'il ne les organise pas directement, il est en tout cas étroitement associé à toutes les fêtes, à toutes les cérémonies (baptêmes, mariage, décès, funérailles, rites agraires, guerres même, etc.) que ses prêtres dirigent ou contrôlent avec habileté et vigilance. Chaque Komo a un nom ; il tient le plus souvent ce nom de son rattachement à une autre société qui a présidé à sa consécration — dans ce cas, il est dit kgmç-dë, « Komo enfant », l'autre étant appelé kçmç-bà, « Komo mère ». Il peut aussi prendre un nom spécifique, dépendant du choix des sociétaires, si, par exemple, sa consécration a lieu après un événement intéressant l'ensemble du groupe : décès d'un personnage important, guerre, épidémie, etc. Il y a eu autrefois, en théorie, un nombre précis de sociétés du Komo, lesquelles auraient présidé à la consécration de celles qui se constituèrent dans de nouvelles agglomérations. La question est jusqu'ici réservée concernant les règles de transmission du nom, ou du choix d'un nouveau nom. Mais le nom est associé, dans tous les cas, de manière impérative, à la matière qui constitue la base des autels collectifs (bólíw) de la société. Nous donnons ci-dessous une liste, non exhaustive, de noms de certains Komo et du matériau ayant servi à la confection des autels de ces sociétés : Nom

du kçmç

dyibi ou dibi o b s c u r i t é makâH pitié nçnç g o û t e r ; froid sçlç tombe Sukodyi eau (pour laver) le c a d a v r e sè pied sinthle soleil de d e m a i n [c.-à-d.] les t e m p s f u t u r s buabá grand poisson fúrábá grand r e m è d e mode, f a ç o n dyahó tro c o n t r a c t i o n de ntoro, F i c u s

Matériau

de base

or bois pierre cuivre rouge argent terre arête de poisson dodo piment eau c h a r b o n de bois sable

Bien entendu, la qualité de la matière de base intervient au moment de la confection de l'autel ; on ne prend pas n'importe quel morceau de cuivre ou d'or, ou n'importe quelle terre ou piment. Ainsi, le bois est celui du ngunâ ; la pierre blanche est prélevée à proximité d'une mare — elle est dite alors kç fdrâ ; dans d'autres cas elle est noire, elle provient du résidu du minerai d'une forge : elle

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est dite nçgç bô, « excrément du fer ». Le cuivre vient des biens personnels d'une femme morte en état d'impureté, c'est-à-dire ayant rompu un interdit. La terre blanche est prélevée dans une mare qui ne tarit jamais, ou près d'une source. Le piment provient du champ personnel de la femme du chef du Komo. L'arête est celle d'un poisson péché par un jeune garçon incirconcis et vierge. Le charbon, fait avec du bois de ngiliki, est confectionné au centre d'une clairière (wdldwald). L'eau est une eau de source ou de mare pérenne. Le sable est ramassé au bord du Niger. Les noms qui désignent chaque société n'ont pas ici leur sens habituel : ils sont considérés comme des noms propres et leur sens ésotérique est connu des seuls initiés. A titre d'exemple nous donnons ici les noms des trois Komo considérés comme, sinon les plus anciens, du moins les plus importants de la région de Ségou : tdblâ à Kolobo et Sidabougou, se à Samaflala, krâgrâ à Oundékébougou. Ces Komo sont tous trois également des dyibi ayant pour matière de base l'or. Leurs chefs portent une tunique blanche et reçoivent pour la durée de leur ministère une crosse de bois ornée d'entailles, symbole de leur autorité justicière, qui est l'objet d'interdit particulier Chaque Komo est le dépositaire d'un certain nombre de biens — valeurs intellectuelles traditionnelles — qui témoignent des liens spécifiques du groupe avec les puissances surnaturelles auxquelles est consacré un culte. Les plus importantes sont constituées par la propriété d'une série de 266 signes, ti bdw, « grands signes », qui constituent les bases fondamentales de la connaissance, connaissance qui sera progressivement diffusée par les anciens des plus hauts grades aux membres du groupe intéressé. Les 266 signes sont les mêmes pour chaque Komo quels que soient son nom et la « matière de base » qui lui est associée. Mais l'ordre des signes varie avec le nom : 6 signes, extraits de la série, sont placés en tête de liste qui déterminent le caractère propre du groupe et du culte. La propriété de cette série de signes et l'usage rituel qui en est fait ont pour but, d'une part de conserver, perpétuer et promouvoir à la fois l'histoire de l'origine et de la création de l'univers, des êtres et des choses, et, d'autre part, de glorifier l'esprit qui a pensé et réalisé cet univers à partir du néant, du « rien », fû. D'où l'existence d'une série de relations — six en tout — liées aux signes et sur lesquelles repose, en théorie en tout cas, l'exégèse de l'enseignement du Komo et d'autres sociétés initiatiques bambara, namd et kçr§ notamment.

1. Cf. infra, p. 55.

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1. Ces 266 « grands signes » correspondent un à un aux 266 noms de Dieu 1 dont ils connotent les attributs et les pouvoirs. Il est dit : « le grand maître », ma bd ; « le grand étonnement », mâ bd ; « celui qui étonne », k o ni ; « notre maître », â ma ; « le maître de tout », bçmd ; « la grande chose sans propriétaire », fçbd tigi ntâ ; « la grande profondeur insondable », dübá kçrçbQ bdli ; « l'unique chose inconnaiss a b l e », / | kélê dq-bdli,

etc.

2. D'autre part les signes du Komo sont représentés dans le ciel par 266 étoiles et constellations dites « signes du ciel » qui jouent un rôle de premier plan dans le système d'initiation et d'enseignement en vigueur chez les Bambara, dans la mesure où le corps des prêtres instructeurs, les dyaalè-jdw, a constamment recours non seulement à la forme des constellations par exemple, mais surtout à des données astronomiques 2, soit pour démontrer l'évidence de telle ou telle vérité théologique, soit pour expliquer tel cycle biologique ou végétatif ou encore pour fixer le calendrier des fêtes religieuses qui n'est d'ailleurs pas souvent sans rapports avec le calendrier agricole. C'est ainsi que : — Les solstices d'été et d'hiver marquent respectivement le début et la fin des cultures, « le moment où le soleil se rapprochera de la terre pour la réchauffer et la féconder, et celui où il s'en éloigne pour la laisser se refroidir et se reposer ». — 33 3, un des chiffres clés de la cosmogonie bambara, devient « le nombre d'années qui s'écoule avant que les calendriers solaires et lunaires ne débutent de nouveau le même jour ». — Le chiffre 50, âge auquel l'homme parvient au sommet de la plénitude physique et intellectuelle, est rapporté au cycle des « 2 étoiles de la connaissance et de la plénitude », fi dóoló fia, autour de Sirius 4. — 60, dit « cent du Mandé », mâdê ou maní kçmç, correspondrait à un cycle de Sirius sigi loólo ou doóló 5 que nous ne sommes pas parvenus à faire préciser, et dont le terme donnait lieu à d'éclatantes fêtes, et à d'importantes cérémonies commémoratives qui n'étaient pas sans rappeler de nos jours le sigi des Dogon. 1. L ' u n des auteurs de cet ouvrage en a recueilli plus de 150, qu'il s'apprête à publier. 2. Chez les Malinké et les Bambara, la divination en général, l'astrologie et la géomancie en particulier, sont étroitement liées à l'astronomie. Une étude exhaustive de celle-ci et de ses termes savants auxquels les sciences ci-dessus empruntent l'essentiel de leurs matériaux aidera sûrement à mieux comprendre le mode de penser bambara qui, ne l'oublions pas, repose sur un système cosmobiologique. 3. Cf. infra, p. 203 sq. 4. Cf. M. Griaule et G. Dieterlen, « Un système soudanais de Sirius ». 5. Cf. infra, p. 230 sq.

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— 77» âge auquel on entre vivant dans le panthéon des ancêtres bambara sous le nom de nyâkârd, « âme ardente », correspond au cycle de la comète (de Halley ?) dite sdnd loôlo ou doolo kû dyâ ou bd, « l'étoile à longue ou grosse queue du ciel ». 3. Par ailleurs, chaque société possède 266 autels qui correspondent un à un à chacun des signes ; sur ces autels sont offerts régulièrement des sacrifices en faveur des membres du groupe et de l'ensemble des biens individuels et collectifs. Ces cultes ont pour but également de maintenir et de perpétuer les « signes » et les forces spirituelles des membres de la société, comme des semences des céréales, base de l'économie des Bambara. 4. Parallèlement, sur le plan de la collectivité, les 266 signes sont présents dans la structure de la société du Komo, au niveau de l'initiation. Comme nous l'avons dit ci-dessus, l'entrée dans la société intervient à la fin de la retraite pour chaque promotion de garçons circoncis. Or, l'ensemble des membres d'une même promotion d'initiation doit pouvoir, avec l'âge et en fonction de l'instruction reçue, franchir 33 étapes, gravir 33 échelons dont chacun est considéré comme un microcosme 1 . C'est pourquoi la société du Komo compte 33 classes ou degrés. Là aussi est établie une relation entre le plan biologique et le plan socio-culturel. Ces 33 degrés correspondent un à un aux 33 vertèbres de la colonne vertébrale, « support et axe de l'homme ». De même que chaque vertèbre comporte organiquement — pour les Bambara — quatre parties, chaque classe Komo compte aussi quatre sous-divisions. Mais ces classes sont considérées comme ayant chacune une jumelle. On les nomme « les 33 [paires de] jumeaux associés dans l'affaire [le culte] du Komo de l'univers » 2 . Seuls les hommes, avons-nous dit, sont initiés au Komo. Mais ils sont censés représenter leurs conjointes actuelles ou futures qui sont considérées comme leurs « jumelles », leurs compléments indispensables, leurs « doubles », dya. C'est pourquoi on dit que « les 33 enfants du Komo sont les doubles des choses [concrètes] femelles de l'univers » 3 . Et pour lever toute équivoque sur la présence des femmes dans les catégories, pour souligner aussi le rôle déterminant de la féminité dans la création, on dit : « L'univers lui-même est femme dans toutes les choses [abstraites] de la création » 4. Allusion est ainsi faite au néant originel qui conçut dans son sein les 266 signes initiaux de la création. 1. 2. 3. 4.

Cf. infra, p. 297 sq. flani mukâ ni tâ ni saba dyçç dyf kçmç ko là. kçmç dt mukâ ni tâ ni sabaw yé dyÇ _/f musoâw dyaw yé. dy£ yçrç yé muso yé, dàli ko bç là.

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Ainsi, les 33 classes du Komo groupent 33 x 2 X 4 soit 264 catégories qui correspondent à 264 des 266 signes fondamentaux, les deux premiers étant représentés par le chef du K o m o qui est « la tête » et le danseur masqué qui est « le fondement » de l'institution. Chacune de ces classes a un nom secret. Les anciens parmi les sociétaires prendront, au moment des réunions collectives, l'un des titres des 33 classes qu'ils clameront à haute voix, car il faut constamment que tout soit représenté, notamment lors de la cérémonie annuelle dite « anniversaire du K o m o », kçmç sâyçlçmâ. 5. Les 266 signes du Komo, dits aussi « de la création », correspondent au nombre de jours que totalisent les 9 mois qu'exige la gestation de l'être humain. Là, plus que partout ailleurs, la relation entre le plan biologique et le système cosmogonique est évidente ; elle souligne la présence et l'importance du facteur « temps » dans la structure initiatique de l'enseignement du Komo 6. Enfin, les 266 signes fondamentaux sont dits « présents » dans les êtres et en particulier dans l'homme sous forme de traits physiques externes ou internes, taama ou moraux, taama syeéré (ou èeéré). Ces traits divers constituent le tere, c'est-à-dire le caractère, le tempérament inhérent à la personne 2 , fait de 266 éléments. Or les caractéristiques psychologiques, morales ou spirituelles sont répercutées dans les traits du visage, dans la morphologie des membres et des organes internes, dans les mouvements du corps : c'est ainsi que la démarche, les modalités de la respiration, la qualité du regard, le timbre de la voix, etc., décèlent tel ou tel aspect du tere d'un individu. Ces signes, ou « marques » du tere sont, en principe, visibles sur la tête, d'où l'expression si souvent employée qui fait allusion à sa pluralité, « caractère de la tête », kù téré. C'est pourquoi « ils sont examinés, puis publiquement révélés par les vieillards de la famille au cours de la cérémonie de la dation du nom, exécutée publiquement le huitième jour suivant la naissance. A y a n t examiné soigneusement la façon dont ses cheveux sont plantés sur le front, dont les sourcils se rejoignent, la forme des y e u x où siège l'intelligence, de la bouche, des pieds et des mains, l'un des vieillards présents annonce d'une voix forte les signes révélateurs de son caractère » 3 . Or le corps — et partant les organes qu'il emprisonne — est essentiellement nourri par le sang ; c'est dans ce dernier, en effet, que le Bambara place le siège du tere : « Nous tenons notre tere de 1. Voir infra, p. 203 sq., le tableau de signes et le jeu de banâ ngolo. 2. Voir une première analyse du tere dans G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 61-64. 3. Ibid., p. 61.

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l'union du sang de nos parents. Le tere est [siège] dans le sang, l'eau et la moelle, s(fmff, des os et de la tête (autrement dit le cerveau) » 1 . De ce fait, on ne peut pas le faire disparaître ou le transformer ; on peut néanmoins atténuer ou intensifier ses effets par les médicaments, la magie et surtout par l'éducation. C'est pour ces différentes raisons que les juges bambara, après avoir prononcé leurs sentences, ajoutent : « Nous jugeons les actes, les faits, et non les âmes ; nous ne pouvons pas juger les ' personnes ' car chacun, dans la vie, a [est sous l'emprise de] son tere ». Ces éléments et leurs combinaisons peuvent être bons ou mauvais, conférer à l'homme des forces comme des faiblesses, ce qui permet aux Bambara de dire que « la personne n'est autre chose que [faite de] miel et de décoction de caïlcédra » 2 — arbre dont l'écorce, les racines, la fleur et les feuilles sont amères. Essentiellement composite, le tere déterminera pour une large part tous les actes, toutes les attitudes, voire toutes les pensées de chaque individu. Les relations ci-dessus sont formulées et classées comme suit par les Bambara eux-mêmes : « Le secret de l'assise-mère de l'univers [de l'équilibre universel] réside dans l'homonymie de sept choses : — — — — — —

le nom et les actes du maître-créateur ; les grands signes de la création ; les signes du ciel ; les autels femelles et mâles du Komo ; la révélation des enfants [des catégories] du Komo dans l'univers ; la naissance [biologique et spirituelle] de la petite personne noire [l'homme] ; — le caractère tere de la personne [de l'homme] ; l'homonymie fut [est, par conséquent] secret d'harmonie et de force » 3 . L'ensemble de ces structures complexes souligne donc le lien de chaque société du Komo avec des catégories déterminées par une série spécifique de « signes » et d'autels associés à son nom et à son matériau de base ; parallèlement ces catégories sont présentes dans 1. Cf. le symbolisme de la « tête », kû, p. 48 et 63. 2. mgkç tç /| wçr§ yê di ni dydlâ-dyi kç. 3. dy$ bâsigl gùdà bç fÇ wôléfld kd tQkçmôyâ kçnç : ddbaâ mdsd naâ kd kç-wdléw, ddli ti bdw, sd kôlô tiw, kçmç nyanâ nad bôliw, kçmç-diw bdgi dy% nd, maa-ni-fï wôlô, maa tere ; tçkçmdyd kçrd gùdo yé, gûdo sdrdmd dnl gûdo bdrkdmd.

On trouvera aux chapitres 11 : « Les signes » et m : « Les 33 classes initiatiques du Komo », plus de détails sur ces relations ; précisons dès maintenant que les « enfants du Komo » constituent non seulement les catégories du Komo, mais aussi la synthèse des choses créées ; que les premiers autels furent faits d'aérolithes ou de gros coquillages fossilisés. Enfin, on notera la logique relative de la classification ci-dessus.

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chaque individu sous l'aspect des 266 éléments qui constituent son caractère propre, tere ; enfin, elles sont également exprimées dans la composition des 33 degrés que chacun peut (et devrait) gravir durant le temps de son initiation et de sa présence au sein de cette même société. Société d'initiation et d'éducation, le K o m o est parallèlement une institution religieuse dont le but est de « louer le maître », ma tânû, à travers son œuvre, la création. L e culte s'adresse au premier chef, au créateur, mais aussi à des personnalités mythiques qui servirent de médiateurs entre lui et les hommes. Il est donc nécessaire, pour pénétrer le sens des structures fondamentales du K o m o , d'être instruit de la cosmogonie bambara. L e m y t h e cosmogonique, qui relate les étapes successives de la création et de l'organisation du monde, a fait l'objet d'une première version — réduite à la mesure des informations recueillies — à laquelle nous renvoyons le lecteur 1 , version dans laquelle sont exposés le s t a t u t et les fonctions de ces médiateurs, qui sont fréquemment évoqués pour l'enseignement (des séries de signes, des catégories et des correspondances, des classes, de la morale du groupe) comme au cours de l'exécution des rites. Sur le plan de la révélation a u x hommes des signes sacrés, de leur manipulation rituelle, des connaissances qu'implique ce savoir, le rôle éminent de quatre êtres mythiques du panthéon bambara est enseigné a u x jeunes initiés. Nous donnons ci-après un résumé de cet enseignement : « L a cosmologie bambara ne se limite pas à la seule série des signes du K o m o . De même que l'univers s'étendra, que les êtres créés par Dieu se multiplieront, que les mondes formés par lui seront innombrables, de même les signes se sont multipliés. Chacun d'eux est considéré comme a y a n t théoriquement formé à son tour une série de 266 n o u v e a u x signes. Ainsi, les signes ont-ils proliféré pour préfigurer, dans l'abstrait, tous les êtres et toutes les choses qui devaient former l'univers. E t les liens qui les unissent — l'univers étant considéré comme un tout — se traduisent par des classifications et des correspondances établies entre toutes ces séries, correspondances qui sont considérées comme devant promouvoir le fonctionnement de cet univers, tel que le conçoivent les Bambara. » 2 Ce système de référence englobe le domaine de la nature et le domaine social, lequel est organisé et compris de façon parallèle. L e B a m b a r a conçoit sa société comme u n corps v i v a n t , articulé, dont toutes les 1. Cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, chapitre 1 : « Les mythes », et chapitre 11 : « Les représentations ». 2. Ibid., chapitre 1, p. 11 sq. Sur la multiplication, la classification des signes et l'établissement de correspondances entre les catégories, cf. infra, p. 75 sq.

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parties aux rôles complémentaires — antagonistes ou non antagonistes — sont en relation et réagissent les uns sur les autres de façon constante, relations dont il a dégagé les règles. Au terme de la création, les êtres et les choses se trouvèrent nantis ou gardiens d'un signe, ou d'un groupe de signes qu'ils matérialisent, perpétuent et diffusent à travers le temps, de par leur existence, leur vie et leur continuité, fruits de la reproduction et de la multiplication. Comme les signes fondamentaux de la création constituent le « fondement et la semence de la connaissance », chaque créature détient par conséquent une parcelle de cette connaissance. « Ainsi, l'oiseau sait voler, le poisson nager, le serpent ramper, la chauvesouris, avec ses petits yeux myopes, attraper les moustiques dans l'obscurité, etc., etc. » Mais la connaissance infaillible des « signes » sacrés n'a été donnée qu'à Faro 1 , auxiliaire de la création et moniteur de l'univers. Et cette connaissance, comme toute chose existante, a deux natures, l'une visible, palpable, concrète, et l'autre cachée, secrète, intime, profonde, abstraite. Faro enseigna ces deux aspects de la connaissance à deux de ses élus, futurs patrons du Komo, l'hyène et le vautour, les plus assidus, les plus attentifs et les plus respectueux des commentaires de leur éducateur sur la création, son origine ; sur la « traversée et la fin du monde » (le déroulement et la fin des temps) ; sur la vie et la mort ; autant de choses que recèlent les signes et qui font partie du pouvoir illimité de Dieu. L'hyène, selon les mythes, aimait à barboter et à pêcher, dans la mare sacrée de Faro, le savoir dont les signes, dans l'eau, sont matérialisés par les différentes parties de la fleur du nénuphar ; d'où son nom kg mç sûrûkû 2, « barboteuse qui pêche [dans] la mare », nom qui fut donné à la société elle-même. Très craintive, et inoffensive bien que Carnivore, puisqu'elle ne se nourrit normalement que de charogne — ce qui est signe d'innocence — , l'hyène est, pour le Bambara, un animal doué d'un flair et d'une prescience infaillibles. Elle détient la « connaissance noire » : « l'obscurité [c'est-à-dire le mystère] n'a aucun secret pour elle ». Animal nocturne vivant dans les terriers, son nom est constamment associé à la nuit, la nuit qui abrite les amours ; au secret, le secret des maternités ; à tous les cultes et travaux de la terre (rites de fertilité et d'abondance, chants et danses de culture). L'hyène est la gardienne de la vie sur la Terre. 1. Faro chez les Bambara et les Malinké, Nommo chez les Dogon, moniteur de l'univers, est aussi sur la Terre le « maître de l'eau ». 2. De kçô, « mare », mç, « pêcher », et sûrûkû, « barboter, remuer » ; sûrûkû est l'un des multiples jionjs de l'hyène mythique.

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Si l'hyène est souvent présentée comme naïve, maladroite, faisant fi des contingences, ces traits de caractère — accusés dans les contes populaires où elle est en butte, notamment, aux ruses et aux trahisons du lièvre 1 — sont, en réalité, typiques des « gens du savoir » qui sont toujours désintéressés. Sur le plan de l'initiation, ces traits de caractère sont mis en relation avec la science qu'elle détient, laquelle est inhérente aux conditions mêmes de la vie sur la Terre. Quant au vautour, l'oiseau du ciel, l'oiseau diurne, qui se nourrit lui aussi de charogne et qui est également inoñensif, il est le détenteur de la « connaissance blanche », la connaissance claire, la connaissance céleste. Son nom est indissociable de la divination dont les matériaux et les signes sont dits : ailes, pattes et tête du « vautour royal », duga mdsd ; considéré comme le plus imposant des oiseaux, il est le patron de la royauté, de la guerre, de la chasse 2 et plus précisément encore de la prêtrise et de la mort. D'où la gravité naturelle qu'on lui reconnaît et son détachement, voire même son insensibilité aux vicissitudes de la vie terrestre. C'est sous le patronage de ces deux animaux, l'hyène et le vautour, que sera placé le culte du Komo. Ce dernier deviendra de ce fait, le dépositaire des « vraies valeurs, » des « vrais signes » et de la totalité du savoir. Mais, « il n'y a pas de petite chose sans propriétaire, a fortiori cette grande chose dont le nom est savoir » 3 . Celui-ci échut au forgeron mythique, lui aussi élève assidu de Faro. En effet, l'homme, dernier-né des créatures de Dieu, outre la pensée et la réflexion, reçut deux facultés, la parole, kúmá, et l'autorité, mara, qui lui permirent, l'une de s'adresser à Dieu, l'autre de commander aux autres créatures. Ainsi, il s'appropria l'univers. Il ne put le faire cependant que grâce à sa soumission au Dieu créateur, par le culte qu'il lui consacra. Le promoteur de ce culte fut le forgeron, et le premier autel élevé en hommage à Dieu fut l'enclume faite, aux origines, d'un aérolithe. Celle-ci constitua le principal autel des cultes du Komo dont le forgeron fut le premier prêtre. C'est pourquoi on 1. Il faut bien comprendre que l'ironie que suscitent les réactions de l'hyène et les situations dans lesquelles elle se place elle-même, se situe, dans les contes, au niveau des relations de « parenté à plaisanterie », et particulièrement de celles qui unissent les petits-fils à leurs grands-pères {cf. infra, p. 261). Le lièvre, lui, dans ces mêmes contes, est le doublet ou le témoin du renard, kúgó wuluni, avatar de Pemba. Dans son ouvrage sur les sociétés initiatiques bambara, D. Zahan souligne le rôle initiatique de la hyène dans le Komo {op. cit., p. 81 et 337 notamment). Voir également infra, p. 37. 2. Cf. Y . Cissé, op. cit., p. 205, 225. 3. ni tyiini tigi ntâ tç, scikô ni nyçkç /f bâ, mí t(¡kq yê dçni.

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dit : « Tout sacrifice [ou toute soumission] à l'autel [enclume] est [à la] gloire de Dieu » 1 . Le culte du Komo et des autres institutions bambara, notamment le N'domo, le Kono, le Nama, le Korè, gravite autour de ces quatre personnalités mythiques et tend vers un seul but, glorifier Dieu, le « maître de tout », bçmi. Le rôle fondamental du forgeron et le symbolisme attaché à l'enclume au sein des ethnies d'Afrique occidentale que nous avons étudiées, seront évoqués plusieurs fois dans cet ouvrage. Le parallélisme établi entre la science des animaux patrons du Komo et celle du forgeron trouve sa réplique au niveau d'une croyance populaire dont elle éclaire le sens : « Le forgeron [doué comme Faro du don d'ubiquité] peut se transformer en hyène [pour effectuer certains rites ou échapper à un danger] s'il le juge nécessaire ». L'œuvre maîtresse du forgeron — soit la détection et l'extraction de la terre du minerai qui est ensuite transformé dans le haut fourneau — est ici assimilée à la « connaissance chtonienne » de l'hyène 2. Dans la société du Korè, le kçrç iûgâ, « vautour du Korè » tenant de la « connaissance céleste », assume vis-à-vis du vautour un rôle parallèle à celui du forgeron vis-à-vis de l'hyène 3. Une remarque s'impose ici qui rejoint le point de vue historique évoqué au début de ce chapitre. Dans la version publiée par C. Monteil sur l'origine des Soninké et la fondation de l'empire du Ghana, le texte mentionne les faits suivants : Dinga, l'ancêtre des Sarakollé, avait, lors de ses pérégrinations d'est en ouest jusqu'à Yuri (près de Nioro, au Mali) en passant par Djenné et Dyaraba, Dya ba ou Dya 4, une suite composée comme suit : « Cent filles, qui pilaient le mil pour la nourriture de ses idoles ; Cent garçonnets, qui plumaient les poulets destinés aux dites idoles ; Cent vieilles femmes, qui préparaient le repas des idoles » ;

puis venaient : « Une hyène, qui avait une patte de derrière blanche ; Une hyène, qui avait une patte de derrière noire ; Un oiseau messager de la brousse ; Une cigogne annonciatrice de la saison des pluies ; Un chien nommé ' gros nombril ' ; Un ' oiseau-sorcier ', yelengu gotte, qui faisait tonner en levant la tête et éclater [la tornade en la baissant » 5. 1. dyo bç yê md tdnû yê. Voir notamment G. Dieterlen, « Contribution à l'étude des forgerons en Afrique occidentale », p. 5-28. 2. Cf. supra, p. 26. 3. Cf. infra, p. 263. 4. Ces deux métropoles soudanaises, considérées comme « villes sacrées », sont, avec Souwan, situées au sud-ouest de Djenné, les premiers sites historiques occupés par les Soninké. 5. Cf. C. Monteil, « La légende du Ouagadou et l'origine des Soninké », p. 369,

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Plus tard les « enfants », les descendants de Dinga, à la recherche d'une résidence sûre, celle-là même qui deviendra la capitale de l'empire de Ghana, auront recours à la clairvoyance, à l'omniscience « d'une très vieille hyène » et « d'un charognard beaucoup plus vieux que cette hyène » pour leur indiquer le lieu propice 1 . L'hyène et le vautour apparaissent nettement dans les différentes versions de la légende de Ouagadou — et dans bien d'autres récits que nous publierons ultérieurement — comme les meilleurs agents et les témoins les plus éminents de la connaissance traditionnelle qui relève de l'initiation. De plus, le patriarche Dinga portait luimême jusqu'à l'étape de Dya, le titre de « chef des forgerons » 2 . Au vautour et à l'hyène sont attribués un statut et un rôle comparables au sein de toutes les sociétés initiatiques bambara, notamment au sein du Komo, exposés dans les pages qui suivent. Ils apparaissent clairement dans les analyses que D. Zahan a consacrées aux deux classes les plus importantes du Korè qui portent le nom de ces animaux : les kçrç dúgáw et les súrúkúw, c'est-à-dire « les vautours du Korè » et « les hyènes » 3 . Institution religieuse et société d'initiation et d'éducation, le 370 et 383 sq. Dans la version que nous avons recueillie auprès des notables sarakollé et qui est, à peu de chose près, identique à celle de C. Monteil, la suite de Dinga est : 1) Dans les airs, et loin devant le cortège, le vautour sacré appelé màwlà duga. 2) Au sol, suivant ledit vautour grâce à l'ombre de ce dernier, une hyène noire et huppée, dite dya turu fi, dont les pattes étaient blanches aux extrémités. 3) Le « renard pâle » dit « chien de brousse », kûgô wuluni, « placé à mi-chemin entre la brousse et le village », c'est-à-dire assurant le relai entre les hommes et leurs guides, le vautour et l'hyène. 4) Auprès du patriarche Dinga et de ses compagnons, un chien noir aux yeux rouges, dâ fï wûlû, qui révélait à son maître les messages en provenance de la brousse. 5) Fermant la marche, une hyène blanche et huppée, appelée dyaa bd, maa dyaa ou mà dyç, dont les pattes étaient noires aux extrémités. 6) Enfin, sous la terre, Bida, le serpent mythique noir aux écailles d'or, qui, le jour, étirait ses anneaux d'un bout à l'autre du cortège, et, la nuit, décrivait un grand cercle à l'intérieur duquel Dinga et ses hommes étaient à l'abri de toute mésaventure. Selon cette version, Dinga qui était « maître ou prêtre forgeron », numu mdsâ, possédait de nombreux chevaux chargés de minerais de toutes sortes. 1. Cf. ibid., p. 377, 378, 388 sq. 2. Cf. ibid., p. 372, n. 1 : « Suivant Tudo, jusqu'à son départ de Dyara-Ba (Masina), on donnait à Dinga le titre de Taga-du-n-kana, ' le chef (kana) de chez (du) les forgerons (taga) '. A partir de Dyara-Ba (Masina), on le surnomma Suruna. Ses descendants, quels qu'ils soient, sont très honorés d'être salués Suruna, et certains d'entre eux se considèrent et sont même considérés comme dépositaires du fameux pouvoir de régler la pluie ». 3. Cf. D. Zahan, op. cit., p. 155-179 et 183-193.

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Komo est aussi un ordre solidement structuré et hiérarchisé. Il possède, outre les signes sacrés qui sont des valeurs abstraites, des biens immeubles et meubles, ainsi qu'un trésor. Comme nous le verrons ci-dessous, ces biens matériels, par leur symbolisme et leur rôle, sont également sacrés, car chacun d'eux représente soit l'un des 266 signes, soit un aspect de ces signes ou des objets (au sens large) qu'ils désignent ou évoquent.

I . ORGANISATION E T STRUCTURE DU

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Les membres de la société du Komo sont répartis en quatre grands groupes fonctionnels associés symboliquement aux quatre éléments de base (air, feu, eau et terre). Ces groupes sont placés sous l'autorité d'un chef, le kçmç tigi, généralement un forgeron qui, dans les mythes et croyances bambara, est le « premier prêtre de l'univers » pour avoir été le promoteur du culte du Dieu-créateur 1 et, partant, du Komo. Le kçmç tigi est donc un prêtre : à ce titre, sa première fonction est de conserver les valeurs spirituelles et morales de la société que représentent les 266 signes sacrés fondamentaux. Il est le gardien d'une planchette de bois peinte sur laquelle ces signes sont gravés au feu, dite : « grande planchette », ti walâ bd, ou « planchette des grands signes », ti bd wdlâ, qui fait l'objet d'interdits rigoureux 2. Cet objet ne peut être manipulé que par lui ; nul ne peut le voir, à l'exception des initiés des plus hauts grades et seulement dans des cas exceptionnels. Les responsabilités du chef de Komo sont considérables. Il est le gardien d'autels qui, comme nous le verrons plus loin, contiennent toutes les forces spirituelles de la société ; il est seul habilité à donner des ordres relatifs à leur manipulation et à l'exécution des sacrifices et des rites dont ils sont l'objet. Il gère le patrimoine du groupe (grains et espèces) qui est placé dans des greniers à mil ou à cauris et sur lequel il peut prélever, en cas de nécessité, de quoi consentir des prêts à intérêts aux sociétaires qui en font la demande. Sur le plan juridique, il est responsable de l'observance des règles laada 3 du Komo, qui ont valeur de « lois » et que doivent strictement respecter tous les membres de la société sans exception. Il doit faire punir les contrevenants et faire procéder aux « exécutions rituelles » 1. Cf. infra, p. 207. 2. Cf. « Biens meubles du Komo », infra, p. 41. 3. laada, litt. : « faire coucher », c'est-à-dire « établir en permanence ». Sur les règles du Komo, cf. infra, p. 251 sq. ; un exemple de l'exécution des coupables est donné dans G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 163.

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(toujours décidées par l'ensemble des membres du groupe) de « ceux qui abandonneraient le chemin de la race de leurs pères » c ' e s t - à dire qui enfreindraient les lois ancestrales. Du fait de ses responsabilités, le chef du Komo est « tenu de respecter un grand nombre d'interdits : il ne peut notamment pénétrer dans le sanctuaire s'il n'est pas chaste depuis vint-quatre heures. Si l'interdit est rompu, il lui faut prévenir les hommes de sa promotion et égorger deux coqs sur les autels pour se purifier. Sa femme est initiée (car vivant dans l'intimité du chef elle est susceptible d'apercevoir certains objets rituels généralement cachés aux femmes), mais elle n'assiste à aucune des cérémonies où seuls les sociétaires sont admis. Elle ne peut commettre d'adultère sans provoquer l'exclusion de son mari non seulement comme chef mais comme membre de la société ». « La fonction, honorifique et avantageuse à bien des points de vue, comporte, plus encore que des droits, des devoirs auxquels le chef ne peut se soustraire : il ne doit en aucun cas abuser de son pouvoir ; il ne peut prendre aucune décision sans l'accord des sociétaires, ni même agir, dans les affaires les plus minimes, à l'insu d'un seul d'entre eux. Chacun est tenu au courant des moindres détails concernant l'activité générale du Komo et chaque promotion doit, dans son entier, être prévenue au même moment. Contrevenir à ces règles serait s'exposer aux plus grands dangers. Tout comme un chef de famille indivise dont le pouvoir est loin d'être absolu, le responsable doit exercer son office avec rigueur, honnêteté et pondération. Le chef est assisté de deux vieillards appartenant à sa promotion et dont il prend conseil dans tous les cas qui intéressent la communauté. De plus, il est toujours secondé par de jeunes initiés. » 2 La fonction est héréditaire si le chef est un forgeron, ce qui est le plus souvent le cas. S'il n'en est pas ainsi, un successeur doit être désigné par les initiés les plus anciens 3 . Chacun des quatre groupes du Komo —- à l'exception du deuxième — rassemble tous les initiés, donc tous les circoncis d'un même septennat, l'appartenance à un groupe étant automatiquement déterminée par la cérémonie anniversaire du Komo. Mais la progression d'un groupe à un autre, qui a par conséquent lieu à la cérémonie suivante, soit tous les sept ans, se fait dans l'ordre 4-3-1-2 : elle obéit donc à l'ordre de succession des classes d'âge (voir tableau ci-dessous) 1. 2. 3. tion

minûw yé u fa Sya slrá bla. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 143, 144. Nous apportons un correctif aux informations consignées p. 143 : la foncde chef du Komo n'est pas toujours héréditaire.

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et non aux raisons que nous exposons en commentant les fonctions et attributs de chacun des groupes, qui placent les wdrâ dd en tête du système. N° d'ordre du groupe

Âge d'admission

dans le groupe

Âge de sortie du groupe

21 à 27 ans accomplis

28 à 34 ans accomplis

28 à 34



35 à

42 à 48



49 ans et plus *

35 à



42 à 49 ans accomplis

41

41



* Passé 49 ans on reste à vie membre du groupe.

Du point de vue des âges, nous donnons ici ceux qui étaient autrefois en vigueur, la circoncision intervenant alors pour des individus ayant atteint leur vingtième année. « Il y a 25 ans environ, disent les vieillards, dans la plupart des régions du Mali, les circoncis avaient dépassé l'âge de la puberté et en portaient les signes, barbe et moustache notamment ; c'était des hommes mûrs [physiologiquement], tyç k^kçlêw

tù do.

»1

Aujourd'hui la circoncision est effectuée beaucoup plus tôt, entre 10 et 15 ans en général ; il semble que les circoncis, qui sont réellement admis au Komo à la sortie de leur retraite, ne partagent pas effectivement et d'emblée la vie des groupes, et n'ont en tout cas pas accès à l'enseignement dispensé par la société. Nous avons été frappés par ce fait dans maints villages où les adolescents organisaient des veillées ou des réjouissances au moment même où, à l'autre extrémité de l'agglomération, les membres du Komo, les vrais, tenaient leurs assemblées. Chaque groupe du Komo a ses emblèmes et ses fonctions : i ° La « bouche du fauve » (l'hyène mythique), wdrâ dd. Placé d'une part sous le signe du « vent qui disperse la parole, et partant le savoir », et d'autre part sous l'autorité et la responsabilité morale du sacrificateur, muru kdld tigi du Komo, ce groupe rassemble tous les instrumentistes de la société, fççU kçldw, « ceux qui disent », diffusent la « parole du maître », ma kûmd, le message divin. A la tête de ces messagers se trouve le danseur masqué, c'est-àdire le médium du Komo, et qui, pour cette raison, est appelé kçmç, ou « bouche du fauve », wdrd dd, ou « celui qui porte la charge du Komo », kçmç donibd, ou « celui qui [détient] la connaissance du Komo », kçmç donibd, etc. 1. Le qualificatif kçkç de cette expression s'applique également aux fruits encore verts mais physiologiquement mûrs.

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Viennent ensuite : l'interprète du Komo, dit « voix du fauve », wdrd kâ, « voix du Komo », kçmç kâ, « qui répond à la bouche ou à la voix du K o m o », kçmç dd-laminé ou kçmç kâ-nâminé, etc. ; le chantre ou panégyriste du Komo, komo dyéli ou kçmç bâlimâli kçld ; et enfin « [ceux qui détiennent] le pouvoir du Komo », kçmç sé, et qui sont représentés par les initiés chargés, lors des grandes cérémonies, de fouler le sol à l'aide de lourdes dames 1 , dites « pieds du Komo », kçmç sê, ou « pattes d'éléphants », sama sê, et par métaphore « pouvoir du maître du ciel », sdmd sé. Sous l'autorité et suivant les ordres du kçmç tigî et du sacrificateur, le groupe a la charge de la manipulation, de la surveillance et de l'entretien des objets sacrés du culte : le masque et la tunique du danseur, c'est-à-dire du médium, les autels portatifs, bôliw, et les instruments de musique 2. C'est la raison pour laquelle il est placé en tête de la présente structure fonctionnelle du Komo, bien que ses membres, dont l'âge moyen est de 42 ans, se situent, sur le plan des classes d'âge, après le groupe des « grands-prêtres », dyalè fdw. 2° Les « pères du petit double » (le double de l'âme consciente, encore appelé « double main », dya ni kekù), dya le fdw. Ce groupe comprend, d'une part le collège des dignitaires du Komo, des vieillards détenteurs du savoir dits « ceux qui ont atteint 60 ans », ou « porteurs de bonnets blancs », bref les grands-prêtres chargés de l'initiation des jeunes et de l'enseignement des adultes ; et d'autre part tous les hommes d'environ 49 ans, âge auquel on accède en général aux derniers échelons de l'initiation, et en tout cas à la « plénitude vitale », car, dit-on, « l'homme se remplit de son âme à 7 fois 7 ans » 3 . Le groupe a pour signe le feu, symbole de l'acuité, de la pénétration d'esprit des grands-prêtres que l'on nomme aussi « les âmes ardentes », nyâ kdraw, et qui ont à leur tête le chef du K o m o lui-même. On conviendra qu'il s'agit là en réalité du premier groupe, celui dont les membres président aux destinées de l'association.

1. Cf. « Biens meubles du Komo », infra, p. 44. 2. Il est à noter que les autels bôliw (qui reçoivent des sacrifices sanglants) sont considérés comme étant la matérialisation vivante, et le son des instruments de musique comme la force dynamique des signes divins de la création. Cf. « Biens meubles du Komo », infra, p. 41 sq. 3. tyç bi fd a ni nd a sâ wôléfla sigi yçrçmd wôlÔfld. Le nombre 49 pour le Bambara, tout comme pour le Malinké, est le « grand moment » du cycle antique du Mandé, 77, M wôléfla ni wôlôfld, ou mani kçmç dni td ni wôlâfld. E. Leynaud voit dans ce nombre « le système calendaire de l'année longue », cette « année » de la vieille religion mandingue qui détermine le rythme de la réfection du kdmdblé de Kangaba « et celui du baptême des classes d'âge » (cf. « Fraternités d'âge et sociétés de culture dans la haute vallée du Niger », p. 47). 3

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3° Les « enfants du Komo », kgrnç dêw. Ce groupe a pour signe l'eau, « l'eau ruisselante ou roulante », kolô kolo dyi, que rien ne saurait arrêter ; il constitue la force vive de la société, car ses membres sont « ceux qui n'ont assisté qu'à une cérémonie septennale du Komo », c'est-àdire des jeunes hommes dans toute la fleur de l'âge : ils ont en moyenne 35 ans. Leur chef est généralement un jeune forgeron qui veille discrètement, mais efficacement, à ce que ses compagnons ne foulent pas aux pieds les lois du Komo, car, dit-on, « si l'âge de l'homme atteint un certain point, il [l'homme] rompt tous ses interdits » 1 . Le groupe est chargé de l'entretien et surtout de la « surveillance » des champs collectifs du Komo. Mais certains de ses membres sont parfois maintenus dans les sociétés de culture où ils jouent alors le rôle d'animateurs et aussi d'initiateurs auprès de leurs cadets. 4° Les « enfants de l'abaissement », bri dêw, c'est-à-dire ceux qui font annuellement acte de soumission au Komo en se prosternant jusqu'à terre devant l'autel de Dieu, kdrd, érigé dans la cour du sanctuaire, puis en prêtant serment de fidélité en introduisant leur avantbras droit dans la gueule du masque du Komo. C'est le groupe des jeunes initiés, « ceux qui n'ont pas encore assisté à une cérémonie septennale du K o m o », en un mot, la masse des adolescents. Il est placé sous le signe de la terre. C'est pourquoi le travail en général — et en particulier l'agriculture, tyi kç — revient de droit à ses membres. Ceux-ci sont les éléments les plus actifs des sociétés villageoises de culture et de travail, tyi kç tô, ou sâ sçnç t6 2, qui groupent obligatoirement, de nos jours encore, tous les jeunes ruraux, bambara et malinké. Les bri dêw, pour deux raisons essentielles, constituent, dit-on, la « fortune » du Komo. D'abord, parce que, pour les Bambara-Malinké, la « vraie richesse, c'est la progéniture », et l'on ajoute : « Quand on a des enfants, on ne tombe jamais dans l'indigence » 3 , ou encore : « Mieux v a u t procréer un [seul] enfant que d'acheter des esclaves » 4. D'autre part parce que les jeunes postulants dits « enfants du K o m o » sont tenus, au moment de leur initiation, d'offrir des cauris au Komo : ainsi les néophytes contribuent-ils, par leur adhésion et par leur apport en numéraire, au développement de la société et à la prospérité de son trésor. 1. n'kô ni mçkQ SU sêrd ygrç dç mâ, n'kaâ baâ tana bç ty\. 2. Cf. E. Leynaud, op. cit. On lira avec beaucoup d'intérêt cet article qui apporte une documentation complète sur ce sujet qui n'avait été jusque-là qu'abordé par un certain nombre d'observateurs ou de chercheurs. Voir également S. de Ganay, « Le tô, sociétés d'entraide chez les Bambara du Soudan français ».

3. ni dé bii bôlô, i tç dçsç féw. 4. dê wâlô kd fisa ni dyq sâ yê.

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A u terme de ce paragraphe, il convient de souligner que pour chacun des quatre groupes fonctionnels du Komo, on observe quant aux structures un parallélisme avec les classes d'âge, les jlâ bôlo ou flâ kûlu des Bambara, et les kari ou kere des Malinké, qui groupent tous les circoncis d'un même septennat. Sur le plan de l'acquisition des connaissances, chaque participant devra gravir les 33 échelons de l'initiation, c'est-à-dire avoir suivi effectivement l'enseignement successif des 33 classes du K o m o 1 . Seule, on s'en doute, une minorité d'individus satisferont à cette exigence : ils deviendront les vrais maîtres, karamçk^w ou kalâ fdw 2, les vrais initiateurs dyaalè fdw ; les autres membres du K o m o se contentant d'être présents dans leurs groupes respectifs, leur compétence dans des domaines bien précis (pharmacopée, géomancie, astrologie, météorologie, etc., et autrefois guerre pour les chasseurs) leur permettant d'être consultés comme conseillers.

II.

INTERDITS DU

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Tous les K o m o ont en commun les « interdits », tana, suivants : i ° Le fonio rouge, fini ou fûni blé. Pour des raisons mythiques, cette graminée, « la première cultivée par Musokoroni et Pemba, et considérée, par conséquent, comme impure », ne saurait être consommée par un initié qui veut assister aux séances du Komo : il doit, pour ce faire, attendre 40 jours, le « temps que le fonio sorte [disparaisse] de son sang ». 2° Les femmes. Exception faite des épouses de chefs de K o m o qui sont obligatoirement instruites des secrets de la société afin qu'elles puissent en observer les interdits, ou de quelques vieilles forgeronnes réputées pour leur savoir, et qui, de ce fait, deviennent des conseillères du Komo, mais ne participent pas aux assemblées de quelque nature qu'elles soient, aucune femme ne saurait être initiée, ni même voir le Komo. 1. Cf. infra, chapitre m : « Les 33 classes initiatiques du Komo ». 2. kârd mçkçœ ou kdrd maaw, qui désigne les grands-prêtres, signifie « personnes, gens du kârà », l'autel de Dieu ; on rencontre aussi la forme kdrd kçrç maaw, « les gens proches du kdrd », car seuls les grands initiés lors des sacrifices ont le droit d'approcher cet autel. Quant à l'expression kalâ fdw, « pères de l'enseignement », elle est plus particulièrement réservée aux « prêtres instructeurs » ; elle a pour synonyme kalàbâw, maîtres, instructeurs, etc. Il convient de noter que dans le langage courant, karamqkq et kalâbd ont le même sens et désignent tout maître, de quelque discipline qu'il soit.

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3° Les griots. Pour des raisons encore obscures, mais probablement historiques et professionnelles à la fois, les « maîtres de la parole » sont partout écartés du K o m o 1 . 4° Les adultes non circoncis, c'est-à-dire, pour les B a m b a r a , les Bobo, les « gens de la forêt » et les Européens qui ne pratiquent pas la circoncision. Mais un rite spécial est prévu pour permettre leur adhésion s'ils sont admis par les sociétaires : le membre viril d'une statuette de bois taillée au nom du postulant est marqué au fer rouge au niveau du gland, ce qui remplace l'opération exigée pour adhérer au K o m o . Chaque société observe, de plus, les interdits des protecteurs du village où elle réside (dugu ddsiriw et dugu nyanâw). L a cérémonie annuelle, dite « anniversaire du K o m o », comporte un rituel de purification collective destinée à maintenir l'intégrité du K o m o et du groupe.

I I I . L E S BIENS DU KOMO

I° Le bois (sacré) du K o m o , kçmç tû — encore appelé « bois de la blancheur », de la propreté, de la pureté, de la purification, dyçç tû, ou « bois de l'œuf ou de l'appel du K o m o », kçmç kili tû — est généralement situé à l'ouest, mais toujours en dehors du village. A u centre de ce bosquet, dans une clairière dite « berceau du K o m o », « intérieur du ciel », se dresse un tertre — souvent aménagé et désherbé annuellement —• dit « pubis, ou berceau du K o m o », kçmç ti. I l est surmonté d'un autel en pisé de forme phallique, dyo ; encastrée dans le tertre se trouve à ses côtés une poterie, nyanâ, que l'on maintient toujours remplie d'eau, l'ensemble présentant un symbole sexuel précis. Les deux autels représentent respectivement : les principes mâles et femelles affectés à toute chose, le ciel et la terre, la pensée et la réflexion, etc. ; l'ensemble matérialise le principe de la gémelléité dans la complétude de la création. Lors de l'implantation du K o m o dans un village, l'édification du « tertre-berceau » donne lieu à d'importants sacrifices : le village immole i. La plupart des griots sont musulmans depuis plusieurs siècles. On croit savoir que, s'étant convertis à l'islamisme parmi les premiers, ils furent bannis du Komo. C'est le cas, à tout le moins, d'une fraction des Kagoro devenus Kamisoko, et plus tard des Traoré devenus Dyabaté. Le même phénomène a joué dans le passé pour d'autres castes, et notamment les funç kamara, qui membres de la grande famille des prêtres sômd du même nom, se sont convertis à l'islamisme depuis le v m e siècle. Mais, selon les griots eux-mêmes, c'est en raison de leur profession — laquelle exige qu'ils dévoilent publiquement tout ce qu'ils ont vu ou entendu — qu'ils ne sont pas initiés au Komo, dont on ne doit jamais divulguer les secrets.

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autant qu'il peut de taureaux noirs, blancs, rouges et tachetés de noir ou de blanc 1 , de béliers blancs 2, de béliers marqués au front d'une tache blanche ou noire 3. Au début et à la fin des travaux, le chef du Komo-mère de la nouvelle société retrace, par une devise en vingt-deux points 4, la « généalogie du vautour et de l'hyène sacrés », patrons du Komo : 1. màdë duga màsà 6 kçrg 2. màdë sûrûkû màsà 3. àw bçQrd màdë 4. âw sâ kçmç 5. àw mà sa 6. àw musàw mà sa 7. àw dêw mà sa 8. àw mà malo 9. dyigilàtikg kô màaw sçrç 10. nàmurukû 9 11. nâmarakà'1

« Vieux et royal ou divin vautour du Mandé ! Vieille et royale ou divine hyène du Mandé 1 Vous êtes sortis du [vous avez quitté le] Mandé. Vous [aviez] cent ans. Vous n'êtes pas morts. Vos femmes [vos femelles] ne sont pas mortes. Vos enfants [vos petits] ne sont pas morts. Vous [n'avez] pas [eu] honte. [Vous n'avez pas subi d'humiliation.] [Aucune] chose coupant votre espoir ne vous a atteints. [Rien de décevant ne vous est arrivé.] Couteau d'excision ! Couteau de circoncision !

1. De tels taureaux — dits « taureaux du ciel empyrée », sâ kàbà misl —- sont très recherchés des Bambara qui les sacrifient pour célébrer les événements fastes, mais aussi et surtout pour « avoir de la pluie », et cela à cause de leur robe qui rappelle le moutonnement des nuages dans le ciel. 2. Le bélier blanc ou « mouton sacrificiel », s(5 sàkà, ou le « mouton des génies », dyinÇ sàkà, rappelle le premier bélier sacrifié dans le ciel, tout au début de la création, en l'honneur de l'arc-en-ciel dit « grand couteau divin », mâ mûrû bà, résumé parfait de la connaissance (cf. supra, p. 86). 3. Tous les animaux marqués au front sont considérés comme porteurs du « secret [du signe] du ciel » et ont, selon les espèces auxquelles ils appartiennent, des appellations particulières : saàdyo ou sâdyô pour les hippopotames, tyàdyô pour les chevaux, kâdyà (albinos à cheveux blonds ou argentés) pour les hommes... Quant aux ovins à « signes », ils portent le nom de « moutons à étoile ou moutons des étoiles », doolo sàkà. 4. Pour le symbolisme de ce nombre, cf. infra, p. 76 ; cf. également S. de Ganay, « Aspects de mythologie et de symbolique bambara », p. 188-200. 5. Pour màsà qui signifie, étymologiquement parlant, « maître du ciel », il va sans dire que le mot qui le traduit le mieux est divin. Mais dans l'expression duga màsà kfjrç ou sûrûkû màsà ktfrç, l'idée de « chefferie » est celle qui se présente d'abord à l'esprit ; elle n'est pas pour autant prédominante : n'oublions pas que les animaux ici concernés sont avant tout sacrés. 6. De na, « mère », — ici, mère initiale — , « muru, couteau », et ku, « queue, pointe » ; nàmurukû se traduit par « pointe du couteau initial », c'est-à-dire de l'éclair initial considéré comme décrivant une spirale dont le mouvement est tourné vers l'intérieur ; il s'agit ici de la naissance de la pensée. 7. De nâ, « mère », mara, « possession », autorité, et kà, « force », supérieur ; nàmarakà veut dire la « force, l'ascendance de l'autorité initiale » ; il évoque

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12. dyoo mâ-mûrû bâ 1 mûrû ni sâ kçmç 13- dyoo 14. kô taâw kç> 15- kô taâw nyç 16. 1718. 1920. 21. 22.

fô kisi fô SU ani kçnçyd fô hççrç ani baadê 2 fô bonya ani karama

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Grand couteau divin du culte ! Ce couteau de la suite [du cortège] du culte [a] cent ans ! [Ce couteau au service du culte a cent ans.] [Aucune] chose n'est derrière vous. [Rien de mauvais derrière vous.] [Aucune] chose n'est devant vous. [Rien de mauvais devant vous.] Sauf (sinon) la sauvegarde, le salut Sauf la longévité, la [vie éternelle] E t la santé. Sauf la paix. E t la prospérité. Sauf la grandeur E t l'esprit divin [et la magnificence divine] »

Cette devise est récitée à la fois avec emphase et humilité. A la lisière de la clairière, un arbre à feuilles pérennes appelé « arbre du Komo », kçmç dyiri, abrite quatre jarres sacrées daga (ou dagabd ou daa-bd) toujours remplies d'eau additionnée de décoctions de plantes, de pierres de foudre, de métaux, etc. L'eau des jarres est de ce fait de couleurs différentes : elle est dite noire, blanche, rouge et miroitante (ou réfléchissante). Il s'agit là, par ordre de primauté, des couleurs initiales de l'univers, qui elles-mêmes s'associent aux le mouvement vers l'extérieur, le déploiement de la spirale ci-dessus : c'est la réflexion qui fait l'élévation spirituelle de l'homme. ndmurukû et nâmarakâ sont deux très vieux mots malinké que l'on ne rencontre guère que dans les chants initiatiques de chasseurs, et dans la présente devise du vautour et de l'hyène sacrés, patrons de tous les cultes dyow bambara et malinké ; leur sens véritable est inconnu de tous, hormis de quelques vieux prêtres. Nous l'avons vérifié. 1. Cf. infra, p. 86. 2. De bâ, « mère » •— mère originelle —, dê, « enfants », fruits. Ce mot a pour synonymes dyiriwâ ou yiHwd, « qui se développe à l'infini » ; dyildi, « donner de l'eau », fructifier abondamment, devenir prospère. 3. karama •— de kârâ, « cercle le plus grand et le plus parfait désignant l'esprit divin », et md, « maître » — signifie « honorer » dans le langage courant ; il est alors associé à bonya par rapport auquel il est ce que la réflexion est à la pensée, la volonté au désir... a u t a n t de notions qui sont toujours jumelées dans le langage philosophique et religieux bambara. 4. Ce texte a été rapporté en partie par D. Zahan (op. cit., p. 224) qui en donne la traduction suivante, à peu près acceptable : « Le vieux [et] puissant vautour du Mâde, la vieille [et] puissante hyène du Mâde ; ils sont sortis [tous les deux] du Mâde ; leur âge [est de] ' cent-vingt ' ans ; ils ne sont pas morts. Leur femme n'est pas morte, leur enfant n'est pas mort. Ils n'ont [jamais] eu honte ; rien de décevant ne leur est arrivé. Dyo après le couteau, [vivant] a ' cent-vingt ' ans ; rien derrière lui, rien devant lui, sinon la vie, sinon la santé ». Cette formule, selon D. Zahan, est récitée par le prêtre « lors de la confection de l'autel et surtout au moment du remplissage de la poterie placée au sommet ».

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quatre éléments fondamentaux, à savoir la terre, l'eau, le feu et l'air dont l'ordre de primauté se trouve ici volontairement inversé. Le bosquet du Komo, à cause de son caractère sacré, fait l'objet d'une surveillance constante et d'un entretien suivi qui le préserve des incendies de brousse fort nombreux dans la savane en saison sèche. 2° Le sanctuaire ou « maison du Komo », kçmç-sô. C'est un petit édifice en terre battue, pittoresque dans son architecture, et orné de raies et de dessins géométriques noirs, blancs et rouges, symbolisant un stade de l'évolution des signes du glâ, qui sont exécutés chaque année pendant la cérémonie anniversaire du K o m o I l contenait autrefois la « chaîne » sacrée et les cauris, trésor de la société. A quelques mètres du seuil et dans l'axe de la porte, se dresse un autel en pisé de forme ovoïde ou hémisphérique, kârd, « qui préserve, qui protège » ; il porte l'un des noms de Dieu qui connote la « force du ciel », c'est-à-dire la force suprême. Haut parfois de plus d'un mètre, cet autel 2 auquel aucun autre n'est et ne saurait être associé, est toujours édifié sur une jarre ou une poterie contenant, outre de multiples matériaux dont certains sont dits « forts » (aérolithes, pierres de foudre, scories de fer, charbons de bois provenant de la forge, etc.), de l'or en quantité plus ou moins grande selon les Komo. Le kârâ, par son isolement et la forme particulière de sa partie supérieure, est dit « seul à part », a kélê bç a iânâ ; il est de ce fait le symbole de « l'unicité et de la solitude » 3 , la nature inaccessible de Dieu. Par la forme de ses parties supérieure (visible) et inférieure (enfouie sous terre), il représente la pensée et la réflexion divines, ma miiri ni ma tdaSi ; et parallèlement, les principes, l'essence de la masculinité et de la féminité, nécessaires aux réalisations passées et futures. La forme oblongue ou sphérique que constitue l'ensemble de ces deux parties de l'autel matérialise « l'œuf de l'univers », dyç fâ. Les matériaux contenus dans l'autel symbolisent : a) L'or, métal qui ne rouille pas, et qui a donné son nom au mot pureté, sânéyâ, la nature de l'esprit (pensée et réflexion) et du savoir divin ; b) Les autres ingrédients, le contenu de « l'univers — qui est dit — placé dans le pouvoir, l'autorité et le savoir du Tout-Puissant », 1. Cf. infra, p. 257. 2. On croit savoir que cette partie de l'autel est constituée soit par une pierre modelée avec de l'argile, soit par un canari ou une jarre crépis. L'autel kârâ de certains Komo est réduit aux dimensions d'une simple bosse d'argile ne dépassant guère 30 cm de hauteur. 3. Unicité et solitude (divines) se disent toutes deux kelëya, qui dérive du mot kélê, « un », unité.

40

LA

dyi

blalë bç faama

SOCIÉTÉ

D'INITIATION

DU

kd sébadyâ, nad kd mar a, nad kd dqniyd

K0M0 k^nç.

Au sanctuaire de pisé est toujours associée une case ronde dite « hutte du Komo », kçmç bûgû, coiffée d'un toit de chaume. Située soit en bordure de l'aire sacrée du sanctuaire ou du village, soit à la limite des champs proches, elle est, quoique ne comportant qu'une petite porte basse, la réplique du kdmdbô du Mandé 1 . C'est elle qui servait dans le passé d'abri aux autels, masques et autres objets de culte du Komo. C'est par crainte des profanations de plus en plus nombreuses que les objets sacrés du Komo ne sont plus conservés dans les sanctuaires et les huttes, mais chez les chefs et les grands dignitaires de la société. 3° Les champs du Komo, kçmç fóro. La société du Komo est usufruitière de trois champs, certes symboliques, car ils sont de faible superficie, mais très importants par leurs fonctions. — Le premier, appelé « grand champ » (collectif), foro bd, dont la culture est assurée par les membres du Komo, comporte : . Une parcelle de fonio, « graine initiale » qui porte le nom de « petit néant », funi ; . Une parcelle de petit-mil, ou « mil du ciel (atmosphère) », sânyç ; . Une parcelle de maïs, ou « mil du maître (Dieu) », mâ-nyô, ou « mil du ciel (empyrée) », kaba-nyj, ou simplement kaba ; . Et enfin une parcelle de haricot, SQQ. Alors que la récolte de la quatrième parcelle entre dans la préparation des repas communiels de l'anniversaire du Komo, celle des autres est partagée entre les membres de la société, chacun d'eux n'en recevant que quelques poignées. Ces récoltes, appelées « grands grains », kisç-bâ, ou « grains forts », kisç-fàka mA, ou kisç bdrkd mâ, seront mélangées aux semences destinées aux champs familiaux. Au milieu du « champ collectif » est planté un arbre considéré comme purificateur 2. Au moment des récoltes, on placera un rameau de cet arbre sur chacun des autels portatifs, bóliw, de la société. — Le deuxième champ, du nom de « terre privée du Komo », kçmç dugumani, est cultivé par le chef du Komo lui-même. Il est semé exclusivement de petit-mil, ou « mil du ciel (atmosphère) » dont la récolte, conservée en épis sur le toit du sanctuaire du Komo, servira à la préparation des bouillies et bières cérémonielles. — Le troisième champ, dit « champ de case », só-fóró, par opposition aux deux premiers qui voisinent toujours le bois sacré, est situé 1. Sur les rapports entre le culte du Komo et les cérémonies septennales de Kaaba (Kangaba), cf. infra, p. 307 sq. 2. Généralement un nguna ou un ntoro.

C -

c.

kû « tête », la cause, la raison, le pourquoi des choses.

FIG.

2

d.

sirâ hélé bd yçrç, « lieu où finit [se termine] l'unique chemin », ou ko bç « le dessous », le sens, l'explication de toutes choses.

Souvent nommés « Marka » dans diverses régions du Mali. 5

66

LA

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D'INITIATION

DU

KOMO

L e dernier segment fait de quatre traits horizontaux préfigure la réalisation des quatre éléments fondamentaux et des quatre points cardinaux.

FIG.

3.

La voie unique ( variante ).

L e dessin, modifié et adopté par les B a m b a r a (Fig. 3), se décompose comme suit :

»

A-

F I G . 3 a. dyu, « fondement » (même sens que précédemment).

F I G . 3 b. kû, « tête » (même sens que précédemment).

Mais ici ces deux parties s'interpénétrent tout comme « la pensée et la réflexion » divines.

•;.»«», V

:

3 c. wôlô sô.

FIG.

3 d. walâ dà,.

FIG.

LES

SIGNES

67

FIG.

3 e.

sird kélê bâ yçrç. 3e, 3d> 3e ont le même sens que dans le dessin précédent. I l c o n v i e n d r a i t d e r a p p r o c h e r l a d é c o m p o s i t i o n de c e t t e figure 1 d e s 7 p o i n t s d e l a p r o f e s s i o n de f o i d u K o m o q u ' o n a p p e l l e « l a l o u a n g e d u m a î t r e », mâ tdnû 2 . S o m m e s - n o u s l à e n p r é s e n c e d ' u n s y m b o l e d u kârd, l ' a u t e l d e D i e u , d o n t l a c o n f i g u r a t i o n d u p r e m i e r d e s s i n rappelle la forme ovoïde ? Il y a t o u t lieu de le croire. Q u a n t à la conception des signes par et dans l'esprit divin, laquelle s u i t le m ê m e s c h é m a q u e l e t r a c é d e l ' u n i v e r s , elle se r é s u m e c o m m e suit : 1. L a « sortie », bç ou bççli : les signes « sortent », apparaissent, se présentent à l'esprit divin. 2. « L'émergence », sûrâni ou sçrgni : ils font irruption dans cet esprit sous forme de « boule », kuru. 3. L a « dispersion » ou le « jaillissement », nyâni : c'est le stade de la différenciation et de la dispersion des signes dans l'esprit de Dieu. 4. Le « tournoiement », mini-mini : équivaut à la rotation des signes dans l'esprit divin. 5. L a « voix du maître ou de l'étonnant », c'est-à-dire de Dieu, mâ kâ : c'est le bruit de l'éclatement des signes qui s'est produit sous l'action de l'éclair, yélêgû, de l'esprit divin et s'est transformé en un immense murmure, yuyu-yufjû bd, que rappelle « la voix [ou le bruit] de notre parole intérieure », â kçnç nd kûmd kâ, c'est-à-dire les paroles de notre conscience. 6. Le « calme ou la trêve divine », mâ dâ : tout se calme dans l'esprit divin, qui alors se « refroidit », ou se rafraîchit, mdsûmd. 7. L a « révélation » ou la naissance, bâgi, correspond au terme de la conception des signes de la création dans l'esprit divin. 1. Selon notre informateur Moussa Woulalé, de Pélenguéna : « Les Bozo et les Peul ont des tableaux du même genre. Celui des Peul serait néanmoins totalement différent quant au tracé du dessin ». 2. Cf. supra, p. 18.

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LA

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D'INITIATION

DU

KOMO

A la création du monde dans l'esprit divin, tracé de l'univers et conception des signes, succède la « création réelle », dâni ou dâli yçrç-yçrç. Celle-ci aura également lieu en 7 étapes correspondant respectivement à la « naissance », bigini

ou bâgili :

1. 2. 3. 4. 5.

Des « choses abstraites », kow, ou des « actes », wâléw ; Des « choses concrètes » ou des actes accomplis, f£w ou kç-wâléw ; Des sept cieux empyrées et atmosphères, kaba kôlô wôléflâ ni sd kôlô wôlé-flâ ; Des sept terres ; Des plantes qui vont de la plus petite des plantes, la mousse à la plus grande d'entre elles, le baobab ; 6. Des animaux qui vont du plus petit des insectes à l'éléphant ; 7. E t enfin des personnes qui vont du lutin au géant, « fantôme de la nuit ».

C'est au niveau de la première étape, « la naissance des choses abstraites », que se situe la réalisation des signes sacrés qui sont à la base de celle de l'univers, en six autres étapes. Les signes conçus par Dieu furent créés à partir du néant. Leur réalisation progressive, selon un processus dynamique, fait l'objet d'un système génétique, le glà. Le glâ décrit le stade intemporel et primordial qui a précédé les étapes de la création. Le mot glâ connote les idées de mouvement, d'éveil, de réveil, de résurrection : glà est le principe du mouvement universel interne du cosmos et de tout ce qui le compose. D'autre part, le terme implique l'idée que « la création est continue dès le moment de son élaboration et perpétuellement entretenue dans toutes choses en même temps que dans l'univers considéré comme un tout ». Ce système très élaboré a fait l'objet d'une publication à laquelle nous renvoyons le lecteur 1 . Nous en donnons ci-dessous un résumé qui fait apparaître tout d'abord clairement la réalisation des quatre éléments de base de l'univers tangible, dy§ ti naâni.

Le déroulement de la genèse des signes rappelle celui de leur conception dans l'esprit divin. Les étapes procèdent d'une position initiale des signes, alors dits « en boule », ti kurumâ, c'est-à-dire groupés et non différenciés dans l'esprit ou le sein de Dieu : 1. bç kd dé, « sortir et entrer ». Les signes conçus par l'esprit divin « sortent de Dieu » (quittent Dieu) pour « entrer » (pénétrer) dans le néant originel, fû ftflç, dont la forme et les limites correspondaient à celles de notre univers tel que nous le voyons, et le pensons intérieurement. 2. sûrâni ou s$r§ni, « l'émergence ». C'est le mouvement éruptif des « signes en boule » qui, mus par la « force » divine, brisent l'uniformité, l'équilibre

1. Cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 2 et 3. Ce commentaire nécessite une rectification sur un point particulier, due aux informations recueillies depuis cette parution : le glâ ne désigne pas le vide, fû, mais l'étape de la réalisation des signes dans ce vide, le néant.

LES

SIGNES

69

et le calme qui caractérisaient le néant et créent la « vibration initiale »,

yçrç-yçr£li gdlé.

3. yçrçkçll ou dyÇsçni, « la dispersion ». Les signes se séparent puis se dispersent toujours au sein du néant en provoquant un « grand vent » dit « dispersion ou jaillissement du néant ». Grâce à ce vent, la « semence de toutes les choses abstraites et concrètes se dissémina dans l'univers ». 4. mini-mini, « le tournoiement ». Sous l'action de la force des signes le « grand vent » se transforme en tourbillon fúnú-fúnú ; tout tourne alors dans le néant, s'entrelace, s'interpénétre, devient un « filet lourd » (un réseau dense), mais invisible, dyç, dont « la boule-œil », nyç kúrú (les nœuds) représente le secret de la création, dáli dyo 2. 5. màkâ, « le bruit ». Les différents éléments, notamment les signes et les « grains de vent » contenus dans le tourbillon, en s'entrechoquant produisent une formidable illumination, yélêgù bâ, et un « grand feu », tâ bâ, avant d'éclater dans un vacarme apocalyptique suivi d'un immense roulement. 6. madá ni masúmá, « le calme », le repos et le ralentissement, le refroidissement. L'univers, en retrouvant son calme, se refroidit progressivement et se remplit de particules d'eau denses, formant le brouillard, bûgâ, qui préfigure la multiplication des êtres et des choses. 7. bdgi, « la révélation », la naissance, l'apparition. Les particules d'eau, sous l'action du feu qu'elles couvent, se dissipent et font place à des particules de terre.

La « naissance » de cet élément marque le terme du processus de transformation des 266 signes de la création, signes premiers que les hommes découvriront au cours de leur vie sur la Terre, et de la réalisation des éléments fondamentaux : l'air, le feu, l'eau et la terre que recèleront nécessairement tous les êtres, toutes les choses. Les signes, qui sont sacrés, sont reproduits sur une série de tableaux, ti wàlâ, également sacrés, exécutés le plus souvent sur des planchettes de bois qui sont conservées dans le sanctuaire par les chefs du Komo, ou encore dans leur demeure. Quatre d'entre eux concernent la genèse des signes, leur réalisation, leur répartition dans l'espace ; il nous a paru opportun d'en illustrer l'introduction à la série proprement dite en apportant ici les compléments aux commentaires qui avaient déjà été publiés pour les trois premiers. En effet, ces tableaux ont des répliques, sous des formes concrètes mais symboliques, dans le matériel de la société du Komo. Les trois premiers 3 illustrent les représentations associées au mythe du glâ glâ : 1. Nous mentionnerons pour chaque signe, dans la mesure de l'information recueillie, son origine, les considérations de temps et de lieu associées à sa découverte.

2. £>g bi múnú-múnú dyÇ ká káldzó-káldzó, ká do nyúwd ná, ká kç dyç grï yé, mí nyg-kúrú yé dy£ güdo y¿. 3. Ces trois tableaux ont été relevés en 1949 par notre informateur chez le chef du Komo de Yérébougou.

70

LA

FIG.

SOCIÉTÉ

D'INITIATION

6. — Le già zó,

DU

K0M0

LES

SIGNES

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— Le « glâ unique » (Fig. 4), glâ kélê, figure les signes à peine esquissés pour démontrer que « la création du glâ est dans l'invisible, le non réalisé » 1 . Il symbolise l'unité originelle des signes qui furent d'abord liés entre eux, créés « en boule » selon l'expression bambara. La graphie évoque le masque du Komo : on dit aussi « tête (kû) du Komo » ; ce terme souligne l'origine, le commencement des signes, comme aussi la raison qui a présidé à leur réalisation. — Le « glâ dya » (Fig. 5) est fait de traits horizontaux ou verticaux doubles [dya) ou témoins des signes inscrits dans un dessin en forme de pied humain 2. Il est dit aussi glâ nyâ et connote à la fois la première réalisation des signes. Les bandes blanches et noires alternées de la tunique des chefs de certains Komo 3 rappellent les tracés internes de la figure. — Le « glâ zô » (Fig. 6) : glâ est divisé en sept cases (un carré au centre et deux fois trois secteurs latéraux) dans lesquelles sont gravés clairement les 266 idéogrammes. Au milieu du carré central, un ovale contenant six signes, témoins de ceux qui seront les vecteurs de chaque nom du Komo, représente à la fois « l'œuf du monde » et yoô, « voix créatrice » 4 ; le tableau présente donc dans le sein du néant originel, les 266 signes définitivement différenciés, classés et près de se disperser dans l'univers qui va être réalisé. La houppelande du masque du Komo, sur laquelle sont collées des plumes, ou fixés des objets, et la tunique du kçrç dûgd sont les pendants de ce tableau 5. — Le quatrième, dit « grand tableau des signes » (Fig. 7, p. 72-73), ti walâ bd, représente la répartition des signes dans l'espace à la fin de la création ; il est de ce fait orienté, contrairement aux trois premiers. Ce tableau est l'image du ciel étoilé en général et la Voie lactée en particulier, les étoiles étant les témoins des « signes ». Il est exécuté chaque année lors de la cérémonie anniversaire du Komo, et lors du décès du chef de la société sur l'emplacement où sera creusée sa tombe. On trace parallèlement, pour d'autres occasions rituelles, et notamment dans le village, son pendant, le « tableau des signes de la terre », dugu walâ ti, tableau dans lequel les signes sont différemment orientés. 1. Cf. G. Dieterlen, « Signes d'écriture bambara », in Signes graphiques soudanais, p. 38. 2. Ibid., p. 38 et n. 1. 3. Cf. P L . I V . 4. Cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 5. Sur les six signes centraux, cf. infra, p. 79. 5. Cf. infra, p. 299 et 300. On trouvera en annexe la répartition des signes par rapport aux quatre éléments.

FIG. 7. — Le gran tab

"Sfe

M

> JEL - TV* S©

ran tableau des signes.



LA

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SOCIÉTÉ

MORPHOLOGIE

DES

D'INITIATION

DU

KOMO

SIGNES

« Toutes les choses créées, disent les Bambara, recèlent forcément, qu'ils soient visibles ou non, les quatre éléments de base de l'univers : l'air, le feu, l'eau et la terre. » La morphologie des signes témoigne de façon symbolique de la présence de ces éléments fondamentaux, lesquels sont figurés comme suit : a) b) c) d)

L'air, par un segment courbe ou par une spirale, Le feu, par un segment brisé, L'eau, par un cercle ou une sinusoïde, La terre, par un segment droit.

Ces tracés ne sont que des pseudo-abstractions, car ils évoquent un aspect ou un mouvement des éléments dans leur réalité : la courbe, le mouvement du vent ;

la spirale, les tourbillons d'air visibles en saison sèche ;

le segment brisé, l'éclair ;

le segment oblique, la foudre ;

O

le cercle, la goutte de pluie, autrement dit, l'eau ellemême ; l'ellipse, le plan d'eau (mare, étang, puits, etc.) ;

le sinusoïde, l'eau courante ou l'eau ruisselante, les vagues ; le segment droit horizontal, le sol sur lequel l'homme se déplace.

LES

SIGNES

75

En principe, chaque signe relève de façon privilégiée de l'un ou l'autre des éléments de base \ cette appartenance se traduisant dans sa morphologie. Par cette appartenance privilégiée, ils sont également considérés comme sexués : sont « mâles » tous les signes provenant de l'air et du feu, « femelles » ceux issus de l'eau et de la terre. Il y a cependant des exceptions : certains d'entre eux relèvent de deux éléments de base ; d'autres des représentations associées à leur genèse, c'est-à-dire à un stade où ils n'étaient pas différenciés : glâ glâ, tourbillon initial, etc. Nous donnons en annexe un index de la classification obtenue en tenant compte de ces exceptions. Sur un plan parallèle, mais différent, un grand nombre de signes sont décomposés en segments, lesquels sont commentés par les informateurs. Dans la conception des Bambara, cette décomposition du signe est associée au fait que l'homme « possède » ou « ne possède pas » l'objet qu'il désigne 2. L'homme « qui contient toutes les choses de l'univers ne les a possédées que par une opération de l'esprit consistant à décomposer les signes qui les représentaient, et à en analyser les parties » 3. C'est ainsi que décomposer le signe représentant les animaux domestiques et sauvages, et classer ceux-ci, exprime que l'homme, dans une large mesure, en est le maître. En revanche, le signe des insectes ne se décompose pas et l'on dit : « Le secret de l'insecte n'a pas été donné à l'homme [litt. : aux deux pieds], l'insecte s'appartient », pâvç gûdô ma M sè fia ma pâvç yé â yçrç ta yé. Car

« si une chose n'est point décomposée et classée, elle reste elle-même en entier et se laisse moins posséder. C'est dire que la fonction cérébrale par excellence de l'homme, la preuve de la possession qu'il a des choses et des êtres est, en dernier ressort, sa faculté d'analyse, opération qui est matérialisée par la réduction en leurs éléments simples des complexes formés par les signes » 4 . Ce mode de découpage mériterait une étude particulière qui éclairerait, dans une autre perspective, la morphologie de ces graphies.

MULTIPLICATION

DES

SIGNES

Sur le plan du mythe, c'est au niveau de la première étape de la genèse, « naissance des choses abstraites », que se situe la mul1. Cf. infra, p. 175 sq. 2. Voir des commentaires de la décomposition des signes dans M. Griaule et G. Dieterlen, Signes graphiques soudanais, p. 35 et 36. 3. Ibid., p. 35. 4. Ibid., p. 36.

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LA

SOCIÉTÉ

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DU

KOMO

tiplication des signes. Théoriquement, nous l'avons v u 1 , chaque signe du glâ est à l'origine d'une nouvelle série, connotant ce qui sera réalisé progressivement dans l'univers. Cette multiplication se traduit par la réalisation d'autres séries de signes observées à divers niveaux (sociétés initiatiques, techniques, rites collectifs, etc.). Dans les Signes graphiques soudanais, on trouvera la série des signes de la circoncision bambara, celle dite des Keita du Mandé ainsi que des signes bozo 2 . Nous possédons un certain nombre de signes relevant d'autres institutions, chez les Bambara et chez les Dogon. Pour les uns comme chez les autres, les enquêtes doivent être poursuivies afin de dégager les liens de ces séries avec celle du Komo. CLASSIFICATION DES

SIGNES

Les 266 signes sacrés du Komo — qui, théoriquement, sont à l'origine d'autres séries parallèles — sont classés en catégories associées à leur genèse. On dit : « Les ' grands signes ' sont [au nombre de] 22 fois 12 ' choses concrètes ', et 2 ' choses abstraites ' » 3 . Voici la composition et le symbolisme des trois nombres évoqués dans cette phrase : i ° — 22, par ses deux composants « jumelles » (11 et 11), symbolise à la fois la « vérité » (la réalité, la complétude et la perfection) et 1' « unité » (l'unicité) du créateur et de son œuvre, la création ; — 10, synonyme de « vérité » ; on dit d'une chose exacte, réelle, vraie ou indéniable, etc. : « Cela est dix », 0 yé tâ ye ; — 1, synonyme de singularité, de « solitude », d'unicité. Il s'agit là du fondement même de la religion bambara. Celle-ci, en effet, repose d'abord et avant tout, sur la croyance à la réalité de l'existence d'un Dieu « parfait », dont l'unicité est clamée avec force dans la profession de foi du Komo 4 ; parallèlement sur la croyance à la réalité et l'unité de la création, symbolisée par la spécificité de la vie (naissance, vie et mort des êtres) sous quelque forme que ce soit, matérialisée par l'ensemble des classes du K o m o 5 qui se veulent le « résumé du monde, parce que toutes les choses y sont représentées par leurs catégories ». C'est de cette spécificité de la vie 1. Cf. supra, p. yi. 2. Cf. M. Griaule, « Signes de la circoncision bambara », p. 65-78, « Signes bozo », p. 79-86, et G. Dieterlen, « Signes des Keita du Mandé », in Signes graphiques soudanais, p. 43-63. 3. ti bdw yéfi tâ ni fia sigi y fâ nadni, encore appelées « les 4 signes ou les 4 tracés de l'espace initial », kçnç ¡QIQ ti nadni. Les 4 directions de l'espace initial ont été tracées à la fin du partage du glâ (c'est-à-dire au terme de l'évolution du glâ) par la « naissance », la formation de l'air, du feu, de l'eau et de la terre qui constituent la première synthèse du glâ, donc des signes. b) 4 d i r e c t i o n s d e l ' e s p a c e c é l e s t e , sâ kôlô o u kaba

kôlô fâ

ndani.

Les directions du ciel, au terme de son « édification », auraient été déterminées en fonction de la position de la Voie lactée qui, selon les Bambara, fut orientée sensiblement nord-sud lors de son « apparition » dans le ciel, est-ouest au moment de sa « disparition » 2. c) 4 directions de l'espace terrestre, dugu kôlô fâ nadni, associées à l'apparition du sîgi doôlô, Sirius, et du soleil à l'est après l'impact de l'arche de Faro sur la Terre. La lune et « l'étoile du soir » ont été vues à l'ouest. Plus tard seulement furent déterminées et nommées les directions du nord et du sud, dites respectivement « bras mâle et bras féminin du monde » (dy£ tyç bôlô dni dyÇ muso bôlô).

30 — 2 symbolise : a) le fondement, l'origine de toutes les choses existantes, dyu ; b) la tête, le sens, la raison d'être, etc., de ces choses, kû.

Les signes qui connotent dyu et kù sont les signes divins par excellence 3 . Parallèlement à cette classification des signes primordiaux, toutes les autres séries de signes seront classées en groupes de 22 (ou 24) grandes catégories. Il en sera de même des êtres et des choses (choses concrètes, étoiles, animaux, végétaux, êtres humains) réalisés au cours des étapes suivantes de la genèse. Du fait de ces classifications parallèles sont établies entre toutes ces catégories des correspondances cosmo-biologiques, correspondances qu'illustre, par 1. Cf. Y . Cissé, op. cit., nyama et rites de purification, p. 192-217. 2. Ces représentations mythiques s'inscrivent dans les connaissances très riches des Bambara sur l'astronomie. Nous possédons un très grand nombre de documents sur leur astronomie : ils nécessitent des enquêtes complémentaires et feront l'objet de publications ultérieures. 3. Cf. infra, p. 202 sq.

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LA

SOCIÉTÉ

D'INITIATION

DU

KOMO

exemple, l'adage suivant : « Chaque âme a son témoin dans [une étoile de] la Voie lactée » 1 . C'est au niveau de ces concepts que sont établies les règles que l'on peut observer dans le statut de la fondation des sociétés du K o m o , s t a t u t évoqué au début de cet ouvrage. L e nom du K o m o est associé à la matière de base des autels du groupe, cette matière étant prélevée dans certains lieux et dans certaines conditions : l'ensemble fait intervenir conjointement des catégories différentes et leur mise en correspondance. U n exemple très précis de ces t y p e s de relations, ayant une valeur de code, apparaît au niveau des thèmes de contes et légendes enseignés aux enfants, où interviennent des animaux, des v é g é t a u x , etc. Ces derniers jouent des rôles qui seront interprétés plus tard, en fonction de ce système de correspondances. Il est dans l'éthique de l'enseignement b a m b a r a — que nous avons souvent évoqué dans cet ouvrage — de les faire d'abord intervenir à la place des idées ou des êtres dont ils sont les témoins, les parèdres — ceci à la fois pour attirer l'attention et exercer la mémoire de l'enfant, et le préparer à l'enseignement des catégories, au moment de l'initiation.

SIGNIFICATION DU

SIGNE

Les signes connotent un mot, une expression, u n membre de phrase. Jusqu'ici nous n'avons recueilli aucun renseignement sur le choix des termes que connotent les 266 signes sacrés du K o m o . Il nous semble inutile de souligner ici l'importance de cette nomenclature qui apparaît déterminante a u x plus hauts niveaux de l'initiation. Mais nous pensons qu'une approche très stricte du m y t h e — qui sous-tend toute la cosmogonie b a m b a r a — nous permettra ultérieurement de déterminer certaines des raisons de ce choix. Il y en a d'autres — dont celles qui sont associées à la structure de la société du Korè, comme à ses rapports avec celle du K o m o qui font l'objet d'un chapitre de cet ouvrage ; la question reste ouverte. Les signes, les termes et les commentaires qui les accompagnent, sont présentés dans l'ordre qui nous a été donné spontanément par nos informateurs. Pour chaque signe — et le (ou les) terme auquel il se rapporte — on pourra trouver : a) Son appartenance privilégiée à l'un ou l'autre élément de base (air, terre, eau et feu), ou à tout autre aspect de la genèse (vibration, tourbillon, etc.) ; 1. ni kêlé-kêlé bç Syéré bg nyugu-nyugû-bd là.

LES

SIGNES

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b) L a façon dont ce signe a été révélé aux hommes, ou le lieu où cet événement s'est produit ; c) Les faits sociaux, techniques, religieux, culturels, etc., auxquels est lié l'objet qu'il désigne ; d) Son usage profane, ou rituel, ou technique, etc. Cependant le document n'est pas complet. D'une part, nous ne possédons que 245 graphies alors que le document devrait en comporter 266. D'autre part, les commentaires s'amenuisent à partir du n° 80. Devant la richesse des informations à rassembler pour l'un ou l'autre des premiers signes commentés, devant l'effort mnémonique et de synthèse que devaient fournir les informateurs, on comprend qu'ils n'aient pas toujours pu réaliser la totalité des rubriques. Il reste néanmoins que cette nomenclature permettra à des enquêtes ultérieures de compléter la liste et de faire préciser et développer des informations pour les signes qui sont succinctement développés.

ORDRE DE SUCCESSION DES SIGNES

L a succession des signes ne semble pas rigoureuse, en ce sens qu'elle ne paraît pas suivre l'ordre des événements mythiques que nous connaissons. Le signe affecté à 1' « obscurité » qui connote le « néant primordial », auquel se réfèrent toutes les versions et les commentaires de la genèse, vient dans cette liste au rang 100, bien après des êtres ou des éléments qui sont donnés comme réalisés après lui. Mais il n'est pas exclu qu'un tel ordre — qui n'apparaît actuellement pas clair à notre logique — soit établi pour des raisons précises que seule une enquête ultérieure pourra révéler : la logique propre à la pensée traditionnelle des hommes de l'Afrique de l'Ouest nous a souvent apporté des réponses certes spécifiques, mais aussi rigoureuses. E n effet, cette liste est celle du Komo dyibi (ou dibi). Or pour chaque nom, six signes extraits de la série ont pour la société une valeur particulière et un caractère plus sacré encore que les autres; choisis dans la liste et placés obligatoirement en tête, ils sont dits kçmç sird dyu, « fondement ou origine du chemin [du culte] du Komo », ou tiw dyu, « fondement ou origine des signes », car, pour le groupe, ce sont eux qui sont censés promouvoir ceux qui suivent. Cette conception est manifeste lors du sacrifice annuel offert aux autels pendant la cérémonie « anniversaire » de ce Komo. Un bouc 1 est sacrifié devant les sociétaires et son sang versé sur tous les autels : 1. Voir le sacrifice du bouc effectué lors de la célébration de « l'anniversaire

du Komo », infra, p. 282,

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à ce moment le chef du Komo, tout en traçant sur le sol les six premiers signes, récite à haute voix les noms de ces signes pour proclamer l'origine de l'ensemble de la création dont ils témoignent. Il dit : « Le chemin [c'est-à-dire le tracé fait sur le sol] de l'or est le signe de l'or. Le chemin du cuivre est le signe du cuivre. Le chemin de la bouche du fauve est le signe de la bouche du fauve. Le chemin de la faucille mâle est le signe de la faucille mâle. Le chemin du couteau de Dieu est le signe du couteau de Dieu. Le chemin de la noix de cola rouge est le signe de la noix de cola rouge » Pendant ce temps, les sociétaires acclament cette énumération à très haute voix afin que leurs cris en couvrent l'énoncé pour qu'il ne soit pas entendu des profanes et ne divulgue pas aux non initiés les bases de la réalisation de l'univers. Certains d'entre eux — car il en existe des fanatiques parmi les adeptes du Komo — se bouchent les oreilles et ferment leurs yeux pour ne pas, disent-ils, « entendre, voir, et partant comprendre la genèse de l'univers ». L'ordre de succession n'est évidemment pas la même pour le Komo dyagô : les six signes placés en tête qui figurent au centre des tableaux du glâ zô et du walâ ti (Fig. 6 et 7, p. 70 et 73) sont différents de ceux de la liste que nous publions. On comprend ainsi que seule une nomenclature complète des noms de Komo et la liste parallèle des séries de signes associés aux noms, tenant compte du choix de la position de tête des six signes privilégiés, permettrait de dégager la structure générale de ce système.

U S A G E DES

SIGNES

Les signes du Komo sont sacrés et leur usage est fonction de cette sacralisation. Chaque signe (ou chaque « tableau de signes ») est, selon le cas, tracé par terre, gravé ou peint sur des planchettes de bois, des tessons de calebasses, tissé, peint ou brodé sur des étoffes, proclamé, grâce à sa devise, à l'occasion de l'accomplissement d'un acte intéressant la communauté, d'une cérémonie, d'un rite, en prévision d'un événement, etc. — ceci, bien entendu, en raison de son rôle au cours de la genèse, vis-à-vis de l'être ou de la chose dont il fut le promoteur et dont il restera le témoin jusqu'à « la fin des temps ». Il en est de

1. sânû sird yé sànû ti yé. zira sird yé zira ti yé. uidrd dâ sird yé wdrd dd ti yé. WQIQSQ tyç sird wçlçsç tyç ti yé. mi-mûrû sird yé mâ-mûrû ti yé. dâ-blê-wôrô sird yé dâ-blê-wôrô ti yé.

LES

SIGNES

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même pour chaque série de signes formant une phrase, dite sçbçni pour chaque « tableau de signes » ti wâli. La manipulation des signes est toujours accompagnée d'une prière : ce seul fait souligne l'intense sacralisation dont ils sont l'objet. Elle éclaire aussi un certain contexte très apparent dans les commentaires qui nous ont été donnés concernant leur usage : suivant le but poursuivi énoncé dans la prière, l'exécution du signe peut favoriser la venue d'une chose souhaitée, l'état ou l'action de l'objet en cause ; soit, au contraire, sa réalisation peut avoir pour effet de prévenir une action ou un état que l'on désire écarter ou éviter. C'est ainsi qu'interviennent, au niveau de l'usage, les concepts relatifs à l'essence et à la primauté des signes. Plus que toute autre chose, la personne humaine est l'expression vivante des 266 signes fondamentaux de la création par les composants de son tere ; de ce fait, elle est toujours placée sous la protection des signes du Komo lors des principaux rites de passage : naissance, dation de nom, initiation au N'domo, circoncision, initiation au Komo et aux autres institutions, mariage, promotion sociale ou religieuse, mort, funérailles. Au cours de ces rites, le tracé ou la proclamation de tels signes ou de tel groupe de signes du Komo assure la régénération, la revivification de la personne qu'ils sont censés « pénétrer » en influant sur ses facultés, son caractère, son comportement.

1. Cf. supra, p. 12, n. 1.

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II. L E S

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DU

KOMO

SIGNES

i. sanu : « or ». Air. Vu dans le « tourbillon secret ».

C'est le signe de la pureté qui est dite sdnúyá, « état de l'or », car « la rouille n'attaque pas l'or ; les saletés ne se déposent pas sur l'or et l'or n'aime pas non plus les choses sales » 1 . L'or étant incorruptible, sa présence implique parallèlement la pureté divine et la pureté morale. L'or constitue le principe de base des autels de maints Komo ; comme tel il est appelé « le (principe) mâle de l'autel du Komo » ou « le grain du culte » 2 . Circoncision : on lave l'enfant avant la circoncision avec de l'eau où l'on a fait tremper de l'or toute la nuit. Cette eau purifie et vivifie l'âme des jeunes gens, l'opération ayant pour effet de débarrasser leur corps du nyama et du wâzô dont ils sont chargés.

2. zira : « cuivre ». Air. Trouvé dans le sifflement du tourbillon initial.

Circoncision : le cuivre représente le sang du prépuce. Une poudre de cuivre, ou plus généralement le vert-de-gris mêlé à du beurre de karité et à d'autres médicaments est appliqué sur la plaie pour la cicatriser, l'organe étant ensuite enveloppé dans une feuille de manioc. Les membres du Komo sont appelés au son d'un rhombe de cuivre : « le cuivre est (cette chose) qui appelle les enfants du Komo » 3 . Le cuivre est le troisième élément de base des Komo appelés dibi ou dyibi « obscurité », le deuxième étant l'argent. 1. zô tç sdmi min?, nçktf té dd sdnû kâ, sânû tç kô nqkqlé fç 2. kçmg bôli-kç ou dyo kisç. 3. zira yé kçmç-déw wélébad yé.

fdnâ.

LES

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SIGNES

3. wdrd dd : « bouche du fauve », c'est-à-dire « bouche [le verbe, le message] de l'hyène mythique qui préside à la société du Komo ». Air. Trouvé dans le hululement, le murmure du vent initial.

Représenté par la troupe du Komo, originairement en fer, mais qui peut être en bois ou en arêtes de Lates nilocticus (capitaine). Le son émis par cette trompe rappelle le hululement du vent initial, que l'hyène est seule à pouvoir reproduire et dont elle détient les secrets qui constituent le fondement, l'origine du savoir profond. C'est pourquoi on dit : « La voix du Komo est la voix de l'univers naissant » 1 . Dans la circoncision, le signe représente le bois dit kçrçkçni, « la petite selle », ou tlômâni, « la petite aux deux oreilles » ou « la petite fourche », qui supporte le sexe de l'opéré jusqu'à la cérémonie du dd wççrç au sixième jour. Car le sexe qui est « parole », donc « savoir » est à l'origine de l'être animé qui a reçu cette « parole » ; on dit : « Le sexe est le dya et le ttï de la parole du kçrçkçnî » 2.

4. wçlçstf tyçmâ : « faucille mâle ». Feu. Vu dans l'éclair initial.

Représente l'ébauche, « le commencement » de la parole, c'est pourquoi il est dit « faucille à fonio », le fonio étant, comme on le sait, le symbole matériel du contenant de l'univers et du commencement de la vie. On dit : « Toutes les paroles sont venues [nées] en [sous forme de] faucille » 3 . Ainsi, lors de la clôture des cérémonies annuelles du Komo, on 1. kçmç kd yé dyÇ wôlô kd yé. 2. lyçyà yé kçrfkçni kumâ dya nad fit yé. tyçyâ (masculinité, membre viril) est mis ici pour wûlu, qui signifie par analogie chien voulu. Alors que la voix de l'hyène symbolise le vent initial, celle du chien, « son cadet et représentant auprès des hommes », reproduit les « paroles » du rhombe qui représentent « le tourbillon initial ». 3. kiimd bç WQIQSÇ md nana.

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présente ladite faucille ou son signe aux membres de la Société. Ceux-ci appliquent fortement la main gauche sur leur bouche, ce qui signifie qu'ils observeront envers et contre tout un silence absolu sur les secrets du Komo. Car on ne parle pas impunément des choses sacrées, de l'origine de la vie comme de celle de la mort. Les faucilles ordinaires symbolisent le signe. En coupant les tiges de fonio et aussi celles du riz, elles renvoient dans les graines la partie nutritive, « le principe de vie nourrissant », bâlô nyama, que recèlent les plantes. Un cultivateur qui avait perdu sa faucille devait obligatoirement offrir un sacrifice au chef du Komo, en l'occurence le forgeron, pour entrer en possession d'un nouvel instrument. Dans la circoncision, la « faucille mâle » est suspendue à la porte d'entrée de la case des circoncis, en brousse ou au village. Elle constitue un protecteur puissant contre les mauvaises gens, c'est-à-dire les sorciers malfaiteurs.

5. mi-mûrû fia : « les deux couteaux du maître », de Dieu, dits « arcs-en-ciel jumeaux ». Arc-en-ciel. Descendu de l'arc-en-ciel avec la mante religieuse ; les deux pinces de cet insecte symbolisent l'arcen-ciel 1 . Représente deux arcs-en-ciel jumeaux, l'un mâle, l'autre femelle, qui symbolisent les quatre éléments fondamentaux de l'Univers (air et feu pour le mâle, eau et terre pour la femelle) : c'est pourquoi le signe est appelé « les quatre actes », wálé naání. Dans le Komo, il est représenté par deux petits couteaux incurvés attachés ensemble et placés auprès de l'autel servant à la conservation des âmes, ní márá bólí2. Dans la circoncision et l'excision, les deux couteaux 3 qui représentent le signe, sont détenus, l'un — considéré comme « femelle » — par le forgeron pour opérer les garçons, l'autre — considéré comme « mâle » — par la forgeronne pour opérer les filles. 1. L a mante religieuse est du reste appelée, à cause de ses pinces, mâ múrú bá, « grand couteau de Dieu ». 2. Cf. supra, p. 47 et Y . Cissé, op. cit., p. 175-226. 3. Ces deux couteaux sont appelés numu múrúní, « petits couteaux des forgerons » ; bólókó múrúní, « petits couteaux de la circoncision et de l'excision » ; ou simplement múrúní, « petits couteaux ».

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Cr\

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6. dâ-blè-wôrô : « noix de cola très rouge », ou ngd blé : « fève très rouge ». Feu. Trouvé dans le feu de la foudre qui provoqua pour la première fois la mort dans l'univers 1 .

Représenté par les tuniques rouges que portent les prêtres du Komo aussitôt après avoir clamé les 266 signes et la genèse de l'univers. Auparavant, ils ne peuvent endosser que la tunique rayée (blanc et noir) qui représente la somme des signes de toutes les choses 2 . Dans la circoncision, la kola est associée à la teinture rouge (nga lama ou WQIQ) dans laquelle on plonge les vêtements des circoncis : cette teinture a pour but de les protéger contre les maladies qu'ils peuvent contracter pendant leur retraite. Au moment des cérémonies relatives aux autels et au Komo, on crache de la noix de kola mâchée sur les objets rituels ; cette pratique, qui a une valeur sacrificielle, constitue une « vêture » pour ces objets qui acquièrent ainsi beaucoup de nyama, de vitalité, d'ardeur.

&

7. wdri : « argent ». glà glâ

zô.

Vu dans le glâ glâ zô au moment où commençait le grand brassage des signes, glâ nyâ, qui seront séparés, dispersés.

« L'argent est descendu du ciel au moment où le tableau des signes a tournoyé en forme d'arc-en-ciel (ngdld mûrû dyâ ou mâmûr-u dyâ, « le grand couteau de Dieu ») du nord au sud et de l'est à l'ouest ». On dit : « La maison de l'argent a échappé au secret du ciel, a béni la première Terre, a été un soutien de la langue de la bouche » (sousentendu : « de la parole de l'homme ») 3 . Le bruit du tournoiement 1. Cet événement s'est produit dans le 5 e ciel et décima les oiseaux qui tentaient d'aller au-delà des cieux pour acquérir de Dieu le secret de la « force » pour eux-mêmes et celui de l'éternelle jeunesse corporelle pour Musokoroni (cf. infra, p. 8g). 2. Cf. infra, p. 103. 3. wdri sô yè kaba gùdo kçnyç, kd dugu-kôlô fçlç kçnyç, kd kç dd là dyigi yé.

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DU

KOMO

des signes du già est considéré comme la première parole audible (sorte de bourdonnement comparable au bruit du rhombe). Le signe se décompose en :

a.

b.

a) L'ovale représente la première source, ou la première mare ; on dit : « L'argent est la source de kelâ, ' esprit ' de la parole » 1 . b) Les trois branches représentent respectivement le sud, le nord et l'ouest, l'est n'étant ici pas représenté. Ces directions connotent l'itinéraire suivi par 1' « esprit » de la parole. Lors de l'excision, on dessine le signe que l'on arrose d'eau pour purifier et fixer sur la terre le mot désignant l'argent.

-ir

8. mdkó (de ma, « maître » et de kó, « chose abstraite ») : « chose du maître » (c'est-à-dire de Dieu) ; soit le besoin intérieur (de croire et d'adorer Dieu). Le mot désigne le glâ. già già

zo.

Vu dans l'espace.

Représente la descente dans l'espace de l'esprit créateur ; cette descente s'opéra dans un tourbillon de vent dit « chemin du gonflement de la chose de Dieu », fûnû mâkô sirâ. Le vrombissement du tourbillon transmettait une parole : « Je libère tout le chemin des choses de Dieu ; les choses de Dieu sont une partie de moi-même » 2 . Classé dans la catégorie du glâ, le signe se décompose en :

a.

b.

a) Le crochet représente le Ciel kaba3 ; considéré comme « en grossesse des actes du créateur » (f$w kçnQmâ, « choses en grossesse »), il connote aussi la matrice féminine. 1. kelâ serait le nom des premiers esprits de la « parole » du glâ glâ zô initial. 2. n'bç mâkô sirâ bç làbla ; tndkô sirâ yé né dç yé. 3. kaba désigne la voûte céleste et signifie littéralement « la grande force ». Il s'agit ici du ciel-empyrée.

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SIGNES

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b) Le trait représente ici la masculinité. Toutes les choses ont été réalisées à la fois mâles et femelles ; le signe connote le dualisme initial de la parole. A u huitième jour, lorsque la jeune mariée retourne chez ses parents, le signe qui connote l'enfant qu'elle souhaite attendre (mâle ou femelle) est dessiné en noir sur son propre pied ou en blanc sur le mur de la la maison de sa mère.

9. Sunad (de Su, « mort », et nad pour nçkç, « envie » ; litt. « envie [de faire] le mort ») : « sommeil ». Feu. Descendu en saison froide alors que les premières créatures, l'esprit surexcité, nydmdkt, étaient en révolte contre Faro.

Représente l'apparition de la mort ; la foudre, descendue du 6 e ciel, frappa les oiseaux qui, au terme de la 5 e journée de leur voyage vers Dieu, prenaient une pause sur la terrasse du 5 e c i e l 1 . On dit : « L a parole du sommeil est seule maître du feu, lequel est descendu du 6 e espace céleste » 2 . Lorsqu'un patriarche rêve d'un ancêtre, on dit : « L'acte de la parole du sommeil correspond au sacrifice à faire au nom de l'ancêtre défunt » 3 . On dessine le signe sur une petite calebasse qui a servi lors d'un repas de la communauté effectué pour propitier l'ancêtre, calebasse que l'on porte ensuite au cimetière. Le signe, qui ne se décompose pas, est utilisé après la circoncision, pour protéger les opérés pendant leur sommeil, et pour d'autres cérémonies : rites des semailles, accouchements, il sert enfin à purifier les lieux frappés par la foudre.

1. Bien avant la création de l'univers, Dieu avait dit à Faro : « Nulle créature, de son vivant, ne saurait aller au-delà du cinquième ciel. Cela n'est pas bon pour elles. Seules les âmes pourront accéder aux cieux supérieurs ». Malgré cette interdiction divine que Faro répétait inlassablement aux créatures, les oiseaux en révolte, sous la menée de Musokoroni, tentèrent de se rendre auprès de Dieu, au-delà des cieux. La mort par la foudre, autrement dit le feu, les frappa au cinquième ciel, connu par ailleurs sous le nom de « ciel des choses rouges », kô blé kâbd.

2. sunad kumd kèlt yé tdsûmd tigi yé, mi dyigïnâ kçnç kôlô wççrçnd fç. 3. sunad kumd wdlé yé maa kçrçbd sale kd sdrâkd yé.

LA

go

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K0M0

i o . wûli : « lève-toi ». Air. Descendu du tourbillon au moment où les femmes accouchaient pour la première fois ; il est dit « enfant de l'étoile » ou « petite étoile », doolo dé, c'est-à-dire l'étoile du fonio, vutu ou fini doóló

a.

b.

y c.

a) « L'étoile de l'enfantement », dé doôlô. b) « L e chemin du grand fleuve », baba sirâ, le Niger. c) « L e chemin du petit fleuve », bdni sirâ, le Bani, affluent du Niger. L e premier appartient a u x mères, le second a u x princes et a u x chefs, le troisième a u x hommes du commun. L'étoile du fonio est le témoin de la parole et le contenant symbolique de l'ensemble de la création ; c'est pourquoi on dit : « T o u s les chemins sont les chemins de la parole » 2 , ce qui signifie que tout mouvement du corps, toute démarche de l'esprit sont en soi une « parole », un verbe créateur, un mode d'expression. C'est ainsi que notre tere ou caractère général se lit dans nos mouvements et dans notre profil psychologique qui ne sont, en fait, que l'extériorisation de notre vie intime et du « tournoiement », du mouvement qui l'anime. D ' a u t r e part, le signe wûli connote l'éveil à la vie : — D u nouveau-né qui, relevant entièrement a v a n t sa naissance de sa mère dont il partage toutes les sensations et pulsations psychiques et vitales, acquiert, avec la section du cordon ombilical, une vie personnelle et autonome relative ; — De l'initié qui, après sa mise à mort rituelle, « se tient debout », ressuscite pour accéder à une vie sociale réelle — il devient un homme — , et à une vie spirituelle plus intense et plus élevée grâce 1. L'informateur ignore le sens du mot vutu qui désigne « l'étoile du fonio », soit l'un des compagnons de Sirius. 2. sirà bç yé kûmd sirâ yê.

LES

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à l'enseignement et à l'éducation qui vont lui être progressivement dispensés. Mais l'étoile du fonio symbolise surtout le « réveil des créatures à la vie », car le signe indique que les hommes, jusque là en sommeil (soit avant leur naissance, soit au cours des différents rites d'initiation) vont « se lever » (se réveiller) et se manifester. Le signe est également représenté par le bonnet du circoncis maintenu très haut par une nervure de ronier. Il était dessiné lorsque le roi autorisait un visiteur à se retirer, ou lorsqu'il enjoignait à un de ses sujets d'exécuter sa volonté.

A

11. doô : « entrer ». Air. Trouvé sur un « éclat de la foudre » — la pierre de foudre — bien après qu'il eût déclenché le tourbillon initial.

Il s'agit de la pénétration dans la personne de la connaissance, du savoir qui lui sera transmis par la parole. Le signe se décompose en :

A

si,

a.

b.

a) La barre est dite « le couteau de Dieu qui ne peut se lever » c'est-à-dire qui est immuable et permanent. b) Le crochet est le début du tourbillon se levant sur la création. Le signe connote le début de la formation du tourbillon issu de la stabilité et de la permanence de Dieu. Il serait apparu en saison sèche ; on ne le trace jamais en saison des pluies. Mais au 6 e jour qui suit l'opération, le gardien des circoncis grave le signe au seuil de leur porte et leur en explique le sens, car il résume l'ensemble des connaissances que pourront acquérir plus tard les circoncis (après leur entrée dans les sociétés d'initiation d'hommes).

1. bd mûrû (ou mâ mûru) wûli bàli.

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LA

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KOMO

12. bukçli : « action de frapper ». Feu. Vu dans le scintillement initial de l'éclair. Le signe se décompose en : ¡A a.

b.

a) Le trait vertical, dit « chemin de l'espace », kçnç sird, connote la foudre qui frappera les coupables, mais aussi et surtout la descente des signes de la création. b) Le V inversé, dit « nez de la Terre », dugu nu, connote la formation de la planète. •» Le signe est associé à l'éclair dit kaba yeélê ou yçrç kaba, « lumière du ciel » ou « ciel du soi-même ». Il représente la prise de conscience du monde par lui-même (de yçrç, « soi-même »). Au moment de la circoncision, il connote le tranchant du couteau de l'officiant, l'opération déterminant une première prise de conscience du jeune garçon. Au combat, le signe était dessiné avant l'engagement des troupes.

13. kasili : « pleurer ». Air. Trouvé dans le vent. C'est le signe de la purification en général pour l'homme comme pour le monde. Il ne se décompose pas. Il est associé à l'air dit kasili fy$, « vent des lamentations » 1 et à la diffusion de la connaissance. Le signe était tracé, comme purification, sur le couteau de circoncision avant l'opération.

i. Faire pleurer un être impur, c'est décharger son impureté dans le vent.

LES

J

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14. gâlé : « premier », ou gdlé kü, « tête, cause du début, du commencement. Eau. Trouvé dans le ruissellement initial qui a formé la mare de Faro et le fleuve Niger.

Associé à la naissance des jumeaux, premiers nés de la première génération humaine, il connote la primauté et tout ce qui se trouve placé en tête. Le signe se décompose en :

Ja.

J b.

a) gâlé kisç, « grain du premier », qui connote la domination. b) fia kisç, « grain du second », qui souligne le fait que l'humanité a perdu le bénéfice régulier de naissances gémellaires : celles-ci, qui furent conformes aux réalisations initiales, ne seront plus l'apanage que de quelques privilégiés, à la suite des désordres causés par l'impureté intervenue dans le déroulement des événements terrestres : cette impureté est située dans la boucle centrale du signe. Les jumeaux sont toujours opérés les premiers et placés en tête de la promotion lors des circoncisions. Le signe connote à la fois le premier circoncis, masa, et le dernier dit kule.

15. fadlî : « remplir », rassasier. Air. Trouvé dans le passage du tourbillon.

Le signe connote le mûrissement de la connaissance dans l'être et la plénitude qui en résultera. Il se décompose en :

a.

b.

LA

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a) « Le mil qui n'a pas d'âme », nyç ni ntâ, c'est-à-dire celui qui est consommé. En même temps, ce mil ne pouvant germer, le signe connote la fin de l'acquisition du savoir. b) « L'intestin », nugu, de l'homme qui digère la connaissance comme il digère le mil. On dit : « L'intestin est dans le rassasiement [la plénitude], c'est la parole des choses pleines m1. Il souligne que, les circoncis étant suralimentés, l'absorption de la nourriture doit aller jusqu'au vomissement. Cette abondance symbolisait la masse des connaissances qu'ils pourraient acquérir par la suite et la force morale et spirituelle qui leur serait nécessaire pour cela. L a figure pouvait être tracée sur l'aire au moment du battage du mil. Si un cultivateur mourait pendant l'époque du battage, on traçait alors seulement la première moitié du signe.

16. flani : « jumeaux ». Ciel et Terre. Vu au cours de la première création, à la naissance des premiers jumeaux.

Le signe connote la formation du Ciel et de la Terre, des jumeaux mixtes qui leur sont respectivement associés. Le signe se décompose en :

a.

b.

c.

a) Le tracé horizontal, dit kçnç wûyd, « espace vaste et dénudé ». b) Le crochet du haut, dit tyç kisç kçnQtnâ, « graine masculine en grossesse », la masculinité des jumeaux associés au Ciel. c) Le crochet du bas, dit dugu mûsô, « femme terrestre », féminité des jumeaux associée à la Terre et aux premières jumelles de Faro 2 . Sur le plan symbolique, le signe est représentatif des âmes de toutes les créatures, qui sont sexuées. Il connote également le ni et le dya des circoncis qui sont placés dès avant l'opération sous la protection de Faro. Ces principes sont 1. nugu bç faàll kçnç, fadlë fgw kûmd do. 2. Cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 14.

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symbolisés aussi par deux noix de kola dites « noix des jumeaux », flani kôlô, qui sont portées ou attachées au cou des jumeaux ou mises dans leur poche. Les nées jumelles portent aux oreilles des cauris dits flanï kôlô.

17. ad y ad bla : « laissez-le ». Vu dans le « vent de la libération », la blali fyç, le vent qui répandit dans l'univers les signes de toutes choses. Le signe qui témoigne de la libération de toutes les choses créées dans le sein de Dieu, se décompose en :

a.

b.

c.

a) Le trait horizontal est l'univers visible et la Terre ; b) Le crochet de gauche témoigne des actes défectueux contraires au développement harmonieux de l'univers. Il est dit « chemin des actes mauvais », wdlé dyûgû sird.

c) Le crochet de droite dit signe du monde « toléré », c'est-à-dire « épargné », dy4 tôoli ti. Il témoigne parallèlement de la libération de l'opéré après la circoncision, car, ayant acquis conscience de luimême, il assume dès lors sa propre responsabilité. Lorsqu'un individu était en état d'arrestation ou de jugement, on dessinait le signe sur la porte de sa maison. S'il devait être châtié, ou au contraire amnistié, on supprimait sur le tracé le crochet correspondant.

JC

18. so tad : « aller à la maison ». Air. « S'est montré » dans le tourbillon.

Le signe se décompose en :

JP a.

X b.

A c.

A c'.

A

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a) Représente le monde d'aujourd'hui. b) Représente le monde futur. On dit de leur association : « Le monde [actuel] est dans le nouveau monde [à venir] » 1 . L'univers est considéré comme une maison abritant tous les membres de la famille qui l'occupe. La maison et ses habitants sont l'image de l'univers. c) Le crochet est dit taâli, « départ » (définitif des principes spirituels pour le séjour des âmes). Les relations entre ces deux mondes sont étroites et secrètes. Ils sont également considérés comme les deux principes spirituels fondamentaux de l'être, le ni (c') et le dya (c") et, comme eux, sont en rapport d'échange permanent mais invisible. C'est pourquoi le signe complet est dit « signe emprunté à l'union » 2 dont il symbolise le caractère essentiel, à savoir l'échange réciproque qui assure à tout groupement de choses, et d'êtres, notamment humains, son équilibre, sa force, sa richesse, sa vie et sa survie. Circoncision : le signe témoigne du passage de l'enfant circoncis d'un monde à l'autre : il y pénètre après l'opération en occupant pendant la retraite la « maison des circoncis », bôlôkô so. Sur le plan social, il connote à la fois les échanges matrimoniaux et les rapports de senâkuyd.

En géomancie, il aurait été vu et déchiffré par l'hyène et transmis aux devins. Lorsque le géomancien lit dans le signe que le consultant court un grave danger ou qu'il doit mourir, il trace le signe, et sort immédiatement de la case ; car la présence des deux mondes, l'actuel et le futur, dans un même tableau de divination a un pouvoir qui dépasse celui des hommes : s'il agit ainsi, il pourra poursuivre son travail de géomancien. Parallèlement, le consultant doit également quitter la place, car il se trouve « entre deux mondes », c'est-à-dire entre la vie et la mort. Pour demander, sans avoir à parler, à un visiteur de se retirer et de retourner chez lui, on pouvait dessiner le signe entier sur un morceau de calebasse.

19. saya : « mort ». Eau. Trouvé dans le passage du premier ruissellement.

1. dy$ bç dyÇ kûrd kçnç. 2. ti sigàné dyç fç.

LES

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SIGNES

Le signe se décompose en :

A a.

b.

c.

a) Le tracé en biais représente tous les êtres et toutes les choses. b) Le crochet qui le termine est l'impureté regardant la terre. c) Le trait mis en travers est dit « signe de l'anéantissement », tyç ti

1.

Il évoque la suppression du prépuce du circoncis, support et témoin jusque là de son âme femelle ; il est représenté par son bâton de marche, gçri.

Sur un autre plan il souligne que l'âme de celui qui va mourir le quitte au moment du décès. On pouvait le dessiner lorsqu'on voulait secrètement provoquer la mort de quelqu'un.

20. télîyâ : « vitesse », rapidité. Air. Trouvé dans le tourbillon.

Le tracé est dit « chemin de la fabrication [l'édification] de l'espace », et l'ovale central « ventre du travail du monde », dyç tyi kçnç, c'est-à-dire le centre de l'activité, le noyau de l'énergie universelle. Le signe évoque la vitesse avec laquelle le Créateur réalisa l'univers. Il était représenté par un fil de coton cousu sur le bonnet du circoncis, pour accélérer la cicatrisation de l'opération : il témoignait aussi de la force du circoncis. On le gravait sur une calebasse quand on demandait à quelqu'un d'exécuter rapidement et efficacement quelque chose. kçnç dlâ sirâ

I. ty$, « détruire, abimer, gâter », 7

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2 i . goniyd : « échauffement ». Air. V u dans le tourbillon.

L e signe se décompose en :

*S a.

"t b.

-P b'.

b".

a) Dit « pied du départ », tad sé, soit le moment du départ, il représente la formation de l'univers. L a partie gauche du signe pouvait être exécutée sur le mur pour préserver un toit en construction. b) Représente « l'action interne », kçnçnd wdlé, de l'esprit créateur et parallèlement le développement du fœtus. Le géomancien le trace à l'occasion d'un projet de mariage, pour savoir si l'union sera féconde. (Le signe représente les premiers coups de pioche ou de houe donnés par un garçon dans le champ maternel avant sa circoncision.) Il représente aussi l'eau froide avec laquelle on lave le postulant avant de le conduire à l'opérateur.

22. tadmd ou tdkdmd : « marcher ». Eau. Trouvé dans le passage du ruissellement au moment où les eaux répandaient le savoir.

Symbolise la possession de la terre par l'homme qui l'a cultivée et ainsi purifiée. C'est pourquoi il est réservé au roi ; on dit « le signe de la marche est la propriété du roi ; il a été trouvé sur les traces du passage de l'eau » 1 .

i. tadmd ti yi faama tâyé, a sçrçlâ dyi teme sird nçnd.

LES

SIGNES

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L e signe se décompose en :

r~ * a.

b.

a) Représente la force du roi ; il est dit « la force qui n'a pas de limites », fâga dâ ntâ. b) Représente le pouvoir du roi ; il est dit « domination de la terre », dugu mar a. Circoncision : il évoque la force nouvelle acquise par le circoncis après sa guérison.

23. boli : « courir ». Air. Il est dit : « voix du tourbillon encore en état de secret », funû-fûnû kâ gûdo mâ.

L e signe se décompose en : p..--? a. a) Premier mouvement du tourbillon initial. On l'exécute seul lors de la construction d'un grenier ou pendant un accouchement. Il prédit le destin de l'enfant. b) Dit : « intrigue, démarche occulte », dugu-dûgû. C'est le signe du danger : il peut être exécuté sur certains autels pour souligner leur caractère secret. Il représente la plaie du circoncis et peut être dessiné sur l'une des habitations des opérés pour les préserver de toutes « les maladies venues avec le vent », fy£ bdnd (méningite, fièvre jaune, etc.).

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b

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24. kçnçyd : « santé », énergie, dynamisme. Feu. Vu dans le feu de la première « destruction », c'est-à-dire l'apparition de la mort dans l'univers 1 .

Il est dit « feu du ciel », kaba Le signe se décompose en :

a. a) Les zigzags dits « feu tdsûmd, représentent le feu résultant de l'action du froid ment refroidi », et du chaud ment du refroidi ». C'est ce qui se traduit :

ta.

b.

de la première destruction », ty£ gale de la foudre. Celui-ci est considéré comme sur le chaud, goniyd sûmdlê, « réchauffesur le froid, sûmdlê goniyd, « réchauffeprincipe qui régit la loi du mouvement

— dans le cosmos, par la valse des astres mus par la rotation universelle, et en ce qui nous concerne directement, le « mouvement du soleil autour de la Terre » qui nous apporte la chaleur le jour et la fraîcheur la nuit ; — dans l'atmosphère terrestre, par les remontées d'air chaud générateur de pluies,- donc de fraîcheur ; — au niveau de l'organisme humain par les échanges gazeux : inspiration de l'air frais, et expiration de l'air chaud ; — au niveau de la personne, par le mouvement de l'esprit comprenant une pensée dynamique, ardente, « chaude » et une réflexion « calme, fraîche », pondérée. Il connote également une fausse couche, et une éclipse totale, c'est-à-dire « la rencontre du soleil qui est feu, et de la lune qui est eau ». Un géomancien peut tracer cette partie du signe lorsqu'il voit que le consultant risque d'être foudroyé. b) Le crochet du bas, exécuté d'abord ouvert, implique que le signe est décomposé en partie ; complètement refermé sur lui-même, 1. Cf. supra, signe 9, p. 89.

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SIGNES

il contient alors tout ce qui est expliqué, et même ce qui n'est pas expliqué. L'ensemble du signe souligne une dialectique : l'ancienneté attribuée, lors de la création, soit au Ciel, soit à la Terre. On dit : « L a Terre a reproduit le dya du Ciel en premier lieu » Après la fin de la retraite, les circoncis pour se débarrasser de leur wâzâ sautent par-dessus le tracé du signe exécuté sous le tas d'ordures auquel on a mis le feu 2 .

25. miiri : « pensée ». Air. Trouvé dans le tourbillon initial.

Ce signe connote, vis-à-vis de l'univers, la situation de l'homme qui doit vivre sur la Terre. Il appartient aux Bozo, considérés comme les premiers occupants du pays et du Niger et qui sont les maîtres de l'eau, nécessaire à toute vie. Le signe se décompose en :

1 1 a.

b. c.

a) Dit : « descente de l'eau du nez du Ciel », kaba nû dyigï dyi. b) Dit : « corde de la pensée », miiri dyuru. c) Dit : « corde de la limite » (de la pensée) dâ dyuru. Ces deux derniers éléments témoignent que la connaissance ne peut jamais être totale. Le signe représente le fer de hache dit « grain de la pensée », miiri kisç, que l'on place dans l'eau avec laquelle on lave les opérés très tôt le matin. Cette eau froide fait pénétrer par osmose dans leur corps les fondements de la connaissance qui leur sera révélée plus tard.

1. dugu yé kaba dya dia fçlç fçlç. L a terre est le symbole de la vétusté. 2. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 64 et 187.

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26. Swali : « percement », perforation. Feu. Trouvé dans le « premier cri » du tonnerre.

Le signe, dit « manche du couteau du ciel », kaba muru kdld, ne se décompose pas. Il est représenté par un bâtonnet placé sur la natte des circoncis ; ainsi les opérés dorment couchés sur le signe qui a le pouvoir d'absorber en partie leur wâzô. Le bâtonnet sera brûlé avec les ordures le 6 e jour. Si des enfants naissent avec une plaie, ils sont soignés avec de la terre sur laquelle on a tracé le signe. Il est aussi tracé par le kçrçdûgâ au cours des rites effectués lors de la chute de la première pluie de l'année.

27. dâ dyûgû : « mauvaise bouche ». Air. Trouvé dans le tourbillon.

Le signe se décompose en :

a.

b.

а) Dit kçnç dyiginî, « descente de l'espace », connote la descente des mauvaises choses sur la Terre. б) Dit dugu dyi, « eau de la terre », rappelle leur passage dans le ruissellement de l'eau. Il s'agit des actes ou pensées néfastes que l'homme connaît ou ignore et dont il lui faut se préserver. La connaissance et la maîtrise de ce signe protègent contre le mal, la méchanceté, l'arrogance, l'orgueil. Le soigneur place dans le toit de la demeure des circoncis, pendant la retraite, un petit morceau de bois dit kisi dd, « porte salvatrice », qui représente ce signe et protège les enfants. On peut le tracer au moment des discussions qui s'engagent entre deux familles à l'occasion d'un mariage, pour éviter les mésententes.

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SIGNES

28. sûsûli : « bégaiement ». Eau. Provient de l'écoulement des eaux.

Le signe ne se décompose pas : il représente la parole secrète et profonde des vieillards. Il est représenté par la tabatière que portent les circoncis et dont ils offrent le contenu aux vieillards pour acquérir leurs connaissances. On dit : « [Si] on n'a pas eu de tabac, on ne [vous] montre pas la parole du tabac » 1 . On pouvait dessiner le signe pour tenter de guérir un homme qui bégaie. On le traçait aussi sur la tombe d'un mort né impur.

29. kûmd : « parole ». Air. Trouvé dans le passage du tourbillon initial.

Nous ne connaissons pas la décomposition de ce signe, mais plusieurs dictons soulignent l'importance et la dualité qui caractérisent la parole. On dit : « Le Tout-Puissant créa la parole et la parole contraignit le Tout-Puissant » 2 . On dit aussi : Q. « Parole ! Qui est-ce qui t'a rendue si belle ? » R. « L a façon dont on me dit. » Q. « Parole, qui est-ce qui t'a rendue si mauvaise ? » R. « L a façon dont on me dit » 3 . E t encore : « L a parole est une charge qui n'est pas lourde, mais elle dévore souvent celui qui la porte » 4. Il s'agit ici de la parole orale, car le signe peut être exécuté lors de la conversation, échange ou conciliabule. L a terre prélevée dans le creux où a coulé le sang du circoncis est mise dans sa bouche « pour déchirer son larynx, et ouvrir sa parole ». 1. 2. 3. 4.

sir à md sçrç, slrd kûmd tç dyira. faama yé kûmd dâ, kûmd yè faama kdrdbd. kûmd ! mû yii nyç ; û fg tyôkô ; kûmd ! mû yii tyÇ ; â fç tyÇko. kûmd yé doni mi yé, d mi giri, n'ka d bisé kad tabaa dâ.

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30. klebi : « tombée du soleil », le couchant ou l'ouest. Air. Trouvé dans la voix secrète du vent.

Représente l'ensemble du bonnet des circoncis dont la forme à quatre pointes connote les directions cardinales : — Sur le front (l'est) la pointe est dite « angle de la bouche », dâ sélêké ; — Sur la nuque (l'ouest), « main de la bouche de l'ouest », dâ klebi bôlô ; — A gauche, le nord, « main de l'abri » des circoncis, kâga bôlô ; — A droite, le sud, « main de l'acclamation », dyâkâ bôlô 1. Ce signe, qui doit être toujours tracé avant le lever du soleil, appartient aux individus intuitifs, doués pour les pratiques divinatoires.

31. kle wúlí : « lever du soleil », le levant, l'est. Air. Trouvé dans le passage du tourbillon.

Lorsqu'il se rend en brousse, le circoncis met son bonnet à l'envers en disant : « Je fais le tracé du signe du lever du soleil », nbç kle wúlí sirâ ti kç.

32. maa bâ : « grande personne », c'est-à-dire « personne âgée », notable. Eau. Trouvé dans le passage du ruissellement.

Signe des vieillards instruits.

i. dyáká est un mot de la langue ancienne.

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SIGNES

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Le signe se décompose en :

7 a.

b.

a) les trois cercles sont dits : « les trois étoiles de tête » [les trois premières étoiles ou constellations] : doolo ké saba, représentées par les Pléiades, nyugu-nyugù, « l'étoile à deux têtes » doolo ké fld, encore appelée « les deux étoiles de la connaissance », fâ doôlô fia 1, et la Polaire, bdbd doolo, « l'étoile du grand fleuve » — le Niger (le nord). doolo kù fia (ou fiant doolo) notamment symbolisent toutes les substances constituant les matières de l'univers et la connaissance de ces substances. La mémoire, l'intelligence de l'homme lui permettent d'acquérir la connaissance de ces substances ; celle-ci lui apporte un certain pouvoir : les trois séries d'actes sont dits, en effet, « fondement de la force », fâga kù. b) tyg ké, « l'homme de tête [supérieur aux autres] ». Le signe connote l'espace céleste sans la Terre, que l'homme a vue avant toute chose, mais qui avait été réalisée après lui. Les trois constellations ou groupes d'étoiles ci-dessus sont représentés sur le bonnet des circoncis par les pompons 2 . L'autre élément du signe représente une houe symbolique : en réalité il s'agit de l'enseignement donné aux enfants pour tout ce qui concerne les rites agraires consacrés à Faro. Le signe connote également l'ouverture de la tunique du circoncis par où passe son bras gauche ; on dit : « La main gauche du circoncis est la bouche du vieillard » 3. La tunique est donnée à l'enfant par l'homme le plus âgé de la famille, ou par la doyenne.

33. maa mis£ : « petite personne », c'est-à-dire personne jeune. Eau. Trouvé dans le passage du ruissellement.

1. Il s'agit ici des étoiles du fonio (compagnons de Sirius) dites également t jumelles de F a r o ». 2. Cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 181. 3. bôlôkôdê nûmd-bôlô yé maakQrçbd dd yê.

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Représente l'ouverture de la tunique du circoncis par où passe son bras droit. Tout individu peut toucher la main droite du circoncis, mais non la main gauche qui prime pendant toute la retraite. En effet, le dya qui est femelle pour un garçon et siège habituellement dans l'eau de la mare de famille, anime et protège le circoncis pendant toute la retraite x.

$

34. dâgd : « malédiction ». Air. Trouvé dans la voix secrète du vent.

Le sifflement du vent forme des mots chargés d'un nyama dangereux et agressif. Le signe est gravé sur le seuil de la maison de retraite (devant et à l'intérieur) lorsque deux circoncis se sont disputés : ils sont condamnés à finir le plat de nourriture pendant 6 jours, même s'ils sont rassasiés.

I

35. dugaw : « bénédictions » 2 . Feu. Trouvé dans le passage du ruissellement.

Le signe peut être dessiné sur la poche du vêtement du circoncis placée sur la poitrine (ou tissé de fils blancs ou noirs qui sont bénéfiques) . On dit que « Dieu exauce toutes les bénédictions ».

%

36. tyadmd : « plusieurs », beaucoup, en grand nombre. Air. Trouvé dans le passage du sifflement du vent initial.

1. Sur le ni et le dya, cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 57 sq. 2. Le mot est toujours utilisé au pluriel car on ne donne jamais une seule bénédiction, mais plusieurs.

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SIGNES

Représente la dispersion par le vent initial de la « semence de toutes les choses » dans l'univers. Associé aussi au souffle des vents de la saison sèche qui répandent les germes des maladies et toutes sortes d'impuretés. Pour les protéger de ces vents, on place dans la poche des circoncis un morceau de charbon de bois qui absorbe les germes d'impureté, d'où qu'ils viennent.

37. blëmâ : « rouge ». Arc-en-ciel. Trouvé dans l'arc-en-ciel. Le guérisseur trace au sol le signe — associé à l'arc-en-ciel — et explique aux circoncis que, devenus des hommes, ils auront à affronter des difficultés de toute nature, sur la Terre et par rapport au Ciel. Pour lutter et devenir un homme accompli, le circoncis fait un serment sur le tracé.

38. fimâ : « noir ». Terre. Trouvé très tardivement sur les lieux occupés ou fréquentés par les hommes. C'est sous ce signe que naît et mûrit tout secret, gûdo, et particulièrement le « secret du mariage ». On dit : « Le mariage est secret ; l'amour [le concubinage] est étalé au soleil » 1 . L'un s'accomplit dans le silence et la dignité, et l'autre se manifeste parfois d'une manière éhontée et bruyante. Le guérisseur trace chaque jeudi au sol le signe et explique aux circoncis qu'il leur faudra se marier pour fonder une famille ; mais qu'auparavant ils doivent rester chastes, et partant purs.

1. furû yé gùdo yé ; kanu dàlé bç île là.

io8

n

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39. Si-k^má : couleur de la noix de karité, « marron ». Terre. Trouvé sur le passage des personnes impures.

Ce signe appartient aux personnes dites « ni blanches, ni noires, ni rouges », c'est-à-dire non encore différenciées ontologiquement, tels les incirconcis, bilakorow. Il est matérialisé par la combinaison appelée dloki-kulusi, tunique — pantalon du circoncis ; ce vêtement a pour but de fixer les forces nyama et wâzô du circoncis. En effet le vêtement sera ultérieurement remis à un vieillard de la famille, dit nyâkdrd, « âme ardente », car seuls les gens âgés sont susceptibles de pouvoir supporter impunément la force impure des circoncis. Nul autre que lui ne porte jamais leurs vêtements.

184. maa tç kç ngâlâ yé : « personne ne devient Dieu ». Eau. Trouvé dans le ruissellement.

Appartient au roi.

Exécuté au cours de l'intronisation d'un roi ou de la nomination d'un chef de village pour leur signifier que malgré les attributs 2 1. Cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 198, et S. de Ganay, « Un jardin d'essai et son autel chez les Bambara », p. 58 et 60. 2. Les rois qu'on dit être les élus et les répondants de Dieu sur terre portent des titres divins tels que « maître du ciel », tnasd, ou tnâsd, « être-force », faamd, «détenteur du pouvoir », sé-tigi, etc., auxquels on joint souvent le mot kç, homme, pour bien marquer la temporalité de leur pouvoir.

LES

SIGNES

159

dont on les revêt et l'absolutisme qui sera leur apanage, ils demeureront des hommes et par conséquent des mortels. On prononce à la même occasion ces classiques et séculaires sentences : « Le soleil [l'ère] d'un roi ne mettra pas fin au monde » 1 ; « La chose [Dieu] qui créa la vie est celle-là même qui créa la mort ; ceux qui sont morts n'ont rien fait à Dieu, ceux qui vivent n'ont rien donné à Dieu ; [de ce fait] la mort est une vérité et l'immortalité un mensonge » 2 .

185. dugu yé dâli fldnâ yé : « l a t e r r e est l a d e u x i è m e

[partie ou étape] de la création ». Air. Vu dans le tourbillon initial.

« La terre est dans le double, dya [c'est-à-dire l'image] de la création. » Ce signe appartient au roi.

I

186. de kçrâ sabani yé : « l'enfant est devenu trois petits », des triplés sont nés. Eau. Provient de l'eau du ruissellement.

Signe de fécondité, utilisé lors des accouchements et particulièrement quand naissent des triplés.

ts.

187. muso kçrçbd Sti : « cadavre de très vieille femme », cadavre d'un ancêtre féminin. Eau. Provient de l'eau du ruissellement.

Utilisé lors de l'enterrement des femmes. 1. tnasa-kç kéli tle tç dy$ bâ, ou encore : faamd kélt tle tç dy$ bd. 2. mï ká nyánámáyá dâ, o dé fáná ká saya dâ; mîw saara úlú md kç álá là, mïw bi y à úlú má f( di álá ma ; saya kçra tunya yé, sabálíyá kçrâ faniya yé.

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IÓO

Et

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188. démisg M : « cadavre d'enfant ». Terre. Provient de l'aplatissement de la terre.

Utilisé lors de l'enterrement des enfants.

A

189. só kçnç : « intérieur de la maison », dans la maison. Terre. Provient de l'aplatissement de la terre.

Utilisé pour la construction des habitations.

Afl

.

190. di : « miel ». Air. Provient du tourbillon.

Ce signe est associé à la végétation. |

I

9I'• " enfant du miel », abeille. Eau. Provient du ruissellement après l'aplatissement de la terre.

Ce signe est associé à la végétation.

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SIGNES

l6l

192. si kôlô yé dugu yé : « l'ossature du ciel est [comme] la terre », la voûte céleste est solide comme la terre. Air. Provient du vent qui devait aboutir à la formation de l'espace céleste.

« L a voûte céleste est à la terre ce que le plafond est au sol de la maison. » Utilisé pour la construction des habitations.

193. : « écrire », ou sçbçni, « écriture ». Eau. Trouvé dans le passage de l'eau de l'espace. Représente les signes de géomancie qui « recèlent la connaissance des choses cachées », la connaissance de l'inconnu.

S

JÛ 1 \J *

194. gâzâ : « seulement », pour rien, futile. Eau. Provient de l'eau du ruissellement.

Représente les signes secondaires révélant aux géomanciens les « faits du jour ».

V

195. soko kd : « voix du gibier », langage des animaux de la brousse. Eau. Descendu dans l'eau du ruissellement.

Tracé dès qu'on s'aperçoit qu'un enfant est sourd, ce qui fait craindre qu'il puisse être sourd-muet, bôbô. 11

IÔ2

Lu^

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196. bd dyî1 : « eau du fleuve », eau du Niger. Eau. Provient de la « première eau », c'est-à-dire l'eau de l'espace.

Appartient au roi. Les rois bambara de Ségou étaient surnommés dyî - tigi, les propriétaires de l'eau, c'est-à-dire des eaux du fleuve Niger. Leur autorité sur le trafic fluvial était effective de Kourroussa en Guinée, à Tombouctou, au Mali.

197. kçç 1 : « mare ». Eau. Descendu dans le ruissellement initial. Appartient au roi.

h

198. kçlç : « puits ». Eau. Vu et « sorti » (né, issu) du ruissellement initial.

Appartient au roi. 199. dyî madnd : « reflets de l'eau ». Air. Vu dans le tourbillon au cours de la création. Représente le double, dya, de toutes choses. Appartient à Faro 2 qui, grâce à ces reflets, exerce son action et son contrôle sur l'univers (des hommes). 1. Il reste entendu que le Niger, les mares, et les puits sacrés constituent le siège, le domaine de Faro, le génie de l'eau. 2. Cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 53.

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SIGNES

£

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200. sûmdyd gçgç : « poussière de la fraîcheur ». Terre. Vu dans l'aplatissement de la terre.

Représente le brouillard et la rosée.

A

201. yûnûmdlî : « marcher à quatre pattes ». Eau. Charrié par le ruissellement initial.

Utilisé lorsqu'on apprend à marcher aux enfants.

«îk

202. 6f wdléw Id : « accord dans les actes », se concerter. Eau. Provient de l'eau de ruissellement.

Tracé lorsqu'on conclut un marché ou discute une affaire litigieuse.

f

203. fûrdkçbad : « guérisseur ». Eau. Provient de l'eau de ruissellement.

Appartient au guérisseur.

204. bçbç : « Bobo », nom d'un peuple soudanais. Air. Provient du tourbillon.

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Les Bobo sont connus pour leur turbulence, leur caractère farouche et leur esprit d'indépendance. Ce peuple, qui est pourtant assez fruste, tire toute sa fierté du fait qu'il n'a jamais accepté le joug de l'esclavage ; et cela est vrai : il n'y a jamais eu de Bobo esclave. Au cours de leur grande révolte de 1916 contre l'autorité française, ils diffusaient, nuit et jour sur les tambours de guerre, ce slogan : « Guerrier ! Guerrier ! Prends le carquoi ; prends l'arc ; même terrassé par l'ennemi, tu dois savoir que cela ne met pas fin au combat » 1 .

205. kle bç kù tyç : « le soleil est au sommet de la tête », le soleil est au zénith. Air et feu. Provient du vent et de la lumière.

f

206. dyçmd : « minimiser ». Eau. Provient de l'eau du ruissellement.

Représente tout ce qui est petit, faible.

2 0 7 . kélê-kélê : « u n u n », u n à u n .

Air. Vu dans le tourbillon.

Utilisé lors des partages de viande ou des distributions de noix de kola au cours de certaines cérémonies : baptêmes, mariages, etc.

208. Si : « poil ». Terre. Provient de la terre. 1. k(l(-kftyé ! kçlç-kç-tyç ! tô td; kdld td; td-kd-bï tç kçlç sa l (bis)

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5

ï

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SIGNES

2 0 9 . kôlô

: « o s ».

Vent. Provient du vent.

210. nkçbftw : « coléoptères ». Feu. Provient de l'éclair.

Ce signe désigne l'ensemble des gros coléoptères voltigeurs dont le prototype est le bousier, et qui sont considérés comme des messagers divins, ki ou tyi-dêw, cette expression signifiant par ailleurs « enfants [porteurs] des signes ». Le signe est tracé sur le sol au cours de certaines pratiques divinatoires organisées par le Komo et le nom du bousier est déclamé 1 .

2 1 1 . numu nçkç : « f e r d u forgeron ».

Eau. Provient du ruissellement. Utilisé lors de la fabrication des houes.

212. sô fê : « chose de la maison », c'est-à-dire tout habitant, homme ou animal, du village. Feu. Vient de l'éclair. Protège contre les éblouissements dus à la lumière de l'éclair. 1. Cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 107, et Signes graphiques soudanais, p. 54 et 55. L a lecture de ces deux pages ne laisse aucun doute sur le rôle des coléoptères en général et du bousier en particulier dans le panthéon bambara. Nous avons recueilli sur le bousier un mythe très révélateur qui sera publié ultérieurement.

l66

\

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213. doolo : « étoile ». Feu. Provient de l'éclair.

214. kâlô : « lune ». Feu. Provient de l'éclair.

Ce signe connote la lumière des astres de la nuit en général.

215. kaloô : « mensonge ». Air. Provient du tourbillon. Contrairement à la vérité, le mensonge est impureté ; de ce fait, elle diminue la « personne », lui fait perdre de sa « force » 1 .

216. dçmçniké : « porter aide », aider. Feu. Vu dans l'éclair.

f

217. ka tad : « pour partir », partir. Eau. Provient du ruissellement.

Est utilisé pour les départs, les voyages, etc.

1. kalod tik$ bç maa fdkoô.

LES

SIGNES

167

218. kâ : « cou », voix. Provient de l'eau.

«

219. na aâ kd taâ sô allions dans la case ». Eau. Provient de l'eau.

: « Viens pour que nous

Utilisé pour les voyages, les déplacements.

0

220. a yé ! maaw : « le voici, gens ! », « le voici, messieurs ! » (Sous-entendu : « voici le feu, messieurs ! » ou « au feu, messieurs ».) Eau. Provient de l'eau.

221. dyenilikç : « brûlure-faire », incendier. Eau. Provient de l'eau. N. B. Les deux à l'élément feu ; il un incendie, on se il faut une grande

0

signes ci-dessus paraissent a priori appartenir n'en est rien ; car les Bambara disent : « S'il y a dirige vers l'eau », « Pour éteindre un grand feu, eau ».

222. kala : « tige », axe. Ciel. Provient du ciel.

Représente le principe qui donne « consistance » aux êtres et aux choses, aux phénomènes de tous ordres, par exemple la parole.

i68

LA

SOCIÉTÉ

D'INITIATION

DU

KOMO

Dans l'enseignement du Korè, il est connu sous le nom de kalani1 et signifie : savoir, connaissance, ou science sans laquelle nos actes n'auraient aucun sens, aucune portée. Chez l'homme, il constitue un principe situé au niveau de la colonne vertébrale, dont l'affaiblissement ou l'absence fait que l'homme s'avilit : on dit de lui maa kala ntâ. Les propos inconsistants, les « affirmations gratuites » sont appelés kûmd kala ntâ, paroles sans consistance.

HP

223. kçli : « ne pas réussir », indigence 2. Terre. Descendu au moment où la terre venait d'être aplatie (et les « premières créatures », les premiers êtres, anéantis).

Représente l'extrême misère et le paupérisme qui sont signes de déchéance car ils « salissent [souillent] et noircissent l'âme », nfnm-ft.

i

F

224. sâ ni dugu ta do : « c'est pour le ciel et la terre ». Terre. Trouvé dans l'aplatissement de la terre.

Représente « les travaux exécutés sur la terre et dans le ciel » par le créateur.

225. i yé maaw flanâ yè : « tu es la deuxième des personnes », le second des jumeaux. Terre. Provient de l'aplatissement de la terre. Appartient aux jumeaux. 1. Cf. D. Zahan, op. cit., p. 238. Le kalani est l'ensemble des signes du savoir. 2. Ce mot, souvent employé dans l'expression kçli ni dçsç, « impuissance et impotence », traduit l'idée d'impuissance ontologique, alors que dfsç (cf. signe 98, p. 132) rend celle d'impuissance physique.

LES

169

SIGNES

226. ka bç ka doô : « pour sortir pour entrer », sortir et entrer ; ou bç ka doô : « sortir pour entrer », sortie et entrée. Terre. Vu dans l'aplatissement de la terre. Représente la phase initiale de la création dans laquelle les signes encore en boule « sortent de Dieu » (quittent Dieu) pour « entrer » (pénétrer) dans le néant originel. Les deux temps de cette phase sont appelés « la sortie et l'entrée », bçli ni doôni. Le signe préfigure le mouvement respiratoire dit « appel de l'âme » ou « appel dans l'âme » qui animera les êtres, et aussi la vie et la mort. On dit : « L'âme [la vie] vient avec la première inspiration, elle s'en va avec la dernière expiration » 1 ; ou encore : « Toute âme sort de chez Dieu [vient de Dieu], toute âme retourne à Dieu » 2 . Le signe préfigure en dernier lieu la fin des temps, le « grand, [l'ultime] départ », tâa bd, que provoquera le « grand feu », dit également td bd : toutes les créatures de l'univers, entièrement consumées par ce feu, se transformeront en un tourbillon immense qui les emportera vers Dieu. On dit : « Le dernier tourbillon videra l'univers et le retournera [ramènera] à son état ancien [primordial] qui est le néant » 3 .

227. gûné : « précipité », affolé, choqué (psychiquement parlant). Feu. Provient de l'éclair. Appartient aux fous, aux possédés de tout genre. 1. ni bç na nyfa fç>lç fç, a bç lad nyç làbâ fç. 2. ni bç bi bç faamd y (ir g, ni bç bi segi faamd ma. 3. fûnû-fûnû làbâ bç dyê lâkôlôyd, kda segi a tyókó kçrrj la, ml yé fu yé. Cette conception est différente de celle évoquée par l'arrivée des « eaux futures » (cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 30 sq.) auxquelles est dévolu le même rôle d'anéantissement de l'univers.

170

LA

SOCIÉTÉ

D'INITIATION

DU

KOMO

228. tinyç tigi : « détenteur de la vérité », véridique. Feu. Provient de l'éclair. Utilisé lors des réunions, des palabres importants.

229. faamâ-mûrû1 : « couteau du puissant », couteau du roi ; ou mieux, « couteau de la royauté ». Feu. Représente le « sabre de la justice, de l'ordre ». Il symbolise aussi le « grand sabre du ciel », sâ muru dyâ 2 , dont la première apparition annonça aux hommes en rébellion contre Faro la fin de la première création. On dit : « Chaque couteau, chaque sabre [dans son mouvement] est un début, un commencement d'éclair » 3 . Ce signe appartient au pouvoir, au roi.

230. wili ni a yé : « lève-toi avec ». Eau. Provient du ruissellement. Utilisé lorsqu'un ordre était donné (par le roi ou le chef). 1. Les empereurs et rois soudanais n'apparaissaient jamais en public et dans les assemblées que suivis du bourreau armé du « couteau du roi ». A Ségou, où la justice était énergique et même expéditive, le « sabre de la justice » s'appelait sini kd dyâ (« demain est loin »). E t dès que le roi requérait la peine capitale contre un accusé, les griots de la cour entonnaient l'hymne du sabre : « Demainest-loin ! Le roi a appelé Demain-est-loin. Demain-est-loin ! Le roi te dit de venir vite » (sini kd dyâ ! faatnd yé sini kâ dyâ wélé ; sini kà dyâ ! faamâ ko i kânâ dyônâ). A ce chant, le bourreau esquissait un pas de danse, jubilait, tout en agitant son arme. 2. Il s'agit d'une comète, également appelée : « étoile à longue queue du ciel » ou « étoile à grosse queue du ciel », sâ na doolô kû dyâ, ou sâ na doolô kû bd. 3. muru bç yé yélégu ddtninç yé.

LES

SIGNES

171

231. dyûgû : « mauvais, ennemi ». Air. Vu dans le tourbillon.

232. bç a la : « retire-toi de cela ». Eau. Provient du ruissellement. Utilisé lorsqu'un ordre était donné (par le roi ou le chef).

233- gùdo : « secret », confidence. Terre. Provient de l'aplatissement de la terre. Utilisé lors des réunions, des palabres. 234. dyçmû : « causerie diurne » par opposition à sumu, « causerie nocturne ». Ciel. Provient du ciel. Utilisé lors des réunions, des palabres.

235. latçmçli seérd : « action de choisir ou de trier est arrivée », c'est l'heure du choix, du tri. Feu. Trouvé dans l'éclair. Utilisé lors des palabres.

172

LA

SOCIÉTÉ

D'INITIATION

DU

KOMO

236. ta bélé-bélé : « feu grand, grand », un très grand feu. Feu. Trouvé dans l'éclair. Représente la purification par le feu. Ce dernier sert à purifier la Terre après les récoltes, à débarrasser les chasseurs du nyama des animaux à éloigner l'esprit maléfique des morts, à chasser le wâzo des circoncis après la fin de la retraite 2 .

237. bi maâ do : « C'est une personne d'aujourd'hui », des temps présents. Feu. Trouvé dans l'éclair. On dit que la première personne, en l'occurence un homme, sortie du sein de la terre au début de la seconde création, eut « connaissance de l'univers et de lui-même », respectivement sous l'effet de la lumière, de l'éclair, et de « l'éclatement du ciel » — le grondement du tonnerre 3 — qui suivit l'éclair. Celui-ci « fit entrer l'univers en lui par le trou de l'œil » ; le tonnerre dédoubla son être en provoquant l'envol de son dya. « C'est grâce à ces deux actes, kç wdlé fia, que le premier être humain acquit la pensée et la réflexion. » 4

238. tyikçlâ do : « c'est un cultivateur ». Terre. Trouvé dans le ruissellement souterrain. Utilisé lors des décisions prises par un roi, un chef. 1. Cf. Y . Cissé, op. cit., p. 192 sq. 2. Cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion batnbara, p. 187. 3. kaba yélêkâ ni sâ pr$ yaà tó mçkç fçlç yé dyÇ dô, kaa yçrç « le scintillement du ciel [l'éclair] et l'éclatement du Ciel [le tonnerre] firent que la première personne connut l'univers et lui-même ». 4. ni k(-wâlé fia yod tó mçkç fçlç yé miiri ni taaH sçrç.

LES

SIGNES

173

239. së nç tyaámá : « plusieurs traces de pieds », de pas. Air. Vu dans le tourbillon initial qui constitue « le principe de vie de toutes les créatures terrestres » 1 . Représente les activités tant spirituelles que matérielles de l'homme d'une part, et d'autre part les « traces laissées par le tourbillon initial dans toutes les créatures ». On dit « qu'en chacune des créatures se trouve un tourbillon », latent ou actif, selon les cas. Ce tourbillon est matérialisé : 1. Dans le ciel, par les galaxies ; 2. Dans la terre par l'enroulement, la superposition, des couches géologiques ; 3. Chez l'homme par la naissance des cheveux dite « rencontre des cheveux », Si et occasionnellement par les vertiges ; 4. Dans l'arbre par les assises concentriques qui constituent le tronc, notamment ; etc. La prise de possession des « signes » se fit tout d'abord par la plante des pieds 2 . La phrase évoque aussi le conseil donné aux jeunes gens de « suivre les traces de leurs ancêtres ».

240. n'ti boli fôyi kçsç : « j e ne cours pas à cause

de quelque chose », quoi qu'il arrive, je ne fuirai pas. Air. Descendu par le vent.

1. Il s'agit de ce qui, dans les êtres, deviendra l'âme, puisqu'on dit : « Ce tourbillon rendit vivant [anima] toutes les créatures », ni funû-fûnû n'yé dâfÇ bç nydnâmâyd. 2. Cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 4.

174

LA

SOCIÉTÉ

D'INITIATION

DU

KOMO

241. faamâ kd fali kd dyûgû : « l'âne du puissant est méchant », l'âne du roi est méchant. Eau. Trouvé dans le passage du ruissellement.

Représente les courtisans du roi. On dit : « Le pouvoir n'est pas méchant, c'est l'entourage du pouvoir qui est méchant » x. Utilisé pour les ordres donnés par un roi, un chef.

[f

242. bdkânûw Syd woô Syd espèce de petits animaux ». Eau. Vu dans le ruissellement.

: «

n'importe quelle

Utilisé pour tout ce qui concerne l'élevage, ou la chasse.

4

243. bd : « terminaison, achèvement, mort

244.

kûnûli

: « réveil, résurrection ».

245. (Nous ne possédons ni le nom ni le commentaire de ce signe.)

1. fâka md dyûgâ, fâha k^rç sigi de kâ dyûgÛ.

LES

SIGNES

INDEX

175

DE

LA

RÉPARTITION

DES

SIGNES

Nous donnons ci-dessous une répartition des signes par éléments impliquant masculinité ou féminité. Les sous-divisions connotent le lieu et le moment où le signe a été révélé aux hommes. Une liste complémentaire donne la répartition de certains signes affectés à d'autres rubriques.

SIGNES

MASCULINS

Air : Tourbillon secret, 1. Vent initial, 17, 192. Sifflement du vent initial, 3, 36, 93. Tourbillon initial, 2, 11, 25, 96, 102, 125. *33. 149, 185, 199, 239. Passage du tourbillon initial, 2, 55, 59, 67.

Voix secrète du vent, 30, 34. Passage du vent, 63, 72, 89. Tourbillon, 10, 18, 20, 21, 23, 27, 153, 159, 166, 183, 190, 204, 207, 215, 231. Passage du tourbillon, 15, 31, 40, 46, 64, 65, 70, 71, 88, 154, 165.

Vent, 13, 47, 49, 170, 209, 240. Feu : Scintillement, éclair initial, yélêgu fçlç, 4, 12, 66, 68, 122, 135. Premier feu de l'univers, 24, 130. Tonnerre ou « première voix de Dieu », mâ kâ fglç, 26, n i . Éclair, 45, 74, 76, 84, 94, 101, 115,

SIGNES

136, 140, 157, 210, 212, 213, 214, 216, 227, 228, 229, 235, 236, 237. Passage de l'éclair, 48, 69, 73, 75, 81. Feu du ciel, 6, 9, 162. Foudre pendant la pluie, 150, 151, 160, 163.

FÉMININS

Eau : Ruissellement secret, 175. Eau de l'espace, 195. Passage de l'eau dans l'espace, 62, 134, 174, 193Ruissellement initial, 109, 197, 198, 201.

Passage du ruissellement avant la première création des êtres, 14, 19, 56, 116, 138, 147, 168, 169, 197. Premières pluies avant l'aplatissement de la terre, 42, 54, 60, 114.

176

LA

SOCIÉTÉ

Ruissellement après la « fin de la première création » (c'est-à-dire l'anéantissement des premières créatures) et l'aplatissement de la terre, 41, 43, 99, 178, 179, 184, 186, 187, 191, 194, 195, 202, 203, 206, 2 1 1 , 217, 230, 232, 242. Passage du ruissellement après « la fin de la première création » et

D'INITIATION

DU

KOMO

l'aplatissement de la terre, 22, 28, 32, 33. 35. 57. 78, 80, 82, 91. 92, 95, 98, 105, 112, 1 1 3 , 121, 124, 137, 148, 164, 167, 171, 172, 173, 176, 182, 241. Eau, 218, 219, 220, 221. Eau souterraine, 238.

Terre : Avant l'aplatissement de la terre, 108, 110, 180, 181. Au cours de l'aplatissement de la terre, 79, 85, 87, 103, 104, 155, 156, 161, 188, 189, 200, 223, 224, 225, 226, 233.

Après l'aplatissement de la terre : a) Sur les traces de « personnes impures » (les premiers hommes), 38, 39, 83. b) Par terre, 123, 128, 145, 146, 152, 177, 208.

DIVERS

Vide ou néant initial fû Vibration initiale glà glà glà zà Espace initial, kfinf! fqlq Ciel Ciel et eau Etoiles Feu et eau Ciel et terre Arc-en-ciel Air et feu Air et eau Terre et eau

F M M M M M M F M M M M M F

61. 44. 8.

io

7-

7100, 117, 120. 90, 97, 106, 127, 141, 222, 234 5i. 77. 53. 16,

52. 131n8. 119.

5. .67. 139. 205. 50126.

Ici la féminité ou la masculinité affectée au signe est fonction de son origine, ou du rôle joué par l'étape de la création à laquelle il est associé.

LES

SIGNES

177

III. T A B L E A U X

DE

SIGNES

Les Bambara réalisent, à des fins rituelles, un grand nombre de figures qui comportent des groupes de signes, dits ti-wâlâ, « tableaux, tables, planches ou bandes de signes ». Ces tableaux connotent sur le plan mythique, une étape précise de la genèse en même temps qu'un événement intéressant les êtres ou les objets auxquels ils se rapportent, êtres ou objets dont ils révèlent, par la position des tracés, leurs couleurs, etc., la nature intime. La plupart de ces tableaux sont peints, dessinés, pyrogravés ou gravés sur des planchettes de bois, des tablettes de pierre ou sur les autels fixes ou portatifs. Les planchettes et tablettes de signes sont conservées par les chefs de culte, les prêtres ou par les forgerons et les devins, et on ne les fait sortir qu'à l'occasion des cérémonies anniversaires et septennales du Komo et du Korè. C'est dire leur caractère et leur valeur sacrés. On peut d'ailleurs observer sur ces figures la présence d'un certain nombre de signes du glâ.

I.

TABLEAUX

FIGURE

RETRAÇANT LES

PREMIÈRES

ÉTAPES

DE

LA

CRÉATION

9.

Ces trois figures sont dites « signes [ou tracés] de la rotation », mûné-ti : elles symbolisent le tournoiement initial en spirale déclenché par l'introduction des 266 signes dans le néant originel auquel il fit perdre son uniformité statique. Ils sont représentés par ailleurs : dans le ciel, par les galaxies ; sur la terre par les tourbillons de vent et d'eau, etc., etc. ; chez l'homme, par la « rencontre » (la naissance) des cheveux, èi-bç, et aussi par le vertige ou « tournoiement dans l'âme », nydnâ-mint. Ces signes, tracés sur une planchette conservée par les prêtres, sont reproduits sur le sol par ces derniers afin que « les tourbillons de vent qui soufflent à l'approche de l'hivernage soient des vents favorables, fastes ». On observe dans la figure de gauche le signe « oui » (n° 118) ; dans celle du bas, le signe de l'eau. 13

IO. « Le signe [ou le trace] de l'émanation cle l'humidité [ou de la fraîcheur] », sûmd mânâ ti. Il représente la formation, dans le sein de l'univers, de l'humidité qu'évoque le croisement des « bandes noires et blanches » (bandes qui figurent également sur la tunique du chef du Komo). Les six bandes préfigurent par leurs couleurs, les six premiers signes du Komo 1 , et par leur tracé, l'écoulement futur des eaux, dans les ravins, fôlé, les rivières, kç et les fleuves, bd 2. Les cercles préfigurent la stagnation des eaux dans les trous, FIGURE

1. Cf. « Les signes », p. 79. 2. Cf. classe 7 du Komo, p. 225.

SIGNES

•g

1q d • 1

• D• o

i8o

LA

SOCIÉTÉ

D'INITIATION

DU

KOMO

totâ ou baa digç, les puits, kçl$ et les mares, dalâ ou Il convient de préciser que l'eau est ici à l'état de vapeur.

kç.

FIGURE II. « Les signes [ou le tracé] de l'humidité de NGolo » sûmâ ngolo ti. Ils symbolisent la formation et l'écoulement des eaux dans le sein de l'univers, comme plus tard sur la Terre. Ce tableau présente l'achèvement de la formation des eaux qu'évoque le précédent.

I I . T A B L E A U X RETRAÇANT LES DIFFÉRENTES PHASES DE LA FORMATION DE L'ŒUF DU MONDE, dyji fâ, DES 7 CIEUX ET DES 7 TERRES

Ces tableaux sont tous « femelles » 2 parce qu'ayant trait à la gestation du monde, et orientés. FIGURE 12. « Tableau de l'univers seul », l'univers dans son unité, dyç ou dunyâ kélê walâ. Il montre l'univers indifférencié avec cependant l'ébauche des quatre points cardinaux, du ciel, de la terre et de l'espace. Il faut noter l'importance de la spirale centrale dite « rotation initiale », mûné fçlç, ou « grand tournoiement », mini-minî-bd, c'està-dire le « grand tourbillon initial ». FIGURE 13. « Tableau du Ciel [empyrée] du néant et de la Terre », fû kâbâ ni dugu walâ. Ici le cloisonnement de l'univers est net, le signe de la rotation réduit ; l'espace occupe encore une surface très grande ; les signes du Ciel et de la Terre (V et A) sont visibles ; deux sinusoïdes à tête indiquent dans les cases du bas la « descente et la remontée » des signes, les mouvements de l'esprit créateur — pensée et réflexion. 1. ngolo est un des noms de Dieu ; c'est aussi le nom du gorille, ancêtre des singes qui, avec le cynocéphale, ngçç, seraient des forgerons déchus ; ngolo est également le nom du 3 e garçon qui, autrefois chez les Bambara, était l'héritier spirituel de son père, ngolo traduit donc une idée de primauté. Quant à l'expression sûmâ ngolo, ou sûmâ wolo ou woro, « premières eaux, eaux divines » ou « naissance de l'humidité [divine] », elle désigne le stade de la création auquel apparurent les eaux cosmiques. (Cf G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, jeu de soumangolo, p 32 ) Un système de fonction mathématique découlant de ce jeu et servant de base à l'astronomie, et à la géomancie — c'est-à-dire à une sorte de calcul de probabilités — est à l'étude. Il laisse d'ores et déjà entrevoir l'importance de certains jeux d'enfants sur le plan initiatique, même le plus élevé. 2. Nous rappelons qu'il est dit que « l'univers lui-même est femelle » dans toutes les choses de la création : cf. infra, p. 275.

LES

SIGNES

l8l

FIG. 12. —

Tableau

de l'univers

seul.

182

LA

FIG. 13. — Tableau du « Ciel du néant » et de la Terre.

SOCIÉTÉ

D'INITIATION

DU

KOMO

FIG. 14. — Tableau « dans lequel Ciel et Terre tiennent tous les deux ».

FIGURE 14. « Tableau [dans lequel] Ciel tous [deux] », kaba ni dugu bê kû wdlâ.

[empyrée] et Terre

tiennent

L a division de l'univers en d e u x parties égales est nette : en h a u t , 7 rectangles qui connotent les 7 cieux superposés et numérotés ;

LES

SIGNES

183

en bas, les 7 terres également superposées et numérotées, à l'aide de petits traits, surmontés d'un dessin représentant l'atmosphère terrestre, dugu ma fyç, et de la spirale de l'air. On observe dans la partie gauche flanquant les cieux la triple répétition du signe « rien », fû ; parallèlement en bas, la spirale de l'eau. III.

TABLEAUX

CONCERNANT

LES

PREMIERS

COUPLES

MYTHIQUES

FIGURE 15. « Tableau de Koni, Mousso Koroni, Pemba et Faro », kôni, muso-kçrçni, pçbâ ni faaro wdlâ.

LA

SOCIÉTÉ

D'INITIATION

DU

KOMO

Il représente, dans l'univers en gestation, les fœtus, ou plus exactement les signes des puissances surnaturelles vues ici sous l'aspect de couples constitués par Koni et Faro d'une part, Pemba et Mousso Koroni d'autre part. Nous n'avons aucun commentaire de ce tableau. FIGURE

16. «

Tableau de la perfection de Koni », kôni nyç wdlâ.

FIG.

16

LES

SIGNES

185

Il représente en réalité : — E n haut — côté mâle — « Koni descendant » sur Terre au cours de la création et « Koni remontant » dans le Ciel à la fin des temps ; — En bas — côté femelle — « Faro descendant » sur Terre au cours de la création et « Faro remontant » dans le Ciel à la fin des temps ; — A u centre — le sein de l'univers — la naissance des jumeaux mixtes dits « jumeaux de Faro » symbolisés par deux cercles qui se coupent, « deux cercles préfigurant les étoiles des jumeaux », flani doôlô. Le tableau porte le nom de « perfection de Koni » parce que ce dernier, dit-on, « doit toute sa renommée à sa femme », Faro, considérée comme la meilleure des épouses et des mères, la mère des jumeaux, et de surcroît celle qui « entretient [éduque] les créatures », dâ fçw Id-dÔ-bd.

I V . TABLEAUX A Y A N T TRAIT A LA DIVINATION PRATIQUÉE LORS DES CÉRÉMONIES ANNIVERSAIRES DU KOMO ET DU

KORÈ

FIGURE 17. « Les signes [ou le tracé] des étoiles de l'émanation [divine] », mdnâ doolo ti. L a figure en forme de tête d'oiseau, ou d'enclume 1 , reproduit l'autel symbolisant l'unicité de Dieu et la présence de ce dernier sur terre. Dans le Komo, cet autel est appelé kdrd2, « qui préserve », ou fard bd, « la grande pierre ou la pierre mère » ; dans le Korè, il est appelé « pierre du Korè », kçrç fard, ou « grande pierre ou pierremère », fdrd bd, ou encore « pierre de l'étoile [de la constellation] de l'émanation [divine] », mdnâ doolo-ti. Cet autel, auquel aucun autre n'est associé, est vraiment l'autel du Dieu unique que les Bambara révèrent et à qui ils demandent pluie, santé et enfants. « C'est lui qui rend le village prospère. » 3 Lors de la cérémonie annuelle du Komo, il est peint à l'argile noire, blanche ou r o u g e 4 et ne reçoit jamais de sacrifices sanglants lors des offrandes, mais seulement des libations de bouillie blanche de 1. L'autel doit être une ancienne enclume mutilée ; en effet, les autels du Komo et du Korè anciens sont d'anciennes enclumes faites d'aérolithes appelées « grandes pierres ou pierres-mères », fdrd bd. 2. Cf. « Cérémonie annuelle du Komo », infra, p. 243. 3. aie de bç dugu dyi di. =

4. Ceci est fonction des prédictions des devins ; année prospère, féconde noire ; année faste = blanche ; année catastrophique = rouge.

i86

LA

SOCIÉTÉ

D'INITIATION

DU

KOMO

mil, dite « écoulement de l'émanation [divine] », mànâ woyo, c'est-àdire ici « l'écoulement des étoiles dans le fleuve céleste qu'est la Voie lactée ». Dans le Korè, l'autel est également peint en noir, blanc ou rouge, mais on ajoute des étoiles.

Par exemple, la pierre du Korè de Banankoro, que nous reproduisons ici, repose sur 22 petites pierres symbolisant les catégories, les 22 génies tutélaires de la société du Korè 1 ; elle porte aussi dans sa partie supérieure, 22 points, dits « les 22 étoiles », et deux signes — tous peints ; les étoiles représentent les « enfants », les initiés du Korè, et les signes la naissance des initiés à la vie spirituelle et leur résurrection après la mort. En conclusion, on peut dire que les autels kiri du Komo et du Korè sont aussi des symboles du firmament, le plus vaste et le plus complet des tableaux de signes de l'univers, « puisqu'il contient tout ». C'est pourquoi, ils sont reproduits sur des planchettes et sur le sol à l'approche des rites de divination pratiqués lors des cérémonies annuelles du Komo et du Korè. 18. « Tracé des étoiles de la parole divine », mâ kûmi doolo tî. A l'approche des cérémonies anniversaires du Komo, les hommes instruits de l'astronomie tracent sur une planchette les signes des événements majeurs à venir annoncés par les étoiles. Cette planchette contient ainsi « toute la parole divine, ma kûmi, tout le message divin pour l'année qui commence ». Elle est orientée. FIGURE

1. Sur les 22 ( + 2) catégories, cf. supra, p. 76.

LES

SIGNES

187

NI

FIG. 18. — Tracé des étoiles de la parole

FIGURE

divine.

19.

A la clôture des cérémonies, ces signes sont reproduits sur le sol, décomposés et commentés abondamment au cours d'un rite de divination appelé « tracé des étoiles de la parole », kûmâ doolo ti. La figure montre un aspect du tracé au sol de divers signes, en vue de leur analyse. Notons que cette pratique est également observée au niveau du Korè.

i88

LA

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D'INITIATION

DU

KOMO

H, FIG. 19. — Tracé des étoiles de la parole. Certains de ces signes rappellent (avec de légères variantes dues aux graphies) les signes 7, 40, 43, 133 et 199.

V.

TABLEAUX

R E L A T I F S A LA

E T A L A PROTECTION

DE LA

FERTILITÉ TERRE

FIGURE 20. « Tracé du tableau de la Terre », dugu walâ ti. « La planchette de la terre », dugu walâ, est une planchette divisée en 7 bandes peintes de différentes couleurs correspondant aux 7 cou-

LES

189

SIGNES

leurs de l'arc-en-ciel, qui sont ici le bleu foncé, le vert, le jaune, le violet, le rouge, le bleu clair et le marron.

0

0

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J

—ffj— 0

V FIG. 20. — Tracé du tableau de la Terre. On sait que l'arc-en-ciel est aussi la « simplification des signes du savoir rendu ainsi accessible à tous les hommes » 1 . C'est pourquoi des signes sont tracés avec netteté dans les sept bandes de la planchette. Celle-ci, conservée chez le chef des forgerons, n'est sortie qu'à l'occasion des divinations pratiquées pendant les cérémonies anniversaires du Komo et aussi du Korè. Les devins reproduisent alors sur le sol, dans deux tableaux distincts les principaux signes mâles (air et feu) et femelles (eau et terre) qu'elle contient. 1. Cf. signe 139, p. 146.

190 FIGURE

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21.

Le tracé du premier, walâ mûsô ti ou dugu sird ti (« tracé du tableau femelle » ou « tracé du chemin de la terre »), favorise la régularité et l'abondance des pluies et la fécondité des femmes et du bétail, prévient les inondations, la sécheresse et les fausses couches.

E

FIG. 21. — Tracé du tableau femelle ou du chemin de la terre. Les signes tracés sur le tableau femelle, qui est de loin le plus important, sont commentés de la façon suivante : dyî kçnQ gdlé, « eau-ventre-premier », première conception de l'eau, symbole de la fécondité.

flani dyî, « eau des jumeaux » (de Faro), fertilité. nyama dyî, « eau [chargée] de force vitale », abondance. 4

dyî sird dya, « double [trace vide] du chemin de l'eau », ou « assèchement du chemin de l'eau », sécheresse. kulu tyç dyî, « eau de la montagne mâle », torrent, donc dégâts.

LES

SIGNES , (lL ^

kulu mûsô dyi, « eau de la montagne femelle » (c'est-àdire les grandes cuvettes, les bas-fonds), inondations, donc dégâts.

(fy S

¿yi Ayûgû, « mauvaise eau », eau souillée ; comprend :

.

dyi kçn$ tinyç, « eau-ventre-détériorée », eau avortée, avortement, conséquence des ruptures d'interdits, souillure de la terre.

0

7b

191

/

,flani-mûsô Ayu dyî, « jumelles-femmes-matrice-eau », eau utérine (sang menstruel) des jumelles, souillure.

FIGURE 2 2 .

Le tracé du second, walâ kç ti, « tracé du tableau mâle », préserve le village des « maladies du vent » (les épidémies) et de la foudre.

S FIG. 22. — Tracé du tableau

mâle.

IÇ2

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D'INITIATION

DU

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FIGURE 23. « Signes des ruptures d'interdits », tnç tyç ti. En cas de rupture d'interdits majeurs — ce qui provoque sécheresse, foudroiements, inondations, avortements des femmes et souillure des champs cultivés, bref, de véritables catastrophes — on fait tracer au fer rouge par le forgeron certains signes purificateurs sur quatre morceaux de bois ou de tessons de calebasses taillés en forme de rhombes que l'on relie entre eux par des cordons ; on les agite en guise de sonnailles, et on les fait tourner à la manière des rhombes pour « chasser le nyama » et purifier ainsi la terre et « l'espace aux quatre directions cardinales », kçnç kôlô fâ nadni.

FIG. 23, — Signes des ruptures d'interdits.

LES

193

SIGNES

VI.

UN

CERTAIN NOMBRE

DE FIGURES SONT

A V A N T LES SEMAILLES PAR LES POUR FAVORISER LES

FIGURE

EXÉCUTÉES

AGRICULTEURS

RÉCOLTES

24. « Porte du [premier] vestibule [du monde] », dâ là blo.

O

i . L'eau.

Le tracé central délimite le « vestibule » ou « l'entrée » de l'univers en formation. Les quatre branches connotent les résultats de l'explosion qui a provoqué la répartition des astres dans le ciel, eux-mêmes représentés par le demi-cercle qui les accompagne. Les quatre branches connotent également les éléments primordiaux :

2. L a terre.

3. Le feu.

4. L'air.

L a branche est volontairement détachée de l'ensemble, cette séparation connotant un épisode de la genèse, soit le morceau de son propre placenta arraché par Pemba pour réaliser son propre monde et qui est devenu la planète Terre. L a figure est exécutée avant l'hivernage dans le vestibule d'entrée d'un chef de lignage. 25. La « descente », djigï, sous-entendu celle de Faro et des graines primordiales.

FIGURE

Le tracé présente 7 segments, la figure centrale qu'elle forme étant l'image des « mouvements » de Faro. L'ouverture des branches délimite le fonio primordial. Cette figure était autrefois exécutée sur le champ de fonio, avant de sacrifier la volaille rituelle. On plaçait 7 grains autour de la figure, une graine de balâzâ et une graine de fonio au centre. 13

LA

194

SOCIÉTÉ

FIGURE 26. Le « fonio » (initial),

D'INITIATION

DU

KOMO

fini.

La branche verticale placée à l'est connote l'élément « l'air » et la graine initiale de balâzâ ; les 3 autres branches, les 3 variétés de fonio : a) Le fini bd, volé par Pemba, lors de la remontée au ciel, qui sera repris par Faro ;

y -

b) Le fini mânâ, avatar du premier — « l'exuvie » de la descente de Pemba ; c) Le fini blé, fonio devenu rouge et impur lorsqu'il fut cultivé par la jumelle de Pemba, Mousso Koroni. Sur un autre plan : a représente les arches qui devaient descendre sur la Terre ; b les « descentes » de Pemba, puis de Faro ; c l'arrivée de l'arche de Faro avec les ancêtres.

£

FIGURE 27. « Pluie de la bonne venue du mil », nyç nyç sâ.

O

Le signe, qui se lit de bas en haut, est orienté est-ouest.

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,,

«

1: d a.

C b.

c.

d.

e.

a) La terre. b) La foudre qui précède les tornades. c) L a foudre qui succède aux orages. d) Les pluies venues de l'est, considérées comme les plus fastes pour la croissance des végétaux. e) Le ciel. Ce signe, destiné à assurer à la fois la régularité et l'abondance des pluies, la protection du village contre la foudre et la venue normale des récoltes, est tracé sur le sol du bois sacré du village, quelques jours avant les sacrifices à la terre, par le préposé au culte des génies tutélaires du village, dugu ddsiri. A u moment du sacrifice à la terre, le dessin est reproduit sur une racine, prélevée dans le bois. Cette racine, qui reçoit du sang des animaux (un bélier blanc, un coq blanc, une noix de cola blanche) et de la bouillie de mil offerts aux génies, est ensuite ramenée au village et conservée suspendue au plafond du vestibule du chef de village.

LES

SIGNES

195

VII Il existe d'autres sortes de « tableaux » exécutés à l'occasion de certains événements ou pour des cas individuels. Ainsi la mort d'un notable donne lieu au tracé de signes sur son corps 1 ; la circoncision d'un jumeau à la reproduction d'une série de tableaux de signes sur ses vêtements. Dans de nombreux cas, ces ensembles sont réalisés sur des vêtements ; ils peuvent être peints sur un tissu blanc ou teint ; ils peuvent être présents dans une étoffe tissée dans laquelle sont intégrés des motifs symboliques qui les représentent. Nous rappelons, en effet, que si le signe constitue un témoignage de la « parole » divine au stade initial de la création, le tissage symbolise la « parole » — au stade oral — révélée aux hommes ; on dit : « Le tissage dit la parole », ou : « Le bruit [ou la voix] du tissage est la parole » 2. En voici quelques exemples : 1. Vêtement du chef du Komo (kçmç tîgi

fini).

L a tunique cérémonielle du chef du K o m o est, nous l'avons vu, un vêtement fait de 33 bandes alternées noires et blanches qui, sur un premier plan, connotent les 33 degrés de l'initiation (Pl. IV). Elle est dite « vêtement de la vibration de l'oreille », klô yçrç fini, et encore « vêtement des 17 personnes ». Or, symboliquement, le K o m o a pour bases numériques io, chiffre parfait attribué à Faro, et 7 qui représente « la personne » dans sa complétude mâle et femelle. De plus, l'organisation du culte du K o m o est, selon la tradition, attribuée à 17 forgerons représentés symboliquement par les 17 anneaux de la chaîne sacrée 3 . C'est pourquoi le vêtement comporte 17 bandes blanches qui correspondent à ces symboles. De plus, chacune de ces bandes est dite « grande voie blanche », sird bd dy§, ou « voie de la grande blancheur », sird dyç bd, ou encore « grand chemin des étoiles », doolo sird bd, soit la Voie lactée. Les bandes noires sont au nombre de 16 : 10 pour Faro ; 6 rappellent les 6 premiers signes sacrés de chaque société et l'origine de la création. L a 17 e bande noire, manquante, est rappelée par l'ouverture du vêtement qui est assimilée au signe « rien », fû, lequel témoigne aussi de l'antériorité de Dieu, le créateur. L a tunique, posée à plat, représente le tableau du glâ glâ. 1. Cf. G. Dieterlen, Essai sur la religion bambara, p. 192. 2. ddli bç kûmd fç, ou dàli kâ yé kûmâ yê. 3. Cf. supra, p. 15 et 43.

ig6

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D'INITIATION

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L a tunique que porte le masque du Komo dyago, est également faite des mêmes bandes. Seul, le masque de ce Komo aurait droit au port de ces bandes, le nom et le groupe étant symboliquement associés au ruissellement des eaux célestes et terrestres placées sous la domination de Faro. 2. Vêtements des circoncis. Les signes que nous commentons ci-dessous ont été relevés sur la tunique et le bonnet d'un circoncis bambara, Lasiné Koulibali, collectés en 1952. Ils avaient été exécutés plusieurs années auparavant par son oncle maternel : trois jours avant la circoncision, ce dernier avait rempli cet office à la place du père défunt, et avait sacrifié pour le postulant sur son autel personnel. Il s'agit ici de signes exécutés pour un circoncis né jumeau, destiné par sa naissance à être le chef, masa, de sa promotion. Les signes, qui ont été commentés par leur auteur, sont tracés sur le tissu préalablement teint au wqI