Les figures illustres de la Mésopotamie
 9782296994324, 2296994326

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Ephrem-Isa Yousif

Les figures

illustres de la

Mésopotamie

PEUPLES ET CULTURES DE L ’ O R I E N T

LES FIGURES ILLUSTRES DE LA MÉSOPOTAMIE

Peuples et cultures de l’Orient Collection dirigée par Ephrem-Isa Yousif Il y a au Proche-Orient des peuples, porteurs d’un riche patrimoine culturel, qui ont joué un rôle important dans l’histoire de la civilisation : les Arméniens, les AssyroChaldéens, les Coptes, les Géorgiens, les Maronites, les Melchites et les Syriaques occidentaux. Hélas, aujourd’hui, ils sont peu connus en Occident. Les Éditions L’Harmattan ouvrent encore plus largement leurs portes à tous ces peuples, communautés, pour que leur patrimoine soit valorisé.

Déjà parus Ephrem-Isa YOUSIF, Saladin et l’épopée des Ayyoubides. Chroniques syriaques, 2010. Saywan BARZANI, Le Kurdistan d’Irak, 2009. Sylvie CHABERT D’HYÈRES, L’Évangile de Luc et les Actes des Apôtres selon le Codex Bezæ Cantabrigiensis, 2009. Ephrem-Isa YOUSIF, Les Villes étoiles de la Haute Mésopotamie, 2009. F. HELLOT-BELLIER et I. NATCHKEBIA (dir.), La Géorgie entre Perse et Europe, 2008. P. G. BORBONE, Un ambassadeur du Khan Argun en Occident. Histoire de Mar Yahballaha III et de Rabban Sauma, 2008. G. H. GUARCH, Le legs kurde, 2007.

Ephrem-Isa Yousif

LES FIGURES ILLUSTRES DE LA MÉSOPOTAMIE

L’Harmattan

© L'HARMATTAN, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-99432-4 EAN : 9782296994324

« Peut-être notre civilisation, que Nous croyons fulgurante, n’est-elle qu’une décadence profonde, n’ayant même plus le souvenir historique des gigantesques sociétés disparues ». « Les saisons et les hommes coulent comme un seul fleuve Interminable sous les arches des siècles, vers le centre vivant de l’origine, au-delà de la fin et du commencement ».

Liberté sur parole, Octavio Paz

Avec mes remerciements à Monique Le Guillou qui a collaboré avec moi à la réalisation de cet ouvrage.

INTRODUCTION Les historiens grecs appelèrent Mésopotamie le pays entre les fleuves, le Tigre et l’Euphrate. Je suis né sur ce vaste territoire qui déborde l’Irak actuel. Je suis un enfant des montagnes du nord, des premiers villages, des bateaux sur les fleuves, des fleurs dans les vallées, un enfant d’Ur, d’Assur, de Ninive et de Babylone. Plus tard, au cours de mes études universitaires, j’ai découvert la civilisation mésopotamienne, l’une des plus anciennes et brillantes du monde, sa richesse et sa grandeur. J’ai pu, lors de mes conférences, faire partager mon admiration pour ses fiers monarques, son clergé, ses scribes, ses artistes, ses commerçants, ses artisans. Au pays de Sumer et d’Akkad, région de basse Mésopotamie, située entre Bagdad et le Golfe, la civilisation s’était développée très tôt, bien avant la Grèce et Rome. C’était une terre alluviale, aride mais fertile, austère, brûlée de soleil, une terre aux villes nombreuses, précaires à cause du déplacement des fleuves. Les anciens Mésopotamiens excellèrent dans la créativité, ils inventèrent la roue, l’irrigation, la ville, l’organisation étatique et les premiers systèmes administratifs. Par l’écriture vers 3300 av. J.-C., ils firent entrer l’homme dans l’histoire. Ils développèrent le commerce, les techniques et les arts. Ils recoururent aux premiers codes de lois, rédigèrent mythes, prières, poèmes épiques et lyriques, textes de sagesse. Ils découvrirent l’astronomie, l’astrologie, la médecine. Cette grande civilisation mésopotamienne « ift rage » pendant des millénaires, selon l’expression de l’archéologue français André Parrot. Elle garda jalousement ses modes de pensée, ses mœurs, ses coutumes jusqu’à l’arrivée du perse

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Cyrus en 539 av. J.-C. et surtout d’Alexandre le Grand deux siècles plus tard. Elle survécut jusqu’au début de notre ère. Elle marqua le Proche-Orient et parvint d’abord en Occident par les canaux de la culture grecque et de la Bible. D’après la tradition sumérienne, la royauté descendit du ciel sur la terre, à l’initiative des dieux qui la donnèrent aux hommes pour le pastorat du pays, seul modèle de gouvernement imaginable. Le Pouvoir royal, le Trône, le Sceptre faisaient partie des Me détenus par les dieux, mot-clef qu’on peut traduire par puissances, lois, règlements, éléments constitutifs de la civilisation sumérienne, puis mésopotamienne. Le roi n’était pas dieu, comme le pharaon d’Égypte, mais l’intermédiaire entre la divinité et les hommes, le berger de son peuple qu’il faisait paître et conduisait sur le bon chemin. Il assurait ainsi son bonheur et sa prospérité et le protégeait de ses ennemis. Dirigés par un souverain choisi par les dieux, les Sumériens ou Têtes noires évitèrent ainsi que l’anarchie ne régnât dans leurs cités-États qui se partageaient le territoire et constituèrent des royaumes. La taille de ces royaumes et la conception de la royauté varièrent au cours des ans. Vers 2335 avant J.-C., Sargon arriva d’Akkad, au nord-ouest de Sumer. Il unifia la basse Mésopotamie et créa un premier empire qui dura jusqu’en 2193 environ. Une nouvelle dynastie, celle d’Ur III, reprit ensuite cette politique impériale et gouverna le pays de Sumer, la Babylonie, une partie du Zagros et de l’Elam. Cet empire disparut brusquement en 2004. Les us et coutumes de Sumer et d’Akkad se perpétuèrent pourtant en Assyrie et en Babylonie où les rois voulurent maintenir une tradition religieuse et littéraire. Affranchis de la tutelle des Mitanniens, installés en haute Mésopotamie, des Cassites, venus des monts Zagros, puis des Araméens issus du nord du désert de Syrie, ces souverains se lancèrent vers la fin du deuxième millénaire dans une politique de

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conquête et d’expansion, gouvernant des empires de plus en plus vastes, qui s’étendirent sur tout le Proche-Orient. Depuis un siècle et demi, les archéologues, les savants, les historiens, travaillant avec ardeur, ont ressuscité le fabuleux passé de la Mésopotamie. Ils ont découvert des tessons de poteries, des reliefs, des œuvres d’art, déchiffré des milliers de tablettes d’argile couvertes d’inscriptions cunéiformes, des documents d’archives, des textes épiques et lyriques. S’il existe des représentations plus ou moins « réalistes » de certains monarques qui firent exécuter par les sculpteurs leurs images sur les sceaux, les stèles, les reliefs, rien n’a été conservé des visages d’autres rois et leurs traits ont été mutilés par l’ennemi victorieux ou se sont perdus dans les brumes de l’histoire. Comment accéder à ces hommes si éloignés de nous, « fils de leurs temps et du temps de leurs pères », selon la formule de l’historien français contemporain Jacques Le Goff ? Ils héritèrent de leurs pères leurs royaumes, mais courageux, intrépides et pieux, ils prirent leurs destins en main et allèrent de l’avant. Ils contribuèrent à construire une grande civilisation. Aujourd’hui, avec quelle fierté, quelle émotion, je pense à la Mésopotamie si lointaine et si proche, pays des dieux, des héros et des rois qui portaient les armes et le bouclier du monde antique! Sur ces terres fertiles ondulaient le blé et l’orge, coulaient la bière, l’huile et le miel, tandis que le vent jouait de la harpe. Comme le taureau et l’épi, le roseau et le palmier, l’aventure côtoyait la tragédie, et le rêve, la réalité. Je désire apporter mon humble brique à la connaissance de la culture mésopotamienne, si originale, et me baigner dans ses fleuves, à l’aube des temps.

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PREMIÈRE PARTIE SUMER, AKKAD ET BABYLONE

En ce jour encore, je rêve à Sumer, terre des commencements, à ses matins lumineux, à ses hommes épris de vie et de savoir qui développèrent les techniques et les arts, l’irrigation. Ils inventèrent la poterie, la roue, l’araire, la voile, et surtout, à la fin du IVeme millénaire avant notre ère, l’écriture pour exprimer leur langue. Les Sumériens vécurent dans la région méridionale de la Mésopotamie, limon et argile, face au désert et à la steppe. Ils organisèrent, près de l’Euphrate ou de canaux, les villes fondées par les dieux, Kish au nord du pays, puis Nippur, Umma au centre, Uruk, Lagash, Girsu, Ur, Eridu, au sud. C’étaient des centres politiques, des lieux d’échange et de commerce. Là, ils bâtirent une civilisation féconde. Tout cela se perd dans la nuit des temps. Mais comme l’affirme le grand écrivain portugais José Sarramago : « Les temps ont cessé d’être leur propre nuit quand les humains ont commencé à écrire…» 1 Je pars découvrir Sumer, Akkad et Babylone, leur lumière indéfectible, leurs couleurs d’azur et d’ocre brûlé, leurs héros et leurs rois aux lances qui fascinaient de mille feux, leurs royaumes, leur musique. Quel chemin prendre pour arriver à ce Pays, proche autrefois du Paradis terrestre, et qui me semble si lointain ? Aurai-je le pouvoir de me plonger dans un monde chargé 1

José Sarramago, Le siège de Lisbonne.

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d’aventures, d’errances, de conquêtes, de violences, mais aussi de justice, de compassion, de ferveur, de tremblement et d’extase ? Toute chose, avec la grâce des millénaires, y parle au cœur, aux sens, répercute des échos humains et divins.

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Gilgamesh, roi d’Uruk

CHAPITRE I I Gilgamesh, roi d’Uruk Gilgamesh, le premier héros sumérien, qui combattit l’ogre monstrueux, terrassa le taureau, parvint au bout du monde, à l’île sans crépuscule, et rêva, en vain, d’être immortel, a-t-il existé ? S’agit-il du roi mythique de la plus ancienne geste connue au monde, d’un géant barbu, sculpté dans l’albâtre, qui tient serré contre lui un lionceau2 ou d’un héros littéraire inventé par la détresse des hommes voués au trépas? «La désolation de Gilgamesh quand il revenait du Pays sans crépuscule : ma désolation»3 Il semble que Gilgamesh ait bel et bien été un personnage historique, un roi exceptionnel. Selon la fameuse Liste royale sumérienne4, vers 2650 avant notre ère, il aurait régné cent vingt-six ans à Uruk, une importante cité située au sud de l’Irak (aujourd’hui Warka). Son palais n’a cependant pu être retrouvé par les archéologues lors des fouilles. Des scribes sumériens, à la cour des souverains de la Troisième dynastie d’Ur (2112-2004 av. J.-C.) originaires d’Uruk, rédigèrent cinq récits plus ou moins légendaires, concernant les exploits de ce monarque ; récits pleins de dieux et de démons, de héros éblouissants, d’êtres hybrides, Aujourd’hui au musée du Louvre, Khorsabad, VIIIeme siècle, avant J.-C. Octavio Paz, L’arbre parle, éd. Gallimard, 1987, p. 76 . 4 La Liste royale sumérienne, qui recense les dynasties, compilée autour de 1850 avant J. -C. 2 3

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mi hommes, mi scorpions, de monstres, de parcs fabuleux, de trésors. Récit, épopée, tragédie, le poème de Gilgamesh fut copié, diffusé en premières versions babyloniennes dès le deuxième quart du deuxième millénaire dans tout le Proche-Orient ancien. À Babylone, vers 1300-1200*, ces récits d’aventures furent rassemblés en un long et riche poème plein de souffle et de lyrisme, rédigé en akkadien par un lettré nommé Sin-leqeounninni. À Ninive, capitale de l’empire assyrien, les archéologues modernes découvrirent une version de l’épopée, composée de 11 tablettes, parmi les ruines de la bibliothèque du roi Assourbanipal (668-627 av.-J.-C.) Une douzième tablette racontait la descente aux enfers de Gilgamesh. Ce chef-d’œuvre connut une immense diffusion. La vie civilisée L’Épopée, tel un fier coursier, nous transporte en des temps lointains, mal définis. Au cœur de la cité d’Uruk règne Gilgamesh, un géant doté d’une généalogie fabuleuse, puisqu’il est le fils du roi Lougalbanda et de la déesse Ninsoun, pour deux tiers divin, pour un tiers humain. Arrogant, terrible comme un buffle, il jouit d’un pouvoir tyrannique. Il emploie les hommes à la construction des murs de la ville et passe la nuit de noces avec les jeunes mariées. Pour répondre à la demande des habitants d’Uruk, las de ses excès, les dieux créent un autre colosse au corps velu, à la musculature puissante. Enkidu vit en pleine steppe dans l’intimité des animaux sauvages, il broute l’herbe comme eux, s’abreuve à leur source. Par les bons soins d’une courtisane venue d’Uruk, le géant des bois est initié aux plaisirs de l’amour, l’amour libre et raffiné, nourriture divine fort appréciée à Sumer. Il apprend à manger, à boire, à se vêtir, il passe de la vie sauvage à la vie civilisée. Le progrès est une idée mésopotamienne. 18

Aussitôt les animaux se détachent de lui car il n’appartient plus comme avant à l’ordre de la nature. La courtisane introduit Enkidu dans la cité où il découvre encore le pain, la bière, les robes, la musique. Il apprend l’esprit à travers le corps. Cet homme aux mœurs simples, justes et innocentes s’oppose, au cours d’une bagarre, au despotisme de Gilgamesh qui se situe au-delà des lois. Après un échange de forces, le roi doit céder. Une amitié admirable et nécessaire naît entre les rivaux, si ressemblants et si différents à la fois. Elle vient pour le roi après une longue attente. Être, c’est aimer et pour la première fois Gilgamesh aime vraiment. Il détourne son énergie vers d’autres objectifs que l’oppression de ses sujets et le débordement amoureux. Il va se réaliser dans cette marche à deux, consacrée par le temps. «Une vie sans gloire vaut-elle plus que la mort ? » se demande une pièce littéraire, la Ballade des héros du temps jadis. Gilgamesh veut se faire un renom éternel. Le voyage lointain Il part combattre avec Enkidu le féroce gardien de la Forêt des Cèdres, le géant Humbaba qui vomit le feu, lui tranche la tête. Il rentre à Uruk comme un héros, rapporte un arbre géant qui servira de bois de construction. Il a l’audace de refuser les faveurs de la déesse Ishtar. Humiliée, celle-ci se venge en envoyant contre lui et son compagnon le colossal Taureau-céleste qui commence à ravager Uruk. Le roi en vient à bout et toute la ville célèbre ses exploits. Indisposés par ce meurtre, les dieux, tenant déjà Enkidu pour responsable de la fin d’Humbaba, le condamnent à mort. N’a t-il pas succombé à l’orgueil, à l’ingratitude ? Le bon géant tombe malade, il maudit la courtisane qui l’a amené à la société urbaine dont il a attrapé les maux. Il s’éteint, retourne à l’argile et au silence.

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Les Anciens d’Uruk, les jeunes gens et toute la nature, les ours, les hyènes, les léopards, les tigres, les montagnes, les chemins, le pur Euphrate, pleurent amèrement Enkidu. « Comment me taire ? » s’écrie Gilgamesh bouleversé par ce terrible événement qui le révolte. Il a vécu avec son “frère” comme deux roseaux empanachés de la cannaie, et voilà que, dans la tempête, les tiges se sont écartées l’une de l’autre. Il a habité dans l’insouciance et la frivolité, le voilà tragiquement confronté au trépas de l’autre et, bientôt, au sien, au côté tragique de la vie. Gilgamesh vacille; il comprend l’aspect dérisoire, absurde des relations d’amitié qui ne laissent pas plus de traces au monde que les gouttes d’une averse. La présence vague, latente, de la mort l’angoisse. Que faire ? Le roi décide de relever le défi jeté par la fatalité. Il se dépouille de ses riches habits, de son identité et sort de la ville. Il erre éperdu, échevelé dans le désert, vêtu d’une dépouille de lion. Il songe aux erreurs funestes qu’il a commises. Pourquoi ne pas aller voir Uta-Napishti, le roi de la cité royale de Shuruppak, le seul survivant du Déluge, qui habite au-delà de la terre des hommes et connaît le secret de la vie-sans-fin ? Gilgamesh se lance dans l’aléatoire. Il entreprend un voyage vers l’Est, plein d’embûches Il parvient aux MontsJumeaux, gardés par les Hommes-Scorpions, contraint l’un d’eux à le laisser franchir la grande porte de ces Monts. Il s’avance à travers un étroit et ténébreux défilé, il ne peut rien voir ni devant ni derrière lui. Gilgamesh va vers l’inconnu. Il débouche, ébloui, sur un jardin merveilleux dont les arbres flamboient à la lumière du jour sans se consumer et plient sous le poids de leurs fruits en pierreries multicolores, bleus, violets comme les grains de raisins. Non loin murmure la mer....

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Gilgamesh s’approche du rivage où il aperçoit la Tavernière Siduri. Il lui demande de lui indiquer le chemin qui mène à Uta-Napishti le sage. Il lui faut franchir, avec l’aide d’un Nocher appelé UrShanabi, la mer que nul n’a jamais traversée, les eaux de la mort. Les perches qui propulsent le navire ne suffisant pas, il « invente » la voile. Le voyageur, vêtu de lambeaux de peaux, décharné, sale, triste, arrive enfin aux confins du monde. Là brille un soleil éternel. Il s’avance à la rencontre d’UtaNapishti. Que ce dernier veuille bien lui expliquer le mystère de sa destinée ! Le Héros du Déluge, dernier représentant d’une époque révolue, l’invite à se calmer et à se résigner à la mort qui est le sort des hommes laborieux : « Comme un roseau de la cannaie, l’humanité (doit) être brisée. » Ainsi en ont décidé les Grands-dieux : «Ils (nous) ont imposé La mort comme la vie, (Nous) laissant (seulement) ignorer Le moment de la mort. »5 Uta-Napishti fait alors à Gilgamesh le récit du Déluge. Il lui révèle la décision d’Enlil, le maître des dieux, de lui concéder, à lui et à sa femme, l’immortalité. Le roi d’Uruk ne peut espérer obtenir cette faveur unique. Il doit retourner chez lui. Apitoyée, l’épouse du Héros lui confie avant son départ le secret de la jouvence. Il s’agit d’une plante de vie, une plante magique poussant au fond de la mer. Celui qui la possède peut retrouver la jeunesse. Gilgamesh plonge dans l’eau, s’en empare comme d’une perle. Sur le chemin du retour, un serpent la lui vole tandis qu’il se baigne. Jean Bottéro, L’épopée de Gilgamesh, éd. Gallimard, coll. L’aube des peuples, 1992, p. 182.

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Nouveau désespoir du roi. Rien ne sert de fuir le destin. Au bout du monde, il n’a trouvé que lui-même. Résigné, accompagné du matelot Ur-Shanabi, il revient avec une rapidité extraordinaire, au point de départ. Il franchit les portes d’Uruk, la citérefuge, maternelle et paisible. Le cercle est bouclé. Ainsi s’achève en tragédie l’Épopée de Gilgamesh qui, dans sa détresse profonde, tenta de sortir de sa condition humaine et de se débarrasser de la mort. Il ne réussit pas à changer l’ordre de l’univers.

II Gilgamesh se réalise par ses œuvres Gilgamesh se réinstalle donc dans sa bonne ville et fait graver sur une stèle le récit de ses exploits. Il montre avec fierté au Nocher Ur-Shanabi ramené dans sa capitale les splendides murailles d’Uruk en construction, dont on peut voir encore les traces : « Monte, Ur-Shanabi Déambuler sur le rempart d’Uruk ! Considère ce soubassement, Scrute ces fondations ! (Tout cela) n’est-il pas Brique cuite ? Et les Sept Sages en personne N’en ont-ils pas jeté les fondations ? Trois cents hectares de ville, Autant de jardins, Autant de terre vierge : C est l’apanage du temple d’Ishtar : (Avec) ces mille hectares, tu couvres du regard L’(entier) domaine d’Uruk… ” 6

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Ibid. , p. 204.

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Comment Gilgamesh passe t-il le reste de sa vie à Uruk ? Il bâtit, embellit sa ville. Il expérimente une certaine liberté, celle de se réaliser par ses œuvres par son imagination créatrice, d’inventer son existence. Accomplit-il judicieusement son métier de roi ? Il découvre peu à peu ses aspirations véritables, il s’éprouve dans les étapes de sa vie, y met son génie propre. Il est sorti de la mer re-né. Il n’est plus un demi-dieu mais un homme mûr, au sens plein du terme, un sage. Il a enfin acquis « la seigneurie de soi-même », selon la belle formule de Goethe. Reste t-il préoccupé par la fuite mélancolique des jours, par l’inéluctabilité de la mort ? Voyage t-il en lui-même, le seul véritable voyage ? Là, l’espace et le temps paraissent de peu d’importance; là règnent la paix, l’harmonie avec le monde et les dieux. Revit t-il dans ses rêves le fabuleux jardin des gemmes, Uta-Napishti et son île bienheureuse, ou la Tavernière Siduri, croisée au bord de la mer ? En femme avisée, elle lui avait dit qu’il ne trouverait jamais la vie-sansfin et l’avait invité à s’organiser, à se construire une existence pleine et riche, (la seule à la mesure de l’homme), à vivre l’éternité à chaque instant s’il arrive à en extraire une quintessence de vie et de bonheur : « Toi, (plutôt), Remplis-toi la panse; Demeure en gaîté, Jour et nuit; Fais quotidiennement La fête ; Danse et amuse-toi, Jour et nuit; Accoutre-toi D’habits bien propres; Lave-toi Baigne-toi; Regarde tendrement Ton petit qui te tient par la main, 23

Et fais le bo(nh)eur de ta femme Serrée contre (t)oi ! Car telle est L’ (unique) persp(ective) des hommes (?) » 7 Un poème sumérien Un poème sumérien, La mort de Gilgamesh, évoque la fin du roi d’Uruk qui fait un rêve, lors de son agonie. Les dieux, au courant de ses exploits, reconnaissent ses mérites et lui confèrent le rôle de juge des morts. Ils lui offrent, mais seulement dans le monde souterrain, cette vie éternelle tant désirée. Au IIeme et au Ier millénaire avant J. -C., Gilgamesh est vénéré comme une divinité. Seule la mémoire peut transcender le temps. L’ Épopée du roi d’Uruk, qui grâce à ses actions héroïques, à ses travaux, grâce aussi à la magie de l’écriture, rempart de signes gravés sur les tablettes, traverse les millénaires, n’appartient plus seulement à la Mésopotamie mais au monde entier. Source des grands mythes, elle inspire plusieurs morceaux de l’Ancien Testament, le Déluge, l’Ecclésiaste et des récits de la Grèce antique, les travaux d’Héraclès, l’amitié d’Achille et de Patrocle dans l’Iliade d’Homère. La civilisation occidentale prend racine dans le passé de l’Orient ancien. Redécouverte, traduite en français, en anglais, en allemand, l’Épopée de Gilgamesh inspire encore de nos jours des récits, des romans, des adaptations théâtrales, des oratorios, des opéras rock. Gilgamesh, peut-être le premier, invente la réflexion philosophique en se posant les grandes questions sur l’homme et son destin. Le monde change mais le cœur du héros reste identique, avec sa soif d’aventures et de gloire, ses luttes, ses limites et son immense espoir. Le destin de l’homme, c’est l’homme.

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Ibid. , p. 258.

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La stèle des vautours : Eannatum, roi de Lagash

CHAPITRE II EANNATUM, ROI DE LAGASH À l’aube de l’histoire, monta sur le trône de Lagash (aujourd’hui Tell al-Hiba), pays situé au sud de Sumer, un puissant roi, Eannatum (vers 2454-2425 av. J.-C.), qui porta le titre de Lugal (homme grand). Il était le fils d’Akurgal et le petit-fils d’Ur-Nanshé le grand bâtisseur, le fondateur vers 2520 de la Première des Dynasties de Lagash qui régnèrent sur cet État pendant près de deux siècles. Il laissa une quinzaine d’inscriptions officielles. Eannatum se serait donné pour père le dieu de l’orage et de la guerre Nin-girsu, dont il était le représentant sur la terre. Il aurait sucé le lait de la déesse Nin-hursag. Il dut sa célébrité à un confit local, connu grâce à la célèbre Stèle des vautours. Retrouvée brisée en fragments à Tello (Girsu), dans le sud de l’Iraq, lors des fouilles françaises, à la fin du XIXeme siècle, elle est aujourd’hui au musée du Louvre. Elle constitue l’une des plus anciennes attestations de conflits menés par des troupes bien équipées. Depuis longtemps, un grave problème frontalier divisait les deux cités-États d’Umma au nord (actuellement Djoha), située sur l’un des bras du système fluvial de l’Euphrate, et de Lagash à l’est, voisines d’une trentaine de kilomètres. Ce conflit avait été déclenché pour une question de territoire, le Gu-edina (le Bord-de-la-plaine) traversé par de nombreux canaux, qui assurait un accès à la terre et à l’eau. Umma, en amont dans la plaine mésopotamienne, était bien irriguée et cultivée, elle pouvait contrôler le flux des canaux branchés sur le cours de l’Euphrate et même couper l’approvisionnement en eau de Lagash placée en aval. 27

Mais sous les règnes d’Ur-Nanshé et d’Akurgal, les Ummaïtes occupèrent le Gu-edina. Eannatum, le vaillant, le fort, reprit avec ardeur les combats commencés par ses pères : « Moi Eannatum, comme un mauvais vent d’orage, j’aidéchaîné la tempête ! » La stèle des vautours Eannatum défit le roi d’Umma et finit par récupérer le territoire contesté, le Gu-edina. Sur le lieu de l’affrontement, il érigea une stèle d’un mètre quatre-vingt, sculptée sur les deux faces, qui commémorait ses hauts faits et sa victoire sur la cité d’Umma. Stèle de calcaire, victoire solide, haute mémoire de pierre, que le temps n’a pu entièrement attaquer ! Un regard attentif jeté sur l’une des faces du monument et tout renaît, s’éclaire, s’anime ! Coiffé du casque à chignon postiche, les cheveux dénoués, vêtu d’une épaisse toison laineuse, jetée en biais, Eannatum marche à la tête de ses troupes formées en rangs par neuf et en colonnes par sept. Les soldats casqués de cuir, armés de longues piques, et protégés par de grands boucliers rectangulaires gonflent l’épaule et avancent dans un mouvement balancé, puis ils engagent la bataille ; rien ne peut arrêter l’élan, la charge, la mêlée ; les longues lances frissonnent, se touchent dans le vacarme, puis c’est la victoire, le bonheur. Les guerriers de Lagash piétinent, écrasent les Ummaïtes tombés au sol. Des vautours ivres planent dans le ciel, s’apprêtant à prendre part au festin qui suit la victoire, à dévorer les corps des vaincus. Sur un registre inférieur de la stèle, Eannatum, monté dans son chariot, passe en brandissant victorieusement ses armes, suivi de ses hommes, torse nu, portant piques et haches sur l’épaule. Son chariot aux roues grinçantes l’emporte dans la gloire et la mémoire des siècles à venir…

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Un troisième registre, au bas, expose les corps des soldats de Lagash empilés, que l’on va ensevelir décemment en les recouvrant de terre. Un personnage, à droite, fait une libation. Sur une autre face, la stèle nous montre le dieu titulaire de Lagash, Nin-girsu, au visage sévère, dominateur, au torse et aux bras de géant. Il est revêtu d’une jupe à mèches de laine, coiffé d’une perruque à bandeaux et porte une barbe ondulée. De sa main gauche, il tient un filet de jet, fermé par l’aigle léontocéphale, son symbole, où sont entassés les soldats d’Umma qui ont osé lui résister quand il est descendu dans la mêlée. Sa main droite serre fortement une massue en pierre pour assommer ses ennemis prisonniers. Eannatum imposa à la stèle un texte d’environ 465 lignes en langue sumérienne et en caractères cunéiformes, en partie mutilé, retraçant les différents épisodes de la guerre depuis l’origine jusqu’à la victoire remportée par le roi qui a anéanti Umma : « Le prince d’Umma, chaque fois qu’avec ses troupes (…) il aura mangé le Gu-edina, le domaine bien-aimé de Nin-girsu, que (celuici) l’abatte ! Eannatum frappa Umma. Il eut vite dénombré 3600 cadavres…Eannatum délimita la frontière d’Umma et à l’endroit même (érigea) une stèle. Que (l’homme d’Umma) ne la déplace pas ! S’il franchissait la frontière, que le grand filet d’Enlil, le roi du ciel et de la terre, par lequel il a prêté serment, s’abatte sur Umma. »8 Le sage et victorieux Eannatum qui ne pouvait contenir sa joie, offrit en sacrifice deux colombes à Utu, le dieu-soleil. Un talus fut élevé entre les deux territoires, fixant la frontière. L’inscription évoquait enfin les serments prêtés devant les dieux, et le traité passé avec Umma, qui laissait à ses habitants contre le paiement d’un loyer, le soin de cultiver le Guedina convoité, lequel appartenait bien à Lagash. 8 Extrait de l’inscription de la Stèle des vautours, dans Jean-Louis HUOT, Les Sumériens, éd. Errance, 1989, p. 237.

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Autres victoires d’Eannatum Eannatum, remporta d’autres victoires. Selon une inscription sur une pierre calcaire retrouvée aussi à Tello (Girsu), il contrôla la Mésopotamie méridionale, Umma Uruk, Ur, et centrale, Kish. Il atteignit peut-être la région de Mari, sur le moyen Euphrate, Subartu (l’Assyrie). À l’est, il lança des expéditions contre l’Elam, victorieuses grâce à la protection divine. Ce roi conquérant, qui se battait comme un lion, fit de Lagash encore obscure une forte cité-État Outre la stèle, deux bâtiments cultuels, sans doute érigés par Eannatum, ont été retrouvés par les archéologues américains, l’Ibga, temple consacré à la déesse Inanna, et un bâtiment dédié au dieu Nin-girsu. Le conflit avec Umma n’était pas terminé, il allait à nouveau se rallumer, les Ummaïtes retrouver leur puissance d’autrefois. Hélas, les guerres frontalières n’allaient jamais cesser au cours des temps.

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CHAPITRE III URUKAGINA, LE DÉFENSEUR DES FAIBLES

Un siècle plus tard, une autre figure illustre s’éleva dans le ciel de la Mésopotamie, Urukagina, le sage, le réformateur (vers 2351-2342 av. J.-C.). Fut-il porté par le peuple au trône de la principauté de Lagash ou l’usurpa t-il ? La cité-État était affaiblie par son vieux conflit avec Umma. Il régna huit à neuf ans et fit prospérer son petit royaume. Il prisait l’ordre et la liberté, la justice, l’égalité. Il se sentait responsable du bonheur de ses sujets. D’après six inscriptions royales gravées sur trois cônes exhumés en 1878 par les archéologues français à Tello (Girsu, dans le sud de l’Irak), le premier, peut-être, Urukagina aurait proposé une série de réformes sociales, «contre les abus des jours anciens.» ll voulait promouvoir un ordre nouveau. Il dénonça les erreurs accumulées par les rois, ses prédécesseurs. Il débarrassa l’État des dignitaires, percepteurs, usuriers qui abusaient de leurs privilèges, multipliaient les taxes et les impôts, par exemple sur la tonte des moutons blancs, ou sur les pêcheries, et s’attribuaient plus que leur dû, portant atteinte aux libertés des citoyens, fermiers, pêcheurs, artisans, négociants. Il conclut un pacte avec Nin-girsu, le dieu tutélaire de Lagash, et s’engagea à « ne pas livrer le faible et la veuve entre les mains du puissant », à défendre le pauvre contre le riche et les droits individuels. Voici un exemple de ces réformes : «La maison d’un homme de peu avoisinait la maison d’un homme « important » et l’homme « important » lui disait : « Je veux te 31

l’acheter. » Si, à l’homme «important », sur le point de l’acheter, l’homme de peu disait : « Paie-moi le prix que j’estime raisonnable », et qu’alors l’homme « important » ne l’achetait pas, cet homme « important » ne devait pas se venger de l’homme de peu. » 9 Selon le grand assyriologue français Jean Bottéro, Urukagina, le premier aussi, parla du vin, il évoqua dans l’une de ses inscriptions le cellier qu’il avait fait construire, dans lequel depuis « la montagne », on apportait des vases de vin. Sa femme Sasag avait autorité sur l’économie du sanctuaire de la déesse Ba’u, l’épouse de Nin-girsu, à Girsu, la capitale religieuse, et disposait de ses ressources. Les archéologues ont retrouvé 1200 tablettes émanant de l’administration de ce temple, inscriptions officielles, archives. Les tentatives de réforme d’Urukagina, hélas, échouèrent. Vers 2342, il fut détrôné par Lugalzagesi, prince ou Ensi de la cité d’Umma qui conquit Lagash et régla définitivement l’interminable conflit avec cet État. Selon une inscription d’un habitant de Lagash tracée sur une tablette d’argile, sorte de lamentation, Lugalzagesi, bouta le feu au talus-frontière. Il incendia le temple Antasura, en pilla l’argent et le lapislazuli ; il perpétra des massacres dans le palais du Tiras, et les chapelles d’Enlil et d’Utu (le dieu du soleil), ruina les temples. L’inscription poursuit : «Le champ de Nin-girsu, aussi loin qu’il avait été planté, (l’homme d’Umma) en a ôté l’orge. L’homme d’Umma, parce qu’il a détruit Lagash, a péché contre Nin-girsu ! Il n’y a pas eu de péché (de la part) d’Urukagina, le roi de Girsu ! Que Nidaba, la déesse de Lugalzagesi porte ce péché sur sa tête ! »10 Urukagina appelait la malédiction des dieux de Lagash sur le prince d’Umma. Selon des savants, il aurait peut-être trouvé refuge et fini sa vie à Akkadé, ville du sud de la Mésopotamie. Trad. Arno Poebel, cité par S.N. Kramer, L’histoire commence à Sumer, éd. Arthaud, 1957, p. 86. 10 Inscription d’Urukagina, cf. Jean-Louis Huot, Les Sumériens, éd Errance, 1989, p 241. 9

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CHAPITRE IV LUGALZAGESI, ROI DE SUMER Après la conquête de Lagash, Lugalzagesi (vers 2342 av. J.-C.) poursuivit ses combats. Il était enclin à s’imaginer que la chance ne l’abandonnerait pas. En effet, le puissant dieu Enlil qui régit la royauté lui permit de s’emparer d’Ur, d’Uruk, d’englober, de soumettre et d’unifier politiquement économiquement pour la première fois les cités-États sumériennes, la basse Mésopotamie. Mais il maintint en place les dynasties princières locales. Il prit le titre de « roi d’Uruk et du Pays » c’est-à-dire de Sumer. Des inscriptions retrouvées à Nippur, ville religieuse et centre culturel, sur les tessons de plus de soixante vases de calcite dédiés à Enlil, nous racontent ses hauts faits, et son désir de faire régner la paix, la prospérité, le bonheur dans son Pays : « Lorsque Enlil, le roi de tous les pays, eut donné à Lugalzagesi la royauté du Pays… qu’il eut mis à son service tous les pays, (et) du levant au couchant les eut soumis à sa loi ; alors, de la Mer Inférieure [le Golfe], par le Tigre et l’Euphrate, à la Mer supérieure [la Méditerranée], il [Enlil] rendit pour lui les routes sûres. Du levant au couchant, Enlil élimina la terreur : les pays vivaient dans la paix, le peuple irriguait dans la joie ; tous les dynastes de Sumer (et) les princes de tous les pays s’inclinaient à Uruk, à sa loi princière. […] Pour sa vie, à Enlil son maître bien-aimé, il dédia (cette) inscription : Qu’Enlil, le roi de tous les pays, dise ma prière à An, son père bien-aimé ! Qu’il ajoute vie à ma vie ! Qu’il fasse vivre en paix tous les pays ! Qu’il fasse croître le peuple aussi dru que l’herbe ! Qu’il rende prospères les étables célestes ! Qu’il regarde le peuple 33

avec faveur ! Qu’il n’altère pas le sort favorable qu’il a décrété pour moi ! Que je sois à jamais le premier pâtre (et) l’irrigateur ! » 11 Enlil et les dieux, sourds à la prière de Lugalzagesi, modifièrent le destin qu’ils avaient arrêté pour lui et abandonnèrent à d’autres le soin du Pays. Un conquérant sémite, Sargon, triompha sur le champ de bataille du puissant roi d’Uruk et d’Umma. Une autre inscription de Nippur nous dépeint le sort tragique de Lugalzagesi : «Sargon, le roi d’Akkad, le roi du Pays, a ravagé la cité d’Uruk, il a abattu ses murs ; il a combattu les hommes d’Uruk et les a conquis ; il a combattu Lugalzagesi, roi d’Uruk, l’a fait prisonnier et l’a ramené à [Nippur], le carcan au cou. »12 Lugalzagesi, laissez-moi m’apitoyer sur votre infortune ! Que cet injuste sort doive être le vôtre ! Le front couvert de sang et de sueur, vous arrivez à Nippur. Vous voilà exposé à la porte de l’Ekur, le temple d’Enlil, avec pour seule nourriture la défaite, l’humiliation, l’amertume. Trop brève a été votre heure, oubliée votre bravoure, vaines vos victoires, brisé votre rêve. Le cercle va se clore, la nuit descendre, couvrir votre royaume ; seule l’ombre et la poussière vous attendent encore.

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Jean-Louis Huot, Les Sumériens, éd Errance, 1989, pp. 241-242. Cf. Les éditions Time-Life, Sumer, Amsterdam, 1993, p.119.

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Fragment de stèle de Sargon

CHAPITRE V SARGON,

L’ARC ET LE SCEAU D’AKKAD

Sargon d’Akkad (2335-2279 av. J.-C.), l’oriental, disputerait à Alexandre le Grand d’être le premier en date des conquérants au grand cœur. Il se placerait, aux yeux de certains, au même rang que César, Charlemagne et Napoléon, les Européens. Sargon réussit à créer un État et une dynastie qui durèrent près de cent quatre-vingt ans. Il légua à la postérité une geste de fer et de feu et sa légende de héros civilisateur subsista jusqu’à la fin de la civilisation mésopotamienne. Les humbles origines De modeste origine, Sargon aurait régné une cinquantaine d’années. Son vrai nom n’est pas connu, car Sargon, de l’akkadien Sharru-Kîn, « el roi légitime » est un surnom. Ambitieux, énergique, calculateur, ce sémite, (mais les Sémites vivaient depuis longtemps en Mésopotamie, dans la région de Kish et à la limite du pays de Sumer), soumit par la force à son autorité souveraine un ensemble de territoires, les unifia politiquement. Grâce à ses brillantes victoires militaires, il fonda le premier empire de l’histoire à prétention universelle, mettant fin au régime des cités-États sumériennes. La légende de Sargon, rédigée par un scribe assyrien au VIIeme siècle, raconte comment il naquit à Azupiranu, « la «ville du safran », d’une grande prêtresse. Celle-ci n’ayant pas le droit d’élever des enfants, le déposa dans un panier 37

d’osier. Abandonné aux flots de l’Euphrate, le panier parvint à Kish, une ville prestigieuse, assise dans une plaine plantée de palmiers. Selon la tradition, la royauté y était descendue après le Déluge. Un jardinier recueillit l’enfant et l’éleva. Il devint le favori d’Ishtar, déesse de l’amour et de la guerre : «Je suis Sargon, le roi puissant, le roi d’Akkad. Ma mère, la grande prêtresse, me conçut et me mit au monde en secret. Mon père, je ne le connais pas. Les frères de mon père campent dans la montagne. Ma ville [natale] est Azupiranu, qui est située sur les bords de l’Euphrate. Ma mère, la grande-prêtresse me conçut et me mit au monde en secret. Elle me déposa dans une corbeille de jonc, dont elle ferma l’ouverture avec du bitume. Elle me jeta dans le fleuve sans que j’en puisse sortir. Le fleuve me porta ; il m’emporta jusque chez Aqqi, le puiseur d’eau…m’adopta comme son fils et m’éleva ; [il] me mit à son métier de jardinier. Alors que j’étais ainsi jardinier, la déesse Ishtar se prit d’amour pour moi, et c’est ainsi que pendant [cinquante]-six ans, j’ai exercé la royauté. »13 Selon la Liste des rois sumérienne, établie à partir d’une quinzaine de tablettes et mise en forme au début du IIeme millénaire avant J.-C., Sargon était plutôt le fils d’un cultivateur de dattes. Il devint échanson d’Ur-Zababa, roi de Kish. Puis favorisé par la chance, il s’empara habilement du trône vers 2335. Fut-il choisi comme héritier ou se révolta-til contre son souverain, Ur-Zababa ? Le conquérant Des statues et des stèles furent érigées par Sargon et ses successeurs dans le temple d’Enlil à Nippur. Mais aucune statue du roi n’a été retrouvée.

13 Trad. R. Labat, Les religions du Proche-Orient asiatique, Fayard/Noël, Paris, 1970.

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Les fragments d’une stèle en diorite sculptée de bas reliefs (aujourd’hui au Musée du Louvre) furent découverts lors des fouilles à Nippur au XIXeme siècle. Ils nous représentent le roi victorieux sous un dais. Il frappe, en présence de la déesse Ishtar, ses ennemis vaincus, enfermés dans un filet, tandis que les cadavres de ceux qui s’opposaient à lui sont abandonnés en pâture à des oiseaux de proie. Des prisonniers, les mains liées derrière le dos, marchent vers leur destin. Des inscriptions, sur une tablette, nous renseignent sur les exploits de Sargon, roi audacieux, vaillant et pieux. Ce guerrier à la force de lion, que rien ne faisait trembler, qui ne connaissait ni le doute ni la faiblesse et avait dans les dieux et dans son étoile une confiance superstitieuse, forgea son rêve comme une épée. Il avait triomphé, dans un fracas de haches et de lances, de Lugalzagesi, le puissant roi d’Uruk. Il posa le pied sur les autres cités sumériennes, Ur, Umma, Lagash, démolit leurs murailles, les soumit. Il mit fin à leurs incessantes rivalités. La royauté et le pouvoir sur tout le Pays lui revinrent La basse Mésopotamie unifiée, Sargon prit le titre de Roi d’Akkad, Roi de Kish, Roi du Pays. Orage d’homme, avec son cœur de fer, son parcours en éclairs et ses foudroyantes conquêtes, non seulement de contrées, mais de feux nouveaux, d’étoiles nouvelles ! Le fondateur du premier empire au Moyen-Orient Sargon disposait d’un outil militaire, son armée permanente, puissante, dévouée à son chef ; 5400 hommes prenaient leur repas devant lui chaque jour, selon une inscription. Soldats, boucliers, arcs, javelots et haches, orage, tempête étaient les noms de la fortune qui l’avait accompagné, assurant ses victoires, rapportant du butin et des terres. Le cœur du roi d’Akkad ne sut-il pas jouir en paix du fruit de ses travaux ? Son ambition le poussa-t-elle, pour étendre son pouvoir, à se lancer dans d’autres conquêtes, celle d’une 39

partie du Proche-Orient, et à réaliser de plus hautes prouesses ? Selon divers récits et légendes, il domina l’Elam à l’est, s’avança jusqu’au Golfe, et ses soldats lavèrent leurs armes dans la mer. Il marcha encore vers le nord-ouest, s’emparant de Mari puis d’Ebla. Une épopée, «le roi du combat », le fit arriver jusqu’à la Forêt des Cèdres (le Liban et l’Amanus), et pénétrer en Anatolie. D’après un autre récit épique, il aurait traversé la mer occidentale jusqu’à Chypre. Ce que résume une chronique babylonienne : « Sargon roi d’Akkadé, s’éleva sous le règne d’Ishtar. Il n’eut ni rival ni adversaire, répandit son éclat sur tous les pays (et) traversa la mer au Levant. La 11eme année, il conquit le pays du Couchant jusqu’à sa limite extrême (et le) plaça sous (sa) seule autorité, y fit dresser ses statues (et) en fit traverser le butin sur des barges.»14 Ainsi au cœur des plaines, des collines et des plateaux, commença l’empire d’Akkad. Qu’est-ce qu’un empire, terme inconnu des anciens Mésopotamiens ? Un ensemble de royaumes vaincus, de territoires diversement peuplés et soumis à l’autorité du roi, un vaste État unifié, gouverné depuis la capitale ? Une étape dans l’organisation de l’humanité ? Dans un dessein universaliste, Sargon, roi de Kish et de « la totalité » c'est-à-dire de la terre entière, dirigea, commanda, avec un réel talent politique son empire. Il installa des gouverneurs akkadiens, civils et militaires dans les provinces, mais maintint habilement en place certains dirigeants locaux, en fit de simples fonctionnaires. Il affaiblit la puissance économique des temples. Il élabora une vision grandiose, originale du monde qui impliquait une hiérarchie des valeurs militaires, religieuses, sociales. Les dieux le rassasièrent de gloire et ses jours resplendirent.

La Chronique des rois anciens, dans Chroniques Mésopotamiennes, J.J. Glassner, Paris, Les Belles Lettres, 1993, p. 219.

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Akkadé, nouvelle capitale Toujours selon la Liste des rois sumérienne, Sargon aurait édifié dans la région de Babylone, Kish et Sippar, à l’emplacement d’une petite bourgade, une nouvelle capitale, Akkadé. Il la pensa éternelle comme l’eau, le ciel. Il édifia des palais, des temples, le plus grand étant voué à la déesse Ishtar qui avait favorisé son ascension. Un long poème sumérien composé dans le pays de Sumer, sans doute à Nippur, à la fin du IIIeme millénaire av. J.C., La Malédiction d’Akkad, nous donne une joyeuse description de la ville riche et prospère, entourée d’une enceinte, et nous permet de flâner dans les rues bordées de maisons luxueuses et opulentes : «En ce temps-là, les demeures d’Akkadé étaient remplies d’or, les maisons brillantes étaient pleines d’argent ; dans ses entrepôts avaient été amassés le cuivre, l’étain, les morceaux de lapis-lazuli en aussi grande quantité que du grain; ses greniers débordaient de toute part. Les vieilles femmes avaient le don de conseiller, les vieillards maniaient l’éloquence, les jeunes gens les armes, les enfants avaient le cœur gai… dans la ville retentissaient les chants joyeux (tigi) accompagnés de la lyre, hors de la ville s’élevaient les chants des flûtes…»15 La ville précieuse, avec ses temples, ses ziggurats (tours à étages), ses palais de briques et d’écume s’ébauchait devant le port. Chargés de produits exotiques, comme les dattes, l’or et le cuivre, la diorite, le lapis-lazuli, la cornaline, les perles, l’ivoire, le bois, les bateaux de Melukhkha (Iran oriental, vallée de l’Indus), de Magan (Oman) et de Dilmun (Bahrein, côte d’Arabie orientale), accostaient joyeusement les quais du Tigre, fête de couleurs, de parfums, de sons, et de lumière devant les yeux émerveillés des promeneurs. Sargon, à Akkadé, tenait une cour brillante. Le commerce était florissant. L’art se développait, pour glorifier le roi. 15

La Malédiction d’Akkad.

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La grande prêtresse En-hedu-ana Sargon se proclama «oint d’Anu », le dieu du ciel sumérien. Il fit de la déesse Inanna/Ishtar la divinité tutélaire de sa ville, mais vénéra le puissant dieu Enlil à Nippur. Pour s’attirer les faveurs divines et mieux contrôler les populations méridionales, il poursuivit un usage de l’époque présargonique, et nomma sa fille, née de sa femme Tashlultum, grande prêtresse du dieu-lune sumérien Nanna, à Ur. Cette tradition fut longuement suivie. La jeune femme prit le nom sumérien d’En-hedu-ana. Elle vécut chastement dans l’enceinte du temple et accomplit avec ferveur sa mission. Entre ses lèvres brillait le nom d’Inanna-Ishtar, la reine du ciel. Elle lui consacra un bel hymne, compila les Hymnes aux temples, sanctuaires de Sumer, et composa en sumérien des poèmes. On voit, sur un disque votif en calcite retrouvé à Ur, Enhedu-ana vêtue d’une robe à volants, participer à une cérémonie d’offrande au dieu Nanna. Au dos du disque (aujourd’hui au Penn Museum, Philadelphie) une inscription révèle ses titres : grande prêtresse, épouse du dieu Nanna et fille de Sargon. Sargon, héros fondateur Un aussi vaste empire était malaisé à gouverner. Les cités sumériennes gardaient leur désir d’hégémonie et semblaient supporter mal le joug d’Akkad. A la fin de sa vie, le vieux Sargon dut affronter une révolte : « Du Levant au Couchant, il y eut une révolte contre lui et il fut affligé d’insomnie. »16 Sargon fut assiégé dans sa capitale mais réussit à mater la révolte. Il alla jusqu’au bout de son destin flamboyant. Sa fortune insolente, l’éclat de ses réalisations, et de ses victoires, le 16

Ibid. , Chronique des rois anciens.

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romanesque de son histoire lui valurent de passer dans les mythes, les légendes, qui se multiplièrent autour de lui. Héros fondateur, comme Gilgamesh, il devint le sceau, l’arc, la lance, le signe d’Akkad. Bien après sa mort, des statues de Sargon furent placées dans le palais de Mari et plus tard dans les temples de Babylonie, où elles recevaient tous les honneurs. oSn fils Rimush (2278-2270 av. J.-C.) hérita d’un royaume prospère, mais il dut affronter et réprimer la rébellion des cités comme Ur, Lagash, Umma. Il continua la politique de son père. Il fut assassiné, d’après un texte, par ses serviteurs. Une stèle en calcaire dont l’inscription est mutilée le montrerait en plein combat, terrassant un ennemi sur lequel il a posé le pied. Puis régna son frère, Manishtusu, (2269-2255 av. J.-C.), « roi de Kish, roi du monde », qui fit campagne au sud-est de l’Iran. Des statues grandeur nature en diorite, le représentent assis ou debout, vêtu d’une longue jupe tissée garnie de franges et d’un châle. Un magnifique obélisque de diorite, pyramidal, couvert d’élégantes inscriptions, raconte les achats de terre par le roi dans la région de Kish, terrains distribués ensuite à de hauts fonctionnaires (Musée du Louvre). Les Akkadiens adaptèrent l’écriture cunéiforme des Sumériens. L’akkadien, langue sémitique, devint la langue écrite officielle de l’empire et commença à dominer. Pendant trois millénaires, elle allait rayonner et nous livrer de grands textes littéraires.

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Stèle de victoire de Naram-Sin

CHAPITRE VI L’ÉBLOUISSANT NARAM-SIN Comme je séjournais à Bagdad, j’allai visiter le Musée des Antiquités, plongeant dans le tourbillon des riches passés de la Mésopotamie. Dans l’une des salles, je tombai en arrêt devant une belle tête en bronze, grandeur nature. Il s’agissait sans doute de celle de Naram-Sin (2254-2218 av. J.-C.), fils de Manishtusu, et petit-fils de Sargon. La tête de bronze, coulée selon le procédé de la cire perdue puis ciselée, était creuse, d’un élégant réalisme. Hélas, des ennemis avaient jadis abîmé ce chef d’œuvre retrouvé à Ninive, cassé le nez aquilin, coupé les oreilles. Les vastes orbites, jadis garnies de pierres précieuses, qui contemplèrent les batailles, restaient vides et mystérieuses. Bronze patiné où soufflait encore l’esprit du puissant roi, sûr de son pouvoir et de sa domination, dont le nom flamboya jadis. Le visage aux traits intelligents, nobles, sereins, était encadré par une chevelure tressée et nouée sur la nuque en un chignon, un bandeau frontal et une longue barbe calamistrée. Il fut jadis modelé, idéalisé, immortalisé, figé dans une beauté éternelle par un habile artisan akkadien. Il me captiva et ne me quitta plus. J’observai sa lumineuse matière, et je me demandai avec nostalgie quel était le véritable visage de Naram-Sin. Roi d’Akkad, quelles pensées, quels désirs, quelles flammes, quels rêves de grandeur et d’amour habitaient-ils vos yeux ? Quel sourire un peu ironique glissait-il parfois sur vos lèvres incurvées ? Que sont devenus vos enfants, vos femmes, vos cités, vos navires qui livrèrent bataille à un roi de Magan ? Cela s’était-il passé il y a si longtemps ? 47

Je désirai revivre les battements de cœur de ce grand monarque, dont le souvenir mûrit comme un beau fruit et perdura tant de lunes… Les conquêtes Guerrier courageux à la lance infaillible, infatigable tacticien, sûr de son élection par les dieux qui le protégeaient, et de son génie militaire, Naram-Sin guerroya sans cesse, pour défendre son empire et repousser ses frontières. Il lança des expéditions vers le nord-ouest, prétendit avoir détruit Ebla, en Syrie. Il marcha jusqu’en Cilicie, parvint en Anatolie jusqu’à Diyarbakir. Il contrôla Assur, Nuz (dans le Kurdistan irakien), Suse, capitale de l’Elam, et Magan (la péninsule d’Oman). Il « alla là où aucun roi n’était allé avant lui. » Un brave scribe nota postérieurement sur une tablette d’argile : « Nergal (dieu du monde inférieur) ouvrit la route de Naram-Sin le fort, et il lui donna Armanum et Ibla ; il lui offrit aussi l’Amanus, la montagne des Cèdres (Liban) et la Mer Supérieure (la Méditerranée). »17 Les vestiges d’une importante forteresse bâtie par le roi furent découverts à Nagar (Tell-Brak), au nord-est de la Syrie. Une stèle sculptée dans le rocher du défilé de Darband iGawr, à 45 kilomètres au sud de Sulemaniya, rappelle une victoire du roi Naram-Sin. Un fragment d’une autre stèle en basalte provient du Kurdistan irakien. Mais la stèle la plus célèbre, en grès rose, érigée à Sippar puis emportée à Suse par un roi élamite au XIIeme siècle, est conservée aujourd’hui au musée du Louvre à Paris. Elle commémore la victoire de Naram-Sin sur les Lullubi venus du Zagros, à l’est du Tigre. Elle montre le roi qui marche, par un beau jour d’Akkad, vers un pic stylisé et quelques arbres, le visage triomphant, 17

Cf. Guy Rachet, Civilisations de l’Orient ancien, Larousse, 1999, p. 292.

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l’œil représenté de profil. Il est vêtu d’un pagne, les pieds chaussés de sandales, armé d’un arc, d’une hache et d’une javeline. Jeune, plein d’audace et de fougue, plus grand que les jours de son histoire, il déploie sa taille colossale et ses troupes (neuf soldats) qu’il confronte à une armée ennemie (neuf soldats) vite en déroute. Tous ont les yeux levés vers lui. Le roi glorieux qui porte la tiare à cornes, attribut des divinités, grimpe avec une légèreté aérienne vers le sommet de la montagne où les astres irradiés figurent les dieux, vers la splendeur de l’épopée. Il vit un jour plein d’ivresse, long comme une année, consomme sa victoire. Il fait aussi son ascension dans la mémoire des hommes. L’insurrection générale Des inscriptions gravées sur un bronze mentionnent les réalisations de Naram-Sin dans la cité d’Akkadé, ainsi que neuf victoires remportées en un an par ce grand stratège : « Quand les quatre régions se sont soulevées ensemble contre moi… », régions en relation avec les quatre points cardinaux. En effet, à une date non précisée, selon un récit tardif, d’époque paléo-babylonienne (2004-1595 av. J.-C.), éclata une grande rébellion contre Naram-Sin. Les provinces, de la Syrie à l’Elam, se soulevèrent. Le roi soumit avec force et pacifia les villes révoltées, Sippar, Kish au nord, Nippur, Isin, Umma, Lagash, Uruk, Ur au sud…Il remporta un éclatant triomphe. Le roi mata encore d’autres rébellions en Syrie, en Anatolie. Les réformes Naram-Sin, qui avait de grands desseins, réforma l’empire akkadien, religieusement, politiquement, économiquement. Il réduisit les cités-États au rang de provinces, favorisa l’agriculture. 49

Tout en gardant à Enlil la primauté, il privilégia à Akkadé, ville vouée à Inanna/Ishtar, le culte de la déesse. Roi bâtisseur, il reconstruisit des temples dans différentes villes, à Akkadé, à Sippar, à Ur où il nomma sa fille Enmenana grande prêtresse de Nanna. À Nippur, la capitale religieuse, il aménagea fastueusement le sanctuaire d’Enlil, l’agrandit. Sa conception de la royauté différa de celles de ses prédécesseurs. L’institution royale dépassa toutes les autres. Roi de Kish, roi d’Akkad, comme Sargon, Naram-Sin qui prétendait à la souveraineté universelle, prit le titre de « Roi des Quatre Régions (du monde) », le centre du monde se situant pour lui et ses contemporains, en Mésopotamie, symbolisé par la capitale Akkadé. Les habitants de celle-ci demandèrent aux dieux de reconnaître la nature divine de Naram-Sin, sauveur de l’ordre cosmique, qui avait protégé du danger la ville. Le roi fit précéder son nom d’un déterminatif graphique qui caractérisait les dieux, et du titre dingir (ilum en akkadien), « divinité ». Il porta la tiare à cornes, symbole divin, comme sur la stèle de Sippar érigée pour commémorer sa victoire sur les Lullubi, mais il demeura un homme, un homme supérieur, il est vrai, désireux d’affirmer son omnipotence. Naram-Sin changea aussi l’écriture cunéiforme, si complexe, simplifia, rendit plus élégante la graphie dans l’administration. Il réforma l’orthographe de la langue akkadienne qui fut utilisée sur les monuments officiels, et se répandit ensuite dans tout le Proche-Orient comme langue du droit et de l’histoire. La culture et les arts plastiques, comme la sculpture, s’épanouirent sous son règne, en témoigne la célèbre tête de bronze du musée de Bagdad. Sous Naram-Sin, l’empire akkadien atteignit son apogée. Il s’étendait sur un immense territoire, mais le roi eut beaucoup de mal à défendre politiquement, militairement ses frontières contre les barbares qui descendaient périodiquement dans la plaine.

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La malédiction d’Akkad Quelles furent les dernières années du très long règne de Naram-Sin, le roi fort et victorieux ? Les faits nous manquent sur cette période. Après sa mort, Naram-Sin devint le héros de divers récits. Comme Sargon, il fut longtemps magnifié, fit même l’objet d’un culte dans le temple. Divin, adorable, infaillible NaramSin! Les derniers souverains du royaume néo-assyrien (721612 av. J.-C.) se voudront les continuateurs des légendaires Sargon d’Akkad et Naram-Sin qu’ils choisiront pour modèles. Une autre vision, défavorable celle-là, fut élaborée selon les besoins politiques, idéologiques du moment. Naram-Sin, malgré ses victoires, fut accusé postérieurement d’avoir rompu avec les traditions, déchaîné la colère des dieux et provoqué, à cause de son orgueil, de son insoumission et de sa démesure, les rébellions, les invasions qui amenèrent la ruine et la chute d’Akkad. Un long, émouvant poème sumérien, maintes fois recopié, la Malédiction d’Akkad (fin du IIIeme millénaire av. J.-C. probablement), raconte comment Naram-Sin, aurait commis la faute de ne pas rendre un culte suffisant au grand dieu Enlil, et remis en cause sa primauté. Il aurait été désobligeant envers les dieux dont dépendait la prospérité du royaume. À Nippur, le roi aurait même permis à ses soldats de saccager l’Ekur, le temple d’Enlil, qu’il avait pourtant restauré, de détruire ses bois sacrés et d’emporter le butin à Akkadé. Bafoué, Enlil aurait alors envoyé dans le pays les Guti, un peuple barbare des monts Zagros qui selon une inscription « n’a pas de place chez les êtres civilisés, qui ne tolère aucune autorité ». Et les dieux en colère de jeter une terrible malédiction sur Naram-Sin accusé de sacrilège, sur ses successeurs et sur la capitale Akkadé qui fut abandonnée : «Akkadé, que ton argile retourne à l’abzu (le domaine des eaux primordiales) dont elle est sortie…Que ton grain retourne au sil51

lon…Que le palais construit dans la joie s’effondre au milieu de l’angoisse et que les êtres malfaisants de la steppe déserte y fassent résonner leurs hurlements…Que sur tes routes que sillonnaient les chariots croisse l’herbe de lamentation… »18 Akkadé aurait été attaquée par les Guti, ses magnifiques remparts abattus, son palais ruiné. Et le poème, sorte de lamentation, conclut : « Akkadé est détruite. Louange à Inanna ! » Mais rien ne vient soutenir ce récit qui mêle réalité et fiction ; les fouilles de l’Ekur, à Nippur, n’ont révélé aucun signe de destruction remontant au règne de Naram-Sin. La Légende kutéenne de Naram-Sin Un autre texte, reprenant le thème de la responsabilité de Naram-Sin, nous restitue certains événements tragiques de son règne. Il fut rédigé par un scribe sur une stèle que le roi aurait déposée ensuite dans la chapelle du dieu Nergal à Kutha ou Kutû, (Tell Ibrahim, dans le nord de la Babylonie), en cas d’invasion du pays par les barbares. Ce beau texte est connu par une version néo-assyrienne de la bibliothèque d’Assurbanipal à Ninive, reconstituée d’après des fragments plus anciens. Le scribe nous montre d’abord le roi trop sûr de lui et de sa liberté, défiant le dieu dans un vertige de puissance. Il le fait parler ainsi : « Mais ainsi me dis-je à moi-même : « Quel lion a jamais consulté les oracles ? Quel loup a [jamais] interrogé une devineresse ? Je veux aller, comme un pillard, au gré de mon désir, et faisant fi du dieu ( ?) m’en remettre à moi-même ». 19 Or le manquement à la volonté du dieu entraîne une punition et de graves malheurs pour le roi et son peuple : rébelCf. F. Brüschweiler « La ville dans les textes littéraires sumériens », dans « La ville dans le Proche-Orient ancien », Peeters, p. 194. 19 Trad. R. Labat, Les religions du Proche-Orient asiatique, Fayard/Denoël, Paris, 1970. 18

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lions, invasions, famines, pestilences, mort. C’est ce qui arrive. Naram-Sin évoque ses trois premières campagnes contre les envahisseurs, les Lullubi (venus de la région du Zagros) et surtout les Guti. Ces terribles campagnes lui ont coûté les vies de milliers de soldats. La première année, il a fait sortir 12 000 soldats et pas un seul d’entre eux n’est revenu vivant ; la seconde année, 50 000 soldats, et la troisième, 60 700 soldats. La victoire reste encore lointaine. Le roi, désemparé, avoue son impuissance : «Je fus alors plein de trouble, d’égarement et de tristesse, Je souffrais, je gémissais, et ainsi, je me parlais à moi-même : Que vais-je laisser à mes successeurs, moi, un roi qui n’a pas pu sauver son pays, Et un pasteur qui n’a pas pu sauvegarder son peuple ? »20 Naram-Sin, dans sa détresse, offre des sacrifices au dieu Ea, dieu des eaux douces et de la sagesse, et engage avec un courage héroïque la quatrième campagne pour sauver son pays des barbares : «Les haches firent ruisseler le sang… Parmi eux (les ennemis), douze guerriers s’enfuirent pour m’échapper. Je me lançai en hâte à leur poursuite. Ces guerriers, je réussis à les prendre, Ces guerriers, je les ramenai prisonniers. »21 Finalement, le roi est sauvé par l’intervention des dieux. Il repousse ses ennemis, les soumet. Doit-il les mettre à mort ? Il consulte l’oracle qui lui demande de laisser les dieux punir les prisonniers, et il obéit. Alors, fort de sa longue expérience, Naram-Sin en tire des leçons afin d’éviter à ses successeurs, rois ou gouverneurs, de Cf. Amar Hamdani, « Sumer, la première grande civilisation », éd. Farmot, 1977, p. 204. 21 Ibid. , pp. 204-205. 20

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commettre à l’avenir les mêmes erreurs que par le passé. Sur un ton pieux, humble, avisé, il leur prodigue ses conseils. Il les appelle à vivre le présent, à profiter de la vie, à rechercher la paix : « O toi, qui que tu sois, gouverneur, prince ou tout autre, que dieu aura nommé pour exercer la royauté, pour toi j’ai fait une tablette d’ivoire, j’ai écrit cette stèle (…) Consulte-donc cette stèle ou fais-toi lire ce que dit cette stèle (…) Si tu veux que tes bases soient stables, Et que tu puisses toi-même faire l’amour sur le sein de ta femme, Mets ta confiance dans tes murailles, Remplis d’eau tes fossés ; Tes coffres, ton grain, ton argent, tes biens meubles, Fais-les entrer dans ta ville fortifiée. Ceindre les armes ? Non, laisse-les à l’abri ! Réserve ta vaillance, assure ton propre salut […] Que des scribes savants rédigent ta propre stèle, Toi qui, d’avoir vu ma stèle, auras pu te sauver. Toi qui m’en auras béni, qu’un autre plus tard te bénisse à son tour ! »22 Naram-Sin conseille à tout souverain, si l’ennemi envahit son pays, de ne pas s’aventurer au-devant de lui, de ne pas l’approcher, de supporter patiemment ses exactions. Il lui recommande la prudence et l’humilité, la bienveillance en réponse aux offenses, l’envoi de cadeaux en signe d’échange, bref, la douceur, la non violence. D’après ce fameux texte épique, il semble que Naram-Sin, à la tête d’un immense mais fragile empire, ait acquis, à la fin de sa vie, une grande sagesse. Le crépuscule de l’Empire d’Akkad Le fils de Naram-Sin, Shar-Kali-Sharri (2217-2193 av. J.-C.), roi d’Akkad, gouverna encore longtemps l’empire. Il continua à rénover somptueusement l’Ekur, le temple d’Enlil 22

Ibid. , pp. 205-206.

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à Nippur, et lutta contre les révoltes, les incursions des peuples barbares, Amorrites (Syrie), Elamites, à l’est, Guti. Il eut plus de quatre successeurs. Soleil des couchants, perturbations d’Empire…L’anarchie s’installa. La Liste des rois sumérienne s’interroge : « Qui était roi ? Qui n’était pas roi ? » Menacé, l’empire finit par s’écrouler (vers 2155 av. J.-C.). Les Guti, attirés par les richesses, ravagèrent-ils le pays ? UrNigin roi d’Uruk, enleva t-il Akkadé, ou bien selon certaines découvertes archéologiques récentes, survint-il une grande sécheresse dans la région ? «Les grands champs ne donnaient plus de grains », les « épais nuages ne donnaient plus de pluie. » L’empire d’Akkad fut le plus probablement dévasté, ruiné par l’envahisseur, mais les causes politiques, économiques, sociales de sa chute restent mystérieuses. La capitale, Akkadé ne disparut pas dans les brumes de l’histoire. Elle releva la tête, eut un gouverneur à l’époque de la Troisième dynastie d’Ur (2112-2004 av. J.-C.). Elle fut attestée sous Hammurabi de Babylone (1792-1750 av. J.C.), sous les Cassites, pillée par les Elamites au XIIeme siècle… Aujourd’hui, Akkadé n’a pu être localisée. Hélas, les fouilleurs n’ont pas assez persévéré dans leurs travaux, mais l’espoir subsiste. Si tout revient cycliquement, les cieux, les fêtes, les saisons et les villes, comme le pensaient les vieux Mésopotamiens, qu’Akkadé reprenne un jour sa place à l’horizon, avec ses palais couleur de soleil et ses temples resplendissants de lumière ! Que la musique de son histoire ne s’assourdisse pas ! Que derrière ses légendaires murailles, les lyres et les flûtes chantent à nouveau sa gloire !

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Gudea, prince de Lagash

CHAPITRE VII GUDEA, PRINCE DE LAGASH Ses exploits, ses réalisations Girsu, capitale de l’État de Lagash, au sud du pays de Sumer, aujourd’hui Tello, un désert de sable, des tertres brûlés par le soleil, avait été jadis une grande cité. Devant le site désolé, mon désir fou, comme un archéologue, tenta de faire surgir en images virtuelles sur l’écran du passé les temples et les palais, les quartiers d’habitations aux rues étroites. Quand tomba la dynastie de Sargon et de son petit-fils Naram-Sin, Lagash, qui avait dominé longtemps le Sud sumérien, avec les seigneurs Eannatum et Urukagina, retrouva une partie de son autonomie perdue, en dépit de la présence des Guti. Ensi (prince, intendant) de Lagash, Gudéa (vers 21412122 avant J.-C.), succéda à son beau-père Ur-Ba’u. Il régna 17 ou 18 ans. Pieux, intelligent c’est-à-dire attentif aux signes des dieux, savant et sage, Gudéa se prétendait le fils de la déesse Gatumdug. Dans les nombreuses inscriptions qu’il avait laissées, il mentionnait peu d’événements diplomatiques, socioéconomiques, militaires, comme si l’État de Lagash, isolé au sein de Sumer, se suffisait à lui-même. Il déploya néanmoins sa puissance en entreprenant une expédition victorieuse contre les Elamites.

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Le roi bâtisseur Sous le règne de Gudéa le « bon pasteur », qui se montra un remarquable administrateur, l’État de Lagash connut une période de paix, de justice sociale, de prospérité, de culture. Épris de belles réalisations architecturales, Gudéa eut le loisir de s’y consacrer. Il reconstruisit des temples, des chapelles dans son État, veilla à leur bon fonctionnement. Après Ur-Ba’u, son beau-père, il continua à relever amoureusement de ses ruines sa capitale Girsu, saccagée comme Lagash par le roi d’Uruk et d’Umma, Lugalzagesi, deux siècles auparavant, et lui rendit sa splendeur. Deux sortes de longs hymnes inscrits sur des cylindres d’argile d’une soixantaine de centimètres de haut, conservés aujourd’hui au Musée du Louvre, chefs-d’œuvre de la littérature sumérienne, évoquent poétiquement la construction d’une partie du temple de Nin-girsu et son inauguration. UrBa’u en avait déjà commencé la restauration. Au cours d’un rêve, Nin-girsu, le dieu tutélaire de la cité, entouré de lions couchés, révéla à Gudea le plan de ce temple appelé E-ninnu, ou la maison (qui détient) cinquante (oiseaux ou emblèmes des pouvoirs divins). Ce grand complexe sacré couvrirait de son éclat les contrées comme un manteau et apporterait l’abondance à Lagash. Gudéa, investi de cette grandiose mission, se mit aussitôt à l’œuvre, rassembla les ouvriers, contrôla les travaux et importa du Liban, des pays lointains de Kimash, de Magan (l’actuel Oman), de Melukhkha (vallée de l’Indus) les matières précieuses nécessaires : «D’Elam vinrent les Elamites et de Suse les Susiens. Magan et Melukhkha rassemblèrent du bois de leurs montagnes …Gudea les amena dans sa ville de Girsu…Gudea, le grand prêtre En de Ningirsu, traça dans les montagnes du Cèdre une route que personne n’avait jamais empruntée auparavant. Il coupa les cèdres avec de grandes haches. Comme de grands serpents, les cèdres descendirent de la Montagne du Cèdre en flottant sur les eaux de la rivière ; des radeaux de pin descendirent de la Montagne du Pin…Dans des car60

rières où personne n’était entré avant lui, Gudea, le grand prêtre en de Nin-girsu, traça un chemin et les pierres furent livrées en grands blocs. Beaucoup d’autres matières précieuses furent apportées au gouverneur, bâtisseur du temple E-ninnu. De la montagne de cuivre de Kimash…on amena l’or comme de la poussière. Pour Gudea, on fit extraire de l’argent des montagnes, on amena en grandes quantités des pierres rouges de Melukhkha. »23 Le second cylindre relate l’installation solennelle de Ningirsu dans son temple, et les grandes festivités qui s’y déroulèrent. Hélas, il ne reste de l’E-ninnu que des ruines. Rien ne dure ici-bas, et je ne peux que rêver à ce temple magnifique, et au prince qui l’a bâti avec tant de fierté. Les remarquables statues Seule la magie de l’art a pu fixer le nom, le visage, le mystère de Gudéa, Ensi de Lagash qui ainsi survit à sa saison. À la fin du XIXeme siècle, lors des fouilles françaises menées à Tello (Girsu) par Ernest de Sarzec, vice-consul de France, de nombreux objets furent exhumés, figurines, clous, tablettes, sceaux-cylindres, armes, vases, stèles, et une vingtaine de statues. Ces statues un peu massives, mais d’une remarquable pureté de lignes, sculptées avec grâce et sensibilité dans la diorite noire et polie importée de Magan, étaient dédiées aux divinités de l’État et à Nin-girsu, grand dieu de Lagash. Elles ornaient jadis les temples. Quelques unes furent retrouvées, hélas, décapitées. Elles représentaient Gudea en prière, les grands yeux ouverts, les mains fines, humblement jointes, debout ou assis au fond des bons vieux temps. De petite taille, le cou puissant, le corps trapu, les bras musclés, il incarnait la force, la sagesse et la justice que l’on attendait du prince, soucieux du bien être et de l’équilibre de son peuple, de l’harmonie de son royaume et de la communion avec le monde. Tête nue ou coiffé d’un bonnet royal, 23

Cf. Michael Roaf, Atlas de la Mésopotamie, Brepols, p. 99.

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imberbe, il était vêtu d’une simple robe à ourlet drapée sur le bras gauche, laissant l’épaule droite découverte. Des statues, que le temps n’avait pu déliter et qui demeuraient, furent achetées par le Louvre en 1881. Lors d’une visite à ce musée, l’an passé, je me promenai parmi elles dans la salle qui leur était consacrée, essayant de me rappeler dates et hauts faits du prince. Je remarquai leur finesse, leurs effets de lumière et d’ombre, de dureté et de faiblesse, de pérennité. Comme si l’histoire s’était arrêtée, Gudea vivait encore, d’une mystérieuse vie, non dans les temples, comme autrefois, mais dans les musées. Ici, le prince assis, les bras ramenés sur sa poitrine, m’offrait son front serein, ses pommettes saillantes, son menton carré, volontaire. Ses yeux largement ouverts, sous l’arc des sourcils ailés qui se rejoignaient, me regardaient avec un calme étrange, résolu, puis dépassaient mes yeux, se perdaient dans l’espace (Petit Gudéa assis). Là, Gudea tenait dans sa main la règle et le jalon de l’arpenteur (L’Architecte à la Règle). Là encore, il avait les mains pieusement croisées, il serrait sur ses genoux le plan du temple suggéré en songe par le dieu Nin-girsu et une règle (L’Architecte au plan). Il était à la fois, comme le dit justement André Malraux24, l’adorant, le dieu et le temple. Plus loin, une célèbre statue en calcite, complète, montrait un Gudéa au vase jaillissant, d’où s’écoulait une eau pleine de poissons remontant à contre-courant, symbole de fertilité. Elle aurait été offerte par le prince bienveillant à la déesse Geshtinanna. Il s’en dégageait une majesté paisible, une grande ferveur, une sérénité souriante. Je laissai le seigneur de Lagash, sa force d’âme, sa piété, sa vigueur dans son univers artistique baigné d’aube et dans sa gloire de diorite. Gudéa fut divinisé après sa mort, reçut un culte et tous les honneurs. Les nombreux ornements qui restèrent de son 24

André Malraux, Préface, dans A. Parrot, Sumer, éd. Gallimard, 1981.

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règne, briques, inscriptions sur les objets votifs, statues, hymnes suffirent à lui garder un nom « éternel », à assurer sa mémoire et à la justifier. Le souvenir de ce roi savant, lettré, flottait toujours sur le site de Girsu. Le fils de Gudéa, Ur-Ningirsu, lui succéda. Seule une statue en albâtre gypseux, dédiée à son dieu personnel, Ningizzida, le représentait. Il s’effaça bientôt au fil d’un horizon brouillé. L’État indépendant de Lagash vivait ses derniers jours, il allait bientôt être englobé dans un vaste empire, celui d’Ur III, et devenir une simple province.

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La stèle d’Ur-Nammu

CHAPITRE VIII UR-NAMMU ET L’EMPIRE D’UR III Récemment, je visitai avec émotion le site d’Ur, proche de la ville de Nasiriya, au sud de l’Irak. Je découvris l’impressionnante ziggurat, pyramide à étages, bâtie en briques, et restaurée en 1960-1970. Aujourd’hui tronquée, elle s’élevait à une vingtaine de mètres et surplombait la vaste plaine grise, aride. Commencée par le roi Ur-Nammu (2112-2095 av. J.-C.), sur l’emplacement d’un temple plus ancien, achevée par son fils Shulgi, la ziggurat avait plusieurs étages et portait, au sommet, un sanctuaire. Elle faisait partie d’un complexe religieux voué à Nanna, le dieu-lune, fils du grand Enlil. L’escalier central de cent marches, d’une seule et légère volée, conduisait au premier étage de l’édifice. Autrefois bâtie au bord de l’Euphrate, la ville antique d’Ur s’élevait ici, avec ses murailles, ses temples de lumière, ses longues processions de fidèles venus offrir à Nanna le dieu-lune les prémices de leurs récoltes, ses rois-lune, ses palais resplendissants, ses riches entrepôts, sa nuit constellée… Au troisième millénaire avant notre ère, deux dynasties régnèrent à Ur, mais la troisième allait briller de tout son éclat. Curieux, je me tenais devant la ziggurat, au bord des temps, des conquêtes, des victoires, des cris, des drames. Ur-Nammu, roi de Sumer et d’Akkad La tradition raconte qu’après la chute d’Akkad et une longue période de troubles, le dieu-lune Nanna choisit Ur-Nammu

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pour le représenter sur la terre et gouverner Sumer. Le roi fonda la dynastie d’Ur III et régna environ 17 ans. Quelques inscriptions officielles, textes d’archives provenant du site de Girsu et quelques hymnes en sumérien gravés sur des tablettes d’argile nous renseignent principalement sur Ur-Nammu, ses conquêtes, ses réformes, comme celui-ci qui le fait parler ainsi : « Je suis Ur-Nammu, le Pasteur, que la vie soit ma récompense… Du ciel la royauté est descendue vers moi. » On ne connaît pas bien les origines de ce souverain qui se disait l’héritier de Gilgamesh, roi d’Uruk. Probablement était-il gouverneur militaire de la ville d’Ur pour le compte de son père ou frère Utu-Hegal (2019-2013), seigneur d’Uruk, qui avait chassé les barbares Guti de Mésopotamie. À la mort d’Utu-Hegal, il l’aurait remplacé. Il prit le contrôle d’Uruk, d’Eridu, conquit les autres principautés sumériennes, Girsu, Umma, Nippur. Il fit d’Ur sa capitale. Influencé par l’exemple des rois d’Akkad, il reconstitua l’unité de l’ancien empire et le premier, dans la tradition de Sargon, adopta le titre de « Roi de Sumer et d’Akkad ». Sans doute dans la seconde partie de son règne, il supplanta l’État voisin de Lagash, après des démêlés avec Namhani, dernier souverain indépendant, qu’il fit mourir ou du moins mit sous contrôle. Une politique active Ur-Nammu protégea la ville d’Ur « cité princière de Sumer ». Il rebâtit le rempart, «aussi haut qu’une montagne resplendissante », édifia un palais. Fort pieux, il reconstruisit le Temple de Nanna. Il nomma sa fille Ennirgalanna prêtresse du dieu-lune. Il rebâtit aussi l’Ekur, le Temple du puissant Enlil à Nippur. Dans ces villes, il associa aux temples des ziggurats. Grâce à une réorganisation administrative et économique, à une bureaucratie centralisée, le souverain se tint informé de 68

tout ce qui se passait dans son État, le premier État véritable en Mésopotamie méridionale. Il creusa et entretint des canaux d’irrigation, favorisa l’agriculture, planta des dattiers, richesse de Sumer et d’Akkad, car ils servaient à la nourriture, à la fabrication de pâte de dattes, de vin de palme, de mélasse, et aussi de fibres de bois et d’ouvrages tissés. Ur-Nammu développa le réseau routier et les activités portuaires. Dans son empire d’Ur III qui dura presque un siècle, il rétablit la sécurité et la prospérité, souvent symbolisée par le taureau et l’épi de blé. Enfin, il intégra à son empire de nouveaux territoires, particulièrement vers l’est. Ur-Nammu, le grand législateur Ur-Nammu était épris d’ordre, d’égalité, d’équité et de paix. Il mit fin aux abus des fonctionnaires, qui s’attribuaient plus qu’il ne convenait des biens de l’État, protégea les faibles. Il serait l’auteur, avec son fils Shulgi, d’un Code de lois, rédigé en sumérien. Seules 37 lois nous sont parvenues. Son Prologue, découvert sur le site de Nippur, déclare : «Alors Ur-Nammu, le puissant guerrier, roi d’Ur, roi de Sumer et d’Akkad, établit l’équité dans tout le pays, bannissant l’insulte, la violence, les querelles. L’orphelin ne fut pas remis entre les mains de l’homme riche ; la veuve ne fut pas livrée au puissant. »25 Le roi fixa les poids et mesures, qui ne sont pas sans analogie, dira plus tard Aristote, avec les règles de justice. Il fit fabriquer un étalon de mesure de capacité en cuivre, le Sila, et mit en relation plusieurs systèmes de mesures de surface, de capacité et de poids (le Ma.na ou la mine) : « Je fis la mesure de I Sila (0,840 litre) de grain en cuivre, je la fixai à I Ma.na ».26

25 26

Cf. Les éditions Time-Life, Sumer, Amsterdam, 1993, p. 142. Prologue du code : Un Sila de grain devait peser un Ma.na.

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Le Ma.na, base des mesures pondérales, pesait environ 505 grammes. Le Sicle d’argent valait 1/60 de Ma.na. Le code d’Ur-Nammu traite encore de thèmes juridiques comme la famille, le mariage, le divorce, la propriété, le servage, la fausse accusation. Voici ce que dit encore ce code : « Si (un homme à un homme, avec un instrument…,) son… a coupé le pied : 10 sicles d’argent il devra payer. Si un homme à un homme, avec une arme, les os de… a rompu : I mine d’argent il devra payer. » 27 Les amendes étaient versées en réparation de violences physiques, au lieu des châtiments corporels. C’était la loi naturelle, loi plus humaine que la fameuse loi du talion, « œil pour œil, dent pour dent » qui prévaudra longtemps chez les Hébreux et qui non seulement n’incarne pas la justice, dira encore Aristote (Éthique à Nicomaque, V) mais ne s’accorde pas avec elle. L’injustice, l’inégalité, les actions coupables et le mal qui allaient à l’encontre des lois et de l’ordre social fondé sur la famille et la propriété, étaient bannis de l’empire.

27 Samuel Noah Kramer, L’histoire commence à Sumer, éd. Arthaud, 1957, p. 92.

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La fin prématurée d’Ur-Nammu Ur-Nammu, « l’homme fort, le roi de Sumer et d’Akkad », dont les mains vigoureuses avaient tissé la toile d’un empire, accomplit, comme tout homme, son destin. Vers 2095, le sort le conduisit dans une vallée, peut-être la vallée de la Diyala, un affluent du Tigre. Il y disparut prématurément au cours de violents combats. Son corps, abandonné sur le champ de bataille « comme un vase brisé », ne fut pas retrouvé. Même la lune, en ce soir tragique, le chercha en vain. La bataille effaça ses nobles traits, la mort le saisit, mais pas l’oubli auquel il avait tant désiré échapper. La mémoire d’Ur-Nammu Le souvenir d’Ur-Nammu, le bon pasteur de son peuple, le réformateur social, subsiste encore. Une célèbre ziggurat, un code, des hymnes préservent sa mémoire et nous rendent en toute gloire le grand roi de Sumer et d’Akkad. Des briques sont estampillées à son nom. De nombreuses figurines de fondation, documents enfouis sous le sol, représentent UrNammu. L’une d’elles, exhumée à Nippur, dans le temple d’Enlil, le montre habillé d’une longue robe, portant sur sa tête, dans une corbeille, une pierre. Une stèle de calcaire sculpté, que fit ériger Ur-Nammu, a été récupérée en morceaux près de la ziggurat d’Ur par l’archéologue anglais Léonard Woolley, lors des fouilles anglaises de 1926. Elle est conservée depuis cette date au musée de l’université de Philadelphie, en Pennsylvanie et en partie reconstituée. Elle offre aujourd’hui aux visiteurs sa précieuse face, vieille de plus de quatre millénaires : la pierre suspend le cours du temps, fixe l’instant qu’ils vont, d’un long regard, habiter avec Ur- Nammu… Le roi est là, debout, sous le croissant de lune, symbole du dieu Nanna. Il est vêtu d’une robe drapée. Sur le deuxième registre, à droite, coiffé d’un bonnet, le visage orné d’une longue barbe frisée, symbole de virilité, de courage et 71

de sagesse, il fait une libation de vin, de lait ou de bière à une divinité (Ningal, épouse de Nanna ? ) qui lui tend un cercle et un bâton, insignes de la royauté. À gauche, il se tient pieusement devant Ningal, et fait le même geste de la libation. Sur le registre inférieur, le roi porte sur l’épaule des outils du maçon, nécessaires à la construction du temple, les ouvriers tiennent des paniers, l’un d’eux monte à une échelle adossée à un haut mur. La stèle, gardienne de mémoire, marque la présence d’UrNammu, elle témoigne de sa volonté, de sa croyance, et des rituels qu’il observait. Elle célèbre, tel un hymne, les qualités du souverain, sa piété, sa fidélité, son rôle de bâtisseur. Plus mélancolique, un long poème, la Mort d’Ur-Nammu, composé aux environs de 2000 ans avant notre ère, raconte qu’après son décès, il se rendit dans les régions inférieures, fit des offrandes aux dieux. Cette mort apparaît au poète comme une injustice d’An, dieu du ciel et père des dieux, et d’Enlil, seigneur suprême sumérien qui régit la royauté. Ils auraient changé le destin fixé au roi lors de son intronisation : « Le malheur a frappé Sumer, le jeune Pasteur a été emporté, le juste Pasteur Ur-Nammu a été emporté, oui, le juste Pasteur a été emporté ! An a changé sa parole sainte, le cœur […] est inconsolable ; Enlil, par tromperie, a changé tous les destins fixés » Ur-Nammu, dans le monde souterrain, se languit des murailles d’Ur, du palais qu’il avait bâti sans pouvoir en jouir suffisamment, de son épouse, et de son fils qu’il ne peut plus prendre sur ses genoux. Il se répand en plaintes à fendre le cœur : «Quant à moi, voici comment j’ai été traité. Je servais bien les dieux, Je préparais pour eux le […], aux Anunnaki (dieux des régions inférieures), j’assurais noble prospérité ; je comblais de trésors leurs chapelles ornées de lapis-lazuli. 72

Pourtant, aucun des dieux ne m’a porté secours ni apaisé le cœur. […] mon présage favorable a disparu aussi loin que le ciel. Moi qui servais les dieux nuit et jour, comment ai-je été payé de mes peines ? Pour moi, qui servais les dieux nuit et jour, le jour maintenant s’achève sans sommeil ! Comme arrêté du haut du ciel par une tempête, hélas ! maintenant je ne puis parvenir aux murailles d’Ur en ruines amoncelées. Comme si mon épouse s’était noyée, je passe le jour dans les larmes et les plaintes amères. Ma force s’en est allée. Moi, le guerrier, la main du destin un jour m’a […] »28 La puissante déesse Inanna, fille aînée de Sin, le dieu lune, et souveraine d’Uruk, tente d’aider le roi Ur-Nammu, qui est originaire de sa ville, mais en vain. Elle entre humblement dans l’Ekur, le temple d’Enlil, à Nippur, s’avance devant le dieu terrifiant qui roule des yeux, mais celui-ci lui dit : « Celui qui est mort ne remontera pas pour l’amour de toi ! » Sur le site d’Ur, régnaient la paix et la sérénité. Je me tenais toujours devant l’immense ziggurat rouge, hymne de briques flamboyantes que le très pieux roi Ur-Nammu et son fils Shulgi avaient élevé de la terre vers le ciel. La nuit claire et veloutée descendait doucement. C’était l’heure des étoiles, et de la lune qui régnait sur les ruines. Sa lumière bleuâtre et laiteuse toucha de sa grâce la ziggourat, estompant ses contours et la rendant presque irréelle.

Cahiers Evangile, Sagesses de Mésopotamie, supplément 85, La complainte d’Ur-Nammu, pp. 73-74.

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Fragment d’une stèle, musiciens de l’époque de Shulgi

CHAPITRE IX SHULGI, LE ROI MUSICIEN D’UR Shulgi (2094-2047 av. J.-C.), le «noble jouvenceau », le berger des Têtes noires, c’est-à-dire des Sumériens, succéda à son père Ur-Nammu. Je franchis les ors de la distance, je retrouve ce grand roi, son héroïsme, ses rêves de grandeur bondissants comme des lions, sa piété nimbée de lune, son sens de la justice, bref, la musique de son histoire. Les poètes composèrent de nombreux hymnes de louange en l’honneur de Shulgi, glorifiant ses activités religieuses, ses prouesses à la guerre et à la chasse, sa vaste culture, sa sagesse, son sens de la justice. Ils étaient rédigés à la première, deuxième ou troisième personne, pouvaient être chantés ou accompagnés de musique. Shulgi accompli en sagesse. Un hymne célèbre, l’hymne A, le Roi de la route, rappelait la filiation de Shulgi avec les dieux et les déesses du panthéon sumérien. Le souverain s’identifiait volontiers au lion, incarnation du pouvoir, de la justice et de la force, à l’âne, animal sacré, symbole du roi et du pouvoir, et au cheval, qui se précipitait d’un élan sur la route et évoquait la jeunesse, l’impétuosité du désir : « Je suis le roi des Quatre Coins (de l’univers), Je suis le berger des Têtes noires, Je suis digne de confiance, le dieu de tous les pays, Je suis le fils né de Ninsun (déesse pastorale) […] Je suis Shulgi, choisi pour aimer Inanna. Je suis un âne princier tout désigné pour la route, 77

Je suis un cheval à la queue fringante sur le grand chemin, Je suis un âne noble de Sumugan (dieu des Animaux de la steppe), ardent à la course...»29 Shulgi se disait encore le scribe de la déesse Nisaba. Il se vantait de sa sagesse, de son héroïsme, de sa puissance suprême, il disait aimer la justice, détester le mal, les méchantes paroles. L’hymne écrit pour commémorer la construction d’une route entre Ur et Nippur, la cité sainte du grand dieu Enlil, exaltait la vigueur et l’endurance du roi capable d’effectuer à pied, en une seule journée, le trajet de plusieurs lieues séparant les deux villes. Cet exploit sportif et remarquable fut choisi pour désigner la septième année de son règne. Shulgi, le poète et le musicien Si nous ne savons pas grand-chose de l’enfance d’UrNammu, nous connaissons davantage celle de son fils Shulgi. Il reçut une éducation qui semble avoir été excellente et complète pour son époque. Les dieux pourvurent Shulgi d’intelligence et de sagesse. Dès son jeune âge, ils lui transmirent le savoir, le dotèrent de force et de courage. Le jeune garçon fit l’école sumérienne des scribes, l’edubba et grâce à son habileté manuelle, maîtrisa bientôt l’écriture cunéiforme. Un hymne le faisait parler ainsi : «Quand j’étais petit, je suis allé à l’école, où j’ai appris l’art du scribe sur des tablettes de Sumer et d’Akkad. Personne, parmi les nobles, ne pouvait écrire comme moi. Là où l’on va régulièrement pour apprendre l’art du scribe, j’ai maîtrisé soustractions, additions, calcul et comptabilité. Les belles déesses Naniggal et Nisaba m’ont pourvu en abondance d’entendement et de savoir. Je suis un scribe

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S. N. Kramer, l’Histoire commence à Sumer, éd. Arthaud, p. 176.

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expérimenté qui ne néglige rien. Je bondissais, musclé comme un guépard, courant comme un onagre à plein galop. » 30 Shulgi, scribe de la déesse Nisaba, déesse de l’écriture, maîtresse de tout savoir, conserva toute sa vie un grand intérêt pour l’astronomie, les arts, la poésie, et surtout la musique d’origine divine. La Musique, l’Architecture, l’Art de l’écriture, l’Intelligence et la Connaissance étaient des éléments constitutifs de la civilisation sumérienne et faisaient partie des Me, cet ensemble de lois, de forces divines qui couvraient les activités de l’humanité. Shulgi était fin connaisseur de musique, bien avant David, le célèbre roi des Hébreux et s’y était consacré de tout son cœur. Les instruments à corde ou à percussion (Tigi), les tambours (Adab) chantaient joyeusement sous ses doigts vifs, agiles : «Moi, Shulgi, roi d’Ur, je me suis consacré à la musique. Rien n’est trop complexe pour moi : je connais les [instruments] Tigi et Adab en largeur et en profondeur, perfection de la musique. Quand je fixe les frettes du luth, qui transporte le cœur, je ne brise jamais son manche ; j’ai étudié les règles pour augmenter et diminuer les intervalles. Je connais l’accord mélodieux de la lyre gu-ush à dix cordes (…) Même si l’on m’apporte comme on le fait à un musicien expérimenté, un instrument que je n’ai jamais entendu jouer auparavant, quand je commence, je produis son véritable son : je suis capable d’en jouer comme si je l’avais déjà tenu auparavant. Accorder, mettre et défaire les cordes ou les fixer, rien de cela n’est impossible à mes mains. Je ne fais pas sonner la flûte double comme le pipeau et de ma propre initiative, je peux chanter un Shumunsha ou entonner une lamentation tout comme celui qui le fait régulièrement. » 31 Hymne B de Shulgi, d’après The Electronic Text Corpus of Sumerian Literature (http : //www. etcsl.Orient.ox.ac.uk). Cité par Véronique Grandpierre, Histoire de la Mésopotamie, Folio Histoire, p.159. 31 Ibid. , Hymne B de Shulgi. 30

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Monarque pieux, à l’écoute des dieux, qui parlaient aux hommes à travers les signes, Shulgi savait lire les présages. Les sacrifices d’animaux qui composaient le culte, étaient ordonnés par le roi Ils se faisaient en musique, pour s’assurer les bonnes grâces des dieux. Il y faisait offrir de nombreux moutons, résonner les tambours et jouer les instruments Tigi. 32 La musique avec ses instruments divers, ses tonalités, ses rythmes accompagnait les actes de la vie personnelle du roi, animait les cérémonies religieuses et les fêtes du règne, comme la grande fête automnale autour de Nippur, centre religieux de l’empire. Procession, incantations, prières célébraient la puissance d’Enlil ; la liesse populaire animait la fête. La musique délivrait le monde du chaos universel et le faisait vibrer. Elle élargissait la communication jusqu’aux limites du divin. Puissent mes chants être toujours écoutés ! Ami des lettres, Shulgi fonda des écoles de scribes à Ur, à Nippur, sous le patronage de la déesse de l’écriture Nisaba, et peut-être la première « bibliothèque ». Les écoliers y recopiaient sur des tablettes les hymnes des temps anciens et les chants de louange composés pour le roi, qui se transmettaient le plus souvent oralement. Ils les transmettaient ainsi aux générations futures comme des œuvres littéraires, assuraient leur pérennité et perpétuaient la mémoire de Shulgi. Voici le souhait que le roi formula :

«Puissent mes hymnes être dans toutes les bouches ; puissent mes

chants être toujours écoutés ! Afin que la louange de ma renommée, les mots que le dieu Enki a composés à mon sujet, que la déesse Geshtin-anna prononce joyeusement dans son cœur et proclame au loin, ne soient pas oubliés, je 32

Les tambours Shem et ala.

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les ai fait écrire ligne à ligne dans la Maison de la Sagesse de la déesse Nisaba, en sainte écriture céleste, comme grandes œuvres de science. Nul ne doit jamais les oublier. » 33 Une vingtaine de ces hymnes a été retrouvée. Les écoliers devaient les chanter comme le roi lui-même. Shulgi le réformateur Shulgi ne fut pas seulement un roi savant, mélomane, il continua à réorganiser l’empire d’Ur III et sous son long règne de quarante-sept ans, celui-ci atteignit son apogée. À l’intérieur, Shulgi entreprit une série de réformes politiques, administratives, économiques. Il édifia une résidence royale, bâtit ou restaura des temples, fit de Nippur un sanctuaire national. Des documents administratifs, datant surtout de la seconde moitié du règne, nous renseignent sur le fonctionnement de cet État très centralisé qui contrôlait l’agriculture, l’élevage, la pêche, le travail du cuir et du textile, le commerce avec l’Anatolie et les pays d’outre-mer. Il assurait la prospérité aux habitants du pays qui connut sous le règne de Shulgi l’abondance. Le roi, qui détenait tous les pouvoirs, se tenait au sommet de l’empire divisé en provinces administrées chacune par un ensi, gouverneur provincial et un shagin, commandant militaire. De nombreux scribes s’occupaient de l’administration des taxes dont s’acquittaient les provinces. Celles-ci devaient à tour de rôle (système du Bala) approvisionner en richesses, bétail et produits divers, des centres collecteurs, comme l’énorme Puzrish-Dagan (Drehem), au sud de Nippur. Shulgi poursuivit la remise en état des grands canaux, commencée par son père, développa le réseau des routes. Il officialisa dans l’empire un nouveau calendrier des mois, celui de Nippur, dont s’inspirera plus tard le roi de Babylone Hammurabi. 33

Cf. D. Charpin, Hymne E de Shulgi.

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Il aurait aussi continué à réorganiser le système de poids et mesures. L’on peut encore voir au Musée du Louvre un poids en diorite d’une demi-mine (environ 250 grammes), portant le croissant lunaire et voué par le roi au dieu-lune Nanna à Ur. Shulgi, qui aimait la justice et le bien protégea le faible, l’orphelin, la veuve des abus et injustices de la part des riches. Entre l’an 10 et l’an 21 de son règne, pour asseoir son pouvoir, il écrivit son nom avec le déterminatif propre à la divinité dingir, comme Naram-Sin d’Akkad. Des temples garnis de statues lui furent dédiés, des fêtes religieuses consacrées et il fit l’objet d’un culte de son vivant. À l’extérieur, à partir de la 20eme année de son règne, le roi entreprit une série de campagnes militaires dans le nord, contre les principautés du Zagros, peuplées de Guti, de Lullubi, de Hurrites, et au sud-est, contre la puissance élamite. La musique tenait-elle une grande place dans la guerre, comme elle le fit à l’époque néo-assyrienne (934-610) ? À l’approche de l’armée, les ennemis pouvaient entendre les clameurs, le bruit des armes, les sifflements des flèches, les sons des tambours et des cymbales. Fin diplomate, Shulgi compléta ses entreprises militaires en donnant en mariage ses filles à des princes étrangers ou à des gouverneurs pour s’assurer leur alliance. Soucieux de protéger les marches frontières de son pays, de contenir la marée des envahisseurs et de maintenir la paix, Shulgi entreprit la construction d’une muraille entre l’Euphrate et la basse Diyala, un affluent du Tigre. Elle fut appelée Bad.Igi.Hur.Sag.Ga car elle faisait face à la montagne. Le roi impie Une chronique tardive rédigée en babylonien, La Chronique d’Uruk concernant les rois d’Ur, trace de Shulgi le portrait

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d’un roi impie qui n’accomplit plus les rites et souille les cérémonies de lustration : «Le divin Shulgi, fils de la fille d’Utu-Hegal, roi d’Uruk […] altéra indûment les rites du culte d’Anu, les prescriptions d’Uruk, [le sa]voir secret des sages, [et ] coucha par écrit la corvée exigée par Sin, le Seigneur d’Ur. [Sous] son règne, il écrivit des stèles mensongères, écrits insolents, [(concernant) les rites de lus]tration pour les dieux, et les laissa à la postérité. . »34 Quoiqu’il en soit, Shulgi mourut très âgé, après un règne long et prospère, au début du XIeme mois de sa 47eme année. La mort de Shulgi donna lieu à de grandes cérémonies. Un sacrifice funéraire lui fut dédié. Pour exprimer la tristesse et le deuil, les tambours, les flûtes, les lyres soutinrent les prières, les hymnes, et les lamentations. Il fut enseveli dans un magnifique mausolée de briques aux murs ornés d’or, aux plafonds décorés d’étoiles. Pour accompagner Shulgi dans l’au-delà, deux de ses épouses, Shulgi-simtî, et Geme-Enlila, furent-elles sacrifiées quelques mois plus tard ? J’ai pu voir sur le site d’Ur l’escalier et les hautes voûtes des caveaux où furent inhumés ce grand roi et son fils AmarSin. Selon un document administratif, Shulgi qui s’était fait déifié de son vivant, au lieu de rester au royaume souterrain des morts comme les rois, les héros et les hommes, « monta au ciel », vers la demeure des dieux. La mémoire de ce monarque puissant et habile à la guerre et à la chasse, organisateur d’un État centralisé, de ce roi intelligent, savant, juste, original, qui jouait de la flûte, exhalant le chant amoureux de son cœur, resta forte chez les Mésopotamiens.

34 J.-J. Glassner, Chroniques Mésopotamiennes, Paris, Les Belles Lettres, p. 230.

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Les deux fils de Shulgi Les fils de Shulgi lui succédèrent. Amar-Sin (2046-2038 av. J.-C.) régna huit ans et annexa une partie de l’Assyrie. Shu-Sin (2037-2029 av. J.-C.) renforça durant la quatrième année de son règne, la muraille fortifiée, édifiée par Shulgi, car les Mar.tu, ou nomades amorrites de Syrie et d’Arabie faisaient souvent des incursions, s’infiltraient en Mésopotamie et menaçaient le royaume. Un chant d’amour, inspiré par le séduisant roi Shu-Sin à une prêtresse, lors d’une fête du Nouvel An, a été retrouvé. Il nous fait partager les battements de cœur de cette femme consacrée à Inanna, la déesse de l’amour : « Époux cher à mon cœur, Grande est ta beauté, douce comme le miel. Lion cher à mon cœur, Grande est ta beauté chère à mon cœur.» 35 L’Euphrate modifia peu à peu son cours, glissant vers l’ouest. À l’extrême fin du troisième millénaire, les Elamites, au sud-ouest de l’Iran actuel, constituèrent avec les Amorrites, une menace de plus en plus grande pour l’éclatant Empire d’Ur III, sa rayonnante capitale qui brillait de tous ses feux et son port important, qui en assurait la prospérité.

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S.N. Kramer, L’histoire commence à Sumer, éd. Arthaud, p 189.

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Perle du roi Ibbi-Sin, Louvre

CHAPITRE X IBBI-SIN, LE ROI À LA PERLE Ibbi-Sin (2028-2004 av. J.-C.), fils de Shu-Sin, petit-fils de Shulgi, hérita d’un État fragile où l’idéal unitaire avait du mal à s’imposer. Il demanda au dieu-lune Nanna de lui venir en aide et lui voua pour sa vie une belle perle d’agate, perle conservée aujourd’hui au Musée du Louvre à Paris : «Au [dieu] Nanna, son maître, Ibbi-Sin, le dieu de son pays, le roi fort, le roi d’Ur, le roi des Quatre régions, a, pour sa vie, voué [cette perle]. »36 Les lettres qu’Ibbi-Sin échangea avec des gouverneurs de provinces, choisis au sein des grandes familles, nous renseignent sur le déclin de l’Empire d’Ur III dont il ne réussit pas à maintenir la cohésion. Le roi perdit de fertiles provinces et de grandes villes, Eshnunna, Umma, Lagash, Der, qui firent sécession l’une après l’autre. En 2017, les Amorrites débordèrent les frontières, firent un raid en pays de Sumer. Dans la capitale, Ur, ville de potiers, d’artisans, de commerçants, les vivres devenaient rares. Et les prix montaient. Ishbi-Irra, un officier de l’armée du roi, natif de Mari (ville du Moyen-Euphrate), qui n’était pas de souche sumérienne mais akkadienne, fut chargé par le roi d’acheter du grain à Isin, ville située au sud de Nippur. Tandis qu’Ibbi-Sin marchait contre l’Elam révolté d’où il rentra vaincu, l’officier s’exécutait de sa tâche et stockait de l’orge dans Isin. Il prétexta des difficultés pour expédier les vivres à Ur. 36

Musée du Louvre, trad. G. Chambon.

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Ishbi-Irra demanda au roi de lui confier la protection des villes d’Isin et de Nippur menacées par les envahisseurs amorrites qui franchissaient la frontière. Quelque temps plus tard, profitant de la faiblesse de l’empire, il revendiqua la souveraineté d’Isin, proclama son indépendance, s’empara de Nippur. L’énergique Ibbi-Sin, conscient des dangers, renforça les fortifications d’Ur ; mais il peinait malgré sa force militaire à gérer son fragile empire, si divisé, si réduit, à le défendre. L’attaque des Amorrites En 2007, les Amorrites ravagèrent Sumer, mais furent refoulés par Ishbi-Irra. Trois ans plus tard (2004), un nouvel ouragan se déchaîna sur le Pays. Les Amorrites, alliés aux Elamites et aux Su (un peuple des montagnes, ou bien les gens de Suse) revinrent dévaster Sumer qui se changea en pays de la peur. Ils assiégèrent Ur, cité affamée, affaiblie. Combien de temps dura ce siège ? Violence, stupeur, cris et gémissements, lune de sang… Avec quelle héroïque ardeur se défendirent le roi et les habitants ? Ils ne purent empêcher la mise en pièces, l’incendie de leur cité. Les hommes furent tués, les temples antiques profanés, les maisons pillées, saccagées, les champs, les vergers dévastés, les enclos vidés. Plus tard, la nature participa à cette désolation, flore et faune sauvage envahirent les ruines dans un tonnerre de silence, l’herbe folle poussa dans les champs de blé, l’eau des canaux devint amère. Malheureux Ibbi-Sin, roi vaincu, pasteur qui, malgré son courage, n’avait pas su sauver son pays, auquel il s’identifiait, protéger son peuple, préserver sa gloire devant l’histoire ! Il avait trouvé son destin ; une fin obscure, tragique l’attendait. Les yeux tristes sous les grands sourcils qui se rejoignaient, l’âme en proie aux chagrins, le cœur déchiré, vêtu d’une simple robe, il partit au fin fond du pays d’Anshan, région d’Elam, et finit sa vie en captivité. Garda–t-il longtemps de l’amertume contre son sombre sort ? Démuni et nu, se plut-il à évoquer le souvenir de tout ce qu’il avait perdu et qu’il aimait, ses palais, ses richesses, son ar88

mée, ses amis fidèles, ses femmes ? Il avait toujours devant les yeux sa cité bien-aimée qui gisait comme une barque échouée. Qu’allait-elle devenir sans lui ? Puis le vent mauvais balaya les traces du dernier roi d’Ur, mort en Elam. Les lamentations Les Sumériens furent saisis de stupeur, d’angoisse, et d’un ineffable désespoir devant un tel cataclysme qui leur semblait annoncer la fin d’un monde. Ils sentirent leur impuissance face au destin. Leur roi était parti en terre étrangère, « une terre qu’on regarde en baissant la tête ». Ils proférèrent des lamentations autour du mur ruiné de leur capitale. Les jours passèrent. Pour célébrer la grandeur d’Ur, c’està-dire de Sumer et d’Akkad, des poètes, plusieurs générations après, composèrent et répandirent des chants tristes, déchirants, qui déploraient la destruction de la ville. Voici l’un d’eux, adressé au dieu-lune Nanna : « O, père Nanna, cette ville s’est changée en ruines… Ses habitants, au lieu de tessons, ont rempli ses flancs ; Ses murs ont été rompus, le peuple gémit. Sous ses portes majestueuses où l’on se promenait d’ordinaire, gisent les cadavres ; Dans ses avenues où avaient lieu les fêtes du Pays, gisent des monceaux de corps. Ur - ses forts et ses faibles sont morts de faim ; Les pères et les mères restés dans leurs demeures ont été vaincus par les flammes ; Les enfants couchés sur les genoux de leur mère, comme des poissons les eaux les ont emportés. Dans la cité, l’épouse a été abandonnée, l’enfant a été abandonné, les biens dispersés. O Nanna, Ur a été détruite, ses habitants ont été éparpillés. » 37 37

Cf. S. N. Kramer, « Lamentation over the destruction of Ur »,

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Comment ne pas lancer aussi un appel déchirant vers Ningal, l’épouse de Nanna et la protectrice de la ville d’Ur, au sujet de ces dramatiques événements qu’elle avait subis elle aussi car son temple fut ruiné ? Privée de demeure et de culte, affligée, elle avait quitté la cité, cessant de lui apporter appui et soutien : «Ô femme vertueuse, dont la cité a été détruite, comment peux-tu continuer à exister ! Ta cité a été transformée en un champ de ruines, tu n’en es plus la patronne. Ton peuple, qui a été conduit au massacre, tu n’en es plus désormais la reine. Tes larmes sont devenues des larmes étrangères, ta terre ne pleure pas. Ta terre, comme quelqu’un qui s’est multiplié, garde la bouche fermée ; ta cité a été transformée en un champ de ruines, comment peux-tu exister ! Ta demeure a été dépouillée ; comment ton cœur a-t-il pu se tromper ! Ur, le sanctuaire, a été livré au vent. »38 Le déroulement de l’histoire est cyclique chez les Mésopotamiens, des périodes de gloire et de décadence se succèdent. Ils croient que les dieux, détenteurs de la tablette des destins, donnent et reprennent selon leur volonté qui n’a pas besoin d’être justifiée. Ces dieux ne sont pas toujours responsables des catastrophes qui frappent leurs cités car une sorte de puissance supérieure leur échapperait et ils subissent le cours de l’histoire. Il n’est royaume ni dynastie qui ne passe, le temps qui leur est imparti étant compté : « Ur a bien reçu la royauté, non le règne éternel. » Le jour glorieux d’Ur III eut bien un soir, mais le poète de la Lamentation, confiant, espérait un nouveau matin et conclut sur une note optimiste : «Cité, ton nom subsiste encore, alors que tu es ravagée.» J.-B. Pritchard, Ancient Near Eastern Texts Relating to the Old Testament, Princeton, 1969, pp. 455-463. 38 Cf. Editions Time-Life, Sumer, Amsterdam, p. 146.

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Reconstruction d’Ur, centre religieux et port opulent Un matin vint où l’arc-en-ciel brilla au-dessus des murs d’Ur, l’eau coula, les semences germèrent, les fleurs s’épanouirent, la mélodie resurgit au cœur des champs de blé balancés par le vent. Un chant de flûte lia les jours d’une ère nouvelle. La lune nimba à nouveau la vieille cité. Le roi Ishbi-Irra (2017-1985 av. J.-C.), qui régnait dans Isin, sa capitale, réussit à reprendre Ur aux Elamites. Avec soin, il la releva de ses ruines, reconstruisit quelques bâtiments. Ur fut en 1925 conquise par le roi Gungunnum de Larsa, au nord d’Ur, la rivale d’Isin. Un peu plus tard, Warad-Sin (1834-1823 av. J.-C.) restaura l’enceinte et les temples que les dieux réintégrèrent. La ville avait perdu sa puissance politique, mais elle garda son importance religieuse, et conserva ses traditions sumériennes. Elle retrouva une certaine forme de prospérité et continua à exercer ses activités portuaires, commerçant avec Dilmun (Bahrein). La culture des Sumériens qui laissèrent leur influence dans la religion, les villes et la sphère sociale, la littérature, les arts, ne disparut pas. La vieille langue sumérienne, supplantée par l’akkadien, fut encore utilisée par les scribes savants. Les Amorrites assimilèrent cette riche culture, la transformèrent et fondèrent ensuite la civilisation babylonienne. Coule ce fleuve d’histoires de guerres, de victoires, de défaites, de villes, de royaumes, même s’il garde ses secrets sous son eau miroitante ; ce fleuve des rois, prêtres, scribes et architectes ; ce fleuve du petit peuple de Sumer et d’Akkad : agriculteurs, artisans, bateliers, marchands ; ce fleuve invisible et pur des flûtes et des lyres.

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Tête attribuée à Hammurabi

CHAPITRE XI HAMMURABI, LE ROI DU DROIT Je quitte ce pays de Sumer et d’Akkad, avec sa lumière éblouissante, sa terre pénétrée d’un passé glorieux, ses cités qui m’apparurent parfois comme des mirages. En cheminant dans ce monde constant depuis des millénaires, j’ai le sentiment d’avoir échappé au temps… Je remonte vers Babylone, Bâb-Ili en akkadien, « la porte du dieu ». Voici un vaste ensemble de petites élévations silencieuses, couvertes d’une herbe touffue au printemps. Des troupeaux, qui semblent eux aussi millénaires, y paissent. De grandes palmeraies ondulent sur le ciel d’aigue-marine comme une forêt d’étoiles de mer. Je fais revivre, en le prononçant doucement, ce nom sacré, mythique, Babylone : il a la vitalité d’un bosquet. Magnifié par de grands monarques, n’éclaira t-il pas l’Orient, pendant des siècles ? Il rayonne encore dans la mémoire des hommes. Babylone L’origine de Babylone, située sur un bras de l’Euphrate, remontait loin. Mentionnée sous la dynastie d’Akkad, la bourgade, peuplée de Sémites, se transforma en une cité fortifiée. Après la chute d’Ur III (2004 av. J.-C.), s’y installa une dynastie amorrite qui en fit un petit royaume. La ville prit son essor sous le roi Hammurabi (1792-1750 av. J.-C.), sixième roi de cette dynastie. Elle devint une capitale religieuse, politique et intellectuelle.

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Il ne restait aujourd’hui pas de traces de la ville de Hammurabi, détruite par les Assyriens en 689 av. J.-C., et noyée par la remontée de la nappe phréatique, mais je pouvais y rêver quand même... Statuettes de Hammurabi Le règne de Hammurabi formait charnière entre l’ancien monde sumérien et le monde sémitique. Je me figurais ce roi, non en m’abandonnant aux caprices de mon imagination, mais grâce à de célèbres statuettes qui le représentaient probablement et que j’avais admirées au Musée du Louvre, dans des livres d’art. L’une d’elles, une petite figurine en bronze fixée sur un socle, avait été dédiée par un habitant de la ville de Larsa au dieu Martu pour la vie de Hammurabi. Elle montrait le roi en prière, agenouillé avec souplesse devant l’image du dieu sur son trône, la main droite levée devant la bouche. Le souverain portait un bonnet à large rebord, une robe bordée de glands. Son visage, orné d’une courte barbe, et ses mains étaient plaquées de feuilles d’or et d’argent. Ses yeux étaient creux, jadis incrustés de coquille ou de pierre blanche et de lapis-lazuli. L’autre statuette, en stéatite, généralement attribuée à Hammurabi, avait été retrouvée à Suse. Le roi était coiffé d’un bonnet à hauts bords qui ressemblait à celui de Gudéa, prince de Lagash. Il avait le visage amaigri, fatigué, marqué par l’âge et les soucis, les yeux mi-clos, les lèvres serrées. Une barbe soigneusement bouclée, ordonnée, couvrait le bas de ses joues. Sous les sourcils stylisés qui se rejoignaient comme des épis frémissants, les yeux semblaient regarder au loin avec l’expression grave d’un prince expérimenté, devenu maître du monde, qui a accompli son œuvre. L’on devinait sous cette assurance la tristesse désabusée d’un homme confronté à la fin prochaine de sa vie, à la vanité des grandeurs, à la précarité de la condition humaine. La figure attentive, généreuse de Hammurabi émergeait aussi des cent cinquante lettres retrouvées à Larsa et autres 96

villes du Pays. Elles étaient adressées aux principaux dignitaires et révélaient l’intérêt pratique, la sollicitude du roi envers ses administrés, sa diplomatie, son talent d’administrateur. Mais qui était-il ? Les conquêtes Ce fut vers 1792 av. J.-C., à l’âge de vingt-cinq ans que Hammurabi hérita de son père Sin-Muballit un modeste royaume. Il prit les rênes du pouvoir. En 1787, désireux d’agrandir son territoire, il dégaina son épée, conquit deux cités, Uruk et Isin, exploit sans lendemain. Il attendit patiemment le moment d’agir à nouveau. En 1764, Hammurabi prit la tête d’une alliance antiélamite. L’année suivante, les relations avec le puissant royaume de Larsa, au sud, qui avait annexé Uruk et Isin, s’étant dégradées, il repartit en guerre. Il mit fin à l’indépendance de ce royaume, le réunit à celui de Babylone. Hammurabi poursuivit ses conquêtes au nord et au nordouest, battit impitoyablement, les uns après les autres, ses anciens amis et alliés. Il soumit Mari, ville du Moyen Euphrate, en 1759 ; Assur, au nord, en 1757 ; Eshnunna, en Mésopotamie centrale, l’année suivante. La plus grande partie de la Mésopotamie fut unifiée sous le sceptre du vainqueur. Hammurabi attribua ses victoires à Marduk qui allait, petit à petit, supplanter le sumérien Enlil et devenir la divinité suprême de Babylone. Le monarque s’employa à affermir son pouvoir, à fortifier économiquement son « empire » bâti en moins de dix ans, à l’organiser, à le centraliser, à faire renaître chez ses sujets le sentiment national. Les villes étaient administrées par des préfets ; des gouverneurs s’occupaient de Larsa et de Sippar ; des fonctionnaires faisaient rentrer les impôts et les taxes, contrôlaient le commerce, des courriers reliaient Babylone, la capitale, aux lointaines provinces. Hammurabi développa Babylone. Il y édifia des enceintes, érigea et embellit les temples, creusa des canaux d’irrigation, 97

en fit une grande capitale, un centre religieux et culturel. Grâce à sa position avantageuse, au nord de la plaine alluviale, la ville devint aussi un centre commercial florissant, contrôla la route qui reliait la Chine à la Méditerranée et passait par l’Asie centrale, la Perse, la Mésopotamie. La célèbre stèle de basalte noir Depuis longtemps, l’écrit tenait une grande place en Mésopotamie. Des “codes de lois ” avaient été rédigés auparavant à Ur, à Eshnunna, à Isin. Fort de son expérience, Hammurabi ordonna de graver un “code”, dans une écriture monumentale et élégante, sur une haute stèle conique de basalte noir, haute de deux mètres vingt-cinq, soigneusement polie, qui fut reproduite et placée dans différentes cités de l’empire. En 1901, les archéologues français retrouvèrent l’une des copies de la stèle de Hammurabi à Suse où les Elamites l’avaient emportée comme butin de guerre vers 1200 avant notre ère. Ils la ramenèrent au Louvre. Aujourd’hui, en visite au musée, les promeneurs arrêtent volontiers leurs pas devant la stèle, noire, immobile, marquée d’un règne. Ils sentent une volonté, une présence, celle d’un grand monarque qui leur propose volontiers les articles de son code. Au sommet de ce relief, ils aperçoivent une image gravée : la main droite levée vers la bouche, le pieux Hammurabi se tient debout, en prière, devant Shamash, le dieu du soleil et de la justice. Il porte un bonnet à large bandeau et une simple robe drapée, ornée d’un galon, qui découvre son épaule droite. Le dieu est assis sur son trône, coiffé d’une tiare à cornes, les cheveux relevés en chignon sur la nuque, vêtu d’une robe à volants, les pieds posés sur une estrade décorée de petits monticules symbolisant les terres, et des flammes jaillissent de ses épaules. Il tend au souverain le bâton (le sceptre ?) et l’anneau, insignes de la royauté, et lui dicte sa loi impérative. 98

Hammurabi, dans son Prologue, rappelle comment les dieux ont attribué à Marduk, dieu de Babylone, la toutepuissance, à Babylone la suprématie et enfin à lui, Hammurabi, la royauté : «Lorsque le sublime Anum, le roi des dieux supérieurs, (et) le dieu Enlil, le maître des cieux et de la terre, celui qui fixe les destins du Pays, eurent assigné à Marduk, le fils aîné d’Ea, la toute-puissance sur la totalité des gens, (lorsqu’) ils l’eurent magnifié, parmi les Igigi (divinités de deuxième rang) ; (lorsqu’) ils eurent prononcé le nom sublime de Babylone, (et) l’eurent rendue prépondérante aux quatre coins du monde ; (lorsqu’) ils eurent établi pour lui (Marduk), au milieu d’elle, une éternelle royauté dont les fondements sont aussi définitivement assurés que ceux des cieux et la terre, alors c’est mon nom à moi, Hammurabi, le prince pieux qui vénère les dieux, que pour proclamer le droit dans le Pays, pour éliminer le mauvais et le pervers, pour que le fort n’opprime pas le faible, pour paraître sur les populations comme le Soleil et illuminer le Pays, (c’est mon nom à moi qu’) » 39 ont prononcé An et Enlil pour assurer le bonheur des gens.

Hammurabi proclame dans ce Prologue ses actions politiques, ses œuvres pieuses, ses conquêtes qui lui permirent de gouverner un État fort. Le code Le « code », document original dans sa forme et son contenu, n’était pas un code civil comme celui de Napoléon, mais un recueil d’arrêts de justice plus ou moins complet, à la façon des listes sumériennes qui voulaient reproduire l’ordre du monde. Certains articles répondant à une situation concrète, avaient déjà été promulgués ou empruntés à la tradition. Aucune loi générale n’était explicitée. Divisé en 282 articles par les éditeurs modernes, le “code de lois” fut rédigé en écriture cunéiforme, en langue akka39 Le code de Hammurabi, Les éditions du Cerf, trad. A.Finet, Paris, 1996, p.31.

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dienne classique et à la forme conditionnelle. Il brossait un tableau de la société babylonienne dont il réglementait la vie quotidienne. Celle-ci était divisée en trois classes : Les hommes libres, les Awilu, notables de plein droit, médecins, fonctionnaires, artisans, militaires. Les subordonnés, les Mushkenu, qui jouissaient de certains privilèges mais devaient accomplir des services, des corvées pour l’État. Les esclaves, les Wardu, en bas de l’échelle sociale, prisonniers de guerre, individus incapables de rembourser leurs dettes. Leur situation n’était pas sans espoir. Ils avaient une personnalité juridique. Un Wardum au crâne rasé, portant la mèche, pouvait épouser la fille d’un homme libre, donner le jour à des enfants libres, acquérir des biens, être affranchi. En cas de fuite, cependant, il risquait de sévères punitions, et la mort. Le droit commercial favorisait la puissance des marchands. Il donnait une haute importance au témoin et au contrat dans une transaction : « Si (un marchand) a livré en prêt (de l’orge ou de l’argent) sans (témoins ni contrat), il perdra chaque chose (qu’il a) livrée ». (Article 65) Le droit concernant la famille de type patriarcal, base de la société, traitait de sujets variés : l’héritage, l’adoption, le statut de l’épouse qui appartenait à son mari mais possédait la personnalité juridique d’un « ujet. s » Elle avait l’autorisation de recevoir une donation, objet d’un contrat, de garder son bien après la mort de son conjoint : « Si un homme a donné à son épouse un terrain, un verger, une maison ou un bien meuble (et s’) il lui a délivré un document scellé, après (la mort de) son mari, ses enfants ne pourront pas (les) lui revendiquer. La mère peut laisser son héritage à son enfant préféré; elle ne peut pas (le) remettre à un étranger ». (Article 150)

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Le viol était sévèrement puni, l’adultère proscrit, l’inceste interdit sous peine de bannissement, ce qui n’était pas le cas en Égypte où Pharaon pouvait épouser sa fille aînée. (Article 154) Des articles du code touchaient les médecins, les barbiers, les paysans, les esclaves. En droit pénal, Hammurabi déclara qu’on ne pouvait condamner un individu sans preuve. Il eut le souci de dégager l’intention délictueuse. Il reconnut les circonstances atténuantes. Il affirma une conception particulière de la réparation des torts. Il prescrivit des peines proportionnées aux fautes commises, mais elles variaient selon le rang de la victime, Mushkenum ou esclave. La loi du talion fut appliquée, reprise ensuite dans la Bible : « Si quelqu’un a crevé l’œil d’un homme libre, on lui crèvera l’œil ». (Article 197) Il ne paiera cependant qu’une mine d’argent si la victime est un notable. Les châtiments s’appliquaient aussi à des accidents dus à des négligences, involontaires : « Si un maçon a construit une maison pour quelqu’un, mais (s’) il n’a pas renforcé son ouvrage et (si) la maison qu’il a construite s’est effondrée et (s’) il a fait mourir le propriétaire de la maison, ce maçon sera tué ». (Article 229). Quand les preuves rationnelles manquaient, le roi recourait au serment et à l’ordalie mais n’utilisait pas la torture. Dans l’Épilogue du code composé comme un hymne à sa gloire et un mémorial, Hammurabi se présentait comme un bon berger. Il avait apporté aux gens de Sumer et d’Akkad la paix, les eaux de l’opulence, s’était montré soucieux d’équité, de justice et avait atteint la source de la sagesse : « Les grands dieux m’ont nommé, et moi seul je suis le pasteur salvateur dont le sceptre est droit. Mon ombre propice est étendue sur ma ville; j’ai serré sur mon sein les gens du pays de Sumer et 101

d’Akkad. Grâce à ma Protectrice, ils ont prospéré, je n’ai cessé de les gouverner dans la paix ; grâce à ma sagesse, je les ai abrités. » 40 Hammurabi demandait aux rois, ses successeurs, d’observer ces décrets et appelait les malédictions des grands dieux du ciel et de la terre pour quiconque mutilerait la stèle. Justice concrète, historique En veillant à la rédaction de son “code”, Hammurabi voulut organiser la vie politique et sociale de son empire peuplé de populations diverses, composé de villes disparates, et l’unifier sous la loi écrite. Pour les citoyens d’un empire ordonné, il n’y avait pas d’État sans droit, qui assurait luimême la répression des délits, de société sans loi. La liberté n’existait pas sans la loi qui régit les rapports entre les gens, entre les peuples. Plus que la morale individuelle, il semble que les attaques à l’ordre social, à la famille, à la propriété étaient sanctionnées. Hammurabi fut-il un souverain juste, compatissant ? Tenta-t-il de forger la conscience et la volonté de ses sujets, de montrer les devoirs de chacun envers autrui, de développer le sens de l’humain ? S’il ne mit pas fin aux privilèges dus à la naissance, à la fonction, s’il ne supprima pas l’esclavage, il ne méprisa pas les voix des citoyens de deuxième classe qui influencèrent sa politique. Le roi protégea les êtres faibles, sans défense, les opprimés, les orphelins, les femmes, les veuves contre la misère, les sévices, l’abandon, les malheurs de la répudiation. Il manifesta un souci d’équité individuelle. L’essentiel était, non l’égalité, la liberté de tous, puisqu’il y avait des esclaves, mais la vérité, la dignité, le respect des droits de chacun, selon son rang.

Le code de Hammurabi, Les éditions du Cerf, trad. A. Finet, épilogue, p.136.

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Justice concrète, historique, avec ses règles, sa culture, sa société profondément religieuse mais hiérarchisée, parfois dure, cruelle. Le calendrier de Nippur Outre son code, Hammurabi imposa le calendrier de Nippur, grand centre religieux de Sumer, à toute la Mésopotamie. Ce calendrier fut consulté encore pendant un millénaire et demi, jusqu’aux conquêtes d’Alexandre le Grand et l’adoption de l’année séleucide, que suivent encore les Syriaques. Ce calendrier, comme les calendriers sumériens, prenait la lune comme point de référence principal. L’année commençait à l’équinoxe du printemps et les importantes fêtes de l’Akitu (Nouvel An) étaient alors célébrées. Le mois, entre deux apparitions successives de la première lune, étant divisé en 29 ou 30 jours, il fallait ajouter de temps en temps un mois supplémentaire à l’année, un mois bis, redoublé, comme l’ordonna pour des raisons économiques Hammurabi à un gouverneur : « Cette année a un mois supplémentaire. Le mois qui vient doit être désigné comme le mois elûlu-bis (août-septembre), et partout où la taxe annuelle devait être apportée à Babylone le 25 du mois tashrîtu (septembre-octobre), elle doit maintenant être apportée à Babylone le 25 du mois elûlu-bis ».41 La journée débutait au crépuscule, elle était divisée en douze intervalles, équivalant à nos heures. L’horloge à eau (la clepsydre), le gnomon et la polos (termes grecs) mesuraient le temps.

Cf. F. Joannès, Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, éd .R. Laffont, p. 153.

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Célébrité de Hammurabi Le “code” fit la célébrité de Hammurabi. Il fut plus qu’un témoignage de l’histoire politique et sociale en Babylonie, ou un simple instrument d’éducation au dix-huitième siècle avant notre ère. Aucun code avant lui n’avait eu cette ampleur, n’avait introduit d’aussi nombreuses réformes. Pendant un millénaire, ce texte à la composition soignée servit de modèle aux écoles mésopotamiennes qui le recopièrent, et plus tard, aux étudiants en assyriologie. La langue akkadienne, vigoureuse et fraîche, atteignit là sa perfection classique dans sa syntaxe et son vocabulaire. Le style concis, élégant, la beauté de l’écriture dite monumentale en firent une oeuvre d’art. Malgré ses lacunes, ce fameux « code », avec ses valeurs universelles qui engageaient le Pays dans la voie de l’ordre équitable, inspira tout l’Orient ancien. Je quittai Babylone et ses palmeraies, emportant le souvenir de Hammurabi, le roi conquérant, le bâtisseur, dévoué aux dieux, le pasteur de son peuple et le grand législateur. Je savais que par la Grèce et Rome, l’Occident, perpétua son nom. Ce puissant monarque n’éclipsa pas Sargon, Naram-Sin ou Shulgi, ses illustres prédécesseurs, il ne fit pas l’objet d’un culte divin après sa mort, ne devint pas un héros de légende. Il resta cependant le souverain fort, le Soleil de Babylone, l’une des figures les plus célèbres de la Mésopotamie. Hammurabi légua à son fils Samsu-iluna (1749-1712) son empire, mais celui-ci ne lui survécut que peu d’années. Le nouveau roi vit son territoire se rétrécir, les ressources de l’État diminuer, la situation économique et sociale se dégrader. Il eut à faire face aux gens du Pays de la mer, territoire avoisinant probablement le Golfe, et surtout aux Cassites venus du Zagros. Ceux-ci, au fil des ans, devinrent de plus en plus nombreux en Babylonie et finirent par monter sur le trône. Ils fondèrent une dynastie et régnèrent durant plusieurs siècles. 104

DEUXIÈME PARTIE

L’ASSYRIE ET LA CHALDÉE

Il y a bien des années, le célèbre archéologue français André Parrot écrivait dans l’introduction de son livre Assur : «Assur représente pourtant, en deux syllabes, le berceau d’un peuple dont la vocation n’avait jamais connu la médiocrité… » 1 Au IIIeme millénaire avant notre ère, des populations s’établirent dans le pays d’Assur, en Haute-Mésopotamie. La cité-État d’Assur, sur le Tigre, fut englobée comme province dans les empires d’Akkad (2335-vers 2155 av. J.-C.) et d’Ur III (2112-2004 av. J.-C.). Après la chute de ce dernier empire, Assur redevint indépendante et riche, grâce au commerce vers l’Anatolie, la Cappadoce, mis en place par ses habitants. À la fin du XIXeme siècle, Shamshi-Addad (1807-1776 av. J.-C.), d’origine amorrite, conquit Assur et fonda un petit royaume. Celui-ci fut au XVIIIeme siècle soumis à Hammurabi de Babylone, puis après 1500, devint tributaire du Mitanni, un État centré dans le nord de la Mésopotamie. Le grand roi Assur-uballit Ier (1365-1330 av. J. -C.), réussit à libérer de la puissance mitannienne le royaume assyrien qui devint, grâce à une série de conquêtes, un État territorial indépendant et s’étendit à l’ouest d’Assur. Adad-Nirâri Ier 1

André Parrot, Assur, « L’univers des formes », Gallimard.

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(1307-1275 av. J.-C.) puis Salmanazar Ier (1274-1245 av. J.C.) terminèrent la conquête de la Haute Mésopotamie. Et son fils, Tukulti-Ninurta Ier (1244-1208 av. J.-C.) continua cette politique de campagnes et soumit, le premier, la Babylonie.

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Stèle de Tukulti-Ninurta I

CHAPITRE I UN RÈGNE GLORIEUX, TUKULTI-NINURTA IER Tukulti-Ninurta Ier (1244-1208 av. J.-C.), le roi fort, le roi du pays d’Assur, fut un redoutable guerrier, il porta la conquête aux confins de Sumer et d’Akkad. ur S son autel dédié au dieu de l’écriture Nabu, aujourd’hui au Musée de Berlin, il est représenté par deux fois en prière, debout ou agenouillé, la main droite levée. Vêtu d’une longue robe frangée, le voici devant moi, avec ses traits, sa longue barbe, sa ferveur, son épopée, lui que les murailles de Babylone ne faisaient pas trembler. Il tient dans la main gauche le sceptre, symbole du pouvoir. Le conquérant Durant les dix premières années de son règne, TukultiNinurta entreprit des campagnes militaires vers le Zagros, la région des Guti. Les inscriptions du roi parlent de destruction de villes et de pillages, étouffant toute velléité de rébellion et incitant les populations à la soumission et au versement d’un tribut. Le roi hittite Tudhaliya IV qui régnait en Anatolie centrale, envoya deux lettres à Tukulti-Ninurta et à son grand ministre Babu-Aha-Iddina, louant la vaillance du roi mais lui conseillant de ne pas s’avancer dans le Papanhi (région de Diyarbakir). Cependant, Tukulti-Ninurta mena une expédition vers le Haut-Tigre, dans les monts Kashiyari (le Tur Abdin) et au royaume d’Alshe (au nord de Diyarbakir) et d’Alzi. Il brisa 109

une coalition de 40 principautés puis ravagea le pays de Naïri (près du lac de Van), lança un raid en territoire hittite, ce qui mécontenta ce puissant royaume. La prise de Babylone Vers 1232, Kashtiliash IV, le roi cassite de Babylone envahit le sud de l’Assyrie et s’empara de la ville de Râpiqum (sur l’Euphrate) et d’Arrapha (la région de Kirkouk). Tukulti-Ninurta répliqua énergiquement. Avec l’aide des grands dieux Assur, Enlil et Shamash, il gagna la Babylonie (Karanduniash), vainquit l’armée de Kashtiliash IV et fit prisonnier le roi, « violeur de serment ». Il raconte dans une de ses inscriptions : « Au milieu du combat, je saisis de mes mains Kashtiliash, le roi des Cassites, et je piétinai son cou royal, comme si c’était un agneau. Ligoté, je l’amenai devant Assur, mon seigneur. Ainsi je devins maître de Sumer et d’Akkad en totalité et je fixai les frontières de mon pays sur la Mer inférieure (le Golfe), au soleil levant. »2. Babylone fut conquise vers 1228 lors d’une seconde campagne, malgré la résistance cassite, ses fortifications détruites, une partie de la population décimée ou déportée, les temples et les bibliothèques pillés, la statue du dieu Marduk emportée à Assur, comme le rapporte une chronique d’époque babylonienne tardive (VIeme- Veme siècles av. J.-C.), la Chronique des rois cassites. Tukulti-Ninurta fit administrer pendant sept ans la Babylonie (Karanduniash) par des gouverneurs et des rois. Il installa Enlil-nadin-shumi comme roi pro-assyrien de Nippur, mais celui-ci fut déposé par les Elamites. Le roi Adad-shuma-iddina, mis également en place par les Assyriens, fut renversé par les dignitaires babyloniens qui rétablirent leur dynastie et mirent Adad-shuma-usur sur le trône de son père. 2

A.K.Grayson, Assyrian Royal Inscriptions, Wiesbaden, I, p. 108.

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Le fondateur d’une capitale Le fier et vaillant Tukulti-Ninurta, « roi du pays d’Assur », prit d’autres titres prestigieux : « roi de Sumer et d’Akkad », « roi des quatre régions », « roi de Sippar et de Babylone » et son règne parvint à son apogée. Il fit rédiger sur une tablette en pierre, une belle épopée, l’Épopée de Tukulti-Ninurta, pour conter les péripéties de sa guerre contre Kashtiliash IV, chanter ses exploits et la construction à Assur d’un nouveau palais décoré de peintures murales, au nord-ouest de la ville. Les guerres, les pillages, les tributs, les déportations enrichissaient l’Assyrie. Tukulti-Ninurta avait en effet déporté des populations hurrites, cassites, hittites. Cette importante main d’œuvre fut employée à la construction, sur des terrains incultes et des prairies, sur la rive gauche du Tigre, d’un sanctuaire flanqué d’une ziggurat pour le dieu Assur et d’une ville nouvelle appelée Kâr-Tukulti-Ninurta. La ville se vit dotée d’un rempart de 700 mètres de côté et d’un vaste palais. Le roi fit creuser un canal, Pattu Mêsharu, « canal de la justice miséricordieuse », pour irriguer les terres alentour et les mettre en culture. Fin tragique de Tukulti-Ninurta Tukulti-Ninurta n’eut pas le loisir de profiter longtemps de sa nouvelle capitale, la grande affaire de son règne. Des pertes territoriales à la fin de sa vie, des difficultés en Babylonie, une production céréalière insuffisante attisèrent les mécontentements. Le puissant monarque, tout à ses ambitions et à ses rêves, ne vit-il pas monter la crise ? Manqua t-il de vigilance, de prudence, de mesure ? En 1208, son fils Assur-nasir-apli (Assurnasirpal) et les nobles d’Assur se révoltèrent contre lui. Comme le clergé, ils ne souhaitaient pas que la ville d’Assur perdît son statut de capitale. Ils se saisirent de sa royale personne, la déposèrent de son trône,

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l’emprisonnèrent dans une salle du palais de Kâr-TukultiNinurta. Tukulti-Ninurta, roi du pays d’Assur, de Sumer et d’Akkad, roi de Sippar et de Babylone, voici venue votre heure de déception, d’amertume, de désarroi et de détresse. Ne vous lamentez pas, ne gémissez pas, votre fin approche à grands pas : c’est ce palais, cette pièce où vous êtes séquestré, cette arme forgée dans la froideur du matin que serre déjà le poing de votre fils…. Une mort scandaleuse que raconte brièvement la Chronique des rois cassites. Selon elle, le vieux roi avait commis un sacrilège, il avait porté la main contre Babylone et s’était emparé avec témérité de la statue de Marduk. Un deuil solennel fut néanmoins décrété en Assyrie pour Tukulti-Ninurta. Les grands dignitaires et les rois étrangers se rendirent à cette occasion dans la vieille capitale religieuse, Assur. Des troubles suivirent cet assassinat. Un autre fils de Tukulti-Ninurta, Assur-Nadin-apli (1207-1204 av. J.-C.), s’empara du trône, mais au bout de trois ans, Assur-Nirâri III le remplaça et régna cinq années durant. La nouvelle capitale fondée par le roi Tukulti-Ninurta, Kâr-Tukulti-Ninurta, fut abandonnée, Assur redevenant la ville par excellence, avec son trône et ses temples. Une période d’instabilité et de déclin commença pour le royaume d’Assyrie.

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Stèle d’Assurnasirpal

CHAPITRE II LES DEUX VISAGES D’ASSURNASIRPAL II L’histoire de l’Assyrie, qui tirait son nom de la cité d’Assur, poursuivit son cours. À partir du XIeme siècle, le pays du dieu Assur dut faire face à l’expansion araméenne, un peuple sémitique de la région du moyen Euphrate, et perdit une partie de son territoire. Dès la seconde moitié du Xeme siècle, la reconquête assyrienne commença, grâce à Adad-Nirâri II (911-891 av. J.-C.) qui chassa les Araméens de la haute Mésopotamie qu’ils occupaient et repoussa les Babyloniens installés sur la rive gauche du Tigre. Son successeur reprit au IXeme siècle le nom fameux de Tukulti-Ninurta (890-884 av. J.-C.). Il poursuivit la reconquête, franchit les monts Kashiyari, (l’actuel Tur Abdin), au nord, mena campagne dans la vallée du haut Tigre. Puis, en 885, il redescendit vers le sud-ouest, gagna les pays de Laquê et de Sûhu, dans la région du moyen Euphrate, recevant les tributs et ramenant force butin. Après avoir passé son règne en campagnes, ce roi au courage intrépide « ajouta du pays au pays et des habitants à ses habitants ».L’Assyrie gagna en puissance et commença à se constituer en empire. Comme un cèdre touffu, elle développa ses branches et lança sa cime vers le ciel.

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Assurnasirpal II, le fondateur de l’empire néo-assyrien Fils de Tukulti-Ninurta II, Assurnasirpal II (883-859 av. J.-C.) serait le véritable fondateur de l’empire néo-assyrien. Dans une salle du British Museum que je parcourais récemment, je m’arrêtai devant une statue de pierre un peu massive. Elle provenait du sanctuaire de la déesse Ishtar à Kalhu, la capitale de l’Assyrie et représentait Assurnasirpal tête nue, grand, imposant, majestueux. Il portait la barbe et les cheveux soigneusement calamistrés. Il était vêtu d’une tunique recouverte d’une sorte de châle à franges enroulé autour du corps et tenait dans ses mains les attributs du pouvoir, la masse d’arme et l’arme courbe. Il me sembla que ce grand roi me regardait avec sérénité. Qui était-il ? Dans ses Annales, Assurnasirpal donnait avec quelque vanité sa titulature d’exaltation, qui chantait son excellence. Il possédait toutes les qualités du souverain assyrien, la puissance, l’ambition, l’énergie, le courage, la magnificence : «Assurnasirpal, le roi d’Assyrie, le grand roi, le roi puissant, le roi inégalé de l’univers, le roi des quatre régions du monde, le soleil de tout son peuple, le roi vaillant… le mâle puissant qui foule aux pieds ses ennemis … qui reçoit les tributs et les taxes des quatre régions du monde, qui capture leurs otages, le vainqueur des peuples des quatre régions, le fils de Tukulti-Ninurta, le roi puissant, le roi d’Assyrie, fils d’Adad-Nirâri, le roi puissant, le roi d’Assyrie ; l’homme vaillant dont les actions sont soutenues par les dieux Assur, Adad, Ishtar, Ninurta, ses alliés, et qui ne connaît aucun rival parmi les princes des quatre régions du monde ; le roi puissant qui a étendu ses conquêtes depuis les rives du Tigre jusqu’au mont Liban, et à la grande mer du pays d’Amurru …»3 Cf. Francis Joannès, La Mésopotamie au Ier millénaire avant J.-C., Armand Colin, Paris, 2000, p 57.

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Mais Assurnasirpal, le puissant roi, restait humble, soumis, dévot face à ses dieux qui étaient pour lui les vrais maîtres du pays et le soutenaient dans toutes ses actions. Principales campagnes d’Assurnasirpal Comme son père, Assurnasirpal eut à cœur de développer la puissance assyrienne, d’étendre sa sphère d’extension. En 883 et 882, il lança au sud-ouest de l’Assyrie des expéditions armées, vers la basse vallée du Khabur, et le pays de Sûhu, la région du moyen Euphrate, mais le Sûhu, malgré les affirmations de victoire du roi, garda son indépendance. En 881-880, il guerroya à l’est, vers le Zamua (région de Sulemaniya). Il envoya son armée au nord-ouest, dans les régions de Naïri et du Haut-Tigre et dans les monts Kashiyari (le Tur Abdin) Il marcha contre l’État araméen du Bit Adini, sur la boucle de l’Euphrate, et soumit son roi. La guerre était une activité économique régulière. Pour mener à bien les brèves campagnes qu’il projetait presque chaque année, tenir en respect les villes rebelles et ramener du butin, Assurnasirpal réorganisa son armée. Il l’équipa de machines de guerre, de chars et d’engins de siège, de tours fixes ou mobiles en bois recouvertes de boucliers, pourvues d’un bélier se terminant par une tête de lance. La cavalerie connut un bon développement. Toujours au British Museum, je regardai avec grand intérêt un bas-relief du palais d’Assurnasirpal à Kalhu, sa capitale. Il représentait un camp assyrien à l’étape, enclos fortifié où les devins faisaient leurs sacrifices, et interrogeaient les dieux sur la suite de la campagne. Les soldats vaquaient à leurs occupations, comme la préparation du repas.

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Expédition vers le Liban Une importante expédition fut lancée contre les États araméens de Syrie, à partir de l’an 876. Assurnasirpal et son armée, par étapes, arrivèrent dans la vallée de l’Oronte, sur les pentes du mont Liban puis atteignirent les rives de la Grande mer (la Méditerranée). Le souverain lava ses armes dans les eaux bleues, comme les grands conquérants antérieurs. Il reçut les tributs des rois phéniciens de Byblos, Tyr et Sidon, comme il le note dans ses Annales, rédigées à la première personne : «À cette époque, je conquis le mont Liban dans toute son étendue et j’atteignis la Grande Mer du pays d’Amurru. Je lavai mes armes dans la Grande Mer et je fis des offrandes aux dieux. Le tribut des rois de la côte de la mer, de Tyr, de Sidon, de Byblos, de Makhalata, de Maisa, de Kaisa, d’Amurru et d’Arvad qui se tient au milieu de la mer, se composait d’argent, d’or, d’étain, de cuivre, de vases en bronze, de vêtements de laine colorée, de vêtements de lin, de singes grands et petits, de bois d’ébène et de buis, d’ivoire et d’un nakhirou, animal marin. Je reçus tout cela comme tribut et ils baisèrent mes pieds. » 4 Assurnasirpal, friand de métaux précieux, ramena en Assyrie un riche butin. Les chefs qui se soumettaient gardaient leur autonomie mais versaient un tribut annuel. La bataille de Damdammusa Dans ses Annales encore, qui exaltent ses exploits, Assurnasirpal raconte complaisamment l’une de ses dernières campagnes. Au printemps 865, il quitta Kalhu avec son armée, partit au nord-ouest de l’Assyrie, en Anatolie orientale, traversant des régions sauvages : Extrait des Annales d’Assur-nasir-apli II (Assurnasirpal), dans S. Moscati, L’épopée des Phéniciens, Fayard, Paris, 1971, p. 37.

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« Dans l’éponymat de Shamash-nûrî, sur l’ordre d’Assur, le grand Seigneur, mon Maître, le 13 du mois Ayaru, je partis de la ville de Kalhu, je traversai le Tigre, et je me dirigeai vers la pays de Qipânu. Je reçus le tribut des princes du pays de Qipânu, dans la cité de Husirîna… ». A Husirîna (au nord de Harran), le roi reçut les tributs des princes locaux, or, argent, petit bétail, laine, bois de cèdre. Il monta ensuite vers le nord, passa des montagnes, s’avança vers la ville de Damdammusa, place forte ou citadelle du prince araméen Ilâni. Il en prit possession puis marcha vers Amedu (l’actuelle Diyarbakir), le capitale du Bit-Zamâni qu’il voulait réduire : « De la passe du mont Amadânu, je repartis vers la cité de Barzanishtun ; je me dirigeai vers la ville de Damdammusa, la citadelle d’Ilâni du Bit-Zamâni. J’assaillis la ville. Mes soldats, comme des oiseaux de proie, se jetèrent sur eux. Je passai au fil de l’épée 600 de leurs combattants, et je leur coupai la tête. Je pris vivants 400 hommes et j’emmenai 3000 prisonniers. Je pris possession de la ville. J’emmenai à Amedu, sa capitale royale, les survivants et les têtes : je fis une pile des têtes devant la porte de la ville et j’empalai sur des pieux les survivants tout autour de la ville. Je livrai bataille à la porte de la ville, je rasai ses vergers. »5 Si Assurnasirpal réussit à s’emparer de Damdammusa, il ne put conquérir Amedu. Il marqua cependant la présence assyrienne dans la campagne alentour qu’il rasa. Il se complut à énumérer les sévices qui accablaient les vaincus, la pile de têtes exposée à la porte de la ville, les hommes empalés. Tout cela visait à effrayer les habitants. Selon la rhétorique assyrienne, les combattants ennemis qui résistaient aux dieux et au roi étaient des impies et des méchants ; ils méritaient punition et étaient mis à mort sans Cf. Francis Joannès, La Mésopotamie au Ier millénaire avant J.-C., éd. Armand Colin, Paris, 2000, p. 34.

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pitié, leurs soldats tués, leurs villes détruites, leurs terres brûlées, ce que l’éthique orientale de l’époque au Proche-Orient ne condamnait pas, même dans la Bible où l’on trouve des exemples de ce genre. Dans la prestigieuse salle du trône de son palais de Kalhu, Assurnasirpal, fier de sa geste guerrière, fit représenter sur les orthostates (dalles sculptées) les diverses phases de la bataille de Damdammusa. Ailé et empenné, Shamash, dieu du soleil, de la justice et des batailles, accompagnait le roi combattant ; il planait au dessus de lui et bandait l’arc lors de l’attaque de la citadelle d’Ilâni, il tendait l’arc débandé lors de la victoire et du retour. Il remettait à Assurnasirpal l’anneau irradié du pouvoir au moment du triomphe. Renaissance de Kalhu, la nouvelle capitale Assurnasirpal, qui avait ses raisons, décida de laisser Assur, la vieille capitale, pour choisir sa propre cité, Kalhu (aujourd’hui Nimroud), petite ville, centre administratif édifié sur un vieux site fertile, près du confluent du Tigre et du grand Zab, à une trentaine de kilomètres de Ninive. Probablement reconstruite par un de ses prédécesseurs, Salmanazar Ier (1274-1245 av. J.-C.), Kalhu était plutôt délaissée. Le roi mobilisa des milliers d’ouvriers, de prisonniers et de déportés et en 878, il commença les travaux de restauration, d’agrandissement et d’embellissement de la ville. Avec son énergie et sa magnificence habituelles, il fit niveler les ruines, et bâtir autour d’une zone urbaine une puissante enceinte quadrangulaire de 7,5 kilomètres. Il y édifia une citadelle, neuf temples dont celui de Ninurta, dieu de la guerre, une ziggurat, un quartier résidentiel. Le palais sans égal Assurnasirpal, qui avait le sens du beau, construisit un palais étincelant dans la zone nord-ouest de la citadelle « le palais sans égal », avec ses luxueux appartements privés, ses pièces d’ablution, ses vastes salles d’audience. Des lamassu ou 120

génies protecteurs flanquaient les entrées et éloignaient les démons. Assurnasirpal érigea à l’entrée de la longue salle du trône une stèle de calcaire de 1,3 mètre de haut, (aujourd’hui au Musée de Mossoul), qui portait son effigie entourée de symboles divins. Il y fit graver une longue inscription en beaux caractères cunéiformes. Celle-ci débutait par sa royale titulature, relatait ses campagnes puis décrivait la restauration de Kalhu et la construction du magnifique Palais nord-ouest : « J’ai pris en main la reconstruction de la ville de Kalhu. J’ai nivelé le vieux tell en ruine et j’ai creusé les fondations jusqu’au niveau de l’eau. J’ai atteint une profondeur de 120 couches de briques. J’y ai construit un palais en bois de cèdre, de cyprès, de genièvre daprânu, de buis, de mûrier, de térébinthe et de tamaris pour en faire ma résidence royale et servir au plaisir de ma Majesté pour l’éternité. J’y ai réservé huit ailes pour mon séjour royal. J’ai posé dans les embrasures des portes des vantaux en bois de cèdre, de cyprès, de genièvre daprânu et de bois meskannu ; je les ai liés par des ceintures de bronze ornées de clous de bronze à large tête. J’ai paré ses murs de briques émaillées de couleur verte, qui portaient des inscriptions présentant mes actions héroïques, mon avancée vers les montagnes, les plaines et les mers, ma conquête de tous les pays. J’ai orné de pierres précieuses des briques et les ai installées sur les arcades des portes. »6 La salle du trône, gardée par de gigantesques lions de pierre, était décorée de magnifiques bas-reliefs sculptés qui figuraient les génies ailés, les scènes de cour ou encore les campagnes militaires comme Damdammusa et les chasses d’Assurnasirpal. Le roi se vantait d’avoir tué des lions, des taureaux sauvages, terrassé des éléphants, capturé des autruches.

Albert Kirk Grayson, Assyrian Royal Inscriptions, Harrassowitz, Wiesbaden, 1972-1976 ; trad. arabe de Salah Selim Ali, éd. Addaï Scher, Erbil, 2005, p. 72-76. Trad. française Ephrem-Isa Yousif.

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Derrière le trône se trouvait un grand bas-relief où Assurnasirpal était représenté deux fois, de chaque côté de l’arbre de vie que le souffle d’un dieu figurant dans un disque ailé, Shamash ou Assur, auréolait de bourgeons. Derrière lui, deux génies ailés accomplissaient un rite de protection, une pomme de pin dans la main droite et une situle dans la main gauche. L’arbre sacré, stylisé (un palmier-dattier ?) était un symbole de fertilité. Rappelait-il la plante de vie qui redonnait la jeunesse, qui fut remise jadis par Uta-Napishti, l’épouse du héros du Déluge, à Gilgamesh d’Uruk ? Le roi avait-il voulu reverdir avec lui, dans un printemps paisible, innocent, éternel ? Installé dans son « palais de toute sagesse », Assurnasirpal y attira des sages, des scribes, des astrologues, des lettrés, comme le célèbre Gabbi-ilani-ershde. Le palais d’Assurnasirpal à Kalhu (Nimroud) fut exploré par le voyageur, diplomate et fouilleur britannique Sir Austin Henry Layard entre 1845 et 1851. Il exhuma des tablettes et des briques portant des inscriptions en caractères cunéiformes, des lions ailés, un taureau avec une tête humaine, des vases, casques et armures et les fit expédier au British Museum, à Londres. Les fouilles continuèrent au fil des ans. En avril 1989, sous le sol de l’une des pièces des appartements privés, furent découvertes par les archéologues irakiens trois tombes royales, l’une peut-être d’un homme, les autres de reines. Elles contenaient des bijoux d’un art consommé et d’un poids de 57 kilos, breloques en or, bagues, boucles d’oreille, bracelets, incrustés de cornaline, d’agate, de lapis-lazuli, mais aussi des rosaces dorées, des sceaux-cylindres, des tasses, des jattes, des vases en bronze, en albâtre, en cristal. Une quatrième tombe, découverte quelques mois plus tard, appartenait-elle à la reine Moulisou, épouse du roi ?

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Les jardins Assurnasirpal fit creuser le Patti-hegalli canal de l’abondance », pour irriguer le site de Kalhu et les plaines du Tigre. Il créa, pour son plaisir et son délassement, des jardins, des vergers aux environs, qui manifestaient sa puissance royale. Il aimait la nature et avait ramené des pays où il était passé, des montagnes qu’il avait traversées, une quarantaine d’arbres fruitiers qui avaient été aussitôt replantés dans les vergers : «J’ai creusé un canal qui partait du Zab supérieur, du sommet de la montagne j’ai dégagé son cours et je l’ai nommé Patti-hegalli. J’ai arrosé les prairies qui sont des deux côtés du Tigre. J’y ai fait planter des jardins avec une multitude d’arbres fruitiers. J’ai fait du vin et j’ai offert le meilleur de ce vin à mon dieu Assur et aux temples de mon pays. » Assurnasirpal décrivit son jardin d’agrément, avec fierté et poésie : «Depuis les hauteurs, le canal coule avec force vers les vergers. Les allées [embaument] de parfums. Les eaux, dans le jardin d’agrément, scintillent comme les étoiles du ciel. Ses grenadiers sont revêtus de grappes comme des vignes. Ces arbres embellissent le jardin d’agrément et moi Assurnasirpal, je m’y promène, je cueille les fruits comme une souris ».7 Par la présence des arbres et des plantes, le roi reprenait contact avec la terre, l’air, la lumière. Une quinzaine d’années plus tard, à la fin des travaux, Kalhu, la petite cité délabrée d’autrefois devenue une magnifique capitale, déployait orgueilleusement ses maisons et ses rues neuves vers la vallée. Assurnasirpal amena et installa à Kalhu les peuples des pays et des villes que sa main avait conquis, où il avait éten7

Ibid. , Albert Kirk Grayson, Assyrian Royal Inscriptions.

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du sa domination : le Bit Zamâni du prince araméen Ilâni, le Shubria au nord d’Amedu, Sûhu sur le moyen Euphrate, le pays de Hatti, le Zamua, dans la région de Sulaymaniya, la ville de Sirkou au-delà de l’Euphrate, et plusieurs autres pays. Jours de fête à Kalhu La stèle de calcaire érigée à l’entrée de la salle du trône commémorait non seulement les campagnes militaires du roi, la construction de Kalhu, mais aussi le gigantesque banquet de viandes grasses, préparé pour son peuple par Assurnasirpal à l’occasion de l’inauguration de sa capitale et de son « palais qui donne la joie ». Il invita le grand dieu Assur et tous les dieux du pays à cette inauguration. Il convia les dignitaires, les fonctionnaires, les habitants de Kalhu et de tous les coins du pays à la cérémonie. Il voulait les honorer, les associer à son projet de grands travaux et les faire communier à sa réussite et à son festin. Le matin du grand jour, fardé, parfumé, vêtu d’habits somptueux, il attendit ses officiels et ses nombreux invités, fort impressionnés. Il proposa à leur curiosité et à leur admiration les richesses de l’immense palais, témoin de sa gloire et de sa puissance, image des merveilles de l’empire. Le roi déclara dans son inscription : « […] Je traitai pendant dix jours avec nourriture et boisson 47074 personnes, hommes et femmes, venues de toutes les parties du pays, et 5000 invités d’importance, délégués du pays de Sûhu, d’Hindana, Hattina, Hatti, Tyr, Sidon, Gurguma, Malida, Hubushka, Gilzana, Kuma, Musasir [et aussi] 16 000 habitants de Kalhu, de tout niveau, 1500 officiels de tous mes palais, au total 69574 invités de toutes les contrées mentionnées incluant le peuple de Kalhu. Je les fournis en moyens de se baigner et de s’oindre

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d’huile parfumée. Je les honorai ainsi et les renvoyai en paix et en allégresse dans leurs foyers ». 8 Cet hôte bienveillant donna à ses invités qui avaient fait parfois une si longue route et qui avaient besoin de se remettre de leurs fatigues, les moyens de se rafraîchir, de se baigner, de s’oindre d’huile parfumée. Dans les salles fleurant bon les bois précieux, les vastes cours aux murs de brique et les grands jardins aux senteurs variées, il les installa sur des tabourets, devant de nombreuses petites tables. Les gens de classe modeste se tenaient accroupis à terre pour manger. Le roi avait fait auparavant égorger mille bœufs, mille veaux, seize mille moutons et agneaux. Trente-quatre mille volailles, mille cerfs et gazelles, environ trente mille canards, oies, pigeons, oiseaux avaient été apprêtés dans les cuisines. Plusieurs menus furent servis selon le rang des participants. Des eunuques, des serviteurs apportaient les plats, accompagnés de galettes d’orge, d’oignons, de légumes. Fromage, noix, miel et fruits, raisins et grenades, dattes, pommes, poires, prunes terminaient le repas. Le ciel était d’un bleu outremer comme du lapis-lazuli. Les oiseaux chantaient. Dans les vergers, la vigne s’enroulait souplement autour des conifères et des arbres fruitiers. Les convives solidaires buvaient du vin et de la bière, l’âme sereine, la joie au cœur. Pour les distraire, des musiciens barbus jouaient de la harpe, de la flûte, du psaltérion, du tambourin. Pendant dix jours, Assurnasirpal, qui savait que les bonnes relations avec son peuple passaient par ce partage de la nourriture, veilla sur ses sujets reconnaissants, les rassasia de mets et de sons. Puis le roi, qui venait de vivre un des moments les plus exaltants de sa vie, les renvoya chez eux dans la paix et la joie. Cette éclatante fête de couleurs, de parfums, de saveurs, de sons resta longtemps dans les mé-

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Ibid. , Albert Kirk Grayson, Assyrian Royal Inscriptions.

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moires des Assyriens qui en gardèrent la nostalgie. Et le souvenir d’Assurnasirpal plane toujours sur le site de Kalhu. Assurnasirpal reconstruisit encore des temples et des bourgades qui étaient délabrées, y fit des réservoirs de blé et de paille. Quelques années plus tard, il mourut et fut enseveli à Assur, dans l’ancien palais, au fond d’un grand sarcophage de pierre. Il laissa le souvenir d’un vaillant guerrier et d’un impitoyable conquérant qui avait ajouté d’autres terres à son pays, mais aussi l’image plus attrayante d’un grand bâtisseur et d’un roi juste et pieux, soucieux de la prospérité de son pays, du bien-être et du bonheur de son peuple qu’il savait régaler à l’occasion. Un digne fils, Salmanazar III Son fils, Salmanazar III (858-824 av. J.-C.) lui succéda. Il passa trente et une années sur les routes et les champs de bataille, occupé à des guerres, comme en Syrie du nord et dans les pays environnants, fondant lui aussi sur ses ennemis comme l’ouragan. Il y reçut le tribut des rois de Tyr, de Sidon, de Jéhu, roi d’Israël. Dans la galerie d’un complexe architectural de Kalhu a été retrouvé l’obélisque noir, bloc d’albâtre de deux mètres de hauteur. Une longue inscription gravée autour de l’obélisque raconte les campagnes du règne de Salmanazar, et sur ses faces, s’étalent vingt panneaux en reliefs. L’un de ceux-ci représente le fameux Jéhu d’Israël prosterné devant le roi d’Assyrie, faisant briller ses sandales avec sa barbe et implorant sa grâce. Des porteurs offrent les tributs : objets précieux, animaux exotiques, un éléphant, deux chameaux, un rhinocéros. Salmanazar mena aussi cinq expéditions contre le royaume d’Urartu, au nord. Il résida un certain temps dans le Palais sans égal, puis édifia à son tour un imposant palais de plus de deux cents pièces, qui était aussi une caserne, un arsenal, « Fort Salmanazar », où l’on

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entretenait les chevaux et les chars, où les soldats venaient chercher les cottes de maille et les armes. Il construisit un petit palais à Balawat, (Imgour-Enlil), à une quinzaine de kilomètres de Kalhu, et fit clouer sur les vantaux de ses portes massives de six mètres de haut, seize magnifiques plaques de bronze décorées de reliefs martelés qui représentaient ses campagnes. L’un des fils de Salmanazar se révolta contre lui en 828 et entraîna vingt-sept cités assyriennes, ce qui endeuilla le soir de sa vie. Un autre fils, Shamshi-Adad V (823-811 av. J.-C.), qui avait maté la révolte, lui succéda. Il épousa la belle Sammuramat qui, devenue veuve, exerça un moment la régence. Les auteurs grecs, tels Ctésias, Hérodote (Veme siècle avant J.-C.), l’historien Diodore de Sicile (Ier siècle avant J.-C.), l’appelèrent Sémiramis, en firent une farouche amazone, une reine mythique d’Assyrie, et perpétuèrent sa légende. Elle enflamma aussi les imaginations des Romains, des Arméniens, des Européens, comme Crébillon, Voltaire, Valery, Gluck, Rossini, qui s’en inspirèrent dans leurs œuvres littéraires et leurs opéras. Kalhu demeurera la capitale politique et militaire de l’Assyrie jusqu'à Sargon II.

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Sargon II et le prince Sennachérib

CHAPITRE III LES RÊVES DE SARGON D’ASSYRIE SARGON II, UN ROI GUERRIER I La titulature L’histoire de Sargon est noble et belle comme ce relief, aujourd’hui au musée du Louvre, qui le représente de profil, face à un haut dignitaire. Le nez busqué, les larges sourcils joints, les cheveux et la barbe calamistrés, l’air impressionnant, il est coiffé d’une tiare où persistent des restes de peinture rouge. Sa main droite tient une canne, insigne de sa fonction, tandis que sa main gauche repose sur une épée. Il porte un long vêtement cousu de rosettes, bordé de franges. La tête du dignitaire qui se tient devant le roi, peut-être Sennachérib le prince héritier, est ornée d’un diadème, ses oreilles parées de lourdes boucles d’oreilles. Dans une tablette retrouvée à Assur, qui donnait sa titulature, Sargon (722-705 av. J.-C.) se déclarait le fils de TiglathPhalasar III : « Sargon grand roi, roi puissant, roi de la totalité, roi d’Assyrie, fils de Tiglath-Phalasar, roi d’Assyrie ». Tiglath-Phalasar III (745-727 av. J.-C.) fonda l’Empire néo-assyrien. En ces jours lointains, il mit fin à une longue période troublée en Assyrie, entreprit des réformes politiques et administratives. Il affaiblit l’Urartu qui menaçait son pays sur la frontière nord, royaume situé autour du lac de Van et de la vallée de l’Araxe, (l’actuelle Arménie).

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Il fit tomber le royaume de Damas en Syrie et le transforma en provinces ; il assiégea et prit Babylone, et s’y fit couronner roi. Avant sa mort, il nomma son fils Salmanazar V prince héritier. Mais une révolte écourta le règne de Salmanazar V (726-722 av. J.-C.). Selon Sargon, son frère ou demi-frère, il fut déposé par les dieux pour avoir imposé des corvées à la ville d’Assur. Il mourut peut-être assassiné. Une chronique mésopotamienne évoque brièvement sa fin. Les débuts du règne de Sargon Sargon s’appropria-t-il le trône par un coup de force ? Il choisit le nom de Sharru-Kin (roi légitime), comme le célèbre fondateur de la Dynastie d’Akkad, et s’empara du pouvoir à la fin de l’hiver 722. À l’intérieur de son royaume, des troubles secouèrent les débuts de son règne. Des villes, comme Assur, s’agitèrent, des sujets en grand nombre se rebellèrent, mais attentif à ces mouvements d’opinion, Sargon les libéra par décret des taxes et corvées imposées par Salmanazar. À l’extérieur, il fit campagne contre Israël. Mérodach-baladan, chef des Chaldéens du Bit-Yakîn sur les bords du golfe, mettant à profit les rébellions en Assyrie, s’empara du trône de Babylone, soutenu par Humbannikas, le roi d’Elam. En 720, Humbannikas infligea à Sargon un terrible échec devant la ville-forte de Der (au sud de l’actuelle Bagdad). Il lui livra bataille et l’écrasa, provoquant la retraite de l’Assyrie. Mérodach-baladan, qui était parti avec son armée à l’aide du roi d’Elam, n’arriva pas à temps. Sargon conclut un traité avec Mérodach-baladan installé à Babylone, royaume indépendant, et tous deux respectèrent ce traité de loyauté pendant à peu près une douzaine d’années.

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La même année, Yau-bi’di, le roi de Hamat, sur l’Oronte, à l’ouest, encouragea une rébellion contre les Assyriens qui embrasa la Syrie et la Palestine. Sargon vainquit Yau-bi’di à Quarqar, le fit mettre à mort, et incorpora Hamat à l’empire assyrien. Un pouvoir centralisé Le roi Sargon était pourvu de toutes sortes de qualités qu’il rappelle, pour se justifier, dans une lettre au dieu national Assur dont nous reparlerons plus loin : il écoutait pieusement la parole d’Assur et des grands dieux, obéissait à leurs commandements. Il était juste, droit, avisé, compatissant, ne prononçait jamais de paroles fausses ou mauvaises. Pourfendeur des ennemis d’Assur, Sargon montrait aussi de réelles qualités physiques lors de campagnes militaires, comme cavalier et combattant. Il attachait beaucoup d’importance à sa propre personne, et confiant en son étoile, s’attelait à réaliser les buts que son ambition lui proposait. Monarque absolu d’un empire qui comptait de nombreuses provinces, avec à leurs têtes des gouverneurs, Sargon se faisait épauler par un grand appareil administratif et militaire. Il avait une nouvelle façon de concevoir l’exercice du pouvoir, le centralisant et renforçant sa propre autorité. Les archives assyriennes ont conservé environ 1300 lettres échangées entre Sargon et les fonctionnaires de province qui devaient le servir, remplir leurs charges avec assiduité et tout lui rapporter. Dans un extrait de l’une d’elles, un vassal se présente au roi comme un esclave né à la maison, un bon serviteur. Il rapporte tout ce qu’il voit et entends au roi son Seigneur, il ne lui cache rien. 9

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Cf. Michaël Guichard, Les dossiers d’archéologie, Khorsabad. Hors série n° 4.

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Sargon développa dans son empire le réseau routier, rétablit dans les villes franchises et libertés, tenta d’assurer la protection et la prospérité à ses sujets. Campagnes militaires Au nord-ouest, Sargon, roi guerrier, surveilla étroitement le royaume rival anatolien de Phrygie où le roi Mitâ (738-695 av. J.-C.), le Midas des Grecs, cherchait à déstabiliser les petits royaumes de l’Anatolie orientale, Qu’e (Cilicie), Melid (la future Mélitène), Tabal (situé dans les montagnes du Taurus, au sud-est de la Turquie actuelle) et à y contester l’influence de l’Assyrie. Sargon craignait une conspiration d’un autre royaume, celui de Karkémish, sur la rive de l’Euphrate, qui intriguait imprudemment avec Mitâ, roi de Phrygie. En 717, il accusa le roi Pisiris, qui payait un tribut à l’Assyrie, d’avoir violé ses engagements. Il n’hésita pas à annexer ce royaume, le transforma en province de l’empire assyrien. Sargon fit partir, dès 716, deux campagnes contre le puissant royaume d’Urartu qui menaçait le royaume assyrien. De sa capitale, Toushpa, se fomentaient des complots et des révoltes parmi les petits royaumes voisins qui s’alliaient à lui. La huitième campagne de Sargon Le roi songea à une dernière et éclatante campagne contre le roi Oursa d’Urartu (la huitième expédition militaire de Sargon), il écouta les présages, envoya des espions pour connaître les agissements de l’adversaire qui symbolisait les forces du mal, prépara l’armée et les campements. Une lettre de plus de 430 lignes gravées sur une tablette d’argile datée de l’an 714, trouvée à Assur (aujourd’hui conservée au Musée du Louvre), relate cette campagne victorieuse. Rédigée par Nabu-shallimshunu, le grand scribe du roi, elle est adressée par Sargon, qui s’exprime à la première personne, depuis son palais de Kalhu, au dieu « Assur, père 134

des dieux, aux dieux et déesses du destin, à la cité et à ses habitants et au palais en cette cité ». Cette lettre sera probablement lue en public lors d’un triomphe ou d’une cérémonie Sargon, délégué du dieu Assur, y raconte comment en août, le jour propice, il quitte Kalhu, sa royale cité, à la tête de ses troupes qu’il lance à travers rivières en crue et monts abrupts couverts d’une végétation touffue, comme le mont Simirria : « Le Simirria, grand pic, qui comme un fer de lance, se dresse, qui élève sa tête au dessus des montagnes, séjour de Bêlit-ilê, dont en haut la tête soutient le ciel, dont en bas, la racine atteint le centre des enfers, qui, en outre, comme une arrête de poisson, n’a pas de passage d’un côté à l’autre, et dont, devant et derrière, l’ascension est difficile, sur les flancs duquel des gouffres et des précipices se creusent, dont la vue inspire la crainte, qui pour la montée des chars et la fougue des chevaux n’est pas propice, dont les chemins sont difficiles pour le passage des fantassins, avec l’ouverture d’entendement et le souffle intérieur que m’ont attribué Ea et Bêlt-ilê, qui ont ouvert mes jambes pour aller abattre les pays ennemis, de forts pics de bronze, j’avais chargé mes pionniers. […] Les chars, la cavalerie, les combattants qui vont à mon côté comme des aigles vaillants, je fis voler au-dessus de ce (mont) ».10 Sargon, avance en territoire ennemi. Au passage, le roi des Manéens établis au sud du lac d’Urmiah, lui offre son tribut et lui « embrasse les pieds ». Le monarque, dans sa lettre, se tourne alors humblement vers le dieu, Assur, lève les mains vers lui et le prie de conduire la bataille, de causer la défaite d’Oursa d’Urartu. Assur agrée sa requête. Grâce l’héroïsme de Sargon et de ses soldats, au bout d’une marche pénible et d’un combat difficile au pied du mont Ouaoush, la victoire est enfin acquise. 10 F. Thureau-Dangin, Une relation de la huitième campagne de Sargon, Geuthner, Paris, 1912.

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Sargon impose sur les montagnes un silence de mort, plonge l’ennemi dans la stupeur et la lamentation. Oursa, abandonne son char et s’enfuit. En vainqueur, le roi d’Assyrie rentre dans la joie et l’allégresse à l’intérieur du camp ennemi avec des musiciens jouant des lyres et des cymbales. L’expédition s’achève. Sargon envoie ses soldats « comme des sauterelles » contre les villes perchées autour du lac d’Urmiah, les pille, détruit la végétation, dévaste la plaine. Mais il ne monte pas jusqu ’à la capitale de l’Urartu. Le roi prend le chemin du retour vers son pays. La veille de l’éclipse de lune du 24 octobre 714, il décide de punir le roi Ourzana qui n’est pas venu le saluer par un messager, et lui apporter son tribut. Avec mille cavaliers, il s’empare par surprise de la grande ville sainte et fortifiée de Musasir, près des sources du Zab supérieur, un très grand centre religieux, où les rois d’Urartu se faisaient couronner. Il met à sac ses immenses trésors, quantité d’or, cinq tonnes d’argent, 190 tonnes de bronze, armes de guerre, boucliers, vases, bijoux, statues royales, statuettes de bronze. Il pille le temple de Haldia, le dieu protecteur de la ville. Il dévaste ses splendides vergers. Un bas-relief du Louvre montre encore un fonctionnaire assyrien assis sur un pliant devant deux scribes qui comptent le butin ; l’un écrit en cunéiformes sur une tablette d’argile, l’autre déroule un papyrus . Les habitants du Musasir ressentent cette destruction comme un sacrilège. Ceux qui n’ont pas fui sont déportés. La lettre de Sargon, pleine de passages pittoresques, poétiques, se termine par un bilan triomphal de la huitième campagne, avec la liste des soldats tués, trois seulement ! Elle en minimise le nombre. Sargon s’inquiète du sort réservé aux familles des soldats morts, désormais privées de ressources et de protection, abandonnées à la précarité et à la misère. Il ordonne à un responsable de mener une enquête minutieuse, de lui faire la 136

liste des soldats tués lors des batailles, de leurs fils et de leurs filles, et de la lui envoyer. Il redoute qu’une veuve, un orphelin aient été réduits en esclavage ! 11 Reconquête de Babylone En 710, Sargon, devenu plus puissant, dirigea ses regards vers Babylone. Il était fermement décidé à y rétablir l’autorité assyrienne et à régler cette épineuse question qui traînait depuis tant d’années. Il lança l’offensive, rompant le traité conclu en 720 et descendit en Akkad. Le roi Mérodach-baladan, au pouvoir depuis toutes ces années, fut acculé à la fuite dans les marais puis en Elam. Sargon s’assit sur le trône de Babylone et s’y fit couronner en 709, prenant la main de Bêl-Marduk. Il y célébra la fête du Nouvel An. Sargon nomma à Babylone un gouverneur, déporta des milliers d’Araméens et de Chaldéens en Assyrie. Il alla mettre à sac Dur-Yakin, la capitale de Mérodachbaladan, et continua à faire la guerre jusqu’en 707 à la tribu chaldéenne du Bit-Yakîn. En 709, le roi Mitâ de Phrygie, l’un de ses principaux rivaux, subit une invasion des Cimmériens, venus des steppes d’Asie centrale, et affaibli, demanda la paix à Sargon contre le versement d’un tribut. À la suite de cet événement, Sargon écrivit à AssurSharra-Ousour, gouverneur de Qu’e, au sujet du Tabal, dans les montagnes du Taurus, qui rassemblait plusieurs petits royaumes. Il disait que maintenant que le Phrygien (Mitâ) avait fait la paix avec lui, peu lui importaient à l’avenir tous les rois du Tabal. Ils seraient écrasés, attachés à une corde. 12 Sargon avait poursuivi la politique de conquêtes de son père Tiglath-Phalasar III pour renforcer, grâce à ses nombreuses campagnes, à son armée permanente et au dévelop11 12

Lettre de Sargon. Qu’e, en Cilicie.

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pement de sa cavalerie, la puissance de l’Assyrie, qui s’étendait maintenant du Golfe au Taurus et du Zagros au Sinaï. Il percevait des tributs du roi de Phrygie, des princes chypriotes, de Dilmun, pays situé sur les côtes de la Mer inférieure (le Golfe). Le collier assyrien au cou, une partie du Proche-Orient sommeillait à ses pieds, tel un lion soumis. À l’intérieur de l’empire, Sargon avait jugulé les révoltes, babylonienne notamment. Il pouvait maintenant se reposer, le temps d’un mystérieux sourire, sur son trône de bois sculpté. L’idéal unitaire de Sargon La titulature officielle présentait Sargon comme le « Grand roi, roi puissant, roi de la Totalité (des pays qui versaient tribut au souverain), roi d’Assyrie.» Comme Tiglath-phalazar III et Salmanazar V, à la suite de ses campagnes militaires, il déporta une grande partie des populations conquises, environ 239 258 personnes, pour briser toute velléité de révolte, repeupler les régions abandonnées, procurer à l’Empire des soldats et une main-d’œuvre, un savoir-faire, une prospérité. Les déportés étaient accueillis par les gouverneurs des provinces, réinstallés une fois arrivés à destination, selon leur provenance géographique, ethnique, ou leurs affinités culturelles, le plus souvent bien traités, comme des sujets assyriens ordinaires. Les communautés déplacées pouvaient conserver au début leurs propres traditions, structures, cultes, et mœurs. Tout cela causait un énorme brassage de populations, accentuait le cosmopolitisme des villes d’Assyrie peuplées de gens venus «des quatre coins de la terre, qui parlaient une langue étrange et différents langages des habitants des montagnes et de la plaine. » Sargon ne songea sans doute pas, comme plus tard Alexandre le Grand, à créer une « monarchie universelle » étendue aux limites du monde connu.

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Mais pour maintenir son vaste empire, y faire régner la paix et la concorde, le roi « rassembleur de la totalité », adopta une politique d’unification qui avait l’ambition d’intégrer les peuples transplantés des quatre coins du monde, ce que facilitaient le développement des relations économiques et l’usage de la langue araméenne alors en pleine diffusion. Les hommes baignant dans la lumière dorée de la Mésopotamie vivaient dans un même empire ordonné et prospère ; ils étaient soumis à l’autorité d’un souverain unique, gouvernés sous une même justice ; ils jouissaient des bienfaits de la civilisation mésopotamienne. Le mélange des peuples, l’idéal unitaire, la communauté de langue ne suffirent pas toujours à maintenir en paix l’Empire. Le roi, par un bon service de renseignements, se tenait au courant des événements qui se déroulaient à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de ses frontières. Il rencontra des oppositions locales, des foyers de révolte, comme en Babylonie et ne put réaliser entièrement son rêve impérial d’unité.

II Un rêve de Sargon, Dur-Sharrukin Une nouvelle capitale Fondateur d’une dynastie, Sargon se lança dans des activités de bâtisseur. Il laissa la capitale Kalhu, où il avait restauré et occupé un ancien palais. Inspiré dit-il par une volonté divine, grâce à l’immense butin réalisé lors de ses campagnes, il fit construire en 7 ans une nouvelle capitale, DurSharrukin, la « citadelle de Sargon » ; une capitale politique éloignée d’Assur, l’ancienne capitale religieuse et de son clergé. Il choisit un site presque vierge au nord de Ninive, au pied du mont Musri, irrigué par des sources, que l’on appelle aujourd’hui Khorsabad. Les habitants du village voisin de 139

Maganuba furent expropriés mais dédommagés en argent ou en terres, comme l’affirme le roi dans une inscription : «Je remboursai en argent ou en bronze à leurs propriétaires la valeur en argent des terres de la (future) ville, selon la teneur des tablettes d’achat (qu’ils possédaient), et pour qu’il n’y ait aucune contestation, à ceux que la valeur en argent de leur champ ne satisfaisait pas, je donnai un terrain de même superficie, là où ils le souhaitaient. » 13 Pour bâtir Dur-Sharrukin, Sargon ne ménagea pas ses efforts et mobilisa dès 717 toutes les forces et les ressources de son empire en hommes et en matériaux. Le grand vizir son frère, le scribe royal et le trésorier de la maison du roi l’aidèrent à élaborer le projet de la ville et supervisèrent les opérations. Des déportés, des ouvriers, des maçons travaillèrent pour élever une enceinte épaisse de 14 mètres, percée de 7 portes, dont la longueur correspondait symboliquement au nom du roi. Cette enceinte enfermait un réseau de rues, des quartiers d’habitation. Des canaux furent creusés pour alimenter la nouvelle capitale en eau. Avec intelligence sagesse et goût, le roi surveillait l’évolution des travaux, lisait attentivement les rapports des fonctionnaires et des administrateurs assyriens, des gouverneurs de province qui devaient fournir les briques et la maind’œuvre. Une citadelle fut implantée, comme une ville dans la ville, et à l’intérieur s’élevèrent une ziggurat (tour à étages), des sanctuaires pour Ea, Sin, Shamash, Adad et Ninurta, ainsi que le temple du dieu Nabu à l’ouest, et des palais destinés aux hauts dignitaires du royaume. À cheval sur le rempart, le palais royal se dressa vers le ciel. Il était fait d’ivoire, de bois d’ébène, de buis, de micocoulier, de cèdre, de cyprès, de genévrier, de pistachier et . Cécile Michel dans Khorsabad, Les Dossiers d’Archéologie, hors-série n° 4, 1994, p. 7.

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comprenait 209 salles et cours. Sa façade était percée d’un triple portail orné de colosses. Ce palais de majesté célébrait la puissance et la gloire du roi et constituait une image symbolique du cosmos. Conscient de la fragilité des édifices en brique crue, Sargon, pour protéger son entreprise, et conserver son nom pour l’éternité, avait fait enfouir des tablettes de fondation sous les murs de son palais. Les meilleurs artisans et artistes furent mobilisés pour le décorer d’orthostates sculptés (épaisses dalles) recouvrant la base des murs des cours et des passages et représentant des génies protecteurs, des dignitaires et des serviteurs, des scènes de la vie de cour. Des peintures se déroulèrent en frises sur d’autres murs. Ce palais de majesté célébrait la puissance et la gloire du roi et constituait une image symbolique du cosmos. Sargon fit aménager à proximité du palais un vaste parc, plein d’arbres odorants de Syrie, de cyprès, de cèdres du Liban acheminés par voie d’eau, et d’arbres fruitiers des montagnes, pommiers, néfliers, amandiers, cognassiers, pruniers. En 707, les dieux entrèrent enfin dans les temples qui leur étaient consacrés. Et à l’automne 706, le roi inaugura officiellement la ville monumentale et le palais où il s’installa. Il convia à un banquet les princes de tous les pays, les gouverneurs, et les chefs des travailleurs, les commandants, les chefs militaires et les Anciens de son royaume. Il les installa sur de hauts tabourets devant des tables à quatre convives, chargées de mets. Il donna aussi ce jour-là, comme il se devait, un festin musical.14 Mauvais présage, au mois d’Addar (février-mars), un tremblement de terre survint, sans causer trop de dégâts. La confiance de Sargon resta intacte. Dans une autre inscrip14

Selon une inscription royale.

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tion, il demanda longue vie, santé et bien-être de l’âme au dieu Assur et aux dieux qui résidaient dans les temples de la ville. Ne lui avaient-ils pas concédé « pour l’éternité » le privilège d’avoir construit la ville et d’y demeurer longtemps ? Roi d’Assyrie, je vous admire et vous félicite ! Selon le bon plaisir de votre cœur, vous avez jeté les fondations d’une nouvelle capitale, Dur-Sharrukin. Pendant plus de 7 ans, vous avez élevé et orné somptueusement ses murs de matériaux précieux et rares. Elle restera à jamais votre œuvre, le sceau de vôtre génie. Elle vous a offert ce beau rêve. Sage comme vous l’êtes, riche des joies goûtées pendant ces années de construction, n’en attendez rien d’autre ! Une mort indigne d’un si grand roi Le ciel s’obscurcit, le crépuscule tomba. Les dieux n’exaucèrent pas la prière de leur serviteur Sargon, enclin à s’imaginer que la fortune ne le trahirait jamais. Il ne put très longtemps jouir en paix du fruit de ses travaux qu’il avait si ardemment menés, savourer les charmes de Dur-Sharrukin. Son règne qui avait commencé dans la révolte finit dans la violence. Vers quel destin partit Sargon, au fait de sa gloire, en ce matin frais de l’an 705 ? Debout sur son char, il tirait d’une main ferme les rênes de ses chevaux à la crinière bouclée qui filaient vers le Tabal. Il invoquait Assur, son protecteur et Ishtar, l’hirondelle des combats, tandis qu’à ses oreilles de lourds anneaux sonnaient déjà la victoire. Hélas, la mort vint cueillir avant sa saison le puissant roi d’Assyrie. Il connut une fin obscure lors d’un combat contre un roitelet, Gurfi le Kulumméen. Au cœur d’un Nord invincible, le camp de l’armée assyrienne fut pris d’assaut la nuit. Le roi mourut et laissa son nom comme un arc brisé. Son corps ne put être retrouvé et enterré dignement sous son palais dans une tombe. Pourquoi les dieux avaient-ils permis cette fin ignominieuse ? Etait-ce pour avoir rompu le traité conclu avec Mé142

rodach-baladan ? Quel « péché » avait commis son père, se demanda le prince héritier Sennachérib, qui, selon une œuvre de propagande, le Péché de Sargon, consulta devins et haruspices et voulut se dégager du mauvais sort. Dur-Sharrukin, la capitale éphémère, fut petit à petit et mystérieusement abandonnée, et les musiciens qui avaient si bien joué, lors de sa joyeuse inauguration, rangèrent leurs instruments.

III Rencontre avec Sargon et sa capitale Le consul de France à Mossoul, Paul-Émile Botta, redécouvrit Dur-Sharrukin, croyant d’abord que c’était Ninive. Les roses trémières qui fleurissaient au printemps sur ces terres fertiles, portaient toujours le deuil pourpre de Sargon et son rêve auréolait les arbres en fleur. En mars 1843, Paul-Émile Botta, averti par un teinturier chrétien de la présence de vestiges archéologiques, entreprit de fouiller le site de Khorsabad, à 16 kilomètres au nord-est de Mossoul, la grande ville du nord de l’Irak. Il découvrit les reliefs du palais de Sargon II, qu’il essaya de dégager jusqu’en octobre 1844 et mit au jour les premiers vestiges de l’histoire assyrienne. Il expédia vers Paris les antiquités sorties de terre pour pourvoir le nouveau musée assyrien du Louvre qui ouvrit ses portes le Ier mai 1847. Les fouilles reprirent en 1852 à Khorsabad. Elles furent dirigées par le nouveau consul de France, Victor Place, chargé de recueillir sculptures, cylindres, vases, bijoux assyriens pour compléter les fonds de la collection orientale du Louvre. Mais les radeaux transportant vers Bassora et le Golfe les caisses d’antiquités furent attaqués en mai 1855 par des Bédouins et coulèrent. L’on ne put sauver que 25 ou 26 caisses. Un grand taureau ailé, un colossal génie ailé, quelques bas-reliefs et objets précieux parvinrent seuls au musée parisien. 143

Entre 1928 et 1935, l’Oriental Institute of Chicago organisa des fouilles à Khorsabad, et les archéologues américains exhumèrent des résidences, un temple de Nabu, un palais. Le 11 avril 1933, le roi d’Irak, Fayçal, vint visiter le site, et déjeuna dans la salle du trône du palais de Sargon. En 1994, j’assistai avec joie, dans les galeries de l’aile Richelieu du Louvre, à l’inauguration de l’exposition « De Khorsabad à Paris » qui retraçait le déroulement des fouilles. Les antiquités assyriennes, entreposées jusqu’ici dans des salles mal éclairées, jouissaient à présent d’une nouvelle présentation. Dans la cour Khorsabad étaient exposées quelques sculptures qui ornaient la ville et le palais de Sargon, défilé des tributaires mèdes, après la victoire remportée sur leur chef Daïaku, en 715 av. J.-C., scènes de guerre, de chasse, de la vie de cour, génie ailé bénissant, porteurs d’offrandes. J’allai bien sûr la visiter. La porte du palais avait été reconstituée. À droite, des bas-reliefs représentaient un dignitaire barbu et des serviteurs qui apportaient au roi son mobilier, sa vaisselle, son trône. À gauche, le roi Sargon accueillait un haut dignitaire, ou le prince héritier, et lui donnait ses instructions. Le portail était encadré par deux alad-lammû sculptés en ronde bosse et en haut relief, colossaux taureaux androcéphales ailés, dotés de cinq pattes. Leurs tiares cylindriques ornées de rangs de cornes indiquaient leur nature divine. Leurs visages barbus exprimaient une noble bienveillance. Ils devaient garder le palais contre les forces hostiles. L’un des alad-lammû était une copie en albâtre gypseux et remplaçait le taureau englouti par les eaux du Tigre en 1855. Des inscriptions en cunéiforme, comportant la titulature de Sargon, gravées entre les pattes des taureaux, faisaient le récit de la construction de son palais. Il me sembla qu’ils tournaient la tête vers moi, me regardaient du fond des âges, me guidaient et m’accompagnaient dans ma quête d’un passé grandiose... 144

Le transport du bois du Liban, Louvre.

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CHAPITRE IV LES JARDINS ET LES RÉALISATIONS DE SENNACHÉRIB Je me tenais sur le site de Ninive, situé sur la rive orientale du Tigre, face à l’actuelle Mossoul. Il était composé de buttes, les tells de Kuyunjik et de Nebi Yunus. Une épaisse et blonde muraille couronnée de créneaux, courait sur plusieurs kilomètres. Elle avait été en partie restaurée par le Département des Antiquités iraquiennes, ainsi que deux portes monumentales. J’évoquais la mémoire du grand Sennachérib qui avait fait de Ninive sa capitale, et construit à Kuyunjik un magnifique palais qui fut dégagé au XIX eme siècle par l’archéologue anglais A. H. Layard.

I Les prouesses de Sennachérib Sennachérib (704-681 av. J.-C.) était l’un des fils de Sargon II. Il fut élevé dans le bit rêdûti, la «maison de succession » et le siège du gouvernement. Initié très jeune au métier de roi par son père, il reçut d’importantes charges administratives et militaires, exerça la régence pendant les absences de Sargon, reçut les messagers, transmit les nouvelles, surveilla les travaux de Khorsabad, une grande ville fortifiée. Il nous reste plusieurs lettres de sa correspondance adressées à son père. À la mort brutale de Sargon, tué lors d’une campagne dans la région du Tabal, Sennachérib, exercé à la gestion de l’empire, monta sur le trône. Il dut faire face à des révoltes et 147

à la défection de la Babylonie désireuse de s’affranchir de la tutelle assyrienne. Le Chaldéen Mérodach-baladan revint d’Élam où il s’était enfui devant l’avance de Sargon II, et reprit le pouvoir à Babylone, la capitale. Les premières campagnes En 703, Sennachérib répliqua. Il lança sa première campagne, marcha contre Babylone et l’enleva au roi Mérodachbaladan qui s’enfuit au sein des marais et lagunes du sud de la basse Mésopotamie et resta introuvable. Dans Babylone, il pénétra au cœur du palais royal et fit main basse sur le trésor. Il installa sur le trône un gouverneur d’origine locale, Belibni qui avait grandi dans un palais d’Assyrie. Lors d’une deuxième campagne, Sennachérib fit une longue incursion dans les régions situées à l’est du Tigre pour soumettre les tribus révoltées. En 701, il lança une troisième campagne à l’ouest, en Phénicie et en Palestine. Les rois de Sidon, d’Ascalon et de Juda, soutenus par les Égyptiens, s’étaient soulevés contre les Assyriens. Le cœur fier, l’œil altier, le visage dur, Sennachérib déploya sa force virile et alla en personne combattre les rebelles. Il marcha contre le Hatti (Syrie du nord). Terrorisé, le roi de Sidon, Louli, s’enfuit au milieu de la mer et se noya. Ses places fortes, comme Sidon la grande, Sidon la petite, Sarepata, Acco, où étaient déposées les victuailles de ses garnisons, furent écrasées et se soumirent. Sennachérib captura Sidka, roi d’Ascalon, et l’envoya en Assyrie. Puis, en ayant fini avec ces adversaires, il dépêcha une armée contre Ezéchias, roi de Juda. Il se trouva lui-même devant Lakish, place forte judéenne, située à environ cinquante kilomètres au sud-ouest de Jérusalem. Il monta des béliers, des tours de siège, fit sonner l’assaut par l’infanterie. Il assiégea et conquit cette importante citadelle.

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Sennachérib fit superbement représenter la prise de Lakish sur les murs de la grande salle du palais du Sud-Ouest à Ninive. L’un des bas-reliefs (aujourd’hui au British Museum à Londres), montre le roi assis dans son camp d’où il dirige les opérations, regardant passer les dépouilles da la cité prise, mais ses traits ont été effacés, peut-être après son assassinat. Un premier siège de Jérusalem soumit le roi Ézéchias de Juda. D’après une inscription gravée sur une stèle retrouvée à Ninive, Sennachérib déclarait avec mépris : «Et Ézéchias de Juda, qui ne s’était pas laissé subjuguer par moi, (…), je l’ai enfermé dans Jérusalem, sa royale cité, tel un oiseau en cage. Des terrassements j’ai dressé contre lui, et quiconque sortait par la porte de sa ville devait payer pour son crime. Ses villes fortifiées que j’ai prises et que j’ai pillées, je les ai coupées de sa terre… La splendeur de ma majesté l’a anéanti. »15 L’inscription racontait qu’ Ézéchias dut verser au roi d’Assyrie un lourd tribut, trente talents d’or et autres trésors, lui donner des chanteuses et des concubines, mais il sauva la ville. La Bible confirme ces affirmations : «Et le roi d’Assyrie imposa à Ézéchias, roi de Juda, trois cents talents d’argent et trente talents d’or. Ezéchias donna tout l’argent qui se trouvait dans la maison de l’Éternel et dans les trésors de la maison du roi. Ce fut alors qu’Ézéchias, roi de Juda, enleva pour les livrer au roi d’Assyrie les lames d’or dont il avait couvert les portes et les linteaux du temple de l’Éternel. »16 Sennachérib conduisit sans doute une autre campagne contre Juda, à la fin de son règne. La capitale, Jérusalem, rapporte encore la Bible, ne fut sauvée que par l’intervention de «l’ange du Seigneur », sans doute une épidémie qui frappa le camp assyrien, tuant cent-quatre-vingt cinq mille hommes.

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Cf. La Mésopotamie, éd. Time-Life, Amsterdam, p. 107. La Bible, Le Livre des Rois, II, 18, 14, trad. L Segond.

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Sennachérib contre Babylone Le problème babylonien n’était pas réglé et Sennachérib le rencontra à nouveau. En 700, il lança une expédition vers les marais du sud, pas encore pacifiés, et le Bit-Yakîn, la tribu chaldéenne de Mérodach-baladan. Celui-ci partit en exil en Elam. Á cette occasion, Bel-ibni, l’incompétent gouverneur placé par les Assyriens à la tête de Babylone, fut détrôné. Sennachérib le remplaça par son fils aîné, Assur-nadimshumi. Exemple unique, le roi fit construire par des Phéniciens et des Chypriotes une flotte de guerre, comme le représente un bas-relief du palais de Ninive. En 694, il se lança avec cette flotte dans une opération maritime et terrestre en direction des côtes du Golfe, pour écraser les Chaldéens et leurs alliés. Ses troupes pillèrent quelques villes d’Elam où s’étaient réfugiés les gens du Bit-Yakîn. Le roi d’Elam, réagit, pénétra en Babylonie par le nord, s’empara de Sippar et la détruisit. Les Babyloniens s’empressèrent de livrer Assur-nadim-shumi, le fils de Sennachérib, au roi d’Elam. Le jeune homme disparut dans ce pays où il mourut, probablement assassiné. En 691, le roi d’Assyrie fit face à la coalition des Élamites, des Babyloniens, des tribus du Zagros, qui se dressèrent contre lui « ocmme des sauterelles .Dans » un premier voyage, il leur livra bataille, mais contrairement à la nouvelle annoncée, il ne put défaire leurs armées. Il subit un semiéchec aux environs de la ville de Halulê, sur les bords du Tigre (près de l’actuelle Samarra). Enfin, deux ans plus tard, en 689, lors d’un second voyage, Sennachérib, las des révoltes continuelles, désireux de venger la mort de son fils, attaqua Babylone comme un ouragan, comme un fleuve impétueux. Après un siège de quinze mois, il prit la vieille et vénérable cité, captura le roi chaldéen Mushêzib-Marduk, un fils de Mérodach-baladan monté sur le trône, et fait sans précédent, la détruisit, la brûla, la noya sous les eaux de l’Euphrate.

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Il emporta les statues divines, enleva une motte de terre et la rapporta dans l’Akitu, le temple du Nouvel An à Assur, qu’il avait bâti en pierre calcaire. L’Akitu reprit les prérogatives du centre religieux de Babylone, remplaçant le dieu Marduk par Assur comme chef du panthéon mésopotamien. Une inscription gravée sur les rochers de Bavian, sur la rive du Khazir, dans la région d’Ain Sifni, raconte les campagnes de Sennachérib contre les Babyloniens. Dans ce passage, le roi s’exprime ainsi : «Dans un second voyage, je marchai rapidement sur Babylone, que je songeais à prendre ; je me précipitai, rapide comme l’orage, je la renversai comme un ouragan… Je ne laissai aucun de ses habitants, petits et grands, et jeunes et vieux, je remplis les environs de la ville de leurs cadavres… Je détruisis, démolis, je brûlai par le feu la ville et les maisons, depuis leurs fondations jusqu’à à leurs toits ; je détruisis tout, le mur, le rempart, les temples des dieux, la pyramide à étages en briques et en terre, et je les jetai dans le fleuve Arakht. Dans le territoire, ( ?) de cette ville, je creusai des canaux, je submergeai dans les eaux l’emplacement de la ville, je détruisis ses fondations et je rendis … plus que le vent. Pour que dans la suite des temps on ne pût pas trouver l’emplacement de cette ville et des temples des dieux, je la submergeai dans les eaux et je... »17 Mais les Babyloniens ne reconnurent jamais Sennachérib comme roi légitime. Leur pays devint une simple province assyrienne. Un tendre époux Sennachérib ne fut pas qu’un puissant guerrier, résolu à maintenir à tout prix l’ordre dans son Empire et aux alentours. En temps de paix, il se montra aussi un mari attention17 Chroniques d’Assyrie et de Babylonie, L’inscription de Bavian, trad. H. Pognon, éd. Paleo, 2011, pp. 44-45.

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né, comme l’indique une dédicace à Tashmettu-sharrat, l’une de ses épouses, qui révélait la chaleur de son cœur. Il entourait sa bien-aimée, pourvue d’une beauté parfaite, de soins, d’amour et de tendresse. Il lui fit construire un magnifique palais. 18

II Un magnifique bâtisseur Sur le plan intérieur, Sennachérib abandonna DurSharrukin, la capitale de son père, et s’installa à Ninive, l’ancienne Ninua en assyrien, la cité forte qui serrait des lions dans ses bras…Elle tenait peut-être de Nîn, une déesse de l’amour, son nom doux comme une caresse. Intégrée dans l’empire akkadien, elle dépendit de Babylone sous Hammurabi qui la cite dans le prologue de son célèbre code. Le roi assyrien Salmanazar Ier (1274-1245 av. J.-C.) y fit construire un palais. Grâce à la gloire de ses armes, au butin de guerre ramassé en matières premières et en hommes, et aux tributs de nombreux rois vassaux, Sennachérib entreprit d’immenses travaux pour agrandir, aménager, embellir Ninive selon un plan qui, disait-il, avait été fixé de toute éternité dans le ciel par les étoiles. La terre reproduisait le ciel. Dans la Bible, le prophète juif Isaïe lui fait dire : « C’est par la force de ma main que j’ai agi, C’est par ma sagesse, car je suis intelligent, J’ai reculé les limites des peuples et pillé leurs trésors, Et comme un héros j’ai renversé ceux qui siégeaient sur des trônes. J’ai mis la main sur les richesses des peuples, comme sur un nid, Et comme on ramasse des œufs abandonnés, J’ai ramassé toute la terre : Nul n’a remué l’aile, ni ouvert le bec, ni poussé un cri. »19 18 19

Cf. Lionel Marti, dans Les dossiers d’Archéologie, 2011, n° 348, p. 56. La Bible, trad. L. Segond, Isaïe, 10.14.

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Sennachérib fit de Ninive la ville suprême, siège de sa royauté, la capitale impériale d’un vaste empire. Il la dota d’une nouvelle et haute enceinte en gros blocs calcaires, « plus haute qu’une montagne », épaisse par endroits de quarante-cinq mètres. Couronnée de créneaux, celle-ci s’allongeait sur douze kilomètres et comportait quinze portes, dédiées chacune à un dieu. Le roi élargit les rues et les places, les rendit « éclatantes comme la lumière du jour», construisit de riches demeures, un arsenal, jeta un pont sur le Tigre. Le palais sans rival L’ancien palais royal étant devenu à son goût trop étroit, Sennachérib bâtit dès 703, au sud-ouest de la citadelle, un nouveau palais, et réalisa de véritables exploits pour chercher et transporter les matériaux de construction. Il avait besoin de bois de cèdre, de cyprès, de pin, de pierre, mais aussi de métaux précieux, cuivre, bronze, fer, or et argent, ramenés de tout le Proche-Orient, pour orner les grands vantaux des portes, les fenêtres, les plafonds, les colonnes de son palais, pour façonner les statues de génies protecteurs, les animaux, les bouquetins. Il construisit un portique appelé Bit Hilâni, selon le modèle des palais hittites. Le roi continua à décorer avec amour sa demeure qui comprenait plus de soixante et onze pièces, De grands taureaux androcéphales ou des génies protecteurs, taillés dans la pierre extraite des carrières de la région, gardaient les portes principales. De magnifiques bas-reliefs taillés dans le gypse racontaient les expéditions victorieuses menées par les troupes assyriennes contre les tribus du sud. Mais la salle trente-six était entièrement consacrée au siège de Lakish, en Judée. Dans la joie et la satisfaction de son cœur, il fit mettre par écrit le récit de ses travaux. Un petit passage des Annales raconte que Sennachérib appela à l’aide le dieu Ea, dieu des eaux douces et de la sa153

gesse, le seigneur qui instruit les hommes dans les sciences et les techniques et leur donne l’acuité de l’esprit permettant de résoudre les problèmes. Il trouva un procédé nouveau pour faire fondre de gigantesques lions et taureaux de bronze massif, de 43 tonnes chacun, qui supportaient les colonnes du Bit Hilâni, le portique incorporé dans le palais. Les pièces coulées avec art, de même que l’on coule des pièces de monnaie d’un demi-sicle, étaient ensuite assemblées : «Autrefois, lorsque les rois, mes pères, voulaient faire façonner une statue de bronze à leur image, pour la déposer dans un temple, le travail épuisait les artisans. Mais moi, Sennachérib, après avoir réfléchi sur le problème… avec l’inspiration du dieu Ea, je fis faire des moules d’argile dans lesquels on coula le bronze, de même que l’on coule des pièces d’un demi-sicle ».20 D’un esprit avisé, ingénieux, imaginatif, Sennachérib inventa de nouvelles technologies, supérieures selon lui à celles des rois ses prédécesseurs, perfectionna les équipements de son palais et y introduisit de multiples innovations. Le palais, somptueusement aménagé, devint « le palais sans rival. » fête de formes, de couleurs, de bois odoriférants, il servait de miroir à la puissance et à la grandeur royales. Les jardins suspendus de Ninive Sennachérib pratiqua dans les environs de Ninive, dévastés par le manque d’eau, une agriculture réfléchie qui exigeait d’importants et remarquables travaux d’irrigation. Il creusa des canaux, réalisa des aqueducs pour amener abondamment à Erbil, à Ninive, dans les champs assoiffés et les parcs paysagers, l’eau provenant des monts du nord. Le roi fit dessiner des jardins ornés de petites collines, de bosquets, à l’imitation des régions montagneuses et de l’Amanus, un massif ancien en Syrie du nord. 20

M. Vieyra, Les Assyriens, éd. du Seuil, p. 181.

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Toujours inventif, il créa des machines élévatrices pour amener l’eau en haut des collines et irriguer pendant la saison chaude les vergers. Il forma des moules en argile, tubulaires, à partir de grands troncs d’arbres, coula dedans du cuivre chaud. Le métal refroidi, les moules de terre furent cassés, les cylindres creux, ainsi obtenus, placés au-dessus de citernes. Sennachérib fit faire des cordes, des câbles, des chaînes de bronze pour puiser tout le jour l’eau des citernes. Des visses tournaient dans les cylindres pour élever l’eau. Une inscription du souverain donne la description de ces machines élévatrices : « J’inventai des objets en cuivre et les façonnai habilement. Selon le plan du dieu, je créai des moules en argile pour de « grands troncs » et pour des palmiers, l’arbre d’abondance, puis y coulai du cuivre […] Afin de puiser tout le jour l’eau des citernes, je fis faire des cordes ainsi que des câbles et des chaînes de bronze. Et je fis placer « les grands troncs » et les palmiers de cuivre au dessus des citernes. »21 Dans les vergers bien arrosés poussaient maintenant des arbres fruitiers variés, des cyprès, des mûriers, des vignes, des plantes aromatiques venues des contrées lointaines, tous collectés sur ordre du roi par les fonctionnaires des provinces : « Alors moi, Sennachérib, roi d’Assyrie, le vainqueur des rois, qui depuis l’Orient jusqu’à l’Occident…grâce ( ?) aux eaux des canaux que j’avais fait creuser, je plantai ( ?) dans les environs de Ninive des forêts, des vignes, des… … toutes les montagnes, les plantes de tous les lieux ( ?)… »22

Extrait du « Prisme octogonal de Sennachérib », Sumer 9, 1953, in S. Dalley, « Niniveh, Babylone and the hanging garden, cuneiform and classical sources reconcilied », Prog 56, 1994. Cité par. Véronique Grandpierre. 22 Chroniques d’Assyrie et de Babylonie, L’Inscription de Bavian, trad. H. Pognon, éd. Paleo, 2011, p.41 21

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Le roi, épris d’exotisme, constitua des réserves d’animaux rares. Il créa un marais artificiel, y planta une cannaie, y plaça des hérons, des porcs sauvages des buffles qui prospérèrent et eurent beaucoup de petits. Les oiseaux du ciel vinrent y faire leurs nids. Les splendides jardins en terrasses étaient pour le roi des lieux de détente et de plaisir, des microcosmes de l’empire. Auraient-ils donné naissance à la légende des jardins suspendus, non de Babylone mais de Ninive, une des sept merveilles du monde, par suite d’une confusion entre les deux villes faite par les auteurs grecs tardifs ? Lors de ses promenades, Sennachérib en oubliait soucis et peines. Il reprenait contact avec la terre, l’eau, l’air, avec les éléments primitifs et les forces cachées, secrètes qui nourrissaient les racines de la vie. Une longue brise tiède courait à travers les palmiers, les conifères, puis caressait doucement son visage. Au bout d’une allée, il s’arrêtait, curieux, devant l’une des plantes nouvellement adaptée, « l’arbre qui porte de la laine », comme un mouton, sans doute un cotonnier, et la contemplait avec bonheur. Parfums, chants des oiseaux se répondaient, les bassins brillants souriaient au soleil, les vignes s’enroulaient autour des arbres. Une joie inconnue mais intense envahissait le cœur du roi. Il repoussait ses serviteurs et demeurait seul au centre de ce monde qu’il respectait, admirait, révérait. Tout l’émerveillait comme à l’aurore première, tout le ravissait !

III Sur les pas de Sennachérib Je rêvai d’aller voir les monuments, les reliefs rupestres et les inscriptions laissés dans les régions du nord de Ninive par Sennachérib, le grand roi d’Assyrie.

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L’aqueduc de Jerwan Je commençai par la visite de l’aqueduc de Jerwan, au pied d’un mont situé au nord-est d’Ain-Sifni. Je pris la route Dohuk-Erbil, traversai la montagne haute de 1100 mètres et débouchai sur une plaine fertile et verdoyante où poussaient le blé et l’orge ponctués de coquelicots d’un rouge sémillant. Une cinquantaine de kilomètres plus loin, j’arrivai enfin sur le site de Jerwan. Les vestiges de l’aqueduc de Jerwan gisaient toujours au pied des croupes douces et verdoyantes du mont, tachetées de gracieuses brebis et de chèvres blanches… Pour réaliser cet impressionnant ouvrage d’art, qui donnait au paysage un aspect plus monumental, deux millions de pierres blanches furent nécessaires. Des eaux limpides furent captées dans les montagnes du nord-est (région de Bavian), et détournées par des canaux en un barrage large de 280 mètres, haut de 9 mètres. L’un des canaux, d’environ 50 kilomètres, partait de là, enjambait par un pont la large vallée de Girmua à Jerwan et se dirigeait vers les prairies de Ninive. L’édifice était percé de 5 arches en encorbellement, hautes de 5 mètres, pour laisser passer les eaux de la rivière Khazir. Des inscriptions commémoratives relatèrent cet exploit réalisé en quinze mois, où le roi déclarait avec une fierté justifiée : «Je vis des points d’eau, j’élargis leurs sources étroites et les transformai en réservoirs ; pour que ces eaux puissent passer à travers des montagnes escarpées, je fis tailler au pic les endroits difficiles et dirigeai ainsi leur flot vers la plaine qui entoure Ninive. Je renforçai (les berges de) leurs tranchées…Sur une longue distance, depuis le fleuve Husur (= le Khazir), je fis creuser un canal vers les prairies de Ni-

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nive ; par-dessus des wadis profonds je fis passer un pont de pierre blanche et je fis couler ces eaux dessus.»23 L’aqueduc de Jerwan fut inauguré en 691 avant J.-C. et probablement représenté sur un des bas-reliefs du palais de Ninive. Une équipe d’archéologues de l’Oriental Institute of Chicago vint fouiller le site en 1933-1934. Le relief sculpté de Khinnis-Bavian Sennachérib avait laissé au nord de Ninive, dans la région d’Ain Sifni, des reliefs sculptés. Je continuai mon excursion et me rendis sur le site de Khinnis-Bavian. Sur une paroi rocheuse du défilé de Bavian, le roi puissant, le roi d’Assyrie, le roi des Quatre régions, s’était fait représenter de profil. Il se tenait debout, en prière, la main levée vers les dieux assyriens assis sur les animaux symboles. Gravées en trois endroits différents sur les rochers, couraient des inscriptions en cunéiforme, hélas mutilées, où il décrivait les œuvres accomplies dans Ninive, énumérait les canaux qu’il avait fait construire, et décrivait leurs inaugurations accompagnées de sacrifices et de cérémonies religieuses. Puis Sennachérib relatait la fin de ses campagnes contre Babylone, sa victoire et la destruction de la ville, comme nous l’avons vu. Il terminait par une malédiction contre les princes à venir qui détruiraient son œuvre et détourneraient de la banlieue de Ninive le cours des eaux des canaux. Ces inscriptions transmettaient ainsi aux hommes, pour les siècles, le nom et les hauts faits de Sennachérib. Sa royale image faisait maintenant partie du paysage. Ici, à Khinnis-Bavian, sur la rive de la rivière Khazir, les ouvriers extrayaient jadis la pierre pour sculpter les colossaux taureaux ailés à tête humaine qui ornaient les palais assy23 Francis Joannès, Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Robert Laffont, Bouquins, p.60.

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riens ; l’un de ces animaux restait à terre, et semblait inachevé. Je songeai avec émotion que Sennachérib était probablement venu en ces lieux. Installé dans son char, à l’ombre d’un grand parasol, il avait surveillé les travaux des nombreux ouvriers. Au cours de la chaude journée, oubliant un instant la majesté de sa royale personne, était-il descendu de son char, désireux de faire quelques pas ? Pour trouver un peu de fraîcheur, s’était-il humblement agenouillé sur la berge, dans un fouillis de verdures, penché sur la rivière cristalline que la lumière pétillante de midi parsemait de scintillements de paillettes dorées ? Elle avait reflété son visage, écouté ses secrets. Elle coulait toujours, gardant l’éclat d’un jour heureux et le souvenir d’un grand roi. Je le constatais, le site de Khinnis-Bavian avait été longtemps abandonné, soumis aux aléas de la nature, aux tremblements de terre, à divers accidents. Des moines chrétiens, pour conjurer la civilisation assyrienne, païenne, et y habiter, avaient autrefois creusé des cellules dans la falaise, l’une d’elles trouait même la robe du roi. Les reliefs rupestres de Maltaï Comme à Bavian, Sennachérib avait fait sculpter des reliefs rupestres à Maltaï, près de Dohuk, en remerciement aux dieux pour ses victoires. Je mis mes pas dans ceux d’Henry Layard, le célèbre voyageur et fouilleur anglais (1817-1894), qui pour les admirer, entreprit une difficile excursion. L’endroit : une ancienne fortification assyrienne et un point stratégique pour l’armée, était, hélas, escarpé. Déçu, il me fallait regarder d’un peu loin les vestiges sculptés dans la roche qui dormaient dans un lourd silence. Il s’agissait de quatre tablettes ornées de neuf êtres humains et divins. Pour leur rendre hommage, le roi et un autre personnage, hauts de un mètre cinquante, se tenaient devant les sept dieux debout

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sur leurs animaux symboliques, Assur, Ninlil, Enlil, Sin, Shamash, Adad et Ishtar. Il n’y avait pas d’inscriptions. Il existe toujours une correspondance entre la terre natale et l’homme. Sennachérib était dévoué à son pays d’Assur, rude et ceint de montagnes, baigné de rivières, immuable. Il y laissa son empreinte. Nul doute qu’il ne veille toujours sur lui avec amour. Un meurtre dans un temple Je songe à la suite de l’histoire tragique de Sennachérib avec un pincement de cœur. Sous la forte influence de Naqi’a, Zakûtu en assyrien, l’une de ses épouses, le souverain désigna en 683 le fils de celle-ci, Assarhaddon pour héritier présomptif et fit jurer aux Assyriens d’aider le jeune prince. Mécontents, ses frères s’agitèrent. En 681, Arda-Mulissu, le fils de Sennachérib, qui avait été choisi précédemment comme prince héritier puis évincé, fomenta, avec quelques compagnons, un complot. Sennachérib avait déjà souffert une mort, celle de son fils Assur-nadim-shumi, roi de Babylone, disparu en Elam. Ce jour-là, le 20e jour du mois de Tebet (janvier), le jour le plus amer de sa vie, il était en prière dans le temple de Nergal, à Kalhu, donc sous protection divine, mais les desseins d’En Haut sont impénétrables. Il entendit un bruit de pas, leva la tête et aperçut avec surprise et peine le visage sombre et dur d’Arda-Mulissu : C’est toi, mon fils ! Quelques instants plus tard, il tombait à terre, frappé à mort, comme le raconte une chronique néo-babylonienne. Le poignard impatient et sordide ne laissa qu’une pauvre chose, le corps sans souffle du grand roi d’Assyrie, fait pour la vie, la beauté, la gloire, qui commanda des armées et des flottes redoutables et gouverna durant 23 ans un immense Empire. Le palais fut en pleurs, les reines et les femmes du harem versèrent des larmes et gémirent. Elles lavèrent de sa poussière et de son sang le corps du roi, refermèrent ses affreuses 160

blessures et supprimèrent toute trace de violence. Puis elles le baignèrent d’aromates, l’oignirent d’huile fine, le vêtirent d’habits royaux et le veillèrent. L’annonce de la mort du roi fut proclamée dans tout le pays, qui lui rendit les honneurs. Durant plusieurs jours la musique accompagna les rites, les prières, les lamentations. Sennachérib fut inhumé à Assur, la capitale religieuse, sous le palais, dans un sarcophage en pierre haut de trois mètres, « Palais du sommeil, Tombeau du repos, Résidence éternelle de Sennachérib, roi de l’univers, roi d’Assur », selon une inscription gravée sur le sarcophage. Le couvercle fut scellé par des crampons de bronze. Les souverains d’Assyrie n’investissaient pas des sommes considérables pour ériger des monuments funéraires ou des pyramides comme les pharaons d’Égypte, ils ne se faisaient pas momifier, ils ne regagnaient pas une région de lumière, mais descendaient au « pays sans retour», y survivaient dans l’ombre et la poussière. L’on chercha la faute que le roi aurait commise envers les dieux pour mériter un tel sort. Pour les Babyloniens, c’était la destruction de leur capitale, et la déportation des statues divines en Assyrie. Sennachérib avait fait jouer au dieu Assur le rôle de Marduk, dans la célébration de la fête du Nouvel an, il n’avait pas respecté la hiérarchie céleste établie à Babylone. Sennachérib laissa le souvenir d’un lion de combat, sinon d’un conquérant, d’un bâtisseur, soucieux de sa grandeur et de son plaisir, d’un ami des lettres, des arts et des techniques, d’un tendre amoureux des beautés de la femme et de la nature. Ses campagnes et ses grandioses réalisations, son rêve d’une opulente Ninive perpétuèrent sa mémoire. De sa propre réflexion, de son propre effort, il fit entrer l’Assyrie dans une ère de progrès. Quelque temps plus tard, les meurtriers de Sennachérib s’enfuirent en Urartu (Anatolie orientale), puis furent contraints de se réfugier dans un petit état-tampon de la haute vallée du Tigre, le Shubria. En 673, quand le Shubria fut conquis et annexé, ils furent capturés, châtiés, une cérémonie offerte au grand roi défunt. 161

Stèle d’Assarhaddon

CHAPITRE V ASSARHADDON, LE ROI ATTENTIF AUX SIGNES DU CIEL

Faire de l’histoire, c’est emporté par un flot de sève et de sang, faire revivre ce passé dont j’ai hérité, qui n’a pas totalement disparu, et participer avec Assarhaddon par exemple, au vaste été de l’Assyrie. Je suis tissé d’histoire, j’en suis bien l’héritier.

I Assarhaddon, roi guerrier, roi bâtisseur Et le vent du sud souffla Assarhaddon (681-669 av. J.-C.), sans doute le plus jeune fils de Sennachérib, raconte dans ses Annales (Prisme S), qu’il avait été choisi par les dieux et par son père comme prince héritier. Il reçut une bonne éducation et maîtrisa les disciplines littéraires et scientifiques. Après l’assassinat de Sennachérib par son fils ArdaMulissu, éclata en Assyrie une guerre civile menée contre Assarhaddon et due aux embûches et machinations de ses frères soutenus par une partie du peuple. Le jeune prince affronta avec son armée les révoltés lors d’une bataille mais des troupes rebelles se rangèrent à son côté : « Ces misérables, artisans de trouble et de révolte, apprirent l’approche de mon combat, et abandonnèrent les soldats, leur confiance, ils s’éloignèrent et s’enfuirent ; j’atteignis le quai du Tigre. 165

Par ordre des dieux Sin, Shamash, les patrons du quai, je fis sauter comme une rigole à mes troupes, le large Tigre. Au mois d’Addar (mars), mois propice, le 8eme jour, fête de Nabu, Au milieu de Ninive ville de ma seigneurie, joyeusement j’entrai ; Sur le trône de mon père avec bonheur je m’assis. Le vent du sud souffla, le manit du dieu Ea, vent dont le souffle est bon pour l’exercice de la royauté, m’attendait ; signes favorables dans le ciel et sur terre, vaticination, message des dieux et déesses, sans cesse m’indiquaient (d’agir) et me rassuraient le cœur ». 24 Le vent du sud, de bon augure, au souffle suave, était propre à Ea, le dieu des eaux douces, de la sagesse et de la magie. Il faisait pousser herbes, plantes et fleurs, réjouissait, vivifiait. Il favorisait la royauté. La guerre civile enfin terminée, Assarhaddon fut couronné à Assur. Il imposa un châtiment sévère aux révoltés. L’empire assyrien échut donc à Assarhaddon dans ces circonstances dramatiques. Quels sentiments éprouva le roi, soulagement, orgueil, griserie, crainte, peine, culpabilité ? Guerres offensives ou défensives à l’extérieur Assarhaddon passa une partie de son règne en campagnes militaires, pour calmer les troubles qui menaçaient son royaume. En 679, les Scythes, peuple semi-nomade venu peut-être des régions de la Volga, mêlés aux Cimmériens (établis en Asie Mineure), envahirent le flanc sud du Taurus, mais Assarhaddon les força à battre en retraite. Deux ans plus tard, en 677, il lança une campagne vers l’ouest, contre la Phénicie. Sidon fut prise, son roi AbdiMilkoutti qui s’était révolté, décapité, ses habitants déportés en Assyrie, comme il le raconta dans ses Annales : 24

« Prisme S d’Assarhaddon », par V. Scheil, Paris, 1913, pp. 9-10.

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«Abdi-Milkoutti, roi de Sidon, qui ne reconnaissait pas ma souveraineté, qui n’écoutait pas la parole de ma bouche, eut confiance en la mer redoutable et ébranla le joug d’Assur. Je rasai jusqu’au sol Sidon, la ville fortifiée qui est au milieu de la mer. Je détruisis et jetai à la mer ses murs et ses maisons. Je fis disparaître le lieu même où elle était bâtie. Avec l’aide d’Assur, mon seigneur, je pêchai dans la mer, comme un poisson, Abdi-Milkoutti, son roi qui avait reculé devant mes armes, en fuyant au milieu de la mer, et je lui coupai la tête ».25 Assarhaddon captura la femme, les fils et les filles du roi de Sidon, et déporta en Assyrie ses innombrables sujets. Il s’empara des nombreuses bêtes bovines et ovines, des ânes. Il prit en grande quantité les biens rares ou inestimables du palais, l’or, l’argent, les armes, les pierres précieuses, les étoffes de laine et de lin, les défenses d’éléphants, le bois d’ébène et de buis. Le nord du royaume de Sidon fut annexé au territoire assyrien et transformé en province. Le roi de Tyr, quant à lui, paya tribut à Assarhaddon. Il dut conclure un accord avec lui pour la régulation du commerce. Le roi d’Assyrie fit face à des invasions de Mannéens, venus du sud du lac d’Urmiah et de Scythes, peuple des steppes au nord de la Mer noire. Pour calmer le jeu, après une question oraculaire posée au dieu Shamash, il donna une de ses filles en mariage au chef scythe Bartatua (le Protothyès des Grecs), espérant s’en faire un allié loyal. Puis Assarhaddon se tourna contre les Arabes et subjugua leur roi Hazail : « La ville d’Adumu, (est une) forteresse du pays des Arabes Que Sennachérib, roi d’Assyrie, le père qui m’a engendré Avait conquise, et où les dieux Du roi des Arabes il avait pris comme butin 25 Extr. des Annales d’Assarhaddon, dans S. Moscati, L’épopée des Phéniciens, Fayard, Paris, 1971, p. 43.

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Et emporté en Assyrie. Hazail, roi des Arabes Avec un gros présent, à Ninive, ville de ma seigneurie, S’en vint donc et baisa mes pieds. Il me supplia de lui rendre ses dieux et j’eus pitié de lui ».26 Assarhaddon renvoya au roi Hazail ses dieux arabes, non sans les avoir fait remettre en état. Il mena encore campagne en Médie, vers le nord-est, où les rois ses pères n’avaient point passé, soumit plusieurs villes, Partakka, Urakazabarna, Partukka, et conclut avec leurs gouverneurs un traité. La conquête de l’Égypte Le grand dessein d’Assarhaddon était cependant de conquérir l’Égypte. Il fit une première tentative en 674, envoya une armée qui fut défaite par le pharaon Taharqa (690-664 av. J.-C.), dont la dynastie était originaire de Kush (Haute Nubie, Soudan). En 671, il leva en masse des soldats, joignant à son armée les forces des états vassaux. Le général assyrien Sha-nabushu se heurta à une forte résistance égyptienne, mais finit après d’âpres combats par mettre en fuite Taharqa. Il enleva Memphis, dans le delta du Nil, captura et déporta en Assyrie la famille royale, emporta son trésor et fit de la basse Égypte une province assyrienne : «De la ville d’Ishupri jusqu’à Mempi (Memphis), sa demeure royale, une distance de quinze jours (de marche), je menai chaque jour, sans exception, de très sanglants combats contre Tarqû (Taharqa), roi d’Égypte et de Kush, maudit par tous les dieux…J’assiégeai Mempi, sa demeure royale, et la pris en une demi-journée au moyen de sapes, de brèches et d’échelles d’assaut. Sa reine, les femmes de son palais, Urshanahuru, son « héritier appa-

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« Prisme S d’Assarhaddon », par V. Scheil, Paris, 1913, p. 19.

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rent », ses autres enfants, ses biens, ses nombreux chevaux, son gros et petit bétail, je les emmenai en Assyrie comme butin ».27 Un tribut annuel fut imposé aux Égyptiens et des rois, des gouverneurs, des fonctionnaires nommés partout dans le pays. Une belle stèle du VIIeme siècle, retrouvée dans une tour du rempart de Zindjirli/Sam’al, (province néo-assyrienne aujourd’hui en Turquie, à 70 kilomètres à l’ouest de Gaziantep), représente Assarhaddon, gigantesque, en costume sacerdotal. Au-dessus de son visage empreint de vénération sont gravés les symboles des dieux. Il tient en main une laisse attachée aux lèvres de deux ennemis assujettis à ses pieds, peut-être Abdi-Milkoutti, roi de Sidon et Taharqa ou son fils Urshanahuru. Sur les côtés de la stèle sont figurés deux de ses fils, Assurbanipal, le prince héritier et Shamashshum-ukîn, futur roi de Babylone. Les restaurations d’Assarhaddon Un des premiers gestes d’Assarhaddon, monté sur le trône, fut de reconstruire Babylone, que son père avait détruite, de l’agrandir, de la rendre magnifique. Sur une tablette de pierre noire, il fit graver le récit de cette restauration. Grâce en partie au butin pris lors des campagnes militaires, Assarhaddon restaura aussi des villes babyloniennes, Akkadé, Borsippa, Der, Nippur, Uruk. Il reconstruisit ou rénova de nombreux sanctuaires et chapelles, les revêtant d’or et d’argent, les faisant resplendir comme le jour. En Assyrie, il édifia un temple à Assur dans sa ville, et fit ériger un palais à Kalhu. Il construisit à Ninive, « le palais qui administre tout ». Il raconta ses travaux dans un récit à la première personne, en voici un extrait :

J.B. Pritchard (Ed.), Ancient Near Eastern Texts Relating to the Old Testament, Princetown, N.J., 1969, p. 293.

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« En ces jours, le Palais Antérieur de Ninive qu’avaient élevé les rois mes pères pour y tenir les armements, les étalons, les mules, les chars, le matériel de guerre, pour y veiller à l’entretien des chevaux, et l’entraînement des chars, ce palais était devenu trop étroit pour moi. Les gens des pays que mon arc avait conquis, je leur fis porter la houe et le moule à brique. Et ils firent des briques. Cet ancien petit palais, je le détruisis entièrement. J’enlevai aux champs d’alentour une partie de leurs terres et l’ajoutai au palais. Je jetai ses fondations de pierre calcaire et de solides pierres des montagnes. J’élevai une terrasse […] Assarhaddon, dans son texte, se vanta d’avoir fait transporter à Ninive par 22 rois de Syrie du nord, de Phénicie et de Chypre des poutres, des planches de cèdre et de cyprès à la bonne odeur, des pierres, des briques cuites et du marbre. Or, argent, cuivre, bronze et fer ramenés des pays conquis, servirent à décorer les portes, les fenêtres, les plafonds, les lambris de la demeure royale, ou à faire des statues d’animaux et de génies protecteurs. « En un mois favorable, en un jour propice, je bâtis sur cette terrasse de grands palais pour mon séjour royal. La demeure royale, de 96 coudées de long et de 31 de large, telle que n’en avaient jamais fait construire mes aïeux, je construisis. Je revêtis ses murs de plaques de marbre. je fis sa toiture de poutres de cèdre. Un palais de travertine, des palais d’ivoire, de bois de cèdre et de cyprès, d’érable, de mûrier, pour ma demeure royale et mon bon plaisir, je fis bâtir artistiquement…. Des portes de bois de cyprès à la bonne odeur, je fis recouvrir d’argent et de cuivre… Des taureaux ailés, des colosses de pierre ashnan qui tiennent les démons à l’écart, de grands taureaux ailés, des lions, des génies ailés de pierre calcaire, je fis placer de part et d’autre des portes…La puissance d’Assur, mon seigneur, et les actions que j’ai accomplies dans les pays ennemis, je les fis représenter par les sculpteurs. 170

Un grand parc, semblable aux pentes du mont Amanus, je fis planter… J’achevai le travail dans la joie et la satisfaction au son de la musique… Les nobles et le peuple de mon pays, tous ensemble, je les invitai à un festin, à un banquet. Je les fis asseoir devant des tables chargées de mets délicats et de vin… »28 Assarhaddon offrit aux dieux d’Assyrie des sacrifices et des dons. Il ne manqua pas à la tradition en conviant, comme jadis Assurnasirpal, les nobles et le peuple de son pays à un grand banquet, lors d’une fête qui commémorait la construction de son splendide palais.

II Assarhaddon et sa cour Le sage Aba-Enlil-dari (Ahiqar) La divination tenait une grande place dans la vie des Assyriens et des Babyloniens. Elle interprétait les signes du ciel par divers moyens : astrologie, extispicine (examen des poumons et du foie d’un animal), oniromancie, météoromancie... Elle n’avait pas pour but principal de prédire l’avenir mais constituait un savoir condensé dès le XXVIIIeme siècle avant notre ère dans des traités de plus en plus volumineux. Il restait toujours possible d’écarter le mauvais sort par des incantations, des prières et des exorcismes. À la fameuse cour d’Assarhaddon, administrateurs, fonctionnaires, scribes, entouraient le souverain, qui savait lire, collectionnait les tablettes et s’intéressait au savoir de son 28 Cf. Maurice Vieyra, Les Assyriens, éd. du Seuil, Le temps qui court, pp. 172-173.

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temps. Les devins, les augures, les astrologues, les haruspices, les exorcistes, les médecins, jouaient aussi un grand rôle. Le roi, représentant le pays, faisait appel à eux pour lutter contre les influences maléfiques, pour l’aider à interpréter les signes, à sonder les secrets et à prendre les décisions officielles. Aba-Enlil-Dari, ou Ahiqar en araméen, reste le plus connu. C’était un Sage-ummânu, un érudit qui détenait un savoir secret associant sagesse et science. Puissant chancelier d’Assarhaddon, il conduisit l’État avec sagesse. Il écrivit un livre où il raconta sa vie, consigna des proverbes et sentences. Celui-ci connut un énorme succès dans le ProcheOrient ancien. Personnage historique, l’on trouve bien le nom d’Ahiqar dans une liste antique d’auteurs mésopotamiens. Dans une version de la Sagesse d’Ahiqar, datant de l’époque hellénistique, l’on mentionne qu’« au temps du roi Assarhaddon, Aba-Enlil-dari fut son Sage-ummânu, celui que les Araméens appellent Ahiqar, variante (grecque) : Nikarchos ».29 Ahiqar supplia en vain les dieux de lui donner un fils, puis finit par adopter son neveu Nadan. Il lui apprit son métier de scribe et lui prodigua des conseils de sagesse : «Mon fils, ne soit pas de ceux auxquels leur maître dit : Va de devant ma face mais de ceux auxquels il dit : Approche et demeure auprès de moi ».30 Le principal désir d’Ahiqar et de tous les lettrés, était en effet, statut prestigieux, de se tenir devant le roi, de voir son visage aimable. Ahiqar fut proscrit et condamné à mort à cause des intrigues de ses rivaux et des médisances de Nadan. Ce dernier convainquit Assarhaddon que son chancelier le trahissait Cf. Francis Joannès, Dictionnaire de la Civilisation Mésopotamienne, éd. Robert Laffont, 2001, p 748. 30 Histoire et sagesse d’Ahiqar l’Assyrien, Berg International Éditeurs, III, 42 et XXII, 1. 29

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auprès du roi d’Égypte. Ahiqar fut ensuite innocenté, délivré de la peine capitale, et revint en grâce auprès du souverain dont la clairvoyance l’avait emporté. Il s’écria alors, rempli de joie : «Mon seigneur, maintenant que j’ai vu ton visage, je n’ai plus de mal. » L’histoire et les sentences d’Ahiqar qui connaissait les secrets et résolvait les énigmes, inspirèrent Démocrite, Ésope, les livres bibliques de Tobie et de Daniel, et le Talmud de Babylone. De nombreuses versions de l’œuvre de ce grand sage circulèrent. De la version syriaque, découlèrent diverses traductions, arménienne, roumaine, arabe, slave. En 1906, une mission allemande découvrit à Éléphantine, en face d’Assouan, en Haute Égypte, un lot abondant de papyrus araméens contenant une partie de l’histoire d’Ahiqar. En voici un extrait, qui exalte la sagesse : «Il y a deux choses qui sont bonnes et une troisième qui plaît à Shamash (le dieu Soleil) : que buvant du vin, on le partage, que, détenant une sagesse, l’on s’y conforme, qu’entendant une parole on ne la révèle pas. Voilà ce qui est précieux devant Shamash. Mais celui qui boit du vin sans le partager, celui dont la sagesse reste vaine [et le bavard], qui les regarde ? Les humains sont favorisés du ciel, car la sagesse vient des cieux. Elle est même précieuse pour les dieux ; Sa royauté est éternelle. Elle a été établie dans les cieux ; oui, le Seigneur de sainteté l’a exaltée. » 31 Tel était l’enseignement de cet homme sage, injustement accusé et finalement réhabilité et récompensé. Cahiers Evangile, Sagesses de Mésopotamie, supplément au Cahier Evangile 85, Paris, éd. du Cerf, p 117.

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Le roi substitut Assarhaddon souffrait d’une maladie chronique qui le rendait par moments fiévreux, faible, indécis, craintif et inquiet pour l’avenir, superstitieux et même dépressif. Il recourait alors aux services des haruspices, devins, exorcistes, médecins. Il croyait, ainsi que ses sujets, que toute maladie ne pouvait provenir que d’une faute envers les dieux. Un jour, comme il avait besoin d’être rassuré, un prophète lui délivra un message de la part de la grande déesse Ishtar d’Arbèles, celle qui l’avait déjà soutenu au début de son règne, pendant la courte guerre civile : «Assarhaddon, roi des pays, ne crains rien ! Ce vent qui souffle contre toi, ne lui ai-je pas coupé les ailes ? Tes ennemis rouleront sous tes pieds comme des pommes au mois de juin. Je suis la grande reine. Je suis Ishtar d’Arbèles, celle qui renverse tes ennemis devant toi ! T’ai-je jamais adressé un message auquel tu n’as pu faire confiance ? Je suis Ishtar d’Arbèles. J’attendrai tes ennemis et te les livrerai. Moi, Ishtar d’Arbèles, je marcherai devant toi et derrière toi. Ne crains rien ! Si tu es paralysé, je suis malheureuse. Je monte à l’assaut. Reste assis ! De la bouche d’Ishtar-lâ-tashiyat, femme d’Arbèles. »32 Quand des signes néfastes étaient observés par les astrologues, quand survenait une éclipse de lune ou de soleil, Assarhaddon prenait un air malade et tourmenté. De sombres pensées assiégeaient la citadelle de son esprit comme des soldats obstinés. Il choisissait alors un roi substitut qui pendant la période dangereuse prendrait sur lui les présages du ciel et de la terre, et il l’installait sur le trône, sans lui permettre cependant d’exercer le pouvoir. Assarhaddon appelé Prophéties et oracles I. dans le Proche-Orient ancien », K. 4210, traduction de Jésus Asurmendi et alii, Paris, éd. du Cerf, Supplément au Cahier Evangile, n° 88, 1994.

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le «cultivateur », vivait alors en reclus. Mais cent jours après, si les présages menaçaient toujours le roi, pour satisfaire les dieux, le substitut était mis à mort. Ainsi Damqî, fils de l’intendant d’Akkad, prit sur lui la royauté, puis il fut tué, ainsi que sa dame. L’on exposa leurs corps, on les pleura, on offrit un holocauste. Le mal passé, le vrai souverain, Assarhaddon, reprit la direction du pays, le cœur en paix. Le traité de succession Malgré sa mauvaise santé et sa grande anxiété, Assarhaddon se montra bon politique, utilisant tour à tour la force et la diplomatie, bon administrateur. Il chercha la paix à l’intérieur et le statu-quo à l’extérieur de son empire. Ainsi, il passa plusieurs traités avec des princes vassaux, comme le roi de Tyr, Baal, en 676, qui accepta un contrôle assyrien sur le commerce de sa cité, ou le roi d’Elam, Urtaku, en 674. En mai 672, sans doute inspiré par la reine Zakûtu, sa mère, qui exerçait sur lui une grande influence, il convoqua à Kalhu, dans le temple de Nabu, dieu de l’écriture, les grands d’Assyrie et les vassaux. Il s’agissait de leur imposer un serment de fidélité envers son fils cadet Assurbanipal, désigné comme prince héritier d’Assyrie, et son frère favori, Shamash-shum-ukîn, prince héritier de Babylonie. Toujours bouleversé par la fin tragique de son père et la révolte de ses frères, Assarhaddon cherchait à prévenir après sa mort toute intrigue dans la famille royale, toute révolte dans le palais ou l’armée, toute insurrection. Il voulait assurer à ses fils une succession sans trouble et resserrer l’unité de l’empire autour du souverain légitime. Le roi avait fait rédiger un traité de loyauté, qui comportait un préambule, un appel aux témoins divins, les dieux astraux, une adjuration. Il contenait aussi la désignation d’Assurbanipal comme grand prince héritier d’Assyrie, un serment d’allégeance et une longue malédiction cérémonielle envers ceux qui pécheraient contre ce traité. Les clauses de ce traité sont connues par de larges tablettes à quatre co175

lonnes préparées pour les princes vassaux, trouvées à l’état de fragments lors de la fouille du temple de Nabu à Kalhu et gardées aujourd’hui à l’Iraq Museum de Bagdad. Le long texte de ce traité est conservé sur huit exemplaires. En voici un extrait, au nom de Humbaresh, chef de la ville de Nahshimarti : «Traité d’Assarhaddon, roi du monde, roi d’Assyrie, fils de Sennachérib, également roi du monde, roi d’Assyrie, avec Humbaresh, chef de la cité de Nahshimarti, ses fils, ses petits-fils […] Traité qu’Assarhaddon, roi d’Assyrie a conclu avec toi, en présence des grands dieux du ciel et de la terre, en faveur d’Assurbanipal, le grand prince héritier, fils d’Assarhaddon, roi d’Assyrie ton seigneur, qui l’a nommé et désigné comme prince héritier. Quand Assarhaddon, roi d’Assyrie, ira à son destin, tu mettras Assurbanipal, le grand prince héritier sur le trône royal et il exercera royauté et seigneurie de l’Assyrie sur toi. Tu le protégeras dans la campagne et en ville ; tu tomberas et mourras pour lui. Tu parleras avec lui dans la vérité de ton cœur ; donne-lui loyalement de bons conseils et aplanis son chemin sous ses pas. Tu ne le déposeras pas et tu n’assiéras pas quelqu’un de ses frères, plus âgé ou plus jeune, sur le trône d’Assyrie à sa place […] Tu aimeras Assurbanipal, le grand prince héritier, fils d’Assarhaddon, comme toi-même». 33 Les notables d’Assyrie et les vassaux prêtèrent au roi, et aux deux princes héritiers ces serments : les adê, lors d’une cérémonie rituelle qui se déroula en présence des statues divines. Ils s’engagèrent à respecter les clauses du traité et à garder une fidélité absolue à l’égard d’Assurbanipal, leur seigneur, à le servir fidèlement, à le protéger, à l’informer de tout danger, sous peine de connaître un destin fâcheux. Assarhaddon n’oublia pas ses autres fils, auxquels il donna maisons, vergers, équipements, chevaux, troupeaux. Traités et Serments dans le Proche-Orient ancien, présentation de Jacques Briend, Paris, éd. du Cerf, « Supplément au Cahier de l’Evangile », n° 81, pp. 67-83.

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Hélas, ce traité de succession qui désignait Assurbanipal comme prince héritier d’Assyrie et Shamash-shum-ukîn, prince héritier de Babylonie, morcelait l’Empire, jetait les germes de la division et de la guerre civile. Ce n’était pas une bonne chose pour l’Assyrie, comme l’écrivit au roi un haut fonctionnaire : « Le roi monseigneur a formé un mauvais projet. En ceci tu as été faible… » Les événements devaient lui donner raison des années plus tard. La fin d’Assarhaddon La santé d’Assarhaddon s’altéra au début de l'année 670. Selon une chronique néo-babylonienne, il mourut en novembre 669, tandis qu’il se rendait en Égypte où le pharaon Taharqa avait repris le contrôle du pays. Il avait régné douze ans sur l’empire assyrien. Ainsi disparut Assarhaddon, le viril guerrier, qui s’était promené en maître depuis le Levant jusqu’au Couchant, et avait étendu les confins du pays d’Assyrie ; le constructeur du temple d’Assur et du palais de Ninive ; le roi habile, intelligent, attentif aux signes dans le ciel et sur la terre, le sage qui savait écouter.

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Stèle d’Assurbanipal

CHAPITRE VI ASSURBANIPAL LE MAGNIFIQUE Sur le site de Ninive, où je me trouvais, s’élevait le tell de Kuyunjik, haut d’une trentaine de mètres. Je commençai à le gravir, mais il était couvert d’une herbe grasse. Là se trouvaient les ruines de palais et de temples, découvertes par les archéologues au XIXeme siècle. Au nord, s’élevait jadis le palais d’Assurbanipal. Le long règne d’Assurbanipal (669-627 av. J.-C.), héritier de la prestigieuse dynastie de Sargon II, marque l’apogée de l’empire néo-assyrien. Comme un vieux soldat prêt à reprendre du service, le passé s’anime, revit…

I Le roi lettré Assurbanipal avait été nommé prince héritier dès 672 avant J.-C., suite à la disparition de son frère aîné et avait résidé dans le bit rêdûti, la « maison de succession ». Après la mort d’Assarhaddon, la reine-mère, Naqi’a-Zakûtu, craignant une guerre civile, organisa les adê (prestations de serment) envers son petit-fils Assurbanipal et les fit prêter aux princes, aux grands, aux gouverneurs et à tous les citoyens d’Assyrie : «Traité de Zakûtu, reine de Sennachérib, roi d’Assyrie, mère d’Assarhaddon, roi d’Assyrie, avec Shamas-shum-ukîn, son frère et son égal, avec Shamash metu-uballit et le reste de ses frères, avec la descendance royale, avec les grands et les gouverneurs, les courtisans

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et les eunuques, l’entourage royal, avec les exempts et tous ceux qui entrent dans le palais, avec les Assyriens, grands et petits […]. Si, à partir de ce jour, vous entendez une vilaine parole de rébellion et d’insurrection, contre votre seigneur Assurbanipal, roi d’Assyrie, vous viendrez en informer Zakûtu, sa mère et Assurbanipal roi d’Assyrie, votre seigneur ».34 La vieille reine-mère Zakûtu jouait en effet un rôle politique important. Comme Assarhaddon l’avait souhaité, la succession se fit sans heurts. Assurbanipal, associé très jeune par son père à l’exercice du pouvoir et aux tâches administratives, avait appris ce qu’il convenait à un souverain, l’art de gouverner, le cérémonial. Il accéda rapidement au trône à la fin du mois de novembre 669 et fut couronné à Assur. Un prince accompli Comme le roi d’Ur, Shulgi à la fin du IIIeme millénaire avant J.-C., Assurbanipal, doté par les dieux d’un vaste entendement, reçut une éducation poussée. Il se présentait ainsi : «Le dieu Marduk, le sage entre les dieux, m’a donné en présent un vaste entendement et une immense intelligence. Le dieu Nabu, le scribe de l’univers, m’a offert en cadeau les préceptes de la sagesse. Les dieux Ninurta et Nergal ont doté mon corps d’une puissance extraordinaire et d’une force physique sans égale. (…) Je connais les signes omineux du ciel et de la terre. Je peux en discuter dans l’assemblée des savants. »35

Traités et Serments dans le Proche-Orient ancien, présentation de Jacques Briend, Paris, éd. du Cerf, « Supplément au Cahier de l’Evangile », n° 81, pp. 83, 84. 35 Maximilian Streck, Assurbanipal und die letzten assyrischen Könige bis zum Untergange Niniveh’s, Leipzig, J.C. Hinrichs, 1916, p. 252. Cité dans V. Grandpierre, Histoire de la Mésopotamie, éd. Gallimard, 2010, p. 160. 34

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Des inscriptions royales, des Annales, des hymnes, ainsi que de nombreuses lettres donnaient une idée de cette éducation. Ainsi, la correspondance de Nabu-ahhê-erîba, simple scribe devenu astrologue à la cour d’Assarhaddon, indiquait les cours qu’Assurbanipal suivit : écriture, lecture, exorcisme, astrologie, mathématiques. Il apprit à résoudre les laborieux problèmes de la division et de la multiplication. Il écouta aussi les leçons de l’astrologue Balasî, nommé à son service. Assurbanipal se vantait même de savoir lire les précieuses tablettes en sumérien et en akkadien. Il prenait plaisir à déchiffrer « les inscriptions sur les pierres datant d’avant le Déluge ». Son intelligence et sa culture furent louées par certains courtisans comme le chef des scribes Ishtarshoumu-eresh. Dans un autre document, un prisme de fondation aujourd’hui au musée du Louvre, Assurbanipal racontait comment il fut instruit dans les activités sportives, utiles à un prince, qui développaient la force physique, l’adresse et le courage : «J’ai appris à tirer de l’arc, à monter à cheval, à tenir les rênes d’un char. Aucun roi parmi les humains, aucun lion parmi les bêtes sauvages n’a pu grandir devant mon arc. Je connais la pratique du combat et de la bataille, j’ai été instruit (dans l’art) des formations des combats et de la mêlée.»36 Assurbanipal se fit représenter sur l’un des reliefs du palais de Ninive, tirant de l’arc, un calame à la ceinture. Il devint un chasseur émérite, qui du haut de son char ou à pied dominait les lions et l’ensemble des bêtes sauvages comme il dominait ses ennemis. Les chasses d’Assurbanipal, où le roi décoche des flèches, manœuvre l’épieu ou le glaive, combat et vainc le lion, sont demeurées fameuses. Devant un autel, il fait une libation sur le cadavre du roi des animaux. D’habiles artistes ont sculpté 36 Cf. Jeanne-Marie Aynard, Le prisme du Louvre, Paris, H. Champion, 1957, p. 30.

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ces reliefs pour décorer le palais royal. Ils ont su représenter avec une grande sensibilité les lions, mais aussi les chevaux, les chiens, les biches, les sangliers. Pourquoi Assurbanipal n’apparaît-il pas éternellement à cheval ou sur son char, tirant l’arc et chassant le lion, souverain hardi et intrépide ? La bibliothèque d’Assurbanipal La constitution de bibliothèques royales remontait sans doute au XIIIeme siècle. Tukulti-Ninurta Ier (1244-1208 av. J.-C.), lors d’une grande campagne où il défit les Babyloniens ramena à Assur des tablettes, captant les mots millénaires recopiés soigneusement par les scribes. Sennachérib, après la destruction de Babylone en 689, fit venir à Ninive des lettrés. Son fils Assarhaddon, de santé fragile, rassembla dans sa capitale des tablettes portant des traités et rituels. La bibliothèque d’Assurbanipal, un modèle, fut découverte d’abord par le voyageur et fouilleur britannique Henry Layard en 1849, dans le palais sud-ouest de Ninive. En 1853, le chaldéen chrétien Hormuzd Rassam, frère du vice-consul d’Angleterre à Mossoul, intégré dans l’équipe de Layard, trouva d’autres tablettes dans le palais nord, suivi en 1927 par Campbell qui fouillait le temple du dieu Nabu, dieu des scribes et de l’écriture. La bibliothèque d’Assurbanipal comprenait plus de 30 000 tablettes et fragments, souvent cassés, constituant une partie seulement du fond original. Il s’agissait de rituels, incantations, prières, textes astrologiques, présages, listes de mots, lettres, textes théologiques, administratifs, juridiques, littéraires comme l’Épopée de Gilgamesh ou l’Épopée de la Création. Des tablettes pouvaient provenir de bibliothèques privées constituées par des lettrés comme le scribe Nabu-ZuqupKéna de la ville de Kalhu, ou le propre frère du roi, ou encore de bibliothèques des prêtres d’Assur. D’autres tablettes 184

avaient été empruntées, données ou confisquées en Babylonie, peut-être après la révolte du roi Shamash-shum-ukîn contre son frère Assurbanipal et la guerre qui s’ensuivit et dura de 652 à 648. Dans une lettre adressée à un fonctionnaire de Borsippa, ville située au sud de Babylone, le roi Assurbanipal donnait en effet ses instructions pour réunir le plus grand nombre de tablettes : «Recherche toutes les tablettes qui se trouvent dans leurs maisons, (= celles des lettrés) ainsi que toutes les tablettes qui sont placées dans l’Ezida (le temple de Nabu, dieu de l’écriture) : les tablettes des amulettes pour le roi […] En outre, recherchez les tablettes rares, qui sont connues de vous et qui n’existent pas en Assyrie et envoyez-les-moi. J’écris en même temps à l’administrateur et au commissaire pour que personne ne vous refuse des tablettes dans toute maison où vous aurez à intervenir. Et si quelque tablette ou rituel, que moi-même je ne vous aurais pas mentionnés et que vous trouviez sont bons pour le palais, prenez-les et envoyez-les moi ! »37 Assurbanipal constitua donc avec un soin particulier sa vaste bibliothèque. Il fit copier par ses scribes de nombreux textes sur des tablettes d’argile, mais parfois sur des feuilles de papyrus, des planchettes de bois ou d’ivoire recouvertes de cire, supports fragiles qui ont aujourd’hui disparu. Scribe accompli, il contribua à graver les tablettes de la mémoire et à sauvegarder l’héritage culturel de Sumer et d’Akkad. La royale bibliothèque rassemblait le savoir de l’époque et ses différentes branches : astrologie, médecine, astronomie, mathématiques, mais n’avait aucune visée encyclopédique. Elle était à la disposition des devins, exorcistes, médecins, astrologues, scribes et chantres du palais pour les aider à accomplir leurs tâches. 37

Trad. Dominique Charpin, professeur à l’Université de Paris I.

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Ces pieux lettrés devaient assurer la sauvegarde religieuse du roi, de sa famille et de l’État, les préserver des erreurs, des mauvais sorts, des maladies. Il ne s’agissait pas en premier lieu pour eux, pour le roi d’étancher une soif de connaissance. Les Mésopotamiens ne cherchaient pas comme les Grecs plus tard à « connaître » la terre où ils vivaient, à découvrir ses lois physiques, à élaborer rationnellement les données de leurs découvertes, mais ils embrassaient du regard le vaste monde, découvraient ses mystères, contemplaient ses secrets, le révéraient. Ils attachaient plus de prix à l’observation des faits qu’à leur généralisation, à la sagesse, une sagesse pratique, qu’à la science abstraite. Un copiste déclarait dans un colophon, court texte placé à la fin d’une tablette : « J’ai écrit sur des tablettes- vérifié et collationné la sagesse d’Ea (dieu associé à la magie et à la sagesse, patron des exorcistes), la science de l’incantateur, le secret des sages, qui convient parfaitement pour apaiser le cœur des grands dieux d’après des exemplaires d’Assyrie et de Babylonie- et je les ai déposées dans la bibliothèque de l’Ezida, temple du dieu Nabu, mon seigneur, à l’intérieur de Ninive. »38 Les vestiges de cette bibliothèque sont aujourd’hui conservés au British Museum. Durant son long règne, Assurbanipal acheva la restauration des sanctuaires de Babylone commencée par son père. Une stèle (British Museum), datée de l’an 660, le montre portant le couffin rempli de briques. L’inscription en akkadien rapporte la reconstruction de l’Esagil, le temple de Marduk à Babylone. Assurbanipal poursuivit les travaux d’embellissement de Ninive. Sur le tell de Kuyunjik, il fit restaurer à partir de 646 l’immense palais nord et décorer les murs de bas-reliefs sculptés, comme les célèbres chasses au lion. Il répara ou édifia des temples en Assyrie, à Assur, à Arbèles, et aussi à Harran. 38

Ibid.

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II Guerres et conquêtes d’Assurbanipal Conquête éphémère de l’Égypte La guerre attirait moins Assurbanipal que d’autres rois. Même si dans ses Annales, écrites à la première personne, il en revendiquait la direction effective, il laissa souvent à ses généraux le soin conduire ses armées. Ses exploits sont aussi connus grâce au prisme de fondation F, gravé d’inscriptions, (document enfoui sous les murs du palais pour en assurer la protection) qui fut exhumé par les fouilleurs de Ninive et se trouve aujourd’hui au Musée du Louvre. Ce prisme relate les principales campagnes du règne contre l’Égypte, Tyr, l’Elam, et évoque la construction du palais de Ninive. Assurbanipal poursuivit la politique de son père au sujet de l’Égypte. En 667, son turtânu (général) partit affronter le pharaon Taharqa (690-664 av. J.-C.), qui fut vaincu à Karbanati et s’enfuit en Haute Égypte. Les princes vassaux du delta, ralliés à Taharqa, envisagèrent alors de se révolter, mais les chefs de la conjuration furent pris, exécutés ou déportés en Assyrie. Taharqa mourut en exil ; son neveu et successeur Tanutamon (664-657) revint à Thèbes, et alla assiéger la garnison assyrienne de Memphis en 664. Assurbanipal envoya aussitôt une armée en Égypte, qui reprit Memphis, marcha sur Thèbes la magnifique, l’enleva et la pilla. Les Assyriens saisirent « l’argent, l’or, les pierres précieuses, tous les biens et les trésors imaginables…vêtements brodés, (vêtements) de lin » ; ils emportèrent deux obélisques d’électrum de 37 tonnes chacun, et ramenèrent ce butin triomphalement à Ninive. Quelques années après ces deux campagnes, en 653, Assurbanipal se retira d’Égypte, trop éloignée à administrer. Cependant, les rois de ce pays restèrent liés à l’Assyrie et lui prêtèrent un serment de loyauté. 187

Prise de Tyr, en Phénicie. Assurbanipal lança en 662, une troisième campagne contre Tyr, en Phénicie, qu’il dirigea personnellement. Le roi Ba’al s’était révolté dans sa ville bâtie sur une île et réputée imprenable. Les Assyriens l’investirent et obligèrent le roi à capituler : «Lors de ma troisième campagne, je marchai contre Ba’al de Tyr, ville au milieu de la mer. Ce roi n’avait pas observé le commandement de ma puissance royale, et n’avait pas obéi à mes paroles. Je dressai des fortifications contre lui et coupai par terre et par mer ses voies de communication. J’opprimai ses peuples et je leur rendis la vie misérable. Je les soumis à mon joug. »39 Assurbanipal qui tenait à garder son vassal phénicien, fit preuve d’une certaine clémence envers le roi de Tyr. Histoire d’une tête Assurbanipal lança une campagne au sud-est, contre l’Elam, puissant royaume situé dans l’actuel Khûzistân, l’ennemi de longue date. Déjà en 664, le roi élamite Urtaku avait lancé un raid sur le nord de la Babylonie. Puis une révolution de palais détrôna Urtaku et porta au pouvoir Teumman, un rival de la dynastie régnante. Les princes de la famille d’Urtaku se réfugièrent à Ninive. Teumman demanda à Assurbanipal leur extradition, sans succès et entra alors en guerre contre les Assyriens, aidé par Bêl-iqîsha, chef de la tribu araméenne du Gambulu. Lors de la bataille de Till-Tuba (653 av. J.-C.), qui se déroula sur les rives de la rivière Ulaï, au sud-ouest de l’Elam, Teumman, vêtu d’un riche vêtement, fut blessé par une flèche et tomba de son char. Son fils et lui furent exécutés.

39 Extr. des Annales d’Assurbanipal, dans S. Moscati, L’épopée des Phéniciens, Fayard, Paris, 1971, pp. 45-46.

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Cette dernière campagne et cette victoire sur l’Elam eurent un grand retentissement en Assyrie. Elles sont connues par plusieurs inscriptions royales, tablettes, et par les splendides bas-reliefs comportant des légendes et décorant le palais nord à Ninive. Aujourd’hui au musée du Louvre, l’un de ces bas-reliefs montre Assurbanipal debout sur son char, lors de cette campagne, dirigeant les opérations, mais en réalité il n’assista pas à la bataille, lancée pourtant à son initiative. La tête coupée de Teumman, roi du pays d’Elam, fut ramenée à toute allure par un courrier et exhibée à Ninive comme symbole de bonnes nouvelles, comme trophée. Aux abords de la grand’ porte de Ninive, Assurbanipal fit suspendre la tête de Teumman au cou de Dunânu, l’un de ses grands, afin de montrer la force d’Assur et d’Ishtar ses seigneurs, à tout le monde. Puis il entra triomphalement à Ninive et défila dans les rues, devant les populations joyeusement assemblées. Des musiciens exécutaient de la musique On retrouvera la tête du roi d’Elam sur un célèbre basrelief, 40 provenant du palais nord de Ninive (British Museum). Par une chaude journée, dans un jardin odorant, planté de palmiers et de conifères, Assurbanipal, à demi couché sur un lit de repos, reprend contact avec la nature. En compagnie de la reine Assur-Shourrat, assise sur un haut siège, il se délasse sous une treille et boit dans une coupe en métal pour fêter triomphalement sa victoire sur Teumman, le méchant ennemi dont la tête est accrochée aux branches d’un arbre. Le roi juste et bon, instrument de la justice divine, estime que les forces du mal ont été vaincues ; l’ordre cosmique rétabli, un renouveau s’annonce comme un banquet, comme un concert estival. Des serviteurs apportent des plats et des musiciens jouent de leurs harpes et autres instruments pour célébrer la réussite de leur souverain. 40

Le banquet sous la treille.

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Un fils d’Urtaku, l’ancien roi élamite, fut nommé et installé sur le trône d’Elam. Une cruelle guerre civile Le frère d’Assurbanipal, Shamas-shum-ukîn avait dû attendre un an avant de monter sur le trône de Babylone, il n’avait été couronné roi qu’au début de l’an 668. En mai, les statues des dieux emmenées en Assyrie par Sennachérib et réduites à l’impuissance, dont celle de Marduk, retrouvèrent enfin leurs temples. L’on put célébrer la fête du Nouvel An qui restaurait le rapport des hommes aux dieux et rétablissait l’équilibre du monde. Shamash-shum-ukîn régna seize ans sur Babylone, mais il ne jouissait pas d’une grande puissance diplomatique ou militaire, et son influence restait surtout restreinte à la partie septentrionale de la Babylonie. Il tenta peu à peu de se soustraire à la tutelle de son frère Assurbanipal qui intervenait dans ses affaires intérieures. Il se rapprocha des partis hostiles à l’Assyrie, Elamites, Arabes du désert syrien, Chaldéens du pays de la mer, tribus araméennes, villes du centre et du nord de la Babylonie. La rébellion se prépara. Assurbanipal, qui disposait d’un service bien développé d’agents de renseignement en fut informé et envoya une lettre aux Babyloniens, les mettant en garde contre cette rébellion : «Paroles du roi (Assurbanipal) aux habitants de Babylone : « Je vais bien. Puisse tout aller bien pour vous. J’ai entendu parler de tous les propos creux que mon ‘non-frère’ (=Shamash-shum-ukîn) vous a tenus ; tout ce qu’il vous a dit, je l’ai appris. Ce n’est que du vent ! Ne le croyez pas ! » 41 Le roi continuait son discours, jurant par les grands dieux d’Assyrie et de Babylonie, Assur et Marduk, qu’il n’avait ja41

Cf. Francis Joannès, professeur à l’Université Paris VIII.

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mais médité dans son cœur de funestes intentions, et ne les avait pas proférées. Son frère ne cherchait qu’une chose, dire des tromperies et corrompre le renom des Babyloniens. La guerre civile éclata en 651. En juillet-août 650, après diverses opérations, les Assyriens mirent le siège devant Babylone. Shamash-shum-ukîn demeura enfermé avec ses partisans dans la ville où sévissaient famine et détresse. Dès la fin de l’année 649, les Assyriens parvinrent à reconquérir la région du sud de la Babylonie. D’après une tablette retrouvée à Ninive et conservée au British Museum, les tribus chaldéennes des abords du Golfe, qui avaient d’abord soutenu Shamash-shum-ukîn rejoignirent Assurbanipal, et jurèrent d’être ses sujets fidèles : « Serment … par tous (les dieux d’Assyrie et de Babylonie) et (tous) les grands dieux du ciel et de la terre … … qu’à partir de ce jour, (aussi longtemps que nous vivrons, nous serons les sujets d’Assurbanipal, roi d’Assyrie), qu’Assurbanipal, roi d’Assyrie, (sera notre roi et notre seigneur et que nous serons totalement dévoués) à Assurbanipal, roi d’Assyrie, notre seigneur. Nous ne dissimulerons ni ne cacherons (tout message) ou messager que Shamash-shum-ukîn, roi de Babylone, aura envoyé ou fait […], ou qui nous viendra des fils de Shamash-shum-ukîn ou de l’ennemi d’Assurbanipal, roi d’Assyrie, et nous l’enverrons à Assurbanipal, roi d’Assyrie, notre seigneur.[…] Les crimes que nous avons commis à cause de Shamash-shum-ukîn contre Assurbanipal, roi d’Assyrie, notre seigneur, ont été pardonnés par Assurbanipal, roi d’Assyrie, notre seigneur. »42 Babylone tomba en 648, après un long et terrible siège. Shamash-shum-ukîn disparut dans un incendie. Sa mort donna naissance à la légende de Sardanapale, ce monarque faible et débauché qui se serait suicidé, évoquée par les Grecs, Ctésias, Diodore de Sicile. L’on songe au célèbre tableau du peintre Eugène Delacroix, au Louvre, d’une grande 42 Cf. Traités et Serments dans le Proche-Orient Ancien, supplément au Cahier Evangile n° 81, éd. du Cerf, pp. 85-86.

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intensité dramatique, où le roi est mollement allongé sur un lit de pourpre, couleur qui préfigure les flammes, au milieu de ses courtisanes et de ses richesses. Les partisans de Shamash-shum-ukîn furent emmenés en Assyrie, exécutés dans le temple où Sennachérib avait été assassiné. Les Babyloniens durent prêter un serment d’allégeance à Assurbanipal et un vice-roi, Kandalânu, fut installé sur le trône de Babylone. Destruction de Suse, capitale de l’Elam Assurbanipal, lors de grandes campagnes, s’employa à châtier les alliés arabes et élamites de Shamash-shum-ukîn qui avait soutenu la rébellion babylonienne. Le dernier roi de Suse, Oummanaldash perdit la bataille contre les Assyriens, abandonna son trône et s’enfuit, nu, vers la montagne. Ensuite, sa famille et ses grands furent pris et conduits en captivité. Les troupes du général assyrien Bêl-Ibni pénétrèrent dans Suse, à l’automne 646, la mirent à sac. Un scribe rédigea un long récit de ces événements, gravé sur le prisme de fondation F d’Assurbanipal, rédigé à la première personne. Assourbanipal qui n’avait pas dirigé personnellement la bataille, pouvait déclarer, selon les conventions annalistiques : « J’entrai dans les palais, j’y habitai dans les réjouissances ». Le roi mit la main sur « les richesses de Sumer, d’Akkad et de Karanduniash (la Babylonie) que les rois d’Elam antérieurs avaient maintes fois pillées et emportées en butin ». Notamment sur la statue de la déesse Nanaya, ravie au XIIeme siècle et demeurée en Elam, qui fut reconduite dans le temple de l’Eanna à Uruk. Le récit du roi offert par le prisme d’argile continue : « J’ai détruit la tour à étages du temple de Suse, qui était bâtie de briques émaillées ; j’ai brisé ses pinacles en forme de cornes faites en bronze brillant... Trente deux statues de divers rois, statues d’or, 192

d’argent, de bronze et de marbre, ainsi que les colosses, gardiens du temple, les taureaux qui étaient aux portes, j’emmenai tout. J’ai ruiné totalement les sanctuaires d’Elam, dispersant leurs divinités aux quatre vents. Leurs bosquets sacrés aux limites infranchissables où nul étranger n’entra jamais, mes soldats y pénétrèrent, en connurent les mystères, et les incendièrent. Les sépulcres de leurs rois, des plus anciens aux plus récents, qui n’avaient pas craint Assur et Ishtar mes seigneurs, et qui avaient bafoué les rois mes pères, je les ai détruits, dévastés, et les ai exposés au soleil. J’ai emporté leurs os en Assyrie, laissant à jamais leurs ombres sans repos, privées des offrandes funéraires de nourriture et d’eau ».43 Durant plus d’un mois, avec allégresse, les soldats assyriens ramassèrent à Suse un énorme butin, armes et insignes royaux, meubles, vaisselle, parures, chevaux et mulets. Ils répandirent le sel et l’ivraie dans la campagne. Selon l’ordre des choses dans la vision du Proche-Orient ancien, la Susiane razziée, le cycle royal de Suse était arrivé à son terme, la ville était en grande partie anéantie. Elle allait cependant renaître un jour de ses cendres. Le roi achéménide Darius Ier (521-486 av. J.-C.) la choisirait pour capitale et elle brillerait de tous ses feux. Le plaisir de vivre Pour les Mésopotamiens, le temps linéaire était subordonné au temps cyclique. Ils interpellaient volontiers le passé, peuplé de héros, comme Gilgamesh, l’ancien et fameux roi d’Uruk 44 et de souverains aux exploits magnifiques, pour expliquer le présent. Gilgamesh avait été invité par la Tavernière Siduri, croisée au bord de la mer, à abandonner sa vaine quête de l’immortalité, à se remplir la panse, à faire

Cf. G. Contenau, La vie quotidienne à Babylone et en Assyrie, Hachette, 1950, p. 162. 44 Gilgamesh régna vers 2650 av. J.-C. 43

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quotidiennement la fête, à serrer sa femme et ses enfants contre lui, à mener une existence pleine et riche. Au moment de la dernière campagne contre l’Elam, un prêtre entendit dans un rêve Assurbanipal dialoguer avec la déesse Ishtar d’Arbèles. Celle-ci lui dit qu’elle veillait au salut de l’Empire et lui conseilla de profiter de la vie, « de manger son pain, de boire sa bière, et d’être heureux, et de faire le bonheur de son peuple, parce que de ses lèvres tombe la bonne parole et parce qu’il rassasie leur ventre et leurs oreilles. » Assurbanipal avait sans doute pris plaisir à lire l’Épopée de Gilgamesh, ce grand classique qu’il avait fait ranger par ses scribes, avec d’autres textes littéraires, dans sa bibliothèque. Les joyeux conseils d’Ishtar qui lui enseignait un art du bonheur, lui rappelaient-ils la leçon pleine de sagesse de la Tavernière Siduri ? Il savait que depuis le IIIeme millénaire en Mésopotamie, le devoir des rois, bergers de leurs peuples, était d’améliorer leurs conditions de vie, d’accroître la prospérité du pays et il s’y employait. Une fin de vie peu connue La fin de la vie d’Assurbanipal est peu connue, car les inscriptions qui nous sont parvenues s’arrêtent en 639. Depuis 653, le roi faisait de fréquents séjours à Arbèles. Il avait une longue expérience du « monde », prosterné à ses pieds, et du pouvoir, mais il vieillissait, et il était parfois angoissé. Pensait-il à la précarité de la condition des hommes et des princes, fussent-ils tout puissants, à leur fin inéluctable, à la vanité des choses, à l’au-delà sans grande espérance ? Dans une prière, il rappelait au dieu sa bonne conduite envers les autres : « J’ai fait du bien à tout le monde, aux dieux et aux hommes, aux morts comme aux vivants ! » Peut-être, au bout d’un long règne d’une quarantaine d’années, laissa-t-il en 630 le pouvoir à son fils Assur-etelilâni. Il mourut vers 627.

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Assurbanipal, grand stratège, laissait un empire immense. L’arc puissant que le dieu Assur lui avait remis, il l’avait tendu de la mer haute, la Méditerranée, à la mer basse, le Golfe et son empire englobait désormais la Mésopotamie, la Syrie, une partie de l’Égypte et de l’Anatolie, l’Elam. Mais il était affaibli. Les Babyloniens demeuraient pleins de haine après la longue guerre avec Shamash-shum-ukîn.

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Babylone, porte d’Ishtar

CHAPITRE VII LE RÈGNE FLAMBOYANT DE NABUCHODONOSOR II Comment sauter une nouvelle fois hors de ce temps et plonger dans le soleil et l’air flamboyant de l’Empire babylonien, au VIeme siècle avant notre ère ? Nabopolassar, roi du Pays de la Mer, la région du sud de l’actuel Irak, avait été institué par les Assyriens gouverneur de la Babylonie. Après la mort d’Assurbanipal en 627, une guerre de succession secoua l’Empire. L’un de ses fils, Sinshar-ishkun, établi en Babylonie, entra en conflit avec son demi-frère Assur-etel-ilâni et s’allia à Nabopolassar. Ce dernier profita de ces troubles dynastiques entre les héritiers pour se faire couronner roi à Babylone en 626. Après la mort d’Assur-etel-ilâni (623), il se tourna contre son ancien allié. Au nord-est de l’Assyrie, des adversaires terribles, les Mèdes, développaient leur puissance. En 612, les Mèdes et les Babyloniens unis, prirent Ninive et jetèrent bas l’Empire néo-assyrien. Les Mèdes se retirèrent. Les Babyloniens, ayant ruiné l’Assyrie, ne s’y installèrent pas. Nabopolassar fonda à Babylone la dynastie dite chaldéenne que son fils Nabuchodonosor allait illustrer brillamment. « Je suis Nabuchodonosor, roi de Babylone, l’humble, le soumis, le pieux, le dévot du Seigneur des seigneurs, le pourvoyeur de l’Esagil et de l’Ezida, (temples de Babylone et de Borsippa), l’héritier légitime de Nabopolassar, roi de Babylone. »45 45

Brique retrouvée dans les ruines de Larsa.

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Ainsi se présente sur une brique inscrite, Nabu-KudurriUsur (ô Nabu, protège le dauphin), connu dans la Bible sous le nom de Nabuchodonosor (605-562 av. J.-C.). Associé au trône par son père, il commanda les armées babyloniennes lors de la destruction de Ninive. Il régna quarante-trois ans sur la Babylonie, et à la fin de sa vie tint en main presque tout le Proche-Orient occidental. Nabuchodonosor fut un fier conquérant, un homme d’État éclairé, un grand bâtisseur. Le dieu Marduk ne lui avait-il pas donné un nom éternel, comme il le déclarait sur un cylindre ?

I Le conquérant Pendant la première partie de son règne, Nabuchodonosor mena plusieurs expéditions militaires. Il était désireux d’étendre la puissance de Babylone (Akkad) sur le ProcheOrient. L’Égypte et la côte syro-palestinienne Une chronique néo-babylonienne raconte comment il prit la tête de ses troupes et vainquit en 605, en tant que commandant en chef, le pharaon d’Égypte (Misir), Néchao qui avait établi une garnison à Karkémish sur la rive de l’Euphrate : L’armée de Misir battit en retraite, mais fut exterminée. Alors qu’il guerroyait à l’Ouest, en 605 Nabuchodonosor apprit la mort de Nabopolassar. Il arrangea ses affaires en Égypte, traversa le désert, rejoignit rapidement Babylone où il prit la succession de son père et se fit couronner. Les années suivantes, il mena plusieurs campagnes en Syrie-Palestine, prit Ascalon en 604, Sidon en 602, vassalisa le royaume de Juda qui dut lui payer tribut.

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En 598, le roi Jojakîm de Juda, repoussant la suzeraineté babylonienne, refusa de payer ce tribut, mais il mourut, laissant le pouvoir à son fils Jojakîn. Nabuchodonosor monta contre Jérusalem, la prit en mars 597, et déporta à Babylone Jojakîn, les dignitaires de sa cour, les hommes vaillants et les artisans : « En ce temps-là, les serviteurs de Nebucadnetsar, roi de Babylone, montèrent contre Jérusalem et la ville fut assiégée. Nebucadnetsar, roi de Babylone, arriva devant la ville pendant que ses serviteurs l’assiégeaient. Alors Jojakîn, roi de Juda, se rendit auprès du roi de Babylone, avec sa mère, ses serviteurs, ses chefs et ses eunuques. Et le roi de Babylone le fit prisonnier, la huitième année de son règne. Il tira de là tous les trésors de la maison de l’Éternel et les trésors de la maison du roi ; et il brisa tous les ustensiles d’or que Salomon, roi d’Israël, avait faits dans le temple de l’Éternel, comme l’Éternel l’avait prononcé. Il emmena en captivité tout Jérusalem, tous les chefs et tous les hommes vaillants, au nombre de dix mille exilés, avec tous les charpentiers et les serruriers : il ne resta que le peuple pauvre du pays ». 46 Le prêtre Ezéchiel fut parmi les captifs, il passa par Babylone et résida dans les environs de Nippur, continuant à prophétiser. Il y côtoya des Phéniciens déportés, des Syriens, des Philistins, des Arabes qui cultivaient les terres fertiles, et même des Égyptiens. Ceux-ci vivaient normalement et s’administraient eux-mêmes. Il n’y avait aucune xénophobie chez les Babyloniens. Ils commandaient, dirigeaient l’Empire, mais laissaient les peuples soumis vivre librement selon leurs mœurs et coutumes. Nabuchodonosor revint en 588 assiéger Tyr, importante cité commerçante qui s’étaient révoltée et Jérusalem où régnait Sédécias, l’oncle de Jojakîn. Ce dernier avait adhéré La sainte Bible, II, Rois, 24, 10-15, trad. Louis Segond, Société biblique française, Paris, 1966.

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avec les Ammonéens établis en Jordanie et les Phéniciens à une coalition dirigée par les Égyptiens contre Babylone. Tyr résista treize ans, mais Jérusalem tomba en août 587 et fut mise à sac, incendiée, démantelée. Le roi Sédécias qui avait tenté de fuir, finit par être capturé. Aveuglé, lié avec des chaînes d’airain, il arriva en Babylonie, suivi par une partie de sa population. La campagne contre le royaume de Juda, qui fut dompté et intégré dans l’Empire, ne revêtit pas aux yeux des Babyloniens l’importance qu’elle avait dans la Bible (qui donne du roi Nabuchodonosor une image terrible). Ils mentionnèrent dans leur chronique la chute de Jérusalem (Yahudu) en 597 en quelques lignes brèves. Ainsi, Nabuchodonosor prit peu à peu possession de la Syrie du nord et de la Palestine, repoussant l’influence des Égyptiens qui les tenaient sous leur joug. Nabuchodonosor au Wadi Brissa, Liban Le Liban s’était révolté ou avait subi l’invasion étrangère d’un rebelle. Nabuchodonosor vint y rétablir l’ordre avec une armée, il élimina ses ennemis, ramena les habitants qui avaient fui. Il fit graver des inscriptions sur le Wadi Brissa, situé sur le versant oriental du mont Liban. Il y évoquait sa campagne et ses travaux, comme le tracé d’une route, la coupe et le transport des pins vers la plaine, puis l’acheminement à Babylone : « Vers le Liban, vers … Je combattis… Ses ennemis en haut et en bas Je les dispersai et dans le pays… Ses habitants dispersés… Je [les] rétablis à leur place. Ce qu’aucun roi antérieur n’avait fait, [je l’accomplis] : Je coupai des montagnes élevées, Je [fendis] les pierres des montagnes 202

J’ouvris des chemins Je traçai une route pour [le transport] des pins En présence du roi Marduk, Des pins solides, élevés, gros, Dont la valeur est précieuse Dont le poids est considérable, Production du Liban… .. Des hommes dans le Liban… J’établis tranquillement … [et je n’ai pas permis que] quelqu’un ne [les incommode]. »47 Des reliefs rupestres représentèrent Nabuchodonosor portant la couronne conique, la robe frangée et coupant un cèdre ou un pin, ou encore terrassant un lion. Il avait pacifié le Proche-Orient occidental qui redevint prospère. Son empire s’étendait maintenant de la haute Mésopotamie au nord, au Zagros, à l’est et à la Syrie et à la Palestine.

II Nabuchodonosor, l’infatigable bâtisseur La restauration des temples Son pouvoir affermi, Nabuchodonosor eut le loisir de s’occuper de l’embellissement de son Empire grâce au butin des villes conquises et à une main-d’œuvre issue des campagnes militaires. Il nous a laissé des inscriptions qui concernent son activité d’infatigable bâtisseur, dévoué aux dieux, comme celle-ci trouvée sur un cylindre : « Nabuchodonosor, roi de Babylone, le sage, le compétent, le bienaimé de Marduk ; l’administrateur de Sumer et d’Akkad, le consolidateur des fondements du pays ; le prince attentif que Marduk, 47 Chroniques d’Assyrie et de Babylonie, Les Inscriptions du Wadi Brissa, trad. H. Pognon, éd. Paleo, 2011, BEHE, fasc. 71, Neuvième colonne, p. 69.

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le grand seigneur, avait appelé à son office pour veiller à l’entretien des villes (cultuelles) et à la restauration des sanctuaires ».48 Pour conditionner l’ordre général du monde, ce roi fidèle et pieux, aux oreilles toujours attentives à l’ordre des dieux, accomplit son devoir. Il reconstruisit, dans le respect du passé et de la tradition et décora splendidement les sanctuaires parfois délabrés de Babylonie, à Akkad, Sippar au nord, à Borsippa, Kish, Kutha au centre, à Larsa, à Uruk et Ur au sud. Il leur donna des richesses, pourvut à leurs besoins, assura les offrandes. Unités économiques, ces temples étaient d’importants centres de ressources agricoles. À Babylone, Bâbili, la « porte du dieu », la ville sainte, qui ouvrait sur la vocation spirituelle de l’homme avec ses nombreux temples consacrés aux grands dieux, Nabuchodonosor restaura une dizaine de sanctuaires, comme celui de Nabu, dieu de l’écriture, qu’il décora avec de l’or rouge. Il érigea la chapelle de Marduk, le grand dieu de Babylone, et fit aménager magnifiquement, au centre de la ville, près du fleuve, le grand temple, « temple au sommet élevé », qui lui était dédié, l’Esagil. Il recouvrit ses murs d’or brillant comme le soleil, d’argent, de pierres précieuses, et orna son mobilier cultuel avec de l’or fin. Il émailla la barque Housikoua, moyen de transport de Marduk lors de la cérémonie du Nouvel an, pour rejoindre l’Akitu, son temple hors les murs de la ville : « Je recouvris d’émail la surface de la barque de [Marduk]…sa barque brillante, tant à l’avant qu’à l’arrière, ses ustensiles, ses… et ses colosses ; je les ornai avec des pierres et du { ?]. Je la fis briller dans les flots de l’Euphrate comme les étoiles du ciel ; pour provoquer l’admiration des légions des hommes, je la remplis de beauté. À l’équinoxe du commencement de l’année, je plaçai sur elle Marduk le seigneur des dieux et, à la fête des productions, à son akit suprême, je promenai ce dieu en grande pompe sur la barque… »49 48

Barthel Hrouda, L’Orient ancien, Paris, France Loisirs, p. 312.

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La célèbre tour Plus au nord de l’Esagil, s’élevait au milieu de sa propre enceinte, la ziggurat, tour à étages couronnée d’un temple haut émaillé de bleu. Appelée Etémenanki « maison du fondement du ciel et de la terre », elle mettait en relation le monde terrestre et la sphère céleste. Elle avait été édifiée par Hammurabi, reconstruite par Nabopolassar. Nabuchodonosor la termina, construisit son sommet : « Quant à l’Etémenanki, la tour à étages de Babylone, Nabopolassar avait fixé ses fondations, et il l’avait élevée de 30 coudées, mais il n’avait pas construit son sommet. Je me mis au travail. De grands cèdres de la magnifique forêt du Liban, avec des mains pures, je les coupai et je les employai à la construction. Les hautes portes de l’enceinte de l’Etémenanki, je les fis resplendissantes comme le jour et je les mis en place »50 Au sommet de l’Etémenanki, dans la salle du dieu Marduk, meublée d’un lit, d’une table et d’un trône, s’accomplissait le « mariage sacré » avec une femme du pays, selon l’historien grec Hérodote. La splendeur de Babylone, vaste métropole Nabuchodonosor reconstruisit toutes les villes babyloniennes. Il avait de solides ambitions artistiques et rêvait de grandioses réalisations architecturales pour sa capitale, Babylone qui s’étendait de part et d’autre de l’Euphrate. Il en referait une cité splendide, une grande métropole, et la couvrirait de somptueux monuments : « Parmi tous les lieux habités, je ne rendrai aucune ville plus fameuse que toi, Babylone ! »

Chroniques d’Assyrie et de Babylonie, Les Inscriptions du Wadi Brissa, trad. H. Pognon, éd. Paleo, 2011, BEHE, fasc. 71, Troisième colonne, p.61. 50 Inscription de Nabuchodonosor. 49

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Déjà son prédécesseur, Nabuchodonosor Ier (1126-1105 av. J.-C.) avait exalté Babylone, l’élevant au rang de capitale religieuse, cosmique et instaurant le dieu Marduk, à la tête du panthéon babylonien. Pour entreprendre cette œuvre d’embellissement de la ville, Nabuchodonosor sollicita l’avis des dieux, consulta les devins et les oracles. Comme les rois mésopotamiens, dont c’était l’une des activités principales, il élargit les canaux de Babylone, leur bâtit des lits de bitume et de briques cuites. Il renforça son système défensif en réparant et agrandissant la ceinture des murailles, si larges que deux chars pouvaient y passer. Huit portes s’ouvraient dans la double enceinte, dédiées à une divinité, la plus célèbre, au nord, étant la porte d’Ishtar, déesse de l’amour et de la guerre. Cette porte, symbole de la magnificence de Babylone, fut reconstruite plusieurs fois au cours du règne, comme le rapporte une inscription de Nabuchodonosor, gravée sur une grande plaque de pierre : « Je la revêtis de briques émaillées en bleu sur lesquelles étaient représentées des taureaux sauvages et des dragons. Je fis poser dessus pour la couvrir des poutres de cèdre. Je plaçai dans ses portes des vantaux de cèdre recouverts de cuivre, des gonds et leurs supports en bronze. De fiers taureaux de bronze et des dragons en fureur, je disposai à l’entrée. J’embellis cette porte afin de faire l’admiration de tous les peuples. » La porte d’Ishtar s’élevait à 25 ou 30 mètres de hauteur et symbolisait la fusion des quatre éléments, terre, eau, l’air et le feu. Elle avait deux portails flanqués de 4 tours, des murs recouverts de briques à glaçure d’un bleu profond ornées en alternance de 9 rangées de taureaux aux corps ocres, aux pelages couleur ciel, aux grands yeux songeurs, (animaux associés au dieu de l’orage, Adad) et de dragons-serpents gris bleutés à l’apparence fantastique (symboles de Marduk). Toutes ces bêtes émanaient en chatoyant du fond glauque de la porte. Fallait-il voir en elles l’âme et la mémoire de la cité ? 206

En haut, une frise de palmettes blanches à cœur jaune terminait le décor. Une route enserrée, la voie sacrée51, bordée de hautes murailles, recouverte de blocs de pierre rose appelée brèche, sur lesquelles Nabuchodonosor avait laissé son nom estampillé, passait sous la porte d’Ishtar et menait au cœur religieux de la ville, au temple de Marduk, l’Etémenanki, qu’elle contournait pour aboutir au pont sur l’Euphrate. Large de 22 mètres, cette artère maîtresse servait à la procession triomphale du grand seigneur Marduk sur son char, suivi du roi et d’un cortège de prêtres, lors de la fête du Nouvel An, au début du printemps, qui célébrait le renouveau de la nature et assurait la prospérité de Babylone. Elle était somptueusement bordée sur environ 180 mètres de panneaux de briques en relief, portant chacun 60 lions à la crinière fauve, la gueule ouverte, montrant les dents, la queue fouettant l’air. Ces lions passaient entre des rosettes et des motifs géométriques alternés et décoraient le haut et le bas des murs. Ils semblaient accompagner la procession et laissaient éclater en une symphonie de couleurs sur un fond bleu lapis-lazuli, leurs notes d’or fauve retentissantes, de rouge mâle et de blanc épanoui. Noblesse et prestige, ces animaux avaient un rôle de protection, pour effrayer l’ennemi. « Le palais de l’émerveillement du peuple » Si Marduk résidait dans l’Esagil, le roi habitait un luxueux palais. Il reconstruisit d’abord le palais de son père Nabopolassar, situé sur la rive gauche de l’Euphrate. Bâti en briques crues, il avait eu ses fondations attaquées par les crues du fleuve. Puis Nabuchodonosor édifia au sud, avec des briques et du bitume, du cèdre, du pin et du cyprès, sa propre résidence royale, aux murailles ornées selon la tradition sumérienne de panneaux formant saillies et creux où se jouaient l’ombre et 51

La Voie processionnelle.

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la lumière. Il fit entourer le palais d’un grand mur et surmonter son sommet d’une frise de lapis-lazuli. Au centre du palais qui comptait plus de 200 pièces et était ordonné autour de cinq cours, se tenait la salle du trône, de 50 mètres de large, sobrement décorée de briques émaillées bleues et jaunes représentant « l’arbre de vie » : troncs d’arbres aux branches recourbées, comme des colonnes coiffées de chapiteaux à volutes que surmontaient des palmettes inversées. Au dessous courait une frise de lions passant sous les arbres, la queue relevée. Pour Nabuchodonosor, c’était « le siège de son royaume, le point d’assemblage de toute l’humanité, le séjour de la joie et de l’allégresse ». Siège de la vie politique et économique, de là émanaient les commandements royaux. Les peuples venaient y verser leur tribut. Le souverain édifia au nord, pendant la seconde moitié de son règne, un palais, « le grand palais », qui contenait un musée et une bibliothèque royale. II éleva enfin « le mur des Mèdes », entre le Tigre et l’Euphrate, au nord de Sippar, pour renforcer les défenses de Babylone. Un millénaire et demi plus tôt, Shulgi, roi de la Troisième Dynastie d’Ur, avait construit un mur dans cette région pour contenir les Amorrites : « Depuis la rive du Tigre jusqu’à la rive de l’Euphrate, j’ai fait faire une levée de terre de [4] Kachbou qaqqar de longueur. (J’ai entouré le pays avec) des eaux abondantes comme la grandeur de la mer à (une distance de) 20 Kachbou qaqqar…Pour que dans (les flots ce talus ne soit pas emporté, j’ai élevé) une jetée de terre… j’ai construit son mur de soutien avec du bitume et de la brique… »52 Les jardins suspendus de Babylone « J’ai passé mon enfance dans les jardins suspendus de Babylone ,» soupirait l’écrivain français Blaise Cendrars Chroniques d’Assyrie et de Babylonie, Les Inscriptions du Wadi Brissa, trad. H. Pognon, éd. Paleo, 2011, BEHE, fasc. 71, Sixième colonne, p. 65.

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(1887-1961).Ces jardins fabuleux firent rêver bien des générations de jeunes gens par le monde. Nabuchodonosor aurait fait élever pour son épouse Amytis, originaire de Médie, qui se languissait des paysages verdoyants de son pays natal, des jardins suspendus, constitués de terrasses soutenues par des colonnes ou des voûtes. Plus tard, les voyageurs grecs, Diodore de Sicile, Strabon, et latins comme Quinte-Curce, se dirent charmés par la beauté de ces jardins de Babylone, une des sept merveilles du monde, situés près des palais ou tout en haut de la citadelle, plantés d’arbres que le vent balançait comme des forêts sur la crête des montagnes. Hélas, ces jardins se sont fanés, évanouis. Les anciens textes néo-babyloniens ne mentionnent pas leur existence et les fouilles de l’architecte allemand Koldewey, au début du XXeme siècle, n’en ont pas retrouvé trace. Les auteurs antiques auraient-ils confondu deux capitales prestigieuses, Babylone et Ninive où les rois assyriens, comme Sennachérib, créèrent de tels jardins ? Des parcs renommés, plantés d’arbustes, de vignes et d’arbres fruitiers, pommiers, figuiers, grenadiers, dattiers, agrémentaient bien les palais royaux et les demeures des riches Babyloniens. Un roi savant, juste et éclairé Bon administrateur, Nabuchodonosor réorganisa l’agriculture, développa largement le commerce avec l’Orient indo-iranien, la Méditerranée. D’après les inscriptions du Wadi Brissa (première colonne), il se vanta d’être un savant, un érudit et de connaître les sciences, aussi les encouragea t-il, comme celle des savants chaldéens. Il favorisa les arts. Soucieux d’une vraie justice, Nabuchodonosor s’inspira pour sa politique judiciaire de Hammurabi, son lointain modèle. Il faisait régner le droit, assurait, par des lois et des règlements, le bon fonctionnement de la cité. Juge suprême, il pouvait gracier les condamnés ou prononcer une sentence de mort contre eux. Un beau texte en témoigne : 209

« Il n’était pas négligent en ce qui concerne la justice vraie et droite ; il ne se reposait ni le jour ni la nuit, mais avec conscience et mesure, il mettait par écrit jugements et décisions prévus pour plaire à Marduk, le grand seigneur, et pour améliorer le bien-être de tous les peuples et la paix du pays d’Akkad (la Babylonie) ».53 Pasteur fidèle, le roi maintint la paix et la prospérité dans son pays qu’il stabilisa. Il élimina la corruption, établit des règlements, construisit une cour de justice. Il développa le sentiment national de Babylone, capitale d’un vaste empire, au grand passé et aux dieux vénérés par tous, berceau de la civilisation. Les dernières années Les dernières années de la vie de Nabuchodonosor sont peu connues. Dans un document de fondation commémorant la restauration d’un temple, il avait demandé longue vie au dieu Shamash : «Á ton ordre ferme, Que j’aie à satiété un très grand âge ; Que j’aie en présent une vie aux jours lointains et la stabilité du trône, et que mes années de règne soient longues et florissantes à perpétuité. Q’un sceptre juste, un bon pastorat et un bâton royal légitime qui sauvegarde les gens, soient le lot de ma royauté à perpétuité. »54 Sa prière fut exaucée. Nabuchodonosor, monarque absolu mais non despote, grand homme d’État, dévoué aux dieux, ne mourut qu’en 562, rassasié d’ans et de gloire, après avoir fait paître dans la paix et la prospérité son pays et son peuple pendant 43 ans. BM 45690. Cf. Béatrice André-Salvini, Babylone, Paris, Presses Universitaires de France, 2001, collection Que sais-je ? p. 43. 54 Documents autour de la Bible, Prières de l’Ancien Orient, éd. du Cerf, 1989, p.37. 53

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Il laissa à sa postérité un trône encore solide, un vaste empire qui allait de la haute Mésopotamie, et de la chaîne du Zagros à la Méditerranée. Un héros intemporel Sur le site de Babylone, les fouilles allemandes de l’architecte allemand Koldewey, de 1899 à 1917, mirent au jour la ville de Nabuchodonosor, de nombreux monuments, la double enceinte, la porte d’Ishtar, le palais d’été, le palais sud. De la fameuse tour de Babylone, qui avait inspiré tant de peintres, il ne restait qu’un fossé rempli d’eau dessinant un carré. Ses briques avaient été pillées, réutilisées par les fellahs de la région. Les archéologues trouvèrent des briques estampillées au nom de Nabuchodonosor, des tablettes portant des textes administratifs et économiques, et dans le secteur de l’Esagil, des documents dont la richesse, selon eux, rappelait la bibliothèque d’Assurbanipal à Ninive. Mais ils ne découvrirent aucun relief glorifiant le roi. Demeurent le relief rupestre du Wadi Brissa et quelques stèles. Son visage, sa vie personnelle restent peu connus. La figure de Nabuchodonosor acquit pourtant un statut de héros intemporel aux yeux des Grecs, comme Hérodote et Ctésias de Cnide (Veme siècle av. J.-C.), même s’il n’est pas désigné par son nom. Sous le règne d’Antiochos Sôter (281-262 av. J.-C.), Bérose, prêtre de Marduk à Babylone, puisa dans les archives gardées par les grands prêtres de la ville pour écrire une histoire de la Babylonie, Babyloniaca ou Chaldaica, où il parlait de la création du monde, de l’embellissement de Babylone par Nabuchodonosor II, de la tour à étages. Son livre III proposait une chronologie des rois de Babylone, depuis TiglathPhalasar III (745-727 av. J.-C.), jusqu’à Alexandre le Grand (356- 323 av. J.-C.). Hélas, il n’en resta que des fragments repris au Ier siècle de notre ère par l’historien juif Flavius Josèphe. 211

Le savant Ptolémée (v. 90-v.168), dans son Canon Basileon, donna une liste des anciens rois de Babylone, à partir de Nabû-nasir (747-734 av. J.-C.). L’historien grec Eusèbe de Césarée au IVeme siècle de notre ère, s’inspirant aussi de Bérose, dans sa Chronique universelle, transmit le nom du fameux roi chaldéen. Nabuchodonosor fut connu aussi par ses grandioses réalisations dans Babylone, sa capitale devenue un symbole. Là s’élevait la tour à étages qui touchait le ciel, et donna naissance au mythe biblique de la tour de Babel. Elle inspira les voyageurs du Moyen-âge comme Benjamin de Tudèle (XIIeme siècle), les enlumineurs puis les artistes tels Bruegel l’Ancien (vers 1563), Gustave Doré (+ 1883). Aux siècles suivants, tableaux, livres, films comme Intolérance de Giffith en 1916, s’intéressèrent à l’histoire babylonienne. Qui ne connaît le célèbre opéra Nabucco (1842) de Guiseppe Verdi, animé d’un ardent souffle patriotique et toujours représenté ? Dans la tradition arabe, l’astronome et historien al-Bîrûnî (973-1048), dans sa Chronologie des nations anciennes, tenta de reconstituer chronologiquement l’histoire de Babylone. Une célèbre miniature du XVIeme siècle, qui s’en inspire, représente Bukht-Nassar (Nabuchodonosor) ordonnant la destruction de Jérusalem (Paris, Bibliothèque Nationale de France).

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Stèle de Nabonide

CHAPITRE VIII NABONIDE, LE DERNIER ROI DE BABYLONE La succession dynastique de Nabuchodonosor donna pourtant lieu à de grands troubles. Son fils Awêl-Marduk, lui succéda, mais fut déposé en 560 pour incompétence par son beau-frère Nériglissar et assassiné. Ce dernier, qui avait épousé la fille de Nabuchodonosor, Kasshaia, ne gouverna que quatre ans (559-556 av. J.-C.). Il mena campagne en Cilicie, dans le nord, accomplit des travaux d’urbanisme dans Babylone. À la disparition de Nériglissar, Lâbâshi-marduk, son jeune fils, fut intronisé puis mis à mort au bout de quatre mois de règne, à la suite d’un complot de cour. En 556, les conjurés portèrent sur le trône un haut fonctionnaire nommé Nabonide, un homme âgé qui était déjà au service de Nabuchodonosor. Voici donc venu le dernier roi de la dynastie néobabylonienne, Nabonide (556-539 av. J.-C.), dont le règne ne dura que dix-sept ans. Les origines de Nabonide On sait peu de choses au sujet du père de Nabonide qui n’était pas de sang royal. Sa mère, Adad-guppi, probablement d’origine araméenne, est connue grâce à un récit autobiographique gravé sur une stèle qui fut déposée dans le temple du dieu Sin à Harran, au nord de l’Euphrate, importante ville religieuse et commerciale. Née vers 649, elle avait été « dévote » du dieu-lune. Quand Harran, dernière capitale 215

assyrienne, tomba aux mains de Nabopolassar et des Mèdes en 610, elle fut amenée, semble-t-il, à Babylone. Elle séjourna à la cour, y gagnant un rang élevé et un grand nom, y exerçant une forte influence. Elle favorisa l’ascension de son fils Nabonide qui devint le quatrième successeur de Nabuchodonosor. Le bâtisseur, le restaurateur des temples anciens Après ces troubles de succession, Nabonide accéda au trône et parvint à rétablir l’ordre à Babylone. Il y acheva les grands travaux d’urbanisme. Il mena en même temps deux campagnes militaires en Cilicie. Comme ses prédécesseurs, dans le respect des traditions, il eut à cœur de restaurer les temples anciens dans les principales villes de la Babylonie, comme Akkadé, au centre, Uruk, Larsa à l’est d’Uruk, et Ur, au sud, où il laissa plusieurs inscriptions. Nabonide tenait d’Adad-guppi sa vénération pour le dieu-lune. Dans la seconde année du règne, rétablissant une tradition remontant à Sargon d’Akkad (2335-2279 av. J.C.), il fit introniser sa fille sous un nom sumérien, Ennigaldi–Nanna, grande prêtresse du temple du dieu Nanna (Sin), à Ur. Il rebâtit l’E-gipar, somptueux bâtiment où elle habitait. Tout cela consolidait son pouvoir politique. À Sippar, au nord de la Babylonie, Nabonide, attaché au passé dans lequel il puisait sa légitimité, « archéologue » avant la lettre, mais surtout dans un but religieux, voulut reconstruire le prestigieux temple de Shamash, le dieu soleil, restauration tentée déjà par Nabuchodonosor. Il réunit les géomètres, les architectes, les savants, les scribes, les ouvriers et tint conseil. Il leur ordonna de creuser des tranchées, de rechercher les documents de fondation des anciens rois et les objets de culte. Il éprouva beaucoup de joie et son visage rayonna quand furent retrouvés, à 8 mètres de profondeur, au niveau de l’époque d’Akkad (2335-vers 2193 av. J.-C.), le temple édifié par le roi Naram-Sin, et la statue de son grandpère Sargon, la tête à-demi brisée, comme le rapporte un 216

document mésopotamien. Il plaça, comme le voulait la pratique, sa propre inscription à côté de celle du roi antérieur. Il fit restaurer la tête de la statue et l’installa dans le temple où elle reçut les honneurs et les offrandes dûs aux ancêtres royaux.66 Ainsi fut rebâti, sur la base des fondations anciennes de Naram-Sin, l’Ebabbar, le temple de Shamash. Nabonide s’attacha à reconstruire aussi l’Ehulhul, le temple de Sin à Harran. Sur une stèle trouvée dans cette ville en 1956, Nabonide raconte comment le dieu Marduk lui apparut en songe et lui ordonna de relever, sous son autorité, ce temple abandonné. Mais la cité de Harran était depuis l’an 610 aux mains des Mèdes qui l’avaient saccagée. Le dieu lui aurait déclaré : « Eux et leur terre et tous leurs rois qui les soutiennent n’existeront plus. Dans la troisième année à venir, je les ferai chasser par Cyrus ». En effet, en 549, le roi des Mèdes, Astyage, fut renversé par le roi perse Cyrus et dut évacuer la région de Harran. Nabonide, peut-être allié de Cyrus à cette époque, put entrer dans la ville. Il entreprit de réédifier l’Ehulhul, le temple du dieu-lune. Il viendra l’inaugurer solennellement en 542. Une autre stèle en basalte, retrouvée à Harran, représente Nabonide coiffé de la couronne conique, vêtu d’une robe frangée et tenant à la main un immense sceptre. Devant lui sont gravés les symboles du soleil (Shamash), de la lune (Sin) et d’Ishtar. L’oasis de Temâ Dans la 5eme année de son règne, Nabonide quitta Babylone, et marcha avec ses troupes vers le nord de l’Arabie, conquit un certain nombre de villes dont l’oasis de Temâ, à l’ouest de la péninsule. Il s’y établit et demeura là pendant plus de huit ans, gardant des relations épistolaires avec les grandes familles babyloniennes. La récente découverte de 66

Cf. J.-J. Glassner, Chroniques mésopotamiennes.

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monuments, de stèles de pierre, de gravures rupestres représentant Nabonide, attestent de sa présence en ce lieu. Il laissa à son fils Bel-shar-usur (le Balthazar de la Bible), associé depuis longtemps au pouvoir, le soin des affaires de l’État à Babylone. Après la chute de Nabonide, à l’époque achéménide, une tablette fut rédigée, justifiant le changement de dynastie et accusant le roi d’ignorance et d’impiété. N’avait-il pas délaissé Marduk et introduit, sous le nom du dieu-lune Sin, l’image d’une divinité ? Elle lui reprochait encore d’avoir construit à Temâ un palais à l’image de celui de Nabuchodonosor à Babylone : « Quant à Nabonide, sa divinité protectrice lui devint hostile. Et lui, l’ancien favori des dieux, il accomplit un acte impie : il avait fait l’image d’une divinité que nul n’avait vue dans le pays, l’introduisit dans le temple, il la plaça sur un piédestal ; il l’appela du nom de Lune. Elle est parée d’un collier de lapis-lazuli et couronnée d’une tiare ; son apparence est celle d’une éclipse de lune … et en face de lui sont placés le Dragon Orage et le Taureau sauvage. Lorsqu’il arriva…il tua au combat le prince de Temâ ; il égorgea les troupeaux des citadins et des habitants des campagnes et il établit sa résidence à Temâ où (stationnèrent) aussi les forces d’Akkad. Il rendit la ville magnifique, y construisit (son palais) à l’image de Shuanna (Babylone)…»55 Incertitudes et contradictions d’une vie…Les historiens s’interrogent sur les raisons de ce séjour de Nabonide à Temâ, sans trouver d’explication convaincante. Aurait-il été mis à l’écart par l’ambitieux Bel-shar-usur, son fils ? Par l’hostilité des prêtres de Marduk, le voyant trop attaché au dieu lunaire ? Raison économique, l’oasis de Temâ était placée sur une route caravanière importante, contrôlant le Trad. d’après A. Leo Oppenheim, Ancient Near eastern Texts relating to the Old testament, sous la dir. de J.B. Pritchard, Princeton, Princeton University Press, 1950. Cité dans V. Grandpierre, Histoire de la Mésopotamie, Gallimard, p. 171. 55

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commerce avec l’Arabie septentrionale et il fallait assurer la sécurité des liaisons. Au mois de Nisan (mars-avril), relate une chronique d’époque séleucide, la Chronique de Nabonide, il fut impossible, pendant le séjour de Nabonide à Temâ, qui dura plusieurs années, de célébrer à Babylone l’Akitu, le Nouvel An. C’était la fête du dieu Marduk et de son fils Nabu qui arrivait par bateau de Borsippa. La participation du roi, serviteur de Marduk, était indispensable. Il prenait une part active à ces cérémonies dont dépendait la prospérité de l’Empire. Cependant, en l’absence du souverain, des sacrifices étaient offerts dans les temples des dieux, l’Esagil et l’Ezida. Au mois de Nisan 547, mourut sur la rive de l’Euphrate, en amont de Sippar, Adad-guppi, la mère du roi, âgée de plus de cent ans. Fait étrange, Nabonide, si attaché à sa mère qui avait eu sur lui une grande influence, laissa le soin des obsèques au prince Balthazar, son fils et n’y assista pas. Il y eut une lamentation de plus de trois jours. Nabonide retourna en Mésopotamie vers 542, et alla inaugurer le somptueux temple de Sin à Harran. Il revint ensuite à Babylone, peut-être pour des raisons politiques. La fête du Nouvel An put de nouveau être célébrée. Le roi reprit en main les rouages de l’administration, révoqua de nombreux fonctionnaires mis en place par Bel-shar-usur et entreprit une réforme religieuse, Sin devenant la divinité suprême, sa statue imposée dans tous les temples, ce qui engendra des résistances dans le clergé de Marduk. Des troubles économiques, une épidémie, une famine frappèrent les habitants de Babylone qui reprochaient au roi, comme les prêtres, sa longue absence et son manque d’égard envers Marduk. Il y avait déjà dans la ville une faction pro-perse. La chute de Babylone Mais un danger beaucoup plus grand guettait Babylone. Pendant que Nabonide séjournait en Arabie, le roi des Perses et des Mèdes réunis, Cyrus II (vers 549-530 av. J.-C.), 219

avait entrepris une série de conquêtes, posant les assises de son nouvel empire achéménide. Contre la politique d’expansion à l’ouest de Cyrus, son ancien allié, Nabonide, conscient du péril, avait noué des alliances avec des États du Proche-Orient comme la Lydie, en Anatolie, mais Crésus, son souverain, avait été vaincu et fait prisonnier par Cyrus en 546. Selon le récit biblique du « Festin de Balthasar », la chute de Babylone avait été annoncée durant la régence de Balthazar (Bel-shar-usur). Au cours d’un grand repas offert par le prince à ses grands et à ses femmes, apparurent les doigts d’une main d’homme et ils tracèrent des mots sur la chaux du mur du palais. Troublé, Balthazar s’empressa de faire lire par ses devins et astrologues cette écriture pour lui énigmatique, mais aucun n’y réussit. Il fit venir Daniel, l’un des captifs que Nabuchodonosor avait amené de Juda, qui donna l’explication. Pour l’Empire babylonien, le temps était compté, le roi pesé dans la balance et trouvé trop léger, le royaume divisé, donné aux Mèdes et aux Perses. 56 Le sort de l’Empire de Nabonide était-il scellé ? Dès la fin de l’année 540, il rassembla en hâte dans sa capitale les statues des divinités de Babylonie, pour les mettre hors de l’atteinte des Perses dans le temple de Marduk. Mais il n’eut pas le temps de bien préparer la défense de la ville. A l’automne 539, Cyrus, à la tête de son armée, plus puissant que jamais, s’aventura dans la vallée de la Diyala, un affluent du Tigre, et pénétra en Babylonie, qu’il voulait soumettre. La Chronique de Nabonide raconte les événements, la bataille d’Opis remportée contre l’armée babylonienne, la prise de Sippar le 14 de Teshrit (11 octobre 539) et la fuite de Nabonide. Tandis que l’armée de Cyrus faisait face à l’armée babylonienne qui tentait de lui barrer la route vers le sud, une petite troupe perse s’avança avec audace vers Babylone, marchant à 56

Cf. Bible, le Livre de Daniel, IIeme siècle av. J.-C., 5, 26-28.

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travers les terres. Les soldats aperçurent de loin, avec quel étonnement, les hautes murailles de Babylone et sa Ziggourat qui chatoyait au soleil d’Orient. Couronnée d’un temple revêtu de briques émaillées d’un bleu resplendissant, celle-ci s’élevait à 80 mètres de haut et semblant escalader le ciel avec ses sept étages. Des villages, des palmeraies et des champs verdoyants, des jardins plantés de figuiers, de grenadiers, et des potagers où poussaient oignons, poireaux, courgettes, raves, melons, entouraient la ville. Ugbaru, ancien gouverneur du pays de Gutium, une province de l’Empire babylonien située à l’est du Tigre, devait diriger l’aile gauche de l’armée, mais à la tête des mécontents, il s’était rallié à Cyrus. Selon la tradition, Ugbaru et les soldats perses pénétrèrent dans Babylone par le lit de l’Euphrate, s’en emparèrent par surprise, sans combat ni grande effusion de sang, deux jours après Sippar, le 16 de Teshrit (13 octobre 539). Bel-shar-usur fut-il tué par les conquérants dans son palais qu’il n’avait pu défendre ? Nabonide averti de la chute de Babylone, y revint et fut fait prisonnier. Deux semaines après, le 3eme jour d’Arahsamnu (le 29 octobre), les Babyloniens, peu attachés à Nabonide, et le clergé, accueillirent Cyrus avec sympathie. Il y installa Ugbaru comme gouverneur. Nabonide fut-il exécuté ou d’après une tradition postérieure, envoyé en exil en Carménie, à l’est de l’Empire achéménide, pour administrer une ville ? Nabonide, roi de Babylone, aussi grande qu’ait été votre gloire, admirables vos exploits et réalisations, ne vous lamentez pas en vain, ni la joie ni le triomphe ne sauraient durer ici-bas. Votre fortune a chancelé, vos ambitions politiques et religieuses ont été déçues, votre cité qui surpassait toutes les autres en magnificence est tombée. Les dieux eux-mêmes vous ont abandonné. Capturé par les Perses, vous n’êtes plus qu’un vieil homme trahi, défait, épuisé, plongé dans le désarroi et la 221

détresse. Il ne vous reste plus que votre courage. Quel sera maintenant votre sort ? On dit Cyrus clément. Comportezvous en fier souverain, et avant de mourir ou de partir en exil, ne vous lamentez pas, mais saluez une dernière fois Babylone. Qui célébrera votre mémoire ? Vous avez été un monarque original, indépendant, mystique et pieux, attaché au passé, un roi juste selon une tradition historiographique babylonienne, un mauvais souverain, impie, sans mesure, d’après une autre, d’époque perse. Babylone à l’époque achéménide et hellénistique Selon une longue inscription cunéiforme gravée sur un cylindre d’argile, Cyrus affirmait que c’était le dieu Marduk qui lui avait ordonné de marcher sur Babylone. Il effaça l’image et le nom de Nabonide dans tous les sanctuaires. Il fit garder l’Esagil, le temple de Marduk, respecta les divinités de Babylonie, rassemblées par le roi déchu dans le temple de Marduk, qui occupèrent en paix leur demeure, avant de retourner dans leurs villes. Il donna l’autorisation aux Juifs déportés par Nabuchodonosor de regagner leur terre ancestrale. Ils avaient découvert la civilisation mésopotamienne, ses villes, ses richesses, ses avancées, ses anges et ses démons. Il restait à Cyrus qui avait épargné Babylone, à découvrir, non sans émerveillement, la ville splendide de Nabuchodonosor et de Nabonide, qui perdit son statut de capitale, mais garda son tout prestige. Il y construisit un palais, un arsenal. L’Empire de Nabonide passa sous contrôle perse, mais garda sa structure administrative, ses lois, ses pratiques commerciales, sa façon de vivre, ses croyances. L’éclat de la culture babylonienne ne s’éteignit pas. Les Perses achéménides diffusèrent vers l’Orient les « sciences » de la divination et le « savoir des étoiles des Chaldéens ». Vers 500 av. J.-C., pour leur capitale, Suse, et le palais du roi Darius, ils empruntèrent à Babylone de somptueux décors. 222

Plus tard, Alexandre le Macédonien (356 av. J.-C.-323 av. J.-C.), occupa la Syrie, la Phénicie, l’Égypte. Il se dirigea vers la Mésopotamie, franchit l’Euphrate et le Tigre et vainquit Darius III, le roi de Perse, à Gaugamèles (près d’Arbèles) en 331. Il continua sa chevauchée fantastique qui le conduisit vers Babylone. La ville se soumit et il y entra triomphalement, par une route ornée d’autels d’argent et jonchée de couronnes de fleurs. Le biographe grec Plutarque (v .46 v.125) raconte dans sa Vie d’Alexandre le Grand, qui fait partie des « Vies des hommes illustres,» comment les gens du pays aspergèrent de naphte la rue où il s’en alla demeurer, l’enflammèrent et l’illuminèrent d’un feu continu, ce qui émerveilla fort le jeune conquérant. Alexandre se reposa un mois à Babylone, avant de partir pour Suse, Persépolis et l’Inde, mais il se fit désormais accompagner dans ses voyages de prêtres babyloniens pour les purifications, car il les estimait fort. (Vie d’Alexandre le Grand, LXIV, XCVI) Alexandre revint en Mésopotamie au printemps de l’an 323, avec l’idée de faire de Babylone la capitale de son empire, de restaurer ses temples et de s’associer aux règnes glorieux de ses rois. Quand il s’en approcha, les devins chaldéens lui conseillèrent de ne point entrer dans la ville. Il devait, en effet y mourir précocement le 13 juin. À la fin de la période hellénistique, un historien grec, Diodore de Sicile (v. 90 av. J.-C.- v. 20 av. J.-C.), évoqua dans sa Bibliothèque historique, une histoire universelle depuis les origines jusqu’à la conquête de la Gaule par César, la science encore rayonnante des astronomes et des mages chaldéens. Il s’exprima en ces termes : « Les Chaldéens qui sont parmi les plus anciens Babyloniens, ont dans l’organisation de l’État la place qu’occupent les prêtres en Égypte ; préposés au culte des dieux, ils consacrent en effet leur exis-

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tence à philosopher, jouissant d’une grande réputation en astrologie ». 57 Des scribes babyloniens continuèrent à enseigner dans de nombreux centres du pays les langues de la Mésopotamie et l’écriture cunéiforme. Le dernier texte est daté de l’aube de notre ère.

57 Diodore de Sicile, « Naissance des dieux et des hommes », trad. M. Casevitz, Paris, éd. Les belles lettres, 1991, XXIV, pp. 154-155.

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Disque d’En-hedu-ana

CHAPITRE IX DES FEMMES CÉLÈBRES Je plongeais assez souvent dans les textes anciens pour le savoir : à Sumer, à Babylone, à Ninive les grandes déesses furent les objets de cultes fervents. L’on vénérait en particulier chez les Sumériens Inanna, déesse de l’amour, Ningal, épouse du dieu-lune Nanna, Nisaba, déesse de la végétation, qui patronnait aussi l’art des scribes. Chez les Babyloniens était honorée Gula, déesse de la guérison, et Ishtar, célèbre divinité astrale et guerrière, honorée aussi chez les Assyriens. De la déesse à la reine, de la prêtresse à la servante, les dames de la Mésopotamie eurent aussi leur histoire et leur gloire. Pour le roi, le mariage était une alliance dynastique qui resserrait les liens avec d’autres royaumes. Il était polygame, possédait de nombreuses épouses, « les femmes du palais ». Il y avait la reine, mère de l’héritier du trône, le plus haut rang pour une femme, puis venaient les épouses royales, les dames du palais. Toutes vivaient dans le palais, hiérarchisé, réglementé, lieu de mystère et d’intrigue, mais qui ne ressemblait pas au harem ottoman. Les femmes pouvaient en sortir pour des services du culte. Elles observaient les rites, s’occupaient de divination, de présages. Je continuai mon voyage dans les vies célèbres des femmes. Celles-ci ne jouèrent habituellement pas un rôle important sur la scène politique de la Mésopotamie, quelques unes firent néanmoins exception, comme Sammuramat, Zakûtu, Adad-Guppi.

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Sammuramat Épouse de Shamshi-Adad V (823-811 av. J.-C.), mère du roi d’Assyrie Adad-Nirâri III (810-783 av. J.-C.), elle exerça peut-être la régence pendant la jeunesse de son fils. Son nom fut gravé sur le front d’une stèle qu’elle se fit ériger à Assur et qui fut découverte en 1909, lors de fouilles menées par l’archéologue allemand Walter Andrae : « Stèle de Sammuramat, femme du palais de Shamshi-Adad, roi de l’univers, roi d’Assyrie, mère d’Adad-Nirâri, roi de l’univers, roi d’Assyrie, belle-fille de Salmanazar, roi des quatre régions du monde. » 58 Sammuramat inspira la célèbre légende de Sémiramis, recueillie par le médecin grec Ctésias, et transmise par Diodore de Sicile. Les reines de Nimrud, couvertes de bijoux Les archéologues irakiens retrouvèrent à Nimrud (l’ancienne Kalhu), en avril 1989, un sarcophage attribué à une princesse assyrienne contenant des bijoux en or, des rosaces, des sceaux-cylindres, des vases ornés d’inscriptions qui révélaient les noms de Yabaya, épouse de TiglathPhalasar III, de Banitu, femme de Salmanazar V et de Talya, épouse de Sargon II, rois qui régnèrent en Assyrie de 745 à 705 av. J.-C. Un autre tombeau fut découvert un peu plus tard, qui avait peut-être appartenu à la reine Moulisou, femme d’Assurnasirpal II (883-859 av. J.-C.). Il ne contenait pas son squelette, mais trois cercueils en bronze et de nombreux objets en or. Zakûtu, épouse de Sennachérib Une femme exerça une grande influence politique à la cour de Ninive, Naqi’a, l’araméenne, « la pure », Zakûtu en 58 G. Roux, Sémiramis, la reine mystérieuse de l’Orient, L’Histoire, n° 68, 1984, p. 28.

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Assyrien. Femme du palais de Sennachérib (704-681 av. J.C.), mère d’Assarhaddon (680-669 av. J.-C.), elle ne fut longtemps qu’une épouse secondaire. Elle prit de l’importance quand son fils fut choisi, grâce à son influence, comme prince héritier. Elle joua un rôle primordial aux côtés d’Assarhaddon devenu roi, qui l’estimait beaucoup et l’écoutait. De Ninive, elle lui faisait part des présages qu’elle faisait prendre. Une statue à l’effigie de Zakûtu fut érigée dans un temple, des lettres évoquèrent l’une de ses maladies. L’on voit encore Zakûtu, représentée avec son fils, sur un relief en bronze détaché d’un monument, autel ou trône, qui commémore la restauration de Babylone. La reine marche derrière le roi, tenant à la main un miroir. Tous deux s’aplatissent humblement le nez à l’aide d’un bâtonnet (Musée du Louvre). À la mort d’Assarhaddon, la situation devint instable en Assyrie. Avec sa forte personnalité, Zukûtu imposa aux Grands son petit-fils Assurbanipal (668-627 av. J.-C.), choisi par Assarhaddon, et leur demanda de prêter un serment de loyauté envers le nouveau roi, pour parer à une éventuelle révolte des princes évincés : «Traité de Zakûtu, reine de Sennachérib, roi d’Assyrie, mère d’Assarhaddon, roi d’Assyrie, avec Shamash-shum-ukîn, son frère et son égal, avec Shamash metu-uballit et le reste de ses frères, avec la descendance royale, avec les grands et les gouverneurs, les courtisans et les eunuques, l’entourage royal, avec les exempts et tous ceux qui entrent dans le palais, avec les Assyriens, grands et petits : Toute personne qui (est citée) dans ce traité que la reine Zakûtu a conclu avec toute la nation concernant son petit-fils favori Assurbanipal, toute personne qui forgerait et réaliserait une chose vilaine et mauvaise, ou une révolte contre votre seigneur Assurbanipal, roi d’Assyrie, celui qui concevrait dans son cœur et présenterait un vilain projet ou un méchant complot contre votre seigneur Assurbanipal, roi d’Assyrie, celui qui délibérerait dans son cœur et formulerait une mauvaise suggestion et un mauvais dessein pour une rébellion et 229

une insurrection contre votre seigneur Assurbanipal, roi d’Assyrie, ou un complot avec un autre […] vous viendrez en informer Zakûtu sa mère et votre seigneur Assurbanipal, roi, d’Assyrie. »59 Ce traité est conservé sur une tablette trouvée à Ninive, aujourd’hui au British Museum. Comme reine-mère, Zukûtu joua donc un rôle politique considérable. La reine Assur-Shourrat, épouse d’Assurbanipal, figure avec son mari sur un célèbre bas-relief, « Le repos sous la treille ». Adad-guppi, mère de Nabonide La voix limpide d’Adad-guppi (649-547 av. J.-C.), mère de Nabonide, roi de Babylone, s’élevait encore d’une stèle déposée dans le temple du dieu Sin, le dieu-lune, à Harran, où était gravée cette inscription : « Je suis Adad-guppi, la mère de Nabonide, roi de Babylone, adoratrice de Sin, Ningal, Nusku et Sadarnunna, mes dieux, en ces divinités j’ai toujours trouvé refuge depuis mon enfance ». Née la vingtième année du règne d’Assurbanipal, en 649, probablement d’origine araméenne, Adad-Guppi avait été « dévote » du dieu Sin, le dieu-lune, lui rendant un culte fervent et elle avait communiqué sa dévotion à son fils Nabonide. Quand Harran, dernière capitale assyrienne, tomba aux mains des Mèdes en 610, elle partit, semble-t-il, pour Babylone. Elle séjourna à la cour, y gagnant un rang élevé et un grand nom, y exerçant une forte influence. Elle favorisa l’ascension de son fils qui devint roi, porté au pouvoir par une révolution de palais. Nul doute qu’elle l’accompagna de ses conseils dans son dur métier.

Traités et Serments dans le Proche-Orient ancien, présentation de Jacques Briend, Paris, éd. du Cerf, « Supplément au Cahier de l’Evangile », n° 81, pp. 83, 84.

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Vers 547, au mois de Nisan (mars-avril), le 5eme jour, Adad-guppi, la mère du roi, mourut centenaire à Durkarashu, sur la rive de l’Euphrate, en amont de Sippar. Le prince et ses soldats se lamentèrent pendant trois jours. Nabonide, si attaché à sa mère qui avait eu sur lui une grande influence, séjournait à Temâ et n’assista pas aux obsèques ; il en laissa le soin au prince Bel-shar-usur, son fils. Le prince et ses soldats se lamentèrent pendant trois jours. Grandes prêtresses Des femmes de souche royale ou issues de riches familles, étaient consacrées par leur père à une divinité, pour attirer la faveur du ciel sur le royaume. En-hedu-ana Sargon d’Akkad (2334-2279 av. J.-C.) nomma sa fille grand prêtresse du dieu-lune Nanna, à Ur. Elle prit le nom sumérien d’En-hedu-ana. La jeune femme vécut chastement dans l’enceinte du temple et accomplit avec ferveur sa mission. On la voit sur un disque votif en calcite retrouvé à Ur, participer à une cérémonie d’offrande au dieu Nanna. Gracieuse, vêtue d’une robe à volants, elle se tient, la main levée, derrière le prêtre qui officie devant un autel. Elle est suivie par deux serviteurs. Au dos du disque (aujourd’hui au Penn Museum, Philadelphie) une inscription révèle ses brillants titres, grande prêtresse, épouse de Nanna et fille de Sargon. Entre les lèvres d’En-heduana brillait le nom d’Inanna-Ishtar, la reine du ciel, divinité tutélaire d’Akkadé, la capitale de l’empire d’Akkad. Elle lui consacra un bel hymne. Très douée, elle rédigea six poèmes en sumérien, compila des Hymnes aux temples, sanctuaires de Sumer, maintes fois recopiés. En-nigaldi–Nanna La pratique cultuelle de vouer sa fille comme prêtresse se perpétua durant plusieurs siècles, puis tomba en désuétude. 231

Au VIeme siècle avant notre ère, Nabonide lui redonna vie et fit introniser l’une de ses filles sous un nom sumérien, Ennigaldi–Nanna, grande prêtresse du temple du dieu Nanna (Sin), à Ur. Il restaura la ziggurat, le bâtiment en ruine qui contenait le temple et l’E-Gipar, la chambre sacrée, lieu où les rituels se déroulaient. L’archéologue anglais Leonard Woolley, lors de fouilles à Ur, découvrit sous le pavement de ce bâtiment, l’E-Gipar, un petit « musée » contenant quelques objets antiques, un fragment d’une statue de Shulgi (2094-2047 av. J.-C.), un cône d’argile d’un roi de Larsa, une borne cassite datant de 1400 av. J.-C., une inscription votive d’Amar-Sin (2046-2038 av. J.-C.), roi d’Ur. Femmes scribes L’accès à l’écriture se répandant dans la société mésopotamienne, quelques femmes purent exercer le métier de scribe. Dans des collections, on retrouva des tablettes rédigées par des femmes. À Sippar, ville consacrée au dieu-soleil Shamash, durant la période allant du XIXeme siècle au début du XVIIeme siècle av. J.-C., l’on comptait une vingtaine de femmes scribes, comme Inanna-ama-mu, femme scribe, qui au XIXeme siècle travailla à Sippar. L’on découvrit 19 tablettes écrites de sa main, traitant d’achats, ou de mises en fermage des champs. Une tablette trouvée sur ce même site, datée de 1765 av. J.-C. terminait sa liste par le nom d’une dame-scribe, AmatBau. La princesse Shimatum, fille du roi Zimri-Lim (1780-1759 av. J.-C.) de Mari, eut une femme scribe, Shima-Ilat. À la même époque, à Tell Chagar Bazar, les archives palatiales mentionnaient Abî-Libura, femme scribe. La nuit des temps préserve les secrets de toutes ces vies de femmes…

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CHAPITRE X HÉRITAGE ET HORIZON La civilisation mésopotamienne La Mésopotamie connut au cours des siècles un brassage de peuples et de cultures diverses qui l’enrichirent. Les vieux Mésopotamiens s’interrogèrent sur la création de l’univers, le rôle des dieux, le destin des hommes, le mystère de la mort. Ils développèrent l’agriculture, la ville, l’organisation étatique, l’écriture, la pratique du droit, créèrent de grandes œuvres littéraires et artistiques. Ils étendirent leurs connaissances en astronomie, en astrologie et embrassèrent les techniques intellectuelles comme la divination, pour protéger le roi et l’État. Ces populations de l’Orient observèrent le monde où elles vivaient, désireuses d’y mettre un certain ordre et de le mieux comprendre. Elles élaborèrent avec précision une « science » des listes (de plantes, de présages, de maladies etc.…) et des tables (astronomiques, mathématiques). Grâce à la force de leur réflexion, elles firent les premiers pas dans le processus scientifique d’organisation rationnelle de la pensée, que devait développer la Grèce. Elles privilégièrent néanmoins le mythe flamboyant, à l’origine de tout, et l’imaginaire. Elles fondèrent une civilisation bâtie sur le monde tel qu’il était, car il n’y avait rien à espérer d’un au-delà.

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Des sociétés et des rois La royauté, descendue du ciel, était pour les Mésopotamiens le seul modèle de gouvernement possible. Les rois, représentants de la divinité sur la terre, tenaient une place éminente par rapport à leurs sujets, à leurs peuples, mais devaient rendre des comptes aux dieux s’ils ne les respectaient pas. Ils vécurent au sein de sociétés dont la connaissance se révèle essentielle, sociétés citadines, patriarcales, traditionnelles, hiérarchisées, qui gardèrent leurs structures socioéconomiques remontant parfois au IIIeme millénaire. Ils grandirent et s’épanouirent au milieu d’une foule de courtisans, de scribes, de serviteurs, de soldats, de femmes et d’enfants. Ils eurent pour tâche de préserver l’ordre et l’équilibre sur lequel reposaient leurs royaumes. Très tôt, ces sociétés furent régies par des lois, mais celles-ci ne couvraient pas toujours l’ensemble des situations concrètes. Les intérêts, les droits de l’individu, face au groupe social, étaient parfois méconnus. Dans ces monarchies orientales, quelle place tenait l’homme ? Dominé, écrasé par les dieux, maîtres de la nature et de l’histoire, dont il n’était que l’humble serviteur, il devait au roi une obéissance absolue. Il était assujetti aux coutumes et aux traditions. Les Grecs reprirent tous les savoirs acquis par les nations sages, l’Égypte et la Mésopotamie, et les cultivèrent avec leur génie propre. Derrière les vieux mythes et les images orientales, ils cherchèrent des idées. Leur puissance de déduction grandit peu à peu. Leur raisonnement se fondit sur l’induction, l’autre processus de pensée. Ils essayèrent d’expliquer les phénomènes naturels sans faire référence à la mystique et aux dieux. Ils se posèrent la question de l’origine des choses, de leur composition, de leur devenir. La jeune pensée hellénique s’engagea donc sur une voie différente, s’exhaussa peu à peu vers la raison pure, élevée au rang de critère de vérité. 234

CONCLUSION Ainsi s’achève ce beau parcours qui m’a emmené de Sumer, où l’humanité hasarda ses premiers pas vers la civilisation, jusqu’à la prestigieuse Babylone, en passant par l’Assyrie, ses sites, ses ruines émouvantes. J’ai pris la route avec ces figures illustres du passé qui firent la Mésopotamie, des hommes de taille qui régentèrent une masse d’événements, essayèrent de fonder des empires, de modifier le cours de l’histoire, de changer le monde. Ils sont maintenant part intégrante de notre passé. Certes, chaque monarque a un tempérament, une situation et une histoire différente, mais ce qui les caractérise tous, c’est le talent politique et militaire, l’habile mise en évidence de leurs titres et vertus, l’ambition, l’énergie, la soif de conquêtes, la croyance superstitieuse en leur étoile. Les rois de Sumer, d’Akkad, de Babylonie et d’Assyrie, choisis ici pour la richesse de la documentation écrite et iconographique les concernant, n’ont rien de despotes orientaux. Ils obéissent pieusement aux dieux qui leur ont attribué la royauté et qu’ils représentent sur terre. Ils sont sacralisés dans le temple par les rites de couronnement, reçoivent des mains des prêtres le trône et les insignes du pouvoir, la corde et le bâton à mesurer. Ils ne sont pas prêtres, mais participent à de nombreuses cérémonies et effectuent certains rituels de purification et de fertilité. Ils tiennent compte du pouvoir du clergé, qui peut parfois intervenir dans la vie politique. Vicaires suprêmes, justes administrateurs, pasteurs responsables de leurs peuples, ils s’évertuent à améliorer leurs conditions de vie, à leur procurer la paix, la prospérité, à faire leur bonheur. Rois forts, chefs victorieux, ils accomplissent leur devoir en gardant leur territoire contre les invasions 235

étrangères, et en étendent les limites. Ils l’enrichissent grâce aux butins de guerre et tributs. De l’époque sumérienne à l’époque néo-assyrienne et babylonienne, ces rois guerriers mais pieux jouent un rôle de bâtisseurs, restaurant ou construisant des temples, des palais, et pour certains, des villes et des empires. Ils marchent audacieusement vers l’avenir mais n’oublient pas le passé auquel les relient de nombreux chaînons, rituels et cérémonies anciennes comme l’Akitu, fête du nouvel an. Si le progrès, qui consiste à passer de la vie sauvage à la vie civilisée, de la steppe à la ville, comme Enkidu, l’un des héros de la célèbre Épopée de Gilgamesh, est une idée mésopotamienne, ils restent néanmoins fidèles aux traditions. Les souverains de la Mésopotamie sont aussi des rois de justice, favorisant le progrès social et spirituel. Ur-Nammu, à la fin du deuxième millénaire avant notre ère, compose un fameux code de lois. Hammurabi de Babylone, au XVIIIeme siècle, fait organiser les règles de vie de la société en lui donnant aussi un code de lois dont il est le gardien et qui survit durant des siècles. À la force et à la crainte qui lui permettent d’unifier par les armes la Mésopotamie divisée, il substitue le pouvoir magique de l’écriture, qu’utilisent le souverain et ses grands. Au VIIIeme siècle, l’Assyrie choisit pour modèle l’éblouissante dynastie d’Akkad (2335 - 2155 av. J.-C.). Sargon II arrive au pouvoir à la fin de l’hiver 722 et emprunte son nom au fondateur de cette dynastie. Il construit un palais, une ville nouvelle, étend son empire. Ses descendants, les derniers souverains d’Assyrie, reprennent les titres traditionnels que s’était attribué NaramSin d’Akkad (2254-2218 av. J.-C.), « rois des quatre régions du monde », « rois de l’univers ». Vaillants guerriers, ils continuent le programme de campagnes militaires et de conquêtes de leurs prédécesseurs,pour établir la suzeraineté d’Assur sur les lointaines contrées, comme le montrent abondamment les Annales et les bas-reliefs. Pour eux, la 236

civilisation mésopotamienne prévaut sur la barbarie et le chaos. Ils veulent assembler divers pays du Proche-Orient sous leur unique direction, mais les souverains vassalisés jouissent néanmoins des avantages de leur protection. Ils ne sont pas xénophobes et laissent les peuples conquis, déportés, conserver leurs langues, leurs religions, leurs us et coutumes. Monarques accomplis et superbes, au pouvoir absolu, à la fonction stable, ils évoquent volontiers les bienfaits de leurs règnes et associent leur peuple à leur rêve de grandeur. Ils partagent en musique avec lui, lors de triomphes, le prestige de leurs victoires. Ils accordent une place plus éminente à la nature avec laquelle ils communient, aux valeurs intellectuelles et artistiques. Car ces rois fardés, richement vêtus, parés de bijoux, ont le sens du beau. Ils décorent somptueusement les palais de briques qu’ils font bâtir, ornant les murs de magnifiques bas-reliefs, de frises peintes. Ils entraînent ainsi leur peuple dans l’universel, lui donnent la gloire éternelle. Babylone, avec ses formidables murailles et ses grandioses monuments, devient la plus belle ville du monde, « une merveille » qui suscite l’admiration de tous les peuples. Nabonide, le dernier roi de Babylone, a le goût des recherches historiques, la volonté de renouer des liens avec le passé où il puise sa légitimité. Il aime se prévaloir de lointains prédécesseurs, fait volontiers référence à ses ancêtres. Il retrouve à Sippar, avec joie et jubilation, la statue de Sargon d’Akkad qu’il commande de restaurer, et l’enceinte sacrée bâtie par son petit-fils Naram-Sin à la fin du troisième millénaire avant notre ère, soit près de deux mille ans auparavant. La boucle est bouclée, le cercle lumineux complet, tracé par ces grandes figures de la Mésopotamie.

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TABLEAU CHRONOLOGIQUE Époque sumérienne (2650-2342 av. J.-C.) Dans le sud mésopotamien, une quinzaine de cités-États sont dirigées chacune par un roi. Uruk : Gilgamesh (vers 2650 ) Lagash : Eannatum (vers 2454-2425) Lagash : Urukagina (vers 2351-2342) Uruk : Lugalzagesi (vers 2342) Époque d’Akkad (2335-vers 2155 av. J.-C.) Sargon (vers 2335-2279) Naram-sin (2254-2218) Époque néo-sumérienne (2112-2004 av. J.-C.) Lagash : Gudéa (vers 2141-2122) Ur III : Ur-Nammu (2112-2095) Shulgi (2094-2047) Ibbi-Sin (2028-2004) Dynasties amorrites : Isin (2017-1794 av. J.-C.), Larsa (2025-1764 av. J.-C.) Époque paléo-babylonienne (1894-1595 av. J.-C.) Hammurabi (1792-1750) Époque cassite à Babylone (1595-1155 av. J.-C.) Période médio-assyrienne ((1366-934 av. J.-C.) Salmanazar Ier (1274-1245) Tukulti-Ninurta Ier (1244-1208)

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Empire néo-assyrien ( 934 -612 av. J.-C.) Assurnasirpal II (883-859) Salmanazar III (858-824) Tiglath-phalasar III (745-727) Salmanazar V (726-722) Sargon II (722-705) Sennachérib (704-681) Assarhaddon (680-669) Assurbanipal (668-627) 612 : chute de Ninive. Empire néo-babylonien (609-539 av. J.-C.) Nabopolassar (625-605) Nabuchodonosor II (605-562) Nabonide (556-539) Domination perse (539-331 av. J.-C.)

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COURTE BIBLIOGRAPHIE André-Salvini B., Babylone, Que sais-je, Paris, P.U.F. Bottéro J., L’épopée de Gilgamesh. Le grand homme qui ne voulait pas mourir. Paris, Gallimard, « L’aube des peuples », 1992. Bottero, J., Initiation à l’Orient ancien, éd. du Seuil, 1992. Bottero J. et Kramer S.N., Lorsque les dieux faisaient l’homme. Mythologie mésopotamienne, Paris, Gallimard, 1989. Briend J., Traités et serments dans le Proche-Orient ancien, supplément au Cahier Evangile 81, éd. du Cerf. Cahiers Evangile, Sagesses de Mésopotamie, supplément au Cahier Evangile 85, Paris, éd. du Cerf. Charpin D., Lire et écrire à Babylone, Paris, P.U.F., 2008. Chroniques d’Assyrie et de Babylonie, trad. V. Scheil, Pognon H., éd. Paleo, 2011. Deshayes J., Les Civilations de l’Orient ancien, Arthaud, 1969. Documents autour de la Bible, Prières de l’Orient ancien, éd. du Cerf, Paris. Garelli P., L’Assyriologie, Que sais-je ? Paris, P.U.F., 1964. Glassner J.-J., Chroniques mésopotamiennes, Paris, Les Belles lettres, 1993. Grandpierre V., Histoire de la Mésopotamie, éd. Gallimard, Folio histoire, 2010. A.K. Grayson, Assyrian Royal Inscriptions, Harrassowitz, Wiesbaden, 1972-1976. Hrouda Barthel, L’Orient ancien, France Loisirs, Paris, 1992. Huot J.-L. , Les Sumériens, éd. Errance, 1989. Joannès F., La Mésopotamie au Ier millénaire avant J.-C., Paris, Armand Colin, 2000. Joannès F., Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, R. Laffont, 2001. Kramer S.N., L’Histoire commence à Sumer, Arthaud, 1957. 241

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Carte de la Mésopotamie (1)

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Carte de la Mésopotamie (2)

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TABLE DES MATIÈRES Introduction .................................................................... 9 Première partie Sumer, Akkad et Babylone .................... 13 Chapitre I ..................................................................... 17 I Gilgamesh, roi d’Uruk ........................................... 17 II Gilgamesh se réalise par ses œuvres .................... 22 Chapitre II Eannatum, roi de Lagash.............................................. 27 Chapitre III Urukagina, le défenseur des faibles ............................. 31 Chapitre IV Lugalzagesi, roi de Sumer............................................ 33 Chapitre V Sargon, l’arc et le sceau d’Akkad ................................ 37 Chapitre VI L’éblouissant N aram-Sin ............................................. 47 Chapitre VII Gudea, prince de Lagash .............................................. 59 Chapitre VIII Ur-Nammu et l’Empire d’Ur III .................................. 67

Chapitre IX Shulgi, le roi musicien d’Ur ......................................... 77 Chapitre X Ibbi-Sin, le roi à la perle .............................................. 87 Chapitre XI Hammurabi, le Roi du Droit ........................................ 95 Deuxième partie L’Assyrie et la Chaldée ...................... 105 Chapitre I Un règne glorieux Tukulti-Ninurta Ier ........................ 109 Chapitre II Les deux visages d’Assurnasirpal II .......................... 115 Chapitre III Les rêves de Sargon d’Assyrie Sargon II, un roi guerrier ........................................... 131 I Lat itulature.......................................................... 131 II Un rêve de Sargon, Dur-Sharrukin ..................... 139 III Rencontre avec Sargon et sa capitale ................ 143 Chapitre IV Les jardins et les réalisations de S ennachérib ........................................................... 147 I Les prouesses de Sennachérib ............................. 147 II Un magnifique bâtisseur..................................... 152 III Sur les pas de Sennachérib ................................ 156

Chapitre V Assarhaddon, le roi attentif aux signes du ciel ....................................................... 165 I Assarhaddon, roi guerrier, roi bâtisseur............... 165 II Assarhaddon et sa cour ....................................... 171 Chapitre VI Assurbanipal le Magnifique ....................................... 181 I Le roi lettré .......................................................... 181 II Guerres et conquêtes d’Assurbanipal ................. 187 Chapitre VII Le règne flamboyant de Nabuchodonosor II ................................................ 199 I Le c onquérant ...................................................... 200 II Nabuchodonosor, l’infatigable b âtisseur ............ 203 Chapitre VIII Nabonide, le dernier roi de Babylone ........................ 215 Chapitre IX Des femmes célèbres.................................................. 227 Chapitre X Héritage et horizon ..................................................... 233 Conclusion ................................................................. 235 Tableauc hronologique............................................... 239 Courte B ibliographie .................................................. 241 Cartes de la Mésopotamie (1 & 2) .............................243 Livres p arus ................................................................ 251

Il y a au Proche-Orient des peuples, porteurs d’un riche patrimoine culturel, qui ont joué un rôle important dans l’histoire de la civilisation : les Arméniens, les AssyroChaldéens, les Coptes, les Géorgiens, les Maronites, les Melchites, les Syriaques occidentaux et les Kurdes. Hélas, aujourd’hui, ils sont peu connus en Occident. Les Éditions L’Harmattan ouvrent encore plus largement leurs portes à tous ces peuples et communautés, pour que leur patrimoine soit valorisé et mieux connu. Avec mes remerciements à Monique Le Guillou qui a collaboré avec moi à la réalisation de cet ouvrage «Peuples et cultures de l’Orient »

Ephrem-Isa Yousif

Directeur de Collection

LIVRES PARUS -Une Chronique mésopotamienne Ephrem-Isa YOUSIF, 2004. -Poétique de la fable chez Khalil Gibran Daniel S. LARANGÉ -Les médecins nestoriens au Moyen-Âge (c. l .m .o) Raymond LE COZ -Les chrétiens dans la médecine arabe Raymond LE COZ -Les Syriaques racontent les croisades Ephrem-Isa YOUSIF -La vision de l’homme chez deux philosophes syriaques Ephrem-Isa YOUSIF -Surma, l’Assyro-Chaldéenne (1883-1975) Claire WEIBEL-YACOUB -Un ambassadeur du Khan Argun en Occident Pier Giorgio BORBONE (éd.) -Les villes étoiles de la Haute-Mésopotamie Ephrem-Isa YOUSIF

Du même auteur : Ephrem-Isa Yousif Parfums d’enfance à Sanate Un village chrétien au Kurdistan irakien L’Harmattan, 1993.

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Mésopotamie, paradis des jours anciens L’Harmattan, 1996. Les Philosophes et Traducteurs syriaques D’Athènes à Bagdad L’Harmattan, 1997. L’Épopée du Tigre et de l’Euphrate L’Harmattan, 1999. Les Chroniqueurs syriaques L’Harmattan, 2002. La Floraison des philosophes syriaques L’Harmattan, 2003. Une Chronique mésopotamienne L’Harmattan, 2004. Les Syriaques racontent les Croisades L’Harmattan, 2006. La vision de l’homme chez deux philosophes syriaques L’Harmattan, 2007. Les villes étoiles de la haute Mésopotamie L’Harmattan, 2009. Saladin et l’épopée des Ayyoubides, Chroniques syriaques, L’Harmattan, 2010.

Livres traduits Traductions en arabe -L’Épopée du Tigre et de l’Euphrate Traduit en arabe par Ali Nagib IBRAHIM Dar Al Hiwar Syrie 252

-Une Chronique mésopotamienne traduite en arabe par Ali Nagib IBRAHIM. Dar al-Mashriq, Duhok, Iraq, 2009. -Les Philosophes et Traducteurs syriaques traduit par Chimoun KOSSA, éd. al-Mada, Damas, 2010. -Les Syriaques racontent les croisades traduit par Fakhri al-ABASSI éd. al-Talia, Beyrouth, 2010. Traductions en turc -Mésopotamie, paradis des jours anciens Traduit en turc par Mustafa ASLAN, Avesta, Istanbul, 2004. -L’Épopée du Tigre et de l’Euphrate Traduit en turc par Heval BUCAK Avesta, Istanbul, 2005. -La Floraison des philosophes syriaques Traduit en turc par Mustafa ASLAN, DOZ, Istanbul, 2007. -Les Chroniqueurs syriaques Traduit en turc par Mustafa ASLAN, DOZ, Istanbul, 2009. -Les villes étoiles de la haute Mésopotamie, traduit en turc par Nihat NUYAN, Avesta, Istanbul, 2011. Traduction en syriaque moderne -L’épopée du Tigre et de l’Euphrate, traduit par Malko KHOSHABA, Erbil (Irak), 2011.

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Les figures illustres de la Mésopotamie L’auteur nous invite à découvrir ces fiers, vaillants et pieux monarques qui modelèrent amoureusement le visage et l’âme de la Mésopotamie. Des tablettes cunéiformes, des inscriptions, des documents d’archives, des chroniques, des bas-reliefs nous dévoilèrent une partie de leur histoire, retracèrent leurs faits mémorables et leurs grandioses réalisations et nous léguèrent un patrimoine inestimable. Ces rois de Sumer : Gilgamesh, Gudéa  ; d’Akkad : Sargon, Naram-Sin ; de Babylonie : Hammurabi, Nabuchodonosor ; et d’Assyrie : Sennachérib, Assurbanipal, et bien d’autres firent briller dans tout l’Orient le nom de la Mésopotamie.

Ephrem-Isa Yousif, originaire de Sanate, un village de la haute Mésopotamie, est l’auteur de plusieurs livres sur la Mésopotamie et sur la culture syriaque. Diplômé de  l’Université française où il obtint deux doctorats, en  philosophie et en civilisations, il a enseigné la philosophie pendant des années à Toulouse. Aujourd’hui, il donne des cours et des conférences dans diverses régions. Il a déjà publié des ouvrages comme Mésopotamie, paradis des jours anciens, L’épopée du Tigre et de l’Euphrate, La floraison des philosophes syriaques.

Couverture : © Hemera 29 € ISBN : 978-2-296-99432-4