La protectrice du Païs-Bas: stratégies politiques et figures de la Vierge dans les Pays-Bas espagnols 9782503529721, 2503529720


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La protectrice du Païs-Bas: stratégies politiques et figures de la Vierge dans les Pays-Bas espagnols
 9782503529721, 2503529720

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La « Protectrice du Païs-Bas » Stratégies politiques et figures de la Vierge dans les Pays-Bas espagnols

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Église, liturgie et société dans l’Europe moderne Collection dirigée par C. Davy-Rigaux, B. Dompnier et D.-O. Hurel

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Annick Delfosse

La « Protectrice du Païs-Bas » Stratégies politiques et figures de la Vierge dans les Pays-Bas espagnols

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Ouvrage couronné par le Prix de la Fondation Halkin-Williot et le Prix Claude Backvis de l’Académie royale de Belgique

Couverture : P. van Lisebetten (d’après Ph. Fruytiers), gravure, 275 x 188 mm, publié dans J.-E. Nieremberg, Trophaea Mariana, in-2, Anvers, veuve et héritiers Jean Cnobbaert, 1658. - © K.U.Leuven, Maurits Sabbebibliotheek : PBM 232.931.6/F° NIER Trop. Photo de l’auteur.

All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without prior permission of the publisher. © 2009, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. D/2009/0095/11 ISBN 978-2-503-52972-1 Printed in the E.U. on acid-free paper

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Les longues heures passées dans les bibliothèques silencieuses et les dépôts d’archives pour mener à bien ces recherches ont souvent été dépeuplées. Elles ont néanmoins résonné de l’écho de discussions vives et d’expériences joyeuses qui ont émaillé mon parcours. Ce travail ne fut pas solitaire et la présente étude est, au contraire, le fruit de toutes ces rencontres. Il m’est donc agréable de remercier ici cette vivifiante compagnie : Franz Bierlaire, mon directeur de thèse, Marie-Elisabeth Henneau, Jean-Pierre Massaut et Bernard Dompnier ont entouré mes recherches de leur enthousiasme et de leur bienveillance. Louis Châtellier, Bruno Maës, Jean-Louis Kupper et Hervé Hasquin ont accepté d’être membres du jury et de me faire part de leurs conseils avisés. À l’Université de Liège, Emilie Corswarem, Olivier Donneau, Alain Marchandisse, Vinciane Pirenne, Frédérick Vanhoorne et tant d’autres ont été de précieux soutiens qui n’ont pas hésité à partager leurs savoirs et prodiguer leurs encouragements. Les archivistes et bibliothécaires de la Bibliothèque Générale de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, de la Maurits Sabbe Bibliotheek de la Katholieke Universiteit van Leuven, de la Réserve Précieuse de la Bibliothèque Royale de Belgique et de l’Archivum Romanum Societatis Iesu à Rome ont souvent résolu des problèmes inextricables et aplani des parcours semés d’embûches. Je remercie en particulier Mauro Brunello, Renaud Adam, Frans Gistelinck, Luc Knapen, Brigitte Breuer et Claudine Content. Ces pages ont en outre bénéficié de la parfaite maîtrise de la langue française de Danielle De Beck et d’Anne Fagnart que je remercie chaleureusement. Je remercie aussi Cécile Davy-Rigaux qui a suivi la publication de cet ouvrage et relu attentivement l’ensemble du manuscrit. Qu’il me soit également permis d’exprimer ma gratitude à la Fondation Halkin-Williot ainsi qu’au jury du Prix Claude Backvis qui m’ont fait l’honneur de récompenser ces recherches. Cette étude n’aurait pu aboutir, enfin, sans le soutien du Fonds National de la Recherche Scientifique et de l’Institut Historique Belge de Rome et sans l’accueil en résidence de l’Academia Belgica. Grâce à ces instituts, j’ai pu passer à Rome de longs mois qui non seulement ont fait progresser mes recherches avec diligence mais ont aussi été l’occasion de découvertes esthétiques et personnelles vertigineuses : j’y ai fait mes plus belles rencontres. Merci donc à tous ceux qui ont contribué, de près ou de loin, au progrès de ce travail. Merci aux piliers l’U.P.L. dont les coups de fourchette et l’humour vif rivalisent avec un savoir historique revigorant. Merci, en particulier, à celui qui est l’âme et l’esprit de ce petit groupe d’avoir été un magistral « passeur ». Merci à mes étudiants de m’avoir incitée à réfléchir avec eux sur les exigences du métier d’historien et la richesse foisonnante de l’époque moderne. Merci à Dianne, Sara, Pamela, Rocco, Pina, Gerope et Francesca pour avoir assuré un tel confort de vie et de recherches à l’Academia. Merci, pour leur douce présence, à tous ceux dont l’amitié m’est chère. Je ne pourrais tous vous citer : vos rires, vos rêves et votre enthousiasme me donnent, au quotidien, force, énergie et raison d’être. Merci à ma famille : je dois à votre inconditionnelle confiance, votre art du dialogue et votre cœur généreux tout ce que je suis. Merci, enfin, à la fulgurance vif-argent qui fait aujourd’hui ma sérénité et ma joie.

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Introduction

L’étude qui suit est une version remaniée de notre thèse de doctorat dont la préparation a fondé une de nos intimes convictions historiographiques : celle qu’il faut, en histoire, refuser toute position de surplomb. Consciente de produire une histoire et non d’assister à la parfaite éclosion d’un passé intangible, nous avons cherché, au fil de notre récit, à éclairer d’un jour nouveau cet objet historique qu’est le personnage de la Vierge Marie. Nous avons voulu, en particulier, définir les formes que ce personnage sacré a prises dans le décor des Pays-Bas espagnols du xviie siècle où a retenti un catholicisme réformé d’autant plus éclatant et spectaculaire qu’il devait réprimer les rebelles protestants du Nord et inciter les provinces du Sud à se choisir une identité résolument catholique. La Vierge devint la figure de proue de cette conquête et reçut une physionomie singulière : elle fut une Vierge éblouissante dans un siècle sombre, rencontre contrastée aux effets de clair-obscur entre les ombres de la peur et la ferveur de la piété. Le personnage, toutefois, assuma d’autres rôles que celui de fer de lance réformateur. Il fut aussi, en ce siècle bouleversé par les guerres européennes, une figure éminemment politique. Il paraissait nécessaire de faire connaître cette étonnante fonction mariale en consacrant cette étude aux procédés par lesquels la Vierge a été façonnée, modelée, pétrie, imaginée et mise en scène pour devenir un instrument entre les mains du pouvoir temporel. Voici, en effet, le cœur de nos préoccupations : tenter de dépasser l’accumulation de données factuelles pour élucider le sens des stratégies et l’influence des constructions culturelles qui se sont élaborées autour du personnage marial. La démonstration tentera donc de décrypter les scénarios et les moyens mis en œuvre pour forger, au départ du personnage de la Vierge, un outil politique performant.

Faire de l’histoire mariale La figure mariale, il est vrai, a tout de l’objet usé à force de manipulations, émoussé à coups de questionnements, épuisé sous l’effet de trop nombreuses exploitations. Iconographie, pratiques de dévotion, spiritualité, dogmes, liturgie et autres récits de miracles ont passionné des générations d’historiens, historiens de l’art, philologues, théologiens, folkloristes ou dévots. Les difficiles définitions dogmatiques, les mariophanies les plus illustres, les récits miraculeux, les histoires des sanctuaires marials célèbres ou anonymes ont été analysés, scrutés, détaillés. Il suffit de feuilleter les neuf volumes de la Bibliografia mariana publiés par la faculté de théologie romaine Marianum pour s’apercevoir du 7

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foisonnement bibliographique que provoquent les études mariales1. Il est donc légitime de se demander, devant cette pléthore de monographies, articles et contributions en tous genres, pourquoi se saisir, une nouvelle fois, de cet objet rebattu. Quels motifs peuvent bien pousser à se plonger de nouveau dans pareille recherche ? Principalement, la certitude que cette infinie variété de discours présente divers degrés de qualité et d’intérêt. Lorsque l’on veut s’inscrire dans le champ des études historiques, il ne faut en réalité retenir de cette abondance littéraire que la part limitée de la littérature critique. Celle-ci, libérée depuis quelques années du carcan de la piété2, offre l’inestimable intérêt d’appréhender le phénomène religieux en général et le culte marial en particulier comme un fait historique à part entière. Elle en fait une donnée culturelle, née des représentations humaines dans un contexte spécifique, en dehors de toute révélation, et l’étudie comme telle. Aussi des historiens3, des anthropologues4, des philologues5 ont-ils fait de la Vierge un objet de recherche scientifique, soulignant les évolutions, les mouvements et les déplacements de ses fonctions et attributs, dressant les jalons d’une patiente construction, démontrant la complexité d’un personnage pluriel et polysémique. Depuis les premiers temps du christianisme en effet, la Vierge est une figure sans cesse changeante. Le Nouveau Testament n’est guère disert sur le personnage : seul Luc prend le temps d’un long portrait tandis qu’ailleurs, les évocations de la mère de Jésus sont laconiques, voire allusives. Rien dans les Écritures ne cadenasse la définition mariale. Le champ était libre pour façonner la Vierge au gré des aspirations des fidèles et des définitions théologiques. Il est donc de plus en plus établi que ce personnage est en réalité un « système » qui déploie une riche palette de fonctions ; en lui coexistent des visages concomitants, forcément différents mais pas pour autant antagonistes. À ce titre, les Gender studies qui ont pris la Vierge comme objet d’étude ont eu le mérite de souligner combien la Vierge est un foyer vers lequel convergent les représentations de chacun et donc combien elle est en

1 Bibliografia mariana, Rome, Éditions Marianum, 9 t., 1988-1998. Il s’agit d’une entreprise de recensement systématique des ouvrages consacrés à la Vierge de 1978 à 1993. 2 Cette libération a partiellement commencé avec l’importante entreprise d’érudition d’Hubert du Manoir à la fin des années 1940 qui a rassemblé une série d’études critiques, quoique aujourd’hui considérablement vieillies, sur les formes du culte de la Vierge (Hubert du Manoir (éd.), Maria. Études sur la sainte Vierge, Paris, Beauchesne, 7 t., 1949-1964). Plus récemment, un dictionnaire multipliant les approches du culte marial mais conservant une réelle volonté critique a vu le jour avec Remigius Baümer et Leo Scheffczyck (éds), Marienlexikon, Erzabtei St-Ottilien, Eos Verlag, 6 t., 1988-1994. 3 Pour le Moyen Âge à Klaus Schreiner, Maria, Jungfrau, Mutter, Herrscherin, Munich-Vienne, Carl Hanser, 1994 ; Dominique Iogna-Prat, Éric Palazzo et Daniel Russo (éds), Marie. Le culte de la Vierge dans la société médiévale, Paris, Beauchesne, 1996 ; Marielle Lamy, L’Immaculée Conception : étapes et enjeux d’une controverse au Moyen Âge (xiie- xve siècles), Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 2000 (= Collection des Études Augustiniennes, Série Moyen Âge et Temps Modernes, 35) ; Sylvie Barnay, Le ciel sur la terre : les apparitions de la Vierge au Moyen Âge, Paris, Cerf, 1999. – Pour l’époque moderne, Bruno Maës, Le roi, la Vierge et la nation. Pèlerinages et identité nationale entre guerre de Cent Ans et Révolution, Paris, Publisud, 2003. 4 Marlène Albert-Llorca, Les Vierges miraculeuses. Légendes et rituels, Paris, Gallimard, Le temps des images, 2002 ainsi que d’Élisabeth Claverie, Les guerres de la Vierge. Une anthropologie des apparitions, Paris, Gallimard, N.R.F. Essais, 2003. 5 Paule V. Beterous, Les Collections de miracles mariaux en gallo- et ibéro-roman au xiiie siècle : étude comparée, thèmes et structures, Lille, A.N.R.T., 1987 ; Gérard Gros, Le poète, la Vierge et le prince du Puy : étude sur les Puys marials de la France du Nord du xive siècle à la Renaissance, Paris, Klinckscieck, 1992.

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perpétuelle reconstruction6. Il faut cependant veiller à éviter la radicalisation d’un discours qui transformerait la Vierge en outre vide que les projections des uns et des autres empliraient indéfiniment, la réduisant du même coup à un poncif creux. Il est nécessaire de ne pas oublier que chaque génération est tributaire d’un héritage théologique et spirituel qu’elle doit s’approprier en l’adaptant à ses besoins. La Vierge est un personnage façonné et donc polymorphe, non un vase que l’on remplit et vide à sa guise. Elle est une figure éminemment historique. Cette Vierge, d’autre part, semble être devenue un objet d’histoire ordinaire en raison de son omniprésence dans les sociétés chrétiennes d’Ancien Régime et notamment, pour ce qui nous concerne, dans les Pays-Bas méridionaux. Qui veut étudier un courant artistique, des questions d’histoire religieuse, un pan d’histoire locale rencontre presque immanquablement le personnage de la Vierge. Celle-ci gravite ainsi à la périphérie de nombreuses préoccupations historiques et cette constante récurrence la banalise inévitablement. Elle semble alors perdre de son intérêt, se vider de sa substance et devient en même temps une figure ordinaire et familière que l’on se contente de définir à larges traits. Marie reste cependant un objet captivant pour l’historien qui veut lui poser des questions originales et la soumettre à des hypothèses neuves. Nous tenterons de le démontrer.

Gloire et triomphe : une Vierge toute-puissante À la fin du xvie et tout au long du xviie siècle, la figure de la Vierge s’épanouit avec vigueur au sein du monde catholique : elle domine les pratiques dévotionnelles et accapare les réflexions spirituelles. « Reine des Cieux », « Mère de Miséricorde », « très-sainte » et « toute-puissante », Marie impose sa présence au cœur de nombreux traités doctrinaux et ouvrages de dévotion, dans la piété ostentatoire des souverains, le faire-voir triomphal de l’architecture baroque, l’éclat toujours renouvelé des cérémonies ordinaires et extraordinaires, l’incroyable essor pastoral, les pratiques pèlerines renouvelées et les sodalités conquérantes de la Compagnie de Jésus… En cette période de réformes combatives et acharnées, le personnage est tout-puissant : il revêt, en effet, les fonctions que le contexte lui impose. Les protestants, tout en continuant pourtant à respecter Marie dans une interprétation évangélique d’humilité, lui refusent le rôle d’intercession et de parfaite médiation auprès de Dieu qu’avaient exalté les foules dévotes au Moyen Âge. Aussi le monde catholique réagit-il vivement en faisant de la Mère de Dieu l’ardent coryphée de sa reconquête sur les mouvements dissidents. Compensant la discrétion du concile de Trente qui s’était contenté de confirmer la tradition mariale médiévale tout en ne prononçant aucune décision dogmatique, le catholicisme post-tridentin érige la Vierge en figure de victoire, de gloire et de triomphe : elle est célébrée comme le support d’une identité catholique enflammée. Processions, pèlerinages, confréries, dévotions exaltées se multiplient. Soutenu par une pastorale active

6 Marina Warner, Alone of all her sex. The Myth and the Cult of the Virgin Mary, Londres, Weidenfelt, 1976 (Seule entre toutes les femmes. Mythe et culte de la Vierge Marie, trad. par N. Menant, Rivages, Paris-Marseille, 1989) et Teresa P. Reed, Shadows of Mary. Reading the Virgin Mary in Medieval Texts, Cardiff, University of Wales Press, 2003.

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et une étourdissante politique éditoriale, le culte marial se vit intensément tandis que les saints proches de Marie comme Anne, sa mère, ou Joseph, son époux, connaissent en écho une faveur renouvelée. Une élite catholique tentera bien de juguler la déraison d’une dévotion jugée sans mesure mais cette opposition, si elle engendre une piété mariale duale, ne mouche pas pour autant la flamme qu’entretiennent de fervents dévots et d’actifs champions d’une cause virginale étincelante et exacerbée7. Au quotidien, cette spiritualité se vit par l’expérience individuelle d’une consécration totale à Marie. Ainsi, l’oblatio à Marie des sodalités jésuites, en scellant un pacte entre les congréganistes et la Vierge, engage chacun dans un lien intime et entier avec la Mère de Dieu. L’esclavage marial – aux débordements passionnés que caractérisent menottes et chaînes – est propagé par l’Oratoire pour appeler le dévot à offrir tout son être à la Vierge. Dans l’importante perspective théocentrique que prône Bérulle, cet abandon total doit permettre au dévot de s’unir, par la Vierge, à Dieu8. De la même manière, la vie « marieforme » du Carmel incite à « vivre en Marie » et à faire vivre Marie en soi pour se fondre en Dieu9. Les formes les plus communes de la dévotion à la Vierge tendent par ailleurs à faire de cette dernière le parfait modèle du chrétien, incarnant les vertus d’humilité, d’obéissance, de patience, de pauvreté, de foi et d’espérance. Le fidèle sera donc exhorté, en particulier par

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En 1673, le Colonais Adam Widenfelt, conseiller aulique à Vienne, publie anonymement à Gand un minuscule ouvrage de seize pages sous le titre de Monita salutaria B.V. Mariae ad cultores suos indiscretos dans lequel la Vierge apostrophe ses dévots et les admoneste pour leurs exagérations. L’opuscule fait grand bruit. L’auteur n’avait pas d’amitié particulière pour le jansénisme mais est violemment attaqué par les antijansénistes qui voient dans son ouvrage une offense au culte marial. La polémique est vive et réveille les tensions qu’avaient provoquées quelque vingt ans plus tôt les attaques de Pascal dans ses Provinciales à l’encontre du Paradis ouvert à Philagie par cent dévotions à la Mère de Dieu du jésuite Paul du Barry (Lyon, 1636). Ces moments de crise témoignent d’une dualisation de la piété mariale entre, d’un côté, un courant très démonstratif aux multiples pratiques dévotes emphatiques et, de l’autre, un courant plus rigoriste, discret et intimiste qui refuse la primauté du sensible. 8 Un défenseur modéré de l’esclavage marial fut Henri-Marie Boudon, Dieu seul ou le saint esclavage de l’admirable Mère de Dieu, Paris, F. Lambert, 1668. L’esclavage marial trouve ses origines dans l’antiquité chrétienne mais connaît une diffusion particulière dans l’Espagne du xvie siècle. Il semble qu’aux Pays-Bas, ce soit un prêtre espagnol, prédicateur à la cour de l’infante Isabelle, qui ait introduit la dévotion. Bartolomeo de Los Rios, ermite de Saint-Augustin, fonde la première confrérie d’esclaves de Marie en 1626 à Bruxelles (Édouard De Moreau, Histoire de l’Église en Belgique, t. V (1559-1633), Bruxelles, L’Édition Universelle, 1952, p. 354). Bérulle et l’Oratoire contribueront eux aussi à la propagation de la dévotion. La spiritualité oratorienne encourage en effet le fidèle à faire vœu de servitude à Marie pour rendre ainsi hommage à Jésus et se fondre en lui par sa mère. La totale dépendance à la Vierge du dévot assermenté est donc une forme de vénération christocentrique dans l’esprit de la pensée bérullienne qui met au cœur de son questionnement le mystère du Verbe incarné. L’esclavage à la Vierge connaîtra de nombreuses exagérations – caractérisées notamment par l’usage de chaînettes – que le Saint-Siège condamnera (Stéphane-Marie Morgain, La théologie politique de Pierre de Bérulle (1598-1629), Paris, Publisud, 2001 ; Cándido Pozo, « La devoción mariana en el contexto teologico particulamente cristologico y ecclesiologico, en Europa en los siglos xvii y xviii », Archivo Teologico Granadino, n° 46, 1983, p. 212-218 ; Stefano de Fiores, « Marie (sainte Vierge) », D.S., t. X, 1980, col. 462). 9 Michel de Saint-Augustin, O.Carm., Onderwysinghe tot een grondighe verloogheninghe syns selfs, ende van alle creaturen, ende tot een Godt-vormigh goddelyck leven in Godt om Godt […] met een by-voeghsel naer het tweede tractaet van een Marie-vormigh Marielyck leven in Maria om Maria, Malines, Gysbrecht Lints, 1669.

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les jésuites et les récollets, à imiter ces perfections de la Mère de Dieu10. La spiritualité mariale est alors, en de nombreux aspects, profondément individuelle. Pourtant, l’utilisation de la figure est autrement plus complexe et la dévotion à la Vierge a aussi été utilisée par une idéologie communautaire. L’une et l’autre de ces réalités coexistent sans être pour autant contradictoires et antinomiques. La Vierge, parce qu’elle est un personnage construit par des siècles d’interprétations et d’aspirations spirituelles, est modelable et malléable au gré des différentes revendications. La Mère de compassion peut devenir Reine et la Consolatrice de l’affligé peut servir les intérêts du pouvoir et des communautés. Sa plasticité lui fait endosser d’utiles missions. C’est ainsi qu’en terres « de frontières » ou de forte mixité confessionnelle, là où se rencontrent, s’opposent et s’excluent mutuellement des fidèles estimant leurs fois incompatibles, une Vierge toute-puissante est donnée à voir et à croire11. Dans l’Espagne catholique intransigeante qui repousse islam et judaïsme ou dans les territoires des Habsbourg et de leurs alliés, les Wittelsbach, secoués par les mouvements protestants, la Vierge encourage aux combats contre l’ennemi hérétique, rebelle à l’Église et aux monarchies catholiques12. Dans ces pays où le pouvoir souverain veut fonder son autorité sur la religion catholique et imposer, sur pareil fondement, l’unité de ses territoires, Marie renonce à ses attributs de douceur et d’humilité et fait primer ses fonctions de symbole de la reconquête et d’emblème de la suprématie romaine : Marie sauve les flottes catholiques des Habsbourg à Lépante face aux Turcs, dirige les troupes de l’Empereur et de la Ligue catholique contre les révoltes protestantes de Bohème13, mène la Croisade contre l’Infidèle en Espagne ou à Vienne14 et devient l’expression idéologique de la domination dans le Nouveau Monde pour créer l’unité indiano-hispanique dont rêvent les institutions religieuses et civiles15. Elle prend le nom de Notre-Dame de Victoire et accumule palmes et lauriers.

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François Arias, S.J., Traité de l'imitation de Nostre Dame, la glorieuse Vierge Marie, mère de Dieu, Douai, Balthasar Bellere, 1596 ; Hieremias Drexel, S.J., Rosae selectissimarum Virtutum quas Dei Mater Orbi exhibet, Anvers, Jean Cnobbaert, 1636 ; Maximilien Lenglez, O.F.M., L'eschole de la Vierge Marie en laquelle l'art de l'aimer, servir et imiter ses vertus, Mons, François de Waudré, 1636 (2nde éd., Namur, chez les Pères Récollets, 1652) ; [Anonyme], O.F.M., L'exemplaire des vertus évangéliques ou l'Office des dix vertus de la bienheureuse Vierge Marie Mère de Dieu, Liège, Gérard Grison, 1682. 11 Sur le thème de la frontière définie par la foi, voir Robert Sauzet, A. Ducellier et Janine Garisson (éds), Les frontières religieuses en Europe du xve au xviie siècle, actes du xxxie colloque international d’études humanistes (Tours, 1988), Paris, Vrin, 1992 ; Eszter Andor et István György Tóth (éds), Frontiers of Faith. Religious Exchange and the Constitution of Religious Identities (1400-1750), Budapest, Central European University-European Science Foundation, 2001. 12 Sur les différentes figures de Marie en fonction du contexte politique, voir Louis Châtellier, L’Europe des dévots, Paris, Flammarion, Nouvelle Bibliothèque Scientifique, 1987, p. 22 ; Id., « Les premières congrégations mariales dans les pays de langue française », R.H.É.F., n° 75, 1989, p. 169. 13 Olivier Chaline, La bataille de la Montagne Blanche (8 novembre 1620). Un mystique chez les guerriers, Paris, Éditions Noesis, 1999. 14 Remacle Mohy de Rondchamp, Suasoriae epistolae, christiani Orbis Primatibus & populis scriptae, pro suscipienda in Turcam expeditione, Liège, Christian Ouwerx, 1606 ; Léonard de Vaulx, Bellum sacrum ecclesiae militantis contra turcum communem hostem christianorum, Liège, Guillaume Henry Streel, 1685. 15 L. Roche, L'art baroque mexicain comme représentation sociale et parole idéologique, mémoire de D.E.A. inédit, Paris III, 1995.

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Symbole d’union Cette figure conquérante est alors officiellement convoquée par les princes catholiques pour garantir leur puissance et protéger leurs pays. Rois, empereurs et princes la proclament puissante sainte tutélaire, certains de son pouvoir de défendre leurs territoires et de les garantir de la ruine. Les Wittelsbach l’érigent en protectrice de la Bavière dans la lignée de la consécration de Munich par Guillaume V le Pieux à la Vierge d’Altötting16. En 1616, Maximilien fait installer sur la façade de sa résidence munichoise une statue de la Vierge couronnée et munie d’un sceptre avec à ses pieds une inscription la proclamant Patrona Boariae tandis qu’au-dessus d’elle, un cartouche annonce Sub tuum praesidium confugimus, reprenant les mots de l’antique antienne17. En 1638, le patronage marial sur toute la Bavière est exalté par l’érection en plein cœur de Munich d’une haute colonne surmontée de la statue de la Vierge. Sur le piédestal, Maximilien fait graver les mots Boicae Dominae Benignissimae Protectrici Potentissimae pour rappeler que la Vierge est la très bienveillante et très puissante protectrice de la Bavière. Les Habsbourg d’Autriche à leur tour, soutenus par les congrégations mariales de l’Europe dévote, élèvent la Vierge au rang de patronne de leurs États18. En 1640, Ferdinand III s’inscrit au registre de la Sodalitas Major de Louvain et envoie à la congrégation la formule d’un vœu solennel par lequel il voue à la Vierge sa personne, son épouse et ses enfants, l’Empire romain, ses royaumes, peuples et armées. Par le jeu rhétorique de l’anaphore autour des pronoms personnels des deux premières personnes du singulier, il se donne entièrement à Marie et s’annihile en elle. Je Te confie ma personne et les miens, mon épouse et mes enfants ; à Toi, l’Empire Romain, dont Dieu m’a rendu le chef ; à Toi, les Royaumes reçus de mes ancêtres ; à Toi et à ta tutelle, mon peuple et mes armées qui se battent pour toi et pour ton Fils. Admets-moi en toi, moi qui vis, me bats et règne pour ton Fils, pour Toi et pour votre honneur à l’un et à l’autre. Donc, je serai à Toi Marie, les miens aussi seront à Toi, mes terres, mes royaumes et mon empire seront à Toi, mon peuple et mon armée seront à Toi. Toi, protège-les, Toi, vainc pour eux, Toi, règne sur eux. Je fais ce vœu en 1640. Ton Ferdinand19.

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Gerhard P. Woeckel, Pietas Bavarica. Wallfahrt, Prozession und Ex voto-Gabe im Hause Wittelsbach in Ettal, Wessobrunn, Altötting und der Landeshauptstadt München von der Gegenreformation bis zur Säkularisation und der « Renovatio Ecclasiae », Weißenhorn, Konrad, 1992 ; Dominique Julia, « Sanctuaires et lieux sacrés à l’époque moderne », dans A. Vauchez (éd.), Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires. Approches terminologiques, méthodologiques, historiques et monographiques, Rome, École française de Rome, 2000, p. 285. 17 Hubert Glaser et Elke Anna Werner, « The victorious Virgin : the religious patronage of Maximilian I of Bavaria », dans Kl. Bussmann et H. Schilling (éds), 1648. War and Peace in Europa, t. II (Art and Culture), catalogue d’exposition, Munster, 1998, p. 150. 18 L. Châtellier, L’Europe des dévots…, op. cit., p. 133. 19 « Tibi me meosque, coniugem et liberos, Tibi Romanum Imperium, cui me Deus praefecit, Tibi Regna a maioribus accepta, Tibi tutelaque tua populum et exercitos meos, Tibi tuoque Filio militantes committo. Tu me in tuum admitte, qui Filio tuo, qui Tibi, utriusque honori vivo, pugno, regno. Tuus igitur ego ero MARIA, Tui erunt quicumque mei, Tuae erunt ditiones et Regna mea et imperium, Tui populi et exercitus. Tu eos protege, Tu eis vince, Tu in eis regna et impera. Ita voveo MDXL. Tuus / Pietate et Iustitia Ferdinandus » (A.R.S.I., Fl.-Belg.,

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Le « je » de l’empereur se dilue dans le « tu » multiplié à la Vierge. L’empereur devient l’humble serviteur de Marie à qui il confie la charge de régner et de vaincre sur ses royaumes et son empire. Le 18 mai 1647, Ferdinand voue la Basse-Autriche à l’Immaculée Conception lors de grandioses cérémonies où il redit la même ferme volonté de consécration. Comme son cousin Maximilien, il dresse sur la grand-place de Vienne, en face de la maison professe de la Compagnie, pour perpétuer son vœu, une Mariensäule en marbre au pied de laquelle la Vierge est proclamée dame et patronne particulière de l’Autriche. Il cherche alors à créer, autour de la figure de la Vierge, une communauté catholique solidaire qui le lierait étroitement à son peuple20. En 1667, Léopold Ier réitère le vœu de son père. Il consacre par la même occasion à Marie la Hongrie nouvellement conquise, renouvelant le vœu qu’aurait prononcé au xie siècle saint Étienne, fondateur du royaume21. De semblables consécrations ont également lieu ailleurs dans l’Europe catholique. On se souvient du vœu de Louis XIII qui, le 10 février 1638, déclare solennellement Marie protectrice de la France22. En 1646, le Portugais João IV, roi d’un pays fraîchement libéré de la présence espagnole, proclame l’Immaculée Conception patronne de son royaume23. Le 1er avril 1656, le roi Jean Casimir Wasa consacre tout son pays à la protection de la Mère de Dieu, la proclamant patronne et reine des terres de Pologne, devant une icône de l’Oumilénie, type de la Vierge de tendresse, dans la cathédrale ukrainienne de Lviv. Très rapidement, la Vierge noire de Czestochowa, honorée dans le monastère de Jasna Góra, est identifiée à cette nouvelle Reine de Pologne mais n’en reçoit officiellement le titre qu’en 171724. Par de telles initiatives princières, ces royaumes deviennent très visiblement des royaumes de la Vierge. La piété mariale prend donc place parmi les supports symboliques servant le pouvoir. Klaus Schreiner, qui a brièvement étudié ces consécrations, en fait un moteur des constructions patriotiques25. Il démontre ainsi le rôle de Marie comme symbole

vol. 57, p. 145, [Litterae] Annuae Anni 1640 Collegii Lovaniensis). Le texte a été repoduit dans l’Imago primi saeculi, Anvers, imprimerie Plantin, Balthasar Moretus, 1640, livre III, p. 362. 20 L. Châtellier, L’Europe des dévots…, op. cit., p. 132. 21 Jean Bérenger, « Pietas austriaca. Contribution à l'étude de la sensibilité religieuse des Habsbourg », dans J.-P. Bardet et M. Foisil (éds), La vie, la mort, la foi, le temps. Mélanges offerts à Pierre Chaunu, Paris, P.U.F., 1993, p. 414-416. 22 René Laurentin, Le vœu de Louis XIII. Passé ou avenir de la France, 2e édition, Paris, François-Xavier de Guibert, 2004 (1re éd., 1988) ; Guillaume Ambroise, Annick Notter et Nicolas Sainte-Fare-Garnot, La Vierge, le roi et le ministre : le décor du chœur de Notre-Dame de Paris au XVIIe siècle, catalogue d’exposition, Arras, Musée des Beaux-Arts, 1996. 23 Francisco Leite de Faria, « Crença e culto da Imaculada Conceição em Portugal », Revista Espanola de Teologia, n° 44/1, 1984, p. 137-160 ; Luis de Moura Sobral, « Théologie et propagande politique dans une gravure de Lucas Vorsterman II : l'Immaculée Conception et la restauration de la monarchie portugaise de 1640 », Nouvelles de l'Estampe, n° 101-102, 1988, p. 4-9. 24 Aleksandra Witkowska, « Polen », dans R. Baümer et L. Scheffczyck (éds), Marienlexikon…, op. cit., t. V, 1993, p. 260-263. Voir également Damien Tricoire, « La double communication et l’affirmation d’une communauté dans l’universel. Le patronage marial au xviie siècle : l’exemple de la Pologne », Schweizerische Zeitschrift für Religions- un Kulturgeschiche / Revue suisse d’histoire religieuse et culturelle, n° 101, 2007, p. 33-47. 25 Klaus Schreiner, « Maria Patrona. La sainte Vierge comme figure symbolique des villes, territoires et nations à la fin du Moyen Âge et au début des Temps Modernes », dans R. Babel et J.-M. Moeglin (éds), Identité régio-

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de l’union politique, en insistant particulièrement sur l’usage dynastique d’une Vierge utile à l’État. Il passe alors en revue une série d’actions symboliques introduites par les princes autour du personnage marial. Aussi définit-il Marie comme une figure du prince – en particulier des Wittelsbach et des Habsbourg – et, partant, de la nation. Du rôle des dévotions locales et populaires, cependant, il est à peine question. Bruno Maës, en revanche, lorsqu’il établit l’importance des sanctuaires marials dans l’élaboration d’une identité nationale française, préfère à l’initiative de quelques têtes couronnées l’histoire du plus grand nombre et l’analyse de la dynamique largement collective du pèlerinage national comme facteur d’unité du pays26. Il étudie en parallèle, et sur la longue durée, relation des fidèles au divin et questions politiques : il montre ainsi comment la dévotion à la Vierge au sein des sanctuaires de Liesse, Saumur et Le Puy a servi de support au sentiment national en France et contribué à la construction de l’État moderne, du moins jusqu’à la fin du xviie siècle. Ces sanctuaires ont rassemblé les sujets autour d’un roi-pèlerin qui, lorsqu’il pérégrine vers lesdits lieux, maîtrise l’espace de son royaume et lui impose l’unité. Enfin, l’hispaniste Monique Alaperrine-Bouyer interroge, elle aussi, le rôle marial dans les dispositifs politiques et nationaux des xvie et xviie siècles en concentrant ses recherches sur le Pérou27. À la différence des précédents, cependant, elle ne braque les feux de son analyse ni sur d’éventuelles décisions princières ni sur les longues séries de données que peut délivrer une étude attentive de l’histoire et de l’organisation de sanctuaires. Elle préfère brosser à grands traits quelques composantes du culte péruvien à la Vierge : elle montre les rapports étroits qu’entretiennent les Espagnols avec les statues représentant l’Immaculée Conception, analyse la construction par les chroniqueurs espagnols d’une Vierge violente, meurtrière et offensive qui écrase les Indiens à Cuzco et rappelle enfin que les Indiens honorent eux aussi leurs propres Vierges. Élite espagnole et peuple indien s’approprient l’une et l’autre le symbole que représente Marie, chacun sous différents titres, et en font un support de leur identité : la Vierge participe ainsi à la construction nationale péruvienne. Dans l’étude qui suit, nous montrerons à notre tour que la Vierge intègre les mécanismes symboliques qui soutiennent les pouvoirs dans le cadre des Pays-Bas espagnols. Les angles d’analyse seront toutefois sensiblement différents de ceux de nos prédécesseurs.

Les Pays-Bas espagnols : rêves de stabilité Les Habsbourg comprennent l’intérêt d’intégrer la Vierge dans les dispositifs symboliques légitimant leur pouvoir. Les corps de ville – appelés « Magistrats » dans les Pays-Bas méridionaux –, les conseils provinciaux, les assemblées d’État ont la même intelligence de la figure. Les uns et les autres, soutenus par le monde ecclésiastique et régulier, l’annexent d’autant plus à l’appareil imaginaire au service de leur autorité que les temps sont

nale et conscience nationale en France et en Allemagne du début du Moyen Âge à l’époque moderne, Sigmaringen, Thorbecke, 1997, p. 133-153. 26 Br. Maës, Le roi, la Vierge et la nation…, op. cit. 27 Monique Alaperrine-Bouyer, La Vierge guerrière. Symbolique identitaire et représentations du pouvoir au Pérou (xvie et xviie siècles), Paris, Université de la Sorbonne Nouvelle, 1999.

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durs et que la menace protestante pèse non seulement sur les frontières mais est encore présente à l’intérieur même du pays. En 1579, les anciennes provinces bourguignonnes sont de facto divisées en deux par les Unions d’Arras et d’Utrecht. Nord et Sud voient les frontières qui les divisent se dessiner par la force des armes et les talents diplomatiques d’Alexandre Farnèse parti à la reconquête, au nom de Philippe II, d’un pays révolté. Réconcilié avec les provinces méridionales, le gouverneur a repris une à une, en 1585, des villes aussi importantes que Gand, Bruges, Bruxelles, Malines ou Anvers. Depuis lors, les frontières des Pays-Bas – dits aussi Belgium ou Belgica28 – se profilent au nord de Breda, Bois-le-Duc et Venlo mais sont régulièrement violées par la République calviniste. Après la Trêve de Douze Ans, en effet, les combats reprennent dans un pays dirigé par le couple intensément catholique que forment les archiducs Albert et Isabelle. Frédéric-Henri de Nassau, soutenu par Richelieu, multiplie les offensives, refoule les armées du Sud et s’empare de Bois-le-Duc puis de Maastricht. Isabelle meurt alors d’une pneumonie, laissant le pays entre les mains de l’Espagne. À partir de 1635, la France fait à son tour peser le poids de la tourmente sur les Pays-Bas29. Fermement décidée à envahir le pays pour atteindre le Rhin, elle franchit ses frontières méridionales et mène la vie dure aux troupes espagnoles qui, après quelques premières victoires, vont de défaite en défaite. En 1659, l’Espagne, humiliée, demande la paix. Celle-ci est cependant de courte durée : en raison des velléités annexionnistes de Louis XIV, les territoires des Pays-Bas redeviennent des champs de bataille, selon l’expression désormais classique dont use l’historiographie belge. Disparaissent ainsi progressivement de la carte politique des provinces belgiques, l’Artois, le Tournaisis, des morceaux de la Flandre, des lambeaux du Hainaut… Les Pays-Bas s’étranglent. Ces longues années sont noires. Un climat anxiogène ronge le pays où guerres et passages de troupes laissent d’irrémédiables marques sur le paysage socio-économique. La lutte contre les Provinces-Unies, les répercussions de la guerre de Trente Ans et les menaces françaises ne laissent aucun répit aux populations. Les batailles, les sièges, les assauts, les bombardements et les représailles, on le sait, ne peuvent être limités à un jeu stratégique entre chefs de guerre rompus à l’art du combat et aux innovations tactiques. Ces conflits entraînent irrémédiablement dans leur sillage des populations qu’elles marquent au fer rouge. Le passage des troupes, les occupations, les pillages détruisent les maigres ressources dont elles pouvaient espérer disposer. Restent des hommes et des femmes apeurés qui doivent affronter la maladie, la famine et la mort30. On a beaucoup dit de ce xviie siècle qu’il était un « siècle de malheurs ». Si cette affirmation est de plus en plus considérée comme un lieu commun dont il convient de se dégager, il n’en reste pas moins que le sentiment d’être au cœur d’un drame est lui réellement présent. La peur est partout et les ondes de choc de cette ère de désarroi sont destructrices pour les Pays-Bas. Il s’agit, maintenant, de ressouder un pays ébranlé. Les spécialistes des questions identitaires l’ont souligné : lorsque l’ordre public est ainsi déstabilisé et totalement bouleversé, suspendu entre une structure passée détruite

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Sur le nom de « Belgique », voir les récents travaux de Sébastien Dubois, L’invention de la Belgique. Genèse d’un État-nation, Bruxelles, Racine, 2005, p. 60 et suiv. 29 Hervé Hasquin, Louis XIV face à l’Europe du Nord, Bruxelles, Racine, 2005. 30 Jean Delumeau, La peur en Occident (xive-xviiie siècles), Paris, Fayard, 1978 (réimpr. 1999).

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et un avenir incertain, s’offre l’occasion d’entamer une réflexion intense sur soi ou sur le groupe auquel on appartient31. Il devient alors nécessaire de définir ce que l’on est et ce que l’on n’est pas pour opérer efficacement la transition. Dans les Pays-Bas, abondent donc les symboles qui doivent dire et redire la stabilité et l’union du pays, certainement fictives et mythiques mais cependant vivement espérées32. Nous tenterons ici de démontrer que la Vierge est précisément l’un de ces symboles. Il ne sera cependant pas question, ici, de prétendre que le culte marial a fait la « nation belge ». Tout au plus démontrerons-nous que cette Vierge a été mobilisée comme instrument symbolique utile à la construction d’une unité politique. Mais nous nous démarquerons en même temps clairement de la littérature catholique qui, à partir du milieu du xixe siècle, a fait de Marie l’argument de la nation dans la jeune Belgique. En 1859, Edmond Speelman (1819-1886) publie un Calendrier belge de la Vierge, premier d’une série de trois volumes intitulée Belgium marianum33. Les deux volumes suivants n’ont cependant jamais vu le jour. Ils devaient, selon les intentions de l’auteur, établir la Légende belge de la Vierge en inventoriant les traditions mariales locales ainsi que l’Idéal belge de la Vierge que véhiculent œuvres d’art et productions poétiques. Dans son unique Calendrier, Edmond Speelman, convaincu que la nation belge remonte à des temps immémoriaux, établit l’inventaire de toutes les manifestations du « fait marial » sur les territoires de la récente Belgique depuis l’époque de la christianisation de la Gaule. L’intention de l’auteur est claire : il s’agit de montrer que la Belgique est depuis toujours intimement et profondément mariale et que sa récente indépendance a été placée sous la tutelle de la Vierge. Invoquant la devise nationale, il appelle cette « auguste Patronne » et « sainte Protectrice » à régner à tout jamais sur la patrie : la Vierge est, sous sa plume, figure d’union et de force… D’autres ont également exalté la Belgique comme une terre mariale ancestrale34. Parmi ces productions, on remarquera particulièrement l’ouvrage de l’abbé Henri Maho (1864-1933) qui publie en 1929 un nouveau Belgium marianum destiné à établir un répertoire historique des églises, sanctuaires, chapelles et grottes de Belgique vouées à Marie afin d’en accroître davantage encore la dévotion35. L’écrivain catholique Maurice Deflandre, chargé de rédiger la préface, ancre l’entreprise dans un discours de type national : il annonce au lecteur averti que les bénéfices qu’il retirera de la lecture de l’ouvrage ne seront pas seulement « mystiques » mais également « patriotiques ». À ses yeux, le travail de Maho permet « l’établissement d’une juste vision

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Arpád Szakolczai, « Identity formation Mechanisms : A conceptual and genealogical analysis », European University Institute Working Paper in Political and Social Sciences, n° 98/2, Fiesole, 1998, p. 8 et suiv. 32 Sur le mythe mobilisateur de l’identité collective, voir Edmond-Marc Lipiansky, « Comment se forme l’identité des groupes », dans J.-Cl. Ruano-Borbalan (éd.), L'identité. L'individu, le groupe, la société, Auxerre, Éditions Sciences Humaines, 1998, p. 145. 33 Edmond Speelman, Belgium marianum. Histoire du culte de Marie en Belgique. Calendrier belge de la sainte Vierge, Paris-Tournai, H. Casterman, 1859. La même année, l’A. quitte la Compagnie de Jésus et intègre les rangs du clergé séculier. 34 Auguste de Reume, Les Vierges miraculeuses de la Belgique. Histoire des sanctuaires où elles sont vénérées. Légendes, pèlerinages, confréries, bibliographie, Tournai, H. Casterman, 1856 ; Emile H. van Heurck, Les drapelets de pèlerinage en Belgique et dans les pays voisins, Anvers, J. E. Buschmann, 1922. 35 Henri Maho, La Belgique à Marie (Belgium marianum). Ouvrage illustré de 600 reproductions photographiques, dessins, de 20 planches en phototypie et d’une carte, Bruxelles, A. Bieleveld, 1929.

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du sens national » puisqu’il démontre que la Vierge a présidé aux destinées de la nation belge depuis les temps les plus lointains. Les thèses d’Edmond Speelman et de Maurice Deflandre participent d’une historiographie exaltant l’existence d’une nation belge séculaire, bien antérieure à 1830, qu’aurait forgée un catholicisme puissant. Cette historiographie, soutenue par des voix comme celles d’Étienne Constantin de Gerlache ou Godefroid Kurth et partiellement reprise par Henri Pirenne, a fait son temps et la communauté scientifique tâche aujourd’hui – à juste titre – de s’en distancier36. Car si l’on prend le seul exemple de ce grand conglomérat territorial que sont les Pays-Bas à l’époque moderne, caractérisé par une importante diversité, peut-on réellement affirmer qu’il existe alors une « nation belge » ? Jean Stengers et Lode Wils diront que oui, même si le premier reconnaît que son expression est peu extériorisée et que le patriotisme belge n’a pas le caractère glorieux de ses voisins37. Luc Duerloo, comme Paul Harsin avant lui38, infirmera cette thèse, soulignant le caractère polycentrique des Pays-Bas d’Ancien Régime où l’identité ne peut être que plurielle, ce qui rend dès lors impossible l’existence d’une identité nationale une et indivisible39. Toutefois, si l’on doit admettre que les particularismes locaux et provinciaux ont été vigoureux, il faut reconnaître que le sentiment d’unité politique de ces provinces a aussi existé, à tout le moins de manière diffuse40 : une élite partage le sentiment de former dans ces Pays-Bas une communauté caractérisée par l’attachement à quelques institutions centrales parmi lesquelles, sans conteste, le souverain espagnol et la religion catholique ont effectivement joué un rôle essentiel41. Il faut cependant bien considérer cet attachement à la monarchie et cette fidélité à l’Église romaine pour ce qu’ils sont : dans les provinces belges, ils dynamisent pratiquement à eux seuls le sentiment de communauté en rassemblant des individus qui

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Voir la mise au point de S. Dubois, L’invention de la Belgique…, op. cit., 2005. Voir également Jean-Marie Cauchies, « Y a-t-il une nation belge ? » et Claude Bruneel, « La nation belge », dans H. Dumont, Ch. Franck et J.-L. de Brouwer (éds), Belgitude et crise de l’État belge, actes du colloque des Facultés universitaires Saint-Louis (24 novembre 1988), Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1989, p. 171-195 ; Hervé Hasquin, « Pirenne : le nationaliste et l’intuitif de génie », dans G. Despy et A. Verhulst (éds), La fortune historiographique des thèses d’Henri Pirenne, actes du colloque de l’Institut des Hautes Études de Belgique (Gand, mai 1985), Bruxelles, Association des archivistes et bibliothécaires de Belgique, 1986, p. 113-117 (= Archives et Bibliothèques de Belgique, 28). 37 Lode Wils, Histoire des nations belges. Belgique, Flandre, Wallonie : quinze siècles de passé commun, trad. du néerl. par Ch. Kesteloot, Ottignies-Louvain-la-Neuve, Quorum, 1996 (1re éd., 1992), p. 87-106 ; Jean Stengers, Histoire du sentiment national en Belgique des origines à 1918, t. I, Les racines de la Belgique jusqu’à la révolution de 1830, Bruxelles, Racine, 2000, p. 113. 38 Paul Harsin, « À propos du sentiment national dans les Pays-Bas aux xvie et xviie siècles », dans J. Lejeune et M. François (éds), Recueil d’études. Hommage à Paul Harsin, Liège, F. Gothier, 1970, p. 419-424. 39 L. Duerloo, « Verbeelde gewesten. Zelfbeeld en zelfrepresentatie in de Zuidelijke Nederlanden », De zeventiende eeuw. Cultuur in de Nederlanden in interdisciplinair perspectief, t. XVI, 2000, p. 1-13, remet en question l’utilisation du concept d’identité nationale comme grille d’analyse des Pays-Bas d’Ancien Régime et lui préfère celle d’identité régionale, vu l’autonomie des différentes provinces. Il montre comment cette identité s’est forgée sur le choix d’un saint patron, le culte des reliques et sur un ensemble d’images et de représentations temporaires ou permanentes inscrites dans le paysage public et mises en œuvre par l’État. 40 S. Dubois, Op. cit., passim. 41 C’est, déjà, la thèse d’Henri Pirenne qui, dans son Histoire de Belgique et en particulier dans son quatrième tome consacré au règne des archiducs et à la période espagnole, a particulièrement exalté cette double fonction fédératrice de la religion et du prince.

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n’ont de semblable, finalement, que le fait d’être sujets d’un même roi et fidèles d’une même Église. Pour le reste, administration, coutumes, privilèges, impôts, tout diffère… Les provinces qui forment les Pays-Bas n’ont rien d’homogène et leur parfaite union n’est que fiction42. Le patriote, généralement citadin et cultivé, se contentera essentiellement de conjuguer dévouement à la religion catholique et loyauté au prince pour exprimer son attachement au Belgium. Pas de sentiment national fort, donc, mais quelques frémissements aux degrés d’intensité variable selon les lieux et les milieux. En revanche, à d’autres niveaux, la conscience vive de former une communauté et de partager un destin commun semble plus évidente. La cité et la province sont des lieux où s’affirme avec un éclat particulier le sentiment de la communauté et donc de l’identité partagée. Le rôle des historiens est alors de s’employer à définir les mythes et les symboles autour desquels cette conscience de faire corps se cristallise. Car en effet, les identités collectives – civiques, régionales ou nationales quand elles existent – sont le résultat, en constant réaménagement, de processus dynamiques combinant et organisant des référents matériels et symboliques qui leur sont suggérés pour fonder la certitude de la communauté. Parmi ceux-ci, cette étude soulignera tout particulièrement, nous l’avons dit, le rôle attribué au personnage marial. Des milieux politiques et spirituels encouragent les communautés civiles à nouer des liens intimes avec la Vierge. Ils y voient le moyen de proposer à ces groupes une identité tout à la fois catholique et politique. Ces exhortations appellent à la conscience partagée par le plus grand nombre de former un être collectif sous la protection mariale. Nous n’ignorerons pas, par ailleurs, que les Pays-Bas sont divisés en deux par la principauté ecclésiastique de Liège qui, elle aussi, résonne d’une vibrante clameur mariale. La principauté abrite nombre de lieux de pèlerinage à la Vierge de renommées diverses. Elle s’enorgueillit d’abriter, à Tongres, la première église du nord des Alpes à avoir reçu un vocable marial43. Elle est fière d’avoir abrité entre les murs du monastère de Saint-Laurent le célèbre mariologue qu’est Rupert de Deutz et se convainc d’avoir toujours été protégée par les faveurs de la Mère de Dieu. Les jésuites feront d’ailleurs jouer ces faveurs par leurs élèves en 1647 lors de la procession pour la vigile de la fête de l’Annonciation44. Liège goûte donc d’exquis délices marials comme l’affirme le titre d’un opuscule démontrant, en 1664, que la ville vit sous le patronage de la Mère de Dieu45. De plus, sont installés à Liège les très catholiques Wittelsbach qui se succèdent, d’oncle en neveu, sur le trône épiscopal. Depuis Maximilien et les victoires de la Ligue catholique, la dynastie bavaroise a développé un culte marial étatique de première importance46. Il suffit de se souvenir des consécrations que nous venons d’évoquer ainsi que de l’ostentatoire dévotion que le puissant duc Maximilien a

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Cl. Bruneel, « La nation belge », op. cit., p. 183. Annick Delfosse, "Beata Maria Dei Genitrix". Le culte de la Vierge Marie dans le diocèse de Liège avant la fin du xiiie siècle, mémoire de licence inédit, Université de Liège, Histoire, 1999. 44 La piété du peuple de Liège envers Marie et les bienfaits de la glorieuse Vierge Marie envers les Liegeois, le tout representé par les Escoliers de la Compagnie de Jésus en la procession qu’ils feront à l’honneur de Nostre-Dame le 24 mars 1647, Liège, Baudouin Bronckart, 1647. 45 François Zutman [Franciscus Suavivir], Deliciae marianae, Liège, Christian Ouwerx, 1664. 46 H. Glaser et E. A. Werner, « The victorious Virgin: the religious patronage of Maximilian I of Bavaria », op. cit. 43

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vouée à la Vierge, influençant considérablement par ses choix et ses initiatives les formes de la piété de ses cousins habsbourgeois47. Les représentants de la dynastie à Liège relaient cette vive dévotion mariale familiale dans la principauté en encourageant, notamment, la fondation de sanctuaires majeurs comme celui de Foy-Notre-Dame. Le prince-évêque Maximilien-Henri (1650-1688) sera le dédicataire d’une série de productions imprimées ou dramaturgiques consacrées à la Vierge48. Aucun no marian land ne sépare les Pays-Bas, comme une terre aride entre deux jardins clos : la célèbre neutralité liégeoise n’a pas cours en matière de dévotion. Nous ne manquerons pas, dans les pages qui suivent, de recourir aux témoignages des sources principautaires tout en nous souvenant qu’en termes politiques, Liège est un autre pays. L’étude de l’utilisation politique de la Vierge exigeait de maintenir l’argumentation dans un cadre politique cohérent où cette utilisation semblait particulièrement remarquable. Si les Pays-Bas se déploient de part et d’autre de la principauté ecclésiastique de Liège et ne peuvent l’ignorer, ils forment un État distinct au sein duquel il est pertinent d’interroger, sans s’égarer, les structures mariales des pouvoirs.

Marges et filigranes Pour mener pareille enquête, il était nécessaire de donner les plus grandes dimensions possibles au corpus documentaire à analyser et de lui assurer une composition fondée sur des documents de nature et d’origine différentes. L’articulation de sources hétérogènes devait nous permettre d’arpenter de vastes terrains en diversifiant chemins et panoramas. Il n’est pas question, évidemment, de prétendre à l’appréhension totale du paysage marial belge mais plutôt d’y décrypter quantité de techniques différentes qui s’y sont combinées pour soutenir des projets politiques recourant à la figure symbolique de la Vierge. Cette approche laissera toujours le chercheur et ses lecteurs sur leur faim : elle contraint immanquablement à creuser des sillons multiples mais peut-être peu profonds. Son précieux avantage, toutefois, est qu’elle permet de mettre au jour différentes stratégies et de montrer leur complémentarité. Archives institutionnelles et administratives tant ecclésiastiques que civiles, littérature imprimée spirituelle, théologique, homilétique et liturgique, panégyriques princiers, histoires, chroniques et documents iconographiques se rejoignent donc dans ce travail. Ces sources s’éclairent mutuellement, font résonner entre elles d’intéressants échos structurant le récit.

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Franz Matsche, Die Kunst im dienst der Staatsidee Kaiser Karls VI. Ikonographie, Ikonologie und Programmatik des "Kaiserstils", t. I, Berlin-New York, Walter de Gruyter, 1981. 48 Philippe Bouchy, Diva Tungrensis Hanno-Belgica sive imaginis eius Tungros Hannoniae mira per angelos deportatio serenissimo Maximiliano Henrico utriusque bavariae duci eburonum principi, &c. dicata, Liège, Baudoin Bronckart, 1651 ; Id., Diva Servia Hanno-Belgica sive miraculorum ab ea patratorum florigelium in sex areolas seu decades distributum serenissimo Maximiliano Henrico utriusque Bavariae duci eburonum principi sacrum, Liège, Baudouin Bronckart, 1654 ; Drama Syncharisticum Hierarchi in Virginem Lauretanam Pietas. Principi Serenissimo Maximiliano Henrico Dei gratia Archiepiscopo Coloniensi Sacri Romani Imperii Electori. Per Italiam Archi-Canacellario, Sedis Apostolicae Legato nato Episcopo ac Principi Leodiensi et Hildesiensi, etc. D.C. Musae Leodiensis Societatis Iesu. Hora 2 pom. 20 Mart. MDCLXXI, Liège, Henri Hoyoux, 1671.

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La littérature mariale a d’abord retenu notre attention. Polymorphe et pour ainsi dire inépuisable, elle présente de multiples objets. Méditations sur la vie de la Vierge, ses douleurs et ses vertus, exercices de dévotion, exégèses mariales des livres vétérotestamentaires et en particulier du Cantique des cantiques, commentaires sur litanies de Lorette, éditions des offices de la Vierge, livrets de pèlerinages, récits de miracle, inventaires de reliques, manuels de confrérie, sermons en tout genre… Les productions imprimées consacrées à la Vierge paraissent intarissables et leur nombre, infini. Nous présenterons les principaux ressorts de cette littérature de piété et en démontrerons le vif intérêt pour des questions historiennes comme les nôtres au fur et à mesure de notre démonstration. Nous verrons alors que, malgré leurs qualités littéraires et théologiques souvent quelconques, ces discours méritent plusieurs niveaux de lecture. Dans la marge et entre les lignes, en effet, émergent toujours des informations essentielles pour l’historien, éclairant d’un jour nouveau les représentations autant politiques et culturelles que proprement religieuses des dévots du xviie siècle. Nous donnerons ainsi la priorité au para-texte plus qu’au texte lui-même. Ce para-texte réunit le plus souvent épître dédicatoire et avis au lecteur mais peut également se diversifier en de multiples formes d’expression, du sonnet savant à l’oraison dévote. Cette multiplicité et variété de préludes à l’ouvrage est l’occasion d’introduire le lecteur au corps du sujet en aiguisant son appétit de connaissances ou de s’adresser directement aux mécènes ainsi qu’au public lettré pour capter leur bienveillance. Les préliminaires peuvent également – et c’est là tout leur intérêt pour notre propos – offrir à ceux-ci et à ceux-là un second niveau de lecture. L’exaltation mariale prend alors un autre tour : la Vierge que glorifiera l’ouvrage affiche, dans le para-texte, des visages différents. Ces pièces para-textuelles sont donc des lieux où l’auteur peut opérer de subtils et utiles glissements. Il arrache la Vierge au corps de sa démonstration et l’enracine dans des réalités où on l’attend moins : la bonne marche du gouvernement, la guerre, la terreur contemporaine… Ces relectures, idéalisations et glissements ont fait l’objet de nos soins les plus attentifs. Un livre n’est pas uniquement ce que son titre annonce : il est également tout ce que les pièces secondaires en font. Il existe dès lors une lecture multiple de la littérature mariale, permettant de dévoiler de pertinents enseignements lorsque l’on s’intéresse au rôle de la Vierge dans la sphère publique. Si les interprétations politiques de la figure mariale telles qu’elles sont formalisées dans les marges de ces traités offrent de précieux renseignements pour nos questionnements, le recours ordinaire ou exceptionnel des dévots à cette même figure dans une relation fervente et publique doit aussi éveiller notre vigilance. À ce titre, les pièces d’archives, en tant que traces de l’activité quotidienne des hommes, ont révélé des trésors d’informations. Les rapports des jésuites à Rome, la correspondance des nonces installés à Bruxelles, les archives des institutions centrales des Pays-Bas comme le Conseil Privé ou le Conseil d’État ont ceci de captivant qu’ils procurent à leur lecteur, pour reprendre les mots d’Arlette Farge, un « effet de réel49 ». Ils livrent des informations brutes, reflets d’une vie presque tangible, qui font croire en la possibilité de dire, enfin, le « vrai ». Ils restent cependant, comme toute autre source, des vestiges partiels et souvent voilés du passé. Il convient donc toujours de les interroger et de les confronter pour leur faire prendre sens et les rendre utiles à la question

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Arlette Farge, Le goût de l’archive, Paris, Seuil, 1989, p. 12 et 18.

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posée. Ces archives, toutefois, présentent, à la différence de la plus grande part des textes littéraires, l’avantage de faire entrer en scène des personnages dont le rôle sera décisif dans le tableau à venir. Le pouvoir central et ses Conseils. Le pape et ses légats. La Compagnie de Jésus et son active milice chrétienne. Le Magistrat de la cité. La cité elle-même. La masse des fidèles. Entre ces hommes, en ces lieux, se nouent des liens autour d’un référent sacré commun. La Vierge apparaît ici dans son instrumentalisation la plus concrète, dans son utilisation sociopolitique la plus palpable, dans son rôle public le plus expressif. Cette longue investigation, enfin, a voulu rendre justice au rôle fondamental pour la recherche historique de l’image comme document à part entière50. Nous avons donc tenté autant que possible d’éviter l’écueil de l’iconographie-illustration qui vient agrémenter les pages d’un récit mais dont on se préoccupe si peu qu’elle devient matière inerte et perd tout pouvoir explicatif. L’image a sa fonction propre et, dès lors, ne peut être considérée comme le vague écho, agréable à l’œil, des sources écrites qu’affectionne généralement l’historien. L’image est, elle aussi, un document d’histoire et c’est comme telle que nous l’avons envisagée. Son utilisation, les lieux qui l’abritent, les raisons pour lesquelles elle a été élaborée, le message qu’elle révèle offrent quantité d’informations utiles au chercheur. De la foisonnante production artistique moderne consacrée à la Vierge, nous avons donc, pour répondre à notre problématique, retenu des œuvres qui démontraient l’inscription du personnage marial dans la vie publique soit par un programme iconographique expressif, soit par l’usage qui a en été fait. En outre, il est important de noter qu’à ce rôle de l’image figée dans la matière, le plus souvent fixe mais susceptible également de voir ses fonctions symboliques accentuées par la mobilité – on pense par exemple aux statues portées en procession –, s’ajoute le rôle non moins important de l’image momentanée et éphémère qu’engendrent les mises en scène cérémonielles. Elle met en œuvre, de la même manière que l’image matérielle, des symboles et des représentations qui doivent contribuer à afficher un message clair et convaincant. Elle est le média d’une pensée, le support d’un discours et plus souvent encore l’expression d’un imaginaire que l’historien tentera d’élucider. La rencontre de ces matériaux documentaires les plus divers a permis de mettre en place les principales articulations du récit qui va suivre et de soulever les questions qui l’animent : comment la figure de la Vierge a-t-elle été utilisée, dans les Pays-Bas méridionaux, comme garante d’un ordre public nécessaire à la tranquillité du pays dès la fin du xvie siècle mais surtout à partir du xviie siècle ? comment, par des procédés à la fois rhétoriques, dévotionnels et visuels est-elle affirmée comme la protectrice des communautés civiles et lui fait-on inscrire son champ d’action hors du domaine spirituel et privé pour investir la sphère publique ? comment a-t-elle alors été exploitée comme instrument pour appeler à l’union civile au sein d’une structure politique habsbourgeoise centralisatrice et de l’Église catholique, pilier de la maison d’Autriche ? Les réponses à ces questions seront proposées en deux étapes. La première exposera comment la Vierge a été définie comme Protectrice

50 Francis Haskell, L’historien et les images, trad. fr. par A. Tachet et L. Evrard, Paris, Gallimard, 1995 ; Michèle Ménard et Annie Duprat (éds), Histoire, images, imaginaires, actes du colloque international de l'Université du Maine (21-22-23 mars 1996), Le Mans, Université du Maine, 1998 ; Michèle Ménard, « Une problématique du xxe siècle. Faire l’histoire religieuse avec des images », R.H.É.F., n° 86, 2000, p. 573-587.

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du pays. Les principaux rôles de ce premier acte sont dévolus aux foules dévotes, aux corps de ville et, tout particulièrement, aux jésuites, principaux acteurs de cette opération mariale. Le lecteur percevra toute l’angoisse des horreurs de la guerre. Il comprendra aussi la force émotionnelle de la folle expression baroque et les conséquences déterminantes des grandes cérémonies urbaines. La seconde partie, elle, donnera la parole aux Habsbourg et à leurs champions. Elle montrera le caractère nettement politique que la dynastie habsbourgeoise, dirigeant les Pays-Bas méridionaux, a imprimé à la dévotion mariale dans le pays et tentera d’analyser discours et productions culturelles qui fondent cette construction. Les titres de la Vierge s’y multiplieront : elle sera tout à la fois pugnace guerrière, Immaculée Conception et Mère de douleurs… De chapitre en chapitre, nous analyserons donc l’ensemble des images, des représentations, des mises en scène organisées autour du personnage de la Vierge pour ériger celle-ci en protectrice des collectivités, en garante des pouvoirs et, par là même, en référent commun à chacun des membres de ces groupes. Ni chiffres ni séries mais quelques stratégies ponctuelles. Ni accumulations de données ni inventaires secs mais des pistes variées d’actions et de gestes signifiants. Ni structures ni permanences mais des expériences éphémères, des techniques momentanées qui façonnent, pour des besoins donnés, une image utile. Il y aurait, probablement, bien des choses encore à dire sur cette Vierge politique des Pays-Bas. Nous en offrons ici, un portrait qui aurait pu, sous d’autres plumes, être tout différent. Cette lecture n’est ni exhaustive ni exclusive ni parfaite. Elle est le résultat de choix qui répondent, évidemment, à des exigences scientifiques mais également à des plaisirs intellectuels souvent personnels. Pour notre part, la culture baroque et son art d’abîmer l’homme dans un univers de signes nous fascinent. L’historien l’admet peu ou prou, du moins au cours de quelques discussions privées : ce sont avant tout les inclinations individuelles qui président aux recherches. Gêné, il masque ensuite avec plus ou moins de brio cet épicurisme intellectuel par des considérations froides et objectives. Un spécialiste de la Réforme catholique, lucide et sincère, disait il n’y a guère : « Il vaut mieux le savoir pour ne pas être dupe51 ». Permettez-nous de reprendre ses mots pour inaugurer cet ouvrage.

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Jean-Michel Sallmann, Naples et ses saints à l'âge baroque (1540-1750), Paris, P.U.F., 1994, p. 16.

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Une construction littéraire Obstacle le plus visible de l’achoppement entre catholiques et protestants, le culte de la Vierge est justifié par les partisans de l’Église romaine à coups d’arguments spirituels et historiques qui doivent affirmer combien le personnage marial a traversé l’histoire en imprimant sur l’Église et les royaumes chrétiens une marque indélébile. Il s’agit de justifier la validité du culte marial contre les condamnations réformées par la démonstration de son antiquité et de son efficacité. Dans les Pays-Bas divisés par les guerres confessionnelles, de nombreux auteurs entreprennent d’effervescentes défenses de la Vierge, contribuant ainsi à proclamer la gloire de l’Église catholique. Se fait en effet ressentir l’urgent besoin d’affirmer un « nous » radicalement distinct de l’ennemi, le rebelle calviniste, encore présent ici et là à l’intérieur même des provinces méridionales. L’accent est donc mis d’abord et avant tout sur la proclamation d’une identité catholique commune. Il faut annoncer haut et fort, publier et démontrer le caractère tridentin que les Pays-Bas, comme d’autres pays de la chrétienté, veulent adopter. Des Pays-Bas renouvelés, restaurés, réformés qui, après le séisme provoqué par la révolte protestante, renaissent de leurs cendres sous les auspices de la catholicité et rêvent de ramener à eux les provinces sécessionnistes. La figure mariale permet facilement l’exaltation d’une telle identité confessionnelle et les multiples manifestations de son culte qu’égrène la littérature apologétique sont autant de preuves de son triomphe et de sa légitimité. L’inventaire des expressions dévotes, longue liste interminable et répétitive que dressent ces monographies, ne nous intéressera cependant pas tant que la manière dont les auteurs font émerger, dans leur discours marial, la fonction protectrice de la Vierge sur leur « patrie » et la façon dont ils profitent d’un panégyrique à une Vierge visible et active pour faire de la religion romaine en général et du culte marial en particulier, les fondements constitutifs de l’unité et de l’identité de leur « pays ».

Sanctuaires et protection mariale Liv rets de pèler inage et récits de miracles À la recherche d’outils pour mener à bien ses réformes, l’Église tridentine tente de s’approprier les bénéfices que peuvent lui offrir les sacralités en œuvre dans les différents sanctuaires des régions restées catholiques1. Dans les Pays-Bas, tout en s’efforçant de

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Jean Chelini et Henry Branthomme, Les chemins de Dieu. Histoire des pèlerinages chrétiens des origines à nos jours, Paris, Hachette, 1982, p. 241-254 ; D. Julia, « Sanctuaires et lieux sacrés à l’époque moderne », op. cit., p. 257.

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convaincre les foules dévotes de la nécessité d’une approche spirituelle du sacré que celles-ci ignorent au profit d’un rapport encore fortement instrumental, les autorités ecclésiastiques profitent de l’ardeur pèlerine et stimulent le flot de fréquentation dans les lieux de culte : elles veulent ainsi forger un outil destiné à affirmer une forte identité confessionnelle contre les condamnations réformées2. Ainsi, à son retour d’un pèlerinage à la Vierge de Montaigu, Ottavio Mirto Frangipani, premier nonce installé à Bruxelles, écrit au secrétaire d’État pontifical et cardinal-protecteur de Flandre, le cardinal Scipione Borghese, sa joie de voir accourir au sanctuaire une masse impressionnante de pèlerins. Il se persuade en même temps qu’en ces lieux, Dieu travaille « à la confusion des hérétiques du temps3 ». Les autorités catholiques, en effet, disposent à l’intérieur même de ces sanctuaires d’une arme redoutable de reconquête : l’« image » miraculeuse. Qu’il s’agisse d’une statue ou d’une icône, cette représentation figurée, génériquement appelée imago par les sources latines, occupe une place centrale dans ces lieux sacrés4. Vénérée par les fidèles pour sa capacité à distribuer généreusement les bénéfices divins, elle permet une étroite communication avec Dieu et invite par sa puissance miraculaire à en faire l’expérience intime. L’Église a toutefois également compris que cette imago, et singulièrement l’imago mariale, pouvait être aussi un efficace agent de la recatholicisation. Ainsi, quand, dans son recueil hagiographique consacré aux fêtes liturgiques célébrées en Belgique et en Bourgogne, Aubert Le Mire exalte la Vierge de Montaigu et, partant, l’ensemble des Vierges des Pays-Bas, il apostrophe les « novateurs » impies et leur rappelle combien les miracles que toutes ces images mariales ont opérés sont des signes du « vrai culte5 ». Éclatants et compréhensibles par tous sans effort intellectuel démesuré, les bienfaits surnaturels doivent « attirer les errants au sein de l’Eglise catholique6 », particulièrement lorsque, à l’instar des Pays-Bas espagnols, ils se manifestent

2 Marc Wingens, Over de grens. De bedevaart van katholieke Nederlanders in de zeventiende en achttiende eeuw, Nimègue, S.U.N., 1994, p. 31. 3 Ottavio Mirto Frangipani à Scipione Borghese, Bruxelles, 30 septembre 1606 (Armand Louant, « Correspondance d’Ottavio Mirto Frangipani, premier nonce de Flandre (1596-1606) », Analecta Vaticano-Belgica, 2e série (Nonciature de Flandre), t. III (Lettres 1599-1606), 2 vol., Rome, I.H.B.R., 1942, p. 613, n° 1113). 4 Sur les composantes de la puissance sacrale des lieux de culte et le rôle fondamental de l’imago, voir Alphonse Dupront, Du Sacré. Croisades et pèlerinages. Images et langages, Paris, Gallimard, N.R.F., 1987, p. 390-394 et passim. 5 « Vobis, ô Novatores, etsi nomine Christianis, sed a Catholica religione extraneis Deus hoc donum Miraculorum non indulget, nec indulsit umquam : tesseram illam & signum veri sui cultus suis servat » (Aubert Le Mire, Fasti Belgici et Burgundici, Bruxelles, Jan Pepermans, 1622, p. 515). 6 « Pouvons estimer que la divine Sapience à [sic] ordonné telle chose, affin que non seulement les Catholiques ayent occasion d’exercer leur pieté, & empetrer misericorde de Dieu : mais aussi afin que par ces miracles il puist attirer les errans au sein de l’Eglise Catholique. Car que ces miracles si grands & frequents le sont en une place si proche des heretiques, qu’est-ce, sinon que par là se demontre que l’honneur des Images, & l’invocation des Saincts (contre les blasphemes des heretiques) est aggreable à Dieu, & que les pelerinaiges aux lieux saincts est pieuse et aggreable à sa Majesté » (Philippe Numan, Histoire des miracles advenus n’aguères à l’intercession de la Glorieuse Vierge Marie, au lieu dit Mont-aigu, prez de Sichen, au Duché de Brabant. Mise en lumiere & tirée hors des actes, instruments publicqz et informations sur ce prinses, Louvain, Jean Baptiste Zangre et Bruxelles, Rutger Velpius, 1604, p. 22).

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avec éclat en des lieux-frontières, proches d’enclaves et de terres protestantes7. Ils sont alors le plus sûr moyen de « briser et piétiner l’hérésie », telle une foudre dévastatrice8. Le rôle du sanctuaire et la fonction du miracle dans le combat contre le protestantisme ont déjà très largement été étudiés9. Il est inutile d’y revenir longuement. Il est bon, toutefois, de se souvenir que dans les Pays-Bas explose au début du xviie siècle, notamment grâce à l’immense succès de publications du célèbre humaniste Juste Lipse, une littérature nouvelle instrumentalisant le récit des prodiges que multiplient les Vierges miraculeuses. Elle fait de l’histoire de ces imagines et de la force persuasive de leurs miracles un dispositif efficace dans la polémique catholique contre le calvinisme. Elle dégage la controverse du registre théologique pour préférer le récit simple et répétitif des interventions divines en de multiples lieux du pays. Elle veut gagner en efficacité en déplaçant le mode du débat de la sphère doctrinale à celle de l’exposition simple mais éloquente d’actes prodigieux qui doivent « toucher par leur majesté les yeux et les âmes des plus insolents10 ». Si les citations bibliques et patristiques restent nombreuses, ce sont surtout les énumérations des bienfaits que dispensent les imagines ainsi que les preuves convaincantes de l’antiquité du culte voué à ces images qui doivent désormais faire autorité. Dans la véhémence des oppositions entre mouvements réformateurs catholiques et protestants, l’image devient en effet un enjeu crucial. Le concile de Trente la valorise largement dans les conclusions de sa xxve session : les pères lui refusent la qualification d’idole et la définissent comme un médium permettant d’atteindre le prototype divin auquel elle renvoie11. Elle occupe une place dominante au sein du sanctuaire catholique au point de capter à elle seule la majeure partie de la sacralité du lieu12. L’imago s’impose au cœur du récit et la description des pratiques, rites et légendes qui dynamisent le sanctuaire s’articule autour de ce pivot narratif. Il ne s’agira pas d’entreprendre ici l’histoire des pèlerinages aux statues et icônes mariales miraculeuses vénérées dans l’espace des Pays-Bas méridionaux. D’autres l’ont fait et le feront encore, mieux que nous. Il sera bien davantage question de mener une réflexion sur la nature du discours relatif à ces

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A. Le Mire, Fasti Belgici…, op. cit., « Diva Virgo Aspricolli [Montaigu] », p. 515. « Neque enim possumus alia re efficacius frangere & calcare haeresim, quam hoc miraculorum fulmine » (Aubert Le Mire, De vita Alberti pii, sapientis, prudentis belgarum principis commentarius, Anvers, imprimerie Plantin, 1622, p. 39). 9 Willem Frijhoff, « La fonction du miracle dans une minorité catholique : les Provinces-Unies au xviie siècle », Revue d’histoire de la spiritualité, n° 48, 1972, p. 152-178 ; Robert Sauzet, « Miracles et Contre-Réforme en BasLanguedoc sous Louis XIV », Idem, p. 179-192 ; Rebekka Habermas, Wallfahrt und Aufruhr : zur Geschichte des Wunderglaubens in der frühen Neuzeit, Francfort, Campus, 1991, p. 39-42 ; M. Wingens, Over de grens…, op. cit., p. 28-44 ; Br. Maës, Le roi, la Vierge et la nation…, op. cit., p. 193-203 et passim ainsi que la bibliographie que le même donne dans son article « Les historiens devant les récits modernes de miracles de la fin du xixe siècle à nous jours », R.H.É.F., n° 86, 2000, p. 459-467. 10 « Impudentissimorum etiam oculos atq[ue] animos ista rerum maiestate perstringimus » (A. Le Mire, De vita Alberti pii…, op. cit., 1622, p. 39). 11 « Non quod credatur inesse aliqua in iis divinitas vel virtus, propter quam sint colendae […] veluti olim fiebat a gentibus, quae in idolis spem suam collocabant ; sed quoniam honos, qui eis exhibetur, refertur ad prototypa, quae illae repraesentant » (Concile de Trente, session XXV dans Giuseppe Alberigo (éd.), Les conciles œcuméniques, éd. française, t. II (Les décrets), vol. 2, p. 1576). 12 D. Julia, « Sanctuaires et lieux sacrés à l’époque moderne », op. cit., p. 251-252. 8

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statues miraculeuses : nous y décrypterons les glissements qui font de Marie, protectrice des corps souffrants, la patronne de communautés affligées. En 1604, Juste Lipse, alors professeur à l’université de Louvain après un long séjour en terres protestantes, publie une histoire du sanctuaire marial de Hal, intitulée Diva Virgo Hallensis13. Celle-ci rencontre rapidement un énorme succès dans les pays catholiques. L’année suivante, dans la foulée de cet accueil enthousiaste, Lipse rédige l’histoire d’un autre très célèbre centre de pèlerinage des Pays-Bas : Montaigu ou, en néerlandais, Scherpenheuvel14. Ces ouvrages sont dédiés à des champions de la Réforme catholique, le premier à l’archevêque de Cambrai, Guillaume de Berghes, le second à l’infante Isabelle. Tous deux enracinent les cultes marials de Hal et de Montaigu dans une longue histoire et rapportent les prodiges réalisés en ces sanctuaires, alors lieux de dévotion de première importance largement plébiscités par les archiducs Albert et Isabelle. L’humaniste entreprendra par la suite la rédaction d’un troisième traité sur une Vierge des Pays-Bas : le Diva Virgo Lovaniensis devait établir l’inventaire des miracles de la statue mariale de Louvain, honorée dans la collégiale Saint-Pierre. Il ne sera cependant jamais publié15. Les condamnations protestantes à l’égard des publications de l’ancien professeur de Leyde sont multiples16. Son opportunisme, peut-être même plus que la teneur de son propos, scandalise et fait pleuvoir des salves de critiques. Ces traités de Lipse sont en effet des traités stratégiques. Avec eux, l’humaniste prend ouvertement position pour le camp catholique qu’il avait un temps abandonné et adhère à la tactique des autorités spirituelles et temporelles des Pays-Bas méridionaux qui font des sanctuaires des lieux de triomphe du catholicisme tridentin17. Du côté catholique, on accueille donc très positivement ces publications. Le nonce Frangipani, par exemple, lui adresse une lettre de vives félicitations après avoir reçu son « ouvrage sur la sainte Vierge18 » tandis qu’intellectuels et écrivains spirituels le soutiennent dans le débat et prennent ouvertement position en sa faveur19. Ses publications

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Juste Lipse, Diva Virgo Hallensis. Beneficia eius miracula fide atque ordine descripta, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1604. 14 Juste Lipse, Diva Sichemiensis sive Aspricollis : Nova eius Beneficia & admiranda, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1605. 15 Le manuscrit de vingt et un folios, conservé à la bibliothèque de l’université de Leyde (ms. Lips. 12), a été récemment découvert par Jeanine de Landtsheer qui lui a consacré un court article (« Justi Lipsi Diva Virgo Lovaniensis : an unknown Treatise on Louvain’s Sedes Sapientiae », R.H.É., n° 92, 1997, p. 135-142) et en a fait l’édition critique (Juste Lipse, Diva Virgo Lovaniensis, éd. et trad. néerl. par J. de Landtsheer, Wildert, Carbolineum Pers, 1999). 16 [Pierre Denaise], Dissertatio de idolo Hallensi, Iusti Lipsii mangonio et phaleris exornato atque producto, s.l., s.n., 1605 ; George Thomson, Vindex veritatis adversus Justum Lipsium libri duo. Ψευδοπαρθενου Sichemiensis, id est idoli Aspricollis et deae ligneae miracula convellit, Londres, Bonham Norton, 1606. 17 M. Wingens, Over de grens…, op. cit., p. 32. 18 A.G.R., Manuscrits divers, 200c, f. 75v°, 26 septembre 1604. 19 Jean van den Wouwere, Assertio Lipsiani Donari adversus Gelastorum suggillationes, Anvers, Jean Moretus, 1607 ; Anastase Cochelet, Palaestrita Honoris D. Hallensis pro Iusto Lipsio adversus dissertationem mentiti idoli hallensis anonymi cuiusdam haeretici, Anvers, Jean Baptiste Vrindts, 1607 ; Claude Dausque, D. Mariae Aspri-

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deviennent par ailleurs de véritables best-sellers de nombreuses fois réédités20. Erycius Puteanus, élève et successeur de Lipse à Louvain, composera une suite au Diva Sichemiensis, vigoureusement encouragé par l’archiduchesse Isabelle. Il proposera également, en 1623, une version fortement corrigée du traité de son maître21. Ces récits miraculeux marquent considérablement les esprits. Les références à ceux-ci sont récurrentes dans les livrets de pèlerinages et autres relations de miracles publiés tout au long du xviie siècle, voire au-delà. Nombreux sont les auteurs convaincus du rôle fondamental joué par Lipse dans le développement de cette littérature. Ainsi, lorsque le norbertin Augustin Wichmans fera l’inventaire des ouvrages consacrés à la Vierge par des auteurs brabançons, il accordera un morceau de choix aux traités marials de l’humaniste alors qu’il ne fait qu’énumérer brièvement les autres écrivains ayant consacré leur plume à Marie22. Juste Lipse sera érigé en parangon du genre pour les Pays-Bas23 et c’est en utilisant son œuvre comme modèle que différents auteurs se lanceront dans la rédaction d’autres histoires de Vierges miraculeuses. En 1626, par exemple, Jacques-Corneille Lummeneyns a Marca (1570-1679), bénédictin de l’abbaye Saint-Pierre du Mont-Blandin à Gand, écrit au nonce Giovanni-Francesco Guidi di Bagno, pour lui demander de l’introduire auprès de l’infante Isabelle. Il voudrait que l’archiduchesse lui commande une histoire de Vierges miraculeuses des Pays-Bas, comme Juste Lipse l’avait fait autrefois pour Hal et Montaigu24. Toutefois, si Lipse sera longtemps considéré comme le fondateur de ce type de récit dans les Pays-Bas, il n’est pas le premier à se lancer dans pareille entreprise littéraire. Deux ans auparavant, Robert de Hautport avait publié l’histoire des miracles opérés par les Vierges hennuyères de Tongre, Cambron et Chièvres25. Par ailleurs, en 1604, un an avant la parution du traité de Lipse consacré à la Vierge de Montaigu, un clerc de la ville de Bruxelles, Philippe

collis θαυματουργου scutum. Alterum item J[usti] Lipsi scutum utrumque adversus Agricolae Thracii satyricas petitiones, Douai, Jean Bogard, 1616. 20 Voir les détails dans la bibliographie en fin d’ouvrage. 21 Erycius Puteanus, Diva Virgo Aspricollis : beneficia eius et miracula novissima, Louvain, Henri van Hastens et Pierre Zangre, 1622 ; Juste Lipse, Diva Virgo Aspricollis : nova eius beneficia et admiranda, Erycius Puteanus (éd.), Louvain, Henri van Hastens et Pierre Zangre, 1623. 22 Augustin Wichmans, O. Praem., Brabantia Mariana tripartita, Anvers, Jean Cnobbaert, 1632, p. 202-205. – L’admiration pour le travail de Lipse se maintient au moins jusqu’au xviiie siècle comme en témoigne l’avis au lecteur de Pierre Siré dans l’histoire de la Notre-Dame d’Hanswijck à Malines : il rappelle toute l’importance du best-seller de l’humaniste qui « par ses écrits célèbres à travers le monde entier, a mis en lumière les miracles de la Vierge » (Pierre Siré, Hanswyck ende het wonderdadigh beeldt van de alderheylighste maget ende moeder Godts Maria, Dendermonde, Jacques Ducaju, 1738, avis au lecteur, p. iii-iv. Nous traduisons). 23 Ainsi, quand Aubert Le Mire rapporte, pays par pays, le nom d’un écrivain qui a transmis les miracles marials à la postérité, c’est celui de Juste Lipse qu’il choisit pour les Pays-Bas méridionaux (A. Le Mire, Fasti Belgici…, op. cit., p. 502). 24 Bernard de Meester, « Correspondance du nonce Giovanni-Francesco Guidi di Bagno (1621-1627). Deuxième partie (1625-1627) », Analecta Vaticano-Belgica, 2e série (Nonciature de Flandre), t. VI, Rome, I.H.B.R., 1938, p. 768, n° 1620. 25 Robert de Hautport, Les principaux miracles advenus par l'intercession de la glorieuse mère de Dieu es chapelles de Tongre, Cambron et Chièvres, Mons, Charles Michel, 1602 (2nde éd., 1604).

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Numan (†1617), s’était déjà attelé à la description des miracles attribués à la statue du lieu à la demande de l’archevêque de Malines, Matthias Hovius. L’ouvrage paraît en français et en néerlandais26. Il est traduit dès 1606 en espagnol pour l’entourage des archiducs Albert et Isabelle. Le succès est lui aussi immédiat. Différentes rééditions du traité ainsi que trois suites sortent très rapidement des presses de l’imprimeur de la cour, Rutger Velpius, puis de celles de son gendre et successeur à ce titre, Hubert Anthoine, parfois également appelé Velpius27. Destiné à « illuminer ceux qui gisent en la nuit des erreurs et heresies28 », le récit retrace l’histoire de Montaigu depuis l’invention de la statue et énumère méthodiquement une longue série de bénéfices miraculeux que chaque nouvelle édition vient agrandir29. Le genre se répand ensuite très largement à travers le pays et multiples sont les semblables traités qui révèlent aux lecteurs l’histoire des miracles réalisés par l’intermédiaire de la Vierge. À la suite des travaux de Robert de Hautport, de nouveaux livrets hagiographiques sont consacrés aux Vierges de Tongre-Notre-Dame, Chièvres et Cambron dans le comté de Hainaut30. Dans le duché de Brabant, les sanctuaires marials d’Alsemberg, Laeken, BasseWavre et Bois-le-Duc font également l’objet de différentes publications. C’est la même chose partout ailleurs : dans le comté de Flandres, on exalte Notre-Dame de Potterie de Bruges ou Notre-Dame de la Treille à Lille ; à Luxembourg, on recense les bienfaits miraculeux de Notre-Dame Consolatrice des Affligés tandis que dans la principauté de Liège, on commémore les miracles des Vierges de Foy, Cortenbosch, Hasselt ou de la Sarte. Ces quelques exemples, tirés d’une pléthore d’autres publications du même type, montrent qu’à la suite des premiers livrets de pèlerinage, un nombre important de dévots à la Vierge prennent la plume pour faire l’histoire du sanctuaire dont ils ont la charge ou dont ils vénèrent particulièrement la statue miraculeuse. Tous ces traités présentent une structure sensiblement identique : une première partie est consacrée à l’histoire du lieu, de la découverte de la statue à l’érection de la chapelle. Les livres suivants égrènent les miracles attribués aux pouvoirs sacrés de l’imago. Ces publications – qui font partie du matériel pieux du pèlerin au même titre que les médailles et images de dévotion31 – doivent signaler l’existence d’une Vierge miraculeuse en ces lieux. Leur but, cependant, n’est pas seulement informatif : elles doivent surtout démontrer l’ancienneté et

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Philippe Numan, Histoire des miracles advenus n’aguères à l’intercession de la Glorieuse Vierge Marie, au lieu dit Mont-aigu, prez de Sichen, au Duché de Brabant, Louvain, Jean Baptiste Zangre et Bruxelles, Rutger Velpius, 1604 ou Historie vande Mirakelen die onlancx in grooten getale gebeurt zyn door die intercessie ende voorbidden van die Heylighe Maget Maria. Op een plaetse ghenoemt Scherpen-heuvel by die Stadt van Sichen in Brabant, Louvain, Jean Baptiste Zangre et Bruxelles, Rutger Velpius, 1604. 27 Pour des informations précises sur les livrets de pèlerinages évoqués dans ce chapitre, voir le détail la bibliographie en fin d’ouvrage. 28 Ph. Numan, Histoire des miracles advenus n’aguères à l’intercession de la Glorieuse Vierge Marie…, op. cit., avant-propos, f. A2v°. 29 La première édition répertorie cinquante-cinq miracles. Les éditions successives élèveront ce nombre à plus de cent vingt-neuf. 30 Pour le détail, voir la bibliographie en fin de volume. 31 Alain Boureau, « Adorations et dévotions franciscaines : enjeux et usages des livrets hagiographiques », dans R. Chartier (éd.), Les usages de l’imprimé (15e-19e siècles), Paris, Fayard, 1987, p. 25-82.

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l’immuabilité de la dévotion et exalter, par l’autorité des miracles, la légitimité de l’Église catholique sur l’hérésie voisine. Les enjeux sont importants : ces récits montrent – malgré leur caractère éminemment local – comment « la Foy mille ans tenu [sic] au Pays bas / la Foy venant de la tres-saincte Eglise / et sainctement de noz Ayeulz apprise / et qui constante & ferme en verité / pour marque au front porte l’antiquité32 » conserve sa vigueur. Ils disent comment la Vierge maintient, au cœur de la tourmente, la « vraye Eglise catholique en la sainte Foy33 » et doit « blesser à mort toutes les hérésies34 ». Ils proclament donc comment, dans les Pays-Bas, l’Église catholique, combattue par le rebelle calviniste, vainc et triomphe pourtant sous l’égide de la Mère de Dieu.

Du cor ps char nel au cor ps collec tif Si les récits de miracles témoignent de la validité et de la légitimité du culte marial face aux attaques protestantes, ils doivent surtout, dans un monde hanté par la précarité qu’imposent les guerres permanentes, les famines et les pandémies, montrer les signes de la clémence divine. Aussi le dévot voit-il, dans ces recueils hagiographiques, la Vierge guérir hernies et gravelles, faire marcher le paralytique, éteindre les incendies, délivrer des illusions diaboliques, soulager les douleurs de l’enfantement, secourir du naufrage… Blessures, maladies, dangers sont écartés par sa main salvatrice. Des listes, des plus brèves aux plus longues, recensent et détaillent des miracles parfois charriés par une très longue tradition. Ces récits, la plupart du temps réduits à leur plus simple expression, se suivent monotones mais convainquent finalement par leur répétition35. En égrenant les noms des miraculés et les périls dont ils ont été sauvés, tous font entendre, cas après cas, le pouvoir de guérison de la Vierge qui « guerist ce que n’est guerissable36 » et son efficacité à sauver les corps malades autant que les âmes perdues. Cette littérature est donc rythmée par le motif récurrent de l’agression corporelle et spirituelle qui nécessite l’intervention mariale. La tension dramatique, l’inquiétude incontrôlable, le sentiment d’impuissance que cette agression provoque créent ainsi l’identité protectrice de la Vierge. C’est la peur des populations, terrifiées par les dérèglements organiques et les injures faites au corps, qui est constitutive du rôle protecteur de la Mère de Dieu. Celle-ci n’a de raison d’être comme protectrice de l’affligé qu’en raison du danger menaçant. Or, au sein de cette littérature, le spectre de la peur ne pèse pas seulement sur des corps charnels. En effet, si le corps exposé

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Ph. Numan, Histoire des miracles advenus n’aguères à l’intercession de la Glorieuse Vierge Marie…, op. cit., 1604, chant inaugural adressé à Marie, f. *2r°. 33 « Reçevez aussi tout ce Pays en vostre protection chassant loin d’iceluy toutes les heresies, & les vices, maintenant en Dame de Foy la vraye Eglise Catholique en la sainte foy » (P. Bouille, Brefve histoire de l’Invention & Miracles de l’image Nostre Dame de Foy…, op. cit., conclusion, f. F4r°). 34 Idem, p. 11. 35 Carl Havelange, Les figures de la guérison (xviiie-xixe siècles) : une histoire sociale et culturelle des professions médicales au pays de Liège, Paris, Les Belles Lettres, 1990, p. 141. 36 Ph. Numan, Histoire des miracles advenus n’aguères à l’intercession de la Glorieuse Vierge Marie…, op. cit., 1604, chant inaugural adressé à Marie, f. *3v°.

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dans ces livrets de guérison est essentiellement physique et individuel, il peut aussi être immatériel et collectif. La forte présence de corps physiques au cœur de cette littérature de guérison a en effet permis une construction symbolique éloquente : ce corps sans cesse rappelé à l’attention du lecteur a offert l’occasion de faire glisser le discours du corps malmené de l’individu au corps affligé des collectivités. Le corps souffrant du particulier, même consciencieusement et systématiquement identifié et individualisé, renvoie d’abord, par la monotone répétition des bienfaits miraculeux, à tous les autres corps malades susceptibles d’être guéris par l’entremise de la Vierge. Se dessine ainsi une communauté pèlerine souffrante qui espère la clémence divine et l’apaisement de ses maux : la Vierge doit « oster & remettre les playes et afflictions du Pays bas37 » et c’est une « Belgique miserable » qui invoque l’aide mariale pour apaiser le courroux divin. Ces « playes », toutefois, ne désignent pas seulement infirmités et maladies : ce corps collectif affligé peut aussi être celui de Pays-Bas meurtris par les guerres et mutilés par les rébellions. Ce jeu métaphorique, héritier d’une longue tradition antique et chrétienne, se dessine dans cette partie souvent ignorée de la littérature que sont les divers éléments qui composent le para-texte38. L’exercice est érudit et les références intellectuelles, multiples. Il s’agit de renforcer le caractère tridentin de la figure mariale tout en profitant de l’adresse aux personnages publics importants pour lui imprimer une dimension proprement politique, assez éloignée des considérations spirituelles d’ordre privé qui forment généralement le cœur du manuel ou du livret. Au fil des lignes, les jeux stylistiques se multiplient et, par l’efficacité de l’analogie, la protectrice de l’individu devient la protectrice des communautés. La Vierge sort du champ restreint de la guérison pour investir une série de fonctions de type public, patriotique et identitaire. Avant la longue narration des tourments personnels, se dénoncent les souffrances d’un pays agressé, injurié, démembré qui appelle l’aide de la Vierge. Le corps devient alors métaphore et Marie se voit attribuer, à l’égard d’une communauté d’individus, les mêmes fonctions protectrices et thérapeutiques que celles qui lui incombent envers les corps charnels. Il ne s’agit plus de guérir les corps d’individus particuliers mais de faire en sorte qu’une « cicatrice recouvre les lésions de la Belgique mutilée39 ». La Vierge miséricordieuse et guérisseuse devient dans ces pièces une Vierge de puissance, soutenant à toutes forces le prince, les gouverneurs et un pays plongé dans la tourmente. Les guerres tumultueuses et destructrices bouleversant les Pays-Bas envahissent le para-texte qui accorde alors une large place aux descriptions pathétiques. Ce discours présente une forme classique : il recourt au vocabulaire topique des cataclysmes et fonde principalement ses métaphores, pour brosser des portraits tourmentés,

37 Ph. Numan, Deuxième partie des miracles de Nostre Dame de Mont-Aigu…, op. cit., 1613, avis au lecteur, p. 224. 38 La bibliographie sur les métaphores autour du corps et sur les théories dites organicistes est abondante : voir évidemment Ernst Kantorowicz, Les deux Corps du roi : essai sur la théologie politique au Moyen-Age, trad. par J.-Ph. et N. Genet, Paris, Gallimard, 1989 ; Anne-Marie Brenot, « Le Corps pour Royaume. Un langage politique de la fin du xvie siècle et début du xviie », H. E. S., n° 10/4, 1991, p. 441-466 ; Augustin Redondo (éd.), Le corps comme métaphore dans l'Espagne des xvie et xviie siècles, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1992. 39 « Exulcceratae vulnera Belgicae tegat cicatrix » (A. Wichmans, Brabantia Mariana…, op. cit., 1632, p. 568).

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sur ce motif aux riches possibilités allégoriques qu’est la mer, tout à la fois thème littéraire aux nombreuses ressources poétiques et lieu par excellence des peurs d’Ancien Régime. Si le jeu allégorique n’est pas neuf, il reste efficace et nos auteurs ne craignent pas d’en user. La mer, parce qu’elle moutonne, clapote, mollit, forcit, bouillonne, parce qu’elle est tour à tour lieu de bonace ou de tempête, parce qu’elle est d’huile, agitée, démontée ou furieuse, la mer est un magnifique réservoir d’images pour qui veut décrire les mouvements des sentiments individuels ou collectifs. Par ailleurs, étendue infinie, insaisissable et incontrôlable, prétendu reliquat du Déluge, elle est longtemps définie comme le lieu tragique du chaos et de la catastrophe40. Ses colères rageuses terrorisent et l’on prétend qu’elle abrite quantité de monstres en tous genres. La mer d’Ancien Régime est une masse répulsive qui n’inspire que la crainte et qu’il faut fuir tant que se peut. C’est donc sans surprise que l’on trouvera dépeint le contexte furieux qui secoue les Pays-Bas en termes de tempêtes déchaînées et de violents orages que les auteurs espèrent voir apaisés par les œuvres de la Vierge. Philippe Numan inaugure ainsi son récit des miracles opérés par Notre-Dame de Montaigu par un chant en son honneur où il l’implore de voler au secours d’un Belgium au cœur de la tornade qu’a fait naître la scission des XVII provinces : O Vierge Mere exaulcez nos requestes, / Assistez ceulx qui celebrent ton nom. / Au Mont-aigu fais croistre ton renom. / En tes bienfaictz durer en tout eaige. / Secourez nous, salvez nous du naufraige, / Parmi ces vents si fortz & dangereux. / Et deschassez tous ces monstres affreux, / Qui durement affligent la Belgique. / Adoulcissez ceste fureur inique, / D’ung peuple errant qui vous est ennemy41.

À sa suite, Juste Lipse conclut l’histoire du même sanctuaire par une « prière pour la patrie » par laquelle il supplie la Vierge miraculeuse d’avoir pitié des provinces belges « que la guerre civile, qui menace de couler le navire, agite par des tempêtes furieuses42 ». L’année précédente, l’humaniste avait, de la même manière, achevé son apologie de Notre-Dame de Hal en interpellant cette dernière au sujet des « flots des guerres civiles » par l’explicite requête : « Calme cette mer, ô Marie43 ! ». Plus tard, lorsque les craintes vives nées des conflits contre les Provinces-Unies se conjugueront avec les menaces des guerres de religion dans l’Empire, le jésuite Antoine de Balinghem souhaitera à l’archiduchesse Isabelle de diriger fermement le gouvernement des Pays-Bas en maniant avec dextérité « le timon de

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Alain Corbin, Le territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage (1750-1840), Paris, Aubier, 1988 ; Alain Cabantous, Le ciel dans la mer. Christianisme et civilisation maritime (xve-xixe siècles), Paris, Fayard, 1990. 41 Ph. Numan, Histoire des miracles advenus n’aguères à l’intercession de la Glorieuse Vierge Marie…, op. cit., 1604, chant inaugural adressé à Marie, f. *5r°. 42 « Diva fac nobis, miserare Belgas : // Quos nimis saevis agitat procellis // Civicum bellum, & minitatur ipsam // Mergere navim » (J. Lipse, Diva Sichemiensis…, op. cit., 1605, chap. XLVI, Finis & pro Patria preces, p. 69). La métaphore du navire pour désigner l’État s’ancre dans une imagerie platonicienne redevenue courante à partir du xiie siècle, alors qu’auparavant elle s’appliquait davantage au diocèse dont l’évêque était considéré comme le « pilote » (Michel Sénellart, Les arts de gouverner, Paris, Seuil, 1995). 43 « Vides publice iactari quadraginta iam fere annos fluctibus bellorum civilium : placa illud mare o Maria » (J. Lipse, Diva Virgo Hallensis…, op. cit., prière finale à la Vierge, p. 80).

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ceste nasselle combatue de tant de vents impetueux & orage44 ». L’allégorie continue sans cesse : les uns parleront des « vaines tempêtes de la dissidence45 », les autres des « souffles adverses des vents [qui] ne laissent pas le navire de l’État se reposer46 ». Et toujours, chacun espérera que la main salvatrice de la Vierge, implorée par la liturgie catholique depuis le ixe siècle comme Stella Maris – ou Étoile de la Mer –, vienne apaiser les bourrasques politiques et militaires47. Affligés « par toutes les miseres, & la funeste effusion de sang qui journellement se fait au Pays-bas48 », épuisés par les guerres, effarés par la déliquescence d’une « Belgique presque détruite49 », les habitants des Pays-Bas – princes, gouverneurs et simple peuple – doivent ensemble se tourner vers la Vierge pour obtenir aide et soulagement50. Chaque individu, chaque groupe, chaque institution doit mettre en elle toutes ses espérances et la prier pour le salut du pays, ainsi que l’espère Philippe Numan : & partant devons esperer fermement, que si un chacun en particulier, & les Provinces, Villes & communautez en general, invoquent la S. Mere de Dieu, par quelques devotions particulieres, & exercices pieux pour le salut du pais : nous sentirons bien tost la force de ses prieres 51.

En ce « siècle de fer » où « la pointe cruelle de l’épée s’agite très largement, principalement à travers la Belgique », tous sont convaincus qu’il ne leur reste plus qu’à tourner les yeux vers la Vierge pour sauver la Belgique et son Église catholique de la ruine et des tempêtes les plus atroces52. Car c’est bien évidemment aussi de cela qu’il s’agit. Dans un pays où, selon la

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Antoine de Balinghem, S.J., La toute-puissante guerriere representée en la personne de la sacrée Vierge Marie et presentée aux catholiques de ce temps de guerre et necessitez de l’Église. Item de la devotion de la royale maison d’Austriche vers la susdite Vierge, Douai, Gérard Patté, 1625, dédicace à l’archiduchesse Isabelle, f. *5r°. 45 « Inanibus dissidentiae flabris » (A. Wichmans, Brabantia Mariana…, op. cit., 1632, conclusion du livre second, p. 568). 46 « Cum Reipub[licae] navem aduersi ventorum flatus non sinant quiescere » (Otto Zylius, S.J., Historia miraculorum B. Mariae Silvaducensis, iam ad D. Gaugerici Bruxellam translatae, Anvers, imprimerie Plantin, Balthasar Moretus, 1632, dédicace à l’archiduchesse Isabelle, f. *3v°). 47 « Ut Celsitudini Tuae, quam graves publicarum aduersitatum procellae circumstant, salutiferam hanc Maris Stellam non ut ignotam obscuramve ostenderem sed tamquam fulgidam lucentemque quasi in tabella depictam exhiberem » (O. Zylius, Historia miraculorum B. Mariae Silvaducensis…, op. cit., 1632, dédicace à l’archiduchesse Isabelle, f. *3r°-v°). 48 Ph. Numan, Deuxième partie des miracles de Nostre Dame de Mont-Aigu…, op. cit., 1613, avis au lecteur, p. 225. 49 Maria christiano militi. Ut fortiter, ac feliciter, hoc ferreo saeculo, praelia Domini pralietur, pro bello offensivo, gladius ; pro defensivo, clypeus, Anvers, Veuve et héritiers de Jean Cnobbaert, 1658, Avant-propos, p. 11. 50 Voyez, par exemple, cette invocation : « Haulcez les yeux donc, o miserable Belgique, contemplez la lumiere qui se presente au mytant de voz tenebres. Invoquez cette chaste Vierge Marie, qu’elle veuille estaindre le courroux du Seigneur : qu’elle impetre la cessation de cette longue guerre intestine, & la grace d’une bonne & ferme paix & union » (Ph. Numan, Deuxième partie des miracles de Nostre Dame de Mont-Aigu…, op. cit., 1613, avis au lecteur, p. 225) ; « Hanc Silvaducensem Divam hospes [Isabella] exsulem, salutatrix charissimam […] & fatigatos bellis ante ipsos natis Belgas aliquando in intimo desideratae pacis gremio collocabis » (O. Zylius, Historia miraculorum B. Mariae Silvaducensis…, op. cit., 1632, dédicace à l’archiduchesse Isabelle, f. *4v°). 51 Ph. Numan, Deuxième partie des miracles de Nostre Dame de Mont-Aigu…, op. cit., 1613, avis au lecteur, p. 226. 52 « Quandoquidem hoc, quo degimus, saeculum, sit vere ferreum, utpote quo saeva ferri acies, late, potissimum per Belgium, coruscans […] Cum igitur nos bellorum fluctibus undique circumeamur, cum ubique immineat

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formule d’Henri Pirenne, « la religion tient lieu de patriotisme53 », l’effondrement du monopole spirituel et institutionnel de l’Église romaine effraie. Dès lors, dans l’ensemble de ces livrets hagiographiques, qui ne se contentent pas d’ériger la Vierge en modèle exemplaire mais la définissent comme une actrice intensément présente dans le monde naturel, un glissement s’opère entre sphère privée et sphère publique. Antoine de Balinghem le proclame : « la puissance [de la Vierge] ne s’estend pas moins aux necessitez publiques des Provinces & Royaumes, qu’aux particulieres des hommes privez54 ». Les fonctions symboliques dont le personnage marial était chargé à l’égard de chaque individu sont transférées vers les États et gouvernements catholiques et singulièrement les Pays-Bas méridionaux. La volonté est forte, chez nombre de ces auteurs, de montrer qu’il n’y a pas de préférence mariale pour l’individu au détriment du pays. L’un et l’autre doivent être considérés sur un plan de stricte égalité et la protection mariale s’applique tout autant aux entités collectives qu’à chaque particulier. Numan tente d’en convaincre ses lecteurs : « […] ou bien la mere de Dieu priera-t-elle plus pour les maladies particulieres des corps, que pour la commune misere du pays, dont tant en despend ? cela ne se doibt croire en aulcune maniere55 » tandis que le jésuite Otto Zylius rappelle à l’archiduchesse Isabelle que Marie « repousse les dangers publics, les désastres et les guerres, pas moins que les malheurs privés de n’importe quel particulier56 ». Marie est donc proclamée « Protectrice du Païs-Bas57 » et se voit attribuer un rôle intensif dans la vie des collectivités civiles. Ce glissement du personnage marial vers le domaine public doit convaincre, dans le tumulte des guerres et les aléas de l’histoire, que la Vierge est bel et bien « aux côtés des Belges58 » et qu’elle fait siens les Pays-Bas. Ainsi, relatant

exitium, vel impendeat exitii periculum : cum Ecclesiae in Belgio, atrocissima incumbat tempestas ; quid aliud superest, quam quod in ultima necessitate dicebat Deo Iosaphat, sic & nos tibi Matri Dei : cum ignoremus, quid agere debeamus, hoc solum habemus residui ut oculos nostros dirigamus ad Te [2 Ch. 20, 12] » (Maria christiano militi…, op. cit., Avant-propos, p. 5 et 11). 53 Henri Pirenne, Histoire de Belgique, t. IV, Bruxelles, Lamertin, 1920, p. 50. 54 A. de Balinghem, La toute-puissante guerriere…, op. cit., 1625, première partie, Avant-propos, f. **1v°. – Plus loin, il dira également : « Combien plus est il à esperer qu’elle employera tout son credit & pouvoir en ces troubles, où il n’est pas question de l’honneur transitoire d’un particulier, mais de l’honneur du tout-puissant, du bien universel de l’Eglise, de la propagation de la foy, de l’extirpation des erreurs, & du repos general de toute la Chrestienté ? » (Idem, deuxième partie, p. 331). 55 Ph. Numan, Deuxième partie des miracles de Nostre Dame de Mont-Aigu…, op. cit., 1613, avis au lecteur, p. 226. 56 « [Virgo] quam senties quoque publicorum periculorum, cladium, bellorum, non minus quam privatus quilibet afflictionum peculiarium, depultricem » (O. Zylius, Historia miraculorum B. Mariae Silvaducensis…, op. cit., 1632, dédicace à l’archiduchesse Isabelle, f. *4v°). 57 Quentin Hennin, Trophée de la religion catholique apres la defaite des infidelles dans les Pais-Bas par l’empereur Arnulphe roy de Baviere l’an 895. Erigée à la Reine du Ciel par deux Vierges, sœurs de Hugue duc de Germanie et de Loraine enseveli au Lacq sous la ruine des Normans, Bruxelles, Nicolas Stryckwant, [1694], p. 110. 58 « Adsitque Belgis » (petite pièce de vers de Philippe Meyer publiée par Antoine Sanderus, Chorographia sacra Asperi collis, sive Augusta B. Mariae Virginis basilica, Bruxelles, Philippe Vleugaert, 1659 dans son recueil Chorographia sacra Brabantiae sive celebrium aliquot in ea provincia abbatiarum, coenobiorum, monasteriorium, ecclesiarum, piarumque fundationum descriptio et imaginibus aeneis illustrata, vol. 3, Bruxelles, Philippe Vleugaert, 1659-1669, p. 332).

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les prières de l’archiduchesse Isabelle à la reprise des guerres contre les Provinces-Unies pour obtenir l’aide de Notre-Dame de Basse-Wavre, Augustin Wichmans s’exclame : Que les membres divisés de cette Belgique se joignent par l’étreinte de la Paix ! Ô Marie ! Ô Clémente ! Ô Pieuse ! Exauce ce vœux que la très dévote de tes fidèles, Isabelle Claire Eugénie, a récemment prononcé publiquement à Bruxelles pour ta Belgique et la sienne : Marie de Paix délivre nous de la peste, de la famine, & de la guerre59 !

Le Belgium. Le Païs-Bas. Le pays. La patrie. Autant de singuliers qui s’imposent au cœur de la trame narrative dramatique que nous venons d’évoquer. Ils disent l’unité des territoires et affirment une commune souffrance. Leur répétition doit fouetter des sentiments d’ordre patriotique. Tous endurent, ensemble, une même calamité. Tous doivent, ensemble, invoquer la Vierge pour l’affronter. Se pose cependant l’importante question de savoir quelle est la nature de cet être collectif que Marie vient soutenir, ce corps belge qu’elle entreprend de protéger. Les termes de « patrie » ou de « pays », auxquels la plupart des auteurs étudiés se réfèrent, voient en effet leur signification évoluer considérablement. De référence nostalgique aux XVII provinces réunissant Nord et Sud en un même État, ils deviennent progressivement l’affirmation d’un pays farouchement catholique, opposé tout à la fois aux Provinces-Unies au nord et à la France au sud. Dans un premier temps donc, chaque utilisation du mot « patrie » ou « Belgique » est une exhortation à la reconstitution de l’unité des anciens Pays-Bas60. Ainsi, les affrontements entre les deux camps sont définis, dans cette littérature catholique des provinces méridionales, comme des « guerres civiles », comme une « si longue guerre intestine ». Philippe Numan soutient que l’intervention de la Vierge doit permettre aux « rebelles » – à savoir les calvinistes du Nord – de se soumettre à l’archiduc Albert, « leur prince naturel61 ». L’idéal bourguignon que relaie la littérature mariale ne manifeste pas sa vivacité dans les seules prémices du xviie siècle, lors de ces premières décennies qui succèdent à la constitution des blocs du Nord et du Sud par la force armée 62, mais se maintient au fil des années. Pour Augustin Wichmans, qui écrit en 1632, le Belgium terrassé baigne encore dans « le sang fraternel63 ». Marie est ainsi louée comme l’instrument

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A. Wichmans, Brabantia Mariana…, op. cit., p. 568. Nous traduisons. À ce sujet, voir J. Stengers, Histoire du sentiment national en Belgique…, op. cit., t. I, p. 103 et suiv. ainsi que, du même, « La genèse du sentiment national belge », dans J. Craeybeckx et F. Daelemans (éds), 1585 : op gescheiden wegen, Louvain, Peeters, 1988, p. 243-251. Un courant historiographique, dont le porte-parole principal fut Léon van der Essen, a affirmé l’existence d’un patriotisme grand-néerlandais entre les années 1560-1570 et 1625, voire jusqu’en 1632, année où les négociations entre Nord et Sud s’appuient encore sur le désir du retour à une unité patriotique perdue. Paul Harsin s’est vivement opposé à la thèse grand-néerlandaise, insistant sur les intérêts strictement provinciaux de l’ensemble des Pays-Bas. Jean Stengers montre que ce sentiment grand-néerlandais a bel et bien existé mais bien davantage dans le chef des catholiques du Sud que dans celui des habitants des Provinces-Unies qui ont eux rebondi sur la séparation entre Nord et Sud pour élaborer un patriotisme conquérant farouchement opposé au monarque espagnol, envahisseur étranger. 61 Ph. Numan, Histoire des miracles advenus n’aguères à l’intercession de la Glorieuse Vierge Marie…, op. cit., 1604, chant inaugural adressé à Marie, f. *5v°. 62 Jan Craeybeckx et Frank Daelemans (éds), 1585 : op gescheiden wegen…, op. cit. 63 « Maria Pacis que o si tandem aliquando adflicto huic suo Belgio, Pacem diu optatam adferat, ut pulsis inanibus dissidentiae flabris, fida veretique Belgica fruamur malacia. Nimis enim, ah ! nimium consanguineo innatavimus sanguini, et macellum humanarum carnium Belgium hoc extitit, in quo jam sexaginta praeter-prop60

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du retour à des formes de vie politique et spirituelle révolues, fondées sur les notions de fidélité au prince et d’unité religieuse qu’une guerre fratricide serait venue anéantir. C’est tout ce que résume remarquablement Philippe Numan lorsqu’il affirme : Que les heretiques par ce miracle [la présence de la Vierge à Montaigu] [soient] reduits à l’union de la Saincte Eglise Catholique, Apostolique Romaine, & les rebelles à la deuë obeissance de leur Prince naturel afin que tous ensemble d’une mesme bouche & avec une mesme foy Catholicque, soubs un mesme Prince en terre, nous louons & honnorons ce Dieu Trine-un, & la Vierge Marie mere de nostre Seigneur Iesus-Christ eternellement64.

Invoquée pour mettre fin à un conflit entre frères ennemis, la Vierge apparaît comme un symbole de l’unité rêvée des Pays-Bas. Elle représente un espoir de paix et d’union pour un pays idéalisé qui n’a plus de réalité politique mais demeure vivant dans les représentations des catholiques du Sud. La littérature qui la met en scène propose à ses lecteurs une image des Pays-Bas tels qu’elle les souhaite et non tels qu’ils sont. Marie est utilisée comme l’aiguillon de l’imaginaire collectif : elle est présentée comme seule capable de recréer la communauté, mais une communauté inventée parce que hors de toute existence réelle. Figure hautement affective, elle permet de sublimer la réalité et de faire exister dans les cœurs et les esprits une patrie mythique. Progressivement, cependant, l’idéal se meurt. Lorsque, dans les années 1640 et après, seront dénoncés les grands dangers et l’affliction de la patrie ainsi que les calamités qui l’accablent, plus aucune référence aux « frères du Nord » ne sera formulée. Les accusations de rébellion disparaissent, les appels à la réunion s’évanouissent. Les espoirs d’un retour aux XVII Provinces semblent s’éteindre définitivement. La patrie belge dévote à la Vierge telle qu’elle est imaginée dans la littérature mariale forme dorénavant un ensemble agressé par des ennemis résolument extérieurs et non plus considérés comme insurgés. La littérature mariale a intégré le clivage entre Nord et Sud. Le Pays-Bas est désormais cette terre où règnent les Habsbourg et où s’affirme la religion catholique sans espoir que se rallient les provinces septentrionales calvinistes et farouchement antiespagnoles. La Vierge toutefois n’en demeure pas moins un outil efficace pour faire vibrer les cœurs. Elle reste un instrument de l’émotion et de l’affectif et, à ce titre, continue à être habilement utilisée pour dynamiser des sentiments d’appartenance et de collectivité, comme notre développement tentera de le démontrer. Se développe donc progressivement, parallèlement aux jeux métaphoriques autour d’une Vierge protectrice des corps à la fois charnels et collectifs, un discours qui identifie les provinces belges méridionales comme des terres marquées du sceau visible de la forte présence de la Mère de Dieu dans un espace et un temps partagés. Il s’agit de montrer que les Pays-Bas, en tout ou en partie, occupent en tant qu’espace civil une place de choix dans

ter annis crudeliter nimis amphiteatratum fuit » (A. Wichmans, Brabantia Mariana…, op. cit., 1632, conclusion du livre second, p. 568). 64 Ph. Numan, Histoire des miracles advenus n’aguères à l’intercession de la Glorieuse Vierge Marie…, op. cit., 1604, p. 23-24.

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la « clientèle65 » de la Vierge et donc de donner à voir les mécanismes d’un double jeu de protection et de fidélité qui s’établit entre la Mère de Dieu et les collectivités belges. La première est alors énoncée comme une source d’affection et un asile pour les secondes grâce à l’inventaire des multiples signes de l’investissement marial dans l’histoire religieuse et civile du Pays-Bas et de ses provinces.

Des synthèses mariales : espace et temps Afin de forger la certitude de l’active protection mariale sur ses dévots et assurer ainsi la légitimité de la pastorale catholique, la littérature spirituelle a proposé, outre les livrets de pèlerinages et autres récits de miracle, l’avantageux outil suivant : les synthèses mariales qui se déclinent sous deux formes étonnamment proches l’une de l’autre. Malgré une organisation sensiblement différente – la première s’articule sur des critères géographiques tandis que l’autre fait du temps l’argument de sa construction –, ces deux formes révèlent une Vierge honorée partout depuis toujours, une Vierge qui estampille l’économie du monde du sceau de sa présence, une Vierge éminemment investie dans l’histoire et la vie des hommes par ses miracles et ses pouvoirs protecteurs, tant dans le domaine privé que dans le domaine public. Deux formes différentes pour un discours semblable, deux accents sur une même volonté de conjuguer temps et espace afin d’affirmer la toute-puissance de la Mère de Dieu. L’un et l’autre discours, d’ailleurs, s’enrichissent et se nourrissent mutuellement.

Mar iano-top og raphies Le premier de ces genres est celui des « topographies sacrées » : il s’agit de répertorier le plus largement possible, dans un cadre déterminé, les images miraculeuses de la Mère de Dieu et les sanctuaires qui les abritent. Ces « topographies mariales » – qui puisent largement dans les livrets de pèlerinages – donnent à voir, lieu par lieu, les origines, développements et expressions diverses du culte rendu à la Vierge dans un espace plus ou moins vaste. Elles visent à montrer la réalité de l’envahissement par Marie de cet espace tout en soulignant également le rôle que celle-ci a joué dans son histoire. Ces recueils participent d’une démarche hagio-topographique large : il existe en effet d’autres inventaires sacrés qui veulent répertorier tous les lieux sacrés d’une même région66 ainsi que des catalogues généraux où

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Voir les expressions suivantes : « Belgicam quae, quoque in tuam singularem clientelem (quorum pars aliquantula, ita spero, cluimus) selegisti olim », « Belgicam, inquam, nostram Marianis clientibus computari » (Ferry de Locre, Maria augusta virgo deipara septem libros tributa ; chronico & notis ad calcem illustrata, Arras, imprimerie R. Maudhuy, 1608, livre II, p. 89 et p. 108) ; « Neque enim aliis exordiis utendum sibi putarunt viri Apostolici huc missi [in Belgio] atque etiam Maiores nostri, quam a suavissima iuxta ac potentissima Deiparae clientela, probe conscii omnia bene successura quae sacris eius auspiciis essent inchoata » (A. Wichmans, Brabantia Mariana…, op. cit., p. 35). Nous soulignons. 66 Antoine Sanderus, Chorographia sacra Brabantiae sive celebrium aliquot in ea provincia abbatiarum, coenobiorum, monasteriorum, ecclesiarum, piarumque fundationum descriptio et imaginibus aeneis illustrata, 3 vol.,

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se côtoient lieux de culte et bâtiments civils67. À la différence de ceux-ci, toutefois, les mariano-topographies articulent leur discours autour du seul personnage de la Vierge. Elles impriment dès lors un accent particulier à la force apologétique du genre en faisant de la Vierge l’unique coryphée de la légitimité catholique que cette sacralisation spatiale énonce. En 1603, Ferry de Locre (1571-1614), curé de la paroisse Saint-Nicolas à Arras, publie, en français, un ouvrage destiné à louer les grandeurs de la Mère de Dieu, première étape d’un projet de plus grande envergure qui trouvera son aboutissement quelques années plus tard dans une volumineuse édition latine68. Dans ce premier ouvrage, sorti des presses de l’imprimeur arrageois Gilles Bauduin, il ouvre un très large champ d’investigation puisque, comme son titre l’indique, il y présente les « royaumes, isles, villes, Ordres, Monasteres, Temples, Images, Reliques, Festes, Confreries, Indulgences et Offices69 » de l’« auguste Marie ». Ces quelque deux cent vingt-quatre pages ont pour but de montrer quel rang la Vierge occupe dans les cieux, elle qui assure les victoires princières, garantit les chastetés menacées, libère les villes assiégées, console les exilés, ramène à la vie les enfants mort-nés, guérit les malades et les infirmes et se fait, enfin, l’avocate du genre humain auprès de son Fils70. En 1608, après avoir publié une chronique dite « récapitulative » de l’ensemble des manifestations du culte marial depuis la naissance de la Vierge jusqu’au début du xviie siècle71, Ferry de Locre parachève son projet. Il publie en latin un vaste traité divisé en sept livres, fondé sur

Bruxelles, Philippe Vleugaert, 1659-1669. Il s’agit d’un recueil composé de divers opuscules, publiés à des dates différentes. 67 Jean Buzelin, S.J., Gallo-Flandria sacra et profana : in qua urbes, oppida, regiunculae, municipia, et pagi praecipui Gallo-Flandrici tractus describuntur horumque omnium locorum antiquitates, regio, mores, sacra aedificia, piae fundationes, principes, gubernatores, & Magistratus proponuntur. Dein annales gallo-flandriae, Douai, Marc Wyon, 1624 ; Antoine Sanderus, Flandria illustrata sive descriptio comitatus istius per totum terrarum orbem celeberimi, Cologne, Corneille van Egmondt, 1641-1644. Le deuxième tome de cette description détaillée de Flandre commence par une dédicace à la Vierge. 68 Il est peu aisé de rassembler des informations au sujet de Ferry de Locre. Tout au plus est-il possible d’établir la liste de ses publications. Outre les traités marials dont nous parlerons ici, il a composé une oraison funèbre pour les obsèques de l’évêque d’Arras, Mathieu Moullart (Arras, Guillaume de la Rivière, 1600) ainsi que les traités suivants : La Prelature des Vierges sacrées, avec les canons et les Saints Peres de l’Eglise, où sont rapportez les rares faicts et exemples de plusieurs sainctes abbesses, & signamment de celles qui ont regenté la Belgique, Arras, Guillaume de la Rivière, 1602 ; Discours de la noblesse auquel, par une conférence des familles de Castille, de France et de l’Autriche avec l’Eglise catholique, est descouverte l’infamie de l’Hérétique, Arras, Guillaume de la Rivière, 1605 ; Chronicon Belgicum ab anno XXLVII ad annus usque MDC continuo perductum, Arras, Guillaume de la Rivière, 1616 qui est davantage une chronique de l’Artois que des Pays-Bas. 69 Ferry de Locre, Marie auguste ou bien Discours des louanges, tiltres & grandeurs des royaumes, isles, villes, Ordres, Monasteres, Temples, Images, Reliques, Festes, Confreries, Indulgences et Offices de la Mere de Dieu, Arras, Gilles Bauduin, 1603. L’exemplaire que possède la bibliothèque municipale d’Anvers comporte sur sa page de titre une dédicace autographe à Aubert Le Mire ainsi qu’un ex-libris autographe de ce dernier. Aubert Le Mire, alors neveu du récent évêque d’Anvers, Jean Le Mire, et membre du Chapitre cathédral de la même ville, sera l’auteur de nombreux traités d’histoire ecclésiastique ainsi que d’ouvrages à caractère hagiographique. Il citera cet ouvrage de Locre à plusieurs occasions. 70 F. de Locre, Marie auguste…, op. cit., conclusion, p. 219 et suiv. 71 Ferry de Locre, Chronica anacephalaeosis Mariae augustae virginis Deiparae, Arras, Guillaume Rivière, 1606.

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son Marie auguste de 1603 : il développe considérablement cet ouvrage préparatoire et inclut à la fin de l’édition la chronique publiée deux ans plus tôt72. Il y recense d’abord les plus célèbres dévots à la Vierge, qu’ils soient pères de l’Église, saints, empereurs, rois ou autres personnages illustres. Il fait ensuite la description des royaumes, provinces et villes que la Vierge a choisi de prendre sous sa protection puis dresse une longue liste détaillée et descriptive des ordres, temples, images et reliques à travers toute la chrétienté. Il termine par des questions d’ordre liturgique en décrivant fêtes et offices. Cette entreprise se propose donc, considérable dessein, de décrire toutes les traces visibles du culte de la Mère de Dieu à travers la chrétienté, mettant ainsi en exergue le rôle capital de la dévotion mariale dans la définition de l’identité catholique et singulièrement dans le combat contre l’hérésie calviniste au cœur des provinces belges. Le poète et historien Philippe Meyer, auteur d’une des nombreuses épigrammes inaugurant l’ouvrage, rappelle les tumultes que connaissent alors les Pays-Bas et fait de Ferry de Locre un nouvel « Hercule chrétien » combattant, par son inventaire, le monstre protestant73. Ce recueil hagio-topographique de Locre, aux prétentions totalisantes, précède un autre grand-œuvre : celui du jésuite allemand Wilhelm Gumppenberg qui publie en 1657 à Ingolstadt son célèbre Atlas marianus, inventaire en deux volumes des images miraculeuses de la Vierge à travers la chrétienté74. Il réalise ce catalogue avec l’aide d’une série de collaborateurs de toutes les provinces de la Compagnie dont il avait réclamé l’aide quelques années plus tôt75. La première édition, relativement modeste, sera progressivement enrichie de multiples nouvelles entrées pour connaître son expression la plus aboutie en 1672, avec mille deux cents sanctuaires répertoriés76. On y découvre une présentation systématique des imagines miraculeuses, détaillant méthodiquement origine légendaire, matériau, technique

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Ferry de Locre, Maria augusta virgo deipara septem libros tributa ; chronico & notis ad calcem illustrata, Arras, imprimerie de R. Maudhuy, 1608. 73 « Calviniana dum tumultus Belgicos / Bis quadri-lustri Marte nutrit Haeresis / […] / En Locrius Monstrum his hoc machinis / Oppugnat alter Christianus Hercules / […] / Testatur hoc volumen in lucem datum / Quo Locrius, Parentis Augustissimae / Magni Dei, tuetur aeternum decus » (Ph. Meyer dans F. de Locre, Maria augusta virgo deipara…, op. cit., f. †4v°). 74 Wilhelm Gumppenberg, S.J., Atlas marianus, sive de imaginibus Deiparae per orbem christianum miraculosis, 2 vol., Ingolstadt, Georg Haenlin, 1657. – Sur l’Atlas, voir Fabrice Flückiger, L’Atlas Marianus de Wilhelm Gumppenberg. Topographie sacrée, dévotion mariale et Réforme catholique dans la Compagnie de Jésus au milieu du XVIIe siècle, Paris, École Pratique des Hautes Études, mémoire de master sous la direction d’Olivier Christin, 2007. 75 Après avoir lancé l’idée d’un tel projet lors de l’élection à Trente en 1650 du nouveau général de la Compagnie, W. Gumppenberg avait envoyé à tous les provinciaux, en décembre 1652, une lettre souhaitant la contribution de leurs maisons et collèges pour dresser l’inventaire des images miraculeuses de leur province respective (W. Gumppenberg, Atlas marianus…, op. cit., avis au lecteur, f. A6r°-f. A7r°). Il publie en 1655, à Trente, le plan de l’ouvrage sous le titre Idea atlantis mariani de imaginibus B.V. Mariae. En 1657, paraît à Ingolstadt la première version du projet sous forme de deux livres, donnée pour editio secunda en raison de la précédente publication du plan. La même année, les deux livres sont réédités à Munich chez L. Straub avec le titre de troisième édition. Un troisième livre est ajouté en 1659. 76 Wilhelm Gumppenberg, S.J., Atlas marianus quo Sanctae Dei Genitricis Mariae imaginum miraculosarum origines duodecim historiarum centuriis explicantur, Munich, imprimerie Jean Jaecklin, 1672.

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de réalisation, iconographie, culte, titres, miracles et bienfaits pour les pécheurs77. Véritable ode contre-réformatrice, l’entreprise doit chanter la gloire et le triomphe de la figure mariale et de l’Église catholique. Le projet sera repris quelques années plus tard par le père jésuite Heinrich Scherer sous le titre Atlas marianus sive praecipuae totius orbis habitati imagines et statuae magnae Dei matris beneficiis ac prodigiis inclytae succincta historia propositae et mappis geographicis expressae, publié à Munich en 1702 et illustré d’une série de cartes pointant, pour chaque continent, pays par pays, les sanctuaires où sont honorées des Vierges miraculeuses. On remarquera que Scherer représente sur une seule carte le Belgium regium – ou les Pays-Bas catholiques – et le Belgium foederatum – ou les Provinces-Unies – qu’il place tous deux sous la protection de Notre-Dame de Montaigu (Figure 1). Se déploie dans cet ensemble – mais particulièrement dans les provinces méridionales, cela s’entend – un réseau dense de sanctuaires marials. Cette carte inscrit les anciennes provinces bourguignonnes dans un vaste atlas marial mondial : il ne s’agit pas, pour Scherer, de glorifier leur unité retrouvée autour de Marie mais de démontrer l’omniprésence de la Vierge, même en terres calvinistes. Nous retiendrons cependant de cette cartographie apologétique qu’elle permet de visualiser ce qu’énonce le discours mariano-topographique : ce discours égrène les noms de lieux voués à Marie et impose au lecteur une image métaphorique particulière. Celui-ci voit ainsi se tisser une toile mariale – tout à la fois ecclésiale et miraculeuse – à travers l’espace physique. Avec Scherer, la volonté de représenter un espace intensément marial, en l’espèce celui des Pays-Bas, atteint son apogée. Locre, Gumppenberg et Scherer partent donc à la conquête des traces mariales dans les vastes espaces de la chrétienté. D’autres, toutefois, opteront pour d’autres échelles. Ainsi, le norbertin de l’abbaye brabançonne de Tongerlo, Augustin Wichmans (1596-1661), alors envoyé à Mierlo dans le Brabant septentrional pour y assurer la charge des âmes, entreprend à son tour de dresser un inventaire de sanctuaires marials en choisissant un espace autrement plus restreint : il tente de montrer comment, par la multiplication de chapelles, églises et monastères implantés de longue date, le Brabant peut être qualifié de marial78. Le chanoine prémontré, dans les conclusions d’un traité publié quatre ans plus tôt sur la consécration du samedi à la Vierge, avait appelé ses lecteurs à lui transmettre toutes les informations qu’ils jugeraient dignes de faire connaître pour favoriser le développement du culte marial79. Les réponses sont nombreuses. Pendant quatre ans, il rassemble toutes les lettres qui lui ont été

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W. Gumppenberg qualifie cette description méthodique et systématique de peritia, ou science. Il élabore dans cette perspective une grille de lecture très détaillée composée de nombreuses entrées et sous-entrées (W. Gumppenberg, Atlas marianus…, op. cit., 1672). Sur la description de cette entreprise, voir D. Julia, « Lieux sacrés… », op. cit., p. 261-263. – Sur le rôle qu’a joué W. Gumppenberg dans la définition de la fonction de l’image sacrée, voir Gabriela Signori, « Das spatmittelalterliche Gnadenbild : eine nachtridentinische invention of tradition? », dans D. Ganz et G. Henkel (éds), Rahmen-Diskurse : Kultbilder im konfessionellen Zeitalter, Berlin, Dietrich Reimer Verlag, 2004, p. 302-323 (= Bild und Religion, 2). 78 Augustin Wichmans, Sabbatismus marianus. In quo origo, utilitas et modus colendi hebdomadatim sabbatum in honorem sanctissimae Deiparae explicantur, Anvers, Guillaume a Tungris, 1628. L’ouvrage est traduit en néerlandais par Matthieu van Drunen, Den saterdagh van Onse Lieve Vrouw, Anvers, Jean Cnobbaert, 1633. 79 « Subjuncta etiam ad calcem Sabbatismi nostri Mariani, ad pium Lectore[m] subplicatione, quatenus si quid ex fide nosset, dignaretur augendo Mariano cultui subministrare » (A. Wichmans, Brabantia Mariana…, op. cit., p. 251).

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Figure 1 : Heinrich Scherer, S.J., Atlas marianus sive praecipuae totius orbis habitati imagines et statuae magnae Dei matris beneficiis ac prodigiis inclytae succincta historia propositae et mappis geographicis expressae, in-4, Dilingen, J.-C. Bencard, 1737 (2e éd.). - © K.U.Leuven, Maurits Sabbebibliotheek : P248.159.4/Qo SCHE Atla. Photo de l’auteur.

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envoyées, les confronte les unes aux autres, dépouille les archives des églises, multiplie les lectures savantes et demande des précisions aux Magistrats ainsi qu’à quelques érudits. C’est après ce long travail que paraît en 1632 le Brabantia mariana80. Nouvelle œuvre apologétique, ce traité en l’honneur de la Vierge doit promouvoir le culte de cette dernière pour combattre la « bête apocalyptique qui se répand en blasphèmes contre Dieu par ses ministres les hérétiques81 ». Un premier très long livre décrit les pratiques et dévotions mariales brabançonnes et dresse le portrait de quelques-uns de ses éminents dévots tandis qu’une deuxième partie énumère les soixante-sept lieux de culte les plus fameux pour les miracles opérés par les représentations mariales qu’ils abritent. Un troisième livre, enfin, présente une série de monastères de tous ordres voués à la Vierge. Quelques années plus tard, Augustin Wichmans, devenu abbé de Tongerlo (1644-1661), demande à un de ses chanoines, Gérard van Herdegom, de compléter son répertoire marial par la description d’images nouvellement découvertes. Celui-ci consacre donc le deuxième livre de son Diva Virgo candida – qui établit la tutelle virginale sur l’ordre de saint Norbert – à l’inventaire des Vierges miraculeuses abritées dans les monastères prémontrés du Brabant82. Au même moment, un jésuite, peut-être Gilles Du Moulin, se lance dans pareille entreprise pour la patrie liégeoise, dans un inventaire aux proportions modestes – à peine quelque trente et une pages – dédié aux congréganistes du collège de Liège83. Pour définir Liège comme sanctuaire de la Vierge, il joue avec le chiffre douze qui se réfère aux douze étoiles ornant la tête de la Femme de l’Apocalypse que l’exégèse, la tradition spirituelle et l’iconographie ont érigée en figure mariale. Il divise donc sa brève contribution en douze chapitres, eux-mêmes divisés en douze paragraphes. Il y fait le recensement des monastères et paroisses voués à la Vierge ainsi que des reliques, images, confréries mariales dans la principauté de Liège. Il établit une liste chronologique des miracles accomplis par la Mère de Dieu « par amour pour les Liégeois » et tente de prouver, brièvement, que le développement du culte marial doit beaucoup – sinon tout – aux initiatives dévotes des habitants de la principauté. Touche par touche, Liège devient un sacrarium marial.

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L’ouvrage a vraisemblablement connu une seconde édition en 1644, à l’occasion de l’installation d’Augustin Wichmans sur le siège abbatial (F. J.-M. Hoppenbrouwers, « Franciscus Augustinus Wichmans (1596-1661) : kanunnik, zielzorger en abt van de norbertijner abdij van Tongerlo ten tijde van de vroeger katholieke Reformatie », Analecta Praemonstratensia, n° 70, 1994, p. 226-293 et n° 71, p. 98, n. 7). 81 « Quibus promovendis (hoc potissimum tempore, quo bestia illa Apocalyptica, per suos administros Haereticos, aperuit os suum in blasphemias ad Deum [Ap. 13, 6]) » (A. Wichmans, Brabantia Mariana…, op. cit., avis au lecteur, f. †††4r°). 82 Gérard van Herdegom, O. Praem., Diva virgo candida, candidi ordinis Praemonstratensis Mater tutelaris et Domina tribus libri distincta, Bruxelles, Martin de Bossuyt, 1650. 83 [Gilles Du Moulin, S.J.], Sacrarium augustissimae Deiparae V. Mariae patriae Leodiensis : duodecim duodenis velut totidem stellis seu loculamentis concinnatum, Liège, Jean Ouwerx, 1618.

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Les calendr iers mar ial s La fonction de ces mariano-topographies, construites sur un argument narratif géographique, trouve un écho intéressant dans un autre type d’inventaire des mérites et bienfaits marials. Dès la première moitié du xviie siècle, en effet, sont édités des documents d’un genre nouveau sous la forme d’éphémérides consacrées exclusivement au personnage de la Vierge Marie84. Ces calendriers, que nous avons librement qualifiés de « marials », revendiquent une parenté avec les martyrologes dits historiques ou anecdotiques qui présentent, à leur jour anniversaire, outre le nom et la qualité d’un ou plusieurs saints, une rapide histoire de leur vie ainsi qu’un éloge de leurs vertus et pouvoirs miraculeux, une description des fêtes liturgiques ou encore le récit de translations de reliques et dédicaces d’églises85. Si, au contraire des martyrologes, les calendriers qui nous intéressent ici ont la particularité de s’articuler uniquement autour du personnage de la Vierge, ils assurent jour après jour, à la manière de ceux-là, la louange des interventions miraculeuses de la Mère de Dieu auprès des fidèles. Ils multiplient les descriptions de rites, légendes, fêtes, commémorations et autres dévotions qui lui sont associés. En nous permettant quelque fantaisie avec la langue française et en singeant le terme grec de martyrologe, nous pourrions qualifier cette source singulière de « théotokologe » ou de discours sur la Vierge organisé par jour anniversaire. Nous préférerons cependant parler simplement de calendriers marials. En l’espace d’une dizaine d’années, trois de ces calendriers paraissent dans les PaysBas méridionaux, sous la plume d’auteurs nés et actifs en Flandre wallonne. Le premier, publié à Douai en 1629, est l’œuvre du jésuite Antoine de Balinghem (1571-1630)86. Né à Saint-

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Outre les trois calendriers belges que nous présentons dans les lignes suivantes, voir Vincent Charron, Kalendrier historial de la glorieuse Vierge Marie Mère de Dieu faisant mention chaque jour de l'an de quelque chose qui la regarde, de la mort de ses fidèles serviteurs, du grand soin qu'ils ont eu de la servir, des faveurs qu’elle leur a départy, du sévère chastiment de ses ennemis et des miracles qu'elle a opérés, Nantes, Pierre Doriou, 1637 ; Pedro Martyr Moxet, O.P., Dietario virginal en el qual los devotos de Maria Señora nuestra hallaran muchos exemplares de todos estados para major servirla, Barcelone, Iayme Matevad, 1641 ; Leonhard Mayr, Mariae Stammen Buch, Oder Täglicher I[m]merwehrender Unser Lieben Frawen Calender, Dilingen, Imprimerie académique, 1642 ; [Jacqueline de Blémur], Ménologe historique de la Mère de Dieu par une religieuse bénédictine du SaintSacrement, Paris, 1682 ; Gabriel Hevenesi, Calendarium marianum, e victoris contra Gentiles, Turcas, Haereticos et alios iniusti bell authores ope SS. Dei Genetricis obtentis, Graz, 1685. Voir également Salzburg, Franziskanerkloster, mss. 068, P. Emerich Kraus (1689-1759), O.F.M., Calendarium marianum in singulos anni dies distributum. 85 « In historiis istis non est servatus ordo temporis, quod imitatione Romani Martyrologii factum, in quo hic negligitur » ; ou plus loin « ad exemplar Martyrologii » (Antoine de Balinghem, S.J., Ephemeris, seu Kalendarium SS. Virginis Genitricis Dei Mariae, Douai, Balthasar Bellere, 1629, avis au lecteur, f. †4v° et f. †5v°). – Dans les Pays-Bas, paraissent des martyrologes consacrés aux saints locaux, parmi lequels sont reprises d’illustres Madones belges telles celles de Montaigu et de Hal : voir Jean Molanus, Natales sanctorum Belgii, et eorundem chronica recapitulatio, Louvain, Jean Maes et Philippe Zangre, 1595, complété quelques années plus tard par Arnold de Raisse, Ad Natales Sanctorum Belgii Molani auctarium, Douai, Pierre Avroy, 1626. Voir aussi A. Le Mire, Fasti Belgici…, op. cit., 1622. 86 Antoine de Balinghem, S.J., Ephemeris, seu Kalendarium SS. Virginis Genitricis Dei Mariae, in quo singuli dies aliquid exhibent ad eam spectans, quod eo ipso die qui inscribitur contigit, aut alicuius eximii eius cultoris

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Omer, il est admis dans la Compagnie de Jésus en 1588. Il fait son noviciat en Italie, revient enseigner la philosophie à Douai et se voit ensuite confier par ses supérieurs la fonction de prédicateur. Il l’exerce particulièrement au sein de la Missio Castrensis flandro-belge à laquelle il est attaché à partir de 1599. Antoine de Balinghem traduit en français et en latin de nombreux ouvrages italiens et espagnols. Il fait cependant également courir sa propre plume et rédige une longue série de traités de spiritualité. Parmi ceux-ci, nombreux sont les ouvrages qu’il a consacrés au culte marial. Méditations sur les douleurs de la Vierge, recueils de chants et de prières, inventaires de reliques et autres récits à la gloire de la Mère de Dieu forment déjà une part importante de sa bibliographie lors de la publication de son Ephemeris87. Celle-ci, parue un an avant sa mort, est le point d’orgue de sa réflexion mariale. Antoine de Balinghem en forme le projet à la lecture des multiples calendriers rapportant victoires guerrières, prodiges naturels, naissance et mort de grands personnages, convaincu que cette forme d’écriture traditionnellement utilisée pour aligner des considérations de type profane devrait pouvoir être employée à meilleur profit pour la gloire de la spiritualité en général et celle du personnage marial en particulier88. Il y rassemble donc l’ensemble de ses connaissances sur la Vierge et sur le culte qui lui est rendu et présente, pour chaque jour de l’année, une ou plusieurs notices articulées autour de la Mère de Dieu ou d’un de ses éminents dévots avec le clair dessein de montrer que la Vierge permet « aux orthodoxes de triompher des ennemis89 ». Quelque dix ans plus tard, George Colveneer (1564-1649), chancelier de l’université de Douai depuis 1613 et censeur des livres, entame à son tour semblable entreprise d’écriture,

eodem die obitum, & adversus eam studium repraesentant, Douai, Balthasar Bellere, 1629. Une édition légèrement augmentée paraît, chez le même éditeur, en 1633. 87 Antoine de Balinghem, S.J., Sept exercices ou Meditations sur les sept douleurs de Nostre-Dame, Douai, Gérard Patté, 1624 ; Id., Parnassus Marianus seu flos Hymnorum, et rhythmorum de SS. Virgine Maria. Ex priscis tum Missalibus, tum Brevariis plus sexaginta, Douai, Balthasar Bellère, 1624 ; [Id.], Nostre Dame de Réconciliation, dite d'Esquermes, de son origine, antiquité, sodalité et miracles, Lille, Pierre de Rache, 1625 ; Id., La toute puissante guerriere représentée en la personne de la sacrée Vierge Marie et présentée aux catholiques en temps de guerre et nécessitez de l'Église, Douai, Gérard Patté, 1625 ; Id., Inventaire des sacrées reliques de nostre Dame & des lieux où elles se trouvent, Douai, Balthasar Bellere, 1626 ; Id., Douze eguillons et motifs populaires à persuader de dire souvent l'Ave Maria, Douai, Balthasar Bellere, 1626. Nathanaël Southwell, dans son répertoire des écrivains de la Compagnie paru en 1676, décrit A. de Balinghem comme « porté par un tendre mouvement de l’âme pour la Mère de Dieu, par l’œuvre de laquelle il a été souvent guéri comme en témoignent les livres qu’il a écrits en son honneur » (Nathanaël Southwell, Bibliotheca Scriptorum Societatis Iesu, Rome, Giacomo Antonio de Lazzaris Varesi, 1676, p. 65). 88 « Ad quod quidem & colligendum & digerendum me haud parum impulit, quod cernerem prophanos homines suas rerum prophanarum edidisse Ephemerides, quibus, dies singulos prophanis narrationibus locupletant, quas qui legunt, postmodum inter colloquendum, & potissimum sub mense tempus, adhibent : dum modo pugnas & victorias, modo clades & publicas calamitates, modo casus admirabiles in omni rerum genere, iam coeli & terrae portenta, iam obitum Regum, principum aliorumque illustrium virorum, alias eorumdem natales dies, & res ab iis gestas in sermonem inferunt. Cogitabam quam potiore iure hoc mereantur decus res sacrae, viri sacri, narrationes sacrae ac potissimum qu[a]e ad Deiparam attinent » (A. de Balinghem, Ephemeris…, op. cit., avis au lecteur, f. †2v°). 89 « Hodie de hostibus Deiparae opem ferente triumphant orthodoxi » (A. de Balinghem, Ephemeris…, op. cit., avis au lecteur, f. †5r°).

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dans le but déclaré de répondre aux attaques protestantes contre le culte marial90. Colveneer, qui avait plutôt l’habitude de s’occuper d’éditions critiques et précieuses d’écrivains ecclésiastiques anciens, réalise ici, avec cette œuvre « historique, théologique et morale », un important travail de compilation en rassemblant en un seul ouvrage une pléthore d’informations relatives à la Vierge issues des nombreux bréviaires, martyrologes, ménologes et autres histoires de la chrétienté tant latine que grecque qu’il a consultés91. Sa verve mariale semble ne pas avoir de limites : il multiplie à l’envi les notices, ne craignant ni répétitions ni redondances, accumule une quantité impressionnante de récits et propose à ses lecteurs deux épais volumes foisonnant de renseignements variés. Les érections de sanctuaires, les établissements de fêtes, l’organisation de processions, les images miraculeuses… toute manifestation du culte marial l’émerveille et le réjouit. Il en rappelle les origines, en souligne les particularités, en montre les développements. Sa passion pour la Vierge est telle qu’il lui arrive d’appliquer, de son propre chef, une grille de lecture mariale à certains événements, n’imaginant guère les expliquer autrement que par l’intercession de la Mère de Dieu92. Enfin, deux ans seulement après la sortie du livre de Colveneer, le jésuite Toussaint Bridoul (1595-1672) fait paraître lui aussi un calendrier marial, en français cette fois, intitulé Le triomphe annuel de Notre Dame93. Auteur de divers ouvrages de spiritualité populaire, Bridoul a consacré une partie de ses travaux à la dévotion mariale en rédigeant plusieurs articles de l’Atlas marianus de Wilhelm Gumppenberg 94. Son calendrier, publié en 1640, l’année qui voit la Compagnie de Jésus fêter son centième anniversaire en grandes pompes, veut être en partie un « acte de reconnaissance adressé à la Mère de Dieu » pour les faveurs et les bienfaits accordés par celle-ci à la Compagnie mais il chante surtout la gloire et le

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Une pièce du paratexte s’intitule d’ailleurs « Respondetur haereticis laudes beatae Mariae calumniantibus ». George Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum, ex variis syrorum, aethiopum, graecorum, latinorum breviariis, menologiis, martyrologiis, & historiis concinnatum, duobus tomis comprehensum. Opus theologicum, historicum, & morale, omnibus theologis, pastoribus, concionatoribus, & ducibus exercitus magno usui futurum, 2 vol., Douai, imprimerie Baltasar Bellere, 1638. – Une traduction paraît à Paris en 1749, sans aucune référence à l’auteur. Il s’agit pourtant bien du même texte, quoique très largement élagué : Calendrier historique, chronologique et moral de la très sainte et très glorieuse Vierge Marie, Mère de Dieu ; contenant les louanges données à la très S. Vierge par les Pères de l'Église et les écrivains ecclésiastiques ; les fêtes établies en son honneur ; les églises, oratoires et chapelles bâties & dédiées sous son invocation ; les Ordres & Instituts religieux qui lui sont dévoués ; les principales confréries érigées à sa gloire ; les miracles les plus avérés, opérés par son intercession ; les décrets des Conciles qui autorisent son culte ; les saints & les personnes pieuses qui se sont distinguées par leur dévotion envers elle. Avec des remarques historiques sur l’antiquité du culte que l’Église rend à la sainte Mère de Dieu. Le tout extrait des auteurs les plus anciens & les plus authentiques. Ouvrage curieux et utile aux curés, aux prédicateurs & aux religieux, Paris, Claude Herissant, 1749. 92 « Pax inventa est, […], haud dubito quin intercessione B. Marie urbis Atrebatensis patronae, tametsi id expresse non legerim » (G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., vol. 1, f. 185r°). 93 Toussaint Bridoul, S.J., Le triomphe annuel de N. Dame : où il est traité châque jour de l’An des Honeurs, que la Vierge a receus du Ciel & de la Terre. Addressé à la Mere de Dieu à titre de reconnoissance, pour avoir conservé la Compagnie de Iesus durant son premier Siecle, dans l’Esprit qu’elle lui a procuré à sa Naissance, 2 vol., Lille, imprimerie Pierre de Rache, 1640. 94 Carlos Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, Paris, Alphonse Picard, t. II, 1891, p. 154-155. 91

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triomphe de la figure mariale. Bridoul y fait le même travail de compilation que ses prédécesseurs avec une soif semblable d’engranger les informations en tous genres. Il lui imprime, cependant, une direction plus contemporaine puisqu’il y relate, bien plus que les deux autres, des événements proches comme ceux de la guerre de Trente Ans qui ravage alors l’Europe. Dans ce conflit où s’enchevêtrent antagonismes politiques et religieux, il montre une Vierge soutien des troupes catholiques et habsbourgeoises en exaltant son intervention dans les victoires de la Montagne Blanche, de Konstanz, de Nördlingen et d’Uberlingen. Les auteurs des mariano-topographies et des calendriers marials entreprennent un travail colossal, véritable performance compilatrice, et offrent au lecteur une étourdissante somme mariale. L’historien qui s’attelle à l’étude du culte de la Vierge, lorsqu’il découvre ce genre de documents, ne peut que se réjouir de l’aubaine ! Or, jusqu’à présent, ces sources – et singulièrement les calendriers – ont été très largement méprisés. Pourtant, ils offrent une mine de renseignements pour l’historien car, outre une série de données factuelles sur les pratiques en cours au moment de leur rédaction, ils constituent de riches exemples de l’instrumentalisation du personnage de la Vierge. Avec eux, celle-ci devient en effet un outil qui permet une étonnante reconstruction des espaces et du temps. Sont ravivées dans les mémoires, des interventions symboliques de la Vierge au cours de l’histoire. Empire d’Orient, France, Italie, Espagne, Angleterre, Pays-Bas, Saint-Empire : la Mère de Dieu est partout et de tout temps. Elle défend Constantinople des attaques des Perses et des Avars, elle s’affiche sur les étendards du roi d’Angleterre Ethelred qui mène ses troupes contre les Danois, elle se transporte avec la Santa Casa à Lorette, elle apparaît aux fondateurs des ordres monastiques, elle soutient les rois catholiques espagnols dans leur reconquista sur les Maures… La lancinante répétition de ces interventions aboutit inexorablement à l’élaboration d’une histoire idéalisée puisque entièrement mise en récit sous un angle marial. Elle imprime dans les esprits l’évidence d’une omniprésence de la Mère de Dieu tout au long d’une histoire qu’elle préside et dont elle infléchit le cours. Cette instrumentalisation historiographique doit jouer un rôle important dans la constitution d’une identité catholique puisqu’elle convainc les lecteurs d’hériter d’un long passé marqué du sceau de la Vierge. Ces synthèses mariales se superposent, à ce titre, à l’emploi utile des chronologies mariales qui reprennent année par année les interventions les plus célèbres de la Vierge dans le monde des hommes. Laconiques ou prolixes, celles-ci créent à leur tour une histoire rythmée par la volonté de la Mère de Dieu en alignant de longues séries de dates qui doivent souligner les faits marquants du culte rendu à la Vierge et les bienfaits de celle-ci pour ses protégés95. Cependant,

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Voir singulièrement, pour les Pays-Bas, Ferry de Locre, Chronica anacephalaeosis Mariae augustae virginis Deiparae, Arras, Guillaume Rivière, 1606. Pour le reste de l’Europe catholique, Benoît Gonon, O. Coel., Chronicon DD. Deiparae Virginis Mariae in quo omnia vitae eius acta, & celeberrima miracula per totum orbem patrata, ad haec usque tempora polixius describuntur, Lyon, Jean Caffin & François Plaignard, 1637 ; Pierre Courcier, S.J., Negotium saeculorum Maria sive Rerum ad Matrem Dei spectantium chronologica epitome, ab anno mundi primo ad annum Christi millesimum sexcentesimum sexagesimum, Dijon, Veuve Philibert Chavance, 1662 ; Biagio della Purificazione, O. Carm., Narrazioni sagre delle piu insigni Vittorie riportate da Fedeli per intercessione della Santissima Madre di Dio dagl'Anni di Christo 534 sino al 1683, Rome, Giuseppe Vannacci, 1687.

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au contraire de ces annales, les théotokologes – en particulier – adoptent, pour l’étalage des manifestations mariales dans le monde, une organisation particulière qui est elle-même significative. Radicalement différente de celle des chronologies classiques, elle ne présente aucune unité de temps ou de lieu : elle est, au contraire, l’expression d’un temps éclaté qui fait naviguer le lecteur, sans cohérence apparente, de contrée en contrée et de siècle en siècle pour revenir au point de départ quelques pages plus loin. Temps éclaté mais pas désordonné. Certes, sa logique n’est ni chronologique ni géographique mais une cohérence est néanmoins présente : celle du temps liturgique, de l’année sacrée qui recommence inéluctablement, temps cyclique appelant la commémoration, le retour et le renouvellement éternel… Une « puissance d’éternité » pour l’humanité, dirait Alphonse Dupront96. La structure même du récit est le gage de la réitération des prodiges marials, celle-ci étant explicitement appelée par les vœux des auteurs qui affirment exposer dans ces calendriers les événements miraculeux dans l’espoir de les voir se renouveler97. Aussi l’exposé est-il, outre une forme de glorification de la Vierge et un outil pastoral, l’expression d’une volonté d’actualiser la capacité de cette dernière à intervenir au cœur de la vie publique. Ces calendriers visent donc à l’efficacité : ils sont des réservoirs d’images, de symboles, de modèles d’action marials que le lecteur, invité à une méditation quotidienne, doit assimiler. Bridoul insiste particulièrement sur cette méditation journalière plus efficace qu’une lecture globale considérée comme indigeste et stérile98. Il favorise d’ailleurs l’intériorisation par le lecteur de la puissance mariale en proposant à la fin de chaque notice une sentence qui rend gloire à la Vierge. Bien évidemment, la fonction première de ce type de méditation est d’abord d’ordre moral : il s’agit de proposer au lecteur une Vierge exemplaire dont il faut imiter les innombrables vertus. Antoine de Balinghem présentera ainsi son calendrier comme un miroir dans lequel les dévots se regarderont et auquel, par imitation, ils s’adapteront et se conformeront dans le but de régénérer leur âme99. Mais cette méditation quotidienne est aussi un moyen d’acquérir une large connaissance du pouvoir marial pour se convaincre de sa possible réitération au cœur d’un contexte difficile où l’on cherche des remèdes tant spirituels que matériels. Dans ces constructions spatio-temporelles où la Vierge triomphe, se profile avec discrétion l’entité « Pays-Bas », un « chez nous » où Dieu prodigue ses miracles par Marie,

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A. Dupront, Du Sacré…, op. cit., p. 527. Voir, par exemple, « Recensentur in hoc ope plures insignes victorias B[eatae] Virginis ope obtentae & similes victorias, praesertim contra haereticos & iuratos fidei & Deiparae Virginis hostes, obtinendas » (G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., vol. 1, f. o7r°). 98 « Ie veux croire que sa lecture vous sera plus profitable & plus aggreable, si vous le lisés en forme de Diaire, vous arrétant au iour qui eschet, sans passer aux autres qui suivent : de crainte qu’il ne vous arrive comme aux viandes, dont la multiplicité à coûtume de nous charger & non pas de nourrir » (T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, vol. 1, préface, f. e4r°). 99 « Videt quilibet si vel leviter animum advertat, Mariophilis fore instar paradisi, quo se subinde, recreandi animi causa, relaxandique recipiant. […] Habebunt tandem omnes ac in primis devoti B.VM. clientuli, tanquam speculum quoddam cultorum eius in quod intueantur, & ad quod imitatione, sese aptent & conforment » (A. de Balinghem, Ephemeris…, op. cit., avis au lecteur, f. †8v°-f. ††1r°). 97

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à Hal, Cambron, Chièvres, Tongre, Vilvoorde, Louvain, Montaigu et ailleurs100, un « PaïsBas [qui] a le bonheur d’être avantagé au-dessus de toutes les Provinces de tant de lieux Saints, de tant d’Images Miraculeuses de la Vierge101 », un Belgium où le groupe catholique se heurte au protestant et se sait, grâce aux prodiges marials, soutenu par la volonté divine102. Quadrillé d’un entrelacs de sanctuaires où la Vierge distribue généreusement les miracles, gratifié de miracles de la Vierge « à toutes les époques et dans presque tous les lieux103 », le pays rassemble des populations où tous partagent une « gloire commune104 », celle d’honorer la Vierge depuis les temps apostoliques. L’argument du caractère marial des Pays-Bas est en effet le suivant : en même temps qu’ils encourageaient à la conversion, les premiers apôtres venus évangéliser les provinces belges ont érigé un réseau ecclésial dense consacré à la Mère de Dieu, véritable signe d’une ardente dévotion mariale primitive. Le réseau marial s’est ensuite progressivement intensifié par l’invention de statues miraculeuses et la multiplication de nouveaux sanctuaires les abritant. Son ancienneté et son intense visibilité contribuent non seulement à démontrer combien les Pays-Bas sont, ensemble, choyés par Marie, mais également à souligner qu’ils partagent tous une longue histoire commune sous le patronage marial ainsi qu’un grand nombre de bienfaits accordés par la Mère de Dieu. La thèse est lancée en 1586, lorsque le jésuite François Coster, plusieurs fois provincial et grand promoteur des sodalités mariales, publie à l’intention des membres de la congrégation de Cologne, le célèbre Libellus Sodalitatis105. Ce manuel dresse l’inventaire des pratiques spirituelles et dévotes qui doivent guider les congréganistes dans leur foi catholique et les former à leur rôle de modèle de vie chrétienne pour le reste de la société. L’épître dédicatoire est l’occasion de s’adresser directement aux jeunes membres des sodalités, de les encourager à l’étude ainsi qu’à l’exercice des vertus chrétiennes et de justifier le patronage marial de la confrérie contre les injures faites à la Vierge par l’hérésie protestante. Fidèle à la volonté missionnaire jésuite de s’ancrer profondément dans la sphère publique, François Coster montre dans cette dédicace une Vierge protectrice des peuples106. Il suggère alors l’exemple de la « noble province Belgique » – circonscription jésuite recouvrant l’ensemble des Pays-Bas méridionaux

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« Adeo quidem ut nullibi, in nullo nomine aut titulo, plura & maiora Miracula, quam in Mariae nomine Deus exhibeat. Nec opus est Italiam, Hispaniam, Galliam, Germaniam, aut alias provincias exteras adire : domestica habemus exempla Hallis, Camberonae, Cerviae, Tungris, Vilvordiae, Lovanii, in monte Blandinio, in ColleAspero, & alibi » (A. Le Mire, Fasti Belgici…, op. cit., p. 514-515). Nous soulignons. 101 Q. Hennin, Trophée de la religion catholique…, op. cit., 1694, p. 11. 102 « Gloriemur itaque, & Dei erga nos bonitatem agnoscamus, qui in Belgica nostra, atque in limite a partibus Batavicis infesto, tot Miracula edidit, & edit quotidie, suis firmandis, & aliis in viam revocandis » (extrait de la notice qu’A. Le Mire consacre à la Vierge de Montaigu dans ses Fasti Belgici…, op. cit., p. 515). Nous soulignons. 103 « Et vero omni aevo fuere, plerisque imo omnibus fere locis » (Ibidem). 104 « Id, opinor, nonnihil ad patriae communis nostrae gloriam facit, quod vel externi hominis testimonio, primum eis Alpes templum, nomine Virginis conspicuum, iuxtim & quasi in Belgica, […], habeamus » (F. de Locre, Maria augusta virgo deipara…, op. cit., p. 108). Nous soulignons. 105 François Coster, Libellus Sodalitatis : hoc est, Christianarum Institutionum Libri quinque, Anvers, imprimerie Plantin, 1586. – Sur Fr. Coster, voir en particulier Nationaal biographisch woordenboeck, t. I, 1964, col. 333-341 ainsi que la bibliographie fournie par Laszlo Polgar, Bibliographie sur l’histoire de la Compagnie de Jésus (19011980), t. III (Les personnes), vol. 1, Rome, Institutum Historicum Societatis Iesu, 1990, p. 526-527. 106 « Haec igitur sacratissima Virgo Dei genitrix, quae tot populorum patrocinium, curamque suscepit » (Fr. Coster, Libellus sodalitatis…, op. cit., dédicace, f. *5r°).

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ainsi que la principauté de Liège107 – qui aurait choisi dès l’époque de sa christianisation la Mère du Christ pour Patronne108. Il en veut pour preuve les titulatures mariales des premiers sanctuaires implantés sur ces territoires à l’aube de la Chrétienté. Quand François Coster veut montrer que la province belge s’est placée sous « la defense & sauuegarde de ceste Vierge tressacree109 », il fait donc référence à un réseau ecclésial marial très tôt mis en place qui rend visible la présence de la Vierge sur les terres dites « belges » en rappelant la dédicace à la Mère de Dieu des cathédrales primitives de Cambrai, Tournai, Arras et Tongres110. Sous sa plume, un certain Belgium, le Belgium de la Compagnie de Jésus, prend donc des traits virginaux. L’argument est repris par la suite, souvent mot à mot, tant dans les marianotopographies de Ferry de Locre puis d’Augustin Wichmans que dans les calendriers de George Colveneer et Toussaint Bridoul. Cependant, ceux-ci évacuent alors le caractère jésuite des propos de Coster pour considérer cette « Belgique » comme une entité territoriale étatique et non plus comme une province religieuse. Avec eux, la Vierge n’est plus seulement la protectrice des pères jésuites, de leurs élèves et congréganistes mais celle de l’ensemble du pays. Si tous veulent démontrer l’occupation mariale d’espaces géographiques et temporels déterminés sensiblement hétérogènes, ils évoquent donc chacun, à un moment ou à un autre, l’espace des Pays-Bas. Ils partagent alors un même discours malgré le cadre très différent qu’ils assignent à leurs exposés respectifs. Si, en effet, Locre, Colveneer et Bridoul s’intéressent au très large ensemble de la chrétienté et si Wichmans choisit son exact opposé spatial en se concentrant uniquement sur le Brabant, tous affirment d’une même voix que le Belgium, en tant qu’ensemble cohérent, doit être compté parmi les protégés de Marie en raison de la titulature des premières cathédrales des diocèses belges, toutes vouées à la Vierge depuis la christianisation de la région. Augustin Wichmans consacre au sujet le chapitre IV de son premier livre, intitulé « De quelle manière la Sainte Vierge Marie a commencé à être honorée en Belgique, & quels temples ont été érigés là-bas en son honneur ». Il y décrit une série de fondations mariales par le légendaire saint Materne à Tongres, Huy, Dinant et Walcourt ainsi que celles d’autres évangélisateurs dans les provinces belges comme celles d’Arras, Thérouanne, Bruges111… Il refuse cependant, par un topos assez commun, l’énumération de tous les lieux de culte belges voués à la Vierge, prétextant une trop longue liste et le risque

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Si cette province a le titre officiel de Germania inferior, elle reçoit régulièrement le nom de « province belge » en raison de son adéquation avec les territoires du Belgium depuis sa réorganisation en 1564 qui l’a séparée de la province du Rhin. Elle sera de nouveau réorganisée en 1612 : on la divisera alors en provinces Flandro- et GalloBelgique. 108 « Enimvero non paucae olim Respublicae, adeoque ditiones integrae huius sacratissimae Virginis patrocinio se commiserunt : quod Alsatia tota, Hungaria, & Belgica nobilis provincia testantur, que simulatque fidem susceperunt, simul etiam Christi Matrem in singularem elegerunt Regionis Patronam » (Fr. Coster, Libellus sodalitatis…, op. cit., dédicace, f. *4r°). 109 François Coster, Le livre de la Confrerie, c’est à dire, les cinq livres des institutions chrestiennes dressees pour l’usage de la Confrerie de la tres heureuse Vierge Marie, Anvers, imprimerie Plantin, 1590, dédicace, f. *3v°. Il s’agit d’une édition traduite, revue et augmentée du Libellus Sodalitatis. 110 « In Belgio sane Cathedrales Ecclesiae Cameracensis, Tornacensis, Atrebatensis, & Tungrensis in B. Mariae Virginis honorem, consecratae sunt » (Fr. Coster, Libellus sodalitatis…, op. cit., dédicace, f. *4r°). 111 A. Wichmans, Brabantia Mariana…, op. cit., 1632, p. 26-40.

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de fatiguer le lecteur112. George Colveneer reprendra dans son calendrier, à la date du 11 mai, jour de la légendaire consécration de Constantinople à la Vierge, les mots exacts de François Coster pour prouver que, à l’imitation de la capitale byzantine, de nombreuses autres villes et pays, dont la Belgique, ont été vouées à Marie113. Toussaint Bridoul préférera le 11 mars, jour anniversaire de saint Vindician, évêque d’Arras-Cambrai au viie siècle, pour rappeler que « le Pays-Bas, dit en latin Belgium, a une particulière obligation à Dieu pour lui avoir envoyé des Apôtres qui, prêchant la foi de son Fils en ces Provinces, ont arrosé cette plante de la dévotion envers la Vierge sa mère, si nécessaire pour nous conserver en la vraie Foi & faciliter l’affaire de notre salut ». Il énumère alors les noms des légendaires évangélisateurs du pays comme autant d’initiateurs du culte marial dans ces provinces114. Ferry de Locre, enfin, cite puis traduit les paroles de François Coster dans la première ébauche de son gigantesque inventaire marial lorsqu’il inventorie les pays placés sous la protection de la Vierge115. Il développera avec bien plus d’ampleur le thème dans l’édition latine de 1608 et entourera alors ces propos de considérations éloquentes sur lesquelles il est utile pour notre développement de nous arrêter. La tâche que le curé de Saint-Nicolas s’est assignée est indéniablement gigantesque et inépuisable. Or, les contraintes de l’édition l’obligent à opérer des choix. Il faut constater que Ferry de Locre est assez fidèle à ses objectifs et, de livre en livre, s’attache à décrire un maximum d’expressions de la dévotion à la Vierge à travers l’Europe chrétienne. Il met ainsi en exergue le rôle essentiel de la piété mariale dans la définition de l’identité catholique qu’il articule toutefois – et c’est là son principal intérêt pour notre démonstration – à d’autres identités toujours construites autour du personnage de Marie. Le livre II doit à ce titre particulièrement éveiller notre attention puisqu’il se consacre aux royaumes, provinces et villes singulièrement protégés par la Vierge qui les a assurés de son assistance, de son aide et de ses bienfaits116. Au centre de ces privilégiés, il place Arras, sa ville, le Belgium ainsi que les pays voisins117. Il accordera cependant à ces derniers peu d’importance dans ce deuxième livre et s’appliquera avant toute chose à mettre en exergue la protection de la Vierge sur la « regio Belgica », centre manifeste de ses préoccupations puisqu’il lui accorde presque soixante pages alors que seules une vingtaine de pages recenseront les sanctuaires des autres royaumes et provinces de la chrétienté occidentale.

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« Sane ingenue fateor, tempus me deficiet, & Lectorem taedium adificiet, si singula per Belgium nostrum universum Mariana Templa a susceptae fidei exordiis sanctissimae Deiparae erecta & consecrata enumerare adgrediar » (Idem, p. 40) 113 G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., 1638, vol. 1, f. 341v°. 114 T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, vol. 1, p. 204. 115 F. de Locre, Marie auguste…, op. cit., 1603, p. 64. 116 « Felices, ô felix Virgo ! quos tu principe ocello signasti! quibus maxime optime voluisti, assuisti, iuvisti ! » (F. de Locre, Maria augusta virgo deipara…, op. cit., 1608, livre II (Regna, provinciae, opida), introduction, p. 90). 117 « Ista me, ô Domina ! benignitate, hanc antiquam Urbem tuam Atrebatum, Belgicam, adsidentia circum Regna prosequere, rege, corrige ; & quae, quoque in tuam singularem clientelem (quorum pars aliquantula, ita spero, cluimus) selegisti olim, & cottidie seligis, ne dimittes unquam » (F. de Locre, Maria augusta virgo deipara…, op. cit., 1608, livre II, p. 89). Le terme « Belgica » est bien ici un substantif et non l’épithète de « hanc antiquam Urbem tuam » comme le donnerait à penser le latin classique.

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On constate, à parcourir ces nombreuses pages, combien le prêtre arrageois lie étroitement la Mère de Dieu au Belgium dont il veut rendre vivante l’identité communautaire : Il a déjà été souligné quelques fois [dans cet ouvrage] que pour le moment, d’après l’usage établi et reconnu, notre Belgique est comptée parmi les clients de Marie ; ceci ne fait aucun doute pour nous qui sommes Belges. Cette clientèle, je pense, fait la gloire de notre patrie commune […]. La Vierge a non seulement montré par des miracles qu’elle nous aime mais elle en a elle-même apporté des gages de ses mains, gages dont nous jouissons, pour lesquels nous la célébrons et dont je garantirai l’authenticité dans un autre endroit118.

On sait quels rapports entretiennent les stratégies communautaires avec les revendications identitaires. C’est lorsqu’une collectivité peut proclamer un « nous » aux caractéristiques semblables qu’elle peut affirmer son identité. Locre parlera donc de « patrie commune », d’un « nous » belge dont il est assurément fier et dont il détermine la cohérence par la protection collective que lui offre la Vierge au cours d’un long passé partagé. À son tour en effet, il montre comment chacune des cathédrales primitives a « choisi d’invoquer une patronne commune et de promouvoir ainsi l’intérêt de la patrie sous son ombre119 ». En une seule phrase, apparaissent et se juxtaposent les termes de communauté et de patrie avec ceux de Vierge et de protection. Locre proclame une même patronne pour tous les Pays-Bas en la personne de la Vierge, véritable instrument de la communauté belge dont il veut qu’elle défende âprement la cause. Plus encore, le culte marial est si ancien qu’il fait « la gloire de la patrie commune ». Cette antiquité est à ce point importante que Ferry de Locre ne manque pas de faire référence à une tradition séculaire véhiculant l’idée que la cathédrale de Tongres – qu’il dit « tout près & quasiment en Belgique » – ait été la première église au nord des Alpes vouée à la Vierge120. Le raccourci peut étonner. Une église de la principauté ecclésiastique de Liège, qui coupe pourtant les provinces belges en deux, devient l’argument d’un culte marial antique et commun aux Pays-Bas. Probablement faut-il y voir une référence à la division épiscopale supranationale qui entraîne sous l’autorité de l’évêque de Liège, héritier du siège cathédral de Tongres, une part non négligeable des habitants des Pays-Bas. Par ailleurs, la démonstration lui permet aussi surtout de donner à voir un réseau cathédral, dont dépend chacun des Belges, entièrement consacré à Marie et de démontrer tout à la fois l’amour que porte la Mère de Dieu à la Belgique et les traces visibles, depuis l’antiquité jusqu’en ce début du xviie siècle, d’un culte marial vivant.

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F. de Locre, Maria augusta virgo deipara…, op. cit., 1608, livre II, p. 108-110. Nous traduisons. « Antiquissimae igitur omnes istae Patronam communem inclamarunt, & rem patriae sub eius umbra promouere optarunt » (Idem, p. 109). 120 Idem, p. 108-109. La légende est ancienne. Gilles d’Orval, dans une des nombreuses notes marginales par lesquelles il parfait sa chronique des évêques de Liège (c. 1251), la rapporte en ces termes : « Dedicauit infra palatium Octaviani magnam ecclesiam ad honorem perpetuae virginis in qua sedem suam collocavit. Haec dicitur prima in honore beate Marie consecrata ex ista parte Alpium » (Gilles d’Orval, Gesta episcoporum Leodiensum, J. Heller (éd.), M.G.H., SS., t. XXV, livre I, chap. 13, p. 17). La légende est acheminée jusqu’à Locre et ses contemporains par une série d’intermédiaires comme Thomas Bozius, De signis Ecclesiae Dei libri XXIV, 2 vol., Cologne, Jean Gymnicus, 1592-1593 ou J. Molanus, Natales sanctorum Belgii…, op. cit., 1595. 119

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Histoire et espace communs imprégnés de la présence mariale deviennent ainsi les arguments d’un « nous » belge de la même manière qu’ils démontrent un « nous » catholique. Il s’agit là d’un efficace dispositif argumentatif qui présente l’avantage de pouvoir être déplacé à l’envi en fonction des revendications identitaires que chacun veut proclamer. D’autant que le seul concept « d’identité belge » paraît peu opératoire quand on parle des Pays-Bas du xviie siècle puisque l’identité régionale qui les anime ne laisse guère de place à une importante conscience supra-provinciale. Dans le kaléidoscope principautaire que forment les Pays-Bas, où se réfléchissent et se combinent avec plus ou moins d’intensité et de contraste une pluralité de sentiments d’appartenance, d’autres revendications identitaires usant du personnage marial étaient susceptibles de surgir. La stratégie démonstrative qui fonde les sentiments d’appartenance sur une histoire et une géographie mariales partagées réapparaîtra dès lors pour d’autres niveaux d’identité. Augustin Wichmans proclamera ainsi la gloire du Brabant par l’exaltation d’un long passé et d’un intense réseau ecclésial dont il démontre les déploiements sous la haute protection de Marie. Il souligne alors les liens intimes qui se tissent entre patrie brabançonne et personnage de la Vierge : Il est possible de connaître la dévotion très ancienne des Brabançons envers la Vierge, mère de Dieu, dévotion qui persévère aujourd’hui, non sans arguments variés et évidents de la faveur mariale à l’égard de notre Patrie ; [cette dévotion] persévérera éternellement, […] de sorte qu’aussi longtemps qu’on dira Brabant, on dira aussi Marial 121.

Sous la plume du prémontré de Tongerlo, la superposition du Brabant et de la Vierge est totale puisque l’un ne peut être énoncé sans l’autre. Marie est alors véritablement constitutive du duché. Ces propos, s’ils fusionnent toujours être collectif et Vierge Marie, changent donc radicalement l’ancrage territorial du discours identitaire articulé sur le personnage marial. Le Pays-Bas s’efface devant la province et la Vierge devient la gloire du seul Brabant et de ses habitants. La communauté pensée est celle du duché dont la Vierge devient un des éléments de cristallisation : Augustin Wichmans affirme un patrimoine marial partagé dont l’ensemble du Brabant peut s’enorgueillir aux dépens des groupes voisins. Le mécanisme restera le même dans les propos que tiennent les défenseurs du sanctuaire de Laeken, revendiquant pour la Vierge du lieu ancienneté et supériorité sur l’ensemble des autres images miraculeuses des provinces belges122. Passion des origines antiques et fierté de l’abondance de miracles par rapport aux villes voisines se conjuguent pour offrir aux « Citoyens de Bruxelles » la meilleure des protectrices – parce que la plus ancienne et la plus prodigieuse – qui rassemble sous ses auspices la capitale et ses habitants. La ville de Bruxelles dans son ensemble peut se prévaloir d’une histoire rythmée par les

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« Ut vel hinc perantiquam Brabantorum erga Deiparam Virginem, devotionem, liceat cognoscere, quae hodieque perseverat, non sine variis, iisque evidentibus Mariani favoris in Patriam nostram argumentis ; perseverabitque aeternum, : ut nimirum quamdiu dicatur Brabantia, dicatur &, Mariana » (A. Wichmans, Brabantia Mariana…, op. cit., 1632, dédicace à Théodore Verbraecken, abbé prémontré de Tongerlo, f. †3v°). 122 Jean-Antoine Gurnez, Laca bruxellense suburbanum cultu ac prodigiis Deiparae a Normannorum temporibus, id est ante omnia Partheniis aedibus et iconibus miraculosis in Belgio loco clara, celebris, novo studio illustrata, Bruxelles, Godefroid Schovaert, 1647 ; Q. Hennin, Trophée de la religion catholique…, op. cit., 1694.

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interventions merveilleuses de la Vierge de Laeken et espérer, face aux dangers et calamités, le soutien de la statue honorée à ses portes123. Cette protection singulière vaut à la capitale la qualification de mariale124. Par le fait même de cette formulation, celle-ci acquiert alors une identité dynamisée par la figure de la Mère de Dieu. La narration miraculeuse et ses nombreuses exclamations laudatives enracinent Bruxelles dans une trame mariale et l’identifient comme vivifiée par la présence de la Vierge. Calendriers et topographies marials s’emploient à démontrer une Vierge toutepuissante qui soutient farouchement la cause romaine. Ils l’inscrivent dans une longue histoire, lui font porter l’étendard de la plus haute antiquité et la dépeignent éminemment active dans les durs combats qu’ont menés au cours des siècles les troupes catholiques face au paganisme, à l’hérésie, à la rébellion ainsi qu’à toute forme de déstabilisation et d’opposition. Cette Vierge, omniprésente, d’une incroyable efficacité protectrice et rendue extrêmement visible dans l’histoire et dans l’espace de la chrétienté, permet l’exaltation de la légitimité de l’Église catholique. Par la même occasion, à une époque où il est presque impossible d’affirmer une identité, même civile, sans proclamer de choix confessionnel, la Vierge ainsi racontée est également mobilisée pour magnifier pays et patries qui se voient attribuer un vif caractère marial dont ils peuvent se glorifier. En filigrane des monographies et catalogues sacraux, la Vierge s’ancre dans l’histoire et l’espace des Pays-Bas : les auteurs de ces traités apologétiques transforment alors ces territoires en terres mariales et créent aussitôt autour de Marie des liens solides entre les individus qui y habitent. Ils montrent quelle prodigieuse protectrice se partagent ces gens et quelle confiance ils peuvent investir en elle au cœur de cette époque troublée.

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« Que les vertus du septentrion soufflent & heurtent aux portes de cette Ville, c’est à dire que la fortune inconstante regarde Bruxelles d’un œil jaloux, quelle la menace de toutes sortes de Calamitez Marie à mis les clefs du Ciel sur cet Autel de Lacq ces Citoyens n’ont qu’à s’y prosterner ils en tireront d’abord tout le soulagement & le secours necessaire » (Q. Hennin, Trophée de la religion catholique…, op. cit., 1694, p. XI). 124 « Si Constantinople fut apellé Mariane, pour être dédié à Marie, n’ayons point de repugnance de croire que Bruxelles n’obtient ce beau nom du Ciel & ce par égard à la pieté que cette Capitale a toujours eu pour la Souveraine de l’Univers à qui elle est devoué depuis 800 ans » (Ibidem).

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Une proclamation cérémonielle En définissant Marie par sa présence dans l’histoire des Pays-Bas et par son intense visibilité dans l’espace géographique du pays, les promoteurs d’un culte marial utile au pays ont fait jouer à la Vierge un rôle éminemment protecteur sur celui-ci. On ne s’étonnera guère, par ailleurs, que dans la noirceur et le tragique des événements, nombreux soient ceux qui se tournent vers cette insigne protectrice et la conjurent de les secourir. La « civilisation de la procession1 » qu’est le monde d’Ancien Régime organise, en nombre, des cérémonies destinées à calmer les angoisses et les peurs. L’urgence et la panique conduisent les populations terrorisées à aller prier les Vierges et toute leur longue escorte de saints honorés dans les sanctuaires locaux, dans le but d’implorer aide et protection. Les paroisses, maisons conventuelles et Chapitres mais également Magistrats et gouverneurs programment alors, sous forme de neuvaines souvent accompagnées de cortèges solennels, des cérémonies extraordinaires, indépendantes du cycle liturgique annuel et motivées par ces raisons exceptionnelles que sont les drames militaires. Les confréries locales y participent activement en faisant porter par leurs membres gonfalons et cierges ardents tandis que s’y massent nombreux les habitants terrifiés mais remplis d’espoir. En échange de la délivrance d’un siège ou d’une victoire sur l’ennemi, on promet ici de reconstruire un sanctuaire marial détruit par les guerres2, là-bas d’organiser chaque année des cérémonies de commémoration à la date anniversaire de l’éventuel secours que la Vierge daignera accorder, ailleurs de partir en confrérie la remercier par un pèlerinage3. Chaque communauté entreprend cette démarche selon ses propres moyens, l’entourant de plus ou moins d’apparat. La pratique est commune et se multiplie tant et plus dans ce xviie siècle en proie aux guerres et aux épidémies qui trop souvent les accompagnent. Les sources les plus disertes sur l’organisation des processions dans ce contexte guerrier sont indéniablement les Litterae annuae des provinces jésuites de Gallo- et Flandro-Belgique rédigées lors de la dernière phase de la guerre de Trente Ans et des prolongements de ce conflit

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Jean Delumeau, Rassurer et protéger. Le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois, Paris, Fayard, 1989, p. 90. 2 C’est le cas notamment à Saint-Omer, en 1638, lorsque les Français assiègent la ville (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 140, [Litterae] Annuae 1638 Provinciae Gallo-Belgicae). 3 Lors du siège de Cambrai en 1649, les congréganistes de Douai promettent de partir en pèlerinage rendre grâce à la Vierge honorée dans la ville assiégée si celle-ci est délivrée de la menace française. Lors de l’annonce de la délivrance de la ville, un cortège de huit mille personnes se rend de Douai à Cambrai (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 35, f. 193r°, Litterae annuae Collegii Duacensis 1649).

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par la guerre franco-espagnole. En plein cœur des combats opposant France et Pays-Bas, les collèges et maisons professes de la Compagnie de Jésus y exposent les stratégies processionnelles mises en place par leur propre communauté, les autres ordres religieux ou les autorités civiles afin d’« établir la paix pour la Belgique très affligée4 ». Ils décrivent les raisons qui les ont poussés à faire descendre la Vierge et les saints dans les rues de leurs cités, suivis de la masse des élèves du collège et des habitants de la ville qui peuvent se compter par centaines voire par milliers. Ainsi, entre autres multiples exemples, le provincial de la Flandro-Belgique renvoie à Rome en 1658 son rapport annuel où il montre que la Compagnie a excité la dévotion mariale « pour l’urgente nécessité de la Belgique, périssant dans les guerres5 ». Les statues de la Vierge honorées dans les collèges ont été portées à travers les rues des villes où les jésuites se sont implantés. Six cents élèves du collège de Bruxelles sont ainsi partis en procession. À Anvers, ils sont un millier de congréganistes à être sortis de la maison professe, tous munis des cierges. Les élèves du collège, au nombre de six cents, les ont rejoints. Une grande part de nos exemples emprunteront à l’expression baroque de cette piété jésuite. Cependant, il faut veiller à ne pas réduire pour autant le mode processionnel à la seule stratégie de la Compagnie. Princes et Magistrats d’un côté, curés et paroissiens de l’autre, veilleront également à l’organisation de ces célébrations. Celles-ci retiendront dès lors spécialement notre attention lorsqu’elles seront consacrées à l’invocation de la Mère de Dieu et feront l’objet d’une utilisation particulière par le pouvoir civil à qui il arrive de prendre ostensiblement part à ces cérémonies. Les cérémonies « ordinaires » ne nous intéresseront pas. Nous ne chercherons que l’urgence et la peur. Nous partirons en quête de ces moments où vie publique et rituels sacrés se confondent pour rendre pleinement présente une Vierge protectrice qui doit imposer à la communauté civile ordre et unité afin de lutter contre l’ennemi.

Une demande panique : processionner pour implorer la paix Lorsque les troupes ennemies assiègent la cité provoquant disettes et maladies, le « souci du bien public6 » est régulièrement invoqué pour justifier l’organisation de processions en l’honneur des statues mariales du lieu. Ces cérémonies doivent, comme à Aire-sur-la-Lys en 1641, donner « force et audace aux militaires pour expulser l’ennemi et courage aux citoyens pour supporter les calamités7 ». C’est avec de semblables intentions que les

4 « Paci afflictissimo Belgio conciliandae » (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 35, p. 345, Annuae litterae Provinciae Gallo-Belgicae 1646). C’est sous l’autorité de cet argument qu’une des sodalités de bourgeois de Lille entreprend en 1646 une procession jusqu’à l’autel deNotre-Dame d’Esquermes afin que les Couronnes qui se battent dans les Pays-Bas se réconcilient enfin. 5 R.A., Fl.-Belg., vol. 7/2, f. 37v°, Litterae annuae provinciae flandro-belgicae anni MDCLIIX ; A.R.S.I., Fl.-Belg., vol. 53, f. 103v°, Litterae annuae provinciae flandro-belgicae anni 1658. 6 « Boni publici cura nos viros modo sed et pueros, ac potissimum scholasticos nostros movit illos ad sacras [icones] Beatissimae Matris » (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 140, [Litterae] Annuae 1638 Provinciae Gallo-Belgicae). Nous soulignons. 7 « Militi nostro audacia et robur ad propulsandos hostes civibus vero alacritas indita est ad perferendas diuturna obsidionis calamitates […] iis solatium et animi magnitudinem attulerunt » (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 33, f. 115r°-v°, Supplementum Historiae collegii Societatis Iesu Ariae).

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congrégations jésuites de Lille organisent en 1646 des processions aux trois imagines mariales de la ville : Notre-Dame de la Treille dans la collégiale Saint-Pierre, Notre-Dame de Grâce à l’abbaye de Loos et Notre-Dame de Réconciliation ou d’Esquermes momentanément honorée chez les jésuites. Elles espèrent « réunir l’Espagnol, le Français et le Hollandais, ces peuples se livrant aujourd’hui bataille pour la Belgique dans les entrailles mêmes de cette Belgique8 » afin de mettre un terme aux misères qui accablent le pays et obtenir d’heureux succès dans cette guerre. Les processions mariales semblent donc avoir présenté une fonction utile pour se protéger de l’ennemi menaçant. Il fallait que Marie mette définitivement fin aux troubles du pays en investissant un espace qui avait besoin d’elle comme d’« une très énergique guerrière9 », ainsi que l’exprime, en une formule, le rédacteur des Litterae annuae d’Aire-sur-la-Lys en 1641. À Dunkerque, en 1645, chacun se persuade que si l’ennemi français n’a pu prendre la ville, c’est grâce à la protection offerte par la Vierge du lieu, dite « Auxiliatrice », à la suite des importantes processions organisées dans les rues de la cité qui ont avantageusement mêlé population civile et chefs de guerre10. À Saint-Omer, par ailleurs, lors des cérémonies clôturant les processions d’hommage à Marie pour avoir libéré la ville du siège français de 1638, le Magistrat donne à la statue, traditionnellement appelée NotreDame de Bonne-Espérance ou Notre-Dame du Refuge, le nom de Notre-Dame de Paix11. Le but de ces processions paniques est donc semblable en tous lieux : il s’agit de réclamer la paix, l’ordre et la stabilité. Leur organisation, cependant, est multiple et varie au cas par cas. Là-bas, on sillonne la ville d’oratoire en sanctuaire marials pour prier la Mère de Dieu et lui offrir des cierges de cire vierge. Les statues ne bougent pas : ce sont les corps constituant la population qui quadrillent l’espace public pour rejoindre les différents sites consacrés à la Vierge. Ce parcours peut se concentrer sur une seule journée ou se répartir sur une neuvaine entière : la population est alors invitée à prier jour après jour chacune des Vierges qu’honore la ville. Ailleurs, la neuvaine, abondamment utilisée par ceux qui espèrent obtenir la protection mariale, s’organise différemment : communautés religieuses, paroisses et Magistrat viennent tour à tour implorer la statue de Marie déménagée de sa chapelle puis installée au cœur de la nef du sanctuaire qui l’abrite. Ces solennités marquent longuement la vie de la cité. Chaque groupe – qu’il soit religieux ou civil – se succède devant la statue vers laquelle il se rend en cortège par les rues de la cité. Dans le sanctuaire, ont lieu tous les

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« Hos populos hodie de Belgio in Belgii visceribus decertantes, Hispanum, Gallum, Batavum colligaret » (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 35, p. 344-345, Annuae litterae Provinciae Gallo-Belgicae 1646). 9 « Velut ex fortissimae bellatricis conspectu » (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 33, f. 115r°, Supplementum Historiae collegii Societatis Iesu Ariae). 10 « Putaturque profuisse conspiratio ista militum simul cum civibus in illam Virginis invocationem. Certe cum multa post illud tempus tentarent hostes et occuparent alibi, numquam tamen aggressi sunt Castra, vel ausi sunt obsidere Dunkercam, quod diutissime fuerant minati. […] ideo ut pium sit credere B[eatissim]ae Virginis auxilium in his intervenisse » (A.R.S.I., Fl.-Belg., vol. 57, p. 525-526, Supplementum Historiae Annuae Collegii Dunckercani). Nous soulignons. 11 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 507, Supplementum Historiae Collegii Audomarensis. – L’année suivante, les élèves du collège joueront sur les planches Judith, ou la délivrance de la ville par la sainte Vierge, 13 septembre 1639 (Louis Desgraves, Répertoire des programmes des pièces de théâtre jouées dans les collèges en France (16011700), Genève, Droz, 1986). Judith est considérée, par l’exégèse allégorique, comme une pré-figure vétérotestamentaire de la Vierge, annonçant son courage et sa puissance.

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jours de vives prédications appelant la paix et encourageant à intensifier les démonstrations de piété. Des personnages importants illustrent les cérémonies de leur présence. Le gouverneur de la cité ainsi que les chefs militaires peuvent se montrer tous les jours avec une fidèle constance. Le dernier jour, tous les dévots accompagnent la statue implorée lors d’une importante procession finale à travers les places publiques et les rues de la cité. D’autres processions, cependant, peuvent avoir lieu sans être précédées d’une neuvaine. La Vierge est dans la rue. Sa statue défile de place en place. On la mène parfois jusqu’aux quartiers des militaires qui campent aux murailles de la ville : les soldats l’accueillent alors en la saluant par des tirs de canons. À l’occasion de ces sorties, la statue peut être déposée dans un lieu particulièrement fréquenté où quelques prédicateurs exhortent Marie à protéger la ville et incitent la population à ne pas faiblir en dévotion12. Il arrive également, lorsque l’atmosphère s’électrise et que l’angoisse est à son comble, que l’on érige sur les places publiques des autels où sont dressées des statues de la Vierge que chacun vient implorer13. Dans les villes où se sont implantés les collèges jésuites, les élèves, des torches ardentes à la main, sont présents à ces processions. C’est généralement à ces jeunes élèves qu’est dévolue la première place du cortège qu’ils inaugurent par d’expressives mises en scène. Déguisés en personnages bibliques ou historiques, ils annoncent la consolation et la protection que la Vierge apportera au pays. Il s’agit alors, comme nous le montrerons, d’établir par la multiplication des symboles et des médias la puissance protectrice de la Mère de Dieu. Le Magistrat, parfois le gouverneur de la place ou de la province, se joignent au cortège, souvent accompagnés des chefs de guerre chargés de repousser l’ennemi dans la région qui remettent alors leurs étendards à la Vierge tandis que les artilleurs font retentir les canons. Ces célébrations doivent sauver la ville des menaces ennemies. Il n’est guère étonnant, dès lors, que les représentants des forces armées soient présents lors de ces manifestations et tissent des liens étroits avec cette Vierge qui doit les protéger et soutenir leurs expéditions.

Une demande réfléchie : le patronage marial Les cérémonies que nous venons d’évoquer rapidement sont marquées par le signe de l’urgence. À la douleur de la guerre, il faut répondre vite et efficacement. Il arrive toutefois que certaines cérémonies invoquant la protection mariale prennent des formes plus élaborées, se déployant au sein de mises en scène réfléchies qui exaltent la Vierge comme Patronne officielle et légitime de la cité, de la province ou de la nation. On parle alors de consécration à la Vierge ou d’élection mariale puisque le but de ces cérémonies est d’élire par un vœu public et solennel la Vierge comme Protectrice des communautés civiles afin de les rendre

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A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 506, Supplementum Historiae Collegii Audomarensis. C’est le cas, par exemple, à Aire en 1641 au plus fort du siège de la ville par les Français (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 33, f. 115v°, Supplementum Historiae collegii Societatis Iesu Ariae) ainsi qu’à Dunkerque en 1645 (A.R.S.I, Fl.Belg., vol. 57, p. 525, Litterae annuae collegii Dunckercani). 13

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invincibles14. Comme les précédentes, ces cérémonies sont une réponse à l’angoisse des temps et veulent éviter l’humiliation de la défaite. Comme les précédentes, elles sont des stratégies hautement symboliques que mettent au point, d’un commun accord, autorités civiles et ecclésiastiques. Mais, à la différence des précédentes, elles sont longuement préparées et strictement codifiées et, à ce titre, fixent solidement un cadre d’obligations réciproques entre la Vierge et ses dévots. L’intérêt de la consécration réside en effet dans la nature profondément contractuelle des liens qui se créent entre le saint protecteur et la communauté protégée. À l’image de la société d’Ancien Régime où clients et patrons entretiennent des rapports de devoirs mutuels, la consécration engage à la fois un groupe civil et une figure sacrée, en l’occurrence la Vierge. Le premier multiplie les honneurs envers la seconde qui doit alors, selon un principe de réciprocité, assurer son rôle de sainte patronne15. L’acte de consécration dépasse donc largement l’effet rhétorique courant qui proclame « Cité de la Mère de Dieu » toute ville dotée d’une église vouée à la Vierge et crée, par la mise en œuvre de signes et de symboles, de véritables liens de nature quasiment juridique. La conviction que Marie puisse être la sainte patronne d’un lieu est ancienne. L’exemple le plus célèbre est sans doute celui de Constantinople, placée sous la protection mariale depuis l’invasion des Avars en 626. La capitale byzantine est d’ailleurs très largement louée comme « ville mariale » dans la littérature consacrée à la Vierge qui fleurit au xviie siècle et, à ce titre, est maintes fois définie comme un modèle vers lequel il convient de tendre16. À cet archétype de protection mariale, les dévots joignent quantité d’exemples de villes qui, tout au long de l’époque médiévale, se sont choisi spontanément la Vierge comme sainte protectrice17. Ces élections informelles, le plus souvent expliquées par la dédicace de l’église

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Annick Delfosse, « Élections collectives d’un « Patron et Protecteur ». Mises en scène jésuites dans les PaysBas espagnols », dans B. Dompnier (dir.), Les cérémonies extraordinaires du catholicisme baroque, ClermontFerraud. Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2009, p. 243-259. 15 J.-M. Sallmann, Naples et ses saints à l'âge baroque…, op. cit., p. 83. 16 Les calendriers marials et topographies sacrées, singulièrement, multiplient les références à l’identité mariale de Constantinople et son rôle de modèle : « Dedicatur Constantinopolis seu nova Roma, Dei genitrici, praevio incruento sacrificio, votis ac precibus. Ipsa dies [10 mai] dedicationis publicis perpetuisque monumentis est commendata, ut anniversaria die, natalis nouae Romae sicut antiquae celebraretur » (A. de Balinghem, Ephemeris…, op. cit., p. 241) ; « Antverpiae quotannis Dominica post Adsumptae in coelum Virginis festum, Encenia dictae urbis celebranditur in illius honorem, cui ut olim Constantinopolis, exasse & in solidum sacra est ; ideoque cum illa [Constantinopolis] Urbs nostrae Dominae jure nuncupanda » (A. Wichmans, Brabantia Mariana…, op. cit., 1632, p. 107) ; « Si Messieurs du Magistrat ne se porteroit [sic] pas à faire un éclat de devotion publique, en dediant solemnellement leur Ville à nostre Dame de la Treille, comme avoit fait autrefois l’Empereur Constantin le Grand, sa ville de Constantinople, laquelle il appelloit, la nouvelle Rome » (J. Vincart, Histoire de Nostre-Dame de la Treille…, op. cit., 1671 [1636], p. 115) ; « Ces citoyens [de Bruxelles], imitans Constantin, volurent mettre leur Ville sous la protection de la Vierge » (Q. Hennin, Trophée de la religion catholique…, op. cit., 1694, p. XIII) ; etc. 17 Parmi de multiples exemples, ceux de Paris (Alain J. Stoclet, « Entre Esculape et Marie : Paris, la peste et le pouvoir aux premiers temps du Moyen Âge », Revue historique, n° 301/4, Paris, P.U.F., 1999, p. 691-746) ou de Sienne (Bram Kempers, « Icons, altarpieces and civic ritual in Siena Cathedral (1100-1530) », dans B.A. Hanawalt et K.L. Reyerson (éds), City and Spectacle in Medieval Europe, Minneapolis-Londres, University of Minnesota Press, 1994, p. 89-136 (= Medieval Studies at Minnesota, 6).

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du lieu, sont alors égrenées en un long chapelet de références exemplaires que chacun garde en mémoire18. La pratique de l’élection semble donc s’être longuement maintenue sous des formes locales, informelles et spontanées, échappant au contrôle de l’institution pontificale. En 1630 cependant, l’Église romaine interdit officiellement ces initiatives particulières et, par le décret Pro patronis in posterum eligendis, confie à la Congrégation des Rites la surveillance des élections19. Dorénavant, le cadre de la consécration est très strictement défini et chaque élection doit être avalisée par la Congrégation. Les conditions sont au nombre de trois : choisir un saint patron canonisé par l’Église et non simplement béatifié, s’assurer que la consécration est proclamée au nom du peuple par l’ensemble de la municipalité avec l’accord exprès de l’évêque et du clergé local et, enfin, envoyer à Rome, pour examen, un dossier rassemblant les preuves du respect de ces normes. L’actuelle Congrégation pour la Cause des Saints conserve les cinquante-deux registres manuscrits dans lesquels l’ancienne Congrégation des Rites a consigné entre 1630 et 1750 ses décrets sur les différentes matières liturgiques pour lesquelles elle était consultée20. Parmi ceux-ci, il est possible d’y dénombrer pléthore d’élections pour l’Europe catholique. Malheureusement, ces archives sont bien silencieuses dès qu’il s’agit des consécrations célébrées dans les Pays-Bas méridionaux. Il est donc particulièrement difficile de fonder notre enquête sur cette documentation qui fut, pourtant, d’une grande utilité à Jean-Michel Sallmann lors de son étude sur le culte des saints à Naples comme instrument du catholicisme tridentin. Là où celui-ci dénombre trois cent quarante-sept enregistrements d’élections avalisées, nous n’en recensons que deux21. Ce contraste radical pourrait s’expliquer par une exceptionnelle dynamique imprimée au culte collectif du saint patron en Italie dépassant largement en ce domaine les autres pays de la chrétienté22. Cependant, si cette explication démontre que ce type de dévotion a pu connaître plusieurs vitesses au sein de l’Europe catholique, elle ne nous éclaire pas sur les raisons du silence presque total des archives de la Congrégation sur des consécrations que l’on connaît bien par d’autres sources. Il nous faut donc nous tourner vers d’autres documents, la plupart issus des plumes jésuites. Longues lettres patiemment argumentées adressées aux autorités civiles, histoires des vertus de la Vierge miraculeuse du cru, annales des maisons professes et collèges de la ville, calendriers marials rédigés par des pères de la Compagnie veulent montrer la force émotionnelle et symbolique de ces processions publiques et rappeler,

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Voir, par exemple, la longue liste de villes, provinces et royaumes « marials » qu’établit F. de Locre, Maria augusta virgo deipara…, op. cit., 1608, livre II ou G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., 1638, vol. 1, f. 338r°. Voyez aussi les modèles offerts par les métropoles diocésaines d’Anvers ou de Strasbourg dans Fr. Coster, Le livre de la Confrerie…, op. cit., f. *3v° et T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., vol. 1, p. 78. 19 Aloïs Gardellini, Decreta authentica Congregationis Sacrorum Rituum, t. I, 2nd édition, Rome, 1824-1826, p. 237. 20 Archivio della Congregazione per le Cause dei Santi [= A.C.C.S.], Decreta Sacrae Rituum Congregationis [= D.S.R.C.], 52 volumes non numérotés ainsi que les dossiers préparatoires. Il n’existe ni catalogue ni inventaire systématique. 21 Il aurait été intéressant de dénombrer pour les Pays-Bas méridionaux l’ensemble de telles consécrations et de considérer en parallèle les élections mariales et celles des autres saints. Malheureusement, le silence des sources nous a contrainte à abandonner cette voie heuristique-là, riche de promesses mais bien aride dans les faits. 22 J.-M. Sallmann, Naples et ses saints…, op. cit., p. 66.

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par la multiplication des détails, la dramaturgie grandiose qu’elles ont dû afficher. C’est principalement sur base de cette littérature que nous nous consacrerons à l’analyse transversale de quelques cas célèbres particulièrement bien documentés : la consécration des villes de Lille et Aire-sur-la-Lys en 1634 et 1636, le patronage marial des Pays-Bas en 1643, les tentatives d’élection immaculiste au milieu des années 1650 et la proclamation publique de Marie comme patronne de la ville de Luxembourg en 1666 puis de toute la province en 1678. Les cérémonies d’élections connues sont peu nombreuses. L’étude de ces cas ponctuels, cependant, sert notre démonstration. Ces consécrations ont en effet été de véritables projets politiques imaginés puis concrétisés, au prix d’importants efforts, par différents corps de la cité. Elles sont des exemples éloquents de l’instrumentalisation politique la figure mariale23.

D e Lille au duché du Lux e mbourg Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer dans l’introduction le vaste mouvement de consécrations impériale, royales et principautaires qui, au cours du xviie siècle, ont fait de Marie la Patronne de multiples États de l’Europe catholique. Ces élections ont le mérite du prestige. Il est nécessaire toutefois de se souvenir qu’elles n’ont pas été les seules et que les Magistrats locaux se sont aussi lancés dans pareilles entreprises. Des villes des Pays-Bas furent à leur tour les théâtres d’élections mariales. Rappelons brièvement les événements. Le 28 octobre 1634, à la suite des injonctions du père jésuite Jean Vincart, lui-même encouragé par le Chapitre lillois de la collégiale Saint-Pierre, le corps municipal de Lille, précédé par les élèves du collège, s’avance depuis l’hôtel de ville jusqu’à la collégiale où est abritée la célèbre Notre-Dame de la Treille, honorée sous pareil vocable en raison des grillages qui la protègent24. Un héraut porte haut un étendard sur lequel est représentée la statue miraculeuse dans les nuées tournant son regard vers la ville de Lille et ses habitants qui placent en elle, comme le suggère un verset extrait du prophète Esaïe, tous leurs espoirs25. Au revers, un

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A. Delfosse, « Élections collectives d’un « Patron et Protecteur ». Mises en scène jésuites dans les Pays-Bas espagnols », op. cit. 24 L’événement fait tout de suite l’objet d’une description dans les Litterae annuae du collège (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 378-379, [Litterae] Annuae Collegii Insulensis 1634). – Jean Vincart, le père jésuite à l’origine de ces cérémonies et farouche défenseur du culte de la Vierge de la Treille, publie deux ans après l’élection un Beata Virgo Cancellata in insigni ecclesia collegiata Divi Petri Insulae cultu et miraculis, Lille, Pierre de Rache, 1636. Il y vante les bienfaits et vertus de la nouvelle patronne de la ville et développe l’histoire de son culte. Témoin de la procession, il la décrit assez précisément. Cet ouvrage connaît une traduction française par l’auteur lui-même à Tournai en 1671, réimprimée à Lille en 1874 (Jean Vincart, Histoire de Nostre-Dame de la Treille auguste et miraculeuse dans l’église collégiale de S. Pierre patrone de la ville de Lille, composée en latin par le P. Jean Vincart de la Compagnie de Jésus, traduite & augmentée en François par luy-mesme, suivant la copie imprimée à Tournai par Adrien Quinqué en 1671, Lille, Leleu, 1874). L’ouvrage de Jean Vincart servira de référence à des auteurs jésuites tels Toussaint Bridoul ou Wilhelm Gumppenberg pour tout ce qui concerne l’histoire de la statue miraculeuse. Voir également Pierre Delattre, La consécration de la ville de Lille à Notre-Dame de la Treille par le majeur Jean le Vasseur et le Magistrat le 28 octobre 1634 d’après les papiers inédits des anciens jésuites, Gembloux, Gilles Duculot, 1934. 25 « Dicet habitator Insulae huius, haec est spes mea » (Es. 20, 6).

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chronogramme proclame le vœu de consécration : Beatae VIrgInI CanCeLLatae senatUs popULUsqUe InsULaM ConseCrabant, le Magistrat et les habitants consacrent Lille à la sainte Vierge de la Treille (1634)26. À l’offertoire, le rewart, qui symbolise au sein du Magistrat la communauté des bourgeois et assure à ce titre la sécurité de ces derniers27, présente à la Vierge ladite bannière et s’inscrit, avec l’ensemble du Magistrat, dans le registre de la confrérie de Notre-Dame de la Treille. Deux ans plus tard, Aire-sur-la-Lys connaît semblable cérémonie28. Le même Jean Vincart vient d’y être transféré et prêche régulièrement dans la collégiale Saint-Pierre où est honorée une Vierge sous le nom de Notre-Dame de la Panetière. Manifestement convaincu de l’intérêt et de l’efficacité d’un tel projet, il propose au Magistrat de la ville de se consacrer à son tour à Notre-Dame. Le 3 mai 1636, le gouverneur, les officiers royaux et le Magistrat urbain d’Aire quittent donc l’hôtel de ville pour se diriger vers la collégiale. Les jeunes élèves des pères jésuites les précèdent en musique et le fils du gouverneur brandit une bannière arborant l’image de la Vierge locale avec les armoiries de la ville ainsi qu’un chronogramme, reprenant à peu de choses près les mots déjà affichés à Lille pour proclamer la consécration du Magistrat et de la population à Dieu et à Marie : Deo aC DIVae PanarIae pIae tUteLarI, senatUs aC popULUs ArIensIs se aC sUa ConseCrabant29. Ce cortège est accueilli à la collégiale par le Chapitre qui le conduit jusqu’à la chapelle mariale. Pendant la célébration, l’étendard est offert à la Vierge, avec les clés de la ville, par le premier des échevins. Nous conservons également quelques traces de pareilles élections pour les décennies suivantes. Il semble que le Magistrat d’Arlon ait entrepris, le 1er mai 1655, de prendre la Vierge comme patronne spéciale de sa ville30. Représentants de l’autorité civile, clergé et habitants se rendent en procession auprès d’une Vierge honorée chez les pères capucins, lui offrent un cierge aux armes de la ville et prononcent la formule d’un vœu spécial qui fixe les termes de la consécration. Nous n’en savons, cependant, guère davantage… Différentes initiatives ont tenté, par ailleurs, de placer tantôt Anvers, tantôt l’ensemble des Pays-Bas sous le patronage immaculiste mais, comme nous le verrons dans un chapitre suivant, la plupart ont été avortées en raison des difficultés qu’engendre la difficile définition théologique du mystère de l’Immaculée Conception. Seule l’une d’entre elles semble avoir abouti, profitant manifestement de la ferme clarification doctrinale d’Alexandre VII par la bulle Sollicitudo omnium Ecclesiarum (1662). En 1667, en effet, le Magistrat de Mons décide d’élire la Vierge,

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A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 379 ; J. Vincart, Histoire de Nostre-Dame de la Treille…, op. cit., p. 118 ; etc. Louis Trenard (éd.), Histoire de Lille, t. II (De Charles Quint à la conquête française (1500-1700)), Toulouse, Privat, 1981. 28 La cérémonie est décrite par le père chargé de la rédaction de la lettre annuelle de sa maison (A.R.S.I., Gall.Belg., vol. 32, p. 442-443, Collegii Ariensis [Litterae] Annuae 1636). C’est probablement dans ce document que puisera le jésuite Toussaint Bridoul pour décrire l’événement. 29 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 443. 30 Éclaircissement sur l’origine du culte qu’on rend à la Sainte Vierge, dans l’Église des RR. PP. Capucins d’Arlon, Luxembourg, André Chevalier, 1739. Ce petit texte est publié par Georges-François Prat, « Document pour l’histoire d’Arlon. Le couvent des capucins », Annales de la Société pour la conservation des Monuments historiques et des œuvres d’art dans la province de Luxembourg, n° 3, 1854, p. 253-262. Il s’agirait d’une édition imprimée, et probablement retravaillée, d’un ouvrage rédigé par un père capucin à la fin du xviie siècle mais resté manuscrit. 27

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sous le titre de l’Immaculée Conception, comme « Patronne et Protectrice Irrevocable » de la ville31. Les cérémonies et l’octave qui suivit eurent lieu dans la chapelle des récollets, dédicacée au même mystère. On se souviendra en outre de la volonté de Philippe IV de voir l’ensemble de ses royaumes se placer sous le patronage marial. Le marquis Francisco de Melo, alors gouverneur général, fait organiser le 18 décembre 1643 d’importantes cérémonies avec octave dans tous les Pays-Bas qui érigent, en ces temps difficiles, la figure de la Vierge en patronne protectrice des provinces belges32. Il illustre de sa présence les célébrations qui ont lieu à Bruxelles même, dans l’église Saint-Jacques des chanoines réguliers du Coudenberg, devant la statue de Notre-Dame de Bois-le-Duc qui avait été installée dans le sanctuaire deux ans plus tôt. Celle-ci est proclamée pour l’occasion patronne du pays. Un panneau est affiché à ses pieds, proclamant l’intention monarchique de faire de Marie la patronne du pays. La Vierge ne restera pas seule patronne des Pays-Bas. Le 6 décembre 1678, le roi d’Espagne érige Joseph en saint tutélaire de tous ses États et demande aux gouverneur, conseils et assemblées des provinces belges de marquer l’événement par des démonstrations de joie publiques33. Le duc de Villahermosa rechigne manifestement à organiser ces cérémonies34 mais finit par convoquer ses conseils à participer en corps à une célébration solennelle dans la collégiale Sainte-Gudule le 22 mars 167935. Le lendemain, le patronage de saint Joseph est avalisé par la Congrégation des Rites36. Le 6 mai, cette dernière reconnaît également le patronage marial37. Dans tous les diocèses des Pays-Bas, cette double reconnaissance est fêtée sur ordre du roi et du gouverneur dans le courant du mois de septembre38. Le Luxembourg, enfin, a été le théâtre de deux cérémonies de consécration mariale spectaculaires pour lesquelles des descriptions très précises ont été conservées. Luxuriance,

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R.A., Fl.-Belg., vol. 1685, non folioté, Théodard Pouppart, O.F.M.Réc., Mons, 15 septembre 1667. Il faut remarquer que la cérémonie n’a pas lieu le jour de la fête de la Conception (8 décembre) mais lors de la fête de la Nativité de la Vierge (8 septembre). 32 L. Ceyssens, La première bulle contre Jansénius…, op. cit., appendice III, doc. 1, p. 807, délibération du Conseil d’État à Madrid, Madrid, 17 février 1644. Le compte rendu de la réunion relate en quelques mots une précédente missive du gouverneur décrivant l’événement mais aujourd’hui perdue. – Nous avons dépouillé de manière ciblée les archives des institutions centrales des Pays-Bas à la recherche de descriptions plus détaillées de ces cérémonies, en vain jusqu’à présent. 33 Louis-Prosper Gachard (éd.), Lettres écrites par les souverains des Pays-Bas aux États de ces provinces, depuis Philippe II jusqu’à François II (1559-1794), Bruxelles-Leipzig, C. Muquardt, 1851, p. 429 (= B.C.R.H., 2e série, t. I (2), 1851). 34 A.G.R., Conseil d’État, vol. 928, Canonisations de saints et dévotions nouvelles, non folioté, chef-président du Conseil Privé au duc de Villahermosa, 6 mars 1679. 35 Idem, Carlos de Villahermosa à ses Conseils Privé, des finances, de Brabant, à la chambre des comptes et au Magistrat de Bruxelles, le 10 mars 1679. 36 A.C.C.S., D.S.R.C., vol. 1679-1680, 1re partie, f. 30v°, Rome, 23 mars 1679. 37 Idem, f. 44v°. 38 A.G.R., Conseil d’État, vol. 928, Canonisations de saints et dévotions nouvelles, non folioté, Carlos de Villahermosa à l’archevêque de Malines, aux évêques de Namur et Ruremonde, aux vicaires de Gand et d’Anvers, après le 26 septembre 1679, minute. À la date du 26 septembre, en effet, le Conseil Privé avait conseillé au gouverneur d’écrire aux évêques et vicaires pour les encourager à respecter les décrets royaux et pontificaux (Idem, chef-président du Conseil Privé à Carlos de Villahermosa, original).

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somptuosité, expressivité exacerbée caractérisent cette double élection qui retiendra notre particulière attention. Une chapelle, administrée par les jésuites et située hors les murs, abritait depuis 1624 une statue du nom de Notre-Dame Consolatrice des Affligés. Considérée comme miraculeuse, la statue draine vite un flux important de pèlerins en quête de guérison. Elle est par ailleurs rapidement considérée comme la protectrice attentionnée des populations éreintées par la guerre et ses funestes conséquences. En 1647, lorsqu’une paix est conclue entre l’Espagne et les Provinces-Unies, l’effigie de la Consolatrice est frappée sur des médailles qui sont ensuite largement distribuées aux alentours afin de célébrer l’événement et le placer sous les auspices marials39. La même année, une substantielle délégation des habitants d’Arlon vient en pèlerinage dans la chapelle pour remercier la Vierge miraculeuse de les avoir délivrés des troupes de Turenne après qu’ils lui ont recommandé la tutelle de leur ville. On pourrait aligner longuement les exemples. Qu’il nous suffise de rappeler qu’en 1652, les élèves du collège mettent en scène une pièce consacrée à la Consolatrice et dédiée à Francisco Sanchez Pardo, membre du Conseil de guerre de Philippe IV et gouverneur du Luxembourg. L’argument général est le suivant : la Consolatrice est louée comme « Asyle des Pays-Bas » elle qui, depuis sa chapelle de Luxembourg, « recrée et soulage ses subjets » dans l’ensemble de la Belgique désolée40. En 1666, le père jésuite en charge de l’oratoire, l’historien Alexandre Wiltheim, propose au gouverneur, au Conseil provincial et au corps municipal d’élire Marie comme patronne de la cité pour protéger celle-ci des menaces françaises41. Le gouverneur et le Conseil provincial d’abord, le Magistrat ensuite, acceptent la proposition et fixent la cérémonie au 10 octobre de la même année42. La veille du jour dit, la statue est conduite par un long cortège depuis la chapelle jusqu’à l’église jésuite où l’accueille le prince de Chimay et son épouse, gouverneurs de la province. C’est dans cette même église jésuite que l’on prononce le lendemain la formule de l’élection avant que le Prévôt, officier princier, et le Justicier, chef du Magistrat, se partageant tous deux la responsabilité de la sécurité de la

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A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 35, f. 64r°, Historiae Collegii Luxemburgensis Societatis Iesu continuatio. Marie Consolatrice des Affligez, Asyle des Pais-Bas. Dediée à Monseigneur Francisco Sanchez Pardo, du Conseil de guerre de sa Majesté, Capitaine d’une Compagnie de Chevaux, lieutenant général de la Cavallerie, Sergeant General de bataille en ses armées, Gouverneur et Capitaine general du Duché de Luxembourg, Trèves, Hubert Reulandt, 1652. Le texte semble rédigé, selon Carlos Sommervogel, par le père Onuphre Ignace de Robaulx, alors professeur au collège. 41 A.N.Luxembourg, Reg. A.III (Gouvernement provincial du Luxembourg), n° 13, f. 19, s.d. [avant le 27 septembre 1666]. Reproduction anastatique dans Hémecht. Revue d’histoire luxembourgeoise, n° 18/1, 1966. – Il est nécessaire de souligner que le cas de la double consécration mariale au Luxembourg est particulièrement bien connu. De nombreux documents d’archives ont été conservés et ont permis la rédaction d’une série de travaux de référence publiés dans la revue d’histoire luxembourgeoise Hémecht. Voir ainsi pour l’élection de 1666 : Joseph Maertz, « Entstehung und Entwicklung der Wallfahrt zur Trösterin der Betrübten in Luxemburg, 16241666 », Hémecht, revue d’histoire luxembourgeoise, n° 18/1, 1966 et Frédéric Rasqué, « Luxemburg erwhält die Trösterin zur Patronin der Stadt », Hémecht…, op. cit., n° 18/3, 1966, p. 277-288. 42 A.C.C.S., D.S.R.C., dossiers préparatoires non catalogués. Voir également les reproductions anastatiques dans Hémecht…, op. cit., n° 18/1. 40

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ville43, n’offrent à la Vierge les clés de leurs gardes respectives. De somptueuses célébrations ont lieu l’après-midi même44. L’élection est confirmée deux ans plus tard par la Congrégation romaine des Rites, réunie sur le Quirinal, le 24 novembre 166845. Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps ? La constitution du dossier, encore aujourd’hui conservé dans les archives de la Congrégation46, a demandé du temps. Les autorités civiles ont dû patiemment ressembler les copies, authentifiées devant notaire, des documents exigés par Rome. Parmi ces documents, on retrouve la lettre d’Alexandre Wiltheim au gouverneur et au Conseil provincial de Luxembourg, la décision de ces mêmes gouverneur et Conseil d’élire la Vierge ainsi que celle du Justicier et des échevins. Le doyen rural, Jean Deusinck, prêtre à Saint-Nicolas, donne son approbation le 6 octobre 1666. Il faut par contre attendre longuement avant d’obtenir celle de Johannes Holler, évêque d’Ashdod et évêque auxiliaire de l’archevêché de Trèves. Ce dernier n’appose sa signature au bas du document que le 26 mai 1668. C’est seulement alors que les autorités peuvent envoyer le dossier à Rome pour que l’ensemble des pièces soient examinées par la Congrégation. Celle-ci reconnaît le nombre important de miracles réalisés par la statue et avalise d’autant plus facilement l’élection que la ville n’a pas encore de saint patron47. Cette confirmation est l’occasion de nouvelles fêtes organisées au mois d’octobre 166948. À partir de cette date, l’élection est renouvelée chaque année par les représentants du pouvoir civil qui répètent alors la formule de consécration. Une décennie plus tard, le Luxembourg sera à nouveau le théâtre de cérémonies établissant un patronage marial. En leur assemblée du 8 octobre 1677 – aux alentours, donc, de l’anniversaire de la précédente consécration –, les Trois États décident de choisir la Vierge pour protectrice perpétuelle du duché de Luxembourg et du comté de Chiny49. L’événement

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Fernand Emmel, « À l’ombre de la Croix de Saint-André : l’administration de la ville », dans G. Trausch (éd.), La ville de Luxembourg, Anvers, Fonds Mercator, 1994, p. 131-141. 44 Une très longue description de la cérémonie a été rédigée en latin par un témoin oculaire, peut-être Alexandre Wiltheim lui-même (A.N.Luxembourg, Reg. A. L. (Fonds d’Ansembourg), vol. 17, n° 613). La première partie du document, cependant, est perdue. L’on conserve toutefois une traduction française de l’ensemble de la relation, contemporaine de la version latine (R.A., Fl.-Belg., vol. 1685, Deduction, de la solemnité, avec laquelle la Ville de Luxembourg a Choisie Notre Dame de Consolation, pour sa Patrone). Le lecteur trouvera d’autres informations utiles dans l’Histoire de Notre-Dame de Luxembourg, honorée sous le tître de Consolatrice des Affligés dans la chapelle des P. de la Compagnie de Jésus, nouvelle édition corrigée par un père de la même compagnie, Luxembourg, Veuve Jean-Baptiste Kleber, 1769 (1re éd. 1724). Cette histoire du sanctuaire se base sur ledit manuscrit. 45 A.C.C.S., D.S.R.C., vol. 1667-1668, 2e partie, f. 97v°, Rome, 24 novembre 1668. 46 A.C.C.S., D.S.R.C., dossiers préparatoires non catalogués. 47 « Per haver ricevuto infiniti benefitii e gratie […] e particolarmente in tempo dell’ultima guerra tra le due Corone, alla cui cappella è concorso grande di Popolo e Pellegrini, havendo stabilito celebrarne la festa principale la 2a Domenica di ottobre, tanto più che detta Città non ha alcun Protettore » (A.C.C.S., D.S.R.C., dossiers préparatoires non catalogués, avis de la commission aux membres de la Congrégation des Rites pour ratification, s.d., original). 48 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 37, f. 212v°, Fructus Missionis Luxemburgensis anno 1669. 49 A.N.Luxembourg, Reg. A. IV (États du Luxembourg), vol. 26, Registres aux protocoles, f. 90r°. – Au sujet de l’élection de 1678, voir Michel Schmitt, « Die Erwählung Marias zur Landespatronin im Jahre 1678. Motivationen – Verlauf – Bedeutung », Hémecht…, op. cit., n° 30/2, 1978, p. 161-183.

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solennel est fixé au 20 février 1678 et réunit autour de la figure mariale toutes les autorités publiques de la province. La statue est une nouvelle fois amenée depuis sa petite chapelle dans l’église des pères jésuites où a lieu la cérémonie d’élection en présence du gouverneur de la province, des membres du Conseil provincial et de l’assemblée des États, des représentants des Magistrats de chaque cité ainsi que des officiers de la garnison50. Après le sermon prononcé en allemand par le père Jean Ludling (1626-1689), le secrétaire des États vient s’incliner au pied de l’autel et présente à l’abbé d’Echternach qui préside la cérémonie une plaque d’argent où est inscrite la formule du vœu, lue à haute voix par le prédicateur. Un an plus tard, le 10 mars 1679, l’assemblée des États, principale instigatrice de l’événement, envoie à Rome les pièces demandées par la Congrégation des Rites51. Elle venait d’obtenir des Magistrats locaux qu’ils ratifient sa décision. Ceux-ci, en effet, avaient dû, pour satisfaire aux exigences de la Congrégation, rassembler les votes secrets de leurs habitants afin de prouver que l’élection avait été désirée et approuvée par la volonté du peuple. En février 1679, les secrétaires des Magistrats de seize villes du duché, se fondant sur ces suffrages, approuvent l’élection décidée par l’assemblée des États52. Auparavant, les doyens ruraux du duché, l’archevêque de Trèves et l’évêque de Liège qui se partagent la juridiction des territoires luxembourgeois, avaient déjà avalisé la consécration : celle-ci est définitivement entérinée par les autorités romaines le 6 mai 1679. Cette ratification par Rome entraîne la création d’un anniversaire fixé au 2 juillet, jour de la Visitation, nouvelle opportunité pour les uns et les autres de mettre sur pied dans les rues de Luxembourg une dramaturgie à couper le souffle53.

Un projet jésuite Dans la majeure partie des cas évoqués, l’initiative de telles cérémonies de consécration au cœur des Pays-Bas revient à la Compagnie de Jésus qui tente de persuader les autorités de l’intérêt public de ce type d’élection. Seule la consécration de l’ensemble du pays en 1643 à l’instigation de Philippe IV et celle d’Arlon en 1655 n’ont aucun lien évident avec la Compagnie. Partout ailleurs, les concepteurs du projet sont issus des rangs jésuites et, fiers combattants au service des milices catholiques, s’investissent considérablement dans la réalisation de ce programme. Jean Vincart en est, de loin, le chantre le plus actif. Le jésuite, né à Lille en 1593, est entré dans la Compagnie en 1612 et, après avoir enseigné quelques années dans différents collèges, s’est vu attribuer la charge de prédicateur. Envoyé de maison en maison, il prêche dans la cathédrale Saint-Lambert à Liège ainsi que dans les villes de

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A.N.Luxembourg, Reg. A. IV (États du Luxembourg), vol. 26, Registres aux protocoles, f. 107v°. A.C.C.S., D.S.R.C., dossiers préparatoires non catalogués. 52 Ces seize villes appartiennent au Tiers État : il s’agit d’Arlon, Virton, Chiny, Bastogne, La Roche, Durbuy, Marche, Houffalize, Remich, Grevenmacher, Bitbourg, Neufchâteau, Saint-Vith, Vianden et Diekierch. Luxembourg, par contre, n’est pas reprise parmi les signataires. 53 A.N.Luxembourg, Reg. A. IV (États du Luxembourg), vol. 26, Registres aux protocoles, f. 139v°-141r° ; A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 38, p. 7, [Litterae] Annuae Provinciae Gallo-Belgicae 1679. 51

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Mons et Tournai avant de revenir à Lille en 163254. Cet homme est un fervent dévot à la Vierge, manifestement convaincu d’avoir été sauvé par ses œuvres d’un pénible bégayement l’empêchant de rejoindre les rangs jésuites. Son éloge funéraire rappelle l’histoire : désespéré, le jeune Jean se serait jeté aux pieds de la statue de Notre-Dame de la Treille l’implorant de le délivrer de cette tare invalidante55. Il aurait été entendu. Le propos, apparemment anecdotique, montre en réalité l’intense ferveur du jésuite qui devint, d’après ce que l’on peut comprendre d’un dépouillement attentif des archives jésuites, un incroyable zélateur du culte marial. Actif préfet de congrégations mariales dans chaque ville où il est envoyé, prédicateur obstiné et auteur d’ouvrages pieux consacrés à la Vierge56, il semble avoir voué sa vie à la Mère de Dieu et, en particulier, à la Vierge de Lille. Il fondera ainsi à Tournai en 1659, une confrérie mixte destinée à se rendre annuellement en pèlerinage à Lille pour offrir des ex voto à la statue miraculeuse. Cette année-là, ils seront trois mille congréganistes à se rendre sous sa direction dans la cité. En tout état de cause, on ne s’étonnera guère que Vincart ait rencontré le Magistrat lillois pour le convaincre de se confier à la tutelle de NotreDame de la Treille. C’est de nouveau lui que l’on retrouve devant l’assemblée civique de la ville d’Aire-sur-la-Lys, chargé de persuader ses membres de l’intérêt d’un projet de consécration mariale. Le fait que Vincart soit à l’origine des deux consécrations explique la forte similarité qui existe entre celles-ci. Ici et là, le projet a été voulu, pensé et concrétisé par une même personne. Ce projet semble avant tout être le projet personnel d’un dévot fervent. Il devient cependant, par l’opiniâtreté de son auteur, une entreprise publique et collective. À Luxembourg, l’initiative est également jésuite : elle émane d’Alexandre Wiltheim, né à Luxembourg en 1604 et entré dans la Compagnie en 1626. Il a été recteur du collège luxembourgeois de 1656 à 1662 et a entrepris la rédaction d’un nombre important de traités historiques dont le célèbre Luxemburgum Romanum, rédigé à partir de 1639, poursuivi jusqu’à sa mort mais édité seulement au milieu du xixe siècle57. Il est par ailleurs le gardien de la chapelle hors les murs où est conservée la statue de Notre-Dame Consolatrice des Affligés. Cinq ans avant l’élection, il a ainsi publié à Trèves un livret de prières destinées à implorer cette dernière58. La lettre circulaire annonçant brièvement son décès et dressant les premières lignes de son éloge mortuaire vante son zèle à promouvoir le culte de la Vierge de Consolation59. C’est en effet lui qui écrit longuement au gouverneur et au Conseil

54 Il est possible de retracer le parcours de Jean Vincart au sein de la Compagnie de Jésus grâce aux catalogues annuels et triennaux de l’ordre. Voir en particulier le catalogue triennal de 1678 qui, un an avant sa mort, établit tout son curriculum (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 13, p. 114). Pour ses fonctions à Lille et Aire, voir les catalogues annuels de 1634 et 1636 (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 24, f. 184Br° et f. 189r°). 55 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 28, Gallo-Belgica Necrologium 1666-1696, p. 585. 56 Jean Vincart, Histoire de Nostre-Dame de la Treille…, op. cit. ; Id., De cultu Deiparae libri tres, Lille, Nicolas de Rache, 1648 ; Id., Elogia mariana alphabeticis literis ordine digesta, sacrae Scripturae, sanctorum patrum ac theologorum sententiis necnon moralibus documentis illustrata, Tournai, Veuve Adrien Quinqué, 1668. 57 N. Southwell, Op. cit., p. 26-27. 58 Alexandre Wiltheim, Libellum precum ad Divam Virginem Consolatricem cum quinque Miraculis, Trèves, 1661 (cité par N. Southwell, Op. cit., p. 27). 59 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 28, Gallo-Belgica Necrologium 1666-1696, p. 757.

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provincial de Luxembourg pour les conjurer de se mettre sous la protection mariale60. Il allègue une protection utile qu’assureraient sur la ville les faveurs mariales face aux furieuses avancées des troupes françaises et rappelle que la Consolatrice des Affligés, honorée par la population, aurait déjà efficacement accordé cet appui de nombreuses fois auparavant61. Son appel a été entendu mais l’on ne s’en étonnera guère. Alexandre Wiltheim est un personnage important de Luxembourg, proche du pouvoir tant par ses anciennes fonctions de recteur que par le réseau politique et influent que compose sa famille. Celle-ci en effet est étroitement liée aux institutions habsbourgeoises installées dans le pays puisque son père, Jean Wiltheim, fut greffier et secrétaire du Conseil du Roi dans la province tandis que son frère aîné, Eustache, en est le président depuis 1648 et le restera jusqu’à l’année suivante62. L’appui et le poids de ce dernier semblent manifestement avoir été entiers. À Anvers, c’est encore un jésuite qui entreprend, vainement, de convaincre le Magistrat urbain d’élire l’Immaculée Conception comme patronne de la ville, en présentant aux membres du Conseil une longue supplique où il argumente en quatre points, non sans verve, la nécessité d’un tel patronage63. Et si, enfin, l’élection du duché de Luxembourg en 1678 émane de l’assemblée d’États sans qu’aucun document témoignant d’une quelconque initiative jésuite n’ait été conservé, le collège luxembourgeois joua sans conteste un rôle extrêmement important dans la cérémonie en cédant son église pour la proclamation du vœu et ses élèves pour de multiples mises en scène. Le mouvement de consécrations qui traverse les Pays-Bas semble donc relever principalement d’une véritable dynamique jésuite, de la même manière qu’en Bavière ou dans l’Empire, les pères de la Compagnie et les membres des sodalités ont encouragé Maximilien et Ferdinand à prononcer leurs vœux. Congréganistes et pères jésuites confient au pouvoir civil un projet conçu dans l’esprit missionnaire de la Compagnie et destiné à exalter la Réforme catholique, à alléger un ciel lourd de menaces et à inciter à la création d’une unité autour de la figure sacrée de la Vierge et de l’autorité catholique. Dans le contexte de crise que l’on connaît, le but de la Compagnie est clair. Les consécrations doivent épargner aux villes les trop douloureux désastres de la guerre en les confiant à la tutelle virginale pour

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A.N.Luxembourg, Reg. A.III (Gouvernement provincial de Luxembourg), n° 13, f. 19, Alexandre Wiltheim, S.J., au gouverneur et Conseil provincial de Luxembourg, s.d. [avant le 27 septembre 1666]. 61 « Ita ut etiam eius soli miraculoso favori ac protectioni in tantis nuperorum bellorum motibus tanto hostiliorum armorum conatu et toties ab inimicis deliberata et conclusa huius civitatis obsidione » (A.N.Luxembourg, Reg. A.III (Gouvernement provincial de Luxembourg), n° 13, f. 19). 62 Jean Krier et Edmond Thill, Alexandre Wiltheim (1604-1684), sa vie, son œuvre, son siècle, catalogue d’exposition, Luxembourg, Musée d’histoire et d’art, Joseph Beffort, 1984 ; Raymond Weiller, « Alexandre Wiltheim, sa famille et son œuvre principale le Luxemburgum romanum », dans J. Krier et R. Weiller (éds), Le manuscrit Wiltheim de Baslieux. Un document archéologique et historique du xviie siècle, Luxembourg, Ministère des Affaires culturelles, Joseph Beffort, 1984. 63 Motiva Senatui Amplissimo [Antverpiensi] representata a pio populo Antverpiensi ut per Illustrissimum Dominum dies Immaculatae Conceptionis erigatur in diem festivum toti urbi communem, et illa die Sanctissima Virgo tamquam patrona colatur quod citra ullam difficultatem peragi poterit (A.A.M.B., Fonds De Immaculata Conceptione, non folioté).

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en faire de véritables Marianopolis64. Cette argumentation formera le leitmotiv de leur production littéraire ou historique que résume joliment Toussaint Bridoul quand il conclut sa description des élections de Lille et d’Aire par la maxime : « Belles villes, depuis que vous appartenez à Marie, vous aurez la paix pour frontiere, la toute-puissance pour rempart & une troupe d’archanges pour garnison65 ». Il semble par ailleurs que les jésuites aient voulu, particulièrement lors des élections luxembourgeoises, rendre hommage à la dévotion mariale des Habsbourg et leur donner des gages de fidélité. L’ennemi français menaçait le duché : il fallait exalter la puissance espagnole en multipliant au cœur des cérémonies les signes de sa présence. On notera toutefois que semblable projet n’est pas irrémédiablement marqué du sceau habsbourgeois. L’idéal communautaire autour de la Vierge que proclame la Compagnie se maintient aussi lorsque la ville cesse d’être espagnole. Le pouvoir change, l’idéal reste. Ainsi, le 20 mai 1685, alors que le Luxembourg est dominé depuis à peine un an par Louis XIV, d’importantes cérémonies sont organisées afin de renouveler officiellement le choix de Notre-Dame de Consolation comme Patronne et Protectrice du Luxembourg et ramener la statue dans sa chapelle par-delà les murailles. Ces festivités seront, en réalité, un chant de gloire pour le Roi Soleil, celui-là même dont la ville voulait auparavant se protéger66. Les jésuites du collège organisent une procession solennelle à travers toute la cité, où se pressent congréganistes, corps de métier, clergés régulier et séculier ainsi que les membres du Magistrat et du Conseil du Roi. En tête de la procession, les génies de l’Église, de la France et du Luxembourg montrent par des tableaux leur dévotion à la Vierge. La procession, ensuite, se divise en trois parties. La première célèbre la piété mariale de la France dévote, depuis Clovis jusqu’à Louis XIII, mis en scène sur un char de triomphe consacrant son royaume à la Vierge. La deuxième partie montre les combats qu’a menés Louis le Grand pour la Vierge contre la Hollande, contre les Turcs, contre l’Hérésie, contre les Mahométans et contre Port-Royal. Un nouveau char promène une représentation du roi confirmant le vœu de son père. La troisième et dernière partie, enfin, rappelle que la province de Luxembourg est favorisée par la protection de la Vierge à qui elle doit « l’éloignement de ses maux et le retour de son bonheur ». Ce long cortège s’arrête à trois reprises devant des théâtres où il est possible d’admirer Louis XIV offrant libéralement des fonds généreux pour réparer la chapelle hors-les-murs, Mars com-

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A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 443, Collegii Ariensis [Litterae] Annuae 1636. T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, vol. 2, p. 420. 66 La Sainte Vierge Patronne honnorée & Bienfaisante dans la France et le Luxembourg. Dessein de la procession qui se fera par les écoliers du Collège de la Compagnie de Jesus à Luxembourg le 20 May mil six cent quatre-vingtscinq. Jour auquel l’Image miraculeuse de Notre-Dame de Consolation Patronne du Duché de Luxembourg & Comté de Chiny, sera reportée de la Capitalle de la Province en sa Chapelle, Metz, Pierre Collignon, [1685]. La publication de cet opuscule a fait l’objet d’une réaction vive de la part d’Antoine Arnauld. Le 28 juin 1685, il rédige une réponse qui est publiée l'année même : Avis aux Révérends Pères Jésuites, sur leur procession de Luxembourg, du 20 mai 1685 (Oeuvres de Messire Antoine Arnauld, t. XXX, Lausanne, 1779, p. 582-592). L’opuscule et la réponse d’Arnauld ont été édités par Raymond Baustert, La Querelle janséniste extra muros ou la Polémique autour de la Procession des Jésuites de Luxembourg, 20 mai 1685, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2006 (= Biblio 17, 162). – Jacques Basnage de Beauval a également réagi à cette procession qu’il décrit dans son Histoire de l’Église depuis Jésus-Christ jusqu’à présent, vol. 2, Rotterdam, Reiniers Leers, 1699, p. 1089-1090 : il la critique avec virulence au nom d’une antiquité référentielle ignorant tout de ces pratiques. 65

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mandant à ses guerriers de ne plus attaquer la Vierge et ses protégés et, enfin, les nymphes des prairies et des bois se réjouir du retour de la Consolatrice « à la campagne ». La procession est une ode à la France. Les Habsbourg, vivement célébrés lors des précédentes consécrations, sont oubliés. Antoine Arnauld, à la fois moqueur et irrité, s’étonnera de cette volte-face : comment comprendre « la métamorphose subite d’un cœur Espagnol à un cœur François67 » ? Lorsque Lille devient française, on verra encore la Compagnie utiliser cérémonies et processions mariales pour exalter un roi de France peu aimé de ses nouveaux sujets : ceuxci continuent à lui préférer l’autorité espagnole et à espérer un rattachement à leur patrie des Pays-Bas68. Louis XIV, en effet, entraîne la ville déjà suffisamment éprouvée dans de nouveaux conflits et choque ses habitants par ses alliances internationales qui font fi du catholicisme : à Lille, on comprend difficilement comment les intérêts de la religion romaine peuvent être ainsi bafoués au nom d’intérêts politiques. Les jésuites, pourtant, vantent désormais les bienfaits du règne de Louis le Grand comme ils avaient auparavant servi la cause habsbourgeoise et, à nouveau, fusionnent glorification royale et célébration mariale. Ainsi, en 1679, ils organisent une grande procession pour célébrer une paix obtenue tant par la « faveur et intercession » de la Mère de Dieu que par les « armes victorieuses » du monarque français69. Entre Habsbourg et Bourbon, la stratégie de la Compagnie ne paraît donc pas changer. Les jésuites continuent à proclamer la nécessité d’un ordre social auquel présiderait la figure mariale, soutien d’un gouvernement catholique quel qu’il soit. Le vœu de Louis XIII était, à ce titre, un modèle utile à leur pastorale et l’on comprend qu’ils se soient emparés de l’événement comme d’un expressif symbole. Cependant, il est vrai, les jésuites ont longtemps été les agents actifs d’un soutien ostensible à la cause habsbourgeoise et ce revirement en faveur de la France peut légitimement étonner comme il a étonné Antoine Arnauld. C’est oublier un peu vite qu’ils sont aussi fins politiques et qu’ils comprennent tout l’intérêt de manifester leur appui au nouveau monarque pour continuer à promouvoir leur projet réformateur au cœur de la société civile.

L’accueil du pouvoir public On ne connaît qu’un seul refus par le pouvoir public des tels projets d’élection : la proposition immaculiste du jésuite anversois, repoussée par le Conseil municipal. Celui-ci refuse de se mêler de cette affaire et remet le dossier entre les mains de l’évêque Ambroise Capello farouchement hostile à ce projet puisque celui-ci faisait reposer l’éventuel patronage de la ville sur le mystère de l’Immaculée Conception qu’il juge inconvenant sur un plan strictement théologique70. Ailleurs, cependant, les édiles réagissent positivement. Si l’on en croit le récit de Vincart, le très dévot mayeur lillois Jean Le Vasseur, sous la direction

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A. Arnauld, Avis…, op. cit., § XI. Alain Lottin, Vie et mentalité d’un Lillois sous Louis XIV, Lille, Émile Raoust, 1968, p. 181 et suiv. Idem, p. 296. Voir deuxième partie, chap. « L’âpre combat immaculiste », p. 174.

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spirituelle des jésuites, est particulièrement enthousiaste71. Au nom du Magistrat, il s’engage à faire tout ce qu’il faut pour rendre à la Vierge de la Treille les honneurs qui lui sont dus : se rendre en corps à la messe solennelle, y faire porter les clés de la ville pour les déposer sur l’autel, prononcer la formule du vœu et offrir le labarum de la dédicace. Conformément au décret de la Congrégation des Rites établi de 1630, les autorités civiles prennent en effet activement place dans la réalisation des cérémonies. Les Magistrat, Conseil provincial ou autres assemblées d’États participent aux préparatifs en décidant des formules de l’élection et des symboles qu’ils veulent afficher au cours des festivités. Le jour même, les différents représentants des pouvoirs civils occupent des places centrales dans l’articulation de ces célébrations, y posent des gestes solennels significatifs et arborent des armoiries officielles qui donnent à la consécration un caractère résolument public. Si la conception du décorum allégorique émane le plus souvent de la Compagnie elle-même, les pouvoirs locaux ne sont donc pas relégués au rôle de pâles figurants. Il revient enfin à ces autorités de ratifier officiellement la consécration et d’envoyer leur approbation à Rome afin que l’élection soit avalisée. On notera toutefois que, dans ces cérémonies, interfèrent plusieurs types de pouvoir aux revendications de nature traditionnellement très différente. Municipalités et assemblées d’États, ordinaires championnes des particularismes locaux et régionaux face aux velléités centralisatrices du roi, processionnent en même temps que les gouverneurs et Conseils provinciaux, fidèles représentants de la monarchie à travers les Pays-Bas. Si la consécration lilloise est, de façon tout à fait claire, strictement municipale, ce n’est déjà plus le cas à Airesur-la-Lys ni à Luxembourg où se succèdent dans l’une et l’autre processions les représentants du pouvoir princier et les membres du Magistrat local. Et lorsque les États du Luxembourg consacrent l’ensemble de leur province à Marie, ils le font en présence tant du Magistrat que du prince de Chimay et du Conseil provincial, instances représentant le roi-duc dans la principauté. Il est donc difficile de définir précisément la portée politique de telles cérémonies. Elles ne sont manifestement pas la proclamation du choix d’une patronne de la cité qui serait en même temps la garante de l’autonomie et des libertés bourgeoises. Elles n’émanent pas davantage de la seule volonté centralisatrice habsbourgeoise qui ne se manifeste, in fine, que lors de la consécration des États de par-deçà en 1643. Il ne s’agit pas plus, enfin, de l’expression d’une charmante unanimité suscitée par une ardente dévotion commune, transcendant les différences et les oppositions dans un contexte pénible. Le siècle est sombre, on le sait, et les élections mariales semblent avoir été d’intéressants instruments symboliques que chacun a tenté de détourner à son profit. Les autorités locales et régionales, principales organisatrices de l’événement, veulent l’employer comme efficace outil destiné tout à la fois à rassurer les habitants des villes, à ressouder les liens dans une prise de conscience ravivée de leur communauté et à s’offrir la possibilité d’afficher symboliquement leur maîtrise de la situation.

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J. Vincart, Histoire de Nostre-Dame de la Treille…, op. cit., p. 116. – Sur Jean Le Vasseur, voir Philippe Guignet, « Les chemins de la vie dévote dans les villes des Pays-Bas méridionaux au temps de la Contre-Réforme. Réflexions sur quelques exemples lillois, valenciennois et arrageois », dans G. Deregnaucourt (éd.), Société et religion en France et aux Pays-Bas (xvie-xixe siècles). Mélanges en l’honneur d’Alain Lottin, Arras, Artois Presses Université, 2000, p. 443-452.

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De son côté, la monarchie investit elle aussi la solennité : le jeu des images et des mises en scène, où se mêlent représentations de la Vierge et insignes de la monarchie72, de même que la présence visible des représentants royaux devaient jouer en faveur du monarque et affirmer ostensiblement les rapports étroits qu’il entretenait avec la Mère de Dieu. L’affirmation de l’efficacité de la tutelle mariale était dès lors l’occasion de rappeler à tous le rôle protecteur de la monarchie habsbourgeoise qui domine le pays.

Modalités de la solennité et proclamations idéales Dramat ur g ies et médiat i s ation s Les cortèges ont déployé, dans une stratégie vigoureusement visuelle et saisissante, de multiples symboles et allégories. Il s’agit de conquérir l’espace, d’enchanter les cœurs, d’impressionner les foules, de faire vibrer le patriotisme et d’exalter la puissance protectrice de Marie. La communauté civile se donne à voir en même temps qu’elle célèbre la présence d’une puissante protectrice. À cette fin, elle met en œuvre d’incroyables dramaturgies. L’intériorité est minimisée au profit du paraître et du faire-voir. La liturgie devient spectacle73. La pléthore de gestes et de symboles, cependant, ne semble pas ressortir uniquement au jeu de l’affectivité et de l’émotion mais doit donner, remarquablement dans le cas des consécrations, un cadre légitime à l’accord conclu entre Vierge protectrice et communauté en demande de protection.

Les mots et les gestes Les élections, singulièrement, mettent donc en place un dispositif cérémonial réfléchi et structuré où s’articulent énoncés proclamatoires et exhibitions de symboles. Ce dispositif s’organise en particulier sur la base d’une composante fondamentale : la proclamation du vœu. Par celle-ci, la communauté urbaine élit en grandes pompes la Vierge comme Patronne et Protectrice. L’événement, hautement solennel, a lieu dans l’espace sacré où la statue mariale dont on implore la protection est habituellement honorée ou momentanément installée. Le gouverneur de la cité, les officiers du Roi, le Magistrat occupent les premiers rangs. Ornent les lieux, de riches tapisseries, festons, coussins et autres drapés luxueux sur lesquels peuvent être brodées au fil d’or les armoiries des différentes autorités civiles

72 Ainsi, lors des cérémonies pour la consécration luxembourgeoise de 1666, les armes du roi d’Espagne sont affichées dans l’église jésuite sur un petit autel exposé devant le maître-autel : elles surmontent celles du gouverneur et de la ville de Luxembourg, brodées au fil d’or sur des coussins (R.A., Fl.-Belg., vol. 1685, Deduction, de la solemnité, avec laquelle la Ville de Luxembourg a Choisie Notre Dame de Consolation, pour sa Patrone, f. [3]r°). La même hiérarchie des armes royales, princières et urbaines se retrouve sur l’arc de triomphe ornant la chapelle mariale hors les murs (A.N.Luxembourg, Reg. A. L. (Fonds d’Ansembourg), vol. 17, n° 613, description des cérémonies de 1666). 73 J. Delumeau, Rassurer et protéger…, op. cit., p. 92.

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présentes. Souvent, sont offerts à la Vierge des cierges aux armes de la ville. Dans ces décors somptueux, un représentant de la communauté urbaine prononce à haute voix, au moment de l’offertoire, la formule du vœu. Ainsi à Luxembourg, en 1678, est proclamé le vœu suivant qui doit fixer clairement les termes du contrat que passent les pouvoirs publics avec la Vierge : Sainte Marie mère de Jésus Consolatrice des Affligés, nous les trois Estats du Pays Duché de Luxembourg et Comté de Chiny avec tous les habitants du dit Pays Vous choisissons aujourd’hui en notre nom et celui de nos successeurs pour dame et patrone perpétuelle de toute la Province, et proposons fermement de vous honorer à toujours pour telle. Ce pourquoi nous vous supplions très humblement de nous recevoir en votre protection et de nous assister au temps de guerre, peste et famine et en toutes nos nécessités et adversités74.

Ces mots proclament que les habitants choisissent la Consolatrice des Affligés pour Dame et Patronne perpétuelle et la supplient, en échange, de bien vouloir les protéger de la guerre, des épidémies et des disettes. Lue en allemand et en français par l’officiant, la formule, qui repose sur le principe du do ut des, c’est-à-dire « je donne pour que tu donnes », reçoit en écho l’accord collectif de toute l’assemblée, validant les termes engagés par un « amen » sonore. La formule est donc soigneusement choisie pour démontrer l’engagement de toute la communauté urbaine dans une relation contractuelle avec la Vierge nouvellement élue. Pour en fixer le souvenir, elle peut être imprimée sur des feuilles volantes distribuées à travers la ville en des milliers d’exemplaires75 ou reproduite sur des ex voto, étendards ou plaques d’argent fièrement arborés tout au long de la procession, portés haut par un héraut et donc visibles par tous, puis présentés en gage à Notre-Dame au terme de la célébration76. Une fois le vœu solennellement prononcé, l’ex voto sur lequel il a été gravé ou brodé est consacré par l’officiant et humblement déposé aux pieds de la statue du saint dont la protection est implorée. Associant image des Vierges locales, armoiries de la ville et formule de consécrations, ils illustrent eux aussi les liens étroits qui se tissent entre la communauté et la Vierge. À ce don symbolique, qui rappelle la nature nouvelle de la relation de la communauté à Marie, s’ajoute celui, combien important, des clés de la ville, celles-là mêmes qui, chaque soir après le couvre-feu ou lorsque l’ennemi assiège les murailles, permettent l’utile fermeture des portes pour garder entre de hauts murs protecteurs les habitants menacés. Les représentants du pouvoir public qui ont en charge la sécurité de la ville confient donc au moment de l’offertoire, les genoux pliés, le précieux instrument de leur protection à Marie qui devient dès lors la gardienne des clés, et partant, des murailles de la cité. À Luxembourg, une copie de la clé offerte lors des cérémonies sera forgée à partir d’une

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A.N.Luxembourg, Reg. A. IV, (États du Luxembourg), vol. 26, Registres aux protocoles, f. 107v°, 20 février 1678. Cette formule reprend à peu de chose près les termes de la consécration de 1666 (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 37, f. 167r°, Colleg[ium] Luxemburgense [1666]). 75 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 379, [Litterae] Annuae Collegii Insulensis 1634. 76 « Qu’à cette fin [Messieurs du Magistrat] feroient porter par leur Heraut le Labarum de la Dedicace, lequel demeureroit en ladite Chapelle pour tesmoignage authentique de cette devotion » (J. Vincart, Histoire de NostreDame de la Treille…, op. cit., p. 116).

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quantité d’or offerte par des dévots puis accrochée définitivement par le gouverneur au bras de la Consolatrice pour le premier anniversaire de l’élection77. À Alost également, les habitants de la ville pendent une clé d’argent sur une statue mariale du lieu, Notre-Dame de Miséricorde, pour lui rendre grâce d’avoir repoussé l’ennemi. Ils la déclarent en même temps « conservatrice » de la ville78. La ville, peu fortifiée et défendue par une milice squelettique, avait été assaillie par l’armée française en 1659 : les habitants terrorisés ont imploré la protection mariale. Une fois l’ennemi écarté, ils se convainquent que la victoire s’explique par l’assistance mariale.

Le triomphe du faire-voir Ces mots et ces gestes sont importants. Solennels et signifiants, ils structurent la cérémonie et lui donnent du sens : la ville remet son sort entre les mains de la patronne qu’elle s’est choisie et à laquelle elle est désormais liée dans une relation indissoluble de totale confiance. Ils assurent et proclament le caractère normatif de l’acte posé. Ces signes et symboles peuvent aussi triompher dans d’emphatiques expressions : arcs de triomphe, chars de procession et théâtres les remettent en scène et accentuent leur fonction. Ainsi, à Luxembourg, est tiré, lors de la procession qui suit l’élection de 1666, un char où trône une Vierge sous les traits d’une reine, sceptre à la main et couronne sur la tête. Son manteau est orné de broderies d’or et elle est elle-même couverte de somptueux bijoux évoquant la grandeur royale. À ses pieds, un jeune élève, la tête couronnée de tours et les vêtements brodés d’armoiries, incarne la ville de Luxembourg, prosternée et les mains tendues dans la direction de la Vierge, la suppliant de la protéger. De part et d’autre, des génies lui tendent les blasons et les clés de la ville tandis que, à l’arrière, traîne enchaîné Mars, dieu de la guerre. Au sommet flottent des banderoles la proclamant Patronne du Luxembourg79. Le char est tiré dans toute la ville jusqu’à la chapelle hors les murs. Par la réitération des signes fondateurs du contrat passé avec Marie – à savoir la clé, les armoiries, la supplication et la consécration –, il véhicule de manière ostentatoire à travers les rues luxembourgeoises le message essentiel de la cérémonie : le recours public à l’efficace tutelle de la Vierge. Les dramaturgies processionnelles doivent partout célébrer la force mariale et l’assurance qu’elle sera capable de protéger la communauté. Singulièrement lors des élections mais également à l’occasion de processions d’invocation bien organisées, on multiplie les allégories et scènes en tous genres pour proclamer, par la technique de la représentation qui rend visible l’invisible, la réalité de la présence d’une Vierge toute-puissante80. À Luxembourg, toujours, la façade de l’hôtel de ville est masquée en 1666 par un théâtre qui s’étage sur plusieurs niveaux81. Au sommet, la Vierge souveraine domine une foule de jeunes collégiens

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Histoire de Notre-Dame de Luxembourg…, op. cit., p. 68-69. R.A., Fl.-Belg., vol. 7/2, Litterae annuae Provinciae Flandro-Belgicae Anni MDCLIX, cahier 5, f. 2r°-v°. 79 A.N.Luxembourg, Reg. A. L. (Fonds d’Ansembourg), vol. 17, n° 613, description des cérémonies de 1666. 80 Concernant les jeux de l’allusion, de l’illusion et de « l’ être et du voir » dans les fêtes baroques, voir ClaudeGilbert Dubois, Le Baroque, profondeurs de l’apparence, Paris, Larousse, coll. « Thèmes et textes », 1973. 81 A.N.Luxembourg, Reg. A. L. (Fonds d’Ansembourg), vol. 17, n° 613, description des cérémonies de 1666. 78

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mimant la terreur des habitants de la ville, menacés d’un côté par Mars en furie, le sabre à la main, en compagnie d’hommes en armes et de l’autre, par des représentations de la peste, de la famine, de la pauvreté et d’une suite d’abominables monstres. Les habitants tendent les mains vers la Vierge dans un geste de désespoir tandis que résonnent depuis les tours de l’hôtel de ville le vacarme terrifiant de tambours, trompettes, coups de feu et coups de tonnerre. Le cortège quitte le théâtre pour aller déposer la statue de la nouvelle protectrice dans sa chapelle proche des murailles. À leur retour, la scène qui anime l’hôtel de ville a considérablement changé. Les habitants terrifiés se sont apaisés et affichent un air d’allégresse. La Vierge, en effet, les a couverts d’un grand manteau protecteur où ils se sont réfugiés. Mars et ses guerriers ont été terrassés et se sont effondrés sur leurs armes en morceaux tandis que la peste, la famine et la pauvreté gisent les unes sur les autres, brûlées sur un bûcher. Les bruits effrayants ont été remplacés par un concert harmonieux où les voix mélodieuses des élèves proclament que Marie, Consolatrice des Affligés, est devenue la patronne de la cité de Luxembourg. La stratégie, éblouissante, est multimédiatique. Le terme doit se comprendre ici dans son sens littéral et non technologique, cela s’entend. Il souligne l’importance du recours à de multiples moyens d’expression et de communication. Pour reprendre les paroles de Peter Burke, « mots, images, actions et musique se fondent en un tout82 ». Par cette incroyable mise en scène, mêlant rhétoriques visuelles et auditives, qui devait toucher au cœur, exalter les sens et marquer durablement les esprits, le Luxembourg n’innove pas. Dans une part importante des processions qui s’égrènent au long de ce douloureux xviie siècle, la Vierge est magnifiée par d’impressionnants théâtres peints ainsi que par des jeux théâtraux souvent spectaculaires tantôt sur des estrades rehaussées de décors somptueux, tantôt au sein même du cortège. Les exemples sont multiples : nous en avons déjà évoqué à plusieurs reprises. Qu’il nous suffise ici de rappeler la procession d’Aire-sur-la-Lys de 1646. Les troupes françaises sont alors en Artois : elles occupent implacablement la province, territoire par territoire, au détriment des Pays-Bas. Aire-sur-la-Lys est dangereusement menacée et la campagne militaire belge est proche du désastre : les troupes des Pays-Bas sont incapables de résister tant sur ce front du pays qu’au nord où s’avancent résolument les armées des Provinces-Unies. Pour ne rien arranger, les épidémies infestent la région. Les territoires de la Couronne d’Espagne sont au plus mal. Les chanoines de la collégiale SaintPierre, où est honorée la statue miraculeuse de Notre-Dame de la Panetière, érigée depuis dix ans en patronne de la ville, décident alors d’organiser une neuvaine pour rompre le siège et éloigner la peste83. Le 18 mai, ils dressent un autel richement décoré au cœur de la nef en l’honneur de cette Vierge, célèbrent une messe solennelle et invitent les uns et les autres à

82 Peter Burke, Louis XIV. Les stratégies de la gloire, trad. de l’anglais par P. Chemla, Paris, Seuil, 1995 (éd. originale, Londres, 1992), p. 27. 83 « Ad obsidionem pestemque amoliendam » (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 35, p. 343, Annuae litterae Provinciae Gallo-Belgicae 1646). – Il faut d’ailleurs noter que l’on trouve une description en italien de la procession clôturant ces cérémonies dont le titre insiste sur le rôle joué par la peste dans l’organisation de ces célébrations. L’analyse de son contenu montre cependant que les deux graves réalités se sont jointes pour susciter pareilles manifestations de la piété mariale (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 35, f. 170r°-172r°, Dimostratione di gratitudine fatta dalla Città d’Arie verso la Beatissima Vergine Maria, honorata in una sua imagine detta Panetiera per haverla liberata della peste et altri imminenti infortunii l’anno 1646). Nous soulignons.

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venir l’honorer. Ils s’arrogent le premier jour puis accueillent successivement la Compagnie de Jésus, le gouverneur de la ville, le Conseil provincial, la municipalité, les sodalités mariales, les pères capucins, la paroisse Sainte-Marie et les chanoines réguliers de Saint-Augustin qui tous apportent des cierges en cadeau. Tous les jours, un prédicateur jésuite est chargé de louer les prérogatives de la Vierge dans le but « d’augmenter la piété du peuple dévot ». À la fin de la neuvaine, une somptueuse procession est mise sur pied. La procession commence par exalter la puissance de Marie et sa supériorité sur toute autre forme de sainteté. Les élèves du collège jésuite, divisés en différents groupes, assurent une longue succession de représentations allégoriques : les premiers incarnent les neuf chœurs des anges précédés d’une bannière proclamant Mille milliers la servaient (Dn. 7, 10) ; suivent des personnages bibliques féminins, comme Sara, Rebecca, Rachel, Abigail ou Judith, censées représenter selon l’exégèse allégorique les figures vétérotestamentaires annonçant la Vierge Marie, accompagnés de la citation du livre des Proverbes Toi, tu les surpasses toutes (Pr. 31, 29). Des représentations des principaux royaumes et provinces qui honorent la Vierge rappellent la piété universelle et très ancienne qui lui est vouée ; des ordres militaires qui lui sont consacrés traînent derrière eux, enchaînés, les plus célèbres adversaires des définitions dogmatiques et doctrinales concernant Marie tels, entre autres, Arius, Nestorius, Luther ou Calvin ; de célèbres capitaines et chefs de guerres exhibent les trophées que la Mère de Dieu leur aurait accordés ; les principaux monarques de l’histoire viennent confesser que « sans cette grande impératrice, ils ne pourraient respirer » ; des abbés, évêques, cardinaux et autres prélats symbolisent enfin, avec le souverain pontife, la dévotion de l’Église envers Marie. Pour clôturer ce cortège spectaculaire, un élève, déguisé en l’archange Michel, « capitaine de la garde de la Vierge », mène une troupe vêtue de blanc transportant la statue de Marie. Suivent le gouverneur de la ville, incarnation du pouvoir royal, les représentants de la noblesse, les officiers militaires, les officiers royaux, les membres du Magistrat puis le reste de la population, des flambeaux à la main. Cette procession se déploie à travers la cité et finit par arriver à la grand-place où ont été dressés des théâtres illustrant, par de grands tableaux peints, les bénéfices octroyés par la Vierge. Les participants, dont on devine l’enthousiasme et l’admiration, peuvent y voir des exemples de la miséricorde mariale qui doivent leur donner, pour un temps, l’espoir que soit étanchée leur soif d’obtenir la fin définitive des guerres et épidémies. La Vierge repousse sur l’une des estrades les furies de la peste, de la mort et des autres calamités et s’entoure sur une autre de ses avocats qui l’aideront à offrir aux citoyens paix et prospérité : d’un côté, se tient saint Venance armé d’une lance, traditionnel attribut de son martyre, de l’autre, sainte Isberge, fille du roi Pépin et abbesse d’Aire-sur-la-Lys, sainte tutélaire de la contrée dont les jésuites entreprennent de redynamiser le culte84. Un dernier théâtre montre la protection de l’Impératrice du Ciel sur Aire, singulièrement exprimée par les paroles Scapulis suis

84 « Che danno ad intendere la speranza che questi Cittadini hanno d’ogni prosperita, e particolarmente della pace universale mediante l’aiuto di Maria Vergine, e de[i] suoi santi Avvocati, che perciò in questo luogo si vedevano dipinti S. Venanzo che teneva in mano una lancia, e santa Isberga Principessa del sangue del Re Pipino, et in mezzo di loro la gran Madre di Dio » (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 35, Dimostratione di gratitudine fatta dalla Città d’Arie verso la Beatissima Vergine Maria…, op. cit., f. 172r°).

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obumbrabit tibi, de ses épaules, elle te protège (Ps. 90, 4) et plus encore par le tableau peint suivant : au-dessus des murailles de la cité s’élève la Vierge qui étend, en signe de protection, comme plus tard à Luxembourg, son grand manteau sur la ville85. À la suite de Paul Perdrizet, Jean Delumeau a montré l’essor de cette figure mariale particulière qu’est « la Vierge au grand manteau » dans le cadre de la réflexion qu’il a menée sur les moyens employés par les populations pour trouver assurance et protection86. Le thème, d’origine byzantine, montre la Vierge de miséricorde qui couvre d’un large manteau protecteur les fidèles réfugiés auprès d’elle. Il s’agit le plus souvent de moines et membres de confréries, les ordres monastiques diffusant très largement ce thème iconographique pour prouver la protection particulière que leur offre Marie, mais il arrive également que l’on trouve sous la cape mariale des particuliers et même des villes entières comme c’est le cas ici, à Aire-sur-la-Lys ou à Luxembourg. Le motif se développe particulièrement au moment de la terrible épidémie de peste noire qui a secoué l’Europe du xive siècle et le manteau devient essentiellement le symbole du pouvoir protecteur de la Vierge contre la colère d’un Dieu accablant le monde de ce redoutable fléau. Par contre, rares sont les occurrences où le manteau marial se transforme en bouclier contre lequel viennent se briser les attaques offensives de l’ennemi87. Il faut donc généralement adopter une interprétation davantage épidémique que guerrière de ce type marial qu’est la Vierge au manteau. Ceci étant, à Aire-sur-la-Lys comme à Luxembourg, le manteau marial, associé aux mises en scène déjà décrites, est clairement chargé d’une importante fonction militaire et ce sont autant des attaques furieuses de l’épidémie galopante que des assauts ennemis que protège cette cape symboliquement déployée sur la ville et ses habitants. Dans ces cortèges processionnels, priment donc le goût pour l’allégorie, le recours à l’image et l’importance d’une dévotion démonstrative et affective qui font résonner de clairs accents baroques88. Le message qu’ils veulent transmettre, en effet, se vit par les sens plus qu’il ne se comprend par le raisonnement. La vue et l’ouïe sont excitées pour faire vibrer en chacun la grandeur de la Mère de Dieu qu’exalte le catholicisme réformé. Cœurs enflammés et imaginaires stimulés l’emportent sur l’entendement. La population est entraînée dans

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« In un’altro si legevano queste parole scapulis suis obumbrabit tibi che indicavano la protettione che l’Imperatrice del Cielo tiene della Città d’Aire, la quale perciò non doveva paventare veruno infortunio ; il che esprimeva la figura che issi si vedeva dipinta di questa Città, sopra le cui muraglie appariva la B[eatissi]ma Vergine come che spandesse il suo gran pallio sopra di lei in segno di proteggerla da ogni male » (Ibidem). 86 Paul Perdrizet, La Vierge de miséricorde. Étude d’un thème iconographique, Paris, A. Fontemoing, 1908 ; J. Delumeau, Rassurer et protéger…, op. cit., p. 261-289. 87 Ainsi cette légende que l’on rencontre dans le célèbre recueil de Gauthier de Coinci († 1236) où la Vierge abrite de son manteau toute la ville de Constantinople pour la protéger des assauts sarrasins : « D’un des corons de son mantel / Cele dame grant et plaigniere / Desfent la vil en tel manière / Grever n’i puet nus ne mesfaire / Tant i saiche lancier ne traire. / […] Cele grans dame mervilleuse / En son mantel recoit les colz / Et rebondist la pierre entr’olz » (Gautier de Coinci, Les miracles de nostre dame, V. Fr. Koenig (éd.), t. IV, Genève, Droz, 1970, p. 36-37, v. 140-144 et 148-149). 88 Sur les caractéristiques du baroque, le lecteur se référera utilement à Bernard Chedozeau, Le Baroque, Paris, Nathan, 1989 ainsi qu’à Cl.-G. Dubois, Le Baroque, profondeurs de l’apparence…, op. cit. Sur les mécanismes baroques de ces cérémonies d’élection, voir A. Delfosse, « Élections collectives d’un « Patron et Protecteur ». Mises en scène jésuites dans les Pays-Bas espagnols », op. cit.

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une véritable « folie du voir89 » cérémonielle et processionnelle. Cette expression baroque du culte marial, tel qu’il a été pensé dans le vibrant contexte de la piété post-tridentine, trouve par ailleurs d’importants coryphées au sein de la Compagnie de Jésus. Grands maîtres du théâtre, ils déplacent la scène hors des murs de leurs collèges et partent à la conquête de la cité90. Ils investissent dans ces incroyables défilés un nombre impressionnant d’élèvesacteurs, des moyens techniques qui provoqueront des effets efficaces et probablement rarement vus, une imagination créatrice suscitant l’étonnement et l’admiration. Par ce déferlement théâtral, la Compagnie entend persuader la population-spectatrice de l’intérêt de son projet de société où l’ordre juste est assuré par la fidélité à la religion catholique et au prince chrétien91. Elle explore les possibilités de la dramatisation pour réunir les communautés autour de la Vierge et de l’autorité civile. Ces processions dramatiques ne sont pas sans rappeler les célébrations organisées pour la canonisation d’Ignace de Loyola et de François-Xavier en 1622 ou pour le jubilé de la Compagnie en 1640. Cérémonies extraordinaires s’il en est, elles ont spectaculairement marqué l’espace public des cités qui accueillaient des collèges jésuites. En 1622, si chaque église de la Compagnie fut richement décorée, les places publiques reçurent aussi de somptueux décors qui se maintinrent parfois pendant plusieurs semaines92. Le jour des célébrations, des messes solennelles ont été célébrées avec les grandes orgues tandis qu’à l’extérieur, on fit tonner les canons et résonner les flûtes. On organisa des spectacles pyrotechniques et des jeux sacrés dans toutes les cités. Le clergé séculier, les responsables politiques et les habitants ont été conviés à s’associer étroitement à l’événement. Dans de nombreux endroits, le trésor public a d’ailleurs libéré des fonds généreux pour enrichir encore la somptuosité des décors. Le jubilé fut célébré avec semblable apparat en différents moments de l’année 1640. Le contexte militaire est alors particulièrement pénible et plusieurs collèges de la Gallo-Belgique doivent en effet repousser l’organisation de l’événement. Quoi qu’il en soit cependant, les célébrations ont attiré les foules et fait l’objet de remarquables mises en scène. Là, les tours des clochers jésuites ont été illuminées, là, des dizaines de pyramides couvertes d’emblèmes ont été dressées, là des théâtres animés par des élèves, là des fontaines, là des gerbes de fleurs, là des concerts… Les efforts des jésuites pour mettre au point l’éclat de ces festivités ont été considérables et s’expliquent en partie par leur volonté d’utiliser la scène comme méthode pédagogique et pastorale : les fêtes ostentatoires de la

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Christine Buci-Glucksmann, La folie du voir : de l’esthétique baroque, Paris, Galilée, 1987. Jean-Marie Valentin parle de « dramaturgie conquérante qui s’empare de la ville » (Jean-Marie Valentin, « Les jésuites et la scène », dans L. Giard et L. de Vaucelles (éds), Les jésuites à l’âge baroque (1540-1640), Paris, Jérôme Million, 1996, p. 134). 91 Jean-Marie Valentin, Le théâtre des jésuites dans les pays de langue allemande (1554-1680). Salut des âmes et ordre des cités, Berne, Peter Lang, 1978, vol. 1, p. 428-464. 92 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, Litterae Annuae Provinciae Gallo-Belgicae, anno 1622, f. 7-12, SS. PP. Ignatii et Xaverii apotheosis est celebrata. Les Litterae annuae conservées à l’A.R.S.I. fournissent abondance de détails sur ces cérémonies de canonisation et mériteraient davantage d’attention. Il faudrait également consacrer une analyse fine à la relation anversoise de l’événement rédigée par Michel de Ghryse, Honor S. Ignatio de Loiola Societatis Iesu Fundatori et S. Francisco Xaverio Indiarum Apostolo per Gregorium XV inter Divos relatis habitus a Patribus Domus Professae et Collegii Soc[ietatis] Iesu Antuerpiae 24 Iulii 1622, Anvers, imprimerie Plantin, 1622. 90

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double canonisation et du jubilé ont été des moyens à la fois de former leurs jeunes élèves et d’évangéliser la société urbaine93. Les mises en scène processionnelles en contexte guerrier – et en particulier les élections – entretiennent-elles des liens directs avec ces importantes célébrations ? Probablement non. Celles-ci devaient exalter une Compagnie glorieuse tandis que celles-là mettent au cœur de leur dramaturgie, non l’ordre jésuite, mais la cité elle-même dans le cadre d’un large projet civil. Les programmes iconographiques des unes et des autres diffèrent dès lors considérablement. Il ne s’agit plus de démontrer l’éclat de l’ordre et son efficacité pastorale mais une cité triomphante sous la bannière d’un catholicisme conquérant. Ces cérémonies se rencontrent néanmoins sur le plan des moyens techniques, de l’expressivité exacerbée et de l’étonnante inventivité. Comme les cérémonies de 1622 et 1640, les processions décrites inscrivent au cœur de leur dispositif l’importance de l’émotion comme lieu de rencontre avec le sacré et mettent en place des procédés techniques et dramaturgiques qui doivent générer une forte adhésion affective au message suggéré. Chacune de ces cérémonies, depuis les fastes de 1622, est une expérience engrangée, profitable aux célébrations suivantes.

L’investissement de l’espace public Les processions font défiler à travers les places publiques et les rues de la cité, des plus larges aux plus étroites, des statues de la Vierge tirant derrière elles autorités civiles en devoir de protection et populations en demande d’assistance. Sublimée par d’incroyables tableaux vivants et allégories peintes, Marie est rendue très visiblement présente dans les villes en danger qui attendent d’elle protection et ruine de leurs adversaires. La Vierge quitte ainsi chapelles et oratoires, lieux des rituels et liturgies qui l’honorent habituellement, pour prendre momentanément place dans le tissu urbain. Elle sillonne un large espace insécurisé et menacé pour le marquer de sa sainteté et lui offrir l’ordre et la tranquillité espérés. Les frontières entre sphères publiques et religieuses montrent l’immense perméabilité qui les caractérise alors. Marie répond à l’impérieux besoin de paix et d’équilibre publiquement imploré par la population : le personnage sacré sert le contexte profane. Lors du siège de Valenciennes en 1656, singulièrement, est organisée à Bruxelles une procession de grande envergure. Le besoin de soutien est tel que l’on fait défiler non pas une mais plusieurs statues mariales abritées dans la capitale qui convergent vers la collégiale. L’expérience sera répétée à plusieurs reprises tant est grande la conviction de son efficacité. Le principe de cette procession mérite l’attention. Sortir chacune des images de la Vierge dans les rues de Bruxelles pour les réunir dans la collégiale, principale église de la ville sur le plan canonique, a indéniablement une portée symbolique forte et doit avoir eu un impact

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Louis Châtellier, « La fête comme mission dans les villes entre Rhin – Moselle – Mer du Nord. L’exemple des cérémonies en l’honneur de la canonisation de saint Ignace de Loyola et de saint François Xavier en juillet 1622 », dans H.-U. Thamer (éd.), Bürgertum und Kunst in der Neuzeit, Cologne, Böhlau, 2002 ; François Cadilhon, « Les processions jésuites en France aux xviie et xviiie siècles », dans M. Agostino, Fr. Cadilhon et Ph. Loupès (éds), Fastes et cérémonies de la vie religieuse (xvie-xxe s.), Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2003, p. 189201.

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important sur l’imaginaire des populations présentes. La Vierge prend en effet possession de l’espace urbain et plus encore, entreprend de tisser, par cet afflux de tous les points de la ville vers un lieu central, une gigantesque toile mariale à travers la cité. En démultipliant la figure de la Vierge en de très nombreuses statues qui circulent par les rues et les carrefours de la cité, la procession impose une omniprésence du personnage de la Mère de Dieu dans le paysage civil et assure ainsi une véritable « marialisation » de l’espace. Marie marque la capitale comme sienne. Toutefois, la multiplicité des statues transportées n’est pas seule à permettre la diffusion du pouvoir marial au sein du milieu urbain. Le transfert d’une seule statue à travers la cité peut jouer un rôle semblable et permettre tout autant de faire adhérer à l’ensemble de l’espace public la sacralité qu’exsude celle que l’on fait processionner. L’aura mariale se mêle au milieu urbain, que la Vierge soit multiple ou unique. Les coordinateurs des processions qui font de Marie une puissante protectrice tâcheront donc toujours de superposer dans les représentations collectives espace civil à protéger et espace « marialisé », en jouant avec les signes et les symboles de la Vierge et des cités que les organisateurs enchevêtrent jusqu’à la confusion. Dans le chœur de la collégiale Saint-Pierre de Lille, lors de la consécration du 28 octobre 1634, est érigée, soutenue par huit colonnes, une gigantesque chapelle en forme de lys à quatre faces, symbole et de la ville qui reprend la fleur sur ses armoiries, et de Marie dont le lys représente la pureté virginale94. Le but avoué est de montrer, par ce lys, que la cité entière est dédiée à la Vierge et se confond avec elle95. Plus encore, la chapelle est illuminée par deux cents cierges allumés « autant qu’il y a de rues & de carrefours dans la ville96 ». C’est donc bien tout l’espace urbain qui est alors consacré à Marie. La fusion de l’image de la Vierge et du milieu urbain est également réalisée lorsque sont dressés des théâtres exaltant les vertus et bénéfices de la Vierge dans les rues et sur les places publiques que parcourent les processions. Elle s’accentue encore quand les hôtels de ville – lieux hautement symboliques dans la vie de la cité – se parent d’arcs de triomphe et autres décors métaphoriques à la gloire de Marie. Nous avons précédemment évoqué la gigantesque scène érigée devant la façade de l’hôtel de ville de Luxembourg en 1666, surmontée d’une Vierge terrassant les figures de Mars et des autres personnifications de la peur tout en protégeant efficacement l’ensemble de la cité. En 1678, le même hôtel de ville est entièrement couvert d’écussons marqués du monogramme de Marie97. Le long de la galerie, courait la louange biblique exaltant comme « Tour de David » la fiancée du

94 « L’on avait choisi cette figure [le lys] particulierement pour ce que les armoiries de Lille sont un lis de gueule en champ d’argent & que le lis est un excellent hieroglyphe de la sainte Vierge » (T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., vol. 2, 1640, p. 417). 95 « Ut in isto lilio urbis symbolo, tota ipsa urbs B. Virgini dicata constaret » (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 378, [Litterae] Annuae Collegii Insulensis 1634). 96 J. Vincart, Histoire de Nostre-Dame de la Treille…, op. cit., p. 119. – Voir aussi A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 378, [Litterae] Annuae Collegii Insulensis 1634 et T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, p. 417. 97 « La décoration de la maison de Ville devant laquelle on passa, étoit un grand nombre d’Ecussons & d’Armoiries disposées entre des drapeaux. Le Chiffre du saint Nom de Marie occupoit le milieu de la Galerie sur un Trophée […] ; quantité d’autres petits écussons au même Nom de Marie couvroient la façade » (Histoire de NotreDame de Luxembourg…, op. cit., p. 76).

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Cantique des cantiques dont l’exégèse mariale fait une allégorie de la Vierge. Le nom de Marie est donc répété à l’infini sur cet élément architectural central de l’espace urbain. La mise en scène devait proclamer, en utilisant l’image évocatrice de la Tour de David et de ses mille boucliers, la force de la ville appuyée sur le pouvoir conquérant de sa puissante patronne98. La Vierge est, même temporairement, partout dans la cité. Sur les places, les carrefours, les rues et les ruelles. Cérémonies et processions attribuent donc une valeur sacrée à l’espace urbain et transforment momentanément la cité physique, conglomérat de rues et de quartiers, en un ensemble dont la cohérence est assurée par la présence et de la Vierge, et de tous les citoyens en corps99. La cité devient le théâtre éphémère de l’exaltation de la Vierge et se donne alors une identité intensément mariale. On remarquera toutefois que le message politico-marial exalté dans les rues de la cité peut, par la suite, réintégrer des espaces clos pour être répété à la destination d’un public ciblé. Ainsi, lors de la remise des prix en septembre 1679, les élèves du collège de Luxembourg dressent le « portrait de la protection de la très-sainte Vierge Mère de Dieu » quelques mois après la reconnaissance de l’élection ducale par la Congrégation des Rites100. À cette représentation théâtrale, assistent les parents et vraisemblablement une série des membres de l’assemblée des États qui, cette année, ont libéralement contribué à financer les prix. La pièce met en scène la lutte de Jean Damascène contre l’hérésie iconoclaste. Ceci ne semble guère entretenir d’évidents rapports avec la proclamation civique des cérémonies d’élection. On notera cependant que le ballet qui sépare les deux premiers actes des deux derniers montre le Luxembourg attaqué de toutes parts implorant le secours de sa Patronne. Celle-ci le soutient dans ses combats et lui assure la victoire sur ses ennemis. Au cours du ballet final, les génies du Luxembourg amassent les armes des vaincus et érigent pour la Vierge d’importants trophées. La dédicace du programme, par ailleurs, est adressée aux députés de l’assemblée des États qui ont pris l’initiative de la consécration et loue vivement leur zèle. Que dire de cela ? Dans la cour du collège, devant les parents et les députés des États, les élèves profitent du ballet pour réaffirmer la puissance tutélaire de Marie sur le duché. Peutêtre même reprennent-ils des chorégraphies déjà imaginées et montées lors des grandes processions d’élection. Si l’argument est secondaire par rapport à l’argument principal voué

98 « On vouloit par-là exprimer la force de la Ville, appuiée sur le pouvoir de sa Ste Patrone ; pouvoir qui est figuré dans l’Ecriture par la Tour de David, environnée de boucliers. C’est ce que signifioient ces mots écrits en gros caractéres le long de la Galerie : Mille clipei pendent in ea, Mille boucliers y sont attachés » (Ibidem). – Sur la fonction symbolique de la figure de la Tour de David pour exalter le rôle protecteur de Marie, voir deuxième partie, p. 216-219. 99 Sur le rôle que jouent rituels et cérémonies dans l’espace physique de la ville, voir Heidi de Mare et Anna Vos (éds), Urban Rituals in Italy and the Netherlands. Historical Contrasts in the Use of Public Space, Architecture and the urban Environment, Assen, Van Gorcum, 1993. 100 S. Jean Damascene. Le portrait de la protection de la tres-sainte Vierge Mere de Dieu, dédié a Messeigneurs les deputez ordinaires des Trois Etats du Pays, Duché de Luxembourg & Comté de Chiny. Representé par les Ecoliers du College de la Compagnie de Jesus à Luxembourg, le 6 & 7 de septembre 1679, a deux heures, Metz, Nicolas Antoine, 1679.

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à la dévotion mariale de Jean Damascène, il n’en est pas moins présent et démontre le souci jésuite d’entretenir la conviction que le pays est marial et donc tout-puissant.

Vi erge et pouvoirs civ il s : prés ences enche vêtrées… Les autorités civiles participent pleinement aux processions mariales en contexte guerrier. Non seulement elles ordonnent elles-mêmes de faire sillonner les rues de leur cité par une, voire plusieurs statues de la Vierge afin d’éloigner le danger imminent et obtenir la victoire mais elles tiennent également à occuper une place de choix au sein même de la cérémonie. Elles jouent ainsi avec les fonctions protectrices que le clergé et les dévots ont attribuées à la Vierge et les utilisent à leur profit. Le but semble d’abord de se donner à voir. Gouverneurs, officiers civils, échevins participent activement aux neuvaines et multiplient les dons ostensibles aux statues ou icônes alors implorées dans l’espoir d’une éventuelle protection. Le jour de la procession, ils revêtent leurs habits de cérémonie, expression significative de leur fonction, et se déplacent en corps dans un « bel ordre101 » où chacun tient son rang validant ainsi, au sein du cortège, la hiérarchie officielle de leurs fonctions publiques respectives. Ils se montrent à tous en prières et font la preuve publique de leur profonde ferveur mariale. Aussi Jean Vincart, lorsqu’il suggère au Magistrat lillois de consacrer la ville à Marie et de s’inscrire en même temps au registre de Notre-Dame de la Treille, donne-t-il comme principal argument aux édiles l’occasion de « se porter à faire un éclat de dévotion publique102 ». Par ailleurs, la présence des autorités auprès de la statue mariale se fait alors l’expression visible et palpable de l’articulation de leur pouvoir à celui de la Vierge. Ancrés dans le jeu du paraître et du faire-voir, ils exigent une bonne place dans l’ordre du cortège, le plus souvent directement derrière le char transportant la statue mariale. À Aire-sur-la-Lys, lorsque la ville veut repousser la guerre et la peste en 1646, si la statue est précédée d’une longue suite de tableaux allégoriques joués par les élèves jésuites, c’est par le gouverneur de la ville, les chefs de guerre, les représentants royaux et le Magistrat qu’elle est immédiatement suivie103. À Luxembourg encore, la procession de 1666, qui ramène la statue de la Consolatrice dans sa chapelle après la proclamation du vœu, voit se succéder les représentants des habitants, les membres de la sodalité jésuite, le clergé séculier et régulier et enfin seulement la statue de la Vierge, directement précédée du blason de la ville puis entourée des deux côtés des membres du Magistrat au grand complet104. De même, lors de la fête du patronage marial

101 Histoire de Notre-Dame de Luxembourg…, op. cit., p. 86. L’expression se retrouve également chez T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, p. 417. – Par ailleurs, les Litterae annuae d’Aire décriront le cortège de la consécration de 1635 comme une succession « in senatorio ordine » puisque s’y suivent hiérarchiquement le gouverneur de la place, les officiers royaux et le Magistrat (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 443, Collegii Ariensis [Litterae] Annuae 1636). 102 J. Vincart, Histoire de Nostre-Dame de la Treille…, op. cit., p. 115. 103 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 35, p. 344, Annuae litterae Provinciae Gallo-Belgicae 1646 ; Dimostratione di gratitudine fatta dalla Città d’Arie verso la Beatissima Vergine Maria…, op. cit., p. 354. 104 A.N.Luxembourg, Reg. A. L. (Fonds d’Ansembourg), vol. 17, n° 613.

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instaurée à Luxembourg le 2 juillet 1678, la statue sera étroitement encadrée du Magistrat urbain et du Conseil provincial105. De semblable manière, les autorités temporelles jouent de toute la richesse symbolique de cette rencontre entre pouvoir civil et figure mariale lorsqu’elles quittent en cortège l’hôtel de ville, à Lille et à Aire-sur-la-Lys, pour se diriger vers la chapelle de la Vierge ou qu’elles font installer sur la façade même de l’hôtel de ville, à Luxembourg, des décors allégoriques ou des mises en scène éphémères exaltant la puissance de la Mère de Dieu et son soutien à la cité. Les pouvoirs temporels profitent en réalité de ces processions mariales pour faire coïncider leur image et celle de la Vierge en justifiant ainsi leur rôle et leurs actes106. Leur fonction publique, qui leur impose le devoir de protection, est alors renforcée par la fonction équivalente, mais sacrée, de la Mère de Dieu. La procession civique à Marie donne ainsi un double visage à la notion d’autorité, incarnée à la fois par la Vierge et par le pouvoir civil qui s’en trouve magnifié et légitimé.

Un idéal de communauté autour de la f ig ure mar iale Outre le prince, le gouverneur ou le Magistrat, se pressent partout une masse de spectateurs venus admirer la procession, devenant eux-mêmes acteurs après le passage des chars et des édiles auxquels ils emboîtent le pas. C’est du moins ce qu’en dit l’ensemble des descriptions qui toutes usent de la même formule récurrente de « grand concours de peuple ». La procession est donc toujours « très fréquentée », la foule systématiquement « immense » et la « cité tout entière » invariablement réunie pour l’occasion107. Là-bas, la procession peine à avancer dans des rues devenues trop étroites pour accueillir l’affluence de monde108. Ailleurs, la route est envahie par une foule gigantesque où, aux hommes, se sont joints les femmes, les jeunes filles et les vieillards, incapables de rester chez eux109. Ici

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A.N.Luxembourg, Reg. A. IV (États du Luxembourg), vol. 26, Registres aux protocoles, f. 140v°. Herman Roodenburg, « Splendeur et magnificence : processions et autres célébrations à Amsterdam au xvie siècle », Revue du Nord. Histoire et archéologie (Nord de la France - Belgique - Pays-Bas), n° 69 (274), juilletseptembre 1987, p. 528. L’A. s’inspire fortement des théories de Clifford Geertz dans son chapitre « Centers, Kings and Charisma : Reflections on the Symbolics of Power », Local Knowledge. Further Essays in Interpretative Anthropology, New York, Basic Books, 1983. 107 Les expressions sont multiples. On trouvera, outre le répétitif « magno concursu populi », des formules telles « multitudinem plebem quae ad Pompam confluxerat » (Francesco Benci, S.J., Litterae Sodalitatis Iesu duorum annorum MDLXXXVI et MDLXXXVIII, Rome, Collegio Romano, 1589) ; « ingens omnino populus » (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 378-379, [Litterae] Annuae Collegii Insulensis 1634), « frequenti pompa et civitatis concursu » (Idem, p. 506, Supplementum Historiae Collegii Audomarensis), « ingenti Populorum turba » (Idem, vol. 35, p. 167, Annuae litterae Provinciae Gallo-Belgicae 1644), etc. 108 C’est ce qu’affirme le curé d’Alsemberg dans sa description de la procession à Bruxelles en 1654 de la statue mariale que possédait son sanctuaire : « Met soe groeten devotie van het volck dat de kercke van Ste Goelen te klijne was, ende de straeten daer de processie most passeren » (L. van Lathem, Appendix notabilis…, op. cit., p. 175). 109 D’après la description par O. Zylius de la procession qui a amené Notre-Dame de Bois-le-Duc de l’église du Coudenberg à l’église Saint-Géry : « Hos claudens multitudo inundauerat viam, etiam pluuiae incommodo pietati posthabito. […] Hic maior opinione numerus hominum fuit. Non mulieres, non puellae, non senes se domi continere poterant » (O. Zylius, Historia miraculorum B. Mariae Silvaducensis…, op. cit., 1632, p. 362). 106

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encore, tous sortent de leurs habitations, appelés par le son des cloches qui carillonnent, grossissant sans cesse le flot de la procession110. À Luxembourg, lors de la consécration de 1678, on estime que l’affluence est telle que, dans les églises de la ville et la chapelle abritant la statue miraculeuse, pas moins de quarante mille hosties ont été distribuées pendant l’ensemble des festivités111. Ces exclamations enthousiastes tiennent indéniablement du topos mais elles sont en même temps d’une profonde utilité pour qui veut comprendre l’importance que revêtaient pour tous, organisateurs comme observateurs, de telles manifestations. Le discours est incontestablement animé de la volonté de démontrer non seulement le succès de la procession mais également l’unanimité et la cohésion que crée la présence de la Vierge. La signification symbolique de la procession ne se lit donc pas uniquement dans la richesse visuelle des théâtres, arcs de triomphe et autres chars scénarisés mais elle trouve également une notable expression dans la seule affirmation d’une foule compacte. La volonté de souligner l’affluence dévote à ces processions suggère ainsi à l’historien combien celles-ci devaient être pensées comme un lieu de rassemblement et d’union pour les habitants de la cité, descendus dans les rues de leur ville afin de suivre ensemble les représentations de leur céleste protectrice. Toute la communauté civile et religieuse investit, avec la Vierge, le tissu urbain : clergé séculier et régulier, corps de métiers, paroisses, quartiers, nobles, Magistrats et officiers, tous sont présents pour accompagner la Vierge. La procession mariale devient ainsi un lieu fictionnel d’unité civique112. Ces grandioses manifestations offrent effectivement l’avantage d’exercer un impact psychologique important sur les populations. En rassemblant les foules autour de la figure de la Vierge, elles démontrent concrètement à chaque membre du groupe l’existence d’un autre qui lui ressemble et partage la même cause. Ces cérémonies avivent le sentiment de cohérence au sein des groupes et véhiculent un message d’union et de force. L’ordre civil et social est recréé autour de la Mère de Dieu, symbole de protection et d’union. Le groupe se donne à lui-même l’image, même temporaire, d’une société idéale, vive mais sans effervescence, capable d’affronter le danger qui l’effraie113. Face au péril menaçant, la procession permet donc de transcender les tensions politiques, sociales et culturelles pour former, même momentanément, un corps uni. Ni cris ni soubresauts. La cohue est impensable

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A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 378-379, [Litterae] Annuae Collegii Insulensis 1634. « Tantum populorum confluxum ac pietatem ut in solius urbis Luxemburgensis templis atque ipso sacello Divae Consolatricis per octavam festivitatis distributa fuerint facile quadraginta minorum hostias millia » (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 38, p. 7, [Litterae] Annuae Provinciae Gallo-Belgicae 1679). 112 Le rôle de la procession comme lieu d’unité civique a fait l’objet de diverses études. Voir particulièrement Mervyn James, « Ritual, Drama and Social Body in the Late Medieval English Town », Past & Present, n° 98, 1983, p. 3-29. Celui-ci, par cette étude sur les processions du saint sacrement, a fortement influencé H. Roodenburg, « Splendeur et magnificence… », op. cit. ; Margit Thofner, « The court in the city, the city in the court : Denis van Alsloot's depictions of the 1615 Brussels ommegang », dans R. L. Falkenburg (éd.), Hof-, staats- en stadsceremonies, Zwolle, Waanders, 1999, p. 184-207 (= Nederlands kunsthistorisch jaarboeck, n° 49). Pour le rôle civique de la procession mariale, voir particulièrement Laura Romano, « La festa della Beata Vergine a Mantova nel 1640 : il simbolismo religioso e umanistico », Studi storici Luigi Simeoni, n° 40, 1990, p. 83-102. 113 Sur ces questions, voir notre article « La dévotion mariale, facteur d’identification dans les Pays-Bas espagnols », op. cit., 2005, p. 65-74. 111

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et impensée. La multiplicité des volontés individuelles est gommée pour affirmer, par l’éclat du vernis des apparences, la force d’une détermination unique, la vigueur d’une utopie commune114. Bien plus, la présence de la Vierge, matérialisée par une représentation iconique autour de laquelle s’assemble la foule, sanctionne et valide cet idéal d’unité. La statue transportée en procession n’est en effet jamais l’expression strictement doctrinale d’une Mère de Dieu au sommet de la hiérarchie céleste, personnage patiemment construit et défini par les docteurs en théologie et les écrivains spirituels. Elle est au contraire toujours une Vierge qui s’ancre avec force dans un terroir local, avec son identité et ses caractères propres. Elle a un regard, un sourire, un port de tête, des attributs qui n’appartiennent qu’à elle : ils permettent à la communauté de se l’approprier et par la même occasion d’intensifier son sentiment identitaire local. L’unicité mariale doctrinale s’efface, dans la piété populaire et civique, au profit d’une multiplicité revendiquée pour la « gloire de la cité115 ». Cette identité propre trouve une expression singulièrement éloquente dans la pratique de l’habillage de la statue. Dans les sanctuaires, les statues de la Vierge, célèbres pour leur pouvoir guérisseur ou simples figures de dévotion, ont effectivement souvent été l’objet des attentions particulières des paroissiens et curés qui veillaient soigneusement à les vêtir de belles toilettes attirant les regards et intensifiant leur présence tant au sein de l’espace cultuel que dans le théâtre processionnel de la rue116. La pratique est ancienne : elle plonge ses racines dans la tradition grecque et se prolonge ensuite dans l’histoire de l’Occident chrétien. Dans les Pays-Bas, on trouve des traces de cet usage cultuel dès le xive siècle. Des testateurs tournaisiens lèguent alors plusieurs pièces d’étoffe à la Vierge dans le but de la vêtir117. Le concile de Trente, qui tente pourtant d’enrayer les excès dans l’utilisation de l’image et d’imposer un contrôle sévère pour éviter les dérives vers l’idolâtrie, sera peu explicite au sujet de cette pratique puisqu’il se contente d’exhorter les fidèles « à éviter toute indécence,

114 Sur cette illusion du mouvement de foule comme une disparition des multiples formes de la société, cet artifice homogène que propose le rassemblement de masse, voir Jacques Beauchard, La puissance des foules, Paris, P.U.F., 1985, p. 8. 115 Nous reprenons cette expression à l’un des chapitres de l’ouvrage de Marlène Albert-Llorca, Les Vierges miraculeuses. Légendes et rituels, Paris, Gallimard, Le temps des images, 2002, qui a étudié dans une perspective anthropologique, pour l’Espagne catalane contemporaine, la revendication par chaque village et cité d’une figure mariale propre. 116 Sur ce sujet, voir surtout les études anthropologiques de M. Albert-Llorca, Les Vierges miraculeuses…, op. cit., ainsi que « La Vierge mise à nu par ses chambrières », Clio. Revue francophone d’histoire des femmes, n° 2, 1995, Femmes et Religions, [en ligne] (http://clio.revues.org/document494.html) ; Deborah Puccio, « Mieux vaut habiller les saints que déshabiller les ivrognes. Vêtir les saints à San Juan de Plan », Terrain, n° 38, 2002, p. 141-151. – Pour une semblable perspective dans le cadre de la Belgique et du Luxembourg d’Ancien Régime, voir Annick Delfosse, « Vêtir la Vierge : une grammaire identitaire », dans O. Donneau (éd.), Quand l’habit faisait le moine. Une histoire du vêtement civil et religieux en Luxembourg et au-delà, catalogue d’exposition du Musée en Piconrue, Bastogne, 2004, p. 199-208. 117 M. Delaruelle, « La Vierge et les saints habillés. Synthèse du phénomène et inventaire des œuvres conservées dans l'est du Brabant Wallon », Le Folklore brabançon, n° 279, 1993, p. 230-232.

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de sorte que les images ne soient ni peintes ni ornées d’une beauté provocante118 ». Les participants au concile n’imposent donc aucune interdiction formelle aux parures des statues. Ce n’est pas le cas, toutefois, des synodes locaux qui tentent de prendre des mesures strictes. Ainsi, en 1607, le synode provincial de Malines interdit d’orner « d’une manière mondaine » les images sacrées exposées dans les églises ou portées en procession119. Il admet toutefois que les statues transportées dans les cortèges publics soient parées, à condition toutefois que leurs atours n’offensent pas la bienséance120. Pourtant, malgré ces injonctions synodales, l’usage ne disparaît pas dans les Pays-Bas mais est au contraire vigoureusement dynamisé, particulièrement par les archiducs Albert et Isabelle. Ceux-ci encouragent l’habillage des statues par le don de luxueux vêtements aux sanctuaires belges abritant des Vierges miraculeuses. L’archiduchesse offre ainsi trois robes cousues d’or, d’argent et de pierres précieuses à Notre-Dame de Montaigu en 1603121 et cinq robes précieuses de différentes couleurs à la Vierge miraculeuse de Vilvoorde122. Elle offre également un « vêtement précieux » à Notre-Dame de Laeken lorsqu’elle la raccompagne en grandes pompes dans son sanctuaire après la neuvaine que la statue a passée dans l’église des béguines de Bruxelles en 1622123. En 1633, c’est un manteau précieux d’une valeur de 1200 florins qu’elle donne à la statue de la Vierge de Miséricorde honorée chez les jésuites de Bruxelles124. À leur tour, des femmes de haut rang viennent enrichir les garde-robes des Vierges qu’elles honorent en leur offrant parures et ornements125. Si l’on passe en revue l’ensemble des dons soigneusement consignés dans le registre des bienfaiteurs de la chapelle luxembourgeoise de Notre-Dame Consolatrice des Affligés pour les années 1624-1702, l’on constate que la Vierge a reçu de nombreux vêtements des mains de personnages tels que les princesses de Chimay et de Hohenzollern, la comtesse de Clermont ou la baronne de Harscamps ainsi que d’une série de femmes dont les époux occupent des fonctions importantes126. Plus tard, l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche et la reine Marie

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« Omnis denique lascivia vitetur ita ut procaci venustate imagines non pingantur nec ornentur » (Concile de Trente, session XXV dans G. Alberigo (éd.), Les conciles œcuméniques…, op. cit., vol. 2, p. 1576). 119 « Imagines sacras saeculariter comptas, nec in templis, nec in processionibus tolerent » (Decreta et statuta synodi provincialis Mechliniensis, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1608, tit. XIV, cap. II). 120 « Quae ad ornatum supplicationum proponuntur, ejusmodi sint, quae oculos spectantium non offendant » (Ibidem). 121 Ph. Numan, Histoire des miracles advenus n’aguères à l’intercession de la Glorieuse Vierge Marie…, op. cit., 1604, p. 36. 122 Antoine Sanderus, Chorographia coenobii monialium Ordinis Beatissimae Virginis Mariae de Monte Carmelo sub titulo Divae Consolatricis, vulgo, Ten Troost Vilvordiae miraculorum gloria illustris, Anvers, imprimerie Marcel Parys, 1660 dans Chorographia sacra Brabantiae…, op. cit., t. II, p. 328. 123 J. A. Gurnez, Laca bruxellense…, op. cit., 1647, p. 266. 124 A.R.S.I., Fl.-Belg., vol. 54, f. 75r°, Litterae annuae Bruxellensis. 125 Voir par exemple le don d’une robe et d’un manteau cousus d’or à la statue de Notre-Dame de Potterie honorée à Bruges par l’épouse du marquis Sfondrati, surintendant des Flandres et général d’artillerie des armées espagnoles campées dans le pays (Ph.-Fr. Taisne, Onse Lieve Vrauwe van Potterye…, op. cit., 1666, p. 91). 126 Archives de l’évêché de Luxembourg, reg. 158, Praecipui benefactores sacelli B[eatae] V[irginis] M[ariae] Jesus Consolatricis Afflictorum, mss non folioté.

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Leszczynska lui offrent à leur tour de somptueux habits127. Les dons de simples particuliers sont eux aussi bien souvent de grande valeur. Parmi ceux-ci, l’on trouve des voiles rouges en soie, brodés de fleurs en fil blanc, des voiles de dentelles blanches, une robe de soie rouge, brodée de fleurs dorées128. La Consolatrice des Affligés restera longtemps dans l’imaginaire collectif, nourri par une longue tradition iconographique, cette Vierge somptueusement habillée. Statues, gravures, lithographies, médailles et même taques de cheminées représenteront, pendant près de trois siècles, la Vierge luxembourgeoise avec ces magnifiques vêtements, imprégnant à ce point les esprits qu’il a parfois suffi de revêtir de quelconques statues mariales à la manière de la Madone du Luxembourg pour les faire passer pour telle129. Pourtant, initialement, cette statue n’est pas destinée à être habillée. Taillée dans le tilleul sur le modèle de la Vierge du très célèbre lieu de pèlerinage de Montaigu, cette Vierge, debout sur un croissant de lune, tenant son Fils sur son bras gauche, est une représentation iconographique classique de l’Immaculée Conception. Elle est cependant vêtue dès les années 1640 et ne connaît longtemps d’autre existence figurative dans les représentations mentales des fidèles que celle assurée et déterminée par ses vêtements130. Les traditionnelles statues de bois ou de pierre, Vierges à l’Enfant au léger déhanchement ou Sedes sapientiae hiératiques, sont donc recouvertes de vêtements qui cachent leur apparence initiale pour leur donner un aspect de plus en plus unifié. Dans les Pays-Bas, ces robes partagent toutes en effet une même forme très caractéristique de cloche ou d’abat-jour et sont souvent recouvertes d’un manteau rappelant les chapes des hauts dignitaires ecclésiastiques. De cette tenue dite « à l’espagnole » ne sortent que la tête et les mains, très souvent grossièrement ajoutées pour qu’elles puissent se dégager de la masse des tissus. Assez rapidement, d’ailleurs, apparaissent des statues spécifiquement conçues pour être vêtues, au corps sommairement taillé dont seules les extrémités – tête et mains – ont été l’objet d’un travail fin et attentif. La physionomie mariale s’uniformise. Cependant, si toutes ces Vierges sont, dans leur apparence, semblables à celles des villages voisins, les vêtements qu’elles portent font partie de leur garde-robe strictement personnelle, enrichie par les offrandes des fidèles. Ils ne sont pas échangeables avec ceux de la communauté d’à côté. Ces habits spécifiques dont les dévots parent la statue de Marie font donc de cette dernière « leur » Vierge. Celle-ci, revêtue de ses propres tenues, devient un objet référentiel commun à la population locale et favorise donc la fusion du groupe

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Michel Schmitt, « Der Kirchenschatz der Kathedrale im Kontext der Verehrungsgeschichte der Trösterin der Betrübten », dans Fr. Hilbert (éd.), 150 Joër Maîtrise vun der Kathedral 1844-1994, Luxembourg, Maîtrise de la Cathédrale, 1994, p. 176-177. 128 « [4 février 1686] Velim B.V. rubrum, lineis albis cum floribus intertextum ex serico […] [5 avril 1686] velim album cum limbis seu denticulis albis ex filo […] [16 mai 1686] B.V. velum album ex latis denticulis lineis […] [1696] dedit togam divae Virginis ex serico rubro flosculis aureis intertextam et limbis etiam aureis ornatam » (Praecipui benefactores sacelli B[eatae] V[irginis] M[ariae]…, op. cit.). 129 Joseph Maertz, « 1678-1978. Notre-Dame de Luxembourg Consolatrice des Affligés vénérée pendant trois cents ans dans la province belge de Luxembourg », Hémecht. Revue d’histoire luxembourgeoise, n° 30/1, 1978, p. 20. 130 Ce n’est que dans la seconde moitié du xxe siècle, que Notre-Dame du Luxembourg est dévêtue pour apparaître uniquement sculptée dans les endroits de culte.

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autour d’elle en même temps qu’elle distingue cette communauté des autres. Ceci est particulièrement vrai dans le cadre des processions. Les sources montrent ainsi l’importance qu’a prise pour la ville de Luxembourg le fait que l’image miraculeuse de Notre-Dame de Consolation soit « parée de ses richesses des plus grands jours131 » lors des cérémonies qui l’ont érigée en patronne et protectrice de la ville puis de la province et elles soulignent l’incroyable admiration qui se porta sur les splendides atours qui embellissaient la Vierge. Parmi les stratégies symboliques auxquelles les autorités ont eu recours lors de ces processions extraordinaires, la volonté de tout mettre en œuvre pour l’habiller somptueusement est loin d’être négligeable. Il fallait que la représentation de la statue que l’on portait en procession ait un impact important sur la foule pour accentuer leur sentiment de se mettre sous la protection d’une Vierge non seulement puissante et sacrée mais également unique, comme devaient le suggérer ses vêtements. Tout processus d’identification, tant individuelle que collective, se construit sur le double jeu du rapport au même et au différent. La Vierge habillée caractérise éloquemment cette logique inhérente à la construction identitaire. Il s’agissait, pour la communauté luxembourgeoise, de démontrer son unité tout en se différenciant des autres. Il lui fallait donc à la fois regrouper l’ensemble de ses membres autour d’une figure commune et, en même temps, refuser que cette Vierge, pourtant Reine de la hiérarchie céleste chrétienne et à ce titre vénérée par l’ensemble de la catholicité, se confonde avec la Vierge honorée par leurs voisins et ennemis. Les parures et ornements admirés par la foule présente devaient souligner la singularité de leur nouvelle patronne et protectrice et, de ce fait, offrir à la foule un signe-marqueur de son identité propre132.

Une garantie d’e ff icacité Il semble par ailleurs que ces importantes cérémonies marquent considérablement les populations qui conservent le souvenir d’actions dont l’efficacité est assurée, comme le démontre en particulier le dossier conservé aux Archives Générales du Royaume concernant le rôle attribué à une procession mariale dans la victoire du siège de Valenciennes en juillet 1656. Lorsque l’ennemi français assiège Valenciennes, la ville encerclée prend une série de dispositions pieuses. Le Magistrat organise, sous les coups des bombes qui pleuvent, neuf jours de cérémonies devant les images mariales les plus fréquentées de la cité133. Il promet à la Vierge de la collégiale, de lui offrir une lampe d’argent de grande valeur en cas de victoire134

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R.A., Fl.-Belg., vol. 1685, Deduction, de la solemnité, avec laquelle la Ville de Luxembourg a Choisie Notre Dame de Consolation, pour sa Patrone, f. [2]r°. 132 Sur ces considérations, voir notre article « Vêtir la Vierge… », op. cit., p. 206-207. 133 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 36, p. 290, Supplementum historiae Collegii Valencensis (1656). – Le deuxième jour de cette neuvaine est accordé aux jésuites. Alors qu’ils commencent leur célébration en présence d’un certain nombre d’habitants de la cité, une bombe vient arracher le toit de leur sanctuaire. Leur statue mariale, NotreDame Consolatrice, copie de la Vierge de Luxembourg, est épargnée : ils attribuent immédiatement cette sauvegarde à la protection de la Mère de Dieu. 134 Simon Le Boucq, Récit du siège de Valenciennes en 1656, M. Hénault (éd.), Valenciennes, A. Bonenfant, 1889. – Voir également Alain Lottin, « Des archiducs à la conquête française (1599-1677) », dans H. Platelle (éd.), Histoire de Valenciennes, Lille, Presses universitaires de Lille, 1982, p. 130.

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et fait chanter chaque jour les litanies de Lorette ainsi qu’une messe en l’honneur de la Vierge135. L’ennemi, toutefois, prend la ville. Don Juan, qui venait à peine de prendre ses fonctions à la tête des provinces belges, décide, en accord avec ses principaux chefs de guerre, dont le prince de Condé et le marquis de Caracena, d’attaquer les lignes des maréchaux de Turenne et de la Ferté à la veille de l’importante fête bruxelloise du Saint sacrement de Miracle. À Bruxelles même, il est décidé que, lors de la célèbre procession, toutes les statues de la Vierge seront conduites dans la chapelle latérale de la collégiale Sainte-Gudule consacrée à l’hostie miraculeuse afin d’implorer la Vierge qu’elle obtienne la paix pour la ville. Les troupes de Don Juan viennent au secours de Valenciennes : cavalerie et infanterie espagnoles comblent les fossés, s’emparent des barricades et entrent dans la ville. Les troupes françaises sont défaites et doivent se replier136. Convergent alors rapidement, dans la justification dévote de cette victoire, deux pistes d’interprétation. Tandis que les uns l’attribuent très naturellement au culte eucharistique, vu la coïncidence de l’événement avec l’organisation de la procession bruxelloise137, d’autres en font une victoire toute mariale. Les habitants de Valenciennes mettent sur pied, en action de grâces, une grande procession où est portée, avec les reliques de la cité, la statue jésuite de Notre-Dame Consolatrice. L’entourage du gouverneur général, lui, loue ce dernier pour sa piété mariale à laquelle ils attribuent l’origine de sa victoire triomphale. Le confesseur de Don Juan, Dom Francisco Crespo, adresse au prince, dans le courant du mois de décembre, la dédicace d’un traité consacré à l’Immaculée Conception : il y fait part, au cœur de cet hommage, de sa profonde conviction que son protégé a brisé les troupes de Louis XIV devant les murs de Valenciennes grâce « aux abondants bénéfices de Marie, la Mère de Dieu qu’[il] recherche comme guide pour mener ses batailles138 » et à « l’aide féconde d’une bravoure au combat par laquelle la Vierge a récompensé sa très pieuse affection à la servir139 ». Le jésuite Juan Eusebio Nieremberg (1595-1658), proche de la cour

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A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 36, p. 291. « Sucesos del año 1653 hasta el de 1656. Bibliothèque nationale de Madrid, mss. H86 », dans Louis-Prosper Gachard (éd.), Les bibliothèques de Madrid et de l’Escurial. Notices et extraits des manuscrits qui concernent l’histoire de Belgique, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, F. Hayez, 1875, p. 327-334. 137 Les démonstrations publiques de joie organisées à Bruxelles lors de la victoire de Valenciennes exaltent la puissance divine sans aucune mention d’une quelconque intervention mariale (A.G.R., Conseil d’État, vol. 163, Te Deum et prières d’action de grâce (xviie siècle), non relié) – Le recueil H86 de la Bibliothèque nationale de Madrid contient une relation de l’événement en trois pages in-f° imprimées à Séville en 1656 dont le titre accorde la victoire à Dieu seul : Relation veritable de la tres-heureuse victoire que Dieu a bien voulu accorder aux armes catholiques de S.M., gouvernées par le serenissime seigneur Don Juan d’Autriche, contre celles du tres-chretien roi de France qui assiegeaient Valenciennes le samedi 15 juillet 1656 (L.-P. Gachard, Les bibliothèques de Madrid…, op. cit., p. 332). 138 « Nonne sunt larga Mariae Deiparae beneficia, quam ad certamina ineunda ductricem, & auxilia insequeris ? » (Francisco Crespo, O.S.B., Tribunal thomisticum de immaculato Deiparae conceptu candidum ius ore angelico dicens ; doctrinam angelicam cum virginis albescente origine, pulchra pace concilians ; adhortationem pro ipsius causa inferens : pias praeces Regi Catholico pro eiusdem definibilitate memoriali inserto concludens, Barcelone, Antonio Lacaballería, 1657, dédicace à Don Juan, f. §§§1r°). 139 « Piissimam tamen opulentis muneribus Virgini famulandi affectionem, ipsa Deipara uberrimis praeliaris fortitudinis auxiliis, non sine totius orbis stupore compensauit » (Idem, f. §§4r°). 136

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de Madrid, explique à son tour le succès valenciennois du fougueux prince par l’efficacité du culte marial pour la protection du pays140. Il semble toutefois que la seule dévotion princière n’ait pas suffi à justifier la prouesse guerrière et qu’au contraire, l’explication demeurée dans les mémoires tienne davantage de l’action publique, civile et collective menée à Bruxelles. Quelques années plus tard, dans un mémorial adressé à la Reine-Mère d’Espagne Marie-Anne d’Autriche, vraisemblablement dans la seconde partie de l’année 1667 lorsque commencent les guerres de dévolution menées par Louis XIV, les requérants se souviennent en effet de cette victoire de Valenciennes et, en particulier, du transport de toutes les statues mariales bruxelloises141. L’événement a dû être d’une considérable importance. Son souvenir reste vif dans les mémoires. Les auteurs du mémorial demandent donc à la régente qu’en ces nouvelles difficultés militaires qu’ils doivent alors affronter, le pays s’assure de la protection de cette « Vierge tres puissante » en réitérant « un pareil recours public et solennel142 ». En 1678, une nouvelle requête signée par des « dévots et très fidèles bourgeois de la Ville de Bruxelles » est adressée à la duchesse de Villahermosa, épouse du gouverneur général, l’implorant de favoriser le transfert des images de la Vierge honorées dans chaque paroisse de la ville à l’occasion de la procession du Saint sacrement de Miracle, comme on l’a fait au temps du siège de Valenciennes143. L’Espagne était alors alliée aux Provinces-Unies, à l’Autriche et à la Lorraine contre la France qui maintenait cependant l’avantage depuis plusieurs années laissant les alliés, fatigués, dans l’attente de la fin des conflits. Les Bruxellois requérants veulent donc croire en l’efficacité de la protection mariale qu’assurerait une nouvelle procession semblable à celle qui avait été organisée lors du célèbre siège valenciennois. Cependant, ils craignent grandement que les statues mariales soient proscrites de la traditionnelle procession et supplient qu’en « cette très grande necessité », le gouverneur, Carlos de Villahermosa, fasse pression sur l’archevêque de Malines pour qu’il permette leur transfert dans la collégiale. Depuis 1674, de fortes tensions opposaient le gouvernement des Pays-Bas, soutenu par la régente à Madrid, à l’archevêque Alphonse de Berghes qui avait interdit que l’on porte des images de saints en même temps que le saint sacrement, rencontrant

140 « Evocatus inde ad Belgas, eiusdem Virginis cultui addictissimos inter quos agis, documento fuisti, optimae indolis Genti, nihil non ab ea etiam extremis in angustiis sperandum esse, quae deesse numquam clientibus solet. Gemebant praecordiis ab haeretico hoste occupatis & Valencenis magni nominis civitate, stricta obsidione pressis, cum divinitus […] hostile vallum ad Valencenas superasti, primus Gallicas acies internecione delevisti, captivos Duces abduxisti » (Juan Eusebio Nieremberg, Trophaea Mariana, seu de Victrice misericordia Deiparae Patrocinantis hominibus. Exquisitissimis SS. Patrum Sententiis, Rarissimis Historiis, Selectissimis Moralis Doctrinae Praeceptis, ac inusitatis per eius simulachra perpetratis miraculis mirifice illustrata. Opus divini verbi praeconibus, ascetis, ac omnibus Mariophilis per utile, ac necessarium, Anvers, Veuve et héritiers de Jean Cnobbaert, 1658, dédicace à don Juan, f. *3v°-f. *4r°). 141 A.A.M.B., Fonds De Immaculata Conceptione, Mémorial adressé à la Reine Marie-Anne d’Autriche, s.d., non folioté. 142 « L’on se peut bien assurer que cette Vierge tres puissante et quam filius nihil negans honorat, ne manquera de nous proteger, secourir et defendre en la necessité presente, moyennant que l’on prenne un pareil recours public et solennel vers Dieu par elle » (Ibidem). 143 A.G.R., Conseil d’État, vol. 171, Processions et solennités religieuses à Bruxelles, Mémorial adressé à la duchesse de Villahermosa, [avant le 25 juillet 1678], non folioté.

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de ce fait l’opposition de la population, du Conseil d’État et du gouverneur général Juan Domingo de Zuñiga y Fonseca, comte de Monterrey144. L’affaire s’était cristallisée autour de l’importante procession de saint Michel, patron de la ville, dont la statue avait été interdite à Sainte-Gudule selon le décret archiépiscopal, provoquant ainsi la colère du Magistrat qui avait dès lors refusé d’y participer145. En août 1675, en vue des préparatifs de la procession annuelle qui transportait traditionnellement durant l’octave de l’Assomption la statue mariale honorée en la collégiale Sainte-Gudule avec le Saint sacrement de Miracle, le Conseil d’État s’était par ailleurs inquiété du sort réservé cette année-là à la statue de la Vierge et avait suggéré au duc de Villahermosa, récent gouverneur, de refuser les « nouveautés » de l’archevêque146. C’est dans le cadre de ces vives tensions qu’est rédigé le mémorial du mois de juillet 1678 voulant renouveler l’expérience du succès de Valenciennes. Le 25 juillet, le Conseil d’État entend en séance l’avis d’Alphonse de Berghes sur la proposition des auteurs de la supplique que lui a transmise le duc. L’archevêque refuse la requête jugée contraire à son autorité et à la forme processionnelle déjà prescrite. Le Conseil d’État, cependant, ne voit aucun inconvénient à la supplique et suggère au duc de s’y montrer favorable147. Don Carlos écrit donc à l’archevêque, exigeant qu’il prenne les dispositions nécessaires pour que les images paroissiales de la ville de Bruxelles, ainsi que les reliques conservées dans chaque église, soient transportées en procession « comme l’on a fait du temps du siege de la ville de Valenciennes lors du gouvernement du serenissime prince Don Juan148 ». Les archives n’ont pas conservé d’autres traces de ces débats et l’on ignore si les statues ont finalement conflué vers Sainte-Gudule conformément aux désirs des requérants et du gouvernement ou si le rigoureux archevêque a fini par imposer ses conceptions de la bienséance cérémonielle et processionnelle. Quoi qu’il en soit, cependant, la ferme volonté, à plusieurs reprises réitérée, de faire affluer les statues de la Vierge dans les rues de la capitale est le signe d’un immense besoin de voir Marie sortir de ses oratoires pour affirmer une présence ostensible et secourable au sein même de la cité. Par ses représentations multiples et mouvantes, partout présentes dans les rues bruxelloises, la Vierge devait s’approprier la ville et lui garantir son inviolabilité.

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Au sujet des tensions provoquées par la décision de l’archevêque, voir L. Ceyssens, La seconde période du jansénisme…, op. cit., t. I, p. XLII-XLV. 145 Les nombreuses réactions ont été conservées dans le portefeuille suivant : A.G.R., Conseil d’État, vol. 171, Processions et solennités religieuses à Bruxelles. 146 Idem, le chef-président du Conseil d’État au duc de Villahermosa, le 16 août 1675. 147 Idem, avis du Conseil d’État au duc de Villahermosa, le 25 juillet 1678, original. 148 Idem, le duc de Villahermosa à Alphonse de Berghes, le 25 juillet 1678, minute.

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Des repères monumentaux

Au coin de la rue Documents épars et rares traces iconographiques laissent entr’apercevoir qu’en ce xviie siècle, dans la lignée d’une tradition déjà ancienne, la Vierge a pris ses quartiers aux carrefours des rues, sur les places publiques, au sommet des portails des maisons privées, sur des fontaines ou des pompes à eau… Dans les rues, des images mariales peuvent être clouées sur des arbres ou érigées en haut de courtes colonnes, formant autant de stations s’égrenant dans la ville. Ici ou là, on allume la nuit des lanternes pour les illuminer. À Liège, en 1618, un jésuite dénombre sur les façades des maisons quelque cent cinquante statues1. La pénétration de l’iconographie mariale dans un espace qu’occupent au quotidien les communautés civiles défilant sans cesse devant ces « Madones des coins de rues » doit retenir notre attention. Elle soulève en effet de nombreuses questions relatives non seulement à la porosité entre sacré et profane mais également, et surtout, à la force potentielle qu’ont ces images à agir sur les identités sociales et civiques2. Il est nécessaire de dépasser les traditionnelles études les concernant, lesquelles se satisfont trop souvent d’en dresser un inventaire ému et de les déterminer seulement comme des témoins de la dévotion populaire. Si ces statues et images peintes appartiennent bien au patrimoine populaire, limiter leur définition à celle de signe extérieur de piété est insuffisant. La Vierge, accompagnée d’un riche cortège de saints, a envahi la ville, parfois depuis longtemps. La cour céleste s’est installée dans des quartiers, des lieux-dits, le long de canaux, sur des placettes ou des marchés. Leurs images démultipliées se sont fixées définitivement sur les murs de bois, de pierres ou de briques. Quiconque évolue dans cette structure spatiale, pour des pratiques sociales ou économiques indépendantes du domaine sacré, fait malgré tout l’expérience

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[Gilles Du Moulin, S.J.], Sacrarium augustissimae Deiparae V. Mariae patriae Leodiensis : duodecim duodenis velut totidem stellis seu loculamentis concinnatum, Liège, Jean Ouwerx, 1618, p. 29. 2 À ce sujet, voir particulièrement Edward W. Muir, « The Virgin on the Street Corner : The Place of the Sacred in Italian Cities », dans St. Ozment (éd.), Religion and Culture in the Renaissance and Reformation, Kirksville, Sixteenth Century Journal Publishers, 1989, p. 25-40 (= Sixteenth Century Essays and Studies, 11). Voir aussi Élisabeth Crouzet-Pavan, "Sopra le acque salse". Espaces, pouvoir et société à Venise à la fin du Moyen Âge, Rome, École Française de Rome, 1992 et María José del Rio Barredo, « Imágenes callejeras y rituales públicos en el Madrid del siglo XVII », dans M. Cruz de Carlos Varona, P. Civil, F. Pereda et C. Vincent-Cassy (éds), La imagen religiosa en la Monarquía hispánica. Usos y espacios, Madrid, Casa de Velásquez, 2008, p. 197-218.

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constante de leur présence. La cité est un lieu où partout s’affichent Marie et les saints : elle se construit donc une identité qui ne peut faire l’économie de leur omniprésence3. La tradition est ancienne. Dès la fin du Moyen Âge, se propage à travers l’Europe l’habitude d’installer, nombreuses, des représentations mariales dans les rues et sur les façades des maisons bourgeoises4. Dans les Pays-Bas méridionaux, le xviie siècle tridentin est l’héritier de cet usage et contribue à son essor. La culture de la Réforme catholique, singulièrement dans sa forme baroque, encline à la théâtralité et au jeu subtil du faire-voir, se prête à merveille au déferlement de l’image sainte dans les rues de la cité. Le foisonnement de statues de la Vierge au-dessus des têtes des passants s’inscrit dans le registre du spectacle et de l’extériorité que met constamment en œuvre cette culture de l’expressivité. La volonté de donner à voir, le goût du paraître, l’utilisation de l’image ont dynamisé l’essor de statues mariales monumentales présentant leur enfant aux citoyens ou se dressant seules sur leur piédestal. Les unes sont tendres et empreintes de simplicité. Les autres, auréolées de gloire dardant des rayons conquérants, arborent sceptres et couronnes. À Anvers, notamment, ce sont des Vierges Reines, fortes et majestueuses, qui s’imposent à la population5. Elles surmontent le globe terrestre ou un croissant de lune et foulent aux pieds le serpent. Types iconographiques caractéristiques de l’Immaculée Conception, elles incarnent alors la victoire triomphante de l’Église catholique sur l’hérésie et sur le mal. On comprend leur essor particulier dans une forteresse anversoise passée du statut, temporaire, de bastion calviniste à celui de citadelle catholique. Les difficultés de l’analyse, cependant, sont multiples. L’historien, en effet, est largement tributaire de ce que le temps veut bien lui laisser connaître. Or, les transformations urbanistiques successives n’ont pas permis aux images saintes de persister dans le paysage civil. De plus, les quelques images qui ont résisté à cette progressive métamorphose s’affichent très souvent sur des bâtiments qui leur sont largement postérieurs sans que l’on sache bien s’il s’agit de leur site originel restauré – voire reconstruit – ou d’un nouveau lieu qui les a accueillies après qu’elles ont été arrachées à leur emplacement primitif6. Il est donc très difficile d’avoir une idée précise du véritable quadrillage marial de l’espace public dans les Pays-Bas du xviie siècle. Aussi, les repérages effectués par l’Institut Royal du Patrimoine Artistique, qui a recensé un nombre important de niches et autres baldaquins supportant

3 On pourra à ce titre s’étonner que l’article de M. Smeyers consacré à la dévotion et à l’image sacrée dans la ville de la Flandre d’Ancien Régime n’ait pas accordé une seule ligne à ce sujet (Maurice Smeyers, « Prière et ostentation. Dévotion et image (xve-xvie s.) », dans J. van der Stock (éd.), La ville en Flandre. Culture et société (1477-1787), Bruxelles, Crédit Communal de Belgique, 1991, p. 219-236). 4 Gabriela Signori, « Maria als Burgerheilige : das St. Galler “Münster” im Ringen zwischen Abt und Stadt : Münsterbau, Bauverwaltung, Münsterstiftungen und Wallfahrt im ausgehenden 15. Jahrhundert », Unsere Kunstdenkmaler, n° 43/1, 1992, p. 33-50. 5 Jeffrey Muller, « Communication visuelle et confessionalisation à Anvers au temps de la Contre-Réforme », XVIIe siècle, n° 240/3, 2008, p. 441-482. 6 A. Thyssen relève un certain nombre de cas de statues déplacées au fil des siècles dans les rues d’Anvers (August Thyssen, Antwerpen vermaard door den Eeredienst van Maria. Geschiedkundige aanmerkingen over de 500 heiligen beelden in de straten van Antwerpen, Anvers, Kennes, 1902 (2nde éd., 1922)).

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des statues de la Vierge dans les rues d’Anvers et de Bruges ainsi que quelques exemples pour les villes de Gand, Tournai et Bruxelles, ne peuvent-ils réellement nous satisfaire : s’ils nous aident d’établir un catalogue des Vierges du xviie siècle encore présentes actuellement dans les rues de ces cités, ces repérages ne nous permettent pas de saisir le plus fidèlement possible la présence réelle de ces représentations dans l’espace de la Réforme catholique. Ces statues n’offrent, dans le cadre de cette enquête, aucun intérêt pour ce qu’elles signifiaient alors mais seulement pour ce qu’elles sont maintenant. Arrachées à leur cadre d’origine, loin des lieux qui les ont initialement accueillies, elles deviennent matière morte, corps de pierre, visages peints vidés du sens que leur donnait l’usage. Il serait donc vain de vouloir reconstituer, à partir de ces inventaires, la physionomie mariale qu’affichaient les cités flamandes du xviie siècle. Le cas de Bruges, dont le patrimoine a été particulièrement bien protégé et conservé, comparé aux autres villes des Pays-Bas méridionaux7, serait toutefois susceptible de nous permettre d’ébaucher une géographie mariale urbaine. Cependant, seules quinze statues sont encore conservées. Or, il semble qu’au xviie siècle, ces représentations mariales étaient considérablement plus nombreuses. Si l’on en croit le ou les dévots anonymes qui, en 1654, adressent au roi Philippe IV un mémorial requérant le patronage de l’Immaculée Conception sur les Pays-Bas, la ville entretenait depuis le règne de Philippe le Bon – qui y avait installé sa cour – l’usage d’installer une statue de la Vierge au sommet des portes de chaque maison d’une certaine importance8. Le nombre de quinze représentations recensées paraît donc bien modeste par rapport à ce qu’évoque cette source et ne permet guère l’ébauche d’un plan, même indicatif. Cette esquisse, avec tous ses silences et les lacunes qu’elle ne peut combler, n’autoriserait guère d’interprétation approfondie : tout au plus pourrait-on constater que les statues conservées se concentrent dans le cœur de la ville, réparties assez uniformément dans un large périmètre autour de la place du marché où se dressent les halles et le beffroi, centres de la vie urbaine, arborant eux-mêmes une représentation monumentale, plus ancienne, de la Mère de Dieu. Il faut alors recourir aux bribes d’informations que veulent bien céder les topographies sacrées et les histoires des sanctuaires. Mais, de nouveau, la matière est pauvre. Le chercheur devine une importante présence de statues mariales dans les quartiers des villes flamandes par quelques allusions à leur installation hors des églises dans des lieux publics hâtivement évoqués. Il apprend l’existence de l’une ou l’autre d’entre elles, singularité désolante lorsque l’on espère les riches informations que pourrait révéler la multiplicité… L’historien ignore donc tout, ou presque, des raisons qui ont poussé à ériger de telles représentations, des dévotions qu’ont pu entraîner ces statues et icônes ainsi que de leur impact psychologique sur les populations. Il suppose cependant que leurs fonctions devaient être multiples. Les unes étaient exposées aux murs extérieurs des églises prolongeant hors du sanctuaire vers la paroisse et le quartier la sacralité du lieu tout en attirant vers l’église les populations dévotes du voisinage : elles étaient un lieu transitoire entre deux espaces distincts. Les autres fleurissaient sur les murs de bâtiments privés ou publics et se voyaient

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Luc Devliegher, Les maisons à Bruges. Inventaire descriptif, trad. fr., Liège, Pierre Mardaga, 1975, p. XXX. A.A.M.B., Fonds De Immaculata Conceptione, non folioté, mémorial de dévots à l’Immmaculée Conception à Philippe IV. 8

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néanmoins attribuer des fonctions miraculeuses : elles attiraient alors l’estropié, l’aveugle ou le malade secoué de violentes fièvres9. Certaines avaient été installées pour supplanter des traditions locales considérées comme scandaleuses10 tandis que d’autres devaient contribuer à la bonne marche des affaires des commerçants et artisans de la cité. Ces dernières étaient alors exposées sur les places de marchés rassemblant régulièrement métiers et corporations11. La plupart, enfin, n’avaient vraisemblablement aucune fonction spécifique. Elles devaient rassurer l’habitant, lui donner un fort sentiment de sécurité à l’instar de ces Vierges de Louvain aux pieds desquelles brillaient chaque soir des bougies allumées12. Elles devaient surtout rappeler à tous le rôle de la puissante protection mariale pour eux-mêmes et l’ensemble de la cité. Ainsi le fervent Jean Vincart, en évoquant les exemples d’Aire-surla-Lys et de Lille où chacun, affirme-t-il, semble avoir fixé une image de la Vierge sur sa demeure, rappelle que les maisons arborant des images de la Vierge bénéficient de sa protection : Et l’ombre de la Vierge peut préserver les siens. Ne voyez-vous pas que Lille distingue ses portes par des marques ? La pieuse Aire a aussi instruit les siens. Pour les uns, la Vierge de la Treille ; pour les autres, celle de la Panetière. La Vierge protège d’un côté et de l’autre les demeures marquées. [en note] Les habitants de Lille et de Aire ont en effet une image de la Mère de Dieu fixée aux portes de leurs maisons ; ceux-là vénèrent pour Patronne Notre-Dame de la Treille, ceux-ci Notre-Dame de la Panetière13.

L’habitant des cités flamandes entretient donc une intimité quotidienne avec la Vierge et les saints au sein d’un théâtre urbain où ceux-ci s’affichent en nombre. Ses activités tant publiques que privées se déroulent sous l’œil de ces statues de pierre. Tous ses gestes ont comme témoins, à un moment ou l’autre, les représentants de la cour céleste menés par la

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Entre autres exemples, à Douai, rue des Wes, à côté du marché, un vieil édifice arborait une statue de la Vierge célèbre pour ses miracles et à laquelle Jules II a concédé une série d’indulgences (J. Buzelin, Gallo-Flandria sacra et profana…, op. cit., p. 275). 10 Ainsi à Anvers, cette statue de la Vierge installée par les pères de la Compagnie au-dessus d’un bas-relief priapique attirant les jeunes filles en quête de fécondité (A. Thyssen, Antwerpen vermaard door den Eeredienst van Maria…, op. cit., p. 145-146. L’A. se fonde sur les notes d’un notaire du nom de Fr. Ketgen (1567-1640)). 11 À Anvers, une statue de la Vierge fut installée au xviie siècle au sommet d’une fontaine érigée sur le Marché aux poissons ou Vismarkt (Rudi Mannaerts, De artistieke expressie van de mariale devotie der Jezuïeten te Antwerpen (1562-1773), mémoire de licence inédit, Katholieke Universiteit van Leuven, Histoire de l’art et archéologie, 1983, p. 330-331). 12 Martin Geldolphe vander Buecken, Wonderen bystandt van de alder-heylighste maeght ende moeder Godts Maria, bethoont aen haere getrouwe dienaers in de vermaerde collegiaele ende parochiaele hooftkercke van den heyligen Petrus binnen Loven, hooft-stadt van Brabant, Louvain, Théodore C.J. de de Zangre, 1757, p. 54. 13 « Et servare suos Virginis umbra potest. / Aspice ut inscriptas discriminat Insula valvas? / Instruit ut cives Aria sancta suos. / Cancellata illis, illis Panaria ; servat / Utraque signatos sospita Diva lares. [En note] Insulenses & Arienses ostis domarum affixam habent Deiparae imaginem : & illi quidem Cancellatam, hi Panariam, quos pro patrona venerantur » (Jean Vincart, De cultu Deiparae, Lille, Nicolas De Rache, 1648, p.125). Nous traduisons.

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figure dominante de la Vierge. L’invasion des saints et singulièrement du personnage marial dans le décor quotidien des individus permet manifestement à chacun de renforcer son bien-être sécuritaire – face à la maladie, au scandale, aux grands et petits crimes dont la rue peu sûre est le cadre – et animer sa conviction d’une protection mariale tout à la fois particulière et collective. Ces statues présentent une charge émotionnelle forte et sont des référents symboliques précieux pour la population. Par ailleurs, leur omniprésence donne au corps matériel de la cité une légitimité sacrée. La ville n’est plus seulement un ensemble complexe de rues, places et venelles, une structure tridimensionnelle de poutres, pierres, torchis et terre. Sa matière est animée d’une présence spirituelle dont tous font l’expérience. Ce réseau iconographique détermine et dynamise l’espace qui l’accueille. Il participe dès lors au processus de construction identitaire de la cité flamande, ville résolument catholique protégée par la Vierge. On ne peut donc plus voir ces images uniquement comme des « signes » de dévotion. Elles sont aussi des « moteurs » de définition des identités. Elles contiennent en elles-mêmes la double fonction de cause et de résultante. Tout en affichant la catholicité du lieu et celle de la communauté qui le peuple, elles contribuent à sa constante construction.

Les bâtiments publics De cette nébuleuse mariale, installée dans les rues de la cité sans qu’on sache précisément la cerner, il est possible toutefois d’extraire et de mettre en lumière quelques cas riches d’enseignement. Si les « Madones du coin de la rue » ont en effet pour rôle général et diffus d’assurer le passant de sa sécurité quotidienne et de le convaincre de la protection mariale sur la ville, certaines d’entre elles, installées sur des bâtiments publics, lieux de pouvoir et de décision, se voient attribuer une fonction plus spécifique : elles deviennent les garantes des autorités que ces lieux abritent et soutiennent l’obligation de protection que celles-ci doivent à leurs citoyens. Le début de l’époque moderne avait vu fleurir ces statues sur les bâtiments civils, sièges des autorités communales. Ainsi, à Anvers, la porte d’entrée de la première maison des échevins est surmontée au début du xve siècle d’une Vierge que d’aucuns considéraient comme la Patronne de la cité14. À la même époque, l’hôtel de ville de Louvain, édifice de la justice et de l’administration urbaines, est érigé sous la direction de Mattheus de Layens en face de l’église Saint-Pierre. La flamboyante façade gothique est rythmée par deux cent nonante et une niches destinées à accueillir autant de statues. Indépendante de ces niches,

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La première « maison des échevins » anversoise est construite au début du xve siècle. Elle est démolie et remplacée par un nouvel hôtel de ville au siècle suivant (voir plus loin). Pour une représentation de la statue mariale qui ornait ce bâtiment civique avant son agrandissement, il faut se référer à l’unique témoignage pictural que nous possédons encore, un tableau de Gillis Mostaert († 1598), peintre de cour de Marguerite de Parme, Een passiespel op de Grote Markt te Antwerpen, huile/bois, 124 x 154 cm, ca. 1550-1560, Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten.

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une statue supplémentaire représentant la Vierge Marie est installée sur le linteau de la porte d’entrée 15. La tradition fera d’elle le guide de la justice exercée dans la maison civique16. Ailleurs, à Bruges, une Vierge assise tenant son Fils dans ses bras surplombe depuis le premier quart du xvie siècle le portail et le balcon du beffroi d’où se faisaient les proclamations officielles17. Cette Vierge imposante, définitivement installée sur un monument personnifiant les libertés municipales, est exposée au regard de toute personne qui observe le bâtiment depuis la grand-place et doit valider, par sa position dominante, les décisions publiques annoncées. Avec l’élévation de la Vierge sur ces façades, l’on assiste donc à la rencontre de deux symboles. Marie incarne le signe de la faveur divine, les façades de ces bâtiments affirment la force de la collectivité bourgeoise. Leur superposition physique fait s’enchevêtrer leurs significations respectives. Aussi la présence de Marie en ces lieux est-elle l’expression évocatrice de sa protection efficace sur la communauté des citoyens. À Anvers, à la suite des tumultes de la révolte des Gueux de la fin du xvie siècle, semble naître la nécessité de se réapproprier le procédé tout en lui imprimant une dimension nouvelle. L’affirmation de la réalité de la protection mariale sur la communauté bourgeoise se doublera alors de l’exaltation d’un catholicisme conquérant. Ainsi, en juillet 1586, la jeune sodalité mariale anversoise de l’Annonciation, fondée par le père François Coster immédiatement après la reddition de la ville à Alexandre Farnèse, envoie au Magistrat un libelle lui demandant la permission de remplacer à ses frais, sur la façade de l’hôtel de ville, une gigantesque statue appartenant au patrimoine profane par une statue de la Vierge18. Le colosse en question était un personnage bien connu de la tradition anversoise : il s’agissait du légendaire Romain Brabo, considéré comme le fondateur du Brabant et la personnification des libertés du duché pour avoir terrassé un géant du nom de Druon Antigon qui rançonnait et terrorisait la ville d’Anvers. Sa statue avait été installée au milieu des années 1560 sur la

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Les restaurations du xviiie siècle ont changé la configuration des lieux : une image de saint Pierre a pris la place de la Vierge tandis qu’une statue mariale a été installée sur le linteau d’une seconde porte creusée à la droite de la porte initiale (Michiel Heirman et Jan Staes, Het stadhuis van Leuven, Thielt, Lannoo, 1997, p. 35). 16 « Voeght hier by, dat van oudts op het Sadt-huys gebouwt in’t iaer 1450, het Beldt van Maria is gestelt in de Rechts-plaetse, als Voorsittersse ende den Spiegel der Rechtveerdigheyt » (M. G. vander Buecken, Wonderen bystandt van de alder-heylighste maeght ende moeder Godts Maria…, op. cit., p. 54). Nous soulignons. 17 Les halles et le beffroi brugeois connaissent différentes modifications au début du xvie siècle parmi lesquelles l’installation en 1525-1527 d’une statue monumentale de la Vierge, exécutée par Cornélis et Rogiers de Smet (Valentin Vermeersch, Bruges. Mille ans d’art. De l’époque carolingienne au néo-gothique (875-1875), Anvers, Fonds Mercator, 1981, p. 224-225). 18 R.A., Fl.-Belg., vol. 1, p. 22, Annuae litterae Provinciae Belgicae Anni 1587. Daniel Papebroch († 1714), dans les annales d’Anvers qu’il rédige au cours des dernières années de sa vie à partir de documents patiemment rassemblés, fait l’histoire de l’installation de la statue (Daniel Papebroch, Annales Antverpienses ab urbe condita ad annum MDCC collecti ex ipsius civitatis monumentis publicis privatisque latinae ac patriae linguae, F. H. Mertens et E. Buschmann (éds), t. IV, Anvers, J. E. Buschmann, 1847, p. 226). – R. Mannaerts, dans un mémoire inédit défendu à l’université de Leuven, a réalisé une bonne étude de cette installation (R. Mannaerts, De artistieke expressie…, op. cit., p. 322-328). Voir également Holm Bevers, Das Rathaus van Antwerpen (1561-1565). Architektur und Figurenprogramm, Hildesheim, Georg Olms Verlag, 1985.

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façade (Figure 2)19, lors d’un agrandissement de la maison civile au cours duquel il n’avait pas été jugé nécessaire de remettre en place la statue mariale qui surmontait la porte principale de l’ancien bâtiment. Certains en vinrent donc à estimer que Brabo avait usurpé la place destinée à la Vierge et était, à ce titre, la cause des malheurs de la ville devenue calviniste et le lieu de déchaînements iconoclastes. Jan Boch20, secrétaire de la ville d’Anvers au moment de la réclamation de la sodalité et auteur d’un long poème à la gloire de la nouvelle statue mariale, donne d’ailleurs à la représentation de Brabo des traits féroces, épouvantant les esprits et attisant la fureur21. Les Litterae annuae de 1587 soulignent d’autre part combien étaient nombreux ceux qui observaient que « tout, tant du domaine public que privé, s’effondrait dans les tourments22 » depuis que le géant de marbre ornait le centre névralgique des décisions publiques. Les membres de la sodalité anversoise décident donc, pour le remplacer, de faire sculpter une statue de la Vierge de très grande taille. Celle-ci est bénite dans le collège de la Compagnie par le père François Coster, provincial et fondateur de la sodalité, le 22 février 1587. L’imposante statue de Brabo est enlevée et installée sur l’Escaut, au-dessus la porte du chantier naval, tandis que la Vierge est élevée à sa place dans la niche supérieure de l’avant-corps (Figure 3) mais recouverte aussitôt d’un voile en attendant le jour officiel de sa consécration23. Le collège donne alors une pièce de théâtre mettant en scène les lamentations de la ville d’Anvers sur son bonheur perdu depuis le remplacement de la statue de la Vierge par l’effigie de Brabo et affirmant la nécessité de renverser ce dernier pour rendre à Marie son honneur24. Le 7 avril ont lieu les plus importantes cérémonies. Le doyen de la cathédrale et préfet de la sodalité, le père Pardo, chante la messe dans l’église jésuite et le père François Coster

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L’ancienne « maison des échevins » a alors été remplacée par un hôtel de ville plus majestueux dans le style des palais de la Renaissance italienne sur les plans d’un architecte dont le nom reste inconnu. La première pierre fut posée en novembre 1560 et l’inauguration eut lieu en février 1565 (Jan Lampo, L'hôtel de ville d'Anvers, Bruxelles, Crédit Communal de Belgique, 1993, p. 16 (= Coll. Musea Nostra, 29)). Pour une représentation de l’hôtel de ville orné de la statue de Brabo, voir la gravure de Lodovico Guicciardini, Description de tout le Païs-Bas autrement dict la Germanie inférieure ou basse Allemaigne, Anvers, Guillaume Sylvius, 1567 (Figure 2). Dans les niches inférieures ont été exposées les statues de la Justice et de la Prudence ; au centre les armes de Philippe II ; de part et d’autre, les armes du Brabant et du Margraviat d’Anvers. 20 Le poète Jan Boch (1555-1609) fit le panégyrique de la reddition d’Anvers à Alexandre Farnèse en 1585 dans ses Panegyrici in Antverpiam sibi et regi obsidione restitutam, Anvers, imprimerie Plantin, 1587. Il obtint alors du prince le poste de secrétaire de la ville, chargé de la correspondance publique du Magistrat et de la préparation des importantes solennités (F. Vander Haeghen, Bibliotheca Belgica…, op. cit., t. I, p. 304-305). 21 « Heu quibus illa minis animos, quibus illa colones // terruit auspiciis, & prona in verbera dextra // effigies mucrone ferox : memor altera caedis // est manus, iratusque fremit sub casside vultus » : ce poème de Boch est édité par François Sweerts, Monumenta sepulcralia et inscriptiones publicae privataeque Ducatus Brabantiae, Anvers, Gaspard Bellère, 1613, p. 45 et recopié dans les annales de D. Papebroch, Annales Antverpienses…, op. cit., p. 229-232. 22 « Sed cum observassent plerique ex eo tempore in penis publice, privatimque ruisse cuncta » (R.A., Fl.-Belg., vol. 1, p. 22, Annuae litterae Provinciae Belgicae Anni 1587). 23 D. Papebroch, Annales Antverpienses…, op. cit., p. 227 ; Jean Bolland, Godefridus Henschenius, Sidronius de Hossche et Jacques van de Walle, Imago primi saeculi Societatis Iesu a Provincia Flandro-Belgica eiusdem Societatis repraesentata, Anvers, imprimerie Plantin, Balthasar Moretus, 1640, p. 778. 24 D. Papebroch, Annales Antverpienses…, op. cit., p. 228.

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Figure 2 : La façade de l’hôtel de ville anversois rénové, surmontée de la statue du Romain Brabo. – Gravure anonyme, 300 x 550 mm, publiée par L. Guicciardini, Description de tout le Païs-Bas autrement dict la Germanie inférieure ou basse Allemaigne, in-2, Anvers, Guillaume Sylvius, 1567. © ULg-BGPhL-CICB : XXIII.2.3. Photo de l’auteur.

Figure 3 : L’actuelle façade de l’hôtel de ville anversois, ornée de la statue de la Vierge depuis 1587. Photo de l’auteur.

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bénit une couronne et un sceptre spécialement fabriqués pour la statue. Les attributs sont ensuite posés sur un char triomphal, au pied d’une jeune fille, allégorie de la ville d’Anvers, et transportés solennellement entre les rangs des métiers qui avaient participé au financement de la statue, se déployant en armes tout le long du trajet. À l’hôtel de ville, où attend le Magistrat, la couronne puis le sceptre sont hissés jusqu’au sommet de la façade et fixés sur la nouvelle statue. Les métiers tirent des coups de feu pour exprimer leur joie et trois pères jésuites prêchent les louanges de la Mère de Dieu comme patronne de la cité. François Coster, dans la dédicace du De cantico Salve Regina qu’il adresse à ladite sodalité, fait de l’installation de la statue mariale une expression de la reconnaissance et de la vénération par Anvers à l’égard de la Vierge comme « Maîtresse, Patronne & Avocate25 » (Figure 4) et une occasion, pour la ville, de « s’opposer, par la faveur mariale, aux entreprises des hérétiques, briser leurs élans et nettoyer des erreurs scélérates [leur] Figure 4 : Vierge surmontant la République célèbre sur toute la terre26 ». L’humeur façade de l’hôtel de ville d’Anvers. – changeante des conditions climatiques du jour est Gravure anonyme, 95 x 57 mm, puégalement réinterprétée en ce sens. Les jésuites, et à leur bliée par François Coster, De Cantico Salve Regina septem meditasuite les nombreux rapporteurs de l’événement, tiones, in-16, Anvers, imprimerie affirment en effet qu’en ce jour de procession, le ciel fut Plantin, 1587. - © ULg-BGPhLdéchiré par une pluie violente à la grande joie des CICB : 012564A. Photo de l’auteur. calvinistes présents dans la ville pour qui cette cérémonie n’était que superstition et idolâtrie, condamnées par la voix du ciel27. Mais le récit veut également que la sortie de la Vierge fit se calmer les intempéries et revenir le soleil, preuve éclatante de la faveur divine pour l’entreprise et désapprobation

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« Agnouit, recepit, venerata est Dominam, Patronam & Advocatam suam » (François Coster, De Cantico Salve Regina septem meditationes, Anvers, imprimerie Plantin, 1587, p. 19). M. Jean-Louis Kupper nous fait judicieusement remarquer que le terme advocata pourrait être traduit par « avouée » afin de mieux démontrer le caractère protecteur de la Vierge. Au xviie siècle, le français emploie largement le terme « avocate » pour louer la Mère de Dieu. Nous maintiendrons donc cette traduction, plus fidèle à l’usage. 26 « Eiusdem Virginis favore pergite haereticorum conatibus obstitere, & frangere impetus, vestramque Rempublicam toto terrarum orbe celebrem, a sceleratis erroribus repurgare » (Ibidem). 27 Litterae Sodalitatis Iesu duorum annorum mdlxxxvi et mdlxxxvii, Rome, 1589, p. 327. Cette compilation réalisée par le jésuite Francesco Benci de l’ensemble des lettres annuelles envoyées à Rome par les différentes provinces sera largement utilisée par les nombreux écrivains qui voudront faire l’histoire de l’événement. Ils reprendront tous ce récit sur le miracle climatique offert par la Vierge aux catholiques pour leur prouver son soutien (F. de Locre, Maria augusta virgo deipara…, op. cit., p. 111 ; A. de Balinghem, Ephemeris seu kalendarium…, op. cit., p. 150 ; G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae Virginis Mariae novissimum…, op. cit., vol. 1, f. 150).

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des médisants. La Vierge érigée au sommet de la façade sénatoriale est donc proclamée garante officielle de l’unité catholique dans la cité d’Anvers au détriment de la présence protestante. Exposée au regard de tous, dominant triomphalement la place principale et entremêlant étroitement son image à celle du pouvoir municipal, elle devient un efficace instrument de protection de la cité et valide un ordre politique qui exclut les réformés et se fonde sur une expression triomphale du catholicisme. Jan Boch l’exalte alors comme « Palladium inviolable » qui protégera la cité des guerres, deuils, machinations et destins adverses28. On remarquera, une nouvelle fois, la forte intervention jésuite dans la construction d’une figure mariale de protection publique par des procédés emphatiques. Il faut impressionner, marquer les esprits et forcer la démonstration de puissance : la Vierge qu’ils donnent à voir n’est pas une Vierge de douceur mais revêt, au contraire, par le sceptre et la couronne, les attributs du pouvoir. Donner à voir : voilà déjà un art dans lequel les pères jésuites excellaient lorsqu’il s’agissait d’ériger arcs de triomphe et scènes de théâtres sur lesquels leurs élèves multipliaient les représentations qui exaltaient la Vierge. L’entreprise est ici la même : rendre publique l’image d’une Vierge forte, imposer hors des églises, au cœur du milieu urbain – leur terrain de prédilection – la présence constante de Marie. Le livre VI du célèbre Imago primi saeculi Societatis Iesu, qui fête sous la direction de Jean Bolland le centième anniversaire de la Compagnie et spécialement de la province FlandroBelgique, souligne d’ailleurs, mettant singulièrement en exergue l’exemple anversois, comment la Compagnie a toujours veillé à ce que « des statues de la Vierge soient installées sur les places et les lieux publics29 ». La Vierge doit s’afficher dans l’espace urbain. Durablement et triomphalement. Elle voit par ailleurs sa présence renforcée à Anvers par l’action de la Société de Jésus qui la dédouble véritablement en décidant d’installer en 1621 une autre statue de Marie au tympan de sa nouvelle – et somptueusement baroque – église (Figure 5), à quelques rues de l’hôtel de ville. Tenant l’Enfant dans ses bras, la Vierge est assise, majestueuse, sur un siège encadré de courtines dorées retenues par des anges. La scène, très théâtrale, doit créer un dialogue marial par-dessus les toits, comme en témoigne la lettre annuelle de la maison professe… Et ensuite, il remplit tout le tympan du sommet [de la façade] avec […], au milieu, pleine de majesté avec sa couronne dorée, la très insigne et très auguste Reine du ciel embrassant Jésus son enfant, dirigeant son regard vers une autre elle-même, si je peux dire, c’est-à-dire vers une autre statue d’elle-même, située au plus haut sommet de la maison des échevins, qu’elle salue par-dessus les sommets des maisons qui les séparent d’une distance de cent coudées30.

28 « Illa semel bellis et luctibus urbe fugatis // Palladium cunctis erit inviolabile seculis : // nequeat adverso turbari Antverpia fato // amplius, infestique premi respublica telis, // quamdiu virgineos non praetermittet honores » (Jan Boch cité par Fr. Sweerts, Op. cit., p. 47). Nous soulignons. 29 « Praeter has [les statues mariales] in Collegiorum templis, alias quoque in plateis locisque publicis poni curauit Societas ; quarum facile princeps quae Antuerpiensem Curiam servat » (J. Bolland, G. Henschenius, S. de Hossche, J. van de Walle, Imago primi saeculi Societatis Iesu…, op. cit., 1640, p. 778). Nous soulignons. 30 « Denique totum fastigii tympanium implet conopaerum limbis inauratis, hinc & inde Angelicorum ministerio diductis cortinis in cuius medio plena maiestatis aureoque diademate insignis sed & augustissima caeli Regina puerum Jesum suum complexa, oculos conjiciens in alteram se, ut ita dicam, id est in alteram sui statuam

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Figure 5 : La façade de l’église Saint-Ignace de la Compagnie de Jésus à Anvers surmontée par la Vierge. – Renier Blokhuysen, gravure, 510 x 430 mm, publiée dans Antoine Sanderus, Chorographia sacra Brabantiae, vol. 3, in-2, Bruxelles, Philippe Vleugaert, 1727 (rééd.). - © ULg-BGPhL-CICB : 900003D. Photo de l’auteur.

La construction de la nouvelle église dessinée par les pères François de Aguilón et Pieter Huyssens répondait à un besoin fonctionnel : l’exigeante activité pastorale des pères anversois nécessitait l’érection de tels lieux pour y distribuer les communions, entendre les confessions, organiser les leçons de catéchisme et célébrer d’importantes solennités. Cette église, cependant, est également une réalisation toute politique. La Compagnie voulait s’implanter fermement dans la cité et démontrer, au moins symboliquement, ses liens avec

in summo cacumine palatii senatorum collocatam quam per interiecta aedium fastigia aliquot centenum cubitorum interuallo salutat » (R.A., Fl.-Belg., vol. 3, p. 10, Litterae annuae anni MDCXXI Provincia Flandrobelgica). Nous traduisons. – Pour une représentation de la façade de l’église jésuite surmontée de la statue de la Vierge, voir Antoine Sanderus, Domus professa Societatis Jesu Antverpiae, brevi descriptione chorographica, Bruxelles, Philippe Vleugaert, [1663] dans Chorographia sacra Brabantiae…, op. cit., vol. 3, p. 12. On notera que l’église prit la titulature de Saint-Charles-Borromée lors de la suppression de l’ordre.

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les autorités de la ville. C’est chose faite avec sa nouvelle église. Celle-ci est proche des lieux où se réunit le Magistrat. Plus encore, le programme iconographique de sa façade ne se contente pas de proclamer la gloire de la Compagnie à l’intention de celui qui pénètre dans les lieux : il ouvre également l’église vers la cité et crée une manifeste connexion avec l’hôtel de ville par le biais des deux statues mariales. Il s’agit là d’une stratégie de communication publique où la Vierge joue un rôle fondamental. Elle assure sinon une fusion du moins une association entre jésuites et échevins tout en dominant la ville depuis ses hauteurs. L’affichage de la Vierge sur des bâtiments publics montre comment elle a été utilisée dans un type bien défini de scénario maîtrisé par les autorités municipales : légitimer leur pouvoir et forcer ainsi à l’union civique derrière la double figure de l’autorité temporelle et de la Vierge. Marie est, par ailleurs, clairement mobilisée dans le discours comme un instrument ordonnant le chaos, comme fondement d’un ordre public renouvelé et réaffirmé. À Anvers, son absence fait croire à l’effondrement de toute chose et au déchaînement des tourments. Associée physiquement aux instances politiques censées assurer l’ordre dans les provinces, la Vierge est la garante de la stabilité du cadre de vie de la communauté civile. Du repère quotidien qu’elle est au coin de la rue, elle devient, sur l’hôtel de ville, le symbole de l’assurance du repos public dans le pays.

Les murailles de la ville La présence de la Vierge dans l’espace public doit donc inspirer le sentiment d’une puissante protection et superposer ainsi aux remparts réels et visibles de la cité une fortification spirituelle et invisible. Cette conviction que la Vierge offre une défense active aux habitants est renforcée par des initiatives ponctuelles affichant ostensiblement ses statues sur les murailles de l’une ou l’autre ville. Cet affichage peut être éphémère. Ainsi, à Saint-Omer, lorsqu’en 1635 les Français menacent la ville, les jésuites sont chargés par le Magistrat de renforcer une partie faible des remparts en érigeant avec leurs élèves une fortification à laquelle il donne le nom de SaintIgnace31. Les élèves y apportent en grandes pompes une enseigne de bronze marquée de part et d’autre de l’effigie du saint fondateur de la Compagnie. Ils y installent également les statues de la Vierge, du même Ignace et de François-Xavier. Un sermon est prononcé par un père du collège dans le but d’entretenir l’espoir des habitants en l’aide efficace de ces saints et de la Vierge dont les hautes qualités protectrices sont proclamées. L’inscription de la Vierge dans les murailles, toutefois, est le plus souvent monumentale et durable. À Lille, une image de la Vierge est peinte sur la porte de Saint-Pierre avec l’inscription « Soyez, Mère et fille de Dieu / La Sauvegarde de ce lieu32 ». La Vierge s’affiche également sur les portes de l’enceinte bruxelloise. Sous le règne de l’archiduchesse Isabelle, les portes de Laeken et du Rivage, à partir desquelles s’élance un double chemin de part et d’autre de la Senne vers le sanctuaire

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A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 33, f. 173v°, Supplementum Historiae collegii Societatis Iesu Audomari ab anno 1634. Alain Lottin, Lille, citadelle de la Contre-Réforme ?, Dunkerque, Westhoek Éditions, 1984, p. 269.

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marial de Laeken, accueillent toutes deux une copie de la statue de la Vierge honorée dans ce lieu sacré33. À Louvain, un congréganiste commémore l’échec des alliés franco-hollandais devant la ville en 1635 par l’érection, en 1643, d’une statue de la Mère de Dieu sur la porte dite de Bruxelles ou porte des Vignobles, à l’ouest de la cité, accompagnée du chronogramme aVXILIVM LoVanIo Virgo DeIpara34, rappelant à la fois l’année du siège et le victorieux soutien attribué à Marie35. Il choisit explicitement un lieu très fréquenté et visible de loin36. En 1735, à l’occasion du centième anniversaire de la victoire de la ville, est ajoutée l’inscription chronographique suivante au bas de la statue : MarIa VVILt LoVen beWaeren / geLIIK aLs oVer honDert Jaeren37, ce qui signifie « Marie veut conserver Louvain, comme il y a cent ans ». La porte, construction imposante formée de deux tours circulaires reliées par une courtine, est partiellement détruite en 1806 puis totalement en 182438. La statue mariale, cependant, a été conservée et léguée en 1938 au musée communal de Leuven. Haute de nonante centimètres, en pierre jaune d’Avesnes-le-Sec sur laquelle demeurent quelques traces de polychromie, elle porte sur son bras gauche l’enfant Jésus tenant un livre grand ouvert et n’arbore aucun signe de victoire ou de force39. En réalité, elle n’était pas initialement destinée à orner la muraille. Probablement sculptée au sein d’un atelier louvaniste dans le second quart du xve siècle, elle devait, vu son dos à peine travaillé, être originellement installée dans une autre niche aménagée dans une des rues ou cours privées de la cité. Le congréganiste s’est contenté de la déplacer. Ce n’est donc pas l’iconographie propre de la sculpture qui est ici signifiante mais bien l’utilisation que l’on a faite de l’objet. Sa seule installation sur les murs de la ville, sans attributs d’une quelconque puissance mais accompagnée de l’affirmation de ses qualités protectrices, devait suffire à présenter la Vierge comme gardienne de Louvain. À Luxembourg, au contraire, on veillera à marquer symboliquement sa supériorité. Lorsque la ville célèbre en 1668 l’aval donné par la

33 « Geminum iter, quod a porta vulgari ter Lacensi dicta, Zennae ripis imposita, et altera aquaeductus vernacule (ambae Virginis statuas Lacensis sustinent) eo ducit » (J. A. Gurnez, Laca bruxellense…, op. cit., 1647, p. 266). 34 A.R.S.I., Fl.-Belg., vol. 57, p. 400, Provincia Flandro-Belgica 1643. Le rôle marial dans la victoire louvaniste est rapidement évoqué par Nicolas Vernulaeus, Triumphus Lovaniensium ob solutam urbis suae obsidionem per recessum duorum potentissimorum exercituum, christianissimi Franciae regis, & foederatorum Belgii ordinum, Louvain, Philippe Dormael et Jacques Zegers, 1635, f. a1r° qui chante la Vierge comme « Haereticorum Debellatrici / urbis Lovaniensis protectrici ». 35 Très en vogue dans les Pays-Bas méridionaux, les chronogrammes sont des inscriptions dont une partie des lettres correspondent à des chiffres romains. L’addition de ces chiffres permet d’obtenir la date de l’événement que l’inscription célèbre. Dans ce cas précis, l’addition des chiffres (V+X+I+L+I+V+M +L+V+I+V+D+I) donne la date 1635, année de l’attaque de Louvain par les armées françaises et hollandaises. 36 « In porta Bruxellensi, qua frequentissimus in urbem introitus est, loco procul conspicuo » (A.R.S.I., Fl.-Belg., vol. 57, p. 400, Provincia Flandro-Belgica 1643). 37 M. G. vander Buecken, Wonderen bystandt van de alder-heylighste maeght ende moeder Godts Maria…, op. cit., p. 53-54. 38 Edward van Even, Louvain monumental ou description historique et artistique de tous les édifices civils et religieux de la dite ville, Louvain, Auguste Fonteyn, 1860, p. 67 ainsi que, du même, Louvain dans le passé et dans le présent, Louvain, Auguste Fonteyn, 1895, p. 149. 39 [Atelier de Louvain], pierre d’Avesnes, 90 cm, 2nd ¼ du xve siècle, Leuven, Musée communal vander KelenMertens, inv. n° C/77. – La statue a été fortement restaurée en 1969.

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Congrégation des Rites à l’élection officielle de Notre-Dame Consolatrice des Affligés comme Patronne et Protectrice perpétuelle, le Magistrat, par un décret officiel, dresse aux portes de la localité une copie de la Vierge honorée dans la chapelle jésuite. En pierre dure, recouverte d’or, plus grande que l’originale mais portant les mêmes habits, elle doit, elle, « dominer la cité40 ». Quiconque entrait dans ces villes était donc averti de l’assistance qu’offrait à leurs habitants la Vierge protectrice. Par ailleurs, ces représentations iconiques tangibles sur les murailles et portes fortifiées devaient clamer haut et fort le statut de parthenopolis de ces cités, véritables « villes de la Vierge » si l’on reprend le trait rhétorique du rédacteur des Litterae annuae de la province jésuite gallo-belge pour l’année 166141. Celui-ci conclut par cette expression éloquente sa description de l’installation en grandes pompes d’une statue mariale sur les murailles de Namur. Cette installation faisait suite au vœu public prononcé par l’ensemble des habitants – prêtres séculiers, religieux, Magistrat et Conseil royal – de défendre le mystère de l’Immaculée Conception. La statue devait être la preuve matérielle de ce serment, inscrite dans la chair même de la ville et visible de tous dans un lieu susceptible d’une importante fréquentation. Il est donc décidé de la dresser sur ses murailles mêmes, derrière le jardin du couvent des Croisiers afin que, selon le chroniqueur jésuite, tous comprennent quelle était cette cité : une cité dont les premiers habitants ont fondé une des plus anciennes églises vouées à la Vierge dans les Pays-Bas, une cité dont les actuels citoyens ont choisi, en écho à la fondation de leurs ancêtres, de défendre et propager l’honneur de la Mère de Dieu42. Installations éphémères ou expositions durables dans l’espace public font sortir la Vierge de ses traditionnelles chapelles et lui offrent la rue comme oratoire. Elles invitent Marie à investir l’espace public et à en faire son espace propre. Edward Muir qualifie ce phénomène de « langage iconique ». Il voit en lui un moyen de diffuser le spirituel dans la banalité du milieu urbain et d’ériger l’espace public en théâtre du sacré43. Le phénomène n’est pas neuf et hérite d’une longue tradition urbaine, médiévale et renaissante. Cette stratégie iconique ne retient donc pas notre attention pour sa nouveauté mais pour son sens. Les repères ainsi affichés vivifient en effet dans l’imaginaire des habitants le sentiment d’une réalité mariale au cœur même de la vie publique et renforcent, dans un effort stratégique symbolique, son rôle de protectrice sur la communauté civile.

40 « Omiseram dicere statuam alteram Divae V[irginis] maiorem, e saxo solido, auro passim illusam, ad forma habituque nostrae illius, portas civitatis, decreto et civici Magistratus, impositam fuisse, civitati dominaturam scilicet » (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 37, f. 213r°, Fructus Missionis Luxemburgensis anno 1669). Nous soulignons. 41 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 37, f. 19, Litterae annuae Gallo-Belgicae Provinciae Anni 1661. 42 Il s’agit là des débuts du culte à Notre-Dame des Remparts. Un premier sanctuaire sera érigé en 1735 puis remplacé en 1806 et finalement détruit lors du démantèlement des remparts à partir de 1860. Il sera alors déplacé dans un lieu appelé « Rempart de la Vierge » lors d’un congrès marial tenu à Namur en 1904 (Patrimoine monumental de la Belgique, t. V (Namur), vol. 2, 1975, p. 594). 43 E. Muir, « The Virgin on the Street Corner… », op. cit.

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Par ailleurs, les icônes de la Vierge qui s’affichent en contexte urbain ont également la qualité d’imprimer une dynamique au processus continu de construction des identités sociales et civiques sans cesse incitées à évoluer et se réajuster. La présence mariale dans les rues exerce une pression constante sur la communauté civile car elle est non seulement une invitation permanente à la piété catholique, ciment de l’union des provinces méridionales, mais également, quand elle se superpose physiquement à des lieux de pouvoir ou s’affiche sur les fortifications, une exhortation au respect de l’autorité et de l’ordre civil. Elle devient donc un outil efficace dans la politique stratégique que mènent les autorités, soutenues essentiellement par la Compagnie de Jésus. Pouvoirs temporels et spirituels collaborent et utilisent la figure sacrée de Marie à des fins politiques : cette dernière sanctionne leurs initiatives et responsabilités en même temps qu’elle les soutient dans le perpétuel maintien de l’union civique.

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Ferveur et ostentation habsbourgeoises Par une reconstruction spatio-temporelle et par de vives proclamations cérémonielles, les Pays-Bas sont définis comme terres mariales où triomphe un catholicisme réformé qui fait la part belle à la figure conquérante de la Vierge. Le pays, en tout ou en partie, se voit alors attribuer une puissante protectrice dont la présence devient un véritable marqueur identitaire. Cette protectrice commune, l’histoire partagée qu’elle préside, l’espace collectif qu’elle empreint visiblement permettent en effet de définir un « nous », à la fois catholique et civil, énoncé comme marial : la dévotion à la Vierge devient un argument de la communauté de l’ensemble des citoyens. La Vierge investit le champ civil et offre ses traditionnelles fonctions de protection aux espaces institutionnels des Pays-Bas catholiques, qu’il s’agisse des villes, provinces ou de l’ensemble du pays. Cette étroite imbrication entre dévotion et politique que favorisent certains aspects de la dévotion à la Vierge sera singulièrement dynamisée par le pouvoir central des Pays-Bas, installé à Bruxelles. Celui-ci comprend l’intérêt qu’il y a à imprimer à ce culte marial, amplement partagé, un caractère très nettement politique pour asseoir sa domination sur des provinces largement autonomes et particularistes. Il s’empare dès lors du personnage de Marie pour surimposer à la certitude que le pays est « marial », la conviction qu’il est en même temps « habsbourgeois ». Les archiducs Albert et Isabelle, d’abord, les gouverneurs généraux délégués par la Couronne d’Espagne, ensuite, se coulent dans le moule du parfait prince chrétien défini par la pensée politique de la Réforme catholique. Ils utilisent alors la religion, et en l’espèce, le culte marial, comme fondement de l’ordre et de la paix nécessaires à la stabilité et à l’unité de leur État.

La pietas austriaca En 1959, dans une courte étude devenue célèbre, Anna Coreth s’attachait à étudier la naissance et le développement de la piété baroque en Autriche1. Elle montrait comment,

1 Anna Coreth, « Pietas austriaca ». Ursprung und Entwicklung barocker Frömmigkeit in Österreich, Vienne, Verlag für Geschichte und Politik, 1959 (rééd. 1982). – Jean Bérenger a contribué à rendre ce petit ouvrage accessible au public francophone en en faisant un large résumé dans l’article « Pietas austriaca. Contribution à l’étude de la sensibilité religieuse des Habsbourg », dans J.-P. Bardet et M. Foisil (éds), La vie, la mort, la foi, le temps. Mélanges offerts à Pierre Chaunu, Paris, P.U.F., 1993, p. 403-421. À ce sujet, voir également Franz Matsche, Die Kunst im Dienst der Staatsidee Kaiser Karls VI. Ikonographie, Ikonologie und Programmatik des « Kaiserstils », 2 vol., Berlin-New York, Walter de Gruyter, 1981.

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depuis Rodolphe Ier, la dynastie des Habsbourg avait exploité comme assise de sa souveraineté une piété intensément visible articulée autour d’un triple axe : adoration du Christ, dévotion mariale et vénération de quelques saints nationaux. La prédilection habsbourgeoise pour ces trois composantes, également appelée pietas austriaca, dynamise et soutient la politique dynastique même après la division administrative et politique du patrimoine territorial entre Madrid et Vienne. Les Habsbourg optent alors pour une extériorisation fastueuse du catholicisme réformé et affichent avec théâtralité une piété définie comme instrument à part entière de leur politique. Ce choix politique fondamental et décisif est d’ailleurs formalisé en 1632 par le Princeps in compendio2. Véritable manuel de sciences politiques dédié au plus jeune fils de l’empereur Ferdinand II, Léopold-Guillaume, futur gouverneur des Pays-Bas, il est attribué à l’empereur lui-même ainsi qu’à son confesseur, le jésuite Guillaume de Lamormaini. Le livret doit offrir aux Habsbourg un modèle de souveraineté qui fait de l’offensive dévotionnelle une stratégie de pouvoir : elle leur permet non seulement de servir Dieu par la promotion du culte catholique et la lutte contre l’hérésie mais également d’asseoir leur autorité grâce à l’assistance et à l’inspiration divine. Pareille conception de l’exercice du pouvoir est relayée dans les Pays-Bas, héritage habsbourgeois, par les représentants de la Couronne espagnole. Les archiducs, en particulier, en sont les acteurs les plus remarquables3. Tous deux élevés à la cour de Madrid auprès de leur père et oncle, Philippe II, ils ont fait à ses côtés l’expérience concrète de la pietas dynastique sous sa forme madrilène, expressive et spectaculaire. Ils ont ainsi reçu de lui un goût prononcé pour une piété intense voire scrupuleuse et ont été marqués de l’esprit des décrets tridentins que le monarque entend faire appliquer comme lois fondamentales dans ses États. Une fois à la tête des Pays-Bas, ils usent donc à leur tour de la stratégie habsbourgeoise et sont particulièrement incités par Juste Lipse à faire de la pietas le fondement de leur gouvernement. En 1605, l’humaniste dédie à l’archiduc Albert ses Monita et exempla politica, série de conseils et d’exemples pratiques concernant l’art de gouverner4. Il s’agit là de l’aboutissement de la réflexion qu’il mène depuis de longues années sur la nécessité de la religion comme fondement de l’ordre social et civil. En 1599, alors qu’il était encore professeur à Leyde, il avait en effet publié les Politiques, impressionnant best-seller de multiples fois traduit et réédité5. L’ouvrage constituait à la fois une suite et une contrepartie au De Constantia

2 [Ferdinand II et Wilhelm Lamormain, S.J.], Princeps in compendio. Hoc est Puncta aliquot compendiosa, quae circa gubernationem Reipubl. Observanda videntur, Vienne, Gregor Gelbhaar, 1632. Ce court traité a été édité par Franz Bosbach dans K. Repgen (éd.), Herrscherbild im 17. Jahrhundert, Munster, Aschendorff, 1991, p. 79-114 (= Schriftenreihe der Vereinigung zur Erforschung der Neueren Geschichte, 19). 3 Luc Duerloo joue d’ailleurs avec l’expression dans le titre de son article consacré à la piété archiducale d’Albert et Isabelle, héritée de leur éducation habsbourgeoise : « Pietas Albertina [nous soulignons]. Dynastieke vroomheid en herbouw van het vorstelijke gezag », Bijdragen et Mededelingen betreffende de geschiedenis der Nederlanden, n° 112, 1997, p. 1-18. 4 Juste Lipse, Monita et exempla politica. Libri duo, qui virtutes et vitia principum spectant, Anvers, Jean Moretus, 1605. 5 Juste Lipse, Politicorum sive civilis doctrinae libri sex, qui ad principatum maxime spectant, Leyde, imprimerie Plantin, Frans van Ravelingen, 1589. Les Politiques ont connu une édition critique récente : Politica. Six books of Politics or political Instruction, éd., trad. et intro. par J. Waszink, Assen, Van Gorcum, 2004.

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paru en 15846. Alors que dans ce dernier, Lipse dessinait une morale du peuple et lui proposait des principes de vie pour affronter les difficultés de la réalité civile, il brosse dans les Politiques la description idéalisée du bon prince en dressant l’inventaire de ses vertus et des moyens du bon gouvernement7. Très inquiet des tumultes qui secouent l’Europe, Juste Lipse vise avant tout l’efficacité dans le maintien d’un ordre public que seuls peuvent assurer, à ses yeux, la monarchie et l’unité de la religion. Le prince commandera donc seul à son peuple et ne tolérera aucune dissidence religieuse de crainte de voir naître troubles et désordres. La religion – dont Lipse ne précise pas la nature catholique ou protestante – est le lien le plus solide qui puisse unir la société et sans elle, l’État ne peut subsister8. Avec les Monita, il met en pratique les réflexions des Politiques et brosse le portrait du prince chrétien idéal. À ses yeux, l’archiduc Albert en est la parfaite incarnation en raison de ses nombreuses vertus et, particulièrement, de la place de prime importance qu’il accorde à l’utilité de la dévotion dans l’exercice du gouvernement. L’archiduc accueille très favorablement les conceptions politiques de Lipse et, l’année de la publication de ces Monita, il fait de l’humaniste, déjà historiographe royal depuis 1595, son conseiller9. Il répond par ailleurs aux exhortations du théologien en continuant à investir, avec Isabelle, le champ de la dévotion et à ériger la piété ostentatoire en moteur de leur gouvernement. Tous deux construisent cette politique dévotionnelle sur les mêmes fondements que leurs ancêtres, vénérant leurs saints patrons et manifestant leur attachement à certaines formes de piété eucharistique, singulièrement à l’occasion de la gigantesque procession du Saint sacrement de Miracle10. Cette manifestation majeure de la piété bruxelloise était organisée chaque année le dimanche qui suivait le 13 juillet. Au centre des attentions, trois hosties considérées par la légende comme miraculeuses pour avoir saigné à la fin du xive siècle sous les coups de poignard profanateurs portés par un juif11. Ces hosties sont transportées par les rues et les carrefours de Bruxelles richement

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Juste Lipse, De Constantia libri duo qui alloquium praecipue continent in publicis malis, Anvers, Christophe Plantin, 1584. 7 Jaqueline Lagrée, Juste Lipse et la restauration du stoïcisme, Paris, Vrin, 1994 ; Michel Sénellart, « Le stoïcisme dans la constitution de la pensée politique. Les Politiques de Juste Lipse (1589) », dans P.-Fr. Moreau (éd.), Le retour des philosophies antiques à l’âge classique, t. I (Le stoïcisme au xvie et au xviie siècle), Paris, Albin Michel, 1999, p. 117-139. 8 « Religio, & timor dei solus est qui custodit hominum inter se societatem » (J. Lipse, Politicorum sive civilis doctrinae…, op. cit., livre IV, chap. XII) ; « Sine ea [religione], non Princeps officium suum, non Subditi facient ; sine ea, societas non erit. […] Esto igitur vinculum et firmamentum reipublicae religio » (J. Lipse, Monita et exempla politica…, 1605, livre I, chap. 2). 9 Toon van Houdt, « Justus Lipsius and the Archukes Albert and Isabella », dans M. Laureys (éd.), The world of Justus Lipsius : A contribution towards his intellectual biography, actes du colloque de l’I.H.B.R. (Rome, mai 1997), Rome, I.H.B.R., 1998, p. 405-432 (= Bulletin de l’I.H.B.R., 68). 10 Pour la dévotion princière au saint sacrement, et notamment au saint sacrement de Miracle dans la collégiale Sainte-Gudule, voir Placide Lefevre, « Offrandes princières faites en l’honneur d’une relique eucharistique à Bruxelles aux xviie et xviiie siècles », Revue belge d’archéologie et d’histoire de l’art, n° 41, 1972, p. 77-104 ; L. Duerloo, « Pietas Albertina… », op. cit., p. 2-5 ; Id., « Archducal Piety and Habsburg Power », dans L. Duerloo et W. Thomas (éds), Albert & Isabella 1598-1621. Essays…, op. cit., p. 267-270 ; J. Mertens, « De vrome prins », dans J. Mertens et Fr. Aumann (éds), Krijg en kunst. Leopold Willem (1614-1662), Habsburger, landvoogd en kunstverzamelaar, catalogue d'exposition, Bilzen, Landcommanderij Alden Biesen, 2003, p. 57-59. 11 Étienne Ydens, Histoire du S. Sacrement de miracle gardé à Bruxelles, en l’Église collegiale de S. Goudele, & des Miracles faictz par iceluy, Bruxelles, Rutger Velpius, 1605.

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ornés de constructions éphémères où se mêlent décors de feuillages et arcs de triomphe12. Les princes participent fidèlement à ces grandioses cérémonies. Chaque année, Albert et Isabelle interrompent leur séjour estival à Mariemont et rejoignent leurs courtisans, officiers et magistrats qui suivent les reliques sur les routes. En 1625, pour prendre part à l’événement, Isabelle revient spécialement d’Anvers où, à son retour du siège de Breda, elle négociait avec les marchands incapables de continuer à financer ses armées13. Ferdinand d’Autriche quitte, pour sa part, en 1636, la campagne militaire qu’il mène en direction de Paris uniquement dans le but d’assister à la procession14. Francisco de Melo fait de même en 164315. Le Saint sacrement de Miracle occupe une place de première importance dans la politique dévotionnelle du pouvoir central qui ne peut échapper à son adoration ostentatoire. En 1609, Albert et Isabelle ont fait installer les hosties dans un nouvel autel, conçu pour être démantelé et transféré jusqu’au chœur devant l’afflux des pèlerins. Ils ont par ailleurs décidé, en 1620, de faire supporter par le Trésor de l’État la lourde charge d’assurer une illumination permanente de la chapelle où ils se feront par ailleurs enterrer. Lors de la bataille de Calloo qui l’oppose en 1638 aux troupes de Frédéric-Henri de Nassau, Ferdinand d’Autriche ordonnera que soient chantés pendant une octave entière des offices devant les mêmes hosties miraculeuses. À son retour, il leur consacre sa victoire et organise en leur honneur une procession triomphale et solennelle à travers la capitale16. À cette vive piété eucharistique répond une fervente piété mariale que les observateurs de la dévotion habsbourgeoise dans les Pays-Bas – comme le jésuite Antoine de Balinghem – justifient à la fois par l’héritage dynastique et par le contexte doctrinal : Ceste source [de la dévotion mariale de la maison d’Autriche] est son ancienne & singuliere deuotion vers le tres-sainct & tres-auguste Sacrement de la sacrée Eucharistie. […] Comme ainsi soit que le tres-auguste Sacrement de l’Eucharistie contienne en soy la vraye, la reelle, la corporelle, la substantielle presence du Fils unique de Dieu, avec le vray corps qu’il a pris de la propre substance de sa tressainte & bienheureuse Mere la Vierge Marie ; quiconque affectionne & revere ceste reelle presence de ce sacré corps uny personnellement au Verbe divin, ne peut faire qu’il n’affectionne & revere grandement celle Vierge, des sacrées entrailles

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Micheline Soenen, « Fêtes et cérémonies publiques à Bruxelles aux Temps Modernes », Bijdragen tot de Geschiedenis, n° 68, 1985, p. 77-83. 13 A.S.V., S.S., N.F., vol. 14 C, f. 292r°, Chrisogono Flacchio à Francesco Barberini, Bruxelles, 19 juillet 1625. 14 Jean-Antoine Vincart, « Relacion y Comentario de los successos de las armas de Su Magestad mandadas por el serenissimo don Fernando, infante d’España, lugartiniente, gobernador y capitán general de los Estados de Flandes y de Borgoña, desta campaña de 1636 », dans L.-P. Gachard (éd.), Les bibliothèques de Madrid…, op. cit., p. 178. 15 L.-P. Gachard (éd.), Les bibliothèques de Madrid …, op. cit., p. 217. 16 « Quandoquidem in sacro sacello miraculosi Sacramenti solennes per octavam Missae decantatae sunt, quarum ultima celebrata est eo die, quo mirabilis haec victoria parta & comparata est […] V[est]ra Celsitud[ina] propterea sanxit atque decrevit, ut hic triumphus Bruxellae ageretur, ac celebraretur cum supplicatione solenni miraculosi Sacramenti. Sic actum, assistente V[est]ra Celsit[udine] quae moribus antiques suorum maiorum totum sacrae Eucharistiae defert » (Pedro de Bivero, S.J., De sacris privilegiis ac festis Magnae Filiae, Sponsae et Matris Dei argumenta selecta concionum accesserunt, S.S. Ioachimus, Anna et Iosephus, Anvers, Martin Nutius, 1638, dédicace à Ferdinand d’Autriche, f. †3r°).

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de laquelle a le sainct Esprit tiré le sang qui devoit servir au sacré-saint bastiment de ce corps divin. Et si la substance du Fils est la substance de la Mere, & le corps du Fils est une partie de la Mere, je ne puis aymer l’un que je n’ayme quant & quant l’autre17.

Les décisions tridentines, en effet, font honorer la présence réelle du corps du Christ dans l’Eucharistie. Il convient dès lors de célébrer celle qui a donné au Christ une pleine nature humaine, celle qui a permis au Verbe de se faire chair. Aussi est-il impensable, selon les observateurs de la dévotion princière, d’aimer le Fils sans aimer la Mère et la dévotion à l’un ne va pas sans la dévotion à l’autre. Pour « aimer parfaitement Jésus », il faut aussi aimer parfaitement Marie18. Une ferveur mariale saisissante et étourdissante s’empare alors de la politique dévotionnelle des archiducs et de leurs successeurs comme elle marquait déjà d’une forte empreinte leur dynastie. Pèlerinages sans cesse réitérés, cadeaux fastueux, érections de sanctuaires somptueux, processions éclatantes, inscriptions dans les registres de confréries… Les gouvernants des Pays-Bas n’épargnent rien pour manifester leur dévotion mariale et promouvoir le culte de la Mère de Dieu. La stratégie est offensive : il faut frapper les imaginations et se donner à voir comme ardents dévots de Marie. La Vierge arbore ainsi dans les provinces belges les traits singuliers que lui a donnés la maison des Habsbourg et trouve place au sein des manifestations de la piété princière caractérisées par leur incroyable aspect spectaculaire.

Offensive dévotionnelle dans les Pays-Bas méridionaux S anc tuaires mar ial s et démon stration oste ntatoire de la piété pr incière Les archiducs Albert et Isabelle, premièrement, multiplient les marques de leur dévotion à la Vierge et lient leur image à une série de sanctuaires où ils affichent ostensiblement leur piété mariale19. Hal d’abord, Laeken ensuite, Montaigu surtout, sont les principaux bénéficiaires de cette campagne dévotionnelle. Albert et Isabelle ne s’en tiennent cependant pas là et manifestent leur dévotion dans pléthore de sanctuaires du pays. Ils vont s’incliner aux pieds, entre autres, des Vierges de Tirlemont, Uccle, Vilvoorde20. Les archiducs

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A. de Balinghem, S.J, La toute-puissante guerriere…, op. cit., 1625, deuxième partie, p. 381-382. Nicolas Avancin, S.J., Le prince devot et guerrier ou les vertus heroïques de Leopold Guillaume, archiduc d’Austriche, trad. du latin par H. Bex, S.J., Lille, imprimerie de Nicolas de Rache, 1667, p. 53. – L’édition originale Leopoldi Guilielmi, archiducis Austriae, principis pace et bello inclyti, virtutes paraît à Anvers en 1665. 19 Sur la piété mariale des archiducs Albert et Isabelle, voir L. Duerloo, « Pietas Albertina… », op. cit., 1997, p. 2-5 ; Id., « Archducal Piety and Habsburg Power », op. cit., 1998, p. 270-276. 20 Notre-Dame de Consolation chez les carmélites de Vilvoorde (A. Le Mire, Fasti belgici…, op. cit., 1622, p. 507) ; Notre-Dame de Calevoet à Uccle (Aubert Le Mire, Rerum belgicarum annales in quibus christianae Religionis & variorum apud Belgas Principatuum origines, ex vestutis tabulis Principumque diplomatibus hauste, explicantur, Bruxelles, Jan Pepermans, 1624, p. 800) ; Notre-Dame de Thielt, près d’Aarschot (A. Wichmans, Brabantia mariana…, op. cit., 1632, p. 502) ; Notre-Dame du Lac, à Tirlemont (T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, t. II, p. 531) ; Notre-Dame de Miséricorde dans la chapelle Saint-Christophe du 18

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démontrent ainsi leur soutien manifeste au programme tridentin qui valorise le rôle du sanctuaire – et particulièrement du sanctuaire marial – comme arme de sa reconquête. Albert et Isabelle comprennent par ailleurs l’utilité d’intégrer ces lieux de pèlerinage au cœur des mécanismes de leur politique dévotionnelle visant avant tout à restaurer un catholicisme fort, susceptible de dompter définitivement les rebelles calvinistes du Nord. Ils multiplient donc les visites aux sanctuaires de la Vierge et leur accordent d’importants soutiens financiers pour en faire des citadelles de catholicité. Les premières préférences archiducales vont d’abord au sanctuaire de Hal. L’origine de ce sanctuaire remonterait au xiiie siècle : Sophie de Thuringe, fille de sainte Élisabeth de Hongrie et elle-même duchesse de Brabant, aurait légué trois statues de la Madone à la sœur de son mari, Mathilde. Celle-ci, à sa mort, aurait confié à sa fille Alix ou Adélaïde, comtesse de Hainaut par mariage, le soin de céder une de ces statues à Hal, ville active du comté hennuyer. Peu de temps après, des miracles sont attribués à la statue : ils contribuent à l’essor d’un important pèlerinage dans l’église Saint-Martin qui abrite celle-ci. Lors de son arrivée dans les Pays-Bas pour prendre ses fonctions de gouverneur, Albert, alors cardinal et archevêque de Tolède, s’arrête à Hal et rend grâce à la Vierge préalablement à son entrée dans Bruxelles21. Il déposera en 1598, devant cette même Vierge, ses habits cardinalices avant d’aller rejoindre à Ferrare l’épouse que lui propose Philippe II en la personne de sa fille Isabelle22. À son retour en septembre 1599, c’est encore à Hal qu’il passe une nuit de prières avec l’infante, avant d’entrer dans la capitale23. Par la suite, les archiducs se rendent au sanctuaire pour des neuvaines annuelles24. Après la mort de l’archiduc, Isabelle continuera à fréquenter régulièrement ces lieux, le plus souvent à l’occasion des grandes fêtes mariales de la Visitation, de l’Assomption et de la Nativité de la Vierge25.

collège jésuite de Bruxelles (J. Bolland, G. Henschenius, S. de Hossche, J. van de Walle, Imago primi saeculi Societatis Iesu…, op. cit., p. 777) ; Notre-Dame d’Alsemberg (Antoine Sanderus, Chorographia sacra Alsembergae, pio B. Mariae Virginis cultu, miraculique celeberrima, Bruxelles, Philippe Vleugaert, 1659 dans Chorographia sacra Brabantiae…, op. cit., t. III, p. 368). 21 A. Le Mire, De vita Alberti pii…, op. cit., Anvers, imprimerie Plantin, 1622, p. 22. 22 Parmi les témoignages de cet événement, celui du nonce Frangipani dans une lettre à Aldobrandino, secrétaire d’État auprès du Saint-Siège : « Muto finalmente questa Ser[ernissi]ma Alt[ez]za l’habito cardinalitio et ecclesiastico lunedi prossimo passato in Hal, luogo lontano da qui tre hore di camino, ove se condusse a quest’effetto il giorno inanzi, essendo luoco di molta devotione per li divini miracoli vi se vedeno della Madonna Santissima » (A. Louant, « Correspondance d’Ottavio Mirto Frangipani… », op. cit., t. II (Lettres 1597-1598), Rome, I.H.B.R., 1932, p. 358, n° 423, 18 juillet 1598). 23 A. Le Mire, De vita Alberti pii…, op. cit., p. 32. 24 Idem, p. 92. 25 Les nonces successifs installés à Bruxelles se font les témoins de ces pèlerinages annuels dans leurs correspondances respectives (A.S.V., S.S., N.F., vol. 21A, f. 78, Francesco Guidi di Bagno à Bernardino Spada, 24 août 1624 ; idem, f. 101, Fr. Guidi di Bagno à B. Spada, 28 septembre 1624 ; idem, f. 418, Fr. Guidi di Bagno à B. Spada, 19 septembre 1626 ; B.A.V., B.L., vol. 6814, f. 341, Fr. Guidi di Bagno à Fr. Barberini, 11 juillet 1626 ; B.A.V., B.L., vol. 6816, f. 27v°, avis de Fabio Lagonissa, 16 septembre 1628 ; A.S.V., S.S., Avvisi, vol. 129, non folioté, avis de Lagonissa, 21 avril 1629 ; Idem, 22 septembre 1629 ; A.S.V., S.S., N.F., vol. 19, f. 231, F. Lagonissa à Fr. Barberini, 14 septembre 1632).

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Laeken a aussi les faveurs du couple princier puisque y est conservé, outre une statue de la Vierge considérée comme miraculeuse, un morceau du fil avec lequel la Mère de Dieu aurait selon la légende tracé le plan du lieu. Ce fil, réputé guérir les problèmes de stérilité, attire les archiducs, vivement inquiets de l’absence d’un héritier qui leur succéderait à la tête des Pays-Bas et maintiendrait ainsi une souveraineté plus ou moins indépendante sur le pays. En 1602, ils paient une somme élevée au maître-verrier bruxellois, Nicolas Mertens, pour la fabrication d’un double vitrail destiné au sanctuaire de Laeken, l’un représentant une Vierge des Sept Douleurs et l’autre, les archiducs à genoux avec leurs armes et blasons26. Isabelle se rend par ailleurs chaque samedi à pied dans ce lieu de pèlerinage et y fait de régulières neuvaines. En juin 1622, craignant les attaques de troupes hollandaises, elle fait transporter la statue à l’intérieur des murs de Bruxelles, l’installe dans l’église des béguines et vient, par les remparts de la ville, l’honorer neuf jours d’affilée. La statue est ensuite ramenée en grandes pompes à Laeken. Selon la description du nonce Giovanni-Francesco Guidi di Bagno au cardinal Ludovisi, quatre cents béguines, le Magistrat de Bruxelles et la cour princière accompagnaient l’infante pour escorter la Vierge27. Le peintre Nicolas van der Horst, archer de la princesse et peut-être élève de Rubens, a immortalisé l’événement (Figure 6)28. Dans le seul tableau signé que l’on ait de lui, il a représenté l’immense cortège serpentant jusqu’à l’église de Laeken, conduit par des laïcs, hommes, femmes et enfants munis de torches, probables représentants de l’une ou l’autre confrérie bien qu’aucun gonfalon ne les identifie clairement, eux-mêmes suivis par le Magistrat. À l’avant-plan, la statue, habillée des riches habits offerts par Isabelle, est portée sur un brancard, précédée d’une foule de béguines soigneusement rangées et escortées d’hommes en armes. Elles encadrent des groupes de chantres, enfants de chœur et chanteurs s’avançant des partitions à la main. Directement derrière la statue, dans un rapport d’humble dévotion, avance l’infante, à pied, vêtue de noir et la tête voilée. Suivent les membres de sa cour et une foule de participants. L’événement est stratégique. L’archiduchesse démontre avec éclat l’intensité de sa dévotion. Elle lie son image à celle de la Vierge de Laeken qui est portée en Reine alors qu’elle suit en servante. Son humilité est certes sincère mais les conséquences de cette dévote mise en scène sont également importantes : la gloire mariale est exaltée au-dessus de la gloire princière tout en faisant rejaillir son aura sur celle qui la suit directement.

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A.G.R., Acquits de la chambre des comptes de Lille, vol. 1203 G, 20 août 1602. Bernard de Meester, « Correspondance du nonce Giovanni-Francesco Guidi di Bagno (1621-1627). Première partie (1621-1624) », Analecta Vaticano-Belgica, 2e série (Nonciature de Flandre), t. V, Rome, I.H.B.R., 1938, p. 208, n° 208, Fr. Guidi di Bagno à Ludovico Ludovisi, Bruxelles, 11 juin 1622. – Cette lettre atteste que la procession a bel et bien eu lieu en 1622 et non en 1623 comme on le lit un peu partout. 28 Nicolas van der Horst (1587-1646), Le pèlerinage de l’archiduchesse Isabelle et de sa suite à Laeken, huile/ toile, signé en bas au centre Nicolas.vander.Horst. ArcHero, 160 x 190 cm, Bruxelles, Musée de la Ville, inv. K 1922/2. Sur ce peintre peu connu, Marcel de Maeyer, Albrecht en Isabella en de schilderkunst. Bijdrage tot de geschiedenis van de xviide eeuw schilderkunst in de Zuidelijke Nederlanden, Bruxelles, Palais des Académies, 1955, p. 136-137 (= Verhandelingen van de Koninklijke Vlaamse Academie voor wetenschappen, letteren et schone kunsten van België, Klasse der Schone Kunsten, 9) ; Jan de Maere et Marie Wabbes, Illustrated Dictionary of 17th Century Flemish Painters, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1994, p. 220. 27

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Figure 6 : Nicolas van der Horst (1587-1646), Le pèlerinage de l’archiduchesse Isabelle et de sa suite à Laeken, huile/toile, signé en bas au centre Nicolas.vander.Horst. ArcHero, 160 x 190 cm, Bruxelles, Musée de la Ville, inv. K 1922/2. - © Musée de la Ville de Bruxelles-Maison du Roi.

Par la suite, Isabelle dépense des sommes importantes pour l’aménagement des abords du sanctuaire qu’elle confie au peintre et architecte de cour Jacques Franquart29. Un grand bassin carrelé, appelé fontaine de Sainte-Anne, est édifié dans un style baroque près d’une source considérée comme miraculeuse. Une longue allée droite et plane est percée pour relier cette nouvelle construction à l’entrée de l’église30. L’archiduchesse fait aussi tracer de part et d’autre du canal de Willebroeck, achevé depuis 1561, un double chemin menant au

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Paul Philippot, Denis Coekelberghs, Pierre Loze et Dominique Vautier, L’architecture religieuse et la sculpture baroques dans les Pays-Bas méridionaux et la principauté de Liège (1600-1700), Liège, Mardaga, 2003, p. 51 et suiv. 30 J. A. Gurnez, Laca bruxellense…, op. cit., 1647, p. 266. – L’église de Laeken connut plusieurs phases de démolition dans la seconde moitié du xixe siècle. La nouvelle église néo-gothique fut consacrée en 1872 (Autour du Parvis Notre-Dame à Laeken, Bruxelles, Crédit Communal de Belgique, coll. Des pierres pour le dire, 1994).

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lieu sacré depuis les portes de la capitale. Tout au long de cette promenade, se dresse à intervalles réguliers une série de stations représentant la passion du Christ ainsi que la vie de la Vierge31. Isabelle marque ainsi durablement le paysage belge par son vif attachement à la Vierge de Laeken et prouve avec faste son infinie générosité pour le sanctuaire brabançon. Toutefois, c’est indéniablement à Montaigu que la piété archiducale connaît son expression la plus ostentatoire32. Alors que le siège de Bois-le-Duc traîne depuis deux ans, Albert et Isabelle se rendent en pèlerinage sur une colline dans les environs de Sichem, près de Diest dans le Brabant, afin d’honorer une petite statue de bois. Depuis le début du xvie siècle, en effet, les habitants des environs prient une Madone fixée à un chêne après avoir été miraculeusement découverte abandonnée au milieu des collines. La statue a disparu à l’époque des révoltes iconoclastes : on lui a alors substitué une nouvelle représentation sans que la dévotion ne faiblisse. Lorsque les archiducs remportent enfin la victoire sur les Hollandais à Bois-le-Duc, intimement convaincus d’avoir été entendus par cette Vierge, ils remplacent la frêle chapelle par une construction en pierre33. De la même manière, quand Ostende tombe sous les coups d’Ambrosio Spinola en 1604, ils offrent les clés de la ville assiégée à la Vierge du lieu puis accordent à Sichem libertés et privilèges34. À partir de ce moment-là, les archiducs se rendent chaque année en neuvaine au lieu sacré aux alentours du mois de mai et multiplient les largesses35. En 1607, ils commandent à leur architecte de cour, Wenceslas Coebergher, l’érection d’une forteresse en forme d’étoile à sept branches, avec, au milieu, une importante église surmontée d’une coupole. La première pierre est posée en 1609, quelques semaines après la signature de la Trêve de Douze Ans conclue avec les Provinces-Unies. Les archiducs font graver une inscription rappelant leur rôle fondateur dans l’érection de ce sanctuaire voué à une Vierge pacificatrice des Pays-Bas : Albert et Isabelle Archiducs d’Autriche et Princes de Belgique Ont érigé cette basilique depuis ses fondations

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« Itaque religionem loci hius propensiori cura magnisque promotura profectibus, geminum iter, quod a porta vulgari ter Lacensi dicta, Zennae ripis imposita, et altera aquaeductus vernacule (ambae Virginis statuas Lacensis sustinent) eo ducit ; […] columellis lateritiis & mysteriorum iconibus, inde Christi toleratos cruciatus, hinc acta Deiparae pulchre & ordinatim repraesentantibus » (J. A. Gurnez, Laca bruxellense…, op. cit., 1647, p. 266). 32 Sur ce sanctuaire, voir en particulier Luc Duerloo et Marc Wingens, Scherpenheuvel. Het Jeruzalem van de Lage Landen, Louvain, Davidsfonds, 2002. Sur sa dimension éminemment politique, voir également les travaux déjà cités du même Luc Duerloo « Pietas Albertina… », op. cit., 1997, p. 1-18 et « Archducal Piety and Habsburg Power », op. cit., 1998, p. 270-276 ainsi que « Scherpenheuvel-Montaigu. Un sanctuaire pour une politique emblématique », XVIIe siècle, n° 240/3, 2008, p. 423-439. 33 Ph. Numan, Histoire des miracles advenus n’aguères à l’intercession de la Glorieuse Vierge Marie…, op. cit., 1604, p. 36-37. 34 L. Duerloo et M. Wingens, Scherpenheuvel…, op. cit., p. 53. 35 A.S.V., F.B., seria II, vol. 102, f. 142, Ascanio Gesualdo à Scipione Borghese, 7 mai 1616 ; Idem, vol. 112, f. 262, Lucio Morra à S. Borghese, 21 avril 1618 ; Idem, vol. 112, f. 287r°, L. Morra à S. Borghese, 19 mai 1618 ; Idem, vol. 105, f. 183, L. Morra à S. Borghese, 4 mai 1619 ; B.A.V., B.L., vol. 6811, f. 38, Chrisogono Flacchio à Ludovico Ludovisi, 19 juin 1621 ; etc.

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Pour la Vierge tutélaire En guise de reconnaissance publique Pour les provinces apaisées de Belgique Après plus de LX années de guerres civiles L’an du salut 160936.

La citadelle est consacrée en 1627 par l’archevêque de Malines Jacques Boonen, en présence d’Isabelle et du marquis de Spinola. Montaigu, véritable bijou baroque, devient le bastion d’un catholicisme conquérant. La littérature mariale en fait l’équivalent des célébrissimes sanctuaires de Lorette en Italie et de Montserrat en Espagne louant ainsi le caractère majestueux que lui confèrent les archiducs37. Les archiducs ne sont pas seuls à se lier à la figure mariale et leurs successeurs à la tête des Pays-Bas veillent eux aussi à entretenir leur réputation de profonde piété à la Vierge. Ainsi, à peine arrivé dans les Pays-Bas, le cardinal-infant, Ferdinand d’Autriche, offre à la Vierge de Laeken le vêtement broché d’or qu’il avait revêtu lors de son entrée dans la capitale38. Il se rendra tous les samedis, comme l’infante, au même sanctuaire pour prier devant la statue39 et fréquentera également le sanctuaire de Montaigu40. Profondément pieux, Ferdinand meurt en serrant contre lui le manteau de la statue de Bois-le-Duc qu’il avait fait apporter au pied de son lit afin d’affronter ses dernières heures41. Les deux gouverneurs généraux qui succèdent au prince-cardinal ne sont pas princes de sang. Mais quand, en 1647, Léopold-Guillaume, archiduc d’Autriche et évêque de quatre diocèses, arrive dans les Pays-Bas, la dynastie habsbourgeoise revient à la tête du pays et avec elle, la vive démonstration de la piété mariale du pouvoir central42. Comme ses prédécesseurs, Léopold-Guillaume rend régulièrement visite à Hal et à Laeken43. Il montre une ferveur particulière pour la Vierge d’Alsemberg qu’il honore dès son arrivée dans le pays44. Il revient

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« Albertus et Isabella / Archiduces Austriae, Belgicaeque Principes, / Tutelari suae ac suorum Divae, / Post civilia XL amplius annorum bella, / Pacatis Belgicae Provinciis, / Publicae gratitudinis ergo, / Hanc basilicam a fundamentis excitarunt / anno partae salutis, / MDCIX » (Fr. Sweerts, Op. cit., 1613, p. 329-330). Nous traduisons. 37 « Qui velut alterum Italorum Lauretum est, vel Hispanorum, Mons-Serratus » (A. Wichmans, Brabantia mariana…, op. cit., 1632, p. 510) ; « Aspricollis, qui Belgis Lauretum Italorum, vel Celtiberorum Montem Serratum portentis repraesentat » (J.-A. Gurnez, Laca bruxellense…, op. cit., 1647, p. 110). 38 J.-A. Gurnez, Laca bruxellense…, op. cit., 1647, p. 271. 39 P. de Bivero, De sacris privilegiis ac festis Magnae Filiae, Sponsae et Matris Dei…, op. cit., 1638, dédicace à Ferdinand d’Autriche, f. †2v°. 40 A.S.V., S.S., N.F., vol. 23, f. 569, Richard Pauli-Stravius à Fr. Barberini, 21 août 1638. 41 A.S.V., S.S., N.F., vol. 25A, f. 27r°. Voir également la Relation de la mort du cardinal-infant par le médecin Jean-Jacques Chifflet publiée dans Wilfrid Brulez, « Correspondance de Richard Pauli-Stravius (1634-1642) », Analecta Vaticano-Belgica, 2e série (Nonciature de Flandre), t. X, Rome, I.H.B.R., 1955, p. 650. 42 Sur la piété de ce prince, voir Jozef Mertens, « De vrome prins », dans J. Mertens et Fr. Aumann (éds), Krijg en kunst. Leopold Willem…, op. cit., p. 57-63. 43 N. Avancin, Le prince devot et guerrier…, op. cit., 1667, p. 56. 44 A. Sanderus, Chorographia sacra Alsembergae…, op. cit., t. III, 1659, p. 368.

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s’incliner devant elle lorsque, en 1654, elle sera amenée de toute urgence à Bruxelles pour la protéger de la terrifiante progression française. Il la fait alors transporter dans la collégiale Sainte-Gudule où une messe solennelle est organisée, en sa présence et celle de la cour, pour « le grand besoin de la patrie45 ». Il la raccompagne ensuite solennellement jusqu’à l’église de Sainte-Marie-Madeleine qui l’accueillait temporairement. Léopold-Guillaume avait par ailleurs posé en 1649, dans cette même collégiale Sainte-Gudule, la première pierre de la chapelle Notre-Dame. Il répondait ainsi à un vœu de l’archiduchesse Isabelle, réitéré en 1649 par les prévôts de la confrérie Notre-Dame de l’Assomption. En 1654, il fait placer dans cette chapelle un vitrail le montrant agenouillé en compagnie de ses saints patrons sous une structure servant de support à la représentation de la Visitation46. Quatre ans plus tôt, son frère, l’empereur Ferdinand III avait fait don à la même chapelle d’un autre vitrail achevé, d’après les cartons conservés, en 1656. Il y est représenté accompagné de son épouse, sous l’épisode de la Présentation de la Vierge au Temple. Aux pieds du couple impérial, une inscription rappelle la volonté de Ferdinand de témoigner, par ce vitrail, du culte ancestral que la maison d’Autriche voue à la Mère de Dieu, particulièrement en cette époque triomphale où la fin de la guerre de Trente ans a permis l’exaltation et de la religion catholique, et des Habsbourg47. L’empereur Léopold Ier figurera sous la scène du Mariage de la Vierge à partir de 1658 tandis que les archiducs Albert et Isabelle, agenouillés devant l’Annonciation, sont joints à l’ensemble en 1663. Léopold-Guillaume, enfin, comme son successeur, Don Juan d’Autriche, sera un fougueux dévot du mystère âprement controversé de l’Immaculée Conception. Comme nous le verrons dans un chapitre suivant, l’un et l’autre s’emploieront à faire de Marie, sous le titre de sa conception immaculée, la patronne des Pays-Bas et de la Bourgogne, et multiplieront à cette fin les pourparlers avec les évêques du pays et la Couronne espagnole.

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L. van Lathem, Appendix notabilis…, op. cit., p. 174-175. – Lucas van Lathem, curé d’Alsemberg de 1639 à 1659, a publié une première histoire de l’image miraculeuse de son sanctuaire en 1643 (Historie der miraculeuse kercke van onse L. Vrouwe tot Alsenberghe…, op. cit., Bruxelles, Guillaume Scheybels, 1643). Il continue son entreprise de rédaction dans un document resté manuscrit. L’insécurité régnante le force à transférer de nombreuses fois la statue à Bruxelles pour la protéger des avancées ennemies et à l’entreposer successivement en différents endroits de la ville de Bruxelles. Elle participe alors aux processions et festivités mariales de la capitale (Constant Theys, « Bijzonderheden over het verblijf in de 17de eeuw te Brussel van het Mirakuleus Beeld van O.L.Vrouw van Alsemberg », Eigen Schoon en de Brabander, n° 16, 1933, p. 233-240). 46 Yvette van den Bemden, Chantal Fontaine-Hodiamont et Arnout Balis, Cartons de vitraux du xviie siècle. La cathédrale Saint-Michel (Bruxelles), Bruxelles, Union académique internationale, 1994 (= Corpus vitrearum. Série Études, 1). Voir également Yvette van den Bemden, « Les vitraux anciens (xvie-xviie siècles) », dans I. Lecocq (éd.), Les vitraux de la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule de Bruxelles. Histoire, conservation et restauration, Bruxelles, I.R.P.A., 2005, p. 47-99 (= Scientia artis, 2). 47 « Ferdinandus III Romanorum Imperator / […] / post gravissimos annor[um] triginta civilium externorumque bellorum motus, / pacata germania, asserto imperio, avita religione propagata, / perpetuum augustae domus suae in deiparam cultum, / […] / etiam in germaniae inferioris urbe principe / isto sacrae praesentationis monumento testatum esse voluit / anno salutis MDCL » (K.B.R., R.P., CL 14.200b, Inscriptio ingentis fenestrae vitreae quae Praesentationem Divae Virginis repraesentat Bruxellis in Augusto Deiparae Sacello novo).

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D es opération s stratég iques ponc tuelles Les copies de la Santa Casa En 1621, l’archiduchesse Isabelle fait ériger, à côté de l’église des pères minimes de Bruxelles dont elle vient de poser la première pierre, une chapelle qui se veut l’exacte copie de la Santa Casa de Lorette48. Une statue considérée comme miraculeuse sera exposée sur l’autel. De même, elle ordonne, l’année suivante, la construction d’une autre chapelle vouée à Notre-Dame de Lorette dans le vaste domaine du prieuré de Groenendael, au cœur de la forêt de Soignes49. Lieu discret de pèlerinage à l’époque médiévale, Lorette est devenu au xvie siècle un important sanctuaire dont la réputation s’étend à travers l’Europe grâce au succès de la légende relative à ses origines, rédigée vers 147050. Cette légende rapporte qu’après la chute de Saint-Jean-d’Acre en 1291, la maison de la Vierge à Nazareth ou Santa Casa, a été transportée par des anges à Fiume – actuellement Rijeka en Croatie – puis dans la marche d’Ancône, sur la colline de Lorette. La papauté, aidée par les jésuites qui administrent la basilique dans laquelle la Santa Casa est enfermée depuis 1469, a fait de ce lieu de pèlerinage un bastion du catholicisme. De leur côté, les Habsbourg entretiennent des rapports étroits avec le sanctuaire. Ils attribuent à la Vierge de Lorette leur victoire de Lépante sur les flottes turques. En 1598, le futur Ferdinand II y fait le vœu de bannir l’hérésie protestante de ses territoires. Après la victoire de la Montagne blanche, les conseillers de l’empereur se convainquent que le triomphe impérial sur les révoltés de Bohème doit être attribué à cette même Vierge. Ils ordonnent alors la construction de nombreuses copies du sanctuaire italien dans les domaines habsbourgeois, vraisemblablement soucieux de restaurer le pouvoir impérial et d’assurer une intense recatholicisation de ces territoires51. Isabelle, qui avait offert

48 En 1658, l’abbé Armand Kerckhofs fera ériger une confrérie sous le titre de Notre-Dame de Lorette, approuvée par le pape Alexandre VII (Abregé de l’admirable et miraculeuse translation de la S. maison de Lorette, ou le verbe eternel s’est fait chair. Ensemble l’institution de la fameuse confrerie de Lorette dans l’eglise des RR. P. Minimes de la noble ville de Bruxelles, Bruxelles, Georges De Backer, 1697, p. 29-32). – Et l’église conventuelle, et la chapelle seront reconstruites au début du xviiie siècle sous le gouvernement du prince-électeur de Bavière et gouverneur général des Pays-Bas, Maximilien-Emmanuel. La copie de la Santa Casa sera détruite en 1806 puis à nouveau reconstruite en 1840 (Le patrimoine monumental de la Belgique, t. I (Bruxelles), vol. B, Liège, Pierre Mardaga, 1993, p. 491). 49 Ippolito Marracci, Heroides marianae seu de illustrium foeminarum principum in Mariam Deiparam Virginem pietate, Rome, Ignazio de Lazaris, 1659, p. 236-237. – Voir Michel Erkens, « Le prieuré de Groenendael », dans K. de Mulder (éd.), La forêt de Soignes. Art et histoire des origines au xviiie siècle, catalogue d’exposition, Watermael-Boitsfort, Royale Belge, Auderghem, Château de Trois-Fontaines, 1987, p. 193. 50 La bibliographie sur la Santa Casa abonde. Voir particulièrement, parmi les travaux récents, les trois articles suivants parus dans les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, n° 41, avril 2008 (Sanctuaires et transferts de culte. Actes des rencontres franco-slovènes) : Pierre-Antoine Fabre, « L’Esclavonie, escale sur la route de l’Occident ? La Santa Casa de Nazareth transportée par les anges (1292-1294) », p. 25-38 ; Marie-Élisabeth Ducreux, « La Santa Casa dans l’espace marial habsbourgeois au 17e siècle, l’étayage théologico-politique et les formes du culte », p. 39-72 et Luc Orśković, « La dévotion à la Santa Casa : célébrer la translation entre Trsad et Loreto au 17e s. », p. 73-88. 51 Franz Matsche, « Gegenreformatische Architekturpolitik Casa-Santa-Kopien und Habsburger Loreto-Kult nach 1620 », Jahrbuch für Volkskunde, n° 1, 1978, p. 88 ; Id., Die Kunst im Dienst der Staatsidee Kaiser Karls VI. …,

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à la Vierge de Lorette une robe somptueuse cousue de perles et de pierres précieuses plusieurs années auparavant52, participe au mouvement et installe à son tour des reproductions de la Casa au sein des Pays-Bas qu’elle veut, à l’instar de ses proches parents, résolument catholiques. Le projet semble clair : la Vierge de Lorette a foulé aux pieds les Turcs de Lépante et les hérétiques de Bohème. Une fois établie à Bruxelles et à Groenendael, elle devrait aussi faire plier le calviniste rebelle des Pays-Bas et soutenir Isabelle dans sa politique de restauration catholique.

La façade de la Maison du Roi En 1625, alors que les luttes contre les Provinces-Unies ont repris avec véhémence, l’archiduchesse Isabelle implore une Vierge honorée à Basse-Wavre, dans le duché de Brabant, de lui donner « une paix pour ces provinces tant affligées, et exténuées de guerres intestines53 ». À Basse-Wavre, la dévotion mariale a longtemps reposé sur le prestige d’une châsse qui, selon la tradition, serait miraculeusement descendue du ciel au milieu du xie siècle. La légende rapporte par ailleurs qu’en 1152, le reliquaire aurait été à l’origine d’une série de miracles lors d’un séjour dans l’église Saint-Nicolas à Bruxelles. Une très importante procession annuelle du reliquaire à travers le Brabant jusqu’à Bruxelles aurait alors été organisée. Ce « Grand Tour » est attesté aux xve et xvie siècles mais dut prendre fin lors de la destruction de la châsse au moment de la révolte iconoclaste54. Au début du xviie siècle, le culte à Notre-Dame de Basse-Wavre, malgré son enracinement dans la tradition brabançonne, est donc en perte de vitesse à cause de la disparition de ce qui en faisait son fondement même. Pourtant, c’est bien à cette Vierge que l’archiduchesse Isabelle consacre un vœu fervent de paix publique. Elle fait alors installer une imposante statue de la Vierge sur la façade de la « Maison du Roi » qui se dresse sur la grand-place de Bruxelles en face de l’hôtel de ville. Le lieu était également appelé Broodhuys en raison d’une précédente fonction de halle aux pains à l’époque médiévale. Reconstruit entre 1515 et 1536, époque où il prend le nom de Maison du Roi, le bâtiment connaît de nouvelles restaurations sous la gouvernance d’Isabelle. Il sera bombardé en 1695 puis sommairement remis en état avant de connaître une plus importante rénovation en 1767. À la fin du xixe siècle, il est entièrement démoli et

op. cit., t. I, p. 154. 52 A. Le Mire, De vita Alberti pii…, op. cit., p. 102 ; Id., Serenissimae Principis Isabellae Clarae Eugeniae Hispaniarum Infantis Laudatio funebris, Anvers, imprimerie Plantin, Balthasar Moretus, 1634, p. 30. Ses contemporains estiment ce cadeau somptueux pour l’extraordinaire valeur de trente mille écus (Bernard de Montgaillard, Le soleil eclipsé ou discours sur la vie et mort du Serenissime Archiduc Albert, Prince Souverain des Pais bas et de Bourgogne, Bruxelles, Hubert Anthoine [Velpius], 1622, p. 130 ; A. de Balinghem, S.J, La toute-puissante guerriere…, op. cit., 1625, deuxième partie, p. 363). 53 A. Ruteau, L’arche d’alliance…, op. cit., 1642, p. 43. 54 Jean Martin, « Les origines du sanctuaire et du culte marial de Basse-Wavre », Le Folklore brabançon, n° 23/129, 1951, pp. 52-101 ; Id., « Le culte de Notre-Dame de Basse-Wavre et la ville de Bruxelles », Les Cahiers bruxellois, n° 19, 1974, p. 5-13.

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reconstruit en style néo-gothique flamboyant55. On conserve toutefois le souvenir de la façade telle qu’elle a été conçue à l’époque d’Isabelle grâce à une gravure du Praguois Wenceslas Hollar (1607-1677) imprimée dans le Bruxella septenaria d’Erycius Puteanus56. On sait donc que le long de la corniche que la statue surmontait, une inscription en lettres d’or réclamait A peste, fame et bello libera nos Maria Pacis tandis qu’un chronogramme rappelait le vœu d’Isabelle : « hIC VotVM paCIs pVbLICae eLIsabet ConseCraVIt57 » (Figure 7). Aux pieds de la statue, une aigle, emblème de la maison d’Autriche, et un lion, symbole du Brabant, encadraient les armes royales58. En septembre 1626, le collège jésuite de Bruxelles montre son soutien à l’initiative de l’infante en offrant pour la remise des prix de fin d’année une représentation théâtrale étroitement liée à l’installation de la statue sur la grand-place59. Les élèves y mettent en scène un épisode important de la tradition locale selon lequel la Vierge de Basse-Wavre aurait offert la paix au duché par la réconciliation des ducs de Brabant avec les riches et puissants seigneurs rebelles de Grimbergen60. L’histoire veut en effet qu’au milieu du xiie siècle, ces derniers, soutenus par le comte de Flandre, contestèrent le pouvoir ducal et tentèrent de s’emparer des terres de leur rival. Pendant plusieurs années, le pays fut affligé par les guerres, la victoire passant alternativement des uns aux autres. Le très jeune Geoffroi III, cependant, finit par obtenir une paix à son avantage que l’on attribua à la Vierge de Basse-Wavre. Celleci prit alors le nom de Notre-Dame de Paix61. Les élèves du collège remettent en scène les événements. Sur les tréteaux, Mars et Bellone excitent les uns et les autres au combat ; les ducs meurent et se succèdent tandis que les armées s’affrontent. La Vierge de Basse-Wavre

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Guy Paulus, « La restauration de la Maison du Roi (1873-1895) à la Grand-Place de Bruxelles par l’architecte Pierre-Victor Jamaer (1825-1902) », Bulletin de la Commission royale des Monuments et des Sites, n° 9, 1980, p. 49-122. 56 Erycius Puteanus, Bruxella, incomparabili exemplo septenaria, gripho palladio descripta : luminibus historicis, politicis, miscellaneis distincta & explicata. Plenum item urbis elogium, velut loquens imago, Bruxelles, Jan Mommaert, 1646. Dans cet ouvrage inauguré par 7 poèmes de 7 distiques expliqués ensuite par une longue série de notes, l’élève de Juste Lipse articule l’organisation et l’histoire de la ville de Bruxelles autour du chiffre 7. Il dénombre ainsi 7 lignages, 7 tribunaux, 7 paroisses, etc. Dans cet inventaire, il distingue 2 x 7 statues miraculeuses de la Vierge, la première série reprenant les statues dites « anciennes », la seconde les « récentes ». 57 Ce chonogramme permet d’affirmer que la date du vœu date bel et bien de 1625 et non de 1626 comme l’affirme A. Ruteau, L’arche d’alliance…, op. cit., 1642, p. 42. 58 Alexandre Henne et Alphonse Wauters, Histoire de la ville de Bruxelles, nouvelle édition, t. III, Bruxelles, Culture et Civilisation, 1975 (1re éd., 1845), p. 61. 59 A.R.S.I., Fl.-Belg., vol. 52, f. 149r°, Litterae annuae collegii Bruxellensis. 60 Tragi-comedie, onse lieve vrouwe van Peys. Tot vereeringhe van het beeldt Maria Pacis, ghestelt voor het broodthuys door haere doorluchtichste hoocheydt Isabella Clara Eugenia infante van Spanien, &c. Verthoont binnen Brussel, den 22. september, 1626. Door de studenten der Societeyt Iesu. De prysen worden uit-ghedeylt door de miltheydt van de seer Edele Heeren den Magistraet van Brussel, Bruxelles, Jan Pepermans, 1626. Le programme a également été proposé en français (C. Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus…, op. cit., t. II, 1891, col. 277). Cette version demeure toutefois introuvable. 61 Cette tradition est véhiculée au xviie siècle par Juste Lipse, Lovanium sive oppidi et academiae eius descriptio libri tres, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1605 ; A. Wichmans, Brabantia mariana…, op. cit., p. 561-570 ; T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, p. 51-55 et A. Ruteau, L’arche d’alliance…, op. cit., 1642, p. 35 et suiv.

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Figure 7 : La façade de le Maison du Roi (ou Broodhuys) et la statue de Notre-Dame de la Paix. – [Wenceslas Hollar], gravure, 214 x 158 mm, publiée dans E. Puteanus, Bruxella incomparabili exemplo septenaria gripho palladio descripta luminibus historicis, politicis, miscellaneis distincta & explicata, in-f, Bruxelles, imprimerie Jan Mommaert, 1646. - © ULg-BGPhL-CICB : XXIII.28.9. Photo de l’auteur.

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finit toutefois par imposer la paix et délivre ensuite Bruxelles de la peste. La ville puis l’ensemble des Pays-Bas viennent lui rendre grâce et chanter sa gloire. La scène finale montre saint Michel, traditionnel protecteur de la Bruxelles, proclamant que la paix se maintiendra aussi longtemps que les Bruxellois voueront un culte à la Vierge de Wavre. Le saint prédit en même temps l’arrivée d’une princesse qui montrera une dévotion remarquable à NotreDame : infante d’Espagne, elle portera le nom d’Isabelle Claire Eugénie et fera installer la statue de la Madone sur le Broodhuys. Il semble que la pièce plaît au public : elle est, à la demande des Bruxellois, jouée à trois reprises aux frais du Magistrat qui finance le matériel scénique, des décors aux machines62. Que fait Isabelle, soutenue par la Compagnie de Jésus ? À la tête d’un pays morcelé par ses exigences particularistes, elle choisit la façade d’un bâtiment incarnant la réalité monarchique pour ériger Marie en commune protectrice. L’édifice abritait en effet des tribunaux chargés de la conservation des droits et des domaines de la Couronne. En plein cœur de la capitale, sur la principale place de la ville, il était une expression visible de la présence espagnole dans les Pays-Bas. Figure royale et figure mariale s’entremêlent donc pour offrir repos et protection à la population menacée. Cependant, dans ce pays où l’identité régionale domine largement une identité nationale qui s’ébauche, l’archiduchesse mobilise aussi, aidée par les jésuites, des symboles à la fois héraldiques, historiques et dévotionnels qui doivent faire résonner des accents plus spécifiquement brabançons. Les armes ducales associées à celles des Habsbourg montrent que le monarque espagnol règne sur le Brabant comme duc – de la même manière qu’il est comte en Flandre ou en Hainaut – et rappellent sa légitimité de prince naturel. L’histoire des différents ducs Geoffroi, mise en scène par les élèves du collège, doit partiellement avoir la même fonction en soulignant l’héritage brabançon qu’a recueilli le monarque et légitimant dès lors son pouvoir. Elle permet en outre, associée à la description des faveurs mariales pour la ville, d’évoquer la longue dévotion qui lie le peuple de Bruxelles à la Vierge de Basse-Wavre, dévotion qui tend alors à décliner en raison de la destruction de la célèbre châsse. On peut, à ce titre, s’étonner du choix d’Isabelle. Elle ne fait pas appel à la Vierge du bastion catholique de Montaigu, où elle se rend très régulièrement en neuvaine et dont la réputation de domination sur l’hérésie protestante n’est plus à démontrer. La citadelle imaginée par Wenceslas Coebergher est pourtant sur le point de s’achever : toutes les attentions sont concentrées sur ce lieu de pèlerinage au succès immense, expression triomphante du catholicisme tridentin et baroque. Cependant, ce n’est pas à cette Vierge-là que recourt l’archiduchesse pour obtenir la fin des malheurs qui secouent son pays. Il ne s’agit pas non plus de la Vierge de Hal qui l’a vue se recueillir avec l’archiduc lors de leur arrivée aux Pays-Bas avant de prendre le gouvernement du pays, pas plus que de la Vierge de Laeken à laquelle elle a longtemps rendu une visite hebdomadaire pour obtenir une descendance dynastique qui lui aurait assuré la souveraineté héréditaire sur les provinces belges. Non. La Vierge qu’elle installe sur la Maison du Roi n’est pas une Vierge qu’elle a ostensiblement intégrée aux mécanismes de sa dévotion politico-mariale caractéristique de

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la maison des Habsbourg. Au contraire des Vierges de Hal, Laeken ou Montaigu, la Vierge de Basse-Wavre n’a pas encore été marquée du sceau princier. Elle n’est pas l’icône d’un culte étatique. Ce n’est donc pas une figure associée à sa propre personne, et partant à l’ensemble de sa famille, qui exalterait la dynastie habsbourgeoise qu’Isabelle érige sur cette façade, mais bien davantage une figure s’ancrant dans la tradition bruxelloise. Il est vrai que la titulature de Notre-Dame de Paix ne pouvait qu’être utile à la réalisation de son vœu. Mais par ailleurs, grâce à la Vierge de Wavre, Isabelle peut réunir autour d’elle une communauté dévouée tout à la fois à Marie et à elle-même. Son aménagement de la façade démontre un sens tactique : elle sait qu’à Bruxelles, c’est d’abord au Brabançon qu’elle doit s’adresser, faisant vibrer une force identitaire qui repose en même temps sur l’histoire et la dévotion. Elle entreprend donc de soutenir la cause d’un culte marial certes en déclin mais symboliquement important pour le peuple bruxellois. Pour lui rendre son lustre d’autrefois, elle envoie au sanctuaire un père jésuite du collège de Bruxelles, chargé d’assurer la relance du pèlerinage à l’aide de financements princiers63. Elle affiche, ensuite, la statue sur la façade de la Maison du Roi pour « perpétuer son souvenir non seulement dans l’église [SaintNicolas] mais aussi partout dans la ville » et en faire la « mémoire séculaire et l’ornement heureux de la Grand-Place et de la ville princière 64 ». Ces efforts doivent encourager le renouveau d’une dévotion locale qui fusionne les ardeurs dévotes des habitants de la ville et des environs. Cependant, ils soutiennent également les projets du prince brabançon naturel, attaché au bien-être de ses sujets. Et Notre-Dame de Paix, et le roi-duc représenté par Isabelle veulent l’apaisement et affichent ostensiblement leur exigence de repos public. La dédicace au Magistrat bruxellois du programme de la pièce du collège jésuite le souligne bien : si l’infante a érigé ladite image devant le Broodhuys, c’est parce qu’elle sait combien il est salutaire d’invoquer la Vierge « pour défaire les guerres comme pour diriger le pays65 ». Isabelle n’exclut toutefois pas la monarchie espagnole qu’elle associe à la proclamation visuelle de la façade. Les jésuites, d’ailleurs, élargiront sur les planches la communauté visée par le rôle protecteur de la Vierge en mettant en scène l’ensemble des provinces des Pays-Bas venues implorer et honorer Notre-Dame de Paix. Ce n’est pas seulement un territoire circonscrit mais bien également une large communauté d’individus que la Vierge doit protéger de la guerre, de la peste et de la famine. Antoine Ruteau, dans l’histoire du sanctuaire de Basse-Wavre qu’il rédige en 1642, montre de la même manière que « cette belle image avec son écriteau » devait rappeler les grâces mariales obtenues « tant du Pays, que de la Ville de Bruxelles en particulier66 ».

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A.R.S.I., Fl.-Belg., vol. 52, f. 149r°. « Om welcke ghedachtenisse te veruersschen, niet alleen inde voorschreue Kercke maer ooc door de heele Stadt […] een eeuwighe gedachtenisse ende een gheluchkich verciersel van uwe Merckt ende Princelycke Stadt » (Tragi-comedie, onse lieve vrouwe van Peys…, op. cit., p. [3]). 65 « Den iver tot de Alderheylichste Maghet soo om de oorloghen neder te legghen, als om de landen wel te bestieren » (Ibidem). 66 A. Ruteau, L’arche d’alliance…, op. cit., 1642, p. 45. 64

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Notre-Dame de Bois-le-Duc En 1630, Isabelle accueille à Bruxelles la statue mariale de la ville de Bois-le-Duc prise l’année précédente par les troupes hollandaises. La Vierge médiévale vénérée dans la cathédrale avait été dans un premier temps cachée par des dévots catholiques, transportée ensuite à Anvers et finalement amenée dans la capitale. Sur ordre d’Isabelle, elle est brièvement installée dans l’église Saint-Jacques sur le Coudenberg, près du palais ducal, où elle attire les dévots en nombre. Cet accueil archiducal est alors défini comme un moyen, pour Isabelle, de « fortifier le cœur du Païs, pendant que les extrémités étaient ébranlées67 ». Très rapidement, la statue est transférée à l’église Saint-Géry en présence de l’archiduchesse, de la cour, du clergé bruxellois et de différentes confréries de la ville après un bref passage dans l’église paroissiale Notre-Dame de la Chapelle où une messe est célébrée en musique par le conseiller d’Isabelle, le cardinal et marquis de Bedmar, Alfonso de la Cueva68. Le transfert est organisé le Vendredi saint et concorde avec une procession instituée par les pères capucins pour obtenir, par des prières publiques, les faveurs divines en ces temps houleux. Les capucins mènent le cortège, escortés de confrères représentant la Passion du Christ. Vient ensuite la statue de la Vierge, directement suivie de l’infante en personne et de la cour. Le cortège parcourt la ville et, à chaque paroisse, accueille de nouveaux participants. Par le jeu de deux jeunes filles, l’une couverte d’un voile de deuil et l’autre revêtue d’habits de fêtes, la confrérie de la Vierge du Chant des Oiseaux installée chez les franciscains met en scène la tristesse de Bois-le-Duc d’avoir perdu sa protectrice et l’allégresse de Bruxelles d’être devenue la terre d’asile d’une Vierge puissante. La procession s’arrête enfin à Saint-Géry où la statue est installée dans une des chapelles de l’église. Elle n’y reste que quelques années. En 1641 en effet, avant de partir en campagne en Artois pour affronter les troupes françaises qui ne cessent d’avancer, le cardinal-infant Ferdinand d’Autriche fait chercher en grandes pompes la statue à l’église pour la ramener à l’église du prieuré Saint-Jacques sur le Coudenberg. Ce geste sera à nouveau considéré comme l’expression d’un choix politique : en installant à côté du palais la statue miraculeuse, Ferdinand d’Autriche fait de Marie la « Protectrice & Patrone de toutes ces Provinces & le triomphe de toutes ses victoires69 ». Par cette initiative, il rapproche la statue des lieux de pouvoir et fait voisiner l’image de la Vierge avec sa propre image. Il faut par ailleurs se souvenir que c’est devant cette statue de Bois-le-Duc que, le 18 décembre 1643, la Vierge sera proclamée Patronne et Protectrice des Pays-Bas par le gouverneur général Francisco de Melo. Un ex voto, commémorant l’événement, sera installé aux pieds de la statue. La dévotion du pouvoir central s’affiche partout et au regard de tous. Impressionnante stratégie offensive princière, cette évidente extériorité du sentiment religieux, et singulièrement

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T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, vol. 2, p. 532. On trouve une longue description de la procession dans O. Zylius, Historia miraculorum B. Mariae Silvaducensis…, op. cit., p. 360-364. 69 Jean-Jacques Courvoisier, Le sacré bocage de Nostre Dame de Bois le duc où par huict arbres & plantes singulieres, sont representées en huict divines paralleles, les grandeurs & les merveilles de la tres sainte Vierge Marie, Mere de Dieu, Bruxelles, Godefroy Schoevarts, 1645, p. 138. 68

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de la piété mariale, énonce haut et fort le choix des Habsbourg de soutenir dans leurs terres, sur un mode baroque, le catholicisme réformé. Ce caractère hautement démonstratif sert directement le pouvoir : il met en évidence une dynastie étrangère qui se lie concrètement aux Pays-Bas par un important investissement personnel et financier dans des institutions et des sanctuaires locaux70. Gouverneurs espagnols ou autrichiens démontrent un attachement vif pour des Vierges du pays et s’assurent ainsi l’affection de ses habitants. Ce caractère ostentatoire dit aussi combien ces actes ne ressortissent pas à l’unique domaine spirituel mais ont une réelle portée politique puisqu’ils démontrent, par l’éloquence du geste public, une fusion entre expression de la piété et affirmation de la grandeur du pouvoir. Ces entreprises sont en effet un moyen pour l’autorité d’affirmer sa légitimité et de représenter sa puissance par des signes visibles. Il s’agit de démontrer, à chacune de ces occasions, que la cause de la Vierge coïncide avec la cause du prince. Tous deux sont malmenés par leurs ennemis, hérétiques et rebelles. Le prince triomphe pourtant grâce au soutien de Marie. La Vierge de Lorette en brisant le protestantisme doit assurer, au moins symboliquement, l’unité religieuse du pays, fondement nécessaire à l’affirmation du pouvoir espagnol. Notre-Dame de BasseWavre doit soutenir le monarque et sa gouvernante dans leur fonction primordiale d’assurer l’ordre et la stabilité en repoussant guerres, famines et épidémies. Quant à la Vierge de Boisle-Duc, sauvée de la haine calviniste et accueillie en triomphe dans la capitale bruxelloise, elle doit protéger le pays des guerres et de la misère. La Vierge que ces princes honorent promet donc la fin des tourments qui affligent le pays, pour l’heureux soulagement de leurs sujets. Aussi, l’extraversion dévotionnelle dont font preuve les princes et gouverneurs présente-t-elle un dernier avantage : elle érige ceux-ci en modèles derrière lesquels se rassemblent les populations des Pays-Bas qui partagent avec eux la même intense piété mariale. Ils visitent les mêmes sanctuaires, honorent les mêmes Vierges et soutiennent le même combat : la défense du personnage marial contre les attaques ennemies.

Le mouvement confraternel : le rôle politique de la Confrérie de Notre-Dame des Sept-Douleurs Si la politique mariale du gouvernement des Pays-Bas est particulièrement remarquable dans le rapport que ses représentants entretiennent avec une série de sanctuaires, cette politique se fonde également sur d’autres composantes, peut-être moins directement évidentes mais tout aussi décisives. Ainsi, l’inscription dans les registres d’importantes confraternités vouées à la Vierge participent aussi de la stratégie dévotionnelle princière. Isabelle devient le prévôt de la confrérie attachée à la statue miraculeuse de Notre-Dame du Bon Succès qu’elle avait offerte en 1626 au couvent des augustins bruxellois71. En 1628, l’archiduchesse s’inscrit aussi à la Confrérie de Notre-Dame du Bon-Secours. Trois ans plus tôt, une statuette abandonnée dans un sac avait été découverte dans la chapelle de l’hôpital Saint-Jacques où s’arrêtaient les pèlerins en marche vers Compostelle. La statuette est

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L. Duerloo, « Archducal Piety and Habsburg Power », op. cit., 1998, p. 278. Luc Duerloo et Werner Thomas (éds), Albert & Isabelle (1598-1621), catalogue d’exposition, Turnhout, Brepols, 1998, p. 255, n° 353. 71

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rapidement considérée comme miraculeuse. L’archevêque de Malines, Jacques Boonen, décide alors d’ériger une congrégation destinée à la vénérer et à prendre soin de la chapelle. Isabelle en sera le premier membre. Plus tard, ses successeurs, le cardinal-infant Ferdinand d’Autriche puis Léopold-Guillaume s’y inscriront à leur tour72. Les Habsbourg à la tête des Pays-Bas illustrent donc de leur présence les confréries mariales du pays et leur assurent du même coup une importante publicité. Il s’agit là d’opérations de prestige qui occupent une place à part entière dans leur politique de grande visibilité dévote et de soutien à la restauration ferme du catholicisme. De ces entreprises, l’une retiendra particulièrement notre attention. Les archiducs, en effet, associent leur nom à une confrérie extrêmement populaire et aux accents fortement politiques. Cette confraternité, née à l’époque bourguignonne mais disparue en raison des ravages de la guerre civile et religieuse de la seconde moitié du xvie siècle, avait fait de Marie une figure de l’union des Pays-Bas. Elle renaît au début du xviie siècle. Les défenseurs d’une nécessaire régénération de ce vaste réseau de prières fondent leur argumentation sur l’urgent besoin de reformer l’unité des provinces belges sous l’égide de la Vierge des Sept Douleurs à laquelle la Fraternité est dédiée pour ramener ainsi l’ordre et la paix dans un pays dévasté. Albert et Isabelle ne sont pas les initiateurs du projet : ils en comprennent néanmoins l’intérêt et l’intègrent dans leur politique mariale dynamique.

La fondation à la f in du xv e siècle Au début des années 1490, un des secrétaires du jeune Philippe le Beau, Jean de Coudenberghe, fonde la Confrérie de Notre-Dame des Sept Douleurs et la promeut en trois lieux différents : dans le sud de la Hollande, à la collégiale Saint-Gilles d’Abbenbroek dont il est le doyen, à Saints-Pierre-et-Paul de Reimerswaal en Zélande et à Saint-Sauveur de Bruges73. Il installe dans ces trois sanctuaires des icônes de la Vierge aujourd’hui disparues. Si l’on ne sait plus rien du tableau brugeois, les tableaux d’Abbenbroek et de Reimerswaal sont cependant mieux connus grâce aux gravures publiées dans le livret de prières de la Confrérie. Ils s’inspirent visiblement de représentations mariales attribuées à saint Luc et conservées à Rome74. Jean de Coudenberghe fait inscrire au bas de chacun de ces tableaux des vers rappelant sept souffrances endurées par la Vierge à différents moments de sa vie terrestre : la prédiction de Siméon au Temple ; la fuite en Egypte ; la disparition de Jésus

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J. Mertens et Fr. Aumann (éds), Krijg en kunst. Leopold Willem (1614-1662)…, op. cit., p. 266, n° II.3.39. Carol M. Schuler, « The Seven Sorrows of the Virgin : popular Culture and cultic Imagery in pre-Reformation Europe », Simiolus. Netherlands quarterly for the history of art, n° 21/1-2, 1992, p. 5-28. – La confrérie de Notre-Dame des Sept Douleurs a fait l’objet d’une série d’études à la fin du xixe et au début du xxe siècle : voir notamment [Hippolyte Delehaye], « La Vierge aux sept glaives », Analecta Bollandiana, n° 12, 1893, p. 333-352 et Pérégrin-Marie Soulier, La confrérie de Notre-Dame des sept douleurs dans les Flandres : 1491-1519, Bruxelles, Pères Servites de Marie, [1912]. L’étude de Carol M. Schuler reprend la question dans une perspective plus nettement scientifique, en confrontant les intéressants apports de l’histoire et de l’histoire de l’art. 74 Ghedenckenisse van den VII weeden, Anvers, Gérard Leeu, 1492. La Vierge d’Abbenbroek s’inspire de l’Hodigitria de Santa Maria Maggiore tandis que le tableau de Reimerswaal reproduit la Mater dolorosa qu’abrite Santa Maria in Aracoeli. 73

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pendant trois jours au Temple ; le port de la Croix ; la crucifixion ; la descente de la Croix ; la mise au tombeau. Très vite, on raconte que des miracles ont lieu à l’invocation de cette Mère de Douleurs. David de Bourgogne, l’évêque d’Utrecht, approuve officiellement la Confraternité en 1494. La même année, le pape Alexandre VI fait examiner ses statuts qui seront adoptés trois ans plus tard. De nouvelles branches de la Confrérie sont fondées dans tous les Pays-Bas et fleurissent notamment à Bruxelles, Anvers, Malines, Delft, Haarlem, La Haye, Leyde et au-delà des frontières des Dix-Sept provinces. Cette dévotion acquiert une telle popularité qu’elle devient une forme standardisée de la vénération médiévale de la Mater dolorosa, étroitement liée aux formes dévotionnelles consacrées à la Passion du Christ75. L’image d’une Mère douloureuse, pleurant au pied de la Croix le cœur transpercé par le glaive spirituel qu’avait prophétisé Siméon lors de la présentation de Jésus au Temple (Luc 2, 35), est en effet courante dès le vie siècle. Cette image se renforce particulièrement aux xie et xiie siècles dans le contexte de l’émergence d’une dévotion à un Christ plus humain et souffrant. La Vierge se voit alors attribuer une large gamme d’attitudes affligées, depuis les larmes et les pleurs jusqu’à l’évanouissement. Le récit tout en sensibilité des tourments marials est courant dès la fin du xiiie siècle dans tous les milieux, qu’ils soient monastiques ou laïques. Il accentue la dimension pathétique et tragique de la Passion et offre un modèle de comportement aux dévots qui veulent à leur tour participer aux tourments du Christ. L’intensification de la présence de la Vierge devient donc un moyen utile pour attiser les vives émotions des fidèles. Ainsi mise en scène, la Vierge de souffrance prend une importance grandissante et finit par acquérir une autonomie par rapport au culte de la Passion en devenant peu à peu l’objet d’une vénération indépendante. C’est à cette époque que le nombre de ses douleurs est progressivement déterminé à cinq ou à sept. Les fidèles, touchés par ses profondes afflictions, s’adressent directement à la Mère de douleurs pour obtenir aide et réconfort dans leurs peines quotidiennes et implorer son soutien pour leur salut. Au sein d’une relation personnelle et affective, ils lui rappellent ses propres souffrances afin qu’elle soulage les leurs76. La Mater dolorosa est devenue une parfaite avocate et médiatrice.

Un réseau de solidarité spirituelle Jean de Coudenberghe, en créant la Confraternité des Sept Douleurs dans les Pays-Bas à la fin du xve siècle, ne fait donc que donner une forme particulière à une dévotion déjà largement populaire. Il organise d’ailleurs la Confraternité en fonction de cette popularité et fait en sorte qu’elle puisse accueillir un nombre important de membres, hommes et femmes, tant religieux que laïcs, depuis les classes sociales les plus élevées jusqu’aux plus

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Sur l’histoire de la dévotion aux douleurs de Marie, le lecteur lira l’article de C. M. Schuler, « The Seven Sorrows of the Virgin… », op. cit. ainsi que Émile Bertaud, « Notre-Dame des Sept Douleurs », D.S., t. III, 1957, col. 1686-1701. 76 Sur le rôle de la Vierge de Douleurs comme objet d’une dévotion sensible et intérieure à la fin du Moyen Âge, voir Joanna E. Ziegler, Sculpture of Compassion : the Pietà and the Beguines in the Southern Low Countries (c. 1300-c. 1600), Bruxelles-Rome, I.H.B.R., 1992 (= Études d’histoire de l’art, 6).

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modestes. L’inscription et la participation sont accessibles à tous. Point de cotisations onéreuses, point de pratiques spirituelles chronophages ; mais une entrée gratuite ou laissée à la libre appréciation du futur membre et des exercices hebdomadaires rudimentaires. Il s’agit de réciter chaque semaine, à l’endroit et au moment où le confrère le désire, deux Ave et deux Pater en méditant sur chacune des sept douleurs. L’omission de cette récitation n’entraîne aucune faute mais empêche seulement le membre de profiter des mérites de la Confraternité77. Cette association ne présente donc pas de structure astreignante et tient davantage de la vaste confrérie de prières. Elle fait figure, à ce titre, de cousine du mouvement confraternel du Psaultier de la glorieuse Vierge Marie, fondé à Douai en 1470 par le frère prêcheur Alain de la Roche, actif propagateur de cette dévotion mariale typiquement dominicaine78. Cette Fraternité réunissait une série de fidèles tenus simplement de réciter chaque jour le psautier. Le très enthousiaste Alain de la Roche avait imaginé que cette association de prières puisse s’étendre à l’ensemble de la chrétienté en « un énorme réseau potentiel de solidarité spirituelle79 ». Cette innovation confraternelle n’eut pas, en réalité, le succès escompté mais fit des adeptes dans les régions rhéno-flamandes et en particulier auprès du monastère dominicain de Cologne où fut fondée en 1475, dans le même esprit que la Fraternité du Psautier, la première Confrérie du Rosaire caractérisée par l’obligation pour les frères et sœurs de réciter chaque semaine cinquante Ave80. On parlera, au sujet de ces fraternités, de « confréries de dévotion81 » puisque leur souci est résolument spirituel, à la différence de leurs ancêtres médiévales qui répondaient à une série de préoccupations, non seulement religieuses et cultuelles, mais également sociales, politiques et économiques82. La confrérie de dévotion s’ouvre alors à un très large public, encourage une participation égale de tous ses membres dans les exercices qu’elle propose, favorise l’intériorisation et se donne le rôle de coordonner les formes privées de la piété en une vaste organisation spirituelle commune.

La prière contre les ravages de la guerre La Confraternité flamande des Sept Douleurs et la Confrérie colonaise du Rosaire partagent, en outre, un autre point commun important. Si l’une et l’autre, en effet, ont les

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Jean de Coudenberghe, Miracula CCX confraternitatis VII dolorum sanctissimae Virginis Mariae. Una cum ortu et progressu eiusdem confraternitatis, édité par George Colveneer, Douai, Pierre Avroy, 1619, p. 3 et suiv. 78 Catherine Vincent, Les confréries médiévales dans le royaume de France (xiiie-xve siècle), Paris, Albin Michel, 1994, p. 118. 79 André Duval, « Rosaire », D.S., t. XIII, 1988, col. 949. 80 André Duval, « Michel François », D.S., t. V, 1964, col. 1114 ainsi que C. M. Schuler, « The Seven Sorrows of the Virgin… », op. cit., p. 18, n. 50. – Le monastère dominicain de Colmar accueille une nouvelle confrérie du Rosaire en 1484. 81 Marc Venard, « Qu’est-ce qu’une confrérie de dévotion ? Réflexions sur les confréries rouennaises du SaintSacrement », dans M.-H. Froeschle-Chopard et R. Devos (éds), Les confréries, l'Église et la cité : cartographie des confréries du Sud-Est, actes du colloque de l'É.H.É.S.S. de Marseille (22-23 mai 1985), Grenoble, Centre alpin et rhodanien d'ethnologie, 1988, p. 253-261. 82 C. Vincent, Les confréries médiévales…, op. cit., p. 115.

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mêmes exigences élémentaires de participation qui leur permettent d’élargir considérablement leur base, elles invoquent également toutes deux de semblables arguments politiques quand il s’agit de justifier leur fondation. La forteresse de Neuss, possession des archevêques de Cologne, avait été assiégée en 1474 par le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire. Le prieur du couvent dominicain, Jacob Sprenger, disciple d’Alain de la Roche et futur co-auteur du Malleus maleficarum, aurait encouragé les habitants de Cologne à réciter le rosaire pour obtenir l’aide de la Vierge dans ces tribulations. Lorsque la paix fut signée entre le duc et l’empereur, celle-ci fut naturellement attribuée à l’efficacité de ces prières. Jacob Sprenger aurait alors décidé de fonder la Confraternité en signe de remerciement. Cette interprétation politique de la fondation du mouvement est rapidement soutenue par le dominicain Michel François de Lille, professeur de théologie à l’université de Cologne. L’année même de la fondation de la Confrérie, il défend âprement cette dernière lors d’une dispute quodlibétique. Le texte de cette apologie paraît, à son insu, entre 1476 et 147883. Deux ans plus tard, Michel François offre au public une version qu’il a lui-même corrigée où il justifie l’existence et le rôle de la Confrérie et explique la création de celle-ci comme un geste de gratitude à l’égard de Vierge pour la protection de la cité84. Lorsque, quelques années plus tard, la Confrérie des Sept Douleurs de la Vierge, dans les Pays-Bas, se trouvera à son tour malmenée par ses adversaires, le même Michel François reprendra les armes de la dispute oratoire pour défendre la jeune Fraternité. Aux alentours de 1494 – il est alors confesseur de Philippe le Beau –, il rédige un nouveau quodlibet par lequel il veut prouver qu’il est « légitime, louable et convenable selon la coutume ecclésiastique d’instituer une nouvelle Fraternité des Sept Douleurs de la Mère de Dieu85 » puisque Marie a bel et bien subi sept terribles souffrances lors de l’enfance de son Fils puis au pied de la Croix, participant ainsi à la Passion du Christ. Cependant, si Michel François avait pris le temps de mettre en lumière le conflictuel contexte politique de la naissance de la Confrérie du Rosaire, il est moins disert en ce qui concerne celui des débuts de la Confrérie des Sept Douleurs mais évoque néanmoins les « jours mauvais » qui ont vu sa fondation. Quelque vingt-cinq ans plus tard, en 1519, Jean de Coudenberghe, devenu secrétaire de Charles Quint,

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Michel François de Lille, O.P., Sequitur determinatio quodlibetatis facta Colonie in scolis arcium Anno domini milesimo quadringentesimo septuagesimoquinto 20a decembris per fratrem Michaelem francisci Conventus Insulensis Ordinis praedicatorum sacrae theologie professorem tunc temporis Conventus coloniensis prefati ordinis regentem, s.l., s.n., s.d. [1476-1478]. – Pour une bibliographie détaillée de l’œuvre de Michel François, le lecteur se référera utilement à A. Duval, « Michel François », D.S., t. V, col. 1109-1115. 84 Quodlibet de veritate fraternitatis rosarii seu psalterii beatae Mariae virginis, Cologne, 1480. Cette seconde publication a connu de nombreuses rééditions (Gouda, 1484 ; Anvers, 1485 ; Lyon, 1488 ; Bologne, 1500 ; Leyde, 1500). Par après, elle est publiée sous le titre Rosarium beate Marie virginis, Paris, 1504 et 1509. 85 « Utrum in hoc extremo tempore / in quo dies mali sunt licitum fuerit et laudabile / ecclesiasticoque ritui consonum / de septem christifere virginis Marie doloribus novam instituere fraternitatem » (Michel François de Lille, O.P., Quodlibetica decisio perpulchra et devota de septem doloribus christifere virginis marie ac communi et saluberrima confraternitate desuper instituta, Anvers, Thierry Martens, s.d. [1492/1494], f. A2r°). Nous soulignons.

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est sommé par celui-ci de composer l’histoire de la Confrérie qu’il a fondée86. Il avait déjà, auparavant, rédigé le récit des multiples miracles advenus auprès des icônes de la Vierge autour desquelles se réunissaient les différentes branches de la Confrérie87. Il se lance donc dans le récit des progrès de la Confraternité des douleurs et tente à son tour d’expliquer la naissance du mouvement par un contexte difficile. Il montre que les conditions de la fondation de la Confrérie répondaient à des besoins contemporains très nettement politiques. À la mort accidentelle de Marie de Bourgogne en 1482, en effet, les États bourguignons sont confiés à la régence de son mari, Maximilien Ier, père du jeune Philippe le Beau. Largement impopulaire, Maximilien ne parvient pas à asseoir un pouvoir solide et doit se résoudre à voir troubles civils et multiples soulèvements agiter les Pays-Bas. Coudenberghe revient à plusieurs reprises sur ces rébellions et évoque les « atroces séditions et plusieurs guerres intestines [qui] naquirent alors dans les territoires belges, alors que, partout, rien n’était laissé intact par cette contagion et quasi rage88 ». Il recourt encore au traditionnel vocabulaire topique du cataclysme naturel lorsqu’il rappelle « la tempête par laquelle les calamités de l’angoisse et de tant d’adversités faisaient fureur dans les territoires belges89 ». Il semblerait que ce soit en raison de ce contexte troublé et incertain que Jean de Coudenberghe se soit résolu à fonder la Confraternité de Notre-Dame des Sept Douleurs, soucieux d’obtenir l’aide divine par la commémoration de la Passion grâce à la méditation des souffrances de la Vierge90. C’est en tout cas la relecture qu’il en fait lorsqu’il adresse sa dédicace à Charles Quint et qu’il se montre convaincu de l’efficacité des prières de la Confrérie : Lorsque, en effet, la Confrérie a commencé à déployer ses rejetons avec de très beaux développements, les séditions se sont enfuies, & les guerres civiles ont commencé à se terminer, de sorte qu’en peu de mois, l’ordre de l’État a été ramené, & une fois la racaille chassée, ton peuple secouru s’est réconcilié avec ton père [Philippe le Beau], en bonne union, concorde et obéissance91.

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Jean de Coudenberghe, Ortus, progressus et impedimenta fraternitatis beatissime virginis Mariae de passione quae dicitur de VII doloribus, Anvers, Michel Hillenius, 1519 – Le texte nous est connu par l’édition qu’en fait George Colveneer en 1619 à Douai, chez Pierre Avroy. 87 Jean de Coudenberghe, Miracula CCX confraternitatis VII dolorum sanctissimae Virginis Mariae, Anvers, Hendrik Lettersnyder, 1496. Cet ouvrage connut une nouvelle édition à Anvers chez Geoffroi Back en 1510. Comme pour l’ouvrage précédent, nous avons connaissance de ce récit par l’édition qu’en fait George Colveneer en 1619. 88 « Ortae tunc sunt (pessimo quodam daemonio id virus disseminante) in Belgis atrocissimae seditiones, & bella plusquam intestina, cum nihil passim ab eiusmodi contagione, & quasi rabie, esset incolume » (J. de Coudenberghe, Ortus, progressus et impedimenta…, op. cit., G. Colveneer (éd.), Douai, Pierre Avroy, 1619, art. II, p. 243). 89 « Ea tempestate, qua praedictae angustiae, & tot rerum adversarum calamitates in Belgis desaeuirent » (Idem, art. III, p. 245-246). 90 « [Christus] qui forte afflictionem populi tui cladibus nimis oppressi, & humiliati videns, & innocentiam parentis tui agnoscens, adhibuit pro medela plagarum, & pro sacrificio sibi grato, praedictam meditationem & modum orandi, ut per hanc meditationem, memoriam suae passionis in cordibus hominum renovaret, & reduceret » (Idem, art. XVI, p. 285). 91 « Cum etenim praetacta fraternitas, pulcherrimis incrementis suas propagines extendere coepisset, fugere seditiones, & bella civilia componi coepere, ita quod in paucos menses ordo rei publicae reductus est, & squa-

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Jean de Coudenberghe, par ailleurs, associe étroitement l’image du jeune Philippe le Beau à la fondation de la Confrérie. Il l’érige en créateur de ce mouvement confraternel qui se trouve ainsi doté d’un caractère éminemment princier92. En outre, puisque la Confrérie est réputée avoir assuré, par ses prières, l’union des États bourguignons sous la difficile régence de Maximilien Ier, Philippe le Beau, considéré comme créateur du mouvement, devient dès lors la source même de l’ordre qui règne dans les Pays-Bas. C’est donc le chef légitime de la maison de Bourgogne qui est proclamé promoteur de la tranquillité et de la paix commune à l’ensemble des territoires belges. La représentation de Philippe le Beau comme fondateur de la Confrérie s’inscrira durablement dans la tradition. Au début du xviie siècle, c’est à lui, et non à Coudenberghe, que sera attribuée l’édification des différentes branches de la Fraternité et c’est son nom qui sera invoqué quand il s’agira de convaincre Albert et Isabelle de restaurer le mouvement confraternel. Leur ancêtre leur est présenté comme modèle d’action dans les Pays-Bas qu’ils s’efforcent de réunir et d’apaiser.

Le re nouveau au xvii e siècle Le cas de Saint-Géry Progressivement, cependant, la Confrérie perd de son souffle. Au début du xviie siècle, il ne reste plus grand chose du vaste et vigoureux mouvement de la charnière des xve et xvie siècles. Un premier renouveau, pourtant, frémit au début des années 1600 dans la chapelle des Sept Douleurs de l’église Saint-Géry à Bruxelles. Un inventaire des biens de cette branche locale de la Confrérie montre qu’en 1606, celle-ci a acheté pour la somme de mille sept cents florins un « grand tableau », entouré de six tableaux de plus petite taille, le tout destiné à illustrer les sept mystères des douleurs de Marie et entourer une Sedes sapientiae trônant sur l’autel de la chapelle93. Le tableau principal, peint par Coebergher en 1605, est composé d’un assemblage de grande dimension de panneaux peints. Il représente la Mise au tombeau du Christ : la Mère, au visage tordu de douleur, entourée de compagnons

lore deterso, populus tuus adiuvatus, in bona unione, concordia & obedientia, genitori tuo sese reconciliauit » (Idem, art. XVI, p. 286). Nous traduisons. 92 « Hoc inquam tempore divina haec fraternitas de septem doloribus sacratissimae Virginis Matris coli coepta, eodemque Philippo archiduce Austriae infantulo adhuc auctore recepta, institutaque fuit » (J. de Coudenberghe, Miracula CCX confraternitatis VII dolorum sanctissimae Virginis Mariae…, op. cit., p. 2). 93 « In den eersten soo is te consideren het beelt van Onse Lieve Vrouw van seven weeen sittende in eene stoel, staende op den autaer der selve capelle, waer in is eene groote schilderij, met ses andere kleine schilderijen, op ider seyde drij, welcke sijn bediedende de seven mysteria ende weeen van de Onbevleckte maget ende Moeder Godt Maria, welcke is geschildeert door meester W. Coberger in het jaert een duijsent ses hondert en ses ende heeft gekoft seventhien hondert guldend voor de hant alleen » (Archives de la ville de Bruxelles, ms. 1499, Broederschap van Onse Lieve Vrouwe van Seven Weénen in de kercke van Sinte Geurickx, alwaer aen de gesellen der Leliekamer de capelle tot de selve wordt gegeven int jaer ons Heere 1498, [p. 25], registre in-4 cartonné, fin xviie s., copies).

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affligés, pleure sur le cadavre de son fils descendu de la Croix (Figure 8)94. Les études iconographiques et stylistiques qui ont accompagné sa restauration ainsi que l’expression « voor de hant alleen » de l’inventaire des biens – c’est-à-dire « pour la main seule » – montrent que ce tableau a été peint par le maître lui-même et non par un des élèves de son atelier, ce qui augmente considérablement sa valeur et démontre la volonté des confrères de rétablir le prestige d’un mouvement en perte de vitesse. Les six autres tableaux, aujourd’hui perdus, avaient été réalisés par un proche de Coebergher, Théodore van Loon95. Le 13 octobre 1614, le pape Paul V accorde une série d’indulgences aux confrères et consœurs de Saint-Géry96. Le 7 janvier de l’année suivante, le nonce à la cour de Bruxelles, Guido Bentivoglio, concède de nouvelles indulgences à toutes les personnes qui se rendront dans la chapelle des Sept Douleurs cinq années d’affilée pour y réciter cinq Pater et cinq Ave. En écho à ces différentes entreprises qui sont le signe manifeste d’une nouvelle vigueur confraternelle, un manuel de méditation des sept douleurs destiné aux confrères de SaintGéry paraît en 1615 en langue thioise puis en français sous les presses d’Hubert Anthoine, imprimeur de la cour 97. L’auteur anonyme de ces exercices encourage les fidèles à la contemplation de l’« amère passion » du Christ et de la compassion de sa mère car « indubitablement cest exercice meine l’ame à toute vertu98 ». Il propose ces méditations au fidèle pour que celui-ci obtienne l’aide salutaire d’une Vierge avocate et se maintienne fermement dans la foi catholique face aux hérésies qui continuent à terrifier les partisans de l’autorité romaine99. Le manuel de dévotion n’évoque cependant ni l’époque troublée dans laquelle la Confrérie ancrerait ses origines ni une quelconque réputation d’avoir assuré l’union des Pays-Bas. Par ailleurs, l’auteur anonyme dédicace son manuel aux États du Brabant pour implorer leur protection sur cette Confrérie caractérisée comme « fort

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Wenceslas Coebergher, La mise au tombeau, huile/bois, datée en 1605 en bas à gauche, 306,5 x 239,5 cm, Bruxelles, M.R.B.A., inv. 124. Nous remercions pour ses précieuses indications techniques Joost van der Auwera, conservateur aux M.R.B.A., qui prépare un article sur la restauration de ce tableau réalisée en 2003. 95 J. de Maere et M. Wabbes, Illustrated Dictionary…, op. cit., vol. 1, p. 263. 96 La décision pontificale est recopiée dans le registre de la confrérie (A.V.B., ms. 3413, Liber authenticus, f. 41r°). La copie est certifiée conforme par Aubert Le Mire. Elle sera également publiée dans le manuel de dévotion de la confrérie, voir ci-après. 97 Briefve relation de la confrairie des sept douleurs de Nostre Dame instituée par le serenissime prince Philippe de haute memoire, archiducq d’Autriche, duc de Bourgogne, de Brabant, etc. en l’an de Nostre Seigneur 1498 en l’église S. Géry en Bruxelles. Dédié aux États de Brabant, Bruxelles, Hubert Anthoine, 1615. Nous n’avons malheureusement pas retrouvé l’exemplaire thiois dont on ne connaît l’existence que par l’avis au lecteur du traducteur en langue française. 98 Briefve relation…, op. cit., p. 4. 99 « Si les Monstres hideux de ce temps miserable, / Taschent d’un cœur felon & voulonté damnable, / A la Mere de Dieu empescher ses honneurs : / En vomissant par tout Sataniques fureurs, / Pour obscurcir cy bas sa gloire & renommée : / Nous, qui suyvant les pas de la voye sacrée, / Tenons l’ancienne foy & mandement divin, / Honorons la tant plus, comme un celeste engin, / Par lequel tout secours à nos travaux arrive. / Invoquons son sainct nom en confiance vive : / Elle nous obtiendra de son Fils Tout-puissant ; / De vivre en tout bonheur & mourir saintement. / Souvenons nous aussi, O ames Catholiques, / De ces grandes douleurs & peines trop iniques, / Que sans les meriter ceste Vierge endura. / Et la servant ainsi, elle se montrera, / De nous les serviteurs Advocate fidelle : / Et puis Dieu son cher Fils, à la prière d’elle, / Nous donnera sa grace & benediction, / Et rendra citoyens heureux de sa maison » (Briefve relation…, op. cit., p. 15-16).

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Figure 8 : Wenceslas Coebergher, La mise au tombeau, huile/bois, 1605, 306,5 x 239,5 cm, Bruxelles, M.R.B.A., inv. 124. - © Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique – Bruxelles. Photo de l’Institut Royal du Patrimoine Artistique - © IRPAKIK – Bruxelles.

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nécessaire & proufitable à tous Chrestiens100 » et ne fait pas la moindre allusion à la présence des archiducs parmi les confrères, alors que toute participation archiducale, active ou lointaine, à toute manifestation du culte marial, est l’occasion d’exalter à la fois le pouvoir princier et la dévotion qu’il entérine. Or, il est généralement considéré comme acquis par les historiens que le renouveau de la Confrérie doit beaucoup à la volonté des archiducs dont ils font remonter l’inscription à 1602, date à laquelle le couple princier offre une double verrière représentant Notre-Dame des Sept Douleurs au sanctuaire marial de Laeken, ou à 1605, lors de l’arrivée du tableau de Coebergher que les archiducs auraient eux-mêmes financé101. Or, si l’on sait qu’Albert et Isabelle ont en effet été inscrits dans ce registre – leurs blasons, signés, apparaissent dans le Liber authenticus de la Confraternité –, on ignore cependant quand a lieu cet enregistrement puisque leurs armes peintes ne sont accompagnées d’aucun millésime102. Le cadeau des archiducs à Notre-Dame de Laeken n’implique en aucune manière qu’ils aient été inscrits dans les registres de la confraternité installée à Saint-Géry vu que la dévotion aux douleurs de Marie était largement répandue, hors du cadre confraternel de la paroisse bruxelloise. Par ailleurs, on ne trouve pas de trace dans les archives de la chambre des comptes de Lille d’un quelconque don à la Confraternité pour l’achat du gigantesque tableau de Coebergher103. Au contraire, l’inventaire des biens de la Confrérie montre que la Fraternité a dépensé pour cette peinture sur bois la somme importante de mille sept cents florins qui devait couvrir l’ensemble du prix de cette œuvre, sans partage de frais avec les archiducs. Enfin, ce tableau, dont la réalisation a demandé un investissement de longue haleine et qui est une des toutes dernières œuvres de Coebergher en tant que peintre, porte la date de 1605. Il a fallu faire un modelo, le soumettre au commanditaire, recevoir son approbation, apporter d’éventuelles corrections, se lancer dans la réalisation à grande échelle et attendre le temps de séchage nécessaire entre chaque phase de la réalisation. La commande ne peut donc avoir été faite après le début de l’année 1605 et ce n’est que le 24 décembre de cette même année que Coebergher est officiellement nommé architecte de la cour. Il est vrai que les liens entre l’artiste et les archiducs s’étaient renforcés depuis son retour d’Italie en 1601 et qu’il n’a pas fallu attendre sa nomination par lettres patentes pour que le couple princier lui passe commande104. Les archiducs auraient donc pu lui demander la réalisation

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Briefve relation…, op. cit., p. 12. L. Duerloo, « Archducal Piety and Habsburg Power », op. cit., p. 272. 102 A.V.B., ms. 3413, Liber authenticus sacratissimae utriusque sexus Christi fidelium confraternitatis septem dolorum Beatae Virginis nuncupatae, per clarae memoriae Philippum Hispaniarum Regem, Archiducem Austriae, Ducem Burgundiae, etc. non sine peculiare Spiritus Sancti inspiratione laudabiliter primum institutae, f. 45v° et f. 46r°. La rédaction du Liber authenticus de la confraternité de S. Géry a commencé à la fin du xve siècle et s’est poursuivie jusqu’en 1785. Il contient les règles et le cartulaire de la confrérie ainsi qu’une longue série de blasons armoriés de hauts personnages de la vie publique des Pays-Bas d’Ancien Régime tant illustres princes et nobles qu’importants prélats. La dernière partie dresse la liste de quelque vingt mille noms de confrères et consœurs depuis l’année 1498, date de sa fondation (Charles Pergameni, Les archives historiques de la ville de Bruxelles : notices et inventaires, Bruxelles, H. Wauthoz-Legrand, 1943, p. 207). 103 Nous avons dépouillé systématiquement les acquits de la chambre des comptes de Lille pour les années 1605-1606 mais n’y avons trouvé aucune trace d’un quelconque paiement des archiducs à W. Coebergher (A.G.R., Acquits de la chambre des comptes de Lille, vol. 1208/A-F et vol. 1209/A-F). 104 M. de Maeyer, Albrecht en Isabella en de schilderkunst…, op. cit., p. 202. 101

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de cet ouvrage hors de toute relation officielle mais les différents éléments énoncés portent toutefois à croire qu’ils ne sont pas les commanditaires de la Mise au tombeau et qu’ils ne sont pas enregistrés dans la Confrérie lorsque celle-ci se donne un nouveau souffle. Ils ne tardent pas, cependant, à s’y inscrire. Le manuel de méditation de 1615 est en effet traduit l’année même en espagnol par le père franciscain observant, Andres de Soto, confesseur et conseiller de l’archiduchesse Isabelle105. Andres de Soto s’était déjà intéressé aux douleurs de Marie à l’occasion de réflexions spirituelles consacrées à la Passion du Christ, parues en espagnol à Anvers en 1601, plusieurs fois rééditées et traduites en français ainsi qu’en néerlandais106. Il reprend donc, avec cette traduction, un sujet qui lui est cher. Il attise, aussi, la dévotion de celle dont il assure la confession et le conseil spirituel. Le terrain est prêt pour que les archiducs Albert et Isabelle s’inscrivent au registre de la Confrérie et donnent un nouveau lustre étatique et élitiste à celle-ci. Nous pensons en effet que c’est alors, et alors seulement, que les archiducs Albert et Isabelle s’engagent dans la Confrérie. Le registre contient d’ailleurs une copie d’un mandement daté du 24 octobre 1615 par lequel les archiducs ordonnent à leur chambre des comptes de donner à la chapelle des Sept Douleurs de Saint-Géry une somme de cinq cents livres pour réparer un vieux siège détruit que Philippe le Beau avait offert à l’oratoire107. On y apprend que les responsables de la Confrérie ont imploré l’assistance financière du couple princier pour cette restauration et l’ont engagé à embellir « ladite chapelle du blason de [leurs] armoiries a l’imitation de [leurs] predecesseurs et leur faire depecher [leurs] lettres patentes108 ». Il est hautement probable que les princes ont répondu favorablement à cette demande et se soient alors inscrits dans le registre de la Fraternité en y faisant peindre leurs armes. On sait, en tout cas, qu’ils y sont enregistrés en 1619 lorsque paraît une importante réédition des œuvres de Coudenberghe qui relance considérablement, et la Confrérie, et la conviction pour le monde politique qu’elle pouvait utilement assurer la concorde dans les Pays-Bas.

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Breve declaracion de la cofradia de los siete dolores de la gloriosa Viergen Maria, traduction du français en espagnol par Andres de Soto, Bruxelles, Hubert Anthoine, 1615 (Jean Peeters-Fontainas, Bibliographie des impressions espagnoles des Pays-Bas méridionaux, réédition avec la coll. de A.-M. Frédéric, Nieuwkoop, De Graaf, t. I, n° 287). 106 Andres de Soto, O.F.M.Obs., Contemplaciones del crucifixo, y de Christo crusificado, y de los dolores que la Virgen Sanctissima padescio al pie de la cruz. Compuesta por el P. Fr. Andres de Soto frayle Minor, confessor de la Serenissima Infante Doña Isabel Clara Eugenia, &c, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1601 (rééditions à Douai, Balthasar Bellère, 1604 et Bruxelles, Jan Pepermans, 1623). La traduction en français paraît sous le titre Contemplations très pieuses sur le crucifix et les pleurs de la Vierge Mere au pied de la Croix, trad. par M. de la Bruière, Ath, Jean Maes, 1610 et la version néerlandophone, Beschouwing op het crucifix en de smerten van Maria, est éditée à Bruxelles chez Jan Pepermans en 1625. 107 « La dicte chapelle auroit esté adornée par l’archiduc Philippe, duc de Brabant, d’un siege alentour, lequel estant entierement desfaict par les troubles passez, lesdictz suppliants desireroient le renouveler selon le modello sur ce exhibé, mais n’ayant aucun moyen de ce faire, nous ont tres humblement supplier que nous pleust donner ordre que ledit siege se face à noz despens […] leur avons donné et accordé, donnons et accordons a l’effect que dessus de grace especialle par ces presentes la somme de cincq cens livres du prix de quarante groz nostre monnoye de Flandres » (A.V.B., ms. 3413, Liber authenticus…, op. cit., f. 48v°-f. 49r°, mandement du 24 octobre 1615). 108 Idem, f. 48v°.

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Une lecture politique ravivée : l’utilité publique de la Confraternité Dans l’atmosphère de renouveau de la dévotion aux douleurs mariales, le chancelier de l’université de Douai, George Colveneer, réédite en 1619, en un seul volume, les ouvrages de Coudenberghe en dédicaçant cette réédition à l’archiduc Albert109. Il mentionne le nom de ce dernier et celui de son épouse dans les suppléments qu’il ajoute aux œuvres de Coudenberghe lorsqu’il dresse la liste des plus illustres confrères de la branche bruxelloise110. Cet inventaire montre le caractère élitiste qu’a pris la Confrérie. Alors qu’elle est censée, par son organisation, accueillir en masse un nombre important de dévots de milieux populaires, Colveneer donne à lire les noms de tous les hauts dignitaires ecclésiastiques ou civils présents dans les registres de la Fraternité de Bruxelles, installée dans l’église Saint-Géry : il dénombre de nombreux cardinaux, légats pontificaux, évêques et abbés ainsi que une série de Chevaliers de la Toison d’Or et autres membres de la noblesse. Les dernières pages de la réédition de Coudenberghe ont des airs de répertoire de l’élite dominant les territoires belges111. Colveneer envoie un exemplaire de cette nouvelle publication à chaque évêque de Belgique112 et la fait traduire en néerlandais et en français113. La traduction française est assurée par un avocat de Douai, Jean Bertoul, et paraît dans la même ville en 1621114 tandis que la version flamande sort à Anvers en 1622, sous la plume du jésuite Jacques van der Straeten115. George Colveneer avait également l’intention de rééditer la défense quodlibétique de Michel François mais il semble qu’il ne l’ait jamais fait116. Il ranime donc avec force le souvenir des origines de la Confrérie et rappelle ses anciennes heures de gloire. Il ravive surtout sa répu-

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Jean de Coudenberghe, Miracula CCX confraternitatis VII dolorum sanctissimae Virginis Mariae. Una cum ortu et progressu eiusdem confraternitatis, édité et complété par George Colveneer, Douai, Pierre Avroy, 1619. Cet ouvrage connaît en 1629 une réédition chez le même imprimeur. – Sur George Colveneer, voir première partie, p. 45-46. 110 J. de Coudenberghe, Miracula CCX…, op. cit., édité par G. Colveneer, 1619, p. 366. 111 Idem, p. 364-369. 112 « In libello de ducentis decem miraculis confraternitatis septem dolorum sacratissimae Virginis Mariae (quem recudi curaui Duaci, anno 1619 & ad singulos Belgii episcopos exemplar transmisi) » (G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae Virginis Mariae novissimum…, op. cit., vol. 1, f. 208r°). Nous soulignons. 113 « Constat ex libro eiusdem Coudenberghe, in quo continentur ducenta & decem miracula authentice approbata, quos libros denuo in lucem protuli typis elegantioribus Duaci excusos an. 1619 & in linguam Teutonicam & Galliam transferendos curaui » (G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae Virginis Mariae novissimum…, op. cit., vol. 2, f. 308r°). Nous soulignons. 114 Deux cens dix miracles de la confraternité des sept douleurs de la tres-sacree Vierge Marie. Plus, l’institution, le progrez, & les empeschemens d’icelle, trad. par Jean Bertoul, Douai, Pierre Avroy, 1621. A. de Balinghem, dans son manuel de méditation pour les confrères des Sept Douleurs (cf. infra), fait référence à « un petit livret traitant de l’institution de cette confrérie », dont il précise, en marge, qu’il « est imprimé à Douai en 1622 chez Pierre Avroy » (p. 5). Peut-être s’agit-il d’une seconde édition de cette traduction qui nous est inconnue, à moins qu’il ne s’agisse d’une coquille. 115 Onse Lieve Vrouw der Seven Weeen met de mirakelen, getyden, ende Misse der selver : insgelycks den Oorspronck ende Voortganck der Broederschap, trad. par Jacques Stratius, Anvers, Guillaume Lesteens, 1622. 116 « Michaël Francisci de Insulis sacrae paginae Professor Coloniensis Ord. Praedicat. Confessarius Illustriss[imi] Principis Philippi Archiducis Austriae, Ducis Burgundiae, Brabantiae, etc. in sua quodlibetica decisione super septem principalium B. Virginis Mariae dolorum fraternitate. Hanc, quam diu quaesita serius nacti sumus, & que magnitudine haec opuscula excedit (Deo donante) seorsim excusam dabimus, cum aliis nonnullis eodem

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tation d’avoir sauvé les Pays-Bas, qui semblait avoir été oubliée par l’auteur de la Briefve déclaration de 1615. C’est probablement à la lumière de cette nouvelle publication, remettant en valeur l’utilité publique du mouvement, que l’on peut expliquer l’importance accordée à la Confrérie par les archiducs lorsqu’ils soulignent, dans un mandement daté du 21 octobre 1620 garantissant les privilèges de la branche de Saint-Géry, combien celle-ci exerce le salutaire exercice de conserver leur pays, leur ville de Bruxelles et tous leurs sujets117. Il est également intéressant de remarquer que Colveneer accordera de nombreuses pages de son Kalendarium à ce thème de la compassion mariale, refaisant l’historique de la dévotion et notant les différents endroits, particulièrement dans les Pays-Bas, où elle est à l’honneur ainsi que les différents moments de l’année liturgique où les Douleurs de la Vierge sont célébrées. S’il démontre que cette dévotion se pratique de manière variée, il tient aussi à souligner la spécificité belge de la ferveur pour la compassion sous la forme particulière des Sept Douleurs118. Il est difficile de déterminer quelles ont été les motivations de Colveneer pour se lancer dans cette nouvelle publication. Il rebondit en tout cas sur le renouveau bruxellois, manifestement soutenu par le pouvoir central, pour inciter massivement les différents diocèses à la dévotion. Il répond, de ce fait, aux attentes d’un pouvoir ecclésiastique encouragé par la Réforme catholique à donner un essor éclatant aux différentes formes d’associations pieuses tout en les contrôlant étroitement119. Quoi qu’il en soit, on constate que dans les années suivantes, les évêques déploient à leur tour une formidable énergie à créer de nouvelles branches de la Confrérie ou à restaurer les anciennes en déclin en conservant, afin d’obtenir le soutien du pouvoir temporel, l’argument de son efficacité pour le maintien de l’union et de la paix dans les Pays-Bas. Cet argument est d’autant plus déterminant que la Trêve de Douze Ans s’achève en 1621, entraînant les Pays-Bas dans de nouveaux affrontements directs avec les Provinces-Unies. À Gand, l’évêque Antoine Triest rénove la Confrérie en mars 1625, dans le couvent des Annonciades de la ville, pour, assure George Colveneer, « l’utile soulagement de la patrie affligée120 ». La Confrérie semble connaître rapidement un important succès, comme le fait savoir Grégoire Breydel, curé de Saint-Michel à Gand, au même Colveneer dans une lettre datée du 16 septembre 1629121.

pertinentibus » (J. de Coudenberghe, Miracula CCX…, op. cit., édité par G. Colveneer, 1619, f. a8v°). Nous soulignons. 117 « Ten eynde dat die voorschreven broederschap van Iaere te Iaere te beter ende devotelijck mach worden onderhouden gevoidert ende vermeerdert in eender saliger oeffenigen ten bewaerenissen van onse landen, onser goeder stadt van brussel ende andere onser ondersaeten, ontbieden daerom ende bevelen onser seer lieven ende getrouwen Cancellier » (A.V.B., ms. 3413, Liber authenticus…, op. cit., f. 47r°, mandement du 21 octobre 1620). 118 G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae Virginis Mariae novissimum…, op. cit., vol. 1, f. 205r°. 119 Les confréries, l'Église et la cité…, op. cit., 1988. 120 « Gandaui erectio sodalitatis septem dolorum B. Marie anno 1625 : Haec facta est praesenti die, quae tunc erat Dominica passionis, a Reverendissimo Antonio Triest Gandauensium episcopo, & canonice instituta, & hoc in afflictae patriae opportunum solatium » (G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae Virginis Mariae novissimum…, op. cit., vol. 1, f. 203r°-v°). Nous soulignons. 121 « De utilitate, litteris ad me datis 16 septembris anno 1629 scribit Gregorius Breydel pastor S. Michaëlis Gandaui eamdem sodalitatem mirum in modum augmentari & frequentari, ita ut multi vicini pagi etiam eamdem erexint non sine magno fructu » (Idem, vol. 1, f. 203v°).

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À l’instar d’Antoine Triest à Gand, le couvent des capucins ainsi que le Chapitre de la collégiale Saint-Sauveur de Bruges tentent également de restaurer l’ancienne Confrérie des Sept Douleurs de Notre-Dame122. Ils adressent chacun à l’archiduchesse Isabelle une requête pour lui demander sa rénovation. Le 16 septembre 1625, Charles Dellafaille, le secrétaire de l’archiduchesse Isabelle, envoie à l’évêque de Bruges, Denis Christophori, une copie de ces requêtes et lui demande de lui spécifier en quoi consiste la Confraternité tout en l’interrogeant sur l’éventuel intérêt de la restaurer123. L’évêque répond rapidement à l’archiduchesse124. Se basant sur l’ouvrage de Jean Coudenberghe125, dont il a dû recevoir la réédition par Colveneer, il rappelle que la Confrérie a pour fondateur l’ancêtre de la princesse, Philippe Ier ou le Beau, dont le but alors était de calmer les troubles qui secouaient les pays hérités de sa mère, Marie de Bourgogne126. Il montre quel succès eut cette entreprise en décrivant un pays « florissant en paix et repos » dont « les membres alienez se sont rejoncts » grâce aux prières de la Confrérie. Il explique ensuite les raisons de son déclin : laissée à la gestion de la corporation des fripiers de la ville, initialement riche et très active, mais depuis lors moribonde, la Confrérie aurait perdu sa vigueur d’autrefois. Il conseille donc à Isabelle de répondre positivement à la requête du Chapitre collégial et des pères capucins et de faire encadrer les dévotions de la Confrérie par le pouvoir municipal « sur espoir que le Bon Dieu dissiperat les troubles de ces pays comme du passé ». Il donne enfin à la Fraternité un important cadre liturgique et cérémoniel puisqu’il propose d’organiser des messes chantées quotidiennes, une messe plus solennelle tous les mois et, pour finir, une grande procession une fois par an en sa présence, accompagné des principaux représentants publics de la ville, « en laquelle l’on prierat pour la paix, union et repos de ces pays et signament pour le salut et prosperite de la maison royale de Votre Alteze127 ». L’évêque reprend donc à son compte, pour justifier la restauration de la Confrérie, l’argument qu’avaient utilisé un siècle avant

122 L’église collégiale du Saint-Sauveur à Bruges est l’un des trois lieux fondateurs de la dévotion confraternelle aux sept douleurs de la Vierge. Elle a, à ce titre, fait l’objet d’une série d’études déjà anciennes comme celle de Grégorius Augustinus van de Kerckhove, Geschiedenis van het koninglyke Broederschap der zeven weedommen van Maria, door Philippus I, koning van Spanjen en 31en Graef van Vlaenderen, in St. Salvator’s kerk te Brugge ingesteld ten jare 1492, Rousselaere, Vanhee, 1860, p. 237-259. L’ouvrage, dévot et apologétique, offre néanmoins l’intérêt de retranscrire en annexe une série de documents normatifs sur base des originaux. Nous nous servirons de cette retranscription. – La confrérie fut également étudiée, quelques décennies plus tard par Adolf Juliaan Duclos, De eerste eeuw van het Broederschap der zeven Weedommen van Maria in Sint-Salvators, te Brugge, Bruges, De Plancke, 1922. 123 A. van de Kerckhove, Geschiedenis van het koninglyke Broederschap der zeven weedommen…, op. cit., p. 237. 124 Idem, p. 237-240. Le document n’est pas daté mais il reçoit une réponse le 27 septembre (Idem, p. 240-241). Il a donc été rédigé entre le 16 et le 27 de ce mois. 125 « Comme il appert plus a plain par ung livre cy joinct imprimé du temps de l’Empereur Charles 5e notre grand Prince et ayeul de Votre Altesse Serenissime » (Idem, p. 238). 126 « La cause fut les troubles en quoy il se trouva aux séditions de ses pays héréditaires après la mort de très haulte mémoire Ma Dame Marie Archiduchesse d’Austrice sa mere heritiere d’iceux, lesquels par la il pensa assoupir l’Instituant avecq beaucoup de zèle et affection en ladite Église de S. Sauveur, et esperant indubitablement qu’honorant les sept douleurs de la Mere de Dieu, les sienes et de son peuple en prendroient diminution par son intercession » (Idem, p. 238). 127 Idem, p. 240.

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lui Michel François de Lille et Jean de Coudenberghe : elle est un excellent moyen, assuret-il à l’archiduchesse, de garantir au pays ordre et paix. Isabelle lui accorde son soutien le 27 de ce même mois, sous la plume de son secrétaire, et lui annonce qu’elle a donné l’ordre de dresser les lettres patentes pour le redressement de la Confrérie128. Celles-ci sont envoyées un mois plus tard129. La branche de la Confrérie de Bruges est donc rénovée et reçoit l’appui du pouvoir central. Mieux encore, le roi d’Espagne, Philippe IV, fait savoir, par une ordonnance datée du 24 décembre, qu’il veut la prendre sous sa haute protection. L’argument invoqué pour justifier son intérêt à l’égard d’une telle association pieuse est qu’elle devrait, comme par le passé, permettre aux « maux dont la chretienté, et ces pays en particulier se trouvent presentement accablez, [de] prendre fin130 ». Il ordonne au grand bailli de Bruges, officier de justice chargé d’assurer la législation princière, ou, en son absence, à ses subalternes hiérarchiques, de le représenter à la procession annuelle et confie la surintendance de la Confrérie à l’évêque, en lieu et place de la corporation des fripiers131. En 1682, le roi Charles II renouvellera cette protection royale en confirmant l’ordonnance de son père. Le pouvoir habsbourgeois s’empare donc de la dévotion renaissante aux douleurs de Marie. Il marque ses manifestations publiques de sa présence et joue habilement avec l’idée qu’elle peut secourir et apaiser une nation dans l’affliction, alors même qu’elle est assurée de son royal soutien. Protecteur d’une telle Confrérie, il devient aussitôt le garant de la concorde belge.

Union de la nation ou rédemption individuelle ? Les exemples de Gand et de Bruges font des émules. En septembre 1626, l’archevêque de Malines et récent conseiller d’État, Jacques Boonen, restaure la Confraternité dans l’église dite de Notre-Dame au-delà de la Dyle. L’origine de cette association est obscure. Il est bien connu qu’une branche avait vu le jour au prieuré du Mont-Thabor dans les premiers mois de l’année 1497, sous l’impulsion du confesseur du lieu, Pierre Verhoeven de Manso132, mais qu’elle avait peu à peu décliné133. La Confrérie renouvelée à Notre-Dame, cependant, ne serait pas l’héritière de celle qui se trouvait jadis dans le cloître des chanoinesses. À l’époque, on est intimement convaincu qu’elle ancrait ses origines dans une chapelle de la cathédrale Saint-Rombaut où se trouvait autrefois un tableau du Christ crucifié avec, à ses pieds, la

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Idem, p. 240-241. Idem, p. 243. 130 Idem, p. 245. 131 On retrouve ici le caractère très nettement tridentin du sévère contrôle ecclésiastique sur les activités laïques et en particulier sur les mouvements confraternels. 132 Pierre Verhoeven est confesseur du prieuré des chanoinesses régulières de Saint-Augustin du Mont-Thabor à Malines de 1480 à 1504. Il avait obtenu de l’évêque de Cambrai, Henri de Berghes, et de la faculté de théologie de Louvain, l’autorisation de fonder une confrérie des Sept Douleurs dans le prieuré (Ernest Persoons, « Prieuré du Mont-Thabor à Malines », dans L.-E. Halkin, R. Aubert, L. Milis, G. Despy et C. Wyffels (éds), Monasticon belge, t. VIII (Province d’Anvers), vol. 2, p. 585). 133 Émile Steenackers, La confrérie de Notre-Dame des sept douleurs à Malines, Malines, Dierickx-Beke, 1927. 129

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Vierge au cœur transpercé d’un glaive et le très jeune Philippe le Beau agenouillé et accompagné de sa cour134. En 1626, un prédicateur jésuite dépêché à Hanswijk prêche chaque dimanche du Carême dans l’église de Notre-Dame, tout ornée de noir, au sujet des douleurs de la Vierge135. Selon les Litterae annuae du collège, l’affluence est telle que l’on décide alors de renouveler la Confrérie des douleurs mais de la fixer dans une autre église, celle de Notre-Dame au-delà de la Dyle. Une statue de la Vierge, le visage accablé et le cœur transpercé de glaives, est sculptée pour l’occasion. Autour de l’église et dans les quartiers voisins sont installés sept tableaux représentant chacune des souffrances mariales. C’est à l’archevêque que revient l’honneur de consacrer la Confrérie restaurée. D’importantes cérémonies sont organisées pour la circonstance. Un autel surélevé par plusieurs degrés est dressé au milieu de la nef : des prières de Quarante heures sont organisées devant l’hostie qui y est exposée. Le jour de la consécration, la statue est sortie en grandes pompes de la cathédrale Saint-Rombaut pour être conduite à Notre-Dame, accompagnée du Magistrat, des gardes civiques malinoises et des élèves du collège arborant des enseignes illustrées des mystères de la Passion du Christ. Après la dédicace par Jacques Boonen, la statue est transportée, en même temps que l’hostie, de station en station où sont commentées les douleurs de la Vierge. La statue est ensuite installée dans sa chapelle, après quatre semaines d’exposition au centre de l’église. On remarquera que chaque mois, une messe sera célébrée aux frais du trésor royal pour favoriser et amplifier la dévotion qui connaît un succès immédiat. Il semble qu’en une seule octave, 4692 nouveaux membres s’inscrivent dans le registre. Un livret reprenant l’origine de la Confraternité ainsi que ses règlements est imprimé pour l’occasion. Trois mille exemplaires sont vendus en peu de temps. Augustin Wichmans, par ailleurs, affirme que, dès l’année de sa restauration, quelque dix mille dévots sont inscrits et qu’en 1629, les registres de la Confrérie recensent plus de quatorze mille membres136. Wichmans est disert au sujet de cette Confrérie. Cependant, s’il rappelle le contexte troublé qui agitait les provinces belges au moment de la création des branches fondatrices137, il préfère de manière très nette décrire longuement les pratiques de dévotion et singulièrement le parcours des sept stations des douleurs de Marie dont la charge émotionnelle l’impressionne particulièrement : il montre, sur le ton du pathos, les dévots, genoux fléchis et nus, parcourir en larmes, par le vent d’hiver et les nuits les plus froides, les rues où s’égrènent les stations sacrées138. De la même manière, les Litterae annuae du collège malinois s’attardent sur le dolorisme de la piété que génèrent ces nouvelles stations. L’argument politique invoqué par le pouvoir ecclésiastique et temporel

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A. Wichmans, Brabantia mariana…, op. cit., 1632, livre II, p. 551-552. – François De Ridder, « Stichting eener Broederschap van O.-L.-V. van VII Weeën te Antwerpen en te Mechelen. Einde der xvde eeuw », Mechlinia, n° 3, 1923, p. 79. 135 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 33, Prosecutio Historiae Mechlinia. 136 A. Wichmans, Brabantia mariana…, op. cit., 1632, livre II, p. 549. 137 « Qui sedandis gravissimis tumultibus in hoc Belgio exortis, & bello per diversas eius Provincias dirissime grassanti extinguendo » (A. Wichmans, Brabantia mariana…, op. cit., 1632, livre II, p. 548). 138 « Verum etiam nudis flexisque poplitibus adgeniculantes easdem circumrepere, viciniam totam gemebundis lacrymis & suspitiis adimplentes. O imitemur pium hoc studium ! » (A. Wichmans, Brabantia mariana…, op. cit., 1632, livre II, p. 549-550).

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pour le renouvellement de la Confrérie prend des contours flous et apparaît bien davantage ce qui, en fait, s’avère être la réalité quotidienne de la dévotion aux douleurs de Marie. On constate en effet que les nombreux exercices de méditation qui se multiplient alors pour répondre aux besoins spirituels des confrères ne font pas la moindre allusion à cet objectif d’établissement de la paix par la force des prières qu’assignent pourtant à la Confrérie, et la tradition, et le pouvoir. Ces traités, en langue vernaculaire dans l’esprit populaire de la dévotion, insistent exclusivement sur la nécessaire participation au supplice marial139. Le jésuite Antoine de Balinghem, qui publie en 1624 Sept petits exercices spirituels et meditations des sept douleurs de Nostre Dame140, souligne comme principal devoir du confrère celui de « mediter & ruminer devotement les sept douleurs de la Vierge Mere141 ». Il s’agit pour celuici de « penetrer » les circonstances de ces douleurs « tres-aigues, tres-penetrantes, et du tout intolerables142 ». La Vierge a souffert « un martyre extrême » : il faut au confrère « compatir parfaitement et luy apporter quelque soulagement au milieu de ses douleurs, faudra qu’il suive ses traces, qu’il imite sa patience & grandeur de courage en ses adversitez143 ». Chaque manuel de dévotion offre donc au dévot sept exercices de méditations pour chaque douleur de Marie : ils permettent d’aviver chez celui-ci le sentiment de compatir, à l’image de la Vierge, aux souffrances de la Passion et de gagner ainsi son salut et celui de ses frères. Dans les pratiques quotidiennes de l’ensemble des membres de la Confrérie, le souci d’assurer calme et ordre au sein des Pays-Bas méridionaux est absent : il s’agit, avant toute chose, d’assurer sa rédemption personnelle. La justification politique de l’institution de ce vaste mouvement confraternel tient donc davantage du dispositif argumentatif que d’une réelle pratique d’oraison. Quand l’évêque de Bruges organisera en 1626, comme il l’avait annoncé, une série de manifestations publiques pour célébrer les Douleurs de la Vierge, il délaissera le but initialement assigné à ces cérémonies qui devaient implorer l’union des Pays-Bas. La lecture du placard144 qui annonce l’organisation des cérémonies en présence des représentants du roi d’Espagne depuis le vendredi qui précède le dimanche des Rameaux jusqu’au dimanche lui-même, informe qu’une série de messes seront chantées dans l’église

139 Voir, par exemple, De seven wee-en van de H. Moeder Gods Maria seer goed ende bequaem om te lesen voor alle Menschen. Van nieuws overzien ende verbetert, Anvers, Jean Norbert Vinck, [1623] ; Gheesteliicke doorne-croon van seventich doornen, oft denck-puncten, in de welcke verdeylt worden de seven wee-dommen der alder-bedruckte Maghet, ende Moeder Godts Maria, Anvers, Arnoult van Brakel, 1653 ; [Georges Salomons], Uur'-werk des verstandts op de seven wee-en van de Alder-bedrukste Moeder, en Maghet Maria, oft Seven Godtvruchtighe Meditatien, yverighe Ghebeden, zedighe leeringhen met rijm verçiert, Anvers, Jacob Mesens, 1667. 140 Antoine de Balinghem, S.J., Sept petits exercices spirituels et meditations des sept douleurs de Nostre Dame, Douai, Gérard Patté, 1624. Ce texte est rapidement épuisé comme l’affirme la réédition l’année suivante chez le même imprimeur à la suite de L'advocat des povres, Douai, Gérard Patté, 1625. L’approbation est signée par George Colveneer. Ce manuel est traduit en néerlandais par Gérard Witten, à l’usage de la confrérie des Sept Douleurs instituée dans l’église des Chanoines réguliers de Tongres (Antoine de Balinghem, Die seven Geestelycke oeffeninghen vande seven smerten der H. Maget Maria, Liège, Léonard Streel, 1628). 141 A. de Balinghem, Sept petits exercices spirituels…, op. cit., p. 7. 142 Ibidem. 143 Idem, p. 9. 144 A. van de Kerckhove, Geschiedenis van het koninglyke Broederschap der zeven weedommen…, op. cit., p. 248.

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collégiale du Saint-Sauveur, siège de la Confrérie, que des processions parcourront les rues de Bruges en suivant l’image de la Vierge douloureuse et que les pères capucins mettront en scène les différents épisodes de la Passion du Christ, mais aucune référence n’est faite à la prière des participants pour l’union des Pays-Bas. L’organisation peu contraignante de la Confrérie, son intériorisation des pratiques spirituelles, sa volonté de faire revivre intensément les douleurs de la Mère de Dieu répondent principalement à des aspirations réellement individuelles. La piété moderne promeut, depuis le succès de la devotio moderna, l’intériorité et l’intimisme. Les confréries modernes, quelles qu’elles soient, ont d’ailleurs répondu à ces attentes en se transformant progressivement pour accompagner, au sein de structures communautaires, ces aspirations grandissantes à une piété intérieure145. L’organisation confraternelle collective devient donc le lieu où s’expriment les intérêts strictement privés des individus146. La Confraternité des douleurs suit cette évolution : la fonction ordonnatrice et pacificatrice que lui confèrent ses réformateurs en ces débuts du xviie siècle échappe totalement à ses nombreux membres. Si l’utilité publique de la Confrérie revendiquée par ses rénovateurs s’estompe, la restauration de la Confraternité continue cependant à entretenir des liens étroits avec le difficile contexte militaire. Il s’agit de faire converger les souffrances de la Vierge et celles du peuple dans un contexte de crise. On remarquera donc une multiplication des branches locales du mouvement à des moments de vives tensions, principalement à l’instigation des jésuites. Des confréries voient le jour à Lille en 1635, à Aire-sur-la-Lys en 1636 alors que la France s’allie aux Provinces-Unies pour disposer des Pays-Bas147. Les jésuites de Béthune entreprennent à leur tour pareille fondation en 1645 pour ne plus avoir à pâtir des difficultés qu’engendre la guerre. Jean Vincart, lorsqu’il évoque dans son De cultu Deiparae la fête des Sept Douleurs, témoignera de l’utilité de ce culte au cœur d’un tel climat de peur : Ce culte est utile, en sont témoins les ondes de la Deûle [Lille] et Aire la belliqueuse, sur les eaux de la Lys. Et récemment, Béthune en vint à de tels rites pour ne plus souffrir autant des douleurs de la guerre148.

Les méditations sur les souffrances de la Vierge que semble encourager la Compagnie sont donc proposées comme moyen d’apaiser les souffrances des populations. Il ne s’agit

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Stefano Simiz, « Une école de prière aux xviie et xviiie siècles : les confréries de Champagne », Annales de l’Est, n° 51/1, 2001, p. 215-236. 146 C. Vincent, Les confréries médiévales…, op. cit., p. 126. 147 Selon le père jésuite chargé de rédiger la lettre annuelle du collège d’Aire-sur-la-Lys, plus de mille habitants auraient inscrit leur nom dans le registre de la confrérie (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 443, Collegii Ariensis [Litterae]Annuae 1636). 148 « Utilis hic cultus, testes Deulleïdes undae / Bellica Lisanis Aria testis aquis. / Nuperque ad tales venit Bethunia ritus / Non tantum belli luctibus illa patet » (Jean Vincart, De cultu Deiparae, Lille, Nicolas De Rache, 1648, p. 112). – Le lecteur se souviendra aussi que lorsqu’il consacre son royaume à la Vierge en 1638, Louis XIII offre en guise de témoignage un tableau le représentant tendant sceptre et couronne à la Mater dolorosa, le cadavre de son Fils sur les genoux. C’est donc bien la Vierge de douleurs qu’il charge de protéger son autorité et de vaincre les ennemis de la Couronne.

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plus, il est vrai, d’invoquer des idéaux de paix et d’union civile, mais la dévotion reste étroitement liée à un douloureux climat de guerre. Par ailleurs, la nature collective de la Confraternité doit attirer l’attention de l’historien préoccupé par des questions d’ordre communautaire. Le mouvement confraternel répond à un indéniable besoin d’union et aide à la construction de liens indispensables à la collectivité sociale. La Confrérie des douleurs pourrait donc être considérée comme un formidable moyen pour les habitants des Pays-Bas de « faire corps », dans la prière et l’oraison, autour de la Vierge Marie. Elle réunirait ses milliers de membres en une seule et même communauté idéalisée, aux pratiques communes, sur laquelle pourraient s’appuyer les autorités temporelles qui encadrent étroitement, comme nous l’avons vu, sa restauration, son organisation et ses manifestations publiques. La Confrérie serait capable d’assurer, par ses prières, l’union des Pays-Bas. Il ne faut cependant pas oublier la nature même de la Confrérie des douleurs. Ses membres partagent les mêmes pratiques dévotionnelles intériorisées au sein d’une même fraternité, certes. Mais il s’agit de pratiques individuelles d’oraison. La Confraternité est donc bien davantage une Église en prière qui se donne à voir qu’une communauté civile en quête de quiétude. Toutefois, les archiducs Albert et Isabelle et les dignitaires épiscopaux ont bel et bien rêvé d’une Confrérie des douleurs qui assurerait la protection du pays. Que les pouvoirs aient voulu croire en ce rôle politique de la Confraternité et l’aient invoqué pour donner une nouvelle vie au mouvement confraternel mérite notre attention. Ils ont considéré cette Confrérie des SeptDouleurs comme un outil politique et social à intégrer dans leur stratégie dévotionnelle. Ils en ont joué et ont suggéré avec conviction que la Vierge des Douleurs était la garante du salut public. Si ce principe qui a présidé à la restauration confraternelle n’est pas intégré par la pléthorique base d’inscrits aux registres de la Confrérie, il n’en demeure pas moins que l’incroyable succès du mouvement a vivifié le culte marial dans le pays, offert des structures à l’expression d’un catholicisme fervent et, dès lors, contribué à consolider les efforts réformateurs d’un pouvoir qui se persuade de l’importance de la religion comme condition de la stabilité du pays. Les autorités se sont-elles inquiétées de voir s’installer cette apparente dichotomie entre volonté politique d’un côté et pratique populaire de l’autre ? Non. L’une et l’autre, en effet, ne sont pas incompatibles. Une même réalité peut faire l’objet d’interprétations divergentes sans pour autant se vider de sa substance et perdre de son utilité. La Vierge est un objet culturel que chacun modèle, façonne et s’approprie. Face aux objectifs divergents que les uns et les autres assignent à la Confrérie des Douleurs, l’historien fera le constat non des limites de l’instrumentalisation politique de la Vierge mais du caractère plurivoque de la dévotion mariale. Sous sa forme de Notre-Dame des Sept Douleurs, la figure de la Vierge a soutenu un projet gouvernemental élitiste et idéaliste qui suggère un Pays-Bas imaginaire puisque uni et apaisé. Malgré son caractère très sensible et démonstratif cependant, ce projet politique n’est pas nécessairement adopté par les foules dévotes qui y ont vu bien davantage, manifestement, un foyer rassurant vers où faire converger les espoirs de leurs âmes tourmentées.

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L’âpre combat immaculiste La stratégie mariale offensive des Habsbourg dans les Pays-Bas sera spectaculairement mise en œuvre lors de l’implication de la dynastie dans la difficile question de l’Immaculée Conception. Cette orageuse controverse, en effet, occupe une place de première importance, tout au long du xviie siècle, dans la politique dévotionnelle du pouvoir habsbourgeois qui domine les Pays-Bas. La question doctrinale de l’Immaculée Conception quitte alors les sphères strictement théologiques pour entrer avec âpreté dans l’arène publique. L’historien intéressé par ce phénomène extraordinaire qui secoue alors l’Europe, et les royaumes espagnols en particulier, ne peut plus se contenter d’analyser les discours théologiques qui tentent de définir la doctrine mais doit élargir son champ d’investigation à une série de documents de nature différente qui permettent de rendre compte avec davantage de précision de la spectaculaire dimension publique qu’a revêtue la question de l’Immaculée Conception. Les discours se rencontrent, s’enchevêtrent et interagissent. Si les théologiens prennent encore la parole, d’autres voix s’élèvent, politiques, intellectuelles ou populaires. Cette question est donc totalement indissociable d’une série d’autres interrogations qui traversent et animent nos recherches. Elle est en réalité un paradigme de l’utilisation politique du culte marial à des fins régaliennes et mérite, à ce titre, d’importants développements dans notre analyse. Il est possible de distinguer deux temps de cristallisation de l’attention des pouvoirs temporels et spirituels belges portée à la question, prenant place, tous deux, à l’une et l’autre extrémités de cette convulsion européenne qu’est la guerre de Trente Ans dont on sait les conséquences dramatiques pour le pays. Ces deux phases diffèrent sensiblement l’une de l’autre. La première est très courte : elle ne retient les soins du pouvoir central que l’espace de quelques mois, entre février 1618 et août 1619 – avec un soubresaut en septembre 1624 – et ne met en scène qu’un nombre restreint d’acteurs, mais non des moindres, les archiducs Albert et Isabelle, les papes Paul V puis Urbain VIII, le cardinal Scipione Borghese, le représentant des archiducs auprès du Saint-Siège et les nonces délégués à Bruxelles. Elle correspond manifestement à l’esprit conquérant de la pietas austriaca, moteur spirituel des Habsbourg dans l’affirmation de leur pouvoir et dans leur lutte contre l’hérésie. La seconde période est beaucoup plus longue et s’étire sur plus de dix ans. L’Espagne se délite dans les guerres franco-espagnoles qui découlent de la guerre de Trente Ans, entraînant avec elle les Pays-Bas victimes de sa chute. Dans ce décor zébré par les déchirures et les bouleversements de la guerre, on ne veut plus de définition doctrinale. Il s’agit simplement de faire ou non de l’Immaculée Conception la patronne du pays pour retrouver une confiance perdue en raison du désastre militaire et économique dont souffrent les habitants. Notre hypothèse est que 149

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les questions immaculistes qui s’agitent alors dans les Pays-Bas trouvent avant toute chose leur origine dans le climat anxiogène gangrenant le pays. Indéniablement, ces questions soulèveront des conflits théologiques et pastoraux. Incontestablement, elles trouveront des échos dans d’autres querelles doctrinales et, en particulier, celles qui opposent les uns et les autres au sujet du jansénisme. Elles ne peuvent cependant être entièrement expliquées par cette grille de lecture strictement doctrinale. L’ensemble de nos recherches tend à prouver que la question est largement plus complexe et qu’elle doit se comprendre dans le vaste cadre d’un Belgium en ruines, malade, qui cherche à trouver en la Vierge une protectrice efficace. Les autorités, prolongeant les rêves immaculistes de l’Espagne, jouent de l’Immaculée Conception, symbole de la victoire absolue sur le mal, pour tenter de sortir leurs provinces de la catastrophe.

Préliminaires Lorsque, au début du xiie siècle, la fête de la Conception de la Vierge, d’origine orientale, est adoptée en Angleterre, elle suscite échos favorables et virulentes réactions sur le continent1. Zélateurs et adversaires de la Conception Immaculée s’affrontent jusqu’à ce qu’au xiiie siècle, les docteurs scolastiques, dont les deux principales figures sont Thomas d’Aquin et Bonaventure, rejettent unanimement le privilège immaculiste. Celui-ci est à leurs yeux impossible et inconvenant dans le plan divin de la Rédemption qui devait sauver l’ensemble de l’humanité irrémédiablement viciée par le péché originel auquel la Vierge ne peut échapper. En privant le Christ de la puissance de sauver tous les hommes, y compris sa mère, le privilège immaculiste dérogeait à la majesté du Fils de Dieu 2. Néanmoins, des résistances sont à l’œuvre et travaillent à la diffusion progressive et incoercible de la fête de la Conception s’opposant au refus persistant des maîtres universitaires. L’établissement de cette fête relance le processus de définition doctrinale qui connaît, à la charnière des xiiie et xive siècles, un virage décisif grâce à des auteurs en rupture avec la tradition scolastique, comme Guillaume de Ware ou Jean Duns Scot. La doctrine immaculiste est dès lors reconnue et largement diffusée dans différents milieux, qu’ils soient monastiques, universitaires ou

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Pour une étude globale sur l’Immaculée Conception, certes vieillie mais cependant toujours précieuse, le lecteur se référera utilement à Xavier-Marie Le Bachelet, S.J., « Immaculée Conception », D.T.C., t. VII, 1922, col. 845-1218. – L’importante étude de Jean-Baptiste Malou, professeur de théologie à Louvain puis évêque de Bruges, intitulée L'Immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie, considérée comme dogme de foi, Bruxelles, H. Goemaere, 1857, est longtemps restée la référence essentielle pour une histoire systématique de l’Immaculée Conception. Elle avait été entreprise dans le cadre des travaux préparatoires à la définition dogmatique de 1854. De nombreux auteurs la citent encore aujourd’hui. Il faut cependant l’utiliser avec les précautions d’usage et préférer les travaux postérieurs qui revisitent et réactualisent ces problématiques. 2 « Et sic, quocumque modo ante animationem beata Virgo sanctificata fuisset, numquam incurisset maculam originalis culpae, et ita non indiguisset redemptione et salute quae est per Christum […]. Hoc autem est inconveniens, quod Christus non sit salvator omnium hominum, ut dicitur I Tim. IV. […] Ad secundum dicendum quod, si numquam anima beatae Virginis fuisset contagione originalis peccati inquinata, hoc derogaret dignitati Christi, secundum quam est universalis omnium Salvator » (Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, III, quaest. 27, art. 2 (Opera omnia, édition Léonine, t. XI, Rome, Propaganda Fide, 1903)).

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populaires, tandis qu’elle provoque de véhémentes réactions de la part des dominicains. Rapidement, les débats dégénèrent en affrontements violents et l’on cherche à apaiser les conflits lors du concile de Bâle qui proclame en 1439 la conception sans tache de Marie comme dogme de foi et institue la fête de l’Immaculée Conception au 8 décembre3. Le concile bâlois, considéré comme schismatique, verra cependant sa décision rester sans réels effets. Les débats et querelles continuent donc. Pour apaiser les âpres polémiques, Sixte IV approuve en 1476 l’office propre de l’Immaculée Conception, accorde pour cette fête une série d’indulgences aux fidèles mais provoque par ce geste la réaction virulente des frères prêcheurs. Le pape condamne cette opposition et promulgue en 1481 un décret excommuniant toute personne qui ferait de la fête, à la manière dominicaine, celle de la « Sanctification mariale » c’est-à-dire du don divin de la grâce sanctifiante annulant la dette du péché originel après la conception de la Vierge et l’union de ses âme et corps. Quand vient l’heure du concile de Trente, l’assemblée ecclésiastique préfère ne pas trancher, malgré les sollicitations pressantes du cardinal espagnol Pedro Pacheco4. Le 17 juin 1546, la majorité conciliaire conclut les décrets de sa cinquième session consacrée au péché originel par un refus de prendre en compte la personne de la Vierge Marie et exhorte au respect des constitutions de Sixte IV5. Le débat reste donc ouvert. En 1570, Pie V tente néanmoins d’empêcher les frémissements d’une controverse renaissante en interdisant les discussions publiques sur la question tout en autorisant les débats théologiques. Au tournant du xvie et du xviie siècles pourtant, l’opposition entre thèses maculistes et immaculistes enflamme l’Espagne6. En 1595, ont lieu au Monte Sacro, à Grenade, d’importantes découvertes : parmi une série de rouleaux très vite attribués à des disciples de saint Jacques, une pierre gravée que l’on fait également remonter aux temps apostoliques affirmait la conception de la Vierge hors du péché. L’archevêque de Séville, persuadé de l’authenticité de cette trouvaille, devient l’ardent défenseur de la Conception Immaculée. La controverse, pourtant interdite, fait rage. Dans la ville de Séville, chaque parti se provoque à coups de spectaculaires processions, de sermons incendiaires et de fastueuses mascarades7. Une représentation de l’Immaculée Conception est suspendue sur la façade de la tour surmontant l’une des portes de la muraille

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Pour une analyse détaillée et fine des débats théologiques médiévaux sur la question, voir Marielle Lamy, L’Immaculée Conception : étapes et enjeux d’une controverse au Moyen Âge (xiie-xve siècles), Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 2000 (= Collection des Études Augustiniennes, Série Moyen Âge et Temps Modernes, 35). 4 D.T.C., Tables, col. 2382. 5 « Declarat tamen haec ipsa sancta synodus, non esse suae intentionis, comprehendere in hoc decreto, ubi peccato originali agitur, beatam et immaculatam virginem Mariam Dei genitricem, sed observandas esse constitutiones felicis recordationis Sixti pape IV, sub poenis in eis constitutionibus contentis, quas innovat » (Concile de Trente, décrets de la session V, dans G. Alberigo (éd.), Les conciles œcuméniques…, op. cit., vol. 2, p. 1358). 6 Pour les longues et âpres querelles qui ont secoué l’Espagne en l’opposant, dans des rapports tendus, au SaintSiège, le lecteur lira utilement Suzan Stratton, The Immaculate Conception in Spanish Art, Cambridge, Cambridge University Press, 1994. 7 La procession organisée par l’archevêque de Séville le 29 juin 1615 aurait accueilli plus de vingt mille personnes (Bartolomé Bennassar et Bernard Vincent, Le temps de l’Espagne (xvie- xviie siècles), Paris, Hachette, 1999, p. 174).

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de l’Alcazar et investit ostensiblement l’espace urbain8. Philippe III, pressé de toutes parts, singulièrement par l’archevêque de Séville ainsi que par sa tante et cousine, sor Margarita de la Cruz, religieuse au couvent royal des Descalzas Reales, se décide à régler la question en organisant, en juin 1616, une première junte royale de l’Immaculée Conception qu’il charge de la mission suivante : obtenir du pape Paul V qu’il fasse taire les adversaires de la doctrine immaculiste et qu’il érige celle-ci en dogme. Dans ce but, la junte décide d’envoyer à Rome un émissaire spécial, le bénédictin Placido Tosantos, évêque de Cadix. À Séville, les ostentatoires manifestations immaculistes continuent. Le climat est tendu. Paul V envoie au Roi Catholique, le 6 juillet 1616 la lettre Regis pacifici interdisant tout débat public sur le sujet et renouvelant les décrets de Sixte IV. Bien piètre est son succès. Quand Tosantos arrive à Rome, il multiplie les pressions sur le pontife et son entourage. Le 31 août 1617, le cardinal Bellarmin, au nom de la Congrégation du Saint-Office, prononce en présence du pape un Votum suggérant l’interdiction de toute polémique hors du cadre privé9. Le 12 septembre, Paul V promulgue la constitution Sanctissimus Dominus noster qui reprend les suggestions de la Congrégation. Le décret est un compromis d’ordre disciplinaire dont le but unique est de calmer les esprits. Cette « demi-mesure » ne pouvait donc satisfaire le roi d’Espagne et la faction du clergé espagnol favorable aux thèses immaculistes. Des fêtes somptueuses sont organisées à Séville le 8 décembre, jour de l’Immaculée Conception : corridas et feux d’artifice attirent les foules10. Le Chapitre cathédral et le Conseil municipal de Grenade jurent solennellement de défendre l’Immaculée Conception. C’est alors que les archiducs Albert et Isabelle se joignent une première fois aux suppliques espagnoles pour demander la définition de la Conception de Marie en appuyant une demande de même ordre formulée par la sœur d’Albert, Margarita de la Cruz. Les Pays-Bas entrent dans la querelle.

8 Juan Carlos Hernandez Nunez, « Noticias sobre el Arco de S. Miguel y su derribo en el siglo xvii », Laboratorio del arte, n° 6, 1993, p. 179-188. 9 Le texte imprimé est notamment conservé aux archives de l’archevêché de Malines-Bruxelles, section archives historiques (A.A.M.B.), Fonds De Immaculata Conceptione, non folioté. Ce fonds, réduit à un seul portefeuille, est composé de trois grands dossiers dont deux contiennent les papiers du cardinal Sterckx. Celui-ci a démontré en 1854 son soutien à la définition pontificale par une activité apostolique intense pour garantir la soumission de ses fidèles à la décision dogmatique (Aloïs Simon, Le cardinal Sterckx et son temps (1792-1867), vol. 2, Wetteren, Scaldis, 1950, p. 241-244). Le troisième dossier rassemble une série de documents imprimés ou de manuscrits datant pour la plupart du xviie siècle. Ces archives sont de nature diverse : on y trouve les décrets pontificaux et leur promulgation par l’archevêque de Malines, des mémoriaux adressés à l’évêque d’Anvers puis à la régente Marie-Anne d’Autriche, des mandements des gouverneurs généraux à l’adresse de l’archevêque de Malines, etc. Il s’agit d’une véritable mine d’informations pour qui s’intéresse à la question de l’Immaculée Conception dans les Pays-Bas méridionaux. 10 Sur la somptueuse mascarade organisée par le métier des orfèvres à Séville en 1617 pour défendre l’Immaculée Conception en opposition à la condamnation dominicaine, voir Maria Jesús Sanz Serrano, « El problema de la Inmaculada Concepcion en la segunda decada del siglo XVII : festejos y mascaras : el papel de los plateros », Laboratorio del arte, n° 8, 1995, p. 73-101.

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Première cristallisation : les pressions archiducales pour obtenir la définition L e s out i e n à Mar g ar ita d e l a Cr u z En cette deuxième décennie du xviie siècle, l’Espagne se divise donc violemment à propos de l’Immaculée Conception. La papauté considère ces réactions virulentes comme véritablement scandaleuses et refuse de les voir se répercuter dans d’autres lieux de la chrétienté. Elle voudrait, dans de vains efforts, que les esprits se calment, et craint notamment pour les royaumes et possessions espagnols auxquels ressortissent les Pays-Bas. Plusieurs signes de cette volonté d’éviter l’embrasement sont manifestes dans la correspondance qu’entretient le pape avec son représentant en poste à Bruxelles auprès des archiducs. En janvier 1618, quelques mois après la proclamation de la constitution Sanctissimus Dominus noster, le même cardinal Borghese écrit au nonce Lucio Morra pour lui rappeler brièvement l’existence des controverses souvent houleuses secouant l’Espagne11. Il joint à son courrier le mémorial de l’ambassadeur espagnol Placido Tosantos qui réclame une définition dogmatique mais lui répète en même temps la teneur du décret pontifical destiné à mettre un terme aux revendications. Il invite surtout le nonce à conseiller aux archiducs Albert et Isabelle de ne pas intervenir sur cette question12. Lucio Morra devra inciter les princes des Pays-Bas à n’envoyer ni correspondance ni émissaire spécial au risque de « nouveaux désordres, scandales et péchés ». Les archiducs, cependant, ne respectent pas les recommandations du légat pontifical. Le 14 février 1618, ils envoient à leur représentant auprès du Saint-Siège, Philippe Maes13, une lettre de la sœur de l’archiduc, Margarita, demandant la résolution définitive des polémiques par une définition du dogme14. Les archiducs soutiennent l’enthousiasme de leur sœur et belle-sœur et demandent à leur légat de délivrer sa requête au pontife lors de son audience hebdomadaire. Il devra le supplier, en leur nom, de se prononcer enfin sur la question pour mettre fin aux « inconvénients » qui

11 A.S.V., F.B., seria II, vol. 428, f. 128bis-130. Le copiste a retranscrit cette lettre à la date du 19 janvier 1619. Il est cependant hautement improbable, vu son contenu, qu’elle ait été envoyée si tard. Elle transmet en effet au nonce la copie d’un décret promulgué presque un an et demi plus tôt. Cette lettre fait état également des pressions actives de Placido Tosantos sur le pontife. Or, à la date du 19 janvier 1619, le Roi Catholique l’a rappelé en Espagne et remplacé par le récent évêque de Carthagène, Antonio de Trejo. La lettre ne peut donc qu’être antérieure : il faut, nous semble-t-il, bien davantage lire 1618. Lucienne Van Meerbeeck conserve le millésime du registre de copies dans son inventaire de la « Correspondance des nonces Gesualdo, Morra, Sanseverino… », op. cit., p. 349, n° 1022. 12 A.S.V., F.B., seria II, vol. 428, f. 130r°-v°. 13 Philippe Maes est résident auprès du Saint-Siège pour les archiducs de novembre 1610 jusqu’en avril 1618. Né à Anvers, il avait été greffier des États du Brabant. Sur ce diplomate en particulier et la légation permanente sous les archiducs en général, voir L. V. Goemans, « Het Belgische Gezantschap te Rome onder de regering der Aartshertogen Albrecht en Isabella (1600-1633) », Bijdragen tot de geschiedenis, bijzonderlijk van het aloud Hertogdom Brabant, n° 6-8, 1907-1909, passim. 14 A.G.R., Papiers d’État et de l’Audience, vol. 452, Relations avec Rome (1618), f. 37r°, les archiducs à Philippe Maes, Bruxelles, 14 février 1618, minute. Une traduction espagnole est jointe au document (Idem, f. 38r°). La lettre de Margarita de la Cruz, par contre, ne figure pas dans le recueil.

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ne peuvent que découler d’une définition « indécise ». Il faut, estiment-ils, trancher définitivement si l’on veut éviter les scandales. La réponse de Philippe Maes ne se fait pas attendre : le pontife estime que l’interdiction formulée quelques mois plus tôt de « traicter ceste matiere en publicq » suffirait à faire cesser « pour l’advenir ce scrupule et oblocutions15 ». Le pape se réfère au concile de Trente qui n’a rien décidé et se refuse lui aussi à toute définition. Il s’en tient exclusivement à la mesure strictement disciplinaire du Sanctissimus Dominus noster.

La demande pers onnelle des archiducs En Espagne, les pressions continuent à peser sur Philippe III pour qu’il ne se contente pas de ce compromis pontifical. Le roi réunit donc une deuxième puis une troisième junte qui envoie à Rome un nouvel ambassadeur pour contraindre le pape à la définition. Antonio de Trejo, général des franciscains et évêque de Carthagène, veut emmener avec lui un important dossier destiné à convaincre Paul V. Il demande donc aux universités, évêques et monastères importants de rédiger des requêtes implorant la fin de l’indécision pontificale. C’est ainsi qu’en décembre 1618, les archiducs Albert et Isabelle, qui avaient été déboutés quelques mois auparavant, réitèrent leur demande d’une définition dogmatique. Le 6 décembre 1618, deux jours avant la fête traditionnelle de la Conception de la Vierge, ils passent outre l’interdiction pontificale de réclamer une résolution dogmatique et manifestent leur soutien à la monarchie espagnole, au détriment de la volonté du Saint-Siège. Ils envoient à Paul V une lettre lui demandant d’« affirmer le mystère de l’Immaculée Conception » et enchaînent de la sorte leurs prières à celles du Roi Catholique, manifestant ainsi leur soutien à la monarchie espagnole16. Si les archiducs répondent à la demande pressante de Philippe III, aux ordres duquel ils ne pouvaient en réalité que se soumettre malgré leur officielle souveraineté, ils défendent également des intérêts qui leur sont propres lorsqu’ils exigent la définition de la doctrine. Ils ont alors conclu avec les Provinces-Unies une paix précaire mais, malgré l’arrêt des assauts militaires, leurs rapports avec la République demeurent extrêmement tendus. Ils profitent néanmoins de cette accalmie pour se consacrer à un autre type de combat qui leur est cher : l’instauration énergique d’un catholicisme conquérant dans un pays frontière de catholicité17. Le couple princier a le champ entièrement libre pour exalter la foi romaine et singulièrement le culte de la Vierge, figure de proue de la Réforme catholique. Il est par contre limité dans son action répressive contre l’hérésie, suite aux accords de la Trêve de Douze Ans qui leur imposent la tolérance vis-à-vis du culte privé des

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A.G.R., Papiers d’État et de l’Audience, vol. 452, f. 78r°-v°, Philippe Maes aux archiducs, Rome, 24 mars 1618, original. 16 « Quatenus Illa authoritatis suae duret Conceptionis Immaculata misterium asserere dignaretur, eadem nos devincti Regis precibus nostras » (A.G.R., Papiers d’État et de l’Audience, vol. 452, f. 253r°, les archiducs à Paul V, Tervuren, 6 décembre 1618, minute). À cette minute latine, est joint un résumé en espagnol (Idem, f. 254r°). 17 A. Pasture, La restauration religieuse aux Pays-Bas catholiques…, op. cit., passim.

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calvinistes étrangers présents sur le territoire belge18. On constate par ailleurs que les officiers de justice ont, sur le terrain, une politique particulièrement indulgente à l’égard des populations non catholiques19. La lutte des archiducs contre l’hérésie doit donc essentiellement s’incarner dans des actions de type symbolique, puisqu’ils sont soumis à une série de contingences politiques. Nous avons déjà montré leurs entreprises au caractère offensif destinées à affirmer un culte marial flamboyant qui devait faire taire les mouvements hérétiques. L’argumentation des archiducs dans la lettre qu’ils envoient au pontife en décembre 1618 pour obtenir la proclamation des thèses immaculistes montre bien que leur demande relève de la même logique symbolique. S’ils veulent l’affirmation de la perfection de la Vierge, c’est parce que celle-ci, dès lors qu’elle est conçue sans tache, peut victorieusement fouler aux pieds l’hérésie voisine honnie. La définition doit renforcer la lutte contre « la dépravation hérétique qui rabaisse l’excellence de la Vierge ». Elle doit également permettre de rendre espoir aux catholiques des Provinces-Unies qui rencontrent alors une série d’obstacles et d’entraves à l’expression de leur culte depuis que, au mois de juillet, les États Généraux de la République ont renouvelé à leur encontre un édit très largement défavorable20. La volonté de répression protestante est par ailleurs plus que probablement renforcée par un climat international agité qui voit renaître les guerres de religion dans l’Europe chrétienne. Les archiducs parlent d’ailleurs de l’urgence de définir la doctrine, précisément à cette époque21. Quelques mois plus tôt, la Bohème réformée et révoltée s’était opposée à son nouveau et intransigeant roi catholique, le futur empereur Ferdinand II, et avait ainsi inauguré une longue guerre où s’opposeront puissances européennes et confessions religieuses. La maison d’Autriche, à laquelle appartiennent les archiducs, vacille et se repose alors sur son précieux fondement qu’est la pietas austriaca. C’est dans l’esprit de cette politique dévotionnelle habsbourgeoise que les archiducs, inquiets des événements de Bohème qui font trembler leur maison, supplient le pontife de proclamer l’Immaculée Conception de Marie. La lettre des archiducs est acheminée jusqu’à Rome. Là-bas l’attend le successeur de Philippe Maes comme représentant de la légation permanente des Pays-Bas dans la Ville Sainte, chargé de son introduction auprès du pontife. Le samedi 19 janvier 1619, Juan Battista Vivès, protonotaire apostolique, légat des archiducs à Rome et personnage influent de l’entourage pontifical, se présente à l’audience de Paul V et supplie le pape de répondre favorablement au courrier de ses princes. Cependant, dans la lettre qu’il adresse le jour

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Aline Goosens, Les inquisitions modernes dans les Pays-Bas méridionaux (1520-1633), t. I (La législation), Bruxelles, Éditions de l’ULB, coll. « Spiritualités et pensées libres », 1997, p. 127. 19 E. Put, « Les archiducs et la Réforme catholique… », op. cit., p. 260. 20 L. Van Meerbeeck, « Correspondance des nonces Gesualdo, Morra, Sanseverino… », op. cit., p. 294, doc. 850 ; A. Cauchie et R. Maere (éds), Recueil des instructions générales aux nonces de Flandre…, op. cit., p. XXIXXII. 21 « Si quae unquam tempora desiderarint, praesentia certe sunt » (A.G.R., Papiers d’État et de l’Audience, vol. 452, f. 253r°).

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même aux archiducs, il ne peut que leur annoncer que le pape se réjouit de leur piété22, ce que confirme le pontife lui-même quelques jours plus tard dans un bref où il reconnaît le pieux zèle des princes envers la Vierge mais leur demande d’adopter en tout point la position pontificale sur la question23. Il leur promet cependant de définir la doctrine lorsque le moment sera venu. Il fait en même temps parvenir au nonce Lucio Morra, par l’intermédiaire de Borghese, des instructions lui recommandant de féliciter les princes pour leur dévotion mais de leur rappeler également qu’il ne pourra donner suite à ces controverses24. Le pape met donc en place un dispositif qui doit empêcher les archiducs de s’évertuer à demander une définition qu’il refuse de donner et se convainc rapidement de son efficacité. Lorsque Morra remet aux archiducs le bref pontifical, il envoie immédiatement à Borghese le compte rendu de cette rencontre, par lequel il lui dresse le portrait d’un couple rangé à la détermination du chef de l’Église catholique25. Les époux princiers se montrent l’un et l’autre humblement soumis aux décisions prises par le Saint-Siège : Albert déclare au nonce n’avoir agi que pour « le service de Dieu et l’honneur de sa très sainte Mère », tandis que son épouse, qui se présente comme la fille très obéissante du Saint-Père, juge avoir œuvré pour « mettre fin aux multiples inconvénients qui sont nés dans la chrétienté sur cette matière », rejoignant ainsi la volonté pontificale d’apaisement. Quand, dans le courant du mois de juin, Morra sera remplacé par Lucio San Severino26, le pape a beau renouveler ses recommandations, il ne craint donc plus de scandaleuses perturbations de la part de la cour archiducale. Il rappelle au nouveau nonce, il est vrai, que Philippe III a cherché à mobiliser une série de princes, dont les archiducs Albert et Isabelle, pour la définition de l’article immaculiste mais que le Saint-Siège est fermement résolu à ne pas prendre de décision plus précise que ce qu’il a déjà décrété27. Il est cependant assuré qu’il ne sera pas nécessaire d’être particulièrement vigilant sur cette matière puisque, pense-t-il, « les archiducs ont montré qu’ils restaient très satisfaits [de la décision] et qu’ils se conformeraient totalement à l’esprit de Sa Béatitude28 ».

22 A.G.R., Papiers d’État et de l’Audience, vol. 453, Relations avec Rome (1619), f. 18r°-f. 19v°, J.-B. Vivès aux archiducs, Rome, 19 janvier 1619. – Malgré cette fin de non-recevoir opposée à Vivès, les archiducs lui écriront le 8 février qu’ils sont satisfaits de son intervention auprès du pape dans cette affaire (Idem, f. 36r°, minute). 23 A.G.R., Papiers d’État et de l’Audience, vol. 453, f. 24r°, bref de Paul V adressé aux archiducs, Rome, 25 janvier 1619. 24 A.S.V., F.B., seria II, vol. 428, f. 130-130bis, S. Borghese à L. Morra, Rome, 26 janvier 1619. – Le nonce, qui reçoit ces recommandations le 15 février (A.S.V., F.B., seria II, vol. 105, f. 65r°), transmettra la décision pontificale aux archiducs la semaine qui suit sa réception. 25 A.S.V., F.B., seria II, vol. 105, f. 78r°-f. 80v°, L. Morra à S. Borghese, Bruxelles, 22 février 1619. 26 Lucio San Severino († 1623), alors archevêque de Salerne, prend le relais diplomatique le 2 juin 1619 mais est rappelé à Rome en mai 1621, en raison du nouveau pontificat de Grégoire XV qui modifie sa représentation diplomatique (L. Van Meerbeeck, « Correspondance des nonces Gesualdo, Morra, Sanseverino… », op. cit., p. V). 27 A. Cauchie et R. Maere (éds), Recueil des instructions générales aux nonces de Flandre…, op. cit., p. 85. 28 Idem, trad. par Léon van der Essen, « La définition du dogme de l’Immaculée Conception et la Faculté de théologie de l’Université de Louvain au début du xviie siècle », R.H.É., n° 24, 1928, p. 632.

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« L’affaire Sylv iu s » Cette certitude du ralliement des archiducs à la position de compromis adoptée par le pontife a très vraisemblablement été confortée par leur attitude, toute dévouée au SaintSiège, dans le cadre de ce que l’on peut appeler « l’affaire Sylvius ». En 1618, François Sylvius (1581-1649), docteur de la faculté de théologie de la jeune université de Douai et prolixe commentateur de Thomas d’Aquin, publie chez Marc Wyon un commentaire de la troisième partie de la Somme théologique29. Un des articles, cependant, contrevient au décret de Paul V puisqu’il affirme, conformément aux convictions thomistes, que la Vierge a été marquée lors de sa conception par le péché originel. Par la publication de son Commentaire, il prend publiquement position dans un débat à propos duquel Paul V avait voulu imposer le silence. Au début du mois de mai 1618, le nonce Lucio Morra lui écrit pour qu’il corrige cet article et le fasse réimprimer30. Sylvius refuse manifestement de répondre à cet ordre, estimant que sa publication n’entre pas dans les catégories de prédication et discussion publique que condamnait le décret31. Le pape l’entend autrement : dès lors que cet ouvrage a été imprimé et distribué, il doit être considéré comme appartenant à la sphère publique. Il semble décidé à condamner l’ensemble du livre pour cet article contraire à ses constitutions. Vivès intervient à la mi-février 1619 lors de l’audience hebdomadaire pour infléchir la fermeté pontificale et obtenir que l’on se contente de supprimer uniquement le cahier consacré à l’Immaculée Conception32. Vraisemblablement faut-il voir là, au-delà du débat doctrinal et des intérêts personnels du couple princier qui soutient les thèses immaculistes, une volonté de défendre auprès du Saint-Siège l’ensemble des Pays-Bas, en ce compris les universités et dans le cas présent, l’université douaisienne de fondation royale et l’un de ses représentants. Le pape, nonobstant sa colère33, finit par accepter la proposition du protonotaire qui présente aux

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François Sylvius, Commentarius in tertiam partem S[ancti] Tho[mae] Aquinatis, Douai, Marc Wyon, 1618. Il publie la même année chez le même imprimeur un Commentarius in supplementum sive additiones ad tertiam partem S[ancti] Tho[mae] Aquinatis. Il éditera par la suite, toujours à Douai, des commentaires sur les première et seconde parties de la Somme théologique : Commentarius in primam partem…, 1631, 1641 et 1662 ; Commentarius in primam secundae…, 1635, 1650 et 1664 ; Commentarius in secundam secundae, 1628 et 1649. À partir de 1667, des rééditions sont publiées à Anvers chez Meursius puis chez Verdussen. – François Sylvius ou Dubois a étudié la philosophie à Louvain et la théologie à Douai. Il y reçut une chaire magistrale cinq ans avant la publication de ce Commentaire. Outre celui-ci, qui fut certainement son œuvre majeure, il avait également publié d’autres ouvrages consacrés au Docteur angélique : Explicatio doctrinae sancti Thomae Aquinatis […], Douai, Marc Wyon, 1609 ; Oratio in laudem sancti Thomae Aquinatis, Douai, Marc Wyon, 1613, sermon prononcé dans le chœur de l’église dominicaine de Douai. 30 A.S.V., F.B., seria II, vol. 105, f. 177r°, L. Morra à S. Borghese, Bruxelles, 18 mai 1618. 31 Nous n’avons retrouvé aucune réponse de Sylvius à l’injonction de Morra. À la date du 15 février 1619, cependant, son cas est débattu lors de l’audience pontificale en vue d’une éventuelle condamnation, signe manifeste qu’aucune correction n’avait été apportée sous prétexte que le pape n’avait pas expressément interdit l’impression dans son bref (A.G.R., Papiers d’État et de l’Audience, vol. 453, f. 49r°, J.-B. Vivès à l’archiduc Albert, Rome,16 février 1619). Il invoquera de nouveau cet argument lors de sa rencontre avec Morra, un jour de la semaine qui précède le 30 mars 1619 (A.S.V., F.B., seria II, vol. 105, f. 133r°-f. 135r°, L. Morra à S. Borghese, Bruxelles, 30 mars 1619). 32 A.G.R., Papiers d’État et de l’Audience, vol. 453, f. 49r°-f. 50r°, J.-B. Vivès à l’archiduc Albert, Rome, 16 février 1619. 33 « El Papa entanta colera que dio dos puñadas en cima un buffete, diçiendo que la prohibition es enqualquier acto publico, o, otro que de escandalo y que el estampar es el uno y el otro » (Idem, f. 49v°).

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archiducs les dispositions prises comme un moyen d’éviter « un tourbillon qui agite le monde » et de permettre dès lors que « les uns et les autres soient tranquilles jusqu’à ce que le pape ou un concile résolve la question34 ». La décision doit satisfaire tout le monde : le décret pontifical est respecté, l’ouvrage de Sylvius n’est pas détruit dans sa totalité et les archiducs ont soutenu le maître universitaire de Douai tout en ne faisant aucune concession aux thèses maculistes qu’ils ne cautionnent pas. Borghese demande à Morra et au confesseur d’Albert et conseiller d’État, Iñigo de Brizuela, de faire respecter les décisions du pontife en veillant à ce que l’on rassemble tous les exemplaires de l’ouvrage de Sylvius et que l’on arrache les quelques feuilles incriminées35. Cependant, Brizuela est dominicain et, à ce titre, favorable à l’attitude thomiste antiimmaculiste. Il n’est par ailleurs pas inutile de se souvenir que, lorsque il sera élu évêque de Ségovie en 1621, il s’opposera fermement à l’idée de prêter le serment à l’Immaculée Conception que lui imposait le Chapitre pour prendre possession de son siège. Il aura alors recours à Rome mais Philippe IV trouvera un compromis en le nommant au Conseil d’État : il en deviendra un membre influent et résidera hors de son diocèse auquel il finira par renoncer36. Dans l’affaire Sylvius, Brizuela se plie cependant aux injonctions pontificales et, manifestement, enjoint à faire de même celui dont il dirige la conscience37. Les archiducs promettent donc aide et assistance au nonce pour l’exécution des ordres papaux38. Sylvius fait de son côté amende honorable et reconnaît auprès du nonce avoir transgressé les décrets pontificaux. Il s’attire ainsi la bienveillance de Rome qui suivra sans crainte l’affaire jusqu’à sa résolution définitive à la fin de l’été 1619 : Sylvius a alors corrigé son Commentaire à la plus grande satisfaction du nonce et du Saint-Siège et le fera réimprimer dès que ses moyens financiers le permettront39.

Un vœu à l’ Immaculée Conception par l’univ ersité de Louv ain ? Les archiducs, selon toute apparence, se soumettent donc à la fermeté du Saint-Siège et semblent adopter, à l’instar de celui-ci, une position modérée. En coulisses cependant, ils continuent bel et bien à vouloir soutenir la dévotion habsbourgeoise, comme le montrent

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« De donde saliera un torbellino, que revoluiera el Mundo, y ahora unos y otros estaran quedos hasta que el Papa o Concilio le resuehuan » (Idem, f. 56, J.-B. Vivès à l’archiduc Albert, Rome, 23 février 1619). 35 A.S.V., F.B., seria II, vol. 428, f. 135r°-f. 136r°, S. Borghese à L. Morra, Rome, 22 février 1619 – A.S.V., F.B., seria II, vol. 403 [CD-Rom], f. 210v°-f. 211r°, S. Borghese à Iñigo Brizuela, Rome, 2 mars 1619. 36 S. Ruiz, « Inigo Brizuela », dans Dictionnaire d’histoire et géographie ecclésiastiques, Paris, Letouzey et Ané, t. X, 1938, col. 785-787. 37 A.S.V., F.B., seria II, vol. 428, f. 139r°, S. Borghese à L. Morra, Rome, 16 mars 1619. 38 A.G.R., Papiers d’État et de l’Audience, vol. 453, f. 75, les archiducs Albert et Isabelle à J.-B. Vivès, Bruxelles, 23 mars 1619. 39 Les nonces Morra puis San Severino échangeront de très nombreux courriers avec Scipione Borghese à ce sujet : tous prouvent la sympathie qu’éprouvaient le Saint-Siège et son représentant à l’égard de Sylvius (A.S.V., F.B., seria II, vol. 105 et 428, passim). – Le Commentarius sera en réalité réédité en 1622 avec la mention « editio secunda recognita et multis locis aucta ». Il connaîtra par la suite d’autres rééditions à Douai en 1637, 1641, 1645 et 1663.

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deux documents mis au jour par Léon van der Essen40. Le premier est une lettre adressée à Jean Druys, abbé prémontré du Parc et député des États du Brabant. Elle est datée du 22 juillet 1619, soit moins de deux mois après la confiante instruction pontificale au nouveau diplomate dans la capitale flamande. En 1607, Druys avait été chargé par les archiducs, avec Étienne van Craesbecke ancien professeur en droit et membre du Conseil de Brabant, de la visite de l’université de Louvain41. Cette tâche qui l’occupa une dizaine d’années lui avait fourni une bonne connaissance de l’institution. L’expéditeur, peut-être le conseiller ecclésiastique Antoine Asseliers, a reçu de l’archiduc la tâche de faire parvenir à l’abbé un document, lui aussi anonyme, suppliant l’université de Louvain de faire le vœu de défendre toujours l’Immaculée Conception. Léon van der Essen suppose que ce document a pu être envoyé par le roi d’Espagne ou par l’archevêque de Tolède avec qui l’archiduc entretenait des échanges épistolaires. Cette pièce est aujourd’hui égarée, on ne peut donc que se perdre en conjectures. Les hypothèses concernant son origine ne doivent pas, cependant, être réduites au royaume d’Espagne stricto sensu : la Compagnie de Jésus, dont l’implantation était soutenue par les archiducs, s’était, elle aussi, faite la championne de la Conception Immaculée de même que les franciscains, également défenseurs ardents de la cause. La lettre recommandant un vœu pour la défense de l’Immaculée Conception peut très bien émaner de ces milieux religieux. Après quelques jours d’enquête, Jean Druys répond à l’archiduc en personne, exprimant sa certitude que « quasi toute la Faculté [de Théologie] est dopinion contraire audict extraict, n’estant à doubter quilz ne voudront en aucune maniere faire veu ny serment de defendre la sentence42 ». Les théologiens de l’Alma Mater refusent de soutenir une doctrine dont les fondements ne reposent ni sur la Bible ni sur la tradition patristique et qui, de surcroît, s’oppose aux décisions tridentines et pontificales. Druys craint, par ailleurs, l’entrave à la liberté professorale. Redoutant les « fascheries et troubles » qui risquent d’agiter l’université, il conseille à l’archiduc de ne pas se lancer dans pareille entreprise. Il semble qu’il ait été écouté.

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L. van der Essen, « La définition du dogme de l’Immaculée Conception… », op. cit. Voir également Toon Quaghebeur, Pro aris et focis. Theologie en macht aan de Theologische Faculteit te Leuven (1617-1730), Thèse de doctorat inédite, Katholieke Universiteit van Leuven, 2004, vol. 2 (1617-1682), p. 64-66. – Le vœu à l’Immaculée Conception sera l’objet d’une importante controverse dite « du vœu sanguinaire » au début du siècle suivant. En 1714, Louis-Antoine Muratori publie, sous le pseudonyme de Lamindus Pritanius, le De ingeniorum ponderatione in religionis negotio où il condamne avec vigueur tous ceux qui jurent de donner leur sang pour défendre l’Immaculée Conception, estimant qu’il ne s’agit que d’une opinion humaine ne méritant pas de telles promesses. Les répliques seront nombreuses et agiteront longuement une houleuse querelle. Il y répondra sous un nouveau pseudonyme en 1740 : Antonius Lampridus, De superstitione vitanda, sive censura voti sanguinarii in honorem Immaculatae Conceptionis Deiparae emissi (X. Le Bachelet, « Immaculée Conception », op. cit., col. 1180 et suiv.). 41 Jan Roegiers et Peter Vandermeersch, « Les archiducs et l’université de Louvain », dans L. Duerloo et W. Thomas (éds), Albert & Isabella. Essays…, op. cit., p. 287-288. 42 L. van der Essen, « La définition du dogme de l’Immaculée Conception… », op. cit., p. 634.

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L’ultime requête archiducale Les années suivantes, les velléités archiducales paraissent se calmer. Tout juste Isabelle, devenue gouvernante à la mort de son mari, se réjouit-elle en juillet 162243 des récentes décisions du nouveau pape Grégoire XV dont le jeune roi Philippe IV vient d’obtenir des mesures disciplinaires plus strictes que le décret de Paul V : il est désormais interdit de débattre des thèses maculistes tant en public qu’en privé44, exception faite pour les dominicains qui peuvent continuer à élaborer, entre eux, leur position doctrinale45. Il est par ailleurs ordonné à tous les fidèles de fêter la Conception de la Vierge, sans pour autant la qualifier d’Immaculée46. Ce nouveau décret calme pour longtemps les conflits. La question de la conception de Marie n’agite désormais plus avec la même rage les territoires relevant de l’autorité espagnole, d’autant moins qu’en 1623, Grégoire XV meurt en laissant la place pour une vingtaine d’années à Urbain VIII, dont le refus de définir le mystère est résolument ferme47. En outre, la cour de Madrid ainsi que les royaumes espagnols de Naples et des PaysBas sont convaincus que le nouveau pontife, un Barberini, favorise la France et affrontent celui-ci en ce qui concerne les théories régaliennes que veut mettre en œuvre le Roi Catholique : les premiers entretiennent dès lors avec Rome des rapports extrêmement tendus qui interdisent, par la même occasion, toute pression efficace sur le Saint-Siège. Le front espagnol se calme. Au Nord, cependant, l’attitude est différente. Le 25 février 1624, l’électeur de Cologne et prince-évêque de Liège, Ferdinand de Bavière, proche des milieux jésuites, écrit au pape Urbain VIII pour qu’il remédie aux éclats provoqués par les affrontements entre champions et adversaires de la question en définissant le dogme de l’Immaculée Conception48. L’accueil que lui fit le successeur de Pierre reste inconnu. De la même manière, Isabelle demande, dans une dernière tentative, la définition du mystère à la fin de l’année 1624. Les archives de l’Audience, principale secrétairerie du gouvernement des Pays-Bas, conservent une lettre envoyée par Juan Battista Vivès dans laquelle il lui annonce qu’il a remis au pape

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A.G.R., Papiers d’État et de l’Audience, vol. 458, Relations avec Rome (1622), f. 184, Isabelle à J.-B. Vivès, 16 juillet 1622. 44 À la suite d’une proposition de la Congrégation du Saint-Office soumise à Grégoire XV le 22 mai 1662, celuici promulgue le 4 juin les constitutions suivantes : « Hoc praesenti decreto ex eiusdem causis evitans scandala, dissensiones, atque discordias in populo christiano, quae pari ratione oriri possunt, et, ut accepit, in aliquibus regionibus iam ortae sunt ex sermonibus privatis occasione assertionis affirmativae, extendit, & ampliavit etiam ad privata colloquia, & scripta » (Décret de Grégoire XV, Archevêché de Malines, Fonds De Immaculata Conceptione, non folioté). Nous soulignons. 45 Bref de Grégoire XV, A.A.M.B., Fonds De Immaculata Conceptione, non folioté, 28 juillet 1622. 46 « Et insuper eadem Sanctitas Sua cum Sancta Romana Ecclesia de Beatissime Virginis Conceptione Festum solemniter, & Officium celebret, omnibus, & singulis personis ecclesiasticis, tam saecularibus quam cuiusuis ordinis, & Instituti regularibus mandat, ac praecipit, ut in Sacrosancto Missae Sacrificio, ac divino officio celebrandis, tam publice quam privatim, non alio, quam Conceptionis, nomine uti debeant » (Décret de Grégoire XV, A.A.M.B., Fonds De Immaculata Conceptione, non folioté). 47 S. Stratton, The Immaculate Conception…, op. cit., p. 92. 48 Cette lettre autographe a été publiée par Léon-Ernest Halkin, « Ferdinand de Bavière et la Question du dogme de l’Immaculée Conception », dans I.H.B.R. (éd.), Hommage à Dom Ursmer Berlière, Bruxelles, Lamertin, 1931, p. 131-133.

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son courrier demandant une résolution au sujet de l’Immaculée Conception49. Les arguments allégués par Vivès lors de l’audience pontificale ne sont alors de nature ni apologétique – comme cela avait été le cas six ans plus tôt – ni doctrinale. Il invoque le nom de la visionnaire et prophétesse Brigitte de Suède. Celle-ci, dans ses Révélations consignées, étrange paradoxe, par le dominicain maître Matthias, avait nettement affirmé le mystère de l’Immaculée Conception et, dès le xive siècle, les immaculistes avaient fait épisodiquement usage de ses révélations pour la défense de leurs thèses50. Vivès tire à son tour argument des visions de Brigitte pour solliciter du pape une définition. Il se pose ainsi en marge de tout discours savant et recourt à une argumentation de type largement populaire et affectif où le surnaturel a davantage sa place que la raison : puisque les histoires ecclésiastiques ont montré que la Vierge apportait ses lumières à qui l’invoquait, il devrait suffire au pape de se recommander à Marie pour s’apercevoir, à la manière de sainte Brigitte, que « le jour viendra où l’Immaculée Conception sera connue de tous51 ». Il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’en ce début du xviie siècle, la spiritualité brigittine et l’ordre que la sainte a fondé connaissent un important renouveau, en particulier dans les Pays-Bas où l’archiduchesse Isabelle joue un rôle majeur dans la fondation des nouvelles branches masculine et féminine du mouvement conventuel qui fleurissent à Lille (1605), Arras (1608), Valenciennes (1618) et Bruxelles (1623)52. La supplique princière, néanmoins, sera vaine et restera manifestement sans suite. En ces premières années de la guerre de Trente Ans, les archiducs Albert et Isabelle profitent donc du combat immaculiste espagnol pour tenter de forger une arme contre l’hérésie protestante voisine, perçue comme un danger menaçant l’équilibre de leurs provinces. À plusieurs reprises, ils prennent personnellement la parole pour obtenir une définition pontificale qui doit faire du personnage marial, moteur dynamique de leur catholicisme enflammé, une figure aux allures de conquérante toute-puissante, écrasant victorieusement à la fois le démon, le mal et l’hérésie. La définition doit par ailleurs mettre fin aux querelles théologiques dont les houleux échos sont sources de désordres dans le pays qu’ils gouvernent. Les archiducs investissent donc la question immaculiste dans le but de renforcer leur programme de politique intérieure : assurer le calme et garantir l’unité face à une République calviniste inquiétante.

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A.G.R., Papiers d’État et de l’Audience, vol. 460, Relations avec Rome (1624), f. 316, J.-B. Vivès à l’archiduchesse Isabelle, Rome, 7 septembre 1624, original. – Le recueil ne conserve cependant aucune trace de la lettre de l’archiduchesse. 50 C’est le cas du carme François Martin, dans son traité Compendium veritatis immaculatae conceptionis Virginis Mariae (vers 1390), édité par Alva y Astorga à la fin du xviie siècle. Cependant, la canonisation controversée de Brigitte, opposant dominicains et franciscains sur un plan inverse à celui des querelles conceptionnistes, a longtemps été un empêchement à un recours systématique aux visions de la prophétesse comme preuve du mystère (M. Lamy, L’Immaculée Conception…, op. cit., p. 618-619). 51 « Y me acuerdo aver leydo en las profetias de S[an]ta Brigida, estando ella muy desconsolada, por esta variedad de opiniones en este articulo, que le aparecio la Virgen, y le dixo, non tengas pena hisa, que vendra tiempo que sera savida de todos mi Immaculada Conception, y a esto anadi dixendo Padre Santo si es venido ja este tiempo, y la Virgen quiere servirse de la persona y medio de V.S. para haber esta declaracion, lo ha de tener a particular gracia » (A.G.R., Papiers d’État et de l’Audience, vol. 460, f. 316). Nous soulignons. 52 U.S. Olsen, « The Revival of the Brigittine Order in the 17th Century : what happened after the Reformation? », R.H.É., n° 91, 1996, p. 398-435 et 805-833.

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Une période de transition La di s crétion du gouv er nement et l’ac tiv ité apostolique d an s l e s Pay s - B a s L’ultime tentative d’Isabelle pour l’obtention d’une définition en septembre 1624 clôt le débat dans les Pays-Bas pour de longues années. Le motif immaculiste se jouera alors sotto voce dans les milieux politiques. Le cardinal-infant Ferdinand, frère de Philippe IV et gouverneur en fonction à Bruxelles à partir de novembre 1634, n’intervient pas sur cette question, malgré une histoire personnelle et un entourage éminemment marqués par le combat immaculiste. Il avait par exemple soutenu activement le comte de Monterrey, cousin par alliance du comte-duc Olivares, quand celui-ci était parti à Rome pour une ambassade extraordinaire en 1621 et lui avait confié une lettre signée de sa main demandant la définition53. Cependant, fidèle à l’attitude espagnole de retrait depuis le début du pontificat d’Urbain VIII, le cardinal-infant n’entame aucune démarche concernant la question immaculiste durant son séjour aux Pays-Bas. Si les forces politiques et décisionnelles se taisent, les débats théologiques restent toutefois ouverts et les efforts apologétiques perdurent. Ainsi, en septembre 1633, les jésuites de Malines dédicacent à la Vierge conçue sans tache la nouvelle chapelle de leur église parce que, affirment-ils, il n’existe aucune chapelle remarquable par ce titre à travers toute la Belgique54. Par ailleurs, le prédicateur de la cour, le jésuite espagnol Pedro de Bivero, déploie une série d’efforts pour défendre le mystère de l’Immaculée Conception. Dans un premier temps, cependant, Bivero est prudent. Il publie en 1634 un recueil d’images pieuses « de Marie Immaculée et de l’âme créée et rénovée55 ». Le titre ne doit pas abuser l’historien. Il s’agit, en réalité, d’un manuel de piété très complexe, un « nouvel art de bien vivre et bien mourir » raffiné où le jésuite consacre à l’explication et à l’illustration de l’oraison dominicale, de la salutation angélique, de quelques psaumes et de l’hymne Pange lingua, une série de vignettes gravées mettant en scène, dans la première partie, le personnage marial. Chacune des gravures est accompagnée d’un texte qui doit l’expliquer et exhorter le dévot à la prière et à la méditation. Cependant, si le fidèle y rencontre bien une Vierge triomphatrice du péché, il n’entendra jamais parler de sa Conception mais seulement du pouvoir sanctifiant de la

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S. Stratton, The Immaculate Conception…, op. cit., p. 88. « Quod nullum aut admodum rarum eo quidem titulo insignitum toto Belgio exstat » (A.R.S.I., Fl.-Belg., vol. 52, f. 228v°, Historica narratio Sacelli in honorem Deiparae sine macula Conceptae exstructi apertique Mechliniae in Collegio Societatis Iesu Anno 1633 8° Septembris). 55 Pedro de Bivero, Sacrum oratorium piarum imaginum Immaculatae Mariae et animae creatae ac baptismo, poenitentia et eucharistia innovatae : ars nova bene vivendi et moriendi, sacris piarum imaginum emblematis figurata et illustrata, Anvers, imprimerie Plantin, Balthasar Moretus, 1634. – Ralph Dekoninck s’est intéressé au rôle des images dans ce manuel de piété, destinées à traduire un message spirituel difficile. Bivero, en effet, préfère une méditation très intellectuelle à la traditionnelle méditation affective de ce genre de littérature (Ralph Dekoninck, Ad imaginem. Statuts, fonctions et usages de l’image dans la littérature spirituelle jésuite du xviie siècle, Genève, Droz, 2006, p. 314-318). 54

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grâce divine. Marie fait figure d’exemple en tant que parangon de cette sanctification, triomphant du mal incarné par le serpent dont elle doit écraser la tête (Gen. 3, 15). Elle est le support symbolique efficace à une action pastorale qui encourage la purification par l’Eucharistie, la Pénitence et le Baptême. Quatre ans plus tard, Bivero fait preuve de plus d’audace et prouve un véritable et entier investissement dans la défense de l’Immaculée Conception en publiant un florilège des privilèges de Marie qu’il dédie au cardinal-infant et à ses victoires, obtenues la même année et attribuées à l’assistance de la Vierge56. Organisant son anthologie autour des trois états marials de Fille, Épouse et Mère de Dieu, il voue le deuxième chapitre de sa première dissertatio à « la Fille de Dieu, Marie Immaculée conçue sans tache » et divise les louanges à sa Conception Immaculée en quatre-vingt-sept items, courtes exaltations devant fournir matière, par les nombreuses références bibliques et les effets oratoires, à ses collègues prédicateurs. Il y montre une Vierge cor mystica d’une Église dont le Christ est la tête : si le serpent a inoculé son venin dans ce corps, il n’a jamais pu atteindre le cœur, préservé par le Christ57. Dieu aurait en effet permis à Marie d’échapper à la loi de solidarité universelle qui lie à Adam l’humanité entière, inéluctable héritière du péché originel. En excluant Marie de cette solidarité générale, il lui a donné la possibilité d’échapper à la faute58. Ce discours est classique. Il existait toutefois, dans le camp jésuite, une autre position concernant cette inscription de la Vierge dans la loi de solidarité générale : certains, tels Suarez ou Bellarmin, estimaient que Marie avait contracté, lors de sa conception, la dette du péché originel, le debitum peccati, ce qui signifie qu’elle devait être comprise dans cette loi pour sauvegarder la valeur de la rédemption universelle. Ces théologiens, cependant, jugeaient qu’au même moment, elle avait également immédiatement reçu de Dieu la grâce sanctifiante la libérant du même coup de cette obligation : elle était donc apparue pure de toute tache dès les premiers instants de son existence59. Le traité de Bivero ne doit donc pas être considéré comme œuvre théologique pointue mais ce matériel didactique permet néanmoins l’exaltation d’une position sans ambiguïté : le soutien ouvert aux théories immaculistes malgré les interdictions pontificales et inquisitoriales60. Il est par ailleurs intéressant de souligner l’enthousiasme du jésuite pour

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Pedro de Bivero, De sacris privilegiis ac festis Magnae Filiae, Sponsae et Matris Dei argumenta selecta concionum accesserunt, S.S. Ioachimus, Anna et Iosephus, Anvers, Martin Nutius, 1638. 57 « Christus auctor omnis gratiae, ut ostenderet vim & robur gratiae suae, qua mirabiliter potest cor suum ab omni culpa & macula praeservare, permisit ut serpens in corpus mysticum suum venenum expueret : cumque iam per omnia membra eius diffunderetur, urgebat lex, Omni custodia serva cor tuum, & quidem ita servauit, & legem impleuit, ut cor immaculatum evaserit » (Idem, p. 54). 58 « Peccauit anima, perdidit privilegium & collatum beneficium, contraxit rubiginem communis hominum massa, sed ex illa selegit Deus particulam, cui virtutum dedit, ne rubiginem illam contraheret » (Idem, p. 66). 59 X. Le Bachelet, « Immaculée Conception », op. cit., col. 1157. 60 La Congrégation du Saint-Office interdit formellement l’attribution du titre d’« Immaculée » à la Conception de la Vierge et réserve cette épithète à Marie seule par trois décrets différents : le premier en 1627 (ad inquisitorem Sesenatensem), le deuxième en 1638 (ad inquisitorem Anconitanum) et le dernier en 1644 (ad inquisitorem Bononiensem). Ce dernier décret inquisitorial provoquera en Espagne un virulent renouveau des querelles immaculistes (S. Stratton, The Immaculate Conception…, op. cit., p. 98 et suiv.).

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l’investissement tant religieux que politique dans la défense de la doctrine, enthousiasme que le cardinal-infant ne semble guère entendre : Quoi de [plus] merveilleux que ces deux bras, ecclésiastique et séculier, qui se sont réunis pour défendre la conception très pure, lorsque l’occasion leur a été donnée de servir et protéger le cœur [de la Vierge] 61 ?

De leur côté, les frères mineurs mènent eux aussi un ardent combat immaculiste dans le pays. Les ministres des provinces franciscaines de Flandre et de Saint-Joseph qui se partagent les Pays-Bas, introduisent dans le pays des couvents de contemplatives Conceptionistes pour encourager la dévotion au mystère controversé62. Cet ordre franciscain voué à l’Immaculée Conception avait été fondé à Tolède par Beatriz da Silva à la fin du xve siècle et s’était fermement implanté en Espagne, au Portugal et dans le Nouveau Monde. À partir de 1636, les couvents d’Enghien, Béthune, Dunkerque, Gand et Nivelles optent pour la règle conceptioniste tandis que de nouvelles fondations ont lieu à Ostende, Verviers et Liège63. En outre, on remarquera particulièrement l’éloquent frontispice dessiné par PierrePaul Rubens et gravé par Paul Pontius, probablement pour illustrer une thèse franciscaine destinée à défendre la doctrine (Figure 9)64. François d’Assise y est représenté tel un « Atlas séraphique » portant trois sphères surmontées par une Vierge en gloire. Les étoiles qui la nimbent telle la Femme de l’Apocalypse ainsi que la mention Astra matutina in Missa Conceptionis démontrent qu’il s’agit là de l’Immaculée Conception65. À la gauche du saint,

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« Quid ergo mirum, quod duo brachia, Ecclesiasticum & saeculare, una confluxerint ad tuendam purissimam conceptionem, cum de corde servando custodiendoque detur, instet, & urgeat occasio ? » (P. de Bivero, De sacris privilegiis Magnae Filiae, Sponsae et Matris Dei…, op. cit., p. 54). 62 Nous adoptons l’orthographe conceptioniste pour désigner, conformément à la tradition, l’ordre monastique et ses membres tandis que nous conservons l’orthographe plus classique de conceptionniste pour qualifier les débats relatifs au mystère de l’Immaculée Conception. 63 Thierry Scholtes, « L’ordre de l’Immaculée Conception en Belgique. Aperçu historique », dans Filles du Silence. Moniales en Belgique et Luxembourg du Moyen-Age à nos jours, Bastogne – Bruxelles, Musée en Piconrue – A.G.R., 1998, p. 227-245. – La littérature concernant cet ordre est on ne peut plus limitée. Le principal ouvrage qui lui est consacré est celui de Fulgence Thyrion, Histoire de l’ordre franciscain de l’Immaculée Conception, ou des religieuses conceptionistes, en Belgique, Namur, Wesmael-Charlier, 1909 (réimpression anastatique, Instituut voor Franciscaanse Geschiedenis, Saint-Trond, 1995). Cet ouvrage est fortement apologétique et se lit avec méfiance. Récemment, les A.G.R. ont publié un répertoire bibliographique de l’ordre conceptioniste dans les PaysBas : Marc Carnier, De orde van de Onbevlekte Ontvangenis van de Heilige Maagd Marie of orde van de Conceptionisten, Bruxelles, A.G.R., 1998. Il reste à souhaiter qu’il soit le point de départ d’une nouvelle étude scientifique et critique sur le sujet. 64 Paul Pontius, Seraphicus atlas, gravure, 509 x 726 mm, Anvers, Maison Rubens, inv. P 736. Le dessin original de Rubens est conservé à Philadelphie, à la John G. Johnson Art Collection. – Pour une analyse détaillée du programme iconographique, voir J. Richard Judson et Carl van de Velde, Book illustrations and title-pages, Bruxelles, Arcade Press, 1977, vol. 2, p. 348-355 (= Corpus Rubenianum Ludwig Burchard. An illustrated catalogue raisonné of the work of Peter Paul Rubens, 21). 65 Sur l’iconographie de l’Immaculée Conception, voir Gertrud Schiller, Ikonographie der christlichen Kunst, t. IV, vol. 2 (Maria), Gütersloh, Gerd Mohn, 1980, p. 154-178 ainsi que Giovanni Morello, Vincenzo Francia et Roberto Fusco (éds), Una donna vestita di sole. L’immacolata Concezione nelle opere dei grandi maestri, Milan, Federico Motta, 2005.

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Figure 9 : P. Pontius, Seraphicus atlas, gravure, 509 x 726 mm, Anvers, Maison Rubens, inv. P 736 (d’après un dessin de PierrePaul Rubens). - © Museum Plantin-Moretus/Prentenkabinet: collectie Prentenkabinet.

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Jean Duns Scot, aidé de quelques-uns de ses frères, repousse le diable dans la gueule béante d’une bête monstrueuse. Au dessus du monstre, un phylactère affirme que « le malheur vient du Nord » (Jr 1, 14). Les Vertus cardinales, menées par Astrée, siègent dans un char tiré par des lions et surmontent la scène. Une paraphrase du Cantique des cantiques (3, 1) les invite à reconnaître en Marie la Reine qu’elles doivent louer. De l’autre côté, se trouvent le cardinalinfant Ferdinand, ses frères Philippe IV et Don Carlos ainsi que son neveu, le petit prince Balthasar. Tous semblent révérer la Vierge Immaculée que porte François-Atlas. Ces princes sont accompagnés de moines franciscains tandis qu’au-dessus de leurs têtes, trônent dans un autre char, tiré par les aigles impériales et dominés par Auster, leurs ancêtres Charles Quint, Philippe II et Philippe III. Les insertions textuelles dans l’image jouent donc sur les mots Auster, Astrea et Austria : ce faisant, elles définissent la scène à la fois comme australe, par référence au Sud d’où Dieu doit venir (Ha. 3, 3) et comme autrichienne, c’est-à-dire habsbourgeoise. Car en effet que veut illustrer cette gravure au programme plutôt complexe ? Elle proclame le rôle éminent des Habsbourg dans la défense de l’Immaculée Conception ainsi que le soutien actif qu’ils ont obtenu de la famille des frères mineurs. Par ailleurs, cette gravure, et en particulier sa moitié droite, démontre avec force que la définition doctrinale promue par les uns et les autres devra permettre de triompher du mal en général, et de la catastrophe septentrionale en particulier que représentent les royaumes et États protestants que combattent alors les Habsbourg. Grâce à la Vierge de l’Immaculée Conception, les Habsbourg pourront enfin y faire régner la Justice.

L’aff ir mation immaculi ste dan s l’ Empire Tandis que l’Espagne et les Pays-Bas semblent opter pour la retenue et la modération au moins sur le plan politique, le leitmotiv s’élève crescendo, sur un mode baroque, en terres impériales. Ferdinand est proclamé roi de Hongrie le 8 décembre 1625, jour de l’Immaculée Conception. Il autorise, en 1629, l’organisation dans la cathédrale de Vienne d’une fête de l’Immaculée Conception qui devait être, en même temps, une fête de l’empereur66. À une époque où la victoire des Habsbourg face aux puissances ennemies est complète, il veut ainsi montrer sa gratitude envers la Vierge qui a sauvé ses États et la religion catholique tant des rébellions internes que des puissances ennemies. Au même moment, Maximilien de Bavière, cousin et fidèle allié des Habsbourg, encourage lui aussi l’introduction de la fête de l’Immaculée Conception dans son duché67. Le même Maximilien, pour célébrer une victoire bavaroise sur les troupes suédoises, érige sur la Schrannenplatz de Munich, le 8 novembre 1638, jour anniversaire de la victoire à la Montagne Blanche, une colonne surmontée d’une Vierge tenant son fils dans les bras et écrasant le serpent, type même de Maria Immaculata. Cette Mariensäule, ou colonne de la Vierge, devait être le signe tangible que Marie est la

66 A. Coreth, « Pietas austriaca »…, op. cit., p. 50-51 ; Fr. Matsche, Die Kunst im Dienst der Staatsidee Kaiser Karls VI. …, op. cit., p. 162 ; J. Bérenger, « Pietas austriaca. Contribution à l'étude de la sensibilité religieuse des Habsbourg », op. cit., p. 415. 67 H. Glaser et E. A. Werner, « The victorious Virgin… », op. cit., p. 144.

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Patrona Boariae, la protectrice de la Bavière68. Les Habsbourg utiliseront à leur tour le modèle de la colonne munichoise pour affirmer leur puissance et implorer l’aide de la Vierge Immaculée69. En mai 1647, de grandioses cérémonies ont lieu à Vienne pour consacrer la Basse-Autriche à la Vierge Marie « conceue sans péché », au cours desquelles l’empereur Ferdinand III fait publiquement le vœu de la choisir pour patronne70. Il est intéressant de remarquer que leur description est relayée dans les territoires francophones des possessions habsbourgeoises grâce à un opuscule relatant les événements, traduction française parue à Douai d’une courte apologie rédigée par le comte Wilhelm von Slavata, un des deux représentants des Habsbourg défenestrés à Prague en 161871. Le Bohémien, d’éducation protestante mais converti au catholicisme intransigeant des Habsbourg, avait survécu à ce mémorable événement et rempli différentes missions diplomatiques et politiques pour l’empereur. Il avait par ailleurs été de nombreuses années préfet et directeur de la sodalité jésuite viennoise vouée à l’Immaculée Conception72. Or les jésuites de Vienne ont largement contribué à l’organisation des solennités de 1647 en accueillant la prestation de serment de Ferdinand dans l’église de leur maison professe dont ce dernier avait financé la construction. L’Empire est alors au plus mal. Français et Suédois se sont alliés et remportent de nombreuses victoires qui affaiblissent considérablement les Habsbourg. Ferdinand élève donc sur la place de Vienne, devant l’église jésuite, une colonne « pour servir d’arc-boutant et de soutien à l’État et à la Foi qui penchaient à la ruine dans l’Empire73 ». Au sommet de cette colonne, se dresse une statue du type iconographique classique de l’Immaculée Conception « qui semble d’un côté écraser de son talon victorieux la tête du serpent ; & de l’autre être en sentinelle, & veiller pour le salut des siens74 » tandis qu’à ses pieds, un écriteau proclame la Vierge « dame et maîtresse spéciale et patronne d’Autriche », à qui Ferdinand III confie ses peuples,

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Le lecteur trouvera une excellente mise au point ainsi qu’une bibliographie récente sur le sujet dans H. Glaser et E. A. Werner, « The victorious Virgin… », op. cit., p. 146-150. 69 Quelque cent soixante colonnes verront le jour entre 1650 et 1780 en Bohème et Moravie comme expression de l’autorité habsbourgeoise (Idem, p. 150). 70 A. Coreth, « Pietas austriaca »…, op. cit., p. 52 ; Fr. Matsche, Die Kunst im Dienst der Staatsidee Kaiser Karls VI. …, op. cit., t. I, p. 159-168 ; J. Bérenger, « Pietas austriaca. Contribution à l'étude de la sensibilité religieuse des Habsbourg », op. cit., p. 414. – Sur la musique composée par Giovanni Felice Sances à l’occasion de l’érection de la colonne viennoise, voir Andrew H. Weaver, « Music in the service of Counter-Reformation politics : the Immaculate Conception at the Habsburg Court of Ferdinand III (1637-1657) », Music & Letters, vol. 87/3, 2006, p. 361-378. 71 Wilhelm von Slavata, Maria virgo immaculate concepta publico voto Ferdinandi III. romani imperatoris in Austriae patronam electa, Vienne, Cosmerovius, 1648. – Il a été traduit sous la forme suivante : [Guillaume de Slavata], La Vierge Marie conceue sans peché choisie avec vœu publique pour patronne d'Austriche par Ferdinand III empereur, Douai, Jean Serrurier, 1649. 72 « Vous avez voulu que je fusse plusieurs années / prefect et directeur de la Congrégation / de vostre Immaculée Conception » ([G. de Slavata], La Vierge Marie conceue sans peché…, op. cit., f. A3r°). 73 Idem, p. 7. 74 Idem, p. 8. – Fr. Matsche prétend qu’il s’agissait initialement d’une Vierge à l’Enfant de marbre remplacée en 1667, sur l’initiative de l’empereur Léopold, par une statue de bronze représentant l’Immaculée Conception (Fr. Matsche, Die Kunst im Dienst der Staatsidee Kaiser Karls VI…, op. cit., p. 153). Cependant, le témoignage du comte Slavata, rédigé un an après les événements, décrit bien une statue représentant la Vierge seule, écrasant le serpent, attribut iconographique caractéristique du type de l’Immaculée Conception. À cet attribut s’ajoutait le plus souvent le croissant de lune de la Femme de l’Apocalypse, symbole du monde changeant et pécheur auquel

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ses armées et ses provinces. Le 18 mai, l’empereur, ses enfants et la cour sortent en procession au milieu de la foule : dans l’église jésuite, l’empereur prononce le fameux vœu « dans la ferme espérance que la bonne Vierge calmerait l’orage qui les menaçait75 ». La conclusion que tire le comte von Slavata est pour le moins éloquente : Desormais, il ne sera plus loisible parmy nous de disputer vostre Conception Immaculée : veu qu’elle est attestée, & mise hors de doute par les pierres mesmes, & les colosses de marbre. On ne peut plus ne vous pas dire Immaculée, à moins de choquer l’autorité de l’Empereur Ferdinand. Nous autres qui ne voulons pas degenerer d’un si grand Chef, dont nous sommes les sujets : à milliers de voix, mais d’un mesme esprit nous vous disons : Ave Immaculate Concepta Virgo Maria. Nous vous saluons ô Vierge Marie conceuë sans peché76.

Wilhelm von Slavata, proche de la Compagnie de Jésus et fidèle à l’empereur, proclame haut et fort la Conception Immaculée, au détriment de toute définition dogmatique, et fait coïncider l’image de la Vierge Immaculée et celle de Ferdinand : s’opposer à l’une est s’opposer à l’autre. La cause de l’empereur et celle de la doctrine immaculiste s’enchevêtrent. L’utilisation de la pietas mariana comme fondement de l’autorité impériale est à son paroxysme. Les thèses immaculistes connaissent une exaltation flamboyante, alimentée par la conjonction des efforts habsbourgeois et jésuites77.

Seconde cristallisation : l’Immaculée Conception patronne des Pays-Bas ? Le mémor ial adress é à Philippe IV En septembre 1642, Urbain VIII, par le décret Universa per orbem, retire la fête de la Conception des fêtes dites de praecepto ou obligatoires. Ce décret provoque parmi les partisans de la doctrine immaculiste un véritable tollé, atténué cependant par la possibilité offerte aux royaumes, provinces et cités d’établir comme fête de précepte la fête de leur saint patron. Un vaste mouvement, partant de Burgos et de Majorque, s’empresse alors de dynamiser le choix d’un patronage conceptionniste à travers toute l’Espagne. Philippe IV demande en 1643 à tous ses royaumes de se mettre sous la protection de la Vierge78. Le

l’Immaculée opposait constance sa pureté (G. Schiller, Ikonographie der christlichen Kunst…, op. cit., t. IV, vol. 2 (Maria), p. 174-176). 75 [G. de Slavata], La Vierge Marie conceue sans peché…, op. cit., p. 12-13. 76 Idem, p. 19. 77 Voir également l’exemple de deux aquarelles collées à l'intérieur d'un registre de la confrérie jésuite de Ljubljana (1624-1783) : les peintures représentent l'Immaculée Conception protégeant le blason de l'Autriche et reflètent les idées politiques de Ferdinand III et Léopold (Lev Menase, « Brezmadena kot Patrona Austriae v bratoviscinski knjigi ljubljanske kongregacije Marijinega brezmadenega spocetja », Zbornik za umetnostno zgodovino, n° 28, 1992, p. 53-58). 78 Le patron traditionnel de l’Espagne était saint Jacques. Par cette demande, Philippe IV marialise le culte national (Charles Hermann, L'Église d'Espagne sous le patronage royal (1476-1834). Essai d'ecclésiologie politique, Madrid, Casa Velazquez, 1988, p. 26).

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20 décembre, François de Melo, marquis de Tor de Laguna et alors gouverneur général par intérim des Pays-Bas, écrit au monarque que, conformément à ses ordres, la Vierge a été déclarée « patronne de ces États comme de tous les royaumes et provinces de la monarchie79 ». Des processions et une octave ont été organisées dans les provinces des Pays-Bas et la fête de l’Expectation de la Vierge, fixée au 18 décembre par le calendrier liturgique pour célébrer l’attente de Marie avant l’enfantement, a été choisie comme jour de fête solennel80. À Bruxelles, les cérémonies, auxquelles a participé le gouverneur, ont eu lieu dans l’église Saint-Jacques des chanoines réguliers du Coudenberg, près du palais, dans la chapelle où est conservée l’image miraculeuse de Notre-Dame de Bois-le-Duc 81. D’Immaculée Conception, cependant, il n’est guère question. Aussi ce patronage semble-t-il ne pas satisfaire les habitants des provinces belges – ou du moins, quelques-uns d’entre eux. Environ dix ans plus tard, un mémorial non daté mais antérieur au 20 décembre 1654, est adressé en espagnol à Philippe IV lui demandant de placer les Pays-Bas ainsi que ses armées sous le patronage de l’Immaculée Conception et de restaurer, en conséquence, l’importance de la fête à la date du 8 décembre82. Ses auteurs se présentent comme les « nombreux vassaux de Sa Majesté dans ses États de Flandres et de Bourgogne83 ». Nul ne connaît, cependant, ni leur nombre ni leur identité. Pour Lucien Ceyssens, qui considère toute démarche immaculiste comme un combat antijanséniste, il ne peut s’agir que de jésuites84. Ce point de vue est réducteur :

79 Cette lettre nous est connue par une délibération du Conseil d’État à Madrid qui en cite la teneur (L. Ceyssens, La première bulle contre Jansénius…, op. cit., t. II, appendice III, doc. 1, p. 807, délibération du Conseil d’État à Madrid, Madrid, 17 février 1644). 80 Lucien Ceyssens pense que le monarque s’attendait à ce que ses royaumes choisissent le patronage de l’Immaculée Conception (Lucien Ceyssens, « Le petit office de l'Immaculée Conception : prétendue approbation, condamnation (1678), tolérance (1679) », dans Virgo Immaculata. Acta congressus mariologici-mariani Romae anno MCMLIV celebrati, Rome, Academia Mariana Internationalis, 1957, vol.17, p. 15). Il est possible, en effet, vu le vaste mouvement poussant à l’instauration d’un patronage conceptionniste, que cela ait été le cas. Les sources que nous avons pu consulter, cependant, ne font aucune mention expresse de l’Immaculée Conception dans la demande de Philippe IV et se contentent d’évoquer un patronage marial général. 81 Sur cette élection « nationale », nous renvoyons le lecteur à la première partie, chap. « Une proclamation cérémonielle », p. 63. 82 « Vienen a suplicar a V.M. se sirva mandar poner debajo del amparo de Maria concebida sin mancha del pecado original, no solamente a sus dichos Estados sino también a sus ejércitos […] y que en consecuencia se celebre su fiesta por voto expreso y también con vigilia y ayuno en su vispera, y en el dia proprio con procesión general » (A.A.M.B., Fonds De Immaculata Conceptione, non folioté). Ce mémorial a été édité par L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, doc. 289, p. 297-299, mémorial de dévots à l’Immmaculée Conception à Philippe IV). – Cette supplique et les événements qui en découlent ont été étudiés par Daniel Coppieters de Gibson, « Le Serment des États du Brabant fait en 1659 touchant la Saincte Immaculation de Notre-Dame », Collectanea Mechliniensia, n° 24, 1954, p. 307-323. Il faut toutefois garder en mémoire le climat dans lequel publie cet abbé, étudiant en théologie. On célèbre alors le centième anniversaire de la proclamation du dogme immaculiste. En outre, à une époque où s’affirme de plus en plus le rôle du monde laïque dans l’Église catholique, l’auteur veut prouver que les pressions belges du milieu du xviie siècle en faveur de l’Immaculée Conception sont en réalité « un élément de la Tradition vivante de l’Église qui a acheminé vers la définition de 1854 » c’est-à-dire que le dogme a été « conquis non par les théologiens […] mais par le laïcat chrétien aidé par la papauté » (p. 318). 83 « Muchos vasallos de Vuestra Majestad en sus Estados de Flandes y Borgoña » (L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, p. 297). 84 L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, p. LXXXI, n. 2.

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les franciscains et les carmes étaient également favorables à l’Immaculée Conception. Les éléments à notre disposition sont trop peu nombreux pour définir avec précision l’identité des requérants. Cependant, au même moment il est vrai, émanent de la Compagnie de Jésus de semblables demandes réclamant la restauration d’importantes solennités le jour de la Conception de la Vierge et l’érection de Marie, sous ce titre, en patronne d’une communauté civile. C’est ainsi qu’à Anvers, pendant le vicariat de François Dingens entre 1652 et 1654, un jésuite inconnu avait introduit une demande pour célébrer officiellement à travers la ville la fête de la Conception85. Le vicaire avait refusé, alléguant d’une part la bulle d’Urbain VIII qui n’imposait plus la fête comme obligatoire et invoquant d’autre part la dédicace de la cathédrale sous le titre de l’Assomption, célébrée solennellement chaque année dans la ville et considérée comme la patronne et protectrice de la cité et du diocèse. Fin octobre 1655, l’évêque d’Anvers, Ambroise Capello, recevra à son tour des mains d’un des bourgmestres de la ville un long mémorial adressé au Magistrat anversois par un père de la Compagnie. Cette requête demande aux édiles de faire instance auprès de l’évêque pour qu’il érige le jour de l’Immaculée Conception en jour de fête commun à toute la ville et qu’en ce jour, la Vierge soit honorée comme patronne86. Ambroise Capello la rejette la demande sans autre forme de procès. La volonté jésuite de défendre l’Immaculée Conception, de restaurer solennellement la fête du 8 décembre et d’imposer un patronage immaculiste est manifeste. Cependant, nous ne pouvons pour autant suivre Lucien Ceyssens et réduire les « nombreux vassaux » requérants à une poignée de pères de la Compagnie. La longue supplique adressée à Philippe IV avance une série de raisons pour justifier le patronage immaculiste. Si, par flatterie ou réelle admiration pour le combat immaculiste qu’incarne le pouvoir espagnol, les requérants invoquent leur désir de suivre dans les PaysBas la dévotion au mystère de l’Immaculée Conception promue par la Couronne d’Espagne, ils inscrivent également la question, dès l’introduction de leur requête, dans une problématique d’un réalisme aigu : la détresse des États de Flandres, envahis par les troupes armées en campagne contre l’ennemi français qui impose à l’Espagne de terribles déconfitures depuis

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« Du temps de la vacance du siege, devant ma confirmation apostolique [6 juillet 1654], un Pere de la Compagnie de Jesus est venu faire instance au vicariat, afin qu’il voudrait ordonner qu’on celebrerait feste par toute la ville d’Anvers le jour de la Conception de la Tres Sainte Vierge » (A.A.M.B., Fonds De Immaculata Conceptione, non folioté, Ambroise Capello à Léopold-Guillaume, Anvers, 3 novembre 1655). 86 Motiva Senatui Amplissimo [Antverpiensi] representata a pio populo Antverpiensi ut per Illustrissimum Dominum dies Immaculatae Conceptionis erigatur in diem festivum toti urbi communem, et illa die Sanctissima Virgo tamquam patrona colatur (A.A.M.B., Fonds De Immaculata Conceptione, s.d., non folioté, copie annexée à un courrier d’Ambroise Capello à Léopold-Guillaume daté du 3 novembre 1655). L’argumentation du père jésuite tient en quatre points : primo, il appartient à l’évêque et à ses fidèles de se choisir un saint patron comme ce fut le cas à Liège avec saint Lambert ou à Maastricht avec saint Servais ; secundo, la ville d’Anvers a été préservée en 1622 des assauts de Maurice de Nassau un 2 décembre, soit pendant la semaine qui a précédé la fête de la Conception : la Vierge s’est battue pour la ville, il convient de l’en remercier ; tertio, la ville d’Anvers est une ville brabançonne, or il est bien connu que les peuples du Brabant vénèrent l’Immaculée Conception de la Vierge : pourquoi les Anversois devraient-ils se distinguer ? ; quatro et ultimo, le culte de l’Immaculée Conception est maintenu dans le diocèse de l’archevêque de Malines sous la juridiction duquel se trouve l’épiscopat anversois.

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la soumission des frondeurs l’année précédente87. L’argument fondamental est dès lors formulé : le pays, au bord du gouffre, doit être protégé et sauvé grâce à la Vierge sous le titre de son Immaculée Conception. S’ensuit une kyrielle d’arguments secondaires voulant prouver l’importance dans les Pays-Bas méridionaux du culte marial en général et de la dévotion à l’Immaculée Conception en particulier, avec comme évidente intention de donner à croire au roi que le choix du patronage de l’Immaculée Conception sur le pays sera chose aisée. Les auteurs de la requête assurent ainsi « qu’il n’y a pas de nation plus dévote envers la Vierge que les Flamands et les Bourguignons » puisque chaque cité possède une statue mariale illustre pour ses miracles et quantité d’images dévotes sur les portes de ses maisons. Par ailleurs, en cette époque où toute nouveauté fait peur et où seuls l’ancien et le permanent sont preuves de vérité, ils allèguent, pour renforcer leur argumentation, le souvenir de la maison de Philippe le Bon en décrivant le grand maître de la chapelle princière, Pierre de Longueil, évêque d’Auxerre, comme défenseur de l’Immaculée Conception88, rappellent le cri de guerre Notre-Dame et Bourgogne des soldats combattant sous les ducs de Bourgogne et se souviennent de Charles Quint qui portait en campagne l’image de la Vierge « sur ses armes et sur son cœur ». Plus intéressant encore, les requérants fournissent au monarque leur propre lecture – largement idéalisée – des positions adoptées dans les Pays-Bas face à la question houleuse de l’Immaculée Conception. Ils affirment ainsi que les prélats ont choisi en grand nombre la Vierge conçue sans tache comme patronne de leur diocèse suite au décret d’Urbain VIII en 1642. Ils font des universités des lieux où personne n’est admis à un quelconque grade sans avoir prêté le vœu public de défendre l’Immaculée Conception. Ils évoquent l’extrême intérêt pour leur requête du gouverneur général, l’archiduc LéopoldGuillaume, fervent dévot à la Vierge. Le prince, entouré d’un nombre important de jésuites dont il fut l’élève, est imprégné de la spiritualité qui anime la Compagnie et, pour cette raison, n’est pas insensible au combat immaculiste. À ce titre, il est plusieurs fois choisi

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« Y mas en este tiempo en que se hallan los Estados de Flandes en tal mal punto luego después de haberse desentrañado para acudir a esta campaña del presente año 1654 » (L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, p. 297). 88 Les membres du proche entourage ecclésiastique des ducs de Bourgogne n’ont pas encore fait l’objet d’études complètes et systématiques. Sur cet évêque, on glânera donc l’une ou l’autre information dans Vincent Tabbagh, « Les évêques d'Auxerre à la fin du Moyen Âge (1296-1513) », Annales de Bourgogne, n° 67, 1995, p. 81-106 ; Richard Vaughan, Philip the Good, 2e éd., Woodbridge, The Boydell Press, 2002, p. 232. Les informations ne sont guère plus nombreuses concernant son éventuelle dévotion à l’Immaculée Conception ou une quelconque prise de position dogmatique particulière dans les querelles autour de ce mystère. L'abbé Lebeuf, dans ses Mémoires sur l'histoire civile et ecclésiastique d'Auxerre, t. IV, Paris, 1743, n° 375 et suivants, publie les textes d'un conflit qui a opposé Pierre de Longueil et les dominicains d'Auxerre, sur un « article de foi » qui n'est pas précisé. On a longtemps pensé que ce conflit portait sur l’application du canon Omnis utriusque sexus de Latran IV relatif à la confession et la communion mais sans aucune preuve précise. Il est possible que cette dispute ait opposé un évêque immaculiste à des dominicains thomistes et donc maculistes. Les spécialistes du personnage ne trouvent cependant aucune trace d’une dévotion mariale particulière chez cet évêque. Il faut donc vraisemblablement voir dans l’évocation du nom de Pierre de Longueil une reconstruction du passé pour tenter de donner du poids à l’argumentation et invoquer un héritage bourguignon immaculiste. Nous remercions Vincent Tabbagh pour ses renseignements précieux sur ces questions bourguignonnes et auxerroises.

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comme dédicataire d’ouvrages défendant la légitimité du mystère89. Il laissera d’ailleurs le souvenir d’une dévotion particulière à l’Immaculée Conception, du moins selon le portrait qu’en brossent ses biographes90. Les requérants, enfin, présentent les dominicains comme ne s’opposant en aucune manière au mystère puisqu’ils permettent de célébrer la fête de la Conception et son octave chaque année dans leur église bruxelloise. Il semble en effet que l’église dominicaine accueillait chaque année, de manière plutôt inattendue, les célébrations organisées pour la fête de la Conception de la Vierge. Pour Daniel Coppieters de Gibson, ceci s’expliquait par le fait que l’église des frères prêcheurs, érigée en 1594, aurait été vouée à l’Immaculée Conception91. Mais cette affirmation, si elle sert bien son argumentation, est incongrue et fallacieuse. La spiritualité dominicaine ne pouvait que difficilement s’accommoder d’une telle titulature. Cette année-là en réalité, le couvent bruxellois, qui jouit depuis 1585 d’une période de calme marquée par de nombreuses restaurations et de nouvelles constructions, érige une chapelle bel et bien vouée à la Vierge mais sous le titre du Rosaire, dévotion typiquement dominicaine92. Comment, dès lors, a-t-elle pu devenir le lieu de solennités à ce point étrangères aux convictions des frères prêcheurs ? Dès sa fondation, la chapelle est en fait rapidement fréquentée par de très nombreux soldats espagnols venus rendre grâce à Marie d’un salut inespéré obtenu sur les champs de bataille des Pays-Bas par son intercession, d’où son nom de « chapelle des Espagnols » ou de « chapelle du Rosaire de la nation espagnole93 ». On ne s’étonnera donc pas de voir les archiducs Albert et Isabelle lui accorder une faveur particulière et y manifester les témoignages d’une dévotion mariale typiquement méridionale et ibérique94. Ils attirent avec eux la noblesse espagnole et transforment progressivement la chapelle en sanctuaire princier 95. C’est ainsi que le 8 décembre 1626, au jour de la fête de la Conception de la Vierge, l’archiduchesse Isabelle

89 Miguel de Luna et Arellano, Theoremata sacra theologica et juridica, topica et anaglyphica pro Immaculata Deiparae Virginis Conceptione, Bruxelles, Jan Mommaert, 1652. 90 « Il trouvait de grandes douceurs en tous ses mysteres ; mais il en decouvrait d’extraordinaires dans celui de l’Immaculée Conception : soit que l’Empereur son pere lui eut transmis le goust de cette devotion, soit qu’il desira par ces bons sentiments de restituer et de maintenir dans la Vierge, l’honneur, que d’autres lui disputaient » (N. Avancin, Le prince devot et guerrier…, op. cit., 1667, p. 54-55). 91 D. Coppieters de Gibson, « Le Serment des États du Brabant… », op. cit, p. 312-313. 92 Lieve De Mecheleer, De orde van de Dominicanen : monasticon, Bruxelles, A.G.R., 2000, p. 201. – Pour un état de la question concernant la dévotion au Rosaire, voir André Duval, « Rosaire », D.S., t. XIII, 1988, col. 937-980 ; Horst Rzepkowski, « Rosenkranz », dans R. Baümer et L. Scheffczyck (éds), Marienlexikon…, op. cit., t. V, 1993, p. 553-559. 93 « Capella del Rosario della natione Spagnuola » (A.S.V., F. B., seria II, vol. 112, f. 264, accusé de réception du nonce L. Morra au cardinal S. Borghese au sujet d’un indult pontifical conférant à la chapelle un statut d’autel privilégié, Bruxelles, 21 avril 1618). 94 Le nonce di Vecchi leur attribue d’ailleurs l’érection de la chapelle : « l’altare e capella del medesimo titolo eretta dall’archiduca Alberto nella Chiesa dei Dominicani » (A.S.V., S.S., N.F., vol. 43, f. 498, Giramolo Di Vecchi à Flavio Chigi, Bruxelles, 13 décembre 1659). Nous soulignons. 95 « Electum editioni sacellum regium, quo in aede Patrum Dominicanorum utitur Hispana nobilitas, Rosarii appellant » (R.A., Fl.-Belg., vol. 7/2, Litterae annuae Provinciae Flandro-Belgicae Anni MDCLIX, cahier 4, f. 8r°). En 1659, le sanctuaire est donc considéré comme une chapelle royale.

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assiste à un sermon et à une messe chantée qu’elle a elle-même fondée dans ladite chapelle96. Il est donc probable que c’est à l’époque des archiducs qu’il faut faire remonter la célébration de festivités conceptionnistes à l’intérieur des murs de l’église dominicaine. Progressivement, nous le verrons, ces festivités ont pris un tour immaculiste, pour le plus grand mécontentement des frères prêcheurs. Le tableau dressé par les requérants est parfait. Dans les Pays-Bas, le terrain destiné à accueillir le nouveau patronage immaculiste serait meuble à souhait : l’Immaculée Conception devrait être exaltée sans difficultés dans un pays qui attend unanimement sa protection, implorée très officiellement et majestueusement par un vœu public lors d’une fête dont l’importante solennité sera exprimée par une vigile, un jeûne et une procession générale97. Cette description idyllique, nous le verrons, doit être largement atténuée. Plusieurs évêques refusent le patronage immaculiste, l’université se méfie du vœu98, tandis que les dominicains voient d’un mauvais œil se développer la dévotion à l’Immaculée Conception dans les Pays-Bas et d’autant plus dans leur église de Bruxelles. Le roi, cependant, est séduit par ce mémorial : le 20 décembre 1654, il envoie à son cousin, Léopold-Guillaume, une copie de la requête pour qu’il l’examine point par point et prenne les mesures opportunes99. Toutefois, le gouverneur, pourtant présenté par les « nombreux dévots » comme enthousiaste à leur projet, ne bronche pas. Il faut attendre le début du mois de septembre 1655 pour qu’il transmette au Conseil d’État la lettre royale et la copie du mémorial. Il demande aux conseillers de prendre l’avis des évêques et d’en tirer les conclusions nécessaires pour qu’il puisse répondre à Philippe IV100. Le Conseil envoie donc à son tour des copies de la lettre du roi et du mémorial à tous les évêques des Pays-Bas à la date du 30 septembre101.

96 « Il giorno della Concet[tio]ne, S.A. ando alla Chiesa de Domenicani, et senti il sermone e la missa cantata da lei fondata nella Capella del Rosario della natione spagn[uo]la » (A.S.V., S.S., N.F., vol. 21 A, f. 481v°, Fr. Guidi di Bagno à B. Spada, nonce en France, Bruxelles, 12 décembre 1626). 97 Lucien Ceyssens voit dans cette proposition la demande formelle de la restauration de la fête de l’Immaculée Conception parmi les fêtes de précepte (L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, p. LXXXI). Il nous semble qu’il faut y voir plus simplement un moyen de contourner la bulle d’Urbain VIII, à la manière du mouvement parti de Burgos et Salamanque : puisque la fête de l’Immaculée Conception n’est plus obligatoire, il s’agit de choisir, comme sainte protectrice, la Vierge sous le titre de son Immaculée Conception pour pouvoir la célébrer de praecepto. Ce n’est donc pas la fête mais bien le patronage qui est l’objet de ce mémorial, bien que la question de la fête sous-tende largement l’argumentation. 98 L’université louvaniste a toujours refusé fermement le vœu, à la grande déception du pouvoir espagnol et de ses représentants (cf. supra). – Philippe IV, de son côté, ne fit de ce vœu la condition de confirmation de validation des grades délivrés par les universités espagnoles de Salamanque, Alcala et Valladolid qu’en 1664 (Ch. Hermann, L’Église d’Espagne…, op. cit., p. 26). 99 L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, doc. 290, p. 299, Philippe IV à Léopold-Guillaume, Madrid, 20 décembre 1654. 100 A.A.M.B., Fonds De Immaculata Conceptione, non folioté, Léopold-Guillaume au Conseil d’État, Bruxelles, 6 septembre 1655. 101 L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, doc. 433, p. 424, le Conseil aux évêques des Pays-Bas, le 30 septembre 1655.

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La con sultation auprès des é v êques Trois réponses de cette vaste consultation ont été conservées et illustrent remarquablement combien les avis pouvaient être divergents. Jean Le Roy, vicaire-général de Malines, et Antoine Triest, évêque octogénaire de Gand, d’opinions contradictoires, proposent des solutions de compromis tandis que le troisième, l’évêque dominicain d’Anvers Ambroise Capello, farouche adepte de la pensée thomiste, présente une attitude autrement plus radicale102. Les deux premières réponses connues – et datées – sont défavorables103. Antoine Triest et Ambroise Capello ont tous deux consulté leur base : l’un a rassemblé les doyens de son diocèse et les prêtres de la ville de Gand, l’autre a convoqué le Chapitre cathédral d’Anvers. Ils estiment chacun, se fondant sur cette consultation, ne pas du tout savoir qui peuvent être les auteurs du mémorial et ne pas connaître de preuves ou témoignages dans leur diocèse d’une quelconque augmentation de la dévotion à l’Immaculée Conception. La doctrine immaculiste est pour Capello un « mystere douteux » ou une « dangereuse nouveauté » et, pour Triest, un « titre litigieux qui ne pourra en ce diocese et autres voisins causer que des disputes, inconvenients, commotions et scandales entre les bons catholiques, vassaux de Sa Majesté ». Par ailleurs, ils refusent d’adopter des propositions contrevenant à la bulle pontificale d’Urbain VIII de 1642 ainsi qu’aux trois décrets inquisitoriaux de la Congrégation du Saint-Office qui interdisaient d’associer les termes de « conception » et d’« immaculée ». La position tranchée d’Ambroise Capello n’étonne guère. Pénétré de conceptions thomistes, il ne peut admettre que la Vierge ait échappé à la longue chaîne de transmission de la faute et par la même occasion à la Rédemption assurée par le Christ Sauveur. Thomas d’Aquin – nous l’avons vu – considère l’idée de la conception immaculée comme offensante à l’égard du plan divin du salut de l’humanité. De son côté, Triest, qui a naguère défendu les intérêts du jeune jansénisme, ne peut pas davantage accepter de soutenir une dévotion incompatible avec les théories augustiennes du péché originel héréditaire104. L’évêque gantois, il est vrai, a fini par signer le formulaire et obtenir l’absolution du Saint-Siège pour ses anciennes faveurs jansénistes. Au cours des mois qui ont précédé ce courrier, il s’est rapproché d’antijansénistes notoires et a fait preuve, sinon d’amitié, à tout le moins de bienveillance envers la Compagnie de Jésus. Pourtant, il refuse de soutenir le projet

102 Daniel Coppieters de Gibson ne connaissait qu’une seule de ces réponses, celle d’Ambroise Capello (« Le Serment des États du Brabant… », op. cit.). Les recherches archivistiques de Lucien Ceyssens ont permis d’en découvrir au moins deux autres. 103 L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, doc. 442, p. 430-432, Antoine Triest au Conseil d’État, Gand, 28 octobre 1655. – A.A.M.B., Fonds De Immaculata Conceptione, non folioté, Ambroise Capello à Léopold-Guillaume, Anvers, 3 novembre 1655 ; édité par D. Coppieters de Gibson, « Le Serment des États du Brabant… », op. cit., p. 321-323 ainsi que par L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, doc. 448, p. 436-438. 104 On se souviendra que Jansénius, commentant la 73e proposition attribuée à Baïus par la bulle Ex omnibus afflictionibus, soutenait comme son prédécesseur une position maculiste, seul le Christ ayant été exempt du péché originel (C. Jansénius, Augustinus, Louvain, Jacques Zegers, 1640, t. II (De statu naturae lapsae), l. I, c. IX, l. IV, c. XXVII et Index rerum).

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immaculiste qui lui est soumis. Deux raisons peuvent expliquer cette attitude. D’une part, Triest, qui vient d’obtenir la confiance de Rome, doit protester de sa fidélité à l’autorité pontificale : or, comme il le souligne longuement dans son courrier, celle-ci continue à refuser fermement la définition définitive de l’Immaculée Conception. D’autre part, Triest a beau avoir renoncé au jansénisme, il n’en reste pas moins un évêque modéré, adversaire du laxisme et des excès que peuvent revêtir certaines formes de dévotion mariale qu’il juge démesurées. Antoine Triest veut favoriser une dévotion qui ferait plus de place à la figure du Christ et en particulier au culte du saint sacrement, « fondement principal de la sainte foi », dont il déplore l’affaiblissement au profit de la dévotion à la Vierge105. Il redoute, pour les mêmes raisons, les moqueries protestantes106. Si Capello et Triest expriment avec fermeté leur opposition à la requête adressée au monarque espagnol concernant un éventuel patronage immaculiste, leurs conclusions diffèrent cependant sensiblement. Le premier est catégorique : le bien et le repos publics exigent de ne rien entreprendre de la sorte107. Le Gantois, lui, suggère un moyen terme qui pourrait satisfaire les uns et les autres : il propose de prendre la Vierge pour patronne et protectrice du pays et des armées mais de préférer au titre de l’Immaculée Conception celui de l’Annonciation qui présente le double mérite de n’être pas sujet aux controverses et d’ancrer davantage la dévotion mariale dans un culte christologique puisque l’Annonciation proclame « l’Incarnation de Notre Seigneur Jesus-Christ, mystere de l’amour singulier de Dieu pour nostre redemption que les bons chrestiens ne peuvent jamais assez dinement louer, estimer ni honorer108 ». Se rangeront à l’avis défavorable de Capello et de Triest, l’archevêque de Cambrai, Gaspard Némius, et l’évêque de Namur, Jean de Wachtendonk109. Jean Le Roy, doyen du Chapitre cathédral choisi pour assurer la vacance du siège archiépiscopal à la mort de Jacques Boonen, est lui d’avis favorable110. Sa longue plaidoirie

105 « Et comme d’ailleurs il est tres assuré que le peuple de pardeça, plus que nul autre, temoigne tous les jours le grand zele et singuliere dévotion qu’il porte vers la Sacrée Vierge […] même à si haut point qu’il semble qu’aucuns veuillent deferer plus de religion et veneration exterieure, que d’adoration, culte de dévotion solide au Tres Saint Sacrement de l’Autel, mystere toutefois et fondement principal de notre sainte foi » (L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, doc. 442, p. 431, Antoine Triest au Conseil d’État, Gand, 28 octobre 1655). 106 « Ce que plusieurs personnes doctes et vertueux deplorent et les hereticques ne cessent de decrier et nous reprocher, principalement en la presente conjonction du temps et de l’Estat » (Ibidem). 107 « Vu donc que ces choses sont meres de nouveautés en ce pays, qui feront naitre des grieves disputes avec peril de scandales, et sont contraires aux susdits decrets, il me semble, sous tres humble correction, qu’il ne convienne aucunement, pour le bien et le repos public de les commencer et entreprendre maintenant » (L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, doc. 448, p. 438, Ambroise Capello à LéopoldGuillaume). 108 L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, doc. 442, p. 431, Antoine Triest au Conseil d’État. 109 A.G.R., Secrétairerie d’État et de guerre, vol. 260, f. 345v°, Avis du Conseil Privé, 14 février 1656, copie. La minute du texte espagnol se trouve également dans le volume, f. 359r°-f. 360v°. Le texte français a été publié par L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, doc. 486, p. 465. 110 A.G.R., Secrétairerie d’État et de guerre, vol. 260, f. 348r°- f. 357r°, Jean Le Roy à Léopold-Guillaume, [après le 28 octobre 1655], copie. – Document publié en partie par L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, doc. 434, p. 425.

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n’est pas datée. Elle semble cependant répondre méthodiquement à la lettre d’Antoine Triest et pourrait donc être postérieure au 28 octobre 1655. Après un bref rappel des fonctions protectrices qu’attribue une tradition séculaire à la Reine des hiérarchies célestes, il fait reposer son argumentation sur un long exposé en faveur de l’Immaculée Conception qui fonde sa volonté de voir la requête des dévots se réaliser pour la gloire de Dieu et de la Vierge ainsi que pour l’utilité publique qu’en retireront l’État et le Roi Catholique111. Il tente de prouver la validité de la doctrine immaculiste par des arguments scripturaires, par le large succès populaire de la dévotion et l’antiquité de la fête, par le soutien de l’Église au mystère controversé depuis le concile de Bâle jusqu’aux constitutions de Grégoire XV en 1622 et, enfin, par l’offense faite à Dieu en lui refusant la possibilité de se choisir ab aeterno une Mère exempte du péché originel. Il retourne ainsi en faveur du clan immaculiste le traditionnel argument thomiste qui fait de l’Immaculée Conception une atteinte à la toute-puissance divine. Il refuse donc les accusations d’inconvenance adressées au mémorial et propose à l’inverse d’y répondre positivement en démontant un à un les arguments défavorables de l’évêque de Gand. À la peur de Triest de voir l’Église taxée d’ « inconstance » et de « nouveauté » si la fête de l’Immaculée Conception venait à être de nouveau célébrée contrairement aux décrets d’Urbain VIII112, il répond par le fait que ce sont le roi d’Espagne et ses vassaux des Pays-Bas qui en prennent l’initiative et non l’Église113. À la crainte de l’évêque que la restauration de la fête de l’Immaculée Conception et le patronage immaculiste sur le pays ne portent préjudice au culte de Dieu et de son Fils, Le Roy réplique que, à l’opposé, ils ne pourront que participer à son renforcement114. À l’inquiétude de Triest face à une éventuelle multiplication des railleries des voisins protestants, le vicaire malinois oppose enfin l’importance du rôle marial dans l’éradication de l’hérésie ennemie115. En guise de conclusion, Jean Le Roy propose que l’archiduc sollicite du Saint-Père l’élargissement à l’ensemble des Pays-Bas de la fête in populo de l’Immaculée Conception, avec vigile et octave. Suite au décret d’Urbain VIII, la fête avait en effet été abolie dans

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« Et que le leur accordant, ce sera promouvoir et augmenter la gloire de Dieu et l’honneur de la saincte Vierge Mere et faire œuvre grandement importante au bien de l’Estat, du Pays et au service de sa Majesté » (A.G.R., Secrétairerie d’État et de guerre, vol. 260, f. 348v°). 112 « Pris en outre en reflexion qu’apres la solennelle abrogation de la feste de la conception de la Sacrée Vierge emanée l’an 1642, Idibus Septembris, sur l’observation des festes d’obligation, la resomption et iterative introduction de la mesme feste avec l’attribut d’Immaculée, jeune à la veille et les demonstrations publicques et generales, audit memorial specifiées, sera sujette d’estre taxée et insimulée de nouveauté, et les prelats qui ont publié la dite bulle, d’inconstance » (L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, doc. 442, p. 431). Nous soulignons. 113 « Et ne pourra Sa Saincteté ou l’Eglise estre en ce tauxée de quelque inconstance ou legereté puis qu’il sera cognu a chascun que cela ce faict à l’instance et requête particuliere de nostre grand Roy, tant considerable en l’Eglise catholicque, et à la supplication de ses subjects et vasseaux du Pays bas et Comté de Bourgoigne pour l’augmentation de la devotion vers le sacrée mistere de la Conception Immaculée de la saincte Vierge Mere de Dieu » (A.G.R., Secrétairerie d’État et de guerre, vol. 260, f. 353r°). 114 « L’honneur de Dieu n’en recevra aussy aucun prejudice au rebours tant plus sera la Vierge honorée, tant plus sera la divine Majesté glorifiée et la devotion et culte divin croistera » (Idem, f. 354r°). 115 « La voisinaige, et presence des hereticques, doibt plustost servir de raison et motif pour augmenter le culte de la sacrée Vierge comme un moyen et remede propre pour l’extirpation de l’heresie » (Idem, f. 354r°).

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certains diocèses mais s’était maintenue dans d’autres, tels les évêchés de Malines et de Bruges, sans toutefois entrer dans la catégorie des fêtes de praecepto, comme le stipulaient les décisions pontificales. La participation active à la cérémonie solennelle commune à tous les évêchés belges que demande le vicaire-général serait accompagnée d’indulgences plénières. Il plaide donc pour l’instauration d’une fête de grande importance, suppléant ainsi à sa disparition de la liste des fêtes de précepte depuis 1642. Cependant, conscient que la question est épineuse et que son introduction auprès du Saint-Siège pourrait rencontrer une opposition ferme, il suggère une solution intermédiaire : la dédicace solennelle et publique des États et Pays à « la très sacrée Vierge », déliée de tout titre controversé, et l’organisation de vœux, prières et autres processions qui n’exigent pas l’intervention et l’approbation du pouvoir romain116. Le vicaire préconise par ailleurs d’accorder aux requérants la procession qu’ils demandent en faveur de l’Immaculée Conception. Il propose cependant, comme Triest, de l’organiser non pas le 8 décembre mais bien le jour de l’Annonciation. Cette proposition, plutôt surprenante après ce long réquisitoire contre l’évêque de Gand, doit, dit-il, permettre d’unir symboliquement les mystères marial et christologique en une seule cérémonie mais également, et surtout, de renouveler plusieurs fois dans l’année la proclamation de la doctrine immaculiste afin d’en imprégner les esprits dévots117. Il conseille enfin la création de sodalités de l’Immaculée Conception sous la houlette jésuite dont les membres serviraient de modèles à la dévotion immaculiste et participeraient activement aux processions, portant cierges et enseignes de soie blanche avec l’inscription Deiparae Virginis Belgii Patronae et Protectricis Immaculatae Conceptionis. Il cite à ce propos le rôle crucial de la sodalité viennoise lors de la consécration modèle des territoires de la maison d’Autriche à l’Immaculée Conception par l’empereur Ferdinand III le 18 mai 1647118. Jean Le Roy apparaît donc comme très nettement favorable à la protection immaculiste sur le pays. Il semble que se joignent à l’avis positif du vicaire malinois les évêques de Bruges, Ypres, Tournai, Ruremonde et SaintOmer. Le 14 février 1656, le Conseil privé délibère sur la base des réponses épiscopales et vicariales et rend un avis. Il est favorable à la proposition suggérée par le mémorial anonyme. Il propose donc d’accentuer la solennité de la fête là où elle a été maintenue in populo depuis

116 « Et neantmoins cette poursuitte vers Sa Saincteté n’empeschera qu’au Diocese de Malines et autres […] que soit procedé à la dedication et soubmission solemnele et publicques de ses Estats et Pays au service et protection de la tressacrée Vierge a l’institution des sodalités, prestations des vœux, prieres et processions, avec entrevention de l’authorité des ordinaires des lieux […] et d’autres particularitez qui ne requierent l’authorité et approbation du Sainct Siege » (Idem, f. 357r°). 117 « En joindant la memoire et veneration de la Conception immaculée de la saincte Vierge avec celle du Mistere de la tressaincte Incarnation du Verbe faict ce jour au corps sacré d’icelle Vierge, d’où procedera ce bien que la memoire et celebration du mistere de la Conception sera plus cogneue et recommandée au peuple estant renouvelle en divers temps » (Idem, f. 355r°). On remarquera que des considérations d’ordre pratique guident également le vicaire général qui craint « l’incommodité de l’air et saleté des rues et chemins qui arrivent ordinairement au mois de decembre lors qu’eschet la feste de la Conception Immaculée de la sacrée Vierge » (Idem). 118 « Cette action de l’empereur tres auguste Ferdinand 3e peut servir d’exemple, forme et modele au subject dont s’agit que l’on pourra ensuivre en cet estat et Pays » (Idem, f. 356v°).

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1642 et, lucide, à la suite de Jean Le Roy, sur les difficultés que posent les diocèses où elle a été totalement abrogée, il propose de pousser Philippe IV à exiger du pape le « retablissement absolu et universel de lad[it]e feste en ce pays avec octave119 ». Charles Hovines, chef-président des Conseils d’État et Privé, s’appuie sur la consulte du 14 février et recommande donc à Léopold-Guillaume d’adopter une position bienveillante, estimant qu’il n’y aura ni inconvénients ni abus à octroyer ce qu’implore le mémorial120. Il revient par ailleurs à l’argument principal des requérants qu’avaient ignoré les évêques et le Conseil Privé au profit de considérations de théologie, de pastorale et d’ecclésiologie politique. Il ré-arrime en effet la demande immaculiste au contexte de détresse que connaissent les Pays-Bas en estimant que ce patronage marial devrait permettre à chacun d’espérer « de très heureux succès pour les armées et dans le gouvernement de ces États121 ». Léopold-Guillaume envoie par conséquent au Conseil d’État à Madrid, le 13 mars 1656, une lettre rapportant les délibérations et réflexions dans le pays au sujet de la protection immaculiste sur les États et les armées et propose au roi d’y répondre favorablement. Cette lettre, cependant, reste sans réponse. Philippe IV, alors, a d’autres préoccupations concernant la question. Il se bat depuis une dizaine d’années pour que l’association des termes « immaculée » et « conception », interdite depuis 1627, soit enfin permise. L’année précédente, l’élection d’Alexandre VII au siège pontifical lui a rendu espoir et il concentre ses efforts pour obtenir de lui la célébration de l’« Immaculée Conception de la Vierge » et non de la « Conception de la Vierge Immaculée »122. Tout entier consacré à ce combat, il ne semble plus guère intéressé par la requête des mémorialistes, des Conseils et du gouverneur. Deux mois après l’envoi à Madrid de l’exhortation favorable à l’Immaculée Conception, Léopold-Guillaume quitte les Pays-Bas pour l’Allemagne, laissant la place au fils naturel de Philippe IV, Don Juan. L’archiduc autrichien part sans avoir réussi à convaincre le roi d’Espagne. Son biographe dira qu’il obtint cependant du pape, avec le consentement des Conseils du pays, de faire du 8 décembre un jour férié dans les Pays-Bas. Nous n’avons toutefois trouvé aucune trace de cette décision. S’il en a émis le souhait et en a fait la suggestion aux prélats des Pays-Bas, il semble peu probable, vu l’opposition catégorique d’évêques comme Triest ou Capello, qu’il soit réellement parvenu à ses fins.

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A.G.R., Secrétairerie d’État et de guerre, vol. 260, f. 346v°, Avis du Conseil Privé, Bruxelles, 14 février 1656. L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, doc. 315, p. 321-322, Charles Hovines à Léopold-Guillaume, Bruxelles, après le 14 février 1656. – Lucien Ceyssens date cette épître comme postérieure au 14 février 1655 : il doit s’agir d’une coquille puisque cette lettre fait bien référence à l’enquête menée auprès des évêques à partir du 30 septembre 1655 ainsi qu’à la consulte du 14 février 1656. 121 « Asi puede y debe esperar muy felices sucesos en las armas y en le gobierno de estos estados » (Ibidem). 122 S. Stratton, The Immaculate Conception…, op. cit., p. 98-104. 120

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D on Juan Lorsque Don Juan, son successeur, arrive dans les Pays-Bas en 1656, il a déjà largement fait la preuve de son incontestable soutien aux thèses immaculistes. En octobre 1653, il a en effet prêté serment en faveur de l’Immaculée Conception à l’abbaye Notre-Dame de Montserrat, sur le conseil de son confesseur, le bénédictin Dom Francisco Crespo, professeur à l’université de Salamanque, abbé de Montserrat et vigoureux apôtre du mystère controversé. Peu de temps après l’arrivée de son protégé à la tête des Pays-Bas, Crespo publie à Barcelone un Tribunal thomiste au sujet de la Conception Immaculée de la Mère de Dieu par lequel il tente de concilier la doctrine de Thomas d’Aquin avec les thèses immaculistes, dans le but de détruire les obstacles traditionnellement opposés par les anti-immaculistes, et en particulier par les dominicains, à la définition pontificale123. Il joint d’ailleurs à son traité un long mémorial adressé à Philippe IV pour qu’il obtienne du Saint-Siège une résolution doctrinale en faveur du mystère124. Le plus intéressant, cependant, pour notre propos est la dédicace qu’il adresse à Don Juan parti gouverner les Pays-Bas. Il utilise les topoi en usage en exaltant les nombreux exploits militaires et la grande piété du fougueux prince mais donne à ses louanges une couleur particulière que lui confèrent de systématiques accents immaculistes : il montre un prince avide d’une définition de la doctrine125, menant d’héroïques combats « à la lumière rayonnante de la Conception Immaculée126 » et remportant, sous l’égide de ce même mystère, de remarquables prouesses guerrières. Il décrit, surtout, le serment de défendre et soutenir l’Immaculée Conception prononcé par son protégé devant la très célèbre Vierge miraculeuse de Montserrat. Don Juan y est venu rendre grâce à la Vierge de ses prouesses militaires. En octobre 1652, en effet, il a conquis Barcelone tenue par les troupes catalanes révoltées et alliées aux Français. En remerciement des bénéfices obtenus, il fait le vœu public, devant une assemblée de nobles et de bénédictins réunis dans la chapelle de Montserrat, d’affirmer et de défendre de toutes ses forces « sa

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Francisco Crespo, O.S.B., Tribunal thomisticum de immaculato Deiparae conceptu candidum ius ore angelico dicens ; doctrinam angelicam cum virginis albescente origine, pulchra pace concilians ; adhortationem pro ipsius causa inferens : pias praeces Regi Catholico pro eiusdem definibilitate memoriali inserto concludens, Barcelone, Antonio Lacaballería, 1657. 124 Francisco Crespo, Memorial justo y piadoso á la S.C.R. Magestad del Rey N. S. D. Felipe el Grande IV en el nombre, primero en la Religion y Piedad, por la misma causa, y defensa de la Inmaculada Concepcion de la Madre de Dios, 69 p. jointes à l’œuvre précédente. 125 « Cum igitur ad magni Regis genitoris tui exemplar, definiendae virginalis originis te nimirum sitibundum ostenderes » (Fr. Crespo, Tribunal thomisticum…, op. cit., 1657, dédicace à Don Juan, f. §3v°). 126 « Haec omnia adamantino pectore sustinens, radiante iam Conceptionis immaculatae luce, cum obsessis hostibus iura bellica iniens, urbem victor » (Fr. Crespo, Tribunal thomisticum…, op. cit., 1657, dédicace à Don Juan, f. §4r°-v°). – D’autres, après Crespo, glorifieront la dévotion de Don Juan à l’Immaculée Conception et attribueront à cette dernière les victoires militaires du prince : ainsi de la dédidace du jésuite madrilène, d’origine allemande, Juan Eusebio Nieremberg à Don Juan, lorsqu’il est « pro-roi des Belges et des Bourguignons » : « Per Hispaniam ubi apud Gotholanos pertinacem Barcinonem vicisti, protestatus tum Prorex apud celeberrimum Virginis Montis Serrati Templum Mariam sine labe Conceptam totius humanae felicitatis tuae Auctorem & causam esse » (J. E. Nieremberg, Trophaea Mariana…, op. cit., 1658, dédicace à Don Juan, f. *3v°).

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conception très pure, libre de toute tache et péché originels127 ». Il dit sa foi profonde en « Marie très sainte toujours Vierge et véritable mère du Dieu homme, [qui] lors du premier instant qu’elle a été créée en sa très pure mère, et unie à la matière de sa chair virginale à partir de laquelle elle conçoit et forme sa très heureuse humanité, a été ornée de la grâce sanctifiante et prévenue par un singulier don et privilège de toute la très sainte Trinité, de ne pas encourir le péché originel, dont elle ne garde ni trace ni vestige128 ». Il prévient d’autre part l’opposition classique émanant des milieux thomistes d’une offense au projet salvateur du Christ en faisant de la pureté originelle de Marie la rédemption « la plus élevée, noble, aimante et abondante, prévue, déterminée, prédéfinie et acceptée dans le Consistoire de la très sainte Trinité avant l’origine des siècles, aimée depuis la succession des temps et exécutée librement129 ». Le même jour, le monastère de Montserrat, par la bouche de son abbé, Francisco Crespo, prête le même serment130 et huit nobles de l’entourage du prince réitèrent à leur tour les vœux de Don Juan131. Cette mode des vœux n’est pas nouvelle. En 1621, les franciscains réunis à Séville avaient juré de donner leur vie pour défendre l’Immaculée Conception. La même année, les Cortes de Castille avaient prononcé un serment semblable132. Si cette vogue s’était calmée pendant le pontificat d’Urbain VIII, elle avait recommencé de plus belle à la fin de l’année 1652. Les ordres militaires de Calatrava et d’Alcantara avaient juré de soutenir la doctrine, respectivement le 23 décembre 1652 et le 2 février 1653, dans le monastère bénédictin madrilène de Saint-Martin133. Au début du mois de décembre 1653, un jésuite anonyme écrit de Madrid que « les vœux solemnes et publics pour la Conception Immaculée de la Vierge ne cessent point en cette cour, et toutes les confréries qui sont en nombre très considérable vont les faisant, comme au premier jour134 ». Don Juan s’inscrit donc dans un mouvement manifestement dynamique dont il n’est pas l’initiateur mais dont il sait tirer profit. Le fils naturel de Philippe IV montre par ce geste son adhésion au combat que mène son père, royal défenseur de l’Immaculée Conception : il prouve ainsi son caractère

127 « Y assi para gloria de Dios omnipotente, y en reverencia de su madre santissima, testifico y afirmo su Concepcion purissima libre de toda mancha y torpeze Original ; y Iuro y Voto a la Santa Cruz sobre estos sanctos quatro Evangelios de afirmarla, y defenderla con todo el caudal de mis fuerças » (Fr. Crespo, Tribunal thomisticum…, op. cit., 1657, dédicace à Don Juan, f. §§3v°). 128 « Pronuncio que Maria Santissima siempre Virgen y verdadera Madre de Dios hombre, en el instante primero que fue criada su purissima Alma, y unida a la materia de su Virginal carne de que se concibio, y formo su dichosissima humanidad, fue adornada de la gracia sanctificante, y prevenida por singular don, y privilegio de toda la Santissima Trinidad, para non incurrir en la culpa Original, de la qual no tuvo sombra ni vestigio » (Idem, f. §§3r°). 129 « Sin que se oponga con esta Pureza Original el beneficio de la redencion con que fue redimida por los meritos de la muerte, y passion de su preciosissimo Hijo, antes bien fue la perservacion de la culpa original un linaje de redemcion mas alta, mas noble, mas amante y mas copiosa, prevista, determinada, predefinida, y acceptada en el Consistorio de la santissima Trinidad, antes del origen de los siglos, y despues en la sucession de los tiempos » (Idem, f. §§3v°). 130 Fr. Crespo, Memorial…, op. cit., p. 65-69. 131 Fr. Crespo, Tribunal thomisticum…, op. cit., 1657, dédicace à Don Juan, f. §§4r°. 132 S. Stratton, The Immaculate Conception…, op. cit., p. 87. 133 Fr. Crespo, Memorial…, op. cit., p. 57-64. 134 K.B.R., mss. 6730, Notae ad historiam Societatis Iesu, f. 74r°, copie ; L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, doc. 1157, p. 500.

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éminemment habsbourgeois et s’assure probablement une place utile dans la succession d’un monarque sans descendant masculin légitime135. Peut-être encouragé par la dédicace de son ancien confesseur, Don Juan écrit le 23 avril 1657 au Conseil d’État à Madrid au sujet des instances formulées par les « nombreux dévots » signataires du mémorial adressé à Philippe IV et fait remarquer que la lettre de son prédécesseur sur le même sujet est restée sans réponse136. Le 5 juillet, l’assemblée du Conseil d’État madrilène prend la décision, avec l’accord du roi, d’envoyer à la junte de l’Immaculée Conception tous les documents concernant cette supplique, à savoir le mémorial, les lettres des évêques et vicaires belges, de Léopold-Guillaume et de Don Juan ainsi qu’un avis du comte de Fuensaldaña, gouverneur des armées dans les Pays-Bas de 1648 à 1656 puis nommé gouverneur-adjoint à l’arrivée de Don Juan. Entre-temps, dans les Pays-Bas, le prince assermenté, et en campagne, demande à tous les évêques d’organiser une neuvaine de prières publiques en l’honneur de l’Immaculée Conception « pour attirer les benedictions du Ciel sur la personne de Son Altesse et les armées de Sa Majesté137 ». Ambroise Capello s’y refuse et se contente d’organiser des cérémonies pour la Vierge immaculée138. L’évêque anversois, en effet, conteste l’association de l’épithète « immaculée » au terme « conception », conformément aux décrets inquisitoriaux édictés à ce sujet et parle simplement dans son mandement pour l’organisation des cérémonies de « Vierge Immaculée139 ». Si Capello s’oppose aux décisions princières, d’autres cependant s’y soumettent avec un tout autre enthousiasme140. Le 29 juillet, à Saint-Omer, une neuvaine est organisée par la maison de la Compagnie de Jésus qui fait suspendre sur la plus haute corniche de son sanctuaire vingtcinq drapeaux brodés chacun d’une lettre, le tout formant les mots s. marie immaculata

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Les références à Philippe IV et à l’héritage spirituel habsbourgeois qui imprègne Don Juan sont nombreuses dans la dédicace du Tribunal thomisticum de Fr. Crespo : « Paterna in te viget imago » ou « Heredando este piadoso zelo, y ardiente devocion a la purissima concepcion del Rey nuestro S. su padre, y de los Catholicos, y Serenissimos Abuelos y Ascendientes suyos, Reyes y Emperadores » (Fr. Crespo, Tribunal thomisticum…, op. cit., 1657, dédicace à Don Juan, f. §3v° et f. §§1v°). 136 L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. II (1657-1660), doc. 736, p. 140-141, Délibération du Conseil d’État de Madrid, 5 juillet 1657. 137 A.G.R., Conseil d’État, vol. 150, le Conseil d’État aux archevêques, évêques et vicaires, Bruxelles, 3 juin 1657. 138 « L’on a porté à Son Altesse certaine remarque dans l’indiction des prieres dernieres, faite de votre part, en Anvers, de ce que l’Immaculée Conception de Notre Dame n’y est mentionnée, selon l’intention et requisition de Son Altesse, mais qu’on se serait contenté d’y donner l’epithete d’Immaculée à son nom » (L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. II, doc. 709, p. 117, Charles Hovines à Ambroise Capello, Merlelez-Poterie, 21 juin 1657). 139 L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. II, doc. 710, p. 117-118, Ambroise Capello à Charles Hovines, Anvers, [après le 21 juin 1657]). Sur ces décrets, voir p. 163. – Le général dominicain, Jean-Baptiste De Marinis, encouragea Capello dans cette position par un courrier expédié de Rome le 8 septembre 1657, estimant que le pouvoir laïque ne peut s’approprier de telles questions et qu’il convient à l’évêque de respecter scrupuleusement les décisions pontificales qui n’ont pas encore abrogé lesdits décrets. 140 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 36, p. 227-228, Supplementum Historiae Collegii Societatis Iesu Audomarensis.

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conceptio141. Sont accrochés aux colonnes de la nef dix « symboles » de très grande taille représentant le mystère de l’Immaculée Conception. Il devait probablement s’agir des titres vétérotestamentaires, extraits pour la plus grande part du Cantique des cantiques, par lesquels l’Immaculée Conception est traditionnellement représentée : le « miroir sans tache », le « jardin clos », le « lys entre les épines », la « porte du ciel », le « cèdre du Liban »… Le dernier jour de la neuvaine, les élèves du collège, portant drapeaux et torches, rameutent les habitants de la cité qui voient sur les étendards arborés par les jeunes enfants le chonogramme DeIpara sIne MaCVLa, soit « La Mère de Dieu sans tache, 1657 ». De même, à Lille, pour répondre à l’injonction de Don Juan relayée par l’évêque de Tournai, la sodalité des jeunes gens décide d’organiser une cérémonie au cours de laquelle chacun fait le vœu de propager la doctrine immaculiste et s’engage à renouveler chaque année ce serment. Des billets reprenant l’invocation Ave, immaculatae conceptae, Virgo Maria sont collés dans la ville tandis que dans l’église du collège, des cierges dessinent le même chronogramme qu’à SaintOmer : DeIpara sIne MaCULa142. Les jésuites se sont donc faits les coryphées de la doctrine immaculiste et le soutien spectaculaire des désirs habsbourgeois dans les Pays-Bas. Ils ont mis au service du mystère et du pouvoir leurs efficaces instruments symboliques d’expression baroque. En attendant, aucun ordre n’arrive d’Espagne. Il faut patienter jusqu’à la mi-mars 1658, soit près de quatre ans après l’expédition du mémorial, pour que Philippe IV réponde enfin aux sollicitations de ses gouverneurs et sujets. Sa réponse surprendra le lecteur, car après avoir longuement réfléchi à la question, le monarque demande que « ne se fasse aucune nouveauté en cette matière, le tout jusques à autre ordre143 ». Il n’est donc pas question de mettre le pays et ses armées sous la protection de l’Immaculée Conception. Le roi demande par ailleurs à Don Juan d’adopter une attitude « adroite et douce » envers les évêques qui refusent d’imposer la fête de l’Immaculée Conception et de rappeler à ceux qui la maintiennent la prédominance de la Majesté divine sur le culte marial en exigeant de chacun que « toutes et quantes fois que l’on célébrera la susdite fête de la Conception Immaculée de Notre Dame, soit exposé et mis sur l’autel, à la vue de chacun, le très saint et vénérable sacrement de l’Eucharistie », dans le but de ne pas prêter le flanc aux critiques qui veulent qu’aux Pays-Bas, « on donne plus d’adoration à la Vierge qu’à son Fils Jésus-Christ ». La proposition devait rassurer les prélats inquiets des excès que pouvait engendrer la fête et modérer l’ardeur de ceux qui lui étaient les plus favorables. Le monarque atténue cependant cet avis, pour le moins inattendu de la part d’un champion des thèses immaculistes, en ordonnant à son fils naturel de laisser le champ libre à quiconque voudrait prêter le serment de défendre la

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« Nos 29a Iulii novendiale sacrum inchoauimus celebritate eo maiore […]. Vexilla viginti quinque singulis literis insignita templi summum cornicem coronabant, et legenda exhibebunt haec verba : S. Maria immaculata conceptio » (Idem, p. 228). 142 Pierre Delattre, Les établissements des Jésuites en France depuis quatre siècles, t. II, Enghien, Institut supérieur de Théologie, Wetteren, De Meester, 1953, col. 1222. 143 L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. II, doc. 849, p. 232-234, Philippe IV à Don Juan, Madrid, le 18 mars 1658. L’original est en espagnol (A.G.R., Secrétairerie d’État et de guerre, vol. 263, f. 56). Lucien Ceyssens publie ici la copie française assurée par le Conseil Privé dans le courant du mois de mai et jointe à un courrier adressé aux évêques le 31 mai.

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sentence selon laquelle la Vierge aurait été exemptée du péché originel. La décision tardive de Philippe IV a donc un goût de compromis. Il renonce au patronage immaculiste, il affirme la supériorité des mystères christologiques sur la dévotion à l’Immaculée Conception mais il maintient l’organisation de la fête et offre la possibilité de se prononcer publiquement en faveur de la doctrine. Le Conseil privé, après avoir examiné la lettre royale, propose à Don Juan de l’envoyer, traduite mais sans commentaire, à l’ensemble des évêques, ce qui est chose faite le 31 mai 1658144.

L e s v œ u x d e s État s d e Brab ant Le mois suivant, Don Juan est vaincu à la bataille des Dunes et perd, du même coup, tout crédit. Au mois de novembre, Luis de Benavides, marquis de Caracena et gouverneur des armées dans les provinces belges depuis 1656, est nommé gouverneur par intérim. Le 1er mars 1659, Don Juan quitte les Pays-Bas et Caracena entre officiellement en fonction. Sous son gouvernement auront lieu à Bruxelles de très fastueuses cérémonies officielles qui répondront en écho aux souhaits émis par le mémorial de 1654 sans pourtant les concrétiser réellement. Le 8 décembre 1659, en effet, les États du Brabant, incités par le nouveau gouverneur général à imiter le culte particulièrement fervent des Espagnols, feront en corps le vœu de défendre l’Immaculée Conception145. Henri Pirenne pensait qu’à cette occasion, tous les Pays-Bas catholiques étaient venus se mettre à l’exemple de l’Espagne sous le patronage de l’Immaculée Conception146. Il faut souligner, d’une part, que ce sont bel et bien les États du Brabant et non les États Généraux qui ont alors prêté serment et, d’autre part, qu’il n’a jamais été question de patronage marial lors de ces cérémonies mais uniquement de la défense ardente des thèses immaculistes. Seules trois sources émanant d’observateurs et acteurs de l’événement permettent à l’historien de prendre connaissance de ces importantes célébrations, véritable expression iconique de la glorification des pouvoirs politiques par l’exaltation mariale. Les plus disertes sont la correspondance du nonce Giramolo di Vecchi avec le cardinal et secrétaire d’État Flavio Chigi et les Litterae annuae jésuites de la province flandro-belge rédigées en 1659 par le père Jan van Meerbeeck147. Le nonce, représentant d’un pouvoir qui depuis des décennies ne sait comment apaiser les querelles autour de la question immaculiste, voit avec beaucoup

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L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. II, doc. 876, p. 253, Avis du Conseil Privé, Bruxelles, 11 mai 1658 et doc. 892, p. 265, le Conseil Privé aux évêques des Pays-Bas, Bruxelles, 31 mai 1658. 145 L’étude la plus ancienne sur le sujet est celle de D. Coppieters de Gibson, « Le Serment des États du Brabant fait en 1659 touchant la Saincte Immaculation de Notre-Dame », Collectanea Mechliniensia, n° 24, 1954, p. 307-323. Luc Duerloo a également consacré quelques pages à ces vœux (L. Duerloo, « Verbeelde gewesten… », op. cit., p. 5-7). 146 Henri Pirenne, Histoire de Belgique, t. V, 2nde édition, Bruxelles, 1926, p. 17. Pirenne fixe, sans que l’on comprenne bien pourquoi, la date de cet événement immaculiste au 28 novembre 1659. 147 A.S.V., S.S., N.F., vol. 43-44, passim, G. Di Vecchi à Fl. Chigi ; R.A., Fl.-Belg., vol. 7/2, Litterae annuae Provinciae Flandro-Belgicae Anni MDCLIX, cahier 4, f. 6v° et suiv.

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de circonspection l’organisation des cérémonies et tente au maximum de les contrôler. Les jésuites, au contraire, sont particulièrement enthousiastes et s’attribuent la réussite de la solennité. Les archives officielles des États du Brabant, malheureusement, n’ont conservé aucune trace des débats et résolutions relatifs à l’organisation de ces manifestations dont l’étude aurait permis de mieux percevoir, de l’intérieur, les raisons d’un tel geste148. Seul nous est parvenu le journal personnel tenu pendant près de trente-cinq ans par Libert de Paepe, conseiller des États du Brabant et abbé prémontré du Parc, dans lequel il consigna régulièrement mais succinctement les principales discussions et décisions de l’institution provinciale149. Il y est brièvement fait mention des événements qui retiennent ici notre attention. La lettre de Philippe IV qui répondait enfin à la supplique des requérants de l’année 1654 avait laissé la porte ouverte à la possibilité de prêter serment publiquement et sans contrainte à l’Immaculée Conception. Il semble que la sodalité jésuite des jeunes gens de Bruxelles, qui était justement consacrée à la Vierge sous ce titre controversé, se soit engouffrée dans la brèche ouverte par le monarque. Dans le courant de l’année 1659, lors d’un vœu public prononcé, au nom de tous, par le préfet de la congrégation, ladite sodalité jure de défendre la conception immaculée de la Mère de Dieu150. Le père van Meerbeeck, dans la lettre annuelle qu’il envoie au général de la Compagnie à Rome, vante le zèle de ces jeunes gens qui auraient répandu un peu partout la formule de la consécration qu’ils venaient de faire, engageant ainsi une série de notables, et singulièrement les États de Brabant, à les imiter151. Un père jésuite non identifié aurait été chargé d’organiser les cérémonies et de leur donner le plus grand apparat possible afin que les États puissent ostensiblement affirmer leur piété. Le nonce Di Vecchi, dans une lettre adressée au cardinal-neveu Flavio Chigi, donne une version sensiblement différente concernant l’origine des vœux étatiques : il présente comme instigateur des événements le marquis de Caracena qui aurait proposé aux États de Brabant, pour promouvoir la dévotion mariale, de faire le vœu public de soutenir l’Immaculée Conception152.

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Les registres des résolutions des États de Brabant ne sont conservés aux Archives de l’État en région de Bruxelles-Capitale (Anderlecht) (= A.E.R.B.C.) qu’à partir du 27 mai 1673 (Alfred D’Hoop, Inventaire sommaire des archives des États de Brabant, Bruxelles, A.G.R., 1992). Il existe bien deux registres consacrés aux cérémonies officielles au xviie siècle mais il n’y est nulle part question des « vœux des États du Brabant » (A.E.R.B.C., États de Brabant, Registres, vol. 331 et 333). – Le père dominicain Jozef M. Arts donne une description de ces cérémonies dans son ouvrage L’ancien couvent des Dominicains à Bruxelles, Gand, A. de Scheemaecker, 1922, p. 304-306 mais il se contente alors de citer un extrait de J.-A. Rombaut, Bruxelles illustrée, 1777-1779, soit un ouvrage paru bien longtemps après les événements. 149 Le Diarium Actorum Statuum Generalium Brabantiae ab a[nn]o 1648-1682 scriptum manum propria Liberti de Pape, Abbatis Parcensis, Deputati Ordinarii a été publié par P. Lenaerts, O. Praem., et Fr. Breuls de Tiecken, O. Praem., « Compte rendu des séances des États de Brabant de 1648 à 1682 par Libert de Pape, abbé du Parc, membre des États », Analecta Praemonstratensia, n° 29, 1953, p. 111-128, n° 30, 1954, p. 60-122, n° 35, 1959, p. 103-152 et 284-300, n° 39, 1963, p. 153-164 et 304-341, n° 40, 1964, p. 250-286. 150 R.A., Fl.-Belg., vol. 7/2, Litterae annuae Provinciae Flandro-Belgicae Anni MDCLIX, cahier 4, f. 7v°. 151 Idem, f. 7v°-f. 8r° et cahier 5, f. 1,v°. 152 A.S.V., S.S., N.F., vol. 43, f. 498, G. Di Vecchi à Fl. Chigi, Bruxelles, 13 décembre 1659.

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Les points de vue du père van Meerbeeck et de Di Vecchi sur les motifs qui ont poussé à l’organisation des vœux brabançons ne s’excluent pas. Leur confrontation permet en réalité de dresser le tableau suivant : le marquis de Caracena, s’il invite les États du Brabant à prêter serment, a vraisemblablement été lui-même encouragé à poser ce geste symbolique par son entourage jésuite. Il avait en effet amené avec lui dans les Pays-Bas son confesseur, le père jésuite espagnol Francisco Javier de Fresneda, qui venait de l’inciter à se lier personnellement par un vœu à l’Immaculée Conception. Ainsi, lorsqu’il tentait d’apaiser la sédition anversoise au mois d’octobre 1659, Caracena s’était consacré à la Vierge153. Par ailleurs, ce gouverneur représente les intérêts espagnols. Il encourage de ce fait les États à prêter ce serment « en imitation des différents royaumes d’Espagne154 » associant ainsi le duché brabançon au vigoureux combat doctrinal de son monarque. Or, en 1659, l’Espagne est au plus mal. Elle vient de signer avec la France le traité des Pyrénées qui la laisse considérablement affaiblie. Les Pays-Bas, de leur côté, ont perdu d’importants territoires au bénéfice de la France. En cette période d’incertitudes, la proposition de Caracena est vraisemblablement un moyen symbolique de montrer à Philippe IV l’inconditionnel soutien de ses États155. Puisque la dynastie des Habsbourg, et la maison espagnole en particulier, défend avec acharnement depuis plusieurs années les thèses immaculistes sans parvenir à convaincre la papauté de proposer une définition dogmatique, prononcer ce vœu serait une possibilité de compenser sur un plan spirituel ce qui n’a pu être conservé dans le domaine temporel. La monarchie espagnole a échoué dans ses conquêtes militaires : qu’elle puisse donc brillamment conserver son honneur et vaincre avec éclat dans son combat spirituel ! Par ailleurs, le pays connaît enfin une période de paix qui lui permet de prendre le temps de se consacrer à semblables cérémonies qu’un contexte militaire à tout le moins difficile ne permettait guère d’organiser. Il est probable que les jésuites, profitant de cette accalmie, aient voulu relancer leur travail pastoral après de longues et pénibles années de guerre et aient choisi, à cette fin, un thème qui à la fois ancre les Pays-Bas dans un catholicisme ardent et manifeste la spécificité de leur action. Le 28 novembre 1659, sur la suggestion du gouverneur récemment assermenté, l’archevêque de Malines, Andreas Creusen, demande aux États de Brabant de faire un vœu public à l’Immaculée Conception de la Vierge156. La proposition de Caracena reçoit un accueil favorable des membres de l’assemblée : ils décident d’envoyer à cette solennelle prestation de serment un représentant de chaque corps qui la compose, à savoir l’archevêque de Malines pour le clergé, le duc d’Aarschot pour la noblesse et des mandataires de chaque cité représentée au tiers état157. La cérémonie est fixée au 8 décembre, jour de la fête de la Conception, dans la chapelle des pères dominicains.

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L. Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. II, doc. 1019, p. 368-369, Supplementum Historiae Collegii Societatis Iesu, Bruxelles, 1659. 154 A.S.V., S.S., N.F., vol. 43, f. 498. 155 L. Duerloo, « Verbeelde gewesten… », op. cit., p. 7. 156 « Compte rendu des séances des États de Brabant… », op. cit., t. XXX, 1954, p. 100. 157 « Compte rendu des séances des États de Brabant… », op. cit., t. XXX, 1954, p. 100 ; A.S.V., S.S., N.F., vol. 43, f. 498).

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Si les préparatifs réjouissent les États brabançons ainsi que les jésuites ou les franciscains, d’autres observateurs manifestent leur inquiétude. Le nonce Di Vecchi, par exemple, voit d’un mauvais œil ces manifestations. Il convoque donc le gouverneur et l’archevêque de Malines pour les inciter à la modération et éviter à tout prix que la prestation de serment soit à l’origine de nouvelles querelles : il refuse que l’organisation de cet événement contrevienne aux précédentes bulles pontificales et encore moins qu’elle excite la colère des dominicains qui, piqués au vif par certains prêches prononcés à l’occasion de la fête de la Conception en 1658, cherchent à se venger158. Le jésuite Antoine Sarasa, né à Nieuport de parents espagnols, avait en effet provoqué de virulentes réactions des dominicains. Ceux-ci désapprouvèrent auprès de la Curie romaine les prédications du jésuite, ainsi que de celles d’un autre père de la même Compagnie, François de la Falvuere, les accusant d’avoir dépassé les limites et violé la bulle Super Speculam (1570) de Pie V. Les deux pères, toutefois, furent absous159. En 1659, le nonce relit donc la formule du vœu et obtient de l’archevêque que celuici supprime les passages dont il ne veut pas. Il fait d’autre part avertir tous les prédicateurs choisis pour les cérémonies de rester scrupuleusement soumis aux décisions du Saint-Siège sur la question et de ne pas provoquer la colère des thomistes, pour que tout se passe dans le calme160. Au jour de la Conception de la Vierge, une procession menée par l’archevêque de Malines et le duc d’Aarschot, suivis des bourgmestres des villes de Louvain, Bruxelles et Anvers eux-mêmes accompagnés de leur syndic, entre dans la chapelle du Rosaire161. Toute la cour est présente. L’archevêque de Malines, chargé de célébrer la cérémonie, souffre de calculs aux reins et se voit incapable d’officier. La tâche est alors confiée à l’abbé prémontré du Parc, Libert de Paepe162. Après la consécration, l’archevêque se lève, accompagné du duc d’Aarschot, qui arbore les insignes de la Toison d’Or, preuves de sa fidélité au roi. Les députés des cités se joignent à eux. Ils s’agenouillent devant l’autel, en présence du saint sacrement et, devant la foule assemblée, l’archevêque prononce le vœu à voix haute, au nom de tous les représentants des États, selon une formule préalablement approuvée par les autres mandataires163 :

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A.S.V., S.S., N.F., vol. 43, f. 498. R.A., Fl.-Belg., vol. 7/2, Litterae annuae Provinciae Flandro-Belgicae Anni MDCLIX, cahier 4, f. 8r°. 160 A.S.V., S.S., N.F., vol. 43, f. 498. – Le cardinal-neveu, dans un courrier du 3 janvier 1660, exprimera à Di Vecchi la satisfaction du pontife pour le calme dans lequel se sont déroulées les cérémonies (A.S.V., S.S., N.F., vol. 142, f. 214r°, copie). 161 R.A., Fl.-Belg., vol. 7/2, Litterae annuae Provinciae Flandro-Belgicae Anni MDCLIX, cahier 4, f. 8v°. 162 « Compte rendu des séances des États de Brabant… », op. cit., t. XXX, 1954, p. 101. – Cette déclaration de l’abbé du Parc démonte la théorie de Luc Duerloo selon laquelle le choix de l’abbé prémontré, chapelain héréditaire de la cour ducale, et non de l’archevêque de Malines, pourtant à la tête de la hiérarchie ecclésiastique brabançonne, signifiait que la cérémonie devait exalter la monarchie espagnole et le « duc-roi » et non invoquer la Vierge pour protéger la seule province du Brabant (L. Duerloo, « Verbeelde gewesten… », op. cit., p. 7). Son interprétation des célébrations n’est pas fausse mais elle repose sur de mauvais arguments. 163 « Compte rendu des séances des États de Brabant… », op. cit., t. XXX, 1954, p. 101. Voir également R.A., Fl.Belg., vol. 7/2, Litterae annuae Provinciae Flandro-Belgicae Anni MDCLIX, cahier 4, f. 8v°. 159

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Nous, enflammés d’un amour tres-ardant envers la tres-sainte Mere de Dieu, poussés d’un desir d’augmenter sa gloire, & mus par les tres-illustres exemples de Philippe IV nostre Roy Catholique, plusieurs Royaumes, Provinces, Universitez & Ordres Religieux, comme aussi par les instances tres-pieuses de son Excellence le Marquis de Caracena nostre Gouverneur ; protestons & promettons à Dieu tout puissant & à sa tres-sainte Mere, nostre Advocate & Maistresse à la veuë de la Cour celeste, de defendre (aussi longtemps qu’il nous sera possible) qu’on l’impugne jamais de fait ou de parolle : suppliant tres-humblement la tres-glorieuse Mere de Dieu, qu’il luy plaise d’aggréer ce tesmoignage de nostre affection, & d’obtenir du Roy des Roys son Fils, longue vie & prosperité à la Majesté de nostre Roy & à nous ses fideles subjects paix et salut eternel164.

Les paroles du vœu traduisent parfaitement les motifs qui ont poussé Caracena et les États du Brabant à les prononcer : obtenir le secours de la Vierge, « nostre Advocate & Maistresse », afin d’assurer la prospérité d’un roi au règne peu glorieux et offrir la paix aux sujets des Pays-Bas qui ont déjà trop souffert des déboires militaires et économiques espagnols. On remarquera cependant que, conformément aux souhaits du nonce, aucune allusion n’est faite à la question doctrinale controversée. Ce vœu n’est donc pas, en lui-même, un vœu en faveur de l’Immaculée Conception mais ne le devient que par le contexte cérémonial dans lequel il est prononcé et où se multiplient les exhortations au bénéfice du mystère immaculiste. La prestation de serment est en effet suivie d’un sermon en espagnol du père Fresneda consacré à l’Immaculée Conception165. Le ton de Fresneda est vif mais le propos est simple : Dieu a fait de la Vierge son trône, sa maison, son temple… Celle qui a accueilli en elle son Fils devait rester absolument toute pure et ne pouvait être, en aucun cas, corrompue par le péché. Au cours de la semaine suivante, une série de prédicateurs prennent la parole dans la chapelle du Rosaire pour honorer à leur tour l’Immaculée Conception de la Vierge. Les franciscains, chantres actifs des thèses immaculistes, y dépèchent Philippe Lyntermans qui prononce au cours de l’octave trois sermons sur le sujet. Il rédige également une description des événements, malheureusement aujourd’hui disparue166.

164 A.S.V., S.S., N.F., vol. 44, f. 10, Continuation de la solemnité / de l’Immaculée Conception de la Glor[ieuse] V[ierge] Marie / Instituée en la chapelle royale du S. Rosaire en l’Eglise des PP. Dominicains à Bruxelles. Ce programme de la seconde octave de la solennité reprend les paroles du vœu afin qu’elles soient répétées par les différentes paroisses et communautés monastiques de Bruxelles. 165 Francisco Javier de Fresneda, Sermon de la purissima Concepcion en el primer dia de su octava, y festividad, que celebrò el Excelentissimo Señor Marques de Fromesta, y Carazena, Conde de Pinto, del Consejo de Estado de su Magestad, y su Teniente Governador del Païs Baxo, y de Borgoña : predicòle en la Capilla de los Españoles del Convento de los Padres Dominicos de Bruselas (donde con ilustre Piedad hizieron el mismo dia el Voto del Misterio los Estados de Brabante) el P. Francisco Xavier de Fresneda de la Compañia de Jesus, predicador de su Magestad en esta Corte de Borgoña, Bruxelles, 1659. Il dédicace ce sermon au prince de Condé, gouverneur des armées dans les Pays-Bas. Fresneda prêchera de nouveau dans la chapelle royale du Rosaire du couvent dominicain, mais le dernier jour de l’octave, lors des fêtes de la Conception organisées l’année suivante : Sermon de la purissima Concepcion de Maria Señora nuestra, en el ultimo dia de la octava que celebro la nacion Española en la Capilla Real del Rosario del Convento de Santo Domingo de esta Corte de Bruselas, año 1660, Bruxelles, 1661. 166 Philippe Lyntermans, Relation des devotions et solemnitez, qui se sont en la Chapelle Royale du Rosaire de l’Église des RR.P. Dominicains à Bruxelles, pour le sujet de l’Immaculée Conception de la Vierge au jours de sa feste

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À l’instance du gouverneur, Andreas Creusen proclame le prolongement de la solennité par l’organisation d’une seconde octave afin de permettre aux paroisses et communautés religieuses de la ville de Bruxelles de venir à leur tour prononcer le vœu, chacune portant en grandes pompes, depuis leur église jusque dans la chapelle dominicaine, l’icône ou la statue de la Vierge honorée dans leur paroisse ou monastère167. Les fidèles sont vivement encouragés à participer aux cérémonies et processions par l’octroi de quarante jours d’indulgences. À partir du lundi 15 décembre, se succèdent donc chaque matin dans le sanctuaire les paroisses de Sainte-Gudule, Notre-Dame de la Chapelle, Saint-Géry, SaintNicolas, Sainte-Catherine et Notre-Dame du Finistère. Les après-midi sont réservés aux réguliers qui, tour à tour, viennent jurer de défendre l’Immaculée Conception. On verra dans la chapelle les franciscains, les carmes chaussés et déchaux, les chanoines réguliers de Saint-Augustin, les récollets, les capucins, les minimes et enfin les jésuites. Le père van Meerbeeck décrit avec force détails, dans sa lettre annuelle au général romain, les fastes de cette dernière journée qui, à ses dires, devait être selon la volonté de l’évêque la plus belle de toutes pour clôturer avec éclat l’ensemble des cérémonies. Il représente la procession de la seule Compagnie comme fourmillant de monde : les élèves du collège et les membres des cinq confréries rassemblées, accompagnés d’enfants de chœur et de prêtres, portaient à eux seuls plus de mille huit cents torches. Se mêlaient à eux une série de musiciens. Emblèmes, chronogrammes, manifestations sonores servaient de décor théâtral à ce cortège qui escortait la statue de la Vierge conservée dans le collège bruxellois. Le jésuite, qui plus est, soutient que la foule était à ce point compacte qu’il fallut faire appel à des gardes armés pour la disperser. Une fois entrés dans la chapelle, les participants à la procession déposèrent leur statue sur le côté droit de l’autel, un prêtre jésuite fit le sermon et le recteur du collège prononça le vœu. Cette description révèle l’organisation d’une procession somptueuse, aperçu du faste déployé à l’occasion des vœux des États de Brabant. Il fallait marquer les esprits et enflammer les cœurs. Aucun moyen, manifestement, n’a été négligé pour la concrétisation d’un projet qui va au-delà de la simple prise de position doctrinale : la foule montrait la cohésion du peuple brabançon uni autour d’une même figure ; le sublime apparat prouvait la puissance de ses organisateurs ; la double octave démontrait combien la cause était juste et de première importance. L’impact symbolique sur les esprits ne pouvait qu’être énorme et rendre espoir à des individus terrassés par de trop longues guerres. Il semble d’ailleurs que ces cérémonies ont considérablement marqué l’ensemble des Pays-Bas ainsi que la principauté de Liège. Le père jésuite en charge de la rédaction de la lettre annuelle au général romain pour la province Flandro-Belgique en 1661, soit deux ans après les cérémonies, souligne combien les exhortations de Caracena à prononcer le vœu en faveur de l’Immaculée

et autres suivantes en cette année, Bruxelles, 1659 (Servais Dirks, Histoire littéraire et bibliographique des Frères mineurs de l'observance de S. François en Belgique et dans les Pays-Bas, Anvers, van Os-de Wolf, [1885], p. 235). Malheureusement, et les sermons, et la Relation ont depuis longtemps disparu des bibliothèques et archives. Servais Dirks, déjà, n’était pas parvenu à les retrouver et ne connaissait leur existence que par le biais d’une autre source. Nous remercions, à ce sujet, le père Alex Coenen, archiviste des Archives Provinciales des Frères mineurs à Saint-Trond, pour son aide précieuse. 167 R.A., Fl.-Belg., vol. 7/2, Litterae annuae Provinciae Flandro-Belgicae Anni MDCLIX, cahier 5, f. 1r°.

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Conception ont connu un important écho auprès des confréries et des ordres des autres villes où ont circulé les formules du vœu168.

Un der nier mémor ial Les requérants de 1654, soutenus par Léopold-Guillaume puis par Don Juan, demandaient la reconnaissance de la Vierge sous le titre de l’Immaculée Conception comme protectrice des Pays-Bas et, pour célébrer cette sainte patronne, l’organisation solennelle de la fête de la Conception. Les vœux de 1659, malgré toute leur importance politique, n’ont cependant pas répondu à leur attente puisqu’ils n’ont pas proclamé de patronage immaculiste mais uniquement montré le soutien de l’ensemble de la société civile du Brabant à son duc et roi, Philippe IV. Le désir de confier à la Vierge Immaculée la protection d’un pays exsangue demeure donc. C’est ainsi qu’une nouvelle requête est adressée aux États de Brabant, sous la régence de Marie-Anne d’Autriche, à une époque où le besoin d’une protection sacrée se fait largement ressentir face aux tourments de la guerre169. Le ou les signataires anonymes regrettent qu’aucune consécration du pays à l’Immaculée Conception n’ait été organisée depuis le mémorial de 1654. Ils se persuadent que Philippe IV avait alors donné l’ordre à Léopold-Guillaume de proclamer la Vierge sous le titre de l’Immaculée Conception comme patronne des Pays-Bas mais que le projet avait été empêché par le retour de l’archiduc en Allemagne et la mort de l’archevêque de Malines, Jacques Boonen. Nous avons vu plus haut que ce n’était nullement le cas et que Léopold-Guillaume avait quitté son poste sans rien obtenir du monarque espagnol. Quoi qu’il en soit, ils se fondent sur cette conviction et réitèrent les souhaits passés : ils proposent aux États brabançons de prendre appui sur ce premier échelon qu’a été la proclamation des vœux de 1659 pour « choisir à présent sur ce fondement la dite Vierge Marie (par une solennité publique) pour singulière Dame, Advocate et Protectrice perpétuelle non seulement de cette province de Brabant en général mais aussi de toutes les villes, lieux, et inhabitants d’icelle en particulier sous le titre de Sa dite Conception Immaculée, dont ils pourraient respectivement renouveler et confirmer de nouveau le vœu susmentionné ».

168 « Enituit inter haec unius potissimum in Virginem sine labe conceptam amor, et succendit alios. Hic per civium contubernia et Virginum monasteria Vovendi methodum typis editam, formulasque Immaculatam colendi utraque amorem sparsit. Atque ut ante biennium fortiter institit, ut marchionis Gubernatoris et Archiepiscopi hortatu ordines omnes piae sententiae tutelam voverent, ita nunc ad urbes alias extendit nec irrito conatu » (A.R.S.I., Fl.-Belg., vol. 59, f. 197r°, Litterae annuae Provinciae Flandro-Belgicae Anni MDCLXI). Nous soulignons. – De la même manière, lorsque les scolastiques de la maison de troisième probation de Huy décident en 1666 de prononcer à leur tour le vœu, ils continueront à faire référence à cet événement fondateur qu’a été la consécration bruxelloise de 1659 : « Maxima vere pietas eluxit Immaculatae Conceptionis Festo nam coepta prius Bruxellis ossecratio eorum qui conceptis Urbis Verginem semper ab omni labe immunem profiterentur, iam pervagata Belgium ad nos devenit » (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 37, f. 166r°, Collegium Huense [1666]). 169 A.A.M.B., Fonds De Immaculata Conceptione, non folioté. Le début abrupt du manuscrit prouve que celuici n’a été que partiellement conservé.

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Le mémorial n’est pas daté. Une série d’allusions permettent cependant d’en déterminer avec plus ou moins de précision les termini170. Il est rédigé lorsque Marie-Anne d’Autriche assure la régence du trône espagnol pour son fils Charles II, soit entre le 17 septembre 1665 et le 6 novembre 1675. On peut affiner davantage encore ces marges grâce à la mention de la vacance du siège archiépiscopal de Malines. L’archevêché est sans titulaire entre novembre 1666 et janvier 1671, avec une interruption de trois mois lors de l’épiscopat de Jean de Wachtendonck entre avril et juin 1668. Peut-être même est-il possible de situer la rédaction de la requête à l’époque des guerres de dévolution de Louis XIV et du danger que celles-ci font peser sur le Brabant à partir de mai 1667, lorsque Turenne envahit les Pays-Bas espagnols. À la mi-septembre, après avoir pris Charleroi, Tournai, Lille, Audenarde et Furnes, les troupes se trouvent aux portes de Bruxelles. Le Brabant est en péril et il est plus que probable que c’est alors qu’écrit le requérant, espérant une protection efficace pour la province menacée. Ne lit-on pas dans le nouveau mémorial : « L’on se peut bien assurer que cette Vierge très puissante […] ne manquera de nous protéger, secourir et défendre en la nécessité présente, moyennant que l’on prenne un pareil recours public et solennel vers Dieu par elle » ? Les armes qui assaillent alors le pays sont présentées comme celles-là mêmes qui avaient fait le siège de Valenciennes en 1656 : les troupes françaises de Louis XIV vaincues par Don Juan. Si la date n’est donc pas précise, tout au moins est-il possible d’affirmer que l’ennemi est français et que le cadre général voit trembler les Pays-Bas à la recherche d’une solution pour obtenir un éventuel apaisement. C’est pour cette raison que la requête suggère de faire appel à la protection mariale et revient dès lors à l’esprit du mémorial de 1654. Cependant, le contexte diffère sensiblement. Les questions immaculistes, en effet, ont pris depuis lors un autre tour. En 1654, alors que la définition doctrinale est encore refusée par Rome et que la fête fait l’objet de nombreuses disputes, le combat immaculiste est toujours mené tambour battant par la monarchie espagnole. Demander le patronage marial sous le titre de l’Immaculée Conception caractérisait l’allégeance des Pays-Bas à la Couronne d’Espagne et les requérants pouvaient bien imaginer que leur supplique trouverait un accueil politique favorable. Or, à l’époque de la rédaction du second mémorial, la persévérance habsbourgeoise a enfin triomphé grâce à la définition doctrinale du mystère et la restauration officielle de la fête de la Conception. Le 8 décembre 1661, Alexandre VII a publié, sur les instances de Philippe IV, la bulle Sollicitudo omnium Ecclesiarum. Se reposant sur l’antiquité de la dévotion chez les fidèles et la presque unanimité de ces derniers sur la question, le pape passe outre les longs débats théologiques : il définit l’âme de la Vierge comme « ornée de la grâce du Saint-Esprit et préservée du péché originel au moment de sa création et de son infusion dans le corps171 », favorise l’organisation de la fête et menace de mettre à l’index toute affirmation contraire à

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Daniel Coppieters de Gibson se contente de le dater « après 1665 » tandis que Luc Duerloo le date erronément de 1665. 171 « Animam beatae Mariae Virginis in sui creatione et in corpus infusione Spiritus Sancti gratia donatam et a peccato originali praeservatam fuisse » (Bref d’Alexandre VII, A.A.M.B., Fonds De Immaculata Conceptione, non folioté ; bulle en partie publiée et traduite dans Heinrich Denzinger, Symboles et définitions de la foi catholique, éd. originale par Ph. Hünermann, éd. française par J. Hoffmann, Paris, Cerf, 1996, n° 2015-2017).

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la doctrine. La bulle pontificale, toutefois, n’érige pas la définition en vérité dogmatique et refuse d’accuser d’hérésie les champions des théories maculistes. L’Espagne, pourtant, crie victoire et célèbre en liesse la publication de la bulle. Les Pays-Bas, après quelques hésitations liées aux problèmes du placet royal et du vidit des Conseils172, finissent par imiter le royaume ibérique et organisent, sur l’ordre de Philippe IV173 relayé par Caracena174, des cérémonies d’actions de grâce. Le 15 août, la réception d’une tapisserie offerte par le pontife au sanctuaire marial de Montaigu est l’occasion d’exalter sa dévotion immaculiste par l’organisation de somptueuses cérémonies et la rédaction de louanges dithyrambiques175. Même le farouche adversaire de l’Immaculée Conception qu’est Ambroise Capello se plie aux volontés royales et pontificales et ordonne des festivités à Anvers176. À Namur également, l’évêque Jean de Wachtendonck, proche des milieux jansénistes, ordonne une grande procession à travers les rues de la ville, richement ornées pour la circonstance, fait sonner les cloches à la volée et organise de tonitruants feux d’artifice177. Suit alors une octave dans l’église Saint-Jeanl’Évangéliste au cours de laquelle les membres du clergé séculier et régulier ainsi que le

172 En 1657, la publication par l’archevêque de Malines d’un décret pontifical prohibant plusieurs parutions de nature janséniste, parmi lesquelles les Provinciales de Pascal, avait provoqué de graves conflits entre Rome et Bruxelles. Le Conseil Privé et le Conseil de Brabant avaient en effet cassé cette publication, prétextant qu’elle n’avait pas reçu le placet royal qui devait lui conférer sa force exécutoire et l’intégrer dans le corpus des lois de l’État. L’empêchement imposé par les Conseils provoqua la colère du Saint-Siège. Le roi d’Espagne signifia alors que le placet n’était pas requis pour les bulles dogmatiques mais les ministres se réservèrent le droit d’y apposer leur vidit (L.Ceyssens, La fin de la première période du jansénisme…, op. cit., t. I, p. LXXII-LXXV ; Jacques Thielens, Le placet royal et la Bulle Unigenitus. Un aspect des rapports entre l’Église et l’État dans les Pays-Bas au début du xviiie siècle, Heule, 1975, p. 36-42 ; Léopold Willaert, Le placet royal dans les anciens Pays-Bas, Namur, Publications des Facultés Universitaires, 1955). La question se repose avec acuité lors de la publication de la bulle d’Alexandre VII. Si, conformément aux décisions de 1657, le placet n’est pas nécessaire à la publication, les Conseils veulent y apposer leur vidit au grand mécontentement du nonce Di Vecchi (A.S.V., S.S., N.F., vol. 46, f. 66, G. Di Vecchi à Fl. Chigi, Bruxelles, 11 mars 1662). Cependant, Di Vecchi, sur les conseils du nonce à Madrid, Bonnelli, et aidé par le confesseur du gouverneur général, le père jésuite de Fresneda, finit par transmettre aux évêques belges, sans le vidit du Conseil, la bulle pontificale leur demandant de proclamer la décision du Saint-Siège (Idem, f. 127, Giramolo Di Vecchi à Flavio Chigi, 6 mai 1662). Comme le gouverneur général a lui aussi ordonné l’organisation de célébrations, l’initiative de Di Vecchi ne soulève pas d’oppositions. Le roi réaffirmera en décembre 1662 que ni le placet ni le vidit ne sont obligatoires pour les bulles dogmatiques tant qu’il le jugerait bon (L. Ceyssens, Sources relatives à l’histoire du jansénisme et de l’antijansénisme des années 1661-1672…, op. cit., p. LXIVLXVI). 173 A.A.M.B., reg. 31, Acta sub Alex[andro] VII, n° 22, Philippe IV au marquis de Caracena, Madrid, 21 janvier 1662, copie. Il existe une autre copie aux A.G.R., Conseil d’État, vol. 928, Canonisations de saints et dévotions nouvelles (1631-1701 ; 1723-1731), non folioté. 174 A.A.M.B., reg. 31, Acta sub Alex[andro] VII, n° 23, le marquis de Caracena aux prélats des Pays-Bas, Bruxelles, 19 avril 1662, copie. 175 Oratio panegyrica habita in sacra aede B. Mariae Aspricollensis ipso festo Assumptionis eiusdem die, quando ad illam aureus tapes missus a sanctissimo domino nostro Alexandro VII delatus fuit ab illustrissimo Hieronymo de Vechiis cum metris & applausibus panegyricis, Malines, Jean Iaye, 1663. – Maarten Delbeke, « A note on the Immaculist Patronage of Alexander VII : Chigi and the Pilgrimage Church of Scherpenheuvel in the Low Countries », Bulletin de l'I.H.B.R., n° 71, 2001, p. 167-200. 176 L. Ceyssens, Sources relatives à l’histoire du jansénisme et de l’antijansénisme des années 1661-1672…, op. cit., doc. 86, p. 85, Jean Bollandus à Jacques Kritsraedt, Anvers, 2 mai 1665. 177 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 37, f. 20r°, Litterae annuae Gallo-Belgicae Provinciae Anni 1661.

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Magistrat namurois et le Conseil Royal viennent déclarer publiquement qu’ils seront à l’avenir les « champions, adorateurs et défenseurs » de l’Immaculée Conception. Le triomphe immaculiste bat son plein dans les Pays-Bas. Partout circulent des formules de vœu à l’Immaculée Conception : à Liège, les rhétoriciens du collège se vouent à celle-ci178 tandis que les congréganistes lillois renouvellent le serment prononcé en 1657 lors d’une cérémonie au somptueux apparat179. De son côté, l’Université de Douai, alors qu’elle fête le centième anniversaire de sa fondation, décide au même moment d’élire la Vierge de l’Immaculée Conception comme Patronne et Protectrice180. Elle semble invitée à mener pareille entreprise à l’occasion des prédications de pères jésuites et récollets pour la fête de la Conception de 1661, jour de la promulgation de la bulle pontificale. La date de l’élection est fixée au 2 juillet de l’année suivante, pour la fête de la Visitation. Est alors sculptée une statue de la Vierge couronnée, le lys à la main, foulant le serpent aux pieds. Cette statue est installée dans une niche sur un mur de la Faculté des Arts. La veille de l’élection, les cloches sonnent à la volée tandis que sont organisés des feux d’artifices. Le jour même a lieu en grandes pompes une importante procession à laquelle participent les cinq facultés suivies des collèges des chanoines de Saint-Amé et de Saint-Pierre, des réguliers de la ville, du Magistrat et des sodalités jésuites. Le trajet est conçu, affirment les Litterae annuae de la Compagnie de Jésus, pour passer par les rues les « plus célèbres » de Douai à partir de la collégiale Saint-Amé et arriver à Saint-Pierre, en s’arrêtant longuement devant la nouvelle statue. Des musiciens y chantent des cantiques puis le Recteur, en habits pourpres, prononce la formule du vœu par lequel il s’engage à défendre le mystère en échange de la protection mariale181. Une messe à l’Immaculée Conception est ensuite chantée à Saint-Pierre avant qu’une procession ne rejoigne Saint-Amé, point de départ des cérémonies, en escortant la Vierge et Philippe II, chanté comme fondateur de l’université, tous deux incarnés par des étudiants du collège d’Anchin. L’octave qui suit donne lieu à l’organisation de nouveaux feux d’artifices et jeux scéniques devant la Patronne fraîchement élue. En 1665, le triomphe immaculiste s’affirme encore davantage dans les Pays-Bas. Le 27 septembre, la Congrégation des Rites décide, suite aux instances de Pedro Antonio de Aragón envoyé par Philippe IV à Rome, de concéder « aux provinces de Gaule Belgique et au duché de Bourgogne, sous domination du Sérénissime Roi Catholique » que la fête de

178 Mariae Virgini Conceptae sine macula votum Rhetoricae Leodiensis 1661, Liège, Veuve Baudouin Bronckart et Jean Bronckart, 1661. 179 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 37, f. 21v°. 180 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 37, f. 19 et 25. Voir également R.A., Fl.-Belg., vol. 1695, Narré de ce qui s’est passé en l’année jubilaire de l’Université de Douay à l’honneur de l’Immaculée Conception de la Tres Sainte Vierge (1662), non folioté. 181 « Sainte Marie, Mère de Dieu, Vierge tousjours pure, et même conceue sans peché originel, Nous Recteur pour un temps de celle Université de Douay Vous choisissons, au nom de tous, pour Dame, Patrone et Advocate, et aussi pour perpetuelle Presidente, tous prests et resolus de maintenir et de defendre par tout Vôtre Immaculée Conception, maintenant quasi avec tout le monde et en particulier, poussez et enflammez, par la Bulle expresse de Nôtre S. P. le Pape Alexandre VII, Vous Sainte Dame, Vierge et Mere, sans souillure, gouvernez nous de Votre part, et dirigez si bien qu’estans libres de tâches, nous ayons le bonheur d’entrer un jour dans le Ciel, où rien de souillé ne peut avoir entré » (.A., Fl.-Belg., vol. 1695, Narré…, non folioté).

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l’Immaculée Conception puisse être célébrée avec octave182. Elle étend donc aux Pays-Bas ce qui avait déjà été accordé à l’Espagne, l’Autriche, Naples, la Sicile et la Sardaigne depuis 1664183. Le 16 octobre, le pape publie un décret rétablissant à l’avenir dans les provinces belges l’Office et la Messe de l’Immaculée Conception de praecepto184. Le 2 décembre, juste avant la fête de la Conception, le Conseil Privé fait directement parvenir aux évêques la nouvelle attendue depuis longtemps par les partisans des thèses immaculistes185. La lutte immaculiste de la monarchie espagnole a donc pris fin lorsqu’est expédié le second mémorial. Philippe IV a obtenu du Saint-Siège à la fois la définition doctrinale et l’organisation de praecepto de la fête dans tous ses royaumes, y compris aux Pays-Bas. Aussi peut-on légitimement s’étonner du désintérêt suscité par cette nouvelle requête, restée sans suite. Alors que les obstacles pontificaux sont enfin levés, les États de Brabant n’ont pas répondu à une demande pourtant somme toute assez aisée à réaliser. Le silence surprend d’autant plus lorsque l’on sait que les requérants invoquaient, pour justifier leur demande, des ordres de la Reine Mère au gouverneur général manifestant son désir de voir les Pays-Bas se placer sous le patronage de l’Immaculée Conception186. Comment donc expliquer cette déconvenue ? Les États renoncent-ils à cette proposition parce que l’Immaculée Conception, désormais admise universellement, ne peut être la maîtresse particulière des habitants du Brabant, fidèles sujets du roi d’Espagne187 ? Peut-être bien. L’Immaculée Conception, une fois son statut incontestablement acquis au sein de la catholicité, ne peut plus être utilisée pour renforcer la fidélité du pays à l’Espagne dans une relation particulière et distinctive puisque la figure est partagée par l’ensemble du monde catholique. Cependant, ce n’est plus, nous semble-t-il, ce que demande le nouveau mémorial. Celui-ci veut, par cette élection, non point seulement manifester son soutien à la Couronne

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« Sanct[issi]mus D[omi]nus N[oste]r D[omi]nus Alexander Papa VII enixii piisque precibus sibi porrectis ab Exc[ellentissi]mo D[omi]no Petro de Aragonia Sere[nissi]mi Regis Catholici Oratore nomine dict[ae] regiae maiestatis benigne inclinatus mandauit expediri l[itte]ras in forma brevis sup[er] gratiam, ut in omnibus dictionibus [sic], seu Provinciis dict[ae] Galliae Belgiae sub dominio d[icti] Seren[issi]mi Regis Catholici et ducatus Burgondorum celebrari possit festum Immaculatae Conceptionis Beat[ae] Mariae Virginis una cum octava ad formam altesius concessionis fact[ae] eidem Seren[enissi]mo Hispaniarum Regi et Archiduci Austria diebus 2a Julii 1664 & 21 januarii proxime praeteriti » (A.C.C.S., D.S.R.C., vol. 18, f. 68r°). 183 Voir note précédente ainsi que S. Stratton, The Immaculate Conception…, op. cit., p. 104. 184 « Ut in omnibus ditionibus seu provinciis belgii, & Comitatus Burgundiae memorati Philippi Regis Dominio Subjectis, tum a Saecularibus, tum a Regularibus utriusque sexus, qui horas canonicas recitare tenentur, Officium & Missa Conceptionis Beatae Mariae Virginis immaculatae cum octava in posterum de praecepto recitetur » (A.A.M.B., Fonds De Immaculata Conceptione, non folioté, décret d’Alexandre VII, 16 octobre 1665). 185 L. Ceyssens, Sources relatives à l’histoire du jansénisme et de l’antijansénisme des années 1661-1672…, op. cit., doc. 174, p. 157, circulaire du Conseil Privé aux évêques, Bruxelles, 2 décembre 1665. Le Conseil Privé fait donc fi de l’autorité de l’internonce à qui revenait le pouvoir de publier le bref pontifical. Celui-ci fera part de son mécontentement. 186 « Laquelle solennité sera l’exécution de la charge que Sa Majesté la Reine Mere Regente a esté servie de donner nagueres à Son Excellence Notre Gouverneur par lettres sur ce escrites » (A.A.M.B., Fonds De Immaculata Conceptione, non folioté). L’auteur du mémorial dit accompagner sa demande de copies espagnole et française des lettres de la régente. Malheureusement, elles ne sont pas conservées dans le fonds. 187 L. Duerloo, « Verbeelde gewesten… », op. cit., p. 7.

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mais surtout consacrer le duché à une patronne et protectrice efficace face aux dangereuses progressions de l’armée française. Or, voilà bien un rôle que l’Immaculée Conception, même universellement admise, peut endosser. Ainsi, comme nous l’avons vu dans un précédent chapitre, la ville de Mons a précisément choisi sous ce titre la Vierge comme Patronne et Protectrice en 1667. Il faut donc trouver une autre explication au silence que les États opposent à la proposition : lorsque le mémorial est soumis aux autorités brabançonnes, la question de l’Immaculée Conception n’est plus au cœur des préoccupations habsbourgeoises. Elle ne peut dès lors avoir le même impact que le mémorial de 1654 et entraîner les mêmes débats. La nouvelle requête ne profite plus de l’effervescence étatique autour de la question immaculiste et perd du même coup une grande part de sa pertinence. Si les États de Brabant ne réagissent pas au nouveau mémorial alors qu’ils avaient manifesté leur soutien aux précédentes démarches immaculistes, c’est probablement qu’ils ne souhaitaient s’engager dans le débat que pour témoigner de leur loyauté envers la monarchie espagnole. Dès lors que l’Immaculée Conception cesse d’être le combat personnel du roi d’Espagne, dès lors que l’adhésion à l’Immaculée Conception cesse d’être un geste politique, les autorités temporelles des Pays-Bas renoncent à s’investir dans une telle question. L’Immaculée Conception semble bien avoir constitué un symbole temporaire du lien entre les Pays-Bas et l’Espagne qui ne peut plus exister dès lors qu’il perd de son efficacité démonstrative. Sur le plan politique, la force monarchique de l’Immaculée Conception qui rassemble autour du roi les peuples du Brabant n’est plus. Sur le plan religieux, en revanche, il en va autrement. Les disputes théologiques continueront dans les Pays-Bas. Les publications du père franciscain espagnol installé à Louvain, Pedro Alva y Astorga, qui entreprend de réaliser une somme gigantesque rassemblant toute la production immaculiste, provoqueront la colère de la faculté de théologie188. Très largement thomiste, celle-ci s’opposera avec âpreté à cette entreprise189. Quelques années plus tard, un petit manuel d’initiation à la théologie rédigé par le Gantois Pierre van Buscum fait réagir avec virulence les immaculistes, parmi lesquels on trouve réunis jésuites, carmes et franciscains, qui accusent l’auteur de s’opposer à la bulle d’Alexandre VII puisqu’il ose refuser le mystère de l’Immaculée Conception parmi les vérités de foi190. Après des querelles déchaînées, le petit ouvrage de van Buscum est mis à l’index191. La bulle Sollicitudo n’a donc pas fait taire les débats théologiques mais la voix politique, qui nous intéresse principalement, s’éteint.

188 Cette colossale entreprise porte le titre de Typographia Immaculatae Conceptionis sub signo Gratiae et est imprimée à partir de 1663 sur les presses des couvents franciscains de Louvain et Namur. Avant de se lancer dans cette compilation de textes, Pedro Alva y Astorga avait publié une première défense de l’Immaculée Conception dédiée à Philippe IV intitulée Nodus indissolubilis de conceptu mentis et conceptu ventris, Bruxelles, Philippe Vleugaert, 1661. Attaqué par la faculté louvaniste, Alva y Astorga répond par une réédition de son ouvrage sous le titre Funiculi nodi indissolubilis, Bruxelles, Philippe Vleugaert, 1663. 189 Lucien Ceyssens, « Pedro de Alva y Astorga, O.F.M., y su imprenta de la Inmaculada Concepcion de Lovaina (1663-1666) », Archivo Ibero-Americano, t. XI, n.s., n° 41, 1951, p. 5-35. 190 Pierre van Buscum, Instructio ad tyronem theologum de methodo theologica octo regulis perstricta, [Gand], s.n., 1672. 191 L. Ceyssens, Sources relatives à l’histoire du jansénisme et de l’antijansénisme des années 1661-1672…, op. cit., p. LII-LVIII.

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Le pouvoir public investit le culte marial pour tenter de récupérer le combat immaculiste à son profit. Dans un premier temps, les débats demeurent étroitement enclos dans le cercle restreint des hautes instances décisionnelles. L’action des archiducs, dynamisée par une piété conquérante et offensive, vise, par la définition, à implanter dans leurs territoires un catholicisme flamboyant et intransigeant. Ils veulent affirmer la réalité d’une Vierge conçue sans tache qui serait le principal fer de lance de la pureté catholique. Leur but, en effet, est de mettre en place un dispositif de lutte contre leurs voisins hollandais que le couple princier redoute autant pour les menaces militaires qu’ils font peser sur les Pays-Bas que pour leur choix confessionnel. Ils prétendent par ailleurs, à la faveur d’une éventuelle décision pontificale, imposer le silence aux querelles qui opposent leurs sujets et instaurer l’unanimité doctrinale dans leur pays. Progressivement, cependant, l’approche politique du débat immaculiste cesse d’être au cœur des seules préoccupations de quelques initiés. Le mémorial de 1654 et les remous qu’il provoque ouvriront ainsi de plus en plus largement la question jusqu’à ce qu’elle devienne affaire publique avec les vœux des États de Brabant en 1659. Le gouvernement renonce à ses réflexions en cabinet pour agiter avec force aux yeux du plus grand nombre une bannière arborant les couleurs de l’Immaculée Conception. Plus le pays s’enfonce dans les marasmes de la guerre, plus il devient nécessaire de jouer avec cette figure immaculiste pour rassurer une population anxieuse et désolée et, en même temps, pour montrer un soutien indéfectible à la monarchie espagnole qui s’écroule et se délite. Le combat immaculiste révèle, au-delà du conflit doctrinal, la nécessité pour le souverain de rassembler ses populations autour de sa propre personne par le médium d’une cause mariale commune et s’assurer, alors, l’appui nécessaire de ses provinces.

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Chant à la Vierge, ode aux Habsbourg

La garante du pouvoir Si l’inventaire des stratégies dévotionnelles princières ainsi que la longue description de l’ardent combat immaculiste des Habsbourg sont dignes d’intérêt par leur démonstration du fougueux investissement des princes et gouverneurs généraux dans le champ marial, ils ne sont cependant pas suffisants. L’historien doit aussi comprendre comment ces pratiques et ces engagements ont été interprétés et comment cette lecture a été diffusée auprès du public. L’intelligibilité de ces gestes, en effet, s’éclaire particulièrement par l’interprétation qu’en donnent une multitude de textes de nature variée. Épîtres dédicatoires, gravures, éloges funèbres, vitae, en particulier, construisent autour de la figure du prince une grille d’interprétation de l’exercice de son gouvernement. Le genre même de ces productions induit la reconstruction et l’idéalisation : il sert l’élaboration d’un imaginaire politique1. Ainsi, la dédicace, miroir idéal que l’on tourne autant vers le prince pour obtenir aide et soutien que vers le public afin qu’il prenne connaissance de ce parfait reflet, offre au lecteur un modèle – pour ne pas dire une illusion – du prince, véritable recomposition de ce que doit être celui qui gouverne. De la même manière, l’oraison funèbre, la Vita et les représentations iconographiques coulent dans un airain littéraire ou pictural une image magnifiée du souverain. Or, la dévotion mariale qu’ont démontrée les princes surgit régulièrement au cœur de ces récits et tableaux comme élément constitutif du gouvernement idéal. Le récit sur la Vierge y acquiert une fonction interprétative : il est censé expliquer et dévoiler les véritables rouages de la réalité du pouvoir, soutenu et garanti par la puissance de la Mère de Dieu. Les calendriers marials, par exemple, ne définissent le prince et ses fonctions, dans la logique de leur trame narrative, que par le seul prisme de la Vierge2. Ils dressent de longs portraits princiers entièrement articulés autour de leur dévotion à la Mère de Dieu et finissent par créer une superposition entre autorité et personnage marial, inhérente à la nature du récit. Dans ce discours, en effet, Marie est sans cesse présentée comme intensément active auprès des gouvernements, remportant de nombreuses victoires militaires, multipliant

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Sur le sujet, voir Sylvène Edouard, L’Empire imaginaire de Philippe II. Pouvoir des images et discours sur les Habsbourg d’Espagne au xvie siècle, Paris, Champion, 2005. 2 Sur les calendriers marials, voir première partie, chapitre I, p. 44-47.

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bienfaits et faveurs jusqu’à devenir la conservatrice de l’autorité nécessaire à un bon souverain et l’unique recours pour les couronnes tombées. En outre, l’éclatement et la déconstruction logique du temps et de l’espace qui caractérisent ces calendriers contribuent à créer une image atemporelle d’un prince chrétien soutenu de manière indéfectible par la Vierge en tout temps et en tout lieu. Emporté par le récit, ses ellipses et ses constantes répétitions, le lecteur fera coïncider cet archétype avec les Habsbourg du temps – seuls portraits contemporains – dont les calendriers s’attachent à décrire ponctuellement la dévotion mariale. Dans les Pays-Bas, ces pièces participent à la définition d’un portrait princier singulier : les archiducs puis les gouverneurs généraux prennent les traits d’humbles serviteurs de Marie pour la plus grande gloire de l’État. Leurs actes publics, les monuments et les traces visibles qu’ils ont laissés en l’honneur de la Mère de Dieu sont sans cesse rappelés et énumérés comme les « témoins irréfragables3 » de leur piété. Il faut que tous se souviennent « combien ils ayment, reverent & cherissent la Reyne des cieux4 ». Ce portrait, peint avec fougue, doit montrer que les princes dévots obtiennent, en échange d’une telle ferveur, l’aide de la Mère de Dieu dans le gouvernement de leurs États. Ces constructions politiques présentent Marie comme une figure qui prête main-forte au pouvoir et apaise les tempêtes agitant le pays pour permettre à l’État d’enfin se reposer. Les jésuites sont parmi les plus vigoureux et les plus véhéments champions de cette lecture. Ils défendent et soulignent vivement les avantages qu’offre la dévotion mariale à la pratique gouvernementale. Dans son calendrier, Toussaint Bridoul dit ainsi d’Isabelle que la princesse, grâce à son immense piété pour la Mère de Dieu, « ne craignait rien sous la puissante protection de cette Reine, qui était l’astre de sa vie, de sa gloire et de son État5 ». Nicolas Avancin, de son côté, fait de la dévotion de LéopoldGuillaume une garantie de la promptitude de Marie à seconder les entreprises de « son » Léopold6. Les images choisies par les pères sont éloquentes : pour Avancin, la Vierge est un phare qui conduit les princes dans les difficultés7 ; pour Zylius, elle est une étoile lumineuse et brillante dont l’agréable lumière guide le gouvernement vers un port paisible où le pays, menacé de toutes parts, échappera enfin à l’agitation8. Dans son histoire de Notre-Dame de Bois-le-Duc, il promet ainsi à l’infante Isabelle : Alors que les souffles adverses des vents ne laissent pas le navire de l’État se reposer, cette très clémente tutrice qui regarde les misères de tant d’individus, qui repousse tant de désastres, qui éloigne les tourbillons impétueux loin des hommes en péril, cette clémente tutrice, donc, tendra une main auxiliatrice vers Ton gouvernement et apaisera toutes les tempêtes, quand non seulement des preuves de crainte mais aussi des vœux de piété (qui sont les uniques

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B. de Montgaillard, Le soleil éclipsé…, op. cit., 1622, p. 130. A. de Balinghem, La toute-puissante guerriere…, op. cit., 1625, deuxième partie, p. 369. 5 T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, vol. 2, p. 533. 6 N. Avancin, Le prince devot et guerrier…, op. cit., 1667, p. 57. 7 Idem, p. 58. 8 O. Zylius, Historia miraculorum B. Mariae Silvaducensis…, op. cit., 1632, dédicace à l’archiduchesse Isabelle, f. *3r°-v°. 4

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soutiens de ceux qui règnent) seront adressés et par Toi, et par les Belges qui T’obéissent grandement, à l’Auguste Reine des Cieux et à son Fils sacrifié9.

La Vierge est donc exaltée comme un guide assuré pour le prince : il devra la suivre s’il veut obtenir enfin l’apaisement de la Belgique tourmentée. Marie l’épaulera dans l’exercice de son pouvoir et l’aidera à établir une paix tant espérée. En outre, Marie est aussi définie comme celle qui fonde ce pouvoir. Lorsque Claude Maillard rappellera, en 1651, le dépôt solennel des vêtements ecclésiastiques d’Albert devant l’autel de Notre-Dame de Hal, il dira ainsi : L’an 1598, [Albert] se transporta à Hale pour y changer d’habits & de conditions, preferant cette ville, à toutes les autres de ses estats, et y voulant laisser ses sacrées depouilles, pour marques de son affection, & y recevoir comme de la main de Notre-Dame l’epée qui ne devait trancher que pour le service de Dieu, l’honneur de sa mere, que contre les ennemis de la vraye religion, & du repos public10.

Par ces mots, le jésuite se fait pleinement l’écho de la pensée politique que les Habsbourg ont choisie comme moteur de leur gouvernement. Seule la religion catholique, qualifiée de « vraye religion », peut être garante de l’ordre public et Albert se doit de la défendre. Celui-ci veillera donc à exercer son pouvoir au nom de Marie et celui de Dieu dans le but d’offrir repos et tranquillité à ses États. Plus encore, c’est de la Vierge elle-même qu’il reçoit ce pouvoir puisque c’est « comme de sa main » qu’il est investi de l’épée, signe de son nouvel état laïque, qui lui permettra d’épouser l’infante et d’accéder ainsi à la souveraineté sur les Pays-Bas11. La halte d’Albert et d’Isabelle dans le sanctuaire de Hal à leur arrivée dans les Pays-Bas sera présentée par les jésuites, dans la même dynamique interprétative, comme motivée par la volonté des nouveaux époux de recommander à Marie leur gouvernement autant que leur âme12. Le chanoine anversois, Aubert Le Mire, quand il avait évoqué l’événement dans le panégyrique rédigé après la mort d’Albert, n’avait pour sa part attribué explicitement aucune implication politique à ce geste, se contentant de l’expliquer par l’amour vif des princes pour la Mère de Dieu13. La Compagnie, elle, force le trait, définit Marie comme protectrice des États et lui accorde un rôle primordial dans l’art chrétien de gouverner. Cette conception de l’origine mariale du pouvoir princier est illustrée de manière remarquable par la page de titre des Trophaea mariana du jésuite Juan Eusebio Nieremberg, (Figure 10)14. Paru à Anvers en 1658, l’ouvrage est adressé au gouverneur des Pays-Bas, Don

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Idem, f. *3v°. Nous traduisons. Cl. Maillard, Histoire de Nostre Dame de Hale…, op. cit., 1651, p. 18. 11 Antoine de Balinghem avait déjà, avant Claude Maillard, souligné que le pouvoir central reconnaissait devoir son pouvoir à Marie : « De laquelle [la Vierge de Hal] comme recognoissant de tenir aprés son fils leur [sic] estats, domaines & revenus, ils n’ont pas manqué de l’honnorer [sic] de riches presents » (A. de Balinghem, La toutepuissante guerriere…, op. cit., 1625, deuxième partie, p. 354-355). 12 T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, vol. 2, p. 40. 13 A. Le Mire, De vita Alberti pii…, op. cit., p. 32. 14 J.-E. Nieremberg, Trophaea Mariana…, op. cit., 1658. 10

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Figure 10 : Peter van Lisebetten (d’après Philippe Fruytiers), gravure, 275 x 188 mm, publié dans J.-E. Nieremberg, Trophaea Mariana, in-2, Anvers, veuve et héritiers Jean Cnobbaert, 1658, frontispice. - © K.U.Leuven, Maurits Sabbebibliotheek : PBM 232.931.6/F° NIER Trop. Photo de l’auteur.

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Juan d’Autriche, fils naturel de Philippe IV. L’argument général est le suivant : Nieremberg s’emploie à y dépeindre une Vierge puissante, patronne des royaumes d’Espagne et victorieuse des ennemis temporels et spirituels à travers le monde. Il ouvre par ailleurs son traité par un frontispice qui doit retenir notre attention. La gravure est l’œuvre de Peter van Lisebetten sur un dessin de Philippe Fruytiers, ancien élève des jésuites et membre de la sodalité des jeunes gens d’Anvers15. Le sujet de cette gravure démontre indéniablement l’influence de l’enseignement de la Compagnie sur le peintre. Est assise sur un trône que soutient une structure monumentale une femme couronnée, massive et imposante, tenant dans sa main droite un sceptre. Le croissant de lune qu’elle foule de ses pieds et le nimbe qui l’illumine définissent ce personnage féminin, sans contestation possible, comme la Vierge : Marie prend alors les traits non d’une mère humble mais d’une Reine forte et puissante. Au-dessus de son trône, des angelots tendent une large banderole rappelant combien Philippe IV et son fils Don Juan honorent cette « Vierge, joyau du ciel » et la servent pour obtenir son soutien16. Sur le socle du même trône, est gravé un extrait du livre des Proverbes : « Par moi, les rois règnent. Par moi, les princes gouvernent » (Pr., 8, 15-16). Ces mots, dans le livre vétérotestamentaire, sont prononcés par la personnification de la Sagesse. Or, la figure de la Sagesse a souvent été utile à l’exégèse mariale qui l’identifie à la Vierge17. Associée à Marie, la proclamation « Par moi, règnent les rois » dit le puissant soutien marial aux monarchies catholiques et en particulier à Philippe IV vers qui elle dirige son sceptre dans un geste vassalique. Le monarque espagnol, agenouillé aux pieds de la Vierge, tête nue, a abandonné ses propres sceptre et couronne sur le sol. Il tend à Marie-Reine un globe terrestre recouvert d’un phylactère implorant la protection mariale sur le monde : Submissum tutaberis Orbem. Don Juan est à ses côtés, en armes, la main posée sur un lion identifié comme le « lion belge ». Entre les pattes du lion est déposé le bâton de commandement. La dédicace au prince montrera qu’un feu marial a embrasé le récent gouverneur des Pays-Bas : elle attribue à la Vierge les conquêtes militaires du fougueux prince et célèbre sa dévotion mariale comme un gage assuré de son commandement sur le peuple belge18. Cette gravure est une remarquable expression synthétique de la pensée politicomariale habsbourgeoise relayée par la Compagnie de Jésus : le souverain, humilié devant la Vierge, trouve les origines de son pouvoir dans la volonté de celle-ci. Une relation de type vassalique s’établit entre eux. La « Reine du Ciel » délègue une part de souveraineté à celui

15 Sur Philippe Fruytiers (ca. 1610-1666), voir J. de Maere et M. Wabbes, Illustrated Dictionary…, op. cit., p. 169. – Pour le graveur Peter van Lisebetten (1630-ca.1678), voir Hollstein’s Dutch and flemish etchings, engravings and woodcuts (ca. 1450-1700), vol. 11, Amsterdam, Menno Hertzberger, 1954, p. 85. 16 « Virgo decus caeli, Tibi subdita regna Philippus / Terrarum late qua patet orbis, habet. / Austriacus Patris exemplo, nutuque Ioannes. / Et Leo cum Domino Te colet ille suo. / Servit uterque Tibi, Tu fortis utrumque mere / Quid non plena suo Cynthia Sole potest ». 17 Josef Scharbert, « Sprichtwörter », dans R. Baümer et L. Scheffczyck (éds), Marienlexikon…, op. cit., t. VI, 1994, p. 257-258 ; Dominique Cerbelaud, La figure de la Sagesse (Proverbes 8), Paris, Cerf, 2002 (= Les Suppléments aux Cahiers Évangile, 120). 18 « Perge itaque ut coepisti, securus adfuturam tibi, quae hactenus adfuit, Mariam, & memor vivas praeesse te modo avitis populis, Regiae Burgundicae Domus clientibus » (J.-E. Nieremberg, Trophaea Mariana…, op. cit., dédicace à Don Juan, f. *4r°).

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qui lui rend hommage, garantit le gouvernement du chef d’État et le soutient dans l’exercice de son pouvoir. Ce programme iconographique, toutefois, n’est ni unique ni propre aux Pays-Bas. On retrouvera pareille évocation d’une Vierge comme source du pouvoir souverain dans le frontispice inaugurant la réédition du Tractatus theologicus du général de la Compagnie de Jésus, Tirso Gonzalez de Santalla19. Paru à Madrid en 1688, ce traité est consacré au degré de certitude qu’a enfin acquis le mystère de l’Immaculée Conception au terme des âpres débats du xviie siècle. Il connaît une seconde édition en 1690 et est alors dédié au fils de l’empereur Léopold Ier, Joseph Ier, nouvellement consacré roi des Romains. Le frontispice montre en médaillon les portraits du couple impérial surmontant celui du prince (Figure 11). À leur Figure 11 : A.M.Wolfgang, gravure, 181 x gauche, se tient la Vierge, sous les traits de la 140 mm, publié par Tirso Gonzalez de SanFemme de l’Apocalypse à laquelle elle est talla, S.J., Tractatus theologicus, de certitudinis traditionnellement associée quand il s’agit de gradu, quem, infra fidem, nunc habet sententia figurer sa conception immaculée20. Marie est pia de immaculata B. Virginis conceptione, in-4, Dilingen, J.-C. Bencard, 1690. - © K.U.Leuven, donc entourée d’étoiles, surmonte un croissant Maurits Sabbebibliotheek : PBM 232.931.2/ de lune et domine le dragon aux multiples Qo GONZ Trac. Photo de l’auteur. têtes (Ap., 12). L’aigle impériale, en bas à gauche, penche d’ailleurs la tête sur le livre ouvert de l’Apocalypse. Cette même Vierge tend la couronne et le sceptre au jeune prince tandis qu’un phylactère proclame de nouveau que, par elle, règnent les rois. La Maria Victrix de l’Immaculée Conception, victorieuse du péché originel, argument d’un combat typiquement habsbourgeois dont la dynastie a finalement triomphé, s’offre comme assise du pouvoir. Elle constitue, pour la maison des Habsbourg et leurs thuriféraires jésuites, le nécessaire médium qui leur transmettra les insignes du commandement et fondera leur gouvernement. Marie doit donc assurer la souveraineté de la Couronne d’Espagne. Dans les Pays-Bas, elle revêtira particulièrement cette fonction face aux calvinistes des provinces du Nord, longtemps considérés comme rebelles au pouvoir espagnol. Nombreuses, en effet, sont les

19 Tirso Gonzalez de Santalla, S.J., Tractatus theologicus, de certitudinis gradu, quem, infra fidem, nunc habet sententia pia de immaculata B. Virginis conceptione, Dilingen, J.-C. Bencard, 1690. 20 Hildegard Gollinger, Eugen Othmar Steinmann et Anton Ziegenaus, « Apokalyptische Frau », dans R. Baümer et L. Scheffczyck (éds), Marienlexikon…, op. cit., t. I, 1988, p. 190-193 ; G. Schiller, Ikonographie der christlichen Kunst… op. cit., t. IV, vol. 2 (Maria), p. 174-176.

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exhortations à la Vierge pour qu’elle humilie les rebelles et les contraigne à réintégrer le giron habsbourgeois. Marie devrait obtenir de Dieu la reconnaissance de la légitimité du prince catholique par ses adversaires de la République indépendantiste21. Antoine de Balinghem, enjoignant ses lecteurs à réciter souvent l’Ave Maria, s’exclame ainsi : Que nous dit, ou plutost, que nous crie à haute voix tout cecy & toutes ces experiences de la force qu’a ce salut Angelique contre les ennemis : sinon qu’en ce temps de guerre & de revolte que continuent les rebelles à leur Prince naturel, nous nous servions de ceste salutation angelique comme d’une force inexpugnable, comme d’un canon foudroyant, comme d’une armure trespropre à les combattre et expugner. […] [La Vierge] est tant courtoise & benigne, qu’il n’y a si petit service qu’elle n’aggrée & ne regarde d’un bon œil, tant plus qu’il luy est presenté pour une si juste cause, & qui luy va si pres du cœur. Comme est la reduction des rebelles à l’obeyssance de leur legitime Seigneur22.

Plus qu’un pieux faire-valoir qui flatterait le prestige des autorités centrales, la Vierge est un instrument de la légitimité du pouvoir. Produit culturel et, à ce titre, figure malléable dans les marges imposées par la doctrine, la Vierge a été façonnée et instrumentalisée pour prendre place dans un dispositif étatique destiné à affirmer la puissance espagnole, justifier sa politique extérieure et renforcer sa domination sur le pays. 23. L’enchevêtrement entre image du prince et image de la Vierge doit en effet fonder la souveraineté dynastique dans les Pays-Bas et réunir l’ensemble des sujets catholiques des différentes provinces autour de leur souverain. Ces récits marials construits autour de la figure du prince s’emploient donc aussi à montrer les liens étroits et presque fusionnels qui se sont noués, au-delà de quelques individualités, entre la Vierge et la famille des Habsbourg. Antoine de Balinghem consacre ainsi de longs développements à la piété mariale de la maison d’Autriche et démontre « l’assistence continuelle que [la Vierge] a tousjours donnée à ceste famille, la comblant de toutes ses graces & faveurs qui peuvent bienheurer une personne en ce monde24 ». Et Antoine Sanderus de reconnaître qu’en rédigeant l’histoire du sanctuaire de Laeken, il contribue à « servir l’honneur royal » et encourage par la même occasion l’archiduc Léopold-Guillaume

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« Faites que Mars qui l’estat esbransla, / Se rende au joug (vaincu) de la concorde. / Faites qu’Hollande avec son prince accorde, / Et essuyant tant de larmes ameres, / La sainte paix soit fin de noz miseres » (Ph. Numan, Histoire des miracles advenus n’aguères à l’intercession de la Glorieuse Vierge Marie…, op. cit., 1604, chant inaugural adressé à Marie, f. *5v°). Voir également : « Unde certa spes concipi potest, devotis precibus a Deipara Virgine impetrari posse ; ut illa intercessione sua Omnipotentem & clementem Dominum nobis placet, ac propitium reddat ; ut grassantes saevientesque haereses extirpet, ac praesentis temporis bella & tumultus, aversos & rebelles animos Principi proprio & naturali subdendo & uniendo, sedet » (J. A. Gurnez, Laca bruxellense…, op. cit., 1647, p. 193). Nous soulignons. 22 A. de Balinghem, Douze eguillons et motifs populaires à persuader de dire souvent l'Ave Maria, Douai, Balthasar Bellere, 1626, p. 53-54. 23 « Ut tu Virginis servus, & illa non Leopoldi Guilielmi tantum, sed totius etiam Augustae Domus tuae Domina sit » (Antoine Sanderus, Laca Parthenia Mariani cultus Antiquitate et miraculorum gloria illustris, Bruxelles, Philippe Vleugaert, 1659, dédicace à Léopold-Guillaume, dans Chorographia sacra Brabantiae…, op. cit., p. 257). 24 A. de Balinghem, La toute-puissante guerriere…. Item de la devotion de la royale maison d’Austriche vers la susdite Vierge, op. cit., deuxième partie, p. 372-373. Nous soulignons.

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à défendre la gloire de la Vierge pour protéger « l’honneur et les droits du Roi Catholique25 ». La Vierge est véritablement la championne des Habsbourg.

« Maria Victrix » L’aide de la Vierge pour le gouvernement habsbourgeois des Pays-Bas trouvera une expression éloquente dans la construction d’une figure mariale à tout le moins inhabituelle. En effet, en même temps que la relecture idéalisatrice du culte marial princier montre les autorités suppliant la Vierge de protéger le gouvernement, se développe, particulièrement pendant la guerre de Trente Ans mais également avec quelques résurgences par la suite, un discours original mettant en scène une Vierge aux fonctions guerrières, implorée par les princes avant de partir en expédition militaire et choisie comme guide de leurs batailles et gage de leurs victoires.

Sur les champs de bataille La Vierge est rendue considérablement présente au cœur des armées en raison tant de la piété des chefs de guerre que d’une intense activité pastorale encourageant le culte marial. En 1587, le jésuite Thomas Sailly, confesseur d’Alexandre Farnèse, fonde la Missio castrensis et en assure la direction pendant vingt ans. Cette aumônerie militaire, composée d’une douzaine de pères de la Compagnie, suivait les troupes en campagne et assurait l’encadrement spirituel des régiments, s’engageant au cœur des batailles pour y soigner les blessés et leur administrer les derniers sacrements. Thomas Sailly fait reposer cette périlleuse activité pastorale sur deux axes principaux : d’une part, il encourage son équipe à lutter activement contre les vices et les débauches des mercenaires en tentant d’endiguer blasphèmes, mensonges et autres obscénités d’ivrognes ; de l’autre, il s’efforce de proposer aux soldats un encadrement religieux et spirituel rigoureux qui accorde une place primordiale au culte marial. En effet, si l’on parcourt ses deux principaux ouvrages de piété destinés aux soldats de l’armée catholique combattant pour le compte des Pays-Bas méridionaux, le Guidon spirituel (1590) et le Mémorial testamentaire (1622), on constate l’importance que Thomas Sailly accorde à Marie : il encourage les soldats à la prier quotidiennement pour obtenir aide et soulagement dans tous leurs assauts et suggère une série d’oraisons destinées à chanter sa gloire26. L’éloge funèbre de Sailly insiste particulièrement sur cette dévotion mariale du

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« Accipe ergo munusculum hoc hilari animo, & fronte serena, munusculum, inquam, quod sicut Virgineis laudibus, ita Regio servit honori. […] cum sicut Virginei amoris imperia pateris, sic apud nos etiam omni virtute, consilio fide, dum Regis Catholici causam, & jura tueris, de orthodoxo Dei cultu bene merendo, Virgineos etiam honores augeas » (A. Sanderus, Lacaparthenia.…, op. cit., dédicace à Léopold-Guillaume, p. 258). 26 Thomas Sailly, Guidon et practique spirituelle du soldat chrestien. Revu & augmenté pour l’armée de sa Majesté Catholicque au Pays-bas, Anvers, imprimerie Plantin, Veuve et héritiers de Jean Moretus, 1590 ; Thomas Sailly, Memorial testamentaire composé en faveur des soldats combattans sous l’estandart de la crainte de Dieu. Premiere partie dediée à Monseigneur Ambroise Spinola, marquis des Balbases, chevalier de l’ordre de la

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père, le présentant armé d’un énorme rosaire lui traversant la poitrine au plus fort de la mêlée27. Dépeint comme le promoteur enthousiaste du culte à Notre-Dame de Hal dans les camps, il encourage particulièrement Alexandre Farnèse à confier à celle-ci chacune de ses campagnes28. L’auteur de l’éloge rappelle en outre que Sailly a obtenu du même prince que, tous les jours, à l’aurore, les trompettes résonnent dans les camps pour inciter les militaires à réciter trois fois l’Ave Maria. À partir de 1588, il fera arborer par Alexandre l’effigie de la Vierge sur l’étendard militaire qui mène les troupes29. Il semble également que, après 1609, Sailly ait fait exposer ce drapeau dans le collège de Bruxelles où l’équipe de la Missio se retirait pendant les trêves hivernales. Il choisit un lieu particulièrement exposé pour que ledit drapeau soit visible de tous et joint à ce dernier un écriteau en rappelant l’usage par les bataillons catholiques : Sainte Marie Bien rangée comme les armée des camps Prie pour tes disciples qui sous le très doux nom de ton fils Jésus et le tien dans les camps catholiques ont usé de cet étendard à ton image pour exécuter leur devoir depuis les calendes de novembre de l’an 1588 jusque l’an 160930.

Peindre l’image de la Vierge sur les enseignes des camps est une tradition courante : le drapeau impérial porte, au revers de la Croix, une représentation de la Vierge Reine des Anges avec un extrait de l’hymne Ave Maris Stella : Monstra te esse Matrem. De même la manière, l’archiduc Albert fait porter sur un de ses étendards, en plus de l’image de la Croix,

toison d’or, du conseil de sa majesté catholique, capitaine general de son armée au Palatinat Inferieur, etc., Louvain, Henri Hastens, 1622. 27 A.R.S.I., Fl.-Belg., vol. 52, Summarium vitae de Thomas Sailly, f. 26. 28 Idem. Voir également Jean-Chrysostome Bruslé de Montpleinchamp, Histoire d’Alexandre Farnèze, duc de Parme et de Plaizance, gouverneur de Belgique, Amsterdam, 1692 ainsi que J. Schoonjans, « Castra Dei. L'organisation religieuse des armées d'Alexandre Farnèse », dans Miscellanea historica in honorem Leonis van der Essen universitatis catholicae in oppido Lovaniensi iam annos xxxv professoris, t. I, Bruxelles, Presses Universitaires de Bruxelles, 1947, p. 523-540. 29 « In Castris impetravit a Duc Parmensi edictum, ut sub auroram omnibus tubis, repetita ter salutationis angelicae precatione, salutaretur. Eius imaginem pro labaro in itineribus praeferri, in stationibus praefigi curabat » (A.R.S.I., Fl.-Belg., vol. 52, Summarium vitae de Thomas Sailly, f. 26). Antoine de Balinghem et Toussaint Bridoul, tous deux jésuites comme Thomas Sailly, se fondent sur ce Summarium vitae pour rapporter ces informations dans leurs calendriers respectifs (A. de Balinghem, Ephemeris seu Kalendarium…, op. cit., 1629, p. 118 ; T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, vol. 1, p. 197). 30 « Sancta Maria / Castrorum acies ordinata / Ora pro tuis alumnis / Qui sub Filii tui Iesu et dulcissimo / Nomine tuo in / Catholicis castris / Hoc imaginis Tuae vexillo usi / Operam suam ab / Anno Domini MDLXXXVIII Cal. Nov. / Usque ad / Annum Domini MDCIX praestitere » (A.R.S.I., Fl.-Belg., vol. 52, Summarium vitae de Thomas Sailly, f. 26, nous traduisons).

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Figure 12 : Corneille Galle, L’Étendard des Couleurs et la Vierge, gravure, 425 x 570 mm, 1623, dans E. Puteanus et J. Franquart, Pompa funebris optimi potentissimique principis Alberti pii, archiducis Austriae ducis Burgundae Brabantiae &c., Bruxelles, Jan Mommaert, 1623. Détail. - © IRPA-KIK – Bruxelles.

les premières paroles de la célèbre et antique antienne mariale Sub tuum praesidium confugimus, Sancta Dei Genitrix31. On sait par ailleurs, grâce à la série de soixante-cinq gravures de Corneille Galle reproduisant les pompes funèbres du prince, que son grand Étendard des Couleurs est orné d’une Vierge en gloire, un croissant de lune à ses pieds, tenant son Fils dans les bras32. À ses côtés, est représenté l’emblème de l’archiduc mêlé à sa devise : un bras sortant des nuées exhibe un glaive nu, entrelacé de branches de laurier et de palmes avec les mots Pulchrum est clarescere utroque, « il est beau d’exceller dans l’un et dans l’autre » (Figure 12). Les garnisons prennent des initiatives semblables et c’est ainsi que l’on verra, en mai 1647, un escadron de l’armée des Pays-Bas représenter l’image de la Vierge de Luxembourg sur son enseigne brochée d’or. La cérémonie de consécration dudit étendard, présidée par l’abbé de Saint-Maximin de Trèves, est solennelle : le Conseil provincial de Luxembourg de même que tous les Grands de la cité sont présents et le drapeau ainsi bénit est remis avec pompes aux soldats qui attendent, à cheval, à la sortie de la chapelle33.

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A. Le Mire, De vita Alberti pii…, op. cit., p. 39. Erycius Puteanus et Jacques Franquart, Pompa funebris optimi potentissimique principis Alberti pii, archiducis Austriae ducis Burgundae Brabantiae &c., Bruxelles, Jan Mommaert, 1623, planche XXXI. 33 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 35, Historiae Collegii Luxemburgensis Societatis Iesu continuatio [1647], f. 36r°. 32

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Par ailleurs, gouverneurs et chefs de guerre recommandent volontiers leurs expéditions à la Vierge qu’ils choisissent comme patronne de leur combat. À l’instar d’Alexandre Farnèse, Albert et Léopold-Guillaume adoptent la Vierge de Hal comme reine de leurs armées tandis que le cardinal-infant va s’incliner devant Notre-Dame de Bois-le-Duc pour qu’elle conduise ses régiments34. Ces invocations, cependant, ne sont pas l’apanage des Habsbourg. En 1641, Wilhelm von Lamboy, commandant de l’armée impériale dans les Pays-Bas, rassemble dans la chapelle mariale des jésuites de Luxembourg une série de chefs de guerre avant de partir à Sedan. Ils décident ensemble d’implorer Notre-Dame Consolatrice des Affligés afin qu’elle leur assure une victoire mémorable et garantisse la protection du pays35. L’année suivante, le gouverneur du duché fait de même, convaincu qu’il n’y a guère de meilleure protectrice que la Vierge face aux armées ennemies36. Autorités et chefs de guerre mettent donc tous leurs espoirs dans l’aide de la Vierge et attendent d’elle une protection efficace. Il est aisé d’aligner indéfiniment les exemples. Qu’il nous suffise de rappeler, en guise d’ultime aperçu, les importantes processions à la Vierge que Philippe IV, malmené de toutes parts, presse d’organiser à Bruxelles lors des terribles défaites des régiments menés par le gouverneur Francisco de Melo face aux armées du roi de France en 164337. Espérant obtenir, grâce à ces cérémonies, un regain d’efficacité de ses armées ainsi que de nouveaux succès militaires, il ordonne que, partout dans les territoires de la Couronne, les habitants alignent neuf jours de prières devant différentes images de la Vierge. Il montre lui-même l’exemple en rendant visite personnellement aux statues miraculeuses de Madrid. Au début du mois de juin, alors que les Français s’approchent à marche forcée de la capitale bruxelloise provocant la terreur de la population et dispersant les troupes espagnoles, l’archevêque de Malines, Jacques Boonen, décrète l’organisation de prières devant une série de statues mariales installées dans les sanctuaires de la ville sur le modèle madrilène. La population bruxelloise est invitée à prier successivement neuf des Vierges honorées dans la ville de Bruxelles : Notre-Dame de Délivrance honorée dans la collégiale Sainte-Gudule, Notre-Dame de Bois-le-Duc dans l’église du Coudenberg, la Vierge de Miséricorde chez les pères jésuites, Marie de Victoire dans l’église du Sablon, Marie de la Victoire Intérieure de la paroisse Notre-Dame de la Chapelle, la Vierge des Sept-Douleurs de Saint-Géry, Notre-Dame de la Paix à Saint-Nicolas et Notre-Dame du Bon-Succès chez les augustins. La plupart des Vierges révérées à cette occasion alignent des titulatures renvoyant à d’utiles représentations imaginaires de protection, de victoire et de paix. Quant à Notre-Dame des Sept-Douleurs et Notre-Dame de Bois-le-Duc, elles sont des objets de dévotion que le pouvoir central s’est efforcé, depuis le règne des archiducs, d’accaparer pour la gloire de leur gouvernement et la protection de la patrie.

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A. Le Mire, De vita Alberti pii…, op. cit., p. 39 ; J.-J. Courvoisier, Le sacré bocage de Nostre Dame de Bois le duc…, op. cit., 1645, p. 138 ; N. Avancin, Le prince devot et guerrier…, op. cit., 1667, p. 56. 35 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 33, f. 108r°, Historiae Collegii Luxemburgensis Prosecutio. 36 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 35, Historiae Collegii Luxemburgensis libri XI continuatio [1642-1648], f. 36r°. 37 « Sijne wapenen te beteren voorspoet souden ghenieten » (L. van Lathem, « Appendix notabilis [ca. 1643-1659] », Eigen Schoon en de Brabander, n° 37/5-6, 1954, p. 172).

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Il semble enfin que les soldats portent sur eux, au cœur de la mêlée, des rosaires, médailles ou images pieuses de la Vierge et de son Fils ainsi qu’en témoigne le récit des combats de la ville d’Aire-sur-la-Lys contre les Français en 1641 par les pères jésuites du collège local38. Lorsque les troupes françaises approchent leurs canons des murs de la ville, les jésuites distribuent aux soldats répartis sur les remparts des images de la Passion du Christ. La ville se rassemble pour implorer l’aide de la Vierge afin qu’elle repousse les bombes et les soldats partent au combat, armés de petites gravures représentant l’agneau mystique, la Vierge ou reproduisant le texte des litanies. Les soldats peuvent également faire sculpter des parties de leurs armes de combats selon le type de la statue mariale dont ils sont dévots. Le Musée de la Vie Wallonne à Liège conserve ainsi une attache d’épée de la seconde moitié du xviie siècle, d’origine luxembourgeoise, représentant la Vierge de Foy39. La Vierge doit donc assurer à ses dévots les palmes de la victoire sur les champs de bataille. Se développe alors un discours original, sinon inédit, qui propage – principalement dans le contexte des guerres de la première moitié du xviie siècle contre les Provinces-Unies et la France – une étonnante figure mariale. Il assure que la Vierge, bellatrix Regina, peut donner la victoire aux troupes de la Maison des Habsbourg dans des Pays-Bas terrassés. Poussé à son paroxysme, ce discours fera de la Mère de Dieu une reine belliqueuse : glaive au poing, combattante et agressive, celle-ci laisse sa puissance se déchaîner pour mettre fin au climat pathétique qui afflige le pays ainsi que le reste de l’Europe catholique40.

Con str uc tion d’un pers onnage in s olite La Bellatrix Regina En 1625, le jésuite Antoine de Balinghem publie à Douai un long traité intitulé La toute-puissante guerriere representee en la personne de la sacree Vierge Marie et presentee aux catholiques en ce temps de guerre et nécessitez de l’Église41. Ce prolixe écrivain, qui a consacré de nombreuses œuvres aux questions mariales et notamment l’important Kalendarium déjà évoqué, fut longtemps aumônier auprès des armées des Pays-Bas catholiques42. Il occupe cette fonction pastorale au sein de la Missio Castrensis à partir de

38 « Milites vero ad nocturnos cum hoste congressus orto vix sole, synaxi sacri elutis prius animi sordibus, et B[eatae] Virginis icone, rosariis, litaniis […] quasi armis qua nostri porrigebant parabant sese » (A.R.S.I., Gall.Belg., vol. 33, f. 115v°, Supplementum Historiae collegii Societatis Iesu Ariae [1639-1641]). 39 Liège, Musée de la Vie Wallone, Attache d’épée, bronze coulé, 5,5 cm. 40 Annick Delfosse, « Une Vierge guerrière au service des Habsbourg et de l’Église catholique », dans Br. Béthouart et A. Lottin (éds), La dévotion mariale de l’an Mil à nos jours, actes du colloque de Boulogne-sur-Mer (22 au 24 mai 2003), Arras, Artois Presses Université, coll. « Histoire », 2005, p. 337-345. 41 Antoine de Balinghem, La toute-puissante guerriere representée en la personne de la sacrée Vierge Marie et presentée aux catholiques en ce temps de guerre et necessitez de l’Église. Item de la devotion de la royale maison d’Austriche vers la susdite Vierge, Douai, Gérard Patté, 1625. 42 Pour une biographie de l’auteur ainsi qu’un inventaire de ses traités marials, voir la première partie, p. 44-45.

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1599 et, à ce titre, accompagne les armées en campagne pour assurer l’encadrement spirituel des garnisons. Il est donc soucieux de proposer à ses lecteurs une série d’exercices de piété permettant d’obtenir la victoire des soldats catholiques sur leurs ennemis43. Particulièrement dévot à la Vierge, Balinghem incite vivement les catholiques à recourir à une vive ferveur mariale en ces temps de guerre. Salutation angélique, récitation du rosaire, offices de la Vierge et litanies doivent, en ces troubles, encourager la Mère de Dieu à mobiliser toute sa puissance pour qu’elle « mette bas ses ennemis & qu’ils n’ayent non plus de pouvoir de resister à nos armées que de la paille ou des bourriers à un tourbillon de vent44 ». Car c’est bien exalter une Vierge « toute-puissante guerrière » que veut entreprendre le jésuite. Dans ce long ouvrage qu’il adresse à l’archiduchesse Isabelle, il s’emploie à démontrer la force martiale de la Mère de Dieu par nombre de références vétérotestamentaires et d’histoires miraculeuses advenues sur des champs de bataille. La Vierge y est terrible : elle ouvre la marche des bataillons, brise la tête des princes ennemis et jette la terreur au cœur des nations adverses. Alors que les combats ont repris contre les Provinces-Unies et que de nouvelles guerres de religion secouent l’Empire, Marie doit donc « mettre fin à ces guerres, [elle] qui par amour ou par force rangera les rebelles à l’obeyssance de leur souverain45 ». Le caractère systématique des propos de Balinghem est exceptionnel. L’historien ne rencontrera guère d’autres traités concentrant leur argument sur cette seule figure mariale belliqueuse. Il en retrouve toutefois un écho plus ou moins vif dans une série d’ouvrages émanant tous de plumes jésuites. Ainsi, un an à peine avant la signature du traité des Pyrénées, paraît à Anvers, sous la plume d’un père anonyme de la Compagnie, un opuscule de vingt-quatre pages dont le titre fait de la Vierge le glaive et le bouclier du soldat chrétien, invité à participer au combat du Seigneur46. Le corps de l’ouvrage propose au dévot, sans grande originalité, un ensemble d’exercices pieux à faire chaque mois pour redresser son âme et combattre les tentations alors que les militaires mordent la poussière des champs de bataille. Le prologue, néanmoins, retient l’attention. L’auteur, opérant un glissement par rapport à ses préoccupations centrales, s’écrie : Il faut souhaiter que Dieu, modérateur des guerres, accorde un glaive à celui entre les mains de qui se trouve la plus haute puissance de guerre en Belgique. Un glaive auspice de victoire et vengeur de l’injustice : il conviendra alors d’espérer en celle-là dans le sein de laquelle les palmes victorieuses et les lauriers triomphaux grandissent comme dans le sein de la Victoire, à savoir la très auguste Reine du ciel et de la terre. Celle-ci, en effet, est aimable pour ses dévots mais, rangée comme les armées des camps, terrible pour ses ennemis. C’est pourquoi Salomon compare cette Reine guerrière ici à un platane : J’ai grandi comme un platane [Si, 24, 14], là à un palmier : Tu ressembles au palmier [Ct. 7, 7]. Les feuilles du platane en effet [sont] des

43 « Apres avoir tant par passages des SS. Lettres que par le recit d’histoires authentiques, & prouesses pleines de valeur, verifié la toute-puissance de la Mere du tout-puissant aux exploits guerriers ; suit maintenant de toucher briefvement les moyens d’appeler à nostre ayde, & de gaigner les bonnes graces de ceste toute-puissante guerriere » (A. de Balinghem, La toute-puissante guerriere…, op. cit., deuxième partie, avant-propos, p. 287). 44 Idem, deuxième partie, p. 332. 45 A. de Balinghem, La toute-puissante guerriere…, op. cit., 1625, p. 3 et passim. 46 Maria christiano militi, ut fortiter, ac feliciter, hoc ferreo saeculo, praelia Domini praelietur, pro bello offensivo, Gladius : pro defensivo, Clypeus, Anvers, Veuve et héritiers de Jean Cnobbaert, 1658.

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boucliers ; pour ceux qui observent les arcanes de la nature, les palmiers représentent eux le glaive. Marie est, comme le platane, munie de boucliers ; et, comme le palmier, elle est pleine de glaives. Que craindre donc pour nos soldats qui font leur service sous le signe de la Mère de Dieu47 ?

Le frontispice de l’ouvrage condense visuellement l’exaltation mariale du titre et du prologue : deux mains sortent des nuées, arborant l’une une épée, l’autre un bouclier sur lequel est gravée une Vierge sur un croissant de lune, dominant toutes deux le monogramme de Marie en gloire (Figure 13). À la veille de la paix des Pyrénées, les Pays-Bas se sont transformés en terres de désolation. La situation est dure et les hommes doivent affronter drames et désastres. Effrayé par ce décor anxiogène, ce jésuite mobilise une figure utile : la Vierge, reine de victoire, devra apporter aux princes catholiques malmenés de nécessaires exploits pour offrir aux territoires une paix retrouvée. Cette Virgo pugnacissima, qui protège de sa tutelle les champs de bataille, assurera la défense du pays et la victoire de ses chefs militaires. La Vierge a donc, pour ces jésuites, une évidente fonction conquérante. Afin d’en souligner l’importance, d’aucuns forcent les traits et lui forgent à plusieurs occasions une physionomie belliqueuse. Ainsi, Antoine de Balinghem la décrit Figure 13 : Maria christiano militi, in-12, Anvers, puissante, invincible et terrible guerrière : veuve et héritiers de Jean Cnobbaert, 1658, fronvéritable foudre de guerre, elle a appris « l’art tispice, gravure, 105 x 60 mm. - © K.U.Leuven, Maurits Sabbebibliotheek : PBM 255 GENT* militaire, comment il faut chamailler », ses Ordo. Photo de l’auteur. mains sont « promptes, habiles et adextres au combat & à manier la lame aussi bien que le fuseau » et ses bras, « semblables à un arc d’airain, sont forts et nerveux à frapper & à lancer des traits contre ses ennemis48 »… Elle mène les étendards des armées et fait perdre aux ennemis à la fois la bataille et la vie49. Selon

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Idem, p. 8-9. Nous traduisons. A. de Balinghem, La toute-puissante guerriere…, op. cit., 1625, première partie, avant-propos, f. *12v°-f. **1r°. 49 « Ie veux que chacun avouë que c’est moy qui ay faict la guerre à nos communs ennemis, & que c’est soubs ma conduite, soubs mes estandarts, & par ma vaillance qu’ils ont perdu la bataille & la vie » (Idem, f. **3v°). 48

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l’auteur anonyme du Maria christiano militi, Marie, implorée par les princes, devient un casque d’airain pour leur tête, un thorax d’acier pour leur torse, un bouclier impénétrable pour leur main gauche et une épée étincelante pour la droite50. D’autres champs sémantiques, tel celui de la poliorcétique, sont également explorés par les jésuites. Quand Claude Maillard écrit l’histoire de la célèbre Vierge de Hal et de son assistance à la ville qui la vénère, il dresse le portrait de Marie comme « une tour de force contre la face de l’ennemi » et « l’arsenal des forts » pour s’opposer aux assauts des adversaires51. Il apostrophe la Vierge et l’exalte pour ses talents à faire « ressentir les effets de [sa] force et de [sa] protection, en faveur des lieux où [elle est] honorée, au soulagement & consolation de [ses] serviteurs et à la confusion de [ses] ennemis52 ». Il réduit à peu de chose la qualité des enceintes matérielles existantes en décrivant une ville peu redoutable pour ses ouvrages de fortification mais qui remplace la faiblesse de ses remparts par la force protectrice de la Vierge… On sçait assez que la ville de Hale n’est pas recommandable ny pour sa force, ny avantagée contre les efforts des ennemis, pour son assiette : ny redoutable pour ses fossez, rempars, magazins, arcenal et semblables inventions humaines, qui aident à la conservation des villes. Aussi sçait on, que les ennemis ayans souvent entrepris contre elle, tantost à la sourdine & par surprise, tantost de vives forces & ouvertement : toutefois leurs entreprises contre elle se sont tournées en fumée et risée, sans que jamais elle n’ait esté ny prise, ny surprise. La sentinelle qui a decouvert les desseins & approches de l’ennemi, a esté la sacrée Vierge ; ses tours, la protection de la mesme Vierge ; ses rempars, sa faveur, flanquez à l’avantage de la toutepuissance de son fils ; la garnison, les Anges, qui sont ses soldats ; son arcenal, son authorité53.

Toussaint Bridoul recourt aussi à l’allégorie poliorcétique lorsqu’il assure que la ville de Lille est défendue de tous côtés contre les assauts et les surprises des ennemis grâce aux chapelles érigées à proximité de ses remparts tels de « forts boulevards » qui font jouir les lieux des « fruits et avantages de la paix », « pendant que les autres provinces gémissent dans les malheurs de la guerre54 ». Otto Zylius – encore un jésuite – dans l’épître dédicatoire adressée à l’infante Isabelle qui inaugure son histoire des miracles de la Vierge de Bois-leDuc, rappelle enfin à l’archiduchesse la nécessité, pour assurer la protection de son royaume, d’aimer et vénérer la Vierge « sans la puissance et la tutelle de laquelle, les fortifications, les

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« Illis erit haec Virginis tutela, velut aerea cassis, qua caput ; adamantinus thorax, quo pectus ; impenetrabile scutum, quo sinistra ; fulmineus ensis, quo dextra munietur » (Maria christiano militi…, op. cit., Avantpropos, p. 10). 51 Cl. Maillard, Histoire de Nostre Dame de Hale…, op. cit., 1651, p. 68. – La conviction que la Vierge a joué un rôle réel dans la défense de la ville de Hal reste profondément ancrée dans les représentations. Un ouvrage publié en 1745 à l’occasion du centième anniversaire de la confrérie de Notre-Dame de Hal à Liège affirmera ainsi : « On ne peut ignorer que la Ville de Hale n’ait été attaquée plusieurs fois par ses ennemis, malgré qu’elle n’a pas d’autre forteresse, que la presence de la Vierge, elle n’a jamais été prise. On garde encore aujourd’ui pour memoire dans l’Eglise en un coffre environ cent boulets de canon, les uns de fer, les autres de pierre, dont il y en a qui pesent trente, quarante & soixante livres » (Jubilé de cent ans ou pratique de devotion envers Notre-Dame de Hale, contenant l’histoire en abregé, les Merveilles & prodiges operés par cette Vierge miraculeuse, ornée de Prieres dévotes, Liège, aux dépens de la confrérie, 1745, p. 11-12). 52 Cl. Maillard, Histoire de Nostre Dame de Hale…, op. cit., 1651, p. 69. 53 Idem, p. 69-70. 54 T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, vol. 1, f. e1v°.

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légions, les châteaux, les sentinelles, les machines et tous les équipements sont plus faibles que les toiles d’araignée les plus légères55 ». Le portrait peut également être intensifié par de significatives analogies avec des déesses antiques de la guerre. En 1645, tandis que les troupes françaises s’avancent loin dans les terres de Flandre et que les armées hollandaises s’emparent de l’embouchure et de la rive gauche de l’Escaut, les élèves du collège jésuite d’Anvers mettent sur pied, en prélude à la distribution des prix de la mi-septembre, une pièce de théâtre consacrée à « La divine Pallas ou Marie, déesse de la guerre et arbitre de la paix56 ». Si le texte de la pièce demeure introuvable, son titre est cependant déjà suffisamment évocateur : invoquée par les responsables politiques de la cité anversoise, la Vierge devra mettre un terme aux calamités que partagent tous les habitants de la Belgique. Marie, par ailleurs, s’y voit attribuer un double titre guerrier. Elle est d’abord Pallas, fille du dieu Triton élevée avec Athéna et accidentellement tuée par celleci en s’exerçant à l’art de la guerre. À la mort de sa compagne de jeux, Athéna a pris comme titre le nom de cette dernière et a sculpté une effigie à son image, le palladion, honoré dans son temple à Troie et considéré comme puissant protecteur de la ville. En une allusion littéraire, Marie devient le palladion, la protectrice inviolable de la ville d’Anvers comme l’avait déjà chantée sous ce titre Jan Boch lors de l’érection de la statue mariale sur la façade de l’hôtel de ville en 158757. Elle prend donc en même temps les traits d’Athéna et se pare, pour qui comprend l’analogie, des attributs conquérants de la déesse, casque sur la tête et bouclier à la main. Sur la scène anversoise, Marie est en effet également appelée praeses belli, déesse de la guerre58. Or, cette expression est précisément employée par le poète Virgile dans l’Enéide à propos de la déesse Minerve qui s’est progressivement confondue avec l’Athéna grecque et que le latin classique désigne aussi du nom de Pallas59. Le parallèle n’est pas neuf. Il semble que l’iconographie médiévale ait à l’occasion fait de Minerve un des symboles de la Vierge Marie et que la rencontre de la déesse et de la Mère de Dieu se soit maintenue à la Renaissance tant pour chanter la chasteté virginale que pour fonder l’allégorie de la Religion conquérante60. Il faut toutefois remarquer que ces occurrences iconographiques écartaient les attributs

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« Cultusque Deiparae, sine cuius Numine ac tutela, & propugnacula, & legiones, & castra, & excubiae, & machinae, & armamenta omnia leuissimis aranearum telis infirmiora sunt » (O. Zylius, Historia miraculorum B. Mariae Silvaducensis…, op. cit., f. *4r°). 56 Pallas Sacra seu Maria belli praeses, pacis arbitra Antverpiae suae in communi Belgii calamitate invocanda Amplissimis nobilissimisque dominis consulibus ceterisque reipubl. Senatoribus perpetuis suis maecenatibus. Dabitur a studiosa juventute collegiis SJ die 11 septemb. Anno 1645, s.l., in-4, 2 f. (C. Sommervogel, « Bibliotheca mariana » de la Compagnie de Jésus, Paris, Alphonse Picard, 1885, n° 1693). C. Sommervogel attribue cette pièce au père Thomas van Nevele (1618-1672), professeur de rhétorique au collège d’Anvers et directeur de la sodalité des élèves à cette date (A.RS.I., Fl.-Belg., vol. 45, f. 116). 57 Remarquez que Claude Maillard, dans son histoire de Hal, confrontera à son tour Marie au Palladion. Il définit toutefois cette dernière comme plus efficace encore que l’image troyenne et certifie que la Vierge doit garantir l’intégrité des villes qui l’honorent (Cl. Maillard, Histoire de Nostre Dame de Hale…, op. cit., 1651, p. 79-80). 58 Pallas Sacra seu Maria belli praeses…, op. cit., 1645. Nous soulignons. 59 Virgile, Enéide, XI, 483. 60 R. Wittkower, « Transformations of Minerva in Renaissance imagery », Journal of the Warburg Institute, n° 2/3, 1939, p. 194-205.

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martiaux de Minerve, à savoir l’égide, le casque et le bâton de commandement : c’était une Minerve pudique et pacifique qui devait permettre de représenter la Vierge. Les jésuites anversois semblent, eux, avoir privilégié la fonction belliqueuse de Minerve pour exalter Marie sous des traits guerriers forçant alors, sur les planches, une iconographie auparavant plus modérée. Il arrivera également que la Vierge soit qualifiée « d’éminente et toute-puissante Bellone ». Bellone, sœur, épouse ou nourrice du dieu Mars, déesse romaine de la guerre, accompagne Mars au milieu des champs de bataille, tête casquée et lance au poing61. Par l’exaltation de Marie sous le nom de cette déesse, la métaphore guerrière continue donc. Elle superpose figures païenne et chrétienne pour donner à Marie le rôle terrible de présider au carnage de la furie guerrière. À la fois jeu de mots et référence culturelle, l’image doit être évocatrice et donner corps à une Vierge belliqueuse. L’exemple anversois montre par ailleurs que la scène jésuite est un lieu, sinon de construction, du moins de représentation spectaculaire d’un personnage marial de type guerrier. Le collège de Lille, par exemple, semble lui aussi apprécier la figure qu’il met en scène à plusieurs reprises. Lorsqu’en 1645, Lille voit les conflits s’aggraver autour de ses murailles et ses campagnes ravagées par les pillages des troupes tant françaises qu’espagnoles, les jésuites de la ville organisent une procession en l’honneur de Notre-Dame de Réconciliation vénérée dans une chapelle d’Esquermes dont ils ont la charge62. Elle est le lieu d’un important pèlerinage auquel la Compagnie de Jésus assure un estimable succès. Lors de cette procession, les pères mettent en scène, dans un décor opulent où brillent l’or et les pierres précieuses, une Vierge victorieuse susceptible d’aider les habitants à sortir du drame militaire qui les accable. Ils répartissent en tête de cortège les membres de leurs sodalités d’élèves en différents groupes et attribuent à chacun des mises en scène très explicites pour qui évoluait dans ce décor politique désastreux. Les plus jeunes sont divisés en trois tableaux. Le premier de ces tableaux représente les chœurs des anges. Le deuxième doit représenter la Vierge, « rangée comme les armées des camps » (Cant. 6, 4 et 10) : une petite centaine d’élèves déguisés en fantassins armés de pied en cap ou en cavaliers couronnés, précèdent un collégien congréganiste, porté sur un char triomphal et écrasant d’un glaive la tête du serpent. Derrière eux se traînent des hérétiques captifs. Dans le troisième groupe, les petites figures – ou élèves de la classe préparatoire – tirent sur un char une immense tour d’où pendent des armes et des trophées. Le cortège plonge ensuite dans les allusions historiques. Des élèves montrent Don Juan suppliant la Vierge de Lorette de lui accorder la victoire sur les Turcs à Lépante et les écoliers de la troisième classe esquissent les victoires remportées par les empereurs byzantins sous la protection mariale. Nous aurons l’occasion d’analyser plus avant ces représentations lilloises mais il est utile de poursuivre brièvement le panorama. Lorsqu’est signé le traité des Pyrénées, en effet, les jésuites lillois profitent une nouvelle fois de la scène

61 D. von Coenen (éd.), Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, trad. et mis à jour par M. Broze et Ph. Talon, Turnhout, Brepols, 1992 ; J. Schmidt, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, Larousse, 1992. 62 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 35, p. 271, [Litterae] Annuae 1645 [Provinciae] Gallo-Belgicae.

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processionnelle pour filer la métaphore et modeler une Vierge de guerre63. Ils organisent, au mois de mai 1660, une procession afin de ramener la statue Notre-Dame d’Esquermes dans son sanctuaire et fêter ainsi la paix retrouvée. Les participants célèbrent Marie en triomphe au son des tambours et des trompettes. Dans le déploiement du cortège, s’avancent les adolescents du collège répartis en cinq groupes, chacun exaltant à sa manière la dévotion mariale des comtes de Flandre et les interventions de la Vierge pour le pays. Parmi les mises en scène, on retrouve des élèves déguisés en guerriers, marchant sous la Vierge, une nouvelle fois accompagnée du titre « rangée comme les armées des camps » ; ils sont immédiatement suivis par un groupe d’écoliers portant des gerbes de palmes et de lauriers, symboles des victoires remportées à l’aide d’une Vierge dite invictissimae, « jamais vaincue ». Au cœur de moments critiques, les jésuites offrent donc à leurs lecteurs et spectateurs une Vierge puissante et victorieuse, définie comme adversaire farouche des ennemis de ses dévots. Pour forger ce personnage aux qualités martiales, ils utilisent des images éloquentes mêlant figures antiques, symboles de victoire et armes de combat. Discours et mises en scène, toutefois, se nourrissent principalement d’une longue tradition biblique, liturgique et historique qu’il est nécessaire de détailler ici. Cette Vierge guerrière à laquelle certains tentent de donner corps n’est en effet qu’un avatar de la Maria Victrix, la Vierge pure et parfaite qui a su triompher du mal et résister aux assauts du péché. La construction d’une pugnace Bellatrix Regina, chef des armées catholiques, recourt donc à l’appareil doctrinal et spirituel qui définit la victoire de Marie sur le diable et l’hérésie. Références vétérotestamentaires, liturgiques et doctrinales : Maria Victrix L’Ancien Testament est une première source où puisent abondamment les auteurs de tels propos et les concepteurs de pareilles mises en scène, privilégiant particulièrement les richesses symboliques du Cantique des cantiques. Depuis le xiie siècle en effet – même si l’on constate quelques prémices bien plus tôt avec Ambroise de Milan puis Paschase Ratbert –, le Cantique est l’objet, entre autres courants exégétiques, d’une interprétation mariale : la fiancée de ce long poème est alors définie comme une préfigure de la Vierge Marie64. Rupert de Deutz, le premier, propose un commentaire systématique du Cantique sous le seul angle marial et fait du livre vétérotestamentaire l’annonce éloquente du rôle de la Mère de Dieu dans le Nouveau Testament65. Par la suite, cette exégèse mariale se maintient soit sur un mode exclusif à la manière de Rupert, soit doublée par d’autres lectures qui définissent le

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A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 37, f. 14v, Supplementum [Historiae] Collegii Insulensis. Voir aussi P. Delattre, Les établissements des Jésuites…, op. cit., t. II, col. 1224. 64 Max Engammare, « Qu'il me baise des baisiers de sa bouche ». Le Cantique des cantiques à la Renaissance : étude et bibliographie, Genève, Droz, 1993. 65 Voir l’introduction à l’édition critique de Rupert de Deutz, Commentaria in canticum canticorum, R. Haacke (éd.), Turnhout, Brépols, 1974 (= Corpus Christianorum Continuatio Medievalis, 26) ainsi que John van Engen, « Rupert de Deutz », D.S., t. XIII, 1988, col. 1126-1133 ; M. Engammare, « Qu'il me baise des baisiers de sa bouche… », op. cit., p. 47-48.

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Cantique comme un dialogue amoureux tantôt entre le Christ et l’Église, tantôt entre le Christ et l’âme66. Le Cantique offre alors à l’imagerie pieuse, à la liturgie et à la littérature de piété un fonds généreux de symboles et d’allégories pour célébrer la Vierge. Il fournit, à ce titre, au moins deux éloges permettant de fonder son caractère martial. Le premier de ceux-ci est « Terrible comme l’armée bien rangée des camps ». C’est précisément par ces mots que les jésuites de Lille ont exalté à deux reprises la Vierge lors des processions que nous venons de décrire. Cet éloge apparaît deux fois dans le Cantique (Cant. 6, 4 et 10) : il sert d’abord au fiancé pour célébrer sa bien-aimée puis au harem royal pour chanter la louange de la jeune fille. Apposé au nom de Marie par une longue tradition spirituelle et dévote, le trait célèbre alors l’effroyable combat que mène la Vierge, Reine de vertus à la tête de l’armée des saints, contre le mal, le vice et l’hérésie. L’image est commune et, dans la littérature mariale, apparaît à l’envi. La Vierge ainsi exaltée renverse le diable et ses acolytes. Elle fait trembler l’enfer tout entier et gagne ses batailles sur les ennemis de l’Église catholique. Commentaires du Cantique, traités à l’usage des prédicateurs, manuels de piété, chaînes mystiques commentent abondamment l’expression qui devient un topos des qualificatifs marials. On la retrouve donc sans étonnement dans les processions lilloises. Marie est d’ailleurs célébrée par ces mêmes mots dans l’antienne Pulchra es au cours des laudes de l’Officium parvum ou Petit office de la Vierge, depuis le lendemain de la fête de la Purification jusqu’au samedi qui précède le premier dimanche de l’Avent. L’antienne y encadre trois psaumes consécutifs (Laudate Dominum de coelis (Ps. 148), Cantate Domino canticum novum (Ps. 149) et Laudate Dominum in sanctis eius (Ps. 150)) et, après avoir célébré Marie comme la belle et douce fille de Jérusalem, se conclut par les termes terribilis ut castrorum acies ordinata67. Ce verset du Cantique des cantiques, « Terrible comme l’armée bien rangée des camps », relève donc de l’arsenal classique des louanges mariales. Il faut cependant souligner que si la littérature spirituelle le glose abondamment, rares en sont les expressions iconographiques, au contraire de l’usage fait par l’art d’autres textes bibliques couramment convoqués pour représenter Marie. On notera toutefois avec intérêt le programme iconographique du Pancarpium marianum, deuxième partie du Paradisus Sponsi et Sponsae (1607) du jésuite Jean David, dédiée à l’archiduchesse Isabelle. L’ouvrage est ce qu’on appelle une « guirlande mariale » c’est-à-dire une suite de réflexions spirituelles sur les traditionnels titres et symboles de la Vierge, tous illustrés par des emblèmes gravés par Théodore Galle68. Parmi ce

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Selon ces deux autres interprétations, la fiancée était assimilée ou à l’Église, ou à l’âme du chrétien (M. Engammare, « Qu'il me baise des baisiers de sa bouche… », op. cit., passim). 67 Officium Beatae Mariae Virginis, Pii V. Pont. Max. iussu editum, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1600. 68 Jean David, S.J., Paradisus Sponsi et Sponsae, in quo Messis myrrhae aromatum, ex instrumentis ac mysteriis Passionis Christi colligenda, ut ei commoriamur, et Pancarpium marianum, septemplici Titulorum serie distinctum : ut in B. Virginis odorem curramus, et Christus formetur in nobis, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1607. La première partie, dédiée à l’archiduc Albert, est consacrée à la Passion sur le Golgotha. Elle invite à la méditation sur les souffrances du Christ et conduit à la compassion. – Sur le rapport entre texte et image dans ce manuel de dévotion, voir Ralph Dekoninck, Ad imaginem. Statuts, fonctions et usages de l’image dans la littérature spirituelle jésuite du xviie siècle, Genève, Droz, 2006.

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florilège de titres marials, le lecteur retrouve celui de « armée bien rangée des camps », accompagné du traditionnel discours qu’a développé le catholicisme réformé concernant Marie, puissante adversaire de l’ennemi hérétique 69. L’emblème, en revanche, présente une iconographie originale. Alors que les artistes adoptent généralement, pour représenter la puissance de la Vierge sur le mal et l’hérésie, l’image de Marie écrasant du pied la tête du dragon, Théodore Galle choisit d’inscrire la Vierge dans les nuées, couronnée et munie du sceptre de commandement. Celle-ci surmonte d’impressionnants régiments rangés en ordre de combat et en train de faire feu sur un triple ennemi : l’hérésie, le serpent et les blasphémateurs. Une légende proclame Marie comme un « bataillon fourny sous tel ordre que d’enfer l’ennemy, n’y pourra iamais mordre » (Figure 14). Ici, point de pied rageur ni de monstre vaincu mais des bataillons et des canons pour partir à l’offensive et sauver l’Église et la foi catholique. Le Cantique offre également, à qui Figure 14 : Théodore Galle, gravure, 150 x veut ébaucher le portrait d’une Vierge 85 mm, publié dans Jean David, S.J., Pancarpium martiale, le titre de « Tour de David », cette marianum, septemplici Titulorum serie distinctour d’où pendent « un millier de boucliers tum : ut in B. Virginis odorem curramus, et Chriset toutes sortes d’armes de braves » (Cant. 4, tus formetur in nobis, in-8, Anvers, imprimerie 4). Lieu commun de la glorification mariale Plantin, Jean Moretus, 1607. - © ULg-BGPhLtout autant que le « terrible comme l’armée CICB : Th.5190. Photo de l’auteur. bien rangée des camps », l’expression doit elle aussi célébrer la puissance de la Vierge70. Marie-Tour de David est une « forteresse imprenable » et un « rempart inébranlable » qui défend le fidèle en proie à la tentation. Elle est un refuge pour le pécheur qu’elle détourne des menaces et dangers spirituels. Elle propose, comme boucliers et armes de combat, ses innombrables vertus. La louange « Tour de David », que reprennent également les litanies de Lorette, fait donc partie de l’attirail marial courant et l’iconographie s’en empare, cette fois, abondamment. Les représentations de l’Immaculée

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J. David, Pancarpium marianum…, op. cit., p. 112-119. Genoveva Nitz, « Davidsturm », dans R. Baümer et L. Scheffczyck (éds), Marienlexikon…, op. cit., t. II, 1989, p. 153-154. 70

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Conception, en particulier, l’intègrent dans leur programme iconographique, associée à d’autres formules d’exaltations mariales, toutes d’inspiration biblique telles Hortus conclusus, Speculum sine macula, Porta coeli, Puteus aquarum viventium ou encore Electa ut sol et Pulchra ut luna. La Vierge que la Tour accompagne, toutefois, présente rarement des traits guerriers si ce n’est à quelques occasions tout à fait exceptionnelles que nous voulons présenter ici même s’il s’agit d’occurrences hors des territoires des Pays-Bas. L’Albrechtsaltar, réalisé par un peintre anonyme pour l’église des carmes de Vienne vers 1439 montre ainsi sur l’un de ses trente-deux panneaux consacrés à Marie, une Vierge dont la robe laisse apercevoir une armure, debout à côté de ladite Tour de David71. Entourée de quatre anges armés du chœur des Potestates, la Vierge arbore capeline de fer, haubergeon de mailles, épaulière, grève et soleret72. Le phylactère de gauche rappelle qu’elle a vaincu le démon. Il s’agit probablement de la représentation picturale la plus exacerbée de la Vierge-Tour de David, louée comme figure de Victoire, que nous ayons eu l’occasion de rencontrer. Alors que, généralement, graveurs et peintres se contentent du seul symbole de la Tour, Marie prend ici des airs de femme militaire à part entière. Peut-être peut-on expliquer ce portrait original par la spiritualité de ceux qu’on appelle les « frères de Notre-Dame » : mâtinée de réminiscences chevaleresques qu’expliquent les origines croisées de l’ordre, elle puise largement aux symboles qu’offre le vocabulaire de l’armure73. Là où le bouclier incarne la foi, la cuirasse la justice et l’épée la parole de Dieu, cette Vierge armée ne devait pas surprendre mais, au contraire, apparaître comme l’écho d’un discours spirituel aux accents familiers. On remarquera par ailleurs que c’est de nouveau dans l’iconographie carme que l’on rencontre un autre cas de représentation militaire, bien que sensiblement différente, de la Vierge exaltée comme Tour de David. Il s’agit de la gravure qui sert de frontispice à la chronologie mariale de Biagio della Purificazione, carme déchaux de la province romaine, Narrazioni sagre delle più insigni Vittorie ripportate da’Fedeli per intercessione della Santissima Madre di Dio (534-1683), parue à Rome en 1687 chez Giuseppe Vannaci et de nombreuses fois rééditée (Figure 15). Biagio a l’ambition de retracer toutes les victoires militaires obtenues par les troupes chrétiennes sur leurs ennemis grâce à l’aide de la Vierge depuis les combats de l’Empereur Justinien face aux Vandales jusqu’à la récente libération de Vienne des troupes turques. Il dédie son ouvrage à la Vierge de Victoire qu’il salue comme la condottiera des armées catholiques. Le frontispice de cette chronologie victorieuse montre un personnage féminin nimbé, le poing sur les hanches et le bras tenant fermement une lance de joute, devant un trophée de guerre où s’amoncellent carquois, bélier, javelots, hallebardes, masses, lances, haches, enseignes et boucliers. Sur un pieu, domine une tête tranchée. Au-dessus de cet amas d’armes, resplendit, en gloire, le nom de Marie. Ce nom

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Albrechtsaltar (détail), La Tour de David, huile/bois, 126 x 123 cm, vers 1439, Vienne, Klosterneuburg, Stiftsmuseum. – Pour une étude du retable, voir Fl. Röhrig (éd.), Der Albrechtsaltar und sein Meister, Vienne, Tusch, 1981 ; Eva Sebald, « Albrechtsaltar », dans R. Baümer et L. Scheffczyck (éds), Marienlexikon…, op. cit., t. I, 1988, p. 88-90. 72 Wivine Awouters, L’armure des saints guerriers figurés dans la peinture des écoles septentrionales au xve siècle, mémoire de licence inédit, Université de Liège, Histoire de l’art et archéologie, 2002, p. 47. 73 T. Bransdma, « Spiritualité de l’ordre des Carmes », D.S., t. II, 1937, col. 163.

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Figure 15 : Biagio della Purificazione, O. Carm., Narrazioni sagre delle più insigni Vittorie riportate da’Fedeli per intercessione della Santissima Madre di Dio dagl’Anni di Christo 534 sino al 1683, in-4, Rome, Giuseppe Vannacci, 1687, frontispice, gravure, 185 x 122 mm. - © K.U.Leuven, Maurits Sabbebibliotheek : PBM 232.931.6/Qo BIAG Narr. Photo de l’auteur.

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glorieux ainsi que le nimbe de la figure féminine centrale permettent de voir en cette dernière une représentation de la Vierge elle-même, malgré le caractère peu commun de ce type iconographique. En dessous, un cartouche reprend les paroles du Cantique qui l’exalte comme Tour de David. Des dépouilles, pendent des étendards qui soit reprennent le texte du Ct. 4, 4, soit arborent des versets du livre des Proverbes, objet, comme le Cantique, d’une exégèse mariale. La proclamation « Par moi, règnent les rois » (Prov. 8, 15) fait de Marie la championne des monarchies catholiques. La puissance mariale ainsi glorifiée est par ailleurs renforcée par des extraits du dernier chapitre du livre (Prov. 31) dressant le portrait de la « femme vaillante ». Comme cette dernière, Marie « ceint ses reins par la force et affermit ses bras » (Prov. 31, 17) : « force et honneur sont sa parure » (Prov. 31, 25). Une nouvelle fois, Marie-Tour de David apparaît forte et puissante, anéantissant ses ennemis et remportant d’écrasantes victoires. On notera par ailleurs que la liturgie est elle aussi un précieux réservoir pour qui veut convaincre de l’existence d’une Vierge belliqueuse et destructrice. Ainsi le texte Gaude Maria Virgo – à la fois antienne, répons et trait – loue Marie comme celle qui « seule a détruit toutes les hérésies du monde entier74 ». En Occident, l’usage de cette pièce, probablement née en Orient, remonte au moins au ixe siècle75. Présente dans le Psautier de la Vierge attribué à Bonaventure qui se répand au xve siècle, elle est également insérée dans le Bréviaire romain lors de la réforme liturgique de Pie V76. Elle est alors chantée dans l’Office de la Vierge comme antienne aux matines chaque mercredi et chaque samedi de l’année liturgique, avant et après le Psaume Cantate Domino (Ps. 95). L’antienne, toujours liée au chant du psaume Cantate Domino, est aussi reprise au troisième nocturne des matines dans le commun des fêtes de la Vierge. Le texte apparaît toutefois également comme répons au troisième nocturne des matines de la fête de l’Annonciation (25 mars) et de celle de l’Archange Gabriel (24 mars). La dernière partie du texte, cunctas haereses sola interemisti, se rencontre également dans la quatrième lecture des matines de l’office pour la fête du Rosaire, instaurée en 1573 par Grégoire XIII à la suite de la victoire de Lépante. On remarquera que dans le Missel romain, le texte sert de trait à la messe votive Sancta Maria, depuis la Septuagésime jusqu’à Pâques77.

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Gaude Maria Virgo cunctas haereses sola interemisti in universo mundo. Sur cette pièce liturgique, voir Aquilinus Emmen, O.F.M., « Cunctas haereses sola interemisti. Usus et sensus huius encomii B. M. Virginis in liturgia, theologia et documentis pontificiis », dans Maria et Ecclesia. Acta congressus mariologici-mariani in civitate Lourdes anno 1958 celebrati, vol. 9, Rome, Pontificia Academia Mariana Internationalis, 1961, p. 93-152. 76 On se souviendra que les diocèses belges dépendant de l’archevêché de Cambrai (Saint-Omer, Arras, Tournai et Namur) ont été invités à adopter le rite romain réformé lors du synode provincial de 1586 réuni à Mons (Concilium provinciale Cameracense in oppido Montis Hannoniae habitum, anno Domini MDLXXXVI, Mons, Charles Michel, 1587, tit. III, cap. I). Tournai ordonne l’application des décrets provinciaux en 1600, Namur en 1604. Du côté de l’archevêché de Malines (Bruges, Ruremonde, Anvers, Ypres, Gand, Bois-le-Duc), l’usage romain est imposé lors du synode provincial de 1607 (Decreta et statuta synodi provincialis Mechliniensis, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1608, tit. XII, cap. V). La mesure est réitérée à Ypres en 1609, à Anvers en 1610, à Gand en 1613. 77 Nous remercions vivement Jean-Yves Hameline pour ses précieuses informations sur les usages liturgiques de ce texte. 75

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Ce texte liturgique est abondamment utilisé par la littérature mariale spirituelle et apologétique des Pays-Bas78. Les auteurs y recourent pour rappeler aux lecteurs dévots que la Vierge, mère du Christ Rédempteur victorieux du Mal, a non seulement combattu les hérétiques de tous les temps79 mais également les ennemis qui menacent alors la citadelle catholique. Les interprétations sont enflammées : sous la plume d’un jésuite comme Pedro de Bivero, prédicateur à la cour de Bruxelles, l’antienne enseigne que la Vierge, glaive au poing, poursuit l’ennemi avec acharnement. Le monde fourmille d’hérétiques, dit-il, seule la puissante Vierge chantée par la liturgie peut en venir à bout80. Dans un brûlant (et tardif) appel à la Croisade, le jésuite Léonard de Vaulx s’écrie à son tour : « Réjouis-toi Vierge Marie, qui as détruit seule toutes les hérésies dans le monde entier : écrase aussi celles de notre époque et ramène à toi la Terre Sainte, ton sol natal ! »81. Les exemples sont trop nombreux pour être énumérés. On se souviendra toutefois que George Colveneer fera glisser l’interprétation sur un plan politique. Au cœur de la guerre de Trente Ans, il se convainc que les princes catholiques, l’empereur, le roi d’Espagne doivent espérer la victoire sur leur ennemi car, affirme-t-il, « n’est-ce pas à propos de Marie que l’Église chante : Gaude Maria Virgo cunctas haereses sola interemisti in universo mundo ?82 ». Glorifiée comme Armée bien rangée, chantée comme Tour de David, célébrée comme celle qui a détruit toutes les hérésies, Marie foule aux pieds le diable tentateur et protège l’Église de ses ennemis. Pedro de Bivero se fondant sur ces titres d’exaltation, dira de Marie qu’elle a un « nom militaire » et que, « toute belliqueuse et guerrière », elle mène les troupes d’anges armés de lumière pour faire la guerre au prince des ténèbres et à ses partisans83. Le recours à un tel champ lexical pour célébrer la Vierge est récurrent dans la littérature mariale moderne. Ces épithètes sont devenues des poncifs d’une prose spirituelle qui célèbre Marie comme l’active championne de la foi catholique. La figure d’une Vierge victorieuse est donc

78 Il fait plus rarement l’objet d’interprétations théologiques, si ce n’est celle de François Sylvius, « Oratio XIII inter Duacenses a. 1619 : Quo modo B.V. Deipara cunctas haereses sola interemerit », Opera omnia, t. V, Venise, 1726, 87b-90b. 79 Augustin Wichmans, Sabbatismus Marianum…, op. cit., Anvers, 1628, c. 2. 80 « Contra haereses rebelles lumini gladium, adhuc ignitum, adhuc ardentem servat & educit : Gaude Maria Virgo cunctas haereses interemisti in universo mundo » et « Hoc ipso gladio evaginato insequitur hostes Ecclesiae, & eorum haereses perimit : cum in eius commendationem eadem Ecclesia fateatur : Cunctas haereses sola interemisti in universo mundo » (Pedro de Bivero, De sacris privilegiis ac festis Magnae Filiae, Sponsae et Matris Dei argumenta selecta concionum accesserunt, S.S. Ioachimus, Anna et Iosephus, Anvers, Martin Nutius, 1638, p. 124 et 190). 81 « Gaude Maria Virgo quae cunctas haereses sola interemisti in universo mundo : has quoque nostri aevi interime ; assere tibi Terram Sanctam, quasi tuum Natale solum » (Léonard de Vaulx, Bellum sacrum ecclesiae militantis contra turcum communem hostem christianorum, Liège, Guillaume Henry Streel, 1685, p. 196-197). 82 « Nisi ab ea, de qua canit ecclesia : Gaude Maria Virgo cunctas haereses sola interemisti in universo mundo ? » (G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., 1638, vol. 1, f. o7r°). 83 « Nomen militare : […] Quae est ista, quae progreditur quasi aurora consurgens, pulchra ut luna, electa ut sol, terribilis ut castrorum acies ordinata ? Tota bellicosa & militaris est ritu caelorum […] Contra huius mundi principem, legiones, & acies tenebrarum sufficit una illuminatrix Virgo, quae longe praestat choris omnibus spiritalium castrorum […] Potens illuminatrix ad terrendos & illuminandos omnes hostes, sed simul ad recreandos & illuminandos eos qui eius castra sequuntur, ut arma lucis induantur, & armari contra sectatores tenebrarum bellum gerant » (P. de Bivero, De sacris privilegiis Magnae Filiae, Sponsae et Matris Dei…, op. cit., p. 162).

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ancrée dans les esprits et les cœurs dévots : Marie terrasse le diable, écrase l’hérésie et démontre une claire « adresse martiale à conduire les armées de Dieu84 ». Il est dès lors aisé, vu qu’elle défie l’ennemi invisible, de la montrer en train de pourfendre également les ennemis « visibles ». Puisqu’elle s’attaque avec succès au démon, la puissante guerrière remportera, à plus forte raison, de pareilles victoires sur les adversaires temporels85 : la Reine des Immortels écrasera les ennemis mortels86. Du serpent à l’hérétique, de l’agression spirituelle à l’invasion matérielle, le pas est commodément franchi et le glissement peu périlleux… Ainsi, l’Immaculée Conception, très largement répandue dans les milieux populaires malgré la difficile élaboration doctrinale que l’on sait, sera abondamment invoquée en contexte de guerre. Le mystère assure la victoire de Marie sur le péché originel et la tentation diabolique : Marie est intouchée et intacte. L’Immaculée est dès lors utile à qui veut assurer la plus totale intégrité du pays. La Vierge de Victoire fusionne ainsi avec la figure de l’Immaculée Conception pour triompher de l’ennemi. Il est intéressant, à ce titre, de se souvenir des propos du franciscain irlandais Luke Wadding (1588-1657), conseiller d’Antonio de Trejo et chroniqueur des différentes entreprises de la légation espagnole envoyée auprès du Saint-Siège pour obtenir la définition immaculiste87. Dans la dédicace qu’il adresse au jeune Philippe IV, il associe les noms de l’infante Isabelle et de Ferdinand II, représentants de la maison d’Autriche, parmi les soutiens actifs obtenus par la monarchie espagnole et rappelle, immédiatement après les avoir cités, le « patronage héroïque de la Vierge puissante, terrible pour les ennemis et les démons88 » : Et Dieu et sa mère n’ont-ils pas donné des signes très clairs en ces temps, son image ayant été apportée et son aide pieusement invoquée, que les ennemis très féroces avec leurs innombrables troupes sont battus ? les très nobles royaumes de Bohème et de Hongrie, avec toutes les vastes provinces, n’ont-ils pas été rendus à leur roi légitime ? les régions ennemies n’ont-elles

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François Poiré, S.J., La triple couronne de la bienheureuse Vierge Mère de Dieu tissu de ses principales Grandeurs d'Excellence, de Pouvoir & de Bonté et enrichie de diverses inventions pour l'aimer, l'honorer & la servir, Paris, Sébastien Cramoisy, 1633 (2e éd.), p. 153. 85 « Hinc etiam potuerunt cognoscere beatam Virginem egregiam esse Bellonam, quae non solum diabolum, sed etiam frequentissime hostes visibiles profligauit », (G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., vol. 1, f. o7r°) ou encore « Défense des siens contre les ennemis visibles et invisibles » (Maximilien Lenglez M., O.F.M., L'eschole de la Vierge Marie en laquelle elle enseigne l'art de l'aymer, servir et imiter ses vertus, Mons, François de Waudré, 1636 (2nde éd., Namur, chez les Pères Récollets, 1652)). 86 « Novum opitulationis Marianae genus, adversus mortales utriusque hostes, Immortalium Regina prodire » (Jacques d’Amiens, S.J., Bellum germanicum pro Ferdinandis II et III Caesaribus ab Deipara per eosdem in exercituum suorum supremam ducem electa gestum : Leopoldo Guillelmo archiduci Austriae &c. dicatum, Douai, Jean Serrurier, 1648, dédicace à Léopold-Guillaume, f. a2r°). 87 Luke Wadding, O.F.M., Presbeia sive Legatio Philippi III et IV Catholicorum Hispaniae Regum ad SS. DD. NN. Paulum et Gregorium XV de definienda controversia Immaculatae Conceptionis B. Virginis Mariae per illustrissimum & reverendissimum Dom. D.F.Antonium a Trejo Episcopum Carthag[enensem], Louvain, Henri Hastens, 1624. La première approbation date de janvier 1622. L’ouvrage connut une réédition à Anvers en 1641. Luke Wadding ne se désintéressa pas de la question à la fin de sa mission et publia par la suite l’Immaculatae conceptioni Beatae Mariae Virginis non adversari eius mortem corporalem opusculum, Rome, Nicolo Angelo Tinassi, 1655. 88 « Ex tam heroico Potentis Virginis, Hostibus & Daemonibus ipsis terribilis, Patrocinio » (L. Wadding, O.F.M., Presbeia sive Legatio Philippi III et IV…, op. cit., f. *iiiir°).

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pas été très justement et très courageusement soumises aux auspices impériaux et catholiques par de très grands chefs de guerre ? Ô très célèbres victoires très dignes des nouveaux Constantin, des nouveaux Théodose, des nouveaux Charlemagne, obtenues par le culte et la vénération à la Vierge89 !

Dans cette dédicace, Vierge de Victoire et Immaculée Conception se confondent pour la plus grande gloire de la dynastie des Habsbourg. Celle qui a terrassé le mal, terrassera à son tour les « ennemis féroces » qui s’opposent à la légitimité de la maison d’Autriche. On comprendra dès lors pourquoi, en 1639, lors de l’exposition annuelle des affixiones, un élève de la classe de rhétorique collège jésuite de Bruxelles, Philippe Rycquaert, rédige le poème suivant pour accompagner un emblème destiné à louer l’Immaculée Conception : Nemo, iubeo, nemo Dominam meam tangat Nemo profanus, nemo tangat impune : Monet Philippus, Virginis monet Gnatus, Leo Brabantus et Leo Tribus Iudae. Nemo Philippus Belgium, Dei Matrem Nemo profanus, nemo tanget impune90 .

Comme aucun ennemi impie n’a été capable de toucher la Mère du Christ, Lion de Judas, personne ne réussira à toucher le Belgium de Philippe IV, Lion de Brabant. Les troupes espagnoles viennent alors de repousser les armées de Frédéric-Henri de Nassau à Calloo : l’élève attribue la victoire du monarque à la puissance de l’Immaculée91. On ne s’étonnera pas plus que l’abbé de Montserrat, Dom Francisco Crespo, ainsi que le jésuite madrilène Juan Eusebio Nieremberg, aient fait de la Vierge, sous le titre de son Immaculée Conception, l’origine des victoires militaires de Don Juan d’Autriche tant dans la péninsule ibérique que dans les Pays-Bas dont il se voit confier la direction. La Vierge est victorieuse du mal. Pour ses dévots, elle devait l’être aussi des princes ennemis. C’est donc en jouant avec de telles références bibliques, liturgiques et doctrinales que se construit progressivement la Bellatrix Regina qui soutient les catholiques en temps de guerre92. D’autres fondements,

89 « Et annon, clarissima signa Deus & Diva dederunt hisce temporibus, dum praelata huius imagine, & auxilio pie invocato, ferocissimi subito Hostes cum innumeris copiis sunt debellati ; nobilissima Bohemiae, Hungariaeque Regna cum amplissimis Provincis Legitimo Regi restituta ; Perduellium regiones iustissime, fortissimeque Caesareis & Catholicis auspiciis a Maximis Ducibus subiugatae ? O Victorias celeberrimas, Novis Constantinis, Novis Theodosis, Novis Carolis Magnis dignissimas, D. Virgini Cultu & Veneratione impetratas ! » (L. Wadding, O.F.M., Presbeia sive Legatio Philippi III et IV…, op. cit., f. *iiiir°-v°). 90 K.B.R., Ms. 20, Emblematici flores e vita deiparae decerpti versibus et symbolis coronariis intexti ab rhetoribus et poetis Collegii Bruxel. MDCXXXIX. 91 Karl Porteman, Emblematic exhibitions (affixiones) at the Brussels jesuit College (1630-1685), Turnhout, Brepols, 1996, p. 88-89. 92 On remarquera que ces références spirituelles pour forger une Vierge protectrice contre l’ennemi de guerre se maintiennent longtemps. Ainsi, après la bataille de l’Yser, on vit circuler des images pieuses où la Vierge, surmontant le fleuve, était invoquée dans les termes suivants : « O Marie Notre Mère vous êtes terrible comme une armée rangée en bataille » (Musée en Piconrue, Imagerie pieuse, inv. C20020820514). De la même manière, toujours lors de la Première Guerre mondiale, des petits feuillets volants ont représenté des soldats agenouillés devant la Vierge assise sur un trône et louée comme « Notre-Dame des Armées » (Musée en Piconrue, Imagerie pieuse, non inventorié).

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cependant, étayent également la conviction que la Vierge peut servir celui qui veut triompher sur les champs de bataille.

Références historiques La tradition draine quantité de récits de victoires militaires obtenues par l’aide de la Vierge. Les calendriers marials, réservoirs presque infinis des prodiges de la Mère de Dieu, aiment en particulier à les multiplier93. La Vierge est aux côtés des empereurs byzantins face aux Perses, Sarrasins et autres Avars. Elle flotte sur les étendards victorieux du roi Ethelred d’Angleterre. Elle aide les Rois Catholiques, Ferdinand et Isabelle, à mener à bien leur reconquête sur les Maures. Elle soutient Philippe Auguste contre ses ennemis flamands, anglais et allemands à Bouvines et épaule Maximilien Ier contre ses adversaires français à Enguinegatte. Elle sauve Tournai des Anglais, Chartres des huguenots, Paris des Normands et Cambrai des Hongrois. Marie est victorieuse, en tout lieu et toute époque, pour qui sait se montrer dévot. La déconstruction spatio-temporelle inhérente à la structure même du récit calendaire fait apparaître la figure de manière récurrente tout au long du développement et l’impose comme une évidence au lecteur. Grâce au mécanisme de la constante répétition, celui-ci retiendra, au-delà des singularités de chaque victoire, la toute-puissance permanente de Marie. George Colveneer multiplie d’ailleurs à tel point les récits de ces victoires qu’il présente son Kalendarium comme « utile pour les chefs des armées et les militaires94 ». Ceux-ci, instruits par leurs aumôniers et confesseurs de ces succès marials, imploreront l’aide de la Vierge devant l’adversaire et obtiendront pareils triomphes95. Colveneer espère fermement qu’à l’image de ses nombreuses interventions sur les champs de bataille qu’il n’a de cesse de décrire, la Vierge vienne de nouveau apaiser les troubles que connaissent alors les États catholiques face à l’hérésie protestante jugée rebelle96. Histoire et tradition offrent donc à leur tour des modèles de Vierge dont la force et la puissance se manifestent au cœur des conflits armés. La Nikopoia byzantine La référence historique apparaissant avec la plus fidèle constance dans les récits exaltant la Vierge belliqueuse est indéniablement l’antique Nikopoia byzantine. La procession

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A. de Balinghem, Ephemeris seu Kalendarium…, op. cit., 1629, passim ; G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., 1638, passim ; T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, passim. 94 « Recensentur in hoc opere plures insignes victoriae B. Virginis ope obtentae, proinde proderit quoque ductoribus exercitus ac militibus » (G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum, […]. Opus theologicum, historicum, & morale, omnibus theologis, pastoribus, concionatoribus, & ducibus exercitus magno usui futurum…, op. cit., 1638, vol. 1, f. o7r°). Nous soulignons. 95 « Dum intelligentes a suis confessariis aut capellanis, praeclaras illas victorias, eius intercessione reportatas, animos eorum accendent ad auxilium ipsius implorandum, & similes victorias, praesertim contra haereticos & iuratos fidei & Deiparae Virginis hostes, obtinendas » (Ibidem). 96 Ibidem.

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de Lille en 1645 l’a montrée aidant les Empereurs d’Orient à remporter la victoire et les calendriers en font un de leurs principaux arguments. La Madone Nikopoia ou Nikopeia, cette Vierge « réalisatrice de Victoire », est initialement un type iconographique apparu dans la première moitié du ve siècle : il représente Marie, assise sur un trône dans une position frontale, couverte de la pourpre impériale, le pied sur un tabouret et l’Enfant contre son sein. On pourra s’étonner que ce type, qui n’a rien de guerrier, ait pris ce nom victorieux. L’histoire veut en réalité que, au début du viie siècle, l’empereur Heraklios emmena de Carthage à Constantinople une icône de cette Madone lorsqu’il renversa Phocas du siège impérial. Elle rapporte aussi que la victoire sur les Avars et les Slaves en 626 a été remportée à la suite des prières adressées à cette même icône. La Madone « nicéphore » supplante alors définitivement la divinité Tuchê, protectrice païenne de la cité, et devient l’efficace patronne tutélaire de Constantinople. L’icône fut emportée par les Vénitiens lors du siège de 1204 et disparut par la suite97. Le type iconographique s’était toutefois très largement répandu puisque cette Vierge hiératique avait été frappée sur les monnaies et les sceaux de Byzance. Son image est dès lors régulièrement suspendue aux murailles de la ville et nombreuses sont les victoires qui lui sont attribuées. Nos auteurs, et Colveneer en particulier, puiseront abondamment dans la manne d’exemples qu’offrent les traditions byzantines : multiples sont les récits qui mettront en scène cette puissante Madone de Constantinople98. Ils permettent de faire connaître une Vierge triomphatrice des ennemis de l’empereur chrétien dont les Habsbourg réclament l’héritage. Les commémorations locales : Vierges de Victoire et victoires du prince Suivant l’exemple byzantin, une série de traditions locales vont à leur tour intégrer le récit des exploits d’une Vierge créatrice de victoires. Églises et écrivains locaux s’emploient à célébrer et commémorer pléthore de succès militaires anciens attribués à Marie. À Ypres, Onze-Lieve-Vrouw van Tuyne est fameuse pour avoir sauvé la ville de la présence anglaise en 1383 alors que, selon la légende, le lieu n’était entouré que de haies épineuses. Une procession annuelle assez importante est organisée chaque premier dimanche du mois d’août, appelé « jour des haies », pour commémorer l’événement et fêter cette délivrance99. La cérémonie anniversaire est encore renommée au xviie siècle100. Les habitants de Bruges,

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Norbert Schmuck, « Nikopoia », dans R. Baümer et L. Scheffczyck (éds), Marienlexikon…, op. cit., t. IV, 1992, p. 630-632. 98 François Coster, Waerachtige historien stichtighe exempelen ende sekere miraculen in verscheyden landen ende tijden gheschiedt van de H. Moeder Godts Maria, ende tot heurder eeren uyt vele loffelijcke Autheurs vergadert, Anvers, Jérôme Verdussen, 1615, p. 36-37 ; A. de Balinghem, Ephemeris seu Kalendarium…, op. cit., 1629, passim ; A. de Balinghem, La toute-puissante guerriere…, op. cit., 1625, passim ; G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., 1638, passim ; T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, passim. 99 G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., vol. 2, f. 86v° et suiv. – Selon George Colveneer, Adrien Scriekius aurait rédigé en néerlandais une histoire de ce siège, de la libération de la ville et de l’instauration de la procession dans un ouvrage paru en 1610 puis traduit en latin mais nous n’en avons trouvé aucune trace. 100 « Tam celebris autem est haec processio generalis hodie » (G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., vol. 2, f. 87v°).

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de leur côté, maintiennent depuis 1304 une procession où ils fêtent le puissant soutien de la Vierge lors de la bataille de Mons-en-Pévèle, près de Douai. À l’issue de ce combat, Flamands et Français sont chacun convaincus de leur victoire. Les Flamands, cependant, se retirent chez eux et Philippe IV le Bel, resté seul sur le champ de bataille, se proclame vainqueur. L’historiographie française retient donc le triomphe de la France tandis que les Flamands, à Bruges notamment, continuent à célébrer leur propre victoire qu’ils attribuent à la Vierge en organisant chaque année à l’Assomption cette importante procession101. À Bruxelles, depuis la fin du xvie siècle, la très importante fête annuelle de l’Ommegang, organisée autour de la Vierge du Sablon le dimanche qui précède la Pentecôte, est présentée comme une commémoration de la bataille remportée en 1288 à Worringen, au nord de Cologne, sur le Rhin, par Jean Ier duc de Brabant102. Celui-ci avait acheté les droits sur la succession du duché de Limbourg que revendiquait Renaud, comte de Gueldre. L’un et l’autre, bien décidés à faire valoir leurs prétentions dans cette difficile succession, se lancent dans une longue guerre. En 1288, le Brabançon attaque l’archevêque de Cologne, allié de son adversaire et remporte la victoire après avoir, dit-on alors, imploré l’aide de Marie. Cette interprétation de la procession civique, événement majeur de la vie municipale bruxelloise, est longtemps demeurée inconnue et surgit sous la plume de Jean Molanus dans son édition du martyrologe d’Usuard en 1568103. Jusque-là, il semble que l’Ommegang ait été en réalité l’occasion de célébrer l’arrivée à Bruxelles de la statue miraculeuse du Sablon qu’honorait la guilde du Grand Serment des Arbalétriers104. La légende voulait en effet qu’elle ait été initialement vénérée à Anvers à partir du xie siècle puis enlevée au milieu du xive siècle par une dévote du nom de Beatrix Soetkens sur l’injonction de la Vierge elle-même. Elle conduisit alors à Bruxelles la statue qui fut installée, sur ordre du duc Jean III, dans l’église du Sablon que celui-ci avait fait construire pour l’occasion. Avec Jean Molanus, l’explication change et c’est désormais à la célébration de la Vierge victorieuse à Worringen aux côtés du duc Jean que l’on attribue l’organisation de l’événement : Locre, Le Mire, Balinghem, Wichmans,

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Ph.-Fr. Taisne, S.J., Onse Lieve Vrauwe van Potterye…, op. cit., 1666, p. 46. Sur l’ommegang bruxellois en général, voir M. Soenen, « Fêtes et cérémonies… », op. cit., p. 72-77 ainsi que René Meurant, « L’ommegang de Bruxelles », Crédit Communal de Belgique. Bulletin trimestriel, n° 48, 1959, p. 61-67 ; sur l’ommegang de 1615 qui connut un éclat particulier parce que l’archiduchesse Isabelle y fut célébrée comme Reine de la guilde des Arbalétriers, voir M. Thofner, « The court in the city… », op. cit., p. 184-207 ainsi que ainsi que Sabine van Sprang, Les 'Festivités du papegai en 1615 à Bruxelles' de Denijs van Alsloot (1568?-1625/1626) et de son atelier. Analyse et mise en contexte d’une suite de tableaux commandée par les archiducs Albert et Isabelle, Thèse de doctorat inédite, Université Libre de Bruxelles, 2006. 103 « Bruxellae p. commemoratio beatae Mariae gloriosam victoriam, quam hac die apud Vuerong habuit Ioannes, huius nominis primus, Lotharingiae, Brabantiae, & Lemburgiae Dux » (Jean Molanus, Usuardi martyrologium, quo Romana Ecclesia ac permultae aliae utuntur : iussu Caroli Magni conscriptum ex Martyrologiis Eusebii, Hieronymi, Bedae, & Flori, ac aliunde, Louvain, Jérôme Welle, 1568, f. N6v°). 104 « Hazese aquella Procession cada año en memoria de una devotissima y antiquissima ymagen, que tienen de nuestra Señora en un templo muy sumptuoso, que llaman d’el Sablon » (Juan Cristobal Calvete de Estrella, El felicíssimo viaie d'el muy alto y muy Poderoso Príncipe Don Phelippe, Hijo d'el Emperador Don Carlos Quinto Máximo, desde España a sus tierras de la baxa Alemaña, con la descripción de todos los Estados de Brabante y Flandes. Escrito en quatro libros, Anvers, Martín Nutius, 1552, livre II, 74-78). – M. Thofner, « The court in the city… », op. cit., p. 191. 102

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Colveneer et Bridoul reprennent à leur tour la grille de lecture de Molanus et donne à la cérémonie le nom de fête de Notre-Dame de la Victoire105. L’image d’une Vierge victorieuse s’offre donc aux Bruxellois et s’ancre dans l’inconscient des uns et des autres qui chaque année célèbrent sa puissance séculaire. Il faut remarquer, avec Margit Thofner, que dès lors qu’émerge cette interprétation, la procession devient non plus la commémoration annuelle d’un miracle passé mais une véritable parade ducale, une célébration en l’honneur des princes à la tête du Brabant en souvenir de la victoire obtenue par leur prédécesseur sur les bords du Rhin106. La fête de Notre-Dame de la Victoire est alors l’occasion d’associer étroitement les prouesses militaires du pouvoir ducal – qui incarne aussi, à cette époque, le pouvoir central des Pays-Bas – avec le soutien entier que la Vierge est censée lui démontrer depuis de longs siècles. Il est intéressant à ce titre de prendre en considération le long cortège que coordonnent les jésuites le 30 mai 1688 pour célébrer le quatre centième anniversaire de la victoire et commémorer l’événement en présence du marquis de Castañaga, gouverneur-général dans le pays pour le roi Charles II107. Le défilé se fait en trois « sorties » ou « cavalcades » qui alignent les « expositions » ou « chars ». Le but de l’événement est clairement annoncé par l’étendard qu’arbore le portedrapeau de la ville en ouverture du cortège : il s’agit, pour le peuple de Bruxelles, de proclamer le triomphe séculaire du duc Jean et de la Vierge108. La procession tripartite est donc l’occasion, pour les jésuites bruxellois, d’opérer une relecture de l’histoire brabançonne sur un mode marial et monarchique109. La première sortie est ainsi une véritable ode à la Vierge : célébrée par le verset 6, 10 du Cantique des cantiques, Marie est l’Aurore qui se lève, belle comme la Lune, brillante comme le Soleil, terrible comme les armées bien rangées des camps. Se suivent quatre groupes de six élèves déguisés en anges : chacun arbore un emblème articulant un titre à la louange de la Vierge, une allégorie peinte et une courte inscription. Le premier groupe, qui loue Marie sous le titre d’Aurora consurgens, aligne ainsi six titres où la Vierge est exaltée comme celle qui a fait fuir les ennemis du duc Jean, a supprimé les calamités de la guerre et a obtenu la paix pour le duché de Brabant auquel elle a rendu sa splendeur. Les pièces peintes représentent l’Aurore repoussant l’obscurité, chassant les bêtes sauvages ou appelant le jour tandis que les inscriptions rappellent que quand l’Aurore vient,

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F. de Locre, Maria augusta virgo deipara…, op. cit., 1608, p. 662 ; A. Le Mire, Fasti belgici…, op. cit., 1622, p. 284 ; A. de Balinghem, Ephemeris seu Kalendarium…, op. cit., 1629, p. 280 ; A. Wichmans, Brabantia mariana…, op. cit., 1632, p. 108-109 ; G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., 1638, vol. 1, f. 382r° ; T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, vol. 1, p. 454. 106 M. Thofner, « The court in the city… », op. cit., p. 191. 107 Vier-hondert-jarighen zeghen-prael naer den gheluckighen slagh van Woeringhen door Joannes, van dien naem eersten Hertogh van Brabandt, met bynaem den overwinner, den 30 mey in’t jaer ons Heeren mddlxxxviii wordt verthoont door de Schole-jongheydt van de P. der Societeyt Iesu, den xxx mey op den Kermis-verjaerdagh mdclxxxviii onder de Regheringhe van den alder-uytnemensten Heere, Franciscus Antonius de Agurto, Marquis de Gastañaga, Ridder van het Orden van Alcantara, voor den Catholijcken Koningh Reghherder der Nederland aen den wlecken deser vier-eeuwighe vreught wort toe-ge-eyhent van de konincklycke stadt van Brussel, Bruxelles, Pierre Cleyn, 1688. 108 « S[enatus] P[opulus]Q[ue] B[ruxellensis] / Virgini et Ioanni / saecularem triumphum » (Idem, p. 3). 109 P. de Ridder, « De herdenking van de slag van Worringen in 1688 », dans R. van Elslande (éd.), Vriendenboeck Dr. Gaston Renson, Bruxelles, 1979, p. 199-203 ; M. Soenen, « Fêtes et cérémonies… », op. cit., p. 76.

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ses ennemis fuient. Les emblèmes portés par le groupe suivant montrent la Vierge conduisant Jean dans les ténèbres comme la lune est lumineuse dans la nuit ou donnant vigueur au Brabant comme la lune féconde les champs. De son côté, la Vierge-Soleil apporte au Brabant éclat et gloire. Le dernier groupe, enfin, affiche six emblèmes dont les titres font de la Vierge une Reine qui règne en se battant et en protégeant les siens tandis que sont peints sur ces tableaux boucliers, cuirasses, étendards militaires, sceptres de commandement et autres instruments de guerre. La suite de cette première sortie continue à jouer sur ces quatre figures mariales de l’Aurore, de la Lune, du Soleil et de la Générale des armées pour rendre gloire à la Vierge de Victoire. Les spectateurs peuvent ainsi admirer des guerriers menés par le Lion de Brabant pendant que le duc Jean se bat sous le commandement marial. Le dernier char rappelle à tous différentes victoires militaires auxquelles la Vierge aurait présidé pour Godefroi de Bouillon à Antioche, Charles Quint à Tunis ou Philippe II à Lépante. La sortie suivante fait le portrait d’un duc Jean Ier vertueux et ardemment dévot. La troisième cavalcade, enfin, rassemble les élèves du collège figurant la longue succession des princes à la tête du duché de Brabant depuis Jean Ier jusqu’à Charles II. Le programme rappelle que depuis Philippe le Bon, ces princes sont également les princes du Belgium uni. Les jésuites bruxellois glorifient donc le pouvoir ducal et monarchique : ils en célèbrent les pieux fondements qui le soutiennent depuis quatre siècles et que récompense une Vierge conquérante. Le roi-duc est un parfait prince dévot dont la légitimité est sanctionnée par Marie qui lui assure la victoire et, dès lors, la domination. Car c’est bien cela que proclame la procession : célébrer la puissance et la force mariale est une ode à la force et à la puissance habsbourgeoise. Cette stratégie de glorification de la Couronne espagnole par la commémoration du pouvoir conquérant de la Vierge n’est pas exceptionnelle. Sur le seul plan de l’expression cérémonielle, il est possible de dénombrer d’autres exemples éloquents, véhicules d’une même proclamation politique sur un mode marial. On se souviendra, ainsi, des célébrations anversoises de 1685 destinées à fêter le centième anniversaire de la libération de la ville de la présence protestante par les troupes d’Alexandre Farnèse au nom de Philippe II. Ce centenaire de la délivrance d’Anvers se célèbre en trois parties : sont érigés des arcs de triomphe partout dans la ville, est organisée une grande procession du saint sacrement et les jésuites se voient confier le soin de mettre sur pied une cavalcade formée de cinq gigantesques chars qui devaient représenter l’histoire de la conquête de la ville par les régiments espagnols et catholiques. Une description détaillée des arcs de triomphe et autres chars de procession chargés de soutenir visuellement le programme politico-religieux de la célébration a été publiée en néerlandais la même année par l’Anversois Hermann Franz van den Brandt : celui-ci fait de l’événement « une fête de triomphe pour honorer la Vierge Marie, défenderesse d’Anvers et protectrice digne d’éloges de son Altesse Alexandre Farnèse, duc de Parme110 ». Dans le chœur de la cathédrale a été dressée une première chapelle triomphale :

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Hermann Franz van den Brandt, Korte beschrijving van de triumph-arken en alle andere vreugde teekenen die te zien zijn binnen de stadt Antwerpen, opgericht, ende vertoont ten opzichte van de Hondert-iaerige gedachtenisse, die haere inwoonders in deze triumph-feest houden, ter eeren van de H. Maeget Maria, de besondere voorspraekersse van Antwerpen, en haeren lof-waerdigen voorstaender den over doorluchtigen Alexander Farnees hertog van Parma, Anvers, Augustin Graet, 1685.

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au sommet, la Vierge s’élève glorieuse, tenant en main une clé d’or que le duc de Parme lui a offert comme signe de reconnaissance pour son aide. De la voûte, pend le portrait de Charles II, roi d’Espagne et duc de Brabant. En dessous, Alexandre se tient debout sur le champ de bataille, au milieu de cadavres amoncelés et de pyramides d’armes abandonnées. Cette construction éphémère résume, à elle seule, le programme de l’événement, répété à travers la ville d’arc de triomphe en arc de triomphe. Devant la porte de la cathédrale, chez les dominicains, chez les jésuites de la maison professe, chez les carmes, chacun des arcs redit combien la Vierge est une reine de protection et de victoire, garante de la sécurité de la ville et de la stabilité du pouvoir espagnol. Les chars de la cavalcade jésuite se font à leur tour l’écho de cette exaltation. Richement ornés, animés par des centaines d’élèves du collège, tirés par des chevaux magnifiquement harnachés, les cinq chars forment chacun des théâtres ambulants et déploient, l’un après l’autre, l’argument suivant : Anvers, gémissant sous l’hérésie et la rébellion, a invoqué l’aide de la Vierge et a obtenu d’elle le soutien d’Alexandre Farnèse auquel Marie a donné le glaive de la victoire. Délivrée du joug protestant, Anvers a été rendue à Philippe II et à la religion catholique et a démontré, depuis, sa constante fidélité à Dieu et au roi d’Espagne. Dans les Pays-Bas, la Vierge de Victoire sert la cause des Habsbourg. La commémoration de ses exploits, même locaux, même anciens, doit chanter la louange de la Couronne qu’elle soutient visiblement. Lépante et la Montagne blanche : la Généralissime des armées habsbourgeoises La Vierge martiale qui prend corps dans les Pays-Bas est donc intimement liée à la dynastie habsbourgeoise. Elle se forge en réalité sur la Vierge de Victoire chère aux Habsbourg depuis la victoire de Lépante. En 1571, en effet, la victoire des troupes menées par Don Juan sur les flottes turques au large de la ville de Lépante est attribuée à la Vierge de Lorette qu’avait implorée le chef militaire. La Vierge devient alors l’expression de la domination de l’Église catholique et de la dynastie habsbourgeoise sur l’ennemi hérétique et connaît, sous le titre de « Notre-Dame de Victoire », un succès sans précédent. Elle est l’objet d’une profonde vénération des Habsbourg et de leurs alliés, les Wittelsbach de Munich, ainsi que le modèle interprétatif de leurs prouesses militaires. L’Église, de son côté, célèbre chaque année cette victoire mariale depuis que Pie V a institué la fête de « Notre-Dame de Victoire » inscrite dans le Martyrologe romain à la date du 7 octobre, jour anniversaire du triomphe111. À partir de 1573, Grégoire XIII fait également organiser, chaque premier dimanche d’octobre, la fête duplex du Rosaire : on célèbre alors, dans toutes les églises où se trouve un autel ou une chapelle du Rosaire, l’office double de la Vierge en souvenir de la victoire remportée par Don Juan avec l’aide des prières des confréries du Rosaire112. Partout dans l’Église catholique, à l’occasion de ces fêtes, les prédicateurs rappellent à leur auditoire le triomphe de Marie

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F. de Locre, Maria augusta virgo deipara…, op. cit., 1608, p. 667 ; A. Le Mire, Fasti belgici…, op. cit., 1622, p. 579 ; A. de Balinghem, La toute-puissante guerriere…, op. cit., 1625, p. 22 ; A. de Balinghem, Ephemeris seu Kalendarium…, op. cit., 1629, p. 536 ; G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., 1638, vol. 2, f. 280v°. 112 A. de Balinghem, La toute-puissante guerriere…, op. cit., 1625, p. 22 ; A. de Balinghem, Ephemeris seu Kalendarium…, op. cit., 1629, p. 525 ; G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., 1638, vol. 2, f. 243r° ; T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, vol. 2, p. 332.

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dans la mer Méditerranée113. On notera que dans les chapelles et sanctuaires de la très catholique Bavière, les statues de Notre-Dame de Victoire sont souvent représentées le glaive au poing114. Les Habsbourg et leurs alliés brandissent donc Marie comme étendard et l’érigent en Généralissime de leurs armées combattant les troupes protestantes. À la bataille de la Montagne Blanche, le 8 novembre 1620, les troupes de Buquoy partent à l’assaut en entonnant le Salve Regina selon les recommandations du confesseur du chef de guerre, le jésuite Henri Fitzsimon. Les armées impériales se jettent dans la bataille au cri de « Santa Maria ! » tandis que le carme déchaux Domenico di Gesù e Maria avive la colère et la rage vengeresse des catholiques contre l’adversaire protestant en brandissant au milieu du champ de bataille une icône mariale mutilée par une agression iconoclaste115. Certains crurent voir sortir de cette image des éclairs foudroyant l’ennemi. Le triomphe sur les révoltés de Bohème est donc attribué à Marie qui est une nouvelle fois proclamée, comme à Lépante, « Notre-Dame de Victoire ». Le contexte politico-religieux qui suit les événements de la Montagne blanche renouvelle alors la figure : la Vierge triomphant du Turc voit ses fonctions transférées vers un nouvel ennemi, le protestant de Bohème. Suite à cet événement décisif, Marie devient la Protectrice des États habsbourgeois et bavarois, le symbole du triomphe des Habsbourg et des Wittelsbach sur le protestantisme ainsi que la garante de leur domination. Les textes qui forgent une Vierge belliqueuse reprendront abondamment cette interprétation mariale que charrie la tradition au sujet des victoires habsbourgeoises116. Ils décrivent les processions organisées par le pape Pie V en l’honneur du Rosaire le jour du triomphe ainsi que les prières instituées par le même pontife dans le sanctuaire de Lorette pour que Marie soutienne la flotte habsbourgeoise. Ils rappellent le vœu qu’a prononcé Don Juan, chef des troupes catholiques, à Notre-Dame de Lorette et l’aide mariale qui s’en est suivie. Ils montrent également que cette Vierge de Victoire qui a triomphé à Lépante a continué à soutenir les Habsbourg au-delà de cet événement singulier au large des côtes

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Jean-Pierre Camus, « Pour le I dimanche d’octobre en la solennité du Rosaire de la saincte Vierge », dans ses Premières homélies diverses, Cambrai, imprimerie Jean de la Rivière, 1620, p. 250-283 ; Basilio Ponce de Leon, Sermon en la fiesta de la naval de Lepanto, Salamanque, Antonia Ramirez, 1620 ; Cristoforo de Avendano, O. Carm., « Sermon des victoires de la Vierge parmy lesquelles il se fait mantion de la bataille navalle qui fut faite dans la Mer de Lepante dans laquelle les Chrestiens mirent l’armée du Turc en desroute, & emporterent la victoire par le moyen de la devotion du sainct Rosaire », dans Marial ou sermons sur toutes les fêtes ordinaires, & extraordinaires de la Vierge, trad. par J. Verbiale, O. Carm., Paris, Louis Boulenger, 1632, p. 709 et suiv. ; Paul du Barry, S.J., « La feste de Nostre-Dame de la Victoire le VII d’octobre », dans ses Méditations sur tous les mystères qui se rencontrent en la vie de la ste Vierge mère de Dieu approprié pour chaque mois de l'année, 2nde éd., Paris, Florentin Lambert, 1653. 114 L. Châtellier, L’Europe des dévots…, op. cit., p. 22. 115 Olivier Chaline, La bataille de la Montagne Blanche (8 novembre 1620). Un mystique chez les guerriers, Paris, Éditions Noesis, 1999 ; H. Glaser et E. A. Werner, « The victorious Virgin… », op. cit., p. 141-151. 116 A. de Balinghem, La toute-puissante guerriere…, op. cit., 1625, p. 12-27 et Ephemeris seu Kalendarium…, op. cit., 1629, p. 525 ; G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., 1638, vol. 2, f. 243r° et suiv. ainsi que f. 280r° et suiv. ; T. Bridoul, Le triomphe annuel de N. Dame…, op. cit., 1640, vol. 2, p. 332-334.

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grecques. Antoine de Balinghem consacre la dernière partie de sa Toute-puissante guerrière à la piété de la maison d’Autriche et témoigne de l’appui que Marie a toujours offert à la dynastie dans les situations difficiles. Il appelle la Mère de Dieu à reprendre les armes pour la défense des Habsbourg en cette pénible époque117. De la même manière, le rôle marial dans la victoire de la Montagne Blanche est rapidement relayé auprès du lectorat belge grâce à l’ouvrage que consacre Aubert Le Mire à l’événement dès 1621118. George Colveneer rappellera à son lecteur l’efficacité du Salve Regina entonné par les troupes de Buquoy et l’effet miraculeux de l’icône brandie par le carme Domenico di Gesù e Maria119. En 1648, un autre jésuite, Jacques d’Amiens (1599-1650), dédie à Léopold-Guillaume un long poème « pour la plus grande gloire de Dieu et de sa Mère guerrière120 » : il chante les louanges du gouverneur à la tête d’une Belgique qu’il dit accablée par les guerres et fait de lui le seul régénérateur possible de cette « patrie languissante121 ». Ces vers exaltent le rôle conducteur de la Mère de Dieu à la tête des armées des empereurs Ferdinand II et Ferdinand III, père et frère du gouverneur, lors de la guerre de Trente Ans. Refusant les explications politiques et tactiques, d’Amiens préfère glorifier l’aide providentielle de la Vierge au cours de ces conflits122. Il montre comment celle-ci a été, dit-il, « arrachée au ciel » par la maison d’Autriche pour mener ses régiments et souligne l’efficacité de cette option insolite123. Il multiplie donc les lectures mariales des différentes prouesses militaires des chefs de guerre combattant pour les armées impériales et leurs alliées et loue le recours de Léopold-Guillaume à cette Vierge puissante qu’il a choisie comme chef de ses troupes à Laeken124. L’efficacité de la piété de Léopold-Guillaume à obtenir de la Vierge qu’elle libère son énergie belliqueuse au cœur de ses armées a souvent été célébrée. Lorsque le nouveau gouverneur-général vient prendre au mois d’avril 1647 le commandement des Pays-Bas, les jésuites du collège de Luxembourg lui offrent un livre de miracles de Notre-Dame Consolatrice

117 « Aussi est-il à esperer que ceste toute-puissante guerriere empoignera à bon escient les armes & l’escu pour la manutention, defense, accroissement & honneur de ceste maison qui a tousjours maintenu defendu & augmenté le sien » (A. de Balinghem, La toute-puissante guerriere…, op. cit., 1625, deuxième partie, avant-propos, p. 290). 118 Aubert Le Mire, De bello bohemico Ferdinandi II Caesaris auspiciis feliciter gesto commentarius ; ex quo seditiosissimum calvinianae sectae genium, & praesentem Europae statum licet agnoscere, Bruxelles, Jan Pepermans, [1621]. 119 G. Colveneer, Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum…, op. cit., 1638, vol. 1, f. 75r° et f. 334r° et vol. 2, f. 319v°. 120 « Ad maiorem Dei & Bellatricis Deiparae gloriam » (Jacques d'Amiens, S.J., Bellum germanicum pro Ferdinandis II et III Caesaribus ab Deipara per eosdem in exercituum suorum supremam ducem electa gestum : Leopoldo Guillelmo archiduci Austriae &c. dicatum, Douai, Jean Serrurier, 1648, p. 247). 121 « Tum vero vindicem Te praebuisti Belgis, qui ultores multos praestolati, vix unum senserant ; & qualem profecto, praeter Te, sperare vix possent. Adeo unus inueniri poteras ; qui Patriam divertissime languentem, multiplici luce tua vivide recreares » (Idem, dédicace à Léopold-Guillaume, f. a3v°). 122 Idem, avis au lecteur, f. e1r°. 123 « At illa vis tanta, Austriacorum Religionis propria est, elicere de Caelo imperantem illic Augustam ad humilem in Terras descensum, ductumque suae ipsorum militiae praestandum. […] Insolitae optionis confidentiam eis gratulati sunt boni » (Idem, dédicace à Léopold-Guillaume, f. a2r°-v°). 124 « Ita ver castris hoc etiam anno tuis arrisit ; nec Aestas, Autumnusve obnubilent, nisi (quam Lakenii Ducem illis optasti) malit Deipara Te, […] ad gloriam tendere » (Idem, f. a3v°).

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des Affligés, honorée dans la chapelle de pèlerinage dont ils ont la charge. Ce livret de pèlerinage est vraisemblablement l’épreuve manuscrite de l’ouvrage imprimé qui sortira l’année suivante des presses d’Hubert Reulandt, à Trèves125. Ce manuscrit contient une série d’images dont un important frontispice que le supplément de l’histoire du collège luxembourgeois décrit précisément126. Il a été peint par un artiste anversois et représente la statue de la Vierge Consolatrice, érigée sur un stylobate et marquée par les armes de l’Autriche. La statue darde des rayons. À ses côtés, se tient Léopold-Guillaume représenté en armes. Un génie lui tend un bouclier sur la surface duquel est projetée, par un jeu de lumières, l’ombre de la Vierge. Un phylactère explique qu’avec ce bouclier marqué par l’image de la Vierge, l’archiduc avancera mieux protégé tandis que sur le stylobate, des vers exaltent la détermination dont Marie fait preuve dans les armées du magnanime archiduc et érigent la Vierge en « Dux » très protectrice de ce dernier127. De la même manière, au mois de septembre, pour le traditionnel spectacle de fin d’année précédant les vacances scolaires, les jésuites de Gand font jouer par leurs élèves une représentation dramatique en l’honneur de l’efficacité militaire de la pietas mariana du nouveau gouverneur et de ses ancêtres128. La trame complète de l’intrigue nous est une nouvelle fois inconnue et c’est encore au titre qu’il faut se référer pour comprendre toute la portée d’une telle représentation. Marie y est exaltée comme la « Puissante Guerrière de la maison d’Autriche » : les élèves montrent comment elle a soutenu Philippe II contre les Maures, Don Juan contre les Turcs, Ferdinand II contre les révoltés de Bohème et, surtout, combien elle assure la victoire aux entreprises de l’archiduc Léopold-Guillaume. Loyauté aux Habsbourg et dévotion mariale se conjuguent donc sur les planches du collège : l’exaltation de la Vierge de Victoire est l’occasion de glorifier la dynastie souveraine.

Inte r pré tation s mar i ales des exploits militaires dan s les Pays-Bas Le possible rôle conquérant de la Vierge au bénéfice des Pays-Bas méridionaux s’affirme donc grâce aux traditions locales et, plus encore, à la faveur de l’activité pastorale jésuite, que les membres de la Compagnie agissent à coups de plumes et de traits littéraires ou par le biais de stratégies visuelles spectaculaires. C’est ainsi qu’en ce xviie siècle troublé

125 Graces et guerisons miraculeuses, que Nostre Dame de Consolation at eslargie à plusieurs affligez, en sa chapelle lés Luxembourg, bastie & dediée en son nom, par les PP. de la Compagnie de Iesus, depuis l’an 1624, jusques à l’entrée du présent 1648, Trèves, Hubert Reulandt, 1648 ou Wunderwerck und gnadenreich Häyllungen So unsere Liebe Frau die Trösterin in ihrer nechst bey Lutzemburg durch di Patres der Societet Jesu erbawten Capell von irhem Anfang her das ist vom Jahre 1624, bis ins jetzt angehendes 1648, Trèves, Hubert Reulandt, 1648. 126 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 37, f. 63v°, Historiae Collegii Luxemburgensis Societatis Iesu continuatio. 127 « Virgo, quod Austriaci tendis, in arma ducis ; / moenibus, immo animis, passim te Belga recepit, / Tutaque magnanimo Dux eris ipsa Duci » (Idem). 128 Marie, la Puissante Guerrière de la Maison d'Autriche, victorieuse en Philippe Second, Roy d'Espagne, contre les Mores, en Jean d'Austriche, contre les Turcqs, en Ferdinand Second Empereur, contre les Princes Hereticques, en l'Archiduc Leopolde, et enfin Triumphante de tous ses ennemis. Représentée par la Jeunesse du Collège de la Cie de Jésus, le 5 et 6 de septembre 1647, à Deux heures et demye, Gand, chez la veuve de Bartholomé Paul, in-4, 2 ff. (C. Sommervogel, « Bibliotheca mariana »…, op. cit., n°1314).

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et tragique, la Vierge que l’on exalte pour ses victoires militaires passées et ses traits belliqueux prononcés apparaît au-dessus des champs de bataille de la Belgique et vient en aide aux troupes malmenées. Les Pays-Bas font de Marie l’argument de leurs succès guerriers et lui donnent corps au cœur des dures réalités qu’imposent les luttes armées. En 1638, les troupes de Ferdinand d’Autriche remportent une série de succès militaires. Au nord, elles écrasent, en présence du gouverneur, les armées hollandaises à la forteresse de Calloo, érigée par Alexandre Farnèse sur l’estuaire d’Anvers et appelée Fort de SainteMarie129. Au sud, elles forcent les Français à quitter Saint-Omer où le collège jésuite et les congréganistes adultes ont imploré une à une les images sacrées de la Vierge honorées dans les églises et chapelles de la ville130. Dans la Franche-Comté ravagée et désespérée, elles libèrent la ville de Dole des assiégeants français. Très peu de temps après les événements, le prédicateur du cardinal-infant, le jésuite Pedro de Bivero, dans la dédicace à Ferdinand qui inaugure son inventaire des titres et privilèges de Marie comme Fille, Épouse et Mère, attribue ces victoires à la double assistance mariale et eucharistique pour le prince guerrier et loue la piété princière comme gage de victoire : Io ! Le Prince Ferdinand, Trois fois vainqueur, a érigé trois trophées À l’hostie sainte et à la Mère [de Dieu] trois fois favorables Et trois fois victorieuses131.

La Vierge et le Christ présent dans l’Eucharistie ont assuré les triomphes du gouverneur des Pays-Bas. Les deux principaux ressorts de la piété habsbourgeoise sont les fermes soutiens des prouesses militaires du représentant de la maison d’Autriche. L’interprétation continue. 1649, Léopold-Guillaume vient de perdre Lens. La défaite est grave et les pertes sont lourdes. Le gouverneur général comprend alors le profit qu’il doit tirer des troubles de la Fronde parisienne pour prendre sa revanche et recouvrer les placesfortes perdues. Au début du mois d’avril, les troupes espagnoles menées par le marquis de Sfondrati et par le comte de Fuensaldeña assiègent les places de Saint-Venant et d’Ypres occupées par les Français. Après de longs jours de siège, celles-ci se rendent, respectivement

129 « Arx mariana » (Famien Strada, S.J., De bello belgico. Decas secunda ab initio praefecturae Alexandri Farnesii anno mdlxxviii usque ad annum mdxc, Rome, chez les héritiers de Fr. Corbelletti, 1647, p. 314). 130 « Boni publici cura nos viros modo sed et pueros, ac potissimum scholasticos nostros movit illos ad sacras [icones] Beatissimae Matris » (A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 32, p. 140, [Litterae] Annuae 1638 Provinciae Gallo-Belgicae). 131 « Quandocuidem Celsitud[ina] V[estr]a avitae pietatis haeres sacrae Eucharistiae & gloriosae Dei genitrici tres insignes victorias ad Caloo, Odomarum & Burgundiam partas hoc anno millesimo sexcentissimo trigesimo octavo attribuit & ascribit. Ad huius igitur regiae pietatis munimentum perpetuum servit hoc chronographicum, & simul chronographica acclamatio : Io ter VICtrICI, / ter faVtrICI saCrae hostIae & pVerperae. / trIa trophaea erIgIt ter VICtor / FerDInanDVs prInCeps [1638]. […] Ergo age bellator princeps eucharistia, / & Virgine assistente vinces » (P. de Bivero, De sacris privilegiis Magnae Filiae, Sponsae et Matris Dei…, op. cit., dédicace à Ferdinand d’Autriche, f. †4r°).

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le 15 avril et le 8 mai132. À Ypres, la conviction est grande que la ville a été délivrée par l’aide de la Vierge du lieu, Onze-Lieve-Vrouw van Tuyne, célèbre pour l’avoir déjà sauvée de la présence anglaise en 1383. C’est donc assez logiquement que l’expulsion des Français en 1649 est attribuée à la même Vierge miraculeuse et libératrice. Une grande toile, détruite depuis la Première Guerre mondiale, lui est alors consacrée et suspendue dans l’église des récollets où elle est vénérée : on pouvait y voir la ville assiégée dominée par la Vierge, assise dans les nuages et protégeant ses habitants133. De la même manière, Antoine Sanderus, chanoine d’Ypres, gratifie la « Vierge des haies » de cette victoire. Il séjourne à Bruxelles au moment des événements et a été épargné par le siège. Le prolixe écrivain rédige cependant l’éloge de l’Espagne qui a délivré la ville du joug cruel des Français, l’adresse à Léopold-Guillaume et y exalte l’aide active et efficace de la Mère de Dieu qui a chassé les Français comme jadis elle avait expulsé les Anglais134. Il loue par ailleurs la piété et la ferveur du gouverneur général victorieux qui a incité la Vierge à agir pour le plus grand bénéfice de la ville135. La campagne de 1649 ne s’arrête pas à Saint-Venant et Ypres. Les Français, en effet, assiègent Cambrai à la mi-juin. Sous les ordres de Mazarin, ils creusent des tranchées, dressent des palissades, se disposent en quartiers. L’archiduc décide de passer à l’action pour sauver la ville la nuit du 3 au 4 juillet. Se lève alors, d’après les sources, un brouillard épais qui permet aux régiments espagnols de passer plus ou moins inaperçus, de prendre ainsi par surprise les troupes françaises et d’entrer sans trop d’encombre dans Cambrai136. Les armées du roi de France lèvent le siège et la victoire est, une nouvelle fois, attribuée à Marie. Le lendemain, à son arrivée dans la ville, l’archiduc Léopold-Guillaume va honorer l’icône de style byzantin de Notre-Dame de Grâce que conservait la cathédrale cambrésienne depuis le milieu du xve siècle et lui consacre sa victoire lors de somptueuses actions de grâce où la population locale afflue137. On aurait alors compté quelque onze mille participants.

132 « Relation des événements militaires arrivés aux Pays-Bas pendant les années 1648-1653, dictée par le comte de Fuensaldaña, commandant en chef de l’armée royale sous les ordres de l’archiduc Léopold-Guillaume. Bibliothèque nationale de Madrid, mss. T116 », dans L.-P. Gachard (éd.), Les bibliothèques de Madrid et de l’Escurial. Notices et extraits des manuscrits qui concernent l’histoire de Belgique, Bruxelles, 1875, p. 303-304. – J. Mertens, « De gehuldigde Krijgsheer », dans J. Mertens et Fr. Aumann (éds), Krijg en kunst…, op. cit., p. 77. 133 J. Mertens et Fr. Aumann (éds), Krijg en kunst…, op. cit., p. 211, n° II.2.24. 134 « Scilicet hoc etiam prisco debemus amori / Virginis in Cives, benefactis talibus olim / Moenibus instante quae clemens repulit hostem, / Anglorumque acies, atque horrida spicula fregit. / Haec te, Galle, fugat, summi vis Numinis haec est ; / Quae tua persequitur crudelia, & impia facta » (Antoine Sanderus, Epinicia Serenissimo Principi Leopoldo Guilielmo, Archiduci Austriae, duci Burgundiae, &c. Belgarum ac Burgundionum Gubernatori, pio, felici, victori, ob Ipram crudeli Gallorum jugo ereptam, & Catholico Regi Anno MDXLIX X Maii restitutam, Bruxelles, Jan Mommaert, 1649, p. 4). 135 « His Leopolde malis, his nos tua fervida virtus / Educit lacrymis, & laetos fundere soles / Incipit, & moestae spectacula vertere scenae. / Aut potius, Superis hunc proni demus honorem, / Sint Christi haec, sint Partheniae facta inclyta dextrae. / Et bene. Promeritas Christo transcribere palmas / Gestit, & ad sacram deponere Virginis aram / Magnanimus Princeps, propriis hanc frondib[us] ornat, / Virgineamque suo pangit de flore coronam » (Idem, p. 7). 136 « Relation des événements militaires arrivés aux Pays-Bas pendant les années 1648-1653… », op. cit., p. 306. 137 N. Avancin, Le prince devot et guerrier…, op. cit., 1667, p. 166. – L’icône est en réalité une copie italienne du début du xive siècle d’un prototype byzantin, acquise par la cathédrale en 1440 (Jean C. WIlson, « Reflections

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Figure 16 : Wenceslas Hollar, Magnae Virgini Dei hominis atque omnium gratiarum matri, gravure, 145 x 90 mm, publiée dans Jean Chifflet, De sacris inscriptionibus, quibus tabella D. Virginis Cameracensis illustratur, lucubratiuncula, in4, Anvers, imprimerie Plantin, Balthasar Moretus, 1649, f. B1, v°. - © K.U.Leuven, Maurits Sabbebibliotheek : 2-001547/B. Photo de l’auteur.

L’icône est ensuite portée en procession sur les remparts désertés par les Français, en présence du gouverneur138 . Des images pieuses exaltant l’intervention mariale dans la victoire et louant la piété de LéopoldGuillaume sont largement distribuées139. Se dirige par ailleurs vers Cambrai un immense cortège parti de Douai où les jésuites ont recensé huit mille personnes140 . Les congréganistes douaisiens avaient en effet fait le vœu de rendre grâce à la Vierge de Cambrai si la ville était sauvée des attaques françaises. Encadrés par sept pères de la Compagnie de Jésus, les participants avancent trois par trois en portant des cierges. À leur retour, sont organisées d’importantes dramaturgies destinées à célébrer l’événement : parmi les mises en scène, les dévots peuvent admirer des élèves équipés d’armes militaires portant en triomphe une représentation de la Vierge. Quelques jours plus tard, le prédicateur jésuite Jean Vincart – dont nous avons déjà longuement évoqué la fervente piété mariale – prononce en chaire un sermon sur « l’admirable puissance de la Mère de Dieu ». Peu de temps après, l’aumônier du gouverneur, Jean Chifflet (1614-1666), publie un ouvrage sur les inscriptions grecques qui marquent l’icône miraculeuse141. Il rédige la dédicace de son opuscule le jour de la fête de l’Assomption qui suit les événements et l’adresse à Léopold-Guillaume. Il y rebondit sur la récente victoire de l’archiduc et fait de

on St. Luke’s hand : icons and the nature of aura in the Burgundian Low Countriers during the fifteenth century », dans R. G. Ousterhout et L. Brubaker (éds), Sacred image East and West, Urbana, University of Illinois Press, 1995, p. 132-146). 138 Jean Chifflet, De sacris inscriptionibus, quibus tabella D. Virginis Cameracensis illustratur, lucubratiuncula, Anvers, imprimerie Plantin, Balthasar Moretus, 1649, dédicace à Léopold-Guillaume, p. v. 139 J. Mertens et Fr. Aumann (éds), Krijg en kunst…, op. cit., p. 212, n° II.2.26. 140 A.R.S.I., Gall.-Belg., vol. 35, f. 193v°, Litterae annuae collegii Duacensis 1649. 141 J. Chifflet, De sacris inscriptionibus…, op. cit., 1649.

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sa piété mariale la source de ses triomphes militaires142. Il décrit également la Vierge comme puissante dans la guerre, accompagnant les armées et forgeant les victoires143 : il érige Marie en Nikopoia pour l’archiduc et la Belgique144. Cette dédicace voit son message souligné et appuyé par la gravure qui l’accompagne, réalisée par Wenceslas Hollar, officiant alors dans les Pays-Bas (Figure 16)145. Le graveur y a représenté la Vierge byzantine honorée à Cambrai et derrière elle, à la place du traditionnel fond couvert à la feuille d’or, une vue de la ville assiégée avec ses fortifications et ses régiments. La légende accompagnant l’image célèbre à son tour le rôle libérateur de la Vierge : elle proclame la volonté mariale d’arracher à la domination française la capitale du Cambrésis et rappelle les cérémonies d’actions de grâce que Léopold-Guillaume a organisées en son honneur dans la cathédrale en guise de remerciements146. L’année suivante, le jésuite Otto Zylius, qui a déjà consacré un important ouvrage à Notre-Dame de Bois-le-Duc, publie un long poème sur la victoire remportée à Cambrai147. Il relit les événements à la lumière de sa ferveur mariale et met en scène la Vierge ordonnant aux éléments naturels de se mettre au service de Léopold-Guillaume : la lune dorée et les étoiles scintillantes disparaissent alors pour laisser la place à un ciel obscur. Il attribue à Marie l’origine du fameux brouillard salvateur qui a permis aux troupes du gouverneur général de vaincre l’ennemi. La Vierge protège les drapeaux de LéopoldGuillaume et offre ses faveurs aux citoyens assiégés148. Quand, en 1680, Johann Ludwig Schönleben entreprend de faire l’histoire de la pietas austriaca, il rappelle lui aussi la victoire de Cambrai et souligne non seulement le « génie marial » mais également la « piété eucharistico-mariale » de l’archiduc Léopold-Guillaume près des murailles de la ville149. Il affirme que le gouverneur a érigé une tour d’ivoire où étaient suspendues cinq mille hosties comme autant de boucliers de braves. D’aucuns ont lu ces quelques vers sous un angle trop

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« Pietas Tu in hanc Divam Austriacorum Tutelarem nemini non innotuit, atque adeo felicia tui regiminis tempora seu Bello, seu Pace novis in dies miraculis nobilitabit » (J. Chifflet, De sacris inscriptionibus…, op. cit., 1649, dédicace à Léopold-Guillaume, p. vii). 143 « [Leopoldum Guilelmum] comitatur Bellipotens Dei Mater suis armata inscriptionibus, quibus uti vere sacro carmine excelsisque Nominibus fascinata, & quasi panico, tametsi non iniusto terrore perculsa hostium acies fugam nuper arripuit » (Idem, p. vi). Nous soulignons. 144 « Tibi totique Belgio Nicopaea » (Idem, p. v). 145 Wenceslas Hollar, Magnae Virgini Dei hominis atque omnium gratiarum matri, gravure, 145 x 90 mm, publiée dans J. Chifflet, De sacris inscriptionibus…, op. cit., 1649, f. B1v°. 146 « Augustissimae gentis Austriacae divae tutelari ; Pacis amantium liberatrici ; impiis bella volentibus terribili, quod velut castrorum acies ordinata, cameracum obsidione iniquae Francorum dominationi ereptum voverit ; serenissimus archidux Leopoldus Guilielmus Belgii salus atque inter arma delicium, symphoniacis modulationibus vota solvit in aede metropolitana camerace IV julii A[nn]o MDCXLIX » (J. Chifflet, De sacris inscriptionibus…, op. cit., 1649, f. B1v°). 147 Otto Zylius, Cameracum obsidione liberatum a sereniss. Archiduce Leopoldo Guilielmo Belgii Burgundiaeque Gubernatore, Anvers, imprimerie Plantin, Balthasar Moretus, 1650. 148 « Tua signa teget mitissima Virgo / […] Hunc a Diva sperat favorem obsessi bello cives : huic credite muros » (Idem, p. 20-21). 149 « Omnia excedit ingenia / Ingenium Marianum Archiducis. / Ut servet Cameracensium Moenia / Turrim statuit Eburneam / Cui appendit pro clypeis omnem armaturam fortium. / Quinquies mille Hostias. / Pietate eucharistico-mariana / Avitum est hoc Stratagema : / Hostias opponunt Austriaci Hostibus / Et victimas hostiles caedunt » (J.-L. Schönleben, Dissertatio polemica de prima origine aug[ustissimae] Domus Habsburgo-Austriacae, Laibach, 1680, t. II, p. 192).

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littéral150. Probablement faut-il davantage les comprendre comme une ode allégorique au double ressort dévotionnel de la maison d’Autriche en général et de l’archiduc en particulier. La « Tour d’Ivoire » est en effet un des nombreux titres de la Vierge dans les litanies de Lorette et les « boucliers des braves » sont ces trophées accrochés à la Tour de David que chante le Cantique des cantiques. Ces quelques vers reposent donc sur des références liturgiques et bibliques pour glorifier un « stratagème ancestral » : la dévotion mariale étroitement associée à l’importante piété eucharistique devait permettre à la dynastie habsbourgeoise de faire tomber les ennemis151. Arrêtons ici cette longue suite de victoires attribuées à Marie. Retenons plutôt que dans un pays dont l’atmosphère sombre se dépeint surtout dans un registre dramatique et pathétique, émerge, dans des milieux érudits et favorables aux Habsbourg, une Vierge pensée comme sainte guerrière à part entière qui doit sauver les Pays-Bas. Elle résulte, indéniablement, d’un processus opéré par quelques intellectuels qui rebondissent sur des images historiques et spirituelles bien connues du grand public. Ils trouvent donc auprès de celui-ci un terreau favorable pour donner à croire cette figure singulière. Il leur est d’autant plus aisé de façonner ce personnage et d’en exacerber les fonctions conquérantes que l’on commémore régulièrement en différents lieux des Pays-Bas, par d’importantes processions et cérémonies, des victoires militaires attribuées à Marie. Ce discours, marginal et vivement mené par la Compagnie de Jésus, modèle une Vierge de Victoire sous les traits souvent paroxystiques d’une Reine belliqueuse. Sur un plan purement psychologique, cette Vierge doit, par ses qualités offensives, rassurer les populations terrorisées. Les traumatismes que créent les conflits militaires incessants sont considérables. Les populations sont durement confrontées à la mort, à la maladie et à la faim. Elles vivent au quotidien l’expérience douloureuse de l’instabilité, de l’agression physique et de la destruction de leurs biens. L’action conquérante d’une Vierge que les fidèles vénèrent avec ferveur est censée leur apporter consolation et réconfort. Première médiatrice auprès de Dieu, tout à la fois forte et miséricordieuse, Marie sera, assurément, l’efficace instrument de la paix comme elle l’a déjà démontré à de multiples reprises à travers l’histoire. La commémoration de ces victoires – réitération cyclique du souvenir – convainc les dévots de la puissance pacificatrice de leur sainte et porte leur espoir de voir leurs tourments apaisés. Marie devient pour eux un symbole de l’ordre public, figure nécessaire pour assurer la tranquillité du pays, calmer les troubles et protéger l’Église. D’autre part, sur un plan politique cette fois, la mise en scène de cette Vierge de Victoire sur les territoires belges a une lourde signification. Elle montre que la Mère de Dieu a ostensiblement choisi son camp : celui des Habsbourg dont elle soutient les armées se battant dans les Pays-Bas contre le double ennemi franco-hollandais. Si cette représentation demeure ponctuelle, elle occupe toutefois une place cruciale au sein du processus complexe qui mobilise la Vierge comme argument de la légitimité de la dynastie à la tête du pays. Le

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J. Mertens, « De vrome prins », op. cit., p. 60. Schönleben joue d’ailleurs avec les mots en opposant les « hostias » (ou hosties) aux « hostibus » (ou ennemis).

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discours martial qui s’élabore autour du personnage marial exacerbe sa fonction de garante et de protectrice du pouvoir en place. La Vierge favorise les enseignes du Roi Catholique et, par ce seul choix, proclame le bien-fondé de sa souveraineté et du gouvernement de ses représentants dans le pays. La Vierge de Victoire semble donc bien avoir constitué une forme symbolique éloquente pour la reconnaissance du pouvoir monarchique et l’exaltation de sa gloire. Ainsi du sonnet suivant, adressé à Philippe IV : La Mere à Iesus-Christ, de ton bras le suppos, / De cent mille lauriers ombragera ton los, / Sur tous tes ennemis, te donnant la victoire. / Elle conduit pour toy, horribles estendars, / Seul tu auras le prix des depouilles de Mars : / Vis donc heureux Monarque et iouys de ta gloire152.

Il faut également constater que la Couronne d’Espagne utilise pareille figure mariale ailleurs qu’aux Pays-Bas. Ainsi, dans leur marche vers le Nouveau Monde, les conquistadors ont emmené pour protéger leurs combats des petites statuettes de la Vierge, appelées les conquistadoras, puis les ont installées dans des sanctuaires destinés à enraciner le christianisme en ces terres nouvellement conquises. À Cuzco, au Pérou, une de ces humbles conquistadoras se transforme progressivement en Vierge de triomphe et sert les intérêts de la monarchie espagnole : elle apparaît aux côtés des Espagnols lors des confrontations armées et mate les rebellions indiennes153. Elle permet alors, comme aux Pays-Bas, de consolider un ordre civil espagnol et de construire, en ces colonies, une représentation d’un pouvoir habsbourgeois ferme et puissant. On notera enfin que ce personnage guerrier, cher à la Compagnie, semble être construit symétriquement au rôle que les jésuites se sont assigné. Élément de choc des armées spirituelles comme les jésuites doivent l’être au sein de la milice chrétienne, la Vierge pourchasse l’hérétique et fait triompher le catholicisme. Active et conquérante plus qu’humble et introvertie, elle est l’expressif symbole du projet missionnaire des disciples d’Ignace. Présente au cœur des difficiles réalités civiles, elle participe avec eux à l’élaboration et à l’affirmation d’un ordre social catholique.

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Remacle Mohy de Rondchamp, Les pleurs de Philomèle contenant les odes pèlerines, les regrets et les pleurs de Messire Remacle Mohy de Rond-champ, assemblés par Messire Jean Mohy son frère, Liège, Léonard Streel, 1626, sonnet à Philippe IV par Jean Mohy, f. A3r°. Cet ouvrage est une réimpression d’extraits de L’encensoir d’or (Liège, 1600) de l’ecclésiastique ardennais Remacle Mohy, auxquels Jean, son jeune frère, a ajouté d’autres textes. – Henri Helbig, « Jean Mohy du Rondchamps, poëte de la première moitié du xviie siècle ; sa vie et ses ouvrages », Bulletin du bibliophile belge, n° 20 (2e série, n° 11), 1864, p. 205-212 ; Léon Marquet, « Remacle et Jean Mohy du Rondchamps », Musée en Piconrue. Art religieux et croyances populaires, n° 38, 1995, p. 5-12. 153 Monique Alaperrine-Bouyer, La Vierge guerrière…, op. cit., 1999.

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Conclusion

Puisque l’on reconnaît aujourd’hui que l’histoire n’a jamais cessé d’être « récit » et que son écriture se soumet inévitablement aux formes du genre, il faut maintenant, au terme de cette démonstration-narration, rassembler tous les éléments de l’intrigue et projeter sous les feux d’une dernière analyse les personnages et les objets que la trame progressive de ces pages a fait surgir. Un ultime regard rigoureux sur un passé peu à peu redessiné. Guerres, conflits, désastres : le siècle est sombre, pathétique et tragique. L’ordre civil est, sinon dissous, à tout le moins fortement ébranlé. Entre l’explosion du cadre national et confessionnel, le bouleversement que provoque la sécession du Nord, la crainte du calvinisme et le choc des agressions françaises, les structures sociales, politiques et religieuses sont fragilisées. Les peurs, intenses, s’énoncent en termes dramatiques. Aussi les Pays-Bas cherchent-ils les moyens matériels et symboliques qui garantissent leur sécurité et assurent leur apaisement. Parmi ceux-ci, le recours au rôle fédérateur du sentiment religieux et aux fonctions structurantes d’une Église catholique rénovée est depuis longtemps apparu comme capital aux historiens de la Belgique. Les provinces proclament leur catholicité et en font le principal ressort de leur identité. La Vierge, dès lors, figure centrale de ce catholicisme réformé, devait s’imposer avec force et démontrer son rôle salutaire. Nous avons dit combien la quasi-absence de fondement biblique donnait de la souplesse au personnage et en avons souligné la plasticité. Il est vrai que les évolutions doctrinales empêchent la Vierge d’être le foyer sans cesse redéfini de projections variables mais il n’en reste pas moins que le personnage offre de riches possibilités de constructions à des autorités en quête de symboles pour les communautés qu’elles dirigent. Au cœur des réflexions spirituelles et des pratiques dévotionnelles, déclinant ses fonctions sur un très large spectre, la Vierge est facilement mobilisable, par son omniprésence et son polymorphisme, comme vecteur de messages variés. Elle peut dire tout à la fois l’humilité et la grandeur, la douceur et la force, l’intimisme et l’extraversion, la douce protection et l’ardent combat. Dans les PaysBas espagnols, comme ailleurs dans les terres farouchement catholiques du reste, les différents acteurs de la vie civile et religieuse en comprennent l’intérêt et s’en emparent pour forger un personnage proposé à tous comme garant de l’ordre social chrétien, protégeant autorités et populations. Ils la mettent en scène dans un décor dont le ciel est à l’orage et la composition, mouvementée. Car, en effet, c’est bien de mises en scène qu’il s’agit. La figure ne sera utile que si elle est donnée à voir, endossant avec efficacité et pertinence le rôle qui lui a été attribué. Il faut donc convaincre et affiner les techniques de persuasion qui imposent une Vierge protectrice zélée d’un pays tourmenté. La population des Pays-Bas catholiques assiste alors 239

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à une reconstruction, sur un mode marial, de la réalité présente ou passée par le biais du discours et de la dramaturgie : cette distorsion rhétorique et visuelle rend présent un toutpuissant personnage sacré dans l’espace et l’histoire du pays. On fait appel, à cette fin, autant à l’érudition biblique et classique d’un lectorat aisé qu’à la force vive des émotions spontanées. Littérature de dévotion et dramaturgies baroques font s’entrechoquer, autour de la Vierge, figures vétérotestamentaires, déesses antiques et traditions locales pour créer d’éloquentes images qui disent la puissance mariale dans la sphère publique. Le pays résonne ainsi des détonations d’une véritable explosion discursive et cérémonielle qui prend la Vierge comme argument. L’entreprise est d’abord menée tambour battant par les archiducs Albert et Isabelle qui, à l’instar des autres membres de la dynastie habsbourgeoise, érigent la pietas familiale en raison d’État et se lancent dans une vaste opération dévotionnelle axée en très grande partie sur la Vierge : l’entreprise doit assurer, en ces terres d’entre-deux, l’exaltation du catholicisme sur lequel ils fonderont leur pouvoir. La lointaine monarchie espagnole, lorsqu’elle récupère l’entière souveraineté sur le pays à la mort de l’infante, maintient l’offensive et joue de la même manière avec le personnage de Marie pour contraindre les sujets à l’obéissance et au loyalisme. En investissant avec autant d’ostentation le champ de la dévotion mariale, les Habsbourg réalisent une avantageuse opération : ils font fusionner la cause de Marie avec leur propre cause et obtiennent que les manifestations publiques en l’honneur de la Vierge deviennent des lieux d’expression de la fidélité monarchique. Les importantes cérémonies organisées en 1659 à l’occasion des vœux des États de Brabant en faveur de l’Immaculée Conception en sont la remarquable concrétisation : le combat immaculiste est devenu un combat pro-monarchique et la proclamation du serment conceptionniste, un geste de soutien au roi affaibli. Gloire de la Vierge et gloire habsbourgeoise se confondent : la dévotion mariale s’anime alors de vives couleurs loyalistes. Par ailleurs, un milieu religieux, intellectuel et civil de sensibilité pro-jésuite mobilise également le personnage sacré pour célébrer le triomphe de l’Église catholique dans le pays et affirmer la réalité d’un ordre social fondé sur les principes romains. Par un énergique apostolat qui conjugue l’art de la plume à celui de la mise en scène, la Compagnie façonne une Vierge à son image : intensément présente dans la vie civile, combative ennemie de l’hétérodoxie confessionnelle et soutien des Habsbourg, elle est un modèle d’action conforme au projet jésuite. La pastorale mariale de la Société prend dès lors une ampleur saisissante et invite le plus grand nombre à se rassembler autour de la Vierge lors de dévotions publiques au caractère spectaculaire qui témoignent de la maîtrise jésuite de la flamboyante expression baroque. Théâtres grandioses où se mêlent effets visuels et sonores, images puissamment évocatrices… l’extériorité est de mise, les sens sont stimulés et l’émotion exacerbée pour souligner la force du message : la Vierge doit assurer la protection des collectivités civiles, définir l’espace comme sien par une présence à la fois physique et spirituelle et soutenir princes et autorités dans l’exercice de leur pouvoir. Ceci dit, les jésuites ne sont pas seuls à forger pareille image mariale. Nombreux sont les écrivains spirituels, en particulier les auteurs de mariano-topographies et de calendriers, qui participent aussi à l’inscription du personnage dans la sphère publique. La Compagnie, cependant, par sa volonté de mettre en œuvre une mission intérieure intensément démonstrative, rend la stratégie autrement plus visible. 240

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La glorification effervescente de cette Vierge doit stimuler les processus identitaires. La construction, en effet, s’emploie à suggérer la vive présence dans le pays d’une Vierge bienveillante et fougueuse championne des intérêts publics, nationaux et monarchiques… Elle impose la Mère de Dieu dans le quotidien des hommes où celle-ci devient une figure permanente, familière et presque intime. Elle intensifie les fonctions protectrices de Marie qui doit guérir et défendre les différents « corps » de la société civile. Elle donne au personnage des formes conquérantes, parfois poussées au paroxysme, pour prouver son soutien à ceux qui sont censés assurer la défense et l’organisation de ces communautés : l’appui alors apporté au pouvoir rejaillit sur l’ensemble des habitants qui se rassemblent sous cet important patronage. La Vierge est donc offerte comme référent symbolique qui permet de susciter, par la force des émotions qu’il doit provoquer, des sentiments d’appartenance commune. Une même patronne que le plus grand nombre vénère d’une même fervente dévotion : la Vierge doit à la fois imposer l’union et sauver le groupe des agressions ennemies, souligner la ressemblance et stigmatiser l’altérité. En effet, comme coryphée de la Réforme catholique, la Vierge dit un monde où l’altérité, et singulièrement l’altérité confessionnelle, n’a pas sa place. Son instrumentalisation permet, d’une part, de proposer à chacun un principe de fusion en entraînant l’individu à se conformer à des valeurs communes, à savoir essentiellement la loyauté au pouvoir catholique et la fidélité à l’Église romaine dont Marie est l’icône. La figure mariale agit, d’autre part, comme un principe de différenciation qui permet de distinguer nettement les provinces belges de leurs adversaires, les calvinistes du Nord ou même, dans le cadre de l’opposition à la France, des chrétiens gallicans du Sud qui, par leurs alliances et leurs entreprises militaires, font primer les nécessités politiques sur les nécessités dévotes : ce processus de différenciation contribue à renforcer, par contraste, l’effet de cohésion. Le culte, privé et public, à cette Vierge en qui chacun place ses espoirs de voir l’ordre rétabli doit donc rassembler les habitants des Pays-Bas autour d’un référent commun susceptible de dynamiser des sentiments de solidarité. Il faut par ailleurs constater qu’on lui fait jouer ce rôle identitaire à différents niveaux. Cette construction mariale permet, d’une part, de penser les Pays-Bas comme un tout cohérent dont les différentes provinces appartiennent, ensemble, à la pieuse clientèle de la Mère de Dieu. Le Belgium marial émerge principalement dans les marges paratextuelles d’une littérature dévotionnelle qui exalte le triomphe de l’Église catholique dans le pays et loue en même temps la légitimité, à la tête de ces provinces, d’un pouvoir dévot à la Vierge. Cette littérature se fait donc aussi l’écho et le soutien de la politique habsbourgeoise : elle appelle à l’union autour de la double figure de la Vierge et du prince. Cependant, le personnage de Marie définit aussi des préoccupations locales. Les cérémonies, processions et pièces de théâtres négligeront ainsi bien davantage l’idée d’un Pays-Bas marial et préféreront mobiliser la Vierge dans l’espace urbain, le plus souvent pour concentrer les aspirations de la cité elle-même, parfois également pour ressouder les liens au sein d’une province. Il est dès lors impossible de considérer ces instrumentalisations comme strictement nationales ou strictement urbaines. Il faut plutôt parler de dispositif symbolique transposable en fonction des sentiments identitaires et unitaires que les instigateurs de telles stratégies veulent susciter. L’entreprise, cependant, a ses limites. L’unité publique qu’assurerait Marie n’est finalement qu’une unité rêvée transcendant, dans les discours et les mises en scène, les 241

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fractures et les divergences réelles. Cet imaginaire unitaire, néanmoins, suggère un caractère identique entre les membres de ces collectivités mythiques que crée la Vierge. Cette dernière invite à une cohésion entre des individus semblables destinée à fonder l’identité du groupe, mais elle demeure un instrument mobilisateur et non le marqueur tangible de la réalité de l’union. Elle est l’énonciatrice d’une utopie commune, non le lieu effectif de sa concrétisation. Utopie d’une Belgique unie autour de son monarque, utopie d’une province partageant avec ferveur la même cause, utopie d’une ville sans heurts ni conflits. Elle dit une unité irréalisable et chimérique. En outre, la mise en œuvre d’une figure universelle pour jouer le rôle de rassembleur local semble paradoxale, d’autant que le recours à d’autres référents sacrés paraît davantage pertinent. Le gigantesque panthéon des saints présente, par exemple, l’avantage de s’ancrer dans un imaginaire collectif local vivifié par d’innombrables reliques et statues qui sont d’ardents étendards identitaires et des armes efficaces pour la défense des collectivités. Pourtant, l’universalité de la Vierge ne doit pas donner à penser qu’elle ne peut être, a contrario, qu’un objet politique mou aux piètres capacités mobilisatrices. Ce serait en effet oublier le rôle que le catholicisme réformé a attribué à Marie. L’Église avait besoin d’un puissant instrument pour sa reconquête, elle a choisi la Vierge. Elle en a fait un personnage fort et triomphant qui, à la tête de l’armée des saints, devait fouler aux pieds les dissidences protestantes. Un bon outil était donc là, à portée de main. On comprend que l’on s’en soit saisi dans les Pays-Bas pour l’inscrire dans la sphère publique. D’autre part, la Vierge se pare, elle aussi, d’un caractère particulier qu’exaltent ses multiples sanctuaires et petits oratoires des carrefours : statues et images locales ancrent la Vierge dans un lieu donné et permettent à chaque groupe de faire de « la » Vierge, « sa » Vierge. À Lille, Aire-sur-la-Lys, Luxembourg, Cambrai, Ypres et ailleurs, c’est derrière une Vierge au vocable et à la physionomie propres que se rassemblent les foules terrorisées. De plus, les principaux acteurs de la pastorale réformatrice veillent à faire de cette figure meneuse de la reconquête catholique une figure éminemment active dans la vie des cités et des communautés locales. Elle est donnée à voir dans les rues de la ville, se confondant, de manière éphémère ou durable, avec certains lieux symboliques ou mêlant son image à celle des autorités. L’étroite implication de la Vierge dans les structures publiques de la cité favorise son appropriation par ses dévots. L’utilisation locale de cette figure universelle est donc un faux paradoxe : la Vierge est à la fois commune et singulière sans que cela ne pose problème. La caractérisation simplifiante n’est en effet jamais opérante en histoire : le personnage marial, comme tout produit historique, est composé de tensions et d’apparentes contradictions qui ne doivent ni gêner ni étonner. Protéiforme, la Vierge combine différents visages qui ne s’excluent pas et qui en font à la fois la Reine de toute l’Église catholique et la « Bonne Mère » du coin de la rue. Par ailleurs, ne nous abusons pas. Il ne faut en aucun cas être dupe de ce que l’obligation du choix en histoire a de trompeur. Le présent récit s’est construit autour du personnage marial pour souligner des stratégies précises et comprendre le sens de mécanismes ponctuels. La narration a imposé une omniprésence virginale laissant, dans l’ombre, le rôle capital joué par le long cortège des saints dont Marie n’annihile en aucun cas les fonctions symboliques. Leur culte reste d’une ampleur extraordinaire au xviie siècle et joue également un rôle fondamental dans la constitution d’identités locales en rassemblant quantité de fidèles dans 242

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les chapelles et les confréries autour de leur image ou de leurs reliques. Leurs statues sont présentes au sommet des portes et aux carrefours. Les demandes se font pressantes pour obtenir leur protection. Leurs fêtes sont des lieux d’affluence et de liesse où la communauté prend conscience de sa cohésion. Ainsi, à Bruxelles, le jour de la Saint-Michel, les foules se rassemblent autour de leur « saint patron tutélaire » pour y recevoir une bénédiction « comme donnée à tout le peuple de la ville1 ». Lorsque le rigoureux évêque Alphonse de Berghes veut supprimer la présence de l’image de l’archange dans ladite procession, les autorités civiles se laissent emporter par la colère. Le Magistrat et les guildes refusent d’assister à la cérémonie en l’absence de la statue du saint et le comte Juan de Monterrey, gouverneur général, doit s’adresser à l’évêque pour qu’il autorise la réintroduction de l’image afin d’éviter de « troubler le repos et la tranquillité de la ville au grand prejudice du service royal ». Le Chapitre réorganisera la procession avec la statue au grand contentement des représentants du pouvoir de la cité mais contre l’avis de leur évêque. On voit, à travers cet exemple, toute l’importance qu’a pu revêtir le puissant moteur identitaire de la sainteté et on comprend combien celui-ci a mobilisé les forces vives de la cité. Il semble cependant, sur base des quelques coups de sonde opérés dans une littérature pléthorique, que leur instrumentalisation n’a pas été marquée du caractère glorieux de l’instrumentalisation mariale. Si les saints ont un rôle essentiel à jouer auprès des collectivités, ils voient, moins que la Vierge, leurs images revendiquées dans la défense des causes civiles. La Vierge reste la Reine de la hiérarchie céleste et le plus vif argument d’un catholicisme exalté sur lequel repose son instrumentalisation politique et identitaire. C’est parce qu’elle était au cœur des dévotions qu’elle pouvait être le plus utilement profitable à la cohésion des communautés civiles. Se pose enfin la question de savoir quel était l’avenir d’une telle construction. Tout porte à croire que la stratégie, fortement liée au contexte anxiogène et à la culture baroque, ne pouvait qu’être temporaire et perdre progressivement de sa pertinence. Une dévotion plus mesurée, un pouvoir politique enclin à la réforme rigoureuse d’un monde ecclésiastique qu’il entend soumettre, un contexte général plus serein devaient jeter un voile sur la figure et son utilisation. Toutefois, on sait que l’avènement des lumières de la raison ne réduit pas à néant les formes démonstratives de la piété tridentine. Si une élite cherche la rigueur, le plus grand nombre continue à user du sensible pour manifester sa ferveur et le personnage de la Vierge reste un important moteur de rassemblement et de cohésion. Ainsi, les Luxembourgeois protestent lorsque les actives réformes religieuses de Joseph II réduisent, en 1786, pour l’ensemble des Pays-Bas, les processions au nombre de deux par an et interdisent fermement que l’on y multiplie les fastes et les manifestations extérieures autour d’un trop grand nombre de statues et d’images. Cette décision les contraint en effet à renoncer à l’organisation de leur somptueuse procession annuelle en l’honneur de la Consolatrice des Affligés2. Les États du Luxembourg, lieu d’expression des revendications et des libertés provinciales, demandent au gouvernement central que l’on restaure « un culte voué

1 A.G.R., Conseil d’Etat, n° 171, Processions et solennités religieuses à Bruxelles, Avis du Conseil de Brabant à Charles II, 1674, non folioté. 2 Gilbert Trausch, « L’octave de Notre-Dame du Luxembourg aux prises avec le joséphisme et les réformes catholiques au xviiie siècle », Hémecht…, op. cit., t. XVIII, n° 3, p. 333-362.

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solemnement à la Sainte Vierge par tous les Ordres et par tous les Habitants d’une vaste Province ». La Vierge reste un important symbole de la communauté du duché que les instances institutionnelles luxembourgeoises veulent sauvegarder : sa disparition, manifestement, effraie. Par ailleurs, on sait combien le duché de Luxembourg a, dans l’ensemble, réagi calmement aux réformes du pouvoir autrichien. Il conviendrait donc d’étudier le rôle que l’on a pu faire endosser à la Vierge dans les autres provinces autrement plus vigoureuses dans leur opposition aux initiatives impériales. La Mère de Dieu est-elle devenue, là-bas, une figure ostensiblement anti-joséphiste utilisée contre le pouvoir central comme elle avait été une figure pro-habsbourgeoise au siècle précédent ? Si nous continuons ces brèves incursions dans l’histoire postérieure à la période qui a longuement retenu notre attention, nous devons constater que la délicatesse romantique et sulpicienne qui marque la dévotion mariale du xixe siècle n’enlève rien à la force du personnage : celui-ci continue à surgir pour appuyer des exigences de type très nettement identitaires. Pour ne prendre en considération que l’espace belge, on constate que le recteur du collège jésuite de Gand demande en 1859 à Pie IX que la Vierge de marbre vénérée dans la chapelle de la résidence de la Compagnie prenne le nom d’Alma Flandriae Domina ou, en langue vernaculaire – ce qui est extrêmement important vu le contexte – de Verheven Soevereine van Vlaanderen. Elle est couronnée sous ce titre le 9 mai de l’année suivante3. La requête s’inscrit dans le plein essor des revendications flamandes, dynamisées à Gand et ailleurs en Flandre par un clergé très actif. Les cérémonies organisées pour le cinquantième anniversaire de l’événement seront par ailleurs l’occasion de nouveaux élans enthousiastes. Une chanson populaire gagne alors les populations dévotes : si elle rappelle que l’on donne mille noms à la Vierge, elle scande surtout comme principal refrain que la Vierge est la « Très chère Notre-Dame de Flandre4 » ! Marie, exaltée sous ce nouveau vocable, devient la fédératrice d’une communauté en mal de reconnaissance. Récemment encore, la Vierge s’est vu confier de semblables rôles identitaires dans des régions où des communautés se sont affrontées et ont fermement réclamé la légitimation de leur existence collective. Ainsi, la Vierge noire de Czestochowa, officiellement invoquée depuis 1717 comme la Regina Poloniae, a longtemps été le symbole du patriotisme polonais, attirant les habitants par milliers dans son sanctuaire de Jasna Góra. Elle a, notamment, fait l’objet d’une instrumentalisation hautement médiatique lorsqu’elle a été brandie comme drapeau des revendications contre la domination soviétique et le pouvoir communiste au moment des grèves de Gdańsk. On a vu alors les ouvriers afficher la célébrissime icône aux grilles des chantiers navals et Lech Wałęsa épingler son effigie miniature à son vêtement. L’ardente dévotion que lui a portée le cardinal Karol Wojtyla, devenu le pape Jean-Paul II, illustre représentant d’une Église anti-communiste et garante des intérêts de la nation polonaise, n’a pas peu contribué à faire de cette Vierge le foyer des aspirations nationales et l’argument commun d’un front unissant – sinon réellement, du moins

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Urbain Naert, « De Alma Flandriae Domina of Verheven Soevereine van Vlaanderen », Biekorf, n° 97, 1997, p. 46-47. 4 « Liefde gaf U duizen namen / groot en edel, schoon en zoet. // Onze-Lieve-Vrouw van Vlaanderen / o gij lieve Vrouw van Vlaanderen / Liefste lieve Vrouw van Vlaanderen » (Idem).

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apparemment – monde ouvrier, intelligentsia et clergé catholique. Ailleurs, à Medjugorje, village jadis désolé de Bosnie-Herzegovine devenu le but d’un formidable tourisme pèlerin, la Vierge a pris un double visage pour aviver, outre la ferveur d’une internationale dévote, de vifs sentiments nationalistes. D’un côté, convergent charters et caravanes de cars transportant des fidèles venus du monde entier qui espèrent secours et bénédiction d’une Vierge miséricordieuse dont on dit qu’elle apparaît chaque jour à quelques voyants. De l’autre, les habitants du lieu, victimes d’une histoire douloureuse et des terribles conflits qui ont secoué le pays de 1991 à 1995, donnent à la Vierge les traits d’une puissante guerrière : ils considèrent qu’elle a annoncé les drames militaires et se persuadent de son soutien actif dans leurs revendications d’une identité propre. La Vierge de Medjugorje est alors invoquée pour mobiliser tous les Croates autour du projet commun de fonder un État5. La Vierge est une figure de l’émotion qui éveille les enthousiasmes, ranime les ferveurs et stimule les dévotions. Elle dynamise une piété du cœur vivement démonstrative que récusent des âmes rigoureuses, cependant souvent peu entendues. Elle paraît donc immédiatement utile pour vivifier les identités civiles et réunir l’intime au politique. La force des sentiments qu’elle semble susciter en fait une puissante alliée pour des communautés qui ont besoin d’un étendard. Les stratégies identitaires n’ont pu, dès lors, négliger l’importance motrice de l’intense affection qu’a engendrée la Vierge chez ses dévots. L’Église et l’État baroques, singulièrement, ont compris l’intérêt de la figure et l’ont mise au cœur de leurs stratégies. Ils ont donné un sens politique à ce personnage sacré et aux pratiques dévotionnelles dont celui-ci était l’objet. Ils ont noué des liens entre exercice du pouvoir, consciences collectives, expériences religieuses et ordre social. Ils ont fait de la Vierge, pour sauver la citadelle catholique et habsbourgeoise, une épée et un bouclier : Marie est devenue la « Protectrice du Païs-Bas ».

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É. Claverie, Les guerres de la Vierge…, op. cit., 2003, p. 221-250.

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Abréviations

A.A.M.B.

Archives de l’archevêché Malines-Bruxelles – archives historiques (Malines) A.C.C.S. Archivio della Congregazione per le Cause dei Santi (Vatican) D.S.R.C. Decreta Sacrae Rituum Congregationis A.E.R.B.C. Archives de l’État en région de Bruxelles-Capitale (Anderlecht) A.G.R Archives Générales du Royaume (Bruxelles) A.N.Luxembourg Archives Nationales du Grand-Duché du Luxembourg (Luxembourg) A.R.S.I. Archivum Romanum Societatis Iesu (Rome) Gall.-Belg. Province Gallo-Belgique Fl.-Belg. Province Flandro-Belgique A.S.V. Archivio Segreto Vaticano (Vatican) F.B. Fondo Borghese S.S. Secretariatus Status N.F. Nunziatura di Fiandra A.V.B. Archives de la Ville de Bruxelles (Bruxelles) B.A.V. Biblioteca Apostolica Vaticana (Vatican) B.L. Barberini Latini B.C.R.H. Bulletin de la Commission Royale d’Histoire D.S. Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique D.T.C. Dictionnaire de théologie catholique É.H.É.S.S. École des Hautes Études en Sciences Sociales (Paris) I.H.B.R. Institut Historique Belge de Rome (Bruxelles) I.R.P.A.-K.I.K. Institut Royal du Patrimoine Artistique-Koninklijke Instituut voor het Kunspatrimonium (Bruxelles) K.B.R. Bibliothèque Royale Albert Ier (Bruxelles) R.P. Réserve précieuse K.U.L. Katholiek Universiteit van Leuven (Louvain) M.G.H., SS. Monumenta Germaniae Historica, Scriptorium M.R.B.A. Musées Royaux des Beaux-Arts (Bruxelles) N.R.F. Nouvelle Revue Française P.I.B.A. Prosopographia Iesuitica Belgica Antica R.A. Rijksarchief Antwerpen = Archives de l’État à Anvers (Anvers) R.B.P.H. Revue belge de philologie et d’histoire

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A br é v i at ion s

R.H.É. Revue d’histoire ecclésiastique R.H.É.F. Revue d’histoire de l’Église de France ULg Université de Liège BGPhL-CICB Bibliothèque Générale de Philosophie et Lettres – Centre d’Information et de Conservation des Bibliothèques.

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Bibliographie

Sources manuscrites Anvers Rijksarchief Antwerpen = Archives de l’État à Anvers (R.A.) Fonds de la Province Flandro-Belgique et de la maison d’Anvers

Bruxelles Archives Générales du Royaume (A.G.R.) Acquits de la chambre des comptes de Lille Conseil d’État vol. 163 : Te Deum et prières d’action de grâces (xviie siècle) vol. 171 : Processions et solennités religieuses à Bruxelles vol. 928 : Canonisations de saints et dévotions nouvelles (1631-1731) Conseil Privé espagnol vol. 4 : Cérémonies officielles (1613-1702) Papiers d’État et de l’Audience vol. 452-460 : Relations avec Rome (1618-1624) Secrétairerie d’État et de guerre vol. 238-260 : Correspondance de Léopold-Guillaume avec Philippe IV vol. 261-264 : Correspondance de Don Juan d’Autriche avec Philippe IV

Archives de la Ville de Bruxelles (A.V.B.) ms. 1499, Broederschap van Onse Lieve Vrouwe van Seven Weénen in de kercke van Sinte Geurickx, alwaer aen de gesellen der Leliekamer de capelle tot de selve wordt gegeven int jaer ons Heere 1498. ms. 3413, Liber authenticus sacratissimae utriusque sexus Christi fidelium confraternitatis septem dolorum Beatae Virginis nuncupatae, per clarae memoriae Philippum Hispaniarum Regem, Archiducem Austriae, Ducem Burgundiae, etc. non sine peculiare Spiritus Sancti inspiratione laudabiliter primum institutae (en prêt à long terme au Musée communal de Bruxelles).

Bibliothèque Royale de Belgique (K.B.R.) Ms. 20, Emblematici flores e vita deiparae decerpti versibus et symbolis coronariis intexti ab rhetoribus et poetis Collegii Bruxel. MDCXXXIX.

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Luxembourg Archives de l’évêché de Luxembourg Fonds Notre-Dame, Reg. 158 : Magnaeque Jesu Matris Mariae Afflictorum Consolatricis Honori et Gloriae Sacrum Sacellum, quod Piorum Hominum largitionibus aedificare coepit, et perfecit in agro suburbano collegium societatis Jesu Luxemburgi. Ab anno salutis 1426 usque ad 1628.

Archives Nationales du Grand-Duché du Luxembourg (A.N.Luxembourg) Fonds Ancien Reg. A.III. : Gouvernement provincial du Luxembourg Reg. A.IV. : États du Luxembourg Reg. A.L. : Fonds d’Ansembourg

Malines Archives de l’archevêché Malines-Bruxelles, archives historiques (A.A.M.B.) Fonds De Immaculata Conceptione, 1 vol., non folioté.

Rome Archivum Romanum Societatis Iesu (A.R.S.I.) Fonds « Provincia Gallo-Belgica » Fonds « Provincia Flandro-Belgica »

Vatican Archivio della Congregazione per le Cause dei Santi (A.C.C.S.) Decreta authentica Congregationis Sacrorum Rituum (1588-1750) et documents préparatoires non inventoriés

Archivio Segreto Vaticano (A.S.V.) Fondo Borghese, seria II : correspondance des nonces de Flandre avec Scipione Borghese vol. 102 : Ascanio Gesualdo vol. 105 : Lucio Morra et Lucio San Severino vol. 112 : Lucio Morra vol. 403 : Lucio San Severino vol. 428 : Ascanio Gesualdo et Lucio Morra Secretariatus Status, Nunziatura di Fiandra : correspondance des nonces de Flandre avec Rome vol. 14C : Giovanni-Francesco Guidi di Bagno et Crisogono Flacchio vol. 19 : Fabio Lagonissa vol. 21A : Giovanni-Francesco Guidi di Bagno vol. 23 et 25A : Richard Pauli-Stravius vol. 43-46 : Girolamo di Vecchi Secretariatus Status, Avvisi vol. 129 : Fabio Lagonissa

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Sources imprimées : éditions anciennes et éditions scientifiques L’organisation de la présente bibliographie est typologique. Cette organisation doit, sinon faciliter un repérage rapide de l’information, au moins éclairer la formation d’un corpus documentaire vaste et multiforme. Une grande partie des documents dépouillés provient du richissime fonds marial de la bibliothèque Maurits Sabbe de la faculté de théologie de la Katholieke Universiteit de Leuven. Cette collection a intialement été créée par l’abbé Léon Arendt (1882-1974) pour l’Institut « Mater Dei » des religieuses Annonciades de Banneux, puis transférée chez les pères Montfortains de Louvain avant d’être confiée à la K.U.L. Elle rassemble plus de 1700 œuvres d’une importante diversité pour la période comprise entre 1470 et 1830, dont quelque 691 imprimés pour le xviie siècle. Elle donne ainsi un aperçu très caractéristique du discours marial jusqu’au milieu du xixe siècle. L’inventaire a été dressé par Frans Gistelinck, Bibliotheca Mariana Lovaniensis. La Bibliothèque mariale de Banneux-Notre-Dame, une collection Montfortaine dans la Bibliothèque de la Faculté de Théologie de la K.U.Leuven, Louvain, Bibliothèque de la faculté de Théologie, 1997. Le corpus marial a été utilement complété par nombre d’ouvrages provenant de la K.B.R., des A.G.R., de la Ruusbroecgenootschap bibliotheek d’Anvers et de l’Ulg.

Livrets de pèlerinages et récits de miracles Duché de Brabant Alsemberg van Lathem L., Historie der miraculeuse kercke van onse L. Vrouwe tot Alsenberghe, ghesticht door de heilighe Elisabeth, vermeerdert door Joannes den derden, hertogh van Brabandt, volbouwt door d’inghesetene van Alsenberghe, Bruxelles, G. Scheybels, 1643. van Lathem L., « Appendix notabilis [ca. 1643-1659] », Eigen Schoon & de Brabander, n° 37/5-6, 1954, p. 174-175. Basse-Wavre Ruteau A., L’arche d’alliance ou l’histoire de N. Dame de la basse Wavre dite Nostre Dame de Paix et de Concorde, Louvain, Everard de Witte, 1642. Bruxelles Abregé de l’admirable et miraculeuse translation de la S. maison de Lorette, ou le verbe eternel s’est fait chair. Ensemble l’institution de la fameuse confrérie de Lorette dans l’eglise des RR. P. Minimes de la noble ville de Bruxelles, Bruxelles, Georges De Backer, 1697. Zylius O., S.J., Historia miraculorum B. Mariae Silvaducensis, iam ad D. Gaugerici Bruxellam translatae, Anvers, imprimerie Plantin, Balthasar Moretus, 1632. Courvoisier J.-J., Le sacré bocage de Nostre Dame de Bois le duc où par huict arbres & plantes singulieres, sont representées en huict divines paralleles, les grandeurs & les merveilles de la tres-saincte Vierge Marie, Mere de Dieu, Bruxelles, Godefroy Schoevarts, 1645. Ydens É., Histoire du S. Sacrement de miracle gardé à Bruxelles, en l’Église collegiale de S. Goudele, & des Miracles faictz par iceluy, Bruxelles, Rutger Velpius, 1605. Compaignon J., Histoire admirable de Nostre Dame de Consolation, reverée dans l’eglise du monastere des religieuses carmelites de Vilvorde, Bruxelles, Guillaume Scheybels, 1648.

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Laeken van Beneden L., Historie van de kercke van Christus gewydt, beelt, draet, ende machtighe wencken vande soete Moeder Godts Maria te Laken, by Brussel. Met een blinckende gouden keten des lofs Marie, Bruxelles, Hubert Anthoon, 1624. Gurnez J.-A., Laca bruxellense suburbanum cultu ac prodigiis Deiparae a Normannorum temporibus, id est ante omnia Partheniis aedibus et iconibus miraculosis in Belgio loco clara, celebris, novo studio illustrata, Bruxelles, Godefroid Schovaert, 1647. Hennin Q., Trophée de la religion catholique après la défaite des infidelles dans les Païs-Bas par l’empereur Arnulphe roy de Baviere l’an 895. Erigée à la Reine du Ciel par deux Vierges, sœurs de Hugue duc de Germanie et de Loraine enseveli au Lacq sous la ruine des Normans, Bruxelles, Judocus Strijckwant, 1694. Id., Oorsponck van de Kercke van Laken ofte d’Eerste zeghen-teekenen der Christene Wapenen, onder den Keyser Arnulphus Coninck van Beyeren, glorieuselyck over 800 Jaeren in de Nederlanden behaelt, door de Nederlaege der Noormannen opgerecht ter eeren van d’alderheylighste Moeder Godts Maria in Laken begraef-plaets van den Roemruchtigen velt-overfesten Hugo, Bruxelles, Judocus Strijckwant, 1694. Louvain Lipse J., Diva Virgo Lovaniensis [1605], éd. et trad. néerl. par J. de Landtsheer, Wildert, Carbolineum Pers, 1999. vander Buecken M. G., Wonderen bystandt van de alder-heylighste maeght ende moeder Godts Maria, bethoont aen haere getrouwe dienaers in de vermaerde collegiaele ende parochiaele hooftkercke van den heyligen Petrus binnen Loven, hooft-stadt van Brabant, Louvain, Théodore C.J. de Zangre, 1757. Maastricht Sedulius H., O.F.M., Diva Virgo Mosae-Traiectensis. De Ciuitate Mosae-Traiectensis, & Diuae Virginis Imagine. De sacrarum imaginum antiquitate, usu & fructu, ad sensum Ecclesiae. De Supplicationibus sive Processionibus Ecclesiasticis, & nonullis aliis ritibus priscis ac nouis. Admiranda a Diuae Virginis imaginibus superioris aetatis. A Diua Traiectensi miracula aeui nostri, ex fide scripta, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1609. Malines Siré P., Hanswyck ende het wonderdadigh beeldt van de alderheylighste maget ende moeder Godts Maria, Dendermonde, Jacques Ducaju, 1738. Montaigu ou Scherpenheuvel Lipse J., Diva Sichemiensis sive Aspricollis : Nova eius Beneficia & admiranda, Anvers, imprimerie Plantin, B. Moretus, la veuve de Jean Moretus et Jean Meursius, 1605 (réimpr. en 1620). Id., Histoire miraculeuse de nostre Dame de Mont-aigu en Brabant. A la fin est adiouté un abbregé des choses plus remarquables arriuées en diuers lieux mais principalement à Tournon, par les images faites du Chesne de la mesme nostre Dame de Sichem. Item un Poëme de l’inuention de ladicte Image, trad. par P. Reboul, Tournon, Claude Michel, 1615. Id., Diva Virgo Aspricollis : nova eius beneficia et admiranda, éd. E. Puteanus, Louvain, Henri van Haesten et Pierre Zangre, 1623. Numan Ph., Histoire des miracles advenuz n’aguères à l’intercession de la Glorieuse Vierge Marie, au lieu dit Mont-aigu, prez de Sichen, au Duché de Brabant. Mise en lumiere & tirée hors des actes,

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instruments publicqz et informations sur ce prinses. Par authorité de Monseigneur l’archevesque de Malines, Louvain, Jean Baptiste Zangre et Rutger Velpius, 1604 (réimpr. en 1605, 1606 et 1613). Id., Historie vande Mirakelen die onlancx in grooten getale ghebeurt zyn door die intercessie ende voorbidden van die Heylighe Maget Maria. Op een plaetse ghenoemt Scherpen-heuvel by die Stadt van Sichen in Brabant, Louvain, Jean Baptiste Zangre et Bruxelles, Rutger Velpius, 1604 (réimpr. en 1606). Id., Historia de los Milagros que en Nuestra Señora de Monteagudo çerca de Sichen, en el Ducado de Brabante, Nuestro Señor ha sido seruido de obrar, Bruxelles, Rutger Velpius, 1606. Première suite : Id., Deuxiesme partie des miracles de Nostre Dame de Mont-Aigu. Augmentée nouvellement de plusieurs advenues miraculeuses, apres la derniere edition de l’an 1606 jusques oires non imprimées, Bruxelles, Rutger Velpius, 1613. Id., Mirakelen van Onse Lieve Vrouw op Scherpenheuvel zedert den letsten boeck daeraff uuytghegheven met eenighe andere die eerst onlancx tot kennisse zijn ghecomen, Bruxelles, Rutger Velpius et Hubert Anthoine, 1614. Deuxième suite : Id., Ander mirakelen van Onse Lieve Vrouw op Scherpenheuvel gheschiet voor een deel zedert den letsten druck van den jare 1613, Bruxelles, Hubert Anthoine, 1617. Id., Autres miracles de Nostre Dame au Mont-Aigu advenuz pour une partie après la dernière impression l’an 1613, Bruxelles, Hubert Anthoine, 1618. Troisième suite : Id., Toevoechsele van den mirakelen gheschiedt op Scherpenheuvel door het aenroepen van Onse Lieve Vrouw, inhoudende verscheyden schoone nieuwe mirakelen ende enighe andere die tot noch toe niet en syn geprint geweest, Bruxelles, Hubert Anthoine, 1617. Puteanus E., Diva Virgo Aspricollis : beneficia eius et miracula novissima, Louvain, Henri van Haesten et Pierre Zangre, 1622.

Comté de Flandre Bruges Taisne Ph.-Fr., S.J., Onse Lieve Vrauwe van Potterye toevlucht der Sondaeren, en van alle behoeftighe menschen, het oudtste Mirakeleus beeldt van ons Nederlant, door veel jonsten vermaert ende te Brugghe besonderlyck vereert, Bruges, Veuve Jean Clouwet, 1666. Lille de Balinghem A., Nostre Dame de Réconciliation, dite d’Esquermes, de son origine, antiquité, sodalité et miracles, Lille, Pierre de Rache, 1625. Vincart J., S.J., Beata Virgo Cancellata in insigni ecclesia collegiata D. Petri Insulae cultu et miraculis, Lille, Pierre de Rache, 1636. Id., Histoire de Nostre-Dame de la Treille auguste et miraculeuse dans l’église collégiale de S. Pierre patrone de la ville de Lille, composée en latin par le P. Jean Vincart de la Compagnie de Jésus, traduite & augmentée en François par luy-mesme, suivant la copie imprimée à Tournai par Adrien Quinqué en 1671, Lille, Leleu, 1874.

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Comté de Hainaut de Hautport R., Les principaux miracles advenus par l’intercession de la glorieuse mère de Dieu es chapelles de Tongre, Cambron et Chièvres, Mons, Charles Michel, 1602 (2nde éd., 1604). Caoult W., Miracula quae ad invocationem Beatissimae Virginis Mariae apud Tungros, Camberones, et Seruios in Hannonia, ac Dominam gaudiorum in Picardia, vulgo, nostre Dame de Liesse, dictam effulsere ab anno 1081 ad annum usque 1605, Douai, Charles Bocard, 1606. Cambron Brasseur Ph., Diva Virgo Camberonensis, eiusdem coenobii sancti quidam, reliquiae plurimae, abbates omnes, variique Magnates in eo sepulti. Additur in fine eiusdem Divae triumphus contra hostes anno 1581, Mons, Jean Havart, 1639. Chièvres Bouchy Ph., S.J., Diva Servia Hanno-Belgica sive miraculorum ab ea patratorum florigelium in sex areolas seu decades distributum serenissimo Maximiliano Henrico utriusque Bavariae duci eburonum principi sacrum, Liège, Baudouin Bronckart, 1654. Crinon Q., Vray rapport des miracles plus signalez, faits à Chièvres à la chapelle qu’on dit de Notre-Dame de la Fontaine, Ath, Jean Maes, 1616. Hal Lipse J., Diva Virgo Hallensis. Beneficia eius miracula fide atque ordine descripta, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1604 (réimpr. en 1605 et 1616). Id., Die Heylige Maghet van Halle. Door Iustus Lispius Hare weldaden ende Mirakelen oordentelijck ende getrouwelijck beschreven, trad. par Ph. Numan, Bruxelles, Rutger Velpius et Anvers, Jérôme Verdussen, 1607 (réimpr. en 1660). Id., La Nostre Dame de Hau. Ses bienfaicts & miracles fidelement recueillis & arrengez en bel ordre, trad. par L. du Gardin de Montaigne, Bruxelles, Rutger Velpius, 1605 (réimpr. en 1606 et 1625). Maillard Cl., S.J., Histoire de Nostre Dame de Hale. Divisée en trois parties. La premiere de la Ville, de l’Image & de l’Eglise. La seconde des merveilles et miracles. La troisième des honneurs deferez à noste [sic] Dame de Hale, Bruxelles, Hubert Anthoine-Velpius, 1651. Jubilé de cent ans ou pratique de devotion envers Notre-Dame de Hale, contenant l’histoire en abregé, les Merveilles & prodiges operés par cette Vierge miraculeuse, ornée de Prieres dévotes, Liège, aux dépens de la confrérie, 1745. Tongre-Notre-Dame Miracles advenus à l’invocation de la glorieuse Vierge Marie, Mère de Dieu, à Tongre, village du pays de Haynnau, voisine de la ville d’Ath et de Chièvres, Ath, Jean Maes, 1637. Bouchy Ph., S.J., Diva Tungrensis Hanno-Belgica sive imaginis eius Tungros Hannoniae mira per angelos deportatio serenissimo Maximiliano Henrico utriusque bavariae duci eburonum principi, &c. dicata, Liège, Baudoin Bronckart, 1651.

Duché de Luxembourg Miracles, graces et guerisons merveilleuses, que Nostre Dame de Consolation a daigné de faire & eslargir à plusieurs personne affligees, en sa chapelle lés Luxembourg, bastie & dediée en son nom, par les PP. de

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la Compagnie de Iesus, arrivez depuis 14 ans en ça et nommément cette année 1640, Trèves, Hubert Reulandt, 1640. Graces et guerisons miraculeuses, que Nostre Dame de Consolation at eslargie à plusieurs affligez, en sa chapelle lés Luxembourg, bastie & dediée en son nom, par les PP. de la Compagnie de Iesus, depuis l’an 1624, jusques à l’entrée du présent 1648, Trèves, Hubert Reulandt, 1648. Wunderwerck und gnadenreich Häyllungen So unsere Liebe Frau die Trösterin in ihrer nechst bey Lutzemburg durch di Patres der Societet Jesu erbawten Capell von irhem Anfang her das ist vom Jahre 1624, bis ins jetzt angehendes 1648, Trèves, Hubert Reulandt, 1648. Histoire de Notre-Dame de Luxembourg, honorée sous le tître de Consolatrice des Affligés dans la chapelle des P. de la Compagnie de Jésus, nouvelle édition corrigée par un père de la même compagnie, Luxembourg, Veuve J.-B. Kleber, 1724 (rééd., 1769).

Principauté de Liège Cortenbosch van Hove P., Notre Dame de Cortenbosch, guerison des malades, origine, progrès et miracles qui se sont faits à son image miraculeuse au village de Cosen en 1636, Liège, J. Tournay, 1645. Lambert R., Diva virgo de Cortenbosch, eius miracula, pauca de imaginum et divorum cultu ac invocatione et peregrinationibus ad certa loca, Liège, Jean Mathieu Hovius, 1656. Foy Bouille P., S.J., Brefve histoire de l’Inuention & Miracles de l’image Nostre Dame de Foy trouuée en un chesne à Foye lez Dinant l’an 1609, Liège, Jean Ouwerx, 1620. Hasselt Jonghen H., Marianum Hasletum sive Historia Perantiquae miraculosae Imaginis & Capellae, necnon Fraternitatis insignis B. M. apud Haseletenses, Anvers, Pierre Bellere, 1660. La Sarte de Huy (alias de Waremme) A., O.F.M.Cap., Eburonum Huensium Sacrarium eorumque Diva Sartensis, Huy, Ambroise de Waremme, 1659. Les PP.CC.D.H. [= les pères capucins de Huy], Recueil des graces et faveurs accordées à grand nombre de personnes par l’intercession de la Vierge Mère de Dieu en son église du Sart, lez la ville de Huy, Liège, Guillaume Henri Streel, 1666.

Synthèses mariales Mariano-topographies Gumppenberg W., S.J., Idea atlantis mariani de imaginibus B.V. Mariae, Trente, Carlo Zanotti, 1655. Gumppenberg W., S.J., Atlas marianus, sive de imaginibus Deiparae per orbem christianum miraculosis, Ingolstadt, G. Haenlin, 1657-1659. Gumppenberg W., S.J., Atlas marianus quo Sanctae Dei Genitricis Mariae imaginum miraculosarum origines duodecim historiarum centuriis explicantur, Munich, Jean Jaecklin, 1672. van Herdegom G., O.Praem., Diva virgo candida, candidi ordinis Praemonstratensis Mater tutelaris et Domina tribus libri distincta, Bruxelles, Martin de Bossuyt, 1650.

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de Locre F., Marie auguste ou bien Discours des louanges, tiltres & grandeurs des royaumes, isles, villes, Ordres, Monasteres, Temples, Images, Reliques, Festes, Confreries, Indulgences et Offices de la Mere de Dieu, Arras, Gilles Bauduin, 1603. de Locre F., Maria augusta virgo deipara septem libros tributa ; chronico & notis ad calcem illustrata, Arras, imprimerie de R. Maudhuy, 1608. [du Moulin G.], S.J., Sacrarium augustissimae Deiparae V. Mariae patriae Leodiensis : duodecim duodenis velut totidem stellis seu loculamentis concinnatum, Liège, Jean Ouwerx, 1618. Scherer H., S.J., Atlas marianus sive praecipuae totius orbis habitati imagines et statuae magnae Dei matris beneficiis ac prodigiis inclytae succincta historia propositae et mappis geographicis expressae, Dilingen, J.-C. Bencard, 1702 (rééd., 1732). Wichmans A., O.Praem., Brabantia Mariana tripartita, Anvers, Jean Cnobbaert, 1632.

Chronologies et calendriers marials de Balinghem A., S.J., Ephemeris, seu Kalendarium SS. Virginis Genitricis Dei Mariae, in quo singuli dies aliquid exhibent ad eam spectans, quod eo ipso die qui inscribitur contigit, aut alicuius eximii eius cultoris eodem die obitum, & adversus eam studium repraesentant, Douai, Balthasar Bellere, 1629. Une édition légèrement augmentée paraît, chez le même éditeur, en 1633. [de Blémur J.], Ménologe historique de la Mère de Dieu par une religieuse bénédictine du SaintSacrement, Paris, 1682. Bridoul T., S.J., Le triomphe annuel de N. Dame : où il est traité châque jour de l’An des Honeurs, que la Vierge a receus du Ciel & de la Terre. Addressé à la Mere de Dieu à titre de reconnoissance, pour avoir conservé la Compagnie de Iesus durant son premier Siecle, dans l’Esprit qu’elle lui a procuré à sa Naissance, 2 vol., Lille, imprimerie Pierre de Rache, 1640. Charron V., Kalendrier historial de la glorieuse Vierge Marie Mère de Dieu faisant mention chaque jour de l’an de quelque chose qui la regarde, de la mort de ses fidèles serviteurs, du grand soin qu’ils ont eu de la servir, des faveurs qu’elle leur a départy, du sévère chastiment de ses ennemis et des miracles qu’elle a opérés, Nantes, Pierre Doriou, 1637. Colveneer G., Kalendarium sacratissimae virginis Mariae novissimum, ex variis syrorum, aethiopum, graecorum, latinorum breviariis, menologiis, martyrologiis, & historiis concinnatum, duobus tomis comprehensum. Opus theologicum, historicum, & morale, omnibus theologis, pastoribus, concionatoribus, & ducibus exercitus magno usui futurum, Douai, imprimerie Baltasar Bellere, 1638. Id., Calendrier historique, chronologique et moral de la très sainte et très glorieuse Vierge Marie, Mère de Dieu ; contenant les louanges données à la très S. Vierge par les Pères de l’Église et les écrivains ecclésiastiques ; les fêtes établies en son honneur ; les églises, oratoires et chapelles bâties & dédiées sous son invocation ; les Ordres & Instituts religieux qui lui sont dévoués ; les principales confréries érigées à sa gloire ; les miracles les plus avérés, opérés par son intercession ; les décrets des Conciles qui autorisent son culte ; les saints & les personnes pieuses qui se sont distinguées par leur dévotion envers elle. Avec des remarques historiques sur l’antiquité du culte que l’Église rend à la sainte Mère de Dieu. Le tout extrait des auteurs les plus anciens & les plus authentiques. Ouvrage curieux et utile aux curés, aux prédicateurs & aux religieux, Paris, Claude Herissant, 1749. Courcier P., S.J., Negotium saeculorum Maria sive Rerum ad Matrem Dei spectantium chronologica epitome, ab anno mundi primo ad annum Christi millesimum sexcentesimum sexagesimum, Dijon, chez la veuve de Philibert Chavance, 1662.

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Gonon B., O.Coel., Chronicon DD. Deiparae Virginis Mariae in quo omnia vitae eius acta, & celeberrima miracula per totum orbem patrata, ad haec usque tempora polixius describuntur, Lyon, Jean Caffin & François Plaignard, 1637. Hevenesi G., Calendarium marianum, e victoris contra Gentiles, Turcas, Haereticos et alios iniusti bell authores ope SS. Dei Genetricis obtentis, Graz, 1685. de Locre F., Chronica anacephalaeosis Mariae augustae virginis Deiparae, Arras, Guillaume Rivière, 1606. Martyr Moxet P., O.P., Dietario virginal en el qual los devotos de Maria Señora nuestra hallaran muchos exemplares de todos estados para major servirla, Barcelone, Iayme Matevad, 1641. Mayr L., Mariae Stammen Buch, Oder Täglicher I[m]merwehrender Unser Lieben Frawen Calender, Dilingen, Imprimerie académique, 1642. della Purificazione B., O.Carm., Narrazioni sagre delle più insigni Vittorie riportate da Fedeli per intercessione della Santissima Madre di Dio dagl’Anni di Christo 534 sino al 1683, Rome, Giuseppe Vannacci, 1687.

Spiritualité mariale et manuels de piété de Balinghem A., S.J., Parnassus Marianus seu flos Hymnorum, et rhythmorum de SS. Virgine Maria. Ex priscis tum Missalibus, tum Brevariis plus sexaginta, Douai, Balthasar Bellère, 1624. de Balinghem A., S.J., La toute-puissante guerriere representee en la personne de la sacree Vierge Marie et presentee aux catholiques de ce temps de guerre et necessitez de l’Église. Item de la devotion de la royale maison d’Austriche vers la susdite Vierge, Douai, Gérard Patté, 1625. de Balinghem A., S.J., Inventaire des sacrées reliques de nostre Dame & des lieux où elles se trouvent, Douai, Balthasar Bellere, 1626. du Barry P., S.J., Méditations sur tous les mystères qui se rencontrent en la vie de la sainte Vierge mère de Dieu approprié pour chaque mois de l’année, Paris, Florentin Lambert, 1653. de Bivero P., S.J., Sacrum oratorium piarum imaginum Immaculatae Mariae et animae creatae ac baptismo, poenitentia et eucharistia innovatae : ars nova bene vivendi et moriendi, sacris piarum imaginum emblematis figurata et illustrata, Anvers, imprimerie Plantin, Balthasar Moretus, 1634. Chifflet J., De sacris inscriptionibus, quibus tabella D. Virginis Cameracensis illustratur, lucubratiuncula, Anvers, imprimerie Plantin, Balthasar Moretus, 1649. Coster Fr., S.J., De Cantico Salve Regina septem meditationes, Anvers, imprimerie Plantin, 1587. Coster Fr., S.J., Waerachtige historien stichtighe exempelen ende sekere miraculen in verscheyden landen ende tijden gheschiedt van de H. Moeder Godts Maria, ende tot heurder eeren uyt vele loffelijcke Autheurs vergadert, Anvers, Jérôme Verdussen, 1615. David J., S.J., Paradisus Sponsi et Sponsae, in quo Messis myrrhae aromatum, ex instrumentis ac mysteriis Passionis Christi colligenda, ut ei commoriamur, et Pancarpium marianum, septemplici Titulorum serie distinctum : ut in B. Virginis odorem curramus, et Christus formetur in nobis, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1607. Lenglez M., O.F.M., L’eschole de la Vierge Marie en laquelle elle enseigne l’art de l’aymer, servir et imiter ses vertus, Mons, François de Waudré, 1636 (2nde éd., Namur, chez les Pères récollets, 1652). Maria christiano militi. Ut fortiter, ac feliciter, hoc ferreo saeculo, praelia Domini pralietur, pro bello offensivo, gladius ; pro defensivo, clypeus, Anvers, chez la veuve et les héritiers de Jean Cnobbaert, 1658.

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Marracci H., O.M.D., Heroides marianae seu de illustrium foeminarum principum in Mariam Deiparam Virginem pietate, Rome, Ignazio de Lazaris, 1659. [Mohy de Rondchamp R.], Paraphrases sur les litanies de Nostre Dame de Lorette, et d’autres oraisons pieuses, Liège, Léonard Streel, 1627. Nieremberg J. E., S.J., Trophaea Mariana, seu de Victrice misericordia Deiparae Patrocinantis hominibus. Exquisitissimis SS. Patrum Sententiis, Rarissimis Historiis, Selectissimis Moralis Doctrinae Praeceptis, ac inusitatis per eius simulachra perpetratis miraculis mirifice illustrata. Opus divini verbi praeconibus, ascetis, ac omnibus Mariophilis per utile, ac necessarium, Anvers, chez la veuve et les héritiers de Jean Cnobbaert, 1658. Poiré Fr., S.J., La triple couronne de la bienheureuse Vierge Mère de Dieu tissu de ses principales Grandeurs d’Excellence, de Pouvoir & de Bonté et enrichie de diverses inventions pour l’aimer, l’honorer & la servir, Paris, Sébastien Cramoisy, 1630. Sailly Th., S.J., Guidon et practique spirituelle du soldat chrestien. Revu & augmenté pour l’armée de sa Majesté Catholicque au Pays-bas, Anvers, imprimerie Plantin, veuve et héritiers de J. Moretus, 1590. Sailly Th., S.J., Memorial testamentaire composé en faveur des soldats combattans sous l’estandart de la crainte de Dieu. Premiere partie dediée à Monseigneur Ambroise Spinola, marquis des Balbases, chevalier de l’ordre de la toison d’or, du conseil de sa majesté catholique, capitaine general de son armée au Palatinat Inferieur, etc., Louvain, Henri van Haesten, 1622. Wichmans A., O.Praem., Sabbatismus marianus. In quo origo, utilitas et modus colendi hebdomadatim sabbatum in honorem sanctissimae Deiparae explicantur, Anvers, Guillaume a Tungris, 1628. Id., Den saterdagh van Onse Lieve Vrouw, trad. par M. van Drunen, Anvers, Jean Cnobbaert, 1633. Zutman Fr. [Fr. Suavivir], Deliciae marianae, Liège, Christian Ouwerx, 1664.

Publications théologiques et interprétations doctrinales : l’Immaculée Conception Alva y Astorga P., O.F.M.Obs., Nodus indissolubilis de conceptu mentis et conceptu ventris hoc est inter immunitatem ob omni defectu et errore Angelicae doctrinae S. Thomas Aquinatis, et eius exclusionem ab illis universalibus : omnis homo mendax, omnes erraverunt ab utero, et locunti sunt falsa, omnes declinaverunt, &c. Et praeservationem ab omni culpa et macula purissimae animae Virginis Dei Matris Mariae, et ipsius exceptionem ab istis : omnes in Adam peccaverunt, omnes nos quasi oves erravimus, &c. Ac de utriusque approbationibus apostolicis, ecclesiasticis atque revelatis, Bruxelles, Philippe Vleugaert, 1661. Crespo Fr., O.S.B., Tribunal thomisticum de immaculato Deiparae conceptu candidum ius ore angelico dicens ; doctrinam angelicam cum virginis albescente origine, pulchra pace concilians ; adhortationem pro ipsius causa inferens : pias praeces Regi Catholico pro eiusdem definibilitate memoriali inserto concludens. Memorial justo y piadoso á la S.C.R. Magestad del Rey N. S. D. Felipe el Grande IV en el nombre, primero en la Religion y Piedad, por la misma causa, y defensa de la Inmaculada Concepcion de la Madre de Dios, Barcelone, Antonio Lacaballería, 1657. Gonzalez de Santalla T., S.J., Tractatus theologicus, de certitudinis gradu, quem, infra fidem, nunc habet sententia pia de immaculata B. Virginis conceptione, Dilingen, J.-C. Bencard, 1690. de Luna et Arellano M., Theoremata sacra theologica et juridica, topica et anaglyphica pro Immaculata Deiparae Virginis Conceptione, Bruxelles, Jan Mommaert, 1652.

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Sylvius Fr., Commentarius in tertiam partem S. Thomae Aquinatis, Douai, Marc Wyon, 1618. Wadding L., O.F.M., Presbeia sive Legatio Philippi III et IV Catholicorum Hispaniae Regum ad SS. DD. NN. Paulum et Gregorium XV de definienda controversia Immaculatae Conceptionis B. Virginis Mariae per illustrissimum & reverendissimum Dom. D.F. Antonium a Trejo Episcopum Carthag[enensem], Louvain, Henri van Haesten, 1624. Wadding L., O.F.M., Immaculatae conceptioni Beatae Mariae Virginis non adversari eius mortem corporalem opusculum, Rome, Nicolo Angelo Tinassi, 1655.

Compagnie de Jésus : maisons et collèges, congrégations mariales, affixiones et théâtre Litterae Societatis Iesu duorum annorum mdlxxxvi et mdlxxxviii ad patres et fratres eiusdem Societatis, Rome, Collegio Romano, 1589. Coster Fr., S.J., Libellus Sodalitatis : hoc est, Christianarum Institutionum Libri quinque, Anvers, imprimerie Plantin, 1586. Id., Le livre de la Confrerie, c’est à dire, les cinq livres des institutions chrestiennes dressees pour l’usage de la Confrerie de la tres heureuse Vierge Marie, Anvers, imprimerie Plantin, 1590. Bolland J. , Henschenius G. , de Hossche S. , van de Walle J. , Imago primi saeculi Societatis Iesu a Provincia Flandro-Belgica eiusdem Societatis repraesentata, Anvers, imprimerie Plantin, Balthasar Moretus, 1640. S. Jean Damascene. Le portrait de la protection de la tres-sainte Vierge Mere de Dieu, dédié a Messeigneurs les deputez ordinaires des Trois Etats du Pays, Duché de Luxembourg & Comté de Chiny. Representé par les Ecoliers du College de la Compagnie de Jesus à Luxembourg, le 6 & 7 de septembre 1679, a deux heures, Metz, Nicolas Antoine, 1679. La Sainte Vierge Patronne honnorée & Bienfaisante dans la France et le Luxembourg. Dessein de la procession qui se fera par les écoliers du Collège de la Compagnie de Jesus à Luxembourg le 20 May mil six cent quatre-vingts-cinq. Jour auquel l’Image miraculeuse de Notre-Dame de Consolation Patronne du Duché de Luxembourg & Comté de Chiny, sera reportée de la Capitalle de la Province en sa Chapelle, Metz, Pierre Collignon, [1685]. L’opuscule a été édité par R. Baustert, La Querelle janséniste extra muros ou la Polémique autour de la Procession des Jésuites de Luxembourg, 20 mai 1685, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2006 (= Biblio 17, 162). Tragi-comedie, onse lieve vrouwe van Peys. Tot vereeringhe van het beeldt Maria Pacis, ghestelt voor het broodt-huys door haere doorluchtichste hoocheydt Isabella Clara Eugenia infante van Spanien, &c. Verthoont binnen Brussel, den 22. september, 1626. Door de studenten der Societeyt Iesu. De prysen worden uit-ghedeylt door de miltheydt van de seer Edele Heeren den Magistraet van Brussel, Bruxelles, Jan Pepermans, 1626. Vier-hondert-jarighen zeghen-prael naer den gheluckighen slagh van Woeringhen door Joannes, van dien naem eersten Hertogh van Brabandt, met bynaem den overwinner, den 30 mey in’t jaer ons Heeren mddlxxxviii wordt verthoont door de Schole-jongheydt van de P. der Societeyt Iesu, den xxx mey op den Kermis-verjaerdagh mdclxxxviii onder de Regheringhe van den alder-uytnemensten Heere, Franciscus Antonius de Agurto, Marquis de Gastañaga, Ridder van het Orden van Alcantara, voor den Catholijcken Koningh Regheerder der Nederland aen den welcken dese vier-eeuwighe vreught wort toege-eyhent van de konincklycke stadt van Brussel, Bruxelles, Pierre Cleyn, 1688.

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Confréries mariales : Notre-Dame des Sept Douleurs de Balinghem A., S.J., Sept exercices ou Meditations sur les sept douleurs de Nostre-Dame, Douai, Gérard Patté, 1624. Seconde édition à la suite de A. de Balinghem, L’advocat des povres, Douai, Gérard Patté, 1625. Id., Die seven Geestelycke oeffeninghen vande seven smerten der H. Maget Maria, trad. par G. Witten, Liège, Léonard Streel, 1628. Briefve relation de la confrairie des sept douleurs de Nostre Dame instituée par le serenissime prince Philippe de haute memoire, archiducq d’Autriche, duc de Bourgogne, de Brabant, etc. en l’an de Nostre Seigneur 1498 en l’église S. Géry en Bruxelles. Dédié aux États de Brabant, Bruxelles, Hubert Anthoine, 1615. Breve declaracion de la cofradia de los siete dolores de la gloriosa Viergen Maria, trad. par A. de Soto, Bruxelles, Hubert Anthoine, 1615. de Coudenberghe J., Miracula CCX confraternitatis VII dolorum sanctissimae Virginis Mariae. Una cum ortu et progressu eiusdem confraternitatis, édité et complété par George Colveneer, Douai, Pierre Avroy, 1619 (réimpr., 1629). Id., Deux cens dix miracles de la confraternité des sept douleurs de la tres-sacree Vierge Marie. Plus, l’institution, le progrez, & les empeschemens d’icelle, trad. par Jean Bertoul, Douai, Pierre, Avroy, 1621. Id., Onse Lieve Vrouw der Seven Weeen met de mirakelen, getyden, ende Misse der selver : insgelycks den Oorspronck ende Voortganck der Broederschap, trad. par Jacques van der Straeten, Anvers, Guillaume Lesteens, 1622. François de Lille M., O.P., Sequitur determinatio quodlibetatis facta colonie in scolis arcium Anno domini milesimo quadringentesimo septuagesimoquinto 20a decembris per fratrem michaelem francisci Conventus Insulensis Ordinis praedicatorum sacrae theologie professorem tunc temporis Conventus coloniensis prefati ordinis regentem, s.l., s.n., s.d. [1476-1478]. Id., Quodlibet de veritate fraternitatis rosarii seu psalterii beatae Mariae virginis, Cologne, 1480. Id., Rosarium beate Marie virginis, Paris, 1504 et 1509. François de Lille M., O.P., Quodlibetica decisio perpulchra et devota de septem doloribus christifere virginis marie ac communi et saluberrima confraternitate desuper instituta, Anvers, Thierry Martens, s.d. [1492/1494]. Gedenckenisse van den VII weeden oft droefheyden Onser Liever Vrouwen, Anvers, Gérard Leeu, 1492. Gheesteliicke doorne-croon van seventich doornen, oft denck-puncten, in de welcke verdeylt worden de seven wee-dommen der alder-bedruckte Maghet, ende Moeder Godts Maria, Anvers, Arnoult van Brakel, 1653. [Salomons G.], Uur’-werk des verstandts op de seven wee-en van de Alder-bedrukste Moeder, en Maghet Maria, oft Seven Godtvruchtighe Meditatien, yverighe Ghebeden, zedighe leeringhen met rijm verçiert, Anvers, Jacques Mesens, 1667. De seven wee-en van de H. Moeder Gods Maria seer goed ende bequaem om te lesen voor alle Menschen. Van nieuws overzien ende verbetert, Anvers, Jean Norbert Vinck, [1623]. de Soto A., O.F.M., Contemplaciones del crucifixo, y de Christo crusificado, y de los dolores que la Virgen Sanctissima padescio al pie de la cruz, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1601 (rééd. 1604 et 1623).

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Id., Contemplations très pieuses sur le crucifix et les pleurs de la Vierge Mere au pied de la Croix, trad. par M. de la Bruière, Ath, Jean Maes, 1610. Id., Beschouwing op het crucifix en de smerten van Maria, Bruxelles, Jan Pepermans, 1625.

Homilétique mariale de Avendano Ch., O.Carm., Marial ou sermons sur toutes les fêtes ordinaires, & extraordinaires de la Vierge, trad. par Jean Verbiale, Paris, Louis Boulenger, 1632. de Bivero P., S.J., De sacris privilegiis ac festis Magnae Filiae, Sponsae et Matris Dei argumenta selecta concionum accesserunt, S.S. Ioachimus, Anna et Iosephus, Anvers, Martin Nutius, 1638. Camus J.-P., Premières homélies diverses, Cambrai, imprimerie Jean de la Rivière, 1620. de Fresneda Fr.-X., S.J., Sermon de la purissima Concepcion en el primer dia de su octava y festividad, Bruxelles, 1659. de Fresneda Fr.-X., S.J., Sermon de la purissima Concepcion de Maria Señora nuestra, en el ultimo dia de la octava que celebro la nacion Española en la Capilla Real del Rosario del Convento de Santo Domingo de esta Corte de Bruselas, año 1660, Bruxelles, 1661. Oratio panegyrica habita in sacra aede B. Mariae Aspricollensis ipso festo Assumptionis eiusdem die, quando ad illam aureus tapes missus a sanctissimo domino nostro Alexandro VII delatus fuit ab illustrissimo Hieronymo de Vechiis cum metris & applausibus panegyricis, Malines, Jean Iaye, 1663. Ponce de Leon B., O.S.A., Sermon en la fiesta de la naval de Lepanto, Salamanque, A. Ramirez, 1620.

Liturgie et martyrologes Baronius C., Martyrologium romanum, 2e édition, Anvers, Christophe Plantin, 1589. Le Mire A., Fasti Belgici et Burgundici, Bruxelles, Jan Pepermans, 1622. Molanus J., Usuardi martyrologium, quo Romana Ecclesia ac permultae aliae utuntur : iussu Caroli Magni conscriptum ex Martyrologiis Eusebii, Hieronymi, Bedae, & Flori, ac aliunde, Louvain, Jérôme Wellaeus, 1568. Molanus J., Natales sanctorum Belgii, et eorundem chronica recapitulatio, Louvain, Jean Maes et Philippe Zangre, 1595. Officium Beatae Mariae Virginis, Pii V. Pont. Max. iussu editum, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1600. de Raisse A., Ad Natales Sanctorum Belgii Molani auctarium, Douai, Pierre Avroy, 1626.

Décrets pontificaux, décisions conciliaires, synodes, nonciature Alberigo G. (éd.), Les conciles œcuméniques, trad. fr., 2 t., Paris, Cerf, 1994. Cauchie A. et Maere R. (éds), Recueil des instructions générales aux nonces de Flandre (1596-1635), Bruxelles, Kiessling, 1904. Concilium provinciale Cameracense in oppido Montis Hannoniae habitum, anno Domini MDLXXXVI, Mons, Charles Michel, 1587. Decreta et statuta synodi provincialis Mechliniensis, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1608.

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Bibliographies spécialisées Audenaert W., Prosopographia Iesuitica Belgica Antiqua (PIBA) : a biographical dictionary of the Jesuits in the Low Countries (1542-1773), 4 vol., Louvain, Filosofisch en Theologisch College S.J., 2000. Bibliografia mariana, 9 t., Rome, Éditions Marianum, 1978-1998. Polgar L., Bibliographie sur l’histoire de la Compagnie de Jésus (1901-1980), 3 t., Rome, Institutum Historicum Societatis Iesu, 1981-1990.

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Index

Les nombres en italique renvoient aux notes de la page.

Index des noms de lieux, personnes, personnages et divinités A Aarschot, 115 Abbenbroeck, 130 Abigail, personnage biblique, 76 Aguilón, François de, jésuite, 103 Aire-sur-la-Lys, 56, 58, 61, 62, 75-77, 82, 83, 96, 146, 242, collège jésuite, 67, 76, 82, 146, 208, SaintPierre, 62, 75 Albert, archiduc d’Autriche, souverain des Pays-Bas, 15, 28, 30, 36, 86, 111, 112-116, 117, 119-120, 121, 126, 130, 135, 138-141, 147, 149, 152, 153-159, 161, 172-173, 195, 198-199, 205-206, 207, 215, 240 Aldobrandino, Pietro, 116 Alexandre VI, pape, 131 Alexandre VII, pape, 62, 122, 178, 190, 191, 193, 194 Alexandre Farnese, gouverneur des Pays-Bas, 15, 98, 204-205, 207, 227-228, 232 Alix ou Adélaïde de Hainaut, 116 Alost, 74 Alsemberg, 30, 83, 116, 120, 251 Altötting, 12 Alva y Astorga, Pedro, franciscain, 161, 194 Ambroise de Milan, saint, 214 Amiens, Jacques d’, jésuite, 230 Anne, sainte, 10 Anthoine [Velpius], Hubert, 30 Antioche, 227 Anvers, évêché, 60, 170, 219 Anvers, ville, 15, 62, 68, 94-95, 96, 114, 128, 131, 170, 170, 185, 186, 191, 212, 225, 227-228, 232,

collège jésuite, 56, 99, 212, 228, hôtel de ville, 97, 97, 98-102, Notre-Dame, 170, 174, 227-228, SaintIgnace, 102-104 Aragón, Pedro Antonio de, 192 Aremberg, Philippe-François d’, duc d’Aarschot, 185 Arius, 76 Arlon, 62, 64, 66, 66 Arnauld, Antoine, 69, 70 Arras, évêché, 50-51, 219 Arras, ville, 15, 39, 51, 161 Asseliers, Antoine, 159 Athéna, déesse, 212 Audenarde, 190 Autriche, 13, 90, 111, 167, 168, 177, 193, 231 Avancin, Nicolas, jésuite, 172, 198 B Balinghem, Antoine de, jésuite, 33, 35, 44-45, 48, 114, 140, 145, 203, 205, 208-210, 225, 230 Balthasar Carlos, infant d’Espagne, 166 Barberini, Francesco, cardinal neveu et secrétaire d’État, 114, 116, 120 Barcelone, 179 Barry, Paul du, jésuite, 10 Basse-Wavre, 30, 123, 251 Bastogne, 66 Bellarmin, Robert, jésuite, 152, 163 Bellone, déesse, 124, 213 Bentivoglio, Guido, nonce de Flandre, 136 Berghes, Alphonse de, archevêque de Malines, 90-91, 243 Berghes, Guillaume de, archevêque de Cambrai, 28 Berghes, Henri de, évêque de Cambrai, 143 Bertoul, Jean, 140 Bérulle, Pierre de, 10 Béthune, 146, 164 Biagio della Purificazione, carme, 217 Bitbourg, 66

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Bivero, Pedro de, jésuite, 162-164, 220, 232 Boch, Jan, 99, 102, 212 Bois-le-Duc, évêché, 219 Bois-le-Duc, ville, 15, 30, 119, 128 Bolland, Jean, jésuite, 102, 191 Bonaventure, saint, 150, 219 Boonen, Jacques, archevêque de Malines, 120, 129, 143-144, 175, 189, 207 Borghese, Scipione, cardinal neveu et secrétaire d’État, 26, 119, 149, 153, 156, 156, 157, 158, 158, 172 Bosch, Charles van den, évêque de Bruges, 177 Bouvines, 223 Brabo, Sylvius, personnage légendaire, 98-99 Brandt, Hermann Franz van den, 227 Breda, 15, 114 Breydel, Grégoire, 141 Bridoul, Toussaint, jésuite, 46-47, 48, 50-51, 61, 62, 69, 198, 205, 211, 226 Brigitte de Suède, sainte, 161 Brizuela, Iñigo de, dominicain, 158 Bruges, évêché, 50, 177, 219 Bruges, ville, 15, 95, 98, 145-146, 224-225, 253, hôpital Notre-Dame ter Potterie, 30, 86, SaintSauveur, 130, 142-143 Bruxelles, 10, 15, 20, 26, 29, 36, 53-54, 79, 83, 89-91, 95, 104, 111, 113-114, 116, 116, 121, 121, 123, 131, 136, 141, 149, 153, 161, 162, 183, 186, 188, 190, 191, 207, 220, 225-227, 233, 243, 251, béguinage, 86, 117, collège jésuite, 56, 86, 116, 124-127, 184, 188, 205, 207, 222, 226-227, 251, couvent des augustins, 207, couvent des dominicains (chapelle du Rosaire), 172-173, 186-188, couvent des minimes, 122, hôpital Saint-Jacques, 129, Maison du Roi (ou Broodhuys), 123-127, Notre-Dame de la Chapelle, 128, 188, 207, Notre-Dame du Finistère, 188, Notre-Dame du Sablon, 207, 225, Saint-Géry, 83, 128, 135-139, 140, 141, 188, 207, Saint-Jacques du Coudenberg, 63, 83, 128, 169, 207, SaintNicolas, 123, 127, 188, 207, Sainte-Catherine, 188, Sainte-Marie-Madeleine, 121, Saints-Michel-etGudule, 63, 79, 89-91, 113, 121, 188, 207 Buquoy, Charles-Bonaventure de Longueval, comte de, 229-230 Burgos, 168, 173 Buscum, Pierre van, 194 Byzance, voir Constantinople C Calloo, 114, 222, 232 Calvin, Jean, 76 Cambrai, archidiocèse, 219 Cambrai, ville, 55, 223, 233-235, 242 Cambron, 29, 30, 49, 254

Capello, Ambroise, évêque d’Anvers, 70, 170, 170, 174-175, 178, 181, 181, 191 Caracena, Luis de Benavides, marquis de, gouverneur général des Pays-Bas, 89, 183-188, 191, 191 Cardinal-infant, voir Ferdinand d’Autriche Carthage, 224 Castañaga, Francisco Antonio de Agurto, marquis de, gouverneur général des Pays-Bas, 226 Castille, 180 Castro Osorio, Rodrigo de, archevêque de Séville, 151 Castro Quiñones, Pedro, archevêque de Séville, 151, 152 Charleroi, 190 Charles II, roi d’Espagne, 143, 190, 226-228, 243 Charles le Téméraire, duc de Bourgogne,133 Charles Quint, empereur, 133-134, 166, 171, 227 Chièvres, 29, 30, 49, 254 Chifflet, Jean, 234 Chigi, Flavio, cardinal neveu et secrétaire d’État, 172, 183-184, 191 Chiny, comté, 66, 73 Christophori, Denis, évêque de Bruges, 142, 145 Clovis, 69 Coebergher, Wenceslas, 119, 126, 135-136, 138 Cologne, 49, 132, 133, 225 Colveneer, George, 45-46, 50-51, 134, 140-141, 142, 145, 220, 223-224, 226, 230 Constantinople, 47, 51, 59, 59, 77, 224 Cortenbosch, 30, 255 Coster, François, jésuite, 49-51, 98-101 Coudenberghe, Jean de, 130, 131, 133-135,139, 140, 142, 143 Craesbecke, Étienne van, 159 Crespo, Francisco, bénédictin, 89, 179-181, 222 Creusen, Andreas, évêque de Ruremonde puis archevêque de Malines, 185, 188 Croÿ Chimay Aremberg, Ernest-Alexandre de, gouverneur de Luxembourg, 66, 71, 74 Croÿ Chimay Aremberg, Philippe de, gouverneur de Luxembourg, 64, 67, 72 Cueva, Alfonso de la, cardinal et marquis de Bedmar, 128 Cuzco, 14, 237 D David, Jean, jésuite, 215 David de Bourgogne, évêque d’Utrecht, 131 Delft, 131 Dellafaille, Charles, 142 Deusinck, Jean, 65 Diekirch, 66 Diest, 119

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I n de x

Dinant, 50 Dingens, François, vicaire de l’évêché d’Anvers, 170 Dole, 232 Domenico di Gesù e Maria, carme, 229-230 Douai, 96, 132, 140, 192, 225, collège d’Anchin, 45, 55, 192, 234, Saint-Amé, 192, Saint-Pierre, 192, université, 45, 140, 157-158, 192 Druon Antigone, 98 Druys, Jean, prémontré, 159 Dunkerque, 57, 58, 164 Durbuy, 66 E Élisabeth de Hongrie, sainte, 116 Enghien, 164 Enguinegatte, 223 Enriquez de Guzman y Cordova, Maria, 90 Espagne, 10, 11, 15, 47, 63, 64, 90, 120, 149-154, 159, 164, 166, 168, 168, 182, 185, 190, 191, 191, 193-194, 201, 233 Esquermes, 56, 57, 213-214 Ethelred II, roi d’Angleterre, 47, 223 Étienne, saint, 14 F Falvuere, François de la, jésuite, 186 Farnèse, Alexandre, voir Alexandre Farnèse Ferdinand d’Autriche, infant d’Espagne, dit « cardinal-infant », gouverneur général des PaysBas, 114, 120, 128, 130, 162, 163, 164, 166, 207, 232 Ferdinand de Bavière, archevêque de Cologne et prince-évêque de Liège, 160 Ferdinand II, empereur, 112, 122, 155, 221, 230 Ferdinand II d’Aragon dit le Catholique, roi, 223 Ferdinand III, empereur, 12-13, 68, 121, 166-168, 177, 230, 231 Ferrare, 116 Fitzsimon, Henri, jésuite, 229 Fiume (Rijeka), 122 Flacchio, Crisogono, 114, 119, Flandro-Belgique, province jésuite, 50, 55, 56, 102, 183, 188 Foy-Notre-Dame, 19, 30, 255 France, Christophe de, évêque de Saint-Omer, 177 Franche-Comté, 232 François d’Assise, saint, 164-166 François de Lille, Michel, dominicain, 133, 143 François-Xavier, jésuite et saint, 78, 104 Frangipani, Ottavio Mirto, premier nonce de Flandre, 26, 28, 116 Franquart, Jacques, 118 Frédéric-Henri de Nassau, 15, 114, 222

Fresneda, Francisco Javier de, jésuite, 185, 187, 191 Fruytiers, Philippe, 201 Fuensaldaña, Alonso Perez de Vivero, comte de, 181, 232 Furnes, 190 G Gallo-Belgique, province jésuite, 50, 55, 78, 106 Gand, diocèse, 219 Gand, ville, 15, 95, 141, 143, 164, 174, abbaye SaintPierre du Mont-Blandin, 29, collège jésuite, 231, 244, couvent des annonciades, 141 Geoffroi III, duc de Brabant, 124 Gesualdo, Ascanio, nonce de Flandre, 119 Godefroi de Bouillon, 227 Gonzalez de Santalla, Tirso, jésuite, 202 Grégoire XIII, pape, 219, 228 Grégoire XV, pape, 156, 160, 176 Grenade, 151, 152 Grevenmacher, 66 Grimbergen, seigneurs de, 124 Groenendael, prieuré, 122-123 Guidi di Bagno, Giovanni-Francesco, nonce de Flandre, 29, 116, 117, 117, 173 Guillaume V de Bavière dit le Pieux, duc de Bavière, 12 Gumppenberg, Wilhelm, jésuite, 40, 40, 41, 41, 46, 61 H Haarlem, 131 Hal, 28, 29, 44, 49, 115, 116, 120, 199, 211, 211, 254 Hanswijk, 144 Hasselt, 30, 255 Hautport, Robert de, 29, 30 Heraklios, empereur byzantin, 224 Herdegom, Gérard van, prémontré, 43 Hollar, Wenceslas, 124, 235 Holler, Johannes, évêque d’Ashdod et suffragant de l’archevêché de Trèves, 65 Horst, Nicolas van der, 117 Houffalize, 66 Hovines, Charles, 178, 178, 181 Hovius, Matthias, archevêque de Malines, 30 Huy, 50, 189 Huyssens, Pieter, jésuite, 103 I Ignace de Loyola, jésuite et saint, 78, 104 Isabelle Ire de Castille dite la Catholique, reine, 223 Isabelle Claire Eugénie, infante d’Espagne, souveraine puis gouvernante générale des PaysBas, 10, 15, 28, 29, 30, 33, 35, 36, 86, 104, 111,

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I n de x

112-120, 121, 122-129, 130, 135, 138-141, 142-143, 147, 149, 152, 153-161, 162, 172-173, 198-199, 209, 211, 215, 221, 225, 240 Isberge, sainte, 76 J Jacques, saint, 151, 168 Jansenius ou Jansen, Cornelius, évêque d’Ypres, 174 Jasna Góra, 13 Jean Damascène, 81-82 Jean Duns Scot, 150, 166 Jean Ier, duc de Brabant, 225-227 Jean II Casimir Wasa, roi de Pologne, 13 Jean III, duc de Brabant, 225 João IV, roi du Portugal, 13 Joseph, saint, 10, 63 Joseph Ier, empereur, 202 Joseph II, empereur, 243 Juan d’Autriche, gouverneur général des Pays-Bas, 213, 228, 229, 231 Juan José d’Autriche, gouverneur général des PaysBas, 89, 91, 121, 178, 179-183, 189, 190, 201, 222 Judith, personnage biblique, 57, 76

K Konstanz, 47 Kritsraedt, Jacques, 191 L La Ferté-Sénneterre, Henri de, 89 La Haye, 131 La Roche, 66 La Sarte, 30, 255 Laeken, 30, 53, 86, 105, 115, 117-119, 120, 126, 138, 203, 230, 252 Lagonissa, Fabio, nonce de Flandre, 116 Lambert, saint, 170 Lamboy, Wilhelm von, 207 Lamormaini, Guillaume de, jésuite, 112 Lathem, Lucas van, 121 Layens, Mattheus de, 97 Le Mire, Aubert, 26, 29, 39, 136, 199, 225, 230 Le Mire, Jean, évêque d’Anvers, 39 Le Roy, Jean, vicaire-général de l’archevêché de Malines, 174, 175-177, 178 Le Vasseur, Jean, 70 Lens, 232 Léopold Ier, empereur, 13, 121, 167, 168, 202 Léopold-Guillaume, archiduc d’Autriche, gouverneur général des Pays-Bas, 112, 120-121, 130, 170, 171-172, 173, 173, 174, 175, 178, 178, 181, 189, 198, 203, 207, 230-231, 232-235 Lépante, 11, 122-123, 213, 219, 227, 228-229

Leszczynska, Marie, reine de France, voir Marie Leszczynska Leyde, 28, 112, 131 Liège, évêché, 170 Liège, principauté, 18-19, 30, 43, 50, 52, 188 Liège, ville, 18, 93, 164, collège jésuite, 43, 192, SaintLambert, 66 Lille, 30, 61-62, 66, 67, 69, 70, 83, 96, 104, 138, 146, 161, 190, 211, 213, 224, 242, 253, collège jésuite, 56, 57, 61, 67, 182, 192, 213-214, 215, Saint-Pierre, 57, 61, 80 Lipse, Juste, 27, 28-29, 29, 33, 112-113, 124 Lisebetten, Peter van, 201 Locre, Ferry de, 39-40, 41, 50-52, 225 Loon, Théodore van, 136 Loos, 57 Lorette, 47, 120, 122-123, 229 Los Rios, Bartolomeo de, ermite de Saint-Augustin, 10 Louis XIII, roi de France, 13, 69, 70, 146 Louis XIV, roi de France, 15, 69, 70, 89, 90, 190 Louvain, 28, 49, 96, 97-98, 105, 186, 194, 252, collège jésuite, 12, Saint-Pierre, 28, 97, université, 28, 29, 143, 157, 158-159, 173 Luc, saint, 8, 130 Ludling, Jean, jésuite, 66 Ludovisi, Ludoviso, cardinal et secrétaire d’État, 117, 117, 119 Luther, Martin, 76 Luxembourg, duché, 61, 65-66, 68, 69, 71, 73, 74, 81, 243-244 Luxembourg, ville, 30, 61, 63-65, 66, 67, 69, 71, 72-75, 77, 80, 82, 83, 84, 88, 105, 206, 242, chapelle de Notre-Dame Consolatrice des Affligés, 64, 66, 67, 69, 74-75, 82, 84, 86, 106, 207, 254-255, collège jésuite, 64, 66, 67, 68, 69, 72, 75, 81, 230-231 Lyntermans, Philippe, franciscain, 187 M Maastricht, 15, 170, 252 Madrid, 89, 90, 112, 160, 178, 180, 181, 191, 207 Maes, Philippe, 153, 153, 154, 154, 155 Maillard, Claude, jésuite, 199, 211, 212 Majorque, 168 Malines, archevêché, 86, 170, 177, 190, 219 Malines, ville, 15, 131, 143-145, 252, collège jésuite, 144, 162, Notre-Dame au-delà de la Dyle, 143-144, Saint-Rombaut, 143-144 Marca, Jacques-Corneille Lummeneyns a, bénédictin, 29 Marche, 66 Marguerite d’Autriche, dite sor Margarita de la Cruz, 152, 153 Marguerite de Parme, gouvernante générale des Pays-Bas, 97

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I n de x

Marie de Bourgogne, duchesse de Bourgogne, 134, 142 Marie Leszczynska, reine de France, 87 Marie-Anne d’Autriche, reine d’Espagne, 90, 90, 152, 189-190 Mariemont, 144 Marie-Thérèse d’Autriche, impératrice, 86 Marinis, Jean-Baptiste de, dominicain, 181 Marliani, Paola Camilla, 86 Mars, dieu, 69, 74-75, 80, 124, 213, 237 Materne, saint, 50 Maurice de Nassau, 170 Maximilien Ier de Bavière, duc de Bavière, 12, 13, 18, 68, 166 Maximilien Ier, empereur, 134-135, 223 Maximilien-Emmanuel de Bavière, gouverneur général des Pays-Bas, 122 Maximilien-Henri de Bavière, prince-évêque de Liège, 19, 65 Mazarin, Jules, 233 Medjugorje, 245 Meerbeeck, Jean van, jésuite, 183-185, 188 Melo, Francisco de, marquis de Tor de Laguna, gouverneur général des Pays-Bas, 63, 114, 128, 169, 207 Mertens, Nicolas, 117 Meyer, Philippe, 35, 40 Michel, archange, 76, 91, 126, 243 Mierlo, 41 Minerve, déesse, 212-213 Molanus, Jean, 225-226 Mons, 62-63, 67, 194, 219 Mons-en-Pévèle, 225 Montagne Blanche, 47, 122, 166, 229-230 Montaigu (Scherpenheuvel), 26, 28, 29-30, 49, 87, 115, 119-120, 126, 191, 252-253 Monterrey, Juan Domingo de Zuñiga y Fonseca, comte de, gouverneur général des Pays-Bas, 91, 243 Monterrey, Manuel de Acevedo y Zúñiga, comte de, 162 Montserrat, 120, 179-180 Morra, Lucio, nonce de Flandre, 119, 153, 156, 156, 157-158, 172 Mostaert, Gillis, 97 Moulin, Gilles du, jésuite, 43 Munich, 12, 166-167 Muratori, Louis-Antoine, 159 N Namur, évêché, 219 Namur, ville, 106, 191, 194 Naples, 60, 160, 193 Nemius, Gaspard, archevêque de Cambrai, 175

Nestorius, 76 Neufchâteau, 66 Neuss, 133 Nieremberg, Juan Eusebio, jésuite, 89, 179, 199-201, 222 Nivelles, 164 Nördlingen, 47 Numan, Philippe, 30, 33-37 O Orsbeek, Jean Hugo von, archevêque de Trêves, 65 Ostende, 119, 164 P Pacheco, Pedro, 151 Paepe, Libert de, prémontré, 184, 186 Pallas, déesse, 212 Paris, 59, 114, 223, 232 Pascal, Blaise, 10, 191 Paul V, pape, 136, 149, 152, 154, 154, 155, 155, 157, 160 Pauli-Stravius, Richard, internonce de Flandre, 120 Philippe Ier ou le Beau, 130, 133-135, 139, 142, 144 Philippe II Auguste, roi de France, 223 Philippe II, roi d’Espagne, 15, 99, 112, 116, 166, 192, 227-228, 231 Philippe III, roi d’Espagne, 152, 154, 156, 166 Philippe IV le Bel, roi de France, 225 Philippe IV, roi d’Espagne, 63, 64, 66, 95, 95, 143, 158, 160, 162, 166, 168-173, 178, 179, 180, 181, 181, 182-185, 187, 189, 190-193, 194, 201, 207, 221, 222, 237 Philippe le Bon, duc de Bourgogne, 95, 171, 227 Phocas, empereur byzantin, 224 Pie V, pape, 151, 186, 219, 228, 229 Pie IX, pape, 244 Pierre de Longueil, évêque d’Auxerre, 171, 171 Pologne, 13, 244-245 Pontius ou Dupont, Paul, 164 Provinces-Unies, 15, 33, 36, 41, 64, 75, 90, 119, 123, 141, 146, 154, 155, 208, 209 Puteanus, Erycius, 29, 124 R Rachel, personnage biblique, 76 Ratbert, Paschase, 214 Rebecca, personnage biblique, 76 Reimerswaal, 130 Remich, 66 Renaud, comte de Gueldre, 225 Reulandt, Hubert, 231 Richelieu, Armand Jean du Plessis, cardinal de, 15

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I n de x

Rijeka, voir Fiume Robles, François Jean de, évêque d’Ypres, 177 Roche, Alain de la, dominicain, 132, 133 Rodolphe Ier, empereur, 112 Rojas de Sandoval, Bernard, archevêque de Tolède, 159 Rome, 20, 56, 60, 65, 66, 71, 101, 130, 152, 154, 155, 158, 160, 162, 175, 181, 184, 190, 191, 192 Rubens, Pierre-Paul, 117, 164 Rupert de Deutz, bénédictin, 18, 214 Ruteau, Antoine, 127 Rycquaert, Philippe, 222 S Sailly, Thomas, jésuite, 204-205 Saint-Jean-d’Acre, 122 Saint-Omer, évêché, 219 Saint-Omer, ville, 44, 55, 57, 104, 232, collège jésuite, 57, 104, 181-182, 232 Saint-Venant, 232, 233 Saint-Vith, 66 Salamanque, 173, 179 San Severino, Lucio, nonce de Flandre, 156, 156, 158 Sanchez de Pardo, Francisco, gouverneur du Luxembourg, 64 Sanderus, Antoine, 203, 223 Sara, personnage biblique, 76 Sarasa, Antoine, jésuite, 186 Sardaigne, 193 Scherer, Heinrich, jésuite, 41 Scherpenheuvel, voir Montaigu Schönleben, Johann Ludwig, 235 Sedan, 207 Servais, saint, 170 Séville, 151-152, 180 Sfondrati, Valeriano, marquis de, 86, 232 Sichem, 119 Sicile, 193 Silva, Beatriz da, sainte, 164 Sixte IV, pape, 151, 152 Slavata, Wilhelm von, 167-168 Soetkens, Béatrix, 225 Soignes, forêt de, 122 Sophie de Thuringe, landgravine de Hesse, 116 Soto, Andres de, franciscain observant, 139 Spada, Bernardino, nonce de France, 116, 173 Spinola, Ambrosio, 119-120 Sprenger, Jacob, dominicain, 133 Straeten ou Stratius, Jacques van der, jésuite, 140 Sylvius, François, 157-158, 220 T Thérouanne, évêché, 50

Thomas d’Aquin, 150, 157, 174, 179 Tirlemont, 115 Tongerlo, 41, 43, 53 Tongre-Notre-Dame, 29, 30, 254 Tongres, 18, 49, 50, 52, 145 Tosantos, Placido, bénédictin, 152, 153, 153 Tournai, évêché, 219 Tournai, ville, 50, 67, 85, 95, 190, 223, collège et noviciat jésuites, 67 Trejo, Antonio de, franciscain, évêque de Carthagène, 153, 154, 221 Triest, Antoine, évêque de Gand, 141, 142, 174-178 Tuchê, divinité, 224 Tunis, 227 Turenne, Henri de la Tour d’Auvergne-Bouillon, vicomte de, 64, 89, 190 U Uberlingen, 47 Uccle, 115 Urbain VIII, pape, 149, 160, 162, 168, 170, 171, 173, 174, 176, 180 Usuard, 225 V Valenciennes, 79, 88-91, 161, 190, collège jésuite, 88, 89 Vecchi, Giramolo di, internonce de Flandre, 172, 183-186, 191 Velpius, Rutger, 30 Venance, saint, 76 Verhoeven de Manso, Pierre, 143 Verviers, 164 Vianden, 66 Vienne, 10, 11, 13, 112, 166-167, 217 Villahermosa, Carlos de, duc, gouverneur général des Pays-Bas, 63, 63, 90-91 Villahermosa, Maria de, duchesse, voir Enriquez de Guzman y Cordova Villain de Gand, François I, évêque de Tournai, 177 Vilvoorde, 49, 86, 115 Vincart, Jean, jésuite, 61-62, 66-67, 70, 82, 96, 146, 234 Vindician, saint et évêque d’Arras-Cambrai, 51 Virgile, 212 Virton, 66 Vivès, Juan Battista, 155, 156, 157, 157, 158, 160, 160, 161, 161 W Wachtendonck, Jean de, évêque de Namur, 175, 190, 191 Wadding, Luke, franciscain, 221

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Walcourt, 50 Ware, Guillaume de, 150 Wichmans, Augustin, prémontré, 29, 36, 41-43, 50, 53, 144, 225 Widenfelt, Adam, 10 Willebroeck, canal de, 118 Wiltheim, Alexandre, jésuite, 64, 65, 67-68 Wiltheim, Eustache, 68 Wiltheim, Jean, 68

Worringen, 225 Y Ypres, évêché, 219 Ypres, ville, 224, 232-233, 242 Z Zylius, Otto, jésuite, 35, 198, 211, 235

Index des matières B Brigittines, 161 Bulles pontificales, Super Speculam, 186, Ex omnibus afflictionibus, 174, Sanctissimus Dominus Noster, 152-154, Universa per Orbem, 168, 170, 173, 174, Sollicitudo omnium Ecclesiarum, 62, 190-194 C Cantique des cantiques, 20, 81, 166, 182, 214-216, 219, 226, 236 Capucins, 62, 76, 128, 142, 146, 188 Carmes et carmélites, 10, 115, 170, 188, 194, 217, 228, 229-230 Collèges et élèves jésuites, 18, 40, 43, 56, 57, 58, 60, 61-62, 64, 66-69, 74-76, 78-79, 81, 82, 99, 102, 104, 116, 124-127, 144, 146, 182, 188, 192, 201, 205, 208, 212-214, 222, 226-228, 230-231, 232, 234, 244 Colonnes mariales, 12, 93, 166-167 Compagnie de Jésus, voir Jésuites Communions générales, 84 Conceptionistes, 164 Concile de Bâle, 151, 176 Concile de Trente, 9, 27, 85-86, 151, 154 Congrégation des Rites, 60, 63, 65, 66, 71, 81, 106, 192 Congrégation du Saint-Office, 152, 160, 163, 174 Congrégations mariales, voir Sodalités Confréries Les esclaves de Marie, 10 Notre-Dame de l’Assomption (Bruxelles), 121 Notre-Dame du Bon-Secours (Bruxelles), 129 Notre-Dame du Bon-Succès (Bruxelles), 129 Notre-Dame du Chant des Oiseaux (Bruxelles), 128 Notre-Dame de Hal (Liège), 211 Notre-Dame de Lorette (Bruxelles), 122 Notre-Dame des Sept-Douleurs (Pays-Bas), 129-146 Notre-Dame de la Treille (Lille), 82 Psautier de la Vierge (Douai), 132 Rosaire, 132-133, 228 Croisiers, 106

D Dédicaces littéraires, voir Épitres dédicatoires Dominicains, 132-133, 151, 158, 160, 161, 161, 171, 172-173, 174, 179, 181, 185-188, 228 E Emblèmes, 78, 188, 215-216, 222, 226-227 Épidémie, 36, 55, 73, 75-77, 82, 124-127, 129 Épitres dédicatoires et dédicaces, 19, 20, 28, 34, 39, 43, 44, 49, 53, 64, 81, 89, 90, 101, 112, 114, 127, 134, 136, 140, 163, 172, 179-181, 187, 194, 197, 201, 202, 203, 211, 215, 217, 221-222, 230, 232, 234-235 Esclavage marial, 10 F Famine, 15, 31, 36, 73, 75, 124-127, 129, 236 Femme de l’Apocalypse, 43, 164, 167, 202 Franciscains, 128, 139, 154, 159, 161, 164, 166, 170, 180, 186, 187, 188, 194, 221 G Genre, 8-9 Grand Serment des Arbalétriers de Bruxelles, 225 Guerre de dévolution, 190 Guerre franco-espagnole, 56, 88-89, 185, 209-210, 232-236 Guerre de Trente Ans, 15, 47, 55-57, 64, 82, 121, 146, 149, 155, 161, 204, 207-209, 212-213, 220, 222, 229-232 Guerres, 7, 15, 20, 22, 25, 31-37, 55-58, 64, 68, 73, 76, 82, 88-90, 102, 123-124, 127, 129, 130, 132-135, 146-147, 149, 155, 171, 185, 188, 189-190, 195, 204-237 H Hodigitria, 130 I Immaculée Conception, 13, 14, 22, 62, 63, 68, 70, 87, 89, 94, 95, 106, 121, 149-195, 202, 216-217, 221, 222, 240 Indulgences, 96, 136, 151, 177, 188

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J Jansénisme, 10, 150, 169, 174-175, 191, 191 Jésuites, 9, 10, 11, 12-13, 16, 18, 20, 21, 22, 33, 35, 40-41, 43, 44-45, 46, 49, 50, 55-58, 60, 61-62, 64, 66-70, 71, 72, 75, 76, 78-79, 81-82, 86, 88, 89, 93, 96, 98-104, 106, 107, 112, 114, 116, 122, 124-127, 140, 144, 145, 146, 159, 160, 162-164, 167-168, 169-170, 171, 174, 177, 179, 180, 181-182, 183-189, 191, 192, 194, 198-214, 215, 220, 222, 226-228, 229, 230-232, 234-237, 240, 244, voir aussi Collèges et Sodalités M Marianopolis (ou Parthénopolis), 69, 106 Mater dolorosa, 130, 131, 146 Minimes, 122, 188 Miracles et miraculeux, 25-33, 38, 40-43, 44, 46, 48-49, 52-54, 60, 61, 64-65, 67, 75, 84, 86, 88, 89, 96, 101, 113-114, 116-119, 122, 123, 124, 128, 129, 131, 134, 169, 171, 179, 207, 209, 211, 225, 230, 232, 234 Missio castrensis, aumônerie militaire, 45, 204-205, 208 N Nikopoia, 223-224, 235 O Ommegang, 225 P Palladion, 102, 212 Parthenopolis, voir Marianopolis Présentation de la Vierge au Temple (iconographie), 121 R Récollets, 11, 63, 188, 192, 233 Rosaire, 133, 172, 205, 208, 209, 229 S Santa Casa (Lorette), 47, 122-123 Sodalités jésuites, 9, 10, 12, 49, 56, 57, 67, 68, 76, 82, 98-101, 167, 168, 177, 182, 184, 188, 192, 201, 212, 213 Statues et icônes mariales dites miraculeuses Notre-Dame Auxiliatrice (Dunkerque, jésuites), 57 Notre-Dame d’Alsemberg, 30, 83, 116, 120, 121 Notre-Dame de Bois-le-Duc (Bois-le-Duc puis Bruxelles, Coudenberg), 63, 83, 120, 128, 169, 198, 207, 211, 235 Notre-Dame du Bon-Secours (Bruxelles, chapelle de l’hôpital Saint-Jacques), 129 Notre-Dame du Bon-Succès (Bruxelles, augustins), 129, 207 Notre-Dame de Calevoet (Uccle), 115 Notre-Dame de Cambron, 29-30, 49

Notre-Dame de Chièvres, 29-30, 49 Notre-Dame de Consolation (Vilvoorde, carmélites), 115 Notre-Dame Consolatrice des Affligés (Luxembourg), 30, 64-67, 69, 74-75, 82-83, 84, 86-87, 88, 88, 89, 106, 207, 230-231, 243 Notre-Dame Consolatrice (Valenciennes, jésuites, copie de Luxembourg), 89 Notre-Dame de Cortenbosch, 30 Notre-Dame de Délivrance (Bruxelles, SainteGudule), 91, 207 Notre-Dame de Foy, 19, 30 Notre-Dame de Grâce (Cambrai, cathédrale), 233 Notre-Dame de Grâce (Lille, abbaye de Loos), 57 Notre-Dame de Hal, 28-29, 33, 44, 49, 115, 116, 126, 127, 199, 205, 207, 211 Notre-Dame du Jardin ou Onze-Lieve-Vrouw van Tuyne (Ypres), 224, 233 Notre-Dame du Lac (Tirlemont), 115 Notre-Dame de Laeken, 30, 53-54, 86, 105, 115, 117-119, 120, 126, 127, 138, 230 Notre-Dame de Lorette (Bruxelles, minimes), 122 Notre-Dame de Louvain (Louvain, collégiale SaintPierre), 28 Notre-Dame de Miséricorde (Alost), 74 Notre-Dame de Miséricorde (Bruxelles, jésuites), 86, 115, 188, 207 Notre-Dame de Montaigu, 26, 29-30, 33, 37, 41, 44, 49, 86, 87, 119, 126, 127 Notre-Dame de Paix (Basse-Wavre), 36, 124-127 Notre-Dame de Paix (Bruxelles, Saint-Nicolas), 207 Notre-Dame de Paix, ci-devant du Refuge ou de Bonne-Espérance (Saint-Omer, jésuites), 57 Notre-Dame de la Panetière (Aire-sur-la-Lys, collégiale Saint-Pierre), 62, 75-76, 82, 96 Notre-Dame ter Potterie (Bruges), 30, 86 Notre-Dame de Réconciliation (Esquermes), 57, 213-214 Notre-Dame de la Sarte (Huy), 30 Notre-Dame de Thielt (Aarschot), 115 Notre-Dame de Tongre, 29-30, 49 Notre-Dame de la Treille (Lille, collégiale SaintPierre), 30, 57, 61-62, 67, 71, 96 Notre-Dame de Victoire (Bruxelles, Notre-Dame du Sablon), 207, 225-227 Notre-Dame de la Victoire Intérieure (Bruxelles, Notre-Dame de la Chapelle), 207 T Toison d’Or, 140, 186 V Vie marieforme, 10

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Index liturgique A Annonciation (25 mars), 18, 177, 219 Antiennes, Gaude Maria Virgo, 219-220, Pulchra es, 215, Sub tuum praesidium confugimus, Sancta Dei Genitrix, 12, 206 Archange Gabriel (24 mars), 219 Assomption (15 août), 91, 116, 191, 225, 234 Ave Maria, 132, 136, 162, 203, 205, 209 Avent, 215 B Bénédictions, 99, 101, 206 Bréviaire romain, 219 C Cantique des cantiques, 214-216 Carême, 144 Conception de la Vierge, fête (8 décembre), 150-151, 152, 154, 160, 166, 168-170, 172-173, 173, 176-177, 182-183, 185-186, 187, 189, 190, 192-193, messe, 173, 192, 193, office, 151, 193 Consécration, voir Patron (saint) D Dédicaces, voir Patron (saint) E Élection, voir Patron (saint) Expectation (18 décembre), 169 F Fêtes liturgiques, 18, 26, 40, 44, 46, 63, 82, 91, 116, 146, 150-152, 160, 166, 168-170, 170, 172-173, 173, 176-177, 182-183, 185-186, 187, 189, 190, 191, 192-193, 215, 216, 219, 225, 228, 234, de praecepto, 168, 173, 177, 193, in populo, 176-177 H Hymnes, Pange Lingua, 162, Ave Maris Stella, 205 L Laudes, 215 Litanies de Lorette, 20, 88, 208, 216, 236 M Matines, 219 Messe, 71, 75, 78, 89, 99, 121, 128, 142, 144, 145, 173, 192, 193, 219 Missel romain, 219 Martyrologes historiques, 44, 46, Martyrologe romain, 228, Martyrologe d’Usuard, 225

N Nativité de la Vierge (8 septembre), 63, 116 Neuvaines, 55, 57, 58, 75-76, 82, 86, 88, 116, 117, 119, 126, 181-182 Notre-Dame de Victoire (7 octobre), 228 O Octaves, 63, 91, 114, 144, 169, 172, 176, 187-188, 191, 192, 193 Offices, 114, 151, 209, office de la Conception de la Vierge, 151, 193, office du Rosaire, 228, Officium parvum ou Petit office de la Vierge, 215, 219 P Pâques, 219 Pater Noster, 132, 136 Patron (saint), 17, 91, 113, 121, 168, 168, 170, 243, dédicace, 44, 50, 52, 59, 63, 71, 80, 144, 162, 170, 177, élection, 58-72, patronage marial, 12-13, 16, 17, 18, 49-50, 52, 58-72, 73-75, 81, 82, 88, 128, 95, 96, 97, 101, 106, 121, 128, 149, 166-178, 183, 189-195, 201, 207, 221, 224, 241 Processions, 18, 21, 46, 55-61, 62, 64, 69-91, 101, 113-114, 115, 117, 121, 123, 128, 142-143, 146, 151, 168, 169, 173, 177, 186, 188, 191, 192, 207, 213-215, 223-227, 229, 234, 236, 241, 243 Psaumes, Cantate Domino canticum novum, 215, 219, Laudate Dominum de coelis, 215, Laudate Dominum in sanctis eius, 215 Purification (2 février), 215 Q Quarante heures, 144 R Répons Gaude Maria Virgo, 219 Rosaire, 219, 228 S Saint-Sacrement, 113-115, 163, 175, 182, 186, 232, procession, 90, 227 Saint-Sacrement de Miracle (Bruxelles), 89, 90, 113-114 Salutation angélique, voir Ave Maria Sept Douleurs, 146 T Trait Gaude Maria Virgo, 219 V Visitation (2 juillet), 216

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Table des illustrations

Figure 1, 42 Belgium Regium Caeli Reginae devotum (H. Scherer, S.J., Atlas marianus sive praecipuae totius orbis habitati imagines et statuae magnae Dei matris beneficiis ac prodigiis inclytae succincta historia propositae et mappis geographicis expressae, in-4, Dilingen, J.-C. Bencard, 1737 (2e éd.)). Figure 2, 100 Anvers, façade de l’hôtel de ville avant 1587 (L. Guicciardini, Description de tout le Païs-Bas autrement dict la Germanie inférieure ou basse Allemaigne, in-2, Anvers, Guillaume Sylvius, 1567). Figure 3, 100 Anvers, façade de l’hôtel de ville après 1587. Figure 4, 101 Anvers, façade de l’hôtel de ville, B. Maria Virgini Dei Matri S.P.Q. Antverp. Patrona (Fr. Coster, De Cantico Salve Regina septem meditationes, in-16, Anvers, imprimerie Plantin, 1587). Figure 5, 103 Anvers, façade de l’église Saint-Ignace (A. Sanderus, Chorographia sacra Brabantiae, vol. 3, in-2, Bruxelles, Philippe Vleugaert, 1727 (rééd.)). Figure 6, 118 Retour de la Vierge de Laeken depuis l’église du béguinage jusqu’à son sanctuaire (N. van der Horst, Le pèlerinage de l’archiduchesse Isabelle et de sa suite à Laeken, huile/toile, 160 x 190 cm, Bruxelles, Musée de la Ville, inv. K 1922/2). Figure 7, 125 Bruxelles, façade de la Maison du Roi ou Broodhuys (E. Puteanus, Bruxella incomparabili exemplo septenaria gripho palladio descripta luminibus historicis, politicis, miscellaneis distincta & explicata, in-f, Bruxelles, imprimerie Jan Mommaert, 1646). Figure 8, 137 W. Coebergher, La mise au tombeau, huile/bois, 1605, 306,5 x 239,5 cm, Bruxelles, M.R.B.A., inv. 124. Figure 9, 165 Frontispice d’une thèse consacrée à la défense franciscaine de l’Immaculée Conception (P. Pontius, Seraphicus atlas, gravure, 509 x 726 mm, Anvers, Maison Rubens, inv. P 736). Figure 10, 200 Per me Reges regnant, per me Principes imperant I (J.-E. Nieremberg, Trophaea Mariana, in-2, Anvers, veuve et héritiers Jean Cnobbaert, 1658).

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Ta bl e de s i l lus t r at ions

Figure 11, 202 Per me Reges regnant, per me Principes imperant II (T. Gonzalez de Santalla, Tractatus theologicus, de certitudinis gradu, quem, infra fidem, nunc habet sententia pia de immaculata B. Virginis conceptione, in-4, Dilingen, J.-C. Bencard, 1690). Figure 12, 206 L’Étendard des Couleurs (E. Puteanus et J. Franquart, Pompa funebris optimi potentissimique principis Alberti pii, archiducis Austriae ducis Burgundae Brabantiae &c., Bruxelles, Jan Mommaert, 1623). Figure 13, 210 Virgo pugnacissima (Maria christiano militi, in-12, Anvers, veuve et héritiers de Jean Cnobbaert, 1658). Figure 14, 216 Castrorum acies ordinata (J. David, Pancarpium marianum, septemplici Titulorum serie distinctum : ut in B. Virginis odorem curramus, et Christus formetur in nobis, in-8, Anvers, imprimerie Plantin, Jean Moretus, 1607). Figure 15, 218 Tour de David (B. della Purificazione, Narrazioni sagre delle più insigni Vittorie riportate da’Fedeli per intercessione della Santissima Madre di Dio dagl’Anni di Christo 534 sino al 1683, in-4, Rome, Giuseppe Vannacci, 1687). Figure 16, 234 Notre-Dame de Grâce (J. Chifflet, De sacris inscriptionibus, quibus tabella D. Virginis Cameracensis illustratur, lucubratiuncula, in-4, Anvers, imprimerie Plantin, Balthasar Moretus, 1649).

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TA BL E DE S M AT I È R E S

Introduction Faire de l’histoire mariale Gloire et triomphe : une Vierge toute-puissante Symbole d’union Les Pays-Bas espagnols : rêves de stabilité Marges et filigranes

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PREMIÈRE PARTIE : LA PROTECTRICE DU PAÏS-BAS

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Une construction littéraire Sanctuaires et protection mariale Livrets de pèlerinage et récits de miracles Du corps charnel au corps collectif Des synthèses mariales : espace et temps Mariano-topographies Les calendriers marials

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Une proclamation cérémonielle Une demande panique : processionner pour implorer la paix Une demande réfléchie : le patronage marial De Lille au duché du Luxembourg Un projet jésuite L’accueil du pouvoir public Modalités de la solennité et proclamations idéales Dramaturgies et médiatisations Les mots et les gestes Le triomphe du faire-voir L’investissement de l’espace public Vierge et pouvoirs civils : présences enchevêtrées Un idéal de communauté autour de la figure mariale Une garantie d’efficacité

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Des repères monumentaux Au coin de la rue Les bâtiments publics Les murailles de la ville

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DEUXIÈME PARTIE : LA VIERGE DES HABSBOURG

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Ferveur et ostentation habsbourgeoises La pietas austriaca Offensive dévotionnelle dans les Pays-Bas méridionaux Sanctuaires marials et démonstration ostentatoire de la piété princière Des opérations stratégiques ponctuelles Les copies de la Santa Casa La façade de la Maison du Roi Notre-Dame de Bois-le-Duc Le mouvement confraternel : le rôle politique de la Confrérie de Notre-Dame des Sept-Douleurs

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Ta bl e de s m at i è r e s

La fondation à la fin du xve siècle Un réseau de solidarité spirituelle La prière contre les ravages de la guerre Le renouveau au xviie siècle Le cas de Saint-Géry Une lecture politique ravivée : l’utilité publique de la Confraternité Union de la nation ou rédemption individuelle ?

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L’âpre combat immaculiste Préliminaires Première cristallisation : les pressions archiducales pour obtenir la définition Le soutien à Margarita de la Cruz La demande personnelle des archiducs « L’affaire Sylvius » Un vœu à l’Immaculée Conception par l’université de Louvain ? L’ultime requête archiducale Une période de transition La discrétion du gouvernement et l’activité apostolique dans les Pays-Bas L’affirmation immaculiste dans l’Empire Seconde cristallisation : l’Immaculée Conception patronne des Pays-Bas ? Le mémorial adressé à Philippe IV La consultation auprès des évêques Don Juan Les vœux des États de Brabant Un dernier mémorial

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Chant à la Vierge, ode aux Habsbourg La garante du pouvoir « Maria Victrix » Sur les champs de bataille Construction d’un personnage insolite La Bellatrix Regina Références vétérotestamentaires, liturgiques et doctrinales : Maria Victrix Références historiques La Nikopoia byzantine Les commémorations locales : Vierges de Victoire et victoires du prince Lépante et la Montagne blanche : la Généralissime des armées habsbourgeoises Interprétations mariales des exploits militaires dans les Pays-Bas Conclusion Abréviations Bibliographie Sources manuscrites Sources imprimées : éditions anciennes et éditions scientifiques Travaux Index des noms de lieux, personnages et divinités Index des matières Index liturgique Table des illustrations

197 197 204 204 208 208 214 223 223 224 228 231 239 247 249 249 251 265 283 289 291 293

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