Science et théologie dans les débats savants de la seconde moitié du XVIIe siècle 9782503525846, 2503525849

La seconde moitié du XVIIe siècle voit se produire une véritable révolution de la communication dans la République des L

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Science et théologie dans les débats savants de la seconde moitié du XVIIe siècle
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SCIENCE ET THÉOLOGIE DANS LES DÉBATS SAVANTS DE LA SECONDE MOITIÉ DU XVIIe SIÈCLE

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BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES SCIENCES RELIGIEUSES

VOLUME

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Illustration de couverture extraite de : J. J. Scheuchzer, Physica Sacra, iconibus œneis illustrata procurante et sumtus suppeditante Johanne Andrea Pfeffel, Augustano, Sacræ Cæsareæ Majestatis Chalcographo aulico, Pfeffel, Augsburg et Ulm 1731-1735.

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TONY VOLPE

SCIENCE ET THÉOLOGIE DANS LES DÉBATS SAVANTS DE LA SECONDE MOITIÉ DU XVIIe SIÈCLE

LA GENÈSE DANS LES PHILOSOPHICAL TRANSACTIONS ET LE JOURNAL DES SAVANTS (1665 - 1710)

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La Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses La collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses, fondée en 1889 et riche de plus de cent-trente volumes, reflète la diversité des enseignements et des recherches menés au sein de la Section des sciences religieuses de l’École Pratique des Hautes Études (Paris, Sorbonne). Dans l’esprit de la section qui met en œuvre une étude scientifique, laïque et pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection tant la diversité des religions et aires culturelles étudiées que la pluralité des disciplines pratiquées : philologie, archéologie, histoire, philosophie, anthropologie, sociologie, droit. Avec le haut niveau de spécialisation et d’érudition qui caractérise les études menées à l’EPHE, la collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses aborde aussi bien les religions anciennes disparues que les religions contemporaines, s’intéresse aussi bien à l’originalité historique, philosophique et théologique des trois grands monothéismes – judaïsme, christianisme, islam – qu’à la diversité religieuse en Inde, au Tibet, en Chine, au Japon, en Afrique et en Amérique, dans la Mésopotamie et l’Égypte anciennes, dans la Grèce et la Rome antiques. Cette collection n’oublie pas non plus l’étude des marges religieuses et des formes de dissidences, l’analyse des modalités mêmes de sortie de la religion. Les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers dans le domaine des sciences religieuses (chercheurs enseignants à l’EPHE, anciens élèves de l’École, chercheurs invités..).

Directeur de la collection : Gilbert DAHAN Secrétaire de rédaction : Francis GAUTIER Secrétaire d’édition : Cécile GUIVARCH Comité de rédaction : Denise AIGLE, Mohammad Ali AMIR-MOEZZI, Jean-Robert ARMOGATHE, Jean-Daniel DUBOIS, Michael HOUSEMAN, Alain LE BOULLUEC, Marie-Joseph PIERRE, Jean-Noël ROBERT

© 2008 Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this book may be reproduced, stored in retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.

D/2008/0095/71 ISBN 978-2-503-52584-6 Printed in the E.U. on acid-free paper

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AVERTISSEMENT

Dans les notes relatives au Journal des savants figurent les pages de l’édition originale suivies entre parenthèses des pages correspondantes dans les rééditions du Journal lorsque nous avons eu la possibilité de consulter ces dernières.

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PRÉFACE

Depuis longtemps les historiens des idées et ceux de la religion se sont aperçus de l’existence d’un profond et rapide changement à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle. « La majorité des Français pensait comme Bossuet ; tout d’un coup, les Français pensent comme Voltaire : c’est une révolution », écrivait Paul Hazard dans sa Crise de la conscience européenne (1680-1715), en 1935. Ce jugement n’a pas été fondamentalement remis en question même si, pour les besoins de telle ou telle étude, on a préféré l’expression de pré-Lumières ou de « querelle des Anciens et des Modernes ». Cette dernière, cependant, avait plutôt une signification littéraire, comme si les disputes entre écrivains occupaient seules le devant de la scène. Mais Newton, mais Leibniz ? Ils se combattaient aussi, ou plutôt, ils rivalisaient, mais pour d’autres enjeux. Il s’agissait de la compréhension de l’univers grâce à la mécanique céleste, désormais accessible depuis la découverte du calcul infinitésimal ou différentiel. À qui revenait la découverte ? Peu importait, somme toute. Elle était là et, grâce à elle, le savant pouvait raisonnablement espérer comprendre le secret de la Création, avec ou sans Dieu. Dans ces années de recherche et d’intense réflexion se préparaient les Lumières radicales de la seconde moitié du siècle. Mais comment connaître la grande révolution qui s’annonçait, comment mesurer la puissance de la vague déferlante, encore éloignée, dans le paysage paisible ? Les historiens des idées, comme ceux de la religion ou des sciences ont cherché, dans l’étude approfondie de l’œuvre d’un savant ou d’un philosophe, une réponse à la question. D’aucuns ont tenté, par des enquêtes sociologiques portant sur les bibliothèques ou les pratiques religieuses, d’en savoir un peu plus long sur ce que pensaient les hommes et les femmes des années 1700. Était-il possible d’aller plus loin ? Voici le cœur du problème que Tony Volpe, avec talent et avec succès, je le crois, a tenté de résoudre. Que pensaient les hommes cultivés – mais qui n’étaient pas forcément des savants – des découvertes scientifiques de la fin du XVIIe siècle et du début du siècle suivant ? Elles mettaient souvent en cause l’Écriture Sainte telle qu’ils l’avaient apprise. Mais, peut-être, convenait-il aussi d’évoluer. Comment s’informer ? Et comment répondre aux questions que l’on pouvait se poser ? Les réponses se trouvaient, en partie, dans les premiers journaux scientifiques, nés avec les Académies, tant en France qu’en Angleterre entre 1665 et 1670. Leur caractère quasi officiel garantissait leur longévité ; leurs liens avec les Académies, la variété des sujets traités : des mathématiques aux sciences de la terre ou de la vie, sans oublier la théologie et l’exégèse. Ces travaux assuraient aux lecteurs une information aussi neuve que solide. Ainsi, furent sélectionnés le Journal des savants pour ce côté de la Manche et les Philosophical Transactions, pour l’autre côté. Un fil conducteur devait être choisi pour éviter la trop grande dispersion, ce fut la Genèse. Naturellement, tous les ouvrages qui abordent ce thème ne furent pas analysés mais on en trouve mention dans les annexes où le lecteur intéressé peut poursuivre sa propre enquête avec profit. Dans les rigoureuses analyses de Tony Volpe, grands et médiocres savants se mêlent tandis que la science, la théologie et l’histoire sainte sont réunies en un temps où elles ne pouvaient être dissociées. Déjà pourtant – et peut-être est-ce l’un des apports essentiels de ce livre – des idées fécondes qu’on retrouvera beaucoup plus 7

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Préface

tard dans le XVIIIe siècle apparaissent. La chronologie chinoise, écrivent les auteurs de mémoires, n’est pas très claire ; l’histoire de l’Atlantide, moins encore. Il n’empêche que « l’âge du monde », selon la Bible, estiment le Père Pezron et Leibniz, est entièrement à revoir. Et les fossiles, furent-ils les témoins du Déluge, comme le pensent beaucoup de bons esprits ? Mais alors, il faudrait croire en l’existence de plusieurs déluges puisque les restes des animaux d’antan sont si profondément inscrits dans la pierre. Or ceci est contraire à l’enseignement de la Bible. Thomas Burnet développait une autre théorie, un peu dans le but de réconcilier les adversaires. Le Déluge décrit par la Bible, selon cet auteur, n’aurait pas été une simple montée des eaux. Il aurait été la conséquence d’un phénomène cosmique, au cours duquel l’axe de la terre aurait littéralement pivoté sur lui-même. Cette explication ne satisfit pas davantage les partisans de la lettre de l’Écriture. Le Père Castel, S.J., qui tint un temps la rubrique scientifique des Mémoires de Trévoux, portait sur ces affaires un jugement sans appel. « Le déluge ne doit pas et ne peut point s’expliquer naturellement », écrivait-il encore en 1740. Il est vrai qu’à l’époque, le bon Père était devenu une curiosité du quartier latin que les étudiants venaient faire parler pour colporter ensuite ses naïvetés. Il n’empêche que l’époque dite de la « crise de la conscience européenne », était encore très loin de celle de Diderot et des Encyclopédistes. Pour le Suisse Scheuchzer comme pour l’Anglais Woodward, savants respectés l’un et l’autre, les fossiles étaient « d’authentiques reliques du Déluge ». Soucieux de retrouver, avec justesse, les idées fluctuantes, contradictoires parfois, d’une époque fort riche, Tony Volpe a fait œuvre d’historien. Ceci l’a amené, au terme de sa longue recherche, à remettre en question une idée pourtant largement reçue. « Ainsi, écrit-il, c’est dans un pays catholique, sous un régime “absolutiste”, qui révoque l’Édit de Nantes et qui pourchasse les jansénistes, que s’est affirmée le plus aisément l’indépendance de la science à l’égard de la théologie. Alors qu’en Angleterre, pays “libéral”, au moins à partir de 1688, la science a manifestement éprouvé plus de mal à conquérir cette indépendance ».

Louis CHÂTELLIER

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INTRODUCTION « On pourrait appeler ce siècle le siècle des journaux », écrivait, en 1708, Gispert Cuper à l’abbé Bignon, en lui adressant une liste de journaux savants récemment créés1. Le philologue néerlandais considérait en effet l’apparition et la multiplication des périodiques comme la marque distinctive de son temps. Une quarantaine d’années plus tôt, en 1665, était né le premier périodique scientifique, le Journal des savants, suivi et imité par la fondation d’autres journaux scientifiques. Quelles ont été les mutations apportées par les périodiques dans la diffusion et la circulation de l’information scientifique ? Comment situer ce nouvel intermédiaire par rapport aux instruments traditionnels de l’échange savant ? Par-delà les barrières sociales, les frontières politiques, confessionnelles ou linguistiques, les intellectuels de la seconde moitié du XVIIe siècle se considéraient souvent comme appartenant à une République des lettres, caractérisée par la recherche de la vérité et la libre communication entre ses membres. L’expression de “République des lettres”, qui apparaît au XVe siècle et dont la signification se précise au XVIIe siècle, tendait ainsi à désigner le plus souvent la communauté des savants et des érudits qui cultivaient l’ensemble du savoir2. Les membres de la République des lettres, savants, doctes et érudits, étaient entraînés par une même volonté de partager leurs connaissances et de s’ouvrir les uns aux autres. Bien plus, tous ceux qui adhéraient à l’idéal de cette grande communauté intellectuelle avaient le devoir de transmettre, de communiquer et de diffuser le savoir. Ils avaient pleinement conscience que le progrès intellectuel nécessitait le développement de la communication. La communication fut donc au cœur des préoccupations de cette communauté savante, elle était un impératif à son existence. Or le XVIIe siècle, qui a représenté un moment fondamental dans l’histoire de la pensée occidentale, a vu particulièrement croître et se diversifier les formes de sociabilité savante. Il s’agit effectivement d’une période où la vie intellectuelle a connu un développement notable sous des formes renouvelées et par-dessus tout une remarquable fécondité. L’époque de la Renaissance tardive et plus encore la première moitié du XVIIe siècle avaient déjà permis d’assister à un remarquable essor de la sociabilité savante, aussi bien par une intensification des pratiques anciennes de l’échange intellectuel que par l’instauration de nouvelles pratiques de communication. En l’absence de ces vecteurs de communication savante que sont les académies officielles et les périodiques scientifiques à partir des années 1660, de denses réseaux de communications s’étaient établis avec les voyages savants, les correspondances et les assemblées d’érudits.

1. Gispert CUPER, Lettres de critique, de littérature et d’histoire…, Amsterdam 1743, p. 192. 2. L’expression apparaît pour la première fois en 1417 sous la forme latine de Respublica litteraria, dans une lettre de l’humaniste vénitien Francesco Barbaro (1390-1459) au Pogge (Poggio Bracciolini, 13801454), elle devient courante dès le XVIe s. Cf. F. WAQUET, « Qu’est-ce que la République des lettres ? essai de sémantique historique », Bibliothèque de l’École des chartes, t. CXLVII, 1989, p. 473-502, ainsi que H. BOTS, F. WAQUET, La République des lettres, Belin, Paris 1997. En ce qui concerne la République des lettres dans sa dimension géographique, voir F. WAQUET, « L’espace de la République des lettres », dans H. BOTS et F. WAQUET (éd.), Commercium litterarium. La communication dans la République des Lettres, 1600-1750, Conférences des colloques tenus à Paris 1992 et Nimègue 1993, Amsterdam-Maarssen 1994.

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Introduction

Déjà familiers des professeurs et des étudiants du Moyen Âge, les voyages savants s’intensifient au XVIIe siècle. Toutefois, leur finalité évolue. Si à la Renaissance, on part plutôt à la découverte d’un savoir perdu, au XVIIe siècle, l’échange d’information devient l’objectif principal des voyages savants. Le voyage scientifique se fait interactif, échanges et comparaisons se multiplient et contribuent à la formation et au développement de la science nouvelle. La pérégrination érudite permet au voyageur de se perfectionner en accédant directement aux diverses sources du savoir, tout en lui offrant une occasion privilégiée de développer et d’enrichir son réseau de relations3. Jusque vers les années 1640, l’Italie constitua le principal pôle d’attraction de la vie intellectuelle européenne, puis elle commença à être délaissée au profit des pays d’Europe du Nord4. Cependant, longue et coûteuse, la pratique du voyage fut nécessairement limitée : peu d’érudits avaient les moyens de se l’offrir et, qui plus est, d’entreprendre de longues pérégrinations. Exceptionnel au cours d’une vie, le voyage ne pouvait représenter un mode habituel de transmission et de diffusion des idées qui circulaient plus couramment à travers les échanges épistolaires. Grâce aux contacts noués, le retour du voyageur était d’ailleurs souvent suivi par l’établissement de correspondances. La correspondance a joué un rôle moteur dans la vie intellectuelle du XVIIe siècle. Si ce moyen de communication avait déjà été fort usité au siècle précédent, il connut sans conteste son apogée au XVIIe siècle, le siècle d’or des correspondances5. La correspondance a longtemps représenté le moyen primordial de maintenir la vie de la République des lettres. Certains personnages se sont particulièrement distingués pour leur rôle d’intermédiaires. Ainsi, le père Marin Mersenne a-t-il joué un rôle actif de ferment de l’activité scientifique en ne cessant, à travers sa correspondance, d’impulser des recherches ou de susciter des observations6. Des correspondances comme celles de Mersenne, de Peiresc, d’Oldenburg ou de Magliabechi se signalent par leur importance quantitative : leur volume, la dimension de leurs réseaux de correspondants qui s’étendaient à travers toute l’Europe, le temps et l’argent nécessaires pour les mettre en œuvre. Avant l’apparition des premiers périodiques scientifiques, pour les savants, la lettre était au premier chef le véhicule de l’information scientifique7. Les savants y échangeaient non seulement des idées, des principes et des démonstrations, mais également des calculs, des observations et des expériences. La lettre leur permettait de manifester leurs intérêts et d’exposer leurs activités, de diffuser des nouvelles sur les progrès de leurs recherches, et d’annoncer les ouvrages parus ou en préparation. Elle représentait encore l’occasion de soumettre à un public choisi une pensée en cours d’élaboration. La lettre ne conservait que rarement son carac-

3. Cette double fonction du voyage savant est bien mise en évidence par P. DIBON et F. WAQUET, Johannes Fredericus Gronovius, pèlerin de la République des Lettres : recherches sur le voyage savant au XVIIe siècle, Genève, Paris 1984. 4. Pour les voyages des érudits français de la première moitié du XVIIe s., en particulier en Italie, voir R. PINTARD, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Genève, Paris 1983, p. 101-115. 5. P. DIBON, « Les échanges épistolaires dans l’Europe savante du XVIIe siècle », Revue de synthèse 81-82 (1976), p. 31-50. 6. Correspondance du P. Marin Mersenne, religieux minime, publiée et annotée par C. de WAARD et A. BEAULIEU, t. I à XVI, Paris 1932-1986. Les seize volumes de la Correspondance de Mersenne totalisent 10000 pages (le vol. 17, publié en 1988, concerne les Suppléments, Tables et Bibliographie). Ils comprennent 1873 documents dont 306 lettres écrites par Mersenne et 789 lettres adressées à Mersenne. 7. H. J. M. NELLEN, « La correspondance savante au XVIIe siècle », XVIIe siècle 1 (1993), p. 87-98.

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tère confidentiel. Elle était diffusée, ne fût-ce qu’en extrait, et parfois très largement, parmi les amis du destinataire. La naissance des académies en Italie dès le XVe siècle, et leur multiplication en Europe, notamment au XVIIe siècle, provient aussi bien du besoin de diversifier les moyens de communication que de l’incapacité dont firent preuve les universités à s’adapter à l’évolution de la vie intellectuelle. En France, la première moitié du XVIIe siècle voit le foisonnement rapide, à partir des années 1620 environ, de cénacles de lettrés, de cercles d’érudits et d’assemblées savantes : ainsi le cabinet des frères Dupuy, créé en 1617 et qui accueillit son public jusqu’en 1656, les conférences du bureau d’adresse de Théophraste Renaudot de 1632 à 1642, l’académie parisienne du père Mersenne qui fonctionna de 1635 jusqu’à la mort de son fondateur en 1648, et dont l’académie de Le Pailleur prit la relève jusqu’en 1654, l’académie Bourdelot, fondée vers 1640, ou bien encore celle de Montmor, officiellement inaugurée en 16578. Lieux d’échanges, ces académies, comme elles s’intitulent souvent à l’époque, reçoivent en leur sein tous ceux qui, de plus en plus nombreux, s’intéressent passionnément au mouvement de la vie intellectuelle, pour la plupart d’ailleurs simples « amateurs éclairés » et non spécialistes du savoir. Ce mouvement n’est pas sans lien avec le progrès de la « politesse mondaine »9. En même temps que ce nouvel idéal social s’imposait comme règle du comportement en société en faisant passer au premier plan les valeurs de courtoisie, de bienséance et de civilité, il haussait la culture au rang de ces nouvelles normes qui désormais régissaient le comportement des élites sociales. Il a ainsi contribué au progrès de l’intérêt pour la vie intellectuelle au sein de ces mêmes élites. Cependant, le caractère non-officiel de ces premières académies et la liberté qui en résultait ont représenté une concrétisation de la revendication du droit au libre exercice du questionnement philosophique et scientifique. Cette exigence est manifestement la raison majeure de la naissance et du développement du phénomène académique. L’intérêt passionné des acteurs du mouvement académique s’est d’ailleurs conjugué avec la volonté de contester le traditionalisme et l’immobilisme des institutions officiellement chargées d’élaborer et de transmettre la connaissance. Il n’est donc pas surprenant que ces structures originales de sociabilité savante aient été des lieux d’invention et d’innovation puisqu’elles ont été créées expressément dans le but

8. Voir S. MAZAURIC, « Le mouvement académique parisien du premier XVIIe siècle et la constitution de la science moderne », dans La Science à l’époque moderne, actes du colloque de 1996 de l’Association des historiens modernistes des universités, Paris 1998, p. 71-89. Voir également l’ouvrage fondamental de Simone MAZAURIC, Savoirs et philosophie à Paris dans la première moitié du XVIIe siècle. Les conférences du bureau d’adresse de Théophraste Renaudot (1633-1642), Paris 1997. À travers les cinq volumes de leurs comptes rendus, les conférences hebdomadaires du bureau d’adresse organisées de 1633 à 1642 par Théophraste Renaudot offrent un témoignage sans égal et incomparablement précis sur les académies du premier XVIIe siècle. 9. M. MAGENDIE, La Politesse mondaine et les théories de l’honnêteté en France au XVIIe siècle de 1600 à 1660, Paris 1925. Sur ce processus de civilisation et de polissage des mœurs, voir aussi N. ELIAS, La civilisation des mœurs, trad. fr., Paris 1973 ; ainsi que J. REVEL, « Les usages de la civilité », dans P. ARIÈS et G. DUBY (dir.), Histoire de la vie privée, t. III, De la Renaissance aux Lumières, Paris 1986, p. 169-209. Jacques Revel souligne les enjeux politiques de ce processus et le rôle joué, à partir des années 1630, par les agents de la monarchie absolue. Cette dernière « voit en effet dans la répression des excès et dans l’institution d’une norme civile le moyen de contenir les débordements, de brimer les prétentions nobiliaires à l’exceptionnalité morale et politique, de briser les solidarités particulières » (p. 197).

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de favoriser le renouvellement des contenus du savoir10. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la fondation d’académies officielles ne s’est pas traduite par la disparition des académies privées. Mais ces dernières, par leur nature même, ne pouvaient pleinement satisfaire les exigences nouvelles. Si la fondation de l’Académie des sciences offrait aux savants des facilités matérielles, il s’agissait aussi pour Colbert d’accroître le prestige de la monarchie française et la gloire du roi, en créant une institution capable de rivaliser notamment avec la Société royale de Londres ou avec l’Accademia del Cimento de Florence. La volonté des pouvoirs publics de mettre la science au service de l’État et d’officialiser la vie académique sous sa forme scientifique est allée de pair avec les progrès de la science nouvelle et les espérances qu’elle pouvait susciter, mais dans un processus lent et progressif 11. La naissance et la floraison des premiers journaux scientifiques est à rapprocher du développement à travers l’Europe d’institutions savantes qui vont diffuser, elles aussi, les comptes rendus de leurs travaux. La seconde moitié du XVIIe siècle voit ainsi le rôle de la France et de l’Angleterre se renforcer dans la République des lettres, les milieux érudits français et britanniques se structurant autour de l’Académie royale des sciences de Paris, fondée en 1666, et de la Royal Society, fondée en 166212. Parallèlement, l’élément essentiel de la République des lettres, la communication, connaît une véritable révolution avec la fondation en 1665 des deux premiers périodiques scientifiques : le Journal des savants13 à Paris d’abord, puis dans son sillage, les Philosophical Transactions14 à Londres. Les deux journaux permettent le développement d’un nouveau genre de communication, le mémoire, qui induit une nouvelle façon de rencontrer une audience dans la République des lettres. La communication, qui était fondée essentiellement sur des échanges, directs ou indirects, mais de personne à personne (échanges épistolaires ou rencontres) perd progressivement de ce caractère personnel. Même si la lettre garde son importance, elle n’a plus ce rôle fondamental, elle peut même tendre à l’anonymat en passant dans le contenu des revues. Ces dernières se nourrissent d’ailleurs très largement du courrier de leurs correspondants :

10. S. MAZAURIC, « le mouvement académique parisien du premier XVIIe siècle et la constitution de la science moderne », op. cit. 11. Voir à ce sujet, S. MAZAURIC, « Des académies de l’âge baroque à l’Académie royale des sciences », dans Réglement, usages et science dans la France de l’absolutisme, actes du colloque international organisé par l’Académie des sciences de l’Institut de France, avec le concours du Centre international de synthèse, à Paris, 8-10 juin 1999, Paris 2002, p. 13-24. 12. Pour l’Académie royale des sciences et les milieux scientifiques français, voir en particulier : R. HAHN, L’anatomie d’une institution scientifique. L’Académie des sciences de Paris, 1666-1803, Bruxelles 1993 ; A. STROUP, « Louis XIV as patron of the Parisian Academy of Sciences », dans D. LEE RUBIN (éd.) Sun King : The ascendancy of French culture during the reign of Louis XIV, Washington 1992, p. 221-240 ; ID., « Science, politique et conscience aux débuts de l’Académie royale des sciences », Rev. Syn. 114 (1993), p. 423-453. Pour la Royal Society et les milieux scientifiques anglais : M. HUNTER, The Royal Society and its Fellows, 1660-1700 : The morphology of an early scientific institution, British Society for the History of Science, 1994 ; ID., Science and the shape of orthodoxy : Intellectual change in late 17th-century Britain, Woodbridge 1995 ; ID., Establishing the new science, The experience of the early Royal Society, Woodbridge 1989 ; ID., Science and Society in Restoration England, Cambridge 1981. 13. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », thèse d’état (dactylographiée, dir. D. ROCHE), Université de Paris I, Paris 1998. 14. D. A. KRONICK, « Notes on the printing history of the early Philosophical Transactions », Libraries and Culture 25 (1990), p. 243-268 ; ID., A history of Scientific and Tecnical Periodicals. The Origins and Development of the Scientific and Technical Press. 1665-1790, Metuchen (N. J.) 1976 (2e éd.).

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ainsi, l’abondante correspondance d’Henry Oldenburg dans le cas des Philosophical Transactions15, tout comme la correspondance des rédacteurs du Journal des savants pour ce dernier. Dans le rapport lettre-périodique, il y eut donc un temps, au moins, d’étroite collaboration16. Surtout, par sa publication dans ce nouveau moyen de communication, la lettre acquiert une tout autre dimension. Auparavant, la lettre était destinée à un interlocuteur qui pouvait éventuellement la montrer ou en révéler partiellement le contenu au cercle de ses connaissances. Désormais, publiée dans le journal, la lettre atteint à travers l’Europe un lectorat nombreux et très diversifié qu’elle n’aurait pu toucher avant, et aussi rapidement, même en étant lue publiquement dans un cercle d’érudits. Pour les hommes de science, les périodiques deviennent un instrument indispensable pour faire connaître au public les résultats de leurs recherches et pour faire enregistrer la priorité d’une découverte ou d’une invention. En raison du délai important de parution des actes des académies, beaucoup de savants procéderont d’ailleurs longtemps à des prépublications de leurs mémoires dans des revues générales. Le journal représente une tribune d’expression qui permet de s’adresser en quelque sorte à l’ensemble de la République des lettres et même, plus largement, à une opinion publique qui est prise à témoin dans les controverses17. En retour, le périodique met à la portée de ces lecteurs ce que nombre d’entre eux n’auraient pu s’offrir sans lui. Ainsi, ceux qui n’ont pas les moyens d’acquérir des livres peuvent néanmoins les connaître grâce aux comptes rendus d’ouvrages qui paraissent dans les périodiques. Les revues répondent au problème crucial de l’accès à l’information scientifique, rendu sans cesse plus aigu par l’élargissement du monde des auteurs et la poussée de la production imprimée18. Lus et utilisés par les savants, les périodiques s’adressent également à un public croissant d’amateurs, malgré tout souvent fort éclairés. Le citoyen ordinaire de la République des lettres avait rarement les moyens d’entretenir une vaste correspondance. Tirant profit d’un important réseau de correspondance, le périodique remplit, notamment auprès du lecteur moyen, la fonction d’information qui était avant tout celle de la lettre. Avec le développement des périodiques scientifiques à partir des dernières décennies du XVIIe siècle, l’idéal de la communication comme moteur de la République des lettres atteint enfin sa forme ultime. Les premiers périodiques scientifiques représentent une source très riche qui a été jusqu’à présent peu exploitée de manière systématique pour l’histoire des sciences du

15. H. OLDENBURG, The Correspondence of Henry Oldenburg, éd. A. R. HALL and M. BOAS HALL, vol. 1-9, University of Wisconsin Press, Madison, Milwaukee et Londres 1965-1973 ; vol. 10-11, Mansel, Londres 1975-1977 ; vol. 12-13, Taylor & Francis, Londres, 1986. 16. Voir F. WAQUET, « De la lettre érudite au périodique savant : les faux semblants d’une mutation intellectuelle », XVIIe Siècle (1983), p. 347-359. 17. Sur l’importance des controverses, voir en particulier M. DASCAL, « Controverses et polémiques », dans M. BLAY, R. HALLEUX (dir.), La science Classique, XVIe-XVIIIe siècle. Dictionnaire critique, Paris 1998, p. 26-35, ainsi que C. LICOPPE, La formation de la pratique scientifique. Le discours de l’expérience en France et en Angleterre (1630-1830), Paris 1996. 18. Voir à ce sujet H.-J. MARTIN, « Classements et conjonctures », dans H.-J. MARTIN et R. CHARTIER (dir.), Histoire de l’édition française, t. I : Le livre conquérant. Du Moyen Âge au milieu du XVIIe siècle, Paris 1982, p. 429-457 ; H.-J. MARTIN, « Une croissance séculaire », dans H.-J. MARTIN et R. CHARTIER (dir.), Histoire de l’édition française, t. II : Le livre triomphant. 1660-1830, Paris 1984, p. 95-103 ; H.-J. MARTIN, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (1598-1701), Genève 1969 (voir en particulier les graphiques I et II, p. 1062-1063).

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siècle et du début du XVIIIe siècle. L’histoire des premières revues savantes a été plus souvent étudiée que leur contenu propre, qui pourtant représente une véritable richesse pour l’histoire des sciences. Encore qu’il faille souligner que l’histoire des périodiques demeure en elle-même lacunaire, ainsi les travaux sur les Philosophical Transactions sont-ils anciens ou incomplets, ne fournissant pas toujours une image exacte de ce périodique, particulièrement dans ses débuts. Merton avait utilisé les Philosophical Transactions, mais d’une façon purement statistique, pour évaluer l’intérêt porté à tel ou tel domaine de la science19, tout en négligeant par ailleurs la critique de sa source et l’histoire pourtant fondamentale du périodique20. Les premiers périodiques scientifiques permettent non seulement de mesurer la diffusion des idées, mais encore de savoir comment elles ont été perçues par les milieux représentés par ces périodiques. La publication d’extraits de livre peut nous permettre aujourd’hui de voir plus clairement quels ont été les ouvrages qui ont eu un large retentissement. Ainsi, des œuvres que l’on considère aujourd’hui comme essentielles pour la postérité n’ont pas nécessairement connu une grande audience chez leurs contemporains, alors que des auteurs oubliés ont été largement diffusés à travers les périodiques savants. L’exploitation du contenu des premiers périodiques scientifiques nous a paru susceptible de jeter un nouvel éclairage sur la question fondamentale des rapports entre science et théologie21, particulièrement dans cette période charnière que représentent les dernières décennies du XVIIe siècle et les premières années du siècle suivant, l’époque de « la crise de la conscience européenne » ainsi que la qualifiait Paul Hazard22. Le choix d’étudier le contenu des deux premiers périodiques scientifiques, le Journal des savants et les Philosophical Transactions, nés tous deux en 1665, semblait tout indiqué. Il permettait une comparaison entre un pays catholique, la France patrie de Descartes, et un pays protestant, l’Angleterre patrie de Newton. À travers les critiques, même voilées, présentes dans les deux périodiques, il paraissait possible, au moins dans certains cas, d’analyser les différences entre les milieux érudits français et anglais dans la réception des ouvrages et dans la perception des idées qui y étaient exprimées. A priori, l’étude comparative de leurs journaux respectifs devait pouvoir mettre en évidence les différences dans la manière de recevoir les œuvres scientifiques et théologico-scientifiques entre catholiques français et protestants anglais. Sur un plan historiographique, l’histoire des sciences en Angleterre et en France se caractérise par un véritable déséquilibre. La place réservée en Grande-Bretagne à l’histoire des sciences portant sur l’Angleterre de la seconde moitié du XVIIe siècle est bien plus importante que celle occupée en France par l’histoire des sciences relative à la France de Louis XIV23. Sur cette période, l’historiographie française est absente,

19. R. K. MERTON, Science, Technology, and Society in Seventeenth-Century England, New-York 1970 (réimpression, avec une nouvelle préface et une nouvelle bibliographie, de l’édition de 1938). 20. Ainsi, à certains moments de son histoire, les Transactions représentant plus ou moins une traduction partielle du Journal des savants, il est assez curieux de les voir dans ce cas encore utilisées comme l’expression du puritanisme anglais. 21. À ce sujet, voir l’ouvrage récent de L. CHÂTELLIER, Les espaces infinis et le silence de Dieu. Science et religion, XVIe-XIXe siècle, Paris 2003. 22. P. HAZARD, La crise de la conscience européenne, 1680-1715, Paris 1961. 23. Et encore, certains travaux majeurs ont-ils une origine internationale. Ainsi, Laurence Brockliss a-t-il fourni une étude remarquable de l’enseignement supérieur français aux XVIIe et XVIIIe siècles qui a renouvelé les travaux sur ce sujet, L. W. B. BROCKLISS, French Higher Education in the Seventeenth and Eighteenth Centuries : A Cultural History, Oxford 1987.

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sauf à se concentrer sur les grands noms, comme Descartes ou Pascal, qui ont monopolisé l’intérêt des philosophes. Certes, il faut distinguer ce qui relève de l’historiographie de l’histoire elle-même. En France, les grandes figures, telles René Descartes (1596-1650), Blaise Pascal (1623-1662) ou Pierre Gassendi (1592-1655), appartiennent essentiellement à la première moitié du XVIIe siècle. À l’hégémonie de la France du premier XVIIe siècle, succède celle de l’Angleterre avec des savants comme Robert Boyle (1627-1691) et Isaac Newton (1642-1727). Comparativement, la France n’a plus vraiment de grandes figures. Dans son étude de la politique scientifique de Louis XIV, Roger Hahn écrit : « La grandeur peut avoir des récompenses d’elle-même, mais la grandeur et la créativité ne se mélangent pas facilement »24. Il y rappelle le jugement d’Henry Thomas Buckle, qui paraît néanmoins exagéré, selon lequel, de 1661 à 1715, l’histoire de la France, pour autant que de grandes découvertes soient concernées, représente un blanc dans les annales de l’Europe25. D’une façon plus raisonnable, on pourrait plutôt avancer qu’après la disparition des grandes figures qui avaient fait l’hégémonie de la France dans la première moitié du XVIIe siècle, le pôle de la modernité aurait traversé la Manche. Toutefois, ce transfert géographique ne peut pas expliquer entièrement le silence de l’historiographie, les voies de recherche étant multiples. L’historiographie française ne s’est guère intéressée à la postérité de Descartes qui s’est, par ailleurs, développée de manière internationale. En effet, d’un point de vue philosophique, la question de la diffusion du cartésianisme n’est pas pertinente. Alors que cette question, qui demeure encore ouverte, est au contraire essentielle pour les historiens des sciences. Le problème des relations entre catholicisme et science dans la France de la deuxième moitié du XVIIe siècle jusqu’à la mort de Newton ne semble avoir retenu l’attention que dans des contextes limités, comme ceux de l’analyse des différents ordres religieux, de l’examen des institutions scolaires et académiques ou de l’étude de tel ou tel savant26. Les années 1670 à 1710 voient la France affectée par la « crise de la conscience européenne ». L’influence de Spinoza et surtout celle de Pierre Bayle s’y font sentir. C’est à ce dernier, en 1710, que Leibniz prend la peine de répondre en français avec ses Essais de Théodicée. Pour lui, la physique et les mathématiques ne peuvent que conduire à la connaissance de la sagesse de Dieu, et il faut réconcilier la piété avec la raison27. L’étude des Mémoires de Trévoux a fourni récemment des éléments intéressant les rapports entre jésuites et cartésianisme ou newtonianisme, mais pour le XVIIIe siècle28.

24. « Grandeur may have rewards of its own, but grandeur and creativity do not mix easily », R. HAHN, « Louis XIV and Science Policy », dans D. LEE RUBIN (éd.), Sun King : The ascendancy of French culture during the reign of Louis XIV, op. cit., p. 195-206 (citation, p. 204). 25. « … the history of France, so far as great discoveries are concerned, is a blank in the annals of Europe », J. E. KING, Science and Rationalism in the Government of Louis XIV, 1661-1683, Baltimore 1949, p. 11. 26. Cf. M.-C. PITASSI, « Le monde catholique face aux sciences aux XVIIe et XVIIIe siècles. Entre refus et récupération », dans O. FATIO (éd.), Les Églises face aux sciences du Moyen Âge au XXe siècle, Genève 1991, p. 92-107. 27. Voir L. CHÂTELLIER, op. cit. (en particulier, la deuxième partie : « Le temps de Newton et de Leibniz », p. 87-149). 28. Voir M.-H. FROESCHLÉ-CHOPARD, M. FROESCHLÉ, « Sciences et Arts dans les Mémoires de Trévoux (1701-1762) », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine 48/1 (2001), p. 30-49. Pour la période 17511762, voir la thèse de C. ALBERTAN, « Apogée et fin des Mémoires de Trévoux (1751-1762). Un moment dans la pensée française du XVIIIe siècle », Thèse de doctorat sous la direction de J. MEYER, Université de Paris IV-Sorbonne, 1999.

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Comparativement, l’historiographie anglo-saxonne est riche de nombreux travaux, parfois déjà anciens mais aussi plus récents, concernant les rapports entre la science et la religion dans l’Angleterre du XVIIe siècle. Plusieurs générations de spécialistes, qui ont cherché à comprendre le développement de la science moderne, se sont concentrées sur la « Révolution scientifique »29 en Angleterre. Nombre de chercheurs ont déployé en premier lieu leurs efforts afin d’infirmer la thèse du XIXe siècle selon laquelle la science et la religion seraient antagonistes, et cela, en montrant les relations entre la religion et le développement des sciences naturelles30. Merton a rapproché les valeurs sociales du puritanisme avec le développement de la science et de la technologie en Angleterre au XVIIe siècle, et il laisse entendre que ces valeurs étaient plus favorables au développement de la science que les valeurs de la tradition catholique31. La thèse de la science puritaine a revêtu de nombreuses formes32. Toutefois, l’utilisation assez récente des méthodes de Merton et de certaines de ses thèses dans la science en milieu catholique a apporté des résultats qui sont loin d’être négligeables et qui invitent à une nouvelle réflexion à ce propos33. Divers chercheurs ont d’ailleurs tenté de mettre en évidence une connexion entre la science et le latitudinarisme34 de l’Angleterre du XVIIe siècle, plutôt que le puritanisme35. Cependant, une attitude

29. Le concept de « Révolution scientifique » a par ailleurs été contesté par de nombreux historiens ces dernières années. Voir à ce sujet S. SHAPIN, La Révolution scientifique, Paris 1998 (trad. fr. de The Scientific Revolution, University of Chicago Press, 1996). 30. Pour un survol de cette question, voir D. C. LINDBERG and R. L. NUMBERS (éd.), God and nature : Historical essays on the encounter between Christianity and science, Berkeley 1986, p. 1-18 ; et plus spécialement, R. S. WESTFALL, Science and Religion in Seventeenth Century England, New Haven 1958. 31. R. K. MERTON, Science, Technology, and Society in Seventeenth-Century England, op. cit. 32. Ainsi, dans son ouvrage récemment réédité en 2002 (Bern, Peter Lang), The Great Instauration : science, medicine and reform 1626-60, CHARLES WEBSTER a mis l’accent sur les liens entre le puritanisme et l’organisation intellectuelle de l’Angleterre. Son travail constitue une source d’information très riche sur de nombreux aspects de la science durant l’interrègne, son organisation et son contexte. Néanmoins les puritains conservèrent une position ambiguë, plutôt que positive, face à toute une partie d’études humanistes et aux efforts des nouveaux savants, si l’on se réfère aux travaux de J. MORGAN, Godly learning : Puritan attitudes towards reason, learning, and education, 1560-1640, Cambridge 1986 ; ID., « Puritanism and science : A reinterpretation », The historical journal 22 (1979), p. 535-560. 33. Voir à ce sujet le numéro spécial : « After Merton » : Protestant and Catholic Science in SeventeenthCentury Europe », de Science in Context 3/1 (1989). Voir aussi : I. B. COHEN (éd.), Puritanism and the rise of modern science : The Merton thesis, New Brunswick (N. J.) 1990. 34. « Le latitudinarisme fut un courant dominant dans l’Église d’Angleterre de la seconde moitié du XVIIe siècle, se prolongeant durant le XVIIIe siècle. Le latitudinarisme fut davantage une attitude qu’un véritable mouvement théologique. Les latitudinaires (Latitude Men) se démarquaient tant du catholicisme que du puritanisme, notamment de la conception calviniste de la grâce, trop pessimiste à leurs yeux. Se caractérisant par une hostilité viscérale à tout dogmatisme et une remarquable tolérance religieuse, ils considéraient la foi chrétienne et la morale comme éminemment conformes à la raison. Ils furent accusés, le plus souvent à tort, d’antitrinitarisme et de déisme. » Cf. P. GISEL (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris, Genève 1995, p. 856. 35. B. SHAPIRO, « Latitudinarianism and science in seventeenth-century England », Past and Present (1968), p. 16-40 ; iD., Probability and certainty in seventeenth-century England : The relationship between natural science, religion, history, law and literature, Princeton 1983 ; D. S. KEMSLEY, « Religious influences in the rise of modern science : A review of criticism, particularly of the Protestant-Puritan ethic theory », Annals of science 24 (1968), p. 199-226 ; J. R. JACOB and M. C. JACOB, « The Anglican origins of modern science : The metaphysical foundations of the Whig constitution », Isis (1980), p. 25-67 ; voir aussi J. COPE, Joseph Glanvill, Anglican apologist, St Louis 1956 ; et pour une synthèse, H. G. VAN LEEUWEN, The problem of certainty in English thought 1630-1690, La Haye 1963.

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positive envers la méthode expérimentale n’est pas une caractéristique inhérente au protestantisme ni une approche qui lui serait exclusive36. La multiplication des travaux sur la Révolution scientifique et de divers modèles, associant souvent la science à des perspectives religieuses et politiques particulières n’a pas toujours permis d’éclaircir une question apparaissant comme de plus en plus complexe. Néanmoins, de nombreux débats sur les rapports entre science et religion ont mis en évidence divers concepts consistant à comprendre au mieux la manière dont les idées émergent et viennent à être acceptées. La théologie protestante orthodoxe considérait, comme Calvin, que la connaissance de l’Écriture et de Jésus-Christ, et non la connaissance de la Création, était cruciale pour le salut, le livre de la nature étant souvent considéré par les théologiens protestants en termes de contemplation, plutôt que comme l’étude systématique de la nature37. Cependant, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, on ne peut que constater un changement dans ces positions avec l’émergence d’un nouveau type de théologie naturelle, détachée de la métaphysique scolastique traditionnelle, et s’exprimant dans un intérêt croissant, de la part des théologiens, pour les développements de la nouvelle philosophie naturelle. Cette nouvelle orientation peut se rencontrer parmi les anglicans et spécialement chez des théologiens « latitudinaires » qui furent profondément impliqués dans la fondation de la Royal Society. Les théologiens latitudinaires furent attentifs à ne pas présenter l’investigation de la nature comme une voie pour parvenir au salut. Néanmoins, des théologiens comme Wilkins, Stillingfleet ou Tillotson, et des savants comme Robert Boyle ou Robert Hooke, virent nettement dans la nouvelle science expérimentale, une voie privilégiée pour glorifier Dieu par l’étude de sa création38. Du reste, la nouvelle philosophie, particulièrement dans sa version cartésienne, servit également de modèle à la théologie naturelle dans ses règles de méthode. La géométrie devint un modèle pour le discours théologique. Certains théologiens ne se satisfaisant pas d’une théologie naturelle traditionnelle développèrent une « physicothéologie » systématique qui s’efforçait d’incorporer de façon beaucoup plus spécifique les découvertes des sciences nouvelles à l’intérieur de la théologie elle-même. Ils désiraient montrer systématiquement que les découvertes spécifiques à la nouvelle science expérimentale démontraient manifestement l’existence de Dieu, le concept de création et de divine providence. Une physico-théologie de cette nature présentait Dieu à nouveau comme Créateur et Gouverneur du monde, plutôt que comme une entité métaphysique abstraite. En même temps, la nouvelle science mécaniste, et l’univers infini qu’elle impliquait, faisait davantage ressortir la transcendance de Dieu que ne l’avait fait la cosmologie traditionnelle aristotélicienne et, à cet égard, elle s’adaptait assez bien aux sensibilités religieuses des théologiens protestants. Ainsi, pour William Derham (1657-1735), l’univers infini permettait-il de mettre en relief les limitations du monde humain39. Les phénomènes de la nature et les nouveaux

36. Ainsi Rivka Feldhai et Michael Heyd ont montré que l’enseignement du jésuite Franciscus Eschinardus au Collegio Romano avait une orientation beaucoup plus expérimentale que le cours de physique du calviniste Chouet qui professait à Genève. R. FELDHAI and M. HEYD, « The Discourse of Pious Science », Science in Context 3/1 (1989), p. 102-142. 37. M. HEYD, « Protestant Attitudes towards Science in the 17th and early 18th Centuries », op. cit., p. 71-89. 38. Cf. R. K. MERTON, Science, Technology, and Society in Seventeenth-Century England, op. cit. 39. Cf. W. DERHAM, Théologie Astronomique, ou Démonstration de l’existence et des attributs de Dieu, par l’examen et la description des cieux, enrichie de figures. Par Guillaume Derham…, chez Chaubert, Paris 1729, en particulier p. 259 (Londres 17151, p. 220).

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outils d’investigation scientifique grâce auxquels ils avaient été découverts, comme le microscope ou le télescope40, représentaient les moyens de découvrir la gloire de Dieu, sa majesté et sa puissance. Par conséquent, les activités des philosophes expérimentaux acquéraient elles-mêmes une légitimation religieuse et l’appel traditionnel à glorifier Dieu en observant sa Création devenait beaucoup plus explicite, avec un sens manifeste de « progrès ». La relation entre la science et la théologie s’est ainsi transformée imperceptiblement, avec l’émergence d’un nouveau genre de théologie naturelle. Cependant, l’incorporation de la science nouvelle dans la théologie pouvait représenter un risque pour l’autonomie de cette dernière. Comment expliquer l’évolution du rôle de la science dans la théologie protestante au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle ? La plupart des historiens attribuent ce changement à la confrontation croissante avec des attitudes naturalistes, déistes et athées. Les lois de la nature telles qu’elles avaient été formulées, d’abord par la science cartésienne, puis plus tard par Newton et ses disciples, furent regardées par les philosophes de la nature eux-mêmes comme la conséquence de la volonté de Dieu. Ainsi les théologiens qui interprétèrent Newton firent-ils de la gravitation universelle la manifestation directe de la volonté divine, et de la science newtonienne un rempart contre les arguments des athées qui élevaient des doutes concernant l’existence d’un Dieu transcendant ou la pertinence de la providence divine. Toutefois, on a accordé souvent moins d’attention à un autre défi auquel l’Église protestante établie devait faire face, le danger représenté par les « enthousiastes » et le « fanatisme »41. Les prétentions à l’inspiration divine, le courant du milieu du dix-septième siècle représenté par les sectes radicales et les millénaristes, ont été ranimés vers la fin du siècle avec l’apparition des « petits prophètes » des Cévennes et plus tard avec les « prophètes » qui se sont enfuis de France après l’échec de la révolte des Camisards. Leurs activités se sont surtout concentrées en Angleterre42. La plus grande dépendance des théologiens protestants vis-à-vis de la théologie naturelle et de la science nouvelle résulta non seulement du débat avec les athées, mais aussi, et tout autant, de la confrontation avec les « enthousiastes ». Cela apparaît déjà clairement dans les années 1660 à travers l’idéologie de la Royal Society et de ses partisans cléricaux en Angleterre. L’accent sur l’ordre régulier de la nature fut utilisé pour contrebalancer les revendications de révélation spéciale, d’événements extraordinaires et de prétendus miracles. Vis-à-vis de la tendance des « enthousiastes » et des fanatiques à faire intervenir la dimension surnaturelle dans les choses du quotidien, et à brouiller la distinction entre le naturel et le surnaturel, les ministres protestants souhaitaient insister sur cette distinction et repousser le domaine du surnaturel. Une nature conçue comme une machine bien réglée, et qui, dans le même temps, dépendait en fin de compte de son concepteur et Créateur, servait admirablement ce dessein. Pour les théologiens protestants de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle, cette conception de la nature leur évitait le danger de voir disparaître la transcendance de Dieu – un danger qu’ils attribuaient

40. L’Angleterre du XVIIe siècle, celle des baconiens et de la Royal Society, a offert un climat particulièrement favorable à la diffusion de la culture visuelle et philosophique nouvelle. Voir le vol. 2 (2001), Microscopes et télescopes en Angleterre, de Bacon à Hooke, de P. HAMOU, La mutation du visible. Essai sur la portée épistémologique des instruments d’optique au XVIIe siècle, 2 vol., Villeneuve d’Ascq 1999 et 2001. 41. M. HEYD, « The Reaction to Enthusiasm in the Seventeenth Century : Towards an Integrative Approach », Journal of Modern History 53 (1981), p. 258-280. 42. Voir H. SCHWARTZ, The French Prophets ; The History of a Millenarian Group in Eighteenth-Century England, Los Angeles, Londres 1980.

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à l’Église Catholique et aux prétendus « illuminés » –, aussi bien que celui de nier toute providence – danger associé au déisme et à l’athéisme. L’insistance sur le Dieu Créateur, plutôt que sur le Dieu Rédempteur, s’est traduite, toutefois, par un changement significatif des sensibilités religieuses. En définitive, l’intérêt croissant pour la nouvelle science expérimentale de la part des pasteurs et des théologiens reflète aussi un changement tacite dans la théologie protestante43. Si la science nouvelle s’est vue utilisée à des fins apologétiques par les protestants anglais, le conflit entre catholiques et anglicans, précédant la Glorieuse Révolution, a également vu des tentatives d’utilisation de la rationalité de la science expérimentale à des fins politiques. Dans les polémiques anglicanes anti-catholiques durant le bref, mais turbulent, règne de Jacques II, en plus de réitérer leurs prétentions à avoir l’Ecriture sainte et l’antiquité de leur côté, les apologistes de l’Église anglicane utilisèrent un troisième argument décisif contre le catholicisme : la raison elle-même était avec eux44. Dans la mesure où les papistes pouvaient également se réclamer de la foi, l’Église d’Angleterre se proclamait être seule à posséder la raison. Mais dans la doctrine catholique, le clergé anglican attaque particulièrement le dogme de la transsubstantiation, comme la partie la plus haïssable et la plus absurde de cette doctrine, en exigeant que toutes les preuves soient externes, mesurables et attestées. Les anglicans posent néanmoins une limite à la raison : un rationalisme qui se placerait au-dessus de Dieu est jugé présomptueux. De même que les théologiens anglicans argumentent contre la présomption de « l’enthousiasme » qui place sa lumière intérieure au-dessus des enseignements de l’Église, Robert Boyle condamne une raison qui prétend soumettre Dieu à sa propre mesure. La capacité de Dieu à violer la causalité ordinaire correspond à son pouvoir de créer des miracles. La transsubstantiation apparaît comme une doctrine d’autant plus monstrueuse qu’elle transforme le miracle en « routine » et détruit la certitude dans les « premiers principes ». Après la Glorieuse Révolution, ces débats, se retrouvant désormais sans vrai enjeu, s’estomperont au profit de la lutte contre l’athéisme. Si la popularisation de la science nouvelle et son adoption par l’ordre établi sont une tendance manifeste, ce qui caractérise les années 1690, c’est l’utilisation de la science dans la défense du christianisme45. On observe en effet une prolifération de publications apologétiques où l’argument scientifique tient la première place. Il ne faudrait pas présumer pour autant que les conceptions scientifiques diffusées à cette époque furent plus newtoniennes qu’elles ne l’étaient vraiment. En fait, bien que les Principia de Newton aient été publiés un peu avant la Révolution et quoique Richard Bentley, aidé de Newton lui-même, se soit fait dans ses conférences (les « Boyle Lectures ») le champion de ses vues cosmologiques, le public continua à ignorer largement les idées newtoniennes. Ainsi, Descartes demeurait le héros principal d’Addison dans son discours solennel de 1693 à Oxford : « À la fin se leva Cartesius, un Génie plus heureux, qui a courageusement soutenu la Vérité contre la Force unie de tous les opposants et qui a introduit dans le monde une nouvelle Méthode de

43. M. HEYD, « Protestant Attitudes towards Science in the 17th and early 18th Centuries », op. cit. 44. R. D. TUMBLESON, « Reason and Religion : The Science of Anglicanism », Journal of the History of Ideas 57 (1996), p. 131-156. 45. M. HUNTER, Science and the Shape of Orthodoxy, op. cit. (Pour les années postérieures à la Glorieuse Révolution, voir en particulier son chapitre 7 : « The Crown, the Public and the New Science, 1689-1702 », p. 151-166).

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philosopher… C’était en effet un grand Homme, et le seul que nous envions à la France » ; et c’est à Descartes qu’il attribuait le mérite d’avoir « mesuré plus exactement cette vaste Machine, une Machine qui convient au genre humain pour philosopher sur elle et digne de la Divinité, qui la conçut en premier »46. L’opinion de l’Anglais Glanvill reflète assez bien la réception anglaise du cartésianisme dans les milieux de la Royal Society : pour lui, le cartésianisme représente par excellence « la philosophie fertile et prometteuse, expérimentale dans sa pratique, conjecturale dans ses hypothèses et définissant un grand dessein et un futur de la science »47. Les Anglais trouvent en Descartes un cadre général d’explication corpusculaire et mécaniste de la nature. En fait, c’est seulement avec le travail d’auteurs comme David Gregory et John Keill, à la toute fin du règne de Guillaume III, qu’une philosophie spécifiquement newtonienne commencera à se répandre plus largement, une tendance qui s’accentuera avec le débat entre Clarke et Leibniz dans la seconde décade du XVIIIe siècle. Les années 1690 représentent donc une période de transition où la nouvelle science est parvenue pour l’essentiel à se faire accepter par un public de plus en plus large comme moyen de compréhension du monde naturel et pour son utilité à prouver le dessein providentiel de Dieu dans l’univers, même s’il subsiste un désenchantement vis-à-vis de ses buts plus pratiques. Les rapports entre la Bible et la science sont au cœur d’une problématique. Dans la querelle autour de l’héliocentrisme, c’est bien sa conformité avec l’interprétation de l’Écriture Sainte qui est en cause, ainsi que le montre le procès de Galilée en 1633. Ce problème a déjà été étudié48, tout comme celui de la fluidité et de la corruptibilité des cieux49. Notre choix s’est porté sur les rapports entre la Genèse biblique et la science, moins étudiés. Dès le XVIIe siècle se posent des problèmes d’interprétation de la Genèse par la science et la philosophie nouvelles. Dans la Bible, la Genèse occupe une place particulière. Ce récit, qui décrit le déroulement de la Création dans le temps, doit être pris au sens littéral si l’on veut combattre avec efficacité la doctrine de l’éternité du monde. Il s’agit d’un récit historique : les choses se sont bien passées ainsi et il est possible de dater la création du monde en additionnant les chiffres contenus dans les généalogies bibliques, ce que font tous les chronologistes50. À l’époque moderne, le récit de la Genèse représente le seul cadre des connaissances qui permette de situer les faits sur l’échelle des temps, de les regrouper, de les analyser,

46. Ibid., p. 165 : « At length rose Cartesius, a happier Genius, who has bravely asserted the Truth against the united Force of all Opposers, and has brought on the Stage a new Method of philosophizing… A great Man indeed He was, and the only one we envy France », and it was Descartes whom he credited with succeeding to « more accurately measure this vast Machine, a Machine fit for Mankind to philosophize on, and worthy of the Deity, that first framed it. » 47. P. HAMOU, La mutation du visible, vol. 2, Microscopes et télescopes en Angleterre, de Bacon à Hooke, op. cit., p. 89. 48. Parmi la littérature assez abondante sur Galilée et « l’hérésie héliocentrique », deux publications récentes sont à remarquer : M.-P. LERNER, « L’“hérésie” héliocentrique ; du soupçon à la condamnation », Sciences et religions de Copernic à Galilée (1540-1610), actes du colloque international de Rome, 12-14 décembre 1996, Rome 1999, p. 69-91 ; F. BERETTA, « Le procès de Galilée et les Archives du Saint-Office : Aspects judiciaires et théologiques d’une condamnation célèbre », Revue des sciences philosophiques et théologiques 83/3 (1999), p. 441-490. 49. Voir à ce sujet l’étude détaillée publiée par M.-P. LERNER, Le monde des sphères, 2 vol., Paris 19961997. 50. F. LAPLANCHE, Bible, sciences et pouvoirs au XVIIe siècle, Naples 1997, p. 90.

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voire de les expliquer51. Mais le XVIIe siècle voit les polémiques se développer autour des désaccords chronologiques qui opposent les différentes versions de la Bible et la difficile conciliation des textes sacrés avec l’histoire profane, aussi bien la chronologie chinoise que les témoignages sur l’antiquité des Égyptiens et des Assyriens. L’histoire des origines est au cœur des préoccupations de nombre d’érudits du XVIIe siècle. La Genèse leur apparaît comme le seul récit susceptible de les éclairer sur l’histoire obscure des premiers temps de l’humanité. Le Déluge constitue un point de rencontre privilégié des préoccupations scientifiques et historiques. Comment l’expliquer scientifiquement, et de quelle façon ? Doit-on se contenter de le considérer comme un miracle ? De son côté, l’Arche de Noé donne lieu à de savants calculs qui visent à prouver la véracité du texte biblique. Le Déluge constitue une coupure majeure qui marque la seconde origine de l’histoire de l’humanité. Toutes les nations du monde trouvent leur origine dans Noé et sa famille. La Bible est l’une des sources premières pour la connaissance de l’histoire antique. On y recherche l’origine des peuples, des langues et des civilisations. Mais le rapport de l’Occident chrétien à la Bible n’est pas dissociable de celui qu’il entretient avec l’Antiquité païenne. C’est pourquoi la querelle des Anciens et des Modernes retentit sur la compréhension de l’univers biblique52. Ce que les Modernes reprochent à la poésie antique peut en effet être appliqué aux textes scripturaires. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le monde érudit a eu tendance à considérer que seules les mathématiques pouvaient apporter la certitude. Corrélativement, d’autres disciplines ont été jugées simplement factuelles et descriptives, soumises aux caprices et aux risques d’interprètes humains et ne pouvant ainsi fournir que des conclusions probables et non certaines. Ainsi, au XVIIe siècle, l’étude de l’histoire a eu à subir les assauts de ceux qui considéraient que ses résultats ne pouvaient être que désespérément incertains et les historiens ont dû trouver de nouvelles méthodes pour se justifier53. Le rejet de l’argument scolastique de l’autorité pose la question de la valeur et de la légitimité des sciences historiques. L’histoire naturelle se confondait alors avec l’histoire humaine, l’histoire profane et l’histoire sacrée. De quelle façon a-t-on appliqué les nouvelles méthodes historiques et scientifiques aux textes sacrés ? Mais la Bible est aussi prise comme source primordiale du savoir54. D’une part, la conformité ou l’opposition de théories scientifiques avec le récit Mosaïque sont mises en avant afin de les soutenir ou de les rejeter. Ainsi, aux Pays-Bas, l’enthousiasme pour la philosophie de Descartes qui a saisi certains théologiens les a poussé à chercher des correspondances entre la physique cartésienne et le récit de la Création. D’autre part, la Genèse, avec ses narrations de la Création et du Déluge, inspire diverses théories en physique et en géologie. Chez les protestants, la Bible fait autorité, elle est le fondement de la foi, alors que chez les catholiques, cette autorité est partagée avec la tradition. Ce qui touche aux rapports entre la Genèse et la science constitue par conséquent un domaine de prédilection pour tenter de saisir d’éventuelles différences d’origine confessionnelle, mais aussi

51. Comme l’a montré J. SOLÉ, Les mythes chrétiens de la Renaissance aux Lumières, Paris 1979. 52. Sur la querelle des Anciens et des Modernes, voir l’ouvrage de M. FUMAROLI, La Querelle des Anciens et des Modernes. XVIIe-XVIIIe siècles, Paris 2001, et sa postface écrite par J.-R. Armogathe (p. 801-849). 53. Voir en particulier C. BORGHERO, La certezza e la storia. Cartesianesimo, pirronismo e conoscenza storica, Milan 1983. Voir aussi C. GRELL, L’histoire entre érudition et philosophie. Etude sur la connaissance historique à l’âge des Lumières, Paris 1993. 54. Voir en particulier à ce sujet l’ouvrage de F. LAPLANCHE, La Bible en France, entre mythe et critique, XVIe-XIXe siècle, Paris 1994.

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culturelles, entre érudits catholiques français et protestants anglais. L’accord foncier de la Bible et de la connaissance scientifique constitue pour longtemps un trait spécifique de la mentalité anglaise. Du côté catholique, le recours à l’infaillible autorité de l’Église émousse l’acuité de l’affrontement entre révélation et raison, que connaît la théologie protestante. Toute étude historique devrait commencer par une critique de ses sources. Comparer le contenu du Journal des savants et des Philosophical Transactions sans en connaître l’histoire serait s’exposer à des erreurs d’interprétations. Aussi la première partie de cette étude est-elle consacrée à une reconstitution de l’histoire des deux revues qui s’appuie, entre autres, sur une analyse statistique de leur contenu scientifique. Alors que les rédacteurs du Journal des savants avaient fait le choix d’en faire une revue plutôt généraliste, traitant non seulement des sciences mais aussi de la théologie, de l’histoire et des belles-lettres, et même de droit, Henry Oldenburg choisit de limiter les Philosophical Transactions aux matières scientifiques – c’est-àdire celles qu’il considérait comme telles. À dire vrai, le terme trop actuel de « scientifique » est plutôt inadapté ou pourrait du moins prêter à confusion, Oldenburg dédiant plus exactement son périodique aux « matières philosophiques », du moins en principe, avec le but avoué de faire progresser le « savoir naturel » et de perfectionner les « arts philosophiques » et les « sciences ». Cette différence entre les deux revues ne permettrait pas a priori de comparer leur contenu, mais si l’on se limite aux domaines scientifiques, traités par l’une comme par l’autre, alors la comparaison devient tout à fait possible. Toutefois, la totalité des domaines scientifiques dans les deux revues sur une durée d’un demi-siècle représente un corpus d’une dimension qui impose inévitablement une limite à des relevés qui se voudraient exhaustifs. Bien que les sciences biologiques et médicales représentent une part très importante, sinon majoritaire, des lettres, des mémoires et des comptes rendus d’ouvrages en science publiés par les deux revues, notre choix s’est porté vers l’astronomie, les mathématiques et la physique55. Ces trois disciplines sont en effet au cœur de la philosophie mécanique et des aspirations des savants, partisans du mécanisme, à vouloir lire le grand livre de la nature en langage mathématique, et à ce titre, elles sont au centre des polémiques qui accompagnent la recomposition des champs du savoir. Certes, on ne peut nier qu’un domaine comme la médecine ait été affecté par des théories et des explications mécanistes, on pourrait en citer de multiples exemples. En médecine, l’expérimentation, les observations et les nouvelles théories qu’elles génèrent sont par ailleurs l’occasion de débats passionnés. Il suffit de penser, par exemple, aux observations microscopiques et à tout ce qui en découle ou aux expériences de transfusions sanguines. Pour autant, nos trois domaines demeurent la clé de voûte de la naissance du mécanisme qui préside à la révolution scientifique du XVIIe siècle. Ils restent aux origines de la mécanique rationnelle et des débuts d’un processus de mathématisation d’une partie des sciences. En 1623, Galilée écrivait dans le Saggiatore : « La philosophie est écrite dans cet immense livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je veux dire l’Univers, mais on ne peut le comprendre si on ne s’applique d’abord à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit

55. Le souci d’individualisation de l’astronomie par rapport aux mathématiques affiché par le Journal des savants justifie pleinement la distinction entre les deux disciplines opérée dans nos statistiques.

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en langue mathématique… »56. Mais les divers champs épistémologiques susceptibles de faire l’objet d’une mathématisation, ou du moins d’une géométrisation, sont alors en nombre restreint. Ainsi que le souligne John Pickstone, ce sont ces premières disciplines analytiques qui serviront de modèles pour développer d’autres disciplines analytiques à partir de la fin du XVIIIe siècle57. Alors que pour le Journal des savants, la thèse de Jean-Pierre Vittu permettait d’avoir une vue globale du contenu du Journal58, pour les Philosophical Transactions, les chiffres dont je disposais ne présentaient pas la même finesse et n’offraient pas les mêmes possibilités. Les auteurs ont présenté le plus souvent des chiffres globaux sur des durées trop longues, ou bien encore des données fragmentaires, qui ne peuvent mettre en évidence les évolutions importantes des Transactions dans ses premières décennies59. Le dépouillement continu de 1665 à 1710 des deux périodiques, avec le relevé exhaustif des mémoires, des lettres et des comptes rendus d’ouvrages en mathématiques, astronomie et physique, nous a permis une comparaison par matière et une analyse statistique plus fine que si nous avions dû nous limiter à des segments de quelques années en relevant l’ensemble des sciences. Cette analyse a été bien sûr complétée, pour la suite, par un relevé plus sélectif dans des domaines comme la chronologie ou l’histoire, l’histoire naturelle, et la théologie, avec en particulier tous ce qui regarde l’Ancien Testament et son interprétation, ainsi que les rapports entre science et religion. Le relevé de plus de deux mille références dans les deux périodiques nous a conduit à développer des bases de données afin de mieux gérer les informations recueillies et de pouvoir réaliser les statistiques nécessaires. Le lecteur pourra consulter ces bases de données sur le cédérom joint. Les deuxième et troisième parties de cet ouvrage sont consacrées aux rapports entre la science et la Genèse à travers l’analyse des comptes rendus d’ouvrages publiés dans les deux périodiques savants. L’ampleur démesurée de la tâche interdisant d’examiner directement la totalité des livres analysés, le choix s’est imposé de lire et d’étudier malgré tout au moins un ouvrage ancien par chapitre, ce qui avait l’avantage de fournir à chaque fois une étude de cas très précise. La deuxième partie de ce travail rassemble des problèmes relatifs aux origines : l’âge du monde, le mythe du déluge et de l’arche de Noé, les origines des nations et des langues. Le récit de la Genèse y est non seulement soumis aux avancées scientifiques, mais aussi aux pro-

56. Cité par M. BLAY, « Mathématisation », dans M. BLAY, R. HALLEUX (dir.), La science Classique, siècle. Dictionnaire critique, op. cit., p. 603-609. 57. J. V. PICKSTONE, « Ways of knowing : towards a historical sociology of science, technology and medicine », British Journal of the History of Sciences 26 (1993), p. 433-58. 58. Toutefois, Jean-Pierre VITTU (« Le Journal des savants et la République des Lettres, 16651714 », op. cit.) n’a pas opté pour un dépouillement continu. Il s’est limité à quatre périodes de cinq ans et a choisi de ventiler ses relevés selon les grandes catégories Théologie et Religion, Droit et Jurisprudence, Histoire, Sciences et Arts, et enfin Belles-Lettres, utilisées autrefois par Jean Ehrard et Jacques Roger pour comparer le contenu des Mémoires de Trévoux et du Journal des savants au XVIIIe siècle : J. EHRARD et J. ROGER, « Deux périodiques français du 18e siècle : ‘‘le Journal des savants’’ et ‘‘les Mémoires de Trévoux’’. Essai d’une étude comparative », dans Livre et société dans la France du XVIIIe siècle, t. I, Paris, La Haye 1965, p. 33-59. Cette tradition quantitative avait été illustrée plus anciennement par D. MORNET, « Les Enseignements des bibliothèques privées (1750-1780) », Revue d’histoire littéraire de la France 17 (1910), p. 449-496. 59. Nous aurons l’occasion dans la suite de discuter de ces travaux dont on peut avoir une synthèse à travers l’ouvrage de D. A. KRONICK, A History of Scientific and Technical Periodicals. The Origins and Development of the Scientific and Technical Press, op. cit. XVIe-XVIIIe

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grès de la critique. La troisième partie réunit par contre des questions qui sont sans conteste au cœur des débats scientifiques, et où les épisodes de la Création et du Déluge se voient utilisés, voire instrumentalisés, pour appuyer des thèses scientifiques dont les auteurs peuvent même aller jusqu’à prétendre mieux expliquer le texte génésiaque que les théologiens : la nature des fossiles, les théories de la Terre, et la Genèse en tant que source de théories physiques. Face à l’interprétation et à l’utilisation de la Genèse par la science, quelles ont été les positions adoptées par chacune des deux revues de part et d’autre de la Manche ? Sur tous ces problèmes, quelles ont été les influences de l’origine confessionnelle et des différences culturelles des rédacteurs des deux périodiques étudiés et de leur milieu scientifique respectif ?

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CHAPITRE I

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I. La fondation du Journal des savants Durant la Fronde, jamais les gens de lettres ne s’étaient montrés aussi indépendants, les libellistes, les imprimeurs et les libraires aussi effrontés. Les années qui suivent, loin de provoquer un retour au calme, voient se multiplier les pamphlets, tout comme diverses publications interdites du puissant parti janséniste. Le règne personnel de Louis XIV, qui s’ouvre en 1661, s’accompagne d’une volonté de reprise en main du monde des lettres. Les conseillers qui entourent le jeune souverain jugent essentiel et urgent de se concilier la bienveillance et la docilité des hommes de plume, et d’organiser une propagande exaltant le prestige monarchique. Très vite, la tâche de diriger les écrivains et de veiller aux affaires de presse échoit à Colbert – de même que tout ce qui touche à la grandeur du monarque. Dans cette entreprise, Colbert s’adjoint, en 1662, un précieux collaborateur en la personne de Jean Chapelain. Ce poète, en raison de son prestige, de ses relations et de son jugement, mérite l’estime du pouvoir1. Tenant d’abord le rôle de « précepteur mondain » et d’intermédiaire pour les cercles littéraires, Chapelain accède ensuite, grâce à sa relation avec Christiaan Huygens, au statut d’agent général de la République des lettres. Il initie les novices à la pratique des cercles savants parisiens, informe ces derniers sur les travaux de ses correspondants qu’il pilote en fonction des réactions recueillies et il sert enfin de modérateur lorsqu’un conflit d’opinion ou de priorité risque d’éclater. Engagée dans une politique de surveillance du livre, avec le souci mercantiliste de promotion des éditions parisiennes, conviée à reconnaître un « corps » représentatif du monde savant et à lui procurer sa protection, la monarchie considère favorablement le projet d’un imprimé destiné à répondre aux attentes du public lettré. La création du Journal des savants en 1665 provient autant des besoins des milieux savants que des projets de la monarchie. Son fondateur, Denis de Sallo, né à la Coudraye de Luçon en 1626, d’une bonne famille poitevine, devient Conseiller au Parlement de Paris en 1652, et acquiert l’office de commissaire des requêtes au Palais. Il doit à sa mère des liens avec les gens de robe et les érudits parisiens (les Descordes, de Thou, Violes ou Godefroy) que son mariage avec Marie-Gabrielle Ménardeau, fille d’un conseiller au Parlement, vient renforcer. Ses attaches familiales, son goût pour l’étude, son voisinage même l’introduisent dans les cercles lettrés et savants de la capitale. Il semble avoir participé aux assemblées scientifiques qui, autour de Colbert, Justel ou Montmor préfigurent l’Académie des sciences2. L’inventaire, rédigé à la suite de son décès en 1669, prouve qu’il possède une importante bibliothèque comptant trois mille trois cent trente-neuf volumes. Cette bibliothèque est assez réputée pour être mentionnée par Pierre Le Gallois dans son Traité historique des plus belles bibliothèques de l’Europe comme

1. H.-J. MARTIN, Livre, pouvoir et société à Paris, au XVIIe siècle (1598-1701), t. II, op. cit., p. 667. 2. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 257 (annexes).

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formée essentiellement de livres d’histoire3. Son goût pour les langues renforce son appartenance au monde lettré. Il a l’habitude de rédiger des extraits des livres qu’il lit et de classer ses notes par ordre alphabétique. Camusa affirme qu’il a retrouvé, dans les manuscrits de Sallo, neuf volumes contenant chacun au moins deux mille pages, de grand format : « L’on y voit avec étonnement des extraits de toutes sortes de livres grecs, latins, italiens, français, espagnols et allemands. On y trouve, sur chaque matière, des mémoires presque rédigés qu’il serait facile de mettre en ordre »4. Denis de Sallo rencontre sans doute Jean Chapelain dans les réunions érudites de Justel et de Montmor. Dans une lettre, Jean Chapelain attire l’attention de Colbert sur les qualités de son ami : « M. Sallo est sans doute habile homme dans les langues grecque et latine, ami des lettrés comme luy, laborieux dans les études et curieux jusqu’à avoir appointé des doctes incommodés, afin qu’ils fissent des lectures et des extraits d’autheurs pour luy »5. Ces travaux pourraient avoir inspiré le projet d’un périodique savant. Denis de Sallo fréquente les milieux politiques proches de Colbert. Il aurait participé au petit conseil créé par Colbert pour l’éclairer sur les questions culturelles6. Ces relations lui font peut-être connaître le projet d’un Journal littéraire général, transposition par Mézeray de la formule de la Gazette aux lettres et aux sciences. Jean Chapelain appuie l’entreprise tant auprès de Colbert, que de ses relations à l’étranger7. Denis de Sallo obtient un privilège pour son projet de journal en août 1664. Il tente d’établir un réseau d’information avec les savants européens les plus en vue, Christiaan Huygens et les membres des Académies de Londres et de Florence, pour réunir la matière de sa future publication. À travers eux, Denis de Sallo veut atteindre les trois foyers scientifiques et éditoriaux d’Italie, d’Angleterre et des Provinces-Unies. Christiaan Huygens et Oldenburg, secrétaire de la Royal Society de Londres, reçoivent favorablement sa demande de collaboration. En revanche, le prince Léopold de Toscane est très réticent, craignant de discréditer les travaux du Cimento, l’Académie de Florence, mais aussi le plagiat et le vol des travaux italiens par des étrangers. De 1665 à 1682, le Journal des savants est imprimé par le libraire Jean Cusson, rue SaintJacques à l’Image de Saint-Jean-Baptiste. Le Journal des savants, qui comporte douze pages de format in-quarto, paraît tous les lundis. Le premier numéro, qui sort le 5 janvier 1665, annonce aux lecteurs les buts que se fixe le Journal : Le dessein de ce Journal estant de faire sçavoir ce qui se passe de nouveau dans la République des lettres, il sera composé, premièrement d’un Catalogue exact des

3. Cf. Pierre LE GALLOIS, Traité historique des plus belles bibliothèques de l’Europe, Paris 1680, p. 131. 4. D.-F. CAMUSAT, Histoire critique des journaux, vol. 1, Amsterdam 1734, p. 13. 5. Ph. TAMIZEY DE LARROQUE (éd.), Lettres de Jean Chapelain (“Doc. inédits Hist. France”), t. II, Paris 1880-1883, p. 289-290. 6. Voir en particulier le « Mémoire historique sur le Journal des sçavans » à la fin du t. X de la Table générale des matières contenues dans le Journal des savans, de l’édition de Paris, Briasson, Paris 1753-1764 ; p. 605 la note (b) précise : « Charles Perrault, dans ses Mémoires, fait mention du petit Conseil des Sçavans que le Grand Colbert, ce Ministre immortalisé dans nos Annales Littéraires & Politiques, avoit toujours auprès de lui pour le consulter dans les choses qui regardoient les Lettres. Perrault dit qu’il y étoit admis avec Chapelain, Charpentier, les Abbés de Bourzeys & de la Cassagne. D’autres Mémoires y ajoutent M. de Sallo, qui n’étoit pas consulté sur des objets seuls de Littérature, mais encore sur la Marine, sur les droits de la Couronne, sur nos Loix, &c. » 7. J.-P. VITTU, « Journal des savants (1665-1792, puis 1797 et depuis 1816) », dans J. SGARD, Dictionnaire des journaux, 1600-1789, Paris - Oxford 1991, p. 649.

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principaux livres qui s’imprimeront dans l’Europe. Et l’on ne se contentera pas de donner les simples titres, comme ont fait jusques à présent la pluspart des Bibliographes : mais de plus on dira de quoy ils traitens, et à quoy ils peuvent estre utiles. Secondement, quand il viendra à mourir quelque personne célèbre par sa doctrine et par ses ouvrages, on en fera l’Éloge, et on donnera un Catalogue de ce qu’il aura mis au jour, avec les principales circonstances de sa vie. En troisième lieu, on fera sçavoir les expériences de Physique et de Chymie, qui peuvent servir à expliquer les effets de la Nature : les nouvelles descouvertes qui se font dans les Arts et dans les Sciences, comme les machines et les inventions utiles ou curieuses que peuvent fournir les Mathématiques : les observations du Ciel, celles des Météores, et ce que l’Anatomie pourra trouver de nouveau dans les animaux .

Tout en faisant une large part à la bibliographie, le périodique s’ouvre donc également aux mémoires relatant des expériences et des découvertes. L’annonce suivante, selon laquelle on y trouvera également « les principales décisions des Tribunaux Séculiers & Ecclésiastiques, les censures de Sorbonne & des autres Universitez, tant de ce Royaume que des Pays estrangers », indique un élargissement du champ du périodique au domaine du droit. Enfin, le rédacteur ajoute que l’on tâchera de faire en sorte qu’il ne se passe rien en Europe digne de la curiosité des gens de lettres, qu’on ne puisse apprendre par le Journal, ce qui insiste à nouveau sur la dimension européenne de l’entreprise, Denis de Sallo entendant s’adresser aux hommes du livre et des sciences de l’Europe de l’Ouest. Plus loin, Denis de Sallo précise son rôle : Pour ce qui est du stile, comme plusieurs personnes contribuent à ce Journal, il est impossible qu’il soit fort uniforme. Mais parce que cette inégalité, qui vient tant de la diversité des sujets que des génies de ceux qui les traitent, pourroit estre désagréable ; on a prié le Sieur de Hédouville de prendre le soin d’ajuster les matériaux, qui viennent de différentes mains, en sorte qu’ils puissent avoir quelque proportion et quelque régularité. Ainsi sans rien changer au jugement d’un chacun, il se donnera seulement la liberté de changer quelquefois l’expression : & il n’espousera aucun party. Cette indifférence sans doute sera jugée nécessaire, dans un Ouvrage qui ne doit pas estre moins libre de toute sorte de préjugez, qu’exempt de passion & de partialité.

Sallo avait choisi comme pseudonyme le lieu de naissance de son valet de chambre Hédouville ; il pensait, par ce subterfuge, recevoir des critiques plus sincères. Le contenu du Journal des savants est varié : catalogue de livres nouveaux, biographies de savants, mémoires scientifiques et, au départ, jugements des tribunaux. Ce contenu destine la revue autant à ceux qui publient qu’aux acheteurs de livres. Comme l’a analysé Jean-Pierre Vittu, on peut esquisser les traits de quatre types de lecteurs classables selon leur éloignement des pratiques savantes : « Vient d’abord le curieux qui cherche dans cette lecture un divertissement autant qu’une vulgarisation et y puise un aliment de la sociabilité : des conversations amicales de Nicolas Béranger marchand marseillais à Tunis vers 1700, aux salons des princesses évoqués par Jean Chapelain. Ensuite, avec l’étudiant, le libraire ou le bibliothécaire, apparaît la silhouette d’un professionnel de la lecture auquel la revue offre de commodes résumés, ‘‘ceux qui n’ont pas de quoy dépenser beaucoup en livres en peuvent avoir une connoissance générale sans les acheter’’ écrit Jacob Bayle à son frère Pierre, ou qui y puisent des informations

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sur les nouveautés de l’édition, ainsi en 1666 le pasteur Jean Dillé conseillait-il l’achat du Journal des savants à un de ses amis chargé d’une bibliothèque publique »8. La présentation du Journal, dans son premier numéro, revendique d’ailleurs clairement cet usage : « Je crois qu’il y a peu de personnes qui ne voient que ce Journal sera utile à ceux qui acheptent des livres ; puisqu’ils ne le feront point sans les connoistre auparavant : & qu’il ne sera pas inutile à ceux mesme qui ne peuvent faire beaucoup de despense en Livres, puisque sans les achepter, ils ne laisseront pas d’en avoir une connoissance générale ». L’amateur de science, ou mieux, le « virtuoso », selon l’expression du temps, diffère des deux précédents en ce qu’il participe à des assemblées savantes comme celles de Montmor ou de l’Académie de Caen, et y reproduit des observations ou des expériences présentées par la revue. Enfin, l’homme de science, érudit comme Huet, Furetière ou Bayle qui l’utilisent pour leurs dictionnaires, ou physicien comme Huygens ou Leibniz, qui en attend des informations, mais plus encore la possibilité de faire connaître ses travaux9. Selon les comptages réalisés par Jean-Pierre Vittu, « les quatre-vingt-onze articles composant les treize Journaux, parus de janvier à mars 1665, comportent environ 260 000 signes, soit en moyenne sept articles et un peu plus de 20 000 signes par livraison. Les comptes rendus de livres représentent plus de 60 % de ce total, les mémoires et lettres, un peu plus de 36 % des signes »10. La répartition des titres montre le choix du rédacteur qui, en délaissant les ouvrages de dévotion et de pratique, a estompé la prépondérance des livres religieux dont témoigne le catalogue de la Bibliothèque Nationale, au profit de l’histoire et des belles-lettres, en première position. Les Sciences et Arts viennent en troisième position, après la Théologie et Religion, mais avec des comptes rendus plus longs. Le rédacteur retient avant tout des livres historiques et religieux, tout en traitant plus au long les ouvrages scientifiques ainsi mis en valeur11. Les comptes rendus de livres imprimés en France prédominent (cinquante contre vingt-sept édités à l’étranger), Paris couvrant presque toute la production française (quarante-deux titres). Outre le succès mondain de la nouvelle revue, les correspondances des lettrés et des savants en montrent la diffusion auprès de savants étrangers, grâce aux bons offices d’amis français. Ainsi, Henri Justel fait-il parvenir le Journal à Henry Oldenburg. Les résidents parisiens des souverains étrangers envoient aussi des exemplaires du nouveau périodique à leurs mandataires. Le rédacteur choisit des ouvrages dont les savants et les lettrés reconnaissent la valeur. D’ailleurs, si l’on prend les extraits les plus longs dans chacun des genres, la plupart concernent des ouvrages très réputés à cette époque. Les investigations de Jean-Pierre Vittu suggèrent que Johann Beek, l’agent du duc Auguste de Brunswick-Lunebourg, possesseur de la plus importante bibliothèque d’Europe au milieu du XVIIe siècle, prit connaissance du Journal pour établir ses catalogues et guider ses propres achats12. Les lettres d’Émery Bigot offrent le sentiment d’un lettré de province avide de livres nouveaux : il insiste sur l’intérêt bibliographique du périodique, dans lequel il trouve une source d’informations pour

8. J.-P. VITTU, « Diffusion et réception du Journal des savants », dans H. BOTS (éd.), La diffusion et la lecture des journaux de langue française sous l’Ancien Régime, Amsterdam - Maarssen 1988, p. 174-175. 9. Ibid. 10. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 44. 11. Ibid., p. 47. 12. Ibid., p. 57.

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ses amis néerlandais ou florentins13. En revanche, certaines correspondances étrangères fournissent des jugements critiques14. À Londres, Robert Moray regrette que le Journal ne soit pas assez « philosophique » en accordant beaucoup de place aux livres, et trop peu aux observations15. À Florence, Lorenzo Magalotti déclare que le rédacteur a réalisé de façon ridicule un bon dessein, en mêlant la littérature aux sciences et en publiant des mémoires scientifiques trop courts. De plus, il est exaspéré par les positions exposées dans la conférence sur la comète tenue par les jésuites et dont le Journal a rendu compte dans son numéro du 26 janvier 1665 ; ces aristotéliciens surannés et rancis puent, dit-il à son correspondant, Ottavio Falconieri16. En dépit de l’engagement de neutralité pris auprès des lecteurs du Journal, dans son premier numéro : « Personne ne doit trouver estrange de voir icy des opinions différentes des siennes, touchant les sciences ; puisqu’on fait profession de rapporter les sentimens des autres sans les garantir, aussi bien que sans nul dessein de les attaquer », les sentiments gallicans et les sympathies jansénistes du rédacteur transparaissent à travers divers comptes rendus publiés dans le Journal. En outre, certains auteurs reprochent directement au rédacteur les critiques formulées dans ses comptes rendus. Trois d’entre eux, Charles Patin, Grégoire Huret et Tanneguy le Fèvre publièrent de virulentes réponses aux présentations de leurs ouvrages, déniant au rédacteur anonyme la compétence pour juger ces matières, l’accusant d’ériger un tribunal au profit d’une coterie, refusant que la critique sorte du cadre des salons et des académies. Les lecteurs ne partagent pas toujours les choix du Journal, ni ses points de vue, qu’il s’agisse d’un soutien à la politique royale, de sympathies jansénistes, ou de positions cartésiennes. Les adversaires du Journal englobent le refus de ces opinions dans une condamnation plus large : selon eux, une gazette savante ne doit pas publier de jugements, mais se contenter de résumer les ouvrages qu’elle présente. Néanmoins, ce sont les positions gallicanes affichées par le Journal des savants, et ses propos jugés offensants pour la Cour de Rome, qui provoquent sa suspension le 30 mars 1665. Toutefois, comme l’a montré Jean-Pierre Vittu, cette suspension doit être replacée dans le cadre des relations entre la France et le Saint-Siège, dominées du côté français par le désir d’obtenir une bulle confirmant le formulaire, et du côté romain par le souci de contrer des censures de la Sorbonne, d’esprit gallican. Il s’agit avant tout d’une affaire diplomatique, plutôt que d’une censure ; le privilège de Denis de Sallo est d’ailleurs seulement suspendu, mais non révoqué17.

13. Ibid., p. 55. 14. Ibid., p. 58. Jean-Pierre Vittu cite en particulier les lettres de Robert Moray et de Lorenzo Magalotti que nous donnons ici à titre d’exemples. 15. Cf. Christiaan HUYGENS, Œuvres, t. V, p. 234, Robert Moray à Ch. Huygens, Whitehall, 3 février 1665. 16. Cf. Lorenzo MAGALOTTI, Delle lettere familiari del conte L. Magalotti, éd. Angelo Fabroni, Florence 1769, p. 72-80, Lorenzo Magalotti à Ottavio Falconieri, Florence, 24 février 1664 Style florentin/24 février 1665 N.S : « Leggi, leggi quella di questa settimana, dove è il ragguaglio d’una giunta di filosofia tenuta a questi giorni ne’Gesuiti, dove sono i ristretti dell opinioni d’un pajo di Gesuiti di quei Peripatetici vieti rancidi, che ammorbano », et « Ch’i arrabi, se non vorrei, che ci desse l’animo di farne uno più bello dieci volte. » 17. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 63-67.

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II. La reprise du Journal par l’abbé Galloys, de 1666 à 1674 À en juger par les témoignages, les utilisateurs du Journal, libraires parisiens ou lecteurs, semblent avoir souhaité la reprise de sa publication. En outre, cette publication s’insère dans la politique de la monarchie visant à contrôler la librairie, pour empêcher les impressions troublant l’ordre public, et à promouvoir la qualité de l’édition, ce qui revient à favoriser les ateliers parisiens plus faciles à surveiller. Or le Journal présente essentiellement des ouvrages proposés par des libraires de la capitale ; un ministre mercantiliste ne peut sans doute rester insensible à cette forme de promotion commerciale que reçoivent des lecteurs français aussi bien que des étrangers18. Enfin, à la politique culturelle de Colbert, propice à la reprise du Journal des savants, s’ajoutent de nouvelles tensions entre le roi et le Saint-Siège qui ne peuvent qu’influer favorablement sur l’attitude à l’égard du périodique, suspendu pour ses positions gallicanes. La revue se mit donc à reparaître dès le mois de janvier 1666, mais sous la direction de l’abbé Jean Galloys, proche collaborateur de Sallo, afin d’apaiser les tensions des mois précédents. En conservant son privilège, Denis de Sallo put néanmoins continuer à jouer un rôle discret dans la revue qu’il avait créée. Né à Paris en 1632, fils d’un avocat au Parlement, l’abbé Galloys avait été le précepteur d’un des enfants de Denis de Sallo. Membre de l’Académie française et de l’Académie des sciences, conseiller de Jean-Baptiste Colbert, il fréquentait les cercles savants et fut un agent très actif de la République des lettres. Il était en relation avec Henry Oldenburg pour échanger des informations enrichissant leurs assemblées et leurs périodiques respectifs. Il fréquenta aussi Huygens et Leibniz pendant leurs séjours à Paris et correspondit avec eux après leur départ. À sa mort en 1707, Galloys laissa une riche bibliothèque de près de douze mille volumes. Son éloge, rédigé par Fontenelle, nous apprend qu’il avait étudié de nombreuses langues, l’italien, l’espagnol, l’anglais et l’allemand, et « jusqu’aux langues orientales », ainsi que les mathématiques, la physique et la médecine, tout comme la théologie et l’histoire, ecclésiastique et profane19. Penchant pour les cartésiens, il était gallican, comme Sallo, mais plus prudent et soumis. De Sallo avait mis à profit ses capacités pour lui faire réaliser des comptes rendus de livres italiens et anglais, ou traduire des lettres et des mémoires. Dans son premier numéro de 1666, daté du 4 janvier, le nouveau rédacteur s’excusait en reconnaissant le caractère illégitime d’un jugement des ouvrages exercé hors du consentement commun. Galloys puisa dans la correspondance nouée comme rédacteur ou par le biais de l’Académie des sciences, mémoires érudits, relations d’expériences et observations astronomiques. Dès 1666, il offrit à ses lecteurs un index analytique pour retrouver plus facilement les sujets qui les intéressaient. Il continua à présenter une part des livres proposés à Paris, délaissant les belles-lettres au profit de l’histoire, des sciences et du droit, mais conservant un ton critique qui lui valut de nouvelles plaintes dès le printemps 1666. Il ne tint donc pas exactement sa promesse de neutralité. Galloys se fit traiter de Journaliste par Tanneguy Le Fèvre, terme qu’il forgea pour désigner, d’une manière qui se voulait méprisante, le rédacteur de la revue parisienne. Cette controverse témoigne encore de l’ambiguïté du Journal des savants à ses débuts dans la République des lettres. La revue se présentait comme un

18. Ibid., p. 71. 19. Bernard LE BOVIER DE FONTENELLE, Histoire de l’Académie Royale des Sciences, année 1707, Paris 1708, p. 176-181 de la partie Histoire.

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organe d’information et d’échange au service des lettrés, mais certains d’entre eux remettaient en cause ses critiques au nom de leurs propres usages. Derrière l’effet des circonstances, le rédacteur manifestait des choix en accordant plus de place à ces ouvrages qu’à d’autres, et il exprimait des positions, souvent discrètes mais parfois polémiques. Ainsi en est-il de remarques anti-réformées qui vont jusqu’aux piques, et d’un cartésianisme demeurant allusif au moment où les attaques des jésuites, et bientôt de la monarchie, se précisent. Parfois critique, malgré les engagements de sa préface, le rédacteur manifeste toujours sa révérence à l’égard des autorités. Ces égards découlent sans doute des relations de Jean Galloys avec certains cercles savants et leurs circuits d’information20. Selon mon dépouillement du Journal des savants, entre 1665 et 1672, dans les domaines de l’astronomie, des mathématiques et de la physique, les comptes rendus de livres représentent 50 % des articles, autant que les lettres et les mémoires (tableau 1). Articles

Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

Livres

47 %

88 %

50 %

50 %

Lettres & Mémoires

51 %

12 %

50 %

48,7 %

Autres

2%

0%

0%

1,3 %

Tableau 1. Nature des articles en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1665 et 1672.

Année

Astronomie

Mathématiques

Physique

Nombre total de livres

1665

100 %

0%

0%

2

1666

61 %

6%

33 %

18

1667

50 %

25 %

25 %

7

1668

57 %

29 %

14 %

6

1669

0%

0%

0%

0

1670

0%

50 %

50 %

1

1671

0%

0%

100 %

2

1672

33 %

33 %

33 %

3

Total

53 %

16 %

31 %

39

Tableau 2. Livres en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1665 et 167221.

20. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 98. 21. Certains livres concernent plusieurs domaines. Ainsi, l’ouvrage relevé en 1670 concerne à la fois les mathématiques (50 %) et la physique (50 %).

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En pourcentage du nombre de signes, la part des livres est sans doute plus importante, puisque Jean-Pierre Vittu donne 72,5 % pour l’ensemble des comptes rendus, entre 1665 et 166922. Les livres représentent l’essentiel de l’information fournie par le Journal sur les mathématiques, le nombre de lettres ou de mémoires étant négligeable. En revanche, le nombre de lettres et de mémoires en astronomie et en physique est un peu plus important que les livres. Dans l’ensemble de ces trois disciplines, plus de la moitié des comptes rendus concernent des ouvrages d’astronomie, puis viennent les livres de physique, les mathématiques arrivant en dernier (tableau 2). Ces chiffres mettent en évidence l’importance de l’astronomie dans les années 1660, et les découvertes qu’elle suscite. Une majorité des ouvrages d’astronomie traite d’observations, comme le livre de Cassini, alors encore professeur d’astronomie à Bologne, qui expose ses découvertes sur les taches de la planète Mars et sur sa rotation23, ou comme les divers ouvrages d’Antoine-François Payen sur des éclipses de Lune24, de Soleil25 ou des conjonctions de planètes26. Cet érudit, avocat au Parlement, était en relation avec Montmort. Les comètes de 1664 et 1665 donnent lieu à la publication de divers ouvrages où leurs auteurs exposent leurs théories sur leur nature, leur mouvement et leurs éventuels effets. Ainsi, le Journal donne, entre autres, des comptes rendus du Prodromus Cometicus de l’astronome Johannes Hevelius27 ou de la Dissertation sur la nature des comètes de Pierre Petit28. Le Journal ne néglige pas non plus la présentation d’ouvrages fondamentaux comme l’Astronomia Reformata du jésuite Giovanni-Battista Riccioli29. Quelques livres sont consacrés aux instruments et à leurs usages, comme celui d’Adrien Auzout qui décrit un dispositif nouveau permettant de mesurer les diamètres des planètes et les distances entre les étoiles30. Dans les quelques ouvrages de mathématiques présentés, c’est la géométrie qui domine. En physique, les ouvrages théoriques, ou présentant plus rarement à la fois des expériences et des théories, représentent les deux tiers, ainsi le

22. Ibid., p. 67 (annexes, tableau n° 2). 23. « Martis circa axem proprium revolubilis observationes. Bononiae à fo. Dominico Cassino habitae Romae, 1666 », Journal des savants, 31 mai 1666, p. 259-262 (157-159). Dans la suite, les pages des réimpressions du Journal des savants seront ajoutées entre parenthèses lorsqu’elles ont été également consultées. 24. « Aenigma astronomicum, aldulterum Solis & Lunae visibile in hemisphaerio parisiensi anno 1666, die 16 junii. In 4. Parisiis », Journal des savants, 31 mai 1666, p. 254-255 (155) ; « Relation de l’Éclipse horizontale de Lune observée en l’isle de Gorgone le 16 juin 1666 par l’ordre du Sérénissime Prince Léopold : avec les réflexions de M. Payen. In 4. A Paris, chez L. Billaine au Palais, & J. Cusson rue S. Jacques », Journal des savants, 6 septembre 1666, p. 426-430 (254-257). 25. « Emblema astronomicum, sol lavatus anno 1666 die. 2 julii, hora 6. matutina. Parisiis », Journal des savants, 21 juin 1666, p. 291-292 (176-177). 26. « Monopolion caeleste conjunctionis Saturnii et Jovis anni 1663 & conjunctionis Saturnii & Martis anni 1666. Parisiis. Apud Joannem Cusson », Journal des savants, 29 novembre 1666, p. 453-454 (270). 27. « Joh. Hevelii Prodromus Cometicus. In fol. Gedani, 1665. Et se trouve à Paris chez Piget », Journal des savants, 1er mars 1666, p. 110-113 (66-67). 28. « Dissertation sur la nature des comètes, par M. Petit Intendant des Fortifications. In 4. A Paris chez L. Billaine, au Palais, 1665 », Journal des savants, 22 mars 1666, p. 142-146 (84-86). 29. « Astronomia Reformata Auctore P. Joanne Bapt. Ricciolo Soc. Jesu. In fol. Bononiae. Et se trouve à Paris chez Piget », Journal des savants, 24 janvier 1667, p. 13-17 (10-12). 30. « Manière exacte pour prendre les diamètres des planètes, la distance entre les petites étoiles &c. A Paris, chez Jean Cusson », Journal des savants, 28 juin 1667, p. 133-134 (92).

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traité de physique du cartésien Jacques Rohault31 ou le traité sur le froid et le chaud de Pierre Petit32. On peut remarquer que la physique cartésienne y est à l’honneur. L’année de la reprise, 1666, est particulièrement riche en comptes rendus de livres (dix-huit sur les trente-neuf, de la période 1665-1672) comme d’ailleurs en lettres et mémoires (quinze sur les trente-huit de la période 1665-1672). D’une part, la revue offre à ses lecteurs les ouvrages parus depuis sa suspension ; ce rattrapage augmentant le volume. D’autre part, l’irrégularité du Journal à partir de 1667 et la réduction de son volume s’expliquent par l’entrée de Jean Galloys à l’académie des sciences, puis sa suppléance du secrétaire Jean-Baptiste Duhamel de 1668 à 1670, le rédacteur ne pouvant plus consacrer autant de temps à sa revue. Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

64 %

57 %

77 %

64,1 %

Italie

27 %

14 %

8%

20,5 %

Provinces-Unies

4,5 %

8%

5,1 %

8%

5,1 %

France

Grande-Bretagne

14 %

Saint-Empire

14 %

Pologne

4,5 %

2,6 % 2,6 %

Tableau 3. Provenance des livres en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1665 et 1672.

Les livres d’astronomie, de mathématiques et de physique proviennent pour près des deux tiers de France (tableau 3) et, en outre, le plus souvent de Paris. Ces données rejoignent celles qu’a rassemblées Jean-Pierre Vittu pour l’ensemble des livres extraits par le Journal, entre 1665 et 1669. Toutefois, de 1666 à 1669, pour l’ensemble des ouvrages étrangers, les pays allemands l’emportent sur les Provinces-Unies, puis vient l’Italie, principalement présente en 1668, avec une douzaine de livres consacrés en majorité à des sujets scientifiques. La quasi-absence des pays du nord et de l’Espagne est explicable par leur production, les directions des échanges, ou les rivalités que l’on retrouve au fil du siècle33. Tandis que dans nos ouvrages étrangers, l’Italie détient la première place. Cette prédominance est due pour l’essentiel aux ouvrages italiens en astronomie, présents de 1665 à 1668 (dont seulement deux ouvrages en 1668). La majorité des livres d’astronomie, de mathématiques et de physique est en latin (tableau 4), dans une proportion voisine de celle qui est mesurée par Jean-Pierre Vittu pour l’ensemble des livres entre 1666 et 1669 (53,9 %)34. Cette importance relative du latin peut s’expliquer par son maintien comme langue des érudits et comme instrument d’échanges pour les savants. La proportion de livres en latin est plus forte pour nos ouvrages provenant de l’étranger (77 %) que pour ceux qui sont imprimés

31. « Traité de physique de Jacques Rohault. In 4. A Paris chez la veuve Charles Savreux », Journal des savants, 22 juin 1671, p. 25-30 (56-58). 32. « Dissertations académiques sur la nature du froid & du chaud, par le Sieur Petit Intendant des fortifications. In 12. A Paris, chez Olivier de Varennes », Journal des savants, 13 juin 1672, p. 94-95 (41). 33. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 86. 34. Ibid., p. 87.

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en France (48 %). La présence de l’italien est en rapport avec la place tenue par les ouvrages d’astronomie provenant de la péninsule. Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

55 %

57 %

54 %

56,4 %

Français

32 %

43 %

38 %

33,3 %

Italien

14 %

0%

0%

7,7 %

Anglais

0%

0%

8%

2,6 %

Latin

Tableau 4. Langues des livres en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1665 et 1672.

Année

Astronomie

Mathématiques

Physique

Nombre total

1665

100 %

0%

0%

1

1666

73 %

0%

27 %

15

1667

75 %

0%

25 %

4

1668

33 %

33 %

33 %

3

1669

67 %

0%

33 %

3

1670

0%

0%

100 %

1

1671

100 %

0%

0%

1

1672

50 %

0%

50 %

10

Total

63 %

3%

34 %

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Tableau 5. Lettres & Mémoires en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1665 et 1672.

En ce qui concerne les lettres et les mémoires, l’importance de l’astronomie est encore plus nette que pour les livres, puisqu’elle représente 63 % de l’ensemble des trois disciplines, entre 1665 et 1672 (tableau 5). Cette proportion atteint même 73 % en 1666, l’année la plus féconde en lettres et en mémoires. Le choix des mémoires témoigne des curiosités des cercles parisiens et de l’engouement du public pour l’astronomie. Ainsi, en 1666, Jean-Dominique Cassini écrit une lettre de Rome pour faire part de ses découvertes relatives à la rotation de Jupiter et de ses satellites35. En 1672, Christiaan Huygens communique ses observations confirmant son hypothèse sur l’anneau de Saturne36. Mais ce qui intéresse le plus le public en 1665, c’est la comète. Le trouble des esprits est tel, l’interpellation cométaire si angoissante, avec la grande peste de Londres, qu’en cette année 1665, Colbert décide d’une grande conférence au collège de Clermont où les plus illustres savants sont invités à donner

35. « Extrait d’une lettre escrite de Rome, touchant les nouvelles découvertes faites dans Jupiter par M. Cassini professeur d’astronomie dans l’université de Boulogne », Journal des savants, 22 février 1666, p. 99-102 (59-61). 36. « Extrait d’une lettre de M. Hugens de l’Académie Royale des Sciences, à l’Auteur du Journal des Sçavans , touchant la figure de la planète de Saturne », Journal des savants, 12 décembre 1672, p. 150-152 (72-74).

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leur opinion sur la comète37. L’article du Journal des savants du 26 janvier 1665 relate cette importante assemblée à Paris : « Le dixiesme de ce mois il y eut une grande assemblée au Collège des Jésuites de cette ville, où se trouvèrent Monsieur le Prince, M. le Duc, et M. le Prince de Conty, suivis d’un grand nombre de Prélats et de Seigneurs de la Cour. On y rechercha les causes et les effets des Comètes »38. Cette conférence, que de grands seigneurs de la Cour viennent écouter, montre bien l’intérêt du public pour tout ce qui regarde les comètes et le souci du Journal d’y répondre. Nombre de mémoires d’astronomie ont pour auteurs Jean-Dominique Cassini et l’Anglais Robert Hooke. En physique, les sujets très divers touchent aussi bien la description de nouveaux instruments que les expériences. Le nom de Christiaan Huygens y apparaît assez souvent et, pour l’Angleterre, celui de Robert Boyle. Les deux tiers des lettres et mémoires ont pour origine la France. En 1666, la moitié provient de Grande-Bretagne, il s’agit de mémoires repris des Philosophical Transactions. À partir de 1666, dans nos trois disciplines, les mémoires proviennent également des membres de l’Académie royale des sciences de Paris. Le Journal des savants offre à la Compagnie un organe de diffusion. Les relations avec le Journal et la possibilité d’y publier firent très tôt l’objet de décisions à l’Académie des sciences, règles dont Roger Hahn n’a selon toute apparence pas eu connaissance, mais il est vrai que, pour le XVIIe siècle, son travail se fonde plus sur les textes édités par ses prédécesseurs que sur les registres de la compagnie39. L’accès aux séances de l’Académie des sciences est difficile et le secret de règle ; dès janvier 1667, elle décide que « toutes les choses qui seront proposées dans l’assemblée demeureront secrettes, que l’on ne communiquera rien au-dehors que du consentement de la Compagnie »40. Néanmoins, deux mois plus tard, le 23 mars, lors d’une des séances du mercredi consacrée aux mathématiques, les académiciens abordent de nouveau la question de la publication de leurs travaux, spécialement dans le Journal des savants, et la compagnie adopte une règle particulière à son propos : « Le 23 de mars, il a esté arresté dans l’assemblée que si quelqu’un fait quelque nouvelle découverte dans la physique ou dans les mathématiques, apres qu’il les aura communiquées a la Compagnie, on pourra la faire imprimer ou mettre dans le journal, nommer la personne qui aura fait la découverte et marquer qu’il l’a communiqué a des personnes qui s’assemblent expres a la recherche des choses naturelles ou exprimer cela d’une autre manière dont on demeurera d’accord dans l’assemblée. Mrs Picard et Auzout ont promis d’apporter Mercredy prochain ce qu’ils ont écrit pour mettre dans le journal »41. Accaparé de plus en plus par ses fonctions à l’Académie des sciences et son service auprès des Colbert, l’abbé Galloys délaissa peu à peu le Journal qui se mit à paraître

37. Voir J.-M. HOMET, « La comète de 1682 et l’évolution des mentalités », dans De la mort de Colbert à la Révocation de l’Édit de Nantes, 14e Colloque, Marseille 1984, 1985, p. 63-72. 38. « De la comète », Journal des savants, 26 janvier 1665, p. 41-48 (29-34). 39. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 99. Cf. R. HAHN, The Anatomy of a Scientific Institution. The Paris Academy of Sciences, 1666-1803, Berkeley Los Angeles - Londres 1971, p. 27, où l’auteur – qui se fonde sur J. BERTRAND, L’Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793, Paris 1869 – voit dans une décision du 18 août 1688, la première mesure de l’académie à propos des publications de ses membres. 40. C. DEMEULENAERE-DOUYÉRE, « Académie », dans M. BLAY (dir.) et R. HALLEUX (dir.), La science classique, XVIe-XVIIIe siècle, Dictionnaire critique, Paris 1998, p. 10. 41. Archives de l’Académie des sciences, Procès-verbaux, t. II, Registre de mathématiques, 23 mars 1667, p. 159-160.

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de manière irrégulière. À ses fonctions, il faut rajouter les scrupules de Jean Galloys à ne publier que des informations de qualité. Christiaan Huygens considérait d’ailleurs qu’il aurait pu « y mettre moins de façon »42. Ainsi peut s’expliquer l’effondrement de la parution, quatre numéros en 1669, un seul en 1670 et trois en 1671, et l’accroissement dans le Journal de la part des lettres et mémoires, ces derniers presque tous fournis par l’Académie des sciences. En 1672, Jean-Baptiste Denis, médecin ordinaire de Louis XIV, donna douze livraisons des Mémoires sur les sciences et les arts, imitant assez le Journal pour passer comme supplément de ce dernier. En 1673, année où Galloys entra à l’Académie française, le Journal ne parut pas. III. Sous la direction de Jean-Paul de La Roque : 1674 à 1686 Une livraison eut lieu en janvier 1674 que suivit une nouvelle interruption, à l’automne 1674. Devant cette carence, le chancelier d’Alègre confia la rédaction à l’abbé Jean-Paul de la Roque. Jean-Paul de la Roque serait originaire du diocèse d’Albi. Il semble qu’il ait suivi l’enseignement du Collège des Jésuites à Albi (mal interprétée, la mention d’études chez les Jésuites par Camusat a conduit quelques auteurs à le faire appartenir à la Société). Dans le Mercure galant d’octobre 1691, la notice nécrologique du Père Léonard en dresse un portrait élogieux : « Messire Jean-Paul de la Roque, Prestre, Docteur en Théologie, Protonotaire du Saint-Siège Apostolique, Auteur des Mémoires de l’Église et qui a fait pendant douze années avec succès le Journal des Sçavans. Il a voulu estre enterré dans l’Eglise des Pères Theatins ausquels il a donné sa Bibliothèque. Ces bons Religieux ont receu cette marque de son amitié avec une parfaite reconnoissance. Cet illustre Défunt avoit beaucoup d’érudition, et a prêché dans les meilleurs Chaires de Paris. Le Clergé luy avoit accordé une pension depuis long-temps, en considération des Ouvrages qu’il a faits à la gloire de l’Eglise. Ses Talens, sa douceur et sa probité luy avoient attiré l’estime de quantité d’honnestes gens qui le regrettent »43. Le thème de ses prédications montre qu’il diffusa la dévotion de l’école française à laquelle se rattachaient plusieurs des communautés qui l’accueillaient. Ses prêches et ses conférences du faubourg SaintGermain donnent à La Roque les traits d’un prêtre mondain. L’un de ses prêches, en 1680, à l’abbaye de Chelles devant madame de Fontanges, alors maîtresse du roi44, suggère qu’il possédait des qualités d’orateur, une certaine notoriété, et même qu’il aurait pu graviter aux franges de la cour. Ce nouveau rédacteur du Journal des savants a été, à tort, mal jugé par la plupart des auteurs qui s’appuyaient sur l’Histoire critique des journaux de Denis François Camusat publiée, à titre posthume, en 1734. Camusat, né après la mort de La Roque, puisant dans le Dictionnaire de Bayle et les revues étrangères, adopta les reproches des adversaires d’un rédacteur qu’il jugeait selon ses propres préjugés45. La Roque apparaît comme le premier à avoir réellement concrétisé le projet que Denis de Sallo avait exposé dans le premier numéro du Journal, en 1665. Il eut le mérite d’assurer durant une douzaine d’années une parution régulière qui conduisit à l’établissement

42. Christiaan Huygens à Henry Oldenburg, Paris, 30 octobre 1669, dans H. OLDENBURG, The Correspondence of Henry Oldenburg, éd. A. R. HALL and M. BOAS HALL, op. cit., t. VI, p. 513. 43. Mercure galant, octobre 1691, p. 227-228. 44. Mercure galant, juillet 1680, p. 293. 45. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 87.

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Le Journal des savants

du Journal des savants dans la République des lettres. De 1675 à 1686, il fit paraître 342 numéros, c’est-à-dire deux par mois et, même durant de courtes périodes, en 1678 et 1685, un par semaine46. Il était animé par le souci de suivre les nouveautés du livre et par la recherche d’informations scientifiques qu’il mène à bien tant par l’établissement d’un réseau de correspondance en Europe que par l’organisation de réunions académiques à son domicile. En relation avec sa direction du Journal des savants, l’abbé de La Roque organisa chez lui des réunions académiques hebdomadaires que fréquentaient des érudits parisiens et provinciaux, des étrangers de passage, et des expérimentateurs, des inventeurs, des constructeurs d’instruments scientifiques qui présentaient leurs découvertes et leurs créations. Sa correspondance et des mentions dans le Journal témoignent qu’il assista à des séances de l’Académie des sciences, participa à des travaux de l’Observatoire, et fréquenta les réunions érudites de SaintGermain des Prés47. Les efforts de La Roque furent récompensés par l’attribution du privilège de 1679 : il put insérer « l’abrégé, extrait ou jugement de toutes sortes de livres qui seront imprimés dans toute l’Europe sur toutes sortes de sciences », et comme ses prédécesseurs, présenter « dans le dit journal les diverses expériences, machines, inventions, médailles, devises, inscriptions, obélisques, nouvelles découvertes tant dans les arts que dans les sciences, comme mathématiques, physique, mécanique…, aventures véritables, monstres, prodiges, apparitions célestes, tremble-terres et autres choses curieuses, arrêts des Parlements, sentences des autres sièges…, décisions des Universités…, mémoires ecclésiastiques, discours académiques et historiques, éloges des hommes illustres… »48. Le développement de la correspondance directe ou indirecte de l’abbé de la Roque avec des personnalités comme Oldenburg, Grew, Bayle, Huygens, Leibniz, Mencke, Bernoulli, Nicaise, Spon et Magliabechi, aussi bien que les multiples éditions du Journal témoignent indéniablement de l’audience de la revue et de son établissement dans la République des lettres. Pour les hommes de savoir, le Journal des savants et les réunions qui l’accompagnent représentent autant un moyen d’accéder à la République des lettres que l’instance d’une diffusion et d’un jugement élargis. Aussi érudits et savants répondent-ils à l’attente du rédacteur en lui proposant les lettres, les mémoires et les observations à même de garnir ses livraisons. À la fin des années 1670, le libraire parisien réapprovisionne son fonds en réimprimant des éditions passées du Journal. De son côté, à Amsterdam, Daniel Elzevier reprend ses contrefaçons, aussi bien des années courantes que des années passées49. Le coût du port qui doublait vite le prix du numéro limitait la possibilité des envois pour ceux qui manquaient de relations auprès des voyageurs et des commerçants, et cette entrave facilita le succès des contrefaçons50. La répétition de ces contrefaçons témoigne du succès de ces piratages qui répandirent la revue à travers l’Europe. Sous forme de petits volumes regroupant une année, la revue s’adresse non plus aux lecteurs avides de nouveautés ou aux amateurs des dernières curiosités scientifiques, mais à ceux qui l’utilisent comme un catalogue ou un livre. Témoignent aussi du succès de

46. C. BELLANGER, J. GODECHOT, P. GUIRAL (dir.), Histoire générale de la presse française, t. I : Des origines à 1814, PUF, Paris 1969, p. 132. 47. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 231 (annexes). 48. E. HATIN, Histoire politique et littéraire de la presse en France, t. II, Paris 1859, p. 179. 49. J.-P. VITTU, « Journal des savants (1665-1792, puis 1797 et depuis 1816) », op. cit., p. 649. 50. J.-P. VITTU, « Diffusion et réception du Journal des savants », op. cit., p. 169.

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sa formule la multiplication des concurrents hollandais du Journal des savants, tels que les Nouvelles de la République des lettres ou la Bibliothèque universelle et historique, comme la prolifération des journaux étrangers : les Philosophical Transactions fondées dans son sillage à Londres en 1665, le Giornale de’ Letterati, à Rome, qui continua à paraître dans les années 1670, et les Acta Eruditorum, présentés dans l’avis au lecteur comme l’équivalent pour l’Allemagne des périodiques de Paris, Londres ou Rome. L’importance des contrefaçons influa de deux manières sur le rayonnement du Journal des savants. Elles en étendirent la diffusion, par la constitution d’un deuxième centre de production : situé à un carrefour de voies terrestres et maritimes, il répandit la revue en Europe du nord et du centre. Elles en élargirent le public moins par l’abaissement des coûts que par le passage à une périodicité plus grande, qui n’adressait plus l’ouvrage à des savants et à des curieux friands de nouveautés, mais à des lecteurs qui le recevaient plutôt comme un livre, recueil de renseignements bibliographiques et érudits51. Les diverses rééditions et leurs contrefaçons consacrèrent l’accession du Journal au statut d’ouvrage de référence. Le succès de la revue auprès des lettrés et des savants ressort également de plusieurs témoignages. Près d’un cinquième des cinq cents catalogues de vente de bibliothèques des années 1750-1780 étudiés par Daniel Mornet au début du siècle comprend une collection du Journal des savants, périodique le plus fréquent devant les Mémoires de Trévoux présents dans cinquante catalogues, contre cent dix pour le premier52. La présence des collections du Journal dans quelques grandes bibliothèques révèle aussi l’édification de son prestige. Véritable homme de presse, l’abbé de La Roque transforma le Journal des savants tout au long de sa direction. À partir de 1677, il adjoignit à la table analytique une bibliographie des livres recensés par matière puis, en 1679, des catalogues des livres nouveaux. À partir de 1678, il se distingue par une touche personnelle en s’adressant à ses lecteurs à travers des préfaces annuelles qui faisaient référence à leur avidité de nouveauté et de savoir. La Roque joua également sur l’intérêt pour les curiosités de la nature et les monstres en accueillant de nombreux mémoires ou lettres, le plus souvent de provinciaux, illustrés de planches et donnés dans des « extraordinaires » que le rédacteur annonçait par des formules propres à appâter le lecteur53. Ces évolutions suggèrent le désir de garder la clientèle des amateurs de livres en leur offrant des instruments bibliographiques, tout en attirant les provinciaux et les curieux. La Roque manifesta ouvertement cette ambition lorsqu’en 1683 il ajouta au titre de la revue une formule destinée, disait la préface, à convaincre ceux que le mot « savant » détournerait du Journal, que celui-ci s’adresse à tous « et que les ouvriers mêmes y peuvent trouver de quoi se divertir et de quoi s’instruire »54. Parmi les collaborateurs qui aidaient le rédacteur dans sa tâche, Friedrich Adolf Hansen servit d’intermédiaire dans le commerce épistolaire entre l’abbé de La Roque et Leibniz. Il tenait également le rôle de précepteur pour de jeunes Danois faisant le grand tour. Il semble qu’il ait dépouillé des catalogues allemands, fournis par Leibniz, pour ajouter au Journal des listes de nouveautés. En 1680, Fredrich Hansen passa avec ses trois élèves en Angleterre où son séjour est attesté jusqu’au printemps de 1682, et il continua de

51. J.-P. VITTU, « Journal des savants (1665-1792, puis 1797 et depuis 1816) », op. cit., p. 652. 52. Ibid., p. 650. 53. J.-P. VITTU, « Diffusion et réception du Journal des savants », op. cit., p. 171. 54. Ibid.

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correspondre avec Leibniz et avec La Roque, auquel il fournit des comptes rendus de livres anglais ou latins et des nouvelles curieuses dont le journaliste enrichit sa revue55. L’abbé Claude Comiers fut un autre collaborateur qui apporta à La Roque une aide bien plus conséquente. Selon Justel, informé de bonne source, Comiers participait encore plus directement à la rédaction du Journal : « celuy qu’il employe pour examiner les livres de Mathématique est de mes amis. Il se nomme Mr de Comiers »56. Originaire d’Embrun, Comiers enseigna comme précepteur de jeunes nobles étrangers. D’environ 1656 jusqu’en 1665, Comiers s’occupa de théologie tout en continuant de s’intéresser aux mathématiques. À l’occasion du passage de la comète de 1665, il publia à Lyon son premier ouvrage La nature et présage des comètes. Après 1670, il s’établit à Paris où il continua d’enseigner et de présenter des expériences et des démonstrations de machines de physique, dans des assemblées privées ou en conférences publiques. Sa collaboration à des périodiques, successivement le Journal des savants, les Nouveautés journalières et le Mercure Galant, va de pair avec ses cours ou conférences et lui ouvre l’accès aux cercles curieux et aux assemblées savantes. Vulgarisateur et démonstrateur mondain et non savant, Comiers vise la renommée par l’accumulation des publications qu’il cite de l’une à l’autre57. La collaboration de l’abbé Comiers au Journal s’acheva en septembre 1680, lorsqu’il attaqua La Roque, dans une lettre publiée dans les Nouveautés journalières de Nicolas de Blégny du 7 septembre. Les deux collaborateurs de La Roque ont de nombreux points en commun. Tous deux guidaient à Paris de jeunes étrangers dans leur apprentissage du français, voire dans celui des mathématiques et de la physique. Cette activité mettait Hansen et Comiers en relation avec diverses assemblées parisiennes. Nous touchons ainsi un milieu dans lequel l’abbé de La Roque trouva non seulement ses deux aides, mais encore nombre d’auditeurs de ses après-dîners et d’auteurs des mémoires qu’il publiait dans son Journal. Ainsi, tous ceux qui avaient une part dans la production du Journal pourraient-ils être qualifiés de lettrés constitués, en raison même de ces professions participant à la formation, ou à l’information, des élites sociales58. Article

Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

Livres

40 %

53 %

55 %

49,1 %

Lettres et mémoires

57 %

45 %

45 %

49,4 %

Autres

3%

2%

0%

1,5 %

Tableau 6. Nature des articles en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1674 et 1686.

55. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 160. 56. Lettre de Justel à Samuel de Fermat du 25 février 1679, Toulouse, B.M., ms. 846, f° 12 r° (citée par J.-P. VITTU, ibid., p. 161) ; et Journal des savants, 15 mai 1679, p. 131 (73). 57. Cf. la notice biographique rédigée par J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 185-192 (annexes). 58. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 163.

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D’après les relevés effectués par Jean-Pierre Vittu, fidèle aux engagements répétés de ses préfaces, de 1682 à 1686, Jean-Paul de La Roque présenta des livres récents à ses lecteurs : 64 à 70 % des comptes rendus de cette période touchaient des livres de l’année. Les livres datés de l’année précédente fournirent de 19 à 30 % des comptes rendus du Journal, et, comme ceux d’un millésime antérieur, ils provenaient presque exclusivement de l’étranger59. Nos propres relevés rejoignent ces données : 71,6 % de livres de l’année entre 1682 et 1686 ; mesurée sur un échantillon de cinquante et un ouvrages, la proportion de livres de l’année est même supérieure (84 %) pour la période 1674 à 1681. Entre 1674 et 1686, dans les domaines de l’astronomie, des mathématiques et de la physique, les comptes rendus de livres représentent 49,1 % des articles (tableau 6) contre 49,3 % dans la période précédente ; globalement, il n’y a donc guère de changements. Toutefois, la part des lettres et mémoires augmente en astronomie, en passant de 51 % à 57 %, et encore plus en mathématiques, en passant de 12 % à 45 %, alors qu’en physique, cette proportion passe de 58 % à 45 %. Année

Astronomie

Mathématiques

Physique

Nombre total de livres

1674

0%

50 %

50 %

2

1675

10 %

30 %

60 %

10

1676

0%

63 %

38 %

8

1677

25 %

50 %

25 %

7

1678

10 %

0%

90 %

10

1679

44 %

31 %

25 %

16

1680

22 %

11 %

67 %

9

1681

60 %

10 %

30 %

18

1682

22 %

22 %

56 %

9

1683

33 %

44 %

22 %

9

1684

36 %

18 %

45 %

11

1685

37,5 %

25 %

37,5 %

16

1686

12 %

0%

88 %

8

Total

30 %

24 %

46 %

133

Tableau 7. Livres en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1674 et 1686.

Contrairement à la période précédente, où l’astronomie occupait sans conteste la première place dans les comptes rendus d’ouvrages, entre 1674 et 1686, c’est la physique qui passe au premier plan, l’astronomie occupant la seconde place, devant les mathématiques (tableau 7). On peut compter en moyenne une dizaine d’ouvrages par an dans ces trois disciplines, soit le double de la période antérieure. Les chiffres annuels montrent bien la constance du travail accompli par l’abbé de La Roque qui atteint enfin le but fixé par Denis de Sallo. L’année 1681 présente le maximum d’ouvrages, avec plus de la moitié du total en astronomie (60 %). Le passage d’une

59. Ibid., p. 174.

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comète n’y est pas étranger. Près des deux tiers des ouvrages d’astronomie de cette année parlent de comètes ou y sont entièrement consacrés. La succession de trois comètes bien visibles durant trois années consécutives, 1680, 1681, 1682, est un phénomène unique dans l’histoire des temps modernes. Entre 1674 et 1686, environ 60 % des ouvrages d’astronomie traitent de théorie ou abordent des aspects théoriques, il s’agit d’un renversement de tendance par rapport aux années 1665-1672, où les observations étaient majoritaires. Les discussions autour des comètes font partie intégrante de ce grand débat sur la mécanique céleste, et elles y ont joué un rôle important. Avec leur dernière apparition de 1682, les comètes qui ne semblaient pas obéir aux principes de la mécanique céleste se trouvent enfin prises au piège de la grande horlogerie de l’univers. Dépossédées de toute signification et banalisées, elles cessent de représenter un messager de Dieu. En physique, les ouvrages théoriques restent majoritaires (près de 60 %), tout en présentant plus souvent à la fois des expériences et les explications théoriques correspondantes. Les livres qui traitent d’instruments et d’observations ont une part un peu plus importante. Parallèlement au foisonnement des observations astronomiques, les expériences de physique se multiplient et témoignent du développement vigoureux de la physique expérimentale, au détriment d’une physique purement spéculative et des doctrines d’Aristote. Ainsi, en 1678, commentant un ouvrage d’Andrea Pissini, le journaliste écrit : « Jamais la physique d’Aristote n’eut plus d’adversaires. La plupart se servent pour la combattre de quantité de belles expériences que l’on a faites pour la première fois ou que l’on a renouvellées depuis trente ou quarante ans »60. Ces expériences de physique intéressent aussi les curieux et les amateurs. En 1678, paraît l’Abrégé de la philosophie de Gassendi par François Bernier. Le Journal des savants lui réserve un accueil favorable : « M. Bernier ancien disciple & bon ami de ce sçavant homme nous en donne ici l’abrégé entier en huit petits volumes in 12. Mais comme depuis la mort de ce Philosophe on a enrichi la physique d’une infinité d’expériences curieuses, & que l’on a fait beaucoup de belles expériences dans l’astronomie qui s’accordent merveilleusement bien avec ses principes, M. Bernier a cru ne faire point tord à son Auteur de les insérer dans le corps de l’Ouvrage »61. Le succès est immédiat. La pensée de Gassendi, qui, jusque-là, n’était connue que des scientifiques et des libertins, devient accessible au grand public. L’ouvrage de Bernier assure la propagande de l’héliocentrisme dans les salons : c’est une étape importante dans la diffusion du copernicanisme. Lors de la sortie de la deuxième édition en 1684, le Journal précise que l’abrégé « a été parfaitement bien reçu dans le monde »62.

60. « Naturalium Doctrina Andreae Pissini. Lucensis. In 12. Augustae Vindelicorum, 1678 », Journal des savants, 18 juillet 1678, p. 289-290 (157). 61. « Abrégé de la Philosophie de Gassendi en 8 tomes, par F. Bernier Docteur en Médecine de la Faculté de Montpellier. A Lion, & se trouve à Paris chez Estienne Michallet, & Séb. Mabre-Cramoisy, 1678 », Journal des savants, 30 mai 1678, p. 223-224 (119). 62. « Abrégé de la Philosophie de Gassendi par F. Bernier D.M. de la Fac. de Montpellier. 2e Édition revue & corrigée par l’Auteur, in 12. t. VII. A Lion, & se trouve à Paris chez Est. Michallet. 1684 », Journal des savants, 24 juillet 1684, p. 241-244 (153-155).

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France

Astronomie 73 %

Provinces-Unies

10 %

Mathématiques 73 %

Physique 66 %

Total 69,9 %

11 %

8,3 %

14 %

7,5 %

Saint-Empire

2,4 %

Grande-Bretagne

5%

18 %

3%

6,8 %

Italie

5%

9%

2%

4,5 %

Pologne Pays-Bas

2,4 % 2,4 %

3%

2,3 % 0,8 %

Tableau 8. Provenance des livres en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1674 et 1686.

Les livres d’astronomie, de mathématiques et de physique proviennent toujours pour plus des deux tiers de la France (tableau 8). Les imprimeurs parisiens y demeurent prépondérants. En revanche, en ce qui concerne la provenance des ouvrages étrangers, l’Italie se voit détrônée par les Provinces-Unies, la Grande-Bretagne et le Saint-Empire. D’après les relevés de Jean-Pierre Vittu, les ouvrages étrangers prédominent dans les Sciences et Arts, avec cent vingt trois titres contre soixante quatorze issus de Paris (entre 1682 et 1686)63. Cependant, si l’on se limite à nos trois domaines, entre 1674 et 1686, on peut constater que ce sont les ouvrages français qui dominent. C’est en physique que la proportion d’ouvrages étrangers est la plus forte (34 %) et avoisine celle atteinte par l’astronomie dans les années 1665 à 1672 (36 %). Comme dans la période précédente, la Grande-Bretagne fournit surtout des livres de mathématiques. Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

Latin

29 %

33 %

42 %

35,1 %

Français

67 %

61 %

58 %

61,9 %

Italien

2%

3%

0%

1,5 %

Anglais

2%

3%

0%

1,5 %

Tableau 9. Langues des livres en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1674 et 1686.

Par rapport aux années 1665 à 1672, dans les livres en astronomie, mathématiques et physique, on assiste à une inversion des proportions entre le latin et le français : le latin ne représente plus que 35,1 % (au lieu de 57,9 %), alors que le français passe de 34 % à 61,9 %. Cette progression du français est particulièrement marquée en astronomie (67 % contre 32 % précédemment), mais elle est aussi notable en physique (58 % au lieu de 42 %) et en mathématiques (61 % contre 43 %). En fait, la plupart des ouvrages imprimés en France sont en français (88 %), la part du latin y est très restreinte (12 %), on trouve un seul cas d’ouvrage bilingue, en 1679, en

63. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 181.

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astronomie64. Ces chiffres tendraient à démontrer le net recul du latin en France comme langue de publication de livres scientifiques dans les années 1674-1686, par rapport aux années 1660. Les livres en latin proviennent essentiellement de l’étranger ; quelques livres provenant d’Italie et de Grande-Bretagne sont en italien et en anglais. Jean-Pierre Vittu donne la proportion de 43,3 % d’ouvrages en français et 52,9 % en latin (ou grec) pour l’ensemble des Sciences et Arts, entre 1682 et 168665. Durant ces années, Jean-Paul de La Roque présente essentiellement des ouvrages de Sciences et Arts à la faveur de l’apport de livres étrangers en latin, alors même que la majorité des comptes rendus du Journal se rapportent à des éditions parisiennes où prédominent la Théologie et l’Histoire66. Dans nos trois disciplines, la part beaucoup plus élevée du français est due au fait que les livres proviennent majoritairement de France, alors que dans les autres disciplines scientifiques, manifestement, les ouvrages imprimés à l’étranger prédominent, ce qui explique la constatation de Jean-Pierre Vittu, valable pour les Sciences et Arts pris dans leur globalité. Ainsi, sur dix-huit ouvrages en Médecine, entre 1675 et 1685 (extrait de notre base de donnée), onze (61 %) proviennent de l’étranger (cinq de Grande-Bretagne, quatre du Saint-Empire, un des Provinces-Unies et un d’Italie). Comment peut-on expliquer que la majorité des ouvrages extraits par le Journal des savants en astronomie, en mathématiques et en physique proviennent de France, alors que c’est l’inverse pour les autres domaines scientifiques, en particulier la médecine ? D’après les statistiques sur le fonds de la Bibliothèque Nationale réalisées par Henri-Jean Martin, les années 1651 à 1665 correspondent à un creux ou une stagnation relative pour les ouvrages médicaux, mais les années 1676-1680 voient une nette reprise, déjà perceptible dans les années précédentes, qui culmine dans les années 1681-168567. En dehors de l’astronomie, des mathématiques et de la physique, l’origine étrangère d’ouvrages scientifiques, en particulier en médecine, semble donc provenir plutôt d’un choix du rédacteur ou de son réseau de relations. En ce qui concerne les lettres et les mémoires, par rapport à la période précédente, l’astronomie voit son importance se réduire au profit des mathématiques, tout en conservant néanmoins la première place. L’importance croissante des mathématiques est d’autant plus remarquable qu’elles étaient pratiquement absentes des lettres et des mémoires de la période précédente. Cette augmentation devient particulièrement sensible au cours des années 1680. Autre fait remarquable, dans nos trois disciplines, le Journal publie en moyenne une dizaine de mémoires ou de lettres par an, soit plus du double que dans la période antérieure. En outre, le nombre de lettres et de mémoires étant pratiquement égal au nombre d’ouvrages, le Journal des savants se positionne ainsi non seulement comme un périodique qui recense la littérature scientifique mais aussi, et tout autant, comme l’organe d’expression de la République des lettres où les savants publient leurs expériences et leurs découvertes. Jean-Pierre Vittu précise que,

64. « Cartes du Ciel réduites en IV tables contenant toutes les constellations avec un catalogue des Noms, grandeurs & positions des Etoiles corrigées & calculées par Longitudes & latitudes, pour l’an 1700, en latin, le François à costé par le sieur Augustin Royer Architecte du Roy. In 12, à Paris chez Jean-Baptiste Coignard. 1679 », Journal des savants, 10 juillet 1679, p. 188-189 (104). 65. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 80 (annexes). 66. ibid.., p. 182. 67. H.-J. MARTIN, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (1598-1701), op. cit., p. 1072 (Graphique B.N. Ouvrages médicaux).

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Année 1674 1675 1676 1677 1678 1679 1680 1681 1682 1683 1684 1685 1686 Total

Astronomie 0% 50 % 38 % 81 % 29 % 64 % 0% 80 % 38 % 29 % 47 % 20 % 29 % 43 %

Mathématiques 0% 0% 15 % 6% 29 % 9% 17 % 20 % 15 % 14 % 18 % 40 % 41 % 21 %

Physique 0% 50 % 46 % 13 % 41 % 27 % 83 % 0% 46 % 57 % 35 % 40 % 29 % 37 %

Nombre total 0 4 13 15 17 11 6 5 13 7 17 10 16 134

Tableau 10. Lettres & Mémoires en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1674 et 1686.

de 1682 à 1686, le volume occupé par les mémoires et les lettres augmenta assez régulièrement et que pour l’ensemble des cinq années, les Sciences et Arts vinrent en tête avec 75 % du total des signes68. Ce développement des mémoires scientifiques dans le Journal va de pair avec l’importance des relations entretenues par l’abbé de La Roque avec les milieux savants. Sa correspondance s’étendait assez largement en Europe, tout en s’appuyant sur de fortes bases en France. Les lettres et les mémoires d’astronomie, de mathématiques et de physique proviennent majoritairement de France (85 %). Le reste se répartit entre l’Angleterre en tête, la Suisse, puis à égalité, les ProvincesUnies, l’Allemagne et l’Italie, avec plus exceptionnellement la Pologne. En ce qui concerne les auteurs français, dans nos trois domaines, les membres de l’Académie royale des sciences de Paris tiennent la première place : Jean-Dominique Cassini, le plus prolifique, et Philippe de La Hire sont ceux qui apparaissent le plus souvent et le plus régulièrement dans le Journal, Huygens et Römer se présentent de manière plus exceptionnelle, d’autres encore, comme Ozanam, sont de futurs académiciens. Parmi les non-académiciens, se détachent plutôt des correspondants de province, comme le père Bonfa, jésuite, professeur en Théologie au Collège d’Avignon69, ou comme Jean-Charles Gallet, prévôt de l’Église Collégiale de saint Symphorien de cette même ville. Ces constatations rejoignent celles de Jean-Pierre Vittu, pour qui les auteurs des lettres se répartissent selon deux situations : « soit ils disposent d’une position institutionnelle, soit ils participent de la foule des lettrés. La plupart des correspondants français appartiennent à cette seconde catégorie, avec un grand nombre de médecins, des juristes et quelques ecclésiastiques tous établis en province. Soit le vivier

68. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 182. 69. D’après la notice biographique de la Table générale des matières contenues dans le Journal des savans, op. cit., le Père Bonfa, Jésuite, Professeur en Théologie au Collège d’Avignon, devint par la suite Professeur Royal d’Hydrographie pour les officiers des galères du Roi.

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des premières académies provinciales, dans le dernier quart du dix-septième siècle70. En revanche, on ne sera pas étonné de trouver à Paris les correspondants français appartenant à la première catégorie, et ce sont essentiellement des membres de l’Académie des sciences71 ». À l’étranger, dans nos trois disciplines, les auteurs de lettres ou de mémoires sont en nombre plus restreint : dans les Provinces-Unies, Huygens, après son départ de France ; en Allemagne, Leibniz ; et, en Suisse, Jacob Bernoulli de Bâle. En Italie, La Roque était en relation avec le prélat romain Giovanni Domenico Ciampini et le bibliothécaire de Florence, Antonio Magliabechi. Ce dernier pourrait être l’auteur d’une lettre de 1676 relatant un phénomène céleste à Florence qui semble bien correspondre à la chute d’une météorite72. Quoi qu’il en soit, le rédacteur lui rend hommage en 1681, en annonçant deux lettres de Montanari concernant les deux comètes visibles en Vénétie : « C’est le Docteur Montanari, Professeur d’astronomie en l’Université de Padoue qui les écrit au sçavant M. Malabechi, qui étant si considérable par son érudition & par son exemple de bibliothécaire du Grand Duc de Toscane, l’est encore par sa générosité & par sa promptitude à rendre de bons offices aux Sçavans, & surtout à nos François qui se distinguent entre les autres par leur sçavoir & leur travail »73. Pour la Grande-Bretagne, le rédacteur présente surtout des extraits du « Journal d’Angleterre », c’est-à-dire des Philosophical Transactions. Par exemple, en chimie, deux mémoires de Robert Boyle paraissent ainsi dans deux des Journaux de juin 167674. L’année suivante, le rédacteur reprend les observations sur l’occultation de Mars et de quelques étoiles par la Lune, parues dans les Philosophical Transactions75, ainsi que la description d’un hygromètre76 et quelques curiosités relatées dans une lettre écrite de Dublin77, en particulier l’effet du tonnerre sur la boussole. Mais la correspondance avec l’Angleterre est aussi une source d’articles. Ainsi en 1679, La Roque publie l’extrait d’une lettre que lui a écrite Robert Hooke à propos d’une sorte d’horloge qui enregistre les changements du temps : « Cette machine tient

70. Cf. D. ROCHE, Le siècle des lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris 1989, p. 18-31, pour une analyse du « Legs du grand siècle ». On trouvera dans H. BROWN, Scientific Organizations in Seventeenht Century France (1610-1680), Baltimore 1934, p. 208-230, des informations utiles sur les académies de province de 1620 à 1680. 71. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 153. 72. « Extrait d’une Lettre de Florence, touchant un feu prodigieux qui y parut le 31 du mois de Mars dernier de la présente année 1676, envoyée à l’Auteur du Journal », Journal des savants, 25 mai 1676, p. 118-120 (66-68). 73. « Copia di due Lettere scritte sopra I Moti è le apparenze delle due Comete in Venetia. 1680 », Journal des savants, 31 mars 1681, p. 119 (78). 74. « Extrait du Journal d’Angleterre, contenant quelques nouvelles expériences faites & communiquées par M. Boyle, touchant le cours de l’air affoibli & le changement des couleurs, qui sont produites par son opération en quelques dissolutions & précipitations », Journal des savants, 8 juin 1676, p. 131-132 (73-75) ; « Extrait du Journal d’Angleterre contenant la suite des Expériences de Monsieur Boyle, touchant le ressort de l’air affoibli, & le changement des couleurs qui sont produites par son opération en quelques dissolutions & précipitations », Journal des savants, 22 juin 1676, p. 142-144 (80-82). 75. « Extrait du Journal d’Angleterre, contenant les observations qui ont été faites à Dantzik & ailleurs, sur l’Eclipse de Mars & de quelques Etoiles fixes, arrivée le premier de Septembre dernier 1676 par l’interposition de la Lune », Journal des savants, 18 janvier 1677, p. 23-24 (14-15). 76. « Extrait du Journal d’Angleterre, contenant la description & la figure d’un Higroscope, pour mesurer les degrez de l’humidité & de la sécheresse de l’air », Journal des savants, 15 mars 1677, p. 68-70 (39). 77. « Extrait du Journal d’Angleterre. Quelques particularitez naturelles remarquables tirées d’une Lettre écrite à Dublin », Journal des savants, 1er mars 1677, p. 59-60 (33-34).

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un registre exact de tous les différens changemens qui arrivent dans l’air. Elle marque les degrez du froid & du chaud, de sécheresse & d’humidité, de légereté & de pesanteur. La quantité de pluye qui tombe, combien de temps le Soleil luit »78. 1. Les lettres et mémoires en astronomie En astronomie, les lettres et les mémoires sont surtout consacrés à des observations et des découvertes (72 %). Leur grand nombre semble attester des curiosités d’un public qui dépasse le réseau des observatoires. Les éclipses de Lune et de Soleil sont des phénomènes qui donnent lieu à la publication de comptes rendus. Ainsi, en 1675, le Journal relate fidèlement les observations de deux éclipses de Lune à l’Observatoire royal par Cassini, Picard et Römer79. En 1676, le rédacteur rapporte les différentes observations de l’éclipse de Soleil, faites en Europe80. Les correspondants de province envoient aussi leurs observations, comme le père Bonfa, Jésuite du Collège d’Avignon qui observe une éclipse de Lune en 1679, – « au Collège d’Avignon avec toutes les précautions & l’exactitude astronomique », précise le Journal81 –, une autre éclipse de Lune à Marseille, le 18 août 168282, et une éclipse de Soleil en 168383. L’observation des planètes et du Soleil, et les découvertes qui parfois en découlent, fournissent leur contingent de mémoires. En 1677, Cassini révèle l’existence de deux satellites de Saturne84. En 1686, il annonce encore sa découverte de deux nouveaux satellites de Saturne85 et d’une tache sur Jupiter86. Le contenu du Journal met en évidence l’étendue du travail réalisé à l’Observatoire royal pour la détermination des longitudes à partir des satellites de Jupiter87. Pour pouvoir trouver en pleine mer

78. « Extrait d’une lettre écrite de Londres à l’Auteur du Journal, par Mr Robert Hook, contenant les particularitez d’une machine rare et nouvellement inventée en Angleterre », Journal des savants, 4 décembre 1679, p. 288 (160). 79. « Observation d’une éclipse de Lune », Journal des savants, 28 janvier 1675, p. 44-47 (19-23) ; Observation d’une éclipse de Lune », Journal des savants, 12 août 1675, p. 215-216 (122-123). 80. « Recueil des observations qui ont été faites en plusieurs endroits de l’Europe sur l’Eclipse du Soleil arrivée le 11 du mois de juin dernier de cette année 1676 », Journal des savants, 4 septembre 1676, p. 209210 (119). 81. « Observation de l’éclipse de Lune du 29 avril 1679, faite en Avignon par le R.P. Bonfa, Jésuite », Journal des savants, 12 juin 1679, p. 165-167 (91-92). 82. « Observation de l’Eclipse de Lune arrivée le 18. août 1682, faite à Marseille par le P. Bonfa Jésuite Prof. R. d’hydrographie pour les officiers des Galères de sa Majesté », Journal des savants, 14 septembre 1682, p. 312-313 (203-204). 83. « Observation de l’Eclipse du Soleil du 27 janvier dernier, faite à Avignon, par le P. Bonfa, Jésuite, Prof. en Théol. & M. Gallet, Prévot de l’Eglise de S. Simphorien de la même ville. 1683 », Journal des savants, 8 mars 1683, p. 56-60 (36-39). 84. « Histoire de la découverte de deux planètes autour de Saturne, faite à l’Observatoire Royal par M. Cassini », Journal des savants, 15 mars 1677, p. 70-72 (40-42). 85. « Nouvelle découverte des deux Satellites de Saturne les plus proches, faites à l’Observatoire Royal, par M. Cassini, de l’Académie Royale des Sciences », Journal des savants, 22 avril 1686, p. 97-106 (77-86). 86. « Découverte d’une tache extraordinaire dans Jupiter, faite à l’Observatoire Royal par M. Cassini de l’Académie Royale des Sciences. 1686 », Journal des savants, 8 juillet 1686, p. 201-202 (161). 87. Voir, entre autres, le mémoire de Cassini : « Eclipses des Satellites de Jupiter dans les derniers mois de l’année 1676, proposées par Mr Cassini de l’Académie Royale des Sciences pour la détermination exacte des longitudes des lieux où elles seront observées », Journal des savants, 17 août 1676, p. 192 (109), et la lettre de Borelli : « Extrait d’une lettre escrite à l’Auteur du Journal par M. Borelli de l’Académie R. des Sciences, contenant un nouveau projet à l’occasion des Longitudes », Journal des savants, 11 septembre 1679, p. 259-261 (144-145).

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le degré de longitude où l’on se trouve, le navigateur doit savoir d’une part quelle heure il est sur le vaisseau, et d’autre part quelle heure il est au même moment au méridien d’origine (par exemple, à Paris). L’heure qu’il est sur le vaisseau s’obtient sans problème en observant la hauteur du Soleil ou d’une étoile ; la difficulté réside donc dans la connaissance en tout temps et en tout lieu de l’heure qu’il est à Paris. Pour conserver cette heure, le navigateur avait besoin d’une montre assez bien réglée pour ne pas varier de plus de deux minutes de temps en deux mois de navigation. Mais les horloges de l’époque étaient loin d’offrir une telle fiabilité. L’observation des satellites de Jupiter représentait une autre solution. En effet, si l’on dispose d’une table donnant l’heure (à Paris par exemple) de l’apparition d’un phénomène céleste, comme l’émersion ou l’immersion derrière Jupiter d’un de ses satellites, on peut trouver la longitude en observant l’heure locale du même phénomène. Colbert attachait beaucoup d’importance à la résolution du problème posé par la détermination des longitudes en mer, car il représentait un enjeu essentiel pour les puissances maritimes. En Angleterre, la création de l’observatoire de Greenwich, en 1672, avait d’ailleurs pour but affiché de déterminer des longitudes dans l’intérêt de la navigation et de l’astronomie ainsi que le précisait son acte de fondation. Colbert avait donné pour priorité à l’Académie royale des sciences la résolution du problème des longitudes. Pour y parvenir, l’équipe d’astronomes de l’Académie disposait de l’Observatoire de Paris, créé par Louis XIV en 1667, avec les meilleurs instruments d’optique de l’époque sous la conduite de leurs inventeurs Adrien Auzout et Jean Picard. En 1667, Picard, qui avait été envoyé au Danemark pour refaire les mesures de la position d’Uraniborg, en était revenu avec le jeune Olaüs Römer. Le ministre avait fait venir à prix d’or deux savants étrangers, Jean-Dominique Cassini, astronome spécialiste du système de Jupiter, et Christiaan Huygens, spécialiste reconnu des pendules. Ce dernier consacra beaucoup d’énergie à la construction d’horloges marines sans toutefois que leur efficacité ne parvienne à emporter la conviction des contemporains. Cassini et son équipe établirent des éphémérides précises des satellites de Jupiter. Mais alors que sur terre les éphémérides des satellites de Jupiter purent servir à déterminer efficacement des longitudes, leur utilisation en mer posait divers problèmes. Bien que la détermination en mer des longitudes n’ait pas trouvé de solution satisfaisante au XVIIe siècle, les moyens importants mis en œuvre et les efforts déployés pour résoudre ce problème ont contribué au développement de l’astronomie et ont amené des découvertes fondamentales88. La lettre de Cassini au père Gouye, de la Compagnie de Jésus, en 1686, illustre l’émulation que suscitent les observations astronomiques : « J’ai comparé avec plaisir l’observation d’Avignon du R. P. Bonfa que vous avez eu la bonté de me communiquer, sur l’Eclipse de Jupiter par la Lune le 10 du mois d’Avril avec celle que je fis à l’Observatoire Royal »89. Cette lettre montre aussi l’intégration de la Compagnie de Jésus dans le monde savant de l’époque et sa volonté de prendre une part active

88. Pour plus de détails, voir V. JULLIEN (dir.), Le calcul des longitudes. Un enjeu pour les mathématiques, l’astronomie, la mesure du temps et la navigation, Rennes 2002 ; J. BLAMONT, « La mesure du temps et de l’espace au XVIIe siècle », XVIIe siècle 213 (2001), p. 579-611 ; G. PICOLET (éd.), Jean Picard et les débuts de l’astronomie de précision au XVIIe siècle, actes du colloque du tricentenaire, Paris 1987. 89. « Lettre de M. Cassini au R. P. Gouye de la Comp. de Jesus, sur les observations de l’Eclipse de Jupiter par la Lune, faites à Paris & à Avignon le 10 Avril 1686 », Journal des savants, 10 juin 1686, p. 167-168 (132-133).

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aux observations dans le domaine de l’astronomie. Comme dans la première moitié du XVIIe siècle, la Compagnie continue à participer pleinement aux nombreuses observations de phénomènes célestes90. Les collèges jésuites constituent un réseau efficace pour les observations astronomiques, servant ainsi de relais en province à l’Observatoire parisien. Jean-Dominique Cassini multiplie d’ailleurs les annonces d’observations à réaliser, les conseils techniques et les appels à communiquer les résultats obtenus. L’ensemble de ces textes témoigne du fonctionnement d’un réseau d’échanges entre Paris, la Provence et l’Italie. Les avis qui paraissent dans le Journal sont une invitation aux astronomes, professionnels ou amateurs, à observer le ciel, ils témoignent aussi de l’intérêt du public pour les observations astronomiques. Ainsi, en 1677, un avis avertit le public de l’observation d’une comète : « Il paroit depuis le 28 d’Avril entre les 3 & 4 heures du matin une Comète, qu’on auroit pu observer quelques jours auparavant si le tems eut été favorable. [..] Celle-ci se continuera à voir le matin pendant quelque jours, & se pourra voir aussi le soir vers les neuf heures entre le Septentrion & l’Occident ; mais elle sera affoiblie par la lumière de la Lune »91. Un autre avis annonce une conjonction de Mercure avec le Soleil : « L’astronomie n’a rien de plus difficile que de fixer quel est le véritable mouvement de Mercure. C’est pourquoi les Astronomes sont avertis qu’ils pourront observer par la Lunette sa conjonction avec le Soleil. Elle arrive très rarement, & sert à perfectionner les Tables du mouvement de cette Planettes, qu’on verra le 7 Novembre prochain entièrement dans le Discque du Soleil »92. Néanmoins, quelques lettres ou mémoires concernent tout de même des aspects théoriques de l’astronomie. Ainsi, en 1677, Cassini présente sa théorie sur le mouvement de la Lune93. Les comètes des années 1677, 1680, 1681 et 1682 (Comète de Halley) suscitent la publication dans le Journal des savants de travaux qui concernent aussi bien leurs observations que des hypothèses et diverses théories à leur sujet. 2. Les lettres et mémoires de mathématiques Plus nombreux qu’auparavant, les lettres et les mémoires de mathématiques traitent de sujets très variés : problèmes d’arithmétique et d’algèbre, duplication de figures géométriques94, mesures de surfaces et de volumes95, probabilités liées au jeu96. On y présente des théorèmes, des démonstrations et des problèmes à résoudre qui constituent des défis à relever, dont on fournit par la suite des solutions. On voit ainsi très bien comment le Journal des savants devient un instrument d’échanges pour les mathématiciens. Des mathématiciens reconnus, comme Leibniz, Jacob Bernoulli, La Hire ou Ozanam, y côtoient des amateurs tels Comiers ou l’avocat Brunet. Ainsi

90. A. ROMANO, La Contre-Réforme mathématique, Constitution et diffusion d’une culture mathématique jésuite à la Renaissance (1540-1640), Rome 1999, p. 438. 91. « Avis », Journal des savants, 10 mai 1677, p. 120 (68). 92. « Avis aux astronomes », Journal des savants, 5 juillet 1677, p. 168 (93). 93. « Nouvelle théorie de la Lune, de M. Cassini », Journal des savants, 10 mai 1677, p. 117-120 (66-68). 94. Voir en particulier : « La duplication du triangle isogone & des autres figures rectilignes démontrée d’une nouvelle manière sans le secours des proportions », Journal des savants, 27 juillet 1682, p. 238-239 (156). 95. Par exemple : « Observation sur la mesure des solides inclinés, ou solution d’un problème proposé dans le Mercure Galant », Journal des savants, 4 mars 1686, p. 58-60 (46-49). 96. « Supputation des avantages du banquier dans le Jeu de la Bassete », Journal des savants, 13 février 1679, p. 38-45 (21-25).

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en 1678, lorsque Leibniz écrit une lettre à La Roque à propos d’une propriété des nombres primitifs97, quelques mois après, Brunet revient sur le même sujet : « Ce que nous avons dit de M. de Leibniz dans un de nos Journaux de cette année sur les nombres primitifs, a porté M. Brunet fort habile en cette matière de nous faire part de certaines propriétez des mêmes nombres primitifs qui lui paroissent moins difficiles à observer ». En 1682, on le retrouve fournissant la solution d’un problème de géométrie : « Depuis ce que nous avons donné de la résolution de M. Brunet touchant le Problème proposé, &c. il a trouvé que par la même figure l’on peut avec la règle & le compas approcher de la duplication du Cube aussi près que l’on voudra & c’est la méthode qu’il prétend donner à l’exemple de Viète »98. Derrière cette apparente hétérogénéité des sujets se détachent pourtant les questions qu’examinaient les mathématiciens de la fin du XVIIe siècle : celles d’une géométrie demeurant constructible à la règle et au compas, celles d’une géométrie analytique en cours de formation, enfin les questions d’une analyse, terreau fertile, sur lequel allaient éclore, à la fin du siècle, les travaux fondateurs du calcul infinitésimal de Newton et de Leibniz. Divers instruments de mathématiques sont également présentés dans la revue. Ainsi, en 1678, le Journal présente la nouvelle machine d’arithmétique de Grillet : « Les difficultez qui se trouvent en l’Arithmétique dans la pratique de la multiplication & de la division, ont porté les Sçavans à la recherche des moyens de les faciliter »99. En 1684, il présente le nouvel instrument pour prendre les angles de Chapotot100 et le pantomètre de Pouilly101. 3. Les lettres et mémoires de physique En physique, tout ce qui concerne l’appareillage tient une place de choix (39 % des lettres et des mémoires). La mesure du temps, essentielle pour la mesure des longitudes et les observations astronomiques, retient l’attention des savants des années 1670. Ainsi, Huygens102 et Leibniz103 proposent-ils de nouveaux systèmes de ressort pour obtenir des horloges plus justes. En 1676, le Journal des savants décrit une pendule qui se meut par l’eau d’une fontaine104. Les horloges inspirent également les inventeurs : en 1678, De Gennes, officier de marine, présente son invention

97. « Extrait d’une lettre écrite d’Hanovre par M. de Leibniz à l’Auteur du Journal, contenant une observation nouvelle de la manière d’essayer si un nombre est primitif », Journal des savants, 28 février 1678, p. 75-76 (41-42). 98. « Avis aux géomètres », Journal des savants, 25 mai 1682, p. 146 (97). 99. « Nouvelle Machine d’Arithmétique de l’invention du sieur Grillet Horlogeur. A Paris », Journal des savants, 1678, p. 161-164 (86-87). 100. « Pantagone ou Nouvel Instrument pour prendre les angles accessibles, inventé par le Sieur Chapotot. Paris », Journal des savants, 13 avril 1684, p. 131-132 (83-84). 101. « Instrument de Mathématique de l’invention du Sieur Pouilly », Journal des savants, 26 juin 1684, p. 215-216 (136-137). Voir aussi « Instrument de Mathématique du Sieur Poully, perfectionné & réduit à une plus grande commodité & utilité », Journal des savants, 26 novembre 1685, p. 398 (282-283). 102. « Extrait d’une lettre de M. Hugens à l’Auteur du Journal, touchant une nouvelle invention d’Horloges très justes & portatives », Journal des savants, 25 février 1675, p. 64-71 (35-36). 103. « Extrait d’une lettre de M. Leibniz à l’auteur du Journal, touchant le principe de justesse des horloges portatives de son invention », Journal des savants, 25 mars 1675, p. 93-96 (50-53). 104. « Description d’une pendule qui se meut par l’eau d’une fontaine, & qui donne le mouvement à une horloge avec une grande justesse », Journal des savants, 31 août 1676, p. 195-198 (111-113).

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d’une nouvelle horloge105 ; en 1679, le Père Bonfa, Jésuite, propose un moyen de construire des horloges bon marché106. En mer, en raison du manque de stabilité, les horloges de l’époque ne fonctionnent pas correctement, ce qui rend d’ailleurs difficile la détermination des longitudes ; en 1684, de La Hire propose une nouvelle invention d’horloge à sable pour les voyages en mer107. Le temps n’est pas le seul à bénéficier d’instruments de mesure plus précis, les instruments servant à mesurer les caractéristiques météorologiques de l’atmosphère se perfectionnent et se diversifient, de même que les instruments d’optique. Ainsi, en 1676, le Journal avertit les lecteurs sur la possibilité d’obtenir de grands verres optiques, grâce à la méthode de l’académicien Borelly108. Fabricant de verres de lunettes et chimiste, Jacques Borelly, souvent confondu à tort avec le médecin Pierre Borel, se veut l’inventeur d’une méthode parfaite pour les polir. Très jaloux de son invention, il n’en a pas divulgué les secrets, sinon sous la forme d’un cryptogramme inséré au procès-verbal de la séance du 7 mars 1676 de l’Académie des Sciences et publié – mais sans son déchiffrage – dans l’avis du Journal du 6 juillet suivant109. En 1680, Christiaan Huygens, lui, expose son invention d’un niveau à lunette110. À la suite de publications proposant des mouvements perpétuels111, Philippe de La Hire réagit en publiant une démonstration de l’impossibilité du mouvement perpétuel dans le Journal du 1er août 1678112. Après les instruments, ce sont les observations et les expériences (33 %) qui remplissent les lettres et mémoires de physique. Les observations de phénomènes météorologiques font l’objet de comptes rendus113 et, parfois, d’interprétations114. L’exposé de ces

105. « Nouvelle invention d’horloge ascendante sur un plan incliné, trouvée par M. de Gennes Officier de la Marine », Journal des savants, 1er août 1678, p. 307-308 (167-168). 106. « Extrait d’une lettre du R.P. Bonfa Professeur en Théologie au Collège d’Avignon, écrite au R.P. de Fontaney jésuite, Professeur des mathématiques au Collège de Clermont à Paris, touchant une nouvelle invention de faire des Pendules de carton », Journal des savants, 23 janvier 1679, p. 23-24 (13-14). 107. « Extrait d’une lettre de M. de la Hire de l’Académie Royale des Sciences, à l’Auteur du Journal ; contenant une nouvelle invention d’Horloges à sable pour les voyages de Mer », Journal des savants, 11 septembre 1684, p. 318-320 (207-208). 108. « Avis sur les grandes lunettes », Journal des savants, 6 juillet 1676, p. 155-156 (87-88) (« M. Borelli de l’Académie Royale des Sciences, dont l’application pour les choses de physique, & surtout pour ce qui regarde la Chymie est connue depuis longtems, a trouvé une méthode très sûre & très aisée à pratiquer pour faire toutes sortes de ces grands verres, qui ne lui a jamais manqué. [..] »). 109. Pour plus de détails sur Jacques Borelli et son invention, voir P. CHABBERT « Jacques Borelly (16..1689) Membre de l’Académie royale des Sciences », Revue d’Histoire des Sciences, 23 (1970), p. 203-227. 110. « Nouvelle invention d’un niveau à lunette qui porte sa preuve avec soy, & que l’on vérifie & rectifie d’un seul endroit, par Mr Hugens de l’Acad. R. des Sciences », Journal des savants, 2 janvier 1680 (n° 2), p. 21-24 (14-18) ; « Démonstration de la justesse du Niveau dont il a esté parlé dans le II. Journal », Journal des savants, 26 février 1680, p. 57-60 (36-39). 111. Voir en particulier dans le Journal : « Le Mouvement Perpétuel purement artificiel inventé & exécuté par le P. Stanislas Solski Jésuite Polonois », Journal des savants, 18 avril 1678, p. 148-152 (79-81). 112. « Démonstration de l’impossibilité du mouvement perpétuel envoyée comme il s’ensuit à l’Auteur du Journal par M. de la Hire de l’Académie Royale des Sciences, à l’occasion de plusieurs de ces Mouvemens qui ont paru depuis peu », Journal des savants, 1er août 1678, p. 304-306 (165-166). 113. Par exemple : « Relation succincte de ce qui s’est passé en l’Abbaye de Saint Médard près de Soissons, sur le fait d’un orage & tonnerre extraordinaire, tirée d’une Lettre écrite à M. Mariage Secrétaire du Roi, par M. Guérin avocat du Roi au Présidial de Soissons », Journal des savants, 25 mai 1676, p. 113-115 (63). 114. Par exemple : « Extrait d’une lettre écrite de Province à l’Auteur du journal par M. Grillon D. en M. touchant le furieux Ouragan arrivé en ce Pays-là le 7. du mois de Juin dernier avec des raisonnemens sur la cause physique de ce désordre », Journal des savants, 9 septembre 1680, p. 262-264 (153-155).

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phénomènes ne peut manquer d’attirer et d’intéresser les curieux. Mais les académiciens publient aussi leurs découvertes dans le Journal. En 1676, Römer présente sa démonstration du mouvement de la lumière à partir des observations du premier satellite de Jupiter115. Römer parvint à une valeur approximative de la vitesse de la lumière de deux cent quinze mille kilomètres par seconde. Il montra ainsi que l’hypothèse cartésienne de la propagation instantanée n’était pas fondée. L’ensemble de ces mesures et observations imposa une refonte complète de l’optique cartésienne116. Enfin, le Journal offre une tribune publique aux polémiques dans la République des lettres. Les années 1681 à 1684 voient se développer une polémique entre l’abbé de Catelan117 et Huygens à propos de sa théorie du centre de balancement, aux multiples rebondissements, Bernoulli intervenant à son tour dans la querelle. Les échanges se déroulent sous forme de lettres envoyées au rédacteur du Journal qui les publie (voir tableau 11). Année

Pages Auteur

1682 131-133 Huygens C. (29 juin) 1682 (20 juillet)

147-148

1684 90-91 (24 avril)

De Catelan (Abbé) Bernoulli

1684 142-145 Huygens C. (3 juillet)

1684 (11 sept.)

204-206

De Catelan (Abbé)

Titre Extrait d’une lettre de M. Hugens avec sa réponse à une remarque faite par M. l’Abbé de Catelan contre sa proposition 4. du Traité des centres de balancement. Réplique de M. l’Abbé de Catelan à la réponse de M. Hugens dont il a été parlé, envoyée à l’Auteur du Journal en ces termes. Extrait d’une lettre du sieur Bernoulli, écrite de Bâle à l’Auteur du Journal, sur le démélé de M. l’Abbé de Catelan avec M. Hugens, touchant le centre d’oscillation. Extrait d’une lettre de M. Hugens, écrite de la Haye le 8. juin 1684, à l’Auteur du Journal contenant sa réponse à la réplique de M. l’Abbé de Catelan, touchant les centres d’agitation. Réponse de M. l’Abbé de Catelan, à la Lettre de M. Bernoulli, sur son démêlé avec M. Hugens, touchant le centre de balancement, insérée dans le XII. Journal de cette année 1684.

Tableau 11. Polémique entre l’abbé de Catelan et Huygens : lettres publiées dans le Journal des savants (édition de Paris) d’après nos relevés. André Robinet signale trois lettres supplémentaires, rajoutées dans les contrefaçons hollandaises du Journal118.

115. « Démonstration touchant le mouvement de la lumière trouvé par M. Romer de l’Académie Royale des Sciences », Journal des savants, 7 décembre 1676, p. 233-236 (133-134). 116. M. BLAY, « Lumière et couleurs », dans M. BLAY (dir.) et R. HALLEUX (dir.), La science classique, XVIeXVIIIe siècle. Dictionnaire critique, Paris 1998, p. 754-755. 117. Pour mieux connaître ce personnage, à première vue assez énigmatique, voir A. ROBINET, « L’abbé de Catelan, ou l’erreur au service de la vérité », Revue d’Histoire des Sciences 11 (1958), p. 289-301. 118. A. ROBINET (op. cit.) cite en plus les trois articles suivants : 15 décembre 1681, Journal des savants, (éd. de Hollande, p. 383-6) : « Examen mathématique du centre d’oscillation, par M. l’abbé de Catelan » (De Catelan reprend cet article dans une fausse édition du Journal qui le dresse contre La Roque, cf. HUYGENS, Correspondance, VIII, p. 356, n. 1) ; 7 septembre 1682, Journal des savants, (édition d’Amsterdam) : « Objections de M. de Catelan contre les mouvements en cycloïde des pendules » (Huygens, Correspondance, VIII, p. 395-6.) ; 14 septembre 1682, Journal des savants, (édition de Hollande) : « Réponse à l’objection

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L’abbé de Catelan fut sans doute le secrétaire libre de Malebranche entre 1678 et 1694. Accueilli pendant une quinzaine d’années dans le groupe des savants malbranchistes, il peut être considéré comme un compagnon de recherche de tous les jeunes mathématiciens qui gravitent vers 1690 autour de l’oratorien : Varignon, Sauveur, L’Hospital, les Bernoulli, Prestet. Et il fréquente également les milieux cartésiens groupés autour du duc de Chevreuse : Fédé, Régis, Rolle et Corbinelli. Il se fit une telle réputation que Bayle le crut membre de l’Académie des sciences et fut détrompé par Malebranche. Cependant, la réalité était bien différente de la notoriété qu’il avait réussi, plus ou moins, à se donner. À l’égard de la vérité qu’il se donne pour mission de protéger, à l’imitation plutôt qu’à l’instigation de son maître, il tombe sous le coup d’une permanente accusation retournée de paralogisme. Il dénonce, en effet, à plusieurs reprises dans l’œuvre d’autrui des raisonnements fallacieux. Mais il se trouve que les adversaires qu’il s’est choisis sont d’une taille telle qu’ils échappent aussi bien à ses critiques, au niveau où il les place, qu’à sa simple compréhension. Car il est manifeste qu’il comprend à faux ce qui s’avère clairement exposé. Il s’attire donc, plutôt que des répliques, le conseil de mieux lire ce qu’il commente. Huygens, Leibniz, L’Hospital, Bernoulli sont ainsi les prétextes que l’histoire a fournis à Catelan pour manifester l’imprécision de sa pensée et pour procurer aux génies de l’heure l’occasion de mises au point qu’on gagne toujours à recueillir119. En outre, sa manière d’écrire comme les confidences de familiers fournissent, chez lui, les preuves d’une certaine fausseté d’esprit. Cet exemple de la polémique entre l’abbé de Catelan et Huygens montre bien le nouveau rôle joué par le Journal des savants dans la République des lettres, il en est devenu la tribune d’expression pour ses membres. IV. La direction du président Cousin : un repli (1687 à 1701) En 1687, persuadé qu’un rédacteur unique ne pouvait se tenir au courant des progrès de toutes les sciences, le Chancelier Boucherat demanda à La Roque de constituer un bureau éditorial en s’entourant de spécialistes. Après plusieurs mois de crise où le Journal des savants cessa de paraître, La Roque parvint à un accord qui réservait ses droits. Il s’adjoignit quelques collaborateurs, dont Louis Cousin, président de la Cour des monnaies et traducteur des historiens grecs et latins, devant lequel il ne tarda pas à s’effacer. Fin octobre, le Mercure annonça la reparution après la Saint-Martin d’un Journal composé par « quatre personnes qui sçavent ensemble toutes les sciences » : Cousin, La Roque, Guillart et Régis120. Cette transformation ouvrit une nouvelle période pour le Journal où le recrutement de ses rédacteurs parmi les censeurs et les académiciens, et leurs liens avec la Chancellerie, mena la revue de l’entreprise privée à l’institution publique121. Grâce à Cousin, le Journal parut régulièrement de 1687 à 1701 chaque semaine, sauf durant les mois d’été122. Cette évolution marqua enfin le reflux de la curiosité et des virtuosi au profit des savoirs institués, par la spécialisation des rédacteurs, et les attaches officielles des pressentis ou des

de M. Huygens contre la méthode de M. l’abbé de Catelan pour déterminer les centres de balancement » (HUYGENS, Correspondance, VIII, p. 397-8.). 119. A. ROBINET, op. cit. 120. Mercure Galant, octobre 1687, p. 369. 121. J.-P. VITTU, « Journal des savants (1665-1792, puis 1797 et depuis 1816) », op. cit., p. 650. 122. C. BELLANGER, J. GODECHOT, P. GUIRAL (dir.), Histoire générale de la presse française, t. I, op. cit., p. 134.

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nommés. Les attributions des nouveaux rédacteurs restèrent officiellement cachées au public, mais les lettres de François et de Justel qui nous les révèlent montrent un passage de cinq à quatre spécialités : les belles-lettres, la médecine, l’histoire et la religion, respectivement confiées d’après le premier à l’abbé de Saint-Ussans, Bonnet, Cousin, Galloys et La Roque ; la religion demeurant selon le second la responsabilité de La Roque et l’histoire celle de Cousin, les mathématiques passant à Régis probablement chargé aussi de la médecine, puisque les études de Guillart ne lui ouvraient que l’histoire ou les belles-lettres123. L’anonymat des comptes rendus d’ouvrages et l’absence de brouillons excluent d’établir la contribution de chaque journaliste à la revue. Il est tout au plus possible de faire un rapprochement entre la présentation de manuels de mathématiques et le passé de conférencier de Régis, ou bien encore, de rapporter le bref et froid éditorial consacré aux Principia de Newton, le 2 août 1688, ou l’article favorable au Traité de la lumière et du Discours sur la cause de la pesanteur de Huygens au cartésianisme du rédacteur124. Louis Cousin naquit d’une famille bourgeoise en 1627, à Paris, où il mourut en 1707. Après avoir été reçu bachelier en théologie à la Faculté de Paris, il dut abandonner cette voie pour des études de droit. Il acquit en 1657 l’une des six charges de Président de la Cour des monnaies. Homme d’étude, disposant d’importants loisirs, il se fit remarquer tant par ses traductions du latin et du grec des historiens de l’Église, de Byzance et de l’Empire d’occident, qu’il publia à partir de 1672, que par ses relations dans les cercles érudits où ses travaux l’avaient introduit. À la suite de l’effacement peu après 1690 de Guillart et Régis, Louis Cousin resta seul rédacteur en titre. Après la mort de Jean-Paul de La Roque en septembre 1691, Cousin ne reçut pourtant pas le privilège du Journal des savants, car le Chancelier préféra l’attribuer le 4 mai 1692 à l’imprimeur Jean Cusson sur lequel il disposait de moyens de persuasion plus puissants qu’envers un lettré. À la différence de ses prédécesseurs, Cousin ne semble pas avoir entretenu une correspondance mais sa participation aux assemblées savantes de la Capitale lui fournissait des informations. Pour obtenir ces dernières, le rédacteur employa des moyens plus académiques que son prédécesseur. Faute de relations directes, les savants utilisèrent des intermédiaires pour obtenir de lui la publication de mémoires. Les nombreuses sollicitations adressées à Cousin suggèrent qu’établi, le Journal fonctionnait désormais comme un récepteur dispensant son auteur de quêter les collaborations. Les offres d’informations par l’hommage d’un livre ou la sollicitation d’une publication, et la réception de nouvelles par les voies académiques de lettrés et de cercles savants, tendent à prouver l’évolution de la situation du Journal des savants d’une entreprise privée de la République des lettres, à une quasi institution. Les relations de la revue avec l’Académie des sciences constituent un élément à considérer dans cette évolution. Rompant avec la tradition de publication contrôlée et parcimonieuse des travaux de l’Académie, Pontchartrain, sans doute conseillé par son neveu, décida de faire publier des mémoires mensuels. Le 19 décembre 1691, les académiciens furent informés par l’abbé Bignon de cette création qui s’inspirait plus de l’exemple des Transactions nourries des activités de la Royal Society que du Journal parisien surtout consacré aux nouveaux livres. Responsable de la publication, l’abbé Galloys fut choisi pour sa connaissance des travaux et des procès-verbaux de l’Académie et son

123. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 304. 124. Ibid.

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expérience de journaliste. Le contenu de la nouvelle revue, les Mémoires de mathématiques et de physique, tirez des registres de l’Académie royale des sciences, provenait du fonds accumulé par les académiciens ou de travaux récents125. Cependant, cette entreprise ne dura que deux ans, jusqu’au printemps 1694. La mévente d’une revue dont le contenu ne trouvait d’écho qu’auprès d’une poignée de savants et le coût de l’édition expliquent en grande partie cet échec. Sa propre revue disparue, l’Académie ne pouvait que s’adresser de nouveau au Journal des savants pour rendre publics ses travaux, mais le souci de préserver son renom et le secret de ses recherches ne pouvait qu’entraîner des choix et des interventions qui prêtaient au Journal des savants le caractère d’une institution. L’Académie refusait tout autant d’être soumise au tribunal du public que de lui servir de juge. Le débat autour du calcul différentiel et la querelle entre les frères Bernoulli offrent des exemples d’interdictions ayant affecté le Journal. Derrière des interdictions qui cantonnèrent les débats religieux aux instances ecclésiastiques et préservèrent les règles de divulgation d’une académie se lit une même maxime d’ordre : éviter la mise en cause d’une institution et le développement de polémiques126. Article Livres Lettres & Mémoires Autres

Astronomie 52 % 46 % 2%

Mathématiques 34 % 61 % 5%

Physique 42 % 55 % 3%

Total 39,1 % 57,2 % 3,6 %

Tableau 12. Nature des articles en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1687 et 1701.

Par rapport à la période précédente, en astronomie, mathématiques et physique, la part des lettres et des mémoires est plus importante (tableau 12). Cette augmentation est particulièrement sensible pour les mathématiques. Inversement, la part des lettres et mémoires diminue en astronomie. Si l’étoffement des comptes rendus correspond aux promesses des préfaces, l’absence de correspondance et le repli académique du journaliste, amplifiant les effets des guerres, éclairent les modifications de la part des diverses rubriques de la revue dont le contenu évolua aussi bien pour l’origine et la nature des livres que pour celle des autres articles127. Les relevés effectués par Jean-Pierre Vittu entre 1697 et 1701 montrent une légère progression des comptes rendus de livres, mais avec une répartition différente des matières. Les préférences de Cousin allaient vers l’histoire, le droit et la religion au détriment des sciences. La diminution des titres d’Histoire, et la chute de près de moitié de ceux de Sciences et Arts, s’accompagnèrent d’une hausse de plus de cinquante pour cent des ouvrages de Théologie et Religion, de Droit et Jurisprudence et des Belles-Lettres. La première place revint désormais aux livres religieux, avec près du tiers des comptes rendus, place et part qu’occupaient les sciences sous La Roque, dont l’orientation se trouvait ainsi bouleversée128. Cependant, l’augmentation de la place accordée aux livres religieux ne semble pas particulière au Journal, mais plus

125. Ibid., p. 322-323. 126. Ibid., p. 328-329. 127. Ibid., p. 331. 128. Ibid., p. 338.

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générale, puisqu’elle se retrouve dans quatre autres périodiques européens en 1701 (Nouvelles de la République des lettres, Acta Eruditorum, Histoire des ouvrages savants et Mémoires de Trévoux)129. Notre dépouillement en astronomie, mathématiques et physique montre effectivement un certain tassement dans leur nombre de comptes rendus (108 ouvrages sur 15 ans contre 132 sur 12 ans), mais cette réduction est plus modeste que dans les Sciences et Arts, pris globalement. Ces matières semblent donc moins défavorisées que le reste des sciences. Le fait que déjà précédemment, dans ces trois disciplines, la part des ouvrages étrangers ait été moindre que dans les autres domaines scientifiques, comme par exemple la médecine, a sans doute joué en leur faveur comme tendrait à le prouver l’analyse de la provenance des livres pendant la direction de Louis Cousin (les ouvrages français ayant été privilégiés par le rédacteur). En outre, dans nos trois domaines, les relations du rédacteur avec les académiciens ont sans doute favorisé la présentation d’un certain nombre d’ouvrages issus de leurs travaux. Par rapport à la période précédente, la part des livres en astronomie diminue encore, celle des ouvrages de physique reste à peu près stable, alors que la place tenue par les recueils de mathématiques augmente (tableau 13). Année

Astronomie

Mathématiques

Physique

Nombre total de livres

1687

0%

33 %

67 %

3

1688

15 %

31 %

54 %

12

1689

0%

20 %

80 %

5

1690

11 %

44 %

44 %

9

1691

29 %

29 %

43 %

7

1692

35 %

41 %

24 %

15

1693

14 %

57 %

29 %

7

1694

11 %

11 %

78 %

9

1695

0%

25 %

75 %

4

1696

14 %

29 %

57 %

6

1697

33 %

67 %

0%

3

1698

0%

25 %

75 %

4

1699

50 %

50 %

0%

6

1700

36 %

36 %

27 %

11

1701

40 %

20 %

40 %

7

Total

23 %

34 %

43 %

108

Tableau 13. Livres en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1687 et 1701.

129. Ibid., p. 369.

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Durant la direction de Louis Cousin, les comptes rendus de livres dans ces trois domaines sont publiés avec moins de rapidité par rapport aux années de direction par l’abbé de La Roque : sur un échantillon de 92 livres, 67,4 % sont de l’année (contre 71,6 % sous La Roque). Le retard croissant à publier les comptes rendus trouve sa source bien plus dans l’étroitesse du réseau d’information du journaliste que dans l’effet des guerres. Si le retard souffert par les productions étrangères peut s’expliquer uniquement par des insuffisances de leur circulation ou de leur réception, il n’en va pas de même pour les livres français. Pour ces derniers, le retard pourrait être attribué à l’allongement des comptes rendus qui, selon l’engagement de l’avertissement de novembre 1687, prirent souvent la forme d’un abrégé détaillé du livre, exercice qui pouvait nécessiter une assez longue préparation. Dans nos trois domaines scientifiques, l’accroissement du retard est en accord avec les données relevées par Jean-Pierre Vittu, tout en étant néanmoins plus faible que la valeur qu’il a mesurée pour la totalité des ouvrages (61,5 % entre 1697-1701)130. Peut-être que les relations académiques de Cousin favorisaient des délais plus courts pour une partie des livres scientifiques. Parmi les ouvrages d’astronomie, on peut remarquer la publication des observations des pères jésuites envoyés en Chine131, les découvertes de Cassini sur Jupiter132, ou le fameux Cosmetheoros de Christiaan Huygens133. En mathématiques, le Journal présente en particulier des comptes rendus des nombreux ouvrages écrits par le mathématicien Ozanam. L’académicien Michel Rolle publie en 1691 une démonstration de sa méthode des cascades134. Il allait bientôt devenir le porte-parole des adversaires du nouveau calcul de l’infini. C’est lors d’un séjour effectué à Paris pendant l’hiver 1691-1692 que Johann Bernoulli initie le Marquis Guillaume de l’Hospital au nouveau calcul différentiel. Ces leçons amenèrent ce dernier à publier à Paris en 1696 un ouvrage qui constitue le premier « manuel » de calcul différentiel. Le Journal le présente de manière assez élogieuse, tout en précisant que l’ouvrage se limite au calcul différentiel, sans traiter le calcul intégral135. En physique, l’accueil réservé aux Principia de Newton est beaucoup moins enthousiaste136. Le journaliste laisse trans-

130. Ibid., p. 332. 131. « Observations physiques et mathématiques pour servir à l’Histoire Naturelle, & à la perfection de l’astronomie & de la Géographie,envoyées de Siam à l’Académie Royale des Sciences, par les P. Jésuites François qui vont à la Chine en qualité de Mathématiciens du Roi. Avec les réflexions de Mrs. de l’Académie, & quelques notes du P. P. Gouye, de la Compagnie de Jésus. In-8, à Paris 1688 », Journal des savants, 13 septembre 1688, p. 253-255 (211-213). 132. « Nouvelles découvertes dans le Globe de Jupiter, faite à l’observatoire Royal par Mr. Cassini, de l’Académie Royale des Sciences, & communiquées à la mesme Académie. In 4. Paris, 1691 », Journal des savants, 12 février 1691, p. 50-53 (38-40). 133. « Christiani Hugenii Cosmetheoros, sive de terris cœlestibus, earumque ornatu conjecturae ad Constantium Hugenium fratem Guillelmo III. Magnae Britanniae Regi a secretis. In-4. Hagae Comitum. 1698 », Journal des savants, 23 février 1699, p. 89-90 (78-79). 134. « Démonstration d’une métode pour résoudre les égalitez de tous les degrez, suivie de deux autres métodes, dont la première donne les moyens de résoudre ces mesme égalitez par la Géométrie, & la seconde pour résoudre plusieurs questions de Diophante qui n’ont point encore esté résolues. Par M. Rolle, de l’Académie Royale des Sciences. In 12. Paris 1691 », Journal des savants, 3 mars 1692, p. 102-104 (77-79). 135. « Analyse des infiniments petits, pour l’intelligence des lignes courbes. In-4. A Paris, 1696 », Journal des savants, 3 septembre 1696, p. 424-428 (349-353). 136. « Philosophia Naturalis Principia mathematica. Auctore J. S. Newton Matheseos Professore Lucasiona, & Societatis Regalis Sodali. In-4. Londoni. Et se trouve à Paris chez Jean Boudot. 1688 », Journal des savants, 2 août 1688, p. 153-154 (128).

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paraître ses opinions cartésiennes, en reprochant à Newton le côté arbitraire de ses hypothèses : L’Ouvrage de M. Newton est une Mécanique la plus parfaite qu’on puisse imaginer, n’étant pas possible de faire des démonstrations plus précises ni plus exactes que celles qu’il donne dans les deux premiers livres sur la pesanteur, sur la légereté, sur le ressort, sur la résistance des corps fluides, & sur les forces attractives & impulsives qui sont le principal fondement de la physique. Mais il faut avouer qu’on ne peut regarder ces démonstrations que comme mécaniques, puisque l’auteur reconnoit lui-même à la fin de la 4. page, & au commencement de la 5. qu’il n’a pas considéré leurs principes en Physicien, mais en simple Géomètre. Il avoue la même chose au commencement du 3. livre où il tâche néanmoins d’expliquer le système du monde. Mais ce n’est que par des hypothèses qui sont la plupart arbitraires, & qui par conséquent ne peuvent servir de fondement qu’à un traité de pure Mécanique. Cela paroit évidemment par le seul exemple du flux & du reflux de la mer. Il fonde l’explication de l’inégalité des marées sur ce principe que toutes les planettes pèsent réciproquement les unes sur les autres ; d’où il tire cette conséquence que la lune & le soleil étant conjoints ou opposés, les forces de leur pesanteur sur la terre s’unissent, & que s’étant unies, elles produisent un plus grand flux & reflux, au lieu que dans les quadratures ces forces étant séparées, & le soleil élevant l’eau tandis que la lune l’abaisse, il est nécessaire que le flux & le reflux soit plus petit ; ce qui est indubitable dans sa supposition. Mais comme cette supposition est arbitraire, n’ayant pas été prouvée, la démonstration qui en dépend ne peut être que mécanique.

Le Journal termine sans ménagement : « Pour faire donc un ouvrage le plus parfait qu’il est possible, M. Newton n’a qu’à nous donner une Physique aussi exacte qu’est la Mécanique. Il l’aura donnée quand il aura substitué de vrais mouvemens en la place de ceux qu’il a supposés ». Si le Journal reconnaît la perfection de la mécanique céleste présentée, en revanche il souligne son manque de crédibilité. L’hypothèse artificielle d’une action à distance ne peut que rebuter les cartésiens par son caractère magique. Le système du monde de Descartes est plus qualitatif que quantitatif. Mais pour les disciples inconditionnels de Descartes, le danger de l’occultisme est encore trop proche pour que l’on ne craigne pas sa résurgence, et tout ce qui dans la science a un relent de magie les inquiète. Ils assimilent l’attraction à une vertu occulte et ils soulignent que l’appel à la vertu occulte est un argument de mauvais philosophe. Ayant mis près de cinquante ans à s’implanter, le cartésianisme mettra cinquante ans à disparaître, la science officielle se révélant aussi obstinée à le maintenir qu’elle a été lente à l’adopter. Ces différents exemples montrent que, sous la direction de Cousin, le Journal des savants continua à présenter les ouvrages importants de son époque, dont certains sont encore réputés aujourd’hui. Cependant, l’examen de la provenance des ouvrages analysés montre un net repli sur la France (tableau 14). Globalement, dans nos trois disciplines, les livres provenant de France représentent 86,1 % contre 69,7 % sous la direction de La Roque, la part des livres étrangers passe d’environ 30 % à 14 %. Cet effondrement, qui touche particulièrement la Grande-Bretagne et le Saint-Empire (chacun 1,9 % contre 6,8 % auparavant), peut s’expliquer au moins en partie par la guerre. Pour Jean-Pierre Vittu, « malgré les failles de l’embargo, les échanges de livres s’amenuisèrent au cours de la guerre de la ligue d’Augsbourg, comme en témoignent parallèlement la chute des provenances françaises (italiennes et anglaises) aux foires allemandes, et la paix revenue, le rédacteur demeura dans l’habitude acquise, qui pouvait aussi répondre à une volonté

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de faire servir la revue à une promotion du livre français »137. Seules les ProvincesUnies se maintiennent à peu près (7,4 % contre 8,3 % sous La Roque). La diminution des livres étrangers touche encore plus les mathématiques, mais il est vrai que, dans ce domaine, l’Angleterre représentait auparavant la source étrangère la plus importante.

France Provinces-Unies Italie Grande-Bretagne Saint-Empire

Astronomie 88 % 4% 4% 4%

Mathématiques 90 % 2,5 % 2,5 % 2,5 % 2,5 %

Physique 80 % 14 % 4% 2%

Total 86,1 % 7,4 % 2,8 % 1,9 % 1,9 %

Tableau 14. Provenance des livres en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1687 et 1701.

Latin Français

Astronomie 23 % 77 %

Mathématiques 12,5 % 87,5 %

Physique 24 % 76 %

Total 19,3 % 80,7 %

Tableau 15. Langues des livres en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1687 et 1701.

Par rapport aux deux périodes précédentes, le français progresse encore, pour atteindre 80,7 % des ouvrages présentés en comptes rendus dans nos trois domaines scientifiques (tableau 15). Pour la France, la part des ouvrages en français approche même 93 %. En revanche, dans les ouvrages étrangers, le latin reste largement majoritaire (86,7 %). Quelques livres provenant des Provinces-Unies sont en français. Le latin reste donc tout de même une langue pour les échanges scientifiques internationaux. La direction du Journal par le président Cousin voit l’abandon des titres en langues étrangères au profit des livres étrangers édités en latin, voire parfois, en français, ce qui pourrait expliquer partiellement la place conservée par les ProvincesUnies. Toutefois, dans nos trois disciplines, même les livres provenant de Hollande sont pour la plupart en latin (80 %). Le recul de l’astronomie se mesure encore plus dans les lettres et les mémoires que dans les ouvrages, en passant de 43 % à 14 % (Tableau 16). Inversement, la part des mathématiques double, en passant de 21 % à 44 %. La physique est davantage présente avec 42 % (contre 37 % auparavant). Par rapport à la direction de La Roque, le nombre de lettres et de mémoires dans ces trois matières reste assez stable (un peu plus d’une dizaine par an, en moyenne). En astronomie, les découvertes se font plus rares que dans la période précédente. Sans doute les observations sont-elles toujours aussi nombreuses, mais elles sont devenues aussi plus habituelles. Passées les nombreuses découvertes suscitées par les observations astronomiques des années 1660-1680, et l’effervescence provoquée par les passages répétés de plusieurs comètes désormais moins fréquentes, les observations, devenues plus routinières, n’ont-elles pas perdu

137. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 337.

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Année 1687 1688 1689 1690 1691 1692 1693 1694 1695 1696 1697 1698 1699 1700 1701 Total

Astronomie 0% 22 % 0% 0% 7% 0% 7% 17 % 0% 11 % 50 % 6% 29 % 0% 38 % 14 %

Mathématiques 0% 11 % 100 % 100 % 67 % 59 % 47 % 50 % 0% 22 % 40 % 63 % 14 % 100 % 12 % 44 %

Physique 0% 67 % 0% 0% 27 % 41 % 47 % 33 % 100 % 67 % 10 % 31 % 57 % 0% 50 % 42 %

Nombre total 0 9 7 6 16 17 15 13 3 12 10 17 15 2 16 158

Tableau 16. Lettres & Mémoires en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1687 et 1701.

l’attrait de la nouveauté pour le public comme l’intérêt du nouveau rédacteur ? En fait, on observe le même recul de l’astronomie dans les Philosophical Transactions à la même époque, ce recul est donc général et indépendant de la volonté du rédacteur. Jean-Dominique Cassini fournit, entre autres, un mémoire sur ses travaux pour déterminer la période de révolution du Soleil138 et un autre sur sa méthode de détermination des longitudes par les observations des satellites de Jupiter139. En 1698, Philippe de La Hire communique sa découverte d’une comète140. En mathématiques, les communications de la part de Michel Rolle, de Leibniz et des frères Bernoulli se multiplient. Leibniz et les frères Bernoulli s’attachent à promouvoir le nouveau calcul infinitésimal tandis que Michel Rolle se montre partisan des méthodes anciennes. Ainsi, Leibniz communique en 1692 sa solution du problème de la chaînette141. Dans le domaine de la physique, Leibniz intervient également pour s’opposer aux conceptions des cartésiens. Ainsi, il s’élève contre leur doctrine selon laquelle

138. « Observation des Taches qui ont paru dans le Soleil le mois de Mai & de Juin 1688, avec une Méthode nouvelle de déterminer avec justesse la révolution du Soleil autour de son axe », Journal des savants, 9 août 1688, p. 167-171 (139-142). 139. « La Méthode de déterminer les longitudes des lieux de la Terre par les observations des Satellites de Jupiter, vérifiée & expliquée par Mr. Cassini », Journal des savants, 23 août 1688, p. 198-203 (165-169). 140. « Découverte et Observation d’une comète pendant le mois de Septembre 1698, à l’Observatoire Royal par M. de la Hire, Lecteur & Professeur du Roi en Mathématique, & de l’Académie Royale des Sciences », Journal des savants, 24 novembre 1698, p. 453-455 (402-404). 141. « De la Chainette, ou solution d’un problème fameux proposé par Galilei, pour servir d’essai d’une nouvelle analyse des infinis, avec son usage pour les logarithmes, & une application à l’avancement de la navigation. Par Mr. de Leibniz », Journal des savants, 31 mars 1692, p. 147-153 (111-115).

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l’essence du corps consisterait dans l’étendue142. Les lettres et mémoires de physique se font par ailleurs toujours l’écho de diverses controverses entre savants ou inventeurs, concernant, par exemple, la réfraction de la lumière, l’explication du phénomène des marées, ou d’instruments telles les lunettes d’approche de Hautefeuille143. Ce dernier se voit vertement critiqué par La Montre qui lui reproche son manque de connaissance en dioptrique et lui lance un défi : La comparaison de ces deux lunettes sera faite à l’Observatoire Royal, en présence de Messieurs Cassini & de La Hire, tant sur les objets terrestres, que sur ceux du ciel. Si ces deux lunettes sont également bien, ce sera pour lors que M. de Hautefeuille pourra dire qu’il a l’expérience pour lui ; en attendant il fera fort bien de ne se vanter pas que l’expérience le favorise contre mes raisons144.

V. Le Journal devient une institution (1702 à 1710) À la fin de 1701, Cousin prit sa retraite. Le chancelier Pontchartrain le remplaça par son neveu l’abbé Jean-Paul Bignon. Jean-Paul Bignon semble avoir mené de solides études au collège d’Harcourt. Entré à Saint-Magloire, séminaire de l’Oratoire, en 1680, il prit l’habit d’Oratorien en 1684. La congrégation développait un intérêt pour les sciences et une grande indulgence envers les débats religieux, qui marqua Jean-Paul Bignon. À partir de 1690, il participa à des travaux savants au couvent Saint Honoré de Paris, mais il fut bientôt appelé au service du roi par son oncle Pontchartrain, devenu ministre d’État en 1690. Promis à une brillante carrière, prédicateur ordinaire du roi, puis député aux assemblées du Clergé de 1693 et 1695 où il fut à chaque fois délégué auprès du roi comme promoteur de l’Assemblée, il reçut en 1701 la direction du bureau des affaires ecclésiastiques. Mais, accumulant les titres, les charges et les revenus, ses mœurs lui interdisaient l’épiscopat : vivant en concubinage, père d’une fille, cet abbé de cour, dans un âge plus avancé, demanda aux prostituées parisiennes des services d’un genre spécial145. Aussi Bignon mit-il ses talents au service de la monarchie administrative, et son oncle lui tailla un département particulier en charge des lettres et des sciences146. Excellent érudit, ami de Fontenelle et protecteur de Tournefort, l’abbé Bignon entra à l’Académie française et à l’Académie des sciences. En janvier 1699, il donna un nouveau règlement à cette dernière et il l’engagea à reprendre la publication des Mémoires. En septembre 1699, Jean-Paul

142. Voir « Extrait d’une lettre de Mr. Leibniz sur la question, si l’essence du corps consiste dans l’étendue », Journal des savants, 18 juin 1691, p. 259-262 (196-198), et « Extrait d’une lettre de M. de Leibnitz, pour soutenir ce qu’il y a de lui dans le Journal des Sçavans du 18 juin 1691 », Journal des savants, 5 janvier 1693, p. 9-10 (7-8). 143. « Moyen de diminuer la longueur des Lunettes d’approche sans diminuer leur effet. Par M. de Hautefeuille. In-4°. A Paris, 1697 », Journal des savants, 13 janvier 1698, p. 22-23 (20). 144. « Remarques de M. La Montre Professeur de Mathématique & de Philosophie, sur un écrit de M. de Hautefeuille, touchant les Lunettes d’approche », Journal des savants, 20 janvier 1698, p. 26-29 (23-26) ; suivi de la réponse de l’intéressé : « Réponse aux Remarques de M. La Montre, Professeur de mathématiques & de Philosophie, inserées dans le Journal des Sçavans du 20. Janvier 1698. Sur le moyen de diminuer la longueur des Lunettes d’approche, sans diminuer leur effet. Par M. de Hautefeuille, in-4°. 1698 », Journal des savants, 7 avril 1698, p. 151-152 (134-136). 145. J.-P. VITTU (« Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit.) cite à ce sujet E. M. BENABOU, La prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle, Paris 1987, p. 394. 146. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 382-384.

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Bignon se vit confier par son oncle, Pontchartrain, le Bureau pour les affaires de librairie dont il réforma l’administration. Il réorganisa la censure, pour laquelle il recruta soixante personnes. Dépositaire de pouvoirs qui s’étendaient des lettres aux sciences, de la création et la recherche jusqu’à la diffusion par l’imprimé, et jouissant de multiples réseaux de relation, Jean-Paul Bignon détenait une position centrale dans la République des lettres. La direction du Journal des savants complétait ce système tout en s’accordant avec ses capacités. Le contrôle ministériel de la revue était parachevé. Par étapes en une trentaine d’années, de l’encadrement ouvert par le privilège à la nomination des rédacteurs, en passant par la suspension et la remise du titre au libraire, l’entreprise personnelle était devenue une quasi institution d’État. À la tête du Journal, Bignon forma une équipe de rédacteurs spécialisés, recrutée parmi les gens de lettres ayant accepté les fonctions de censeurs royaux. Ellies Du Pin, auteur d’une Bibliothèque des Auteurs ecclésiastiques, se chargea de la théologie ; Rassicod, avocat au Parlement de Paris, de la jurisprudence ; Andry, auteur d’un traité sur la génération des vers dans le corps de l’homme, de la médecine ; Fontenelle, des mathématiques ; Vertot, un religieux prémontré, de l’histoire ; Julien Pouchard, philologue averti, assura le secrétariat et la rubrique des langues et de la littérature147. La composition du bureau des rédacteurs changea très rapidement, au point qu’au bout de quatre ans, il ne comprenait plus que deux des six membres désignés en 1702. Fontenelle se retira rapidement. Puis Du Pin fut exilé à Châtellerault en mars 1703, à la suite de l’affaire du cas de conscience. Dans le même temps, Bigres, Raguet et Saurin vinrent compléter le bureau que Pouchard dirigea jusqu’à sa mort. La même année 1703, Gilles Bernard Raguet devint censeur pour la théologie, fonction qu’il remplit, tout en examinant aussi l’histoire et les lettres, jusqu’en 1715. À la mort de Julien Pouchard, en 1705, Raguet le remplaça comme secrétaire de la rédaction du Journal148. En 1706, Jean-Paul Bignon recruta trois autres rédacteurs, Burette, Fraguier et Terrasson, pour réaliser le supplément mensuel du Journal qui parut de 1707 à 1709. L’abbé Bignon réunissait ses collaborateurs une fois par semaine pour répartir les tâches et recueillir les articles. Il appliqua à son équipe des règles similaires à celles qu’il imposait aux académies : réunions de travail sous sa direction, et à son domicile ; spécialisation des rédacteurs, chargés chacun d’une ou deux matières ; tenue d’un registre de la distribution des livres et du retour des extraits régulièrement soumis à son visa ; enfin anonymat des extraits, publiés après un polissage de leur style par Pouchard, secrétaire de la rédaction149. Il puisait mémoires et observations dans la correspondance considérable qu’il entretenait à travers toute l’Europe, et il engageait ses collaborateurs à établir une telle correspondance. Son souci de quadrillage de l’espace européen allait de pair avec son désir de réamorcer des courants d’échanges interrompus, tout en montrant sa volonté de solliciter des représentants de divers ordres du savoir : les belles-lettres avec Desmaizeaux qui ouvrait sur la Hollande et l’Angleterre, l’érudition avec Cuper et Muratori, pour l’Italie, les sciences naturelles avec Scheuchzer, en Suisse, auquel Bignon exprima son souhait d’obtenir par son entremise « quelques correspondances de savants ou de libraires chez les Grisons et dans le Tyrol, en Bavière et en

147. C. BELLANGER, J. GODECHOT, P. GUIRAL (dir.), Histoire générale de la presse française, t. I, op. cit., p. 135. 148. Pour plus de détails, voir la notice biographique par J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 242-244 (annexes). 149. Ibid., p. 157 (annexes).

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Autriche », enfin, les mathématiques avec Bernoulli, tandis que la reprise des échanges avec Leibniz portait autant sur ces dernières que sur la philosophie. Parachevant cette quête, le Journal devait tirer avantage des échanges académiques franco-anglais avec les offres de Bignon faites en avril 1709 à Hans Sloane, président de la Royal Society et rédacteur des Philosophical Transactions, à la faveur d’une tentative de paix. Les relations entre deux agents généraux de la République des lettres ne pouvant commencer par des nouvelles courantes, Bignon offrit à Sloane « les nouvelles littéraires que des raisons particulières nous empechent d’imprimer dans nos journaux »150. Avec lui, la revue subit un recentrage vers l’audience savante et internationale, la part consacrée aux sciences augmenta. Le ton neutre de ses lettres, comme il sied à un administrateur et un arbitre de la République des lettres, et sa prudence sur les questions religieuses, laissent pourtant transparaître quelques critiques des positions romaines sur les questions scientifiques, ainsi qu’en témoigne l’une de ses lettres de 1728 adressée à l’envoyé extraordinaire du roi à Florence : « Les livres saints n’ont pas été inspirés de Dieu pour instruire les hommes de l’astronomie »151. Il dirigea le Journal jusqu’en 1714, année où il fut nommé grand maître de la Bibliothèque du roi. Bignon en reprendra la direction en 1723. Article

Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

Livres

97 %

57 %

68 %

69,7 %

Lettres & Mémoires

3%

43 %

29 %

29,4 %

Autres

0%

0%

3%

0,9 %

Tableau 17. Nature des articles en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1702 et 1710.

En astronomie, mathématiques et physique, la part des comptes rendus augmente notablement (tableau 17), au détriment des lettres et mémoires qui ne représentent plus que 29,4 % contre 54,8 % sous la direction de Cousin. En astronomie, les lettres et les mémoires ne sont même pas très loin de disparaître totalement. Seules les mathématiques fournissent un contingent de lettres et de mémoires encore assez conséquent (43 % des articles dans ce domaine). Dans nos trois domaines, le nombre moyen de comptes rendus par an s’élève à près de neuf, soit une valeur proche de celles relevées sous La Roque ou sous Cousin (une dizaine par an). Cette moyenne montre une petite diminution, surtout à cause des années 1705 et 1710. D’après les chiffres fournis par Jean-Pierre Vittu, l’année 1710 constitue plutôt une bonne année pour les comptes rendus en Sciences et Arts avec 41 ouvrages extraits, et en outre, le nombre moyen de comptes rendus en Sciences et Arts est plus important entre 1710 et 1714 (33,8 par an) qu’entre 1697 et 1701 (25,4 par an)152. On peut donc penser que l’augmentation des comptes rendus en science a profité à d’autres domaines scientifiques comme la médecine ou la chimie. Par contre, les baisses relatives observées dans nos trois domaines scientifiques en

150. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 393. 151. ibid., p. 155 (annexes). 152. Calculs effectués d’après les chiffres donnés par J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., tableaux 13 et 14, p. 71 (annexes).

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Le Journal des savants

Année

Astronomie

Mathématiques

Physique

Nombre total de livres

1702

45 %

27 %

27 %

11

1703

42 %

33 %

25 %

10

1704

42 %

25 %

33 %

12

1705

0%

100 %

0%

4

1706

67 %

17 %

17 %

6

1707

40 %

20 %

40 %

10

1708

9%

55 %

36 %

10

1709

33 %

22 %

44 %

8

1710

25 %

0%

75 %

4

Total

36 %

31 %

33 %

77

Tableau 18. Livres en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1702 et 1710.

1705, 1706 et 1710 semblent plutôt conjoncturelles et pas forcément significatives. Depuis la fondation du Journal en 1665, c’est la première fois que les proportions s’équilibrent à peu près entre l’astronomie, les mathématiques et la physique, environ un tiers chacune. En astronomie, les livres se répartissent à égalité entre l’instrumentation, l’observation et la théorie. Ainsi le Journal présente des comptes rendus des ouvrages de Nicolas Bion, ingénieur du roi et fabricant d’instruments de mathématiques et d’astronomie153. Le Journal rend compte de la parution régulière d’éphémérides. En mathématiques, on remarque les ouvrages des académiciens comme Jacques Ozanam, Antoine Parent, Guinée, Guillaume de L’Hospital, Michel Rolle. Ce dernier ne se prive pas d’y attaquer le calcul différentiel. Si le Journal présente par exemple un extrait du livre sur les sections coniques de l’italien, Vincenzo Viviani154,

153. « L’usage des Astrolabes, tant universels que particuliers, par le Sr Bion, Ingénieur pour les instrumens de Mathématique sur le Quay de l’Horloge au Soleil d’or. A Paris. 1702. I. vol. in 12°. pagg. 242, avec des figures », Journal des savants, 13 mars 1702, p. 168-171 ; « L’usage des Globes Célestes, et Terrestre, & des sphères suivant les différens systèmes du monde, précédé d’un Traité de Cosmographie, où est expliqué avec ordre tous ce qu’il y a de plus curieux dans la description de l’Univers suivant les mémoires & observations des plus habiles Astronomes & Géographes. Seconde Édition, reveue, corrigée, & augmentée, par le sieur Bion, Ingénieur pour les Instrumens de Mathématique, sur le Quay de l’Horloge du Palais. A Paris. 1703. in 12. pagg. 459 », Journal des savants, 29 janvier 1703, p. 79-80 ; « Traité de la construction et des principaux usages des instrumens de Mathématique, avec les figures nécessaires pour l’intelligence de ce Traité. Dédié à Monseigneur le Duc d’Orléans, par le Sieur N. Bion Ingénieur du Roi pour les instrumens de Mathématique, Quai de l’Horloge du Palais, où l’on trouve tous ces instrumens dans leur perfection. A Paris, chez la veuve Boudot, au Soleil d’or ; Jacques Colombat, au Pélican, & Jean Boudot, rue S. Jacques. 1709. in-8°. pag. 347 », Journal des savants, 19 août 1709, p. 527-528 (480-482), l’auteur y traite non seulement d’instruments de mathématiques, mais aussi d’astronomie ; « L’usage des Globes céleste et Terrestre, & des Sphères, suivant les différens systèmes du Monde. Par le sieur Bion, Ingénieur pour les Instrumens de Mathématique. A Paris, chez la veuve Jean Boudot, au Soleil d’or, & chez Jacques Collombat, au Pélican. 1710. in-8°. pag. 372 », Journal des savants, 15 décembre 1710, p. 663666 (596-598). 154. « De Locis Solidis Secunda Divinatio Geometrica in quinque libros injuria temporum amissos Aristaei senioris Geometra. Autore Vincentio Viviani, magni Galilaei novissimo Discipulo, Regiae Celsitud. Cosmi

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associé étranger de l’Académie des sciences, c’est surtout l’Angleterre qui fournit en nombre des ouvrages de mathématiques hors de France. Ainsi, le Journal présente un long extrait du manuel de calcul intégral de George Cheyne155, tout en rappelant que ce calcul a été trouvé en même temps par Newton et Leibniz, ce qui évite d’entrer dans la polémique au sujet de la priorité d’invention de leur calcul : « Le nouveau Calcul Géométrique est dû également à M. Newton & à M. Leibniz ; & ce n’est pas un foible préjugé de l’excellence & de la certitude de ce calcul, pour ceux qui ne sont pas en état d’en juger par eux-mêmes, que les deux plus grands Géomètres de notre siècle l’ayent découvert en même tems, & qu’ayant entrepris indépendamment l’un de l’autre de pousser leurs recherches au-delà des bornes qui sembloient prescrites à nos connoissances, ils ayent suivi les mêmes routes, & se soient rencontrés par tout. On ne trouve en effet entre leurs méthodes d’autre différence que celle des noms & des caractères dont ils se servent »156. Autres exemples, l’Appolonius d’Edmund Halley qui rend hommage aux anciens mathématiciens dans sa Préface157, ou l’Arithmétique

III. M. D. Etruriae Mathematico primario, à Ludovico Magno inter octo exteros Reg. Acad. Scient. Socios adscripto, & Regalis Societatis Londoni Sodali. Opus Conicum, continens Elementa Tractatuum ejusdem Viviani, quibus tuncipse multa, maxima, & abdita in Mathesi Theoremata demonstrare cogitaverat. Elaboratum anno 1646. Impressum Florentiae ab Hippolyto Navesi anno 1673. Addendis auctum, & in lucem prolatum anno 1701. Arsi extabit unquam ab Autore completum, uti est in animo, solus Deus scit. Florentiae, Typis Regiae Celsitudinis apud Petrum Antonium Brigonci. C’est-à-dire, Traité de Géométrie sur les lieux aux Sections Coniques, où l’on tâche de rétablir les Lieux solides du vieux Aristée contenus en 4. Livres qui ont esté perdus par l’injure des temps, &c. Par Vincent Viviani, le seul qui reste des Disciples de Galilée, Premier Mathématicien du Grand Duc de Toscane, &c. A Florence, chez Pierre Antoine Brigonci. 1701. in fol. p. 128 », Journal des savants, 12 mars 1703, p. 161-169. 155. George Cheyne (1671-1743), membre de la Royal Society, était médecin. Né en Ecosse, il fit ses études à Edimbourg où il étudia avec Archibald Pitcairn. Ardent partisan de Newton et d’une mathématisation de la médecine, son premier ouvrage, A New Theory of Fevers (1702), présentait une explication quasimathématique des fièvres. Toutefois, son traité sur le calcul intégral (1703) était d’une valeur mathématique douteuse (David Gregory y releva 429 erreurs). S’intéressant aux implications théologiques de la science newtonienne, il publia un ouvrage sur les principes philosophiques de la religion, naturelle et révélée (Philosophical Principles of Religion, natural and revealed). Il est également l’auteur d’un traité sur les maladies nerveuses (The english malady or a treatise of nervous diseases of all kinds, 1735). Voir sa notice biographique dans C. C. GILLISPIE (éd.), Dictionary of scientific biography, 14 vol., New York 1970-1976. Vol. 3, 1971, p. 244-245 ; ainsi que R. TATON (dir.), Histoire Générale des Sciences, t. II : La Science Moderne (de 1450 à 1800), Paris 1958, p. 605. 156. « Fluxonium methodus inversa, sive Quantitatum Fluentium Leges Generaliores. Ad celeberrimum virum Archibaldum Pitcanium, Medicum Edinburgensem. A Georgio Cheynaeo, M.D. & R.S.S. Londoni. Typis J. Matthews & prostant venales apud R. Smith 1703. C’est-à-dire : La méthode inverse des différences, ou les règles les plus générales du Calcul intégrale. A M. Pitcarnus, Médecin d’Edinbourg, par Georges Chynaee, Docteur en Médecine, & de la Société Royale d’Angleterre. A Londres, de l’Imprimerie de Jean Matthews, & se trouvent chez R. Smith. 1703. in-4°. p. 128 », Journal des savants, 19 janvier 1705, p. 37-45 (31-37). 157. « Apollonii Pergei de Sectione Rationis libri duo, ex Arabico manuscripto Latine versi. Accedunt ejusdem de Sectione Spatii libri duo restituti. Opus Analyseos Geometricae studiosis apprime utile. Praemittitur Pappi Alexandrini Praefatio ad VII. Collectionis Mathematicae, nunc primum graecae edita : Cum Lemmatibus ejusdem Pappi ad hos Apollonii libros. Opera & studio Edmundi Halley apud Oxonienses Geometriae Professoris Saviliani. Oxonii e Tehatro Sheldoniano, anno 1706. C’est-à-dire : Les deux Livres de la Section de Raison d’Apollonius de Perge, traduit en Latin sur un Manuscrit Arabe. On y a joint les deux Livres de la Section de l’Espace du même Auteur, rétablis : Ouvrage très utile à ceux qui veulent s’appliquer à l’Analyse Géométrique. On a mis au-devant de tout la Préface de Pappus d’Alexandrie, qui est à la tête du septième Livre de ses Collections mathématiques, & qui paroît en Grec dans cette édition pour la première

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universelle de Newton qui correspond aux leçons publiques que Newton dispensait à Cambridge158. En physique, la revue ne manque pas de rendre compte des œuvres posthumes de Huygens159, comme de l’Optique de Newton160. Ces différents exemples montrent bien que le Journal des savants continue à donner des comptes rendus des ouvrages scientifiques essentiels en France et en Europe. Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

Latin

17 %

40 %

46 %

34,7 %

Français

79 %

60 %

50 %

62,7 %

Anglais

3%

0%

4%

2,6 %

Tableau 19. Langues des livres en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1702 et 1710.

À la différence des années 1687-1701, le latin retrouve une importance comparable à celle qu’il avait sous La Roque (tableau 19). Toutefois, cette importance est moindre que dans les autres domaines scientifiques, puisque Jean-Pierre Vittu signale qu’en Sciences et Arts, globalement, plus de la moitié des ouvrages sont écrits en latin. La part respective du latin dans nos trois disciplines est à mettre en rapport avec la provenance des livres (tableau 20). Plus les ouvrages proviennent de l’étranger,

fois. Par le travail & les soins d’emond Halley, Professeur de Géométrie à Oxford. À Oxford, du Théâtre de Sheldon 1706. vol. in-8°. pag. 53, pour la Préface de Pap. & les Lemm. & 168, pour les deux Livres de la Sect. de Rais. & les deux de la Sect. de l’Esp », Journal des savants, supplément du dernier novembre 1708, p. 495-500 (409-413). 158. « Arithmetica Universalis ; Sive de Compositione & Resolutione Arithmetica Liber. Cui accessit Halleiana Aequationum Radices Arithmetice inveniendi Methodus. In usum juventutis Academicae. Cantabrigiae Typis Academicis. Londini impensis Benj. Tooke Bibliopolae, juxta medii Templi portam, in vico vulgo vocato Fleestreet, A.D. 1707. C’est-à-dire : Arithmétique Universelle, ou Traité de la Composition, & de la Résolution par le calcul. On y joint la Méthode de M. Halley pour trouver en nombres les Racines des Equations, &c. A Cambrige, de l’impression de l’Académie ; & à Londres aux dépens de Benj. Tooke Libraire. 1707. vol. in-8°. pag. 343 », Journal des savants, supplément du dernier décembre 1708, p. 534-541 (442-448). 159. « Christiani Hugenii Zelemii, dum viveret, Toparchae, Opuscula posthuma, quae continent Dioptricam, Commentarios de vitris figurandis, dissertationem de Corona & Partheliis, tractatum de motu, de vi centrifuga, descriptionem Automati Planetarii. Lugdunum Batavorum, apud Cornelium Boutesteyn. C’est-à-dire, petits Ouvrages posthumes de M. Hughens de Zulichem, qui contiennent la Dioptrique, la manière de donner la figure aux verres, une Dissertation sur les Couronnes & les Parhélies, un Traité du mouvement, un autre de la force centrifuge, & la description d’un Automate qui imite les mouvemens des Planettes. A Leyde, chez Corneille Boutesteyn 1703. in-4. pagg. 460 », Journal des savants, 18 août 1704, p. 518-526 (415-423). 160. « Optice, Sive de Reflexionibus, Refractionibus, Inflexionibus & Coloribus Lucis, libri tres. Authore Isaaco Newton, Equite Aurato. Latine reddidit Samuël Clarke A.M. Reverendo admodum Patri ac Domino Joanni Moore, Episcopo Norvicensi a Sacris Domesticis. Accedunt Tractatus duo ejusdem Authoris, de speciebus & magnitudine Figurarum Curvilinearum, latine scripti. Londini, impensis Sam. Smith. & Benj. Walford, Regiae Societatis Typograph., ad insignia Principis, Cœmeterio D. Pauli, 1706. C’est-à-dire, Optique ou Traité des Réflexions, des Réfractions, des Inflexions, & des Couleurs de la Lumière, en trois livres. Par Isaac Newton, Chevalier Bachelier, & traduit par Samuël Clarke, Maïtre es Arts, &c. On a ajouté deux Traitez du même M. Newton, touchant les espèces & la grandeur des Figures Curvilignes, écrits en Latin. A Londres, aux dépens de Samuël Smith, & de Benjamin Walford, Libraires de la Société Royale, aux Armes du Prince, dans le Cimetière de S. Paul, 1706, in quarto : l’Optique 348 pagg. Le premier Traité touchant les Figures Curvilignes 24 pagg. le 2. 43 pagg. », Journal des savants, supplément du dernier octobre 1707, p. 433-440.

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plus la part du latin est forte, et inversement. Le latin tient encore une place en tant que langue de communication lettrée et savante en Europe, permettant une réception européenne d’ouvrages lettrés, érudits ou savants. Mais en France, c’est le français qui règne désormais en maître, y compris dans le domaine scientifique. Dans nos trois matières scientifiques, les livres publiés en France sont écrits à 91 % en français, alors que les livres édités à l’étranger sont en latin à 83 %. Il est à noter que les Provinces-Unies font exception à cette règle, puisque plus de la moitié des livres qui en proviennent sont publiés en français. Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

France

86 %

60 %

40 %

62,1 %

Grande-Bretagne

3,5 %

20 %

12 %

12,2 %

Italie

3,5 %

12 %

12 %

9,5 %

Provinces-Unies

3,5 %

4%

20 %

8,1 %

Saint-Empire

3,5 %

4%

12 %

6,8 %

4%

1,3 %

Suisse

Tableau 20. Provenance des livres en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1702 et 1710.

Globalement, dans nos trois domaines, plus de 37 % des ouvrages entre 1702-1710 proviennent de l’étranger. C’est la plus forte part de provenance étrangère depuis les débuts de la revue. Cependant, il existe de nettes disparités entre nos trois matières. En astronomie, la plupart des ouvrages proviennent de France (86 %). En revanche, en physique, 60 % des livres viennent de l’étranger, le premier fournisseur étant les Provinces-Unies. Les mathématiques jouissent d’une situation intermédiaire (40 % d’ouvrages étrangers) qui correspond presque à la moyenne. Elles retrouvent comme fournisseur principal de livres étrangers, l’Angleterre, qui était déjà dans cette position privilégiée du temps de La Roque, et dont les livraisons avaient été pratiquement interrompues pendant la direction de Cousin, de 1687 à 1701. Globalement, en astronomie, mathématiques et physique, les lettres et mémoires diminuent, trois à quatre par an en moyenne, contre dix à onze par an du temps de Cousin et un peu plus de onze par an du temps de La Roque. Pire, sur les cinq dernières années de notre période, 1706 à 1710, il n’y a que fort peu de lettres et de mémoires, voire aucun. Quant aux lettres et mémoires d’astronomie, ils ne sont pas loin de disparaître, le seul mémoire existant en 1707 apparaissant comme tout-à-fait symbolique. Les mathématiques représentent les deux tiers des lettres et mémoires subsistants, la physique occupant le tiers restant. Ce qui ressort avant tout des lettres et des mémoires de mathématiques, c’est le débat autour du calcul infinitésimal et toutes les polémiques qu’il génère entre partisans et adversaires. Avec la publication régulière de l’Histoire et mémoires de l’Académie royale des Sciences, les académiciens ne sont plus obligés de publier leurs mémoires dans le Journal des savants, ce qui explique en partie la chute de la part occupée par les mémoires dans le Journal. Mais ces publications de l’Académie ne sauraient servir de champs de bataille entre partisans et adversaires du calcul infinitésimal. En revanche, le Journal des savants offre, dans une certaine mesure, une tribune plus libre à ces combattants. Ainsi, le Journal publie en avril 1702 un écrit de Rolle sur le problème des tangentes, Saurin lui répli68

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Le Journal des savants

que par une série d’articles publiés dans le Journal en août 1702 et en janvier 1703. Il veut défendre la méthode du calcul différentiel et montrer ses applications. En mars 1705, Michel Rolle s’élève de nouveau contre le calcul intégral. Saurin lui répond le mois suivant. Rolle réplique le 18 mai et le ton monte de plus en plus : « Pour ce qui est des insultes & des injures dont la réponse de M. Saurin est remplie ; tout ce que j’ai à y répliquer, c’est que les honnêtes gens ne se soucient point des médisances des Déclamateurs comme M. Saurin, & qu’ils ne s’amusent point à les relever ». Le 11 juin suivant, le ton de la réaction de Saurin n’est guère meilleur : « Ses erreurs sont si manifestes, & la manière dont il les défend si étrange & si pleine de détours & d’absurdités, qu’il ne semble pas que l’Académie puisse se dispenser d’y faire attention, & de venger l’honneur des Sciences par une décision publique ». Et, la polémique continue par une réponse de Rolle (voir tableau 22). Les deux organes où se développe cette polémique infirment la conception que l’Académie des sciences soit devenue une référence au sein de la république savante. Dans la polémique Rolle-Saurin, non seulement l’Académie ne parvient pas à statuer sur une question scientifique, mais elle ne peut même pas empêcher l’étalage public des arguments, et l’instauration de la république savante en tribunal de ce débat. Le Journal des savants offrait toujours un théâtre accessible pour l’enregistrement des travaux, comme pour les débats savants. Année

Astronomie

Mathématiques

Physique

Nombre total

1702

0%

100 %

0%

3

1703

0%

60 %

40 %

15

1704

0%

50 %

50 %

2

1705

0%

67 %

33 %

9

1706

0%

100 %

0%

1

1707

50 %

0%

50 %

2

1708

0%

100 %

0%

1

1709

0%

0%

0%

0

1710

0%

0%

0%

0

Total

3%

64 %

33 %

33

Tableau 21. Lettres & Mémoires en astronomie, mathématiques et physique dans le Journal des savants entre 1702 et 1710.

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Les deux premiers journaux scientifiques

Année

Pages

1702 13 avril

239-254

Auteur

Titre

Rolle

Règles et Remarques, pour le problesme général des Tangentes. Par Monsieur Rolle de l’Académie Royale des Sciences.

1702 3 août

519-534

Saurin

Réponse à l’écrit de M. Rolle de l’Ac. R. des Sc. Inseré dans le Journal du 13. Avril 1702. Sous le titre de règle & Remarques pour le problème général des Tangentes. Par M. Saurin.

1703 15 janvier

41-45

Saurin

Remarques sur les courbes des deux premiers exemples proposés par M. Rolle dans le Journal du Jeudi 13. Avril 1702.

1703 22 janvier

49-52

Saurin

Suite des remarques sur les Courbes des deux premiers Exemples proposez par M. Rolle, dans le Journal du Jeudi 13. Avril 1702.

1705 16 mars

170-174 (140-144)

Rolle

Extrait de la seconde lettre de M. Rolle de l’Académie Royale des Sciences, sur l’Inverse des Tangentes.

1705 23 avril

241-256 (200-222)

Saurin

Défense de la Réponse à M. Rolle de l’Ac. Roy. des Sc. contenue dans le Journal des Sçavans du 3 août 1702, contre la Réplique de cet Auteur publiée en 1703, sous le titre de Remarques touchant le Problème général des Tangentes, &c. Par M. Saurin.

1705 18 mai

311-318 (270-279)

Rolle

Réponse de M. Rolle, de l’Académie Royale des Sciences, à l’Ecrit publié par M. Saurin dans le Journal du 23. Avril 1705.

1705 11 juin

367-382 (319-345)

Saurin

Réfutation de la réponse de M. Rolle insérée dans le Journal des sçavans du 18. May 1705. Par M. Saurin.

1705 30 juillet

495-510 (437-452)

Rolle

Extrait d’une lettre de M. Rolle de l’Académie Royale des Sciences, à M. B*. touchant l’Analyse des Infiniment petits ; Où il répond à un Ecrit que M. Saurin a publié dans le Journal du 11. Juin dernier.

Tableau 22. Polémique entre Rolle et Saurin : lettres et mémoires publiés dans le Journal des savants d’après nos relevés (entre parenthèses, la pagination dans la réimpression du Journal de l’année 1705).

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CHAPITRE II

LES PHILOSOPHICAL TRANSACTIONS

I. Les Philosophical Transactions, l’œuvre d’Henry Oldenburg : 1665 à 1677 Seulement deux mois après la parution du premier numéro du Journal des savants du 5 janvier 1665, paraissaient à Londres, en Angleterre, les Philosophical Transactions, le 6 mars de la même année. Bien que secrétaire de la Royal Society, son fondateur Henry Oldenburg avait créé la revue à titre privé. Toutefois, les activités de la Royal Society et l’abondante correspondance qu’il entretenait avec la République des lettres lui fournissaient matière à nourrir la nouvelle revue. 1. Henry Oldenburg et la République des lettres Né à Brême vers 1618, Henry Oldenburg était le fils d’Heinrich Oldenburg (†1634), enseignant du Gymnase académique de Brême, puis professeur à l’Université Royale de Dorpat en Estonie. Il suivit l’enseignement de l’école évangélique de Brême, qu’il quitta en 1633 pour le Gymnase de cette même ville où il suivit principalement un enseignement théologique. Il y obtint le grade de maître en théologie le 2 novembre 1639. Après une brève apparition à l’Université d’Utrecht en 1641, où il s’est probablement initié à la philosophie de Descartes, Oldenburg disparaît pendant douze ans. Il paraît probable qu’il soit allé dans divers pays européens comme précepteur. En effet, durant ces années il acquiert, apparemment, une large connaissance de la France, de l’Italie, de la Suisse, de l’Allemagne et de l’Angleterre, ainsi que de leurs langues respectives. En Angleterre, il apparaît comme précepteur de plusieurs jeunes anglais (dont Edward Lawrence, Robert Honywood, et William Cavendish, premier duc du Devonshire). Son séjour en Angleterre est confirmé par son retour à Brême en 1652. À l’été 1653, le conseil de Brême lui confie la mission de négocier auprès de Cromwell le respect de la neutralité de Brême dans le conflit naval entre l’Angleterre et la Hollande1. De retour en Angleterre, tandis que la diplomatie occupait une partie de son temps, il se consacra principalement à l’étude des sciences et de la littérature. En 1654, il se lia avec John Milton, alors secrétaire de Cromwell. Il fit la connaissance de Lady Ranelagh, la sœur de Robert Boyle, qui était une personne influente dans les cercles d’érudits. À partir de 1655, Henry Oldenburg fut choisi pour être précepteur de son fils, Richard Jones. Il devint ainsi le protégé de la famille Boyle. Avec son pupille, il s’installa à Oxford en 1656 et s’inscrivit lui-même à l’université. À Oxford, il entretint des relations suivies avec Boyle, l’oncle de son pupille. Il se peut que ce soit Lady Ranelagh qui ait présenté Oldenburg à Samuel Hartlib et à Robert Boyle lui-même. En Boyle, Oldenburg devait trouver l’ami et le protecteur de toujours. Avec Hartlib, et son réseau de relations scientifiques, il trouva un modèle à suivre2. À cette époque, il fit également la connaissance de John Dury et Thomas Hobbes. Wilkins, Wallis

1. A.R. HALL, « Henry Oldenburg », dans C. C. GILLISPIE (éd.), Dictionary of Scientific Biography, op. cit., vol. 10, 1974, p. 200-203. 2. I. AVRAMOV, « An aprenticeship in scientific communication : the early correspondence of Henry Oldenburg (1656-63) », Notes and records of the Royal Society of London 53/2 (1999), p. 187-201.

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Les deux premiers journaux scientifiques

et Petty devinrent de ses amis. À leur contact, enthousiasmé par le « nouveau savoir expérimental », il s’attacha à en acquérir la connaissance. Écrivant à Milton au début de l’année 1656, il déclare : « Il y a deux choses que je désire étudier – la Nature et son Créateur ». Et plus tard, la même année, il écrit à l’un de ses amis, Edward Lawrence, « qu’il croit qu’il y a encore quelque chose à découvrir pour la vérité, au lieu de courir après les vaines chimères de la théologie scolastique et de la philosophie nominaliste – [par] des hommes qui osent abandonner les vieilles méthodes aristotéliciennes, et qui entretiennent la conviction que le monde n’est pas encore trop vieux ni que la race vivante n’est épuisée pour susciter quelque chose de meilleur »3. Entre 1657 et 1660, il voyage à travers l’Europe avec son noble élève. Il n’a pas les préjugés insulaires des Anglais et il possède – chose rare alors dans ce pays – l’avantage de savoir lire et parler en latin, français, italien, allemand et hollandais. C’est une bonne préparation à une carrière d’“informateur” international et de journaliste4. Oldenburg acquit une connaissance toute particulière des milieux scientifiques français, connaissance qu’il développa au service de la Royal Society. Sa fréquentation des Académies parisiennes lui procura non seulement un groupe important et actif de correspondants, mais elle lui apprit aussi beaucoup sur la philosophie naturelle, ses praticiens et la manière de gérer les échanges intellectuels5. De retour à Londres en mai 1660, où il s’établit, il entreprit une correspondance avec, entre autres, Habert de Montmor, Jacques de La Rivière, Jean-Pierre de Martel (ami de Thomas Hobbes), Pierre Petit, et Justel. Ce dernier, huguenot, succéda à son père comme secrétaire du roi, mais quitta le France pour Londres en 1680. Sa carrière d’intermédiaire épistolaire débuta vers 1664 ; en effet, c’est à la fin de l’année précédente qu’il ouvrit une longue correspondance avec Oldenburg. Il réunissait chez lui, à Paris, un cercle d’amis savants qui discutaient aussi bien de politique que des nouveautés scientifiques et des livres récemment sortis des presses. Presque tous les érudits et savants tant de Paris que de province étaient en relation avec Justel : Balthasar de Monconys, Melchisédec Thévenot, Pierre Petit et Adrien Auzout, Pierre-Daniel Huet, Jean Denis, Christiaan Huygens, les rédacteurs du Journal des savants et beaucoup d’autres. Il fit venir des livres d’Angleterre afin de les diffuser en France, et en échange il introduisit en Angleterre des livres français que l’on désirait là-bas. Plus tard, Oldenburg correspondra avec Huygens, Denis et Vernon qui lui transmettront les nouvelles de Paris. Son séjour parisien lui avait, en outre, valu de mieux connaître les traditions de Descartes et de Gassendi, la chimie et la médecine françaises, tout comme les progrès des mathématiques en France. C’était une expérience essentielle pour quelqu’un qui voulait jouer un rôle international dans les sciences, en particulier parce que la pensée scientifique française exerçait une influence déterminante sur la science anglaise. On s’imagine parfois à tort qu’en Angleterre, à cette époque, le savoir scientifique se développait dans un esprit d’empirisme pur, en suivant uniquement la philosophie de Bacon. Or les sujets mathématiques mis à part, en Angleterre comme ailleurs, on avait lu Galilée, Kepler, Bouillaud et Viète. On avait reçu, plus récemment et plus directement, l’héritage de Gassendi pour le développement de l’atomisme anglais et celui de Descartes pour la

3. Cité dans A. R. HALL, « Henry Oldenburg », dans C. C. GILLISPIE (éd.), Dictionary of Scientific Biography, op. cit., vol. 10, 1974, p. 94-96. 4. A. R. HALL, « Henry Oldenburg et les relations scientifiques au XVIIe siècle », Revue d’Histoire des Sciences 23 (1970), p. 285-304. 5. I. AVRAMOV, op. cit.

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Les Philosophical Transactions

« philosophie mécaniste » et la physique. Les Anglais n’étaient pas moins impressionnés que les autres par la Dioptrique, les Météores, la Géométrie et les Principes de la Philosophie6. Ce sont sans doute ses qualités de grand travailleur, sa maîtrise des langues, du latin surtout, et ses contacts avec les savants européens, tout comme sa participation au groupe de Hartlib et ses liens avec les fondateurs de la Société, qui valurent à Henry Oldenburg sa nomination en 1662 comme secrétaire de la Société Royale, poste qu’il conserva jusqu’à sa mort le 6 septembre 1677. Entre son élection comme membre de la Royal Society, le 26 décembre 1660, et sa nomination au poste de secrétaire, Oldenburg mit à profit les vingt mois qui s’écoulèrent pour continuer à développer sa correspondance. Outre des Français comme Jean-Pierre de Martel ou Pierre Petit – qui lui envoie de Paris des observations géomagnétiques, lui exprime son désir d’acheter des livres anglais, et parle même d’une visite à Londres de quelques habitués de l’Académie de Montmor – Oldenburg fait la connaissance de deux hommes de qualité incomparable, tous deux Hollandais : Christiaan Huygens et Benedict de Spinoza. En revenant à Londres, après une visite à sa ville natale de Brême, Oldenburg avait passé quelques jours en Hollande. Désormais Oldenburg sera pendant seize ans le plus important intermédiaire entre Huygens (qui deviendra académicien à Paris) et la Royal Society. De 1661 à 1676, Oldenburg et Spinoza échangèrent de nombreuses lettres. Enthousiaste, Oldenburg exhortait Spinoza à publier ses écrits : « Assurément, mon excellent ami, je crois que rien ne peut être publié de plus plaisant et d’agréable pour les hommes de savoir et de discernement que l’un de vos traités. C’est ce qu’un homme de votre intelligence et de votre trempe devrait considérer plus que ce qui fait plaisir à des théologiens de la génération actuelle et en vogue, car, par eux, la vérité est moins considérée que leur propre avantage »7. Par la suite, il se montra plus circonspect, en regrettant que Spinoza confonde Dieu avec la Nature, et que son enseignement soit fataliste. En général, les vues religieuses d’Oldenburg sont révélées clairement par sa correspondance, même si c’est de manière brève. Ses convictions semblent avoir été celles d’un conformiste, plutôt modéré, qui s’accordèrent bien avec son engagement primordial dans la quête de la connaissance naturelle. Les lieux communs dans ses lettres sur la façon dont on pourrait favoriser la gloire de Dieu par l’étude de ses travaux s’accordent naturellement avec un côté moraliste qui apparaît ailleurs, par exemple quand il se plaignit à Boyle en 1667 de la façon dont les festivités de Noël étaient « si généralement vouées à l’oisiveté et l’irréligion ». Cependant, certains papiers retrouvés dans les archives de Thomas Birch, cet érudit du XVIIIe siècle auteur d’une histoire de la Royal Society, prouvent le rôle d’Oldenburg dans la diffusion d’idées millénaristes8.

6. A. R. HALL, « Henry Oldenburg et les relations scientifiques au XVIIe siècle », op. cit., p. 296. 7. « Surely, my excellent friend, I believe that nothing can be published more pleasant or acceptable to men of learning and discernment than such a treatise as yours. This is what a man of your wit and temper should regard more than what pleases theologians of the present age and fashion, for by them truth is less regarded than their own advantage » (C. C. GILLISPIE (éd.), Dictionary of Scientific Biography, op. cit., vol. 10, 1974, p. 95). 8. Cf. M. HUNTER, Establishing the new science. The experience of the early Royal Society, op. cit., p. 257260 (Note : « On Oldenburg Millenarianism »).

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En France, Oldenburg était également en relation avec Samuel Sorbière et Adrien Auzout. Ce dernier était, avec son ami Pierre Petit, l’un des meilleurs représentants de la physique expérimentale en France. Il est avec Oldenburg le fondateur des relations franco-anglaises en matière d’astronomie, relations poursuivies ensuite par Picard et Jean-Dominique Cassini. En astronomie, toujours, une autre relation s’établit entre Oldenburg et Johannes Hevelius, l’astronome de Dantzig. En Angleterre, la Royal Society reçut des rapports assez fréquents sur les observations faites par Hevelius des éclipses, des comètes, des étoiles variables, du mouvement de la lune, etc., ainsi que ses opinions sur des questions controversées. L’ouverture des services diplomatiques à la correspondance de la Royal Society constitue le plus riche cadeau que la Couronne lui ait donné. Oldenburg a utilisé ces services pour correspondre avec Paris, Venise, Copenhague et Lisbonne. Futur président de la Royal Society, Robert Southwell, diplomate et correspondant d’Oldenburg, a dû sans doute lui fournir d’importants renseignements à la suite de son voyage en Italie. Le principal correspondant italien d’Oldenburg devint le savant de Bologne, Marcello Malpighi. Un autre jeune diplomate, Francis Vernon, se mit à la disposition d’Oldenburg ; pendant son séjour à Paris, il devint l’ami de Cassini, de Huygens, de Picard, d’Henri Justel, et de beaucoup d’autres savants. Ses lettres, souvent assez spirituelles, nous donnent un tableau très vivant de la vie intellectuelle à Paris. Sans elles, Oldenburg n’eût tiré que des renseignements très banals du Journal des savants et de la correspondance de Justel. Ce dernier se contentait le plus souvent de griffonner d’une écriture notoirement mauvaise des récits portant sur les affaires politiques, la Cour et Versailles, la persécution des protestants, des scandales, des nouveaux livres de toutes sortes – sans la moindre continuité, sans méthode, ni critique. Après 1668, les lettres de Justel deviennent assez rares, quoique la correspondance ait continué ; il est facile de deviner qu’Oldenburg ne les a pas jugées dignes des archives de la Royal Society. Au contraire, la correspondance de Vernon commence en 1669 et est pleine de matières scientifiques9. L’ampleur de la correspondance étrangère d’Oldenburg, qui, bien qu’essentiellement scientifique, avait un contenu en partie politique, attira les soupçons de la cour d’Angleterre et, sous le coup d’un mandat d’arrêt en date du 20 juin 1667, il fut emprisonné à la Tour de Londres. Il dut s’y morfondre pendant plus de deux mois. Evelyn le visita le 8 août. Le 3 septembre, Oldenburg écrivit à Boyle qu’il avait été suffoqué par l’air de la prison, au point de devoir restaurer sa santé, après sa relaxe, par un séjour à Crayford dans le Kent. 2. La fondation de la Royal Society et des Philosophical Transactions La naissance de la Société Royale de Londres en 1660 trouve ses origines dans divers groupes précurseurs apparus à l’époque de Cromwell10. Un premier groupe à Londres paraît s’être formé par la rencontre des traditions scientifiques typiquement londoniennes de deux sortes d’institutions. D’une part, les groupes professionnels médicaux, tel le Collège Royal des Médecins, qui apportaient un attrait pour la recherche médicale, l’habitude d’utiliser une bibliothèque spécialisée et le respect des idéaux baconiens. D’autre part, le Collège de Gresham, un lieu d’échange,

9. A. R. HALL, « Henry Oldenburg et les relations scientifiques au XVIIe siècle », op. cit., p. 302. 10. Voir P. BRIOIST, « Les origines de la Société Royale de Londres », dans La science à l’époque moderne, actes du Colloque de 1996, Paris 1998, p. 91-122.

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centre de recherche sur les mathématiques appliquées et centre de diffusion des nouveaux savoirs. Le groupe qui se réunissait à Londres en 1645 bénéficiait de nombreux contacts avec le continent et notamment avec la France. Certains de ses membres correspondaient en effet avec le Père Mersenne et faisaient connaître par son intermédiaire les travaux de Descartes et de Gassendi. Mais les philosophes expérimentaux qui se réunissaient autour du Collège Gresham ne formaient pas le seul groupe londonien actif. Ils étaient en relation avec un second groupe dont l’héritage pour la Royal Society est à prendre en considération : le groupe des admirateurs de la philosophie de Comenius. Ce groupe puritain centré autour de Samuel Hartlib était d’abord producteur d’utopies et de projets de collèges universels en relation avec les idées de Bacon. Hartlib créa en 1647 un Bureau des Adresses à Oxford sur le modèle de Renaudot qui permit la rencontre de multiples traditions philosophiques notamment celle des cartésiens et parallèlement celles des platonistes de Cambridge. Cette initiative a représenté un précédent que la Société Royale a pu imiter, d’autant plus que Hartlib était lié d’amitiés avec le groupe de Londres comme avec le cercle d’ Oxford. Cette ville universitaire avait vu renaître un Club Philosophique autour de Wilkins, Wallis et Godard, des personnalités de confiance nommées à Oxford en 1648 par le gouvernement de Cromwell. Trois groupes peuvent ainsi être regardés comme précurseurs de la Société Royale : le groupe de Londres, celui d’Oxford et indirectement le groupe des coméniens réuni autour de Samuel Hartlib à Londres. La Société Royale est issue de la combinaison et de l’interpénétration de ces trois origines. Les influences reçues par les individus formant le noyau actif des fondateurs, en particulier le modèle baconien, ont été fondamentales dans les idéaux de la Société Royale. En octobre 1661, la Société sollicita du nouveau roi l’agrément royal pour sa charte de fondation. La première charte date du 15 juillet 1662, une seconde charte, révisée, fut approuvée en 1663. Celle-ci incluait le patronage direct du roi, la permission d’imprimer sans subir la censure gouvernementale, et le droit de correspondre librement avec les ressortissants d’autres pays. Dans une lettre à un ami hollandais, Oldenburg évoque brièvement les débuts de la Société Royale : « Le Dr [John] Wilkins s’attarde dans cette cité ; nommé doyen de la cathédrale d’York, il a été élu président d’une nouvelle académie anglaise instituée ici sous le patronage du roi afin d’encourager les sciences. Elle se compose des érudits les plus émérites, très bien versés dans les mathématiques et les sciences expérimentales ; au premier rang se trouvent le vicomte Brouncker ; notre très noble Boyle ; deux chevaliers, Moray et Neile ; Wilkins, Ward et Wallis ; deux professeurs de mathématiques à Gresham College, Wren et Hooke, et onze autres, dont les noms m’échappent en ce moment »11. À partir de juillet 1662, Oldenburg occupa le poste de secrétaire de la Société Royale, emploi qu’il prit toujours très au sérieux. Les voyageurs érudits nous fournissent aussi de précieux renseignements sur les débuts de la Royal Society. Ainsi Balthasar de Monconys écrit dans son Journal des Voyages de Monsieur de Monconys en trois volumes (Lyon 1665-1666) à son retour d’Angleterre, au moment de la création de la Royal Society : Le 23 May (1663) […] je fus à l’Académie de Gressin (Gresham), où l’on s’assemble tous les mercredis pour faire une infinité d’expériences, sur lesquelles on ne raisonne point encore, mais on les rapporte à mesure que quelqu’un en sçait, & le Secrétaire les écrit. Le Président, qui est tousjours une personne de condition, est assis contre

11. H. OLDENBURG, The Correspondence of Henry Oldenburg, éd. A. R. HALL and M. BOAS HALL, op. cit., vol. 1, p. 406.

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une grande table quarrée, & le Secrétaire à un autre costé. Tous les Académistes sont sur des bancs qu’il y a autour de la sale. Le Président estoit le Milord Brunker, & le secrétaire M. Oldenburg. Le Président a un petit maillet de bois à la main, dont il frape la table, pour faire taire ceux qui veulent parler, lorsqu’un autre parle ; ainsi il n’y a ny confusion ny crierie12.

Dans le même temps où était fondée la Royal Society, au début des années 1660, que ce soit dans les cercles d’érudits français ou britanniques, l’idée d’une revue scientifique facilitant les échanges était dans l’air du temps. Une note de Robert Hooke, qui semble avoir été écrite en 1663, donc à la même époque que le projet de Mézeray en France, rappelle l’intention de la Royal Society de publier le résultat de ses activités dans un journal d’annonces une fois par semaine, ou au moins tous les quinze jours. Quoi qu’il en soit, Oldenburg a vent de la création à venir du Journal des savants dès le 24 novembre 1664 ainsi qu’il le rapporte à Robert Boyle13. Dès le 11 janvier 1665, il en présente d’ailleurs le premier numéro, daté du 5 janvier, à ses confrères de la Royal Society14. Cependant, dans le titre complet de sa revue15, Oldenburg semble montrer qu’il tient à se démarquer du Journal des savants. Il veut donner des « comptes rendus des entreprises, des études, et des travaux présents des savants en maintes parties notables du monde ». Contrairement au Journal des savants qui se veut plus général en ne se cantonnant pas uniquement aux sujets scientifiques, et qui a l’ambition de recenser une bonne partie de la littérature européenne à travers ses comptes rendus de livres, les Philosophical Transactions se voudraient avant tout un véhicule de l’information scientifique en diffusant assez rapidement les observations nouvelles, les découvertes, les querelles entre savants, les démonstrations mathématiques et, dans une section à part, des comptes rendus presque toujours de livres scientifiques ou mathématiques. Les Philosophical Transactions se rapprocheraient donc plus du périodique scientifique actuel. Mais n’a-t-on pas voulu trop voir dans les Transactions, surtout à leurs débuts, l’image du périodique scientifique actuel ? Octroyer le monopole du caractère scientifique aux périodiques spécialisés dans les mémoires, comme les Philosophical Transactions, en rejetant ceux qui publiaient surtout des comptes rendus de livres, équivaut à méconnaître les pratiques de divulgation des savants de la fin du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle, déjà mises en évidence par diverses études s’intéressant à une correspondance particulière, ou aux échanges croisés entre plusieurs pays européens16. Mais, en définitive, le rédacteur avait-il réellement l’intention de privilégier les mémoires aux dépens des comptes rendus de livres ? L’introduction d’Oldenburg à son premier numéro des Philosophical Transactions est sans doute plus explicite que le titre de son périodique : il entend que sa revue puisse fournir « aussi bien le progrès des études, des travaux, et des essais des curieux et des érudits », « que leurs découvertes et résultats aboutis ». Ce qui impliquait de publier non seulement des comptes rendus de travaux en cours, mais également et au moins tout autant, des comptes rendus d’ouvrages représentant l’aboutissement de travaux de recherche, à l’exemple

12. M. BLAY, « République des lettres », dans M. BLAY et R. HALLEUX (dir.), La science classique, XVIesiècle. Dictionnaire critique, op. cit., p. 149-154. 13. D. A. KRONICK, « Notes on the Printing History of the Early Philosophical Transactions », op. cit. 14. Londres, Royal Society, Journal book, t. II, p. 99, 11 janvier 1664/65. 15. « Philosophical Transactions : giving some Accompt of the Present Undertaking, Studies, and Labours of the Ingenious in many considerable Parts of the World ». 16. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 515. XVIIIe

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du Journal des savants. Et d’ailleurs, dans les jugements portés par les contemporains sur les deux périodiques, y compris Oldenburg, ce n’est pas le rapport entre mémoires et ouvrages qui est mis en avant, mais plutôt le fait que le contenu du Journal soit trop général par rapport à celui des Transactions, jugé plus « philosophique ».

Introduction aux Philosophical Transactions d’Henry Oldenburg (6 mars 1665, n° 1, p. 1-2) Attendu qu’il n’y a rien de plus nécessaire, pour promouvoir le progrès des matières philosophiques, que la communication, à ceux qui consacrent leur études et leurs efforts à cette voie, comme aux découvertes et expériences de cet ordre faites par d’autres, on a donc jugé bon d’employer la presse comme le moyen le plus approprié pour satisfaire ceux que leur engagement dans de telles études et le plaisir qu’ils trouvent dans l’avancement du savoir et des découvertes pratiques qualifient pour connaître de ce qu’offrent de temps en temps ce royaume et d’autres parties du monde, aussi bien en matière de progrès des études, des travaux et des essais des curieux et des érudits dans ce genre de choses, qu’en ce qui concerne leurs découvertes et résultats aboutis : Afin que, de telles productions étant clairement et fidèlement divulguées, le désir de connaissances solides et utiles puisse être entretenu, les essais et entreprises ingénieuses appréciés, et que ceux qui s’y adonnent et qui sont compétents dans de telles matières soient incités et encouragés à rechercher, essayer de découvrir de nouvelles choses, à échanger leurs connaissances et contribuer dans la mesure de leurs possibilités au grand dessein de faire progresser le savoir naturel, et de perfectionner tous les arts et les sciences philosophiques. Tout cela pour la gloire de Dieu, l’honneur et l’avantage de ces royaumes, et le bien universel de l’humanité. Whereas there is nothing more necessary for promoting the improvement of Philosophical Matters, than the communicating to such, as apply their Studies and Endeavours that way, such things as are discovered or put in practise by others ; it is therefore thought fit to employ the Press, as the most proper way to gratifie those, whose engagement in such Studies, and delight in the advancement of Learning and profitable Discoveries, doth entitle them to the knowledge of what this Kingdom, or other parts of the World, do, from time to time, afford, as well of the progress of the Studies, Labours, and attempts of the curious and learned in things of this kind, as of their complete Discoveries and Performances : To the end, that such Productions being clearly and truly communicated, desires after solid and useful knowledge may be further entertained, ingenious Endeavours and Undertakings cherished, and those, addicted to and conversant in such matters, may be invited and encouraged to search, try and find out new things, impart their knowledge to one another, and contribute what they can to the Grand Design of improving Natural knowledge, and perfecting all Philosophical Arts, and Sciences. All for the Glory of God, the Honour and Advantage of these Kingdoms, and the Universal Good of Mankind.

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Robert Moray présente à travers l’esquisse des Philosophical Transactions son jugement du Journal des savants, trop peu philosophique et qui se mêle de « choses juridiques » et de théologie17. La critique est encore plus directe chez Oldenburg pour qui les nouvelles philosophiques (i.e. scientifiques) proviennent presque entièrement de la revue anglaise18. Justel, dans sa lettre à Oldenburg du 27 janvier 1666 lui demandant de lui envoyer les Philosophical Transactions, se plaint que « ceux qui travaillent à notre journal sont plutôt des historiens que des philosophes, voici pourquoi vous n’y voyez rien concernant la physique »19. Le jugement de Justel peut sembler un peu sévère car la physique n’était pas absente du Journal des savants. En outre ce dernier donnait d’assez longs extraits ou des résumés des mémoires des Philosophical Transactions que les rédacteurs du Journal jugeaient les plus intéressants. Mais la tâche du Journal des savants était beaucoup plus vaste que celle des Philosophical Transactions. Les mémoires, les lettres et les querelles des savants se trouvaient donc noyés dans une multitude de comptes rendus d’ouvrages non seulement en science, mais aussi en religion et en histoire. Toutefois, à partir de 1666, le Journal offre à ses lecteurs un index des matières pour retrouver plus facilement ce qui l’intéresse. Le rôle des Philosophical Transactions se voulait restreint aux domaines scientifiques et donc mieux défini et moins ambigu que celui du Journal des savants, périodique se voulant généraliste. D’où, sans doute, un net succès des Transactions auprès d’un public scientifique très spécialisé. En fait Justel ne peut bâtir son jugement que sur les trois mois de parution du Journal des savants en 1665 et sa réapparition en janvier 1666 où la physique était, il est vrai, quasiment absente mais non l’astronomie. On pourrait d’ailleurs lui opposer le désir de l’astronome anglais John Flamsteed, curieux des derniers travaux de Cassini, qui écrit : « Je veux avoir des copies des Transactions françaises, et voudrais bien les avoir dès qu’il (sic) apparaissent »20. 3. Les Philosophical Transactions : une entreprise personnelle Bien que les Transactions aient été publiées sous la licence octroyée à la Royal Society par sa charte, la Société et Oldenburg étaient tombés d’accord dès le départ sur le fait que les Transactions étaient de sa seule responsabilité. Dans le numéro 12 du 7 mai 1666, Oldenburg éprouva le besoin d’insérer un avertissement pour opposer un démenti à certaines personnes, convaincues que les Philosophical Transactions étaient publiées par la Royal Society21. Il insiste sur le fait que bien que « plusieurs personnes

17. C. HUYGENS, Œuvres complètes, 22 vol., La Haye 1888-1950, t. V, p. 201 (16 janvier 1665) et p. 234 (3 février 1665). 18. J.-P. VITTU, « Diffusion et réception du Journal des savants », op. cit., p. 170. 19. D. A. KRONICK, « Notes on the Printing History of the Early Philosophical Transactions », op. cit., p. 244. 20. Londres, Royal Society, Flamsteed-Townely correspondence, lettre n° 38, du 5 avril 1679. Aimablement communiquée par Mme Marie Boas Hall. Cité par J.-P. VITTU, « Diffusion et réception du Journal des savants », op. cit., p. 172. 21. « Advertisement : Whereas’tis taken notice of, that several persons perswade themselves, that these Philosophical Transactions are publish’t by the Royal Society, notwithstanding many circumstances, to be met with in the already publisht ones, that import the contrary ; The Writer thereof hath thought fit, expresly here to declare, that that perswasion, if there be any such indeed, is a meer mistake ; and that he, upon his Private account (as a Well-wisher to the advancement of usefull knowledge, and a Furtherer thereof by such Communications, as he is capable to furnish by that Philosophical Correspondency, which he entertains, and hopes to enlarge) hath begun and continues both the composure and publication

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soient persuadées d’elles-mêmes, que ces Philosophical Transactions sont publiées par la Royal Society », « elles sont néanmoins publiées de sa propre initiative privée ». Il ajoute qu’ayant « l’honneur et l’avantage d’être un Membre de ladite Société, il insère de temps en temps certaines des communications qui leur ont été présentées ; c’està-dire, celles qu’il peut mentionner sans les offenser, ou transgresser leurs Ordres ». En d’autres termes, Oldenburg avoue que sa position au sein de la Royal Society lui permet de publier certains mémoires, sans que pour autant, les Transactions puissent être considérées comme l’organe d’expression de la Société. Finalement, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle entre cette situation et celle du Journal des savants et de son rédacteur, Jean Galloys, qui publie aussi divers mémoires par le biais de ses relations avec l’Académie des sciences et des fonctions qu’il y occupe. Dans une lettre à Palmer, Henry Oldenburg se réfère aux Philosophical Transactions comme son propre divertissement privé à ses heures perdues, expression qui apparaît déjà dans son épître dédicatoire à la Royal Society pour les Transactions de 1665 (« my private diversions in broken hours »). Et, encore le 21 novembre 1670, il écrit « mes Transactions »22. En 1674 encore, écrivant à Von de Becke, il lui demande de ne pas attribuer les Philosophical Transactions à la Royal Society, « puisqu’elles sont rédigées et publiées par moi seul, son secrétaire »23. Après la mort d’Oldenburg, la Royal Society maintint cette position. La nature non officielle des Philosophical Transactions est à nouveau soulignée dans la première page du numéro cent quarante-trois de janvier 1683 où il est déclaré qu’elles ne devaient « pas être regardées comme l’affaire de la Royal Society ». Encore tardivement, dans le volume 39 (1735/36) dédicacé à Hermann Boerhaave, le rédacteur Cromwell demande le maintien de l’indépendance de la revue lorsqu’il sollicite le “patronage” de la Royal Society. Néanmoins les Philosophical Transactions furent publiées sous le parrainage de la société par la désignation officielle : « Printers to the Royal Society ». Henry Oldenburg dirigea les Philosophical Transactions jusqu’à sa mort, arrivée assez soudainement en septembre 1677 à Charlton, dans le Kent, à l’exception peut-être du fameux numéro 27 paru le 22 juillet 1667, pendant que, soupçonné d’espionnage, il était emprisonné à la Tour de Londres. Ce numéro contenait la traduction d’une lettre du médecin français Denis relatant ses expériences de transfusion sanguine. À la suite de sa libération, à la fin du mois d’août 1667, convaincu de l’antériorité des chercheurs anglais dans ce domaine, Oldenburg essaya de supprimer ce numéro en publiant un numéro 27 de remplacement, daté du 23 septembre 1667, pour les mois de juillet, août et septembre24. Oldenburg avait annoncé que les Philosophical Transactions paraîtraient le premier lundi de chaque mois. Par la suite les numéros, imprimés au format in quarto, furent rarement datés de la première

thereof : Though he denies not, but that, having the honour and advantage of being a Fellow of the said Society, he inserts at times some of the Particulars that are presented to them ; to wit, such as he knows he may mention without offending them, or transgressing their Orders ; tending only to administer occasion to others also, to consider and carry them further, or to Observe or Experiment the like, according as the nature of such things may require » (Philosophical Transactions, 7 mai 1666, n° 12, p. 213-214). 22. H. OLDENBURG, The Correspondence of Henry Oldenburg, éd. A. R. HALL and M. BOAS HALL, op. cit., vol. 4, p. 72. 23. ibid., vol. 10, p. 570. 24. D. A. KRONICK, « Notes on the Printing History of the Early Philosophical Transactions », op. cit., p. 248.

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semaine, plus souvent de la seconde et même de la troisième semaine. Du volume 1 au volume 13 (1665 à 1683), les numéros furent imprimés par l’imprimeur londonien, John Martyn, associé à James Allestry, jusqu’au numéro 24 (avril 1667), tous deux imprimeurs de la Royal Society. Toutefois, en raison de la peste à Londres, les numéros 6 à 8 (novembre 1665 à janvier 1666) furent imprimés à Oxford par Richard Davies. La peste fut sans aucun doute également responsable du délai entre la parution du numéro 5, du 3 juillet 1665, et celle du numéro 6, du 6 novembre 1665. À la mort d’Oldenburg, la revue cessa de paraître pendant plusieurs mois, entre le n° 136 (27 juin 1677) et le numéro 137 (10 février 1677/78)25. Bien que les Philosophical Transactions soient demeurées une affaire privée jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, elles ont toujours été dirigées par les différents secrétaires successifs de la Royal Society (voir tableau 23). Lorsque la Société déclara enfin en assumer la responsabilité officielle en 1752, la direction éditoriale en fut confiée à un comité rédactionnel. Rédacteurs

Années

Volumes

Numéros

Henry Oldenburg

1665-1677

1-11

1-136

Nehemiah Grew

1678- février 1679

12

137-142

Robert Plot

1683-1684

13-14

143-166

William Musgrave

1685

15

167-178

Edmund Halley

1686-1687

16

179-191

Richard Waller

1691-1694

17-18

192-214

Hans Sloane

1695-1713

19-28

215-337

Tableau 23. Rédacteurs des Philosophical Transactions de 1665 à 1713.

4. Audience et diffusion des Transactions Moray, dans une lettre à Oldenburg datée du 11 octobre 1665, parle de ses négociations avec l’imprimeur oxonien Davies, lorsque les Philosophical Transactions durent être imprimées à Oxford à cause de la peste à Londres. Moray aurait voulu faire imprimer mille deux cents exemplaires de la revue, mais Davies n’accepta d’en imprimer que mille. À cela il faut ajouter qu’une partie des numéros devait être destinée aux membres de la Royal Society (entre cent cinquante et deux cents membres environ)26. En dehors des membres de la Société, le nombre de lecteurs intéressés devait être relativement modeste. Dans une lettre à Oldenburg du 16 décembre 1665, Davies se plaint d’ailleurs de ne pas avoir vendu plus de trois cents exemplaires et il exprime

25. L’Angleterre a conservé la tradition de commencer l’année le 25 mars jusqu’en 1751 inclus. Elle accepta le 1er janvier en même temps que le calendrier grégorien. L’année 1751 commencée le 25 mars ne s’acheva pas. Dès le 1er janvier 1751, on compta 1752. L’Angleterre s’est alignée sur la réforme grégorienne en septembre 1752, en supprimant 11 jours le 3/14 septembre 1752 (Cf. P. COUDERC, Le calendrier (‘‘Que sais-je ?’’ 5), P.U.F., Paris 1981, p. 54). En indiquant à la fois l’année en usage alors en Angleterre et l’année commençant au 1er janvier, on se conforme à la pratique des auteurs anglais. 26. Le nombre total de membres en 1664 était de 148 et n’excéda jamais 228 avant 1700, et encore, en y incluant « les personnes d’autres nations ». Cf. M. HUNTER, The Royal Society and its fellows, 1660-1700, op. cit., p. 124.

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ses craintes qu’il ne vende pas assez pour couvrir les coûts du papier et de l’impression27. On sait également que l’impression de la première version du n° 27 fut de cinq cents exemplaires. Tous les exemplaires invendus des Philosophical Transactions ayant été détruits dans le grand incendie de Londres en 1666, les premiers numéros furent d’ailleurs très difficiles à acquérir par la suite28. Ces différents chiffres sont à comparer à ceux fournis par Jean-Pierre Vittu pour le Journal des savants, qui envisagent « des tirages de mille à deux mille exemplaires pour Paris, que les contrefaçons pourraient bien doubler »29. Tout semble donc indiquer que le nombre de lecteurs des Philosophical Transactions était plus faible, du moins en Grande-Bretagne, que le nombre de lecteurs du Journal des savants en France. Qu’en était-il à l’étranger ? À travers sa correspondance, on voit Oldenburg faire parvenir des exemplaires des Transactions à diverses personnalités érudites européennes, telles par exemple : l’astronome Hevelius de Dantzig, Leibniz ou encore Nazari, l’éditeur du Giornale de Leterati. Toutefois, la circulation sur le continent était nécessairement très restreinte par le fait que les Philosophical Transactions étaient publiées en anglais, une langue inaccessible pour de nombreux érudits européens. Dans une lettre à René François Sluse du 2 avril 1669, Oldenburg justifie sa publication des Philosophical Transactions en anglais « car elles sont destinées à l’intention des anglais qui sont attirés par les choses curieuses, et qui malgré tout ne savent pas le latin »30. Au passage, Oldenburg prouve qu’il ne destine pas seulement sa revue aux savants anglais, censés connaître le latin, mais également à un public plus large. Certaines communications, comme celles de Leeuwenhoek ou de certains auteurs anglais, particulièrement en mathématiques et en astronomie, furent néanmoins publiées en latin, lequel demeurait encore la langue du monde érudit. Bien que le manque d’accessibilité des Philosophical Transactions ait pu être partiellement compensée par des extraits et des résumés que l’on trouvait dans d’autres périodiques, en particulier le Journal des savants, Oldenburg reçut de nombreuses plaintes de la part de ses lecteurs étrangers à propos de l’inaccessibilité des articles en anglais. Même après la parution d’une traduction latine du premier volume, Erasmus Bartholin exprime encore à Henry Oldenburg un « ardent désir pour une édition latine de vos Philosophical Transactions afin que tout le monde puisse les lire »31. L’histoire de l’édition latine des premiers volumes des Transactions est complexe et difficile à reconstruire. À l’origine, Oldenburg avait lui-même exprimé son intention de publier les Philosophical Transactions en latin aussi bien qu’en anglais. Mais son projet n’aboutit jamais. Plusieurs traductions latines furent faites à l’étranger dont celle de Sterpin à Copenhague pour le volume de 1669, imprimée à Francfort en 1671, et celle de Christopher Sand publiée à Amsterdam par les libraires Henry et Theodor Boom, pour les années 1666-1667 en 1672, puis des années 1665 et 1668 en 1674. En outre, il y eut une édition en volume in quarto des années 1665-1669

27. C.A. RIVINGTON, « Early Printers to the Royal Society », Notes and Records 39 (1984), p. 1-21. 28. A. R. HALL and M. BOAS HALL, « The first Human Blood Transfusion : Priority Disputes », Medical History 24 (1980), p. 461-465. 29. J.-P. VITTU, « Diffusion et réception du Journal des savants », op. cit., p. 174. 30. « because they are intended to be for the benefit of such Englishmen as are drawn to curious things, yet perhaps do not know Latin. » Cf. H. OLDENBURG, The Correspondence of Henry Oldenburg, éd. A. R. HALL and M. BOAS HALL, op. cit., t. V, p. 470 pour la citation. 31. « a great longing for the Latin edition of your Philosophical Transactions in order that everyone may read them », ibid., t. IX, p. 403 pour la citation.

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à Leipzig en 1675. En 1681, on imprima encore à Amsterdam une traduction de l’année 1670. Ceci a marqué apparemment la fin de tout effort pour poursuivre la publication des Philosophical Transactions en latin. Ce qui peut sembler curieux, au regard de tous ceux qui réclamaient à grands cris une édition latine. On a aussi souvent prié Oldenburg de publier une version française des Philosophical Transactions. Ainsi, Denis écrit le 22 juin 1668 pour se plaindre de ses difficultés avec l’édition anglaise : « J’ai souvent souhaité qu’à la place des exemplaires en anglais que vous faites parvenir en France, vous voudriez bien en envoyer un seul en français »32. Il affirme qu’une infinité de curieux seraient intéressés par une telle version française, au lieu de quoi il n’y en a que trois ou quatre qui le lisent. Denis écrit à nouveau le 28 février 1669 pour exprimer sa satisfaction d’apprendre qu’une traduction latine est prête à paraître, mais pour autant il espère encore dans une traduction française. En fait, la première traduction française ne sera faite qu’entre 1738 et 1760 à Paris, par François de Brémond et continuée par Pierre Demours, mais seulement pour les années 1731 à 174433. François de Brémond fera également publier en 1737 une table des mémoires des Philosophical Transactions de 1665 à 173534. En anglais, un premier index général35 fut publié en 1678 pour la période 1665-1677, et un second couvrant toute la période 1665-1780 fut publié en 178736. Finalement les lecteurs français, comme les autres lecteurs européens, devront se contenter avant tout d’extraits et de résumés d’une partie des mémoires des Philosophical Transactions qu’ils pouvaient trouver dans divers périodiques, comme le Journal des savants, les Acta Erudictorum ou le Giornale de Leterati. En dehors de la publication en Grande-Bretagne d’abrégés en anglais, des abrégés publiés dans une autre langue ont commencé à paraître seulement vers 1730. La plupart ont d’ailleurs été publiés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et même plutôt vers la fin du siècle. Ces divers recueils rassemblent les mémoires abrégés des Philosophical Transactions, par matière ou par domaine. L’un des premiers a été publié en Italie entre 1729 et 1734, il s’agit d’une traduction italienne37 de l’abrégé anglais de Lowthorp, publié à Londres en 170538. Les abrégés

32. « I have often wished that instead of the copies in English which you send to France you would send just one in French », ibid., t. IV, p. 474 pour la citation. 33. Transactions Philosophiques de la Société Royale de Londres, Paris, Piget 1738-1760 (8 vol.) 34. F. de BRÉMOND, Tables des mémoires imprimés dans les Transactions Philosophiques de la Société Royale de Londres depuis 1665 jusques en 1735 rangée par ordre chronologique, par ordre des matières, & par nom d’auteurs, Piget, Paris 1737 (17392). 35. General index or alphabetical table to all the Philosophical Transactions from the beginning to July 1677. Also a catalogue of the books mentioned and abbreviated in the Transactions digested alphabetically. John Martyn, Londres 1678. Relié avec le volume 12. Un index général est aussi cité pour les volumes 12 à 17, il est relié avec le vol. 17. 36. P. H. MATY (éd.), General index to the Philosophical Transactions. From the 1st to the end of the 70th volume (1665-1780), Davis & Elmsley, Londres 1787. 37. Saggio delle Transazioni Filosophiche della Società Regio, compendiate da Giovanni Lowthorp & Benianmino Mottes, tradotte dall’ Inglese nell’ idioma Toscana dal Tommaso Dereham. Naples, Moscheni, 1729-1734. 5 vols. 38. Philosophical Transactions and Collections abridged and disposed under general heads, Mathews and others, Londres 1705-1781 (10 vol). Chaque série est divisée en 4 parties : 1. Mathematical papers, 2. Physical papers, 3. Anatomical and medical papers, 4. Philological (historical) papers. Titres, rédacteurs, et éditeurs variés. (Pour les 5 premiers volumes :) vol. 1-3 (1665-1705), John Lowthorp, Londres 1705 ; vol. 4-5 (1700-1721), Henry Jones, H. Parker, Londres 1721.

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en français39 ou en allemand40 sont plus tardifs. Après 1750, on peut également retrouver des mémoires dans des recueils à caractère plus général41. Finalement, si l’on compare la diffusion et l’audience des Philosophical Transactions avec celles du Journal des savants au XVIIe siècle et au début du siècle suivant, on est bien obligé de constater que le périodique anglais a eu une audience et surtout une diffusion plus limitée que le journal français. Ce qui néanmoins n’enlève rien à sa réputation. L’opinion de Barnes, selon laquelle la circulation des Transactions était limitée presque entièrement à la Grande-Bretagne42, peut certes paraître exagérée dans la mesure où elle est contredite par la correspondance d’Oldenburg qui atteste de la diffusion, par ses soins ou à l’aide des services diplomatiques, des Philosophical Transactions auprès de savants européens, tels Huygens ou Leibniz. Mais on peut se demander si cette diffusion ne se limite pas au cercle de ses relations. La faiblesse des tirages et les difficultés de distribution, dès que l’on s’éloigne un peu trop du centre de production, ne sont pas compensées par des contrefaçons comme dans le cas du Journal des savants. Au XVIIe siècle, l’absence de traduction en latin des Transactions, en dehors des premières années, comme d’abrégés en langue nationale, ne permet pas de pallier la barrière de la langue. Il semble que le public probablement plus large en Grande-Bretagne, composé de savants et d’érudits, mais aussi sans doute de curieux comme le laisse entendre d’ailleurs Oldenburg, doive se limiter à la « République des savants » dans le reste de l’Europe. Et encore les relations épistolaires entre savants y ont-elles joué le rôle principal. 5. Les opinions du rédacteur Les “diffuseurs” de savoir qui ont suivi Mersenne ne sont pas eux-mêmes, comme lui, savants distingués par leurs propres contributions au développement des sciences. Érudits, oui, et grands amateurs du nouvel esprit scientifique, mais non créateurs. C’est vrai de Henry Oldenburg entre autres. Il n’empêche qu’Oldenburg a naturellement ses préférences et ses propres convictions. À travers ses préfaces, au début de chaque nouveau volume, de 1665 à 1677, Henry Oldenburg s’adresse régulièrement aux lecteurs. Il nous livre à la fois ses préoccupations, ses buts dans la publication des Philosophical Transactions et certaines de ses opinions. Alors que dans le Journal des

39. Abrégé des Transactions Philosophiques de la Société de Londres, ouvrage traduit de l’Anglais et rédigé par M. Gibelin, Buisson, Paris 1787-1791 (14 vol.) 1re partie : Histoire naturelle, 2 vol., 1787 ; 2e partie : Botaniques, 2 vol., 1790 ; 3e partie : Météorologie, 1 vol., 1787 ; 4e partie : physique expérimentale par M. Reynier, 2 vol., 1790 ; 5e partie : Chimie, par M. Pinel, 1 vol., 1791 ; 6e partie : Anatomie et physique animale, par M. Pinel, 1 vol., 1790 ; 7e partie : Médecine et chirurgie, par M. Pinel, 1 vol., 1791 ; 8e partie : Matière médicale et pharmacie, t. I, par M. Willemet et Bosquillon, 1789, t. II, par M. Bosquillon et Pinel ; 10e partie : Mélanges, observations, voyages, par A. L. Millin de Grandmaison, 1 vol., 1790 ; 11e et 12e parties : Antiquités et beaux arts, par A. L. Millin de Grandmaison, 2 vol., 1789-1790. La 9e partie n’est apparemment jamais parue. 40. N G. LESKE (dir.), Auserlesene Abhandlungen praktischen und chirurgishen Inhalts aus den Londoner philosophischen Transaktionen und Sammlungen der Jahre 1699 bis 1720 (5 vol.), Donatius, Lübeck & Leipzig 1774-1778. (Leske a utilisé l’abrégé de Lowthorp et particulièrement la seconde édition des vol. 45 (1700-1720) par Henry Jones). vol. 1 : 1699-1720 (1774), vol. 2 : 1720-1744 (1775), vol. 3 : 1744-1750 (1776), vol. 4 : 1751-1757 (1777) et vol. 5 : 1758-1765 (1778). 41. On peut citer par exemple : Mémoires de physique pure. Sans mathématiques, de toutes les académies de science rassemblés en un seul corps, Antoine Chapius, Lausanne 1754. 42. E.B. BARNES, The International Exchange of Knowledge in Western Europe 1680-1689, Chicago 1947.

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savants, les rédacteurs successifs évitent généralement d’étaler au grand jour leurs opinions personnelles, comme leur cartésianisme ou leur gallicanisme – après la suspension du Journal en 1665, ils font preuve d’une certaine prudence qui n’interdit pas toujours, pour autant, une influence de leurs opinions sur leurs commentaires – dans ses adresses aux lecteurs, Henry Oldenburg jouit d’une plus grande liberté d’action, la charte octroyée à la Royal Society lui garantissant l’absence de censure. Il n’hésite donc pas à exprimer franchement des critiques à l’égard des adversaires de la nouvelle philosophie mécaniste et des tenants de la philosophie scolastique. Il s’y montre comme un partisan convaincu de la nouvelle philosophie expérimentale, mécaniste et de l’atomisme moderne. Dans sa préface du 11 mars 1667, il dénonce avec vigueur ses adversaires : « Il y en a encore qui préfèrent l’obscurité du vieux paganisme d’avant la lumière de midi »43. « Et vraiment, ils nous obligent beaucoup, en ce qu’ils se complaisent dans leurs tracas et leurs âpres disputes, et dans leur verbosité stérile et tapageuse, devenant un repoussoir qui contraste avec le prestige serein et les exploits imposants et réels des philosophes expérimentaux »44. « Tandis qu’ils prétendent avoir Aristote pour leur grand oracle, nous avons une estime véritable et plus élevée pour sa vraie valeur, que celle effectivement manifestée par ses prétendants »45. Prenant la défense des Virtuosi érudits, Oldenburg affirme qu’ils accordent de la valeur aux œuvres d’Aristote : ses Logique et Rhétorique, ses Éthique et Politique, et sa Métaphysique. « Mais elles sont généralement submergées et avilies par une nuée de systèmes corrompus, et de commentaires dilués. Et quant aux autres volumes plus utiles d’Aristote, ses petits Traités sur les animaux (…), ses discours sur les mathématiques et la mécanique, ils ne les honorent jamais. Ils éliminent seulement ses défauts et son animosité, ses assauts d’injures envers ses Aînés et ses collègues, à propos des atomes et des principes plus obscurs ; une matière, qui n’est neque quid, neque quantum, neque quale, mais une formelle et substantielle εντελεχεια (un terme trop dur à traduire pour Cicéron) et une privation, un principe aussi bon que le reste ; ses définitions, ses causes, ses affections ; son quarteron d’éléments bruts et de mélanges grossiers, et ses compositions et qualités insipides, moins significatifs que l’Air populaire : Toutes choses beaucoup plus aptes à engendrer d’éternelles controverses, qu’à fournir la moindre satisfaction à une compréhension raisonnable »46. Comme on peut le constater, même s’il reconnaît quelques mérites à Aristote, Henry Oldenburg n’est pas tendre à l’égard

43. « There are yet some, who do prefer the darkness of old Heathenisme before the Noon-light. » 44. « And truly, they do much oblige us, in that they are pleased by their frets, and eager contentions, and by their fruitless and obstreperous Verbosity, to make themselves a foil, to set off the Serene Lustre of the real and obliging performances of the Experimental Philosophers. » 45. « Whereas they pretend to Aristotle as their Grand Oracle, we have a true and higher esteem for his true worth, than these Pretenders do effectually manifest. » 46. « But all these are generally overwhelmed and degraded by the swarms of Insectile Systemes and dilute Commentaries. And as for the other more useful Volumes of Aristotle, his Tracts of Animals […] his Mathematical Discourses, and Mechanicks, these they never salute. They weed out his onely defects and animosities, his Velitations with his Elders and Compeers about Atomes and darker Principles ; a Matter, which is neque quid, neque quantum, neque quale, a Formal and Substantial εντελεχεια (a word too hard for Cicero to translate) and Privation, a Principle as good as the rest ; his Definitions of Causes and Affections ; his Quaternion of gross Elements and grosser Mixtures, and insipid Compositions and Qualities, less significant than the popular Air : All of them much fitter to beget Eternal Controversies, than to administer any satisfaction to a reasonable Understanding. »

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de l’Aristotélisme. À la suite, il insiste sur l’importance des mathématiques pour les tenants, comme lui, de la nouvelle philosophie : « Nous terminons en demandant, si Aristote n’a pas illustré ses meilleures conceptions dans ses travaux, par des démonstrations mathématiques ? […] Quel Philosophe célèbre, au nom seul de l’honnête moralité, a-t-il négligé les mathématiques ? »47. Son dernier argument s’attaque aux aristotéliciens eux-mêmes : « Si Aristote avait eu le bonheur d’apprécier des instruments d’optique, d’art, et des moteurs tels que ceux utilisés maintenant, il aurait été dans une toute autre disposition d’esprit que les aristotéliciens eux-mêmes »48. Dans sa préface à la septième année des Transactions, le 25 mars 1671, Oldenburg nous donne en quelque sorte sa définition de la nouvelle philosophie expérimentale : je citerai ici quelques lignes prises dans la conclusion des Propositions pour l’avancement de la philosophie expérimentale de M. Cowleys49 ; où il répartit dans son collège de philosophes leurs tâches en quatre branches : Premièrement, peser, examiner, et prouver toutes les choses de la nature qui nous ont été fournies par les temps anciens ; repérer, discréditer et frapper d’une condamnation toutes les fausses monnaies qui ont payé et trompé le monde depuis si longtemps ; et, si je peux dire, mettre la marque du collège sur toutes les vraies pièces de monnaie, pour qu’elles n’aient ensuite à subir aucune nouvelle mise à l’épreuve. Deuxièmement, retrouver les inventions perdues et, si elles existaient, les terres submergées des Anciens. Troisièmement, faire progresser tous les arts que nous avons maintenant. Pour finir, en découvrir d’autres que nous n’avons pas encore. Ainsi pour lui, et de façon certaine, jamais aucun projet n’a mérité de rencontrer si peu d’adversaires que celui-ci. Car qui peut (dit-il) s’opposer sans folie effrontée à l’établissement d’un tel collège (un telle société devrais-je dire) qui fait son affaire d’étudier l’amélioration et l’avantage de toutes les autres professions, de celle la plus élevée, jusqu’au plus humble artisan ? Qui emploient leur temps, leur esprit, leur érudition et leur activité à ces quatre fins, les plus utiles que l’on puisse imaginer50.

47. « We take leave to ask, Whether Aristotle did not illustrate his best Conceptions in his Works, with Mathematical Demonstrations ? […], which of the Philosophers of note, for anything else but honest Moralities, did neglect the Mathematicks ? » 48. « Certainly, If Aristotle had been so happy, as to have enjoyed our Opticks, and other Instruments of Arts, and such Engins as we now employ, He would have been quite of another spirit than these are » 49. Le poète Abraham Cowley avait proposé son idée d’un « collège philosophique » en 1661 (Proposition for the Advancement of Experimental Philosophy). Voir à ce sujet M. HUNTER, Establishing the new science. The experience of the early Royal Society, op. cit., et plus particulièrement son chapitre 5 : « A ‘College’ for the Royal Society : The abortive plan of 1667-1668 », p. 156-184. 50. « I shall here recite a few lines taken out of the Conclusion of Mr. Cowleys Prososition for the Advancement of Experimental Philosophy ; where he distributes to his Colledge of Philosophers their Task in Four Branches : First, to weigh, examine, and prove all things of Nature deliver’d to Us by former Ages ; to detect, explode, and strike a censure through all false Monies, with which the World hath been paid and cheated so long ; And, as I may say, to set the Mark of the Colledge upon all true Coyns, that they may pass hereafter without any further tryal. Secondly, to recover the lost Inventions, and, as it were, drown’d Lands of the Ancient. Thirdly, To improve all Arts which we now have. Lastly, To discover others which we yet have not. Thus he ; And with great confidence, That there was never any project thought upon, which deserves to meet with so few Adversaries as this. For who (saith he) can without impudent folly oppose the Establishment of such a Colledge (such a Society I should say) who make it their business to study the Improvement and Advantage or all other Professions, from that of the highest General, even to the lowest Artisan ? Who imploy their time, wit, learning and industry to these four ends, the most useful that can be imagined. »

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Mais Oldenburg revient à nouveau à la charge contre les adversaires de la philosophie expérimentale, comme souvent dans ses préfaces : Mais dans cette espérance Mr. Cowley a été déçu et trompé. Il y en a certains, qui cherchent toutes les occasions pour décourager notre travail ; insulter et dénigrer la philosophie expérimentale et ceux qui y contribuent. Parfois, pour la rendre plus odieuse en tant que nouveauté, ils l’appellent dédaigneusement la nouvelle philosophie ; quand encore ils n’ignorent pas qu’elle est assez ancienne pour avoir été la discipline du Paradis, et le premier homme (qui en observant les types et les différences des animaux leur donna leurs noms), pour avoir été pratiquée et approuvée par les meilleurs des hommes, patriarches et prophètes, maintes fois avec l’assistance et l’inspiration divines ; faisant en sorte qu’ils soient en cela couronnés de succès, [et] de très éminents attributs de la gloire, comme dans le cas de Noé, Moïse, Salomon, Daniel et d’autres51.

Il est intéressant de voir ici comment Oldenburg ancre la « nouvelle philosophie » dans la Genèse pour la justifier et confondre ainsi ses adversaires. Plus loin, il insiste sur l’importance des « antiquités » dans la nouvelle philosophie, répondant ainsi à l’une des critiques majeures de ses adversaires. La nouvelle philosophie est non seulement issue de la Genèse, mais aussi de l’héritage laissé par les Anciens, dont l’étude constitue d’ailleurs l’un de ses principaux objectifs : Mais examinons ces réprobations dans le détail. C’est de la nouvelle philosophie que d’interroger avec soin la nature des choses ; je veux dire, comment le monde a-t-il été créé, quel est le mode de fonctionnement des éléments ; le commencement, la fin, et le milieu des temps ; Les altérations dans le mouvement du soleil et dans le changement des saisons ; Le parcours des années, et la position des étoiles ; la nature des créatures vivantes, la fureur des bêtes sauvages, et les raisonnements des hommes ; la violence des vents, et le mouvement des mers ; la diversité des plantes, et les vertus des racines. Et toutes ces choses, sont-elles secrètes ou plus manifestes ? À l’égard de cette nouvelle philosophie nous avons été formés par les exemples louables des sages les plus anciens de l’Orient. Et nous avons eu les mêmes guides, ou de semblables (pas moins que la même antique autorité) pour légitimer notre préférence pour les mathématiques et la mécanique, pour l’architecture, militaire, civile ou navale ; des fondations les plus robustes des villes saintes, des temples, des trônes de sagesse, des palais de gloire, et des piliers monumentaux, jusqu’aux sculptures curieuses et autres œuvres inspirées d’Aholiab et Bezaleel. Et si les efforts modernes ont plongé si profondément, pour trouver plus de satisfaction dans les atomes, que dans les trois principes controversés, Diogène Laërte, ou un autre historien, ou un amateur d’antiquités, permettront-ils à ces critiques de qualifier d’atomique la nouvelle philosophie ? Ou nos atomistes modernes ont-ils mal fait en purgeant les vieux atomes de la Grèce des erreurs du paganisme grec ?

51. « But in this Expectation Mr. Cowley was much disappointed, and deceived. There are some, who seek all occasions to discourage our Industry ; to affront and disparage Experimental Philosophy and those that contribute their Aydes in it : Sometimes, to render it odious for Novelty, they call it contemptuously the New Philosophy ; when as yet perhaps themselves are not ignorant, that it is so old as to have been the Discipline in Paradise ; and from the First of Mankind (who from observing the kinds and differences of animals gave them Names) to have been practised and countenanced by the Best of Men ; Patriarchs and Prophets ; oft times with Divine Assistances and Inspirations ; giving them, that were succesful therein, very eminent attributes of Glory, as in Noah, Moses, Solomon, Daniel and others. »

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L’échappatoire suivante consiste à nous accuser de négliger et mépriser toutes les antiquités. Peut-être ont-ils vu le contraire dans la préface du second volume de nos Transactions, ou nous disons : c’est notre occupation principale de retrouver toutes les antiquités de valeur, aussi bien que de fournir de nouvelles découvertes ; de récupérer les bonnes contributions anciennes, comme d’en inventer de nouvelles52.

L’année suivante, dans sa préface du 25 mars 1672, Oldenburg dénonce les persécutions subies par certains savants, dont Galilée, et il rend un hommage appuyé aux deux hommes, Bacon et Peiresc, qui pour lui ont permis à la vraie philosophie de se développer : Nous devons reconnaître que dans le dernier siècle, quand la philosophie opérative a commencé à recouvrer la raison et à marcher sur les talons de la philologie triomphante ; des entreprises naissantes et de grand succès ont dû affronter de dangereuses oppositions et de fortes obstructions : Galilée et d’autres en Italie ont subi des extrémités pour leurs découvertes célestes ; et ici, en Angleterre, Sir Walter Raleigh, quand il était au sommet de sa gloire, fut notoirement calomnié, pour avoir érigé une école d’athéisme, parce qu’il avait encouragé la chimie, les arts pratiques et des expériences mécaniques singulières, et qu’il projetait de former les meilleurs éléments dans un collège. Et [le] Gilbert de la Reine Elisabeth a été pendant longtemps jugé comme extravagant pour ses magnétismes ; ainsi qu’Harvey pour ses recherches assidues sur la circulation du Sang. Mais quand notre renommé Lord Bacon eut démontré les méthodes pour une parfaite restauration de toutes les parties du savoir réel ; et que le généreux et philosophique Peiresc, peu après, se fut activé de partout pour racheter les antiquités les plus instructives et qu’il eut suscité des essais expérimentaux, et de nouvelles découvertes ; Le succès se transforma en une soudaine prodigalité, et la véritable philosophie commença à resplendir, et même à se répandre en de brillants faisceaux de lumière, à travers le monde entier53.

52. « But let us try these Censures in Particulars. It is New Philosophy, to inquire diligenty the things that are ; I mean To know how the World was made, and the Operation of the Elements ; the beginning, ending, and midst of Times ; The Alterations of the Turning of the Sun and the Change of Seasons ; The Circuit of Years, and the Position of Stars ; the natures of living Creatures, the Furies of Wild Beast, and the Reasonings of Men ; the Violence of Winds, and the Motions of the Seas ; the diversities of Plants, and the virtues of Roots ; And all such things, as are either Secret or more Manifest ? For this New Philosophy we were disciplined by the laudable Examples of the most Ancient Sages of the East. And we had the same or the like guides (no less than the same Old Authority) to licence our addiction to the Mathematicks and Mechanicks, for Military, Civil, or Naval Architecture ; from the soundest Foundations of Holy Cities, Temples, Thrones of Wisdom, Palaces of Glory, and Monumental Pillars, to the curious Sculptures and other inspired Workmanship of Aholiab and Bezaleel. And if Modern diligence hath dived so deep, as to find more satisfaction in Atoms, than in the three controverted Principles, will Diogenes Laertius, or any other Historian, or Antiquary, allow these Critics to call the Atomical the New Philosophy ? Or have our Modern Atomists done amiss in purging the Old Atoms of Greece from the Heathenist Errors of Greece ? The next Shift is, to accuse us of neglecting and despising all Antiquities. Yet perhaps they have seen the contrary in the Preface to the second Volume of our Transactions, where we say : ’Tis our Main business, as well to retrive all valuable Antiquities, as to supply fresh discoveries ; to recover good Old helps, as to devise New. » 53. « We must grant, that in the last Age, when Operative Philosophy began to recover ground, and to tread on the heels of triumphant Philology ; emergent adventures and great successes were encountred by dangerous oppositions and strong obstructions : Galilæus and others in Italy suffered extremities for their Celestial Discoveries ; and here in England Sr. Walter Raleigh, when he was in his greatest luster, was

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Outre la défense de la nouvelle philosophie, dans ses préfaces Oldenburg dresse une sorte de résumé de ce qui a été publié l’année précédente dans ses Transactions, tout en mettant en valeur « l’avancement des Arts et des sciences » qui en résultent, selon sa propre expression (« the Advancement of Arts and Sciences », cf. sa préface à la dixième année, du 25 mars 1674). Il n’oublie jamais d’égratigner, au passage, les péripatéticiens. À la fin, dans ses dernières préfaces des années 1670, d’ailleurs plus courtes, sans doute lassé ou estimant peut-être avoir assez argumenté contre ses adversaires, Oldenburg se contente de les traiter avec dédain, comme dans sa préface à la dixième année, du 25 mars 1674 : « Je ne tiendrai pas grand compte ici des obstructions et découragements que les malveillants mettent sans cesse en travers de notre chemin, ils sont suffisamment punis pour cela, parce qu’ils s’excluent euxmêmes de la connaissance des admirables Travaux de Dieu et des Inventions ingénieuses »54. Pour Oldenburg, sa revue est un moyen de « promouvoir le progrès des Matières Philosophiques » et « l’avancement du savoir et des découvertes utiles »55. Il accorde toujours une dimension internationale à cette tâche, les Transactions étant replacées dans un vaste mouvement européen auquel participent de la même façon le Journal des savants et le Giornale de’ Letterati : « Les ingénieux français ont œuvré dans la même direction que nous, en publiant leur Journal des Sçavans ; et les romains ont suivi notre exemple dans leur Giornale de Letterati. Et sans aucun doute toutes les nations civilisées, qui ont le goût de la connaissance utile, poursuivront, en leur temps, cet exemple ; et alors, de même que la lumière s’accroît, et se répand, de la même façon nous nous aiderons les uns les autres : Et cela contribuera avec bonheur au bien général de l’Humanité »56. Néanmoins, son périodique ne se limite pas à l’expérimentation, Oldenburg ne refuse pas toute science spéculative ; il défend auprès du lecteur sa liberté de choix : « Nous n’avons ni découragé ni réfuté les essais de certains philosophes célèbres, de philologues érudits et amateurs d’antiquités ; dont les traités, les lectures et les raisonnements se sont étendus plus loin que leurs expériences ; de là, grâce à de telles digressions et pensées audacieuses, de nombreuses vérités

notoriously slaundered, to have erected a School of Atheism, because he gave countenance to Chymistry, to practical Arts, and to curious Mechanical Operations, and design’d to form the best of them into a Colledge. And Queen Elizabeths Gilbert was a long time esteem’d extravagant for his Magnetismes ; and Harvey for his diligent researches in pursuance of the Circulation of the Blood. But, when our renowned Lord Bacon had demonstrated the Methods for a perfect Restauration of all parts of Real knowledge ; and the Generous and Philosophical Peyreskius had, soon after, agitated in all parts to redeem the most instructive Antiquities, and to excite Experimental Essays, and fresh Discoveries ; The success became on a sudden stupendious, and Effective philosophy began to sparkle, and even to flow into beams of brightshining Light, all over the World. » 54. « And I shall not here take much notice of the Obstructions and Discouragements, that have been and are cast in our way by the Malevolent, they being sufficiently punished by this, that they exclude themselves from the knowledge of Gods admirable Works and of ingenious Inventions. » 55. « promoting the improvement of Philosophical Matters », « the advancement of Learning and profitable Discoveries. » 56. « The Ingenious French have drawn the same yoke with us, in publishing their Journal des Scavans ; and the Romans have followed our Example in their Giornale de Letterati. And doubtless all Civil Nations, who have a Gust for useful knowledge, will, in good time, drive on this Example ; and then, as the Light increaseth, and runs on, we shall in a like proportion become so many mutual Ayds to each other : And this will hopefully redound to the General good of Mankind » (H. OLDENBURG, « A Preface To this Fifth Year of the Transactions », Philosophical Transactions, 25 mars 1669, n° 45, p. 893-898).

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de valeur peuvent être extraites de leurs profondeurs […]. Un vrai philosophe doit revendiquer une telle liberté dans des extraits d’hommes de grande Érudition»57. 6. Les premières années de la direction d’Oldenburg (1665-1672) En astronomie, mathématiques et physique, globalement, 35,5 % des articles sont représentés par des comptes rendus de livres et 64,5 % par des lettres et des mémoires (tableau 24). Ces chiffres ne sont pas différents des valeurs observées pour l’ensemble des Transactions : le premier volume des abrégés (1665 à juillet 1672) fournit 198 comptes rendus de livres (33 %) pour 403 lettres et mémoires (67 %). Sachant que le nombre de comptes rendus de livres dans les abrégés doit être réévalué d’environ 10 % par rapport aux Transactions, on retrouve les mêmes pourcentages dans nos trois disciplines et dans les autres matières traitées par les Transactions. Cette proportion de 35,5 % de comptes rendus de livres, en astronomie, mathématiques et physique, est à mettre en rapport avec la proportion correspondante de 50 % dans le Journal des savants, citée pour la même période dans le chapitre précédent. Certes, dans les Transactions, le pourcentage de lettres et mémoires est plus important que dans le Journal, cependant la différence entre les deux périodiques est loin d’être aussi nette que celle à laquelle on pourrait s’attendre. Dans nos trois matières scientifiques, comme dans le reste des sciences, prenant modèle sur le Journal des savants, Henry Oldenburg présente un nombre important de comptes rendus de livres. Entre 1665 et 1672, les Transactions ont présenté plus de deux cents ouvrages scientifiques, dont près de la moitié en astronomie, mathématiques et physique. Selon Jean-Pierre Vittu, entre 1665 et 1669, le Journal des savants a fourni cent trente-cinq comptes rendus de livres dans la catégorie sciences & arts58, sachant que dans les années suivantes, de 1670 à 1672, la parution du Journal a été très épisodique. Entre 1665 et 1672, nos relevés dans le Journal donnent quarante et un comptes rendus d’ouvrages en astronomie, mathématiques et physique. Le nombre relativement plus important d’ouvrages présentés par les Transactions, par rapport au Journal des savants, s’explique par l’effondrement de la parution du Journal, progressivement délaissé par son rédacteur, l’abbé Galloys. Les Transactions n’ont pas eu à souffrir des mêmes difficultés pendant cette période. Article Livres Lettres & Mémoires

Astronomie 26 % 74 %

Mathématiques 64 % 36 %

Physique 37 % 63 %

Total 35,5 % 64,5 %

Tableau 24. Nature des articles en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1665 et 167259.

57. « Neither have we discouraged or refuted the Essays of some famous Philosophers, learned Philologers and Antiquaries ; whose Disquisitions, Readings, and Reasonings, have extended farther than their Experiences ; since by such bold Excursions and Sallies many valuable Truths may be started out of their recesses […]. Such liberty an exact Philosopher must claim in his Extracts from Men of much Learning » (H. OLDENBURG, « A Preface To the Third Year of these Tracts », Philosophical Transactions, 11 mars 1667, n° 23, p. 409-415) 58. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 70 (annexes). 59. Dans toutes nos statistiques, sauf indications contraires, on a pris les années de janvier à décembre, alors que les anglais faisaient commencer l’année au 25 mars.

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Dans les premières années, les Transactions se contentent le plus souvent de ne fournir que le titre abrégé des ouvrages, sans mentionner l’éditeur, ni le lieu et l’année de l’édition. Les informations fournies par la revue ne deviennent plus complètes qu’à partir de 1668 et surtout de 1669. Sur un échantillon de soixante-neuf ouvrages en astronomie, physique ou mathématiques, 55 % sont des livres de l’année, 25 % des ouvrages de l’année précédente et 20 % des livres datent de deux ans et plus. Parfois le retard est considérable. Ainsi, les Transactions ne présentent-elles qu’en 1668 un compte rendu de l’ouvrage d’optique de Carlo Antonio Mancini, publié à Bologne en 166060. Année

Astronomie

Mathématiques

Physique

Nombre total de livres

1665

33 %

0%

67 %

5

1666

29 %

29 %

43 %

6

1667

33 %

22 %

44 %

7

1668

16 %

47 %

37 %

16

1669

31 %

38 %

31 %

14

1670

15 %

0%

85 %

12

1671

5%

27 %

68 %

20

1672

29 %

36 %

36 %

13

Total

20,8 %

28,3 %

50,9 %

93

Tableau 25. Livres en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1665 et 1672.

Dans l’ensemble de nos trois disciplines, près de la moitié des comptes rendus concernent des ouvrages de physique, puis viennent les livres de mathématiques, l’astronomie arrivant en dernier (tableau 25). Cette répartition s’oppose à celle du Journal des savants, où l’astronomie tenait la première place (54 %), les mathématiques, quelque peu délaissées, arrivant en dernier (17 %). Ainsi, entre la France et l’Angleterre, les centres d’intérêt divergent. Les Français s’intéressent surtout à l’astronomie qui occupe une place essentielle, et dans une moindre mesure, à la physique, alors que les Anglais s’intéressent plutôt, en premier, à la physique, et, en second, aux mathématiques qui occupent une place non négligeable. Entre 1665 et 1677, sur cent trente-cinq ouvrages présentés par les Transactions dans nos trois disciplines, seule une trentaine (22 %) a également été extraite par le Journal des savants. Cette proportion, assez faible, ne témoigne pas forcément de choix très différents de la part des deux revues. En effet pendant les trois premières années, de 1665 à 1667, 55 % des ouvrages traités par les Transactions sont également présentés par le Journal. En astronomie, la plupart des ouvrages extraits par les Transactions le sont également par le Journal. Par contre, en mathématiques, la majorité des livres présentés par les Transactions ne se retrouvent pas dans le Journal, conséquence du peu d’intérêt de

60. « The Description of a way, said to be New and Universal for working Convex spherical Glasses upon a Plain, for all Practicable Length, without other Dihes or concave Moulds », Philosophical Transactions, 14 décembre 1668, n° 42, p. 837-840.

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la revue parisienne dans ses premières années pour cette discipline. Les différences observées dans les ouvrages présentés par les deux revues semblent provenir essentiellement du choix de privilégier une discipline par rapport à une autre. Elles sont donc avant tout le reflet d’intérêts divergents par rapport aux domaines scientifiques de part et d’autre de la Manche. Les Anglais privilégient les mathématiques et la physique, les Français, l’astronomie. En outre, en physique, les Français ont tendance à privilégier leurs propres auteurs (83 % entre 1665 et 1672), les cartésiens en bonne place, en ignorant le plus souvent les Anglais. Ainsi, entre 1665 et 1677, si la revue londonienne présente quinze comptes rendus d’ouvrages de Robert Boyle en physique, la revue parisienne n’en présente qu’un seul. Comme on l’a vu au chapitre précédent, à partir de 1667 et jusqu’en 1674, le Journal souffre d’irrégularité et d’une réduction drastique de son volume. Dans cette période, alors que les Transactions continuent à présenter de nombreux comptes rendus d’ouvrages, le Journal s’étiole et ne présente plus beaucoup de livres, sa parution devenant épisodique. Le peu d’ouvrages communs aux deux revues est alors la conséquence de cette carence. En revanche, lorsque la parution du Journal redevient normale, sous la direction de La Roque, la part des livres de nos trois disciplines présentés dans les Transactions et qui se retrouvent dans le Journal redevient de nouveau importante. Ainsi, entre 1675 et 1676, plus de 41 % des ouvrages d’astronomie, de mathématiques et de physique, en extraits dans les Transactions, sont également présentés par le Journal. Parmi les ouvrages d’astronomie présentés par les deux revues, on trouve le Prodromus Cometicus de Johannes Hevelius de 166561, le traité sur les étoiles variables d’Ismael Bouillau62, ou bien encore la célèbre Astronomia Reformata du jésuite italien Riccioli63.

Journal des savants

Philosophical Transactions

Prodomus Cometicus, J. Hevelius

Comptes rendus d’ouvrages

3500 caractères

7400 caractères

Ad Astronomos monita…, I. Bouillau

3500 caractères

3800 caractères

Astronomia Reformata, J.B. Riccioli

5500 caractères

4600 caractères

Longueurs comparées des comptes rendus de trois ouvrages en astronomie dans les deux revues (1665-1667)

61. « An Account of Hevelius his Prodromus Cometicus together with some Animadversions made upon it by a French Philosopher », Philosophical Transactions, 6 novembre 1665, n° 6, p. 104-108 ; « Joh. Hevelii, Prodromus cometicus, in fol., Gedani 1665 et se trouve à Paris chez Piget », Journal des savants, 1er mars 1666, p. 110-113 (66-67). On peut remarquer que les informations fournies sur l’ouvrage par le Journal sont plus complètes que dans les Transactions, puisqu’il y figure le format du livre, le lieu et l’année de l’édition, et même le lieu de vente à Paris. 62. « Ismaelis Bullialdi ad astronomos, monita duo. Parisiis apud Seb. Mabre-Cramoisy », Journal des savants, 16 janvier 1667, p. 10-12 (8-9) ; « Ismaelis Bullialdi ad Astronomos Monita duo : Primum, De Stella Novae, quae in Collo Ceti ante annos aliquot visa est. Alterum, De Nebulosa in Andromedae Cinguli parte Borea, ante biennum iterum orta », Philosophical Transactions, 21 janvier 1667, n° 21, p. 381-383. D’après le catalogue de la Bibliothèque Nationale, l’ouvrage ne comprend que 17 pages et a été publié chez Mabre-Cramoisy en 1667, au format in-4°. 63. « Astronomia Reformata Auctore P. Joanne Bapt. Ricciolo Soc. Jesu. In fol. Bononiae. Et se trouve à Paris chez Piget », Journal des savants, 24 janvier 1667, p. 13-17 (10-12) ; « Astronomia Reformata, Auctore Johanne Bapt. Riccioli, Soc. Jesu », Philosophical Transactions, 2 février 1667, n° 22, p. 394-396.

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En ce qui concerne le Prodromus Cometicus, les Transactions lui consacrent un compte rendu nettement plus long que le Journal des savants. Pour les deux autres comptes rendus, les volumes de texte sont plus comparables. En fait, bien que le compte rendu du Prodomus Cometicus paru dans les Transactions soit deux fois plus long que celui du Journal, son contenu ne diffère guère de celui du Journal. Le Journal traite des mêmes aspects en étant simplement plus concis. Les deux revues abordent six points principaux de l’ouvrage : l’observation de la comète du 14 décembre 1664 au 18 février 1665 ; le mouvement des comètes pour lequel Hevelius postule une section conique, les deux revues précisent que, pour lui, il ne peut être établi de système certain de leur mouvement, si on ne suppose le mouvement annuel de la Terre ; la distance et le diamètre de la comète, les comètes étant plus hautes que la Lune contrairement à ce qu’a cru Aristote ; l’origine des comètes, pour Hevelius, les comètes sont formées à partir d’exhalaisons du Soleil (comme « il s’élève des exhalaisons de la Terre d’où se forment les météores, dans l’air ; il s’en élève aussi des Planètes, & même du Soleil, d’où les Comètes se forment dans le ciel », cf. le Journal) ; l’apparence des comètes est due à la réflexion et la réfraction des rayons du Soleil ; enfin, il rejette les pronostics et les craintes dont elles sont l’objet. Tout au plus, le ton des Transactions à l’égard d’Hevelius est-il assez élogieux (« Cet excellent Astronome de Dantzic… »), alors que celui du Journal est plus neutre, voire quelque peu distant. Peut-être que la querelle d’alors entre les astronomes français, en particulier Auzout, et également italiens d’une part, et Hevelius d’autre part, au sujet de la validité de certaines de ses observations, n’y est pas étrangère. Les Transactions en appellent aux plus habiles astronomes anglais pour juger de ce différent, tandis que la revue française promet à ses lecteurs de parler dans un autre Journal de la « célèbre contestation entre nos Astronomes & M. Hevelius ». Les deux comptes rendus de l’ouvrage d’Ismael Bouillau sur les étoiles variables sont similaires, en taille, comme en contenu. Quant à l’Astronomia Reformata du jésuite Riccioli, le rédacteur des Transactions annonce lui-même aux lecteurs qu’ils sont redevables au Journal des savants du compte rendu de ce livre. Le compte rendu des Transactions du 2 février 1667 est en effet une traduction du compte rendu publié par le Journal le 24 janvier 1667, Oldenburg se contentant de réduire un peu la taille de la relation dans un style plus dense. On y retrouve le raisonnement du jésuite pour prouver l’immobilité de la Terre, sans plus de commentaire. Cependant, l’année suivante, dans son n° 36 du 15 juin 1668, la revue anglaise se fait l’écho de la controverse entre Stefano de Angelis, professeur de mathématiques à Padoue, et le jésuite Giovanni Battista Riccioli à propos de la démonstration de l’immobilité de la Terre par ce dernier64 : « Riccioli dans son Almagestum Novum prétend avoir découvert différents arguments démonstratifs nouveaux contre le mouvement de la Terre. Steph. de Angelis, concevant qu’aucuns de ses arguments ne soient des plus forts, en prend l’occasion pour faire voir au monde qu’ils ne sont pas plus estimés en Italie, qu’en d’autres endroits »65. Ces exemples de

64. « An Account of a Controversy betwixt Stephano de Angelis, Professor of the Mathematicks in Padua, and Joh. Baptista Riccioli Jesuite, as it was communicated out of their lately Printed Books, by that Learned Mathematician Mr. Jacob Gregory, a Fellow of the R. Society », Philosophical Transactions, 15 juin 1668, n° 26, p. 693-698. 65. « Riccioli in his Almagestum Novum pretends to have found out several new demonstrative Arguments against the Motion of the Earth. Steph. de Angelis, conceiving his Arguments to be none of the strongest, taketh occasion to let the world see, that they are not more esteem’d in Italy, than in other places » (ibid., p. 693-694).

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comptes rendus d’ouvrages en astronomie montrent qu’il n’y a guère de différence dans le contenu des comptes rendus entre les deux revues dans ce domaine. Mais il faut dire qu’en astronomie, pour la revue londonienne, la plupart des ouvrages proviennent de l’étranger. En mathématiques, les ouvrages de géométrie dominent. C’est en physique que les ouvrages sont les plus nombreux. Les traités de Robert Boyle et de John Wallis voisinent avec ceux de nombreux auteurs français comme d’auteurs italiens, parmi les premiers, on compte les Pères jésuites Honoré Fabri et Ignace Gaston Pardies, Pierre Petit, Jean-Baptiste Duhamel, Jacques Rohault, et beaucoup d’autres. Les auteurs italiens sont aussi à l’honneur. Les deux revues rendent compte en 1665 du célèbre Mundus Subterraneus du jésuite Athanasius Kircher : les Transactions à travers un long compte rendu66, et le Journal avec deux comptes rendus pour chacun des deux volumes67. Comme le Journal, les Transactions s’attachent à présenter des comptes rendus des ouvrages scientifiques les plus célèbres et les plus importants à l’époque en Europe. Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

Grande-Bretagne

9,1 %

48,3 %

42,6 %

40,9 %

Italie

27,3 %

17,2 %

18,5 %

21,5 %

France

22,7 %

24,1 %

24,1 %

20,4 %

Provinces-Unies

13,6 %

6,9 %

9,3 %

7,5 %

Saint-Empire

9,1 %

3,4 %

5,6 %

3,2 %

Pologne

13,6 %

Pays-Bas Danemark

3,2 % 3,4 %

4,5 %

2,2 % 1,1 %

Tableau 26. Provenance des livres en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1665 et 1672.

Contrairement au Journal des savants, globalement, la majorité des ouvrages (59,1 %) dans nos trois matières scientifiques provient de l’étranger (tableau 26). C’est en mathématiques que la proportion de livres anglais est la plus forte, mais avec tout de même plus de la moitié des ouvrages de provenance étrangère. Avec 40,9 % d’ouvrages anglais, les Transactions apparaissent ainsi plus ouvertes vers le reste de l’Europe que le Journal (64 % de livres français). La France et l’Italie y tiennent la première place. Ces deux pays représentent près des trois quarts des ouvrages étrangers, le reste provient essentiellement des Provinces-Unies et du Saint-Empire. Comme pour le périodique français, on remarque donc la quasi-absence des pays du nord et de l’Espagne, l’Italie conservant une place privilégiée qu’elle doit ici partager avec la France. Comme on pouvait s’y attendre en fonction du moindre intérêt qu’elle semble susciter, l’astronomie est le domaine où plus de quatre-vingt-dix pour cent

66. « Of the Mundus Subterraneus of Athanasius Kircher », Philosophical Transactions, 6 novembre 1665, n° 6, p. 109-117. 67. « Athanasi Kircheri e soc. Jesu Mundus subterraneus. Amstelodami, in fol., 2 vol. », Journal des savants, 28 juin 1666, p. 180-183 ; « Athanasii Kircheri e societate Jesu mundi subterranei. Tomus 2. In fol. Amstel. Et se trouve à Paris chez Piget », Journal des savants, 26 juillet 1666, p. 347-352 (207-209).

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des livres proviennent de l’étranger. En ce qui concerne les ouvrages anglais, les trois quarts sont imprimés à Londres, le reste provient des imprimeurs d’Oxford. Dans les cinq dernières années de la direction d’Oldenburg (1673 à 1677), la part prise par les libraires londoniens est encore plus importante, puisqu’ils atteignent 91,7 % des ouvrages anglais présentés par les Transactions, ne laissant que 8,3 % à leurs confrères d’Oxford. On ne peut manquer de faire le parallèle avec le Journal des savants, pour lequel les livres français proviennent essentiellement des libraires parisiens. Entre 1665 et 1672, 71 % des ouvrages français présentés par les Transactions proviennent d’ailleurs des presses parisiennes, le reste provient presque exclusivement de Lyon. L’origine des livres italiens présentés par les Transactions est beaucoup moins marquée, avec principalement : Bologne, Florence, Padoue, Rome, Pise, Venise. Les imprimeurs de Bologne viennent tout de même en tête (près de 37 %), suivis des florentins (16 %) et des padouans (16 %). On peut remarquer que les échanges avec les grands centres du savoir au nord de l’Italie, Bologne, Florence ou Padoue, sont privilégiés par rapport à des villes comme Rome ou Naples. Ceci témoigne de courants d’échanges privilégiés. Sans doute, les relations suivies entre Oldenburg et le savant bolognais Malpighi ne sont-elles pas étrangères à la première place tenue par Bologne. Pour les Provinces-Unies, le nombre d’ouvrages très modeste, et beaucoup plus restreint que pour la France ou l’Italie, ne permet guère de voir se détacher un centre de production privilégié. Amsterdam arrive néanmoins en tête, mais suivie de près par La Haye, puis Rotterdam ou Leyde. Sans doute, l’Acte de navigation et les deux conflits entre l’Angleterre et les Provinces-Unies qui en résultèrent (1652/54 et 1665/67) ne favorisèrent-ils pas les échanges entre les deux pays. Au total, les livres proviennent essentiellement de grands centres de la librairie et du savoir européen, mais avec une orientation privilégiée vers la France et le nord de l’Italie. Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

Latin

72,3 %

73,3 %

57,4 %

64,5 %

Anglais

4,5 %

13,3 %

24,1 %

18,3 %

Français

9,1 %

13,3 %

13 %

10,8 %

Italien

13,6 %

0%

5,6 %

6,5 %

Tableau 27. Langues des livres en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1665 et 1672.

Comme dans le journal français, la majorité des livres d’astronomie, de mathématiques et de physique est en latin (tableau 27). Toutefois la proportion d’ouvrages en latin y est un peu plus forte (64,5 %) que dans la revue française (56,4 %). Ce qui peut sembler logique puisque la provenance étrangère des ouvrages y est aussi plus marquée (71,4 % des livres étrangers sont en latin). Cette importance des ouvrages étrangers se retrouve aussi dans la place tenue par le français et l’italien. Si l’anglais arrive bien en seconde place, comme le français en France, c’est néanmoins avec un pourcentage deux fois plus faible (18,3 % contre 34,2 % pour le français dans les livres extraits par le Journal). C’est en physique que la part des livres en anglais est la plus importante, soulignant encore ainsi l’intérêt suscité Outre-Manche par ce domaine. À l’intérieur de nos trois disciplines, les livres édités en Angleterre sont en latin pour 54 % et en anglais pour 46 %. En Angleterre, le recul du latin semble donc un peu moins marqué qu’en France (48 %). 94

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Année

Astronomie

Mathématiques

Physique

Nombre total

1665

44 %

0%

56 %

19

1666

39 %

3%

58 %

35

1667

40 %

5%

55 %

19

1668

14 %

29 %

57 %

21

1669

15 %

23 %

62 %

13

1670

44 %

6%

50 %

16

1671

59 %

14 %

27 %

22

1672

28 %

8%

64 %

25

Total

36,3 %

9,9 %

53,8 %

169

Tableau 28. Lettres & Mémoires en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1665 et 1672.

En ce qui concerne les lettres et les mémoires, l’importance de la physique se confirme puisqu’elle représente 53,8 % de l’ensemble de nos trois disciplines, entre 1665 et 1672 (tableau 28). En revanche, l’astronomie détrône les mathématiques à la seconde place, témoignant de l’intérêt suscité par les observations et les découvertes astronomiques. Toutefois, la place tenue ici par l’astronomie est surtout liée à la correspondance d’Oldenburg. Contrairement au Journal qui publie systématiquement les lettres et mémoires en français, sous la direction d’Oldenburg, les Transactions en présentent les trois-quarts en anglais et un quart en latin. Henry Oldenburg traduisait assez souvent, du latin en anglais, les lettres et les mémoires qu’il recevaient. Mais la publication d’articles en latin pouvait leur permettre d’avoir une audience internationale immédiate, sans le recours à un traducteur, la connaissance de l’anglais étant peu répandue à l’étranger. Dans les Transactions, entre 1665 et 1672, 65,1 % des lettres et mémoires de nos trois domaines scientifiques proviennent de la Grande-Bretagne et 34,9 % de l’étranger, ce qui n’est pas négligeable. Ces chiffres montrent une situation comparable à celle du Journal des savants, pour qui dans la même période et dans ces trois domaines, les lettres et mémoires qui proviennent de France représentent 63 % et ceux venant de l’étranger, 37 %. En outre, pour la revue anglaise, 19,5 % des lettres et mémoires viennent de France (soit 56 % des lettres et mémoires étrangers), alors que pour la revue française, 29 % des lettres et mémoires viennent d’Angleterre (soit 78 % des lettres et mémoires étrangers). Ceci met en évidence un échange important et privilégié entre les deux pays. Les deux rédacteurs, Oldenburg et l’abbé Galloys, correspondaient ensemble et s’échangeaient leur revue respective. Toutefois si, dans le Journal des savants, la majorité des articles d’Outre-Manche provient de reprises des Philosophical Transactions, dans les Transactions les reprises provenant du Journal sont tout à fait minoritaires (environ 10 % des articles), l’essentiel des articles d’auteurs français provient de la correspondance d’Henry Oldenburg. Comme la majorité des lettres et mémoires anglais ont pour auteurs des membres de la Royal Society (81 %), ces derniers sont donc auteurs de la moitié des lettres et mémoires qui paraissent dans les Transactions. Mais près de 35 % sont néanmoins écrits par des étrangers, les savants français y tenant la première place. Parmi eux, les membres de l’Académie royale des sciences sont majoritaires, Auzout est celui qui apparaît le plus dans les Transactions, suivi par Cassini, puis Huygens. 95

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Dans sa préface du 11 mars 1667, Henry Oldenburg évoque l’accroissement de sa correspondance et montre bien la dimension internationale qu’elle a prise. Il n’omet pas non plus de rappeler la dimension mondiale de la tâche qu’il s’est fixée à travers son périodique : D’abord, prendre connaissance du dernier accroissement de nos correspondances philosophiques dans les parties éloignées et les plus proches du monde ; au sujet desquelles nous sommes singulièrement les obligés de plusieurs citoyens généreux et intelligents de cette fameuse métropole d’Angleterre, particulièrement les éminents membres des compagnies de l’Inde orientale et de Turquie, en outre, ceux de la même ville, qui voyageant dans les Indes occidentales, ont été très prompts à recevoir (et à promettre de bons compte rendus) de telles instructions philosophiques, ainsi qu’elles leurs furent présentées, concernant beaucoup de particularités jugées dignes d’être davantage examinées, dans nos colonies américaines. À cela, nous devons ajouter ce que nous avons obtenu, pour nos desseins, par notre commerce avec l’Espagne, le Portugal, et la Barbarie ; aussi bien que par nos navigations jusqu’au Groenland et en Islande ; et aussi quelles occasions nous avons devant nous pour nouer des contacts avec l’Allemagne, la Bohème, la Hongrie, la Transylvanie, la Carinthie, le Tyrol, et avec toutes les principales villes d’Italie. Dans nos derniers articles apparaissait déjà, tout l’intérêt que nous avons déjà porté à la France et, par l’assistance de l’éminent Hevelius, à tous les pays de la Mer Baltique, ainsi qu’à la Pologne ; l’importance de cimenter l’esprit philosophique et de rassembler les ingéniosités, les observations, les expériences et les inventions, dispersées à travers le monde68.

7. Les cinq dernières années de la direction d’Oldenburg Article Livres Lettres & Mémoires

Astronomie 15 % 85 %

Mathématiques 67 % 33 %

Physique 34 % 66 %

Total 29,8 % 70,2 %

Tableau 29. Nature des articles en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1673 et 1677.

68. « First of all, to take notice of the late Enlargement of our Philosophical Correspondencies in both remote and neerer parts of the World ; concerning which we are singularly obliged to several of the Generous and Intelligent Citizens of this Famous Metropolis of England, especially the Eminent Governours of the East-India and Turky Companies, besides those of the same City, that travelling into the West-Indies, have been very ready to receive, (and to promise good Accounts upon) such Philosophical Instructions, as were presented to them concerning many particulars, thought worthy to be further inquired into, in our American Colonies. To which we shall add, what we have procured, for this our purpose, by our Commerce with Spain, Portugal, and Barbary ; as well as by our Navigations into Greenland and Iceland : and also what occasions we have before us, to enter into a consociation with Germany, Bohemia, Hungary, Transilvania, Carinthia, Tyroll, and with all the principal Cities of Italy : it appearing already by our former Papers, what interest we have, before now, establisht in France, and, by the assistance of the Eminent Hevelius, in all the Countries upon the Baltick Sea, and in Poland ; which is therefore related here, that we may thence take occasion to invite all Ingenious Men, and such as consider the importance of Cementing Philosophical Spirits, and of assembling together Ingenuities, Observations, Experiments and Inventions, scattered up and down in the World » (H. OLDENBURG, « A Preface To the Third Year of these Tracts », op. cit., p. 414).

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Dans les cinq dernières années de la rédaction par Oldenburg, en astronomie, mathématiques et physique, la proportion des lettres et mémoires augmente un peu en passant de 64,5 % à 70,2 %, au détriment des comptes rendus de livres qui passent de 35,5 % à 29,8 % (tableau 29). Mais ce changement, au demeurant très limité, n’est pas le reflet de l’évolution générale des Transactions. En effet, d’août 1672 à 1677, le second volume des abrégés fournit cent quarante-neuf comptes rendus d’ouvrages (42 %) pour deux cent sept lettres et mémoires (58 %). En outre, le nombre de comptes rendus d’ouvrages dans les abrégés est en général un peu inférieur au nombre réel dans les Transactions. Avec une part aussi importante accordée aux comptes rendus de livres, dans ces années 1670, les Transactions ont tendance à se rapprocher du Journal. Ainsi, dans nos trois disciplines, entre 1675 et 1676 (deux années sans grands problèmes pour les deux périodiques)69, les Transactions présentent dix-sept comptes rendus d’ouvrages et le Journal, dix-huit. En outre, l’un des arguments à l’appui de la thèse selon laquelle, dès leur naissance, les Transactions représentèrent le prototype du périodique scientifique tel qu’on le connaît aujourd’hui, est que les comptes rendus d’ouvrages n’étaient pas mélangés aux lettres et aux mémoires, mais placés séparément à la fin du numéro. En fait, dans les débuts de la revue les comptes rendus d’ouvrages étaient plus ou moins mélangés aux lettres et mémoires. Il faut attendre, dans le courant de l’année 1666, le numéro du mois de mars pour voir apparaître une séparation claire et nette entre les mémoires et les comptes rendus de livres, avec la mention « An Account of some Books ». Et encore cette séparation n’a-t-elle pas toujours été systématiquement respectée dans les années suivantes. L’absence de séparation entre les lettres et mémoires et les comptes rendus de livres, dans les premiers temps, témoigne de son absence dans le projet initial d’Oldenburg. Sans doute l’idée d’une telle distinction lui est-elle venue par la suite comme un moyen de faciliter la consultation du périodique par le lecteur, mais aussi peut-être en raison du nombre croissant de comptes rendus de livres. Quoi qu’il en soit, avec plus de quarante pour cent de comptes rendus d’ouvrages, les Transactions sont bien loin de l’image présentée par la plupart des auteurs, comme celle d’une revue présentant essentiellement des recherches en cours, en privilégiant les mémoires et en n’accordant qu’une place très secondaire aux comptes rendus de livres. À l’appui de cette thèse, David Kronick cite les travaux d’Eugene Barnes et de Philip George70. Selon l’étude d’Eugene Barnes, dans les années 1680-89, mille deux cents quarante-trois revues (ou comptes rendus de livres si l’on préfère) apparaissent dans le Journal des savants, mille trois cent trente-deux dans les Acta Eruditorum, et seulement quatre-vingt-douze dans les Philosophical Transactions et les Philosophical Collections71. Mais il faut souligner que la période choisie (1680-89) correspond à une décennie quelque peu agitée dans l’histoire des Philosophical Transactions, puisqu’elle correspond à l’arrêt du périodique en 1687, avec la Glorieuse Révolution, et à son remplacement entre 1679 et 1682 par les Philosophical Collections. Quoi qu’il en soit, les résultats obtenus pour cette décennie ne sauraient être étendus aux années précédentes, et même aux

69. Pour comparer les deux périodiques, le choix d’une période de fonctionnement normal est rendu difficile par les vicissitudes subies par l’un et par l’autre. Ainsi, l’année 1674 représente un passage à vide pour le Journal (rappelons qu’en 1673, le Journal ne parut pas), alors que l’année 1677 est incomplète pour les Transactions en raison de leur cessation de parution due au décès d’Oldenburg en septembre. 70. D. A. KRONICK, A History of Scientific & Technical Periodicals, op. cit., p. 79. 71. E. B. BARNES, The International Exchange of Knowledge in Western Europe, 1680-89, op. cit., p. 151.

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années suivantes. Quant à Philip George, ayant utilisé les abrégés des Transactions, il a trouvé mille huit cent quatre-vingt-dix-huit mémoires contre six cents comptes rendus de livres pour la période 1665 à 170072, et pour 1701 à 1749, quatre-vingtquatorze revues de livres contre deux mille cent soixante-dix mémoires73. Comme l’avait remarqué très justement Philip George, la très forte décroissance des comptes rendus de livres montre un changement de politique éditoriale de la part des dirigeants de la revue. Cependant, si ces derniers chiffres ont le mérite de montrer une évolution sur le long terme, ils ne mettent pas en évidence le moment et l’importance réelle de la rupture dans l’orientation des Transactions, provoquée avant tout par le décès d’Oldenburg en 1677, et les changements de directions qui s’en sont suivis. En effet, sur les six cents comptes rendus d’ouvrages recensés par Philip George entre 1665 et 1700, les deux tiers ont été publiés dans les Transactions des années 1665 à 1677, soit en un peu plus d’une douzaine d’années. Si les abrégés fournissent généralement de bonnes évaluations, analyser les Transactions originales permet d’établir des statistiques annuelles avec des valeurs précises. À cette fin, on a décompté la totalité des mémoires ou des articles constitués de lettres, et des comptes rendus de livres entre 1673 et 167774, à partir des sommaires de chaque numéro (tableau 30, voir les annexes pour les chiffres détaillés). Ces chiffres, qui ne concernent pas que nos trois disciplines, permettent d’avoir une vue d’ensemble sur les cinq dernières années de la rédaction d’Oldenburg (soit quatre ans et demi, 1677 étant une année incomplète). Année

Numéros

Nombres de pages

Lettres et Mémoires

Livres

1673

90-99

248

47

27

1674

100-109

240

34

30

1675

110-120

254

43

27

1676

121-130

284

40

39

1677

131-136

148

21

21

Total

90-136

1174

185

144

56 %

44 %

Pourcentages 1673-77 Tableau 30. Contenu des Transactions de 1673 à juin 1677.

Le pourcentage de comptes rendus de livres s’élève à 44 % et, sur les deux dernières années, le nombre de compte rendus de livres égale pratiquement celui des mémoires. Ces statistiques démontrent l’importance des comptes rendus d’ouvrages pendant

72. Philip George a utilisé les abrégés publiés par Lowthorp en 1705 (op. cit.). Ces derniers contiennent moins d’omissions de livres que les abrégés que nous avons utilisé (publiés par Hutton en 1809, op. cit.). et qui ne recensent qu’environ 500 ouvrages pour la même période, au lieu de 600. Toutefois, dans ses abrégés, Lowthorp prévient le lecteur qu’il a volontairement commis diverses omissions. D’une manière générale, les abrégés ne permettent d’obtenir que des chiffres approximatifs, pour avoir des donnés justes, il est généralement nécessaire de se reporter aux Philosophical Transactions, elles-mêmes. 73. P. GEORGE, « The Scientific Movement and the Development of Chemistry in England as Seen in the Papers Published in the Philosophical Transactions from 1664-5 until 1750 », Annals of Science 8 (1952), p. 302-322. 74. Naturellement, les préfaces et les dédicaces des volumes n’ont pas été comptées, puisqu’elles n’appartiennent à aucune des catégories.

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la direction du fondateur des Transactions. Même s’il y a un peu plus de mémoires, on est très loin d’une domination écrasante. Au fond, les deux types de publication s’équilibrent assez bien, conformément d’ailleurs aux objectifs qu’Oldenburg s’était fixés dès le premier numéro de la revue, de fournir aussi bien des travaux en cours ou récents que des travaux achevés et complets, avec une certaine ancienneté. Par la suite, ses successeurs n’auront plus les mêmes vues. Cependant, la relégation des comptes rendus d’ouvrages à la fin de chaque numéro confirme la volonté d’Oldenburg de réaliser un compagnon du Journal des savants, plutôt que son concurrent. Entre 1673 et 1676, chaque année comprend dix numéros, sauf l’année 1675 qui en compte onze. En dehors de 1674, qui ne comprend qu’un seul numéro pour les mois de janvier et février, de janvier à juillet un numéro paraissait chaque mois, souvent en fin de mois. Fin septembre, un seul numéro paraissait réunissant les mois d’août et septembre, puis un numéro mensuel pour octobre, novembre et enfin décembre. Toutefois en 1673, il n’y eut pas de numéro en septembre, le numéro d’octobre rassemblant trois mois. De même en 1676, il y eut un seul numéro pour octobre et novembre. En dehors de quelques planches d’illustrations hors texte assez rares, le plus souvent, ces numéros comprenaient vingt-quatre pages au format in quarto, parfois plus (généralement 32 pages, plus exceptionnellement 26, 36 ou 40 pages), parfois moins (généralement 20 pages, plus rarement 16 pages). Le type de caractère utilisé le plus couramment par l’imprimeur permettait de loger 38 à 40 lignes, d’une bonne cinquantaine de caractères chacune, par page, soit un peu plus de deux mille caractères par page. Toutefois, l’imprimeur utilisait également des caractères plus petits, en particulier pour les mémoires en latin et parfois les comptes rendus d’ouvrages. En fait, il lui arrivait assez fréquemment de passer d’un type de caractère à un autre à l’intérieur d’un même article et d’une même page, ce qui rend particulièrement difficile l’estimation de volumes de texte, nécessitant une multitude de décomptes. Année

Astronomie

Mathématiques

Physique

Nombre total de livres

1673

14 %

29 %

57 %

13

1674

33 %

33 %

33 %

9

1675

29 %

39 %

43 %

7

1676

20 %

30 %

50 %

10

1677

0%

0%

100 %

3

Total

20,9 %

27,9 %

51,2 %

42

Tableau 31. Livres en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1673 et 1677.

Entre 1673 et 1677, la physique domine toujours avec plus de la moitié des comptes rendus de livres (tableau 31). Les mathématiques conservent la seconde place et l’astronomie, la troisième. Il n’y a pratiquement pas de changement dans les proportions occupées par chacune de ces disciplines. La faiblesse du nombre de comptes rendus en 1677 peut s’expliquer par le fait que la parution du périodique se soit interrompue en cours d’année à cause du décès subit d’Oldenburg. Cette année ne représente que sept mois de parution. Dans la période 1673-1677, le retard des comptes rendus se réduit, les trois quarts correspondent à des ouvrages de l’année. Parmi les ouvrages de physique, se distinguent les nombreux ouvrages de Robert Boyle concer99

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nant en particulier ses travaux sur l’air. La place occupée par ses ouvrages souligne l’importance et l’influence de Robert Boyle dans la science anglaise de la seconde moitié du XVIIe siècle. Parmi les ouvrages de physique étrangers, on peut citer l’Horologium Oscillatorium de Christiaan Huygens, le traité de la percussion de Mariotte ou deux ouvrages du Père jésuite, Ignace Gaston Pardies. En astronomie, Robert Hooke tente de prouver le mouvement de la Terre à partir des observations75. Et il publie un ouvrage de controverse76 à l’encontre du Machina Caelestis de Johannes Hevelius77. À partir de 1674, les Transactions ne manquent pas de présenter l’Almanach Royal annuel de Stevenson78. Par rapport aux huit premières années de la revue, le pourcentage de livres provenant d’Angleterre augmente notablement en passant de moins de la moitié (40,9 %) aux deux tiers. Cette augmentation est particulièrement spectaculaire dans le domaine de l’astronomie où la proportion d’ouvrages anglais passe de 9,1 % à 88,9 % ; ce qui dénote un plus grand intérêt des savants anglais pour l’astronomie qu’auparavant. Mathématiques 66,7 %

Physique 59,1 %

Total 66,7 %

France

25 %

27,3 %

21,4 %

Danemark

8,3 %

4,5 %

4,8 %

4,5 %

2,4 %

Grande-Bretagne

Provinces-Unies

Astronomie 88,9 %

Saint-Empire 4,5 % Pologne 11,1 % Tableau 32. Provenance des livres en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1673 et 1677.

2,4 % 2,4 %

Globalement, on observe un repli très net des Transactions sur des ouvrages nationaux. L’Italie s’efface totalement. Il est à noter que dans les mêmes années, dans le Journal des savants, on observe un très net recul de l’Italie dans la provenance d’ouvrages de nos trois disciplines (4,5 % au lieu de 21,1 % auparavant), et particulièrement en astronomie (5 % au lieu de 27 %). En France, l’Italie se voit détrônée par les Provinces-Unies, la Grande-Bretagne et le Saint-Empire. Dans le cas de l’Italie, le recul de la position qu’elle occupait dans les ouvrages scientifiques est donc assez

75. « An Attempt to prove the Motion of the Earth from Observations, made by Robert Hooke Fellow of the R. Society. London, in 4°, printed for J. Martyn at the Bell in St. Pauls Church yard, 1674 », Philosophical Transactions, 25 mars 1674, n° 101, p. 12-13. 76. « Animadversions on the First part of the Machina Caelestis of the deservedly famous Astronomer Johannes Hevelius, &c. together with an Explication of some Instruments, made by Robert Hooke P. of Geom. in Gresh. Coll. and Fellow of the Royal Society. London, for John Martyn Printer to the R. Society, at the Bell in St. Pauls Church-Yard, 1674 », Philosophical Transactions, 14 décembre 1674, n° 109, p. 215-216. 77. « Johannis Hevelii Machinae Caelestis Pars prior, Organographiam Astronomicam plurimis Iconibus illustratam & exornatam exhibens, &c., Gedani, 1673, in fol. », Philosophical Transactions, 22 décembre 1673, n° 99, p. 6171-6172. 78. « The Royal Almanack, &c. by N. Stevenson, one of his Majesties Gunners. London, for 1675, in 12° », Philosophical Transactions, 23 novembre 1674, n° 108, p. 192. Ensuite, la revue rend compte, les années suivantes, des parutions annuelles successives.

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général. Mais en Angleterre, cet effacement de l’Italie n’est pas compensé par d’autres pays étrangers. Seule la France continue à conserver une position importante, identique à la période précédente, en fournissant désormais les deux tiers des ouvrages d’origine étrangère. La guerre contre la Hollande, au côté de la France, depuis 1672, et qui se termine par le traité de Nimègue en 1678, a-t-elle pu représenter un obstacle suffisant à l’approvisionnement en livres d’origine continentale, en désorganisant les échanges avec la plaque tournante que constituent les libraires hollandais, ou bien le rédacteur a-t-il souhaité une réorientation vers les ouvrages anglais ? Mais dans ce dernier cas, pourquoi aurait-il maintenu des échanges privilégiés avec la France ? On pourrait au moins s’attendre à une diminution de la part représentée par les ouvrages français, or ce n’est pas le cas. Le nombre important de livres français serait plutôt en faveur de la première hypothèse ou, tout du moins, en faveur de difficultés conjoncturelles dans l’approvisionnement en ouvrages issus d’autres pays européens que la France. Par ailleurs, l’augmentation de la part des ouvrages anglais est en contradiction avec l’augmentation de la provenance étrangère des lettres et des mémoires. Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

Latin

33,3 %

41,7 %

22,7 %

28,6 %

Anglais

66,7 %

41,7 %

54,5 %

54,8 %

16,7 %

22,7 %

16,7 %

Français

Tableau 33. Langues des livres en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1673 et 1677.

Comme en France, le latin recule au profit de la langue vernaculaire dans les ouvrages nationaux : dans nos trois disciplines, entre 1673 et 1677, 82 % des ouvrages imprimés en Angleterre sont en anglais contre 46 % auparavant. Pour l’Angleterre, comme pour la France, les années 1670 représentent donc un tournant décisif pour la langue utilisée dans les ouvrages scientifiques. Dans les deux pays, le latin est encore majoritaire dans nos ouvrages scientifiques des années 1660 (57,9 % en France et 54 % en Angleterre, pour la période 1665-1672), puis il devient minoritaire au tournant des années 1670, de manière assez brutale. La chute de la part représentée par les ouvrages étrangers accentue également le recul du latin dans les ouvrages présentés par les Transactions, d’autant que les ouvrages qui viennent de France sont souvent en français, d’où la troisième place tenu par ce dernier. Durant ces cinq années, la part prise par les lettres et mémoires en astronomie augmente notablement en passant de 36,3 % à 52 %. L’astronomie ravit la première place à la physique, la place tenue par les mathématiques reste insignifiante. Cette première place accordée à l’astronomie provient surtout des années 1676 et 1677. Elle est à mettre en parallèle avec la part de l’astronomie dans les lettres et mémoires de nos trois disciplines publiés par le Journal des savants qui atteint 62 % pour ces deux années (contre 43 % pour toute la période 1674-1686). La proportion de lettres et de mémoires étrangers atteint la moitié (50 %) dans les cinq dernières années de rédaction par Oldenburg, entre 1673 et 1677, au lieu de 34,9 % dans les premières années. Le développement de la correspondance d’Oldenburg, l’audience des Transactions dans la République des lettres, ont contribué à donner une dimension internationale à la revue, ainsi d’ailleurs que le souhaitait son créateur. L’importance de la part représentée par les travaux publiés par des membres de la Royal Society s’en 101

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est trouvée réduite d’autant. La majorité des lettres et des mémoires étrangers provient de France (29 %, soit 58 % des provenances étrangères). En France, Christiaan Huygens, mais surtout Jean-Dominique Cassini, sont les principaux pourvoyeurs d’Henry Oldenburg. L’abondante correspondance d’Henry Oldenburg avec l’astronome Johannes Hevelius donne à la Pologne la seconde place (12 %). Année 1673 1674 1675 1676 1677 Total

Astronomie 17 % 100 % 50 % 61 % 69 % 52 %

Mathématiques 26 % 0% 0% 0% 0% 6%

Physique 57 % 0% 50 % 39 % 31 % 42 %

Nombre total 22 6 22 36 13 99

Tableau 34. Lettres & Mémoires en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1673 et 1677.

Les qualités personnelles de Henry Oldenburg ont grandement contribué au succès de sa correspondance : sa connaissance des langues, ses liens avec l’Europe savante, sa grande ouverture d’esprit, son intérêt pour la science et les connaissances nouvelles, son doigté et sa diplomatie, sa conscience profonde de l’intérêt de la collaboration et des échanges entre savants. Mais, en outre, la correspondance d’Oldenburg acquit un caractère quasi public de part sa fonction de secrétaire de la Royal Society, qui lui procurait une autorité rehaussée par l’image idéalisée qu’il donnait de cette institution. Sous sa plume, elle apparaissait comme le lieu de regroupement et d’arbitrage du savoir européen, où les intérêts de la science semblaient passer devant ceux des savants particuliers. Surtout, à partir de 1665, les Philosophical Transactions fournirent une tribune publique à la correspondance de leur éditeur. Son activité épistolaire alimenta sa revue. Bientôt, des lettres lui furent adressées à dessein pour y être publiées, tandis que ses correspondants prenaient l’habitude de réagir à des problèmes qui y étaient abordés, de répondre à des questions qui s’y trouvaient posées. Le déclin de la revue et de la correspondance de la Royal Society à la mort d’Oldenburg montre à quel point sa personnalité en était l’atout majeur79. II. L’interruption et les difficultés de la reprise (1678-1679) À la mort d’Oldenburg, Nehemiah Grew lui succéda comme Secrétaire de la Royal Society jusqu’en 1679. À ce titre, il lui revenait de prendre en charge les Philosophical Transactions qu’il fit publier de février 1678 à février 1679, après une interruption de sept mois. Nehemiah Grew (1641-1712) était médecin et botaniste. Son père, le révérend Obadiah Grew, fut pasteur de la paroisse de St. Michael de Coventry. En tant qu’ecclésiastique parlementaire, ce dernier trouva refuge à Coventry en 1642. Comme son demi-frère, Henry Sampson, Nehemiah fit ses études à Pembroke Hall, à Cambridge,

79. Cf. A.-C. BERNÈS, « Correspondances », dans M. BLAY et R. HALLEUX (dir.), La science classique, XVIesiècle, Dictionnaire critique, op. cit., p. 36-43.

XVIIIe

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d’où il sortit diplômé en 1661. Après quelques années d’études universitaires à Leyde, ayant obtenu son grade de docteur, il revint à Londres. Il se dirigea vers l’étude de l’anatomie des végétaux dès 1664, considérant que les plantes, aussi bien que les animaux, « provinrent au commencement de la même Main, et furent par conséquent l’Œuvre de la même Sagesse », et en déduisant la probable analogie de leurs structures80. Encouragé dans cette étude par Henry Sampson, qui était de neuf ans son aîné, Grew mit en 1670 entre ses mains un essai sur le sujet. Celui-ci le communiqua à Henry Oldenburg, lequel à son tour le montra à l’évêque Wilkins, qui le lut devant la Royal Society. L’essai fut approuvé et envoyé pour être imprimé le 11 mai 1671. Proposé par Robert Hooke, Grew fut élu comme membre de la Royal Society le 2 novembre 1671. Bien qu’il fut le premier à utiliser le terme d’anatomie comparée comme titre de ses mémoires (1675) sur le tronc, sur l’estomac et l’intestin de divers Mammifères, Oiseaux et Poissons81, c’est bien par ses travaux sur l’anatomie des plantes que Grew devint vraiment célèbre. Il publia une synthèse de ses recherches dans son ouvrage The Anatomy of plants82. Examinant d’abord la morphologie interne des principaux organes végétaux, il en décrivit la structure cellulaire et fit ainsi connaître l’anatomie de la racine, de la tige, de la feuille, du fruit et de la graine. Ses planches, des gravures remarquables par ailleurs, montrent des coupes de racines et de tiges d’arbres83. En 1672-73, la Royal Society l’appointa comme Conservateur en anatomie des plantes, grâce à une souscription spéciale payée individuellement par les membres de la Société sur l’ordre de John Wilkins. Selon Michael Hunter, cette initiative pourrait être considérée comme l’une des tentatives pour relancer les travaux de la Compagnie, alors en difficulté, et remédier à son déclin : la chute dans l’assistance aux séances et le non-payement des cotisations allaient de pair avec une baisse de la qualité scientifique des séances de la Société, et le besoin de réforme se faisait sentir impérativement84. Grew élabora également un catalogue des articles du musée de la Société, intitulé Museum Regalis Societatis85. On lui doit aussi une Cosmologia Sacra, ou A Discourse of the Universe, as it is the Creature and Kingdom of God 86, qu’il rédigea dans le but de démontrer la vérité et la perfection de l’Écriture Sainte. Son raisonnement est particulièrement dirigé contre Spinoza, la nature de Dieu étant déduite a priori et a posteriori, de la nécessité de son existence et de ses œuvres. Comme dans l’ouvrage de John Ray, Wisdom of God in Creation, et d’autres

80. Cf. notice biographique de Nehemiah Grew dans le Dictionary of national biography, vol. XXIII, Londres 1890, p. 166-168. 81. R. TATON (dir.), op. cit., p. 363. 82. Nehemiah GREW, The Anatomy of plants, with an idea of a philosophical history of plants and several other lectures read before the Royal society, W. Rawlins, Londres 1682. Il avait déjà publié une partie de ses travaux en 1672, dans un livre intitulé The Anatomy of vegetable, begun, with a general account of vegetation founded -thereon, by Nehemiah grew, S. Hickman, Londres 1672, qui fut traduit en français dès 1675 par Le Vasseur et publié à Paris, et en 1675 dans The Comparative anatomy of trunks, together with an account of their vegetation grounded thereon,.., W. Kettilby, Londres 1675. 83. R. TATON (dir.), Histoire Générale des Sciences, t. II : La Science Moderne (de 1450 à 1800), op. cit., p. 400. 84. M. HUNTER, The Royal Society and its Fellows, 1660-1700, op. cit., p. 39. 85. N. GREW, Musaeum regalis societatis, or a Catalogue and description of the natural and artificial rarities belonging to the Royal Society and preserved at Gresham colledge, made by Nehemiah Grew,.. Whereunto is subjoyned the comparative anatomy of stomachs and guts, by the same author, the author, Londres 1681. 86. N. GREW, Cosmologia Sacra, or a Discourse of the universe as it is the creature and Kingdom of God, W. Rogers, S. Smith and B. Walford, Londres 1701, 372 p.

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ouvrages similaires, l’argument a posteriori commence par un emprunt notable à la science astronomique. Mais le sermon funèbre sur Grew nous assure « qu’il était non seulement au courant des théories des corps célestes, qu’il était versé en mécanique et en mathématiques, dans les proportions des lignes et des nombres, et la composition et le mélange des corps, en particulier du corps humain », mais aussi qu’il « connaissait bien le corps entier de la théologie »87 et qu’il avait étudié l’Hébreu avec plus de capacité que la plupart des théologiens, afin de lire la version originale des Écritures Saintes. Il mourut soudainement le 25 mars 1712, laissant au moins un fils et deux filles qu’il avait eu de son mariage avec Elizabeth Dodson. Prononcé par son patient, le Révérend John Shower, le sermon déjà mentionné nous présente Nehemiah Grew comme un homme grave et sérieux quoiqu’affable, juste, désintéressé et très charitable envers les pauvres, et toujours actif au moment de sa mort. Voilà qui dresse le portrait d’un savant, fils de pasteur, imprégné par une éducation religieuse puritaine et qui allie, à sa pratique de la science, une connaissance approfondie de la Bible et de la théologie. Numéros 137 138 139 140 141 142 Total

Date 10 Février 1678 25 Mars 1678 Avril, Mai, Juin 1678 Juillet et Août 1678 Sept., Oct. et Nov. 1678 Déc., Jan., Fév. 1678/79 1678 - février 1679 Pourcentages

Nombre de pages 22 24 20 16 20 40 142

Lettres & Mémoires 6 4 6 8 4 9 37 71 %

Livres 2 3 3 4 2 1 15 29 %

Tableau 35. Les Philosophical Transactions sous la direction de Nehemiah Grew (1678 à février 1679).

Depuis le n° 136 daté du 25 juin 1677, les Transactions avaient cessé d’être publiées. Lorsque Henry Oldenburg mourut soudainement le 6 septembre 1677, il avait déjà réuni la matière nécessaire à la publication de son prochain numéro des Transactions et, probablement, même un peu au-delà. Aussi, dans un premier temps, Nehemiah Grew utilisa les papiers collectés par Oldenburg, en les mettant en forme, pour reprendre la publication des Transactions à partir de son numéro 137 du 10 février 1678 (pour janvier et février 1678). Dans le même temps, il demanda aux correspondants de son prédécesseur de gratifier la Royal Society des suites de ce commerce épistolaire. Toutefois, la mine représentée par les matériaux accumulés par Oldenburg s’épuisa très vite. Après un second numéro daté du 25 mars 1678 (numéro 138), Grew ne publia qu’un seul numéro de vingt pages, sans date précise, pour les mois d’avril, mai et juin inclus (numéro 139), alors que ses deux premiers numéros comprenaient respectivement vingt-deux et vingt-quatre pages. Lorsqu’ arrivèrent les mois de juillet et août, Grew en fut réduit à présenter un numéro de seize pages dont toute une partie

87. « not only that he was ‘acquainted with the theories of the Heavenly Bodies, particularly of the Human Body’, but also that he was ‘well acquainted with the whole Body of Divinity’ » (Dictionary of national biography, op. cit., p. 167)

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était tirée du Journal des savants. Dans ce numéro 140, pour les mois de juillet et août 1678, à la rubrique des comptes rendus de livres, il précise que ceux-ci ont été extraits du Journal des savants (« An Account of some Books Extracted out of the Journal Des Sçavans ») et, à la fin du numéro, après le dernier compte rendu, il ajoute en note qu’il s’agit « du compte rendu entier donné par l’Auteur du Journal susdit » (« Note, that this is the whole account given by the Author of the aforesaid Journal »). Les quatre ouvrages ainsi présentés sont directement tirés du Journal des savants. En outre, deux des mémoires publiés dans ce numéro sont également tirés du Journal. Malgré tout, Grew avait pris la peine de traduire du latin en anglais le mémoire en tête du numéro qui lui avait été communiqué par le Docteur Henry Sampson et qui concernait des observations anatomiques sur le corps d’une femme décédée. Grew n’avait donné que quatre livraisons des Transactions jusqu’à l’été 1678, lorsque la parution s’arrêta de nouveau pendant trois mois. L’abbé de La Roque saisit l’occasion de cette nouvelle interruption, et du retour à la paix, pour lui adresser en octobre 1678 une lettre où il invoquait ses échanges amicaux avec Oldenburg, et offrait de suppléer à la cessation de la revue anglaise en accueillant les productions de la compagnie dans son Journal. À l’engagement d’indiquer scrupuleusement la source de ces informations et d’adresser à la société chaque Journal contenant ses travaux, il joignait l’offre généreuse de partager avec les Fellows, les fruits de ses relations parisiennes et de sa correspondance88. La Royal Society déclina cette proposition, montrant ainsi la même répugnance que le Cimento à confier ses travaux à un étranger à la compagnie, dont elle pouvait appréhender des indiscrétions et des publications abusives. Les infidélités d’une traduction, et la méconnaissance du français en Angleterre parmi les Fellows89, augmentaient les motifs de repousser cette offre. Les deux derniers numéros édités par Grew couvrent, pour le premier, les mois de septembre, octobre et novembre 1678 (numéro 141), et pour le second, les mois de décembre 1678, janvier et février 1679 (numéro 142). Ces deux numéros, qui couvrent six mois, ne présentent que trois ouvrages, tous anglais, et si l’on excepte trois mémoires communiqués par des étrangers (Cassini, Gallet et Leuwenhoeck), tous les autres, au nombre de onze, ont été écrits par des britanniques. Au total, sur quatorze mois, seulement six numéros auront été publiés, quand Oldenburg en faisait paraître dix, et parfois onze, en douze mois. Sachant que Grew a conservé le même imprimeur londonien qu’Oldenburg, John Martyn, et que celui-ci a conservé le même format in quarto et les mêmes jeux de caractères, la totalité des six numéros comptabilisent cent quarante-deux pages, soit un peu moins que les six numéros des six premiers mois de 1677, alors que, du temps d’Oldenburg, les dix ou onze numéros d’une année en comptaient en moyenne plus de deux cent cinquante. Entre 1673 et 1676, Oldenburg a publié une moyenne de quarante et un mémoires et trente et un comptes rendus d’ouvrages, par année. Comparativement, en plus d’une année, les six numéros publiés par Nehemiah Grew contiennent certes trente-sept mémoires, mais seulement quinze comptes rendus d’ouvrages, et avec un volume de texte deux fois moindre qu’en 1676 (284 pages), la dernière année complète sous la direction d’Oldenburg.

88. British Library, Sloane 1942, folio 6, lettre de Jean-Paul de La Roque aux Fellows de la Royal Society, 18 octobre [16]78 (citée par J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 251). 89. Cf. M. BOAS HALL, « Oldenburg and the art of scientific communication », The British Journal of the History of Science II, 4/8 (1965), p. 283.

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Article Livres

Astronomie 33 %

Mathématiques 0%

Physique 43 %

Total 38,5 %

Nombre total 5

Lettres & Mémoires

67 %

0%

57 %

61,5 %

8

Tableau 36. Nature des articles en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1678 et février 1679.

Sous la direction de Nehemiah Grew, dans nos trois disciplines, les comptes rendus de livres de même que les mémoires, sont deux fois moins nombreux par rapport aux nombres moyens dans une année, sous la direction d’Oldenburg : huit mémoires (ou lettres) au lieu d’une bonne vingtaine, cinq livres au lieu d’une dizaine. À titre de comparaison, dans les trois mêmes domaines scientifiques, et rien que pour 1678, le Journal des savants publie seize lettres et mémoires et dix comptes rendus d’ouvrages. Les cinq livres présentés dans les Transactions proviennent tous de Grande-Bretagne. Les trois ouvrages de physique sont écrits en anglais, les deux recueils d’astronomie en latin. Quatre d’entre eux sont écrits par des membres de la Royal Society : pour la physique, Joseph Moxon et Robert Hooke, pour l’astronomie, John Wallis et Edmund Halley. Les mathématiques sont absentes. Par contre, les lettres et mémoires proviennent tous de l’étranger, la majorité (6 sur 8) provient de France, deux d’Italie. Cette situation est la résultante à la fois de l’héritage laissé par Oldenburg et du choix du nouveau rédacteur de faire des emprunts au Journal des savants. L’héritage posthume d’Oldenburg se traduit non seulement par les documents qu’il a pu laissé en vue d’une publication, mais aussi par l’habitude prise par certains savants, tel Cassini, d’écrire au secrétaire de la Royal Society pour faire publier leurs découvertes dans les Transactions, et qui acceptent de poursuivre cette correspondance. Toutefois, globalement, le décès d’Oldenburg se fait vite durement ressentir par la réduction drastique du contenu des Transactions. Accaparé par ses propres travaux scientifiques, Nehemiah Grew ne pouvait pas consacrer aux Philosophical Transactions autant de temps que son prédécesseur. Il n’avait pas non plus développé un réseau de correspondants comme celui d’Oldenburg. Enfin ce qui était l’œuvre de sa vie, pour Oldenburg, s’imposa à Grew comme une charge dont il essaya de s’acquitter du mieux possible. Il tenta de faire survivre, tant bien que mal, le périodique que lui avait laissé son prédécesseur : en utilisant d’abord le travail de ce dernier, en faisant appel à l’aide de l’Abbé de La Roque et de son Journal, enfin en sollicitant les contributions des anciens correspondants d’Oldenburg, comme des membres de la Royal Society ou de leurs connaissances. Le résultat se traduisit par un net dépérissement du périodique, pourtant sans commune mesure avec le naufrage qui allait suivre. Après son dernier numéro de février 1679, Nehemiah Grew passa en effet la main à son collègue Robert Hooke, également secrétaire de la Royal Society. Ce dernier décida finalement de mettre un terme à l’existence des Philosophical Transactions, pour créer une nouvelle revue qui lui serait propre. Ainsi s’achevait, au bout de quatorze années d’existence, de mars 1665 à février 1679, la première phase de l’histoire des Philosophical Transactions. III. Les Philosophical Collections de Robert Hooke : 1679-1682 Robert Hooke naquit le 18 juillet 1635 à Freshwater, sur l’île de Wight. Son père, le Révérend John Hooke, était desservant de la paroisse. Bien que d’une constitution maladive, il était éveillé et vif d’esprit ; mais ses maux de tête contrariaient son étude 106

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et le projet de l’éduquer pour l’Église dut être abandonné. Laissé à lui-même, il chercha une diversion dans la construction de jouets mécaniques. Son père mourut en octobre 1648, lui laissant cent livres, avec lesquelles il alla à Londres. Doué pour la peinture, il devint l’élève de Sir Peter Lely, mais il dut abandonner assez rapidement cette voie, les peintures à l’huile étant nuisibles à sa santé. Il entra alors à l’École de Westminster et fut placé chez un tuteur, le docteur Busby, auprès duquel il acquit la connaissance des langues : le latin, le grec et des rudiments d’hébreu et d’autres langues orientales. On raconte qu’il stupéfia ses professeurs en maîtrisant les six livres d’Euclide en une semaine. Après 1653, il vint à Christ-Church, à Oxford, et devint membre de la société philosophique qui réunissait les érudits de l’université. Après avoir assisté Willis dans ses expériences chimiques, il devint l’assistant de Robert Boyle. En 1662, il fut chargé d’expériences à la Royal Society, dont il fut élu membre le 3 juin 1663. Puis, en 1664, il y fut nommé professeur de mécanique. En juin 1664, Sir John Cutler créa une dotation de cinquante livres par an pour des conférences en faveur de Hooke, laissant le nombre et les sujets des discours à la discrétion de la Royal Society. Son poste de curateur devint perpétuel le 11 janvier 1665, avec un salaire de trente livres et un appartement au Collège de Gresham, où il résida durant le reste de sa vie. Le 20 mars 1665 suivit sa nomination comme professeur de géométrie au Collège de Gresham. Les registres de la Royal Society témoignent de l’ardeur avec laquelle Hooke s’activait d’une recherche à l’autre, avec des résultats brillants, mais peu concluants. Parmi les problèmes qui retinrent son attention, on peut citer la nature de l’air, son rôle dans la respiration et la combustion, les poids spécifiques, les lois de la chute des corps, l’amélioration des attelages et des cloches à plongée, les méthodes de télégraphie et la relation entre les relevés barométriques et les changements de temps. Il mesura les vibrations d’un pendule de deux cents pieds de long fixé à la flèche de l’Église Saint Paul. Il inventa une machine pour couper les dents des roues de montre et fixa le zéro thermométrique au point de congélation de l’eau. Il vérifia également le nombre de vibrations correspondant aux notes de musique. En 1665 était publiée sa Micrographia, qui ouvrait des perspectives nouvelles sur l’infiniment petit grâce aux illustrations. Dans son ouvrage, consacré en particulier à des observations microscopiques, Hooke décrivait également des phénomènes d’interférences observés sur des lames minces et exposait sa théorie de la lumière90. Tandis que la peste faisait rage à Londres, Hooke fut employé comme aide par le docteur Wilkins et Sir William Petty, à Durdans, siège du Comté de Berkeley, près d’Epsom. Le 19 septembre 1667, il exposa son plan pour reconstruire Londres détruite par le grand incendie. Bien que son projet ne fut pas adopté, cela lui valut sa nomination comme expert de la ville. Dans cet emploi lucratif, il accumula quelques milliers de livres, que l’on trouva après sa mort dans un coffre de fer, resté fermé pendant trente ans. Parmi les bâtiments qu’il a conçu, on peut citer le nouvel Hôpital de Bethlehem, Montague House et le Collège des Médecins. Il traça également les plans de l’Hôpital d’Alderman Aske à Hoxton, en 1691. Les observations astronomiques de Hooke montrent à la fois sa perspicacité, son originalité, mais aussi toute son inconséquence. Il fut le premier à déduire du mou-

90. Sur la Micrographia de Robert Hooke, voir P. HAMOU, La mutation du visible. Essai sur la portée épistémologique des instruments d’optique au XVIIe siècle, vol. 2, Microscopes et télescopes en Angleterre, de Bacon à Hooke, op. cit., p. 119-154.

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vement de la tache de Jupiter sa rotation, mais laissa à Cassini le soin de déterminer sa période. Ses dessins de Mars servirent à déterminer la vitesse exacte de rotation de la planète, plus de deux cents ans après. La cinquième étoile dans le trapèze d’Orion, redécouverte par Struve en 1826, avait été notée par lui le 7 septembre 1664. Ses observations de la comète de 1664 furent communiquées à la Royal Society le 1er aout 1666. En 1669, il tenta pour la première fois la détermination télescopique de la parallaxe d’une étoile fixe, ne parvenant qu’à un résultat illusoire qui mena néanmoins à la découverte ultérieure de l’aberration de Bradley. Ses expériences formèrent le sujet de ses conférences des années 1670, les Cutlerian Lectures, publiées en 1679 sous le titre de Lecturae Cutlerianae. La première d’entre elles, An Attempt to Prove the Motion of the Earth by Observations, avait du reste été publiée en 1674. En dehors de celle-ci, les autres petits traités de la série furent ses Animadversions on the first part of the Machina Coelestis Of… Hevelius (1674), sa Description of Helioscopes, And some other Instruments (1676), ses Lampas : or, Descriptions of Some Mechanical Improvements of Lamps & Waterpoises (1677), ses Lectures and Collections, incluant sa Cometa (1678), et ses Lectures De Potentia Restitutiva (1678). À dire vrai, la publication par lui-même de ses conférences faisait partie de la campagne menée par Hooke pour essayer de persuader Cutler de payer ses arrérages, en lui montrant qu’il avait bien donné des conférences suivant ses obligations. Mais contrairement à ce que l’on a longtemps cru, ces problèmes ne furent pas causés entièrement par Cutler, les parties lésées, Hooke et la Royal Society, n’étant pas aussi innocentes qu’elles paraissaient. Certes, Cutler représentait un curieux mélange de philanthropie et d’avarice. Mais Cutler avait en partie raison de soupçonner Hooke de ne pas remplir entièrement son contrat en ne faisant pas des conférences aussi souvent que l’exigait sa dotation. En outre, en dehors de ses Lecturae Cutlerianae des années 1670 et malgré les meilleures intentions, Hooke ne s’engagea jamais à nouveau dans un programme de publication de son travail. Il est ironique que Hooke ait accompli un tel exploit dans le seul but de la poursuite d’arrérages, et encore plus qu’il n’ait pas eu vraiment besoin de cet argent qui vint simplement gonfler l’accumulation immense de capital qu’il laissa à sa mort. Dans ce litige, la ténacité dont fit preuve Hooke – peut-être un symptôme de son caractère hargneux pour lequel il était notoirement connu – fut sans doute un élément déterminant dans le résultat favorable final de son procès contre John Cutler91. Durant sa vie, en raison de son tempérament, Hooke accumula les querelles avec des savants et des personnages éminents. Peut-être inconscient du fait que Grimaldi l’avait devancé, il décrivit le phénomène de la diffraction de la lumière dans deux mémoires en 1672 et 1675. Il était membre du comité de la Royal Society, auquel fut soumise la communication de Newton sur les différentes réfrangibilités de la lumière en janvier 1672. Le 15 février, il lui fit connaître les raisons de son objection. Newton lui fit une réponse développée, mais son discours sur la couleur des 9 et 16 décembre 1675 se heurta à la déclaration de Hooke, pour qui « l’essentiel en était contenu dans sa Micrographia »92. Newton défendit son originalité mais, dans une lettre privée et conciliante, Hooke évoque une réponse lui reconnaissant une dette importante.

91. Cf. M. HUNTER, Establishing the new science…, op. cit., p. 279-338 (chapitre 9 : « Science, technology and patronage : Robert Hooke and the Cutlerian Lectureship »). 92. « The main of it was contained in the ‘Micrographia’ », Thomas BIRCH, The history of the Royal Society of London, vol. 3, Londres 1756-57, p. 269.

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Dans une controverse simultanée avec Hevelius, Hooke porta préjudice à une bonne cause, par un manque de savoir-vivre. Hevelius ayant ignoré sa recommandation des lunettes télescopiques, il consacra plusieurs de ses Cutlerian lectures à des commentaires hostiles à l’égard de ce « curieux livre pompeux », la Machina Cœlestis. Si l’on en croit le Dictionary of national biography, il semble que Hooke ait eu la priorité dans l’application du ressort en spirale pour la régulation du balancier des montres ; mais ici aussi son caractère irascible lui aurait porté préjudice. L’invention, qui serait survenue vers 1658, était destinée à résoudre le problème des longitudes. Boyle et Brouncker se seraient efforcés de la faire garantir par un brevet, mais il aurait refusé leurs conditions et caché ce perfectionnement jusqu’à ce que Huygens le redécouvre en 1675. Sa querelle avec Oldenburg sur ce sujet culmina lorsqu’il l’accusa d’être un « trafiquant de nouvelles »93, une insulte que la Royal Society l’obligea à retirer. On peut d’ailleurs se demander si sa volonté d’en finir avec les Transactions ne serait pas due à une rancune tenace envers leur créateur, une revanche ou un règlement de compte posthume en quelque sorte. Hooke pressentit avant Newton la doctrine de la gravitation universelle, mais le génie mathématique lui manquait pour la décrire. L’attraction mutuelle des corps célestes n’avait plus de secret pour lui et il prédit en 1670 que « la compréhension réelle de ce principe représenterait la vraie perfection de l’astronomie » (An Attempt to prove the Motion of the Earth, p. 28). Mais sa promesse d’« exposer un système du monde répondant en toutes choses aux règles communes des mouvements mécaniques » resta lettre morte. Néanmoins, il énonça la loi des carrés inverses dans sa Cometa (1678). L’une de ses lettres en 1679, contenant une conjecture perspicace relative à la trajectoire des projectiles, conduisit Newton à reprendre ses idées antérieures concernant la Lune. Hooke protesta contre la présentation des Principia à la Royal Society, il prétendit que la découverte de la force et de l’action de la gravité était la sienne. Il évoqua le scholium de la quatrième proposition du premier livre, admettant son anticipation dans la loi des carrés inverses. Mais l’irritation de Newton conduisit ce dernier à la faire disparaître de son Optics après la mort de Hooke. Son biographe, Waller, le décrit comme contrefait de sa personne et négligé, d’un aspect « méprisable, étant courbé et de petite taille, et de plus en plus déformé au fur et à mesure qu’il vieillissait. Si dans les derniers temps, pour ainsi dire, il n’avait plus que la peau et les os, il fut néanmoins toujours très pâle et maigre, avec un aspect décharné. Ses grands yeux gris lançaient un regard perçant, malin quand il était plus jeune. Ses cheveux d’un brun foncé, ternes et non coupés, étaient très longs et retombaient négligemment sur son visage. Il ne les coupa qu’environ trois ans avant sa mort pour porter une perruque. Il marchait courbé et très vite, n’ayant qu’un corps léger à porter. Il fit preuve de beaucoup d’esprit et d’activité, surtout dans sa jeunesse. Il manifesta une activité débordante et un esprit infatigable, presque jusqu’à la fin, et il dormit toujours très peu jusqu’à sa mort, continuant le plus souvent ses études toute la nuit, et se contentant d’un petit somme dans la journée. Son tempérament était mélancolique, méfiant et jaloux, caractères qui s’accrurent notablement avec les

93. L’expression anglaise exacte était « a trafficker in intelligence ». Le terme anglais « intelligence » est ici ambigu, car il pourrait se traduire tout simplement par intelligence, son premier sens, ou bien par son deuxième sens, renseignements (ou nouvelles, ou informations de dernières minutes). Ce dernier sens paraît peut-être plus adapté à la fonction de rédacteur d’Oldenburg (mais le premier sens serait tout aussi insultant).

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années »94. Selon Waller, il mena « une vie studieuse, presque monastique », mais son esprit fut affecté par les infirmités congénitales de son corps et de son tempérament. Tranché en sa faveur en 1696, son procès en Chancellerie avec John Cutler à propos de son salaire aggrava sa mauvaise santé. La mort, en 1687, de sa nièce et gouvernante, Grace Hooke, affecta de manière permanente son humeur, et il souffrit de maux de tête et de vertiges. Il mourut au Collège de Gresham le 3 mars 1703, à l’âge de soixante-sept ans. Ainsi que le souligne Richard Waller : sa « remarquable sagacité pour percer les secrets les plus cachés de la nature » fut en grande partie neutralisée par le manque de méthode de ses recherches. Mais son pouvoir à amener des découvertes fut extraordinaire, et il fut le plus grand mécanicien de son temps. Il prétendait avoir fait « un siècle de découvertes ». Après sa mort, ses papiers furent placés entre les mains de Richard Waller, membre de la Royal Society, qui en tira, en 1705, un volume de travaux posthumes (Posthumus Works). En publiant ses Philosophical Collections, Robert Hooke avait-il vraiment l’intention de faire quelque chose de nouveau par rapport aux Philosophical Transactions ou désirait-il simplement les poursuivre en y mettant sa marque personnelle et en effaçant le souvenir de leur créateur, Henry Oldenburg ? La préférence de Hooke pour le titre de Philosophical Collections marquait une distance à l’égard de ses confrères et de l’œuvre d’Oldenburg. Son long sous-titre95 est plus précis que celui des Transactions : il s’agit de rendre compte des expériences, des observations et des livres concernant les mathématiques et la philosophie naturelle au sens large (sciences physiques comme sciences de la vie). Cependant, comme pour les Transactions, le sous-titre ne doit pas faire illusion : il faut examiner également le contenu, plus explicite, de l’introduction de Hooke aux Philosophical Collections, dans leur premier numéro (voir texte en encadré), qui ne montre pas de buts très différents de ceux exprimés par Oldenburg en 1665. La revue reste le moyen d’améliorer la connaissance de la nature et de promouvoir les avancées dans la science et les arts, en facilitant la communication entre les savants. La personnalité de Hooke, portée vers la méfiance et la jalousie, comme sa brouille avec Oldenburg et avec d’autres d’ailleurs, pourraient suffire à expliquer sa volonté de rupture apparente avec les Transactions. Robert Hooke acceptait de prendre en charge les Transactions, mais à condition d’en faire “sa” revue, même si ses intentions n’étaient pas très différentes de celles de ses prédécesseurs. Cependant, la distance allait se révéler démesurée entre le dessein louable affiché par Hooke, apparemment similaire à celui d’Oldenburg, et le résultat obtenu à travers son périodique, que ce soit en comparaison des Transactions passées ou du Journal des savants.

94. « In person but despicable, being crooked and low of stature, and as he grew older more and more deformed. He was always very pale and lean, and latterly nothing but skin and bone, with a meagre aspect, his eyes grey and full, with a sharp, ingenious look whilst younger. He wore his own hair of a dark brown colour, very long, and hanging neglected over his face uncut and lank, which about three years before his death he cut off, and wore a periwig. He went stooping and very fast, having but a light body to carry, and a great deal of spirits and activity, especially in his youth. He was of an active, restless, indefatigable genius, even almost to the last, and always slept little to his death, oftenest continuing his studies all night, and taking a short nap in the day. His temper was melancholy, mistrustful, and jealous, which more increased upon him with his years » (extrait cité par le Dictionary of national biography, op. cit., p. 286). 95. « Philosophical collections, containing an account of such physical, anatomical, chymical, mechanical, astronomical, optical, or other mathematical and philosophical experiments and observations as have lately come to the publishers’ hands, as also an account of some books of this kind lately published ».

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Numéros

Date

Nombre de pages

Lettres & Mémoires

Livres

1

1679

40

8

3

2

1680

42

11

3

3

10 Décembre 1681

40

9

2

4

10 Janvier 1682

40

5

4

5

Février 1682

40

10

0

6

Mars 1682

24

5

0

7

Avril 1682

24

3

2

Total

1679-1682

250

51

14

78,5 %

21,5 %

Pourcentages Tableau 37. Les Philosophical Collections, de 1679 à 1682.

L’ensemble des Philosophical Collections96 se compose de sept numéros (voir le tableau 37). De 1679 à 1681, Hooke ne publia qu’un numéro d’une quarantaine de pages pour chaque année. Les deux premiers numéros ne comportent pas de date précise, le troisième est daté du 10 décembre 1681. Si l’année 1679 se réduit à huit mémoires et trois comptes rendus de livres, les deux années suivantes ne valent pas mieux. Alors que dans une année moyenne, Oldenburg publiait dans ses Transactions quarante et un mémoires et trente et un comptes rendus de livres, les Philosophical Collections “annuelles” de Hooke équivalent seulement à un ou deux mois des Philosophical Transactions (par exemple, le numéro 117 des Transactions du 26 septembre 1675 comprenait huit mémoires et trois comptes rendus de livres, sur quarante pages). À la même époque, dans les années 1682-1683, le Journal des savants présente quarante-trois comptes rendus de livres par an dans le domaine des sciences et arts97, sachant que la majorité de ses mémoires et lettres appartiennent au domaine scientifique. Même par rapport aux Transactions de Nehemiah Grew, déjà très réduites, les Collections de Robert Hooke paraissent insignifiantes. Autant dire que les Collections font figure de périodique moribond. L’astronome John Flamsteed en faisait peu de cas : « Les nôtres [Transactions] sont très stériles depuis la perte de M. Oldenburg et sa vaste correspondance »98. En définitive, en quatre ans, seuls les quatre premiers mois de 1682 voient la parution régulière d’un numéro mensuel des Collections, avec un total de vingt-trois mémoires et six comptes rendus de livres. Après le dernier numéro d’avril 1682, le périodique cessa définitivement de paraître, laissant une lacune de huit mois avant la renaissance des Transactions en janvier 1683.

96. Philosophical Collections, containing an account of such physical, anatomical, chymical, mechanical, astronomical, optical, or other mathematical and philosophical experiments and observations as have lately come to the publishers’ hands, as also an account of some books of this kind lately published, Éd. R. Hooke, John Martyn, Londres 1679-1682 (no. 1-7, divers imprimeurs ; n° 2, M. Pitt, Londres ; n° 3-7, R. Chiswell, Londres). 97. Cf. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 71 (annexes). 98. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., note 604, p. 251.

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Introduction aux Philosophical Collections de Robert Hooke (n° 1, p. 2, 1679) L’esprit de l’homme est naturellement désireux de nouveauté. Ce qui le satisfait est plaisant si c’est innocent, bon et utile. Ce qui sera dans le futur publié dans ces Collections, sera, autant que possible, de cette nature. On ne s’attend pas à ce que tous soient satisfaits, parce que l’intérêt ou le préjugé peuvent d’une manière ou d’une autre affecter certains hommes ; mais si la juste raison prévaut, on espère que la plupart n’en seront pas offensés. Nous visons à la découverte de vérités utiles sur la nature et les arts et tout ce qui en résultera sera publié peu après. Ces Collections pourront informer tout le monde et en inciter certains à poursuivre et à perfectionner ce qu’ils trouvent ici sous forme d’embryon, de premières pensées ou d’essais. Certains ne sont bons qu’à suggérer de nouvelles idées d’inventions. D’autres savent promouvoir rapidement ces inventions et les réduire à leur emploi. Les uns et les autres, on l’espère, seront satisfaits d’avoir atteint leurs fins, Scientia Aucta. L’Europe tient son bonheur de ces connaissances. Quant au reste du monde, leur absence provoque cruautés et barbarie. Aussi espérons-nous de ceux qui souhaitent le succès de ce dessein qu’ils y contribueront par une franche communication des nouvelles découvertes utiles qui leur parviennent. Ils peuvent être sûrs qu’ils leur sera fait droit et, s’ils le désirent, ils pourront être remerciés par d’autres retours appropriés de l’éditeur. The mind of man is naturally desirous of Novelty. What gratifies it, is pleasant ; if innocent, good and useful. What shall for the Future be published in these Collections shall, as near as possible, be of this Nature. It is not expected all will be pleased, because Interest or Prejudice may otherwise affect some men ; but if right reason prevail, it is hoped the greatest part will not be offended. The Discovery of useful Truths in Nature and Arts is aimed at. And what of that kind occurs shall soon after be Published. It may inform all, and excite some to prosecute and perfect what they find here in Embrio, first thoughts or tryals. Some are only good at Hints and the first conceptions of Inventions ; others at the diligent promoting and reducing to Practice : Both it is hoped will be gratified to have the End attained, Scientia Aucta. To this Europe owes its Felicities ; And to the want of it a great part of the rest of the World, its Cruelties and Barbarisms : Such therefore as wish well to this Design, will it is hoped help to promote it by a candid Communication of what useful new Discoveries occur to them. These may be sure right shall be done them, and, if desired, they may be gratified with other suitable returns from the Publisher.

Sans doute nés des carences des Philosophical Collections, les Weekly Memorials for the Ingenious s’inspirèrent très nettement du Journal des savants. Ses auteurs, les libraires Henry Faithorne et John Kersey, cherchèrent l’approbation de la Royal Society. Ils présentèrent chaque semaine, de 1682 à janvier 1683, sur huit pages inquarto, des extraits de revues étrangères et de livres. Les premiers, repris surtout du Journal des savants et des Acta Eruditorum, prédominèrent au début de 1682, et les seconds l’emportèrent à la fin de l’année. Les Weekly Memorials ne survécurent pas à la reprise des Philosophical Transactions, en 1683, à l’instigation de la Royal Society99.

99. Ibid., p. 251-252.

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Article Livres Lettres & Mémoires

Astronomie 31 %

Mathématiques 0%

Physique 33 %

Total 24,1 %

Nombre total 7

69 %

100 %

67 %

75,9 %

22

Tableau 38. Nature des articles en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Collections entre 1679 et 1682.

En astronomie, mathématiques et physique, le rapport entre livres et mémoires (ou lettres) n’est pas très différent du contenu global des Collections puisque les lettres et mémoires constituent plus des trois quarts des articles. Il est à noter que ces trois disciplines représentent près de la moitié du contenu des Collections, 43 % des lettres et mémoires, 50 % des comptes rendus d’ouvrages, alors que dans les cinq dernières années d’Oldenburg, elle représentaient 53,5 % des lettres et mémoires, mais seulement 29 % des comptes rendus de livres, beaucoup plus nombreux à l’époque. En quatre ans, de 1679 à 1682, dans nos trois domaines scientifiques, Robert Hooke a publié seulement vingt-deux lettres et mémoires, et sept comptes rendus d’ouvrages, quand l’abbé de la Roque publiait dans son Journal, trente-cinq lettres et mémoires, et cinquante et un comptes rendus de livres, dans les mêmes domaines. Ces chiffres mettent encore une fois en valeur les carences de Hooke dans la publication de son périodique. Sur les sept livres présentés par Hooke, cinq appartiennent à l’astronomie et deux à la physique. À l’exception de ces deux derniers ouvrages, anglais, les cinq ouvrages d’astronomie proviennent tous de l’étranger (deux d’entre eux viennent de France, un d’Italie, un du Saint-Empire et un de Suisse). Si l’on excepte l’un des ouvrages de physique en latin, tous les livres sont dans la langue vernaculaire de leur pays d’origine. Malgré le peu d’ouvrages extraits, l’un des deux seuls ouvrages de physique présentés correspond tout de même au fameux Telluris Theoria Sacra de Thomas Burnet100 qui offre une théorie de l’évolution de la Terre en liaison avec les événements relatés dans la Genèse. Tous les ouvrages d’astronomie sont des traités portant sur les comètes et dont les comptes rendus paraissent dans deux des numéros de 1682. Ils sont à mettre en relation avec la comète de 1681, qui représente un événement important dans l’histoire de l’astronomie, et avec l’intérêt de Robert Hooke pour ce phénomène. Les trois ouvrages présentés dans le numéro quatre du 10 janvier 1682 sont respectivement du Père jésuite de Fontaney101, du chanoine Donato Rosseti102

100. « Telluris Theoria Sacra, Authore T. Burnetio, Londini, 1681. Quarto, Prostant apud Gualt. Kettleby », Philosophical Collections du 10 décembre 1681, n° 3, p. 75-76. 101. « Observations of the Comet of 1680 and 1681, made at the Colledge of Clermont, by P. J. de Fontaney, è S. J., professor of Mathematicks, printed at Paris 1681 », Philosophical Collections du 10 janvier 1682, n° 4, p. 106-113. 102. « An Account of a Treatise concerning the late Comet, Published at Turin 1681, by Donato Rosseti S.T.D. Canon of Legorn, and now Reader of Philosophy in the University of Pisa, and Tutor in Mathematicks to the Duke of Savoy ; taken from the 18 Journal de Scavans, of the last year », Philosophical Collections du 10 janvier 1682, n° 4, p. 114-115.

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et du Père Anthelme, chartreux de Dijon103. Ce sont tous des ouvrages dont les comptes rendus sont repris du Journal des savants de l’année précédente104. Astronomie

Mathématiques

Physique

Nombre total

50 %

32 %

18 %

22

Tableau 39. Lettres & Mémoires en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Collections entre 1679 et 1682.

Les lettres et mémoires publiés par Hooke donnent également la préférence à l’astronomie par rapport aux mathématiques et à la physique. Près de la moitié des lettres et mémoires proviennent de l’étranger (47,6 %). Les mémoires anglais sont écrits uniquement par des membres de la Royal Society. La moitié des mémoires d’origine étrangère provient de France. Certains sont directement repris du Journal des savants, tels celui du sieur Besnier et de sa machine volante105 ou les observations de Cassini106. Cumulant les postes de conférencier, de curateur des expériences, de secrétaire, de membre du Conseil de la compagnie, Hooke avait pris trop d’engagements auprès de la Royal Society pour pouvoir les tenir. Il était incapable d’accomplir toutes les obligations auxquelles il avait souscrit. Le résultat se traduisit par des plaintes relatives à ses performances dans ses tâches de secrétariat qui aboutirent à son remplacement le 25 novembre 1682 par Robert Plot comme secrétaire. Il ne fut pas non plus réélu au Conseil l’année suivante pour la première fois depuis 1677. L’année suivante, la persistance de l’animosité entre Hooke et la Royal Society était rendue encore plus évidente par sa protestation de ne pouvoir être autorisé à montrer des expériences qu’il avait conçues durant les réunions de la Société.

103. « An Explication of the Comet which appeared at the end of 1680 and in the beginning of 1681, with a Table which shews when it began to appear, and when it should cease of disappear, together with the dayly motion of it, as to Longitude and Latitude. Printed at Dijon January the 8, 1681, upon the Observations of Dr. Anthelme Carthusian of Dijon », Philosophical Collections du 10 janvier 1682, n° 4, p. 116-117. 104. « Observation sur la Comète de l’année 1680 & 1681, faite au Collège de Clermont, par le P. J. de Fontaney Professeur des mathématiques. Paris, 1681 », Journal des savants, 21 juillet 1681, p. 325-327 (154155). « Cometa di Donato Rossetti Canonico di Livorno Dottore in S.T. già Lettore di filosophia nell’Università di Pisa, e or Maestro delle Mathematiche di S.A.R. Turin, 1681 », Journal des savants, 30 juin 1681, p. 299302 (136-138). « Explication de la Comète qui a paru sur la fin de l’année dernière & au commencement de celle-ci 1681, avec une Table qui marque le jour qu’elle a commencé à paroitre & le jour qu’elle finira,la somme de ses mouvemens,sa Longitude & sa Latitude, &c. Dijon », Journal des savants, 24 février 1681, p. 49-52 (33-34). 105. « An Account of the Sieur Besnier’s way of Flying », Philosophical Collections, n° 1, p. 14-18. « Extrait d’une lettre écrite à M. Toynard sur une machine d’une nouvelle invention pour voler en l’air », Journal des savants, 12 décembre 1678, p. 426-428 (235-236). 106. « The Observation of the Eclipse of Jupiter and its Satellites by the Moon the 5 of June 1679, st. no. taken out of a Letter written by Mr. Cassini to the Author of the Journal des Scavans », Philosophical Collections, n° 1, p. 33-37. « Observation de l’Eclipse de Jupiter et de ses satellites par la Lune le cinquième de May 1679, tirée d’une lettre écrite par M. Cassini à l’Auteur du journal », Journal des savants, 10 juillet 1679, p. 191-192 (105-106). Robert Hooke a commis une erreur sur le mois en remplaçant mai par juin.

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IV. La renaissance des Transactions et leur nouvelle interruption (1683-1687) Issu d’une famille de notables, Robert Plot est né le 13 décembre 1640 à SuttonBarn (Borden), dans le Kent. Il commença son éducation à l’école privée de Wye, dans le même comté. En 1658, il vint poursuivre ses études au Magdalen Hall d’Oxford. Il y obtint le grade de Bachelier ès Arts en 1661, celui de Maître ès Arts en 1664 et ses deux grades en droit en 1671107. Érudit distingué, et particulièrement intéressé par l’histoire naturelle et les antiquités, il fut élu membre de la Royal Society le 6 décembre 1677. Entre 1682 et 1684, il fut l’un de ses secrétaires et fut membre de son conseil plusieurs fois (1680, 1682-83, 1687-88, 1692 et 1694). Il faisait partie des membres ne résidant pas à Londres, mais à Oxford. Ayant la réputation d’être un bon vivant et un homme d’esprit, il fut en relation avec la plupart des érudits de son temps et il se lia d’amitié avec Samuel Pepys et John Evelyn. À partir des années 1680, Robert Plot accumula charges et titres : en 1683, Elias Ashmole le nomma comme premier conservateur de son musée d’Oxford, inauguré par le duc et la duchesse d’York ; dans le même temps, il fut nommé par le vice-chancelier premier professeur de chimie à l’université, enfin, en 1688, il reçut le titre d’historiographe du roi Jacques II. Catholique comme lui, protégé par les différents favoris de Jacques II, Plot fraternisa avec le roi lorsque Oxford l’accueillit en septembre 1687. Michael Hunter indique que Plot s’est même plié aux tendances absolutistes du roi sur le plan de la recherche scientifique en travaillant sur un projet utopique, sensé fournir, par des transmutations alchimiques, un approvisionnement inépuisable en or qui aurait rendu les Parlements à jamais inutiles. Bien sûr, tous ne sont pas allés aussi loin et la plupart des scientifiques, comme d’autres dans le pays, ont éprouvé de la répulsion pour les outrances de la politique religieuse de Jacques II vers la fin de son règne. Mais cette juxtaposition de la science et de l’évolution vers l’absolutisme est saisissante108. Cet exemple témoigne aussi de l’intervention accrue du gouvernement dans la science, durant les années 1680. Après la Glorieuse Révolution de 1688-1689, Plot démissionna de son poste de professeur de chimie et il laissa sa place de conservateur du musée Ashmole à Edward Lhwyd, en 1691. Ce musée présentait une importante collection de curiosités naturelles qu’il décrivit dans ses Histoires Naturelles des Comtés d’Oxford (1677) et de Stafford (1686)109. Ces deux ouvrages fondamentaux rassemblent ses principaux travaux d’histoire naturelle. Vers 1695, Plot se retira à Sutton Barne où il mourut le 30 avril 1696. Il laissa plusieurs manuscrits, dont beaucoup concernant l’histoire naturelle du Kent, du Middlesex et de la ville de Londres. Il n’est pas banal de voir les Philosophical Transactions renaître entre les mains d’un anglais catholique, chimiste, naturaliste et historien de surcroît, mais aussi homme de cour dans les faveurs de la monarchie. Dans sa préface de 1683, Robert Plot réaffirme l’indépendance des Transactions par rapport à la Royal Society tout en rappelant les contributions qu’elle y a apportées. Néanmoins le fait que l’initiative de la reprise du périodique appartienne à la

107. Cf. notice biographique dans The Philosophical Transactions of the Royal Society of London, from their commencement, op. cit., vol. 2, p. 394-395, et dans C. C. GILLISPIE (éd.), Dictionary of scientific biography, op. cit., vol. 11, 1975, p. 40-41. 108. M. HUNTER, Science and Society in Restoration England, op. cit., p. 129. 109. R. PLOT, The Natural history of Oxfordshire, being an Essay toward the natural history of England, printed at the Theater, Oxford 1677. Et R. PLOT, The Natural history of Staffordshire, printed at the Theater, Oxford 1686.

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Royal Society, comme son soutien, ne peuvent que renforcer les liens de la revue avec la compagnie. Il justifie la reprise de la publication de la revue en mettant en valeur le rôle que remplissaient les Transactions parmi les érudits et le manque causé par leur suspension (voir texte en encadré). Préface aux Philosophical Transactions par Robert Plot (n° 143, janvier 1683, p. 2) Bien que la rédaction de ces Transactions ne doive pas être considérée comme l’affaire de la Royal Society, elles sont cependant un échantillon de beaucoup de choses qui la regardent, contiennent une grande variété de questions utiles, constituent un registre commode pour la relation et préservation de nombreuses expériences qui, insuffisantes pour un livre, seraient autrement perdues ; et elles se sont révélées un très bon ferment pour les hommes doués de pensées hors du commun dans toutes les parties d’un travail. Et parce que, de plus, on s’est beaucoup plaint de leur manque pendant ces quatre dernières années où elles ont été interrompues, ladite Société ne peut pas sembler maintenant condamner une entreprise qu’elle a autrefois encouragée ou négliger les justes attentes d’hommes érudits et ingénieux, ils [les membres de la RS] ont donc pensé convenable de se préoccuper de leur reprise, afin qu’elles puissent être publiées une fois par mois, ou aux temps dont il sera donné préavis à la fin de ces Transactions et des suivantes. Il ne fait aucun doute, que ceux qui désirent s’en satisfaire, s’efforceront surtout sans hésiter, par eux-mêmes, ou par d’autres, de nous fournir et de nous procurer ce lot d’expériences et autres matières philosophiques qui nous sera nécessaire ; avec l’assurance que nous leur donnons, que quoi qu’ils voudront communiquer, il sera présenté en toute fidélité. Although the Writing of these Transactions, is not to be looked upon as the Business of the Royal Society : Yet, in regard they are a specimen of many things which lie before them ; Contain a great variety of Useful Matter ; Are a convenient Register, for the Bringing in, and Preserving many Experiments, which, not enough for a Book, would else be lost ; and have proved a very good Ferment for the setting Men of Uncommon Thoughts in all parts a work : And because, moreover, the want of them for these four last Years, wherein they have been discontinued, is much, complained of : That the said Society may not seem now to Condemn a Work, they have formely encouraged ; or to neglect the just Expectations of Learned and Ingenious Men : They have Therefore thought fit, to take care for the revival hereof, that they may be Published once every Month, or at such Times, whereof forenotice shall be given at the end of these, and the following Transactions. Neither is it doubted, but that those who desire to be accomodated herewith, will most readily endeavour, themselves, or by others, to supply and keep us that stock of Experiments, and other Philosophical Matters, which will be necessary hereunto ; with this assurance given them, That whatever they shall be pleased to communicate, shall be disposed of with all Fidelity.

En novembre 1684, accaparé par ses fonctions universitaires, Robert Plot dut abandonner sa charge de secrétaire de la Royal Society. Son successeur à ce poste, William Musgrave, médecin et amateur d’antiquités, était le troisième fils de Richard Musgrave demeurant à Nettlecombe, dans le Somerset. Il serait né le 4 novembre 1655 selon Munk, ou à Charlton Musgrove en 1657, selon Collinson. Il suivit l’enseignement du collège de Winchester, où il obtint une bourse d’études en 1669. Puis il poursuivit son éducation au New College d’Oxford, où il fut immatriculé le 17 juillet 1675. Il fit un court passage à l’université de Leyde en 1680, mais retourna à Oxford pour prendre ses grades. Pour s’être distingué en philosophie naturelle et en 116

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médecine, il fut élu membre de la Royal Society le 19 mars 1684 et admit le 1er décembre suivant. Durant l’année 1685, il remplit les fonctions de secrétaire de la Royal Society et il édita les Philosophical Transactions du numéro 167 au numéro 178. Il fut élu membre du collège des médecins de Londres le 30 septembre 1692. L’année précédente, il s’était installé à Exeter où il pratiqua avec beaucoup de succès jusqu’à sa mort en décembre 1721. Musgrave publia à Exeter en 1703 un traité sur la goutte, De Arthritide Symptomatica, et en 1707 une dissertation sur le même sujet, De Arthritide Anomala. Ses recherches en histoire ancienne sont rassemblées dans trois volumes, publiés à Exeter en 1719, sous le titre général de Antiquitates Britanno-Belgicae, praecipue Romanae figuris illustratae … quorum I de Belgio Britannico II de Geta Britannico III de Julii Vitalis epitaphio cum Notis criticis H. Dodwelli, un quatrième volume parut en 1720. Son intérêt pour les antiquités romaines lui donnent un point commun avec son prédécesseur, Robert Plot. William Musgrave ne publia les Transactions que pendant l’année 1685, puis il passa la main à Edmund Halley, secrétaire assistant de la Royal Society. Astronome bien connu, Edmund Halley est né à Haggerston, près de Londres, le 8 novembre 1656. Son père, Edmund Halley, membre d’une bonne famille du Derbyshire, était riche et envoya étudier son seul fils à St. Paul’s School sous la responsabilité du Docteur Thomas Gale. Il entra au Queen’s College d’Oxford en 1673. Il n’avait que dix-neuf ans quand il publia ses premiers mémoires dans les Philosophical Transactions. Avec un télescope de vingt-quatre pieds, il observa une éclipse lunaire le 25 juin 1675 dans Winchester Street et, à Oxford, une remarquable tache solaire en juillet et août 1676110, ainsi que l’occultation de Mars par la Lune111. Avant d’avoir atteint l’âge de vingt ans, il communiqua à la Royal Society une méthode géométrique et directe pour trouver l’aphélie et l’excentricité des planètes112. Il inventa peu après une construction améliorée pour les éclipses solaires et il nota des défauts dans les théories de Jupiter et Saturne. Pour les corriger, il s’aperçut qu’il était indispensable de réviser les positions des étoiles fixes et, avec le dessein de compléter les travaux de Flamsteed et d’Hevelius dans l’hémisphère nord, il délaissa l’université sans avoir obtenu de grades pour s’embarquer pour Sainte-Hélène en novembre 1676. Son père lui alloua une rente de trois cents livres par an, des facilités de transport lui furent procurées par une recommandation de Charles II à la Compagnie des Indes Orientales (East India Company). Mais le climat se révéla défavorable et, par des observations assidues durant dix-huit mois, il ne réussit à déterminer la position que de trois cent quarante et une étoiles. Néanmoins, son entreprise jeta les bases de l’astronomie stellaire australe et lui valut le titre de « Tycho austral » (Southern Tycho) de la part de Flamsteed.

110. « An extract of an account given by Mr. Flamstead of his own and Mr. Edmund Halleys Observations concerning the spots in the Sun, appearing in July and August 1676 », Philosophical Transactions, 25 septembre 1676, n° 128, p. 687-688. 111. « Mr. Edmund Halley’s Observations concerning the same Occultation of Mars by the Moon, made at Oxford, Anno 1676, Aug. 21, P.M. », Philosophical Transactions, 20 novembre 1676, n° 129, p. 724. 112. « Methodus directa & Geometrica, cujus ope investigantur Aphelia, Eccentricitates, Proportionesque Orbium Planetarum primariorum, absque supposita aequalitate anguli motus, ad alterum Ellipseos focum, ab Astronomis hactenus usurpata. Auth. Edmundo Hally Jun. è Collegio Reginae Oxon. [A Direct and Geometrical Method for finding the Aphelions, Eccentricities and Proportions of the Orbes of the primary Planets, without supposing the equality of the Angles of Motion at the other focus of the Planets Ellipsis ; by Mr. Edmund Halley Jun.] », Philosophical Transactions, 25 septembre 1676, n° 128, p. 683-686.

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Au cours de son voyage, il avait perfectionné le sextant, collecté de nombreux faits de valeur relatifs à l’océan et à l’atmosphère, noté le retard équatorial du pendule et fait à Sainte-Hélène, le 7 novembre 1677, la première observation complète du passage de Mercure devant le disque solaire. De retour en Angleterre en octobre 1678, il présenta au roi un planisphère des constellations australes et il fut récompensé par un mandement à l’université d’Oxford pour un grade de maître ès arts qu’on lui conféra le 3 décembre 1678. Son Catalogus Stellarum Australium fut présenté à la Royal Society le 7 novembre 1678113. Il fut élu membre de la compagnie le 30 novembre 1678 à l’âge de vingt-deux ans. Six mois plus tard, il était envoyé à Dantzig par la Royal Society pour arbitrer la querelle entre Hooke et Hevelius sur les avantages respectifs de l’observation au télescope et à l’œil nu. En 1680, il fit un voyage à travers la France et l’Italie qui lui permit de nouer des contacts avec plusieurs astronomes. S’étant fixé à Islington, aux abords de Londres, il s’adonna à son projet favori qui était de perfectionner la théorie lunaire par le moyen d’observations continues à travers une période « sarotique » de deux cent vingt-trois lunaisons, ou un peu plus de dix-huit ans. En 1683-84, il accumula ainsi près de deux cents observations qui confirmèrent sa prévision d’une récurrence régulière d’erreurs. Il publia ses résultats en 1710 dans un appendice à la seconde édition des Tables Carolines de Street. En 1683, il publia sa théorie de la variation du compas magnétique et il fournit une nouvelle méthode pour trouver la longitude, par une observation précise du mouvement de la Lune. Au commencement de 1684, s’interrogeant sur la troisième loi de Kepler, il conclut que la force centripète devait décroître en proportion du carré de la distance. Il se trouva cependant dans l’incapacité de le traduire d’une façon géométrique. Et donc, après avoir fait appel en vain à l’aide de Robert Hooke et Christopher Wren, il rendit visite à Newton à Cambridge qui lui fournit aussitôt la réponse, l’ayant déjà démontré « à la perfection ». Halley, persuadé de l’intérêt de rendre publics les travaux de Newton, lui proposa de les publier à sa charge. Il préfaça la première édition de 1687. En 1691, la chaire d’astronomie à Oxford étant vacante, Halley essaya sans succès de l’obtenir, essayant en vain de combattre les soupçons sur ses opinions matérialistes. Désireux d’examiner à fond les phénomènes qui pourraient se révéler assez réguliers pour servir à la détermination des longitudes, Halley obtint de Guillaume III en 1698 le commandement d’un navire de guerre, avec des ordres pour étudier la variation de la boussole et essayer de découvrir des terres se trouvant au sud de l’océan occidental. Sa carte générale de la variation du compas parut en 1701. En 1702, à la demande de l’empereur Léopold, la reine Anne l’envoya inspecter les ports de l’Adriatique. En novembre 1703, de retour en Angleterre, il prit la succession de Wallis comme professeur de géométrie à Oxford. Il s’employa, entre autres, à traduire de l’arabe en latin le De Sectione Rationis d’Apollonius et il restitua deux autres livres du même auteur d’après leur compte rendu par Pappus. Le 13 novembre 1713, Halley

113. Edmund Halley, « Catalogus Stellarum Australium : sive supplementum catalogi Tychonici, exhibens Longitudines & Latitudines Stellarum fixarum, quae prope Polum Antarcticum sitae, in Horizonte Uraniburgico Tychoni inconspicuae fuere, accurato Calculo, ex Distantiis supputatas, & ad Annum 1677, completum correctas. Cum ipsis Observationibus in Insula S. Helena (cujus Latitudo 15 gr. 55 m. Austr. & Longit. 7 gr. 00 m. ad Occasum à Londino) summa Cura & Sextante satis magno de Caelo depromptis. Opus ab Astronomicis hactenus desideratum. Accedit Appendicula de Rebus quibusdam Astronomicis, notata non indignis. Authore Edmundo Halleio, è Coll. Reg. Oxon », Philosophical Transactions, septembre, octobre et novembre 1678, n° 141, p. 1032-1034.

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succéda à Hans Sloane au poste de secrétaire de la Royal Society. Il abandonna cette charge en 1721, ayant été nommé astronome royal à la suite du décès de Flamsteed en 1719. En 1729, il fut élu membre étranger de l’Académie royale des sciences de Paris. Son administration de l’Observatoire Royal a constitué la partie la moins couronnée de succès de sa carrière. L’état délabré de l’observatoire à sa mort fut la conséquence naturelle de son infirmité prolongée. Vers 1737, sa main droite fut affectée de paralysie. Il mourut le 14 janvier 1742, à l’âge de 86 ans. Rédacteurs R. Plot W. Musgrave E. Halley

Année Numéros Nombres de pages Lettres et Mémoires

Livres

1683

143-154

410

39

22

1684

155-166

434

64

14

1685

167-178

476

77

25

256 189 1174

35 29 244 76 %

9 7 77 24 %

1686 179-185 1687 186-191 Total 143-191 Pourcentages 1683-87

Tableau 40. Contenu des Transactions de 1683 à 1687.

Entre 1683 et 1685, que ce soit sous la direction de Robert Plot ou de William Musgrave, les lettres et mémoires représentent environ les trois quarts des articles et les comptes rendus d’ouvrages, le quart restant. Sur l’ensemble de la période 16831687, par rapport aux Transactions d’Henry Oldenburg, la proportion de lettres et mémoires s’est considérablement accrue en passant de 56 % à 76 %, au détriment des comptes rendus d’ouvrages qui tombent de 44 % à 24 %. Cette tendance s’amplifie dans les deux dernières années, avec la direction d’Edmund Halley, les lettres et mémoires représentant alors 80 % du contenu du périodique. En deux ans, de 1683 à 1684, Plot publie cent trois lettres et mémoires (74 %) et trente-six comptes rendus d’ouvrages (26 %). Et son successeur, Musgrave, publie soixante-dix-sept lettres et mémoires (75,5 %) et vingt-cinq comptes rendus d’ouvrages (24,5 %), rien que pour l’année 1685. Avec Robert Plot et William Musgrave, les Transactions retrouvent une parution régulière telle qu’elle existait sous Oldenburg. L’impression de la revue au format in quarto fut reprise par l’imprimeur londonien John Martyn pour 1683 (volume 13), puis fut réalisée, toujours à Londres, par les imprimeurs Moses Pitt et Samuel Smith pour 1684 (volume 14), et enfin, Samuel Smith et Henry Clements pour 1686-1687 (volume 16). De 1683 à 1685, paraissent douze numéros mensuels chaque année (sauf le n° 175 pour les mois de septembre et d’octobre 1685 mais, en contrepartie, Musgrave publia deux numéros pour le mois de décembre 1685). Par contre, sous la direction de Halley, les Transactions subirent un dépérissement très net – en 1686, Halley ne publia que sept numéros et, en 1687, seulement six. En deux ans, de 1686 à 1687, le nombre de pages total équivaut à une seule année de ses deux prédécesseurs. En deux ans, Halley ne publia guère plus d’articles que dans une seule année auparavant. Il laissa visiblement dépérir la revue.

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Article

Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

Nombre

Livres

13 %

46 %

22 %

20,2 %

24

Lettres & Mémoires

87 %

54 %

78 %

79,8 %

91

Tableau 41. Nature des articles en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1683 et 1687.

L’astronomie, les mathématiques et la physique représentent 31,2 % des comptes rendus d’ouvrages et 37,3 % des lettres et mémoires. Dans les cinq dernières années de la rédaction d’Oldenburg, ces proportions étaient respectivement de 29 % pour les comptes rendus d’ouvrages et de 53,5 % pour les lettres et mémoires. Dans cette dernière catégorie, l’importance de nos trois domaines a donc sensiblement diminué. Les chiffres fournis par les abrégés permettent de préciser la nature de cette évolution pour les lettres et les mémoires. Alors que l’ensemble philosophie chimique et physiologie représentait 15,4 % entre 1665 et 1677, il représente 34,1 % des lettres et mémoires dans la période 1684-1687, avec plus des deux tiers occupés par la physiologie. Le recul de l’astronomie, des mathématiques et de la physique correspond essentiellement à une augmentation notable de la part des sciences biologiques et médicales. Dans nos trois disciplines, pendant les cinq dernières années d’Oldenburg, la part des ouvrages était déjà réduite (29,8 % de comptes rendus de livres) par rapport au contenu global de la revue (44 % de comptes rendus de livres). De 1683 à 1687, cette situation ne s’améliore guère puisque, dans nos trois domaines, les comptes rendus d’ouvrages ne représentent que 20,2 %, alors que tous domaines confondus, les comptes rendus représentent 24 %. Année

Astronomie

Mathématiques

Physique

Nombre total de livres

1683

33 %

0%

67 %

3

1684

0%

50 %

50 %

4

1685

17 %

33 %

50 %

6

1686

28,5 %

28,5 %

43 %

7

1687

50 %

0%

50 %

4

Total

25 %

25 %

50 %

24

Tableau 42. Livres en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1683 et 1687.

Les comptes rendus d’ouvrages donnent la primauté à la physique tout au long de cette période, avec la moitié des livres (tableau 42), pratiquement la même proportion que du temps d’Oldenburg (51 % entre 1665 et 1677). L’astronomie et les mathématiques se partagent le reste à égalité. Dans les mêmes années, les comptes rendus du Journal des savants ont tendance à se rapprocher des mêmes proportions – entre 1683 et 1687 : 46,8 % pour la physique, 29,8 % pour l’astronomie et 23,4 % pour les mathématiques. À l’exemple de l’Angleterre, les ouvrages de physique détiennent désormais également la primauté en France. Dans la période 1683-1687, la majorité des comptes rendus concernent des livres de l’année (80 %). Les deux tiers des ouvrages anglais continuent à provenir des imprimeurs londoniens, Oxford venant en seconde place, mais loin derrière (18 %). Parmi les ouvrages de physique remarquables pré120

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sentés par les Transactions, on peut citer le De Origine Fontium de Robert Plot en 1685114, le Traité du mouvement des eaux de Mariotte115 et, bien sûr, les Principia de Newton auxquelles les Transactions ne consacrent pas moins de sept pages116. Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

Grande-Bretagne

50 %

83,3 %

58,3 %

60,9 %

Saint-Empire

16,7 %

25 %

17,4 %

France

16,7 %

8,3 %

13 %

8,3 %

4,3 %

Italie Pologne

16,7 %

16,7 %

4,3 %

Tableau 43. Provenance des livres en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1683 et 1687.

La majorité des livres provient de Grande-Bretagne (tableau 43). Plus des deux tiers des ouvrages anglais ont pour auteurs des membres de la Royal Society (69 %) contre 48 % dans la période 1673-1677. Toutefois, la proportion d’ouvrages étrangers reste plus importante (39,1 %) que pour le Journal des savants à la même époque (30,3 % entre 1674 et 1686). Mais, pour la première fois, la France se voit détrôner de sa première place par le Saint-Empire. L’Italie ne se relève pas de son effacement dans les dernières années de la rédaction d’Oldenburg. On peut s’étonner de l’absence des Provinces-Unies, pourtant le premier fournisseur étranger du Journal. Les Provinces-Unies avaient déjà une place insignifiante à l’époque d’Oldenburg mais les relations entre les deux pays étaient alors conflictuelles. La France continue d’occuper malgré tout une place particulière dans les échanges. Il faut dire que toutes les villes de l’Europe n’étaient pas aussi bien reliées à Londres que Paris, puisque la poste allait de Paris à Londres en cinq jours seulement, ce qui permettait d’ailleurs des échanges assez rapides entre savants anglais et français. Les changements politiques – le rapprochement entre l’Angleterre et les Provinces-Unies, renforcé par le mariage entre Guillaume d’Orange et la fille de Jacques II, la révocation de l’édit de Nantes en 1685 par Louis XIV et l’hostilité qu’elle déclenche, le refuge des protestants français – n’ont pas produit d’effets sur les circuits d’échanges, mais la Glorieuse Révolution et la guerre à venir ne sont pas encore là, et l’ultra-catholique Jacques II au pouvoir est favorable à la France de Louis XIV.

114. « De Origine Fontium Tentamen Philosophicum, in Praelectione habita coram Societate Philosophica nuper Oxoniae instituta ad Scientiam Naturalem promovendam. Per Rob. Plot LL. D. Custodiae Musaei Ashmoleani Oxoniae Praepositum & Regiae Societatis Secretarum, Oxon. in 8°, 1685 », Philosophical Transactions, 28 janvier 1685, n° 167, p. 862-865. 115. « Traité du Mouvement des eaux et des autres corps fluides par feu Mr. Mariotte. A Paris. An. 1686. Octavo », Philosophical Transactions, 26 juin 1686, n° 182, p. 119-123. 116. « Philosophiae Naturalis Principia Mathematica, Autore Is. Newton Trin. Coll. Cantab. Soc. Matheseos Professore Lucasiano, & Societatis Regalis Sodali. 4to. Londini. Prostat apud plures Bibliopolas », Philosophical Transactions, janvier, février et mars 1687, n° 186, p. 291-297.

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Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

Latin

83,3 %

66,7 %

41,7 %

56,5 %

Anglais

16,7 %

16,7 %

50 %

34,8 %

16,7 %

8,3 %

8,7 %

Français

Tableau 44. Langues des livres en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1683 et 1687.

Dans les années 1680, le latin retrouve provisoirement une place dominante pour quelques années. Un certain nombre d’ouvrages fondamentaux anglais sont d’ailleurs publiés en latin, sans doute avec le souci de leur procurer une audience internationale et d’être lus et compris hors d’Angleterre. C’est le cas par exemple des Principia de Newton. Le latin demeure la langue des échanges internationaux entre scientifiques. Année

Astronomie

Mathématiques

Physique

Nombre total

1683

80 %

0%

20 %

15

1684

45 %

9%

45 %

22

1685

25 %

6%

69 %

16

1686

37 %

11 %

53 %

19

1687

42 %

11 %

47 %

19

Total

45 %

7,7 %

47,3 %

91

Tableau 45. Lettres & Mémoires en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1683 et 1687.

Par rapport aux dernières années de la rédaction d’Oldenburg, dans les lettres et mémoires, la part occupée par l’astronomie s’accroît notablement en passant de 20,9 %, entre 1673-1677, à 45 %, essentiellement au détriment des mathématiques. La physique et l’astronomie représentent ainsi l’essentiel des lettres et mémoires dans nos trois disciplines, la place des mathématiques étant très restreinte. Autre différence, plus significative avec la période d’Oldenburg, l’origine des lettres et mémoires : 79,1 % proviennent de Grande-Bretagne contre 49,5 % entre 1673 et 1677. En outre, plus de 85 % de ces lettres et mémoires anglais ont pour auteurs des membres de la Royal Society, à quoi il faut ajouter le fait que les autres sont le plus souvent écrits par des proches de la compagnie, des candidats non élus ou des associés provinciaux. L’essentiel des lettres et mémoires provient désormais de la Royal Society alors que, sous Oldenburg, une grande partie (plus de la moitié entre 1673-1677) provenait de sa correspondance avec l’étranger. Plot, Musgrave ou Halley n’entretiennent pas un réseau de correspondance similaire à celui d’Oldenburg. À défaut, c’est l’activité des membres de la Royal Society qui alimente désormais le périodique. À l’étranger, dans nos trois disciplines, pratiquement, seuls Cassini en France, et Hevelius en Pologne, envoient quelques mémoires à publier. Les Transactions des années 1683-1687 sont donc déjà assez différentes de celles des années 1665-1677, elles ne sont plus le périodique qu’Oldenburg avait voulu dédier aux progrès de la philosophie naturelle dans la République des lettres, elles deviennent plus un moyen de publication des travaux des membres de la Royal Society.

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La seconde interruption de plusieurs années des Philosophical Transactions dura trois ans, du numéro 191 (Décembre 1687) au numéro 192 (Janvier/Février 1691), entre le débarquement de Guillaume d’Orange et la déroute de Jacques II. Toutefois, cette défaillance était due tout autant à la faiblesse de la direction de la Royal Society qu’aux conséquences de la Glorieuse Révolution117. Halley avait d’ailleurs déjà laissé le périodique dépérir dans les deux dernières années de parution. V. Une reprise très difficile (1691-1694) – L’instrument de la Royal Society Linguiste, artiste et amateur de science, Richard Waller naquit vers 1660 et mourut en 1715118. Ce riche « virtuoso » est d’abord connu comme traducteur. En 1684, il traduisit de l’italien en anglais la relation des expériences de l’Académie du Cimento, I Saggi di Naturali Esperienze fatte nell’Academia del Cimento, publiée en 1667 à Florence119, et en 1702, il traduisit du français en anglais l’Histoire Naturelle des animaux, de l’Académie royale des sciences de Paris120. On lui doit également divers mémoires quelque peu éclectiques, mais avec une préférence pour l’étude des animaux : plusieurs mémoires en zoologie, un catalogue des couleurs simples et mélangées, en chimie, et un mémoire concernant la lecture sur les lèvres du langage par les sourds et muets121. Comme on l’a vu précédemment, Waller fut également le biographe de Robert Hooke et, à la mort de ce dernier, il se chargea de publier ses travaux. Présenté par William Croone, il fut élu membre de la Royal Society le 27 avril 1681. Il fut secrétaire de la Royal Society de 1687 à 1700, et fut membre de son conseil en 1684, et de 1686 à 1699122. Waller occupa une position clé dans une période essentielle de l’histoire des sciences. Parmi ses relations, on comptait Robert Hooke, Edmund Halley, James Petiver et Hans Sloane. Il entretint une correspondance avec plusieurs savants étrangers de premier plan, comme Van Leeuwenhoek ou Malpighi. En tant que secrétaire de la Royal Society, Waller reprit la publication des Transactions en 1691. Toutefois, il ne publia que trois numéros pour 1691 : le

117. Cf. D. STIMSON, Scientists and Amateurs, a History of the Royal Society, New-York 1948, p. 100. 118. Pour une étude biographique de Richard Waller, voir M. J. M. EZELL, « Richard Waller, S.R.S. : ‘In the pursuit of Nature’ », Notes and records of the Royal Society 38 (1984), p. 215-233. 119. « Essays of natural Experiments made in the Academy del Cimento under the Protection of the most serene Prince Leopold of Tuscany. Englisht by the ingenious Richard Waller Esq ; Fellow of the Royal Society », Philosophical Transactions, 20 octobre 1684, n° 164, p. 757-758, le livre fut publié à Londres en 1684, au format in quarto. L’ouvrage original avait été présenté par les Transactions en 1668 : « I saggi di Naturali Esperienze fatte nell’Academia del Cimento, in Firenze, A. 1667. In fol. », Philosophical Transactions, 16 mars 1668, n° 33, p. 640. 120. The Natural History of Animals ; being the Anatomical Description of Animals disputed by the Royal Academy of Sciences at Paris ; with an Account of the Measure of a great Circle of the Earth ; translated from the French. Londres 1702. 121. Cf. dans les volumes des abrégés des Philosophical Transactions (entre parenthèses le numéro original correspondant) : « On the Cicindela Volans, or Flying Glow-Worm », vol. 3, p. 109 (n° 167 du 28 janvier 1685) – « Catalogue of Simple and Mixed Colours », vol. 3, p. 274 (n° 179 de janvier, février 1686) – « On the power of Frogs, and the Production of Tadpoles » vol. 3, p. 456 (n° 193 de mars, avril, mai et juin 1691) – « On the Dissection of a Paroquet », vol. 3, p. 650 (n° 214 de novembre et décembre 1694) – « Account of two Deaf and Dumb Persons taught to speak, and understand what is said to them by the Motion of the Lips », vol. 5, p. 378 (n° 312 d’octobre, novembre et décembre 1707) – « Description of the Woodpecker’s Tongue », vol. 6, p. 264 (1716). 122. Cf. M. HUNTER, The Royal Society and its Fellows, 1660-1700, op. cit., p. 204-205.

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numéro 192 pour janvier et février 1691 (40 pages), le numéro 193 pour mars, avril, mai et juin 1691 (40 pages) et le numéro 194 pour juillet, août et septembre 1691 (24 pages), ce qui était peu. Après le numéro 194, qui allait jusqu’en septembre 1691, les Philosophical Transactions cessèrent de paraître pendant un an. L’année 1692 ne compta qu’un numéro comprenant seulement vingt-quatre pages, le numéro 192 daté du 19 octobre 1692. Finalement, la publication des Philosophical Transactions ne reprit régulièrement qu’à partir du mois de janvier 1693. L’année 1693 vit la parution de onze numéros, dix numéros mensuels et un seul numéro pour les mois de juillet et août. Ce fut pratiquement la seule année de parution normale de toute la direction de Waller. En effet, sa dernière année de rédaction, l’année 1694, ne compta que huit numéros, les six derniers mois, de juillet à décembre, ne comprenant que trois numéros bimestriels. Outre une diminution importante du volume de la revue, cette période de reprise difficile des Transactions est donc également en partie lacunaire (1691-1692). D’après les abrégés, en quatre ans, Waller aurait publié cent vingtcinq lettres et mémoires (78 %) pour trente-six comptes rendus de livres (22 %), soit une moyenne de trente et un lettres et mémoires, et neuf comptes rendus de livres par année. Des chiffres moitié moindres par rapport aux années 1683-1685, mais comparables à ceux de 1686-1687, les deux dernières années précédant la Glorieuse Révolution durant lesquelles Halley avait laissé dépérir la revue. Hans Sloane succéda à Richard Waller et dirigea les Transactions de 1695 à 1713, soit du numéro 215 au numéro 337. Médecin, Hans Sloane était le septième fils d’Alexander Sloane, receveur général des impôts. Sa mère était la fille d’un chapelain de l’archevêque de Laud, le Révérend Hicks. Il naquit à Killileagh ou peut-être à White’s Castle, le 16 avril 1660. Il étudia la médecine à Paris et à Montpellier, où il rencontra son futur ami, William Courten, et il apprit la botanique avec Pierre Magnol et Tournefort. Il obtint le grade de maître ès arts à l’Université d’Orange en juillet 1683. Il fit connaissance de Robert Boyle et de John Ray avant son départ pour la France et il alla leur rendre visite à son retour en 1684. Proposé par Martin Lister, il fut élu membre de la Royal Society le 21 janvier 1685. Étant devenu l’ami de Thomas Sydenham, il vint vivre dans sa maison. Le 12 avril 1687, conformément à la charte de Jacques II, il fut admis au Collège des médecins. La même année, il alla aux Antilles comme médecin du duc d’Albemarle, gouverneur de la Jamaïque, et y resta quinze mois, faisant des collections et de nombreuses observations d’histoire naturelle. Il arriva à Londres le 29 mai 1689 avec huit cents espèces de plantes qu’il replanta avec succès à Bloomsbury Square. Le 30 novembre 1693, il fut élu secrétaire de la Royal Society et le resta jusqu’en 1712. En 1696, il publia son Catalogus Plantarum quae in insula Jamaica sponte proveniunt aut vulgo coluntur… (Londres, D. Brown,1696, in-8°), une œuvre très estimée par les botanistes. En 1707, il publia le premier volume de sa grande histoire naturelle, A Voyage to the Islands of Madera, Barbadoes, Nieves, St. Christopher’s, and Jamaica, with the Natural History of the herbs and trees, four-footed beasts, fishes, birds, insects, reptiles, etc. of the last of those islands… (Londres, in folio), qu’il dédicaça à la reine Anne. Le second volume parut en 1725. Le premier volume de cet ouvrage accrût à tel point sa réputation qu’en 1708, il fut élu membre étranger de l’Académie royale des sciences de Paris. À la suite du décès d’Isaac Newton en 1727, il fut choisi comme président de la Royal Society et conserva ce poste jusqu’à novembre 1741. En tant que médecin, sa réputation était devenue telle que la plupart des gens importants du temps étaient ses patients, même la reine Anne le consulta. Il soutint la pratique de l’inoculation et inocula lui-même plusieurs membres de la famille royale. Il était whig et, à la suite de 124

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l’accession de la maison de Hanovre, il fut nommé médecin général de l’armée. Le 3 avril 1716, il fut créé baronnet et, en 1727, nommé premier médecin de Georges II. En 1732, il fut l’un des promoteurs de la colonie de Georgie. En 1712, Sloane avait acquis le manoir de Chelsea et il se retira sur sa propriété en mai 1741. En 1745, il sortit sa seule publication médicale, An Account of a Medicine for Soreness, Weakness, and other Distempers of the Eyes (Londres, in-8° ; seconde édition, 1750 )123. Après seulement trois jours de maladie, il fut emporté le 11 janvier 1753 dans sa quatrevingt-treizième année. Préface au volume XIX des Philosophical Transactions pour les années 1695, 1696 et 1697, par Hans Sloane. Les Philosophical Transactions ayant été suspendues pendant plusieurs mois, la Société Royale m’a enjoint, voici quelque temps, d’en prendre soin afin de les continuer, ce qui a été fait par la publication de ce volume. Je suis très conscient du fait que trop d’errata s’y sont trouvés. Certains étant fort grossiers, on en a relevé un certain nombre en fin de volume, que l’on désire que le lecteur corrige. La variété de matières, de caractères et de traducteurs a été la cause principale de ces erreurs ; et peut-être que des erreurs considérables ont pu échapper, occasionnées par le nécessaire accaparement relatif à ma profession, qui m’a parfois gêné pour prendre le soin requis à réviser le périodique, par quoi le sens a été perverti en quelques endroits. J’aurais voulu avoir été en mesure de donner un compte rendu plus vaste et meilleur de livres récemment imprimés, mais ceci aurait requis plus de temps que je n’en pouvais vraiment ménager, j’ai été forcé de faire faire leurs extraits qui apparaissent ici, le plus souvent par d’autres mains, envers qui le public est redevable. The Philosophical Transactions having been for several Months omitted, the Royal Society commanded me, some time since, to take care to continue them, which has been done by the Publication of this Volume. I am very sensible there are too many Errata’s to be found in them, some of which being very material, are taken Notice of at the end of several of them, which the Reader is desired to correct. The Variety of Matter, Characters and Translators have been chiefly the Cause of these Mistakes ; and perhaps considerable ones may have escaped, occasioned by necessary Attendance on my Profession, which has sometimes hindered me from taking dwe care to revise the Press, whereby the sence has been perverted in some Places. I could have wish’d to have been able to have given a larger and better Account of Books lately printed, but that requiring more time than I could well spare, I have been forc’d to get their Extracts that appear here, to be mostly done by other Hands, to whom the Publick are indebted.

123. L’ouvrage fut traduit en français en 1746 : H. SLOANE, Histoire d’un remède très efficace pour la foiblesse et pour la rougeur des yeux, et autres maladies du mesme organe. Avec un remède infallible contre la morsure du chien enragé. Par le chevalier Hans Sloane,… traduits de l’anglois et enrichie de notes par M. Cantwel, Prault fils, Paris 1746.

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Dans sa préface au volume XIX des Philosophical Transactions, Hans Sloane précise que la Royal Society lui a confié la tâche de faire paraître la revue, après plusieurs mois d’interruption (voir texte encadré). Cependant, dans les deux premières années de la rédaction de Sloane, 1695 et 1696, le volume des Transactions demeura médiocre, la fréquence des parutions comme le nombre de pages, moins de deux cents par année, restant très inférieurs à ce qu’ils étaient du temps d’Oldenburg, de Plot ou de Musgrave. L’année 1695 ne vit la parution que de quatre numéros, avec une lacune de juin à septembre 1695, et en 1696, seulement cinq numéros mais sans lacune. Dans sa préface, Sloane évoque le manque de temps dont il souffrait en raison de sa profession et il regrette de n’avoir pu présenter plus de comptes rendus de livres, ayant dû se faire aider pour ceux qui étaient parus. Si le nombre de livres extraits est insignifiant, le nombre de lettres et de mémoires est lui aussi assez faible, en moyenne un compte rendu de livre et cinq mémoires par numéro, soit une vingtaine de mémoires par année et quatre ou cinq comptes rendus de livres par année, moins que dans les années lacunaires de Waller. Il fallut attendre 1697 pour voir reprendre une publication mensuelle des Transactions avec un volume dépassant quatre cents pages par an. De 1697 à 1699, Sloane fit paraître, de nouveau, douze numéros mensuels par an, avec une bonne cinquantaine de lettres et mémoires, et une dizaine de comptes rendus de livres par année124. Si le nombre de lettres et mémoires publiés, la fréquence de parution et le volume des Transactions redevinrent comparables à ceux des années 1683 à 1685, en revanche le nombre de comptes rendus de livres resta très faible par rapport aux années d’avant la Glorieuse Révolution, en ne représentant qu’à peine plus de 10 % des articles. Les années 1700-1712 virent une aggravation de cette politique éditoriale, les comptes rendus de livres tendant à disparaître (tableau 46). Numéros

Années

Lettres & Mémoires

Livres

Total

192-214

1691-1694

125 (77 %)

36 (22 %)

161

215-282

1695-1702

443 (89 %)

53 (11 %)

496

283-328

1703-1710

272 (93 %)

20 (7 %)

292

Total

1691-1710

840

109

949

329-336

1711-1712

51 (98 %)

1 (2 %)

52

Tableau 46. Les Philosophical Transactions sous la direction de Richard Waller (1691-1694) et Hans Sloane (1695-1712).

À partir de 1700, mais surtout de 1702, la fréquence de parution et le nombre de pages de la revue se réduisirent notablement. Le nombre de lettres et mémoires publiés chaque année diminua sensiblement. Ainsi, si l’on put compter une moyenne de cinquante-cinq lettres et mémoires entre 1695 et 1702, ce nombre tomba à trentequatre entre 1703 et 1710 et même à vingt-cinq entre 1711 et 1712. Si l’année 1700 compta huit numéros et 1701, neuf numéros, correspondant à environ trois cents pages par an, les années 1702 à 1704 n’eurent chacune que six numéros bimestriels

124. L’impression se fit toujours à Londres. Pour les volumes 17 à 24 (1693-1705), les imprimeurs furent Samuel Smith et Benjamin Walford ; pour le volume 25 (1706-1707), Benjamin Walford seul ; pour le volume 26 (1708-1709), Henry Clements ; et pour le volume 27 (1710-1712), Henry Clements, W. Innys et D. Brown.

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ne totalisant qu’environ deux cent trente pages pour 1702 et 1703, trois cents pages pour 1704. En dehors de l’année 1705 qui compta exceptionnellement dix numéros et quatre cent dix pages, les années suivantes virent une poursuite de la dégradation. Ainsi l’année 1706 n’eut que quatre numéros trimestriels totalisant seulement cent cinquante-six pages, réduction de volume directement en rapport avec la diminution draconienne du nombre de mémoires à publier. Les années 1707 et 1710 n’eurent de même que quatre numéros trimestriels (environ deux cents pages par an), et les années 1708 et 1709, six numéros bimestriels totalisant environ deux cent cinquante pages par an. Parallèlement à la diminution du nombre de lettres et de mémoires, les comptes rendus de livres disparurent presque entièrement. Avec un seul compte rendu de livre en deux ans, les années 1711-1712 ne sont pas exceptionnelles à cet égard. Ainsi, entre 1713 et 1723, on ne compte que douze comptes rendus de livres (un par an), de 1724 à 1734, seulement dix, de 1735 à 1743, quatorze (un à deux livres par an) et, entre 1744 et 1755, aucun. L’évolution était achevée, les Transactions étant devenues un périodique entièrement consacré à la publication de mémoires. Il faut noter que durant les années de sa rédaction, peut-être parce qu’il recevait des comptes rendus de livres qu’il ne rédigeait pas lui même, Sloane ne respecta pas toujours systématiquement la séparation entre mémoires et comptes rendus de livres qu’avait inaugurée Oldenburg en 1666. Ainsi dans le numéro 219 de janvier et février 1696, bien que la fin du numéro comprenne la rubrique Accounts of Books avec les comptes rendus de deux livres, l’ouvrage sur les fossiles marins de l’italien Agostino Scilla125 se retrouve en plein milieu des lettres et mémoires. Le compte rendu avait été rédigé par un membre de la Royal Society. Autre exemple, dans le numéro 267 de novembre et décembre 1700, il n’existe pas de rubrique pour les comptes rendus de livres. Après un mémoire de médecine, Sloane présente le compte rendu d’un ouvrage de Samuel Brown sur les plantes des Indes orientales, rédigé par James Petiver, suivi d’un mémoire de Halley et d’un autre concernant la navigation. Le rédacteur n’a pas jugé bon d’introduire une séparation entre mémoires et comptes rendus de livres. Sans doute dans l’espoir de compenser le manque de comptes rendus de livres, à partir de mai 1698 et pendant près d’un an, Sloane publia de façon assez régulière, à la fin des numéros, des catalogues de livres non mentionnés dans les Transactions (par exemple dans le numéro 240 de mai 1698 : A Catalogue of Books publish’d, not mentioned in these Transactions, p. 200-202 ; voir également les numéros suivants). Parfois ces catalogues pouvaient être plus spécialisés comme dans le cas du numéro 246 de novembre 1698 qui comprend un catalogue des livres imprimés dernièrement en Italie (« A Catalogue of Books lately printed in Italy », p. 426-428) où l’on trouve beaucoup de livres d’histoire ou d’archéologie. Cette pratique comme le contenu de sa préface aux Transactions démontrent que Sloane attachait de l’importance à présenter les nouveaux ouvrages à ses lecteurs, mais qu’il n’avait pas le temps ou la volonté d’en faire des comptes rendus. À partir des années 1700, sans doute découragé, il renonça. Ses efforts montrent aussi que l’abandon des comptes rendus de livres ou de bibliographies, et le fait d’avoir apparemment privilégié les mémoires, ne provinrent nullement d’une volonté délibérée, mais furent plutôt une conséquence de l’incapa-

125. « La vana speculatione disingannata dal senso : Lettera Risponsiva circa i Corpi Marini, che Petrificati si trovano in varii Luoghi Terrestri. Di Agostino Scilla Pittore Academico della Fucina, in Napoli, 1670. 4to. With short Notes, by a Fellow of the Royal Society », Philosophical Transactions, janvier et février 1696, n° 219, p. 181-195.

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cité du rédacteur à assurer un dépouillement exhaustif de la littérature scientifique. L’accaparement du rédacteur et le manque de moyens furent les vrais moteurs de cette évolution. Alors qu’à la même époque, l’abbé Bignon dispose d’une équipe de collaborateurs spécialisés et appointés pour réaliser la publication du Journal des savants, Hans Sloane ne peut compter que sur le bénévolat et doit concilier un emploi du temps professionnel déjà bien rempli avec la tâche de publier les Philosophical Transactions. Dans une lettre du 11 avril 1699 à Sloane, Richard Waller, discutant des nouveaux règlements accordés par Louis XIV à l’Académie en 1699, regrettait que la Royal Society ne dispose pas d’un financement comparable de la part du roi d’Angleterre. Il notait tristement de manière plus générale à propos des règlements : « certains d’entre eux qui étaient en usage pourraient être observés chez nous, mais je crains que, notre société étant composée entièrement de volontaires, les membres ne soient pas disposés à être trop enfermés et astreints à la rigueur [de règles] concernant certains détails »126. Par opposition à l’Académie des sciences, la Royal Society du dix-huitième siècle illustre les inévitables limitations dans la productivité et la rigueur d’un corps volontaire127. Par ailleurs, si la volonté du rédacteur des Transactions avait été de privilégier les mémoires aux dépens des comptes rendus de livres, comment expliquer alors que le nombre de mémoires publiés se soit autant réduit ? Il faut noter que la quasi-disparition des comptes rendus de livres s’est accompagnée d’un déclin de la revue, tout du moins dans les années 1700 à 1712. Visiblement, les successeurs de Hans Sloane ne cherchèrent pas à revenir sur cette évolution forcée qui, au fond, facilitait grandement leur tâche. Ils se satisfirent de gérer un périodique désormais dédié presque exclusivement à la publication des mémoires de la Royal Society. Mais il faut aussi noter que cette métamorphose était déjà bien avancée au moment où Newton prit les rênes de la société savante. On ne peut donc lui imputer une telle évolution. Élevé au rang de patron de la Monnaie, élu au Parlement en novembre 1701, les activités scientifiques de Newton étaient devenues occasionnelles128. Accaparé par ses fonctions, Newton ne se préoccupait pas du sort de la Royal Society. Cette dernière, sous la présidence d’hommes politiques, tels Montague (président entre 1695 et 1698), avait peu à peu abandonné sa vocation de société savante pour endosser plutôt des fonctions de représentation. À la suite de la mort de Hooke qui aurait pu s’opposer à son élection, Newton fut élu président de la Royal Society, le 30 novembre 1703. C’est donc seulement à partir de 1704 que Newton put exercer toute son influence et le poids de son autorité sur la Société Royale. Mais, apparemment, il ne semble pas s’être préoccupé des Philosophical Transactions qui, toujours sous la responsabilité de Hans Sloane, continuèrent à s’amoindrir et à se replier sur les mémoires de la Société Royale. Quoi qu’il en soit, le déclin du périodique ne fit que se poursuivre durant les années qui suivirent la prise de fonction de Newton au sein de la Royal Society.

126. « Some of them were of use to us could they be observed but [I] am affraid our society consisting wholy of volunteers the members will be unwilling to be too much confined and obliged to strictness in some particulars. » Lettre de Richard Waller à Hans Sloane, 11 avril 1699 : Sloane 4037, fol. 249, cité par M. HUNTER, The Royal Society and its fellows, op. cit., p. 52. 127. M. HUNTER, The Royal Society and its fellows, op. cit., p. 53 (cf. conclusion : The Nature of the Early Royal Society). 128. Pour une biographie récente de Newton, voir J. GLEICK, Isaac Newton, Londres, New-York 2003, et également M. PANZA, Newton, Paris 2003.

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Article

Astronomie

Mathématiques

Physique

Total

Nombre

Livres

9%

10 %

5%

7%

17

Lettres & Mémoires

91 %

90 %

95 %

93 %

228

Tableau 47. Nature des articles en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1691 et 1710.

Dans nos trois disciplines, la chute des comptes rendus de livres s’accorde à l’évolution du contenu global de la revue. Les trois domaines représentent 27,1 % des lettres et mémoires (au lieu de 37,3 % entre 1683-1687), mais seulement 15,6 % des comptes rendus d’ouvrages (au lieu de 31,2 % entre 1683-1687). Ce recul de l’astronomie, des mathématiques et de la physique correspond essentiellement à une part encore plus grande des sciences biologiques et médicales. Ainsi d’après les abrégés, la catégorie très large « physiologie », rassemblant aussi bien la physiologie animale ou végétale que la médecine ou la chirurgie, passe de 24 % dans la période 16841687 à 34 % dans la période 1691-1710. L’augmentation de la part d’un domaine comme l’histoire naturelle est beaucoup plus modeste puisqu’elle passe de 18,5 % (entre 1684-1687) à 21,6 % (entre 1691-1710). Les sciences biologiques et médicales, plus généralement les sciences de la nature, ont donc pris une importance croissante dans la revue, jusqu’à devenir majoritaires. Rédacteur

Années

Astronomie

Mathématiques

Physique

Richard Waller

1691-1694

0%

25 %

75 %

Nombre total de livres 4

1695-1702

30 %

30 %

40 %

10

1703-1710

33 %

67 %

0%

3

Total

23,5 %

35,3 %

41,2 %

17

Hans Sloane

Tableau 48. Livres en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1691 et 1710.

Globalement les ouvrages de physique restent prépondérants dans nos trois domaines. Mais quel contraste avec les douze années et demi de la rédaction d’Oldenburg, durant lesquelles les Transactions avaient présenté à leurs lecteurs cent trente-cinq ouvrages dans nos trois domaines, et même avec les années 1683 à 1687 où les lecteurs avaient dû se contenter de vingt-quatre ouvrages en cinq ans ! Ici, de 1691 à 1710, en vingt ans, ils n’ont eu connaissance que de dix-sept ouvrages, dans des domaines pourtant essentiels de la science. Et que dire des années 1703 à 1710, même si le choix du rédacteur était de se recentrer sur la publication de mémoires en ne présentant que quelques livres essentiels, parmi les plus fondamentaux, peut-on vraiment penser sérieusement qu’en l’espace de huit ans aucun ouvrage de physique, anglais ou étranger, n’ait valu la peine de figurer dans les Transactions ? Même l’Optique de Newton, un membre pourtant éminent de la Royal Society, un ouvrage extrait par le Journal des savants129, n’y figure pas.

129. « Optice, Sive de Reflexionibus, Refractionibus, Inflexionibus & Coloribus Lucis, libri tres. Authore Isaaco Newton, Equite Aurato. Latine reddidit Samuël Clarke A.M. Reverendo admodum Patri ac Domino

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La majorité des quelques ouvrages extraits provient de Grande-Bretagne (70,6 %). La France, premier fournisseur traditionnel de livres étrangers, a disparu, remplacée par l’Italie et les Provinces-Unies. Sans doute, la guerre de la ligue d’Augsbourg, de 1688 à 1697, suivie de près par la guerre de succession d’Espagne à partir de 1702, ne favorisa-t-elle pas les échanges entre la France et l’Angleterre. Dans la période 1688-1697, comme on l’a vu précédemment, le Journal des savants souffrit également de l’embargo provoqué par la guerre de la ligue d’Augsbourg, la part représentée par les ouvrages français atteignant 86,1 % entre 1687 et 1701. Toutefois, de 1702 à 1710, les échanges reprirent malgré la guerre de succession, l’Angleterre redevenant pour le Journal le principal fournisseur de livres étrangers. Mais, à partir de 1702, si la réciproque n’est pas vraie pour les Transactions, la cause en est plutôt à rechercher dans la chute vertigineuse du nombre de livres extraits dans la période 1703-1710, seulement trois ouvrages dans deux de nos trois domaines.

Grande-Bretagne Italie Provinces-Unies Saint-Empire

Astronomie 50 % 25 % 25 %

Mathématiques 83,3 % 16,7 %

Physique 71,4 % 14,3 % 14,3 %

Total 70,6 % 11,8 % 11,8 % 5,9 %

Tableau 49. Provenance des livres en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1691 et 1710.

Latin Anglais Français Italien

Astronomie 50 % 25 %

Mathématiques 50 % 50 %

Physique 43 % 43 % 14 %

25 %

Total 47,1 % 41,2 % 5,9 % 5,9 %

Tableau 50. Langues des livres en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1691 et 1710.

Les langues dans lesquelles sont écrits les ouvrages extraits reflètent leurs provenances, le latin et l’anglais y sont majoritaires (tableau 50). Les livres publiés en Grande-Bretagne sont majoritairement écrits en anglais (58,3 %), le latin conservant encore une place non négligeable (41,7 %). En Angleterre, le latin semble avoir conservé une plus grande importance qu’en France, toutefois le nombre assez faible

Joanni Moore, Episcopo Norvicensi a Sacris Domesticis. Accedunt Tractatus duo ejusdem Authoris, de speciebus & magnitudine Figurarum Curvilinearum, latine scripti. Londini, impensis Sam. Smith. & Benj. Walford, Regiae Societatis Typograph., ad insignia Principis, Cœmeterio D. Pauli, 1706. C’est-àdire, Optique ou Traité des Réflexions, des Réfractions, des Inflexions, & des Couleurs de la Lumière, en trois livres. Par Isaac Newton, Chevalier Bachelier, & traduit par Samuël Clarke, Maïtre es Arts, &c. On a ajouté deux Traitez du même M. Newton, touchant les espèces & la grandeur des Figures Curvilignes, écrits en Latin. A Londres, aux dépens de Samuël Smith, & de Benjamin Walford, Libraires de la Société Royale, aux armes du Prince, dans le Cimetière de S. Paul, 1706, in quarto : l’Optique 348 pagg. Le premier Traité touchant les Figures Curvilignes 24 pagg. le 2. 43 pagg », Journal des savants, supplément du dernier octobre 1707, p. 433-440.

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de livres présentés dans les Transactions dans cette dernière période rend les pourcentages incertains. En ce qui concerne les lettres et les mémoires, la physique domine toujours mais de manière encore plus large qu’avant la Glorieuse Révolution (59,6 % contre 47,3 %). Toutefois, il faut rappeler que ces pourcentages s’appliquent à un nombre de lettres et de mémoires en recul par rapport à la période 1683-1687. Dans la période 1691-1710, on compte une moyenne de onze lettres et mémoires par an, contre dix-huit dans les années 1683-1687. Dans ces conditions, même la physique recule mais moins que l’astronomie et les mathématiques. Si l’on prend l’exemple des mathématiques, entre 1691 et 1710, les Transactions publièrent cinquante-deux lettres et mémoires contre soixante-seize lettres et mémoires dans le Journal. Les lettres et mémoires proviennent désormais presque exclusivement de la Grande-Bretagne (89,1 % sur l’ensemble de la période 1691-1710), cette tendance s’accentuant avec les années : 77,8 % dans les années 1691-1694, puis 89,5 % dans les années 1695-1702, et enfin 93,3 % dans les années 1703-1710. Les Transactions se replient sur l’Angleterre. En outre, la très grande majorité des mémoires provient de membres de la Royal Society. Rédacteur

Années

Astronomie

Mathématiques

Physique

Richard Waller

1691-1694 1695-1702 1703-1710 Total

22 % 15 % 19 % 17,5 %

22 % 34 % 11 % 22,8 %

56 % 51 % 70 % 59,6 %

Hans Sloane

Nombre total de mémoires 36 101 91 228

Tableau 51. Lettres & Mémoires en astronomie, mathématiques et physique dans les Philosophical Transactions entre 1691 et 1710.

Les graphiques 1 et 2 montrent bien l’évolution suivie par les Philosophical Transactions en matière de comptes rendus d’ouvrages. Les Transactions d’Henry Oldenburg (en partie poursuivies de manière posthume par Musgrave en 1678) ont présenté de nombreux comptes rendus de livres et même davantage que le Journal des savants dans le domaine scientifique. Mais après la disparition d’Oldenburg, et encore plus après la Glorieuse Révolution, le périodique a progressivement cessé de s’occuper d’ouvrages, pour finir par être réservé exclusivement aux mémoires. En conséquence d’une telle évolution si, entre 1665 et 1678, les Transactions peuvent être utilisées comme un accès valable aux ouvrages scientifiques du temps et comparées au Journal des savants, voire utilisées à sa place pour combler ses lacunes ; entre 1683 et 1687, et à la rigueur dans les années 1690, elles ne peuvent plus guère offrir qu’un complément, au demeurant fort utile, au Journal, particulièrement pour l’Angleterre. À partir des années 1700, pratiquement, seul le Journal des savants peut être utilisé, y compris pour avoir accès aux ouvrages britanniques, d’autant que la Grande-Bretagne devient alors son premier pourvoyeur de livres étrangers (12,2 % des livres d’astronomie, de mathématiques et de physique entre 1702 et 1710 ; en 1710, 21 % du total des ouvrages extraits viennent d’Angleterre selon Jean-Pierre Vittu130).

130. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 449 (note 1146).

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Dans leurs débuts, les Philosophical Transactions se présentent en quelque sorte comme un Journal des savants qui se limiterait aux domaines scientifiques. Le nombre important de comptes rendus d’ouvrages scientifiques, plus que dans le Journal, presque aussi nombreux que les lettres et mémoires, font des Transactions un compagnon du Journal. En revanche, le périodique de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe siècle, totalement dévolu à la publication des mémoires de la Royal Society, se rapprocherait plutôt de l’Histoire et Mémoires de l’Académie royale des sciences. Entre temps, la revue est passée de l’entreprise privée d’un seul homme, Henry Oldenburg, à une quasi-institution de la Royal Society, une revue de société savante. Dans le même temps, la revue internationale qu’Oldenburg voulait ouverte au monde s’est repliée sur l’Angleterre, en se limitant même plus étroitement à sa prestigieuse institution scientifique, la Royal Society. Oldenburg peut être considéré comme faisant partie de tous ceux qui ont animé un réseau d’érudits, à l’exemple de Mersenne. Mais la création des Philosophical Transactions a représenté pour lui un moyen nouveau et bien plus puissant dont ses prédécesseurs n’avaient pu bénéficier. Il a animé un réseau considérable dans la République des lettres, mais au lieu d’avoir à transmettre les informations uniquement à travers ses lettres, il pouvait utiliser la revue comme un vecteur bien plus efficace pour transmettre quasiment en même temps et à beaucoup plus de monde les découvertes, les remarques dont on lui faisait part et les livres que ses correspondants avaient trouvés intéressants. Le réseau de correspondants alimentait la revue et en retour la revue, à travers la publicité qu’elle pouvait apporter et en tant que tribune du monde érudit, constituait un formidable levier de développement pour ce réseau de correspondants. Bientôt ses correspondants lui écrivirent afin d’être publiés dans sa revue. Les deux premières revues scientifiques ont ainsi contribué au développement d’un nouveau mode de communication dans le monde savant, mais le passage d’un réseau comme celui de Mersenne à la communication à travers des revues scientifiques s’est opéré de manière graduelle. Les premiers rédacteurs de ces revues ont dû animer de semblables réseaux ou y participer. Le périodique scientifique, tel qu’il existe aujourd’hui, s’est construit peu à peu, non sans tâtonnements et expériences diverses. Les Philosophical Transactions des années 1700 sont assez différentes de celles des premières années. Elles représentent l’aboutissement d’une évolution pas toujours désirée par leurs rédacteurs successifs et entrecoupée par des périodes d’interruption dans leur existence.

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Les Philosophical Transactions

250 200 150 100 50 0

16651672

16721678

16791682

16831687

1691- 1695- 1703- 17131694 1702 1712 1723

1724- 1735- 1744- 17501734 1743 1749 1755

Graphique 1. Nombre de comptes rendus d’ouvrages dans les Philosophical Transactions et les Philosophical Collections de 1665 à 1755131.

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Journal des savants Philosophical transactions

60 50 40 30 20 10 0 16651669

16701674

16751679

16801684

16851689

16901694

16951699

17001704

17051710

Graphique 2. Comptes rendus d’ouvrages en astronomie, mathématiques et physique dans les deux premières revues scientifiques132.

131. Les chiffres utilisés proviennent des abrégés qui fournissent généralement une bonne évaluation, sauf pour la période 1683-1687 où le nombre d’extraits provient du dépouillement des Transactions originales, le chiffre fourni par les abrégés présentant un écart trop important par rapport aux Transactions (58 au lieu de 77, soit une erreur de 25 % par rapport au chiffre réel). En dehors de cette période, les sondages effectués dans les Transactions et les Collections donnent les mêmes chiffres à 10 % près. 132. De 1679 à 1682, les Philosophical Collections ont été utilisées à la place des Philosophical Transactions.

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CHAPITRE III

LES PREMIERS PÉRIODIQUES SCIENTIFIQUES I. Le Journal des savants, un modèle suivi et imité La naissance en 1665 du premier périodique scientifique, le Journal des savants, inaugure un nouveau moyen de communication dans la République des lettres. Le succès du Journal des savants se mesure non seulement aux multiples contrefaçons dont il fit l’objet, mais également aux nombreuses créations de nouveaux périodiques que son exemple suscita dans les décennies qui suivirent. Ses imitateurs employèrent d’ailleurs souvent le terme de « savants » ou un équivalent tel qu’ « érudits » dans leurs titres : le Giornale de’ letterati (Rome, 1668), les Acta eruditorum (Leipzig, 1682), l’Histoire des ouvrages des savants (Rotterdam, 1687) et The History of the Works of the Learned (Londres, 1699). Cette explosion de journaux érudits à travers l’Europe est bien résumée par Pierre Bayle, dans sa préface au premier numéro de ses Nouvelles de la République des Lettres, en 1684 : On a trouvé si commode & si agréable le dessein de faire sçavoir au Public, par une espèce de Journal, ce qui se passe de curieux dans la République des Lettres, qu’aussi-tôt que Monsieur Sallo, Conseiller au Parlement de Paris, eut fait paroître les premiers essais de ce Projet au commencement de l’année 1665, plusieurs Nations en témoignèrent leur joye, soit en traduisant le Journal qu’il faisoit imprimer tous les huit jours, soit en publiant quelque chose de semblable. Cette émulation s’est augmentée de plus en plus depuis ce temps-là ; de sorte qu’elle s’est étendue non seulement d’une Nation à une autre, mais aussi d’une science à une autre science. Les Physiciens, & les Chymistes ont publié leurs Relations particulières ; la Jurisprudence, & la Médecine ont eu leur Journal ; la Musique aussi a eu le sien ; les Nouvelles Galantes diversifiées par celles de Religion, de Guerre, & de Politique ont eu leur Mercure. Enfin on a vu le premier dessein de Monsieur Sallo executé presque par tout en une infinité de manières1.

Plus loin, Bayle justifie le lancement de son propre journal par le fait qu’il n’en existait pas encore dans les Provinces-Unies : Si quelqu’un s’avisoit de m’objecter, qu’on voit déjà assez de gens dans l’Europe qui publient des Ouvrages semblables à celuy que j’entreprens, & que par cette raison je devrois n’en pas augmenter le nombre, au lieu de trouver étrange qu’on ne l’ait point augmenté encore dans ce Païs-ci ; je luy répondrois, que la multitude des Journaux n’empesche pas qu’un grand nombre de Curieux ne demeure dans la disette ; qu’il se fait beaucoup de Livres dont les Journaux ne parlent pas assez tôt ; qu’il y a des lieux dont il n’est guères commode à toutes les Personnes sçavantes de faire venir des Livres ; que ceux qui ont la commodité de voir le Journal d’un certain Païs, n’ont pas toujours la commodité de voir les autres ; qu’ainsi la commodité publique demande que plusieurs personnes travaillent à cela en plusieurs lieux à la fois2.

1. Extrait de la Préface de Pierre Bayle aux Nouvelles de la République des Lettres. mois de mars 1684. Seconde édition revue & corrigée par l’Auteur, Chez Henry Desbordes, Amsterdam 1684. 2. Ibid.

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Les années suivantes virent d’ailleurs se multiplier à Amsterdam divers journaux : la Bibliothèque universelle et historique (1686), la Bibliothèque choisie (1703), la Bibliothèque ancienne et moderne (1714) et la Bibliothèque raisonnée (1728)3. Dans la préface à sa revue, Bayle met encore une fois en avant le rôle de modèle joué par le Journal des savants tout en montrant que dans son périodique comme dans la République des lettres, il n’y a pas de place pour les discriminations religieuses. La République des lettres s’entend par delà les frontières et les différences confessionnelles : Tout le monde a si fort goûtée la coûtume d’inserer dans le Journal des Sçavans, l’Eloge des grands Personnages que la mort a enlevez depuis peu, qu’on ne manquera pas de suivre cette méthode. C’est pourquoy on supplie les amis de ces illustres Défunts, de nous communiquer les Mémoires nécessaires. Nous n’examinerons point de quelle Religion ils auront été, Tros Rutulusve fuat, nullo discrimine habebo ; il suffira qu’ils ayent été célèbres par leur science. Les Moines illustres de ce côté-là, n’obtiendront pas moins de justice qu’un autre Sçavant. Il ne s’agit point ici de Religion, il s’agit de Science : on doit donc mettre bas tous les termes qui divisent les hommes en différentes factions, & considerer seulement le point dans lequel ils se réunissent, qui est la qualité d’Homme illustre dans la Republique des Lettres. En ce sens-là tous les Sçavans se doivent regarder comme freres, ou comme d’aussi bonne maison les uns que les autres4.

Si les réunions publiques, les académies et les salons permettaient déjà de toucher directement un public, les journaux savants représentent un « forum » autrement plus large, à l’échelle internationale, qui permet la circulation des idées et les débats devant un public beaucoup plus large dépassant les frontières aussi bien politiques que confessionnelles ou linguistiques. Il existe toutefois quelques difficultés linguistiques : sur le continent on ne lit pas l’anglais et dans les îles Britanniques on ne lit pas aisément le français, l’italien ou l’allemand. Mais le latin continue à être utilisé par tous les savants et les traductions qui se multiplient facilitent tout de même les échanges. La réflexion uniquement privée, dont les résultats étaient consignés par écrit et destinés à la postérité, fait place à l’échange direct ou indirect, coopératif ou polémique, avec des “collègues”, ainsi qu’avec un public non spécialisé, cultivé et très curieux des sciences. Les nouveaux journaux savants représentent une tribune publique d’expression dans la République des lettres. Or cette dernière est le théâtre de multiples controverses. Celles qui agitent les sciences n’ont rien à envier pour l’ardeur aux controverses religieuses, politiques et philosophiques de l’époque. La « Révolution scientifique » voit grandir la « querelle entre les anciens et les modernes »5, entre le nouveau et l’archaïque, entre l’autorité, la tradition et la raison, l’expérimentation. D’une part, la polémique rend possible la compréhension du sens et de la portée des théories. Les objections et les critiques obligent les savants à distinguer et à préciser ce qui était implicite et imprécis dans leurs formulations. Elles les forcent aussi à modifier, si nécessaire, leurs théories, pour surmonter les objections portées à leur encontre. D’autre part, la polémique rattache les théories au contexte social et intellectuel de l’époque. Elle révèle ce qui est sans fondement et ce qui nécessite une

3. Voir J. SGARD (dir.), Dictionnaire des Journaux, 1600-1789, op. cit. 4. Extrait de la Préface de Pierre Bayle aux Nouvelles de la République des Lettres. mois de mars 1684, op. cit. 5. Voir M. FUMAROLI, La Querelle des Anciens et des Modernes, op. cit.

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justification laborieuse, les implications dangereuses à éviter absolument, les intérêts intellectuels et politiques sous-jacents. La pratique de la polémique dévoile la nature et les limites de la rationalité telle qu’elle est mise en œuvre par les hommes de science. Elle met en évidence ce qui compte, à l’époque, pour critique recevable, pour preuve, pour argument convaincant, pour énoncé intelligible, pour acquis indubitable6. On peut distinguer trois types de polémique : la dispute, la discussion et la controverse. Dans son étude du discours de l’expérience en France et en Angleterre (1630-1820), Christian Licoppe a bien montré le rôle essentiel que joue la polémique dans l’histoire des sciences et l’importance de la rhétorique de la controverse7. Ainsi, la controverse du phosphore barométrique pose-t-elle le problème de la localisation du fait d’expérience sur son site de production et met-elle en évidence le mécanisme de la controverse : « en présence d’une controverse de répétition, si l’on croit très fort au système, on critiquera la compétence des expérimentateurs adverses et la fiabilité de leur dispositif. Si au contraire on est pessimiste quant à la possibilité d’établir des systèmes certains, le système considéré sera ravalé au rang de conjecture ou d’hypothèse, et la pertinence de chaque expérience réalisée localement maintenue, au prix d’admettre une disjonction entre les épreuves réalisées en différents lieux »8. Par ailleurs, les règles de bonne conduite et de bienséance en usage dans la République des lettres sont-elles respectées ou bien l’usage de communiquer par l’intermédiaire de ces premiers périodiques savants entraîne-t-il un changement dans ces règles ? À cette dernière question, on aurait plutôt tendance à répondre par la négative en fonction des exemples que nous ont fournis les deux périodiques étudiés. Le contenu des périodiques représente donc pour l’historien un champ d’investigation dans l’étude des polémiques scientifiques. Ces dernières prennent une toute autre dimension à travers les journaux en prenant l’opinion publique à témoin. Les revues de la seconde moitié du XVIIe siècle présentent-elles des critiques de livres utilisables par l’historien pour analyser la réception des œuvres scientifiques par le groupe social qui se retrouve derrière la “fabrication” du journal ? Les controverses très vives provoquées en 1665 par les critiques du fondateur du Journal des savants à l’égard de certains ouvrages engagèrent ses successeurs, mais aussi, par la suite, les rédacteurs d’autres revues, à proclamer leur neutralité vis-à-vis des livres qu’ils présentaient. Les auteurs acceptaient difficilement de voir leurs œuvres critiquées et ne supportaient pas qu’un journal puisse s’ériger en tribunal de la République des lettres, craignant la partialité de son rédacteur ou de son équipe dirigeante. En 1728, la préface de la Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savants de l’Europe témoigne encore de la persistance de cette méfiance à l’égard des journalistes. On y lit que les auteurs des extraits ne veulent pas être connus, qu’ils ne se connaissent même pas entre eux, et qu’ils travaillent à l’insu l’un de l’autre. On justifie l’incognito des auteurs par cette raison qu’un journaliste connu ne saurait être impartial et distribuer avec équité la louange et le blâme9. Mais la neutralité affichée par les rédacteurs

6. Voir M. DASCAL, « Controverses et polémiques », dans M. BLAY , R. HALLEUX (dir.), La science Classique. siècle. Dictionnaire critique, op. cit. ; F. GIL (dir.), Controverses scientifiques et philosophiques, Lisbonne 1990. 7. C. LICOPPE, La formation de la pratique scientifique. Le discours de l’expérience en France et en Angleterre (1630-1820), op. cit. 8. Ibid., p. 104. 9. E. HATIN, Bibliographie historique et critique de la presse périodique française, Paris 1866, p. 42.

XVIe-XVIIIe

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avait ses limites. En fait, les limites que se fixaient les rédacteurs furent bien souvent battues en brèche, les journalistes ne pouvant que rarement refréner entièrement leurs jugements personnels. De manière plus explicite, tout en rejetant un journal qui s’érigerait en tribunal et en critiquant les débordements du Mercure Sçavant, Pierre Bayle, le fondateur des Nouvelles de la République des Lettres, revendique une critique raisonnable pour ses lecteurs : Mais au reste l’on se croit obligé d’avertir de bonne heure le Public, à cause de ce qui a été touché ci-dessus, de la liberté dont jouissent nos Libraires, qu’on ne prétend point établir un Bureau d’Adresse de médisance, ni employer les Mémoires qui n’auroient pour but que de flêtrir la réputation des gens. C’est une licence indigne d’un honnête homme, et rien ne nous a choquez davantage dans le Mercure Sçavant, que l’affectation qui y règne de mal-traiter des Personnes très-illustres. Il semble que l’Auteur n’ait songé à ce travail, que pour satisfaire ses passions particulières. On s’éloignera ici de cette méthode, et l’on se contentera d’un raisonnable milieu entre la servitude des flateries, et la hardiesse des censures. Si l’on juge quelquefois d’un Ouvrage, ce sera sans prévention, et sans aucune malignité, et de telle sorte que l’on espere que ceux qui seront intéressez à ce jugement, ne s’en irriteront point. Car nous déclarons premièrement, que nous ne prétendons pas établir aucun préjugé ou pour, ou contre les Auteurs : il faudroit avoir une vanité ridicule pour prétendre à une autorité si sublime. Si nous approuvons, ou si nous réfutons quelque chose, ce sera sans conséquence, nous n’aurons pour but que de fournir aux Sçavans de nouvelles occasions de perfectionner l’instruction publique.

Plus tard, au début du XVIIIe siècle, dans les Mémoires de Trévoux, plus encore que pour le Journal des savants, cet idéal de neutralité ne peut être qu’un leurre dans une publication qui lutte contre le protestantisme, le jansénisme et surtout la « philosophie » du siècle10. Bien que les journalistes affirment vouloir « donner au public un état fidelle de tout ce qui paroît de curieux tous les jours dans le monde, en quelque genre de science que ce soit »11, les Mémoires opèrent un choix et ne se privent pas de jugement. Ainsi en janvier 1712, on peut y lire : Nous ne pouvons nous dispenser de mêler de la critique dans nos extraits, agir autrement, ce seroit manquer à nos devoirs les plus essentiels, ce seroit trahir les lecteurs qui nous prennent pour guides dans la connoissance des livres, que de se laisser séduire par des titres imposans, que de leur cacher les écueils où ils donneront infailliblement12.

En fait, dans le Journal des savants comme dans les Philosophical Transactions, tout au long de la seconde moitié du XVIIe siècle, on peut trouver sans peine des témoignages d’attitudes critiques envers les ouvrages. Ainsi, dans son numéro du lundi 29 novembre 1666, le journaliste de la revue parisienne ne ménage-t-il pas ses critiques envers un traité de médecine en provenance du Saint-Empire qu’il fustige pour son manque d’originalité, son auteur se voyant accusé de plagiat : « La Methode que cet Autheur garde dans ce livre ne differe en rien de celle qui s’observe ordinairement dans cette matiere. Il commence par les maladies de la teste ; en suite il traitte par ordre de celles de toutes les autres parties du corps, de leurs causes, de leurs signes, & de leurs remedes ; & dans le dernier livre il parle des Fièvres & des maladies exterieures. La

10. M.-H. FROESCHLÉ-CHOPARD, M. FROESCHLÉ, « Sciences et Arts dans les Mémoires de Trévoux (17011762) », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, op. cit. 11. Mémoires de Trévoux, février 1701. 12. Mémoires de Trévoux, janvier 1712.

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pluspart des remedes dont il se sert, sont tirez des livres de Chimie, & principalement de la Pratique de Hartman qu’il pille si hardiment, qu’il en prend quelques fois des pages toutes entières, sans nommer cet Autheur »13. En outre, le journaliste, considérant le manque d’intérêt de l’ouvrage, a réduit sa relation à une demi-page. Les jugements peuvent s’exercer de diverses manières : si la critique sévère ouverte n’est pas toujours de mise, en revanche, les véritables louanges, dispensées sans retenue, dont bénéficient certains ouvrages contrastent d’autant plus avec les expressions allusives et les petites phrases perfides dont sont gratifiés tels autres. Alliée à des commentaires très flatteurs, la longueur consacrée à la relation d’un ouvrage s’oppose encore plus vivement au dédain affiché dans la brièveté des commentaires d’un autre. Ainsi, en 1671, le Journal des savants14 comme les Philosophical Transactions15 consacrent-ils un compte rendu assez important d’environ trois pages au Traité de Physique du cartésien Jacques Rohault, montrant ainsi l’intérêt porté à cet ouvrage. L’accueil du Journal lui est tout à fait favorable : « Le choix des choses qui sont contenues dans ce livre, ne le rend pas moins recommandable, que la manière dont elle y sont traitées. Car on n’y trouve point ces questions abstraites qui servent ordinairement de sujet aux contestations des philosophes, & qui ne sont d’aucun usage dans le monde : Mais au lieu de ces subtilitez l’auteur y a ramassé quantité de choses dont la connoissance est également utile & curieuse ». On peut remarquer au passage la critique du rédacteur à l’encontre des débats autour des questions métaphysiques, et donc indirectement, à l’encontre d’une « philosophie naturelle » trop détachée de l’étude de la nature et des expériences. L’introduction des Transactions va plus loin, en soulignant les opinions de l’auteur sur la philosophie scolastique qui s’identifient manifestement aux idées chères aux fondateurs de la Royal Society : « Après que l’auteur a dans cet ingénieux traité donné les causes pour lesquelles la philosophie naturelle est restée stérile durant tant de siècles, et il a trouvé qu’elles étaient celles-ci, à savoir, le penchant servile pour l’autorité ; le refuge dans la métaphysique, les spéculations abstraites et générales ; la désunion de la raison et de l’expérience ; et la négligence des mathématiques ; il le divise en quatre parties principales »16. Soucieux de ménager les aristotéliciens, le Journal est plus prudent en affirmant plus loin dans la relation : « Quoy qu’il semble s’attacher particulierement à la doctrine de Descartes, il pretend n’avoir rien avancé qui ne soit conforme aux principe d’Aristote, & le plus souvent n’avoir fait que particulariser des choses qu’Aristote a dites en termes très généraux ; en quoy il a plutost confirmé la doctrine de ce Philosophe, qu’il ne l’a combatue ». Contrairement au Journal, dans la suite de la relation, les Transactions insistent sur la mécanique céleste : « Dans la seconde partie il traite du Système du Monde, selon les trois célèbres hypothèses de Ptolémée, Copernic et Tycho, mais il donne la préférence

13. « Philippi Grulingii Medicinae Practicae libri quinque. In 4. Northusae. Et se trouve à Paris chez Fred. Leonard », Journal des savants, 29 novembre 1666, p. 463 (275). [N.B. : Northusae, Nordhausen, ville de Thuringe]. 14. « Traité de Physique de Jacques Rohault. In 4. A Paris chez la Veuve Charles Savreux », Journal des savants, 22 juin 1671 (n° 3), p. 25-30 (56-58). 15. « Traité de Physique par Jaques Rohault, A Paris, 1671. in 4° », Philosophical Transactions, 17 avril 1671, n° 70, p. 2138-2141. 16. « After that the Author hath in this Ingenious Treatise assigned the Causes, why Natural Philosophy hath been steril for so many Ages, and found them to be these, viz. The too servil addiction to Authority ; the resting in Metaphysical, abstract and general speculations ; the severing of Reason and Experience ; and the Neglect of the Mathematiques ; He divideth it into Four principal parts » (ibid.).

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au système copernicien, comme le plus clair et le plus rationel »17. Dans la suite du compte rendu, le rédacteur s’étend longuement sur cette matière, alors que le Journal évite prudemment le sujet en se contentant d’une phrase très courte qui ne rend pas précisément compte du contenu de l’ouvrage : « il considère la nature & le mouvement des Corps celestes ». Cependant, le Journal ne se montre pas pour autant toujours aussi discret sur ce sujet. Ainsi, le Journal du 11 janvier 1666 ne se prive-t-il pas de rapporter en détail les propos d’Adrien Auzout sur la même matière : « Il dit que les observations de Campani sur les Planetes de Saturne & de Jupiter, & celles qu’il a faites luy-mesme vont à confirmer l’opinions de Copernic, pour laquelle il pretend que plusieurs Sçavans se seroient declarez, sans le Decret de l’Inquisition de Rome, qui l’a condamnée. Neantmoins il soutient que ce decret ne les doit pas empescher de le faire, parce qu’il n’est que provisionnel, & ne condamne pas absolument la doctrine de Copernic. Aussi montre-il qu’elle ne s’accorde pas moins avec les principes de la Religion, qu’avec ceux de la Philosophie »18. Dans le cas du traité de Rohault, le journaliste français préfère s’étendre davantage sur d’autres chapitres. Ainsi, considère-t-il le chapitre XII, sur la pesanteur de l’air, comme l’un des plus intéressants en se plaçant résolument du côté des partisans de Pascal : L’Auteur y traite des effets de la pesanteur de l’air, & outre ce que M. Pascal a déjà écrit sur cette matiere, il ajoute plusieurs autres choses pour faire voir que c’est le pressement de l’air qui éleve l’eau dans les Pompes aspirantes, qui la fait monter dans les Siphons, & qui fait enfler la chair lors qu’on applique des ventouses. On attribuoit autrefois tous ces effets à la crainte du vuide ; mais c’est apporter la cause finale, dit cet Auteur, au lieu de l’efficiente que l’on demande ; & c’est à peu près comme si quelqu’un étant interrogé comment le bois vient à Paris des Provinces éloignées, répondoit qu’il y vient par la crainte du froid.

Dans les comptes rendus de livres, deux niveaux d’analyse peuvent être retenus : les propos du journaliste et ses choix d’ignorer ou de développer telles ou telles parties d’un ouvrage. Ce dernier niveau peut être mis en évidence, éventuellement et au moins partiellement, par la comparaison de deux comptes rendus différents d’un même ouvrage, ainsi que l’on vient de le voir, ou bien en comparant directement le compte rendu à l’ouvrage dont il est censé rendre compte. Toutefois, la comparaison du contenu des comptes rendus de livres dans deux périodiques ne permet pas toujours de mettre en évidence des différences notables. À l’époque d’Henry Oldenburg, la comparaison entre les comptes rendus d’ouvrages du Journal des savants et ceux, pour les mêmes œuvres, trouvés dans les Philosophical Transactions s’avère pour une part décevante, surtout dans les premières années de la revue, et cela, quel que soit le domaine scientifique : soit que les rédacteurs des deux journaux aient rendu compte de manière assez similaire du même ouvrage, soit que le rédacteur de la revue londonienne n’ait offert à ses lecteurs qu’une traduction anglaise plus ou moins arrangée du compte rendu de la revue parisienne, se contentant de n’y apporter que quelques modifications, avec le retard dû évidemment à la réception du

17. « In the Second part he treateth of the System of the World, according to the Three celebrated Hypotheses, of Ptolomy, Copernic, and Tycho, but giveth the preference to the Copernican, as the plainest and the most rational » (ibid.). 18. « Lettre à Monsieur l’Abbé Charles, sur le Ragguaglio di nuove osservationi da Giuseppe Campani, par Adrian Auzout. A Paris chez Jean Cusson, rue S. Jacques », Journal des savants, 11 janvier 1666 (n° 2), p. 21-24 (16-17).

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Journal et au temps nécessaire à la traduction du compte rendu. Le rédacteur n’avertissait ses lecteurs de ses emprunts à la revue parisienne que très rarement. L’ordre des paragraphes du Journal n’est certes pas toujours respecté mais, identiques, le contenu comme la formulation ne laissent aucun doute sur la copie, remaniée ou non. Parmi les comptes rendus apparemment repris du Journal des savants sans que l’emprunt en soit indiqué19, l’analyse d’un exemple, le compte rendu d’un ouvrage du Père Fabri20, paru à Paris en 1666 et présenté ci-après, permettra de mieux comprendre la façon dont ces emprunts étaient faits au Journal. En cela, le périodique anglais allait au-delà de l’imitation, se présentant alors comme une traduction anglaise, affichée ou non, d’une partie du Journal. Pour le rédacteur, débordé de travail, il était tentant de reprendre de temps à autre à son compte dans son périodique des comptes rendus à sa disposition trouvés dans le Journal qu’il recevait régulièrement. Ses successeurs feront d’ailleurs parfois de même. (Le texte en italique correspond aux passages qui ont été supprimés ou résumés.) Philosophical Transactions du 22 octobre 1666, n° 18, pp. 325-327.

Journal des savants du 23 août 1666, n° 34, pp. 395-400 (édition de Paris).

HONORATI FABRI Soc. Jesu Theologi, Tractatus duo ; quorum Prior est de Plantis & de Generatione Animalium ; Posterior de Homine.

HONORATI FABRI SOC. IESV THEOLOGI Tractatus duo, quorum Prior est de Plantis & de Generatione Animalium, Posterior de Homine. In 4. Parisiis apud Franc. Muguet viâ Citharæ.

(1) As the Matter of this Book is considerable, so is the order and dependence of all its parts excellent ; in regard that all the Propositions are ranged according to a Geometrical method, and so well disposed, that the latter do always suppose the former, and seem to depend all of them upon certain evident principles, whence they fow by a natural consequence.

(11) Mais ce qu’il y a de plus beau dans ce livre et ce qu’on ne sçauroit bien representer dans ce Journal, c’est l’ordre et l’enchaisnement de toutes ses parties. Car toutes les propositions sont arrangées suivant la methode des Geometres, et si bien disposées que les dernieres supposent tousjours les premieres, et qu’elles dependent toutes de certains principes tres-evidens dont elles suivent par une consequence naturelle.

(2) This Volume contains two treatises.

(2) Il a expliqué toute la Physique en plusieurs livres, mais il n’a encore donné au public que ce volume qui contient deux traitez.

19. Cette pratique est surtout décelable dans les toutes premières années du périodique. Si certains cas de reprise du Journal paraissent évidents, d’autres laissent place à l’interrogation et à toutes les hypothèses. Il n’est donc guère possible de fournir des chiffres à cet égard. 20. Il faut d’ailleurs noter que Oldenburg déclare qu’il espère se procurer l’ouvrage du Père Fabri dans une lettre écrite à Boyle, datée du 23 octobre 1666 (Cf. H. OLDENBURG, The Correspondence of Henry Oldenburg, éd. A. R. HALL and M. BOAS HALL, op. cit., vol. 3, p. 272) alors que le compte rendu du livre paraît dans les Philosophical Transactions du 22 octobre 1666. Ce qui montre qu’il a fait paraître ce compte rendu sans avoir l’ouvrage correspondant entre les mains.

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(3) The First is divided into 5 Books. In the four first, he treats of Plants, and distributes them into three Classes, some growing in the Earth, as Trees ; others, growing upon Plants, as Mosse ; and a third sort growing upon Animals, as Hair, Horns, and Feathers. He examins and considers the Parts of all these Plants and their Use, the manner, how they are produced, and nourished ; and their different Qualities. He discourses also of Bread, Wine, Oyle, and the other Mixture, that are made of Plants.

(3) Le premier est divisé en cinq livres. Dans les quatre premiers il parle des Plantes, dont il fait trois espèces, les unes qui croissent dans la terre, comme les arbres ; les autres qui croissent sur les Animaux, comme le poil, les cornes, et les plumes. Il considère les parties de toutes ces Plantes et leur usage, la manière dont elles sont engendrées et dont elles se nourissent, et leurs différentes qualitez. Il parle encore du pain, du vin, de l’huile et de tous les autres mixtes que l’on tire des Plantes.

(4) In the Fifth Book, he treats of the Generation of Animals, where he delivers many curious matters, explicating in a very easie and familiar way that Argument, which hath always been lookt upon, as one of the obscurest in Natural Philosophy.

(suite du paragraphe 3) Dans le cinquiesme livre il traite de la génération des Animaux dont il dit plusieurs choses curieuses, et il explique d’une manière très-aisée, cette matière qui a tousjours passé pour la plus obscure de toute la Physique.

(5) The Second Treatise consists of 7 Books ; wherein the Author considers, what appertains to Man. He discourses first, of Digestion, of the Circulation of the Bloud, and of the Use of the principal parts of the Humane Body, Next, he treats of the Senses, External and Internal ; of all the Motions of the Body, both Natural and Voluntary ; of the sensitive Appetite, and the Passions ; Thence he proceeds to the Temperaments, Habits, Instinct, Sleep, Sicness, &c. Lastly, passing to the Rational Soul, he endeavours to demonstrate the Immortality thereof, and to explain also the Manner, how it worketh upon the Body, and is united with the Body ; where he omits not to reason of all the Powers of the Soul, of Liberty, and of the Operations of the Understanding and Will.

(4) Le second traitté comprend sept livres, dans lesquels cet Autheur considere tout ce qui appartient à l’homme. Il parle d’abord de la coction des alimens, de la circulation du sang, et de l’usage des principales parties du corps humain. Après cela il traite des sens externes et internes, de tous les mouvemens tant naturels que volontaires, de l’Appetit sensitif et des Passions. De plus il dispute du Temperament, des Habitudes, de l’Instinct, du Sommeil, des Maladies, et de plusieurs autres choses qui arrivent à l’Homme. Enfin il passe à l’Ame raisonnable dont il démontre l’immortalité, et il explique la manière dont elle agit sur le corps, et dont elle luy est unie : Il traite aussi de toutes les puissances de l’Ame, de la liberté, et des operations de l’Entendement et de la Volonté.

(6) In general, the Author makes it his study, for the explicating of the most perplext Difficulties, to shew, that Nature works not but by very simple and easie wayes.

(5) En expliquant toutes ces matieres il affecte plus de dire des choses veritables que d’admirables, et au lieu que plusieurs Philosophes attribuent les effets les plus communs à des causes surprenantes et extraordinaires, cet Autheur au contraire pour expliquer les difficultez les plus embarassées ne fait agir la Nature que par des moyens tres simples et tres faciles.

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(7) In particular he intersperses several curious remarks. E. g. He teaches how to make Perspectives, that magnifie Objects, without Glass ; telling us, that when an Object is look’d upon through a small hole, it appears much greater than it is ; and that therefore, if instead of Glasses one did cast before ones eyes two Plates having little holes in them, it would furnish us with a new kind of Perspectives, more commodious than those of Glasses, which spoil the Sight by reason of the refraction of the Rayes, caused thereby.

(6) Ce n’est pas qu’il ne rapporte dans ce livre plusieurs choses tres curieuses. Par exemple, il enseigne le moyen de faire sans verres des Lunettes qui grossissent les objets. Il dit que lors qu’on regarde de près quelque objet par un petit trou, il paroist beaucoup plus grand qu’il n’est ; et que par consequent si au lieu de verres on mettoit devant les yeux deux lames où il y eust de petits trous, on auroit une nouvelle manière de Lunettes plus commodes que celles de verre qui gastent la veuë à cause de la refraction des rayons qui s’y fait. Ceux qui aiment les curiositez d’Optique, en trouveront dans ce livre plusieurs semblables.

(suite du paragraphe 7) Again, He renders the cause of that common, but surprising, effect of Painters, drawing certain Pourtraictures, which seem to look directly upon all their Beholders, on what side soever they place themselves : Videl. That in those Pictures, the Nose is a little turned to one side, and the eyes to the other. Whence it comes, that such Pictures seem to look to the right side, because the Eyes are indeed turned that way ; but they appear also to look to the left, because the point of the Nose is turned that way, and the Table, whereon the Picture is drawn, being flat the Looker on perceives not, that the Eyes are turned th’other way ; which he would do, if the Eyes of the Pourtrait were convex : Whence it comes, that no Figure can be made embossed, which looks every way.

(7) Je rapporteray encore ce qu’il dit d’une chose qui est tres-commune, mais qui surprend souvent plusieurs personnes qui n’en sçavent pas la cause. Il demande pourquoy il y a de certains portraits qui semblent regarder tout le monde de quelque costé qu’on se mette. La raison qu’il en rend est que dans ces portraits le nez est un peu tourné d’un costé, et les yeux de l’autre. C’est pourquoy ces portraits semblent regarder à droit, à cause que les yeux sont en effet tournez de ce costé-là ; ils semblent aussi regarder à gauche, parce que la pointe du nez y est tournée, et que le tableau estant plat on ne s’apperçoit pas que les yeux sont tournez de l’autre costé ; ce qui s’apperceuroit si les yeux du portrait estoient convexes ; d’où vient qu’on ne sçauroit faire de figure en relief qui semble regarder de tous costez.

(8) The art, which he teaches of making Parsley shoot out of the ground in a few hours, is this. Infuse the seed of it in Vinegar ; and having sown it in good ground cast on it a good quantity of the Ashes of Bean-Cods, and sprinkle it with Spirit of Wine, and then cover it with some linnen. He mentions also, that if you calcine Earth, and then water it well, it will produce a great variety of different Herbs, and that the Ashes of Corn burnt, being sown, have sometimes produced other Corn.

(8) Il enseigne aussi le moyen de faire pousser hors de terre du Persil en fort peu d’heures. Il dit qu’il n’y a qu’à mettre tremper de la graine de persil dans du vinaigre, et l’ayant ensuite semée dans de bonne terre, jetter dessus beaucoup de cendres de cosses de feves, puis l’arroser avec de l’esprit de vin, et la bien couvrir avec des linges. Il adjouste que si l’on brûle ou calcine de la terre, & qu’en suitte on l’arrose avec beaucoup d’eau, il y viendra une infinité d’herbes differents ; et que les cendres du blé que l’on avoit bruslé estant semées, n’ont pas laissé de produire quelque fois d’autre blé.

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(9) To add that by the by, this Author is not so addicted to Aristotle, as to be on his side, when he thinks Truth is not. He hath emancipated himself condiderably from the Scholastick way of Philosophing.

(1) De ceux qui ont excellé dans la connoissance des choses naturelles, les uns se sont attachez à Aristote avec tant de scrupule qu’ils n’ont rien voulu recevoir que ce qu’il a enseigné, les autres s’en sont esloignez avec tant de passion qu’ils ont entierement rejetté sa doctrine ; et comme les premiers ont quelquefois mieux aimé estre du party d’Aristote que de celuy de la verité, les derniers ont souvent mieux aimé n’estre pas du party de la verité que d’estre de celuy d’Aristote. Le p. Fabri a tenu le milieu entre ces deux extremitez : Car quoy qu’il ait jugé la doctrine de ce Philosophe la plus véritable de toutes, il a neantmoins reconnu qu’elle n’estoit pas entierement parfaite : Mais pour quelques petits defauts qui s’y rencontrent, il n’a pas crû qu’il la falust absolument condamner. Il luy a seulement donné un nouveau jour et en y changeant peu de choses, il a trouvé moyen de rendre facilement raison des effets les plus cachez de la Nature.

(suite du paragraphe 9) He dares maintain, that the Vegetative and Sensitive Souls are not Substancial Forms ; and that it is with Plants and Animals, as with Artificial things, the Form whereof results from the Union and Disposition of the parts. According to this Hypothesis he explicates all the Operations of Plants and Animals, without having any recourse to the Soul.

(9) Il a quelques opinions particulieres qui meritent d’estre examinées. Il soustient que l’Ame vegetative et l’Ame sensitive ne sont point des formes substantielles, et qu’il en est des Plantes et des bestes comme des choses artificielles, dont la forme resulte de l’union et de la disposition des parties. Suivant cette hypothese, il explique toutes les operations des Plantes et des Animaux sans avoir recours à l’Ame.

He avers also, that there are no Species Intentionales, and no Habitudes, and that the Animal Spirits, which Philosophers commonly believe to be necessary for all the Operations of Life, are useless.

Il pretend aussi qu’il n’y a point d’habitudes, et que les esprits animaux que les Philosophes croient communement estre necessaires pour toutes les operations de la vie, sont inutiles.

(10) It might also be observed out of this Author, what he discourses of the Generation of Animals by Putrefaction ; of the Cause of intermittent Feavers, and of the Animal Instinct, and of many other particulars ; were it not better to refer the curious to the Book it self.

(10) On pourroit encore remarquer ce qu’il dit de la generation des Animaux qui viennent de pourriture, de la cause des fievres intermittentes, et de l’instinct des animaux ; et plusieurs autres choses singulieres qui seroient trop longues à rapporter.

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[le dernier paragraphe 12 n’apparaît pas dans la version anglaise]

(12) Il y auroit seulement à souhaiter pour la perfection de ce livre, que l’on eust les volumes precedens dont celuy-cy dépend. Mais il y a apparence que le P. Fabry les mettra bien tost en lumiere : Car il promet dans la preface de les donner au public si l’on reçoit favorablement ce premier volume, et il a esté receu de tous ceux qui aiment la Philosophie, aussi favorablement qu’on le puisse estre.

Dans l’exemple ci-dessus, fourni par le compte rendu de l’ouvrage du père Fabri, on peut constater que le rédacteur des Transactions a repris la plupart des paragraphes du Journal, paru deux mois plus tôt, en se contentant de les traduire en anglais. Toutefois, il a opéré quelques modifications non négligeables. Ainsi, il a décidé de supprimer le dernier paragraphe (12) qui au fond n’apportait rien à l’analyse de l’ouvrage, exprimant l’attente du journaliste et son souhait de voir paraître les volumes précédents celui qu’il présentait à ses lecteurs. Mais lorsque le journaliste écrit que l’ouvrage « a esté receu de tous ceus qui aiment la Philosophie, aussi favorablement qu’on le puisse estre », il parle naturellement pour la France et plus particulièrement, sans doute, pour les milieux érudits parisiens qu’il fréquente. Dans ces conditions, le rédacteur de la revue londonienne pouvait difficilement reprendre à son compte le texte de ce paragraphe, sans doute trop personnel et s’appliquant au contexte parisien, à moins de faire explicitement référence au Journal, ce qu’il voulait visiblement éviter. Le dernier paragraphe n’était pas adapté au contexte anglais, non pas que les milieux érudits anglais aient mal reçu l’ouvrage mais plutôt parce qu’ils ne le connaissaient sans doute pas encore, contrairement à Paris où l’ouvrage venait de paraître. Autres modifications notables opérées par le rédacteur des Transactions, les changements dans l’ordre d’apparition du premier (1) et de l’avant dernier paragraphe (11) de la relation du Journal. Le rédacteur a préféré placer le paragraphe (11) en tête du compte rendu, tout en résumant la première phrase. Ce paragraphe qui décrit la structure générale de l’ouvrage pouvait en effet fort bien apparaître au début de la relation. Il a divisé par ailleurs le paragraphe (3) de la version française en deux paragraphes distincts alors qu’il a réuni les paragraphes (6) et (7) du Journal en un seul. Si quelques phrases par-ci par-là ont été simplifiées voir supprimées (passages italiques), en revanche le changement le plus important est représenté par le fait d’avoir nettement condensé le paragraphe (1) de la version française en le réunissant avec le paragraphe (9). Henry Oldenburg, le rédacteur des Transactions, a préféré ne pas s’embarrasser des circonvolutions de son collègue français qui tente, semble-t-il, de tenir la balance égale entre partisans et adversaires convaincus de l’aristotélisme en rejetant les uns comme les autres aux extrêmes et en plaçant le Père Fabri au milieu. Mais une analyse plus fine du sens du texte montre qu’il n’est pas aussi neutre qu’il pourrait le paraître à première vue : « comme les premiers [les aristotéliciens] ont quelquefois mieux aimé estre du party d’Aristote que de celuy de la verité, les derniers [les anti-aristotéliciens] ont souvent mieux aimé n’estre pas du party de la vérité que d’estre de celuy d’Aristote », autrement dit si les anti-aristotéliciens ont commis des erreurs (nombreuses évidemment…), la faute en revient entièrement aux seuls aristotéliciens, rendus seuls responsables, et à leur entêtement. De manière quelque peu insidieuse, tout en flattant les aristotéliciens – ils n’ont été dans l’erreur 145

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que quelquefois, alors que leurs adversaires l’ont été souvent – le journaliste absout les adversaires d’Aristote en accablant ses partisans. Et plus loin, on lit : « Car quoy qu’il [le P. Fabri] ait jugé la doctrine de ce Philosophe la plus véritable de toutes, il a neantmoins reconnu qu’elle n’estoit pas entièrement parfaite ». La façon de formuler cette phrase est tout aussi significative quant aux préférences du journaliste et à son jugement. Le premier paragraphe du compte rendu du Journal, rédigé probablement par son rédacteur, l’abbé Galloys, peut être mis en relation avec le conflit de plus en plus aigu en France entre cartésiens et aristotéliciens. Anti-aristotélicien convaincu, appartenant à un milieu, la Royal Society, dont le but affiché est de développer la « nouvelle philosophie », Henry Oldenburg, lui, n’a pas à ménager les partisans d’Aristote et il considère que la majorité de ses lecteurs sont a priori dans le même camp que lui, ou du moins, c’est pour eux qu’il écrit. Il retient avant tout que l’auteur de l’ouvrage s’est éloigné suffisamment de l’aristotélisme pour être sans doute à ses yeux digne d’intérêt. En revanche, dans le paragraphe (9), Oldenburg a éprouvé le besoin de se justifier auprès de ses lecteurs en précisant que cet auteur n’est pas si attaché à Aristote, quand il pense qu’il a tort et qu’il s’est affranchi en grande partie de la philosophie scolastique, en résumant ou plutôt en interprétant le premier chapitre de la version française. Cet exemple de reprise de compte rendu de livre du Journal dans les Transactions illustre le fait que le rédacteur de la revue londonienne ne reprenait pas forcément le compte rendu français tel quel, dans sa totalité. Il pouvait le remanier à sa convenance, y compris d’ailleurs les rares fois où il citait sa source, le Journal des savants, comme dans le cas du compte rendu de l’Astronomia Reformata du Père Riccioli21. Le compte rendu du traité de philosophie naturelle de Guarini offre le cas d’une reprise du Journal par le rédacteur des Transactions où ce dernier s’est contenté de traduire la relation de la revue parisienne en n’y apportant que des modifications beaucoup plus succinctes, sans pour autant citer sa source.

21. Dans l’extrait de l’Astronomia Reformata du Père Riccioli, Henry Oldenburg déclare : « For the Notice of this Book, and the Account of the Chief Heads contained therein, we are obliged to the Journal des Scavans ; which inform us… » « Astronomia Reformata Auctore P. Joanne Bapt. Ricciolo Soc. Jesu. In fol. Bononiae. Et se trouve à Paris chez Piget », Journal des savants, 24 janvier 1667, n° 2, p. 13-17 (10-12) ; « Astronomia Reformata, Auctore Johanne Bapt. Riccioli, Soc. Jesu », Philosophical Transactions, 2 février 1667, n° 22, p. 394-396.

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Philosophical Transactions du 17 décembre 1666, n° 20, p. 365-366.

Journal des savants du 29 novembre 1666 (n° XXXIX), p. 274-275.

PLACITA PHILOSOPHICA Guarini.

PLACITA PHILOSOPHICA GUARINI CLERICI Regularis, vulgo Theatini. In fol. Parisiis, apud Dionys. Thierry.

The chief subject of this Treatise is Natural Philosophy, upon many important questions whereof is enlargeth, as those of the Motion of the Cœlestial Bodies, of Light, of Meteors, and of the vital and animal functions ; leaving sometimes the common opinions, and delighting in the defence of Paradoxes.

E. G. That the material substancial Forms, is nothing but mera potentia, and subsists not by it self : by which means the Author judges, he can free himself from many great difficulties touching Generation and Corruption, which do perplex the other Philosophers.

La Physique est ce qu’il y a de plus considerable dans ce Livre. Car quoy que la Logique et la Metaphysique y soient aussi traittées assez amplement, neantmoins cet Autheur s’est particulierement arresté à expliquer toutes les parties de cette Science, et s’est étendu sur plusieurs questions du mouvement des Astres, de la Lumière, des Meteores, et des actions Vitales et Animales, que les Philosophes abandonnent ordinairement aux Mathematiciens et aux Medecins. Mais il s’écarte quelquefois des opinions communes, et prend plaisir à soustenir des Paradoxes. On en pourra juger par les remarques suivantes. 1. Il soustient que la Forme substantielle materielle n’est qu’une pure puissance, et qu’elle ne subsiste point par elle-mesme : Et il croit que par ce moyen il evite plusieurs grandes difficultez touchant la Generation et la Corruption, qui embarassent les autres Philosophes.

He holds Epicycles to be impossible, and Excentricks, not sufficient to explicate the motion of the Stars ; but that all the irregularities of this motion may be salved by the means of certains Spiral Lines ; largely proving this Hypothesis, and particularly explicating the motion of each Planet.

2. Il pretend que les Epicycles sont impossibles, et que les Eccentriques ne suffisent pas pour expliquer le mouvement des Astres ; mais qu’on peut sauver toutes les irregularitez de ce mouvement par le moyen de certaines lignes spirales. Il prouve fort au long cette hypothese, et il explique en particulier le mouvement de chaque Planette.

He denies the middle Region of the Air to be cold ; and believes that cold is not necessary to condense the vapours into Water.

3. Il croit que la moyenne region de l’air n’est pas froide, comme la pluspart des Philosophes asseurent, et que le froid n’est pas necessaire pour condenser les vapeurs en eau.

He admits not that received Axiome, That the generation of one Body is the corruption of another ; maintaining that there are Generations, to which no corruption ever preceded ; and that it may happen, that one Animal without dying may be changed into another Animal.

4. Il n’admet pas ce celebre Axiome des Philosophes, que la Generation d’un corps est la Corruption d’un autre. Car il pretend qu’il y a des Generations qui ne sont precedées d’aucune Corruption, et qu’il se peut faire qu’un Animal, sans mourir, soit changé en un autre Animal.

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He alledges several reasons to evince, that the Air breathed in, enters not only the whole capacity of the Chest, but also into the lower belly. He is of opinion that the Air, which is commonly believed to corrupt easily is incorruptible ; alledging among other reasons, this for one, that experience shews, that if a Bottle be exactly stop’d, there is never any mixt Body form’d in it ; wherefore, saith he, the Air is not corrupted there.

5. Il apporte plusieurs raisons pour montrer que l’air que l’on respire, entre non seulement dans toute la capacité de la poictrine, mais encore dans le bas ventre, contre l’opinion ordinaire des Medecins. 6. L’air que l’on croit ordinairement estre si facile à corrompre est incorruptible suivant la pensée de cet Autheur. Il en apporte plusieurs raisons, et entr’autres il dit que l’expérience fait voir que si l’on bouche exactement une bouteille, jamais il ne s’y forme aucun mixte, d’où il conclud que l’air ne s’y corrompt point.

He maintains, that ’tis not the Magnet that draws the Iron, but rather the Iron that attracts the Magnet. To explain which he affirms, that the Load-stone spreads abroad out of it self many corpuscles, which the substance of the Iron inabibes, and that, as dry things attract those that are moist, by the same reason Iron draws the Loadstone.

7. Il soustient que ce n’est pas l’aimant qui attire le fer, mais que c’est plutost le fer qui attire l’aimant. Pour expliquer cette attraction, il dit que l’aimant répand hors de soy plusieurs petits corps dont la substance du fer s’imbibe ; et que comme les choses seches attirent celles qui sont humides, le fer par la mesme raison attire l’aimant.

He rejects the species intentionales, Vital and Animal Spirits, and holds many other uncommon opinions, touching Light, the Iris, the Flux and Reflux of the Sea, &c.

8. Il rejette les especes intentionnelles, les esprits vitaux et animaux ; et il tient beaucoup d’autres opinions extraordinaires touchant la lumière, l’Iris, le flux et reflux de la Mer &c.

Pour les rédacteurs de journaux savants de l’époque, l’approvisionnement en livres étrangers était parfois difficile, aussi le fait d’offrir à leurs lecteurs un compte rendu repris du Journal des savants pouvait leur permettre de pallier cette difficulté. Dans certains cas, le contenu des comptes rendus des deux revues semble très similaire, sachant que ces comptes rendus des Transactions parurent postérieurement à ceux du Journal, mais sans que l’on retrouve exactement les mêmes tournures de phrases. Le rédacteur des Transactions n’était-il pas influencé malgré lui par sa lecture antérieure de la relation du Journal lorsqu’il rédigeait son propre compte rendu ? Il devait en effet lui être difficile de faire abstraction de ses lectures récentes du Journal des savants. Dans le cas du compte rendu relatif au troisième tome des lettres de Descartes, on peut se demander si Henry Oldenburg, ayant rédigé son propre compte rendu de l’ouvrage, n’a pas été tenté d’y faire quelques ajouts de dernières minutes avant l’impression de son numéro, après avoir pris connaissance de la relation du Journal des savants. En effet, outre des passages similaires, il peut sembler curieux de trouver quelques paragraphes identiques à ceux du Journal, en particulier le dernier, alors que le reste du texte diffère suffisamment, puisqu’il contient des détails absents de la relation du Journal. Le rédacteur précise d’ailleurs que l’ouvrage lui a été envoyé par son correspondant parisien (voir paragraphe 4, texte italique qui diffère du texte français), ce qui lui a permis d’en donner aux lecteurs un compte rendu qu’il qualifie lui-même de rapide ou superficiel (cursory). Peut-être, le compte rendu du Journal lui a-t-il permis malgré tout de l’étoffer un peu plus, à moins qu’il lui ait permis de rédiger le sien plus rapidement en le reprenant comme base à modifier, livre en main. 148

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Journal des savants du 31 janvier 1667 (n° III), p. 17-19. (extraits choisis)

Philosophical Transactions du 11 février 1667, n° 22, p. 392-394. (extraits choisis) Le Tome troisieme et dernier des Lettres de M. Descartes.

Lettres de Mr. Descartes. Tome Troisiesme. In 4. A Paris chez Charles Angot.

[…]

[…]

(4) Beside this, though one would think, Disputes had no place in Geometry, since all proofs there, are as many Demonstrations ; yet M. Des-Cartes hath had several scufles touching that Science. As M. Fermat had assaulted his Dioptricks, so He reciprocally examined his Treatise De maximis & minimis, pretending to have met with Paralogismes in it. But the Cause of M. Fermat was learnedly pleaded for, by some of his Friends, who took their turn to examine the Treatise of Des-Cartes’s Geometry ; whereupon many Letters were exchanged, to be found in this Book, and deserving to be considered ; which doubtless the Curious would easily be induced to do, if Copies of this Book were to be obtain’d here in England, besides that one, which the Publisher received from his Parisian Correspondent, and which affords him the opportunity of giving this, though but Cursory, Account of it.

(4) Quoi que les contestations ne doivent point avoir lieu dans la Geometrie, puis que toutes les preuves dont elle se sert sont autant de demonstrations, neantmoins M. Descartes a eu plusieurs demeslez touchant cette science. Comme M. de Fermat avoit attaqué sa Dioptrique, M. Descartes pour lui rendre la pareille examina son traité de Maximis & Minimis, & pretendit y avoir trouvé des paralogismes. Mais la cause de M. de Fermat fut doctement defendue par quelques uns de ses amis, qui examinerent à leur tour le traité de Geometrie de M. Descartes ; & il se fit làdessus plusieurs escrits qui sont dans ce livre, & qui meritent d’estre vus.

[…]

[…]

(6) Besides all these particulars, treated of in this Tome, there occur many pretty Questions concerning Numbers, the Cycloid, the manner of Working Glasses for Telescopes, the way of Weighing Air, and many other Curiosity, Mathematical and Physical.

(7) Outre toutes les choses dont j’ay parlé cy-dessus, on trouvera dans ce livre plusieurs belles questions touchant les Nombres, la Roulette, la maniere de travailler les verres des Lunettes, le moyen de peser l’air, & d’autres semblables curiositez de Mathematique & de Physique.

Avec la parution irrégulière du Journal et la réduction conséquente de son volume, à partir de 1667, Henry Oldenburg fut bien obligé de se passer progressivement de ses emprunts à la revue parisienne. Aussi, après 1674, lorsque le Journal paraîtra de nouveau de manière régulière, les emprunts de comptes rendus d’ouvrages de la revue parisienne se feront plus rares que dans les premières années, le rédacteur aura dû prendre l’habitude de s’en passer. Si cette pratique, plus fréquente dans les premières années, a l’inconvénient de restreindre un champ de comparaison entre les deux revues, elle en ouvre néanmoins un autre. En effet, la reprise de comptes rendus du Journal dans les Transactions résulte des choix du rédacteur et révèle qu’il était loin de reprendre la totalité des relations d’ouvrages scientifiques mais seulement cer149

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tains. L’analyse de ces choix est susceptible de montrer les préférences et l’intérêt du rédacteur pour un domaine plutôt qu’un autre. Privilégier un ouvrage en reprenant le compte rendu de la revue parisienne ou en ignorer volontairement un autre, pourtant analysé également dans le Journal, représente un choix révélateur de l’intérêt du rédacteur ou de sa volonté de ne pas prendre en compte un certain type d’ouvrage. Toutefois, l’analyse de la façon dont le rédacteur des Transactions reprenait à son compte des comptes rendus du Journal n’est pas forcément non plus sans intérêt par rapport à la comparaison de deux comptes rendus originaux d’un même ouvrage, elle peut également apporter des informations pertinentes. En dehors de ses emprunts occasionnels au Journal22, Henry Oldenburg alimentait sa revue par des compte rendus d’ouvrages personnels, fruits de son travail assidu. Parallèlement, l’abbé Galloys, qui avait la charge du Journal des savants, tenait aussi beaucoup à produire sa revue par un travail très personnel. Mais dans le cas de leurs successeurs, il est moins évident de pouvoir leur attribuer systématiquement tous les comptes rendus d’ouvrages, particulièrement dans le cas du Journal qui fonctionne officiellement avec une équipe rédactionnelle imposée au rédacteur par le chancelier à partir de 1687. Dans ces conditions, comme les journalistes ne signaient pas leurs comptes rendus d’ouvrages, il est souvent assez difficile d’attribuer la relation d’un livre à l’un des membres de l’équipe rédactionnelle ou à l’un de ces collaborateurs plus ou moins occasionnels participant à la rédaction de la revue. Toutefois, il faut se souvenir que le rédacteur qui avait en charge le Journal était responsable devant le chancelier de son contenu. Pour les deux périodiques, si l’on ne connaît pas l’auteur d’une relation, le nom du rédacteur qui dirige la revue est lui toujours bien connu. Ce dernier relisait ce qui était publié sous sa responsabilité, il pouvait faire ou demander des corrections, refuser un manuscrit. Si un jugement est exprimé dans la revue à l’égard d’un livre, c’est qu’à défaut de l’avoir émis lui-même, le rédacteur l’a approuvé ou tout du moins admis. Le jugement des rédacteurs s’exprime aussi dans le choix des livres. Ainsi, dans la longue controverse sur l’origine des vents, les Acta Eruditorum de Leipzig fournirent un compte rendu très favorable du traité d’Antonio Vallisneri, tout en ignorant son adversaire, alors que le Journal des savants ne prêta attention qu’à son opposant, en ignorant Vallisneri. Dans ce cas précis, on peut peut-être expliquer la prévention du journal parisien par la présence dans son comité de rédaction de Nicolas Andry qui poursuivait une polémique avec Vallisneri sur un sujet tout à fait différent23. Les périodiques présentent le reflet de la production de l’époque. Ainsi, l’examen des formats des livres présentés par le Journal des savants et les Philosophical Transactions, dans des domaines scientifiques tels que l’astronomie, les mathématiques et la physique (Graphique 3), met en évidence le progrès des petits formats (in 8 et in 12) à la fin du XVIIe siècle, en France comme en Angleterre, avec cependant un certain retard par rapport à l’ensemble de la production si l’on se réfère aux travaux d’Henri-Jean Martin24.

22. En l’occurrence, dans les années 1666-1672, les comptes rendus que Henry Oldenburg a pu “emprunter” au Journal des savants étaient rédigés par l’abbé Galloys, le rédacteur du Journal. 23. L’exemple est cité par R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, Londres 1997, p. 11. 24. Les petits formats, infiniment moins coûteux, s’imposent à partir des années 1660-1670 (environ 80 % des titres d’après le catalogue auteurs de la Bibliothèque nationale). Cf. H.-J. MARTIN, « Une croissance séculaire », dans R. CHARTIER, H.-J. MARTIN (éd.), Histoire de l’édition française, t. II : Le livre triomphant (1660-1830), op. cit., p. 95-103 ; et du même auteur, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (15981701), op. cit., voir son graphique p. 1064.

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Journal des savants Philosophical transactions 70 % 60 % 50 % 40 % 30 % 20 % 10 % 0% in f°

in 4 in 8/12 1673-1677

in f°

in 4 in 8/12 1683-1687

in f° in 4 in 8/12 1693-1697

Graphique 3 : Formats des ouvrages présentés par le Journal et les Transactions en astronomie, mathématiques et physique.

Les petits formats permettent de nouvelles pratiques de lecture. Chaque moment de libre dans la journée peut ainsi être mis à profit pour se “réfugier” dans la lecture. À la fin du XVIIIe siècle, dans son Tableau de Paris, Louis-Sébastien Mercier soulignera cette évolution : « La mode a changé : on ne recherche plus que les petits formats ; on a réimprimé ainsi tous nos jolis poètes. Ces livrets ont l’avantage de pouvoir être mis en poche, de fournir au délassement de la promenade, et de parer à l’ennui du voyage »25. En outre, moins onéreux, les petits formats permettent une plus grande diffusion. De manière plus générale, les ouvrages présentés donnent accès aux œuvres considérées comme importantes à l’époque. Par ailleurs, l’origine des ouvrages permet de dégager des courants d’échanges privilégiés, ainsi le désintérêt pour l’Italie se manifeste-t-il à la fois dans le Journal des savants et les Philosophical Transactions, à partir des années 1670 : dans des domaines scientifiques comme l’astronomie, les mathématiques et la physique, alors que la proportion de livres italiens dépassent 20 % dans les comptes rendus d’ouvrages des deux revues entre 1665 et 1672, dans les années suivantes (entre 1673 et 1687), cette proportion chute à moins de 5 %. Dans son étude des relations érudites franco-italiennes dans la période 1660-1750, Françoise Waquet a utilisé aussi bien le dépouillement systématique du Journal des savants et des Mémoires de Trévoux, respectivement pour les années 1665-1750 et 1701-1750, comme voie d’approche pour mesurer l’intérêt que l’on prêtait en France au livre italien, que la lecture des divers périodiques érudits italiens afin d’évaluer l’intérêt que l’on portait outre-monts au livre français ainsi que l’information dont les savants italiens disposaient26. L’appartenance des ouvrages à un domaine du savoir permet

25. Cité par R. CHARTIER, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris 1991, p. 114. 26. F. WAQUET, Le modèle français et l’Italie savante. Conscience de soi et perception de l’autre dans la République des lettres (1660-1750), Rome 1989.

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également de mesurer l’importance que les rédacteurs lui accordent, elle est aussi en rapport avec la politique éditoriale voulue par les rédactions des revues. Cependant, aux XVIIe et XVIIIe siècles, la connaissance n’était pas encore vraiment cataloguée selon les disciplines qui nous sont aujourd’hui familières. II. Les premiers périodiques scientifiques et la classification du savoir dans la seconde moitié du XVIIe siècle Au XVIIe siècle, les classifications héritées des siècles précédents, dont l’origine remonte souvent à l’Antiquité, vont se heurter encore plus qu’à la Renaissance à la recomposition des champs du savoir et à l’émergence de sciences nouvelles27. Si les classifications ont été bien étudiées pour le Moyen Âge et le XVIIIe siècle, la thèse de Jean-Marc Mandosio est venue combler une lacune pour la Renaissance, comprise par l’auteur au sens de la période qui s’étend du milieu du XVe au milieu du XVIIe siècle28. De manière spécifique, la seconde moitié du XVIIe siècle, période pourtant essentielle dans le mouvement de la « Révolution scientifique », n’a pas suscité autant d’intérêt que les périodes précédentes ou les classifications des encyclopédistes et des philosophes des Lumières. En dehors d’études plus générales qui s’étendent du XVIe au XVIIIe siècles, le travail de Lorraine Daston sur les classifications du savoir à l’époque de Louis XIV est donc d’autant plus remarquable29. Les classifications de la seconde moitié du XVIIe siècle posent le problème de savoir comment concilier l’idéal professé de l’unité du savoir avec la prolifération et la spécialisation croissante des connaissances. Alors que l’Histoire de l’Académie Royale des Sciences fit apparaître dès 1700 une classification des comptes rendus sous des rubriques telles que Physique générale, Anatomie, Chimie, Botanique, Arithmétique, Algèbre, Géométrie, Astronomie, Géographie, Mécanique, et qu’elle poursuivit cette pratique jusque dans les années 1780, les Philosophical Transactions évitèrent d’organiser leurs articles par discipline, même dans le sommaire de chaque numéro ou dans les index placés à la fin des volumes. Bien que les Philosophical Transactions se soient a priori adressées plutôt à un public versé en science de la nature, pas le moindre classement n’a été imposé à ce qui nous apparaît aujourd’hui comme une collection extraordinairement hétérogène d’articles pouvant se rattacher à des domaines très divers et très éloignés les uns des autres. Alors que les Philosophical Transactions n’offrent que des index par ordre alphabétique, le Journal des savants fournit, en plus des index annuels matières et auteurs, un classement par domaine à travers ses bibliographies annuelles, à compter de 1675. Or du côté anglais, l’abandon de toute classification au profit de l’unique ordre alphabétique n’est pas sans relation avec l’image du savoir et de son développement. Bacon et Descartes recommandaient tous deux les études encyclopédiques comme un antidote au fléau de la spécialisation, et pratiquaient tous deux ce qu’ils prêchaient. Mais, pour Lorraine Daston, tandis que la croyance de Bacon

27. Pour une histoire des classifications, voir A. SERRAI, Le classificazioni : idee e materiali per una teoria e per una storia, Florence 1977. 28. J.-M. MANDOSIO, « La classification des sciences et des arts à la Renaissance », thèse de doctorat en histoire sous la direction de Danielle Jacquart, École Pratique des Hautes Études, Paris 1998. 29. L. J. DASTON, « Classification of Knowledge in the age of Louis XIV », dans D. L. RUBIN (éd.), Sun King : The ascendancy of French culture during the reign of Louis XIV, Washington 1992, p. 207-220.

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dans le fait que la nature était un tissu d’analogies aurait conduit à une tradition typiquement anglaise d’études hétérogènes, pour ne pas dire éclectiques, en philosophie naturelle, la confiance de Descartes dans le fait que presque toute la connaissance humaine pourrait être déduite d’un seul jeu d’axiomes aurait fourni aux savants français un raisonnement implicite en faveur de recherches spécialisées30. De tels penchants nationaux se révèlent également dans l’organisation de la Royal Society et de l’Académie royale des sciences. Alors que pour cette dernière, le règlement de 1699 établissait de manière définitive une division des académiciens par spécialité : anatomie, mathématiques, astronomie, chimie, botanique, et physique, dans laquelle on retrouve pour une grande part la classification de l’Histoire de l’Académie Royale des Sciences, la Royal Society refusait toute spécialisation, et quoique comptant dans ses rangs des savants de grande valeur comme Boyle ou Newton, elle resta une compagnie d’amateurs jusque vers 1830. La Royal Society sacrifia la professionalisation à l’idéal de l’unité des sciences. Ainsi la présence d’une classification dans le Journal des savants et son absence dans les Philosophical Transactions pourraient être regardées comme la résultante de tendances divergentes dans la conception du savoir de part et d’autre de la Manche. Dans le Journal des savants, malgré leurs différences, les bibliographies annuelles des années 1675-1682, que nous donnons en exemple ci-après, sont en accord avec les cinq grandes catégories du temps : Théologie et Religion, Histoire, Droit et Jurisprudence, Sciences et Arts, Belles-Lettres. À l’intérieur des Sciences et Arts, la catégorie Philosophie de l’année 1675 s’identifie par son contenu à la catégorie Logique et Physique des années suivantes31, la Logique correspondant plutôt au domaine philosophique au sens actuel et la Physique à la matière scientifique. La catégorie Médecine correspond pour une part aux sciences de la nature et de la vie, avec parfois la chimie en plus. La chronologie et la géographie (à laquelle se rattachent les voyages) sont soit confondues avec une grande catégorie Histoire, comme le veut l’usage à l’époque, soit parfois réunies dans une catégorie indépendante qui apparaît juste avant celle de l’Histoire sacrée et prophane. Dans les années 1680, la chronologie et la géographie sont souvent réunies avec la grammaire (qui recouvre entre autres ce que nous appellerions aujourd’hui linguistique ou étymologie, domaines essentiels à l’étude de la géographie ancienne). Ainsi, contrairement aux classements assez rigides en vigueur dans les bibliothèques – on peut penser en particulier au classement modèle qu’utilisa Nicolas Clément en 1684 pour la Bibliothèque du Roi – un périodique comme le Journal des savants montre une variabilité de son classement, et parfois, un besoin de précision, qui témoignent que les rédacteurs obéissaient à d’autres impératifs que ceux des bibliothécaires

30. Ibid., p. 209. 31. Bien que les bibliographies du Journal emploient les termes de Philosophes ou de Logiciens et Physiciens, pour désigner ces catégories, il me semble plus commode d’employer les noms des matières correspondantes.

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Patres graeci et Biblia Sacra et latini (1) interpretes (1)

Theologi (2)

Theologi et Ascetici (2)

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1679

1680

1681

1682

Biblia Sacra et interpretes (1)

Biblia Sacra, interpretes et concilia (1)

Biblia Sacra et interpretes (1)

Biblia Sacra, interpretes et concilia (1)

Biblia Sacra, interpretes et concilia (1)

Theologi et Ascetici (2)

SS. PP. et Theologi scholastici, morales, Ascetici (2)

Sancti Patres, Theol. scholastici, et morales(2)

SS. PP. Theologi scholastici et morales(2)

SS Patres et Theologi scholast. et moral. (2)

Ascetici (3)

Ascetici (3)

Ascetici (3)

Ascetici (5) Scriptores Scriptores ecclesiastici ecclesiastici (3) (12) Concionatores Concionatores et (4) controvertistæ (3)

Concionatores et controvertistæ (3)

Chronologi et Geographi (4)

Chronologi et geographi (4)

Historici et Historici sacri Chronologi (7) et profani (5)

Historici sacri et profani (5)

Jus canonicum Juris utriusque et civile (6) doctores (6)

Juris utriusque doctores (6)

Critici, concionatores et controvertistæ (3)

Critici, Concionatores, Concionatores concionatores critici et et et controvertistæ controvertistæ (4) controvertistæ (4) (4) Chronologi et Geographi (5)

Grammatici, Geographi et Genealog. (5)

Historici sacri Historici sacri et Historici sacri et et prophani (4) profani (6) profani (6) Juris utriusque doctores (7)

Juris utriusque doctores (7)

Grammatici et Geographi (5) Historici sacri et prophani (6) Juris utriusque doctores (7)

Philosophi (8)

Logici et Physici (7)

Logici et Physici (7)

Logici et Physici (5)

Logici et Physici Logici et (8) Physici (8)

Logici et Physici (8)

Astronomi et Mathematici (10)

Mathematici (8)

Mathematici (8)

Mathematici (6)

Mathematici (10)

Mathematici et Astronomi (10)

Mathematici et Astronomi (10)

Medici (9)

Medici (9)

Medici et Chymici (9)

Medici et Chymici (9)

Medici et Chymici (9)

Medici et Chymici (9)

Oratores et Poetæ (11)

Oratores et Poetæ (10)

Oratores & Poetæ (10)

Oratores et Poetæ (7)

Oratores et Poetæ (11)

Oratores et Poetæ Oratores et (11) Poetæ (11)

Philologi (12)

Philologi (11)

Philologi (11)

Philologi (8)

Philologi (12)

Philologi (12)

Scriptores varii seu supplementum ad Bibliographiam (13)

Scriptores varii seu supplementum ad Bibliographiam (13)

Scriptores varii seu supplementum ad bibliographiam (12)

Philologi (12)

Bibliographies annuelles du Journal des savants de 1675 à 1682 (le chiffre entre parenthèses indique l’ordre d’apparition de la rubrique dans la bibliographie).

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Non seulement les catégories sont variables, mais le classement à l’intérieur de ces catégories peut varier également, y compris d’ailleurs pour un même ouvrage d’une année sur l’autre. Ainsi un ouvrage concernant à la fois la théologie et la physique peut-il être classé alternativement dans les deux domaines : en 1677, le rédacteur classe l’ouvrage de Van Mastricht, Novitatum Cartesianum gangraena sive Theologiae naturalis Cartesiana detecta, dans les Theologi et Ascetici, tout en classant d’ailleurs le Cartesius Mosaisans de son adversaire cartésien, Johann Amerpoel, dans les Logici et Physici. Alors qu’en 1678, l’année suivante, le même rédacteur classe cette fois le même ouvrage de Van Mastricht, Novitatum Cartesianum gangraena sive Theologiae naturalis Cartesiana detecta, dans les Logici et Physici, au lieu de la Théologie. Si cet exemple témoigne des hésitations du rédacteur face à un ouvrage qui lui apparaît comme intéressant deux domaines à la fois, des problèmes de classement peuvent également être liées à l’émergence de nouveaux domaines. Ainsi, en 1677 encore, les Entretiens sur l’acide et sur l’alkali de François André32 sont classés dans la catégorie Logici et Physici alors que, l’année suivante, le traité de chimie de Johann Kunckel, Elect. Sax. cubicularii & Chimici utiles observationes sive animadvertiones de salibus fixis & volatilibus, auro & argento potabili, spiritu mundi, etc., est classé dans la catégorie Medici et Chimici33. Par contre, en 1677, comparativement, bien que le terme n’apparaisse pas dans le nom de la catégorie, les ouvrages d’astronomie sont classés avec les mathématiques, comme les années précédentes et suivantes. Ce qui montre que si la chimie est bien identifiée comme un domaine, le rédacteur hésite à la rattacher à la physique ou à la médecine. Au XVIIe siècle, contrairement aux mathématiques, à l’astronomie et à la physique, qui sont des sciences anciennes, la chimie est une discipline plus récente qui se cherche, dont la position n’est pas toujours clairement perçue par les contemporains. Dans les classements du Journal des savants, lorsqu’elle apparaît, la chimie est le plus souvent associée à la médecine. Elle apparaît donc comme un sous-domaine de la médecine qui tend néanmoins à s’individualiser et à s’en détacher. Le rattachement systématique de l’astronomie aux mathématiques n’a rien d’étonnant, puisque dans l’enseignement, l’astronomie était considérée traditionnellement comme une branche des mathématiques34. Dans les années 1680, le rédacteur emploie le plus souvent la catégorie Mathematici et astronomi et non Mathematici tout seul. Pourquoi une telle distinction de l’astronomie ? Pourquoi éprouver le besoin de distinguer l’astronomie des mathématiques, et pas aussi la géométrie, l’algèbre, etc. ? Après tout, l’astronomie n’est pas la seule composante des mathématiques, ainsi que le rappelle le dictionnaire de Furetière en 1690.

32. « Bibliographia seu catalogus librorum, qui hoc anno 1677, variis in locis Typis mandati, vel huc adsportati ad nos pervenerunt », Journal des savants, 13 décembre 1677, p. 229-240 (143-154). 33. « Bibliographia seu catalogus librorum, qui hoc anno 1678, variis in locis typis mandati, vel huc adsportati ad nos pervenerunt », Journal des savants, 19 décembre 1678, p. 429-440 (237-245). 34. Chez les Jésuites, l’astronomie représentait même souvent une part importante de l’enseignement des mathématiques, voir à ce sujet A. ROMANO, La Contre-Réforme Mathématique, Constitution et diffusion d’une culture mathématique jésuite à la Renaissance (1540-1640), op. cit. Toutefois, l’astronomie pouvait également être considérée comme une science intermédiaire entre la physique et la mathématique, voir J.-M. MANDOSIO, « Entre mathématiques et physique : note sur les ‘‘sciences intermédiaires’’ à la Renaissance », dans Comprendre et maîtriser la nature au Moyen Âge. Mélanges d’histoire des sciences offerts à Guy Beaujouan, Genève, Paris 1994, p. 115-138.

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Dictionnaire universel…, par Antoine Furetière (1690) MATHEMATIQUE. Subst. Fem. Science qui s’attache à connoistre les quantités & les proportions. La quantité continue est l’objet de la Geometrie, de la Trigonometrie, des Spheriques, des Sections Coniques, de l’Analyse specieuse. La quantité discrete est l’objet de l’Arithmetique, de l’Algebre commune. Les proportions sont l’objet de la Musique, de l’Architecture, de la Perspective. L’Optique, la Catoptrique, & la Dioptrique font aussi parties des Mathematiques, parce qu’elles connoissent les causes de la vision directe, de la reflexion, & de la refraction par ses angles. L’Astronomie & la Gnomonique, parce qu’elles mesurent la hauteur & la grandeur des Astres, les angles & les ombres que font leurs rayons ; & enfin les Mechaniques, parce qu’elles examinent toutes les forces mouvantes par les angles, & les longueurs des leviers, coins, roues, & autres principes des machines. C’est pourquoy on se sert le plus souvent de ce mot au plurier, parce que toutes ses parties sont enchaisnées ensemble. Les Mathematiques tiennent le premier lieu entre les sciences, parce que ce sont les seules qui sont fondées sur des démonstrations infaillibles. Bettinus a dit fort à propos, que les Mathematiques sont des Sciences triomphantes, & non militantes, parce qu’on n’y dispute point. Quelques-uns ont donné ce nom à la Magie, parce que par le moyen des Mathématiques ont fait des choses si surprenantes, que le peuple croit qu’il y a de la magie.

On pourrait relier cette distinction de l’astronomie dans le Journal des savants au fait qu’elle constitue une catégorie à part entière dans l’Histoire de l’Académie royale des Sciences, mais dans cette dernière, l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie apparaissent aussi comme des catégories distinctes, ce qui n’est pas le cas dans le Journal. À travers la classification du Journal des savants, on voit donc l’astronomie commencer à se détacher des mathématiques pour devenir une discipline à part entière. Sinon, le rédacteur n’éprouverait pas le besoin de la distinguer des mathématiques, comme si le domaine des mathématiques ne recouvrait plus forcément celui de l’astronomie. Il en ajoute le nom à celui des mathématiques, exactement comme il met côte à côte celui de grammaire et de géographie (Grammatici et Geographi), deux matières différentes mais qui ne sont pas sans rapports. Ce que tendrait à montrer la classification de la revue, c’est que le processus d’autonomisation de l’astronomie est déjà acquis. Mais l’importance de l’astronomie dans les publications du Journal a sans doute joué également un rôle essentiel. En effet, dans les années 1690-1700, alors que l’importance relative de l’astronomie dans le Journal s’est considérablement réduite, et que les mathématiques ont pris une place beaucoup plus notable, le rédacteur n’éprouve plus le besoin de faire figurer le nom de cette discipline à côté de celui des mathématiques, dans son classement. Les périodiques sont beaucoup plus sensibles aux évolutions de spécialisations du savoir que les bibliothèques, beaucoup plus statiques, où la production d’une année ne fait que s’ajouter à celle des nombreuses années précédentes. C’est logique, les bibliothèques engrangent non seulement le savoir présent mais surtout le savoir passé qui peut avoir souvent un plus grand poids. Les périodiques rendent essentiellement compte régulièrement du savoir qui se créé au jour le jour, c’est le savoir en devenir. Leurs classifications évoluent tout aussi rapidement pour suivre cette actualité, leurs hésitations sont également susceptibles de rendre compte de la difficulté à situer ce qui peut apparaître comme un nouveau domaine. 156

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III. La Genèse dans les deux périodiques À travers les questions que pose la Genèse, très schématiquement, quelques grands thèmes se dégagent : la défense du récit biblique – en particulier l’épisode du Déluge et la chronologie biblique – et la question des origines, les hypothèses relatives à l’histoire de la Terre, la Genèse prise comme base de théories physiques et enfin la confrontation des théories de la nouvelle philosophie à la Genèse. Il est à noter que le problème du péché originel et de ses aspects moraux a été laissé de côté, car il sortait du cadre de notre étude. L’explication de la Genèse et la défense du texte sacré sont indissociablement liées. D’une part, un besoin de rationalisation semble se faire sentir, on cherche à comprendre : comment peut-on expliquer que les Patriarches aient eu une si longue vie ? Comment doit-on interpréter la présence de « géants » dans le récit biblique ?… Et pour expliquer, on fait appel aux sciences de l’époque, par exemple la médecine, de même que les exégètes cherchent à comprendre le texte biblique à partir des « antiquités judaïques ». D’autre part, s’accentue la remise en cause de la valeur du texte biblique par ceux que l’on qualifie de libertins, d’athées, de déistes… et de manière plus générale par toutes les critiques mettant en jeu la véracité et l’authenticité du récit de la Genèse. Moïse est-il bien l’auteur de ce récit ? Le Déluge a-t-il vraiment pu se produire, a-t-il été universel ? L’arche de Noé avait-elle la capacité de contenir tous les animaux de la Création ? Noé et ses fils étaient-ils en mesure de les nourrir ? Là aussi, la science est utilisée, les mathématiques servent à faire de savants calculs sur les capacités de l’Arche. Vaste question que celle des origines, plus de la moitié des références relevées sur la Genèse dans les deux périodiques s’y rattachent. L’origine de l’humanité : quelle est l’origine des peuples et des races ? L’origine des langues ? Où était situé le paradis terrestre et comment Adam, le premier homme, a-t-il vécu ? Qui était-il ? Et d’ailleurs, ce premier homme, a-t-il réellement existé ? Depuis combien de temps le monde existe-t-il ? Dans cette recherche, se croisent l’histoire sacrée, l’histoire profane et l’histoire fabuleuse. On recherche les traces du récit biblique chez les autres peuples et même dans les fables des païens. On rapporte soigneusement l’opinion des Chinois sur la création du monde, le Déluge et le premier homme. La Genèse se trouve dangereusement confrontée à l’histoire des autres peuples. Pour les sciences de la Terre en gestation, le récit mosaïque peut offrir des réponses aux questions sur l’évolution de la Terre, particulièrement avec le Déluge, mais il peut aussi poser des difficultés. Les savants y trouvent des appuis pour affirmer la nature organique des fossiles ou pour imaginer une histoire de la Terre. Mais c’est dans le même récit que leurs contradicteurs trouvent parfois leurs arguments. La légitimité d’une recherche historique sur la nature n’allait pas de soi. En outre, cette légitimité étant admise, une alternative entre des modèles théoriques fortement divergents se présentait : entre une histoire faite de lents processus, de déplacements uniformes et imperceptibles, et une histoire ponctuée de violentes catastrophes, faite de sauts qualitatifs et de révolutions. À l’intérieur d’une hypothèse “catastrophiste”, s’opposent les partisans de tel ou tel agent principal de l’évolution : le Déluge, les tremblements de terre, les éruptions volcaniques ou encore l’action de l’eau et celle du feu. De ces disputes ressortent régulièrement de grandes questions : le rapport avec la théologie, les positions à adopter envers la tradition lucrétienne et matérialiste, les relations entre l’homme et la nature, la confrontation entre diverses traditions comme le néo-platonisme, l’hermétisme et le naturalisme. 157

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Mais au moment où le cartésianisme semble avoir gagné la partie, et même bien après que Newton ait publié ses Principia, la Genèse inspire des théories physiques aux philosophes de la nature. Dans un contexte de remise en question de la vieille physique aristotélicienne, où diverses variantes de philosophies antiques remises au goût du jour, ou de philosophies réellement nouvelles, fleurissent et se concurrencent, quand elles ne s’affrontent pas, n’est-il pas tentant de chercher la vérité là où on a cru pendant si longtemps la trouver, dans la Genèse, et d’essayer ainsi de bâtir un nouveau système beaucoup plus solide et rassurant, puisque basé sur le texte sacré ? Par ailleurs, les thèmes de la tradition hermétique et de la philosophie mosaïque, qui se joignent souvent résolument aux vues alchimiques et au culte de la sagesse des Égyptiens, imprègnent encore largement la culture du XVIIe siècle et peuvent attirer encore bien des érudits. Ainsi, dans sa Physica vetus et vera : sive tractatus de naturali veritate Hexaëmeri Mosaici publiée en 1702, le médecin et alchimiste oxfordien Edmund Dickinson affirme que Dieu a révélé directement à Moïse une philosophie corpusculaire et démocritéenne qui n’a pas été comprise par les hébreux. Enfin, l’apparition de nouveaux systèmes du monde, comme le cartésianisme, pousse invinciblement beaucoup de théologiens à retrouver ces systèmes dans la Bible tant demeure forte la conviction qu’elle est le livre de toutes les vérités. À ce titre, la Genèse est en première ligne. Calmet présentera cette démarche « concordiste » avec ironie : « Chaque commentateur, écrit-il, a voulu rappeler l’auteur sacré à sa propre opinion ; il lui a fait dire tout ce qu’il a voulu ; on a fait parler Moyse ou Salomon comme aurait fait Ptolémée, Galilée, Copernic ou Descartes. On a trouvé dans le premier chapitre de la Genèse, qui regarde la création du monde, tous les systèmes dont on étoit rempli. Cela est si vrai qu’on a imprimé depuis quelques années un Livre intitulé : Carthesius mosaïzans, où l’on entreprend de montrer que le monde de Moyse est le même que celui de Descartes »35. Dans un autre ouvrage du même Dom Calmet36 émerge, directement ou indirectement, une série de questions qui étaient au centre de l’activité des érudits, historiens, philosophes et théologiens du XVIIe et du début du XVIIIe siècle. En effet, la discussion de Calmet sur les origines du langage apparaît étroitement reliée à celle sur les premiers géants, sur la chronologie, sur les origines de l’écriture, sur les cérémonies des Égyptiens, sur les vrais et les faux miracles. La Genèse est un texte vers lequel convergent des débats de toute nature. La question de l’histoire des peuples antiques n’était pas séparable de celle de leurs mythes, des “fables” à l’intérieur desquelles était renfermée la narration de leur histoire la plus reculée. Parmi ces mythes, celui du Déluge, duquel seul un couple s’était sauvé, posait des questions inquiétantes sur l’universalité du récit de la Bible. Dans le cours de la seconde moitié du XVIIe siècle, l’affirmation de l’existence d’une grande catastrophe naturelle aux origines de l’histoire tend à ne plus faire qu’un avec le problème de la formation de la Terre et des modifications, qui dans le cours du temps, se sont produites à sa surface. Toutes ces multiples questions sont interconnectées : comment concilier l’idée d’une lente formation de la Terre, d’une croissance des montagnes, d’un lent effondrement des vallées avec le récit de la création ? Quelle place reconnaître au récit biblique parmi les autres récits relatifs aux origines du monde ? Comment en défendre la véracité et

35. A. CALMET, Dissertation sur le système du monde des anciens Hébreux, Dissertations I/2, p. 439 ; cité par F. LAPLANCHE, La Bible en France entre mythe et critique (XVIe-XIXe siècle), op. cit., p. 73. 36. A. CALMET, Trésor d’antiquitez sacrées et prophanes, Amsterdam 1723.

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l’universalité face aux autres histoires de la nature et de la civilisation ? Comment concilier l’image d’un Adam, parfait, créature de sagesse divine, et la conception d’une humanité primitive, qui vit dans la terreur et la barbarie, qui acquiert peu à peu la parole, et qui évolue lentement vers la construction d’outils et la civilisation ? Comment estimer et calculer les temps de cette histoire ? Comment combattre les prétentions de diverses nations à une antiquité impressionnante, faite de millénaires, plus reculée et plus ancienne que celle du peuple élu de Dieu ? Comment faire rentrer ces processus, qui associent l’histoire naturelle et l’histoire humaine, à l’intérieur des six mille ans de la chronologie biblique37 ? S’interroger sur la naissance de l’homme civilisé et les débuts historiques du langage, de l’écriture, des arts, des institutions politiques : tout ceci concernait de manière directe les thèmes, centraux dans la culture de cette époque, de la chronologie, de l’histoire ancienne, de l’histoire de la Terre, et impliquait, surtout, des questions décisives de théologie. Les deux premiers périodiques savants ne pouvaient pas manquer de rendre compte de ces thèmes centraux. Si l’on s’en tient à un dénombrement des références, l’analyse des deux périodiques savants montre que le thème de la Genèse est globalement bien plus présent dans le Journal des savants que dans les Philosophical Transactions. Dans ces chiffres, nous n’avons pas compté un certain nombre de références concernant l’Ancien Testament en général et qui ont été relevées pour l’intérêt qu’elles pouvaient présenter, mais où les journalistes n’ont pas fait apparaître le thème spécifique de la Genèse dans les comptes rendus qu’ils en ont faits. Entre 1665 et 1710, en dehors du problème particulier de la chronologie biblique, une centaine de références concernant la Genèse, ou l’un de ses épisodes comme le Déluge, ont été relevées dans le Journal contre une vingtaine de références dans les Transactions. En raison de l’importance revêtue par les nombreux débats autour de l’âge du monde et donc de la chronologie tirée de la Genèse, il paraît nécessaire d’en faire la distinction dans nos statistiques – à l’époque, aucun autre aspect de la Genèse ne semble avoir donné lieu à la publication d’un tel nombre d’ouvrages. Toutefois, dans un certain nombre de livres, la chronologie est traitée avec d’autres aspects de la Genèse. La classification de ces ouvrages réclame donc parfois des choix difficiles. Néanmoins, malgré sa part d’arbitraire et son imperfection, le classement réalisé permet une première analyse de l’évolution du contenu des deux périodiques par rapport au premier chapitre de l’Ancien Testament. À elle seule, la chronologie biblique, pour l’essentiel, rassemble un nombre de références important par rapport aux autres aspects de la Genèse : plus du tiers, que ce soit dans le Journal ou dans les Transactions, ce qui montre bien l’importance de cet aspect de la Genèse pour les contemporains. Cependant, bien des ouvrages de chronologie sont en fait des ouvrages anciens à succès qui sont réédités pour répondre à l’intérêt manifesté par le public pour ce domaine, ainsi des réimpressions de la chronologie du père Petau dont le Journal rend compte38.

37. P. ROSSI, I segni del tempo. Storia della Terra e storia delle nazioni da Hooke a Vico, Milan 1979, p. 230-231. 38. « Abrégé Chronologique de l’Histoire Universelle, Sacrée & Prophane, traduite du P. Petau Jésuite, avec diverses augmentations depuis la Création du Monde jusqu’à l’an 1632, & un Supplément jusqu’à l’an 1683, par le Sr. Collin. 3 t., Paris, 1682 », Journal des savants, 30 novembre 1682 (n° 28), p. 330-332 (215-216) ; « Abrégé Chronologique de l’Histoire Universelle du R.P. Petau de la Comp. de Jesus, mis en François par M. Maucroix Chanoine de l’Eglise Rheims, in-12. 2 vol., Paris », Journal des savants, 23 août 1683, p. 257-258 (161) ; « Dionysii Petavii Aurelianensis, e Soc. Jesu, Racionarium Temporum,

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Les deux premiers journaux scientifiques

Parmi les références sur la Genèse relevées dans le Journal des savants, en dehors du domaine de la chronologie, les deux tiers peuvent être rattachées à la théologie – matière volontairement ignorée par les Philosophical Transactions, à quelques exceptions près. Dans le tiers restant, la physique tient la première place, tout comme dans les Transactions, témoignant ainsi d’un rapport privilégié entre ce domaine de la science et la Genèse. Cependant, les différences observées entre les deux périodiques n’ont pas uniquement pour origine les domaines traités dans chacune des deux revues. L’orientation des rédacteurs vers un type de document plutôt qu’un autre, lettres, mémoires ou livres, a aussi son importance. La Genèse est un thème sur lequel les érudits, qu’ils soient théologiens, historiens ou savants, s’expriment presque exclusivement à travers la publication d’ouvrages, où les lettres sont rares, les mémoires inexistants, ainsi que le montre le contenu des deux périodiques : 96 % de comptes rendus d’ouvrages dans le Journal, près de 90 % dans les Transactions. Or, comme on l’a montré dans le chapitre précédent, à partir de la disparition d’Henry Oldenburg en 1677, les comptes rendus d’ouvrages dans les Transactions se réduisent de plus en plus pour finir par disparaître. 80 70 60

Chronologie biblique

50

Genèse (hors chronologie)

40 30 20 10 0 16651670

16711680

16811690

16911700

17011710

Graphique 4 : La Genèse dans le Journal des savants.

L’analyse statistique des références à la Genèse dans le Journal des savants, entre 1665 et 1710 (Graphique 4), montre une augmentation, surtout sensible à partir de la décennie 1681-1690. Cette croissance ne peut pas s’expliquer de manière simple. Plusieurs facteurs ont pu y concourir. Comme on l’a vu au début de ce sous-chapitre, la Genèse se trouve au cœur d’un ensemble de questions qui acquièrent une nouvelle importance dans cette seconde moitié du XVIIe siècle. Ces questions déclenchent des

in partes tres, libros quatuor-decim distributum. In quo aetatum omnium sacra prophanaque Historia, Chronologicis probationibus munita, summatim traditur. Editio novissima, ad haec tempora perducta, Tabulis Chronologicis, atque Notis Historicis & Dissertationibus auctior facta. Parisiis apud Florentinum Delaulne, via Jacobea, sub signis Imperatoris & Leonis Aurei. 1702. C’est-à-dire, Abrégé Historique & Chronologique, où l’on trouve en racourci toute l’Histoire tant sacrée que profane, avec les preuves Chronologiques. Par le P. Petau, de la Compagnie de Jésus. Dernière Édition, augmentée d’un Livre entier, de notes historiques, de Dissertations, & de Tables Chronologiques. A Paris chez Florentin Delaulne, rue Saint Jacques 1702. in 12. deux vol. I. vol. pagg. 613. II. pagg. 789. On le peut aussi partager en quatre volumes », Journal des savants, 9 février 1705, p. 90-92 (74-75).

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débats, des polémiques qui alimentent à leur tour des publications. Pour une large part, le développement de la philologie, de la critique biblique et des sciences historiques y contribue. Cette fin du XVIIe siècle se caractérise par le développement d’une érudition qui favorise les études sur la Genèse. La lutte contre les libertins, les athées et les déistes, qui n’hésitent pas à détourner au profit de leurs idées une partie des résultats ou des problèmes que soulèvent ces études, nécessitent la publication de textes visant à défendre le récit biblique. Il faut aussi souligner le rôle de la Genèse dans des sciences en formation. La prolifération de textes relatifs à la Genèse témoigne de l’enjeu que représente l’explication des origines, et parmi celles-ci, l’origine et la formation de la Terre. Enfin, la Genèse ne peut pas échapper à la rencontre avec la science nouvelle. Cette rencontre se traduit en particulier par une exigence d’explications rationnelles et conformes aux dernières théories scientifiques de divers épisodes de la Genèse, la Création et le Déluge surtout. Après une augmentation continue, le nombre d’ouvrages concernant la Genèse culmine dans les premières années du XVIIIe siècle. Toutefois, comme notre dépouillement du Journal ne va pas au-delà de 1710, il est difficile de dire si cette progression s’est poursuivie dans les années suivantes ou bien si le nombre de livres est retombé ensuite à un niveau plus bas. La décennie 1701-1710 ne représente peut-être pas le maximum. Si, dans les vingt dernières années du XVIIe siècle, la chronologie biblique représente pratiquement la moitié des publications sur la Genèse, son importance relative diminue ensuite très sensiblement, représentant moins du tiers de ces publications. Les années 1680 et 1690 correspondent en effet à la phase la plus vive des controverses autour de l’âge du monde et de la critique des diverses versions du texte biblique sur ce point. Années

Genèse (hors chronologie)

Chronologie biblique

Genèse (total)

1665-1672

0%

75 %

50 %

1674-1686

56,3 %

60 %

58,1 %

1687-1701

56,8 %

92,6 %

71,9 %

1702-1710

44,4 %

38,9 %

42,9 %

Tableau 52. La Genèse : proportion d’ouvrages publiés en France dans le Journal des savants.

Globalement, dans le Journal des savants, même si les ouvrages concernant la Genèse sont majoritairement français de 1674 à 1701, la proportion d’ouvrages publiés à l’étranger est relativement importante, à l’exception des livres portant sur la chronologie biblique entre 1687 et 1701, qui proviennent presque exclusivement de la France (tableau 52). Les ouvrages publiés à l’étranger deviennent même prédominants entre 1702 et 1710. Comparativement, les Philosophical Transactions suivent une évolution inverse. Si à l’époque d’Oldenburg, entre 1665 et 1677, la proportion d’ouvrages anglais sur la Genèse n’est que de 43,8 % – les ouvrages publiés à l’étranger étant majoritaires (56,2 %) et provenant surtout de France et des Provinces-Unies, à égalité (18,8 %) – globalement, entre 1681 et 1710, la proportion d’ouvrages concernant la Genèse et provenant de Grande-Bretagne atteint 61,5 %. D’une manière générale, comme nous l’avions montré dans le chapitre précédent, avec les successeurs d’Oldenburg, les Transactions se replient de plus en plus sur l’Angleterre, le thème de la Genèse n’y échappe pas. L’évolution du contenu du Journal des savants est à l’opposé. 161

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France

Provinces-Unies

Saint-Empire

1665-1672

50 %

0%

16,7 %

GrandeBretagne 0%

1674-1686

58,1 %

22,6 %

6,5 %

12,9 %

0%

0%

1687-1701

71,9 %

17,2 %

1,6 %

3,1 %

3,1 %

3,1 %

1702-1710

42,9 %

17,5 %

20,6 %

6,3 %

6,3 %

6,4 %

Italie

Autres

0%

33,3 %

Tableau 53. La Genèse : provenance des ouvrages dans le Journal des savants.

De 1674 à 1701, les principaux pourvoyeurs du Journal en livres étrangers concernant la Genèse sont les Provinces-Unies, ensuite la première place revient au SaintEmpire, les Provinces-Unies conservant tout de même la seconde place. Certes, le très grand nombre d’imprimeurs que l’on trouve dans les Provinces-Unies, pas moins de quatre cents imprimeurs ou libraires dans la seule ville d’Amsterdam, explique la position dominante en Europe de ce pays dans l’édition du livre. Un contemporain déclare en 1699 : « ‘‘Dans toute la terre il n’y a que dix ou douze villes où l’on imprime un nombre considérable de livres. En Angleterre : Londres et Oxford ; en France : Paris et Lyon ; en Hollande : Amsterdam, Leyde, Rotterdam, La Haye et Utrecht ; en Allemagne : Leipzig ; et voilà presque tout.’’ Cinq grands centres de librairie, quand l’Angleterre et la France n’en comptaient que deux chacune : c’est une belle proportion »39. C’est que dans l’Europe d’alors, les Provinces-Unies représentent un îlot de tolérance où les victimes de persécutions diverses et variées affluent de toute l’Europe : comme les Anglais qui s’exilaient de leur pays, les royalistes sous Cromwell, les républicains sous Charles II, ou les nombreux huguenots français aux alentours de 1685. C’est un espace de relative liberté où la censure ne s’exerce que fort peu. Ainsi, en 1684, dans la préface de son nouveau journal, les Nouvelles de la République des Lettres, Pierre Bayle nous énumère les avantages procurés à l’édition d’un tel journal dans la République de Hollande : « elle est fournie de Libraires autant ou plus qu’aucun autre lieu du monde », mais surtout, « elle a même un avantage qui ne se trouve en aucun autre Païs ; c’est qu’on y accorde aux Imprimeurs une liberté d’une assez grande étendue, pour faire qu’on s’adresse à eux de tous les endroits de l’Europe, quand on se voit rebuté par les difficultez d’obtenir un Privilège. […] Nos Presses sont le refuge des Catholiques ; aussi-bien que des Réformez, & on craint si peu les Argumens de Messieurs de la Communion de Rome, qu’on laisse vendre publiquement tous leurs Livres, bien loin de faire comme dans les Païs d’Inquisition, où selon le rapport du Chevalier Sandis, on ne souffre pas même que les Controversistes Catholiques soient exposez en vente, tant on a peur des objections qui paroissent dans leurs Ouvrages »40. Bayle a raison de le souligner, les catholiques comme les protestants, de toute l’Europe peuvent faire publier en Hollande leurs œuvres proscrites par les censeurs et condamnées par les pouvoirs officiels. Ainsi, un catholique comme Arnauld se permet de faire publier ses ouvrages en Hollande. La promptitude avec laquelle Bossuet, averti de l’impression de l’Histoire Critique du

39. Cf. P. HAZARD, La crise de la conscience européenne : 1680-1715, op. cit., p. 88 : témoignage datant de 1699 ; cité par H. J. REESINK, L’Angleterre et la littérature anglaise dans les trois plus anciens périodiques français de Hollande de 1684 à 1709, Paris 1931, p. 93. 40. Extrait de la Préface de Pierre Bayle aux Nouvelles de la République des Lettres. mois de mars 1684. Seconde édition revue & corrigée par l’Auteur, op. cit.

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Vieux Testament de Richard Simon, en obtint la saisie et la destruction (avril-juin 1678) n’empêchèrent pas la diffusion du livre qui fut réimprimé en Hollande en 1680 et 1685. Cachés dans les malles des voyageurs, dissimulés dans les ballots de marchandises, par terre comme par mer, les livres défendus et condamnés pénètrent en France malgré toutes les précautions prises aux frontières. D’ailleurs, comme beaucoup d’autres auteurs, Richard Simon récidivera en faisant publier à Rotterdam la suite de ses œuvres, et Bossuet ne pourra qu’exprimer sa rage et son dépit : Il nous est venu depuis peu de Hollande un livre intitulé : Histoire critique des principaux commentateurs du Nouveau Testament…, par M. Simon, prêtre. C’est un de ces livres qui, ne pouvant trouver d’approbateur dans l’Église catholique, ni par conséquent de permission pour être imprimés parmi nous, ne peuvent paraître que dans un pays où tout est permis, et parmi les ennemis de la foi. Cependant, malgré la sagesse et la vigilance du magistrat, ces livres pénètrent peu à peu ; ils se répandent, on se les donne les uns aux autres ; c’est un attrait pour les faire lire qu’ils soient recherchés, qu’ils soient rares, qu’ils soient curieux : en un mot, qu’ils soient défendus41…

Le Journal des savants ne pouvait pas ignorer la multitude de tous ces livres défendus mais qui arrivaient jusqu’à Paris et se répandaient. Les journalistes se devaient d’en fournir une relation, ou plutôt, bien souvent une critique, au moins pour certains d’entre eux. N’étant pas en mesure d’empêcher la circulation de ces livres prohibés d’où qu’ils viennent – surtout de Hollande mais aussi d’Angleterre ou de Suisse –, le pouvoir, l’Église et les milieux érudits qui y étaient attachés, étaient bien obligés de contre-attaquer en y répondant d’une façon ou d’une autre. Il aurait été encore plus dangereux de se taire ou de feindre d’ignorer. Par ailleurs, certains de ces ouvrages provoquaient de violentes polémiques dont le Journal ne pouvait que se faire l’écho, tôt ou tard. Comme on a déjà pu le constater dans le cas des ouvrages en astronomie, mathématiques et physique, la guerre de la ligue d’Augsbourg a notablement affecté les échanges avec l’étranger, par la gêne qu’elle a occasionnée, aussi la proportion d’ouvrages français sur la Genèse est-elle beaucoup plus importante durant cette période. Les pays les plus touchés sont également la Grande-Bretagne et le SaintEmpire. Cependant, par rapport à l’ensemble des ouvrages en astronomie, mathématiques et physique, la proportion d’ouvrages étrangers demeure toujours nettement plus importante dans le corpus représenté par les ouvrages s’intéressant à la Genèse. Cette importance relative des ouvrages provenant de l’étranger peut expliquer que le latin conserve une part notable, voire majoritaire, dans les livres concernant la Genèse (tableau 54). Sur l’ensemble de la période, les ouvrages concernant la Genèse imprimés en France et en français représentent un peu plus de 70 %, le latin comptant pour moins de 30 %. Comparativement, les ouvrages en rapport avec la Genèse imprimés aux Provinces-Unies en français représentent seulement 27,6 %, alors que ceux imprimés en latin l’emportent avec 72,4 %. D’après les statistiques réalisées sur

41. Extrait de la préface de J. B Bossuet à la Défense de la tradition et des Saints Pères, p. 8, dans F. LACHAT (éd.), Œuvres complètes de Bossuet, 31 vol., L. Vivès, Paris 1862-1875. Les propos de Bossuet fournissent évidemment une image beaucoup trop schématique de la censure dans le monde catholique. Mais ici, le développement de ce sujet nous entrainerait trop loin.

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les comptes rendus d’ouvrages du Journal des savants par Jean-Pierre Vittu42, si, dans les années 1660, la part du latin est plus forte en théologie que dans les autres domaines, dans la période 1682-1686, la proportion d’ouvrages de théologie en français (51,3 %) est la plus forte par rapport aux autres domaines, y compris le domaine « sciences et arts » (43,3 %) ; la part du français monte à 75,1 % dans les années 1697-1701, pour finir à 58,2 % dans les années 1710-1714 – la proportion d’ouvrages français la plus forte dans cette période, les « sciences et arts », n’atteignant que 42,3 %. On ne peut donc guère a priori attribuer la part importante du latin dans les ouvrages sur la Genèse à leur appartenance à la théologie. Le latin, qui demeure la langue d’échanges entre érudits européens, peut être choisi par les auteurs, de préférence à la langue vernaculaire, afin de s’assurer d’une diffusion internationale de leurs ouvrages et d’une audience élargie à toute la communauté érudite, par-delà les frontières linguistiques. 1665-1672

1674-1686

1687-1701

1702-1710

1665-1710

Latin

83,3 %

45,3 %

45,3 %

55,6 %

50,6 %

Français

16,7 %

48,4 %

53,1 %

41,3 %

46,3 %

Autres langues

0%

6,5 %

1,6 %

3,2 %

3%

Tableau 54. Langues des livres concernant la Genèse dans le Journal des savants.

Dans les Philosophical Transactions, la répartition des références concernant la Genèse entre 1665 et 1710 donne une image bien différente de celle du Journal des savants (graphique 5). Alors que, jusqu’à la fin des années 1670, les Transactions présentent presque autant de références (quasiment toujours des ouvrages) sur la Genèse que le Journal, et même parfois davantage (années 1665-1670), à partir des années 1680, le nombre de références sur la Genèse contenues dans la revue anglaise décroît tandis qu’il augmente dans la revue française. Mais cette décroissance est le fruit de la politique éditoriale – abandon progressif des comptes rendus d’ouvrages – suivie par les successeurs d’Oldenburg, plutôt que le résultat d’un désintérêt pour la Genèse. Ainsi, rapporté au nombre total de livres extraits par les Philosophical Transactions, le nombre des ouvrages concernant la Genèse représentent une part de plus en plus importante parmi les livres que la revue londonienne fait encore l’effort de présenter à ses lecteurs, particulièrement dans les années 1691-1710 (graphique 7).

42. Voir J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 80 des annexes (tableau n° 38).

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80 70 60 50 40

Journal des savants Philosophical Transactions

30 20 10 0 16651670

16711680

16811690

16911700

17011710

Graphique 5. La Genèse dans le Journal des savants et les Philosophical Transactions 12 %

10 %

8%

6%

4%

4% 3%

2%

2% 1% 0%

0% 16651669

16821686

Journal des savants

16971701

16651678

16791687

16911710

Philosophical Transactions

Graphiques 6 et 7. La Genèse dans les deux revues en pourcentage du nombre total de comptes rendus de livres43.

43. Dans le cas du Journal des savants, le nombre total d’extraits nécessaire à notre calcul a été emprunté à J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., voir ses tableaux sur les livres extraits en annexes.

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Alors que dans les années 1665-1678, la Genèse représente environ 5 % des livres traités dans les Transactions, dans les années 1691-1710, elle représente plus de 10 % des comptes rendus d’ouvrages, désormais en nombre beaucoup plus restreint : soit un pourcentage bien plus élevé que dans le cas du Journal vers la même époque (3,4 %). Dans un contexte de réduction des comptes rendus, ce thème reste assez important aux yeux des rédacteurs des Transactions pour retenir malgré tout leur attention. En définitive, si l’on s’en tient aux parts respectives occupées par la Genèse dans les deux revues par rapport à la totalité de leurs comptes rendus d’ouvrages, il faut bien admettre que la Genèse occupe une place bien plus importante dans la revue anglaise que dans le périodique français. En fait, de 1665 à 1710, jamais la Genèse n’aura eu autant d’importance dans le Journal que dans les Transactions. Et même si la place qui lui est réservée dans le Journal tend à s’accroître tout au long de la période, cet accroissement est infiniment moindre que celui observé dans les Transactions. Comparée à la revue parisienne, à partir des années 1690, la place accordée à la Genèse par la revue londonienne apparaît comme tout à fait considérable. Globalement, entre 1665 et 1677, la proportion de comptes rendus d’ouvrages concernant la Genèse dans les Transactions et que l’on retrouve également dans le Journal tourne autour de 40 %, soit un peu plus de la moitié si l’on s’en tient uniquement à la chronologie biblique et moins du quart pour la Genèse hors chronologie. Ce qui représente moins d’une dizaine d’ouvrages. Dans les années 1680, le nombre d’ouvrages en relation avec la Genèse présentés par les Philosophical Transactions (ou les Philosophical Collections) se réduit à quatre, mais deux d’entre eux, et non des moindres, sont aussi extraits par le Journal des savants. Dans la période 16911710, seuls trois ouvrages sur une douzaine concernant la Genèse et extraits par les Transactions, le sont aussi par le Journal, ce qui est peu en proportion par rapport aux périodes précédentes. Comme on peut le voir, globalement, le nombre d’ouvrages concernant la Genèse communs aux deux périodiques est très modeste en comparaison de la totalité des livres sur la Genèse présents dans les deux revues. La comparaison de la teneur des comptes rendus d’ouvrages communs aux deux journaux est en conséquence nécessairement limitée. Cependant, dans les années 1665 à 1687, en proportion du nombre d’ouvrages sur la Genèse extraits par les Transactions, la part de ceux que l’on retrouve dans le Journal est loin d’être négligeable. Dans notre comparaison entre les deux revues, on devra donc distinguer deux périodes : avant et après la Glorieuse Révolution. Jusqu’en 1687, il sera possible de comparer les contenus d’une part relativement importante des comptes rendus issus des Transactions à leurs homologues issus du Journal, particulièrement pour ce qui regarde la chronologie. Même si le nombre de comptes rendus semble modeste, il peut en définitive représenter une part importante des ouvrages concernant la Genèse extraits par les Transactions. Ainsi, dans les années 1680, les rédacteurs de la revue anglaise n’ont souhaité extraire qu’un seul ouvrage concernant la chronologie biblique, mais celuici a également été présenté par le Journal. En revanche, entre 1691 et 1710, la plupart des ouvrages en rapport avec la Genèse extraits par le Journal ne se retrouve plus dans les Transactions. Dans ces conditions, pour la très grande majorité des ouvrages, il n’est plus possible d’analyser la manière dont ils peuvent être reçus de part et d’autre. En ce qui concerne la Genèse, la comparaison que l’on peut faire du contenu des deux revues change de nature, elle se réduit pour l’essentiel à analyser les différences qui caractérisent deux corpus d’œuvres distinctes, et qui correspondent à des choix divergents de la part des deux revues, ainsi que, bien évidemment, la manière dont les rédacteurs français et anglais rendent compte de leurs ouvrages respectifs. 166

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La question des origines La seconde moitié du XVIIe siècle est notamment marquée par une abondante production en rapport avec une lecture critique de la Bible à partir des connaissances scientifiques. Cette production, qu’alimentent souvent de nombreuses controverses, est prise en compte par le Journal des savants, comme par les Philosophical Transactions. En général, la polémique débute par la publication d’un ou deux ouvrages qui ouvrent un nouveau champ de réflexion intellectuelle ou qui renouvellent et raniment un débat plus ancien. Certaines querelles trouvent leurs sources dans les années 1650 et le tout début des années 1660, qui ont juste précédé la naissance des deux revues en 1665. En conséquence, non seulement, ces controverses récentes demeurent encore présentes à l’esprit des rédacteurs et des lecteurs des deux journaux, mais elles peuvent également être toujours d’actualité au moment où les premiers numéros commencent à paraître. Si, dans les premières années, les rédacteurs des revues ont parfois éprouvé le besoin de présenter à leurs lecteurs quelques rares ouvrages imprimés avant 1665 qu’ils devaient sans doute juger particulièrement intéressants, leur date d’édition ne remonte généralement pas avant l’année 1660. Et d’ailleurs, le but des deux journaux n’était pas de fournir une rétrospective de la production savante mais, bien au contraire, son actualité. Cependant, les deux journaux ne manquent pas d’être obligés d’évoquer ces polémiques encore récentes. Dans ces conditions, on comprendra qu’il soit parfois nécessaire de remonter quelques années en arrière pour situer la naissance et les antécédents d’une controverse. Pour diverses raisons, les deux périodiques ne fournissent des comptes rendus que pour une partie des ouvrages publiés en Europe sur la Genèse. L’orientation éditoriale des revues, les périodes de gêne ou d’interruption dans leur parution, la difficulté plus ou moins grande de se procurer certains livres, mais aussi le choix des rédacteurs, expliquent que des ouvrages fassent l’objet de comptes rendus alors que d’autres sont ignorés, volontairement ou non. À l’époque moderne, des questions tournant autour des origines, parfois déjà débattues par les Pères de l’Église, prennent une dimension nouvelle. Mais vers le milieu du XVIIe siècle, le contexte de la « Révolution scientifique », qui favorise la possibilité de discussions sur la Genèse par d’autres que les théologiens, va renouveler ces débats et en faire naître de nouveaux. Une communauté savante élargie est susceptible d’être intéressée par ces discussions. Les interprétations des savants et du savoir scientifique sur la Bible ne sont pas sans conséquence sur la théologie. Ainsi, si l’on considère l’universalité du Déluge, dans le contexte de la « Révolution scientifique », il ne suffit plus de recourir à l’autorité des Écritures. Les savants s’interrogent et veulent trouver une explication physique aux causes matérielles du Déluge. Par quelles lois de la nature Dieu a-t-il pu inonder la Terre en quarante jours et la dessécher en l’espace de quelques mois ? Ils veulent comprendre l’origine de ces énormes masses d’eau censées avoir recouvert jusqu’aux montagnes, et leur lieu de retrait, puisque les seuls océans n’autorisent pas une telle inondation planétaire. Le Déluge, l’âge du monde et l’histoire des origines sont les trois grands thèmes à partir desquels s’effectue une nouvelle lecture de la Genèse. Ces trois thèmes sont liés entre eux. Il y a bien sûr quelque chose d’artificiel à les séparer mais il est important de les distinguer pour la clarté de l’exposé. Ces trois thèmes ont été l’objet de discussions tout au long de la période qui nous intéresse. Les journaux savants ont été à la fois des observateurs et des acteurs de ces polémiques (tableau 55).

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Les deux premiers journaux scientifiques

Ouvrages (références abrégées)

JS

Abraham van der MYL, De origine animalium et migratione populorum, Genève, 1667.

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PT

Athanasius KIRCHER, Arcae Noae in tres libros digesta, Amsterdam, 1675. Jean LE PELLETIER, Dissertation sur l’Arche de Noé, et sur l’Hemine et la livre de S. Benoist, Rouen, 1700.

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Matthew HALE, The Primitive Origination of Mankind …, London, 1677.

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Martin MARTINI, Histoire de la Chine traduite du Latin du Père Martini …, Paris, 1692.

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Philippe COUPLET, Confucius Sinarum Philosophus, sive scientia sinentis latine expositae, Paris, 1687.

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Paul PEZRON, L’Antiquité des tems rétablie et défendue contre les Juifs & les Nouveaux…, Paris, 1687.

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Olof RUDBECK, Olavi Rudbeckii Atlantica, sive Manheim vera Iapheti…, Upsala, 1681 et 1684.

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Thomas BURNET, Telluris theoria sacra…, Londini, 1680

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Thomas BURNET, Archeologiae Philosophicae, sive Doctrina Antique de Rerum Originibus, Londini, 1692.

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Augustin CALMET, Commentaire littéral sur tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, Paris, 1707-1716

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Louis Ellies DU PIN, Bibliothèque Universelle des Historiens, Paris, 1708.

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Tableau 55. Quelques ouvrages traitant du Déluge, de chronologie bibliqueou des origines de l’humanité (JS = Journal des savants ; PT = Philosophical Transactions).

L’examen des deux revues portant sur un échantillon d’ouvrages considérés par divers auteurs comme faisant partie des plus connus44 montre d’abord qu’il est rare que l’une de ces œuvres n’ait pas son compte rendu dans au moins l’un des deux périodiques. Toutefois, pour pouvoir estimer la diffusion réelle de ces œuvres, il serait nécessaire d’étudier leur présence ou leur absence dans les bibliothèques privées de la seconde moitié du XVIIe siècle, en utilisant, par exemple, les inventaires après décès ou les catalogues de bibliothèques de l’époque. Ainsi, Jean-Pierre Vittu a-t-il établi la liste des périodiques possédés par une dizaine de savants de la seconde moitié du XVIIe siècle et et du début du XVIIIe siècle 45. Tous détenaient des numéros du Journal des savants avec, pour la majorité d’entre eux, la collection complète ou presque

44. Je me réfère, entre autres, aux travaux de R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit. ; P. ROSSI, op. cit. ; M. S. SEGUIN, Science et religion dans la pensée française du XVIIIe siècle . Le mythe du Déluge universel, Paris 2001. 45. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., annexes, p. 114122. Il s’agit des périodiques possédés par Christiaan Huygens (1629-1695), Friedrich Benedickt Carpzov

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Les premiers périodiques scientifiques

depuis 1665. En outre, quatre de ces savants possédaient également des numéros des Philosophical Transactions. Il serait bien sûr intéressant de réexaminer le contenu des bibliothèques de ces érudits et hommes de science pour déterminer également les ouvrages qu’ils avaient acquis. Quoi qu’il en soit, les périodiques qu’ils détenaient, et tout particulièrement le Journal des savants, leur permettaient de connaître partiellement les ouvrages dont les comptes rendus paraissaient dans la revue, même s’ils ne possédaient pas les livres eux-mêmes. Le fait que les diverses bibliothèques privées recensées par Jean-Pierre Vittu, aient systématiquement contenu le Journal des savants, montre le rôle important de ce dernier pour faire connaître les ouvrages qu’il présentait. À défaut d’une étude approfondie de la diffusion des ouvrages, il est certes difficile d’affirmer que le Journal ait toujours rendu compte des principaux ouvrages de son temps. Néanmoins, il faut rappeler qu’il s’agissait d’une volonté nettement affirmée par le fondateur du Journal et ses successeurs. A priori, il est difficile de dire pourquoi l’Arcae Noae du père Kircher ne se retrouve dans aucune des deux revues. Toutefois, en ce qui concerne les Philosophical Transactions, on peut observer que l’arche de Noé est un sujet qui ne semble pas intéresser les rédacteurs successifs. Ces derniers se montrent plus intéressés par les problèmes relatifs à la chronologie et aux conditions physiques du Déluge universel, alors que les ouvrages contestant l’universalité du Déluge sont absents. Contrairement au Journal, d’une manière générale et en dehors de la chronologie, on pourrait observer que les Transactions ne traitent pas de livres mettant en cause la véracité du récit biblique, même pour les réfuter. Par contre, on y trouve des œuvres non dénuées de visées apologétiques. Surtout, la revue anglaise se refuse à parler d’ouvrages qui lui paraissent trop théologiques ou pas assez philosophiques (au sens de la philosophie naturelle). Enfin, il faut tenir compte du fait qu’à partir des années 1700, la politique éditoriale de la revue londonienne s’oriente vers un abandon des comptes rendus d’ouvrages au profit exclusif des mémoires. Mais même auparavant, un ouvrage comme celui du père Calmet aurait sans doute été jugé comme faisant partie du domaine de la théologie, et donc hors du champ d’intérêt de la revue.

(1649-1699), John Locke (1632-1704), Jean Giraud, Jean Galloys (1632-1707), Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), Gispert Cuper (1644-1716), Pierre-Daniel Huet (1630-1721) et Isaac Newton (1642-1727).

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– II –

LA QUESTION DES ORIGINES : NOUVELLES EXÉGÈSES AUTOUR DE LA GENÈSE

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CHAPITRE IV

L’ÂGE DU MONDE Quand Mathusalem eut cent quatre-vingt-sept ans, il engendra Lamek. Après la naissance de Lamek, Mathusalem vécut sept cent quatre-vingt-deux ans et il engendra des fils et des filles. Toute la durée de la vie de Mathusalem fut de neuf cent soixante-neuf ans, puis il mourut. (Gn. 5, 25-27)

I. Lutter contre la conception d’un monde éternel S’interroger sur l’âge du monde n’avait de sens que si l’on admettait, avec la Bible, qu’il avait eu un commencement. La thèse de l’éternité du monde qui ressort de la philosophie d’Aristote avait déjà posé problème aux théologiens du Moyen Âge. Elle faisait partie des deux cent dix-neuf propositions de la condamnation de 1277 qui punissait d’excommunication automatique quiconque aurait l’audace de soutenir ne fût-ce qu’une seule des erreurs condamnées. La décision prise par Étienne Tempier, l’évêque de Paris, chargé d’enquêter sur les controverses qui agitaient l’Université de Paris, fut approuvée par le pape Jean XXI. Dans un cinglant préambule, Tempier y dénonçait les professeurs de l’Université de Paris qui dissertaient de certaines erreurs, contraires à la foi, comme s’il s’agissait seulement de conceptions douteuses plutôt que d’abominables mensonges1. Les auteurs du XVIIe siècle qui écrivent sur l’origine de l’univers ne manquent généralement pas de réfuter les thèses qui contestent la création même du monde. Parmi eux, on peut citer, à titre d’exemple, Edward Stillingfleet qui expose très clairement ces différentes thèses pour mieux les combattre. Dans le chapitre de ses Origines sacrae (1662) intitulé Of the Origins of Universe, il s’étend longuement sur les doctrines formulées à différentes époques historiques, qui s’opposent – sans aucune possibilité de compromis ou de conciliation – à la thèse mosaïque d’un monde créé de rien par la volonté omnipotente et la parole de Dieu. Ces doctrines ou Hypothèses sont ramenées à quatre par Stillingfleet : 1) celle qui affirme que le monde existe de toute éternité (Aristote) ; 2) celle qui attribue à Dieu la formation du monde et soutient néanmoins la préexistence et l’éternité de la matière (les stoïciens) ; 3) celle qui nie l’éternité du monde, mais qui explique l’origine du monde par l’intermédiaire d’une rencontre fortuite des atomes (les épicuriens) ; 4) celle, enfin, qui tente d’expliquer l’origine de l’univers et de tous les phénomènes naturels à partir des seules lois mécaniques du mouvement de la matière (Descartes)2.

1. Cf. E. GRANT, La physique au Moyen Âge. VIe-XVe siècle, Paris 1995, en particulier son chapitre III : « L’université médiévale et le poids de la pensée aristotélicienne », p. 27-47 ; ID., « The condemnation of 1277, God’s absolute power, and physical thought in the late Middle Ages », Viator 10 (1979), p. 211-244. Sur le rôle joué par la condamnation, voir L. BIANCHI, Censure et liberté intellectuelle à l’Université de Paris : XIIIe-XIVe siècles, Paris 1999 ; ID., Il vescovo e i filosofi : la condanna parigina del 1277 e l’evoluzione dell’aristotelismo scolastico, Bergame 1990. On peut trouver le texte latin des 219 propositions condamnées en 1277, ainsi que leurs sources et une analyse de leur signification dans R. HISSETTE, Enquête sur les articles condamnés à Paris le 7 mars 1277, Louvain 1977. 2. E. STILLINGFLEET, Works, vol. 2, Londres, 1709-1710, p. 266.

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Stillingfleet entend discuter l’argumentation de chacune de ces quatre hypothèses afin de les réfuter. Mais il sent également le besoin d’exprimer une condamnation morale. Une exacte compréhension du problème des origines du monde a en fait « une influence notable sur les croyance des hommes et sur tout ce qui s’ensuit relativement à la parole de Dieu ». Si, par exemple, la thèse de l’éternité du monde est vraie, alors « toute la religion de Moïse est abattue, tous ses miracles sont seulement des impostures, toutes les espérances fondées sur la divine providence sont vaines et sans profit ». Si le monde existe par nécessité, Dieu n’est pas un agent libre. Si les choses sont ainsi « alors toutes les religions établies n’ont pas de but et il ne peut y avoir de rachat, ni aucune crainte de la punition divine ». Comme la thèse aristotélicienne, les thèses d’Épicure et de Lucrèce sur l’origine du monde s’opposent aux religions impliquant une création divine. Si l’on affirme, avec Épicure, l’existence d’une divinité et que l’on conçoit ensuite le monde comme résultant du hasard, « toute cette partie de la religion qui génère l’obéissance à la loi divine est inévitablement détruite ». Ne reste que la vénération pour un être supérieur qui néanmoins n’a pas la direction de la vie3. Ceux qui comme Stillingfleet combattent la thèse de l’éternité du monde cherchent parfois à trouver de nouveaux arguments de réfutation. Ainsi, dans son ouvrage, The Primitive Origination of Mankind (1677)4, Hale élabore un argument basé sur la densité démographique en faveur de la non-éternité du monde. La population humaine et animale sur la Terre croît à grande vitesse. Pour empêcher une croissance trop rapide, la nature a introduit une série de correctifs qui sont examinés dans le chapitre IX, intitulé The Correctives of the Excess of Mankind. Les correctifs « extraordinaires » (dans le sens de non quotidiens ou habituels) introduits par la Providence sont selon Hale : 1) les pestes et épidémies ; 2) les famines ; 3) les guerres et massacres ; 4) les déluges et inondations ; 5) les conflagrations. Si malgré ces correctifs à une excessive croissance, la population tend quand même à augmenter, comment peut-on soutenir que le monde soit éternel ? Combien seraient maintenant les hommes si le passé qu’ils ont derrière eux n’avait pas de limites5 ? En juin 1677, dans les Philosophical Transactions, Henry Oldenburg ne manque pas de rendre compte à ses lecteurs de la parution de cet ouvrage de Matthew Hale6. L’accueil réservé à l’œuvre comme à son auteur est plutôt favorable : L’estimable et érudit auteur de ce livre (dont tous les hommes bons et intelligents regrettent extrêmement la mort à cause de sa remarquable intégrité et de son grand savoir) y a principalement abordé ces points particuliers : I. Que selon la lumière naturelle et la juste raison le monde n’était pas éternel, mais avait un commencement. Ce en quoi, ayant occasionnellement examiné l’excellence de la nature humaine, il considère brièvement plusieurs hypothèses concernant l’éternité du monde, en réfutant ces objections faites par certains contre les vérités qu’il livre.

3. E. STILLINGFLEET, op. cit., p. 265-266 (cité par P. ROSSI, op. cit., p. 45-46). 4. M. HALE, The Primitive Origination of Mankind considered and examined accordind to the Light of Nature, Londres 1677. 5. P. ROSSI, op. cit., p. 53-54. 6. « The Primitive Origination of Mankind, considered and examined according to the Light of Nature ; By the Honourable Sir Matthew Hale, Kt. late Lord Chief Justice of his Majesties Court of Kings Bench. London, 1677, in fol. », Philosophical Transactions, 25 juin 1677, n° 136, p. 917-918.

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II. Que, s’il peut y avoir le moindre doute imaginable quant au fait que le monde ait un commencement, il apparaît pourtant par l’évidence nécessaire de la lumière naturelle que le genre humain eut un commencement et que les générations humaines successives furent dans leur origine ex non genitis. Où il livre sept preuves pour démontrer la naissance du genre humain, et de celles-là tant de preuves de faits ; dont la première est prise de l’antiquité de l’histoire et du décompte chronologique du temps ; la seconde, des évidences apparentes de la première fondation des plus grands et plus anciens royaumes et empires ; la troisième, de l’invention des arts ; la quatrième, du commencement des religions et des divinités du ciel, où l’auteur ne cache pas l’insuffisance de cette preuve ; la cinquième, du déclin de la nature humaine ; la sixième, de l’histoire des Patres familiarum, et des implantations originelles des continents et des îles du monde ; la septième, de l’accroissement progressif du genre humain ; la huitième, du consensus du genre humain7.

C’est précisément en invoquant l’antiquité très reculée des Chaldéens, des Mexicains, des Péruviens, des Chinois, et en comparant la chronologie de ces peuples à celle des Hébreux, que Isaac de Lapeyrère, huguenot originaire de Bordeaux, avait soutenu l’existence de préadamites, c’est-à-dire d’hommes qui auraient peuplé la terre avant Adam, le premier homme sorti des mains de Dieu. Sa thèse, très audacieuse pour l’époque, était qu’Adam était seulement le père du peuple juif et non de l’humanité entière. L’Ancien Testament ne racontait pas l’histoire de l’humanité, mais seulement l’histoire du peuple hébreu. Avant Adam avaient vécu d’autres hommes. Isaac de Lapeyrère avançait par ailleurs l’hypothèse que le Déluge pourrait n’avoir été qu’un phénomène local, limité à la Judée. Le Déluge perdait son statut de catastrophe universelle, il devenait un épisode particulier dans l’histoire d’une nation particulière. Son ouvrage sur les « Préadamites » publié dans les Provinces-Unies (1655) avait fait scandale, aussi bien chez les catholiques que chez les protestants8. Inquiété, l’auteur fut arrêté dans sa fuite, lors de son passage à Bruxelles. Son ouvrage, condamné par l’évêque de Namur comme par le Parlement de Paris, fut brûlé par la main du bourreau. La condamnation de l’évêque de Namur précisait qu’il était interdit de lire son livre, de le détenir et de le vendre car il contenait des affirmations hérétiques, erronées

7. « The worthy and Learned Author of this Book (whose Death is exceedingly regretted by all good and intelligent men, upon the account of his singular integrity and great knowledge) hath therein principally considered these particulars : I. That according to the Light of Nature and right Reason the World was not Eternal, but had a beginning. Where, having occasionally treated of the Excellency of Human Nature, he briefly considers the several Hypotheses concerning the Eternity of the World, refuting those Objections made by some against the Truths deliver’d by him. II. That, if there could be any imaginable doubt of the Worlds having a Beginning, yet by the necessary evidence of Natural Light it doth appear, that Mankind had a beginning, and that the Successive Generations of Men were in their Original ex non-genitis. Where he delivers Eight Evidences to evince the Beginning of Mankind, and those so many Proofs of Fact ; whereof the First is taken from the Antiquity of History and the Chronological Account of Times : The second, from the apparent Evidences of the first Foundation of the greatest and ancientest Kingdoms and Empires : the third, from the Invention of Arts : The fourth, from the beginning of the Religions and Deities of the Heathens ; where the Author conceals not the deficiency of this proof : the fifth, from the Decays of Human Nature : the sixth, from the History of the Patres familiarum, and the Original Plantations of the Continents and Islands of the World : the seventh, from the gradual Increase of Mankind : the eight, from the Consent of Mankind » (ibid.). 8. I. de LAPEYRÈRE, Systema theologicum ex Praeadamitarum hypothesi. Praeadamitae, sive exercitatio super versibus duodecimo, decimotertio et decimoquarto capitis quinti Epistolae D. Pauli ad Romanos, quibus inducuntur primi homines ante Adamum conditi, s. l. [Amsterdam] 1655.

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et téméraires9. L’auteur ne dut son salut qu’à sa rétractation et à son abjuration du protestantisme, accompagnées d’une supplique adressée au Pape Alexandre VII et appuyée par le prince de Condé10. Au cours des onze années suivant la première édition du livre de Lapeyrère, pas moins de dix-sept ouvrages destinés spécifiquement à combattre l’hypothèse impie des Préadamites furent publiés. Mais dès 1656, un an à peine après la publication du livre, se dressèrent dix-neuf tentatives de réfutation. Le titre de l’opuscule de Johannes Heinrich Ursin, publié à Francfort en 1656, suffit à donner une idée de la violence de ces polémiques : Novus Prometheus Praeadamitarum plastes ad Caucasum relegatus et religatus11. Il est certain que la chronologie, conçue jusqu’en 1655 comme un champ libre de controverses et d’hypothèses, devint, après la publication du livre de Lapeyrère, une sorte de terrain miné à l’intérieur duquel il était nécessaire de se mouvoir avec une extrême prudence. La polémique contre Lapeyrère tendit à rejoindre celle dévolue à combattre la thèse d’une sagesse plus ancienne que la sagesse mosaïque. II. Le monde de la Bible confronté au monde chinois Après le milieu du XVIIe siècle, le problème de l’antiquité très reculée des Égyptiens et des Chaldéens s’est lié de façon indissoluble à la question de l’antiquité très grande de la Chine. En 1658, soit seulement trois ans après la publication du livre de Lapeyrère, paraissait l’ouvrage du jésuite Martini, Sinicae historiae deca prima. Il y soutenait que l’histoire chinoise remontait à une date antérieure de six cent ans à celle du Déluge, mettant ainsi en cause la chronologie traditionnelle que l’on pouvait déduire de la version massorétique de la Bible. En fait, son œuvre n’était pas seulement celle d’un historien, elle renfermait également des buts politiques, car accorder les deux chronologies impliquait la possibilité de nouvelles conversions en Chine. La question chinoise recèle bien d’autres enjeux comme, par exemple, le contrôle du Siam que se disputaient Anglais, Français et Hollandais. Aussi, il ne saurait être question de prendre ici le dossier chinois dans son ensemble12. Dans la suite, on procèdera donc de manière sélective, en se cantonnant uniquement à la chronologie. En 1692, le Journal des savants donne un compte rendu de la version française de l’ouvrage du père Martini : « Le P. Martini Jésuite ayant esté autrefois envoyé à la Chine pour y travailler à l’instruction des Infidèles, y employa dix années entières à apprendre la langue, & l’histoire du pays. […] Le P. Martini ayant esté rappellé par ses Supérieurs en Europe, se servit des livres Chinois pour composer en latin une décade qui contient la suite des Empereurs de la Chine depuis le commencement de leur

9. L’extrait de la condamnation est cité par P. ROSSI, op. cit., p. 167. 10. Voir à ce sujet, R. PINTARD, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, op. cit., p. 420424. Pour une prosopographie de la clientèle des princes de Condé, voir K. BÉGUIN, Les princes de Condé : rebelles, courtisans et mécènes dans la France du Grand Siècle, Seyssel 1999. 11. P. ROSSI, op. cit., p. 166. 12. Pour une vue d’ensemble, voir N. STANDAERT (éd.), Handbook of Christianity in China, Leiden 2001 ; en particulier, p. 309-321, pour les missions jésuites ; p. 689-808, pour le rôle joué par la mission scientifique jésuite. Pour la controverse sur les rites, voir p. 682-688. Pour une étude plus approfondie sur ce sujet, voir R. ÉTIEMBLE, Les jésuites en Chine (1552-1773), la querelle des rites, Paris 1966, ainsi que J. GERNET, Chine et christianisme : action et réaction, Paris 1982 ; ID., Chine et christianisme : la première confrontation, Paris 1991.

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Monarchie, jusqu’à la naissance de Jésus-Christ »13. Or le père Martini soutient que l’histoire chinoise remonte à une date antérieure de six cent ans à celle du Déluge. À travers sa relation, le journaliste prend la peine de souligner le sérieux des chroniques chinoises : « L’histoire a esté écrite avec la dernière fidélité par des gens dégagez d’intérest, & de passion. Chaque Empereur a choisi son Ecrivain, qui a commencé sa relation à l’endroit où l’Ecrivain de l’Empereur précédent avoit fini »14. Il souligne l’intérêt d’un ouvrage qui raconte une histoire qui est la plus ancienne après celle relatée par la Bible : « La traduction que Mr. L’Abbé le Peletier en a faite en notre langue, doit estre d’autant plus favorablement reçue, qu’elle nous apprend une histoire qui n’estoit point du tout connue en Europe, & qui à la réserve de l’histoire sainte, surpasse en antiquité toutes les autres »15. Or une histoire aussi ancienne devrait recouper celle de la Genèse, et en effet : « Il y a dans le premier livre de cette décade quantité de choses curieuses sur l’idée que les Chinois ont d’un premier estre, sur l’opinion qu’ils ont de la création du monde, & du déluge, & sur leur cronologie. »16 Et pourtant, il n’est pas si évident de retrouver chez eux la même version de la Genèse : Quelques-uns d’entre eux ont cru que le monde n’avoit point eu de commencement ; & d’autres en ont attribué la production au hasard. Ce qu’ils racontent du déluge n’est pas assez clair pour juger certainement s’ils l’ont entendu de celui de Noé, ou de quelque autre arrivé depuis. Ce qui paroit plus certain est qu’ils le mettent environ trois mille ans avant l’Ere Chrétienne. […] Ils reconnoissent un premier homme : mais ils ne conviennent pas de la manière de sa naissance. Car les uns le font sortir d’un œuf dont la coque fut enlevée au ciel, le blanc se répandit en l’air, & le jaune demeura sur terre ; & les autres le font sortir d’un désert, sans articuler rien de plus précis de son origine. Il fut fort sçavant dans les Mathématiques : mais on ne sçait comment il les avoit apprises17.

Le Déluge, trois mille ans avant J.C. : pour la chronologie fondée sur le texte hébreu qui fixe le Déluge plutôt vers 2300 avant J.C., c’est encore une fois plus de six cent ans en trop. Mais le journaliste insiste sur le sérieux de la chronologie des Chinois : « Ils ont travaillé avec une merveilleuse application à la cronologie, & en ont fondé les supputations sur l’astronomie, par lesquelles il paroit que Fohius leur premier Roi vivoit trois mille ans avant la naissance du Sauveur du monde »18. L’antiquité très grande de la Chine risquait de détruire ou de rendre suspecte l’autorité de la Bible et de contredire la vérité du Déluge universel. Accepter la réalité historique de cette sagesse très reculée signifiait accepter les données de la chronologie chinoise, mettre en doute la crédibilité de la chronologie biblique et mettre en question l’antériorité des Hébreux sur les Gentils. Comment expliquer la présence en Chine d’annales antérieures au Déluge si, en dehors de la famille de Noé, la totalité du genre humain a été détruite ? Ne devrait-on pas soutenir que le monde est beau-

13. « Histoire de la Chine traduite du Latin du Pere Martin Martini de la Compagnie de Iesus, par l’Abbé le Peletier, deux tomes. In 12. à Paris chez Claude Barbin & Arnoul Seneuse. 1692 », Journal des savants, 7 juillet 1692 (n° 26), p. 301-303 (225-226). 14. Ibid. 15. Ibid. 16. Ibid. 17. Ibid. 18. Ibid.

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coup plus ancien que ce qu’établit la Bible ? Et dans ce cas, pour connaître les époques les plus reculées de l’histoire du monde, il faudrait avoir recours aux histoires et aux chroniques des différents peuples et non au récit biblique universel. Lapeyrère aurait raison, les péripéties de la Genèse ne seraient plus que les épisodes de l’histoire locale d’un petit peuple dans une région très restreinte du globe. En janvier 1688, le Journal des savants rend compte de la parution du Confucius Sinarum Philosophus du père Couplet, et de ses confrères jésuites19. Le journaliste présente d’abord l’ouvrage comme le complément de l’œuvre du père Martini, tout en rappelant l’importance de leurs missions en Chine pour les jésuites : Le grand éloignement de la Chine, & la difficulté avec laquelle on y reçoit les Etrangers, ont été cause que nous avons été long-tems sans en avoir qu’une connoissance imparfaite. Mais le P. Martini nous ayant donné en 1659 une histoire fort exacte de cette Monarchie, depuis son commencement jusqu’à la venue du Messie, il ne nous restoit plus rien, pour sçavoir tout ce qui regarde ce grand Empire, que de connoître ses mœurs & sa Religion, dont le P. Couplet & ses Confrères nous donnent aujourd’hui une image très-exacte, non tant pour satisfaire la curiosité des Sçavans de l’Europe, que pour instruire ceux qui vont en Mission à la Chine, des raisons qui ont porté les Pères de sa Compagnie à s’adonner aux sciences qui fleurissent dans ce Royaume là, surtout à la Philosophie de Confucius, dont les Chinois font plus de cas que les Européens n’en ont jamais fait d’aucun Philosophe20.

Plus de la moitié du compte rendu du journaliste est consacrée à Confucius et à sa philosophie, à ses aspects moraux et politiques. Avant de développer ces aspects, le journaliste explique ce qui a motivé les jésuites dans leur volonté d’étudier et de comprendre la philosophie des Chinois : il s’agissait « de s’en servir pour confirmer les vérités de la Religion Chrétienne »21. Ce qui permit aux jésuites de progresser dans leur tâche de missionnaire : « ce qu’ils firent avec tant de succès, que les Chinois reçurent ces vérités, non avec mépris comme auparavant, mais avec confiance, […] »22. C’est dans le dernier tiers de sa relation que le rédacteur traite du problème de la chronologie chinoise : deux cent vingt-neuf empereurs, issus de vingt-deux familles, ont régné 4639 ans, soit 2952 ans avant J.C. et 1687 ans après. Le journaliste reconnaît que, dans ces conditions, la chronologie présente dans la version de la Bible des Septante pourrait s’imposer par rapport à celle du texte hébreu : Ce qui semble obliger à régler l’antiquité des tems suivant la supputation des Septante plutôt que suivant celle des Hébreux, parce que ceux-ci ont tellement resserré la durée du monde depuis sa création, que si leur Chronologie étoit véritable, le commencement de la Monarchie de la Chine se trouveroient environ 600 ans au-delà du Déluge, comme il paroît par ce calcul. (voir texte encadré).

19. « Confucius Sinarum Philosophus, sive scienta Sinensis Latine exposita. Studio & opera Patrum Societ. Jesu, Prosperi Intorcetta, Christiani Herdtrich, Francisci Rougemont, Philippi Couplet. Jussu Ludovici Magni, eximio Missionum Orientalium bono. E Bibliotheca Regia in lucem prodit. Adjecta est Tabula Chronologica Sinicae Monarchiae ab ejus exordio ad haec usque tempora. in-folio. à Paris chez Daniel Horthemels, rue Saint Jacques », Journal des savants, 5 janvier 1688, p. 99-107 (5-12). 20. Ibid. 21. Ibid. 22. Ibid.

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Le calcul sur la chronologie chinoise : extrait du Journal des savants du lundi 5 janvier 1688, p. 10. Selon les annales des Hébreux, cette année 1688 est la 5636 de la création du monde. Or si vous ôtez de 5636, 1688, pour le tems qui s’est écoulé depuis la venue du Messie jusqu’à cette année, il restera environ 3948 pour le tems qui a devancé la naissance de Jésus-Christ. Si vous ôtez encore de 3948, 1656 pour le tems qui s’est écoulé avant le Déluge, il ne restera que 2292 pour celui qui s’est écoulé depuis le Déluge jusqu’à la naissance du Messie : Or est-il que par les annales des Chinois, Fohi leur premier empereur a commencé de régner 2952 ans avant la venue du Messie. Si vous ôtez donc de 2952, 2292, qui est le tems qui s’est écoulé depuis le Déluge jusqu’à J. C. il restera 660 pour le tems que la Monarchie Chinoise aura devancé le Déluge ; ce qui ne pouvant être, il semble qu’il s’en faut tenir à la supputation des 70 qui donnant au monde une plus longue durée, fait voir que l’Empire de la Chine a commencé 668 ans après le Déluge : ce qui s’accorde parfaitement avec les Écritures. […]

La suite du compte rendu intéresse la religion des Chinois. Le journaliste y rapporte la thèse des Pères jésuites selon laquelle les Chinois auraient initialement connu la « vraie religion » qu’ils auraient perdue ensuite : C’est suivant ce principe que le P. Couplet estime que les premiers Chinois reçurent de Noé la connoissance du vrai Dieu qu’ils nommèrent Xanti. Car il faut remarquer que les premiers Empereurs de la Chine vivoient aussi long-tems que les Patriarches, & qu’ils purent par conséquent transmettre sans peine cette connoissance à leur postérité, qui l’a conservé durant 2761 ans, jusqu’au règne de Mem-ti quinzième Empereur de la 5e race, qui l’altéra étrangement par une bizarre avanture, […]23.

Dans leur numéro des mois de septembre et octobre 1687, un peu plus tôt que le Journal des savants, les Philosophical Transactions rendaient également compte à leurs lecteurs de l’ouvrage du père Couplet24 en saluant sa parution : « Le célèbre philosophe Chinois CUM-FU-CU, ou comme nous l’appelons Confucius, qui est dans une si grande estime dans sa propre nation, et qui ne s’était jamais encore présenté dans un costume européen, ne peut être reçu qu’avec reconnaissance par les curieux, d’autant plus que la traduction a été réalisée par des missionnaires de longue date suffisamment versés dans la connaissance des caractères chinois et sur le commandement (comme il est dit) du roi de France »25. Pour le rédacteur, le sujet du livre sort des buts fixés aux Transactions puisqu’il consiste principalement en préceptes moraux et politiques, et en apophtegmes du philosophe, aussi avertit-il ses lecteurs

23. Ibid. 24. « Confucius Sinarum Philosophus, sive Scientia Sinensis Latine exposita, Studio & Opera Patrum Societatis JESU, &c. Adjecta est Tabula Chronologia Sinicae Monarchiae ab hujus exordio ad haec usque tempora », Philosophical Transactions pour les mois de septembre et octobre 1687, n° 189, p. 376-378. 25. « The famed Chinese Philosopher CUM-FU-CU, or as we call him Confucius, being in so great esteem in his own Nation, and having never yet appeared in an European Dress, cannot but be gratefully received by the Curious, especially since the Version is performed by very ancient Missionairs sufficiently accomplished in the knowledge of the Chinese Character, and at the Command (as is said) of the King of France » (ibid.).

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qu’il ne s’étendra pas là-dessus26. Il se contente de parler brièvement de la vie du philosophe, de sa famille et de sa renommée en Chine, pour passer ensuite au sujet qui l’intéresse vraiment et qui occupe la plus grande partie de son compte rendu : la chronologie. Contrairement à la philosophie, la chronologie chinoise a pleinement le droit de figurer dans la revue : « Mais ce qui ne peut pas improprement trouver placer ici, c’est la chronologie chinoise, dont de si remarquables relations ont été rapportées en Europe »27. Contrairement au Journal, le rédacteur des Transactions prend la peine de procéder à un examen critique de la chronologie chinoise rapportée par le père Couplet : « L’auteur de cette partie du livre, le P. Couplet, semble bien avoir examiné cette matière, et avoir démêlé le croyable du fabuleux. Ils commencent leur récit avec les années du règne du Roi Fohi, qui fut le fondateur de leur Empire, autour de 2952 avant J.C. ; en rejetant, comme mal fondé, et comme n’étant pas croyable, tout ce que certains auteurs ont dit des temps antérieurs, et en suivant à cet égard l’opinion des historiens chinois les plus réputés »28. Il remarque que les deux premiers rois (Fo-Hi et Xi Nung) passent pour être suspects aux yeux du père Couplet, en raison de quelques fables manifestes relevées dans leur histoire : « c’est pourquoi, ils choisissent, comme une période plus certaine, de commencer leurs annales avec le troisième Roi Hoam-ti, et l’année 2697 avant le Christ »29. Il faut cependant noter, bien que le journaliste ne le dise pas, que le fait de commencer la chronologie avec l’année 2697 avant J.C. n’arrange rien par rapport à la chronologie du texte hébreu, puisque selon cette dernière, le Déluge est censé s’être produit en 2292 avant J.C., soit bien après. En outre, le journaliste précise « qu’on dit que cet Hoam-ti a institué les cycles sexagénaires ou les périodes de 60 ans, selon lesquels cette chronologie est ajustée, et faute de laquelle, le décompte du temps, sacré et profane, est soumis à de trop grandes incertitudes ; les années des règnes des Jings, où les mois et les jours sont négligés, présentant de grandes erreurs dans la durée, qui sont empêchées par cette méthode »30. Dans la suite, le journaliste analyse en détail les divers systèmes de calendriers utilisés par les Chinois au cours de leur histoire. Mais contrairement au journaliste de la revue parisienne, le rédacteur des Transactions refuse de prendre parti sur la chronologie chinoise, et de proposer une solution à son désaccord avec la chronologie du texte hébreu. Il allègue le fait que, comme elle remet en cause la chronologie biblique, il s’agit d’un problème du ressort

26. « The Subject of this Book being foreign to our purpose, as consisting chiefly of Moral and Political Precepts and Apophthegmes of the Philosopher, I shall not enlarge thereon » (ibid.). 27. « But what may not improperly find place here, is, the Chinese Chronology, whereof such wonderful Relations have been brought into Europe » (ibid.). 28. « This Matter the Author of this Part of the Book, P. Couplet, seems well to have examined, and to have sifted the credible from the fabulous. They begin their Account with the Years of the Reign of King Fohi, who was the Founder of their Empire, about the Year before Christ 2952 ; rejecting, as ill grounded, and not to be believed, all that some Authors have said of the Times before, and following therein the Opinion of the best reputed Chinese Historians » (ibid.). 29. « Wherefore they, as from a more certain Æra, choose to begin their Annals with the third King Hoam-ti, and the Year before Christ 2697 » (ibid.). 30. « This Hoam-ti is said to have instituted the Sexagenary Cycles or Periods of 60 Years, according to which this Chronology is adjusted, and for want of which or the like, our Account of Time, both Sacred and Profane, is subject to too great Uncertainties ; the Years of the Reigns of Jings, where the Months and Days are neglected, introducing great Errors in length of time, which by this method are prevented » (ibid.).

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des théologiens : « Il sera inutile d’avertir que ce décompte place le commencement de l’Empire chinois longtemps avant le Déluge, suivant les Écritures Saintes ; par conséquent, savoir si cela doit être complètement rejeté comme fabuleux ou, sinon, comment cela doit être concilié avec la Chronologie sacrée, appartient plus précisément au discours des Théologiens »31. En définitive, face à l’ouvrage du père Couplet, l’attitude des rédactions des deux revues est assez différente. Il faut bien noter que la chronologie est jugée par le rédacteur des Transactions comme étant tout à fait dans le champ d’intérêt de la revue. Si l’on se limite donc à ce domaine, il est possible de comparer le contenu des deux comptes rendus sur une même partie de l’ouvrage. Contrairement au rédacteur du Journal, le rédacteur des Transactions se livre à un examen critique de la chronologie chinoise. Cependant le rédacteur du Journal se livre à ce genre d’exercice dans d’autres ouvrages sur le même sujet, comme on l’a vu précédemment avec l’ouvrage du père Martini. Peut-être a-t-il jugé superflu de procéder à l’examen critique d’une chronologie chinoise qui apparaît comme un fait incontestable. Contrairement à son collègue anglais, à aucun moment il ne soulève l’hypothèse que cette chronologie puisse être fabuleuse ; il ne la met pas en doute. L’analyse des systèmes des calendriers chinois effectuée par le rédacteur des Transactions montre que le sujet l’a intéressé d’un point de vue scientifique. Il note d’ailleurs que les annales chinoises ont enregistré plusieurs éclipses de grande antiquité, dont le récit peut être examiné. Cet aspect scientifique a moins intéressé le rédacteur du Journal que l’antériorité de la chronologie chinoise sur celle du texte sacré. L’examen serré du journaliste anglais semble mettre en évidence le sérieux du travail accompli par le père Couplet et valider ainsi la chronologie chinoise, en dépit de son désaccord avec la chronologie biblique traditionnelle. Pour autant, dans ses conclusions, le rédacteur londonien refuse de se prononcer, alors que le journaliste parisien franchit allègrement le pas. Le texte hébreu (dit massorétique) de la Bible est à la base du protestantisme (et de l’anglicanisme) : on pourrait émettre l’hypothèse que le journaliste anglais a pu éprouver un certain embarras à remettre en cause la validité de la seule version du texte sacré qui soit admise par les Églises protestantes. La supériorité de la Septante et de la Vulgate sur le texte hébreu était d’ailleurs un leitmotiv de la controverse catholique32. L’attachement des protestants à la version hébraïque du texte de la Bible pourrait expliquer leur plus grande réticence à l’égard d’une chronologie biblique différente de celle du texte hébreu. Il s’agit en tous cas d’une conviction mise en avant par des auteurs catholiques de l’époque. Les jésuites soutiennent une chronologie plus longue, justement fournie par la version grecque des Septante, qui leur permettrait de mettre en accord le récit biblique avec l’histoire très ancienne des Chinois et de faciliter ainsi la conversion au christianisme de ces derniers. Là où le journaliste français, catholique, semble jouir d’une certaine liberté qui lui laisse apparemment le loisir d’exprimer des préférences qui ne sont pas orthodoxes, le journaliste anglais, anglican, semble se trouver dans une impasse ou une situation plus délicate, qui l’oblige à ne pas exprimer ses opinions personnelles et à s’en remettre à l’avis des théologiens. D’un autre côté, à la veille

31. « ’Twill be needless to advertise, that this Account places the beginning of the Chinese Empire long before the Deluge, according to the Holy Scriptures ; wherefore if this be to be wholly rejected, as fabulous ; or if not, how it is to be reconciled with the sacred Chronology, belongs more properly to the Disquisition of the Divines » (ibid.). 32. Cf. F. LAPLANCHE, La Bible en France, entre mythe et critique, XVIe-XIXe siècle, op. cit., p. 51.

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de la Glorieuse Révolution, l’Angleterre se trouve dans une situation explosive, au paroxysme de l’antagonisme entre protestants et catholiques anglais, où l’incertitude de la situation politique et religieuse à venir n’engage certainement pas le rédacteur des Transactions à adopter une position, dans un sens ou dans un autre, qui pourrait être prise pour un engagement dans les querelles interconfessionnelles. Mais du côté français, en fait, les intérêts politiques ne sont peut-être pas non plus totalement absents du débat. Au Siam, les Anglais et les Hollandais avaient établi des comptoirs. Cependant les Hollandais se montrant envahissants, le Siam se tourna vers les Français. En 1680, la France obtenait le monopole du commerce des épices au Siam. En 1684, une ambassade siamoise fut dépêchée auprès de Louis XIV. Le monarque y répondit, l’année suivante, par l’envoi d’une ambassade française. En Chine, il s’agissait pour Colbert et, plus tard, pour son successeur Louvois, de mettre un terme au monopole des Portugais en profitant du déclin de leur empire. Aussi, l’établissement d’une mission française à Pékin n’avait pas qu’une vocation scientifique, comme pourrait le laisser entendre les propos du père de Fontaney dans l’une de ses lettres du 15 février 1703 : Ce fut sur la fin de 1684 […] que Dieu fit naître l’occasion d’envoyer des missionnaires français à la Chine. On travaillait alors en France, par ordre du Roi, à réformer la géographie. MM. de l’Académie des Sciences, qui étaient chargés de ce soin, avaient envoyé des personnes habiles de leur corps dans tous les ports de l’Océan et de la Méditerranée, en Angleterre, en Danemark, en Afrique et aux îles de l’Amérique, pour y faire les observations nécessaires. On était plus embarrassé sur le choix des sujets qui seraient envoyés aux Indes et à la Chine, parce que ces pays sont moins connus en France, et que MM. de l’Académie couraient risque de n’y être pas bien reçus, et de donner ombrage aux étrangers dans l’exécution de leur dessein. On jeta donc les yeux sur les Jésuites, qui ont des missions en tout ce pays-là, et dont la vocation est d’aller partout où ils espèrent plus de fruit pour le salut des âmes. 33

À la demande de Colbert, six jésuites furent choisis pour la mission : Jean de Fontaney (1643-1710), Joachim Bouvet (1656-1730), Claude de Visdelou (16561737), Jean-François Gerbillon (1654-1707), Louis Le Comte (1665-1728) et Guy Tachard (1648-1712)34. Ce dernier n’alla pas jusqu’en Chine mais s’arrêta au Siam. Louis XIV finança le voyage sur sa cassette personnelle. En mars 1685, les six jésuites du collège Louis le Grand appareillèrent de Brest pour la Chine comme mathématiciens du roi. Ils n’atteignirent Pékin qu’en février 1688. En 1700, la mission française reçoit une existence officielle et un statut indépendant. En 1687, Louis XIV fit du toulousain Simon de La Loubère, qui avait été secrétaire d’ambassade en Suisse, un envoyé extraordinaire au Siam avec des pouvoirs très étendus. Et dans le peu de temps que La Loubère y demeura, il recueillit nombre de notes sur les productions, l’industrie et le commerce. La Loubère possédait, outre les langues anciennes, l’italien, l’espagnol et l’allemand, et son goût naturel pour la poésie ne l’empêchait pas de cultiver les mathématiques. Ayant rapporté à Cassini les règles dont les Siamois

33. I. et J.-L. VISSIÈRE (éd.), Lettres édifiantes et curieuses de Chine, Paris 1979, p. 18. 34. Ibid. ; voir aussi, N. STANDAERT (éd.), op. cit., vol. 1, p. 313. Pour plus de précisions sur les membres de la mission, voir L. PFISTER, Notices biographiques et bibliographiques sur les jésuites de l’ancienne mission de Chine (1552-1773), Shangai 1932.

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se servaient pour connaître le cours du soleil et de la lune, il inséra le travail de cet académicien dans son ouvrage sur le Siam35. En 1691, le Journal des savants présente un compte rendu en deux parties de l’ouvrage de La Loubère sur le royaume de Siam36. Contrairement à la chronologie des Chinois, le journaliste ne ménage pas celle des Siamois, qui d’ailleurs ne remonte pas très loin : « L’origine des siamois est pleine de fables. Leur histoire ne remonte pas fort haut avec quelque caractère de vérité. L’année 1689 estoit la 2233 de leur ère »37. Mais les Siamois ne sont pas plus faciles à convertir au Christianisme que les Chinois : « On peut assurer que les Siamois n’ont l’idée d’aucun Dieu, & que toute leur religion se réduit au culte des morts. L’extravagance de leurs opinions rend difficile dans leurs pays la prédication de l’Evangile »38. À la fin de la deuxième partie de son compte rendu le rédacteur du Journal revient à l’occasion sur la chronologie des Chinois : Ils ne sçauroient nier que leur histoire n’ait l’air d’une fable en tout ce qui précède l’origine de leur Monarchie. Mais il n’a pas esté possible de leur persuader que la suite de leurs Rois ne remonte pas au dessus du tems où la cronologie du texte Hébreu & de la Vulgate met le Déluge ; & cela a porté les Missionnaires à suivre la cronologie des Septante, selon laquelle le Monde est plus ancien de plusieurs siècles que selon la cronologie commune39.

La chronologie chinoise est d’autant plus difficile à réfuter qu’elle possède un caractère de continuité que l’on croyait jusque-là réservé à la Bible, celui d’une histoire sans lacunes. Ainsi que le rappelle le Journal des savants en 1697, dans son compte rendu des Nouveaux Mémoires sur l’État présent de la Chine du père jésuite Louis Le Comte : « Elle a ses Rois depuis quatre mille ans, & ils ont continué sans aucune interruption »40. De leur côté, dans leur relation du même ouvrage41, les Transactions indiquent : « Leur géométrie et leur musique, ne sont pas parfaites, l’astronomie davantage ; ayant 400 observations d’éclipses, pour réformer leur chronologie ; de plus la Religion a bénéficié du cadre de leur calendrier exact »42.

35. Voir M. JACQ-HERGOUALC’H, Étude historique et critique du livre de Simon de La Loubère ‘‘Du Royaume de Siam’’ : Paris, 1691, Paris 1987. Simon de La Loubère (1642-1729) naquit à Toulouse et fit ses études au collège des jésuites. Il était fils d’un conseiller au présidial. Venu à Paris pour étudier le droit public, ses vers le firent connaître dans les cercles parisiens. Son protecteur, le chancelier de Pontchartrain, le fit admettre à l’Académie française en 1693. 36. « Du Royaume de Siam. Par Mr. De La Loubere, Envoyé extraordinaire du Roi auprès du Roi de Siam en 1687 & 1688. In 12. 2 vol. à Paris chez la Veuve de J. B. Coignard, & J. B. Coignard. 1691 », Journal des savants, 30 avril 1691 (n° 15), p. 173-180 (131-136) ; Journal des savants, 7 mai 1691 (n° 16), p. 181-184 (137-139). 37. Journal des savants, 30 avril 1691 (n° 15), op. cit., p. 173-180 (131-136). 38. Ibid. 39. Journal des savants, 7 mai 1691 (n° 16), op. cit., p. 181-184 (137-139). 40. « Nouveaux mémoires sur l’état présent de la Chine. Par le P. Louis le Comte, de la Compagnie de Jesus, Mathématicien du Roy. In 12, deux Tomes. A Paris chez Jean Anisson, rue de la Harpe. 1696 », Journal des savants, 21 janvier 1697 (n° 3), p. 28-36 (26-33). 41. « Nouveaux Mémoires sur l’état présent de la Chine par le R. P. Louis le Comte de la Compagnie de Jesus, Mathematicien du Roy, enrichi des figures, Amsterd. 1697. In 12, 2 vol. and since translated into English, and Printed in 8° », Philosophical Transactions pour le mois de juin 1697, n° 229, p. 585-592. 42. « Their Geometry and Music, are no perfect, Astronomy more ; having 400 Observation of Eclipses, to reform their Chronologie ; yet Religion has profited by setting their Calendar right » (ibid.).

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Dans le compte rendu de l’ouvrage du père Le Comte, le journaliste explique que « les liaisons que les Jésuites Missionnaires de la Chine entretiennent avec l’Académie Royale ont obligé le P. le Comte de communiquer à M. l’Abbé Bignon ce qu’ils y ont exécuté pour la perfection des connoissances naturelles »43. Or les rédacteurs et l’équipe de rédaction du Journal des savants sont très liés au milieu de l’Académie des sciences, quand ils ne s’occupent pas à la fois de l’Académie et du Journal. Ainsi l’abbé Galloys, entré à l’Académie des sciences en 1668, ancien rédacteur du Journal des savants de 1666 à 1674, et conseiller de Jean-Baptiste Colbert, a-t-il continué par la suite à collaborer plus ou moins à la revue. Déchargé de la rédaction du Journal, Jean Galloys resta titulaire du privilège jusqu’en avril 1679 où il l’abandonna à La Roque auprès duquel il remplit parfois le rôle de conseiller ou d’intermédiaire. En 1687, lorsque le chancelier Boucherat entendit imposer à La Roque un comité de rédaction, Jean Galloys fut sollicité d’en prendre la direction, mais déclina l’offre44. Il aurait fait néanmoins partie de l’équipe rédactionnelle de Louis Cousin qui prit la direction du Journal en 168745. À la fin de sa vie, il s’intéressa de nouveau au Journal des savants et il obtint en juillet 1698 un privilège pour la réimpression des numéros parus entre 1666 et 1697, avec l’intention d’enrichir cette réédition de comptes rendus d’ouvrages de sa main ignorés de la première publication46. Secrétaire de l’Académie des sciences de 1668 à 1670, c’est à lui que l’on confie en 1692-1693 la publication d’un nouveau périodique, les Mémoires de mathématiques et de physique tirez des Registres de l’Académie Royale des Sciences. Lorsque Pontchartrain lui conféra la direction de la Librairie, l’abbé Bignon nomma l’abbé Galloys censeur royal pour l’histoire sainte et les sciences, comme l’attestent les remises de livres aux examinateurs de 1699 à 1704. Il compta aussi de façon épisodique, de 1700 à 1707, au nombre des censeurs47. En 1692, c’est l’abbé Galloys qui est chargé par l’Académie de faire un compte rendu de l’ouvrage du père Gouye sur les travaux menés par les jésuites en Chine (voir texte encadré). L’abbé Galloys est l’un de ceux qui symbolisent le mieux le lien entre l’Académie et le Journal des savants. D’un autre côté, son compte rendu du livre de Gouye met en évidence les relations entre les missionnaires jésuites et l’Académie, et les intérêts que soutient le roi. Florence Hsia a étudié les liens entre l’Académie des sciences et les missionnaires jésuites français de Chine qui allaient inaugurer « un nouveau chapitre dans l’histoire de la science jésuite dans les missions »48.

43. « Nouveaux mémoires sur l’état présent de la Chine. Par le P. Louis le Comte, de la Compagnie de Jesus, Mathématicien du Roy. In 12, deux Tomes. A Paris chez Jean Anisson, rue de la Harpe. 1696 », Journal des savants, 28 janvier 1697 (n° 4), p. 37-44 (33-40). 44. Cf. notice biographique par J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 16651714 », op. cit., annexes : p. 213-223. 45. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., p. 304. 46. Cf. notice biographique par J.-P. VITTU,« Le Journal des savants et la République des Lettres, 16651714 », op. cit., annexes : p. 213-223. 47. Ibid. 48. F. C. HSIA, « Some Observations on the Observations. The decline of the french jesuit scientific mission in China », dans Les jésuites dans le monde moderne. Nouvelles approches, Revue de synthèse 2-3 (1999), p. 305-333. Dans la suite, je me réfère essentiellement au contenu de son article afin de préciser le contexte des débuts de la mission, dans les années 1680 et le début des années 1690.

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Extrait des Mémoires de l’Académie Royale des sciences. Depuis 1666, jusqu’à 1699, t. X, p. 130-138. EXTRAIT DU LIVRE INTITULE Observations Physiques & Mathématiques envoyées des Indes & de la Chine à l’Académie Royale des Sciences, à Paris, par les PP. Jésuites, avec les Notes & les Réflexions du P. Goüye de la Compagnie de Jesus. A Paris, de l’Imprimerie Royale, in 4°. Par M. L’ABBÉ GALLOYS. 31 juin 1692. Quoique les Observations contenues dans ce Livre ayent été faites aux Indes & à la Chine, elles ne laissent pas d’être en quelque manière l’Ouvrage de l’Académie Royale des Sciences ; puisque ceux qui en sont les Auteurs, les ont faites de concert avec l’Académie, & conformément aux instructions qu’ils en avoient reçues. Outre que cette correspondance est très utile pour l’avancement des Sciences, elle est encore avantageuse pour l’établissement de la Religion Chrétienne à la Chine. Car l’entrée de ce vaste Empire étant fermée à tous les Etrangers par des raisons d’Etat ; il seroit très difficile d’y porter la lumière de l’Evangile, si la connoissance de la Physique & des Mathématiques ne servoit, pour ainsi dire de passeport aux Missionnaires pour y être reçus. C’est pourquoi le Roy, dont le zèle pour le progrès de la Religion n’est pas borné par les limites de ses Etats, mais s’étend par tout le monde a voulu que les Jésuites François qui se sont dévouez pour aller annoncer dans la Chine la parole de Dieu, travaillassent de concert avec son Académie à l’avancement des Sciences, & qu’ils méritassent ainsi la qualité dont il les a honorez, de Physiciens & de Mathématiciens de Sa Majesté. Et cette qualité n’a pas peu contribué à leur réputation dans l’Asie. Car la gloire des armes du Roy qui rendent le nom François redoutable par toute la terre, a fait aisément croire que l’esprit des François répondoit à leur valeur, & que comme ils excellent dans l’Art de la Guerre, ils devoient aussi exceller dans toutes les Sciences. […]

L’équipe initiale des jésuites « mathématiciens du roi » a rapidement produit une collection impressionnante de travaux d’astronomie et d’histoire naturelle. Thomas Gouye, professeur de mathématiques au collège Louis le Grand, prépara les Observations physiques et mathématiques (1688) à partir des matériaux qu’il avait reçus de ses confrères du Siam, et il publia l’ouvrage avec l’approbation de l’Académie des sciences49. Le programme d’observation en astronomie approuvé par l’Académie était à la fois la pierre angulaire de l’alliance des jésuites français avec cette dernière et le repère le plus important de l’image de marque de la mission scientifique jésuite française. La façon de pratiquer l’astronomie à l’Académie a été revendiquée non seulement par Cassini et d’autres académiciens, mais, ensuite, également par les jésuites français qui ont à leur tour considéré cette pratique comme une clef de leur identification avec l’Académie. Philippe de La Hire a fait remarquer que c’était parce

49. T. GOUYE, Observations physiques et mathématiques pour servir à l’histoire naturelle et à la perfection de l’astronomie & de la géographie, envoyées de Siam à l’Académie royale des sciences à Paris, par les peres jesuites françois qui vont à la Chine en qualité de mathématiciens du Roy. Avec les réflexions de messieurs de l’Academie, & quelques notes du P. Goüye, de la Compagnie de Jesus, chez la Veuve d’Edme Martin, Jean Boudot, et Estienne Martin, Paris 1688. Un second volume parut en 1692 : T. GOUYE, Observations physiques & mathématiques envoyées des Indes & de la Chine à l’Académie royale des sciences, à Paris, par les pères jésuites, avec les notes & les réflexions du P. Goüye de la Compagnie de Jésus, Paris 1692.

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que les jésuites de la mission de Chine avaient été instruits « dans ces manières d’observer » pratiquées par les astronomes à l’Observatoire royal, que Louis XIV avait décidé d’intégrer les missionnaires jésuites à l’Académie50. Souciet a rapporté la fondation de la mission jésuite française en Chine comme celle d’une entreprise approuvée à la fois par le roi et l’Académie : comment Louis XIV avait fourni aux jésuites des instruments scientifiques et les avait faits « mathématiciens du roi » ; comment l’Académie des sciences les avait instruits et leur avait communiqué leurs lumières ; comment elle avait approuvé les observations des jésuites et les éditions publiques successives de Gouye du travail scientifique des jésuites51. La réimpression des deux volumes du père Gouye, en 1729, comme partie des Mémoires de l’Académie royale des sciences, depuis 1666 jusqu’à 1699, dans le volume consacré aux « Observations faites en plusieurs voyages »52, est significative de l’intégration du travail des jésuites dans celui de l’académie. Tout en rappelant la mission apostolique essentielle des missionnaires, l’épitre de Gouye commémore le soutien royal à la mission scientifique des jésuites en association avec l’Académie : Sire, Les Observations des Missionnaires que Votre Majesté a honorez de ses ordres, en les envoyant à la Chine en qualité de ses Mathématiciens, étant des fruits de ses libéralitez, & de sa protection Royale ; c’est un tribut qui lui appartient par tant de titres, que j’aurois crû ne pouvoir sans crime le présenter à d’autres qu’à Elle. Cet essay de leurs premiers soins pour la perfection de l’Histoire naturelle, de l’Astronomie & de la Géographie, semble répondre de l’avenir, & donne lieu d’esperer que ces Peres continuant à observer, de concert avec la fameuse Académie Royale des Sciences établie par Votre Majesté, ils rendront leur travail aussi avantageux à toutes les Nations de l’Europe que glorieux à votre Regne. Mais, Sire, comme la première vue de Votre Majesté, en les envoyant aux Indes, a été de gagner les Peuples de ces Vastes Contrées à la vraye Foy, ils n’en doivent point avoir d’autres que de porter par tout la connoissance & l’amour du vray Dieu. […]53

Or il faut savoir qu’en application des directives du Chancelier, le directeur du Journal des savants de 1687 à 1701, Louis Cousin, renvoyait à son autorisation la publication de tout mémoire mettant en cause l’Académie des sciences54. Jean-Pierre Vittu note qu’en matière religieuse, « bien qu’en froid avec les Jésuites, il évita de plus en plus de parler du jansénisme et de ses tenants et dès que la réponse de Bossuet eut ouvert la controverse quiétiste, Cousin ignora tous les ouvrages de Fénelon et refusa un mémoire de Leibniz sur l’amour désintéressé »55. Certes, sa situation de journaliste officiel ne l’empêcha pourtant pas de céder à son animosité envers les jésuites qui se plaignirent souvent des critiques de leurs ouvrages56. Mais dans le cas

50. F. C. HSIA, op. cit., p. 316. 51. E. SOUCIET, Observations mathématiques, astronomiques, géographiques, chronologiques, et physiques, tirées des anciens livres chinois ou faites nouvellement aux Indes et à la Chine par les pères de la Compagnies de Jésus, t. I, Paris 1729. 52. Mémoires de l’Académie Royale des Sciences depuis 1666 jusqu’à 1699, t. VII, p. 605-875. 53. Ibid., « Épitre ». 54. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., annexes : p. 196. 55. Ibid. 56. Ibid.

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des travaux des jésuites « mathématiciens du roi », la critique aurait probablement pu être assimilée à une attaque de l’Académie et de ceux qui jouissaient de la protection royale. C’était risquer sans aucun doute une intervention du Chancelier. Par conséquent, le Journal n’est pas forcément libre de critiquer les travaux des jésuites sur la chronologie chinoise. D’autant que, on l’a vu, leur soutien de la chronologie plus longue des Septante a pour but de faciliter la conversion des Chinois. Or la mission apologétique des jésuites a également le soutien du roi, ainsi que le rappelait Gouye dans son épitre. Cependant, il serait intéressant d’examiner la position de l’Académie royale des sciences sur la chronologie chinoise. L’un de ses membres les plus éminents, l’astronome Jean-Dominique Cassini, est justement en première ligne dans les relations avec la mission scientifique jésuite de Chine. Le père de Fontaney, le pilier scientifique de la mission, avait d’ailleurs des rapports privilégiés avec les académiciens parisiens57, et en particulier Jean-Dominique Cassini, en lui fournissant, par exemple, ses tables des lunes de Jupiter. Et Cassini, dans son commentaire des observations des jésuites, a eu tendance à s’adresser à Fontaney personnellement comme un collègue et interlocuteur58. En 1691, le Journal des savants signale que l’ouvrage de La Loubère sur le royaume de Siam contient les réflexions de Cassini sur la chronologie des Chinois59. Ses Réflexions sur la chronologie Chinoise sont reprises dans les Mémoires de l’Académie60. Cassini y utilise les données rapportées par les pères Couplet et Martini. L’astronome observe que le cinquième empereur de la Chine, qui aurait régné de 2513 à 2435 avant Jésus-Christ, aurait vu une conjonction de cinq planètes. Il remarque que « Cette recherche est importante, d’autant que cette Epoque seroit plus ancienne que le Déluge de plusieurs siècles, suivant le calcul de ceux qui mettent environ 2200 années entre le Déluge & la naissance de Jesus-Christ »61. Or en mettant en rapport les constellations chinoises avec les positions des étoiles fixes connues correspondantes, Cassini calcule qu’une telle conjonction n’aurait pu être observée qu’en 2012 avant J.C. Il en déduit une différence de cinq siècles entre la chronologie chinoise et le temps vrai. D’autre part, il note que, dans la vingtième année du règne de Jao, septième empereur des Chinois, le solstice d’hiver fut observé vers le premier

57. F. C. HSIA (op. cit.) a montré toute l’importance du rôle joué par Fontaney dans le travail scientifique réalisé par les missionnaires jésuites pour l’Académie. Isabelle et Jean-Louis Vissiere donnent une brève notice biographique du père de Fontaney (I. et J.-L. VISSIÈRE, éd., Lettres édifiantes et curieuses de Chine, Paris 1979, p. 49) : « Fontaney ou Fontenay, Fontanay (de) Jean (nom chinois : Hong Jo Che-Teng). Né en Bretagne en 1643. S’embarque en 1685 à Brest sur l’Oyseau pour le Siam comme supérieur des Jésuites français envoyés en Chine par Louis XIV. Guérit grâce au quinquina l’empereur K’ang-hi, et reçoit en don le Pé-t’ang (résidence du Nord). Supérieur de 1692 à 1699. Part sur l’Amphitrite en 1699 et rentre à Canton en 1701 avec huit nouveaux missionnaires. Vice-recteur du noviciat de Paris en 1706 ; recteur du Collège royal de La Flèche en 1707. Mort à La Flèche en 1710 » (Notice établie d’après l’ouvrage du P. DEHERGNE, S. J. Répertoire des Jésuites de Chine de 1552 à 1800, Rome et Paris 1973). 58. F. C. HSIA, op. cit., p. 314. 59. « Du Royaume de Siam. Par Mr. De La Loubère, Envoyé extraordinaire du Roi auprès du Roi de Siam en 1687 & 1688. In 12. 2 vol. à Paris chez la Veuve de J. B. Coignard, & J. B. Coignard. 1691 », Journal des savants, 7 mai 1691 (n° 16), p. 181-184 (137-139). 60. « Réflexions sur la chronologie Chinoise par Monsieur Cassini », Mémoires de l’Académie Royale des Sciences depuis 1666 jusqu’à 1699, t. VIII, Compagnie des Libraires, Paris 1730, p. 300-311. En page 300, on trouve en marge la mention suivante : « Tirées du Royaume de Siam de M. de la Loubère, Tom. 2 pag. 379, édit. de Paris, 1692. » 61. Ibid.

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degré de la Constellation chinoise appelée Hiu. Il place cet événement astronomique en 1852 avant J.C. au lieu de 2347 avant J.C., suivant le père Martini, soit une différence de 497 années qui confirme son précédent résultat62. Pour expliquer ces différences, Cassini émet des doutes sur la fiabilité de la chronologie des Chinois et de leur système de calendrier : L’Histoire Chinoise marque aussi qu’en divers temps il s’est trouvé des égaremens dans les années Chinoises qui ont obligé divers Empereurs de les remettre à la première Epoque. Ces égarements peuvent être arrivez pour avoir intercalé des mois trop souvent, ou pour avoir négligé les intercalations des mois, quand il falloit les faire, & comme nous n’avons pas l’Histoire de ces intercalations, on ne sçauroit se tirer des embarras qu’il y a pour cette cause dans la Chronologie Chinoise. On sçait quel a été celui des Chinois en ce même siècle : car nonobstant l’ancienneté de leurs magnifiques Observatoires fournis de toutes sortes d’Instrumens, & les amples Collèges & les Magistratures d’Astronomie, cette Nation très jalouse de sa propre gloire, & ennemie des Etrangers a été obligée de mettre à la tête de ses Astronomes pour la correction de leur Calendrier les PP. Jesuites, qui y sont allez pour y porter une Religion contraire à la leur, & de combler d’honneurs les PP. Ricci, Schall, Verbiest, & Grimaldi, qui du temps même de son absence en Italie a été élu par l’Empereur de la Chine pour Président du Magistrat de l’Astronomie. D’où l’on peut juger que les Chinois n’avoient pas de Méthode si certaine de régler leurs années, qu’ils n’ayent reconnu, qu’ils ne sont pas capables de les régler tous seuls sans de grandes erreurs63.

Si Cassini met en doute la validité de la chronologie chinoise, en revanche Melchisédec Thévenot64, le garde de la Bibliothèque du roi, entré à l’Académie des sciences en 1685, la trouve tout à fait recevable. Dans ses Relations de divers voyages curieux, il reprend la chronologie des monarchies chinoises du père Martini65.

62. Il faut remarquer cependant que les conclusions de Cassini ne sont pas sans failles. En dehors de calculs astronomiques a priori rigoureux, à la base, le raisonnement de Cassini n’est pas totalement exempt de présupposés. En effet, pour appliquer ses calculs, il est amené à interpréter les écrits des missionnaires jésuites et à faire diverses suppositions qui, tout en lui paraissant plausibles, restent néanmoins non démontrées. De ce fait, son résultat pouvait être contestable. 63. « Réflexions sur la chronologie Chinoise par Monsieur Cassini », op. cit. 64. Melchisédec Thévenot (1620-1692), voyageur français né à Paris et mort à Issy. Poursuivant les assemblées qui se tenaient chez Montmor, les savants qui se réunirent chez lui formèrent le noyau de l’Académie des sciences. D’après la notice de la Biographie universelle (L.-G. MICHAUD, dir., Biographie universelle ancienne et moderne, t. XVI, Paris 1843-1855, p. 323-326), « Il prenait plaisir à réunir des livres sur toutes sortes d’objets et principalement sur la philosophie, les mathématiques, la politique et l’histoire. Il cherchait l’occasion d’entretenir les personnes qui avaient parcouru les pays les plus éloignés et tâchait d’obtenir d’elles des relations et des mémoires. Sa connaissance de plusieurs langues de l’Europe et de l’Orient, ses rapports avec les savants et les voyageurs, sa place de garde de la bibliothèque du roi, à laquelle il fut nommé en 1684, lui donnèrent de grands moyens de satisfaire son goût pour les livres rares, surtout pour ceux qui concernaient la géographie et les voyages ». 65. M. THÉVENOT, Relations de divers voyages curieux qui n’ont point esté publiées, Et qu’on a traduit ou tiré des Originaux des Voyageurs François, Espagnols, Allemands, Portugais, Anglois, Hollandois, Persans, Arabes & autres Orientaux, données au public par les soins de feu M. Melchisedec Thevenot, le tout enrichi de figures, de plantes non décrites, d’Animaux inconnus à l’Europe, & de Cartes Geographiques, qui n’ont point encore été publiées. Nouvelle Édition, Augmentée de plusieurs Relations curieuses, Paris 1696, 2 vol. (la première édition parut dans les années 1663-1672). Voir dans le premier tome, le « Synopsis chronologica monarchiae Sinicae ab anno post diluvium 275 usque ad annum Christi 1666 ». Pour l’auteur, la soixante-

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L’admiration de Thévenot pour la civilisation chinoise contraste avec les propos de Cassini : Depuis trente ou quarante siècles dont ils font voir les Histoires, au lieu de s’appliquer aux disputes de l’école, qui ont occupé misérablement presque tout ce qu’il y a eu de meilleurs esprits dans nostre monde ; ils ont rapporté toute leur estude à perfectionner les arts à la forme de leur gouvernement, à prescrire les devoirs des hommes les uns envers les autres : & vous voyez chez eux autant de monumens dressez à la mémoire de ceux qui leur ont appris quelque pratique utile, que de Trophées & de marques de leurs conquestes66.

Finalement, on ne peut pas dire qu’au sein de l’Académie des sciences les opinions sur la chronologie chinoise soient unanimes. La position adoptée par les rédacteurs du Journal des savants ne s’identifie donc pas avec une position déterminée de l’Académie, officielle ou officieuse, mais penche plus simplement pour ceux qui tiennent pour recevable la chronologie chinoise et qui, par conséquent, sont les tenants d’une chronologie plus longue. En 1691, dans son commentaire de l’ouvrage de La Loubère sur le Siam, le journaliste semble avoir une lecture subjective. Il ignore volontairement les doutes exprimés par Cassini en se contentant de signaler très brièvement aux lecteurs que l’ouvrage contient des réflexions de l’astronome sur la chronologie chinoise, sans que l’on puisse savoir le moins du monde la teneur de ces réflexions. Pourtant, plus loin, et toujours dans le même compte rendu, il explique bien volontiers la nécessité dans laquelle se sont trouvés les missionnaires de suivre la chronologie, plus longue, de la Septante. En 1696, dans son compte rendu de l’ouvrage de Thévenot, le Journal des savants insiste encore sur l’antiquité de la Chine et le sérieux de ses annales : « L’Abrégé chronologique des plus remarquables événemens qui soient arrivés à la Chine depuis les tems voisins du déluge jusqu’à l’année 1666, montre l’antiquité de cette nation, & le soin qu’elle a eu sur toutes les autres de conserver la mémoire des choses passées »67. Le mémoire de Cassini montre que le problème posé par l’âge du monde n’est plus seulement l’affaire des théologiens et des chronologistes, il intéresse aussi des scientifiques qui pensent pouvoir le résoudre en utilisant la science. Il faut souligner que si Cassini remet en cause la chronologie chinoise, c’est seulement à partir de calculs d’astronomie. Contrairement aux théologiens, il ne se préoccupe à aucun moment des versions de la Bible, il se base uniquement sur des arguments scientifiques qui, a priori, auraient pu fort bien donner tort au texte sacré. Alors qu’à travers les Transactions, la Royal Society refuse de se prononcer sur le problème posé par la chronologie chinoise, en arguant qu’il s’agit du domaine réservé des théolo-

seizième année du règne du premier empereur Fo-Hi correspond à l’année 350 après le Déluge selon le calcul de la Septante, Fo-Hi commença donc à régner en 2944 avant J. C. et 275 ans après le Déluge. 66. M. THÉVENOT, op. cit., t. II, « Avis sur le voyage des ambassadeurs de la Compagnie Hollandoise des Indes Orientales vers le Grand Chan de Tartarie, à Peking » (non paginé). 67. « Relations de divers voyages curieux qui n’ont point été publiées, & qu’on a traduit ou tiré des originaux des Voyageurs François, Espagnols, Allemands, Portugais, Anglois, Hollandois, Persans, Arabes & autres Orientaux, données au public par les soins de feu M. Melchisedech Thevenot. Le tout enrichi de figures de plantes non décrites, d’animaux inconnus à l’Europe, & de Cartes Géographiques, qui n’ont point encore été publiées. Nouvelle Édition augmentée de plusieurs relations curieuses. Deux Tomes in-fol. A Paris chez Thomas Moette, rue de la Bouclerie. 1696 », Journal des savants, 26 mars 1696 (n° 13), p. 145-146 (119-120).

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giens, du côté français, divers académiciens n’hésitent pas à se prononcer pour ou contre la chronologie chinoise et à faire part au public de leurs réflexions sur le sujet. Dans ces débats des années 1680 et 1690 cependant, le Journal des savants prend position pour les partisans d’une chronologie plus longue. Mais, si cette position avait déplu au chancelier, il ne paraît pas douteux qu’il serait intervenu pour l’infléchir. Or les opinions exprimées par le journaliste de manière répétée au cours de ces années démontrent que ce ne fut pas le cas. III. Une querelle de chronologie Dans la multitude des comptes rendus d’ouvrages intéressant la chronologie dans le Journal des savants, ceux qui ont provoqué des réactions, des débats, et qui sont parfois à l’origine d’une polémique, présentent un intérêt certain. Il existe une polémique dont toute l’importance ressort à travers le Journal des savants et qui peut être considérée d’une certaine façon comme exemplaire. Entre 1687 et 1693, la dispute qui mit principalement aux prises le père Paul Pezron avec les pères Jean Martianay et Michel Lequien68 n’est pas sans rappeler la dispute qui eut lieu entre Isaac Vossius et Georg Horn, près de trente ans plus tôt69. Avant d’analyser la polémique entre Pezron et Martianay dans le Journal, il paraît nécessaire de rappeler brièvement ce précédent. 1. Les antécédents d’une polémique En 1659, Isaac Vossius publia une œuvre qui eut une large diffusion et qui suscita d’âpres polémiques et provoqua de violentes réactions70. Sa préférence pour la version de la Bible des Septante, au lieu du texte Massorétique, lui permettait de ramener en arrière de 1440 ans l’histoire du monde et de fixer le jour de la création au environ de 5400 avant Jésus-Christ. Sa nouvelle chronologie permettait de résoudre les difficultés soulevées par les « antiquités » des Chaldéens, des Égyptiens et, surtout, des Chinois. Mais son adversaire le plus direct était Lapeyrère. Pour Vossius, la réponse à Lapeyrère ne pouvait consister en une simple négation. Il fallait que les défenseurs de l’orthodoxie ne soient pas contraints à se mouvoir sur le plan d’un simple refus préliminaire, mais soient en mesure de résoudre les problèmes posés par la constatation d’une plus grande antiquité de certains peuples. C’est-à-dire qu’il était nécessaire que les annales des peuples païens ne soient pas opposées à celle de l’histoire sacrée, mais servent à confirmer la vérité de l’histoire sacrée.

68. Il y eut d’autres opposants à Pezron, comme le père Alexandre, mais dont les ouvrages n’étaient pas uniquement conçus pour répondre à l’auteur de L’Antiquité des tems rétablie, et qui, à travers les comptes rendus du Journal, apparaissent donc moins importants dans cette querelle. Pour le père Alexandre, voir : « Selecta Historiae Ecclesiasticae veteris Testamenti Capita, & in loca ejusdem insigna Dissertationes historicae, chronologicae, criticae. Autore R. P. F. Natali Alexandro, ordinis Fratrum Praedicatorum,in sacra Facultate Parisiensi Doctore Theologo, & Emerito Professore. In-8. 6 vol. Tomus Secundus. A Paris, chez Ant. Dezallier 1689 », Journal des savants des 14 et 21 mars 1689, p. 105-114 (89-97), 4, 11 et 18 avril 1689, p. 139-149 (118-127) et p. 157-160 (133-136). 69. Voir P. ROSSI, op. cit., p. 174-181. 70. I. VOSSIUS, Dissertatio de vera aetate mundi qua ostenditur Natale mundi tempus annis minimum 1400 vulgarem aeram anticipare, La Haye 1659.

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Publiée à Leyde la même année, la réponse très rapide de Georg Horn71 prit la forme d’une attaque directe72. Dès la préface, Vossius se voyait présenté comme un disciple caché de la doctrine des Préadamites. Mais surtout Horn avançait un puissant argument, les livres mosaïques existent en diverses langues : l’une, hébraïque, est celle de l’original, les autres sont celles des traductions. Comment pouvait-on douter du fait que la source primaire soit préférable aux versions dérivées et le premier exemplaire aux traductions ? Les Églises occidentales, qui avaient établi leur version sur le texte hébraïque et sur la version latine de ce texte, auraient-elles accompli durant tant de siècles un gigantesque travail inutile ? N’auraient-elles jamais reçu le texte authentique de la Bible ? Si vraiment les Hébreux avaient corrompu le texte, ils ne l’auraient pas fait seulement pour la chronologie, mais aussi pour toutes les autres vérités de la foi. L’injure à l’adresse des Hébreux touche également les Chrétiens : ces derniers auraient fait passer une édition corrompue de la Bible avant la version excellente et intègre des Septante73. Pour soutenir que la chronologie des textes hébraïques est corrompue, Vossius s’appuie sur l’autorité de Flavius Josèphe et sur les annales des Chaldéens, des Égyptiens et des Chinois. De son côté, Horn rediscute ces annales afin de prouver leur plein accord avec la chronologie traditionnelle. De la Création au Déluge, il s’est écoulé 1656 ans (2256 ans pour Vossius). Le Christ est né 4000 ans après la Création. L’âge du monde en 1659 est donc de 5695 ans (7048 ans pour Vossius). Pour Horn, toutes les chronologies alternatives à la chronologie mosaïque sont des chronologies fabuleuses dans lesquelles s’est exprimé le désir, présent chez tous les peuples, d’allonger sa propre histoire et de reculer ses propres origines afin de les rendre plus nobles. Isaac Vossius répondra à Horn tout aussi rapidement74. Après le Déluge, comment, en l’espace de seulement cent ans, les trois fils de Noé auraient-ils pu engendrer un nombre d’hommes suffisant pour construire la Tour de Babel et pour fonder cinquante royaumes ? Dans l’estimation la plus favorable, il n’est pas possible d’arriver à un chiffre supérieur à trois cent cinquante hommes et femmes. Vossius dénoncera aussi les erreurs de Horn qui n’a rien compris au texte du père Martini et qui aurait accumulé tant de sottises qu’il aurait mieux fait de se taire. Et la polémique se poursuivra. En 1685, le Journal des savants présente un ouvrage publié anonymement par Richard Simon, R. S. Opuscula Critica Adversus Isaacum Vossium, qui continue encore la polémique à l’encontre de Vossius75. Le journaliste ne s’y trompe pas : « Il faut n’avoir pas vu l’Histoire critique du P. Simon, pour ne pas sçavoir que

71. Georg Horn, historien d’origine germanique, naquit en 1620 à Greussen, dans le haut Palatinat. La guerre de Bohème força ses parents à se retirer en Franconie, où il fit ses études ; il les acheva en Hollande, alla en Angleterre avec un jeune Anglais dont il était précepteur, et embrassa le presbytérianisme. Comme il s’était déjà fait connaître par quelques écrits, l’université d’Harderwyk en Gueldre l’appela pour remplir les chaires d’histoire, de géographie et de droit public ; il passa ensuite à l’université de Leyde, et mourut en 1670. Cf. L.-G. MICHAUD (dir), Biographie universelle ancienne et moderne, 45 vol., Paris 1843-1855. Cf t. XIX, p. 640-641. 72. G. HORN, Dissertatio de vera aetate mundi qua sententia illorum refellitur qui statuunt Natale Mundi tempus annis minimum 1440 vulgarem aeram anticipare, Leyde 1659. 73. Cf. P. ROSSI, op. cit., p. 178. 74. I. VOSSIUS, Castigationes ad scriptum G. Hornii de aetate mundi, La Haye 1659. 75. « R. S. Opuscula Critica Adversus Isaacum Vossium. Deffenditur sacer Codex Hebraicus, & b. Hiernymi Tralatio. In-4°. Edimburgi. Et se trouvent à Paris chez la V. de Varennes 1685 », Journal des savants, 18 juin 1685, p. 236-238 (165-166).

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M. Vossius y est attaqué & réfuté en une infinité de rencontres »76. L’auteur réfute les thèses de Vossius : On soutient que les Juifs n’ont point altéré malicieusement le Texte Hébreu : Que la Chronologie que M. Vossius prétend qu’ils ont forgée, leur est plus contraire que celle des Grecs, & que n’ayant point corrompu les Prophéties de Daniel, ils n’auroient rien gagné en renversant la Chronologie des Patriarches : Et quant à la langue vulgaire des Juifs du tems de N.S. on nie formellement ce que M. Vossius avance, & on lui soutient que Jésus-Christ & ses Disciples n’ont parlé qu’en Syriaque77.

Quelques années auparavant, en 1677, était parue la Palaeologia Chronica de l’anglais Robert Cary (1615-1688)78, un ouvrage moins connu que celui du père Pezron mais dont les deux revues présentèrent une relation. Les Transactions en firent un compte rendu79 beaucoup plus long que celui du Journal80 (voir texte encadré ci-après). La brièveté du compte rendu du Journal n’est sans doute pas étrangère au fait qu’en France fort peu d’érudits entendaient l’anglais, comme d’ailleurs dans la plus grande partie de l’Europe continentale. Il n’était donc pas nécessaire d’inciter les lecteurs à feuilleter un ouvrage qu’ils n’auraient sans doute pas la possibilité de lire. D’après Rhoda Rappaport, l’ample examen de chronologies concurrentes par Robert Cary mettait en doute la possibilité d’être certain de la date de la Création, mais il optait néanmoins pour la version des Septantes en grande partie à cause du dilemme chinois81. À dire vrai, même s’il s’agit de la cause déterminante du choix de Cary, le compte rendu des Transactions semble aller plus loin, en mettant en avant l’accord de la chronologie tirée de la version des Septante avec les annales de l’histoire profane, chinoise, chaldéenne et égyptienne. Encore que pour la chronologie égyptienne, le rédacteur des Transactions laisse entendre que Cary la remet en cause, au moins pour une part, en la taxant de vanterie. Alors que Cary s’attache à démontrer la crédibilité de la chronologie chinoise, ainsi que le précise le journaliste anglais.

76. Ibid. 77. Ibid. 78. R. CARY, Palaeologia Chronica : A Chronological Account of Ancient Time, Londres 1677. L’ouvrage suscita une contre-attaque : John Milner, un théologien de Cambridge, publia en 1694, une « Defence of Archbishop Ussher against Dr. Robert Cary and M. Is. Vossius ». D’après le Dictionary of national biography, op. cit., p. 1161, le chronologiste Robert Cary, fils de George Cary et de Elizabeth Seymour, naquit à Cockington ou Berry-Pomeroy, dans le Devonshire. Il fit des études au collège d’Exeter, puis au Corpus Christi College où il obtint successivement les grades de bachelier ès arts en 1635, puis de maître ès arts en 1638-39. Son parent, William Seymour, marquis d’Hetford, chancelier de l’université, lui procura le grade de docteur en droit en novembre 1644, puis le présenta au presbytère de Portlemouth près de Kingsbridge. Il fréquenta les presbytériens et devint modérateur de sa division dans le comté. Néanmoins, lors de la restauration, Cary fut un des premiers à féliciter Charle II, et il obtint en 1662 l’Archidiaconat d’Exeter. Mais il fut dépouillé de son bénéfice deux ans plus tard, et il se retira dans son presbytère où il vécut tranquillement jusqu’à sa mort, le 19 septembre 1688. 79. « Palaelogia Chronica : A Chronical Account of Ancient time : In Three parts ; Didactical, Apodeictical, Chronical. By Robert Cary, D.LL. Devon. London, 1677. in fol. », Philosophical Transactions, 26 février 1677, n° 132, p. 808-814. 80. « Palaeologia Chronica. A Chronological accunt of ancient time. In three parts, didactical, apodeictical, chronical. By Robert Cary D.L.L. Devon. In fol. à Londres », Journal des savants, 5 juillet 1677 (n° 15), p. 171-172 (95). 81. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 78.

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Journal des savants du 5 juillet 1677 (n° XV), p. 171-172. PALÆOLOGIA CHRONICA. A Chronological accunt of ancient time. In three parts, didactical, apodeictical, chronical. By Robert Cary D.L.L. Devon. In fol. à Londres. Il y a peu de choses qui regardent la Chronologie que cet Auteur n’ayt ramassé dans ce grand ouvrage. Il l’a divisé en trois parties. L’année & la Période Julienne sont le sujet & la matière de la première, où après avoir montré qu’elle a esté prise de l’ancienne année Grecque & mise en sa perfection par le sçavant Scaliger, il enseigne la façon de réduire à cette année & Période Julienne, toutes les autres années ou manières de compter, comme celle des Ægiptiens, des Grecs, des Romains & des Juifs. La seconde partie contient un recueil d’observations Astronomiques & de traditions Historiques qui sont les deux fondemens de cette Science, dont l’un assure la vérité des Evénemens, & l’autre détermine le temps auquel ils sont arrivez. Il n’y en a point de considérable que cet Auteur ne touche aussi bien que les successions des Princes & des Gouverneurs, sur lesquels on a établi les Epoques. Et à l’occasion des Hébreux qu’il n’oublie pas, non plus que les Ægiptiens, il examine pourquoy les anciens Rabbins, ont eu plus de soin de changer les nombres touchant l’âge du Monde, que ce qui pouvoit estre plus à propos à leur dessein, comme ce qui regardoit la Personne & l’office du Messie. Enfin dans la troisième partie cet Auteur s’est attaché, comme il l’avoue luy même, à suivre la méthode d’Helvius, célèbre Chronologue Alleman, qui est sans doute une des plus aisées pour se faire entendre.

Si les deux comptes rendus parlent des observations astronomiques et de la tradition historique comme des deux fondements de la chronologie, les Transactions sont plus précises sur le statut de ces deux savoirs. L’astronomie est une science et les observations astronomiques peuvent être considérées comme des faits incontestables qui fournissent des certitudes. Alors que l’histoire n’a pas le même degré de certitude et ne peut fournir que des faits dont la véracité doit être appréciée en fonction de l’opinion que l’on a de leurs sources ou bien selon leur accord avec des faits incontestables, les observations astronomiques en étant un bon exemple (voir l’extrait encadré). Pour les époques anciennes, trouver des liens entre l’histoire sacrée et l’histoire profane des différents peuples n’est pas toujours évident, mais c’est indispensable pour pouvoir situer la chronologie des uns par rapport à celle des autres. D’après les Transactions, l’auteur de l’ouvrage présente deux points de connexion entre histoire sacrée et histoire profane qu’il tient pour certains. Le journaliste82 précise « ainsi qu’il l’estime » (« as he esteems it »), montrant par là qu’il ne souhaite pas prendre parti pour l’auteur en adoptant son opinion. Le rédacteur irait même presque jusqu’à laisser transparaître quelques sentiments mitigés par rapport à sa démonstration de l’altération du texte hébreu par les Juifs. Quant à la culpabilité des Samaritains avancée par l’auteur, il fait remarquer que ce dernier note « tout de même d’ailleurs, la différence entre eux, comme une réfutation de l’un l’autre ». Néanmoins, plus loin,

82. Comme dans le Journal des savants, les comptes rendus d’ouvrages dans les Philosophical Transactions n’étaient généralement pas signés. Toutefois, l’auteur en est presque certainement Henry Oldenburg. Le fondateur des Philosophical Transactions considérait en effet sa revue comme sa propre entreprise, il laissait entendre, dans la revue comme dans sa correspondance, qu’il s’agissait de « son travail personnel ».

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il tient à souligner entre parenthèses que les accusations portées par l’auteur contre la chronologie plus courte semblent très importantes. Tout en maintenant une certaine distance avec les thèses de l’auteur (il n’emploie pas le verbe être), il se sent obligé de signaler la force des arguments de l’auteur. L’une des objections opposées à ceux qui avançaient que le texte hébreu aurait été corrompu par les Juifs consistait à dire que si cela avait été le cas, d’autres parties du texte auraient également été altérées. Ce qui remettait complètement en cause tout le texte sacré. À cela, Robert Cary répond en essayant de montrer qu’il était inutile de modifier autre chose que la chronologie. Il essaie de sauver malgré tout la valeur du texte hébreu, qui est la seule version admise par les protestants, en tentant de prouver que seule la chronologie doit être remise en cause et qu’elle seule a été changée, celle des Septante, plus longue, devant être préférée à celle de la version Massorétique, plus courte. Philosophical Transactions du 26 février 1677, n° 132, p. 808-814 (extraits) PALÆOLOGIA CHRONICA : A Chronological Account of Ancient time : In Three parts ; Didactical, Apodeictical, Chronical. By Robert Cary, D.L.L. Devon. London, 1677. in fol. In the second Part, are laid down the two Bases of Chronography, viz. Astronomical Observations, and Historical Tradition : Of which the former may be looked upon as certain and demonstrative ; the later must be distinguished according to the Historians, as they are with us more or less creditable, or more or less consonant with others of good credit. Here occurs first, a Thesaurus of Astronomical Phaenomena, or a Table of Eclipses and other Cœlestial Appearances, together with the Time in which they were observ’d, according to the Writings of Historians and Mathematicians, by our Author specified. Next, Creditable Memorials of the Succession of Princes and Rulers, serving to direct these Inquiries, as is that considerable Astronomical Canon deduced from Nabonassar to Antoninus Pius, under whom Claud. Ptolomaeus, the famous Ægyptian Mathematician, flourished. And forasmuch as among the manifold great Events, which have happen’d in the Course of Affairs, those that have been the Original or Establishment of great Families, and Empires, and Cities, or the Extinction and Subduing of others ; the Institution and Constitution of Publick Convention of People ; great Inundations and Conflagrations, and other the like Destructions ; forasmuch, I say, as some of these have been the occasion and ground of the received Epocha’s of Time ; our Author makes it part of his business here truly to state them : As that of Nabonassar, of the Olympiad Computation, of the Foundation of the City of Rome, of the Calippic Period, of the Years of the Seleucidae, the Dionysian, Tyrian, and many more ; among which are several Epochae of Time, antecedent to those just now mention’d ; as that of the Destruction of Troy ; the Floods of Ogyges and Deucalion ; and beyond these, the Original of those Ancient Principalities of Sicyone, Argos and Athens. […] After this, he proceeds to the Ægyptian Succession, and having taxed the Vaunt of this Nation concerning their Antiquity, and consider’d, what other Chronologers do deliver of their Succession, he gives us a perfect Scheme of their Chronology, from Menes, to the Conquest of Ægypt by Alexander Magnus. This done, he examines the Chinensian Succession in their several Families, as it is shew’d by D. Isaac Vossius out of Martinius ; as also by Joh. Nieuhost ; arguing withal the credibility thereof. […]

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And if it be demanded, why the said Rabbies should be more solicitous about this matter of Curtailing these Numbers of the Age of the World, than about altering any thing besides, which perhaps would have been more to their purpose, as for Example, in the Texts which concern the Person and Office of the Messias ; if they had a mind, or dared, to have made an alteration at all ? He answers, That they must needs see, that the Allowance of these Numbers of the LXXII, would have prov’d the absolute ruine of their Cause more effectually, than any thing that could be alledged against them. For, it would have demonstrated the Time of the Messiah to have been fully come and past, according to the general Tenet of their Schools, following herein the appointments of the Prophets, and of those others that were the later Commentators : Now more especially at such time, when after the Destruction of City, Temple, Government, 5500 years of the Worlds continuance being over, what more could they expect of a Messiah yet to come within his appointed time ? […] Here then, he shews a sure (as he esteems it) connexion of Sacred and Profane Story in the first year of Evilmerodac ; represents a Scheme of Concurrent Successions from Nabopolassar to the death of Alexander M. ; gives a true state of the Babylonian Succession from Evilmerodac to Darius the Mede ; expounds Daniel’s LXX Weeks in the next Literal sense, giving withal, in due place, an Interpretation of the same Week, in the Mystical sense ; makes the first of Cyrus or the Persian Monarchy, the same with that of the Jewish Reduction out of Babylon, esteeming that as a second Point of connexion of Sacred and Secular History. […] Having given this account of his sense concerning the Septuagint, and of the Motive inducing the later Jews to the Alteration mention’d ; he further observes the guilt of the Samaritans of the like Transgression, upon the same account ; yet noting withal the difference between them, as a Confutation of each other : Concluding this whole Part, with his Declaration on behalf of the LXX, and the Terms of his Submission ; as also with four other Charges against the shorter Reckoning (which seem very important ;) and with Reflexions on what Petavius hath done in defence of the Vulgar Latin ; and of what Bishop Usher, in defence of the Masora : Shewing withal a perfect Agreement of the Septuagints Reckoning with the Memorials of Secular History, Chinensian, Chaldaean, Ægyptian. And so much of the second Part. […] Dans la deuxième partie sont établies les deux bases de la chronographie, à savoir les observations astronomiques et la tradition historique : les premières peuvent être considérées comme sûres et probantes ; pour la seconde on doit distinguer en fonction des historiens, selon qu’ils sont plus ou moins fiables, ou plus ou moins en accord avec d’autres dignes de foi. On trouve d’abord un thesaurus de phénomènes astronomiques, ou une table d’éclipses et d’autres apparences célestes, avec l’époque à laquelle ils ont été observés, d’après les écrits d’historiens et de mathématiciens, ainsi qu’il est précisé par notre auteur. Ensuite, les estimables mémoires de la succession des princes et des souverains, servant à mener ces recherches, comme il est de ce canon astronomique considérable allant de Nabonassar à Antoninus Pius, sous lequel Claude. Ptolémée, le célèbre mathématicien égyptien, prospéra. Et étant donné que parmi les grands événements de diverses sortes qui se sont produits, ceux qui ont été l’origine ou la fondation de grandes familles, d’empires et de villes, ou l’extinction et l’assujettissement d’autres ; l’établissement et la constitution de convention publique de peuples ; de grandes inondations et des incendies, et d’autres semblables destructions ; attendu, dis-je, que comme certains de ceux-ci ont été la cause et la base de périodes de temps

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admises ; notre auteur en fait ici une véritable partie de son œuvre en en faisant l’ exposé : ainsi celle de Nabonassar, du calcul de l’Olympiade, de la fondation de la ville de Rome, de la période calippique, des années des Séleucides, de la Dionysiaque, Tyrienne, et beaucoup d’autres, parmi lesquelles on trouve plusieurs périodes de temps antérieures à celles qui viennent d’être mentionnées, comme celle de la destruction de Troie, les déluges d’Ogygès et de Deucalion, et au-delà de ceux-ci, l’origine de ces antiques principautés de Sicyone, Argos et Athènes. […] Après cela, il continue avec la lignée égyptienne et ayant dénoncé la vanterie de cette nation concernant leur Antiquité, et considéré ce que d’autres chronologistes livrent de leur lignée, il nous donne un descriptif parfait de leur chronologie, de Ménès à la Conquête de l’Égypte par Alexandre le Grand. Ceci fait, il examine la lignée chinoise dans ses diverses familles, ainsi qu’elle a été présentée par le D. Isaac Vossius à partir de Martinius, aussi bien que par Joh. Nieuhost ; en démontrant en outre sa crédibilité. […] Et si l’on devait demander, pourquoi lesdits rabbins durent être plus préoccupés de raccourcir ces nombres de l’âge du monde, plutôt que d’altérer d’autres choses, qui auraient peut-être davantage servi leur objectif, comme par exemple dans les textes qui concernent la personne et l’office du Messie ; s’ils eurent l’intention, ou s’ils osèrent, modifier quoi que ce soit ? Il répond qu’ils durent au besoin voir, que la tolérance de ces nombres des LXXII, aurait établi la ruine absolue de leur cause plus sûrement que tout ce qui pouvait être allégué contre eux. Pour cela, il aurait été démontré que le temps du Messie était entièrement venu et passé, selon le principe général de leurs écoles, suivant en ceci les assignations des prophètes et de ces autres que furent les commentateurs ultérieurs : à ce moment-là plus particulièrement, quand après la destruction de la ville, du temple, du gouvernement, après plus de 5500 ans de durée d’existence du monde, que pouvaient-ils attendre de plus d’un Messie déjà venu dans son temps assigné ? […] Ici alors, il démontre un lien certain (ainsi qu’il l’estime) entre l’Histoire sacrée et l’Histoire profane dans la première année d’Evilmerodach ; fournit un exposé des lignées concomitantes de Nabopolassar à la mort d’Alexandre [le Grand] ; donne un état exact de la lignée babylonienne d’Evilmerodach à Darius le mède ; explique les LXX semaines de Daniel dans le sens littéral le plus proche, donnant en outre, en juste place, une interprétation de la même semaine, dans le sens mystique ; fait la première de Cyrus ou de la monarchie perse, la même avec celle de la délivrance des juifs de Babylone, estimant celle-ci comme un deuxième point de connexion de l’histoire sacrée et laïque. […] Ayant rendu compte de son opinion concernant la Septante et du motif incitant par la suite les juifs à la modification mentionnée, il remarque plus loin la culpabilité des Samaritains à propos de la même transgression, sur le même récit, notant tout de même d’ailleurs, la différence entre leurs récits, comme une réfutation l’un de l’autre : concluant cette partie entière, avec sa déclaration au profit de la LXX et les conditions de sa soumission, ainsi qu’avec quatre autres critiques contre le compte plus court (lesquelles semblent très importantes) ; et avec des réflexions sur ce que Petau a fait dans la défense du latin vulgaire, et de ce que l’évêque Usher, a fait pour la défense de la version masorétique : montrant en outre un accord parfait du compte des Septante avec les monuments d’histoire séculaire, chinoise, chaldéenne, égyptienne. Et autant de la deuxième partie. […]

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2. Les acteurs de la polémique L’éloge du père Pezron, publié dans les Mémoires de Trévoux en juillet 1707, fournit un résumé assez détaillé de sa vie83. Paul Pezron naquit en 1639, à Hennebon en Bretagne, d’une famille distinguée dans la magistrature. En 1660, il entra dans la congrégation de Cîteaux et reçut l’habit religieux à l’abbaye de Prières, d’où on l’envoya à Rennes étudier la philosophie chez les Jésuites. Il fut ensuite choisi pour venir étudier la théologie au Collège des Bernardins de Paris. Il fut remarqué pour son mérite par Dom Jouaud, abbé de Prière et vicaire général de la congrégation, qui en fit son secrétaire et lui permit d’étudier les langues orientales. Après la mort de son protecteur, survenue en 1673, Pezron retourna à l’abbaye de Prières où il fut chargé de la direction des novices. En 1677, il fut rappelé à Paris par l’abbé de Cîteaux qui le nomma sous-prieur du collège que les Bernardins y possédaient. Mais Pezron se démit bientôt de cette fonction pour s’adonner entièrement à l’étude de l’Écriture Sainte. Ayant repris son cours de théologie, il obtint le grade de docteur avec beaucoup de distinction, le 10 avril 1682. Ses supérieurs l’appelèrent à enseigner la théologie dans leur maison à Paris dont il fut élu prieur en 1686. Les Mémoires de Trévoux décrivent ainsi son cheminement vers l’adoption de la chronologie de la Septante : L’Ecriture Sainte avoit toujours été l’objet de sa curiosité & la matière de son travail : son esprit droit & juste lui avoit fait sentir, combien la parfaite connoissance de l’Histoire ancienne est nécessaire, pour penetrer le veritable sens des Livres divins ; ce qui l’engagea dans la lecture des anciens Historiens Grecs & Latins, & des Ecrivains modernes, qui ont travaillé pour les concilier avec les Ecrivains Sacrez, & pour former le plan d’une Histoire universelle. Il comprit bien-tôt que pour remedier à la confusion qui regne dans l’Histoire ancienne, & qui nous en cache & la suite & la liaison avec l’Histoire Sainte, il falloit se regler sur une Chronologie plus étendue que celle des Juifs modernes. Plus il avançoit dans son entreprise, & plus la Version des Septante lui paroissoit conforme à son dessein. Il se détermina à suivre les calculs qu’on lit dans cette Version differens de ceux de l’Hebreu.

En 1687, Pezron publiait enfin son fameux ouvrage, L’antiquité des tems rétablie et défendue contre les juifs et les nouveaux chronologistes84. D’après les Mémoires de Trévoux, l’ouvrage fut bien accueilli malgré le déclenchement de la polémique avec les pères Lequien85 et Martianay86. Sans surprise, le journaliste se montre naturellement favorable à Pezron :

83. « Article XCIII. Eloge du Père Pezron de l’étroite Observance de l’Ordre de Cisteaux, ancien abbé de Charmoye », Mémoires de Trévoux, juillet 1707, p. 1266-1281. Les renseignements sur Pezron donnés par Michaud dans sa Biographie universelle (op. cit., p. 664-665), recoupent en grande partie ceux fournis par cet éloge dans les Mémoires de Trévoux. 84. P. PEZRON (père), L’Antiquité des tems rétablie et défendue contre les Juifs & les Nouveaux Chronologistes, Paris 1687. 85. D’après la notice de la Biographie universelle (op. cit., t. XXIV, p. 241-242), Michel Lequien « naquit à Boulogne-sur-Mer en 1661. À l’âge de vingt ans il entra dans l’ordre de St-Dominique. Le P. Marsolier lui enseigna les premiers éléments de la langue hébraïque, qu’il sut parfaitement dans la suite, et à laquelle il joignit des connaissances profondes dans l’arabe, le grec et les saintes lettres. Il se lia avec dom de Mautfaucon, l’abbé de Longuerue et les savants les plus distingués de son temps. Ses vertus égalaient ses talents et la douceur de son commerce. Il mourut le 12 mars 1733 dans la maison de la rue St-Honoré qu’il habitait depuis longtemps ». 86. D’après la notice de la Biographie universelle (op. cit., t. XXVII, p. 102), Dom Jean Martianay, « savant bénédictin de la congrégation de St-Maur, né le 30 décembre 1647, à St-Sever-Cap, diocèse d’Aire,

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Cet ouvrage fit un grand bruit, & selon le sort des bons Livres, il eut beaucoup d’admirateurs, & quelques Critiques. Le Pere Martianay Benedictin, & le Pere Quien Dominicain écrivirent contre l’Antiquité des tems. Le P. Martianay l’attaqua avec une chaleur qui ne lui permit, ni de se resserrer dans son sujet, ni d’adoucir l’aigreur de ses reproches. Les objections du P. Le Quien furent plus précises & plus modérées. Le P. Martianay avoit écrit le premier : ce qui détermina l’Auteur de l’Antiquité des tems à refuter son Livre, auquel il opposa en 1691. La Défense de l’Antiquité des tems. La modestie de ses réponses charma ceux mêmes qui ne cédèrent pas à la force de ses raisons : il joignit à la Défense un Canon Chronologique de six mille ans, plus exact que les Tables de son premier Ouvrage. Le Pere Le Quien répliqua.

Réduit au silence mais moins « fair-play », l’autre adversaire de Pezron, Martianay, prit le parti de le déférer en 1693 à l’archevêque de Paris, François de Harlay, mais le prélat ne donna aucune suite à cette dénonciation : « Le Sçavant Prélat ne se laissa point prévenir : il communiqua au Défenseur de la Chronologie des Septantes le Mémoire de son Adversaire. Le P. Pezron n’eut pas de peine à montrer, qu’il défendoit un sentiment commun à tous les Peres jusqu’à Saint Jérôme, fondé sur la Tradition constante de toutes les Eglises d’Orient, une Chronologie dont l’Église Romaine a retenu le calcul dans son Martyrologe, & dont elle a solennellement approuvé l’usage à la Chine »87. D’après la biographie de Michaud, Martianay était « un homme vain, fort entêté de ses opinions, plus sensible aux reproches qu’aux louanges, et qui jetait les hauts cris contre l’amertume de ses adversaires, dans le temps même qu’il les accablait de ses duretés et de ses sarcasmes »88. Ainsi le père Lequien, qui était tombé dans quelques méprises dans la dispute à l’encontre de Pezron, s’attira-t-il des injures de dom Martianay, dont il partageait pourtant l’opinion89. À sa mort, le Journal des savants dira de lui : « Il paroît dans ses Ouvrages beaucoup d’érudition, de méditation, & de travail. Il auroit donné moins de prise à ses Antagonistes, s’il avoit eu une plus grande connoissance des Auteurs Profanes, s’il avoit consulté plus qu’il n’a fait les Commentateurs modernes de l’Ecriture Sainte, & s’il avoit écouté les avis que ses amis auroient pu lui donner. Mais ce sçavant jaloux de ses productions souffroit la critique avec peine, le public s’en est souvent apperçu par la manière dont l’Éditeur de Saint Jerome a répondu à ses adversaires »90. Malgré l’échec du recours auprès de

embrassa la vie religieuse à l’âge de vingt ans, et s’attacha particulièrement à l’étude des langues orientales et de l’Ecriture sainte, dont il donna ensuite des leçons dans différentes maisons de son ordre. Pendant qu’il était à Bordeaux, il publia, contre le système chronologique adopté par le P. Pezron, quelques écrits qui attirèrent l’attention de ses supérieurs. Il fut appelé à l’abbaye de St-Germain des Prés, et chargé de travailler à une nouvelle édition des Œuvres de St-Jérome, dont il fit paraître le Prodome en 1690. Cette édition fut attaquée, avec beaucoup de vivacité, par Richard Simon et Leclerc ; mais dom Martianay répondit avec plus d’emportement encore que n’en avaient montré ses adversaires. La lutte polémique dans laquelle il se trouva engagé ne l’empêcha pas de s’occuper de différents ouvrages, qui tous prouvent des connaissances et de l’imagination, mais peu de jugement et de critique. Sur la fin de sa vie, il fut tourmenté de la pierre, et il mourut d’apoplexie à l’abbaye de St-Germain des Prés, le 16 juin 1717, à l’âge de 70 ans. » 87. Mémoires de Trévoux, op. cit. 88. Ibid. 89. Ibid. 90. « Mémoire sur la vie et sur les ouvrages de Dom Jean Martianay », Journal des savants, 9 août 1717 (n° 32), p. 506-509.

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l’archevêque de Paris, les Mémoires de Trévoux font état de pressions qu’aurait subies Pezron de la part du camp adverse : On a en main des preuves qu’un Parti, que rien ne grossit tant que le soin qu’il prend de faire valoir tous ceux qui s’y engagent, n’omit rien pour attirer le P. Pezron : on le flatta : on lui promit de faire jouer en sa faveur ces ressorts, qui donnent de l’éclat à tant d’hommes, à tant d’ouvrages médiocres : on en vint aux menaces, & les menaces furent bien-tôt suivies d’un déchaînement général de toute la Secte contre ses Ouvrages : les clameurs, les intrigues furent inutiles

Mais à la suite, le journaliste de Trévoux note avec une satisfaction non dissimulée la persistance de Pezron dans son opposition aux œuvres d’auteurs jansénistes : « le Sçavant Auteur continua sans s’effrayer, de marquer à toute occasion le peu d’estime qu’il faisoit du Nouveau Testament de Mons, des traductions de la Bible attribuées à Mr. de Sacy91, & de l’Histoire Ecclésiastique de Mr. de Tillemont92 »93. L’éloge de Pezron par les Mémoires de Trévoux est aisément compréhensible, son opposition aux jansénistes et sa défense de la chronologie de la Septante le place naturellement dans le camp des jésuites. En 1690, Pezron, dont les écrits avaient étendu la réputation, fut élevé à la dignité de visiteur des maisons de son ordre dans les provinces centrales de la France : Île de France, Picardie et Champagne. En 1697, le roi lui conféra l’abbaye de la Charmoie, alors qu’il n’avait pas sollicité ce riche bénéfice qu’il résigna d’ailleurs en 1703 sans se réserver de pension. Reprenant à ce moment-là ses études avec ardeur, l’excès de travail l’affaiblit et il mourut à Chessy le 10 octobre 1706, à l’âge de soixante-sept ans. À la suite de son décès, l’année suivante, un auteur anonyme en profita pour publier un écrit calomnieux qui souleva l’indignation des Mémoires de Trévoux (voir texte encadré). Bien que le journaliste de Trévoux n’ait pas voulu croire que le père Martianay ait pu être impliqué dans cet écrit injurieux, en fait, le Journal des savants nous révèle que son auteur n’était autre que Martianay lui-même94 : « Dom Martianay dit dans une relation de cette dispute qu’il fit imprimer en 1707, que c’est l’évidence de ses raisons qui a mis son adversaire dans la nécessité de rendre les armes, d’autres ont prétendu qu’il avoit eu recours à une autorité supérieure. Quoiqu’il en soit de ce fait, il est certain que depuis ce tems, la Chronologie des Septante a eu moins de partisans, qu’elle

91. Isaac Le Maistre de Sacy (1613-1684) fut le directeur spirituel des religieuses de Port-Royal. Sa traduction française du Nouveau Testament (1667, in-8°), connue sous le nom du Nouveau Testament de Mons, parce que les premières éditions parurent sous le nom de Gaspard Migeot, libraire de Mons, quoique imprimées par les Elzevier à Amsterdam, suscita de violentes polémiques où Arnauld et Nicole prirent sa défense, et fut condamnée par plusieurs évêques et par la pape Clément IX, le 20 avril 1668. En 1672, Sacy avait également commencé à faire une traduction commentée de l’Ancien Testament. Les différents livres en furent publiés successivement. Voir G. DELASSAULT, Le Maistre de Sacy et son temps, Paris 1957 ; IsaacLouis Le Maistre de Sacy (1613-1684) : actes du colloque tenu à Port-Royal des Champs les 7 et 8 octobre 1983 à l’occasion du tricentenaire de la mort d’Isaac-Louis Le Maistre de Sacy, Paris 1985. 92. Sébastien Le Nain de Tillemont (1637-1698), historien, fut élève des solitaires de Port-Royal. Son œuvre principale est représentée par ses Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles (le premier tome parut en 1693, les trois suivants, en 1694, 1695 et 1696 ; après sa mort, les douze autres volumes furent successivement publiés de 1698 à 1712). Pour plus de détails sur sa vie et son œuvre, voir B. NEVEU, Un historien à l’école de Port-Royal, Sébastien Le Nain de Tillemont, 1637-1698, La Haye 1966. 93. Mémoires de Trévoux, op. cit. 94. Cette attribution est confirmée par A. A. BARBIER, Dictionnaire des anonymes, Paris 1879, p. 215.

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n’en avoit eu avant que la défense du Texte Hebreu & de la vulgate eut paru »95. Il n’en est pas moins vrai que Martianay éprouva le besoin d’attendre la mort de son adversaire pour l’attaquer dans un écrit diffamant tout en prenant la précaution de rester anonyme, ce qui prouve que le succès de sa défense n’était pas si évident. Mémoires de Trévoux de décembre 1707 « Article CLXVI. Nouvelles litteraires » De Paris, p. 2198-2199 Il paroît un libelle sans nom d’Auteur sous ce tître, Relation de la Dispute de l’Auteur du Livre de l’Antiquité des Temps, contre le Défenseur du Texte Hebreu & de la Vulgate. A Paris chez Imbert Debars rue S. Jacques 1707. Nous ne jugeons pas qu’il soit necessaire d’entreprendre la défense de feu Dom Pezron contre un pareil écrit. La memoire de ce grand homme est en sureté. Comment a-t-on pu croire qu’on persuaderoit au public que ses Livres n’ont point été vendus, qu’on l’a réduit au silence, qu’il a été contraint d’abandonner son Système ? n’a-t’on pas vu que les Livres qu’il a donnez au public depuis la fin de la Dispute, & qui sont entre les mains de tout le monde, prouvoient invinciblement l’attachement qu’il a eu jusqu’à la mort, pour le Système de l’Antiquité des Temps ? On défie l’Auteur de la prétendue Relations, d’apporter aucune preuve du jugement qu’il suppose rendu par feu Monseigneur de Paris. Comment en apporteroit-il ? On a en main le memoire du dénonciateur des Livres de Dom Pezron, & la réponse du sçavant Abbé, dont Monseigneur de Paris fut très-content. Qu’on ose après cela traiter la dénonciation de chimérique, qu’on se répande en injures contre la memoire d’un homme respectable, qu’on debite des faits sur la seule autorité des amis & du libraire de la personne interessée. Cela convient à un Auteur qui honteux de ses excès cache son nom, & l’on ne doute pas que le R. P. Dom Martianay ne desavoue ce défenseur indiscret, & les forfanteries dont il a rempli sa brochure. Le merite du docte & vertueux Benedictin n’a pas besoin de ces lâches artifices pour se soutenir avec éclat. Nous ne nous arrêterons pas davantage à cette brochure, nous l’abandonnons à l’indignation du public. Nous déclarons seulement, que l’éloge de Dom Pezron que nous avons donné, a été composé sur des memoires sûrs, & que son digne Successeur le R. P. Abbé de la Charmoye, est en état de faire repentir les calomniateurs, qui osent troubler les cendres d’un des plus grands Hommes de nôtre siècle.

3. La naissance de la polémique Dans son ouvrage de 1687, Paul Pezron reprend la thèse de Vossius. Il qualifie les chronologistes modernes de « nouveaux chronologistes », car il considère que ce sont eux qui ont fait preuve de nouveauté alors que lui revient à la tradition : « Ce que j’écris, outre l’autorité des Pères, qui seule devroit l’emporter, est soutenu de celle des Eglises Orientales, & de tous les Auteurs Grecs anciens & modernes ; & qui plus est, l’Église Romaine, & son fameux Annaliste sont favorables à ce sentiment, & presque tous les Latins, qui ont écrits là-dessus avant le dernier siècle. L’on peut assurer

95. « Mémoire sur la vie et sur les ouvrages de Dom Jean Martianay », Journal des savants, 9 août 1717 (n° 32), p. 506-509.

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que ç’a été l’opinion de tous les Juifs, qui ont vécu avant Jesus-Christ, & jusqu’au renversement de Vespasien »96. Pezron se défend de faire preuve de nouveauté : « Je ne crois pas après tout cela, qu’on m’accuse d’introduire des nouveautés ; rien n’en a moins l’air que ce que j’écris puisque je ne fais que rétablir la véritable Antiquité des tems, qu’on a fort abbrégée depuis plus d’un siècle »97. Il affirme être soutenu par plusieurs des premiers auteurs chrétiens : « mais elle se trouve autorisée par tous les Pères de l’Église, qui ont écrit avant luy contre les Gentils, comme sont, S. Justin Martyr, Théophile d’Antioche, Tatien de Syrie, Tertulien de Carthage, & Clément d’Alexandrie. Origène a aussi été de ce sentiment, & saint Cyprien ne s’en est point éloigné »98. Il se défend de publier son livre pour d’autres raisons que le rétablissement de la vérité : « Je ne l’entreprens uniquement que pour la défense & l’éclaircissement de la vérité, qui se trouve aujourd’huy comme accablée sous l’autorité & le grand nombre de ceux, qui s’en sont écartez, ou pour mieux dire, qui l’ont abandonnée par de foibles raisons. Les Pères de l’Église & les anciens Auteurs la leur avoient montrée, & avoient eu soin par leurs écrits de la laisser à la postérité. Il faloit suivre ces guides fidèles, puisqu’étant plus proches de nous de l’origine du tems, ils avoient plus de preuves & de monumens de son antiquité »99. Ici, il avance un argument que l’on retrouve dans la science historique, plus un témoignage est indirect et éloigné du fait, plus il est suspect. Inversement, plus le témoignage est direct et proche du fait, plus il est crédible. Il insiste à nouveau sur cet argument dans un autre passage où il s’appuie sur Julien l’Africain : « Un homme rempli de si belles lumières, & aidé de tant de secours, pouvoit bien plus aisément découvrir l’étendue & la durée des tems, que ceux qui ne sont venus, que quatorze siècle après luy, & qui ont à peine sauvé quelques fragmens des anciennes Histoires, qu’il avoit tout entières »100. Chez Julien l’Africain, Pezron apprécie qu’il ne se soit pas limité au texte sacré mais qu’il ait également utilisé l’histoire profane : « Il ne se servit pas seulement de l’Histoire Sainte, dont il marqua exactement les tems & les Epoques ; il rechercha encore avec soin tout ce que la Prophane avoit pu conserver de l’Antiquité. Il y établit le commencement des plus anciennes Monarchies du monde, qui ont été celle des Assyriens & des Égyptiens, celle des Chinois, qui est d’une si grande antiquité, étant alors inconnues »101. Comme pour Vossius, il trouve un appui dans les annales des Chaldéens, des Égyptiens et des Chinois, ainsi qu’il l’annonce dans son avertissement : D’ailleurs l’on pourra voir, que ce que je dis, s’accorde parfaitement bien avec les antiquités des Nations Orientales, comme sont celles des Chaldéens, des Égyptiens, & des Chinois, qu’il n’est pas possible de concilier avec la supputation des Juifs. J’appelle ainsi le calcul d’aujourd’huy ; car je feray voir par de bonnes raisons, que ce sont les Juifs Modernes, c’est-à-dire, ceux qui sont venus depuis la destruction de Jérusalem, qui l’ont fabriqué, & qu’avant eux, tous comptoient autrement102.

96. P. PEZRON, op. cit., Avertissement. (N.B. : En parlant du « fameux Annaliste » de l’Église romaine, Pezron désigne sans doute le cardinal Cesare Baronio, dit Baronius [1538-1607], second général de la congrégation de l’Oratoire d’Italie et auteur d’Annales ecclésiastiques de grande valeur.) 97. Ibid. 98. Ibid., p. 5. 99. Ibid., p. 2. 100. Ibid., p. 5. 101. Ibid., p. 4. 102. Ibid.

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Mais pour Pezron, le problème posé par l’antiquité des Chinois représente le motif essentiel qui l’a conduit à préférer la version des Septante : L’on met une suite des premiers Roys de la Chine, & puis des Familles Royales, qui ont été avant Jésus-Christ, & qui ont occupé le trône durant près de trois mille ans. La vaste étendue de ces Règnes & de ces Empires renverse entièrement le calcul du Texte Hébreu, & de la Vulgate. Je suis donc contraint de l’abandonner, en ce qui est des années des premiers Patriarches, pour suivre la Version des Septante, que tous les Pères ont suivie, & que les Apôtres ont laissée aux Eglises, & je ne le fais qu’à l’exemple de celle de Rome, & du Cardinal Baronius103.

4. La polémique dans le Journal Dans son numéro du lundi 15 décembre 1687, le Journal des savants présente ainsi l’ouvrage du père Pezron à ses lecteurs : Le dessein de ce livre est de montrer que le Monde est plus ancien que ne le croyent les chronologistes modernes, & qu’au lieu qu’ils ne mettent que quatre mille ans entre sa création & la naissance de Notre Seigneur, il y en a eu près de six mille. L’Auteur soutient que pour reconnoître la véritable durée du monde, il faut suivre la version des Septante Interprètes, & s’éloigner du Texte Hébreu, comme altéré par les Juifs qui ont vécu depuis la prise & la destruction de Jérusalem104.

Le journaliste passe sur les deux premiers chapitres105. Il est vrai que le premier chapitre, assez court (une dizaine de pages), est plutôt un chapitre d’introduction que le journaliste a cru sans doute pouvoir négliger : « Le tems qui consume toutes choses, & qui semble vouloir tout mettre dans un oubli éternel, a presque ravi à l’homme la connoissance de sa durée & de son antiquité. Cela est si vray qu’après tous les soins qu’on a pris de nos jours pour découvrir son étendue, & pour sçavoir combien de siècles se sont écoulez, depuis l’origine du Monde jusqu’à la venue du Messie ; non seulement l’on n’a point trouvé la vérité, l’on s’en est même beaucoup éloigné »106. Dans la suite, Pezron fait appel à l’autorité des Pères de l’Église et des Anciens pour justifier sa préférence de la chronologie des Septante. Le chapitre II s’intéresse au statut et au rôle que Pezron assigne à la chronologie : La science des tems ne doit pas être considérée comme une science vaine & stérile, qui n’est propre qu’à flatter la curiosité de l’homme ; elle renferme de grands avantages, qu’on ne trouve qu’après l’avoir cultivée avec quelque soin. Tous tombent d’accord, qu’elle sert infiniment à l’éclaircissement de l’Histoire, tant sainte, que profane ; qu’elle en est l’œil & la lumière, & que sans son secours l’Histoire n’est proprement qu’un tas de faits confus & embarrassez : mais tous ne sçavent pas qu’elle est nécessaire pour la

103. Ibid. 104. « L’antiquité des tems rétablie & défendue contre les juifs & les nouveaux chronologistes. In-4. A Paris chez Jean Boudot », Journal des savants, 15 décembre 1687, p. 65-68 (55-58). 105. « Chapitre I. L’Antiquité des tems est bien plus grande qu’on ne le croit aujourd’huy. Ce que les Pères & les Anciens Auteurs en ont pensé. Qu’on s’est beaucoup écarté de la vérité en s’éloignant de leur sentiment » ; « Chapitre II. La connoissance des tems est nécessaire, non seulement pour éclaircir l’Histoire, mais encore pour défendre la Religion contre les Payens & contre les Juifs » (P. PEZRON, op. cit.). 106. P. PEZRON, op. cit., p. 1-2.

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défence de nostre discipline, que les Pères de l’Église ont tant de fois soutenue contre les Païens par la prérogative de son antiquité.

Les premiers arguments avancés par Pezron sont assez classiques et banals, il aurait été sans intérêt pour le journaliste d’abreuver ses lecteurs avec des poncifs. Par contre, l’utilisation de la chronologie pour défendre la religion correspond à l’un des points que l’on va parfois contester à Pezron. Pour le père Pezron, « C’est par cette science, que l’on découvre la naissance de la Religion véritable ; que l’on sçait qu’elle a commencé avec le Monde, & que la fausse au contraire ne s’y est établie qu’après la révolution de plusieurs siècles. C’est par elle que malgré les ténèbres des premiers tems, que les gentils ont tenus pour obscurs & incertains, & que l’Apôtre même appelle des tems d’ignorance, on ne laisse pas de voir une succession distincte & continue de Patriarches, qui ont transmis au peuple choisi le culte du Seigneur » 107. Mais pourquoi les Juifs auraient-ils corrompu la chronologie biblique ? Pezron les accuse d’avoir falsifié la chronologie afin de ne pas avoir à reconnaître dans le Christ, le Messie. Le journaliste résume assez bien les arguments avancés par Pezron dans ses chapitres III, IV et V108 : Pour expliquer les motifs qu’ils ont eu de faire ce changement, il remarque que leurs Ancêtres avoient tenu deux choses comme constantes. L’une, que le tems de la Loi seroit de deux mille ans ; & l’autre, que le Messie paroîtroit dans le sixième millénaire du monde. Les premiers Chrétiens ont prouvé que J. C. avoit paru vers la fin du sixième millénaire, & ont pressé les Juifs de le reconnoître pour le Messie. Ceux-ci, pour éluder la force de cette preuve, ont corrompu l’Ecriture, & retranché environ quinze cens ans de la vie des Patriarches. Ce retranchement leur a été reproché par Julien de Tolède, par George Abulpharage, & par Syncelle. Il est même justifié par le témoignage des Hébreux & des Payens qui ont écrit avant la destruction de Jérusalem, qui ont tous compté près de six mille ans avant la venue du Messie109.

Le journaliste fait ressortir l’un des arguments essentiels de Pezron qui correspond à l’antiquité de certains peuples, en contradiction avec la chronologie du texte hébreu : L’Auteur de cet Ouvrage prouve encore ce nombre d’années par deux raisonnemens. Le premier est que le Royaume des Caldéens a commencé plus de trois mille ans avant la naissance de J. C., celui des Égyptiens plus de deux mille neuf cent soixante ans, & celui des Chinois plus de deux mille neuf cinquante-deux ans avant le même tems. S’il n’y avoit eu que quatre mille ans depuis la création du Monde jusques à la naissance de Notre Seigneur, comme le prétendent les Modernes qui suivent la supputation des Juifs, il faudroit porter l’origine des Royaumes des Caldéens, des Égyptiens, des Chinois jusques avant le Déluge, & dire que l’inondation qui couvrit toute la Terre n’interrompit

107. P. PEZRON, op. cit., p. 11. 108. « Chapitre III. L’Antiquité du Monde a été fort abbrégée. Que c’est dans la Version des Septante, si autorisée dans les premiers siècles de l’Église, qu’on doit chercher cette Antiquité, & non dans le Texte Hébreu qui a été corrompu par les Juifs. Preuves de cette corruption » ; « Chapitre IV. Les Juifs ont ôté près de quinze siècles aux premiers Patriarches. La raison pour laquelle ils l’ont fait n’a été que pour montrer, que le tems du Messie n’étoit point encore arrivée » ; « Chapitre V. Tous les anciens Historiens, tant Hébreux, que Gentils, qui ont écrit avant la destruction de Jérusalem & de la République des Juifs, ont compté environ cinq mille cinq cens ans, ou même près de six mille ans avant la venue du Messie. Raisons qui prouvent la vérité de cette supputation » (P. PEZRON, op. cit.). 109. P. PEZRON, op. cit., p. 11.

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pas la succession de ces Rois, ce qui est contraire au témoignage de l’Ecriture. La durée de ces trois Royaumes est expliquée fort au long, avec la succession de leurs Rois, dans les chapitres XII, XIII, & XIV110.

Dans son chapitre XIV, Pezron adresse un vibrant hommage au père Martini qui n’apparaît pas dans le résumé assez succinct du journaliste : Le Père Martinius, ou plutôt Martini de la Compagnie de Jésus, a donné au public une Décade de l’Histoire de la Chine dédiée à l’Empereur d’aujourd’huy ; c’est un abrégé fort curieux mis en X Livres, qui commencent par le premier Roy de la nation Chinoise, & qui se termine par la naissance de Jesus-Christ. Ce sçavant homme, à qui nous serons éternellement obligez de nous avoir appris non sans un grand travail, tant de belles choses d’un peuple si peu connu, proteste qu’il a fidellement tiré ce qu’il en dit des Auteurs Chinois, qui ont écrit leur Histoire avec un soin incroiable. Il paroît fort persuadé, qu’elle est véritable, en quoy il n’est pas seul, surtout en ce qui regarde la supputation des tems & des années, qui ont toujours été soigneusement réglées par un Cycle de LX ans inventé & mis en usage dès le tems du III. Roy, 2697 avant l’Ere de Jesus-Christ111.

Comme le journaliste l’expose, Pezron se sert de l’argument déjà utilisé par Vossius avec le nombre insuffisant d’hommes pour construire la Tour de Babel et bâtir des royaumes : Il falloit donc que depuis le Déluge jusques à ce tems-là les hommes fussent assez multipliés pour remplir toute la Terre, & pour former de puissans Empires. Or ils n’auroient pas pu se multiplier de la sorte, s’il n’y avoit eu que cent ans depuis le Déluge jusques à Phaleg, comme le prétendent les Cronologistes Modernes qui suivent le calcul des juifs, au lieu qu’ils auroient pu le faire si Phaleg n’est né que cinq cent trente ans après le Déluge, comme le soutiennent ceux qui suivent la supputation des Septante112.

Enfin, le journaliste résume les chapitres VI à XI qui concernent la durée des différents âges : « Rien n’est plus propre à faire bien entendre cette supputation, que de marquer distinctement la durée des six âges qui ont précédé l’Incarnation ». Il commence par le chapitre VI dévolu au premier et au second âge (voir ci-après les deux tableaux extraits de l’ouvrage). Deux ans après la parution de l’ouvrage du père Pezron, en 1689, Dom Jean Martianay publie une réponse pour défendre le texte hébreu et la chronologie de la Vulgate. Le Journal des savants ne manque pas de parler du livre à ses lecteurs : Le Livre de l’Antiquité des tems rétablie n’eut pas plutôt vu le jour, que le Père Dom Jean Martianay l’attaqua par des thèses publiques, où il soutint la vérité du texte hébreu contre la version des Septante. Le sçavant écrivain contre lequel il se déclara, lui ayant fait témoigner qu’il seroit bien aise de sçavoir quelles sont ses preuves, il les a mises dans l’ordre où elles paroissent dans cet ouvrage113.

110. Ibid. 111. P. PEZRON, op. cit., p. 244. 112. Ibid. 113. « Défense du Texte Hébreux et de la Chronologie de la Vulgate, contre le Livre de l’Antiquité des tems rétablie. Par le R. Père Dom Jean Martianay, Religieux Bénédictin de la Congrégation de Saint Maur, in-12. A Paris, chez Louis Roulland, le fils. 1689 », Journal des savants, 5 décembre 1689 (n° 40), p. 469-471 (396-398).

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ANNÉES DU I. AGE Qui s’étend depuis la création du Monde Jusqu’au Déluge. Ans du Monde

I. 230. 435. 625. 795. 960. 1122. 1287. 1474. 1656. 2256.

ADAM est créé l’an ADAM avoit SETH avoit ENOS avoit CAÏNAN avoit MALALEEL avoit JARED avoit ENOCH avoit MATHUSALÉ avoit LAMECH avoit NOÉ avoit

I. du Monde le sixième jour. 230 ans, quand il engendra SETH. 205 ans, quand il engendra ENOS. 190 ans, quand il engendra CAÏNAN. 170 ans, quand il engendra MALALEEL 165 ans, quand il engendra JARED. 162 ans, quand il engendra ENOCH. 165 ans, quand il engendra MATHUSALÉ. 187 ans, quand il engendra LAMECH. 182 ans, quand il engendra NOÉ. 600 ans, quand le Déluge arriva.

Somme

2256

Le premier âge du monde. Extrait de L’Antiquité des tems… de Pezron (p. 58)

ANNÉES DU II. AGE Qui s’étend depuis le Déluge, jusqu’à la Vocation d’Abraham, ou son entrée dans la Terre de Chanaan. Ans du Monde

2256. 2258. 2393. 2523. 2653. 2787. 2917. 3049. 3179. 3308. 3438. 3513.

Le Déluge de Noé SEM fils de Noé eut ARPHAXAD avoit CAÏNAN avoit SALÉ avoit HENER avoit PHALEG avoit RÉHU avoit SARUG avoit NACHOR avoit THARÉ avoit ABRAHAM avoit Somme

arriva cette année du Monde. 2 ans, après le Déluge, ARPHAXAD. 135 ans, quand il engendra CAÏNAN. 139 ans, quand il engendra SALÉ. 130 ans, quand il engendra HENER. 134 ans, quand il engendra PHALEG. 130 ans, quand il engendra RÉHU. 132 ans, quand il engendra SARUG. 139 ans, quand il engendra NACHOR. 129 ans, quand il engendra THARÉ. 130 ans, quand il engendra ABRAHAM. 75 ans, quand il entra au païs de Chanan. 1257

Le second âge du monde. Extrait de L’Antiquité des tems… de Pezron (p. 62)

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Martianay réfute d’abord les arguments de Pezron qui s’appuient sur les auteurs anciens, il n’hésite pas à remettre en cause l’autorité des Pères de l’Église sur le sujet de la chronologie. Il conteste que l’historien Josèphe ait suivi la chronologie des Septante. Il s’oppose par ailleurs au fait que la chronologie soit nécessaire à la défense de la religion, du moins par rapport aux Juifs et aux païens. « […] pour ébranler le fondement du système de l’Antiquité rétablie, il fait voir deux choses. L’une, que la Tradition des anciens Juifs porte que le Messie devoit arriver, non à la fin du sixième, mais du quatrième millénaire. L’autre, que quand les premiers Chrétiens ont pressé les Juifs de reconnoître Notre-Seigneur pour le véritable Messie, ils ne se sont point servis d’argumens de Chronologie ». Le journaliste souligne l’importance de cette partie du livre : « Cet endroit mérite d’autant plus d’attention, qu’outre qu’il traite les deux points décisifs de la dispute, il contient encore divers passages, qui font connoître quel a été le sentiment de plusieurs anciens Auteurs touchant la durée du monde »114. Martianay conteste que l’antiquité des Chaldéens et des Chinois soit plus grande que celle qu’autorise le texte hébreu, mais il va plus loin, suivant la voie de Daniel Huet (dans sa Demonstratio evangelica, 1679), il retrouve dans l’histoire des Chinois et des autres peuples les plus anciens les traces du texte biblique : « Il pouvoit finir son Livre en cet endroit : Mais pour ôter à son adversaire tout prétexte d’abandonner le Texte Hébreux, & de recourir aux Septante, il répond à ce qu’on lui objecte de la Chronologie des Caldéens & des Chinois, & montre que l’antiquité que ces Nations s’attribuent peut être conciliée sans beaucoup de peine avec le Texte Hébreu. C’est le sujet du dernier chapitre, où se trouvent quantité de remarques fort avantageuses pour soutenir l’autorité des Livres de Moïse, d’où les Chinois & les autres peuples les plus anciens ont tiré ce qu’ils ont de plus certain dans leur Histoire »115. En 1690, c’est au tour du père Michel Lequien de répondre à Paul Pezron. Le journaliste précise que le sujet est le même que le livre de Martianay, « mais l’ordre est un peu différent, & celui que le Père Lequien a choisi l’a engagé à traiter plusieurs matières importantes que le Père Dom Martianay avoit absolument omises, ou n’avoit que légèrement touchées »116. En 1691, Pezron publie un nouvel ouvrage intitulé Défense de l’Antiquité des tems, où l’on soutient la tradition des Pères & des Eglises, contre celle du Talmud, & où l’on fait voir la corruption de l’Hébreu des Juifs, dans lequel il développe son argumentation déjà présente dans son premier livre en citant des auteurs anciens. Comme le souligne le Journal, « ce nouvel ouvrage a esté entrepris plutôt pour appuyer le premier, & pour donner de nouvelles preuves de la juste étendue des siècles, que pour répondre à ce que le Père Martianay de l’ordre de Saint Benoît, & le Père Lequien de l’ordre de saint Dominique, ont avancé pour le combattre »117. Le journaliste consa-

114. Ibid. 115. Ibid. 116. « Défense du Texte Hébreu et de la version Vulgate, servant de réponse au Livre intitulé, de l’antiquité des temps. Par le R.P. Michel Lequien, de l’Odre des freres Prècheurs. In 12. A Paris chez Amable Auroy, rue saint Jaques. 1690 », Journal des savants, 27 février 1690 (n° 9), p. 104-106 (80-81). 117. « Défense de l’Antiquité des tems, où l’on soutient la tradition des Pères & des Eglises, contre celle du Talmud, & où l’on fait voir la corruption de l’Hébreu des Juifs. Par le Père Dom Paul Pezron, Religieux de l’Abbaye de Prières, de l’étroite Observance de l’Ordre de Citeaux, & Docteur en Théologie de la Faculté de Paris. In 4. à Paris chez Jean Boudot. 1691 », Journal des savants, 14 janvier 1692 (n° 2), p. 17-23 (14-19), et du 21 janvier 1692 (n° 3), p. 25-33 (20-26). (citation : Journal du 14 janvier 1692)

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cre à l’ouvrage un compte rendu particulièrement long qui s’étend sur deux numéros du Journal. Il dédie sa première relation aux trois premiers chapitres du livre et réserve « l’extrait des quatre qui restent » pour la semaine suivante. Comme l’indique le journaliste à propos de l’ouvrage de Pezron : « La première chose que l’auteur y fait est de prouver que dès la naissance de l’Église les auteurs Ecclésiastiques ont esté persuadez que six mille ans s’estoient déjà écoulez depuis la création du monde »118. Mais assez vite le journaliste passe à ce qui apparaît comme la préoccupation essentielle de Pezron et l’objet principal de son livre, la démonstration de la corruption de la chronologie biblique par les Juifs : « comme ce sentiment des auteurs Ecclésiastiques des premiers siècles qui comptent six mille ans depuis la création du monde jusqu’à la venue du Messie, semble contraire à la tradition des Juifs qui n’en comptent que quatre mille, le Père Pezron l’examine avec tout le soin qui lui est possible, & entreprend de montrer que ce n’est point la tradition des anciens Juifs, mais seulement des modernes »119. La place prise par la thèse de la corruption du texte sacré par les Juifs dans l’ouvrage de Pezron est encore soulignée en tête du second compte rendu du Journal : Quoi que pour montrer que la cronologie qui règne aujourd’hui est fausse & abrégée, & que la supputation de la version des Septante est préférable à celle du texte Hébreu, il ne semble pas nécessaire au Père Pezron d’entrer dans une autre question qui n’est qu’incidence, sçavoir si les Juifs ont par pure malice corrompu ce texte, il veut bien néanmoins déclarer franchement ce qu’il en pense. Il ne fait donc point de difficulté d’avancer qu’il a toujours esté libre dans l’Église d’accuser les Juifs d’avoir corrompu leurs livres, en haine des Chrétiens, contre lesquels ils ont excité la fureur des Princes & des peuples, selon cette parole de Tertullien : Synagogae Judaeorum fontes persecutionum120.

Pezron s’appuie sur saint Augustin, saint Jérôme, saint Justin et Origène : « Mais outre les anciens Pères, notre auteur cite un grand nombre de Théologiens modernes qui ont accusé les Juifs d’avoir corrompu leurs Bibles »121. Le père Pezron rend le Juif Akiba responsable de changements dans le texte hébreu. Pour prouver la justesse de la chronologie des Septante, il n’hésite pas à s’appuyer sur l’histoire profane en faisant appel, en particulier, à Hérodote. Mais encore une fois, le désaccord avec les annales des peuples anciens constitue un argument primordial pour abandonner la chronologie du texte hébreu : « Le Père Pezron outre quelques autres preuves que j’omets, fait voir que les antiquitez des Caldéens, des Egiptiens, & des Chinois, s’accordent fort bien avec la supputation des Septante, & ne s’accordent point du tout avec celle du texte Hébreu d’aujourd’hui. D’où il conclut qu’elle doit estre abandonnée, puis qu’elle peut estre convaincue de fausseté par les monumens les plus autentiques des nations les plus célèbres »122. Dans la conclusion de son compte rendu, dont la longueur témoigne déjà de l’intérêt porté à l’ouvrage, la prise de position du journaliste tend à prouver que les arguments de Pezron l’ont convaincu : « À la fin de ce volume est un canon cronologique,

118. Ibid. (Journal du 14 janvier 1692) 119. Ibid. (Journal du 14 janvier 1692) 120. Ibid. (Journal du 21 janvier 1692) 121. Ibid. (Journal du 21 janvier 1692) 122. Ibid. (Journal du 21 janvier 1692)

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contenant un abrégé de l’histoire sainte mêlée avec la profane, lequel est composé avec un ordre & une exactitude qui ne serviront pas peu à prouver la véritable étendue des siècles »123. Alors que l’accueil du premier ouvrage de Pezron en 1687 demeurait dans une certaine neutralité, tout en montrant néanmoins un vif intérêt, l’accueil plutôt bienveillant du second ouvrage du même auteur en 1692 montre que la position du Journal tend à évoluer. On ne peut d’ailleurs que faire le rapprochement avec l’accueil tout à fait favorable réservé par le Journal, la même année, à la traduction de l’ Histoire de la Chine du père Martini dont il a déjà été parlé plus haut. Assez rapidement, la polémique rebondit avec une réponse du père Michel Lequien au second ouvrage du père Pezron, dès l’année suivante, en 1693 : « Le titre de Défense de l’antiquité des tems, que le P. Pezron a donné à son dernier ouvrage, ne paroit point du tout juste au P. Lequien, parce qu’il prétend que son adversaire bien loin d’y avoir détruit plusieurs objections considérables qu’il lui avoit faites dans sa défense du texte Hébreu, ne les a pas seulement effleurées ; ce qu’il trouve d’autant plus étrange, qu’il est bien persuadé que cela ne vient d’aucun mépris que ce sçavant Bernardin fasse de son livre, puisqu’il en témoigne une estime particulière, & reconnoit de bonne foi qu’il est écrit avec plus d’exactitude & de jugement qu’un autre auquel il a bien voulu répondre »124. Cependant, et de manière peut-être un peu moins amicale, Lequien met en cause les compétences linguistiques de Pezron : « Le P. Lequien confirme dans la préface ces objections par de nouvelles réflexions & par de nouvelles remarques, & insinue que quand le texte Hébreu auroit esté corrompu, comme le P. Pezron le soutient, il ne pourroit montrer les endroits qui auroient esté altérez, pour n’avoir pas une assez grande connoissance de cette langue »125. Dans le huitième chapitre il rejette comme fabuleuse la durée que l’on attribue aux Dinasties d’Egipte, & montre qu’elles sont dans une grande confusion, qu’elles ne sont pas pour la plupart directes, mais collatérales seulement, & que plusieurs Princes différens ont esté mis dans les mesmes sous différens noms. »126

Toutefois à cet égard, l’opinion de Lequien n’est pas très différente de celle de Pezron. Dans son chapitre XIII de L’Antiquité des tems rétablie, Pezron affirme que les dix-sept premières dynasties des Égyptiens furent collatérales et non successives127. Dans le titre de son livre publié en 1693, Dom Martianay adresse sa défense du texte hébreu à la fois contre Isaac Vossius, protestant, et contre les livres du père Pezron, religieux de l’ordre de Cîteaux, en mettant ainsi les deux auteurs ensemble. Le rédacteur du Journal des savants définit soigneusement les limites de l’ouvrage qu’il ramène à un point unique : Pour juger solidement de la dispute qui dure depuis quelques années entre deux célèbres Religieux de deux Congrégations très réformées, il est nécessaire d’en bien comprendre le sujet, & de sçavoir qu’il ne s’agit pas d’une simple difficulté de cronologie, mais de l’autorité de la Vulgate fondée sur l’intégrité du texte Hébreu : estant certain que si ce texte avoit esté corrompu avant le temps de saint Jérôme, la version se ressentiroit

123. Ibid. (Journal du 21 janvier 1692) 124. « L’Antiquité des tems détruite, ou Réponse à la défense de l’Antiquité des temps. Par le R. P. Michel Lequien, de l’Ordre des Frères Prescheurs. in 12. à Paris chez Jaques Villeri, rue de la vieille Bouclerie, & Louis Guerin, rue S. Jaques. 1693 », Journal des savants, 2 février 1693 (n° 5), p. 56-59 (42-44). 125. Ibid. 126. Ibid. 127. Voir P. PEZRON, op. cit., p. 152-238 (chapitre XIII).

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de cette corruption. Voilà le principal, ou mesme l’unique point sur lequel roule la continuation de la défense que le P. Martianay nous donne ici du texte original de l’Ecriture128.

An

Pages

1687

65-68 (55-58)

Auteur Paul Pezron

469-471 Jean 1689 (396-398) Martianay

1690

104-106 (80-81)

17-23 (14-19) 1692 et 25-33 (20-26) 1693

1693

56-59 (42-44)

Titre L’antiquité des tems rétablie & défendue contre les juifs & les nouveaux chronologistes. In-4. A Paris chez Jean Boudot. Défense du Texte hébreu et de la Chronologie de la Vulgate, contre le Livre de l’Antiquité des tems rétablie. Par le Père Dom Jean Martianay, Religieux Bénédictin de la Congrégation de Saint Maur, in-12. A Paris, 1689.

Michel Lequien

Défense du Texte Hébreu et de la version Vulgate, servant de réponse au Livre intitulé, de l’antiquité des temps. Par le R. P. Michel Lequien, de l’Ordre des Freres Prècheurs. In 12. à Paris chez Amable Auroy, rue Saint Jaques. 1690.

Paul Pezron

Défense de l’Antiquité des Temps, où l’on soutient la tradition des Pères & des Eglises, contre celle du Talmud, & où l’on fait voir la corruption de l’Hébreu des Juifs. Par le Père Dom Paul Pezron, Religieux de l’Abbaye de Prières, de l’étroite observance de l’Ordre de Citeaux, & Docteur en Théologie de la Faculté de Paris. In 4, 1691.

Michel Lequien

L’antiquité des tems détruite, ou Réponse à la défense de l’Antiquité des tems. Par le R.P. Michel Lequien, de l’Ordre des Frères Prescheurs. In 12, à Paris, 1693.

241-247 Jean (193-197) Martianay

Continuation de la défense du texte Hébreu, & de la Vulgate, par la véritable tradition des Eglises Chrétiennes, & par toutes sortes d’anciens monumens, Hébreux, Grecs, & Latins, & particulièrement par la Bible des premiers Pères de Citeaux, & les ordonnances de leur second Abbé Etienne, contre Isaac Vossius Protestant, & contre les livres du P. Pezron Religieux de l’ordre de Citeaux. Par Dom Jean Martianay, Religieux Bénédictin de la Congrégation de S. Maur. In 12. Paris 1693.

Tableau 57. La querelle avec le père Pezron d’après les comptes rendus du Journal des savants (entre parenthèses, les pages dans les réimpressions du Journal)

Dans la manière assez favorable dont les ouvrages de Pezron furent reçus par le Journal des savants, les protections dont jouissaient l’auteur n’ont pu que jouer en sa faveur. En effet, comme l’indique les Mémoires de Trévoux dans son éloge, « Mr. de Boucherat Chancelier de France & toute son illustre famille, a eu pour lui une considération qui n’a fini qu’avec sa vie »129. Or, faut-il le rappeler, le chancelier Boucherat avait toute autorité sur le rédacteur du Journal des savants et sur son équipe rédactionnelle. En 1687, Boucherat était intervenu pour transformer la rédaction du

128. « Continuation de la Défense du Texte Hébreu, & de la Vulgate, par la véritable tradition des Eglises Chrétiennes, & par toutes sortes d’anciens monumens, Hébreux, Grecs, & Latins, & particulièrement par la Bible des premiers Pères de Citeaux, & les Ordonnances de leur second Abbé Etienne, contre Isaac Vossius Protestant, & contre les livres du P. Pezron Religieux de l’Ordre de Citeaux. Par Dom Jean Martianay, Religieux Bénédictin de la Congrégation de S. Maur. In 12. A Paris chez Pierre de Bars. 1693 », Journal des savants, 1er juin 1693 (n° 22), p. 241-247 (193-197). 129. Mémoires de Trévoux, op. cit.

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Journal et imposer Louis Cousin à sa tête. Ce dernier avait été doté par le chancelier d’une pension annuelle de 200 livres au titre du Journal130. Des journalistes ont pu être écartés de l’équipe du Journal en raison de leurs opinions. Ainsi, Louis Ellies Du Pin, que l’abbé Bignon avait chargé en 1702 de réaliser pour le Journal des savants les extraits des ouvrages religieux, perdit en mars 1703 ses fonctions de journaliste et de censeur à la suite de l’affaire du cas de conscience dans laquelle il manifesta ses sentiments jansénistes131. Dans ces conditions, comment imaginer que Louis Cousin et ses collaborateurs eussent pu oser déplaire au chancelier en tenant des propos désobligeants à l’égard des ouvrages de son protégé ? Ils se devaient à tout le moins de le ménager. Et d’ailleurs, la nomination en 1697 par Louis XIV de Paul Pezron à l’Abbaye de la Charmoie, sans que le cistercien l’ait même demandé, est une preuve éclatante qu’il jouissait de la faveur royale. Aurait-il reçu une telle récompense si ses thèses sur la chronologie avaient déplu en haut lieu ? La protection du père Pezron par le chancelier constitue une preuve indiscutable des appuis dont pouvait bénéficier à l’occasion la cause défendue par le cistercien, quand bien même ce dernier n’aurait pas spécialement recherché les protections et les honneurs comme le laisse entendre le journaliste de Trévoux132. Le chancelier Boucherat ne semble guère avoir intéressé les historiens. Né à Paris en 1616, il était le fils de Jean Boucherat, maître des comptes, intendant à l’armée d’Aunis et conseillé d’État, mort le 26 février 1671, et de Catherine Machault133. Il gravit peu à peu les échelons de la robe : correcteur des comptes en 1637, commissaire aux requêtes en 1641 et maître des requêtes de l’hôtel en 1643, conseiller d’État le 1er avril 1644 et conseiller ordinaire le 9 novembre 1651. Turenne le chargea de ses affaires, il fit sa fortune et lui procura des intendances. Il fut successivement intendant de Guyenne, de Languedoc, de Picardie, de Champagne, trois fois commissaire du roi aux états de Languedoc, et dix fois aux états de Bretagne. En 1671, il fut nommé conseiller d’honneur au Parlement. Les Portraits des membres du Parlement disent : « A l’expérience des affaires, sous une fausse probité cache beaucoup d’ambition pour laquelle il s’entretient avec la cabale dévote »134. Après Turenne, Boucherat jouit de la protection de Colbert et de Louvois, qui, d’après Saint-Simon, « contribuèrent fort à son élévation, pour n’avoir aucun ombrage à craindre »135. Témoignage de sa confiance, Louis XIV le chargea de présider la Chambre de l’Arsenal, créée en 1679 pour juger l’affaire des poisons136. Il fut nommé au Conseil royal des finances le 5 mai

130. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres », op. cit., annexes : p. 194. 131. Ibid., p. 207-208. 132. Le journaliste vante l’abnégation et le désintéressement de Pezron : « Prompt à se cacher, il fuyoit l’éclat du monde & le commerce des Grands avec autant d’empressement que les autres en ont à le rechercher. On eut beaucoup de peine à l’obliger d’aller remercier le Roy de l’Abbaye qu’il lui avoit donnée, & resolu de la quitter il n’agit que pour la faire tomber à un sujet digne de la remplir. » En parlant des liens avec le chancelier Boucherat, il ajoute : « Il avoit fallu le forcer à cultiver une liaison si utile & si glorieuse. Les avances que firent des personnes de la plus haute faveur pour le connoître, n’eurent pas le même sort : on ne put obtenir qu’il y répondit. » Cf. Mémoires de Trévoux, op. cit. 133. Il serait né le 6 septembre 1616 d’après la notice biographique dans M. PREVOST, R. D’AMAT, H. TRIBOUT de MOREMBERT (dir.), Dictionnaire de biographie française, t. VI, Paris 1954, p. 1220-1221. Alors que MICHAUD (op. cit., t. V, p. 172) situe sa naissance le 20 août 1616, suivant en cela Moréri (L. MORÉRI, Le Grand dictionnaire historique, Paris 1759, t. II, p. 111). 134. Cité dans M. PREVOST, R. D’AMAT (dir.), H. TRIBOUT de MOREMBERT, op. cit., p. 1120. 135. SAINT-SIMON, Mémoires, vol. 1, Paris 1964, p. 645. 136. A. LEBIGRE, 1679-1682. L’affaire des poisons, Bruxelles 1989, p. 72.

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1681, puis au nombre des commissaires chargés d’étudier la question de la régale. Louis Boucherat succéda au chancelier de France Le Tellier le 1er novembre 1685. Il n’avait pas eu à préparer la révocation de l’édit de Nantes, mais il en assura l’exécution. Esprit très religieux, il crut servir l’État. Saint-Simon dresse de lui un portrait qui n’est pas exempt d’un certain mépris, il le dit bon et honnête, mais en proie aux siens et n’étant qu’un « chancelier de cire »137. Pourtant, c’était un homme généralement estimé et les paroles de Louis XIV en lui confiant les sceaux furent particulièrement flatteuses : « La place de chancelier est le prix de vos longs services ; ce n’est pas une grâce, c’est une récompense. Elle n’eût pas été pour vous, si tout autre l’eût mieux méritée ». Le choix, dit le marquis de Sourches, fut approuvé de tous. Témoignage de la probité de Louis Boucherat, le chancelier Séguier, mort en 1672, l’avait choisi comme exécuteur testamentaire et il le fut également de Turenne, à la conversion de qui il avait été associé. Boucherat mourut à Paris, le 2 septembre 1699, à l’âge de 83 ans. Le père Chappuys, un jésuite, et le père de la Roche, un oratorien, prononcèrent et firent imprimer son oraison funèbre138. Les mémoires de Saint-Simon et la correspondance de madame de Sévigné mettent en évidence la force et l’importance des solidarités familiales, caractère assez commun à l’époque aux familles de la noblesse comme de la robe. Ainsi, en novembre 1685, Bussy-Rabutin, le cousin de madame de Sévigné, se réjouit de la nomination de Boucherat comme chancelier car, étant son allié et son bon ami, il lui fera à l’occasion bonne justice139. Louis Boucherat était allié aux de Bussy par le mariage de sa fille avec Nicolas-Auguste de Harlay, cousin de Madame de Bussy. Saint-Simon note que le vieux chancelier Boucherat, gouverné par sa fille Mme de Harlay, « ménageoit fort le premier président, cousin de son mari »140. François de Harlay, l’archevêque de Paris, était de la même façon allié au chancelier. Toutefois, rien ne prouve que son lien de parenté, d’ailleurs plus éloigné, avec le gendre de Boucherat, ait pu influencer favorablement son jugement sur Pezron. Plus de vingt ans après leur publication, les ouvrages de Vossius et de Horn sur la chronologie des Septante, sur l’âge du monde et sur l’universalité du Déluge, se virent déférés pour examen à la Congrégation de l’index. En 1686, cette dernière consulta à ce sujet Mabillon, qui se trouvait alors à Rome. Des trois points considérés, comparaison de la version des Septante avec le texte hébreu, préférence à accorder à la Version des Septante et universalité anthropologique du Déluge, le seul vraiment contestable pouvait être celui de l’étendue du Déluge. Mais le Bénédictin

137. SAINT-SIMON, op. cit., p. 644-646. 138. J. CHAPPUYS, Oraison funèbre de très haut et très puissant seigneur messire Louis Boucherat, chevalier, chancelier et garde des sceaux de France, commandeur des ordres du Roy, prononcée en l’église cathédrale de Die le 30 janvier de l’année 1700, Lyon 1700 ; LA ROCHE, Oraison funèbre de … messire Louis Boucherat garde des sceaux de France, … prononcée dans l’église de St-Gervais sa paroisse, Paris 1700. 139. Madame de SÉVIGNÉ, Correspondances, vol. 3, Paris 1978, p. 240 (lettre de Bussy-Rabutin du 14 novembre 1685). 140. SAINT-SIMON, op. cit., p. 215. Le chancelier avait marié une de ses filles à Nicolas-Auguste de Harlay, conseiller d’état et cousin du premier président du parlement de Paris (Achille de Harlay). François de Harlay, l’archevêque de Paris, était également un cousin de Nicolas-Auguste de Harlay, mais plus éloigné. En remontant de quatre générations, ils descendaient tous deux de Louis de Harlay († 1544), seigneur de Beaumont et de Germaine Cœur († 1526), leurs trisaïeuls, alors qu’entre les deux cousins germains qu’étaient Nicolas-Auguste de Harlay et le premier président du parlement, il suffisait de remonter de deux générations, à leur grands-parents communs, Christophe de Harlay († 1615), comte de Beaumont et Anne Rabot. Voir L. MORÉRI, Le grand dictionnaire historique, op. cit., t. V (partie II), p. 526-530 ; ainsi que M. PREVOST, R. D’AMAT, H. TRIBOUT de MOREMBERT (dir.), op. cit., t. XVII, p. 658-670.

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français, après avoir examiné les raisons favorables et défavorables, conclut qu’il n’y avait aucune raison de censurer Vossius puisque ses vues n’étaient pas fondamentalement contraire au principe moral du récit biblique141. Si la Congrégation de l’Index semble n’avoir rien trouvé à redire aux idées de Vossius, en quoi l’archevêque de Paris aurait-il éprouvé le besoin d’avoir un avis contraire ? Dans la mesure où le débat sur les versions de la Bible et la préférence à leur accorder était admis au sein de l’Église catholique, la dénonciation de Martianay apparaît mal fondée et abusive, et le jugement de l’archevêque de Paris conforme à la position de l’Église. Au fond, François de Harlay n’avait pas forcément besoin d’une quelconque incitation pour rendre un jugement favorable à Pezron. En revanche, la protection assurée à ce dernier par Louis Boucherat est indubitable et plus tangible. Lorsque Pezron meurt, le 10 octobre 1706, c’est à Chessy, maison de campagne de Monsieur de Fourcy, conseiller d’État et l’un des gendres du chancelier Boucherat142. Ce dernier, Henry de Fourcy, avait la reconnaissance de toute la Compagnie de Jésus pour avoir fait abattre à Paris les derniers vestiges du monument élevé en 1595 pour commémorer le supplice de Jean Châtel, auteur d’un attentat contre Henry IV, et sur lequel les jésuites étaient nommément désignés comme ses complices143. D’après, le journaliste de Trévoux, Madame de Fourcy, c’est-à-dire la fille de Boucherat144, « ne voulut jamais rendre le corps d’un si grand homme à ses frères : elle le fit enterrer dans le tombeau des seigneurs de Chessy »145, le caveau familial des Fourcy. Voilà qui démontre que Pezron était loin d’être considéré comme une simple relation de la famille du chancelier. C’était un familier, commensal du chancelier et de ses enfants, au fond presque un membre de la famille, ou du moins admis dans l’intimité des Boucherat. Dans la polémique entre Pezron et Martianay, il y a clairement un problème de réseau de relations et d’influences. Les débats sur la chronologie interfèrent avec des intérêts variés, en particulier les intérêts politiques et économiques de Louis XIV en Chine et au Siam, où en définitive les intérêts des jésuites et ceux du roi se mêlent et se rejoignent. On a accusé le père de La Chaise (1624-1709), confesseur jésuite de Louis XIV depuis 1675, d’avoir défendu auprès du roi les intérêts de la Compagnie de Jésus. Les Jansénistes l’accusaient de s’être emparé de la confiance du roi et de l’avoir réduit à ne voir que par ses yeux, de favoriser les passions de ce prince pour se maintenir en faveur, de ne nommer à tous les bénéfices dont il disposait que des sujets dévoués à sa compagnie, de s’être rendu coupable de toutes les violences qui furent exercées contre l’évêque de Pamiers. Ils lui reprochaient la destruction des filles de l’Enfance et du monastère de Port-Royal146. Derrière les positions adoptées par rapport à la chronologie peuvent donc se cacher des intérêts assez divers. Dans cet environnement, les académiciens sont partagés. Pour des raisons parfois différentes, des acteurs dissemblables en viennent à se rap-

141. H. LECLERCQ, Dom Mabillon, 2 vol., Paris 1953-1957, vol. 1, p. 408-410. 142. Voir Mémoires de Trévoux, op. cit. et SAINT-SIMON, op. cit., vol. 1, p. 645. 143. Cf. notice biographique par R. D’AMAT dans M. PREVOST, R. D’AMAT, H. TRIBOUT de MOREMBERT (dir.), op. cit., t. XIV, p. 754. Le gendre de Louis Boucherat, Henri de Fourcy (1626-1708), comte de Chessy, fut conseiller au Châtelet puis au Parlement (19 février 1652), président aux enquêtes (9 février 1653), prévôt des marchands de Paris (1684-1691), conseiller d’État ordinaire en 1703. Il mourut à Chessy le 4 mars 1708. 144. M.-M. Boucherat, femme de Henri de Fourcy. Morte à soixante-dix-ans, en 1714. 145. Mémoires de Trévoux, op. cit. 146. L.-G. MICHAUD, op. cit., t. XXII, p. 349.

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procher pour faire face à un ennemi commun, des alliances de circonstances et des groupes d’intérêts apparaissent. Mais, ce qui importe avant tout, c’est de souligner qu’à travers le chancelier Boucherat, le Journal des savants se trouvait entre les mains d’un des plus hauts personnages de l’État qui, bénéficiant de la confiance du roi et de ses ministres, protégeait ouvertement, et en toute connaissance de cause, un théologien qui avait décidé de consacrer une bonne partie de son énergie et de son travail à la promotion et à la défense de la chronologie plus longue des Septante. Cependant les intérêts susceptibles de soutenir l’adoption d’une chronologie plus longue n’expliquent sans doute pas entièrement la facilité avec laquelle elle trouva des partisans en France, lors de la publication des ouvrages de Pezron, ainsi que le laisse entendre le Journal des savants147. Si l’on en croit le père Pezron lui-même, dans son ouvrage de 1687, en terre catholique, la chronologie des Septante devait bénéficier d’un accueil favorable qu’elle ne pouvait pas trouver en terre protestante du fait de l’attachement des réformateurs au texte hébreu : Je ne dois pas espérer, que cette Antiquité des Siècles, que je tâche de rétablir, soit également approuvée de tous ; elle aura des contradicteurs, sur-tout parmy les Protestants, qui n’ont que du mépris pour les Versions de l’Église, par l’attachement qu’ils ont à l’Hébreu. J’ose néanmoins dire, qu’elle a des avantages qu’on ne sçauroit assez estimer ; puisqu’elle est nécessaire, pour défendre l’autorité des Livres sacrez contre les Préadamites, les Libertins, & autres semblables ; & pour établir la Religion chez les Orientaux, principalement chez les Chinois & les Peuples voisins148.

Les ouvrages du Père Pezron montrent assez nettement les difficultés causées à l’orthodoxie par la chronologie chinoise. Le Bénédictin sait bien que l’histoire de la Chine est indépendante de l’histoire judéo-chrétienne, et qu’il est aberrant de chercher à retrouver les personnages de l’Ancien Testament dans les anciens empereurs de Chine. Mais si les annales chinoises sont indépendantes de l’histoire sacrée, comment un empire aussi peuplé a-t-il pu se former si peu de temps après la destruction de presque toute l’humanité ? Le recours à la chronologie des Septante était d’autant plus nécessaire qu’un temps suffisamment long était requis pour rendre plausible le repeuplement de l’Asie, entre la sortie de Noé de l’Arche et le début des chroniques rapportant l’histoire des empereurs chinois, c’est-à-dire, au mieux, la période coïncidant avec la dispersion des descendants de Noé et la constitution des diverses nations, à la suite de l’échec de la construction de la Tour de Babel. L’exemple du Discours sur l’Histoire universelle de Bossuet met bien en lumière cette concession obligée. Si, dans la première édition de 1681, Bossuet se conforme à la chronologie du texte hébreu, dans la troisième édition de 1700, il doit consentir à prendre le décompte de temps de la version des Septante pour parer au difficile problème de la chronologie. La chronologie biblique avait le grand mérite de fournir une structure, même si les chronologistes n’étaient pas d’accord entre eux sur l’âge du monde. En 1659, l’homme et la nature, tous deux sortis ensemble des mains de Dieu, ont un passé d’un peu plus de sept mille ans selon Vossius, de presque 5700 ans pour Horn. La différence est très exactement de 1353 années. Pour justifier cette différence, somme toute assez modeste, ou pour la réfuter, tous les grands problèmes de la chronologie se

147. Cf. « Mémoire sur la vie et sur les ouvrages de Dom Jean Martianay », Journal des savants, 9 août 1717 (n° 32). 148. P. PEZRON, op. cit., Avertissement, p. 5.

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voient rediscutés à la lumière des caractéristiques des grandes civilisations antiques, des problèmes de la philologie biblique. Les sources se voient examinées et évaluées. Que de difficultés, que de polémiques pour arriver en définitive à prolonger l’âge du monde de seulement 1353 ans ! Mais une telle différence dans une échelle de temps si courte implique une certaine élasticité qui peut nourrir le sentiment qu’un temps suffisant existe pour y loger toutes les nouvelles découvertes. Ainsi, les savants jésuites de Pékin pouvaient espérer y loger l’histoire de la Chine, en préférant la chronologie des Septante, c’était aussi l’avis de Leibniz. La plupart des philosophes naturalistes ont trouvé cette échelle des temps bibliques amplement suffisante. Devant des fossiles, certains se sont même demandés comment des organismes enterrés pourraient être préservés pendant plusieurs milliers d’années ? D’autres étaient convaincus que la chronologie traditionnelle suffisait pour permettre des changements graduels. Les six jours de la Création, eux-mêmes, devaient-ils être interprétés comme des jours de vingt-quatre heures ? Lorsque Newton et Burnet ont discuté de ce sujet, ils ont reconnu que les jours n’avaient pas à être pris nécessairement au sens littéral. Toutefois aucun des deux n’a vu beaucoup à gagner en étendant les « jours » en « années ». Burnet s’était demandé si la terre et la mer avaient pu se séparer en moins d’un an. Il avait répondu qu’un temps beaucoup plus long avait été nécessaire. Burnet trouvait donc légitime, une modeste extension du temps149. John Ray s’est également interrogé sur l’âge de la Terre, traçant son propre chemin à partir d’observations troublantes, pour aboutir à une solution de réinterprétation biblique digne d’intérêt. Dans une première discussion du sujet, Ray trouvait étrange, concernant la nouveauté du monde, le fait que Varenius ait rapporté l’observation de plus de deux cents pieds de sédiments accumulés et que des coquilles fossiles soient trouvées à de hautes altitudes. John Ray en déduisit que « si les montagnes n’étaient pas là au commencement du monde, ou le monde était beaucoup plus vieux qu’on ne l’avait imaginé ou cru, il y avait là, un incroyable espace de temps exigé pour œuvrer à de tels changements, comme l’élévation des montagnes, selon les procédés mesurés de la nature dans les mutations de cette sorte depuis les premières mentions de l’histoire ; ou bien, dans les temps primitifs et peu après la Création la terre avait subi beaucoup plus de chocs et de mutations dans sa partie superficielle qu’après »150. Ray ne décida pas entre ces deux solutions mais, plus tard, il admit qu’une interprétation littérale des six jours requérait un réexamen. De son côté, Halley, partant du principe que les océans du globe recevaient toute l’eau des rivières mais n’avaient pas d’autres débouchés que l’évaporation, en déduisait que l’évaporation constante de l’eau avait dû augmenter constamment la teneur en sel. Si l’on mesurait le taux d’augmentation, on pourrait extrapoler en arrière dans le temps, jusqu’à l’époque où le processus avait commencé. Par ce calcul, on réfuterait l’antique notion de l’Éternité de toutes les choses, bien que peut-être le monde pourrait être trouvé largement plus vieux que

149. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit. p. 193. 150. « If the Mountains were not from the beginning, either the World is a great deal older than is imagined or believed, there being an incredible space of time required to work such changes as raising all the Mountains, according to the leisurely proceedings of Nature in mutations of that kind since the first Records of History : or in the primitive times and soon after the Creation the earth suffered far more concussions and mutations in its superficial part than afterward », J. RAY, Observations Topographical, Moral, & Physiological ; Made in a Journey Through part of the Low-Countries, Germany, Italy, and France, Londres 1673, p. 126-127.

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beaucoup ne l’avaient imaginé jusqu’ici151. Certains, pour qui la Bible et la physique s’accordaient, postulaient que les changements géologiques pourraient avoir été plus grands et auraient pu prendre moins de temps pendant la première histoire de la terre. Par la suite, Fontenelle adopta aussi ce raisonnement sans que l’on puisse savoir si derrière cet argument pouvait se trouver un désir de sauver la chronologie biblique152. Dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes (1686), Fontenelle dénonçait l’anthropocentrisme qui aboutissait à ignorer les phénomènes de longues durées, dépassant la vie d’un homme : « Les Anciens étaient plaisants de s’imaginer que les corps célestes étaient de nature à ne changer jamais, parce qu’ils ne les avaient pas encore vus changer. Avaient-ils eu le loisir de s’en assurer par l’expérience ? Les Anciens étaient jeunes auprès de nous »153. Et à la suite, Fontenelle s’amuse à comparer la brièveté de la vie humaine à celle des roses, décriant ainsi l’inclination de l’homme à tout mesurer par des standards humains : Si les roses qui ne durent qu’un jour faisaient des histoires, et se laissaient des mémoires les unes aux autres, les premières auraient fait le portrait de leur jardinier d’une certaine façon, et de plus de quinze mille âges de roses, les autres qui l’auraient encore laissé à celles qui les devaient suivre, n’y aurait rien changé. Sur cela, elles diraient : Nous avons toujours vu le même jardinier, de mémoire de rose on n’a vu que lui, il a toujours été fait comme il est, assurément il ne meurt point comme nous, il ne change seulement pas. Le raisonnement des roses serait-il bon ?154

La plupart des hommes étaient cependant loin de pouvoir accepter ni même concevoir une durée de temps de dizaines, de centaines de milliers d’années, et encore moins de millions ou de milliards d’années. Pour combattre la thèse d’une antiquité incommensurable du monde, présentée entre autres comme un moyen pour diffuser la doctrine impie de l’éternité du monde, face à la crise et à la mise en question de la chronologie biblique et aux parallélismes trop audacieux entre histoire sacrée et histoire profane, pour lutter contre l’affirmation d’une moralité et d’une religiosité des peuples païens qui seraient égales ou supérieures à l’éthique et à la religion des peuples chrétiens, face au danger d’une réduction du récit de l’Ancien Testament à une chronique d’histoire locale, quelles sont les voies de défense possibles de l’orthodoxie chrétienne ? Comment est-il possible de maintenir aux textes sacrés leur caractère d’histoire universelle et de continuer à concevoir le Déluge comme une catastrophe universelle ? Comment réaffirmer le caractère isolé et continu de l’histoire hébraïque ? Comment peut-on éviter les conclusions de type libertin ? Deux voies s’ouvrent. La première consiste en une identification et tend à ramener d’une façon plus ou moins compliquée toutes les autres histoires à l’histoire sacrée. La seconde voie réside dans une négation et tend à déclarer « imaginaires » ou « fabuleuses » toutes les histoires concurrentes avec l’histoire sacrée ou alternatives par rapport à elle. Il faut souligner que les deux solutions aboutissent, par rapport au début

151. « A short Account of the Cause of the Saltness of the Ocean, and of the several Lakes that emit no Rivers ; with a Proposal, by help thereof, to discover the Age of the World. Produced before the RoyalSociety by Edmund Halley, R. S. Secr. », Philosophical Transactions pour juin, juillet et août 1715, n° 344, p. 296-300. 152. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 196. 153. FONTENELLE, Entretiens sur la pluralité des mondes, Paris 1998 (16861), p. 155. 154. Ibid.

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de l’histoire humaine, à la négation d’une pluralité d’histoires. Il n’existe qu’une seule et unique histoire, qui est l’histoire sacrée. Les deux solutions, nées en fonction d’une défense de l’orthodoxie, sont porteuses en elles-mêmes de dangers d’hétérodoxie ou se prêtent à être utilisées dans une direction « impie » : en suivant la première voie, on peut en arriver à assimiler toutes les religions avec une religion unique et à dissoudre toutes les religions en une unique religion « naturelle » ; en suivant la seconde voie, on peut interpréter comme fabuleux non seulement les récits des « autres » religions, mais jusqu’aux récits bibliques. Pour réaffirmer l’antiquité supérieure des Écritures, on pouvait donc en premier lieu se référer aux témoignages de tous les peuples de la Terre, chercher à retrouver dans l’histoire et dans la mythologie des Égyptiens, des Chaldéens, des Grecs, des Chinois, la survivance ou la mémoire perdue des vérités déjà contenues dans le texte biblique. Il s’agit d’une voie qui a une tradition très ancienne. Mais cette tradition prend une nouvelle vigueur : elle connaît une seconde jeunesse avec la Demonstratio Evangelica de Daniel Huet, en 1679. Le Journal des savants présente ainsi l’ouvrage de l’auteur : « Il se sert ensuite d’une autre sorte de preuve fort nouvelle & fort utile pour l’illustration des Lettres sacrées & prophanes en montrant que les Divinitez anciennes des Phéniciens, des Égyptiens, des Perses, des Indiens, des Peuples du Nort & de l’occident, & de quelques-uns même de l’Amérique, des grec, & des Italiens n’ont esté que Moyse travesti. Il est facile de juger combien de choses curieuses & sçavantes ce beau Champ luy fournit »155. Le jugement du journaliste est donc plutôt positif à ce moment-là. La seconde voie consistait à tracer une ligne de démarcation très nette entre les faits et les fables, entre les faits historiques réels de l’histoire la plus récente – exception faite de l’histoire sacrée – , et les mythes et les fables propres à l’histoire la plus reculée, l’histoire « obscure » ou « fabuleuse ». Dans ces conditions, le domaine du fabuleux tend à s’élargir pour accueillir tous les récits et les traditions en désaccord avec la chronologie biblique. Ainsi le Journal des savants fournit un exemple de ce type de littérature avec un compte rendu du Phénomène Littéraire de Richard Simon (publié anonymement) où ce dernier assimile l’histoire reculée des Égyptiens et des Chaldéens à la fable : « La Dissertation qu’on donne icy contre les pretendues antiquitez des Chaldéens & des Égyptiens, fut faite il y a environ dix ans. L’Auteur en avoit laissé tirer plusieurs copies manuscrites. Il réfute dans cet Ouvrage avec autant de solidité que de brièveté les fables ridicules de ces deux nations, dont la première prétendoit avoir des observations celeste de 470000 ans, & la seconde de 100000. au rapport de S. Augustin »156.

155. « Petri Danielis Huetii Demonstratio Evangelica ad Serenissimum Delphinum. In fol. A Paris chez Estienne Michallet. 1679 », Journal des savants, 9 janvier 1679 (n° 1), p. 5-10 (4-6). 156. « Phénomène Litteraire, causé par la ressemblance des pensées de deux Auteurs, touchant les antiquitez des Caldéens & des Égyptiens. Où l’on voit la fausseté du grand nombre d’années que quelques Ecrivains soit anciens ou modernes donnent aux observations celestes pretendues fausses par ces deux nations. A Paris de l’Imprimerie d’André Cramoisy, rue de la Harpe, au Sacrifice d’Abraham. 1705. in 8°. pagg. 16 », Journal des savants, 30 novembre 1705 (n° 42), p. 669-670 (583).

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L’âge du monde

A. Kircher, Arcae Noë in tres libros digesta (1675) : la construction de l’Arche de Noé.

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CHAPITRE V

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Il y eut le déluge pendant quarante jours sur la terre ; les eaux grossirent et soulevèrent l’arche, qui fut élevée au-dessus de la terre. (Gn. 7, 17) Ainsi disparurent tous les êtres qui étaient à la surface du sol, depuis l’homme jusqu’aux bêtes, aux bestioles et aux oiseaux du ciel ; ils furent effacés de la terre et il ne resta que Noé et ce qui était avec lui dans l’arche. (Gn. 7, 23)

I. Le Déluge et l’Arche de Noé Depuis le début de l’exégèse des Pères de l’Église, de nombreux érudits ont essayé de fournir une explication du Déluge universel, tant il est vrai que cet épisode de l’Ancien Testament a fait naître d’importantes interrogations. Ainsi, où trouver la quantité d’eau nécessaire pour aller jusqu’à couvrir le sommet des plus hautes montagnes ? Est-il concevable que des animaux de toutes les espèces connues aient pu trouver asile à l’intérieur d’une embarcation bâtie suivant les dimensions décrites dans la Genèse ? À supposer qu’il en soit ainsi, comment tous ces animaux ont-ils pu parvenir par leurs propres moyens jusqu’à l’Arche, comment ont-il pu être nourris par seulement huit personnes pendant près d’une année que dura le Déluge, et avec quels aliments ? Et comment ont-ils pu se disperser dans les divers continents après le Déluge ? La question est d’autant plus capitale qu’elle concerne directement l’homme, puisque suivant la Genèse tous les peuples du monde trouvent leur origine dans une seule et unique famille, c’est-à-dire que les blancs et noirs, Américains et Chinois, descendent tous d’un père commun, Noé. Le Déluge universel a constitué l’une des préoccupations principales des théologiens de l’âge classique. Expliquer le Déluge universel représente l’un des meilleurs moyens de prouver l’authenticité du récit de la Genèse, de combattre ceux qui la contestent, et d’affirmer l’importance du message spirituel de ce texte. L’enjeu pour les théologiens est donc important. D’autre part, le Déluge constitue un point de rencontre privilégié dans les sciences géologiques, biologiques et historiques. Mais la richesse du sujet ne réside pas tant dans les débats concrets sur l’impossibilité physique de l’inondation, sur la taille et la forme de l’Arche, ou sur la descendance de Noé, que dans la place accordée au mythe des origines dans l’élaboration d’un discours proprement rationnel. Le XVIIe siècle voit s’imposer la réflexion critique, l’érudition historique, la précision scientifique, et cela même dans des domaines réservés depuis longtemps à la seule religion. L’histoire du Déluge est la seule, à part le récit de la Création, à concerner autant l’histoire de la planète que l’histoire de l’homme. La découverte du nouveau monde représente l’un des obstacles les plus sérieux auxquels se sont heurtés les défenseurs de l’orthodoxie biblique. Elle a fait naître des difficultés et des controverses autour de la provenance de toute l’humanité des deux ancêtres communs du genre humain : Adam et Ève. Le continent américain n’est en effet contigu à aucune partie de l’Asie, de l’Europe ou de l’Afrique, mais il est néanmoins peuplé d’hommes et de toutes sortes d’animaux. Ces hommes sont différents des Asiatiques, des Européens et des Africains, aussi bien dans leur aspect que dans leur langage et dans leurs costumes. Ces animaux sont différents de ceux qui peuplent 219

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les autres continents. L’origine de ces populations a donné lieu à de nombreuses théories qui inscrivaient l’installation des habitants de l’Amérique, celle des hommes comme celle des animaux, à l’intérieur du cadre historique du récit de la Genèse, à partir du Déluge universel. Deux grandes questions émergent de ces constatations, à savoir l’origine noachique des populations américaines, et la manière dont ces populations sont arrivées dans le Nouveau Monde. Pour les hommes, certains imaginaient que, partis d’Asie, d’Afrique ou d’Europe, ils avaient traversé l’océan et étaient parvenus alors en Amérique. Ainsi, au début du XVIIe siècle, le voyageur français Marc Lescarbot explique dans son Histoire de la Nouvelle France, que durant les trois cent cinquante années que vécut Noé après le Déluge, le patriarche eut largement le temps de construire un nouveau bateau, similaire à l’Arche, et de traverser le détroit de Gibraltar en direction des côtes brésiliennes, où il installa les premières colonies du Nouveau Monde1. Mais comment expliquer que les premiers habitants de l’Amérique aient pu traverser l’océan alors que la boussole n’avait été inventée qu’au Moyen Âge ? À moins d’attribuer un caractère miraculeux à la navigation des premiers hommes, ce qui infirmait la volonté rationnelle de la démarche. Il fallait imaginer qu’un bateau pris dans une tempête avait échoué sur les côtes américaines, ce qui ne permettait pas de résoudre le problème du transport des animaux, ou bien supposer que Noé et ses contemporains aient connu les instruments de navigation, dont l’usage se serait ensuite perdu. Cette hypothèse n’apparaissait pas plus vraisemblable que les deux premières. Même si l’on pouvait interpréter de manière satisfaisante l’arrivée de l’homme dans le Nouveau Monde, la question de la faune américaine restait entière, une question redoutable pour la crédibilité du récit biblique, comme l’ont compris les opposants au récit biblique. Il restait à expliquer par quelle voie les animaux de l’Arche de Noé, les seuls de chaque espèce à avoir survécu au Déluge universel, avaient pu parvenir jusqu’en Amérique comme, d’ailleurs, dans les différentes îles du monde. Si les hommes avaient pu transporter avec eux quelques animaux domestiques, la présence d’animaux sauvages demeurait inexpliquée, a fortiori celle d’espèces jusqu’alors inconnues dans le reste du monde. Quant aux espèces nuisibles, leur transport par l’homme apparaissait impensable. Leur arrivée à la nage sur le continent américain était inconcevable. D’autre part, supposer que Dieu ait procédé à une nouvelle création après le Déluge reviendrait à remettre en cause l’Arche de Noé (puisqu’une seconde création aurait aussi pu être opérée par Dieu dans les différentes parties du monde) et l’unicité de la Création. La question de la faune américaine est capitale et les opposants au récit biblique l’ont bien compris. Quelques érudits du XVIe siècle avaient émis l’hypothèse que l’Amérique aurait été reliée au continent européen par une sorte de pont terrestre qui aurait permis le passage des hommes et des animaux. Mais pour quelles raisons la dispersion de ces animaux aurait-elle été limitée à des espèces déterminées ? D’autant plus que certains de ces animaux semblaient ne pouvoir vivre que dans des régions très précises de la planète. Enfin, d’un point de vue physique, la croyance au Déluge universel comporte encore une autre difficulté majeure. Comment est-il possible de croire au Déluge si, dans l’état actuel du monde, n’est pas présente sur Terre une quantité d’eau suffisante

1. Marc LESCARBOT, Histoire de la Nouvelle France, contenant les navigations, découvertes et habitations faites par les François ès Indes occidentales et Nouvelle France […] en quoy est comprise l’histoire morale, naturelle et géographique de la dite province, Paris 1609.

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pour expliquer un tel phénomène ? Pour couvrir les montagnes les plus hautes, il faudrait l’eau de six ou sept océans. Il faut bien trouver cette eau quelque part, ou bien faire comme le Père Frassen, en 1705, qui tente de minimiser la hauteur des montagnes afin de répondre aux « objections de l’Auteur du Système des Préadamites », Isaac de Lapeyrère, qui avait en effet prétendu que le Déluge n’aurait été qu’un phénomène local, limité à la Judée. Ainsi que le rapporte le Journal des savants dans le compte rendu de l’ouvrage de Frassen : Cet Auteur2 prétendoit que le Déluge de Noé n’avoit pas été universel, parce qu’il ne lui paroissoit pas vraisemblable que les eaux eussent pu s’élever de quinze coudées par dessus des montagnes dont le sommet passe la moyenne région de l’air, telles que sont le Caucase, le mont Olympe & le mont Athos. Notre Auteur répond à cela que ces montagnes ne sont pas d’une hauteur si excessive qu’on les suppose3.

Sans doute est-ce encore Isaac de Lapeyrère dont le rédacteur du Journal des savants parle en 1668, dans son compte rendu d’un ouvrage anonyme4, mais au titre évocateur, De Diluvii universalitate dissertatio prolusoria : Un Auteur moderne a avancé entre plusieurs autres Paradoxes, que le Déluge qui arriva du tems de Noé, n’inonda que la Judée, & ne noya pas les hommes qui étoient dans les autres pays. Mais cette proposition a été aussi tost rejettée de tout le monde ; parce qu’elle est évidemment contraire au texte de l’Ecriture Sainte, & au sentiment des Pères qui disent unanimement qu’alors Dieu extermina tous les hommes, à la réserve de ceux qui étoient enfermez dans l’Arche5.

Parfois assignée à Abraham van der Myl, et même à Vossius6, l’œuvre a été finalement attribuée au savant chimiste et littérateur allemand Georges-Gaspard

2. Isaac de Lapeyrère. 3. « Disquisitiones Biblicae in universum Pentateuchum ; in quibus selectiones textus illustrantur, elucidantur obscuriores, in speciem pugnantes conciliantur, & latentia sub cortice litterae mysteria referantur. Authore R.P. Claudio Frassen, Peronensi, sacrae Facultatis Parisiensis Doctore, totius Ordinis Sancti Francisci Ex definitore Generali, Lectore Theologo bis emerito : nec non magni Conventus & Generalis Collegii Fratum Minorum Parisiensium tertium nunc Guardiano. Rotomagi, & veneunt Parisiis apud Petrum Witte. C’est-à-dire : Recherches sur le Pentateuque. Par le P. Claude Frassen de Pérone, Docteur de la faculté de Paris, &c. A Rouen, & se vendent à Paris, chez Pierre Witte, rue S. Jacques, à l’Ange Gardien. 1705. in-4°. pag. 765 », Journal des savants, 23 novembre 1705 (n° 41), p. 639645 (557-562). 4. De Diluvii universalitate dissertatio prolusoria, Genevae : apud P. Columesium, 1667 (format in-12 correspondant à l’ouvrage entre les mains du rédacteur du Journal des savants, sans attribution d’auteur dans le catalogue de la BNF). Pour le format In-16 (même année et même éditeur), le catalogue de la Bibliothèque Nationale donne deux attributions possibles : soit Georg Caspar Kirchmaier, ou bien, Abraham Milius (attribution par Georgi), forme latinisée d’Abraham van der Myl. 5. « De Diluvii Universalitate Dissertatio prolusoria. In 12. Genevae. Et se trouve à Paris chez Seb. Mabre-Cramoisy », Journal des savants, 12 novembre 1668 (n° 9), p. 100-103 (72-73). 6. D’après M. S. SEGUIN, op. cit., note 113, p. 298, « c’est le cas de Bayle, qui croyait que la dissertation d’un autre savant allemand, Martin Schoockius (1614-1669), intitulée Diluvium Noachi Universale […] adversus virum quemdam celebrem, écrit destiné à combattre les idées du De diluvii universalitate, visait la personne de Vossius. En fait, une longue querelle avait opposé les deux savants. Schoockius avait écrit des traités d’érudition sur des sujets tels que le beurre, l’aversion de certaines personnes pour le fromage ou pour les œufs, ce qui avait suscité les critiques de Vossius. Celui-ci appelait son adversaire Impudentissima bestia ».

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Kirchmaier par Barbier7. Depuis la publication du livre de Lapeyrère en 1655 et la violente polémique qu’il avait provoquée, la question de l’universalité du Déluge était devenue un sujet plus délicat, à traiter avec précaution. On comprendra que l’auteur du De Diluvii universalitate dissertatio prolusoria ait pu préférer rester anonyme, au moins dans un premier temps. Dans un tel contexte, la distinction qu’opère le journaliste entre l’opinion de cet auteur et celle de Lapeyrère est d’autant plus indispensable : Quoy que l’opinion de l’Auteur de ce Livre ait quelque rapport avec celle-là, en ce qu’il tient que ce déluge n’a pas été universel ; elle en est au fonds très différente. Car il demeure d’accord que comme généralement tous les hommes s’étoient, à ce que dit l’Ecriture, abandonnez au péché, ils furent aussi généralement ensevelis dans les eaux du déluge : mais il prétend que bien que tous les hommes ayent été noyez, toute la terre ne fut pas inondée8.

À cet auteur, le rédacteur du Journal n’omet pas d’opposer le texte sacré : « On luy peut objecter que l’Ecriture Sainte dit expressément que toute la Terre étoit couverte d’eau, Aquae erant super universam Terram : & que les Pères, lors qu’ils expliquent ce passage, n’exceptent aucun pays. À cela il répond entr’autres choses, que c’est l’usage ordinaire de dire que ce qui est arrivé par tout où il y a des hommes, est arrivé par toute la Terre »9. Il arrive en effet assez souvent que, dans l’Écriture, le mot hébreu traduit par le latin omnis ait un sens restreint. Pour l’auteur, « toute la Terre » constitue une expression hyperbolique, et la surface de la planète représente une synecdoque qui signifie la partie de la terre alors habitée par les hommes et submergée par les eaux du Déluge. L’hébreu est donc assimilé à une langue orientale comme les autres, et le texte sacré à un récit historique sujet à interprétation. Cette lecture du texte de la Genèse implique une prise de distance par rapport à la Bible, avant même la parution des travaux de Richard Simon. L’hébreu perd sa prééminence linguistique. Il est considéré comme possédant les mêmes caractéristiques que des langues estimées comme « profanes », avec les mêmes qualités, mais aussi les mêmes défauts. Une telle opinion critique met en évidence un changement d’attitude devant les Écritures qui sont manifestement considérés désormais, non seulement comme textes sacrés, mais aussi comme document historique et par conséquent sujet à une possible analyse rationnelle. La théorie défendue par l’auteur consiste donc à avancer que le Déluge n’a été universel que pour les hommes et non pour toute la Terre. Il fut universel dans le sens où il toucha tous les hommes qui vivaient alors sur elle. Il existait également

7. A. A. BARBIER, Dictionnaire des anonymes, op. cit., t. IV, 2e partie : Anonymes latins, 1879, p. 1210. Georges-Gaspard Kirchmaier naquit à Offenheim en Franconie, le 29 juillet 1635. En 1655, il se rendit à l’université de Wittemberg, où, après s’être fait recevoir en 1657 maître en philosophie, il étudia la théologie et la jurisprudence. Nommé en 1661 professeur d’éloquence, il employa une grande partie de ses moments de loisir à se familiariser avec les sciences chimiques et minéralogiques, auxquelles il fut initié surtout par son ami le célèbre Kunckel. Il fit des recherches sur le phosphore. Ses recherches ne l’empêchèrent pas de publier un grand nombre d’ouvrages sur des matières de théologie, d’histoire et de philologie ; l’érudition dont il y fit preuve lui procura l’estime des savants les plus distingués, dont plusieurs, comme Hevelius, Conring, Magliabecchi et Bœcler entretinrent avec lui une correspondance suivie. Il mourut le 28 septembre 1700. (Cf. J.-C.-F. HOEFER (dir.), Nouvelle Biographie Générale depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, t. XXVII, Paris 1858, p. 780-781.) 8. Ibid. 9. Ibid.

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en ces temps, des terres non peuplées, et quel sens aurait eu la submersion de terres non habitées ? Pour inonder toute la Terre, il aurait fallu beaucoup de miracles et Dieu ne fait pas de miracles sans raisons. En fait, et bien que le journaliste n’en parle pas, l’hypothèse formulée dans cet ouvrage n’était pas nouvelle. Dans l’un de ses livres, Vossius avait en effet déjà émis une telle théorie10. La thèse traditionnelle, selon laquelle le genre humain aurait peuplé alors toute la Terre, se voyait qualifiée par Vossius comme une « sotte » opinion : Ceux qui soutiennent qu’à l’époque de Noé les hommes s’étaient répandus sur la totalité du globe sont très loin de la vérité. Les hommes ne dépassaient peut-être pas les confins de la Syrie et de la Mésopotamie. […] Par conséquent, même si nous croyons que seule cette portion de la Terre – qui n’est peut-être que la centième partie du globe – fut envahie par les eaux, le Déluge fut néanmoins universel puisque fut universelle la destruction qui affecta la totalité du monde habité. En acceptant cette thèse, pourront cesser toutes les questions futiles et sans importance11.

La thèse avancée par Vossius en 1659 est donc reprise à son compte par l’auteur du De Diluvii universalitate en 1667. Comme le montre la suite du compte rendu de son ouvrage, Kirchmaier limite le Déluge à l’Asie, ce qui laisse entendre que les animaux des autres continents ne devraient pas avoir été touchés par le Déluge, le problème posé par les animaux d’Amérique pouvant ainsi être résolu : La difficulté est de sçavoir quelles parties de la Terre étoient pour lors habitées. Il prétend qu’il n’y avoit que l’Asie : Car, dit-il, le premier homme, suivant l’opinion commune, ayant été créé dans cette partie du Monde ; il est probable que sa postérité n’en sortit pas avant le Déluge, tant parce que l’Escriture Sainte ne parle de la dispersion des hommes qu’après le Déluge, que parce que l’Arche de Noé est le premier Vaisseau que les hommes ayent basty ; de sorte que n’ayant point encore l’usage des batteaux, ils ne pouvoient pas sortir de l’Asie, qui est environnée d’eau12.

Pour appuyer la théorie d’un Déluge localisé, l’auteur utilise l’argument classique de la quantité d’eau qui aurait été nécessaire à un Déluge universel : Pour confirmer cela, il propose plusieurs difficultez, qui donnent beaucoup de peines aux Interprètes de l’Ecriture. Il demande où prendre assez d’eau pour couvrir toute la Terre quinze pieds par dessus les plus hautes montagnes ? Quand toute l’eau de la Mer seroit étendue sur la Terre ; que tout l’air seroit changé en eau ; & que toutes ces eaux assemblées seroient, comme veulent quelques Commentateurs, raréfiées autant que la nature de l’eau le peut permettre ; à peine y en auroit-il assez pour atteindre au sommet des plus hautes montagnes. De dire que Dieu fit descendre les eaux qui sont au-dessus du Firmament, il n’y a pas dit cet Auteur, d’apparence. Car que sont devenues ces eaux après le Déluge. Il faudroit encore dire que Dieu les a fait remonter, & ainsi entasser miracle sur miracle13.

Dans la fin du compte rendu, le rédacteur du Journal se montre beaucoup plus critique envers l’ouvrage en insistant sur le manque de preuves à l’appui de ses spéculations. En outre, dans la théorie de l’auteur, le journaliste a très bien repéré un

10. I. VOSSIUS, Dissertatio de vera aetate mundi qua ostenditur Natale mundi tempus annis minimum 1400 vulgarem aeram anticipare, La Haye 1659. 11. Ibid., p. 54. 12. Journal des savants, 12 novembre 1668, op. cit. 13. Ibid.

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défaut évident du point de vue physique : Comment l’eau aurait-elle pu couvrir les montagnes des contrées bibliques sans se répandre sur le reste de la Terre ? Si l’auteur semble rejeter le miracle, en fait, sa théorie l’implique : Il appuie ses raisons de l’autorité de quelques Auteurs qui semblent favoriser son opinion. Mais il avoue qu’on a toujours cru jusqu’icy que les eaux du Déluge couvrirent entièrement toute la Terre : Et cela suffit pour réfuter son opinion ; le consentement général des Interprètes l’emportant de beaucoup sur toutes les conjectures qu’il allègue. Car enfin ce ne sont que des probabilitez. Il n’est pas certain que les hommes ne soient point sortis de l’Asie avant le Déluge. On n’est pas non plus assuré qu’on n’ait point eu l’usage des batteaux avant que l’Arche fust bastie. Une partie des objections qu’il fait contre l’opinion commune, se peut faire aussi contre la sienne. Et pour faire monter les eaux jusqu’à quinze pieds par dessus la plus haute montagne de l’Asie sans que le reste de la Terre soit inondé, il faut qu’il ait recours au miracle comme les autres. Aussi ne soutient-il pas affirmativement cette opinion ; il la propose seulement comme un doute, qu’il soumet au jugement de l’Église14.

Dans la semaine qui suit le compte rendu de ce livre, le Journal présente un autre ouvrage intitulé De origine animalium et migratione, d’Abraham van der Myle (ou Milius). Abraham van der Myle, issu d’une ancienne famille hollandaise de Dordrecht, est né le 13 mai 1558 à St-Herenberg en Zélande. Il fut pasteur à Dordrecht et y mourut le 27 mars 1637. Il s’occupa en particulier de recherches sur l’origine de la langue flamande ou hollandaise. Son De origine animalium et migratione ne fut publié que bien après sa mort15. Outre le fait qu’on ait pu attribuer à van der Myle la paternité du De Diluvii universalitate dissertatio prolusoria, les idées exprimées dans les deux ouvrages se rejoignent. Comme l’expose le rédacteur dans l’introduction du compte rendu de ce second livre, l’auteur s’y intéresse à la résolution du problème posé par la découverte de l’Amérique et de ses animaux, au récit du Déluge : On s’imaginoit autrefois qu’il estoit si difficile de traverser cette vaste Mer qui sépare nostre Continent d’avec celuy de l’Amerique, que c’estoit une des principales raisons qui empeschoit de croire qu’il y eust des Terres habitées au delà de l’Océan. On dit mesme qu’on accusa d’Heresie quelques-uns qui soustenoient qu’il se trouvoit des Hommes dans ces Terres éloignées. Mais comme on a enfin découvert que cette partie du Monde n’est pas moins peuplée que les autres ; ç’a esté une grande question de sçavoir comment les Hommes & les Bestes y ont esté transportez. C’est le sujet que cet Auteur entreprend de traiter dans ce Livre16.

Pour les hommes, Abraham van der Myle admet qu’ils soient parvenus en Amérique par leurs propres moyens en partant d’Asie : Pour ce qui est des Hommes, maintenant qu’on a plus de connoissance de la Géographie, il est facile de concevoir comment ils se sont répandus par toute la terre. Car le traject, comme dit cet Auteur, n’est pas grand d’Asie en Amérique par le détroit d’Anian ; & de l’Amérique on peut aisément passer dans les Terres Australes17.

14. Ibid. 15. Cf. L.-G. MICHAUD (dir.), op. cit., t. XXIX, p. 666-667. 16. « De Origine Animalium et Migratione Populorum, Scriptum Abrah. Milii. In-12. Genevae. Et se trouve chez Seb. Mabre-Cramoisy », Journal des savants, 19 novembre 1668 (n° 10), p. 115-117 (84-85). 17. Ibid.

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Pour les animaux, il avance qu’il est probable que plusieurs y ont été créés. À Saint Augustin qui proposait plusieurs moyens de transport des animaux dans les îles éloignées, il « objecte qu’il y a quantité d’Animaux qui n’ont pu estre amenez d’ailleurs en Amérique, parce qu’il y en a plusieurs especes qui ne naissent qu’en ce pays-là »18. Le journaliste critique l’auteur en remarquant qu’il ne s’agit pas d’une nouveauté particulière à l’Amérique, et que Saint Augustin avait déjà proposé une solution à la présence d’espèces inconnues ailleurs : Il propose cette pensée comme un Paradoxe fort surprenant. Mais ce n’est pas une question nouvelle. Car S. Augustin traitant la mesme question, après avoir donné d’autres moyens d’y répondre, fait aussi mention de celuy dont parle l’Auteur de ce Livre. Il y a néantmoins cette différence, que S. Augustin croyant que le Déluge a été universel, prétend que si l’on n’a point d’ailleurs transporté d’Animaux dans les Isles éloignées, il faut qu’ils y ayent été engendrez de la Terre : Mais l’Auteur de ce Livre soutient qu’il n’a pas esté nécessaire qu’après le Déluge la Terre ait produit de nouveaux Animaux, parce qu’il suppose que ces Isles éloignées n’ont point été inondées par les eaux du Déluge, suivant l’opinion dont nous avons parlé dans le Journal précédent19.

Cependant, on peut remarquer qu’en parlant de l’opinion de Saint Augustin, le rédacteur écrit que ce dernier « prétend »… Ce qui montre que le journaliste désire garder une certaine distance avec cette opinion. Bien que critique envers les idées de van der Myle, il ne veut pas adopter ou cautionner pour autant l’hypothèse de Saint Augustin. Cette dernière pose en fait un grave problème : celui de l’origine de la vie. Ce qui pourrait expliquer la prudence, voire la prévention, du journaliste. En effet, affirmer que la vie peut être engendrée de la terre, et cela bien après l’épisode de la Création initiale, peut finir par conduire à la négation de la nécessité de l’intervention de Dieu dans l’origine de la vie. La Bible ne parle ni d’une seconde création après le Déluge, ni d’une création « continue ». Certes, les partisans d’une vie engendrée spontanément par la terre avancent que Dieu a créé la matière en y mettant des principes « séminaux » ou une vertu « plastique » qui lui permettent d’engendrer la vie de manière continue et renouvelée. Cependant, postuler que la matière minérale possède des propriétés lui permettant d’engendrer le vivant ne peut que se rapprocher dangereusement de la thèse épicuro-lucrécienne d’une génération spontanée de la vie, thèse qui fournit une arme aux libertins pour nier la Création divine. En définitive, les ouvrages de Kirchmaier et de van der Myle, comme celui de Vossius, ont pour objectif de sauver la réalité du Déluge face aux obstacles insurmontables que pose sa dimension planétaire d’un point de vue scientifique. En avançant que seule une partie de la Terre a été submergée mais que tous les hommes, en dehors de la famille de Noé, ont péri dans la catastrophe, les auteurs transforment l’universalité du Déluge en une universalité purement anthropologique. En dehors de l’humanité et de la fraction de territoire auquel elle est sensée se limiter, le Déluge épargne la plus grande partie de la planète et toute la vie qu’elle abrite. Cette interprétation permet ainsi de préserver toute la portée morale du Déluge, puisque ce dernier affecte toute l’humanité, tout en accordant le récit biblique avec la science moderne, ce qui a priori ne pourrait que renforcer sa valeur. Limiter le Déluge à une partie de

18. Ibid. 19. Ibid.

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la Terre permet de couper court aux arguments les plus sérieux que la zoologie et la physique paraissent opposer à l’universalité géographique de l’inondation. Pour Maria Susana Seguin, « malgré la valeur réelle de quelques-uns des arguments avancés dans ces théories, l’universalité anthropologique du Déluge connaît peu de succès, même parmi les protestants, au milieu desquels elle était née »20. Toutefois, en Angleterre, John Ray et Robert Plot furent parmi les quelques naturalistes, mais non des moindres, à conclure qu’un Déluge local avait l’avantage d’obvier à un certain nombre de problèmes embarrassants21. En effet, tant que tous les hommes, en dehors de la famille de Noé, avaient péri, le message principal de la Genèse était préservé. En outre, le jugement de Maria Susana Seguin semble surtout s’appuyer sur les premières décennies du XVIIIe siècle22. De ce point de vue, l’intérêt porté dans la seconde moitié du XVIIe siècle par le Journal des savants aux ouvrages exposant ces théories, comme les débats très animés sur ce sujet dans les années 1650 et 1660 et l’abondante littérature qui en a découlé, ne sont pas à l’image du siècle suivant. Plutôt qu’une méconnaissance ou un manque d’intérêt à l’égard de la question, on pourrait avancer que le contexte dans lequel s’étaient déroulées les polémiques du XVIIe siècle, a changé. Certes, la théorie du déluge anthropologique posait un certain nombre de problèmes. Du point de vue des sciences physiques, comme le souligne d’ailleurs le rédacteur du Journal dans son compte rendu de l’ouvrage de Kirchmaier, comment concevoir que les eaux aient pu inonder une partie de la terre, en dépassant le sommet des plus hautes montagnes, sans se répandre sur toute la terre ? Ce qui était en contradiction avec les lois de la pesanteur et impliquait un miracle que Moïse n’aurait pas manqué de mentionner dans son récit. Du point de vue de la théologie, dans le cas d’une inondation partielle, la construction de l’Arche aurait été absurde, puisque Noé et sa famille auraient pu se réfugier dans un pays lointain ou dans les montagnes, à moindre frais et avec plus de facilité. Plus grave, alors que Vossius et ses partisans voyaient dans la nouvelle théorie un moyen efficace de combattre la thèse de Lapeyrère pour qui le Déluge n’avait été qu’un phénomène local affectant uniquement le peuple hébreu, elle risquait néanmoins de fragiliser tout autant la véracité du récit biblique en aboutissant à l’effet inverse de celui escompté. En effet, si l’on admettait que le Déluge n’avait affecté qu’une partie de la Terre où l’humanité était concentrée, l’hypothèse selon laquelle des populations auraient pu échapper à la catastrophe en se réfugiant dans des régions épargnées par l’inondation ne pouvait malgré tout que gagner en crédibilité. Plus rien ne permettrait de justifier historiquement l’universalité de la portée morale du récit biblique. On peut comprendre que les apologistes aient pu éprouver de la réticence face à la thèse du déluge anthropologique. Mais surtout, de nouvelles théories scientifiques se font jour, en particulier avec l’apparition de « théories de la Terre » qui englobent le Déluge comme la pièce maîtresse d’un ensemble plus vaste, constitué par l’histoire et l’évolution du globe.

20. M. S. SEGUIN, op. cit., p. 302. 21. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 139. 22. Pour M. S. SEGUIN (op. cit., p. 302) : « La dissertation de Van der Mil reste mal connue, seuls les Mémoires de Trévoux en parlent dans un compte rendu fait en 1706, à partir d’une seconde édition du texte réalisé en 1705. Cette deuxième édition pourrait traduire une certaine diffusion de la dissertation dans des milieux savants au début du siècle, mais elle reste difficile à établir étant donné le caractère anonyme de la publication. » Elle ignore donc le compte rendu fait en 1668 par le Journal des savants et qui avait alors assuré une certaine publicité à la première édition (1667) de l’ouvrage.

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À partir de la fin du XVIIe siècle, et plus particulièrement à partir la théorie de la Terre de Burnet (1681)23, les variantes et les modèles vont se multiplier. Ces théories rendent caduques les solutions élaborées par Vossius, Kirchmaier et van der Myle. Elles vont beaucoup plus loin que les thèses du milieu du XVIIe siècle relatives au Déluge et à l’Arche de Noé, et elles remettent en cause la nature même du récit biblique et de son statut. Ainsi, Thomas Burnet n’est convaincu par aucune des explications sur l’arrivée des premiers habitants en Amérique (voir texte encadré). Pour Burnet, notre planète primitive était une sphère uniforme, sans océan ni barrières naturelles, et qui renfermait sous la croûte terrestre une mer intérieure. Il avance que le Déluge universel a profondément transformé l’aspect de la terre originelle, et qu’il a en particulier provoqué la formation et la séparation des continents connus. Pour lui, une partie des animaux et des hommes a été sauvée par la providence divine dans chacun des continents. À travers Noé et son arche, la Genèse ne fait que raconter l’un de ces multiples sauvetages, qui ont dû avoir lieu dans le monde entier au moment du Déluge, celui qui était uniquement destiné à notre continent. Il imagine d’ailleurs que d’autres moyens ont pu être utilisés par la providence divine dans d’autres points de la terre. Une partie de la population, comme des animaux, de cette terre originelle s’est donc tout naturellement retrouvée sur le continent américain nouvellement constitué, où elle est demeurée ignorée du reste de l’humanité jusqu’à la découverte de l’Amérique. Et d’ailleurs le récit biblique ignore complètement le Nouveau Monde : « L’Asie, l’Afrique et l’Europe, ont été repeuplées par les fils de Noé, Sem, Cham, et Japhet ; mais nous ne lisons rien de leur passage en Amérique, ou de l’envoi de quelconques colonies là-bas »24. Par conséquent, l’histoire du continent américain est tout à fait indépendante de l’histoire sacrée. À partir de Noé, la Bible ne nous donne plus accès qu’à l’histoire d’une partie de l’humanité. Burnet préserve l’origine adamique de tous les hommes mais il nie l’origine noachique des Américains. De cette façon, il préserve le récit de la Création et sauvegarde son unité, en renvoyant dos à dos aussi bien les tenants d’une seconde création, dont la Bible ne dit mot, que les partisans de l’existence de Préadamites. Mais il contredit la croyance selon laquelle seuls les occupants de l’Arche furent sauvés du Déluge.

23. T. BURNET, Telluris Theoria Sacra : Originem & Mutationes Generales Orbis Nostri, quas aut jam subiit, aut olim subiturus est, complectens, Londres 1681. Une version anglaise, accrue et modifiée, parut en 1684, avec une dédicace au roi. En 1689, une seconde édition traduite en anglais fut dédiée à la reine Marie. Dans la suite, j’utiliserai la sixième édition en anglais de 1726 (par rapport à l’édition de 1684, les modifications concernent l’ajout d’une ode à l’auteur par Addison au début du premier volume, et dans le second, la dédicace à la reine Marie en tête du volume, avec à la fin de ce dernier, insérés : A Review of the Theory of the Earth, un ouvrage que Burnet publia en 1690 (Londres, Kettilby, 1690), vol. 2, p. 321-400, ainsi que les réponses de Burnet à ses opposants, Warren et Keill, vol. 2, p. 401-568) : T. BURNET, The Sacred Theory of the Earth : Containing an Account of the Original of the Earth, And of all the General Changes which it hath already undergone, or is to undergo, till the Consummation of all things, 2 vol., Londres 17266. 24. T. BURNET, The Sacred Theory of the Earth, op. cit., vol. 1, p. 375.

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Thomas BURNET, The Sacred Theory of the earth, vol. 1, Londres, 1726 (1684), p. 374-376. Amongst other Difficulties arising from the Form of this present Earth, that is one, How America could be peopled, or any other Continent, or Island remote from all Continents the Sea interposing. This Difficulty does not hold in our Theory of the first Earth, where there was no Sea. And after the Flood, when the Earth was broken and the Sea laid open the same Race of Men might continue there, if settled there before. For I do not see any Necessity of deducing all Mankind from Noah after the Flood. If America was peopled before, it might continue so ; not but that the Flood was universal. But when the great Frame of the Earth broke at the Deluge, Providence foresaw into how many Continents it would be divided after the ceasing of the Flood ; and accordingly, as we may reasonably suppose, made Provision to save a Remnant in every Continent, that the Race of Mankind might not be quite extinct in any of them. What Provision he made in our Continent we know from sacred History ; but as that takes Notice of no other Continent but ours, so neither could it take Notice of any Method that was us’d there for saving of a Remnant of Men ; but ’t were great Presumption, methinks, to imagine, that Providence had a Care of none but us, or could not find out Ways of the Preservation in other Places, as well as in that where our Habitations were to be. Asia, Africa and Europe, were repeopled by the Sons of Noah, Shem, Ham, and Japhet ; but we read nothing of their going over into America, or sending any Colonies thither ; and that World, which is near as big as ours, must have stood long without People, or any thing of humane Race in it, after the Flood, if it stood so till this was full, or till Men navigated the Ocean, and by chance discover’d it : It seems more reasonable to suppose, that there was a Stock providentially reserv’d there, as well as here, out of which they sprung again ; but we do not pretend in an Argument of his Nature to define or determine any Thing positively. To conclude, As this is but a secondary Difficulty, and of no great Force, so neither is it any Thing peculiar to us, or to our Hypothesis, but alike common to both ; and if they can propose any reasonable Way whereby the Sons of Noah might be transplanted into America, with all my Heart ; but all the Ways that I have met with hitherto, have seem’d to me mere Fictions, or mere Presumptions. Besides, finding Birds and Beasts there, which are no where upon our Continent, nor would live in our Countries if brought hither ; ’tis a fair Conjecture that they were not carried from us, but originally bred and preserv’d there. Parmi d’autres difficultés résultant de la forme de cette présente terre, celle-là en est une, comment l’Amérique a-t-elle pu être peuplée, ou tout autre continent, ou l’Islande à l’écart de tous les continents par l’interposition de la mer. Cette difficulté ne réside pas dans notre théorie de la première terre, où il n’y avait aucune mer. Et après le Déluge, quand la terre fut rompue et que la mer se révéla, la même race d’hommes pouvait se perpétuer là, si elle était installée là auparavant. Car je ne vois pas de nécessité de dériver toute l’humanité de Noé après le Déluge. Si l’Amérique était peuplée auparavant, cela pouvait continuer ainsi ; seul le Déluge fut universel. Mais quand la grande structure de la Terre s’est rompue avec le Déluge, la Providence a prévu en combien de continents elle serait divisée après la cessation du Déluge ; et en conséquence, comme nous pouvons raisonnablement le supposer, elle a fait des préparatifs pour sauver un reliquat dans chaque continent, afin que le genre humain ne puisse pas être tout à fait éteint sur chacun d’entre eux. Ce qu’elle a fait comme préparatif dans notre continent nous le connaissons d’après l’histoire sacrée ; mais comme cette dernière ne tient compte d’aucun autre continent mais seulement du nôtre, alors on ne pouvait pas non plus tenir compte d’une quelconque méthode qui aurait été employée là-bas pour le sauvetage d’un reste d’hommes ; mais c’était une grande présomption, me semble-t-il, d’imaginer que la Providence n’ait eu soin

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de personne, sauf de nous, ou qu’elle ne pouvait pas découvrir des voies de préservation en d’autres lieux, aussi bien qu’en ceux où nos habitations devaient se trouver. L’Asie, l’Afrique et l’Europe, ont été repeuplées par les fils de Noé, Sem, Cham et Japhet ; mais nous ne lisons rien de leur passage en Amérique, ou de l’envoi de quelconques colonies là-bas ; et ce monde, qui est presque aussi grand que le nôtre, doit être resté longtemps sans habitants, ou de quoi que ce soit du genre humain, après le Déluge, s’il resta ainsi jusqu’à ce qu’il fut plein, ou jusqu’à ce que les hommes aient navigué sur l’océan, et l’aient par hasard découvert : Il semble plus raisonnable de supposer, qu’il y eut une lignée providentiellement préservée là-bas, aussi bien qu’ici, à partir de laquelle ils se sont répandus à nouveau ; mais nous ne prétendons pas dans un argument de cette nature définir ou déterminer aucune chose de manière certaine. Pour conclure, de même qu’il s’agit seulement d’une difficulté secondaire, et pas d’une grande force, qui aussi n’est pas particulière ni à nous, ni à notre hypothèse, mais d’une façon commune aux deux ; et s’ils peuvent proposer n’importe quelle voie raisonnable par laquelle les fils de Noé pourraient s’être transplantés en Amérique, avec tout mon cœur ; mais toutes les voies que j’ai rencontré jusqu’ici, m’ont semblé de simples fictions, ou de simples présomptions. En outre, on trouve là-bas des Oiseaux et des bêtes, qui ne sont pas sur notre continent, qui ne pourraient pas non plus vivre dans nos pays s’ils y étaient apportés ; c’est une juste conjecture qu’ils n’aient pas été amenés par nous, mais qu’ils aient été engendrés à l’origine et préservés là-bas.

Dans son Archeologiae philosophicae (1692)25, Burnet précise sa pensée. Il y dénonce le caractère anti-scientifique du texte sacré. Moïse a écrit une cosmogonie afin que les Hébreux aient la leur, comme tous les autres peuples qui les entouraient ; il a pratiqué le système de la double vérité et il s’est même écarté sciemment de la vérité26. En 1696, la New Theory of the Earth de William Whiston représente une tentative d’élargissement et d’approfondissement de la thèse de Burnet27. Son hypothèse du Déluge provoqué par la rencontre de la terre avec une comète connaîtra une grande fortune. Il ne remet pas en cause les vues de Burnet sur l’origine antédiluvienne des Américains. Bien plus, dans un écrit ultérieur, Whiston affirmera que les noirs descendent de Caïn, les Américains de Lamech, la différence des races étant le signe d’une malédiction divine28. Alors qu’on attribuait traditionnellement la couleur noire de certains peuples à la malédiction de Cham, l’un des fils de Noé, ou à l’influence des climats29. Whiston se livre même à de longs calculs pour démontrer que la naissance

25. T. BURNET, Archeologiae philosophicae, sive doctrina antiqua de rerum originibus libri duo, Londres 1692. 26. J. ROGER, « La théorie de la Terre au XVIIe siècle », Revue d’histoire des sciences 26/1, 1973, p. 23-48, voir note 83 (p. 42). Le texte de cet article est repris dans J. ROGER, Pour un histoire des sciences à part entière, Paris 1995, p. 129-154. 27. William WHISTON, A new theory of the earth, Londres 1696. 28. William WHISTON, A Supplement to the Literal Accomplishment of Scripture Prophecies containing Observations on Dr. Clarke’s and Bishop Chandler’s late Discourses of the Prophecies of the Old Testament, Londres 1725, p. 106-134. 29. J. EHRARD, L’idée de nature en France dans la première moitié du XVIIIe siècle, Paris 1994, p. 229. Noé maudit Canaan, le fils ainé de Cham ; pour plus de détails, voir M. S. SEGUIN, op. cit., p. 326-338.

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du Christ est survenue exactement soixante-dix-sept générations après la malédiction de Lamech30. Que ce soit pour Kirchmaier et van der Myle, ou pour Burnet, l’épisode de l’Arche de Noé apparaît irréconciliable avec les connaissances scientifiques. Ainsi, la variété de la faune terrestre et le nombre sans cesse croissant d’espèces animales recensées par les naturalistes, sur les îles et les divers continents, contribuent-ils à démontrer l’invraisemblance du récit de l’Arche de Noé. Mais avec Burnet ou Whiston, Noé et ses enfants ne sont même plus à l’origine de toute l’humanité. Les thèses de Kirchmaier et de van der Myle se voient dépassées. Avec Burnet, le récit biblique n’est plus considéré comme un texte scientifique mais seulement comme un texte historique, rédigé par Moyse afin d’être compris par un peuple grossier et dans un but d’enseignement moral. Sa portée s’en trouve considérablement amoindrie. Le récit biblique est réduit à l’état de témoignage historique local concernant une famille, celle de Noé, dont seule une partie de l’humanité descend. Si le Déluge universel paraît pouvoir être interprété scientifiquement comme une catastrophe ayant affecté l’ensemble de la planète, il n’en va pas de même du récit de l’Arche de Noé. Pourtant, en 1700, dans sa Dissertation sur l’Arche de Noé, l’auteur, Jean Le Pelletier, pense pouvoir encore démontrer la vraisemblance du récit biblique31. 1. Les prédécesseurs de Jean Le Pelletier Parmi les multiples prédécesseurs de Jean Le Pelletier, deux ont produit des œuvres particulièrement marquantes32. Il s’agit du mathématicien français Jean Butéo (14921572), chanoine régulier de l’ordre de Saint-Antoine, et du savant jésuite allemand Athanasius Kircher (1602-1680). En effet, le premier à avoir donné de l’Arche une description volontairement « scientifique » paraît être Jean Butéo, « dont les calculs se retrouvent chez de nombreux commentateurs postérieurs comme la meilleure réponse aux critiques des hérétiques »33. Son De Arca Noe (1554)34 établit la véritable introduction des mathématiques dans l’explication de l’histoire du Déluge universel, car Butéo montre que la forme et la dimension de l’Arche ne peuvent être calculées que grâce à la géométrie. L’Arche de Butéo se présente comme un parallélépipède selon

30. M. S. SEGUIN, op. cit., 349. D’après la Genèse, Caïn a été marqué par Dieu (Yahvé lui répondit : « Aussi bien, si quelqu’un tue Caïn, on le vengera sept fois » et Yahvé mit un signe sur Caïn, afin que le premier venu ne le frappât point. Gn. 4, 15), le signe dont parle la Genèse est interprété comme étant la couleur noire. Lamech, lui-même descendant de Caïn, se rend également coupable de meurtre (Gn. 4, 23) et déclare à la suite : « C’est que Caïn est vengé sept fois, mais Lamech, septante-sept fois ! », Gn. 4, 24. 31. J. LE PELLETIER, Dissertations sur l’Arche de Noé, et sur l’Hemine et la livre de S. Benoist. Par Jean Le Pelletier, de Rouen, Rouen 1700. 32. Avec ses Quaestiones in Genesim (Paris, 1623), le père Marin Mersenne avait également voulu montrer que les données bibliques s’accordaient parfaitement avec les découvertes scientifiques. Il avait, entre autres, évalué le cubage de l’arche de Noé à 450000 coudées cubiques, ce qui lui semblait amplement suffisant pour loger les 130 espèces d’animaux purs et les 30 espèces d’animaux impurs dénombrés par les naturalistes les mieux informés. Cf. R. LENOBLE, Mersenne ou la naissance du mécanisme, Paris 19712, p. 234. 33. M. S. SEGUIN, op. cit., p. 205. 34. J. BUTÉO, De Arca Noe, cuius formae, capacitatisque fuerit libellus, dans Opera Geometrica, Lyon 1554, p. 7-28.

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les dimensions de l’Écriture, mais avec la mesure de la coudée française35. Le géomètre français suppose que les étables communiquaient avec la cale par un système d’égouts. Aussi place-t-il l’étage des animaux, composé de trois cents cellules, juste au-dessus de la sentine, à laquelle il donne une profondeur de quatre coudées. Le second étage, soit le troisième niveau de l’Arche, sert de grenier. Alors que le troisième étage est dévolu, comme chez tous ses prédécesseurs, aux habitations des hommes, aux ustensiles et aux oiseaux. Pour tourner la difficulté que représente la nécessité de subsister pendant près d’une année, durée de l’épisode du Déluge, Butéo affirme que Noé avait construit au troisième étage de l’Arche des chambres spécialement conçues pour conserver ses provisions personnelles. Il place également une porte en pont-levis à l’un des bouts de l’embarcation, au niveau du deuxième étage réservé aux animaux. Butéo estime que la capacité utile de l’Arche, qu’il évalue à trois cent cinquante mille coudées cubiques, est suffisante pour abriter les animaux terrestres (qu’il réduit à la taille du bœuf, du loup et du mouton, pour les besoins du calcul), les oiseaux, le fourrage pour les bêtes et les provisions des hommes, et même un vaste aquarium où Noé aurait conservé les poissons. Le modèle de Butéo semblait pouvoir répondre au besoin de rationalisation du récit du Déluge. Il fut donc adopté par la plupart des commentateurs postérieurs, avec néanmoins quelques variantes. Au siècle suivant, parmi les œuvres consacrées à l’Arche de Noé, la plus importante est sans doute l’Arca Noe (1675) du jésuite Athanasius Kircher36. Dans l’ensemble, Kircher reprend le modèle de Butéo37. Il y ajoute de nombreuses discussions sur le monde d’avant et d’après le Déluge, ainsi que sur la signification spirituelle et morale de la catastrophe, qui précisent les enjeux théologiques du récit. En outre, son ouvrage s’enrichit de magnifiques illustrations de l’Arche qui, pour l’auteur, constituent un moyen supplémentaire de convaincre le lecteur de la vérité de l’histoire de Noé et de tout ce qu’elle implique. L’œuvre de Kircher a produit une incidence non négligeable. Son interprétation de l’histoire de Noé est devenue une référence pour les commentateurs qui l’ont suivi. Sa description de l’Arche, tirée du modèle géométrique de Butéo, s’est largement imposée, aussi bien chez les exégètes que dans la plupart des représentations du navire38. C’est ce modèle qu’adopte le théologien Noël Alexandre dans sa Selecta Historiae Ecclesiasticae Veteris, en 1689. Ainsi que le rapporte le Journal des savants, le père Alexandre s’y attache entre autres choses à démontrer « que suivant les dimensions que Moyse a données à l’arche, elle pouvoit aisément contenir toutes les espèces d’animaux, avec les aliments nécessaires pour les nourrir durant le Déluge »39.

35. D’après M. S. SEGUIN, op. cit., note 27, p. 205, « Une coudée équivalant à 0,45 m, les dimensions de l’Arche seraient de cent trente cinq mètres de longueur, vingt-deux mètres de largeur et treize mètres de hauteur ». 36. A. KIRCHER, Arca Noë in tres libros digesta, sive de rebus ante diluvium, de diluvio, et de rebus post diluvium a Noemo gentis, Amsterdam 1675. 37. Pour une analyse de l’ouvrage de Kircher, voir D. C. ALLEN, The Legend of Noah. Renaissance rationalism in art, sciences and letters, Urbana 1949, p. 182-191. 38. M. S. SEGUIN, op. cit., p. 211. 39. « Selecta Historiae Ecclesiasticae Veteris Testamenti Capita, & in loca ejusdem insignia Dissertationes historicae, chronologicae, criticae. Autore R.P.F. Natali Alexandro, Ordinis Fratrum Praedicatorum, in Sacra Facultate Parisiensi Doctore Theologo, & Emerito Professore. In 8°, 6 vol. A Paris, chez Ant. Dezallier. 1689 », Journal des savants, 14 mars 1689 (n° 9), p. 105-108 (89-92).

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A. Kircher, Arca Noë in tres libros digesta (1675) : L’intérieur de l’Arche de Noé, tel que l’imagine le père Kircher, avec ses trois étages en perspective (les étables des animaux sont au niveau inférieur, au milieu se trouvent les réserves, et au niveau supérieur, les logements des hommes ainsi que les cages des oiseaux).

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2. La dissertation sur l’Arche de Noé de Jean Le Pelletier Depuis le modèle géométrique de Butéo, qui avait néanmoins subi quelques modifications durant le XVIIe siècle, l’idée que l’Arche avait la forme d’un grand caisson aux dimensions indiquées par le récit biblique et dans les proportions de la coudée française paraît définitivement acquise. Pourtant, une nouvelle et ultime conception de l’Arche de Noé va s’imposer durant le XVIIIe siècle ; ce ne sera pas l’œuvre d’un homme de sciences, ni d’un théologien, mais d’un négociant autodidacte, originaire de Rouen, Jean Le Pelletier (1633-1711). À la demande de son ami, le père Bernard Lamy40 de l’Oratoire, Le Pelletier traduit de l’anglais un livre de John Graves, professeur d’astronomie à l’Université d’Oxford, destiné à la mesure du pied romain, et un traité sur les poids et mesures des Juifs du théologien Cumberland41. Le dérac, ou coudée de Memphis, mesuré par Grave sur les étalons du Caire, correspondait à près de deux fois la longueur d’un pied anglais. Cumberland soutenait que la coudée utilisée par Moyse à diverses reprises dans les Écritures n’était en réalité que le dérac des Égyptiens. Le Pelletier se rallie à cette thèse qui lui permet de démontrer que, dans ces conditions, l’Arche de Noé avait une capacité suffisante pour contenir tout ce que le récit du Déluge présuppose pour garantir la survie des hommes et des animaux. En prenant le Dérac des Égyptiens, la dimension du navire s’accroît sensiblement par rapport à celle qu’avait trouvée Butéo. Par son calcul, Le Pelletier trouve que l’Arche devait être plus grande que la cathédrale de Rouen. Pour appuyer la possibilité d’une arche d’une telle grandeur, il fait appel à l’histoire ancienne qui mentionne l’existence de plusieurs grands navires. En postulant, comme certains de ses prédécesseurs, que tous les animaux pouvaient vivre d’herbes, de grains, de fruits et d’eau, ce qui impliquait que les carnivores se comportent en herbivores, il entreprend des calculs pour démontrer que l’Arche pouvait contenir toute la nourriture et l’eau nécessaires aux animaux pendant plus d’un an. En plus de ces calculs sur le volume de l’Arche, la grande originalité de Le Pelletier consiste à combiner d’une manière plus rationnelle la plupart des éléments suggérés par les anciens commentateurs. En outre, comme il remarque que les eaux du Déluge, trop bourbeuses, devaient être impropres à la consommation, il a une nouvelle idée en rajoutant un grand réservoir d’eau douce dans la carène d’où les occupants de l’Arche la tiraient comme d’un puits, à travers des ouvertures spécialement aménagées aux quatre coins et au centre du bâtiment. L’ouvrage de Jean Le Pelletier est constitué de deux dissertations, l’une sur l’Arche de Noé et l’autre sur l’hémine et la livre de saint Benoît, c’est-à-dire sur des mesures

40. Le père Bernard Lamy (1640-1715) était un cartésien convaincu, ami de Malebranche. Ordonné prêtre en 1667, il devint professeur de philosophie et enseigna le cartésianisme au collège de Saumur puis, à partir de 1673, au Collège d’Angers. Attaqué et dénoncé pour ses opinions augustinienne, cartésienne et anti-monarchique, Lamy fut exilé en Dauphiné par ordre du roi au début de 1676. Durant cette période, il publia ses principales œuvres scientifiques : Traitez de méchanique, de l’équilibre des solides et des liqueurs (Paris, 1679), Traité de la grandeur en général (Paris, 1680), et Les éléments de géométrie (Paris, 1685). Cependant, ses travaux furent toujours ceux d’un bon enseignant et non d’un chercheur. Lamy s’est plus occupé de la diffusion que de la découverte. En 1686, Lamy obtint la permission de vivre à Paris, mais son travail sur la concordance des évangélistes provoqua de vives polémiques et son supérieur général jugea qu’il valait mieux l’éloigner à nouveau. Au début de 1690, il s’installa à Rouen où il demeura jusqu’à sa mort, s’occupant d’études bibliques et historiques. Sur Bernard Lamy, voir F. GIRBAL, Bernard Lamy. Étude biographique et bibliographique, Paris 1964. 41. Ibid.

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de capacités anciennes. La Dissertation sur l’arche de Noé est composée de quarantedeux chapitres. Les trente premiers chapitres sont consacrés spécifiquement à l’Arche de Noé alors que les chapitres XXXI à XLII sont destinés à prouver la vraisemblance du Déluge universel. Dans le titre du chapitre XXXI, Le Pelletier énumère les objections les plus courantes au Déluge universel auxquelles il se propose de répondre dans la suite : « Qu’on objecte à la possibilité du Déluge universel ; 1. Que toute la terre n’étoit point peuplée. 2. Que toutes les plantes auroient peri dans l’eau. 3. Que les Animaux éloignez n’auroient pu venir dans l’Arche pour s’y sauver. 4. Que dans l’Ecriture, le mot omnis, se prend avec restriction. 5. & que toutes les eaux du monde n’auroient pu causer un Déluge universel ». Au-delà de ces objections, il répond également à ceux qui ont avancé que l’eau du Déluge ne viendrait pas du ciel (chapitre XXXVII), que le Déluge serait un phénomène naturel sans miracle (chapitre XXXIX) ou qu’il aurait pour origine les astres (chapitre XL), toutes thèses soutenues particulièrement par les Anglais Burnet ou Whiston. Le Pelletier, après des calculs très compliqués, était arrivé à la conclusion que les eaux de pluie n’avaient pu représenter qu’un tiers de l’eau contenue dans les fleuves et les océans de toute la Terre. Sans doute, faute de mieux, son explication sur la provenance des eaux du Déluge n’est pas très originale puisqu’elle rejoint celle déjà proposée par les Pères de l’Église qui avaient avancé l’existence d’eaux supérieures pour expliquer le retrait des eaux lors de l’organisation du chaos par Dieu. Cette masse d’eau maintenue dans le ciel par Dieu depuis la Création était censée fournir la quantité nécessaire pour inonder la Terre. Dans son ouvrage, le négociant rouennais se donne pour tâche de répondre aux multiples objections soulevées contre la vraisemblance du récit du Déluge : les difficultés posées par la construction de l’Arche qui aurait duré cent ans, le problème du rassemblement des animaux, leur alimentation spécifique, l’impossibilité pour huit personnes de s’occuper du soin des milliers de bêtes embarquées, etc. Il serait trop long de les passer toutes en revue. Pour expliquer comment les survivants se sont nourris à la sortie de l’Arche, Le Pelletier suppose que Noé a embarqué un excédent de nourriture, et il imagine que Dieu a rétabli la végétation terrestre suffisamment à l’avance pour que les hommes et les animaux trouvent, une fois débarqués, de quoi satisfaire leurs besoins alimentaires42. Mais la survie de la flore terrestre, sous les eaux pendant plusieurs mois, représente un réel problème. Le Pelletier affirme que les animaux qui peuvent vivre toujours dans l’eau ont pu échapper à la destruction parce qu’ils ne sortirent pas de leur milieu naturel43. Mais des poissons vivants en eau douce, ou en eau salée, pouvaient-ils survivre dans le mélange bourbeux d’eaux douces et salées du Déluge ? La diversité de la faune terrestre représente sans aucun doute l’obstacle majeur à l’Arche de Noé. Elle pose des difficultés insurmontables pour faire tenir toutes les espèces à l’intérieur de l’Arche. D’autant que le nombre d’espèces recensées ne cesse d’augmenter, notamment depuis la découverte de l’Amérique. L’histoire du Déluge met les théologiens au défi d’expliquer non seulement la conservation des animaux dans l’embarcation de Noé mais l’origine de la variété des espèces animales peuplant les divers continents, alors que les sciences de la vie commencent à prendre une nouvelle dimension. Les démonstrations de la capacité du navire reposent sur des présupposés naturels qui sont de moins en moins acceptables d’un point de vue scientifique. En particulier, la plupart des commentateurs réduisent

42. J. LE PELLETIER, op. cit., p. 317-318. 43. Ibid., p. 17-18.

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à une centaine d’espèces primitives le nombre d’animaux de l’Arche, à partir desquelles toutes les autres variétés d’animaux seraient nées44. Ainsi Jean Le Pelletier suppose que les espèces animales actuelles sont le résultat d’accouplements divers entre des races primitives, sauvegardées dans l’Arche de Noé. Il réduit donc tous les animaux de la Terre à un maximum de quelque deux cent cinquante espèces originelles. Mais il ne parvient pas à expliquer par l’accouplement de quelles sortes d’animaux il est possible d’obtenir les espèces actuellement connues. Pour expliquer la diversité de la faune terrestre, la diversification des espèces par croisement successif se double d’une application de la théorie des climats au règne animal. Certains animaux seraient le résultat de l’influence de leur environnement. Dans la première moitié du XVIIe siècle, les hommes de sciences admettaient encore facilement une influence du milieu : les médecins du début du XVIIe siècle, cherchant une cause physique à la noirceur des Africains, la trouvaient dans l’action prolongée de la chaleur et de l’humidité. Mais c’est justement cette conception du monde vivant qui va disparaître dans la seconde moitié du XVIIe siècle, sous l’influence de la pensée mécaniste. Si l’univers est une machine, celle-ci est capable de fonctionner, mais non de se transformer elle-même. Elle reste exactement ce qu’elle était lorsqu’elle a été façonnée par son concepteur, le Dieu créateur45. Ainsi, la diversification des espèces primitives invoquée pour sauver l’Arche de Noé et sa cargaison apparaît-t-elle non seulement très loin d’une quelconque approche transformiste de la Nature, mais en outre elle se heurte désormais à la conception mécaniste et fixiste qui va commencer à prévaloir chez les hommes de sciences de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe siècle. Cette conception mécaniste et fixiste du monde vivant ne va faire que renforcer son hégémonie dans la première moitié du XVIIIe siècle, rendant encore plus difficile la défense du récit de Noé. En outre, l’argumentation apologétique s’oppose aux faits observables. Non seulement on ne voit plus apparaître d’espèces nouvelles, ni de quadrupèdes ni d’oiseaux ni d’insectes, mais encore l’anatomie des animaux démontre nettement que les transformations qu’impliquerait le récit génésiaque, ou son interprétation par les théologiens, sont incompatibles avec l’observation46. Certes, les critiques à l’encontre de l’Arche de Noé vont se multiplier au XVIIIe siècle. Elle va devenir l’une des cibles favorites des philosophes. Cependant, toutes les objections auxquelles Jean Le Pelletier s’efforce de répondre existaient déjà au XVIIe siècle, certaines d’ailleurs bien avant. Le contenu de son ouvrage, entièrement tourné vers la défense du récit du Déluge, ne fait que démontrer la multitude des attaques dont il est l’objet, et les problèmes croissants posés désormais par sa confrontation avec la science. Dès sa parution, l’œuvre de Le Pelletier connut un important succès dont témoignent les comptes rendus assez étendus parus dans le Journal des savants et les Mémoires de Trévoux. Les vues de Le Pelletier domineront les différents commentaires de l’histoire de Noé tout au long du XVIIIe siècle47. Ainsi, Dom Calmet reprendra les calculs de l’auteur rouennais pour sa propre explication de l’Arche de Noé. Le

44. M. S. SEGUIN, op. cit., p. 229 (note 79). 45. Cf. J. ROGER, Pour une histoire des sciences à part entière, op. cit., p. 228. 46. M. S. SEGUIN (op. cit., p. 284) cite pertinemment en exemple Vallisneri, qui, en 1733, montre « qu’il est impossible de dire que les animaux antédiluviens fussent tous herbivores, comme le prétendait entre autres Le Pelletier, et qu’ils ne sont devenus carnivores que longtemps après le Déluge : leurs estomacs, leurs dents, leurs ongles sont complètement différents de ceux des herbivores. […] la volonté divine est immuable, Dieu n’a pu créer les animaux d’une manière pour les modifier ensuite ». 47. M. S. SEGUIN, op. cit., p. 220.

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compte rendu du Journal des savants représente un résumé assez fidèle des vingt-trois premiers chapitres de la Dissertation sur l’arche de Noé, où la critique est absente48. Par contre, le journaliste se contente de résumer les chapitres suivants en une phrase : « M. le Pelletier réfute ceux qui doutent, que huit personnes ayent suffis pour pourvoir aux besoins d’autant d’animaux qu’il y en avoit dans l’arche, prouve l’universalité du Déluge, & répond aux objections qui ont été faites au contraire »49. Sans doute le journaliste a-t-il trouvé suffisant pour ses lecteurs de se concentrer sur l’Arche de Noé, l’objet principal de la dissertation. D’ailleurs, il faut souligner que le compte rendu de la première dissertation, qui fait plus de cinq pages, est assez long si on le compare au compte rendu du livre de Gravisset en 1697, un ouvrage qui s’intéresse également au Déluge sans y être toutefois entièrement consacré50. Dans la relation de cet ouvrage, qui équivaut à moins d’une page, le journaliste se contente de résumer la partie consacrée au Déluge en quelques phrases. Comparativement, la longueur du compte rendu consacré à la Dissertation sur l’arche de Noé révèle un intérêt certain du journaliste pour l’ouvrage de Le Pelletier. De leur côté, les Mémoires de Trévoux accueillent très favorablement l’ouvrage : « Malgré ses fréquentes disgressions, & la secheresse de sa matière, qui est presque toute de Geometrie, d’Architecture, de Statique & de Critique, le bon sens, la netteté & l’érudition qui regnent dans tout l’ouvrage, en rendent la lecture non seulement utile, mais agréable à ceux qui ont du goût pour la litterature, soit sacrée ou profane »51. L’ensemble du compte rendu des Mémoires de Trévoux est d’ailleurs très élogieux. Comparativement, le Journal des savants conserve un ton plus neutre, malgré l’intérêt du journaliste. Les Mémoires de Trévoux reconnaissent qu’en raison du récit succinct de Moyse, à moins d’une révélation ou qu’un autre arrangement soit impossible, la structure postulée pour l’Arche de Noé ne peut pas être prouvée, mais « qu’on imagine, si l’on veut, une autre manière d’arranger les choses dans l’Arche ; c’est assez pour Mr. Le Pelletier qu’on ne puisse pas refuter positivement son système, & qu’il soit constamment très possible »52. Le Journal ne dit pas cela. Le journaliste de Trévoux souligne surtout l’intérêt de l’ouvrage dans la lutte contre les libertins : « Mais il lui suffit de montrer par des principes certains, qu’à s’en tenir aux termes de l’Ecriture, il y avoit assez d’espace dans l’Arche pour tout ce qu’il y a placé. Par là il ferme la bouche aux libertins, qui voudroient bien que cet endroit de l’histoire sacrée ne se put justifier »53. Le Journal, lui, se contente de regretter qu’un voyageur, Jean Struis, qui aurait vu

48. « Dissertation sur l’arche de Noé, et sur l’Hemine, & la livre de saint Benoit, où l’on montre, &c. Par Jean le Pelletier, de Rouen. In 12. A Rouen. Et se trouve à Paris, chez François-André Pralard, fils, rue saint Jacques. 1700 », Journal des savants, 13 juin 1701, p. 270-276 (241-247), pour la première dissertation, et du 20 juin 1701, p. 277-280 (247-251), pour la seconde dissertation. 49. Ibid. 50. « Abrégé de l’histoire de Joseph Historien Juif. Tome Second. Contenant deux entretiens dans lesquels on voit l’histoire de la création, celle du premier monde, celle du déluge, & le rétablissement du nouveau, avec plusieurs réflexions importantes touchant la Religion de ces tems-là. Par M. Gravisset. In-12. A Paris chez la Veuve Daniel Hortemels, & Pierre Antoine le Mercier, rue Saint Jacques. 1697 », Journal des savants, 15 avril 1697 (n° 14), p. 168 (147-148). 51. « Dissertation sur l’Arche de Noé, & sur l’Hemine & la Livre de Saint Benoît : par Jean le Pelletier de Rouen, 1700. A Rouen, in 12. pagg. 614 », Mémoires de Trévoux de Mai & Juin 1701, p. 1-18 (p. 1-2 pour la citation). 52. Ibid., p. 4. 53. Ibid.

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l’Arche au Mont Ararat en 1670, n’ait pas couché par écrit ses souvenirs, « notre Auteur n’auroit eu qu’à le conferer avec ce que Moïse nous en apprend. Mais ne sachant rien de toutes ces choses, il est réduit à ses conjectures fondées sur le Texte sacré »54. Apparemment, c’est l’intérêt apologétique de l’ouvrage de Le Pelletier qui provoque l’enthousiasme des Mémoires de Trévoux, le compte rendu du Journal des savants se montre moins sensible à cet aspect. Jean Le Pelletier n’est pas un novateur. En définitive, son principal mérite a été de faire œuvre de synthèse. Aux XVIe et XVIIe siècles, les auteurs qui s’étaient préoccupés de rationaliser l’histoire de l’Arche de Noé étaient théologiens et hommes de science. Mais en ce début de XVIIIe siècle, les mathématiciens et les scientifiques ne semblent plus s’intéresser au problème. Le fait que ce soit un négociant autodidacte qui puisse encore s’y appliquer souligne d’autant plus cet abandon et pourrait être regardé comme le signe annonciateur d’un tournant. Toutefois les liens de Le Pelletier avec le milieu oratorien ont été déterminants. En fait, la collaboration entre le père Bernard Lamy et Le Pelletier datait de plusieurs années. Ainsi, lors des controverses qui avaient opposé le père Lamy à Piénud concernant la Pâque, l’oratorien avait demandé à son ami de Rouen de traduire de l’anglais un ouvrage de Cudworth concernant la dernière cène de Jésus-Christ55. Alors que le père Lamy avait demandé à Le Pelletier de traduire les œuvres de Graves et Cumberland sur les mesures des anciens, il préparait lui-même un traité sur les poids et mesures, traité que les Nouvelles de la République des Lettres annoncèrent en 1705, mais qui ne fut publié qu’après la mort de son auteur. Mais entre-temps, Le Pelletier, qui travaillait également de son côté à une description du Temple de Jérusalem qui ne sera finalement jamais publiée, avait eu le temps de terminer sa dissertation sur l’Arche de Noé. L’influence de la dissertation de Le Pelletier sur Lamy se décèle dans le traité qu’il consacre au Temple et à l’ancienne ville de Jérusalem, De Tabernaculo Fœderis56. Confrontée à l’évolution des connaissances scientifiques, l’Arche de Noé devient de moins en moins crédible. La dissertation de Le Pelletier représente en fait une ultime tentative pour sauver le récit du Déluge universel dans son sens littéral. À la fin du XVIIe siècle, les rapports entre Bible et nature se modifient. La Bible représente de moins en moins un guide dans la connaissance de la nature, alors que la nature tend à être considérée comme une clé pour interpréter correctement la Bible. Les données scientifiques, de même que les données historiques, sont utilisées aussi bien pour remettre en cause des interprétations traditionnelles de la Genèse que pour défendre le sens littéral du récit biblique et sa véracité.

54. Journal des savants, 13 juin 1701, op. cit., p. 272 (243). 55. Cf. F. GIRBAL, op. cit., p. 83. 56. B. LAMY, De Tabernaculo Fœderis, de Sancta Civitate Jerusalem et de Templo ejus. Libri septem, Paris 1720.

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II. Les origines des nations et des langues Les fils de Noé qui sortirent de l’arche étaient Sem, Cham et Japhet ; Cham est le père de Canaan. Ces trois-là étaient les fils de Noé et à partir d’eux se fit le peuplement de toute la terre. (Gn. 9, 1)

Après le Déluge, selon la Genèse, l’histoire de l’humanité recommence à partir de Noé et de sa famille. Les monts Ararat, où l’Arche échoue, font presque figure d’un second Éden. C’est du moins le point de départ et la naissance d’une nouvelle humanité. La Terre entière est censée se repeupler par la seule descendance des trois fils de Noé, Sem, Cham et Japhet. Pour les érudits du XVIIe siècle, il était donc légitime, et même primordial, de reconstituer le mécanisme de ce repeuplement, en justifiant ainsi la prééminence historique donnée aux Hébreux par la Bible, et l’universalité de la religion chrétienne héritière du peuple élu. La tradition voulait que Sem ait hérité de la plus grande partie de l’Asie, sauf de la partie occidentale qui fut attribuée à son frère Japhet, ainsi que l’Europe et les îles de la Méditerranée. Pour sa part, Cham reçut la Syrie et l’ensemble du continent africain. En outre, Sem bénéficia de la prérogative d’avoir dans sa descendance le Messie, ce qu’attestaient les Évangélistes57, tout en préservant les règles religieuses transmises directement par Dieu à Noé. Dieu aurait ainsi marqué son assentiment en distinguant le fils aîné du patriarche comme ancêtre du Rédempteur de l’humanité, ainsi que l’explique saint Augustin58. Mais depuis les Pères de l’Église, les limites du monde s’étaient considérablement agrandies, en particulier avec la découverte de l’Amérique à la fin du XVe siècle, et tout au long des XVIe et XVIIe siècles, par l’exploration et la conquête de territoires inconnus jusqu’alors où les Européens rencontraient de nouveaux peuples très divers. La découverte d’une humanité exotique a ébranlé jusqu’en ses fondements l’ancienne conception du monde, dominée par l’idée de la Révélation. Le démenti infligé aux doctrines traditionnelles laissait place à un néant conceptuel impossible à combler sur le moment. Les sages de cette époque eurent à subir comme « une première expérience de la mort de Dieu »59. Dans ce besoin de combler les lacunes du texte biblique, dans l’aspiration des nations européennes à démontrer leur filiation noachique ou à trouver des justifications historiques incontestables à leurs politiques coloniales, dans les généalogies fantaisistes destinées à flatter les souverains ou à servir leurs intérêts politiques en faisant remonter leur ascendance au Déluge, l’imagination le dispute à l’information objective60.

57. Voir en particulier la généalogie de Jésus dans L’Évangile selon saint Luc (Lc 3, 23-38), selon lequel le Christ descendait d’Arphaxad, fils de Sem, fils de Noé (Lc 3, 36). 58. SAINT AUGUSTIN, La Cité de Dieu, vol. 2, Paris 1994, p. 251-253. 59. M. DUCHET, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris 1995, p. 9. Michèle Duchet cite à ce propos : A. DUPRONT, Espace et Humanisme, Bibliothèque d’humanisme et de renaissance, t. VIII, 1946 ; et G. GUSDORF, « Ethnologie et métaphysique », dans Ethnologie générale, Encyclopédie de la Pléiade, Paris 1968, p. 1775. 60. Ainsi, d’après M. S. SEGUIN (op. cit., p. 323), l’historiographe de Charles Quint, Gonzalo Fernàndez de Oviedo avait servit les intérêts politiques de celui-ci en composant une généalogie selon laquelle la famille des rois d’Espagne était issue de la lignée de Tubal, fils de Japhet, l’enfant puîné de Noé. Tandis que Guillaume Postel avait déterminé que François 1er était le descendant de Gomer, fils du même Japhet, et donc légitime héritier des terres que Noé attribua à son fils après le Déluge.

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Il n’est pas question de revenir ici sur l’ensemble de la littérature produite à ce sujet de la fin du XVe siècle jusqu’au XVIIe siècle61. La tentation de réduire un grand mythe à un événement ou à un personnage de portée locale était assez courante. Ainsi, Leibniz aurait-t-il succombé lui-même à la tentation d’identifier Ulysse avec Odin62. Plus connue à l’époque, l’Atlantica du suédois Olof Rudbeck (1630-1702)63 identifiait la société cultivée de l’Atlantide de Platon avec une Suède antique, berceau de la civilisation des peuples anciens, en omettant la disparition du continent Atlantide de Platon. En 1684, le Journal des savants présente l’ouvrage du Suédois64. Le journaliste ne se gêne pas pour critiquer la tendance de l’auteur à ramener l’origine de nombreux peuples à la Suède : Que la Suède, selon Cluvier, soit le plus ancien Royaume du Monde, peut estre n’en disconviendra t’on pas trop ; mais que les Scythes, les Goths, les Troyens, les Thraces, les Gaulois, les Cymbres, les Cymmeriens, les Saxons, les Germains, les Lombards, les Vandales, les Teutons, les Anglois, les Danois, les Sicambres & plusieurs autres Peuples fameux soient sortis de ces contrées, tous les Historiens & les critiques n’en demeureront assurément pas d’accord, avec ce sçavant Suédois65.

Rudbeck veut faire remonter la Suède à Japhet, l’un des fils de Noé. Sa démarche s’inscrit dans le développement du nationalisme suédois66. Le journaliste souligne la motivation de Rudbeck qui est de fournir plus de gloire à son pays et qui le conduit à des exagérations : Pour faire encor plus d’honneur à sa patrie, qu’il dit avoir esté la première & la veritable demeure de Japhet, il soutient que c’est de là, que sont sorties presque toutes les Monarchies, du monde par le moyen des grands hommes qu’elle a produit, & qui ont estably leur race & porté leur domination dans quasi toute la terre habitable67.

À la suite, le rédacteur remarque, non sans une certaine pointe d’ironie, qu’« Il ne falloit pas un moins gros volume pour établir ces propositions »68. Puis il parle de la façon dont l’auteur vante les qualités de son pays : « L’Auteur vient d’abord aux premiers habitans de la Suède ; & contre l’idée particulière, qu’on a du froid, de la

61. Pour un bref aperçu, je renvoie à M. S. SEGUIN, op. cit. (en particulier, p. 314-323). 62. Cf. L. DAVILLÉ, « Leibniz historien, essai sur l’activité et la méthode historique de Leibniz », thèse de doctorat, Paris 1909, p. 527-528. 63. Olof Rudbeck naquit à Västeras en Suède, en 1630. Il était professeur de médecine à l’Université d’Upsal, et fondateur de son jardin botanique. Il découvrit les vaisseaux lymphatiques. On lui doit un important travail de botanique entrepris avec l’assistance de son fils, en particulier une flore de Laponie (1695) qui constitue un inventaire national. Mais il écrivit aussi son Atlantica sive Manheim, en 4 volumes folio (1679, 1689, 1698 et 1702), qui fut considérée par un certain nombre de ses contemporains comme une grande œuvre historique et archéologique. Recteur et curateur perpétuel de l’Université d’Upsal, il mourut en 1702 à Upsal, à l’âge de 73 ans. Sur Olof Rudbeck et son œuvre, voir G. ERIKSSON, The Atlantic Vision : Olaus Rudbeck and Baroque Science, Canton 1994. 64. « Olavi Rudbeckii Atlantica, sive Manheim vera Iapheti posterorum sedes ac patria, ex qua non tantum Monarchae & Reges ad totum fere orbem domandum, sed & Scythae, Barbari, Asae &c. exierunt. in fol. Upsalae, & se trouve à Paris chez l’Auteur du Journal. 1684 », Journal des savants, 3 juillet 1684 (n° 19), p. 221-223 (140-141). 65. Ibid. 66. Voir E. EKMAN, « Gothic Patriotism and Olof Rudbeck », The Journal of Modern History 34 (1962), p. 52-63. 67. Ibid. 68. Ibid.

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stérilité, & de l’horreur qui règne à ce que l’on croit dans les pays Septentrionaux, il montre au contraire qu’il s’y trouve tant d’avantage, soit pour les hommes soit pour les animaux, qu’il ne faut pas s’étonner que cela ait donné lieu aux premiers hommes de s’y arrêter »69. Compte tenu des arguments à l’appui qui suivent, on peut légitimement se demander si le journaliste a choisi cette partie du livre parce qu’il la trouvait plus intéressante ou bien s’il n’a pas cherché à ridiculiser la thèse de l’auteur en mettant en valeur son invraisemblance et en poursuivant sur le ton de l’ironie : « Il le prouve par la quantité prodigieuse & par la grosseur monstrueuse de ses animaux, par la douce température de l’air de quelques-unes de ses contrées, par la belle & agréable situation de ses cantons, qui l’ont fait prendre pour les Champs Elisiens comme il l’explique dans un Chapitre particulier, & enfin par la fécondité des femmes, parmi lesquelles il est assez ordinaire d’en voir plusieurs qui mettent au monde jusqu’à 28 & 30 enfans »70. Pour terminer, le journaliste cite brièvement quelques-uns des arguments employés par Rudbeck à l’appui de l’ancienneté de la Suède, en mettant surtout l’accent sur les preuves linguistiques : Comme il prouve l’ancienneté de la Suède par la manière de compter des Suédois, par le grand nombre & la qualité des tombeaux qui s’y trouvent, où l’on gardoit les cendres qu’on avoit coutume d’y brûler, par les divers noms que les Egiptiens, les Grecs & les Romains ont donnés à ce Royaume, comme d’Isle Atlantique, de Scythie, de Bannomanne, de Basilie, de Balthie, de Scandinavie, d’ancienne Thule, &c. il establit la beauté du pays sur les surnoms d’Oserite ou Isle des Dieux, d’Isle des bien-heureux, des Champs Elisiens, d’Isle des Hyperboréens, dont les Anciens nous ont décrit l’habitation, la vie, & les mœurs d’une manière à donner de l’envie, quoy que pourtant quelques uns doutent si ces derniers Peuples ont jamais esté71.

Comme on peut le voir, le journaliste attire l’attention de ses lecteurs sur le fait que certains peuples qui sont décrits par des textes antiques, sur lesquels se base Rudbeck, n’ont peut-être jamais existé. Ce qui renforce encore un peu plus sa critique de l’œuvre. Ceci pose le problème du statut d’un grand nombre de textes hérités de l’Antiquité. Au XVIIe siècle, avec les progrès de la critique et des sciences historiques, certains textes anciens sont de plus en plus perçus comme contenant des fables ou des mythes72. Néanmoins, certains érudits y voient des récits d’événements et de personnages historiques réels qui auraient été transmis sous forme de fables73. Beaucoup pensent encore que, malgré tout, même s’il s’agit de mythes, ces textes antiques doivent contenir un fonds de vérité, et que, tout du moins, on peut s’en servir pour connaître certains détails véridiques de l’histoire ancienne. Il semble naturel aux hommes de science de rechercher dans l’histoire profane, chez les Anciens, un complément aux informations lacunaires fournies par le texte sacré. De la même façon, devant le manque de documents historiques écrits pour le passé reculé, les temps d’après le Déluge, les auteurs de l’époque recherchent dans les langues des indices. Ils pensent y trouver

69. Ibid. 70. Ibid. 71. Ibid. 72. Voir C. GRELL, Le Dix-huitième siècle et l’antiquité en France, 1680-1789, Oxford 1995, et notamment son chapitre 5 (« L’antiquité des Anciens et celle des Modernes »), p. 359-448. 73. Remontant en fait à l’Antiquité, l’idée que les fables sont de l’histoire obscurcie avait accaparé bon nombre d’érudits depuis la Renaissance. Cf. C. POULOIN, « Fontenelle et la vérité des fables », Corpus 13 (1990), p. 35-50.

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des traces des événements de l’histoire, des migrations et des origines des peuples en établissant des liens de parenté entre les langues mais aussi, par exemple, le souvenir d’événements géologiques du passé à travers les noms géographiques. Le compte rendu de l’ouvrage de Rudbeck publié par Robert Hooke, dans ses Philosophical Collections, apparaît moins critique que celui du Journal74. Encore que le rédacteur anglais remarque au passage que l’auteur a travaillé « tout à l’honneur de son pays ». Le compliment aurait pu éventuellement s’entendre comme une critique déguisée, mais cette intention est loin d’être certaine, d’autant que le jugement du journaliste demeure positif : Cet auteur à juste titre célèbre a entrepris ici un grand travail, et tout à l’honneur de son pays, afin d’exposer l’ascension et le progrès du royaume de Suède, de Japhet son premier roi et possesseur du temps le plus proche du Déluge, à Charles présentement régnant, ascension et progrès dont les tables chronologiques qu’il a calculées donnent un aperçu. Dans ce travail, ses aides ont été, les histoires de toutes sortes, antiques et modernes, étrangères et intérieures ; les poètes antiques, et principalement de la Suède, les traditions qui ont une si grande autorité, par la langue qui a été toujours la même, et le pays jamais conquis par l’invasion ; des inscriptions runiques et des monuments de plus grand âge et en plus grandes quantités qui ne doivent se trouver nul part ailleurs75.

Dans la suite, le rédacteur admet comme plausible la thèse de Rudbeck, selon laquelle Japhet, l’un des fils de Noé, serait à l’origine du royaume de Suède : Les preuves des choses qu’il affirme ne doivent généralement pas être prises en un endroit, mais tirées de la cohérence de toutes les parties l’une avec l’autre ; et comme il ne sera pas juste de le juger sans le lire dans son ensemble, aussi il sera impossible de décrire une partie à son juste avantage. Je choisirai donc seulement quelques éléments peu nombreux comme ils m’arrivent présentement : Que Japhet et la première race habita là peut être probable, en ce qu’il est dit qu’il a possédé les îles, qui ont été nommées Sweonia. Que les lieux près de l’eau, et abondants en poisson ont été d’abord recherchées ; l’inondation ayant détruit Bêtes et Volailles76.

74. « There is newly published, a large and very elaborate Treatise of Dr. Olaus Rudbeck, Professor of Anatomy and History, at Upsal in Sweth-Land ; comprised in two Volumes, the one containing the Discourse it self, written both in the Latin and Sweedish Tongues ; the other, the Maps and Descriptions referred to in the Discourse ; the Title whereof is, Olai Rudbecki ATLANTICA, SIVE MANHEIM vera Japeti posterorum Sedes, ac Patria, ex qua non tantum Monarchae, & Reges ad totum fere Orbem reliquum Regendum ac Domandum Stirpesque ; suas in eo Condendas ; sed etiam Scythae, Barbari, Asae, Gigantes, Gothi, Phryges, Trojani, Amazones, Thraces, Libyes, Mauri, Tusci, Galli, Cimbri, Cimmerii, Saxones, Germani, Suevi, Longobardi Vandali, Heruli, Gepidae, Teutones, Angli, Pictones, Dani, Sicambri, aliique ; virtute clari & celebres Populi olim exierunt », Philosophical Collections du 10 janvier 1682, n° 4, p. 118-121. 75. « This deservedly famous author has here undertaken a great work, and much to the honour of his country, to set forth the rise and progress of the kingdom of Sweeden, from Japhet the first king and possessor thereof in the time nearest the Flood, to Charles now at present Reigning, of which the Chronological Tables by him Calculated give a short view. His Helps herein have been Histories of all sort, Ancient and Modern, Foreign and Domestick ; the ancient Poets, and principally of Sweden, traditions which have so much greater Authority, by the Language having been alwayes the same, and the Land never conquered by Invasion ; Runic Inscriptions, and Monuments of greater Age, and in greater quantities than are to be found any where else » (ibid.). 76. « The proofs of the things he asserts, are not generally to be pickt ui in one place, but drawn from the coherence of all the parts one with another ; And as it will not be fair to judge him without reading him all

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La destruction de tous les animaux terrestres, et aussi des végétaux terrestres, était l’un des arguments de certains opposants à l’universalité du Déluge qui déclaraient que Noé et sa famille, comme d’ailleurs les animaux embarqués avec eux, n’auraient rien eu pour se nourrir et survivre, une fois sortis de l’Arche après la décrue des eaux. D’où l’idée avancée par certains des partisans du Déluge universel que les hommes auraient pu se nourrir de poissons en attendant que la Terre se repeuple de ses animaux terrestres. Rudbeck exploite cette idée, en constatant que les eaux de la Suède sont riches en poissons et que le pays devait donc être privilégié dans le repeuplement par les descendants de Noé par rapport à d’autres contrées moins favorisées, ce que lui accorde le rédacteur anglais. Dans la suite, il s’intéresse à l’ancien calendrier des habitants de la Suède et à leur chronologie traditionnelle, en constatant que leur histoire commence vers l’an 1700 après la création du monde, soit un peu après le Déluge ainsi qu’il indique, c’est-à-dire selon la chronologie habituelle du texte hébreu, bien qu’il ne le précise pas, sans doute parce que pour lui cela va sans dire. Contrairement à la chronologie chinoise, la chronologie suédoise ne remet pas en cause le décompte des années tiré de la Vulgate. Ensuite, le journaliste anglais remarque que l’auteur donne d’autres preuves à sa thèse, mais surtout des arguments d’autorité qu’il résume dans la suite. On peut constater qu’il ne s’oppose en aucune façon à l’utilisation de l’histoire mythologique par l’auteur : « Que les Scythes furent les premiers de l’humanité était l’opinion des Auteurs anciens. Leur première expédition appelée celle des Dieux, est placée entre les années 2100 et 2500 du Monde ; dans lequel temps sous la conduite de Jupiter et d’autres, ils conquirent la plus grande partie de l’Europe, l’Asie, les Indes, jusqu’à l’Egypte et les régions proches ; constituant des Gouverneurs et des Gouvernements et mettant fin à l’âge de Saturne, qui fut un temps de paix propre à la propagation de l’humanité. »77 Contrairement au journaliste français qui se montre indisposé par le côté hégémonique et universaliste des thèses de Rudbeck (la Suède, creuset d’origine d’une bonne partie des peuples) et qui soulève quelques doutes sur l’existence réelle de certains peuples mythiques, le journaliste anglais n’émet aucune critique à cet égard. La suite de son compte rendu met en évidence l’importance des arguments tirés de rapprochements linguistiques. Ainsi, en se référant à la langue scythe, Rudbeck avance que Saturne vient de Saa, semer, Sadur, un semeur, et que ce nom fut donné au second roi de Suède, ainsi que le rapporte le rédacteur78. Autre argument avancé, les caractères runiques sont plus anciens que les caractères grecs. Ainsi, le compte rendu du Journal des savants et celui, plus long, des Philosophical Collections de Robert Hooke, apparaissent bien différents. Alors que Hooke montre beaucoup d’intérêt pour l’ouvrage et le reçoit plutôt de manière positive, le journaliste

over, so it will be impossible to represent any part with its due advantage. I shall therefore only single out some few things as they now occur to me : That Japhet and the first Race inhabited there, may be probable, in that it’s said he possest the Isles, under which title Sweonia has gone. That watry places, and abounding with Fish were first sought ; the Flood having destroyed Beasts and Fowls » (ibid.). 77. « That the Scythians were the first of mankind was the opinion of the old Writers. Their first expedition called that of the Gods, is placed between the years 2100, and 2500 of the World ; in which time under the conduct of Jupiter and others, they conquered most of Europe, Asia, the Indies, to Ægypt, and the parts thereabout ; constituting Governors and Governments, and driving away the age of Saturn, which was a time of peace fit for the propagating mankind » (ibid.). 78. « Now to shew how well the names duite to the Scythian Language, he gives several proofs ; Saturn comes from Saa, to sow, Sadur a sower, that this name was given to the second King of Sweden » (ibid.).

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français ne le reçoit pas favorablement et le critique à la fois ouvertement et insidieusement, tout en maniant l’ironie. À travers le compte rendu de Hooke, ressort l’image d’un ouvrage d’histoire érudite digne d’intérêt qui s’intéresse aux grandes questions de l’époque sur les origines de l’humanité, en combinant toutes les ressources du temps : la Genèse, les textes des auteurs païens de l’Antiquité, l’étude des langues, des monuments et des traditions. Il semble pourtant y manquer un élément en plein essor, la critique historique des textes anciens qui va progressivement en rejeter un certain nombre dans le domaine de la fable. Problème justement soulevé par le journaliste français mais passé sous silence par le rédacteur anglais. Par comparaison, le compte rendu du Journal ne détaille pas les arguments historiques de Rudbeck. Il les expédie pour consacrer près du tiers de sa relation aux arguments employés par l’auteur suédois pour vanter son pays, aspect d’ailleurs somme toute marginal dans un ouvrage essentiellement consacré à l’histoire de l’origine des peuples. Cette partie n’étant ni représentative de l’ensemble du livre ni forcément à son avantage, sa mise en valeur fait s’interroger sur l’intention et l’attitude du journaliste. Quoi qu’il en soit, la manière dont le journaliste français reçoit l’ouvrage demeure assez négative. En 1692, le Journal des savants rend compte de la suite de l’ouvrage d’Olof Rudbeck : Il y a environ dix ans que la première partie de cet ouvrage parut, où Mr. Rudbeck sçavant professeur de l’Université d’Upsal, ne fait point de difficulté d’avancer que les enfans de Japhet pénétrèrent jusqu’en Suède peu de tems après la confusion des langues ; d’où il conclut qu’une grande partie des peuples dont les premiers Historiens & les plus anciens Géographes ont parlé, estoient sortis de Scandinavie, à laquelle par une suite comme nécessaire il applique presque tout ce que la fable & l’histoire la plus reculée ont raconté de la Grece, de l’Egipte, & de quelques autres pays79.

Huit ans après, la direction du Journal a changé, le journaliste n’est sans doute plus le même, mais la critique est toujours là. Elle se fait même plus nette, le journaliste reprochant à l’auteur de détourner à son profit le contenu de textes qui ne sont que des fables : Dans le second chapitre il applique aux habitans de cette isle la plupart des choses que la fable a débitées des Grecs, des Phéniciens, des Phrygiens, & de quelques autres peuples ; & pour donner à cette application quelque ombre de vrai-semblance, il prétend que les Dieux ont esté des Rois de Scandinavie, ausquels les étrangers ont rendu des honneurs souverains en considération de leur justice & de leur valeur80.

Comme on peut le constater, le journaliste se montre en complet désaccord avec la démarche de l’auteur et ne se prive pas de le critiquer. Son compte rendu laisse également transparaître son opposition aux thèses d’Huet et de Hughes visant à assimiler

79. « Olavi Rudbeckii Atlanticae, sive Manheimii pars seconda, in qua Solis, Lunae, ac terrae cultus describitur, omnisque adeo superstitionis hujusce oriqo parti Sueoniae Septentrionali, Terrae puta Cimeriorum vindicatur, ex qua deinceps in orbem reliquum divulgata est : idque Scriptorum non tantum domesticorum, sed etiam externorum, maxime vero veterum atque domesticarum fabularum fide, quarum explicatio genuina nusquam ante hanc nostram aetatem in lucemprodiit. Accedunt demonstrationes certissima quae Septentrionales nostros in maxime geminum Solis ac Lunae motum, indeque pendentem accuratissimam temporum rationem, multo & prius & felicius quam gentem aliam ullam olim penetrasse, ac etiam alia multa ad hanc usque diem incognita declarant. In folio. Upsalae. 1689 », Journal des savants, 1er septembre 1692 (n° 34), p. 397-401 (299-302). 80. Ibid.

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le contenu des récits de la mythologie grecque à des épisodes et à des personnages de la Bible : Son opinion ne lui paroit pas moins probable que celle de Mr. Huet, & celle de Mr. Hugues, dont l’un a cru que les affaires des Juifs, & les actions de Moïse, des Patriarches & des Prophètes, avoient esté enveloppées sous les fables des Grecs, & sous les fictions des Poëtes ; & l’autre a eu la mesme pensée des actions de Jésus-Christ & des Apôtres, & a passé jusques à dire que les anciens avoient parlé du Messie sous les noms d’Hercule, de Mercure, d’Apollon, & de Jason ; & de la sainte Vierge sous ceux de Maia, d’Alcmene, & de Vénus81.

Le journaliste dénonce également l’assurance avec laquelle Rudbeck formule ses thèses : À l’égard d’Hercule, Mr. De Rudbecks assure sans hésiter qu’il estoit de Suède, […]. Autrement dit, on aurait pu s’attendre tout de même, au minimum, à quelques hésitations de l’auteur face à des affirmations aussi peu conformistes. Au lieu de placer les colonnes d’Hercule sur les côtes d’Espagne et d’Afrique, l’auteur les voit au Danemark et en Suède.

Le journaliste ne se gêne pas pour le railler : « Que si les Sçavans n’admettent pas toutes ces conjectures de Mr. Rudbecks, ni toutes les preuves qu’il en apporte, au moins trouveront-ils quelque plaisir au tour ingénieux qu’il leur donne82 ». Dans la suite de son ouvrage, l’auteur s’intéresse aux cultes païens en essayant de trouver une explication à la chute rapide des descendants de Noé dans l’idolâtrie, ce que le journaliste résume : « De là notre auteur passe à l’idolatrie & au culte rendu par les Payens aux créatures, & sur tout aux trois plus considérables, qui sont le Soleil, la Lune, & la Terre ; & c’est le sujet de presque tout le reste de cette seconde partie, il y découvre l’origine de l’égarement des descendans de Noé, qui n’ayant plus l’honneur de traiter immédiatement avec Dieu comme avoit fait ce Patriarche, l’oublièrent insensiblement ; & charmez de la beauté des créatures, & des biens qu’ils recevoient d’elles, leur rendirent des honneurs qu’ils ne devoient qu’à leur Createur »83. Comme en 1684, le journaliste souligne l’importance des preuves linguistiques dans les thèses de l’auteur suédois : Du culte du soleil, il passe dans le chapitre suivant à celui de la Terre, lequel il soutient que les Septentrionaux ont enseigné au reste de l’Europe, à toute l’Asie, & à toute l’Afrique. En cet endroit, comme en plusieurs autres de son ouvrage, il fait grand fond sur la conformité des noms ; & tâche de montrer que ceux qui ont esté donnez à la terre, ou signifient la terre dans la langue Suédoise, ou au moins quelque chose qui a rapport à la terre, ou bien ont esté les noms des Reines & des Princesses de Suède84.

Comme beaucoup d’érudits de l’époque, Rudbeck voit dans les récits de la mythologie des témoignages de l’histoire des premiers temps de l’humanité. Il les utilise donc à l’appui de ses thèses pour reconstituer un passé très lointain qui n’a pas laissé de documents écrits : « Notre auteur assure qu’Isis ou Io fille d’Inaque, naquit dans la Laponie Cimmerienne ; d’où elle sortit à la teste d’une multitude incroyable de

81. Ibid. 82. Ibid. 83. Ibid. 84. Ibid.

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gens qui conquirent la Scythie, la Grece, la Phenicie, & s’arrêtèrent en Egipte, & laisserent la table dont je parle »85. Les Philosophical Transactions présentent également un compte rendu de la suite de l’œuvre de Rudbeck, mais beaucoup plus long que celui du Journal et assez tardivement par rapport à celui-ci, seulement en 1705, soit treize ans après. Il faut dire qu’au moment où paraissait la relation du livre dans la revue parisienne, en 1692, la revue londonienne commençait tout juste à reparaître après l’épisode de la Glorieuse Révolution, et avec bien des difficultés puisque ces premières années de reparution furent lacunaires. Toutefois, il faut rappeler que dans les années 1700, les comptes rendus de livres de la revue londonienne tendent à disparaître presque totalement. Par conséquent, le fait que Hans Sloane, alors rédacteur des Transactions, ait souhaité présenter un compte rendu de l’ouvrage en deux parties dans ses numéros de juin86 puis de juillet 170587 est à souligner. L’événement est d’autant plus remarquable que la longueur de l’extrait est tout à fait inaccoutumée : vingt-neuf pages dans le numéro de juin, suivies de vingt-quatre pages dans le numéro de juillet, soit un total de cinquante-trois pages pour un seul livre, l’un des plus longs comptes rendus de toute l’histoire du périodique de 1665 à 1710, peut-être même le plus long. Il faut savoir que dans les années 1700, l’année 1705 fut une année exceptionnellement prolifique puisqu’elle compta dix numéros totalisant quatre cents dix pages contre, par exemple, seulement cent cinquante-six pages en 1706. Or, non seulement l’ouvrage d’Olof Rudbeck représente l’un des rares livres que le rédacteur ait fait l’effort de présenter à ses lecteurs mais, en outre, son compte rendu occupe à lui seul près de 13 % du volume de la revue dans la totalité de l’année 1705, ce qui dépasse la taille d’un numéro entier. C’est exceptionnel et même presque unique. On peut en déduire la mesure de l’intérêt suscité par cet ouvrage du côté anglais. Dans le début de la première partie de son compte rendu, où il ne tarit pas de louanges à l’égard de l’auteur et de son travail, le journaliste signale qu’une relation de la première partie de l’œuvre avait déjà été faite dans les Philosophical Collections de Hooke : Cet auteur érudit, dans cette deuxième partie de son Atlantica, ou Manheim [Voir un Compte rendu de la première partie dans les Philosophical Collections du Dr Hooke,

85. Ibid. 86. « An Abstract of a Book, Entituled, Olaui Rudbeckii, Atlanticae sive Manhemii pars secunda. In qua Solis, Lunae & Terrae Cultus describitur, omnisque adeo supertitionis hujusce Origo parti Sueoniae Septentrionali, Terrae puta Cimmeriorum vindicatur, ex qua deinceps in orbem reliquum divulgata est, &c. Accedunt demonstrationes certissimae, quae Septentrionales nostros, in maxime genuinum Solis ac Lunae motum, indeq ; pendentem accuratissam temporum rationem, multo & prius & felicius quam gentem aliam ullam penetrasse declarant. Upsalae. In Folio », Philosophical Transactions, Juin 1705, n° 300, p. 2012-2040. 87. « Olaui Rudbeckij Atlanticae, seu Manheimij, Pars Tertia. In qua vetustissima majorum nostrorum Atlantidum lapidibus, fago, aeri, sive cortici Runas suas incidendi ratio, una cum tempore, quo illa primo caeperit, exponitur. Necnon Aurei numeri singulis annis tributi, & Signorum Cœlestium, quae abhinc ad Graecos & Latinos sunt translata, vera origo & significatio traditur. Et illae a diliuvio Noachi primae aetates, atque in illis prima Atlantidum nostrorum forma describuntur : quae migrationes & bella sub Boreo, seu Saturno, ejusq ; filio Thoro seu Jove gesta sunt, recensentur : & denique Scytharum, Phœnicum & Amazonum his ducibus in Indo-Scythiam & Phœniciam seu Palaestinam e Sueonia factae expeditiones enarrantur. Quibus omnibus mythologiae perplures, quarum sensus in hune usque diem incognitus, hic demum detectus prodit, jucundae sane & perquam utiles adjunguntur. Upsalae in fol. 1698 », Philosophical Transactions, juillet 1705, n° 301, p. 2057-2080.

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Numéro 4.] a continué à obliger le monde érudit avec une nouvelle éclatante illustration de l’histoire et des antiquités du Nord, aucun homme ne l’ayant réalisée comme il l’a fait. Il divise ce grand travail en 11 chapitres88.

Dans la suite, le journaliste passe successivement en revue le contenu de chacun des chapitres du livre, de manière assez détaillée. Ses propos ne montrent guère de critiques, donnant l’impression d’un résumé relativement fidèle dont les multiples détails témoignent de l’intérêt du journaliste pour telle ou telle question. Ainsi que le rapporte le rédacteur, pour Rudbeck, les fables cachent des événements historiques réels : Dans le premier [Chapitre] il expose que Platon n’a pas inventé l’île de l’Atlantide, qu’il ne s’agissait ni de l’Amérique, ni de l’Afrique, ni des Canaries, et qu’elle n’a pas été engloutie dans la mer, comme beaucoup l’ont pensé, mais qu’elle n’est autre que la Suède, comme il pense l’avoir déjà établi par plus de cent caractères ou marques distinctifs qui conviennent à la Suède plus qu’à aucune autre partie du monde ; néanmoins, étant donné qu’à côté des choses déjà alléguées par lui, il s’est trouvé beaucoup de choses dans les écrits des Anciens, aussi bien de son propre pays que des étrangers, les siennes sous les voiles de leurs fables érudites, qui font grandement pour l’illustration de cet argument, et pour lequel il n’y avait aucune place dans sa première partie, il a pensé qu’il était convenable et nécessaire d’ajouter quelque peu de celles-ci ici ; faisant ressortir certaines choses concernant la véritable voie de tirer des vérités des fables des Anciens89.

Ainsi que le souligne le journaliste, pour l’auteur, les fables proviennent de la tradition des auteurs antiques de narrer les événements dans un mode poétique : D’abord il dit qu’il est de notoriété publique que c’était une chose généralement en usage parmi les auteurs antiques, d’expliquer, d’une façon poétique, l’origine du monde, le Déluge, les changements plus célèbres des choses dans le monde, les guerres, les mariages et d’autres affaires de grande importance : Et ceci, [afin] que ces choses puissent être lues avec un plus grand plaisir et s’imprimer plus efficacement dans les mémoires des lcteurs : il cite beaucoup d’endroits des Anciens qui appuient cette position et qui attribuent l’origine de fables aux Thraces et aux Samothraces. Il dit qu’Orphée, qui était aussi un Thrace, a divulgué les mêmes fables aux Égyptiens, aux Grecs et à d’autres90.

88. « This Learned Author, in this his second part of his Atlantica, or Manheim [see an Account of the first part in Dr. Hook’s Philosophical Collections, Numb. 4.] has continued to oblige the Learned World with a farther egregious Illustration of the Northern History and Antiquities, performed by no man as he has done. He divides this great Work into 11 Chapters » (Philosophical Transactions, Juin 1705, op. cit.) 89. « In the first he sets forth, that the Island Atlantica was neither feign’d by Plato, nor that it was America, nor Africa, nor the Canary Islands, nor that it was drown’d in the Sea, as many have thought, but that it’s Sweden itself ; which tho he conceives to have already made forth by more than a hundred distinct signs or marks, not so fitly applicable to any part of the World whatsoever as to Sweden ; yet forasmuch as beside the things already alledg’d by him, there are found many things in the Writings of the Ancients, both of his own Country and Foreigners, his under the Veils of their Learned Fables, which make greatly for the Illustration of this Argument, and for which there was no room in his first part, he has thought it fit and necessary to add somewhat of these here ; premitting some things concerning the genuine way of drawing Truth from the Fables of the Ancients » (ibid.). 90. « First then he says it’s generally known it was a thing commonly in use among the Ancient Writers, to explain, in a Poetical way, the origine of the World, the Deluge, the more famous changes of things in the World, Wars, Marriages, and other affairs of great moment : And this, that these things might be read with

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Rudbeck justifie donc ainsi le fait que les récits de la mythologie antique puissent être utilisés par les savants pour reconstituer les événements d’un passé très lointain, celui de la période post-diluvienne, pour lequel on ne peut disposer d’autres documents écrits en dehors de la Bible, mais qui ne fournit que des informations très maigres à ce sujet. Il veut redonner toute leur valeur et leur intérêt à des textes qui peuvent apparaître comme des fables. Pour lui, la clef d’interprétation de ces fables a été simplement perdue et on n’a pas su les interpréter correctement par la suite : Mais qu’après la guerre troyenne le monde érudit a commencé à être si aveugle dans la recherche et l’examen diligent de cette sorte d’écrit, que les hommes érudits, appliqués à ces questions, ont été conduits dans des sentiments divers et très contraires. Certains, quoi qu’ils aient trouvé dans les fables des Anciens, ont pensé qu’elles devaient être rapprochées du soleil, de la lune, des étoiles, de l’éther, de la mer, et d’autres choses semblables. D’autres ont pensé que les mœurs, les vertus et les vices des hommes ont été représentés de cette façon91.

Le journaliste cite ensuite des auteurs comme Huet et Hugues92 – qui ont voulu retrouver dans les fables, les événements et les personnages de la Bible – à propos desquels Rudbeck semble prendre quelque distance, puisqu’il indique que ce n’est pas son problème. Loin des préoccupations apologétiques des théologiens, en tant que savant, il se préoccupe uniquement de l’origine des peuples : Huet a pensé que la plus grande partie des affaires juives étaient comprises dans ces fables et a donc jugé que, dans les écrits des poètes, il pourrait voir les traces, ou les images des choses faites par Moïse, par les patriarches et les prophètes. Après lui, Jacobus Hugo a pensé que les fables des Anciens devaient s’appliquer aux événements relatifs à notre sauveur le Christ et aux apôtres, et qu’il n’est pas absurde de donner au Christ les noms d’Hercule, de Mercure, d’Apollon et de Jason ; à la Vierge Marie, les noms de Maja, d’Alcmène, de Vénus. Le nom d’Énée à Pierre, de Pollux à Paul et d’autres noms de divinités païennes à d’autres apôtres. Mais, dit notre auteur, ce n’est pas ici l’affaire, [de savoir] si n’importe quel homme peut effacer, ou donner à un autre un nom étranger, quand, les deux ont la même vertu et l’heureux succès : mais le point de l’affaire réside dans le vrai pays des dieux, c’est-à-dire, des premiers rois du Nord et de leur passage de là dans le reste du monde et dans la recherche des vrais origines de leurs noms ; qu’il conçoit impartialement avoir établi comme étant gothiques93.

the greater pleasure, and stick more tenaciously in the Readers Memories : he quotes many places of the Ancients abetting this position, and ascribing the Origine of Fables to the Thracians, and Samothracians. He says that Orpheus, who was also a Thracian, divulg’d the same Fables to the Ægyptians, Greeks, and others » (ibid.). 91. « But that after the Trojan War the Learned World began to be so blind in the search and diligent examination of this kind of Writing, that Learned Men, studious of these matters, have been driven into various and very contrary sentiments. Some, whatsoever they found in the Fables of the Antients, thought ought to be drawn to the Sun, Moon, Stars, Æther, Sea, and the like. Others thought the Manners, Virtues, and Vices of Men were delineated after that manner » (ibid.). 92. Dans la suite, le journaliste fait visiblement référence à l’ouvrage du théologien Jacques Hugues publié à Rome en 1655, J. HUGONIS, Vera historia romana…, typis F. Monetae, Rome 1655. 93. « Huetius thought most part of the Jewish affairs were comprehended in those Fables, and therefore he judg’d, in the Writings of the Poets, he could see the Shadows, or Images of the things done by Moses, the Patriarchs, and Prophets. After him Jacobus Hugo thought the Fables of the Antients were to be apply’d to the affairs of our Saviour Christ, and the Apostles, and thought it not absurd to give Christ the Names of Hercules, Mercury, Apollo, and Jason ; to the Virgin Mary, the Names Maja, Alcmena, Venus.

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Contrairement au journaliste français, le rédacteur anglais ne montre pas la même opposition aux thèses d’Huet, d’Hugues et de Rudbeck mais, en outre, il ne fait pas d’amalgame entre elles. A contrario, il souligne la différence qui existe entre les buts suivis par Huet ou Hugues et ceux que s’est fixé Rudbeck. Différence passée sous silence par le rédacteur français mais qui, à travers le compte rendu du rédacteur anglais, paraît avoir été mise en avant par Rudbeck lui-même. Ce qui, en définitive, aboutit pour le journaliste d’Outre-Manche à insister sur le côté purement « scientifique » du dessein poursuivi par l’auteur de l’ouvrage. En outre le journaliste anglais prend la peine de détailler la méthode que l’auteur donne aux chercheurs pour exploiter les récits mythologiques. En revanche, le journaliste français n’éprouve absolument aucun intérêt pour cette méthode, il se contente de la railler à l’occasion. Pour lui, il n’est pas question de la présenter comme son collègue britannique puisqu’il dénie la valeur même des fables, leur réalité historique, et donc l’utilisation qu’en fait Rudbeck. Mettant en cause le manque de compréhension affectant les narrations lorsqu’elles sont transmises d’un peuple à un autre, comme la variabilité des sens accordés à un terme par les poètes, Rudbeck prône la comparaison des textes les uns aux autres et une interprétation des mots en fonction de la thématique des récits. Ainsi que le rapporte le journaliste anglais, il se propose de donner les conseils qui suivent, comme un guide plus sûr à l’attention de tous les chercheurs en antiquités : 1. Qu’un homme rende familière à lui cette langue, dans laquelle sont compréhensibles les choses faites par les héros, les rois ou les gens qui doivent être dépeintes : car puisque chaque homme obtient ses premiers titres ou éloges dans la langue de son pays, quand ceux-ci sont rapportés aux étrangers, à moins qu’ils ne soient exactement compris, ils précipiteront les hommes, quelque érudit qu’ils soient par ailleurs, dans les erreurs les plus grossières. De ceci, il donne un exemple dans le mot Jupiter, dont la force et la signification étant comprise par peu d’auteurs grecs et latins, ceux-ci l’interprétaient selon diverses voies ; alors que c’est seulement leur pays qui a conservé ce mot comme un titre majestueux, du souvenir le plus éloigné de leurs ancêtres, le mot gothique étant Jofur, jo dénotant la terre et fur, ou fadur, le père, le prince, ou le roi. 2. Qu’un homme lise avec application et exactitude tous les auteurs qui doivent être reçus, et les compare ensemble. 3. Qu’il examine de près fidèlement et posément le thème lui-même, il était habituel chez les poètes de jouer eux-mêmes avec diverses significations du même mot, comme la nature du thème l’exigeait, de quoi il donne quelques exemples94.

The Name of Ænæos to Peter, of Pollux to Paul, and other Names of Pagan Deities to others of the Apostles. But, says our Author, It is not here the business, whether any man may efface, or give to another a foreign Name, when both have the same Virtue and Fortunate Success : But the point of the matter lyes in the true Country of the Gods, that is, of the first Kings of the North, and their passing thence into the rest of the World, and in the search of the true Origine of their Names ; which he conceives fairly to have made appear to be Gothick » (ibid.). 94. « 1. That a man renders that Tongue familiar to him, in which are comprehended the things done by the Heroes, Kings or People to be describ’d : for since each man has got his first Titles or Praises in his Country Language, when these are brought to Foreigners, unless they are accurately understood, they will precipitate men, how learned soever otherwise, into most gross errors. Of this he gives an Instance in the word Jupiter, whose force and signification being understood by few Greek and Latin Writers, they interpreted it various ways ; whereas it’s only their Country that has retain’d this word as a Regal Title, from the most remote memory of their Ancestors, the Gothick word being Jofur, Jo denoting the Earth, and Fur, or Fadur, Father, Prince, or King. 2. That a man read with diligence and accuracy all Authors

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Pour Rudbeck, les récits mythologiques des anciens ont pour origine les fables scandinaves. Et toute l’érudition de ces temps semble avoir été impliquée dans les fables. Il postule audacieusement des relations entre les Grecs et les hommes du nord : Dans son troisième chapitre, il examine les fables des Scaldes, c’est-à-dire de leurs poètes, qui, en même temps que leurs dieux, c’est à dire avec leurs rois, sont passées aux Grecs, Égyptiens, Lybiens et Asiatiques. Pour le prouver, il nous apprend quelle familiarité il y avait entre Abaris le scythe et Pythagore ; que le premier fit un voyage des contrées extrêmes du Nord jusqu’au second, et il lui apprit beaucoup de secrets, beaucoup de choses aussi concernant la superstition et les sacrifices des Hyperboréens, et concernant l’origine et la généalogie de leurs dieux. Et il dit que Pythagore, Homère, Hésiode et d’autres Grecs avaient visité les parties reculées du Nord. Et que ni les dieux, ni les noms des dieux, ni les fables, les concernant, n’appartiennent aux Grecs en tant que leurs premiers auteurs et inventeurs, mais que tous ceux-ci, par la confession des Grecs eux-mêmes, leur sont venus des Barbares, ou des Hyperboréens, et d’autres Nations95.

Dans la suite, Rudbeck compare les fables scandinaves à celles des grecques et y trouve des correspondances. Pour lui, l’origine nordique de la mythologie s’est perdue avec le temps : « il nous dit qu’une certaine admiration trop grande du monde du Sud, s’est accrue dans le cours du temps, par un oubli ou une haine pour les affaires du Nord, qui ont mené beaucoup d’hommes dans des erreurs, par rapport au vrai sens des auteurs les plus antiques, dont ils avaient néanmoins préservé assez religieusement les mots »96. Dans son cinquième chapitre, il s’intéresse au culte du soleil, à son origine et à sa propagation à travers l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Il trouve une explication astucieuse à l’adoration du soleil et de la terre et à la provenance nordique de ces cultes, en arguant du fait que, comme les habitants de la Scandinavie se voyaient privés de la lumière et de la chaleur de l’astre du jour pendant plusieurs mois entiers et qu’ils se trouvaient plongés dans l’obscurité, le froid et la glace, « ces personnes avaient sans aucun doute appris à désirer plus sincèrement les bienfaits du soleil et de la terre, et à avoir les auteurs de ces bienfaits dans un honneur et une estime plus grande que ceux pour qui le soleil est toujours également présent, et la terre produit toujours des Fruits ; ainsi qu’il en est avec les habitants plus au sud »97. Il renforce

that are to be gotten, and compare them together. 3. That he faithfully and soberly inspect the Argument itself, it having been usual with the Poets to sport themselves with divers Significations of the same Word, as the nature of the Argument required, of which he gives some Instances » (ibid.). 95. « In his third Chapter he treats of the Fables of the Scalds, that is, of their Poets, which, together with their Gods, that is with their Kings, past to the Greeks, Ægyptians, Lybians and Asiaticks. To make out this, he tells us of a great familiarity there was betwixt Abaris the scythian, and Pythagoras ; that the former made a Voyage from the utmost parts of the North to the latter, and taught him many Arcana, many things also concerning the Superstition and Sacrifices of the Hyperboreans, and concerning the Origin and Genealogy of their Gods. And says that Pythagorus, Homer, Hesiod, and others of the Greeks had visited the remote Northern parts. And as neither the Gods, nor the Names of the Gods, nor the Fables, concerning them, belong to the Greeks as the first Authors and Inventers of them, but that all these, by the Confession of the Greeks themselves, came from the Barbarians, or Hyperboreans, to them, and other Nations » (ibid.). 96. « he tells us that a certain over great admiration of the Southern World, grown up in progress of time, thro an oblivion or hatred of the Northern affairs, had led many Men into Errors, from the true Sense of the most Antient Writers, whose Words nevertheless they had preserv’d Religiously enough » (ibid.). 97. « These persons doubtless learnt most earnestly to desire the benefits of the Sun and the Earth, and to have the Authors of these benefits in a greater esteem and honour, than those to whom the Sun is always equally present, and the Earth always produces Fruits ; as it is with the more Southerly Inhabitants » (ibid.).

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son argumentation à propos de l’origine nordique du culte du soleil en « montrant que les Noms qu’il a parmi les grecs, les latins et d’autres Nations, tirent leur origine de la Langue Gothique »98. Et d’ailleurs, comme le souligne le journaliste anglais : « il observe, qu’après la Confusion de Babel, les hommes, déçus de [ne pouvoir] se prémunir eux-mêmes d’un autre déluge par la tour dont ils avaient eu le projet, beaucoup d’entre eux se sont transportés sur les montagnes et par conséquent dans le nord, où ils avaient non seulement une habitation en sûreté sur des Montagnes, mais aussi toute commodité de poursuivre le gibier par la terre, et de pêcher ; la partie Nord, étant la plus haute, fut la première à sécher après le Déluge et à produire des animaux. »99 En ce qui concerne le culte de la lune, l’auteur explique que les peuples de Scandinavie y étaient d’autant plus attachés que, durant leur long hiver, la lune remplaçait en quelque sorte le soleil absent. Comme le rapporte dans sa relation le journaliste, l’auteur fournit à l’appui de ses thèses de multiples arguments étymologiques ou linguistiques, basés sur des rapprochements. Rudbeck rattache les rites et les croyances des peuples antiques à ceux des scandinaves. Le rédacteur termine sa relation sur la conclusion de Rudbeck : Et il conclut cette seconde partie de son Atlantica, dans lequel il a pris sur lui principalement de considérer ces trois corps de l’univers, le Soleil, la Lune et la Terre, à la manière des Anciens, avec les mots de l’érudit Hoperus, dans sa Thémis Hyperborea et aussi avec ceux du savant Guliel Stiehlius ; le premier disant, que tout ce qu’il y avait de philosophie parmi les Européens, les Asiatiques et les Égyptiens, est provenu des antiques Hyperboréens ; le second, que les noms et de même l’adoration des dieux et des déesses sont venus du Nord aux Grecs et de là aux Romains100.

La seconde partie du compte rendu des Transactions examine la troisième partie de l’ouvrage d’Olof Rudbeck alors que le Journal n’a pas daigné s’y intéresser : « Cet auteur érudit divise cette troisième partie de son Atlantica en treize chapitres. Le premier chapitre examine les écritures les plus antiques des Hyperboréens et la tradition des Grecs et d’autres nations, de prendre quelques choses d’eux »101. Rudbeck avance que les caractères runiques sont plus anciens que les caractères utilisés par la plupart des autres nations, en particulier européennes. Les runes furent inventées par Magog le Scythe, « En ce temps particulier, ce que lui-même a montré, dans son précédent volume, à partir de Pline, Wormius et de leurs propres écritures, que Atlas était un des

98. « He proceeds next to set forth in order the various names of the Sun, shewing that the Names he has among the Greeks, Latins, and other Nations, have their origin from the Gothick Language » (ibid.). 99. « He observes, that after the Confusion of Babel, Men being disappointed of securing themselves from another Deluge, by their Intended Tower, many of them be took themselves to Mountains, and consequently to the North, where they had not only a secure habitation on Mountains, but had likewise the conveniencies of pursuing Game by Land, and of Fishing ; the Northern part, as being the highest, first growing dry after the Flood, and first generating Animals » (ibid.). 100. « And he concludes this second part of his Atlantica, in which he took upon him chiefly to consider these three Bodies of the Universe, the Sun, Moon and Earth, after the manner of the Antients, with the words of the learned Hoperus, in his Themis Hyperborea, and also with those of the Learnt Guliel. Stiehlius ; the former saying, that whatsoever there was of Philosophy among the Europeans, Asiaticks and Ægyptians, flow’d from the Antient Hyperboreans ; the latter, that the Names and likewise the Worship of the Gods and Goddesses came from the North to the Greeks, and thence to the Romans » (ibid.). 101. « This Learned Author divides this Third part of his Atlantica into thirteen Chapters. The first Chapter treats of the most Ancient Writings of the Hyperboreans, and the Custom of the Greeks, and other Nations, of taking some things from them » (Philosophical Transactions, juillet 1705, op. cit.).

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premiers inventeurs des calendriers runiques, d’où ils sont appelés calendriers d’Atlas, ou Runstaffs ; qu’il fait aussi inventeur du vrai Nombre d’Or, entre l’année du monde 1800 et 1900, lequel nombre constitue un argument incontestable pour l’âge véritable des calendriers runiques, et les seize lettres runiques, employées par leurs ancêtres dans l’écriture, et étant plus anciennes que les lettres de la plupart des autres nations, particulièrement européennes, autant qu’elles ont été examinées à ce jour »102. Le journaliste anglais qualifie l’argument de Rudbeck d’incontestable : ce qui semble montrer que l’auteur l’a convaincu de l’ancienneté des runes. Rudbeck affirme que les runes sont non seulement plus anciennes que toutes les autres lettres mais, en outre, que les Grecs et les Phéniciens s’en sont inspirés pour leurs propres alphabets103 : Et [il] conclut comme une vérité certaine et incontestable, qu’il n’y a aucune nation dans le monde entier, qui nous soit connue, ou dont on ait entendu parler, qui par des raisons sans réplique et des monuments actuellement existants, soit capable de montrer, ou de produire des lettres plus anciennes que les leurs. Au contraire, il conclut que les Grecs et les Phéniciens ont reçu leurs lettres d’eux104.

Dans la première partie de son compte rendu, le journaliste anglais avait déjà eu l’occasion de parler de l’ancienneté des runes et des calendriers runiques : et [il] dit qu’il a le plus clairement prouvé que leurs monuments runiques les plus anciens sont debout depuis 4000 années, à savoir, qu’ils ont été fondés et taillés avec des lettres au 17ème siècle après la Création : D’où si cela se révèle bon, nous pouvons noter, que cela vient très près du temps de l’inondation, selon la chronologie hébraïque, que l’auteur suit, et qu’il refuse tout à fait la chronologie de la Septante, quant à l’époque de la Création et du Déluge. Il observe que Noé a vécu 350 ans après l’inondation, Gen. 9. 28. C’est-à-dire en l’année du Monde 2006. Le Déluge est arrivé 1656 ans après la Création ; et donc il dit qu’il trouve que Noé mourut un âge entier après que le cycle Lunaire a été retranché dans les Fastes runiques, et deux âges après que les mêmes Fastes furent composés par le Roi Atlas, selon le mouvement du soleil : et [il] dit que les Fastes atlantiques furent rapportées par Hercule en Égypte, et par Saturne en Toscane, autour du même temps105.

102. « At that particular time that himself has shewn, in his precedent Volume, from Pliny, Wormius, and their own Writings, that Atlas was one of the first Inventers of the Runick Calendars, from whom they are call’d Atlas’s Calendars, or Runstaffs ; whom he makes also Inventer of the true Golden Number, betwixt the year of the World 1800 and 1900, which Number stands an undoubted argument for the true age of the Runick Calendars, and the sixteen Runick Letters, us’d by their Ancestors in writing, and being more ancient than the Letters of most other Nations, especially European, as many as have been seen to this day » (ibid.). 103. En fait, les runes ne sont apparues que vers le Ier ou le IIe siècle, et en outre, pour plus de la moitié des runes, la forme suggère un emprunt aux alphabets méditerranéens (latin et grec). Cf. L.-J. CALVET, Histoire de l’Ecriture, Paris 1996, p. 149-161. Pour une étude plus approfondie, voir en particulier F.-X. DILLMANN, « Les runes », thèse de doctorat, Université de Rouen, 1976. 104. « And concludes it as a certain and undoubted truth, that there is no Nation in the whole World, known to us, or heard of, which by unanswerable Reasons and Monuments now in being, is able to shew, or produce Letters more ancient than theirs. On the contrary, he concludes the Greeks and Phænicians to have receiv’d their Letters from them » (Philosophical Transactions, juillet 1705, op. cit.). 105. « … and says he has most clearly made out that their most ancient Runic Monuments are of 4000 years standing, viz. that they were set up and cut with Letters the in 17 hundredth Century after the Creation : Which if it will hold good, we may note, that this comes very near to the time of the Flood, according to the Hebrew Chronology, which the Author follows, and utterly refuses the Septuagint

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Ce passage est particulièrement intéressant car il est révélateur des préférences du journaliste anglais quant à la chronologie, dans la mesure où il éprouve le besoin de faire remarquer à ses lecteurs le bon accord de l’âge des monuments runiques avec la chronologie du texte hébreu tout en soulignant l’opposition de l’auteur à la chronologie plus longue de la Septante. Bien que le journaliste français ne parle pas explicitement de la chronologie, le ton qu’il adopte contraste avec celui de son collègue britannique et exprime assez son opposition aux prétentions de Rudbeck sur l’origine et l’ancienneté des « monuments runiques ». Ainsi, contrairement à son homologue d’Outre-Manche, le journaliste français conteste l’origine du calendrier runique en traitant l’affirmation de l’auteur comme une prétention : « Le chapitre suivant est du calendrier dont il prétend qu’Atlas Roi de Septentrion fut auteur »106. Une bonne part de la troisième partie de l’ouvrage traite des six âges de l’histoire des débuts de l’humanité (voir texte encadré pages suivantes) : l’âge d’or, l’âge d’argent qui se termine par le Déluge, l’âge de pierre qui le suit, l’âge de cuivre (ou de frêne), l’âge des héros et, enfin, l’âge de fer. Comme on l’a dit, le journaliste français n’a même pas jugé bon de présenter cette troisième partie à ses lecteurs. Il ne parle donc pas de ces temps fabuleux. Rudbeck se place du côté de ceux qui pensent que les écrits des païens contiennent des choses en accord avec les textes sacrés. Pour peu que l’on sache les interpréter, les fables et les récits des anciens fournissent des informations valables pour reconstituer le passé très reculé de l’humanité. Pour le journaliste anglais, les arguments de l’auteur sont indiscutables : « Le douzième chapitre traite de Jupiter, et de sa forme de gouvernement, et d’expéditions à diverses époques aux environs de l’année du monde 2100. L’auteur ayant prouvé par beaucoup de solides arguments dans ses précédents vvolumes, que Jupiter était le fils de Saturne en Suède, et qu’il a tenu là son empire ; il entreprend de montrer ici qu’il est allé de là en d’autres pays et les a soumis, ce qui a été l’occasion de diverses nations et de villes, de revendiquer son lieu de naissance et son tombeau pour elles ; parmi lesquelles il compte d’abord celles de Crète »107.

Chronology, as to Epocha’s of the Creation, and Deluge. He observes that Noah liv’d 350 years after the Flood, Gen. 9. 28. That is, to the year of the World 2006. The Deluge happen’d 1656 years after the Creation ; and so he says he finds that Noah dyed a whole Age after the Lunar Circle was cut in the Runick Fasts, and two Ages after the same Fasts were compos’d by King Atlas, according to the motion of the Sun : And says the Atlantick Fasts were carried by Hercules into Ægypt, and by Saturn into Tuscany, about the same time » (Philosophical Transactions, Juin 1705, n° 300, p. 2012-2040). 106. Journal des savants, 1er septembre 1692, op. cit. 107. « The twelfth Chapter treats of Jupiter, and his form of Government, and Expeditions at several times about the year of the World 2100. The Author having prov’d by many strong Arguments in his precedent Volumes, that Jupiter was the Son of Saturn in Sweden, and held his Empire there ; he undertakes to shew here that he went thence to other Countries and subdued them, which has been the occasion various Nations and Vities, claiming his place of Birth and Sepulchre to themselves ; among whom he first numbers those of Crete » (Philosophical Transactions, juillet 1705, op. cit.).

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Olavi Rudbeckii Atlanticae, seu Manheimii, Pars Tertia…, Philosophical Transactions de juillet 1705, n° 301, p. 2057-2080. (Extraits) In the fourth Chapter, and the five following, the Author treats of the six Ages of the World. In this fourth he treats of the Golden Age, or the first Age from the beginning of the World. Here the Author says, he thinks those of the Learned Christians did well, who endeavour’d to induce the Gentiles to a belief of the Scriptures, from the Writings of the Gentiles themselves, they containing a relation of many famous facts, which are confirm’d by the Scriptures : But, he says, if those Doctors had began from the Genealogies of the ancient Pagan Kings, and shewn from the beginning, how these answer’d, Race by Race, to the Genealogies of the Jews, they would have made the Cœlestial Doctrine more clear to them ; since thence they might have collected, that he, to whom the fact of another was imputed, liv’d at the same time with him whose fact it was. And Because as far as he knows, no man has throughly handled this, he here proposes to shew, beginning with the first Age after the Creation of the World, how, both their Ancestors, and other Pagans, with respect to Posterity, from one Generation to another, have propagated many things agreeing to Sacred Writ : For performing which, in his Accounts of the second, third and fourth Age, he has given us three Chronological Tables. And in his Account of the Golden Age in this Chapter, he thinks it appears from the words of Hesiod, concerning that Age, joyn’d with the Voluspa, and the Scriptures well consider’d, that their Ancestors were the first known for Empire in the World, and for their singular Wisdom, Justice and Fortitude. The fifth Chapter treats of the second, or Silver Age, which he says was ended at the Deluge, by reason of Men’s Crimes. The sixth Chapter treats of the third Age, call’d Rocky or Stony, mention’d in the Volupsa : Which Age Hesiod seems to have made the Brazen ; tho the rest of the Ancient Greek and Latin Poets make some mention of it, call’d Rocky, because Noah’s Ark rested on a Mountain, whence by the Northern Histories and the Scalds the Men of this Age are said to be sprung or descended from Mountains : And whereas Deucalion and his Wife are said to have thrown Stones over their Heads, whence Men and Women sprung up, this he says denotes Noah’s Descent with his Family from Mount Araret, leaving the Mountain behind them. The seventh Chapter treats of the fourth, or Brazen, or Ashen Age ; and began, he says, with their King Maderus, or Mannus ; because, by reason of his Strength and brawny Limbs, he was said to be made of Ash ; or because in his time their Ancestors began to use Darts and Clubs of Ash ; the Destruction of Thebes or Troy putting an end to this Age. The eighth Chapter treats concerning the fifth Age, or the Age of the Heroes. Here he says it’s worth noting, that Hesiod says the Heroes that remain’d after this Age and the Trojan War, took their Seats in the most remote parts of the World, and in the Elysian Fields, meaning their Atlantica. And this, he says, is most worthy to be noted, that after the destruction of Troy, and the return of the remaining Heroes, we can find none of the Greek and Latin Writers calling any King or Great Men of their own or other Nations by the Title of Jupiter, Neptune, Hercules, or Pluto : But as these were of the stock of their Saturn, Jupiter, Atlas, so these were only call’d by those Names of the Gods. Some of those Heroes marrying with foreign Mortal Women, had Children, which therefore were call’d Demi-gods : Their chief Heroes being said to be immortal, not that they did not dye, but because they were thought to revive under the form of other Men. It’s observ’d that after Jupiter return’d with the six Gods that accompany’d him from Troy, the use of his Name vanisht also with the Greeks ; whence the Greek Writers conclude, that after that time

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Jupiter cohabited no more with natural Women : He observes, it was the custom of their ancient Kings and Giants not to marry with Women of a low stature, least the Race should expire, which custom continued till the time of Alexander the Great ; and this Custom, he says, continued among the Helsingi till the beginning of the last Age (as he was told by the Governor of that Province) for which reason perhaps, they are seen, for the most part, to excel the rest of the Inhabitants of Sweden, in bulk and stature to this day ; whence if a Man be seen to exceed the common stature, it passes as a common Proverb, to call him a Long Helsinger. The ninth Chapter treats of the Sixth or Iron Age. Here the Author quotes the Voluspa and Hesiod, giving an account of this Age, in which all things were in confusion, and by the words of the Voluspa, this Age seems to be confounded in part with the former Age, and to end with the Trojan War. Dans le quatrième chapitre, et le cinq qui suit, l’auteur traite des six âges du monde. Dans ce quatrième il traite de l’âge d’or, ou du premier âge à partir du commencement du monde. Ici l’auteur dit, qu’il pense que ceux des érudits chrétiens qui ont réussi, [sont ceux] qui ont essayé d’inciter les païens à une croyance des écritures saintes, à partir des écrits des païens eux-mêmes, celles-ci contenant une relation de beaucoup de faits célèbres, qui sont confirmés par les écritures : mais, il dit, que si ces docteurs avaient commencé par les généalogies des antiques rois païens, et montré à partir du commencement, comment celles-ci correspondaient, race par race, aux généalogies des Juifs, ils leur auraient rendu la doctrine céleste plus claire ; puisque de là ils auraient pu avoir recueilli, ce que lui, à qui le fait d’un autre était imputé, a vécu en même temps avec celui dont c’était le fait. Et parce qu’autant qu’il sache, aucun homme n’a conséquemment traité de cela, il propose ici de montrer, en commençant par le premier âge après la création du monde, comment, à la fois leurs ancêtres, et d’autres païens, quant à la postérité, d’une génération à une autre, ont propagé beaucoup de choses qui s’accordent avec les écritures sacrées : pour l’exécution de laquelle, dans ses comptes rendus des second, troisième et quatrième âges, il nous a donné trois tables chronologiques. Et dans son récit de l’âge d’or dans ce chapitre, il pense qu’il apparaît d’après les mots d’Hésiode, concernant cet âge, joints avec la Voluspa, et les écritures bien considérées, que leurs ancêtres furent les premiers connus pour l’empire dans le monde, et pour leur sagesse singulière, leur justice et leur fermeté. Le cinquième chapitre traite du second âge, ou âge d’argent, lequel dit-il se termina au Déluge, à cause des crimes des hommes. Le sixième chapitre traite du troisième âge, appelé rocheux ou pierreux, mentionné dans la Volupsa : lequel âge Hésiode semble avoir fait celui de cuivre ; bien que le reste des anciens poètes grecs et latins en fassent quelque mention, appelée rocheux, parce que l’arche de Noé s’est reposée sur une montagne, d’où d’après les histoires du Nord et les Scaldes, on dit que les hommes de cet âge se sont élancés ou sont descendus des montagnes : et tandis que l’on dit que Deucalion et sa femme ont jeté des pierres sur leurs têtes, d’où des hommes et des femmes apparurent soudainement, ceci dit-il atteste de la descente de Noé avec sa famille du mont Ararat, laissant la montagne derrière eux. Le septième chapitre traite du quatrième âge, ou âge de cuivre, ou de frêne ; et a commencé, dit-il, avec leur roi Maderus, ou Mannus ; parce que, à cause de sa force et de ses membres musculeux, on a dit qu’il était fait de frêne ; ou parce que dans son temps leurs ancêtres ont commencé à employer des flèches et des massues de frêne ; la destruction de Thèbes ou de Troie mettant fin à cet âge.

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Le huitième chapitre traite ce qui concerne le cinquième âge, ou l’âge des héros. Ici il dit que cela vaut la peine de noter, que Hésiode dit que les héros qui sont restés après cet âge et la guerre de Troie, ont pris leurs places dans les parties les plus reculées du monde, et dans les Champs Elyséens, signifiant leur Atlantide. Et le plus remarquable, dit-il, c’est qu’après la destruction de Troie et le retour des héros survivants, nous ne pouvons trouver aucun des auteurs grecs et latins qui appela n’importe quel roi ou les grands hommes de leurs propres nations ou des autres du titre de Jupiter, Neptune, Hercule, ou Pluton : mais comme ceux-ci furent de la valeur de leurs Saturne, Jupiter, Atlas, alors ceux-ci furent seulement appelés par ces noms de dieux. Certains de ces héros se mariant avec des femmes mortelles étrangères, eurent des enfants, qui furent donc appelés des demi-dieux : leurs héros en chef étant dits être immortels, non qu’ils ne moururent, mais parce qu’on a pensé les voir renaître sous la forme d’autres hommes. Il est observé qu’après que Jupiter fut retourné avec les six dieux qui l’avaient accompagné depuis Troie, l’utilisation de son nom disparut aussi avec les grecs ; d’où les auteurs grecs concluent, qu’après ce temps-là Jupiter n’a plus cohabité avec des femmes naturelles : il observe, que c’était la coutume de leurs anciens rois et géants de ne pas se marier avec les femmes de petite taille, faute de quoi la race expirerait, laquelle coutume continua jusqu’au temps d’Alexandre le Grand ; et cette tradition, dit-il, se poursuivit parmi les Helsingi jusqu’au commencement du dernier âge (comme il a été dit par le gouverneur de cette province) raison peut-être pour laquelle on les voit, pour la plupart, exceler jusqu’à nos jours le reste des habitants de la Suède, en poids et en corpulence ; d’où si un homme est vu excéder la stature commune, il est appelé, selon un proverbe commun, un long Helsinger. Le neuvième chapitre traite du sixième âge ou âge de fer. Ici l’auteur cite la Voluspa et Hésiode, donnant un récit de cet âge, dans lequel toutes les choses furent dans la confusion et selon les mots de la Voluspa, cet âge semble être confondu en partie avec le précédent âge, et finir avec la guerre de Troie.

III. L’origine des nations selon le père Pezron et Leibniz 1. L’origine des nations de l’abbé de La Charmoye dans les Philosophical Transactions Le 22 avril 1699, John Wallis écrivait un courrier à Hans Sloane, alors rédacteur des Philosophical Transactions, dans lequel il lui faisait part d’une correspondance de Leibniz, écrite de Hanovre le 30 mars 1699, à laquelle était jointe une copie d’une longue lettre en français de l’Abbé de la Charmoye à l’Abbé Nicaise. Cette dernière lettre donnait la relation du contenu d’un traité concernant l’origine des nations que l’auteur entendait faire imprimer sous peu. L’abbé de la Charmoye n’était autre que le père Paul Pezron avec qui nous avons déjà fait connaissance dans la polémique autour de la chronologie des Septante. En 1697, le roi avait gratifié Dom Pezron de l’Abbaye de la Charmoye que le cistercien conserva juqu’en 1703. La même année, Pezron publia son Antiquité de la nation et de la langue des Celtes, autrement appelés Gaulois (Paris, 1703, in-12). Dans la première partie de son ouvrage, Pezron s’efforçait de prouver que les Gaulois descendaient en ligne directe de Gomer, fils aîné de Japhet. Selon lui, après avoir habité sous différents noms l’Asie et ses îles, ces peuples se fixèrent près du Pont-Euxin, d’où ils colonisèrent peu à peu toute l’Europe. Dans la seconde partie, Pezron s’applique à démontrer que la langue primitive des Gaulois 256

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était le celte, tel qu’il s’est conservé et qu’on le parle dans le pays de Galle. Il termine son ouvrage par une liste très étendue des mots tirés du celte qu’on peut trouver dans le grec, le latin et l’allemand. Cet ouvrage ne constituait que l’essai d’un travail immense dont Pezron trace le plan dans sa lettre à l’abbé Nicaise, insérée dans les Nouvelles de la République des Lettres, en juin 1699108 (voir le texte de la lettre en annexe). La copie de cette même lettre parvint donc à John Wallis par les soins de Leibniz. Sloane s’empressa de publier la lettre de Wallis dans les Transactions109. Ainsi que l’indique la lettre de Wallis, dans son traité, Pezron s’efforçait de découvrir, à partir de la mythologie antique, un récit historique de l’origine des diverses nations. Leibnitz demandait à Wallis de communiquer la copie de la lettre de l’abbé de la Charmoye à l’évêque de Lichfield et Coventry (à présent évêque de Worcester) « qui se sert parfois de telles méthodes là où les histoires sont silencieuses »110. Les savants de l’époque cherchent le moyen de combler l’absence de chroniques historiques pour les temps reculés de l’histoire de l’humanité afin de connaître les événements de ce passé lointain et d’élucider les origines de l’humanité, tout comme celle de l’histoire de la Terre. Aux yeux des hommes de science de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe siècle, les récits mythologiques et les ressources de la linguistique peuvent offrir des moyens valables pour mettre en évidence des traces de ce passé très lointain. Leibniz est de cet avis et, d’ailleurs, son jugement sur L’Origine des Nations est plutôt positif. Il regrette seulement que son auteur français ait pu être influencé par un certain « chauvinisme », tout en abondant néanmoins dans le sens de l’auteur : Il pense que cet auteur français peut être éventuellement enclin à se montrer quelque peu partial en faveur de ses Gaulois ou Celtes, mais que cependant quelques bonnes découvertes peuvent y être faites. Il nous dit, selon son point de vue, que « Celtae olim Germanos & Gallos complectebantur. Quod Wallica seu Cambrica nostra Lingua, est Semi-germanica, veteri Gallicae proxima. Putatque, saltem suspicatur, Camros vel Cambros nostros, pro parte, ex ipsorum Cimbriae antiquis habitatoribus venisse, ut postea Angli ex posterioribus sunt egressi. Titanum cum Diis bello, veteres intellexisse putat, Scytharum vel Celtarum antiquas in Asiam & Graeciam irruptiones ; tunc cum ibi regnabant qui postea Dii sunt habiti. Et Promethei (Titanis) alligationem ad Caucasum, forte non aliud designare, quam, coercitos copius ad Caspias portas locatis Scythas. Sed nihil (inquit) est in his ultra conjecturas »111.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le rédacteur anglais des Collections en 1682, et celui des Transactions en 1705, n’éprouvent pas la même gêne vis-à-vis du nationalisme outrancier exprimé par le Suédois Olof Rudbeck à travers son Atlantica.

108. « Article II. Copie d’une Lettre de Mr. L’Abbé de la Charmoye, à Mr. L’Abbé Nicaise ; où il lui fait un détail de son Ouvrage de l’Origine des Nations, qu’il doit bien-tôt mettre au jour », Nouvelles de la République des Lettres du mois de Juin 1699, p. 627-639. 109. « A Letter of Dr. Wallis to Dr. Sloan, Secretary to the Royal Society, giving an Acoount of some late Passages between him and Myn Heer Leibnitz, of Hannover », Philosophical Transactions, Août 1699, n° 255, p. 273-274. 110. « Who doth sometimes make use of such Methods where Histories are silent » (ibid.). 111. « He thinks this French Author may be perhaps inclinable to be somewhat partial in favour of his Gauls or Celtae, but however that some good Discoveries may be hence made. He tells us, as his own sense, That [...] » (ibid.).

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Peut-être les deux journalistes anglais ne sont-ils pas mécontents de voir, pour une fois, l’origine de la civilisation déplacée du sud vers le nord. Ils accueillent favorablement une thèse qui attribue l’origine de la civilisation à une nation germanique du nord de l’Europe, devenue par ailleurs protestante, et qui rabaisse l’amour-propre des nations du sud de l’Europe, le berceau traditionnel de la civilisation européenne, Latins, restés par ailleurs catholiques, et Grecs. À la suite de la lettre de Wallis à Sloane, les Transactions présentent une relation de l’œuvre de l’abbé de la Charmoye, basée sur la copie de la lettre transmise par Leibniz112 : « L’auteur dit d’abord, que son livre sera publié sous le nom de L’Origine de Nations. Que ce sera un commentaire historique du dixième chapitre de la Genèse, où Moïse mentionne les premiers pères et recolonisateurs de la terre, après le Déluge. L’auteur divise ce travail en cinq livres »113. Dans son premier livre, l’auteur s’intéresse aux habitants de la Terre avant l’épisode de la tour de Babel et de la confusion des langues. S’appuyant sur l’Écriture, Pezron constate « que Noé, par le Commandement spécial de Dieu, avait, avant sa Mort, disposé et limité certaines Parties de la Terre pour être possédées par ses trois Fils, Sem, Cham et Japhet ; il prouve que Japhet est le plus jeune des trois Frères, &c. »114. En s’appuyant sur les auteurs antiques, Pezron identifie les Celtes aux descendant de Gomer, l’un des fils de Japhet : « Dans la cinquième partie de son travail, l’auteur dit qu’il découvre l’origine des anciens Celtes, qui furent ensuite appelés Gaulois : Et il dit à l’abbé Nicaise, qu’il fera apparaître de Josèphe, et d’autres auteurs anciens, qu’ils sont descendus de Gomer, le fils le plus jeune de Japhet ; néanmoins nous ne nous attarderons pas ici sur ses preuves, il dit qu’il donnera de bonnes raisons, que l’Asie Majeure, du côté de la mer Caspienne, fut leur premier établissement ; c’est-àdire, autour de la Margiane, l’Hyrcanie, la Bactriane et d’autres parties avoisinantes ; également qu’ils eurent le nom de Gomoriens, ou Gomarites, pendant beaucoup de siècles, en tant que descendants de Gomer, le fils le plus jeune de Japhet »115. Ensuite, le journaliste rapporte les propos de l’auteur sur la manière dont les descendants de Gomer se répandirent en Asie : « Il dit alors, que ceux qui sont sortis des Parthes dans le premier âge ont été appelés des Saces, ou Saques, en latin, Sacae ; et que leurs noms ont été célébrés partout en Orient, que pendant cet âge ils se sont répandus dans toute l’Arménie, puis dans la Cappadoce près du lac, et quelque temps après

112. « An account of the Abbot Charmoy’s Book, according to his own Relation, sent to Abbot Nicaise, in form of a Letter, which he calls, L’Origin des Nations », Philosophical Transactions, Août 1699, n° 255, p. 274-280. 113. « The Author first says, his Book shall be publish’d under the Name of, The Origin of Nations. That it shall be an Historical Comment upon the tenth Chapter of Genesis, where Moses mentions the first Fathers and Replenishers of the Earth, after the Deluge. This Works the Author divides into Five Books » (ibid.). 114. « … that Noah, by God’s special Command, had, before his Death, laid out, and limited certain Portions of Land for his three Sons, Sem, Cham, and Japhet to possess ; he proves that Japhet is the youngest of the three Brethren, &c. » (ibid.). 115. « In the Author’s Fifth Part of his Work, he says, he discovers the beginning of the Ancient Celtics, who were afterwards called Gauls : And he tells the Abbot Nicaise, he will make appear from Josephus, and other Ancient Writers, that they descended from Gomer, youngest Son to Japhet ; yet will not rest his Proof here, he says, he will give good Reasons, that Asia Major, toward the Caspian Sea, was their first Establishment ; that is, about Margia, Hyrcania, Bactria, and other adjoyning Parts ; also that they had the Name of Gomorians, or Gomarites, for many Ages, as descending from Gomer, Japhet’s youngest Son » (ibid.).

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cela en Phrygie, laquelle fait passer en Asie Mineure ; où ils ont commencé à porter le nom de Titans, ce mot signifiant en celte les hommes de la terre »116. Dans les arguments avancés par l’abbé de la Charmoye pour appuyer ses thèses, on retrouve bien des similitudes avec ceux dont usait Olof Rudbeck. Tous deux utilisent les récits de la mythologie antique, ils attribuent en particulier les noms des dieux à de hauts personnages censés avoir réellement existés et dont les actions, relatées par la mythologie, correspondent à des événements réels, plus ou moins déformés et embellis par le récit mythique. Il s’agit de trouver la bonne clé pour interpréter des récits, qui n’ont pas été écrits par des historiens dans le dessein de laisser des annales historiques rédigées dans un mode clair à la portée de tous, mais par des poètes, dans le but de célébrer la gloire de héros et d’événements passés, mais réels, avec leur langage et dans un mode qui leur est particulier. La compréhension du contenu véritable de ces récits, évidente en leur temps, s’est depuis perdue. Il convient de la retrouver et de séparer le bon grain de l’ivraie. Tous deux font des rapprochements linguistiques, l’étymologie des mots étant susceptible de fournir une généalogie des langues qui fournit très logiquement les parentés entre les peuples et leurs origines. Mais là où Rudbeck voyait les anciens Suédois, Pezron voit les anciens Celtes, ou nos ancêtres les Gaulois si l’on préfère… : Ils se sont dès lors rendus maîtres de l’Asie Mineure, de la Thrace, de la Grèce, et de l’île de Crète, et plus tard de toute l’Europe, et si je ne me trompe pas, d’une partie de la Mauritanie ; pendant leur séjour en Phrygie, en Grèce et dans l’île de Crète, leurs princes ont vécu dans ces provinces pendant près de deux siècles, je vous révèlerai ici les noms de quatre d’entre eux (que l’Antiquité a préservés). Le premier est Acmon, son fils est appelé Ophion, par les poètes, Uranes, il a été le père de Saturne, que les Titans ou Celtes appellent Satdorn dans leur langue, et de lui est né le célèbre Jupiter ; son vrai nom chez eux étant Javu, ou Jou ; d’où s’est formé le Jovis des anciens latins : Mais il a été appelé ainsi avant qu’ils ne lui aient donné le nom de Jupiter, aussi dans quelques cas il conserve le nom de Jovis, au lieu de Jupitris ; ni Varron, ni aucun autre Latin, ne peuvent en donner une raison, la chose semble si étrange pour eux ; et même parmi les grecs Platon lui-même est ignorant, comme il apparaît par sa croyance de l’étymologie qu’ils ont donnée ; pour lequel je rends une raison évidente et facile à partir du Celte. Pour les trois derniers de leurs princes (desquels je tire ce discours) vous serez informé de leur antiquité bien connue : Ils avaient des rois très puissants parmi eux, portant ce titre, et dont les noms étaient Saturne et Jupiter, faisant de grandes choses, quoiqu’avec un mélange de vices et de désordres vis-à-vis de leurs amis. Ils ont été appelés dieux du premier ordre, par lequel on peut voir leur brutalité, et ce qu’ils ont fait pour attirer et tromper les hommes ; je dis, les premiers Grecs et les anciens Latins, suivant les mots de l’abbé117.

116. « He then says, That those who went out, from the Parthians in the first Age were called Saces, or Saques, in Latin, Sacae ; and that their Names were celebrated thoughout the East, that during this Age they were scattered all over Armenia, then into Cappadocia near the Lake, and some time after that, into Phrygia, which passes into Asia Minor ; where they began to bear the Name of Titans, this word signifying in the Celtic, Men of the Earth » (ibid.). 117. « They afterwards made themselves Masters of Asia Minor, Thrace, Greece, and the Island of Crete, and then of all Europe, and if I be not mistaken, part of Mauritania ; during their stay in Phrygia, Greece, and Island of Crete, their Princes lived in those Provinces for near two Centuries, the Names of four amongst them (which Antiquity hath preserv’d) I shall here shew you. The first is Acmon, his Son is called Ophion, by the Poets, Uranes, he was Father to Saturn, whom the Titans or Celtes call Satdorn in their Tongue, and

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Au passage, on peut remarquer que, par prudence, le journaliste tient à prendre quelque distance avec les interprétations peut être un peu trop hardies de l’auteur concernant les anciens Latins et les premiers Grecs. Mais l’abbé Pezron assure qu’il a su distinguer le vrai du faux dans les récits de la mythologie : « Vous verrez, Monsieur, leurs actions, tant bonnes que mauvaises, décrites dans ce cinquième livre, mais ce sera libre de toutes les fables ridicules et les fictions des poètes, car l’ensemble de la narration sera authentique et rapportera la plus antique vérité »118. Toutefois, le journaliste anglais jette une sérieuse suspicion sur le contenu du précédent paragraphe de l’abbé119, en mentionnant son état d’exaltation : « Dans la conclusion de ce paragraphe l’abbé semble être transporté, et ne peut pas exprimer si c’était une vision ou une antiquité qu’il a décrite, et [il] retourne de nouveau aux Titans ou princes celtiques, qui ont régné pendant longtemps en Grèce et en Italie, où Saturne, étant persécuté par ses propres fils, s’est enfui pour trouver refuge »120. Dans la suite, l’abbé de la Charmoye revient sur des arguments linguistiques. En particulier, il s’étonne que la langue latine ait tant de mots celtes ou gaulois. Il l’explique en disant que les Ombriens, qui furent les plus anciens habitants de l’Italie, étaient en fait les véritables Gaulois. « Il confesse que pour la découverte de cette antiquité, il est très redevable aux langues de l’Europe, particulièrement la teutonique, ou [celle] des Germains, que l’abbé affirme provenir d’Aschenez, le fils le plus jeune de Gomer, le père des Celtes, ou des Gaulois »121. Il conclut que « le mot Germanes, que les Romains ont donné aux Teutons, montrait la grande amitié entre eux et les Gaulois ou Celtes, comme Strabon l’observe bien, [ils] étaient comme des frères »122. En 1703, le Journal des savants donne un compte rendu de l’ouvrage de Pezron sur l’antiquité des Gaulois à l’occasion de sa parution123. Dès le début de son compte

from him was born the famous Jupiter ; his true Name with them being Javu, or Jou ; from whence is formed the Ancient Latins Jovis : But he was called so before they gave him the name of Jupiter, as in some cases he still retain the Name of Jovis, instead of Jupitris ; neither Varro, nor any other Latin, can give a reason for this, the thing seems so strange to them ; also amongst the Greeks Plato himself is ignorant, as appears by his belief of the Etimology they gave ; for which I render a plain and easie Reason from the Celticks. By the three last of their Princes (from whom I derive this my Discourse) you will be informed of their well known Antiquity : They had very Potent Kings amongst them, bearing that Title, & whose Names were Saturn and Jupiter, doing great things, though with a mixture of Vices and Disorders towards their Friends. They were called Gods of the First Order, by which may be seen their Brutality, and what they did to inveigle and deceive Men ; I say, the first Greeks and Ancient Latins, are the Abbot’s words » (ibid.). 118. « You will see, Sir, their Actions, as well good as bad, described in this Fifth Book, but it shall be free from all ridiculous Fables and Fictions of the Poets, for the whole Narration shall be Authentick, and bear most Ancient Truth » (ibid.). 119. Il devrait s’agir, semble-t-il, du passage où il parle des Dieux, qui a été cité plus haut. 120. « In the Conclusion of this Paragraph the Abbot seems to be transported, and cannot express whether it was a Vision or Antiquity he had been delineating, and returns again to the Titan or Celtic Princes, who Reigned a long time in Greece and Italy, where Saturn, being persecuted by his own Sons, fled for Refuge » (ibid.). 121. « he confesses that for the discovery of this Antiquity, he is much beholding to the Languages of Europe, especially the Teutonick, or Germans, whom the Abbot affirms to be derived from Aschenez, the youngest Son of Gomer, Father of the Celtes, or Gauls » (ibid.). 122. « the word Germanes, which the Romans gave the Teutons, shewed the great friendship between them and the Gauls or Celtes, as Strabo well observes, were like Brothers » (ibid.). 123. « Antiquité de la Nation et de la Langue des Celtes, autrement appellez Gaulois. Par le R.P. Dom. P. Pezron, Docteur en Théologie de la Faculté de Paris, & ancien Abbé de la Charmoye. A Paris, chez Jean Boudot, rue S. Jacques. 1703. in 12. pagg. 440 », Journal des savants, 11 juin 1703 (n° 23), p. 353-357.

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rendu, le journaliste fait remarquer que Bochart a déjà traité ce sujet « avec beaucoup d’étendue et d’érudition » mais n’approuve pas les idées de Bochart. Par la suite, il prend de la même façon ses distances avec les idées de Pezron, pourtant quelque peu différentes, en employant tout au long des termes similaires : « il prétend », « selon le sentiment du P. Pezeron », etc. Mais il sait également se montrer critique. Ainsi, dans sa remarque à propos des Celtes et des Gaulois et de leur prétendue histoire, il n’hésite pas à faire remarquer qu’il « n’est pas possible de fixer ces différens changemens par une chronologie certaine, ni de marquer les raisons qui ont fait prendre à ces peuples, des noms différens à mesure qu’ils se sont rendus maître de différentes contrées ». Il conteste le bien fondé des thèses de Pezron, basées sur des arguments linguistiques : Peut-estre que les preuves que le P. Pezron apporte de tout ce qu’il avance dans cet Ouvrage, ne paroistront pas décisives à tous ceux qui liront son Livre : On dira qu’il n’est pas merveilleux qu’on trouve dans des Langues différents, des termes qui leur soient communs pour marquer les mêmes choses, sans qu’elles les ayent empruntés les unes des autres. Il suffit pour cela qu’elles tirent toutes leur origine de la même source. Il est vrai que la confusion des langues est certaine ; mais ele n’a peut-estre pas esté si entière, qu’il ne soit resté quelques mots de la première Langue, qui ont passé dans celles qui se sont formées dans la suite, comme plusieurs Sçavans l’ont remarqué. Il n’y a pas d’apparence que le P. Pezeron disconvienne de la vérité de ce principe, suivant lequel on pourroit dire, que les mots Grecs, Latins, Allemans, & autres qu’il fait venir du Bas-Breton, tirent tous leur origine d’une langue plus ancienne, dont les termes se trouvent répandus dans celles qui se sont formées depuis124.

À la filiation des langues prônée par l’abbé de la Charmoye pour expliquer les similitudes de certains termes, le rédacteur préfère la thèse d’une langue originelle commune et celle de la confusion des langues relatée dans la Bible avec la Tour de Babel. Pour finir, il en revient à la critique des fables : Quoy qu’il en soit, il faut avouer que les recherches de ce Père sont curieuses & utiles, & qu’elle peuvent sur tout beaucoup servir à découvrir la vérité de l’ancienne Histoire, que les Grecs ont tellement déguisée, en l’envelopant de fables & de narrations ridicules, qu’il a esté jusques à présent impossible de débrouiller ce cahos.

Le journaliste semble vouloir sauver malgré tout l’œuvre de l’auteur en lui trouvant une utilité. Mais il faut rappeler ici que le journaliste se doit de ménager le père Pezron qui, en 1703, est encore Abbé de la Charmoye depuis que le roi lui a conféré ce bénéfice en 1697, et peut donc passer pour un homme bien en cour. Comme on l’a vu précédemment, Pezron dispose par ailleurs d’un réseau de relations et d’appuis, en particulier au sein de la famille du chancelier Boucherat, mort en 1699. 2. L’origine des nations de Leibniz dans le Journal des savants En 1710, le Journal des savants consacre la majeure partie de son compte rendu des Miscellanea Berolinensia ad incrementum Scientiarum, au mémoire de Leibniz sur l’origine des nations125. Leibniz est persuadé qu’à défaut de documents écrits,

124. Ibid. 125. « Miscellanea Berolinensia ad Incrementum Scientiarum, ex scriptis Societati Regiae Scientarum exhibitis edita, cum figuris aeneis & indice materiarum. Berolini, sumptibus Johan. Christ. Papenii, Bibliopolae Regii & Societatis Privilegiati. 1710. C’est-à-dire : Mélanges de Berlin, pour servir à

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les ressources de la linguistique, en particulier l’étude de l’étymologie des noms dans les langues anciennes, peuvent apporter une aide à la reconstitution du passé très reculé : Ce sçavant homme est persuadé qu’au défaut des monumens historiques, lesquels ne remontent pas à beaucoup près jusqu’à l’origine de certains peuples, on peut tirer quelque secours des vestiges des anciennes Langues qui s’aperçoivent encore, sur-tout dans les noms propres des fleuves, des forests, & même des pays, des villes, & des hommes : car il pose d’abord le principe, que tous les noms propres ont été originairement appelatifs. Il n’est plus question que de découvrir la signification de ces anciens noms ; & c’est ce qui n’est pas toujours impossible. Par exemple, (dit M. Leibniz) nous apprenons d’un vers du Poëte Venantius Fortunatus, que le Ric ou Ricus, qui terminoit tant de noms d’hommes chez les Germains, les Francs, les Allemans, les Saxons, les Goths, les Vandales, &c. ne signifioit autre chose que Fortis, fort, puisque ce Poëte interprète le nom Chilperic, adjutor fortis, & que help ou hulpe se prend encore aujourd’hui dans les Langues Teutoniques pour auxilium, secours126.

Comme beaucoup d’érudits, Leibniz postule l’existence d’une langue originelle. Mais contrairement à un certain nombre de ses contemporains, pour lui, il ne s’agit pas de l’hébreu. Le journaliste ne semble pas convaincu par sa thèse : « M. Leibnitz prétend que l’on entrevoit dans la plus grande partie de notre Continent, des traces d’une ancienne Langue dominante, qui s’est, pour ainsi dire, perpétuée par quelques mots, usités depuis la mer Britannique jusqu’au Japon »127. Et, plus loin : M. Leibnitz partage en deux grandes classes toutes les langues issues de cette Langue primitive. Il appelle Langues Japetiques ou Scythiques celles qui se sont répandu dans les Pays Méridionaux. Parmi celles-ci la Langue Arabe semble l’avoir emporté sur toutes les autres, puisque (selon l’Auteur) le Syriaque, le Chaldéen, l’Hébreu, le Punique, & l’Ethiopien n’en sont que des Dialectes. Le Persan, l’Arménien & le Georgien sont un mélange des Langues Scythiques & Araméennes128.

L’idée que la langue originelle pourrait ne pas être la langue hébraïque n’est pas nouvelle. L’affirmation de Grégoire de Nysse, selon laquelle la première langue parlée par Adam a été perdue, a été reprise par nombre d’auteurs du XVIIe siècle. Ainsi, en 1694, dans son compte rendu de l’ouvrage de Jean le Clerc, Genesis, Sive Mosis Prophetae, le Journal y souligne l’opinion de l’auteur sur la langue originelle de l’homme : « M. le Clerc y soutient qu’il est probable que ni l’Hébreu, ni le Caldaïque, ni l’Arabe, ni aucune autre langue Orientale n’est l’ancienne langue qu’Adam parloit, mais qu’elles en sont toutes venues, de mesme que l’Italien, le François & l’espagnol sont venus du Latin »129. Cette question soulève toutefois bien des problèmes. En effet, accepter que l’hébreu puisse ne pas être le résidu plus ou moins altéré du patri-

l’accroissement des Sciences, composez de divers Ecrits presentez à la Société Royale de cette même Ville, avec des figures en Tailles-douce, & une table des matières. A Berlin, aux frais de Jean Chrétien Papen, &c. 1710. in 4°. p. 394. planches 31 », Journal des savants, 8 décembre 1710 (n° 41), p. 644-652. 126. Ibid. 127. Ibid. 128. Ibid. 129. « Genesis, Sive Mosis Prophetae Liber I. Ex translatione Johannis Clerici, cum ejusdem paraphrasi perpetua, commentario, &c. In folio. Amstelodami. 1693 », Journal des savants, 20 décembre 1694 (n° 42), p. 495-496 (423).

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moine linguistique originel transmis par Dieu à Adam signifiait également ouvrir la voie aux disputes sur le caractère originel de telle ou telle langue. Avec le risque de devoir ensuite reconnaître au peuple parlant cette langue une supériorité sur le peuple hébreu, sa plus grande antiquité par rapport à lui. On ouvrait de cette façon la possibilité d’une confrontation entre les traditions et l’histoire de ce peuple, et l’histoire des Hébreux, racontée dans l’Écriture Sainte130. Ainsi, en 1669, un auteur comme John Webb, se basant sur la très grande antiquité attribuée à l’histoire de la Chine, soutient l’identité du chinois avec la première langue parlée par le genre humain131. Toutefois, on peut remarquer que la thèse de la perte de la langue originelle évitait justement une telle confrontation avec l’histoire du peuple hébreu, relatée dans la Bible. Mais Leibniz va plus loin, ainsi que le rapporte le journaliste : « L’auteur est assez porté à croire que la plupart des mots de cette Langue primitive ont été formez par Onomatopée ; c’est-à-dire, que les hommes ont tâché d’exprimer par le son, l’idée ou le mouvement qu’excitoit en eux la présence de certains objets »132. Dans ses Prolégomènes sur la Bible, Elies Du Pin s’intéresse également à l’origine de la parole. Mais pour lui, elle vient de Dieu : « Adam et Ève l’ont eu par infusion dès le moment de leur création : qu’il y a de l’apparence que cette Langue s’est depuis conservée sans beaucoup de changement jusqu’au déluge, & qu’après le déluge elle fut diversifiée & changée en différentes dialectes dans le tems que les hommes entreprirent de bâtir la Tour de Babel »133. En envisageant un processus de formation et d’évolution du langage, Leibniz nie la création miraculeuse du langage par Dieu. On ne peut s’empêcher de penser aux paroles de Lucrèce dans son De Natura Rerum : « Enfin qu’y a-t-il là-dedans de si étrange, que le genre humain, en possession de la voix et de la langue, ait désigné suivant ses impressions diverses les objets par des noms divers ? »134 Pour Lucrèce, « Quant aux divers sons du langage, c’est la nature qui poussa les hommes à les émettre, et c’est le besoin qui fit naître les noms des choses : à peu près comme nous voyons un enfant amené par son incapacité même de s’exprimer avec la langue, à recourir au geste qui lui fait désigner du doigt les objets présents »135. On retrouve, par ailleurs, cette thématique chez d’autres auteurs antiques comme Diodore de Sicile, et bien sûr, Épicure136. Mais le XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle voient ces thèses rediscutées. L’opinion de Leibniz, comme celle de Lucrèce, aboutit à la négation de l’intervention divine. Elle remet en cause la thèse, fidèle au récit de

130. P. ROSSI, op. cit., p. 230. 131. J. WEBB, An Historical Essay endeavouring a Probability that the Language of the Empire of China is the Primitive Language, Londres 1669. 132. Journal des savants, 8 décembre 1710 (n° 45), p. 644-652, op. cit. 133. « Dissertation Preliminaire, ou Prolegomenes sur la Bible : par Messire Elies Du Pin, Docteur en Theologie de la Faculté de Paris, & Professeur Royal en Philosophie. t. I. sur l’Ancien Testament. In-8. A Paris, chez André Pralard, rue saint Jacques. 1699 », Journal des savants, 2 mars 1699 (n° 9), p. 97-101 (84-88). 134. LUCRÈCE, De la nature (‘‘Tel’’), Gallimard, Paris 1990, p. 229. 135. Ibid., p. 228. 136. « De plus il faut admettre que l’expérience et la nécessité des choses vienrent souvent en aide à la nature… Ainsi à l’origine, ce ne fut point en vertu de conventions que l’on donna des noms aux choses ; mais les hommes, dont les idées, les passions variaient de nation à nation, formèrent spontanément ces noms, en émettant les sons produits par chaque passion, par chaque idée, suivant la différence des pays et des peuples… » Épicure, Lettre à Hérodote, § 75. (ibid., note de la p. 228)

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la Genèse, d’un Adam savant et omniscient, auquel Dieu dépose dans la bouche une langue originelle capable de refléter toute la nature des choses137. En 1704, dans ses Dissertations académiques sur les Sociétés savantes, Vockerod trouve encore naturel de remonter jusqu’à Adam, le premier savant au monde, ainsi que le rapporte le Journal : « Au reste, il ne s’en tient pas à ce qui s’est établi dans les derniers tems pour l’honneur des Lettres. Il remonte jusqu’à la création du monde, & va chercher dans ce premier âge l’origine des sciences, avec les établissemens qui furent faits pour les cultiver. Il dit qu’Adam, le premier Sçavant qu’il y ait eu au monde, y a introduit toutes sortes de Sciences. On ne peut pas douter qu’il ne les sçut parfaitement, il les avoit reçues de Dieu même, & les tenoit, pour ainsi parler, de la première main »138. Mais dans son ouvrage des « Préadamites »139, en 1655, Lapeyrère conférait déjà un caractère de légende à l’attribution à Adam d’une omniscience divine : comment en une seule journée, Adam aurait-il pu donner un nom à la multitude des animaux terrestres et à tous les oiseaux du ciel ? Comme pour Leibniz, pour le père Thomassin, l’origine des langues est liée à celle des peuples. Mais les idées de Thomassin sont néanmoins à l’opposé de celles de Leibniz et conformes à la tradition chrétienne, comme on le constate sous la plume du rédacteur du Journal des savants : Le texte original de l’Ecriture est la source la plus pure où le Père Thomassin s’est accoutumé dès son enfance à puiser la connoissance des langues & des sciences. Il s’est attaché depuis plus de trente ans au texte Hébraïque, & l’ayant lu tout entier chaque année, y a remarqué la correspondance des mots Hébreux avec les Grecs & les Latins. C’est ce qui l’a engagé à entreprendre ce travail, dont la fin est de faire voir que le texte Hébreu contient les principes de toute sorte d’érudition, & que comme toutes les nations sont venues de Noé & de ses enfans, toutes les langues sont dérivées de celle qu’ils parloient au commencement140.

Il entend démontrer que toutes les langues du monde sont dérivées de l’hébraïque : « C’est celle que Dieu créa en formant l’homme, & qu’il lui donna en lui donnant la raison. Le Père Thomassin en décrivant l’origine de cette langue, en tire une preuve convaincante de la vérité de la narration de Moïse »141. Pour lui, « Si toutes les langues sont dérivées d’une seule, tous les hommes sont sortis d’un seul homme ; & si le monde estoit éternel, & que de tout temps les hommes eussent peuplé la terre, il ne seroit pas vrai que toutes les langues fussent dérivées d’une seule »142. Comme on peut le constater, pour le père Thomassin, tout se tient.

137. Dans le second chapitre de la Genèse, Adam est appelé par Dieu à donner des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages (cf. Gn. 2, 18-20). 138. « Gothofredi Vockerod Exercitationes Academicae, sive Commentario de Eruditorum Societatibus, & varia re litteraria, nec-non Philologemata Sacra, auctius, & emendtius edita Gothae, sumptu Andr. Schallii, 1704. C’est-à-dire, Dissertations Académiques sur les Societez des Sçavans, & sur divers points de Litterature, Sacrée, & profane ; nouvelle édition, corrigée, & augmentée. A Gotha, aux dépens d’André Schall. in 12. pagg. 372 », Journal des savants, supplément de 1707, p. 168-174. 139. I. de LAPEYRÈRE, op. cit. 140. « La méthode d’étudier et d’enseigner chrétiennement & utilement la Grammaire ou les Langues, par rapport à l’Ecriture Sainte, en les réduisant toutes à l’Hébreu. Par le Père L. Thomassin, de l’Oratoire. In 8. 2 vol. à Paris, chez François Muguet. 1690 », Journal des savants, 3 juillet 1690 (n° 26), p. 301-308 (230-236). 141. Ibid. 142. Ibid.

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Extraits de la relation du Mémoire de Leibniz, sur l’origine des nations, op. cit., Journal des savants du 8 décembre 1710 (n° XLV), p. 644-652. […] Quant aux Finnoniens, Tacite qui les nomme Fennos, en parle comme d’une Nation sauvage & féroce ; ce qui convient fort aux Lapons & aux Samojèdes, originairement Finnoniens. M. Leibnitz conjecture que les peuples d’Esthonie, de Livonie, & quelques autres qui habitent le long des rivages de la mer Balthique, & dont la langue n’a rien de commun avec l’Esclavonne, pourroient bien être de race Finnonienne. Mais il ne doute presque pas que nos Hongrois venus d’Asie ne soient de cette même race, & cela d’autant plus, que nulle des langues de l’Europe n’approche davantage du Hongrois que le Finnonien. L’Auteur vient après cela aux Celtes, originaires de Scythie, & qui se sont répandus dans la plus grande partie de l’Europe. Ce sont eux qui ont peuplé successivement l’Allemagne, la Gaule, l’Italie, l’Espagne, & la Grande Bretagne. Il croit que les anciens Bretons ont donné les premiers Habitans à l’Irlande, & que la langue de ce pays-là fourniroit les secours les plus considérable pour ressusciter en quelque façon l’ancien Celtique ; & c’est à quoi il nous apprend que travaille actuellement un sçavant Anglois. Aux anciens Bretons ont succedé les Cambriens ou Cimbres, & les Anglois-Saxons. Les premiers habitans de l’Italie étoient des Celtes sortis de la Germanie & de la Gaule, ausquels se mêlèrent dans la suite des Grecs, des Lydiens, des Phrygiens, des Phéniciens, & d’autres Nations. L’ancienne langue Hétrusque, que nous n’entendons plus, & dont on ne peut déchiffrer les caractères, étoit apparemment celle des anciens habitans de l’Italie. À l’égard des Espagnols, M. Leibnitz les croit la plupart Celtes d’origine. Mais il avoue que les Basques l’embarrassent. La langue de ce peuple est si différente de toutes celles que nous connoissons, qu’il seroit tenté de supposer qu’avant l’arrivée des Celtes en Espagne, ce pays étoit habité par quelque Colonie venue d’Afrique, dont les Basques seroient des restes. Il prétend que la Germanie, après avoir envoyé des peuplades dans la Gaule & dans l’Italie, donna aussi de nouveaux habitans à la Scandinavie, lesquels en chassèrent les Finnoniens ou Lappons ; en quoi il s’éloigne fort du sentiment de quelques Sçavans Septentrionaux, qui regardent les Germains comme une Colonie des anciens Goths. Cette opinion (dit M. Leibniz) auroit quelque vrai-semblance, si les peuples qui habitent le fond de la Suède & de la Norvège, parloient la langue Germanique, au lieu que ce sont des Lappons ou Finnoniens, dont la langue n’a rien de commun avec celle-là. L’Auteur cependant ne nie pas que les Germains après s’être multipliez en Scandinavie, ne se soient de là répandus de nouveau en Germanie ; car il est certain (dit-il) que les Cimbres, les Saxons, les Hérules, les Vandales, & quelques autres peuples venoient des bords de la mer Baltiques ; mais cela n’est arrivé que long-temps après les premières migrations. […]

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L’abandon ou la mise en question d’une langue révélée par Dieu, antérieure à la société et à l’histoire, impliquait dans une certaine mesure la reprise de la thématique épicuro-lucrécienne. La langue devenait un processus lié à l’histoire humaine et non plus l’élément d’un ordre rationnel donné a priori. Si le premier homme ne possédait pas le langage dans sa perfection, que restait-il de son omniscience ? N’était-il pas plutôt un être fruste et barbare, engagé dans un long processus d’apprentissage et parvenu lentement à la civilisation ? Dans ces conditions, comment ne pas être tenté de voir dans le discours de Lucrèce le récit des débuts de l’humanité. Une humanité primitive et sauvage, qui se bat pour sa survie, qui, ignorant l’agriculture et les techniques, se nourrit de ce qu’elle trouve, qui ignore à ses débuts la vie sociale et ses lois, et qui vit dans la terreur des fauves. Cette humanité, qui se réfugie dans les cavernes, n’apprend que lentement à se construire des cabanes, à vivre en société, et à se couvrir le corps. C’est une histoire qui est liée à une autre conception de la nature et du temps. Si le rédacteur du Journal des savants ne semble pas convaincu par l’idée de Leibniz d’une langue originelle perdue, mais dont on retrouve des traces, c’est peut-être parce qu’il est plus favorable à la thèse prônée par Thomassin. Mais aussi, peut-être est-il plutôt gêné par la théorie de l’évolution des langues présentée par Leibniz. En effet, une telle théorie revient à nier que Dieu ait été la cause directe de la confusion des langues et à dénaturer le sens historique et littéral du texte sacré, en l’occurrence, le récit de l’épisode de la Tour de Babel. Cela revient à nier le caractère miraculeux de la différenciation des langues. Le journaliste montre encore une fois qu’il n’adhère pas à la thèse de Leibniz en précisant entre parenthèses « selon luy » : « De l’ancienne Langue Scythique sont sorties (selon luy) celles des Turcs, des Sarmates, des Finnoniens, & des Celtes. Il entend par les anciens Scythes, les peuples qui les premiers ont habité les bords du Pont-euxin, & qu’Homère appelle Cimmériens. Il trouve des rapports surprenans entre quelques termes de l’ancien Scythique conservez par Hérodote, & les Langues Celtiques d’origine, telles que la Grecque, la Latine, & l’Allemande »143. D’une manière plus générale, le rédacteur emploie plusieurs fois le verbe « prétendre » ou les termes « selon lui » (sans compter les expressions du genre « il croit que… ») à l’égard des thèses soutenues par Leibniz, manifestant ainsi son refus d’adhérer à ses idées. Ainsi il écrit : « Il parcourt ensuite les divers Peuples qu’il regarde comme Scythe d’extraction, & il commence par les Turcs, sous lesquels il range les petits Tartares, les Calmuques, les Mogols, & les Tartares Orientaux ; prétendant que les Langues de toutes ces Nations ont beaucoup d’affinité »144. Pourtant plusieurs des idées exprimées par Leibniz, parfois d’ailleurs partagées par d’autres savants de l’époque, ne manquaient pas de pertinence, telle l’origine celtique des habitants de l’Irlande et l’idée que la langue celtique s’y était mieux conservée, ou bien encore l’origine finnoise des Lapons. Enfin les Celtes sont bien partis du sud-ouest de l’Allemagne, d’où ils furent refoulés en Gaule, en Espagne, dans les îles Britanniques et dans la vallée du Pô (voir texte encadré). Cependant la longueur de la relation du journaliste tendrait à prouver malgré tout un certain intérêt pour le travail de Leibniz, ou du moins, le sentiment qu’il devait en faire un compte rendu assez long à ses lecteurs à cause de l’intérêt de ces questions, même s’il n’était pas convaincu luimême par les thèses de Leibniz.

143. Journal des savants, 8 décembre 1710 (n° 45), p. 644-652, op. cit. 144. Ibid.

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IV. La polémique entre Cassini et Sanson À travers le Journal des savants, si la polémique entre le géographe du roi, Sanson, et l’académicien et astronome, Jean-Dominique Cassini, amène à s’interroger sur l’éventuelle inconséquence de ce dernier, elle montre aussi combien l’utilisation d’arguments linguistiques en histoire pouvait être répandue. Cette utilisation correspond ici d’ailleurs à celle prônée par Leibnitz, même si Cassini peut sembler en faire un mauvais usage par imprudence : Les conquêtes des anciens Gaulois sont le sujet d’une dissertation, & d’une carte que je dois joindre à plusieurs traitez de l’anciene Gaule comencez par feu mon père : ce dessein m’a doné ocasion d’examiner ce que M. Cassini en dit dans son traité de l’origine & du progrès de l’Astronomie & de son usage dans la Geog. & la Navigation, où il parle des conquêtes des Gaulois en ces termes : Nous savons qu’ils ont été très habiles dans la Navigation, témoins les noms de Galice, de Portugal, & de Celtiberie sur les côtes d’Espagne, le nom de Celto-Scites sur le Pont-Euxin, & celui de Gallogrèce ou Galatie dans l’Asie, qui sont des monumens éternels de l’origine de ces peuples qui ont conquis ces païs & qui sont venus s’y établir145.

Dans la suite Sanson démolit un par un, et sans ménagement, les arguments de Cassini. Ainsi, à propos de la Celtiberie, Sanson déclare en particulier : « Si M. Cassini avoit pris la peine de lire Polibe, César, Tite-Live, Strabon, Pline, Ptolémée, Plutarque, Appien & autres, il auroit apris que c’est une région située dans les terre, & Ptolémée sufisoit pour lui faire conoitre que c’est un pays qui n’est pas sur les côtes d’Espagne. De même la Galatie n’est pas un pays maritime, mais une région qui ne touche point la mer »146. Au passage, l’auteur ne parle pas seulement des noms de lieux mais aussi de l’origine des peuples. Sanson conclut sa longue diatribe de façon assez acerbe et ironique : Nous traiterons plus au long dans une autre dissertation des conquêtes des anciens Gaulois, où nous raporterons encore d’autres preuves incontestables. Mais puisque M. Cassini a méprisé toutes ces autoritez qu’il a jugées trop triviales, & qu’il s’est servi de preuves qui sont d’autant plus surprenantes qu’elles ont été jusqu’à présent inconues aux gens de letres come ne se trouvant dans aucuns des anciens Historiens qui ont été imprimez, il faut croire qu’un home de sa reputation n’aura pas voulu écrire avec tant d’assurance qu’il fait que les Gaulois ont conquis par des expéditions maritimes la Galice, le Portugal, la Celtiberie, les Celto-Scites, & la Galatie, sans avoir de bons auteurs pour garans : & come ces auteurs qui nous ont été cachez jusqu’à présent ne serviroient pas peu à illustrer les conquêtes de nos Gaulois, M. Cassini veut bien qu’au nom de ces mêmes Gaulois & de la République des Letres, l’on le prie de les doner au public147.

En fait, les accusations portées contre Cassini, qu’elles soient justifiées ou non148, ne doivent pas induire en erreur. L’éducation reçue par les savants du XVIIe siècle,

145. « Dissertation de M. Sanson Géographe du Roi, sur ce que M. Cassini dit des conquêtes des Gaulois dans son Traité de l’origine et du progrès de l’Astronomie », Journal des savants, 11 mars 1697 (n° 10), p. 111-116 (98-102). 146. Ibid. 147. Ibid. 148. Il faut noter noter que la Table générale des matières contenues dans le Journal des savans (t. I à X, Briasson, Paris 1753-1764), établie par l’abbé de Claustre à partir de 1753, semble vouloir donner raison à

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aussi bien en France qu’en Angleterre, leur assurait une connaissance tout à fait familière des classiques de la littérature antique, latine et grecque (généralement sous forme de traduction latine), les exemples étudiés plus haut des travaux de Rudbeck ou de Leibniz le montrent. En outre, la lecture de la Bible dans les établissements d’enseignement protestants n’était pas sans rapport avec celle des commentaires choisis des Pères de l’Église dont bénéficiaient les étudiants catholiques. Les savants combinaient donc la compétence scientifique à la connaissance de langues antiques et de l’histoire ancienne. Aucun programme d’étude ne traitait réellement l’histoire en tant que discipline. Mais les textes historiques avaient d’autres utilisations : ils servaient à apprendre le latin et à aiguiser les compétences dialectiques et rhétoriques ; ils fournissaient une honnête connaissance de la grande littérature. Ils contenaient un arsenal d’information de bonnes sources, aussi bien que toute une gamme de spéculations philosophiques149. L’histoire érudite est un genre qui a non seulement prospéré dans la seconde moitié du XVIIe siècle, mais qui a également attiré les savants naturalistes. L’histoire naturelle de l’Oxfordshire, publiée en 1677 par Robert Plot, combinait l’histoire naturelle et l’histoire humaine. Son œuvre est devenue très vite un modèle pour les sujets de la couronne britannique. Dans son compte rendu de l’ouvrage150, Henry Oldenburg l’accueille non seulement de manière très favorable mais, en outre, il le définit comme un modèle à suivre et souhaite que d’autres s’attèlent à la tâche : L’estimable et érudit auteur de ce travail, ayant très généreusement entrepris de faire une étude plus complète et exacte des choses naturelles et artificielles de l’Angleterre, que ce qui a été fait jusqu’ici, et étant incité à cette entreprise par la considération de l’avancement à la fois dans la connaissance de la nature et dans les affaires du commerce ; [il] a commencé à exécuter ce noble dessein en nous donnant un récit très détaillé de ce qu’il a rencontré, dans la plus grande partie de sa propre enquête personnelle, dans l’Oxfordshire. Une tâche si considérable, que si elle était poursuivie par des personnes convenables dans le monde entier avec le soin, le jugement et la diligence, produirait avec le temps une juste histoire de la nature, et fournirait à la fois le philosophe en bons matériaux pour travailler, et généralement toutes sortes d’hommes avec la connaissance plaisante et utile des richesses et des merveilles du monde151.

Cassini, en traitant la dissertation de Sanson, que firent publier ses fils, comme une prétention : « Nicolas Sanson avoit commencé plusieurs Traités de l’ancienne Gaule : ses fils annoncent qu’ils doivent continuer ces Traités & les publier avec une Carte Géographique : en attendant ils donnent cette Dissertation où ils prétendent prouver contre M. Cassini, que la Celtibérie & la Galaxie ne sont point des Pays maritimes, & qu’il n’y a point eu de Peuples appellés Celtoscythes sur le Pont Euxin » (t. VIII, p. 617-618). 149. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 84. 150. « The Natural History of Oxfordshire, being an Essay toward the Natural History of England : By Robert Plot, L.L.D. Printed at the Theater in Oxford, 1677, in fol. », Philosophical Transactions, 26 mai 1677, n° 135, p. 875-879. 151. « The worthy and learned Author of this Work, having very generously undertaken to make a fuller and stricter survey of the Natural and Artificial things of England, than hath been made hitherto, and being induced to this undertaking by the consideration of advancing thereby both the knowledge of Nature, and the business of Trade ; hath begun to execute this Noble design by giving us a very particular account of what occurred to him, for the most part upon his own personal enquiry, in Oxfordshire. An attempt so considerable, that if it were pursued by fit persons all over the World with care, judgment and diligence, would in time produce a just History of Nature, and furnish both the Philosopher with good Materials to work with, and generally all sorts of men with the pleasure and useful knowledge of the riches and wonders of the World » (ibid.).

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Le mélange entre l’histoire naturelle et l’histoire humaine était courant. Comme Joseph Levine l’a montré dans son étude de John Woodward, combiner les antiquités civiles et naturelles exigeait en partie des compétences critiques similaires et ne semblait que deux moitiés du même problème : reconstruire le passé152. Il n’était pas rare que des érudits poursuivent à la fois des activités en rapport avec l’histoire naturelle et avec l’histoire ancienne. Ainsi, plus connu comme peintre, Agostino Scilla publia un ouvrage sur les fossiles et semble avoir envisagé d’écrire une histoire de la Sicile basée sur ses pièces de monnaies et ses médailles. Beaucoup de collections mélangeaient les deux sortes d’objets. Ainsi John Woodward et Hans Sloane formèrent de vastes collections privées d’objets naturels et d’objets antiques, et de semblables mélanges se retrouvaient dans le dépôt de la Royal Society et au Musée Ashmolean d’Oxford, où Lhwyd succéda à Plot comme conservateur des collections153. Certaines de ces collections rassemblaient non seulement des antiquités, mais aussi des objets exotiques comme des outils ou des armes provenant des indiens d’Amérique. Beaucoup de ces objets étaient collectionnés pour leur rareté et leur curiosité, ils étaient étudiés par les naturalistes amateurs d’antiquités et leur rappelaient à l’occasion quelques curieuses pierres trouvées en Europe. Ainsi, Plot, Lhwyd et d’autres ont pu identifier ces pierres étranges comme des armes de silex employées par des européens préromains, car elles ressemblaient aux pointes de flèches façonnées par des indigènes américains154. Beaucoup de savants pensaient que l’histoire naturelle et l’histoire de l’humanité étaient compatibles et ils les percevaient comme des domaines de recherches complémentaires. Leibniz regardait ses travaux d’histoire naturelle comme un préliminaire nécessaire à l’histoire des peuples antiques. Comme on l’a vu, il croyait pouvoir retrouver les origines et les migrations de peuples anciens à partir de la filiation des langues. Mais, en outre, il pensait que les événements naturels et les conditions physiques auxquels avaient été soumis ces peuples étaient susceptibles d’avoir laissé des traces dans les langues anciennes. Traces qui constituaient des preuves du passé vécu par ces peuples. Pour Hooke, les hommes ont ressenti le besoin de « cacher » les catastrophes naturelles. Dans les « histoires fabuleuses », on trouve une grande partie de l’histoire des âges les plus anciens du monde, et cependant ces fables contiennent une sagesse dissimulée. Elles servaient à communiquer à quelques-uns « l’histoire réelle » et « les hypothèses physiques et philosophiques » auxquelles elles se référaient. Il est possible que certaines fables « vraies » contiennent en leur sein le récit de ces événements que l’histoire des fossiles est en mesure de documenter155. Dans les mêmes années où se théorisait une science fondée sur des certitudes évidentes et sur la construction prudente d’hypothèses non falsifiables, Hooke se réfère à l’image d’un âge d’or du genre humain et au mythe d’une sagesse effacée par le temps156. Compte tenu de l’opinion de Hooke sur les fables, opinion qui néanmoins n’est pas isolée, on peut mieux comprendre son accueil favorable de l’ouvrage d’Olof Rudbeck dans ses Philosophical Collections. À une époque où l’histoire de la Terre se confondait avec l’histoire de l’humanité, dans une chronologie très réduite de quelques milliers d’années, il n’est

152. J. M. LEVINE, Dr. Woodward’s Shield : History, Science, and Satire in Augustan England, Berkeley 1977. 153. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 86-87. 154. Ibid., p. 87. 155. Voir P. ROSSI, op. cit., p. 36. 156. Ibid., p. 37.

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pas étonnant que les hommes de science aient recherché des preuves historiques, des documents écrits, attestant des transformations subies par la nature. Ainsi lorsqu’ils découvrirent des fossiles d’os appartenant apparemment aux éléphants, ils se tournèrent en premier vers la littérature antique pour trouver trace de ces animaux accompagnant l’armée d’Hannibal, le Carthaginois, dans ses marches à travers l’Espagne, les Alpes et l’Italie. De même que les historiens évaluaient des « monuments », certains savants considéraient les fossiles et les roches comme des preuves impartiales du passé. Ils se référaient aux fossiles comme aux monuments de la Terre. Mais comme l’observait Thomas Molyneux dans son mémoire à la Royal Society en 1697, sur les grandes cornes que l’on trouve fréquemment sous terre en Irlande157 : « Cependant de grandes vicissitudes peuvent être observées pour suivre les travaux de la nature, aussi bien que les affaires humaines »158. Molyneux avait consulté un amateur d’antiquités pour découvrir si un être humain se souvenait d’avoir vu l’animal porteur de ces cornes ; de plus, ayant identifié cet animal avec l’élan américain, il voulait savoir quand les survivants irlandais avaient migré vers l’ouest. À la suite de l’absence de références écrites sur cet élan, Molyneux conclut que « vu qu’il y a tant de siècles passés, que nous n’avons d’aucune façon de récit laissé pour nous aider dans notre enquête, le plus que nous pouvons faire dans cette matière est d’émettre quelques conjectures probables »159. Mais pourquoi les savants recherchaient-ils des témoignages humains aux événements naturels ? Après tout, dans la rhétorique commune des environs de 1700, la nature était réputée plus fiable que les êtres humains. La Nature obéissait à des lois alors que les hommes étaient intéressés et enclins à être influencés. Pour Fontenelle, les philosophes naturalistes avaient l’avantage inestimable d’étudier des « histoires écrites de la main de la nature elle-même »160. Toutefois, Fontenelle sous-estimait les difficultés liées à l’étude de l’histoire de la nature. En effet, il était bien difficile, voire impossible, de reproduire en laboratoire les conditions à l’œuvre dans l’histoire de la nature, pendant des durées de temps forts longues. En outre, certains auteurs se demandaient pertinemment dans quelle mesure on pouvait projeter uniformément dans le passé des processus actuels. Leibnitz a exprimé ce souci dans plus d’un texte, en faisant remarquer que ceux qui jugent le passé par le présent ne pourraient jamais conclure que jadis la mer avait recouvert pratiquement toutes les surfaces alors que l’omniprésence de fossiles maritimes l’avait montré. Tous ces auteurs ne mettaient pas en doute l’uniformité des lois de la nature, mais ils étaient bien conscients que l’on ne peut espérer une constance des effets que lorsque les conditions sont également constantes161. Pour toutes ces raisons, l’étude du passé de la Terre passait

157. « A Discourse concerning the Large Horns frequently found under ground in Ireland, concluding from them that the Great American Deer, call’d a Moose, was formely common in that Island : With Remarks on some other things Natural to that Country. By Thomas Molyneux, M.D. Fellow of the King and Queens Colledge of Physicians in Ireland, and of the Royal Society in England », Philosophical Transactions, avril 1697, n° 225, p. 489-512. 158. « However great Vicissitudes may be observed to attend the Works of Nature, as well as Humane Affairs » (ibid.). 159. « … seeing it is so many Ages past, that we have no manner of Account left to help us in our Enquiry, the most we can do in Matter is to make some probable Conjectures about it » (ibid.). 160. Histoire de l’Académie Royale des Sciences, année 1722, p. 4. 161. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 95.

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pour une entreprise incertaine. Même dans le cas où la valeur des objets collectés ou des faits établis ne se trouvaient pas contestés, comment pouvait-on être sûr qu’ils décrivaient correctement les conditions physiques ayant prévalu dans le passé ? Pouvait-on déduire de manière raisonnable des conditions et des explications causales simplement par l’examen d’objets ? Pour les savants de l’époque, le problème était de transformer des conjectures, des hypothèses, en certitudes. Pour Robert Hooke, si nous n’avons aucun souvenir humain utile d’événements géologiques, les résultats ne nous fourniront que des occasions de conjectures162. En définitive, une vérité historique apparaissait préférable à n’importe quelle hypothèse. Ce qui exprimait la crainte que l’étude du passé ne soit simplement que conjecturale et hypothétique. Pour éviter un tel résultat autant que possible, les savants espéraient découvrir une preuve humaine qui complète et confirme celle de la nature. Il était bien préférable de trouver un témoignage humain que de compter seulement sur ce que Hooke, se référant aux fossiles, caractérisait comme des « témoins muets »163. Ainsi, en 1701, paraît dans les Transactions un mémoire de John Somner, dans lequel l’auteur soutient que l’Angleterre et la France étaient jadis reliées par un isthme164. Somner s’appuie sur la découverte de fossiles maritimes de dents et d’os près de Cantorbéry qu’il explique par la présence ancienne de la mer à cet endroit. La mer aurait détruit l’isthme en se retirant. Il estime sa thèse probable en arguant d’un argument linguistique : il interprète la vallée de la « Sture » (la rivière Stoure), comme dérivée du terme « Esture », une corruption d’ « estuaire ». Trois mois après, John Wallis écrivait une lettre à Hans Sloane pour apporter son appui à Somner avec ses preuves supplémentaires165, c’est-à-dire : « De l’unité de langue entre les anciens Gaulois et les Britanniques ; et des grandes relations entre ceux en Gaule et les druides en Grande-Bretagne (que les auteurs antiques attestent), relations dont l’existence serait peu probable s’il n’y avait pas eu de communication aisée entre les uns et les autres. Ce qui, quoiqu’il ne s’agisse pas d’un argument physique (comme le sont ceux de M. Camden) est une bonne présomption plaidant dans le même sens »166. Wallis souligne le fait qu’en l’absence de témoignage écrit, la catastrophe a pu survenir plusieurs centaines d’années avant l’arrivée des romains. Mais il rappelle le récit de Platon sur l’Atlantide, une île quelque part dans l’océan Atlantique, qui disparut à cause d’un déluge et d’un tremblement de terre (en l’espace d’une nuit et d’un jour). Cela lui semble tout à fait applicable à la rupture de l’isthme. L’île n’aurait pas été entièrement détruite mais seulement séparée du continent. Il dit savoir

162. R. HOOKE, Posthumous Works, éd. R. WALLER, Londres 1705, p. 334. 163. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 96. 164. « Chartham News : Or a Brief Relation of some Strange Bones there lately digged up, in some Grounds of Mr. John Somner’s in Canterbury », Philosophical Transactions, juillet 1701, n° 272, p. 882-893. 165. « A Letter of Dr John Wallis, D. D. Professor of Geometry in the University of Oxford, and Fellow of the Royal Society in London ; to Dr Hans Sloane, Secretary to the said Royal Society ; Relating to that Isthmus, or Neck of Land, which is supposed to have joyned England and France in former Times, where now is the Passage between Dover and Calais », Philosophical Transactions, octobre 1701, n° 275, p. 967-979. 166. « From the Unity of Language between the Ancient Gauls and Britains ; and from the great Intercourse between those in Gaul, and the Druides in britanny ; (of which Ancient Writers take notice) Which is not likely to have been, if there had not been an easie Communication between the one and the other. Which, though it be not a Physical Argument (as are those of Mr Camden,) is a good Moral Inducement, in Confirmation of them » (ibid.).

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qu’ Olof Rudbeck, dans son Atlantica, s’est efforcé (en faveur de sa Sueonia) de fournir un sens allégorique au récit de la destruction de l’Atlantide. « Mais je ne vois pas pourquoi il ne peut pas être compris dans un sens littéral évident, comme une vraie matière de fait, (quoique peut-être un peu déguisé), comme c’était l’habitude d’être la mode (dans cet âge en relatant de vieilles histoires) et c’est très compatible avec tout ce que Rudbeck cite de Platon, dans tout le septième chapitre de son Atlantica »167. John Wallis voit les îles Britanniques comme une partie de l’Atlantide, que Rudbeck dit avoir été aussi grande que la Lybie et l’Asie. Autre exemple, pendant son voyage au Levant en 1700-1702, le botaniste et académicien Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708) s’était demandé si la Mer Noire n’avait pas été jadis complètement fermée. S’il en était ainsi, alors les rivières se déversant à l’intérieur auraient provoqué le débordement de la mer, inondant la campagne et se taillant en fin de compte une issue dans la Mer de Marmara et de là dans la Méditerranée. Quand Tournefort découvrit qu’un texte antique rapportait une tradition d’inondation dans la région en question, il exprima son soulagement en disant que ce qu’il avait juste suggéré comme une conjecture scientifique devenait une vérité historique168. Si les historiens se posaient des questions au sujet de partis pris personnels dans ces textes169, les scientifiques avaient moins de raisons de s’inquiéter parce qu’il semblait peu probable que des auteurs antiques aient pu avoir une raison quelconque de mentir ou de déformer des récits d’inondations, de tremblements de terre, ou de changements des littoraux. Bref, la preuve géologique faisait partie de ce qui constituait, selon l’expression de Plot, « les archives du temps », et les textes antiques appartenaient aux mêmes archives170. Le seul texte suffisamment fiable et ancien était la Genèse, mais on ne pouvait pas toujours en tirer les détails que l’on aurait aimé y voir. Ainsi, bien que Nicolas Stenon ait pris soin de rassurer ses lecteurs que sa thèse ne contredisait pas la Bible, la Genèse n’était pas son seul texte historique. Il était prudent dans l’interprétation des mythes antiques, en indiquant que « l’histoire des nations concernant les premiers âges après le déluge est douteuse eu égard aux nations elles-mêmes », et il pensait qu’elle était pleine de mythes171. Néanmoins, « l’autorité de l’histoire » ne pouvait pas être limitée à la Bible, et Stenon pensait que certains mythes antiques et certaines traditions contenaient quelques éléments crédibles. Parmi ceux-ci, il comptait le mythe de l’Atlantide, des détails géographiques datant des voyages de Bacchus, Ulysse et d’autres et la tradition grecque selon laquelle les premiers hommes descendirent des montagnes quand les plaines

167. « But I see not why it may not be understood in a plain literal sense, as a true matter of Fact, (though perhaps a little disguised, as wat wont to be the fashion (in that Age in relating old stories) and is very consistent with all that Rudbeck cites out of Plato, in that whole seventh Chapter in his Atlantica » (ibid.). 168. Cf. J. P. de TOURNEFORT, Relation d’un voyage du Levant, 3 vol., Lyon 1717, vol. 2, p. 403-409. 169. La perte de confiance dans le témoignage menace de ruiner la connaissance historique, et plus spécialement l’histoire ancienne. Voir à ce sujet C. GRELL, Le Dix-huitième siècle et l’antiquité en France, 1680-1789, op. cit., et plus particulièrement son chapitre 5 : « L’antiquité des anciens et celle des modernes », p. 359-448. 170. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 94. 171. N. STENON, The Prodromus of Nicolaus Steno’s Dissertations concerning a solid body enclosed by process of nature within a solid [1669], éd. et trad. angl. J. G. WINTER, New-York 1916, p. 259 et 268-269 (Cité par R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 101).

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devinrent sèches et habitables. Si ces contes étaient quelque peu moins crédibles que d’autres textes – comme les Récits Romains de l’expédition d’Hannibal, ou de Tacite sur les tremblements de terre –, Stenon les trouvait encore potentiellement utiles dans la reconstruction des aspects du passé géologique172. L’utilisation des récits mythiques des auteurs antiques par les hommes de science qui y recherchent des informations historiques, l’usage d’arguments linguistiques tirés des langues anciennes, paraîssent avoir été assez généraux, en France comme dans le reste de la République des lettres, y compris à l’Académie des sciences. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les Philosophical Transactions aient approuvé l’utilisation des récits de la mythologie antique, leur interprétation, comme source d’informations pour le passé très reculé, les temps fabuleux de l’histoire. L’attitude opposée, ou au minimum beaucoup plus prudente, du Journal des savants contraste avec celle qui s’exprime dans la revue anglaise. L’attitude du périodique londonien pourrait sembler à première vue s’accorder beaucoup mieux avec celle de bien des hommes de science de l’époque. Néanmoins, dans le cas de l’ouvrage du suédois Olof Rudbeck, en 1684, dans ses propos, le journaliste français se fait le porte parole d’une communauté savante : les historiens et les critiques sont censés être derrière lui. Certes, le nationalisme exagéré et les outrances des thèses de l’auteur, qui allaient à l’encontre de traditions très anciennes touchant aux racines mêmes de la civilisation européenne et de son héritage gréco-romain, ont sans aucun doute indisposé fortement au moins une partie de cette communauté savante mais, d’après les deux revues, bien davantage en France qu’en Angleterre. On pourrait émettre l’hypothèse que les journalistes de la revue parisienne ont été influencés dans leurs jugements par leurs positions en matière religieuse. La thèse de Daniel Huet dans sa Demonstratio evangelica (1679), qui consiste à retrouver dans l’histoire et dans la mythologie des peuples anciens, le récit travesti des vérités contenues dans la Bible, a fait naître de nombreux opposants. Et parmi eux, les jansénistes ne sont pas les derniers. En revanche, du côté protestant, Basnage reproche à Huet non le principe de sa démonstration, qu’il juge excellent et d’ailleurs traditionnel, mais seulement son extension excessive173. Le moyen employé par Huet pour combattre les partisans des Préadamites se révélait dangereux en finissant par fournir des armes aux déistes. La comparaison systématique, continue, insistante et minutieuse des dogmes et des mystères judéo-chrétiens avec les mythes et les fables des païens finissait par donner l’impression que les mêmes vérités du christianisme pourraient se ranger sur le plan du mythe et de la fable. En faisant référence à un compte rendu de l’ouvrage d’Huet, paru dans l’Histoire des ouvrages des savans de juin 1691, Arnault juge que, si l’auteur protestant de cette relation n’a pas altéré le contenu du livre, alors celui-ci contient des choses horribles susceptibles de suggérer à de jeunes libertins qu’il faut avoir une religion, mais que toutes les religions sont bonnes et que le paganisme lui-même peut être considéré équivalent au christianisme174. En se référant au jugement d’Arnauld, Jean Racine considérait le livre d’Huet comme « abominable et plein d’impiété ». La vraie religion, dans l’œuvre d’Huet, finissait par se dissoudre dans le monde des « fables antiques »175. Pour les opposants à la thèse d’Huet, il

172. Ibid. 173. F. LAPLANCHE, La Bible en France, entre mythe et critique, XVIe-XIXe siècle, op. cit., p. 40. 174. P. ROSSI, op. cit., p. 186. 175. Ibid., p. 187.

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devenait indispensable de tracer une frontière nette et infranchissable entre les faits historiques et les fables, entre l’histoire sacrée, incontestable, ou l’histoire récente bien documentée, et les mythes et les fables propres à l’histoire reculée, obscure et fabuleuse. Seule l’histoire sacrée est vraie, éternelle et ancienne, et l’ensemble de ces trois caractéristiques la différencie nettement de toutes les autres histoires possibles. En 1679, le Journal réserve un accueil assez favorable à l’ouvrage de Daniel Huet176, alors qu’en 1692, il critique ses idées177. Lors de sa parution, en 1679, l’ouvrage d’Huet a présenté une thèse originale qui a suscité beaucoup de curiosité et d’intérêt, et dont les futurs adversaires n’ont peut-être pas perçu immédiatement le danger. En 1692, les polémiques autour des thèses d’Huet ont eu le temps de se développer. Louis Ellies Dupin, collaborateur du Journal dans les années 1702-1703, et qui ne cache pas ses opinions jansénistes, ridiculise la prétendue antiquité des Phéniciens et des Chinois et considère les historiens chaldéens comme « ceux qui se sont vantés plus que tous les autres »178. En 1692, les attaques du Journal contre les thèses de Rudbeck sont encore plus virulentes qu’en 1684. Cependant Rudbeck, et avec lui le rédacteur des Transactions, distinguent bien les préoccupations apologétiques des théologiens, comme Huet, de l’utilisation des fables dans un but scientifique. Pour le journaliste anglais, il s’agit de deux choses nettement différentes, alors que le journaliste français ne fait aucune distinction entre les deux. Si l’on suit le rédacteur anglais, l’opposition aux thèses de Daniel Huet, qui se traduit par un refus d’utiliser les fables en théologie dans un but apologétique, n’implique pas nécessairement de refuser leur usage dans le domaine de la science. On peut refuser de voir dans les mythes les personnages et les événements de l’histoire sacrée, mais il s’agit de l’affaire des théologiens, pour autant, cela n’interdit en aucune façon aux hommes de science d’y rechercher autre chose, par exemple, l’origine des peuples. Dans ces conditions, l’opposition aux thèses d’Huet ne peut pas expliquer entièrement les critiques des journalistes français. Dans son Histoire des Oracles, en 1686, Fontenelle souligne que si l’erreur est possible en science, elle est encore plus difficile à éviter dans le domaine de l’histoire lorsque l’on utilise les récits des auteurs anciens : Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison. Cela veut dire que non seulement nous n’avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d’autres qui s’accommodent très bien avec le faux. De grands physiciens ont fort bien trouvé pourquoi les lieux souterrains sont chauds en hiver et froids en été ; de plus grands physiciens ont trouvé depuis peu que cela n’était pas. Les discussions historiques sont encore plus susceptibles de cette sorte d’erreur. On raisonne sur ce qu’on dit les historiens ; mais ces historiens n’ont-ils pas été ni passionnés, ni crédules, ni mal instruits, ni négligents ? Il en faudrait trouver un qui eût été spectateur de toute chose, indifférent et appliqué. Surtout quand on écrit des faits qui ont liaison avec la religion, il est assez difficile que, selon le parti dont on est, on ne donne à une fausse religion des avantages qui ne lui sont point dus, ou qu’on ne donne à la vraie de faux avantages dont elle n’a pas besoin.

176. Journal des savants, 9 janvier 1679 (n° 1), p. 5-10 (4-6). 177. Journal des savants, 1er septembre 1692 (n° 34), p. 397-401 (299-302). 178. L. E. DUPIN, Bibliothèque universelle des historiens contenant leurs vies, l’abrégé, la chronologie, la géographie et la critique de leurs histoires, 2 vol., Amsterdam 1708, p. 18.

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Cependant on devrait être persuadé qu’on ne peut jamais ajouter de la vérité à celle qui est vraie, ni en donner à celles qui sont fausses…179

Le dernier paragraphe s’appliquerait à merveille à Daniel Huet qui a éprouvé le besoin de retrouver dans les récits mythiques des peuples païens les vérités de la Bible. Dans son Origine des fables, Fontenelle ouvre la voie de la recherche proprement historique sur l’origine des mythes180. Il dénonce d’abord le manque de réflexion sur les fables, provoquée par l’accoutumance qu’on en a dès le plus jeune âge, et qui conduit à ne pas les remettre en question : On nous a si fort accoutumés, pendant notre enfance, aux fables des Grecs que, quand nous sommes en état de raisonner, nous ne nous avisons plus de les trouver aussi étonnantes qu’elles le sont. Mais, si l’on vient à se défaire des yeux de l’habitude, il ne se peut qu’on ne soit épouvanté de voir toute l’ancienne histoire d’un peuple, qui n’est qu’un amas de chimères, de rêveries et d’absurdités181.

Il inscrit l’origine des croyances dans une doctrine du progrès continu des connaissances. L’élaboration des fables se rattache à un état très primitif de l’humanité. Dans les premiers siècles du monde, l’ignorance et la barbarie durent être à un excès que nous ne sommes presque plus en état de nous représenter. Figurons-nous les Cafres, les Lapons ou les Iroquois ; et même prenons garde que, ces peuples étant déjà anciens, ils ont dû parvenir à quelques degré de connaissance et de politesse que les premiers hommes n’avaient pas182.

Fontenelle s’attache à étudier les mécanismes psychologiques qui conduisent l’esprit des hommes à produire des fables. Plus on est ignorant, et moins on a d’expérience, plus on voit des prodiges. Les premiers hommes en virent donc beaucoup. En outre, les récits que les premiers hommes firent à leurs enfants ont été exagérés, que ce soit de bonne foi ou de mauvaise foi, puis ils ont été déformés en passant de bouche en bouche. Plongé dans la barbarie et l’ignorance, l’homme primitif a déformé et embelli les phénomènes naturels auxquels il était confronté. Ainsi, Fontenelle admet qu’à la source de bien des mythes, il puisse avoir existé un phénomène naturel que l’homme primitif était incapable d’expliquer de façon rationnelle. Son esprit, naturellement porté à l’imagination, a enveloppé ses observations de chimères qui ont fini par faire disparaître l’objet initial de sa curiosité. Reconnaître qu’à la base d’un mythe peut se trouver un phénomène naturel n’exclut pas totalement la possibilité d’une interprétation historique, en particulier dans le cas d’un phénomène géologique survenu dans le passé. Par contre, Fontenelle condamne la démarche évhémériste, démarche suivie par Huet comme par Rudbeck. Les dieux et les déesses sont de pures inventions d’une philosophie primitive qui, apparue même dans ces siècles grossiers, a beaucoup servi à la naissance des fables. Les hommes qui ont un peu plus de génie que les autres sont naturellement portés à rechercher la cause de ce qu’ils voient :

179. FONTENELLE, Histoire des Oracles, dans Fontenelle : textes choisis (1683-1702), Paris 1966, p. 187188. 180. FONTENELLE, De l’origine des fables, ibid., p. 214-238. Publié tardivement en 1724, De l’origine des fables aurait été rédigé par Fontenelle vers 1680. Sur Fontenelle et les fables, voir C. POULOIN, « Fontenelle et la vérité des fables », op. cit. 181. Ibid., p. 223. 182. Ibid., p. 223-224.

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De cette philosophie grossière, qui régna nécessairement dans les premiers siècles, sont nés les dieux et les déesses. Il est assez curieux de voir comment l’imagination humaine a enfanté les fausses divinités. Les hommes voyaient bien des choses qu’ils n’eussent pas pu faire : lancer les foudres, exciter les vents, agiter les flots de la mer, tout cela était beaucoup au-dessus de leur pouvoir. Ils imaginèrent des êtres plus puissants qu’eux, et capables de produire ces grands effets. Il fallait bien que ces êtres-là fussent faits comme des hommes. Quelle autre figure eussent-ils pu avoir183 ?

Mais, « Comme les histoires de faits véritables, mêlées de ces fausses imaginations, eurent beaucoup de cours, on commença à en forger sans aucun fondement »184. En outre, Fontenelle pose deux principes généraux qui ont extrêmement favorisé les fables. « Le premier est le droit que l’on a d’inventer des choses pareilles à celles qui sont reçues, ou de les pousser plus loin par des conséquences »185. Il dénonce, dans le second, l’aveuglement de la tradition et le respect de l’autorité : « Le second principe, qui sert beaucoup à nos erreurs est le respect aveugle de l’antiquité. Nos pères l’on cru ; prétendrions-nous être plus sages qu’eux ? »186. Fontenelle s’élève aussi contre ceux qui veulent voir dans les fables une sagesse déguisée : « assurément ceux qui ont fait les fables n’étaient pas gens à savoir de la morale ou de la physique, ni à trouver l’art de les déguiser sous des images empruntées ». Pour Fontenelle, l’histoire est aussi l’histoire des erreurs de l’esprit humain, et elle en prend une valeur critique, il prône une nouvelle histoire187 : Ne cherchons donc autre chose dans les fables que l’histoire des erreurs de l’esprit humain. Il en est moins capable, dès qu’il sait à quel point il l’est. Ce n’est pas une science de s’être rempli la tête de toutes les extravagances des Phéniciens et des Grecs ; mais c’en est une de savoir ce qui a conduit les Phéniciens et les Grecs à ces extravagances. Tous les hommes se ressemblent si fort, qu’il n’y a point de peuple dont les sottises ne nous doivent faire trembler188.

Il serait tentant de reconnaître dans les critiques du Journal des savants à l’égard de l’usage des mythes et des fables, les idées de Fontenelle, ou au moins son influence. Sollicité par l’abbé Bignon, l’académicien fit d’ailleurs partie de l’équipe rédactionnelle du journal pendant deux ans, de 1701 à 1702. À partir des années 1680, en critiquant de manière de plus en plus virulente une certaine manière d’utiliser la mythologie, aussi bien en science qu’en théologie, le Journal des savants a adopté une position totalement opposée à celle des Philosophical Transactions. Mais derrière l’esprit cartésien de Fontenelle, c’est déjà l’esprit des Lumières qui apparaît. Certes,

183. Ibid., p. 226. 184. Ibid., p. 229. 185. Ibid., p. 231. 186. Ibid., p. 232. Fontenelle ajoute : « Ces deux principes joints ensemble, font des merveilles. L’un, sur le moindre fondement que la faiblesse de la nature humaine ait donné, étend une sottise à l’infini ; l’autre, pour peu qu’elle soit établie, la conserve à jamais. L’un, parce que nous sommes déjà dans l’erreur, nous engage à y être encore de plus en plus ; et l’autre nous défend de nous en tirer, parce que nous y avons été quelque temps. » 187. Dans son analyse du texte de Fontenelle Sur l’histoire, Maurice Roelens souligne que « Par le rejet d’une histoire entièrement consacrée aux événements militaires et politiques, la curiosité pour la vie quotidienne des peuples, le désir de mettre en lumière les déterminismes historiques qui gouvernent les changements sociaux et moraux, Fontenelle se révèle ici novateur et il n’est pas interdit de voir chez lui l’annonce des conceptions historiques d’un Voltaire ou d’un Montesquieu » (ibid., p. 217-218). 188. Ibid., p. 238.

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la thèse d’un Fontenelle cartésien189 a été amplement abandonnée. Le cartésianisme de Fontenelle se réduit plutôt à une leçon de libre-pensée, de doute et d’indépendance190. Ce que Fontenelle retient du cartésianisme, c’est avant tout la méthode, une nouvelle façon de penser. Il l’exprime d’une manière qui montre assez bien les limites de son cartésianisme : Avant Monsieur Descartes on raisonnait plus commodément ; les siècles passés sont bienheureux de n’avoir pas eu cet homme-là. C’est lui, à ce qu’il me semble, qui a amené cette nouvelle méthode de raisonner, beaucoup plus estimable que sa philosophie même, dont une bonne partie se trouve fausse, ou fort incertaine, selon les propres règles qu’il nous a apprises191.

Mais pour Fontenelle, c’est Descartes qui a présidé à l’entrée irréversible des sciences dans l’ère de la modernité en réalisant une rupture radicale avec une situation antérieure assimilée à un état d’errance, où dominent les illusions, les préjugés et les superstitions. À ses yeux, le cartésianisme représente avant tout un esprit, l’« esprit cartésien », et une leçon d’indépendance qui lui permet de célébrer le rôle joué par Descartes tout en s’affranchissant des doctrines cartésiennes dont il connaît bien les insuffisances et les imperfections192. C’est avec Descartes que tout commence : Ce n’est guère que de ce siècle-ci, que l’on peut compter le renouvellement des Mathématiques & de la Phisique. M. Descartes & d’autres grands Hommes y ont travaillé avec tant de succès, que dans ce genre de littérature, tout a changé de face193.

Mais en affirmant que le renouvellement des sciences physiques et des mathématiques est contemporain de son siècle, Fontenelle dénie aux Anciens leur prééminence. Pour lui, la naissance des sciences est même très proche : « Il est permis de conter que les Sciences ne font que de naître »194. Ce qui revient à leur refuser une origine beaucoup plus reculée qui remonterait à l’Antiquité. Fontenelle défend le caractère de nouveauté des découvertes scientifiques de l’époque moderne par rapport à ce qu’avaient pu connaître les Anciens : Rassemblés tous les differens usages dont les Mathématiques pouvoient être il y a cent ans, rien ne ressembloit aux Lunettes qu’elles nous ont données depuis ce temps-là, et qui sont un nouvel organe de la Vue, que l’ont eut pas osé attendre des mains de l’art. Quelle eut été la surprise des Anciens, si on leur eût prédit qu’un jour leur postérité, par le moyen de quelques instrumens, verroit une infinité d’objets qu’ils ne voyoient pas, un Ciel qui leur étoit inconnu, des Plantes & des Animaux, dont ils ne soupçonnoient seulement pas la possibilité ? Les Phisiciens avoient déjà un grand nombre d’expériences

189. Thèse ainsi soutenue par J. R. CARRÉ dans Fontenelle ou le sourire de la raison, Paris 1932. 190. L. M. MARSAK, « Cartesianism in Fontenelle and French Science, 1686-1752 », Isis 50/1 (1959), p. 51-60. 191. FONTENELLE, Digression sur les Anciens et les Modernes (Paris 1688), dans M. FUMAROLI, La Querelle des Anciens et des Modernes, op. cit., p. 302. 192. Sur l’usage du cartésianisme par Fontenelle et aussi sur son utilisation de l’histoire des sciences, voir S. MAZAURIC, « Fontenelle et la construction polémique de l’histoire des sciences », Corpus 44 (2003), p. 73-97. 193. FONTENELLE, Histoire de l’Académie royale des sciences, t. I : Depuis son établissement en 1666 jusqu’à 1686, Paris 1733, p. 2 (préface). 194. FONTENELLE, « Préface sur l’utilité des mathématiques et de la physique… », dans Histoire du renouvellement de l’Académie Royale des Sciences en MDCXCIX et les éloges historiques de tous les Académiciens morts depuis ce Renouvellement, Paris 1708.

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curieuses, mais voici encore depuis près d’un demi siècle la machine Pneumatique qui en a produit une infinité d’une nature toute nouvelle, et qui en nous montrant les corps dans un lieu vuide d’air, nous les montre comme transportés dans un Monde différent du notre, où ils éprouvent des altérations dont nous n’avions pas idées195.

En attribuant aux sciences une origine très récente, Fontenelle s’engageait au côté des Modernes dans la Querelle des Anciens et des Modernes196. Les débats au sujet de la prééminence des Anciens ou des Modernes avaient débuté au moins dès la Renaissance en Italie, pour gagner l’Europe entière dont la France197. L’offensive des Modernes en 1687 avec la lecture à l’Académie française du poème de Perrault Le Siècle de Louis le Grand trouve un appui efficace en Fontenelle avec sa Digression sur les Anciens et les Modernes, parue en 1688. En prenant partie pour les Modernes, Fontenelle y défend l’idée de progrès scientifique. Mais pour lui ce progrès représente aussi une histoire des errements de notre esprit. Cette histoire implique une longue série de tâtonnements et d’égarements : Nous avons l’obligation aux anciens de nous avoir épuisé la plus grande partie des idées fausses qu’on se pouvait faire ; il fallait absolument payer à l’erreur et à l’ignorance le tribut qu’ils ont payé, et nous ne devons pas manquer de reconnaissance envers ceux qui nous en ont acquittés198.

Si Fontenelle concède que les Anciens ont pu atteindre la perfection dans les domaines de l’éloquence et de la poésie, c’est parce que ces dernières « ne demandent qu’un certain nombre de vues assez borné par rapport à d’autres arts, et elles dépendent principalement de la vivacité de l’imagination » que les hommes peuvent avoir amassé en peu de siècles. En revanche, il n’en va pas de même pour la science : Mais la physique, la médecine, les mathématiques, sont composées d’un nombre infini de vues, et dépendent de la justesse du raisonnement, qui se perfectionne avec une extrême lenteur, et se perfectionne toujours ; il faut même souvent qu’elles soient aidées par des expériences que le hasard seul fait naître, et qu’il n’amène pas à point nommé. Il est évident que tout cela n’a point de fin, et que les derniers physiciens ou mathématiciens devront naturellement être les plus habiles199.

Pour Fontenelle, le progrès scientifique n’a pas de fin. Ainsi, « nous serons quelque jour anciens ; et ne sera-t-il pas bien juste que notre postérité, à son tour, nous redresse et nous surpasse, principalement sur la manière de raisonner, qui est une science à part, et la plus difficile, et la moins cultivée de toutes ? »200. Mais il insiste également sur la nouveauté de ce progrès : « on seroit étonné de la grandeur & de la rapidité du progrès des Sciences, on en verroit même sortir du néant »201. Pour lui, les sciences n’en sont qu’à leurs débuts : plus nous avons lieu de nous promettre un

195. Ibid. 196. Sur la querelle des Anciens et des Modernes, voir l’ouvrage déjà cité de M. FUMAROLI, La Querelle des Anciens et des Modernes. XVIIe-XVIIIe siècles. 197. Marc Fumaroli situe pour sa part les origines véritables de la querelle à la Renaissance, avec Pétrarque. 198. FONTENELLE, Digression sur les Anciens et les Modernes (Paris 1688), dans M. FUMAROLI, La Querelle des Anciens et des Modernes, op. cit., p. 300. 199. Ibid., p. 301. 200. Ibid., p. 302. 201. Ibid.

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avenir heureux, « plus nous sommes obligés à ne regarder présentement les Sciences que comme étant au berceau »202. En Angleterre, la Querelle des Anciens et des Modernes commence en 1690, par la publication des Essays upon Ancient and Modern Learning, de Sir William Temple, qui voulait réfuter la Digression sur les Anciens et les Modernes de Fontenelle, publiée quatre ans plus tôt203. En 1694, William Wotton contre-attaque en publiant ses Reflections upon Ancient and Modern Learning. Les Transactions en offrent un long compte rendu à leurs lecteurs la même année204. En définitive, tout en gardant ses distances avec les positions affichées par l’auteur, dans sa conclusion, le journaliste anglais ne veut y voir qu’une défense du type de science prônée par la Royal Society, raison pour laquelle l’auteur ne mentionnerait pas son appartenance à ce corps. Toutefois il s’agit là de son interprétation205. Les intentions de Wotton sont pourtant claires. Dans la Querelle des Anciens et des Modernes, il prend parti au côté de Fontenelle pour les Modernes. Mais contrairement à Fontenelle dans sa Digression, il s’intéresse également à la théologie et à la religion. Ainsi, défend-il, avec quelques précautions, la supériorité des théologiens Modernes qui ont mieux compris la Bible grâce à la connaissance des langues orientales. Temple assignait à la décadence du savoir, entre autres, les disputes de religion. Wotton y voit au contraire une cause dans la progression des connaissances. L’attitude adoptée par le journaliste anglais ne traduirait-elle pas une certaine gêne vis-à-vis de l’ouvrage de Wotton ? A contrario, en 1697, lorsqu’il rend compte du Paralèlle des Anciens et des Modernes de Perrault, le Journal des savants n’a pas de scrupule à se montrer partisan des Modernes206. Or pour sa part, Newton se place du côté des admirateurs des Anciens207. Lors de la querelle des Anciens et des Modernes, il se range résolument dans le camp des Anciens. Il pense que les Anciens étaient des hommes de grand génie et des esprits

202. Ibid., Fontenelle se montre parfois plus prudent dans ses positions. En fait, en tant que secrétaire de l’Académie, il doit ménager certaines personnes. Ses stratégies d’écriture varient donc suivant les circonstances et les personnes à qui il s’adresse. 203. Sur la querelle des Anciens et des Modernes en Angleterre, outre l’ouvrage cité plus haut de Marc Fumaroli, voir notamment J. M. LEVINE, The Battle of the Books. History and Literature in the Augustan Age, Ithaca et Londres 1991 ; ID., « Ancients and Moderns Reconsidered », Eighteenth-Century Studies 15/1 (1981), p. 72-89. Joseph Levine a montré que la querelle anglaise ne pouvait être comprise sans ses origines continentales et, en particulier, sans ses liens avec la querelle en France. 204. « Reflections upon Ancient and Modern Learning. By W. Wotton, B.D.R.S.S. and Chaplain to the Right Honourable the Earl of Notingham. London, Printed for Peter Buck, at the Sign of the Temple near the Inner-Temple-Gate, Fleetstreet. In Octavo. 1694 », Philosophical Transactions, décembre 1694, n° 214, p. 264-275. 205. « The wole Book seems to be designed for a Vindication of that sort of Learning, which it is the intention of the Royal Society to promote, for which Reason probably he took no Notice that he had the Honour to be a Member of that Body » (ibid.). 206. « Parallèle des Anciens et des Modernes, où il est traité de l’Astronomie, de la Geographie, de la Navigation, de la Guerre, de la Philosophie, de la Musique, de la Medecine &c. cinquième & dernier dialogue. Par M. Perrault, de l’Academie Françoise. Tome quatrième. In 12. à Paris chez Jean Baptiste Coignard, rue saint Jacques. 1696 », Journal des savants, 18 mars 1697, p. 121-125 (107-110). 207. À ce sujet, voir J. E. FORCE, « Newton, the ‘‘Ancients’’ and the ‘‘Moderns’’ », dans J.E. FORCE et R.H. POPKIN (éd.), Newton and Religion : Context, Nature, and Influence, Dordrecht 1999, p. 237-257, ainsi que R. ILIFFE, « Is he like other men ? The meaning of the Principia mathematica, and the author as idol », dans G. MACLEAN (éd.), Culture ans society in the Stuart Restoration, Cambridge 1995, p. 159-176 ; R. ILIFFE, « The ‘Principia’ : Newton’s authorial role », dans M. OSTER (éd.), Science in Europe, 1500-1800 : A Secondary Sources Reader, Basingstoke (U.K.) 2002, p. 150-153.

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supérieurs qui avaient porté leurs découvertes beaucoup plus loin que ce qui subsiste de leurs écrits ne le laissait supposer. Pour Newton, les seuls Modernes qui comptent parmi les savants sont ceux, peu nombreux, qui sont capables de comprendre la sagesse antique telle qu’elle a été transmise au monde moderne, sous quelque forme que ce soit. Le problème, pour lui, concerne aussi bien le contenu de la sagesse antique que ses moyens de conservation et de transmission à travers les âges208. La plupart des preuves de sa profonde sympathie envers les Anciens se trouvent dans nombre de ses manuscrits non publiés. Pour beaucoup d’historiens des XVIIIe et XIXe siècles, la vie de Newton et son œuvre incarnaient le progrès scientifique moderne. Ils furent ainsi poussés à ignorer, ou à dédaigner, l’imposante masse des manuscrits théologiques du savant anglais qui les mettaient dans l’embarras. D’autant que leur contenu s’accordait fort mal avec l’image rationaliste du savant traditionnellement glorifié par les positivistes depuis le XIXe siècle. Or pour Newton, les mathématiques et la philosophie naturelle, aussi bien que l’alchimie et la théologie formaient un tout indissociable faisant partie d’une seule et même recherche. Longtemps restés inaccessibles pour une partie d’entre eux209, les manuscrits théologiques de Newton ont suscité un regain d’intérêt dans ces dernières décennies, jetant ainsi un éclairage nouveau sur leur auteur. Dans les années 1680, alors même que Newton travaillait sur les Principia, il travaillait également sur la mythologie à travers la rédaction d’un manuscrit resté inachevé, les Theologiae gentilis origines philosophiae, aujourd’hui localisé à la bibliothèque universitaire de Jérusalem. Des onze chapitres projetés, seuls les cinq premiers ont été développés, le manuscrit comprenant aussi de nombreux fragments qui paraissent représenter les recherches pour les autres chapitres210. Selon Newton, on retrouve les enfants et petits-enfants de Noé dans diverses histoires de l’Antiquité. Il adopte une démarche évhémériste similaire à celles de Huet ou de Rudbeck. Un type de démarche que Fontenelle dénonce et condamne. Comme le fait Rudbeck, Newton assimile les personnages de la mythologie à des personnages historiques qui se seraient ensuite perpétués dans des noms d’étoiles et de planètes. Ainsi, pour Newton, Noé est Saturne et Janus, et Cham est Jupiter. Sa méthode consiste, d’une part, à formuler des liens entre des objets astronomiques et un nombre limité de personnages historiques, d’autre part, à établir des équivalences entre des personnages appartenant aux principaux panthéons mythologiques211. Pour Newton, comme pour d’autres évhéméristes du XVIIe siècle, la généalogie des dieux païens devient l’histoire politique des royaumes des Égyptiens, des Babyloniens et des Assyriens212. En outre, pour lui, les anciennes pratiques religieuses sont susceptibles de révéler les vérités physiques de l’univers. Newton veut montrer que les feux sacrés des autels et les rituels qui y étaient associés peuvent être interprétés comme les représentations de

208. J. E. FORCE, « Newton, the “Ancients,” and the “Moderns” », op. cit., p. 244. 209. Nombre d’entre eux rachetés à une vente aux enchères à Londres en 1936 peuvent être consultés à la bibliothèque universitaire de Jérusalem depuis 1969, et pour d’autres, à la bibliothèque du King’s College de Cambridge. Frank Edward Manuel a été l’un des premiers chercheurs à s’y être intéressé, voir notamment : F.E. MANUEL, The Religion of Isaac Newton, Oxford 1974. 210. Cf. K. J. KNOESPEL, « Interpretative Strategies in Newton’s Theologiae gentilis origines philosophiae » dans J. E. FORCE et R. H. POPKIN, Newton and Religion : Context, Nature, and Influence, 1999, p. 179-202. 211. Ibid., p. 183. 212. J. E. FORCE, « Newton, the “Ancients,” and the “Moderns” », dans J.E. Force et R.H. Popkin (éd.), Newton and Religion : Context, Nature, and Influence, op. cit., p. 253-254.

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systèmes cosmologiques. Il suggère que le mouvement des prêtres symbolise le mouvement des planètes. Le Prytanée avec son feu au centre était un emblème du système de la Terre et du soleil. L’emplacement du feu du Prytanée devient une manifestation de la religion originelle incorporée dans toutes les religions, y compris le Judaïsme et le Christianisme. En fin de compte, le feu du Prytanée fournit à Newton le dénominateur commun pour ses recherches mythologiques. Il y voit une confirmation de la continuité de la pratique religieuse à travers les millénaires. Pour Newton, une telle constance devient un signe que la physique se trouve à la base même de la révélation religieuse. Les commentaires mythologiques et bibliques de Newton font partie d’un même projet. Il pratique des stratégies associées à l’évhémérisme et à l’allégorie physique. Son travail peut être comparé à d’autres projets du même genre de la fin du XVIIe siècle, et notamment, à l’Atlantica d’Olof Rudbeck qui valut à ce dernier la reconnaissance de la Royal Society213. D’ailleurs, une lettre autographe dans laquelle Newton demande une copie des recherches du Suédois manifeste son intérêt pour les recherches de Rudbeck214. En ce qui concerne les notions de nouveauté et de progrès scientifique chères à Fontenelle, les idées de Newton sont à l’opposé. Pour Newton, il ne saurait y avoir de nouveauté, rien de nouveau sous le soleil. Le progrès ne peut être qu’un retour à la sagesse des Anciens. Dans cette perspective, il tient à montrer comment les auteurs antiques ont prévu ses propres découvertes scientifiques. Le grand savant anglais s’ingénie à démontrer que ses outils mathématiques étaient connus des Anciens. Il affirme que les Anciens connaissaient le vrai système physique du monde (Copernicien-Newtonien), et croyaient en lui. Newton prétend déchiffrer le code employé par les Anciens, parce qu’il a redécouvert les vérités à la base de leurs mystères. La religion originelle était fondée sur une compréhension physique de l’univers qui a été corrompue par la suite. À la lumière de ses Theologiae gentilis origines philosophiae, ses découvertes dans les Principia pourraient même être considérées comme des redécouvertes de révélations antiques215. En 1691-92, lorsqu’il songe à une nouvelle édition de ses Principia, il travaille à nouveau à l’étude des Anciens et affirme que ces derniers avaient les mêmes idées que lui216. Dans son « liber secundus », non publié, Newton soutient l’existence d’une sagesse originelle (prisca sapienta). Les Égyptiens furent les premiers astronomes et transmirent leurs connaissances aux Grecs. Mais leur savoir se pervertit durant cette transmission en étant détourné par la doctrine aristotélicienne et scolastique corrompue des orbes planétaires solides217.

213. Kenneth KNOESPEL affirme que l’Atlantica de Rudbeck aurait abouti à son élection à la Royal Society (op. cit., p. 197) mais il ne cite pas ses sources à ce propos. M. HUNTER (The Royal Society and its fellows, 1660-1700, op. cit., p. 59) signale simplement qu’Olof Rudbeck a été proposé par Thomas Gale comme candidat à la Royal Society le 14 décembre 1681 mais sans aboutir à son élection. 214. K. J. KNOESPEL, « Interpretative Strategies in Newton’s Theologiae gentilis origines philosophiae » dans J. E. FORCE et R. H. POPKIN, Newton and Religion : Context, Nature, and Influence, op. cit., p. 197. 215. Ibid., p. 201. 216. Cf. R. ILIFFE, « Is he like other men ? », op. cit., p. 164. 217. À propos de la querelle en Angleterre, Joseph Levine remarque très justement que les attaques à l’encontre d’Aristote n’étaient pas forcément un gage de modernité. Bien que plus connu comme l’avocat des Modernes, Bacon a écrit un De Sapientia Veterum, en se montrant ainsi ambivalent. Les platoniciens de Cambridge, Cudworth et More, comme beaucoup de leurs alliés, Theophilus Gale, Edward Stillingfleet, et même Thomas Burnet, ont écrit en faveur d’une théologie originelle ou d’une antique philosophie qu’ils faisaient remonter avant les Grecs aux grands sages orientaux, Hermès Trimégiste, Zoroastre, et à Moïse

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S’inspirant de Ralph Cudworth et de travaux similaires de divers auteurs contemporains, Newton développe toute une théorie à propos de la philosophie d’Orphée, personnage tout droit sorti de la mythologie grecque, et de Pythagore. Des Égyptiens, qui cachaient leurs mystères sous le voile de rituels religieux et de symboles hiéroglyphiques, Orphée aurait appris la vraie théologie et la véritable mythologie. Tandis que Pythagore aurait appris la signification des symboles et des nombres qui tirent leur origine de la philosophie occulte. Pythagore aurait répandu parmi ses disciples l’astronomie Copernicienne à travers l’explication de ces allégories218. Centrées autour de la certitude d’une sagesse originelle que Dieu aurait révélée au premier homme lors de la Création, les recherches de Newton sont destinées à retrouver une religion et un savoir originels plutôt qu’à élaborer une nouvelle doctrine ou une nouvelle image de l’univers219. Comme la plupart des intellectuels anglais de l’époque, pour Newton, les premiers hommes, descendants d’Adam, avaient connu à la fois la vraie religion et la vraie science. L’adversaire de Newton, Hooke, croyait d’ailleurs également au mythe d’une sagesse originelle effacée par le temps. Il est frappant de constater que des grandes figures de la Royal Society sont animées de préjugés favorables au parti des Anciens alors qu’un personnage de premier plan à l’Académie royale des sciences, comme Fontenelle, est non seulement engagé aux côtés des Modernes mais également propagandiste de l’idée de progrès scientifique. Quel contraste d’ailleurs entre l’utilisation de la mythologie par un savant anglais comme Newton et la critique des fables par Fontenelle. On ne peut que faire le rapprochement avec les positions opposées adoptées par les deux revues savantes à propos de l’utilisation des fables.

ou Noé. Pour certains d’entre eux, pour Cudworth par exemple, Hobbes et Descartes, avec toutes leurs prétentions de modernes, n’étaient en rien des innovateurs et ne faisaient que ressusciter l’atomisme et l’athéisme classiques. Levine souligne que cette conviction en une sagesse originelle est restée longtemps vigoureuse (Cf. J. M. LEVINE, « Ancients and Moderns reconsidered », op. cit.). 218. Cf. R. ILIFFE, « Is he like other men ? », op. cit., p. 166. L’idée n’est pas nouvelle, Joseph Levine relève qu’en 1647, pour More, toutes les avancées des temps modernes ne sont qu’un retour à l’antique sagesse, en particulier : Copernic n’a fait que restaurer l’hypothèse de Pythagore sur le mouvement de la Terre. Cf. J. M. LEVINE, « Latitudirians, neoplatonist, and the ancient wisdom », dans R. KROLL, R. ASHCRAFT, P. ZAGORIN (éd.), Philosophy, Science, and Religion in England, 1640-1700, Cambridge 1999, p. 85-108. 219. M. PANZA, Newton, op. cit., p. 144.

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CHAPITRE VI

LA NATURE DES FOSSILES Dieu dit : « Que les eaux grouillent d’un grouillement d’êtres vivants et que des oiseaux volent au-dessus de la terre contre le firmament du ciel » et il en fut ainsi. Dieu créa les grands serpents de mer et tous les être vivants qui glissent et qui grouillent dans les eaux selon leur espèce, et toute la gent ailée selon son espèce, et Dieu vit que cela était bon. (Gn 1, 20-21) Dieu dit : « Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce : bestiaux, bestioles, bêtes sauvages selon leur espèce » et il en fut ainsi. Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce et toutes les bestioles du sol selon leur espèce, et Dieu vit que cela était bon. (Gn 1, 24-25)

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, et au début du siècle suivant, la nature des fossiles, sur laquelle s’étaient déjà penchés les érudits des siècles précédents, déclenche des débats d’une ampleur inconnue jusqu’alors. En particulier, ces pierres qui ont la forme de coquilles sont-elles produites naturellement par une quelconque vertu plastique dans la Terre ou les cavités où elles se rencontrent ? Ou bien doivent-elles leurs formes et figures aux coquillages et poissons qu’elles représentent et qui furent transportés sur le lieu de leur découverte par un déluge, un tremblement de terre ou par une toute autre cause ? Ces étranges objets naturels conservent encore les formes, les lignes, les sutures, les saillies, les cavités et les orifices de coquillages. Doit-on en conclure qu’il s’agit de coquillages et de poissons qui furent remplis de boue, d’argile ou de sucs pétrifiants et qui, avec le temps, se sont transformés en pierres ? Ou bien s’agit-il de pierres simplement curieuses, singulières et étranges ? La thèse des origines organiques faisait apparaître des différences notables entre les espèces vivantes et les animaux fossiles. Le relevé de telles différences conduisait nécessairement à la constatation que certaines espèces animales s’étaient éteintes. Mais admettre l’extinction d’espèces vivantes n’impliquait-il pas une rupture inadmissible dans la « plénitude » de la réalité naturelle et dans la « grande chaîne de l’être » ? N’équivalait-il pas à reconnaître des éléments d’inachèvement et d’imperfection dans l’œuvre du Créateur ? D’un autre côté, ces objets – comme se le demandait John Ray en 1692 – s’ils venaient à être considérés comme des productions dues au hasard « et non comme des effets d’une résolution ou d’un dessein » ne pourraient-ils pas devenir une arme entre les mains des tenants de l’athéisme ?1 L’alternative était difficile. Mais à bien y regarder, l’alternative était encore plus radicale. Elle correspondait au choix entre une conception de la nature comme une série de formes immuables dans un ordre de structures permanentes, et une représentation de la nature comme un processus qui se déroule dans le temps, comme un ensemble de structures stables

1. J. RAY, Miscellaneous Discourses concerning : the Primitive Chaos and Creation of the World ; the General Deluge, its Causes and Effects ; the Dissolution of the World and Future Conflagration, Londres 1692.

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seulement en apparence. Dans le premier cas, les fossiles sont vus comme des pierres et des objets naturels seulement plus étranges que les autres pierres et objets existants dans la nature. Dans le second cas, ils peuvent être regardés comme des documents ou des vestiges du passé, comme la trace de processus qui se sont déroulés. Dans le premier cas, ils sont observés, dans le second cas ils sont non seulement observés mais également lus, comme on lit un document. La nature elle-même a une histoire et les « coquilles » constituent de véritables documents parmi ceux de cette histoire2. Les naturalistes pouvaient admettre l’origine organique d’un fossile à condition de pouvoir expliquer sa forme, sa matière et sa présence à l’endroit où il était trouvé. Le fossile ressemblait-il à un organisme vivant connu ? Pouvait-on y trouver quelques traces de matière organique, ou bien l’organisme avait-il été complètement minéralisé ? Comment était-il arrivé en ce lieu ? Suivant les cas, les réponses à ces questions ne pouvaient être que très divergentes, interdisant ainsi tout consensus rapide. Ainsi, les coquilles fossiles examinées en Italie et dans le sud de la France pouvaient-elles aisément être identifiées avec des genres vivants et des espèces identiques. Alors qu’il n’en était pas de même des ammonites géantes des strates anglaises. On pouvait expliquer des dépôts maritimes à proximité des côtes modernes et à basse altitude comme le résultat d’inondations occasionnelles ou de variations épisodiques du niveau de la mer. En revanche, des dépôts comparables en d’autres endroits ne pouvaient pas être interprétés aussi facilement. Devant de telles difficultés, les protagonistes de ces débats se partagèrent en trois groupes. L’un qui comprenait, entre autres, Stenon, Hooke et Leibniz, identifiait sans équivoque les coquilles fossiles comme les restes d’organismes ; les mêmes hommes, cependant, différaient entre eux sur la manière dont les fossiles avaient pu se déposer dans les strates. Un deuxième groupe, mené en Angleterre par Robert Plot et Martin Lister et par d’autres hommes sur le Continent, niait l’origine organique de la plupart des coquilles fossiles, avançant que la nature, de quelque façon mystérieuse et pour quelque but impénétrable, avait produit des roches comportant une étrange ressemblance avec les coquilles d’organismes vivants. Trois concepts reviennent régulièrement dans les écrits de Plot, de ses partisans et de ses critiques : les spécimen eux-mêmes sont des lusus naturae (jeux de la nature) ou des lapides sui generis (pierres d’un genre unique), et la cause qui les a produit est une vis plastica (force ou vertu plastique). Enfin, la théorie généralement associée au nom d’Edward Lhwyd, mais qui a aussi été soutenue indépendamment par Tournefort à Paris, consistait à prétendre que des « germes » ou des « semences » s’étant retrouvés dans le sol ou les roches s’étaient développés à l’intérieur pour produire ce que Lhwyd appelait de « fausses coquilles ». Pour les groupes animés par Plot et Lhwyd, aucun problème de transport et de dépôt n’existait, puisque ces « formes maritimes » provenaient en réalité des endroits mêmes où elles étaient trouvées3.

2. P. ROSSI, op. cit., p. 22-23. 3. Cf. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 106.

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La nature des fossiles

I. Les fossiles : restes d’êtres vivants ou jeux de la Nature ? Dans la conception aristotélicienne, certains organismes plus simples peuvent se former par génération spontanée, même à partir de matériaux non vivants, et ceci peut survenir, même si cela reste peu fréquent, à l’intérieur de la terre. Le « germe » d’un poisson, doté de sa forme spécifique, peut croître à partir de la pierre et engendrer dans la roche un objet en forme de poisson dans ce matériau. En d’autres termes : dans les fossiles, se combinent la « forme » d’un vrai organisme vivant avec la « matière pierreuse » qui est la caractéristique de tous les autres fossiles (ou des objets qui sont sous la terre). La cause de la combinaison est la génération spontanée ou bien la présence de « germes » spécifiques qui ont pénétré à l’intérieur de la surface terrestre4. À la fin du XVIIe siècle, nombreux sont encore ceux qui soutiennent que les fossiles ne sont que d’étranges jeux de la nature, formés à l’intérieur de la pierre par des vertus plastiques, astrales ou mystérieuses. Cette croyance remonte à l’antiquité. Dans les thèses plus proches de l’hermétisme et du néoplatonisme, la ressemblance entre certains fossiles et certains organismes vivants était plutôt ramenée aux rapports secrets de similitude censés pénétrer et marquer chacune des parties de l’univers. Il existe un réseau d’analogies entre les différents êtres de l’univers. La vertu modelante ou plastique qui gouverne la croissance des organismes peut agir également à l’intérieur de la Terre. Elle correspond à la cause de la manifestation de ces affinités et de ces représentations, symboles de l’unité de l’univers. Ainsi le savant jésuite, Athanasius Kircher, se réfère au spiritus plasticus répandu à l’intérieur de la totalité du globe terrestre et considère les eaux, qui se meuvent perpétuellement à l’intérieur du corps de la Terre, comme analogues au sang qui circule dans le réseau complexe des artères et des veines. Son Mundus subterraneus (1665) est une sorte d’encyclopédie monumentale de toutes les connaissances du temps sur le « Géocosme », le monde terrestre tout entier, à mi-chemin entre le Macrocosme (le Monde) et le Microcosme (l’organisme humain). Écrit en latin, ce livre a été, pendant un bon siècle, extrêmement lu en Europe. Aristotélicien affirmé, Kircher n’est intéressé que par le dynamisme présent du système terrestre, tant intérieur qu’extérieur. Sa théorie méconnaît imperturbablement toute l’histoire de la Terre. Cette dernière est issue déjà toute faite de la Création. Il imagine les roches se former au présent. Chez Kircher, tout n’est que flux, changement, mutation, métamorphose continuelle, fécondité sans cesse renouvelée, genèse et corruption permanente mais sans aucun bouleversement majeur5. À l’intérieur émerge avec force le thème, destiné à une singulière fortune, d’un monde maintenu par Dieu en un équilibre pérenne et harmonique, grâce à la « vertu lapidifique » (virtus lapidifica). La vertu lapidifique a aussi la tâche de reconstruire tout ce qui vient à être détruit en nature par l’œuvre du temps. Le Journal des savants, comme les Philosophical Transactions, saluent tous deux à leur façon la publication du Mundus Subterraneus du Père Kircher. Dans les deux cas, la longueur des comptes rendus témoigne de l’intérêt des rédacteurs pour l’ouvrage6.

4. P. ROSSI, op. cit., p. 25. 5. Cf. F. ELLENBERGER, Histoire de la géologie, t. II, Paris 1994, p. 71-72. 6. « Of the Mundus Subterraneous of Athanasius Kircher », Philosophical Transactions, 6 novembre 1665, p. 109-117. « Athanasii Kircheri e Soc. Jesu Mundus Subterraneus. Amstelodami. In fol. 2 volumes.

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« Of the Mundus Subterraneus of Athanasius Kircher », Philosophical Transactions du 6 novembre 1665, p. 109-117 (extraits). In the eight : First, of Stones, their Origine, Concretion, difference of Colours ; and in particular, of Gems and their variety, causes of generation, transparency in some and colours in others ; as also of their various Figures and Pictures by Nature framed both in common and precious Stones, with their Causes. Secondly, of the Transformation of Juices, Salts, Plants, yea of Beasts and Men turn’d into Stone : together with the generation of Bony Substances under ground, by many esteemed to be the Bones of Gyants ; and of Horny Substances, taken for Unicorns horns : as also of Fossile wood and Coals, Thirdly, of Bituminous Flowers, lapis Asbestos, Amber, and its Electrical virtue ; together with the way how Insects, little Fishes, and Planets are Intombed therein. Fourthly ; of Subterraneous Animals, Moles, Mice, Birds, Dragons ; where is also treated, of those Animals that are found in the midst of Stones. […] In the twelfth : First, Of the Seminal Principle of all things, its origine, nature and property ; of the way how Nature proceeds in the Generation of Minerals, Vegetables, Animals ; of spontaneous Generations ; of Zeophyts, Insects of all sorts, and particularly of the Worms bred in Men ; together with the causes why Nature would produce such swarms of infinite sorts of Insects. […] Dans le [livre] huit : d’abord, [il traite] des pierres, de leur origine, concrétion, différence de couleurs ; et particulièrement, des gemmes et de leur variété, leurs causes de génération, leur transparence dans certaines et leurs couleurs dans d’autres ; comme aussi de leurs diverses figures et images dressées par la nature dans les pierres communes et précieuses, avec leurs causes. Deuxièmement, de la transformation de jus, de sels, de plantes, voire de bêtes et d’hommes métamorphosés en pierre : en même temps que la génération de substances osseuses sous terre, estimées par beaucoup comme devant être les os de géants ; et de substances cornées, prises pour des cornes de licornes : comme aussi de bois fossile et de charbons, troisièmement, de fleurs bitumeuses, de lapis Asbestos7, d’ambre et de sa vertu électrique ; avec le mode selon lequel des insectes, de petits poissons, et des planètes sont enfouis là-dedans. Quatrièmement ; d’animaux souterrains, môles, souris, oiseaux, dragons ; où il est aussi traité, de ces animaux qui sont trouvés au milieu des pierres. […] Dans le douzième : d’abord, du principe séminal de toutes les choses, son origine, sa nature et propriété ; de la manière dont la nature procède dans la génération des minéraux, des végétaux, des animaux ; des générations spontanées ; de zoophytes, d’insectes de toutes sortes, et en particulier des vers produits dans les hommes ; avec les causes pourquoi la nature produirait de tels essaims d’une infinité de sortes d’insectes. […]

Le Journal étend sa relation sur deux numéros. Le rédacteur des Transactions, Henry Oldenburg, insiste sur l’intérêt de cet ouvrage pour l’Histoire naturelle, au début de son compte rendu : « Pour donner au curieux un aperçu du contenu de ce volume et ainsi les inciter à une recherche plus approfondie dans les tréfonds de la

Et se trouve à Paris chez Piget », Journal des savants, 28 juin 1666 (n° 26), p. 299-305 (180-183) ; « Athanasii Kircheri e societate Jesu mundi subterranei. Tomus 2. in fol. Amstel. Et se trouve à Paris chez Piget », Journal des savants, 26 juillet 1666 (n° 30), p. 347-352 (207-209). 7. Lapis asbestos, amiante (asbestos, du grec ἄσβεστος, minéral incombustible).

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Nature, pour le savoir-faire d’une bonne Histoire naturelle »8. De son côté, le rédacteur du Journal, l’abbé Galloys, insiste sur la nouveauté dans les sciences du domaine auquel s’est intéressé Kircher : Dans la distribution qu’on a faite des Sciences, on en a estably une particulière pour considérer la surface de la terre, et faire la description de toutes ses parties : Mais il ne s’en trouve point qui ayt pour objet principal de connoistre le dedans de cet élément, et d’expliquer ce qui s’y trouve de remarquable. Cependant les choses qui sont cachées dans les entrailles de la Terre sont aussi admirables que celles qui paroissent au dehors, et la connoissance n’en est pas moins utile ; parce que la pluspart des merveilles que nous voyons dans ce Monde visible, sont des effets des causes qui sont renfermées dans le Monde sousterrain. C’est pourquoy le P. Kircher s’est appliqué à cultiver cette partie de la Physique à laquelle on n’avoit point encore travaillé9.

Kircher passe pour avoir été un partisan déclaré de la génération spontanée des fossiles, production d’un « esprit plastique » et de la « vertu lapidifique »10. Toutefois, un examen attentif de l’ouvrage permet de conclure que ses idées sont moins simples qu’il n’y paraît11. Kircher est un esprit complexe, ne rejetant jamais rien à priori, habile homme, naïf seulement en apparence. Il donne l’impression de chercher à concilier les choses et leur contraire. De prime abord, Kircher semble adopter la thèse des tenants des jeux de la nature : joueuse dans le règne minéral, la Nature ne pouvant donner la vie et le sens à ses créations chercherait à les revêtir d’une figure. Néanmoins, pour lui, les coquilles fossiles ordinaires représentent un cas à part, elles ne constituent pas un jeu de la nature mais proviennent bien d’anciens animaux marins. Envers d’autres fossiles, sa position est plus ambiguë. Ainsi, en ce qui concerne les fossiles de végétaux, il envisage la possibilité d’anciennes semences végétales qui, une fois introduites dans la pierre, se seraient converties en une sorte de vertu spermatique, qui engendrerait par génération spontanée des images minérales. Mais ensuite, il admet qu’il existe une autre explication de ces « images » de plantes, de vrais végétaux pourraient avoir préexisté au sein de la masse bourbeuse, puis s’être transformés en pierre en même temps qu’elle. Le compte rendu d’Henry Oldenburg dans les Transactions de 1665 semble aller effectivement dans le même sens (voir texte encadré ci-dessus) : si Kircher postule la génération spontanée de substances osseuses ou cornées dans la terre, de bois fossile et de charbons, comme d’ailleurs des insectes, ou bien encore des vers qui se développent chez l’être humain, il envisage néanmoins la pétrification de plantes, voire la transformation « de bêtes et d’hommes » en pierre. Cependant, les rédacteurs des deux revues mentionnent, l’un comme l’autre, l’histoire invraisemblable d’un village d’Afrique qui se serait pétrifié :

8. « To give the Curious a taste of the Contents of this volume, and thereby to excite them to a farther search into the recesses of Nature, for the composure of a good Natural History », Philosophical Transactions, op. cit., p. 109. 9. Journal des savants, 28 juin 1666, op. cit. 10. Cf. F. D. ADAMS, the birth and development of the geological sciences, New York 1954, p. 255 ; N. MORELLO, La macchina della terra : Teorie geologiche del Seicento all’Ottocento, Turin 1979, p. 70 ; M. RUDWICK, The Meaning of Fossils. Episodes in the History of Palaeontology, Londres et New York 19762, p. 56. 11. Cf. F. ELLENBERGER, op. cit., t. II, p. 74-76.

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Il rapporte encore dans ce livre plusieurs exemples de diverses choses qui ont esté changées en pierres : & entr’autres il raconte une histoire merveilleuse, d’un village entier d’Afrique qu’il dit avoir esté converty en pierre depuis cent ans avec tout ce qui se trouva dedans & mesmes avec toutes les personnes qui y demeuroient12 ».

Par ailleurs, à travers le compte rendu d’Oldenburg, le « principe séminal de toutes les choses » apparaît très général, et partagé aussi bien par les règnes animal et végétal que par le règne minéral. Kircher enseigne de « quelle manière se fait la génération des Minéraux, des Végétaux, & des Animaux13 ». En cette seconde moitié du XVIIe siècle, concevoir les fossiles comme des jeux de la nature, de simples formes plastiques produites par le hasard et donc dépourvues d’utilité précise est difficilement conciliable avec le finalisme de la pensée dominante. L’idée que les fossiles s’engendrent à partir de germes puis croissent dans la terre était ancienne. De ce point de vue, les pierres ordinaires peuvent également être générées de cette façon. Ainsi, dans son De ortu lapidum (1665), Schweiger affirme que les pierres comme les plantes sont engendrées, et l’or engendre l’or, les gemmes, les gemmes, les pierres, les pierres. En vertu de leur pouvoir séminal, chaque espèce se reproduit elle-même et se maintient intacte et parfaite14. D’ailleurs, le terme de « fossile » désigne aussi bien le règne minéral que les restes d’animaux ou de plantes préservés à l’intérieur des roches. D’après le dictionnaire de Furetière (1690), le terme de fossile désigne ce « qui se trouve dans la terre quand on l’a creusée », « tous les métaux et minéraux sont fossiles, et se trouvent dans les veines de la terre ». Il faut dire aussi que la frontière entre minéraux, végétaux et animaux n’est pas toujours très bien définie : ainsi, à l’époque, le corail est souvent considéré comme un minéral. En 1672, Thomas Sherley, un médecin londonien, postule une même cause à la formation des fossiles et des calculs dans le corps des animaux ou des hommes, en reprenant une théorie ancienne, ainsi que le fait remarquer Henry Oldenburg dans ses Transactions15. Les pierres, y compris celles qui se retrouvent dans les reins et les vessies des hommes, et les autres corps sublunaires sont engendrés à partir de l’eau qui vient à se condenser par le pouvoir des germes, qui par la vertu de leurs « odeurs fermentives » réalisent ces transmutations sur la matière16. Plutôt que le pur hasard, l’origine séminale des fossiles pouvait fournir une explication paraissant plus acceptable pour des esprits imprégnés de mécanisme. Cette thèse est directement influencée par les découvertes de l’époque sur les mécanismes de reproduction des êtres vivants. Elle postule que des « semences » franchissent par des canaux souterrains l’espace qui sépare les mers et les océans des terres et des montagnes où l’on retrouve les fossiles. Transportées à l’intérieur de la terre, ces semences donneraient naissance à des organismes pétrifiés. Cette thèse est encore soutenue par Tournefort dans les années 1700.

12. Journal des savants, op. cit., p. 349. (Pour les Philosophical Transactions, voir op. cit., p. 116) 13. Ibid., p. 351. 14. J. C. SCHWEIGER, De ortu lapidum, Wittenberg 1665. 15. « A Philosophical Essay, declaring the probable Causes of Stones in the Greater World, in order to find out the Causes and Cure of the Stone in the Kidneys and Bladder of Men : by D. Thomas Sherley, Physitian in Ordinary to his Majesty, Londini in 8° », Philosophical Transactions, 25 mars 1672, n° 81, p. 4030. 16. « Stones and all other Sublunary Bodies are made of Water condensed by the power of Seeds, which by the vertue of their fermentive Odours perform these transmutations upon Matter » (ibid.).

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II. Le Prodromus de Nicolas Sténon : le texte fondateur de la science géologique Nicolas Sténon (1638-1686) peut être considéré comme ayant fondé en deux ans à peine une nouvelle science, la géologie17. Anatomiste, né à Copenhague en 1638 dans une famille très religieuse de stricte observance luthérienne, Sténon séjourne en Hollande de 1660 à 1664, où il se livre à de fécondes investigations anatomiques qui le font connaître. Entre 1665 et 1666, il se retrouve à Paris et assiste régulièrement aux assemblées qui se tiennent chez Thévenot, dont il est l’hôte personnel. Il profite de ce milieu riche en échanges et, que ce soit à Paris ou à Montpellier, Sténon rencontre des membres éminents de la Royal Society de Londres : William Croone, Martin Lister et John Ray. En 1666, il s’établit en Toscane, à la cour du grand duc Ferdinand II de Florence, où il est accueilli favorablement par les membres de l’Académie du Cimento. Le grand duc, qui en avait fait son médecin, lui fournit tous les moyens nécessaires pour étendre ses recherches, en particulier en mettant à sa disposition les cabinets d’histoire naturelle de Florence et de Pise. À la fin de 1667, Sténon se convertit publiquement au catholicisme. Dès 1673, il abandonna les sciences naturelles et se consacra entièrement à la conversion des protestants en écrivant divers ouvrages pieux18. Leibniz, avec qui il était entré en relation étroite, regrettera qu’à la suite de sa conversion, « d’un grand physicien il devint un théologien médiocre » (Théodicé, 1ère partie, § 100). Mais les années 1666-1669 auront été étonnamment productives. En 1666, des squales échoués sur la côte toscane lui permettent de poursuivre ses études anatomiques. Il publie en 1667 un ouvrage consacré en partie à l’anatomie de la tête de requin Carcharias, avec un examen particulier de son système dentaire, et une parenthèse d’un intérêt géologique considérable sur le problème des glossopètres fossiles. Prélude de son Prodromus, ce texte introduit une notion capitale qui constitue une innovation fondatrice essentielle : les couches du sous-sol sont des « strates », d’anciens « sédiments » successifs, termes nouveaux introduits par Sténon. Sténon expose sa découverte fondamentale : les couches du sous-sol sont d’anciens dépôts, d’anciens sédiments qui se sont peu à peu accumulés. La fin de ce texte de 1667 présente une démonstration serrée de l’origine organique des fossiles19. Pline croyait que les glossopètres étaient des objets tombés du ciel les nuits sans lune. Certains en faisaient des langues humaines ou des langues de serpents (d’où le nom de « langues pétrifiées »). Ces objets étant très répandus dans l’île de Malte, une légende prétendait qu’ils fussent produits par le sol de cette île qui engendrait des langues de serpents depuis que saint Paul avait maudit ces animaux dont l’un l’avait mordu20. Constatant la similitude entre ces pierres et les dents du requin, Sténon fait remarquer que les corps trouvés dans les roches se ressemblent quelle que soit la roche qui les inclut,

17. Cf. F. ELLENBERGER, op. cit., t. I, p. 232-315. Les biographies de Sténon sont nombreuses, et notamment : G. SCHERZ, Nicolaus Steno and his Indice (‘‘Acta historica scientiarum naturalium et medicinalium’’ 15), Copenhague 1958, p. 9-86 ; L. NEGRI, dans A. BUSSI (dir.), Niccolo Stenone e la Scienza Toscana alla fine del’600, Florence 1986, p. 11-16 ; l’introduction de la traduction en anglais du Prodromus par W.H. HOBBS et J.G. WINTER, New York 1916, p. 175-187 (réimpr. New York et Londres, Hafner, 1968). 18. D’abord élevé à la prêtrise, le Pape Innocent XI récompensa son zèle en 1677 en le nommant évêque (in partibus) de Titopolis et vicaire apostolique dans le nord de l’Europe. 19. Nicolas STENON, Elementorum myologiae specimen, seu musculi descriptio geometrica, cui accedunt Canis Carchariae dissectum caput et dissectus piscis ex canum genere…, Florence 1667. 20. Cf. G. GOHAU, Les sciences de la Terre aux XVIIe et XVIIIe siècles : Naissance de la géologie, Paris 1990, p. 105.

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et qu’ils sont pareils aux parties des animaux auxquelles ils s’identifient. Pour lui, la fossilisation s’explique aisément par le départ de la matière animale et par l’apport de « suc minéral ». Il opte donc pour une origine organique des glossopètres, tout en affirmant prudemment que son jugement reste provisoire. Trois ans plus tard, dans un nouvel ouvrage, tout doute a disparu : « Les corps qui ressemblent aux plantes et aux animaux trouvés dans la terre, ont même origine que les plantes et les animaux auxquels ils ressemblent »21. Lorsque Sténon publie, en 1669, son Prodromus, il n’existe pas encore de théorie de la Terre ni de théorie géologique diluvienne bien développée. Descartes et Fabio Colonna n’ont fait qu’en esquisser les possibilités. L’objet principal du Prodromus concerne l’explication de l’origine des divers corps solides, les cristaux aussi bien que les fossiles, inclus dans les strates de la terre. Cependant, non seulement Sténon y propose une explication de la nature et de l’origine des fossiles mais, en outre, il fournit une reconstruction des séries d’événements qui ont produit les strates elles-mêmes, en formulant les bases de la stratigraphie22. La disposition des couches indique l’ordre de leur dépôt. Les couches sont d’autant plus anciennes qu’elles sont profondes. Il énonce le premier principe de la tectonique en avançant que l’inclinaison des strates indique leur dérangement par un mouvement tectonique. La profonde originalité du Prodromus est son caractère affirmé de synthèse inductive. C’est aux objets eux-mêmes qu’il appartient de nous dévoiler le mode, et donc l’histoire de leur production, que ces « corps » soient modestes et isolés (fossiles, cristaux) ou vastes et associés (strates, structures régionales tectono-statigraphiques) : « étant donné un corps doté d’une certaine figure, et produit selon les lois de la nature, trouver dans le corps lui-même les preuves établissant le lieu et le mode de sa production »23. Tout au long de son œuvre, Sténon, homme de terrain, attribue un rôle essentiel à l’observation et à l’expérience. Il a laissé un manuscrit autographe du temps où il était encore étudiant à Copenhague en 1659-1660, rempli de notes de lecture et de pensées personnelles. Il y cite, entre autres, Francis Bacon et René Descartes. Sténon y entend certes appliquer fidèlement la méthode de Descartes, mais il se fixe déjà pour but d’étudier la nature plutôt que de construire des systèmes : « Ils pèchent envers la grandeur de Dieu, ceux qui ne veulent pas plonger leur regard dans les œuvres mêmes de la nature, mais, se contentant de lire autrui, imaginent et se fabriquent des hypothèses [ou fictions] variées »24. En Angleterre, une traduction anglaise du Prodromus a été publiée dès 1671 à l’initiative de Henry Oldenburg. Son impact immédiat et durable dans ce pays peut être mis en relation avec les idéaux de la Société Royale de Londres qui se réclamait ouvertement de l’héritage de Francis Bacon, et insistait sur la primauté de l’observation et de l’expérimentation inductives. Il n’est pas surprenant qu’Henry Oldenburg, qui avait été le traducteur du Prodromus, ait souhaité présenter l’ouvrage dans ses

21. Nicolas STENON, De solido intra solidum naturaliter contento dissertationis Prodromus, Florence 1669, p. 17. 22. Sur la théorie de Sténon et son importance scientifique, voir F. ELLENBERGER, op. cit., t. I, p. 232-315, et G. GOHAU, op. cit., p. 105-113. 23. F. ELLENBERGER, op. cit., p. 262. 24. Cité dans A. BUSSI (dir.), op. cit., p. 49.

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Transactions25. Comme on pourrait s’y attendre, son compte rendu de l’œuvre de Sténon est assez élogieux. Le rédacteur résume ainsi l’opinion de Sténon sur l’origine organique des fossiles : Ensuite, il donne un exposé des coquilles se trouvant sous terre, en affirmant qu’elles furent autrefois les parties d’animaux vivant dans l’eau, et en le prouvant par les seuls examen et considération de ces mêmes coquilles. Cela fait, il établit les phénomènes particuliers de plusieurs d’entre elles trouvées en Toscane. Et ce qu’il a dit des coquilles, il l’affirme aussi d’autres parties d’animaux, et des animaux eux-mêmes enfouis dans la terre, tels les dents de chiens de mer, les grandes arêtes de poissons, diverses sortes de poissons entiers, des crânes, des cornes, des dents, des tibias et d’autres os d’animaux terrestres ; où il nous informe en particulier, de ce qu’il faut penser non seulement du grand nombre de dents rapportées chaque année de Malte ; mais aussi de fémurs énormes, de crânes, de dents et d’autres os extraits de la terre. Ceci fait, il œuvre à montrer par un exemple notable, que la production de beaucoup de coquilles trouvées dans ces temps doit être attribuée aux temps coïncidant avec le Déluge universel. Et ce qu’il a prouvé d’animaux et de leurs parties, il l’étend aux végétaux trouvés sous terre ; en montrant de plus, ce qui peut être conçu des figures de plantes apparaissant sur des pierres26.

Oldenburg retient particulièrement la possibilité de reconstituer l’état ancien de la Terre par l’observation attentive de son état actuel : Il conclut ce Prodromus avec une information remarquable, en montrant comment nous pouvons, à partir de la surface actuelle de la Terre, par un examen attentif, en découvrir l’état ancien. Ce qu’il tâche d’établir par un exemple tiré de la Toscane ; dans l’aspect présent dont il trouve, que les Irrégularités flagrantes fournissent à un observateur attentif les arguments manifestes et les signes de six changements différents qui s’y sont passés ; son aspect ayant été, d’après ses observations, deux fois liquide, deux fois plat et sec, et deux fois inégal ; lequel, de même qu’il s’efforce de le démontrer par une énumération de beaucoup d’endroits en Toscane qu’il a lui-même examinés, de même il le confirme pour la terre entière d’après les descriptions de diverses parties du monde faites par plusieurs auteurs ; obviant aux principales difficultés, qui peuvent survenir à propos de chaque aspect et constitution particulière de la Terre27.

25. « The Prodromus of a Dissertation concerning a Solid contained in a Solid, by Nicolaus Steno. English’t out of Latin. London 1671, by Moses Pitt in Litle Britain, in 8° », Philosophical Transactions, 19 juin 1671, n° 72, p. 2186-2190. 26. « Next, he giveth an account of Shels lying under-ground, affirming, that they were once the parts of Animals living in Water, and proving it by the sole inspection and consideration of those Shels themselves. Which done, he maketh out the particular Phœnomena of divers of them found in Toscany. And what he hath said of Shels, he affirms also of other parts of Animals, and of the Animals themselves buryed in the Earth, such as are the Teeth of Sea-dogs, the Backbones of Fishes, various sorts of whole Fishes, Skuls, Horns, Teeth, Shanks and other Bones of Terrestrial Animals ; where he informs us particularly, what to judge not only of the great number of Teeth brought away every year from Maltha ; but also of the Huge Thigh-bones, Skuls, Teeth, and other Bones digg’d out of the Earth. Which done, he labours to evince by a notable Instance, that the production of many Shels found in these times is to be referr’d to the times coincident with the General Deluge. And what he hath prov’d of Animals and their parts, he extends to Vegetables found under-ground ; shewing withal, what may be conceived of the Figures of Plants appearing on Stones » (ibid., p. 2189-2190). 27. « He concludeth this Prodromus with a remarkable Information, shewing, How we may from the present Face of the Earth, by an attentive view, discover the former state of it. Which he endeavours

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«Nicolai Stenonis Elementorum Myologiae specimen seu musculi descriptio Geometrica, cui accedunt canis carchariae dissectum caput, & dissectus piscis ex canum genere… », Journal des savants du 17 août 1711 (n° XXXIII), p. 522-523 (extrait). Il y a néanmoins dans l’histoire de la première dissection, quelques digressions qui peuvent être à la portée de tout le monde, l’une entre autres où l’on examine si les glossopetres, c’est-à-dire, ces langues fossiles que l’on trouve dans la terre de certains cantons, sont de véritables langues d’animaux, ou si ce sont de simples pierres. Plusieurs prétendent que ce sont des dents du poisson appellé Carcharias. M. Stenon rapporte plusieurs raisons pour appuyer leur opinion, sans néanmoins vouloir prendre aucun parti. Il dit, qu’à examiner la nature des terres où on trouve ces glossopetres, il n’y a nulle apparence que ces terres les puissent produire, ce qu’il tâche de prouver par plusieurs observations, & par plusieurs raisonnemens, puis il ajoute que rien n’empêche de penser que ces mêmes terre ayent été autrefois inondées par le Déluge, soit qu’elles eussent alors une autres situation, soit qu’elles eussent la même qu’elles ont aujourd’hui : car c’est de quoi il est libre à chacun de penser ce qu’il veut, puisque l’on sçait à combien de changemens la terre a été sujette par les fréquens tremblemens qui sont arrivez. Il est donc fort possible, dit l’Auteur, que les eaux s’étant retirées, ayent laissé des poissons dans ces terres, & que les dents de ces poissons s’y soient conservées jusqu’à présent. Ce sujet a été amplement traité par M. Scheuchzer, dans son Livre intitulé : Piscium querelæ, dont nous avons parlé dans le I. Journal de l’année 1709.

En revanche le Journal des savants a ignoré le Prodromus de Sténon. Dans ces conditions on peut s’interroger sur la diffusion de cette œuvre capitale. Il faut cependant réfuter la thèse, héritée de l’historiographie du XIXe siècle, qui voudrait que l’ouvrage de Sténon soit considéré comme un chef-d’œuvre admirable en soi mais resté méconnu et inopérant. En ce qui concerne l’Angleterre, V.-A. Eyles a pleinement exploré ce sujet et montré que le Canis Carchariae et surtout le Prodromus (l’original ou la traduction) étaient entre les mains de tous les grands naturalistes de cette période féconde28. Or une partie au moins des travaux des naturalistes anglais sera très lue par les continentaux durant la première moitié du XVIIIe siècle. À travers notamment Woodward (publié en latin à Zürich en 1704, en français à Paris en 1735), et ses émules les frères Scheuchzer et Louis Bourguet, l’interprétation des strates comme sédiments (du Déluge) et des fossiles comme anciens organismes est plaidée avec éloquence. Une idée qui, dans ce cas, était directement issue de Sténon, de même que le dérangement postérieur des couches29. Leibniz, qui avait personnellement connu Sténon, est le plus grand héritier de ses idées. Toutefois, en France, il semble bien que l’on ne trouve

to make out by an Example taken from Toscany ; in the present Face of which he conceiveth, that the obvious Inequalities proclaim to an heedful Observer manifest arguments and signs of Six different Changes happen’d therein ; the face of it having been, by his Observations, twice fluid, twice plane and dry, and twice un even ; which as he attempts to demonstrate by an Induction of many places in Toscany view’d by himself, so he confirms it of the Whole Earth by the Descriptions of various parts of the World made by several Authors ; obviating the chief difficulties, that may occur about each Face and particular Constitution of the Earth » (ibid., p. 2190). 28. V.-A. EYLES, « The influence of Nicolaus Steno on the development of geological science in Britain », dans G. SCHERZ (éd.), Nicolaus Steno and his Indice, op. cit., p. 167-188. 29. F. ELLENBERGER, op. cit., p. 247.

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guère mention des travaux de Sténon avant les premières décennies du XVIIIe siècle. Lorsque très tardivement, en 1711, à l’occasion de la réédition de l’ouvrage de 1667 sur le Carcharia, le Journal des savants présente un compte rendu de ce livre, non seulement le journaliste passe sous silence l’édition de 1667, en semblant faire comme s’il s’agissait en 1711 d’une première édition, mais en outre, il ignore totalement le Prodromus qui l’a suivi et se réfère uniquement au Piscium querelae de Scheuchzer30. Or l’ouvrage de Scheuchzer a été publié bien après ceux de Sténon et les idées que l’auteur y exprime ne sont pas forcément très originales. Dans ces conditions, il paraît évident qu’au moment de leur publication, et dans le dernier tiers du XVIIe siècle qui a suivi, les œuvres géologiques de Sténon, tant son Canis Carchariae que son Prodromus, n’ont pas eu la même diffusion et la même influence en Angleterre qu’en France, où il semble que ce soit davantage les émules de Sténon qui l’aient fait connaître que ses œuvres originales, et donc plus tardivement. III. La vana speculazione d’Agostino Scilla En 1670, l’année suivant la publication du Prodromus de Sténon, Agostino Scilla31, peintre et académicien de la Fucina, publiait La vana speculazione disingannata dal senso. Lettera responsiva circa i corpi marini che petrificati si truovano in vari luoghi terrestri 32. À la « vaine spéculation » qui interprète les fossiles comme « grandis » à l’intérieur des roches, Scilla qui, semble-t-il, ne connaît pas l’œuvre de Sténon, oppose la thèse de leur origine organique. À l’Accademia dei Lincei, dans laquelle les partisans de la nouvelle science se rassemblaient autour de Galilée, un de ses premiers membres, Francesco Stelluti, persiste à voir dans les fossiles des jeux de la nature (lusus naturae). Il semble fortement probable que Stelluti ait été l’académicien qui a amené Scilla a publier son ouvrage. Dans sa dédicace au marquis de Poggio Gregorio, Carlo Gregori, Agostino Scilla indique qu’il s’agit en effet d’une lettre faite

30. « Nicolai Stenonis Elementorum Myologiae specimen seu musculi descriptio Geometrica, cui accedunt canis carchariae dissectum caput, & dissectus piscis ex canum genere. Amstelodami, apud Janssonio Waesbergios. 1711. C’est-à-dire : Essay de Myologie, ou description Geometrique du muscle, avec l’histoire de deux dissections qui ont été faites ; l’une, de la tête d’un poisson nommé carcharias ; & l’autre, du corps entier d’un chien de mer. A Amsterdam, chez les Waesbergs. 1711. volume in 12. pagg. 147 », Journal des savants, 17 août 1711 (n° 33), p. 523-525. 31. Voir la notice biographique consacrée à Agostino Scilla par F. RODOLICO dans C. C. GILLISPIE (éd.), Dictionary of scientific biography, vol. 12, op cit., p. 256-257. Agostino Scilla naquit à Messine, en Sicile, en 1629, et mourut à Rome le 31 mai 1700. S’étant montré doué pour la peinture dès l’enfance, il fut envoyé à Rome pour étudier cet art. À son retour à Messine, il devint très connu et l’un des meilleurs peintres de l’école sicilienne du XVIIe siècle. L’échec de la révolte de Messine contre les Espagnols (1674-1678), à laquelle Scilla avait participé, le força à l’exil, d’abord à Turin, puis à Rome. Il est célèbre non seulement en tant que peintre, mais aussi comme savant, un homme de culture très versé dans la sciences et les humanités. Il s’est illustré en particulier par sa connaissance des pièces de monnaies siciliennes anciennes. Dans le domaine de la science, il fut un bon mathématicien, mais on songe souvent à lui comme l’auteur de La vana speculazione disingannata dal senso (1670), considérée de nos jours comme un des classiques de la géologie. La principale source sur Scilla est l’étude de G. SEGUENZA, Discorso intorno Agostino Scilla, Messina 1868. Il existe également d’autres études portant exclusivement sur Scilla en tant que peintre. 32. A. SCILLA, La vana speculazione disingannata dal senso. Lettera responsiva circa i corpi marini che petrificati si truovano in vari luoghi terrestri, Naples 1670.

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en réponse à un virtuose sur les corps pétrifiés, qui se trouvent dans l’île de Malte, dans les collines de Messine, et en beaucoup d’autres endroits33. Scilla fait souvent référence à sa qualité de peintre. Il fait plus confiance aux observations qu’aux spéculations sans fondement des érudits qui ne s’adonnent pas à l’expérimentation et à l’observation. Ainsi, à la fin de sa dédicace, il déclare : et rappelez-vous, que celle-ci est [une] composition, non pas de quelqu’un, qui fasse profession de lettres, mais comme bien d’un peintre, lequel prétend néanmoins avoir l’œil à propos pour juger les choses, que nous pouvons travailler avec les mains, avec plus de solide vérité que ceux, qui sont de purs professeurs de spéculations aveugles. »34

Plus loin, Scilla rappelle encore la primauté de l’observation : « je voudrais, que notre œil ait plus de force pour décider les choses, qu’ils l’admettent, que la faculté spéculative, comme instrument pas aussi enclin à commettre des erreurs35.

Scilla retient de Descartes l’importance de douter de tout, mais aussi que pour arriver à la vérité, une intelligence supérieure n’est pas forcément nécessaire, et même si les sens peuvent tromper, les spéculations ne constituent pas un recours : j’ai peu d’inclination à philosopher hautement ; et j’ai également estimé, qu’on n’a pas besoin d’une grande sublimité d’esprit dans les discours, qui ont pour but l’intention de découvrir la pure, et simple vérité sous les enseignements du sens ; et si ceux-ci m’ont trompé, à qui devais-je recourir ? […] Peut-être aux spéculations d’autrui ? non, parce que celles-ci alors seront ou vraies, ou fausses, quand elles se verront approuvées, ou réprouvées par les sens. […] Par conséquent ma raison s’affirme, et n’éprouve pas de frayeur de l’ignorance de beaucoup de choses, à la condition qu’elle en sache au moins une partie avec certitude. Il me suffira de savoir, que les corps, objet de notre recherche, retrouvés à Musorrima, dans la vallée du Sperone, ou plutôt dans toute la Calabre, dans les Collines de Messine, et dans toute l’Île, et à Malte, ou bien ailleurs, ont été de vraies coquilles, ou des parties, ou des formes produites par de vrais animaux, qui vécurent autrefois dans la mer, par la relation manifeste de leur être, et des circonstances du lieu, dans lequel nous les apercevons au jour d’aujourd’hui »36.

33. « Per dar segno a V. S. Illustriss. della mia obbedienza, le trasmetto la Lettera risponsiva da me fatta ad un Virtuoso intorno a’ corpi petrificati, che nell’isola di Malta, nelle colline di Messina, ed in molti altri luoghi si trovano », A. SCILLA, op. cit., p. 1. À la suite de la dédicace, le reste de l’ouvrage se présente d’ailleurs comme une lettre, c’est-à-dire un bloc de texte quasi continu de près de cent soixante pages, sans subdivision évidente, avec seulement de temps à autre, le passage à un nouveau paragraphe dont la longueur atteint assez souvent plusieurs pages. 34. « e si ricordi, che questa è composizione, non già di uno, che faccia professione di lettere, ma sì bene di un Pittore, il quale però pretende aver’ occhio a proposito per giudicare le cose, che possiamo maneggiare, con più soda verità di coloro, che sono meri professori di cieche speculazioni » (ibid., p. 4). 35. « vorrei, che l’occhio nostro avesse più forza nel decidere le cose, che lo patiscono, che la speculativa, come strumento non tanto facile a commetere de gli errori » (ibid., p. 47). 36. « ho poca inchinazione al filosofare altamente ; ed ho anche stimato, che non v’abbisogni una grande sublimità d’intelletto ne’ discorsi, che hanno per meta l’intenzione di scoprire la pura, e semplice verità sotto gl’insegnamenti del senso ; e se questi m’ha ingannato, a chi doveva io ricorrere ? […] Forse alle speculazioni altrui ? no, perchè queste allor saranno o vere, o false, quando verranno approvate, o riprovate da’ sensi. […] Quindi s’avvalora la mia ragione, e non riceve spavento dall’ignoranza di molte cose, purchè ne sappia almeno una parte con certezza. Mi basterà di conoscere, che i corpi, oggetto della nostra disquisizione, ritrovati in Musorrima, nella valle dello Sperone, anzi per tutta la Calabria, nelle

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Cependant, l’ignorance de la philosophie affichée par Scilla ne doit pas être prise au pied de la lettre. Dans son ouvrage, il cite de nombreux auteurs, entre autres : Aldrovandi, Cardan, Fabio Colonna, Gassendi, Peiresc, Redi, Sennert, Kircher. En outre, au début de sa lettre, il rappelle ses liens avec le botaniste sicilien Paolo Boccone37 avec lequel il collabora et entretint une correspondance38. Scilla ne reconnaît l’autorité d’aucun maître, mais affirme toujours très fermement que les fossiles sont de vrais animaux, et non des jeux de la nature générés à partir des pierres : « Dans la considération des Glossopètres de Malte, à propos desquels je dirai avec vérité, que mon esprit, non préoccupé par aucune opinion, non ignorant de l’autorité d’un quelconque maître, mais du cas considéré, croyez, qu’ils sont des restes de divers animaux pétrifiés »39. Scilla rejette fermement la thèse traditionnelle de la croissance intrinsèque des métaux dans les mines, souvent avec ironie. L’opinion, « soutenue par de braves hommes », de la végétabilité des pierres et de la « production de divers corps, semblables à ceux de la mer, de pure pierre dans les roches »40 lui apparaît comme le fruit d’une pure fantaisie. Mais il condamne encore plus sévèrement ceux, « qui par excès superstitieux des paroles d’Aristote, ne rougissent pas d’assigner également la végétabilité aux miettes de métal, ensemencées à la manière du froment, non pour d’autre raison, sinon parce qu’il l’a écrit […] »41. Il ne croit pas que « les carrières se remplissent elles-mêmes de métal végétant, et frais » ; les parois des mines abandonnées depuis plus de quarante ans « montrent de beaux, et frais coups de masses », et le métal ne rampe jamais au dehors des mines abandonnées depuis longtemps, ni ne se dresse en « d’extravagantes, mais précieuses pyramides » (voir texte encadré). Scilla ne croit pas qu’un corps puisse pénétrer la matière ou se transmuter en un autre tout à fait différent, ni qu’il existe dans la nature un agent capable de transformer la pierre à la manière du feu qui les calcine et les réduit éventuellement en poudre42. Il avoue sa difficulté à s’accorder avec les chimistes, qui « supposent beaucoup de principe, et veulent, qu’on les croit gracieusement, bien que l’on ne doive pas douter de l’imbécillité du savoir humain, et de la difficulté des choses »43. Il est sans concession à l’égard de ceux qui interprètent les fossiles comme des symboles et soutiennent les thèses des « correspondances » et des « analogies » :

Colline di Messina, e per tutta l’Isola, ed in Malta, overo altrove, siano stati veri gusci, o parti, o forme prodotte da’ veri animali, che un tempo vissero nel mare, per la relazione manifesta dell’essere loro, e delle circostanze del luogo, in cui al giorno d’oggi li scorgiamo » (ibid., p. 154-155). 37. Ibid., p. 5. 38. Cf. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 126. 39. « nella considerazione delle Glossopietre di Malta, intorno alle quali dirò con verità, che la mente mia, non preoccupata dall’ autorità d’un qualche maestro, ma dal caso portata, credette, ch’elleno fossero frantumi di varii animali impietrati » (ibid., p. 14). 40. « mi fu affermato essere al dì d’oggi spalleggiata da bravi huomini l’opinione della vegetabilità delle pietre, e della produzione di varii corpi, simili a quei del mare, di puro sasso nelle rocche » (ibid., p. 29). 41. « che in eccesso superstiziosi delle parole d’Aristotile, non s’arrossiscono d’assegnare anche la vegetabilità nelle miche di metallo, seminate a guisa di frumento, non per altra ragione, se non perchè lo scrive quello [nel 40. e 45. del suo libro delle cose Ammirande] » (ibid., p. 20). 42. Ibid., p. 27. 43. « sogliono supporre molti principii, e vogliono, che si creda loro graziosamente, ancorchè dell’imbecillità del sapere umano, e della difficultà delle cose dubitar non si debba » (ibid., p. 29).

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je laisserai à d’autres la liberté d’en croire ce qu’ils veulent, leur accordant que la palle marine44, l’ermodactyle, le phallus, le boratmets ressemblent plus à la châtaigne qu’à une rafle de raisin, plus à la main qu’à notre genou, plus au dieu des jardins Priape qu’à la poitrine humaine et, pour finir, plus à un agneau qu’à un serpent ; mais puisqu’ils sont très propres à ce dessein : que ce serait le tout de montrer pour me persuader qu’à partir d’un même germe ou d’une seule vertu formatrice, ils aient été produits. Compris évidemment que qui suit une telle voie de philosopher, se donne du mal pour s’écarter de la connaissance de la vérité45.

La thèse de ceux qui, face aux fossiles, ont recours à l’hypothèse d’une « génération de membres particuliers » ou de parties isolées d’organismes lui paraît tout aussi invraisemblable. Qui oserait croire la thèse de la nécessité d’un germe particulier pour chaque partie de l’animal, le nez, l’œil, l’oreille, la bouche ? D’ailleurs, en admettant qu’il y ait des germes éparpillés dans l’univers, seraient-ils pour autant capables d’engendrer une partie individuelle d’un organisme. À ceux qui objectent que les glossopètres ne peuvent être des dents d’animaux à cause de leur diversité, Scilla répond qu’il s’agit de dents d’animaux issus d’espèces très diverses de celles que « la Nature arma les gueules d’une quantité indicible et très différente de dents »46. En outre, il fait remarquer que les dents varient d’un individu à l’autre, à l’intérieur d’une même espèce, comme il arrive d’un visage humain47. Il cite l’exemple des médailles antiques pour lesquelles il est très difficile d’en trouver deux, non pas d’un même empereur, mais exactement identiques48. Quant à l’isolement des dents fossilisées de la mâchoire, il explique que les os des squelettes, moins résistants, se réduisent en poudre en laissant intactes les dents, ainsi qu’il advient également avec le temps dans les sépultures des hommes49. Il suffit d’observer la gueule d’une lamie ou d’une canicule pour se rendre compte de la disposition précise de la denture : une dent de la mâchoire gauche ne pourra pas s’adapter à la mâchoire droite. Chaque fois que nous prenons en main une dent « détachée et loin de son site » on peut affirmer que « celle-ci est une dent du côté droit, cette autre du gauche, sans aucun doute de faire erreur »50. Scilla croit dans le Déluge et dans le récit mosaïque : « Moi l’inondation universelle précisément, comme Moïse la raconte, j’y crois ; et je croirai également que les eaux couvrirent le tout ; […]. Cette opinion n’est pas une hypothèse imaginaire, mais la vérité »51. Cependant il insiste sur le fait que les opinions des Pères et des

44. « Palla marina » : Masse sphérique, formée par les restes macérés de quelques plantes dicotylèdones marines, que les vagues viennent déposer sur les plages méditerranéennes. 45. « lascerò ad altri l’arbitrio di crederne ciò che vogliono, concedento loro che la Palla marina, l’Ermodattilo, il Fallo, il Boratmets somiglino piú alla castagna che a un graspo d’uva, piú alla mano che al nostro ginocchio, piú al dio degli orti Priapo che al petto umano e, per finirla, piú a un agnello che ad un serpe ; ma non già che siano istessissimi nel disegno : che sarebbe il tutto da mostrare per persuadermi che da un medesimo seme o da una sola virtú formatrice fossero prodotti. Compresi evidentemente che chi siegue una sí fatta strada di filosofare, s’affanna per allontanarsi dalla conoscenza del vero » (ibid., p. 38-39). 46. Ibid., p. 86-87. 47. Ibid., p. 57. 48. Ibid., p. 58. 49. Ibid., p. 59. 50. Ibid., p. 118-119. 51. « Io l’universale inondazione per appunto, come Moisè la racconta, la credo ; e crederò insieme, che le acque coprirono il tutto ; […]. Ella non è, questa opinione, ipotesi fantastica, ma verità » (ibid., p. 99).

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théologiens « sont très variées pour déterminer la manière employée par Dieu pour noyer ce Monde ». Il ne pense pas du tout que toutes les lamies et les poissons se soient « éteints d’un coup », pour lui, « le monde est ancien » et beaucoup d’auteurs ont parlé de « nombreuses inondations particulières ». Il avance donc que le Déluge universel n’est pas la seule cause ayant produit les fossiles. D’autres inondations ont pu survenir, mais aussi d’autres phénomènes. Les parties de la terre se trouvant sous la mer ont pu se retrouver émergées et vice versa. Mais pour lui, le plus important est la certitude que les fossiles furent des êtres vivants, quand bien même on devrait ignorer la cause exacte de leur formation : Je ne sais pas comment il put arriver tant entre terre et mer ; je ne sais pas si cela arriva dans le Déluge universel ou dans d’autres inondations particulières. Moi je ne sais pas non plus si ce gros animal du monde (de l’avis de quelques-uns qui l’estiment tel et l’ont observé jusqu’au mouvement des boyaux) en un certain temps, lassé de rester sur le côté, se soit retourner de l’autre et ait exposé aux rayons du Soleil l’autre partie qui était sous l’eau, pleine de tant d’immondices de la mer. Je ne le sais pas, ni le chemin pour le savoir. Au contraire je ne m’en occupe pas. Je sais bien que les coraux, les coquilles, les dents de lamie, les canicules et les oursins etc. sont de vrais coraux, de vrais coquilles, de vrais dents, coques et os pétrifiés, mais non de pierre formés. La composition du terrain m’en persuade de vive force et il me semble impossible, en abandonnant le sentier montré par mes yeux, de pouvoir arriver à quelque connaissance de la vérité52.

Il conclut en réaffirmant sa croyance en l’origine organique des fossiles marins : Tout cela, uni avec les susdites évidences, m’oblige pour finir, à croire que les coquilles, oursins, porc-épics53, dents (qui se disent glossopètres), vertèbres, corails, pores, crabes, spatangues, turbinés, et tant d’autres innombrables corps, que d’aucuns ont jugés être la génération de pure pierre, et des jeux de la Nature, ont été des animaux, et des corps, et des animaux très caractéristiques de la mer, arrivés par quelque accident dans la terre, ensemble avec la matière de leur continent (que maintenant nous voyons surélevée en collines, et en montagnes, ou de simple sable, ou de marne, de tuf, ou bien de pierre)54.

52. « Ne so come potè giungere tanto fra terra il mare ; non so se ciò accade nell’universale diluvio, o in altre speziali inondazioni. Io ne anche so, se questo animalaccio del Mondo (al parere d’alcuni, che tale lo stimano e gli hanno osservato fino il moto delle budella) in un qualche tempo, stancato di stare sopra un fianco, si fosse rivoltato dall’altro ed abbia esposto a’ raggi del Sole l’altra parte, ch’era sott’acqua, piena di tante immondizie del mare ; non lo so ; ne so la strada di saperlo ; anzi non la curo. So sì bene, che i coralli, le conchiglie, i denti di lamie, di canicole, e gli echini &c. sono veri coralli, vere conchiglie, veri denti, gusci, ed ossa petrificatisi sì, ma non di pietra formati. La composizione del terreno me lo persuade a viva forza, e mi sembra impossible, abbandonando il sentiero mostratomi da gli occhi, di poter’ arrivare a qualche cognizione di verità » (ibid., p. 129). 53. Il doit s’agir de ce que Scilla désigne comme un Porc-épic « marin » (Istrice marino) ; à d’autres endroits de l’ouvrage, en fait un échinoderme. 54. « Tutto ciò, unito con le sudette evidenze, m’obbliga, per finirla, a credere, che le Conchiglie, Echini, Istrici, Denti (che Glossopietre si dicono) Vertebre, Coralli, Pori, Granchi, Spatagi, Turbini, e tant’altri innumerabili corpi, che alcuno ha giudicato essere generazione di puro sasso, ed ischerzo di Natura, siano stati animali, e corpi, ed animali propriissimi del mare, arrivati per qualche accidente fra terra, insieme con la materia loro continente (che ora veggiamo rialzata in colline, ed in monti, o di semplice rena, o di marga, di tufo, overo di sasso) » (ibid., p. 153)

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Agostino SCILLA, La vana speculazione disingannata dal senso, op. cit., p. 21-23 et p. 26 (extraits) Per tutto ciò non mi par d’abbracciare l’opinione di coloro, i quali vogliono, che le cave da se si riempiano di fresco, e vegetante metallo nell’assegnato spazio di tempo ; perchè a qualunque maniera eglino la discorrano, è forza concedere, o che il terreno cresca insieme col minerale, o che questo vegeti con una pura vena della grandezza uguale allo spazio dell’assegnata cava ; il che non è vero ; e se vero fosse, si potrebbe abbandonare al doppio del solito tempo, cioè per anni quaranta, alcuna di quelle cave, dalla quale (se pure il minerale, a guisa del nitro trasudando, si coagolasse, e necessità d’altro corpo non avesse) dovrebbe venir fuori di puro metallo, e al doppio di misura del luogo riempiuto in vent’anni ; il che certamente sarebbe maravigliosa comodità ; conciosiachè quel, che si cerca con tante fatiche, o fuori strisciato per le campagne s’averebbe, o in aria alzato a stravaganti, ma preziose piramidi si goderebbe. […], se dalla parte intrinseca sgorgasse la materia, doverebbe formare, e riempiere tutto lo spazio restato vacuo di minerale e non mescolato di sassi, e terra, materia inutile, o poco fruittuosa, perchè non per anche convertita, e superata dall’effluvio agente del luogo. […] Io co’ proprii occhi ho veduto i luoghi, che intatti con le officine antiche si conservano, e particolarmente le cave, donde il ferro s’esiggeva da gli operaii non molto tempo fa, cioè non piu d’anni quaranta addietro, che pur s’abbandonarono per la penuria de’ boschi nelle vicine campagne ; i quali luoghi per essere situati in maniera, che vengono difesi a non riempirsi, mostrano belli, e freschi i colpi delle mazze. Non è cresciuta, ne crescera la miniera in eterno, se altro corpo straniero non riempierà quello spazio, e riceverà la qualità del luogo. […] Pour tout cela je ne juge pas bon d’embrasser l’opinion de ceux-là, qui veulent, que les carrières se remplissent elles-mêmes de métal végétant et frais dans l’espace de temps fixé ; parce que de n’importe quelle manière qu’ils en parlent, il faut admettre, ou que le terrain croisse ensemble avec le minéral, ou que ceci pousse avec une pure veine de grandeur égale à l’espace de la carrière assignée ; ce qui n’est pas vrai ; et si c’était vrai, on pourrait abandonner au double du même temps, c’est-à-dire pour quarante ans, une quelconque de ces carrières, de laquelle (même si le minéral, à la manière du salpêtre qui en suintant, se coagule, et n’a pas la nécessité d’autre corps) devrait sortir du pur métal, et à double mesure du lieu rempli en vingt ans ; ce qui serait certainement une merveilleuse commodité ; puisque ce qui se cherche avec tant de peine, ou aurait rampé par les campagnes, ou bien on [en] jouirait en d’extravagantes, mais précieuses pyramides élevées en l’air. […] si la matière jaillissait de la partie intime, elle devrait croître, et remplir tout l’espace resté vide de minéral et non mêlé de pierres, et de terre, matière inutile, ou peu productive, parce que non encore convertie, et franchie par l’effluve agent du lieu. […] Moi j’ai vu les lieux de mes propres yeux, qui se conservent intactes avec les établissements anciens, et particulièrement les carrières, d’où le fer était extrait par les ouvriers il n’y a pas beaucoup de temps, c’est-à-dire pas plus de quarante ans auparavant, qui furent même abandonnées à cause de la pénurie de bois dans les campagnes voisines ; lesquels lieux pour être situés de façon, qu’ils sont protégés de ne pas se remplir, montrent de beaux, et frais coups de masses. La mine n’a pas crû, ni ne croîtra jamais, si un autre corps étranger ne remplira cet espace, et ne recevra la qualité du lieu. […]

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Agostino SCILLA, La vana speculazione disingannata dal senso, op. cit., p. 85-87 (extraits) Risponderò, che le opinioni de’ Sagri Dottori sono variissime nel determinare la maniera tenuta da Dio nell’ affogar questo Mondo ; perciocchè essendo infallibile, che le acque del diluvio sormontate fossero quindici gomiti sopra la sommità de’ monti altissimi, ne nasce nel tempo istesso il calculo del grandissimo cerchio descritto dalla superficie dell’acque, e la considerazione della sua valuta, che di molte, e molte porzioni dovette avanzare il globo tutto della Terra. E però si vada quelli cercando, donde nel crescere abbiano le acque disceso, o scaturito, e dove nel minoramento abbiano potuto rinvenire un letto proporzionato, supposta l’opinione di Oleastro, e d’Eugubino, che tra gli altri dal Firmamento sboccate le vollero. Il Dottor Cornelio à Lapide, veggendo la gran quantità d’acque, che abbisognavano, determina queste fermentate, ed alterate dall’ira Divina ; meschia egli in esse aria, e terra ancora ; e così va calculando quel gran contenuto, descritto dalla superficie dell’acque, servendosi di quelle del Cielo, del Firmamanto, e dell’abisso. Io non so, come si sia andata questa faccenda. Ma s’ella si risolve a stimarla con un sì bravo Teologo, dir si potrebbe, che i miseri pesci (non assuefatti a quella forte d’acque, ne alla grande indigestione, che bisognò avessero fatto per un numero infinito di cadaveri, che miseramente annegati restarono loro in cibo, ne meno a tante altre immondizie concorse nell’acque, è facile che allora morti siano la maggior parte, se non tutti. Ma non lo crederà. Dirò dunque così. Che non suppongo tutte fossero denti di Lamie, ma di varii animali, e dispezie divertissime, che in molto numero nuotano nel mare, de’ quali la Natura armò le bocche di quantità indicibile, e differentissima di denti. Je répondrai, que les opinions des sacrés docteurs sont très variées pour déterminer

la manière employée par Dieu pour noyer ce monde ; parce que en étant assuré, que les eaux du Déluge dépassèrent de quinze coudées le sommet des montagnes les plus hautes, il en naît en même temps le calcul du très grand cercle décrit par la superficie des eaux, et la considération de sa valeur, que de beaucoup, et de nombreuses portions durent surplomber tout le globe de la Terre. Et pourtant, dans l’accroissement, d’où les eaux ont-elles descendues, ou jaillies, et où dans la diminution ont-elles pu revenir [en] un lit proportioné, supposée l’opinion d’Oleastro, et d’Eugubino, qui parmi d’autres voulurent les [voir] débouchées du Firmament. Le Docteur Cornelius à Lapide, en voyant la grande quantité d’eau, dont ils avaient besoin, détermine celles-ci [comme étant] fermentées, et altérées par la colère divine ; il mélange en elles de l’air, et encore de la terre ; et ainsi il calcule ce grand contenu, décrit par la superficie des eaux, en se servant de celles du ciel, du firmament, et de l’abysse. Moi je ne sais pas, comment s’est passée cette affaire. Mais si elle se résoud comme on l’estime avec un si bon théologien, on pourrait dire, que les malheureux poissons (non accoutumés à cette sorte d’eaux, ni à la grande indigestion, qu’ils eussent dû faire pour un nombre infini de cadavres, qui misérablement noyés leur restèrent en nourriture, ni moins que tant d’autres immondices en concours dans les eaux) il est facile, qu’alors la majeure partie soit morte, sinon tous. Mais vous ne le croirez pas. Je dirai donc ainsi. Que je ne suppose pas toutes les lamies, ou les poissons éteints d’un coup, ni que tous fussent des dents de lamies, mais de divers animaux, et d’espèces très diverses, qui en grand nombre nagent dans l’eau, desquels la nature arma les geules d’une quantité indicible, et très différente de dents. »

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Le compte rendu de l’ouvrage d’Agostino Scilla dans les Transactions Dans leur numéro de janvier-février 1696, les Philosophical Transactions publiaient un long compte rendu de quinze pages de l’ouvrage d’Agostino Scilla55, présenté par William Wotton56 à la Royal Society57. Son introduction, qui rend hommage à Scilla, est également pleine de sous-entendus : Je suppose, qu’il ne sera pas injuste, qu’un livre qui a été imprimé depuis longtemps, soit maintenant présenté dans ces Transactions, puisqu’il semble être aussi peu connu, même par ceux qui ont écrit sur le même argument, [et] que quelques auteurs récents qui semblent n’avoir rien omis de la nature et des livres qui pouvaient les aider, à poursuivre leur travail, semblent ne jamais l’avoir vu. Autrement selon toute vraisemblance ils auraient nommé cet auteur, parmi ceux qui se sont donnés beaucoup de peine pour démontrer, que les coquilles, ou les pierres ressemblant à des coquillages qui sont trouvés au-dessus et en-dessous de la surface, et dans des collines et des carrières de la Terre, furent autrefois l’enveloppe réelle de poissons [qui y étaient] inclus, ou qu’ils ont été formés dans ces coquilles qui furent à la place des moules de la matière liquide qui entra après que les poissons furent détruits. Ce Signior Scilla s’est non seulement donné beaucoup de peine pour le prouver, mais il en a apporté plus d’arguments à l’appui, qu’il n’avait été apporté par ceux qui ont publié sur ce sujet avant lui58.

En effet, les sous-entendus de William Wotton dans son compte rendu devinrent plus clairs par la suite : il s’agissait visiblement d’une attaque contre John Woodward, comme possible plagiaire d’Agostino Scilla59. L’année suivante, dans sa polémique

55. « La vana speculatione disinganata dal senso : Lettera Risponsiva circa i Corpi Marini, che Petrificati si trovano in varii Luoghi Terrestri. Di Agostino Scilla Pittore Academico della Fucina, in Napoli, 1670, 4to. With short Notes, by a Fellow of the Royal Society », Philosophical Transactions, janvier et février 1696, n° 219, p. 181-195. 56. William Wotton (1666-1727), érudit et théologien anglican, fut élu membre de la Royal Society le 1er février 1687. En 1694, Wotton publia ses « Réflexions sur les savants Anciens et Modernes », une contribution du côté des modernes à la controverse entre William Temple et Perrault. À la différence des écrits les plus controversées, il s’est principalement consacré à l’exposé clair des faits, et il fournit encore un excellent résumé des découvertes de son temps dans les sciences physique et de la nature. Il était l’ami de Richard Bentley et d’Isaac Newton. Bénéficiant d’une cure en 1691, puis devenu chapelain de Daniel Finch, deuxième comte de Nottingham, il fut présenté par l’évêque Gilbert Burnet le 18 novembre 1705 à la prébende de Grantham South en la Cathédrale de Salisbury, qu’il conserva jusqu’à sa mort. L’Archevêque Tenison lui conféra en 1707 le grade de Docteur en Théologie (Cf. Dictionary of national biography, p. 976-978). 57. Cf. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 127, et P. ROSSI, op. cit., p. 44. 58. « It will not, I suppose, be wronded at, that a Book which has been so long printed, should now be taken notice in these Transactions, since it appears to be so little known, even by those who have written upon the self-same Argument, that some late Writers who seem to have omitted nothing that Nature and Books could help them to, to carry on their Work, seem never to have seen it. Otherwise in all probability they would have named this Author, among those who have taken pains to prove, that the Shells, or Stones in likeness of Shells which are found up and down upon the Surface, and in Hills and Quarries of the Earth, were once real covering of inclosed Fishes, or have been formed in those shels which were instead of Molds to the liquid matter that got in after the Fishes were consumed. This Signior Scilla has not only taken pains to prove, but has brought more Arguments in proof of it, thant had been brought by those that appeared upon that Subject before him » (Philosophical Transactions, janvier et février 1696, op. cit., p. 181). 59. À ce sujet, R. RAPPAPORT (When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 127, note 66) renvoie à J. ARBUTHNOT, An examination of Dr. Woodward’s Account of the Deluge, Londres 1697, p. 65.

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avec Woodward (et sous forme d’une lettre à John Arbuthnot), Wotton publia à Londres un opuscule intitulé A vindication of an Abstract of an Italian Book concerning Marine Bodies. Dans l’œuvre intitulée An Essay towards a Natural History of the Earth (1695) John Woodward soutenait que les coquilles étaient des restes d’animaux autrefois vivants. Puisque « la preuve de telles affirmations – écrit Wotton – était aussi le but du traité de Scilla » et puisque ce livre « était alors fort peu connu en Angleterre, j’estimai qu’un large résumé serait utile à la Royal Society ». Si Wotton n’a pas une position particulièrement amicale envers Woodward, il ne l’accuse pas de plagiat. Il se limite à affirmer que si Woodward avait lu Scilla, cette lecture lui aurait été certainement très utile. Mais une accusation explicite de plagiat fut avancée dans ces années-là par Thomas Robinson. À celle-ci répondit John Harris qui, voulant défendre Woodward, accusa le pauvre Scilla de easiness and credulity. Wotton défendit Scilla de ces accusations et le fit d’une façon convaincue et passionnée60. L’essentiel du compte rendu porte sur les fossiles marins étudiés par Scilla. Wotton passe rapidement sur la réfutation par l’auteur de la thèse de la croissance intrinsèque des métaux dans les mines. Il se montre même quelque peu agacé par un type de préface, trop bavarde à son goût, qu’il considère comme caractéristique des auteurs italiens de son époque : « Après beaucoup d’avant-propos consacrés à des politesses verbeuses, à la manière des auteurs italiens modernes, il commence à examiner la génération des minéraux et des métaux, qu’il croit être engendrés par un jus pénétrant ou une vapeur provenant des entrailles de la Terre, lesquels changent et transforment toutes sortes de terres en elle-même »61. À dire vrai, les propos rapportés par Wotton ne rendent pas vraiment compte de la position de Scilla. En effet, il les isole de leur contexte et ne parle absolument pas de l’opposition du peintre sicilien à ceux qui croit en la génération intrinsèque des métaux. En fait, parmi les multiples arguments avancés par Scilla, il en choisit un seul sans faire réellement apparaître le but poursuivi par l’auteur. D’après deux observations, que Wotton résume, effectuées par le peintre sur des dépots d’alun dus, dans un cas, à la présence de ce qu’il appelle une « eau forte » et, dans l’autre, à des « effluves », Scilla se dit convaincu que, de la même manière, la nature est encline à produire une infinité de choses et, particulièrement, les métaux, ce qui s’oppose directement à l’opinion de ceux qui veulent que le corps du minéral soit « végétant »62. Pour Scilla, il s’agit d’une preuve de plus que les métaux ne peuvent pas s’engendrer eux-mêmes. S’il y a production de minéral il faut nécessairement qu’il existe une cause externe : une vapeur ou une eau sont plus ou moins chargées en un minéral qui se dépose selon un processus physico-chimique. Wotton déclare que l’auteur avance cette hypothèse, « concernant l’origine de ces coquilles et ces pierres façonnées qui sont trouvées sur la Terre », « pour infirmer l’argument de ceux qui prétendent qu’ils sont formés par une vertu végétative dans ce sol particulier, qui détermine leur forme particulière et régulière ». Certes, mais en l’occurrence, le raisonnement de Scilla a une portée plus large que Wotton ignore volontairement, car seul le problème posé par les fossiles l’intéresse et constitue la

60. P. ROSSI, op. cit., p. 44. 61. « After a great deal of prefacing spent in Verbose Civilities, after the manner of Modern Italian Writers, he begins to enquire into the generation of Minerals and Metals, which he believes to be generated by a penetrating Juyce or Vapour arising out of the Bowels of the Earth, which alters and turns all manner of Earths into it self » (Philosophical Transactions, janvier et février 1696, op. cit., p. 182). 62. A. SCILLA, op. cit., p. 25.

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matière de son compte rendu. Une partie de l’ouvrage est passée sous silence. Mais à moins d’avoir lu le livre, ses lecteurs ne peuvent pas avoir conscience de la restriction, ou du raccourci, qu’il opère. Par contre, Wotton ne cache pas à ses lecteurs que Scilla admet que les fossiles de l’île de Malte peuvent provenir d’une autre inondation que celle du Déluge : Il pense que ce rassemblement de matière a été occasionné par une inondation, quelles qu’aient été les causes de cette inondation, l’irruption de l’océan dans la Méditerranée, ou une inondation de la Mer Toscane chassée dans cette voie par des vents impétueux, ou toute autre cause attribuée par des auteurs ; ce qui étant accordé (à savoir que l’état présent de l’Île de Malte, a été causé par une inondation), il pense pouvoir affirmer, ce que la raison en tout homme doit reconnaître comme fortement probable, à savoir qu’une variété infinie de choses qui sont nées par la violence des eaux ont été entraînées par elles, certaines à une place et certaines à une autre63.

Dans la suite, Wotton passe consciencieusement en revue les différents arguments donnés par Scilla pour prouver que les fossiles marins sont bien les restes d’animaux marins autrefois vivants. Puis il signale que « les gravures à la fin de l’ouvrage, qui sont très belles, rendent très convaincants ces arguments »64. Wotton en a choisi quelques-unes pour accompagner son compte rendu dans les Transactions (voir la planche d’illustrations reproduite ci-après). Comme pour Sténon, le Journal des savants ignore l’ouvrage de Scilla. Toutefois, en 1698, une communication à l’Académie des sciences de Paris (voir extrait encadré ci-après) fournit la preuve que l’ouvrage du peintre sicilien n’était pas inconnu en France, du moins à la fin des années 1690. De la Hire s’y montre convaincu par les arguments de Scilla sur l’origine organique des fossiles : « Il est facile de connoistre que tous ces corps ne sont point des formations ou productions du hazard en les comparant avec les parties des animaux ou des plantes dont ils ont la figure ». Toutefois, il s’interroge sur les causes de la formation de ces fossiles d’êtres vivants ; l’explication lui en semble d’autant plus difficile qu’on en trouve « dans des terres qui sont fort éloignées de la mer, et même dans des masses de pierre très dure. » Alors que Scilla admet plusieurs causes possibles, pour de la Hire la très grande lenteur des phénomènes géologiques qui pourraient intervenir, confrontée à la brièveté de l’existence du monde, ainsi que l’absence de témoignage humain, le conduisent à croire « qu’on ne peut expliquer les grands changemens qui sont arrivés à la hauteur des terres au dessus des eaux de la mer que par le grand mouvement des eaux dans le deluge universel ». Comme beaucoup de ses contemporains, de la Hire est conduit à la voie du catastrophisme parce qu’il ne voit pas comment faire tenir dans les quelques six mille ans d’existence que l’on prête à la Terre une lente évolution

63. « He supposes that this Collection of Matter was occasioned by a Flood, let the Causes of that Flood have been what they will, either an irruption of the Ocean into the Mediterranean, or an inundation of the Tuscan Sea driven that way by vehement Winds, or any other Cause assigned by Authors ; which (namely that the present state of the Isle of Malta, was caused by a Flood) being granted, he thinks he may be allowed to affirm, that which every Mans Reason must acknowledge to be highly probable, namely that an infinite variety of things which were born up by the violence of the Waters were carried along by them, some to one place, and some to another » (Philosophical Transactions, janvier et février 1696, op. cit., p. 183). 64. « His Cuts at the end of his Book, which are very beautiful, make these Arguments of his, very convincing » (ibid., p. 190).

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Planche accompagnant le compte rendu de l’ouvrage d’Agostino Scilla dans le numéro 219 des Philosophical Transactions de janvier-février 1696.

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constituée par des processus géologiques imperceptibles et très lents comme l’érosion et la sédimentation. Certes, le Déluge fournit une solution aux partisans de l’origine organique de fossiles situés loin des mers, mais cette solution s’impose, entre autres, parce que l’étroitesse de la chronologie biblique les amène à renoncer à des processus lents plus naturels que les observations peuvent leur suggérer. Cependant, il faut souligner que si la brièveté de l’existence du globe terrestre interdit à de la Hire d’accepter des processus lents dans la formation des terrains fossilifères, elle ne le gêne pas en ce qui concerne les processus de fossilisation des êtres vivants. En effet, la plupart des naturalistes de l’époque croient que la fossilisation, ou comme ils l’appellent la « pétrification », est un phénomène relativement rapide. Ainsi, dans une lettre de Delft datée du 13 décembre 1704, Leeuwenhoek se montre convaincu qu’il y a eu un temps largement suffisant depuis le Déluge pour permettre à des organismes de se pétrifier65. Ayant entre les mains des fossiles métalliques de ce qu’il appelle des coquilles d’escargots (Snail-shells) provenant des Alpes suisses, Leeuwenhoek les identifie comme étant les restes de créatures vivantes, à la suite de l’examen au microscope de la structure des fragments obtenus en les cassant. Puis s’intéressant à leur composition et à leur formation, il conclut que « ces escargots, et d’autres animaux testacés, qui sont trouvés dans les hautes montagnes de Suisse, ont été déposés là depuis le Déluge ; et ainsi beaucoup d’entre eux par la durée se sont transformés en métal ; ou plutôt selon mon hypothèse, principalement en soufre »66. Procès-Verbaux de l’Académie Royale des Sciences, volume 17, séance du 19 mars 1698, folio 129 verso au folio 133 verso (extraits). Ensuite Mr. de la Hire le fils a fait voir des Coquilles petrifiées, et a donné sur ce sujet les observations suivantes. Description et explication de quelques corps qu’on trouve dans de grandes masses de Carierre. Ce n’est pas sans raison que quelques Philosophes ont cru que tous les corps d’une même figure qu’on trouve dans la terre, n’avoient point d’autre principe de formation, qu’une certaine disposition de quelques sels qui se joignant avec des terres ou des particules d’eau disposées à s’unir avec eux, formoient des corps semblables à ceux qu’on appelle organisées ou à des plantes très régulières, ce qu’on remarque dans plusieurs rencontres, comme dans les pierres etoillées, […]. Mais quoyqu’il soit très vray que tous ces corps si reguliers se forment par l’assemblage de quelques sels avec des terres et de l’eau, il ne s’ensuit pas que tous les corps reguliers que nous trouvons dans la terre soient formez de la même manière. Car premièrement pour tous les fossiles qu’on trouve dans le tuf dont toute l’isle de Malte est formée, on ne peut pas douter que ce ne soit des corps organisés, ou des plantes petrifiées. Les plus considérables sont les Langues de serpent ou ce qu’on appelle de ce nom qui ne sont autre chose que les dents du poisson appellé Lanrie lesquelles ont été petrifiées avec la masse de la terre ou argille blanche dont s’est

65. « A Letter from Mr Antony Van Leuwenhoek F.R.S. Concerning some fossils of Swisserland, &c. Delft, the 13th Decemb. 1704 », Philosophical Transactions, Novembre et Décembre 1704, p. 1774-1784. 66. « These Snails, and other Testaceous Animals, which are found in the High Mountains of Swisserland, have lain there ever since the Deluge ; and so many of them by length of time are turned into metal ; or rather, according to my Hypothesis, are mostly Sulphur » (ibid.).

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formé toute cette île. On y trouve aussi quantité de dents d’autres poissons comme du Requien, de la Sigenne, des Ecailles de herisson de mer avec ses pointes ou sans pointe qui sont d’une figure admirable, quantité de différents coquillages, des branches de Coraux, des os de differents poissons, et quelque fois on trouve seulement la terre qui s’est moulée dans ces coquilles et qui s’est petrifié, les coquilles s’étant pouries. Toutes ces curiositez de l’Isle de Malte et de Sicile ont été examinées, decrites et representées avec un très grand soin par un peintre italien nommé Agostino Scilla, et imprimées sous le nom de Vana Speculatione disingannata dal senso. Il est facile de connoistre que tous ces corps ne sont point des formations ou productions du hazard en les comparant avec les parties des animaux ou des plantes dont ils ont la figure. En sorte qu’il ne peut rester aucune difficulté que sur la manière dont ces Iles ou ces amas de corps et de terres petrifiées ensemble, ont pû s’élever considérablement au-dessus de la superficie de la mer. Mais cette difficulté n’est pas considerable en comparaison de celle qui se trouve dans l’explication d’autres corps petrifiés de la même manière et qu’on trouve dans des terres qui sont fort éloignées de la mer, et même dans des masses de pierre très dure. Ce sont de ces sortes de petrifications que nous avons presentées à la compagnie. Il y avoit de plusieurs sortes de Coquilles et semblables à celles qu’on voit sur le bord de la mer, nous les avons trouvées dans de très grosses pierres tirées des environs de Paris et il y avoit quelques unes des Coquilles qui étoient aussy saines que si elles avoient été nouvellement enfermées dans la pierre. […] Il n’est pas difficile de rendre raison de la petrification des corps et de la formation des pierres. Il y a quantité d’eaux qui petrifient les corps qu’elles touchent, j’en ai montré plusieurs pièces à la Compagnie, et pour la formation des pierres, nous voyons tous les jours que les eaux qui prennent leur origine à Lahi, village à deux lieues de Paris du costé du fauxbourg St. Jacques, forment des incrustations dans tous les endroits par où elles passent, […] Mais il me semble qu’on ne peut expliquer les grands changemens qui sont arrivés à la hauteur des terres au dessus des eaux de la mer que par le grand mouvement des eaux dans le deluge universel, qui a ramassé des montagnes de terre en des endroits ou il n’y avoit auparavant que des lieux fort bas comme pourroit être les Isles de Malte, de Sicile, et d’autres, et qui peut aussi avoir comblé de grands vâlons, comme pouvoit estre celuy ou sont presentement nos carierres du fauxbourg St. Jacques. On pourroit dire que le fonds de ces carières n’estoit pas autrefois aussi bas que le lit de la mer, mais que ce pouvoit estre quelque grand étang dont les eaux nourrissoient des poissons semblables à ceux de la mer. Mais comme il n’est pas possible que ces lieux profonds se soient remplis insensiblement dans la suite des temps par des terres entrainées avec les pluies ordinaires, puisqu’il auroit falu que de grandes montagnes y eussent fourni dont on n’a aucune mémoire depuis un grand nombre de siècles, et dont on ne voit aucun reste, quoyqu’il y ait encore aux environs des monumens fort anciens, il faudra nécessairement reconnoistre aussi que tous ces changemens sont arrivés dans le temps du déluge.

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A. Scilla, La vana speculazione… (1670), planche 10 : Diverses sortes d’oursins fossilisés.

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A. Scilla, La vana speculazione… (1670), planche 13 : Conque, Rhomboïde, Oursin, Coquilles, Huître, &c. retrouvés dans les collines de Messine, « desquelles il s’en voit des tas infinis ».

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A. Scilla, La vana speculazione… (1670), planche 15 : Coquillages fossiles divers, Turbinés, Tuf avec quantités de dents, et une pierre qui « fut autrefois la demeure de vers marins », de Calabre.

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A. Scilla, La vana speculazione… (1670), planche 20 : Coraux fossilisés des collines de Messine.

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IV. Filippo Buonanni En Italie, le jésuite Filippo Buonanni prend parti contre l’origine organique des fossiles dans sa Ricreatione dell’occhio e della Mente de 168167. En 1698, le jésuite devint conservateur des collections de Kircher à Rome68. Son ouvrage sera longtemps cité pour ses nombreuses illustrations de coquilles. Malgré le fait qu’Aristote et d’autres auteurs antiques avaient décrit les coquilles fossiles comme des organismes marins et avaient fait des observations sur des littoraux changeants, Buonanni trouve que le mécanisme de tout ceci est obscur et douteux. Il a réfléchi sur la possibilité pour l’eau de transporter des coquilles lourdes et il a considéré que c’était si peu probable qu’il a préféré penser que les fossiles avaient été produits in situ. En tant qu’aristotélicien, il préfère la génération spontanée aux pouvoirs plastiques néo-platoniciens, mais il ne peut pas exclure la possibilité que des inondations aient déposé sur la terre des graines capables de germer pour donner des formes fossiles69. Aussi familier que Hooke et Plot avec la maxime aristotélicienne, « la nature ne fait rien en vain », Buonanni répète par inadvertance la réponse de Plot à Hooke : les plantes à fleurs ne portent pas toujours des fruits, tous les fruits ne viennent pas à maturité, la nature peut ainsi produire des dents (fossiles) sans mâchoires et des coquilles fossiles qui n’ont jamais logé d’animaux vivants70. En février 1684, les Philosophical Transactions présentent un compte rendu très critique de l’ouvrage de Buonanni71. La revue l’accuse d’adhérer à la vieille doctrine de la génération spontanée en ignorant les expériences de ses contemporains. Le jugement du rédacteur est sévère : Et ne donnant aucun assentiment, ni aucune réfutation, au raisonnement et aux expériences de Sténon, Redi, ou Lyster, il embrasse l’opinion vieille et désuète de leur existence produite de manière douteuse de la putréfaction, pour laquelle il apporte peu de preuve en plus des raisons bien connues, et de l’autorité d’Aristote72.

Le jugement exprimé par Marcello Malpighi est tout aussi dur. Ce dernier déclare que le travail de Buonanni « corrompt la vraie méthode de philosopher a posteriori et rend tout incertain et toute extravagance possible crédible »73. Mais de manière très significative, les critiques émises par le rédacteur des Philosophical Transactions se focalisent sur la génération spontanée, et non sur les fossiles ou sur les pouvoirs plastiques. L’aristotélisme se voit condamné, mais les pouvoirs plastiques demeureront respectables pendant encore deux ou trois décennies après 168174. Le combat livré par les Transactions à l’encontre des partisans de la génération spontanée interagit indirectement avec les débats à propos de l’origine des fossiles. Le rédacteur de la revue, Robert Plot, est contre l’origine organique des fossiles mais il ne peut pas

67. F. BUONANNI, Ricreatione dell’occhio e della mente nell’osservation’ delle Chiocciole, Rome 1681. 68. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 127. 69. F. BUONANNI, op. cit., p. 80-81. 70. F. BUONANNI, op. cit., p. 82-83. 71. « Ricreatione dell’occhio é della Mente Nell’ osservation’ delle Chiocciole Dal P. Filippo Buonanni &c. in Roma, per il Varese, 1681 », Philosophical Transactions, 20 février 1684, n° 156, p. 507-509. 72. « And not at all acquiessing in, neither confuting, the reasoning and experiments of Steno, Redi, or Lyster, he imbraces the old and antiquated opinion of their being equivocally produced out of putrefaction, for which he brings little proof besides the well known reasons, and Authority of Aristotle » (ibid.). 73. H. B. ADELMANN, Marcello Malpighi and the Evolution of Embryology, vol. 1, Ithaca 1966, p. 636. 74. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 128.

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approuver ceux qui voient dans les fossiles une production de la génération spontanée, théorie qu’il condamne comme nombre de ses confrères. Pour beaucoup de savants de la fin du XVIIe siècle, et en particulier pour les savants anglais, la sagesse de Dieu devait être visible partout dans la nature. Cependant, en ce qui concernait les êtres vivants, deux difficultés majeures devaient être surmontées : la génération spontanée et la génération ordinaire. Ce problème a été amplement traité par Jacques Roger, dans sa thèse magistrale sur les sciences de la vie dans la pensée française du XVIIIe siècle75. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, à peu près tout le monde admettait que les êtres vivants, au moins les plus simples, pouvaient naître spontanément de la matière inerte. Mais ce processus de génération spontanée conférait à la Nature le pouvoir de créer par elle-même un nouvel être vivant, une impossibilité si l’on croyait que Dieu seul pouvait élaborer des créatures aussi complexes. Or en 1668, le savant italien Francesco Redi (1626-1697) publia les résultats d’expériences qui prouvèrent que les vers ne naissaient pas spontanément de la viande en décomposition mais qu’ils provenaient d’œufs préalablement déposés par des mouches76. La communauté savante admit les résultats de Redi avec une étonnante rapidité, en estimant de manière unanime que ses expériences démontraient l’impossibilité d’une génération spontanée d’êtres vivants dans la nature. Le travail de Redi acheva ainsi de déconsidérer la génération spontanée qui avait déjà été condamnée par le mécanisme créationiste dominant77. Si la génération spontanée fut facilement écartée, se débarrasser de la génération ordinaire se révéla plus difficile. Ce concept dérangeait la philosophie du mécanisme créationiste. En effet, dans le processus naturel du développement embryonnaire, une matière d’apparence homogène se métamorphosait progressivement en une structure complexe correspondant à celle d’une créature vivante. Un tel développement paraissant outrepasser les possibilités de la nature, une nouvelle théorie fut imaginée vers la fin des années 1660. Suivant celle-ci, Dieu avait créé l’ensemble des êtres vivants de tous les temps au commencement du monde. Par la suite, chaque créature devait attendre le moment opportun pour se développer78. Cette doctrine, dite de la préexistence des germes, faisait de Dieu la seule cause active de la génération et pouvait sembler permettre d’éliminer les difficultés éprouvées par la science de l’époque pour expliquer la génération des êtres vivants. Ses partisans pensaient que la matière était entièrement passive et qu’aucun processus naturel ne pouvait créer un être vivant. Le Créateur a créé en une seule fois tous les êtres vivants de tous les temps. Il ne peut rien se créer à partir de la matière qui se borne à développer des germes préexistants79. Cette théorie fut, elle aussi, rapidement adoptée. Le système de la préexistence des germes permettait de concilier la simplicité des voies de la nature avec la toute puissance du Créateur. Il était donc assez séduisant pour s’imposer pendant plus d’un siècle à de nombreux savants et philosophes, dont Leibniz et Malebranche. Pour leur part, les théologiens se réjouirent d’une si magnifique concordance entre la science et

75. J. ROGER, Les sciences de la vie dans la pensée française du XVIIIe siècle. La génération des animaux de Descartes à l’Encyclopédie, Paris 1993 (19631). 76. F. REDI, Esperienze intorno alla generazione degl’Insetti, Florence 1668. 77. Cf. J. FARLEY, The Spontaneous Generation Controversy : From Descartes to Oparin, Baltimore 1977, chap. II. 78. Cf. J. ROGER, Pour une histoire des sciences à part entière, op. cit., p. 179. 79. Cf. J. EHRARD, op. cit., p. 211.

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la foi chrétienne. Toutefois, dès les premières décennies du XVIIIe siècle, la préexistence des germes soulèvera de plus en plus d’objections80. La doctrine de la préexistence des germes impliquait deux corollaires fondamentaux : d’une part, le monde vivant ne peut avoir qu’une durée courte, car le stock très important mais forcément limité de germes se tarit par la génération ; d’autre part, aucune évolution des espèces n’est concevable puisque les germes ont été créés ne varietur, une fois pour toutes. L’élimination de la doctrine de la génération spontanée ne fut pas sans répercussion sur les théories relatives aux fossiles, ainsi que le montre la position adoptée par les Philosophical Transactions. En conséquence, cette élimination provoqua également la condamnation de la génération spontanée des fossiles. Mais, d’une part, elle laissait le champ libre à ceux qui, comme Tournefort, refusaient l’origine organique et prônaient une génération des fossiles à partir de semences ou de germes d’être vivants. D’autre part, l’adoption de la théorie de la préexistence des germes, interdisant tout concept d’évolution, allait poser des difficultés considérables à ceux qui défendaient l’origine organique des fossiles. V. Les objections de Martin Lister Martin Lister (1639-1712), médecin à succès et zoologiste de talent élu membre de la Royal Society en 1671, était l’auteur d’études remarquables sur les araignées et les mollusques, sur les plans anatomique, morphologique et taxonomique81. Son ouvrage le plus célèbre, Historia sive synopsis methodica conchyliorum (Londres, 16851692), illustré d’un millier de gravures de coquillages et de dissections, le fit connaître comme un expert en conchyliologie. Son exigence de précisions s’étendait jusqu’aux coquilles fossiles. Et pourtant, malgré son exceptionnelle compétence, il s’oppose à l’origine organique des fossiles dans une lettre qu’il publie en octobre 1671 dans les Philosophical Transactions82. Lister veut bien admettre que, dans certaines contrées, on puisse trouver de vraies coquilles d’origine marine incluses dans la roche mais ce n’est pas le cas des coquilles trouvées dans les carrières anglaises qui, elles, ne sont que des Lapides sui generis : D’abord donc, nous croirons facilement, qu’en quelques pays et en particulier le long des rivages de la Méditerranée, on peut trouver toutes sortes de coquillages inclus pêle-mêle dans des roches ou dans la terre et aussi à bonne distance de la mer. Mais, pour nos carrières anglaises de l’intérieur, qui abondent aussi en un nombre infini de coquilles de grandes variétés, je suis enclin à penser, qu’il n’y a aucune sorte de pétrification de coquillages en cause dans cette affaire (ou, comme Stenon l’explique lui-même p. 84, dans la version anglaise, & ailleurs, que la substance de ces coquillages,

80. Entre autres, la génération de monstres qui remet en cause la sagesse du Créateur, l’hérédité par rapport aux deux parents à la fois, le cas des hybrides ; enfin, l’emboitement des germes à l’infini n’est pas moins difficile à concevoir. En outre, la pensée créationniste interdisait la voie au transformisme. Pour plus de détails, voir J. ROGER, Les sciences de la vie dans la pensée française du XVIIIe siècle, op. cit., p. 385-439 (Chap. IV : « Les difficultés de la préexistence ») ; ainsi que J. EHRARD, op. cit., p. 211-228 (« Préexistence et Épigénèse ? » dans son chap. IV). 81. Voir la notice biographique par J. CARR dans C. C. GILLISPIE (éd.), Dictionary of scientific biography, vol. 8, op. cit., p. 415-417. 82. « A Letter of Mr. Martin Lister, written at York August 25 1671, confirming the Observation in N° 74, about Musk sented Insects ; adding some Notes upon D. Swammerdam’s book of Insects, and on that of M. Steno concerning Petrify’d Shells », Philosophical Transactions, 22 octobre 1671, n° 76, p. 2281-2284.

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appartenant autrefois aux animaux, a été dissoute ou perdue par la force pénétrante des sucs, et qu’une substance pierreuse est venue à sa place,) mais que ces pierres furent toujours pareilles à des coquilles, comme elles sont à présent, Lapides sui generis, et jamais aucune partie d’un animal83.

Lister ne croit pas comme Sténon que la substance des coquillages ait pu être dissoute. Pour lui s’il n’y a pas trace de tests, et qu’il n’y a que de la pierre, de même nature que les roches où les fossiles sont trouvés, alors il ne peut s’agir de restes d’êtres vivants. Il se focalise sur l’identité de substance entre le moule interne et la roche encaissante, en ignorant les travaux de Robert Hooke dans sa Micrographia (1665)84 : nos coquillages de carrière anglais (pour continuer avec ce nom abusif) n’ont aucunes parties d’une texture différente de la roche ou de la carrière où ils sont pris, c’est-à-dire, qu’il n’y a aucune sorte de coquillage dans ces ressemblances de coquillages, mais que les coquilles de pierre ferrugineuse sont toutes de pierre ferrugineuse ; [celles de] pierre à chaux ou de marbre toutes de pierre à chaux et de marbre ; [celles de] Spath ou les coquilles cristallines toutes de Spath, &c. Et qu’elles ne furent jamais aucune partie d’un animal85.

En outre, Lister a observé une étroite corrélation entre la lithologie et la faune. Fait important, mais qu’il ne peut pas interpréter dans le contexte de son époque en le mettant en relation avec la superposition séquentielle des strates ou avec une succession temporelle. Dans ces conditions, cette observation pourtant pertinente le conduit à trouver un argument supplémentaire pour rejeter l’origine organique des fossiles : Ma raison est : que des carrières de pierres différentes nous fournissent des sortes ou des espèces tout à fait différentes de coquilles, non seulement les unes des autres (ainsi ces pierres de coquilles des carrières de pierre ferrugineuse d’Adderton dans le Yorkshire diffèrent de celles trouvées dans les mines de Plomb des montagnes voisines, et de celles

83. « First then, we will easily believe, that in some Countries, and particularly along the shores of the Mediterranean Sea, there may all manner of Sea shells be found promiscuously included in Rocks or Earth, and at good distances too from the Sea. But, for our English-inland Quarries, which also abound with infinite number and great varieties of shells, I am apt to think, there is no such matter, as Petrifying of Shells in the business (or, as Steno explains himself p. 84, in the English Version, & alibi, that the substance of those shells, formerly belonging to animals, hath been dissolved or wasted by the penetrating force of juices, and that a stony substance is come in the place thereof,) but that these Cockle-like stones ever were, as they are at present, Lapides sui generis, and never any part of an Animal » (ibid.). 84. Magnifique album commenté sur le monde microscopique, l’ouvrage de Hooke a fait l’objet d’un long compte rendu aussi bien dans les Philosophical Transactions, que dans le Journal des savants. Toutefois, les deux revues ne détaillent pas les passages où l’auteur affirme sa croyance à l’origine organique des fossiles, mais qui ne constituent qu’une petite partie de l’ouvrage (les Transactions signalent simplement l’examen de bois et d’autres corps pétrifiés). « An account of Micrographia, or the Physiological Descriptions of Minute Bodies, made by Magnifying Glasses », Philosophical Transactions, 3 avril 1665, n° 2, p. 27-32. « Micrographia, or some Physiological descriptions of minute Bodies made by magnifying glasses, with observations and inquiries thereupon, by R. Hooke fellow the Royal Society. In fol. London », Journal des savants, 20 décembre 1666, 491-501 (p. 291-296). 85. « Our English Quarry-shells (to continue that abusive name) have no parts of a different Texture from the rock or quarry they are taken, that is, that there is no such thing as shell in these resemblances of shells, but that Iron-stone Cockles are all Iron-stone ; Lime or marble all Lime-stone and Marble ; Sparre or Chrystalline-shells all Sparre, &c. and that they never were any part of an Animal » (Philosophical Transactions, 22 octobre 1671, op. cit.).

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de cette carrière de coquilles de Wansford-bridge dans le Northampton-shire, et toutes trois [diffèrent] de celles qui peuvent être trouvées dans les carrières de Gunthrop et de Beavour-Castle, &c.) mais, j’ose dire carrément, de plus de toute chose dans la nature, que nous donnent tant la terre, que l’eau salée, ou douce86.

Enfin, dernier argument de Lister, malgré des similitudes, un examen attentif des fossiles montre que l’on ne peut pas les identifier à des espèces actuelles : Il est vrai, que j’ai extrait de cette carrière de Wansford de véritables ressemblances de Murices, Telinae, Turbines, Cochleae, &c. et malgré tout je n’ai pas été convaincu, quand j’ai examiné en particulier certains de nos rivages anglais pour les coquilles, aussi les eaux douces et les champs, que je n’ai jamais rencontré (N. B.) aucune de ces espèces de coquilles partout ailleurs, mais [seulement] dans leurs carrières respectives, d’où je conclus [qu’elles sont des] Lapides sui generis et qu’elles n’ont été coulées dans aucun moule animal, dont l’espèce ou la race doivent encore être trouvées en vie à ce jour87.

Dans la période 1660-1690, en Angleterre, on admet généralement que les fossiles ont une origine animale. Mais les hommes de science acceptant cette idée, comme Robert Hooke et John Ray, ne sont pas des collectionneurs de fossiles. Les hommes qui possèdent la connaissance immédiate la plus grande du sujet – Martin Lister, Edward Lhwyd, Robert Plot, John Beaumont, et William Coles – trouvent que les difficultés pour expliquer la distribution de fossiles sont trop grandes pour accepter leur dispersion par un déluge universel. Mais surtout, la théorie de la préexistence des germes qui triomphe à la fin du XVIIe siècle, leur interdit de concevoir une évolution des espèces. Elle constitue le blocage principal qui les conduit dans une impasse. Comme ils ne peuvent pas concevoir une évolution des espèces, les différences observées dans le détail entre les coquilles fossiles et celles des animaux actuels les ont convaincus qu’il ne peut y avoir aucune liaison directe entre eux. Et comme un certain consensus nie toute perte des espèces, créées à l’origine une fois pour toutes, il ne leur reste plus que les jeux de la nature pour expliquer l’existence de fossiles sans représentants vivants actuels. Lister explique la croissance des fossiles dans la roche par une cristallisation complexe de sucs pétrifiants se trouvant naturellement dans la terre. Les mollusques vivants sont aussi capables de sécréter de tels sucs, à partir desquels cristallisent leurs coquilles, par un processus non-vital. La lettre de Lister a été écrite pour réfuter les idées de Sténon qui défend la thèse de l’origine organique des fossiles marins. Mais elle s’inscrit dans un contexte de controverse avec Robert Hooke, l’un des plus éminents membres de la Royal Society. Pour ce dernier, il était difficile de penser que la nature puisse produire des fossiles

86. « My reason is : That Quarries of different stone yeild us quite different sorts or species of shells, not only one from another (as those Cockle-stones of the Iron-stone Quarries of Adderton in yorkshire differ from those found in the Lead-mines of the neighbouring mountains, and both these from that CockleQuarrie of Wansford-bridge in Northampton-shire, and all three from those to be found in the Quarries about Gunthrop and Beavour-Castle, &c. ;) but, I dare boldly say, from any thing in nature besides, that either the land, salt, or fresh water doth yeild us » (ibid.). 87. « ’Tis true, that I have picked out of that one Quarry of Wansford very resemblances of Murices, Telinae, Turbines, Cochleae, &c. and yet I am not convinced, when I particularly examined some of our English shores for shells, also the fresh waters and the fields, that I did ever meet with (N. B.) any one of those species of shells any where else, but in their respective Quarries, whence I conclude them Lapides sui generis, and that they were not cast in any Animal-mold, whose species or race is yet to be found in being at this day » (ibid.).

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seulement « pour construire une imitation de ce qu’elle a déjà construit pour de plus nobles fins et avec plus de perfection tant dans le règne animal que dans le règne végétal »88. Face au scepticisme de ses confrères et aux attaques de Martin Lister et de Robert Plot, Hooke s’indigne de leur entêtement. Dans son discours sur la Terre, prononcé devant la Royal Society en 1667 et 1668, Hooke précise ses idées sur les fossiles89. Pour expliquer l’existence des fossiles de coquillages et de poissons n’appartenant à aucune espèce connue, Hooke abandonne l’idée des espèces immuables et éternelles et il formule l’hypothèse de la destruction et de la disparition d’espèces vivantes. Il fait dépendre l’existence de variétés à l’intérieur d’une même espèce de changements qui se produisent dans le milieu, dans le climat et dans la façon de se nourrir. Dans les « premiers temps du monde », existaient donc probablement des « espèces de créatures qui ont maintenant entièrement disparu et qui ne survivent dans aucune partie du monde ». Aujourd’hui, d’autre part, « sont présentes des espèces qui n’existaient pas au début ». De nouvelles variétés d’espèces ont pu être engendrées par les changements qui ont affectés la Terre. Les changements et les altérations qui ont modifié la Terre ont modifié également profondément les formes de vie. Étudier ces mutations équivaut à écrire une histoire, à l’égard de laquelle les coquilles et les autres fossiles apparaissent comme « les médailles, les urnes et les monuments de la nature ». Hooke fait une comparaison mémorable entre les fossiles et les objets archéologiques, entre le naturaliste et « l’antiquaire »90. Pour lui, les fossiles sont les archives destinées à instruire les âges futurs sur ce qui a eu lieu dans les âges antérieurs. Il tient pour fondée la perte de certaines espèces vivantes et des changements notables pour certaines autres, au cours du temps. Hooke fait une comparaison entre les individus et les espèces : les individus naissent, croissent puis commencent à décliner, pour finir par mourir et se corrompre ; durant toute leur vie, ils se modifient et changent de figure et de forme. Il en est ainsi des espèces91.

88. Cité par P. ROSSI, op. cit., p. 32. 89. R. HOOKE, Posthumous Works, op. cit. Cf le discours sur la Terre (intitulé par Waller : « A discourse of Earthquakes »), p. 279 à 450. 90. « There is no Coin can so well inform an Antiquary that there has been such or such a place subject to such a Prince, as these will certify a Natural Antiquary, that such and such places have been under the Water, that there have been such kind of Animals, that there have been such and such preceding Alterations and Changes of the superficial Parts of the Earth : And methinks Providence does seem to have design’d these permanent shapes, as Monuments and Records to instruct succeeding Ages of what past in preceding. And these written in a more legible Character than the Hieroglyphicks of the ancient Egyptians, and on more lasting Monuments than those of their vast Pyramid and Obelisks. » (« Aucune monnaie n’informera aussi bien un amateur d’antiquités sur le fait que tel ou tel lieu ait été jadis soumis à tel ou tel Prince, que ces [coquilles pétrifiées] qui attesteront à un amateur d’antiquités naturelles, que tel ou tel endroit a été sous l’eau, qu’il y a eu tels types d’animaux, qu’il s’est fait tels et tels altérations et changements dans des parties de la surface de la Terre : Et à mon sens, la Providence semble avoir destiné ces figures permanentes à être des monuments et des archives pour instruire les âges futurs sur ce qui a eu lieu auparavant. Et c’est écrit en caractères plus lisibles que les hiéroglyphes des anciens Égyptiens, et sur des monuments plus durables que leurs imposantes pyramides et obélisques »), ibid., p. 321. 91. « As we see that there are many changings both within and without the Body, and every state produces a new apparence, why then may there not be the same progression of the Species from its first Creation to its final termination ? » (« De même que nous voyons qu’il y a de nombreux changements aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du corps, et que chaque état produit une nouvelle apparence, pourquoi donc n’y aurait-il pas la même progression des espèces depuis leur création première jusqu’à leur terminaison finale ? »), ibid., p. 435.

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Le transformisme de Hooke était difficilement acceptable pour l’époque. Prétendre que certaines espèces d’animaux du passé ont disparu, c’était admettre l’imperfection de la Création première et donc mettre en cause la sagesse du Créateur. Hooke conteste cet argument et se défend en déclarant que rien dans l’Écriture Sainte n’affirme la constance de la nature. Tout s’y montre sujet à la corruption : y compris les astres et les cieux mêmes. Mais en fait, Hooke préfère ne pas mêler science et religion. Il s’est d’ailleurs le plus possible abstenu dans ses discours de parler du Déluge. Son sentiment est que les fossiles n’ont rien à voir avec cet événement. Depuis l’époque de la création, une grande partie de la superficie terrestre a été transformée et sa nature a été altérée, en particulier « beaucoup de parties qui ne le furent jamais, sont maintenant de la terre et diverses autres parties qui sont aujourd’hui des mers furent un temps de la terre ferme, des montagnes ont été transformées en plaines et des plaines en montagnes »92. Pour Hooke, ces échanges entre terres et mers, et ces exhaussements et affaissements de la surface du globe, ont pour cause essentielle les phénomènes volcano-sismiques, manifestation du feu souterrain (« Subterraneous Fire »)93, jadis plus intense qu’aujourd’hui (car les « combustibles souterrains » s’épuisent peu à peu). Enfin la mutation dûe au mouvement des eaux est générale et continuelle94. Les communications faites à la Royal Society nourrissaient les Philosophical Transactions mais les discours sur la Terre de Robert Hooke, et les idées audacieuses qui y sont exprimées, n’apparaissent en aucune façon dans la revue. En définitive, dans la controverse qui oppose Hooke à Lister et à Plot, les Transactions ne donnent la parole qu’aux adversaires de Hooke. À l’époque, le rédacteur des Transactions, Henry Oldenburg, pourtant fervent partisan de Sténon, se fait un devoir de publier la lettre de Martin Lister. En tant que secrétaire de la société, Oldenburg ne peut pas ignorer la teneur des discours de Hooke, il les a entendu prononcer. Sur les fossiles, le contenu de la revue londonienne semblerait, à première vue, refléter les débats qui animent la Royal Society où finalement les opinions sont partagées, mais il y manque celles de Hooke. Certes les relations entre Oldenburg et Hooke sont exécrables. Il faut rappeler que Hooke a été jusqu’à insulter Oldenburg et que la Royal Society a dû l’obliger instamment à s’excuser. Mais les idées de Hooke sur la géologie ont eu, semble-t-il, peu de succès auprès de ses collègues, plus d’adversaires que de sympatisants. On peut même se demander s’il n’a pas subi des pressions pour modifier la teneur de son discours95. Sa volonté de séparer science et religion est sans doute mal perçue, en particulier son opposition au Déluge comme cause des fossiles – encore que d’autres, tel John Ray, aient une opinion similaire – mais surtout sa vision transformiste est extrêmement choquante pour le créationisme alors dominant. Face à la difficulté d’accorder le dogme de la fixité et de la pérennité des espèces avec l’existence de fossiles ne correspondant à aucun être vivant, certains recherchent une solution de compromis. Quelques-uns, comme Scilla, se limitant à certaines régions, ont la chance d’avoir des fossiles qui ne sont pas trop éloignés des formes

92. Ibid., p. 320-321. 93. On retrouvera la même expression chez James Hutton (1726-1797). 94. Ibid., p. 313. 95. F. ELLENBERGER (op. cit., p. 91) pose la question de manière pertinente, malgré ses opinions bien arrêtées, Hooke « concède (p. 412-416), que si nous voulons attribuer ces phénomènes au Déluge, alors il faut qu’il y ait eu une permutation brutale des terres et des mers : et Hooke nous propose tout un scénario biblico-physique, peu dans sa manière. A-t-il subi des pressions ? »

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vivantes actuelles. Plus ou moins consciemment, ils préfèrent ignorer ou minimiser les différences observées. Hooke avait d’abord suggéré que les fossiles qui ne pouvaient pas être identifiés à des êtres actuellement vivants pourraient correspondre à des animaux vivants dans des parties reculées du monde et qui ne seraient pas encore connus. Son abandon de cette idée pour le transformisme prouve qu’il n’a pas été lui même convaincu par un tel argument. Pour échapper au problème, pendant longtemps, tout au long du XVIIIe siècle, on qualifiera de « pélagiques » (non encore retrouvées vivantes) les formes que l’on répugnera à dire éteintes. L’imprécision des déterminations aidant, on se contentera du terme flou d’« analogues ». Malgré les difficultés posées par la thèse de la disparition d’espèces animales ou végétales, qui est censée remettre en cause la perfection de l’œuvre du Créateur, d’autres que Hooke ont néanmoins partagé cette idée. Ainsi, pour Leibniz, le monde ancien était peuplé d’animaux inconnus. « Avant l’apparition de l’homme », dans un monde, qui avait été un temps entièrement sous la mer, jusqu’à ce que les eaux se retirent de la terre ferme par la volonté divine, « d’énormes changements sont survenus, insoupçonnés aujourd’hui ». Il avance que certains animaux terrestres du passé sont aujourd’hui éteints et également que certains êtres vivants se sont transformés. Certains animaux aquatiques se seraient peu à peu adaptés à la vie terrestre et auraient subi de véritables transformations par l’effet prolongé du temps, en réponse à la transformation du milieu96. Lorsque Fontenelle relate la lecture à l’Académie d’une dissertation latine sur les « Pierres figurées » par Jean Scheuchzer, de passage à Paris en 1710, il envisage plus modestement la possibilité de la disparition d’espèces de coquillages, tout en reconnaissant que l’idée est audacieuse : Il peut se trouver des Pierres figurées dont le Moule nous soit présentement inconnu. Les Coquillages qui les auront formées ne seront plus dans nos Mers, ou nous auront échapé. La grande quantité de Pierres qui certainement ont été moulées de cette manière, nous met en droit de faire cette supposition. Peut-être même quelques Moules seroient-ils perdus, c’est à dire que quelques espèces de Coquillages auront péri, mais pour employer cette idée un peu hardie, il faut apercevoir dans une Pierre des traces assés sensibles de cette sorte de formation97.

Mais comme le souligne Fontenelle dans la suite, le refus d’envisager la disparition d’espèces conduisait nécessairement à refuser à ces fossiles la qualité de restes de véritables êtres vivants, et à postuler par conséquent des thèses invraisemblables et absurdes pour expliquer leur existence. Comme par exemple, une origine séminale à laquelle Fontenelle ne croit plus guère : « La génération de ces sortes de Pierres, si l’on

96. Dans un texte écrit à Christian Maximilien Spener et paru en 1710, Leibniz nous livre ses convictions : « Il y a lieu de rechercher si les animaux inconnus de ce monde (ancien), dont nous découvrons les vestiges, étaient en majorité aquatiques, ou bien amphibies ; surtout vu que l’on peut croire que, de marins ou amphibies qu’ils étaient, lorsqu’ils furent pour de bon abandonnés par la mer, certains enfin se sont avancés comme êtres terrestres, en sorte que, transformés par l’effet prolongé du temps, ils n’étaient plus capable de supporter l’eau. […] « Mais de plus, j’estime que certains animaux terrestres qui jadis vivaient dans nos contrées, aujourd’hui sont éteints ; – que ce soit comme suite d’un changement de climat ou pour d’autres raisons, chose difficile à deviner, vu l’obscurité qui voile ces choses si lointaines. » Voir F. ELLENBERGER (op. cit., p. 145-147) qui fournit une traduction intégrale de ce texte tout à fait intéressant. 97. Histoire de l’Académie Royale des Sciences, 1710, p. 20.

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ne peut jamais les soupçonner d’avoir été moulées, réduira peut être les Physiciens à l’Hypothèse des semences hazardée par feu M. Tournefort »98. VI. La génération des pierres de Tournefort À partir des années 1700, la publication régulière des Mémoires de l’Académie Royale des Sciences limite désormais les productions des académiciens dans le Journal des savants. Il paraît donc nécessaire de rechercher par la suite dans les mémoires de l’Académie un complément au contenu livré par le Journal. Dans son mémoire à l’Académie de 1702, Tournefort, qui est botaniste, suggère que la croissance des plantes pourrait servir de modèle à la croissance de corps durs tels que les roches et les coquilles fossiles99. Il croit à la génération des pierres. Il parle d’ailleurs de « végétation des pierres », et il fait un parallèle avec le développement des plantes : celles du Labirinthe croissent & s’augmentent sensiblement, sans qu’on puisse soupçonner qu’aucune matière étrangère leur soit appliquée par dehors. Ceux qui ont gravé leurs noms sur les murailles de ce lieu, qui sont toutes de roche vive & taillées à plomb, ne s’imaginoient pas sans doute que les traits de leurs ciseaux dussent se remplir insensiblement, & que dans la suite des temps ils pussent devenir relevez d’une espèce de broderie haute d’environ deux lignes dans quelques endroits, & de trois lignes dans quelques autres ; de telle sorte que ces caractères de creux qu’ils étoient sont presentement de bas reliefs. […] On pourroit encore comparer cette espèce de broderie qui est toute inégale & grainée, aux chairs naissantes qui s’élèvent, comme tout le monde sçait, en manière de petits grains. Il se passe quelque chose de semblable dans l’ecorce des arbres sur laquelle on a gravé des noms avec la pointe d’un coûteau. Le Poète a eu raison de dire, que les caractères croissoient à mesure que les arbres grandissoient100.

Tournefort va encore plus loin dans sa comparaison de la végétation des pierres avec le développement des arbres. Les pierres sont vues comme des êtres vivants qui se nourissent du suc qui se trouve dans la terre : Ces trois observations font voir manifestement qu’il y a des pierres qui croissent dans les carrières, qui se nourrissent par conséquent, & que le même suc qui les nourrit sert à rejoindre leurs parties lorsqu’elles sont cassées ; de même qu’il arrive aux os des animaux, ou aux branches des arbres que l’on prend soin d’arrêter avec un bandage. Cela étant, il semble que l’on ne puisse pas douter qu’il n’y ait des pierres organisées. Elles ne sçauroient tirer leur suc nourricier que de la terre. Ce suc doit être filtré dans leur superficie, que l’on peut regarder comme une espèce d’écorce, & delà il doit être porté sur la surface de cette roche du fond de ses racines ; & il n’y a pas plus de difficulté de le concevoir, qu’il y en a de comprendre comment la seve passe des racines de nos plus grands chênes & de nos sapins jusqu’à l’extrémité de leurs plus hautes branches. […] Je ne crois pas que personne puisse s’aviser de nier que les coquilles ne croissent aussi par le secours d’un suc nourricier. Cependant ce suc nourricier, ainsi que celui qui nourrit tous les corps durs dont on vient de parler, est aussi bien porté dans les tuyaux

98. Ibid., p. 20-21. 99. « Description du Labirinthe de Candie, Avec quelques observations sur l’acroissement et sur la generation des pierres. Par M. Tournefort », Mémoires de l’Académie Royale des Sciences, année 1702, p. 217-234. 100. Ibid., p. 221.

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de ces sortes de corps, quelques resserez qu’ils soient, que dans ceux des plantes qui sont beaucoup moins dures101.

De la vie végétative des pierres comparée à celle des plantes, Tournefort en vient à formuler l’idée que les pierres se reproduisent comme les plantes : L’on ne sçauroit donc douter que certaines pierres ne se nourrissent de même que les plantes. Peut-être qu’elles se multiplient aussi de la même manière. Au moins nous avons plusieurs pierres dont on ne sçauroit comprendre la génération, sans supposer qu’elles viennent d’une espèce de semence, s’il m’est permis de me servir de ce terme ; c’est à dire, d’un germe dans lequel les parties organiques de ces pierres sont renfermées en petit, ainsi que celles des plus grandes plantes le sont dans les germes de leurs graines102.

On retrouve la théorie familière de la préexistence des germes. Méconnaissant totalement Sténon, ne considérant même pas pour la réfuter l’hypothèse que les fossiles puissent être des restes d’êtres vivants, Tournefort s’en tient au fait qu’il n’a jamais trouvé de moules ayant servi à former les coquilles fossiles : Comment comprendre que la corne d’ammon, qui constamment a la figure d’une volute, puisse se former sans un germe qui renferme en petit la même structure ? Qui est-ce qui l’auroit moulée si proprement ? Où se trouvent ces moules ? Bien loin delà, ces sortes de pierres se rencontrent dans la terre comme les autres cailloux. Quelque recherche que j’aye pu faire faire en Provence, en Poitou & en Normandie où ces pierres sont assez communes, on n’a jamais trouvé ni moules, ni rien d’approchant103.

Si certains fossiles sont produits par des germes spécifiques, d’autres coquilles ou poissons fossiles peuvent provenir de la semence des êtres vivants correspondants : Les germes des véritables pierres se trouvent renfermez aussi dans le frai de certaines coquilles, de même que cette matière dure & solide qui est destinée pour faire le logement de ces poissons. […] Quoiqu’il en soit, les germes des uns & des autres renferment aussi bien la matière de leur coque, quelque épaisse & dure qu’elle devienne dans la suite, que le germe de la semence d’un Eléphant renferme ces ossements si durs & si lourds. […] Cependant il n’est pas concevable que ces poissons soient venus de dehors se creuser leur niche. Il y a bien plus d’apparence que les pierres dans lesquelles ils sont enfermez ont été mollasses dans un certain temps, & que cette espèce de gelée par où ils ont commencé se soit trouvée dans le frai, de même que la matière qui devient ensuite la coque de l’œuf se trouve véritablement dans le germe »104.

Ignorant la réfutation magistrale opérée trente ans plus tôt par Agostino Scilla et ses arguments caustiques, Tournefort soutient la croissance des métaux comme celle des pierres : « Ce que l’on vient de dire touchant la génération des pierres peut s’étendre sur les métaux. Il est assez vraisemblable que ces sortes de corps se multiplient aussi par des germes particuliers »105. Mais Tournefort va plus loin, abolissant la séparation entre le règne minéral et les règnes animal et végétal, il fait des minéraux des êtres vivants qui vivent, meurent et se reproduisent (il cite même Saint Grégoire

101. Ibid., p. 222-223. 102. Ibid., p. 223. 103. Ibid., p. 223-224. 104. Ibid., p. 232-233. 105. Ibid., p. 230.

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de Nazianze qui « assure qu’il y a eu des Auteurs qui ont pensé que les pierres faisoient l’amour » !) : il me semble qu’on peut supposer que le germe des pierres & des métaux est une espèce de poudre qui peut-être se détache des pierres & des métaux dans le temps qu’ils sont encore en vie, c’est-à-dire qu’il croissent, comme nous avons fait voir qu’il y en avoit qui croissoient véritablement. On peut comparer cette poussière que nous appellons les germes des pierres aux semences de plusieurs plantes : Les semences des Fougères, des Capillaires, des Mousses, des Trufles & de plantes semblables ne se peuvent découvrir qu’avec le microscope106.

Tournefort généralise aux minéraux la doctrine de la préexistence des germes. Pour lui, cette généralisation dans les productions de tous les corps ne peut que manifester la grandeur de Dieu : Combien voit-on des œufs de poissons qui sont aussi menus que des grains de sable ? Les Physiciens pourtant sont persuadez que les poissons entiers sont renfermez en miniature dans les germes de ces grains de sable, & que toutes les parties qui sont dessinées dans un espace qui échape à notre imagination, ne font que se développer & se rendre sensibles par un suc qui les dilate. Il ne s’agit donc ici que du plus au moins. Qui est-ce qui peut douter que l’Auteur de la nature qui a renfermé dans le germe d’un œuf d’un quart de ligne de volume le poisson Narwal, que l’on appelle Licorne de mer, & qui a plus de 20 pieds de long, n’ait pu renfermer un banc de pierre dans un germe de la grosseur d’un grain de sable ? Rien ne manifeste plus la grandeur du Seigneur que cette simplicité & cette uniformité qui se trouvent dans les productions de tous les corps. Quoi de plus admirable que de voir sortir d’un si petit volume, hommes, poissons, oiseaux, quadrupèdes, reptiles, plantes, pierres, métaux ? Puisqu’il y a des pierres qui croissent incontestablement par un principe intérieur, qui ne dépend que d’une organisation particulière, qui reçoit & qui distribue le suc que la terre qui est la mère commune de toutes les créatures leur fournit ; pourquoi n’admettra-t-on pas ce même principe dans les autres fossiles107 ?

Tournefort en vient même à postuler que les montagnes elles-mêmes sont produites par des germes, responsables de l’orogenèse : Ces effroyables masses de rochers sont composées d’une infinité de blocs séparez le plus souvent en d’autres pièces, qui ont été produites par autant de germes particuliers, ou peut-être par plusieurs germes qui se sont confondus les uns avec les autres en se dilatant.

En 1669, Sténon s’était cru obligé de dénoncer de telles naïvetés, et d’affirmer que les montagnes « ne poussent pas à la manière des végétaux », ou que leurs rochers « n’ont rien de commun avec les os des animaux108. Devant le système « hardi et paradoxal » de Tournefort, Fontenelle, qui se sent alors peu compétent en matière de sciences naturelles, reste réservé. Il s’interroge : « Mais à ce conte les Pierres se nourriroient par un suc qui leur viendroit du dedans, & en un mot elles végéteroient comme les Plantes, & comme les Animaux ? C’est la conséquence que M. Tournefort tire de ce fait extraordinaire, & elle appuie un

106. Ibid., p. 233. 107. Ibid., p. 233-234. 108. N. STÉNON, De solido intrasolidum naturaliter contento dissertationis Prodromus, op. cit., p. 34.

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système qu’il avoit déjà proposé, hardi & paradoxe jusqu’à présent »109. Mais il ajoute « mais ceux qui sont aujourd’hui les plus reçus, n’ont-il pas commencé par là ? »110. Il conclut de manière non définitive : « Nous pouvons seulement avancer en faveur de ce système, qu’on ne sçauroit guère attribuer à la Nature trop d’uniformité dans les Règles générales, & trop de diversité dans les applications particulières »111. Les idées de Tournefort ne représentent pas bien sûr les opinions de l’ensemble des académiciens, il suffit de se rappeler la communication faite en 1698 par de la Hire qui rend hommage aux travaux d’Agostino Scilla. L’Académie semble par ailleurs n’avoir jamais accepté la thèse des jeux de la nature. Fontenelle rapporte ainsi qu’en 1688, de la Hire a fait voir une dent de Carcaria trouvée près de Lohan, à 4 lieues de Paris, en relevant que les eaux de cet endroit sont pétrifiantes. Et à la suite, il écrit que « M. Sedileau a dit à cette occasion, qu’on avoit trouvé proche Maintenon un tronc de Saule pétrifié à 18 pieds dans terre ; on y remarquoit sensiblement les différentes couches de pétrification »112. En 1692, de la Hire présente encore à la compagnie un tronc de palmier pétrifié, et démontre « que cette pétrification n’est point un jeu de la nature qui ait imité dans une pierre la figure d’un tronc d’arbre »113. En 1703, Fontenelle raconte que Maraldi ayant rapporté des pierres fossiles d’Italie : Il s’est rencontré heureusement qu’en fendant la plupart de celles qui contenoient un Poisson pétrifié, il a été fendu par la moitié de son épaisseur, de sorte que les deux parties en sont très aisées à reconnoître. Il semble qu’elles soient imprimées comme dans un moule. Tout l’extérieur du corps de l’animal est très exactement marqué, & il n’y a nul lieu de douter que ce ne soient de véritables Poissons qu’a enveloppés un sable qui s’est ensuite pétrifié114.

Plus loin il ajoute d’ailleurs, mais à propos de ceux qui considèrent les monstres comme des jeux de la nature, que « les Philosophes sont très persuadés que la Nature ne se joue point, qu’elle suit toujours inviolablement les mêmes Règles, & que tous ses ouvrages sont, pour ainsi dire, également sérieux »115. Toutefois, Fontenelle s’interroge : « qui peut avoir porté ces Poissons & ces Coquillages dans les Terres, & jusques sur le haut des Montagnes ? » Il envisage tout de même la possibilité d’une origine séminale parallèlement à une véritable origine organique. Pour lui, il est vraisemblable qu’il y a des poissons souterrains comme des eaux souterraines, et ces eaux s’élevant en vapeurs, « emportent peut-être avec elles des Œufs & des semences très légères, après quoi lorsqu’elles se condensent & se remettent en eau, ces œufs y peuvent éclorre, & devenir Poissons ou Coquillages ». Mais il ajoute « Que si ces courants d’eau déjà élevés beaucoup au-dessus du niveau de la Mer, & peut-être jusqu’au haut des Montagnes, viennent par quelque accident ou à tarir, ou à prendre un autre cours entre des sables, enfin à abandonner de quelque manière que ce soit les Animaux qui

109. Histoire de l’Académie Royale des Sciences, année 1702, p. 51-52. 110. Ibid. 111. Ibid. 112. FONTENELLE, Histoire de l’Académie Royale des Sciences, t. II : Depuis 1686 jusqu’à son Renouvellement en 1699, Paris 1733, p. 43. 113. « Description d’un tronc de palmier pétrifié, & quelques réflexions sur cette pétrification. Par M. DE LA HIRE », Mémoires de l’Académie Royale des Sciences. Depuis 1666 jusqu’à 1699, t. X, Paris, 1730, « 31 juin 1692 », p. 140-143. 114. Histoire de l’Académie Royale des Sciences, année 1703, p. 22-24. 115. Ibid., p. 28.

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s’y nourrissoient, ils demeureront à sec, & enveloppés dans des terres, qui en se pétrifiant les pétrifieront aussi »116. À la suite de la communication faite à l’Académie du mémoire sur la génération des pierres, Fontenelle n’avait pas trop osé se prononcer. Mais assez vite, il est persuadé définitivement que les fossiles ne peuvent être que des restes d’êtres vivants. Ainsi, en 1705, le secrétaire perpétuel de l’Académie raconte que Delisle a trouvé en Anjou « de ces prétendues Langues de Serpent pétrifiées que l’on trouve à Malte, & qui sont en effet des dents du poisson Carcharias pétrifiées »117. En 1706, Fontenelle résume un manuscrit de Leibniz, en faisant siennes les opinions de l’auteur sur le séjour ancien de la mer, l’origine organique des fossiles et le rejet catégorique des « jeux de la nature » : Plusieurs Auteurs ont appellé ces sortes de représentations de Poissons ou de plantes dans des Pierres, Jeux de la Nature ; mais c’est là une pure idée Poétique, dont un Philosophe tel que M. Leibnits ne s’accomode pas. Si la Nature se jouoit, elle joueroit avec plus de liberté, elle ne s’assujettiroit pas à exprimer si exactement les plus petits traits des Originaux, &, ce qui est encore plus remarquable, à conserver si juste leurs dimensions118.

Néanmoins, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, de nombreux auteurs dans toute l’Europe admettent encore la génération dans le sol des « corps figurés ». En 1679, le jésuite Balbin soutient même que des urnes protohistoriques sont l’œuvre spontanée de la nature119. En Angleterre, dans une lettre adressée à John Ray le 10 mars 1698, Edward Lhwyd postule la génération des fossiles à partir de semences120. Il affirme que la pénétration dans la terre des semences est possible et qu’elle aboutit à la croissance dans le sol d’êtres voués à se fossiliser. Ainsi le frai des poissons a pu s’infiltrer par les méats de la terre avec l’eau du Déluge jusqu’au sein des couches. Ou bien encore, les exhalaisons marines qui retombent à terre y apportent des animalcules issus de la semence des animaux marins. Dans ses dernières lettres à Lhwyd, Ray lui réitéra sa propre opinion que les fossiles étaient des restes d’êtres vivants et que les strates dans lesquelles ils étaient trouvés furent autrefois les sédiments d’inondations terrestres ou maritimes121. Les thèses de Tournefort et de Lhwyd se rejoignent sur la génération de fossiles à partir de semences d’êtres vivants. Cependant, Tournefort va bien plus loin en assimilant le règne minéral au monde vivant et en lui octroyant la capacité de se reproduire, ce que ne fait pas Lhwyd. Tournefort généralise la théorie de la préexistence des germes au monde minéral. Mais, à la suite de la disparition de Tournefort en 1708, sa théorie restera pratiquement sans lendemain.

116. Ibid., p. 23-24. 117. Histoire de l’Académie Royale des Sciences, année 1705, p. 35. 118. Histoire de l’Académie Royale des Sciences, année 1706, p. 11. 119. B. BALBINUS, Miscellanea historia regni Bohemiae, vol. 1, Prague 1679. Voir en particulier son chap. XLIX, p. 113-115. 120. Cette lettre est reproduite en entier et traduite en anglais dans J. RAY, Three Physico-theological Discourses, Londres 17133, p. 175-203. 121. Cf. notice biographique d’Edward Lhwyd (1660-1709) dans C. C. GILLISPIE (éd.), Dictionary of scientific biography, vol. 8, op. cit., p. 307-308.

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VII. Joann-Jakob Scheuchzer Le médecin et naturaliste zurichois, Johann-Jakob Scheuchzer (1672-1733)122, considéré comme l’un des pionniers de la paléontologie, fut convaincu par les thèses sur l’origine organique des fossiles soutenues par l’anglais John Woodward en lisant son livre sur l’histoire naturelle de la Terre123. Grand ami de Woodward et adhérant totalement à ses idées, Scheuchzer traduisit son ouvrage en latin en 1704, permettant ainsi la diffusion en Europe des thèses de Woodward. Le naturaliste suisse insiste encore plus que son ami sur les fossiles, authentiques reliques du Déluge, dont l’origine organique ne fait donc pas de doute. En janvier 1709, le Journal des savants présente un compte rendu des Piscium Querelae, et Vindiciae Expositae de Scheuchzer124. L’auteur y défend l’origine organique des fossiles, témoins du Déluge. Le journaliste pose d’emblée le problème de la nature des fossiles, tout en montrant les buts apologétiques suivis par l’auteur : Les Philosophes n’ont pas encore bien défini ce que c’est que ces figures de Poissons, regulièrement marquées sur certaines pierres qui se trouvent quelquefois dans la terre, & qu’on voit dans les cabinets de quelques Curieux. Les uns prétendent que ce sont des traits du hazard ; les autres, des restes de Poissons, qui s’étant desséchés sur ces pierres y ont laissé leurs vestiges. M. Scheuchzer examine ici les deux sentiments ; & décidant en faveur du second, il travaille à confondre les Epicuriens, qui attribuent tout au hazard, & à établir la vérité du Déluge universel125.

Plus loin le journaliste a relevé les paroles que Scheuchzer met dans la bouche des poissons : Que les Athées, que les Epicuriens élèvent ici leur voix, nous prétendons, nous qui passons pour muets, les rendre muets eux-mêmes, & leur fermer la bouche »126

Scheuchzer utilise un argument commun à ceux qui postulent l’origine organique des fossiles et il se sert de leur localisation, dans les montagnes, loin de la mer pour justifier la cause du Déluge : « Il fait d’abord voir que quelques-unes de ces figures sont trop régulières & trop naturelles, pour n’être pas des vestiges de Poissons qui ayent eu vie ; & il observe ensuite que plusieurs de ces pierres ont été trouvées dans les lieux où il n’y a jamais pu avoir de Poissons, à moins qu’on ne suppose qu’ils y ayent été portés par les inondations d’un Déluge universel127.

122. Voir sa notice biographique dans C. C. GILLISPIE (éd.), Dictionary of scientific biography, vol. 12, op. cit., p. 159. 123. J. WOODWARD, An Essay toward a Natural History of the Earth : and Terrestrial Bodies, Especially Minerals : As also of the Sea, Rivers, and Springs. With an Account of the Universal Deluge : And of the Effects that it had upon the Earth, Londres 1695. L’ouvrage connut une édition française en 1735 : Géographie physique ou Essay sur l’Histoire naturelle de la Terre, Paris 1735. 124. « Piscium querelæ, et vindiciæ expositæ à Johanne Jacobo Scheuchzero Medecinæ Doct. Acad. Leopoldin. & Societatum Regg. Anglicæ ac Prussicæ Membr. Tiguri, sumptibus Autoris, typis Gessnerianis. 1708. C’est-à-dire : Les plaintes des Poissons, & leur Rétablissement dans leurs Droits. Par Jean-Jacques Scheuchzer, Docteur en Medecine. A Zurich, aux dépens de l’Auteur, de l’Imprimerie de Gesner. 1708. Vol. in 4°, pag. 36 », Journal des savants, 7 janvier 1709, p. 9-13 (8-12). 125. Ibid. 126. Ibid. 127. Ibid.

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Le journaliste cite à plaisir les arguments de Scheuchzer qui condamnent les jeux de la nature : Venez ici, Partisans de cet Archée souterrain, à qui vous faites fabriquer tout ce qu’il vous plaît : n’est-ce pas ici le corps d’un véritable brochet ; examinez-en la grandeur & les proportions ; voyez si toutes les parties n’y sont pas en leur place ? Venez, Manichéens, venez Epicuriens ; faites valoir tant qu’il vous plaira les loix du mouvement : comment prouverez-vous qu’un assemblage si juste soit une ébauche de brochet, produite par le concours fortuit d’un amas d’atomes ? Et vous, Philosophe, qui ne reconnoissez d’autres causes dans la nature, que certaines idées que vous ne sçauriez définir, & que vous faites voltiger partout ; dites-nous, comment l’idée de brochet a pu s’étendre si bien entre des pierres posées immédiatement les unes sur les autres ; comment elle y a pu disposer avec tant d’ordre, toutes les parties d’un poisson128.

À l’égard des jeux de la nature, la position du Journal des savants est donc similaire à celle de l’Académie, le hasard ne saurait être responsable de l’existence de fossiles. Mais une origine séminale ou purement physico-chimique n’est pas plus acceptable. Scheuchzer condamne les solutions proposées par des hommes comme Lister, Plot ou Lhwyd : Pour vous, qui supposez la Panspermie, & qui faites auteurs de toutes choses, certains sels actifs, capables, dites-vous, de toutes sortes de formes ; montrez-nous quel est donc ce trésor inépuisable ? Quels sont ces sels capables de produire ainsi tout ce qui se voit dans la nature. Nous en appellons à ceux d’entre les mortels, à qui il reste seulement un peu de raison, & nous leur demandons, si le squelet dont il s’agit, n’est pas véritablement le squelet d’un brochet qui ait eu vie : s’il faut chercher ailleurs que dans quelque inondation la raison pourquoy des Poissons s’engagent entre des pierres sur des lieux élevez ; et si une autre inondation que celle d’un Déluge universel, a pu ensevelir celui-ci dans la carrière où il a été trouvé129.

Scheuchzer n’oublie pas que l’un des arguments employés par les opposants à la thèse de l’origine organique des fossiles est la difficulté à expliquer la présence des fossiles marins dans les montagnes, loin de la mer. Cependant il ne se contente pas de proposer le Déluge comme une solution, mais comme l’unique agent responsable, il n’admet pas d’autres causes concourantes possibles, contrairement à d’autres auteurs moins catégoriques. Malgré son apparent soutien, le journaliste semble parfois garder une certaine distance avec l’opinion de Scheuchzer : « Ceux qui nient que ces figures soient des restes de véritables Poissons, attribuent par là au règne minéral, ce qui, selon M. Scheuchzer, appartient uniquement au règne animal, qui est le plus noble »130. Dans les Mémoires de Trévoux de 1709, le rédacteur fournit à Scheuchzer un appui moins discret, il n’hésite pas à qualifier ses idées de plus raisonnables et de mieux fondées par rapport à celles du naturaliste suisse Karl Nikolaus Lang (1670-1741)131, partisan de l’origine séminale des fossiles :

128. Ibid. 129. Ibid. 130. Ibid. 131. Voir sa notice biographique dans C. C. GILLISPIE (éd.), Dictionary of scientific biography, vol. 8, op. cit., p. 4.

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De Suisse. Deux medecins fameux de ce pays viennent d’écrire sur des pierres figurées qu’on trouve dans nos montagnes, & qui paroissent être des carcasses, des dents, des os de poissons, des coquillages. Mr. Langius a eu recours à la Philosophie Epicurienne pour expliquer ce phenomene. Il suppose je ne sçai quels spectres de poissons, & de coquilles, repandus dans l’air, qui retombant dans les entrailles de la terre y donnent aux pierres ces figures extraordinaires. Mr. Cheutzer a suivi des idées plus raisonnables & mieux fondées. Il croit que ce sont des restes du Deluge universel de poissons pétrifiés, ou du moins des terres pétrifiées où des poissons ont laissé leurs vestiges. Son livre est intitulé, Piscium querelae & vindiciae132.

Mais le Journal des savants n’ignore pas les buts apologétiques affichés par l’ouvrage. Les poissons, témoins du Déluge, font taire les athées et les épicuriens : « Nous prétendons rétablir la gloire des Poissons nos Confreres, qui sont morts dans le Déluge ; &, ce qui est de plus considérable, donner des témoignages invincibles de la vérité du Déluge universel. Que les Athées, que les Epicuriens élèvent ici leur voix, nous prétendons, nous qui passons pour muet, les rendre muets eux-mêmes, & leur fermer la bouche »133. C’est évidemment sur l’aspect apologétique que les Mémoires de Trévoux se focalisent dans le compte rendu qu’elles font de l’ouvrage en 1713 (voir texte encadré). Mémoires de Trévoux de Janvier 1713 – Article V (p. 66-68) : « PISCIUM QUERELAE & Vindiciae expositae à Joanne Jacobo Scheuchzero Medico. C’est-à-dire, Plaintes & Justification des poissons, par Jean Jacques Scheuchzer Medecin. A Zurich, 1708, in 4°, pag. 36 & cinq planches » Voici un autre fameux Medecin de Suisse très connu des gens de Lettres, qui a du goût pour les pierres figurées. Il ne nomme pas Mr. Langius, mais on ne peut douter qu’il ne le réfute. Il a donné à la dispute un tour agréable & ingénieux ; il fait parler les poissons, tout muets qu’ils sont, & il les fait parler avec beaucoup de feu. Ils se plaignent qu’on ne veuille pas reconnoître dans ces pierres les cadavres de leurs ancêtres qui ont péri dans le déluge universel. C’est dans le bouleversement affreux de la terre toute détrempée, & toute pénétrée des eaux du déluge, que les squelettes enfoncez dans ses entrailles se sont mêlez à la matière des pierres, ils se sont ensuite aisément pétrifiez avec elle. Les poissons s’emportent, & traitent avec le dernier mépris les Epicuriens, qui croyent que les vapeurs subtiles, des semences répandues dans l’air, je ne sçai quel Archée, je ne sçai quelles formes plastiques, le hazard seul enfin, suffisent pour donner aux pierres des figures si régulières, & qui conserve tout le merveilleux de la structure des animaux. Ils se mocquent sur tout de celui qui a été chercher dans l’air des poissons, pour les enfermer après dans les pierres ; ils produisent un grand brochet & beaucoup de grands poissons pierres, dont on ne peut attribuer la structure qu’à la souveraine Intelligence, qui a formé les animaux. Voilà des poissons aussi judicieux qu’éloquens. Au reste, ils ne sont pas les Physiciens : contens de prouver le fait, ils laissent à des hommes d’esprit, tels Mr. De Moralec, le soin d’en apporter les raisons. S’ils ne sont pas Physiciens, ils sont Prédicateurs, & ils exhortent les Princes & les personnes curieuses à ramasser dans leurs cabinets ces restes du monde ravagé par le déluge, comme autant de monumens de la colère de Dieu.

132. Mémoires de Trévoux d’Avril 1709, p. 729. 133. Journal des savants, 7 janvier 1709, op. cit.

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Alors qu’elles encensent Scheuchzer, les Mémoires de Trévoux critiquent en revanche sans ambages les idées de Lang, qui ose même reprendre à son compte la génération des pierres postulée par Tournefort : Les semences des poissons, sont, dit-il, portées dans les montagnes par les sources qui viennent de la mer, celles des insectes & les graines des arbres & des plantes, y sont portées par la pluye. Cette supposition ne lève pas la difficulté, ce ne sont pas des boutons de plantes, des embryons de poissons, qui paroissent sur les pierres, ce sont de grands poissons, des plantes entières. Comme l’Auteur sent bien la foiblesse de cette conjecture, il a recours à une autre aussi foible. Les vapeurs sulphureuses exhalées des corps conservent leur figure, dit-il, il s’en trouve d’embarrassées dans la matière des pierres, qui leur donne les figures qu’on y remarque. Peu content de ce nouveau système, il avance timidement que le hazard seul produit ces figures, par la diverse situation que les parties sulphureuses gardent dans la pierre qui se forment ; il insinue même que les pierres viennent de semences particulières, & que ce sont des vegetaux134.

Les Mémoires de Trévoux sont tout aussi élogieuses à l’égard de l’Herbarium Diluvianum (Zurich, 1709) de Scheuchzer. C’est surtout la possibilité de prouver l’universalité du Déluge qui retient l’attention du rédacteur. Celui-ci met clairement en avant l’intérêt apologétique de l’ouvrage (« la nature vient heureusement au secours de l’Ecriture ») : Monsieur Scheuchzer, qui a pû donner de l’éloquence aux poissons, parle ici lui-même en Philosophe & en Chrétien. Nôtre siècle, dit-il, a donné un grand éclat, & même une grande perfection aux Sciences ; mais, par je ne sçai quel malheur, l’impieté a fait aussi de grand progrès ; la curiosité indiscrete excitée par l’éclat où sont les Sciences, le faux sçavoir, ont fort avancé ce progrès de l’impieté : c’est aux vrais Sçavans d’opposer les connoissances solides aux connoissances superficielles, la vérité à l’impieté. Rien n’a été sacré pour les Critiques temeraires : ils ont osé nier l’universalité du déluge, si clairement marquée dans l’Ecriture, la nature vient heureusement au secours de l’Ecriture, & la terre ouvre son sein, pour en faire sortir des preuves de l’universalité du déluge, dans ce grand nombre d’animaux & de plantes pétrifiées qu’on découvre tous les jours135.

À la fin de sa relation, le rédacteur signale les liens qui unissent Scheuchzer à Woodward et qui constituent un appui pour l’auteur : Mr. Scheuchzer parle avec de grands éloges de la Geographie physique de Mr. Vodvard, Sçavant Anglois, pleine de recherches sur les effets du déluge. Mr. Vodvard est parfaitement d’accord avec Monsieur Scheuchzer sur les poissons & les plantes pétrifiées ; Mr. Scheuchzer a traduit en Latin le livre de Mr. Vodvard136.

134. « Caroli-Nicolai Langii Lucernensis Helvetii Philosophi & Medici historia lapidum figuratorum Helvetiae ejusque viciniae. C’est-à-dire, Histoire des pierres figurées de la Suisse & des païs voisins, par Charles-Nicolas Langius de Lucerne en Suisse, Medecin & Philosophe. A Venise in 4°. pages 192, avec 54 planches », Mémoires de Trévoux de Janvier 1713, Article IV, p. 63-66. 135. « Herbarium Antediluvianum collectum à Joanne Jacobo Scheuchzero Med. D. & Mathes. Professore Tigurino. C’est-à-dire, Plantes plus anciennes que le déluge, rassemblées par Jean Jacques Scheuchzer Docteur en Médecine & Professeur de Mathématiques à Zurich, membre des Academies de Breslau, de Berlin, & de la societé Royale de Londres. A Zurich, imprimé par David Gesner 1709. In folio, pag. 44. Dix planches », Mémoires de Trévoux de Janvier 1713, Article VI, p. 68-76. 136. Ibid.

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En 1710, le Journal présente également un compte rendu de l’Herbarium Diluvianum de Scheuchzer : Voici un Ouvrage où il fait à l’égard des Plantes, ce qu’il a fait dans l’autre à l’égard des Poissons. Il soutient que certaines figures de Plantes marquées sur des pierres qui ont été trouvées dans des Carrière, sont des restes du Déluge universel, & il le prouve en remarquant que les lieux où ces Pierres dont il s’agit ont été trouvées, n’ont pu produire les plantes qui sont représentées sur ces pierres137.

Contrairement aux Mémoires de Trévoux, le Journal ne s’intéresse pas à l’intérêt apologétique de l’ouvrage. Le journaliste ne s’y montre pas sensible. Comparés aux Mémoires de Trévoux, certains commentaires du Journal peuvent même sembler quelque peu dubitatifs, voire insidieux : « L’Auteur rapporte plusieurs exemples, qu’il croit être autant d’effets du Déluge universel ». En 1715, le Journal des savants présentera un compte rendu d’une réédition latine de l’histoire naturelle de John Woodward, augmentée des réponses de l’auteur à son opposant, Camerarius138. En fait, la relation du Journal se concentre essentiellement sur la controverse entre Camerarius et Woodward. Camerarius, un auteur allemand de Tübingen, avait publié en 1712 ses Dissertationes Taurinensis où il défendait la génération spontanée minérale et attaquait les thèses de Woodward. Le Journal des savants défend sans ambiguité la thèse de l’origine organique des fossiles et prend parti pour Woodward (voir texte encadré ci-après). Tout au long de son compte rendu, le journaliste soutient sans faillir Woodward dans sa défense de l’origine organique des fossiles. Il rapporte par ailleurs fidèlement les réponses de Woodward aux objections de Camerarius, y compris celles qui concernent les effets que Woodward prête au Déluge. Cependant, le journaliste qualifie « d’hypothèse » les bouleversements attribués au Déluge par Woodward, lorsque que ce dernier affirme que les tempêtes les plus violentes n’ont pu arracher les cornes d’Ammon (c’est-à-dire des Ammonites) du fond de la mer, « mais que dans le bouleversement du globe terrestre arrivé par le Déluge (suivant l’hypothèse de M. Woodward) les cornes d’Ammon, ainsi que mille autres productions de la mer, ont pu être portées du fond des eaux dans les lieux où elles se trouvent, c’est-à-dire au sommet des plus hautes montagnes, & dans les mines les plus profondes »139. Le journaliste est convaincu de l’origine organique des fossiles mais il n’adhère pas à la thèse qui voudrait que le Déluge explique la présence des fossiles sur les sommets des montagnes.

137. « Herbarium Diluvianum, Collectum à Joanne Jacobo Scheuchzero, Med. D. Mathes. Præs. Tigurino. Academ. Leopoldin. Socc. Reg. Anglicæ ac Prussicæ Membro. Tiguri litteris Davidis Gesneri. 1709. C’està-dire, L’Herbier du Déluge, recueilli par Jean-Jacques Scheuchzer. A Zurich, de l’Imprimerie de David Gesner. 1709. vol. in fol. p. 44 », Journal des savants, 1er septembre 1710, p. 557-559 (504-505). 138. « Johannis Woodwardi, Med. in Coll. Greshamensi Prof. &c. naturalis historia Telluris illustrata & aucta. Una cum ejusdem defensione ; præsertim contra nuperas objectiones D. El. Camerarii Med. Prof. Tubingensis. Ad illustrissimum & nobilissimum virum Thomam Pembrochiæ Comitem, &c. Accedit methodica & ad ipsam Naturæ normam instituta Fossilium in classes distributio. Londini, Typis J. M. impensis R. Wilkin, ad insigne Capitis Regis in cœmeterio Divi Pauli, & Is. Vaillant, Bibliopol. Roterodami. 1714. C’est-à-dire : Histoire naturelle de la Terre, éclaircie, augmentée, & deffendue, principalement contre les nouvelles objections de M. El. Camerarius, &c. Par Jean Woodward, &c. A Londres, de l’Imprimerie de J. M. & aux frais de R. Wilkin & d’Is. Vaillant, &c. in 8°. p. 105 », Journal des savants, 14 janvier 1715 (n° 2), p. 17-26. 139. Ibid.

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« Johannis Woodwardi, Med. in Coll. Greshamensi Prof. &c. naturalis historia Telluris illustrata & aucta. Una cum ejusdem defensione ; præsertim contra nuperas objectiones D. El. Camerarii Med. Prof. Tubingensis. Ad illustrissimum & nobilissimum virum Thomam Pembrochiæ Comitem, &c. Accedit methodica & ad ipsam Naturæ normam instituta Fossilium in classes distributio. Londini, Typis J. M. impensis R. Wilkin, ad insigne Capitis Regis in cœmeterio Divi Pauli, & Is. Vaillant, Bibliopol. Roterodami. 1714. C’est-à-dire : Histoire naturelle de la Terre, éclaircie, augmentée, & deffendue, principalement contre les nouvelles objections de M. El. Camerarius, &c. Par Jean Woodward, &c. A Londres, de l’Imprimerie de J. M. & aux frais de R. Wilkin & d’Is. Vaillant, &c. in 8°. pp. 105. », Journal des savants du 14 janvier 1715 (n° II), p. 17-26. Il y a plusieurs années, que M. Woodward publia en Anglois son Histoire de la Terre ; & peu de temps après, c’est-à-dire en 1704. M. Jean-Jacques Scheuchzer, Professeur de Mathématique à Zurich, traduisit en Latin cet Ouvrage, & le mit au jour dans cette même ville, sous le titre de Geographia Physica. Les idées nouvelles & singulières que l’Auteur proposoit dans ce Traité, & qui furent adoptées par de très habiles Naturalistes, ne laissèrent pas de luy susciter des censeurs, dont les objections, quoi que vives, ne luy parurent pas néanmoins assez solidement fondées, pour mériter des réponses particulières ; sans compter qu’étant naturellement d’une humeur peu contentieuse, il a (dit-il) beaucoup d’éloignement pour tout ce qui s’appelle Ecrits Polémiques. Cependant, les Dissertations de M. Camerarius Médecin de Tubinge, imprimées en 1712, in 8°, ont enfin déterminé M. Woodward à rompre le silence qu’il avoit gardé jusqu’à présent ; & il le fait ici de telle manière, qu’en répondant aux objections de ce dernier assaillant, il satisfait en même temps à celles de tous ses autres adversaires. Car il avoue, que telle est l’exactitude & la sagacité de M. Camerarius, qu’outre qu’il fournit de son propre fond des difficultez spécieuses, il ne luy est échappé aucune de celles que les premiers avoient le plus fait valoir. Du reste, ces réponses de M. Woodward sont d’autant plus dignes de l’attention du Public, qu’en y confirmant ses premières hypothèses, il prend occasion d’en établir de nouvelles, qui ne sont pas d’une moindre importance. C’est de quoi nous allons donner une idée. […]

Du côté de l’Académie, Fontenelle écarte discrètement la solution du Déluge de la scène scientifique. En 1706, il fait sienne l’opinion de Leibniz qui « croit que la Mer a presque tout couvert autrefois, & qu’ensuite une grande partie de ses eaux se sont fait passage pour entrer dans des abismes creux, qui sont au dedans de nôtre Globe. De-là viennent les Coquillages des Montagnes »140. La découverte d’une plante fossile des Indes posant problème, il ajoute : « Il est aisé d’imaginer plusieurs accidents par lesquels une Plante aura été apportée des Indes en Allemagne »141. Il ne parle pas du Déluge mais emploie le terme au pluriel d’ ‘‘accidents’’. En 1707, lorsqu’il rapporte les observations de Saulmon en Picardie, il appuie de toute son autorité morale la thèse actualiste des déplacements lents des rivages, cumulés au cours des longues durées, thèse contraire à l’Écriture pour certains. Fontenelle s’avance même à calculer des données chiffrées, comme le recul récent de la falaise du Tréport est de

140. Histoire de l’Académie Royale des Sciences, 1706, p. 11. 141. Ibid.

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16 pieds en 30 ans, « en supposant qu’elle [la mer] avance toujours également, elle mineroit 1000 toises ou une petite demi-lieue de Moëlon en 12000 ans. Il est constant par les Histoires, qu’en une infinité d’endroits la Mer s’est avancée ou retirée, & qu’en général elle a un mouvement, mais fort lent, pour changer ses premières bornes »142. Sans nier le Déluge, celui-ci n’est plus la seule explication des fossiles143. En 1710, il dit à propos de Johann Scheuchzer que, pour expliquer les coquillages pétrifiés, il « a recours à son Hypothèse du Déluge déjà expliquée dans l’Hist. de 1708, & qui lui est commune sur ces sortes de sujets avec M. son frère »144. On remarquera l’emploi du terme ‘‘Hypothèse du Déluge’’. À la suite, il écrit : « Si ce que nous avons rapporté d’après M. Saulmon dans l’Hist. de 1707 ne demande pas absolument cette même hypothèse, du moins faut-il qu’une partie considérable de ce qui est aujourd’hui Terre, ait été Mer autrefois »145. L’emploi du terme « partie » remet en cause l’universalité du Déluge. Enfin, cette même année 1710, lorsqu’il commente l’Herbarium Diluvanium de Johann-Jakob Scheuchzer, il parle de « l’étrange bouleversement que le Déluge a dû causer sur la surface de la Terre »146. Le terme « étrange » pourrait dissimuler une ironie. Plus loin, lorsqu’il parle des fossiles comme de « nouvelles espèce de Médailles », il se garde bien de les qualifier de « médailles du Déluge », comme certains lui ont fait dire147. On pourrait être tenté de rapprocher les positions de Fontenelle et l’attitude adoptée à l’égard des œuvres de Scheuchzer par le Journal des savants, alors dirigé par l’abbé Bignon, membre de l’Académie royale des sciences148. Le journaliste suit totalement Scheuchzer dans son combat contre la conception des jeux de la nature, par contre on peut percevoir quelques réticences de sa part pour suivre Scheuchzer dans les « effets du Déluge ». Quoi qu’il en soit, de la comparaison des comptes rendus respectifs de l’Herbarium Diluvianum dans le Journal des savants et les Mémoires de Trévoux, il ressort que si les Mémoires de Trévoux s’attachent particulièrement à l’intérêt apologétique de l’ouvrage et ne tarissent pas d’éloges pour l’auteur, en adhérant et en défendant totalement ses idées, en revanche, le Journal des savants évacue l’aspect apologétique de l’œuvre et établit une distance par rapport aux idées de l’auteur sur le Déluge, en ne le cautionnant pas toujours. La présence de fossiles et de restes de corps marins loin de la mer, au sommet des montagnes, dans les couches même de la terre, pose problème. Si l’on admet l’origine organique des fossiles marins, ceux-ci représentent une preuve certaine que les terres présentement émergées ont été jadis recouvertes par les eaux, mais ne prouvent pas

142. « Sur les pierres et particulièrement sur celles de la mer », Histoire de l’Académie Royale des Sciences, année 1707, p. 5-7 (p. 6 pour la citation). 143. En France, Fontenelle n’est pas le seul à avoir ces convictions. La même année 1707, Jean Astruc, membre de la Société Royale des Sciences de Montpellier, développe une thèse similaire de retrait en cours de la mer pour expliquer les abondantes pétrifications des carrières de Boutonnet. Cf. « Extrait de l’Assemblée publique de la Société Royale des Sciences, tenue dans la grande sale de l’Hôtel de Ville de Montpellier », Mémoires de Trévoux de mars 1708, Article XXXVII (Du 17 décembre 1707), p. 506-525. 144. Histoire de l’Académie Royale des Sciences, année 1710, p. 21. 145. Ibid. 146. Histoire de l’Académie Royale des Sciences, année 1710, p. 22. 147. L’expression sera introduite après coup, mais pas par Fontenelle. Voir F. ELLENBERGER, op. cit., t. II, p. 57. 148. L’abbé Bignon était également le protecteur de la Société Royale des Sciences de Montpellier (cf. J.-P. VITTU, « Le Journal des savants et la République des Lettres, 1665-1714 », op. cit., annexes, p. 152).

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pour autant le rôle de l’inondation biblique. Si le Déluge peut avoir déposé des restes d’êtres vivants au sommet des monts, il est difficile de comprendre comment ces mêmes êtres ont pu se retrouver enfermés à l’intérieur des strates terrestres, et dans le laps de temps très court de quelques mois, d’où l’idée singulière de Woodward d’une dissolution générale de toute la croûte terrestre opérée par la volonté divine, mais qui malheureusement n’a laissé nulle trace dans la Bible. Manifestement, certains défenseurs de la religion négligent la complexité de la question, d’autant que celle-ci implique par ailleurs indirectement de reconsidérer la croyance en la perfection de la Création. L’examen attentif des bancs fossilifères conduit inévitablement à penser que d’autres inondations ont été nécessaires, antérieures ou postérieures au Déluge de Noé, et même qu’il faudrait supposer l’action lente et continue des courants marins, pour rendre compte de la présence de fossiles dans les entrailles de la terre. Ainsi, Nicolas Sténon et Agostino Scilla admettent que le Déluge puisse être responsable de quelques dépôts fossilifères, mais pas de toute la succession des strates sédimentaires. Dans ces conditions, le Déluge ne peut avoir eu toutes les conséquences qu’on lui prête. À terme, la conclusion finira par s’imposer que les couches sédimentaires n’ont pas pu se former en un temps aussi court que le suggèrent les Écritures. En attendant, le Déluge a offert une explication aux partisans de l’origine organique des fossiles pour tenter de convaincre ceux qui éprouvaient des réticences devant la difficulté d’expliquer la présence de fossiles dans les endroits éloignés de la mer et les montagnes (bien qu’il ne leur fût pas facile d’expliquer comment les eaux avaient pu déposer sur les sommets des montagnes des corps qui auraient dû, de par leur poids, être entraînés vers les couches inférieures). D’ailleurs le Déluge est non seulement utilisé par certains pour justifier la présence de fossiles marins, coquillages et poissons, mais encore pour expliquer la présence d’une flore ou d’une faune exotique, comme le rapporte le Journal des savants de 1710 : « M. Spener, pour expliquer ce phénomène, a donc recours au Déluge universel, dont les eaux ont pu entraîner dans les lieux les plus éloignez de la mer, des Balènes, & divers autres poissons & coquillages, & transportez jusques dans le centre de l’Allemagne, des Crocodiles, des Elephans, & d’autres animaux étrangers, dont on trouve aujourd’huy en creusant la terre, les squeletes pétrifiez. Cette opinion de M. Spener luy est commune avec M. Tenzel, & avec plusieurs autres Naturalistes de distinction »149. On remarquera la distance que le journaliste semble vouloir établir avec l’opinion de Spener sur les effets du Déluge, auxquels il donne d’ailleurs un caractère hypothétique dans la tournure de sa première phrase. Entre le Journal et les Transactions, le bilan fait apparaître un très net contraste. Contrairement aux Philosophical Transactions, le Journal des savants ne parle pas des ouvrages de Sténon, de Scilla, de Buonnani, il ne publie pas non plus d’équivalents des divers lettres et mémoires sur les fossiles diffusés par les Transactions. Par rapport à la question des fossiles, si l’on excepte la fin des années 1700-1710, où un timide réveil semble se produire, la revue française offre pratiquement l’image du vide face à

149. « Miscellanea Berolinensia Ad Incrementum Scientiarum, ex scriptis Societati Regiæ Scientiarum exhibitis edita, cum figuris æneis & indice materiarum. Berolini, sumptibus Johan. Christ. Papenii, Bibliopolæ Regii & Societatis Privilegiati. 1710. C’est-à-dire : Mélanges de Berlin, pour servir à l’accroissement des Sciences, composez de divers Ecrits presentez à la Société Royale de cette même Ville, avec des figures en Taill-douce, & une table des matieres. A Berlin, aux frais de Jean Chr. Papen, &x. 1710. in 4°. p. 394. planches 31 », Journal des savants, 15 décembre 1710 (n° 42), p. 657-663 (590-596).

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l’abondance présentée par la revue anglaise, aussi bien en comptes rendus d’ouvrages qu’en mémoires. Certes, on peut trouver au passage, dans le compte rendu d’une œuvre portant sur un autre sujet, quelques mentions relatives aux fossiles, mais il faut bien admettre que la somme de ces quelques fragments n’a rien à voir avec l’intérêt manifesté de l’autre côté de la Manche. Comment expliquer le profond désintérêt pour les fossiles, du côté français ? Si l’on examine l’Histoire et les Mémoires de l’Académie Royale des Sciences, on peut observer que les fossiles se font moins rares à partir des années 1700. Il semble que les procès-verbaux des séances de l’Académie ne montrent guère de différence150. Il faut attendre le cours des années 1690 avec, par exemple en 1698, la présentation de coquilles pétrifiées par le fils de Philippe de La Hire, pour voir la Compagnie s’intéresser vraiment aux fossiles151. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, l’absence d’intérêt du Journal des savants pour les fossiles peut donc être mise en relation avec l’absence de débats sur ce sujet au sein de l’Académie, surtout quand on connaît les liens qui unissent cette institution à la revue parisienne. On pourrait penser que la politique de science « utilitaire » mise en œuvre par le pouvoir royal n’a pas été très favorable au développement de l’intérêt en France pour cette question. Les académiciens ont été amenés à renoncer à certaines de leurs initiatives pour suivre des directives et des programmes de travail élaborés par des responsables politiques. Ceux-ci, pour plaire au pouvoir, encouragèrent, plutôt que l’élaboration de théories nouvelles, la recherche de résultats pratiques immédiatement applicables152. Ainsi que le rappellent à la compagnie l’abbé Galloys et l’architecte Blondel, « l’intention de M. Louvois est qu’on travaille particulièrement aux matières qui peuvent être utiles au public et contribuer à la gloire du roi »153. En fait dès l’époque de Colbert, l’Académie semble avoir été dirigée vers des projets à long terme comme la résolution du problème de la détermination de la longitude en mer, l’élaboration de la carte du royaume, l’établissement d’une théorie hydraulique utile à la construction des fontaines et la composition de traités de mécanique applicables aux opérations militaires. Avec l’arrivée de l’abbé Bignon et le nouveau règlement de 1699, il semble que les académiciens aient eu davantage de liberté dans leur travaux. Cependant le déclin apparent de l’activité de la Compagnie dans la période précédente n’est pas seulement le fait des guerres et de l’augmentation des exigences de l’État envers la société savante. Entre 1680 et 1690, les activités de l’Académie furent aussi affectées significativement par le départ

150. Selon les relevés qu’en a fait R. RAPPAPORT à propos des fossiles (When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 103-135). Les procès-verbaux manuscrits de l’Académie Royale des Sciences pour la période 1666-1699 forment un ensemble de 25 volumes (vols. 1-19) avec une lacune pour la période de 1670 à 1674, la série se poursuit jusqu’en 1793 (109 registres au total). J’en ai moi-même consulté certains volumes (vol. 12 : 1686-1689, vol. 17 : 1698, vol. 27 : 1708). Les procès-verbaux étaient d’abord établis sous forme de plumitifs, qui ne sont conservés que depuis 1713, et qui étaient ensuite retranscrits sur des registres aujourd’hui consultables aux Archives de l’Académie des sciences. 151. De La Hire avait également présenté à la Compagnie un tronc de palmier pétrifié, le 31 juin 1692. Voir « Description d’un tronc de Palmier pétrifié, & quelques réflexions sur cette pétrification. Par M. De La Hire », Mémoires de l’Académie Royale des Sciences, t. X, 1692, p. 140-143. 152. R. TATON, « Présentation d’ensemble : Espoirs et incertitudes de la science française à la mort de Colbert (1683-1700) », De la mort de Colbert à la Révocation de l’Edit de Nantes, 14e Colloque, Marseille 1984, 1985, p. 9-17. 153. A. BIREMBAUT, « Les caractères originaux de l’Académie royale des sciences », actes du 100e Congrès national des sociétés savantes, section d’histoire moderne et contemporaine, Paris 1976, p. 7-20 (p. 17).

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des protestants étrangers tels que Huygens, Römer, Leibniz et Hartsoeker qui avaient tous participé à la vie de la Compagnie154. Certes, le concept de science « utile » n’est pas non plus étranger à la Royal Society, mais elle dispose de plus de liberté que l’Académie vis-à-vis du pouvoir. Mais surtout, en Angleterre, il se trouve des hommes de valeur pour s’intéresser au problème des fossiles. Si l’on examine la composition de l’Académie Royale des Sciences, on constate que Colbert y a privilégié la nomination de « géomètres » et d’astronomes qui ne se sont guère intéressés aux fossiles, si ce n’est les de la Hire. En France, on n’a pratiquement pas fait de géologie durant le XVIIe siècle. L’ouvrage de Pierre Perrault, De l’origine des fontaines (1674), constituant une exception car il représente un « moment important dans l’histoire de la géologie »155. L’Académie Royale des Sciences de Paris s’intéresse encore très peu aux sciences naturelles lorsque s’ouvre le XVIIIe siècle. Reçu en 1697 à l’Académie, Fontenelle va y jouer un rôle déterminant dans la naissance de la géologie française, à partir des années 1700. D’élève novice au début, il devient un conseiller écouté. Il exercera une influence durable que l’on décèle encore chez Buffon156.

154. R. HAHN, L’anatomie d’une institution scientifique : L’Académie des Sciences de Paris, 1666-1803, op. cit., p. 27-28. 155. G. GOHAU, op. cit., p. 149. Mettant un terme à vingt siècles de débats, Pierre Perrault y démontre enfin, par l’expérience et le calcul, que les pluies sont parfaitement suffisantes pour alimenter les sources. 156. Cf. R. RAPPAPORT, « Fontenelle Interprets the Earth History », Revue d’Histoire des Sciences 44 (1991), p. 281-300. Voir aussi F. ELLENBERGER, op. cit., t. II, p. 171-182.

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Joann-Jakob Scheuchzer, Herbarium Diluvianum collectum, Tiguri : litt. D. Gesneri, 1709, Planche II, fossiles de plantes.

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CHAPITRE VII

LES THÉORIES DE LA TERRE En l’an six cent de la vie de Noé, le second mois, le dix-septième jour du mois, ce jour-là jaillirent toutes les sources du grand abîme et les écluses du ciel s’ouvrirent. La pluie tomba sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits. (Gn 7, 11-12)

L’expression « théorie de la Terre » apparaît semble-t-il pour la première fois dans le titre de la Telluris Theoria Sacra de Thomas Burnet, en 1681. Par la suite, l’expression sera reprise par nombre d’auteurs, jusqu’au début du XIXe siècle. Il s’agit d’un sujet déjà abondamment traité par les historiens de la géologie1. La théorie de la Terre est un système qui vise à donner une explication historique et physique de la structure intérieure et du relief superficiel du globe terrestre pris dans l’ensemble de sa masse et de son histoire. La théorie de la Terre représente un cadre intellectuel dans lequel vinrent s’inscrire toutes les recherches des sciences de la Terre de la fin du XVIIe siècle jusqu’au début du XIXe siècle. Pendant toute cette période, les travaux consacrés à l’érosion et à la sédimentation, aux stratifications et aux fossiles, à l’orogenèse et à la vulcanogenèse, ont tiré leur sens de la théorie de la Terre. Le premier signe distinctif de la théorie de la Terre, c’est de considérer la structure du globe comme un tout, et la genèse de cette structure comme une série de phénomènes généraux, affectant la totalité de la Terre. Sur ce point, la théorie de la Terre n’a été rendue possible que par la révolution copernicienne qui a permis d’embrasser la Terre d’un seul regard, ainsi que par la ruine de la physique aristotélicienne, pour laquelle, la Terre profonde était le lieu du repos. En devenant une planète parmi les autres, un astre secondaire, la Terre acquiert sa personnalité et son indépendance, justement parce qu’elle n’est plus le centre essentiel du tout. Il est dès lors possible de penser à elle sans penser au reste, de rechercher ses origines et d’essayer de reconstituer son histoire sans se soucier du Soleil et des étoiles. La Terre devenant un objet de science, il est désormais possible de concevoir une théorie de la Terre. La seconde caractéristique essentielle de la théorie de la Terre est de constituer une histoire générale du globe, en organisant les phénomènes les plus généraux en une succession chronologique irréversible. Certes Aristote admettait des changements locaux mais qui, s’accomplissant suivant un ordre et un cycle déterminés, ne supposaient absolument pas une histoire de la Terre : Il est exact que beaucoup de lieux, qui auparavant étaient couverts d’eau sont maintenant de la terre ferme. Mais le contraire est vrai aussi : si on regarde bien, on trouvera beaucoup d’endroits où c’est la mer qui a envahi la terre. Mais on ne doit pas penser

1. Voir en particulier, G.L. DAVIES, The Earth in Decay – A History of British Geomorphology, 1578-1878, Amsterdam et New York 1969 ; R. PORTER, The Making of Geology : Earth Science in Britain, 1660-1815, Cambridge 1977 ; J. ROGER, « La Théorie de la Terre au XVIIe siècle », op. cit. ; G. GOHAU, Les sciences de la Terre aux XVIIe et XVIIIe siècles : Naissance de la géologie, op. cit. ; R. RAPPAPORT, When Geologists Were Historians, 1665-1750, op. cit. (chap. V à VIII, p. 136-262). Enfin, on trouve un bon résumé critique des théories de la Terre les plus marquantes dans F. ELLENBERGER, op. cit., t. II, p. 114-161.

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que la cause de ces phénomènes réside dans le devenir même du Monde : il est ridicule de faire l’Univers se mouvoir2, à cause de faibles et insignifiants changements3.

Dans le fil de la pensée aristotélicienne, le père Kircher, qui consacre tout un chapitre (livre II, chap. XII) de son Mundus subterraneus aux changements qui affectent la surface du globe, n’admet pas autre chose que des modifications locales. Il ne peut pas concevoir de bouleversement profond, et encore moins une histoire de la Terre. La structure du globe terrestre qu’il propose est immuable. Inventaire du monde présent, de ses richesses et de ses merveilles, son ouvrage ne constitue pas une théorie de la Terre. I. Descartes et la première « théorie de la Terre » Avant d’examiner le contenu de la revue anglaise et du journal français, il est nécessaire de rappeler le précédent représenté par le modèle cartésien qui est à la source de toutes les théories de la Terre qui suivront. La quatrième partie des Principia Philosophiae de Descartes, publié en latin en 16444, puis en français en 16475, présente le premier grand texte qui puisse apparaître comme une théorie de la Terre. Dans la troisième partie de son ouvrage, qui explique la formation des astres et de leurs tourbillons à partir de la matière et du mouvement, Descartes met la Terre au rang des planètes6. Il la ramène également à sa juste proportion7. Dans sa quatrième partie, il montre comment les trois éléments ont donné naissance à différents corps, superposés en couches concentriques autour d’un noyau formé par le premier élément. Il faut rappeler que, pour Descartes, la matière est formée de trois éléments : « raclure » lumineuse pour le premier, parties rondes (« boules ») transparentes pour le deuxième, et raclures agrégées en particules opaques pour le troisième8. Figures à l’appui, Descartes décrit les différents stades de la formation de la Terre, avec l’évolution des couches qui la composent. D’abord astre lumineux au centre d’un tourbillon autonome, la Terre est ensuite devenue un astre refroidi et obscur, dont le tourbillon a été capturé par celui du Soleil. Cependant, le mécanisme de formation de la Terre a créé une disposition particulière des différentes couches qui la composent et dont la superposition ne pouvait durer longtemps. Cette situation temporaire est schématisée dans la figure I de sa planche XV (édition française de 1647). Dans cet état intermédiaire, les couches B et F correspondent à de l’air, D à de l’eau, C est une croûte de terre intérieure fort solide et pesante, de laquelle viennent tous les métaux, E une croûte de terre moins massive, « qui est composée de pierres, d’argiles, de sable & de limon ». Enfin la couche M, qui correspond à la moyenne région de la

2. Aristote, Les Météorologiques, Paris 1976, p. 75-76. 3. Au sens général de changement : non seulement la translation et l’altération, mais encore l’acroissement et la diminution. 4. R. Descartes, Principia Philosophiae, Amsterdam 1644. 5. L’œuvre fut traduite en 1647 par l’abbé Picot, ami de Descartes. La traduction française de Picot est aussi disponible dans : R. DESCARTES, Œuvres complètes, éd. C. ADAM et P. TANNERY, 12 vol., Paris 18971913 (Rééd. C.N.R.S. – Vrin, 13 vol., Paris 1971-1976, t. IX pour Les Principes de la philosophie). 6. Les Principes de la philosophie, ibid., 3e partie, § 13 (« Que le soleil peut être mis au nombre des étoiles fixes, et la terre au nombre des planètes »). 7. Ibid., § 8 (« Que la terre, étant vue du ciel, ne paroîtroit que comme un planète moindre que Jupiter ou Saturne »). 8. Voir en particulier, Ibid., § 52.

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Les deux derniers stades de la formation de la Terre selon Descartes (Planche XV de l’édition française de 1647, d’après l’édition de Ch. Adam et P. Tannery, Œuvres de Descartes, vol. IX, Paris, 1905).

Terre, est composée de la même matière que les tâches solaires, elle entoure un noyau (I), un feu central, d’une matière semblable à celle du Soleil. À un moment donné, la « crouste de terre moins massive », la plus externe (E), s’est fissurée et finalement effondrée dans les couches inférieures d’air (F) et d’eau (D) : Or y ayant ainsi plusieurs fentes dans le corps E, lesquelles s’augmentoient de plus en plus, elles sont enfin devenues si grandes qu’il n’a pu se soutenir plus longtemps par la liaison de ses parties, et que la voûte qu’il composoit se crevant tout d’un coup, sa pesanteur l’a fait tomber en grandes pièces sur la figure du corps C ; mais pour ce que cette superficie n’étoit pas assez large pour recevoir toutes les pièces de ce corps en la même situation qu’elles avoient été auparavant, il a fallu que quelques-unes soient tombées de côté, et se soient appuyées les unes contre les autres9.

La matière liquide du corps D est montée au-dessus des pièces les plus basses et est venue occuper tous les recoins et passages plus bas qu’elle, par lesquels elle a pu entrer et sortir10. Ensuite, Descartes explique « comment ont esté produites les mon-

9. Ibid., 4e partie, § 42. Dans la suite du paragraphe, ayant numéroté de 1 à 7, les endroits des fentes principales, Descartes détaille quels auraient été les mouvements suivis par les différentes pièces. 10. Ibid., § 43.

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tagnes, les plaines, les mers &c. »11, par l’amoncellement des divers débris. Ainsi l’état actuel de la Terre résulte d’une immense catastrophe à l’échelle planétaire produite à partir d’un état antérieur instable. On a pu voir dans la célèbre figure II de la planche XV des Principes (1647), l’origine de toutes les recherches sur la physique du globe. En se donnant un état initial, Descartes se fait fort d’en déduire par voie logique tous les stades d’une suite nécessaire d’événements dont le monde actuel est l’aboutissement. Il fournit un modèle d’auto-création du monde terrestre, où sans l’intervention de Dieu (en dehors peut-être de l’état initial), la Terre parvient à son état final actuel. En fait, si Descartes se garde bien de mêler à sa théorie de la formation du monde la moindre référence aux textes sacrés, il ne nie aucunement leur autorité, bien au contraire12. Au début de sa quatrième partie, il a soin de répéter que toute son hypothèse est fausse13, et que « nous feignons » tout cela, en sachant que le monde a été créé immédiatement par Dieu. Le principal est de montrer que tout ce qui le compose est de même nature que si les choses avaient été ainsi engendrées. Dans le chapitre suivant, j’aurai l’occasion de traiter de manière plus approfondie le problème des rapports du cartésianisme avec la Genèse. Néanmoins, on peut déjà dire que ces rapports ne sont pas fortuits. Si l’on en croit Baillet, « décrivant la naissance du monde selon les Principes de sa Physique, et s’étant souvenu de relire les premiers chapitres de la Genèse, il (Descartes) avait trouvé qu’il pouvait s’expliquer entièrement suivant ses imaginations beaucoup mieux qu’en toutes les façons dont les interprètes l’expliquent »14. Descartes le confirme lui-même dans une lettre à Boswell et, plus explicitement encore, dans une autre à Burman, à qui il précise qu’après avoir eu le dessein d’expliquer le récit de la Genèse, il y a renoncé car jugeant ce récit « métaphorique », il a préféré en abandonner le commentaire aux théologiens15. Cependant, la prudence et l’habileté de Descartes se sont avérées payantes, puisque la plupart de ses œuvres ont pu être diffusées de son vivant. Il est néanmoins visible, qu’en écrivant la quatrième partie de ses Principes, Descartes s’est souvenu de la Genèse. Ainsi, le grand effondrement de la croûte supérieure du globe terrestre fournit une parfaite explication physique au déluge biblique, c’est bien ainsi que Burnet le comprendra. Par la suite, les protestants anglais vont tout mettre en œuvre pour récrire de diverses manière l’hypothèse de Descartes en la calquant sur le récit biblique : ce qui constitue la preuve de l’énorme impact de la grande novation cartésienne. Il est surprenant, et même choquant, de constater la place nulle, ou dérisoire, accordée par les principaux historiens anglophones de la Géologie à Descartes et à son schéma de la formation du globe terrestre. En effet dans ce cas précis, il est incontestable que son influence a été considérable, directement ou indirectement. L’ignorer a pour contrecoup de ne pas comprendre l’origine de ces vastes systèmes diluvianistes, dénommés les théories de la Terre. Alors que ces dernières constituent justement l’un des traits les plus distinctifs de la géologie britannique naissante, et

11. Ibid., § 44. 12. Ibid., 3e partie, § 45. 13. Ibid., 4e partie, § 1 (« Que, pour trouver les vraies causes de ce qui est sur la terre, il faut retenir l’hypothèse déjà prise, nonobstant qu’elle soit fausse »). 14. Adrien BAILLET, La Vie de monsieur Descartes, Paris 1691, p. 295. 15. Cf. J. ROGER, « La théorie de la Terre au XVIIe siècle », op. cit., p. 34.

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qu’elles ont entraîné des répercussions profondes et durable en Europe tout au long du XVIIIe siècle – déviation évidente par rapport au vrai cartésianisme16. II. La Telluris Theoria Sacra de Thomas Burnet La Telluris Theoria Sacra dans les Philosophical Collections En décembre 1681, paraissait dans les Philosophical Collections de Robert Hooke le compte rendu de la Telluris Theoria Sacra17, un livre paru en latin dans l’année et œuvre du cartésien anglais Thomas Burnet18. Robert Hooke n’était pas favorable à la théorie de Burnet19. Pour que la relation de cette œuvre prenne place dans les rares comptes rendus tenant dans les quarante pages du seul fascicule que Hooke réservait pour toute l’année 1681, il fallait donc que l’ouvrage fût d’importance, ou du moins, qu’il fût considéré comme tel par le rédacteur de la revue londonienne. En fait, Thomas Gale20 avait lu un compte rendu de la théorie de Burnet devant la Royal Society, par conséquent il fut « discuté et bien approuvé quant à certains détails de la théorie, bien que la preuve et l’usage de celle-ci ne puissent pas être jugés sans une lecture du discours lui-même »21. La teneur générale de la relation de Gale demeure assez bienveillante, par le ton assez neutre adopté et par l’absence de critiques de sa part (voir le texte intégral encadré). En fait, on ne peut pas vraiment y déceler de jugement. L’auteur, comme son entreprise qui consiste à concilier l’histoire de la Terre avec le récit de la Genèse, reçoivent en introduction un accueil plutôt respectueux : L’érudit et talentueux auteur, considérant la Terre comme un des plus grands corps ou créature du monde, a cherché dans ce volume, à donner un récit de ses productions,

16. F. ELLENBERGER, Histoire de la géologie, op. cit., t. I, p. 223. 17. « Telluris Theoria Sacra, Authore T. Burnetio, Londini, 1681. Quarto. Prostant apud Gualt. Kettleby », Philosophical Collections de 1681, n° 3 (le seul numéro pour toute l’année, daté du 10 décembre 1681), p. 75-76. 18. Thomas Burnet (v. 1635-1715), fut admis en 1651 comme pensionnaire au Clare Hall de Cambridge. Bien qu’il fût officiellement l’étudiant de William Owtram et étroitement associé à John Tillotson, il fut bien plus sous l’influence de Ralph Cudworth. Quelques temps après avoir obtenu son grade de bachelier en 1655, Burnet suivit Cudworth au Christ College, il devint membre du collège en 1657, et reçut sa maîtrise ès arts en 1658. Il devint surveillant du collège en 1667 et en resta inscrit comme membre jusqu’en 1678. Dans le même temps, à Cambridge, Burnet travailla étroitement avec les platoniciens de Cambridge, particulièrement Cudworth et Henry More. En 1671, il se rendit à l’étranger en tant que précepteur du jeune comte de Wiltshire, et fit plus tard un second tour de l’Europe avec le petit-fils du duc d’Ormonde, le comte d’Orrery. C’est durant ses voyages qu’il commença à écrire sa théorie de la Terre, dont il acheva les deux premières parties peu après son retour en Angleterre (publiées en latin en 1681, et en anglais en 1684). En 1685, Burnet, qui avait été ordonné dans l’Église Anglicane, fut fait Maître de Charterhouse sur la recommendation du duc d’Ormonde. En 1686, quand le roi essaya de faire admettre le catholique Andrew Popham comme pensionnaire de Chaterhouse, Burnet s’y opposa efficacement. Peu après la montée sur le trône de Guillaume III, Burnet devint aumônier ordinaire du roi et secrétaire de son cabinet. Il mourut à Charterhouse le 27 septembre 1715. (Cf. C. C. GILLISPIE (éd.), Dictionary of scientific biography, vol. 2, op. cit., p. 612-614). 19. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 144. 20. Thomas Gale (1635 ?-1702), Grand Maître de St Paul’s School et doyen de York, fut élu membre de la Royal Society en 1677 (Cf. M. HUNTER, The Royal Society and its Fellows, op. cit., p. 196). 21. It was « discoursed of and well approved of as to some particulars of the theory, though the proof and management thereof could not be judged of without a perusal of the discourse itself » (T. BIRCH, The History of the Royal Society of London, op. cit., p. 83 et p. 69).

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durée, évolution et changements (et il destine un autre volume à ce qui est de sa durée) à partir de causes physiques ou de la méthode de la nature dans le développement d’autres êtres, et réconcilier ainsi ce que nous trouvons dans l’histoire sacrée la concernant, avec une théorie raisonnable et philosophique, chose qui n’a pas été faite à ce jour comme il le conçoit22.

Cependant, Gale n’explique pas dans le détail à ses lecteurs la structure du globe terrestre, son évolution et le mécanisme du « grand changement » qui a causé le Déluge. Il se contente de leur révéler que la Terre possédait anciennement une forme régulière qu’elle a perdue à la suite de ce grand changement qui a également entraîné son inondation par l’eau et la formation de « toutes les irrégularités que l’on trouve maintenant sur la surface de la Terre », c’est-à-dire le relief du globe terrestre (voir le second paragraphe du texte encadré). Avant de poursuivre, et pour mieux comprendre la théorie de Burnet, il paraît nécessaire d’apporter quelques précisions omises par Gale. Burnet suit de très près le scénario de Descartes, en le simplifiant. D’ailleurs, il se réfère à lui : « le plus illustre philosophe de ce siècle, René Descartes, a fait usage d’une hypothèse similaire à celle-ci pour expliquer l’aspect et les phénomènes de la Terre dans son état actuel »23. Toutefois Descartes ne parlait pas du Déluge et il avait conçu la surface de la Terre comme une croûte transitoire et non comme un monde habitable. Burnet part du chaos traditionnel où le premier état de la Terre correspondait à une sphère composée d’un mélange liquide de tous les éléments. Ces derniers se sont séparés par gravité : la terre au centre, puis les liquides et enfin l’air. Les liquides eux-mêmes se sont fractionnés en deux strates, une couche inférieure d’eau et une couche supérieure de liquide huileux24. Les poussières dispersées dans l’atmosphère se sont déposées sur la couche d’huile et ont fini par former avec elle une croûte supérieure solide au-dessus de l’eau. Il aboutit ainsi à un globe terrestre primitif presque identique à celui de Descartes. On y retrouve les mêmes quatre couches emboîtées : un cœur igné25, puis une couche solide, une troisième couche aqueuse (« le Grand Abîme ») et enfin, à nouveau, une croûte solide offrant une surface entièrement unie (de l’air se trouve entre ces deux dernières couches). Parfaitement lisse, sans mer ni océan, la surface de la Terre possède néanmoins un climat paradisiaque. Mais sous l’effet de la chaleur solaire et des vapeurs de l’eau souterraine, la croûte supérieure se fissure peu à peu. Elle s’effondre finalement dans la couche d’eau qui rejaillit violemment, couvrant un moment la surface du globe : c’est le Déluge. L’eau reprenant sa place, l’effondrement inégal des débris de la croûte supérieure crée les mers, les

22. Pour le paragraphe original en anglais, voir le texte encadré plus loin. 23. T. BURNET, Telluris Theoria Sacra, op. cit., p. 60. 24. « The general Action of Nature, separate one from another when they come to settle, as in cream and thin Milk, Oil and Water, and such like » (L’action générale de nature, sépare l’un de l’autre quand ils viennent à se déposer, comme dans la crème et le Lait écrémé, l’Huile et l’Eau, et de ce genre). (T. BURNET, The Sacred Theory of the Earth : Containing an Account of the Original of the Earth, And of all the General Changes which it hath already undergone, or is to undergo, till the Consummation of all things, Londres 17266, vol. 1, p. 75). 25. Jacques Roger (« La théorie de la Terre au XVIIe siècle », op. cit., p. 40) fait justement remarquer que Burnet suit Descartes « jusqu’à se contredire lui-même, puisqu’il admet que la Terre a été un étoile comme le Soleil (Cf. Archeologiae philosophicae, 1692, p. 305) et qu’elle possède un feu central (Cf. T. BURNET, Telluris Theoria sacra, op. cit., p. 44), ce qui est peu compatible avec le chaos liquide primitif ».

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îles et les continents, avec leurs montagnes en forme d’effroyables ruines de l’ancien monde. Gale déclare que Burnet tâche de « répondre aux Objections Théologiques », et qu’il « renforce son hypothèse en montrant son accord avec quelques endroits de l’Écriture sainte. » Mais il se garde bien de détailler les objections théologiques qui s’opposent à la théorie de Burnet. Si lui-même n’approuvait pas l’ouvrage de Burnet, on peut penser qu’il n’aurait pas manqué de les évoquer plus précisément. Ainsi, Burnet contredit formellement la Bible quand il décrit son monde antédiluvien dépourvu de mers26. Par contre, Gale ne fait que reprendre le terme d’Hypothèse, abondamment utilisé par Burnet dans son livre. En effet, Burnet désire également suivre Descartes dans sa méthode de démonstration, non seulement lorsqu’il proclame que « la certitude ne naît que d’une connaissance distincte »27, mais surtout lorsqu’il défend la valeur de l’hypothèse : Une hypothèse qui s’adapte et s’accorde à tous les phénomènes de la matière qu’elle examine n’a rien d’imaginaire ni de gratuit : elle joue son rôle, elle s’acquitte de sa fonction, et dans les choses naturelles qui ne s’offrent pas aux yeux, il n’y a pas d’autre manière de philosopher et de rechercher la vérité, que par des hypothèses de ce genre28.

En revanche, contrairement à Descartes, Burnet tient beaucoup à s’appuyer sur l’Écriture sainte, mais, il faut le souligner, seulement d’une certaine façon puisqu’il en arrive même à la contredire. En fait il la détourne habilement au service de son propre système. Dans ses deux derniers paragraphes, Gale résume le contenu du « deuxième livre » de l’ouvrage de Burnet. Ce dernier s’y intéresse à l’état général de la Terre primitive et au Paradis. Pour Burnet, la Terre jouissait d’un climat idéal qui était causé par un équinoxe perpétuel. Cette situation explique la douceur des saisons, la longévité des habitants et la fertilité de la terre, rapportées par divers auteurs anciens (voir le troisième paragraphe du texte encadré). Ainsi, Burnet accompagne le Déluge d’un bouleversement dans l’axe de la Terre.

26. Par exemple, « Dieu appela le continent ‘‘terre’’ et la masse des eaux ‘‘mers’’, et Dieu vit que cela était bon » (Gn. 1, 10), et encore, Dieu les bénit et dit : « Soyez féconds, multipliez, emplissez l’eau des mers, et que les oiseaux multiplient sur la terre » (Gn. 1, 22). 27. T. BURNET, Telluris Theoria sacra, op. cit., préface, p. 3. 28. T. BURNET, Archeologiae philosophicae, op. cit., p. 230 (cité par J. ROGER, La théorie de la Terre au XVIIe siècle, op. cit., p. 40).

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« Telluris Theoria Sacra, Authore T. Burnetio, Londini, 1681. Quarto. Prostant apud Gualt. Kettleby. », Philosophical Collections de 1681, n° 3, p. 75-76. The Learned and Ingenious Author, considering the Earth as one of the greater Bodies or Creature of the World, has indeavour’d in this Volume, to give an account of its production, duration, progress, and changes (and intends in another Volume, that of its period) from Physical Causes or the method of Nature in the progress of other Beings, and thereby to Reconcile what we find in sacred History concerning it, with a Rational and Philosophick Theory, which was not done as he conceives before now. He divides this Volume into two Books, in the first of which he attempts to explain the first great change of it, that caused the general deluge in the time of Noah : To do this the more satisfactorily, he shews by his Theory, the manner of its production out of the Chaos, what the materials, by what powers, with what progressions, and of what form, both inward and outward, it was at first constituted a habitable world ; then how by its continued progress forward, it arrived at its first great Change, in which, losing its former Regular Shape, it became wholly overflowed with water, and deformed with all the irregularities now discoverable in the surface of the Land, all which he supposes will be intelligibly explained by this hypothesis, and scarce by any other extant. To this he adds some conjectures concerning the Planets (some of the other great Bodies of the Universe) and comparing them with the Earth, he conceives there may be other parts as convenient for Habitation as the Earth. Lastly, He endeavours to answer Theological Objections, and strengthens his hypothesis by shewing its agreement with some places of Scripture. In the second Book he endeavours to shew, both out of sacred and profane Writers, the constitution and situation of Paradise, assigning it three qualifications, namely, Constancy, and Benigness of Seasons, long-lived Inhabitants, fruitfulness of Land, all which he conceives could not be found on any part of the World, as now constituted, but must be sought in the Antediluvian World, wherein he supposes the Sun to have made a perpetual Æquinoctial, the Earths Axis being at right Angles with the Plain of the Ecliptick, from which Rectitude of Position and the Regular form of its surface, he deduces the cause of its fertility. All the Antediluvian Waters he derives from Rain or Mists, falling towards the Poles, and running towards the Equator, whence ‘twas again exhaled into the Air : Then he compares this Doctrine with the expressions in holy Writ, and discourses of the place of Paradise according to Opinions of Moderns, refuting some of them, but proves its place to have been in the South ; then examines the agreement of what is new in this Theory, with the Philosophy and Tradition of the Ancients, and with the History of the Creation delivered by Moses. 2. Shews its agreement with the Doctrines amongst the ancient Christians. 3. Shews reasons for the newness of Mountains, Seas, and Islands. 4. Confirms his Doctrine of the Oval Figure of the Earth, by the autority of the Ancients, explaining their Ovum Mundanum. And 5ly establishes his Doctrine of the Right Position of the Earth by the concurrence of the Ancients. Last of all, To shew the usefulness of this speculation, he explains the dignity of it by shewing it to be the universal System of Divine Providence, being a Contemplation of the Idea Mundana in the Divine Intellect ; about which all the Ancients were much busied. He concludes all with the sum of what he designs to treat of, and Publish in his Third Book, namely, To give an Account of the future state of this present earthly world, as to its final Conflagration, and Resurrection or Renovation.

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L’érudit et talentueux auteur, considérant la Terre comme un des plus grands corps ou créature du monde, a cherché dans ce volume, à donner un récit de ses production, durée, évolution et changements (et il destine un autre volume à ce qui est de sa durée) à partir de causes physiques ou de la méthode de la nature dans le développement d’autres êtres, et réconcilier ainsi ce que nous trouvons dans l’histoire sacrée la concernant, avec une théorie rationnelle et philosophique, chose qui n’a pas été faite à ce jour comme il le conçoit. Il divise ce volume en deux livres, dans le premier il tâche d’expliquer son premier grand changement, qui a causé le déluge général au temps de Noé : pour faire cela d’une manière plus satisfaisante, il montre selon sa théorie, le mode de sa production à partir du chaos, de quels matériaux, par quels pouvoirs, avec quelles progressions, et de quelle forme, intérieure comme extérieure, elle avait d’abord constitué un monde habitable ; puis comment par son évolution continue, elle est parvenue à son premier grand changement, dans lequel, perdant sa forme régulière antérieure, elle fut entièrement submergée, et déformée avec toutes les irrégularités que l’on trouve maintenant sur la surface de la Terre, toutes choses qu’il suppose être intelligiblement expliquées par cette hypothèse, et difficilement par toute autre qui existe. À cela il ajoute quelques conjectures concernant les planètes (quelques-uns des autres grands corps de l’univers) et les comparant avec la Terre, il conçoit qu’il puisse y avoir d’autres parties aussi appropriées pour l’habitation que la Terre. Finalement, il s’efforce de répondre aux objections théologiques, et il renforce son hypothèse en montrant son accord avec quelques endroits de l’Écriture sainte. Dans le deuxième livre il essaye de montrer, à partir d’auteurs sacrés et profanes, la constitution et la situation du paradis, lui assignant trois qualifications, à savoir, la constance, et la douceur des saisons, des habitants d’une grande longévité, la fertilité de la Terre, toutes choses qu’il estime ne pas pouvoir être trouvées sur aucune partie du monde tel qu’il est maintenant constitué, mais qui doit être recherché dans le monde antédiluvien, d’où il suppose que le soleil réalisait un perpétuel équinoxe, l’Axe des Terres étant à angle droit avec le plan de l’écliptique, de laquelle rectitude de position et de la forme régulière de sa surface, il déduit la cause de sa fertilité. Toutes les eaux antédiluviennes qu’il tire de la pluie ou des brumes tombant vers les pôles et se dirigeant vers l’équateur, d’où elles étaient de nouveau exhalées dans l’air : puis il compare cette doctrine avec les expressions des Écritures saintes, et les discours sur la situation du paradis selon les opinions des modernes, réfutant certains d’entre eux, mais il prouve que sa situation a été au sud ; il examine alors l’accord de ce qui est nouveau dans cette théorie, avec la philosophie et la tradition des anciens, et avec l’histoire de la Création fournie par Moïse. 2. Il montre son accord avec les doctrines parmi les anciens chrétiens. 3. Il montre des raisons pour la nouveauté des montagnes, des mers et des îles. 4. Il confirme sa doctrine de la figure ovale de la Terre, par l’autorité des anciens, en expliquant leur Ovum Mundanum. Et cinquièmement il établit sa doctrine de la position droite de la Terre par l’accord des anciens. En dernier lieu, pour montrer l’utilité de cette spéculation, il en explique la valeur en la montrant comme le système universel de la providence divine, étant une contemplation de l’Idea Mundana dans l’intelligence divine, dont tous les anciens s’occupaient beaucoup. Il conclut tout cela avec la somme de ce qu’il conçoit examiner et publier dans son troisième livre, à savoir donner une relation de l’état futur de ce présent monde terrestre, ainsi que de sa conflagration finale, et de sa résurrection ou de son renouvellement.

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La Telluris Theoria Sacra dans le Journal des savants En juillet 1683, environ un an et demi après les Philosophical Collections, délai courant pour un livre étranger, le Journal des savants publiait à son tour un compte rendu de l’ouvrage de Thomas Burnet29. D’emblée, l’accueil par le Journal contraste avec celui réservé par la revue anglaise : Un auteur Anglois, nommé Burnet, ne trouvant pas les Hypothèses ordinaires suffisantes pour rendre raison de ce que les Ecritures sacrées & prophanes nous apprennent des révolutions du monde, il s’en est fait une à sa mode (que les curieux seront bien aises de voir ici dans la plus grande étendue que nous ne pourrions lui donner dans le Journal ordinaire) par laquelle il espère satisfaire à toutes les difficultés qui naissent naturellement de la lecture des livres, principalement de l’Ecriture sainte, touchant les divers changemens qui sont arrivés, ou qui doivent arriver dans la suite des siècles30.

Contrairement à l’accueil poli du rédacteur anglais, le journaliste français semble montrer qu’il n’apprécie guère la démarche de Thomas Burnet qui pourrait paraître, ici, illégitime et superflue. Alors que la revue anglaise faisait savoir clairement que le but de l’auteur était de réconcilier la partie de l’histoire sacrée concernant la Terre avec une théorie raisonnable et philosophique, le journaliste français n’en parle même pas et adopte au contraire un mode de présentation qui peut sembler quelque peu impertinent. Comme le journaliste français le souligne, le compte rendu du Journal est assez long, et comporte même des illustrations. Il est en effet plus détaillé et deux fois plus long que celui qui est publié par Robert Hooke. La critique se poursuit sur le thème du Déluge. Dans son second chapitre, Burnet, après avoir calculé la quantité d’eau nécessaire à l’inondation, tente en effet de démontrer que le Déluge ne peut pas s’expliquer par les hypothèses communes. Ce que conteste visiblement le journaliste en faisant remarquer que c’est Burnet qui qualifie d’« insurmontables » les difficultés dans l’explication du Déluge, sa démonstration ne l’a pas convaincu : « Il tâche d’établir son opinion sur l’autorité des Livres sacrés, & ensuite sur la raison : mais auparavant il fait voir les difficultés qu’il apelle insurmontables, que souffre les explications qu’on donne ordinairement du Déluge, & qui l’ont éloigné du sentiment commun ». Ensuite, il se contente de résumer très brièvement les arguments de Burnet : Si les montagnes avoient été dans la hauteur où nous les voyons, ou à peu près comme on le croit, & si l’eau avoit passé les plus élevées, elle auroit été suivant son calcul six ou huit fois en plus grande quantité que l’eau qui est dans l’Océan : mais on ne voit pas où ces eaux se soient pu retirer, & d’où elles auroient pu venir ; et il doute même que la terre en ait pu suporter les poids31.

Dans la suite, le journaliste explique comment Burnet conçoit la Terre antédiluvienne : Pour mieux comprendre ce raisonnement & son hypothèse, il faut sçavoir de quelle manière il conçoit que la terre étoit formée avant le Déluge. Il dit donc que la terre dans son commencement & sortant du cahos avoit bien une autre face qu’elle n’a pas aujourd’hui ; qu’elle étoit uniforme, sans interruption de rivières ou de mers, polie,

29. « Telluris Theoria Sacra, Orbis Nostri Originem & mutationes generales, quas aut jam subiit aut olim subiturus est, complectens. In-4. Londini, & se trouve à Paris chez la Veuve Cellier », Journal des savants, 19 juillet 1683 (n° 18), p. 205-213 (128-132). 30. Ibid. 31. Ibid.

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égale par tout, sans montagnes, enfin entièrement solide, sans creux, sans précipices ; & néanmoins avec toutes ces qualités, telle que ses parties pouvoient se séparer les unes des autres, & que de leur desunion il devoit nécessairement arriver un Déluge universel par les eaux, dont elle étoit environnée & soutenue, & que Moïse apelle du nom d’abîmes32.

Le journaliste français fait bien la liaison entre l’hypothèse de Burnet et celle de Descartes : « Comme sa position à l’égard du Soleil étoit droite & non pas oblique (ainsi que Descartes l’imaginoit) les deux Pôles étant également inclinés, elle se trouvoit toujours dans un Equinoxe continuel, & une température d’air égal »33. Dans la suite, le journaliste explique que c’est « cette douceur & cette température d’air sans changement & sans vicissitude de saisons », ce printemps continuel, qui étaient responsables de la fertilité et de la longévité des hommes. Enfin, il en vient aux causes attribuées au Déluge par Burnet : Mais comme après plusieurs Siècles le Soleil eût extrêmement desséché cette terre & échauffé les eaux dont elle étoit entourée & soutenue, ainsi que nous avons dit, il se fit plusieurs fentes & plusieurs crevasses dans cette terre ; qui cependant ne suffisant pas pour donner un libre passage aux vapeurs abondantes qui se formoient tous les jours des eaux raréfiées par cette chaleur successive & continuelle de tant de siècles, elle en fut si violemment ébranlée par une espèce de tremblement causé par la contrainte où elles la réduisoient de tous côtés ; que toutes ses parties se désunirent, se séparèrent & se précipitèrent dans les abîmes34.

De manière sous-jacente, la critique reprend de nouveau le dessus : « C’est ainsi que cet Auteur conçoit qu’arriva cette inondation générale de toute la terre, & non pas les seules eaux de la pluye qui tombèrent du Ciel pendant quarante jours & quarante nuits, ausquelles cependant on a attribué jusqu’ici le Déluge »35. Puis le rédacteur décrit la formation de la nouvelle Terre selon l’auteur : De la désunion générale des parties de cette première terre, dont il croiroit volontiers que les causes sont les mêmes que celles des taches des Planettes, ou l’éfort même qu’elles ont fait sur notre tourbillon, s’est formée la face de celle que nous habitons, telle qu’elle nous paroît aujourd’hui. Les trois ou quatre plus grosses parties qui en firent la première séparation, ont formé nos continens ; & comme chacun d’eux étoit trop étendu & trop vaste pour pouvoir descendre tout entier dans l’abîme, à cause de l’air qui étoit au-dessous, qui n’a pas pu en sortir avec tant de vitesse, il est arrivé qu’ils se sont rompus par le milieu, & qu’ensuite quelques-unes de ces parties étant élevées par l’air qui sortoit, les autres ont été englouties dans le fond de l’abîme. Ces lourdes masses déjà ébranlées par leur propre poids & par l’impétuosité de leur chute, venant à heurter contre ce fond, ont éclaté en plusieurs autres pièces d’une différente grandeur. Ceux d’entre ces éclats qui n’ont pas été assez hauts pour s’élever au-dessus de la superficie de l’eau, ont formé les écueils qui se trouvent dans la Mer : ceux qui ont été un peu plus élevés ont fait des Isles ; & les derniers qui se sont trouvés les plus hauts, ou qui se sont amoncelés en plus grand nombre les uns sur les autres, ont fait les rochers, & formé cette longue suite de Montagnes qui se voyent en divers pays. Et parce qu’il ne

32. Ibid. 33. Ibid. 34. Ibid. 35. Ibid.

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se peut pas faire que toutes ces ruines ayent pu se raporter avec tant de justesse les unes autres, & s’emboëter si bien ensemble, qu’il n’ait resté entr’elles des ouvertures & des espaces à remplir : c’est de-là, dit cet Auteur, que sont venues les cavernes, &c.36

Pour conclure, le journaliste termine sur le ton critique, en assimilant la conformité au texte sacré postulée par Burnet à une vulgaire prétention de ce dernier : « au reste il prétend que toutes ses explications sont conformes à l’Ecriture, & à ce qui est raporté de la Création du Monde, des Eaux célestes, de l’Arc-en-Ciel, &c. »37 En 1695, le Journal des savants présente un long compte rendu, s’étendant sur deux numéros38, de la réédition en latin de 1694 de la Telluris Theoria Sacra, que Burnet avait complétée et modifiée dans sa version anglaise de 1684, groupée avec son Archælogiæ Philosophicæ39 (parue séparément une première fois en 1692). Le journaliste critique nettement plus sévèrement les idées de Burnet qu’en 1683 : La principale étude de M. Burnet a été de considérer la première origine des choses, & les changemens qui sont survenus à la terre par le déluge, & ceux qui lui surviendront par l’embrasement général ; sur quoi il a formé des pensées nouvelles, qui ont peine à trouver créance, même parmi ceux de sa Communion40.

De manière insidieuse, on retrouve le même type de critique qu’en 1683, Burnet ne semble pas convaincre le rédacteur : « Il conçoit le déluge autrement qu’il n’a été conçu jusqu’ici & prétend que les eaux qui couvrirent toute la terre ne purent venir ni de la mer ni des pluyes ». Cependant, sur le sujet particulier que constituent les difficultés posées par le Déluge, sa critique semble moins nette, et moins incisive, qu’en 1683. Le journaliste n’accuse plus Burnet de qualifier d’« insurmontables » les difficultés physiques posées par le Déluge. En outre, cette fois, le journaliste consacre un passage beaucoup plus long aux arguments avancés par Burnet pour démontrer l’impossibilité de trouver l’eau nécessaire au Déluge, en dehors bien sûr de sa théorie (voir texte encadré). Tout en refusant la solution proposée par Burnet, peut-être le journaliste est-il malgré tout davantage conscient des difficultés physiques que posent le Déluge et qui le rendent de moins en moins crédible. Il est probable qu’il reconnaisse la validité d’un certain nombre des arguments physiques s’opposant au Déluge. On peut remarquer que dans les arguments rapportés par le journaliste, on en retrouve un typiquement cartésien : « Enfin si Dieu avoit créé des eaux, il auroit fallu que pour les placer il eût anéanti d’autres corps, puisque les corps ne se pénètrent point »41. Finalement, face aux arguments avancés par Burnet pour démontrer l’impossibilité physique du Déluge, le journaliste de 1695 apparaît moins radical et moins sûr de lui que le rédacteur de 1683. Pour le journaliste de 1683, il semblait indéniable que les explications traditionnelles du Déluge pouvaient offrir des solutions satisfaisantes. Pour le journaliste de 1695, c’est moins évident, les arguments

36. Ibid. 37. Ibid. 38. « T. Burneti Telluris Theoria Sacra, originem & mutationes generales orbis nostri, quas aut jam subiit, aut olim subitus est, complectus. Accedunt Archaelogiae Philosophicae, sive doctrina antiqua de rerum originibus. In 4. Amstelodami, 1694 », Journal des savants, 18 juillet 1695 (n° 28), p. 333-336 (276-279), et du 25 juillet 1695 (XXIX), p. 337-341 (279-283). 39. T. Burnet, Telluris Theoria Sacra, op. cit. 40. Journal des savants, 18 juillet 1695, op. cit., p. 333 (276). 41. Ibid., p. 334 (277).

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présentés par Burnet offrent donc un certain intérêt, mais pour autant, il n’adhère pas davantage à la solution de Burnet. « T. Burneti Telluris Theoria Sacra, … », Journal des savants du 18 juillet 1695 (n° XXVIII), p. 333-336 (276-279), extraits des pages 333-334 (276-277). […] Selon lui, la mer n’a pas un quart de lieue de profondeur dans toute son étendue. Supposant qu’elle occupe la moitié du globe, il conclut qu’il auroit fallu huit fois plus d’eau qu’elle n’en contient pour égaler la hauteur des montagnes d’Arménie. De plus, les régions de l’air croissent en étendue, à mesure qu’elles s’éloignent du centre, & qu’elles s’élevent au-dessus de la surface. Il auroit donc fallu pour le moins huit fois autant d’eau qu’il y en a dans la mer pour causer le déluge. D’ailleurs il y a dans la terre d’immenses concavités qu’il falloit remplir. Les pluyes qui tombèrent ne suffisoient pas pour suppléer au défaut de la mer. Ceux qui ont mesuré l’eau de la pluye ont observé que lors qu’elle est le plus abondante, l’eau qui tombe en demie heure dans un vaisseau cubique d’airain, qui n’en boit point comme fait la terre, n’a qu’un pouce & demi de hauteur ; d’où il insère que l’eau qui tomba durant le déluge ne pût être en une demie heure que d’un pouce de hauteur, & que celle qui tomba en quarante jours & en quarante nuits, ne put s’élever que de 160 pieds audessus de la surface de la terre, & qu’il auroit fallu qu’elle eût été quatre-vingt treize fois plus abondante pour couvrir les montagnes d’Arménie, dont le sommet est plus haut d’une lieue que l’horizon. Que si l’on appelle au secours les eaux qui sont au-dessus du Ciel, M. Burnet répond que ces eaux-là ne sont plus reçues maintenant que la fluidité des cieux est connue. Celles qui sont cachées dans les concavités de la terre n’ont pu tout au plus égaler que celle de l’Océan. Que si quelqu’un s’avise d’avancer que Dieu créa de nouvelles eaux pour inonder la terre, & qu’il les anéantit lorsqu’elles eurent servi à sa vengeance, c’est au jugement de M. Burnet une pensée peu digne de la majesté de Dieu que de lui attribuer de nouvelles eaux. Aussi y a-t-il peu d’Auteurs qui admettent une nouvelle création depuis que le monde fut achevé. Moïse même semble insinuer que les eaux s’écoulèrent peu à peu, & qu’elles ne furent point annéanties. Enfin si Dieu avoit créé des eaux, il auroit fallu que pour les placer il eût anéanti d’autres corps, puisque les corps ne se pénètrent point. […]

En 1695, à propos des difficultés liées au Déluge, le ton du journaliste est moins polémique qu’en 1683, Burnet est presque excusé : « Ces dificultez portent M. Burnet à chercher un autre moyen pour expliquer comment arriva le déluge. Il supose que toute l’eau qui est dans la nature ne suffisoit pas pour le former de la manière qu’on le conçoit ordinairement »42. Toutefois, la solution avancée par Burnet ne sort que de son imagination : « Pour en trouver la quantité nécessaire, il s’imagine que le déluge arriva par une ouverture survenue à la surface de la terre, qui lorsqu’elle sortit du cahos avoit une autre forme qu’elle n’a aujourd’hui. Cette forme la rendoit sujette à se rompre & à s’entrouvrir, & elle se rompit & s’entrouvrit en effet »43.

42. Ibid., p. 334 (277). 43. Ibid.

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Dans la suite, comme en 1683, le journaliste décrit le système imaginé par Burnet. Et il termine sur ce sujet par les paroles de Saint Pierre, citées par Burnet pour justifier sa thèse millénariste d’une future conflagration : Lorsque les digues de l’abîme furent rompues, comme dit Moyse, une de ses parties fit la mer, une autre s’enfonça dans les concavités du globe, la face de la terre changea, & fut coupée de montagnes & de valées, couverte d’étangs & de forêts, percée d’antres & de cavernes. La rupture de ces digues causa le déluge. Voilà le système de M. Burnet qu’il confirme par les paroles de saint Pierre qui voulant confondre les Philosophes qui nièrent la fin du monde & le jugement, dit que les cieux & la terre d’à présent sont gardés par la parole comme dans le trésor de Dieu, & sont reservés pour être brûlés par le feu au jour du jugement & de la ruine des hommes méchans & impies. M. Burnet trouve dans ces paroles la différence de l’ancienne terre & de la terre d’aujourd’hui, & y découvre la raison pourquoi l’ancienne fut sujette au déluge, & pourquoi celle d’aujourd’hui l’est à l’embrasement44.

Dans son second compte rendu, le journaliste s’intéresse à la Terre future de Burnet, second volet de sa théorie : J’ai touché dans la première partie de cet extrait ce que M. Burnet a pensé de l’ancienne face de la terre avant le déluge. Je toucherai dans celle-ci ce qu’il a pensé de la nouvelle qu’elle recevra lorsqu’elle sera purifiée par le feu45.

Le journaliste ne conteste pas la réalité de l’Apocalypse future : « Les Livres sacrés & les profanes nous apprennent que le monde ne durera pas toujours mais il ne nous est pas permis de sçavoir quand il finira. C’est une curiosité condamnée par l’Auteur de notre Religion dans la personne de ses Disciples. Il est certain que comme il a été changé par les eaux du déluge, il sera purifié par le feu du dernier embrasement »46. Cependant, lorsqu’il tient à préciser qu’il n’est pas permis de savoir la date de sa fin et que c’est une curiosité qui a été condamnée chez les disciples du Christ, il attaque visiblement les millénaristes qui croient pouvoir prédire la fin du monde, et donc Burnet. En tant que catholique, dans la France de Louis XIV qui vient de révoquer l’Édit de Nantes, le rejet du millénarisme par le journaliste français n’a rien de surprenant. Margaret C. Jacob a fort bien étudié l’entrelacement du millénarisme et de la science, qui se révèle essentiel dans les discussions sur le temps et sur la Terre47. Le millénarisme politique, présent à l’intérieur de l’Église Anglicane, a exercé une influence profonde sur l’œuvre de Burnet. L’arrivée au pouvoir d’un monarque catholique en Angleterre et la dispersion des Huguenots français à la suite de la révocation de l’Édit de Nantes, les deux en 1685, combinées avec la politique étrangère agressive de Louis XIV, ont créé une atmosphère quasi-hystérique chez une partie des protestants. Parmi les huguenots français réfugiés, Pierre Jurieu dénonce le roi de France comme l’incarnation de la bête et le chef de l’Empire Romain damné. Pour Margaret C. Jacob, Burnet identifiait entièrement ses intérêts à ceux de l’Église Anglicane, lorsqu’il écrivit la partie II de sa Théorie Sacrée. Comme beaucoup d’autres protestants, Burnet croyait que les luttes contre la domination et le pouvoir de Rome étaient

44. Ibid. 45. Journal des savants, 25 juillet 1695, op. cit., p. 337 (279-280). 46. Ibid., p. 337 (280). 47. M. C. JACOB, The Newtonians and the English Revolution, 1689-1720, Ithaca 1976 (19902).

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prédites dans les prophéties bibliques. Comme beaucoup de ses collègues, Burnet était ouvertement opposé à Jacques II et il bloqua sa tentative d’installer un pensionnaire catholique à Charterhouse48. Dans sa Theoria Sacra, Burnet s’efforce de donner une nouvelle dimension à la lutte contre l’Antéchrist. Le cours même de la nature, la cosmologie de l’univers, dépendent pour leur accomplissement de la défaite de la bête. En se basant sur le récit biblique de l’histoire humaine, Burnet essaye de fournir une explication plausible de la manière exacte dont, en termes physiques, le millénium arrivera. Insatisfait par notre monde, son espoir se nourrit dans l’accomplissement des prophéties bibliques, dans la destruction de la bête, et dans la création subséquente d’un nouveau ciel et d’une nouvelle Terre construite sur les ruines de l’ordre politique et physique présent49. La préoccupation principale de Burnet est de combiner raisonnement scientifique et prophétie millénariste. Le problème le plus intrigant présenté par le millénarisme de Burnet est de découvrir l’échelle de temps qu’il a prévue pour l’arrivée du millenium et la destruction de cette Terre. Il pense que l’événement se produira entre les cent et deux cents prochaines années, probablement à la fin du XIXe siècle (pour sa part, Newton penchait plutôt pour l’année 2000)50. Dans la version anglaise de son ouvrage, Burnet ne fera plus allusion à son travail sur cette échelle de temps. Son millénarisme ressort bien plus dans la version latine que dans la version anglaise, mais c’est justement de la version latine dont le Journal des savants traite. Burnet pensait qu’un jour Rome brûlerait, et le mécanisme qui initierait la conflagration lui a posé un problème intéressant d’un point de vue scientifique. C’est ce dont le journaliste français parle dans la suite : La question principale est de sçavoir comment cet embrasement arrivera, & par quelles causes il sera produit. », mais il poursuit en laissant entendre qu’il n’y a pas de date prévisible pour cette conflagration, Dieu la déterminera suivant son bon plaisir : « Dieu en sera sans doute la principale lorsqu’il lui plaira d’employer les créatures à cet effet, & qu’il se servira des huiles des souphres, des nitres, & des autres matières combustibles pour consumer les corps les plus solides nonobstant la résistance des eaux & des glaces51.

Sur le continent comme en Grande-Bretagne, la réception de Burnet, qui jusquelà restait assez mitigée, a viré à l’hostilité après la publication de son Archeologiae Philosophicae (1692)52. Ce travail érudit offrait essentiellement une étude des concepts antiques de l’origine et de l’histoire des commencements de la Terre. Dans la Théorie Sacrée, il avait fait relativement peu d’usage des écrits païens de l’Antiquité, alléguant que leurs cosmogonies mal développées montraient que leurs auteurs avaient conservé seulement une tradition confuse de la vraie histoire racontée par Moïse. En 1692, cependant, Burnet a semblé vouloir réduire tous les écrits antiques au même niveau d’autorité, y compris la Genèse. D’où, semble-t-il, l’avertissement du Journal à ses lecteurs selon lequel, Burnet avait « formé des pensées nouvelles, qui ont peine à trouver créance, même parmi ceux de sa Communion », critique plus sévère qu’en 1683. Alors que finalement, le journaliste fournit un résumé de la théorie de Burnet, moins critique qu’en 1683. Bien qu’il ait dédié son Archaelogiae Philosophicae à

48. Ibid., p. 110-111. 49. Ibid., p. 113-114. 50. Ibid., p. 116. 51. Journal des savants, 25 juillet 1695, op. cit., p. 337-338 (280). 52. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 147.

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Guillaume III, ce livre réveilla une telle opposition par son traitement allégorique de l’Écriture sainte que Burnet fut obligé de démissionner de son poste et de quitter la cour. Le Journal des savants précise en effet qu’ « il a peine à se persuader que la narration de Moïse doive être prise à la lettre, & qu’il ne faille pas plutôt lui donner un sens allégorique & spirituel ». Le journaliste ajoute : Ce qui le confirme dans cette pensée, c’est que l’Ecriture qui nous enseigne toutes les vérités qui regardent ou les mystères ou la morale, ne se sert pas toujours d’expressions parfaitement exactes pour expliquer les matières de Physique. C’est ainsi qu’elle décrit la terre comme si elle étoit platte, & le ciel comme s’il étoit solide & étendu en forme de pavillon. Elle en a usé de la sorte pour s’accomoder à la portée d’un peuple grossier & incapable de concevoir le véritable système du monde, le mouvement de la terre, & les autres phénomènes53.

Certes, cette opinion n’est pas nouvelle, mais apparemment elle a été très mal reçue par certains protestants anglais puisqu’elle a provoqué un scandale qui a coûté sa place à Burnet. Le journaliste atténue l’opinion de Burnet en écrivant que « M. Burnet demeure néanmoins d’accord qu’il n’est jamais permis de s’éloigner de la lettre sans nécessité ; & s’il s’en est éloigné hors de ce cas, il consent que ses lecteurs n’ayent aucun égard à son sentiment. Il s’attache étroitement à la doctrine du monde, & à faire adorer sa providence qui le gouverne. Tout ce que dit ce saint Prophète détruit les imaginations extravagantes & les fables ridicules de la Theogonie des Grecs expliquées par Hesiode, les fictions des Phéniciens conservées par Philo Biblius, & celles des Égyptiens rapportées par Diodore de Sicile »54. En fait, dans sa relation, le journaliste français paraît atténuer considérablement le côté explosif de l’ouvrage. À dire vrai, le compte rendu de l’ouvrage dans les Transactions paraît totalement neutre, et ne contient ni critique, ni jugement55. Peut-être, le journaliste anglais n’at-il pas osé prendre position dans un sens ou d’un autre, de peur d’être pris dans la polémique. On pourrait s’étonner que dans un pays protestant comme l’Angleterre, qui offrait a priori une plus grande liberté pour interpréter la Bible, Burnet ait eu de pareilles difficultés. En fait, on peut se demander si ce n’est peut-être pas tant le degré de liberté dont il a fait preuve qui a scandalisé, mais plutôt de réduire le statut de la Bible à un texte antique comme un autre, et de formuler des idées qui confinaient au déisme. Même critiquée, sa théorie de la Terre est loin de lui avoir causée de pareils désagréments et un tel scandale. Pour les opposants à Burnet, son explication naturaliste et mécanique est contraire à l’Écriture. Elle conduit à nier la thèse selon laquelle le Déluge aurait été provoqué par la volonté de Dieu afin de punir le comportement coupable du genre humain56. À cette attaque, Burnet répond que la coïncidence entre la série des événements naturels, provoqués par des causes mécaniques, et la série des événements moraux

53. Journal des savants, 25 juillet 1695, op. cit., p. 339-340 (281-282). 54. Ibid., p. 340 (282). 55. « An Account of Dr. Burnet’s Book, Entituled, Archeologiæ Philosophicæ, sive Doctrina Antiqua de Rerum Originibus Libri duo. Londini, Typis R. N. Impensis Gualteri Kettilby ad Insigne Capitis Episcopi in Cœmeterio Paulino. 1692 », Philosophical Transactions, mois de juin 1693, n° 201, p. 796-812. 56. « It be to conclude with an Advertisement to prevent any mistake or Misconstruction, as if this Theory, by explaining the Deluge in a natural Way, in a great Measure, or, by natural Causes, did detract from the Power of God, by which that great Judgment was brought upon the World in a providential and miraculous Manner » (T. BURNET, The Sacred Theory of the Earth, op. cit., vol. 1, p. 142).

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constitue, en elle-même, une preuve de la sagesse divine. Dieu a, pour ainsi dire, synchronisé les deux mondes humain et naturel, intellectuel et matériel, les événements de l’histoire humaine et la chaîne des causes qui ont provoqué le Déluge : J’emploie ces comparaisons pour nous convaincre, que ce n’est aucune dépréciation de la Providence divine, que le cours de la nature soit exact et régulier, et que même dans ses changements les plus grands et ses révolutions elle doit toujours contribuer et être prête à correspondre aux fins et aux buts de la volonté divine en rapport au monde moral. Cela me semble être le grand art de la divine Providence, d’ajuster ainsi les deux mondes, humain et naturel, matériel et intellectuel, prévoyant ainsi les possibilités et les états futurs de chacun, selon le premier état et les circonstances sous lesquelles elle les met, qu’ils correspondent et s’accordent les uns avec les autres tout au long, et particulièrement dans leurs grandes crises et périodes57.

Cependant, alors qu’il prétend ne nier en aucune façon les miracles, et qu’il insiste sur le fait que la nature n’agit pas sans la primauté de la providence, il déclare également que recourir au miracle est une confession d’ignorance de la nature58. Dans sa théorie, le Déluge devient essentiellement une affaire de physique, où l’on a bien du mal à retrouver la décision de Dieu de punir le péché. En outre, Burnet est bien loin d’interpréter de manière littérale le texte biblique, au contraire, il fait preuve d’une très grande liberté dans son interprétation de la Genèse. En fait, il la contredit sur de nombreux points. Ainsi, alors que le récit biblique raconte que « Les eaux montèrent quinze coudées plus haut, recouvrant les montagnes » (Gen. VII, 20), Burnet tire argument du fait qu’il n’y avait pas assez d’eau pour couvrir les montagnes (il refuse de recourir à la création miraculeuse de l’eau nécessaire) pour dire que les montagnes n’existaient pas encore, ce qui lui permet de sauvegarder l’universalité du Déluge. Mais il entre en contradiction flagrante avec l’Écriture qui fournit ici un détail précis, si la Genèse parle de montagnes, au sens littéral, c’est qu’elles existaient. Mais pour beaucoup de critiques britanniques, l’existence de montagnes antédiluviennes paraissait une bagatelle comparée à des convictions chrétiennes plus profondes et néanmoins défiées par Burnet. Ainsi, dès 1690, le révérend Erasmus Warren écrit pour défendre, dit-il, la Religion agressée dans son fondement même par « le Théoriste », c’est-à-dire Burnet59. Pour Warren, la théorie de Burnet implique que le Déluge serait arrivé même si l’homme n’avait pas péché, il réfute énergiquement cet assaut contre la justice de Dieu et la providence. En 1721, à travers un compte rendu d’un ouvrage de l’oratorien Bernard Lamy, les Mémoires de Trévoux critiquent la théorie de Burnet d’une manière bien plus violente que le Journal des savants (voir texte encadré ci-dessous). Les Mémoires de Trévoux accusent Burnet d’anéantir le miracle, d’avancer des thèses sans fondements : « Sur

57. « I use these Comparisons to convince us, that it is no Detraction from divine Providence, that the Course of Nature is exact and regular, and that even in its greatest Changes and Revolutions it should still conspire and prepar’d to answer the Ends and Purposes of the divine Will in reference to the moral World. This seems to me to be the great Art of divine Providence, so to adjust the two World, human and natural, material and intellectual, as seeing thro’ the Possibilities and Futuritions of each, according to the first State and Circumstances he puts them under, they should all along correspond and fit one another, and especially in their great Crises and Periods » (ibid., p. 144). 58. Cf. T. BURNET, The Sacred Theory of the Earth, op. cit., p. 303, p. 314-315 (édition de 1684). 59. E. WARREN, Geologia, or a Discourse Concerning the Earth before the Deluge, Londres 1690.

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Quel fondement ce temeraire critique suppose-t-il que le système du monde n’est pas aujourd’hui le même que Dieu établit au commencement de la Création ? »60 « De Tabernaculo Fœris, & de Templo ejus. Libri septem. Autore Bernardo Lamy Congregationis Oratorii Presbytero. Parisiis, apud Dionisium Mariette, Joannem-Baptistam Delespine, & Joannem Mariette. Du Tabernacle de l’Ancienne alliance, de la ville de Jerusalem, & de son Temple ; par le P. Bernard Lamy Prêtre de l’Oratoire. in fol. Colon. 1359. sans y comprendre la Preface, les Tables & les Figures. », Mémoires de Trévoux de Juillet 1721, Article LIV, p. 1209 et suiv. (extraits des pages 1221 à 1223). Le P. Lamy, pour expliquer plus aisément comment la terre fut entièrement couverte d’eaux au tems du Déluge, suppose que par un tremblement de terre extraordinaire, plusieurs hautes montagnes ayant disparu & s’étant enfoncées, ces grands reservoirs d’eaux renfermez auparavant dans les abîmes souterrains furent poussez en haut & se repandirent sur la surface du globe terrestre. On ne trouve rien à dire à cette supposition, quoiqu’elle soit d’ailleurs toute arbitraire & n’ait aucun fondement dans l’Ecriture. Mais on est surpris que pour l’appuier l’Auteur approuve & loue le sentiment du sieur Burnet, qui n’attribue ce pretendu tremblement qu’à des causes naturelles, prévues seulement & ordonnées par la providence divine. Ce philosophe Anglois dont les livres ont d’ailleurs scandalisé tout le monde Chrétien par sa manière d’expliquer ou plutôt d’anéantir tout ce qu’on lit de merveilleux dans l’Ecriture, en le faisant regarder comme des suites naturelles de l’arrangement de l’Univers, ou comme des effets necessaires des causes secondes ; ce Philosophe, dis-je, suppose encore que le globe même de la terre changea alors de place. Au lieu que ses poles repondoient auparavant aux poles du Zodiaque même, d’où s’ensuivoit un équinoxe & un printems perpetuel & general ; la terre prit par ce tremblement la situation qu’elle a presentement. De là la difference des saisons, les froids cuisans, les chaleurs excessives, les maladies & les autres incommoditez, suites funestes de cette secousse, & du déluge qu’elle produisit en partie. Sur Quel fondement ce temeraire critique suppose-t-il que le système du monde n’est pas aujourd’hui le même que Dieu établit au commencement de la Création ? Dans son hypothèse d’un équinoxe perpetuel, de quelle sorte de printems jouiroit-on sous l’Equateur & la Zone torride ? Sous les poles & les Zones voisines ? Le printems même perpetuel des Zones tempérées auroit-il été suffisant pour faire meurir les fruits & les moissons & pour rendre la terre fertile ? L’Evriture ne nous dit-elle pas que Dieu créa le soleil & la lune pour faire la distinction des saisons, des jours & des années, in tempora, & dies, & annos ? Quel eût été le partage, le comencement & la fin des années, dans une supposition où il n’y eût eu qu’une saison toujours permanente & des jours égaux ?

Une vingtaine d’années plus tard, le père Castel, commentant la théorie de Bourguet, sera encore plus direct et radical : le Déluge ne doit pas & ne peut point s’expliquer naturellement… Il est douloureux de voir des gens sages dans ces fantaisies d’hypothèses, qui veulent tout expliquer

60. « De Tabernaculo Fœris, & de Templo ejus. Libri septem. Autore Bernardo Lamy Congregationis Oratorii Presbytero. Parisiis, apud Dionisium Mariette, Joannem-Baptistam Delespine, & Joannem Mariette. Du Tabernacle de l’Ancienne alliance, de la ville de Jerusalem, & de son Temple ; par le P. Bernard Lamy Prêtre de l’Oratoire. in fol. Colon. 1359. sans y comprendre la Preface, les Tables & les Figures », Mémoires de Trévoux de Juillet 1721, Article LIV, p. 1209 et suivantes.

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physiquement, la Création même & les Miracles… Par un juste châtiment de la Providence, il arrive qu’en renonçant à la saine Théologie, on donne dans une misérable Physique61.

La position extrême des Mémoires de Trévoux ne correspond cependant pas à celle du Journal des savants. Certes le Journal s’est montré critique envers la théorie de Burnet mais, pour autant, il ne rejette pas toute possibilité d’explication physique de la Genèse, et plus spécialement du Déluge. Le Journal ne semble pas se préoccuper du problème de la destruction du miracle, mais plutôt du manque de fondements des thèses de Burnet. III. Les considérations de John Beaumont sur la théorie de la Terre de Burnet Les Philosophical Transactions de septembre 1693 présentent le compte rendu d’un ouvrage : « Considerations on a Book Entituled, The Theory of the Earth : Publish’d some Years scince by the Learned Dr. Burnet »62, écrit par John Beaumont, un médecin provincial, naturaliste et amateur d’antiquités, fort versé dans l’étude des objets terrestres, et possédant une collection de fossiles très réputée63. L’auteur souhaite livrer au public ses propres réflexions sur la théorie de la Terre soutenue par Burnet. Il se propose de suivre le plan de Burnet, la première partie traitant du Déluge et de la dissolution de la Terre, et la seconde partie, de la Terre primitive et du Paradis. Le journaliste précise que bien que plusieurs personnes aient déjà publié quelques réflexions sur cette théorie, l’auteur de ces considérations argumente d’une manière différente de la leur. John Beaumont soutient des positions très audacieuses. Il a visiblement de sérieux doutes sur la chronologie biblique. Il écrit que si de telles déviations étaient permises, on opterait pour un monde éternel ou, du moins, si vieux que son origine échapperait à l’humanité. Mon opinion (dit-il encore) « est qu’aucune des montagnes de la Terre n’est une montagne originelle, ou qui existait lorsque naquit le monde, et j’ai conclu avec Aristote, que la mer et la terre ont changé de place, et continuent à le faire »64. Le compte rendu des Transactions laisse transparaître les opinions de l’auteur et son opposition au chaos et à la formation du monde prônés par Burnet : Tandis qu’un chaos est décrit dans la théorie (comme la base sur laquelle son auteur propose de la construire) d’où le monde est dit s’être formé progressivement : il montre qu’il n’y a aucune raison substantielle, pour admettre un chaos, et que, aussi loin que la compréhension humaine peut atteindre, le monde devrait avoir été dans un état parfait depuis l’éternité, selon l’opinion d’Aristote, son origine dans le temps étant simplement un point de foi. Et en admettant un chaos et une formation graduelle du monde à partir de lui, il trouve qu’il a exposé une Explication plus naturelle du Modus, que celle que l’on propose dans la théorie. Et encore, en admettant la formation originelle du monde, comme la théorie l’a représenté, à savoir par un premier dépôt du chaos, et une couche d’eaux ou une couche d’abîme par-dessus, et une couche de terre sur tous les

61. Mémoires de Trévoux, t. XL, 1740, p. 1660-1665. 62. « Considerations on a Book Entituled, The Theory of the Earth : Publish’d some Years since by the Learned Dr. Burnet. Written by John Beaumont, jun. Gent », Philosophical Transactions, septembre 1693, n° 203, p. 888-892. 63. Voir F. ELLENBERGER, op. cit., t. II, p. 118. 64. Ibid., p. 119.

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deux, qui constituaient la Terre primitive ou antédiluvienne, il pense qu’il a démontré comme impossible, que le Déluge de Noé et la formation de la présente Terre doivent avoir été causés pour cette raison, et ceci tant d’après les dimensions des couches de terre et d’eaux, décrites dans les schémas de la théorie, que selon d’autres dimensions qui semblent être là indiquées ; et il ne conçoit aucunes autres proportions qui soient assignables à de telles couches, pour produire lesdits effets, mais il sera capable de montrer la même impossibilité65.

John Beaumont conteste le fait que la Terre ait été différente, sans relief, avant le Déluge. L’axe de la Terre n’a pas non plus été modifié. Mais comme bien des opposants, John Beaumont reproche également à la théorie de Burnet d’éliminer l’intervention divine, il lui reproche de détruire le miracle. En fait sa position rejoint celle des Mémoires de Trévoux. Dans la Bible, lorsque les choses sont décrites comme étant le résultat d’un miracle, il ne faut pas chercher à les expliquer par des causes naturelles : Et alors que le motif qui a incité l’auteur de la théorie à l’écrire, était (comme il dit) de justifier les doctrines du Déluge universel et du Paradis, par une nouvelle Lumière de la nature et de la philosophie, l’auteur des Considérations pense, que quand les choses sont décrites dans les Écritures, comme fondées sur une Providence particulière, comme il conçoit que sont le Déluge et le Paradis, nous ne devons pas essayer de leur assigner des causes naturelles, qui ne font que détruire le miracle en l’amoindrissant ; là n’existe aucune loi divine mais on doit montrer Dieu comme un agent le plus libre, et agissant souvent à côté et contrairement à la tendance et au cours ordinaire de n’importe quelles causes naturelles66.

65. « Whereas a Chaos is represented in the Theory (as the ground on which its Author proposes to build it) whence the World is said to have risen in time : He shews that there is no material Reason, why a Chaos should be admitted, and that, as far as Humane Understanding can reach, the World may have been in a perfect state from Eternity, according to the Opinion of Aristotle, its Rise in time being meerly a Point of Faith. And admitting a Chaos, and a gradual Formation of the World from it, he conceives he has represented a more natural Explication of the Modus, than that which is propos’d in the Theory. And again, admitting the Original Formation of the World, as the Theory has represented it, viz By a first Sediment of the Chaos, and an Orb of Waters or an Abyss Orb over that, and an Orb of Earth over both ; which made the Primigenial or Antidiluvian Earth, he thinks he has shewn it impossible, that Noah’s Deluge and the Formation of the present Earth should have been thence caus’d, and this both according to the Proportions of the Orbs of Earth and Waters, represented in the Schemes of the Theory, and according to other Proportions which seem to be there intimated ; and he conceives no other Proportions whatsoever assignable to such Orbs, for producing the said Effects, but he shall be able to shew the same Impossibility » (Philosophical Transactions, septembre 1693, op. cit., p. 889). 66. « And whereas the Motive which induc’d the Author of the Theory to write it, was (as he says) to justifie the Doctrines of the Universal Deluge and of Paradise, by a new Light of Nature and Philosophy ; the Author of the Considerations thinks, that when things are represented in the Scriptures, as grounded on a particular Providence, as he conceives the Deluge and Paradise are, we ought not to endeavour to assign Natural Causes for them, which do but destroy the Miracle by lessening it ; there being no Divine Law but must set forth God as a most free Agent, and often acting beside and contrary to the tendency and common course of any Natural Causes whatsoever » (ibid., p. 892).

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IV. L’histoire de la Terre selon John Woodward Au mois d’octobre 1695, les Transactions présentent un compte rendu de l’ouvrage de John Woodward (1665-1728), Essay Toward a Natural History of the Earth (Londres, 1695)67. John Woodward, d’origine modeste, était parvenu néanmoins à une situation élevée, malgré un caractère exécrable : excentricité, vanité, affection et emportement68. En 1692, à l’âge de vingt-sept ans, il était nommé à la chaire de physique du Gresham College de Londres, et l’année suivante, il était élu membre de la Royal Society. Il obtint le grade de docteur en médecine en 169569. Il s’occupait d’archéologie, de physiologie végétale et de médecine. Mais il se consacra surtout à un inventaire méthodique du sous-sol anglais. Naturaliste passionné par les observations directes sur le terrain, Woodward constitua une collection exceptionnelle de fossiles comptant plus de neuf mille spécimens britanniques et étrangers (dont la collection de Scilla que Woodward racheta en 1717)70. Les Transactions réservent un accueil très favorable à l’ouvrage de Woodward. En introduction de sa relation, le rédacteur rend non seulement hommage aux travaux de l’auteur, mais il adhère également à ses thèses en déclarant que beaucoup de ses conclusions sont vraiment importantes et d’un grand poids71. D’une manière générale, le ton adopté tout au long de la relation tend d’ailleurs à montrer l’adhésion du journaliste aux idées de Woodward et à ses démonstrations. Pour des naturalistes comme Ray, la lacune la plus évidente de la théorie de Burnet était d’ignorer totalement les fossiles. Woodward au contraire les intègre dans sa théorie. Contrairement à Burnet, il veut également accorder son système à certaines précisions fournies par la Genèse : non seulement les montagnes ont existé avant le Déluge, mais il y a eu aussi assez d’eau pour les couvrir, les eaux venant des pluies et de l’ouverture du « grand abîme »72. Woodward réaffirme l’origine organique des fossiles marins, mais il a observé deux choses qui lui paraissent fondamentales, les fossiles sont présents un peu partout et inclus à l’intérieur même des roches, et il est persuadé d’avoir établi une corrélation entre le poids spécifique des fossiles et celui de la matière des strates qui les contient, tous deux décroissant du bas vers le haut : Parmi d’autres choses, il observe que de grands nombres de coquillages et d’autres corps marins se trouvent dans ces strates terrestres, aussi bien dans les plus solides, (comme la pierre et le marbre, où ils sont incorporés, étant logés entre la matière qui

67. « An Essay toward a Natural History of the Earth, and Terrestrial Bodies, especially Minerals : As also of the Sea, Rivers, and Springs. With an Account of the Universal Deluge, and of the Effects that it had upon the Earth. By John Woodward, M. D. Professor of Physick in Gresham College, and Fellow of the Royal Society. Printed for Ric. Wilkin at the King’s Head in St. Paul’s Church-yard. 1695. Octavo », Philosophical Transactions, octobre 1695, n° 217, p. 115-123. 68. Cf. G. L. DAVIES, The Earth in Decay, op. cit., p. 75. 69. Voir la notice biographique rédigée par V. A. EYLES dans C. C. GILLISPIE (éd.), Dictionary of scientific biography, vol. 14, op. cit., p. 500-503. 70. Voir F. ELLENBERGER, op. cit., t. II, p. 120-121. 71. « The Author of this Book having with great Industry, and no less success, made Enquiry into many considerable Parts of Nature, hath thought fit here to set sorth an Account of several of his Observations, and of certain Conclusions which he hath drawn from them, whereof many are indeed of great weight and moment » (Philosophical Transactions, mois d’octobre 1695, op. cit., p. 115). 72. « En l’an six cent de la vie de Noé, le second mois, le dix-septième jour du mois, ce jour-là jaillirent toutes les sources du grand abîme et les écluses du ciel s’ouvrirent. La pluie tomba sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits » (Gn. 7, 11-12).

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les compose, et trouvés au milieu de la pierre des roches et des carrières) que dans celles qui ne sont pas aussi dures ; comme la craie, l’argile, et ainsi de suite : et cela dans les pays les plus centraux aussi bien que dans ceux qui sont plus proches de la mer. Il observe, que ces coquillages sont ainsi trouvés inclus dans cette matière terrestre de la surface de la Terre en bas au fond même des carrières les plus profondes et des mines : qu’ils résident selon l’ordre de leur gravité spécifique, les genres plus lourds plus profonds, les plus légers plus proches de la surface de la Terre, et tous deux, l’un et l’autre, au milieu de la matière terrestre, qui est de la même gravité spécifique dont ils sont : et cela non seulement en Angleterre, mais en d’autres parties de l’Europe, voire en Asie, Afrique, et Amérique ; ou en un mot, dans tout le monde entier. Mais parce que beaucoup d’hommes érudits récents ont douté si ceux-ci [ces coquillages] étaient vraiment des coquillages ou non, il enlève ce doute et répond à leurs objections, prouvant qu’ils sont des coquillages réels, autrefois coquillages vivants, et qu’ils ont été à l’origine engendrés dans la Mer73.

Avant de formuler sa théorie pour expliquer ses observations, Woodward examine, pour les réfuter, les différentes thèses proposées par d’autres auteurs pour expliquer comment des coquillages ont pu être apportés sur la terre, et en particulier ceux qui supposent de « grands changements de mer et de terre ». Woodward nie quasiment tout changement géologique depuis le Déluge : Mais à ces opinions notre auteur répond, qu’elles sont privées de tout véritable fondement, et contraires à l’observation ; qu’elles ne peuvent absolument jamais rendre raison des circonstances de ces corps marins, comme de leur existence inclue au milieu des Roches, de leurs nombres, ordre, variété, profondeur dans la Terre, distance d’une quelconque mer, et d’autres choses de ce genre. Ainsi encore que de tels changements soient réellement arrivés comme ils le supposent, malgré tout ces coquillages, &c. ne pourraient jamais par eux avoir été mis dans la situation où ils sont maintenant trouvés ; mais il ajoute plus loin, qu’il n’y a pas de raison de croire que de tels changements soient jamais arrivés, n’ayant pas la moindre expression ou de la surface de la Terre présente, ou de n’importe quels rapports crédibles et authentiques de l’état ancien, mais que le globe est à ce jour presque dans le même état où le Déluge universel l’a laissé. Finalement, il examine ce qui a induit en erreur tant d’hommes érudits, particulièrement parmi les anciens, dans une croyance de tels changements de

73. « Amongst other things, he observes that there are lodged vast Numbers of Sea-shells, and other Marine Bodies, in these Terrestrial Strata, as well as in the more solid ones, (as stone and Marble, where with they are incorporated, being lodged amongst the matter whereof they consist, and found in the midst of the Stone of Rocks and Quarries) as in those that are not so hard ; such as Chalk, Clay, and the like : And this in the most midland Countries as well as in those which are nearer to the Sea. He observes, that these Shells are thus found inclosed in this Terrestrial Matter from the Surface of the Earth down to the very bottom of the deepest Quarries and Mines : That they lye according to the order of their Specifick Gravity, the heavier kinds deeper, the lighter nearer unto the surface of the Earth, and both the one and the other amongst Terrestrial matter, that is of the same Specifick Gravity that they are of : And this not only in England, but in other parts of Europe, yea, in Asia, Africa, and America ; or in short, all the World over. But because many Learned Men of late have doubted whether these were truly Shells or not, he removes that Doubt, and answers their Objections, proving these to be the real Shells of once living Shell-Fish, and that they were originally generated in the Sea » (Philosophical Transactions, mois d’octobre 1695, op. cit., p. 115-166).

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mer et de terre, montrant que c’était principalement leur rencontre avec ces coquillages dans leurs champs et leurs carrières74.

La théorie de Woodward repose sur son étrange idée, au demeurant fort peu biblique, d’une liquéfaction générale accompagnant le Déluge. Woodward a été inspiré par l’épouvantable déluge du stoïcien Sénèque, qu’il a transposé dans le passé75. À ses yeux, cette dissolution générale explique toutes les observations géologiques, et particulièrement sa découverte de la relation empirique entre le type de fossiles et la densité des roches. Naturellement, il ne peut pas penser à mettre ces différences de faunes en relation avec le temps. Woodward attribue la dissolution de toutes les roches au moment du Déluge à une intervention divine : Dans la deuxième partie il traite du Déluge universel, pour prouver que ces corps marins ont été alors laissés sur la terre, et qu’au Déluge il arriva plusieurs changements très grands et étranges dans le globe terrestre, en particulier que le globe entier a été alors dissous, les particules de pierre, de marbre et tous les autres fossiles solides furent dissous, absorbés dans l’eau, et maintenus là, avec des coquillages et d’autres corps d’animaux et de végétaux : qu’à la fin tous ceux-ci tombèrent au fond de l’eau, selon l’ordre de leur gravité ; les corps les plus lourds en premier, puis ceux qui étaient plus légers, mais tout ce qui avait le même degré de gravité, déposé en même temps ; en sorte que ces coquillages ou d’autres corps qui étaient de la même gravité spécifique que le sable, tombèrent au fond avec lui, et donc furent inclus dans les strates de pierre que le sable a formé : ces coquillages qui étaient plus légers, et seulement de la même gravité que la craie (dans de semblables parties de la masse où était de la craie) se sont déposés au fond en même temps que les particules crayeuses, et par ces moyens sont devenus inclus dans les strates de craie, et de la même manière pour tout le reste76.

74. « But to these Opinions our Author replyes, that they are destitute of all true Foundation, and repugnant to Observation ; that on them can never possibly be accounted for the Circumstances of these Marines Bodies, as their being lodged in the middle of the Rocks, their Numbers, Order, Variety, depth in the Earth, distance from any Sea, and the like. So that though such Changes as they suppose had really happened, yet these Shells, &c. could never by them have been put into the condition wherein they are now found ; but he further adds, that there is not any Reason to believe that such Changes did ever happen, they having not the least Countenance either from the present face of the Earth, or any Credible and Authentick Records of the Ancient state of it, but that the Globe is to this day nearly in the same condition that the Universal Deluge left it. Lastly, he enquires what it was that misled so many Learned Men, especially amongst the Ancients, into a belief of such Alterations of Sea and Land, shewing that it was chiefly their meeting with these Shells in their Fields and Quarries » (ibid., p. 117). 75. Chez Sénèque, le cataclysme (futur) ne consiste pas seulement en une submersion de la terre habitée. Woodward rappelle ses propos : « la terre « changea & se tourna en fluide… Il étoit nécessaire que ses parties fussent détruites, afin qu’elle put être formée de nouveau » (J. WOODWARD, Géographie physique ou Essay sur l’Histoire naturelle de la Terre, Paris 1735, p. 269). 76. « In the Second Part he treats of the Universal Deluge, to prove that these Marine Bodies were then left at Land, and that at the Deluge there were made several very great and strange Alterations in the Terrestrial Globe, particularly that the whole Globe was then dissolved, the Particles of Stone, Marble, and all other Solid Fossils dissovered, taken up into the Water, and there sustained, together with Seashells, and other Animal and Vegetable Bodies : That at length all these subsided from the Water, according to the order of their Gravity ; the heaviest Bodies first, then those which were lighter, but all that had the same degree of Gravity, setled down at the same time ; so that those Shells or other Bodies that were of the same Specifick Gravity with Sand, sunk down together with it, and so were inclosed in the Strata of Stone which that Sand formed : Those Shells which were lighter, and but of the same Gravity with Chalk (in such parts of the mass where any Chalk was) subsided at the same time that the Chalky Particles did,

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Woodward explique la formation d’une nouvelle croûte de terre par le dépôt en strates de tout ce que l’eau contenait en suspension. Cependant, il n’explique pas pourquoi les strates se sont cassées et disloquées. Contrairement à Descartes ou à Burnet, il ne fournit pas de causes qui soient responsables de la formation du relief terrestre, ce qui constitue une lacune dans sa théorie : Il montre comment la Terre présente a été formée de cette masse mêlée de sable, de terre, de coquillages et du reste, retombant de l’eau et se déposant au fond : et que ce dépôt était plat et égal, les strates continues, et par conséquent le globe d’abord uniforme et sphérique, l’eau s’étendant par-dessus tout, recouvrant et entourant le globe entier : qu’au bout de quelque temps lesdites strates furent cassées et disloquées, certaines surélevées, et d’autres rabaissées, par lesquelles voies toutes les inégalités du globe, les fissures, les grottes, les montagnes, les vallées, les îles, le lit de la mer, et toutes les autres furent formées ; le globe terraqueux entier étant au moment du Déluge mis dans l’état que nous contemplons à ce jour77.

Rompant avec la tradition cartésienne, le globe terrestre de Woodward est creux et entièrement rempli d’eau, c’est le « grand abîme » : [Il montre que] cet abîme communique avec l’océan au moyen de certaines cavités communiquant entre elles, et c’est le fonds permanent qui fournit de l’eau à la surface de la Terre, aussi bien que les sources et les rivières, que les vapeurs et la Pluie : qu’il y a un feu presque uniforme et constant ou une chaleur disséminée partout dans le corps de la Terre qui évapore l’eau de l’abîme, l’élevant de là jusqu’à la surface de la Terre, où une partie d’elle jaillit en vapeur, monte dans l’atmosphère, et retourne de nouveau en pluie, &c. Le reste (par une position particulière et le mécanisme des strates près de la surface de la Terre, que l’auteur décrit) est condensé ou collecté, et renvoyé dans les sources et les rivières ; desquels il considère et explique les divers détails, comme aussi la cause finale de cette distribution d’eau à la surface de la Terre : que cette chaleur souterraine est la cause des tremblements de terre, desquels il relate beaucoup de phénomènes étranges, montrant d’où chacun procède : que des volcans, comme l’Etna et le Vésuve, ne sont rien que des éruptions ou des décharges de ce feu souterrain78.

and by that means became lodged in the Strata of Chalk, and in like manner all the rest » (Philosophical Transactions, octobre 1695, op. cit., p. 118). 77. « He shews how the present Earth was formed out of this promiscuous mass of Sand, Earth, Shells and the rest, falling down again and subsiding from the Water : And that this Sediment was plain and equal, the Strata continuous, and consequently the Globe at first even and Sphærical, the Water lying above all, covering and environing the whole Globe : That after a while the said Strata were broken and dislocated, some elevated, and others depressed, by which means all the inequalities of the Globe, Fissures, Grottoes, Mountains, Valleys, Islands, the Chanel of the Sea, and all others were formed ; the whole Terraqueous Globe being at the time of the Deluge put into the condition that we at this day behold » (ibid., p. 119). 78. « that this Abyss communicates with the Ocean by means of certain Hiatus’s passing betwixt them, and is the standing Fund which supplies Water to the surface of the Earth, as well Springs and Rivers, as Vapours and Rain : That there is a nearly Uniform and constant Fire or Heat disseminated throughout the Body of Earth which evaporates the Water of the Abyss, elevating it thence up to the surface of the Earth, where part of it issues forth in Vapour, ascends into the Atmosphære, and is returned back again in Rain, &c. the rest (by a particular Posture and Mechanism of the Strata near the surface of the Earth, which the Author describes) is condensed or collected, and sent forth in Springs and Rivers ; the several Circumstances of which he considers and accounts for, as also the final Cause of this Distribution of Water to the surface of the Earth : That this Subterranean Heat is the cause of Earthquakes, the many strange Phænomena of which he relates, shewing whence each proceeds : That Vulcanoes, such as Ætna

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Le journaliste n’en parle pas, mais Woodward explique le Déluge par une influence surnaturelle opérée par Dieu sur cette chaleur souterraine qui vaporisa en quantité les eaux du grand abîme, ce qui provoqua la formation d’une grande quantité de vapeur exerçant une forte pression sur la croûte terrestre, d’où une élévation du niveau des océans envahissant les terres. Puis, sous l’effet de la pression de la vapeur, la croûte se fendit aux endroits les plus fragiles, provoquant l’irruption des eaux internes de la planète. On connaît la suite, la Terre submergée au moment du Déluge universel, les eaux dissolvent toute la masse des terres. Contrairement à Burnet qui expliquait physiquement le Déluge et ses effets, Woodward fait encore appel au miracle, puisque aucune cause naturelle ne pouvait produire la dissolution des roches et des métaux dans l’eau du Déluge. Cependant, la relation du journaliste montre que Woodward lie le Déluge à la faute originelle, puisqu’à la suite de la faute d’Adam, le monde devait forcément être remodelé pour une humanité devenue plus fragile. Ce qui constitue une interprétation très libre car, pour la Genèse, le Déluge est un châtiment envoyé par Dieu pour punir la corruption d’une humanité pervertie du temps de Noé. D’autant que la Bible ne dit certainement pas que le Déluge a été nécessaire pour adapter le monde à la fragilité de la condition humaine : Ensuite il montre que cette grande révolution a été provoquée par la main de Dieu Tout-puissant, et cela simplement de la bonté et de la compassion pour l’humanité : que la Terre primitive a été conçue et adaptée à l’état premier et innocent de l’humanité ses habitants, et pour laquelle utilisation elle fut faite ; mais quand la nature humaine eut, par la chute d’Adam, subi un si grand changement, il fut tout à fait évident que la Terre devrait subir aussi un changement ; qu’elle devrait être remodelée, et mieux adaptée à la frêle condition présente de l’humanité ; et un tel changement (comme il l’établit plus généralement) a été apporté par le passage du Déluge79.

En revanche, suivant en cela le texte de la Genèse, et contrairement à Burnet, Woodward affirme que la Terre primitive possédait un aspect semblable à celui qu’elle présente aujourd’hui, et qu’elle était soumise aux mêmes variations climatiques qu’actuellement. Toutefois le relief antédiluvien a disparu à la suite du Déluge universel, celui que nous voyons maintenant est le résultat d’un remodelage de la terre : La sixième partie concerne l’état de la Terre, et ses productions, avant le Déluge ; où il affirme contre l’auteur de la théorie, que le visage de la Terre antédiluvienne n’était pas lisse, mais inégal et différencié avec des montagnes, des vallées et des plaines, comme aussi avec la mer, des lacs et des rivières : que la mer était alors de la même étendue, et s’entremêlait avec la terre, comme elle est maintenant : que l’eau de la mer était salée, et qu’elle était agitée par des marées, comme à présent : que la mer était abondamment remplie de poissons, comme l’étaient aussi les lacs et les rivières ; et que la Terre était

and Vesuvius, are nothing but Eruptions or Discharges of this Subterranean Fire ; and that the Thermæ or Hot Springs also owe their Heat entirely unto it » (ibid., p. 120). 79. « In the next place he shews that this great Revolution was brought about by the Hand of Almighty God, and that meerly out of Goodness and Compassion to Mankind : That the Primitive Earth was contrived and suited to the first and innocent state of Mankind its Inhabitants, and for whose use ’twas made ; but when Humane Nature had by the Fall of Adam suffered so great a Change, ’twas highly necessary the Earth should undergo a Change too ; that it should be fashioned a new, and better accommodated to the present frail condition of Mankind ; and such a Change (as he makes out more at large) was brought to pass at the Deluge » (ibid., p. 119).

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abondamment pourvue en végétaux et animaux : que les végétaux et les animaux de la Terre primitive n’étaient pas, en aucune façon différents de ceux de la Terre présente : qu’il y avait des métaux et des minéraux dans la Terre antédiluvienne : que le globe terraqueux avait alors les mêmes emplacement et position par rapport au soleil, qu’il a maintenant, et qu’il y avait les mêmes variations de chaleur et de froid, d’humide et de sec, d’été et d’hiver, qu’il y a maintenant80.

Au passage, on peut remarquer que Woodward affirme que les animaux et les végétaux de la Terre primitive ne différaient en rien de ceux du présent, affirmation manifestement en contradiction avec l’observation des fossiles, et pourtant émise par un spécialiste des fossiles reconnu en son temps. L’affirmation pourrait à la rigueur être admissible pour les fossiles des côtes méditérranéennes, mais certainement pas pour l’Angleterre, il suffit de se rappeler les objections de Martin Lister sur les fossiles des carrières anglaises. Mais Woodward s’attache justement à détailler les ressemblances des fossiles marins avec les organismes vivants. Il est tellement persuadé d’avoir découvert une vérité cruciale – le dépôt conjoint des couches et des organismes inclus par ordre de poids spécifique – qu’il s’accommode de toutes les invraisemblances de son scénario. Plusieurs fois dans son ouvrage, Woodward insiste sur le fait qu’il n’a pas imaginé son système a priori. Il affirme que ses thèses ne sont que la suite naturelle et nécessaire de ses observations81. Ce que rappelle le journaliste : « Notre auteur déduit ces propositions de ses observations sur les restes végétaux et animaux de la Terre antédiluvienne » ; et il poursuit en déclarant que Woodward « ayant soigneusement accordé avec ceci le récit que Moïse nous a laissés de la Terre, et du Déluge, il le trouve exactement et précisément en accord avec ce récit que nous avons de la nature ; et il s’efforce de montrer que le Dr. Burnet dans sa Théorie s’étant éloigné dans presque tous ces chapitres du récit Mosaïque, s’est comme manifestement éloigné de la nature et de la matière du fait »82. Certes, à première vue, Woodward semble avoir davantage respecté le récit biblique que Burnet. C’est apparemment ce que pense le journaliste. La Terre primitive de Woodward ressemble en effet à la Terre actuelle, mais le journaliste oublie un peu vite, par exemple, que l’hypothèse de sa dissolution générale (inspirée d’un auteur païen de l’Antiquité) ou certaines de ses interprétations ne se trouvent pas à proprement parler dans le texte sacré.

80. « The Sixth Part is concerning the state of the Earth, and the Productions of it, before the Deluge ; wherein he asserts against the Author of the Theory, that the face of the Antidiluvian Earth was not smooth, but uneven and distinguish’d with Mountains, Valleys, and Plains, as also with Sea, Lakes, and Rivers : That the Sea was then of the same Extent, and intermixt with the Land, as now it is : That the Water of the Sea was salt, and that it was agitated with Tides, as at present : That the Sea was abundantly replenish’d with Fish, as were also the Lakes and Rivers ; and that the Earth was a plentifully stockt with Vegetables and Animals : That the Vegetables and Animals of the Primitive Earth did not, in any wise differ from those of the present Earth : That there were both Metals and Minerals in the Antediluvian Earth : That the Terraqueous Globe had then the same Site and Position in respect of the Sun, that now it hath, and that there were the same Vicisitudes of Heat and Cold, Wet and Dry, Summer and Winter, that now there is » (ibid., p. 122). 81. Cf. J. WOODWARD, Géographie physique ou Essay sur l’Histoire naturelle de la Terre, op. cit., p. 244. 82. « These Propositions our Author deduces from his Observations upon the Vegetable and Animal Remains of the Antediluvian Earth ; and having carefully confer’d herewith the Account which Moses hath left us of the Earth, and of the Deluge, he finds it punctually and exactly agreeable to this Account which we have from Nature ; and endeavours to shew that Dr. Burnet in his Theory having in almost all these Heads receded from the Mosaick Account, hath as manifestly receded from Nature and Matter of Fact » (ibid., p. 122).

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Dans son compte rendu de l’ouvrage de Woodward, en janvier 1715, le Journal des savants, qui soutient Woodward contre son opposant Camerarius, ne semble pas pour autant convaincu par sa dissolution générale : Car, pour le dire en passant, l’auteur prétend que toute la masse de la terre, ayant été dissoute par les eaux du Déluge, il se forma ensuite une nouvelle terre dans le sein de ces eaux, composée des différens lits ou des differentes couches de la matière terrestre qui nageoit dans ce fluide ; & que ces couches s’arrangèrent les unes sur les autres à peu près suivant leurs divers degrez de pesanteur ; en sorte que les plantes & les animaux, surtout les poissons qui n’avoient point encore été dissous comme le reste, demeurèrent confondus avec les matières minérales & fossiles qui les ont conservez dans leur entier, ou du moins qui en ont retenu les diverses empreintes, soit en creux, soit en relief 83.

Incrédule et sans doute quelque peu désarmé par l’assurance de l’auteur, le journaliste français ajoute : M. Woodward ne se contente pas de supposer cette dissolution de la terre par le Déluge comme une chose possible ; il la regarde comme un fait certain & dont la seule inspection des mines peut convaincre toute personne qui avec du bon sens aura la plus médiocre teinture de Physique84.

Le journaliste français ne semble pas non plus totalement satisfait par les réponses de Woodward au fait que l’on puisse observer des strates qui n’obéissent pas à sa règle des poids spécifiques : Quant à la disposition des diverses couches de matière, quoi qu’on y remarque des irrégularitez par rapport aux degrez de pesanteur ; (irrégularitez dont l’Auteur assigne différentes causes,) il assure néanmoins que dans la plupart des mines, on trouve les fossiles, les minéraux, & les autres corps qui s’y sont engagez, disposez dans un ordre merveilleux, suivant les loix de la pesanteur85.

En définitive, même si la revue parisienne défend, parfois avec passion, le plaidoyer de Woodward en faveur de l’origine organique des fossiles (dont divers arguments proviennent de Sténon) contre la génération spontanée minérale de Camerarius, le Journal des savants se montre plus sceptique envers le système de Woodward, contrairement aux Philosophical Transactions. Il faut dire que le système de Woodward cumule les invraisemblances et les lacunes. Outre la polémique sur l’origine des fossiles, le long compte rendu du Journal recense toutes les objections formulées par Camerarius à l’encontre du système Woodwardien. Avec les réponses ou les tentatives de réponses de Woodward, on y retrouve divers reproches émis par ses critiques. Outre le problème évoqué plus haut des strates qui n’obéissent pas à l’ordre woodwardien, Camerarius soutient que la dissolution générale du globe terrestre est une supposition purement gratuite, dénuée de toute vraisemblance, et même si on l’admet, « est-il vraisemblable que les corps terrestres les plus durs, tels que les marbres, ayent été dissous par les eaux du Déluge, pendant que des substances beaucoup moins compactes, telles que de simples coquillages, des poissons, des plantes, auront résisté à cette dissolution générale ? »86 La réponse de Woodward est qu’il ne voit pas d’autre solution que la

83. Journal des savants, 14 janvier 1715 (n° 2), op. cit., p. 19-20. 84. Ibid., p. 20. 85. Ibid. 86. Ibid., p. 22.

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dissolution générale pour expliquer l’inclusion des fossiles dans la roche, et que les coquillages et la matière vivante sont plus résistants à la corrosion de l’eau de mer que les minéraux. Pour répondre aux objections de Camerarius sur la quantité d’eau prodigieuse qu’il place au centre de la terre, Woodward se contente de réexpliquer une nouvelle fois son système. Par rapport à Woodward, Scheuchzer émettra une idée originale plus convaincante pour expliquer le Déluge : Si l’on fait tourner avec assés de vitesse autour de son centre un grand Bassin rond à demi plein d’eau, jusqu’à ce qu’enfin l’eau ait pris toute la vitesse du Bassin, & qu’on vienne à l’arrêter brusquement, l’eau ne laissera pas de continuer à se mouvoir, & même avec tant de force qu’elle pourra surmonter les bords du vaisseau. De même si Dieu arrêtoit en un instant le tournoyement de la Terre sur son Axe, les eaux de la Mer se répandroient de toutes parts sur les terres avec violence87.

Woodward s’emploie à réfuter l’opinion de Camerarius sur l’origine des montagnes, que ce dernier fait dépendre des tremblements de terre (intuition judicieuse). Mais Woodward ne fournit pas de cause à la formation du relief, il n’explique pas pourquoi, dans son système, les strates se sont cassées et disloquées. En Angleterre, l’ouvrage de Woodward a suscité d’assez nombreuses réactions négatives88. On peut signaler la polémique déclenchée dès 1697 par l’ouvrage de John Arbuthnot, An examination of Dr. Woodward’s Account of the Deluge… With a Comparison between Steno’s Philosophy and the Doctor’s in the Case of Marine Bodies Dug out of the Earth89. Comme son titre l’indique, l’auteur accuse Woodward d’avoir plagié Nicolas Sténon. Mais en outre, il entreprend un examen minutieux des thèses de Woodward qui le conduit à une critique en règle de sa manière de raisonner et de son système, en proclamant que Woodward n’a rien expliqué. Son explication du Déluge est lacunaire et ne tient pas. En particulier, pourquoi la croûte censée être entièrement dissoute n’est-elle pas descendue au fond de l’abîme pour le remplir, au lieu de reformer une croûte en surface ? Non seulement Woodward postule des changements géologiques contraires aux lois de la nature mais, pour cela, il a produit un tissu de miracles. Et il a l’audace de revendiquer, pour sa théorie, une certitude absolue et démonstrative. À propos de sédimentation par ordre de gravité, Arbuthnot proclame que Woodward n’a rien compris à la physique de la chute des corps : une coquille d’huître, par exemple, descendra plus rapidement dans l’eau que les particules dissoutes, même d’un métal lourd, de façon que les coquillages n’auraient jamais pu être enfouis dans la matière possédant la même densité qu’eux. Pour finir, Arbuthnot cite la Geographia Naturalis de Bernard Varenius qui donne une longue liste de strates des environs d’Amsterdam qui contredit clairement le mode de dépôt woodwardien. Arbuthnot conclut que les strates semblent provenir du sédiment d’un

87. Histoire et Mémoires de l’Académie Royale des Sciences, 1710, p. 21. Ce passage est par ailleurs repris textuellement par le Journal des savants : « Histoire de l’Académie Royale des Sciences. Année 1710. Avec les Memoires de Mathématique & de Physique pour la même année, tirez des Registres de cette Académie. A Paris, chez Jean Boudot, Imprimeur Ordinaire du Roy, & de l’Académie Royale des Sciences, rue S. Jacques, au Soleil d’Or, proche la Fontaine S. Severin. 1712. in 4°, p. 166 pour l’Histoire, p. 560 pour les Mémoires. Planches 14 », Journal des savants, 24 juillet 1713 (n° 30), p. 465-475 (p. 469 pour la citation). 88. Pour plus de détails à ce sujet, voir R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 149-173. 89. Cf. R. PORTER, The making of Geology : Earth Science in Britain, 1660-1815, op. cit., p. 86.

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liquide, mais déposé peu à peu et en plusieurs fois. Le témoignage des roches suggère une formation étalée dans le temps90. Les disciples, comme les critiques de Woodward l’ont pressé de fournir le plus grand traité qu’il avait promis en espérant y trouver des réponses aux diverses questions qu’ils se posaient. Le Journal des savants formule le même type de demande en concluant sur « l’impatience où l’on est de voir paroître le grand Traité dans lequel M. Woodward nous promet tous les éclaircissemens nécessaires sur un sujet aussi curieux que celui-ci, & qu’il n’a fait qu’ébaucher jusqu’à présent. » Malgré son scepticisme, le journaliste français éprouve un très grand intérêt pour le système de Woodward, il espère que l’auteur sera en mesure de dissiper ses doutes. Le journaliste anglais est moins regardant, il se pose moins de questions, il se contente de dire que cette révolution, ces grands changements géologiques, ont été provoqués par « la main de Dieu tout-puissant », et cela lui suffit. Cependant, les deux revues ont ceci en commun qu’elles recoivent plus favorablement la théorie de Woodward que celle de Burnet. Alors que la revue anglaise restait neutre dans le cas de Burnet, elle n’hésite pas à approuver le système de Woodward. Envers Burnet, le Journal s’était montré très critique, il n’hésite pas à décerner des éloges à Woodward, même s’il montre un certain scepticisme vis-à-vis de son système. Il faut dire que malgré les défauts de sa théorie, Woodward avait le mérite de résoudre deux problèmes cruciaux en même temps : l’origine des fossiles, et l’explication de leur transport et de leur dépôt. En 1694, John Ray avait confessé à Lhwyd qu’il lui semblait peu probable de pouvoir expliquer comment le Déluge universel pourrait avoir enfoui des fossiles si profondément dans les entrailles des montagnes et des roches ; mais que ce serait une grande satisfaction pour lui de le voir prouver ou de voir n’importe quelle bonne tentative dans ce sens. Woodward réalisa tout simplement ce que Ray avait pensé souhaitable mais peu probable91. Il répondit ainsi à une attente. Qui plus est, par rapport à Burnet, de prime abord, son système pouvait sembler respecter davantage le récit biblique et l’origine divine du Déluge. L’ouvrage de Woodward a bénéficié d’une large diffusion européenne, il a été traduit aussi bien en latin (1704) qu’en français (1735), en italien et en allemand, avec de multiples rééditions. C’est une preuve de son succès au XVIIIe siècle qui témoigne de l’intérêt renouvelé pour ses vues sur l’origine de la terre et des fossiles, et sur le phénomène de la sédimentation.

90. Cf. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 164. 91. Lettre de John Ray à Edward Lhwyd, du 7 septembre 1694, dans J. RAY, Further Correspondence of John Ray, Londres 1928, p. 254.

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Extrait de John WOODWARD, Géographie physique ou Essay sur l’Histoire naturelle de la Terre, Paris, chez Briasson, traduction de M. Noguès et du Père Niceron Barbier, 1735.

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V. La Nouvelle théorie de la Terre de William Whiston En 1708, le Journal des savants signale, de manière assez brève, la réimpression de la Nouvelle Théorie de la Terre de l’anglais William Whiston, parue pour la première fois en 169692 : « M. Whiston a fait réimprimer sa nouvelle Théorie de la Terre depuis son origine jusqu’à la consommation de toutes choses. Cette seconde Edition est beaucoup plus ample & plus correcte que la première. Cet Auteur n’a rien changé à son Système. Il soutient toujours que la création du monde en six jours, le Déluge universel, & la Conflagration générale de l’Univers, sont très conformes à la raison & à la philosophie telle qu’elle nous est révélée dans l’Ecriture. À la tête de cet Ouvrage il y a un discours dans lequel il est traité fort au long du style & de l’étendue de l’Histoire que Moyse nous a donné de la Création »93. La brièveté de cette relation ne permet guère de connaître la position du Journal à propos des idées de Whiston, encore que la formulation employée par le journaliste donne à penser qu’il ne partage pas vraiment les idées de l’auteur. Il est vrai que la théorie postulée par Whiston est tirée de la physique de Newton, alors qu’en France, c’est le cartésianisme qui triomphe. William Whiston (1667-1752), chapelain de l’évêque de Norwich, astronome et mathématicien, succéda à Newton dans sa chaire de Cambridge en 1703. Whiston et Newton, qui étaient très liés, se séparèrent par la suite en raison de leur différence d’opinion concernant l’interprétation de la chronologie biblique. Whiston publia diverses œuvres théologiques où il défendit des opinions hétérodoxes. En 1710, il fut expulsé de l’université pour arianisme. Newton ne fit rien du tout pour l’aider, alors qu’il était lui-même secrètement opposé au dogme de la Trinité94. La Nouvelle Théorie de la Terre constitue l’œuvre principale de William Whiston. Il entend y substituer son système à celui de Burnet en s’appuyant également sur la Bible. Physicien plus moderne que Descartes, son scénario est en accord avec la cosmographie. Pour lui, la Terre est une ancienne comète dont la structure interne est proche du schéma cartésien, et donc de la disposition imaginée par Burnet. La croûte de terre flotte sur un liquide très dense. Frappé sans doute par le spectacle de la grande comète de 1680, il imagine que la gigantesque catastrophe du Déluge est arrivée à la suite du passage d’une comète de grande dimension. Il utilise habilement l’attraction universelle de Newton pour concevoir son système. Frôlée par la comète, la Terre attire une masse prodigieuse de vapeur d’eau de la queue et de l’atmosphère de l’astre errant, ce qui entraîne les pluies très abondantes décrites par la Genèse. Whiston résout ainsi le problème posé par l’origine de la grande quantité d’eau nécessaire au Déluge universel. En outre, sous l’effet de la force d’attraction exercée par la comète, le globe terrestre se déforme et, de sphérique, devient ovoïde. Distendue, la croûte terrestre se fend. Le poids des eaux pluviales enfonce inégalement la croûte terreuse dans le fluide dense, qui à son tour expulse l’eau qui imprégnait la base de la croûte de terre, provoquant une inondation générale. Whiston, qui a lu Woodward, lui fait quelques emprunts, en atténuant ses propositions. Les eaux du Déluge n’ont provoqué la dissolution que d’une partie modique de la croûte terrestre. La boue qui se redépose lui permet d’expliquer la formation de strates recouvrant la terre primitive. La comète

92. W. WHISTON, A New Theory of the Earth, op. cit. 93. « Extrait des Lettres écrites aux Journalistes sur les nouvelles de Littérature », Journal des savants, supplément du dernier septembre 1708, p. 349-355. 94. Voir C. C. GILLISPIE (éd.), Dictionary of scientific biography, vol. 14, op cit., p. 295-296.

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s’éloignant, l’eau s’évapore pour une part, redescend sous terre pour une autre, le reste forme les mers et les océans. En Grande-Bretagne, le système de Whiston a connu un important succès au XVIIIe siècle, avec de nombreuses rééditions (1708, 1722, 1737, etc.). Puis son succès a gagné le Continent et surtout la France, du moins après que la physique newtonienne s’y fut imposée. Mais en 1708, dans une France fraîchement convertie au cartésianisme, Whiston ne pouvait sans doute pas connaître la même fortune. C’est ce que montre avant tout le Journal des savants qui ne lui consacre pas de véritable compte rendu, se contentant de le signaler à ses lecteurs, alors qu’il fournit de longues relations de la théorie du cartésien Burnet, et même de celle de Woodward. Comme la revue anglaise, la revue parisienne rend compte des diverses théories de la Terre. Le public érudit est curieux de ce genre de littérature et les hommes de science éprouvent de l’intérêt pour des systèmes qui ont l’ambition d’expliquer l’origine et l’histoire de la Terre. Le Journal des savants répond à cet intérêt. Cependant, les théories de la Terre ne sont pas reçues de la même façon par le Journal et par les Transactions. Globalement, le Journal se montre plus critique, ou plus sceptique, que les Transactions. En 1708, présentant une dissertation latine sur L’origine des Montagnes, ou sur la Formation de la Terre, écrite par Johann Scheuchzer et dédiée à l’Académie, Fontenelle résume ainsi les travaux passés sur la formation de la Terre : « Descartes, car il arrive souvent que l’histoire de quelque recherche, ou de quelque découverte commence par lui, est le premier qui ait eu la pensée d’expliquer mechaniquement la formation de la Terre, ensuite Sténon, Burnet, Woodward, & enfin Scheuchzer, ont pris ou étendu ou rectifié ses idées, & ont ajouté les uns aux autres »95. Mais plus loin, Fontenelle réfute la thèse de la dissolution générale en montrant qu’elle est incompatible avec la nature des strates observées : « Des parties d’Animaux terrestres, ou aquatiques, des branches d’arbres, des feuilles, &c. trouvées dans des lits de pierre, même assés profonds, confirment ce système de la fluidité de la Terre. Quel autre moyen que tout cela eût été enfermé où il l’étoit. Mais il est vrai aussi qu’il faut supposer une seconde formation des lits ou couches, beaucoup moins ancienne que la première, du temps de laquelle la Terre n’avoit encore ni Plantes ni Animaux »96. Et comme on peut s’y attendre, Fontenelle refuse de voir dans le Déluge la seule cause des changements géologiques : « Sténon établit plusieurs secondes formations causées en différens temps par des inondations extraordinaires, par des tremblemens de terre, par les matières que vomissent les Volcans. Burnet, Woodward, & M. Scheuchzer aiment mieux attribuer au Déluge universel une seconde formation générale, qui n’exclut pourtant pas les particulières de Sténon »97. Surtout, Fontenelle se méfie des systèmes : « Il vaut mieux pour satisfaire solidement à cette difficulté attendre de nouvelles observations que M. Scheuchzer semble promettre, que d’imaginer quelque solution qui ne seroit qu’ingénieuse »98. La prudence de Fontenelle rejoint celle du Journal dans sa relation du système de Woodward. On a pu dire que les explications rationnelles et naturalistes de la Bible avaient été une préoccupation particulière aux protestants, tandis que les catholiques avaient

95. Histoire de l’Académie Royale des Sciences, 1708, p. 30-33 (p. 30 pour la citation). 96. Ibid., p. 30-31. 97. Ibid., p. 31. 98. Ibid., p. 33.

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plus aisément recouru aux miracles et à l’allégorie. Les protestants affirmaient en effet vouloir retourner au sens littéral de l’Écriture plutôt qu’aux interprétations fantaisistes et imaginaires des catholiques. Cependant, bien que les polémistes protestants aient longtemps accusé les catholiques de multiplier les miracles, il faut souligner que de telles accusations s’adressaient principalement à des interprétations post-apostoliques ou des siècles postérieurs à saint Augustin. Autrement dit, les désaccords confessionnels ne s’appliquaient pas au Déluge, de part et d’autre, on s’accordait sur le fait que des miracles s’étaient produits dans les temps bibliques. Les propos tenus par le Journal démontrent l’acceptation de la recherche d’une explication physique du Déluge, même si la revue parisienne montre un désaccord avec les explications postulées par les auteurs. Elle ne recourt d’ailleurs jamais au seul miracle pour expliquer le Déluge. En outre, contrairement à ce qu’avance Rhoda Rappaport, pour qui le refus de considérer le Déluge comme autre chose qu’un miracle aussi bien dans ses causes que dans ses effets, serait particulier à quelques naturalistes catholiques99, les Transactions avec le compte rendu de l’ouvrage de John Beaumont d’une part, et les Mémoires de Trévoux d’autre part, montrent qu’une telle position se rencontrait aussi bien chez certains protestants que chez certains catholiques, en l’occurence les jésuites dans le cas des Mémoires de Trévoux. Mais si l’on suit le Journal comme les Transactions, il ne s’agit pas d’une position représentative de ces deux revues, et donc des milieux qu’elles peuvent personnifier. Dans le Journal des savants, la critique ne se place pas au niveau du miracle, comme dans les Mémoires de Trévoux. À travers le Journal des savants et les Philosophical Transactions, catholiques français comme protestants anglais s’accordent pour rechercher des explications physiques au Déluge, même s’ils ne sont pas toujours d’accord sur ces explications. Au XVIIe siècle, le récit mosaïque a constitué le seul modèle pour une histoire de l’univers et de la Terre, comme l’affirme Jacques Roger, « non pas seulement parce que ce récit était appuyé par l’autorité de la révélation et le pouvoir de l’Église, mais parce qu’il était la seule histoire du monde qui partît d’un commencement absolu et qui se déroulât ensuite comme une histoire, par une succession irréversible d’événements, dont deux au moins, la Création et le Déluge, intéressaient autant la Terre que l’humanité. Ni Aristote, ni même Platon, sans parler des Atomistes, n’offraient de modèle semblable »100. C’est essentiellement en Angleterre que les théories de la Terre se sont développées, non seulement à cause de la forte tradition empiriste, mais aussi parce que ce pays protestant offrait une liberté à peu près inconnue sur le continent à ceux qui se mêlaient d’interpréter la Bible de façon trop personnelle101. Apparue d’abord dans les Principia de Descartes, comme une explication uniquement théorique de la nature des choses, la théorie de la Terre s’est transformée en un exposé historique du passé de la Terre à partir de la Telluris Theoria Sacra de Burnet. Nées de la conjonction de la physique cartésienne et de la Genèse, les théories de la Terre ont fini par conférer aux fossiles leur vraie signification, celle de témoins de l’histoire de la Terre, et elles ont préparé les voies à une explication entièrement historique de la Nature.

99. Cf. R. RAPPAPORT, When geologists were historians, 1665-1750, op. cit., p. 137. 100. J. ROGER, « La théorie de la Terre au XVIIe siècle », op. cit., p. 32-33. 101. Ibid., p. 39.

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CHAPITRE VIII

LA GENÈSE, SOURCE D’INSPIRATION POUR LES PHILOSOPHES PHYSICIENS DE LA SECONDE MOITIÉ DU XVIIe SIÈCLE Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l’abîme, un vent de Dieu tournoyait sur les eaux. (Gn 1, 1-2) Dieu dit : « Que la lumière soit » et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière « jour » et les ténèbres « nuit ». Il y eut un soir et il y eut un matin : premier jour. (Gn 1, 3-5)

I. La conformité des théories scientifiques à la Genèse : l’exemple du cartésianisme Comme les chapitres précédents l’ont déjà montré, le champ des théories scientifiques du XVIIe siècle susceptibles d’être confrontées au récit de la Genèse, et d’être ainsi évaluées en fonction de leur conformité à son contenu, est assez vaste. Ce problème ne concerne pas seulement les sciences physiques, mais aussi les sciences de la vie. La diversité des sujets rend difficile une étude exhaustive du problème. Dans le domaine de la physique, le cartésianisme1 constitue a priori un exemple particulièrement intéressant, étant donné l’importance prise par le cartésianisme et les débats qui l’entourent dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Prudent, Descartes qualifiait de « fable » ou d’« hypothèse » sa description de la formation du monde : Mais parce que les choses dont je traite ici ne sont pas de peu d’importance, et qu’on me croiroit peut-être trop hardi si j’assurois que j’ai trouvé des vérités qui n’ont pas été découvertes par d’autres, j’aime mieux n’en rien décider ; et afin que chacun soit libre d’en penser ce qu’il lui plaira, je désire que ce que j’écrirai soit seulement pris pour une hypothèse, laquelle est peut-être fort éloignée de la vérité2.

Malgré cette apparente prudence, le problème des rapports possibles entre le « récit » cartésien et celui de la Genèse a été immédiatement posé par les contemporains de Descartes. On pouvait suspecter légitimement sa sincérité lorsqu’il multipliait les protestations solennelles, ainsi dans les Principes : Et tant s’en faut que je veuille que l’on croie toutes les choses que j’écrirai, que mesme je prétends en proposer ici quelques unes que je crois absolument fausses : à savoir, je ne doute point que le monde n’ait esté créé au commencement avec autant de perfection qu’il en a ; en sorte que le Soleil, la Terre, la Lune et les étoiles ont été dès lors ; et que la Terre n’a pas eu seulement en soy les semences des plantes, mais que les plantes mesme en ont couvert une partie ; et qu’Adam et Ève n’ont pas été créez enfants, mais en aage d’hommes parfaits. La Religion Chrestienne veut que nous le

1. La bibliographie sur Descartes et sur le cartésianisme est considérable et continue de s’accroître. Ainsi faut-il signaler la parution récente en France de deux ouvrages sur Descartes : F. AZOUVI, Descartes et la France. Histoire d’une passion nationale, Paris 2002 ; S. VAN DAMME, Descartes. Essai d’histoire culturelle d’une grandeur philosophique, Paris 2002. 2. R. Descartes, Les Principes de la philosophie, op. cit., 3e partie, § 44.

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croyons ainsi, et la raison naturelle nous persuade absolument cette vérité, pource que, considérant la toute-puissance de Dieu, nous devons juger que tout ce qu’il a fait, a eu dès le commencement toute la perfection qu’il devoit avoir ; mais neantmoins, comme on connoistroit beaucoup mieux qu’elle a esté la nature d’Adam et celle des arbres du Paradis, si on avoit examiné comment les enfans se forment peu à peu au ventre des mères, et comment les plantes sortent de leurs semences, que si on avoit seulement considéré quels ils ont esté quand Dieu les a créez : tout de mesme, nous ferons mieux entendre qu’elle est généralement la nature de toutes les choses qui sont au monde, si nous pouvons imaginer quelques principes qui soient fort intelligibles et fort simples, desquels nous facions voir clairement que les astres et la terre, & enfin tout le monde visible auroit pû estre produit ainsi que de quelques semences (bien que nous sçachions qu’il n’a pas esté produit en cette façon), que si nous le décrivions seulement comme il est, ou bien comme nous croyons qu’il a esté créé3.

Dès l’origine, ces protestations ont fait naître la suspicion chez les critiques, qui n’ont pas manqué d’y voir, si peu de temps après la condamnation de Galilée, une précaution similaire à celle qui permet très habilement à Descartes de regarder la Terre comme une planète tout en soutenant qu’elle est immobile au centre du ciel4. En fait, de son vivant, Descartes avait formé le projet de montrer point par point l’accord de sa physique avec la Genèse5. Ce nest pas le problème de la religion de Descartes qui nous intéresse ici6, mais celui de ses rapports avec la Genèse. Dans les années 1640, Descartes conservait encore l’espoir de prouver que son explication de la création du monde s’accordait bien mieux, dans le détail même, avec le récit biblique, que l’interprétation fournie par la scolastique. Descartes exprime en particulier ce dessein dans sa lettre à Boswell, sans doute de fin 1641 : J’avance fort peu, mais j’avance pourtant. Je suis après à décrire la naissance du monde, où j’espère comprendre la plus grande partie de la physique. Et je vous dirai que depuis quatre ou cinq jours, en relisant le premier chapitre de la Genèse, j’ai trouvé comme par miracle qu’il se pouvait tout expliquer suivant mes imaginations, beaucoup mieux ce me semble qu’en toutes les façons que les interprètes l’expliquent, ce que je n’avais pas ci-devant jamais espéré ; mais maintenant je me propose, après avoir expliqué ma nouvelle philosophie, de faire voir clairement qu’elle s’accorde beaucoup mieux avec toutes les vérités de la foi, que ne fait celle d’Aristote7.

Mais sa tentative d’explication détaillée et d’accord littéral avec le texte sacré ayant échoué, Descartes a renoncé à son projet. Renoncement qui n’entraînera pas celui de certains cartésiens qui s’efforcent de concilier Descartes et Moïse, particulièrement

3. Ibid., 3e partie, § 45. 4. Le titre de son paragraphe 9, dans la troisième partie de ses Principes se veut affirmatif : « Que je nie le mouvement de la terre avec plus de soin que Copernic, et plus de vérité que Tycho. » Mais en fait, Descartes se réfugie tout aussitôt derrière le concept d’hypothèse : « je proposerai ici l’hypothèse qui me semble être la plus simple de toutes et le plus commode, tant pour connoître les phénomènes que pour en rechercher les causes naturelles : et cependant j’avertis que je ne prétends point qu’elle soit reçue comme entièrement conforme à la vérité, mais seulement comme une hypothèse ou supposition qui peut être fausse », ibid., 3e partie, § 19. Voir aussi § 26-29. 5. Voir V. CARRAUD, « Descartes et la Bible », dans J. R. ARMOGATHE (dir.), Le Grand Siècle et la Bible, Paris 1989, p. 277-291. 6. Sur ce sujet, voir H. GOUHIER, La pensée religieuse de Descartes, Paris 1924. 7. R. DESCARTES, Œuvres complètes, op. cit., t. IV, p. 698 = p. 715.

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aux Pays-Bas8. Les disciples de Descartes n’ont pas toujours la même prudence que lui, et c’est d’abord en Hollande, le « carrefour de la République des lettres » ainsi que la qualifie Paul Dibon9, lieu de rencontres et d’échanges où avait choisi de demeurer le philosophe, que se développe une première théologie cartésienne. Les Provinces-Unies sont le théâtre de violentes controverses entre théologiens pro et anti-cartésiens. Le conflit, qui remonte bien avant 1665, se noue d’abord autour du problème de l’âme des bêtes. Mais en reprochant à Descartes de ruiner par sa théorie des animaux-machines la hiérarchie des êtres créés, qui repose sur l’autorité de la Révélation, Gisbert Voet, le grand théologien d’Utrecht, adversaire de Descartes, pose le problème de l’accord de l’Écriture et de la physique nouvelle de Descartes et suscite une nouvelle polémique10. La plupart des adversaires de Descartes délaissent alors la question des animaux-machines pour concentrer leurs attaques sur deux thèmes centraux de la physique cartésienne : l’indéfinité du monde et le mouvement de la Terre. Pour Gisbert Voet, l’Écriture contient une physique du monde en désaccord avec celle de Descartes. À cette objection fondamentale, deux réponses très différentes vont être formulées dans le camp cartésien. Pour le théologien cartésien Christophe Wittich (1625-1687), professeur à Herborn à partir de 1651, à Nimègue (1655-1671), puis à Leyde (1671-1687), l’Écriture parle dans les choses naturelles un langage accomodé à la capacité du vulgaire. Pour Wittich, en s’exprimant à travers l’Écriture, l’Esprit-Saint n’a pas eu pour objectif de nous délivrer un savoir scientifique, mais de nous faire connaître la Révélation, c’est-à-dire un ensemble de vérités qui concernent notre salut spirituel. Il est donc illusoire de chercher à tirer de cette Révélation des enseignements concernant des problèmes de physique, comme le mouvement de la Terre ou l’infinité de l’univers pour lesquels suffit l’intelligence d’une raison conduite de manière méthodique, sur le modèle de Descartes11. Par conséquent aucun conflit n’est possible entre l’Écriture et la physique puisqu’elles ne se situent pas sur le même plan. Et quand bien même la raison pourrait enseigner des choses qui puissent répugner à l’Écriture, les cartésiens s’inclineraient devant l’autorité du texte sacré, suivant fidèlement le témoignage de Descartes. Après 1660, le débat autour de l’accord de la Bible et de la physique s’élargit, c’est l’ensemble des relations de la physique nouvelle avec la théologie qui se trouve posé. Concernant le problème des rapports entre la théologie et la philosophie, Wittich entend rester fidèle au séparatisme cartésien. En revanche, Johanne Amerpoel choisit une toute autre voie que celle de Wittich pour défendre le cartésianisme. À travers son Cartesius Mosaïzans12, il entend démontrer que l’explication cartésienne du monde est conforme au récit biblique de la Création. Le monde cartésien, comme celui de la Genèse, est créé par Dieu à partir d’une matière-chaos. À partir de cette matière se forment la lumière, le Soleil et les étoiles, la Terre, les plantes, les animaux et l’homme. À chacune de ces étapes de la Création, Amerpoel confronte les versets bibliques et les textes de Descartes.

8. V. CARRAUD, op. cit., p. 282. 9. Sur le cartésianisme hollandais, voir P. DIBON, Regards sur la Hollande du siècle d’or, Naples 1990. 10. Voir en particulier le chap. XXVIII : « Connaissance révélée et connaissance rationnelle : aperçu sur les points fort d’un débat épineux », dans P. DIBON, op. cit., p. 693-719. 11. P. DIBON, op. cit., p. 702. 12. J. AMERPOEL, Cartesius Mosaizans seu Evidens-facilis conciliatio Philosophiae Cartesii cum historia Creationis primo capite Geneseos per Mosem tradita, Groningue et Frise 1669.

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La Genèse expliquée par la science et source d’inspiration pour la science

Le Cartesius Mosaïzans d’Amerpoel dans les Transactions et dans le Journal Dans son numéro du 23 mai 1670, Oldenburg insère un avertissement à ses lecteurs où il se justifie de sa présentation de trois ouvrages concernant la formation du monde, qui néanmoins ne s’accordent pas entre eux sur la voie suivie (en fait, le troisième ouvrage n’est présenté que dans le numéro suivant) : Étant là récemment tombés dans nos mains trois livres écrits par plusieurs auteurs, concernant la production du monde, tous trois prétendant affirmer et confirmer ce qui est rapporté par Moïse dans le premier [chapitre] de la Genèse, quoiqu’ils le fassent par différentes voies ; nous avons pensé, qu’il ne serait pas inacceptable pour les érudits de leur donner ici un aperçu de ces traités, pour les inciter par ce moyen à davantage de recherche et d’élucidation de cette matière13.

Ainsi, Oldenburg considère non seulement comme légitime que les hommes de sciences cherchent à expliquer par la physique la Création du monde, telle qu’elle se trouve relatée par Moïse dans la Genèse, mais encore qu’il faut les inciter à le faire. Le rédacteur annonce qu’il suivra l’ordre de publication des trois ouvrages : la Cosmopoeia Divina, seu Fabrica Mundi explicata du médecin parisien Louis de Beaufort14, le Cartesius Mosaizans du hollandais Johanne Amerpoel15, et enfin, un ouvrage anonyme écrit par l’anglais Samuel Gott, The Divine History of the Genesis of the World, explicated and illustrated16. Le dessein du Cartesius Mosaizans d’Amerpoel est assez différent des deux autres ouvrages dans lesquels les auteurs affirment refuser d’inventer un autre système du monde que celui de Moïse et prétendent partir du récit de l’auteur sacré pour tenter d’y accommoder leur philosophie (au sens de physique). Ils affirment tous deux la primauté du récit biblique et de l’auteur sacré. Alors que, comme le souligne Oldenburg, le but d’Amerpoel est de défendre Descartes en prouvant que le cartésianisme est en bon accord avec le récit mosaïque voire, plus modestement, qu’il n’y a pas de désaccords fondamentaux entre les deux : Le dessein de cet auteur est de prouver, que la philosophie fournie par le célèbre Des-Chartes s’accorde bien, tout au moins qu’elle n’est pas en désaccord avec l’histoire de la Création, rapportée par Moïse. Un dessein, que cet éminent philosophe a conçu lui-même, et qu’il aurait mis en œuvre, si la mort ne l’en avait pas empêché, comme il apparaît dans ses Lettres à Mersenne, à savoir les 24e et 53e du second tome, où il affirme qu’en comparant ses principes avec l’histoire mosaïque, il avait trouvé, à son étonnement, que cette dernière pourrait être beaucoup mieux expliquée selon les

13. « There being lately fallen into our hands three Books written by several Authors, concerning the Production of the World, all three pretending to assert and confirm what is delivered by Moses in the first of Genesis, though they do it different wayes ; We thought, it would not be un-acceptable to the Ingenious to give them here a taste of these Treatises, thereby to excite them to a further disquisition and elucidation of this matter » (Philosophical Transactions, 23 mai 1670, n° 59, p. 1051-1052). 14. « Cosmopoeia Divina, seu Fabrica Mundi explicata, per Ludov. De Beaufort Parisinum Med. Doct. Lugd. Batav. 1656, in 12° », Philosophical Transactions, 23 mai 1670, n° 59, p. 1052-1053. 15. « Cartesius Mosaizans, Auth. Joh. Amerpoel, Leowardiae, 1669, in 12° », Philosophical Transactions, 23 mai 1670, n° 59, p. 1053-1054. 16. « The Divine History of the Genesis of the World, explicated and illustrated, London 1670, in 4° », Philosophical Transactions, 20 juin 1670, n° 60, p. 1083-1084.

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précédents, que par n’importe quelles autres de toutes ces voies, par où les interprètes l’ont jusqu’ici expliquée17.

De la manière dont Descartes le laissait entendre dans sa lettre, on pourrait comprendre que, contrairement aux deux autres auteurs, l’idée d’expliquer le récit de la Création du monde par le cartésianisme serait fortuite : en fait Descartes y avait songé très sérieusement. Sans l’avoir cherché, Descartes expliquerait mieux que tous les autres le récit de la Genèse : « Pour montrer cela notre Auteur a pris la peine de faire un parallèle entre le premier Chapitre de la Genèse et les Principes de Des-Chartes, en s’efforçant de le faire apparaître »18. Dans la suite, Oldenburg passe en revue les septs points traités par l’auteur, essentiellement le septième point qui concerne l’âme des bêtes, et qu’il développe davantage. Le Journal des savants présente à son tour un compte rendu de l’ouvrage d’Amerpoel en 1677. À première vue, le commentaire du journaliste français n’est guère différent de celui du rédacteur anglais : Il semble que cet Auteur n’a fait dans cet Ouvrage que suivre la pensée de M. Descartes, qui dit dans quelques-unes de ses Lettres, que relisant le premier Chapitre de la Genèse, il avoit trouvé qu’il pouvoit expliquer parfaitement suivant ses Principes, tout ce que Moyse y dit de la création du monde ; du moins il prétend que la doctrine de ce Philosophe n’a rien de contraire à cette Histoire, de la manière que Moyse l’a décrite dans ce premier Chapitre. Ainsi son Ouvrage n’est proprement qu’un parallèle de ce Chapitre & des Principes de Descartes19.

En fait, on pourrait presque se demander si le journaliste français ne s’est pas contenté de reprendre le compte rendu des Transactions, paru sept ans plus tôt, en l’arrangeant à sa façon (dans les textes encadrés ci-après, les différences les plus notables de part et d’autre sont soulignées ; dans le point 7, la partie en gras correspondrait à un déplacement dans le texte). Toutefois, il adopte un ton quelque peu différent qui mérite d’être comparé à celui d’Oldenburg. Dans le début du compte rendu, alors que le rédacteur anglais commence ainsi : « Le dessein de cet Auteur est de prouver, que la philosophie fournie par le célèbre Des-Chartes s’accorde bien… », le rédacteur français introduit un doute : « Il semble que cet Auteur n’a fait dans cet Ouvrage que suivre la pensée de M. Descartes… ». Autrement dit, le journaliste français n’est pas aussi convaincu qu’Oldenburg que le dessein de l’auteur soit conforme à celui de Descartes. Plus loin, Oldenburg insiste : « Un dessein, que cet Éminent Philosophe a conçu lui-même… », et il cite les lettres de Descartes précisément, alors que le journaliste français reste plus vague et n’insiste pas. Là où Oldenburg explique que, pour « montrer » que Descartes explique bien

17. « The design of this Author is to make it out, that the philosophy delivered by the famous Des-Chartes doth well agree, at least not disagree with the History of the Creation, recorded by Moses. A design, which that Eminent Philosopher entertained himself, and would have set upon, if Death had not prevented him, as appear in his Letters to Mersennus, viz. The 24th and 53d of the 2d Tome, where he affirms, that comparing his Principles with the Mosaick History he had found, to his wonder, that the latter could be much better explicated according to the former, than by any other of all those ways, wherein Interpreters have hitherto explain’d it » (Philosophical Transactions, 23 mai 1670, n° 59, p. 1053-1054). 18. « To evince this our Author hath taken the pains to make a parallel between the first Chapt. of Genesis, and the Principles of Des-Chartes, endeavouring to make it appear » (ibid.). 19. « Cartesius Mosaisans. Aut. Joanne Amerpoel. In 12. Leovvardiæ », Journal des savants, 30 août 1677 (n° 18), p. 208-210 (117-118).

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mieux que les autres la Genèse, l’auteur « a pris la peine » de faire un parallèle entre le premier chapitre de la Genèse et les Principes de Descartes, « en s’efforçant de le faire apparaître », le journaliste français souligne le fait que l’auteur « prétend » que la doctrine de Descartes n’a rien de contraire au récit de Moïse. Sa formule : « son Ouvrage n’est proprement qu’un parallèle de ce Chapitre & des Principes de Descartes » est plutôt expéditive et peu amène par rapport à celle d’Oldenburg qui paraissait plus favorable au but poursuivi par l’auteur.

Philosophical Transactions du 23 mai 1670, n° 59, p. 1053-1054 (extraits). CARTESIUS MOSAIZANS, Auth. Joh. Amerpoel. Leowardiæ. 1669. in 12°. […] 1. That Moses as well as Des-Chartes did acknoledg in the Corporeal Sphere of things nothing but one Homogeneous and Uniform Matter, divided and diversify’d by Motion, put into that Matter by the Creator, and preserv’d therein by the same. 2. That both begin their Philosophy from the Consideration of Light, as the first Effect of the Distinction of things from one another. 3. That both do attribute a fluidity to the Heavens, yet so, as that Des-Chartes enlarges upon the particular Disposition of the Constituent parts of that Body, which Moses is silent of. 4. That the Cartesian Doctrine of the Distinction of the Earth from the Waters and Airs, and of the proper Constitution of each of them, is not inconsistent with that of Genesis. 5. That the growth, and variety of Vegetables, and the causes thereof, assign’d by Des-Chartes, do not disagree with the same Sacred History. 6. That the Cartesian Doctrine of the Constitution and Use of the Luminaries and Fix’t Stars, and their difference from the Planets and Comets ; as also that of the Motion of the Earth about the Sun, and its own Axis, and the deflexion of its Axis from the Parallelisme to the Axis of the Ecliptick, and the keeping in a perpetual Parallelisme to itself, is very rational ; and consequently not incongruous to that of the Divine Philosopher. 7. That there is a great agreement between Moses and Des-Cartes in assigning the difference between the Life of Beasts, and the Soul of Man ; forasmuch as both teach, that the former consists in the Bloud ; Which Des-Chartes further declaring, teacheth, That the Bloud heated in the Heart and subtilized into Spirits, is diffused from the Heart and Arteries through the Brain into the Nerves and Muscles, and by a continual influx into the same, moves the whole and wonderfully contrived Frame of the Body and all the parts thereof ; according to the various impulses and actions of Objects upon them : But that the Soul of Man consists in Thinking and Understanding, whereby principally Man resembleth his Creator, to whose Image he is made. Which difference is confirm’d by what Moses saith, that God commanded the Earth to bring forth Living Creatures or Beasts, as well as he commanded the Earth to produce Plants ; whereas, after he had formed Man out of the Earth, he is said to have breath’d into him the Breath of Life, whereby Man became a Living Soul, not only Living and Moving, but a soul too, that is, perceiving and knowing.

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Journal des savants du 30 août 1677, n° XVIII, p. 208-210 (117-118) (extraits). CARTESIUS MOSAISANS. AUT. JOANNE AMERPOEL. In 12. Leovvardiæ. […] 1. Que Moyse & Descartes n’ont connu dans les choses corporelles qu’une matière homogène & uniforme divisée & diversifiée par le mouvement que Dieu a imprimé & conservé dans cette matière dès la création du monde. 2. Que l’un & l’autre commence sa Philosophie par la considération de la lumière, comme le premier effet de la distinction des choses. 3. Qu’ils attribuent tous deux la fluidité aux Cieux, avec cette différence, que Descartes s’étend au long sur la disposition particulière des parties qui composent ce corps ; ce que Moyse ne touche pas. 4. Que la Doctrine de Descartes de la distinction de la Terre, de l’eau, de l’Air, & de leur propre constitution s’accorde fort bien avec ce que Moyse en dit. 5. Que les raisons que Descartes donne de l’accroissement & de la variété des Végétaux ne sont pas contraires à l’Histoire Sainte. 6. Que ce que Descartes dit touchant la constitution & l’usage du Soleil, de la Lune, des Etoiles fixes, de leurs différences d’avec les Planètes, ou d’avec les Comètes, du mouvement de la Terre autour du Soleil & autour de son axe &c. est fort raisonnable, & par conséquent nullement contraire à la doctrine de Moyse. 7. Enfin il prétend montrer qu’il y a une grande conformité entre Moyse & Descartes dans la manière dont l’un & l’autre se sert pour établir la différence entre la vie des Bêtes, & l’âme de l’Homme ; en ce qu’ils enseignent tous deux que l’âme de l’Homme consiste à penser & à comprendre, par où il se rend semblable à son Créateur, à l’image duquel il a été formé, & que la vie des Bêtes consiste dans le sang étant échauffé & subtilisé dans le cœur se réduit en esprits, qui passans du cœur & des artères dans le cerveau, & du cerveau dans les nerfs & les muscles par un continuel écoulement, donnent le mouvement à toute la machine du corps & à toutes ses parties, suivant les diverses impressions que les objets causent sur ces esprits. Cet Auteur examine fort exactement la différence que ce sentiment établit sur ces deux vies, & il la confirme par ce que dit Moyse, Que Dieu commanda à la terre de produire les Bêtes & les Plantes, au lieu qu’ayant formé lui-même l’Homme de la terre, il lui inspira un souffle de vie qui le fit devenir non-seulement une ame vivante, mais encore une ame connoissante & intelligente.

En ce qui concerne l’âme des bêtes, le journaliste emploie une phrase identique à celle du rédacteur anglais, mais en la déplaçant, il en change la portée. Alors qu’Oldenburg en attribuait la substance à Descartes, le journaliste français l’assigne aussi bien à Descartes qu’à Moïse, puisqu’ils enseignent tous deux « que l’âme de l’Homme consiste à penser & à comprendre, par où il se rend semblable à son Créateur, à l’image duquel il a été formé ». Il renforce ainsi un argument cartésien dans la différence entre l’âme des bêtes et celle de l’homme. Dans le point 7, l’une des phrases qui se trouvent dans le compte rendu français (« Cet Auteur examine fort exactement la différence que ce sentiment établit sur ces deux vies »), et absente du compte rendu anglais, suggère que le journaliste français a eu l’ouvrage entre les mains. Par conséquent, on ne peut pas dire qu’il se soit contenté de reprendre le compte rendu des Transactions en le modifiant. Peut-être s’en est-il inspiré, mais il y a introduit son jugement personnel. 377

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Quoi qu’il en soit, la plus grande différence entre le rédacteur anglais et le journaliste français est dans la manière de concevoir les rapports entre la physique nouvelle et la Genèse. Si Oldenburg adresse un vibrant appel aux savants pour que leurs recherches les amènent à expliquer scientifiquement le récit de la Création, c’est loin d’être le cas du journaliste français qui ne donne pas l’impression d’apprécier autant ce genre de mélange entre science et théologie. Géraud de Cordemoy En 1704, le Journal des savants donne un compte rendu d’un ouvrage rassemblant les œuvres du français Géraud de Cordemoy20. Le journaliste y signale la présence d’« une lettre sur la conformité du Système de M. Descartes avec le premier chapitre de la Genèse », mais sans en parler plus avant. Cette lettre, « écrite à un sçavant Religieux de la Compagnie de Jésus », avait été publiée en 166821, soit presque la même année que l’ouvrage d’Amerpoel, sans que le Journal ne l’ait signalée. Cordemoy ne conteste pas le fait que la Genèse ne soit pas vraiment un récit de physique mais, pour autant, il considère que Moïse n’a rien pu dire de faux et ainsi le récit mosaïque se voit érigé en juge des principes de la physique : « Je sçay bien que Moyse n’a pas écrit la Genèse, dans le dessein d’expliquer aux hommes les secrets de la Nature : mais je sçay bien aussi, qu’estant inspiré de Dieu, comme il estoit, il ne luy a pas esté possible de rien dire touchant la formation de cet Univers, qui ne soit véritable. Ainsi j’estime que pour trouver les Principes d’une Physique infaillible, il ne les faut chercher que dans l’Histoire qu’il nous a donné de la Création du Monde ; ou du moins, qu’on doit regarder comme faux, tout ce qui se dit de la Nature, quand il ne peut convenir avec toutes les circonstances de cette Histoire »22. Pour un peu, il en viendrait à avancer que Descartes aurait tiré ses idées de la Genèse : « Ne vous étonnez donc pas, si je vous renvoye si souvent à la Genèse, & si je défère tant aux principes de Monsieur Descartes. La pluspart de ses sentimens sont si conformes à ce que Moyse a dit, qu’il semble qu’il ne soit devenu Philosophe que par la lecture de ce Prophète »23. Pourtant après avoir mis en parallèle le récit de la Genèse et celui de Descartes, Cordemoy est bien obligé de concéder que leur accord ne va pas sans difficultés : « Je veux pourtant bien vous avouer que la formation du Monde, selon Monsieur Descartes semble avoir quelque chose de différent de celle de Moyse »24. En effet, Cordemoy doit reconnaître que, selon Moïse, Dieu a d’abord fait la Terre, puis le Soleil, tandis que, selon Descartes, il aurait dû suivre l’ordre inverse : Moyse a sans doute expliqué la chose comme elle s’est faite. Il a fait créer la Terre, les eaux, les parties Célestes, puis la Lumière & le reste : En sorte que quand le Soleil

20. « Les œuvres de feu M. de Cordemoy, conseiller du Roy, Lecteur ordinaire de Monseigneur le Dauphin de l’Académie Françoise. A Paris. 1704. vol. in-4, première part. pag. 134. 2 & 3. part. pag. 247 », Journal des savants, 25 février 1704, p. 144 (113-114). 21. G. DE CORDEMOY, Copie d’une Lettre Ecrite à un sçavant Religieux de la Compagnie de Jesus : Pour montrer, I. Que le Système de Monsieur Descartes, & son opinion touchant les bestes, n’ont rien de dangereux. II. Et que tout ce qu’il en a écrit, semble estre tiré du premier Chapitre de la Genèse, Paris 1668, p. 67 22. Ibid. 23. Ibid., p. 4. 24. Ibid., p. 53-54.

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a esté formé, la Terre estoit déjà enrichie de fruits, & parée de fleurs. Au lieu que Monsieur Descartes fait le Soleil cause, non seulement des fruits & des fleurs, mais encore de l’assemblage de plusieurs parties assez intérieures de la Terre. Il ne la fait même former que long-temps après le Soleil, bien que l’Ecriture marque, qu’elle a esté créée long-temps auparavant25.

Toutefois pour lui, tout peut s’expliquer par la différence dans les buts des deux auteurs : « Mais quand vous aurez considéré le dessein du Prophète, & celui du Philosophe ; vous avouerez, que cette différence ne doit pas faire dire, que l’un se soit détaché de l’autre »26. Bien sûr la vérité historique est du côté de Moïse, il faut donc rappeler la soumission du philosophe : « Monsieur Descartes luy-même a dit, que son hypothèse estoit fausse, en ce qu’il suppose, que la formation de chacun des Estres s’est faite successivement ; & qu’il assure, que cette manière estant peu convenable à Dieu, il faut croire, que sa toute puissance a mis chaque chose dans l’estat le plus parfait où elle pouvoit estre, dès le premier moment de sa production »27. Mais il est également nécessaire de préciser la nature du dessein cartésien : Monsieur Descartes n’a deu, comme Philosophe, expliquer que la raison pour laquelle les choses se conservent comme elles sont, & les effets diffèrens que nous admirons maintenant en la Nature. Or, comme il est certain, que les choses se conservent naturellement par le même moyen qui les a produites ; il estoit nécessaire, pour éprouver si les Loys qu’il suppose, que la Nature suit pour se conserver, sont véritables, qu’il examinât si ces mesmes Loys eussent pû la disposer comme elle est28.

Enfin, les intentions de l’écrivain sacré et du philosophe étaient différentes. Moyse savait que c’est par le Soleil que Dieu conserve la Terre et les êtres naturels, « mais de peur qu’on ne creut, que cet Astre fut la cause de tout, ce Prophète a voulu précisément, que l’on sceut que la Lumière, qui est celle de toutes les créatures qui dépend la plus du Soleil, a esté faite avant luy : & cela estoit nécessaire pour marquer à ceux qui sçauroient ces merveilles, que Dieu les a toutes opérées par sa seule volonté »29. Alors que Descartes « avoit à expliquer cette correspondance que Dieu a mise entre les Estres naturels ». Et de cette façon, « Monsieur Descartes n’a rien fait en cela qui soit contraire au dessein de Moyse »30. Pour garantir la réussite de Descartes, Cordemoy défend la nécessité de tester les lois de la nature dans la formation du monde : Vous trouverez sans doute, que pour bien sçavoir si ce qu’on pense des Loys qui conservent l’ordre de la Nature est véritable ; il n’y a point de meilleur moyen, que de voir si elles auroient pu le produire31.

Finalement, il insiste sur le fait qu’il ne s’agit que d’une hypothèse et sur la liberté de formuler une supposition qui ne soit pas contraire à la religion : Au reste, je crois ne pouvoir trop répéter que M. Descartes n’a pas prétendu, que son hypothèse fut véritable en général, & même qu’il a reconnu qu’elle estoit fausse en certaines choses. Mais encore un coup j’estime qu’il a eu raison de penser qu’il estoit

25. Ibid., p. 54-55. 26. Ibid., p. 54. 27. Ibid., p. 55. 28. Ibid., p. 55-56. 29. Ibid., p. 58-59. 30. Ibid., p. 58. 31. Ibid., p. 61.

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permis aux hommes de faire des suppositions, & qu’elles estoient toutes recevables, pourveu qu’elles satisfissent à toutes les apparences, & qu’elles ne fussent pas contraires à la Religion32.

Le Monde naissant ou la Création du Monde En avril 1686, le Journal des savants présente un compte rendu d’un ouvrage anonyme, publié à Utrecht en 1685, qui, à son tour, se propose d’expliquer le récit Mosaïque selon les principes de Descartes33. L’auteur en était Théodore Barin, un pasteur protestant34. Le journaliste exprime à nouveau son manque de conviction à l’égard de ce type de dessein : « Nous avons parlé il y a déjà quelques années d’un livre intitulé Cartesius Mosaisans, où l’on prétendoit que cet Ecrivain sacré étoit entièrement favorable aux Cartésiens »35. De manière plus nette que pour le Cartesius Mosaisans, le journaliste éprouve le besoin d’insister davantage sur le fait que vouloir démontrer la conformité du cartésianisme avec la Genèse ne constitue pas une entreprise qui était voulue par Descartes : Quelques-autres Auteurs ont voulu donner le même avantage à cette nouvelle Philosophie. On n’en doit pas être plus surpris que de voir des gens soutenir les paroles de Descartes contre lui-même, & lui faire dire des choses ausquelles il n’a peut-être jamais pensé ; ce qui fait avancer à l’Auteur de la réponse, que si ce Philosophe vivoit encore, il s’étonneroit sans doute de la fortune de ses pensées36.

Cependant, le journaliste éprouve de l’intérêt pour la description de la formation du monde par Barin (voir texte encadré, ci-après). L’auteur divise son ouvrage en trois parties : la première concernant la formation des êtres inanimés (dans lesquels, il range les plantes), la seconde expliquant la formation des bêtes, et la troisième celle de l’homme. Néanmoins, le journaliste décide de ne s’intéresser qu’à la première partie, « à la manière dont il explique ce que dit Moïse, que la lumière fut produite au premier jour & les astres au quatre ; parce que c’est un des endroits le plus curieux37.

Par rapport à Descartes et à des cartésiens comme Cordemoy, Barin fait preuve d’originalité en plaçant la formation du Soleil après celle de la Terre, au quatrième jour, conformément au récit de la Genèse. Mais ce faisant, il ne respecte pas le récit cartésien. Son explication de la production de lumière est directement tirée des Principes de la Philosophie de Descartes38. Toutefois, Barin imagine un système de

32. Ibid., p. 65. 33. « Le Monde Naissant ou la Création du Monde, démontrée par des principes très simples & très conformes à l’histoire de Moïse, in-12, à Utrecht. 1685 », Journal des savants, 1er avril 1686, p. 77-80 (62-63). 34. Cf. A. A. BARBIER, op. cit., t. III, p. 334. 35. Journal des savants, 1er avril 1686, op. cit., p. 77 (62). 36. Ibid., p. 78 (62). 37. Ibid. 38. Cf. R. Descartes, Les Principes de la philosophie, op. cit., 3e partie, § 55 : « Je tâcherai maintenant d’expliquer le plus exactement que je pourrai quel est l’effort que font ainsi non seulement les petites boules qui composent le second élément, mais aussi toute la matière du premier, pour s’éloigner des centres SFf et semblables, autour desquels elles tournent ; car je prétends faire voir ci-après que c’est en cet effort seul que consiste la nature de la lumière. » Voir les paragraphes suivants pour plus de détails (§ 56-69).

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tourbillons pour tenter d’expliquer l’existence sur la Terre du jour et de la nuit, avant même que le Soleil n’existe. Un paradoxe du récit de la Genèse qui avait toujours posé beaucoup de problèmes aux interprètes. Ces explications singulières de la Création ont visiblement piqué la curiosité du journaliste : On peut juger par l’explication de ce premier jour & de cette première nuit qui précédèrent les astres, combien ce traité est curieux ; c’est pourquoi nous remarquerons seulement en général touchant les deux autres parties, que tout ce qui concerne l’homme & les animaux qui en font le sujet, y est expliqué selon les mêmes principes avec beaucoup d’ordre & de netteté39.

« Le Monde Naissant ou la Création du Monde, démontrée par des principes très simples & très conformes à l’histoire de Moïse, in-12, à Utrecht. 1685. », Journal des savants du 1er avril 1686, p. 77-80 (62-63) (extraits) : Il suppose que Dieu ayant réduit la matière aux 3 élémens de Descartes, assembla un globe de matière subtile, au lieu où devoit être la terre ; Que ce globe se mouvant sur son centre, détermina la matière qui le touchoit à suivre le même mouvement ; Qu’il se forma plusieurs tas de parties hétérogènes, qui furent poussées & par dedans & par dehors vers la superficie du globe où elles formèrent diverses croûtes ; dont les deux dernières furent l’eau & l’air ; Que pendant que ce petit tourbillon de la terre se formoit, il s’en forma un autre beaucoup plus grand qui enferma la terre dans son enceinte ; & que les parties de ce grand tourbillon devinrent une véritable lumière, par l’effort continuel qu’elles faisoient de s’éloigner du centre le plus qu’il leur étoit possible. Or comme la moitié du tourbillon de la terre étoit incessamment pressée par l’effort de ces parties du grand tourbillon, il s’ensuit, selon cet Auteur, qu’elle en étoit illuminée pendant que l’autre moitié ne l’étoit pas ; mais parce que la terre & ses envelopes se mouvoient circulairement, il falloit aussi de nécessité que cette autre moitié fut éclairée à son tour ; ainsi supposé que ce petit tourbillon employât 24 heures à faire un tour, il est clair qu’il fut jour & nuit pour la terre successivement dans cet intervalle de 24 heures. Pour ce qui est de la formation du Soleil, l’Auteur veut qu’au 4e jour Dieu ait assemblé au centre du grand tourbillon une prodigieuse quantité de matière très subtile, qui par son mouvement circulaire augmenta l’effort que toutes les parties faisoient déjà pour s’éloigner du centre, & devint par-là le principe d’une lumière beaucoup plus vive que celle qui avoit existé les jours précédens. Mais on lui objecte sur ce dernier point, qu’il ne semble pas que le Soleil ait dû donner de nouvelles forces à la lumière ; car s’il avoit pû lui en donner, il auroit eû plus de force qu’elle pour s’écarter du centre, & s’il avoit eu plus de force pour s’écarter du centre, il s’en seroit écarté effectivement, & il y auroit repoussé les corps voisins, bien loin de les chasser vers la circonférence du tourbillon. […]

39. Journal des savants, 1er avril 1686, op. cit., p. 80 (63).

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II. L’élargissement des controverses autour du cartésianisme Le Novitatum Cartesianarum Gangraena dans le Journal des savants Il ressort avant tout du contenu du Journal des savants que les rapports entre la Genèse et le cartésianisme restent marginaux dans les controverses engendrées par la nouvelle philosophie. En 1678, le Journal des savants présente un compte rendu de la Novitatum Cartesianarum Gangraena du hollandais Van Mastricht40. Ce dernier ne s’intéresse pas particulièrement au récit de la formation du monde selon Descartes, sa critique des nouveautés du cartésianisme est beaucoup plus large : « Quoique l’emportement de cet Auteur contre Descartes & ses Partisans paroisse d’abord assez, il ne prétend pas néanmoins condamner toutes les nouveautez de cette Philosophie, dont le sort est différent parmi les Protestants, aussi bien que parmi les Catholiques. Il les distingue en plusieurs Classes »41. Par son commentaire, le journaliste tend à minimiser la portée de la condamnation du cartésianisme par Van Mastricht. Non seulement ce dernier reconnaît qu’une partie de la physique de Descartes est utile, mais encore, en énumérant les différentes catégories de « nouveautés » et le jugement de l’auteur à leur égard, le journaliste arrive à donner l’impression que les nouveautés contraires à la foi sont quantitativement minoritaires : Il reconnoît peut-être malgré lui, qu’il y en a d’utiles à la Philosophie & aux Mathématiques ; Qu’il y en a d’autres qui sont indifférentes, & qui peuvent aussi trouver place dans la science des choses naturelles ; qu’il y en a de pompeuses & de vaines qu’il aime mieux admirer que de critiquer ; Qu’il y en a d’autres qu’il tient pour ridicules, comme de douter si l’on est ou si l’on pense, & qu’enfin il y en a de pernicieuses & de contraires à la foy ; & ce sont ces dernières qu’il entreprend de découvrir & de réfuter dans cet Ouvrage42.

Le rédacteur énumère quelques-unes des accusations de l’auteur mais il ne les détaille pas toutes : Il accuse donc les Cartésiens de soutenir entr’autres choses que la Philosophie égale en certitude la Théologie ; que l’on peut définir Dieu ; que l’on peut démontrer par la Philosophie l’existence de la Sainte Trinité ; que la Terre tourne, & que le Soleil est immobile ; qu’un Ange peut être en même tems en deux lieux ; que l’homme a deux Ames ; que la vie du corps ne dépend point de l’âme raisonnable, &c.43

Le journaliste prend visiblement la défense du cartésianisme : « Comme M. Descartes a passé pour un homme qui avoit de droits sentimens à l’égard de la foy, il y a apparence qu’il ne manquera pas de défenseurs, qui feront voir ou qu’il ne soutient pas ce qu’on lui impute, ou que ce qu’il contient n’est pas une erreur, & que si sa Philosophie est une gangrène & une corruption, ce n’est pas par elle-même ; mais qu’elle pourroit le devenir dans des esprits mal disposez qui ne sçavent pas la digérer

40. « Novitatum Cartesianum gangreana seu Theologia Cartesiana detecta, Aut. Petro Van Mastricht. In 4. Amstel. Et se trouve à Paris chez F. Leonard. 1678 », Journal des savants, 29 août 1678 (n° 30), p. 353-355 (192-193). 41. Ibid. 42. Ibid. 43. Ibid.

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comme il faut ». Pour finir, il déplace la critique sur le terrain de la controverse religieuse, il en profite pour enlever tout crédit à l’auteur : Au reste les personnes désintéressées & intelligentes reconnoîtront aisément sans doute que ce Calviniste ne se prend pas trop bien à attirer la créance des Lecteurs dans la suite de son Ouvrage, lorsqu’entrant en matière par un lieu commun sur la fécondité des Nouveautez, il met en ce nombre non seulement le Luthéranisme, le socinianisme, l’Arménianisme, qui sont sans doute des choses nouvelles & nées depuis deux cens ans, mais encore l’autorité des Successeurs de S. Pierre dans le Siège Romain, qui est si bien établie dans l’Evangile. Il n’a pu s’empêcher de sentir que cela n’étoit pas fort à propos ; mais il a fallu flatter ceux de sa Secte par des triomphes imaginaires. Il devoit craindre que l’on ne conclut aussi contre lui, que même selon ses Principes sa secte doit être contée parmi les nouveautez & les plus grandes nouveautez, puisque l’histoire du siècle passé apprend assez qu’elle est plus nouvelle de plusieurs années que celle de Luther, qu’il met cependant au rang des nouveautez & des Societez Schismatiques44.

La Censura Philosophiae Cartesianae de Pierre Daniel Huet En 1689, le Journal rend compte de la parution de la Censure de la philosophie cartésienne d’Huet, dans une longue suite de trois comptes rendus45. Vu sous l’angle des rapports entre la Genèse et le cartésianisme, seule une partie de l’ouvrage d’Huet et de ses comptes rendus dans le Journal peut nous intéresser. En fait, en France, le problème des rapports du cartésianisme et de la Genèse apparaît pris et noyé dans les controverses plus générales des rapports de la philosophie de Descartes avec la religion ainsi qu’elles ressortent dans le Journal des savants : Ce titre modeste qui semble ne promettre que quelques observations générales contre la Philosophie de M. Descartes, nous donne une véritable réfutation de ses principes. Mais l’Auteur, sans entrer dans tout le détail de cette doctrine, se contente d’en sapper les fondemens, dont la ruine entraîne nécessairement celle de tout ce grand édifice, qui par sa structure spécieuse a fait l’admiration de ce siècle. M. l’Evêque de Soissons a cru rendre service à l’Eglise en entreprenant ce travail, dans l’opinion où il est que cette nouvelle Philosophie blesse en plusieurs choses la Religion Chrétienne46.

Il faut noter que le journaliste attribue cette opinion à Huet, ce qui tend à montrer qu’il ne l’adopte pas. Cependant, on peut remarquer une certaine prudence du journaliste qui ne veut pas trop paraître s’engager aux côtés des cartésiens : « Le quatrième chapitre traite de l’existence de Dieu. M. Descartes en a proposé une preuve, que ses Sectateurs appellent une véritable démonstration, aussi bien que celle de la distinction du corps et de l’âme, & que Mons. De Soissons croit toutes deux également frivoles »47.

44. Ibid. 45. « Petri Danielis Huetii Episcopi Suessionensis designati, Censura Philosophiae Cartesianae. In-12. A Paris, chez Daniel Horthemels, rue saint Jacques. 1689 », Journal des savants, 6 juin 1689 (n° 21), p. 247-252 (209-214) ; Journal des savants, 13 juin 1689 (n° 22), p. 253-259 (214-219) ; Journal des savants, 20 juin 1689 (n° 23), p. 265-271 (224-229). 46. Journal des savants, 6 juin 1689 (n° 21), op. cit., p. 247 (209). 47. Journal des savants, 13 juin 1689 (n° 22), op. cit., p. 253 (214).

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Parmi les multiples problèmes abordés dans les trois comptes rendus du Journal, celui de la formation du monde n’occupe pratiquement qu’un paragraphe : Le sixième chapitre combat le fameux système de la formation du monde, & de ces trois Elémens produits du mouvement que M. Descartes suppose avoir été donné dans le commencement aux petites parties de la matière, lesquelles étoient toutes égales, & de telle figure qu’elles excluoient le vuide, & tournoient chacune autour de son centre, & plusieurs ensemble autour d’un centre commun. […] Mais toutes ces belles fictions étant appuyées sur la supposition de l’impossibilité du vuide, elles portent à faux, & tombent en ruine48.

Un fait capital apparaît pourtant à travers ce passage de la relation du journaliste : l’absence de liaison avec le texte biblique. La critique ne porte pas sur un désaccord avec le récit de la Genèse. Pour réfuter Descartes, dans ce cas particulier et à travers le compte rendu du journaliste, Huet semble se servir uniquement d’arguments de physique et non d’arguments théologiques alors qu’ailleurs le désaccord avec la théologie peut être utilisé. Les contradictions entre le récit de Descartes et celui de la Genèse ne sont pas mises en avant. Seules apparaissent des justifications d’ordre scientifique : « Mais l’argument capital que M. de Soissons apporte contre cette doctrine, est celui de Henri Morus, Anglois, qui a très solidement démontré que si le système de M. Descartes étoit véritable, le Soleil seroit si grand, qu’il renfermeroit la Terre & toutes les autres Planètes »49. Par rapport aux opposants qu’Amerpoel s’attachait à contrer, la nature du débat semble avoir changé. Il a lieu à un autre niveau, comme s’il était admis que le récit mosaïque ne pouvait plus être pris pour un récit de physique. Du moins, dans le cas de la formation du monde, Huet préfère des arguments physiques à des arguments théologiques. Le Journal consacre son troisième compte rendu au dernier chapitre de l’ouvrage d’Huet : « Tous ces grands principes de la Philosophie Cartesienne étant renversés, il n’a pas été nécessaire d’en attaquer toutes les conséquences, puisqu’elles tombent d’elles-mêmes. Ainsi le dernier Chapitre est employé à un examen général de cette nouvelle Philosophie »50. Le journaliste trouve le moyen de mettre en valeur quelques aspects positifs du cartésianisme au milieu de la critique qu’en dresse Huet : On la loue premièrement du petit nombre, de la clarté & de la simplicité de ses principes ; de cet ingénieux tissu de Doctrine, si bien lié en apparence suivant les règles de la nature, de l’expérience & des Mécaniques ; de la vraisemblance par tout observée : rien d’embrouillé, rien de superflu. Mais parmi tous ces avantages on n’y remarque pas assez de constance ni d’attachement à ses propres principes. On trouve qu’elle a trop de dépendance des idées de l’esprit humain, si sujettes à l’erreur & à l’illusion : qu’elle attribue aux effets des causes non nécessaires, & aux causes des effets pareillement non nécessaires ; & que les principes du système du monde sont si féconds, qu’on en peut former un monde tout différent de celui-ci ; ce qu’on ne peut pas dire des principes d’Aristote, ni de ceux d’Epicure51.

Les principes du système du monde sont donc remis en cause parce qu’ils ne sont pas sûrs. Ils ne conduisent pas à une voie de formation unique. Huet contredit ainsi

48. Ibid., p. 258 (218). 49. Ibid., p. 259 (219). 50. Journal des savants, 20 juin 1689 (n° 23), op. cit., p. 265 (224). 51. Ibid., p. 265-266 (224).

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Descartes, pour qui, selon ses lois, quel qu’ait été le chaos initial que l’on puisse imaginer, la matière avait été amenée à s’organiser comme nous la voyons à présent. Encore une fois la remise en cause de la démarche cartésienne n’implique pas directement le récit de la Genèse. Huet en vient même à trouver par comparaison les principes d’Épicure meilleurs que ceux de Descartes. Le problème le plus grave que fait apparaître le journaliste dans son compte rendu est représenté par la soumission de la religion à la nouvelle philosophie et non l’inverse, prétention insupportable : Mais son défaut le plus essentiel, c’est qu’elle blesse la foi, en ce qu’elle ordonne qu’on examine la foi par ses principes, & non ses principes par la foi, & qu’ayant rejetté plusieurs choses comme contraires à la raison & se détruisant les unes les autres, que la foi nous oblige de croire comme très véritable, & ayant raccourci en cela la toute puissance de Dieu, elle a cru avoir satisfait à tout, & réparé le déréglement impie de cette doctrine en disant que ces choses ne sont pas contradictoires de leur nature, mais par la volonté de Dieu qui peut faire ce que la raison enseigne être impossible, comme que deux & deux fassent trois, & que le tout ne soit pas plus grand que sa partie52.

Huet dénonce non seulement les prétentions et les empiétements de la nouvelle philosophie sur la théologie, mais aussi ce qu’il juge comme des désaccords fondamentaux du cartésianisme avec la religion : « Ils défendent la recherche de la cause finale de la création de l’Univers. Ils détruisent la vérité du Saint Sacrement de l’Autel : ils ne croyent pas que Dieu puisse rien créer, ni rien anéantir, ni faire qu’un corps en pénètre un autre : ils font le monde infini, & la matière égale à Dieu : ils traitent en Philosophes les questions de Théologie, & en théologiens les questions de Philosophie, & confondent les droits de la raison & de la foi »53. Il accuse les cartésiens de vouloir tout réduire à des principes de mécanique : « Enfin cette Philosophie Machinale qui incline d’elle-même les esprits à l’impiété, a été outrée à tel point par les Cartésiens, qu’ils ont entrepris de réduire les opérations de la Grace & les effets du péché sous les loix de la Mécanique »54. Malgré tout, le journaliste essaie de nouveau de mettre en valeur quelque chose de favorable à Descartes : « On loue néanmoins M. Descartes d’avoir été plus modeste que ses Sectateurs, quoique non toutefois exempt des mêmes défauts. On reconnoit la pénétration, la subtilité, la force, l’étendue & la netteté de son esprit, la beauté de plusieurs de ses inventions, l’ordre et la liaison de sa doctrine, la breveté dans l’abondance, la clarté dans la breveté ; en quoi aucun Philosophe ne l’a surpassé. On avoue qu’il a été souverain dans les Mathématiques : mais l’on se plaint que les ayant appliquées à la Philosophie, il ne les ait pas traitées Philosophiquement comme il devoit. Mais il a au contraire traité mathématiquement la Philosophie, & a tout réduit aux loix de la Mécanique & de la Géométrie »55. Mais pour Huet, Descartes n’a rien inventé, et il s’ingénie à faire une liste de tous les auteurs anciens qui auraient été pillés par le philosophe.

52. Ibid., p. 266 (224-225). 53. Ibid., p. 266 (225). 54. Ibid., p. 266-267 (225). 55. Ibid., p. 267 (226).

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La réponse de Pierre Silvain Régis En 1691, dans sa présentation de la réponse de Pierre Silvain Régis56, le Journal des savants s’étonne que l’ouvrage de Pierre Daniel Huet soit resté sans réplique pendant près de deux ans : Lors que Mr. L’Abbé Huet nommé à l’Evêché de Soissons, & depuis à celui d’Avranches, publia sa Censure de la Philosophie de Descartes, les partisans de ce Philosophe témoignèrent quelque envie de lui répondre. Ils sont pourtant demeurez dans le silence ; & le seul Mr. Regis vient de le rompre dans le temps auquel on ne s’y attendoit presque plus. Sa réponse sera d’autant mieux reçue, qu’en défendant la doctrine de Mr. Descartes, il a tâché de ne blesser en rien le respect dû à la personne & à la dignité de Mr. d’Avranches57.

Dans la suite, sans prendre partie pour l’auteur, et en gardant une certaine distance avec ses idées, le Journal expose les arguments qu’il utilise pour réfuter point par point les critiques de l’évêque d’Avranches. Pour finir, le journaliste refuse d’ailleurs de se prononcer en renvoyant le lecteur à son jugement personnel : Le reste de cette Réponse regarde quelques questions de Physique que Mr. d’Avranches a examinées, & sur lesquelles Mr. Regis prétend qu’il a abusé de l’ambiguité des mots, ou fait des dénombrements imparfaits. Ce qui est exposé au jugement de ceux qui liront avec attention les objections de M. d’Avranches & les réponses de Mr. Regis ; n’y ayant point de plus seur moyen de découvrir la vérité que d’examiner ainsi à loisir les écrits des deux parties58.

Pour défendre la nouvelle philosophie, Régis en vient même à faire un parallèle entre les principes de la philosophie de Descartes et ceux de la philosophie d’Aristote, pour prouver que les attaques d’Huet contre les cartésiens s’adressent aussi à leurs ennemis, les aristotéliciens : « Mr. Régis espère qu’il trouvera des lecteurs d’autant plus favorables, qu’il défend la cause commune ; les objections de Mr. d’Avranches n’estant pas moins contraires à la doctrine d’Aristote qu’à celle de Descartes. En effet Aristote commence sa Philosophie par le doute, il admet l’évidence pour la règle de la vérité, il distingue l’esprit d’avec le corps, & enseigne qu’il n’y a point de vuide ; & c’est cela mesme que M. d’Avranches tâche de détruire dans la Philosophie de Mr. Descartes, sans rien mettre à la place ». Cependant, le compte rendu du Journal n’aborde pas le problème de la formation du monde, évoqué par Huet. Leibniz prend parti pour Huet À l’occasion de la controverse déclenchée par la parution de la Censure de Pierre Daniel Huet, le Journal des savants publie en avril 1693 l’extrait d’une lettre de Leibniz à l’abbé Nicaise sur la philosophie de Descartes59. Leibniz y prend le parti de l’évêque d’Avranches et s’y montre très critique envers les cartésiens :

56. « Réponse au livre qui a pour titre : Petri Danielis Huetii, Episcopi Suessionensis Designati, Censura Philosophiae Cartesianae ; servant d’éclaircissement à toutes les parties de la Philosophie, & surtout à la Métaphysique. Par Pierre Silvain Régis. In 12. à Paris chez Jean Cusson, rue saint Jaques. 1691 », Journal des savants, 21 mai 1691, p. 212-215 (161-163). 57. Ibid. 58. Ibid. 59. « Extrait d’une Lettre de M. de Leibnis à M. l’Abbé Nicaise, sur la philosophie de M. Descartes », Journal des savants, 13 avril 1693 (n° 14), p. 163-165 (122-124).

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J’honore infiniment M. l’Evêque d’Avranche ; & je vous supplie, Monsieur, de lui témoigner quand l’occasion s’en présentera. Un de mes amis de Breme m’ayant envoyé le livre de M. Sioeling, qui est Professeur, contre la Censure de cet illustre Prelat, pour en avoir mon sentiment ; je répondis, que la meilleure réponse que Messieurs les Cartésiens pourroient faire, seroit de profiter des avis de M. d’Avranches ; de se défaire de l’esprit de secte, toujours contraire à l’avancement des sciences ; de joindre à la lecture des excellens ouvrages de M. Descartes celle de quelques autres grans hommes anciens & modernes ; de ne pas mépriser l’antiquité, où M. Descartes a pris une bonne partie de ses meilleures pensées ; de s’attacher aux expériences & aux démonstrations, au lieu de ces raisonnemens généraux qui ne servent qu’à entretenir l’oisiveté, & à couvrir l’ignorance ; de tâcher de faire quelque pas en avant, & ne pas se contenter d’estre de simples paraphrases de leur maître ; de ne pas négliger ou mépriser l’Anatomie, l’Histoire, les Langues, la Critique, faute d’en connoître l’importance & le prix ; de ne se pas imaginer qu’on sçait tout ce qu’il faut, ou tout ce qu’on peut espérer ; enfin d’estre modeste & studieux, pour ne se pas attirer ce beau mot : Ignorantia inflat60.

Leibniz reproche en outre aux cartésiens d’être improductifs : Je ne sçai comment, & par quelle étoile dont l’influence est ennemie de toute sorte de secrets, les Cartésiens n’ont presque rien fait de nouveau, & que presque toutes les découvertes ont esté faites par des gens qui ne le sont point. Je ne connois que les petis tuyaux de M. Rohaut, qui ne méritent pas le nom de découverte d’un Cartésien. Il semble que ceux qui s’attachent à un seul maître, s’abaissent par cette sorte d’esclavage, & ne conçoivent presque rien qu’après lui61.

Leibniz trouve que la méthode de Descartes « n’est pas aussi parfaite qu’on tâche de le faire croire ». Et il en juge par sa géométrie. « C’estoit son fort sans doute : cependant nous sçavons aujourd’hui qu’il s’en faut infiniment qu’elle n’aille aussi loin qu’elle devroit aller, & qu’il disoit qu’elle alloit. Les plus importans problèmes ont besoin d’une nouvelle façon d’analise toute différente de la sienne, dont j’ai donné moi-même des échantillons »62. À la lumière des découvertes de son époque, Leibniz trace sans complaisance les limites, les faiblesses et les erreurs du philosophe dans les différents domaines de la science : Il me semble que M. Descartes n’avoit pas assez pénétré les importantes veritez de Kepler sur l’Astronomie, que la suite des temps a vérifiées. Son homme est extrêmement différent de l’homme véritable, comme M. Stenon & d’autres l’ont montré. La connoissance qu’il avoit des sels & de la Chimie estoit bien maigre, & cela est cause que ce qu’il en dit, aussi bien que des minéraux, est médiocre. La Métaphysique de cet auteur, quoi qu’elle ait quelques beaux traits, est mêlée de grans paralogismes, & a des endroits bien foibles. J’ai découvert la source de ses erreurs sur les règles du mouvement ; & quoi que j’estime extrêmement sa Physique, ce n’est pas que je la tienne véritable, excepté quelques matières particulières ; mais parce que je la considère comme un admirable modèle, & comme un échantillon de ce qu’on pourroit & de ce qu’on devroit maintenant élever sur des principes plus solides que les expériences nous ont fourni depuis. En un mot j’estime infiniment M. Descartes : mais bien souvent il ne m’est pas permis de le suivre63.

60. Ibid., p. 163-164 (123). 61. Ibid., p. 164 (123). 62. Ibid. 63. Ibid., p. 164-165 (123-124).

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Quatre ans après, en 1697, la lettre de Leibniz suscite tardivement une réplique, publiée de manière anonyme dans le Journal64. L’auteur accuse Leibniz de vouloir « établir sa réputation sur les ruines de celle de M. Descartes ; les fragmens qu’il a mis de tems en tems dans le Journal de France en sont une grande preuve, & la liaison particulière qu’il a faite avec les ennemis de ce Philosophe, qui sont ici en grand nombre ne permet pas d’en douter »65. Il affirme vouloir défendre la religion de Descartes contre les raisons avec lesquelles Leibniz l’attaque dans sa lettre à l’abbé Nicaise, en ces termes : Quoique je veuille bien croire que M. Descartes ait été sincère dans la profession de sa Religion, néanmoins les principes qu’il a posé, renferment des conséquences étranges ausquelles on ne prend pas assez garde. Après avoir détourné les Philosophes, de la recherche des causes finales, ou ce qui est la même chose, de la considération de la sagesse divine dans l’ordre des choses, qui à mon avis doit être le plus grand but de la Philosophie, il en fait entrevoir la raison dans un endroit de ses principes, où voulant s’excuser de ce qu’il semble avoir attribué arbitrairement à la matière certaines figures, il dit qu’il a eu droit de le faire, parce que la matière prend successivement toutes les formes possibles, & qu’ainsi il faut qu’elle soit enfin venue à celle qu’il a supposée. Mais si ce qu’il dit est vrai, si tout possible doit arriver, & s’il n’y a point de fiction, quelque absurde & indigne qu’elle soit, qui n’arrive en quelque tems ou en quelque lieu de l’univers, il s’ensuit qu’il n’y a ni choix ni providence, que ce qui n’arrive point est impossible, & que ce qui arrive est nécessaire justement comme Hobbes & Spinosa le disent en termes plus clairs : aussi peut-on dire que Spinosa n’a fait que cultiver certaines semences de la Philosophie de M. Descartes : de sorte que je crois qu’il importe effectivement pour la Religion & pour la Piété que cette Philosophie soit châtiée par le retranchement des erreurs qui sont mêlées avec la vérité…66

Dans sa réponse67, Leibniz résume assez bien son opinion sur le cartésianisme : « J’ai coutume de dire que la Philosophie Cartésienne est comme l’antichambre de la vérité, & qu’il est difficile de pénétrer bien avant sans avoir passé par-là : mais on se prive de la véritable connoissance du fond des choses, quand on s’y arrête »68. Il fait remarquer qu’il n’est pas le premier à avoir blâmer Descartes d’avoir rejeté la recherche des causes finales : « Outre le R. P. de Malebranche, feu M. Boyle l’a fait avec beaucoup de zèle & de solidité »69. Pour Leibniz, « Si Dieu est auteur des choses, & s’il est souverainement sage, on ne sçauroit assez bien raisonner de la structure de l’univers, sans y faire entrer les vues de sa sagesse, comme on ne sçauroit assez bien

64. « Réflexions sur une Lettre de M. Leibnitz écrite à M. l’Abbé Nicaise, dans laquelle il prétend faire voir que les principes de la Philosophie de M. Descartes, renferment des conséquences contraires à la Religion & à la Piété », Journal des savants, 17 juin 1697 (n° 23), p. 273-276 (240-243). 65. Ibid., p. 273 (240). 66. Ibid., p. 273-274 (240-241). 67. « Réponse aux réflexions qui se trouvent dans le 23. Journal des Sçavans de cette année, touchant les conséquences de quelques endroits de la Philosophie de Descartes », Journal des savants, 19 août 1697 (n° 32), p. 381-384 (335-338) ; « Suite de la réponse aux réflexions sur les conséquences de quelques endroits de la Philosophie de Descartes, Journal des savants, 26 août 1697 (n° 33), p. 385-388 (338-341). 68. Ibid., p. 382 (336). 69. Ibid., p. 384 (337).

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raisonner sur un bâtiment, sans entrer dans les fins de l’Architecte »70. Cette dernière lettre de Leibniz suscite naturellement une nouvelle réfutation71. Ainsi, contrairement à Huet qui traitait malgré tout du récit cartésien de la formation du monde, les autres protagonistes de la controverse déclenchée par son ouvrage ne semblent pas aborder ce point. Ce problème n’est donc pas au centre de cette polémique qui témoigne de l’élargissement des débats à d’autres aspects des rapports entre cartésianisme et religion. La persistance de tentatives d’explications de la Genèse par le cartésianisme « Nouveaux Essais d’explication Physique du premier chapitre de la Genèse, par M. de Saint Rambert. A Utrecht, chez Guillaume Broedelet, 1713. In 8°, pages 344. », Mémoires de Trévoux de Mai 1715, extraits (p. 831-833) Il commence par démontrer qu’il y a un Dieu créateur. Dieu créa le ciel & la terre, c’est-à-dire, qu’il créa la matière dont devoient se former le ciel & la terre. La matière considérée dans son étendue immense, susceptible d’une infinité de modifications en toutes ses parties, mais en ce premier instant sans mouvement, est l’abîme couverte de ténèbres. L’esprit du Seigneur porté sur les eaux, signifie que Dieu par l’impression qu’il donna aux parties de la matière, la liquéfia ; c’est-à-dire, qu’il la rendit coulante, fluide. De là vint la lumière, en ce que les tourbillons se formèrent ; ce qui nous fait déjà comprendre la différence qu’il y a entre le mouvement & le repos, & comme Dieu sépara la lumière des ténèbres. Cependant ce n’étoit encore qu’une ébauche de la lumière que devoit produire le soleil. Moïse dit que le firmament fut fait entre les eaux, & les sépara les unes des autres. Ces eaux ainsi séparées font divers tourbillons, & le firmament est la ligne de leur séparation, où un tourbillon fait effort contre ceux qui l’environne. Moïse continuant sa narration dit, que Dieu commanda que les eaux qui sont sous le ciel s’assemblassent en un endroit ; qu’il nomma la terre ce qui resta sec ; & la mer, cet assemblage des eaux. M. de S. Rambert voit en cette terre les croûtes qui s’endurcissent autour d’un astre, & la mer est la matière subtile qui demeure au centre de l’astre. En sorte que les eaux qui ont été d’abord la matière, dont les parties mises en mouvement se brisoient, sont maintenant le premier élément au centre des tourbillons.

En 1715, les Mémoires de Trévoux présentent encore à leurs lecteurs un ouvrage qui se propose de montrer une entière conformité entre la formation du monde selon le système de Descartes et l’histoire de la Création, comme elle est rapportée au premier chapitre de la Genèse72. L’œuvre de Saint Rambert n’est pas mal reçue par les Mémoires de Trévoux : « Si ce n’est pas la première tentative qui ait été faite sur ce sujet, c’est certainement la plus ingénieuse, la plus étudiée, & la plus poussée »73.

70. Ibid., p. 384 (338). 71. « Réflexions pour servir de réplique à une Réponse inserée dans le 32. & dans le 33. Journal de l’année présente », Journal des savants, 16 novembre 1697, p. 439-442 (385-388). 72. « Nouveaux Essais d’explication Physique du premier chapitre de la Genèse, par M. de Saint Rambert. A Utrecht, chez Guillaume Broedelet, 1713. In 8°, pages 344 », Mémoires de Trévoux de Mai 1715, Article LXXII, p. 830-838. 73. Ibid., p. 830.

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L’auteur fait preuve d’une certaine liberté par rapport au sens littéral de la Genèse puisqu’il interprète les jours de la Création comme correspondant à une durée beaucoup plus longue : « Dieu, dit Moïse, acheva l’ouvrage du monde en six jours, & comme M. Descartes a besoin de plus de tems pour développer le monde & le mettre en l’état où nous le voyons, l’Auteur lui en donne autant que nécessaire, en expliquant les jours, non pas de la durée que nous concevons par le mot de jours, mais de six états différens par où passa la matière, avant que le monde fût arrangé & eût sa perfection »74. Cependant, contrairement aux Mémoires de Trévoux, le Journal des savants ne présente pas de compte rendu de l’ouvrage de Saint Rambert. En France, les rapports entre Genèse et cartésianisme ne représentent pas un problème essentiel, les relations entre cartésianisme et théologie posent d’autres problèmes qui apparaissent plus importants aux contemporains, comme l’âme des bêtes ou le problème de la compatibilité de la physique cartésienne avec l’eucharistie. En outre, les deux revues ne s’intéressent à la conformité du cartésianisme avec la Genèse que de manière occasionnelle. Ainsi, dans les années 1660-1670, aucun des deux périodiques ne parle du recueil de Cordemoy sur la conformité du cartésianisme avec la Genèse, alors qu’ils présentent tous deux un compte rendu de son ouvrage sur Le Discernement du corps et de l’âme75. À partir de la fin des années 1680, les polémiques relatives au cartésianisme concernent d’autres aspects. Lorsque dans les années 1690, Leibniz est accusé d’utiliser le Journal des savants et les journaux de Hollande pour s’attaquer à Descartes, on peut remarquer qu’il ne s’adresse pas aux Philosophical Transactions. Les débats des années 1690 sur les rapports entre le cartésianisme et la religion ne semblent pas avoir intéressé les Transactions. Pourtant à une époque qui commence à voir la montée en puissance des partisans de Newton en Angleterre, on aurait pu s’attendre à ce que le périodique anglais accueille favorablement les attaques de la physique cartésienne. Mais il faut rappeler que la revue londonienne s’est totalement repliée sur la Grande-Bretagne et sur les productions des membres de la Royal Society, en éliminant pratiquement les comptes rendus d’ouvrages. On ne peut plus la considérer comme une revue offrant un panorama international, elle s’est détournée du continent, et donc de la République des lettres. Elle ne peut donc plus représenter une tribune pour cette dernière. Par ailleurs, même si la polémique n’est pas toujours absente des Transactions, l’orientation de plus en plus marquée de la revue anglaise vers la publication de mémoires relatifs à des travaux expérimentaux l’éloigne du type de controverses représentées par la publication des lettres de Leibniz et de ses contradicteurs. Le genre de débats d’idées auxquels se prête par contre volontiers le Journal des savants en tant que tribune publique d’expression dans la République des lettres. Si le Journal des savants peut se montrer favorable à Descartes, pour autant, il n’approuve pas le dessein qui consiste à tenter de prouver la conformité du cartésianisme avec la Genèse. Il semble considérer cette démarche comme non fondée et illégitime. Une démarche à laquelle il ne s’intéresse plus à partir de la fin des années 1680. Toutefois les explications physiques de la formation du monde peuvent éveiller

74. Ibid., p. 831. 75. « Le Discernement du corps et de l’âme par Monsieur de Cordemoy. A Paris chez Florentin Lambert, rue Saint Jacques. In 12 », Journal des savants, 7 juin 1666 (n° 23), p. 263-267 (160-162) ; « Le Discernement du Corps et de l’Ame par M. de Cordemoy », Philosophical Transactions, 9 septembre 1666, n° 17, p. 306-310.

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un certain intérêt chez le journaliste, mais sans que cela représente pour lui le dessein louable d’explication scientifique de la Genèse souhaité par Henry Oldenburg, le rédacteur des Transactions. III. Les explications physiques de la Genèse par Louis de Beaufort et Samuel Gott Comme nous avons eu l’occasion de le voir, dans ses Philosophical Transactions de mai et juin 1670, Henry Oldenburg présentait à ses lecteurs, conjointement au Cartesius Mosaïzans, deux autres ouvrages concernant la formation du monde, l’un français, l’autre anglais. La Cosmopoeia Divina de Louis de Beaufort Le Cosmopoeia Divina qu’Oldenburg présente dans ses Transactions de mai 1670, est un ouvrage ancien, publié en 1656, et écrit par un médecin parisien, Louis de Beaufort76. Il est rare que la revue anglaise, comme d’ailleurs le Journal des savants, prennent la peine de faire le compte rendu d’un livre publié quatorze ans plus tôt et, qui plus est, dont la date d’édition remonte aussi loin avant la fondation des deux périodiques, en 1665. On peut comprendre que de son côté, le Journal des savants n’ait pas publié de relation de cette œuvre de 1656. Pour que le rédacteur des Transactions en fasse un compte rendu, il faut donc qu’il considère vraiment cet ouvrage comme très intéressant. Intérêt en rapport bien entendu avec l’importance qu’Oldenburg accorde à la recherche d’une explication physique du récit biblique de la Création du monde. Dans son compte rendu, Oldenburg souligne le fait que l’auteur manifeste « son aversion d’inventer un autre système du monde que celui, qui est décrit par Moïse »77. Il précise que l’auteur mentionne dans la dédicace de son livre, « ses tentatives d’ajuster et d’accommoder tous les phénomènes de la nature à la pensée de cet auteur Divin78 ». Sa relation montre que l’auteur suit pas à pas les étapes de la Création dans l’ordre où elles apparaissent dans le récit biblique, en donnant à chaque fois son interprétation physique des versets de la Bible. Ainsi, il conçoit que trois sortes de corps sont apparus en premier : Le Créateur a formé le firmament, comme une sorte de voûte arquée au milieu des eaux, c’est-à-dire, qu’il a plus parfaitement distingué trois classes ou principes matériels de corps, à savoir, un au milieu, le firmament, et deux extrêmes, conservant le nom d’eaux, mais mobiles et en mouvement : car, depuis le premier jour toutes les parties ont commencé à être réunies en trois classes, et la plus grossière pour prendre la place la plus basse, la moins grossière, le plus au milieu, et la plus excellente, la supérieure79.

76. « Cosmopoeia Divina, seu Fabrica Mundi explicata, per Ludov. De Beaufort Parisinum Med. Doct. Lugd. Batav. 1656, in 12° », Philosophical Transactions, 23 mai 1670, n° 59, p. 1052-1053. 77. « his aversion from devising any other Systeme of the World than that, which is described by Moses » (ibid., p. 1052). 78. « his labors, and endeavours to adjust and accomodate all the Phœnomena of Nature to the mind of that Divine Writer » (ibid.). 79. « the Creator formed the Firmament, as a kind of Arched Vault in the midst of the Waters, that is, more perfectly distinguisht three Ranks or Material Principles of Bodies, viz. One in the middle, the Firmament, and two extreams, retaining the name of Waters, but movable and moved : For, since on the

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Ensuite, à travers la relation qu’en fait Oldenburg, on peut reconnaître les quatre éléments de la physique d’Aristote que Beaufort tire de sa troisième classe de corps : Le Créateur a commencé à subdiviser la troisième classe, ou la matière élémentaire, (qui était encore très hétérogène) en réunissant en un lieu toutes les particules aqueuses élémentaires, qu’il a appelées des mers ; ainsi que le sec qui a commencé à apparaître, qu’il a appelé la terre ; résolvant et élevant en vapeurs et exhalaisons les particules plus légères, pour produire de là air et feu ; qui sont les quatre éléments ainsi communément appelés et réputés des corps simples : dont les autres sont composés, d’abord l’imparfaitement mélangé, puis graduellement le plus parfaitement mélangé, et après cela le végétatif, qui environ la fin de ce jour a commencé à être véritablement produit80.

Mais d’un autre côté, l’auteur défend l’existence du vide, contraire à l’aristotélisme qui soutient son impossibilité, comme au monde plein de Descartes. Oldenburg mentionne que l’auteur considère deux miracles fondamentaux : « le premier, la production de la matière du monde du néant ; le second, la division et le mouvement causé dans cette matière : déclarant, que les autres travaux peuvent être conçus comme étant produits sans nouveau miracle dans l’espace des six jours, énumérés par Moïse »81. Cette position n’est pas sans rappeler celle des cartésiens qui réduisent l’intervention divine à la création de la matière et à sa mise en mouvement. L’Histoire divine de la genèse du monde de l’anglais Samuel Gott Dans son numéro suivant, de juin 1670, Oldenburg présente l’ouvrage de l’anglais Samuel Gott, publié de manière anonyme, The Divine History of the Genesis of the World, explicated and illustrated82. Samuel Gott qualifie Moïse de « seul vrai philosophe »83. Si l’on en croit Oldenburg, l’auteur se dirait indépendant des différentes écoles philosophiques : Cet auteur (ne pensant pas convenable de nous donner son nom), ne prend aucune petite peine pour expliquer dans son livre la genèse du monde, comme elle est rapportée par Moïse, estimé par lui comme le seul vrai philosophe. En faisant cela, il professe encore, qu’il ne diffère pas de la philosophie païenne par un esprit de contradiction, ou pour flatter le christianisme, mais qu’il conserve ce qu’il a trouvé de vérité là-dedans, et tous les appuis des mêmes, qu’il s’agisse des spéculations platoniques, des raisonnements peripatétiques, ou des sensations épicuriennes, et même de la circonspection sceptique

first day all the parts began to be gather’d into three Classes, and the grossest to take the lowest place, the less gross, the middlemost, and the finest, the uppermost » (ibid.). 80. « the Creator began to subdivide the third rank, or the Elementary matter, (which was yet very Heterogeneous) by gathering together into one place all the Elementary Aqueous particles, which he call’d Seas ; so that the Dry began to appear, which he called Earth ; resolving and raising upwards into vapors and exhalations the thinner particles, thence to produce Air and Fire ; which are the four commonly so called Elements and reputed simple Bodies : out of which the other are compounded, first the imperfectly mix’t, then gradually the more perfectly mixt, and after that the Vegetative, which about the end of this day began to be actually produced » (ibid.). 81. « first, the Production of the Matter of the World out of Nothing ; the second, the Division and Motion caused in that Matter : declaring, that the other works may be conceiv’d to be produced without a new Miracle in the space of the six dayes, enumerated by Moses » (ibid., p. 1053). 82. « The Divine History of the Genesis of the World, explicated and illustrated, London 1670, in 4° », Philosophical Transactions, 20 juin 1670, n° 60, p. 1083-1084. 83. Ibid.

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elle-même ; affirmant, qu’il est dogmatique seulement dans ces positions, s’il les prouve par l’accord de l’autorité divine, l’argument humain et l’expérience sensible84.

Dans son ouvrage, Samuel Gott revendique effectivement un large éclectisme85. Oldenburg suggère même qu’il ne serait pas hostile à certains des principes cartésiens : « Dans sa préface il semble ne pas être tout à fait mécontent d’entendre quelques philosophes chrétiens affirmer, que des essences mêmes et les formes de toutes les natures élémentaires, végétatives et sensibles, sont seulement la matière et le mouvement »86. Toutefois, il ne rend pas totalement compte des opinions de l’auteur. Certes, Samuel Gott reproche à Aristote d’avoir rejeté toutes matières de foi, divines comme humaines, et d’avoir examiné toutes choses seulement par la raison87. Ce genre de critique est ancien, on peut en retrouver les racines dans la condamnation de 1277, déjà évoquée au chapitre IV. Il ajoute d’ailleurs que « toute philosophie païenne, manquant de la lumière divine de la foi, ne pourrait jamais malgé tout produire de système complet du monde, ni en donner un quelconque exposé exact et satisfaisant »88. Pour autant, il faut souligner que Samuel Gott privilégie Aristote comme le meilleur commentateur de la Genèse : « Mais de même que Moïse est le seul vrai philosophe divin ; entre eux tous je reconnais qu’Aristote est son commentateur le meilleur. Épicure s’est écarté de ces deux voies de la connaissance, considérant les sens plus que la raison ou la foi »89. Mais Oldenburg combattant ardemment les aristotéliciens dans sa revue, on peut comprendre qu’il n’ait pas voulu insister sur cette opinion de l’auteur. Le fait que l’œuvre de Samuel Gott représente une explication physique de la Genèse l’a intéressé avant tout. D’autant que si l’auteur se sert d’Aristote pour expliquer la Genèse, il ne lui réserve pas l’exclusivité et utilise également d’autres philosophes. Dans sa relation, Oldenburg ne rentre pas toujours dans le détail du contenu du livre, il se contente souvent de généralités qui correspondent aux titres des chapitres.

84. « This Author (not thinking fit to give us his name), taketh no small pains to explain in his Book the Genesis of the World, as ’tis delivered by Moses, esteemed by him the only true Philosopher. In doing which, he yet professes, that he dissents not from the Pagan Philosophy out of a Spirit of Contradiction, or to flatter Christianity, but retains whatever of truth he hath found therein, and all the aids of the same, whether they be Platonical speculations, Peripatetical Ratiocinations, or Epicurean Sensations, and even Sceptical Caution it self ; affirming, that he is Dogmatical only in such Positions, as he proves by the concurrence of Divine Authority, Human Argument, and Sensible Experiment » (ibid.). 85. Henry Oldenburg reprend effectivement en partie un passage de la Préface de l’auteur : « Nor do I dissent from Pagan Philosophy Animo Contradicendi, or to flatter Christianity (which is far above it) but shall also retein any thing of Truth that I have found therin ; and all advantages thereof, either Platonical Speculations, yea even Sceptical Caution it self : and am Dogmatical only in such Theses which according to the Law that I impose on my self, I shall first prove by the Concurrences of Divine Authority, Human Argument, and Sensible Experiment : and if I knew any more ways of Probation, should not decline, but most gladly embrace them » (ibid, p. 7). 86. « In his Preface he seems not to be a little displeased to hear some Christian Philosophers affirm, that the very Essences and Formalities of all Elementary, Vegetative and Sensitive Natures, are only Matter and Motion » (ibid.). 87. Ibid. 88. « all Heathen Philosophy, wanting the Divine Light of Faith, could never yet produce any Complete System of the World, nor give any true and satisfactory Account thereof » (ibid., p. 3). 89. « But as Moses is the only Divine and true Philosopher ; so of them all I acknowledg Aristotle to be his best Commentator. Epicurus departed from both these ways of Knowledg, regarding sens more than either Reason or Faith » (ibid., p. 2-3).

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Il relève néanmoins que, dans l’expérience du baromètre, l’auteur nie l’existence du vide : « il examine l’expérience torricélienne, n’admettant pas qu’elle soit un cas de vacuité, mais estimant, qu’une grande force d’introduction (ainsi qu’il l’appelle) fait des pores provisoires et des passages accessibles ; par lesquels l’air passe à travers le corps du mercure lui-même dans le tube, et par ce moyen il est ainsi beaucoup dilaté »90. Il signale également que l’auteur est opposé à la mobilité de la Terre : « Plus loin il se montre un grand partisan de l’immobilité de la Terre ; et ayant pris de grandes peines pour affirmer celle-ci (avec quel succès, les bons astronomes peuvent en juger) il passe au discours des végétaux »91. Apparemment, Oldenburg refuse de prendre partie et renvoie au jugement des bons astronomes. Toutefois on peut remarquer que son commentaire donne à penser qu’il considère la démonstration de l’immobilité de la Terre par l’auteur comme assez laborieuse, et donc peu convaincante. Il ne détaille pas cette démonstration. Dans son ouvrage, Samuel Gott utilise d’abord les arguments aristotéliciens très classiques relatifs à la position centrale de la Terre et à son immobilité : « Ainsi, comme je l’ai montré, c’est le plus dense de tous les corps, et par conséquent le plus lourd ; et il contient donc le centre du monde, auquel il est uni, comme à une autre chose, par sa propre gravité ; pour cette raison comme le centre universel est immobile, autrement il ne serait pas un tel centre, alors la gravité de la Terre l’unit indissolublement, à moins que ne puisse y être assigné un autre corps dans la nature alors plus lourd qu’elle, qui pourrait l’expulser »92. Il développe ensuite assez longuement une argumentation basée sur le magnétisme terrestre qui n’est pas nouvelle, puisque l’on rencontre antérieurement ce genre d’idée chez d’autres auteurs93. Ses arguments n’ont rien d’originaux. Néanmoins il ne cite pas à l’appui de son opinion, comme d’autres auteurs, des passages précis de la Bible, il se contente d’en défendre la valeur, comme d’ailleurs celle des sens : Et cependant nous devons en croire tous les mouvements [de la Terre], que quelques philosophes supposent avec beaucoup d’assurance, et nous imposent véhémentement,

90. « he examines the Torricelian Experiment, not admitting that to be an Instance of Vacuity, but esteeming, that a great force of Introduction (so he calls it) makes temporary pores and pervious passages ; by which the Air passes through the Body of Mercury it self into the Tube, and thereby is so very much expanded » (Philosophical Transactions, 20 juin 1670, op. cit., p. 1083). 91. « Further he shews himself a great Favorer to the Rest of the Earth ; and having taken great pains to assert the same (how successfully, good Astronomers may judge) he passes on to discourse of Vegetables » (ibid., p. 1083-1084). 92. « Thus, as I have shewed, it is the most Dens of all Bodys, and consequently most Grave ; and therefore possesseth the Center of the World, to which it is united, as to another thing, by its own Gravity ; wherefore as the Universal Center is Immobile, otherwise it should not to be such a Center, so the Gravity of the Earth doth Indissolubly unite it thereunto, unless there can be assigned any other Body in Nature more Grave then it, which might extrude it » (S. GOTT, The Divine History of the Genesis of the World Explicated & Illustrated, Londres 1670, p. 287). 93. Ainsi, par exemple, en 1665, le Journal des savants signale que dans son traité intitulé Nova demonstratio immobilitatis terrae, petita ex virtute magnetica, le père jésuite Grandami soutenant que « les corps magnétiques ont un repos qui leur est propre, & qui empesche leur mouvement autour des poles : il conclut que la terre, qui est le premier corps magnétique, doit avoir ce mesme repos, & qu’elle ne peut se mouvoir autour de se poles, ny par conséquent autour du Soleil ». Cf. « Le cours de la Comète, avec un traité de sa nature, de son mouvement & de ses effets. Présenté à Monseigneur le Prince par le Pere Grandamy de la Compagnie de Jesus. A Paris chez S. Cramoisy, rue S. Jacques. In 4 », Journal des savants, 23 mars 1665 (n° 12), p. 137-138 (82-83).

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en dépit de tous nos propres foi, raison et sens ; parce qu’ils nous disent que l’Écriture sainte est populaire, la raison douteuse, et les sens trompeurs ; et donc tous les autres hommes doivent être régis seulement par le magistère de leurs fantaisies, lequel, quoi qu’il puisse leur être, n’est certainement pas plus aux autres d’ailleurs que ce qu’ils peuvent prouver par l’Écriture sainte, la raison et les sens ; dans lesquels il n’y a aucune erreur, mais seulement dans nos facultés de compréhension, qui sont en effet nos infirmités, et qui doivent être rectifiées et corrigées par d’autres raisonnements justes et les sensations, et non par d’autres imaginations94.

Que ce soit Samuel Gott ou Louis de Beaufort, ces auteurs, qui affirment vouloir fournir des explications physiques du premier chapitre de la Genèse, en profitent pour élargir leurs dissertations à d’autres problèmes et plus généralement à leurs principes de physique. Ils en arrivent à s’écarter du récit de la Genèse pour traiter d’autres préoccupations. Ainsi, comme le souligne Henry Oldenburg dans le cas de Louis de Beaufort : « En outre, il prend l’occasion, pour expliquer la nature du mouvement, et pour donner ses lois ; pour montrer la nécessité d’un vide avant et dans la formation du monde, et pour trouver la solution aux arguments allégués contre un vide ; en un mot, pour donner son opinion, concernant toutes les parties principales de la philosophie naturelle »95. Mais si certains auteurs proposent leurs propres explications physiques de la Genèse, d’autres vont beaucoup plus loin en prétendant pouvoir tirer du récit biblique un véritable système de physique. IV. Les Essais de Physique du père Didier Dans son numéro du 19 février 1685, le Journal des savants présente les Essais de Physique prouvés par l’expérience & confirmés par l’Ecriture sainte, un ouvrage anonyme écrit par un « nouveau Philosophe » ainsi que le qualifie le journaliste96. L’auteur en est le père Edme Didier, prieur de l’abbaye de la Charmoise97. L’œuvre du père Didier Le père Didier affirme fonder ses Essais de Physique sur l’Écriture et sur les expériences. Dans son épître, en s’adressant à Dieu, il déclare : « Je vous offre ces Essais de

94. « And yet we must believ all the Motions thereof, which some Philosophers very confidently Suppose, and vehemently Impose upon us, maugre all our own Faith, Reason, and Sens ; becaus they tell us Scripture is Popular, Reason Ancipitous, and Sens Fallacious ; and so all other men must be governed only by the Magistery of their Fansys, which, whatsoever it may be to themselv, is certeinly no more to others then they can prove by Scripture, Reason, and Sens ; in which there is no Fallacy, but only in our Apprehensions, which are indeed our Infirmitys, and ought to be rectified and corrected by other right Ratiocinations and Sensations, and not by other Imaginations » (S. GOTT, op. cit., p. 291). 95. « Besides, he takes occasion, to explicate the nature of Motion, and to give the Laws of the same ; to shew the necessity of a Vacuum before and in the Formation of the World, and to solve the Arguments alleadged against a Vacuum ; In short, to deliver his opinion, concerning all the main parts of Natural Philosophy » (Philosophical Transactions, 23 mai 1670, op. cit., p. 1053). 96. « Essais de Physique prouvés par l’expérience & confirmés par l’Ecriture sainte. 2 Tomes. in-12. A Paris chez André Pralard. 1684 », Journal des savants, 19 février 1685 (n° 6), p. 69-72 (56-58). 97. Cf. A. A. BARBIER, op. cit., t. II, p. 271. Sa note précise : « Edme Didier était prieur de l’abbaye de la Charmoise, et fils de Laurent Didier. J’ai trouvé ces particularités sur un exemplaire qui avait appartenu à Sébastien Biannel, chirurgien à Saint-Martin de Blois, et petit-neveu de ce religieux (Note communiquée par L.-T. Hérissant). »

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Physique, dont vous êtes le seul Auteur, puisque j’ay appris les véritables principes de la Nature, lisant attentivement ce que vos Ecrivains sacrez, inspirez de vôtre Esprit, nous en ont enseigné, & que vous avez bien voulu confirmer, par les expériences, dont vous m’avez donné la connoissance, lorsque j’y pensois le moins »98. Néanmoins le père Didier avoue ne pas être un expérimentateur. Bien qu’il n’ait jamais fait d’expériences, il a la prétention d’être mieux à même de les interpréter : « ayant été assez heureux de jouir du travail des autres, & de tirer de leurs expériences laborieuses, les plus belles connoissances de la Nature, pendant qu’ils se sont laissé abuser par des phantômes, & des illusions indignes de leurs grands esprits »99. Prudent, il s’en remet néanmoins à la censure de l’Église : « tout ce qui est véritable en ces Essais, procède de la Lumière de vôtre Sagesse, & ce qui pourroit s’y rencontrer de contraire à la vérité, est un effet des ténèbres de mon ignorance, que je désaprouve, en soûmettant tout ce que je dis, à la censure de vôtre Église, qui est la Colomne de la vérité »100. Le père Didier se dit déçu par la lecture des philosophes qui se contredisent les uns les autres. Les philosophes « nous guident par des spéculations si métaphysiques, si abstraites, & si générales, qu’elles ne peuvent servir pour expliquer le moindre effet de la Nature, & à la fin nous connoissons, que les discours de ces Philosophes aboutissent à rien & ne produisent que du vent »101. Il dénonce également « les opinions de quelques Philosophes Modernes, qui d’abord frapent la vue par leur facilité : mais quand on veut, suivant leurs principes, entrer plus avant dans les connoissances particulières des choses, ils nous jettent tant de poussière aux yeux, qu’à moins que de les croire aveuglément, & recevoir leurs principes matériels comme des articles de foy, il n’y a pas moyen d’avancer ; car leur matière figurée & tournoyante, est capable de donner du vertige aux meilleures cervelles »102. Sans les désigner nommément, le père Didier s’attaque aux cartésiens et s’oppose à leurs principes de physique, dès sa préface. Il pose des limites à l’esprit humain : Je ne promets pas de mettre en évidence toutes choses jusqu’à leurs premiers principes, comme ont prétendu quelques Modernes, qui ont tout attribué à la Matière ; car je sçay bien que l’esprit humain est trop limité, pour atteindre jusques-là, & que le saint Esprit connoissant nôtre orgueil, aussi bien que nôtre ignorance, nous a avertis par le Sage, que toutes choses sont si difficiles, que l’homme ne les peut expliquer par son discours103.

De manière quelque peu présomptueuse, il ose pourtant affirmer que, pour sa part, s’appuyant sur la Bible et les expériences, il ne fait aucune supposition : J’espère néanmoins, que les esprits raisonnables, & qui considéreront sans préoccupation ce que je diray, recevront quelque satisfaction, de ma méthode de prouver ce que j’avanceray, puisque je ne supposeray rien, & que toutes les preuves dont je me serviray, seront appuyées de l’Ecriture Sainte & de l’Expérience, & bien souvent de toutes les deux, ou ne seront que des conséquences qui s’en tireront naturellement104.

98. E. DIDIER (père), Essais de Physique ; Prouvez par l’Experience, & confirmez par l’Ecriture Sainte. Experientia rerum Magistra, t. I, Paris 1684 (Épitre). 99. Ibid. 100. Ibid. 101. Ibid., Préface. 102. Ibid. 103. Ibid. 104. Ibid.

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Pour lui, la Genèse nous livre les véritables principes de la physique. Les philosophes païens ont été dans l’impuissance d’arriver à la vérité, « faute de lumière », et les chrétiens pour ne s’être pas servi de celle que Dieu leur avait donnée par sa parole mais avoir adopté les vues des anciens. Ils n’ont fait que les suivre, « sans ouvrir les yeux pour voir les véritables principes des choses, que le saint Esprit nous a donné à connoître, dès le premier Chapitre de la Genèse »105. Dès sa préface, il se montre hostile aux idées de la science nouvelle en s’attaquant à l’héliocentrisme : Puisque je trouve dans l’Écriture Sainte des passages assez formels, pour établir mes principes ; je me sens obligé de faire faire réflexion au Lecteur, sur l’injustice de certains Philosophes modernes, qui préfèrent leurs imaginations à cette règle de la vérité. Et pour en donner quelque idée, n’est-ce pas une chose indigne d’un Philosophe Chrétien, & une injure faite à la Vérité même, qui est Dieu, de détourner en des sens opposez, & qui favorisent l’hérésie, ce qu’il nous dit du Soleil…106

Le père Didier cite divers passages de la Bible, en dehors cependant de la Genèse, d’où il tire des arguments en faveur du géocentrisme : « Toutes ces paroles nous expriment si clairement l’excellence du Soleil & son cours admirable, aussi bien que l’immobilité de la Terre, qu’on n’y peut rien ajouter : & cependant ces Esprits clair-voyans nous disent froidement, que le Soleil n’est qu’un tas de poussière, qui est immobile au centre du Monde, & que la Terre tourne comme les Astres du Ciel ; ce que je prouveray en son lieu être très-faux »107. Dans la suite, la Genèse n’intervient pas davantage dans les arguments utilisés par le père Didier à l’encontre de l’héliocentrisme. À l’appui de l’immobilité de la Terre, il emploie des arguments éculés qui avaient déjà été réfutés par Galilée en son temps. Ainsi, il semble ignorer totalement le principe de conservation du mouvement émis par Galilée trois quarts de siècle plus tôt, dès 1606-1607, et que ce dernier avait utilisé en 1632 dans son Dialogue sur les deux plus grands systèmes du monde108. En fait, il a lu Descartes et Rohault, mais il conteste la loi cartésienne selon laquelle le mouvement est un état aussi permanent que le repos et qui ne change que si une force extérieure lui est appliquée109. Toutefois, bien qu’il soit d’accord avec les aristotéliciens pour dire que l’impulsion initiale subie par un corps ne suffise pas à le maintenir en mouvement, il n’admet pas leurs explications de la continuité du mouvement forcé. Bien que restant proche des aristotéliciens, il remet en partie en cause leur concept de la pesanteur. Mais pour cela, il est conduit à élaborer une théorie qui est en elle-même remplie de contradictions. Il imagine que la pesanteur terrestre cesse d’agir sur un corps mis en mouvement, mais que le corps ne pouvant rester sans pesanteur, celle-ci s’exerce dans la direction du mouvement qui peut, bien entendu, être opposé au centre de la terre :

105. Ibid. 106. Ibid. 107. Ibid. 108. Cf. M. CLAVELIN, « Galilée », dans M. BLAY (dir.) et R. HALLEUX (dir.), La science classique, XVIe-XVIIIe siècle, Dictionnaire critique, op. cit., p. 252-265. Pour les arguments avancés par le père Didier, en contradiction avec ce principe, voir E. DIDIER, op. cit., t. II, p. 137-138. 109. Voir E. DIDIER, op. cit., t. II, « Chapitre IX. Du mouvement des corps qui sont immobiles d’euxmêmes », p. 74-102. Règle que Newton reformule dans ses Principia mathematica en sa célèbre loi : « Tout corps persévère dans son état de repos ou de mouvement rectiligne uniforme à moins que des forces imprimées ne le contraignent à changer son état. » Il manquait en effet à la loi cartésienne d’expliciter que le mouvement inertial est un mouvement rectiligne uniforme et non un mouvement quelconque. E. DIDIER, op. cit., t. II, p. 91.

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bien que la pesanteur des corps tende droit au centre, & qu’on ne leur puisse oter cette inclination naturelle, leur pesanteur peut néanmoins être dirigée ailleurs, en sorte, qu’ils ne pèseront point actuellement vers le centre. Par exemple, quand on jette une pierre en haut, il est évident, que pendant qu’elle s’éloigne du centre, elle ne pèse point actuellement de ce côté là […]110. Après toutes ces remarques que l’expérience fait connoître, il est évident que la véritable cause éfficiente du mouvement des corps qui ne se meuvent point d’eux-mêmes, & qui continuent de se mouvoir, après une impulsion violente, est leur propre pesanteur, qui étant dirigée ailleurs qu’au centre, par la force de l’impulsion, qui empêche qu’elle n’y tire actuellement, selon son inclination naturelle, se porte d’elle-même vers le lieu de sa direction, ne pouvant être sans peser actuellement vers quelque endroit de l’Univers, ce qu’elle fait plus ou moins vite, à proportion de l’impulsion plus ou moins forte qu’elle a reçue, & qu’elle conserve autant qu’elle peut, comme une chose conforme à la nature du mouvement, quoi qu’elle reprenne peu à peu sa direction naturelle vers le centre, en détruisant celle qui ne luy est pas naturelle, à quoi la résistance de l’air contribue beaucoup111.

Une inversion de la pesanteur qui devrait conduire une pierre lancée vers le ciel à s’éloigner de la terre et à ne plus retomber ! Une conséquence logique de son raisonnement que le père Didier ne perçoit apparemment pas. Il fait intervenir la résistance de l’air. Mais il oublie que s’il inverse la direction de la pesanteur, la résistance de l’air devrait avoir le même effet que dans la chute d’un corps, autrement dit, elle ne saurait être capable d’arrêter son mouvement. Le mécanisme aristotélicien du mouvement offrait une explication satisfaisante d’un point de vue rationnel, apparemment en accord avec l’observation élémentaire, mais qui était invalidée par la science expérimentale. Par contre, le modèle du père Didier présente des contradictions et des défauts de raisonnement qui pouvaient, a priori, suffire à le rejeter. Il se sert de résultats d’expériences pour réfuter les aristotéliciens mais il ne semble pas capable de les utiliser pour construire un modèle concurrent valable. Bien que, de prime abord, il puisse donner l’impression de vouloir rejeter également l’aristotélisme et le cartésianisme, en fait, c’est avant tout les cartésiens qu’il combat. Le premier chapitre de sa troisième partie est d’ailleurs spécialement dédié à une attaque en règle du cartésianisme112 : […] ils ont méprisé toute la Philosophie ancienne, & malgré l’expérience, & l’autorité même de la sainte Ecriture, ils ont bâti une Philosophie nouvelle, de poussière tournoyante, de tourbillons, & de torrens imaginaires de matière subtile, qui a l’imitation des turcs, a détruit autant qu’elle a pu, tout ce qu’elle a rencontré de plus beau, & de plus relevé dans la Physique ; & ses Sectateurs, comme triomphans de l’ancienne Philosophie, ont rempli d’éloges & de beaux titres cette nouvelle venue qu’ils adorent, quoique ce ne soit qu’une chimère, à laquelle nous lèverons entièrement le masque pour la faire connoître, & en désabuser le Monde113.

Il traite la nouvelle philosophie de romanesque, « fondée sur de la poussière mobile, & agitée de tourbillons, supposant que ces fondemens de poussière tournoyante, étoient assez forts & assez solides, pour causer & supporter tout le branle

110. Ibid. 111. Ibid., t. II, p. 95. 112. Ibid., t. II, p. 115-211. 113. Ibid., t. II, p. 161.

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du grand bâtiment de la Nature, quoique cette Statue de Nabuchodonosor avec ses pieds poudreux, n’ait rien de solide en ses opinions, qu’elle suppose tout, & ne prouve rien »114. Le père Didier a pris conscience que le développement de l’expérimentation a amené la faillite irrémédiable de l’aristotélisme, mais pour autant il ne veut pas du cartésianisme. Cependant, tout en affirmant rejeter certaines idées des aristotéliciens, il en accepte d’autres. En fait il semble ne pas vouloir vraiment remettre en cause l’aristotélisme, il prétend seulement en corriger les défauts : Personne ne révoque en doute, que la Philosophie ancienne avoit beaucoup de défauts, qu’il étoit à propos de corriger, & c’étoit obliger tout le monde, d’y ajouter ce qui y manquoit ; ses formes, & ses sensations, étoient trop bien fondées dans l’Ecriture sainte, & sur l’expérience, pour les détruire, il faloit voir d’où procédoit la difficulté de les expliquer, & d’où provenoit le peu de solidité des raisons qui les établissoient, & en considérant bien ses fondemens, on auroit reconnu, que puis que les effets qui procédoient de ces causes, assez manifestes d’elles-mêmes, étoient au dessus de la matière pure, l’effet ne pouvant être plus noble que sa cause, on devoit nécessairement conclure, qu’elle étoit plus noble, & plus relevée que la matière, & ensuite, voyant qu’elle ne pouvoit être purement spirituelle, on eût facilement connu, qu’elle devoit tenir le milieu, entre ces deux, & par conséquent, que la première division des substances, faites par les anciens Philosophes, en purement spirituelles, & purement matérielles, étant défectueuse, puis qu’il y peut avoir, & qu’il y a effectivement des substances, qui tiennent le milieu, entre ces deux extrêmes, il faloit ajouter ce troisième membre des substances moyennes, à cette division fondamentale des substances, lequel étant bien appuyé de bonnes preuves, tirées de l’Ecriture sainte, & de l’expérience, comme on a fait en ces Essais de Physique115.

Le père Didier défend l’aristotélisme : C’est donc rendre justice à la Philosophie ancienne, de luy faire restitution de toutes ses formes substantielles, & de tout ce qui en dépend, de reconnoître pour véritable, tout ce qu’elle a enseigné de la réalité des sensations, des causes secondes, des couleurs &c. permettant à la neige d’être blanche, au feu d’être chaud, aux sens des animaux, de percevoir ce qui est véritablement dans les objets, aux Chiens des Bâteleurs, de sauter pour les bons compagnons, & de ne point sauter pour les bonnes femmes, à cause qu’ils se souviennent d’avoir étez bâtus pour l’avoir fait ; & même à plusieurs animaux de raisonner en quelque manière, sur les choses particulières, puis que la sainte Ecriture y consent116.

Il fait d’ailleurs appel à l’autorité d’Aristote en introduction à son premier chapitre : « Pour discourir avec ordre des choses naturelles, il faut, comme dit fort bien Aristote, traiter des Principes qui les composent, avant que d’entrer dans la connoissance des propriétez qui les accompagnent »117. Mais Aristote étant privé des lumières de la foi, il s’est trompé. Aux quatre éléments d’Aristote, il en substitue trois qu’il déclare tirer du récit de la Genèse. Il établit malgré tout une filiation entre sa doctrine et celle du Stagirite :

114. Ibid., t. II, p. 163. 115. Ibid., t. II, p. 206-207. 116. Ibid., t. II, p. 208-209. 117. Ibid., t. I, p. 1.

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Ces trois Elémens, sçavoir l’Eau, l’Esprit de l’Eau, & la Lumière, ont beaucoup de rapport aux quatre Elémens d’Aristote, & nous pourrions y ajouter la Terre, mais nous avons prouvé qu’elle n’est pas distincte de l’Eau, & nous l’avons déjà excusé, d’avoir admis dans les Mixtes, du feu au lieu de la Lumière primitive qu’il n’a pas connue, de sorte que nous pouvons dire de luy & des autres Payens qui l’ont suivi : Lux in tenebris (gentilitatis) luxit, & tenebrae eam non comprehenderunt : La Lumière a lui dans les ténèbres (de la gentilité) mais elle n’y a pas été apperçue118.

Son premier principe correspond à l’eau qui apparaît dès le premier jour de la Création et que Dieu sépare ensuite en deux en créant le firmament. Il tire son second principe, l’esprit de l’eau, qu’il appelle aussi l’esprit de Dieu, doué de multiples propriétés, des premières lignes du récit de la Création qu’il cite, « l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux », il s’unit à l’eau. Il en fait une entité intermédiaire entre les substances purement matérielles et purement spirituelles, brouillant ainsi l’ordre établi dans l’aristotélisme. Il voit dans la lumière primitive créée par Dieu au commencement un principe universel répandu dans toute la matière, y compris chez les êtres vivants, et responsable, avec l’esprit de l’eau, de la fécondité de la terre et de l’eau, ainsi que d’autres vertus. Il consacre l’essentiel de la première partie de son ouvrage à la réfutation de « l’opinion nouvelle de la pesanteur de l’Air » à laquelle il accorde une grande importance119 : « Il n’y a que l’opinion nouvelle de la pesanteur de l’Air qui a obligé à une entière réfutation, d’autant que les Philosophes modernes, prétendant que plusieurs effets de la Nature en procèdent, on ne pouvoit les expliquer par leurs véritables causes, à moins que de prouver, que cette pesanteur étoit entièrement chimérique, à laquelle on les auroit toujours attribuez »120. À ce sujet, il cite Rohaut et Pascal (De la Pesanteur de la masse de l’Air) qu’il réfute par des arguments dépassés qui montrent qu’il n’a pas compris les principes fondamentaux exposés dans ces ouvrages. Ainsi, il avance que si la pesanteur de l’air était égale à celle d’une colonne d’eau de 30 pieds de haut, ainsi que le montre Pascal, une personne aurait beaucoup de mal à se mouvoir parce qu’elle devrait pousser devant elle une « colomne d’Air, égale à sa personne, & qui luy résiste d’une force égale au poids d’une colomne d’eau, semblable en largeur & longueur, & de 30 pieds de hauteur »121. Il n’a pas compris que son raisonnement n’avait pas de sens puisque l’air exerce la même pesanteur de toutes parts. Finalement, il explique les résultats de l’expérience du baromètre en faisant intervenir les merveilleuses propriétés de « l’Esprit de Dieu », son second principe. De la même façon, il nie l’existence du vide dans les expériences réalisées avec la pompe à vide de Robert Boyle. À l’appui de l’existence des formes des aristotéliciens, il rapporte naïvement des observations invraisemblables dont il a entendu parler, sans les mettre en doute le moins du monde : La Palingenesie ou résurrection des herbes, qui se fait par leurs semences, est une preuve très évidente des formes végétables & de leur nature ; On la peut voir décrite au long dans plusieurs Auteurs curieux, & voicy ce qui en est en peu de mots. On prend

118. Ibid., t. I, p. 57-58. Le père Didier indique en marge qu’il se réfère à saint Jean (« Ioan. I »), voir Jn 1, 5. 119. Ibid., t. I, p. 121-280. 120. Ibid., t. II, p. 116. 121. Ibid., t. I, p. 176.

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la semence bien meure de quelque plante, & l’ayant pilée, on la met en un vaisseau de verre fort net, & on le bouche bien, en attendant une nuit bien serène au mois de May, pendant laquelle toute entière, on expose cette semence à la rosée, sur une table de verre après l’avoir tirée du vaisseau où elle étoit, & avant que le Soleil soit levé, l’on la remet dans le vaisseau de verre, qu’on bouche bien comme auparavant. En même tems l’on expose des linges bien blancs & nets la nuit à la rosée, qui étant exprimée & tirée des mêmes linges, on la filtre plusieurs fois, & ensuite on la distille, jusqu’à ce qu’elle soit bien pure, & ayant calciné toutes les fêces & les ordures qu’elle a laissées, on en tire le sel le plus pur que l’on peut, & on le remet dans la rosée, dont il a été extrait, puis on verse dans le vase où est la semence de la plante, jusqu’à la hauteur de trois doigts de cette rosée, & l’ayant bouché hermétiquement, on le met l’espace d’un mois dans le fumier de Cheval, & le reste de l’Eté, l’on l’expose le jour au Soleil, & la nuit aux Etoiles, pendant qu’il fait un beau tems, jusqu’à ce que le tout se change en une cendre bleu-blanche, ce qui arrive quelques fois au bout de deux mois, & d’autres fois seulement après un an122.

On ne peut que constater le manque de sens critique du père Didier. Il ajoute par contre une observation réelle mais dont il tire l’interprétation de l’alchimie : Or quand vous voulez avoir le plaisir de voir la plante resuscitée, dont vous avez renfermé la semence, vous n’avez qu’à faire chauffer doucement le vaisseau, & aussi tôt vous y voyez la forme & la figure de la même plante, qui paroit dans le vaisseau, aussi long-tems que la chaleur y dure, & elle se retire en son chaos, aussi-tôt que la chaleur cesse, ce que vous pouvez réïtérer toutes & quantes fois qu’il vous plaira, car si le vase est bien fermé, elle durera toujours en sa force123.

En effet, en produisant des arborescences de cristaux à partir de plantes calcinées, les alchimistes prétendaient les ressusciter et expliquer d’ailleurs ainsi la résurrection des corps124. Le père Didier y voit la preuve de l’existence des formes aristotéliciennes : « Après cette expérience, que plusieurs Curieux nous assurent avoir faite, & qu’un homme d’honneur m’a dit avoir vû en Allemagne, on ne peut nier qu’il y ait des formes spécifiques, ny des couleurs, à moins que de se montrer opiniatre ou préoccupé »125. Mais il en tire aussi argument pour sa doctrine d’un principe vital qu’il assimile à une lumière : « Cette expérience nous donne à connoître très clairement, qu’il y a une lumière formelle dans chaque végétable, qui est douée du caractère & de toutes les idées de son Espèce, laquelle moyennant la chaleur, étend les rayons qu’elle conservoit dans la semence du végétable, par toutes les parties des autres Eléments qu’on luy ajoute »126. Il complique à souhait sa doctrine en voulant distinguer plusieurs sortes de lumières : « L’esprit ou la forme des Animaux a quelque chose de semblable à celuy des végétaux, puisqu’il ne consiste aussi, qu’en de certains rayons de lumière proportionnellement approchez les uns des autres, & imprimez de quelques caractères ; mais il est différent, en ce que la lumière des végétaux, n’est qu’une participation de celle qui fût créée au premier jour de la création, au lieu que

122. Ibid., t. I, p. 84-86. 123. Ibid., t. I, p. 85. 124. Voir R. HALLEUX, « Hermétisme », dans M. BLAY (dir.) et R. HALLEUX (dir.), La science classique, XVIe-XVIIIe siècle, Dictionnaire critique, op. cit., p. 543-550. Comme le précise Robert Halleux, p. 549, en son temps, Mersenne s’en était pris à ceux qui expliquaient ainsi la résurrection des corps. 125. E. DIDIER, op. cit., t. I, p. 87. 126. Ibid., t. I, p. 86.

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la lumière qui constitue la forme des Animaux, est probablement une participation de celle de l’un ou de l’autre des grands luminaires »127. En liant les classes d’animaux à la lumière du Soleil et de la Lune, il sous-tend des correspondances occultes qui font penser immanquablement à l’hermétisme : Car en effet, les végétaux ont été créez auparavant le Soleil & la Lune, & par conséquent, ne tiennent rien de leurs lumières ; mais les Animaux de la Terre, les Oyseaux du Ciel, & les Poissons des Eaux, ont été produits de Dieu, après la création de ces deux Astres, & retiennent assurément les différentes propriétez de leurs lumières, puisque les Animaux terrestres, ont une lumière formelle qui est chaude comme celle du Soleil, & les Poissons ont une lumière froide, en quoy il semble qu’ils dépendent de la Lune, dont la lumière est froide aussi128. […] Mais quoiqu’il en soit, nous disons conformément aux Principes, que nous venons d’établir, que la forme de tous les Animaux terrestres, dont la lumière est chaude, procède probablement du Soleil, & que la forme des Poissons, & de tous les Animaux dont la lumière est froide, procède probablement de la Lune129.

Le père Didier croit en la génération spontanée et en la résurrection des corps soutenue par les alchimistes, il les explique par son principe vital : « Que si le sel des végétaux bien purifié & semé en terre, puis arrosé de l’Esprit des mêmes végétaux les reproduit, ainsi que plusieurs Chimistes l’assurent, la Lumière primitive spécifiée en eux, est leur véritable semence, qui peut être facilement élevée à l’acte vital en tous les Mixtes, comme l’expérience le fait voir en toutes les corruptions »130. Il manifeste des tendances assez nettes vers l’hermétisme : « Ceux qui ont appellé cette substance l’Esprit de l’Univers, & ont cru qu’elle étoit plus noble que la substance des Cieux, n’ont rien dit qui ne soit très vray-semblable, si par cet Esprit de Dieu qui étoit porté sur les Eaux, l’on entend cet Esprit universel, d’où procèdent la vertu & la fécondité de toutes les choses créées, auquel la lumière primitive est immédiatement unie »131. Contre les cartésiens, le père Didier prend la défense des principes de l’alchimie. Il croit à la transmutation métallique, « puisque tant de grands hommes l’ont trouvée possible, par l’expérience qu’ils ont faite depuis tant de Siècles, que la semence de l’or est dans l’or, & qu’elle peut être multipliée comme les autres semences »132. Il y voit une preuve évidente, « que les principes des Cartistes sont faux, & que leur poussière peut bien tellement les aveugler, qu’ils prennent les plus grands Philosophes, & les plus éclairez dans les secrets de la Nature pour des fous »133 Il cite la préface de L’ouvrage secret de la philosophie d’Hermes134, et parle avec éloge de son

127. Ibid., t. I, p. 88. 128. Ibid., t. I, p. 88-89. 129. Ibid., t. I, p. 90. 130. Ibid., t. I, p. 99. 131. Ibid., t. II, p. 327. 132. Ibid., t. II, p. 331. 133. Ibid. 134. D’après A.-A. BARBIER (op. cit., t. III, p. 879), l’auteur du livre était un alchimiste, Jean d’Espagnet (1564-163 ?), ancien président au Parlement de Bordeaux (1601-1615) et conseiller d’État, mort après 1637. L’ouvrage, traduction française de l’Arcanum hermeticae philosophiae, constitue la seconde partie d’une œuvre plus vaste intitulée : Ou l’on void à découvert toute l’oeconomie de la nature, & où se manifestent quantité d’erreurs de la philosophie ancienne, estant rédigée par canons & démonstrations certaines. Avec le Traicté de l’ouvrage secret de la philosophie d’Hermez, qui enseigne la matière, & la façon de faire la pierre philosophale, Paris 1651. L’œuvre, parue d’abord en latin en 1623 (Enchiridion physicae restitutae,

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« célèbre Auteur Anonyme de nôtre Siècle, plus clair-voyant dans les choses de la Nature que les Cartistes »135. Il interprète la quintessence des alchimistes, l’esprit de l’univers, comme correspondant à l’influence des astres : « Je ne nie pas les influences des Astres que les Philosophes Chimistes, appelent l’Esprit de l’Univers, puis que je leur ay attribué l’effet de la poudre de sympathie »136. Son esprit, pétri de l’enseignement d’Aristote, demeure néanmoins sous l’influence de la pensée magique de la Renaissance. Lorsqu’il remet en cause l’aristotélisme, c’est pour tomber dans l’hermétisme et les principes de l’alchimie, en recherchant des appuis à ses idées dans le récit biblique de la Création. Il se montre incapable d’intégrer, et même de comprendre, les concepts et les avancées du mécanisme. S’il pourrait sembler parfois reprendre à son compte des critiques d’Aristote émises par les partisans du mécanisme, il n’en perçoit pas vraiment la portée et en est réduit à voir des « esprits » un peu partout pour expliquer les phénomènes naturels et les résultats d’expériences. Son but principal est de combattre le cartésianisme et de défendre l’ancienne philosophie. Il est persuadé de pouvoir remédier aux faiblesses de l’aristotélisme par des concepts inspirés de l’hermétisme qu’il croit retrouver dans la Genèse, source de toutes les vérités : Mais toutes ces merveilles, ne se pouvoient trouver dans les écrits des Payens aveugles, ny dans la poussière des Philosophes Modernes, qui bouche leurs yeux, & les empêche de voir ce qui est réellement dans les choses ; il faloit avoir recours à la source de toutes les veritez, c’est à dire à l’Ecriture Sainte, qui nous enseignent aussi bien les principes des choses naturelles, que ceux du salut. C’est là où j’ay puisé les vrayes élémens de la Nature, que je confirme par l’expérience, comme on le peut voir en tout ce livre137.

Le compte rendu du Journal des savants Dans son compte rendu de l’ouvrage anonyme du père Didier, le Journal des savants du 19 février 1685 mentionne en introduction les trois principes qui fondent le système de l’auteur : « Le titre de ce Livre fait voir les fondemens sur lesquels ce nouveau Philosophe établit les trois principes qu’il donne pour la composition de tous les mixtes, sçavoir l’eau, l’esprit de l’eau, & la lumière primitive »138. Puis le rédacteur explique en quoi consiste chacun de ses principes, et d’abord le premier : L’eau qu’il met pour matière première de tous les mixtes est cette eau qui fut créée au commencement du monde, & qui occupant tout le lieu qui est depuis le Ciel jusqu’à la Terre, & y étant mêlée avec la substance du Ciel qui y étoit aussi dispersée, fut divisée en deux parties, dont l’une resta au-dessus & l’autre fut placée au-dessous du firmament139.

Dans sa relation, le journaliste établit non seulement une distance avec les idées professées par l’auteur, mais il semble parfois faire preuve d’une certaine ironie à leur

in quo verus naturae concentus exponitur… Tractatus alter inscriptus Arcanum hermeticae philosophiae… Utrumque opus ejusdem auctoris anonymi…), avait connu, semble-t-il, beaucoup de succès avec de nombreuses rééditions (1638, 1647, 1653, 1673). Le père Didier cite un long extrait de la préface, signée par Jean Bachou, le traducteur de l’édition française en 1651. 135. E. DIDIER, op. cit., t. II, p. 332. 136. Ibid., t. II, p. 350. 137. Ibid., t. I, p. 187-188. 138. Journal des savants, 19 février 1685, op. cit., p. 69 (56). 139. Ibid.

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égard. Ainsi, il insiste sur le fait que l’esprit de l’eau est pour le moins resté vraiment inconnu jusqu’à présent : Par l’esprit de l’eau dont il fait son deuxième principe inconnu véritablement jusqu’ici, comme il le soutient, il entend une substance moyenne entre la matière & les purs esprits, capable de remplir un lieu comme toutes les matières purement corporelles, & pouvant néanmoins s’étendre ou se comprimer en se pénétrant de même que l’air & les choses purement spirituelles140.

Le journaliste en vient ensuite à introduire le troisième principe du père Didier. Il a bien compris que l’auteur en faisait une « âme de la nature » : « La lumière qu’il met pour son troisième principe est celle-là même que Dieu créa au commencement. L’eau & la terre en furent alors enrichies & en reçurent leur dernière perfection : & elle se trouve encore répandue dans toute la nature, dont elle est pour ainsi dire l’âme & le principe formel ». Dans la suite, on peut se demander s’il n’y a pas encore une nuance d’ironie qui exprimerait le scepticisme du journaliste vis-à-vis des idées de l’auteur : « De ces principes, qu’il établit le plus fortement qu’il lui est possible, procède, dit-il, tout ce qu’on remarque dans les mixtes ». Le journaliste énumère d’ailleurs tous les effets que l’auteur prête à son « esprit de l’eau » : Leur impénétrabilité, leur solidité, leur pesanteur, & les autres qualités qui accompagnent la matière, naissent de l’eau ou plus proprement de la partie matérielle du composé appellé de ce nom. La dilatation, la compression, la pénétration & toutes les propriétés des natures moyennes entre les corps & les esprits purs proviennent de l’esprit de l’eau. C’est cet esprit qui rend les métaux fusibles : qui enlève en fumée ce que les choses combustibles ont d’humidité & qui cause le pétillement qu’elles font en brûlant : qui sortant sans cesse de tous les animaux demeure attaché à ce qu’ils touchent immédiatement & donne lieu aux chiens de suivre la piste de leur Maître & du gibier par l’odeur spécifique & individuelle du sujet dont elle est sortie, qu’il porte avec lui141.

Le journaliste résume fort bien ce que représente cet esprit par lequel l’auteur explique tout : « En un mot cet esprit est le grand ressort de la nature & la cause de tous les phénomènes qu’on a attribués anciennement à la crainte du vuide, & que les Modernes rapportent à la pesanteur de l’air. Cet Auteur réfute ces derniers sur ce point, & il traite de pure chimère la crainte du vuide & la matière première des Anciens »142. De la même façon, l’auteur fait un usage très large de son troisième principe : Enfin la multiplication, la visibilité, la chaleur & toutes les rares vertus que nous voyons dans les mixtes, naissent selon lui de la lumière qui y est répandue. Les rayons de cette lumière dispersés dans les métaux & dans les cailloux se réunissant lorsqu’on les frappe rudement les uns contre les autres, produisent le feu qui en sort. Ces mêmes rayons sont les espèces visuelles qui ont tant embarassé les Philosophes. Leur réflexion fait qu’on aperçoit de la lueur dans les yeux des chats & des loups, dans les vers luisans & dans le bois pourri143.

140. Ibid. 141. Ibid., p. 70-71 (57). 142. Ibid. p. 71 (57) 143. Ibid.

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Par cette lumière, le père Didier explique même le feu de l’enfer et l’apocalypse future. Le journaliste montre qu’il n’adhère pas à cette opinion en la rapportant en ces termes : « Enfin comme c’est de ces rayons unis au centre de la terre que cet Auteur forme le feu de l’enfer, c’est aussi de l’union de ces rayons répandus dans toutes les créatures qu’il croit que proviendra l’embrasement universel ». Sur un ton un peu ironique, le journaliste poursuit : « Après cela on ne sera pas surpris de leur voir produire le feu de la foudre, & généralement tous les effets que les Philosophes ont attribués au feu naturel »144. Et d’ailleurs, il ajoute que : « Tous les autres phénomènes qui ont été tenus pour inexplicables dans la Physique, comme le flux & reflux de la mer, les propriétés de l’aiman, &c. sont expliqué au long sur ces principes dans la seconde partie de cet Ouvrage »145. Si le journaliste ne se montre pas particulièrement convaincu par les principes du père Didier, il ne cautionne pas non plus ses attaques du cartésianisme qu’il traite comme une vulgaire prétention du père Didier : L’Auteur examine la Philosophie de Descartes qu’il prétend être contraire à l’Ecriture Sainte & remplie de contradiction et d’impossibilités ; & il soutient de plus que ses élémens ne sont pas moins faux que ses axiomes146.

Le Moyse Eclairci, ouvrage d’un émule du père Didier ? En février 1710, le Journal des savants rend compte d’un ouvrage anonyme paru à Amsterdam en 1709, intitulé Moyse Eclairci, ou Explication Littérale & Physique du premier Chapitre de la Genese147 : « L’Auteur propose ici un nouveau système pour expliquer le mouvement. Il dit que Dieu a créé deux substances, l’une spirituelle, & l’autre matérielle. Il met la lumière au nombre des substances spirituelles. Il dit que cette lumière est la même chose que le Ciel, dont il est parlé au premier verset de la Genèse, & l’Esprit de Dieu couvrant les eaux ; (c’est ainsi qu’il explique ces mots : Et Spiritus Domini ferebatur super aquas.) Et pour la distinguer de la clarté, il l’appelle lumière créée »148. D’après le journaliste, l’auteur accorde à cette lumière primitive la propriété de produire le mouvement et même de donner vie : C’est cette lumière, selon lui, qui a donné le mouvement à toutes les Créatures, par son union avec la matière. « La lumière créée, dit-il, sortant des ténèbres, fit voir par la clarté l’exécution de l’ordre qu’elle avoit reçu de s’unir à la matière ; & par son union, elle fut en état de pénétrer toute la matière grossière, d’animer toutes ses parties, &c.149

Le journaliste ne se montre pas convaincu et ne semble pas croire comme l’auteur que l’explication du mouvement par la science nouvelle puisse générer des difficultés : Par le moyen de ce système, l’Auteur prétend, 1°. Qu’on ne fait agir Dieu que par sa volonté. 2°. Qu’on explique plus clairement les principes du mouvement. 3°. Qu’on

144. Ibid., p. 72 (57) 145. Ibid. 146. Ibid., p. 72 (58). 147. « Moyse éclairci, ou Explication Littérale & Physique du premier chapitre de la Genèse. À Amsterdam. 1709. in-12. p. 94 », Journal des savants, 10 février 1710, p. 94-95 (86-87). L’auteur anonyme de cet ouvrage s’appelait D. J. NITAR d’après A.-A. BARBIER, op. cit., t. III, p. 327. 148. Ibid. 149. Ibid.

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évite bien des difficultés qu’il croit inséparables de l’explication que les nouveaux Philosophes donnent du mouvement150.

Bien que le système de l’auteur soit assez différent de celui adopté par le père Didier, il accorde lui aussi à cette lumière primitive, unie à la matière, le rôle d’un principe vital capable de reproduire les êtres vivants : La lumière créée se formant en un corps par son union à la matière, il en naquit la lumière incorporée, qui est une substance mixte de lumière créée & de matière humide, considérée dans son état d’union, est ce que ces Philosophes appellent l’esprit vital. […] Ainsi conformément à ces Philosophes, nous conviendrons avec eux que la formation des corps, leurs dispositions, & leurs organes dépendent principalement de la lumière créée, qui est l’âme du monde. Cette âme par son entendement conçut l’ordre de toutes les choses que Dieu lui commit pour exécuter. Par son action se construisant un corps, éleva les infiniments petits de la matière humide, à la dignité d’esprit vital qu’elle acquit par son union151.

Toutefois, Nitar va plus loin que le père Didier. Pour lui, l’âme du monde est une « âme intellectuelle » : « Cette âme par son entendement conçut l’ordre de toutes les choses que Dieu lui commit pour exécuter »152. Le rôle primordial qu’il accorde au soleil et à l’âme du monde le rattache à l’hermétisme. Il accorde à la lumière créée une forme d’intelligence : Tout ce que nous venons de prouver par ce Texte du premier jour de la Création, est très conforme à la doctrine des Philosophes, qui veulent que le monde est animé d’une âme intellectuelle, dotée des principes de tous les êtres, dont elle est la source, & Dieu l’origine. La lumière créée est une substance agissante & intellectuelle puisqu’elle conçut le commencement que Dieu lui fit de s’unir à la matière, & tous les autres ordres qu’elle exécuta, comme nous verrons dans la suite153.

Dans leur compte rendu du mois de septembre 1710, les Mémoires de Trévoux ne s’y trompent pas154. Elles critiquent sévèrement l’ouvrage et son auteur qui « prétend expliquer en Philosophie la Création du Monde & des Etres principaux qu’il renferme : ce qui lui donne occasion de dire plusieurs choses de la vegetation des plantes, de la destruction des Etres, & de la manière dont elle se fait ; de la vie, & de la mort des hommes &c. Il ne suit point en tout cela la sentiment ordinaire des Philosophes qui partagent aujourd’hui l’École, ou qui l’ont partagée autrefois : Ceux dont il paroît approcher le plus sont les Cabalistes & les Athées. Tout est mystérieux dans son Livre : plusieurs choses n’y sont pas intelligibles ; quelques autres le sont peut-être un peu trop »155. Le journaliste de Trévoux dénonce, entre autres, le fait que « si l’on admet dans le monde une âme intellectuelle dotée des principes de tous les Êtres, l’on en viendra bien-tôt jusqu’à dire que l’âme du monde est un Être nécessaire, & qu’il est inutile de reconnoître un autre Dieu dans le monde : l’on dira que

150. Ibid. 151. D. J. NITAR, Moyse éclairci ou Explication litterale et Physique du Premier Chapitre de la Genese, Amsterdam 1709, p. 21. 152. Ibid. 153. Ibid. 154. « Moyse Eclairci ; Ou Explication Literale & Physique du premier Chapitre de la Genese. A Amsterdam chez Etienne Roger Marchand Libraire 1709. in 12. pag. 92. sans la Lettre qui est à la fin », Mémoires de Trévoux de septembre 1710, Article CXXIX, p. 1565-1568. 155. Ibid., p. 1566.

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la matière pense, & qu’en tant qu’elle pense, elle est cette âme du monde dotée des principes de tous les êtres »156. Il est difficile de dire si Nitar connaissait l’œuvre du père Didier et s’il a pu s’en inspirer. Ce qui demeure certain, c’est que Nitar et le père Didier adhèrent tous deux à des doctrines hermétiques similaires dont ils croient retrouver les principes dans le premier chapitre de la Genèse, chacun ayant son interprétation personnelle. Cependant, contrairement à Nitar, le père Didier ne va pas jusqu’à définir son âme du monde comme une âme intellectuelle. Le père Didier paraît très attaché à la religion mais il se montre surtout préoccupé par le combat contre le cartésianisme, et plus généralement, contre les nouveaux philosophes, partisans du mécanisme. Il n’a peut-être pas toujours conscience de toutes les conséquences induites par certaines de ses idées, tirées de l’alchimie et de l’hermétisme. Quoi qu’il en soit, contrairement aux Mémoires de Trévoux, qui s’attachent à la défense de la religion, le Journal des savants ne montre pas la même préoccupation. Il considère les systèmes du père Didier et de Nitar essentiellement du point de vue scientifique. Il fait plutôt confiance à la science nouvelle et il se montre donc quelque peu critique, ou du moins sceptique, vis-à-vis de doctrines qui, non seulement, contredisent les principes des nouveaux philosophes mais également ceux des anciens. V. Le Nouveau Système du Monde de Sébastien Leclerc En janvier 1707, le Journal des savants présente un compte rendu du Nouveau Système du Monde de Sébastien Leclerc157. Sébastien Leclerc (1637-1714) est bien connu comme dessinateur et graveur. Louis XIV l’avait nommé graveur de son cabinet et professeur à l’école des Gobelins. Sébastien Leclerc se targue d’avoir inventé un nouveau système du monde : « M. le Clerc se flatte d’avoir évité les inconvéniens des Systèmes ordinaires, en prenant une route toute nouvelle. Il assure qu’elle l’a conduit heureusement jusques au point, d’expliquer d’une manière fort vrai-semblable, & débarrassée de l’attirail des Epicicles & des Excentriques, tous les Phénomènes de la Sphere, & de faire voir, que les irrégularités apparentes du mouvement des Cieux, sont des suites très naturelles de la régularité que l’on suppose ici dans celui du Soleil & du Tourbillon de la Terre »158. Leclerc reprend à son compte le concept très à la mode des tourbillons des cartésiens. Mais pour le reste, il s’en écarte. Il affirme tirer du premier chapitre de la Genèse une grande partie de son système, où ni la Terre ni le Soleil ne sont au centre du monde : « L’Auteur avoue, qu’il ne fut jamais parvenu à une telle découverte, s’il n’eût eu le courage de renoncer à un vieux préjugé, commun à tous les Astronomes, qui veulent à quelque prix que ce soit, placer au centre du Monde, ou la Terre ou le Soleil ; et s’il n’eût fait de sérieuses réflexions sur le premier chapitre de la Genèse, qui lui a fourni les vues les plus importantes pour son Système »159. Par rapport à ses prédécesseurs, le journaliste critique encore plus ouvertement la démarche qui consiste à vouloir tirer un système de physique de la Genèse, de même

156. Ibid., p. 1568. 157. « Nouveau Système du Monde, conforme à l’Ecriture Sainte ; où les Phénomènes sont expliqués sans excentricité du mouvement. Composé par Sébastien le Clerc, Chevalier Romain, Dessinateur & graveur ordinaire de la Maison du Roi. A Paris chez Pierre Giffart, Libraire, & Graveur du Roi, rue S. Jacques, à l’Image Sainte Thérèse. 1706. In-8°. pag. 99 », Journal des savants, 24 janvier 1707 (n° 4), p. 49-58 (46-54). 158. Ibid., p. 49 (46-47). 159. Ibid., p. 49-50 (47).

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que celle entreprise par certains pour prouver la conformité du cartésianisme avec le récit biblique de la Création. Parce que, manifestement, il doute que le texte sacrée puisse fournir des informations astronomiques ou physiques à propos de l’Univers. Il n’a pas été écrit dans ce but. Quant aux alchimistes, auxquels se référait le père Didier, il les condamne sans aucun ménagement : Il n’est pas le premier, qui ait cru pouvoir, en pareil cas, tirer de grandes lumières de ce Livre Divin ; & quoiqu’il n’y ait guères d’apparence que l’Ecrivain Sacré ait eu dessein de nous y instruire astronomiquement ou physiquement de la fabrique de l’Univers, cela n’a pas empêché quelques Philosophes de faire leurs efforts, pour montrer la prétendue conformité du Système de Descartes, par exemple, avec le Texte de ce même chapitre de la Genèse ; & il n’y a pas jusqu’aux Alchymistes, qui ne se soient figurés d’y pouvoir découvrir les fondemens de leurs visions les plus creuses160.

Pour le journaliste, visiblement, la Genèse ne saurait contenir une physique du monde. La condamnation est sans appel. Mais, même si le journaliste ne reconnaît pas le bien-fondé de la démarche de Sébastien Leclerc, il concède que celui-ci émet de toute façon des idées nouvelles qui peuvent justifier que l’on s’y intéresse. Le journaliste ironise sur les prétentions de physiciens de Sébastien Leclerc : « Quoy qu’il en soit, M. le Clerc, sans s’engager dans de profonds raisonnemens de Physique, expose en peu de mots ses nouvelles idées, & les preuves dont il les appuye, & comme il est excellent Graveur, on s’imagine bien, que le nouveau rôle de Physicien qu’il veut jouer ici, se trouve soutenu de tous les secours qui se peuvent emprunter de l’Art, dont il fait son capital ; c’est-à-dire, que les Figures ne sont point épargnées dans ce petit Ouvrage, où l’on en rencontre presque à chaque feuillet »161. Il décrit avec humour son système des tourbillons : M. le Clerc établit d’abord, pour la première hypothèse, que le Firmament n’est autre chose, qu’une vaste étendue d’eau, qui environne de tous côtés notre Tourbillon avec une infinité d’autres, dans chacun desquels est renfermée une Etoile ou un corps lumineux, comme le Soleil est contenu dans le nôtre. Il prouve cette supposition par l’autorité de la Genese, où il est dit, que Dieu créa le Firmament au milieu des eaux ; ce qu’il a soin d’éclaircir par un exemple familier & à la portée des moins intelligens, en mettant sous nos yeux, par le moyen d’une figure, un petit enfant, qui en soufflant avec une paille dans de l’eau de savon, y produit quantité de petites bouteilles : image naïve de la naissance des Tourbillons dans les eaux du Firmament, & qui est mise dans tout son jour, par une Vignette placée à la tête du Livre, dans laquelle on nous représente Dieu le Père au milieu des Tourbillons, qu’il semble former par le soufle de sa bouche seule, au lieu que le petit enfant se sert d’un chalumeau, pour enfler les siens. Sur cette comparaison, l’on pourroit s’imaginer, que tous ces Tourbillons qui composent l’Univers, nagent dans les eaux du Firmament, de même que les bouteilles du petit enfant nagent dans l’eau de savon162.

Mais pour pointer une contradiction dans les explications de Leclerc, le journaliste ajoute : « mais on se tromperoit fort, si l’on vouloit porter la ressemblance jusques-là, & sur ce point, comme on dit, la Comparaison cloche ; car ces eaux selon notre Auteur, sont glacées, & forment comme une croûte de cristal très solide, où sont

160. Ibid., p. 50 (47). 161. Ibid. 162. Ibid., p. 50-51 (47-48).

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enchassés les divers Tourbillons, qui par l’opposition d’une telle digue, ne peuvent se confondre les uns avec les autres »163. Non sans ironie, le journaliste explique comment Leclerc se voit obligé de percer des trous dans son firmament de glace très solide pour arriver à expliquer divers phénomènes célestes : Ils ne laissent pas cependant que d’avoir quelque sorte de communication ensemble, par le moyen de certains soupiraux, que M. le Clerc y ménage prudemment pour donner un passage libre à la matière magnétique, & aux Comètes la facilité de se promener de Tourbillon en Tourbillon. Ces communications lui paroissent encore très commodes pour expliquer l’ouverture des Cataractes du Ciel, qui inondèrent toute la terre, dans le tems du Déluge : Dieu, dit-il, n’eut pour cela, qu’à faire fondre les bords de ces soupiraux en soufflants dessus, & aussi-tôt, les Ecluses du Ciel furent lâchées164.

Le journaliste ne manque pas non plus de prendre l’auteur à son propre jeu. Puisque la Genèse ne dit pas que les eaux du firmament soient gelées, comment Leclerc l’explique-t-il ? Naturellement, il n’est pas vraiment convaincu par ses arguments, en particulier, le dernier cité : « Si l’on demande à l’Auteur, d’où il sçait que les eaux du Firmament sont glacées (car l’Ecriture qui parle de ces eaux, & sur l’autorité de laquelle on fonde tout ce Système, ne dit pas un mot de cette circonstance) il répond qu’elles sont trop éloignées de toute influence de chaleur, pour conserver leur fluidité, & pour n’être pas entièrement glacées ; d’autant plus que l’eau, selon lui, est de sa nature un corps solide, qui ne coule que par accident, & seulement lorsque la chaleur le rend fluide »165. Dans son compte rendu de la nouvelle édition de l’ouvrage, le Journal des savants d’avril 1709 précise qu’« il prétend qu’il est non seulement probable, que les eaux qui sont autour des tourbillons, sont glacées, mais il soutient qu’elles le doivent être, pour contenir les tourbillons dans leurs sphères, & pour terminer l’Univers »166. À propos de la voie lactée, le journaliste fait preuve d’ironie à l’égard de l’auteur : « Quant à l’Auteur, qui ne comprend pas bien aisément un tel entassement d’étoiles les unes sur les autres, & qui trouve quelque embarras à ranger une si grande multitude de tourbillons, sans altérer la symmétrie & les proportions de son nouveau monde ; il aime mieux, pour expliquer ce Phénomène, avoir recours aux inégalités de la glace du Firmament, (quand ce ne seroit, dit-il, que de petites chambres, qui y auroient été causées, par de petits avortons de tourbillons) »167. Il ajoute sur le même ton qu’« Audelà de cette croûte d’eau glacée, il admet un vide sans bornes, où il croit placer en toute sureté les ténèbres extérieures de l’Evangile »168. Dans son système, Sébastien Leclerc fait tourner le Soleil autour du centre du monde : La seconde hypothèse de M. le Clerc est, que notre tourbillon occupe le centre du Monde, autour duquel sont emportez par le mouvement de la matière fluide qui s’y rencontre, tous les astres renfermez dans l’étendue de ce même tourbillon, sans en

163. Ibid., p. 51 (48). 164. Ibid. 165. Ibid. 166. « Nouveau Système du Monde, Conforme à l’Ecriture-Sainte, où les Phénomènes sont expliqués sans excentricité de mouvement ; composé par M. le Clerc, Chevalier Romain, Dessinateur & Graveur ordinaire de la Maison du Roi ; revu & augmenté. A Paris, chez Pierre Giffart, 1708. In-8°. pagg. 200 », Journal des savants, 22 avril 1709, p. 253-255 (224-226). 167. Journal des savants, 24 janvier 1707, op. cit., p. 51-52 (48). 168. Ibid., p. 52 (49).

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excepter le Soleil, ni la Terre même, qui doit passer pour une véritable planète. Ainsi l’on voit, que toute la différence, qui se trouve entre ce nouveau Système & celui de Copernic, consiste en ce que cet Astronome fixe le Soleil au centre de son tourbillon ; au lieu que notre Auteur lui fait décrire un cercle autour de ce même centre. Il lui attribue aussi un tourbillon particulier, qui le fait pirouetter sur son axe, & il en donne de semblables à toutes les autres planètes, dont quelques-unes, sçavoir la Terre, Jupiter & Saturne, sont, comme chacun sçait, accompagnées de leurs satellites, qui font leurs révolutions à l’entour169.

Leclerc emploie le même subterfuge que Descartes pour dire que la Terre est au repos puisque c’est seulement son tourbillon qui l’entraîne170. C’est au tourbillon qu’il attribue le mouvement : Il reconnoit deux sortes de mouvemens dans le tourbillon particulier de la Terre ; l’un journalier sur lui-même, & l’autre annuel autour du centre du Monde : révolutions, que ce tourbillon emprunte de la matière céleste où il nage, & qu’il communique à la Terre qu’il renferme. Mais l’Auteur n’a garde d’en conclure aucun mouvement pour la Terre considérée en elle-même, puisque, selon l’Ecriture, elle doit être immobile171.

Enfin, le compte rendu relève la prétention de Leclerc à vouloir dépasser, en les infirmant, les systèmes de Copernic, Ptolémée et Tycho-Brahé : « M. le Clerc, pour donner plus de relief à son Système, & montrer les avantages qu’il a par-dessus les autres, attaque celui de Copernic, comme s’accordant mal avec les Phénomènes »172. Et plus loin, il ajoute : « Les Systèmes de Ptolémée & de Tycho-Brahé n’étant pas exemts des mêmes défauts, il s’ensuit, selon M. le Clerc, qu’ils doivent être également rejettez : au lieu que le sien doit avoir la préférence sur tous les autres, puisqu’il n’est sujet à aucune de ces difficultez, & que par son moyen, l’on explique sans peine toutes les apparences »173. Un mois avant le Journal des savant, en décembre 1706, les Mémoires de Trévoux avaient fait paraître également un compte rendu du Nouveaux Système du Monde de Sébastien Leclerc174 (voir les extraits encadrés ci-après). Contrairement au Journal, les Mémoires de Trévoux ne remettent pas en cause la valeur du récit de la Genèse pour juger de la conformité d’un système de physique. Le journaliste de Trévoux trouve le système de Leclerc conforme à la Genèse. Ce n’est pas ce qui le gêne mais plutôt l’état de glace des eaux du firmament qu’il juge difficilement acceptable pour les philosophes : « Mais trouvera-t’il des Philosophes qui veulent lui accorder, que cette vaste étendue d’eau qui renferme tous les tourbillons n’est point un corps liquide, mais une eau glacée ? ». Dans la suite, on peut remarquer que le journaliste de Trévoux évite l’ironie employée par le Journal pour se moquer des idées de l’auteur. Par contre, il ne se montre pas non plus convaincu par le système de Leclerc. À la fin de sa relation, le journaliste innocente Sébastien Leclerc de l’accusation de plagiat qui avait été

169. Ibid. 170. Cf. R. Descartes, Les principes de la philosophie, op. cit., 3e Partie, § 26-29. 171. Journal des savants, 24 janvier 1707, op. cit., p. 53 (49-50). 172. Ibid., p. 56 (52). 173. Ibid., p. 56 (53). 174. « Nouveau Systeme du Monde conforme à l’Ecriture Sainte, où les Phenomènes sont expliquez sans excentricité de mouvement. Composé par Sébastien le Clerc Chevalier Romain, Dessignateur & Graveur ordinaire de la Maison du Roi. A Paris chez Pierre Giffart 1706. in 8°. pages 114. planches 29 », Mémoires de Trévoux de Décembre 1706, Article CLXIX, p. 2059-2065.

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formulée par Mallemans de Messanges, en montrant les différences qui existent entre les systèmes des deux auteurs. « Nouveau Systeme du Monde conforme à l’Ecriture Sainte, où les Phenomènes sont expliquez sans excentricité de mouvement. Composé par Sébastien le Clerc Chevalier Romain, Dessignateur & Graveur ordinaire de la Maison du Roi. A Paris chez Pierre Giffart 1706. in 8°. pages 114. planches 29 », Mémoires de Trévoux de Décembre 1706, Article CLXIX, p. 2059-2065 (extraits). Monsieur le Clerc pense que le Monde est composé de tourbillons ; & il croit que ces tourbillons ont été formez dans une vaste étendue d’eau, suivant ces paroles de la Genese, Dieu dit aussi que le Firmament se forme au milieu des eaux, & qu’il divise les eaux d’avec les eaux. Il croit de plus que ces eaux sont glacées ; parce qu’il ne voit aucune cause de chaleur pour les liquefier. Ainsi il regarde ces eaux comme de fortes barrières capables de contenir les tourbillons, & les corps lumineux qui y sont renfermez dans l’ordre & dans l’état où Dieu les a créez ; il est certain que Moïse dit expressément que le Firmament dans lequel il met le Soleil, la Lune, & generalement tous les Astres a été créé au milieu des eaux ; qu’il fait aussi entendre qu’il y a des eaux au-dessus & au-dessous du Firmament ; d’où il suit évidemment que personne ne peut disconvenir, que le Système de M. le Clerc est du moins sur cela conforme à l’Ecriture Sainte. Mais trouvera-t’il des Philosophes qui veulent lui accorder, que cette vaste étendue d’eau qui renferme tous les tourbillons n’est point un corps liquide, mais une eau glacée ? Mr. le Clerc donc outre l’eau glacée, qui selon lui remplit les espaces qui sont entre chaque tourbillon, imagine encore un orbe ou une voute de glace, qui comme le un cristal solide contient & renferme toutes les parties de l’Univers, & au-delà de cette voute de glace, il conçoit un vuide sans bornes : & ce vuide, ajoûte-t’il, pourroit bien être les tenebres exterieures dont parle JESUS-CHRIST. Quoi qu’il en soit, il pose nôtre tourbillon dans le milieu du Firmament ; & il croit que le centre de ce tourbillon est aussi dans le centre de l’Univers. Les glaces dont tous les tourbillons sont revétus, & celles qui les séparent n’empêchent pas qu’il n’y ait des passages d’un tourbillon dans l’autre par leurs poles : c’est par ces passages, que les Comètes sont jettées d’un tourbillon dans un autre. Il croit aussi que ces passages pourroient être les cataractes des cieux que Dieu ouvrit au tems du Déluge, & dont il tira les eaux qui inondèrent toute la terre. Il trouve une autre commodité dans les eaux glacées ; c’est qu’il prétend expliquer par là la voye de lait. Il ne met point le Soleil au centre de nôtre tourbillon, mais il l’en éloigne un peu, & prétend qu’il tourne comme les autres Planètes, au tour de ce centre : il croit néanmoins que le Soleil est la principale cause du mouvement de la matière celeste dans nôtre tourbillon. Il arrange ensuite les Planetes dans le tourbillon, Mercure est le plus proche du Soleil, puis Venus, ensuite la Terre avec la Lune, puis Mars ; enfin Jupiter & Saturne chacun avec ses Satellites. Il donne au Soleil une revolution de 23 heures 52 minutes, au tour du centre de nôtre tourbillon, lequel est aussi le centre de tout l’Univers. Il prétend encore que la Terre est sans mouvement, quoi qu’elle soit renfermée dans un petit tourbillon d’air que la matière celeste emporte regulièrement autour du même centre de l’Univers. Ce tourbillon fait faire à la Terre 365 tours sur elle, avant que de revenir au point d’où il est parti, & ces tours font les 365 jours qui composent l’année. […]

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VI. Des philosophes anglais inspirés par la Genèse dans les années 1700 La physique corpusculaire d’Edmond Dickinson En juillet 1702, le Journal des savants présente une relation du système de physique de l’anglais Edmond Dickinson. Edmond Dickinson (1624-1707) était un médecin assez en vogue qui possédait par ailleurs une grande connaissance des langues orientales et de l’antiquité. À Oxford, il avait fait la connaissance d’un alchimiste français, Théodore Mundanus, qui l’avait fasciné à tel point, qu’en 1686, il avait publié un ouvrage sur la philosophie hermétique (Epistola ad T. Mudanum de Quintessentia Philosophorum, Oxford, 1686)175. Dans son ouvrage de 1702, Dickinson prétendait prouver que la Genèse enseignait l’atomisme. Pour le Journal, les adeptes d’un système du monde ont un intérêt bien compréhensible, et même une nécessité, à s’appuyer sur le récit biblique. Mais ce dernier n’a pas vocation à décider de la vérité des systèmes du monde. Le jugement du Journal des savants à propos de l’utilisation de la Genèse par les philosophes est éloquent : Il n’est pas surprenant que chaque Secte de Philosophie s’efforce d’accomoder son système du Monde, à ce que Moïse nous apprend de sa création. La vérité de l’Histoire de Moïse ne pouvant estre révoquée en doute par les Chrétiens, ils ne peuvent pas recevoir un système qui lui seroit contraire, ni ne pas reconnoistre pour véritable celui qui se trouveroit clairement établi par sa narration. Mais il en est de cela comme de toutes les choses que Dieu a voulu qui demeurassent dans l’obscurité. Il n’y a point de Philosophe Chrétien qui n’ajuste son système à la narration de Moïse, & elle n’en établit aucun clairement. Tant que la Philosophie d’Aristote a été la seule dont les Théologiens se servissent, les Interprètes de l’Ecriture sainte ont expliqué la création du monde, la formation & l’arrangement de ses partie suivant les principes de cette Philosophie. Descartes & ses Disciples ont prétendu que leur système du monde s’accordoit parfaitement avec l’histoire de Moïse ; & on a vû paroître pour le montrer, un livre intitulé, Cartesius Mosaïsans. M. Burnet dans sa théorie de la terre, s’est fait un système particulier qu’il a cru très bien fondé sur l’histoire de Moïse : & voici un Auteur qui prétend que la Philosophie corpusculaire des atomes est clairement établie dans la Genèse. C’est le dessein de l’ouvrage de M. Dickinson176.

175. Voir ses notices biographiques dans le Dictionary of national biography, op. cit., p. 938, et dans L.-G. MICHAUD (dir.), op. cit., t. XI, p. 16. Après avoir longtemps exercé à Oxford, Edmond Dickinson vint s’installer à Londres en 1684. Ayant guéri le comte d’Arlington, Chambellan de Charles II, d’une maladie désespérée, le roi le nomma l’un de ses médecins ordinaires, et médecin de sa maison. Le monarque, qui était grand amateur de chimie le gratifia d’une faveur spéciale. Le roi se plaisait à le faire appeler souvent dans son laboratoire de chimie, construit sous la chambre royale, avec laquelle il communiquait au moyen d’un escalier privé. C’est là que le roi avait l’habitude de se retirer avec le Duc de Buckingham et Dickinson, ce dernier présentait de nombreuses expériences pour l’édification de sa majesté. Après l’avènement de Jacques II (1685), Dickinson fut confirmé dans sa charge de médecin du roi, et l’occupa jusqu’au début de la Glorieuse Révolution (1688). Affecté par la maladie de la pierre, il se retira et consacra le reste de sa vie à l’étude et à l’écriture de livres. Il mourut le 3 avril 1707, âgé de 83 ans. Il avait été élu membre de la Royal Society en 1678 mais M. HUNTER (The Royal Society and its Fellows, op. cit., p. 198) le signale comme un membre inactif qui, en outre, n’apparaît ni dans les comptes ni dans les listes de la Royal Society. 176. « D. Edmundi Dickinsoni M.D. Physica Veterus & vera : sive Tractatus de naturali veritate Hexaemeri Mosaïci &c. i. MDCCII. C’est-à-dire, Ancienne & véritable Physique d’Edmond Dickinson Docteur en Médecine ; ou Traité de la vérité naturelle de l’Histoire de la création du monde, comme elle est écrite par

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Dickinson s’emploie d’abord à prouver la véracité du récit biblique : « On ne peut raisonnablement douter de la vérité de l’Histoire de Moïse qui est la plus ancienne de toutes les Histoires »177. Puis le journaliste expose l’interprétation génésiaque de l’auteur à laquelle, bien sûr, il n’adhère pas vraiment : « Il prétend ensuite que ce que Moïse appelle Ciel, Terre, Abisme, Eaux, n’est autre chose que le nombre infini d’Atomes que Dieu a crez dans le vuide. Il faut remarquer que par le nom d’Atomes, il n’entend pas des points sans étendue, mais des corpuscules indivisibles, qui ont néanmoins leur extension suivant l’idée des Gassendistes »178. Dickinson imagine que « Les parties de cette matière composées de ces Atomes, ont esté mises en mouvement par l’Esprit de Dieu, c’est-à-dire, par la vertu & par l’opération divine »179. Dickinson a une opinion curieuse sur la manière dont la famille de Noé et les animaux de l’Arche purent se nourrir, peut-être une idée inspirée par l’hermétisme ou l’alchimie : M. Dickinson a une opinion assez particulière touchant la matière dont l’homme & les animaux se sont nourris dans l’Arche. Il prétend que la lumière dont parle Moïse, & qui en Hébreu s’appelle Tsohar, estoit un esprit de matière oleagineuse, un esprit subtil, pur, qui jettoit des rayons comme le Soleil, & que Noé avoit élevé par la chymie à sa plus grande perfection. Cette matière répandue dans l’Arche exactement fermée, conservoit la vie des hommes & des animaux, en sorte qu’ils n’avoient point besoin d’autres nourriture, ou qu’il leur en falloit très peu. C’étoit une essence nourricière qui entroit par la bouche, par les narines, par les pores, & dont il n’y avoit aucune goute qui ne se tournât en aliment180.

Son explication est tellement peu ordinaire que « M. Dickinson reconnoit luimême que cette nouvelle opinion paroitra chimérique, qu’on ne croira point qu’il y ait jamais eu d’essence pareille. Cependant il soutient que la chose est non seulement possible, mais aussi très réelle, & que plus de trois cens Philosophes ou Théologiens ont assuré, qu’il y a eu au monde de ces sortes d’essences »181. L’Essai sur la fabrique mécanique de l’Univers de Conyers Purshall En septembre 1708, le Journal des savants rend compte de l’ouvrage d’un autre médecin anglais, moins connu que Dickinson, Conyers Purshall182 : C’est ici un Système de Physique appuyé sur l’Ecriture Sainte. Ainsi l’on ne doit pas être surpris, si l’Auteur employe le premier des trente-trois Chapitres qui composent ce Traité, à établir l’autorité des Livres sacrés, après avoir prouvé à sa manière l’existence

Moïse. A Londres, &c. 1702. in 4. pagg. 340. & se trouve à Paris chez Jean Anisson », Journal des savants, 31 juillet 1702 (n° 32), p. 503-506 (p. 503-504, pour la citation). 177. Ibid., p. 504. 178. Ibid. 179. Ibid. 180. Ibid., p. 505-506. 181. Ibid., p. 506. 182. « An Essay on the Mechanical Fabrick of the Universe : &c. C’est-à-dire : Essai concernant la Méchanique de l’Univers, ou nouvelle Hypothése, accomodée à la Philosophie Moderne & Expérimentale, & par laquelle on explique plusieurs Phénomènes peu éclaircis jusqu’à présent, tels que sont les véritables causes de la Pesanteur, du Mouvement, de la Réflexion, de la Réfraction, &c. Par Conyers Purshall, Docteur en Médecine. A Londres, chez Geoffroy Wale, &c. 1707. in-8°. pag. 33, sans y comprendre la Table », Journal des savants, 3 septembre 1708 (n° 36), p. 563-569 (497-503).

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de Dieu. Il a cru cette précaution d’autant plus nécessaire, que nous vivons (dit-il au commencement de la Préface) dans un siècle où les Naturalistes, & sur-tout les Médecins, sont soupçonnés de pancher un peu vers l’Athéïsme. Or M. Purshall, qui est Médecin, & qui trouve ce soupçon également injurieux à la Médecine, & mal fondé, n’a voulu rien oublier, pour se mettre à couvert d’un pareil reproche183.

Conyers Purshall éprouve le besoin de s’excuser de jouer quelquefois le rôle de théologien, dans un ouvrage de physique. Comme il l’avoue lui-même, son traité est « tel qu’on le peut attendre d’un homme confiné dans la Province, & dénué des matériaux nécessaires, & des secours que l’on peut tirer du commerce des Sçavans »184. Comme le rapporte le journaliste : « Il demande aussi, qu’on lui pardonne la liberté qu’il a prise de remettre la Terre au centre du Monde, dans un temps où il semble que l’Hypothèse de Copernic ait prévalu : & il assure que la sienne satisfait beaucoup mieux aux Phénomènes de la Nature, que celle de ce fameux Astronome »185. Le journaliste souligne la naïveté de l’auteur : « Enfin il avoue ingénument, qu’en général, les Expériences qu’il rapporte ici, ne sont point de lui, & ne lui appartiennent en nulle manière »186. Néanmoins il connaît et utilise les travaux de savants de premier plan : « À la vérité, il s’est donné la peine d’en vérifier la plupart : mais il renonce, sur cet article, à la gloire de l’invention, & il les a toutes empruntées, continue-t-il, de divers Ecrivains : dont l’autorité doit être d’un tout autres poids que la sienne. L’illustre Boyle est un de ces principaux Garents »187. Comme Robert Boyle, Conyers Purshall se montre partisan d’une physique corpusculaire188 : M. Purshall s’explique d’abord sur la nature & sur le nombre des Principes Physiques, qu’il croit devoir admettre. Ces Principes, suivant la définition qu’il en donne, sont des corspuscules, indivisibles à tout agent naturel, lesquels Dieu a créés pour en former tous les corps : ces mêmes principes sont étendus en longueur, largeur & profondeur, impénétrables, incorruptibles, & de différentes espèces. L’Auteur en compte jusques à huit, qui sont, la Matière Etherée, le Nitre, l’Air, l’Esprit, l’Huile, l’Eau, la Terre, & le Sel189.

Pour l’arrangement des planètes, Purshall suit Ptolémée, ce que le journaliste ne trouve pas intéressant à développer : M. Purshall conçoit que ces huit Principes mêlés d’abord confusément, se débrouillèrent conformément aux loix du mouvement qui leur étoit naturel ; & que Dieu en forma les différentes parties de l’Univers, selon l’ordre qui nous est marqué dans la Genèse. Il parcourt ces différentes parties, en commençant par les Corps Célestes. Le Firmament, suivans son Système, doit être solide, ainsi que les Etoiles fixes, qui sont autant de

183. Ibid., p. 563 (498). 184. Ibid., p. 564 (498). 185. Ibid. 186. Ibid. 187. Ibid. 188. Sur la chimie et la physique corpusculaire de Robert Boyle, voir A. CLERICUZIO, « A redefinition of Boyle’s Chemistry and corpuscular philosophy », Annals of Science 47 (1990), p. 561-589 ; Pour une étude sur la chimie et l’atomisme au XVIIe siècle, voir A. CLERICUZIO, Elements, principles and corpuscles : a study of atomism and Chemistry in the seventeenth century, Archives internationales d’histoire des idées, vol. 171, Dordrecht, Boston 2000. 189. Journal des savants, 3 septembre 1708, op. cit., p. 564 (499).

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globes enchassés dans l’intérieur de cette voûte. Il range les Planètes, selon l’hypothèse de Ptolomée, & n’en compte que cinq, faisant de Mercure & de Vénus deux Satellites du Soleil. Il s’attache ensuite à expliquer les mouvemens de ces mêmes Planettes, & à rendre raison, comme il peut, des Phénomènes Astronomiques : discussion, dans laquelle nous nous dispensons d’entrer d’autant plus volontiers, que nous ne croyons par là rien dérober au Lecteur de fort curieux, ni de fort intéressant pour lui190.

Ainsi que l’indique le journaliste, après avoir posé ses principes, et « assigné aux Corps Célestes les mouvemens & la situation qu’il juge le plus à propos ; il passe à l’explication de divers Phénomènes, qu’il prétend déduire fort naturellement de ses Hypothèses. Ainsi, ayant supposé, que la matière Etherée, ou, ce qui est la même chose, les Rayons du Soleil par leur activité, leur ressort, & leur pirouettement, ne peuvent manquer de raréfier l’Atmosphère, & de causer par-là une forte compression sur la terre & sur la mer : il attribue, sans hésiter, à l’action de ces mêmes rayons le mouvement journalier de la terre, son balancement, & le flux & reflux de la mer »191. Purshall s’oppose à l’explication des marées fournie par le célèbre astronome anglais Halley : « Il témoigne le chagrin où il est de se voir, sur ce point, dans une opinion directement contraire à celle de M. Halley fameux Physicien & Mathématicien Anglois ; qui soutient que l’action du Soleil & de la Lune diminuant la pression de l’Atmosphère sur les mers où ces Astres se trouvent verticaux, les eaux y sont attirées en plus grande quantité, d’où s’ensuit nécessairement le flux & reflux : sentiment, que M. Purshall combat de toutes ses forces, en tâchant d’établir le sien »192. Purshall n’hésite pas non plus à contredire Newton sur sa théorie des couleurs : M. Purshall trouve ici en son chemin le célèbre M. Newton, dont l’Hypothèse sur la nature des couleurs ne s’accorde nullement avec la sienne. Notre Auteur, loin de le dissimuler, expose le sentiment de M. Newton, dans toute son étendue, & accompagné de toutes les expériences, qui servent à l’appuyer. Après quoi, examinant en détail chacune de ces expériences, il en tire des conséquences, qui lui semblent favoriser son Système beaucoup plus qu’elles n’autorisent la pensée de M. Newton, qui attribue la diversité des couleurs, aux différents degrés de Refrangibilité (c’est son terme) particuliers à chaque rayon de lumière193.

Le journaliste termine son compte rendu en se montrant critique : « Au reste, M. Purshall, comme nous l’avons déjà remarqué n’a pas oublié dans sa Préface, de prévenir les Lecteurs, & de leur faire des excuses, sur le peu d’exactitude & de méthode qui règne dans tout cet Ouvrage, & qui semble justifier assez le titre d’Essay, qu’il lui donne »194.

190. Ibid., p. 566 (500). 191. Ibid., p. 566 (500-501). 192. Ibid., p. 567 (501). 193. Ibid., p. 568 (502). 194. Ibid., p. 569 (503).

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La défense d’une explication philosophique du récit mosaïque par Thomas Robinson En avril 1710, le Journal des savants rend compte de l’Essay concernant l’Histoire naturelle de Westmorland & de Cumberland, un livre écrit par le naturaliste anglais Thomas Robinson195 et paru l’année précédente196. L’ouvrage est consacré surtout à l’histoire naturelle mais une deuxième partie contenue dans le volume est destinée à défendre l’explication par les « philosophes » du récit biblique de la Création pour répondre à un théologien d’un avis contraire : La seconde Pièce qui fait partie de ce volume, est destinée à prouver qu’on peut sans nul inconvénient expliquer en Philosophe ce que Moyse nous raconte de la Création. C’est pour répondre à un jeune Théologien, qui dans un Traité fait exprès, avoit frondé ces sortes d’explications où l’on s’éloigne du sens littéral ; alléguant que c’étoit justement faire de l’Ecriture un nez de cire, & favoriser non seulement le Socinianisme, & le Déïsme, mais encore l’Athéïsme. M. Robinson, qui sur un principe tout différent, avoit publié un Discours Philosophique touchant le système Mosaïque de la Création, & du Déluge, s’est cru obligé de défendre son sentiment, & c’est ce qui a fait naître le petit Ouvrage dont il s’agit197.

Robinson s’efforce d’abord de démontrer que Moïse était savant pour tenter de prouver la valeur scientifique du texte mosaïque : L’Auteur s’attache d’abord à donner une grande idée de l’habileté de Moyse, dans toutes les Sciences, & sur-tout dans la Philosophie ; ce qu’il appuye sur le grand génie de ce Législateur, sur l’éducation qu’il avoit reçue en Egypte, & sur son commerce intime avec Dieu : après quoi M. Robinson a soin de mettre sous nos yeux le texte du premier chapitre de la Genèse, accompagné de sa Paraphrase Philosophique & Théologique, qui remplit une seconde colomne, & qui contient ses hypothèses particulières, dont il s’efforce de faire voir le juste rapport avec le Texte de Moyse198.

Le journaliste n’éprouve pas le besoin de détailler les explications physiques de la Genèse proposées par Robinson. Elles ne l’intéressent pas : « Ceux que ces sortes de matières intéressent pourront consulter l’Auteur même »199. Il se contente de condamner sans appel sa démarche qui, pour lui, est sans valeur : « On conçoit bien qu’après que les Cartésiens, les Philosophes Hermétiques, & d’autres ont cru trouver

195. D’après sa notice biographique dans le Dictionary of national biography (op. cit., p. 46), Thomas Robinson († 1719), amateur d’histoire naturelle, avait été nommé au presbytère d’Ousby, dans le Cumberland, en 1672. Après le service du dimanche, il présidait une sorte de club à la brasserie du village, où chaque membre dépensait une somme qui n’excédait pas un penny ; c’était aussi un fervent partisan des sports de village, particulièrement le football. Il consacra ses loisirs à collecter des faits sur les mines, les minéraux et l’histoire naturelle des comtés de Cumberland et de Westmorland. 196. « An Essay towards a natural History of Westmorland and Cumberland, &c. C’est-à-dire : Essay concernant l’Histoire naturelle de Westmorland & de Cumberland, &c. On y a joint une Défense de la Paraphrase Philosophique & Théologique du système de Moyse touchant la Création, &c. Par Tho. Robinson, Recteur d’Ousby en Cumberland. A Londres, imprimé par J.L. pour W. Freeman, &c. 1709. in-8°. p. 95. pour l’Essay : p. 118. pour la Défense », Journal des savants, 7 avril 1710 (n° 14), p. 209-212 (190-193). 197. Ibid., p. 212 (192-193). 198. Ibid., p. 212 (193). 199. Ibid.

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mot à mot leurs différens systèmes dans ce chapitre de la Genèse, il n’est pas impossible à M. Robinson d’y apercevoir le sien »200. Finalement, des années 1670 jusqu’à 1710, par rapport aux auteurs qui prétendent prouver la conformité du cartésianisme au récit biblique de la Création, ou trouver une explication physique de la Genèse, ou bien encore en tirer un système de physique, la position du Journal des savants a évolué vers des critiques de plus en plus dures pour finir par une condamnation générale et ouverte de ce genre de démarches. Les critiques émises par les journalistes sont tout à fait éclairantes. Pour le Journal des savants, l’auteur sacré n’a pas eu pour but de transmettre des informations scientifiques sur la formation du monde. Non seulement, la Genèse ne présente pas un système de physique, mais il ne sert à rien d’en proposer une explication physique ou de chercher à y retrouver un système du monde, parce que l’on peut visiblement y trouver tout et n’importe quoi. Autrement dit, le récit mosaïque ne constitue pas une histoire de la formation du monde qui soit valable d’un point de vue scientifique et utilisable par les hommes de science. Pour le Journal, il est trop obscur, trop imprécis et, de toute façon, son auteur n’a pas cherché à délivrer de vérités scientifiques à la postérité. La position des Philosophical Transactions est bien différente, du moins, dans les années 1670. Rechercher des explications physiques à la Genèse représente un but louable à encourager. À partir des années 1680, une possible évolution de cette position devient hélas de plus en plus difficile à suivre, en raison d’abord des interruptions dans l’existence de la revue anglaise, mais surtout à cause de l’évolution de sa politique éditoriale qui tend à éliminer les comptes rendus d’ouvrages. Cependant même après les années 1670, dans les années 1680 et 1690, les auteurs de théories de la Terre sont généralement mieux reçus dans les Transactions que dans le Journal. Ce qui indique tout de même un décalage entre les deux revues dans la manière d’envisager les rapports entre la science et la Genèse. Une autre différence doit être soulignée. Alors que dans les sciences de la vie et de la Terre, des hommes de science de premier plan, parfois membres de la Royal Society, se réfèrent à la Genèse pour construire ou réfuter des théories novatrices qui peuvent représenter dans une certaine mesure des avancées dans leurs champs de savoirs, dans les domaines de la physique et de l’astronomie, en dehors de quelques cartésiens, ce sont le plus souvent des hommes inconnus, des amateurs, qui utilisent fréquemment la Genèse pour réfuter la science nouvelle. Le médecin parisien Louis de Beaufort est resté méconnu, tout comme l’anglais Samuel Gott. Le père Edme Didier n’est pas plus connu, et l’anglais Conyers Purshall n’est qu’un modeste médecin de province, ignoré. Edmond Dickinson fait figure d’exception. Il s’agit d’un médecin à succès, devenu médecin du roi, qui s’est intéressé à l’hermétisme et à l’alchimie. Néanmoins la physique n’est pas a priori son domaine de prédilection. Il est également frappant de constater que, chez ces auteurs, on a beaucoup plus d’ouvrages publiés de manière anonyme. Beaucoup de ces auteurs sont opposés à Copernic. Un certain nombre tente de maintenir des principes de l’aristotélisme quand ils ne se tournent pas vers l’hermétisme et l’alchimie. Mais au fond, le récit biblique de la Création est tellement succinct que, une fois qu’ils ont retrouvé quelques-uns de leurs principes dans le récit mosaïque et qu’ils ont fourni leurs explications de ce dernier, leurs ouvrages deviennent bien souvent le prétexte pour exposer leurs propres systèmes du monde.

200. Ibid.

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Les interprètes se servaient de la philosophie d’Aristote pour expliquer la Genèse. À partir du moment où l’aristotélisme se voit renversé, l’explication de la Genèse selon Aristote se retrouve invalidée. Certains auteurs sont donc tentés de trouver de nouvelles explications physiques, soit, par les principes de la science nouvelle, c’est le cas de certains cartésiens, soit, plus souvent, en allant chercher ailleurs, par un retour vers le passé, chez les philosophes anciens, mais aussi dans l’hermétisme et l’alchimie. La défense de l’aristotélisme entreprise par le père Didier contre le cartésianisme s’inscrit dans la querelle des Anciens et des Modernes. C’est aussi, et surtout, l’occasion pour ces auteurs d’essayer de prouver que leurs propres systèmes du monde se retrouvent dans la Genèse. Face à une telle démarche, la position des deux périodiques, reflets de leurs milieux scientifiques respectifs, est très différente. Les Philosophical Transactions approuvent cette démarche. Le Journal des savants la condamne parce qu’il remet tout simplement en cause la légitimité même d’une telle démarche en niant la valeur scientifique du récit de la Genèse.

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CONCLUSION

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le Journal des savants a servi de modèle aux multiples périodiques scientifiques qui ont suivi sa fondation en 1665. Malgré leurs spécificités, les Philosophical Transactions n’ont pas échappé à l’influence de la revue parisienne. À travers les emprunts au Journal opérés par leurs rédacteurs successifs, et en premier Henry Oldenburg, leur fondateur, les Philosophical Transactions ont parfois même été au-delà de l’imitation. Ces emprunts étaient facilités par les échanges constants entre les rédacteurs du Journal et des Transactions, relations inaugurées par Oldenburg et l’abbé Galloys qui correspondaient ensemble et s’échangeaient leurs revues respectives. Certes, les deux revues proposent dès l’origine deux formules différentes : le Journal des savants se définit comme un périodique généraliste, couvrant une grande partie des champs du savoir, la science comme la théologie, les Philosophical Transactions au contraire veulent se limiter aux domaines scientifiques. En revanche, à leurs débuts, et contrairement à ce que l’on a pu croire, les Transactions sont loin d’être une revue présentant essentiellement des recherches en cours, privilégiant les mémoires et n’accordant qu’une place très secondaire aux comptes rendus de livres. À tel point que la revue anglaise a pu fournir, dans les domaines scientifiques, presque autant de relations de livres que de mémoires, et même plus de comptes rendus d’ouvrages que le Journal des savants lui-même. L’histoire des Transactions dans leur premier demi-siècle d’existence démontre aussi l’importance fondamentale des réseaux de correspondants pour les rédacteurs des périodiques de l’époque. Avec un rédacteur comme Henry Oldenburg, qui entretenait une ample correspondance étrangère, la revue s’est épanouie, présentant en abondance mémoires et comptes rendus d’ouvrages. Avec les successeurs d’Oldenburg, qui ne nourrissaient pas un réseau épistolaire similaire, la revue a dépérit jusqu’à pratiquement cesser de paraître. Comme pour nombre d’anciens périodiques, la représentation des Philosophical Transactions a été faussée par ce que le périodique est devenu par la suite. Contrairement à leurs successeurs des XIXe et XXe siècles, les Transactions n’ont pas eu une formule stable, elles n’ont pas pu toujours bénéficier de réseaux d’échanges bien établis, ni d’une parution régulière. On a trop négligé l’histoire de ce périodique au XVIIe siècle, et de son évolution, en se contentant de l’assimiler à celle, mieux connue, des XVIIIe et XIXe siècles. Les Philosophical Transactions des années 1700 sont très différentes de celles des premières années, elles sont le résultat d’une évolution chaotique. D’une revue internationale que son fondateur, Henry Oldenburg, voulait ouverte au monde, les Philosophical Transactions se sont repliées sur l’Angleterre, finissant même par se limiter étroitement à la Royal Society. D’une revue qui, par l’importance de ses comptes rendus d’ouvrages scientifiques, pouvait être comparée au Journal des savants, les Transactions au début du XVIIIe siècle sont devenues l’organe de publication des mémoires de la Royal Society. Dans le même temps, le Journal des savants qui publiait de nombreux mémoires des membres de l’Académie royale des sciences, se recentre sur les comptes rendus d’ouvrages en s’ouvrant encore davantage à l’Europe. Les deux journaux ont suivi une évolution opposée mais ils étaient beaucoup plus proches à l’origine.

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Conclusion

L’analyse du contenu des deux périodiques à l’interface de la Genèse et de la science est révélateur, d’une part, des deux milieux avec lesquels elles entretiennent des liens étroits, la Royal Society pour les Philosophical Transactions et l’Académie royale des sciences pour le Journal des savants, et, d’autre part, de différences d’origines confessionnelles et culturelles dans la réception des idées et des œuvres qui se rapportent aux débats savants entre science et théologie. Mais parfois, des facteurs politiques peuvent aussi avoir une influence. Ainsi dans les débats relatifs à la chronologie biblique, si les facteurs religieux peuvent influencer les prises de positions de part et d’autre de la Manche par rapport à une chronologie plus longue, les raisons sont plus complexes et des facteurs politiques ont pu aussi joué. L’attachement des protestants anglais à la version hébraïque du texte de la Bible pourrait expliquer leur plus grande réticence à l’égard d’une chronologie biblique différente de celle du texte hébreu. De leur côté, les jésuites soutiennent la chronologie plus longue des Septante qui leur permettrait de mettre en accord le récit biblique avec les annales des Chinois et de faciliter ainsi leur conversion au Christianisme. En Chine et au Siam, les intérêts des jésuites et du roi se mêlent et se rejoignent. Inversement, pour les adversaires des jésuites, il est assez logique de s’opposer à leurs vues. Mais avec le chancelier Boucherat, le Journal des savants était soumis à l’autorité de l’un des plus hauts personnages de l’État, ami des jésuites, qui, bénéficiant de la confiance du roi et de ses ministres, protégeait ouvertement, et en toute connaissance de cause, un théologien qui avait décidé de consacrer une bonne partie de son énergie et de son travail à la promotion et à défense de la chronologie plus longue des Septante. Par rapport à l’histoire des origines de l’humanité, le Journal des savants adopte une position totalement opposée à celle des Philosophical Transactions. La revue londonienne approuve l’utilisation des récits de la mythologie antique comme source valable pour le passé très reculé, les temps fabuleux de l’histoire, tout comme l’usage d’arguments linguistiques. Opinion qui s’accorde avec celle de bien des hommes de science de l’époque. Le Journal des savants se montre très critique envers cette manière d’utiliser la mythologie, suivant en cela Fontenelle, qui déclare : « Ne cherchons donc autre chose dans les fables que l’histoire des erreurs de l’esprit humain »1. Contrairement aux Transactions, le Journal dénonce la faiblesse des arguments linguistiques pour reconstituer l’histoire des nations et l’absence de preuves qui permettraient d’étayer les interprétations des auteurs. En considérant de manière pénétrante la nature et le contenu des fables, le Journal des savants paraît plus en avance sur son temps que les Philosophical Transactions. Les deux revues présentent le reflet des débats dans leurs pays respectifs. Alors que dans le Journal des savants l’œuvre de Rudbeck est soumise à une critique acerbe et traitée avec mépris comme un tissu d’inepties, dans les Transactions, elle est présentée comme un ouvrage scientifique digne d’intérêt qui vaut à son auteur l’estime de la Royal Society. En ce qui concerne les discussions autour de la nature des fossiles, le silence du Journal des savants jusque dans les années 1690 renvoie au manque d’intérêt de l’Académie pour cette question. Inversement, la richesse du contenu des Philosophical Transactions sur ce problème fait écho à l’intérêt que manifestent les membres de la Royal Society pour les fossiles et à la diversité des opinions qui s’y expriment. Toutefois, le combat livré par les Transactions à l’encontre de la génération spontanée interagit avec les débats à propos de l’origine des fossiles, sans pour autant

1. FONTENELLE, De l’origine des fables, op. cit., p. 238.

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Conclusion

que la revue remette en cause la théorie de leur production naturelle par une vertu plastique présente dans la Terre. À partir des années 1700, bien qu’elle défende l’origine organique des fossiles, la revue parisienne est plus prudente et plus critique que la revue londonienne envers les effets attribués par certains auteurs au Déluge. Il en va de même à l’égard d’interprétations ou d’explications du Déluge qui ne lui apparaissent pas convaincantes. Malgré les différences d’origine confessionnelle, le refus de considérer le Déluge comme autre chose qu’un miracle, aussi bien dans ses causes que dans ses effets, se rencontre chez certains protestants comme chez certains catholiques. Toutefois, le Journal se démarque notablement des Mémoires de Trévoux qui en arrivent à condamner toute tentative d’explication naturelle du Déluge comme mettant en cause le miracle. Le Journal ne se montre pas non plus sensible à l’intérêt apologétique de certains ouvrages mis en avant par les Mémoires de Trévoux, préférant ne considérer ces ouvrages que d’un point de vue scientifique. En géologie, les positions du Journal des savants se rapprochent bien souvent de celles de Fontenelle qui écarte discrètement la solution du déluge de la scène scientifique. Reçu à l’Académie en 1697, Fontenelle va jouer un rôle fondamental dans la naissance de la géologie française. Comme la revue anglaise, la revue parisienne rend compte des diverses théories de la Terre, répondant ainsi à l’intérêt du public. Mais la neutralité ou l’enthousiasme que l’on rencontre dans les Transactions font place à plus de prudence, de scepticisme, voire parfois de critiques, de la part du Journal. Les opinions de la revue parisienne semblent déjà annoncer les critiques de Buffon à l’égard de ces « bons romans », ces théories de la Terre élaborées Outre-Manche, fruits de l’imagination mais qui manquent de fondements scientifiques. Tout en pouvant se montrer pro-cartésienne, la revue française ne semble pas voir la nécessité de démontrer la conformité du cartésianisme au récit mosaïque. Elle ne se montre guère favorable à cette démarche dont l’importance d’ailleurs se réduit dans les débats sur le cartésianisme. Les théologiens s’étaient servis de la philosophie d’Aristote pour expliquer la Genèse. La faillite de l’aristotélisme dans l’explication de la nature rejaillit sur les explications aristotéliciennes du texte biblique qui se trouvent fatalement remises en question. Des auteurs souvent peu connus tentent de trouver de nouvelles explications physique à la Genèse, parfois selon les principes de la science nouvelle, plus souvent en allant chercher dans le passé, chez les anciens, dans l’hermétisme et l’alchimie. C’est l’occasion pour certains auteurs, comme le père Edme Didier, de s’attaquer à la science nouvelle, de refuser toutes les avancées du mécanisme, et de défendre l’ancienne philosophie, en cherchant quelques appuis dans le texte biblique. Un tel combat peut être regardé comme partie prenante à la querelle entre les Anciens et les Modernes. Une querelle où le Journal des savants prend très clairement position pour les Modernes, alors que les Philosophical Transactions paraissent plus embarassées et moins claires à cet égard. Bien des savants britanniques, dont Newton, sont convaincus de l’existence d’un savoir originel et d’une théologie originelle possédés par les Anciens. Ce qui les amène à nier aussi bien le côté novateur de la science de leur époque que la notion de progrès scientifique défendue en France par les Modernes, dont Fontenelle, et par le Journal des savants qui les soutient. Mais par rapport à l’utilisation de la Genèse, le Journal des savants va bien au-delà de la querelle des Anciens et des Modernes, puisqu’il réprouve tant les tenants de la science nouvelle que ceux de l’ancienne philosophie. Le Journal condamne aussi bien les cartésiens que les philosophes hermétiques, et d’autres, qui tous ont cru trouver mot à mot leurs différents systèmes dans le premier chapitre de la Genèse. 421

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Conclusion

Contrairement à Henry Oldenburg qui, dans ses Transactions, considère la recherche d’explications physiques de la Création biblique comme un devoir pour les savants, le Journal ne manifeste pas ce genre d’opinions. Le Journal des savants ne croit pas non plus que l’on puisse tirer de la Genèse un système de physique. Il condamne la démarche de ceux qui prétendent y retrouver leurs principes de physique ou qui essayent de prouver que leurs propres systèmes du monde s’accordent avec le récit biblique de la Création. En fait, contrairement aux Philosophical Transactions, le Journal remet en cause la valeur et l’intérêt scientifique du récit de la Genèse. Pour la revue française, on ne peut pas tirer d’informations physiques ou astronomiques du récit biblique de la Création, et encore moins un système du monde. L’auteur sacré n’a pas eu pour but de nous instruire scientifiquement de la formation du monde. En définitive, par rapport aux Transactions, le Journal est assez critique envers le mélange de la science et de la religion. Il apparaît plus sensible à ce que Paul Hazard appelait « la crise de la conscience européenne »2. Par rapport aux Philosophical Transactions, le Journal des savants se montre en avance sur son temps en adoptant des positions qui annoncent des idées des Lumières. En fait, il n’y a que dans le Journal des savants que l’on peut voir une volonté de séparer la science de la religion. Au contraire, dans les Philosophical Transactions, le mélange des deux domaines est de règle. Ce qui ne peut que refléter les idées dominantes qui circulent dans les milieux scientifiques anglais et particulièrement au sein de la Royal Society. Ainsi, c’est dans un pays catholique, sous un régime « absolutiste », qui révoque l’Édit de Nantes et pourchasse les jansénistes, que s’est affirmée le plus aisément l’indépendance de la science à l’égard de la théologie. Alors qu’en Angleterre, pays « libéral » au moins à partir de 1688, la science a manifestement éprouvé plus de mal à conquérir cette indépendance. L’esprit des Lumières est absent des Philosophical Transactions alors qu’il est à l’évidence déjà présent dans le Journal des savants. En définitive, à travers les deux périodiques, s’impose l’image d’une France catholique critique sur les données religieuses qui contraste avec une Grande-Bretagne protestante plus soucieuse de se conformer aux connaissances tirées de la Bible. Cette conclusion remet en cause l’image présentée par les historiens traditionnels. Ces résultats contredisent certaines idées reçues sur la « Révolution scientifique » et la priorité des Lumières anglaises. Ils appellent naturellement d’autres études sur le sujet. La comparaison du Journal des savants et des Philosophical Transactions en ce qui concerne les débats autours de la Genèse démontre, s’il en était besoin, que les premiers périodiques savants constituent une source valable pour étudier non seulement la diffusion des idées, mais aussi, leur réception. Ils invitent à explorer avec attention le contenu encore peu exploité de tous ces journaux savants, si riche de promesses pour le travail de l’historien.

2. P. HAZARD, op. cit.

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SOURCES

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1. Pour le détail des collections consultées, voir les annexes.

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Nouvelles de la République des Lettres, juin 1699. p. 627-639 Article II. Copie d’une Lettre de Mr. L’Abbé de la CHARMOYE, à Mr. L’Abbé NICAISE ; où il lui fait un détail de son Ouvrage de l’Origine des Nations, qu’il doit bien-tôt mettre au jour. Monsieur. Si vous recevez ma Réponse un peu tard, jettez en la faute sur le retardement de la vôtre, qui n’est venue ici, que près de trois semaines après être sortie de vos mains. Je vois par elle, que vous avez perdu ma dernière, après qu’elle vous a été rendue ; & je croirois aisément, que c’est parce que vous en faisiez assez peu de cas, si vous ne me détrompiez vous-même, en me priant aussi instamment que vous faites, de réparer, ce que vous apellez une perte, en vous en écrivant une autre semblable. Je vous avoue, Monsieur, que je n’ai pu m’y résoudre qu’avec bien de la peine : mais, enfin, je me suis rendu à toutes vos instances, ne voulant pas déplairre à un Ami comme vous. Ma Lettre ne pouvoit vous être agréable, que parce que j’y traçois un petit plan de l’Ouvrage, que j’espère donner au Public. Il sera intitulé, l’Origine des Nations, & ce sera comme un Commentaire Historique du Chapitre X. de la Genèse, dans lequel Moyse a marqué les Pères & les Fondateurs des Nations, qui ont peuplé le Monde dans les Siècles, qui ont suivi le Déluge. Cet Ouvrage sera divisé en cinq Livres. Dans le premier je ferai voir comment les Peuples se sont divisez sur la Terre, après la Confusion des Langues & la construction de la Tour de Babylone : qui a été le principal Auteur de cette entreprise étonnante ? Combien il ya eu de Peuples & de Langues après la confusion, & comment ils se sont dispersez dans les Pays & les Régions, qui leur avoient été destinées par l’ordre de Dieu ? Et là j’examinerai ce bel endroit de Moyse Chapitre XXXII. du Deuteronome. Quando dividebat Altissimus Gentes, quando separabat filios Adam, constituit terminos populorum juxta numerum Filiorum Israël ; ou comme on lisoit autrefois, juxta numerum Angelorum Dei. Cet endroit, & quelques autres de l’Ecriture, qui le confirment, m’ont découvert des choses fort singulières touchant les premiers Peuples. L’on verra par ces mots, constituit terminos populorum, que Noé, par l’ordre de Dieu, a réglé avant de mourir les bornes & les limites des Pays, que devoient occuper les Descendans de ses trois Fils, Sem, Cham, & Japhet, & je prouverai, que ce dernier a été l’Ainé de ces trois Frères. Dans le second Livre, je traiterai amplement des Descendans de Sem. Dans le troisième je rechercherai le Postérité de Cham, & dans le quatrième j’établirai celle de Japhet. Je prouverai dans ces trois Livres, que Monsieur Bochart, qu’on ne sauroit assez louer, pour les belles choses, qu’il nous a laissées, touchant les Colonies de ces différens Peuples, ne laisse pas de s’être trompé en beaucoup d’endroits très-considérables, comme touchant les Chaldéens, les Ethiopiens, les Gomariens ou Celtes, les Lydiens, & plusieurs autres Nations. Parmi leurs différentes peuplades, l’on verra, que les Enfans de Cham ont été les premiers Usurpateurs, & qu’ils ont envahi en quelques endroits de l’Asie les possessions destinées aux Enfants de Sem. Par 441

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exemple, Chanaan & ses Enfans ont usurpé sur eux ce qu’on a depuis appellé le Pays de Chanaan. Il y en a plusieurs bonnes preuves, & même tirées de l’aveu des Chananéens ou Phéniciens, qui reconnoissent avoir habité ailleurs, avant de s’être établis dans la Palestine. De plus, je rendrai raison, pourquoi, des douze ou treize Peuples, qui sont sortis des Chananéens, Dieu ne commande dans les Ecritures d’en exterminer, que sept seulement. Je dirai encore beaucoup de choses des Descendans de Mesraïm, c’est-à-dire, des Égyptiens, & de leurs premières & anciennes Colonies. Quand au cinquième Livre de mon Ouvrage, il sera destiné tout entier à découvrir l’origine des anciens Celtes, qui ont depuis porté le nom de Gaulois. Je ferai voir, Monsieur, par l’autorité de Josephe & de quelques Anciens, qu’ils viennent véritablement de Gomer Fils ainé de Japhet. Non content de cela, je montrerai par de bonnes raisons, qu’ils ont eu leur premier établissement dans la haute Asie vers la Mer Caspienne, c’est-à-dire, dans la Margiane, l’Hyrcanie, la Bactriane, & les lieux voisins. Qu’ils y ont porté très-long tems le nom de Gomariens ou Gomarites, comme venant de Gomer, Fils Ainé de Japhet. Que les Phartes, qui sont sortis d’eux, dès les premiers tems les ont apellé Saces ou Saques, en latin Sacae, & qu’ils ont été célébres sous ce nom dans tout l’Orient. Que dès les premiers Siècles, ils se sont répandus dans l’Arménie & ensuite dans la Cappadoce voisine du Pont, & puis dans la Phrygie. Que ç’a été dans cette Contrée de la petite Asie, qu’ils ont commencé à porter le noms de Titans, ce qui en langue Celtique, qui étoit le leur, veut dire homme de la terre ; & les Grecs l’ont fort bien exprimé par leur Γηγενεις : & l’on verra aussi, qu’une partie d’eux, qui s’est établie ne ces tems-là au dessus du Pont Euxin, a eu le nom de Cimmeriens ou de Cimbriens, lesquels dans la suite ont fourni des Habitans à la Chersonèse Cimbrique auprès du Danemarc. Qu’après cela ils se sont donné le nom de Celtes, & enfin celui de Gaulois ; & ces deux derniers noms veulent dire en leur langue vaillans ou valeureux. Mais pour revenir aux Titans, qui sont nommez Tιτηνες, par les plus anciens Grecs, Callimaque a fort bien reconnu, & même écrit, que les Celtes ou Gaulois Occidentaux étoient issu d’eux. Sous ce nom, Monsieur, ils ont fait de si grandes choses dès le tems d’Abraham, qu’on ne le sauroit presque imaginer. Ils se sont dès lors rendus maîtres de la petite Asie, de la Thrace, de la Grèce, & de l’Isle de Crète, & j’ose dire presque de toute l’Europe ; & si je ne me trompe d’une partie des Mauritanies. Cependant leur demeure la plus ordinaire, dans ce tems-là, étoit la Phrygie, la Grèce, & l’Isle de Crète. Leurs Princes ont demeuré dans ces Provinces durant près de deux Siècles. Voici les noms de quatre d’entr’eux, que l’Antiquité nous a conservez. Le premier est Acmon, son fils s’appelloit Ophion, que les Poètes ont sottement apellé Urane ; il a été le Père de Saturne, que les Titans ou Celtes nommoient Sadorne en leur Langue ; & de lui est né le fameux Jupiter. Son véritable nom étoit chez eux Jaou ou Jon, d’où s’est formé le Jovis des anciens Latins. Car c’est ainsi, qu’on le nommoit parmi eux, avant qu’on lui donnât le nom de Jupiter, qui dans les cas obliques a toujours gardé le nom de Jovis au lieu de Jupitris. Ni Varron ni aucun Latin n’ont pu rendre raison d’une chose, qui leur a paru si extraordinaire. Mais il y en a bien d’autres, qu’eux, que les Grecs, & même Platon ont ignoré, comme il paroit par leurs étymologies, & dont je rendrai aisément raison par le moyen du Celtique. Pour les trois derniers de ces Princes, dont je viens de parler, ils sont, comme vous savez, fort connus dans l’Antiquité. C’est qu’ils ont été des Rois très puissans ; au moins Saturne & Jupiter ont porté ce titre, & après avoir fait de grandes choses, mais mêlées de grands vices & de grands désordres, on les a mis au nombre des Dieux, mais des Dieux du premier ordre. Voilà jusqu’où est allé la brutalité & l’aveuglement des hommes, je veux dire des premiers Grecs & des anciens Latins. Vous verrez, Monsieur, 442

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leurs actions, tant bonnes, que mauvaises décrites dans le cinquième Livre ; mais elles seront purgées des fables ridicules, dont on les a voilées & défigurées, par les fictions des Poètes. Or toute cette naration sera autorisée de tant de témoins très anciens, que j’ai lieu de croire qu’on ne s’avisera pas de dire, que ce sont des visions ; ou bien il faudra démentir toute l’Antiquité. Mais pour revenir à ces Princes Titans ou Celtes ; comme ils ont régné très longtems dans la Grèce & même dans l’Italie, où Saturne se réfugia, étant persécuté par son propre Fils, leur Langue s’est tellement mêlée avec la Grecque, qui étoit alors l’Eolique, & avec l’ancienne Latine, qu’on peut dire, qu’elles en sont toutes remplies. Vous serez surpris, Monsieur, quand je vous dirai, que j’ai environ sept ou huit cens mots grecs, je dis de simples racines, qui sont tous tirez de la Langue des Celtes, avec presque tous les nombres. Par exemple, les Celtes disent dec, dix, & les Grecs δεκα ; les Celtes disent pemp, cinq, & les anciens Grecs Eoliens πεμπε. Les Celtes disent pedwar ou petoar, quatre, & les Eoliens πετορες. Les Celtes disent Undec, onze ; daoudec, douze, &c. & les Grecs ενδεκα, δωδεκα, &c. Jugez du reste, par cet échantillon. Pour ce qui est de le Langue Latine, j’ai actuellement plus de douze cens mots, qui viennent tous véritablement du Celtique : Et je répondrai solidement à ceux d’entre les Savans, qui ne pouvant nier un fait, qui paroit sensible, sont réduits à dire, que les Celtes ont emprunté ces mots des Grecs & des Latins. Au reste, il n’est pas étonnant que la Langue Latine soit si remplie de mots Celtiques ou Gaulois. Car les Ombriens, qui étoient des plus anciens Peuples d’Italie, & qui étoient voisins & souvent mêlez avec les Aborigènes étoient de vrais Gaulois. Aussi sont-ils apellez par les Anciens Propago Gallorum. De ces Ombriens sont sortis les Sabins, de qui on fait, que les Romains ont pris tant de choses ; & entr’autres le mot de Quirites, qu’on devroit prononcer Curites, comme venant de Curis, qui veut dire Hasta. Les Savans n’ignorent pas cela ; mais ils ne savent pas que Curis ainsi que Lancea ont leur origine dans la Langue des Celtes. Il en est de même du Κουρητες des Grecs, qui leur a donné tant de peine ; sans qu’ils ayent jamais pu savoir, ni ce que signifioit ce mot, ni d’où il venoit. L’on n’a qu’à consulter Strabon, pour voir ce que je dis. Mais outre les Ombriens & les Sabirs, les Ocques ou Opiques, en Latin Osci & Opici étoient pareillement Celtes d’origine ; & l’on peut assurer, que leurs Fables apellées Atellanes, qui ont tant plu au Peuple Romain, avec les Carmes Saliaires ou Saturniens, qui venoient des Ombriens & des Sabins, ont rempli de mots Celtiques la Langue Latine. Ajoutons à toutes ces choses, qui paroissent assez étonnantes, que les Laconiens ou Lacédémoniens, ces Peuples si renommez dans la Grèce, ont presque tout tiré des Celtes. Ce n’est pas une hyperbole, vous en verrez les preuves. Après quoi, je ne suis plus surpris, si les mêmes Lacédémoniens ont eu tant de liaisons avec les Sabins & les Ombriens, & de là vient, que dans les anciens Glossaires Λακων & Umber, c’est la même chose. Enfin, Monsieur, je n’aurois jamais fait, si je vous disois tout ce que j’ai découvert dans l’Antiquité par le secours de la Langue des Celtes, & par les fragmens des Anciens Historiens, répandus çà & là. Vous le verrez quelque jour, quand je publierai mon Ouvrage. Je ne saurois finir cette Lettre, sans vous dire que le Celtique s’est répandu dans presque toutes les Langues de l’Europe ; mais la Teutonne ou l’Allemande en est toute remplie. En voici en deux mots la raison. Les Teutons viennent d’Ascenez, qui a été fils ainé de Gomer, Père des Celtes ou Gaulois. Cet Ascenez est la tige des Daes en Latin Daæ & Dai, depuis appellez Daces & Gétes par les Grecs : il a aussi été Père des Phrygiens. De ces Daes & des Phrygiens sont sortis les Teutons, qui dès leur origine ont toujours eu beaucoup de liaison avec les Celtes, & l’on peut dire, qu’ils ont été mêlez dans presque toutes leurs expéditions. De ces mêmes Daes ou Daces sont 443

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sortis les Parthes, principalement les Arsacides. Les Parthes, dès les premiers tems, se sont répandus dans la Perse. Et c’est de là, qu’on voit encore aujourd’hui tant de mots Allemands dans la Langue des Perses ; comme on en voit aussi beaucoup de Celtique. Mais de plus, comme les Grecs ont pris plusieurs mots des Phrygiens, de l’aveu même de Platon ; il ne faut pas s’étonner si la Langue Grecque a tant de mots semblables à ceux de la Langue Teutonne ; puisque celle-ci étoit tout remplis de la Phrygienne dès son origine. Les Teutons ont encore été mêlez avec les Ombriens en Italie ; & c’est de là, que les Latins ont pris d’eux quantité de mots, & surtout des Verbes, comme on le verra ailleurs, car je ne dis ceci qu’en passant. Ces grandes liaisons, qu’il y a toujours eu entre les Celtes & les Teutons, ont fait, qu’on les a souvent confondus dans l’Histoire ; & entr’eux, comme ils venoient presque de la même origine, ils se sont presque toujours traitez de frères, & c’est, peut-être, de là, qu’est venu le mot de Germani, que les Romains leur ont donné, comme l’a fort bien observé Strabon, pour marquer, qu’ils étoient comme frères des Celtes ou des Gaulois ; quoi que cela ne soit pas sans difficulté. Voilà, Monsieur, un sommaire de l’Ouvrage, que j’espère donner au Public ; il est un peu plus étendu, que celui de ma première Lettre ; ainsi vous n’avez rien perdu. Pour moi, je gagnerai beaucoup, si je mérite par cette complaisance votre amitié & vos bonnes graces. Je tâcherai toujours de me les procurer, vous priant de croire, que je suis avec bien du respect. Monsieur Votre très-humble & très-Obéïssant Serviteur. F. p. Pezron, Abbé de la Charmoye. Ce 23. Février, 1699. Chiffres détaillés du contenu des Philosophical Transactions de 1673 à 1677 Numéro 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 Total 100 101 102 103 104 105

Date Januar 20, 1672/73 Febr. 24, 1672/73 March 25, 1673 April 21, 1673 May 19, 1673 June 23, 1673 July 21, 1673 Octob. 6, 1673 Novemb. 17, 1673 Decemb. 22, 1673 10 February 9, 1673/74 March 25, 1674 April 27, 1674 May 25, 1674 June 22, 1674 July 20, 1674

Page 5131 5155 5175 6007 6031 6051 6075 6107 6139 6155 6179 1 21 41 65 89

Mémoires 3 2 4 5 6 7 7 5 4 4 47 5 4 6 2 2 4

Livres 4 2 2 2 4 3 1 4 1 4 27 2 5 2 3 4 2

Nb. Pages 24 20 32 24 20 24 32 32 16 24 248 24 20 20 24 24 32

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Numéro 106 107 108 109 Total 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 Total 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 Total 131 132 133 134 135 136 Total

Date Septemb. 21, 1674 Octob. 26, 1674 Novemb. 23, 1674 Decemb. 14, 1674 10 Januar 25, 1674/75 February 22, 1674/75 March 25, 1675 April 26, 1675 May 24, 1675 June 21, 1675 July 26, 1675 Septemb. 26, 1675 October 25, 1675 November 22, 1675 December 27, 1675 10 January 24, 1675/76 Februar 21, 1675/76 March 25, 1676 April 24, 1676 May 22, 1676 June 20, 1676 July 18, 1676 Septemb. 25, 1676 Novemb. 20, 1676 December 14, 1676 10 Januar 29, 1676/77 Februar 26, 1676/77 March 25, 1677 April 23, 1677 May 26, 1677 June 25, 1677 6

Total 1673-77

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Page 121 145 169 193 217 237 253 285 305 329 353 377 417 443 467 491 515 551 575 599 623 647 679 711 751 775 799 815 839 863 887

Mémoires 2 3 2 4 34 3 4 5 3 6 1 5 8 3 3 2 43 4 3 3 3 3 3 5 8 4 4 40 2 1 3 5 3 7 21

Livres 3 3 3 3 30 5 3 2 2 3 0 1 3 2 3 3 27 4 2 6 3 5 5 4 2 4 4 39 3 2 4 2 4 6 21

Nb. Pages 24 24 24 24 240 20 16 32 20 24 24 24 40 26 24 24 254 24 36 24 24 24 24 32 32 40 24 284 24 16 24 24 24 36 148

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Annexes Journal des savants : Collections consultées entre 1665 et 1710 Bibliothèque Municipale de Nancy Entre 1665 et 1710, à l’exception des années 1702, 1703 et du supplément de 1707 qui sont des éditions originales, la collection de la bibliothèque municipale de Nancy est constituée de rééditions diverses, reliées parfois dans un même volume. Pour les années consultées, les éditeurs sont les suivants (entre parenthèses, année de réédition) : « A Paris, chez Pierre Witte, rue Saint Jacques, vis-à-vis de la rue de la Parcheminerie, à l’Ange Gardien » : 1665 (1723) ; 1666, 1667, 1668 (1729) ; 1669, 1670, 1671 (1728) ; 1672 et 1674, 1675 (1724) ; 1676 (1717) ; 1677 (1718) ; 1678 (1724) ; 1679 (1728) ; 1680 (1730) ; 1690 (1728) ; 1691, 1692, 1693 (1729) ; 1704 (1738) ; 1705 (1705). « Nouvelle édition, A Paris, chez Briasson, Libraire rue Saint Jacques, à la Science & à l’Ange gardien » : 1683 (1741). Pour les années 1681, 1682, puis 1684 à 1689 et 1694 à 1701, il s’agit de rééditions non datées, sans indication précise d’éditeur en dehors de celle reprise de l’édition originale. Bibliothèque Nationale de France Éditions originales de l’éditeur parisien du xviie siècle (Jean Cusson, puis la veuve de Jean Cusson). Note sur les bases de données sur CD-ROM créées à partir des deux périodiques. Afin de gérer plus facilement le résultat des recherches, deux bases de données (sous Excel) ont été créées, l’une pour le Journal des savants et l’autre pour les Philosophical Transactions (Philosophical Collections, entre 1679 et 1682). Elles contiennent un ensemble de notices bibliographiques constituées à partir des notes prises sur les mémoires, les comptes rendus de livres, etc. des deux revues. Chaque référence à la revue est composée d’un certain nombre de champs : année du périodique, pagination, auteur 1, titre (avec le lieu et l’année de publication pour les livres), résumé, mots clés, domaine, nature du contenu (appareillage, observation/expérience, théorie), type de document (Mémoire, Livre, Lettre, Avis), pays d’édition, langue du document primaire. Les domaines se limitent à ceux qui apparaissent à travers les classements des bibliographies annuelles du Journal des savants 2, avec l’ajout indispensable de l’histoire naturelle dans le cas des Philosophical Transactions. Toutes ces informations permettent l’exploitation de la base de données ainsi constituée. À partir de cette dernière, on peut réaliser diverses statistiques et effectuer des extractions en fonction de critères multiples (domaine, sujet particulier, auteur, etc.) Ces deux

 1. Le catalogue des imprimés de la Bibliothèque Nationale et celui de la British Library, ou bien encore, le Dictionnaire des anonymes de Barbier, ont été consultés à l’occasion pour identifier des auteurs d’ouvrages anonymes.  2. On n’a pas voulu utiliser les domaines scientifiques actuels qui n’apparaissent pas dans les classifications de l’époque (comme, par exemple, la géologie ou la biologie).

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Annexes

bases, les plus importantes, sont fournies sur le CD-ROM joint à cet ouvrage, mais sans mes résumés et mes mots clés. Les abrégés des Philosophical Transactions publiés à Londres en 1809 ont été utilisés avec leurs plans de classement pour élaborer une troisième base de données destinées à réaliser des statistiques de 1665 à 1712, mais uniquement à partir des données brutes fournies dans chaque volume : période, numéros concernés (sans le détail), auteur, titre abrégé, domaine et sous-domaine. Cette dernière base, simple auxiliaire de nos statistiques, n’est pas sur le CD-ROM.

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INDEX

Index des noms propres Addison, Joseph

19

Akiba, (Rabbi Akiba)

207

Albemarle, Christopher Monck (duc d’)

124

Aldrovandi, Ulisse

297

Alexandre le Grand

196, 256

Allestry, James

80

Alexandre, Noël

231

Alexandre VII, (pape)

176

Amerpoel, Joanne

155, 373-378, 384

André, François

155

Andry, Nicolas

63, 150

Anne, (Reine du Royaume-Uni et d’Irlande)

118, 124

Anthelme, (père)

114

Antoninus Pius, (Antonin le Pieux, empereur romain)

194-195

Apollonius, (Appolonius de Perga)

118

Appien, (Appien d’Alexandrie)

267

Arbuthnot, John

303, 364

Aristote

43, 84-85, 92, 139, 144-146, 173, 297, 312, 337, 355, 369, 372, 384, 386, 392-393, 399-400, 403, 412, 418, 421

Arnauld, Antoine

162, 273

Ashmole, Elias

115

Auguste de Brunswick-Lunebourg

30

Auzout, Adrien

34, 37, 49, 72, 74, 92, 95, 140

Bacon, Francis

72, 75, 87, 152, 292

Baillet, Adrien

340

Balbin, Bohuslav

324

Barbier, Antoine Alexandre

222

Barin, Théodore

380

Barnes, Eugene

83, 97

Bartholin, Erasmus

81

Basnage, Jacques Basnage de Beauval

273

Bayle, Pierre

15, 30, 38-39, 54, 135-136, 138, 162

Bayle, Jacob

29

449

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Index

de Beaufort, Louis

374, 391-392, 395, 417

Beaumont, John

316, 355-356, 369

Beek, Johann

30

Béranger, Nicolas

29

Bernier, François

43

Bernoulli, Jacob

39, 47, 50, 53-54, 56, 61, 64

Bernoulli, Johann

54, 56, 58, 61

Besnier

114

Biblius, Philo

352

Bignon, Jean-Paul

9, 55, 62-64, 128, 184, 210, 276, 331, 333

Bigot, Émery

30

Bigres, Pierre-François

63

Bion, Nicolas

65

Birch, Thomas

73

de Blégny, Nicolas

41

Blondel, François

333

Bochart, Samuel

261, 441

Boccone, Paolo

297

Boerhaave, Hermann

79

Bonfa, Jean

46, 48-49, 52

Bonnet, Pierre

55

Boom, Henry

81

Boom, Theodor

81

Borel, Pierre

52

Borelly, Jacques

52

Bossuet, Jacques-Bénigne

7, 162-163, 186, 213

Boswell

340, 372

Boucherat, Jean

210, 212

Boucherat, Louis (Chancelier)

54, 184, 209-213, 261, 420

Bouillaud, Ismael

72

Bourdelot, Pierre Michon (dit « l’abbé Bourdelot »)

11

Bourguet, Louis

294, 355

Bouvet, Joachim

182

Boyle, Robert

15, 17, 19, 37, 47, 71, 73-76, 91, 93, 99-100, 107, 109, 124, 153, 388, 400, 414

Bradley, James

108

Brahé, Tycho

410

de Brémond, François

82

Brouncker , William (vicomte)

75, 109

450

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10/03/08 10:39:03

Index

Brown, Samuel

124, 127

Brunet, M.J.L.

50-51

Buckle, Henry Thomas

15

Buffon, Georges-Louis Leclerc (comte de)

334, 421

Buonanni, Filippo

312

Burette, Pierre-Jean

63

Burman, Frans

340

Burnet, Thomas

8, 113, 214, 227-230, 235, 337, 340-343, 346-357, 360-362, 365, 367-369, 412

Busby, Richard

107

Bussy-Rabutin, Roger de Rabutin, comte de Bussy (dit -)

211

Butéo, Jean

230-231, 234

Calmet, Augustin

158, 169, 236

Calvin, Jean

17

Camden, William

271

Camerarius, Elie

329-330, 363-364

Campani, Giuseppe

140

Camusat, Denis François

38

Cardan, Jérome

297

Cary, Robert

192-194

Cassini, Jean-Dominique

34, 36-37, 46, 48-50, 58, 61-62, 74, 78, 95, 102, 105-106, 108, 114, 122, 182, 185, 187-189, 267

de Catelan, François (abbé)

53-54

Cavendish, William

71

César, Jules

267

Chapelain, Jean

27-29

Chapotot, Louis

51

Chappuys, Jean

211

Charles II, (roi d’Angleterre)

117, 162

Châtel, Jean

212

Chevreuse, Charles Honoré d’Albert (duc de)

54

Cheyne, George

66

Clarke, Samuel

20

Ciampini, Giovanni Domenico

47

Cicéron

84

Clements, Henry

119

Clément, Nicolas

153, 201

Cluvier, Philipp

240

Colbert, Jean-Baptiste

12, 27-28, 32, 36-37, 49, 182, 184, 210, 333-334

451

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10/03/08 10:39:04

Index

Coles, William

316

Collinson, Peter

116

Colonna, Fabio

292, 297

Comenius (Jan Amos Komenský, dit)

75

Comiers, Claude

41, 50

Condé, (prince de)

176

Confucius

168, 178-179

Conty (prince de Conti)

37

Copernic, Nicolas

139-140, 158, 410, 414, 417

Corbinelli, Jean

54

de Cordemoy, Géraud

378-380, 390

Couplet, Philippe

178-181, 187

Courten, William

124

Cousin, Louis

54-60, 62, 64, 68, 184, 186, 210

Cowleys, Abraham

85

Cromwell, Oliver

71, 74-75, 79, 162

Croone, William

123, 291

Cudworth, Ralph

238, 282

Cumberland, Richard

234, 238, 415

Cuper, Gispert

9, 63

Cusson, Jean

28, 55, 446

Cutler, John

107-108, 110

Cyrus, (roi de Perse)

195-196

Darius le mède, (roi de Perse)

195-196

Daston, Lorraine

152

Davies, Richard

80

De Angelis, Stefano

92

De Gennes, (officier de marine)

51

Demours, Pierre

82

Denis, Jean-Baptiste

27-29, 31-32, 38, 42, 72, 79, 82

Derham, William

17

Descartes, René

14-15, 19-21, 59, 71-72, 75, 139, 148-149, 152-153, 158, 173, 277, 292, 296, 338-340, 342-343, 347, 360, 367-369, 371-390, 392, 397, 405, 408, 410, 412

Descordes, Jean

27

Desmaizeaux, Pierre

63

De Thou, Jacques-Auguste II, Louis-Auguste et François-Auguste

27

Dibon, Paul

373

452

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Index

Dickinson, Edmund

158, 412-413, 417

Didier, Edme

395-399, 401-408, 418, 421

Dillé, Jean

30

Diodore de Sicile

263, 352

Dodson, Elizabeth

104

Duhamel, Jean-Baptiste

35, 93

Du Pin, Louis Ellies

63, 168, 210, 263

Dury, John

71

Épicure

174, 263, 384-385, 393

Elzevier, Daniel

39

Evelyn, John

74, 115

Evilmerodach (roi de Babylone)

196

Eyles, Victor Ambrose

294

Fabri, Honoré

93, 141, 144-146

Faithorne, Henry

112

Falconieri, Ottavio

31

Fédé, René

54

Ferdinand II, grand duc de Toscane

291

de Fermat, Pierre

149

Flamsteed, John

78, 111, 117-119

Flavius Josèphe (voir aussi Josèphe)

191

Fohi, ou Fo-Hi (empereur de Chine)

179-180

Fo-Hi, ou Fohi (empereur de Chine)

180

Fontanges, Marie-Angélique, duchesse de

38

de Fontaney, Jean

113, 182, 187

Fontenelle, Bernard Le Bovier de

32, 62-63, 215, 270, 274-282, 319, 322-324, 330331, 334, 368, 420-421

de Fourcy, Henry

212

de Fourcy (madame)

212

Fraguier, Claude François

63

Frassen, Claude (père)

221

Furetière, Antoine

30, 155-156, 290

Gale, Thomas

117, 341-343

Galilée

20, 22, 72, 87, 158, 295, 372, 397

Gallet, Jean-Charles

46, 105

Galloys, Jean

32-33, 35, 37-38, 55, 79, 89, 95, 146, 150, 184, 289, 333, 419

Gassendi, Pierre

15, 43, 72, 75, 297

George, Philip

97-98

453

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Index

Georges II (Roi du Royaume-Uni et d’Irlande)

125

Gerbillon, Jean-François

182

Gilbert, William

4, 87

Glanvill, Joseph

20

Godard

75

Godefroy, Denis

27

Gott, Samuel

374, 391-395, 417

Gouye, Thomas

49, 184-187

Graves, John

234, 238

Gravisset

237

Grégoire de Nysse

262

Gregori, Carlo (marquis de Poggio Gregorio)

295

Gregory, David

20

Grew, Nehemiah

39, 80, 102-106, 111

Grew, Obadiah

102

Grillet

51

Grimaldi, Francesco

108, 188

Guarini, Camillo-Guarino

146-147

Guillart

54-55

Guillaume III (Guillaume d’Orange)

20, 118, 341, 352, 389

Guinée

65

Hahn, Roger

15, 37

Hale, Matthew

174

Halley, Edmund

50, 66, 80, 106, 117-119, 122-124, 127, 214, 415

Hannibal (Hannibal Barca)

270, 273

Hansen, Friedrich Adolf

40- 41

de Harlay, François (archevêque de Paris)

198, 211-212

de Harlay (madame)

211

de Harlay, Nicolas-Auguste

211

Harris, John

303

Hartlib, Samuel

71, 73, 75

Hartman

139

Harvey, William

87

de Hautefeuille, Jean

62

Hazard, Paul

7, 14, 422

Hédouville

29

Henry IV (roi de France)

212

Hérodote

207, 266

Hésiode

250, 255-256

454

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10/03/08 10:39:04

Index

Hevelius, Johannes

34, 74, 81, 91-92, 96, 100, 102, 108-109, 117-118, 122

Hicks (révérend)

124

Hoam-ti (empereur de Chine)

180

Hobbes, Thomas

71-72, 388

Homère

250, 266

Honywood, Robert

71

Hooke, Grace

110

Hooke, John

106

Hooke, Robert

17, 37, 47, 75-76, 100, 103, 106-114, 118, 123, 128, 242-244, 246, 269, 271, 282, 286, 312, 315-319, 341, 346

Horn, Georg

190-191, 211, 213

Hsia, Florence

184

Huet, Pierre Daniel

30, 72, 206, 216, 244-245, 248-249, 273-275, 280, 383-386, 389

Hugues, Jacques

245, 248-249

Hunter, Michael

103, 115

Huret, Grégoire

31

Huygens, Christiaan

27-28, 30, 32, 36-39, 46-47, 49, 51-55, 58, 67, 7274, 83, 95, 100, 102, 109, 334

Jacob, Margaret C.

29, 47, 50, 350

Jacques II (roi d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande)

19, 115, 121, 123-124, 351

Jao (empereur de Chine)

187

Jean XXI (pape)

173

Jones, Richard

71

Josèphe (voir aussi Flavius Josèphe)

191, 206, 258

Jouaud (Dom, abbé de Prière)

197

Julien l’Africain

63, 201, 203

Jurieu, Pierre

350

Justel, Henri

27-28, 30, 41, 55, 72, 74, 78

Keill, John

20

Kepler, Johannes

72, 118, 387

Kersey, John

112

Kircher, Athanasius

93, 169, 217, 230-232, 287-290, 297, 312, 338

Kirchmaier, Georges-Gaspard

221-223, 225-227, 230

Kronick, David

97

Kunckel, Johann

155

de La Chaise, François d’Aix

212

de la Charmoye (abbé), voir aussi Paul Pezron

200, 256-261, 444, 466

455

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10/03/08 10:39:04

Index

de La Hire, Philippe

46, 50, 52, 61-62, 185, 304, 306, 323, 333-334

de La Loubère, Simon

182-183, 187, 189

La Montre,

62

Lamy, Bernard

234, 238, 353 - 354

Lang, Karl Nikolaus

326, 328

de Lapeyrère, Isaac

175-176, 178, 190, 221-222, 226, 264

de La Rivière, Jacques

72

de La Roche (père)

211

de La Roque, Jean-Paul

38-42, 45-47, 51, 54-56, 58-60, 64, 67-68, 91, 105106, 113, 184

Lawrence, Edward

71-72

le Clerc, Jean

262, 407-411

Leclerc, Sébastien

407-410

Le Comte, Louis

182-184

Leeuwenhoek, Antoni (Van)

81, 123, 306

le Fèvre, Tanneguy

31-32

Le Maistre de Sacy, Isaac (voir aussi de Sacy)

199

Le Nain de Tillemont, Sébastien (voir aussi de Tillemont)

199

Le Pailleur, J.

11

le Peletier (abbé)

177

Le Pelletier, Jean

230, 234-238

Leibniz, Gottfried Wilhelm

7-8, 15, 20, 30, 32, 39-41, 47, 50-51, 54, 61, 64, 66, 81, 83, 186, 214, 240, 256-258, 261-266, 268-269, 286, 291, 294, 313, 319, 324, 330, 334, 386-390

Lely, Peter

107

Léonard (père)

38

Léopold (de Toscane)

28

Léopold (empereur)

118

Lequien, Michel

190, 197-198, 206, 208-209

Lescarbot, Marc

220

Le Tellier, Michel (chancelier)

211

Levine, Joseph

269

de L’Hospital, Guillaume

58, 65

Lhwyd, Edward

115, 269, 286, 316, 324, 326, 365

Licoppe, Christian

137

Lister, Martin

124, 286, 291, 314-318, 326, 362

Louis XIV (roi de France)

14-15, 27, 38, 49, 121, 128, 152, 182, 186, 210-212, 350, 407

Louvois, François Michel Le Tellier, marquis de

182, 210-211, 333

456

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Index

Lowthorp, John

82

Lucrèce

174, 263, 266

Mabillon, Jean

211

Machault, Catherine

210

Magliabechi, Antonio

10, 39, 47

Magalotti, Lorenzo

31

Magnol, Pierre

124

Malebranche, Nicolas

54, 313, 388

Mallemans de Messanges, Claude

411

Malpighi, Marcello

74, 94, 123, 312

Mancini, Carlo Antonio

90

Mandosio, Jean-Marc

152

Maraldi, Giacomo Filippo

323

Mariotte, Edme

100, 121

de Martel, Jean-Pierre

72-73

Martianay, Jean

190, 197-200, 204, 206, 208-209, 212

Martin, Henri-Jean

45, 54, 124, 150, 168, 286, 291, 314, 316-318, 362

Martini, Martin

168, 176-178, 181, 187-188, 191, 204, 208

Martyn, John

80, 105, 119

Ménardeau, Marie-Gabrielle

27

Mencke, Otto

39

Ménès (pharaon égyptien)

196

Mercier, Louis-Sébastien

151

Mersenne, Marin

10-11, 75, 83, 132, 374

Merton, Robert K.

14, 16

de Mézeray, Francois-Eudes

28, 76

Michaud, Louis-Gabriel

198

Milton, John

71-72

Molyneux, Thomas

270

de Monconys, Balthasar

72, 75

Montague, Charles

107, 128

Montanari, Geminiano

47

de Montmor, Henri-Louis Habert

11, 27-28, 30, 72-73

Moray, Robert

31, 75, 78, 80

Mornet, Daniel

40

Moxon, Joseph

106

Mundanus, Théodore

412

Muratori, Ludovico Antonio

63

Musgrave, William

80, 116-117, 119, 122, 126, 131

457

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10/03/08 10:39:04

Index

Nabonassar (roi de Babylone)

194-196

Nabopolassar (roi de Babylone)

195-196

Neile, William

75

Newton, Isaac

7, 14-15, 18-19, 51, 55, 58-59, 66-67, 108-109, 118, 121-122, 124, 128-129, 153, 158, 214, 279-282, 351, 367, 390, 415, 421

Nicaise, Claude

39, 256-258, 386, 388

Nieuhost, Joh.

194, 196

Nitar, D.J.

406-407

Oldenburg, Henry

10, 13, 22, 28, 30, 32, 39, 71-89, 92, 94-99, 101-106, 109-111, 113, 119-122, 126-127, 129, 131-132, 140, 145-146, 148-150, 160-161, 164, 174, 268, 288-290, 292-293, 318, 374-378, 391-395, 419, 422

Oldenburg, Heinrich

71

Origène,

201, 207

Ozanam, Jacques

46, 50, 58, 65

Palmer, Dudley

79

Pappus (d’Alexandrie)

119

Pardies, Ignace Gaston

93, 100

Pascal, Blaise

15, 140, 400

Parent, Antoine

65

Patin, Charles

31

Payen, Antoine-François

34

de Peiresc, Nicolas-Claude Fabri

10

Pepys, Samuel

115

Pères de l’Église,

167, 201-203, 207, 219, 235, 239, 268

Perrault, Charles

278-279

Perrault, Pierre

334

Petau, Denis

159, 196

Petit, Pierre

34-35, 72-74, 93

Petiver, James

123, 127

Petty, William

72, 107

Pezron, Paul (voir aussi l’abbé de la Charmoye)

8, 190, 192, 197-213, 256-261, 444

Piénud, Jacques

238

Picard, Jean

37, 48-49, 74

Pissini, Andrea

43

Pitt, Moses

119

Platon

240, 247, 259, 271-272, 369, 442, 444

Pline (Pline l’Ancien)

251, 267, 291

Plot, Robert

80, 114, 115-117, 119, 121-122, 126, 226, 268-269, 272, 286, 312, 316-318, 326

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Index

Plutarque

267

Pontchartrain, Louis Phélypeaux (comte de)

55, 62-63, 184

Pouchard, Julien

63

Pouilly

51

Prestet, Jean

54

Ptolémée, Claude

139, 158, 195, 267, 410, 414

Purshall, Conyers

413-415, 417

Pythagore

250, 282

Racine, Jean

273

Raguet, Gilles Bernard

63

Raleigh, Walter

87

Ranelagh (Lady)

71

Rappaport, Rhoda

192, 369

Rassicod, Étienne

63

Ray, John

103, 124, 214, 226, 285, 291, 316, 318, 324, 357, 365

Redi, Francesco

297, 312-313

Régis, Pierre Silvain

54-55, 330, 386

Renaudot, Théophraste

11, 75

Riccioli, Giovanni-Battista

34, 91-92, 146

Robinson, Thomas

303, 416-417

Roger, Jacques

15, 37, 313, 369

Rohault, Jacques

35, 93, 139-140, 397

Rolle, Michel

54, 58, 61, 65, 68-70

Römer, Olaüs

46, 48-49, 53, 334

Rosseti, Donato

113

Rudbeck, Olof

240-253, 257, 259, 268-269, 272-275, 280-281, 420

de Sacy, Isaac Le Maistre (voir aussi Le Maistre de Sacy, Issac)

199

Saint Augustin

207, 225, 239, 369

Saint Benoît

206, 234, 237

Saint Grégoire de Nazianze

322

Saint Jérôme

198, 207, 209

Saint Justin

207

Saint Paul

291

Saint Pierre

350

de Saint Rambert, Gabriel

389-390

Saint-Simon, Louis de Rouvroy (duc de)

210-211

Saint-Ussans, (abbé de)

55

459

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Index

de Sallo, Denis

27-29, 31-32, 38, 42, 135

Sampson, Henry

102-103, 105

Sand, Christopher

81

Sanson, Adrien et Guillaume (fils de Nicolas Sanson) 267 Saulmon

330-331

Saurin, Joseph

63, 68-70

Sauveur, Joseph

54, 177

Scheuchzer, Johann Jacob

2, 8, 63, 294-295, 319, 325-331, 335, 364, 368

Scheuchzer, Johann (frère de Johann Jacob Scheuchzer)

294, 331

Schweiger, Joannes Christophorus

290

Scilla, Agostino

127, 269, 295-298, 300-304, 307-311, 318, 321, 323, 332, 357

Sédileau

323

Séguier, Pierre (chancelier)

211

Seguin, Maria Susana

226

Sénèque

359

Sennert, Daniel

297

Sévigné, Marie de Rabutin-Chantal (marquise de)

211

Sherley, Thomas

290

Shower, John

104

Simon, Richard

163, 182, 191, 210-211, 216, 222

Sloane, Hans

64, 80, 119, 123-129, 131, 246, 256-258, 269, 271

Sloane, Alexander

124

Sluse, René François

81

Smith, Samuel

119

Somner, John

271

Sorbière, Samuel

74

Souciet, Etienne

186

Southwell, Robert

74

Spener, Christian Maximilien

332

Spinoza, Baruch (ou Benedict de Spinoza)

15, 73, 103

Spon, Jacob

39

Stenon, Nicolas

272-273, 286, 294-295, 314, 387

Sterpin, Johann

81

Stevenson, N.

100

Stillingfleet, Edward

17, 173-174

Strabon

260, 267, 443-444

Struis, Jean

237

460

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Index

Sydenham, Thomas

124

Tachard, Guy

182

Tempier, Etienne

173

Temple, William

195, 238, 279, 354

Tenzel, Wihelm-Ernest

332

Terrasson, Matthieu

63

Thévenot, Melchisédec

72, 188-189, 291

Thomassin, Louis

264, 266

Tycho-Brahé

139, 410

de Tillemont, Sébastien Le Nain (voir aussi Le Nain de Tillemont, Sébastien)

199

Tillotson, John

17

Tite-Live

267

de Tournefort, Joseph Pitton

62, 124, 272, 286, 290, 314, 320-325, 328

Turenne, Henri de La Tour d’Auvergne (vicomte de)

210-211

Ursin, Johannes Heinrich

176

Vallisneri, Antonio

150

Van der Myle, Abraham

224-225, 227, 230

Van Mastricht, Petrus

155, 382

Varenius, Bernard (Bernard Varen, connu sous le nom 214, 364 latinisé de) Varignon, Pierre

54

Vernon, Francis

72, 74

Vertot, René Aubert de

63

de Visdelou, Claude

182

Viète, François

51, 72

Violes, Pierre

27

Vittu, Jean-Pierre

23, 29-31, 34-35, 42, 44-46, 56, 58-59, 64, 67, 81, 89, 131, 164, 168-169, 186

Viviani, Vincenzo

65

Vockerod, Godefroy

264

Voet, Gisbert

373

Von de Becke

79

Vossius, Isaac

190-192, 194, 196, 200-201, 204, 208-209, 211-213, 221, 223, 225-227

Waller, Richard

80, 109-110, 123-124, 126, 128-129, 131

Wallis, John

71, 75, 93, 106, 118, 256-258, 271-272

Waquet, Françoise

151

Warren, Erasmus

353

Ward, Seth

75

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Index

Webb, John

263

Whiston, William

229-230, 235, 367-368

Wilkins, John

17, 71, 75, 103, 107

Willis, Thomas

107

Wittich, Christophe

373

Woodward, John

8, 269, 294, 302-303, 325, 328-330, 332, 357-368

Wormius, Olaus

251

Wotton, William

279, 302-304

Wren, Christopher

75, 118

Xi Nung, (empereur de Chine)

180

Personnages bibliques Abraham

205, 218, 442

Adam

157, 159, 175, 205, 219, 262-264, 282, 361, 371372, 441

Caïn

229-230

Cham

195-196, 227, 229, 239, 258, 280, 441

Daniel

86, 192, 196

Ève

219, 263, 371

Gomer

239, 256, 258, 260, 442-443

Japhet

227-229, 239-240, 242-244, 256, 258441-442

Lamech

205, 229-230

Moïse

86, 157-158, 174, 206, 226, 229, 238, 245, 248, 258, 264, 298, 345, 347, 349, 351-352, 362, 372, 374, 376-381, 389-393, 411-413, 417

Noé

21, 86, 157, 169, 177, 179, 191, 205, 213, 217, 219221, 223, 225-231, 234-240, 242-243, 245, 252, 255, 258, 264, 280, 332, 337, 345, 356, 361, 413, 441

Patriarches (les)

86, 157, 179, 192, 202-203, 245, 248

Salomon

86, 158, 462

Sem

205, 227, 229, 239, 258, 441

Personnages mythiques Alcmene (ou Alcmène)

245, 248

Apollon

245, 248

Atlas

251-254, 256

Bacchus

272

Deucalion

194, 196, 254-255

Énée

248

Hercule

245, 248, 252, 256

Hermès (ou Hermès Trismégiste)

402, 281

462

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Index

Io

245, 300-301

Isis

245, 435-436

Janus

280

Jason

245, 248

Jupiter

36, 48-49, 53, 58, 61, 108, 117, 140, 187, 243, 249, 253-256, 259, 280, 410-411, 442

Maia (ou Maja, Maïa)

245, 248

Mannus

254-255

Mercure

50, 118, 135, 245, 248, 411, 415

Neptune

254, 256

Odin

240

Ogygès

196

Orphée

247, 282

Pluton

256

Saturne

36, 48, 117, 140, 243, 252-253, 256, 259-260, 280, 410-411, 442-443

Titans (les)

259-260, 442-443

Ulysse

240, 272

Vénus

245, 248, 415

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TABLE DES MATIÈRES

Avertissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Préface

...................................................................................

7

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Première partie Les deux premiers journaux scientifiques

25

Chapitre I Le journal des savants

27

I. La fondation du Journal des savants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 II. La reprise du Journal par l’abbé Galloys, de 1666 à 1674 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 III. Sous la direction de Jean-Paul de La Roque : 1674 à 1686 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 IV. La direction du président Cousin : un repli (1687 à 1701) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 V. Le Journal devient une institution (1702 à 1710)

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

Chapitre II Les philosophical transactions

71

I. Les Philosophical Transactions, l’œuvre d’Henry Oldenburg : 1665 à 1677 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 II. L’interruption et les difficultés de la reprise (1678-1679) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102 III. Les Philosophical Collections de Robert Hooke : 1679-1682 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 IV. La renaissance des Transactions et leur nouvelle interruption (1683-1687) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 V. Une reprise très difficile (1691-1694) – L’instrument de la Royal Society . . . . . . . . . . 123

Chapitre III Les premiers périodiques scientifiques I. Le Journal des savants, un modèle suivi et imité

135 ...................................

135

II. Les premiers périodiques scientifiques et la classification du savoir dans la seconde moitié du XVIIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152 III. La Genèse dans les deux périodiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157

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Table des matières

Deuxième partie La question des origines : nouvelles exégèses autour de la genèse Chapitre IV L’âge du monde I. Lutter contre la conception d’un monde éternel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. Le monde de la Bible confronté au monde chinois

...............................

III. Une querelle de chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Chapitre V Noé, Abraham et les autres

171 173 173 176 190 219

I. Le Déluge et l’Arche de Noé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219 II. Les origines des nations et des langues. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239 III. L’origine des nations selon le père Pezron et Leibniz

............................

IV. La polémique entre Cassini et Sanson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Troisième partie La genèse expliquée par la science et source d’inspiration pour la science Chapitre VI La nature des fossiles

256 267

283 285

I. Les fossiles : restes d’êtres vivants ou jeux de la Nature ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287 II. Le Prodromus de Nicolas Sténon : le texte fondateur de la science géologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291 III. La vana speculazione d’Agostino Scilla . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295 IV. Filippo Buonanni

................................................................

312

V. Les objections de Martin Lister . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 314 VI. La génération des pierres de Tournefort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320 VII. Joann-Jakob Scheuchzer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325

Chapitre VII Les théories de la terre

337

I. Descartes et la première « théorie de la Terre » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 338 II. La Telluris Theoria Sacra de Thomas Burnet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 341 III. Les considérations de John Beaumont sur la théorie de la Terre de Burnet . . . . . . 355 IV. L’histoire de la Terre selon John Woodward . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 357 V. La Nouvelle théorie de la Terre de William Whiston . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367

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Table des matières

Chapitre VIII La genèse, source d’inspiration pour les philosophes physiciens de la seconde moitié du XVIIe siècle

371

I. La conformité des théories scientifiques à la Genèse : l’exemple du cartésianisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 371 II. L’élargissement des controverses autour du cartésianisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 382 III. Les explications physiques de la Genèse par Louis de Beaufort et Samuel Gott . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 391 IV. Les Essais de Physique du père Didier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 395 V. Le Nouveau Système du Monde de Sébastien Leclerc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 407 VI. Des philosophes anglais inspirés par la Genèse dans les années 1700 . . . . . . . . . . . . 412

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 419 Sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 423 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 429 Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 441 Index

..................................................................................

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BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES, SCIENCES RELIGIEUSES

vol. 105 J. Bronkhorst Langage et réalité : sur un épisode de la pensée indienne 133 p., 155 x 240 mm, 1999, PB, ISBN 978-2-503-50865-8 vol. 106 Ph. Gignoux (dir.) Ressembler au monde. Nouveaux documents sur la théorie du macro-microcosme dans l’Antiquité orientale 194 p., 155 x 240 mm, 1999, PB, ISBN 978-2-503-50898-6 vol. 107 J.-L. Achard L’essence perlée du secret. Recherches philologiques et historiques sur l’origine de la Grande Perfection dans la tradition ‘rNying ma pa’ 333 p., 155 x 240 mm, 1999, PB, ISBN 978-2-503-50964-8 vol. 108 J. Scheid, V. Huet (dir.) Autour de la colonne Aurélienne. Geste et image sur la colonne de Marc Aurèle à Rome 446 p., 176 ill. n&b, 155 x 240 mm, 2000, PB, ISBN 978-2-503-50965-5 vol. 109 D. Aigle (dir.) Miracle et Karæma. Hagiographies médiévales comparées 690 p., 11 ill. n&b, 155 x 240 mm, 2000, PB, ISBN 978-2-503-50899-3 vol. 110 M. A. Amir-Moezzi, J. Scheid (dir.) L’Orient dans l’histoire religieuse de l’Europe. L’invention des origines, Préface de Jacques Le Brun 246 p., 155 x 240 mm, 2000, PB, ISBN 978-2-503-51102-3 vol. 111 D.-O. Hurel (dir.) Guide pour l’histoire des ordres et congrégations religieuses (France, XVIe-XIXe siècles) 467 p., 155 x 240 mm, 2001, PB, ISBN 978-2-503-51193-1 vol. 112 D.-M. Dauzet Marie Odiot de la Paillonne, fondatrice des Norbertines de Bonlieu (Drôme, 1840-1905) XVIII + 386 p., 155 x 240 mm, 2001, PB, ISBN 978-2-503-51194-8

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vol. 113 S. Mimouni (dir.) Apocryphité. Histoire d’un concept transversal aux religions du Livre 333 p., 155 x 240 mm, 2002, PB, ISBN 978-2-503-51349-2 vol. 114 F. Gautier La retraite et le sacerdoce chez Grégoire de Nazianze IV + 460 p., 155 x 240 mm, 2002, PB, ISBN 978-2-503-51354-6 vol. 115 M. Milot Laïcité dans le Nouveau Monde. Le cas du Québec 181 p., 155 x 240 mm, 2002, PB, ISBN 978-2-503-52205-0 vol. 116 F. Randaxhe, V. Zuber (éd.) Laïcité-démocratie : des relations ambiguës X + 170 p., 155 x 240 mm, 2003, PB, ISBN 978-2-503-52176-3 vol. 117 N. Belayche, S. Mimouni (dir.) Les communautés religieuses dans le monde gréco-romain. Essais de définition 351 p., 155 x 240 mm, 2003, PB, ISBN 978-2-503-52204-3 vol. 118 S. Lévi La doctrine du sacrifice dans les Brahmanas XVI + 208 p., 155 x 240 mm, 2003, PB, ISBN 978-2-503-51534-2 vol. 119 J. R. Armogathe, J.-P. Willaime (éd.) Les mutations contemporaines du religieux VIII + 128 p., 155 x 240 mm, 2003, PB, ISBN 978-2-503-51428-4 vol. 120 F. Randaxhe L’être amish, entre tradition et modernité 256 p., 155 x 240 mm, 2004, PB, ISBN 978-2-503-51588-5 vol. 121 S. Fath (dir.) Le protestantisme évangélique. Un christianisme de conversion XII + 379 p., 155 x 240 mm, 2004, PB, ISBN 978-2-503-51587-8 vol. 122 Alain Le Boulluec (dir.) À la recherche des villes saintes VIII + 184 p., 155 x 240 mm, 2004, PB, ISBN 978-2-503-51589-2

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vol. 123 I. Guermeur Les cultes d’Amon hors de Thèbes. Recherches de géographie religieuse XII + 664 p., 38 ill. n&b, 155x240, 2005, PB, ISBN 978-2-503-51427-7 vol. 124 S. Georgoudi, R. Piettre-Koch, F. Schmidt (dir.) La cuisine et l’autel. Les sacrifices en questions dans les sociétés de la Méditérrannée ancienne XVIII + 460 p., 155 x 240 mm. 2005, PB, ISBN 978-2-503-51739-1 vol. 125 L. Châtellier, Ph. Martin (dir.) L’écriture du croyant VIII + 216 p., 155 x 240 mm, 2005, PB, ISBN 978-2-503-51829-9 vol. 126 (Série “Histoire et prosopographie” N° 1) M. A. Amir-Moezzi, C. Jambet, P. Lory (dir.) Henry Corbin. Philosophies et sagesses des religions du Livre 251 p., 6 ill. n&b, 155 x 240 mm, 2005, PB, ISBN 978-2-503-51904-3 vol. 127 J.-M. Leniaud, I. Saint Martin (dir.) Historiographie de l’histoire de l’art religieux en France à l’époque moderne et contemporaine. Bilan bibliographique (1975-2000) et perspectives 299 p., 155 x 240 mm, 2005, PB, ISBN 978-2-503-52019-3 vol. 128 (Série “Histoire et prosopographie” N° 2) S. C. Mimouni, I. Ullern-Weité (dir.) Pierre Geoltrain ou Comment « faire l’histoire » des religions ? 398 p., 1 ill. n&b, 155 x 240 mm, 2006, PB, ISBN 978-2-503-52341-5 vol. 129 H. Bost Pierre Bayle historien, critique et moraliste 279 p., 155 x 240 mm, 2006, PB, ISBN 978-2-503-52340-8 vol. 130 (Série “Histoire et prosopographie” N° 3) L. Bansat-Boudon, R. Lardinois (dir.) Sylvain Lévi. Études indiennes, histoire sociale II + 536 p., 9 ill. n&b, 155 x 240 mm, 2007, PB, ISBN 978-2-503-52447-4 vol. 131 F. Laplanche, I. Biagioli, C. Langlois (dir.) Autour d’un petit livre. Alfred Loisy cent ans après 351 p., 155 x 240 mm, 2007, PB, ISBN 978-2-503-52342-2

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vol. 132 L. Oreskovic Le diocèse de Senj en Croatie habsbourgeoise, de la Contre-Réforme aux Lumières VII + 592 p., 6 ill. n&b, 155 x 240, 2008, PB, ISBN 978-2-503-52448-1 vol. 133 T. Volpe Science et théologie dans les débats savants de la seconde moitié du XVIIe siècle : la Genèse dans les Philosophical Transactions et le Journal des savants (1665-1710) 472 p., 10 ill. n&b, 155 x 240, 2008, PB, ISBN 978-2-503-52584-6 vol. 134 O. Journet-Dialo Les créances de la terre. Chroniques du pays Jamaat (Jóola de Guinée-Bissau) 368 p., 6 ill. n&b, 155 x 240 mm, 2007, PB, ISBN 978-2-503-52666-9

À paraître prochainement : vol. 135 C. Henry La force des anges. Rites, hiérarchie et divinisation dans le Christianisme Céleste (Bénin) Env. 275 p., 155 x 240 mm, 2008

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