Léon Foucault 9782759802081

Concepteur du télescope moderne, pionnier de la photographie, inventeur du gyroscope, Léon Foucault, grâce à son pendule

231 108 28MB

French Pages 368 Year 2002

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Table of contents :
Sommaire
Préface
Prologue
Remerciements
1. Introduction
2. Les jeunes années
3. Les débuts de la photographie
4. Le « délicieux passe-temps » appliqué à la science
5. La belle science de l'optique
6. Toujours l'optique et la photographie
7. Ordre, précision et clarté : chroniqueur au Journal des Débats
8. Succès et déceptions
9. La vitesse de la lumière I. La fin de la théorie corpusculaire
10. La rotation de la Terre : le pendule et le gyroscope
11. Dans l'expectative
12. Le physicien de l'Observatoire
Planches en couleurs
13. L'amélioration des télescopes
14. La vitesse de la lumière II. Les dimensions du Système solaire
15. Enfin reconnu par ses pairs
16 Les régulateurs : à la recherche de la fortune
17. Pro jets inachevés
18. Épilogue
A. Chronologie et Carte
B. Extraits du Journal des Débats
C. Photographies et instruments
D. Construction d'un pendule de Foucault
E. Bibliographie générale
Notes et références
Index
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Léon Foucault
 9782759802081

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Leon Foucault. Le miroir et le pendule William Tobin Adaptation frangaise de James Lequeux

17, avenue du Hoggar Pare d'activites de Courtabceuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

« Sciences & Histoires » Collection dirigee par Benedicte Leclercq La collection Sciences & Histoires s'adresse a un public curieux de sciences. Sous la forme d'un recit ou d'une biographie, chaque volume propose un bilan des progres d'un champ scientifique, durant une periode donnee. Les sciences sont mises en perspective, a travers I'histoire des avancees theoriques et techniques et I'histoire des personnages qui en sont les initiateurs.

A paraftre: La physique du XXe siecle, Michel Paty

Illustration de couverture : Daguerreotype de Leon Foucault, vers 1850. © Musee des arts et metiersCNAM, Paris/Photo Studio CNAM. Edition originate : William Tobin, The Man who proved the world turned round, publie par Cambridge University Press. © Cambridge University Press, 2002. ISBN: 2-86883-615-1 Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous precedes, reserves pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alineas 2 et 3 de 1'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement reservees a 1'usage prive du copiste et non destinees a une utilisation collective », et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute representation integrate, ou partielle, faite sans le consentement de 1'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinea ler de 1'article 40). Cette representation ou reproduction, par quelque precede que ce soit, constituerait done une contrefa^on sanctionnee par les articles 425 et suivants du code penal. ©EDP Sciences 2002

Sommaire Sommaire Preface (Prof. H. Curien) Prologue Remerciements 1

Introduction

iii V

vii

xi 1

2 Les jeunes annees

13

3 Les debuts de la photographie

25

4 Le « delicieux passe-temps » applique a la science

39

5 La belle science de 1'optique

59

6 Tou jours 1'optique et la photographie

71

7 Ordre, precision et clarte : chroniqueur au Journal des Debats

81

8 Succes et deceptions

101

9 La vitesse de la lumiere I. La fin de la theorie corpusculaire

121

10 La rotation de la Terre : le pendule et le gyroscope

139

11 Dans 1'expectative

171

12 Le physicien de 1'Observatoire

181

Planches en couleurs

197

iv

Leon Foucault

13 I/amelioration des telescopes

205

14 La vitesse de la lumiere II. Les dimensions du systeme solaire

233

15 Enfin reconnu par ses pairs

243

16 Les regulateurs : a la recherche de la fortune

257

17 Pro jets inacheves

275

18 Epilogue

293

A Chronologic et Carte

299

B Extraits du Journal des Debats

301

C Photographies et instruments

323

D Construction d'un pendule de Foucault

327

E Bibliographic generate

333

Notes et references

335

Index

353

Preface Nous devons a James Lequeux cette elegante adaptation franchise du livre de William Tobin sur Leon Foucault. La Science ignore superbement les frontieres, politiques et sectorielles : c'est un physicien et astronome professant en Nouvelle-Zelande qui a redige cette etude exhaustive sur un savant franc.ais exemplairement pluridisciplinaire. Mecanicien, opticien, electricien, Leon Foucault s'illustra dans des domaines tres divers. II ne vecut que quarante-huit ans, mais ce demi-siecle lui suffit pour attacher durablement son nom a plusieurs effets ou demonstrations qui marquent la science. S'il fallait n'en retenir que deux, ce seraient sans doute les « courants de Foucault » et le « pendule de Foucault », qui lui ont assure 1'immortalite. Une banderole affichee tout recemment encore sur la facade du Pantheon nous invitait a venir nous convaincre definitivement de la rotation de la Terre grace au fameux pendule. Ce n'etait pas la premiere fois d'ailleurs que ce pendule oscillait sous la coupole de ce monument historique. C'est en mars 1851, avec 1'autorisation speciale du Prince-President Louis-Napoleon, que 1'experience y fut installee pour la premiere fois : une boule de 28 kilogrammes oscillant au bout d'un fil de 67 metres. La chronique rapporte que la foule se precipita alors pour voir le pendule et beneficier des explications donnees par Foucault en personne, « avec modestie et simplicite ». L'ceuvre de Foucault est exemplaire a bien des titres. II aimait la precision. Ses ennemis, il n'en manqua pas, allaient jusqu'a dire, avec une ironic cruelle et injustifiee, qu'il preferait la precision a la profondeur. Son gout pour les experiences bien menees le conduisit a une remarquable fecondite dans la conception et la realisation d'appareillages performants. En optique, il apporta un elan decisif a la construction des telescopes. II s'appliqua aussi a dormer une valeur, d'une precision et d'une exactitude tres remarquables, de la vitesse de la lumiere. N'oublions pas la contribution de Foucault au developpement de la photographie. Nicephore Niepce et Jacques Daguerre furent les deux figures de proue, mais Foucault, en cooperation avec Hippolyte Fizeau, apporta beaucoup a I'amelioration physique et chimique des daguerreotypes.

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Ces quelques exemples montrent la facilite avec laquelle Foucault savait passer de la recherche fondamentale a la recherche appliquee et a la technologic. Voila une autre bonne raison pour s'interesser a la vie et a 1'ceuvre de ce savant! Et d'ailleurs, Leon Foucault ne fut pas seulement un savant. II fut aussi un journaliste. II etait, en effet, responsable de la rubrique scientifique au Journal des Debuts. Ce quotidien parisien, qui etait tire a plus de 9 000 exemplaires, avait une reelle influence; il s'attachait a apporter son soutien au gouvernement quel qu'il soit, une prudence qui lui fut benefique. Les articles de Leon Foucault, ecrits avec esprit et vivacite, paraissaient le plus souvent en bas de la premiere page, une place de choix qu'il partageait avec des feuilletons dont les auteurs n'etaient autres qu'Alexandre Dumas, Honore de Balzac ou George Sand. Savant inventeur et realisateur, Leon Foucault fut done aussi un avocat pertinent et un mediatiseur seduisant d'une science qu'il connaissait de I'interieur. La lecture du present ouvrage, que je me permets de vous recommander vivement, vous transportera au cceur d'une epoque particulierement fertile en ev£nements politiques, mais aussi en revolutions scientifiques. La vie et 1'oeuvre de Leon Foucault sont exposees ici avec une parfaite competence et une grande humanite. Foucault n'etait pas, semble-t-il, un homme chaleureiix. Sa vie sentimentale est d'une grande pauvrete. Sa sante precaire 1'obligeait sans doute a une certaine prudence. Mais il fut un grand savant, que ce livre nous apprend a bien connaitre et admirer. Hubert Curien President de I'Academic des Sciences Ancien ministre de la Recherche et de la Technologie

Prologue Pourquoi Leon Foucault ? « Sa vie ne presente d'autres evenements a rapporter que les decouvertes qu'il afaites. »l

Cette opinion de 1'editeur du Recueil des travaux scientifiques, publiee apres la mort de Foucault, n'est guere encourageante pour un biographe, et pourtant, apres un siecle et demi, sa vie comme sa science nous paraissent dignes d'interet et meme fascinantes. Le nom de Leon Foucault est connu de millions de personnes, grace au pendule qui porte son nom et qui met en evidence la rotation de la Terre. Depuis Copernic, et surtout depuis Galilee, les scientifiques ont fait tomber des objets depuis des tours ou dans des puits, ou ont tire verticalement des boulets de canon dans une vaine recherche des faibles effets de la rotation de la Terre. C'est Foucault qui, en 1851, a apporte le premier la preuve observationnelle tant recherchee de cette rotation, grace a une simple boule suspendue a un fil. Son pendule a cause une grande sensation a 1'epoque, et 1'experience a ete regulierement reproduite jusqu'a nos jours.

Figure P.I. Ou retombera le boulet de canon - et meme, retombera-t-il ? Voir le chapitre 10.

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Leon Foucault

On salt moins qu'en 1852,1'annee suivante, Foucault a construit un autre appareil, base sur un disque tournant, qui a lui aussi demontre la rotation de la Terre. II nomma cet appareil le gyroscope. Les gyroscopes mecaniques ont eu, pendant un siecle, une immense importance pratique pour la navigation. Auparavant, Foucault avait porte le coup fatal a la theorie corpusculaire de la lumiere de Rene Descartes et d'Isaac Newton, en montrant, grace a un miroir tournant de la taille d'un ongle, que la vitesse de la lumiere est plus grande dans 1'air que dans 1'eau. Par la suite, il modifia cette experience pour mesurer la vitesse de la lumiere elle-meme, en metres par seconde. Cela confirma une prediction de son patron, Urbain Le Verrier, le dictatorial directeur de 1'Observatoire de Paris, et les dimensions du systeme solaire se rapprocherent de celles qui sont acceptees aujourd'hui. Enfin, alors qu'il travaillait a 1'Observatoire de Paris, Foucault a imagine des tests optiques qui ont permis la fabrication de grandes surfaces optiques quasiment parfaites. Les petites lentilles des lunettes astronomiques et les petits miroirs des telescopes, qui n'etaient generalement pas plus grands que la main et qu'on ratait plus souvent qu'on ne les reussissait, firent alors place aux grands miroirs des telescopes modernes. Le pendule, le gyroscope, la mesure differentielle, la mesure absolue de la vitesse de la lumiere et le developpement du telescope moderne sont les cinq grandes realisations de Foucault. Elles ont immortalise son nom et donnent des raisons plus que suffisantes d'etudier sa vie. Foucault a aussi offert de nombreuses autres contributions a la science du XIXe siecle. II fut Tun des premiers a appliquer le daguerreotype a la science. II a realise un arc electrique automatique. Son ceuvre englobe 1'optique, la mecanique et I'electricite. Pendant quinze ans, il resuma les reunions hebdomadaires de 1'Academie des Sciences pour un journal parisien influent, le Journal des Debats, ou sa franchise devait lui faire bien des ennemis. A la fin de sa vie, il espera faire fortune en construisant des regulateurs mecaniques pour I'mdustrie. Ces realisations additionnelles, le melange de recherche pure et de recherche appliquee dans son ceuvre, et son statut a part a une epoque ou la science devenait une institution, sont des raisons supplementaires pour que le lecteur d'aujourd'hui s'interesse a Leon Foucault.

Qui ce livre interesse-t-il, et comment est-il construit ? On presente generalement la science a travers les decouvertes des grands savants, decouvertes dont on pense souvent qu'elles resultent d'experiences cruciales ou d'intuitions fulgurantes. Foucault n'etait

Prologue

ni Newton ni Einstein, et sa science est moins fondamentale. Son genie est plus accessible au commun des mortels. Son exemple peut inspirer la jeunesse, et la narration de ses activites scientifiques peut interesser tout le monde. II serait cependant difficile de vouloir expliquer 1'ceuvre de Foucault sans utiliser un minimum de termes techniques elementaires. Le lecteur suppose est celui de Pour la Science ou de La Recherche, auquel les concepts de densite, de force ou de vitesse sont familiers, de meme que des termes comme apex, refraction ou sinus (meme si il en a oublie la definition exacte), mais qui ne connait pas forcement 1'aberration de la lumiere des etoiles, ou le fonctionnement d'un telescope. Le texte principal est ecrit pour ce lecteur, et j'espere qu'il en tirera plaisir et profit. Des appendices suivent ce texte. Dans 1'appendice A, on trouvera une chronologie de la vie de Foucault et une carte du Paris de 1'epoque. L'appendice B contient des extraits de ses articles les plus interessants parus dans le Journal des Debats. L'appendice C indique ou se trouvent les photographies et les instruments de Foucault, ou des copies d'epoque. L'appendice D, dont la comprehension necessite de bonnes connaissances en physique, discute les subtilites de la construction du pendule de Foucault et ses resultats. L'appendice E donne une bibliographie generale. Les petits chiffres en indice superieur renvoient a des notes et references utiles aux historiens des sciences. Le lecteur qui desire un approfondissement pourra consulter les articles originaux, dont la plupart sont accessibles en ligne grace au projet Gallica de la Bibliotheque nationale de France, ou dans une rempression recente du Recueil2. Les lecteurs ayant une bonne connaissance de la physique ou de 1'astronomie seront peut-etre interesses par quelques articles specialises que j'ai ecrits au cours de mes recherches pour ce livre3.

Foucault et les f emmes On ne rencontre guere de f emmes dans cette biographie. Foucault se situe chronologiquement entre la mathematicienne Sophie Germain (1776-1831), et la physicienne Marie Curie (1867-1934). Les quelques femmes auxquelles Foucault eut affaire etaient des parentes ... ou 1'Imperatrice. J'espere qu'aucun lecteur n'en deduira que la science du XXP siecle doit prendre modele de ce point de vue sur celle du XIXe siecle ! La contribution des femmes est essentielle pour comprendre les lois naturelles, et aussi pour rendre plus humain 1'aspect social de la physique, qui est plutot terne de ce point de vue dans de nombreuses contrees, en particulier dans les pays anglosaxons et nordiques. Le monde decrit dans ce livre est un monde

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d'hommes. En compensation, j'ai plaisir a dedier mon ouvrage a toutes les femmes du monde.

Les sources

Figure P.2. Une source peu fiable : le vulgarisateur scientifique Louis Figuier, mort en 1894 et ne en 1819 comme Foucault et qui, comme lui, abandonna la medecine pour la physique.

En science, c'est la nature qui arbitre. Les idees resistent ou s'effondrent lorsqu'elles sont confrontees a 1'experience, a 1'observation ou au calcul. En revanche, la reconstitution de la vie d'un personnage du passe ne peut se fonder que sur les temoignages souvent insuffisants qui nous sont parvenus. Beaucoup d'hypotheses ne sont que speculations. Les documents eux-memes ne constituent pas forcement des preuves. Ils peuvent nous induire en erreur de diverses manieres. Je me suis toujours servi, dans la mesure du possible, des manuscrits et des articles originaux, plutot que des ecrits d'auteurs secondaires comme le vulgarisateur Louis Figuier (figure P.2), qui se preoccupait peu de la veracite des faits pourvu qu'il puisse ecrire une belle histoire. II est regrettable que, par la force des choses, on ne connaisse beaucoup de details de la vie de Foucault que par des sources secondaires. Les registres de 1'Etat civil et les actes notaries m'ont fourni des details sur la famille de Foucault. Mais il subsiste des lacunes : 1'Etat civil parisien ancien a etc detruit en 1871, pendant la Commune. Foucault est ne a Paris, mais je n'ai pas pu savoir exactement ou. Ce que Ton sait de la science de Foucault est beaucoup plus fiable, et provient principalement des articles imprimes dans les journaux scientifiques de 1'epoque. Les articles de Foucault parus dans le Journal des Debats donnent un aperc.u des aspects humains de son activite, ce que permettent egalement les articles des journaux generaux comme Cosmos. L'examen des archives a malheureusement revele qu'il ne subsiste que tres peu de manuscrits de Foucault, bien que son inventaire apres deces mentionne pres de quatre mille manuscrits scientifiques. Un index detaille de ces manuscrits est conserve par sa famille (figure P.3), mais les manuscrits eux-memes ont disparu. On peut le regretter, mais Foucault lui-meme n'en aurait probablement pas ete trop affecte. II a ecrit: Tout en reconnaissant 1'interet qui s'attache a la decouverte de pieces manuscrites attributes a des hommes celebres, on ne peut cependant pas esperer d'en tirer, pour etablir des droits a la priorite, des argumens comparables a ceux que fournissent les ouvrages imprimes4.

Figure P.3. L'inventaire apres deces des articles et manuscrits scientifiques de Foucault, aujourd'hui disparus.

WILLIAM TOBIN Christchurch, Nouvelle-Zelande et Vannes, France mai 2002

Remerciements Je tiens a remercier en premier ma femme Laurence, sa mere Gisele Bon et sa tante Noelle Saunier pour leurs encouragements, leur aide et leur comprehension pendant la quinzaine d'annees ou ma vie a ete occupee par Foucault. Je veux aussi remercier mon pere, John O'H. Tobin, F.R.C.P., et ses collegues pour leur avis concernant les sujets medicaux traites dans cette biographic. Ma gratitude va aussi aux membres de la famille de Foucault, qui sans exception, m'ont rec,u avec hospitalite et ouverture d'esprit, et ont mis a ma disposition les objets et documents, helas peu nombreux, qui ont ete preserves par leurs soins : MM. Claude Chaumet, Andre Gutzwiller, Philippe Gutzwiller, Daniel Prest, Alain Sourrieu et M. William Foucault Les recherches menees pour ecrire ce livre ont implique 1'usage de la bibliotheque et d'autres ressources de nombreuses institutions et societes, et 1'aide de leur personnel. Je remercie tout particulierement Julie Meynent (Observatoire de Marseille), Josette Alexandre (Observatoire de Paris) et 1'equipe de la bibliotheque des sciences physiques de 1'Universite de Canterbury. Ma gratitude va aussi au personnel, trop nombreux pour que je puisse le nommer en totalite, des bibliotheques suivantes : Observatoires de Bonn, Marseille et Paris ; Universites d'Auckland, de Cambridge, Canterbury, d'Otago et du Wisconsin; Universite Victoria, Wellington ; Trinity College, Dublin (Jane Maxwell) ; Centre d'Histoire des Sciences et Techniques (Dominique De Place, le regrette Jacques Payen, Andre Guillerme) ; Conservatoire National des Arts et Metiers ; College de France (Mme Roussell, Marcel Froissart) ; Ecole de Medecine (M. Rivet) ; Ecole nationale des ponts et chaussees (Florence Doux) ; Ecole polytechnique (Claudine Billoux); Institut de France (Franchise Quinton); Sorbonne (Mme Magnaudet); Institut d'Astrophysique de Paris ; Bibliotheque nationale de France (Sylvie Aubenas, Bernard Marbot); Archives de 1'Academie des Sciences (M.J. Mine, C. Demeulanaere-Douyere); Archives du Bureau des Longitudes (Y. de Kergrohen); Archives nationales; Archives de la Ville de Paris ; Societe franchise de Photographic (Michel Poivert) ; Academie nationale de Medecine (Michelle Lenoir); Wellcome Institute (W.M. Schupbach); Science Museum, Londres; Royal Society, Londres (Mary Sampson); Science Reference Library, Londres; Institut National de la Propriete Industrielle ; Mediatheque d'Histoire des Sciences de la Cite des Sciences et de ITndustrie.

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Je remercie egalement les institutions suivantes : Musee des arts et metiers (Jeanne Bruno, Frederique Desvergnes, AnneCatherine Hauglustaine) ; Patent Office, Londres ; Musee franc,ais de la Photographie (Andre Page) ; Musee Nicephore Niepce (P. Jay) ; Museum national d'Histoire naturelle (Franchise Serre); George Eastman House (Joe Struble, Barbara Galasso, Janice Madhu); Science Museum (Kevin Johnson, Rhiannan Sullivan); the Smithsonian Institution (Steven Turner); ainsi que le service photographique (Barbara Cottrell, Merilyn Hooper, Duncan ShawBrown) et rimprimerie (Ken Spall) de 1'Universite Canterbury. Je desire enfin remercier les personnes suivantes : Andre Bertrand, Rene Blanchet, Laurence Bobis, J. Bon, F.F. Bonnart, G. Darrieus, Stephane Deligeorges, Philippe Garner (de Sotheby's), Alden Hyashi (Scientific American), MarieTherese et Andre Jammes ; Anthony Michaelis, Archie Roy et Christian Warolin. Beaucoup de collegues et d'amis m'ont donne des avis et des critiques qui m'ont ete extrgmement utiles. Je remercie particulierement James Lequeux pour sa lecture approfondie du manuscrit et son adaptation en langue franc.aise, et aussi: Paul Acloque, Frederique Auffret, Claudine Billoux, Jacques Boulon, Mike Bradstock, John Campbell, Jim Caplan, Philip Catton, Rod Claridge, JeanPierre Clavier, Marie Connolly, Georges Courtes, Dick Crane, le regrette John Darius, Suzanne Debarbat, Edith Delroche, Alison Downard, Kelly Duncan, Ken Entwistle, le regrette Jacques Foiret, Lucio Fregonese, David Gallagin, Yvon Georgelin, Alan Gilmore, Owen Gingerich, Alison Griffith, Jacques Guilbert, John Hearnshaw, Alice Houston, Jiirg Honger, Graeme Kershaw, Pam Kilmartin, Julie King, Thierry Lalande, Gerard Lemaitre, Roberto Mantovani, Guy Mathez, Loic Metrope, David Miller, Dominique Monseigny, Alison Morrison-Low, le regrette Garry Nankivell, Sarah Nichols, Philippe Pajot, Norman A. Phillips, John Pritchard, Bernard Rattoni, Christopher Rose-Innes, Lewis Ryder, Roberto Semanzato, Carolyn Shuster-Fournier, Geoff Stedman, Herve Theis, Steven Turner, Odile Welfele-Capy, Phil Yock, et Pascale et Jean-Marc Yersin-Bonnard. Toute ma gratitude va a Hubert Curien pour sa preface. Mon travail a ete rendu possible grace a des subventions, des prix et des salaires, pour lesquels je remercie 1'Universite de Provence, 1'Observatoire de Marseille, 1'Universite de Canterbury, 1'Institut d'Astrophysique de Paris, Vistas in Astronomy, le Mechaelis Memorial Trust (administre par 1'Universite d'Otago), le fonds Marsden de Nouvelle-Zelande qui a aussi fourni une subvention pour couvrir les frais relatifs aux illustrations en noir et blanc, et le Planet Earth Fund mis en place par le testament du regrette George Eiby, qui a finance les photographies en couleur. Je remercie egalement les phototheques et institutions qui ont fourni des illustrations a prix reduit ou sans exiger de droit de reproduction. Pour terminer, je presente mes excuses a ceux que j'ai oublies, et je te remercie, lecteur, pour avoir ouvert ce livre. J'espere qu'il te plaira. Le traducteur tient a remercier Laurence Bobis pour lui avoir suggere le titre de la version franchise de ce livre, ainsi que Genevieve Lequeux pour sa relecture critique.

Chapitre 1 Introduction Henri Sainte-Claire Deville s'assit sur son fauteuil d'academicien, pale d'emotion. C'etait un lundi apres-midi maussade de mars 1868, bien different des jours si chauds et si insouciants de son enfance aux Antilles1. II participait a la seance hebdomadaire de 1'Academie des sciences (figure 1.1), au milieu des boiseries de la salle de reunion, qui etait toujours eclairee aux bougies en raison du conservatisme quelque peu pervers de 1'Academie. II faisait chaud, la piece etait bondee, il y avait des gens debout dans les passages. Notre chimiste de 49 ans ne se faisait aucune illusion : ils etaient venus pour assister a un combat de coqs, et il etait Fun de ces coqs. II ne trouvait guere de reconfort dans le fait que les spectateurs et les journalistes etaient plutot de son bord. A une epoque ou toute opinion se devait d'etre entouree d'un flot d'amabilites, on ne pouvait se tromper sur le sens du compte-rendu de la reunion de la semaine precedente, que Les Mondes venaient de publier : « M. Henri Sainte-Claire Deville lit d'une voix solennelle et attristee une protestation eloquente faite au nom de M. Leon Foucault et de ses amis centre les accusations, au moins indirectes, que M. Le Verrier n'a pas cru pouvoir lui epargner... »2 Un silence pesant avait suivi ces paroles. Le public etait peu nombreux, et, ne sachant pas qu'il serait mis en cause, 1'odieux Urbain Le Verrier etait absent. Aujourd'hui, Le Verrier, senateur de 1'Empire et directeur de 1'Observatoire de Paris, etait bel et bien la, et sitot que le secretaire perpetuel eut fini de lire la correspondance, il se leva et demanda la parole, pour affirmer bien fort que 1'intervention de Sainte-Claire Deville le lundi precedent« n'[apprenait] rien, etait inutile », ajoutant en depit de 1'evidence qu'elle etait « absolument injuste ». « Comment peut-il dire c.a ? » pensa Sainte-Claire Deville, dont la colere montait. « Foucault, mon ami si cher et si original, est a peine froid dans sa tombe apres une longue agonie. J'etais son confident, et je sais tout ce qu'il a souffert sous la ferule de rinnommable directeur de cet Observatoire infernal. Et maintenant, c'est ce dictateur luimeme qui pretend que leurs relations ont toujours ete parfaitement cordiales. » Le Verrier avait ecrit son intervention, et il etait clair qu'elle tirait a sa fin. Tous les yeux se tournerent vers Sainte-Claire Deville. II s'avan^a dans son fauteuil, pret a se lever. « Pourrai-je me contenir ? »

2

Figure 1.1. Le dome visible a droite de cette gravure des annees I860, est celui de 1'Institut national, dont 1'Academie des sciences est 1'une des cinq academies. L'Institut est situe a la limite nord du Quartier latin, sur la rive gauche de la Seine. Le pont ail premier plan est le Pont du Carrousel; derriere lui, on apergoit le Pont des Arts. Le batiment imposant a gauche est une partie du Palais du Louvre. Le bateau amarre au premier plan a gauche est un bateau-lavoir.

Leon Foucault

se demanda-t-il. « Je dois m'en tenir a ce que j'ai ecrit. » Les bougies vacillaient. Les busies et les statues etaient impassibles. « M. SainteClaire Deville a la parole », annonca le president. **#

Nous ne pouvons pas comprendre qui etait Foucault, ni 1'importance de ce qu'il a fait, sans connaitre son univers et ses preoccupations et sans savoir pourquoi il a tant ete soutenu par ses amis. Son univers etait la France du milieu du XIXe siecle. II est etranger a une partie de nos lecteurs, et le reste de ce chapitre va tenter d'en dormer un bref apergu, afin de placer Foucault dans son contexte historique.

L'Ancien Regime Commengons au XVIF siecle avec Louis XIV, le Roi Soleil, dont la cour s'occupait a des spectacles somptueux. Derriere le trone de ce monarque absolu, quelque peu debauche dans ses jeunes annees, se trouvait un homme actif et intelligent, Jean-Baptiste Colbert, ministre des finances et de bien d'autres choses. Colbert (1619-1683) savait que la base du pouvoir est la richesse, et que le fondement de la richesse est la production. II entreprit done d'enrichir la nation et le Roi par une tresorerie raisonnable et prevoyante et par le developpement de 1'industrie, des transports et du commerce. Parmi les nombreuses institutions fondees sous son influence, on trouve, en 1666,1'Academie royale des sciences3, et en 1667,1'Observatoire de Paris (figure 1.2)4. La mission de 1'Academie etait d'appliquer les sciences a 1'industrie afin de developper la fabrication des produits et d'augmenter les exportations. L'Observatoire n'avait en revanche aucun but utilitaire, et les astronomes pouvaient y faire ce qu'ils voulaient. En cela, 1'Observatoire de Paris differe fondamentalement de 1'Observatoire de Greenwich : fonde huit ans plus tard, en

Introduction

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Figure 1.2. L'Observatoire de Paris vers 1840, vu du nord. Son architecte est Claude Perrault, le frere du conteur.

1675, celui-ci etait explicitement charge d'ameliorer la connaissance de la position et des mouvements des astres, avec pour but ultime de determiner avec precision les longitudes, point essentiel pour la securite et 1'efficacite de la navigation maritime. L'Academic se reunissait initialement pres du Louvre, tandis que TObservatoire necessitait la construction d'un edifice approprie. Get edifice, plus grandiose que pratique, fut termine en 1672 sur un terrain a 1'horizon degage, situe en dehors de la ville. L'ltalien Jean Dominique Cassini (1625-1712) imprima sa marque sur les debuts de 1'Observatoire, et fut le premier d'une dynastie d'astronomes : son fils, son petit-fils et son arriere petit-fils furent successivement les directeurs de 1'Observatoire5.

La Revolution frangaise On a beaucoup discute des causes de la Revolution franchise de 1789. L'absolutisme des Bourbons et 1'acharnement de la noblesse a defendre ses privileges provoquerent un mecontentement general dans les classes moyennes, qui etaient les piliers de la production economique. Le Siecle des Lumieres (le XVIII6 siecle) defendait la suprematie de la raison vis-a-vis des inegalites, et de 1'injustice des autorites et des institutions. Le rejet de la superstition et la croyance passionnee dans les bienfaits de la science et de la raison s'expriment particulierement bien dans les dix-sept volumes de YEncyclopedic, ou Dictionnaire raisonne des sciences, des arts et des metiers, publiee entre 1751 et 1765 sous la direction du philosophe et ecrivain Denis Diderot (1713-1784) et du mathematicien Jean d'Alembert (1717-1783). En mai 1789, les turbulences sociales combinees a des problemes financiers urgents conduisirent Louis XVI a reunir les Etats generaux.

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Figure 1.3. Jean Sylvain Bailly (1736-1793), astronome et maire de Paris, guillotine sur le Champ de Mars le 22 brumaire An II du calendrier revolutionnaire (12 novembre 1793).

Leon Foucault

Cette assemblee consultative, issue de 1'Eglise, de la noblesse et des corporations des villes (done des classes moyennes), avait deja ete reunie dans le passe, en general pour faire approuver des decisions royales controversies, mais cela ne s'etait pas produit depuis plus de 150 ans. Le roi et les nobles en perdirent le controle, et les Etats generaux se transformerent en Assemblee nationale constituante. La prison-forteresse de la Bastille, embleme de 1'Ancien Regime et de ses injustices, fut prise par le peuple le 14 juillet 1789. L'Assemblee nationale tenta d'abord de creer une monarchic constitutionnelle, mais la fuite avortee du roi et la mobilisation de forces ennemies de la Revolution a 1'etr anger en 1792 la conduisirent a prendre des positions plus radicales. La Republique fut proclamee et le roi guillotine, mais la Revolution ne reussit pas a susciter une forme stable de gouvernement car differentes factions se disputaient le pouvoir. En comparaison aux exactions de notre epoque, la Revolution franchise fut relativement peu sanglante : on estime que 12000 personnes seulement ont peri. Parmi les scientifiques guillotines, on trouve le chimiste Antoine Lavoisier (1743-1794) et 1'astronome Jean-Sylvain Bailly (figure 1.3). L'Academie des sciences etait une institution royale, done suspecte. Elle fut dissoute en 1793 en meme temps que les autres academies, les societes litteraires, les universites et les ecoles de medecine. Cette eclipse devait etre de courte duree : deux ans apres, 1'Academic des sciences reapparaissait sous la forme d'une des cinq academies de I'lnstitut national (aujourd'hui I'lnstitut de France, figure 1.1). Parmi les autres institutions creees par la Revolution, on trouve les Grandes Ecoles, dont le but etait de former les enseignants, administratifs, scientifiques, officiers et ingenieurs civils et militaires dont la nation avait besoin. Ces ecoles incluent 1'Ecole Normale Superieure, destinee a 1'education d'une elite qui propagerait la connaissance technique et 1'esprit des Lumieres parmi les educateurs, 1'Ecole des Mines, et le Conservatoire des Arts et Metiers, qui rassemblerait les realisations de la science et de 1'industrie, encouragerait 1'innovation technologique et diffuserait les connaissances scientifiques, techniques et industrielles. D'autres institutions plus anciennes ont subsiste, par exemple 1'Ecole des Fonts et Chaussees, qui datait de 1747. Le sommet des institutions revolutionnaires fut certainement 1'Ecole Polytechnique, fondee pour 1'instruction et le developpement des sciences et de 1'ingenierie, et placee plus tard sous le regime militaire par Napoleon. Pendant la premiere moitie du XIXe siecle, cette ecole fut a la pointe de la recherche scientifique, particulierement en mathematiques et en mecanique. L'admission aux Grandes Ecoles avait lieu par concours et permettait la promotion sociale de jeunes gens peu fortunes dans la nouvelle France meritocratique.

Introduction

Afin de « faire fleurir notre marine » et de developper la navigation et le commerce, la Revolution fonda le Bureau des Longitudes. II etait en charge de 1'astronomie, discipline dont on considerait qu'elle etait tres utile : elle avait elimine la superstition, et fourni les fondements theoriques de la geographie et de la navigation, meme si la determination des longitudes etait encore imparfaite. La mission initiale du Bureau incluait 1'amelioration des tables astronomiques, des cartes marines, de la navigation et des horloges, et aussi 1'etude du magnetisme terrestre, en particulier en mer. Le Bureau avait un personnel et un budget propres et etait en charge de 1'Observatoire de Paris et des autres observatoires, tels que les Observatoires de la Marine a Brest et a Toulon6. La Revolution a reforme le calendrier, mais en depit de la poesie evocatrice des nouveaux noms des mois, le calendrier revolutionnaire eut peu de succes et fut abandonne en 1806. La reforme des poids et mesures fut en revanche une reussite durable. Elle remplaca par un systeme national uniforme la plethore de mesures locales prejudiciables au commerce (c'etait d'ailleurs une des requetes des cahiers de doleances prepares pour les Etats generaux). La construction du systeme metrique fut une entreprise hero'ique et lente : du temps de Foucault, il etait loin d'etre completement utilise dans la vie courante. Dans ses articles de journaux (mais pas dans ses articles scientifiques), Foucault utilise encore les pintes, lignes, pouces, pieds, lieues, livres et toises.

Napoleon Ier Le desordre politique de la Revolution se termina en 1799, par le coup d'Etat du 18 Brumaire an VIII, ou Napoleon Bonaparte et ses acolytes prirent le pouvoir. Ne en Corse, Napoleon avait acquis un grand prestige par ses victoires sur les Autrichiens lors de la campagne d'ltalie, et par 1'expedition d'Egypte, initialement destinee a contrer 1'economie anglaise. Bien que cette expedition se soit terminee en 1798 par la destruction de la flotte franchise a Aboukir, elle avait frappe par son audace et par la grande qualite des travaux scientifiques qu'elle avait effectues, travaux auxquels la plupart des jeunes savants de 1'epoque avaient pris part. La nouvelle Constitution de 1'An VIII (1799), liberale en apparence, donnait en fait 1'essentiel du pouvoir a Bonaparte, elu Premier Consul pour dix ans. Au cours des annees suivantes, Napoleon s'attaqua a des reformes durables des lois, des rapports de 1'Eglise et de 1'Etat, de 1'education et de radministration. En 1804, en presence du Pape reduit a 1'etat de spectateur, il se couronna lui-meme Empereur des Francais. Deja en guerre centre 1'Angleterre, Napoleon tenta de dominer 1'Europe

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continental, mais ses succes initiaux furent suivis d'echecs, et il dut abdiquer en 1814. II revint en France apres un court exil a 1'Ile d'Elbe, mais fut defait a Waterloo cent jours apres. Napoleon avait de grandes visees intellectuelles et esperait que la France dominerait toute la science future. Au Caire, il crea un Institut d'Egypte, copie sur 1'Institut national. On connait ses paroles celebres:

Figure 1.4. Pierre Simon Laplace est sans doute le physicien francais le plus important de la fin du XVIIP siecle et du debut du XIXe. II avait cependant un caractere peu genereux.

Partager son temps la nuit entre une jolie femme et un beau del, et le jour, le passer a rapprocher ses observations et ses calculs, me par ait etre le bonheur sur terre. De toutes les sciences, 1'astronomie est celle qui a ete la plus utile a la raison et au commerce. C'est surtout celle qui a le plus besoin de communications lointaines et de 1'existence de la Republique des lettres.7

Le marquis de Laplace (figure 1.4), une des principales figures de la physique en France, envoya les deux premiers volumes de sa Mecanicjue celeste a Napoleon, qui repondit avec esprit: « Les premiers six premiers mois dont je pourrai disposer seront employes a les lire. »8 Napoleon retablit les universites, dont le doctorat etait le diplome le plus eleve.

La Restauration La Restauration mit successivement deux freres de Louis XVI sur le trone : d'abord Louis XVIII, installe avec 1'aide des Anglais et mort en 1824, puis Charles X. Foucault naquit en 1819, au milieu du regne de Louis XVIII. La prevention de Charles X au titre de monarque de droit divin, ses restrictions concernant la presse et la suppression de diverses libertes provoquerent une insurrection en 1830. Apres cinq jours de lutte acharnee dans les rues de Paris, la « Revolution de juillet » forc.a Charles X a abdiquer. Son successeur em, LouisPhilippe, paraissait dote de qualites a la fois republicaines, royales et liberates. Les annees de formation de Foucault se deroulerent sous le regne de ce « Roi-citoyen ». Mais la corruption des hommes politiques, les pratiques judiciaires douteuses et les pouvoirs reduits du Parlement firent que les liberaux et les extremistes s'associerent pour demander des reformes. En 1848, la revoke du peuple obligea Louis-Philippe a abdiquer et a fuir en Angleterre. On doit a Louis-Philippe le retablissement du College de France, anciennement College du Roi, fonde par Francois Ier en 1530, et ferme a la Revolution. Contrairement aux universites et aux grandes ecoles, le College de France ne delivre aucun diplome. Les professeurs y enseignent ce qu'ils veulent et les cours sont ouverts a tous.

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Figure 1.5. Frangois Arago (1786-1853) : astronome, physicien, homme politique, secretaire perpetuel de 1'Acadernie des Sciences et directeur de 1'Observatoire de Paris.

Francois Arago II est temps de presenter Francois Arago (figure 1.5). Arago fut officiellement directeur de 1'Observatoire de Paris de 1843 a sa mort en 1853, mais il etait deja directeur de facto depuis longtemps. II est ne en 1786 a Estagel dans le Roussillon, et passa ses annees d'adolescence a Perpignan, ou son pere etait tresorier a la Monnaie. II entra a 1'Ecole Polytechnique en 1803, envisageant une carriere militaire. Mais son sens republicain inebranlable se trouva bientot en conflit avec 1'autorite politique. Lorsque Napoleon Bonaparte, alors premier consul, se preparait a devenir empereur, Arago fut parmi les eleves de Polytechnique qui refuserent de signer une petition pour le soutenir. Napoleon avait 1'intention d'expulser ces eleves mais au vu de leurs notes, Arago etant le meilleur, il soupira: « On ne renvoie pas le premier d'une promotion. Ah ! s'il avait ete a la queue. »9 Les prouesses d'Arago en mathematiques furent telles, qu'au bout de deux ans, on lui offrit un poste a 1'Observatoire de Paris pour travailler avec Jean-Baptiste Biot (1774-1862) sur la refraction de la lumiere par 1'atmosphere terrestre. II etait alors question de faire la triangulation du meridien de Paris, en principe pour realiser le metre, qui venait d'etre defini comme le dix-millionnieme de la distance du pole a 1'equateur, mais en realite plutot pour etudier 1'aplatissement de la Terre10. Cette triangulation etait achevee de

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Figure 1.6. Foucault etait-il dans 1'auditoire le jour ou fut conc.ue cette gravure ? Elle represente un des cours publics d'astronomie d'Arago, dans un amphitheatre construit tout expres a 1'Observatoire de Paris.

Dunkerque a Barcelone. Au debut de 1806, Arago et Biot partirent pour 1'Espagne afin d'etendre la triangulation jusqu'aux Baleares. Us y parvinrent non sans difficultes, mais le retour d'Arago fut empeche par la guerre entre la France et FEspagne en 1808. Apres differentes tribulations, une tentative d'empoisonnement, une capture par des pirates et deux sejours forces a Alger, Arago reussit a rejoindre les cotes franchises en juillet 180911. Deux mois plus tard, il fut elu a 1'Academic des sciences12. L'election de ce jeune homme de 23 ans ne fut pas facile. Laplace poussait son candidat, Denis Poisson (17811840), un peu plus age qu'Arago, qui etait considere comme une etoile montante de la physique et des mathematiques. Arago fut finalement elu par 47 voix centre 4, plus en raison de ses exploits romantiques en Espagne que pour une contribution fondamentale a la science. Ces annees-la, Arago travaillait surtout dans le domaine de 1'optique. Dans les chapitres suivants, nous decouvrirons le role qu'il a joue dans le developpement de la theorie ondulatoire de la lumiere. Vers 1820,1'interet d'Arago se tourna vers Telectromagnetisme. En 1830, il devint Tun des deux secretaires perpetuels de TAcademie des sciences, poste plus important que celui de president et qui lui permit d'exercer une influence considerable. Foucault ecrivit plus tard : Arago fut un des premiers a comprendre que la science ne pouvait pas prosperer au fond des laboratoires, que meme elle finirait par s'etioler dans la solitude des Academies, et qu'apres

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avoir donne au monde la vapeur, les chemins de fer et le telegraphe electrique, elle voulait qu'il fut parle d'elle jusque chez les ignorans. II se fit done le promoteur de la publicite13.

Des 1812, Arago donna des cours publics d'astronomie, ce qui etait d'ailleurs prevu dans 1'acte de fondation du Bureau des Longitudes. Ces cours remporterent un succes exceptionnel. De 1841 a 1846, ils furent donnes dans un amphitheatre « spacieux, elegant et commode » construit specialement a 1'Observatoire de Paris, qui pouvait accueillir 800 personnes (figure 1.6)14. Pendant ses dernieres annees, Arago dicta le contenu de ces cours a sa niece, prevoyant qu'ils seraient une source de revenus substantiels pour ses heritiers15. Ils furent publics sous le titre d''Astronomic Populaire (figure 1.7). Alors qu'en 1809 seul un public choisi pouvait assister aux seances du lundi de 1'Academie des sciences, Arago y fit admettre tous ceux qui le desiraient, et meme la presse. En 1835, il fonda les Comptes rendus hebdomadaires des seances de 1'Academie, qui eurent une grande influence pour homogeneiser la presentation des resultats scientifiques (figure 1.8). II ecrivit aussi des monographies sur les chemins de fer, sur la distribution publique de 1'eau et sur les fortifications construites autour de Paris dans les annees 1840, ainsi que des eloges nombreux (et tendancieux) des academiciens decedes. On associe souvent la naissance de 1'astrophysique, ou de Yastronomie physique comme on disait a 1'epoque, aux debuts de 1'analyse des spectres qui suivit la formulation des lois de remission et de 1'absorption du rayonnement par Kirchhoff en 1859. Mais en fait, c'est« Arago [qui] introduisit la physique dans 1'astronomie », comme 1'a remarque 1'un de ses successeurs a la direction de 1'Observatoire de Paris16. Auparavant, les astronomes s'etaient presque uniquement occupes du mouvement des etoiles et des planetes, cherchant a les expliquer dans leurs moindres details par les lois de la gravitation et du mouvement dues a Newton. Comme nous le preciserons plus loin, Arago a utilise la photometrie et la polarimetrie en vue de connaitre la nature physique des corps celestes. II a montre par exemple que la surface du Soleil etait gazeuse, et non pas solide. Attire vers la politique sous I'influence de ses freres cadets, Arago fut elu depute des Pyrenees-Orientales, puis du 12e arrondissement de Paris17. II etait de gauche et republicain, mais n'avait rien d'un extremiste. II fut membre du gouvernement provisoire de la nouvelle deuxieme Republique en 1848. Dans cette fonction, il soutint et signa les decrets abolissant 1'esclavage dans les colonies franchises et les chatiments corporels dans la Marine. Nous verrons au chapitre 7 que Foucault accueillit avec joie ce gouvernement favorable aux classes moyennes et aux pay sans proprietaires de leurs terres.

Figure 1.7. A la fin de la vie d'Arago, sa niece transcrivit ses cours d'astronomie. Ils furent publics en quatre volumes apres sa mort. Pour une relation d'un vol en ballon aventureux par leur redacteur, J.A. Barral, voir la page 310.

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Napoleon III

Figure 1.8. Fondes par Arago, les Comptes rendus hebdomadaires de 1'Academie.

Figure 1.9. Louis-Napoleon Bonaparte, le futur Empereur Napoleon III, dans son laboratoire a la prison de Ham dans les annees 1840.

La deuxieme Republique fut de courte duree. Les tentatives de transfer! des chomeurs parisiens vers la province furent a 1'origine d'une revolte des travailleurs en juin 1848, suivie d'une courte et cruelle guerre civile. Le resultat de ces « Journees de juin » fut le desir general d'un gouvernement fort, qui devint une realite quelques mois plus tard, avec rejection du Prince Louis-Napoleon Bonaparte a la presidence de la Republique. Get homme hors du commun, neveu de Napoleon Ier, avait ete eleve a 1'etranger. II etait persuade que sa destinee napoleonienne etait de gouverner la France. En 1836 a Strasbourg, puis a Boulogne en 1840, il conspira contre la monarchic, avec 1'espoir, dans les deux cas, de fomenter une revolte parmi les troupes et d'acceder au pouvoir. Emprisonne en 1840 au fort de Ham, il parvint a s'en echapper six ans plus tard, deguise en ouvrier. Louis-Napoleon n'etait pas un prisonnier ordinaire : pendant son sejour a Ham, il reussit a faire deux enfants illegitimes et a etudier la physique (figure 1.9) ! Napoleon Ier avait deja affirme que si il pouvait recommencer sa vie, il la consacrerait aux sciences exactes18. Comme nous le verrons, son neveu portait aussi beaucoup d'interet aux sciences, et a soutenu Foucault, Pasteur et d'autres dans leurs entreprises scientifiques. Trois ans apres son election au titre de Prince-President, LouisNapoleon reussit un coup d'Etat pendant la nuit du l er au 2 decembre 1851. Ce coup d'Etat fut legitime par un plebiscite tres favorable, de meme que la restauration de 1'Empire un an plus tard, quand LouisNapoleon fut couronne sous le nom de Napoleon III*. Le Second Empire a toujours embarrasse les Frangais. C'est peutetre parce qu'il leur est difficile de croire qu'un peuple libre ait pu voter pour un chef hereditaire ; mais c'est peut-etre aussi a cause du deshonneur qui a resulte de la disintegration de 1'Empire lors de la guerre sans espoir contre les Prussiens, guerre astucieusement provoquee par Bismarck et qui s'est terminee par la capitulation de Sedan en 1870. La vingtaine d'annees qu'a dure le Second Empire fut une epoque extraordinaire. On a decrit Louis-Napoleon soit comme « etrange et enigmatique », soit comme un « aventurier aimable »19, soit, de fac,on plus memorable, comme Napoleon le Petit par Victor Hugo, Tun des exiles les plus extravertis du regime. On ne peut cependant mettre en doute ni le desir de progres de LouisNapoleon, ni son souhait sincere d'ameliorer le sort du petit peuple (a condition que 1'ordre social et la stabilite soient maintenus) : c'est du moins ce qu'on lit dans son livre De I'extinction du pauperisme. * Quand il fut banni a 1'Ile d'Elbe en 1814, Napoleon Ier avait abdique en faveur de son fils alors en bas age. Bien que cet enfant n'ait pas regne, 1'opinion des bonapartistes etait qu'il avait ete un souverain legitime sous le nom de Napoleon II.

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II fit construire des villages pour les travailleurs et tenta de creer une instruction primaire libre et obligatoire. Malgre ses nombreuses aventures militaries, son but principal etait de creer une communaute des nations plus juste et plus solide, fondee sur rauto-determination des peuples, et il paraissait souffrir des horreurs de la guerre. Son regne connut une expansion technique, industrielle et commerciale considerable, accompagnee cependant d'une importante corruption. C'etait aussi une periode de gaite, de crinolines et de fetes. Ceux qui en avaient 1'energie pouvaient courir les nombreux bals, dont Tun des plus fameux, le Jardin Bullier, ne se trouvait qu'a 500 metres de 1'Observatoire. Les visiteurs etrangers etaient fort interesses par les grisettes, des jeunes femrnes celibataires peu fortunees avides de s'amuser, et qui y parvenaient car elles n'etaient pas soumises aux conventions de la classe moyenne. Si Paris est la ville splendide que Ton connalt, c'est en grande partie grace au remplacement des rues etroites et humides par des boulevards eclaires et aeres, et aussi a l'installation d'un bon systeme d'egouts. Les Expositions universelles de 1855 et de 1867 furent les vitrines de la puissance de 1'agriculture et de 1'industrie franchises, et de la prosperite et de la modernite qui lui etaient associees. Foucault est mort en 1868. Les deux dernieres decennies de sa vie furent celles du Second Empire, au cours desquelles il fut un des savants les plus connus et les plus populaires de 1'epoque.

L'etat de la technologic En 1846, un journal parisien, Le National, dressait la liste des grandes innovations industrielles de la premiere moitie du XIXe siecle : 1'amelioration des mortiers hydrauliques, 1'application de la machine a vapeur au transport maritime et terrestre, 1'application de 1'electricite a la galvanoplastie et au telegraphe, et 1'invention du daguerreotype. On retrouvera la galvanoplastie et le daguerreotype aux chapitres 3 et 4. Les autres innovations contribuerent au progres rapide des communications. On pouvait desormais traverser les rivieres sur des ponts et des viaducs solides, construits en utilisant les mortiers hydrauliques. Le premier chemin de fer parisien fut termine en 1837, sur les 20 kilometres separant Paris de SaintGermain-en-Laye. II fut bientot suivi de deux lignes vers Versailles — qui connurent le premier accident grave — puis, en 1843, des lignes beaucoup plus longues de Paris a Orleans et a Rouen. En 1870, le reseau atteignait 22000 kilometres. La construction du tunnel de Semmering entre la Basse-Autriche et la Styrie (1854) fut suivie de celle du tunnel du Mont-Cenis en 1871. La route des Indes fut raccourcie de moitie par 1'ouverture du Canal de Suez en 1869. A

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partir de 1845, le telegraphe optique a bras articules fut remplace par le telegraphe electrique, qui permettait de transmettre des signaux plus rapidement et plus surement. Les progres de la sante et de la nutrition limiterent les maladies, tandis que la chirurgie etait revolutionnee par 1'anesthesie et plus tard par 1'aseptie. La production agricole et industrielle s'accrut grace a la mecanisation et a la fabrication en serie. L'industrie chimique etait florissante. La decouverte des teintures artificielles est bien connue : des exemples franc.ais en sont le rose magenta et le pourpre solferino, ainsi nommes en souvenir de deux victoires de Napoleon III. A la satisfaction evidente de Foucault, la science et I'industrie amelioraient materiellement le monde. Les interets et les aspirations du milieu du XIXe siecle sont a Torigine de la societe technologique qui est la notre.

Chapitre 2 Les jeunes annees Nantes Foucault est un nom d'origine germanique, commun en Bretagne1 (notons qu'au XIXe siecle, la Bretagne s'etendait plus au sud qu'aujourd'hui). Bien que Leon Foucault soit ne a Paris, sa famille avait des liens avec le principal port de Bretagne, la ville de Nantes. Ses parents avaient achete des maisons a Nantes dans les annees 1820, et son grand-pere, Jean Baptiste Marie Foucault, y etait mort en 1829 (figure 2.1). Ce grand-pere etait un ancien colon de SaintDomingue, le moderne Haiti. Cette ile, qui fut pour les Fran^ais la « Perle des Antilles », etait, avant la Revolution, 1'une des plus importantes colonies franchises, avec pres d'un derni-million d'esclaves et une production annuelle de 80000 tonnes de sucre2. Une revoke d'esclaves avait eclate en 1791, soutenue par la Revolution. La decennie suivante connut des troubles sanglants, en particulier quand Napoleon Ier essaya de retablir 1'esclavage sur Tile. Le grand-pere de Foucault decida de quitter Saint Domingue et de s'installer a Nantes. II avait peut-etre des relations familiales ou commerciales avec cette ville, mais le choix de Nantes etait de toute fagon assez naturel. A 55 kilometres de la mer, le port de Nantes desservait les colonies des Antilles. Au siecle precedent, Nantes, comme Bristol en Angleterre, s'etait enrichi par le trafic d'esclaves. Grace a la bonne qualite de ses communications avec le reste de la France, Nantes etait devenue une ville industrielle florissante, avec des tissages, des fabriques de vetements, des verreries, des fonderies, des distilleries, des raffineries et des constructions navales. II y avait la de nombreuses possibilites de travail pour un colonial rapatrie.

Les parents Un des trois enfants du grand-pere Foucault avait une vocation maritime et devint capitaine au long cours; un autre etait plutot du genre « marin d'eau douce », et alia chercher fortune a Paris. C'etait Jean Leon Fortune Foucault, probablement ne aux environs de 1784, peutetre a Saint Domingue3. En 1814, il se maria a Paris avec une jeune fille de 21 ans qui avait aussi des antecedents a Saint Domingue, ou

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Figure 2.1. Une partie de 1'arbre genealogique de Foucault4.

Figure 2.2. La mere de Foucault, Aimee.

son pere, commerc.ant, etait mort. Elle se nommait Aimee Nicole Lepetit (figure 2.2). Elle survecut non seulement a son mari, mais aussi a leur fils, le physicien. Lors de son mariage, Jean Leon Fortune s'occupait du commerce des livres, et, en 1817, il acquit un brevet de libraire. Entre 1819 et 1829, il publia deux series de memoires et de souvenirs relatifs a 1'histoire de France, qui ne totalisaient pas moins de 130 volumes et qui eurent suffisamment de succes pour que les premiers soient reimprimes (figure 2.3)5. II publia aussi des ouvrages concernant le theatre, et a 1'occasion des tracts politiques, notamment royalistes6. Ce succes est probablement du en partie a la qualite des ouvrages. A une epoque ou ils etaient vendus broches, 1'editeur indiquait que tout cahier defectueux serait reimprime gratuitement, meme s'il ne contenait qu'une seule faute d'impression7. Get amour de la precision fut transmis a son fils Jean Bernard Leon (que nous appellerons Leon, son prenom usuel). Leon est ne le samedi 18 septembre 1819, sans doute dans la maison familiale. Nous ne savons pas exactement ou elle se trouvait, mais c'etait sans doute au Quartier Latin, non loin de la boutique paternelle situee rue des Noyers, une partie de 1'actuel boulevard Saint-Germain8. A cette epoque, la plupart des gens aises allaient a pied et n'habitaient jamais loin de leur travail. Un an plus tard, ses parents acheterent une maison rue de la Sorbonne. On ne sait pas si ils y habitaient, mais c'etait en tout cas leur adresse commerciale. Foucault fut baptise a 1'eglise paroissiale de Saint Etienne du Mont, a 150 metres seulement du Pantheon ou il devait faire la memorable demonstration de la rotation de la Terre. II est possible qu'un frere soit ne trois ans plus tard, mais il ne survecut pas. Une

Les jeunes annees

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sceur, Aimee Alexandrine Fortunee, etait de quatre ans plus jeune que Leon et vecut jusqu'a 1'age de 81 ans9.

L'enfance Foucault a du passer quelques-unes de ses annees de jeunesse a Nantes, ou ses parents, qui etaient visiblement a 1'aise, avaient acquis deux maisons en 1823 et en 182610. Pour leurs sejours a Paris, les Foucault emmenagerent dans une grande maison louee au 5 rue d'Assas, a quelques minutes du Jardin du Luxembourg. La grande propriete, grace a ses arbres, devait etre un beau terrain de jeu pour les enfants et une source de fraicheur 1'ete11. L'enfance de Leon a certainement connu les amusements habituels, dont on trouve la trace dans les commentaires de ses articles de journaux. « A qui n'est-il pas arrive de poursuivre un lezard et de lui casser la queue en voulant le retenir ? » lit-on dans un de ses articles12. Le marronnier donne un fruit « colore, brillant et poli comme le bois d'acajou » avec « sa chair blanche et ferme ... », dit-il ailleurs. Mais son gout est amer, « c'est une experience que tout le monde a faite a ses depens »13.

Le pere de Foucault interdit de tutelle Jean Leon Fortune Foucault abandonna son brevet de libraire pendant 1'ete de 1830. La publication de la seconde serie de livres sur 1'histoire de France etait terminee depuis un an, et a 1'age de 45 ans, il avait peut-etre envie de changement. De plus, la vente des livres etait en crise : on avait imprime trop de livres — 50 millions de 1825 a 1830 — et le marche etait sature. Des editeurs etaient en faillite : la plupart etaient d'anciens employes qui ne possedaient pas le capital necessaire pour se maintenir a flot en periode de mauvaises ventes14. II est possible que Jean Leon Fortune ait decide de fermer boutique avant d'etre en faillite. Mais il est aussi possible qu'on 1'ait mis en retraite en raison d'une maladie mentale, car quatre ans plus tard, en 1834, on devait lui retirer pour cette raison la tutelle de ses biens et de sa famille (il mourut en 1839). Ce dut etre une periode difficile, car le comportement du pere evolua de derangements passagers a une pathologic serieuse. Alors que 1'etat de son mari empirait, on imagine que la mere de Foucault portait sur ses epaules la charge de la famille et des affaires. En effet, elle ouvrit un cabinet de lecture rue Voltaire. Ces cabinets de lecture etaient destines a pallier la crise de 1'edition a la fin des annees 1820, car non seulement on avait produit trop d'ouvrages, mais ils etaient tres chers, hors de portee

Figure 2.3. Un des nombreux volumes relatifs a 1'histoire de France publies par le pere de Leon Foucault.

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Tableau 2.1. Le cout de la vie a 1'epoque de Foucault: quelques salaires et prix. Revenus Ouvrier 1-4F/jour Aide-Astronome, Observatoire 2 000 F/an de Paris Instituteur 2 000 F/an Senateur 30 000 F/an 1840: 300 F PNB/habitant 1869: 470 F Prix Kilogramme de pain Premiere qualite 31 c 24 c Deuxieme qualite 50 c Litre de lait 30 c Tarif omnibus Paris Bachelier es sciences : 24 F droits d'examen Livre moyen 6F Souscription pour 3 mois au Journal des Debate 18F Lampe Carcel 22 F Kilogramme d'argent 200 F 782 m2 de terrain rue d'Assas (1844) 60 120 F

de la plupart des bourgeois et accessibles settlement aux riches. Un volume edite par le pere de Foucault coutait environ 6 francs, le salaire de plusieurs jours pour un travailleur ou d'une journee pour un instituteur de village ou pour un aide-astronome a 1'Observatoire de Paris (tableau 2.1). Les bibliotheques publiques n'apparurent que dans les annees I860, mais dans un cabinet de lecture, le public cultive pouvait lire des livres et des journaux pour un prix abordable. Ces cabinets procuraient aux editeurs un tirage minimum. Madame Foucault etait certainement une femme de tete. Elle n'avait pas hesite a intenter un proces a sa tante et a son oncle pour une question d'heritage, et elle avait le meme sens des affaires que son mari. Sous sa tutelle, les finances de la famille resterent saines. Elle devait plus tard s'engager dans des affaires immobilieres, demenageant avec son fils dans une autre maison un peu plus au sud de la rue d'Assas, dont elle accrut la valeur en acquerant un terrain voisin. Madame Foucault etait croyante. II est certain que le jeune Leon a suivi le catechisme et fait sa premiere communion, mais il ne semble pas lui en etre reste grand chose. On ne trouve nulle part dans ses ecrits la preuve qu'il ait ete croyant, ou que la religion ait affecte sa demarche scientifique. Cependant, il n'etait pas anticlerical. A la maladie du pere, la tutelle fut done donnee a sa femme. Un subroge tuteur fut aussi designe. Comme il convenait a une famille fortunee, c'etait un personnage assez important, L.J.N. Monmerque (1780-1860), juge a la Cour de Paris et nomme de lettres, membre de I'lnstitut. II etait bien connu de la famille, car il avait supervise plusieurs ouvrages publics par Foucault pere. II fut aussi le subroge tuteur du jeune Foucault a son adolescence.

I/adolescence L''interdiction de son pere alors qu'il avait 14 ans, et les evenements qui suivirent, ont certainement marque le psychisme de Leon. Nous verrons que Foucault avait des cotes fragiles qui se revelerent vingt ans plus tard. Pendant son adolescence, il fut effraye par des marques sombres qui flottaient devant ses yeux. Par malheur, le medecin consulte etait un ignorant qui fut incapable de lui dire que cela n'avait rien d'anormal. Voici ce que Foucault ecrivit apres que le physicien ecossais Sir David Brewster eut public un article sur ces mouches volantes : II est probable qu'on n'en est pas exempt meme dans la premiere enfance ; mais cet age est sans souci, comme il est sans pitie, et s'il se plait a chasser les mouches, ce ne sont pas celles qui nous occupent en ce moment. On ne s'en apercoit que plus tard, et dans 1'adolescence, alors que beaucoup sacrifient a une sorte

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d'hypocondrie ... Pour peu qu'on ait 1'esprit observateur, on s'apergoit bientot que cette perception est toute subjective, et que la cause est en soi. Ces flocons nuageux ... on les retrouve toujours les memes, sur le blanc du plafond, sur les rideaux de son lit, sur une feuille de papier; on ne peut se dissuader qu'ils ne tiennent pas a 1'interposition de quelque corps opaque; peu a peu 1'imagination travaille, et 1'on croit la vue compromise a un age ou 1'on a tant besoin et tant desir de tout voir. Nous en parlons d'apres des souvenirs vifs et poignans, et nous adjurons les chirurgiens d'etre mieux renseignes qu'ils ne 1'etaient alors sur un accident qui n'offre rien d'inquietant.15 L'anxiete est commune pendant 1'adolescence, et cet episode revele plutot des qualites d'observation et de reflexion qu'une quelconque tendance depressive. Heureusement, Foucault occupa ses loisirs d'adolescent en construisant des modeles reduits — d'abord un bateau, puis un telegraphe. Ce n'etait pas un telegraphe electrique, qui ne devait apparaitre que quelques annees plus tard, mais le telegraphe optique de Chappe (figure 2.4). Foucault reproduisit le telegraphe situe sur la tour inachevee de 1'eglise Saint Sulpice (figure 2.5), qu'il pouvait voir de sa fenetre. Les mouvements silencieux et incessants des bras articules du telegraphe ont du fasciner le jeune Leon. Sa realisation suivante requit une astuce et une dexterite bien plus grandes : c'etait une machine a vapeur16. On dit qu'au lieu de recevoir une education a domicile, le jeune Foucault avait etudie dans une petite ecole a Nantes, et qu'a son retour a Paris on 1'avait envoye au prestigieux College Stanislas, une institution catholique situee pres de chez lui17. Sa sceur avait ete mise en pension. On ne sait pas combien de temps Leon est reste au College Stanislas, car bien que son caractere ait ete decrit plus tard comme « doux, timide et peu expansif »16, il semble qu'a 1'ecole il ait ete « peu docile et peu studieux ». Avec du recul, on peut voir la une manifestation precoce de 1'independance d'esprit si caracteristique du Foucault adulte. On employ a alors un precepteur prive plus comprehensif; apparemment Foucault promit de ne plus fournir qu'un travail parfait et s'y employa effectivement, quoique sans ardeur. Cet apprentissage personnalise et quelque peu inhabituel fut cependant un succes, puisque son education fut plus tard qualifiee de « tres-complete »18. Nous constaterons au chapitre 7 qu'il a fait preuve peu de temps apres d'une erudition impressionnante en tant que journaliste. II fut re^u Bachelier es kttres en 1837, ce qui exigeait de bonnes connaissances en rhetorique et en philosophic19. On dit que sa mere avait decide que Leon serait medecin. L'entree a TEcole de medecine exigeait un second baccalaureat20. Dix-huit mois plus tard, Foucault faisait la demonstration de ses connaissances en mathematiques, physique, chimie, biologic et zoologie devant trois

Figure 2.4. Avant 1'apparition du telegraphe electrique dans les annees 1840, on transmettait des messages a 1'aide des bras articules du telegraphe optique de Chappe. La poutre et les deux bras qu'elle porte a ses extremites sont orientables.

Figure 2.5. Le telegraphe optique situe sur la tour sud (a droite) de 1'eglise Saint Sulpice a ete reproduit en modele reduit par le jeune Foucault, qui le voyait de sa fenetre. Ses parents s'etaient maries £ Saint Sulpice en 1814, et son service funebre devait s'y tenir en 1868.

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examinateurs, qui mirent tous trois une boule blanche dans 1'urne, lui accordant ainsi le titre de Bachelier es sciences physiques21. Un des examinateurs etait un professeur de physique nouveau a la Sorbonne, d'origine beige, Cesar Despretz (1789-1863). On retrouvera Despretz dans le jury de these de Foucault une quinzaine d'annees plus tard, ou il a ete nettement moins satisfait.

Les etudes medicales

Figure 2.6. Un portrait de Leon Foucault en 1840.

Figure 2.7. La soeur de Foucault, Aimee Alexandrine Fortunee, en tenue de deuil apres la mort de son pere en 1840 22.

Au XIXe siecle, la medecine et son enseignement ont connu de grands changements. La Revolution avait ferme les ecoles de medecine. Les officiers de sante d'alors, dont les connaissances etaient minimales, ont peut-etre forme un corps egalitaire, mais le manque de medecins plus qualifies se fit bientot sentir. Ces officiers de sante disparurent progressivement au cours du XIXe siecle. Les progres de la medecine necessitaient un enseignement pratique et theorique plus rigoureux, dispense dans des ecoles de medecine et des hopitaux, et sanctionne par des examens. La medecine etait une carriere toute tracee pour un jeune homme intelligent de la bourgeoisie comme 1'etait Foucault. Le metier etait bien considere, et sa mere pouvait lui offrir ces etudes, qui n'etaient pas bon marche. Peu apres avoir obtenu son baccalaureat es sciences physiques, Foucault entra done a la Faculte de medecine, semble-t-il pour devenir chirurgien grace a sa dexterite manuelle. Les figures 2.6 et 2.7 montrent Foucault et sa sceur a cette epoque. Foucault fit des etudes serieuses et ne ressemblait nullement au stereotype du carabin. Mais d'apres ses ecrits dans le Journal des Debats, le contenu de sa cave a son deces23, et la lettre dont nous allons dormer des extraits, on imagine qu'il ne detestait pas boire un verre de bon vin et aimait danser. Dans cette lettre ecrite au printemps de 1840 a un ami non identifie, Foucault s'apitoie sur lui-meme. II nous a paru interessant d'en reproduire des fragments importants, non seulement parce qu'elle montre que Foucault s'interessait deja a la science, mais surtout parce que c'est un des rares documents qui nous soit parvenus ou Foucault exprime ses emotions a propos de la mort recente de son pere, et son desir d'amour: La mort de mon pauvre pere, arrivee subitement pendant un jour de sortie de ma sceur au moment ou notre cceur s'epanouissait a la joie, nous a jetes dans une consternation, dans une tristesse auxquelles les etrangers connaissant 1'etat de mon pauvre pere ont peine a ajouter foi. A peine nous venions de nous remettre de ce terrible coup, que la mort non contente vint encore

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frapper 1'un de nous [... ] Notre pauvre Eulalie, notre chere cousine, a succombe en huit jours a une fievre scarlatina compliquee de plusieurs autres affections. Vous savez, excellent ami, qu'elle faisait essentiellement partie de notre interieur et pouvez apprecier combien sa perte dut nous etre cruelle. Ah, cette fois mon cceur fut blesse bien avant; ajoutez a cela que peu de temps avant, mon ami Christophe venait de se faire marin par suite de la mort de son pere. Je tombai dans un isolement qui altera profondement ma gaiete et pour me remettre de mes idees tristes, j'entrepris precisement un mois apres mes travaux de dissection. Certainement j'appris a me familiariser avec la vue de la mort, mais je ne retrouvai point ma joie ; aussi depuis ce temps la, plus de manipulations chimiques, plus d'experiences de physique, plus de jolis ouvrages manuels. Quelques beaux jours ont deja reparu et cependant mon gout pour mes plantes ne s'est pas ranime. En vain je me suis quelque peu mele au tumulte des bals masques (je 1'avoue); cela m'a certainement amuse mais mon cceur est reste si vide, si creux, si indifferent, que c'est a peine si je le sens encore capable des atteintes de l'amour. Enfin je suis dans un etat ordinaire de tristesse et d'autant plus penible que je ne vois rien capable de m'en faire sortir ; et ne croyez pas que cela soit du a 1'abus d'aucune espece de plaisir, je n'ai cesse de travailler convenablement et la preuve c'est que mon premier examen en medecine que j'ai subi il y a trois mois s'est encore passe d'une maniere brillante. Cher ami, voila bien longtemps que je vous parle de moi, n'estce pas une preuve que mon existence me pese ? Pardonnez-moi, a vous exposer 1'etat de mon triste cceur j'ai eprouve quelque soulagement. Et vous, dans votre nouvelle position, avez-vous atteint ce bonheur qui semble si loin de moi ? Est-ce toujours cette personne pas plus grande que vous, bien faite, le visage pale mais plein de douceur, aux sourcils noirs bien arques, aux cheveux chatains bruns et aux belles dents, amusante et sensible comme vous ? Est-ce toujours bien a un amant que je parle ? Ou a un mari, peut-etre a un pere ? M. Lecorbeiller est alle cet hiver par chez vous dormer des concerts24, vous avez meme je crois chante a celui qu'il a donne d'une fac.on telle que j'en ai vu la nouvelle dans un journal musical. La vue de mon excellent professeur vous a-t-elle rappele le temps ou vous vintes a Paris faire sa connaissance ? Quand a moi je me le rappelle bien ce temps la, et le regrette de toutes les forces de mon ame. J'avais tous mes amis autour de moi, j'etais dans le premier enthousiasme de la science devenue pour moi indifferente ; je venais de faire mes etudes ; je ne faisais que de prendre sous mon bras le carton de 1'etudiant. Et voila que je retombe encore dans mes plaintes, c'est que c'est une de mes maladies que de regretter le passe. Mais n'allez pas croire que

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j'ai pris 1'air sombre et misanthrope, tout ce qu'il y a d'amer se passe au fond de mon cceur. Je reserve ma bonne mine a ce qu'il me reste d'amis25.

Figure 2.8. La lettre de Foucault ecrite en avril 1840 a un ami non identifie est seulement signee du paraphe dont il a habituellement orne sa signature jusqu'aux annees 1860.

La « chere cousine » Eulalie Grassot est decrite dans son acte de deces comme une libraire domiciliee place de 1'Odeon26. Elle travaillait peut-etre dans le cabinet de lecture de Madame Foucault, qui se trouvait a quelques pas, rue Voltaire. Le commentaire de Foucault a son sujet est difficile a interpreter. II en etait peut-etre amoureux ; mais si c'est le cas, la difference d'age etait considerable puisqu'elle etait de quatorze ans son ainee. En depit de son ton larmoyant, la lettre revele un jeune homrne fondamentalement sain, qui avait des interets tres varies. II est curieux que deux de ces interets, la musique et le jardinage, ne soient mentionnes dans aucun des eloges ecrits par ses amis apres sa mort. Le jardinage n'etait peut-etre qu'un passe-temps d'adolescent, mais ce n'etait pas une occupation superficielle, car il fit plus tard dans ses articles des remarques pertinentes et bien informees sur la botanique, 1'horticulture et 1'agriculture. En ce qui concerne la musique, la pratique d'un instrument etait alors presque universelle chez les gens aises et leurs enfants, a cette epoque ou le gramophone n'existait pas encore, et il ne faut sans doute pas s'etonner qu'elle n'ait pas ete evoquee dans ces eloges. Un piano Pleyel est inventorie apres le deces du pere de Leon, et Foucault lui-meme possedait un accordeon et deux violons a sa mort. L'un de ces violons etait attribue a Stradivarius et 1'autre a Tun de ses eleves27. Quoi qu'il en soit (et on sait combien de violons ont de fausses etiquettes de Stradivarius ou d'autres luthiers italiens), ces instruments sont un temoignage de 1'importance de la musique dans la vie de Foucault, qui parle dans un article des « beaux effets de 1'harmonie »28.

I/aspect physique et les gouts de Foucault Un commentateur de 1'epoque decrit Foucault comme « petit, chetif, malingre »29. D'apres ses papiers militaires de 1840, il mesurait 1 metre 65. II fut reforme en tant que fils unique d'une veuve. Dix ans plus tard, il fut aussi exempte d'une autre forme de service militaire dans la Garde nationale, qui etait a la Revolution une sorte de milice composee d'hommes suffisamment aises pour payer des impots. Cette fois, on a invoque sa mauvaise sante30. Son ouie etait excellente31, ainsi que sa vue32, malgre un leger strabisme que revele 1'examen attentif du frontispice. Notre commentateur poursuit: [... ] il marchait lentement, legerement, ramenant constamment a leur place ses cheveux chatains separes sur le milieu du front,

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toujours lisses et tres soignes. La tete etait originale et caracteristique, les traits accentues, mais le visage froid. II souriait rarement; quelquefois 1'ironie se dessinait vaguement sur ses levres. Cela ne 1'empechait pas d'avoir bon appetit. En plus du vin, il aimait les huitres, un « precieux mollusque »33, et avant tout le cafe. II adorait cette « denree coloniale », dont les qualites sapides et aromatiques (sont) capables de charmer nos sens. En outre d'une saveur exquise, le cafe possede des proprietes excitantes extremement remarquables ; il exalte les facultes cerebrales de la maniere la plus favorable. Que de bons mots, que de longues veilles, que de travaux soutenus, que d'efforts assidus decoulent en ligne directe de la tasse de cafe.34 II ne fumait probablement pas. Son inventaire ne mentionne ni pipes, ni boites de cigares, et quand il discute la composition du tabac dans un article, il n'en fait pas 1'eloge mais se contente de constater que « malgre les inconveniens qu'on lui reproche, il semble enracine pour longtemps dans nos moeurs »35.

Les amis « Je reserve ma bonne mine a ce qu'il me reste d'amis », ecrivait Foucault a son correspondant non identifie. Les relations sociales etaient importantes pour lui, et il prenait le temps de conserver ses amis et de jouir de leur compagnie. Son ami le plus fidele fut Jules Regnauld (figure 2.9). Us se sont probablement connus au cours de leurs etudes de medecine. A la difference de Foucault, Regnauld venait d'un milieu peu fortune, et cela s'est peut- etre repercute sur son caractere qui sera decrit plus tard comme « modeste et reserve ».36 Son pere possedait une petite pharmacie dans le Marais. Comme celui de Foucault, il venait juste de mourir. Regnauld aimait la physique. II devait etre intelligent et travailleur, car il fut admis a 1'internat. L'Ecole de medecine 1'employa alors pour ses connaissances en physique, et il devint plus tard Professeur de pharmacie37. Deux des amis de Foucault avaient vingt ans de plus que lui, et leur amitie prit un caractere paternel, peut-etre en remplacement du pere decede apres sa maladie mentale. L'un d'eux etait le Docteur Alfred Donne, une personne affable. Foucault a rencontre Donne lorsqu'il etait etudiant en medecine, comme on le verra plus en detail au chapitre 4. Apres la mort de Foucault, Donne commenta ainsi sa personalite et son comportement social: Foucault n'etait pas ce qu'on appelle aimable ; il n'avait ni la souplesse de caractere, ni les complaisances necessaires pour

Figure 2.9. Jules Regnauld (1820-1895) fut 1'ami le plus durable de Foucault. II est represente ici apres la mort de Foucault.

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etre un homme aimable dans le monde ; il soutenait ses opinions doucement, mais sans aucune concession, meme envers les dames, et quelquefois dans des questions qui ne touchaient pas a la science, mais des usages de societe auxquels il n'etait pas toujours egalement initie. Lorsque je 1'eus introduit dans 1'intimite de ma famille, on le trouva souvent desagreable, agagant, surtout parce qu'il ne se fachait pas, mais qu'il soutenait son dire du meme ton froid et calme. Ce calme etait une grande force dans certaines occasions, et je 1'ai vu, lui, d'une apparence faible et chetive, faire reculer les plus redoutables adversaires. S'il n'etait pas souple, sa fidelite en ami tie etait a toute epreuve. Combien de fois n'ai-je pas dit a des femmes exasperees de son sang-froid : « II n'est pas aimable, mais vous pouvez compter sur lui, et vous le trouverez toujours avec les memes sentimens d'attachement et d'amitie pour vous. » En effet, pendant trente ans, il n'a pas varie ; il a grandi sans jamais vous ecraser de sa gloire, sans cesser de temoigner sa reconnaissance des services rendus, de manifester son plaisir a revoir ses vieux amis, et sans avoir moins de complaisance a expliquer aux ignorans, et surtout aux ignorantes, les lois les plus abstraites de la physique, avec la lucidite qu'il savait mettre dans 1'expose des theories des phenomenes. Je le vois encore dans nos soirees a la campagne entreprendre de devoiler a une reunion toute mondaine les mysteres les plus profonds de la lumiere ou de 1'electricite; une feuille de papier, un crayon, des figures simples et bien tracees, aidant a comprendre sa parole sobre et correcte. Car il ne faisait pas plus de concession en fait d'exactitude qu'en fait d'opinion, et il restait rigoureusement exact, tout en faisant descendre de leur hauteur les verites scientifiques.38

Figure 2.10. L' Abbe Francois Moigno (1804-1884), un des amis et defenseurs de Foucault.

Un autre ami de Foucault, plus age et moins intime que Donne, etait 1'abbe Francois Moigno (figure 2.10). Comme Foucault, Moigno etait breton. II entra a la Compagnie de Jesus comme novice en 1822, a 1'age de 18 ans, tout en frequentant de nombreux scientifiques parisiens. Apres la Revolution de juillet 1830, qui etait clairement anticlericale, les Jesuites, dont Moigno, trouverent prudent de se refugier en Suisse. Quelques annees plus tard, il fut nomme professeur de mathematiques au college jesuite de la rue des Postes a Paris, et publia au cours des annees suivantes plusieurs traites de mathematiques, d'optique et de mecanique, qui etablirent sa reputation de savant. C'est alors qu'il entra en conflit avec son ordre. II finit par quitter les Jesuites en 1844, ce qui lui causa une blessure qui, dit-on, ne se refermera jamais. Separe des Jesuites, Moigno devint aumonier du Lycee Louis-le-Grand a Paris, et commenc,a une carriere de journaliste scientifique, fondant en 1852 un magazine nomme Cosmos. C'est a cette epoque, et peut-etre grace a cette activite journalistique, que Foucault rencontra Moigno et qu'ils devinrent amis. En 1854, ils se rendirent ensemble en Angleterre pour

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assister au congres de 1'Association britannique pour 1'avancement des sciences a Liverpool. Foucault ecrit a Regnauld a ce sujet: L'abbe est admirable... Je renonce a decrire les ressources de son intrepide nature, buvant, chantant, priant, contant la gaudriole, piquant avec joie un fou-rire explosif, recitant son breviaire entre deux cigares, exerc.ant entre 1'allemand et 1'anglais les fonctions d'interprete, improvisant a la tribune, relevant tous les toasts et portant haut 1'honneur national, il me parait une des harmonies de ce tohu-bohu, de cette petaudiere immense qu'on appelle 1'association britannique.39 Foucault avaitbeau ne rien entrevoir qui puisse briser sa melancolie, son enthousiasme pour les passe-temps scientifiques devait etre ravive par une decouverte passionnante : celle de la photographic.

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Cette page est laissée intentionnellement en blanc.

Chapitre 3 Les debuts de la photographic L'annee 1839 vit la mort du pere de Foucault et de sa cousine Eulalie. Mais elle connut par ailleurs un evenement qui enflamma le monde scientifique et artistique : 1'annonce publique du premier precede pratique de photographie1. Le mot de « photographie » est apparu en 1839, a la fois en France et en Angleterre. La photographie requiert une chambre noire et un materiau sensible a la lumiere. La chambre noire n'etait pas une nouveaute : la camera obscura, a 1'arriere de laquelle on forme une image grace a un petit trou perce dans la paroi anterieure, a ete decrite par des philosophes arabes des le XF siecle, puis par Leonard de Vinci (1452-1519). C'est la technique dite du stenope. Le physicien napolitain Giambattista della Porta (1535-1615) ameliora la finesse et la brillance de 1'image en remplagant le trou par une lentille convergente. Cependant, une lentille simple, composee d'une seule piece de verre, ne produit pas une image parfaite. On decouvrit plus tard, comme on va le voir, qu'il est possible de corriger ces imperfections (les aberrations) en utilisant une lentille composee de deux verres differents, dite doublet achromatique.

L'aberration chromatique et 1'objectif achromatique Isaac Newton (1642-1727) a decouvert que que la lumiere blanche est un melange de couleurs allant du rouge au violet. Cela nous permet de comprendre 1'aberration chromatique et de voir comment on peut la corriger. Le verre est dispersif : les differentes longueurs d'onde, qui definissent les couleurs, ne sont pas refractees autant les unes que les autres. C'est la raison pour laquelle un prisme decompose la lumiere blanche en ce spectre de couleurs constituantes qu'admirait Newton. Une lentille convergente simple agit comme un prisme et ne permet pas de focaliser en un seul point les rayons des differentes couleurs (figure 3.1). L'invention d'une methode permettant de corriger cette aberration chromatique est due a Chester Moor Hall (1703-1771), un avocat londonien, bien que le nom de 1'opticien John Dolland

Figure 3.1. Le verre refracte plus fortement la lumiere violette que la rouge. Ce phenomene est la dispersion, qui fait qu'une lentille simple ne focalise pas les differentes couleurs dans un meme plan. Le defaut correspondant est r'aberration chromatique.

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Figure 3.2. Principe du doublet achromatique invente au XVIIP siecle. Une lentille convergente epaisse est combinee avec une lentille divergente plus mince pour produire un ensemble (doublet) convergent. La lentille divergente est faite d'un verre plus dispersif (flint) que celui de la lentille convergente (crown). Les dispersions des deux lentilles se compensent, et les rayons des differentes couleurs convergent en un meme foyer. (1706-1761) soit souvent associe a cette decouverte (Dolland a decouvert simultanement le moyen de corriger 1'aberration de sphericite, dont on parlera plus tard dans ce chapitre). La figure 3.2 explique comment on peut corriger 1'aberration chromatique d'un objectif photographique (ou d'un objectif astronomique) en utilisant deux verres differents. Le verre de la lentille convergente est toujours le crown, qui est du verre a vitre compose de sable, de potasse, de soude et de craie2. Le verre de la lentille divergente est le flint, qui est tres dense et contient une forte proportion d'oxyde de plomb. Si les lentilles sont suffisamment petites, on peut les coller ensemble avec du baume du Canada, la resine soluble a 1'eau du sapin baumier canadien3. Au debut du XIXe siecle, le physicien anglais William Wollaston (1766-1828) inventa un doublet pour chambre noire qui donnait de bonnes images planes de grandes dimensions. On pouvait done obtenir des images lumineuses et de bonne qualite. En 1839, la technologic de la chambre photographique etait done prete pour la photographic, et Ton pouvait acheter des chambres noires destinees aux peintres chez les opticiens (figure 3.3).

Figure 3.3. La camera obscura (chambre noire) sous une de ses nombreuses formes. En 1839, il ne manquait plus qu'un precede automatique pour preserver 1'image qu'elle produit.

Restait a decouvrir une substance sensible a la lumiere. On savait depuis longtemps que de nombreux composes changent de composition chimique sous 1'effet de la lumiere : le chimiste suedois J.J. Berzelius (1779-1848) en enumerait une centaine en 1808. De nombreuses experiences avaient ete realisees avec ces produits, dans 1'espoir d'obtenir des images permanentes : les plus interessants semblaient etre le chlorure et le nitrate d'argent, qui noircissent a la lumiere. Mais les temps d'exposition etaient extremement longs. II fallait aussi trouver une methode pour arreter la reaction afin que d'autres expositions a la lumiere, inevitables quand on regarde la photographic, ne la noircissent pas completement.

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Nicephore Niepce Le premier a avoir obtenu des images permanentes naturelles fut Joseph Nicephore Niepce (1765-1833), qui vivait pres de Chalon-surSaone en Bourgogne. Son idee initiale etait d'obtenir des plaques permettant 1'impression sur papier. II baptisa ce precede Yheliographie. Afin de ne pas s'embarrasser d'une chambre noire, Niepce essaya d'abord de copier des gravures. II les recouvrait d'huile pour les rendre translucides et done semblables a un negatif moderne. II les plac,ait ensuite en contact direct avec une plaque de metal ou de pierre recouverte de divers materiaux photosensibles, et exposait le tout au soleil. En 1822, il reussit a obtenir la copie heliographique d'une gravure en utilisant une plaque de verre recouverte de bitume de Judee, un produit naturel. Plus tard, il utilisa un support de metal poli. Apres 1'exposition, il plongeait la plaque dans le petrole. Le bitume, expose au soleil pendant environ trois heures, etait devenu peu soluble ; le reste, non expose, etait dissous. La structure de 1'image etait assez semblable a celle du daguerreotype, que nous examinerons plus loin. Les blancs etaient produits par les restes du bitume, de couleur gris clair, et les noirs par le metal poli, a condition qu'on tienne la plaque de telle fac,on que la lumiere reflechie par ce miroir soit dirigee hors de la vue. L'image etait done positive, les regions exposees etant claires et les regions non exposees sombres. Plus tard, Niepce appliqua de 1'acide sur la plaque pour la graver et en permettre la reproduction. Enfin, il s'equipa d'une chambre noire et realisa, probablement en 1826, ce qui peut etre considere comme la premiere photographic encore conservee : 1'image d'une cour, realisee avec du bitume depose sur de 1'etain. Cette plaque fut redecouverte en 1952 apres des peripeties dignes d'un roman policier4. Le resultat n'est que partiellement satisfaisant: les ombres s'etaient deplacees pendant la pose de huit heures (sous un soleil brillant), ce qui a brouille la perspective.

L.J.M. Daguerre En 1826, Niepce rec,ut une lettre de Louis Jacques Mande Daguerre (figure 3.4). Daguerre venait d'un milieu modeste et fut 1'apprenti d'un architecte, puis du decorateur en chef de 1'Opera. II travailla comme decorateur de theatre et peintre de decors pour les panoramas, tres populaires a 1'epoque. Daguerre utilisait certainement une chambre noire pour ses peintures, et decida lui aussi de fixer les images que cette chambre pouvait donner. II se rendit chez le meilleur fournisseur de chambres noires de Paris, et c'est la qu'il entendit parler de Niepce. II s'agissait de

Figure 3.4. L.J.M. Daguerre (1789-1851), peintre et inventeur du premier precede pratique de photographic.

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Figure 3.5. Le fabricant d'instruments de musique et physicien anglais Charles Wheatstone (1802-1875, a gauche), avec 1'opticien et fabricant d'instruments de precision Charles Chevalier (1804-1859).

la maison Chevalier, creee en 1765. Dans les annees 1820, la firme appartenait a J.-L. Vincent Chevalier (1770-1841), fils du fondateur, mais c'est son petit fils, Charles Louis Chevalier (figure 3.5) qui etait vraiment doue pour 1'optique5. Niepce ne repondit pas tout de suite aux avances de Daguerre. Mais il finit par le rencontrer en 1827 et fut frappe par sa personnalite joviale et assuree. Pensant que Daguerre possedait une chambre noire rapide, il lui proposa un partenariat en 1829, aux termes duquel ils convenaient de partager toutes les decouvertes et aussi tous les profits. Ils continuerent a faire des experiences avec le bitume, mais aussi avec des plaques de metal argente exposees aux vapeurs d'iode, la substance photosensible etant alors 1'iodure d'argent. Niepce mourut en 1833, et Daguerre continua seul, se concentrant sur 1'iodure d'argent. II se trouvait toujours face a deux problemes : les temps d'exposition etaient tres longs, et il fallait trouver le moyen de rendre la plaque insensible a la lumiere apres 1'exposition. II obtint par hasard la solution du premier probleme au printemps de 1835. Pendant la nuit, il avait laisse des plaques peu exposees dans une armoire, et les avait retrouvees le matin suivant avec des images bien visibles. Apres differents essais, il se rendit compte que 1'armoire contenait du mercure. II avait done decouvert qu'une image latente, obtenue apres seulement une demi-heure d'exposition, pouvait etre revelee (on dirait aujourd'hui developpee) par la vapeur de mercure. En automne, la decouverte fut rapportee dans le Journal des Artistes, un hebdomadaire de critique et de technique artistiques. On y disait aussi qu'« une preparation » pouvait etre utilisee pour preserver

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1'image6. II fallut encore deux ans a Daguerre pour parvenir a fixer 1'image de fac.on satisfaisante : un lavage dans une solution fortement salee etait suffisant pour enlever 1'iodure d'argent residuel. Arago comprit d'emblee le potentiel immense de la decouverte de Daguerre. En tant que secretaire perpetuel de 1'Academic et homme politique, il avait les moyens de la promouvoir. Lors de la seance du 7 Janvier 1839 il exposa a 1'Academic des Sciences, ce qu'on pouvait tirer de ce precede, qu'il ne put cependant decrire faute de le connaitre, et tenta de couper court a des erreurs de conception assez repandues, provenant de rumeurs et du secret qui entourait de fac.on bien comprehensible 1'invention de Daguerre7. Le precede de Daguerre pouvait enregistrer des details extraordinairement fins comme « des tiges de paratonnerres tres eloignees »8. Le temps d'exposition dependait de 1'heure et de la saison : « en ete et en plein midi, huit a dix minutes suffisent ». Arago nota combien la photographic serait utile pour reproduire les monuments architecturaux du royaume, mais il en predit aussi 1'utilisation en physique et en astronomic. A la demande d'Arago, Daguerre avait deja photographic la Lune. L'objectif etait malheureusement « mediocre » et on ne voyait qu'« une empreinte blanche evidente ». Le resultat etait cependant meilleur que ce qu'Arago, Laplace et un troisieme physicien, E.L. Malus (1775-1812) avaient obtenu plusieurs decennies auparavant en utilisant un ecran enduit de chlorure d'argent. Un mois plus tard, Arago ajouta qu'il n'avait aucun doute sur le fait qu'on pourrait obtenir « une image exactement nuancee » de la Lune, a condition d'attacher la lunette utilisee pour la photographic a « une machine parallatique » entrainee par une horloge (un dispositif permettant au telescope de suivre la Lune).

La sphere celeste et I'entrainement des lunettes et des telescopes Pour mieux comprendre ce qu'Arago voulait dire, rappelons ce qu'est le mouvement diurne du ciel. II est commode de se representer le ciel comme une sphere imaginaire, sur laquelle sont places les astres (figure 3.6). Un observateur terrestre voit la sphere celeste depuis son centre O. Le ciel visible correspond a la moitie de la sphere qui se trouve audessus de 1'horizon a 1'instant considere. L'autre moitie est cachee sous 1'horizon. Etant lice aux etoiles, la sphere celeste est fixe dans 1'espace. Cependant, pour un observateur terrestre, c'est la Terre, 1'horizon et les points cardinaux qui paraissent fixes, et c'est le ciel qui parait tourner autour d'un axe joignant les poles geographiques de la Terre. Get axe est indique en traits tiretes sur la figure 3.6. Les

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Figure 3.6. La sphere celeste, dessinee pour la latitude de Paris. Les constellations et les differents astres sont supposes se trouver sur la surface de cette sphere imaginaire, dont le rayon est infiniment grand. Un observateur terrestre voit la sphere depuis son centre, O. La sphere celeste est immobile, mais pour 1'observateur O elle parait tourner de Test vers 1'ouest autour des poles, puisque la Terre tourne de 1'ouest vers Test par rapport aux etoiles dans son mouvement diurne. Les fleches en grise representent ce mouvement apparent. La rotation s'effectue en un jour sideral de 23h 56m.

poles celestes nord et sud sont les intersections de cet axe avec la sphere celeste. La hauteur du pole visible au-dessus de 1'horizon est la latitude. Pour un observateur situe au pole nord geographique, le pole nord celeste est directement au-dessus, au zenith. Pour un observateur a 1'equateur terrestre, les deux poles celestes sont a 1'horizon, respectivement au nord et au sud. Aux latitudes intermediaries, la hauteur du pole celeste est aussi intermediate, comme le montre la figure 3.6, dessinee pour Paris. On voit sur cette figure que certaines etoiles sont toujours au-dessus de 1'horizon, par exemple celles de la Grande Ourse. D'autres etoiles ne sont jamais visibles, comme celles de la Croix du Sud. Entre ces extremes, la plupart des etoiles se levent a Test et se couchent a 1'ouest, par exemple les etoiles d'Orion. Le Soleil fait de meme. Puisque la sphere celeste est supposee avoir un rayon extremement grand, seuls les angles doivent etre considered, et les mouvements sont decrits en termes de vitesse angulaire, par exemple en degres par heure. Mais la vitesse angulaire differe selon qu'on la rapporte a 1'axe des poles ou par rapport au centre de la sphere celeste. La vitesse angulaire des etoiles par rapport a 1'axe des poles est constante et vaut 360° par jour. Mais ce n'est plus vrai si on la rapporte au point central O. Les poles celestes sont immobiles. L'etoile polaire, qui se trouve a moins de 1° du pole nord celeste, bouge tres peu. Le mouvement angulaire augmente quand on s'eloigne des poles et atteint un maximum a 1'equateur celeste, qui est la

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projection de 1'equateur terrestre sur le ciel. Les fleches en grise de la figure 3.6 montrent comment le mouvement angulaire des etoiles varie en grandeur et en direction suivant sa position sur la sphere celeste. Maintenant, nous voyons mieux ce qu'Arago voulait dire. En toute premiere approximation, la Lune peut etre considered comme fixe sur la sphere celeste. Pour obtenir une image stationnaire sur la plaque daguerreotype, il faut que le telescope auquel est attachee la chambre noire suive la Lune, done la sphere celeste, dans son mouvement apparent. La figure 3.7 en montre la realisation: il suffit de faire tourner le telescope autour de 1'axe des poles avec une vitesse angulaire de 360° par jour sideral. Les montures de telescopes basees sur ce principe, souvent designees autrefois sous le nom de montures parallatiques, sont appelees aujourd'hui montures equatoriales.

La diffusion de la photographic Arago realisa que si 1'invention de Daguerre etait commercialisee sous brevet, 1'usage en serait limite et les progres entraves. « II semble done indispensable que le Gouvernement dedommage directement M. Daguerre », conclua-t-il, « et que la France, ensuite, dote noblement le monde entier d'une decouverte qui peut tant contribuer aux progres des arts et des sciences ». C'est ce qui fut fait. Huit mois plus tard, Louis-Philippe accorda une pension annuelle de 6 000 francs a Daguerre et de 4 000 francs aux heritiers de Niepce. Tous les details du precede furent finalement divulgues lors d'une seance conjointe de 1'Academie des Sciences et de 1'Academie des Beaux-Arts, le 19 aout. L'interet du public etait si grand que la file d'attente pour obtenir une place commenc.a trois heures avant la seance et que Ton dut refuser du monde9. Daguerre etait present,

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Figure 3.7. La monture equatoriale d'un telescope lui permet de suivre le mouvement apparent d'une etoile avec un seul mouvement, une rotation autour de 1'axe des poles. Ici, le telescope suit 1'etoile Betelgeuse (notee B), dans la constellation d'Orion.

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Figure 3.8. Arago annongant le precede de Daguerre lors d'une seance conjointe de 1'Academie des sciences et de 1'Academie des beaux-arts, le 19 aout 1839.

mais avait un violent mal de gorge. II etait si nerveux que c'est Arago qui parla (figure 3.8)8. Void en resume, en quoi consistait le precede de Daguerre : il s'agissait de minces plaques de cuivre recouvertes d'une couche d'argent de 25 a 50 micrometres d'epaisseur10. Pour obtenir de beaux noirs, il etait important de bien polir 1'argent, qui etait alors nettoye avec de 1'acide nitrique dilue, puis expose a la vapeur d'iode en lumiere attenuee. On continuait 1'ioduration jusqu'a obtention d'une couche d'iodure d'argent de couleur jaune d'or. Apres 1'exposition dans la chambre noire, la plaque etait developpee dans la vapeur de mercure a 60-80 °C. L'iodure d'argent en exces etait dissous non plus dans une saumure, mais dans une solution de thiosulfate de sodium, selon la recommandation recente de 1'astronome anglais Sir John Herschel (1792-1871). La plaque etait finalement lavee et sechee. Les mois suivants, de nombreuses personnes s'activerent a reproduire le precede, qui necessitait beaucoup de proprete et de soin. Daguerre en profita pour commercialiser le materiel necessaire, en association avec Alphonse Giroux, un revendeur d'instruments. Les lentilles pour les chambres noires etaient fabriquees par Chevalier. On apprit meme aux etudiants de 1'Ecole polytechnique a realiser des daguerreotypes11. Chacun s'extasiait sur la precision des details et la beaute de ces photographies. Bien sur, on se posa la question de la nature de 1'image du daguerreotype. En fait, le 19 aout, Arago avait annonce que 1'inspection au

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microscope montrait que les gris correspondaient a des regions couvertes uniformement de petits globules d'amalgame argent-mercure, d'environ 1,2 micrometre de diametre. II y en avait d'autant plus que les regions etaient plus claires, et pas du tout dans les regions noires (figure 3.9). L'image etait done assez semblable a 1'image au bitume de Niepce : la reflexion speculaire sur 1'argent nu poli donnait les noirs, tandis que les teintes claires provenaient de la diffusion de la lumiere par les globules. Des techniques modernes ont confirme ces observations12. La petite taille des globules explique la finesse des images. Ces images sont generalement renversees puisque la photographic est vue par reflexion, et non par transmission comme les negatifs modernes. On plagait quelquefois un prisme devant 1'objectif pour redresser 1'image, mais le temps d'exposition etait plus long car ce prisme absorbait de la lumiere.

I/Academic des sciences A ce point, il nous parait utile de donner quelques details sur T Academic des sciences et ses seances a Tepoque de Foucault (les changements ulterieurs ont ete assez minimes). L'Academic etait divisee en onze sections, correspondant chacune a une discipline differente (tableau 3.1). Chaque section comprenait six academiciens, et une douzieme section, dite « libre » comprenait dix membres. Les academiciens etaient tenus de resider a Paris, mais les sections etaient completees par des correspondants habitant hors de la capitale. Huit scientifiques etrangers au maximum pouvaient etre nommes membres associes. La nomination etait a vie, et les candidats devaient done attendre patiemment qu'un deces libere un siege. L'Academic se reunissait en seance publique chaque lundi apresmidi a 15 heures, dans la grande salle des seances de 1'Institut. La figure 3.10 montre la disposition de cette salle, de meme que la gravure montrant Arago en train de presenter le daguerreotype (figure 3.8)13. Chaque annee, TAcademie elisait un nouveau vice-president, tandis que le vice-president precedent devenait president. Mais, comme nous 1'avons dit, le pouvoir reel etait detenu par les secretaires perpetuels, qui etablissaient 1'ordre du jour. Us restaient en poste de leur election a leur deces ou a leur demission. Les communications a 1'Academic pouvaient prendre diverses formes. Une communication pouvait etre lue integralement par son auteur, ou bien on n'en presentait qu'un resume. Quand 1'auteur etait jeune ou peu connu, la communication etait presentee par un academicien. Celles provenant d'auteurs non membres de 1'Academie etaient evaluees par une commission ad hoc de deux ou trois

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Figure 3.9. Les gris et les blancs du daguerreotype correspondent a differentes densites de tres petits globules d'amalgame mercure-argent, de taille sensiblement uniforme. Lorsque la plaque est vue sous Tangle correct, les petits globules diffusent la lumiere vers 1'observateur, mais les regions depourvues de globules, qui correspondent a un miroir d'argent pur, ne la diffusent pas et paraissent noires. On trouve dans les regions sombres quelques gros amas irreguliers, qui n'ont guere d'effet sur 1'image. Si Tangle de vue est incorrect, Timage peut s'inverser, apparaissant en negatif.

Tableau 3.1. Les sections de TAcademie. La plupart comprenaient 6 membres a part entiere et un certain nombre de correspondants. Geometrie Mecanique Astronomie Physique Geographie et Navigation Chimie Mineralogie Botanique Economie rurale Anatomie et Zoologie Medecine et Chirurgie Academiciens libres

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Figure 3.10. La salle des seances de 1'Academie au XIXe siecle. Chaque academicien avait sa place designee. Le president, le vice-president et les deux secretaires perpetuels siegeaient sur 1'estrade des officiels.

membres. Quelquefois, cette commission pouvait presenter un rapport sur la communication dans une seance ulterieure, mais cela etait reserve aux communications qui paraissaient particulierement nouvelles ou importantes. On pouvait aussi faire connaitre une decouverte en ecrivant a 1'Academie : chaque semaine, les secretaires perpetuels commenc.aient la seance par la lecture des resumes de cette correspondance. L'Academie pouvait accepter le depot de paquets, ou plis cachetes. Les auteurs y exposaient des decouvertes ou des idees pas encore assez developpees pour etre presentees a 1'Academie. Si plus tard quelqu'un presentait un travail similaire acheve, 1'auteur du pli cachete pouvait demander qu'il soit ouvert et recevoir sa part de gloire pour avoir eu 1'idee le premier. Cependant, meme a 1'epoque, certains trouvaient cette pratique pernicieuse. Les elections avaient lieu lors des seances publiques. A la fin d'une seance publique, 1'Academie se reunissait quelquefois en Comite secret, pour debattre du merite des candidats ou pour traiter de sujets administratifs confidentiels. La seance se terminait habituellement a 17 heures. Les secretaires perpetuels en preparaient un compte-rendu, qui contenait la plupart des manuscrits presentes a la seance. Ce compte-rendu etait public quelques jours apres dans les Comptes rendus hebdomadaires de VAcademic des Sciences (figure 1.8)14.

Hippolyte Fizeau

Figure 3.11. Hippolyte Fizeau (1819-1896) jeune.

La premiere amelioration notable du daguerreotype est due a un etudiant en medecine age de vingt ans, Hippolyte Fizeau (figure 3.11). Fizeau etait, en quelque sorte, le double de Foucault. Ne a Paris, cinq jours seulement apres Foucault, il venait lui aussi d'un milieu aise : son pere etait medecin a Suresnes15. II avait egalement etudie au College Stanislas, avant de devenir etudiant en medecine. Tous deux occupaient leurs loisirs a faire des experiences scientifiques, et devaient abandonner la medecine pour la physique.

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Fizeau avait decouvert que 1'image du daguerreotype est consolidee et amelioree par une dorure chimique realisee avec un melange de chlorure d'or et de thiosulfate de sodium. Le resultat de cette reaction est de remplacer les atomes de mercure dans les globules par des atomes d'or. Arago fit allusion pour la premiere fois a ce precede devant 1'Academic au printemps de 1840, a peine six mois apres avoir revele les secrets de Daguerre16, puis le presenta officiellement le 10 aout 184017. Plus tard, Fizeau imagina d'exposer pendant quelques instants la plaque iodee aux vapeurs provenant d'une solution tres diluee de brome18. L'iodure d'argent etait alors remplace par du bromure d'argent, bien plus sensible a la lumiere, et le temps d'exposition etait reduit a une vingtaine de secondes en pleine lumiere, ce qui permit de realiser des portraits de personnes vivantes. II remarqua enfin qu'on pourrait aussi reduire le temps de pose en augmentant le rapport d'ouverture des chambres photographiques au-dela de celui (f/15) des chambres commercialisees par Daguerre et Giroux19.

La bromuration A cette epoque, Foucault faisait de son cote des experiences sur le daguerreotype. Le materiel et les produits chimiques necessaires etaient chers, sans etre hors de portee d'une famille aisee. D'apres les quelques daguerreotypes et papiers de Foucault qui nous sont parvenus, nous pouvons conclure qu'il s'agissait essentiellement d'une activite de week-end. La photographic etait certainement une agreable diversion a la medecine, diversion a la fois moderne, excitante et prenante. Bien entendu, Foucault essaya les diverses methodes existantes pour diminuer le temps de pose des photographies. II avait probablement connu Fizeau au College Stanislas ou a 1'Ecole de medecine. II prit contact avec lui pour avoir des details sur sa methode de bromuration des plaques. II fallait realiser une solution saturee de brome dans 1'eau, qui etait de couleur rouge, puis la diluer dans de 1'eau de riviere filtree jusqu'a ce qu'elle ait la meme teinte que de 1'eau de vie. On versait une partie de cette solution dans une soucoupe couverte, placee dans une boite speciale. Quand on voulait sensibiliser la plaque, on decouvrait la soucoupe et on abaissait la plaque sur des supports de fagon a ce qu'elle se trouve a environ 150 millimetres au-dessus du liquide. La bromuration durait entre 20 secondes et une minute. Une nouvelle solution etait employee pour chaque plaque. « On congoit combien cette idee de renouveler la dissolution pour chaque epreuve est heureuse et importante ; c'est la un grand point sans lequel on n'aurait jamais pu arriver a

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1'exactitude », ecrivit plus tard Foucault. « Cependant, tout ceci ne suffit pas, les plaques ainsi preparees au brome sont encore loin de presenter 1'identite des plaques seulement iodees. »20 En consequence, les photographes ne pouvaient pas avoir confiance dans la reussite d'une premiere plaque pour determiner le temps d'exposition des suivantes. Foucault avait identifie quelques deficiences dans la procedure de bromuration de Fizeau et s'employa avec succes a y remedier. II fut plus rigoureux dans la preparation de la solution de brome, et il diminua la distance entre la plaque et la solution, en maintenant rigoureusement paralleles la plaque et la surface du liquide grace a des vis de reglage. II entreposait jusqu'au dernier moment la plaque dans la boite represented figure 3.12, ou il introduisait la solution par 1'entonnoir visible derriere la boite, puis laissait 1'obturateur en verre situe devant la plaque quelques temps en place, afin que les vapeurs de brome se melangent uniformement avec 1'air. Comme precedemment Daguerre et Niepce, Foucault achetait ses produits chez Chevalier. II decrivit son precede de bromuration dans une brochure de dix pages qui fut aussitot publiee dans le guide pratique de Chevalier intitule Nouvelles instructions sur I'usage du daguerreotype21. La note se terminait par un compliment envers Fizeau : Mais, je dois le redire en terminant, c'est a M. Fizeau qu'appartient 1'idee importante, 1'idee capitale, celle de renouveler la dissolution pour chaque epreuve.

Paysages et portraits

Figure 3.12. L'appareil de Foucault pour l'application uniforme de la vapeur de brome. La boite etait petite — seulement 30 millimetres de profondeur environ — et etait probablement utilisee avec des plaques dont les dimensions n'etaient que le quart de celles des premieres plaques de Daguerre.

Chevalier, dans ses Nouvelles instructions, rapporte que Foucault avait, en septembre 1841, utilise un objectif ameliore et un prisme redresseur, afin d'obtenir des vues non inversees de monuments avec des temps de pose de 15 a 20 secondes seulement. II les jugeait « sans contredit, d'une execution superieure a tout ce qu'on a fait jusqu'a ce jour ». Malheureusement il n'en subsiste aucune22. Nous ne connaissons que deux des premiers daguerreotypes de Foucault, qui datent de 1'ete suivant. La figure 3.13 reproduit le plus ancien. Le bord noir autour de 1'image est mentionne par Chevalier : M. Foucault menage le bruni des bords de la plaque afin de lui former un cadre naturel; 1'aspect de ces tableaux, encadres sur un fond blanc, est d'un effet tres agreable. L'autre daguerreotype de 1842 qui nous est parvenu est un portrait, ce qui confirme que les temps de pose utilises par Foucault devaient etre assez courts (figure 3.14).

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Figure 3.13. L'eglise et le monastere des Carmelites de la rue de Vaugirard. C'est le plus ancien daguerreotype subsistant de Foucault, pris le 29 mai 1842. La vue fut probablement prise a partir d'une fenetre mansardee de sa maison au 5 rue d'Assas. Cette image positive est inversee, et done prise sans prisme redresseur devant 1'objectif de la chambre.

I/aberration de sphericite La figure 3.14 est le seul portrait connu realise par Foucault, mais une note trouvee dans ses papiers apres sa mort indique qu'il en a pris beaucoup d'autres. Dans cette note, il indique comment utiliser un defaut de 1'image denomme aberration de sphericite « pour produire des effets imitant les productions d'art »23. Uaberration de sphericite est un defaut qui se produit lorsque les surfaces des lentilles (ou du miroir) utilisees comme objectifs photographiques sont spheriques. Alors, la focalisation ne se fait pas en un seul point, mais dans un volume (figure 3.15). Comme 1'aberration chromatique dont nous avons parle precedemment (figure 3.1), 1'aberration de sphericite affecte la totalite de 1'image, y compris ses regions centrales. Elle differe en cela d'autres aberrations comme la courbure de champ, la coma et rastigmatisme, qui sont nulles au centre de 1'image mais augmentent rapidement quand on s'en eloigne. II se peut que les coins de la figure 3.14 aient ete occultes pour cacher ces aberrations hors d'axe. Cependant, il est possible de corriger un doublet a la fois de 1'aberration chromatique et de 1'aberration de sphericite, mais cette derniere correction est une complication supplementaire. La plupart des lentilles achromatiques pour les daguerreotypes n'etaient pas corrigees de 1'aberration de sphericite. La figure 3.16 montre que cette aberration est surtout due aux regions proches des bords de la lentille ; mais ce sont aussi les regions qui collectent le plus de lumiere, ce qui renforce 1'effet de 1'aberration. Les photographes

Figure 3.14. Ce portrait a ete realise par Foucault le 2 juillet 1842. La decoration sur le revers gauche de la veste, qui est 1'endroit ou on les porte toujours en France, montre que Foucault a utilise un prisme redresseur. II se peut que le sujet soit le tuteur de Foucault, LJ.N. Monmerque.

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Figure 3.15. L'aberration de sphericite produite par une lentille. Les rayons qui traversent la lentille pres de son centre se rencontrent a un endroit different de ceux qui passent loin du centre. Les fleches verticales indiquent les points d'intersection de ces rayons : leur separation montre que cette lentille n'a pas un bon foyer.

Figure 3.16. L'aberration de sphericite est produite principalement par les regions externes d'une lentille. Cette figure est semblable a la figure 3.15, sauf qu'on y a trace trois paires de rayons d'espacements egaux. Le point d'intersection (fleches verticales) est bien plus decale pour les rayons les plus exterieurs.

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etaient partages entre deux desirs contradictoires : celui d'avoir une petite ouverture pour obtenir de bonnes images, et celui d'avoir une grande ouverture pour diminuer le temps de pose. Foucault, comme de nombreux photographies, ne voulait pas toujours que les images fussent tres nettes24. II deplorait « la secheresse des contours et les rugosites de la peau » dans un portrait trop au point (les defauts de la peau sont d'ailleurs accentues par la lumiere bleue, a laquelle la plaque etait la plus sensible). II recommandait done de placer un diaphragme circulaire pres de 1'objectif, afin de reduire le diametre du faisceau jusqu'a ce que 1'image soit tres nette, puis de decouper ce diaphragme en etoile afin d'ajouter une quantite controlee d'aberration de sphericite (figure 3.17). On pouvait faire des decoupes plus profondes afin d'etaler chaque element de 1'image sur une plus grande surface, ou les faire plus larges de fac.on a augmenter la brillance du halo d'aberration autour de chaque point. Remarquons que ce precede est different de celui utilise quelquefois par les photographies actuels. Ceux-ci placent un diaphragme circulaire ou ovale a bord dentele a une plus grande distance de 1'objectif que Foucault, de fac.on a obtenir un portrait circulaire ou ovale degrade sur les bords. II n'y a aucune reduction de faille ou degradation sur les bords avec le precede de Foucault, qui n'affecte que la nettete et les contrastes sur toute 1'image. Foucault a aussi fait des experiences avec un disque dentele rotatif, obtenant « des effets d'estompe vraiment remarquables »25. Non sans fierte, Foucault grava au burin son nom et la date sur le bord de ses daguerreotypes de 1842. Deux ans se sont ecoules jusqu'a la photographic suivante qui nous est parvenue, et, de fac.on plus significative, jusqu'a sa publication suivante. On peut supposer que Foucault a ete entre temps absorbe par ses etudes medicales. Mais nous verrons que, pendant la deuxieme moitie de 1843 et en 1844, il s'est a nouveau occupe de science, en collaborant simultanement avec trois personnes : Hippolyte Fizeau que nous avons deja rencontre, Alfred Donne dont nous reparlerons en detail dans les deux chapitres suivants, et Henry Belfield-Lefevre.

Figure 3.17. Foucault placait un diaphragme en etoile pres de 1'objectif de facon a introduire des quantites controlees d'aberration de sphericite dans ses portraits daguerreotypes, afin d'estomper les lignes et de masquer les defauts de la peau.

Chapitre 4 Le « delicieux passe-temps » applique a la science

Foucault ecrivit en 1848 que la photographic etait rapidement devenue « le delicieux passe-temps d'une foule d'amateurs passionnes »1. II etait lui-meme plus qu'un amateur, et fit bien davantage que d'ameliorer la technique. Comme 1'avait espere et predit Arago, il appliqua l'invention de Daguerre a la recherche scientifique.

Henry Belfield-Lefevre, D.M.P. Apres plus de cent cinquante ans, on ne sait plus grand chose sur 1'un des premiers collaborateurs de Foucault, Henry Belfield-Lefevre. Son prenom, son nom, et le sigle qu'il y attachait ordinairement et qui signifie Docteur en Medecine de la Faculte de Paris, indiquent une ascendance anglaise. De fait, il traduisit en anglais un journal de medecine franc,ais dans les annees 18302. II obtint son doctorat en medecine a Paris en 1837, et etait done plus age que Foucault de quelques annees. II publia en 1835 un Precis d'anatomie comparee, et ecrivit des articles sur divers sujets, notamment sur la galvanoplastie qui va nous interesser maintenant. La decouverte de la galvanoplastie, qui utilise le depot d'un metal sur une electrode par electrolyse d'un de ses sels, agita le monde scientifique en 1839, annee de 1'apparition du daguerreotype, mais suscita moins d'interet. L'industriel et chercheur amateur Warren de la Rue (1815-1889) avait remarque en 1836 que la couche de metal deposee par electrolyse sur une electrode pouvait facilement s'en detacher et en donnait une empreinte fidele. Trois ans plus tard, Thomas Spencer a Liverpool et Moritz Hermann von Jacobi a Saint Petersbourg annoncerent independamment qu'on pouvait realiser par cette methode des fac-similes de medailles ou de pieces de monnaie : on y deposait d'abord une couche de metal qui, apres avoir ete decollee, servait d'electrode, done de moule, pour une deuxieme galvanoplastie.

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Figure 4.1. Une exposition croissante a la lumiere produit une reponse croissante sur une plaque daguerreotype bromuree normalement. Mais si la plaque est surexposee, la reponse peut diminuer en raison d'un effet appele solarisation (trait pointille). Si la plaque a ete trop exposee au brome, sa sensibilite diminue, c'est-a-dire qu'il faut un temps de pose plus grand pour obtenir la meme reponse. Mais la saturation arrive moins tot et la dynamique de la plaque devient plus grande en pratique.

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En 1842, Belfield-Lefevre suggera qu'on pourrait fabriquer des plaques pour daguerreotypes par galvanoplastie. On partait d'une electrode de cuivre poll sur laquelle on deposait par electrolyse d'abord une couche d'argent, puis une couche de cuivre. On detachait alors ces deux dernieres couches qui constituaient la plaque. II n'etait pas necessaire de polir cette plaque puisque la couche d'argent avait le meme poll que 1'electrode : c'etait un avantage substantiel. Belfield-Lefevre s'associa avec un nomme Colas et le fabricant parisien d'instruments Louis Joseph Deleuil (1794-1862) pour commercialiser ses plaques. On dit qu'elles etaient de bonne qualite et qu'elles se vendaient bien, mais elles etaient trop cheres, et la societe fit faillite3. Ce n'est que vers 1850 que les plaques fabriquees par galvanoplastie connurent un succes commercial4. Nous ne savons pas quand ni comment Foucault a rencontre Belfield-Lefevre. Toujours est-il qu'ils collaborerent. Quand BelfieldLefevre mourut prematurement dix ans plus tard, Moigno le decrivit comme un « ami et collaborates » de Foucault5. Leur premiere publication commune, qui date de 1843, concerne les plaques pour daguerreotypes et propose une methode pour les nettoyer et les polir6. Aujourd'hui, il ne nous est pas facile de nous faire une opinion sur cette methode, mais elle fut tres critiquee a 1'epoque, particulierement par Daguerre lui-meme7. Le nettoyage et le polissage des plaques pour daguerreotypes etaient des etapes importantes puisque, comme I'ecrivait Daguerre, « c'est du poli parfait de la plaque que depend, en grande partie, la beaute de 1'epreuve »8. Foucault, qui etait tres susceptible, n'a certainement pas apprecie ces critiques, meme s'il etait capable d'en juger le bien fonde. Quelques semaines plus tard, Belfield-Lefevre ecrivit une autre lettre a 1'Academic concernant les daguerreotypes9, et deposa un pli cachete sur la sensibilisation au brome10. Foucault ne cosigna ni 1'une ni 1'autre. En depit de ce contretemps, il continua a travailler avec Belfield-Lefevre. Trois ans plus tard, Foucault ecrivit une note ou les deux noms apparaissent, proposant d'etendre la bromuration de la plaque au-dela du stade de maximum de sensibilite ou elle est jaune d'or, jusqu'a ce qu'elle devienne bleu-violet fonce. Bien qu'une dose de brome approximativement triple ait diminue la sensibilite de la plaque, elle reduisait aussi le contraste, et on pouvait ainsi 1'utiliser pour photographier un sujet presentant une grande gamme de luminosites (figure 4.1)11. « Nous avons vu un petit tableau de ce genre fait par un temps de soleil », commentait 1'Abbe Moigno ; « On y voyait a la fois des nuages au ciel, des maisons blanches avec des ombres portees bien transparentes, et des arbres dont le feuillage se dessine par groupes, a peu pres comme un artiste les aurait indiques. »12 Moigno mentionne aussi une recette de Belfield-Lefevre et Foucault pour repolir les plaques pour daguerreotypes deja utilisees.

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Alfred Donne Bien que la Faculte de Medecine de Paris ait ete la plus grande et la meilleure de France, 1'enseignement y etait incomplet. Certes, il y avait davantage de travaux pratiques, et quand Foucault revetait le tablier bleu et la calotte noire pour une de ces dissections qui lui soulevaient le cceur, le cadavre etait probablement fourni par la Faculte, et non pas par quelque fossoyeur comme c'etait le cas auparavant. Mais le principe de base de la Faculte etait d'observer les symptomes et d'appliquer aveuglement la therapie en vogue. On apprenait tout par cceur, sans approfondir les causes14. II y avait done un marche — et deja une longue tradition — pour un enseignement complementaire delivre par des instructeurs prives, qui donnaient une presentation plus vivante des matieres officielles, et enseignaient des sujets ignores par la Faculte tels que 1'obstetrique, la pediatrie, et meme la philosophie. Ces enseignants traitaient egalement de chirnie et de physique experimentale, qu'ils appliquaient souvent eux-memes a la medecine. Certains de ces professeurs libres etaient completement independants de 1'Universite. D'autres avaient un poste dans d'autres facultes plus orientees vers les sciences physiques, ou dans un hopital15. Marie Francois Alfred Donne etait 1'un d'eux16. Alfred Donne est ne a Noyon. Son pere etait un riche marchand qui mourut alors que Donne etait adolescent (on pretendit plus tard que Donne etait le seul eleve qui venait en classe en voiture). Quand il eut vingt ans, sa famille s'installa a Paris. On 1'obligea a etudier le droit, qu'il detestait. II devint avocat en 1826. Ay ant ainsi obei au desir familial, il commenc,a d'autres etudes, en medecine cette fois. II y reussit si bien que, trois ans plus tard, il etait nomme Chef de clinique a la Charite, 1'un des hopitaux de Paris. C'est a ce moment qu'il commenc.a a ecrire pour le Journal des Debats, dont nous reparlerons au chapitre 7. La these de Donne porte sur 1'application de la microscopic a la medecine. C'etait hardi, car la majorite du corps medical etait hostile au microscope, ou le considerait au mieux comme sans interet. II y avait a cela des raisons a la fois theoriques et pratiques. On estimait generalement que la maladie etait due a des causes macroscopiques comme un desequilibre interne ou un environnement malsain, et le medecin ne devait s'aider d'aucun appareillage pour son diagnostic17. Un anatomiste du debut du siecle ecrivait : « [la microscopic] fait oublier 1'homme pour ne songer qu'aux cellules et elle se perd dans 1'abime des infiniment petits. » Goethe, qui se piquait de science, declarait de son cote : « le microscope egare le jugement ».

Figure 4.2. Curieusement, il semble qu'aucune photographic ni aucun portrait fiables de Donne (1801-1878) ne nous soit parvenu, malgre son role dans le developpement initial de la photographic13.

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Figure 4.3. Le lactoscope, invente par Donne pour mesurer le taux de matieres grasses du lait a partir de son opacite. Cette mesure etait importante, car le lait etait souvent falsifie par des substances telles que la fecule, la farine, le lait de chaux, la fressure de veau et meme la cervelle de chien ! « Ainsi il y a deja progres », remarquait un journaliste, « car si on vole 1'acheteur, au moins on ne detruit pas sa sante. »20

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L'opinion de Goethe n'etait pas sans fondement: le microscope etait alors un instrument complique et d'utilisation difficile. Les observations manquaient de contraste et leur interpretation etait delicate, les images etant peu nettes et entachees d'aberration chromatique. Cependant, vers 1820, on commenga a fixer et a colorer les preparations, et Charles Chevalier reussit a fabriquer des microscopes depourvus d'aberration chromatique, ce qui etait un exploit car il fallait realiser des doublets de quelques millimetres de diametre seulement18. La boutique de Chevalier s'appelait d'ailleurs Au MICROSCOPE ACHROMATIQUE. Bien que leur prix ait diminue, les microscopes etaient chers — plusieurs centaines de francs — mais ce n'etait pas un probleme pour le riche Donne. Sa these, soutenue en 1831, avait pour titre « Recherches physiologiques et chimicomicroscopiques sur les globules du sang, du pus, du mucus, et de ceux des humeurs de 1'ceil ». II devait suivre cette ligne tout le reste de sa carriere. Les fluides corporels qu'il examina plus tard au microscope comprenaient 1'urine, la salive, la sueur, le sperme et les secretions vaginales. C'est dans ces dernieres qu'il decouvrit le trichomonas vaginalis, le second parasite humain unicellulaire connu (le premier, giardia intestinalis, avait ete decouvert 160 ans plus tot par van Leeuwenhoek, 1'inventeur du microscope). Donne decrivit aussi 1'exces de globules blancs dans le sang connu aujourd'hui sous le nom de leucemie*. Cependant, c'est au lait, qu'il soit de femme, de vache ou d'anesse, que Donne a porte le plus d'attention (figure 4.3). En 1837, un comite preside par le Doyen de 1'Ecole de medecine avait fait un rapport favorable sur le travail de Donne : Ainsi les etudes microscopiques ne peuvent plus etre considerees comme un objet de pure curiosite ; elles sont appelees a rendre de grands services a la medecine et a eclairer beaucoup de points jusque la obscurs.

Figure 4.4. Le microscope solaire etait place dans un trou decoupe dans un des volets d'une salle obscure. Le miroir reflechissait le soleil dans le microscope. L'image agrandie etait projetee sur un ecran visible de tous.

A la suite de ce rapport, Donne fut nomme professeur particulier de microscopie, et autorise a delivrer un cours libre de microscopie medicale sous 1'egide de 1'Ecole de medecine. L'auditoire atteignait apres quelques annees plus d'une centaine d'etudiants, et il n'etait plus question qu'ils puissent examiner individuellement les preparations microscopiques. Donne voulut done montrer ces preparations a tout 1'amphitheatre grace a une projection. II fit quelques essais avec un microscope solaire presente pour la premiere fois a Londres par un medecin allemand, le Dr Johann Lieberkiihn (figure 4.4). Cet instrument projetait une image agrandie sur un ecran, mais necessitait une source de lumiere si intense qu'elle ne pouvait venir que du * Cette decouverte est generalement attribuee a tort a J.H. Bennett, un medecin ecossais qui avait etudie la microscopie avec Donne19.

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soleil. Mais on ne pouvait pas utiliser le microscope solaire puisque Donne donnait ses cours le soir, et le ciel, souvent couvert, de Paris n'en permettait pas 1'usage regulier. Comme tous les enseignants, Donne avait remarque que les etudiants se dissipent si les experiences de cours ne fonctionnent pas bien. II persuada le Doyen de lui laisser installer un microscope solaire modifie, dont la source de lumiere serait un morceau de craie porte a incandescence par un chalumeau a hydrogene et oxygene21. Cette technique avait ete inventee dans les annees 1820 par Thomas Drummond (1797-1840) pour fournir une lumiere brillante utilisee pour etablir la topographic de ITrlande, dont Drummond devait devenir plus tard un des rares administrateurs eclaires. La lumiere de Drummond, ou limelight (lumiere de chaux), est vive et blanche, et Sir John Herschel rapportait qu'« un cri de triomphe et d'admiration de tous les assistants » accompagna sa premiere demonstration sur la Tour de Londres. Cependant, elle etait encore insuffisante pour la projection des echantillons microscopiques faiblement contrastes. Foucault suivait le cours de Donne, dont les aspects scientifiques devaient lui plaire. Apres la mort de Foucault, Donne se souvint ainsi de leur premiere rencontre : II y a trente ans, un jeune homme a 1'ceil terne, mais profond, suivait les cours de Microscopic que j'etais charge de faire a 1'hopital des cliniques de la Faculte de medecine de Paris. Apres la le^on, je voyais ce jeune homme s'approcher de ma table, manier mes instruments, les demonter, les examiner piece a piece, et puis quelquefois, s'adressant a moi d'un ton froid et calme : « Monsieur, vous nous avez dit que telle chose se passait ainsi; je crois que ce n'est pas exact et qu'elle se produit de telle autre maniere. » J'etais tente de trouver la remarque impertinente ; mais, en reflechissant, comme elle paraissait juste, je la prenais en consideration. « Vous vous occupez done d'observations microscopiques, lui repondis-je un jour ? — Mais oui. — Eh bien ! venez me voir, nous causerons. » Ce jeune homme etait Foucault : il avait alors dix-neuf ans. « Aimeriez-vous, lui dis-je, a etudier de pres les objets de mon enseignement, a disposer de mes instruments (la collection etait tres complete) ? Voudriez-vous m'aider a preparer les experiences dedicates de mon cours ? — Tres volontiers. » Voila comment j'ai connu Foucault, comment j'ai eu le plus habile des preparateurs, comment nous avons travaille ensemble, et nous sommes lies d'une etroite amitie qui a dure autant que sa trop courte existence.22

La memoire de Donne est defaillante sur un point: la rencontre date probablement de 1841 ou 1842, alors que Foucault avait plus de dix-neuf ans, et la premiere trace incontestable de leur collaboration ne date que de l'automne de 1843. C'est a partir de cette date

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que Foucault servit pendant trois ans d'assistant a Donne pour ses demonstrations de cours23. Donne s'interessait aussi au daguerreotype, et avait decrit Tannonce publique du precede de Daguerre dans le Journal des Debats2^. A peine une semaine plus tard, utilisant une copie de 1'appareil de Daguerre fournie par Charles Chevalier, il reussissait un daguerreotype imparfait, mais montrant des details remarquables. « Ma conviction est desormais acquise a Tinvention de M. Daguerre », dit-il.25 Quinze jours plus tard, apres une demonstration publique de Daguerre, il ecrivit que si il avait encore vingt-cinq ans, il parcourrait le monde pour le photographier. Mais il en avait quarante, et il dut se contenter d'appliquer la photographic a ses « etudes habituelles et favorites »26. Donne fit plusieurs communications a 1'Academic concernant le daguerreotype27. La plus interessante pour nous concerne ce que nous appelons aujourd'hui la photomicrographie, c'est-a-dire le daguerreotype d'objets microscopiques28.

Le microscope-daguerreotype Ayant termine un livre sur les soins aux nourrissons en 1842, Donne eut le temps de s'interesser a de nouveaux projets. Deux d'entre eux aboutirent entre 1843 et 1845, tous deux en collaboration avec Foucault. Us utilisaient des progres technologiques recents. Le premier projet fut la realisation d'un microscope a projection utilisant Tare electrique comme source de lumiere. Ce microscope photoelectrique, comme ils 1'appelaient, sera decrit dans le prochain chapitre. L'autre projet etait 1'edition de son cours libre sous forme d'un traite, publie en 1843-1844 sous le titre de Cours de microscopie complementaire des etudes medicales21. A 1'epoque, les illustrations de haute qualite n'etaient pas toujours publiees avec le texte, mais separement dans un Atlas. Ce fut le cas pour 1'ouvrage de Donne : plutot que de se fier a un dessinateur pour montrer les objets microscopiques decrits dans le texte, Donne decida d'utiliser le daguerreotype, juge plus fidele. Foucault 1'aida a prendre ces photomicrographies. Ils firent quelques essais avec la lumiere de Drummond, puis avec Tare electrique qui permettait des poses assez courtes, mais la lumiere solaire etait quand meme plus brillante et permettait de faire des poses encore plus courtes, pendant lesquelles 1'echantillon n'avait pas le temps de se degrader sous 1'effet de la chaleur. Trente ans plus tard, on notait encore que « la lumiere solaire peut seule donner le moyen d'obtenir d'utiles photographies d'objets microscopiques »29. Une grande partie des daguerreotypes qui ont servi a VAtlas existent encore. Ils sont signes et dates par Foucault de 1'ete 1844.

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L'equipement utilise etait assez simple. Un heliostat, comme son nom 1'indique, servait a renvoyer le rayonnement solaire dans une direction fixe, grace a un mouvement d'horlogerie entrainant un rniroir plan. L'heliostat etait un dispositif essentiel pour beaucoup d'experiences d'optique, puis dix ans plus tard, pour realiser des agrandissements photographiques. Nous le rencontrerons dans la plupart des experiences de Foucault. Nous verrons son fonctionnement plus en detail au chapitre 16. Donne et Foucault ont probablement utilise un heliostat construit par Johann Theobald Silbermann (1806-1865, figure 4.5). Donne ecrivait a son sujet: Get instrument [... ] a subi entre les mains de 1'auteur des changemens si notables et de si habiles perfectionnemens, que non settlement il offre plus de simplicite dans la manoeuvre et plus d'exactitude que la plupart de ceux employes en physique jusqu'ici, mais son prix autrefois si eleve (les heliostats de M. Gambey ne coutent pas moins de douze a quinze cents francs) est devenu tout-a-fait abordable : 1'heliostat de M. Silbermann, execute avec un grand soin par M. Soleil, est livre aux physiciens pour 350 francs.30

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Figure 4.5. L'heliostat etait un element essentiel de toute experience d'optique necessitant une source de lumiere tres brillante. Le miroir est oriente et entraine par un mouvement d'horlogerie de faqon a renvoyer la lumiere du Soleil dans une direction fixe. Get heliostat est du a Silbermann.

La figure 4.6 est un schema du microscope-daguerreotype, comme Foucault et Donne nommaient leur appareil31. II comprenait trois ensembles de lentilles, qui permettaient des grandissements differents sur la plaque. Un filtre bleu sombre servait a diminuer 1'echauffement de 1'echantillon, sans augmenter notablement le temps de pose puisque le daguerreotype est surtout sensible a la lumiere bleue. Les plaques daguerreotypes etaient preparees par la methode

Figure 4.6. Les elements principaux du microscope-daguerreotype utilise par Foucault et Donne pour obtenir les microphotographies de leur Atlas de microscopie medicale.

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Figure 4.7. Six microphotographies, la plupart signees et datees par Foucault. En haut, de gauche a droite : lait d'anesse, sang humain, cristaux d'acide urique. En has, sang humain en putrefaction, sang de grenouille, cristaux de cholesterol.

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classique, avec toutefois une solution de brome plus diluee, au 1/100006. Le mauvais temps de 1'ete 1844 fut malheureusement peu propice a 1'obtention des photographies, mais Foucault reussit cependant a en obtenir environ 80.

« Une fidelite rigoureuse » L'Atlas comprend 80 figures groupees par quatre en 20 planches32. Apres divers essais de reproduction directe des plaques daguerreotypes, que Donne abandonna afin de ne pas endommager les plaques, il decida de les faire reproduire par gravure, ce qui permettait d'y ajouter du texte. Oudet, le graveur, avait une certaine notoriete : il avait deja realise des gravures pour le traite du celebre naturaliste Georges Cuvier (1769-1832), Le Regne animal, qui comportait quatre volumes. La realisation de ces gravures prit beaucoup de temps, aussi VAtlas fut public en quatre series, chacune coutant 7 francs 50, une somme importante pour 1'epoque. Les deux premieres furent disponibles en 1845, annoncees une publicite qui disait: « dans cet ouvrage tout est reproduit avec une fidelite rigoureuse inconnue jusqu'ici »33. Nous reproduisons quelques daguerreotypes figure 4.7, ainsi que deux planches de VAtlas figures 4.8 et 4.9. On peut apprecier les

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Figure 4.8. Mucus et cils dans I'Atlas de Donne & Foucault (Planche IX). A gauche : mucus vaginal contenant des globules purulents (B,B,B) et trichomonas protozoans (C,C,C). A droite : cils de moule. Le champ de vue circulaire correspond a un diametre de 0,2 millimetre.

talents de graveur de Oudet en comparant une de ses gravures avec le daguerreotype original (figures 4.10 et 4.7). Les specimens represented dans 1''Atlas refletent bien entendu les interets medicaux de Donne : pus, sang, mucus, epithelium, spermatozoides, ovules, lait, amidon, cristaux varies. Ces figures etaient aussi, selon Donne, « le moyen de convaincre les esprits les plus refractaires » que les observations microscopiques n'etaient pas des illusions : Le daguerreotype n'est-il pas arrive a propos pour dormer la derniere preuve, la demonstration la plus complete en faveur des observations microscopiques, et detruire ce qui pourrait rester de prevention centre les pretendues illusions de 1'instrument ?34

Malgre leur beaute et leur nouveaute technique, les microphotographies de I'Atlas n'eurent pas beaucoup de succes dans le monde medical, et furent rapidement oubliees. Les raisons en etaient multiples. La coloration des preparations microscopiques, encore balbutiante a 1'epoque de YAtlas, se repandait rapidement et pouvait augmenter considerablement le contraste, y compris en noir et blanc. Le microscope n'etait pas encore utilise couramment en medecine, bien que Donne ait invente des microscopes bon marche que les medecins pouvaient transporter avec eux35. Dans le traite, on ne trouvait aucune allusion aux idees en gestation concernant 1'importance des cellules ; or il n'y avait dans Y Atlas aucune image de cellule de 1'interieur du corps. Enfin, bien que son cours avait un caractere officiel, Donne n'etait pas membre de la Faculte et n'avait pas une grande influence dans le milieu medical parisien36. II fallut attendre les annees 1850 pour que la microphotographie commence a avoir quelque impact, grace aux photographies au collodion de Joseph Delves en Angleterre et d'Auguste Bertsch en France. La premiere utilisation intensive et efficace de la microphotographie medicale est due a un chirurgien de 1'armee des Etats-Unis, le Lieutenant-Colonel

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Figure 4.9. Spermatozoi'des dans VAtlas de Donne & Foucault (Planche XV). Fig. 60 : grenouille. Fig. 61 : homme. Fig. 62 : chauve-souris. Fig. 63 : souris. Le grandissement original dans I'Atlas est de 400. Le champ de vue circulaire correspond a un diametre de 0,2 millimetre.

Figure 4.10. Lait d'anesse. Cette gravure de 1'Atlas de Donne & Foucault (planche XIX, figure 82) peut etre comparee au daguerreotype original (figure 4.7, en haut a gauche). Le lait d'anesse avait la reputation d'etre particulierement sain, et les gens riches le preferaient au lait de vache.

J.J. Woodward (1833-1884). L'invention des plaques orthochromatiques et panchromatiques, sensibles a toute la lumiere visible, devait conduire a d'autres progres entre 1880 et 190037.

Les debuts de la photometric Les progres techniques engendrent souvent de nouveaux domaines de recherche. Alors qu'il cornmengait a travailler a YAtlas avec

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Donne, Foucault collaborait avec Fizeau pour appliquer le daguerreotype a un autre domaine, projet imagine par Arago des 1839 : la photometric, qui est la mesure de 1'intensite de la lumiere. Cette collaboration etait motivee, en 1843-1844, par une consideration pratique : il s'agissait de comparer 1'intensite de la lumiere solaire avec celle de deux sources artificielles de lumiere qui pourraient rivaliser avec elle, 1'idee etant d'utiliser la meilleure source pour des experiences ou des instruments optiques. Nous avons deja parle d'une de ces sources artificielles : la lumiere de Drummond. L'autre etait Tare electrique. Produire de la lumiere grace a 1'electricite est devenu une realite avec 1'invention, par Alessandro Volta (1745-1827), de la pile electrique, qui etait formee d'un empilement de disques de cuivre et de zinc separes par du tissu impregne d'acide. On montra bientot que le courant issu de cette pile peut chauffer a incandescence un fil metallique, par exemple de platine, ou produire un arc entre des electrodes de metal ou de carbone. Le nom de Sir Humphrey Davy est generalement associe a cette derniere demonstration, qu'il realisa en 1802 avec un arc alimente par une pile formee de 150 disques, dans I'amphitheatre de 1'Institut royal de Londres38. Cependant, les electrodes en charbon de bois de Davy s'enflammaient dans 1'air, et il dut les placer dans un « ceuf electrique » vide d'air (figure 4.11). Mais les electrodes degageaient de la fumee qui se deposait rapidement sur la paroi de verre et 1'obscurcissait. Quant a la pile, elle fut perfectionnee en 1842 par le chimiste allemand Robert Wilhelm Bunsen (voir plus loin la figure 8.15), et put fournir un courant important pendant assez longtemps. « Alors 1'experience de Davy fut repetee de tous cotes », noterent Donne et Foucault, « et dans nos amphitheatres on fut ebloui des torrents de lumiere verses par les cones de charbon. »39 Le but de Foucault et de Fizeau etait de comparer la luminance du soleil, du morceau de craie incandescent de Drummond, et du charbon de 1'arc. La luminance est une quantite intrinseque a un objet lumineux, qui exprime la quantite d'energie qu'il emet par seconde et par unite de sa surface, dans un angle solide unite. Us n'avaient pas les moyens de mesurer la luminance de fac.on absolue, mais ils purent au moins comparer la luminance des trois objets au moyen du dispositif represente figure 4.12.

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Figure 4.11. L'oeuf electrique de Davy (1778-1829).

Figure 4.12. La luminance peut etre mesuree en utilisant une lentille qui projette 1'image de la source sur le detecteur (ici une plaque daguerreotype). Pour le soleil, situe a 1'infini, Foucault et Fizeau utilisaient une lentille de distance focale d = 1,413 metre munie de diaphragmes limitant son ouverture a des diametres compris entre 1,3 et 3,0 millimetres. Pour la lumiere provenant du morceau de craie incandescent ou de 1'arc electrique, la distance d de la lentille a la plaque etait de 1,126 metre et le diaphragme place sur la lentille avait un diametre compris entre 3 et 17 millimetres.

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Tableau 4.1. Quelques luminances rapportees en 1844 a 1'Academie par Foucault et Fizeau. La luminance du soleil le 2 avril etait utilisee comme niveau de reference, place arbitrairement a 1000.

Soleil a midi 2 avril 1 844 1000 751 20 septembre 1 843 Arc electrique 136-385 Lumiere de Drummond 0,5-6,85

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Une lentille doublet achromatique donne 1'image de la source sur la plaque daguerreotype. Si la source est 1'arc electrique, la lentille projette sur la plaque 1'image de la partie brillante, qui est le charbon relie au pole positif de la pile. La quantite d'energie rec.ue par seconde par unite de surface de cette image (par exemple par millimetre carre) depend de la luminance du charbon, mais aussi de la geometric du systeme. Si Ton augmente la distance d entre la lentille et la plaque (tout en maintenant 1'image au point, ce qui necessite de modifier la distance de 1'objet a la lentille ou d'utiliser une lentille avec une distance focale differente), la taille de 1'image est plus grande et 1'energie recue de cette image par millimetre carre est plus petite : elle varie comme 1/d2. Si, par ailleurs, on reduit le diametre utile de la lentille a 1'aide d'un diaphragme, cela ne change par les dimensions de 1'image, mais 1'energie recue par millimetre carre est reduite comme la surface utile A de la lentille. On peut done modifier comme on veut la quantite de lumiere qui tombe chaque seconde sur un millimetre carre de 1'image, soit en changeant la distance d entre la lentille et 1'image, soit en diaphragmant plus ou moins la lentille pour changer sa surface utile A. Enfin, si Ton fait varier le temps de pose de la photographic, 1'image sera plus ou moins visible sur la plaque daguerreotype. Fizeau et Foucault jouerent sur ces trois parametres pour obtenir des reponses identiques du daguerreotype aux images des trois sources qu'ils voulaient comparer. En fait, ils utiliserent le daguerreotype au seuil de sensibilite, c'est-a-dire apres developpement, au moment ou 1'image commence juste a etre visible. Ils se servaient de plaques non sensibilisees au brome, car ils remarquerent qu'elles etaient semblables les unes aux autres lorsqu'elles etaient preparees de la meme fac,on par la meme personne. Leur sensibilite etait d'ailleurs plus que suffisante car les sources etaient tres brillantes. Ils ne pouvaient pas regler les valeurs de d et de A pour obtenir exactement la meme reponse pour les trois sources, mais realisaient une serie de poses a differents endroits de la meme plaque avec des temps de pose allant de 0,6 a 3 secondes, et notaient le temps de pose pour lequel on commencait a voir 1'image. Le resultat (tableau 4.1) fut que la luminance de la craie incandescente de Drummond etait bien plus faible que celle du soleil, alors que la surface du charbon de 1'arc n'etait pas tellement moins brillante que le soleil. Nous pouvons penser aujourd'hui que 1'experience de Foucault et Fizeau n'avait rien de bien remarquable. Mais il nous faut realiser tout ce qu'elle impliquait a 1'epoque : une salle assez grande et tout a fait obscure ; un jeu de supports et de diaphragmes bien calibres, probablement realises par les experimentateurs eux-memes ; la production de la lumiere de Drummond, qui necessitait d'assez grandes

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quantites d'hydrogene et d'oxygene synthetises par les experimentateurs, respectivement par la reaction du zinc avec 1'acide sulfurique et par chauffage du chlorate de potassium40 ; la fabrication de 1'arc electrique, qui necessitait de tailler du coke tres cassant pour realiser des electrodes cylindriques, qu'il fallait maintenir dans des supports ajustables. II fallait aussi se procurer de nouvelles piles de Bunsen, dont pas moins de 138 furent acquises avec leur connexions electriques, sans doute chez le fabriquant d'instruments Deleuil, qui en etait le revendeur (figure 4.13). II fallait enfin fabriquer les daguerreotypes. Cela faisait beaucoup pour nos deux amateurs. Sans doute encourages par 1'interet que suscita leurs travaux, ils presenterent des details supplementaires a 1'Academic le 6 mai 1844. On peut reconnaitre 1'influence d'Arago dans cette presentation. Nous ne savons pas exactement quand le puissant secretaire perpetuel s'etait mis en rapport avec nos deux jeunes physiciens. Quoi qu'il en soit, il parait certain qu'Arago a discute avec eux a 1'occasion de leur premier memoire sur la luminance. II dut alors leur parler du probleme de rassombrissement du bord du Soleil.

La photographic du Soleil Dans leur communication du 6 mai 1844, Fizeau et Foucault avaient presente diverses trouvailles concernant 1'arc electrique. Mais Arago fut particulierement interesse par I'annonce que leurs photographies du Soleil de la fin du mois d'aout 1843 avaient clairement montre une grande tache, et surtout que le disque solaire paraissait toujours un peu moins brillant aux bords qu'au centre. « Nous comprenons, en effet, ecrivaient-ils dans leur memoire, que cette simple remarque, faite incidemment dans nos recherches, n'a pas une valeur proportionnee a 1'importance de la question. » De fait, cette question preoccupait Arago depuis plusieurs decennies. La reponse etait cruciale pour comprendre la constitution physique du Soleil. Quelle etait la nature du materiau incandescent ? Solide, liquide ou gazeux ? « La solution, ecrivait Arago,

51 Figure 4.13. La pile de Bunsen, P, amelioree par Deleuil vers 1849, et ses composantes F, Z, V et C. Dans le recipient de porcelaine ou de verre F, 1'electrode negative (anode) Z, en zinc amalgame avec du mercure, etait plongee dans une solution d'acide sulfurique. A 1'interieur, un vase poreux V contenait une solution d'acide nitrique dans laquelle plongeait 1'electrode positive (cathode) C, en poudre de coke agglomeree. En 1844, cependant, 1'ordre des elements etait inverse : la cathode de carbone formait un cylindre creux a 1'exterieur et 1'anode de zinc etait au centre41.

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Figure 4.14. Si la surface du Soleil est un liquide ou un solide incandescent opaque (en haut), le disque doit apparaitre uniformement lumineux (a droite) bien que la lumiere vue par 1'observateur soit emise selon differents angles aux differents endroits du disque (a gauche). Si le Soleil est entoure d'une atmosphere incandescente assez transparente (au milieu), son disque doit etre plus brillant a la peripherie car la lumiere vient d'une plus grande epaisseur au bord qu'au centre. Une analogic bien connue au XIXe siecle est celle d'une flamme de lampe a huile alimentee par une meche circulaire, qui est plus brillante sur les bords. En realite, le Soleil est plus sombre au bord qu'au centre (en bas), car son atmosphere est constitute d'un gaz absorbant dont la temperature decroit vers 1'exterieur. Bien que la lumiere du bord provienne d'une epaisseur plus grande, elle est emise par un milieu plus froid que celle du centre du disque, laquelle nous parvient de regions plus profondes et plus chaudes.

Leon Foucault

[... ] implique plus ou moins 1'examen de cette question capitale: les bords et le centre du Soleil sont-ils egalement lumineux ? »42 Malheureusement, les observations et leur interpretation etaient equivoques, voire contradictoires. L'angle sous lequel on voit la surface du Soleil varie a travers le disque : on observe cette surface perpendiculairement au centre, et presque parallement au bord. Si le Soleil etait solide ou liquide, il devait etre uniformement brillant sur tout le disque, car un liquide ou un solide incandescent emet de la lumiere avec une intensite egale dans toute les directions. L'ltalien Galilee, le Hollandais Christiaan Huygens (1629-1695), et 1'Allemand J.H. Lambert (1728-1777) avaient affirme que le disque solaire est uniforme, et Huygens pensait que le Soleil etait une boule liquide. Mais si la lumiere du Soleil etait emise par une atmosphere incandescente assez transparente, on s'attendait a ce que le disque soit plus brillant sur les bords qu'au centre, puisqu'il y a alors plus de matiere sur la ligne de visee (figure 4.14). De leur cote, d'autres astronomes comme Pierre Bouguer (16981758), George Airy et John Herschel avaient conclu que les bords du disque solaire sont moins brillants que le centre. Finalement, Arago lui-meme avait effectue diverses mesures montrant que la difference, si elle existait, ne depassait pas 2,5 %. La mesure d'Arago semblait done impliquer une nature solide ou liquide du Soleil. Mais de telles mesures etaient difficiles, en raison de la petite taille de 1'image du Soleil que Ton obtenait avec les lentilles habituelles. Cependant, Arago avait mis en evidence un autre phenomene : la polarisation de la lumiere. Pour comprendre la polarisation, il nous faut dire quelque mots de la nature des ondes. Les ondes sonores sont des ondes longitudinales, ou les molecules vibrent alternativement vers 1'avant et vers 1'arriere le long de la direction de propagation de Tonde (figure 4.15a). Quant a la lumiere, elle etait deja considered en 1840 comme une onde transversale : dans ce cas,- quelle que soit la nature de ce qui oscille, 1'oscillation a lieu dans un plan perpendiculaire (transversal) a la direction de propagation (figure 4.15b). Une vague a la surface de 1'eau est un exemple simple d'onde transversale. Une onde lumineuse est plus complexe, car elle peut osciller dans une infinite de directions perpendiculaires a la propagation (figure 4.15c). Mais on peut selectionner a 1'aide de certains cristaux les oscillations qui se produisent dans un plan particulier (figure 4.15d). On a alors affaire a une onde polarisee. Quand on fabrique, a 1'aide d'un polariseur, un faiseau polarise a partir d'un faisceau non polarise comme celui de la figure 4.15c, on selectionne non seulement 1'oscillation complete qui existe dans le plan de polarisation, mais aussi la projection sur ce plan des oscillations ayant toutes les orientations. Les vagues sont une onde polarisee, car les deplacements du fluide sont

Le « delicieux passe-temps »

seulement verticaux. Comme on le verra au chapitre suivant, la decouverte de la polarisation de la lumiere au debut du XIXe siecle a prouve la nature ondulatoire de la lumiere, et montre que les ondes lumineuses sont transversales puisque les ondes longitudinales ne peuvent pas etre polarisees. On rencontre frequemment la lumiere polarisee dans la nature, particulierement la lumiere du ciel et la lumiere reflechie sur des surfaces. Vers 1811, Arago avait observe le Soleil avec un polariseur de son invention, dit polariscope, mais il n'avait trouve aucune polarisation dans le disque solaire. II avait aussi observe des flammes, du fer et du platine incandescents, ainsi que du fer et du verre en fusion. II avait constate que la lumiere emise par ces solides et liquides incandescents etait partiellement polarisee lorsqu'on les observait presque parallelement a la surface, tandis que la lumiere emise par le gaz chaud d'une flamme n'est pas polarisee. L'absence de polarisation pres du bord solaire, ou le Soleil est observe presque tangentiellement, lui suggerait que les regions emissives sont gazeuses, ce qui paraissait en contradiction avec 1'uniformite possible de la luminance du disque solaire. Cependant, Laplace avait deja realise, dans sa Mecanique celeste, que meme si le gaz solaire est absorbant, il pourrait ne pas y avoir renforcement de la luminance aux bords du disque, lequel pourrait meme presenter un assombrissement. Les daguerreotypes du Soleil presentaient done un double interet. Us pouvaient contribuer a 1'etude des taches solaires, et ils pouvaient peut-etre decider si le bord du Soleil est plus brillant ou plus sombre que le reste du disque. II semble que 1'opticien N.-M.P. Lerebours (1807-1873) ait essaye de photographier le Soleil des 1842, mais 1'image etait surexposee et Arago a interprete ses bords plus sombres comme un effet de la solarisation (figure 4.1)43. Entre 1844 et 1845, presses par Arago, Foucault et Fizeau prirent« un grand nombre » de daguerreotypes du Soleil. La lumiere du Soleil etait renvoyee par un heliostat vers une lentille, qui projettait 1'image de 1'astre sur le daguerreotype44. La principale difficulte etait de faire des poses suffisamment courtes45. Jusque la, les temps de poses se comptaient en secondes et etaient faciles a obtenir manuellement avec un couvre-objectif quelconque. Le Soleil exigeait des temps de pose compris entre 1/100e et l/60e de seconde. Foucault et Fizeau imaginerent un obturateur « assez original», ancetre de notre obturateur a rideau, ou la lumiere passait a travers une fente de taille appropriee pratiquee dans une planche qu'on laissait tomber devant 1'objectif46. Une chute d'une hauteur de moins d'un metre suffisait. Fizeau et Foucault utiliserent deux objectifs achromatiques differents. L'un d'eux produisait des images de la taille d'une petite piece de monnaie (12,8 millimetres de diametre).

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Figure 4.15. (a) Onde longitudinale : la direction de vibration des particules (double fleche en grise) est parallele a la direction de propagation de 1'onde (simple fleche noire), (b) Onde transversale : les vibrations sont perpendiculaires a la direction de propagation de 1'onde. (c) Lumiere naturelle : les vibrations transversales sont dans toutes les directions (d) Lumiere polarisee : les oscillations n'ont lieu que dans un seul plan.

54 Figure 4.16. A gauche, des daguerreotypes du Soleil de la taille d'une piece de monnaie, obtenus par Fizeau et Foucault en 1843-45. Ils montrent tous 1'assombrissement du bord solaire, quel que soit leur temps de pose. A droite, des images uniformes de disques de carton blanc montrent que rassombrissement du limbe du Soleil est reel, et non un artefact du precede du daguerreotype. Ces gravures se trouvent dans le Recueil.

Figure 4.17. Daguerreotype du Soleil pris le 2 avril 1845 a 9 h 45 du matin par Fizeau et Foucault. Les taches solaires et rassombrissement du bord sont bien visibles. Le diametre reel de 1'image du Soleil sur la plaque est d'environ 90 millimetres.

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La figure 4.16 reproduit quelques-unes de ces images, qui montrent rassombrissement du bord solaire quel que soit leur temps de pose. La finesse de 1'image des taches, quand il y en avait, montre que cet assombrissement n'est pas du a un etalement de 1'image resultant d'une mauvaise focalisation. II etait toutefois possible qu'il s'agisse d'un artefact resultant de quelque processus chimique dans le traitement du daguerreotype ; mais des images d'un disque de carton blanc prises dans des conditions semblables etaientbien uniformes47. Pour avoir plus de details, il fallait obtenir des images beaucoup plus grandes en utilisant un objectif de focale bien plus longue. Foucault et Fizeau utiliserent un doublet achromatique de 9,88 metres de focale, dormant des images du Soleil d'environ 91,5 millimetres de diametre. La figure 4.17 presente le seul grand daguerreotype du Soleil qui ait ete conserve. Ce daguerreotype fut grave plus tard pour 1''Astronomic populaire d'Arago, sans doute parce que c'etait celui qui montrait les plus grandes taches solaires. II peut nous paraitre surprenant que Fizeau et Foucault n'aient pas presente leurs resultats sur rassombrissement du bord solaire a 1'Academie. On peut imaginer plusieurs raisons a cela. D'abord, la recherche etait en quelque sorte celle d'Arago, qui en avait suggere le sujet, et c'etait a lui d'en publier le resultat, ce qu'il fit cinq ans

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plus tard. D'autre part, le resultat n'etait pas ce qu'il attendait, et les implications en etaient incertaines. II n'est pas impossible que Fizeau et Foucault aient evalue le contraste centre/bord du Soleil de la meme maniere qu'ils avaient compare la luminance du Soleil, de 1'arc et de la lumiere de Drummond. Dans ce cas, ils ont du obtenir une valeur bien plus grande que celle d'Arago. Les instruments d'Arago etaient probablement affectes par de la lumiere diffusee. De toutes fac.ons, il etait clair que le Soleil n'avait pas un bord plus brillant que le centre. Arago et Foucault ont finalement conclu que la couche lumineuse du Soleil, qu'Arago appelait la photosphere, devait etre entouree d'une couche absorbante, qui assombrissait davantage son rayonnement au bord qu'au centre. Nous savons aujourd'hui que la raison de rassombrissement des bords du disque solaire est plus subtile. L'atmosphere du Soleil est bien gazeuse. Elle est plus chaude vers 1'interieur du Soleil, ce a quoi Arago n'avait pas pense. Elle emet de la lumiere sur toute son epaisseur et n'est que partiellement transparente. Nous ne recevons pas le rayonnement des couches profondes, car ce rayonnement est completement absorbe par les couches plus superficielles. La lumiere que nous recevons provient principalement de la couche ou 1'opacite devient importante. Cette region est plus profonde, done plus chaude et plus lumineuse, au centre qu'au bord du Soleil.

D'autres photographies de Foucault Trois autres daguerreotypes de Foucault nous sont parvenus. L'un d'eux, qui montre une serie de spectres du Soleil, sera etudie dans le prochain chapitre. Un autre represente une grappe de raisin (figure 4.18). Son eclairage et sa beaute sont exceptionnels. Le troisieme daguerreotype montre des toits (figure 4.18). II n'est pas signe, mais il est attribue a Foucault par son premier collectionneur, Alfred Nachet, de la celebre societe parisienne de fabrication de microscopes. La maison pourrait etre celle que Madame Foucault louait au 5 rue d'Assas au debut des annees 1840. La vue aurait alors ete prise depuis le toit du batiment au premier plan dans la figure 3.1348. Le support de ce daguerreotype est une plaque de cuivre. Les halogenures de cuivre sont sensibles a la lumiere, et, en 1841, Fox Talbot a brevete un precede daguerreotypique utilisant une plaque de cuivre poli sensibilisee aux vapeurs d'iode, de brome ou de chlore, et developpee au mercure ou au sulfure d'hydrogene.

Figure 4.18. Daguerreotype attribue a Foucault (1844). II s'agit probablement d'une grappe de raisin d'un cepage aujourd'hui presque disparu, mais qui etait alors commun dans la vallee de la Loire et ailleurs, le meslier saint-fran