L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale French: Étude d’hagiographie 9782503569789, 2503569781

Ce livre est le résultat d'une étude de la tradition hagiographique serbe. Bien qu'elles soient nées sous l�

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale French: Étude d’hagiographie
 9782503569789, 2503569781

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L’ÉCRITURE ET LA SAINTETÉ DANS LA SERBIE MÉDIÉVALE

BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES

SCIENCES RELIGIEUSES

VOLUME

179

Illustration de couverture : Le miracle de saint Sava, 1621/2, réfectoire de Chilandar. © Fondation de Chilandar.

L’ÉCRITURE ET LA SAINTETÉ DANS LA SERBIE MÉDIÉVALE ÉTUDES D’HAGIOGRAPHIE

Smilja Marjanović-Dušanić

H

F

La Bibliothèque de l’École des hautes études, sciences religieuses La collection Bibliothèque de l’École des hautes études, sciences religieuses, fondée en 1889 et riche de plus de cent cinquante volumes, reflète la diversité des enseignements et des recherches menés au sein de la Section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études (Paris, Sorbonne). Dans l’esprit de la section qui met en œuvre une étude scientifique, laïque et pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection tant la diversité des religions et aires culturelles étudiées que la pluralité des disciplines pratiquées : philologie, archéologie, histoire, philosophie, anthropologie, sociologie, droit. Avec le haut niveau de spécialisation et d’érudition qui caractérise les études menées à l’EPHE, la collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses aborde aussi bien les religions anciennes disparues que les religions contemporaines, s’intéresse aussi bien à l’originalité historique, philosophique et théologique des trois grands monothéismes – judaïsme, christianisme, islam – qu’à la diversité religieuse en Inde, au Tibet, en Chine, au Japon, en Afrique et en Amérique, dans la Mésopotamie et l’Égypte anciennes, dans la Grèce et la Rome antiques. Cette collection n’oublie pas non plus l’étude des marges religieuses et des formes de dissidences, l’analyse des modalités mêmes de sortie de la religion. Les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers dans le domaine des sciences religieuses (chercheurs enseignants à l’EPHE, anciens élèves de l’École, chercheurs invités…) Directeur de la collection : Arnaud SéranDour Secrétaires d’édition : Cécile Guivarch, Anna WaiDe Comité de rédaction : Mohammad Ali aMir-Moezzi, Jean-Robert arMoGathe, Samra azarnouche, Marie-Odile BoulnoiS, Gilbert Dahan, Jean-Daniel DuBoiS, Vincent GooSSaert, Patrick henriet, Michael houSeMan, Simon icarD, Christian JaMBet, Ioanna rapti, Jean-Noël roBert.

2017, Brepols Turnhout, Belgium. Belgium. © 2017, Brepols Publishers n.v., Turnhout, All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or or by by any any means, means, electronic, electronic, mechanical, mechanical,photocopying, photocopying,recording, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2017/0095/275 D/2017/0095/275 ISBN 978-2-503-56978-9 978-2-503-56978-9 e-ISBN e-ISBN 978-2-503-56980-2 978-2-503-56980-2 10.1484/M.BEHE-EB.5.111876 10.1484/M.BEHE-EB.5.111876 Printed in the EU on acid-free paper. Printed on acid-free paper.

PRÉFACE Le livre de Smilja Marjanović-Dušanić est ambitieux. Il a pour objet l’hagiographie médiévale serbe qui, comme elle le note, « n’a pas encore bénéficié d’une étude systématisée ». La difficulté du projet est accrue du fait que l’auteur a choisi, en publiant cette étude en français, de s’adresser à un public à qui la littérature et l’histoire serbes ne sont guère familières. Dans son introduction, ou encore dans les appendices en fin d’ouvrage, elle multiplie les clés qui permettent au lecteur de pénétrer dans un monde souvent peu connu de lui – les textes qu’elle analyse, sauf exception, n’ont pas été traduits –, mais elle n’a pas cherché cependant à faire une œuvre d’initiation. Elle propose une étude originale qui diffusera plus largement les connaissances sur le Moyen Âge serbe mais qui surtout les fait progresser et vient féconder ainsi les recherches d’hagiographie concernant d’autres aires : Occident médiéval, Byzance, monde orthodoxe. Le corpus pris en compte est vaste et spectaculaire. Pour la chronologie, il s’étend pour l’essentiel depuis le xiie siècle jusqu’au xve, c’est-à-dire depuis l’époque où, avec Stefan Nemanja (1168-1196), naît une dynastie qui règne sur la Serbie jusqu’en 1371. Mais Smilja Marjanović-Dušanić ne se limite pas à l’époque glorieuse des Némanides. Elle poursuit son étude jusqu’au moment où la Serbie fait face à la conquête ottomane, époque toute différente que marquent la bataille de Kosovo Polje et la mort du prince Lazare en 1389, et qui aboutit, en 1459, à l’incorporation du pays dans l’Empire ottoman. Durant ces trois siècles, la production hagiographique, encore modeste au xiie siècle, gagne rapidement en qualité littéraire et en puissance. Une date importante est celle de la fondation du monastère athonite de Chilandar en 1198 par Stefan Nemanja qui, abandonnant le pouvoir en 1196 pour devenir le moine Syméon, avait rejoint sur la Sainte Montagne son fils Rastko Nemanjić, plus connu sous son nom monastique de Sava. Sava, après la mort de son père, écrit en son honneur une courte Vie, qui marque ainsi le début du culte de saint Syméon « le Myroblite » (Stefan Nemanja), dont la dépouille, d’abord à Chilandar puis, en pays serbe, au monastère de Studenica, fait jaillir un myron miraculeux. Ces événements importants influent profondément sur le courant hagiographique auquel Smilja Marjanović-Dušanić consacre son étude : l’hagiographie serbe est marquée par cette alliance avec la famille des Némanides, à laquelle appartiennent à la fois le saint qu’on célèbre, Syméon/ Stéfan, et l’hagiographe. Celui-ci, après sa mort, est lui-même honoré sous le nom de saint Sava, et son frère, le fils et successeur de Nemanja, Stefan le 5

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Premier-Couronné, lui consacre à son tour une vie de saint. L’hagiographie, très tôt, a ainsi partie liée avec la royauté. Apparaissent en même temps l’importance du monde monastique – celle du monastère de Chilandar en particulier, où l’influence de Byzance sur la spiritualité et sur les lettrés serbes s’exerce directement – et, dès l’origine, le lien entre l’État et l’Église, saint Sava étant le premier archevêque de l’Église serbe, dont il obtient l’autonomie. Dans la deuxième moitié du xiiie siècle, l’hagiographie serbe entre dans son âge d’or et s’épanouit sous le règne de Stefan Milutin (1282-1321), un souverain qui a influencé, comme le montre Smilja Marjanović-Dušanić, l’histoire de la sainteté en Serbie. C’est alors en particulier que deux moines de Chilandar, Domentian et Théodose écrivent, le premier, une nouvelle Vie de saint Syméon et une Vie de saint Sava, et le second, une Vie de saint Sava encore, et un Éloge des saints Syméon et Sava. La place centrale des deux grands saints fondateurs s’affirme ainsi, en même temps que se dessine le rôle joué dans l’hagiographie serbe par la réécriture. Au xive siècle, toujours sous Milutin, dont il écrit la vie, c’est au tour de l’archevêque de Serbie Daniel II de rédiger, après 1317, un recueil de portraits hagiographiques des rois et des archevêques serbes, qui sera complété par des disciples anonymes auxquels on doit les Vies des saints successeurs de Milutin : Stefan de Dečani et Stefan Dušan. Enfin, avec le xve siècle, l’hagiographie serbe s’infléchit notablement. En 1402, Grégoire Camblak écrit encore une nouvelle vie du saint fondateur du monastère qu’il gouverne, Stefan de Dečani, mais désormais, la grande lignée des Némanides est interrompue. L’esprit même dans lequel Grégoire a composé son œuvre est tout différent. L’image des souverains charismatiques n’est plus guère d’actualité et les hagiographes se tournent vers la célébration de martyrs. Smilja Marjanović-Dušanić évoque l’œuvre, brodée au fil d’argent, que la moniale Jefimija écrit pour le prince Lazare, mort en martyr au Kosovo, et analyse une dernière grande composition : la Vie du despote Stefan Lazarević que Constantin le Philosophe consacre au fils du martyr. À ce vaste ensemble de Vies de saints – nous n’avons évoqué que les principales – sont joints encore des textes appartenant à des genres voisins de l’hagiographie ou venant la compléter : récits de vision, apocalypses et prophéties. Nous sommes proches de la fin des temps, que les derniers textes hagiographiques laissaient entrevoir. Smilja Marjanović-Dušanić ne cherche pas à retracer une histoire purement littéraire de l’hagiographie serbe. Elle s’attache à ce que les textes qu’elle évoque ont d’essentiel, c’est-à-dire leur lien avec la sainteté, et à ce qu’ils ont ici de particulier, c’est-à-dire, bien sûr, leur association avec la royauté. Elle montre que les Vies des saints rois serbes, pour les plus importantes, font partie intégrante de cultes vivants et durables, centrés sur des sanctuaires et des fondations monastiques. Elle insiste sur le rôle éminent des reliques qu’on transfère en grande cérémonie, qu’on vient vénérer en pèlerinage, et qui sont bien ces « gardiens de la mémoire » dont parle un évêque du xixe siècle, 6

Préface assurant aux cultes royaux leur étonnante longévité. L’écriture hagiographique, elle-même acte de dévotion, est au service de la sainteté royale, dont Smilja Marjanović-Dušanić décline les formes diverses qu’elle revêt : roi, moine et saint, évidemment, avec saint Syméon ; rex renitens, avec Sava, qui, à l’imitation de saint Joasaph, renonce au pouvoir temporel pour se consacrer à la vie monastique, ou avec Stefan Dragutin, dans la présentation qu’en fait Daniel d’un souverain devenu ascète, allant jusqu’à refuser expressément les honneurs posthumes. On notera aussi la belle analyse d’une sainteté féminine cette fois, celle de la mère de Stefan Milutin, la reine Hélène d’Anjou († 1314), plus proche des saintes reines de Hongrie, et marquée par la spiritualité latine et franciscaine, tandis que plus tard, avec Lazare, est promue la figure du roi martyr, que l’hagiographie serbe connaissait en fait de longue date, mais sous une autre forme. Les Vies des saints rois serbes ne sont pas des récits isolés. Les hagiographes se reprennent, se répondent, font varier d’une époque à l’autre l’image qu’ils proposent de la sainteté royale, soit en composant les Vies de nouveaux saints, soit en réécrivant les Vies des saints fondateurs. Smilja MarjanovićDušanić sait profiter de ces circonstances et, analysant les transformations dont témoignent les réécritures, elle dégage, avec l’attention portée aux récits de miracles, le sens d’une évolution. De la vie de saints fondateurs – Syméon et Sava –, elle nous conduit ainsi à reconnaître comment, chez Domentian déjà, se dégage l’image d’une beata stirps, d’une dynastie, celle des Némanides, dont la sainteté est héréditaire. Les cultes de Syméon et de son fils Sava deviennent inséparables, comme le sont l’État serbe et l’Église, et, à ces deux saints, se joint Stefan le Premier-Couronné, complétant ainsi une trinité d’où jaillit, à l’image de l’arbre de Jessé, toute la postérité de Nemanja. L’intérêt de l’étude qui nous est ici offerte ne se limite pas au monde serbe. Les analyses de Smilja Marjanović-Dušanić sont nourries de références à l’hagiographie des aires voisines. L’importance des contacts avec le monde catholique, par exemple avec la Hongrie voisine, ou, sur la côte Adriatique, avec les franciscains, est rappelée, mais c’est peut-être avec l’empire byzantin que la comparaison est la plus suivie et la plus féconde. L’influence que Byzance exerce sur l’hagiographie et la sainteté serbes a plusieurs composantes. Il peut s’agir d’emprunts au passé, comme c’est le cas pour les Vies ascétiques ou monastiques, qui se tournent volontiers vers les modèles protobyzantins, ainsi que le fait saint Sava quand il reprend le nom d’un grand moine palestinien célébré, au vie siècle, par Cyrille de Scythopolis. Hors du temps, saint Démétrios, saint militaire, protecteur de Thessalonique, sert lui aussi de modèle. Mais il s’agit aussi de la Byzance contemporaine et Smilja Marjanović-Dušanić souligne avec raison l’influence qu’on retrouve, chez Nemanja et ses descendants, de l’idéologie des Comnènes. On songera aussi bien sûr aussi à l’action qu’a pu exercer, sur saint Sava, le roman hagiographique médiéval de Barlaam et de Joasaph. Connue directement en grec ou 7

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale dans des traductions en langue slave, l’hagiographie byzantine, ancienne ou récente, nourrit la spiritualité et la littérature serbes. Mais les équilibres sont tout différents et, tout autant que les emprunts et les ressemblances, les contrastes entre les deux mondes donnent à réfléchir. La sainteté royale – ou impériale – à Byzance, n’occupe guère de place. Smilja Marjanović-Dušanić a raison de rappeler le cas particulier de l’empereur Nicéphore Phôkas dont les moines de la Grande Laure ont voulu promouvoir le culte : le récit sur sa mort qu’ils ont fait circuler, visant à faire de lui un martyr, sert de modèle en Serbie, dès le onzième siècle, pour célébrer la sainteté de Jean-Vladimir. Mais, à Byzance, le récit sur Phôkas ne rencontre guère d’échos. Il en va tout différemment en Serbie, et cette opposition est frappante. La « voûte des saints » serbes, que Daniel II, sous Milutin, contribue à dessiner, a ses spécificités. Elle incite à reconsidérer l’architecture et la fonction d’autres sanctoraux. Parce qu’elle s’attache à un objet précis, l’histoire de la sainteté et de l’hagiographie serbes, et qu’elle en fait ressortir les traits originaux et saillants, Smilja Marjanović-Dušanić a su donner ainsi à son étude une vraie dimension comparatiste et lui conférer un intérêt qui concerne les autres domaines de l’hagiographie médiévale et dépasse ainsi les frontières du royaume serbe. Bernard Flusin (Université de Paris-Sorbonne/EPHE, Section des Sciences religieuses)

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REMERCIEMENTS Le présent livre est le fruit d’un ensemble de quatre conférences que j’ai prononcées au séminaire du professeur Bernard Flusin à l’École Pratique des Hautes Études (Section des Sciences Religieuses) au printemps 2012. Une discussion dynamique et fructueuse, ainsi qu’une ambiance favorable à l’épanouissement scientifique, ont entraîné de nouvelles questions dont je n’étais pas consciente au début de ces recherches. L’idée de réunir ces conférences dans un volume est venue de Bernard Flusin, à qui je dois ma plus profonde gratitude pour son soutien amical et son aide en vue de la publication du livre chez un éditeur prestigieux. L’invitation de donner une suite à ces conférences dans le cadre du séminaire du professeur Michel Kaplan à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne m’a incitée à poser les mêmes questions sous un angle différent. Les collègues ayant participé au séminaire, en premier lieu le professeur Kaplan lui-même, m’ont généreusement aidée, pour fournir à ma recherche, déjà avancée, une dimension historique et comparatiste supplémentaire. Plusieurs séjours à la bibliothèque du Centre d’Histoire et Civilisation de Byzance, dont le dernier datant de 2015 a été effectué grâce au Labex RESMED, suite à l’invitation du professeur Jean-Claude Cheynet de l’Université Paris-Sorbonne, ont été cruciaux pour la finition du livre. Mes chers amis, Béatrice Caseau, Vincent Déroche et Bernard Flusin, ont mis un soin minutieux à la relecture du manuscrit pour en affiner la traduction française et ils m’ont donné des conseils précieux concernant l’organisation de son contenu. Sans eux, ce livre n’aurait pas vu le jour. Parmi les collègues et amis belgradois qui ont manifesté une vive volonté pour m’aider, je suis redevable à Vladan Trijić et Miroslav Lazić du département d’archéographie de la Bibliothèque nationale de Serbie pour les aspects techniques du manuscrit et le traitement des photographies et illustrations. Bien des collègues ont contribué à façonner la version finale du livre : Divna Petković et Solange Bujan par la traduction en français, Vladimir Džamić qui m’a procuré les clichés de la Fondation de Chilandar, enfin Miodrag Marković, Dragan Vojvodić, Miroslav Lazić et Zoran Rakić qui m’ont communiqué les photographies de leurs collections personnelles. Je dois une gratitude particulière à Monsieur Arnaud Sérandour, directeur de la collection, pour avoir accepté mon livre dans cette collection prestigieuse et à Madame Ioanna Rapti, directeur d’études à l’EPHE, pour les corrections qu’elle a apportées au texte.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Enfin, il convient de souligner que ce livre représente une analyse personnelle du thème toujours actuel des rapports entre écriture et sainteté, un thème déjà traité par de nombreux devanciers, spécialistes de renom et représentant un défi éternel pour de nouvelles approches. Dans mon cas, il est abordé à la lumière particulière de la littérature hagiographique serbe et nourri par mon désir de contribuer à une meilleure compréhension du patrimoine médiéval serbe pour faire découvrir les beautés cachées de son expression littéraire et artistique à un public francophone plus large. Après avoir parcouru un long chemin lors de la création de ce livre, je garde par-dessus tout la joie de pouvoir scruter un sujet qui m’est cher, en conservant le souvenir précieux des amitiés irremplaçables qui se sont tissées tout au long de ce travail. Belgrade, printemps 2016 Smilja Marjanović-Dušanić

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INTRODUCTION Les recherches présentées ici ont pour but d’étudier certains aspects de la tradition hagiographique née dans le monde slave orthodoxe sous l’influence de la littérature byzantine. Bien que notre intention soit de déterminer les pistes principales de réflexion concernant le développement du genre hagiographique dans l’espace large de la Slavia orthodoxa, notre but essentiel est d’éclairer de manière plus approfondie l’héritage textuel de la Serbie médiévale, tout en gardant une approche comparatiste nécessaire pour mieux en comprendre les influences, ainsi que la diversité des fonctionnalités et la complexité des récits choisis. Pour découvrir les continuités et les changements dans les représentations hagiographiques ainsi que les motivations de leur apparition depuis les premiers ascètes jusqu’aux saints rois et aux laïcs dévots du bas Moyen Âge, il nous faut étudier les modèles littéraires et spirituels qui ont influencé cette littérature hagiographique. Cela implique d’analyser la façon dont ces textes étaient construits, aussi bien que leur message dans le monde de leur époque. Ainsi, le but de la recherche est, d’un côté, de replacer l’écriture hagiographique serbe dans le contexte historique et culturel médiéval, et de l’autre côté, d’éclairer différents aspects de la conception de la sainteté chez les Serbes médiévaux, ainsi que le processus de construction de la sainteté, dans lequel l’hagiographie a occupé une place de plus en plus privilégiée au fil du temps. Nous allons d’abord essayer d’éclairer la façon dont l’hagiographie s’est développée comme genre littéraire dans le monde slave orthodoxe. Notons d’emblée que son développement a été essentiellement influencé par des exemples byzantins, tout comme il faut souligner que l’héritage hagiographique serbe a été principalement lié au rayonnement – religieux et littéraire – du Mont Athos. En analysant les fonctions diverses ainsi que les usages des récits hagiographiques dans la politique de l’époque, nous examinerons aussi comment la complexité du texte permet la célébration de la sainteté. Le lien essentiel entre le texte et le culte met au premier plan de notre étude l’analyse du développement des relations complexes entre les cultes des souverains en Serbie médiévale et la manière dont ils étaient célébrés dans l’héritage hagiographique de l’époque. Pour cela, il est nécessaire d’étudier l’apparition des hagiographies dites « nationales », qui ont été commandées par les pouvoirs locaux, dans le but de promouvoir les premiers saints au cœur des nouveaux royaumes de la périphérie chrétienne. Nos recherches sont ainsi délimitées

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale par l’époque où cette hagiographie apparaît et par l’espace géographique des Balkans médiévaux au sein duquel circulaient les cultes des saints et les textes consacrés à leur célébration. Pour situer plus précisément encore cette recherche dans l’espace et le temps, mentionnons quelques faits de base. L’hagiographie balkano-slave du Moyen Âge a pour origine le mouvement cyrillométhodien. Ayant comme point de départ les Vies des Apôtres des Slaves 1, apparues dès la deuxième moitié du ixe siècle, cette hagiographie reste liée au pouvoir séculier, tout en reflétant, du point de vue du genre littéraire, la dichotomie entre l’histoire sacrée et l’histoire dite profane. Les deux premières Vies paléoslaves reflètent la tradition hagiographique méso-byzantine ; elles portent la marque d’influences d’œuvres plus anciennes remontant à la littérature patristique cappadocienne, et notamment l’œuvre de Grégoire le Théologien. Au xiie siècle apparaissent les Vies dites populaires, dédiées aux célèbres anachorètes de la région, écrites sur la base de la tradition orale, des légendes et des apocryphes 2. Composée dans une forme simple et claire, sans introduction ni conclusion attendues, dans une langue largement intelligible, dépourvue d’éléments rhétoriques, cette tradition des Vies anachorétiques précède l’apparition d’une hagiographie plus littéraire. Elle se forme au sein de l’État serbe dès le début du xiiie siècle, et fleurit durant les xiiie, xive et xve siècles en Serbie, ainsi qu’en Bulgarie, autour de l’école littéraire de Turnovo au xive siècle 3. Tenant compte du fait que notre objectif est d’observer cet héritage hagiographique, développé à travers le prisme du lien entre écriture et sainteté, nous examinerons tout d’abord l’interdépendance entre l’expérience de la sainteté, le lieu saint et les textes qui servaient à promouvoir les cultes des saints. L’apparition des premiers textes appartenant à la tradition serbe hagiographique et liturgique est proche de l’instauration d’un modèle de saint homme qui fonctionne comme héros de ces récits. Ces processus sont étroitement liés à l’apparition des formes de monachisme organisées en Serbie médiévale – du type anachorétique au type cénobitique – et à la création et la circulation de différentes sortes de compositions littéraires originales ou traduites. Enraciné dans l’ancienne tradition byzantine, le concept des déserts

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Vie de Méthode, Vie de Constantin-Cyrille, ainsi que la Vie de saint Clément d’Ohrid et la Vie de saint Naum d’Ohrid. Vie de saint Prohor de Pčinja, Vie de saint Joakim d’Osogovo, Vie de saint Gabriel de Lesnovo, Vie de saint Jean de Rila. Les synthèses les plus importantes consacrées à la littérature médiévale serbe sont : D. Bogdanović, Istorija stare srpske književnosti [Histoire de la littérature serbe ancienne], Belgrade 1980 ; Đ. Trifunović , Stara srpska književnost [Ancienne littérature serbe], Belgrade 1995. Parmi les études consacrées à l’hagiographie serbe, parues en français, mentionnons tout particulièrement celle de B. Bojović, L’idéologie monarchique dans les hagio-biographies dynastiques du Moyen Âge serbe, Rome 1995. Par ailleurs, plusieurs traités et études ont été publiés en serbe et nous y ferons souvent référence dans notre livre.

Préface monastiques et de l’hagiographie dite anachorétique est représenté dans les Balkans par quelques anachorètes célèbres. Suivant le schéma traditionnel de ce genre littéraire, l’action du récit se déroule en dehors du monde habité, dans un endroit qui, par diverses pratiques de l’anachorète, devient un espace sacré. Dans la première phase du développement de ce type d’hagiographie, la célébration de l’ermite faisait partie d’une stratégie très élaborée de sacralisation de la région 4. La transfiguration d’un paysage en espace sacré se produisait grâce à la reproduction du mythe du désert, codifié déjà dans les écritures des auteurs chrétiens les plus célèbres 5. Les liens forts entre le paysage et les formes de l’ascèse pratiquée sont particulièrement accentués par l’emploi de divers topoï littéraires : l’aliénation du monde, les tentations diaboliques (dans la lutte pour la maîtrise des passions) et le perfectionnement intérieur. Le perfectionnement est vertical – l’augmentation des pouvoirs ascétiques est en accord avec l’abandon de l’oikoumene et l’entrée physique dans un désert profond. C’est ainsi que le paysage modèle le monde social, mettant en opposition les conceptions classiques de la ville et du désert 6. Avec l’établissement de modèles littéraires imitables, on aperçoit le processus de formation des déserts artificiels dont bénéficient les héritiers de l’autorité ascétique. En tant que fondements liturgiques et hagiographiques du processus de célébration, les textes dévotionnels servaient à codifier un modèle de sainteté, mais aussi, confirmaient l’importance et les degrés du processus de sacralisation de la région entière. L’idée de fonder des hesychasteria, situés autour de larges communautés cénobitiques, qui servaient comme substituts fonctionnels pour les déserts monastiques, fut initialement liée, en Serbie au début du xiiie siècle, à l’activité de saint Sava qui s’est inspiré du modèle de l’érémitisme palestinien. Ce phénomène apparaît dans le cadre d’une société pré-urbaine, dans laquelle le monastère jouait, toutes proportions gardées, le rôle d’une ville, avec ses fonctions économiques ainsi que sociales et politiques 7. L’apparition d’une hagiographie formée sous l’influence athonite dans les pays serbes est liée à l’ascension de la dynastie locale fondée par Stefan Nemanja (1168-1196). L’héritage hagiographique serbe, vu dans sa totalité, représente un vaste corpus de sources pour notre recherche. Une caractéristique importante de ces textes est l’appartenance de leurs auteurs aux plus hautes strates sociales, détentrices du pouvoir politique ou ecclésiastique, tout

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M. caSSiDy-Welch, « Space and Place in Medieval Contexts », Parergon 27/2 (2010), p. 1-12. Sur l’interprétation symbolique de l’espace dans l’hagiographie voir P. BroWn, « Chorotope : Theodore of Sykeon and his Sacred Landscape », dans A. liDov (éd.), Hierotopy. The Creation of Sacred Spaces in Byzantium and Medieval Russia, Moscou 2006, p. 117-125. J. E. GœhrinG, « The Dark Side of Landscape: Ideology and Power in the Christian Myth of the Desert », Journal of Medieval and Early Modern Studies 33/3 (2003), p. 438. D. PoPović, « Deserts and Holy mountains of Medieval Serbia: earliest developments », dans Proceedings of the 21st International Congress of Byzantine Studies, vol. II, Londres 2006, p. 223-225.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale en étant étroitement liées aux cercles athonites. Partant de Sava lui-même, qui est devenu moine vers la fin du xiie siècle, et de son frère, le premier roi serbe Stefan (couronné en 1217), en passant par les meilleurs écrivains du xiiie siècle, comme les deux moines athonites Domentian et Théodose, pour terminer avec l’archevêque serbe Daniel, qui a été précédemment (1307-1311) higoumène de Chilandar, cette recherche porte sur l’élite intellectuelle serbe qui puisait ses racines dans le milieu monastique orthodoxe. La littérature créée dans ces cercles intellectuellement et politiquement significatifs s’est formée sous l’influence directe de l’hagiographie byzantine et de sa littérature liturgique. La plus grande partie de ce livre est consacrée à l’analyse du corpus des sources hagiographiques. Nous souhaitons présenter au lecteur les principaux courants du développement de ce genre littéraire spécifique dans la Serbie médiévale depuis l’époque de l’indépendance de royaume jusqu’à sa chute après l’invasion des Turcs (1459). Vers la fin du xiie siècle, on constate la création d’une vaste tradition hagiographique en slavon-serbe. L’alphabet cyrillique est utilisé pour l’écriture tandis que la langue paléoslave, dans sa version serbe, est employée dans la littérature liée à la dynastie régnante 8, laquelle littérature atteint l’apogée de son développement au Mont Athos. Au début des années quatre-vingt-dix du xiie siècle, le prince serbe Rastko Nemanjić, futur saint Sava, devient résident de cette communauté monastique. Il commence son séjour dans le monastère russe de Pantéleimon qui avait une bibliothèque célèbre pour ses livres grecs traduits en langue slave 9. Le moine Sava a ensuite séjourné à Vatopédi où il a appris le grec et entamé une fructueuse coopération avec les moines de ce monastère. Après l’arrivée de Stefan Nemanja – Syméon de son nom monastique – au Mont Athos à l’automne 1197, le père et le fils, en tant que membres illustres de la communauté athonite et apparentés à l’empereur byzantin Alexis III Ange, ont réussi à obtenir de ce dernier le monastère abandonné de Chilandar, qu’ils ont restauré. Grâce aux efforts de Sava et à son travail littéraire, ce monastère est devenu le foyer de la spiritualité et de la littérature serbes. Parmi les premières œuvres de Sava se trouvent la charte de fondation du monastère de Chilandar (1198), ainsi que son Typikon et le Typikon de Karyès (1199). Ce dernier a été écrit pour l’ermitage, une sorte d’« atelier littéraire », que Sava a érigé à l’instar de ses modèles palestiniens et qu’il a consacré à son protecteur, saint Sabas de Jérusalem. Il s’agit d’un texte qui est devenu la norme de

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L’héritage plus ancien, glagolitique, vivra encore longtemps dans la tradition serbe et l’usage liturgique, comme l’Évangile de Marie du xie siècle. Cf. I. ŠPaDiJer, Svetogorska baština. Manastir Hilandar i stara srpska književnost [L’héritage athonite. Le monastère Chilandar et la littérature serbe ancienne], Belgrade 2014, p. 11-12. La bibliothèque du monastère que Sava aurait pu trouver quand il est arrivé au monastère a été détruite, le plus probablement durant l’attaque catalane en 1309.

Préface l’anachorétisme serbe tout entier. Le Typikon de Chilandar est une traduction adaptée du Typikon de la Théotokos Évergétis, auquel ont été ajoutées les parties concernant les coutumes athonites 10. Sava a également composé un récit hagiographique pour son père qu’il célèbre comme fondateur, ainsi que l’Office à saint Symeon, après son retour en Serbie et la translation des reliques de son père à Studenica, en 1207. Cette Vie constitue le chapitre d’introduction du Typikon de Studenica et s’inspire en grande partie du prooimion de la Charte de fondation du monastère de Chilandar. Les deux éléments principaux de cette Vie sont la description du renoncement au trône par Nemanja, suivi de sa prise d’habit, et le récit de sa mort à Chilandar. Sava s’est consacré au travail littéraire et à la traduction des textes grecs, tant à Chilandar que, plus tard, à Studenica. Après avoir étudié, au Mont Athos, les œuvres de la littérature slave ancienne ainsi que les premières traductions de la littérature monastique grecque, comme la Vie d’André Salos ou Le roman de Barlaam et Joasaph, auquel il a sans doute emprunté une série d’images poétiques et de concepts du moine idéal, Sava a participé à Studenica à la traduction en serbe de nombreux ouvrages, parmi lesquels ceus de Barlaam et Joasaph 11. Un autre texte hagiographique important, qui appartient à la première génération de notre corpus de sources, est la seconde Vie de saint Syméon, écrite par son fils et héritier Stefan, dit le Premier Couronné 12. Ce texte, achevé après 1216, possède tous les éléments d’une composition hagiographique développée, avec un prologue, la vie du saint, l’éloge et le récit de ses miracles. Il s’agit d’une vie typique de souverain qui souligne moins que le texte de Sava les composantes monastiques de la vie de Syméon. Stefan y décrit les sept miracles opérés par son père ; son éloge est composé de telle façon qu’il pose des questions rhétoriques dans la première partie, alors que la deuxième est construite à l’instar de l’Acathiste à la Vierge. Stefan est aussi l’auteur de la deuxième charte de Chilandar, un texte poétique comportant des éléments de la Vie de saint Syméon, de sa propre autobiographie en tant qu’héritier du trône et second ktètor de Chilandar, ainsi que des parties de l’office liturgique 13.

10. Ce typikon-ci a servi de base pour le Typikon de Studenica, avec seulement des changements mineurs. Une autre partie du Typikon de Chilandar, La vie brève de Syméon Nemanja, offre seulement une mention du saint, focalisée sur son arrivée au Mont Athos et sa mort monacale. 11. T. jovanović (éd.), Varlaam i Joasaf [Barlaam et Joasaph], Belgrade 2005. 12. STefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], dans i D., Sabrana dela [Œuvres complètes], Lj. JuhaS-GeorGievSka, T. jovanović (éd.), Belgrade 1999, p. 15-129. 13. A. SolovJev, « Hilandarska povelja velikog župana Stefana (Prvovenčanog) iz godine 12001202 » [« La charte au Chilandar de grand joupan Stefan (le Premier Couronné) de l’année 12001202 »], Prilozi za književnost, jezik, istoriju i folklor V/1-2 (1925), p. 62-89. Selon la datation la plus récente, la charte a été créée en 1207/8. Cf. Đ. BuBalo, « Kada je veliki župan Stefan Nemanjić

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale L’âge d’or de la littérature hagiographique serbe débute avec les œuvres de deux moines de Chilandar qui écrivent vers la fin du xiiie siècle – Domentian et Théodose. La personnalité littéraire exceptionnelle de Domentian est restée à jamais liée à ses textes hagiographiques – Vie de saint Sava (écrite en 1253/1254) et la vita tertia de saint Syméon (1264) 14. L’hagiographie de saint Sava par Domentian est l’œuvre la plus longue en son genre dans la littérature médiévale serbe. Selon les mots explicites de l’hagiographe, cette Vie a été commandée par le roi serbe de l’époque, Stefan Uroš I (1243-1276), le plus jeune fils de Stefan le Premier Couronné. Il s’agit d’une vie composée de manière particulière, qui s’inspire de traités théologiques ainsi que de formes littéraires mineures – éloges, épîtres, oraisons, lamentations, prières, sentences – et qui utilise des parallèles bibliques qui se transforment en unités littéraires indépendantes. Née des préceptes esthétiques byzantins, l’œuvre de Domentian se distingue par la mélodie particulière de la langue, la souplesse de la syntaxe, le ton soutenu de l’éloge et l’érudition patristique. Théodose, quoique plus jeune, était un contemporain de Domentian. On a très peu d’informations sur sa vie, mais on sait que son travail littéraire est lié au milieu monastique de Chilandar durant les deux dernières décennies du xiiie et le début du xive siècle, c’est-à-dire à l’époque du roi Stefan Milutin (1282-1321). La culture serbe de cette époque s’inspire du modèle byzantin, tant dans le domaine politique que religieux et, de même, cette influence byzantine est très perceptible dans l’hagiographie serbe. L’œuvre de Théodose représente une nouvelle étape dans le développement de la littérature poétique qui suit l’introduction de la pratique liturgique de Jérusalem dans l’Église serbe. Si nous observons l’œuvre littéraire de Théodose dans son ensemble, la Vie de saint Sava 15, celle de Vie de saint Pierre de Koriša 16, les prières des offices indépendants consacrés à Syméon et Sava, les compositions

izdao povelju manastiru Hilandaru ? » [« Quand le grand joupan Stefan Nemanjić a-t-il donné la charte au monastère de Chilandar ? »], Stari srpski arhiv 9 (2010), p. 233-241. 14. DoMentiJan, Život svetog Simeona [DoMentian, Vie de saint Syméon], dans iD., Život Svetog Simeona i Svetoga Save [Vies de saint Syméon et saint Sava], Đ. daničić (éd.), Belgrade 1865, p. 1-118 ; en serbe : DoMentiJan, Život Svetoga Save i Život Svetoga Simeona [Vie de saint Sava et Vie de saint Syméon], R. Marinković (éd.), Belgrade 1988, p. 237-325. La troisième Vie consacrée à saint Syméon a été créée sur les traditions des deux textes qui l’ont précédée, mais ce texte-ci repose aussi sur deux œuvres de la littérature russe ancienne – « Le Dit sur la loi et le bonheur » du métropolite Ilarion de Kiev du xie siècle et « L’Éloge à notre khan Vladimir qui nous baptisa ». Ceci témoigne clairement de l’interconnexion des cultures slaves sur le Mont Athos. 15. teoDoSiJe, Žitije svetog Save [théoDoSe, Vie de saint Sava], dans DoMentiJan [=teoDoSiJe], Život svetoga Save [Vie de saint Sava], Đ. daničić (éd.), Belgrade 1860 ; en serbe : teoDoSiJe, Žitija [théoDoSe, Vies], D. Bogdanović (éd.), Belgrade 1988, p. 101-261. 16. teoDoSiJe, Žitije svetog Petra Koriškog [théoDoSe, Vie de saint Pierre de Koriša], dans I. ŠPaDiJer, Sveti Petar Koriški u staroj srpskoj književnosti [Saint Pierre de Koriša dans la littérature serbe ancienne], Belgrade 2014, p. 301-351 ; en serbe : teoDoSiJe, Žitija [théoDoSe, Vies], D. Bogdanović (éd.), Belgrade 1988, p. 265-288.

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Préface hymnographiques écrites en l’honneur de leur célébration commune, ainsi que la vaste œuvre rhétorique créée suivant la tradition de l’enkomion grec – Éloge à saint Syméon et à saint Sava –, nous voyons à quel point elle est tributaire des créations littéraires de l’époque. Cela provient des liens multiples que Chilandar entretenait avec l’État serbe et avec les nouveaux programmes idéologiques créés vers la fin du xiiie siècle. Notre livre cherche à mettre en lumière l’influence de ces liens sur la littérature, et en particulier sur une nouvelle forme d’hagiographie qui élargit le catalogue des miracles, auxquels elle donne une fonction spéciale et en quelque sorte modifiée. La littérature hagiographique serbe, créée sous le signe de la Sainte Montagne et dans le sillage du rayonnement monastique, intellectuel et poétique de Chilandar, continue son histoire avec l’œuvre de l’archevêque Daniel II. Avant son ascension au trône archiépiscopal (1324-1337), Daniel reçoit sa formation spirituelle et littéraire à Chilandar, dont il devient l’higoumène après l’attaque du Mont Athos par les brigands catalans (1305/6). Durant toute cette période, Daniel agit en tant qu’homme de confiance de la dynastie régnante, conseiller et diplomate de très haut rang à la cour des rois Stefan Milutin et de son fils et héritier, Stefan de Dečani (1321-1331). Deux de ses compositions poétiques sont consacrées à ses prédécesseurs sur le siège archiépiscopal, pour lesquels il a aussi écrit des Vies de saint. Son œuvre en prose la plus importante est un célèbre recueil de portraits hagiographiques des rois et des archevêques serbes 17. Il n’est pas possible de dater avec certitude sa composition, mais on considère qu’elle date d’après 1317 18. Concernant la genèse de ce texte de cette œuvre, particulière par sa structure, il faut souligner la rédaction d’une vie brève du roi Milutin 19, présentée sous forme d’autobiographie royale et insérée dans le prooimion de la Charte de fondation du monastère de saint Stefan à Banjska, qui est également attribuée à Daniel, et à partir de laquelle a été composée plus tard une seconde version portant le même titre – La vie brève du roi Milutin. Les Vies des souverains écrites par Daniel apportent des nouveautés dans la structure du genre hagiographique,

17. Danilo II, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Daniel II, Vies des rois et archevêques serbes], dans Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Vies des rois et archevêques serbes écrites par l’archevêque Daniel et al.], Đ. daničić (éd.), Zagreb 1866 ; en serbe : Danilo DruGi, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih. Službe [Daniel SeconD, Vies des rois et archevêques serbes. Offices], G. Mak DaniJel, D. PeTrović (éd.), Belgrade 1988, p. 43-212. 18. On attribue six Vies et deux offices à Daniel. Dans le recueil des hagiographies qui portent son nom, il est le plus probablement l’auteur des Vies du roi Dragutin, de la reine Hélène, du roi Milutin, des archevêques Arsène I, Joannice I et Eustathe I. Sur les écrits en prose de Daniel voir Đ. Trifunović, « Proza arhiepiskopa Danila II » [« La prose de l’archevêque Daniel II »], Književna istorija IX/33 (1976), p. 3-71. 19. V. MoŠin, « Žitije kralja Milutina prema arhiepiskopu Danilu II i Milutinovoj povelji-autobiografiji » [« La Vie de roi Stefan Milutin d’après l’archevêque Daniel II et la charte autobiographique de Milutin »], Zbornik istorije književnosti 10 (1976), p. 109-136.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale car elles tissent des liens avec diverses formes d’expression littéraire : prières, lamentations [?], monologues intérieurs, dialogues avec son âme, confessions, éloges, sentences morales 20. Tous les textes de Daniel font preuve de cette interconnexion. Leur « fonction contemplative », de même que l’héritage littéraire de leur auteur, se rattachent aux racines spirituelles de l’Athos, exprimées dans la théologie palamite-hésychaste 21. Conscient de l’étendue de sa tâche, l’écrivain associe les valeurs traditionnelles de la théologie orthodoxe à l’héritage hagiographique de Byzance. Au fond, Daniel a composé une sorte de mosaïque, un ensemble construit avec des Vies plus courtes. Il invente alors le prologue serbe – qui forme une sorte de voûte hagiographique au-dessus de la Vie des saints serbes. Pour réaliser cette innovation, il devait avoir une vue de l’ensemble de la production littéraire et des liens entre les différentes compositions. Dans le présnt ouvrage, nous proposons d’étudier les relations internes au corpus hagiographique serbe. L’œuvre littéraire de Daniel, principalement le corpus composé des Vies des saints serbes, a été poursuivie par ses élèves. Le premier des continuateurs de Daniel a écrit les hagiographies des héritiers de Milutin – Stefan de Dečani et Stefan Dušan – et la Vie de Daniel lui-même. C’est un écrivain au style expressif, ayant le sens de l’histoire, la faculté de faire une description dramatique des événements, et ayant un grand intérêt pour la composante historique de l’action. Malgré les opinions divergentes prononcées sur son œuvre, les chercheurs se retrouvent toujours devant de nombreuses questions incomplètement élucidées, tant en ce qui concerne le nombre des auteurs que la structure et la composition des récits hagiographiques 22. L’hagiographie tardive, créée après l’extinction de la dynastie des Némanides, est liée à la diffusion du culte des néomartyrs et elle est conditionnée par les circonstances historiques dont nous parlerons plus en détail par la suite. Durant la deuxième moitié du xive siècle, à l’époque de l’invasion des Turcs Ottomans dans les territoires balkaniques, un grand nombre de moines a trouvé refuge au Mont Athos, mais certains d’entre eux partirent aussi vers l’ouest, en direction des pays serbes rassemblés dans l’État du prince Lazar et de ses successeurs. Autour de ce dernier a été créée toute une tradition de textes hagiographiques. Parmi eux se démarquent, par leur beauté littéraire, ceux de la moniale Jefimija, dont les compositions ont été inspirées par les œuvres de Syméon le Nouveau Théologien et de Syméon

20. D. Bogdanović, Istorija stare srpske književnosti [Histoire de la littérature serbe ancienne], p. 177. 21. Ibid. 22. Préface de G. Mak DaniJel dans Danilo DruGi, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih. Službe [Daniel SeconD, Vies des rois et archevêques serbes. Offices], G. Mak DaniJel, D. PeTrović (éd.), Belgrade 1988, p. 9-24.

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Préface Métaphraste 23. À l’époque de la bataille d’Ankara (1402), Jefimija a composé l’Éloge au prince Lazar, brodé avec un fil en argent doré sur un tissu de soie rouge, créé pour le suaire de la châsse qui contenait ses reliques dans le monastère de Ravanica. Cette composition particulière comporte un éloge du saint prince, une prière pour qu’il vienne en aide à ses fils et la confession personnelle de la moniale malheureuse, jadis épouse du despote de Serrès. En partie modifié, le texte de cet éloge est entré dans la liturgie en tant que vie brève dans l’Office du saint prince Lazar. Parallèlement à tous ces événements, une forte activité de traduction continue sur le Mont Athos, inspirée par la piété hésychaste qui a largement influencé les productions littéraires de cette époque 24. Nous savons que, depuis le règne de l’empereur Stefan Dušan (roi 1331-1345 ; empereur 13451355), des commandes de traduction d’œuvres grecques et de copie de différents ouvrages ont régulièrement été faites pour les besoins de la cour serbe 25. Cependant, toute notre attention se portera sur la tradition hagiographique, liée à la célébration de la sainte dynastie. La place la plus importante dans ce contexte revient indubitablement à la Vie de Stefan de Dečani, un texte hagiographique écrit par l’higoumène du monastère de Dečani, Grégoire Camblak (1402), une personnalité complexe à la vie tumultueuse, un homme cosmopolite et érudit dont les œuvres appartiennent au patrimoine littéraire bulgare, serbe et russe ancien 26. Le texte hagiographique qu’il a composé en l’honneur

23. Sur l’œuvre de la moniale Jefimija, l’ouvrage le plus complet est celui de Đ. Trifunović, « Život i rad monahinje Jefimije » [« La vie et l’œuvre de la moniale Jefimija »], dans iD. (éd.), Monahinja Jefimija. Književni radovi [Moniale Jefimija. Œuvres littéraires], Kruševac 1983, p. 7-32. 24. À cette époque sur le Mont Athos on traduit de grec en slavon serbe les œuvres classiques de la philosophie byzantine, par exemple celles de Pseudo-Denys l’Aréopagite, mais aussi les écrivains contemporains comme Grégoire le Sinaïte, Grégoire Palamas, Calliste Xanthopoulos, Philothée Kokkinos et al. Cf. D. Bogdanović, « Svetogorska književnost kod Srba u XIV veku » [« Littérature athonite chez les Serbes au xive siècle »], Naučni sastanak slavista u Vukove dane 8/ II (1980), p. 291-295 ; I. ŠPaDiJer, Svetogorska baština [L’héritage athonite], p. 95. 25. Il est connu que l’épouse de Dušan, l’impératrice Hélène, aimait la littérature et fut commanditaire d’un grand nombre de manuscrits, parmi lesquels on trouve des copies de livres grecs. Pendant l’épidémie de la grande peste en 1347/8, elle s’est cachée avec l’empereur sur le Mont Athos ; nous apprenons dans une note du moine Joannice que l’impératrice serbe lui a commandé, à cette occasion, une traduction de grec de l’Exégèse du saint évangile de Théophylacte d’Ohrid. Cf. М. Živojinović, « De nouveau sur le séjour de l’empereur Dušan à l’Athos (À propos d’une nouvelle publication : Actes de Lavra IV) », Zbornik radova Vizantološkog instituta 21 (1982), p. 119-126. 26. Grégoire Camblak est né à Turnovo, et sa famille appartenait, il paraît, aux couches supérieures de la société byzantine, proches à l’empereur bulgare Jean Alexandre. L’oncle de Grégoire était le fameux métropolite de Kiev et de Moscou et l’homme de lettres russe Cyprien. De Bulgarie, Grégoire est parti au Mont Athos, ensuite à Constantinople, puis en Moldavie, où il était higoumène du monastère Sučava. Il vient en Serbie au temps du despote Stefan Lazarević en 1402 et devient higoumène du monastère de Dečani. Après la mort du métropolite Cyprien à Moscou, Grégoire est parti en Russie pour devenir métropolite de Kiev, en tant que représentant de la poli-

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale du ktétor de Dečani est resté l’un des textes les plus importants de l’héritage hagiographique serbe, surtout en raison de l’influence de ce texte sur la diffusion ultérieure du culte du saint roi. D’un point de vue purement hagiographique, il offre certaines nouveautés par rapport à la tradition déjà existante. Il s’agit, avant tout, de la place croissante que les miracles du saint obtiennent dans l’hagiographie consacrée au culte d’un néomartyr. De surcroît, cet écrit donne une image tout à fait différente du héros du récit quand on le compare à la première hagiographie de Stefan de Dečani, qui se trouve dans le recueil de Daniel, une vie dont la création est attribuée au premier continuateur de Daniel. La figure hagiographique de Stefan de Dečani se démarque de tous les types habituels de saints rois. En outre, la longue durée de son culte n’a d’égale en Serbie que celle de saint Syméon, ce qui témoigne de son importance. Pourtant, le culte du saint roi Stefan de Dečani a d’abord été un culte typiquement dynastique. Il a connu un vrai essor grâce au fait qu’il est né à l’initiative des moines de Dečani qui souhaitaient inscrire le fondateur de leur monastère dans le calendrier liturgique. Ils en ont fait un saint martyr en accord avec les souverains de Serbie au pouvoir après la bataille du Kosovo. La durée du culte de Stefan de Dečani s’expliquerait ainsi, avant tout, par des circonstances qui lui furent favorables. Il faut aussi souligner que la vie de Stefan, fils du roi Milutin et père de l’empereur Dušan, est le symbole d’un drame familial né de « la gloire amère du royaume ». De toutes les Vies de saints dynastiques serbes, celle de Stefan de Dečani, telle qu’elle est représentée dans le recueil de Daniel, est en effet la seule à avoir été créée en dépit de toute règle puisque le saint roi y incarne un antihéros. Il est vrai que la fonction accordée à la sainteté dynastique par l’élite serbe au moment de la création d’un recueil de récits hagiographiques des rois et archevêques de Serbie était surtout politique. Cette image inhabituelle du « héros » en serait donc le reflet même si l’idée maîtresse du recueil de Daniel reste de faire une série des vies des saints rois, en insistant sur les charismes transmis, d’où les répétitions d’une vie à une autre, la continuité et la succession de la sainteté étant le thème principal. Le concept élaboré par Domentian à partir de la notion de « peuple élu » fut parachevé par Daniel grâce à l’assemblage de plusieurs récits hagiographiques qui loin d’être de simples biographies participaient à l’histoire sainte. Dans la littérature hagiographique serbe, le passé est vague et a surtout valeur d’exemple. On ne parle d’un événement qu’en fonction du modèle sacré qu’il est censé représenter tandis que sa dépendance au prototype en fait un instrument privilégié de la création de la mémoire. Mais les récits historiques et hagiographiques évoluent sur un arrière-plan idéologique identique. En rapprochant le passé et le présent, ils deviennent des éléments de la

tique étatique lituanienne. Sur Grégoire voir D. Bogdanović, Istorija stare srpske književnosti [Histoire de la littérature serbe ancienne], p. 205.

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Préface conception théologique de l’Histoire 27. Aussi, si la vie de saint tend à célébrer simplement le souvenir et à raconter le récit éternel de l’histoire sainte, on peut s’interroger sur ce qu’elle révèle de l’époque où elle a été écrite 28. D’autre part, le texte hagiographique est également, et d’abord, destiné à la lecture des moines désireux de connaître les hauts faits du fondateur de leur monastère. Là aussi, les Vies que nous possédons de saint Stefan de Dečani diffèrent l’une de l’autre. Camblak, auteur d’une autre Vie de Stefan de Dečani, révèle l’action miraculeuse du saint, en ne montrant le héros qu’à la lumière de ses exploits et en privilégiant toujours l’expression du divin sur la réalité historique. Le texte met en valeur plusieurs moments dramatiques, les événements exceptionnels de la vie du saint roi Stefan et ses actions nobles qui se déroulent sous la bienveillance du Seigneur, de façon à créer un parallèle avec l’histoire du salut 29. Dans l’histoire de la littérature serbe médiévale, on a remarqué depuis fort longtemps le rapport essentiel qui existe entre les différents écrits dits « de Kosovo », créés après la tragédie du prince Lazar et des chevaliers serbes sur le champ de bataille de Kosovo le 28 juin 1389 et les compositions écrites pour les besoins de deux nouveaux cultes de martyrs – pour le saint prince Lazar et le saint roi Stefan de Dečani. À l’époque du règne du successeur de Lazar – le prince, et par la suite despote Stefan Lazarević – il s’est produit un essor de l’activité littéraire, de traduction et de copie de manuscrits. De nombreux connaisseurs de la langue grecque et des copistes érudits ont trouvé refuge à la cour de Belgrade. Poète de talent lui-même et personnalité exceptionnelle dans tous les sens, le despote Stefan a été immortalisé dans la dernière grande composition hagiographique qui est l’objet de notre analyse – La Vie du despote Stefan Lazarević écrite par Constantin le Philosophe 30. Constantin est probablement d’origine bulgare, et il a passé la première décennie du xve siècle au monastère de Bačkovo. La situation précaire en Bulgarie après 1410 l’a forcé de fuir en Serbie où, tout comme de nombreux autres réfugiés érudits, il a été accepté par le despote Stefan qui l’a inclus dans les missions

27. P. MaGDalino, « The Distance of the Past in the Early Medieval Byzantium (vii-x Centuries) », dans Ideologie e pratiche del reimpiego nell’ Alto Medioevo, Spoleto 1999 (Atti delle Settimane di Studio del Centro italiano di studi sull’alto Medioevo XLVI/1), p. 117. 28. Voir M. van uytfanGhe, « Les voies communicationnelles du message hagiographique au haut Moyen Âge », dans Communiare e significare nell’alto Medioevo, Spoleto 2005 (Atti delle Settimane di Studio del Centro Italiano di studi sull’alto Medioevo LII/2), p. 685-732. 29. Sur ces questions voir S. Marjanović-dušanić, Sveti kralj. Kult Stefana Dečanskog [Le roi saint. Le culte de Stefan de Dečani], Belgrade 2007. 30. konStantin filozof, Život despota Stefana Lazarevića [conStantin le PhiloSoPhe, Vie du despote Stefan Lazarević], dans V. jagić, « Konstantin Filosof i njegov Život Stefana Lazarević despota srpskoga, po dvjema srpsko-slovenskim rukopisima » [« Constantin le Philosophe et sa Vie de Stefan Lazarević, despote de Serbie, selon deux manuscrits slavons serbes »], Glasnik Srpskog učenog društva XLII (1875), p. 223-328 ; en serbe : D. Pavlović (éd.), Stara srpska književnost [Ancienne littérature serbe], t. III, Novi Sad – Belgrade 1970, p. 179-258.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale diplomatiques, lui a confié la direction d’une école où l’on obtenait un haut niveau d’éducation, et il a aussi pu effectuer un travail littéraire. La vie consacrée au despote a été écrite entre 1433 et 1439, à la suite d’une commande du patriarche de l’époque et des « seigneurs de la cour ». Par rapport au genre littéraire hagiographique traditionnel, cette œuvre s’éloigne considérablement des formes établies, et ressemble plutôt à une sorte de biographie séculière. Néanmoins, deux moments situent cette œuvre dans le genre hagiographique : d’un côté, l’œuvre est clairement motivée par l’effort de canoniser le despote Stefan et d’instaurer son culte, et de l’autre côté, il s’agit d’un texte qui a, par son contexte idéologique et son inspiration principale, indubitablement le caractère d’une célébration. Par de nombreuses caractéristiques, l’écrit de Constantin le Philosophe est inspiré par les œuvres de l’historiographie byzantine, surtout de la biographie hellénique, mais l’auteur a sans doute utilisé aussi des florilèges des pensées antiques et bibliques, particulièrement populaires et répandus sur les territoires balkaniques à son époque, qui ont déjà été traduits du grec en serbe et en bulgare sous le titre de L’Abeille (Melissa) 31. Le travail de copie des livres et de traduction des écrits grecs s’est poursuivi jusqu’à la chute de l’État serbe, dans les cours du despote Đurađ Branković et de ses successeurs à Smederevo, la dernière capitale serbe. Cette production hagiographique complexe, dont nous avons essayé ici de brosser à grands traits les contours, est au centre de notre recherche. La spécificité de ces sources réside dans le fait que la plus grande partie de l’hagiographie serbe est consacrée à la célébration de la sainteté des membres de la dynastie serbe régnante des Némanides, qui a siégé sur le trône à partir de la deuxième moitié du xiie siècle jusqu’à l’an 1371. Tous ces cultes proviennent d’un mécanisme facilement reconnaissable qui a caractérisé aussi l’apparition de cultes similaires au sein de l’espace européen : ils répondent au désir qu’éprouvent les gouvernants du bas Moyen Âge de se doter d’une légitimité sacrée. C’était, en effet, l’unique façon de promouvoir ces nouveaux peuples sur la scène politique européenne et, de la manière qui est propre au Moyen Âge, de marquer leur entrée dans l’histoire sainte. Depuis le xve siècle, pourtant, la production artistique, contrairement à l’époque précédente, a été marquée par des formes littéraires plus courtes. Elles sont caractérisées par le pressentiment de la catastrophe finale et par la conscience de l’avènement de la « fin des temps ». À partir de ce moment-là, nous ne rencontrons plus la grande production hagiographique et hymnographique des époques précédentes, et les formes littéraires nouvellement créées transmettent un autre type de message au lecteur.

31. D. tSchizeWSkiJ (éd.), Serbische und bulgarische Florilegien (Pcele) aus dem 13.-15. Jahrhundert, Munich 1970.

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Préface Au centre de notre analyse se trouve donc la production hagiographique serbe. C’est la raison pour laquelle un grand chapitre du livre est consacré au culte, surtout au culte du saint souverain, qui est la principale originalité de l’hagiographie serbe par rapport à l’hagiographie byzantine, qui lui a servi, par ailleurs, d’inspiration. L’étude des liens entre l’hagiographie et la politique nous a amenée inexorablement à la seconde partie, consacrée à l’analyse du phénomène du miraculeux et de la métaphrase. Le dossier hagiographique serbe fait preuve, comme nous essaierons de le montrer, d’un développement dynamique des idées sur la nature du phénomène du miraculeux, en tant qu’aspect essentiel et incontournable de la manifestation de la sainteté. Les conclusions que nous présenterons à cette occasion concernent le rôle du miracle en tant que caractéristique importante et spécifique des cultes des souverains serbes, et elles reposent, en partie, sur la nécessité d’expliquer les formes de la sainteté qui déterminaient le caractère du récit hagiographique dans la Serbie des Némanides. Les manifestations de la sainteté seront analysées non seulement comme une forme hagiographique mais aussi comme un concept « politique » en lui-même. Au centre de notre attention est le miracle, observé dans des récits créés en fonction de la célébration du saint, particulièrement dans les métaphrases auxquelles est consacrée une partie de notre texte. Les écrivains des Vies serbes – les moines athonites ou les hommes proches des cercles monastiques – suivant la riche tradition byzantine dans laquelle ils ont été éduqués, voient le miracle comme thauma, source de ce qui étonne et émerveille ; paradoxal par sa nature, le miracle apparaît soudainement et porte des caractéristiques surnaturelles 32. En règle générale, il s’appuie sur des textes bibliques et il est décrit selon un répertoire préétabli qui répète des schémas connus 33. La description du miracle a une utilité précise au sein du récit : le miracle sert d’exemple – c’est un « pilier », mais aussi un signe évident du pouvoir du saint et de la grâce divine. C’est pour cette raison que vont se retrouver réunies, par la description du miracle, les fonctions votives de l’acte de l’écriture et la perception du récit hagiographique comme un acte dévotionnel. Parallèlement, si le devoir essentiel de l’hagiographie est de garder la trace de la présence du miracle, la question du commanditaire (qui inclut le rapport entre l’auteur et le commanditaire lui-même) devient particulièrement intéressante, et ceci d’autant plus qu’elle indique les fonctions multiples de la sainteté dans le cadre de la communauté 34.

32. P.-A. SiGal, L’homme et le miracle dans la France médiévale (xie-xiie siècles), Paris 2007, p. 288293. 33. Cf. B. fluSin, Miracle et Histoire dans l’œuvre de Cyrille de Skythopolis, Paris 1983, p. 155-158. 34. Pour la genèse de ce phénomène voir D. k rueGer, Writing and Holiness: The Practice of Authorship in the Early Christian East, Philadelphie, PA 2004, p. 4-6, 195-197.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Enfin, nous tenterons d’analyser le rapport entre divers genres littéraires et l’hagiographie. Toutes ces sources ont une dimension commune avec le texte de l’hagiographie, qui est, avant tout, reflétée dans le message que ce texte porte. Qu’il s’agisse de messages concrets, de nature politico-idéologique, ou bien de la manière dont tous ces écrivains utilisent des topoï semblables, ces textes nous intéressent car ils essayent d’atteindre des buts identiques. Ce sont d’abord des textes de nature eschatologique, comme les récits consacrés au songe, aux visions et aux prophéties. En parlant du genre eschatologique dans la tradition littéraire serbe, particulièrement vivante durant le bas Moyen Âge, on s’attardera sur trois sujets indispensables à la compréhension de la diversité de cette littérature, et de la prépondérance de la tradition byzantine lors de la formation de celle-ci. Le premier sujet fait référence à l’apparition, dans la tradition des Slaves du Sud, de manuscrits dépeignant des visions de l’audelà, comme l’Apocalypse de la sainte Anastasie ; le deuxième concerne la réactualisation des textes de nature prophétique comme les Oracles de Léon le Sage ou la Prophétie du Pseudo-Méthode vers la fin du Moyen Âge ; le troisième traite de l’apparition simultanée de divers genres littéraires tardifs, liés à la topique de la fin des temps. Tenant compte des buts de notre recherche ici présentés, il est important d’en souligner un aspect particulier. L’analyse des textes consacrés à la célébration des saints tels que les hagiographies, les offices ou les louanges, revêt une valeur différente si elle est placée dans un contexte basé sur un lien entre l’hagiographie du saint et sa dépouille, dont l’action miraculeuse donne une dimension supplémentaire tant au récit hagiographique qu’à la pratique du culte. Pour cette raison, la question du lien entre le texte, les reliques et la mémoire est cruciale dans la tentative visant à mieux comprendre la longévité, mais aussi les rôles spécifiques des cultes des saints dans les Balkans. Bien entendu, ces spécificités proviennent essentiellement des cadres politiques dans lesquels ces cultes sont nés et ont perduré par la suite. Les nouveaux souverains, en quête de légitimité, cherchaient dans les reliques des protecteurs surnaturels qui pouvaient justifier leur action politique. La sacralisation du pouvoir à l’aide de reliques atteignit deux véritables apogées, le premier à l’époque de Saint Sava (début du xiiie siècle) et le deuxième durant le règne du despote Stefan (début du xve siècle). À l’instar des migrations de reliques, on imaginait un déplacement de l’histoire sainte de Byzance vers l’espace des « terres serbes ». Dans cette optique, il est intéressant de se rappeler les mots d’un évêque serbe du milieu du xixe siècle. Écrivant sur le rôle de l’Église dans la vie politique du peuple serbe de son époque, il avait déclaré que l’Église avait conservé les saintes reliques des rois serbes en en faisant les témoins de la vie politique et les gardiens de la mémoire. Voilà qui exprime parfaitement la teneur du programme de l’élite serbe du xixe siècle qui, reposant sur l’unité indéfectible du peuple, de l’Église et de la foi, s’inspirait largement du courant historiciste. De façon plus générale, les termes employés 24

Préface témoignent d’une longue évolution de la notion de « royauté sacrée ». Dans le même temps, ces mots prouvent, en dépit des mutations idéologiques et politiques, l’étonnante longévité du phénomène de la sainteté royale. Il n’est pas nécessaire d’expliquer ici le sens qu’a pris la notion de « saintes reliques » dans la sphère du politique. Toutefois, la raison pour laquelle nous avons souhaité commencer par les mots cités dans notre contribution à l’étude du phénomène de l’hagiographie « royale », réside dans le fait que l’évêque décrit les saintes reliques comme une arme contre l’oubli. Comme cette vision du phénomène présentée par l’évêque le montre clairement, les champs de recherche prévus incluent aussi le cadre politique dans lequel il s’est avéré nécessaire de réexaminer le rapport avec la tradition en tant que passé politique et dynastique concret, mais aussi comme un choix de la manière de façonner la mémoire. Cependant, nous n’avons pas l’intention d’adopter une vision trop idéologisée des faits historiques, où tout acte, tout geste serait forcément interprété dans une perspective politique. Les études modernes ont suffisamment expliqué quelle était la fonction du culte du saint roi et quel était le rapport de la mémoire à l’Histoire qui en découle. Essentiellement, il s’agit de la question déjà posée du choix entre les modèles culturels différents, et, par conséquent, entre plusieurs interprétations et diverses méthodes. Il est vrai que l’historiographie moderne s’est à ce point efforcée d’expliquer la construction d’une conscience de son propre passé qu’elle a engendré l’histoire de la mémoire en tant que discipline à part entière 35. Nous avons donc souhaité répondre, ne fût-ce qu’en partie, à la question de la place du culte du saint roi dans l’histoire de la mémoire. D’autre part, dans le domaine de l’historiographie officielle, les lieux de culte et de mémoire sont devenus les topoï identitaires de la communauté. Notre but a donc été d’indiquer les principales étapes de cette évolution dans l’espace serbe et d’en préciser le contenu durant la longue période du Moyen Âge. Les résultats des recherches exposés dans les pages qui suivent se réfèrent à la tradition médiévistique qui s’est développée à partir des années 1980 du xxe siècle. À ce titre, les travaux de Peter Brown, André Vauchez, Jacques le Goff, Jean-Claude Schmitt, Pierre Sigal ainsi que ceux de Gábor Klaniczay et Catya Galactariotou sur l’histoire des cultes de saints en général nous ont été d’une aide précieuse. Nous nous sommes aussi appuyés sur les travaux des byzantinistes qui ont étudié le processus de sacralisation de la fonction impériale (Gilbert Dagron) ainsi que différentes questions concernant la matière hagiographique, et en particulier, la place du miracle dans la conception de la sainteté (Bernard Flusin, Michel Kaplan, Vincent Déroche, Martin Heinzelmann) qui nous ont été particulièrement utiles. De même, un grand nombre d’études sur la sainteté et la parole écrite, comme celles de Derek

35. M. carrutherS, The Book of Memory. A Study of Memory in Medieval Culture, 2nde éd., Cambridge 2008. Cf. J. le Goff, Histoire et mémoire, Paris 1988;

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Krueger ou Ruth Macrides, ont été également une source d’inspiration pour ce travail sur l’hagiographie serbe. Il convient d’ajouter qu’une série d’études traitant du lieu saint, du rapport des reliques à la sainteté et de la nouvelle interprétation du genre hagiographique sont parus à la fin du xxe et au début du xxie siècle. C’est cette production historiographique qui nous a permis d’établir un cadre de recherche montrant l’évolution du phénomène de l’hagiographie « royale » en Serbie médiévale. Ainsi notre travail est-il une contribution aux travaux sur l’hagiographie serbe qui n’a pas encore bénéficié d’une étude systématisée. En dépit des résultats considérables obtenus, les études sur l’hagiographie serbe sont, partiellement, marquées par une sorte d’empirisme plutôt naïf. C’est la raison qui rend utile un ouvrage les thèmes et les motifs des Vies de saints serbes qui n’ont pas été analysés et qui sont restés inaperçus dans un grand nombre des travaux sur le sujet. Dans ce livre, deux points nous ont paru essentiels à étudier : le contexte politique de la littérature serbe médiévale, ainsi que sa dépendance à l’égard des modèles issus d’une tradition hagiographique plus vaste. Ainsi pour comprendre la signification des topoï utilisés dans les Vies de saints, leur signification idéologique et leur fonction politique, une approche comparatiste a été choisie. Ces textes ont une structure beaucoup plus complexe que ce qui a été proposé dans l’historiographie jusqu’à présent, ce qui conduit à réfléchir sur les aspects théoriques de l’écriture hagiographique comme genre littéraire. Il s’agit donc d’une tentative de poser, à côté d’importants travaux déjà parus, les fondements pour l’avenir de la recherche dans ce domaine. Pour conclure cet historique sommaire des recherches, l’importance des résultats scientifiques, la direction des recherches et la méthodologie peuvent être appréhendées par la façon dont a été imaginé et conçu l’un des phénomènes par essence propre au Moyen Âge, celui du rapport entre l’écriture et la sainteté. Il convient de souligner que le fait de l’avoir considéré dans toute la durée, tant dans la continuité que dans les innovations des modèles appliqués, a été un élément déterminant pour en comprendre l’essence et la fonction durant le Moyen Âge.

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CHAPITRE I LE CONTEXTE POLITIQUE DE L’HAGIOGRAPHIE SERBE

Les cadres hagiographiques et politiques de la sainteté L’étude de la promotion des cultes des saints de la dynastie des Némanides pose un grand nombre de questions, analysées jusqu’à présent avec un succès mitigé. Il nous semble qu’une compréhension plus claire de certains problèmes irrésolus dans ce domaine devrait se fonder sur l’application des approches théoriques sur la nature du genre littéraire hagiographique 1. La rédaction d’un récit dédié à la célébration du nouveau saint représentait, tant dans la pratique byzantine que dans la pratique serbe, la phase finale d’un processus complexe. Son stade principal – l’annonce publique et solennelle de la sainteté – était en règle générale rendu officiel par la présence des plus hauts représentants de la hiérarchie sociale 2. Cette circonstance est particulièrement importante pour déterminer la nature des hagiographies serbes, car les décisions de rédiger de nouveaux textes dédiés à cette célébration se prenaient, en raison de la spécificité des liens entre la dynastie serbe et le haut clergé, au sein d’un cadre institutionnel clairement établi 3. Cela transparaît dans l’ensemble des

1.

2.

3.

De la riche production de l’hagiologie contemporaine nous sélectionnerons deux études qui résument de manière exhaustive les résultats des recherches du genre littéraire hagiographique : M. Van UytfanGhe, « L’hagiographie : un “genre” chrétien ou antique tardif ? », Analecta Bollandiana 111 (1993), p. 135-188, particulièrement p. 148-149 ; G. PhiliPPart, « L’hagiographie comme littérature : concept récent et nouveaux programmes ? », Revue des sciences humaines 251 (1998), p. 11-39. Voir aussi M. HinterBerGer, « Byzantine Hagiography and its Literary Genres. Some Critical Observations », dans S. EfthyMiaDiS (éd.), The Ashgate Research Companion to Byzantine Hagiography, vol. II, Genres and Contexts, Farnham 2014, p. 25-60. Pour une vision plus globale de ces phénomènes voir M. KaPlan, « Les normes de la sainteté à Byzance (vie-xie siècle) », dans ID., Pouvoirs, église et sainteté. Essais sur la société byzantine, Paris 2011, p. 53-73 ; sur l’annonciation des reliques des saints, selon les sources hagiographiques, discuté en détail dans ID., « L’ensevelissement des saints : rituel de création des reliques et sanctification à Byzance à travers les sources hagiographiques (ve-xiie siècle) », Travaux et Mémoires, t. XIV, Mélanges Gilbert Dagron, Paris 2002, p. 319-332 (réimp. dans ID., Pouvoirs, église et sainteté, p. 127-145). Un aspect important de ces liens a été l’adoption du concept de « symphonie de l’Église et de l’État ». Cf. V. J. Đurić, « La royauté et le sacеrdoce dans la décoration de Žiča », dans G. SuBoTić (éd.), Manastir Žiča, Kraljevo 2000, p. 135-139 ; D. Vojvodić, « Slika svetovne i duhovne vlasti u srpskoj srednjovekovnoj umetnosti » [« L’image du pouvoir séculier et spirituel dans l’art médiéval serbe »], Zbornik Matice srpske za likovne umetnosti 38 (2010), p. 35-78.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale connaissances que l’on possède actuellement (provenant d’ailleurs de différents domaines), sur les motivations de l’écriture des hagiographies, vues dans le contexte plus large des préoccupations idéologiques et politiques de l’élite sociale. Ainsi, l’aspect principal pour comprendre toutes les circonstances de la naissance d’un nouveau récit est que les auteurs des vies serbes appartenaient à l’élite éduquée, élevée au contact d’une tradition hagiographique déjà formée, qui leur est parvenue par le biais de ses meilleures œuvres. Que les écrivains des vies de saints médiévales serbes qui seront analysées dans ce livre, comme Sava, Stefan, Domentian, Théodose ou Daniel, maîtrisaient les règles de la composition de l’hagiographie, cela va sans dire. C’est justement pour cette raison que nous pouvons remarquer dans toutes ces œuvres le même emploi de conventions littéraires clairement identifiables. Il s’agit des procédés complexes d’imitation, de mimèsis, enracinées dans la conception médiévale de la vie comme texte construit selon des règles préétablies, dans le but de célébrer la sainteté 4. Ces procédés reposent sur la répétition de schémas établis dans la longue tradition hagiographique, vécus comme un système abouti et complet. Qu’il s’agisse de l’acquisition des topoï ou des formules toutes faites qui se rapportent aux raisons et façons de composer le texte, elles permettent d’atteindre véracité et puissance littéraire au sein de ces compositions en s’inspirant des modèles canoniques 5. Le genre hagiographique naît grâce à la pratique de l’imitation et par émulation vis-à-vis des textes antérieurs ; ce processus est confirmé par des études sur l’instabilité du genre de ces premiers textes, c’est-à-dire, des premiers modèles 6. Pour essayer de définir plus clairement la nature du genre hagiographique, la question se

4. 5.

6.

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Pour un aperçu global de la question voir D. L. D’Avray, Medieval Religious Rationalities. À Weberian Analysis, New York, NY 2010. Les études de l’utilisation des topoï dans la littérature hagiographique, ainsi que les études de l’imitation des modèles, autrement dit des « similitudes », ont donné, chacune de son côté, des résultats significatifs. Cf. T. PratSch, Der hagiographische Topos. Griechische Heligenviten in mittelbyzantinischer Zeit, Berlin 2005 ; A. Cutler, « The Idea of Likeness in Byzantium », dans A. EaStMonD, L. JaMeS (éd.), Wonderful Things: Byzantium through its Art, Farnham 2013, p. 261-281, tout comme l’œuvre classique : E. AuerBach, Mimésis : la représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Paris 1977. Pour les études de la mimèsis dans la littérature byzantine est utile le recueil R. MacriDeS (éd.), History as Literature in Byzantium. Papers from the Fortieth Spring Symposium of Byzantine Studies (Birmingham, april 2007), Farnham 2010 (surtout les articles de M. HinterBerGer, « Envy and Nemesis in the Vita Basilii and Leo the Diacon: literary mimesis or something more ? », p. 187-203 ; A. SiMPSon, « From the Workshop of Niketas Choniates: The Authority of Tradition and Literary Nemesis », p. 259-268). Cf. C. RaPP, « “For Next to God, You are my Salvation”: Reflections on the Rise of the Holy Man in Late Antiquity », dans J. HoWarD-JohnSton, P. A. HayWarD (éd.), The Cult of Saints in Late Antiquity and the Middle Ages. Essays on the Contribution of Peter Brown, Oxford 1999, p. 63-65.

Le contexte politique de l’hagiographie serbe pose du but qui a guidé l’écriture et la commande de l’œuvre 7, et de l’analyse des caractéristiques du texte en lui-même par l’examen de sa forme et de son contenu concret 8. Si l’hagiographie est vue comme un aspect de la construction de la mémoire du saint, elle est aussi utilisée pour établir, de manière organisée et consciente, la mémoire de l’histoire sacrée, c’est-à-dire, du passé chrétien dans un sens plus large 9. La mémoire établie de cette façon offre un modèle moral, donne un appui au perfectionnement dans la vertu. Sur un autre plan, cette mémoire fonctionne dans le domaine du miraculeux comme une présupposition mentale de l’identification avec la figure emblématique du héros – médiateur entre les mondes terrestre et céleste. Le héros du récit joue, dans le même temps, le rôle central indispensable dans la société pour laquelle le texte a été créé ; naturellement, une telle vue des vies implique d’accepter un concept de sainteté tout précis, selon lequel le saint agit envers la société comme porteur de certaines vertus et, par conséquent, la vie devient un moyen de diffuser un clair message de propagande 10. Tout comme l’hagiographie, qu’il s’agisse de la vie d’un ermite ou d’un saint qui agit au sein d’une collectivité, traite à la base le statut du héros par rapport à la communauté, la fonction de ce récit est d’agir au service du contexte social et mental dans lequel se développe le texte, ou bien, de former « l’opinion publique » dans son propre environnement et au moment de la création du récit 11. C’est pourquoi l’existence de différents plans temporels au sein d’un texte de vie est justement mise en avant 12. En règle générale, l’intention des hagiographes n’est pas uniquement

7.

Pour la question du public voir K. Heene, « Merovingian and Carolingian Hagiography. Continuity of Change in Public and Aims ? », Analecta Bollandiana 107 (1989), p. 415-428 ; S. EfthyMiaDiS, « The Byzantine Hagiographer and his Audience in the Ninth and Tenth Centuries », dans Ch. HøGel (éd.), Metaphrasis. Redactions and Audiences in Middle Byzantine Hagiography, Oslo 1996, p. 59-80. 8. G. PhiliPPart (éd.), Hagiographies : Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines à 1550, vol. I, Turnhout 1994, p. 12-13. 9. C. CuBitt, « Narrative and Memory in the Cult of Early Anglo-Saxon Saints », dans M. InneS, Y. Hen (éd.), The Uses of the Past in the Early Middle Ages, Cambridge 2000, p. 29-66. 10. G. PhiliPPart (éd.), Hagiographies, vol. I, p. 13-14. Cf. M.-F. AuzèPy, « L’analyse littéraire et l’historien : l’exemple des vies de saints iconoclastes », Byzantinoslavica 53 (1992), p. 61 sq. 11. N.-C. Koutrakou, La propagande impériale byzantine. Persuasion et réaction (viiie-xe siècle), Athènes 1994, p. 152. 12. J.-P. Perrot, « Figures du temps et logiques de l’imaginaire en hagiographie médiévale », Revue des sciences humaines 251 (1998), p. 58 ; B. FluSin, « Un hagiographe saisi par l’histoire : Cyrille de Scythopolis et la mesure du temps », dans J. Patrich (éd.), The Sabaite Heritage in the Orthodox Church from the Fifth Century to the Present, Louvain 2001, p. 120 sq.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale de décrire la vie du héros ni de conter leurs exploits (res gestae) ; pour cela, il n’est pas obligé de conformer son œuvre aux règles de la forme biographique ni aux conventions linéaires temporelles 13. Le but de l’hagiographie est clairement annoncé par le prologue, où le héros est représenté comme un modèle intemporel 14. Rappelons que Théodose, l’un des moines de Chilandar, s’inspirant de la traduction slave de Cyrille de Scythopolis, vers la fin du xiiie siècle fait référence, dans son prologue de la Vie de saint Sava, aux « vies des gens extraordinaires » écrites par des « anciens » 15. Des exemples du passé illustre il tire une morale : les saints qu’il décrit sont des « piliers vivants de haute stature », qui permettent au lecteur de mieux se connaître soi-même et de rectifier sa vie 16. Comme le but des hagiographies est de célébrer la sainteté du héros, c’est-à-dire de promouvoir le culte des saints en décrivant leurs exploits ascétiques et pouvoirs miraculeux, les textes de ce type ont principalement une fonction liturgique 17. L’écriture n’était pas perçue seulement comme un témoignage de piété (devotio), mais une sorte de service à Dieu, une quête de bénédiction de la part de l’auteur. En composant des vies en l’honneur des saints, l’auteur recevait lui aussi une parcelle de cette sainteté ainsi transmise, et par corollaire, l’acte même d’écriture obtenait un sens cultuel clair, et une place dans le système de la pratique religieuse 18. Créée le plus souvent comme une forme littéraire rétrospective, la

13. P. Cox-Miller, « Strategies of representation in Collective Biography. Constructing the Subject as Holy », dans T. HäGG, Ph. RouSSeau (éd.), Greek Biography and Panegyric in Late Antiquity, Berkeley, CA 2000, p. 209-254. 14. N.-C. Koutrakou, La propagande impériale byzantine, p. 154. 15. Pour la question de ce prologue et son lien avec le texte de Cyrille de Scythopolis cf. S. P. Rozanov, Istočniki, vremja sostavlenija i ličnost sostavitelja feodosievskoj redakcii Žitija Savvy serbskago [Les sources, le temps et l’identité de redacteur théodosien de Vie de Sava de Serbie], SaintPétersbourg 1911, p. 11. 16. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 2 ; en serbe : p. 101. Sur le topos de l’indignité de l’auteur chez Cyrille de Scythopolis voir D. KrueGer, Writing and Holiness, p. 15 sq. 17. Sur le rapport de l’hagiographie avec le genre biographique et la sécularisation des vies à partir de l’époque méso-byzantine, avec l’apparition de « nouveaux saints », voir A. MarkoPuloS, « From narrative historiography to historical biography. New trends in byzantine historical writing in the 10th-11th centuries », Byzantinische Zeitschrift 102 (2009), p. 697-715 ; ID., « Byzantine history writing at the end of the first millennium », dans P. MaGDalino (éd.), Byzantium in the year 1000, Leiden 2003, p. 183-197. Cf. D. KrueGer, « Early Byzantine Historiography and Hagiography as Different Modes of Christian Practise », dans A. PaPaconStantinou (éd.), Writing “True Stories”. Historians and Hagiographers in the Late Antique and Medieval Middle East, Turnhout 2010, p. 13-20. 18. Comme confirmation de la participation des saints à l’acte d’écriture, nous pourrions prendre l’exemple du modèle de Théodose lui-même, Cyrille de Scythopolis, qui inclut dans le récit le sujet de son propre rêve, où les héros du récit l’aident à composer l’hagiographie. Représentant la création de son texte comme une sorte de miracle du saint, Cyrille met son œuvre dans le contexte du culte d’Euthyme et souligne sa propre relation avec les pouvoirs miraculeux du saint. L’accent sur le miraculeux est probablement plus grand chez Cyrille que dans n’importe quelle autre œuvre

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe vie, par sa nature même, ne demande pas à l’auteur de raconter la vérité historique mais elle comprend un niveau plus ou moins haut de stylisation 19. Ainsi, le récit hagiographique est essentiellement sélectif, focalisé sur des qualités choisies du héros et appuyé sur le principe de la reconnaissance des principes établis de la biographie spirituelle 20. D’une certaine manière, deux questions ont été posées jusqu’ici – à quel point la vie reflète-t-elle les réalités historiques de son époque, et quelle était la raison pour commander un tel texte dédié à la célébration ? Cela nous ramène à la question des modèles de sainteté qui définissaient, quand il s’agit de l’hagiographie médiévale serbe, les cadres du texte consacré à la célébration lui-même, qui étaient formés à leur tour selon les exigences et les règles du genre littéraire auquel ils appartenaient. Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de revoir certains phénomènes qui encadrent notre recherche. Premièrement, nous essaierons d’expliquer le contexte politique dans lequel s’est développée l’idée de la dynastie sainte chez les Serbes. Une présence active dans la communauté spirituelle du monde chrétien comprenait, selon les règles de l’époque, la fondation sacrale de l’État et de la dynastie. Un programme spirituel complet, conçu par Sava de Serbie, était conforme à cet objectif élevé. Au centre se trouvait le culte du premier saint souverain – Syméon Nemanja. L’idée de la dynastie sainte, idée fondamentale de l’idéologie souveraine médiévale, s’est développée progressivement. Ses fondements ont été posés, de manière indirecte, dès les premières hagiographies « royales » consacrées au fondateur de la dynastie ; dans ces textes fut posé le schéma du règne idéal, selon la formule tripartite : souverain – moine – saint 21. Le moment central de l’instauration de cet idéal composite était l’écriture d’un récit hagiographique où la mort du héros est la condition préalable première de la sainteté. Pour cela, il est souhaitable d’analyser quelques motifs littéraires concernant le « départ du héros »,

de l’hagiographie haut-byzantine. Sur ce point voir en détail D. KrueGer, Writing and Holiness, p. 73 sq. 19. La riche littérature traitant de cette question est bien résumée dans P. Turner, Truthfulness, Realism, Historicity. A Study in Late Antique Spiritual Literature, Farnham 2012, surtout dans le chapitre « Hagiography – A Truth-telling Genre ? », p. 25-74. Cf. G. DaGron, « Vérité du miracle », Rivista di Storia e Letteratura Religiosa 42/3 (2006), p. 475-493. 20. M. Van UytfanGhe, « La formation du langage hagiographique en Occident latin », Cassiodorus 5 (1999), p. 144. Pour l’étude de la recherche, surtout pour l’approche des textes hagiographiques depuis les positions de la critique littéraire et de la poétique, il est utile de voir l’excellent livre de M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographique : Essai sur les réécritures de Vies de saints dans l’Occident latin médiéval (viiie-xiiie s.), Turnhout 2005 ; sur l’historicité abstraite comme marque importante de l’hagiographie, ainsi que de son devoir de représenter « l’histoire de la sainteté et non pas l’histoire du monde », voir aussi D. Bogdanović, Likovi svetitelja [Les portraits des saints], Belgrade 1991, p. 5-8. 21. Sur cela voir en détail, avec la littérature secondaire, dans S. Marjanović-Dušanić, Vladarska ideologija Nemanjića. Diplomatička studija [Idéologie monarchique des Némanides. Étude diplomatique], Belgrade 1997, p. 274-286.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale principalement parce que le concept de la mort détermine le plus directement le type de sainteté, et par corollaire, le caractère du récit hagiographique. Par la compréhension des schémas du règne idéal qui se termine en prenant l’habit, la mort caractéristique et la composition des textes de célébration, nous brossons la scène historique qui nous permettra de dresser l’image complète du rapport entre l’écriture et la sainteté, que nous essaierons d’analyser dans ce livre à travers trois manifestations majeures de la sainteté : le culte, le miracle et la prophétie. En quête de légitimité : la formule tripartite du pouvoir La décision la plus importante du programme idéologique des Némanides fut l’idée fondamentale de créer la dynastie sainte. En règle générale, l’acte de la prise d’habit était une annonce de la sainteté future de ses membres. Presque tous les souverains de la dynastie némanide (1168-1371), depuis son fondateur, Syméon Nemanja (1168-1196), ont revêtu l’habit monastique sur la fin de leur vie. Ceux qui ne le firent pas en ont été empêchés par une mort précoce. Certains d’entre eux, comme Stefan Milutin (1282-1321) ou Stefan de Dečani (1321-1331), songèrent à devenir moine de leur vivant et se préparèrent à cet engagement durant leur règne. D’autres membres de la dynastie némanide (tel Stefan le Premier Couronné, 1196-1228), repoussant au contraire cette décision au dernier moment, ne prirent l’habit que sur leur lit de mort. Il semblerait cependant qu’il y ait eu dans la royauté serbe, même s’il ne fut pas toujours respecté à la lettre, un idéal de monachisme, qui se référait à la figure ancestrale de Syméon Nemanja en raison de son autorité de « saint fondateur ». Le modèle reposait sur une formule tripartite qui faisait du roi un souverain – un moine – un saint, dont le caractère sacré rejoignait l’idée de création étatique et relevait des mêmes pratiques culturelles et des mêmes besoins psychologiques que dans les royaumes occidentaux du Moyen Âge. Dans la Serbie némanide, comme ailleurs en Europe, les cultes des saints rois, par leurs effets politiques et sociaux, affirmaient le prestige des dynasties locales et consolidaient le processus d’unification étatique. Nous tenterons donc de mettre en lumière pour quels motifs politiques cet idéal s’est implanté en Serbie et de quels modèles il s’est nourri. Il faut avancer en premier lieu le fait que devenir moine était pour un souverain serbe du Moyen Âge une étape « préparatoire » dans l’édification de sa figure de « saint homme ». Il est probable que Syméon Nemanja n’avait pas encore à l’esprit cet idéal lorsqu’il intégra la communauté monastique du Mont Athos. En revanche, ses fils – Stefan le Premier Couronné, et le moine Sava –, en élaborant le portrait hagiographique de leur père, établirent pleinement le modèle de monarque idéal. L’instauration d’un canon relevait de la même démarche que celle de la création d’un culte de saint « national » et répondait aux exigences politiques et psychologiques d’un État conscient d’appartenir 32

Le contexte politique de l’hagiographie serbe à une nation 22. Au Moyen Âge, « l’appartenance nationale » recouvre plusieurs idées 23. En premier lieu, elle présuppose qu’un groupe d’individus ait participé collectivement à une expérience historique 24. De même, ce groupe est nécessairement confronté à un problème politique (tel que la succession royale) ou à la menace directe de la part de l’ennemi extérieur. En général, les élites pouvaient favoriser le développement d’une conscience « nationale » au sein du groupe. D’autre part, proclamer saint un souverain ne répondait pas à de simples intérêts dynastiques mais concernait l’ensemble du peuple (genos). Il s’agit donc d’un concept d’appartenance plus large qui comprend le pays (le territoire), la langue et la religion. Aussi trouve-t-on souvent dans les textes serbes du Moyen Âge le terme de « pays serbe » comme synonyme de « peuple ». De la même façon, le principal critère d’autodétermination d’un peuple a d’abord été « linguistique » ; la langue a certainement eu un rôle unificateur – les anciens auteurs serbes apposent généralement le pronom « notre » au mot de langue 25. Le troisième facteur qui consolide une « conscience d’appartenance commune » est la religion. Il s’articule autour d’un héritage spirituel et culturel commun qui a vocation à unir les habitants d’une même région et plus généralement à les intégrer à l’ensemble de la communauté chrétienne. Chez les Serbes, ce processus acquiert une dimension universelle au contact de la civilisation byzantine. C’est dans le cadre du concept d’autodétermination qu’un groupe issu de la communauté chrétienne manifeste le besoin de « puiser » l’élection de son peuple et le salut collectif dans la présence d’un saint roi « choisi » au préalable. Les procédures de canonisation des souverains n’ont pas été les mêmes dans tout l’espace européen. Au xiiie siècle, au temps des premières proclamations de la sainteté royale en Serbie des Némanides, les canonisations sont devenues courantes en Occident 26. En l’absence de règle canonique dans les

22. Sur l’apartenance nationale dans le monde byzantin voir P. MaGDalino, « Hellenism and Nationalism in Byzantium », dans ID., Tradition and Transformation in Medieval Byzantium, Londres 1991, no XIV, p. 1-6 ; cf. A. KalDelliS, Hellenism in Byzantium. The Transformation of Greek Identity and the Reception of the Classical Tradition, Cambridge 2007 (surtout le chapitre « Byzantium as a nation-state », p. 74-81). 23. D. OBolenSky, « Nationalism in Eastern Europe in the Middle Ages », dans ID., The Byzantine Inheritance of Eastern Europe, Londres 1982, p. 6 ; cf. J. A. ArMStronG, Nations before Nationalism, Chapel Hill, NC 1982. Pour le contexte culturel des cérémonies et des formes symboliques dans le processus de la formation de la nation voir C. Beaune, Naissance de la nation France, Paris 1985. 24. Sur la transformation du concept de patria au Moyen Âge, voir E. N. KantoroWicz, « Pro Patria Mori in Medieval Thought », American Historical Review 56 (1950/1), p. 472-492. 25. Voir notamment le dossier hagiographique composé par le moine athonite DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, La vie de Saint Sava], LJ. JuhaS-GeorGievSka, T. Jovanović (éd.), Belgrade 2001, p. 332 ; en serbe : p. 331. 26. M. GooDich, « The politics of canonization in the thirteenth century: Lay and Mendicant saints », dans S. WilSon (dir.), Saints and their Cults. Studies in Religious Sociology, Folklore and History, Cambridge 1983, p. 169-188 ; ID., Vita perfecta. The Ideal of Sainthood in the Thirteenth Century,

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Églises orientales, le processus de sanctification est plus informel. En général, le culte s’établit d’abord au sein d’une communauté locale où le saint est reconnu comme tel par les miracles qu’il produit et par la vénération dont il fait l’objet. Au cours de la période méso-byzantine, on instaure, en plus, la présence de reliques sacrées, leur transfert solennel vers une nouvelle tombe, la constatation de miracles auprès de celle-ci, ainsi que la composition des textes dédiés à la célébration. La sanctification n’est proclamée que lorsque l’évêque cite le nom du nouveau saint pendant la liturgie et l’inscrit dans le martyrologe. La rédaction d’une vie de saint demeure néanmoins une condition indispensable à toute procédure de « canonisation ». Dans la pratique cultuelle serbe, l’élévation au rang de saint suite à une décision du synode n’était pas un phénomène usuel 27. En ce sens, les Serbes suivaient un schéma particulier pour le christianisme oriental, connu sous le nom d’anagnorisis. C’est la confirmation de la sainteté par des moyens liturgiques et hagiographiques, grâce à des manifestations reconnues comme saintes et la réputation précédant la personne ; elle est significativement différente de la proclamation formelle, anakrisis, qui, elle, est très similaire à la canonisatio catholique romaine 28. Les processus ultérieurs, qui ont marqué la pratique cultuelle serbe dans les dernières décennies du xiiie et le début du xive siècle, et qui étaient sans doute liés au programme étatique et ecclésiastique, devraient être observés aussi comme faisant partie de phénomènes plus larges, caractéristiques pour l’époque des Paléologues. Notamment, dans le monde byzantin de cette époque, l’une des nouveautés principales, lorsqu’il s’agit des cultes, était la « canonisation » des plus hauts représentants de l’Église. Ainsi, la figure du « saint-homme » et de l’ascète-ermite se voit actualisé comme conséquence du fort rayonnement de l’Athos et de l’essor marqué du mouvement monastique qui culminera avec l’hésychasme. Parallèlement,

Stuttgart 1982 ; A. Vauchez, « L’influence des modèles hagiographiques sur la représentation de la sainteté dans les procès de canonisation (xiiie-xve siècle) », dans É. PatlaGean, P. Riché (dir.), Hagiographie, cultures et sociétés ive-xiie siècles. Actes du Colloque organisé à Nanterre et à Paris (2-5 mai 1979), Paris 1981, p. 585-596 ; G. Klaniczay, « Proving sanctity in the Canonization Processes (Saint Elizabeth and Saint Margaret of Hungary) », dans ID. (dir.), Procès de Canonisation au Moyen Âge. Aspects juridiques et religieux, Rome 2004, p. 117-148. 27. Đ. Trifunović, « Stara srpska crkvena poezija » [« Ancienne poésie religieuse serbe »], dans O Srbljaku [De Srbljak], Belgrade 1970, p. 80, n. 30 ; D. PoPović, « O nastanku kulta svetog Simeona » [« Sur l’établissement du culte de saint Syméon »], dans EaD., Pod okriljem svetosti. Kult svetih vladara i relikvija u srednjovekovnoj Srbiji [Sous les auspices de la sainteté], Belgrade 2006, p. 53-54. 28. Sur la forme chrétienne orientale de la « canonisation » : А.-М. ТalBot, Faith Healing in Late Byzantium. The Posthumnous Miracles of the Patriarch Athanasios I of Constantinople by Theoktistos the Stoudite, Brookline, MA 1983, p. 21-30 ; EaD., « Canonisation », dans A. KazhDan et al. (éd.), Oxford Dictionary of Byzantium, vol. 1, New York 1991, p. 372 ; M. KaPlan, « Les normes de la sainteté à Byzance », p. 53-60 ; Ch. HøGel, Symeon Metaphrastes: Rewriting and Canonisation, Copenhague 2002, p. 59-60.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe résultat de toutes les circonstances historiques, des idéaux spirituels et de la mentalité pieuse de l’époque, au temps des Paléologues l’hagiographie renaît. Ce fait est particulièrement important pour notre recherche, puisqu’elle montre dans quelle mesure le rôle des reliques des thaumaturges fut décisif dans le processus de la création des cultes des saints. Ainsi, dans le cas de l’Église de Russie, par exemple, la sanctification est inspirée du modèle gréco-byzantin, mais aucune loi écrite ne confirme cette coutume issue de la tradition orale 29. Il faut attendre le xie siècle pour que le miracle, considéré comme signe de l’intervention divine, devienne un principe préalable à toute « canonisation » 30. Le synode byzantin promulguera les premières canonisations officielles à la fin du xiiie siècle (1284), un phénomène qui se généralise au siècle suivant 31. Pourtant, le point commun des processus divers de « canonisation » au Moyen Âge est de considérer le saint ancêtre comme la source du pouvoir ; le saint roi est l’ancêtre du peuple « élu » qui, par sa sainteté, donne une légitimité à la dynastie régnante et la pare d’une aura sacrée au moyen d’un lien réel ou imaginaire 32. Dans le Royaume de Hongrie et dans la Serbie némanide, l’idée que le saint ancêtre est la source du pouvoir monarchique et le garant de la légitimité des héritiers, dont le droit à la couronne est issu « du sang », se focalise sur le phénomène de la sainte dynastie 33. En tant qu’expression sublimée de la foi, la sainte dynastie incarne alors le lien sacré entre le peuple et le

29. C. SolDat, « The Absence of Miracles. Problems of the Canonization of St. Vladimir », Studi sull’Oriente Cristiano 3/2 (1999), p. 32-33 ; M. KaPlan, « L’ensevelissement des saints : rituel de création des reliques et sanctification à Byzance à travers les sources hagiographiques (ve-xiie siècle) », dans Travaux et Mémoires, t. XIV, Mélanges Gilbert Dagron, Paris 2002, p. 319332. 30. Sur la pratique « de création du saint » voir le travail exhaustif de C. Galatariotou, The making of a saint. The life, times and sanctification of Neophytos the Recluse, Cambridge 1991. L’étude porte une attention particulière aux étapes de construction d’un culte et aux modèles provenant de l’hagiographie byzantine. Sur le miracle dans l’hagiographie byzantine voir M. KaPlan, « Le miracle est-il nécessaire au saint byzantin ? », dans D. AiGle (dir.), Miracle et karāma, p. 167-196. 31. Sur le sujet voir R. MacriDeS, « Saints and Sainthood in the Early Palaiologan Period », dans S. Hackel (éd.), The Byzantine Saint, Londres 1981, p. 67-87. Voir également A.-M. TalBot, « Old Wine in New Bottles: The Rewriting of Saints’ Lives in the Palaeologian period », dans S. Ćurčić, D. Mouriki (éd.), The Twilight of Byzantium. Aspects of Cultural and Religious History in the Late Byzantine Empire, Princeton, NJ 1999, p. 15-26. 32. J. Déer, Heidnisches und Christlishes in der altungarischen Monarchie, Darmstadt 1969, p. 8-51 ; F. GrauS, « La sanctification de souverain dans l’Europe centrale des xe et xie siècles », dans É. PatlaGean, P. Riché (dir.), Hagiographie, cultures et sociétés ive-xiie siècles. Actes du Colloque organisé à Nanterre et à Paris (2-5 mai 1979), Paris 1981, p. 568-572. 33. A. Vauchez, « “Beata stirps” : sainteté et lignage en Occident aux xiiie et xive siècles », dans G. DuBy, J. Le Goff (éd.), Famille et parenté dans l’Occident médiéval. Actes du Colloque de Paris (6-8 juin 1974), Rome 1977, p. 397-406 ; G. Klaniczay, « The Cult of Dynastic Saints in Central Europe: Fourteenth Century Angevins and Luxembourgs », dans ID., The Uses of Supernatural Power, Princeton 1990, p. 111-128.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale monde divin 34. Dans la Rous’ de Kiev, la proclamation des fils de Vladimir, les princes Boris et Gleb, comme saints martyrs montre que la canonisation au Moyen Âge n’était pas seulement un acte religieux. L’État ajouta au culte de ces deux saints une dimension de fidélité spirituelle envers la dynastie qui en renforça le prestige politique 35. Le culte de saint Syméon le Myroblite, bien qu’il se distingue du culte des deux strastoterpcy (les souffre-passions), eut les mêmes répercussions politiques sur la dynastie 36. Il faut d’ailleurs souligner que le culte du saint roi occupe une place croissante dans l’idéologie dynastique de la Serbie médiévale 37. De toute évidence, les élites politiques et cléricales voulaient intensifier l’unité du royaume et renforcer les éléments de cohésion en multipliant ce type de solennité. L’adhésion du milieu serbe à cette forme de « célébration » du souverain s’expliquerait par l’existence d’un très puissant ethos nobiliaire fondé sur le culte de l’ancêtre défunt. Mais c’est avant tout l’Église qui donna au pouvoir némanide son aura sacrée. Le prestige de la dynastie reposait sur la présence des reliques miraculeuses du saint fondateur. La croyance qu’elles seules assuraient aux habitants la prospérité explique la place que l’idéologie némanide accorde à la translation des reliques de saint Syméon du Mont Athos en Serbie. Cette translation est l’un des nombreux témoignages sur les efforts déployés par les puissants pour acquérir des reliques. Ces efforts répondaient en règle générale à trois motivations politiques : un besoin apotropaïque (se doter de protecteurs efficaces, notamment dans les combats, dont témoigne surtout le rôle qui a été attribué

34. Les Gesta Hungarorum en témoignent ; voir J. Déer, Heidnisches und Christlishes in der altungarischen Monarchie, p. 8-51. 35. G. P. FeDotov, The Russian Religious Mind, Cambridge, MA 1966, p. 94-110 ; A. PoPPe, « La naissance du culte de Boris et Gleb », Cahiers de Civilisation médiévale XXIV (1981), p. 29-53. 36. Les cultes de Boris et de Gleb relèvent d’une forme archétypale du culte de martyrs (strastoterpcy) tandis que le culte de Syméon Nemanja, qui est en bien des points construit sur le fondement des Miracula de saint Démétrius, appartient au type de saint (roi) thaumaturge. Voir D. OBolenSky, « The Cult of St. Demetrius of Thessaloniki in the History of Byzantine-Slav Relations », dans ID., The Byzantine Inheritance of Eastern Europe, Londres 1982, no IV, p. 3-20. Sur la popularité du culte des saints Boris et Gleb dans le milieu serbe à l’époque de Sava et les messages sur « l’amour fraternel », voir I. ĐorĐević, « Predstave svetih Borisa i Gleba u Mileševi i srpsko-ruske veze u prvoj polovini xiii stoleća » [« Les représentations des saints Boris et Gleb à Mileševa et les liens entre la Serbie et la Russie dans la première moitié du xiiie siècle »], dans S. Ćirković (éd.), Sveti Sava u srpskoj istoriji i tradiciji, Belgrade – Kraljevo 1998, p. 295-307. 37. À ce titre il faut souligner le lien entre le nom titulaire porté par le roi et le culte de saint Étienne qui était très répandu dans le sud-ouest de la Serbie mais aussi dans la Hongrie voisine. Il faut ajouter l’information de la chronique de Mavro Orbini (xvie s.) selon laquelle tous les héritiers des Némanides sont issus du légendaire prêtre Étienne ; voir l’édition du texte : Mavro OrBin, Kraljevstvo Slovena [Le royaume des Slaves], tr. serbe Z. Škundrica, Belgrade 1968, p. 20.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe dans l’hagiographie à la croix pectorale de Nemanja), une volonté de sacralisation de leur pouvoir (par la proclamation de la sainteté du fondateur de la dynastie) et un souci de légitimer leur autorité 38. Le culte du saint roi eut, sous Stefan et Sava, une fonction qui n’était pas seulement sotériologique. Ses divers emplois découlent de l’idéologie némanide qui fut marquée par un accord parfait entre l’État et l’Église 39. Cette symphonie se reflète également dans le fait de promouvoir à la sainteté non seulement les rois mais aussi les archevêques qui furent le plus souvent, dans les premiers temps de la Serbie médiévale en tout cas, des membres de la famille régnante. Cette sainteté se rattache dans un sens symbolique au caractère sacré de la dynastie qui repose sur un idéal créé pour son fondateur et qui se cristallise en trois étapes : le souverain – le moine – le saint. La décision de Syméon Nemanja d’entrer au monastère est incontestablement un élément décisif dans la proclamation de sa sainteté. C’est pourquoi d’autres souverains de la dynastie ont adopté par la suite cet idéal tripartite. Quant à la formule, saint Sava et Stefan l’élaborèrent en puisant dans l’héritage patristique, l’hagiographie méso-byzantine et la littérature chrétienne. Ainsi, la première vie de saint serbe, composée selon les principes imposés par les textes hagiographiques de l’Église d’Orient, insistait-elle sur une parfaite imitatio Christi. De fait, le récit hagiographique de Syméon commence même par un renouvellement de l’oikonomia du salut. Le concept de royauté serbe au début du xiiie siècle ne peut toutefois être cantonné à un système et n’est pas non plus issu d’une source unique 40. On s’intéressera par conséquent à la manière dont les textes, liturgiques ou diplomatiques, nés pour les besoins du culte, tels les Vies de Sava 41 et de Stefan 42 et les deux premières chartes de Chilandar 43, ont instauré le modèle de la prise de l’habit dans l’histoire des souverains némanides. La première caractéristique du souverain est son élection divine ; le roi accède au trône par la volonté (même si parfois cela peut être à l’encontre) de son père mais aussi par la bienveillance divine. À l’instar du modèle vétérotestamentaire de Joseph, la grâce

38. E. Bozóky, La politique des reliques de Constantin à Saint Louis. Protection collective et légitimation du pouvoir, Paris 2006. 39. V. J. Đurić, « La symphonie de l’État et de l’Église dans la peinture murale en Serbie médiévale », dans S. Ćirković (éd.), Sveti Sava u srpskoj istoriji i tradiciji, Belgrade – Kraljevo 1998, p. 203223. 40. S. Hafner, « Topika srednjovekovne srpske istoriografije kao elemenat kulturne i političke orijentacije » [« La topique de l’historiographie serbe médiévale comme élément de l’orientation politique et culturelle »], Prilozi za književnost, jezik, istoriju i folklor 40/3-4 (1974), p. 170-176. 41. Le texte de l’hagiographie écrite par Sava : Sveti Sava, Žitije svetog Simeona [Sava, Vie de saint Syméon], dans ID., Sabrana dela [Œuvres complètes], T. Jovanović (éd.), Belgrade 1998, p. 148190 ; en serbe : p. 149-191. 42. STefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, La vie de saint Syméon]. 43. M. Živojinović, V. Kravari, Ch. GiroS (éd.), Actes de Chilandar, vol. I, Des origines à 1319, Paris 1998 (Actes de l’Athos XX), Chil. sl. no 3 et Chil. sl. no 2.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale de son élection est plus parfaite que celle dont jouira jamais aucun autre prétendant au trône. Le règne qu’il met ensuite en œuvre est juste et bon (le type du rex iustus et bonus) et se distingue par les soins prodigués à l’Église et la construction de fondations monastiques. Le souverain tend vers une oikonomia du salut de son vivant : l’idéal du règne pieux le conduit à prendre conscience de la vacuité et du déclin des valeurs terrestres puis à renoncer au pouvoir pour revêtir l’habit. Ces deux actes sont les conditions préalables à sa sainteté. Dans un essai de déterminer les circonstances sous lesquelles la formule tripartite du pouvoir dynastique a été créée et a fonctionné dans les pays serbes, il est nécessaire de faire une analyse comparative de la façon dont fonctionnaient les schémas de règne idéal dans les pays qui ont influencé culturellement et politiquement le royaume serbe naissant. La sainteté souveraine est un héritage du Moyen Âge occidental, étrangère à la conception byzantine du pouvoir impérial en général. Cependant, la conception crée par Sava de la « sainte royaume serbe », formé sur le territoire des Balkans, s’appuie dans ses lignes principales sur le schéma du souverain idéal, qui est sous l’influence directe du fort rayonnement de la cour des Comnènes 44. Dans les processus de l’imitation et de la mimèsis, qui ont servi de modèle sui generis pour l’image hagiographique du souverain serbe idéal, une importance spéciale était attribuée à la figure idéale de Manuel Comnène. La prise d’habit de Manuel avant sa mort a joué dans cette émulation, selon notre opinion, le rôle principal. Les sources narratives telles que les enkomiа célèbrent l’empereur par des conventions rhétoriques traditionnelles et par un « catalogue de vertus » standardisé. On y met en valeur certaines qualités telles que l’héroïsme, l’équité, la modération, la sagesse, la charité. Les miroirs des princes, très prisés à l’époque, ajoutent à cette énumération la capacité à dominer les passions et à préférer les valeurs spirituelles à la vacuité des insignes de pouvoir terrestre 45. Les éloges insistent toujours sur la noblesse des origines impériales, ce qui a pour effet de consolider le culte dynastique des Comnènes. Les panégyriques et les cérémonies renforcent le caractère d’icône de l’empereur dans un portrait où les traits guerriers dominent nettement 46. Paul Magdalino a montré cependant que l’aspect chevaleresque de l’idéal impérial n’a pas été « importé » par la présence des croisés à Byzance 47. Le caractère guerrier des Comnènes viendrait plutôt de leur appartenance à l’aristocratie militaire d’Anatolie et de Thrace. D’autre

44. P. MaGDalino, The Empire of Manuel I Komnenos (1143-1180), Cambridge 1993, chap. « The emperor and his image », p. 413-488. 45. Cf. l’hagiographie écrite par Stefan le Premier Couronné, où il fait référence aux insignes du pouvoir de son père comme friables et périssables : Stefan Prvovenčani, Žitije svetog Simeona [Stefan le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], p. 66 ; en serbe : p. 65. 46. A. P. KazhDan, « The aristocracy and the imperial ideal », dans M. anGolD (éd.), The Byzantine aristocracy ixth to xiiith centuries, Oxford 1984 (BAR International Series 221), p. 43-57. 47. P. MaGDalino, The Empire of Manuel I Komnenos, p. 420-421.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe part, la noblesse byzantine pouvait se targuer d’avoir ses propres héros légendaires à l’instar de Digénis Akritas bien avant que les croisés n’atteignent les rives du Bosphore. L’épopée fut rédigée vers l’an mil, au moment de la première croisade et de la rédaction définitive de la Chanson de Roland. Digénis, dont les nobles origines, le courage guerrier et les talents de chasseur rappellent la figure impériale, est dépeint comme David redivivus. On voit bien que l’idéal impérial s’est rapproché du noble chevalier. Au moyen de nombreux motifs épiques, ornant la littérature byzantine et occidentale, on glorifie le triomphe guerrier. Du reste, cette image de l’empereur était aussi une variante de la métaphore solaire traditionnelle à Byzance qui comparait le souverain à un soleil invincible. On la rencontre déjà dans les enkomia écrits sous le règne du père de Manuel Ier, Jean II Comnène 48. Il convient également de rattacher le triomphalisme des Comnènes à un militarisme traditionnel, datant déjà d’Héraclius, qui visait à consolider le prestige dynastique du clan familial 49. Cette interprétation correspondrait à l’idéologie des Comnènes qui voit dans l’Empire un patrimonium familial et qui s’accompagne, surtout à partir de Jean II, de l’avantage d’être né dans la pourpre 50. Les créateurs de la politique dynastique serbe ont pu s’inspirer de l’idéal du règne familial caractéristique du clan des Comnènes, mais aussi du fait que Jean ait choisi pour héritier son fils porphyrogénète le plus capable, bien que le plus jeune. La célébration du principe dynastique connaît un grand essor sous le règne des Comnènes, principalement en raison de la montée en puissance de la noblesse militaire 51. On exige des empereurs les mêmes qualités que celles des héros célébrés par la littérature et l’Histoire 52. Cet idéal, né vers la fin du xie siècle, s’accompagne d’une vénération pour les saints guerriers et d’un rituel étatique qui réinvente notamment la coutume archaïque du couronnement de l’empereur, consistant à le faire monter sur un bouclier 53. Les cérémonies impériales, où coexistaient aspiration à Dieu et triomphe militaire, sont celles où s’expriment le mieux le pouvoir impérial. Ainsi, en 1133, l’empereur

48. On remarquera que la métaphore solaire liée à la personne du roi apparaît simultanément dans tout l’Occident européen. En France, les lys d’or cousus sur les vêtements des princes ont fait l’objet d’une étude particulière, A. LoMBarD-JourDan, Fleur de Lis et oriflamme. Signes célestes du royaume de France, Paris 1991. L’auteur y montre que saint Louis, et vraisemblablement ses ancêtres, Philippe Auguste, son grand-père, et Louis VIII, son père, étaient déjà célébrés en tant que « Roi Soleil ». Cf. la cérémonie byzantine de la Prokypsis, probablement l’expression du symbolisme solaire lié au souverain. 49. P. MaGDalino, The Empire of Manuel I Komnenos, p. 421. 50. G. DaGron, « Nés dans la pourpre », dans Travaux et Mémoires, t. XII, Paris 1994, p. 105-142. 51. A. P. KazhDan, A. Wharton EPStein, Change in the Byzantine Culture in the Eleventh and Twelfth Centuries, Berkeley 1985, p. 104. 52. Le césar Nicéphore Bryennios incarne cet idéal de force physique, d’origine noble et d’héroïsme guerrier. Il en fait l’éloge dans ses mémoires, voir ibid., p. 106. 53. Ch. Walter, « Raising on a Shield in Byzantine Iconography », Revue des études byzantines 33 (1975), p. 159-174.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Jean II organisa une procession triomphale de l’icône de la Vierge en transportant la précieuse relique sur un char impérial à travers la capitale 54. Le prestige des Comnènes fit de la dynastie l’incarnation d’un nouvel idéal. L’empereur Manuel Comnène entreprit un vaste programme de célébration des valeurs militaires comme en témoigne l’enkomion écrit par Michel Italicos. Outre la célébration de Constantinople en tant que patris du nouvel empereur, la source insiste sur le genos impérial. L’auteur annonce par des signes surnaturels la naissance de Manuel dans la pourpre évoquant un songe où la Mère de Dieu prédit son destin à l’empereur par un don de souliers pourpres. Il est dépeint comme un bel homme, doué d’une vive intelligence, fort et éloquent. Enfin, la source décrit avec détails son talent dans les arts militaires que lui avait enseignés son père ainsi que ses innombrables exploits de chef de guerre, fin stratège et habile cavalier. Malgré le fait qu’il fut le plus jeune des fils de Jean II, il accéda au pouvoir conformément au souhait de son père. L’héroïsme dans les combats qu’il mena aux côtés de son père faisait de lui « le plus apte » à occuper le trône impérial. La comparaison de Manuel au David de l’Ancien Testament, le plus jeune des fils de Jessé, ne fit que confirmer la légitimité de ce choix 55. L’idéal impérial se construit en fonction de plusieurs modèles. Outre la figure du roi David, on reconnaît celle du Christ. Même si l’empereur byzantin a toujours été considéré comme l’image vivante du Christ sur terre, la comparaison atteint son apogée sous le règne de Manuel. Sur l’exemple des églises qui célébraient le cycle de la Naissance, de la Souffrance et de la Résurrection du Christ, les villes glorifièrent l’empereur en tant que fondateur, conquérant, vainqueur et reconstructeur de l’Empire 56. L’art officiel le représentait généralement de façon allégorique, entouré de ses attributs traditionnels de justice, de force, de sagesse et de modération. À partir du règne d’Isaac Comnène, cependant, la popularité des saints militaires s’accompagne d’une résurgence des traditions antiques de célébration impériale qui encouragent la production de monnaies à l’effigie d’un empereur à cheval, ou une épée tirée à la main. Les historiens de l’époque ont vivement critiqué ces innovations iconographiques, y voyant l’expression d’un pouvoir purement militaire sans aucune dimension divine 57. La critique accusa l’empereur de ne pas suffisamment maîtriser le zèle guerrier qui lui avait permis de prendre le pouvoir. Sous le

54. P. MaGDalino, The Empire of Manuel I Komnenos, p. 425, avec des références précises aux sources. 55. Comparer l’étude de Magdalino (ibid., p. 435-436), au discours d’Italicos (P. Gautier [éd.], Michel Italikos. Lettres et discours, Paris 1972, 276-294 ; 79-80). 56. P. MaGDalino, R. NelSon, « The Emperor in Byzantine Art of the twelfth century », Byzantinische Forschungen 8 (1982), p. 133. 57. Ibid., p. 159. Voir G. DaGron, Empereur et prêtre. Étude sur le « césaropapisme » byzantin, Paris 1996, p. 38. L’auteur cite les sources en question : Michel Attaliates, le Continuateur de Skylitzès et Zonaras.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe règne de Manuel, les représentations en guerrier triomphateur ou dans des scènes de chasse restent celles d’un idéal célébrant les exploits au combat. Mais si l’empereur, et avec lui sa dynastie, était célébré pour sa propre virtus bellica, il l’était aussi pour sa qualité de renovator imperii, à l’instar de ses glorieux prédécesseurs et modèles, les empereurs Constantin et Justinien. L’image traditionnelle du héros, créée par l’hagiographie des ixe et xe siècles, qui célèbre le saint homme comme celui vivant à l’écart du monde, a disparu à partir du règne de Manuel 58. Ce n’est pas par hasard qu’Eustathe de Thessalonique, le plus célèbre des auteurs de panégyriques du xiie siècle, était en même temps le plus ardent critique de l’idéal ascétique. Il dénonce l’isolement du saint homme du combat de la vie comme une hypocrisie 59. Pourtant Manuel, qui avait mené une politique ecclésiastique très active, peut-être sur le modèle de ses prédécesseurs Constantin et Justinien, revêtit l’habit monastique à la veille de sa mort. On ne s’étonne pas que les homélies qui lui sont dédiées en aient fait un empereur méritant la sainteté en raison de sa victoire sur les infidèles. On a d’ailleurs choisi de placer symboliquement son tombeau au sein du mausolée familial, le monastère du Pantocrator, à côté de la pierre tombale du Christ qu’il avait lui-même rapportée de Jérusalem. La conception du mausolée familial montre aussi une forte attention portée à la célébration dynastique 60. L’idée de la prise d’habit du souverain, qui était considérée chez les Serbes comme une condition préalable pour la sainteté future du saint lui-même, et ensuite de toute sa dynastie, a pu, sans aucun doute, émerger du fait que les valeurs monastiques étaient très prisées à l’époque, mais aussi, comme nous avons tenté de démontrer, de l’imitation des modèles byzantins. L’entrée des rois au monastère provient de la tradition littéraire, mais aussi théologique et encomiastique, de l’abandon du trône. Le modèle dynastique s’inspire de la pratique de l’imitatio maiorum et prend surtout de l’importance sous Stefan Uroš Ier (1243-1276), quand l’idée des « saintes racines » de la lignée des

58. B. fluSin, « L’hagiographie monastique à Byzance au ixe et au xe siècles. Modèles anciens et tendances contemporaines », Revue Bénédictine CIII (1993), p. 31-50. 59. P. MaGDalino, The Empire of Manuel I Komnenos, p. 483. Sur la naissance de l’idéal d’un guerrier noble et la décadence du genre hagiographique : ID., « The Byzantine Holy Man in the twelfth century », dans S. Hackel (éd.), The Byzantine Saint, Londres 1981, p. 51-66. 60. Ainsi l’ancien martyrium impérial de Constantin dans l’Église des Saints Apôtres, qui n’était plus en usage depuis 1028, fut restauré pour servir à deux manifestations d’envergure. Par la suite, on assiste à un essor de fondation de chapelles privées à caractère dynastique sur le modèle de la sépulture des Comnènes. Reflet de la dévotion de l’époque, le monastère du Pantocrator est aussi l’expression d’une célébration dynastique propre aux Comnènes : Ph. GrierSon, « The Tombs and Obits of the Byzantine Emperors (337-1042) », Dumbarton Oaks Papers 16 (1962), p. 21. Voir P. Gautier, « Le Typikon du Christ Sauveur Pantocrator », Revue des études byzantines 32 (1974), p. 1-145.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Némanides est apparue dans les textes 61. La dynastie, sacralisée de la sorte, s’impose légitimement comme la « conductrice » du Nouvel Israël tandis que l’élection divine, dont tous les souverains furent prémunis, fut le gage de salut collectif du peuple serbe. De nombreuses sources historiques témoignent de la décision d’entrer au monastère des rois et de leur désir de rédemption. Les préambules des chartes royales qui portent généralement l’empreinte des auteurs eux-mêmes nous renseignent sur les motivations individuelles des souverains et constituent à ce titre des documents très intéressants. Le préambule du chrysobulle de fondation pour le monastère de Dečani (1330) nous éclaire sur le programme monastique des rois serbes 62. Cela est d’autant plus important ici que le roi Stefan de Dečani (1321-1331), à cause de sa mort subite par strangulation n’a pas eu le temps de revêtir l’habit de moine de son vivant. Le préambule montre de quelle façon l’idéal monastique a été intégré à la pratique de l’imitationis maiorum dans l’idéologie de la royauté némanide. La charte de fondation du monastère des Saints Archanges (le mausolée du roi puis empereur Stefan Dušan) aborde également les thèmes de la Rédemption et de l’imitation des saints-pères et ancêtres : l’action du roi se devait d’être à l’image de leur vertu. La charte est rédigée au moment où l’empereur pense au Jugement dernier et à l’élévation « du corporel vers le spirituel, du terrestre vers le céleste » 63. Les traits principaux de la piété de Stefan Dušan, ici exposés, ne sont pas si éloignés des idées avancées par ses prédécesseurs. Dušan le dit lui-même dans le texte du préambule, quand il affirme qu’en renonçant au trône et en revêtant l’habit monastique, ses ancêtres « se mirent à haïr tout ce qui était terrestre, se concentrant sur la connaissance spirituelle et la crainte de Dieu puis échangèrent l’empire terrestre pour une existence céleste et la gloire éternelle » 64. L’entrée au monastère, considérée comme l’apogée du règne terrestre et indispensable étape qui précède la sainteté, montre que Dušan comptait suivre la voie de ses prédécesseurs, même si son règne, contrairement au leur, était marqué d’importantes ruptures. Le programme monastique des rois serbes participe de l’image du souverain idéal tel qu’il fut formulé par les fils de Syméon Nemanja et véhiculé par la littérature contemporaine. On pense en premier lieu à l’influence du roman de Barlaam et Joasaph. L’œuvre fut traduite en vieux slavon-serbe

61. Sur le sujet voir S. Marjanović-Dušanić, Vladarska ideologija Nemanjića [Idéologie monarchique des Némanides], p. 276-279. 62. L’édition de la charte, dans P. Ivić, M. Grković (éd.), Dečanske hrisovulje [Les chrysobulles de Dečani], Novi Sad 1976. 63. L’édition de la charte, dans L. Slaveva, V. MoŠin (éd.), Spomenici za srednovekovnata i ponovata istorija na Makedonija, t. III, Skopje 1980, p. 342-406. 64. Pour une analyse du préambule, on se référera à S. Marjanović-Dušanić, Vladarska ideologija Nemanjića [Idéologie monarchique des Némanides], p. 285.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe au plus tard à la fin du xiiie siècle 65. Le portrait de saint Joasaph à Studenica, auprès du trône d’higoumène de Sava, montre les modèles saints et littéraires que Sava a choisis. Le récit du prince indien renonçant au pouvoir en raison de la beauté de la vie monastique ne devait certainement pas être ignoré de Sava lui-même. L’emplacement des portraits des saints Barlaam et Joasaph dans le naos de Studenica indique le prestige qu’on leur accorde. Il faut noter qu’ils sont figurés à côté du trône d’higoumène de Sava et auprès de l’image de la sainte protectrice du monastère et de saint Sabas de Jérusalem qui fut le modèle du premier archevêque serbe. L’importance de saint Joasaph est d’autant plus évidente que Sava a conçu l’ensemble du programme de Studenica. Les conventions iconographiques propres aux représentations de Joasaph (l’habit monastique et la couronne d’or sur la tête) dans le portrait de souverain du pronaos de Studenica laissent entendre qu’il a adopté la même attitude face au pouvoir que le célèbre saint 66. Nombreux sont les souverains némanides à s’être retirés du pouvoir pour être moines dans la vieillesse à l’instar de Nemanja et de Sava. Ce fut le cas de Stefan le Premier Couronné (1196-1228), de Stefan Radoslav (1228-1234), Stefan Uroš Ier (1243-1276), Stefan Dragutin (1276-1282), et de plusieurs reines serbes (Ana-Anastasia, Hélène « d’Anjou », l’impératrice Hélène). Le Roman de Barlaam et Joasaph a indiscutablement influencé l’image d’un type particulier du « souverain » dans le monde byzantin. Le texte grec du roman contient deux passages assez longs sur les devoirs du roi qui sont quasi littéralement repris des enseignements d’Agapètos à l’empereur Justinien dans son Miroir du prince 67. On y met au premier plan la bienveillance impériale, ainsi que le devoir du souverain d’enseigner la sagesse dans la crainte du Seigneur 68. On retrouve également au début des préambules des chartes royales serbes l’adage vétérotestamentaire du Psaume 84 selon lequel « la crainte du Seigneur est le début de la sagesse » (les conseils de Barlaam à Joasaph véhiculent la même idée que le Miroir du prince d’Agapètos 69).

65. L’étude sur les versions de la traduction slavon-serbe du roman a été publiée par S. Novaković, Varlam i Joasaf. Prilog k poznavanju uporedne literarne istorije i hrišćanske srednjevekovne beletristike u Srba, Bugara i Rusa [Barlaam et Joasaph. Contribution à la connaissance de l’histoire littéraire comparée et la fiction chrétienne médiévale chez les Serbes, Bulgares et Russes], Belgrade 1881 (Glasnik Srpskog učenog društva L), p. 1-121. 66. Đ. Trifunović, Stara srpska književnost [Ancienne littérature serbe], p. 290-291. 67. P. Henry III, « A Mirror for Justinian: The Ekthesis of Agapetus Diakonus », Greek, Roman, and Byzantine Studies 8 (1967), p. 281-308 ; I. Čičurov, « Gesetz und Gerichtigkeit in den byzantinischen Fürstenspiegeln des 6.-9. Jahrhunderts », dans L. BurGMann (éd.), Cupido legum, Francfortsur-le-Main 1985, p. 33-45. 68. W. BluM, Byzantinische Fürstenspiegel, Stuttgart 1981, p. 34 (Agap., chap. 59). 69. L’édition du texte de la traduction en slavon-serbe du Miroir d’Agapètos, avec les commentaires : S. Marjanović-Dušanić, « Rex imago Dei : Sur une version serbe de Miroir de prince d’Agapètos », dans LJ. MakSiMović, N. Radošević, E. Radulović (éd.), Papers of the Third Yugoslav Byzantine Studies Conference, Belgrade – Kruševac 2000, p. 135-148. Sur les textes appartenant à une mis-

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Toutes ces influences ont construit un idéal royal où l’entrée au monastère occupe une place essentielle car le souverain ne pouvait prétendre à instruire le peuple qu’en tant que moine. Le don d’instruction permettait d’atteindre le prototype brillamment exprimé dans l’éloge à saint Syméon qui fait partie de sa Vie. Sava y met en valeur les plus grandes qualités de Nemanja en le désignant comme le maître de la vraie foi, l’instructeur de la sagesse, le gardien des fidèles et le très sage défenseur pourvu de la bienveillance divine. À la fin du texte, au moment du départ éternel, Syméon transmet à son fils un dernier conseil inspiré des vers de l’Ancien Testament : « Le début de la sagesse est la crainte du Seigneur » 70. Dans l’Office à saint Syméon, Sava exprime un idéal de règne juste et pieux qui prend fin parce que le souverain « ne tenant plus ni à la richesse ni à la gloire terrestres » 71 renonce au pouvoir et achève sa vie en tant que moine – couronnement de l’exploit monastique – pour gagner « l’échelle qui conduit du Ciel » 72. L’idéologie du roi Stefan Milutin, à l’instar de ses prédécesseurs, se réfère à saint Joasaph. On en veut pour preuve l’œuvre de Daniel II, les fresques du monastère de Gračanica ainsi que la charte de Milutin de 1318 pour la cellule de saint Sava à Karyès 73. Sur le modèle de Joasaph, il s’efforce de respecter l’instruction concernant la crainte du seigneur comme le début de la sagesse. Comme on l’a déjà souligné, la Charte de fondation du monastère de Dečani et celle des Saints Archanges montrent des similitudes dans les chemins empruntés tant par Stefan de Dečani que par Stefan Dušan. Les exemples brièvement exposés ici montrent que l’idéal monastique eut dans l’idéologie némanide une réelle constance. L’entrée au monastère des souverains représentait un élément essentiel dans le programme de la royauté serbe et constituait, avec le culte du saint roi, le fondement de l’élection divine du peuple et une garantie de salut collectif des fidèles de saint Syméon. Puisque nous avons considéré la question du modèle du pouvoir politique instauré dans l’État des Némanides, en le définissant par la formule tripartite, il est nécessaire, pour mieux déterminer les modèles de sainteté qui forment

70. 71. 72. 73.

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cellanea patristique conservée dans la Bibliothèque Nationale de Sofia (Slav. 1037, fol. 230v-233r) voir I. Ševčenko, « A Neglected Byzantine source of Muscovite Political Ideology », dans ID., Byzantium and the Slavs in Letters and Culture, Cambridge, MA – Naples 1991, p. 56-57, 69. Voir le texte de l’éloge : Sveti Sava, Žitije svetog Simeona [Sava, Vie de saint Syméon], p. 176 ; en serbe : p. 177. Sveti Sava, Služba svetom Simeonu [Sava, Office à saint Syméon], dans ID., Sabrana dela [Œuvres complètes], T. Jovanović (éd.), Belgrade 1998, p. 198 ; en serbe : p. 199. Ibid., p. 194 ; en serbe : p. 195. L’édition de la charte : V. MoŠin, « Povelja kralja Milutina Karejskoj keliji iz 1318. godine » [« Charte du roi Milutin au kellion de Karyès de 1318 »], Glasnik Skopskog naučnog društva 19 (1938), p. 59-78.

Le contexte politique de l’hagiographie serbe le récit hagiographique serbe, d’expliquer le concept de la mort du souverain chez les Serbes médiévaux, parce qu’il définit le type et le caractère de la célébration de ces saints au sein du genre hagiographique. « Le départ » du héros du récit Quand il s’agit de l’expérience de la mort princière dans l’État médiéval serbe, nous rencontrons le phénomène particulier de canonisation de la lignée princière entière, ce qui place les descriptions des morts des princes dans la tradition de la littérature hagiographique 74. L’autorité du lignage saint assurait une aura sacrale à l’État entier et se trouvait à la base de la croyance en l’élection divine du peuple. Cette circonstance impose un cadre spécifique de recherche, plaçant au centre de notre intérêt la question de la relation entre la mort et la sainteté au Moyen Âge serbe. Les descriptions de la mort sont très fréquentes dans les sources serbes médiévales. À la base de la plupart des récits, la mort s’annonce au mourant sous l’aspect d’un saint, le plus souvent de son saint patron, qui l’aidait dans les différentes situations durant sa vie. Ainsi, par exemple, Stefan de Dečani vit apparaître dans son rêve son patron, saint Nicolas de Myre, qui l’aidait dans toutes les heures difficiles de sa vie, et qui avait même opéré un grand miracle pour que Stefan recouvre la vue après avoir été aveuglé par son père, le roi Stefan Milutin (1282-1321), qui y avait été incité par le diable. La description de l’annonce de la mort de Stefan de Dečani contient une caractéristique importante – la mort est perçue comme un événement heureux. Une nuit, saint Nicolas apparut au héros de cette histoire, et s’approchant, il dit : Commence à te préparer pour la mort, Stefan, car tu te présenteras bientôt devant Dieu. Oh, la bonne nouvelle ! Il émergea de son sommeil, ses larmes se mêlèrent à la joie, il se jeta par terre et rendit grâce à Dieu et à l’annonciateur du départ bienheureux 75.

Presque toutes les hagiographies serbes qui décrivent la mort d’individus éminents notent que le défunt savait qu’il allait mourir, et il prévenait même ses sujets à l’avance. Ainsi le roi Stefan Dragutin (1276-1282) envoie des lettres aux évêques, higoumènes et seigneurs, annonçant sa propre mort et les invitant à venir à sa cour pour assister à cet événement. Sentant sa mort venir,

74. Cf. la version de ce text dans S. Marjanović-Dušanić, « La mort et la sainteté du prince serbe », dans J. Foa, É. MalaMut, Ch. ZareMBa (dir.), La mort du prince. De l’Antiquité à nos jours, Aixen-Provence 2016, p. 61-78. 75. GriGoriJe CaMBlak, Život kralja Stefana Dečanskog [GréGoire caMBlak, Vie du roi Stefan de Dečani], dans D. Pavlović (éd.), Stara srpska književnost [L’ancienne littérature Serbe], t. III, Novi Sad – Belgrade 1970, p. 154.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale le roi Dragutin convoque le concile de la patrie, et à cette occasion prend l’habit de moine 76. Dans cet exemple nous discernons les deux caractéristiques de la mort que nous avons mentionnées – elle est annoncée et publique. Dans les hagiographies, la mort se fait annoncer par des signes célestes, surtout lorsqu’il s’agit de la mort d’un homme important pour la communauté. C’est ainsi qu’à Belgrade, le 19 juillet 1427, au moment où le souverain de l’époque, le despote Stefan, tomba de son cheval, on entendit soudainement un tonnerre terrible, plus tonitruant que jamais, et à partir de ce moment les ténèbres envahirent toute cette région, on avait l’impression qu’il faisait nuit […]. Pourtant, il était midi 77.

Il faut souligner que chez les auteurs anciens nous trouvons souvent la croyance que de tels signes dans le ciel et sur la terre annoncent les malheurs et les événements inhabituels qui ébranlent la vie de la société. À sa manière, la communauté elle-même participe à l’expérience de la mort du roi comme un événement important dans leur vie. Dans ces descriptions, nous suivons les différentes formes d’expression des sentiments collectifs, ou plus précisément, nous voyons ce qui était acceptable comme modèle de comportement. La mort était publique, elle appartenait à l’expérience collective ; qu’il s’agisse de la mort au combat, de la mort violente, de la mort d’un malade dans son propre lit, le mourant était toujours entouré de gens. L’homme médiéval était familier de la mort ; cela se voit dans le fonctionnement du pouvoir organisé, qui reflétait l’ordre de la communauté, le respect des lois et l’administration de la justice. En même temps, le sentiment de la mort faisait partie d’un vécu profondément personnel ; l’individu portait la mort comme une image de ses peurs, comme un refuge, une promesse du paradis, comme le jugement dernier ou la grande lumière qui accompagne une prouesse héroïque. La mort au Moyen Âge était considérée comme un passage, un changement d’état, mais pas une cessation d’existence 78. Elle était omniprésente. D’une certaine manière, les morts continuaient à vivre au sein de leurs communautés, et ils communiquaient toujours avec les vivants, non seulement à travers la mémoire, mais surtout à travers la vénération des saints comme médiateurs et intercesseurs au Jugement dernier. À travers les reliques, grâce aux apparitions en rêve, à l’occasion desquelles ils apportaient des conseils et des messages prémonitoires, comme assistants dans les batailles, par des guérisons miraculeuses, ou bien dans le cadre de la célébration liturgique – les défunts

76. Danilo II, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Daniel II, Vies des rois et archevêques serbes], p. 49 ; en serbe : p. 75. 77. KonStantin Filozof, Život despota Stefana Lazarevića [conStantin Le PhiloSoPhe, Vie du despote Stefan Lazarević], p. 319 ; en serbe : p. 250. 78. P. J. Geary, Living with the Dead in the Middle Ages, Ithaca, NY 1994, chap. « Exchange and Interaction between the Living and the Dead in Early Medieval Society », p. 77-92.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe et les saints participaient aux différents aspects de la vie communautaire 79. Selon les mots de l’hagiographe serbe Théodose, moine athonite, « comme s’il y avait eu un accord, les vivants s’accordaient avec les morts » 80, et c’est de cette concordance essentielle entre les deux mondes que sont imprégnées toutes ces traces du passé grâce auxquelles on voulait laisser un souvenir de soi et de sa durée dans ce monde. Nous commencerons notre parcours à travers les images de la mort princière au Moyen Âge serbe par la représentation de la mort dite mort apprivoisée 81. Comme nous l’avons déjà souligné, elle était essentiellement pressentie et annoncée, donc, publique. Elle se termine par l’image du paradis, semblable au jardin fleuri où les morts dorment 82. Cette image rend possible l’étape principale qui succède à la peur du mystère de la mort, et c’est l’acceptation de la mort 83 en tant qu’événement inéluctable, fatalité et promesse de vie future. Les épitaphes témoignent de l’acceptation de la mort comme une manifestation de la sensibilité médiévale, et sont indicatives de la conception qu’ont eue de la mort les membres de différentes couches sociales – les laïcs et les prêtres. Les expressions visibles de cette conscience de la fugacité de la vie sont écrites en forme de prières. Dans ces textes les vivants sont appelés à prier pour les morts, conscients que la vie est éphémère et qu’ils mourront aussi un jour, prisonniers « dans leur corps terrestre et corrompu » 84 selon une plainte funéraire consacrée au despote Đurađ Branković, prince serbe de la première moitié du xve siècle. Les inscriptions sur les tombeaux donnent le témoignage le plus vif sur l’expérience de la mort dans la vie quotidienne de l’homme ordinaire 85. Elles parlent, souvent d’une manière très émouvante, de la curiosité intime de l’homme médiéval devant le mystère de la vie et de la mort, de sa volonté de se présenter devant l’Éternel. Écrites à la première personne, elles offrent l’image de la piété laïque, adressant une prière au juge céleste pour obtenir le salut dans la seconde vie, à venir.

79. P. BroWn, The Cult of the Saints: Its Rise and Function in Latin Christianity, Chicago, IL 1981, p. 69-85. 80. Sur la communication des vivants avec les morts, cf. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 86 ; en serbe : p. 165. 81. Ph. ArièS, L’homme devant la mort, vol. I, Le temps des gisants, Paris 1977, p. 13 sq. 82. Ph. ArièS, L’homme devant la mort, vol. I, p. 32-34 ; J. B. RuSSell, A History of Heaven: The Singing Silence, Princeton, NJ 1997 ; C. McDannell, B. LanG, Heaven: A History, New Haven, CT 1995 ; J. S. EMerSon, H. FeiSS (éd.), Imagining Heaven in the Middle Ages, New York, NY – Londres 2000. 83. Ph. ArièS, L’homme devant la mort, vol. I, p. 34-35. 84. La plainte funéraire consacrée au despote : NePoznati SMeDerevac, Nadgrobna reč despotu Đurđu Brankoviću [Inconnu De SMeDerevo, La plainte funèbre pour le despote Đurađ Branković], Đ. Trifunović (éd.), Smederevo 1980. 85. Pour les exemples voir LJ. STojanović, Stari srpski zapisi i natpisi [Anciens marginalia et inscriptions serbes], t. 1, Belgrade 1902, no 151.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Les concepts de la fugacité et de l’inanité des valeurs terrestres sont connus dans le milieu serbe, et nous trouverons des témoignages fiables sur la réceptivité de ce milieu aux nouvelles conceptions dans les inscriptions funéraires conservées, relativement nombreuses 86. En règle générale, elles expriment la pensée sur l’éphémère, à travers l’image de la confrontation entre les vivants et les morts, les morts étant l’image présente du futur des vivants. Sur les stèles funéraires nous reconnaissons les citations tirées des stichères, gravées pour servir de rappel et d’avertissement aux vivants. Nous trouverons des pensées similaires, depuis l’époque de saint Sava, au début du Typikon de Karyès 87, aussi bien que dans la Vie de saint Syméon, dans les descriptions de sa prise d’habit : « Notre voie est courte, notre vie n’est que fumée, vapeur, terre et poussière ; elle apparaît brièvement et bientôt disparaît » 88. Sur une stèle funéraire dans le monastère de Gradac, bâti par la reine serbe Hélène « d’Anjou », se trouve une inscription qui transmet un message identique, en y ajoutant le topos littéraire de la fugacité, à travers la confrontation des vivants avec les morts, ces derniers étant l’image future des précédents (« j’étais ce que vous êtes, vous serez ce que je suis » 89). Dans l’art orthodoxe nous ne rencontrons presque jamais ni les représentations du macabre, ni les corps en état de décomposition, typiques pour l’Occident au bas Moyen Âge. Les images de la mort sont en général les représentations de la « mort apprivoisée » des dignitaires de l’État ou de l’Église, où le défunt est représenté reposant sur un catafalque, dans ses habits solennels, entouré de sa famille ou de ses confrères. La vie future est représentée par la scène du repos sur les genoux d’Abraham et du rafraîchissement par l’eau claire et froide du paradis, et l’accent religieux est mis sur les scènes de la Résurrection. Dans les Vies, la mort porte l’épithète de « sereine », elle est comme un « doux rêve » qui annonce le salut futur 90. La nouvelle sur la mort

86. D. PoPović, « Gradački nadgrobni natpisi » [« Les inscriptions funéraires de Gradac »], Saopštenja 24 (1992), p. 56. 87. Sveti Sava, Karejski tipik [Sava, Typikon de Karyès], dans ID., Sabrana dela [Œuvres complètes], T. Jovanović (éd.), Belgrade 1998, p. 4 ; en serbe : p. 5 : « […] car la voie est courte par laquelle nous marchons, mes frères aimés. Notre vie est fumée, vapeur, terre et poussière ; elle apparaît brièvement et vite s’envole ». 88. Sur cela plus en détail voir D. PoPović, « Čudotvorenja svetog Save Srpskog » [« La thaumaturgie de saint Sava de Serbie »], dans EaD., Pod okriljem svetosti. Kult svetih vladara i relikvija u srednjovekovnoj Srbiji [Sous les auspices de la sainteté], p. 97-118. 89. D. PoPović, « Gradački nadgrobni natpisi » [« Les inscriptions funéraires de Gradac »], p. 51-62. 90. Ainsi, par exemple, Théodose dépeint la mort du futur saint Syméon comme un moment où « son visage s’éclaira, et il regardait joyeusement la très sainte icône du Christ et la très sainte icône de Sa Mère […] Regardant joyeusement l’icône du Christ, il semblait déposer son âme dans ses mains. Et d’un coup, l’air se remplit de senteurs tellement plaisantes que tous ceux qui étaient présents admiraient un plaisir si étrange et si indicible. Ainsi le saint-père s’endormit doucement en Dieu […] », TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 58 ; en serbe : p. 144.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe est « joyeuse » 91, car la mort, avant tout, signifie pour les justes le début de la vie éternelle en Christ, et l’image de l’heure de la mort, comme l’image de l’échelle dans la même composition, revêt un sens eschatologique. Comme pendant l’Hypapante (la Sainte Rencontre), l’homme rencontre Dieu après sa mort, ce qui veut dire que la mort mène l’âme du défunt à l’état premier, où elle attend l’heure de la Résurrection universelle. De toutes les manifestations de l’omniprésence de la mort, c’est l’image de la mort du souverain qui a laissé le plus de traces dans les sources. Quand il s’agit de la publicité et de l’éclat de la maiestas du souverain, de toutes les cérémonies et rituels qui déterminaient essentiellement son pouvoir royal ou impérial, c’étaient les aspects rituels de ses funérailles qui servaient, dans la plupart des cas, pour affirmer et accentuer sa grandeur 92. De même, les obsèques du souverain, surtout à Byzance, avaient pour but d’instaurer l’autorité et la fonction impériale de son héritier. Pour cette raison, les funérailles étaient plus majestueuses que les acclamations et les couronnements, et les discours prononcés pendant ces spectacles étaient plus grandioses 93. La mort de l’empereur confirme que celui qui brièvement incarnait la fonction impériale est mortel, mais cela n’empêchait pas que l’enterrement soit conçu avec une pompe et un éclat qui glorifient la basileia absolue. Ainsi la dichotomie entre une fonction qui est, selon sa nature, éternelle et durable, et une fonction temporaire, est soulignée par les cérémonies funéraires ; ces cérémonies étaient l’indicateur de la constance de l’idée du pouvoir impérial, et dans ce sens elles jouaient un rôle politique évident 94.

Puisque le souverain apparaît comme le représentant du Christ sur terre et le garant du salut de ses sujets, sa mort est un moment de grand deuil, et le changement au trône signifie souvent le début de grands troubles et de la peur, et annonce les sévices de la guerre civile. Tout cela arrive, selon les mots de Théodose, à cause de la « gloire amère du royaume » 95. « Comme pendant à la symbolique divine, où les réalités de la nature et de l’histoire servent d’images et de préfigurations, nous trouvons le respect de la royauté exprimé

91. Théodose (ibid.) décrit les sentiments mixtes de Sava à cause de la perte de son père, et il mentionne, entre autres, « la joie – car il lui fut donné de le voir terminer sa vie, paré de tous ses bienfaits, et parce qu’il l’a envoyé en éclaireur comme doux médiateur dans les prières au Christ ». 92. Il semble que les aspects rituels avaient le rôle principal dans la conception primitive de la royauté en Occident. Pour la conception byzantine du rôle et de l’importance des funérailles impériales, voir P. Karlin-Hayter, « L’adieu à l’empereur », Byzantion LXI/1 (1991), p. 112-154. 93. Ibid., p. 112. 94. Mais en même temps, elle correspondait à un stéréotype tenace. La relation entre l’empereur et sa mortalité hantait et effrayait les habitants de l’Empire, tout comme la chute potentielle de Constantinople, la Ville protégée par Dieu et surtout par la Vierge Théotokos. A ce sujet voir ibid., p. 113 sq. 95. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 177 ; en serbe : p. 231.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale en métaphores religieuses », écrit Johan Huizinga 96. Les grands événements dans la vie privée de tout un chacun aussi bien que dans la sphère collective, comme la naissance, le baptême, le mariage et la mort, se trouvaient plongés, par le saint sacrement, dans le rayonnement du mystère divin. Nous avons déjà vu que la mort princière, qui est un moment extrêmement important dans la vie de la communauté, était toujours annoncée – soit c’était le moribond qui annonçait que son heure de la mort est venue, soit c’était la nature, par les signes avant-coureurs de la catastrophe. Quoi qu’il en soit, il s’agissait d’un événement d’une importance politique primordiale, où le concile de la patrie se réunissait, ce que nous avons vu dans la description de la mort du roi Dragutin. Ceux qui venaient pour assister à la mort du souverain étaient « consumés de deuil, larmes amères aux yeux », tremblant de cette peur médiévale qu’apportent la mort du souverain et la succession au trône. Sentant que les temps incertains approchent après la mort du roi Dragutin, « on entendit les cris et les gémissements partout dans le royaume, et les hurlements retentirent […] Pourquoi te sépares-tu de nous, oh, toi qui étais notre berger et notre éducateur ? Qui défendra notre sol natal à ta place 97 ? » Ces propos témoignent d’une fonction importante du souverain – il devait être le maître de son peuple, le bon berger et le défenseur. Nombreux écrivains évoquent le sentiment provoqué par la mort du prince comme une affliction qui est proche, dans la sensibilité médiévale, du deuil à la mort du père. Ainsi un hagiographe de la première moitié du xve siècle, Constantin le Philosophe, décrit la tristesse des sujets du despote Stefan (1395-1427) après sa mort, et cette description nous démontre la façon habituelle pour exprimer son deuil à la suite de la mort d’un souverain-père. Les gens se griffaient le visage et s’arrachaient les cheveux, et ils revêtirent des habits noirs. Ils rasèrent les crinières des chevaux […] Et les chevaliers […] criaient, affolés : « Nous voilà maintenant pauvres et étrangers. » Les moines arrachaient et jetaient par terre les poils de leurs barbes. Le désarroi régnait […] Ils rugissaient comme des lions tous ensemble du fond de leurs cœurs, et en vérité les nouveaux Israélites firent une grande lamentation pour le nouvel Israël 98.

L’auteur de la plainte funèbre pour le despote Đurađ Branković invite tout le monde, selon les coutumes, à déplorer la mort du souverain, et il pose la question rhétorique suivante :

96. J. HuizinGa, L’Automne du Moyen Âge, traduit du hollandais par J. Bastin, Paris 2015, p. 241. 97. Danilo II, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Daniel II, Vies des rois et archevêques serbes], p. 50 ; en serbe : p. 75. 98. KonStantin Filozof, Život despota Stefana Lazarevića [conStantin Le PhiloSoPhe, Vie du despote Stefan Lazarević], p. 319-320 ; en serbe : p. 251.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe Maintenant que tu es mort, comment allons-nous vivre ? Comment subirons-nous la nuit obscure ? Comment pourrons-nous regarder vers le ciel, que le fardeau amer et lourd des temps passés nous montre dans les étoiles enfumées ? Oh étoile amère qui nous annonça cela ! Quelle épée avais-tu présagée qui faucherait notre vie ?

Ensuite il dit : « Que chacun d’entre vous pleure, que chacun d’entre vous s’écrie : “Je suis perdu !” […] Ô, le grand néant ! Toi, saint seigneur, tu étais notre représentant ! », et c’est précisément cette image du souverain comme représentant qui dévoile les raisons du grand deuil pour le prince défunt au Moyen Âge 99. Dans la Serbie médiévale à l’époque des Némanides, le modèle idéal de la royauté, suivant l’exemple de Stefan Nemanja, s’accomplissait par la prise d’habit et la proclamation posthume de la sainteté. Pour cela, nos écrivains anciens accordent une attention particulière aux descriptions de la mort de Syméon, et elles contiennent toutes les caractéristiques d’une mort monastique. La plus belle image de la mort d’un ancien souverain devenu moine dans la littérature médiévale serbe est sans doute celle qui vient de la plume de Stefan, fils de Nemanja, le futur roi Premier Couronné 100. Très poétique, remplie d’émotions personnelles, et pourtant soumise aux règles et à la fonction du genre hagiographique, cette image de la mort représente un passage classique. Elle inclut toutes les étapes de la formation du modèle de pouvoir idéal : l’image du moine qui aspire à la béatitude de la vie éternelle et abandonne ce qui est « périssable et de ce monde » 101, c’est-à-dire le pouvoir et la gloire, et qui les remplace par une vie où « ayant dirigé ses pensées vers le ciel, il se tenait debout sur terre, mais son esprit et son âme séjournaient au ciel ». Stefan emprunte la description de la mort comme effet de la volonté divine aux psaumes (82 et 104) : « […] ses jugements s’exercent sur toute la terre, il créa les corps humains et il connaît les secrets humains, dans sa main se trouve toute création et, par sa miséricorde, il connaît la fin de tout un chacun ». L’image du paradis comme la fin idéale de la vie terrestre des justes témoigne d’une croyance profonde de l’homme médiéval en un sens final de la vie et de la mort, en une relation active entre ces deux plans d’existence 102. En préparant la mort de Syméon, le Très-Haut « prépara une échelle » – métaphore des vertus grâce auxquelles l’on accède au ciel. La mort ressemble à une ascension de cette échelle céleste : « Le Saint, posant son pied humblement sur cette

99. NePoznati SMeDerevac, Nadgrobna reč despotu Đurđu Brankoviću [Inconnu De SMeDerevo, La plainte funèbre pour le despote Đurađ Branković]. 100. STefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, La vie de saint Syméon], p. 68-72 ; en serbe : p. 69-71. 101. Ibid., p. 66 ; en serbe : p. 67. 102. Ibid., p. 68 ; en serbe : p. 67-69.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale échelle, accourait vers celui qui l’appelait » 103. Sur le plan terrestre, Syméon tombe malade, et il sait que l’heure de sa mort approche. Dans ce sens, cette mort est annoncée, c’est-à-dire, pressentie. Elle aussi est publique, ce qui correspond parfaitement à l’idée de la mort au Moyen Âge. Pour cela, Nemanja dit à son fils Sava de convoquer tous les moines hagiorites, pour qu’ils soient présents à l’heure de son départ. Dans cette image hagiographique, « le mourant voit les serviteurs de Dieu et les armées nombreuses qui l’approchent, il entend leurs voix et leurs chants » 104. La suite de cette description correspond pleinement à l’image de la mort monacale – en présence de sa confrérie, devant l’icône, sur des nattes en jonc tressé, accompagnée de pleurs, de sanglots et de gémissements de toute cette assemblée, ce qui faisait partie du rituel. Cette manière d’exprimer les émotions, nous l’avons déjà dit, révèle une émotivité forte, presque excessive, que les hommes médiévaux expriment dans d’autres occasions aussi ; nous la rencontrons dans les descriptions de la rage et de la fureur de la bataille, dans la joie jusqu’à l’oubli de soi-même, dans les cris éclatants, et tout cela en s’arrachant les cheveux, en se griffant le corps et en pleurant, obligatoirement. Confronté à la tristesse de ses confrères et de son fils préféré, Syméon prononce les mots dignes de son rôle de protagoniste, futur habitant des jardins d’Éden, qui attend l’heure douce de la mort (« Pourquoi êtes-vous affligés ? Commencez les chants funèbres ! »). Il chantait avec eux et en chantant « il rendit son esprit dans les mains du Seigneur. Et son visage était souriant, ineffable. Tout le monde le regardait avec admiration » 105. À part la description de la mort de saint Syméon, devenue une sorte d’archétype idéal de la mort monastique, il faut prêter l’attention aux représentations très suggestives d’une conception radicalement ascétique, dans la Vie du roi Dragutin – devenu le moine Théoktiste 106. L’hagiographe présente l’histoire des exploits ascétiques du roi en les accordant aux messages des Pères de l’Église, et il applique littéralement le principe du memento mori, connu dans la pratique anachorétique. Le prince-moine, qui se prépare sans cesse à sa mort, anticipe joyeusement sa vie future, en accord avec une conception sublime de l’ascèse comme expression de la joie et de l’amour envers Dieu 107.

Ibid., p. 68 ; en serbe : p. 69. Ibid. Ibid., p. 72 ; en serbe : p. 71. Les topoï littéraires de l’ascétisme radical dans cette Vie appartiennent à la tradition monastique syrienne, et nous les rencontrons dans la littérature hagiographique serbe dans la Vie de saint Pierre de Koriša de Théodose. À ce sujet, voir D. PoPović, « Kult kralja Dragutina – monaha Teoktista » [« Culte du roi Dragutin – moine Théoctiste »], dans EaD., Pod okriljem svetosti. Kult svetih vladara i relikvija u srednjovekovnoj Srbiji [Sous les auspices de la sainteté], p. 121-142. 107. Ici il faut noter l’ordre du roi sur le destin posthume de son corps, qui interdit la proclamation de sa sainteté. À ce sujet, voir ibid., p. 132-134, avec bibliographie. 103. 104. 105. 106.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe Revenons à la description de la vie, de la mort et de l’ascèse de saint Syméon. En plus d’être mort en moine et ensuite sanctifié, Nemanja était un souverain idéal dans sa vie terrestre princière. Il était connu pour sa droiture morale, la protection et l’édification des églises et des monastères, la vertu orthodoxe, mais il était aussi le guerrier idéal, et tous les biographes mentionnent ses succès sur le champ de bataille. De même, tous ses héritiers au trône serbe furent considérés comme de grands guerriers, même s’ils ne l’étaient pas tous, parce qu’un souverain médiéval était censé être un grand chef militaire. Héritée de l’Antiquité, cette image du prince-guerrier idéal culmine dans la victoire sur le champ de bataille, au moment où le souverain tue le chef ennemi de sa propre main. La sensibilité médiévale avait ajouté à cette image une autre, celle de la mort triomphale, c’est-à-dire la mort au combat. Pour expliquer le phénomène de la célébration de la mort du guerrier dans la société médiévale serbe, nous devons tout d’abord mentionner les modèles occidentaux, puisque l’idéal de la célébration de la vertu guerrière du prince chez les Serbes venait en partie par les modèles chevaleresques de la culture occidentale, et en partie de la tradition vétérotestamentaire. La société guerrière du haut Moyen Âge appréciait la prouesse héroïque et la forme épique, et elle exprimait son admiration pour la force physique, la mort couronnant un exploit héroïque, où dominent le courage personnel et la loyauté au chef, à travers un code d’honneur aristocratique. Ce modèle, guerrier à la base, devenait avec le temps empreint d’une tonalité émotionnelle d’inspiration chrétienne. Conçue dans un milieu de clercs lettrés et inspirée par l’image de la mort d’un héros différent – dans ce cas le saint chrétien – cette mort, venant de la culture cléricale, avait imposé son cadre mental à la culture des chevaliers et des guerriers 108. C’est ainsi que le paradigme de la mort du guerrier, incarné dans la description épique de la mort de Roland, s’était transformé en l’image de la mort chrétienne d’un saint. Il suffit d’une connaissance rudimentaire du Moyen Âge serbe pour reconnaître ici l’image complexe de la mort du prince Lazar à la bataille du Kosovo (1389), l’histoire hagiographique de la mort en martyr du futur saint et de son choix de l’empire céleste, histoire entrelacée sur plusieurs plans avec l’image épique du guerrier, du chevalier, avec un code féodal de l’honneur dont les éléments clés sont la foi, la fidélité et la gloire. Les lieux communs de ce plan féodal s’entremêlent avec les images symboliques de la vie du Christ – mentionnons la Cène, le motif de la trahison, l’autosacrifice du héros comme preuve de fidélité féodale, et finalement, la mort au combat des chefs des deux armées. L’image de la mort de Lazar, c’est-à-dire sa transposition hagiographique en image de la mort en

108. Ph. ArièS, L’homme devant la mort, vol. I, p. 13.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale martyr, nous ramène à une époque précédente, où nous pouvons suivre deux fonctions du prince dans la société serbe, c’est-à-dire la division entre sa fonction guerrière et cléricale. Il s’agit de deux cas particuliers qui témoignent de la complexité de ce phénomène. Le premier concerne le phénomène de double règne, créé déjà à l’époque des fils de Nemanja, Stefan et Sava, quand l’État, à l’aide des prières du fondateur de la dynastie, saint Syméon, et sous le règne partagé, c’est-àdire le rapport symphonique du pouvoir spirituel et profane de ses deux fils, progressait sur tous les plans. Une telle harmonie, sanctifiée par le soutien sacral, devient le modèle idéal pour les générations futures. L’invincibilité de la patrie est garantie par la participation directe du saint patron – d’abord de saint Syméon, rejoint par saint Sava ensuite, qui par leurs prières, leurs interventions à travers les miracles, et leurs actions concrètes, sauvent la patrie des ennemis. Une protection similaire, cette fois par les prières, arrive à un moment intéressant, que nous n’analyserons pas du point de vue temporel, mais justement du point de vue de la tradition, avant tout celle notée dans le récit hagiographique, et ensuite sur l’icône de l’iconographe Longin 109. Il s’agit d’une tradition connue sur la bataille de Velbužd (Ćustendil) de 1330, le moment du plus grand triomphe du jeune roi Stefan Dušan. La tradition ultérieure, qui provient du cercle monacal de Dečani, tend à attribuer cette victoire aux efforts communs des deux souverains : une partie de mérites revient, ainsi, au saint roi Stefan de Dečani, qui, à l’instar de Moïse, prie pour la victoire, et l’autre revient à Stefan Dušan, qui dirige la puissante cavalerie d’élite et, au moment du triomphe guerrier, décapite le souverain ennemi. Dans sa préface au Code, l’empereur Stefan Dušan souligne avec fierté cette victoire qu’il avait remportée et mentionne une caractéristique de la mort en bataille qui nous paraît importante. Il dit qu’il n’avait pas seulement décapité, de sa propre épée, l’empereur bulgare Michel, mais aussi que « son tombeau (celui de Michel) se trouve toujours dans mon pays » 110. Le lecteur cultivé se souviendra de la scène classique du champ de bataille autour de Troie, qui traduisait le sentiment général que la victoire n’est complète qu’au moment où la terre des vainqueurs est semée des cadavres des adversaires. C’étaient les exploits de ce genre qui apportaient le plus grand triomphe aux chefs militaires romains. La mort accompagnée de l’humiliation et de l’horreur n’est pas seulement liée à la défaite au combat. Elle est, en partie, le prototype de la mort en martyr, qui est un élément important de certains récits hagiographiques.

109. Explication détaillée de l’icône de l’iconographe Longin par V. J. Đurić, Ikona Svetog kralja Stefana Dečanskog [L’icône du saint roi Stefan de Dečani], Belgrade 1985. 110. N. Radojčić (éd.), Zakonik cara Stefana Dušana [Code de l’empereur Stefan Dušan], Belgrade 1960, p. 144.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe Parmi les images de la mort en martyr dans les sources serbes anciennes, l’une des plus poignantes est celle de la mort du roi Stefan de Dečani, venant de la plume de Grégoire Camblak. Le but de l’higoumène de Dečani était de composer une Vie comme une sorte de célébration préparatoire du futur saint. Pour cela, la description de Stefan comme futur saint martyr n’est pas étonnante. Dans le prologue, notre écrivain dit « je décrirai sa mort en martyr, et comment il s’est élevé jusqu’à l’assemblée des martyrs » 111. La description de la mort en martyr comprend un antihéros de l’histoire. Dans le cas de Stefan de Dečani, c’était son fils Dušan. Camblak n’épargne pas Dušan, disant pour lui que maintes fois blessé par le désir de l’empire, il cachait à l’intérieur de son âme un serpent (le mal), et il craignait qu’il n’obtienne jamais ce qu’il désirait. Ensuite, ne pouvant plus supporter la flamme de l’ambition, ayant derrière soi de fortes armées et de nombreux seigneurs puissants […] il se souleva pour conquérir l’empire 112.

Son père lui conseillait d’être un peu patient, mais en vain – « l’âme qui s’est précipitée vers le mal » ne pouvait écouter de bons conseils. Quelques jours plus tard, le fils condamna son père à une mort terrible par strangulation. Ce qui est le plus intéressant pour nous dans ce récit épouvantable est une remarque de Camblak : « Comment serait-il (Stefan de Dečani) un martyr parfait, sinon de cette manière-ci ? Car le martyre est unique, tandis que les façons de mourir sont multiples » 113. La mort de Stefan appartient à la catégorie de la mort en martyr grâce à la proclamation de sa sainteté, rapidement après sa mort. Par ses autres caractéristiques, cette mort appartient à la catégorie de la mort violente dont un meilleur exemple nous vient aussi de Camblak, dans un épisode célèbre qui raconte la mort de Junac. Cet épisode 114 de la Vie écrite par Camblak raconte la manière spéciale dont Stefan, en tant que saint, protégeait le monastère de Dečani, qu’il avait érigé, et par conséquent nous voyons la vengeance terrible du saint, qui par ses miracles punit la violence qu’un certain Junac avait commise contre le monastère de Dečani. Junac est décrit comme un « mécréant », donc, semblable à un animal. L’higoumène du monastère avait ouvert la châsse où gisait le roi martyr, et priait devant ses reliques pour qu’il le délivre du mal que Junac faisait au monastère. Durant la prière de l’higoumène, Junac fit un rêve dans lequel il se trouvait au monastère, et vers lui avançait « un homme terrible orné des vêtements impériaux » sortant de la châsse de Stefan. Cet esprit

111. GriGoriJe CaMBlak, Život kralja Stefana Dečanskog [GréGoire caMBlak, Vie du roi Stefan de Dečani], p. 154. 112. Ibid., p. 155. 113. Ibid., p. 156. 114. Sur l’épisode de la mort de Junac, voir ibid., p. 164-165.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale l’avait frappé avec un chandelier qui se cassa sous la force du coup, après quoi suivit l’anathème, encore pire que le coup. Réveillé brusquement, Junac hurla comme une bête, épouvanté et souffrant comme si les coups avaient été réels. En proie à une forte fièvre, victime d’une crise de nerfs et de la manifestation évidente de la malédiction, Junac passa sept semaines dans le monastère, pendant que son corps pourrissait d’une manière atroce. Camblak décrit la puanteur immonde qui se dégageait de ses plaies, la perte des dents et de la langue et la décomposition du corps qui correspond aux représentations du macabre. La dernière scène d’horreur était celle du corps putréfié qui gisait sur le sol alors que l’âme y était toujours maintenue de force, pour donner un exemple aux autres. Il faut dire que l’épisode de la mort de Junac est unique, par le vérisme de la description et par l’accent mis sur les éléments naturalistes liés à la mort (la décomposition du corps, la puanteur des plaies etc.), et qu’elle est dans ce sens isolée dans le corpus hagiographique serbe ; de ce fait, elle ne pourrait pas nous permettre d’affirmer qu’il s’est produit un changement de sensibilité eschatologique à l’automne du Moyen Âge serbe. Les images décrites qui caractérisent la mort du prince au Moyen Âge serbe sont étroitement liées à l’expérience de la sainteté exprimée à une époque précise et à un endroit défini. L’expérience de la sainteté Critères de sainteté Les cultes des saints sont en effet à la fois l’expression de la doctrine élaborée par l’élite intellectuelle et politique du royaume et le symbole intemporel de l’intercession entre le monde céleste et terrestre. De la même façon, si les reliques des saints permettent d’identifier l’origine d’un culte dans sa perspective historique ou anthropologique, elles sont aussi une réponse aux questionnements spirituels et politiques de la société médiévale 115. En essayant de présenter les critères qui étaient considérés comme des conditions préalables et des indicateurs de la sainteté, on doit commencer par l’origine d’un culte, d’abord liée à la sépulture du saint ; c’est là que le miracle, lorsqu’il se produit, fait de lui un saint à proprement parler. L’événement précède en général

115. Sur l’importance des reliques dans le monde byzantin, voir le recueil de travaux J. DuranD, B. FluSin (éd.), Byzance et les reliques du Christ, Paris 2004. Voir aussi B. fluSin, « Les reliques de la Sainte Chapelle et leur passé impérial à Constantinople », dans J. DuranD, M.-P. Laffitte, D. Giovannoni (dir.), Le trésor de la Sainte-Chapelle, Paris 2001, p. 20-31 ; i. kalavrezou, « Helping Hands for the Empire: Imperial Ceremonies and the Cult of Relics at the Byzantine Court », dans h. MaGuire (éd.), Byzantine Court Culture from 829 to 1204, Cambridge, MA 1997, p. 53-79.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe la composition des textes dédiés à la célébration, narratifs ou liturgiques 116. Quant au locus sanctus, il s’agit d’un ensemble funéraire composite possédant différentes fonctions tant cultuelles qu’idéologiques 117. Le récit hagiographique se conforme donc à un modèle littéraire, empruntant souvent à des textes antérieurs 118. Les motifs de la biographie du saint se réfèrent à un archétype et s’accompagnent de messages politiques 119. Le texte obéit toujours à un schéma identique : la vie du saint, la façon dont il est mort pour le Christ, les miracles qu’il a accomplis, et enfin sa louange. Ces épisodes sont indiqués par des topoï qui servent à confirmer la sainteté du héros selon les critères de l’époque à laquelle la Vie du saint a été rédigée 120. En général, les topoï se rapportent à l’origine et à l’éducation du futur saint ainsi qu’à tout moment crucial de sa vie, a fortiori à sa décision de revêtir l’habit de moine. Un des moments forts de la vie du héros, qu’une topique de circonstance souligne, est la rupture avec sa famille et sa rencontre avec un père spirituel qui l’amène à choisir la vie monastique. Le personnage est alors incité, en général sans succès, à reprendre la voie séculière, et parfois même à regagner le trône qu’il a dû abandonner. En entrant dans une nouvelle communauté, l’appartenance spirituelle du futur saint est mise en avant par rapport à sa famille charnelle. L’hagiographie royale se distingue toutefois des vies consacrées aux moines. Noblesse des origines, éducation dans la chrétienté et discernement du héros face à ses devoirs de souverain encadrent de façon naturelle le portrait du souverain idéal dont les qualités font un athleta patriae. Outre les vies de saints rois protecteurs du royaume, de rois-confesseurs et rois-thaumaturges dont l’action est toujours tournée vers la prospérité de la communauté (la patrie) ou la dynastie en place, on distinguera celle

116. M. van uytfanGhe, « Les voies communicationnelles du message hagiographique au haut Moyen Âge », dans Communiare e significare nell’alto Medioevo, Spolète 2005 (Atti delle Settimane di Studio del Centro Italiano di studi sull’alto Medioevo LII/2), p. 685-732. 117. M. kaPlan, « L’espace et le sacré à Byzance d’après les sources hagiographiques », dans Christianità d’Occidente e Christianità d’Oriente, secoli VI-XI, Spolète 2004 (Atti delle Settimane di Studio del Centro Italiano di studi sull’alto Medioevo LI), p. 1053-1115 ; sur le rôle et l’importance des reliques dans le processus de l’apparition du culte de saint, en particulier dans le monde byzantin voir l’étude iD., « De la dépouille à la relique : formation du culte des saints à Byzance du ve au xiie siècle », dans E. Bozóky, A.-M. HelvétiuS (éd.), Les reliques. Objets, cultes, symboles. Actes du colloque international de l’Université du Littoral-Côte-d’Opale (Boulogne-sur-Mer), 4-6 septembre 1997, Turnhout 1999, p. 19-38. 118. Sur les rapports du pouvoir et de la sainteté dans la littérature hagiographique byzantine du ixe au xie siècle, époque considérée comme celle des « siècles d’or de l’hagiographie » voir É. PatlaGean, « Sainteté et Pouvoir », dans S. hackel (éd.), The Byzantine Saint, p. 92. 119. R. MorriS, « The Political Saint of the Eleventh Century », dans S. hackel (éd.), The Byzantine Saint, Londres 1981, p. 44. 120. Sur les questions liées à la littérature hagiographique serbe et bulgare voir G. PoDSkalSky, Theologische Literatur des Mittelalters in Bulgarien und Serbien 865-1459, Munich 2006, p. 271425.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale du roi-martyr. La mort injuste du saint presente l’apogée dramatique du récit hagiographique. Ainsi les topoï sont-ils toujours conformes au genre hagiographique alors que l’expression dramatique varie selon le type de sainteté auquel se rattache le personnage principal du récit. « La reconnaissance de la sainteté » fait partie d’un processus rigoureusement défini 121. Après avoir considéré les composantes essentielles de la sainteté, on s’attachera ici aux éléments structurels que l’on peut qualifier de « constitutifs » de la sainteté. En premier lieu, c’est tout simplement le corps du saint 122. Celui-ci est reconnu comme « saint » de son vivant, mais pas uniquement dans le cas, évident, où le saint homme a produit des miracles au cours de son existence sur terre. En fait, la sainteté provient de la capacité du futur saint à « contrôler » son corps et à le soumettre à la volonté de son âme. C’est vrai de son endurance dans le jeûne et les prières, de la dévotion dont il fait preuve dans les pèlerinages et de tout exploit corporel, jusqu’à celui de mener une vie d’ermite comme forme d’ascèse la plus noble. À chaque fois, le saint prouve son aptitude à dépasser ses limites et à surmonter la faiblesse de sa nature humaine. Celui qui parvient à maîtriser son propre corps montre qu’il peut aussi maîtriser les forces de la nature 123. La croyance se fonde sur les différents pouvoirs attribués aux saints et d’abord sur celui qu’il a de protéger. Le saint écarte en effet les dangers qui menacent non seulement celui qui fait appel à lui mais aussi, souvent, la communauté tout entière. Il agit également sur les phénomènes naturels (famine, sécheresse, déluge, tempête sur la mer) et produit des miracles grâce à son pouvoir d’intercession entre Dieu et les hommes. Enfin, il est capable de toutes sortes de guérisons miraculeuses jusqu’à celle de ressusciter les morts et d’exorciser les démons. Ces pouvoirs supposent un contact avec le surnaturel et se manifestent dans les visions, les rêves, les présages et les expériences mystiques. La sainteté se « reconnaît » au travers des actions miraculeuses du saint mais aussi par un « choix » personnel que présente son récit biographique. Le futur saint homme décide, en effet, au cours d’un cheminement complexe, de son destin. Il peut être celui de la mort librement consentie du martyre,

121. F. Prinz, « Der Heilige und seine Lebenwelt. Überlegungen zum Gesellschafts- und Kulurgeschichtlichen Aussagewert von Viten und Wundererzählungen », dans Santi e Demoni nell’alto Medioevo Occidentale. Secoli V-XI, Spolète 1989 (Atti delle Settimane di Studio del Centro Italiano di studi sull’alto Medioevo XXXVI), p. 285-318. 122. Sur le rôle du corps dans la formation de l’idéal du saint, voir P. BroWn, The Body and Society: Men, Women and Sexual Renunciation in Early Christianity, New York, NY 1988, avec un très bon examen de la bibliographie et des sources. Voir aussi le livre de C. W. BynuM, Holy Feast and Holy Fast. The Religious Significance of Food to Medieval Women, Berkeley, CA – Los Angeles, CA – Londres 1987. 123. S. BoeSch GaJano, « Reliques et pouvoirs », dans E. Bozóky, A.-M. HelvétiuS (éd.), Les reliques. Objets, cultes, symboles, p. 260.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe impliquant le sacrifice de soi, de l’habit monastique comme ultime étape de la vita contemplativa par rapport à la vita activa, de la conduite des fidèles ou d’une vie de missionnaire. Qu’il s’agisse de la sainteté d’un roi ou d’une dynastie, elle représente toujours une expérience unique et constitue une force surnaturelle d’essence sacrée qui l’apparente au pouvoir royal 124. Certains cultes royaux ou dynastiques et certaines reliques (le phénomène de la « sainte couronne », « sainte lance », etc.) ont parfois largement dépassé, en termes de popularité, toute forme de piété organisée dans le cadre d’une église ou d’un monastère. Mais pour attester de son pouvoir, une reconnaissance officielle de la communauté et la proclamation publique de l’action miraculeuse du saint ont toujours été indispensables. Il est vrai que les miracles qui se produisaient au contact des reliques ou de la châsse du saint étaient les garants d’un grand prestige pour la communauté monastique. De par leur nature, à la fois matérielle et spirituelle, naturelle et surnaturelle, les reliques étaient un instrument de l’action divine, seules capables de concrétiser la relation étroite entre le ciel et la terre 125. Translatio reliquiarum La mort et les miracles appartenaient au domaine sacral. La mort des saints, des « défunts privilégiés » 126, c’est-à-dire l’arrivée de leurs reliques dans un milieu nouveau et la déposition dans une autre tombe, représente le moment fondamental dans la vie d’une communauté. La communauté était consciente que la présence des reliques du saint les protégeait de l’ennemi, et cette conscience était un aspect important de l’identification collective. La présence des reliques est censée corroborer la garantie céleste, la paix et stabilitas regni. Les descriptions de la translation des reliques, d’une certaine manière, oscillent entre le texte hagiographique comme genre littéraire et l’historiographie au sens large (chroniques et annales 127). Selon la définition de Martin Heinzelmann, les descriptions des translations ont leurs origines dans les formes littéraires classiques, comme les Dits funéraires, les panégyriques lus pendant les adventus des empereurs, et les lettres paléochrétiennes consacrées à la découverte des reliques des pionniers de la foi du Christ 128. Nous les trouvons dans les compositions paléochrétiennes, faisant partie des vitæ ou des passiones, où ils figurent souvent comme une sorte de transition entre la description des miracles du saint durant sa vie, et des miracles qui se 124. E. Bozóky, La politique des reliques de Constantin à Saint Louis, p. 66-72. 125. S. BoeSch GaJano, « Reliques et pouvoirs », p. 259. 126. J. Le Goff, Le Dieu du Moyen Âge, Paris 2003, p. 25. 127. P. J. Geary, Furta sacra. Thefts of Relics in the Central Middle Ages, Princeton, NJ 1990 (19781), p. 10. 128. M. HeinzelMann, Translationsberichte und andere Quellen des Reliquienkultes, Turnhout 1979, p. 34-101.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale sont produits après la mort du héros du récit. Plus tard, puisque la translation des reliques devient de plus en plus importante pour la vie de la communauté, étroitement liée à la sacralisation de l’église où les reliques gisaient et où l’on respectait leur culte, et liée aux autres formes de la célébration liturgique, les descriptions des translations deviennent un sous-genre littéraire du récit hagiographique. À la différence des descriptions des vies des saints et de leurs passions, qui se concentrent avant tout sur les exemples (exempla) des vertus chrétiennes, les descriptions des translations des reliques trouvent le lien le plus proche avec les témoignages (testimonia) des actions miraculeuses des reliques du saint 129. Tout comme les autres formes hagiographiques, les descriptions de la translation des reliques changent, autant sur le fond que sur la forme, durant les longs siècles de l’histoire médiévale. Indépendamment de ce fait, la translatio comme genre littéraire témoigne d’un événement historique particulier, crucial dans la vie d’une église ou d’un monastère récipiendaire des reliques, et pour cette raison il offre un regard précieux à l’intérieur, vers une expérience collective de ce que nous pourrons, à cette occasion, appeler l’expérience de la sainteté. Bien sûr, il démontre aussi la fonction de cet événement dans le cadre de ladite communauté. Il va sans dire que, à l’instar du rôle des reliques dans la société médiévale, l’expérience de la sainteté changeait elle aussi, et que ces changements ne suivaient pas une ligne droite, chronologique. Quand il s’agit de l’exploitation politique du culte des reliques, il est révélateur que des liens étroits aient été établis entre l’entrée solennelle du prince dans une ville (adventus regis) et l’arrivée solennelle des reliques dans un milieu où la seconde tombe du saint est préparée (translatio reliquiarum 130). L’adventus, aussi bien que la translation, suscite une exaltation émotive forte chez les spectateurs et les participants. Les descriptions de ces cérémonies montrent que l’événement provoquait l’extase et les pleurs, et « les larmes étaient belles et édifiantes ». Johan Huizinga ajoute son commentaire à cette affirmation : Aujourd’hui encore, un spectateur indifférent au souverain qui fait son entrée solennelle en ville, peut ressentir cette exaltation forte, ces frissons et ces larmes. Au Moyen Âge, une telle exaltation immédiate était remplie d’une vénération semi-religieuse de la pompe et de la grandeur, qui se frayait le chemin par moyen des larmes sincères 131.

129. P. J. Geary, Furta sacra, p. 11. 130. D. PoPović montre, dans une récente étude exhaustive (« Srpska vladarska translatio kao trijumfalni adventus » [« Translatio du souverain serbe comme adventus triomphal »], dans EaD., Pod okriljem svetosti. Kult svetih vladara i relikvija u srednjovekovnoj Srbiji [Sous les auspices de la sainteté], p. 233-252), l’importance de cette cérémonie dans le milieu serbe, et elle donne un relevé de la littérature comparée concernant ce phénomène sur un plan plus large. 131. J. HuizinGa, L’Automne du Moyen Âge, p. 15.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe Les études hagiographiques comparent, à juste titre, cette entrée solennelle du souverain en ville, qui faisait partie des spectacles éphémères de la communauté médiévale, aux nombreuses descriptions préservées de l’arrivée des reliques saintes dans un nouveau milieu. L’accueil des reliques, le plus souvent des ossements d’un saint, était un moment solennel dans la vie de la communauté, avant tout parce que les saintes reliques étaient un garant de protection, souvent même de la survie de la communauté, une garantie de l’intervention divine à laquelle aspirait chaque individu, et la communauté en entier. Cette communauté peut être définie selon le principe territorial ou national, comme c’était le cas avec l’État serbe des Némanides. Comme nous avons déjà pu le voir, les exemples byzantins de l’époque des Comnènes, surtout la figure de Manuel, ont fortement influencé l’idéal royal en Serbie ainsi qu’en Hongrie même si, au sein de ce royaume, la sainteté royale s’est développée en tant qu’institution à part entière. Le « modèle byzantin » de l’exploitation des reliques – celui des traditions qui exaltent les liens unissant physiquement des reliques précieuses et la personne de l’empereur – a contribué au processus de sacralisation de l’autorité impériale. On doit également rappeler qu’à Byzance, l’épithète de « saint empereur » était réservée à l’empereur Constantin Ier. Les autres basileis détenaient une sainteté d’office, du simple fait qu’ils régnaient sur le « saint et bienheureux empire » 132. Comme l’a montré Gilbert Dagron, le pouvoir de Constantin était pareil à celui du rex perpetuus des rois d’Occident tels que saint Édouard, saint Venceslas, saint Olaf, saint Éric ou saint Louis. À la différence que dans le cas byzantin, la sainteté du fondateur ne se transmettait pas, et cela, jusqu’à la fin du Moyen Âge 133. Les exemples byzantins cités montrent les différences évidentes entre le modèle serbe et impérial, mais dans le même temps, mettent en évidence les racines des phénomènes, les sources des modèles, et parfois même le choix du mode de présentation visuelle des idées politiques. Des conclusions similaires pourraient être tirées aussi à propos de la reprise des idées sur les formes de la sainteté, malgré le fait que ces idées, dans les pays serbes médiévaux, naissaient incontestablement sous l’égide d’influences occidentales. Les recherches de Peter Schreiner ont permis de mettre en évidence différentes formes de sainteté selon qu’elles proviennent

132. G. DaGron, Empereur et prêtre, p. 154-168. 133. É. PatlaGean, « Le basileus assassiné et la sainteté impériale », dans G. DuBy, K. F. Werner (éd.), Media in Francia. Recueil de mélanges offert à Karl Ferdinand Werner à l›occasion de son 65e anniversaire par ses amis et collègues français, Maulévrier 1989, p. 345-361 ; P. Schreiner, « Aspekte der politischen Heiligenverehrung in Byzanz », dans J. PeterSohn (éd.), Politik und Heiligenverehrung im Hochmittelalter, Sigmaringen 1994, p. 365-383. Sur la sainteté impériale voir G. DaGron, Empereur et prêtre, p. 159-168 ; cf. K. G. PitSakiS, « Sainteté et empire. À propos de la sainteté impériale : formes de sainteté “d’office” et de sainteté collective dans l’Empire d’Orient ? », Bizantinistica 3 (2001), p. 155-227.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale de la fonction impériale ou de la personne de l’empereur 134. L’auteur en déduit une classification des saints byzantins, dont on retiendra surtout, pour l’influence qu’elle eut sur les premiers cultes de saint roi en Serbie, la figure du roi martyr. Elle s’imposa sous l’empereur Nicéphore Phocas avant de renaître plus tard, quelque peu modifiée. Soulignons qu’au sein de l’Empire, des saints « politiques » coexistaient avec d’autres qui étaient proclamés comme tels pour avoir œuvré pour la foi, notamment sous l’iconoclasme. D’autre part, une forme de vénération de saints locaux perdura tout au long de la durée de l’Empire. Les premiers cultes de Serbie, notamment celui de saint Syméon Nemanja, apparaissent au moment où le phénomène de sainteté est en pleine mutation à Byzance. On assiste, au xiie et au xiiie siècles, à une diminution du nombre de nouveaux saints. Le genre hagiographique est également victime d’un désintérêt qui détone avec le faste de l’époque précédente 135. D’autre part, fait caractéristique de cette période, tous les nouveaux saints font partie de l’élite sociale byzantine 136. On constate aussi que les procédures de sanctifications sont simplifiées et proclamées sur simple décision d’assemblée. Il s’agit des conséquences d’une nouvelle forme de piété apparue sous les Comnènes dont les effets seront visibles même plus tard. Seconde transformation d’envergure qui mérite l’attention, la « systématisation » des cultes royaux en un culte dynastique. Le processus se déroule en même temps qu’une consolidation de la sacralité du pouvoir monarchique en Europe. Gábor Klaniczay considère le phénomène comme une résurgence du concept archaïque de la transmission de sainteté 137. L’idée que l’appartenance à une beata stirps familiale, liée au fait de la haute naissance, était un prélude à la sainteté, fut partagée par certains cercles de la noblesse de l’époque 138. La transmission héréditaire de la sainteté fut particulièrement vraie dans le cas de la Hongrie. À partir de l’année 1083, on observe, pour la dynastie des Arpadiens, une abondance de cultes de saints et de saintes. Cette tradition de sainteté dynastique se « transmettra » aux Angevins de Naples, une fois en possession du trône de Hongrie (1307). En effet, bien que les Angevins aient eu eux-mêmes des saints dans leur rang, notamment Louis d’Anjou qui était évêque de Toulouse, ils reprirent à leur compte les cultes de saints rois et

134. P. Schreiner, « Aspekte der politischen Heiligenverehrung in Byzanz », p. 366-370. 135. Les recherches de Paul Magdalino témoignent de ce fait, cf. P. MaGDalino, « The Byzantine Holy Man in the twelfth century », p. 51-66. 136. Voir l’étude R. MorriS, « The Political Saint of the Eleventh Century », p. 43-50. 137. G. Klaniczay, « From Sacral Kingship to Self-Representation. Hungarian and European Royal Saints in the 11-13 century », dans E. VeSterGaarD (éd.), Continuity and Change. Political Institutions and Literary Monuments in the Middle Ages, Odense 1986, p. 82-83. 138. A. Vauchez, « “Beata stirps” », p. 397-406. L’auteur s’attache surtout au cas de la Hongrie et ne mentionne pas la sainteté chez les Némanides qui illustre néanmoins parfaitement sa thèse. Voir aussi G. Klaniczay, « The Cult of Dynastic Saints in Central Europe », p. 111-128.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe princesses de Hongrie. Au xive siècle, le mariage de Charles Robert d’Anjou et de Marie, la fille de Bela IV, consolida l’union des deux lignages et renforça l’idée de sainteté dynastique. Il est vrai d’autre part que l’hagiographie et l’iconographie de la maison royale de Naples célébraient depuis longtemps plusieurs saints hongrois, dont sainte Marguerite. Mais on explique cet affichage de parenté de la part des Angevins par le fait qu’ils devaient légitimer leur présence en Italie du Sud et en Hongrie 139. André Vauchez dans son étude sur les rapports entre sainteté et lignage a souligné l’importance de la représentation iconographique du modèle biblique de l’arbre de Jessé en insistant notamment sur sa fonction comme préfiguration de la sainteté de certains lignages royaux 140. La référence au roi David, premier ancêtre attribué au Christ, et symbole de l’union entre Ancien et Nouveau Testament, imposa l’idée d’un lien entre pouvoir royal et sainteté 141. Mais, à partir des xiiie et surtout du xive siècle, la notion de vertu (virtus) prit une valeur spirituelle et transmissible qui se reflète dans la littérature hagiographique qui met alors en valeur l’enfance du saint et les vertus de ses parents. L’hérédité, la célébration de la naissance royale et la fusion entre sainteté et principe dynastique auront des conséquences importantes dans les provinces « périphériques » du monde chrétien dès le xiiie siècle. Pourtant, en Europe occidentale, à peine un siècle plus tard, le nombre de saints issus de familles royales tend à diminuer. Ils sont supplantés par les membres des ordres mendiants. Un nouveau concept de sainteté, reposant sur les principes de pauvreté et d’humilitas, est en train de naître 142. À la fin du Moyen Âge, la famille spirituelle a remplacé la famille charnelle dans le domaine de la sainteté. La conception de la sainteté royale, en Hongrie et en Serbie, peut donc sembler archaïque par rapport aux tendances de l’époque. Bien que l’idée de sainteté dynastique ne fût pas aussi exacerbée en Hongrie qu’elle l’était en Serbie sous les Némanides, on retrouve des faits comparables. La sainteté

139. Aussi paradoxal que digne d’intérêt, le fait que Louis d’Anjou, célébré comme un saint dynastique dans la branche napolitaine de la Maison d’Anjou, était érigé sur le modèle du souverain médiéval rejetant la couronne au profit de la vie spirituelle. Pour plus de précisions, G. Klaniczay, Holy Rulers and Blessed Princesses. Dynastic Cults in Medieval Central Europe, Cambridge 2000, p. 304-310. 140. A. Vauchez, « “Beata stirps” », p. 404-406. 141. J. le Goff, « Royauté biblique et idéal monarchique médiéval. Saint Louis et Josias », dans G. Dahan (éd.), Les Juifs au regard de l’histoire. Mélanges en l’honneur de Bernhard Blumenkranz, Paris 1985, p. 160. L’auteur montre que l’apparition de nouveaux thèmes dans les portraits royaux ainsi que les scènes représentant Jessé, à partir du xiie siècle, ont conduit à renouveler l’idéologie monarchique en Occident. Le parallélisme entre la lignée sainte de David, dont est issu le Christ, et les familles royales de l’époque indiquait que le souverain était choisi par Dieu et que ce Nouveau David était à l’image de Dieu – rex imago Dei. 142. Dans l’œuvre mentionnée (« “Beata stirps” », p. 399) Vauchez met en valeur les aspects sociaux de ces transformations en montrant que les nouveaux cultes ne sont plus issus des milieux aristocratiques mais des ordres mendiants, dont la structure sociale est populaire.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale dynastique reposait, dans les deux cas, sur un principe héréditaire et une origine mythique du « saint ancêtre ». La légende de sainte Marguerite, chez les Arpadiens, en témoigne, affirmant que ses virtutes religieuses étaient héritées de ses ancêtres, saint Étienne, saint Émeric, saint Ladislas et sainte Élisabeth, pour lesquels elle avait une vénération particulière. Le diptyque, commandé par le roi André III en 1290, réunit ainsi pour la première fois tous les saints de leur maison royale 143. Les représentations iconographiques de l’arbre de Jessé répondaient aux mêmes aspirations 144. Mais seule la dynastie serbe présenta la généalogie du Christ comme un pendant direct de sa lignée royale. Cette évolution des cultes royaux ne peut être expliquée par une simple résurgence de l’archaïque concept germanique de sainteté « par le sang » dont parlait Karl Hauck. Elle fut une conséquence de la politique propagandiste de la part des nouvelles dynasties. Ces dernières donnaient à voir la sainteté royale selon différents modes de représentation tels que les cérémonies, les pèlerinages, les translations de reliques, les consécrations d’églises mais aussi, bien sûr, au travers des portraits artistiques et littéraires des saints rois. Toute célébration du saint roi, jusqu’à son édification progressive en modèle, répondait au besoin premier du culte de saint qui était d’être un intercesseur pour les vivants qui leur permette d’atteindre le salut. En Europe centrale et occidentale, au xive siècle, la grande popularité de la sainteté dynastique conduisit aussi à une transformation définitive du culte dynastique en un culte national, ce dont la noblesse fut certainement responsable 145. Les cultes cessèrent d’être seulement les garants du prestige dynastique pour devenir de véritables symboles nationaux, parfois même aux dépens de la famille régnante. En Serbie, le culte dynastique jouera un rôle prépondérant après la chute de l’État médiéval. Sur les exemples montrés nous avons essayé de définir les critères de sainteté, c’est-à-dire les façons dont la sainteté était comprise dans le contexte du développement de l’État serbe médiéval. Ces particularités, comme nous l’avons vu, sont le résultat d’un postulat idéologique fondamental sur la beata stirps, qui a posé les bases à la croyance que le peuple et la dynastie sont élus 146. Cette idée, dans les siècles à venir, surtout à l’époque de la création de l’État serbe indépendant, ouvre la voie au mythe de « l’âge d’or » 147. Le mythe des origines, dont l’historicité repose sur la célébration d’une histoire commune, est un vecteur important de la lente construction de la conscience nationale. Dans ce processus, la célébration du peuple élu (le motif d’« empire céleste ») et le rappel de l’âge d’or (sous les Némanides) furent particulièrement valorisés.

143. G. Klaniczay, Holy Rulers and Blessed Princesses, p. 298. 144. A. Vauchez, « “Beata stirps” », p. 404. 145. G. Klaniczay, Holy Rulers and Blessed Princesses, p. 367 sq. 146. A. Vauchez, « “Beata stirps” », p. 397-406. 147. A. SMith, Chosen peoples. Sacred Sources of National Identity, Oxford 2003, p. 131-165.

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Le contexte politique de l’hagiographie serbe Après avoir essayé d’expliquer les façons dont les schémas ont été formés, selon lesquels étaient constituées l’image du pouvoir royal dans l’hagiographie serbe, l’image de la mort et l’image des translations ultérieures des reliques, ainsi que les critères de la sainteté qui étaient le cadre nécessaire de la célébration des saints chez les Serbes, nous reviendrons brièvement sur la question du modèle de sainteté du souverain de la dynastie des Némanides. Le modèle de sainteté choisi déterminait toutes les étapes importantes de la création du culte du saint, y compris le choix du type d’hagiographie. C’est pourquoi il nous semble indispensable de passer en revue les modèles de sainteté des souverains médiévaux serbes pour avoir le tableau complet, d’un côté, de la nature du récit hagiographique, et de l’autre côté, de sa fonction au sein d’un contexte politique concret. Les modèles de sainteté formés et appliqués dans la pratique serbe étaient inévitablement repris, en partie, du patrimoine occidental et byzantin. Politiquement conditionnée, cette reprise montre des variantes intéressantes, qui feront l’objet de la suite de notre étude.

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CHAPITRE II LE CULTE ET LA CONCEPTION DE LA SAINTETÉ

Le « saint homme » : la naissance d’un modèle Origine et évolution de l’hagiographie « royale » en Serbie médiévale L’hagiographie serbe a été créée au sein de grands foyers monastiques, son originalité est visible principalement dans le choix du type de saint à qui l’on a consacré des textes de nature hagiographique ; en règle générale, dans le cas serbe, les héros du récit hagiographique appartiennent à la dynastie régnante ou bien au cercle restreint de l’élite des hiérarques. À partir d’un certain moment, ce canon change quelque peu : selon les résultats des recherches les plus récentes, le cas isolé de l’inclusion de Pierre l’ermite dans le synaxaire des saints indique que les cultes anachorétiques entrent relativement tard dans le répertoire choisi, et qu’il faut comprendre cet élargissement de la typologie des cultes dans le cadre d’une initiative plus vaste, faisant partie d’un programme qui naît à l’époque du roi Stefan Milutin. Orientée vers la création d’une sorte de sanctoral des saints serbes, la réforme de l’époque de Milutin incluait le renforcement des cultes érémitiques locaux, comme le culte mentionné de saint Pierre de Koriša, ou bien le culte de saint Prohor 1. Les cas isolés, comme ces deux derniers, ne changent pas l’image globale selon laquelle l’hagiographie serbe porte un sceau clairement idéologique, influencé par les besoins de la dynastie. À cet endroit, notre devoir est de déterminer la nature de ces récits qui ont servi comme moyen de louange (laudatio) et glorification des saints auxquels l’hagiographie était consacrée. C’est justement cet effort d’intégrer le culte et le texte, c’est-à-dire de mettre le récit au centre des pratiques rituelles et dans un contexte cultuel plus large – social, politique et littéraire – qui montre que, dans le cas serbe, l’écriture de l’hagiographie

1.

Ce n’est certainement pas par hasard que, justement à cette époque, aux alentours de 1310, qu’a été renouvelée et élargie l’église de saint Prohor de Pčinja, le plus probablement grâce à l’archevêque Sava III (1309-1316), collaborateur proche du roi Milutin. Les échos de ce culte sont notables dans l’église érigée par roi Milutin qui se trouve non loin, à Staro Nagoričino, ce qui pourrait être une confirmation de la légende selon laquelle l’un des hauts faits de Prohor serait lié aussi au « désert de Nagoričino ». Saint Prohor a obtenu une place d’honneur sur les fresques de l’église de Nagoričino : il y est représenté avec saint Joachim d’Osogovo dans le narthex, parmi les moines les plus illustres du monde orthodoxe.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale était consciemment et délibérément placée dans le cadre d’une large économie spirituelle du culte des saints. L’écrivain de l’hagiographie vivait l’acte même de l’écriture comme une bénédiction, et de manière parallèle cet acte appartenait à la sphère du culte 2. Sur le plan de la promotion du culte des saints, il faut comprendre le récit hagiographique comme une illustration particulière des pouvoirs du saint, qu’il s’agisse de hauts faits ascétiques ou des pouvoirs miraculeux des saints hommes. Quand nous discuterons dans ce chapitre du rapport entre le récit hagiographique et le culte, nous tiendrons principalement compte de la spécificité de la pratique serbe du culte des saints, à savoir le fait que la plus grande partie du matériel hagiographique met en valeur les saints rois. Tout en tenant compte de la complexité du phénomène de la sainteté royale et de la place particulière qu’elle occupe dans la piété médiévale, nous nous attacherons à mettre en évidence l’importance de sa fonction politique dans les pays serbes au Moyen Âge. Analysé de la sorte, le culte du saint roi serbe rejoint des cultes similaires de l’espace européen auquel il se rattache. Il est aussi témoin des continuités et des ruptures idéologiques et révèle des différences selon l’époque et le milieu culturel de chaque culte 3. Ces tentatives de classification ont donné lieu à plusieurs grandes théories relatives au « saint roi ». Les études sur l’apparition des premiers cultes royaux ont engendré des théories diverses et parfois contradictoires 4. Les typologies de saints rois reposent sur une mise en valeur du lien entre sentiment religieux et besoins politiques de l’époque et sur l’existence de différents modèles de sainteté 5.

2. 3.

4.

5.

68

D. KrueGer, Writing and Holiness, p. 70, 73. Un très bon compte rendu de la notion de sainteté en Occident, avec un examen détaillé de la bibliographie : A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, Rome 1981, p. 187-197 ; ID., La spiritualité du Moyen Âge occidental, viiie-xiiie siècle, Paris 1994. Dans sa classification, Robert Folz a mis en évidence plusieurs types de saints rois dans l’Occident médiéval. Aux côtés des saints rois-martyrs, les rois-confesseurs forment un groupe assez disparate (avec les rois devenus moines et ceux canonisés après le xie siècle). Celui des rois-thaumaturges se distingue par les diverses « fonctions » attribuées à leur sainteté (guérison, protection, libération, assistance au combat). Cf. R. Folz, Les saints rois du Moyen Âge en Occident (vie-xiiie siècles), Bruxelles 1984, p. 19-27. Voir également l’introduction de la traduction en anglais des vies russes : The Hagiography of Kievan Rus’, trad. anglaise P. Hollingsworth, Cambridge, MA 1992, p. xix. Même si la typologie de Folz est par endroits fautive, cette étude systématique des saints rois reste très utile. Plus récemment, Gabor Klaniczay a permis d’appréhender la sainteté royale selon une méthodologie inédite. L’historien a considéré le phénomène tant de façon verticale, dans la durée, que de façon horizontale, dans l’espace géographique. Aborder ce sujet dans une perspective dichotomique, régie par le rapport du centre (les anciennes provinces romaines christianisées relativement tôt, telle que la Gaule) à la périphérie (les royaumes christianisés par la suite), évite certaines erreurs lorsqu’il s’agit de la forme ou de la structure des cultes royaux. On trouvera une définition du concept de « centre-périphérie » dans G. Klaniczay, « From Sacral Kingship to SelfRepresentation », p. 61-86. L’auteur aborde de façon plus générale cette question dans d’autres ouvrages que nous citons plus loin.

Le culte et la conception de la sainteté À partir du xiie siècle, les catalogues des vertus royales insistent sur l’officium du roi au détriment de ses qualités. La transfiguration du saint roi qui en découle n’affecte cependant pas la pratique serbe qui ne change véritablement qu’avec l’apparition du « saint chevalier » aux xive et xve siècles. Malgré ces transformations, et quel que soit l’endroit où elles se produisent, royaumes d’Occident ou Empire byzantin, on exige toujours du roi certaines qualités : la piété, l’équité et la charité. Elles caractérisent, avec la réserve envers le pouvoir, le modèle de la sainteté royale qui est né après le xiie siècle. Nous proposons ici une typologie des rois de Serbie tout en sachant qu’une telle tentative ne peut rendre compte parfaitement du phénomène 6. En effet, toute classification engendre une simplification, une uniformisation ou tout au moins impose des limites à un phénomène complexe. L’idée de saint roi a évolué en fonction de critères très variés qui sont de nature historique, psychologique ou sociologique. Comme l’a expliqué Dimitri Obolensky dans son livre The Byzantine Commonwealth, l’idée de sainteté royale et dynastique au sein de l’État serbe médiéval possède deux caractéristiques principales. Tout d’abord, le culte du saint roi y connaît une forme très aboutie. D’autre part, comme le note l’historien, l’auréole sainte des Némanides dépassait de loin la vénération que l’on vouait à la famille en Europe orientale. L’analyse des cultes des souverains chez les Serbes montre que les Serbes médiévaux étaient influencés, en plus de leurs propres traditions autochtones, par les deux centres culturels puissants des pays voisins – l’Empire byzantin et le Royaume de Hongrie. Il est, néanmoins, indispensable d’envisager dans quelle mesure les conceptions du souverain idéal, et même du saint ancêtre, qui étaient prédominantes dans la construction de l’idéologie souveraine dans la Hongrie voisine, avaient essentiellement, ici aussi, des racines dans les liens étroits qu’entretenait la cour hongroise avec la cour impériale des Comnènes. D’un côté, la Hongrie prenait toujours comme modèle l’idéal impérial incarné par la figure de Charlemagne ; à l’instar de cette image, le culte de saint Ladislas de Hongrie, qui a pu influencer le modèle du roi saint en Serbie médiévale, s’est transformé en celui d’un guerrier invincible. Conformément aux goûts de l’époque, Ladislas est présenté comme le roi athleta patriae, tandis que l’iconographie privilégie une imagerie de « saint chevalier » vénéré par le peuple 7. D’autres cultes anciens, tels ceux de saint Éric de Suède ou de saint Venceslas, ont été modifiés de la sorte et leur récit hagiographique enrichi de motifs chevaleresques. Le type de saint roi martyr « national »

6.

7.

S. Marjanović-Dušanić, « La typologie des cultes des saints rois dans les pays serbes au Moyen Âge », Histoire, mémoire et dévotion. Regards croisés sur la construction des identités dans le monde orthodoxe aux époques byzantine et post-byzantine, sous la direction de Radu g. Păun, Seyssel 2016, p. 33-51. Voir G. Klaniczay, Holy Rulers and Blessed Princesses, p. 173-194 ; R. Folz, Les saints rois du Moyen Âge en Occident, p. 106.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale acceptant la mort avec sérénité, comme preuve de sa foi, laisse place à celui du croisé qui, par sa participation active à la guerre sainte, rejoint l’empire céleste. Mais il faut souligner que pour ce qui est du royaume de Hongrie, on accepte aujourd’hui volontiers la thèse selon laquelle l’idéal chevaleresque y serait inspiré du modèle byzantin. La popularité des saints militaires (André, Georges, Théodore et Démétrius), dont les légendes furent abondamment lues et copiées, ne serait pas étrangère à l’adoption de la pratique byzantine. En raison de son prestige, la cour des Comnènes influença certainement les peuples voisins. Fait marquant, Béla III, l’initiateur de la canonisation de Ladislas, avait été élevé à la cour de Manuel Comnène. On ne s’étonne pas, dans ces conditions, que la figure de l’empereur ait été considérée comme un modèle pour un bon nombre de souverains de l’époque. Le culte des reliques, dont le prestige était ancien à Byzance, était célébré sous l’égide de l’empereur. Les élites politiques des pays voisins, comme la Hongrie et la Serbie, perçurent très vite l’importance de la célébration des reliques et en imposèrent l’usage dans leur royaume 8. Même si elle n’était pas l’unique source d’inspiration de la sainteté royale en Serbie, la pratique byzantine du culte des saints joue un rôle important tant dans la conception que dans la structure des cultes serbes 9. À partir du xie siècle, l’hagiographie byzantine révèle une relation étroite entre le culte du saint et le pouvoir impérial, qui donne à certains saints un grand prestige et une influence considérable au sein de la société et de la vie politique 10. Les saints prennent la fonction de pères spirituels de l’aristocratie. Leurs visions et leurs conseils exercent une influence sur l’élite politique. La vocation monastique est si puissante à l’époque, qu’elle s’érige en modèle auprès de l’élite gouvernante, marquant même de son empreinte les empereurs, comme Isaac Comnène ou, plus tard, Jean Cantacuzène 11. L’influence importante et étendue de ces cultes des saints byzantins dans les Balkans, se mesure par l’apparition de traductions et par la rédaction de textes hagiographiques consacrés aux saints les plus populaires. Ces écrits montrent à quel point l’influence

8.

Nous nous référerons à l’étude de P. MaGDalino, « L’Église du Phare et les reliques de la Passion à Constantinople (viie/viiie-xiiie siècles) », dans J. DuranD, B. FluSin (éd.), Byzance et les reliques du Christ, Paris 2004, p. 15-30. Sur le culte de la Sainte Croix à Constantinople, voir H. Klein, « Constantine, Helena, and the Cult of the True Cross in Constantinople », paru dans le même recueil, p. 31-59. Sur les reliques conservées à Constantinople et leur signification idéologique, voir l’étude qui leur est consacrée dans le catalogue de l’exposition sur le trésor de la Sainte Chapelle, B. FluSin, « Les reliques de la Sainte Chapelle et leur passé impérial à Constantinople », p. 20-31. 9. Sur le modèle byzantin du rapport du pouvoir à la sainteté et aux reliques voir E. Bozóky, La politique des reliques de Constantin à Saint Louis, p. 73-118. 10. É. PatlaGean, « Sainteté et Pouvoir », p. 95-97 ; R. MorriS, « The Political Saint of the Eleventh Century », p. 43-50. L’élévation à la sainteté des personnages les plus influents de l’État et de la hiérarchie ecclésiastique se rencontre à Byzance également au xiiie siècle. Sur ce sujet, voir R. MacriDeS, « Saints and Sainthood in the Early Palaiologan Period », p. 67-87. 11. É. PatlaGean, « Sainteté et Pouvoir », p. 99.

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Le culte et la conception de la sainteté byzantine était importante dans la formation d’un modèle de sainteté sur ce territoire. L’un des exemples les plus marquants – le modèle du souverain ascétique qui devient martyr – est celui du « saint roi » Nicéphore Phocas 12. Le sort des textes créés ou traduits dans les pays slaves des Balkans témoigne de l’énorme popularité de ce modèle nouveau, surtout dans le milieu serbe. Toute étude détaillée de la création des cultes des souverains et des textes hagiographiques qui les accompagnaient sur le sol serbe doit partir de leur analyse. Le culte de l’empereur Nicéphore II Phocas (963-969) fut surtout populaire dans le monde slave à partir du xiiie siècle 13. Il incarne le prototype de l’idéal monastique notamment grâce à la large diffusion d’un texte intitulé Le dit de l’empereur Nicéphore Phocas et son épouse Théophano 14. Issu d’une famille de la haute aristocratie, l’empereur était un disciple d’Athanase qu’il aida dans la fondation du couvent de Lavra au Mont Athos. Il aurait pensé très tôt à renoncer au pouvoir pour se consacrer à la vie monastique. Son penchant pour la théologie le conduisit à se rendre en pèlerinage, notamment à Jérusalem. Sa mort est décrite comme celle d’un martyr : ayant fait vœu de pureté, et selon les préceptes des ascètes, il dormait sur une couche de pierre quand Jean Tzimiskès, introduit dans l’enceinte du palais par sa maîtresse Théophano, la propre épouse de l’empereur, le tue. Le récit incrimine surtout Théophano, l’accusant de vouloir offrir le trône à son jeune et bel amant. Mais Jean Tzimiskès est contraint, sur l’ordre du patriarche Polyeucte, de se repentir pour pouvoir porter la couronne ; cet acte de repentance est d’autant plus mis en avant que c’est le meurtrier de Phocas qui sera le promoteur de son culte 15. Tzimiskès finit par obtenir aussi un culte au Mont Athos, aux côtés de celui de Phocas. La mort du héros au moment de la prière, sur le seuil de l’église ou bien, comme ici, endormi sur une couche de pierre, est un motif courant de l’hagiographie de type martyrologique. Cette dernière fait aussi du criminel un homme avide de pouvoir qui, après s’être repenti, est celui qui initie le processus de sanctification du roi assassiné. L’office composé au xie siècle pour l’empereur Phocas que l’on lisait le jour anniversaire de sa mort, le 11 décembre, emploie les termes de « martyr », « ascète » et « guerrier ».

12. Le culte de Nicéphore Phocas n’a pas été accepté par le patriarcat de Constantinople et il y en a des traces seulement à l’Athos. 13. Voir S. Marjanović-Dušanić, « L’écho du culte de Nicéphore Phocas chez les Slaves des Balkans », dans O. DelouiS, S. Métivier, P. PaGèS (éd.), Le saint, le moine et le paysan. Mélanges d’histoire byzantine offerts à Michel Kaplan, Paris 2016 (Byzantina Sorbonensia 29), p. 375-393. 14. L’édition critique de l’œuvre : É. TurDeanu (éd.), Le Dit de l’empereur Nicéphore II Phocas et de son épouse Théophano, Thessalonique 1976. 15. Sur la sainteté impériale et l’assassinat de l’empereur : É. PatlaGean, « Le basileus assassiné et la sainteté impériale », p. 345-361.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Le texte désigne également l’empereur comme le « porteur de la gloire des Romaioi » 16. De cet hymne, qui donne une place prépondérante au père spirituel de Phocas, Athanase, ressort surtout le caractère moral de l’empereur. Quelques thèmes choisis servent de trame pour élaborer les éléments hagiographiques retenus pour un empereur. Voyons d’abord de quelle manière les sources décrivent ces caractéristiques de Phocas qui se sont trouvées au centre de la littérature hagiographique ultérieure. Il s’agit de quelques topoï de la sainteté future qui sont facilement reconnaissables dans les textes des contemporains. Les topoï de l’ascèse appartiennent au premier groupe. Déjà les premières descriptions de l’ascension du général au pouvoir témoignent clairement d’une caractéristique ascétique très importante : sa réticence envers le pouvoir. Les habitudes ascétiques, qui datent de sa jeunesse, sont soulignées aux endroits où les sources expliquent l’éloignement de Théophano de son mari et sa relation présumée avec Tzimiskès. Ce sont justement Psellos et Zonaras 17, lorsqu’ils parlent de ce sujet, qui soulignent cette ancienne aspiration à une vie ascétique du général couronné de gloire. C’est une composante importante du futur canon du souverain idéal, populaire parmi les Slaves, accentuée de plusieurs façons dans les descriptions de la vie de Phocas, et surtout de sa mort. Le fondement de l’histoire de l’ascèse impériale a été fourni par sa relation avec les moines athonites, surtout avec Athanase 18. Ce dernier aurait pensé très tôt à renoncer au pouvoir pour se consacrer à la vie monastique. L’influence des moines sur le général byzantin semble être encore plus forte, si l’on considère qu’Athanase, avant de devenir un moine renommé sur le mont Kyminas, était le disciple de l’oncle de Phocas, Michel Maleïnos, qui fut lui-même canonisé, en tant qu’ermite accompli 19. C’est déjà dans la Vie

16. Ibid., p. 348-349. 17. W. J. AertS (éd.), Michælis Pselli Historia Syntomos, Berlin – New York, NY 1990, p. 100 ; cf. Th. Büttner-WoBSt (éd.), Ioannis Zonaræ Epitomæ Historiarum, Bonn 1897, p. 516 (qui dans cette partie s’appuie généralement sur l’énoncé de Psellos, avec peu de modifications). Sur la thèse que Historia Syntomos contient des traces évidentes de la biographie de l’empereur Phocas voir A. MarkoPouloS, « Zu den Biographien des Nikephoros Phokas », Jahrbuch der Österreichischen Byzantinistik 38 (1988), p. 225-233 ; J. LJuBarSkiJ, « Nikephoros Phokas in Byzantine Historical Writings. Trace of the Secular Biography in Byzantium », Byzantinoslavica LIV/2 (1993), p. 245253. 18. De l’aide que les frères Phocas (Nicéphore et Léon) ont donnée à Athanase pour fonder le monastère témoignent P. LeMerle, A. Guillou, N. SvoronoS, D. PaPachrySSanthou (éd.), Actes de Lavra, vol. I, Des origines à 1204, Paris 1970 (Actes de l’Athos V), p. 30 et n. 6. Sur le don d’un morceau de la vraie croix de l’empereur Phocas au couvent Athonite de Lavra voir ibid., no 5/20. 19. Son hagiographie en témoigne ; cf. L. Petit, « Vie de Michel Maleïnos », Revue de l’Orient Chrétien VII (1902), p. 549-568. Sur la relation entre Nicéphore Phocas et la Grande Lavra voir l’étude plus détaillée dans É. PatlaGean, « Le basileus assassiné et la sainteté impériale », p. 349.

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Le culte et la conception de la sainteté d’Athanase de Lavra que nous sommes informés du désir du général de se faire moine à la veille de l’expédition en Crète (960), ainsi que de la discipline qu’il s’imposait et de ses habitudes de dormir couche sur la terre 20. Une information encore, venant de différentes descriptions de l’empereur Phocas, mérite notre attention. Il s’agit d’une sorte de réticence envers le pouvoir, qui s’est manifestée déjà à l’époque où il conquérait le trône impérial. Toutes les sources majeures confirment son hésitation à s’opposer à Joseph Bringas et à usurper la couronne de l’empereur 21. Un mépris particulier envers le pouvoir séculier fait partie de l’histoire de l’attachement que Phocas vouait au milieu monastique athonite. Une autre information, d’importance égale, concerne le lieu de l’assassinat de l’empereur, et l’auteur du dit est renseigné avec précision à ce sujet 22. Il faut ajouter à tout cela encore une scène de la description du meurtre, surtout le contexte dans lequel est placé l’acte même du meurtre du futur saint. Sa mort, criminelle et violente, survint de nuit ; elle est décrite comme celle d’un martyr : il dormait à terre quand il fut surpris puis assassiné par son neveu Jean Tzimiskès. Il semble que ce détail, qui témoigne des habitudes ascétiques de l’empereur, fut rapporté avec l’intention claire de représenter l’empereur comme moine-ascète. C’est dans ce sens-là qu’il faut comprendre la partie du dit consacrée aux pratiques ascétiques de Phocas 23, et surtout la conversation entre les époux durant laquelle Phocas répond aux insinuations de Théophano (la cerise et les pommes sont devenues mûres, et il est temps que Phocas les cueille) qu’il est temps de partir à Jérusalem, où il prierait pour eux deux, et qu’après son retour de pèlerinage ils pourraient sauver leurs âmes en devenant higoumène et mère supérieure 24.

20. P. LeMerle, « La vie ancienne de Saint Athanase l’Athonite composée au début du xie siècle par Athanase de Lavra », dans Le millénaire du Mont Athos. 963-1963, vol. 1, Études et Mélanges, Chevetogne 1963, p. 75. 21. C. B. HaSiuS (éd.), Leonis Diaconi Historia, Bonn 1828, p. 39-40 ; W. J. AertS (éd.), Michælis Pselli Historia Syntomos, p. 98 ; I. Thurn (éd.), Ioannis Scylitzae Synopsis Historiarum, Berlin – New York, NY 1973, p. 256 ; Th. Büttner-WoBSt (éd.), Ioannis Zonaræ Epitomæ Historiarum, p. 496. Déjà dans les descriptions de ces événements les historiens mentionnent le rôle décisif de Tzimiskès pour persuader Phocas d’usurper le trône. Selon Leon Diacre, Bringas et Nicéphore Phocas luimême auraient offert le trône à Tzimiskès (C. B. HaSiuS (éd.), Leonis Diaconi Historia, p. 41). Il paraît que l’insistance des sources sur l’importance de cette candidature précoce de Tzimiscès au trône permet d’y voir une anticipation des événements futurs. À ce sujet voir l’étude plus détaillée dans B. KrSManović, D. DŽeleBdŽić, « Jovan Cimiskije i Nićifor II Foka : pozadina i motivi jednog ubistva s predumišljajem » [« John Tzimiskes and Nikephoros II Phokas: the background and motives of a premeditated murder »], Zbornik radova Vizantološkog instituta 47 (2010), p. 99. 22. É. VranouSSi, « Un “discours” byzantin en l’honneur du saint Empereur Nicéphore Phocas transmis par la littérature slave », Revue des études sud-est européennes 16 (1978), p. 731 : il s’agit de la mention du cabinet secret, mentionné seulement dans la version B du texte. 23. É. TurDeanu (éd.), Le dit de l’empereur Nicéphore II Phocas, chap. IV, p. 72. 24. Ibid.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Dans ce contexte les topoï de l’ascèse deviennent fonctionnels dans la formation de l’image populaire littéraire du saint. Bien sûr, on retrouve aussi la décapitation qui est un élément de la passion typique des martyrs. Évelyne Patlagean, en étudiant le lien entre l’assassinat et la sainteté du souverain, souligne la création d’un modèle littéraire plus large, dont l’influence, selon notre opinion, se manifeste dans les descriptions de la prise du trône par Phocas 25. Il s’agit d’un motif général du renoncement au pouvoir à cause d’un désir de devenir moine et de vivre en ascète, dont le modèle littéraire populaire se trouve dans le Roman de Barlaam et Joasaph et dans les textes hagiographiques consacrés à ces saints 26. Ce modèle a connu une grande popularité auprès des Slaves des Balkans, devenant une composante du modèle du saint souverain accepté chez les Serbes. Les références à l’ascension de Nicéphore Phocas au pouvoir impérial dans les sources hagiographiques serbes montrent le processus de genèse d’un schéma idéologique qui contribue à la naissance de représentations populaires du saint roi. Plus loin, nous porterons notre attention sur les répercussions que ces modèles ont eues dans la formation de l’idéal monarchique dans les régions des Balkans slaves. On retrouve les thèmes développés dans le dit dans la littérature populaire et religieuse qui a proliféré à travers les recueils de textes religieux (de type « zbornik » – recueil) apparus dans les territoires serbe et bulgare à partir de la fin du xive siècle et dans les siècles suivants, jusqu’au xviiie. Si l’on essaye de faire une analyse des contenus des recueils similaires dans ces territoires, nous verrons qu’il s’agit de collections de textes édifiants et religieux, comme les apocryphes, les extraits du Paterik et de lectures spirituelles, qui portent habituellement, après le titre, la formule « bénis, père » qui indique l’origine monastique de l’œuvre. Le même principe s’applique aux manuscrits serbes et bulgares qui ont été préservés jusqu’à aujourd’hui et qui mentionnent des visions de l’au-delà. Les plus anciennes collections des recueils moralisateurs, dans lesquelles nous trouvons les textes du genre « slovo » – le dit – datent de la fin du xive et du début du xve siècle. Certains d’entre eux, comme le dit de la sainte Anastasie ou le dit de l’empereur Nicéphore mentionnent le « couple » Phocas-Tzimiskès. Les mentions de ces empereurs peuvent être liées au fait qu’il s’agit des protagonistes populaires d’un grand récit historique de la fin du xe et du xie siècle, un récit qui a été inscrit dans les chroniques historiques byzantines très lues, comme la Synopsis de Skylitzès. C’est justement à partir du texte de Skylitzès que la légende de l’empereur Nicéphore

25. G. DaGron, Empereur et prêtre, p. 159-168 (« Saints empereurs »), particulièrement p. 162-163 (sur Nicéphore Phocas et Jean Tzimiskès) ; K. G. PitSakiS, « Sainteté et empire », p. 155-227. 26. É. PatlaGean, « Le basileus assassiné et la sainteté impériale », p. 359. En parlant de Phocas, l’auteur dit que son originalité personnelle « évoque […] en sa puissante contradiction, le motif de Barlaam et Joasaph, sans d’ailleurs que rien dans nos textes ne conforte en fait le rapprochement ». Voir S. Marjanović-Dušanić, « L’écho du culte de Nicéphore Phocas chez les Slaves des Balkans ».

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Le culte et la conception de la sainteté aurait pu se répandre facilement dans la tradition folklorique, entrer dans les cercles monastiques et finalement inspirer la littérature populaire édifiante. Le lien entre les deux textes du Dit recueillis dans les collections mentionnées est plus qu’évident, car il s’agit de textes écrits pour des cercles apparentés et dans un même but. Bien sûr, les textes ne sont pas écrits avec l’intention directe de diffuser le culte de Nicéphore Phocas, mais ils sont avant tout l’écho d’une popularité déjà existante du culte de l’empereur martyr. C’est pourquoi nous trouvons que les deux textes concourent au même but que la littérature édifiante en général : le texte, fondé sur l’histoire de l’empereur vertueux, agit comme une morale. C’est dans sa focalisation sur la femme maudite, Théophano, que se révèle la nature moralisatrice de l’écrit sur l’empereur Phocas : son but est de montrer au lecteur comment rectifier sa vie, de suivre l’exemple donné, pour citer les mots de la moniale Anastasie, « pour que chacun se détourne de ses mauvais chemins ». Le discours édifiant dont nous parlons a été créé, sans doute, dans un milieu périphérique. Si l’auteur, selon l’opinion d’Éra Vranoussi, aurait bien pris comme point de départ le texte original grec, aujourd’hui perdu, il l’aurait sûrement modifié dans une grande mesure, car il serait logique de s’attendre à ce que le public, de Constantinople ou de l’Athos, connaisse très bien les circonstances historiques de ces événements. Il faut ajouter à cela la présence de certains motifs, généralement connus, incorporés dans cette nouvelle composition. Le motif des souliers de Cendrillon (kalligia), le choix de la jeune mariée 27, le châtiment de la mauvaise femme, sa propension à l’adultère, la conscience du meurtrier endormie par un pichet de vin, tout cela sont des indices probants tant du genre du récit que de la nature compilatrice du texte, ainsi que du faible niveau des connaissances de son auteur sur les événements survenus dans la capitale byzantine. Ces motifs montrent aussi les sources que l’auteur aurait pu utiliser. Sans vouloir entrer dans la polémique sur la forme que ces informations initiales avaient lorsqu’elles lui sont parvenues, l’auteur du Dit a évidemment confondu une série de détails concernant deux impératrices différentes qui s’appelaient toutes deux Théophano. L’auteur a fusionné les deux souveraines en introduisant des éléments connus de l’histoire de Théophano, la sainte épouse de Léon le Sage, comme le « concours de beauté ». L’introduction des souliers de Cendrillon fait allusion à ce choix de l’impératrice par concours 28. Une telle combinaison est probablement due à l’homonymie des deux reines. De même, les métaphores érotiques populaires présentes dans le texte servent à souligner la peccabilité de l’impératrice et par contraste, à mettre en valeur les vertus ascétiques de l’empereur-saint.

27. É. TurDeanu (éd.), Le Dit de l’empereur Nicéphore II Phocas, chap. III, p. 71. 28. É. VranouSSi, « Un “discours” byzantin en l’honneur du saint Empereur Nicéphore Phocas », p. 733.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Des éléments folkloriques qui utilisent le langage imagé du peuple, sont introduits dans la narration, un point sur lequel nous sommes d’accord avec Émile Turdeanu 29. Pour répondre à toutes les questions que nous nous sommes posées, il n’est pas sans intérêt de se pencher sur les recueils dans lesquels ces Dits au contenu moralisateur ont été rédigés. La tradition manuscrite montre que, déjà au début du xiiie siècle, différents textes étaient populaires dans le monde slave, et plus précisément dans les Balkans, et qu’ils ont été recopiés plus tard. La traduction serbe du Roman de Barlaam et Joasaph est l’une des plus anciennes, et elle a éminemment influencé la formation du futur idéal monarchique chez les Serbes. La tradition locale liée au culte de saint Jean-Vladimir devient populaire à partir du xiie siècle, néanmoins, lui-même est mentionné pour la première fois dans un livre liturgique copié vers 1300. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut observer la création du dit de l’empereur Nicéphore, dont la rédaction la plus ancienne, comme nous l’avons vu, date du xive siècle. La création du texte populaire consacré à la prophétie de sainte Anastasie, dont la rédaction la plus ancienne conservée date de c. 1380, témoigne d’une tradition établie de lectures moralisatrices, qui venait, dans ces régions, principalement grâce aux traductions grecques. Toutefois, tracer l’origine est insuffisant pour rendre compte de tous les aspects de la popularité très large du genre du dit. Tous ces écrits naissaient dans les cercles religieux, ils étaient composés soit en vue de la lecture monastique soit pour une utilisation pastorale. Leur répertoire préétabli est fondé sur les légendes des empereurs vertueux, du triomphe de la piété et du caractère désirable du pouvoir terrestre. Quand il s’agit du dit de l’empereur Nicéphore et de sa femme Théophano, c’est grâce à une analyse philologique que nous pourrions trouver les réponses à la question ouverte de l’existence d’un texte grec, aujourd’hui perdu, qui a servi de modèle pour la création des deux variantes slaves de base, conservées dans neuf rédactions. Ici, nous sommes intéressés à un essai d’analyse de ce que le texte lui-même peut nous offrir pour comprendre comment le culte de Nicéphore Phocas a servi, dans un milieu serbe-bulgare, à façonner un modèle hagiographique du saint roi, promis à un long avenir. Car il ne s’agit pas seulement du modèle du souverain-martyr, de l’ascète qui périt par l’épée au moment de sa prière ou pendant son sommeil, et qui est récompensé par le don divin de la sainteté, modèle qui a été très clairement repris pour l’histoire composite de Jean-Vladimir, conservée dans la Chronique du prêtre de Dioclée. Le motif du souverain idéal, qui hésite à prendre le pouvoir et qui aspire à finir sa vie comme moine a façonné toute la tradition médiévale serbe de la sainteté monarchique. Il a été popularisé entre autres par le Roman de

29. É. TurDeanu, « Nouvelles considérations sur le “Dit de l’empereur Nicéphore II Phocas et de son épouse Théophano” », Rivista di studi bizantini e slavi 5 (1985), p. 179 ; cf. É. VranouSSi, « Un “discours” byzantin en l’honneur du saint Empereur Nicéphore Phocas », p. 735.

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Le culte et la conception de la sainteté Barlaam et Joasaph, et il s’est profondément enraciné dans les motifs littéraires concernant Phocas, qui sont exploités dans le Dit. Il construit le modèle du souverain-moine-saint, dont on trouve maints parallèles en Occident, et en particulier en Hongrie. La popularité du culte de Phocas et le lien que son écho littéraire a formé avec les motifs populaires déjà existants montrent la complexité de la création de l’idéal monarchique, qui allait laisser une marque profonde dans la Serbie médiévale. Voyons d’abord comment l’écho du culte de l’empereur Phocas a influencé la création de l’idéal du souverain-martyr. Le premier culte du saint roi apparaît en Serbie au cours du xie siècle, le siècle le plus « prolixe » en saints rois. Il est consacré à saint Jean-Vladimir et appartient au type du saint roi-martyr. Même s’il constitue un cas isolé par rapport aux saints rois némanides qu’il précède, et dont l’ensemble forme un groupe homogène, il est remarquable que le culte qui lui est dédié l’apparente à ceux de l’Europe occidentale. « Unique est le martyre mais nombreuses sont les façons de mourir » La mort violente du roi, acceptée sans résistance, est toujours le point culminant des vies de saints rois-martyrs. Elles reposent sur une identification du héros avec le sacrifice christique. La série de miracles posthumes du saint fait aussi appel aux motifs des Évangiles. On explique le fait que le culte du roi-martyr ait été particulièrement populaire dans le monde slave par l’influence de l’idéal du « martyr et moine » de l’hagiographie byzantine du xie siècle 30. On le vérifie auprès des cultes des saints Venceslas, Boris et Gleb et Jean-Vladimir qui possèdent tous une structure identique 31. La vita de saint Jean-Vladimir a été rédigée peu de temps après la mort du saint en 1016, mais elle n’a pas été conservée. Il existe une rédaction connue sous le titre de Légende de Vladimir et Kosara et qui fait partie de la Chronique du prêtre de Dioclée, une œuvre longtemps datée du xiie siècle mais vraisemblablement issue d’une époque plus tardive 32. Dans cette Vie de saint, l’écrivain « introduit » le lecteur ou l’auditeur à la future sainteté du roi en se conformant à un récit de type proprement martyrologique.

30. É. PatlaGean, « Le basileus assassiné et la sainteté impériale », p. 372. 31. Sur ces questions, voir S. Marjanović-Dušanić, « Patterns of Martyrial Sanctity in the Royal Ideology of Medieval Serbia: Continuity and Change », dans D. BaTaković (éd.), The Christian Heritage of Kosovo and Metohija: the Historical and Spiritual Heartland of the Serbian People, Los Angeles, CA 2015, p. 289-295. 32. La Chronique du prêtre de Dioclée, éd.T. Živković, Gesta Regum Sclavorum, t. 1, Belgrade – Ostrog 2009. Voir aussi S. BuJan, La Chronique du prêtre de Dioclée, un faux document historique, Revue des Études Byzantines 66 (2008), p. 5-38 ; S. Trajković-filiPović, Inventing a Saint’s Life: Chapter XXXVI of the Annals of a Priest of Dioclea, Revue des Études Byzantines 71 (2013), p. 259-276.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Le héros est dépeint comme un enfant « pourvu de connaissance et de sainteté » dont on prédit immédiatement les pouvoirs miraculeux 33. Le roi, parce qu’il est un « homme saint », préfère ne pas s’opposer à son ennemi. Aussi, lorsqu’il est attaqué par l’empereur Samuel, il « se retire humblement » avec sa garde sur la montagne Oblik. C’est alors que se produit le premier miracle de Vladimir. Survenant de son vivant, celui-ci confirme la sainteté du roi 34. En adéquation avec ce miracle, la légende voudrait que Vladimir ait été le sauveur de « tout son peuple » en vertu de « la prière qu’il avait adressée au Seigneur et que ce dernier avait entendue et exaucée » 35. Dans un récit conforme au modèle des Évangiles, martyre, sacrifice et trahison s’imbriquent. Le traître prend alors les traits d’un joupan (seigneur) dénonçant Vladimir à l’empereur. Ce joupan est comparé au « traître Judas ». Quant au roi, son discours d’adieu devant la foule rassemblée en fait un bon berger protégeant son troupeau : Il vaut mieux, mes frères, que je donne mon âme pour vous tous et que je leur offre volontairement mon corps pour qu’ils s’en emparent ou qu’ils le découpent plutôt que de vous voir exposés à la famine ou au glaive 36.

Le sacrifice de Vladimir pour son peuple, le consentement à la mort, et, pour finir, le choix du martyre, s’inscrivent dans la continuité des vies qui glorifient le type du héros-martyr. Le récit se termine sur Vladimir que l’on conduit d’abord enchaîné dans une prison impériale. Il y fait preuve de ferveur « ne passant pas un jour ni une nuit sans jeûner et prier ». Un messager des forces célestes, « l’Ange du Seigneur » se présente ensuite à lui pour lui prédire l’heureuse issue qui l’attend puisqu’il va recevoir l’empire céleste et la couronne immortelle en signe de vie éternelle. La structure de la Vita de Vladimir est analogue aux récits hagiographiques des saints martyrs de l’époque. Comme pour Gleb prononçant : « ce n’est pas un crime, mais la coupe d’un arbre encore précoce », la romance entre Vladimir et sa femme Kosara, inspire une émotion certaine, même si le récit reste neutre : « et ainsi le roi Vladimir vécut-il avec sa femme Kosara en grande sainteté, dans la pureté, aimant et servant le Seigneur jour et nuit » 37. On retrouve dans le texte les topoï de la vie irréprochable et exemplaire du roi

33. « Vladimir recevant la couronne enfant grandit paré de tous savoirs et de toute sainteté », dans Ljetopis popa Dukljanina [La Chronique du prêtre de Dioclée], tr. serbe S. Mijušković, Belgrade 1988, p. 125. 34. Sur la faculté à réaliser des miracles de son vivant comme distinction essentielle du « saint homme » voir P. BroWn, « The Rise and Function of the Holy Man in Late Antiquity », dans ID., Society and the Holy in Late Antiquity, Berkeley, CA 1982, p. 103-152. 35. Sur l’hypothèse d’une rédaction de la Chronique du prêtre de Dioclée au xviie siècle, par l’humaniste Mauro Orbini, voir S. BuJan, « La Chronique du prêtre de Dioclée, un faux document historique », Revue des Études Byzantines 66 (2008), p. 5-38. 36. Ljetopis popa Dukljanina [La Chronique du prêtre de Dioclée], p. 126. 37. Ibid., p. 127.

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Le culte et la conception de la sainteté envers son peuple issus du psaume de David sur la crainte du Seigneur. Mais la sagesse est ici de nature politique : « son peuple lui faisait confiance » et « son règne se fit dans la crainte de Dieu et dans la justice ». Le récit hagiographique s’achève sur la vision du héros mourant après avoir posé sur sa poitrine la croix de bois symbole de « la foi ». Les anges l’accompagnent ensuite sur le chemin qui le conduit au roi Vladislav, son meurtrier. La protection divine représentée par l’escorte des anges rappelle qu’il s’agit d’un saint. La mort de Vladimir est décrite selon l’usage habituel : il est attaqué par des chevaliers en armes, alors qu’il est en train de prier dans l’église. Les mots qu’il prononce en mourant – « Pourquoi […] mourir sans être coupable ? » –évoquent la souffrance du Christ. Le récit finit en précisant, selon les principes du récit des Passions, que l’église devant laquelle il avait été tué est aussi celle où repose sa dépouille, et que les miracles se produisent immédiatement après sa mort. Le culte de Vladimir rappelle celui de saint Venceslas, qui faisait déjà du meurtrier du roi l’initiateur de l’élévation puis de la translation du corps du saint qui était demeuré sans corruption. À la mort de Vladimir, les miracles qui se produisent auprès de sa tombe lui valent une grande renommée et les gens affluent de toute part pour s’y recueillir. Il semble cependant que la vita de Jean-Vladimir ait été modifiée comme d’autres textes hagiographiques du xiie siècle. En effet, le « mauvais roi » quand il meurt, à l’apparition de saint Vladimir, prend les traits, nous dit l’auteur, d’un « chevalier en armes ». On voit ensuite un ange envoyé par le Seigneur lui porter le coup fatal, un saint ne pouvant être l’auteur d’un crime 38. La fin du récit sur la légende de Vladimir et de Kosara, tout comme les miracles de Vladimir post-mortem attestent, une fois encore, de sa qualité de saint. L’auteur de la supposée Chronique le souligne, disant de lui qu’il était « une âme proche du Seigneur et que Dieu était à ses côtés » 39. La figure du saint roi des vitae slaves du xie siècle a évolué en un siècle. Comme en Occident, elle s’est nourrie d’un idéal chevaleresque. Un culte de roi-martyr propre aux saints rois de Serbie apparaîtra au xve siècle, mais dans un contexte particulier et selon un mode de célébration désormais sans rapport avec celui du culte des martyrs du xie siècle.

38. Voir la description de Théodose du meurtre de Strez : TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 108-114 ; en serbe : p. 181-186. 39. Ljetopis popa Dukljanina [La Chronique du prêtre de Dioclée], p. 130.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Le modèle du saint fondateur : la route vers Jérusalem Le culte de Syméon, fondateur de l’État serbe et de la sainte dynastie a fait l’objet de nombreuses recherches 40. Ce culte est né auprès du tombeau du saint à Chilandar, sur le Mont Athos, où il fut d’abord enseveli. La dépouille du saint fut transférée au monastère de Studenica, à la suite de la translation publique de ses reliques, comme l’exigeait l’usage. Des textes de célébration liturgique ont été composés dans les monastères de Chilandar et de Studenica en l’honneur de Syméon dont la figure allait être érigée en modèle. Les deux fils de Syméon, Stefan et Sava, ainsi que les moines de Chilandar et de Studenica ont beaucoup œuvré pour faire du culte de Syméon un modèle pour la dynastie némanide. Un des éléments majeurs dans sa sanctification fut sa décision de prendre l’habit. Bien qu’il soit devenu moine dans son monastère de Studenica, le récit de ses hauts faits de moine se concentre sur sa vie au Mont Athos. C’est là, dans ce lieu de miracles mais aussi d’épreuves, dans cet espace – symbole de désert géographique et spirituel – que Syméon acquiert le prestigieux statut de « citoyen du désert » 41. Son hagiographe athonite – Domentian – explique le rôle attribué au saint homme lorsqu’il dit qu’avec son fils Sava « il réitère la route (de sa patrie) vers Jérusalem » 42. La métaphore est lourde de sens puisque Jérusalem est le locus sanctus par excellence, et il faut la comprendre comme un chemin vers le salut collectif du peuple 43. La

40. De l’historien à l’archéologue en passant par le théologien, l’historien d’art et l’ethnologue, des spécialistes de tous profils ont émis leur hypothèse sur le culte de ce Nouveau Jacob. On trouvera une bibliographie précise chez D. PoPović, « Svetiteljsko proslavljanje Simeona Nemanje. Prilog proučavanju kulta moštiju kod Srba » [« Le culte de saint Syméon Nemanja. Une contribution à l’étude du culte des reliques chez les Serbes »], dans EaD., Pod okriljem svetosti. Kult svetih vladara i relikvija u srednjovekovnoj Srbiji [Sous les auspices de la sainteté], p. 27-40. 41. DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. 146 ; en serbe : p. 147. 42. Ibid., p. 344 ; en serbe : p. 345 ; cf. ibid., p. 26 ; en serbe : p. 27. 43. Il existe une abondante bibliographie qui traite du modèle philosophique et artistique de Jérusalem au Moyen Âge. Il est ici essentiel de souligner que la popularité de ce modèle en Europe est survenue à la suite des croisades et a eu d’importantes conséquences dans le milieu serbe. Il s’agit avant tout d’évoquer la Terre Sainte dans l’espace sacré de l’église par un ensemble de reliquaires comme c’est le cas au monastère de Žiča. Ce sujet a été traité en Serbie (avec la bibliographie sur la question) par d. PoPović, « Relikvije i politika. Srpski pristup » [« Les reliques et la politique dans la Serbie médiévale »], dans EaD., Pod okriljem svetosti. Kult svetih vladara i relikvija u srednjovekovnoj Srbiji [Sous les auspices de la sainteté], p. 253-270. Voir aussi J. erDelJan, Izabrana mesta. Konstruisanje Noivh Jerusalima kod pravoslavnih Slovena (Chosen Places. Constructing New Jerusalems in Slavia Orthodoxa), Belgrade 2013. Parmi les nombreux écrits sur Jérusalem en tant que lieu idéal, on retiendra le recueil de travaux de B. Kühnel, A. Cohen-MuShlin (éd.), The Real and Ideal Jerusalem in Jewish, Christian and Islamic Art. Studies in honor of Bezalel Narkiss on the Occasion of his Seventieth Birthday, Jérusalem 1997-1998 (Jewish Art 23-24), et notamment S. TalMon, « The Signification of Jerusalem in Biblical Thought », p. 1-12 ; J. J. G. AlexanDer, « “Jerusalem the Golden”. Image and myth in the Middle Ages in Western Europe », p. 254-264 ; R. OuSterhout, « Flexible Geography and Transportable Topography », p. 393-404 ; A. LiDov, « Heavenly Jerusalem: The Byzantine Approach », p. 340-353. Cf. A. M. LiDov, « Obraz nebesnogo

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Le culte et la conception de la sainteté route vers Jérusalem incarne dès lors l’entrée de la patrie de Syméon dans l’histoire sainte et représente la clef de voûte d’un édifice consacré à tous les saints rois de Serbie. L’idée de « la route vers Jérusalem » est employée pour la première fois dans l’œuvre de Domentian. Elle exprime à la fois un chemin réel accompli par Sava qui rapporta de précieuses reliques de ses voyages dans les lieux saints d’Orient. De l’autre côté, cette idée symbolique doit être comprise dans un sens plus large, dans le cadre de l’essence et du contenu de l’idéologie de Jérusalem, tout comme le chemin entier que saint Sava a prévu pour le peuple serbe se lit comme le testament du saint que transmet Domentian. Le syntagme de Domentian sur « le peuple parfait » que Sava « conduit vers le Seigneur » fournit le sens des exploits de Sava dans ce monde. Atteindre l’idéal du « peuple parfait » a le même sens que « la route de la patrie vers Jérusalem ». Les deux signifient, essentiellement, la participation de la patrie de saint Syméon qui aspire à la perfection : le syntagme cité concernant le peuple parfait est une citation provenant de l’Évangile selon Luc (Lc 1 17) et elle concerne une partie du texte très importante, qui s’entremêle de plusieurs façons avec les événements des Vies des deux saints serbes. On retrouvera ailleurs dans la Vie de saint Syméon comme dans celle de Sava l’influence de la Bible sur le récit hagiographique. Domentian, à l’instar d’autres auteurs, s’emploie en effet à construire un parallèle entre la figure de saint Sava et celle de saint Jean Baptiste 44. la naissance du précurseur, qui est racontée dans l’Évangile selon saint Luc, inspire le récit de celle de Sava. La prière au Seigneur des parents de Jean Baptiste, Zacharie et Élisabeth, puis l’apparition de l’archange Gabriel apportant l’heureuse nouvelle de la naissance d’un « saint enfant » qui « sera grand devant le Seigneur […] et il sera rempli d’Esprit Saint dès le sein de sa mère » (Lc 1 15) correspondent en tout point au récit de la naissance de Rastko, futur saint Sava. Mais le choix de Jean Baptiste comme modèle ancestral de Sava se fonde sur sa qualité de « citoyen du désert ». Le récit tout entier de la vie de Sava est d’ailleurs une mise en valeur de l’érémitisme où dominent les figures d’ascètes célèbres tels que Sabas de Jérusalem et le prophète Elie 45. Mais Sava est aussi à l’image de

Jerusalima v vostočnohristjanskoj ikonografii » [« L’image du Jérusalem céleste dans l’iconographie chrétienne d’est »], dans A. Batalov, A. LiDov (éd.), Jerusalim v russkoj kulture [Jérusalem dans la culture russe], Moscou 1994, p. 15-25. Sur l’image de Jérusalem dans les sources écrites et les représentations visuelles, voir B. Kühnel, From the Earthly to the Heavenly Jerusalem. Representations of the Holy City in Christian Art of the First Millenium, Rome – Fribourg-enBrisgau – Vienne 1987. 44. Sur la ressemblance entre les deux, voir la préface de l’édition critique de la Vie de saint Sava par Domentian de LJ. JuhaS-GeorGievSka : DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. v, xx, xxi, xxii, lxv, lxvi, lxx et lxxi ; notamment la déclaration de Domentian sur p. 4 et 24 ; en serbe : p. 5 et 25. 45. Ibid., p. 26 ; en serbe : p. 27.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Joseph, puisque le récit le dit : « le plus aimé des fils du Nouveau Jacob » et compare le transfert qu’il fit des reliques de saint Syméon à la translation de celles de Jacob d’Égypte à la Terre sainte. Quant à la comparaison de Sava avec Moïse, elle a trait à son rôle symbolique de législateur et de « chef du peuple » 46. L’idée de « route vers Jérusalem », même si elle est principalement associée à saint Sava, concerne aussi son père, saint Syméon, et constitue par conséquent un prélude de « l’union » des deux saintes figures en un seul culte. En établissant un culte en l’honneur de leur père, Sava et Stefan ont donné à leur pays un caractère sacré, mais c’est l’édification de l’église archiépiscopale de Žiča, par la suite richement dotée en reliques, qui amène le processus à maturité. Le soin que l’on apporta au transfert des reliques de Stefan, le premier roi couronné de la dynastie, depuis le tombeau de Studenica à Žiča, et la place majestueuse qui fut attribuée à son cercueil, puisqu’il fut placé à droite des portes de l’autel, représentent certainement l’apogée de cette création 47. Symboliquement, l’entrée de ses reliques au sein de « la grande église » du « Nouvel Israël » marque la fin du programme reliquaire de Žiča tel que l’avait conçu saint Sava. Mais c’est certainement dans la peinture murale de la fondation que s’exprime avec le plus de noblesse l’unité de l’État et de l’Église et, de fait, la dimension théologique de la patrie. La notion de « route de Jérusalem » que Domentian avait estampillée dans son œuvre donne une idée de la force du lien entre le culte du saint fondateur et la vie politique de l’époque. Mais, afin de comprendre les raisons qui incitèrent le roi Uroš Ier, alors au pouvoir, à exiger la rédaction de nouvelles compositions hagiographiques pour saint Syméon et pour saint Sava, il faut revenir aux origines du culte de saint Syméon. En écrivant une longue Vie de saint sur son père, Stefan a créé la première Vie serbe de roi appropriée pour un ménaion. Elle a une structure différente de celle écrite par Sava qui était surtout dédiée au fondateur du monastère (le ktètôr). Elle renforce le culte de Syméon et fonde délibérément le modèle de la sainteté des souverains chez les Serbes. Suivant les courants de l’hagiographie byzantine de l’époque, Stefan prend comme élément principal de la sainteté de Syméon son élection par Dieu, et seulement ensuite ses actions miraculeuses. C’est autour de ces deux points que se tissent toutes les autres fonctions du culte.

46. Sur les figures ancestrales de l’Ancien Testament, voir S. Marjanović-Dušanić, Vladarska ideologija Nemanjića [Idéologie monarchique des Némanides], p. 210 sq., 222 sq. Voir aussi la préface de lJ. JuhaS-GeorGievSka (DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. lxxii-lxxvi) ainsi que les chap. xxii et xxix du texte de Domentian. 47. Sur le sujet voir l’étude détaillée de D. PoPović, « Sacrae reliquiae Spasove crkve u Žiči » [« Sacrae reliquiae de l’église d’Ascension à Žiča »], dans EaD., Pod okriljem svetosti. Kult svetih vladara i relikvija u srednjovekovnoj Srbiji [Sous les auspices de la sainteté], p. 207-232.

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Le culte et la conception de la sainteté Stefan le Premier Couronné a fixé les critères qui font de Syméon un saint homme dans la Vita qu’il lui consacre. Dans le prologue, il situe le règne de Syméon sous le signe de la rédemption et le place dans le cadre de l’histoire sainte. En illustrant le texte par des images d’Anastasis et par des exemples issus de la lignée de Jessé, l’auteur cherche à faire comprendre à ses lecteurs (auditeurs) pourquoi Syméon a été choisi par Dieu. Des différents types d’élus qu’il énumère, hommes saints, martyrs et seigneurs terrestres au service de Dieu, c’est à ce dernier groupe qu’il rattache Syméon-Nemanja. Son règne justifierait à lui seul son statut ce qu’il explique par un emprunt au Psaume 92 : Tu me donnes la vigueur du taureau, tu répands sur moi l’huile fraîche […] Le juste poussera comme un palmier, il grandira comme un cèdre du Liban. Plantés dans la maison du Seigneur ils pousseront dans les parvis de notre Dieu 48.

La fonction royale au service de Dieu n’est pas incompatible avec la sainteté. Pour preuve, les seigneurs ne s’occupent pas seulement de gouverner sur terre, ils font aussi « ce qui plaît au Seigneur, selon sa volonté, avec crainte et même avec audace » 49. On devine que Syméon est sur le point d’accéder au statut d’homme saint 50. La παρρησία ou l’audace de s’adresser à Dieu comprend notamment un pouvoir d’intercession que l’on rencontre dans l’ascétisme palestinien puis, de façon plus élaborée, dans le genre hagiographique byzantin 51. L’exemple du monachisme palestinien est d’autant plus intéressant, dans le cas de la Serbie, que le culte de saint Sava est inspiré de celui de saint Sabas de Jérusalem 52. Comme en Serbie, cette forme d’ascétisme a été très influente dans toute la société 53, et, fait non moins négligeable, elle était de tendance aristocratique 54.

48. Ps 92 10-13. 49. STefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], p. 18 ; en serbe : p. 19. 50. Sur la parrhēsia en tant que qualité propre aux saints devant Dieu, B. FluSin, Miracle et histoire dans l’œuvre de Cyrille de Scythopolis, p. 178-181. 51. Dans son étude sur les miracles de saint Sava, Danica Popović a mis en évidence le sens du topos de « l’audace » du saint homme comme un témoignage de la présence divine (d. PoPović, « Čudotvorenja svetog Save Srpskog » [« La thaumaturgie de saint Sava de Serbie »]), dans EaD., Pod okriljem svetosti. Kult svetih vladara i relikvija u srednjovekovnoj Srbiji [Sous les auspices de la sainteté], p. 98, avec un examen détaillé de la bibliographie sur la question. 52. Voir A. GuillauMont, « La séparation du monde dans l’Orient chrétien, ses formes et ses motifs », dans ID., Études sur la spiritualité de l’Orient chrétien, Abbaye de Bellefontaine 1996, p. 105-112. 53. Sur le « rayonnement » du modèle du moine du désert et leur intégration dans un plus vaste ensemble (l’empire, l’Église), voir B. FluSin, Miracle et histoire dans l’œuvre de Cyrille de Scythopolis, p. 200-208. 54. Ibid., p. 140-145. Ce sont justement ses qualités aristocratiques qui distinguent le monachisme palestinien du monachisme de type rural, égyptien et syrien. Il est ici question de l’exercice ascétique et de l’origine sociale du fondateur du programme.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Dans la Vie de saint Syméon par Stefan, on remarque le caractère fortement topique de la description du « saint enfant tenu au secret du Seigneur et paré de la miséricorde divine ». Il s’agit d’une annonce explicite de l’élection divine de Syméon 55. La providence, nous dit l’hagiographe, a imposé au roi d’être « le rassembleur des terres perdues de sa patrie, le berger et le maître, et le rénovateur de ce qui a péri » 56. Mais c’est aussi l’onction, reçue durant son règne 57, qui en a fait un élu de Dieu. Les événements de son règne sont donc un prélude à sa future célébration de saint roi. Le thème central du récit est celui du combat qui oppose Syméon à ses frères mais il a une connotation particulière puisqu’on y lit une lutte symbolique avec le diable. On estime en général que la figure du saint roi Syméon est érigée sur le modèle de saint Démétrius. Le culte de saint Démétrius s’est ensuite propagé dans la Rous’ de Kiev. Il connaît un apogée sous le prince Vsevolod qui érigea sa capitale à Vladimir dans la seconde moitié du xiie siècle et qui donna à la cathédrale de la ville le nom du saint. Démétrius, à la fois grand martyr et saint militaire, n’était d’ailleurs pas seulement le saint protecteur de sa ville natale de Thessalonique ; il fut aussi le défenseur de Constantinople 58. Les empereurs byzantins, en particulier les empereurs militaires Alexis Ier et Manuel Ier Comnènes lui vouèrent une vénération particulière. La sainte myrrhe de Démétrius, abritée dans la Chapelle de l’église du Phare de Constantinople, y était conservée comme une relique des plus précieuses 59. C’est justement à l’époque où l’aristocratie militaire gouverne l’Empire que l’on assiste à une transformation du culte des saints martyrs Boris et Gleb en celui de protecteurs de la patrie. Parmi les différentes raisons que l’on pourrait invoquer à ces changements, il y a, en premier lieu, l’influence du culte de saint Démétrius. On en veut pour preuve un récit du xiie siècle de l’un de leurs hagiographes. Il les dépeint luttant pour la patrie et la protégeant des dangers « comme le faisait le grand saint Démétrius pour la sienne » 60. Le même auteur qualifie de « seconde Thessalonique » la ville de Višgorod,

55. Stefan dit dans la Vie de Syméon qu’il était « un saint enfant » (STefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], p. 18 ; en serbe : p. 19) et que sur lui étaient « les secrets divins et une grande miséricorde » (ibid., p. 20 ; en serbe : p. 21). 56. Ibid., p. 18 ; en serbe : p. 19. 57. L’allusion à l’onction a lieu un peu plus tôt par la citation du Ps 92 10-13, voir n. 45. 58. Sur le lien entre la célébration du culte de saint Démétrios et l’idée de translatio imperii, voir l’étude de D. OBolenSky, « The Cult of St. Demetrius of Thessaloniki in the History of ByzantineSlav Relations », p. 5, 9. 59. Ch. Walter, « St. Demetrius: The Myroblytos of Thessalonika », Eastern Churches Review 5 (1973), p. 162-164. 60. Édité dans les Vies de saints martyrs Boris et Gleb par D. I. ABraMovič, Žitija svjatich mučenikov Borisa i Gleba i službi im [Vies des saints martyrs Boris et Gleb et les offices aux eux], Petrograd 1916, p. 50.

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Le culte et la conception de la sainteté près de Kiev, où reposaient les corps de Boris et de Gleb 61. On peut dire que la grande popularité de ce saint militaire, au tournant du xie et du xiie siècle, contribua à faire d’eux les protecteurs des terres de la Rous’. Comme dans le cas de saint Démétrius, ils conservèrent leur qualité de martyr mais leur image hagiographique se calque dès lors sur un modèle guerrier (chevaleresque) et on leur octroiera plus tard le titre de « saints nationaux ». Les recherches d’Ivan Božilov ont montré l’influence jouée par le culte de saint Démétrius en Bulgarie après la conquête de Turnovo puisqu’il devint le saint patron et protecteur en armes de la nouvelle capitale bulgare. On se servit aussi de son culte dans le programme qui visait à restaurer l’Empire bulgare 62. Le culte de saint Démétrius était donc répandu dans tous les pays slaves d’influence byzantine. On comprend que les rois serbes de l’époque l’aient intégré à leur programme idéologique et qu’ils l’aient utilisé en tant que modèle dans l’édification du culte du premier némanide, saint Syméon. Dans l’éloge que fait Stefan de Syméon, ce dernier est en effet présenté comme celui qui « fait surgir avec abondance la très précieuse myrrhe de sa tombe » et qui agit en « représentant de la patrie » 63. Le pouvoir dont il est doté est toujours lié à sa terre natale ce qui justifie également l’appellation par ses biographes de « défenseur de la patrie » 64. Ainsi Démétrius et Syméon protègent-ils leur patria respective grâce à une double fonction, à la fois militaire et myroblitique. L’historien Dimitri Obolensky a remarqué que le culte de Démétrius était le plus populaire au moment où les États slaves étaient encore en gestation et leur dynastie encore récente 65. Ce contexte correspond en effet à la naissance du culte de celui qui allait devenir le fondateur de la dynastie némanide. Si Domentian est le premier auteur à évoquer un parallèle direct

61. Ibid., p. 50. Voir aussi D. OBolenSky, « The Cult of St. Demetrius of Thessaloniki in the History of Byzantine-Slav Relations », p. 15-16. Le transfert solennel des corps de Boris et de Gleb au sein de l’église patriarcale de Višgorod a lieu en 1115. Il s’accompagne de trois jours et trois nuits de célébration, d’après les postulats théologiques du rituel de translation. C’est par de tels procédés que le lieu de l’adventus des reliques des protecteurs de la patrie devint une Nouvelle Jérusalem tout comme les trois jours de festivité furent conçus sur le modèle de la célébration du dimanche des Rameaux. 62. Saint Démétrius était le saint-protecteur le la dynastie bulgare des Asènes, devenu le protecteur des ennemis de l’Empire byzantin : v. I. BoŽilov, « Renovatio imperii Bulgarorum et Graecorum », dans ID., Sedem etuda po srenovekovna istorija [Sept études sur l’histoire médiévale], Sofia 1995, p. 131-215. Il existe un lien entre le programme « reliquaire » et le programme « étatique », voir D. PoPović, « O nastanku kulta svetog Simeona » [« Sur l’établissement du culte de saint Syméon »], p. 41-73, p. 68-69. 63. STefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], p. 94 ; en serbe : p. 95. 64. Dans aucun des cas, le corps « incorrumpu » du saint n’est exposé. La sainte myrrhe agit comme un substitut des reliques « apparues ». 65. D. OBolenSky, « The Cult of St. Demetrius of Thessaloniki in the History of Byzantine-Slav Relations », p. 3-20.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale entre les deux saints, il est aussi le seul à mentionner l’action myroblitique de saint Syméon auprès de son premier tombeau, à Chilandar 66. Il est vrai que Syméon, en plus d’un pouvoir de guérison, possédait celui de faire jaillir la myrrhe. Toutes les sources mentionnent l’écoulement de la myrrhe auprès de sa tombe à Studenica. L’événement rappelle incontestablement la myrrhe de la tombe de Démétrius à Thessalonique 67. La figure de Syméon repose sur un choix divin qui fait de lui le fondateur de l’État et de la dynastie ainsi que le « protecteur céleste de la patrie » à l’instar du berger protégeant son troupeau. Outre son élection, Syméon, et c’est là l’autre élément qui le rattache à saint Démétrius, avait le don de produire des miracles pour le compte de sa patrie. Stefan décrit les neuf miracles les plus exemplaires de saint Syméon. Ils se produisent à partir du moment où les reliques du saint sont transférées et la dépouille déposée dans un cercueil au sein de la patrie, à Studenica. La myrrhe surgit, par un enchantement divin, le jour de la célébration de sa mort à Studenica. L’huile parfumée « miraculeuse et à la douce odeur » qui coulait abondamment et « en tout moment », guérissait les fidèles de toutes sortes de maladies ou les dépossédait d’un esprit malin 68. Le premier miracle est celui d’un homme délivré des démons par la simple étreinte de la tombe du saint. Il préfigure au lecteur (auditeurs) de la Vie de saint Syméon la nature des miracles suivants 69. La série est introduite par les mots de la prière : « Nous te demandons grâce […] car nous sommes le troupeau de ta patrie » 70. Lorsqu’il cite le quatrième miracle, Stefan affirme qu’en régnant sur le trône serbe « avec l’aide du Saint (il) s’était débarrassé de tous les ennemis barbares qui s’étaient élevés sur le sol de sa patrie » 71. Il ajoute que si les miracles se produisent, c’est parce qu’il est « toujours vivant, même après la mort se tenant debout, inébranlable,

66. Sur les différents aspects de l’action myroblytique d’abord à Chilandar puis à Studenica, D. PoPović, « Svetiteljsko proslavljanje Simeona Nemanje » [« Le culte de saint Syméon Nemanja »], p. 27-40. Sur une interprétation différente de l’action myroblitique de Chilandar, voir D. Vojvodić, « Hilandarski grob svetog Simeona Srpskog i njegov slikani program » [« La tombe de saint Syméon de Serbie à Chilandar et son programme iconographique »], Hilandarski zbornik 11 (2004), surtout p. 31-38. 67. Sur l’écoulement de la myrrhe de la tombe de Thessalonique, voir Ch. Walter, « St. Demetrius: The Myroblytos of Thessalonika », p. 163-164. 68. STefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], p. 76 ; en serbe : p. 77. Sur un parallèle byzantin de la composition du « recueil de miracle », voir V. Déroche, « Pourquoi écrivait-on des recueils de miracles ? L’exemple des miracles de Saint Artémios », dans C. Jolivet-lévy, M. kaPlan, J. P. SoDini (éd.), Les saints et leur sanctuaire à Byzance. Textes, images et monuments, Paris 1993, p. 95-116. 69. À l’instar du troisième miracle (d’après le recueil de Stefan), la guérison de l’affaibli (Stefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], p. 78 ; en serbe : p. 79) où l’auteur affirme de nouveau que le saint « toujours préserve le troupeau ». 70. Ibid., p. 76-78 ; en serbe : p. 77-79. 71. Ibid., p. 80 ; en serbe : p. 81.

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Le culte et la conception de la sainteté devant sa patrie » 72. Dans le miracle dit « négatif » qui le pousse à tuer Strez, Syméon use de son pouvoir pour « aider et préserver sa patrie » en poignardant un renégat dont la mort est qualifiée de « mauvaise et miraculeuse ». Il s’agit aussi d’une autre référence à Démétrius puisque celui-ci tua l’empereur bulgare Kalojan (Ioannitsa), le propre cousin de Strez 73. Dans le sixième miracle où l’on voit saint Syméon sauver « son propre héritage », l’auteur puise abondamment dans le 18e psaume de David dont il ne garde cependant qu’un sens général, un procédé que l’on retrouve chez d’autres auteurs du Moyen Âge. Ainsi Stefan fait dire à Syméon : « et ce qu’il m’a laissé, je ne le céderai pas […] je chasserai pour toi, mon Seigneur, mes adversaires […] ». L’auteur emploie l’expression « son abri et sa forteresse » et décrit Syméon comme celui qui « met sa patrie à l’abri de tous les maux ». Le psaume de David vainqueur de Saul remerciant le Seigneur se reflète par l’emploi des termes bibliques de « forteresse », « roc », « bouclier » et de « bouclier du salut » 74. Le récit, sur le modèle de celui de David, fait du Seigneur celui qui venge et libère le peuple mais qui sait aussi faire preuve d’indulgence envers celui qu’il a choisi 75. On remarquera pour finir que l’issue victorieuse du combat de David symbolise l’invincibilité de celui qui est élu 76. Mais la référence biblique se veut aussi une forme de sanctification à l’exemple de saint Démétrius. Le lien entre le saint fondateur, porteur de victoire, et ses fidèles, renforcé par l’emprunt aux Évangiles et à l’Ancien Testament, constitue une base idéologique du culte majeur de la dynastie serbe. Après le recueil de miracles attribués à saint Syméon, Stefan expose la louange du saint. L’auteur énumère ses qualités, le décrivant comme un apôtre, un martyr, un enseignant de la foi, un prophète et un moine du désert 77. Il est remarquable que tous ces attributs dérivent d’un rapport particulier entre saint Syméon et sa patrie. Quand il l’appelle apôtre, Stefan ajoute qu’il est « l’apôtre de sa patrie » où il combat les hérétiques et assure la foi de ses sujets. Il est aussi le « maître de la patrie » et, de ce fait, un Nouveau Salomon, achevant ce qui n’est pas terminé 78. Dans le portrait qu’il dresse de son père, on remar-

72. Ibid., p. 82 ; en serbe : p. 83. 73. Saint Démétrius a tué Kalojan avec une lance. Cette mort fut considérée comme « mauvaise » et elle est survenue parce que le saint protecteur a refusé que l’ennemi « offense sa patrie » (ibid., p. 86 ; en serbe : p. 87). 74. Ps 18 2. 75. Ps 18 43-50. 76. « Il tend la main d’en haut et me prend, il me retire des grandes eaux, il me délivre d’un puissant ennemi […] ils m’attendaient au jour de mon malheur, mais Yahvé fut pour moi un appui » (Ps 18 17, 19). 77. STefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], p. 92-94 ; en serbe : p. 93-95. 78. « Mais tu les as surpassés […] et fini ce qui n’était pas achevé » (ibid., p. 94 ; en serbe : p. 95). L’allusion à l’achèvement de l’église est claire mais il s’agit ici aussi de l’apprentissage de la foi comme d’un rapport particulier du fidèle au souverain.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale quera l’attention que porte Stefan à faire de Syméon un « enseignant » de la vraie foi orthodoxe et un souverain juste et bon. Son pouvoir de « puissant guerrier » est d’ailleurs une preuve de sa piété puisque chaque bataille remportée par le roi est, dans le récit, une victoire de la foi chrétienne. Enfin, il est « l’intercesseur pour sa patrie » grâce à son don de clairvoyance. On s’attardera à la dernière des qualités citées qui est celle de « citoyen du désert ». Elle revêt d’autant plus d’importance que c’est sa vie de moine au Mont Athos qui lui permet d’accéder à la sainteté. On notera que sa vie, comme celle de Sava, est marquée par la tradition du désert athonite comme lieu idéal, se conformant ainsi au courant hagiographique et théologique de l’époque 79. Il s’agit d’un élément très important caractérisant les « hommes saints », dans la mesure où cet espace symbolise le lien entre Dieu et les hommes. Par ses hauts faits au Mont Athos, et notamment par la fondation d’une Nouvelle Sion au sein de la patrie, Syméon prend « le bon chemin ». Il parachèvera son action en élevant le monastère de Studenica comme un « Tabernacle serbe » en marbre, qui devient symboliquement la Nouvelle Jérusalem des Némanides 80. Le dernier élément propre au culte du père fondateur de la patrie serbe se rapporte à la translation de ses reliques. Le rituel est fondé sur les exempla sacrés de l’Ancien Testament et sur une tradition romaine et paléochrétienne. La cérémonie possède une signification politique d’autant plus forte qu’elle se déroule pendant la guerre civile 81. Comme en témoignent les descriptions conservées, on procéda à la translation conformément à la pratique chrétienne et l’on destina les reliques à un rôle de protection 82. On s’attendait à ce qu’elles servent à protéger la communauté mieux que n’importe quelle arme ou muraille, selon la définition de Jean Chrysostome 83. Les textes soulignent d’ailleurs l’importance symbolique de la présence des reliques de saint Syméon à Studenica. Elles représentaient la « ville forte de la patrie »,

79. B. FluSin, Miracle et Histoire dans l’œuvre de Cyrille de Skythopolis, p. 171-178. Sur l’héritage hagiographique byzantin et les exemples de locus amoenus, voir ID., « L’hagiographie monastique à Byzance aux ixe et au xe siècles », p. 31-50. 80. Sur le transfert de la symbolique liée à Jérusalem, voir R. OuSterhout, « Flexible Geography and Transportable Topography », p. 393-404 ; ID., « Loca Sancta and the Architectural Response to Pilgrimage », dans ID. (éd.), The Blessing of Pilgrimage, Urbana, IL 1990, p. 108-124. 81. Pour une bibliographie extrêmement détaillée sur la question des translations des souverains et leurs racines antiques, S. MaccorMack, « Change and Continuity in Late Antiquity: The Ceremony of Adventus », Historia 31 (1972), p. 721-752. Les translations de souverains serbes sont traitées dans le cadre du processus de translatio reliquiarum, voir D. PoPović, « Srpska vladarska translatio kao trijumfalni adventus » [« Translatio du souverain serbe comme adventus triomphal »], p. 233-252. 82. G. Clark, « Victricius of Rouen: Praising the Saints », Journal of Early Christian Studies 7/3 (1999), 10.1-5, p. 391. 83. Jean ChrySoStoMe, Laudatio martyrum Aegyptiorum, dans J.-P. MiGne (éd.), Patrologia graeca, t. 50, Paris 1862, col. 694f ; K. G. HoluM, G. Vikan, « The Trier Ivory, Adventus Ceremonial and the Relics of St. Stephen », Dumbarton Oaks Papers 33 (1979), p. 116, n. 12.

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Le culte et la conception de la sainteté ce qui valut au monastère le qualificatif de « Jérusalem céleste » 84. Le translatio reliquiarum, comme l’adventus royal, était lié à un événement historique ce qui procurait à l’acte de translation une fonction précise de commémoration et un sens universel 85. On accordait à tout événement important une cérémonie et une liturgie qui avaient le rôle de renovatio d’un épisode de l’histoire sainte facilement intelligible pour toute la communauté. Dans le cas présent, il s’agissait de la translation du corps de Jacob en Israël par Joseph et de l’entrée triomphale du Christ à Jérusalem 86. Dans la Vie de saint Syméon par Sava, l’allusion à l’événement biblique est claire. On y met par ailleurs en valeur la fonction des reliques qui est de transmettre la grâce du saint à toute la patrie 87. Sur ce point aussi, Stefan est très explicite puisqu’il appelle les reliques « la lumière de la patrie » qui doit « illuminer » le pays serbe « souillé de péchés » 88. L’accueil des reliques de Syméon à la frontière du pays, à Hvosno, puis leur entrée à Studenica, et, pour finir, leur depositio dans le cercueil de l’église laissent percevoir un lien avec la célébration de l’Entrée du Christ à Jérusalem 89. La participation du souverain régnant aux côtés des plus grands dignitaires du pays (« de tout l’État ») au rituel marque la place essentielle qui lui est accordée 90. Tous les textes de célébration de Syméon insistent sur la portée symbolique de l’entrée des reliques sur le sol natal du saint. L’événement inaugure une série de miracles qui visent à instituer un « culte de fondateur ».

84. Sur le rapport de la relique au lieu saint voir B. FluSin, « Le moine et le lieu : récits de fondation à Scété et dans le monde des Apophtegmes », dans D. AiGle (éd.), Saints Orientaux, Paris 1996 (Hagiographies médiévales comparées I), p. 117-139. 85. Dans la tradition de l’Antiquité tardive, c’est encore lié à une christianisation de la doctrine romaine de l’omniprésence impériale (omnipraesentia imperialis) qui pouvait être adaptée à la figure impériale mais aussi à l’imago imperialis et par conséquent aux reliques du souverain. Voir S. MaccorMack, « Change and Continuity in Late Antiquity », p. 722 ; P. Guran, « Invention et translation des reliques – un cérémonial monarchique ? », Revue des études du sud-est européen XXXVI/1-4 (1998), p. 195-229. 86. Voir S. Marjanović-Dušanić, Vladarska ideologija Nemanjića [Idéologie monarchique des Némanides], p. 192 sq. 87. Sveti Sava, Žitije svetog Simeona [Sava, Vie de saint Syméon], p. 186 ; en serbe : p. 187. 88. STefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], p. 74 ; en serbe : p. 75. 89. Domentian témoigne ainsi de l’événement : « Et comme les enfants de Jérusalem accueillirent le Christ avec des brindilles et des rameaux […] ses enfants l’accueillirent avec des chants louant le Seigneur à la place de rameaux d’olivier » (DoMentiJan, Život svetog Simeona [DoMentian, Vie de saint Syméon], p. 103 ; en serbe : p. 315). 90. D. PoPović (« Srpska vladarska translatio kao trijumfalni adventus » [« Translatio du souverain serbe comme adventus triomphal »], p. 237) met en évidence que Sava emploie le topos omnis civitas lorsqu’il affirme dans la Vie que les reliques sont attendues par « tout l’État » ce qui constitue un élément important de la cérémonie du transfert.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale L’œuvre de Domentian marque une nouvelle étape dans l’évolution du culte de saint Syméon. Elle coïncide avec l’apparition de la notion de sainte dynastie sous le règne du roi Stefan Uroš Ier, et vraisemblablement sous son impulsion. Théodose et Daniel II en fabriquant un panthéon des saints rois serbes au moment où le royaume célébrait son centenaire parachevèrent ce processus. Mais il restait à édifier une clé de voûte hagiographique en célébrant la figure du roi-ascète qui permet d’atteindre la « route vers Jérusalem ». Le saint roi et l’ascète : changement de fonction du récit hagiographique « Les piliers vivants qui se tiennent haut et droit » : « l’homme saint » et le roi-ascète Les Vies consacrées à saint Sava offrent un exemple très élaboré de la littérature hagiographique serbe. On les rattache au type du saint roi-ascète et moine, parce qu’il correspond à un modèle de saint homme appelé dans le monde occidental rex renitens. Son portrait hagiographique, formé dans une tradition athonite déjà élaborée, a en effet pour modèle littéraire les premiers saints ascètes, ainsi que l’exemple princier de saint Joasaph, le représentant emblématique du souverain renonçant à la couronne. De manière générale, le culte du roi-ascète serbe qui s’est développé par la suite à partir des modèles cités, repose sur des exemples que nous avons déjà étudiés précédemment, empruntés à l’hagiographie méso-byzantine. Les vertus attribuées à saint Sava laissent supposer que le saint jouissait d’une grande popularité et qu’il était vénéré en sa qualité d’« homme saint ». En accord avec les schémas hagiographiques traditionnels, il est représenté comme celui qui est simultanément proche de Dieu et choisi par Dieu. Jusqu’à l’apparition du culte de Sava, le modèle du « saint homme » dans la pratique monastique et dans l’hagiographie se conformait à l’ascèse individuelle dans la vie érémitique (ou cénobitique) ainsi qu’à la capacité thaumaturgique prouvée. Ce modèle était le plus souvent incarné par un guide spirituel ou par l’higoumène d’une fondation monastique réputée 91. Théodose, dans la Vie qu’il consacre à Sava, s’inspire de la Vie de Sabas de Jérusalem, le saint dont Sava avait pris le nom en devenant moine et qu’il considérait comme son modèle. Théodose utilise des topoï ascétiques qu’il puise directement dans la biographie composée au vie siècle par Cyrille de Scythopolis 92. Saint Sava entretient toutefois un lien très fort avec son homonyme, habitant du désert

91. On trouvera un bon examen de la bibliographie existante sur le sujet chez d. PoPović, « Čudotvorenja svetog Save Srpskog » [« La thaumaturgie de saint Sava de Serbie »], p. 97-118. Voir aussi C. RaPP, Holy Bishops of Late Antiquity. The Nature of Christian Leadership in Age of Transition, Los Angeles, CA 2005, p. 100-152. 92. Comparer l’étude citée à la conception du Miracle et de l’Histoire dans l’œuvre de Cyrille de Scythopolis : B. FluSin, Miracle et histoire dans l’œuvre de Cyrille de Skythopolis, p. 178-181.

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Le culte et la conception de la sainteté de Palestine 93. Il lui consacre d’ailleurs une petite église près de Karyès sur le Mont Athos, dans le lieu-dit du « grand silence », qu’il destine à la contemplation solitaire 94. Cette création d’un « désert » au sein du Mont Athos, dont la signification symbolique était très forte, était un élément supplémentaire rattachant Sava à son modèle, qui était pour Cyrille de Scythopolis un fondateur de la vie au désert en Judée 95. La complexité du lien qui unit les deux saints est parfaitement illustrée par l’iconographie du mausolée de Studenica. Conçu par Sava en personne, en qualité d’higoumène du monastère, l’ordonnancement des fresques au sein de la nef, et particulièrement les peintures représentées au-dessus du trône de l’higoumène 96, témoignent d’une volonté de mettre en évidence la vie de son fondateur, Syméon. Suivant la règle sur la transmission des cultes, selon les instructions de Sava, on peignit une icône représentant la « sainte Vierge de Studenica » qui devait protéger ce nouveau « lieu saint » qui allait se doter de prestigieuses reliques 97. On ne peut manquer de souligner le choix de représenter parmi les moines du désert les saints Jean Baptiste, Sabas de Jérusalem, Barlaam et Joasaph. Tous les portraits du narthex de Studenica sont éminemment symboliques de la quête spirituelle de saint Sava. Théodose explique dans l’introduction de la Vie de saint Sava le but didactique de son récit qui est d’encourager le cœur de « notre paresseuse, dernière génération à se corriger » 98. Sava y est représenté, avant tout, en tant qu’un ermite au cœur du Mont Athos, comme moine du désert. C’est seulement ensuite que Théodose parle de lui en tant que premier archevêque de l’Église serbe autocéphale. Le premier lieu de séjour de Sava, auquel il revient sans cesse, est le Mont Athos ; cе lieu saint « choisi » comme scène de son

93. Sur les répercussions de ce modèle dans le programme de peinture voir I. ĐorĐević, « Predstava svetog Save Jerusalimskog u studeničkoj Bogorodičinoj crkvi » [« La représentation de saint Sabas dans l’église de la Mère de Dieu à Studenica »], Bogoslovlje XXXI (XLV) /1 (1987), p. 171-186 (avec l’ancienne bibliographie). 94. DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. 102 ; en serbe : p. 103. 95. Sur le contexte de création de « désert » voir C. RaPP, Holy Bishops of Late Antiquity, p. 105-125. 96. Étant donné que toutes les fresques-icônes sont fondamentalement liées à la figure de saint Sava, le programme autour du trône de l’higoumène peut se concevoir dans une fonction de mise en valeur de saint comme « citoyen du désert ». Sur le sens et la portée symbolique du trône dans les sources serbes, l’étude la plus complète est celle de M. RaDuJko, « Presto svetog Simeona » [« Le trône de saint Syméon »], Zograf 28 (2000/2001), p. 55-88. 97. G. BaBić, Studenica, Belgrade 1986, p. 72. 98. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 1-2 ; en serbe : p. 101.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale haut fait monastique, est un symbole particulier de la demeure du Seigneur, le lieu d’habitation de la gloire divine 99 et l’endroit où sa capacité à produire des miracles se révèle avant d’être reconnue publiquement 100. Nous allons tenter d’expliquer ici les raisons qui font de Sava un homme saint. Il est conçu grâce aux prières de ses parents, qui, une fois exaucées, les conduisent à renoncer pour toujours à l’amour conjugal. Dès sa naissance, l’enfant est dit « miraculeux ». L’auteur signifie par-là que son arrivée au monde « n’était pas seulement le fait de la nature humaine, mais un commandement de Dieu tout-puissant », et c’est pourquoi ce cadeau du ciel « est dédié à Dieu » 101. Mais ce n’est que lorsqu’il décrit la vie de Sava et de Syméon au Mont Athos que Théodose déclare que Sava, doué d’une forte sensibilité spirituelle capable de révéler l’intervention divine, est vraiment reconnu comme un homme saint et un enfant de Dieu 102. Dans la Vie que lui consacre Domentian, certains topoï de l’Ancien Testament évoquent pour le lecteur (auditeur) un parallèle avec l’histoire sainte 103. Son destin ressemble à celui du roi Salomon : il doit « achever ce qui n’est pas terminé » en tant que messager de Dieu et « conduire son peuple vers le Seigneur » 104. Domentian évoque ailleurs sa mission de prince de l’Église en disant « c’est lui qui doit éduquer la patrie » 105. Nous reconnaissons à un autre endroit important ce but suprême de Sava : il prie sur le Mont Athos pour revenir en Occident (ce qui pour Domentian veut dire « en Serbie ») avec l’audace envers Dieu, afin d’instruire le peuple de sa patrie 106. Cette mission divine marque la prédisposition de Sava au statut d’« homme saint ». Les auteurs des vies de Sava annoncent avec subtilité ses dons « miraculeux ». Ils affirment que son entourage remarque dès son plus jeune âge que le garçon se distingue des autres par son intelligence et incarne « une promesse nouvelle » 107. Selon les propos de Domentian, ses parents auraient reconnu en lui la grâce divine : « les secrets de Dieu qu’ils avaient vu en lui, personne ne les avait encore révélés » 108. La référence aux psaumes sur la crainte du Seigneur comme début de la Sagesse suprême annonce, dès le 99. Ps 25 8. Voir DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. 12-14 ; en serbe : p. 13-15. 100. Sur le Mont Athos comme image idéale du « désert », A. GuillauMont, « La conception du désert chez les moines d’Égypte », dans ID., Aux origines du monachisme Chrétien, Paris 1979, p. 67-87. Voir aussi ID., « La séparation du monde dans l’Orient Chrétien », p. 105-112. 101. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 4 ; en serbe : p. 103. 102. Par exemple, Nemanja lui-même s’adresse à son fils en l’appelant « mon Seigneur » et dit de lui qu’il n’est « pas mon enfant mais celui de Dieu » : ibid., p. 45 ; en serbe : p. 133. 103. DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. 4 ; en serbe : p. 5. 104. Ibid., p. 26 ; en serbe : p. 27. 105. Ibid., p. 10 ; en serbe : p. 11. 106. Ibid., p. 22-24 ; en serbe : p. 25. 107. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 5 ; en serbe : p. 103-104. 108. DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. 6 ; en serbe : p. 7.

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Le culte et la conception de la sainteté début du récit de Théodose, que Sava va s’engager dans la vie monastique 109. L’auteur dépeint un héros comprenant que la gloire, la richesse et le bonheur terrestre sont éphémères et que « la beauté n’est qu’une ombre ». C’est pourquoi, il prend très tôt le « bon chemin » 110. Utilisant les topoï repris de la littérature ascétique, décrivant la vie du saint dédiée à la lecture de livres saints, au jeûne, aux prières et aux veilles à l’église, les auteurs des textes hagiographiques consacrés à saint Sava ont recours à des motifs types, comme celui, traditionnel, de la fuite du monde. Jeune homme, il est décrit « fuyant les discours vides de sens et vaniteux, détestant le rire inconvenant et les chants honteux qui perturbent l’âme ». Tout à fait attendue, la décision de Sava de prendre l’habit monastique survient après la rencontre cruciale avec un moine russe du Mont Athos, « pareil à un nouveau Barlaam ». C’est ce dernier qui l’introduit auprès des anachorètes et lui enseigne les règles de la vie érémitique. Conscient qu’il s’agit d’un messager de Dieu, Sava lui dévoile « le mal qui ronge son cœur » et dit : « je voudrais fuir, mais je ne connais pas la route » 111. Aussi, sur l’exemple du prince Joasaph, il décide de s’enfuir vers le monastère pour prendre l’habit, ce qui marque son renoncement à la famille charnelle pour une famille spirituelle et qui est aussi une exigence de l’Évangile avant de prêter serment au Christ 112. Après avoir reçu la tonsure et avoir fait ses vœux, Sava commence sa vie de moine au Mont Athos. Théodose décrit les hauts faits du moine sur « la route aride ». Il souligne de nouveau sa persévérance dans l’obéissance, le jeûne, les veillées, la prière, et dans toutes les ferveurs de la foi où il était, dit-il, comme « un ennemi impitoyable et implacable envers son corps » 113. C’est à cet endroit précis, dans le désert monastique, que commence l’action des miracles de Sava de son vivant. Ils ont une fonction spéciale au sein du récit hagiographique et il est intéressant de se pencher sur le catalogue des miracles dans les hagiographies de Sava. Nous nous contenterons de souligner ici le fait important que le premier miracle qui fait de Sava un « homme saint » se produit « dans le désert », où il s’est retiré en compagnie des vieillards anachorètes 114. C’est par ce premier miracle « avec le pain et les voleurs »

109. On retrouve la même variation sur ce thème, ibid., p. 8 (en serbe : p. 9) : « Bienheureux l’homme qui craint l’Éternel », Ps 112 1. Cf. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 5 ; en serbe : p. 104. 110. Domentian utilise le même motif d’opposition entre le ciel et la terre : « Et comprenant que cette vie n’est que temporaire, désordonnée, vide et disparaît rapidement […] ne considérant pas la gloire terrestre, il délaissa l’empire terrestre » (DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. 8 ; en serbe : p. 9). 111. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 7 ; en serbe : p. 105. 112. Mt 10 31 ; Lc 17 26. 113. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 26 ; en serbe : p. 119. 114. D’après Domentian (DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. 14 ; en serbe : p. 15), « le premier miracle de Dieu se manifesta quand il arriva au Mont Athos », et cela se

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale (qui est une parfaite imitatio Christi), que l’on aperçoit son évolution vers la sainteté. C’est pourquoi ce n’est pas une coïncidence si, aussitôt après s’être produit, le miracle devient connu, et Sava est désigné comme « véritable homme de Dieu » 115. Théodose écrit ensuite un premier recueil de miracles destinés à prouver ses hauts faits du saint. Homme saint et moine du désert, Sava est aussi en possession de pouvoirs surnaturels. Quant à ses miracles, ils prouvent sa sainteté, même aux incrédules, ce qui permet d’élever le peuple dans l’idée que la sainteté est une bénédiction et un modèle de conduite. Le culte de Sava s’est construit sur deux pouvoirs essentiels : son don de clairvoyance et sa capacité à ressusciter les morts. Domentian mentionne le premier dans le contexte du rituel de l’élévation de saint Syméon à Chilandar. Il décrit ainsi Syméon et Sava comme les soldats du Christ qu’il compare à « une seule âme dans deux corps unis en un geste de l’esprit » 116 et instaure une symétrie idéale : « alors qu’ils s’éloignaient de la route du monde […] ils aimèrent avec ferveur le chemin resserré et accidenté » (Mt 7 14) 117 qui se réalise à un niveau idéel et au travers des miracles pour ces représentants de la patrie. Ce moment où les deux saints deviennent représentants de leur patrie survient chez Domentian après la mort de Syméon alors qu’il apparaît en songe à Sava 118. Le don de ressusciter les morts, octroyé à Sava, permet de mieux comprendre la nature de sa sainteté. Ainsi Sava, par son pouvoir d’intercession, fait revenir sur terre l’âme de son frère – le roi Stefan, pour qu’il reçoive la tonsure avant de mourir. Domentian nous dit que les « saintes reliques » de sa dépouille « incorrompue » étaient déposées près de celles de saint Syméon. Sava, dans un acte qui annonce la sainteté de Stefan, est à l’origine du transfert de la dépouille du roi vers la cathédrale de Žiča, le tout sous le regard, de « la patrie tout entière » 119, pour reprendre les mots de l’auteur. La description de Domentian établit un nouvel idéal royal dans la Serbie du roi Stefan Uroš Ier (1243-1276), fils et successeur de Stefan : pour devenir saint, le bon gouvernement d’un roi pieux ne suffit pas, le souverain doit aussi recevoir la tonsure. Mais, dans le cas de Syméon et de Stefan, c’est le pouvoir d’intercession de Sava et la vertu de son modèle, en tant que moine et ascète, qui les fait accéder à la sainteté.

rapporte aux réalisations des prières de Rastko pour éviter la poursuite de ceux que son père avait envoyé contre lui et pour recevoir la tonsure. 115. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 29 ; en serbe : p. 122. 116. DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. 104 ; en serbe : p. 105. 117. Ibid., p. 106 ; en serbe : p. 105. 118. Ibid., p. 112 ; en serbe : p. 113. 119. Ibid., p. 274 ; en serbe : p. 275.

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Le culte et la conception de la sainteté Le portrait hagiographique de saint Sava est important dans la tradition serbe non seulement en tant que modèle accepté du « saint archevêque », mais aussi en tant que modèle du « souverain » qui se retire du trône parce qu’il a préféré les idéaux ascétiques. Cette « utilisation » du modèle littéraire a trouvé, dans le cas serbe, son cadre politique abouti durant le règne du roi Stefan Milutin (1282-1321). C’est à ce moment-là que mûrit l’idée du panthéon des saints serbes, au sein duquel devait aussi trouver sa place le frère du roi et son prédécesseur sur le trône serbe – Stefan Dragutin, ayant pris pour nom de moine Théoctiste (1276-1282). L’hagiographie qui lui a été consacrée, composée à une date inconnue par l’homme en qui Milutin avait le plus confiance – Daniel, higoumène de Chilandar, devenu par la suite archevêque de la Serbie – avait une fonction politique complexe. Suivant l’idée de la sainte dynastie, parachevée dans l’œuvre de Daniel, les commanditaires de l’hagiographie (le plus probablement le roi Milutin lui-même) s’étaient efforcés de neutraliser les prétentions que la ligne héréditaire de Dragutin aurait pu avoir au trône, en incluant Dragutin parmi les saints serbes. Une telle intention des commanditaires était exceptionnellement bien réalisée grâce à l’utilisation des moyens hagiographiques. En représentant le roi Dragutin en ascète qui décide de renoncer au pouvoir pour le remettre à son frère cadet, Milutin, non seulement ajoute un modèle hagiographique important aux saints serbes, mais crée aussi une justification future pour le règne de ses propres héritiers. Grâce aux efforts conscients de joindre la sainteté de son frère aux cultes ascétiques créés sur le modèle du portrait hagiographique de Sava, Milutin a, de plus, fait écrire un récit hagiographique sur sa mère, la reine Hélène, en le conformant aux exigences du modèle ascétique de la sainteté. La Vie de Stefan Dragutin soulève cependant plusieurs questions qui touchent à la structure du recueil (Les vies des rois et des archevêques serbes) où elle se trouve. En premier lieu, on peut se demander si Daniel, l’auteur du recueil, a conçu son œuvre comme une entité unique dont la finalité est la célébration de la lignée sainte, ou bien s’il a rédigé séparément chacune des Vies de rois qui auraient été ensuite rassemblées en un corpus par un continuateur 120. Une autre interrogation que suggère la composition de la Vie de Stefan Dragutin porte sur sa structure. On accepte aujourd’hui volontiers la thèse qui fait du récit hagiographique sur le roi Uroš et de celui sur son fils aîné Dragutin un texte unique à l’origine, qui aurait été divisé plus tard en deux Vies, celle du roi Stefan Dragutin commençant au moment de sa prise de

120. L’édition critique du texte hagiographique de Dragutin comporte une bibliographie complète : Đ. Trifunović, Z. ViTić, « Žitije kralja Dragutina, u monaštvu Teoktista. Prilog poznavanju rukopisnog nasleđa arhiepiskopa Danila II » [« La vie du roi Dragutin, devenu moine Théoktiste. Contribution à la connaissance de l’héritage des manuscrits de l’archevêque Daniel »], Zbornik Matice srpske za književnost i jezik 47/1 (1999), p. 117.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale pouvoir 121. On aurait en outre ajouté à la Vie du roi Uroš deux courtes notes sur les règnes des rois Stefan Radoslav et Stefan Vladislav, ses prédécesseurs. On remarque toutefois que la Vie du roi Stefan Uroš est centrée sur la personne de Dragutin. En tant que premier né des enfants du roi, il est appelé « enfant béni » 122 et ses qualités royales et humaines sont nettement mises en valeur. On y relate le conflit qui oppose Uroš et Dragutin, avant de clore le récit sur un dialogue entre la reine Hélène et son fils Dragutin qui s’apparente à un récit moralisateur annonçant la vie monastique de chacun des deux protagonistes. La reine, comparée aux premières saintes, y parle de la vie dans le siècle, dénigre la futilité de la gloire, de la richesse et de toutes les valeurs terrestres : « notre vie vaniteuse n’est pas la vie mais une mort amère » 123. La Vie du roi Uroš se termine par le pardon et l’absolution de la reine pour son fils qui a gagné la guerre civile contre son propre père et de cette manière a conquis le trône. La Vie du roi Dragutin – moine Théoctiste présente surtout le récit de la vie monastique de Dragutin. Les éléments caractéristiques des autres textes hagiographiques du recueil en sont absents. Le texte débute par un rappel du psaume de David sur la crainte du Seigneur comme étant le début de la sagesse 124 et symbolisant le renoncement au pouvoir. Le roi est décrit comme un homme marqué par la pensée omniprésente de la mort. Son règne, dont l’auteur affirme avoir été le témoin oculaire, est décrit comme énergique et autocratique. Mais c’est un roi aussi exemplaire qu’irréprochable. L’introduction, riche en éléments théologiques, avec des références aux Évangiles, annonce clairement le choix que va faire Dragutin. La volonté lui est imposée par le Seigneur comme à un sujet absout de ses péchés pour « qu’il ne meurt pas en vivant dans un empire terrestre ». Daniel, en le qualifiant d’homme « indispensable à Dieu » 125, introduit un récit qui est, dès lors, centré exclusivement sur les hauts faits ascétiques de Dragutin.

121. LJ. STojanović, Katalog Narodne biblioteke u Beogradu, t. IV, Rukopisi i stare štampane knjige [Catalogue de la Bibliothèque nationale à Belgrade, t. IV, Manuscrits et livres anciens imprimés], Belgrade 1903, no 378 ; ID., « Žitija kraljeva i arhijepiskopa srpskih od arhiep. Danila i drugih (kritička razmatranja) » [« Vies des rois et archevêques serbes, de l’archevêque Daniel et al. (études critiques) »], Glas Srpske kraljevske akademije CVI (1923), p. 97-112. Le débat sur la question est exposé dans l’édition critique de la Vie du saint : Đ. Trifunović, Z. ViTić, « Žitije kralja Dragutina, u monaštvu Teoktista », p. 120. 122. Danilo II, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Daniel II, Vies des rois et archevêques serbes], p. 11 ; en serbe : p. 51. 123. Ibid., p. 21 ; en serbe : p. 57. 124. Voir sur le sujet S. Marjanović-Dušanić, Vladarska ideologija Nemanjića [L’idéologie monarchique des Némanides], p. 234-246. 125. Danilo II, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Daniel II, Vies des rois et archevêques serbes], p. 21 ; en serbe : p. 59.

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Le culte et la conception de la sainteté Daniel fait débuter le récit par la chute de cheval du roi, qui est à la fois le symbole de « l’impuissance » 126 et une tentation divine adressée au roi 127. Stefan Dragutin voit dans ce geste un châtiment du Seigneur pour les fautes qu’il a commises sur terre et en premier lieu sa révolte contre son père. Il accepte pourtant son destin avec abnégation, ce que l’auteur signifie par le psaume sur la justice de Dieu qui « entend les vœux de ceux qui souffrent » (Ps 10, 7). Certain d’être rattrapé et puni par son père, Dragutin choisit alors d’abdiquer 128. L’auteur de la Vie du roi ne pouvait cependant ignorer que Stefan Dragutin avait conservé le pouvoir sur les terres du Srem. Aussi doit-on plutôt considérer son repentir et sa décision de quitter le pouvoir, à l’image de saint Joasaph, comme des allusions à sa vie future. L’auteur fait suivre l’épisode de l’investiture du nouveau roi sur le trône de Serbie par des « conseils » moraux semblables à ceux d’un miroir des princes. La teneur de ce passage est en accord avec sa décision de revêtir l’habit, qu’il ne prend cependant de manière formelle qu’au moment de mourir. Dragutin dit alors : « Je vais vers le destin que Dieu m’a choisi » 129. Son hagiographe souligne la décision du roi de se soumettre, résigné « aux souffrances et aux douleurs du corps ». Daniel affirme qu’en décidant « d’abandonner les gloires de l’empire terrestre […] dès lors il ne voulut rien de tout ce qui était éphémère » 130. Il est clair que le public de Daniel savait très bien que Dragutin n’avait pas renoncé au titre de roi après avoir remis le trône à son frère lors d’une cérémonie qui a été soigneusement décrite dans l’hagiographie ; au contraire, il s’est retiré dans les domaines obtenus en tant que dot de la part de son beau-père, roi de Hongrie, où il continue à régner en tant que roi. Dans la suite de l’hagiographie, le roi part donc pour les terres du Srem pour « que ce pays […] soit instruit, et que le peuple, qui était dans l’obscurité et l’ignorance, par l’enseignement de la sainte écriture soit conduit vers la lumière » 131. L’auteur tend ici à souligner un « passage » dans la vie du roi, dont la figure est conforme au modèle du rex renitens renonçant à la couronne pour l’habit. Le reste du récit n’est qu’une attente de cet événement et un combat pour la pureté de la foi. Aussi, fidèle au modèle qu’il a élaboré, Daniel parle du règne de Dragutin sur le Srem, de ses combats, tant sur le plan extérieur qu’intérieur, sans jamais négliger son dessein hagiographique qui est de dresser le portrait d’un moine – ascète abandonnant le pouvoir terrestre pour s’adonner à la vie spirituelle. Dragutin est dépeint avant sa mort « brillant de toutes vertus » et passant ses

126. Sur la chute de cheval dans la littérature hagiographique, S. Hafner, Studien zur altserbischen dynastischen Historiographie, Munich 1964, p. 93-109, 121-123. 127. Danilo II, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Daniel II, Vies des rois et archevêques serbes], p. 23 ; en serbe : p. 59. 128. Ibid., p. 25 ; en serbe : p. 60. 129. Ibid., p. 27 ; en serbe : p. 62. 130. Ibid., p. 27-28 ; en serbe : p. 62. 131. Ibid., p. 28 ; en serbe : p. 62.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale derniers jours « en pays étranger », où il « attend l’espoir promis » 132. Même s’il est décrit par Daniel revêtant l’habit au seuil de la mort, le héros vit comme un moine depuis le lendemain de l’accord de Deževo en 1282, moment où il a choisi de renoncer au pouvoir, comme le laisse sous-entendre le récit de sa vie. L’étude des cultes de saints rois nous incite à porter un regard critique sur les textes hagiographiques. Le cas de la Vie de Stefan Dragutin nous permet de penser qu’elle n’a pas pour unique fonction de célébrer la dynastie en place. Elle répond à d’autres ambitions que l’on ne peut toutefois qualifier de pure motivation politique. C’est ce que nous allons tâcher de démontrer. On estime habituellement qu’il n’y a pas de culte du roi Dragutin à proprement parler. Sa Vie de saint participerait principalement à la célébration collective de la dynastie némanide. On invoque en premier lieu l’absence d’un office liturgique qui lui soit dédié 133. Or, les raisons de cette omission présumée se trouvent dans sa Vie. Il y est dit qu’il a interdit qu’on retire son corps du tombeau, ce qui empêchait de procéder à la translation et la déposition des reliques dans une châsse. L’ascèse la plus stricte serait à l’origine de cette injonction : Il avait donné l’ordre de son vivant avec un terrible serment : il a ordonné que, même si un signe divin se manifestait sur son corps, celui-ci ne soit pas élevé de la terre poussiéreuse. Ainsi en fut-il, Dieu exauçant ceux qui le glorifient 134.

L’interdiction dе montrer publiquement la relique du saint empêchait l’existence de son culte et imposait une continuité de la dynastie par la lignée de son frère, Stefan Milutin. Pourtant, ce n’était pas la position de l’archevêque Daniel, auteur de la Vie du roi, qui a eu une grande influence dans la cour de Milutin et fut peut-être même confesseur du roi Dragutin, ce dont témoigne la Vie du saint en plusieurs endroits. En effet, si Dragutin avait prêté un tel serment, Daniel l’aurait certainement mentionné. C’est pourquoi on pense le plus souvent à une glose postérieure nécessitée par une raison politique. Mais pourquoi consacrer une Vie de saint au roi Dragutin si l’on souhaitait empêcher la célébration de son culte et faire de la branche issue du roi Milutin la lignée légitime des Némanides ? Il est vrai que le recueil comporte d’autres Vies de saints rois, Radoslav et Vladislav, dont les descendants n’ont pas régné. Omettre le règne du roi Dragutin aurait pu paraître incongru, voire contraire au dessein de l’œuvre qui était d’instaurer une lignée sainte aux côtés de celle de Jessé. On pourrait donc supposer que l’intention de l’auteur était d’inclure

132. Ibid., p. 31 ; en serbe : p. 64. 133. D. PoPović, « Kult kralja Dragutina – monaha Teoktista » [« Culte du roi Dragutin – moine Théoktiste »], p. 121-142. 134. Danilo II, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Daniel II, Vies des rois et archevêques serbes], p. 53 ; en serbe : p. 77.

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Le culte et la conception de la sainteté la Vie du roi Dragutin dans le corpus dynastique des saints némanides, sans doter le saint roi des compositions liturgiques habituelles et par conséquent en le dépossédant d’une célébration individuelle. Il nous semble préférable de voir dans cette interdiction une simple figure rhétorique. La mention de celle-ci dans la Vie de Dragutin s’expliquerait par le souhait de l’auteur de respecter tout bonnement la réalité en dotant le roi du prestige d’un ascète. Daniel, en effet, en tant qu’homme de confiance du roi, devait savoir que Dragutin était vraiment un homme pieux et passionné de théologie. Comme pour les autres saints rois de la dynastie, il lui a consacré une louange au sein de sa Vie, lui attribuant parmi autres vertus l’humilité et la douceur de son cœur, ainsi que les nombreuses offrandes aux églises et aux monastères, dont celles de précieuses reliques orthodoxes. L’auteur met en valeur la grande bonté d’un roi dont l’attitude était celle « d’un père envers les pauvres et un protecteur pour les veuves ». Il le décrit comme le défenseur et le gardien de la patrie 135 et un combattant de la foi – la source permanente de sa sagesse 136. Daniel ajoute à son image de roi idéal qui a surmonté les épreuves et les peines 137, celle d’un homme à la grande endurance, capable d’innombrables efforts 138. Il le dit enclin à la prière et au jeûne et prêt à toutes les privations du corps par l’ascèse « se tenant à l’écart et infligeant toutes les peines à son corps » 139. L’auteur affirme qu’il a été le témoin secret de l’ascèse du roi 140. Enfin, il le décrit dormant sur une couche de pierre dure et des épines qu’il étendait dans une tombe qu’il avait lui-même creusée. L’auteur de la Vie parle ensuite de deux « miracles » 141. Lors de la préparation de la dépouille, avant de procéder à son ensevelissement, alors qu’il aurait dû « être lavé », on découvrit que son corps était entaillé par une ceinture tranchante des épines que l’on ne put retirer. Dragutin est d’ailleurs décrit portant sous son habit impérial une robe de rêche, comme celle des moines du désert 142. Le second miracle concerne son existence avec son épouse, vécue « dans la complète sagesse et la pureté » selon les préceptes de l’apôtre Paul. Ces topoï propres au monachisme oriental contribuent à faire du moine Théoktiste la figure emblématique des

135. Ibid., p. 48 ; en serbe : p. 74. 136. Ibid., p. 50 ; en serbe : p. 75. 137. Ibid., p. 37 ; en serbe : p. 68. 138. Ibid., p. 38 ; en serbe : p. 68. 139. Ibid., p. 38 ; en serbe : p. 69. 140. Ibid., p. 39 ; en serbe : p. 69. 141. Ibid., p. 51-52 ; en serbe : p. 76. 142. Ibid. Sur les robes déchirées et rapiécées que portait le roi et sur la corde de paille avec laquelle il s’entourait, voir le récit de Daniel (ibid., p. 32 ; en serbe : p. 64). Son habit de poil rêche était une « armure spirituelle » qui s’oppose à l’idée que l’on a du roi en train de faire la guerre. Nous savons en effet que Dragutin, à cette période, était au combat et devait porter des armes. Aussi s’agit-il ici vraisemblablement d’un topos qui donne une couleur monastique et ascétique à la Vie du saint.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale saints rois-moines et ascètes. Ainsi, l’ordre donné de ne pas ouvrir la tombe du saint et de ne pas procéder à l’élévation de sa relique peut être expliqué comme une obéissance à son acte de mise à l’écart la plus stricte 143. Il nous semble que seule cette interprétation est plausible. Au moment où l’interpolation supposée aurait pu avoir lieu, soit lorsque le recueil fut achevé, il n’y avait plus d’intérêt à le faire, tous les successeurs de Dragutin ayant déjà disparu. À cette époque, au contraire, les Némanides avaient besoin d’être dotés d’un modèle de roi-ascète dans la création de leur sainte lignée, modèle qui fut justement trouvé en la personne du moine Théoktiste. Le texte de Daniel révèle un second fait intéressant, à savoir le désir du roi Dragutin de se mesurer à son modèle, saint Sava. Aussi voulut-il accomplir un pèlerinage à Jérusalem, au Sinaï, et en d’autres lieux saints pour défendre avec ferveur « les bonnes actions du seigneur Sava pour Dieu dans ses efforts et ses voyages » 144. Le roi aurait, de son vivant, toujours rejeté gloire et richesse « dans l’espoir de voyager à l’étranger comme l’indigent du Christ et d’atteindre la vie de ceux qui souffrent pour le Christ » 145. C’est pourquoi Dragutin trouve refuge auprès des frères anachorètes avec lesquels il entretient d’étroites relations, leur confessant par écrit ses péchés et cherchant de leur part le pardon. Daniel vit alors dans le pyrgos fondé par saint Sava à Karyès, où il s’est retiré après avoir laissé sa place d’higoumène de Chilandar. C’est là qu’il compose pour le roi Dragutin, dont il sait l’âme tourmentée, « les écrits qui plaisent à Dieu ». Il le fait en tant que père spirituel et confident du roi. Il les lui adresse dans son palais de Debrc par l’intermédiaire du géronte Athanase qui, après son séjour auprès du roi, deviendra son messager personnel et préviendra son frère Milutin « de sa mort » 146. L’épisode atteste du fait que la biographie de moine ascète ne fut pas rédigée dans le seul but de satisfaire au besoin doctrinal de doter la dynastie némanide d’un saint ascète autre que Sava mais bien que la vie du roi était véritablement celle d’un fervent adepte de la vie monastique. Les cultes de Sava et de Dragutin, et en partie aussi celui de la reine Hélène, appartiennent à un groupe particulier parce que les textes hagiographiques qui leur sont consacrés définissent un nouveau modèle de saint roi inspiré des vies de moines. C’est dans ce cadre particulier de l’hagiographie ascétique qu’il faut chercher les modèles de la sainteté féminine, promulgués en Serbie au niveau du culte officiel et dynastique vers la fin du xiiie siècle. Depuis la naissance du culte de la reine Hélène d’Anjou, on peut suivre le

143. Voir D. PoPović, « Kult kralja Dragutina – monaha Teoktista » [« Culte du roi Dragutin – moine Théoktiste »], p. 140-141, avec la bibliographie complète sur le sujet. 144. Danilo II, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Daniel II, Vies des rois et archevêques serbes], p. 40 ; en serbe : p. 70. 145. Ibid., p. 41 ; en serbe : p. 70. 146. Ibid., p. 51 ; en serbe : p. 76.

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Le culte et la conception de la sainteté développement de la dévotion féminine, inspirée par les modèles ascétiques et fortement liée au concept de beata stirps des Némanides 147. Une analyse du modèle mentionné se doit de commencer par l’étude de la personnalité complexe de la reine, en la juxtaposant au récit hagiographique que lui a dédié l’archevêque Daniel II aux alentours des années 1320. Les résultats des recherches récentes sur l’origine de la reine Hélène montrent qu’il est fort probable que la reine provienne d’un lignage mixte des Angevins de Hongrie et de la famille impériale byzantine des Anges 148. Sa sœur Marie était mariée au duc Anselme de Chau, le capitaine général de Charles d’Anjou en Albanie. De là, on pourrait bien spéculer que leur père était Jean Ange (Angelo Janos), le seigneur Hongrois de Sirma (Srem), fils de l’empereur byzantin Isaac II Ange et de Marguerite de Hongrie, fille du roi Bela III. Leur mère était Mathilde, la petite fille de l’empereur latin de Constantinople Pierre de Courtenay. Dans leur correspondance avec Hélène, er les deux rois Angevins de Sicile et de Naples, Charles I et Charles II, s’adressent à elle comme « consanguinea nostra carissima » 149 et le pape Nicolas IV la caractérise comme « fedele figlia della chiesa » 150, c’est-à-dire, naturellement, l’Église catholique. Sa fidélité envers l’Église romaine a été attestée par plusieurs témoignages, parmi lesquels les plus importants restent la lettre d’Hélène au comte de Raguse et celle qu’elle a adressée aux deux frères mineurs, actifs dans la ville – Nicolo et Francesco. Dans cette lettre, la reine de Serbie offre ses services à la ville, en promettant d’informer la République à temps au cas où son mari, le roi serbe Stefan Uroš, attaquerait 151. Il faudrait laisser de côté la question de l’appartenance de la reine à la confession catholique ou orthodoxe, qui a tant retenu l’attention des historiens, pour se pencher sur sa personnalité complexe, trop souvent restée dans l’ombre. Si on limite le rôle d’Hélène à sa fonction de reine orthodoxe, on risque de négliger des aspects importants de la piété aristocratique de l’époque

147. S. Marjanović-Dušanić, « La sainteté féminine et les cultes dynastiques en Serbie medievale : la sainte reine Hellène d’Anjou », dans B. CaSeau (éd.), Les réseaux familiaux : Antiquité tardive et Moyen Âge, Paris 2012 (Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance, Monographies 37), p. 125-133. 148. G. McDaniel, « On Hungarian-Serbian relations in the 13th century: John Angelos and Queen Jelena », Ungarn Jahrbuch 12 (1982-1983), p. 43-50. 149. Sur sa correspondance avec les Angevins de Naples, concernant l’exportation de maïs d’Italie de Sud, voir F. Rački, « Rukopisi tičući se južno-slovinske povjesti u arkivih srednje i dolnje Italije. Moje bilježke o rukopisih u rimskih knjižnicah » [« Mes notes sur les manuscrits dans bibliothèques romaines »], Rad Jugoslavenske akademije znanosti i umjetnosti 18 (1872), p. 219-225. 150. M. A. Purković, Avinjonske pape i srpske zemlje [Les papes d’Avignon et les terres serbes], Belgrade 1934, p. 11. 151. LJ. STojanović (éd.), Stare srpske povelje i pisma [Chartes et lettres serbes anciennes], t. I, Belgrade 1929, p. 29. Pour l’analyse la plus récente de la lettre, voir O. M. KanDić, Gradac : istorija i arhitektura manastira [Gradac : histoire et architecture du monastère], Belgrade 2005, p. 55-56.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale présents dans son hagiographie. Dans le récit dédié à son fils aîné, le roi Stefan Dragutin, l’archevêque Daniel décrit la guerre civile entre lui et son père, dont il attribue toute la responsabilité au vieux roi. Ayant pris le parti de son fils, la reine-mère a profité du conflit, dans la mesure où il a rendu possible l’achèvement de la constitution de son propre territoire royal. Le récit de Daniel insiste sur les qualités de la reine en employant les épithètes traditionnelles de la topique d’origine ascétique : sa ferveur, sa charité, son intelligence et son indicible sagesse, « tout ce dont étaient parées les premières saintes » 152. Outre le fait qu’il annonce la sainteté de la reine, en lui attribuant le don de clairvoyance, l’archevêque affirme que sa position dans le conflit opposant le fils au père était aussi juste que sage. L’introduction de la Vie de la reine Hélène nous suggère dès le départ qu’il s’agit d’une apologie de la vie monastique. L’abandon de la vie terrestre y paraît comme condition de l’accès à la vie céleste 153. L’auteur proclame son intention de montrer « la vie de la sainte Hélène, son renoncement et ses hauts faits » 154. Il décrit sommairement la vie de la reine jusqu’à sa prise d’habit, qui en est le moment culminant, mettant l’accent sur sa pénitence. Il relate ses prières, fréquentes et assidues, magnifiant ses qualités spirituelles : sa « humilité (était) au-delà de toute nature » ainsi que son « audace envers Dieu » 155. On reconnaît dans le motif de la parrhesia le signe de sa future sainteté et, de son vivant, de son don d’intercession. La vie de la reine Hélène est un combat permanent de l’âme contre le corps. Elle pratique le jeûne et la prière, « dans la conscience de ses propres péchés » 156 et dans « la souffrance du désespoir » 157. Elle abonde en actions charitables : aumônes, dons pour les messes et les nécessiteux. Sa Vie raconte qu’elle n’aidait pas seulement les affamés, les pauvres et les malades, mais qu’elle allait au-devant d’eux se répandant en larmes en cherchant le chemin de son propre salut 158. Elle entretient aussi une correspondance avec les moines illustres du monde chrétien. Comme son fils aîné, la reine voulait racheter ses péchés. Sa plus grande action fut ses fondations monastiques, notamment celle du mausolée de Gradac. Comme saint Sava avant elle, on la qualifia de sainte illuminant la patrie par « ses miracles de grande lumière » 159.

152. Danilo II, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Daniel II, Vies des rois et archevêques serbes], p. 21 ; en serbe : p. 57. 153. Ibid., p. 54 ; en serbe : p. 79. 154. Ibid., p. 57 ; en serbe : p. 81. 155. Ibid., p. 60 ; en serbe : p. 83. 156. Daniel mentionne la prière d’Hélène par laquelle elle cherche le pardon pour « la méchanceté et des péchés » : ibid., p. 74 ; en serbe : p. 91. 157. Ibid., p. 70 ; en serbe : p. 88. 158. Ibid., p. 73 ; en serbe : p. 91. 159. Ibid., p. 82 ; en serbe : p. 96.

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Le culte et la conception de la sainteté Le récit hagiographique d’Hélène met en avant son entrée dans la vie monastique qui se déroule sous les auspices de son guide spirituel, le starets Job. La reine était malade certes, mais elle n’était pas encore mourante. Une fois moniale, elle poursuit sa vie dans le silence « ne passant pas une nuit ni un jour dans les délices du sommeil, et ne donnant pas de répit à son corps » 160. Plusieurs représentations picturales illustrent la piété de la reine Hélène. On la voit vêtue de l’habit monastique dans la fondation de son fils à Arilje (1295/6). Sur l’icône de saint Pierre et saint Paul envoyée au Vatican, elle apparaît entre ses fils Stefan Milutin et Stefan Dragutin. La reine agenouillée reçoit la bénédiction d’un prêtre catholique dont le nom nous est inconnu 161. Un autre trait marquant est que la reine a fait son entrée dans la vie monastique à l’église catholique de Skadar, comme en témoigne son hagiographe, mais elle a résidé jusqu’à sa mort dans son palais de Brnjaci 162. Cela signifie qu’elle n’a jamais vécu dans un monastère. Il s’agit d’un aspect important si l’on tient compte du type de sainteté auquel se rattache la reine Hélène. En effet, elle a convoqué elle-même le concile des pays serbes, afin de faire de sa mort un acte public, pressenti et annoncé 163. Daniel, en tant que témoin de l’événement 164, décrit le visage de la reine dans son linceul « pareil à celui d’un ange » et « brillant » 165, un topos qui annonce et prépare la reconnaissance future de sa sainteté. On procéda à l’élévation de son corps à la suite du présage d’un moine auquel la reine était apparue en songe trois ans après sa mort, ce qui constituait la période habituelle dans l’Église d’Orient. Aussitôt Paul, l’évêque de Rascie, fut averti de l’événement par l’higoumène et les frères du monastère où le rêve avait eu lieu. Daniel nous dit que la reine avait toujours manifesté envers l’évêque beaucoup d’estime et qu’elle avait confié à celui qu’elle considérait comme un père, un seigneur et un maître la destinée de son corps 166.

160. Ibid., p. 84 ; en serbe : p. 98. 161. L’icône est de la fin du xiiie siècle, certainement d’avant 1299. Hélène y est « représentée en moniale dans une tenue rouge foncée et bleue, les mains tendues, et devant un prêtre catholique » : B. ToDić, Srpsko zidno slikarstvo u doba kralja Milutina [La peinture médiévale serbe à l’époque du roi Milutin], Belgrade 1998, p. 37. Qu’il s’agisse bien d’une tenue de moniale sur l’icône comme sur le portrait d’Arilje semble confirmé par sa représentation en veuve vêtue de blanc au sein du cortège des Némanides dans la chapelle de Dragutin à Đurđevi Stupovi, ibid., p. 40. 162. « Séjournant dans son palais impérial dans le lieu appelé Brnjaci, elle commença à être de plus en plus malade, elle comprit que le jour de sa mort arrivait » : Danilo II, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Daniel II, Vies des rois et archevêques serbes], p. 87 ; en serbe : p. 99. 163. Voir S. Marjanović-Dušanić, « Smrt i svetost » [« La mort et la sainteté »], dans S. MarjanovićDušanić, D. PoPović (dir.), Privatni život u srpskim zemljama srednjeg veka [La vie privée dans les pays serbes au Moyen Âge], Belgrade 2004, p. 586-615. 164. Danilo II, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Daniel II, Vies des rois et archevêques serbes], p. 88 ; en serbe : p. 100. 165. Ibid., p. 89 ; en serbe : p. 100. 166. Ibid., p. 100 ; en serbe : p. 106-107.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Bien qu’aucun autre récit ne fasse pareille allusion, il semble qu’il faille voir ici la préparation de la reine Hélène, de son vivant, à être élevée à la sainteté, ce qui se produisit à sa mort. Cette pratique est pour le moins inhabituelle, mais la personnalité de la reine est, il est vrai, difficile à saisir ; comme l’est, du reste, la raison pour laquelle Daniel mentionne cet épisode. Le récit de Daniel que nous avons analysé ici nous offre plusieurs idées sur l’évolution du culte de la sainte reine, vu dans le cadre de l’Église serbe orthodoxe. Mais le rôle de la reine Hélène dans l’histoire de la Serbie de la seconde moitié du xiiie siècle reste mal connu. On devrait s’interroger notamment sur ses rapports avec l’Église catholique et les ordres mendiants. Quelques faits mentionnés par Daniel méritent une attention particulière. Daniel illustre la piété de la reine en employant plusieurs topoï propres à l’ascétisme : la question du péché et du repentir, les prières par lesquelles elle « implore une source de larmes pour laver les impuretés de son âme » 167 et enfin le jeûne rigoureux. L’auteur évoque aussi le milieu aristocratique particulier dans lequel évolue la reine. On la voit accueillir dans son palais des jeunes filles pauvres pour leur inculquer les bonnes manières, leur apprendre la broderie et autres travaux manuels. Ce type d’institution qui s’était répandu au xiiie siècle était influencé par une forme de piété dominée par l’ascétisme et inspiré par les Mendiants 168. En accord avec les pratiques mendiantes, la création des « monastères ouverts » était accompagnée d’une piété plus « laïque » et de la production des cultes de nouveaux saints. L’activité de la reine ressemble fortement aux descriptions de la conduite des saintes de l’époque comme sainte Élisabeth et sainte Marguerite de Hongrie 169. La reine, ouverte aux influences occidentales par son origine, vivait sans doute selon les principes du clauster animae, cloître de l’âme. Aussi, bien qu’elle ait été moniale, la reine continuait de vivre à la cour et de poursuivre son activité politique. Daniel nous renseigne sur l’importance que les puissances politiques de l’époque accordaient à son rôle dans les négociations avec la cour des Paléologues dans la question du mariage de son fils Stefan Milutin et de Simonis, la toute petite fille d’Andronic II. Le rôle de la vieille reine, et même sa présence aux négociations sont attestés par deux historiens byzantins, Théodore Métochite et Georges Pachymérès 170.

167. Ibid., p. 61 ; en serbe : p. 82-83. 168. Sur ce type d’activité chez les saintes reines, voir R. Folz, Les saintes reines du Moyen Âge en Occident, Bruxelles 1992, p. 159 sq. ; G. Klaniczay, « I modelli di santità femminile tra i secoli xiii e xiv in Europa centrale e in Italia », dans S. Graciotti, C. VaSoli (éd.), Spiritualità e lettere nella cultura italiana e ungharese del basso medioevo, Florence 1995, p. 75-109. 169. G. Klaniczay, « I modelli di santità femminile tra i secoli xiii e xiv in Europa centrale e in Italia », dans S. Graciotti, C. VaSoli (éd.), Spiritualità e lettere nella cultura italiana e ungharese del basso medioevo, Florence 1995, p. 100. 170. GeorGeS PachyMérèS, Relations historiques. 4. Livres X-XIII, A. Failler (éd.), Paris 1999 (Corpus Fontium Historiae Byzantinae 24/4), p. 309 ; cf. n. 8 sur p. 308.

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Le culte et la conception de la sainteté Il est vrai que la politique ecclésiastique de la reine sur le littoral Adriatique, où les monastères franciscains étaient nombreux, fut menée avec une certaine autonomie. L’archevêque Daniel fait le portrait d’une reine toujours entourée de l’élite monastique (« les pères bénis », « les starets élus »). Parmi les pères spirituels les plus réputés, Daniel mentionne les pères de Jérusalem, du Sinaï, de Raïthou et du mont Athos, les confesseurs et maîtres de la reine, et enfin les moines qui étaient très proches d’elle comme Paul, l’évêque de Rascie, et Job « le starets le plus glorieux ». En décrivant l’activité de la reine dans les régions maritimes de son État, il faut souligner ses projets complexes de rénovation et d’édification de monastères franciscains et bénédictins. On ne peut apprécier son activité qu’en tenant compte des nouveautés apparues autour de la fin du xiiie siècle et liées au succès des pratiques mendiantes et de la nouvelle dévotion féminine 171. Les relations de longue date avec la Hongrie ont atteint leur apogée au temps du mariage entre le roi serbe Stefan Dragutin, le fils d’Hélène, et la fille du roi hongrois Étienne V, Kateline. Cela coïncide avec la forte influence des franciscains à la cour royale de Hongrie. Celle-ci se perçoit, en ce qui concerne la dévotion féminine, dans le fait que les autres filles du roi de Hongrie vivaient comme filiae sanctae Elizabetae et habitaient le fameux couvent situé sur l’île de Marguerite, entre Buda et Pest 172. Replacée dans le cadre de la popularité des pratiques mendiantes dans les cercles aristocratiques de l’époque, l’activité de la reine serbe sur son propre territoire du littoral Adriatique, concernant les établissements catholiques, ainsi que ses relations avec la papauté, deviennent plus claires. Hélène a été célébrée comme une sainte de l’Église orthodoxe pour plusieurs raisons. Sa dévotion, le milieu ascétique qui l’entourait, et surtout le contenu de son hagiographie confirment l’existence d’une tendance politique, présente à la cour royale de Serbie à l’aube du xive siècle, de promouvoir le concept de beata stirps 173 influencé par l’ascétisme aristocratique, qui constituait le trait le plus important de sa théorie politique. Cette nouvelle situation rendit nécessaire l’introduction d’une reine sainte, et le choix de la mère du roi Stefan Milutin (qui, d’ailleurs, avait commandé l’écriture de son hagiographie), paraît le plus plausible. En ce qui concerne le contenu hagiographique, les Vies du roi Dragutin et de la reine Hélène, que l’on classe dans un groupe de récits dits monastiques, n’ont pas été composées de la même façon que les autres textes du corpus bien qu’ils soient aussi écrits par Daniel. Si on les compare à la Vie de Milutin, texte

171. G. Klaniczay, Holy Rulers and Blessed Princesses, passim. 172. Ibid., p. 209-243. 173. Cf. J. WooD, « Perceptions of holiness in thirteenth-century Italian painting: Clare of Assisi », Art history 14/3 (1991), p. 301-328 ; A. S. Hoch, « Beata stirps, royal patronage and the identification of the sainted rulers in the St Elizabeth Chapel at Assisi », Art history 15/3 (1992), p. 279-295.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale de nature dynastique, on aperçoit aisément deux séries de différences 174. Le vocabulaire, les motifs et le modèle littéraire, dans le deuxième cas, répondent à un genre encomiastique tandis que les Vies de Dragutin et d’Hélène, inspirées de l’hagiographie ascétique, dans la tradition de la littérature patristique et de celle d’une commémoration liturgique, rappellent les Vies des moines célèbres et des anachorètes 175. Du point de vue linguistique, les deux groupes de Vies, que l’on qualifiera ici de « monastique » et de « dynastique », utilisent des motifs qui les distinguent également par le but qui leur est assigné. Le rôle de la reine Hélène dans la politique et l’histoire serbe du xiiie siècle reste obscur. Elle fut la première reine serbe à se présenter, dans ses portraits, vêtue en costume impérial byzantin, identique à celui de son homonyme, sainte Hélène, peinte dans l’angle opposé du narthex de Sopoćani 176. Dans le même temps, la reine décida d’embellir son monastère de Gradac par la construction de l’église de l’Annonciation, qui deviendra le lieu de son enterrement. La reine, faisant appel à des artistes de son pays natal, avait introduit dans l’architecture du catholicon de Gradac des éléments du style gothique, l’église pouvant se comprendre comme un équivalent du catholicon de Rascie 177. Ce qui nous paraît le plus intéressant, ce sont les ruines d’une petite église, dédiée à Saint Nicolas, située au sommet d’un rocher au-dessus d’un ermitage, où des restes de fresques du xive siècle ont été retrouvés 178. Dans tous ses éléments, l’église Saint-Nicolas imite l’architecture franciscaine de l’époque, surtout dans la forme rectangulaire de l’autel 179. Jusqu’à présent, on n’a que des hypothèses concernant sa fonction originelle, comme celle qui postule que les bâtisseurs de la grande église 180, venus d’Occident 181, l’avaient utilisée pour leurs propres besoins. Mais si l’on considère l’espace sacré comme un ensemble, on note certains éléments significatifs : tout d’abord, l’influence des Ordres mendiants qui se manifeste dans l’architecture de la chapelle ; ensuite, le fait que cette dernière soit érigée au-dessus d’un ermitage ; enfin, le témoignage (qui se trouve dans l’hagiographie de la reine) sur sa prise d’habit dans une église catholique dédiée à saint Nicolas de Skadar en

174. L’éditeur de la traduction du recueil de Daniel, Gordon McDaniel, dans son introduction, estime que Daniel est aussi l’auteur de certaines parties de la Vie de Milutin et d’autres vies d’archevêques, voir G. Mak DaniJel, « Danilo Drugi » [« Daniel II »], dans Danilo DruGi, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih. Službe [Daniel SeconD, Vies des rois et archevêques serbes. Offices], G. Mak DaniJel, D. PeTrović (éd.), Belgrade 1988, p. 9-24. 175. Voir R. MorriS, Monks and laymen in Byzantium, 843-1118, Cambridge 1995, p. 64-89. 176. V. J. Đurić, Sopoćani, Belgrade 1963, p. 38, p. 133-134, fig. 14. 177. O. M. KanDić, Gradac, p. 111-120, fig. IV-V. 178. B. Živković, « Découverte des fresques dans l’église Saint-Nicolas à Gradac », Saopštenja 10 (1974), p. 37-41. 179. Sur la petite chapelle, voir O. M. KanDić, Gradac, p. 165-172 (avec bibliographie). 180. Ibid., p. 169. 181. Danilo II, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Daniel II, Vies des rois et archevêques serbes], p. 75 ; en serbe : p. 92.

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Le culte et la conception de la sainteté présence de son père spirituel 182. Ces éléments conduisent à la conclusion que la chapelle fut une partie importante du complexe monastique initial. Gardant sa fonction d’espace sacré franciscain, elle servait probablement aussi à souligner l’importance de l’anachorèse, visant à en faire un lieu proche des représentations visuelles de la Jérusalem céleste et de la Terre Sainte. Pour conclure, il faut constater qu’une sorte de piété aristocratique, inspirée par l’anachorèse, était populaire à la cour de la reine Hélène. Après la mort de son mari et l’ascension au trône de son fils aîné, la reine garda, jusqu’à sa mort en 1314, les droits régaliens sur son propre territoire, qui comprenait le vaste domaine du littoral. De là, elle continuait d’inspirer les coalitions politiques des rois serbes et surtout les tendances anti-byzantines de son fils cadet, le roi Stefan Milutin. Les relations avec les Mendiants et le Saint-Siège, ainsi qu’avec les familles féodales catholiques des régions maritimes de son État, corroborées par plusieurs chartes de donation 183, ont influencé sa politique, voire sa propre piété. Les Vies du roi Dragutin et de la reine Hélène, que l’on classe dans un groupe de récits dits ascétiques, n’ont pas été composées de la même façon que les autres textes du corpus, bien qu’ils soient du même auteur. Comparées à la Vie de Stefan Milutin, qui est de nature dynastique, on perçoit aisément deux niveaux de différences 184. Le vocabulaire, les motifs, et le modèle littéraire, dans ce dernier cas, appartiennent à un genre encomiastique tandis que les Vies de Dragutin et d’Hélène, inspirées de l’hagiographie ascétique, dans la tradition de la littérature patristique et de celle d’une commémoration liturgique, rappellent les Vies de moines célèbres et des anachorètes 185. Du point de vue linguistique, les deux groupes de Vies que l’on qualifiera ici de « monastique » et de « dynastique » utilisent des motifs qui les distinguent également dans le but qui leur est assigné. Ainsi, il nous semble que Daniel a composé la Vie du roi Dragutin selon un modèle d’hagiographie ascétique, en pensant la rattacher aux Vies de saint Sava, ce qui semble être confirmé tant par le genre que par la forme 186.

182. Ibid., p. 84 ; en serbe : p. 97. 183. Cf. la charte de donation de roi Milutin pour le monastère bénédictin de la Vierge à Ratac : S. Marjanović-Dušanić, « Povelja kralja Milutina opatiji Svete Marije Ratačke » [« Charte du roi Milutin pour l’abbaye de Sainte Marie de Ratac »], Stari srpski arhiv 1 (2002), p. 13-30. 184. L’éditeur de la traduction du recueil de Daniel, Gordon MacDaniel dans son introduction estime que Daniel est aussi l’auteur de certaines parties de la Vie de Milutin et d’autres Vies d’archevêque, voir G. Mak DaniJel, « Danilo Drugi »[« Daniel II »], dans Danilo DruGi, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Vies des rois et archevêques serbes], p. 9-24. 185. Voir R. MorriS, Monks and Laymen in Byzantium, p. 64-89. Sur les influences de la littérature ascétique sur ce type de Vies, voir D. Bogdanović, Jovan Lestvičnik u vizantijskoj i staroj srpskoj književnosti [Jean Climaque dans la littérature byzantine et serbe], Belgrade 1968, p. 193. 186. Sur une pratique ascétique radicale et les motifs qui la symbolisent, D. PoPović, « The Cult of st Petar of Koriša. Stages of Development and Patterns », Balcanica XXVIII (1997), p. 181-212.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale La « césure » dans le récit hagiographique originel (avant la création des deux Vies d’Uroš et de Dragutin) et l’ajout de notes sur deux autres rois, Radoslav et Vladislav, devraient d’ailleurs plutôt être situés dans le cadre d’une commémoration liturgique. Il s’agirait d’une étape supplémentaire dans la célébration des saints rois serbes. « Maintenant notre lignée est de nouveau illuminée » : le culte du couple saint Du point de vue de la célébration commune des saints Syméon et Sava, le culte du couple saint est instauré par Théodose de Chilandar au plus tard au début du xive siècle, sous le règne du roi Milutin 187. Les fondements du culte commun des saints Syméon et Sava avaient été, il est vrai, créés par Domentian lorsqu’il instaura une « symétrie » entre ces deux figures de saints serbes, en créant deux hagiographies consacrées à saint Syméon et à saint Sava. Mais la fonction du culte n’était encore que de consolider le pays alors gouverné par Uroš Ier en instaurant une « symphonie » entre État et Église. À partir de la louange en l’honneur de la Triade des saints Syméon, Sava et Stefan le Premier Couronné, que Domentian désigne comme ceux qui « ont réalisé la volonté de la sainte Trinité sur terre », naquit l’idée qui domine la sainteté dynastique serbe. Dans les mêmes années (1260), l’église du monastère de Sopoćani fondée par le roi Stefan Uroš Ier et dédiée à la Sainte Trinité, illustre le parallèle entre la dynastie serbe et les figures de l’histoire biblique. Les scènes du cycle de l’histoire de Joseph 188, celles de l’Arbre de Jessé et enfin celle de la Dormition de la Vierge 189 assimilée à la mort de la reine Anne Dandolo (la mère du roi Uroš) en témoignent. L’idée de « sainte extraction » de la dynastie serbe était issue de ses fondateurs et reposait sur une comparaison de la lignée némanide avec les ancêtres du Christ. Dans la peinture, le motif vétérotestamentaire de la Lignée de Jessé est représenté pour la première fois sur les fresques de l’église de Sopoćani 190.

187. Sur les actuelles interprétations, voir I. ŠPaDiJer, « Himnografski žanr i bogoslužbena praksa – Teodosijevi kanoni svetome Simeonu i svetome Savi » [« Le genre hymnographique et la pratique liturgique – les canons de Théodose consacrés à saint Syméon et à saint Sava »], Zbornik Matice srpske za slavistiku 63 (2003), p. 343-351. 188. r. ljuBinković, « Sur le symbolisme de l’histoire de Joseph dans le narthex de Sopoćani », dans ID., Studije iz srednjovekovne umetnosti i kulturne istorije [Études de l’art médiéval et d’histoire culturelle], Belgrade 1982, p. 40-61 ; V. Deur-Petiteau, « Trois cycles de Joseph entre Orient et Occident : Venise, Sopoćani, Ohrid », Cahiers archéologiques 56 (2016). 189. S. radojčić, Portreti srpskih vladara u srednjem veku [Portraits des souverains serbes au Moyen Âge], 2nde éd., Belgrade 1997, p. 23-25, a montré que la scène de la mort d’Anne Dandolo, dans le narthex de Sopoćani, donne à Uroš la même place que le Christ dans la scène de l’élévation de la Vierge qui se trouve dans la nef de l’église. 190. Sur l’apparition de ce motif, au même moment, dans les sources diplomatiques, voir S. MarjanovićDušanić, « Motiv Loze Jesejeve u doba Uroša I » [« Le motif de la lignée de Jessé à l’époque

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Le culte et la conception de la sainteté Mais les principaux éléments, religieux et politiques, sublimés dans la peinture des empereurs, prophètes et prêtres de la lignée juive, sont issus de l’écrit. On les rencontre dans les textes de célébrations qui font de saint Syméon la figure emblématique de la « vigne fertile » dont sont issus et les rois de la dynastie et le peuple serbe entier 191. Stefan, dans la Vie de saint Syméon, exalte la sainteté des Némanides par une louange : « heureuse et fertile lignée dont n’est issue que la joie ! Heureuses les mûres vignes […] heureux mon Seigneur et toujours auprès de ton prince » 192. L’emploi de la métaphore de la vigne marque le point culminant de la louange qui fait de Syméon le « seigneur saint » qui a trouvé auprès de Dieu sa demeure et qui représente l’idée dominante de ce texte hagiographique. Enfin, en empruntant à l’Évangile (Jn 15 1-6) et à l’hymne Acathiste, l’image symbolique des racines, de la grappe et de la lignée, la dynastie serbe se modèle progressivement sur l’arbre généalogique des rois de l’Ancien Testament. On a longtemps estimé que le programme pictural de l’église de Sopoćani avait été effectué entre 1263 et 1268 193. On peut désormais repousser cette date à 1272-1276, alors que l’Église serbe est en plein tumulte 194. Cette hypothèse est confirmée par la place centrale dévolue au Christ et la place d’honneur attribuée au fondateur apostolique de l’église de Constantinople, saint André, sur l’autel de l’église. Cette représentation, symbolisant l’origine apostolique de l’Église serbe a été la conséquence de la décision prise par l’empereur Michel VIII en 1272 de placer les églises de Serbie et de Bulgarie sous la juridiction de l’archevêché d’Ohrid et, par là même, de mettre fin à leur autocéphalie. L’archevêque serbe, Joannice Ier, qui prend sa fonction la même année, fut un homme dévoué au roi Uroš. Il était également un fervent opposant à la politique d’union des Églises prônée par Constantinople à la suite du Concile de Lyon (1274) parce qu’elle menaçait l’autonomie de l’Église serbe. Le rappel de l’origine apostolique de l’Église de Constantinople, destiné à défendre la position de l’Église serbe, est également illustré par la représentation d’un concile œcuménique que l’on a désigné comme le « concile de saint Syméon ». Il est essentiel dans l’idéologie royale, notamment parce que c’est au cours de ce concile que Stefan reçoit la couronne de Syméon, son prédécesseur. Il s’agissait d’un moyen symbolique d’unir les souverains serbes

d’Uroš Ier »], Zbornik Filozofskog fakulteta 18 (1994), p. 119-120. 191. « Comme la vigne très fertile / grappe fleura, père Syméon » : Sveti Sava, Služba svetom Simeonu [Sava, Office à saint Syméon], 5. ode du Canon, p. 204 ; en serbe : p. 205. 192. Stefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], p. 98 ; en serbe : p. 97-99. 193. V. J. Đurić, Sopoćani, p. 22-27 (avec l’ancienne bibliographie). 194. B. Todić, « Apostol Andreja i srpski arhiepiskopi na freskama Sopoćana » [« Apôtre André et les archevêques serbes sur les fresques de Sopoćani »], dans LJ. MakSiMović, N. Radošević, E. Radulović (éd.), Papers of the Third Yugoslav Byzantine Studies Conference, Belgrade – Kruševac 2000, p. 361-379.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale aux empereurs orthodoxes et de leur prêter pour mission de défendre la foi. On a aussi représenté, juste en dessous du concile de saint Syméon, le portrait d’Uroš Ier conduisant son fils et successeur, Dragutin, vers la Vierge en majesté, avec le Christ sur ses genoux. Les scènes soulignent une continuité dynastique et la légitimité du roi Stefan Uroš, petit-fils de saint Syméon (représenté en tenue de moine) et fils du roi Stefan le Premier Couronné. Les fresques de Sopoćani, autant que l’œuvre de Domentian, répondent à un dessein politique qui est d’affirmer une légitimité et une continuité dynastique. Les chapelles latérales du narthex de l’église ne sont d’ailleurs consacrées qu’à la figuration des « saints rois serbes » Syméon et Stefan en tant que protecteurs de la dynastie au pouvoir. La métaphore employée par Domentian de « Nouvel Israël » exprime d’ailleurs ces deux idées principales de continuité et de légitimité, parfaitement représentées dans la scène biblique de l’arbre de Jessé qui se trouve sur l’avant-nef de l’église. La fresque représentant les scènes de la succession royale et du concile de Syméon correspond à un modèle traditionnel en Serbie qui témoigne de la fonction politique. L’une des meilleures illustrations de ce genre est la fresque de la « Chapelle de Dragutin » au sein de la fondation monastique de Đurđevi stupovi (Les Piliers de Saint Georges). La scène de « représentation » concerne tous les membres de la lignée représentée horizontalement avec la Vierge en majesté conduisant le premier saint de la dynastie. Cette première phase du culte commun des saints Sava et Syméon cède la place à une insistance sur les prières pour le salut de la patrie à partir de la fin du règne de Stefan Milutin. C’est à cette époque également que la fonction dynastique du culte de saint Syméon se transforme. Il se joint à celui de saint Sava tandis que la valeur d’intercesseur s’exprime par le fait qu’ils sont dès lors les protecteurs du Nouvel Israël. On observe l’évolution ultime de leur culte dans l’œuvre de Théodose qui est à l’origine de la transmission de la fonction du culte de saint au sein de la dynastie. Le culte commun de Syméon et Sava connaît une évolution qui leur fait endosser deux fonctions successives. La première avait été de faire de tous les rois serbes les représentants d’une dynastie sainte. Il n’y a cependant pas encore à cette époque d’exemple, outre les portraits des deux saints au monastère de Mileševa (où reposent les reliques de Sava), de cette célébration commune 195. En général, les images des deux saints ne paraissent que parmi les fondateurs de monastères, de généalogies et de processions d’évêques ou de scènes historiques aux côtés d’autres protagonistes.

195. Au cours de la troisième décennie du xiiie siècle, les fresques de Mileševa, mausolée d’une importance majeure par sa portée idéologique, représentent le cortège de la dynastie némanide, l’annonce des lignées horizontales généalogiques, conduites par Syméon et Sava. On doit certainement à Sava les peintures du monastère, fait d’autant plus probable qu’il souhaitait faire de Mileševa son propre mausolée. La représentation évoquée est celle de l’harmonie spirituelle et temporelle conçue par le

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Le culte et la conception de la sainteté Au cours de la deuxième décennie du xive siècle, la littérature et la peinture expriment un nouveau mode de célébration du culte « du couple saint ». Les premières peintures des deux saints serbes sont des icônes de fondateurs à Chilandar et à Studenica dont la plus ancienne date du xive siècle 196. La première fresque conservée est une peinture de l’église Saint-Nicétas près de Skopje, offerte par le roi Stefan Milutin au monastère de Chilandar. On estime que le portrait de Syméon et de Sava sur le mur nord du narthex date de la seconde moitié du xive siècle, alors que le pays plongé dans la guerre civile vient de conclure une trêve 197. Le thème du « couple saint » est sans conteste au cœur de la réforme liturgique mise en œuvre par le roi Stefan Milutin. La célébration liturgique de leur culte commun dans les années qui précédèrent la commémoration du centenaire du royaume et de l’autocéphalie de l’église (1320), fut motivée par le roi Milutin lui-même, en tant qu’héritier de la lignée de sainte extraction. C’est pourquoi son apparition s’explique par une volonté idéologique et politique. Une production sans précédent de textes hagiographique commence alors, soutenue directement par la communauté monastique de Chilandar dont le but était de fonder le culte des premiers saints de la lignée charismatique. C’est au moine Théodose que l’on laissa la tâche de mettre ce culte aux normes littéraires et idéologiques de l’époque. Leur célébration fait partie d’une vaste entreprise comparable à une « clef de voûte » spirituelle à laquelle se rattachent d’autres textes commémoratifs. Théodose, dans le prologue de la Vie de saint Sava, s’adresse aux pères du monastère de Chilandar qui sont aussi les commanditaires de l’œuvre, afin de donner les raisons pour lesquelles il écrit une nouvelle Vie du saint. Il y énonce que « Sava a de nouveau illuminé ». Cette phrase a suscité beaucoup d’interprétations. On a pensé que le « nouveau miracle » grâce auquel Sava avait « illuminé » la lignée aurait été le fait qu’il avait empêché le patriarcat de Peć d’être détruit lors de l’invasion tatare, mais les recherches penchent aujourd’hui plutôt vers une rédaction plus

premier archevêque de l’Église serbe. On a figuré saints Syméon et Sava dans leur fonction principale qui est de représenter la dynastie ; voir S. Marjanović-Dušanić, « Molitve svetih Simeona i Save u vladarskom programu kralja Milutina » [« Les prières des saints Syméon et Sava dans le programme monarchique du roi Milutin »], Zbornik radova Vizantološkog instituta 41 (2004), p. 237-238. 196. S. Radojčić, « Hilandarske ikone svetog Simeona » [« Les icônes de saint Syméon à Chilandar »], Glasnik Srpske pravoslavne crkve XXXIV/2-3 (1953), p. 30-31 ; D. Medaković, « Istorijske osnove ikonografije sv. Save u xviii veku » [« Les bases historiques de l’iconographie de saint Sava au xviiie siècle »], dans V. J. Đurić (dir.), Sava Nemanjić – Sveti Sava. Istorija i predanje [Sava Nemanjić – saint Sava. Histoire et légende], Belgrade 1979, p. 132-138. 197. Le roi Milutin a offert des dons à l’église de Chilandar avant l’année 1316 ce qui signifie que la fresque avait dû être terminée après cela.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale tardive, en tout cas postérieure à l’événement. Cette datation privilégie l’interprétation selon laquelle la rédaction du texte serait en rapport avec la commémoration du centenaire de royaume 198. Les buts didactiques de la Vie du saint qui représente « un modèle de conduite » et un « exemple et modèle de la sainteté » 199 sont sublimés par l’affirmation selon laquelle « les anciens avaient aussi besoin d’écrire les vies de personnages exceptionnels et de les lire pour être utiles aux gens ». Un peu plus loin, Théodose explique plus clairement la nature d’une telle « utilité ». Il dit en effet que la Vie de « ces piliers vivants qui se tiennent haut et droit » est nécessaire « pour nous voir nous-mêmes » et nous encourager à « corriger notre conduite ». Il s’agit d’un poncif de la littérature médiévale en général et monastique en particulier. Théodose achève l’introduction du texte hagiographique dédié à Sava par une image tout aussi conventionnelle puisqu’il rappelle la métaphore des racines semblables à la vigne. Outre la Vie de saint Sava, Théodose est l’auteur de la Vie de saint Pierre de Koriša. On lui doit également la rédaction des neuf canons et un texte à caractère encomiastique (Éloge à saint Syméon et à saint Sava). Théodose énumère toutefois tous les éléments du culte du couple saint dans la Vie de saint Sava : l’un, Sava, produit des miracles et conduit « son peuple » au salut par ses prières, tandis que l’autre, Syméon, agit en tant que myroblite. Un épisode de la Vie de saint Sava montre la spécificité du culte qui venait d’être fondé. Aussi, lorsque la myrrhe de saint Syméon se tarit, en raison des péchés qui avaient entaché les pays serbes, ce sont les prières de Sava qui la font de nouveau surgir. Selon les propos de l’auteur, cet événement se déroule ainsi « car d’après une sorte d’accord, les vivants et les morts s’entendent » 200. En effet, les deux saints serbes ont la capacité, lorsqu’ils sont réunis, de sauver la patrie. Le culte de Syméon qui avait « semé la foi » dans son peuple, et celui de Sava qui l’avait « instruit », ne font, dès lors, plus qu’« un » 201. Pour étayer la valeur de ce culte, Théodose emploie l’allégorie de la vigne et des oliviers fertiles qu’il utilise aussi dans d’autres textes de nature poétique. Ce sont les mêmes images que l’on retrouve dans les peintures murales des fondations du roi Stefan Milutin. Lorsque Théodose parle des saints prédécesseurs du roi Milutin, il en dit : « Le fils était bon envers son père et son père récompensé par son fils. Le pays serbe brilla grâce à des saints de cette valeur » 202. Il évoque ailleurs Syméon le Nouveau Myroblite et Sava le Miraculeux comme « deux hommes partageant

198. D. Bogdanović, « Teodosije » [« Théodose »], p. 15-17, 20. 199. Ibid., p. 26. 200. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 139 ; en serbe : p. 203. 201. Ibid., p. 146-147 ; en serbe : p. 209. 202. Ibid., p. 101 ; en serbe : p. 175.

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Le culte et la conception de la sainteté une même pensée » 203, unissant leurs prières pour « garder le troupeau intact ». Ils ont protégé le peuple « […] des attaques des ennemis et de la lèpre hérétique » 204. Ils l’ont confirmé dans la foi orthodoxe 205. L’hagiographe prête aux prières du couple saint la fonction d’auxiliaire au combat : « ils apparaissent devant les armées serbes, anges divins sous les traits de leur visage, par leurs prières, envoyés par Dieu pour aider dans les combats » 206. À cette fonction sotériologique du culte commun qui s’exprime au combat, il ajoute un sens élevé devant incarner un lien entre le souverain, la patrie et les saints prédécesseurs notamment dans les périodes où l’autorité du roi était défaillante. La mention des « prières des saints Syméon et Sava » dans les préambules de chartes et les sanctions des chrysobulles montre l’importance que l’on accordait au culte commun de Syméon et de Sava sous le règne de Milutin 207. À une date proche de celle où la Vie de saint Sava a été commandée à Théodose, ce même écrivain a reçu le devoir particulier d’écrire la Vie de saint Pierre de Koriša, célèbre anachorète serbe. Nous tenterons de prouver ici que la commande de cette Vie faisait partie d’une idée unique, réalisée grâce à la coopération étroite entre le roi serbe et la communauté athonite, surtout celle de Chilandar. Si notre analyse de toutes les raisons pour la création du concept de la célébration du couple saint est correcte, elle fournit sûrement des arguments pour la conception selon laquelle toute la production hagiographique de Chilandar, sous l’égide du roi serbe, aurait une fonction idéologique et politique. Dans ce sens, nous comprenons les récits hagiographiques de cette époque en tant que moyens d’exprimer des messages extrêmement importants pour le royaume serbe. Pour éclairer ce phénomène, il nous faut expliquer le changement dans l’hagiographie serbe vers la fin du xiiie siècle 208. Nous devons prêter une attention particulière au culte de saint Pierre le Nouvel Ermite et aux comparaisons avec le renouveau et l’ascension programmés et simultanés d’un culte érémitique voisin – celui de saint Prohor de Pčinja. Saint Pierre de Koriša est l’anachorète serbe le plus célèbre du Moyen Âge. Pierre de Koriša, qui a probablement vécu durant les dernières décennies du xiie et au début du xiiie siècle, avait pris l’habit dans l’église de Saint-Pierre, voisine de son village natal dans la région de Hvosno. Voué à l’ascèse, Pierre

203. TeoDoSiJe, Zajednički kanon Svetome Simeonu i Svetome Savi na osam glasova [ThéoDoSe, Le canon commun aux saints Syméon et Sava, à huit échos], dans ID., Službe, kanoni i Pohvala [ThéoDoSe, Offices, canons et Éloge], B. jovanović-STiPčević (éd.), Belgrade 1988, p. 146 (8. ode). 204. Ibid., p. 132-133 (odes 2 et 3). 205. Ibid., p. 148 (1. ode). 206. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 216 ; en serbe : p. 259. 207. Voir S. Marjanović-Dušanić, « Molitve svetih Simeona i Save u vladarskom programu kralja Milutina » [« Les prières des saints Syméon et Sava dans le programme monarchique du roi Milutin »], p. 235-250. 208. S. Marjanović-Dušanić, « Le changement de la fonction des récits anachorétiques : l’hagiographie balkano-slave dans le cadre de la fin du xiiiᵉ siècle » (à venir).

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale a quitté la communauté monastique pour suivre les modèles de la vie érémitique. Il avait passé la majeure partie de sa vie dans une cellule située dans les grottes peu accessibles au-dessus du village de Koriša près de la ville de Prizren, où il est mort. Durant sa vie passée dans l’érémitisme, il a gravi les étapes de l’échelle des vertus en s’éloignant de plus en plus du monde habité, pour finir dans une réclusion totale 209. L’institution de son culte fut précédée par la manifestation des signes miraculeux issus de ses reliques 210. Après que la rédaction d’un office et d’une Vie courte introduite dans le synaxaire ait établi les bases d’un culte local 211, une Vie longue et des offices prolongés lui furent dédiés. L’institution et le renforcement du culte de saint Pierre de Koriša furent liés au monastère de Chilandar. Puisque la cellule de saint Pierre était devenue metochion de Chilandar par l’acte de donation de roi Milutin, le moine Grégoire fut envoyé comme économe à Koriša. C’est à la demande du roi Milutin que le fameux Théodose de Chilandar avait composé les textes fondamentaux pour l’institution et la promotion du culte. Dans la première moitié du xive siècle, une nouvelle église dédiée à saint Pierre avait été construite à l’endroit où l’ermite avait vécu en ascète. La grotte qui abritait une petite église, adaptée par Pierre pour dire les offices, et où il avait fait tailler dans le roc la tombe prévue pour son enterrement, fut transformée en chapelle. Le complexe de Koriša consiste en plusieurs grottes situées sur les falaises. L’une d’elles est connue comme l’ermitage de saint Pierre ; elle contient les fresques, ainsi que la tombe de l’ermite. L’ancien sanctuaire incorporait le complexe monastique, dont on peut encore voir l’église taillée dans le rocher 212. La construction de l’église et l’institution d’un monastère cénobitique sur place, voire la commande des textes liturgiques, doivent être considérées dans un cadre plus large d’une action complexe du roi Milutin, qui aurait eu lieu, en toute probabilité, après ses conquêtes militaires dans la région.

209. J. Patrich, Sabas, Leader of Palestinian Monasticism. À Comparative Study in Eastern Monasticism, Fourth to Seventh Centuries, Washington D.C. 1995, p. 258-266. 210. Suivant le texte de l’Office, il paraît que Théodose, qui est venu à Koriša à l’invitation du géronte Grigorije, n’a trouvé rien d’autre qu’une église dans la cave et une tombe dedans (éd. de l’office dans Đ. Trifunović, D. Bogdanović [éd.], Srbljak. Službe, kanoni, akatisti [Srbljak. Offices, canons, acathistes], t. 1, p. 500), mais les reliques avaient déjà été retirées de la tombe et gisaient dans une châsse (nous tirons cette conclusion du fait que le géronte Grigorije, venu de Chilandar, trouve Pierre « le Nouvel Ermite qui brilla » à Koriša). La formation du culte de Pierre commence seulement après que le roi Milutin ait donné en cadeau la cellule de Koriša à Chilandar : voir B. Todić, « Odraz kulta sv. Petra Koriškog u umetnosti » [« Le reflet dans l’art du culte de Saint Pierre de Koriša »], dans D. Bojović (éd.), Manastir Crna Rijeka i sveti Petar Koriški, Pristina – Belgrade 1998, p. 191, 197. 211. I. ŠPaDiJer, « Prološko žitije svetog Petra Koriškog » [« La Vie courte de Saint Pierre de Koriša »], dans D. Bojović (éd.), Manastir Crna Rijeka i sveti Petar Koriški, Pristina – Belgrade 1998, p. 205210. 212. D. PoPović, « The Cult of st Petar of Koriša », p. 185.

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Le culte et la conception de la sainteté La canonisation de saint Pierre de Koriša, agrégé parmi les rangs des saints serbes au plus tôt pendant le règne du roi Milutin, impose de considérer le problème dans un contexte plus large, suggéré par le cadre hagiographique du culte. Comme il est question d’un saint anachorète, qui est joint aux saints du type dynastique, nous devons comprendre son culte dans le contexte des autres cultes anachorétiques dans les régions serbes. Ce n’est qu’en examinant les analogies fonctionnelles dans les processus de l’institutionnalisation de ces cultes que nous pouvons trouver un point de départ pour répondre à nos questions. Commençons par le culte d’un autre anachorète, saint Prohor de Pčinja, ermite slave du sud très connu du xie siècle, en l’honneur de qui a été érigée l’église de saint Prohor sur la rivière Pčinja. Très tôt ce saint a été associé aux anachorètes slaves les plus anciens des Balkans : cela est prouvé, entre autres, par la découverte d’un manuscrit bulgare du xiiie siècle, le Triode d’Orbel, nom qui lui est donné d’après l’endroit où il a été trouvé (près de Debar). Dans ce texte sont célébrés, dans le même tropaire, les saints Cyrille et Méthode, le fameux ermite bulgare saint Jean de Rila (xe siècle), et les anachorètes, Prohor de Pčinja et Gabriel de Lesnovo, auxquels est ajouté Joachim d’Osogovo (sa Vie est conservée dans une transcription du xve siècle). La Vie la plus ancienne est celle de Saint Prohor de Pčinja, et elle se trouve à présent dans un seul manuscrit de la collection d’Abraham S. Norov – par la suite Aleksei S. Uvarov – au Musée historique de l’État à Moscou 213. Le manuscrit contient un synaxaire court écrit en vieux slavon serbe, qui comporte la Vie de saint Prohor de Pčinja, datant de la deuxième moitié du xiiie siècle 214. La rédaction de ce texte devrait être mise au compte d’un intérêt renouvelé pour cet anachorète, qui se manifeste aussi par la rénovation et l’élargissement de l’église qui lui est consacrée, qui ont eu lieu durant le règne du roi Milutin. Ladite rénovation faisait partie d’un programme architectural plus large, mais surtout idéologique du roi serbe. À l’époque où voit le jour le synaxaire de Norov que nous avons déjà mentionné, et qui recueillait la Vie la plus ancienne de saint Prohor, Michel Astrapas, un peintre célèbre de l’époque de Milutin, qui était chargé de peindre les fresques dans les églises royales, a peint les fresques dans l’église reconstruite de Saint-Prohor en 1316 ou en 1317 215. Le programme iconographique des fresques témoigne de l’in-

213. Đ. Trifunović, « Najstariji staroslovenski životopis svetog Prohora Pčinjskog » [« La plus vieille Vie paléoslave de saint Prohor de Pčinja »], Književna istorija 100 (1996), p. 358-364. 214. Dans le cadre de toute la tradition écrite concernant le fameux ermite, il faut aussi souligner l’existence de l’office, préservé dans un manuscrit de la fin du xvie siècle, détruit dans le bombardement de la Bibliothèque nationale de Belgrade en 1941. Voir T. SuBotin-GoluBović, « O dvema službama svetom Petru Koriškom » [« Sur deux offices à saint Pierre de Koriša »], dans D. Bojović (éd.), Manastir Crna Rijeka i sveti Petar Koriški, Pristina – Belgrade 1998, p. 211-217. 215. La rénovation et l’élargissement de l’église sont datés entre 1309 et 1316 ; ils sont liés à l’activité de Sava III, en tant qu’évêque de Prizren. Pour la peinture des fresques dans le sanctuaire, cf.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale tention du ktètôr d’encourager la diffusion du culte du fameux ermite, et la représentation du saint Sava de Serbie à côté de ce saint ermite avait clairement pour but de replacer le culte dans un contexte local serbe. L’intention évidente d’élargir l’influence du culte du saint ermite Prohor est visible aussi dans le renouveau simultané de deux autres centres étroitement liés à la Vie de saint Prohor – Pčinja et Staro Nagoričino. Leur rénovation et le programme pictural reflètent sans doute les intentions programmées de raviver le vieux culte, déjà répandu dans la région, et de souligner l’antiquité et l’importance religieuse du « désert » de Nagoričino en le plaçant sous le patronage du roi. La création d’un centre sacré dans les traditions du monachisme du désert dans la région de Nagoričino coïncide, avec les efforts du roi pour favoriser le renouveau et le renforcement du culte d’un autre anachorète, saint Pierre de Koriša, qui jusqu’alors n’avait qu’une importance locale. Nous considérons que les deux processus devraient être envisagés comme faisant partie d’un projet unique, systématiquement mis en œuvre par l’action commune du roi et de l’élite ecclésiastique et monastique. Le roi serbe a eu un rôle incontestable dans la décision de faire du monastère de Koriša un metochion de Chilandar. Le monastère de Chilandar, de son côté, en tant que centre de l’élite monastique du royaume serbe, n’a pas seulement envoyé son célèbre moine Grégoire à Koriša, mais il a aussi participé au choix de Théodose pour écrire de nouveaux offices et une Vie du saint. Cela ne peut être une coïncidence si la tâche de donner de l’éclat au type anachorétique de la sainteté qui manquait au panthéon des saints serbes a été confiée précisément à Théodose de Chilandar, sans doute l’écrivain le plus talentueux et le plus érudit de son temps, issu du prestigieux milieu athonite. De même, ce ne peut pas être une coïncidence que dans ces textes, le personnage de Pierre le Nouvel Ermite soit modelé suivant les modèles les plus prestigieux de l’érémitisme oriental. Il s’agit d’un ascète-stylite qui répète, en son temps et pour son entourage, les hauts faits des premiers anachorètes. Il existe une relation essentielle entre les décisions de renouveler les deux cultes anachorétiques et la volonté de créer un espace symbolique de nouveau « désert » dans les territoires conquis. Saisir ce lien permet de resituer dans leur contexte historique les cultes des saints anachorètes pour l’époque de la fin du xiiie siècle et début du xive siècle, marquée, dans le royaume serbe du roi Milutin, par plusieurs réalisations d’exception sur le plan culturel. Si les premiers récits hagiographiques dédiés aux célèbres anachorètes reflètent le besoin de fournir des exemples des vertus largement acceptées et populaires, la formation d’un autre type d’hagiographie anachorétique dans la deuxième moitié du xiiie siècle en Serbie, révèle plutôt un changement dans

G. SuBoTić, D. Todorović, « Slikar Mihailo u manastiru Svetog Prohora Pčinjskog » [« Le peintre Mihailo au monastère de saint Prohor de Pčinja »], Zbornik radova Vizantološkog instituta 34 (1995), p. 117-137.

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Le culte et la conception de la sainteté ce genre littéraire. L’analyse des Vies écrites par Théodose qui forment un ensemble hagiographique peut le démontrer. Dans sa première Vie longue consacrée au saint Sava, Théodose s’inspire de la Vie de Sabas de Jérusalem, saint dont Sava de Serbie avait pris le nom en devenant moine et qu’il considérait comme son modèle. Étant donné la place prépondérante de la célébration du saint homme en tant que moine-ascète dans le programme iconographique de Sava, il est important de souligner l’intention de l’hagiographe : lorsqu’il parle de Sava, c’est avant tout l’histoire d’un ermite au cœur du Mont Athos et d’un moine du désert, et seulement ensuite l’histoire du premier archevêque de Serbie et « maître » de son peuple. L’épisode qui revient sans cesse dans le texte est celui de son séjour au Mont Athos, l’endroit où sa capacité à produire des miracles se révèle en premier, avant d’être reconnue publiquement 216. Le second récit hagiographique, celui de saint Pierre de Koriša, est écrit, comme on l’a déjà souligné, en respectant les règles habituelles des Vies des saints du désert. Il est utile de noter le parallèle entre les parties d’introduction des deux Vies du même auteur, qui datent à peu près de la même période, pour remarquer une vaste gamme de significations du « modèle de la vertu monacale » dans l’œuvre de Théodose. Les deux textes insistent sur la vie monastique. Dans le prologue de la Vie de l’ermite saint Pierre de Koriša, Théodose explique l’essence ainsi que le but de l’écriture hagiographique comme une sorte de couronne spirituelle et d’exemple, pour l’écrivain comme pour ses lecteurs. En se servant des topoï de l’indignité de sa propre génération – la « dernière » – et de ceux plus strictement liés à l’écriture dite ascétique, l’hagiographe essaye de définir la finalité de son écriture. C’est avant tout une histoire édifiante, pour ne pas oublier les grands exemples des héros du désert, notamment de saint Antoine. Après avoir informé ses lecteurs/auditeurs de sa méthode d’interrogation des témoins directs et indirects, l’hagiographe proclame que son œuvre est écrite pour que chacun puisse la lire. La fonction de l’écrit est accentuée de manière très précise : le but de l’écriture est d’empêcher les paraphrases orales qui pourraient changer les exemples des vertus en rêves ou en fables, en nous laissant dépourvus de ses effets salutaires et du pardon 217. Ces mots de Théodose nous rapprochent d’une meilleure compréhension d’un aspect important de la fonction du récit hagiographique. D’un côté, cette narration pose des questions qui concernent la conception médiévale des relations entre la littérature orale et écrite, c’est-à-dire la fonction et la façon dont la culture populaire est incluse dans la culture érudite.

216. Sur le Mont Athos comme image idéale du « désert », A. GuillauMont, « La conception du désert chez les moines d’Égypte », p. 67-87. Voir aussi iD., « La séparation du monde dans l’Orient chrétien, ses formes et ses motifs », p. 105-112. 217. TeoDoSiJe, Žitije svetog Petra Koriškog [ThéoDoSe, Vie de saint Pierre de Koriša], p. 304 ; en serbe : p. 266.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale D’un autre côté, c’est un choix délibéré de l’auteur d’utiliser ces deux modèles distincts de sainteté (le modèle palestinien représenté par saint Sabas et le modèle égyptien représenté par saint Antoine) pour décrire ses héros. Cela fait partie d’un programme réfléchi et complexe, décidé dans les hautes sphères politiques de la cour du roi Milutin. L’élite monastique y est engagée à écrire divers textes de célébration des saints – Vies, offices et éloges – pour favoriser la création d’une hagiographie regroupant tous les saints serbes existants. Pour renouer avec l’ascétisme du désert, dans ce contexte précis, l’auteur associe à la Vie de saint Sava celle d’un ascète local 218. Donc, comme nous avons essayé de le montrer, c’est seulement en analysant l’œuvre hagiographique entière de Théodose de Chilandar et les cultes anachorétiques similaires que nous pouvons mettre ce « renouveau » programmé du type anachorétique de l’hagiographie dans un contexte historico-politique. Il s’agit de faire entrer la Serbie dans le concert des nations chrétiennes d’Orient en créant des saints sur le modèle de l’hagiographie protobyzantine. Au moment où Théodose de Chilandar s’est vu confier la tâche d’écrire les textes hagiographiques consacrés à saint Sava et au saint anachorète Pierre, le panthéon des saints serbes n’est pas encore défini, c’est-à-dire que l’on ne discerne pas encore ce type particulier de sainteté dynastique qui s’épanouit dans les Vies des rois et des archevêques serbes rédigées par l’archevêque Daniel II et ses successeurs. Il faut souligner que dans le cadre de la nouvelle célébration du panthéon, concentrée sur la promotion de la sainteté dynastique, ou plus précisément, du modèle serbe de la symphonie du pouvoir spirituel et profane, le rôle de l’ascète dynastique revient au roi Dragutin, qui adopta comme nom de religion celui de Théoktiste, dont le portrait hagiographique a été construit systématiquement selon les modèles ascétiques les plus stricts. Néanmoins, les fondements de la célébration future ont été clairement posés déjà dans l’œuvre de Théodose. Après avoir façonné le culte du « couple des saints » avec le « canon commun » consacré à Syméon et Sava, une deuxième tâche lui fut confiée : joindre le culte de l’ermite local (saint Pierre de Koriša) au panthéon des saints serbes. Les circonstances dans lesquelles la commande d’une nouvelle hagiographie s’avère être un outil idéologique important dans la production de messages des autorités ouvrent la question principale de la fonction du récit hagiographique. Si nous acceptons que la place particulière de l’hagiographie est déterminée, avant tout, par le rôle de l’Église (dans ce cas par l’importance de l’élite monacale de Chilandar) dans la société donnée, il devient évident que la place de l’hagiographie et du saint est construite par l’Église serbe. Ce rôle principal de l’Église est clairement formé, dans le cas serbe, déjà à l’époque des premiers princes de la dynastie des Némanides : à l’idée du fonctionnement d’un couple de saints (composé

218. D. PoPović, « The Cult of st Petar of Koriša », p. 181-212.

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Le culte et la conception de la sainteté du prince et saint, Syméon, et de son fils Sava, archevêque et saint) protecteurs de l’État et de la dynastie, se joint l’idée d’un « double règne » du prince et de l’archevêque, mis en pratique par l’action politique de saint Sava. La question de la fonction de l’hagiographie s’articule aussi avec celle de l’oralité de la culture populaire et de son intégration aux textes écrits. Vient ensuite la problématique des genres littéraires pratiqués par les litterati pour atteindre le public visé. En effet, l’inclusion d’un culte populaire local dans la célébration officielle revêt une importance considérable, indiquant des processus réfléchis d’intégration territoriale et cultuelle, et témoignant des rôles politiques qu’un saint pouvait jouer au service d’une dynastie, d’une ethnie, ou bien d’une Église. La sainteté du couple dynastique, initiée grâce à l’exemple de saint Sava aux cultes des saints inspirés par les modèles palestiniens, devait être jointe au culte érémitique strict du type égyptien. Le fait que cette tâche ait été confiée à l’écrivain le plus capable de son temps témoigne, dans ce contexte historique, d’une grande importance qui était attachée, à l’époque, aux textes de célébration des saints et au choix des héros pour ces récits. Il était impossible d’imaginer un panthéon complet des saints serbes sans ce culte de saint ermite qui donnait une aura de sainteté supplémentaire. La création du panthéon des saints serbes prépare la voie pour un discours sur l’élection divine du peuple serbe. Comme ailleurs dans les sociétés médiévales, cette croyance fournissait une base légitime et nécessaire pour les plans politiques de la cour. Ces plans commencent, bien sûr, vers la fin du xiiie siècle, avec l’association du roi Milutin, en tant que gendre de l’empereur dans la famille du basileus Andronic II Paléologue, et ils s’amplifient avec la politique serbe offensive jusqu’au milieu du xive siècle. En analysant les raisons de la commande d’un texte hagiographique, nous avons tenté de montrer que ce genre littéraire était utilisé à des fins politiques, et qu’il a exprimé la base idéologique d’un changement profond de la société serbe. L’hagiographie dynastique : le concept de beata stirps et son évolution au cours du Moyen Âge tardif Le panthéon des saints serbes Dans les dernières années de son règne, le roi Stefan Milutin fait preuve d’une grande activité diplomatique accompagnée d’une importante dynamique artistique. La nouvelle place du culte est alors établie dans la littérature et dans la liturgie grâce aux œuvres des moines athonites Théodose et Daniel. Durant le règne du roi Milutin, des pas décisifs ont été faits vers la création d’un panthéon serbe, la « synaxe des saints serbes ». Dans le cadre de cette initiative programmée, dont les porteurs étaient les plus hauts représentants de l’État et de l’Église, les contours de deux étapes se distinguent avec beaucoup de précision. L’une, qui occupe environ les deux premières décennies du 119

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale règne de Milutin, a trouvé son expression suprême dans l’œuvre de Théodose de Chilandar, et elle a finalement instauré la vénération du culte « du couple saint » des fondateurs de l’État serbe, de l’autocéphalie de l’Église et de l’identité spirituelle, comme bases de la sacralité du pouvoir de cette époque. Des travaux préparatoires minutieux, dans le but de joindre les chefs de l’Église au chœur des saints serbes, ont été réalisés à la même époque, pour établir comme une sorte de pendant aux cultes dynastiques. L’essor du monachisme pendant le règne du roi Milutin, a eu comme conséquence des contacts de plus en plus étroits avec les élites du monde byzantin, ce qui a fortement influencé maints aspects de la vie sociale et spirituelle d’alors en Serbie. L’une des influences cruciales vint du Mont Athos, gardien de la tradition érémitique et source d’idéaux spirituels et ascétiques. Un tel climat religieux a fait fleurir non seulement de nouvelles formes de la création littéraire, mais il a aussi promu l’ascète-anachorète comme modèle monastique 219. Le projet ainsi conçu, idéologiquement ambitieux et mis en œuvre de manière planifiée et systématique, se voit parachevé dans la deuxième étape de sa réalisation qui aboutit à créer un sanctoral des saints serbes réalisé par l’archevêque Daniel II (1324-1337). Il a établi un corpus hagiographique fondé sur la symétrie des cultes des rois et des archevêques serbes. Parmi les nombreuses raisons qui motivèrent la création d’un panthéon de saints serbes, il y a surtout la popularité de la « sainteté dynastique » dans l’Europe de la fin du xiiie siècle et du début du xive siècle. La Serbie, en raison de sa proximité géographique, a été certainement influencée par le royaume voisin de Hongrie. Le conflit qui y éclate en 1300 pour la succession au trône ravive l’importance de la sainteté dynastique. L’influence angevine en Serbie pourrait s’expliquer d’une part en raison d’une alliance conclue entre Charles d’Anjou et Milutin, et d’autre part en vertu de l’appartenance vraisemblable de la reine Hélène à la dynastie. Il faut dire que les Angevins de Naples propagèrent ouvertement l’idée de beata stirps après l’accession de leur dynastie au trône de Hongrie en 1308. Le roi Charles Robert n’hésita d’ailleurs pas à se proclamer héritier des virtutes des « saints rois de Hongrie » 220. C’est à ce moment qu’apparaît également une nouvelle forme de sainteté dynastique 221.

219. L’apparition de ce modèle n’est pas une nouveauté médiévale : tout en acceptant le fait que l’Égypte est la source de la tradition érémitique et l’Athos a plus de cénobites que d’ermites à partir du xe siècle, le modèle ascétique dont on parle dans cette partie de notre livre devient très populaire dans la Serbie des xiiie et xive siècles. Sur la question voir D. Bogdanović, Istorija stare srpske književnosti [Histoire de la littérature serbe ancienne], p. 164-175 ; sur l’érémitisme du désert dans la Serbie médiévale, d. PoPović, « “Pustinje” i “svete gore” srednjovekovne Srbije – pisani izvori, prostorni obrasci, graditeljska rešenja » [« Les “déserts” et les “saintes montagnes” de la Serbie médiévale »], Zbornik radova Vizantološkog instituta 44 (2007), p. 253-274 (avec la bibliographie). 220. G. Klaniczay, Holy Rulers and Blessed Princesses, p. 323. 221. Le modèle de la dynastie sainte des Luxembourgeois et des Habsbourgeois est toujours celui des Angevins dans la politique et la liturgie ; sur le sujet voir ibid., p. 330, 331, 349.

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Le culte et la conception de la sainteté La politique menée par la Serbie à la fin de la deuxième décennie du

xive siècle suit les tendances européennes de l’époque. L’idée de la sainte lignée

qui domine le siècle conduit à des innovations notamment iconographiques que le royaume de Hongrie illustre à travers le diptyque du roi André III (1290). La dynastie angevine au pouvoir y fait figurer les quatre saints canonisés de la dynastie antérieure des Arpadiens : Étienne, Émeric, Ladislas et Élisabeth. En cela, la sainte lignée royale préfigure une « dynastie hongroise sacrée ». Chacun des saints a une fonction particulière et appartient à un type de saint roi différent, mais tous sont unis dans ce « panthéon de saints rois » par un lien dynastique. Dans les sources diplomatiques hongroises, on insiste sur les « saints prédécesseurs » et les chartes serbes de l’époque ne dérogent pas à la règle (sanctorum regum praedecessorum nostrorum merita 222). C’est aussi à cette date que s’établit un culte commun des saints Étienne et Ladislas qui sont dès lors célébrés par de nouveaux offices liturgiques et par une place dans l’historiographie. Les Gesta Hungarorum dont on rédige une suite sous le règne d’Étienne V, mentionnent leur culte, mais c’est la Chronique hongroise de Simon de Kéza qui consacre les deux saints comme « fondateurs » du royaume 223. La parution des Vies des rois et archevêques serbes de l’archevêque Daniel définit le modèle de sainteté dynastique en Serbie. En effet, le recueil a joué un rôle analogue à celui de la chronique hongroise en enracinant le culte des saints Syméon et Sava. Il faut remarquer néanmoins que l’idée de sainte dynastie, même si elle est apparue en même temps qu’ailleurs en Europe, a connu en Serbie une longévité sans précédent, qui se poursuit au-delà même de l’époque moderne. En outre, le nombre de saints rois au sein « d’une seule famille » ainsi que l’élévation systématique des rois à la sainteté est un cas unique pour les dynasties européennes. Mais tous les cultes des Némanides n’ont pas bénéficié du même intérêt et l’on a privilégié certaines figures particulières en leur octroyant un culte plus prestigieux que pour les autres rois. À l’exception du culte de Stefan de Dečani, que l’on a examiné déjà dans une étude qui lui était consacrée 224, tous les cultes de saints rois némanides sont dès lors fidèles à un modèle édifié par Daniel dans les Vies des rois et archevêques serbes.

222. G. FeJér, Codex diplomaticus Hungariae ecclesiasticus ac civilis, t. IV, vol. 2, Budapest 1829, p. 223 ; t. IV, vol. 3, Budapest 1829, p. 510 ; t. V, vol. 2, Budapest 1829, p. 508. 223. L’exemple de Karlstein peut fournir divers motifs de « sainte dynastie » : l’illustration de la sainte lignée ou le culte des morts comme rite dynastique de l’art funéraire que l’on retrouve dans tout l’espace européen. Dans les milieux évolués, comme dans l’État de Charles IV, le culte des saints dynastiques se transforme progressivement en culte étatique. Sur le sujet, G. Klaniczay, Holy Rulers and Blessed Princesses, p. 342 sq. La Serbie médiévale ne connaît pas cette étape de l’évolution de la sainteté dynastique et prend un autre cours. 224. Voir S. Marjanović-Dušanić, Sveti kralj. Kult Stefana Dečanskog [Le roi saint. Le culte de Stefan de Dečani], Belgrade 2008.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Le recueil de Daniel se compose de Vies écrites entre 1317 et 1324 225. Au sein de ce « prologue serbe » qui ressemble à une mosaïque de textes hagiographiques, chaque récit possède sa propre fonction. Ainsi en est-il des Vies de Stefan Dragutin et de la reine Hélène que Daniel a rédigées en personne. Elles sont de type ascétique et monastique. La Vie de Stefan Milutin, qui ne fut rédigée qu’en partie par Daniel, est de nature dynastique. Daniel explique dans la biographie de Dragutin, qui est aussi le premier récit du corpus, les raisons pour lesquelles il a composé ce recueil. Il se réfère au psaume sur les miracles divins (Ps 77 15) : « Toi, le Dieu qui fais merveille, tu fis savoir parmi les peuples ta force », affirmant que l’idée initiale qui le guidait était l’exaltation de la dynastie régnante : préparer les agapes « encore plus savoureuses que le miel des rayons » pour « indiquer la route » 226. Comme dans la prière du roi David au peuple d’Israël et à ses chefs, l’auteur veut être entendu et « défendre son peuple ». Il évoque le souvenir de ceux qui ont « illuminé leur patrie, la terre serbe » en utilisant la métaphore des racines, de la vigne et de l’olivier aux branches fleuries. La dynastie serbe est imaginée comme un arbre à trois branches avec au centre le fondateur de la patrie, saint Syméon le Myroblite, et à ses côtés ses deux fils. La triade constitue le fondement du panthéon des saints serbes. L’union entre le pouvoir spirituel et temporel correspond au parallèle entre les saints archevêques et les saints rois cités dans l’œuvre. Une autre branche, plantée par le Seigneur, avec le roi Dragutin et la reine Hélène, montre que tous les Némanides ont pris le chemin des vertus intemporelles. Introduit par les règnes de ses prédécesseurs, Radoslav, Vladislav et Uroš, la « sainte naissance » du roi Dragutin est mise en parallèle avec celle des figures bibliques saintes célèbres, comme le prophète Samuel, la Mère de Dieu et saint Jean Baptiste. Jusque-là encore apparenté à une chronique dynastique, le récit de Daniel prend un aspect véritablement hagiographique. Même quand il s’agit d’évoquer la vie de son père, Uroš, c’est Dragutin qui est le véritable héros du récit. Le conflit qui l’oppose à son père, la lutte pour le trône, sa conquête, grâce aux troupes hongroises et coumanes, la destitution du « vieux roi » et son exil à l’étranger où il meurt, toutes ces fautes incombent, selon Daniel, au roi Stefan Uroš qui y était « incité par de malins ennemis » 227. En effet, le jeune roi, nous dit l’auteur, s’adressait à son père avec respect et amour. Il lui demanda, par trois fois, de lui donner le pays à gouverner, mais quand il fut rejeté une fois de trop, il leva la main sur son père

225. Pour la datation de l’écrit de Daniel, voir G. Mak DaniJel, « Danilo Drugi » [« Daniel II »], p. 18, 22. Cf. D. Bogdanović, Istorija stare srpske književnosti [Histoire de la littérature serbe ancienne], p. 177. 226. Paraphrase du psaume 19 10 (« […] savoureux plus que le miel, que le suc des rayons ») qui parle de la crainte du Seigneur, voir Danilo II, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Daniel II, Vies des rois et archevêques serbes], p. 3 ; en serbe : p. 46. 227. Ibid., p. 15, 18-19 ; en serbe : p. 53, 55.

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Le culte et la conception de la sainteté « son âme triste jusqu’à la mort ». Daniel fait du roi Uroš le seul coupable de cet acte et place, de surcroît, la reine Hélène du côté de leur fils. À la fin du conflit, elle se rend auprès de Dragutin pour qu’il cède à son fils une partie de « l’État » et le bénisse, ce qui met fin au récit de la Vie du roi Uroš. On remarquera que Daniel insiste alors sur les qualités de la reine : sa ferveur, son intelligence et son indicible sagesse « ce dont étaient parées les premières saintes » nous dit-il 228. Outre le fait qu’il annonce par là la sainteté de la reine à laquelle il attribue le don de clairvoyance, il affirme que sa position dans le conflit opposant le fils au père, est aussi juste que sage. La Vie de Stefan Dragutin que nous considérons comme originellement unie à celle d’Uroš, est une célébration de la vie ascétique, ce qui constitue le fondement de la sainteté royale de la dynastie. Alors que les premiers Némanides avaient trouvé dans les Vies de Sava et de Syméon au Mont Athos un modèle, la nouvelle génération fait de l’histoire de Dragutin son exemplum. Daniel raconte l’histoire de l’ascète « familial » dans laquelle il mentionne, non sans raison, le concile de Deževo (1282), où le roi décide d’abdiquer. La Vie de Stefan Dragutin est en effet le récit d’un renoncement au pouvoir, teinté d’un sentiment très fort de culpabilité et de crainte du Seigneur. Sa Vie déjà décrite dans le chapitre précédent, est exemplaire ; elle est faite de prières, de toutes sortes d’abnégations et de mépris du corps par l’ascèse, dont on a vu que l’ultime étape était le refus de procéder à l’élévation de sa dépouille. L’acte ne peut être expliqué par un simple motif politique mais plutôt par l’idée sous-tendant l’œuvre de Daniel, qui est de célébrer la lignée de sainte extraction d’après des valeurs ascétiques et monastiques, à l’instar de « piliers vivants qui se tiennent haut ». La troisième Vie qui compose le recueil est celle du roi Stefan Milutin. Le caractère « dynastique » de sa sainteté est déterminé par le titre même du récit qui fait allusion aux saints ancêtres. Ce rappel des prédécesseurs est une manière de communiquer au lecteur (ou à l’auditeur) la nature de la célébration à la manière du diptyque d’André III ou d’autres représentations de saintes lignées. On conçoit à quel point le recueil est composé de textes hagiographiques de nature et de fonction différentes. Contrairement aux autres Vies, celle du roi Milutin est centrée surtout sur les « épreuves » envoyées au roi. Le récit illustre avec virtuosité l’idée de res gestae. Daniel situe les exploits de son héros dans le contexte de l’histoire sainte. Milutin est présenté par son hagiographe comme un roi courageux et invincible. Aussi a-t-il les traits du saint roi-protecteur. Les éléments qui constituent sa Vie sont : l’élection par le Seigneur, la naissance sanctifiée par les prières des saints Syméon et Sava, et l’appui de saint Syméon dans les batailles. Ce sont aussi les critères qui le destinent à devenir un saint. Selon les conventions de l’époque, Milutin est décrit

228. Ibid., p. 21 ; en serbe : p. 57.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale comme un saint chevalier et un modèle de vertus chrétiennes, qui est à la fois défenseur de l’Église et de la foi, et dont la victoire sur les champs de bataille est le choix du Seigneur. C’est de ce triomphe guerrier et de la force de ses prédécesseurs qu’il tire sa sainteté. La Vie de Stefan Milutin donne à la prière aux saints Syméon et Sava une connotation idéologique forte. Daniel insiste sur le rôle des saints ancêtres. Après avoir attribué à la dynastie une sainteté de type ascétique, acquise par les exploits spirituels du roi Dragutin et de la reine Hélène, il s’efforce de faire du roi Milutin le vainqueur des Infidèles et le chevalier du Christ grâce à la protection céleste des saints ancêtres. La présence de ces « vivants même après la mort » dans un royaume en guerre est l’élément qui pare définitivement toute la dynastie serbe de son aura sacrée, et cela malgré les particularités de chacun des saints rois. C’est aussi pourquoi l’auteur n’attribue aucun miracle à Milutin et se contente de le dépeindre comme le christianissimus rex. L’image du roi Milutin est une illustration de l’imitatio Christi. Le « Nouveau fondateur (ktétor) » de Chilandar est prolixe en œuvres charitables : il élève des églises et des monastères, construit des hôpitaux. Il faut souligner, en parlant des Vies des saints serbes, que l’apparition du recueil de Daniel instaure non seulement un nouvel aspect de la célébration commune de l’assemblée des saints serbes, mais aussi un schéma particulier de représentation de la biographie du souverain sous forme de Vie de saint. Par ce procédé, l’hagiographe introduit un nouveau rapport au corps saint du roi au sein des cadres déjà connus de l’histoire de la Vie. L’adoption des modèles byzantins largement reconnus et la création des formes nouvelles, spécifiquement serbes, furent combinées de manière littéraire dans les textes hagiographiques où l’idée complexe des beata stirps se manifeste. En passant du modèle du royaume sacré vers le modèle de la sainteté dynastique, cette idée suit l’évolution que nous reconnaissons dans la propagande politique des cours européennes de cette époque. Le besoin d’élucider l’idée fondamentale de la lignée sainte et de la symphonie du pouvoir spirituel et terrestre explique aussi le rapport avec la sainteté du héros dans le nouveau type des Vies. Donc, l’accent ne peut plus être mis seulement sur les attributs traditionnels de l’hagiographie : pour cela, la Vie du roi Milutin inaugure essentiellement une nouvelle ère de la sainteté célébrée. Avec une telle vue de l’ensemble narratif, l’hypothèse de Gordon McDaniel selon laquelle « Daniel a créé certaines vies de saints, écrites à des fins particulières et incertaines » paraît peu convaincante 229. Il nous semble plus probable que l’idée d’un recueil hagiographique (avec les additions du Continuateur de Daniel) est apparue plus tard, comme conséquence de demandes complexes… Si nous acceptons le principe que les interpolations dans les Vies ont été créées pour des motifs politiques, ce

229. G. Mak DaniJel, « Danilo Drugi » [« Daniel II »], p. 24.

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Le culte et la conception de la sainteté fait n’arrive quand même pas à nier les liens intrinsèques qui existent entre les hagiographies de Daniel. Bien que ces textes aient pu servir deux objectifs, religieux et politique, nous sommes d’opinion qu’il ne faut pas les comprendre principalement comme des textes politiques, mais avant tout comme une image réfléchie et cohérente de la sainte lignée, au sein de laquelle se formalisent différentes sortes de sainteté « héroïques ». L’analyse de chacune d’entre elles et de leur fonction particulière au sein de l’ensemble du recueil semble prouver au contraire un projet réfléchi et un agencement complexe. Pour cela, il était nécessaire que la Vie du roi Milutin soit complètement différente, et par son type et par sa fonction, des compositions précédentes dans le recueil de Daniel. La nouveauté est visible dans le domaine de la morale du récit : il s’agit ici d’une œuvre qui est, selon tous les critères, une sorte de gesta, histoire des exploits située dans le cadre d’une biographie d’un souverain chrétien idéal canonisé 230. Le récit héroïque comprenant les éléments typiques de l’histoire de l’héritier de la sainte racine invincible, choisi de Dieu, est clairement inspiré par les œuvres telles que le Roman d’Alexandre, tout comme par les miroirs des princes populaires qui célèbrent le souverain comme un guerrier, patron de l’Église, berger clément du troupeau qui lui est confié, défenseur des faibles et protecteur de la vraie foi. Tous ces éléments sont présents dans le texte de Daniel, ou « le saint corps » de l’ascète de la Vie du roi Dragutin se voit transformé en corps du guerrier invincible, soldat du Christ qui vainc les infidèles. Le Milutin de Daniel, bien que patriote comme saint Démétrius, ne fait pas de miracles comme les saints Syméon et Sava, et ne côtoie pas les moines, contrairement au roi Dragutin et à la reine Hélène. Son portrait hagiographique ressemble, cependant, aux canons créés dans d’autres genres littéraires. Les sources du xiiie siècle témoignent que l’époque du roi Milutin a hérité de l’idéal du roi-saint invincible, formé sur la base de comparaisons vétérotestamentaires 231. Pourtant, les spécialistes du genre hagiographique peuvent clairement remarquer la différence, ou plutôt la nouveauté dans la formation de l’idéal du souverain chevalier chrétien, qui se développe seulement dans le texte de Daniel. L’auteur de la Vie souligne que le roi Milutin apparaît à ses sujets comme le plus chrétien des rois, mais aussi comme le nouvel Alexandre. La source des « miracles » du roi, qui sont en règle générale des exploits chevaleresques, est son patriotisme, qui l’inspire et le fait « apparaître devant l’ennemi

230. S. Marjanović-Dušanić, Sveti kralj. Kult Stefana Dečanskog [Le roi saint. Le culte de Stefan de Dečani], p. 166. 231. V. J. Đurić, « Novi Isus Navin » [« Nouveau Josué fils de Noun »], Zograf 14 (1983), p. 5-15 ; S. Marjanović-Dušanić, Vladarska ideologija Nemanjića [Idéologie monarchique des Némanides], p. 217-233.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale de son royaume clairement, comme l’aigle qui fend les cieux » 232. Armé de l’aide de Dieu et des prières salutaires de ses prédécesseurs, les saints Syméon et Sava, le roi Milutin, ainsi que le décrit l’archevêque Daniel, n’est pas un saint chrétien traditionnel, et encore moins un ascète ou un martyr, un thaumaturge ou un habitant du désert. Il paraît plutôt que les prières de ses saints prédécesseurs agissent à travers lui pour qu’il devienne l’héritier de leur sainteté dynastique. Devant nous apparaît pour la première fois la représentation de la sainteté comme un phénomène complexe : c’est à présent une sainteté dynastique héritée, dérivée des ancêtres, « unifiée ». Elle puise son pouvoir thaumaturgique dans la racine sainte, charismatique. C’est justement pour cette raison que les prières des saints prédécesseurs du roi, Syméon et Sava, unifiées par le culte commun, culte dont la création est fortement encouragée justement durant le règne de Milutin, deviennent une condition préalable à la réalisation de miracles par le roi 233. Au début du xive siècle, cela fait déjà presque un siècle que la littérature traduite connaît son essor, représentée entre autres genres également par le roman de chevalerie, et surtout par l’histoire populaire d’Alexandre le Grand. Ce roman a été considéré dans le milieu serbe, comme nous pouvons le lire dans son prologue, comme une lecture « édifiante », destinée à être « lue et entendue par tous ceux qui se préparent pour la bataille », avant tout parce que la vie et l’histoire du fameux conquérant du monde antique – et guerrier invincible – donnent une image didactique de ses « vertus » 234. Pour suggérer aux lecteurs et auditeurs de ses gesta la divine providence accompagnant le héros du roman, l’auteur utilise le catalogue des vertus universellement acceptées comme le canon du souverain médiéval chrétien idéal, car seul un tel héros pouvait impressionner le public de l’époque. L’auteur de la Vie a transposé dans son texte le topos de l’invincibilité, conjointement aux images canoniques de la victoire, d’après les lectures de ce genre, composées des œuvres de la littérature de chevalerie, avec une trame chrétienne prononcée. Le lien entre le corps du roi et les forces célestes, incarné dans les victoires qu’il a remportées grâce aux prières des saints Syméon et Sava, est accompagné des signes surnaturels, comme la colonne de feu qui descend du ciel et les guerriers en flammes qui apparaissaient aux ennemis du roi, comme un grand symbole de la peur. Comme attendu, à la fin de la Vie, le saint corps du roi

232. Danilo II, Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Daniel II, Vies des rois et archevêques serbes], p. 144 ; en serbe : p. 137. 233. S. Marjanović-Dušanić, « Molitve svetih Simeona i Save u vladarskom programu kralja Milutina » [« Les prières des saints Syméon et Sava dans le programme monarchique du roi Milutin »], p. 235250. 234. Le roman est traduit en slavon-serbe durant le xiiie siècle, apparement du latin ou de l’italien, dans la région de Dalmatie. Cf. R. Marinković, V. Jerković (éd.), Srpska Aleksandrida [Le Roman d’Alexandre serbe], Belgrade 1985, fol. 1r, col. 3 ; en serbe : D. Pavlović (éd.), Stara srpska književnost [Ancienne littérature serbe], t. II, Novi Sad – Belgrade 1970, p. 9.

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Le culte et la conception de la sainteté est trouvé sans corruption, apparaissant trois ans après sa mort comme un signe terrible à un moine du monastère Saint Stefan à Banjska, monastère dont l’église a été choisie par Milutin pour en faire son propre mausolée. C’est ainsi que, aux yeux de l’auteur de la Vie, et de ceux auxquels le texte a été dédié, le présage attendu a été réalisé, confirmant ainsi pour la génération de Milutin la sainteté de sa dynastie. Les cultes des nouveaux martyrs À la fin du Moyen Âge, dans le cadre d’une nouvelle forme de piété, les cultes des saints rois changent de fonctions. Ils sont de plus en plus assimilés à des cultes sotériologiques de saints « protecteurs ». Les changements successifs de frontières des pays serbes, le déplacement de leur capitale et, par conséquent, de leur saint protecteur, transforment inéluctablement la notion de « patrie » chez les Serbes 235. Celle-ci a évolué en fonction d’une nouvelle identité chrétienne orthodoxe à l’aube du xve siècle. Une incertitude permanente, l’attente d’une fin des temps imminente et la croyance au miracle se mêlèrent au sentiment religieux. Le culte des saints rois est alors encore destiné à prouver la légitimité de la dynastie régnante en s’appuyant sur l’élection divine issue de la tradition vétérotestamentaire. Dans le domaine du sacré, les reliques de saints locaux coexistaient avec les objets venus d’Orient, tandis que d’autres reliques, notamment celles issues de Constantinople, s’assimilaient aux traditions locales. Émerge alors, au sein du peuple serbe, la conscience d’incarner le peuple élu. On observe par ailleurs, à travers l’Empire byzantin, plusieurs phénomènes nouveaux. Il s’agit de l’idée naissante de capitale 236, de l’appropriation de certains cultes de saints protecteurs 237 et d’une nouvelle forme de dévotion dont témoignent les nombreuses sources officielles produites pour les besoins des spectacles éphémères de l’époque 238.

235. S. Marjanović-Dušanić, « Se souvenir de Byzance. Les reliques au service de la mémoire en Serbie (xve-xixe s.) », dans O. DelouiS, A. CouDerc, P. Guran (éd.), Héritages de Byzance en Europe du Sud-Est à l’époque moderne et contemporaine, Athènes 2013 (Mondes Méditerranéens et Balkaniques 4), p. 99-116. 236. Sur la formation de l’idée de capitale, voir B. Kühnel, « The Use and Abuse of Jerusalem », dans B. Kühnel, A. Cohen-MuShlin (éd.), The Real and Ideal Jerusalem in Jewish, Christian and Islamic Art, p. XIX-XXXVIII ; J. ErDelJan, « Beograd kao Novi Jerusalim » [« Belgrade comme la Nouvelle Jérusalem »], Zbornik radova Vizantološkog instituta 43 (2006), p. 96-110. 237. d. PoPović, « Mošti sv. Luke – srpska epizoda » [« Les reliques de Saint Luc – l’épisode serbe »], dans EaD., Pod okriljem svetosti. Kult svetih vladara i relikvija u srednjovekovnoj Srbiji [Sous les auspices de la sainteté], p. 295-317. 238. L’office dédié au transfert de saint Luc à Smederevo en offre un bon exemple (ms. 165 du Bibliothèque patriarcale de Belgrade). Le manuscrit est publié pour la première fois par Ilarion Ruvarac en 1868. Sur la plus récente édition, voir T. SuBotin-GoluBović, « Sveti apostol Luka, poslednji zaštitnik srpske zemlje » [« Saint apôtre Luc, dernier protecteur des terres serbes »], dans D. Ajdačić (éd.), Čudo u slovenskim kulturama [Miracle dans les cultures slaves], Novi Sad 2000,

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale L’idée de translatio, à laquelle on peut attribuer plusieurs significations, devient une notion fondamentale de la construction politique et religieuse du monde médiéval. Il s’agit de l’idée générale de « transfert » dans un espace compris entre Venise et Moscou. Elle tire son origine d’un lieu mythique se déplaçant en fonction d’une vision eschatologique de l’histoire. Cette notion concerne le transfert d’une essence sacrée, mais aussi de ce qui est visible comme dans les « constructions de sainteté » où l’espace et le visuel tiennent une place importante. Le concept s’affine à mesure que la pratique de la translation des reliques prend de l’ampleur. Il est vrai que le phénomène est vaste et comprend les reliques de saints protecteurs des villes, les palladium, l’édification de nouvelles capitales, et qu’il a pour enjeu l’incarnation de la Nouvelle Jérusalem 239 et de la Nouvelle Constantinople 240, héritages particuliers donnés par l’orthodoxie aux peuples slaves 241. De précieuses reliques, ainsi que des icônes vénérables, participaient à la création d’une capitale – prototype de l’espace sacré 242. Même si le prestige des reliques était lié à une action miraculeuse réalisée en d’autres « lieux saints », leur notoriété était absorbée par le nouveau culte. Cette pratique d’appropriation identitaire pouvait concerner le lieu saint ou le caractère chrétien du culte. On composait ensuite des offices liturgiques pour accompagner la translation des reliques vers de nouveaux lieux dont la fonction était comparable à celle d’une capitale. Outre le fait que les reliques y reposaient, ces villes possédaient un pouvoir symbolique très fort. Dans ce système, on faisait appel à des notions anciennes, comme celle d’une fusion

p. 167-179 (avec l’ancienne bibliographie). Il existe aussi un office dédié à sainte Théophano, publié par K. Ivanova, « Srbska redakcija na službata za imperatrica Teofana » [« Rédaction serbe de l’office à l’impératrice Théophano »], Arheografski prilozi 10-11 (1988-1989), p. 83-106 ; Đ. Trifunović, Ogledi i prevodi, xiv-xvii vek [Essais et traductions, xive-xviie siècles], Belgrade 1995, p. 37. 239. Plusieurs villes prétendaient pouvoir incarner la Nouvelle Jérusalem. Outre Moscou, Turnovo et Preslav, Prague et Athènes étaient également candidates. Une étude récente a mis en évidence les prétentions similaires de la ville de Kiev, V. Rička, Kyiv – Drugij Erusalim (z istorij političnoj dumki ta ideologij serednovičnoj Rusi) [Kiev – Autre Jérusalem], Kiev 2005, p. 95-96. 240. B. FluSin, « Construire une nouvelle Jérusalem : Constantinople et les reliques », dans M. A. AMirMoezzi, J. ScheiD (éd.), L’Orient dans l’histoire religieuse de l’Europe. L’invention des origines, Turnhout 2000, p. 51, 53, 57, 68. 241. Les exemples de l’idée de translatio Hierosolymi qui se rapportent à Turnovo et à Moscou comme capitales à l’image de Constantinople sont éloquents et tous bien étudiés, V. TPkova-ZaiMova, « Trnovo meždu Erusalim, Rim i Carigrad. Idejata na prestolen grad » [« Turnovo parmi Jérusalem, Rome et Constantinople. L’idée de la capitale »], Trnovska knižovna škola 4 (1985), p. 249-261 ; I. BoŽilov, « Renovatio imperii Bulgarorum et Graecorum », p. 201-203. 242. A. V. PoDoSinov, « “Èto Ierusalim ! Ja postavil ego sredi narodov…”. O meste Ierusalima na srednevekovych kartach » [« “C’est là cette Jérusalem que j’avais placée au milieu des nations…”. Sur la place de Jérusalem dans les plans médiévaux »], dans A. M. LiDov (éd.), Novye Ierusalimy. Ierotopija i ikonografija sakral’nych prostranstv [Nouvelles Jérusalems. Hiérotopie et iconographie des espaces sacrals], Moscou 2009, p. 13-14.

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Le culte et la conception de la sainteté entre le désert et la ville, ou entre la ville et l’église 243. On y relève de nombreuses informations sur la conception de la sainteté dans des villes qui, à la fin du Moyen Âge, étaient en proie à un inexorable déclin. Jérusalem devint l’axe idéologique de tout un corpus de textes de prières qui faisait du souverain l’égal de David, identifiait la capitale menacée à Jérusalem et comparait l’investiture de Sion à l’espoir d’une victoire irrévocable sur les ennemis. La translation de la capitale et l’utilisation de psaumes (principalement le psaume 71,3 où Dieu est uni à la ville – « Sois pour moi un rocher […] Tu as résolu de me sauver, Car tu es mon rocher et ma forteresse » –) en étaient les caractéristiques essentielles 244. Afin de faire de la capitale un « lieu saint », la praesentia de saints protecteurs, que symbolisaient les icônes miraculeuses et les reliques, était indispensable. Les deux dernières capitales de la Serbie, Belgrade et Smederevo, offrent un excellent exemple de cette pratique. Elles se présentent en effet, sur le plan idéologique comme sur celui du culte, comme des imitations parfaites de Constantinople et du « lieu saint » par excellence. On pourrait parler à leur propos d’incarnations de la Nouvelle Jérusalem. La Nouvelle Jérusalem, mythique, messianique et céleste, incarne également le lien entre le monde de l’Ancien Testament et le monde contemporain. La tradition byzantine en fait le synonyme de « ville impériale » depuis le ive siècle 245. La présence de précieuses reliques chrétiennes au sein de la capitale impériale devint une sorte de légitimisation d’un lieu saint. C’était le cas aussi avec la possession des « parcelles de sainteté » ; elle était le signe du pouvoir des souverains, tandis que les nombreuses translations, accompagnées parfois de processions solennelles spectaculaires, en consolidaient l’importance. Instrument de la Passion, la relique célébrait aussi le triomphe guerrier et l’assurance de la victoire dans la tradition byzantine. Enfin, les reliques étaient considérées comme arches d’alliance et servaient de la sorte de fondement à la nouvelle ville sainte 246. Lorsqu’en 1404 les Serbes obtinrent la ville de Belgrade, le devoir du despote Stefan était de fonder un nouveau centre géographique et cultuel. Son séjour à Constantinople, l’acquisition du titre de despote et son affiliation à

243. Parmi les prestigieuses reliques de l’Orient chrétien figure celle de la Vraie Croix, dont le lien théologique avec la cité de Jérusalem se fondait sur l’enseignement de Cyrille de Jérusalem. Sur le sujet, voir P. W. L. Walker, Holy City, Holy Places ? Christian Attituds to Jerusalem and the Holy Land in the Fourth Century, Oxford 1990, p. 324-330. 244. Ps 110 2 : « L’Éternel étendra de Sion le sceptre de ta puissance : domine au milieu de tes ennemis ! » ; Ps 134 3 : « Que l’Éternel te bénisse de Sion, Lui qui a fait les cieux et la terre ! » ; Ps 62 2 : « C’est Lui (Dieu) qui est mon rocher et mon salut, ma haute retraite […] » ; Ps 135 21 : « Que de Sion l’on bénisse l’Éternel, qui habite à Jérusalem ! » 245. B. FluSin, « Remarques sur les lieux saints de Jérusalem à l’époque byzantine », dans A. Vauchez (dir.), Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires. Approches terminologiques, méthodologiques, historiques et monographiques, Rome 2000, p. 130-131. 246. B. FluSin, « Construire une nouvelle Jérusalem », p. 51, 53, 57, 62, 68.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale la famille impériale permirent certainement de faire de Belgrade un « lieu saint ». La source principale sur le despotat de Serbie, l’hagiographie du despote Stefan écrite par Constantin le Philosophe au début du ive siècle, compare à plusieurs reprises la ville de Belgrade à une Nouvelle Jérusalem qui, ayant « en vérité sept sommets […] semblables à Sion, était l’image de la suprême Jérusalem » 247. Juste après avoir décrit Belgrade, l’auteur évoque le mausolée que le héros du récit a érigé à Resava – mettant ainsi en parallèle les dimensions céleste et terrestre. L’association est d’autant plus perceptible que Constantin parle de Resava comme d’un pendant monastique de Belgrade : elle est « l’autre ville qui possède un chemin vers la suprême Jérusalem ainsi que d’autres ressemblances » 248. La Nouvelle Jérusalem du despote trouva son fondement sacré dans la présence de reliques chrétiennes. Le despote Stefan parvint en effet à offrir de précieuses reliques à sa capitale. Il s’agissait de la main de Constantin le Grand et de l’icône acheiropoïète de la Sainte Vierge, des reliques dont la symbolique et la vénération à Belgrade furent très fortes puisqu’elles provenaient de Constantinople 249. Belgrade comptait aussi, parmi ses prestigieuses reliques, celles de sainte Parascève et de la sainte impératrice Théophano 250. Le culte dédié aux deux saintes était important du point de vue de l’idéologie dynastique 251. Une récente étude a démontré que le culte de sainte Parascève avait été intégré au programme monarchique de Turnovo 252. Particulièrement vénérée par la

247. KonStantin Filozof, Život despota Stefana Lazarevića [conStantin Le PhiloSoPhe, Vie du despote Stefan Lazarević], p. 286 ; en serbe : p. 219. 248. Ibid., p. 288 ; en serbe : p. 222. 249. Le texte de l’office témoigne le mieux de l’attachement que l’on vouait au culte de Marie ; pour le texte, voir Đ. Trifunović, Ogledi i prevodi [Essais et traductions], p. 40-44. 250. L’année 1398, alors que le prince serbe est menacé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, la princesse Milica et la moniale Jefimija se rendent en mission diplomatique auprès du sultan Bajazit Ier. C’est lors des pourparlers destinés à préparer l’arrivée du despote à la cour du sultan que la princesse parvint à obtenir les reliques de sainte Parascève et de sainte Théophano. Depuis la chute de Turnovo et leur transfert à Vidin, celles-ci avaient fait partie du trésor de Constantin de Vidin avant d’être transportées à Hadrianople ou à Brusa. On mentionne les reliques de la sainte impératrice Théophano avec celles de sainte Parascève lors du décompte des reliques conservées dans l’église de l’Assomption de Belgrade. La mention se trouve dans une lettre de 1509 que le grand prince de Moscou, Basile Ivanović, avait reçue des envoyés de l’archevêque de Belgrade Michel ; voir S. DiMiTrijević, « Dokumenti koji se tiču odnosa između Srpske crkve i Rusije u xvi veku » [« Documents concernant le rapport entre l’Église serbe et la Russie au xvie siècle »], Spomenik Srpske kraljevske akademije 39 (1903), p. 17. 251. Elles devaient se trouver à Lazarica, une église proche du palais dans la capitale de Kruševac avant que le despote n’en ordonne le transfert à Belgrade. La description du transfert des reliques de sainte Parascève en Serbie est rapportée par Grégoire Camblak dans Slovo (Homélie), texte qui a été consacré à cet événement et conçu comme la suite de la Vie du patriarche Euthyme. 252. d. PoPović, « Relikvije svete Petke : Gloria Bulgarie – Gloria Serviae » [« Les reliques de sainte Parascève : Gloria Bulgarie – Gloria Serviae »], dans EaD., Pod okriljem svetosti. Kult svetih vladara i relikvija u srednjovekovnoj Srbiji [Sous les auspices de la sainteté], p. 271-293.

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Le culte et la conception de la sainteté dynastie des Asènes, elle était la protectrice de la capitale, la représentante céleste de l’État et du peuple ainsi qu’un rempart contre les ennemis de la foi. On comprend que cette relique, par son action miraculeuse qui permettait d’affronter tous les dangers, ait été si convoitée par les Serbes. Le programme reliquaire qui vit alors le jour fut tributaire de la nouvelle conception du pouvoir de cette fin du xiie siècle et du début du xive 253. La vénération des reliques de la sainte impératrice Théophano à Belgrade relève des mêmes intentions 254. En tant que culte dynastique d’envergure à Constantinople, il fut immédiatement très populaire au sein du despotat, tandis que son imitation de la capitale impériale renforçait l’orthodoxie et satisfaisait le pouvoir religieux. En l’observant dans le contexte d’une vénération particulière et du prestige des reliques de Constantinople dans le milieu serbe, on comprend mieux l’insistance de Constantin le Philosophe à comparer le despote à un nouveau Constantin. Il fait d’ailleurs remonter son origine à Constantin le Grand et décrit la conquête de la capitale par le despote serbe à l’image de celle de l’empereur. L’auteur enfin souligne que le souverain agissait dans l’organisation de sa ville « comme le faisaient autrefois les apôtres au sein de leurs villes » 255. Ainsi le texte de Constantin permet-il également de saisir la portée de la présence de la main du saint empereur à Belgrade 256. La capitale était véritablement conçue à l’égal de Constantinople et de Jérusalem, tant sur le plan spatial de la ville aux sept sommets que par les cultes que l’on choisit d’y honorer. L’organisation monastique du palais et la conception byzantine de la nature du pouvoir font pressentir que le programme de célébration de l’État et de ses souverains se voulait d’abord chrétien et plus particulièrement orthodoxe. Les reliques liées à la Sainte Vierge et à Constantin le Grand ainsi que celles des saintes Parascève et Théophano,

253. Sur l’espace sacré des reliques : A. LiDov, « Svjaščennoe prostranstvo relikvij » [« Espace sacré des reliques »], dans ID. (éd.), Hristianskie relikvii v Moskovskom Kremle [Les reliques chrétiennes au Kremlin de Moscou], Moscou 2000, p. 3-12. 254. G. P. MaJeSka, « The Body of St. Theophano the Empress and the Convent of St. Constantine », Byzantinoslavica 38 (1977), p. 14-21 ; G. DaGron, Empereur et prêtre, p. 163-164. 255. KonStantin Filozof, Život despota Stefana Lazarevića [conStantin Le PhiloSoPhe, Vie du despote Stefan Lazarević], p. 287 ; en serbe : p. 221. 256. Un reliquaire d’argent daté du début du xve s. et orné de vers dédiés à l’empereur Constantin rédigés en slavon-serbe, conservant la main droite de l’empereur, se trouve dans le trésor du Kremlin de Moscou. Cadeau du patriarche œcuménique Jérémie Ier à l’empereur russe Fiodor Ivanovič, la relique parvint à Moscou en 1558. Le présent provenait de Constantinople où il avait été apporté avec d’autres reliques du trésor de l’archevêché de Belgrade après la chute de la ville aux mains des Ottomans en 1521. Butin du vainqueur du sultan Soliman le Magnifique, le trésor de la ville fut offert au patriarche œcuménique Jérémie. À Moscou, la relique fut alors précieusement conservée dans l’église de l’Annonciation au Kremlin ; A. LiDov (éd.), Hristianskie relikvii v Moskovskom Kremle [Les reliques chrétiennes au Kremlin de Moscou], Moscou 2000, no 33, p. 126128 (E. A. MorŠakova) ; J. DuranD, D. Giovannoni, I. raPti (éd.), Sainte Russie : l’art russe des origines à Pierre le Grand, Paris 2010.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale désignées par ceux qui en composèrent les offices liturgiques comme d’« ardentes protectrices des chrétiens », participaient à la création d’une capitale sacrée. La ville de Smederevo fut élevée sur un principe identique. Là aussi, la présence de reliques chrétiennes sacrées agissait comme un dernier rempart contre la déchéance. Les textes de prières composés à partir de métaphores empruntées à l’Ancien Testament accompagnèrent sa fondation. Il ne s’agissait cependant que d’une partie d’un vaste programme élaboré par le despote Đurađ Branković (1427-1456). Parmi ses différentes composantes, on s’attardera à celle liée aux reliques de saint Luc. Le despote redoubla d’efforts pour s’emparer de ce joyau de Constantinople, qui se trouvait depuis la quatrième croisade dans la ville de Rogos, en Épire. L’importance que l’on accordait à sa translation se reflète dans une prière, appelant à ce que les saintes reliques rendissent la ville robuste comme un rocher et invincible 257. Lors d’une cérémonie qui se voulait une préfiguration symbolique de la Jéricho biblique, on porta la châsse contenant les reliques de saint Luc le long des murailles de Smederevo. L’adventus de la précieuse relique chrétienne fut imaginé comme un spectacle éphémère réunissant la famille régnante, le clergé et l’ensemble de la ville. Tous célébrèrent l’arrivée du cortège transportant les reliques du saint protecteur de la dernière capitale de Serbie. La châsse précieuse où reposaient les reliques de saint Luc fut déposée au sein de l’église de l’Annonciation de Smederevo pour en faire un lieu de culte ainsi qu’une demeure dorée pour le saint et une préfiguration du temple de la Jérusalem céleste. Smederevo vit donc en saint Luc son salut. Les miracles relatifs à la prise de possession des reliques, à leur voyage vers la Serbie ainsi qu’à leur séjour à Smederevo devinrent le motif de textes à caractère liturgique. Il est vrai que la foi en le miracle et en son action prophylactique, ainsi qu’en l’efficacité des saintes reliques provenant de Constantinople fut décuplée pendant les périodes de crises. Elle faisait aussi naître un sentiment rassurant face à une fin que l’on disait imminente. Même si ces phénomènes n’entrent qu’indirectement dans le cadre de notre recherche, ils permettent de définir ce qui a influencé le nouveau modèle de saint roi et son rapport avec les changements dans la sphère du culte. En premier lieu, la disparition du roi charismatique était la conséquence d’une profonde transformation des mentalités de la société médiévale. C’étaient les villes qui devenaient de la sorte le théâtre d’une nouvelle forme de piété et devaient nécessairement se prévaloir d’un nouveau type de saint roi. En Serbie, l’idée de sainteté royale connaît un certain déclin avec la disparition de la dynastie némanide en 1371. Le conflit autour de la succession de la nouvelle

257. T. SuBotin-GoluBović, « Sveti apostol Luka, poslednji zaštitnik srpske zemlje » [« Saint apôtre Luc, dernier protecteur des terres serbes »], p. 176 ; voir aussi d. PoPović, « Mošti sv. Luke – srpska epizoda » [« Les reliques de Saint Luc – l’épisode serbe »], p. 307 et n. 53.

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Le culte et la conception de la sainteté famille royale des Mrnjavčević montre que la légitimité politique n’était plus une condition suffisante pour asseoir un pouvoir durable. L’Église s’était à tel point affirmée que son alliance était devenue indispensable pour espérer porter la « couronne des Némanides ». Mais surtout, la tradition de lignée de sainte extraction ne pouvait plus se transmettre. Les nouveaux acteurs de la scène politique serbe, la princesse Milica (veuve et régente du prince Lazar après son décès durant la bataille du Kosovo en 1389) et le patriarche de l’époque, Spiridon, en étaient bien conscients ; ils imposèrent par conséquent un nouveau type de culte pour célébrer la sainteté des souverains. L’apparition du culte du saint prince et la nouvelle figure de saint roi-néomartyr qui voit le jour ne doivent pas voiler les transformations que connaissent les cultes anciens. C’est le cas du culte des saints Syméon et Sava, dont la fonction avait été jusque-là de protéger la patrie et la dynastie régnante des Némanides dont ils étaient les fondateurs. La transmission de la fonction du culte, très bien mise en valeur par Peter Brown, fut un élément décisif dans le cas du culte du couple saint serbe. Au tournant du xve siècle, à l’instar des insignes du pouvoir et des nouveaux symboles de l’État, le culte devient transdynastique. L’obtention du titre de despote par Stefan Lazarević annonce une période de mutations dans la doctrine monarchique. Dans la recherche d’une nouvelle forme de pouvoir royal, le culte du saint prince adopte certains traits du culte de Syméon et de Sava en protégeant le souverain régnant et en défendant la patrie en danger 258. Mais, contrairement aux cultes des premiers némanides, celui qui voit le jour chez leurs successeurs n’est plus de nature dynastique, à l’exception de contextes précis. Ainsi dans certains documents diplomatiques, Stefan Lazarević fait parfois référence à la légitimité de son héritage et à son droit héréditaire. La patrie en danger a suppléé à la famille régnante, tandis que les motifs généraux de la chrétienté remplacent les traits traditionnels. L’évolution du culte du couple saint est clairement perceptible dans les préambules de chartes des despotes (après 1402) relatives aux fondations royales de Chilandar et de Mileševa. Saint Syméon et saint Sava étaient particulièrement vénérés dans ces monastères où ils étaient considérés comme les « seigneurs et fondateurs serbes » des despotes et comme leurs ancêtres. Leurs prières étaient susceptibles de repousser l’ennemi et d’aider au combat ; leur culte jouissait d’une étroite relation avec le souverain au pouvoir. Après s’être assuré du soutien de l’Église en élisant le patriarche Daniel III, Stefan Lazarević chercha un appui auprès des principaux centres monastiques en dehors de son pays. L’acceptation de l’autorité suprême du souverain et de son pouvoir d’unification des pays serbes revenait principalement aux deux monastères de Chilandar et de Mileševa. Le despote délivra une charte au

258. S. Marjanović-Dušanić, Sveti kralj. Kult Stefana Dečanskog [Le roi saint. Le culte de Stefan de Dečani], p. 182-183.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale monastère de Chilandar à l’automne 1406 259. Il y fait mention des prières aux « saints seigneurs et pères et arrières grands-pères et fondateurs Syméon et Sava » 260. La référence évoque le souvenir de son propre père, le prince Lazar, son prédécesseur dans l’effort de la reconstruction de Chilandar, sur lequel il s’efforce de prendre exemple. Stefan parle « des grands trésors de grâce de Dieu » qui se sont ouverts devant lui ainsi que des « sombres nuages, symboles de la menace turque » qui se sont dissipés. En tant qu’invincible souverain, il incarne le soleil brillant de nouveau au-dessus de l’État serbe : « Et c’est comme cela que j’ai été couronné despote et souverain de la partie paternelle du pays serbe et que j’ai essayé d’atteindre les vertus de mon père […] » 261. Le prince Lazar avait doté Chilandar d’importants revenus qui provenaient des mines de Novo Brdo. En renouvelant les privilèges du monastère, Stefan put, à l’instar de son père, se faire appeler fondateur dans les préambules des chartes. Le despote se rattache ainsi de manière incontestable à la lignée némanide. La dotation de Stefan fut dédiée « à la gloire et en l’honneur de la très pure souveraine Vierge de Chilandar » et des « très saints-pères Syméon et Sava » dont il espérait obtenir la protection et la consolation 262. La fonction essentielle du culte commun de Syméon et de Sava était de représenter le despote devant le Seigneur. Ils sont d’ailleurs mentionnés en qualité d’intercesseur dans la charte octroyée par Stefan à Mileševa 263. L’analyse des documents suggère qu’il faut nuancer le rapport du despote au culte des ancêtres. Les deux saints sont source de protection céleste et représentent le souverain devant le Seigneur. Syméon et Sava aident et protègent le souverain choisi par Dieu dans tous les actes de la vie. Quant au saint prince et parent, il devient source de l’autorité et modèle de vertu. Il précède le souverain dans sa fonction de fondateur et de donateur de précieuses reliques 264.

259. f. MikloSich (éd.), Monumenta Serbica spectantia historiam Serbiae, Bosnae, Ragusii, Graz 1964 (18581), p. 331-332 ; pour la datation de la charte entre 1405 et 1408, voir M. Blagojević, « Despot Stefan Lazarević i Mileševa » [« Despot Stefan Lazarević et Mileševa »], dans Mileševa u istoriji srpskog naroda [Mileševa dans l’histoire du peuple serbe], Belgrade 1987, p. 168-169 et n. 27. 260. f. MikloSich (éd.), Monumenta Serbica, p. 331. 261. Ibid., p. 332. 262. Les « grands saints et fondateurs Syméon le Myroblite et l’archevêque Sava […] en qui est notre espoir » étaient aussi les garants spirituels de ce document officiel, voir ibid., p. 333. 263. Voir la récente édition du document avec un examen des éditions antérieures et de la bibliographie, A. VeSelinović, « Povelja despota Stefana Lazarevića manastiru Mileševi » [« La charte du despote Stefan Lazarević pour le monastère Mileševa »], Stari srpski arhiv 2 (2003), p. 193-203 ; voir aussi DeSPot Stefan Lazarević, Književni radovi [Œuvres littéraires], Đ. Trifunović (éd.), Belgrade 1979, p. 150-151, 164-165. Pour une datation du document en 1413 ou peu après cette année, voir M. Blagojević, « Despot Stefan Lazarević i Mileševa » [« Despot Stefan Lazarević et Mileševa »], p. 171-174. 264. Voir la charte sur la confirmation des privilèges à la population de Dubrovnik : lj. STojanović (éd.), Stare srpske povelje i pisma [Chartes et lettres anciennes serbes], t. I, vol. 1, Belgrade – Sremski Karlovci 1929, p. 200-204. Le prince Lazar est mentionné pour la première fois dans l’introduction

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Le culte et la conception de la sainteté On voit clairement cette dualité dans le préambule du fameux Codex du despote Stefan sur les privilèges miniers. Le despote y affirme comment « les prières du saint seigneur, parent de mon prince Lazar, donnèrent à gouverner après sa mort, à son rejeton, le despote Stefan, le pays de ma patrie » 265. Alors que les saints Syméon et Sava, par leurs prières et leur représentation, garantissent le salut du souverain et de la patrie, le saint prince n’agit que dans un rapport personnel au despote. Néanmoins, le prince, en tant que source de légitimité, est cité à un autre endroit, quand, aux côtés du couple saint, on le dit agissant en défenseur de la patrie menacée. Dans le préambule du Codex on attribue en conséquence la libération des Ottomans, qui survient à la mort du sultan Bajazet Ier, à la justice divine mais aussi aux prières des saints Syméon et Sava ainsi que du prince Lazar – le néo-martyr 266. À partir du moment où Stefan se met à gouverner seul, et surtout après l’obtention de son titre de despote, la signification politique du culte de saint prince consiste essentiellement en la légitimation de l’héritage du souverain et de son rôle de « murailles défensives ». On y adjoint aussi le culte des martyrs du Kosovo. Le culte dynastique des Némanides n’avait plus autant de poids dans ce nouveau contexte. Malgré les efforts prodigués pour rattacher le culte de Lazar aux Némanides, le culte de sainte extraction se voit progressivement supplanté par celui du couple saint. Leur culte sublime alors l’idée dynastique en gardant la caractéristique de l’élection divine et de la représentation céleste. Le rattachement avec les saints prédécesseurs renaîtra toutefois sous la plume de Constantin le Philosophe, mais de façon différente : l’origine de la sainteté royale remonte à Constantin le Grand selon la nouvelle doctrine « constantinopolitaine » du despote. Le nouveau culte du martyr en Serbie doit être considéré en fonction de son « modèle de vertus ». On divise en trois phases son évolution : la formation sous la régence, la maturité sous le gouvernement autonome de Stefan et le

du document à l’endroit où l’auteur du document parle de la confirmation des privilèges antérieurs de la population de Dubrovnik (« que je confirme le droit qu’ils avaient sous les premiers seigneurs serbes, sous l’empereur Stefan et sous mes parents, le saint prince Lazar et la mère Euphrosine morte en sainteté […] »). C’est là que le despote Stefan cite le saint prince dans le contexte des accords du prince avec la ville de Dubrovnik. À la différence des chartes octroyées à Mileševa et à Chilandar, le document ne comporte pas la mention des saints prédécesseurs et de leurs prières. L’empereur Dušan, comme le prince Lazar et la princesse Milica, sont mentionnés en raison du fait qu’ils avaient promulgué une charte sur les privilèges commerciaux à la République de saint Blaise. 265. N. Radojčić (éd.), Zakon o rudnicima despota Stefana Lazarevića [Loi sur les mines du despote Stefan Lazarević], Belgrade 1962, p. 37-38. Voir S. Ćirković (éd.), Latinički prepis Rudarskog zakonika despota Stefana Lazarevića [Copie latine du Code minier du despote Stefan Lazarević], Belgrade 2005, p. 40. 266. N. Radojčić (éd.), Zakon o rudnicima despota Stefana Lazarevića [Loi sur les mines du despote Stefan Lazarević], p. 37.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale déclin à partir du despotat 267. Le culte du saint prince ne trouve pas de parallèle chez ceux des saints némanides, qui étaient tous fondés sur une unicité de la dynastie et de la sainteté et sur une symétrie des sphères spirituelle et temporelle. Ici l’Histoire fournit par la mort du prince à la bataille du Kosovo une base à l’édification d’un nouveau modèle de saint roi. C’est le culte du roi-martyr, connu déjà dans toute l’Europe, qui fut adapté au contexte de la Serbie du Moyen Âge tardif. Ainsi le culte du saint prince fut-il établi en plusieurs étapes. La mort exceptionnelle de Lazar est au cœur du nouveau culte de roimartyr. Constantin le Philosophe, dans la Vie et les hauts faits du despote Stefan Lazarević, affirme que le prince Lazar « reçut la mort en martyr » ce qui en fit « un homme saint » 268. Constantin le dépeint comme attendant le moment fatidique de la bataille : « Il ne pouvait plus attendre […] il décida d’éviter la honte ou bien de mourir seul, qui plus est, en martyr » 269. L’auteur décrit d’abord les troupes de Lazar en train de résister avec brio et sur le point même de remporter la victoire, puis déclare : « Mais il n’était pas encore temps pour la délivrance ». On voit dans ces mots une introduction au message principal du texte qui est d’affirmer que la victoire ottomane a eu lieu « parce que Dieu avait voulu qu’il en soit ainsi et que Lazar, ainsi que ceux qui étaient avec lui, lui soient liés à la couronne du martyre » 270. Le martyre est de ce fait le plus grand exploit du prince, et la seule issue possible, puisqu’il permet au peuple élu de gagner l’empire céleste. Signe caractéristique de toutes les morts exceptionnelles, elle est connue à l’avance 271. Les textes de célébration du saint prince martyr octroient à la mort du prince une place centrale, car elle est le garant d’une sainteté réalisée et méritée au travers d’un exploit unique. Les auteurs annoncent toujours la mort du prince selon un rituel identique : son présage et sa sublimation suivis de l’empire céleste en tant qu’image du paradis. La prémonition de la mort du prince constitue en effet un moment-clé dans la construction du culte du saint. L’annonce puis l’acceptation de la mort par le futur saint lui sont nécessaires pour gagner l’empire céleste. C’est d’ailleurs la couronne d’épines de l’immortalité qu’il a déjà choisie face à la couronne lumineuse de la victoire. L’annonce de la mort est aussi le témoin de la souffrance du prince. Ainsi le

267. S. Marjanović-Dušanić, « Dinastija i svetost u doba porodice Lazarević : stari uzori i novi modeli » [« Dynastie et sainteté à l’époque de la famille des Lazarević : exemples anciens et nouveaux modèles »], Zbornik radova Vizantološkog instituta 43 (2006), p. 84. 268. KonStantin Filozof, Život despota Stefana Lazarevića [conStantin Le PhiloSoPhe, Vie du despote Stefan Lazarević], p. 261 ; en serbe : p. 195. 269. Ibid., p. 260-261 ; en serbe : p. 194-195. 270. Ibid., p. 261 ; en serbe : p. 195. 271. Ph. ArièS, L’homme devant la mort, vol. I, p. 14-18. Sur l’annonce de la mort dans les sources serbes du Moyen Âge, voir S. Marjanović-Dušanić, « Smrt i svetost » [« La mort et la sainteté »], p. 61-77.

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Le culte et la conception de la sainteté récit de la décapitation de Lazar prisonnier est-il celui d’une mort en martyr consentie sans résistance. On reconnaît là le modèle des vitae de roi-martyr issu de la tradition européenne. Que l’accent porte sur une mort involontaire (comme pour les stratoterpcy Boris et Gleb) ou bien sur une mort injuste, la Vie du saint est toujours une préfiguration christique. Le cycle poétique du Kosovo utilise la même tradition. Ainsi la réalité historique est-elle toujours subordonnée à l’idée de gagner l’empire céleste dans la littérature épique comme dans le genre hagiographique. Le nouveau modèle de sainteté trouve son corollaire céleste dans le chœur des saints martyrs. De toute évidence, les auteurs des Vies et des louanges savaient que l’annonce puis l’acceptation de la mort étaient indispensables pour susciter l’identification au saint-martyr. La façon dont se créa la memoria du saint prince constitue un thème important de la sainteté royale 272. La memoria reflète les intérêts du haut clergé et de la régence. Sa construction est liée à deux moments dominants de la vie du prince : d’une part la mort violente du héros après la bataille et d’autre part sa défense de la patrie contre les infidèles. Les deux épisodes trouvent leur écho dans la pratique d’imitation du Christ, ce qui explique que l’hagiographe mentionne les mots du prince Lazar aux barons, aux chefs et aux soldats avant la bataille : « Mes amis et camarades d’armes, prenons le fardeau des soldats qui sont auprès du Christ afin d’être glorifiés par le Christ ». La seconde étape de l’édification du culte réside dans l’action miraculeuse du saint. Le changement qui s’opère tant dans la structure que dans les principes d’élargissement du champ miraculeux est visible dans le nouveau modèle de sainteté. La croyance médiévale en l’omniprésence du surnaturel et en son intervention continuelle dans le monde des vivants en est inséparable. Les miracles sont ainsi la proclamation essentielle de l’existence d’un lien entre les mondes céleste et terrestre 273. Les différents textes créés pour célébrer le culte de Lazar rattachent les miracles posthumes du saint à ses guérisons 274. Dans ce sens, les miracles représentent l’annonce de la sainteté la plus importante, grâce à laquelle se définit le lien étroit des plans céleste et terrestre. C’est dans la louange qu’ils sont reliés à une autre fonction du saint prince : le saint prince apparaît comme intercesseur pour son successeur devant la céleste assemblée des saints martyrs pour venir à son aide et

272. Voir A. Vauchez, « Saints admirables et saints imitables : les fonctions de l’hagiographie ont-elles changé aux derniers siècles du Moyen Âge ? », dans Les fonctions des saints dans le monde occidental (iiie-xiiie siècles). Actes du colloque organisé par l’École française de Rome avec le concours de l’Université de Rome « La Sapienza », Rome 1991, p. 161-172. 273. A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, p. 519 ; voir aussi chap. « Structures et extensions du champ miraculeux ». 274. Povesno slovo o knezu Lazaru [Dit historique du prince Lazar], dans D. Pavlović (éd.), Stara srpska književnost [Ancienne littérature serbe], t. III, Novi Sad – Belgrade 1970, p. 118.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale pour lui assurer la victoire dans les batailles 275. Les hagiographes du prince, tout comme les auteurs des offices, insistent sur la couronne de martyr qu’il obtient par la mort, en particulier par l’acte de décollation de la tête. Le prince est célébré comme « le guide, habillé en habit clair et bienfaisant » 276. Son pouvoir saint est invoqué dans les prières : « Il doit prêter l’oreille aux gémissements de son troupeau et s’opposer à ceux qui partent en guerre contre nous avec rage, car la portée des prières d’un juste est la plus forte » 277. L’instauration de la mémoire du nouveau saint est étroitement liée à la création d’un espace sacral qui correspond et appartient au culte. Il ne s’agit pas uniquement de l’espace au sein de l’église, mais aussi d’un phénomène à trois volets. Il comprend le lieu de sa mort (souligné par l’inscription apposée par le despote Stefan sur une colonne de marbre, à l’endroit où s’est tenue la bataille du Kosovo durant laquelle le prince a été tué), et aussi un ensemble funéraire lié à la première tombe du saint, la translation et la déposition de sa dépouille dans une seconde tombe, et, pour finir, la composition de textes de célébration du futur saint. On remarque une discontinuité par rapport aux modèles de rois-martyrs serbes existants. Ce fait a été essentiellement déterminé par l’instauration d’un nouveau modèle. Le nouveau culte ne fait pas partie d’une sainteté de type familial et dynastique parce qu’il n’a pas pour but d’être la source de la nouvelle sainte lignée. C’est sa mort en martyr qui fait de Lazar un saint, donne à ses successeurs une légitimité et consolide leur pouvoir. La tombe de Ravanica devient ainsi un lieu saint et un espace sacré de premier rang où l’on célèbre l’acte de sacrifice du martyr. Le nouveau type de saint roi martyr est instauré pour le culte du prince Lazar. Il servira ensuite de modèle au culte de Stefan de Dečani qui fut créé à l’initiative des moines de Dečani et de leur higoumène, Grégoire Camblak. Ce dernier est aussi l’auteur d’une Vie de ce roi qu’il compose à son retour de Moldavie en 1402, alors qu’il se trouvait à la tête du monastère de Dečani. L’hagiographie écrite par Camblak a sans conteste instauré le culte de Stefan de Dečani en tant que roi néo-martyr. Les reliques du roi avaient été placées au sein du monastère avant que Camblak n’en devienne l’higoumène et son culte s’était alors déjà fait connaître. Les reliques de Stefan reposaient déjà depuis longtemps dans le monastère qu’il avait fait ériger et, déjà avant l’arrivée de Camblak sur le trône d’higoumène, elles avaient donné lieu à un culte sans véritable correspondance avec le modèle de la Vie « dynastique » du

275. JefiMiJa, Pohvala knezu Lazaru [Éloge à prince Lazar], dans D. Pavlović (éd.), Stara srpska književnost [Ancienne littérature serbe], t. III, Novi Sad – Belgrade 1970, p. 126. 276. NePoznati Ravaničanin, Služba svetome knezu Lazaru [Office du saint prince Lazar], dans Đ. Trifunović, D. Bogdanović (éd.), Srbljak. Službe, kanoni, akatisti [Srbljak. Offices, canons, acathistes], t. 2, p. 71. 277. Ibid., p. 177.

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Le culte et la conception de la sainteté recueil de l’archevêque Daniel. Pour toutes ces raisons, Grégoire Camblak a composé les textes liturgiques nécessaires, principalement une nouvelle Vie et des offices, pour la célébration du souverain-martyr. Les écrits du Kosovo et les compositions rédigées pour les besoins des cultes du saint prince Lazar et du saint roi Stefan de Dečani présentent une unité littéraire. La littérature serbe d’inspiration martyrologique – unique dans la littérature serbe de l’époque qui suit la bataille du Kosovo – résulterait de « la motivation historique et spirituelle pour la pratique parallèle des deux cultes » 278. C’est à ce moment d’ailleurs qu’apparaissent les premières généalogies historiques 279 et les premières chroniques serbes, ainsi que les annales, faites sur un discours chronologique 280. L’arrière-plan historique du culte du nouveau martyr serbe montre l’importance de la memoria historique et cultuelle que l’on attribue au saint roi. Les sources narratives et liturgiques permettent de reconstituer une image du phénomène et de son évolution. Au cours des pages précédentes nous avons présenté le contexte dans lequel, sous l’influence décisive de la culture byzantine et de la pratique religieuse orthodoxe, mais aussi sous l’influence incontestable de l’Occident, s’est développée toute une panoplie de représentations de la sainteté sur le sol de l’État médiéval serbe. Nous avons également tenté de présenter, dans les grandes lignes, le lien entre cette conception spécifique de la sainteté, son contexte politique et le développement du genre hagiographique, et c’est dans le cadre de ses règles et de la situation herméneutique et psychologique de ses créateurs qu’il faut chercher l’essence des phénomènes étudiés ici. Dans le chapitre suivant, à travers l’étude de ces mêmes hagiographies, nous essaierons d’analyser la fonction du miracle au sein du récit.

278. Ibid., p. 207. 279. Dans le dernier quart du xive siècle (entre 1374 et 1377) apparaît la première généalogie serbe ; il s’agit d’un court écrit sur l’origine des souverains de Serbie qui a pour dessein de confirmer la légitimité de la « succession » de Tvrtko aux rois serbes, voir Đ. Radojičić, « Doba postanka i razvoj starih srpskih rodoslova » [« Le temps de la création et le développement des généalogies serbes anciennes »], Istorijski glasnik 2 (1948), p. 21-36. 280. Les premières chroniques serbes qui apparaissent au milieu du xive siècle sont inspirées des chroniques byzantines. La plus connue est la traduction de la Chronique de Georges Hamartolos faite au Mont Athos sur ordre de l’empereur Dušan en 1347 ou 1348. Au milieu du xive siècle, ce récit fut adopté en Serbie quand on y inclut un ajout sur les vies des rois serbes. C’est justement cet ajout que l’on considère comme un prototype des chroniques serbes ultérieures. La rédaction la plus ancienne de la chronique date d’après 1371, alors que les plus récentes sont de la première moitié du xve siècle. Voir l’abondante bibliographie sur le sujet chez D. Bogdanović, Istorija stare srpske književnosti [Histoire de la littérature serbe ancienne], p. 210-211.

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CHAPITRE III MIRACLE ET RÉÉCRITURE

La nature du miracle L’analyse du matériel hagiographique serbe que nous avons exposé dans les pages précédentes a montré certaines de ses spécificités liées au contexte – social, littéraire, liturgique et dynastique – dans lequel ces textes ont été créés. Derrière la naissance de ces récits littéraires se trouvaient des forces motrices d’origines diverses. D’un côté, il s’agit d’incitations à l’écriture des vies des saints, qui valent pour le genre hagiographique entier vu comme le produit spécifique de la culture monastique et de la vocation chrétienne vers le martyre. Des textes-modèles qui ont été créés sur ces bases fonctionnaient comme des promoteurs d’un certain type de l’idéal monastique ou ascétique, déterminant en parallèle l’identité littéraire de l’histoire édifiante. De l’autre côté, la formation des paradigmes de la sainteté représentatifs dans le milieu serbe puise ses sources dans les spécificités d’une société qui s’est construite en lien étroit entre la dynastie sacralisée et l’Église locale. C’est ainsi que, outre la fonction de culte, le matériau serbe original témoigne aussi de la fonction politique clairement assumée par le récit hagiographique 1. Dans ces récits les miracles tiennent un rôle particulier et assurent le lien entre les domaines du culte et de la politique 2. La définition du rôle et de la place du miracle dans la société serbe médiévale repose sur plusieurs types de sources liés : les Vies stricto sensu, et les recueils de miracles (miracula) qui se réunissent le plus souvent dans la tradition serbe pour se fondre en un unique texte hagiographique ; il faut aussi ajouter à ces textes les récits de translations des reliques

1. 2.

Sur le rapport des autorités avec la commande des nouvelles vies, c’est-à-dire, sur la question du message politique des métaphrases voir N.-C. Koutrakou, La propagande impériale byzantine, p. 156. Pour les travaux collectifs traitant du miracle dans l’hagiographie voir É. PatlaGean, P. Riché (dir.), Hagiographie, cultures et sociétés ive-xiie siècles. Actes du Colloque organisé à Nanterre et à Paris (2-5 mai 1979), Paris 1981 ; Les fonctions des saints dans le monde occidental (iiiexiiie siècles). Actes du colloque organisé par l’École française de Rome avec le concours de l’Université de Rome « La Sapienza », Rome 1991 ; D. AiGle (dir.), Miracle et Karâma. Hagiographies médiévales comparées, Turnhout 2000. Voir aussi S. EfthyMiaDiS, « Le miracle et les saints durant et après le second iconoclasme », dans M. KaPlan (éd.), Monastères, images, pouvoirs et société à Byzance, Paris 2006, p. 153-182.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale (translationes), car la manifestation des miracles est en grande partie liée au culte des reliques 3. Les textes consacrés aux translations des reliques, en règle générale dans la littérature serbe hagiographique, peuvent faire partie de la Vie du saint, ou être écrits comme des compositions poétiques particulières – les offices. C’est donc l’hagiographie, étudiée dans le sens le plus large, qui est notre source principale pour la compréhension du phénomène du miracle, de son agissement et de son rôle en tant que vecteur de sainteté. Mais, l’hagiographie a aussi une signification plus large, et en particulier politique ; pour cela il faut insister sur l’influence mutuelle entre l’hagiographie et le saint homme qui agit dans son temps et dans la réalité. Tout comme la capacité de faire des miracles est reconnue comme le don le plus important de l’individu charismatique, l’histoire des miracles d’un saint homme, présentée au public sous les formes écrite et orale, reste le plus souvent intégrée avec les différentes fonctions du sanctuaire où étaient gardées ses reliques, où se trouvait la tombe même du saint comme point focal de son culte et la source la plus abondante des miracles posthumes 4. La plus grande partie du dossier hagiographique serbe a été créée au bas Moyen Âge sous l’influence de ce genre littéraire à Byzance. Comme résultat de l’ensemble des circonstances historiques, des idéaux et de la spiritualité de l’époque, pendant le règne des Paléologues, l’hagiographie renaît (le genre littéraire des miracles en particulier), ce qui s’est manifesté surtout dans la création fréquente de catalogues des miracles 5. Ce fait a une importance spéciale pour nos recherches, étant donné qu’elles ont montré que dans le processus de la création des cultes des saints, le miracle jouait justement le rôle principal, en tant que phénomène extraordinaire où l’on doit reconnaître la volonté de Dieu et le facteur le plus important de la célébration des saints 6. Les reliques thaumaturgiques et leurs actions charismatiques jouaient

3. 4. 5.

6.

Un précis du développement du genre avec une bibliographie extensive est donné par M. H interBerGer , « Byzantine Hagiography and its Literary Genres. Some Critical Observations », p. 25-60. M. Van UytfanGhe, « L’origine, l’essor et les fonctions du culte des saints. Quelques repères pour un débat rouvert », Cassiodorus 2 (1996), p. 143-196. Pour le matériau comparatif de l’époque voir A.-M. TalBot, « Hagiography in Late Byzantium (1204-1453) », dans S. EfthyMiaDiS (éd.), The Ashgate Research Companion to Byzantine Hagiography, vol. I, Periods and Places, Farnham 2011, p. 173-180, 190-195 (les sources et la bibliographie). Sur les recueils des miracles à l’époque des Paléologues, voir S. EfthyMiaDiS, « Late Byzantine Collection of Miracles and Their Implications », dans E. Kountoura-Galake (éd.), The Heroes of Orthodox Church: the New Saints, 8th-16th cc., Athènes 2004, p. 239-250. Sur les raisons présidant à la composition des vies des saints, et surtout des catalogues des miracles, voir А.-М. ТalBot, « Old Wine in New Bottles: The Rewriting of Saints’ Lives in the Paleologan Period », dans S. Ćurčić, D. Mouriki (éd.), The Twilight of Byzantium. Aspects of Cultural and Religious History in the Late Byzantine Empire, Princeton, NJ 1999, p. 15-26 ; EaD., « Hagiography in Late Byzantium (1204-1453) », p. 173-180 (avec les sources et la bibliographie) ; M. KaPlan, « Les normes de la sainteté à Byzance (vie-xie siècle) », p. 53-73. On connaît pas mal de Vies de

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Miracle et réécriture certainement un rôle incontournable dans le maintien et le renforcement du prestige des centres du culte, surtout de Chilandar et de Studenica, monastères les plus directement liés à la création des écrits hagiographiques qui font l’objet de notre recherche. La création de nouvelles hagiographies a été provoquée par l’apparition de nouveaux miracles – preuves visibles de la présence de la force divine 7 – que nous rattachons, pour de multiples raisons, justement à ces deux communautés monastiques. Quand il s’agit de la littérature hagiographique serbe, l’époque véritablement cruciale pour la formation du panthéon des saints serbes, et par corollaire de nouvelles hagiographies, comme nous l’avons déjà montré, était l’époque du roi Stefan Milutin (1282-1321). C’est alors que de nombreux dignitaires de l’Église serbe sont promus dans les rangs des saints, à côté des saints rois, membres de la dynastie régnante. Le fait que les incitations initiales pour ces canonisations coïncident en grande partie avec le règne du roi Milutin, est effectivement à considérer dans le contexte plus global de son époque 8. C’est le temps d’un essor évident et de la consolidation de l’Église, de la fortification du monachisme, et du développement de la vie liturgique et spirituelle 9. Au centre des nouvelles hagiographies se trouvait l’histoire du miraculeux. Cette histoire était porteuse d’un message réfléchi et reconnaissable ; en analysant des textes hagiographiques, surtout des métaphrases créées dans le cadre du grand projet réformateur de l’époque de Stefan Milutin, nous pouvons facilement repérer le fond politique des changements qui se sont produits. La nature complexe de nouveaux « miracles », comme nous essaierons de le démontrer dans ce chapitre, montre que l’élargissement du champ du miraculeux est le motif principal de la commande des œuvres composées « à la gloire des saints ».

7. 8. 9.

saints dépourvues de tout miracle, que ce soit avant ou après la mort du saint ; ID., « Le miracle est-il nécessaire au saint byzantin ? », p. 167-196. Sur la pratique byzantine concernant les compositions des catalogues des miracles voir V. Déroche, « Pourquoi écrivait-on des recueils de miracles ? », p. 95-116. À l’époque des Paléologues la canonisation officielle reposait sur l’existence de l’hagiographie. Pour ces questions voir А.-М. ТalBot, Faith Healing in Late Byzantium, p. 21-30 ; R. MacriDeS, « Saints and Sainthood in the Early Palaiologan Period », p. 67-87. La grande importance que le roi Milutin a consacrée aux centres de l’Église durant la première et deuxième décennie du xive siècle illustre efficacement cette tendance. Grâce à ses soins ont été rénovés Bogorodica Ljeviška (Notre-Dame de Ljeviška), la cathédrale des évêques de Prizren, et ensuite Gračanica, le temple de l’évêché de Lipljan, ainsi que l’archevêché à Žiča. Le roi Milutin a fondé l’église épiscopale à Skopje, consacrée à la Mère de Dieu aux trois mains, comme un point d’appui de l’Église serbe sur les territoires nouvellement conquis. Dans ces exploits le roi Milutin s’appuyait essentiellement sur les personnalités les plus haut placés dans la hiérarchie ecclésiastique, qui devenaient, à leur tour, les initiateurs de grands projets d’érection de lieux saints. Sur cet aspect de l’activité du roi Milutin dans sa capacité du fondateur (ktétor) des églises voir B. ToDić, Srpsko zidno slikarstvo u doba kralja Milutina [La peinture médiévale serbe à l’époque du roi Milutin], p. 7-26 (avec les sources et la bibliographie).

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Dans la société serbe médiévale, les miracles les plus importants sont ceux des saints patrons du pays, Syméon et Sava. Les miracles des deux saints sont différents par leur nature et leur structure : contrairement à Sava, dont les miracles appartiennent à la catégorie des miracula in vita, Syméon était myroblite, et c’est l’écoulement de saint myron qui était l’aspect principal de son apparition posthume et l’agent principal de ses actions miraculeuses. Non seulement la tombe, mais aussi les portraits de Syméon étaient myroblites, et on pourrait les considérer comme ses premières icônes – les formes visuelles et tactiles de l’apparition du culte. À l’instar du myron de la tombe de saint Démétrius, particulièrement appréciée à Constantinople à l’époque des Comnènes, le myron de Syméon avait le statut de relique « secondaire », à l’action tout autant miraculeuse que la sainte dépouille elle-même 10. Les miracles de Sava ont été décrits en détail et ont été présentés selon les règles établies du genre littéraire, qui appartiennent au répertoire obligatoire de la littérature hagiographique byzantine. Son portrait hagiographique a été créé selon le modèle typique du saint-thaumaturge charismatique ; doté de pouvoirs extraordinaires et de l’autorité, il fait des miracles déjà de son vivant, le plus souvent des guérisons. Il guérit, en premier lieu, par l’imposition des mains, par la prière, les larmes « brûlantes » et l’eau sanctifiée par la Vraie Croix ; il opère aussi des résurrections et des exorcismes 11. Les descriptions des actions miraculeuses de saint Sava, et surtout les descriptions des miracles et des luttes avec les démons décrites dans la Vie de saint Pierre de Koriša de Théodose, un texte consacré aux exploits du fameux anachorète serbe, prouvent que Théodose avait une excellente connaissance des règles du genre hagiographique. Nommément, il savait très bien que les plus efficaces parmi les « exorcistes » étaient justement les ermites, pour qui la lutte avec les démons représentait non seulement une expérience profonde et existentielle, mais aussi un des aspects à la racine de la pratique ascétique 12. Un cas

10. Selon le Synaxaire de Constantinople du xiie siècle, le myron de saint Démétrius était préservé comme relique secondaire dans l’une des églises de la capitale qui lui était consacrée. Sur cela voir H. Delehaye, Synaxarium ecclesiae Constantinopolitanae, Bruxelles 1902, p. 166 ; D. PoPović, « O nastanku kulta svetog Simeona » [« Sur l’établissement du culte de saint Syméon »], p. 62-63. 11. Au sein du monachisme oriental les exorcistes les plus renommés étaient les représentants du monachisme radical anachorétique, cultivé dans l’ambiance des milieux strictement ascétiques codifiés selon le modèle du monachisme syrien. La composante et le facteur de programme de ces miracles étaient la lutte du héros avec les démons. L’exorcisme de Sava était une variante plus modérée, conçue selon les règles de la pratique monacale sinaïte. Pour une analyse plus détaillée voir D. Bogdanović, Jovan Lestvičnik u vizantijskoj i staroj srpskoj književnosti [Jean Climaque dans la littérature byzantine et serbe], p. 175-181. Sur la démonologie byzantine, R. GreenfielD, Traditions of Belief in Late Byzantine Demonology, Amsterdam 1988 ; ID. (éd.), The Life of Lazaros of Mt. Galesion, Washington, D.C. 2000, passim. 12. Faisant référence à la fameuse expression de la Vie d’Antoine reprise par Cyrille de Scythopolis, Théodose qualifie de « ville » le désert ou demeurait Pierre l’anachorète, le héros du récit, depuis laquelle le moine regarde la Nouvelle Jérusalem céleste (TeoDoSiJe, Služba svetom Petru Koriškom

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Miracle et réécriture particulier dans le récit de Théodose représente, lorsqu’il s’agit de saint Sava en tant que modèle des saints, les miracles de Sava tournés vers les besoins de la piété populaire, ensuite les miracles produits durant le pèlerinage, et ceux qui portent un caractère « politique », auxquels nous reviendrons plus tard en détail. Les miracles individuels de Sava et de Syméon, après la fusion de leurs cultes en un seul culte du protecteur de la patrie, agissent par l’intermédiaire de leurs prières communes. L’association exceptionnelle de ces saints dans la tradition serbe repose, entre autres, sur le fait qu’ils ont été représentés dans leurs portraits hagiographiques comme des « icônes vivantes », les véritables autorités prédestinées à être un modèle spirituel. Ces représentations étaient en accord avec les principes de la pratique monastique et les règles de l’hagiographie, qui se développe au sein de l’orthodoxie dans la deuxième moitié du xie siècle et les premières décennies du xiie. Grâce à leur capacité à réaliser des miracles, ils avaient le privilège de « l’audace » de la médiation auprès de Dieu, d’où venait leur pouvoir thaumaturgique de leur vivant et aussi après leur mort 13. Pour narrer leurs miracles, les hagiographes lettrés utilisaient des postulats importants de la théologie médiévale des miracles, soulignant leur sens sotériologique, c’est-à-dire leur rôle sur le plan de la rédemption, ainsi que le caractère surprenant et insolite du miracle 14. La notion du merveilleux exprimait bien ce sentiment de plénitude que l’homme éprouvait au contact du divin. En ce sens, le miracle présente une forme symbolique de la révélation et une alliance nouvelle de l’homme avec Dieu, grâce au Christ. Dans les sources principales, c’est-à-dire dans les vies et les offices, les descriptions des miracles étaient composées pour le culte, où les miracles du saint avaient une place importante en tant que preuves visibles de la réalisation de la sainteté. Parallèlement, les héros des hagiographies, en règle générale, s’efforçaient d’atteindre, voire dépasser leurs saints modèles. Le modèle central et la source des pouvoirs miraculeux des saints étaient le Christ en personne, et les miracles concrets des saints signifiaient que la mission salvatrice se perpétuait dans la temporalité au sens historique. Selon les mots de Théodose, « les saints opèrent tous ces miracles pour notre salut […] ». De plus, les catalogues des miracles sont marqués d’une typologie dite « biblique », où sont mentionnés différents héros de l’Ancien et du Nouveau Testament considérés

[ThéoDoSe, L’office à saint Pierre de Koriša], dans ID., Službe, kanoni i Pohvala [ThéoDoSe, Offices, canons et Éloge], B. jovanović-STiPčević [éd.], Belgrade 1988, p. 215-216, 225, 228-229) ; cf. Cyril of ScythoPoliS, The Lives of the Monks of Palestine, R. M. Price, J. BinnS (éd.), Kalamazoo, MI 1991, p. 98 (90. 8-10), 150-151 (141. 9-10). C’était la première fois, chez les Serbes, que le modèle du saint ermite soit codifié dans sa forme pleine et selon les règles suprêmes du genre littéraire. 13. Pour les exemples byzantins voir R. MorriS, Monks and laymen in Byzantium, p. 64-89 (avec les sources et une bibliographie exhaustive). 14. Sur la mise en forme du concept de miracle voir P.-A. SiGal, L’homme et le miracle dans la France médiévale, p. 10 sq.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale comme des modèles de sainteté en plus de la figure du Christ 15. Par ces comparaisons les hagiographes de Sava, versés dans la théologie médiévale des miracles, soulignaient leur sens sotériologique et l’amour comme catégorie centrale de l’anthropologie chrétienne orientale 16. Le type du saint thaumaturge était composé suivant des schémas cohérents et soigneusement choisis. Les miracles de Sava furent exposés deux fois : d’abord dans l’Éloge incorporé dans l’hagiographie de Domentian, et ensuite dans l’Office à saint Sava par Théodose, dont le second canon est entièrement dédié à ses miracles. Ces Miracula étaient composés pour les besoins du culte, comme une illustration de la « sainteté accomplie » 17. Une réflexion sur la perception du merveilleux comprend forcément l’essai de compréhension du champ du surnaturel, tel qu’il apparaît dans les textes serbes, et comme une caractéristique importante du miracle chrétien dans un sens plus large 18. Le saint obtient une force surnaturelle grâce à son amour envers Dieu. Cet amour est la source d’une forme particulière d’énergie – « le feu divin », dont témoignent les auteurs qui décrivent les miracles de saint Sava. Ils définissent sa sainteté comme « surnaturelle » (L’Office de la translation des reliques de saint Sava). La théologie byzantine est profondément marquée par cette catégorie du surnaturel, qui engendre une pensée théologique dominée par les notions d’inhabituel et de paradoxal. Elle voit en effet le miracle comme un paradoxe, quelque chose d’inattendu et d’incroyable, un événement qui dépasse le cours naturel des choses ; un problème épistémologique et religieux, le miracle « défie l’ordre causes et des effets » 19. Ainsi, pour décrire les miracles, on utilise les épithètes « merveilleux » ou « terribles », comme on utilise des expressions similaires pour décrire les réactions des témoins qui étaient présents durant ces miracles. Les miracles se produisent fondamentalement sur un plan historique, grâce à la « foi

15. L’hagiographie reconnaît depuis longtemps la « typologie biblique » des miracles de Sava : le don thaumaturgiqe de la prophétie, de la résurrection des morts, des guérisons, ainsi que la capacité d’influencer les phénomènes naturels – fondée, dans ses traits principaux, sur la pratique d’imitatio Christi –, dans les récits hagiographiques consacrés à ce saint, ont souvent été comparés avec les capacités similaires des héros vétérotestamentaires tels Moise, les prophètes Élie ou Élisée, ou bien les fameux thaumaturges chrétiens, tels les apôtres. Plus en détail sur les miracles du Christ voir W. Cotter, Miracles in Greco-roman Antiquity. À sourcebook, Londres – New York, NY 1999, passim. 16. Nous trouvons la meilleure confirmation d’une telle conclusion dans l’hagiographie de Domentian, dans le Témoignage de l’amour que Sava prononce devant le roi hongrois après avoir fait le fameux miracle avec la glace ; cf. DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. 264-268 ; en serbe : p. 263-267. Pour ces questions voir d. PoPović, « Čudotvorenja svetog Save Srpskog » [« La thaumaturgie de saint Sava de Serbie »], p. 115. 17. R. MorriS, Monks and laymen in Byzantium, p. 72. 18. Sur une « théorie du miracle » voir B. WarD, Miracles and the Medieval Mind. Theory, Record and Event, 1000-1215, Londres 1982. 19. G. DaGron, « Vérité du miracle », p. 475.

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Miracle et réécriture merveilleuse » du saint 20. C’est justement le plan historique qui devient, dans le texte hagiographique, la scène sur laquelle se produisent les miracles, dont le rôle consiste à confirmer l’impact de l’énergie du saint au sein de la communauté 21. Pour explorer la valeur de l’énoncé du miraculeux dans les hagiographies serbes, et ensuite sa fonction dans le récit, il est nécessaire d’analyser les textes dans lesquels la conception de la nature du miraculeux est le plus clairement exprimée. L’étude de l’hagiographie en tant que miroir particulier du rapport avec la tradition comprend un certain nombre de postulats théoriques. Le premier porte sur l’analyse des motivations du commanditaire. Si le devoir essentiel du texte est de confirmer la présence du miraculeux, la question du commanditaire (qui inclut le rapport auteur-commanditaire) devient particulièrement intéressante, d’autant plus qu’elle indique la pluralité des fonctions de la sainteté dans une communauté 22. Il est important pour notre sujet de déterminer la motivation amenant la création du nouveau texte hagiographique 23. Nous essaierons de montrer que, dans ce cas aussi, on appliqua la même règle qui caractérisait la création des métaphrases, selon laquelle la motivation décisive à l’acte d’écriture devait être la rédaction d’un catalogue des miracles 24. Pour cela, il faut observer le contexte dans lequel apparaissaient les récits similaires. Champ du miracle Les discours théoriques sur la réécriture hagiographique se fondent sur l’analyse des récits que rapportent les hagiographes eux-mêmes dans leurs prologues, préfaces, dédicaces ou épilogues. Destinés à convaincre et à

20. M. KaPlan, « Les normes de la sainteté à Byzance (vie-xie siècles) », Mentalités 4 (1990), p. 15-34 (réimp. dans ID., Pouvoirs, église et sainteté. Essais sur la société byzantine, Paris 2011, p. 53-73) ; ID., « Le miracle est-il nécessaire au saint byzantin ? », p. 167-196 (réimp. : ID., Pouvoirs, église et sainteté, p. 97-126) ; S. EfthyMiaDiS, Hagiography in Byzantium: Literature, Social History and Cult, Farnham 2011, passim. 21. B. FluSin, Miracle et histoire dans l’œuvre de Cyrille de Skythopolis, passim. 22. Pour la genèse de ce phénomène voir D. KrueGer, Writing and Holiness, p. 4-6, 195-197. 23. Pour les métaphrases dans l’hagiographie byzantine voir Ch. HøGel (éd.), Metaphrasis. Redactions and Audiences in Middle Byzantine Hagiography, Oslo 1996, passim ; ID., « Symeon Metaphrastes and the Metaphrastic Movement », dans S. EfthyMiaDiS (éd.), The Ashgate Research Companion to Byzantine Hagiography, vol. II, Genres and Contexts, Farnham 2014, p. 181-196. Pour les exemples serbes voir S. Marjanović-Dušanić, « La réécriture hagiographique : usages et fonctions dans la Serbie médiévale », dans S. Marjanović-Dušanić, B. FluSin (éd.), Remanier, métaphraser. Fonctions et techniques de la réécriture dans le monde byzantin, Belgrade 2011, p. 163-180. 24. M. HeinzelMann, « Une source de base de la littérature hagiographique latine : le recueil de miracles », dans É. PatlaGean, P. Riché (dir.), Hagiographie, cultures et sociétés ive-xiie siècles. Actes du Colloque organisé à Nanterre et à Paris (2-5 mai 1979), Paris 1981, p. 235-259. Pour les exemples dans l’hagiographie latine de l’Occident médiéval voir M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographique, p. 39 (avec remarques).

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale édifier, ces paratextes, qui accompagnent et présentent le texte, montrent que presque toute hagiographie peut être envisagée comme une forme de réécriture 25. Cela est vrai notamment pour les passages qui nous informent sur les causae scribendi. En outre, les extensions que l’on trouve dans les hypotextes correspondent souvent à un ajout de long paratexte et concernent, la plupart du temps, des miracles post mortem. Ce sont donc les formules d’introduction ou de conclusion des hagiographies, ainsi que les parties dédiées aux miracula qui nous permettent de comprendre de quelle façon le contexte idéologique ou politique a engendré une réécriture hagiographique, tout en instaurant un système de renvois entre les écrits consacrés à un même saint 26. Ce qui nous semble par ailleurs caractéristique dans l’étude de la relation entre l’hypertexte et l’hypotexte, c’est la transformation de l’image du saint d’un auteur à l’autre. On peut même dire que cette image fluctue en fonction du contexte historique de la réécriture 27. Les modifications s’expliquent ainsi par la nécessité de redessiner une figure exemplaire d’un saint à l’usage de la communauté et selon le goût de l’époque. C’est ce qui motive l’écriture d’un nouveau texte, comme l’analyse du contexte le montre. Notre recherche porte sur les raisons des réécritures ainsi que sur leurs fonctions idéologiques et politiques. Nous essaierons de les comprendre dans le cadre plus général de l’entente entre la cour royale et le haut clergé serbes à partir de la fin du xiie siècle. Ainsi, notre étude se concentre sur deux hagiographies qui, en un laps de temps assez court, ont reçu leur variante officielle de réécriture 28. Il s’agit en réalité de quatre hagiographies, dont chaque « paire » possède sa propre réécriture. Il convient de souligner que ces textes, consacrés à des saints différents, ont en commun d’incarner la pierre angulaire de l’idéologie étatique et dynastique de leur époque. Le choix d’associer à ces écrits une nouvelle hagiographie n’a donc jamais été un acte arbitraire ou aléatoire. Notre tâche sera, par conséquent, de déterminer les raisons de ces réécritures hagiographiques et d’en comprendre le rôle et la fonction dans la Serbie médiévale. Les réécritures dont nous allons traiter sont essentiellement nées de raisons politiques, qu’il soit question : a) d’une commande motivée par les besoins du monastère abritant le tombeau du saint dont parle l’hagiographie et le lieu de son culte ; b) de l’intérêt du royaume, et donc du souhait

25. Voir N. PiéGay-GroS, Introduction à l’intertextualité, Paris 1996, p. 181 ; M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographique, p. 23. 26. S. EfthyMiaDiS, « The Byzantine Hagiographer and his Audience in the Ninth and Tenth Centuries », p. 59-80. 27. Sur quelques exemples concernant les deux vies de sainte Radegonde voir J. Fontaine, « Hagiographie et politique de Sulpice Sévère à Venance Fortunat », Revue d’Histoire de l’Église de France 62 (1976), p. 113-140. 28. Il s’agit de l’hagiographie de Saint Syméon, écrite par Sava et réécrite par Stefan, et de l’hagiographie de Saint Sava, écrite par Domentian et réécrite par Théodose.

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Miracle et réécriture du souverain en place. Dans le premier cas, la nouvelle variante de la Vie du saint est issue des grandes et prestigieuses communautés monastiques comme celles de Studenica (vita prima de Saint Syméon de la plume de saint Sava) et de Chilandar (vita secunda de saint Sava de la plume du moine Théodose). La principale caractéristique de ces textes, et en même temps la principale différence par rapport au second écrit de ces « paires hagiographiques », est l’accent mis sur les miracles du saint dans le récit. Dans le second cas, l’intérêt de l’État, qui varie au gré des guerres civiles et des luttes internes pour le trône, est illustré la plupart du temps par la recherche d’un moyen de légitimation étatico-dynastique. À l’origine de ces réécritures se fait sentir le besoin de créer un saint dont la célébration repose essentiellement sur une hagiographie. Nous allons toutefois essayer de montrer que, dans certains cas, c’est la rédaction d’un dossier thaumaturgique qui exige une réécriture hagiographique 29. La vita prima de Saint Syméon est l’œuvre du futur saint Sava. Lorsqu’il rédige ce texte, vers 1208, Sava est le premier higoumène du monastère de Studenica. La Vita prima, et c’est son trait le plus saillant, est conçue et écrite comme partie intégrante du typikon (regula) de Sava pour le monastère de Studenica. Cette Vie de saint fondateur répond par conséquent à des besoins monastiques. L’auteur offre d’ailleurs un excellent témoignage de la relation au monastère comme milieu de sa production quand il affirme dans son prologue que le thème de l’hagiographie est « l’héritage du saint monastère de Studenica » 30. Cette mention du prologue place le monastère abritant le tombeau du saint au cœur du récit hagiographique. Le texte, il est vrai, est écrit dans le but de célébrer le fondateur du monastère dont les actions saintes ont également eu lieu de son vivant, en sa fonction de souverain idéal. Le portrait hagiographique de Syméon est modelé selon la formule tripartite dont nous avons déjà parlé. Elle est directement inspirée par les propres modèles de Sava, et avant tout par celui du prince Joasaph. C’est encore le prologue qui nous le démontre. En effet, à la question rhétorique qui lui est posée : « Comment allons-nous appeler saint (Syméon) ? », Sava répond : « Le souverain, et de plus l’instructeur (de la crainte du Seigneur) » 31. Le motif de la crainte du Seigneur annonçant la sagesse est plus qu’une citation puisée dans les psaumes de David, car il s’agit aussi d’une référence au début de la Vie de saint Joasaph dont le héros incarne le modèle du prince dans l’idéologie royale des Némanides. C’est justement saint Sava, comme nous l’avons montré dans les chapitres précédents

29. Sur les exemples hagiographiques de l’Occident médiéval voir M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographique, p. 39. 30. Voir le prologue de l’hagiographie écrite par saint Sava, dont le titre est : « Sur l’héritage du saint monastère de Studenica » : Sveti Sava, Žitije svetog Simeona [Sava, Vie de saint Syméon], p. 148 ; en serbe : p. 149. 31. Ibid., p. 150 ; en serbe : p. 151.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale de ce livre, qui l’a rendu populaire en le plaçant au cœur du programme pictural de Studenica et en traduisant le Roman de Barlaam et de Joasaph en slavon serbe. Les composantes principales de l’hypertexte se rapportent ici à la figure royale et monastique de Syméon. Le récit laisse une place importante à la description de la mort monastique de Syméon à Chilandar et à l’annonce de sa future sainteté. La Vita se termine sur l’image de la translation du saint et l’action miraculeuse de ses reliques au moment d’un accord de paix entre les deux fils belligérants de Syméon. Stefan le Premier Couronné est l’auteur de la deuxième Vie de saint consacrée à Syméon. Ce texte apparaît vers 1216, à l’aube de la fondation du royaume. Il s’agit d’un texte hagiographique écrit pour les besoins du culte. On considère qu’il s’agit de la première hagiographie serbe adaptée à la lecture liturgique, qu’on appelle habituellement « de type menaion ». La structure du texte, différente de celle de la Vie de saint Syméon par Sava, l’apparente davantage aux récits consacrés à des fondateurs. Son but est de célébrer Syméon en tant que saint et c’est pourquoi le texte insiste sur la description de ses miracles. Il n’en demeure pas moins que sa rédaction enracine le culte de Syméon et renforce le caractère de modèle de ce saint 32. Selon les normes de l’hagiographie byzantine de l’époque, les critères de sainteté adoptés par l’auteur du texte sont l’élection divine de Syméon, l’apparition du miracle, puis ses conséquences, avec en particulier les récits de miracles. Autour des deux idées phares de l’élection et des miracles, s’articulent les autres fonctions attribuées à son culte. Dans le prologue, Stefan le Premier Couronné, après avoir énoncé les critères qui font de Syméon un saint homme, situe le règne de Syméon sous le signe de la rédemption et le place dans le cadre de l’histoire sainte. En introduisant dans le texte des images d’Anastasis et des exemples issus de la lignée de Jessé, l’auteur cherche à faire comprendre à ses lecteurs (auditeurs) pourquoi Syméon a été choisi par Dieu 33. Au début du prologue, l’auteur s’adresse à un public, constitué d’hommes d’Église, d’évêques et de moines, qu’il appelle « amis et frères », pour leur raconter la naissance, la vie et les exploits de saint Syméon et leur révéler la profondeur de la grâce du Seigneur sur terre. La scène ressemble à une assemblée où le souverain évoquerait la vie et les miracles du saint. Le texte est essentiellement narratif ; l’auteur insérait des sermons et des panégyriques dans le texte. La formule introductive en direction de la communauté devant laquelle le texte est lu ( fratres carissimi), lui donne l’apparence générale d’un sermon. La Vita secunda répète le plan général de l’histoire du monde. C’est pourquoi le péché et la rédemption occupent ici le premier plan. La naissance du héros est un exemplum témoignant de la grâce du Seigneur. Aussi le héros est-il défini comme l’envoyé de Dieu, le sauveur, le rex christianissimus,

32. D. Bogdanović, Istorija stare srpske književnosti [Histoire de la littérature serbe ancienne], p. 154. 33. Cf. le chapitre sur le culte (Le modèle du saint fondateur : la route vers Jérusalem).

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Miracle et réécriture tandis que le chemin de Syméon, depuis la mort jusqu’à l’éternité, est le reflet de la volonté du Seigneur. Ce cadre général permet de mieux comprendre le passage du prologue consacré à la grâce de Dieu, thème qui devient d’ailleurs un leitmotiv dans le récit de Stefan. L’extension de la vita secunda – relative aux miracles posthumes – repose sur une interprétation de la grâce dont le Christ a doté Syméon. La fonction idéologique de cette partie du texte est particulièrement explicite dans la prière adressée à saint Syméon pour la guérison, qui induit, selon la méthode éprouvée de l’imitatio Christi, un parallèle littéraire avec la guérison miraculeuse de l’infirme par le Christ. L’insistance de la vita secunda sur les miracles liés à l’action du tombeau de Syméon et à ses vertus myroblitiques a une portée idéologique spécifique. Celle-ci tient à la construction du personnage du héros à l’image des saints martyrs. Dans l’éloge à Syméon, Stefan qualifie d’ailleurs son héros de « martyr » et compare l’épuisement physique créé par le jeûne et par les larmes avec le sang de martyr qui a chassé les démons ténébreux 34. Il affirme pour finir que Syméon reçoit la couronne à trois tresses du juste pour avoir surmonté les souffrances et les épreuves qui lui avaient été adressées par le diable 35. Il est certain que le thème du martyre, et le mot lui-même, n’apparaissent que dans la Vie de saint Syméon écrite par Stefan. Aucun autre récit n’apparente Syméon à ce type de saint roi. La raison même pour laquelle Stefan le décrit de cette manière exceptionnelle – les souffrances dues à la méchanceté « diabolique » de ses frères – est un faible argument si l’on considère la figure du martyr dans la littérature de l’époque. On ne peut penser que Stefan ignorait ce modèle ; aussi nous semble-t-il plus vraisemblable qu’il emploie le terme de martyr pour élever Syméon au niveau du grand martyr Démétrius. Il est vrai que l’on associe plus aisément la figure de Syméon à celle de Démétrius en raison de leur capacité commune à produire la myrrhe. L’emploi du terme martyr s’explique du reste par le fait que saint Syméon semble appartenir à un type particulier de saints que l’on qualifie de « martyrs de la conscience » ou « martyrs non-sanglants ». Il s’agit d’hommes qui sont devenus des martyrs en raison de leurs valeurs spirituelles et non parce qu’ils ont souffert et péri pour la foi 36. Ce modèle hagiographique de tradition orientale apparaît avec la Vie de saint Antoine le Grand par Athanase d’Alexandrie. Nul doute que les

34. STefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], p. 92, 94 ; en serbe : p. 93, 95. Sur l’importance des larmes comme qualité des saints hommes et sur le topos de l’anachorétisme voir A. GuillauMont, « Le rire, les larmes et l’humour chez les moines d’Égypte », dans ID., Études sur la spiritualité de l’Orient chrétien, Abbaye de Bellefontaine 1996, p. 93-104. Cf. P. NaGy, Le don des larmes au Moyen Âge. Un instrument en quête d’institution (ve-xiiie siècles), Paris 2000. 35. C’est ce que dit Stefan au début de la Vie : STefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], p. 22 ; en serbe : p. 21. 36. Sur ce genre de martyr E. Malone, « The Monk and Martyr », dans Antonius Magnus Eremita, 3561956. Studia at antiquum monachismum pertinentia, Rome 1956 (Studia Anselmiana 38), p. 201-

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale moines du Mont Athos connaissaient cette forme de monachisme où le martyre librement consenti était la plus grande preuve de foi. L’ascèse et la prise de l’habit en étaient des éléments caractéristiques. L’utilisation de cette notion dans la vita secunda mettrait d’autant plus en relief le parallèle du saint avec les deux grands martyrs chrétiens, saint Étienne et saint Démétrius. Le trait caractéristique du culte de Syméon, nettement accentué dans la vita secunda, est sa capacité à faire des miracles 37. Sa figure de saint est érigée sur le modèle de saint Démétrius 38. En effet, les Miracula Sancti Demetrii, l’œuvre à l’origine du culte, furent traduites en vieux slavon peu de temps après la mission de Cyrille et de Méthode au ixe siècle 39. Elle connut un succès immédiat dans le monde slave. Que le culte de Syméon ait été établi en adoptant (les particularités) de son modèle serait d’ailleurs justifié par les miracles que les deux saints ont en commun et en particulier l’action myroblitique de leurs reliques. Le premier texte à attester de la popularité du culte de saint Démétrius dans les pays slaves est encore plus ancien. Il s’agit d’un récit de nature encomiastique et non pas liturgique de Clément d’Ohrid datant de la fin du ixe siècle. Démétrius y est désigné comme « le plus grand martyr de la ville forte (la citadelle) au sein de sa patrie ». L’expression rappelle celle employée par Stefan lorsqu’il qualifie son père de martyr et de « bouclier spirituel de sa patrie » 40 ; dans le récit de sa vie, le saint serbe est désigné à plusieurs reprises par un équivalent en slavon serbe de l’épithète grecque attribuée à Démétrius de φιλόπατρις 41. Ce détail du vocabulaire nous renvoie au fait intéressant, souligné il y a longtemps dans différentes études, que les peuples slaves ont accepté ou développé le culte du myroblite et protecteur de la ville de Thessalonique, et cela dans de nombreux moments cruciaux du renouveau ou de l’instauration de l’État 42. La reprise des attributs de saint Démétrius dans la

37. 38.

39. 40. 41. 42.

228. Ces questions ont fait l’objet de plusieurs études et parmi elles, on retiendra celle A. Jevtitch, « Le martyre et l’idéal monastique », dans ID., Études hésychastes, Lausanne 1995, p. 122-156. Sur une mise en lumière de la question du rapport entre hagiographie et miracles dans les premières hagiographies byzantines, M. KaPlan, « Le miracle est-il nécessaire au saint byzantin ? », p. 167-196. Voir D. KoStić, « Učešće sv. Save u kanonizaciji sv. Simeona » [« Le rôle de saint Sava dans la canonisation de saint Syméon »], dans Svetosavski zbornik [Recueil de saint Sava], vol. I, Belgrade 1935, p. 205-207, et surtout D. PoPović, « O nastanku kulta svetog Simeona » [« Sur l’établissement du culte de saint Syméon »], p. 41-74. Cf. P. LeMerle, Les plus anciens recueils des miracles de saint Démétrius et la pénétration des Slaves dans les Balkans, t. I-II, Paris 1979-1981. STefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], p. 94 ; en serbe : p. 95. Sur saint Démétrius en saint patron de ville voir Ch. Walter, « St. Demetrius: The Myroblytos of Thessalonika », p. 165-169. Sur le culte de saint Démétrius voir l’étude de J. C. SkeDroS, Saint Demetrios of Thessaloniki, Civic Patron and Divine Protector. 4th-7th Centuries, Cambridge, MA 1999. En Russie le culte a été repris déjà au xie siècle, quand Boris et Gleb, les protecteurs de la principauté de Kiev sont comparés à saint Démétrius, et leur capitale, Vishgorod est appelée « la nouvelle

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Miracle et réécriture construction du personnage hagiographique de Syméon témoigne de l’acceptation dans le milieu serbe, vers la fin du xiie siècle, du postulat théologique sur l’interchangeabilité des propriétés et des fonctions des saints, qui repose sur la certitude que les saints ont un lien fort entre eux – per mysterium unius corporis – qui justifie la possibilité que les actions et les miracles d’un saint puissent être repris de l’hagiographie d’un autre 43. On constate par conséquent que la vita secunda se distingue du modèle initial écrit par Sava par son insistance à décrire l’action posthume du tombeau du saint, notamment l’apparition du saint myron dans le temple de la Vierge de Studenica, et le catalogue des miracles de Syméon. Ces deux éléments appartiennent à un type bien particulier de sainteté : comme dans le cas de saint Démétrius, ce sont ce que l’on appelle des « miracles patriotiques » qui ont pour rôle de préserver la patrie et le souverain en place. Le fait, plusieurs fois souligné, que le héros de la vita, saint Syméon, ait personnellement désigné Stefan comme son successeur, a une importance particulière du point de vue de la fonctionnalité politico-idéologique du récit. Ainsi, toute l’action miraculeuse du saint est comparable à une protection de l’héritage tandis que le corps du saint est « le saint bouclier du royaume ». Les différences entre les deux vies de saints sont aussi visibles dans la conception du temps qui ressort des recueils de miracles 44. Les miracles, rapportés isolément dans les vies, ont la dimension intemporelle d’un exemplum. Comme la Vie du Christ, les vitae sont à la fois temporelles et intemporelles (historiques et spirituelles), mais elles sont avant tout topiques. On le remarque nettement dans la description « étendue » de la translation des reliques du texte de Stefan (vita secunda). D’après Martin Heinzelmann, « les récits de translations rapprochent l’hagiographie de l’historiographie et leur temps est le temps historique des sanctuaires » 45. Les translations et les miracles sont donc établis dans un temps historique et dans un espace complètement défini qui, dans la Vie de Stefan, est celui de la Serbie. On conçoit très bien dans la structure de cette partie du texte quelles sont les raisons qui ont motivé sa réécriture. La translation est décrite comme un nouveau miracle de Syméon

Thessalonique ». Cf. D. OBolenSky, « The Cult of St. Demetrius of Thessaloniki in the History of Byzantine-Slav Relations », p. 3-20. 43. K. Schreiner, « Zum Wahrheitsverständnis im Heiligen und Reliquienwesen des Mittelalters », Saeculum 17 (1966), p. 138-140. Sur cela plus en détail voir aussi D. PoPović, « O nastanku kulta svetog Simeona » [« Sur l’établissement du culte de saint Syméon »], p. 61 sq. 44. Sur la différence entre les conceptions du temps dans les hagiographies et dans les recueils des miracles, voir M. HeinzelMann, « Une source de base de la littérature hagiographique latine : le recueil de miracles », p. 248 ; ID., Translationsberichte und andere Quellen des Reliquienkultes ; cf. M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographique, p. 26. 45. M. HeinzelMann, « Une source de base de la littérature hagiographique latine : le recueil de miracles », p. 248.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale apportant la paix dans un pays déchiré par la guerre civile. Par ailleurs, grâce à l’action myroblitique du saint auprès de son tombeau à Studenica, le monastère devient un lieu saint et le culte du premier saint du pays un point de mire. On constate une différence analogue entre les deux chartes pour le monastère de Chilandar, la plus importante des fondations de Syméon, au Mont Athos. La première, qui est aussi la charte fondatrice du monastère, est l’œuvre de saint Sava, tandis que la seconde est celle de Stefan. Les deux textes ont en commun une introduction très développée. Cela révèle également un lien générique entre deux sortes d’écrits – hagiographiques et diplomatiques. L’hagiographie écrite par Stefan, qui contient les motifs élaborés dans le texte de sa charte de donation au monastère, et l’hagiographie écrite par saint Sava, qui contient les motifs de sa charte pour Chilandar, peuvent aussi être considérées des réécritures. Diplomatique ou hagiographique, la nature de l’extension est donc toujours profondément idéologique et c’est ce en quoi la comparaison entre les deux textes est intéressante. La comparaison entre ces textes montre qu’ils sont rédigés dans le même but. Il s’agit d’une part de mettre en valeur le thème de la grâce de Dieu en tant que source du pouvoir terrestre de Syméon et l’élection divine en tant que condition préalable à sa légitimité. Il s’agit en outre d’insister sur la décision de Syméon de céder le trône à Stefan bien que celui-ci soit son plus jeune fils. Nous constatons également que la figure de Syméon, établie selon le modèle vétérotestamentaire de Jacob, s’impose comme l’idéal du saint-souverain. Syméon devient dès lors le Nouveau Jacob qui porte en lui à la fois les fonctions de roi et de prêtre tandis que sa figure sainte se dote de composantes aussi bien royales que guerrières. Le parallèle politique avec Jacob défini par Stefan dans son hypotexte prend ici toute son ampleur. En effet, la prise de pouvoir de Stefan ne s’explique pas seulement par la décision autoritaire de Syméon mais aussi par la volonté divine. Ce choix est à l’image de celui de Jacob qui désigne Joseph, son plus jeune fils, pour lui succéder. C’est ainsi que le phénomène de sainteté royale chez les Serbes apparaît dans la première hagiographie consacrée au saint Syméon. Son inspiration est biblique et se confond avec l’image de l’ancêtre et de la dynastie dans l’Ancien Testament, le rex et sacerdos 46. L’analyse plus détaillée des documents cités confirme l’existence d’un lien entre les deux genres, hagiographique et diplomatique, et celle d’une motivation idéologico-politique commune dans la réécriture des textes. La seconde « paire » d’hagiographies que nous avons choisi d’analyser ici est le travail de deux moines du monastère de Chilandar. Il s’agit de Domentian, auteur de la première moitié du xiiie siècle, et de son contemporain, néanmoins un peu plus jeune, Théodose. Ils ont respectivement rédigé la vita prima et la vita secunda du premier archevêque serbe Sava. Domentian a également

46. Pour ce sujet voir G. DaGron, Empereur et prêtre, p. 312-315.

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Miracle et réécriture composé une troisième version de la Vie de saint Syméon. La chronologie de l’opus de Théodose reste incertaine, le problème majeur étant d’identifier la causa scribendi – la raison d’une nouvelle commande – de cette réécriture. Bien que nous ne fassions qu’aborder ces questions, quelques éléments de réponses sont discernables, comme le contexte dans lequel les deux auteurs ont écrit. Une vue d’ensemble de l’opus de Théodose, qui compose plusieurs offices et canons relatifs à la célébration commune des saints Syméon et Sava, met d’ailleurs en évidence la différence entre la première version de la Vie de saint Sava et sa réécriture. La principale interrogation relative à la réécriture du texte porte sur son commanditaire. Dans le cas de Domentian, l’auteur mentionne dans son épilogue que la vita prima est dédiée au souverain en place, le roi Stefan Uroš I. Mais la vita secunda n’est pas suffisamment explicite sur son commanditaire. Théodose lui-même, dans le prologue de la vita secunda, en annonçant le texte, dit qu’il souhaite raconter la vie, les exploits et les miracles de saint Sava. Il est très clair qu’il s’agit ici de la réactualisation d’un modèle de sainteté à l’intention de la communauté à laquelle l’auteur du récit s’adresse. Il désigne indirectement les commanditaires de la vita secunda en mentionnant qu’il écrit à la demande des pères (gerontes) ainsi que du milieu monastique de Chilandar. En rappelant qu’il ne fait que transcrire un récit rapporté par Domentian avant lui, on a l’impression que Théodose, grâce à des topoï d’humilité, se présente comme une sorte de continuateur, ou de rédacteur, qui a simplement fixé par écrit le récit qu’il avait recueilli. Il ne l’est pourtant pas car les deux vitae se distinguent par une série de points de divergence. Dès le prologue, il apparaît clairement au lecteur de la vita secunda que Théodose a plus d’ambition qu’il ne le laisse apparaître dans les premières lignes de ce récit. En effet, il parle très en détail de ses sources, aussi nous paraît-il certain que le temps préalable à l’écriture de la vita secunda a dépassé de beaucoup celui de la préparation du récit de Domentian. Théodose, s’adressant directement à ses auditeurs, dit qu’il a inclus dans son écrit le témoignage oral de Domentian ainsi que des écrits laissés par les amis, les compagnons et les honorables élèves de saint Sava. Il s’agit de souvenirs, contenus sous une forme écrite, dont le but est de transmettre à la postérité leur héritage. Les paratextes des deux hagiographies divergent par endroits. À la différence de la vita secunda, où un long prologue expliquait les fondements théoriques et spirituels de la réécriture, la vita prima représente une rédaction différente. Tout d’abord, ce n’est pas son prologue mais son épilogue qui est le plus élaboré. Il possède une fonction documentaire et contient des données sur le lieu et l’époque de la rédaction, l’auteur et le commanditaire. Il comporte également des lieux communs tels que l’invocation, le topos de l’indignité de l’auteur. Ce paratexte s’intègre parfaitement à la structure d’ensemble du texte en raison de la concordance entre le plan idéologique et les topoï utilisés dans

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale le prologue de l’hagiographie 47. En mettant en relation l’épilogue et le prologue, la médiation d’un temps unique – celui universel du Christ, où événements présents et futurs sont présentés sur un même plan – devient possible. Contrairement à l’introduction de la vita prima, le long prologue de la vita secunda est de caractère didactique, pour preuve, le topos de la guérison, qui est issu du modèle hagiographique, c’est-à-dire de la Vie de saint Sabas de Jérusalem. L’auteur y utilise les motifs habituels, tels ceux de l’indignité et ajoute une prière pour obtenir l’inspiration d’un langage clair et le pouvoir d’illuminer les ténèbres des esprits et des âmes. La dimension didactique du prologue est mise en valeur par le rappel de l’utilité de l’écriture et de la lecture de la vie de personnages exceptionnels et par un contexte qui est celui de « la fin des temps ». Ce plan temporel impose à la Vie de saint d’être lue devant l’assemblée en offrant des exemples (exempla) de « piliers vivants qui se tiennent haut et droit » afin de mieux situer les contemporains par rapport à leurs ancêtres. À la fin du prologue, Théodose explique le sens de son récit qui est d’atteindre le cœur pour corriger la vie. Ce qui nous intéresse en premier lieu est de savoir si la conception du prologue de la vita secunda de Théodose permet d’expliquer la réécriture du récit hagiographique de saint Sava. Les expressions utilisées par l’auteur peuvent clarifier ce point. Il dit en effet commencer la rédaction du texte au moment où les reliques de Sava ont « de nouveau éclairé le peuple ». C’est « la lueur soudaine » émanant du saint au moment du miracle et touchant l’ensemble du peuple serbe qui est à l’origine d’une nouvelle écriture. On suppose qu’il s’agit ici du miracle auprès du tombeau de Mileševa, car les actions posthumes ont généralement lieu à proximité des tombes des saints. La comparaison de ce passage avec l’épilogue permet de le penser. En effet, après le récit sur la translation et celui de tous les événements qui lui sont liés ( furta sacra), l’auteur évoque des miracles survenant auprès du tombeau de saint Sava et insiste sur la guérison des pèlerins de Mileševa. L’analyse de l’épilogue de la vita secunda permet de définir plus précisément les différences entre les deux vies consacrées à saint Sava. L’épilogue de la vita secunda a pour but d’établir le concept de patria, dont la notion, chez Théodose, est rattachée à la protection du peuple serbe par le couple saint. Il définit également plus clairement la figure du fondateur de la lignée royale, Syméon, qui protège ses descendants et le troupeau dont il est le berger. Ce concept de patria est aussi lié à l’idée de l’hérédité de la sainte dynastie. Le besoin d’imposer un nouveau thème idéologique au moyen d’une œuvre littéraire, telle que celle de Théodose, donne au chercheur des pistes de réponse concernant la rapidité avec laquelle nouvelle hagiographie a été élaborée.

47. LJ. JuhaS-GeorGievSka, « Književno delo jeromonaha Domentijana » [« Œuvre littéraire de Domentian »], dans DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], LJ. JuhaSGeorGievSka, T. Jovanović (éd.), Belgrade 2001, p. LIII.

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Miracle et réécriture Les motifs pour la commande d’une hagiographie Une suite de circonstances a influencé la décision de faire composer une nouvelle Vie de saint Sava, parallèle à celle de Domentian. Pour comprendre comment cela s’est produit, nous devons revenir brièvement sur la pratique athonite concernant la commande des textes précédents de célébration des saints. L’un des exemples les mieux préservés de cette pratique concerne les descriptions que nous lisons chez Domentian et Théodose, et qui se rapportent au moment de la commande de la première Vie d’un saint serbe. Les deux hagiographes de Sava ont laissé un témoignage sur les circonstances dans lesquelles a été commandée la Vie de saint Syméon, écrite par Sava. De leurs descriptions nous apprenons très précisément les motifs des commanditaires. Il est important de remarquer que les commanditaires de cet ouvrage étaient les témoins des miracles, et que la nouvelle composition est créée avec l’intention d’en témoigner sous forme écrite également. Le premier exemple dans lequel sont décrites la commande de la Vie et les circonstances qui y ont mené est la fameuse description de la myroblitie de saint Syméon à Chilandar qu’on lit dans les deux hagiographies. Il s’agit d’un miracle qui s’est produit pour le huitième anniversaire de la mort de Syméon, et les témoins illustres de ce miracle étaient les plus hauts dignitaires de la Sainte Montagne de l’Athos : le proto-épistate, les higoumènes et la fraternité monastique. Les chercheurs qui ont étudié le phénomène de la myroblitie à Chilandar, en règle générale, essayent de résoudre la question de la véracité de cet événement 48. Sans même parler des critères permettant d’établir l’historicité de l’énoncé hagiographique, toujours sujets à discussion, l’examen de la valeur documentaire du texte de la Vie ne peut pas apporter de réponse à la question posée ici. Ce qui paraît avant tout intéressant est le cadre interprétatif des énoncés des hagiographes. La recherche historique des récits concernant la myroblitie à Chilandar se heurte à des difficultés interprétatives pour plusieurs raisons. De notre point de vue, la question principale n’est pas de savoir si Domentian et Théodose disent la vérité quand ils écrivent que le miracle de la myroblitie s’est produit en premier à Chilandar, mais elle est de savoir de

48. C’est ainsi que D. KoStić, « Učešće sv. Save u kanonizaciji sv. Simeona » [« Le rôle de saint Sava dans la canonisation de saint Syméon »], p. 148-167, 201, conteste la véracité des miracles à Chilandar, et explique les différences dans les textes par les intérêts opposés (« les raisons ») des deux milieux – « ecclésiastique de la Sainte Montagne de l’Athos » et « étatique de Rascie ». Cette opinion, largement acceptée dans la bibliographie, introduit, à notre avis, une dualité artificielle des « raisons » qui s’applique systématiquement depuis, et qui mène à des conclusions erronées de longue haleine. La véracité des énoncés concernant la myroblitie à Chilandar est différemment contestée par D. Vojvodić, « Hilandarski grob svetog Simeona Srpskog i njegov slikani program » [« La tombe de saint Syméon de Serbie à Chilandar et son programme iconographique »], p. 44. Cet événement est éclairé de différents points de vue par D. PoPović, « O nastanku kulta svetog Simeona » [« Sur l’établissement du culte de saint Syméon »], p. 48-54.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale quelle façon ils décrivent le rôle de leur héros, et par la suite les conséquences de cet événement. Il en découle que, dans la perspective qui nous intéresse ici, la bonne question à poser serait : quel est le but principal de la description des événements à Chilandar ? Il serait raisonnable de supposer que la tradition liée à la tombe du saint Syméon à Chilandar et à ses propriétés charismatiques s’est cristallisée avant le milieu du xiiie siècle, donc à l’époque précédant le moment où Domentian écrit sur la Sainte Montagne de l’Athos. Les hagiographes rapportent donc une légende très connue du monastère. Vu dans ce contexte, leur récit n’est pas important pour le témoignage concernant la réalité historique des événements de l’an 1207. L’énoncé de Sava, plus proche des événements réels, diffère complètement dans la description de la myroblitie à Chilandar des descriptions que nous lisons dans les métaphrases. Par conséquent, il est logique de faire davantage confiance en son récit, tout comme il est plus logique de supposer que c’est sur les bases de l’histoire populaire du miracle de Studenica, que la croyance sur la première tombe myroblitique de Syméon à Chilandar a été peu à peu transmise, pour enrichir la légende du monastère. Une version des événements, formée de cette façon, est arrivée jusqu’aux deux hagiographes de Sava. Pour cela, quand nous étudierons le contenu de leurs témoignages, nous ne les utiliserons pas comme sources pour répondre à la question concernant la réalité de la production de myron, mais pour évaluer, ce qui est plus important pour nous, quelle est la causa scribendi – l’incitation principale qui a conduit à la production de la Vie. Contrairement aux sources plus anciennes 49, Domentian et Théodose situent la première apparition de Syméon à Chilandar huit ans après son enterrement, et la font suivre de l’exsudation de myron de la tombe et de son image peinte. Selon les auteurs, la myroblitie s’est produite en présence du proto-épistate et des Athonites, et fut suivie de leur décision d’instaurer une fête du saint, et de la commendatio des textes de célébration. La compréhension de cette description des événements découle non seulement des lignes mêmes des deux textes, mais aussi de la connaissance des règles plus générales de la littérature hagiographique. Nous sommes d’avis que les témoignages des vies sur la myroblitie de Chilandar, décrites selon les règles préétablies du genre littéraire, sont avant tout un témoignage du premier miracle commun des deux saints car, rappelons-le, la myroblitie s’est produite comme une sorte d’apparition du saint pour l’anniversaire de son décès, mais cette apparition était la conséquence directe de la prière de Sava et de sa sainte et clairvoyante annonce du miracle. Pour cela, le choix naturel du lieu de l’événement miraculeux est la première tombe du saint. Selon le témoignage de Domentian, la conséquence directe du miracle de Chilandar auquel ont assisté des témoins

49. Sur la myroblitie à Studenica voir STefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], p. 76 ; en serbe : p. 77.

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Miracle et réécriture illustres était la bénédiction donnée à Sava pour écrire les premiers textes de célébration consacrés au nouveau saint : « les canons, les stichères et ses miracles » 50. Ce n’est sans doute pas par hasard si l’ensemble de tous les éléments qui font traditionnellement une Vie est décrit à cet endroit comme une commande portant spécifiquement sur le récit de l’origine du miracle, et cela pourrait être un argument supplémentaire quant à l’idée que le récit du miracle est au centre du devoir de la célébration 51. Regardons à présent la façon dont Théodose décrit le miracle sur la tombe de Chilandar. Premièrement, l’écrivain place l’ensemble de cet événement dans le contexte des miracula in vita de Sava 52. Par conséquent, il n’est pas étonnant que l’histoire commence par les œuvres de miséricorde, qui ont pour but d’introduire le lecteur à l’intention principale de l’auteur, à savoir de suivre l’élévation dans la sainteté du héros (« la voie qui mène vers Dieu est escarpée et étroite » 53). Justement cette voie de Sava vers Dieu (« l’échelle ») est la base de sa prière « audacieuse ». Gagnant, par ses propriétés particulières, le droit de s’adresser directement au Tout-Puissant, Sava prie pour l’annonce publique de la sainteté de Syméon : « Envoie le Saint-Esprit et fais revivre les os qui […] gisent à l’étranger […] pour qu’ils exsudent du myron » 54. Le procédé de Théodose qui consiste à créer un lien entre la sainteté de Syméon et de Sava a une importance spéciale pour notre thèse. Le but de la prière de Sava n’est pas uniquement d’insister sur le caractère patriotique des propriétés thaumaturgiques de Syméon ; à travers cette célébration, Sava est censé obtenir « une audace plus assurée » qui provient de la prière exaucée. Pour cela il n’est pas étonnant que Théodose dise juste après que « son audace et sa foi sont merveilleuses », célébrant « le don prophétique » de son héros, un don qui provoque l’admiration et la terreur. Après la première prière, avec l’assurance que lui a procurée son don prophétique, Sava invite les témoins – le proto-épistate, les higoumènes des monastères athonites, les fameux starets – à prier à côté de la tombe, pendant qu’il monte sur la tour pour prier pour le miracle de la myroblitie « en sa langue » 55. L’essence de la prière de Sava consiste à

50. DoMentiJan, Život svetog Simeona [DoMentian, Vie de saint Syméon], p. 89 ; en serbe : p. 304. Cf. le texte de Théodose qui mentionne la commendatio « du texte de la vie » écrite « pour la mémoire […] du bienheureux » : TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 73 ; en serbe : p. 155. 51. Le rapport d’interdépendance des vita et miracula est décrit dans la pratique hagiographique, quand il s’agit des miracles produits durant la vie du saint, par l’expression « l’efficacité du miracle ». Sur cela voir A. Vauchez, « L’efficacité de la sainteté », dans Recherches et débats du Centre Catholique des Intellectuels Français 56 (1966), p. 13 ; P.-A. SiGal, L’homme et le miracle dans la France médiévale (xie-xiie siècles), p. 17 sq. 52. Pour plus de détails voir l’article de d. PoPović, « Čudotvorenja svetog Save Srpskog » [« La thaumaturgie de saint Sava de Serbie »], p. 97-118. 53. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 67 ; en serbe : p. 150. 54. Ibid., p. 69 ; en serbe : p. 152. 55. Ibid., p. 70 ; en serbe : p. 153.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale ce que les témoins, ayant vu le miracle de la myroblitie, par le biais de ces miracles voient la grâce divine « sur nous ». Le pluriel ici dénote la sainte paire et nous pouvons le considérer comme un indice du processus de la création du culte commun. De ce point de vue il est important d’observer tout cet épisode comme un double commendatio : d’un côté, il témoigne de la commande de la première hagiographie de saint Syméon, et de l’autre côté, il célèbre l’action miraculeuse commune des deux premiers saints de la maison des Némanides, qui devient ainsi la condition préalable pour la création d’un nouveau culte commun. Il y a encore un endroit important dans la Vie de saint Sava où Théodose expose les raisons qui l’ont conduit à écrire son texte. Comme nous l’avons déjà mentionné à propos du prologue de l’hagiographie, tout au début de sa composition, il dit que son intention est d’exprimer « les hauts faits de la vie du saint et très bienheureux Sava, qui brilla de nouveau dans notre peuple ». Il s’agit du fameux prologue de l’hagiographie, considéré, selon l’analyse de Rozanov, comme repris de la Vie de saint Sabas par Cyrille de Scythopolis 56. La différence entre l’original grec et les adaptations slaves ultérieures, évidente même dans les lignes de l’introduction, apparaît clairement si l’on analyse la riche tradition des diverses versions slaves de l’œuvre de Cyrille de Scythopolis 57. Laissant de côté pour le moment la tradition manuscrite de l’œuvre de Théodose, il paraît pourtant nécessaire de souligner le fait que le passage cité de la Vie de saint Sabas apparaît seulement dans les retranscriptions slaves de l’œuvre de Cyrille, c’est-à-dire qu’il n’y en a pas dans l’original grec 58. Dans les études de l’œuvre de Théodose, beaucoup d’efforts ont été faits pour établir les réalités historiques cachées derrière les mots employés par l’écrivain, et c’est pourquoi la quête pour ces réalités s’est emmêlée avec la question complexe et irrésolue de la chronologie de l’œuvre complète de Théodose. Le fait de s’attendre à trouver au sein de la Vie les mentions ou les

56. S. P. Rozanov, Istočniki, vremja sostavlenija i ličnost sostavitelja feodosievskoj redakcii Žitija Savvy serbskago [Les sources, le temps et l’identité de redacteur théodosien de Vie de Sava de Serbie], p. 1-49. 57. Ibid., p. 10-14. 58. Jusqu’aujourd’hui l’édition de référence du texte de Cyrille reste l’éd. E. SchWartz (éd.), Kyrillos von Skythopolis, Leipzig 1979. Traductions utiles avec des commentaires : A.-J. FeStuGière, « Les moines d’Orient », t. 3, vol. 1-3, Paris 1962-1963 ; Cyril of ScythoPoliS, The Lives of the Monks of Palestine. Voir aussi B. FluSin, Miracle et Histoire dans l’œuvre de Cyrille de Skythopolis ; ID., « L’hagiographie palestinienne et la réception du concile de Chalcédoine », dans J. O. RoSenquiSt (éd.), Leimôn. Studies Presented to Lennart Rydén on his Sixty-Fifth Birthday, Uppsala 1996, p. 25-47 ; J. BinnS, Ascetics and Ambassadors of Christ. The Monasteries of Palestine, 314-631, Oxford 1994 ; J. Patrich, Sabas, Leader of Palestinian Monasticism. A Comparative Study in Eastern Monasticism, Fourth to Seventh Centuries, Washington DC 1995.

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Miracle et réécriture allusions aux événements politiques actuels à l’époque (ou de constater qu’ils sont omis) a été pris comme un argument supplémentaire pour l’évaluation du cadre temporel de la Vie de saint Sava 59. Nous sommes d’avis que la prudence lors de l’évaluation de Théodose comme source historique au sens étroit, ainsi qu’une certaine méfiance visà-vis d’une interprétation littérale de son texte, sont de mise  60. La question de savoir si Théodose, après avoir reçu la commande de composer une nouvelle Vie de saint Sava, a décidé de reprendre le début du texte de Cyrille de Scythopolis, où il rapporte que le saint « brilla de nouveau dans notre peuple », ou bien si ces mots sont une allusion à un événement historique réel n’est, pourtant, pas au centre de notre intérêt. Car, dans les deux cas, les mots cités sont écrits parce qu’ils devaient rappeler, semble-t-il, aux lecteurs/auditeurs la raison principale de la création d’un nouveau texte de célébration, une raison qui devait être connue du public. L’accent que notre écrivain met sur les miracles du saint, connus de ses contemporains, ne peut donc pas être une coïncidence. Au contraire, il semble que Théodose voulait laisser une trace sur les miracles de Sava en les décrivant d’une manière proche de sa propre perception de la fonction de la sainteté du héros, qui correspondait également aux attentes du public. Acceptons pour un moment l’hypothèse que Théodose dans sa Vie a pour unique but de transmettre l’opinion de la communauté du Mont Athos et de Chilandar concernant l’union conclue à Lyon entre les Églises catholique et orthodoxe, et que son texte reflète directement ces événements historiques. Dans ce cas, l’endroit cité du début de sa Vie de saint Sava pourrait être pris comme un témoignage qu’à l’époque Sava « brilla de nouveau », cette fois comme un représentant des valeurs originelles de l’orthodoxie, qui couraient un danger réel à cette époque-là 61. Cela voudrait dire que la nouvelle Vie, mais aussi, sûrement, maints autres textes de Théodose, ont été créés pour rappeler à ses contemporains l’orthodoxie de saint Sava fondée sur les valeurs qu’il représentait. Cela impliquerait que nous devons placer les motifs pour la commande d’une nouvelle Vie dans une autre sphère – celle de la défense de l’orthodoxie, qui n’a pas été suffisamment représentée dans l’œuvre de

59. Parmi les études nouvelles voir B. Miljković, Žitija svetog Save kao izvori za istoriju srednjovekovne umetnosti [Les vies de saint Sava comme sources pour l’histoire de l’art médiéval], Belgrade 2008, p. 142 et n. 475 ; I. ŠPaDiJer, « Hronološki okviri književnog rada Teodosija Hilandarca » [« Les cadres chronologiques du travail littéraire de Théodose de Chilandar »], Prilozi za književnost, jezik, istoriju i folklor LXXVI (2010), p. 8 sq. 60. Des opinions très utiles et nuancées sur cette question peuvent se trouver dans l’étude de S. Ćirković, « Problemi biografije svetog Save » [« Les problèmes de la biographie de saint Sava »], dans Sava Nemanjić – Sveti Sava. Istorija i predanje [Sava Nemanjić – Saint Sava. Histoire et légende], Belgrade 1979, p. 7-12. 61. I. ŠPaDiJer, « Hronološki okviri književnog rada Teodosija Hilandarca » [« Les cadres chronologiques du travail littéraire de Théodose de Chilandar »], p. 14.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Domentian, au moins dans sa rhétorique « œcuménique et pan-chrétienne ». De la même manière, nous pourrions utiliser les différences qui existent entre les descriptions par Théodose et Domentian des événements historiques à l’époque de Sava, et qui se rapportent à la position prononcée de Théodose vis-à-vis de la défense de l’orthodoxie (la description du couronnement du Premier Couronné, le miracle avec la glace, etc.) pour expliquer que le nouveau texte a été créé dans le but de souligner la continuité et la tradition de l’orthodoxie chez les Serbes. La défense de l’orthodoxie aurait pu obtenir une autre justification dans un moment où une telle orientation de l’État et de l’Église serbe avait été menacée ou soumise à une sorte d’épreuve. Dans ce cas supposé, une nouvelle Vie aurait été créée suite à l’incitation du courant athonite opposé à l’union des Églises, et la chronologie de l’œuvre complète de Théodose devrait être déplacée à l’époque du règne du roi Dragutin et mise en relation avec les événements provoqués par les tergiversations autour de cette union. De même, et c’est une conclusion significative du problème ainsi posé, la commande de la Vie de Théodose proviendrait du milieu athonite et aurait influencé ses intérêts. Bien sûr, la solution qu’on pourrait ainsi proposer se heurterait à une difficulté, puisqu’il faudrait expliquer les raisons de la commande de tous les autres écrits de Théodose. Son œuvre, donc, dans cette hypothèse, devrait être étudiée en complet désaccord avec les règles qui étaient valables pour toutes les autres œuvres du patrimoine hagiographique serbe. La commande de ces œuvres était visiblement effectuée avec l’accord des plus hautes instances de l’État. Pour cette raison, il est nécessaire de vérifier s’il est possible de tirer du texte même de la Vie écrite par Théodose des arguments valables pour situer les conclusions idéologiques importantes de ces compositions dans un cadre temporel avant l’arrivée du roi Milutin à la tête de l’État. L’une des difficultés de l’argumentation proposée est déjà visible au premier abord. Si nous acceptons les arguments ex silentio, et donc douteux, qui justifient une datation antérieure de l’œuvre de Théodose, alors les mêmes arguments devraient être pris en considération pour contester cette datation aussi. Autrement dit, si nous considérons que l’absence d’une mention d’un événement – ou d’allusion à cet événement – permet de dater le texte avant cet événement, alors il faudrait montrer aussi que la Vie fait allusion à des événements contemporains de l’époque à laquelle nous la situons. Il faudrait donc, suivant cette logique, attendre dans le texte lui-même une confirmation d’un miracle de Sava ou d’un événement important qui s’est produit au moment de la commande de la Vie, ce qui nous indiquerait que le chemin proposé dans le sens de l’étude est suffisamment judicieux, c’est-à-dire, qu’il confirmerait la supposition que la Vie a pour devoir de transmettre, en utilisant les allusions, s’il le faut, certains événements actuels à l’époque qui pourraient être pris comme une cause directe de la commande d’un texte de célébration. Or, nous ne voyons pas dans l’écrit de Théodose ne serait-ce que le soupçon 162

Miracle et réécriture d’un événement concret qui aurait pu pousser à la commande d’un nouveau texte. Nous sommes d’avis que rien de tel n’est mentionné justement parce que l’intention de Théodose n’était pas de nous parler des réalités historiques de son propre temps. L’absence des mentions de certains événements majeurs de l’époque représente un procédé connu dans le récit hagiographique, adéquatement caractérisé comme « la restriction de l’horizon historique » 62. Toutefois, une comparaison attentive des textes de Domentian et de Théodose indique sans ambiguïté les différences qui existent dans les descriptions de tout un catalogue de questions sensibles. Ces différences montrent « la tendance radicale de Théodose » de supprimer tous les endroits où Domentian a mentionné les liens de Sava avec Rome 63. Les circonstances historiques réelles ou les événements mentionnés qui avaient eu lieu ne pouvaient pas être oubliés sur la Sainte Montagne à l’époque de Théodose. D’ailleurs, il témoigne lui-même du lien de son texte avec la Vie de Domentian, dans laquelle est mentionnée explicitement l’origine romaine de la couronne. Pour cela, il est tout à fait clair que Théodose narre sa propre histoire, qui n’est pas un reflet direct des réalités historiques, qu’il les rejette même, comme nous l’avons vu, au plus haut point. Concernant le même type de différences entre les deux vies de saint Sava, il faut mentionner l’accent que Théodose met sur le voyage de Sava dans « la ville de Constantin où à l’époque régnait l’empereur Théodore Lascaris » 64 et conséquemment, le fait qu’il évite de mentionner Nicée (notons cependant que Domentian ne la mentionne pas non plus). Parmi ces différences, finalement, il faut rappeler que des marbriers et des peintres d’icônes de Žiča sont dits invités de Constantinople 65, ce qui non seulement soulignerait que les origines de l’église de la congrégation de

62. Nous trouvons un bon exemple, déjà commenté par les chercheurs, dans la Vie de saint Artémios (faite dans la seconde moitié du viie siècle), où les événements qui ont marqué l’époque de manière cruciale sont complètement passés sous silence – notamment les conquêtes arabes aux dépens de l’Empire byzantin. Pour la formule citée voir S. EfthyMiaDiS, « A Day and Ten Months in the Life of a Lonely Bachelor: The Other Byzantium in Miracula S. Artemii 18 and 22 », Dumbarton Oaks Papers 58 (2004), p. 25-26 (avec les opinions plus anciennes). 63. À ce « groupe » de différences appartiennent sûrement les très fameuses et souvent citées parties du texte consacrées aux descriptions de l’origine romaine de la couronne royale de Stefan le Premier Couronné, tout comme les dons « diplomatiques » faits à la basilique des saints Pierre et Paul de la part des têtes ecclésiastiques et étatiques, et aussi l’obtention de la dignité de l’archevêché par Sava et le couronnement du Premier Couronné à Žiča. Cf. S. Ćirković, « Problemi biografije svetog Save » [« Les problèmes de la biographie de saint Sava »], p. 11. 64. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 126 ; en serbe : p. 194. 65. L’affirmation de Théodose, souvent citée, que Sava a fait venir les marbriers et les peintres des icônes de Constantinople a été acceptée de manière non-critique par les chercheurs plus anciens. Cf. M. ŠuPut, « Mramornici u Žiči » [« Les marbriers à Žiča »], Zbornik za likovne umetnosti 20 (1984), p. 157-160. Une telle compréhension a été réfutée à l’aide de l’argument que Sava, pendant son voyage a Nicée, ne s’est pas rendu du tout à Constantinople : sur ce problème voir B. ToDić, « Ikonografska istraživanja žičkih fresaka xiii veka » [« Les études iconographiques des fresques de Žiča du xiiie siècle »], Saopštenja 22-23 (1990-1991), p. 25-26 ; B. Miljković, Žitija svetog Save

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Žiča se trouvaient à Constantinople, mais avant tout que cette ville était le centre de l’église œcuménique. Ces différences entre les deux compositions proviennent de l’intention de Théodose de contester sur un plan plus large, et dans un sens dogmatique, le catholicisme romain, qu’il considère comme hérétique. Cet autre « groupe » de différences entre les deux auteurs témoigne de manière indirecte des circonstances nouvelles dans lesquelles écrit le plus jeune des deux écrivains. Ce sont les circonstances qui se rattachent avant tout au besoin de défendre le caractère apostolique de l’Église serbe. Nous comprenons dans ce sens de nombreux endroits chez Théodose où il est dit que saint Syméon a instauré la foi orthodoxe chez les Serbes, et que saint Sava l’a affermie. Plusieurs épisodes, à commencer par la prière de Sava prononcée pendant l’exsudation du myron à Studenica, ou bien les épisodes où la synergie en prière des deux thaumaturges est mise en relief de manière peut-être la plus plastique, sont à mettre dans le contexte de l’affermissement de la foi 66. C’est pour cela qu’il semble qu’il faille chercher le dénominateur commun des différences mentionnées, dans la sphère des efforts de Théodose pour créer une atmosphère d’unité entre la couronne serbe et l’Église nationale. Elle repose originellement sur les traditions orthodoxes de l’empire byzantin et le patriarcat œcuménique d’un côté, et sur les traditions nationales du royaume et de l’orthodoxie incarnées par l’Église autocéphale de l’autre côté. Dans l’œuvre de Théodose, ces traditions sont extraites de la sainteté de Syméon et de Sava par des procédés réfléchis et des affirmations explicites de l’auteur. Notre écrivain est issu d’un milieu profondément conscient des liens entre le politique et le religieux. C’est dans cette mesure que dans la Vie de saint Sava, Théodose établit un lien fort entre la raison étatique et ecclésiastique. Si nous revenons au texte lui-même de Théodose, nous voyons clairement qu’il sélectionne exactement ce qu’il veut transmettre et trouve important. Quand il écrit sur des événements historiques, il semble qu’il ne se soucie guère de rapporter le plus véridiquement possible comment les choses se sont déroulées. Il n’est pas un historien. Au contraire, il se focalise sur les actions miraculeuses du héros et les conséquences de la sainteté du fondateur sur l’organisation de l’État et de l’Église. Pour cela, le récit entier est adapté à ce but. Si nous considérons l’œuvre de Théodose dans sa totalité – la Vie et l’office consacrés à l’ermite Pierre de Koriša ; les offices, les canons communs et les éloges à la gloire du culte commun des deux premiers saints serbes –, l’image

kao izvori za istoriju srednjovekovne umetnosti [Les vies de saint Sava comme sources pour l’histoire de l’art médiéval], p. 138. 66. « Pour que ceux qui sont venus avec moi de l’est apprennent que nous aussi, à l’ouest, nous sommes tes serviteurs fidèles et les vrais servants de La Trinité, et que chez nous aussi ton saint nom est chanté » : TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 86 ; en serbe : p. 165.

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Miracle et réécriture d’un programme réfléchi de célébration s’impose et indique un contexte plus large de la commande. Pour cela il devait exister un besoin politique articulé pour refonder le rapport avec le passé. Les confirmations des actions délibérées et systématiques visant à renforcer la tradition peuvent être trouvées seulement à l’époque de l’expansion de l’État sous le roi Milutin. La diffusion des textes de Théodose était fortement encouragée. Nous le voyons clairement dans le fait qu’un grand nombre de copies manuscrites de l’œuvre de Théodose ont été rapidement créées. C’est un argument pour la thèse que la Vie est très vite devenue populaire. Il est possible aussi que cette popularité ait été induite par la commande planifiée d’un grand nombre de manuscrits, et donc par l’accélération consciente du processus de la diffusion des écrits. Il reste encore une possible explication concernant le passage du prologue de Théodose que nous avons cité plus haut. Elle réside dans la supposition que son choix de commencer la Vie par une allusion aux événements récents qui se sont produits « chez notre peuple » résulte de la rencontre des deux motifs : le renforcement usuel de l’énoncé par l’imitation des lignes d’introduction de la version slave de la fameuse Vie de saint Sabas de Jérusalem, modèle monastique de Sava de Serbie ; le besoin de compléter le catalogue des miracles et de fonder, par la nouvelle hagiographie, le culte commun déjà existant des saints thaumaturges, protecteurs de la patrie, idéologiquement important, sans doute, pour le concept du pouvoir du roi Milutin et son rapport avec l’héritage politique de ses ancêtres. Ainsi posé, le programme idéologique correspondrait à l’insistance du roi sur la sacralité de son propre pouvoir et de la légitimité politique qui en découle. Nous considérons que la fin politique qui est à la base d’un programme du souverain correspondait à l’époque qui précédait la victoire de Milutin dans la guerre civile contre son frère et sa prise de possession finale du trône serbe. C’était donc à la fin des années quatrevingt et dans la dernière décennie du xiiie siècle, alors que, comme résultat d’une politique offensive réussie, le roi Milutin préparait la base idéologique qui lui a permis plus tard, dans la phase suivante de sa politique, de changer les accords faits à Deževa en 1282 entre lui et son frère, le roi Stefan Dragutin, concernant la transmission du pouvoir. Ces changements ont été soigneusement préparés et finalement effectués dans de nombreuses sphères, et ils ont été formellement et légalement officialisés par le contrat nuptial de 1299 avec Simonis Paléologue. Pour résumer ce qui a été dit précédemment, l’interprétation des endroits cités des écrits de Théodose en tant qu’écho des événements réels ouvre un large champ de suppositions. Si nous essayons de nous en tenir hors du domaine des spéculations, nous pourrions conclure qu’il faudrait les interpréter premièrement sur le plan des besoins des commanditaires de témoigner des actions miraculeuses du saint. Sur le lien entre l’insistance concernant l’accent mis sur le miraculeux et l’effort pour le faire servir une cause plus générale, la défense de l’orthodoxie, motif principal de la création des œuvres 165

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale de Théodose, l’écrivain lui-même en témoigne éloquemment, lorsqu’il énonce que la multiplication des miracles affermissait tout le monde dans la foi orthodoxe 67. Même si nous acceptons le procédé de la recherche des réalités historiques dans les vies comme légitime, la cause directe de la création d’une nouvelle version de l’hagiographie serait de nouveau l’élargissement du catalogue des miracles de la première Vie, celle de Domentian. Sans entrer dans la question des motifs supplémentaires, ce serait la raison principale de la création d’un nouveau texte. Pour vérifier l’exactitude d’une telle conclusion, observons les différences entre les miracles de la Vie de Domentian et le texte plus récent de Théodose. Le rôle du miracle dans le concept de la chrétienté « patriotique » Après la description du miracle de la myroblitie sur la tombe de saint Syméon à Chilandar, Théodose assure ses lecteurs que les miracles et les pouvoirs des deux saints « n’étaient pas ordinaires » : selon la règle, le miracle de la myroblitie de Syméon agit à travers les prières de Sava. Les hagiographes de Sava soulignent clairement que leur héros possédait « des savoirs privilégiés » qui lui assuraient une autorité spirituelle suprême. De telles connaissances pouvaient être mises, selon le besoin, au service des intérêts plus larges de la communauté sociale 68. Sur l’exemple de la description de la première myroblitie à Chilandar nous pouvons suivre une caractéristique importante des miracula de la paire de saints, et c’est visible dans les deux vies : elles appartiennent à la typologie des « miracles patriotiques », dont le but est le salut du peuple serbe. Les miracles inhabituels de cette sorte proviennent d’un phénomène particulier que l’hagiographe définit comme l’amour douloureux de Sava pour sa patrie ; ce lien émotif spécial du protecteur charismatique de l’État avec la patrie est décrit en détail dans les hagiographies comme une compassion du saint pour le peuple de son pays 69. L’exemple le plus caractéristique des miracles de Sava, qui coïncident directement avec les hauts intérêts « étatiques » incarnés par le roi serbe, était le fameux « meurtre par les prières » dont fut victime le seigneur bulgare récalcitrant nommé Strez. Cela

67. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 115 ; en serbe : p. 186. 68. R. MorriS, Monks and laymen in Byzantium, p. 104-108. 69. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 109 ; en serbe : p. 181. Les miracles de Sava concernant la translation des reliques de saint Syméon à la patrie, la mort subite de Strez, le miracle avec la glace et le miracle de la résurrection du Premier Couronné. Pour le phénomène de la « douleur pour la patrie » cf. l’étude de M. Blagojević, « Sveti Sava i “bol za otačastvom” » [« Saint Sava et la “douleur pour la patrie” »], dans M. Janković (éd.), Kazivanja o Svetoj Gori [Récits sur Mont Athos], Belgrade 1995, p. 47-65, où cette expression est relevée pour la première fois dans l’hagiographie serbe, et où se trouvent les interprétations importantes de la « raison patriotique » comme une motivation cruciale pour les actions de Sava.

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Miracle et réécriture appartient à la catégorie des miracles « négatifs » 70, que nous voyons faire aussi par Syméon, mais après sa mort, et qui sont notés par Stefan dans le catalogue des miracles dans l’hagiographie de Syméon. Indépendamment des différences entre les descriptions du meurtre de Strez que nous lisons dans les deux hagiographies de Sava, le saint joue un rôle incontestable dans l’élimination des ennemis de la patrie par son intervention miraculeuse au moment où le pays est menacé par un ennemi extérieur. Une fameuse lettre de l’archevêque d’Ohrid, Démétrius Chomatianos, pleine des reproches qu’il adresse à son homologue serbe, témoigne des accusations que ce genre d’activités de la part de Sava pouvait susciter chez ses contemporains, et surtout chez ses adversaires politiques, qui le jugeaient trop attaché aux « intérêts nationaux » 71. Les descriptions des rites de translations des reliques (translationes) ont une importance spéciale pour l’évaluation de l’expérience du miracle chez les hagiographes serbes. L’expression d’un sentiment religieux particulier du triomphe, cette gloria chrétienne universelle, portait dans le cas serbe un message supplémentaire, national. Son sens, quand il s’agit des descriptions des translations de Syméon Némanja de l’Athos à sa patrie, était l’annonce de l’apparition triomphale d’un Nouvel Israël sur la scène de l’Histoire 72. Pour que les étapes et les procédés des rites de translations soient correctement compris, il faut les observer dans le contexte de la pratique chrétienne orientale plus large. La pratique byzantine de la translation solennelle des reliques durant le ixe et le xe siècles devient liée à de nombreuses personnes illustres ; en règle générale, elle est, dans les nouvelles hagiographies, décrite selon les schémas établis, qui n’étaient pas inconnus du public serbe 73. Les deux hagiographes de Sava parlent de la translation des reliques à deux reprises : la première fois, Sava transfère le corps de Syméon dans sa patrie, et la deuxième fois, il transfère les reliques intactes de son frère de la tombe de Studenica à Žiča. Habituellement, les descriptions des translations occupent une place importante dans chaque hagiographie, et donc il convient de voir leur rôle

70. P. J. Geary, « The Saint and the Shrine. The Pilgrim’s Goal in the Middle Ages », dans L. KriSSRettenBeck, G. Möhler (éd.), Wallfahrt kennt keine Grenzen, Munich – Zurich 1984, p. 268. 71. L’archevêque d’Ohrid soutient dans sa lettre que Sava a commencé à participer dans les festins, à chevaucher les chevaux les plus nobles, beaux, décorés des drapeaux, qu’il mène avec soi de nombreux serviteurs, qu’il se pavane dans les processions solennelles avec une suite luxueuse et variée (cf. G. OStroGorSki, Vizantija i Sloveni [Byzance et Slaves], Belgrade 1970 (Sabrana dela Georgija Ostrogorskog IV), p. 177). La pointe principale des accusations de Chomatianos concernait, pourtant, un attachement jugé trop grand de Sava aux intérêts de l’Église serbe et de sa patrie. D’ailleurs, la lettre de Chomatianos pourrait être considérée comme la réponse directe à la proclamation de Sava de l’Église serbe autocéphale et son élévation au rang de l’archevêque. 72. D. PoPović, « O nastanku kulta svetog Simeona » [« Sur l’établissement du culte de saint Syméon »], p. 72. 73. D. ABrahaMS, « Rituals of Death in the Middle Byzantine Period », The Greek Orthodox Theological Review 29/2 (1984), p. 132-133.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale dans les vies de saint Sava. Domentian contextualise tout l’événement de la translation des reliques de Syméon à travers la fonction sociale exercée par la relique elle-même et le rite de translation : le rôle des saints nationaux consiste à « préparer (pour Dieu) un peuple parfait » 74. L’éloge cette paire de saints qui devrait « éduquer la patrie par divers miracles » a pour obligation de mettre au premier plan le rapport des saints nationaux avec leur propre peuple : ils fournissent l’aide céleste pour leur troupeau, professant la gloire divine aux enfants de leur patrie 75. Le contexte dans lequel Domentian place le rapport des fidèles et de ceux qui les protègent par des prières est caractéristique du ton global de son hagiographie : célébré comme myroblite, Syméon l’est principalement dans sa fonction du père idéal de la patrie, tout comme la protection des saints prédécesseurs est avant tout tournée vers « la victoire contre tous les ennemis et les adversaires de guerre ». La chrétienté patriotique de Sava est explicitée dans la fameuse description par Domentian de son investiture comme archevêque : sanctifié par le choix divin, le troupeau de la patrie lui est confié car personne ne peut s’en occuper mieux que son véritable berger 76. La description des mêmes événements fournie par Théodose n’est pas très différente, dans les détails, de celle de Domentian, mais, et c’est très facile à montrer, les accents sont sciemment placés ailleurs. La dramatisation accentuée de l’énoncé apparaît chez Théodose comme un moyen littéraire éprouvé qui permet d’évoquer, parmi les lecteurs et les auditeurs, cette atmosphère du miraculeux censée terrifier et émerveiller. Il en parle explicitement dans l’introduction de la Vie, quand il prétend qu’il est nécessaire d’écrire les vies « pour les bienfaits qu’elles apportent aux gens » pour que les saints hommes soient considérés comme « des piliers vivants qui se tiennent haut et droit » 77. C’est ainsi que Sava, préparant la translation du corps de Syméon dans sa patrie, invoque de nouveau le miracle de la myroblitie 78. Les deux hagiographes soulignent qu’il a amené avec lui à Studenica les témoins de la première myroblitie, pour qu’ils soient présents durant la nouvelle apparition du même phénomène. Cette phase est clairement reconnaissable dans divers endroits de la littérature hagiographique. Il s’agit de la préparation du catalogue des miracles, qui, en règle générale, contient les déclarations des témoins ; au cours de ce processus, le lieu et le contexte de l’événement miraculeux sont précisément indiqués. En accord avec les règles du genre littéraire, la translation est sciemment représentée : avec les psaumes et les chansons appropriés, humant l’odeur de sainteté, ceux qui avaient été choisis pour

74. 75. 76. 77. 78.

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DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. 146 ; en serbe : p. 145. Ibid., p. 148, 150 ; en serbe : p. 147, 149. Ibid., p. 196 ; en serbe : p. 197. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 1-2 ; en serbe : p. 101. Ibid., p. 81 ; en serbe : p. 161.

Miracle et réécriture participer au cortège se prosternaient en pleurs devant les reliques, les baisaient et les touchaient, soulevant le « second Jacob » 79. Pour la fête du saint, Sava fit des préparations pour accomplir le miracle prochain, priant pour le renouveau des reliques et l’exsudation de la myrrhe que les reliques se renouvellent et que le myron jaillisse à nouveau de l’autre tombe, celle de Studenica. Théodose souligne à cet endroit les capacités spéciales de son héros, « médiateur » dans le miracle, qui font partie des caractéristiques universellement reconnaissables des hommes saints. Ces capacités sont, entre autres, le don de la communication avec les morts et le don des larmes, décrites dans la scène de la prière sur la tombe de son père. Par la dramatisation de l’énoncé il réussit un effet théâtral qui agit sur le lecteur/auditeur en l’introduisant dans une atmosphère du miraculeux, dont le sommet représente est constitué par la vision du thaumaturge qui « semblait tout embrasé et illuminé par la lumière » en quittant l’autel 80. Il faut rappeler à cet endroit un autre épisode dans le texte de Théodose, où Sava, après son ordination au rang d’archevêque, est représenté comme si « la lumière céleste s’est déversée sur lui, et l’a rendu tout embrasé et illuminé par la lumière » 81. Le dogme sur le feu divin comme source d’énergie bienfaisante, qui permet à l’homme l’union avec le divin, est très connu dans le mysticisme chrétien oriental. C’est justement cette image, que Théodose devait très bien connaître de la littérature théologique, sûrement à travers l’œuvre de saint Syméon le Nouveau Théologien, qu’il utilise lui aussi comme effet dans son texte. Ce n’est certainement pas une coïncidence si dans la Vie de Théodose les prières des saints-pères Syméon et Sava sont mentionnées ensemble pour la première fois, au service du salut de la patrie, juste après la description de l’action commune des prières et de la myroblitie confirmée par le miracle de Studenica 82. Tout à fait en accord avec l’intention principale de l’œuvre, la description de ce miracle est suivie d’une série de miracles qui commence par le miracle de guérison du paralytique. Le procédé de la guérison est déjà établi. Il consiste en une prière sur le corps du paralysé, une onction avec des larmes brûlantes, l’invocation de la grâce par l’imposition de la main, et même par la mention du nom du saint 83. Il fallait compléter la série par l’illustration des effets des miracles de Sava à distance. Théodose les représente par l’épisode de l’assèchement de la myroblitie « à cause de nos péchés » et par la requête de Stefan pour que Sava renouvelle la propriété miraculeuse de la tombe à Studenica par ses prières 84. Au catalogue s’ajoute une épître que Sava écrit

79. 80. 81. 82. 83. 84.

Ibid., p. 84 ; en serbe : p. 163. Ibid., p. 88 ; en serbe : p. 166. Ibid., p. 129 ; en serbe : p. 196. Ibid., p. 97 ; en serbe : p. 173. Ibid., p. 114-115 ; en serbe : p. 186. Ibid., p. 119 ; en serbe : p. 189.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale à son père dans l’au-delà, confirmant ainsi d’une manière générale son don spécial de communication avec les morts. C’est précisément ce miracle de « l’intercession » qui complète l’image que Théodose voulait créer, l’image des deux saints qui protègent la patrie dans une synergie de prière : « Car, comme par un accord, les vivants s’entendaient avec les morts » 85. La suite du texte de Théodose indique que les épisodes cités servaient, finalement, à promouvoir le culte commun des saints Syméon et Sava, qui existait dans la pratique religieuse serbe sans doute depuis l’époque d’Uroš I, et qu’ils témoignaient de son importante fonction dans le cadre du programme étatique de Milutin, et peut-être d’un moment plus particulier où il gagnait en actualité politique. Après avoir décrit les événements qui ont confirmé le charisme de Syméon à Studenica, Théodose rapporte la requête de Stefan à Sava pour qu’il reste dans sa patrie, en utilisant ces mots : « Car c’est pour cela que Dieu t’a envoyé, je pense, pour que tu accomplisses ce que notre père n’a pas fini » 86. En fonction du texte de la Vie, il faudrait interpréter ces mots comme un moyen de faire allusion au culte commun, ce qui est, d’ailleurs, confirmé peu après par l’affirmation suivante : « La foi se répandait partout (sur les terres serbes) grâce aux prières de nos saints-pères Syméon et Sava » 87. En construisant le personnage de son héros par l’application systématique de l’idée principale sur la nature miraculeuse des actions de Sava, Théodose accorde une attention spéciale à leur aspect patriotique. Les exemples ne sont pas choisis au hasard, mais ils servent à confirmer un lien soigneusement établi entre le politique et le cultuel, ajoutant ainsi un élément très important au récit. La fonction « politique » des miracles est établie chez Théodose par les descriptions des miracles patriotiques. À cette occasion, nous en mentionnerons deux : le fameux miracle avec la glace 88 et le miracle de la résurrection de Stefan le Premier Couronné. Dans le premier cas, Sava adresse ses prières à Dieu, à la Vierge et à saint Syméon, contre ceux qui font du mal à sa patrie 89. Il réussit à impressionner non seulement ses compatriotes mais aussi ses adversaires, et l’accent est mis sur l’épisode où le roi hongrois renonce à l’hérésie et à la foi latine et accepte l’orthodoxie 90. L’événement cité avec le roi hongrois est très parlant en tant qu’illustration du procédé littéraire de Théodose. Pour corroborer son histoire sur la conversion du roi André II, il rapporte une histoire qui est censée confirmer la véracité de son énoncé. Il était dit, en effet, selon l’hagiographe, que le roi hongrois avait la religion orthodoxe qu’il avait

Ibid., p. 139 ; en serbe : p. 203. Ibid., p. 93 ; en serbe : p. 170. Ibid., p. 97 ; en serbe : p. 173. Il s’agit d’un fameux épisode à la cour du roi de Hongrie, où Sava a manifesté son pouvoir miraculeux de produire la glace pour que son vin soit froid. 89. Ibid., p. 155 ; en serbe : p. 215. 90. Ibid., p. 158 ; en serbe : p. 217.

85. 86. 87. 88.

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Miracle et réécriture nouvellement adoptée, et qu’il avait commencé à faire des miracles après sa mort, de telle sorte que « même aujourd’hui les Hongrois s’en vantent et disent : Nous avons un roi saint et miraculeux qui gît dans sa tombe 91 ! » Il s’agit, comme il est notoire, d’un épisode inventé, mais raconté avec le but clair de témoigner du miracle. Et comme nous lisons aujourd’hui l’histoire du miracle avec la glace et que nous n’y cherchons pas une vérité historique littérale d’un événement qui a été transmis oralement depuis l’époque de Théodose, mais que nous le comprenons correctement comme faisant partie de la série des miracles, ainsi nous n’avons aucune raison d’interpréter d’autres événements, racontés avec les mêmes intentions, comme l’illustration littérale d’un événement historique. Pour cette raison nous considérons l’épisode avec le roi hongrois comme un exemple de miracle patriotique, dont la fonction est d’utiliser l’histoire des pouvoirs miraculeux de Sava et de la synergie en prière des deux saints serbes pour confirmer leur unité dans la défense du royaume. L’épisode de la résurrection de Stefan le Premier Couronné a un rôle spécial dans le catalogue de Théodose. La comparaison de ce passage avec la description du même événement que nous lisons chez Domentian illustre peut-être de la meilleure façon les particularités de la manière dont Théodose comprend le miraculeux, qui sous-entend un lien entre la sainteté et la « raison étatique ». L’aperçu des événements donné par Domentian est beaucoup plus sobre et il inclut l’ange de Dieu comme médiateur du miracle (« Le Père céleste plein de grâce, écouta son serviteur, et commanda à son ange de replacer l’âme dans le corps de celui-ci » 92.) Sava accomplit ce miracle par la prière, en tant qu’homme de Dieu, et son rôle est ensuite décrit dans le rite de la prise d’habit de Stefan : comme il a retrouvé celui-ci réanimé, Sava fit que la volonté divine se produise, baisant sa bouche, et mouillant de larmes brûlantes son visage aimant Dieu, envoyant des profondeurs de son cœur les sanglots de son âme vers le Très-Haut, et de ses mains saintes il le vêtit du grand habit angélique 93.

Contrairement à lui, Théodose construit une atmosphère du miraculeux en se servant des images hagiographiques reconnaissables des miracula : après une prière intense et une lamentation où il implore pour la vie de son frère « qu’il soit vivant de nouveau avant la tombée de la nuit […] que je puisse lui donner l’habit angélique des moines qu’il voulait », Sava a aspergé le visage de son frère de ses « larmes brûlantes », priant avec des mots secrets. Posant ensuite sa main droite sur le cœur du roi il a « inscrit » sur son corps nu

91. Ibid., p. 160 ; en serbe : p. 219. 92. DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. 274 ; en serbe : p. 273. 93. Ibid.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale « l’image de la croix » 94. Il s’agit ici de la pratique confirmée dans la tradition classique de la littérature hagiographique, où nous reconnaissons deux gestes caractéristiques : manum imponerе et signum crucis imponere 95. Théodose varie très habilement le motif des larmes et le motif du feu pour accentuer les propriétés charismatiques du héros, et il a enveloppé l’expérience de la mort dans l’atmosphère du miraculeux, la représentant ainsi comme une anticipation de la grâce divine et du salut collectif futur. L’image de la résurrection du défunt, poignante et bouleversante, appartient à l’atmosphère de la célébration du saint charismatique. Néanmoins, le miracle chez Théodose a un but double et direct : le rite de la prise d’habit assure la continuité dans la succession des princes-moines qui prétendent à la sainteté dynastique, et c’est ainsi que se voit réalisé un plan supérieur. De même, cela procure la légitimité de l’héritage grâce au spectacle marquant du rite de l’investiture du successeur, sanctifié par l’ordre de Sava : « et le saint ordonna que le royaume lui (sc. le futur roi Stefan Radoslav, fils de Stefan le Premier Couronné) soit donné » 96, ce qui promeut l’autorité du grand prêtre au sein de la famille régnante. Nous considérons comme preuve indirecte de notre interprétation du texte de Théodose justement la différence entre les descriptions de cet épisode par Domentian et par Théodose de cet épisode. Selon l’écrivain plus ancien, le Premier Couronné désigne et bénit Stefan Radoslav comme régent, ce qui est suivi par la bénédiction de Sava le rite du couronnement. Or, Théodose ne dit nulle part que c’est l’ancien roi qui désigne son successeur. Au contraire, il dit que Stefan n’a même laissé son royaume à aucun de ses fils, disant : Le royaume n’est pas à moi mais à Dieu et à celui qui a fait des efforts pour lui, le saint archevêque, mon frère. Et comme il l’a donné d’abord à moi par ses prières et sa bénédiction, ainsi, maintenant, il le donnera à celui que Dieu lui désigne 97.

Par ces mots, Théodose renforce l’idée de la monarchie sacrée et du lien important entre l’État et l’Église. En faisant appel aux saints prédécesseurs, et essentiellement à l’autorité de saint Sava, Théodose réactualise l’idée que la légitimité de la succession au trône provient du choix divin, confirmé par le rôle décisif du grand prêtre. Une telle position pourrait être comprise aussi comme un reflet de l’établissement d’une union étroite entre le roi de l’époque (Stefan Milutin) et l’Église, et de la défense de la légitimité du roi, provenant du choix divin. Habituellement, le choix divin a été utilisé pour légitimer les

94. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 160-165 ; en serbe : p. 219-222. Voir G. A. Maloney, The Mystic of Fire and Light: St. Symeon the New Theologian, Denville, NJ 1975 ; H. Alfeyev, St. Symeon the New Тheologian and Ortodox Tradition, Oxford 2005 ; cf. les textes du colloque A. LiDov (éd.), Light and Fire in the Sacred Space, Moscou 2011. 95. P.-A. SiGal, L’homme et le miracle dans la France médiévale, p. 20. 96. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 164 ; en serbe : p. 222. 97. Ibid., p. 161 ; en serbe : p. 220.

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Miracle et réécriture rapports dynastiques litigieux, c’est-à-dire les désaccords entre les pouvoirs politiques réels et les anciennes mœurs de succession au trône. Une telle situation, où le changement de l’ordre de la succession a été confirmé par l’appel au choix divin et à la bénédiction de l’Église, a eu lieu justement en Serbie durant la dernière décennie du xiiie siècle. Le contexte de toute l’histoire de Théodose sur la proclamation de Stefan Radoslav comme roi devrait être observé dans le cadre de son exposé sur le miraculeux, et surtout dans le paragraphe par lequel il termine son histoire. L’auteur de l’hagiographie est conscient que les nouveaux miracles de Sava peuvent causer l’incrédulité, l’hésitation et les pensées ambiguës, et par conséquent il termine son histoire sur les miracles patriotiques par les mots de l’Évangile affirmant que « tout est possible pour celui qui croit » 98. L’exemple cité de la représentation du miracle de la résurrection de Stefan chez les deux hagiographes de Sava, miracle qui avait un contexte et des conséquences politiques clairs, résume les différences dans les fonctions des deux récits que nous avons essayé d’analyser dans ce texte. Les deux auteurs décrivent différemment le second rite important de la translation – celui des reliques de Stefan le Premier Couronné, de sa première tombe de Studenica à l’archevêché de Žiča 99. Domentian relie l’arrivée de Sava à Studenica et sa découverte des reliques intactes à l’histoire du miracle de Sava ressuscitant son frère, et il les situe à l’époque précédant son premier voyage en Palestine. Selon ses mots, Sava s’est adressé au Seigneur « avec foi et assurance », faisant référence à la résurrection faite par le Christ. Le roi est rendu à la vie par l’ordre « de l’œil tout-puissant et terrible » du Seigneur et grâce à l’intercession de son « ange de lumière » 100. Sur la translation du corps, Domentian rapporte : « Encore après un certain temps il l’a transféré […] à Žiča […] où gît encore aujourd’hui, son corps intact » 101. De nouveau, comme c’était le cas dans la description de la première translation des reliques de saint Syméon, la conclusion de Domentian indique sans ambiguïté la fonction sociale de l’annonce des reliques : « Ce qui s’est produit sur ce roi aimant Dieu, était visible à toute sa patrie » 102.

98. Ibid., p. 165 ; en serbe : p. 223. 99. d. PoPović, « Kada je kralj Stefan Prvovenčani uvršten u svetitelje ? » [« Quand le roi Stefan le Premier Couronné était-il canonisé ? »], Zbornik radova Vizantološkog instituta 50 (2013), p. 573585. 100. DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. 274 ; en serbe : p. 273. Sur les mêmes événements lire aussi en détail chez TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 160-165 ; en serbe : p. 219-222. 101. DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], p. 274 ; en serbe : p. 275. 102. Ibid., p. 276 ; en serbe : p. 275.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Théodose, probablement moins bien informé sur les détails réels de cet événement, date tout cet épisode après le voyage de Sava en Orient 103. Selon sa Vie, après s’être recueilli auprès de la tombe myroblitique de son père, Sava a célébré l’office avec le clergé le jour de la mort de Stefan. En ouvrant sa tombe à Studenica, il a trouvé que la dépouille mortelle de son frère était demeurée incorrompue ; après la découverte des reliques intactes, suit leur translation à Žiča, selon les règles prévues par le solennel adventus reliquiarum 104 . La différence entre les deux hagiographes n’est pas seulement dans le fait que leurs chronologies ne sont pas concordantes, ni parce que Théodose décrit tout cet épisode avec une emphase plus forte, caractéristique de son style fleuri. Elle est avant tout déterminée par les différentes préoccupations politiques et idéologiques des commanditaires. Vers le milieu du xiiie siècle, au temps où le roi Stefan Uroš a fait une commande des vies des premiers saints familiaux, Domentian avait devant lui une tâche complexe. Faisant appel au patrimoine des premiers Némanides, il fallait établir la règle du transfert du pouvoir au sein d’une famille, qui ne devient une dynastie héréditaire qu’à partir de règne du Stefan Uroš (1243-1276), et de sanctifier ce pouvoir, assurant ainsi une longue durée à l’héritage des premiers Némanides. C’est pourquoi il a confié à l’écrivain le plus talentueux de sa génération la tâche de construire l’image littéraire de la sainte racine et de ses pousses choisies. L’idée du patronage céleste, systématiquement réalisée dans l’hagiographie, se voit confirmée par les miracles. Ainsi, sa tâche essentielle s’avère la célébration de l’œuvre de Sava pour la sacralisation du royaume, de son effort pour « éduquer la patrie par ses miracles divers ». Dans la génération de Théodose le problème se posait sur un autre plan. La sainteté de la dynastie était célébrée et établie ; pour le roi Stefan Milutin s’ouvrait la question d’assurer la légitimité de son héritage, surtout dans le contexte des perspectives d’alliances plus vastes, qui déplaçaient les frontières des définitions du terme de patrie.

103. Sur la chronologie de la translation des reliques de Stefan voir М. Marković, Prvo putovanje svetog Save u Palestinu i njegov značaj za srpsku srednjovekovnu umetnost [Le premier voyage de Saint Sava à Palestine], Belgrade 2009, p. 14-15. 104. Sur l’accueil des reliques comme adventus triomphal, dans le milieu serbe, voir les arguments de D. PoPović, « Srpska vladarska translatio kao trijumfalni adventus » [« Translatio du souverain serbe comme adventus triomphal »], p. 233-252.

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CHAPITRE IV EN ATTENDANT LA FIN : LES TEXTES PROPHÉTIQUES

Le genre eschatologique dans la tradition littéraire serbe Les écrits apocalyptiques byzantins ont exercé une grande influence sur la littérature de ce genre qui naquit dans tout le vaste territoire des pays ayant évolué sous l’égide culturelle de l’Empire. L’essor des écrits prophétiques a été favorisé par l’atmosphère d’attente de la fin des temps, devenue populaire surtout au cours du xive siècle, pour atteindre son apogée, dans le cas des territoires serbes, au xve siècle, au début de l’occupation ottomane. Le chercheur qui étudie ces divers genres littéraires alors chers au peuple, ainsi que la tradition manuscrite serbe au sein des scriptoria monastiques, se confronte inévitablement à l’apparition d’une nouvelle valeur dans la relation de l’homme médiéval avec la complexité du divin. Les textes que nous analyserons ont servi comme instruments de légitimation de nouveaux saints, lieux de culte et pratiques sociales ; la structure et la fonction spécifique de ces textes sont bien illustrées dans le cadre du genre hagiographique dans lequel ils apparaissent, ainsi que dans le cadre de la tradition apocalyptique. Nous mettrons au centre de notre étude les traductions d’écrits prophétiques et la rédaction de nouveaux, ainsi que la création de sous-genres littéraires qui accompagnent ce processus. Pour comprendre leur réception chez les Serbes du Moyen Âge, nous suivrons les thèmes de la « dernière génération » et des « temps derniers », qui sont apparus dans la littérature serbe de la fin du xve siècle et qui ont été pris comme dénominateurs communs des divers récits de ce genre littéraire. La multiplication des textes (et des images) consacrés aux rêves et prophéties durant le bas Moyen Âge témoigne de l’intérêt croissant que la culture chrétienne a porté au surnaturel, lui attribuant une place importante dans les sources narratives (hagiographie, recueils de miracula et mirabilia ainsi que la littérature romanesque en langue vernaculaire). La formation d’une image complète de la « fin » dans la mentalité et le climat spirituel de l’époque est certainement le résultat d’un entrelacs complexe de la pensée eschatologique, de la tradition apocalyptique et des circonstances historiques réelles. Les prophéties, les rêves et les visions sont restés pendant toute la durée de l’histoire byzantine une partie vivante et importante de sa culture, et ils représentaient une voie de révélation, un moyen privilégié de communication avec l’au-delà. Principalement dérivée des modèles apocalyptiques et sibyllins, la prophétie demeure centrée sur Jérusalem, voire sur le destin de 175

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Constantinople comme nouvelle Rome – capitale du dernier empire et héritière de Rome dans son rôle de Grande Babylone de l’Apocalypse biblique 1. À côté de la tradition sibylline naquit toute une littérature de nature prophétique. Portant sur l’avenir de l’Empire byzantin, cette littérature reste centrée sur le thème de l’attente du dernier empereur et de la fin des temps. Ces apocalypses populaires sont basées sur le récit du dernier empereur byzantin qui irait jusqu’à Jérusalem pour rendre sa couronne à Dieu en l’accrochant sur la Croix. La plus grande partie de la littérature eschatologique, dérivée du texte attribué au prophète Daniel 2, constamment réadapté aux nouveaux contextes historiques, repose sur la certitude que l’Empire romain est le quatrième et dernier empire de la création, qui sera remplacé seulement par le royaume de Dieu 3. À propos des textes prophétiques, on peut distinguer, en général, deux « plans » temporels de ces œuvres : la première partie du texte, qu’on peut qualifier d’« historique », comprend les prophéties ex eventu, tandis que la deuxième partie est orientée vers le futur et annonce l’avènement de l’empereur idéal 4. Leur tradition manuscrite est souvent complexe à cause des remaniements et des adaptations qui ont été conditionnées par les événements historiques contemporains et le besoin d’adapter la prophétie aux divers besoins de l’époque, du milieu et de l’auteur du texte lui-même. Il est évident que les idées eschatologiques ont influencé l’histoire de l’Empire comme incitation à l’action politique : en tant qu’instrument de légitimation politique, la prophétie fonctionnait dans le monde byzantin comme une sorte d’« arme du pouvoir », qu’elle se présente comme partie intégrante d’un récit hagiographique ou comme discours indépendant 5. Les récits qui, au sens le plus large, appartiennent au genre apocalyptique, sont plus ou moins établis selon le canon historique. La longue tradition de la littérature prophétique montre que la prophétie est considérée comme un savoir historique fiable, surtout parce qu’elle offrait un cadre crédible pour

1.

2.

3. 4. 5.

M.-H. ConGourDeau, « Jérusalem et Constantinople dans la littérature apocalyptique », dans M. KaPlan (éd.), Le sacré et son inscription dans l’espace à Byzance et en Occident, Paris 2001, p. 125-136 ; P. MaGDalino, « Prophecies on the fall of Constantinople », dans A. laiou (éd.), Urbs Capta. The Fourth Crusade and its Consequences, Paris 2005 (Réalités byzantines 10), p. 41-53. P. J. AlexanDer, The Byzantine Apocalyptic Tradition, D. De F. ABrahaMSe (éd.), Berkeley, CA 1985, p. 72-77 ; L. Di ToMaSSo, The Book of Daniel and the Apocryphal Daniel Literature, Leiden – Boston, MA 2005 ; sur l’usage politique des Visiones Danielis voir A. TiMotin, Visions, prophéties et pouvoir à Byzance. Étude sur l’hagiographie méso-byzantine (ixe-xie siècles), Paris 2010, p. 131-134. G. PoDSkalSky, Byzantinische Reischeschatologie, Munich 1972 ; W. BranDeS, « Die apokalyptische Literatur », dans F. WinkelMann, W. BranDeS (éd.), Quellen zur Geschichte des frühen Byzanz (4.-9. Jahrhundert), Berlin 1990 (Berliner byzantinische Arbeiten 55), p. 305-322. Paul Alexander appelle cette deuxième partie des prophéties the wish-prophecy ; voir P. J. AlexanDer, « Medieval Apocalypses as Historical Sources », American Historical Review 73 (1968), p. 997-1018. A. TiMotin, Visions, prophéties et pouvoir à Byzance, p. 119-209.

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee l’ensemble de l’Histoire. C’est pourquoi les prophéties donnaient du sens, une signification et une structure à des réalités historiques parfois inexplicables ; les événements du passé et du présent ne trouvaient leur plein sens qu’une fois incorporés dans le schéma du récit, dont le but était d’indiquer l’accomplissement final du plan temporel. Un élément important de l’analyse réside dans le fait que les prophéties étaient les sources uniques de la pensée historique établie, fondée sur l’inspiration divine. Cette pensée était reprise comme une image déjà formée du monde existant et de son passé. Outre l’interprétation unique de l’événement, on y puisait les savoirs sur l’avenir, nécessitant une solide érudition herméneutique 6. Le canon historique se forme à partir de deux visions de l’histoire. La première est fondée sur l’existence d’une relation évidente entre le moment présent, le passé et l’avenir. La deuxième approche de la compréhension de l’histoire se résume dans la conception que l’histoire possède un but final, atteindre le salut collectif. L’idée d’une finalité de l’histoire se formulait comme prise de conscience d’une fin qu’on pouvait calculer précisément ; c’est dans cette attente qu’est rédigée la plus grande partie de la littérature eschatologique. Outre la détermination temporelle, l’attente de la fin des temps allait naturellement de pair avec la question de la localisation spatiale de la scène de la Seconde Parousie 7. Bien que l’identification de Constantinople avec la Nouvelle Jérusalem ait pu naître déjà à l’époque où la légende de la Vraie Croix devenait populaire, c’est au plus tard à partir du vie siècle que, dans la tradition orientale, ce lieu fut sans détour identifié avec Constantinople – « la ville aux sept collines », le pendant terrestre du palais céleste du Christ 8. La cohérence de ces deux points de vue sur l’histoire, ainsi que les multiples manières dont l’attente de la fin se formulait dans la conscience des gens du Moyen Âge, impliquaient une conception du temps précisément établie, selon laquelle toute l’histoire du salut chrétien était sans cesse représentée et constamment répétée dans la dramaturgie des rites ecclésiastiques et publics.

6.

7. 8.

R. W. Southern, « Aspects of the European Tradition of Historical Writing: History as Prophecy », Transactions of the Royal Historical Society 22 (1972), p. 159-180 ; P. MaGDalino, « The history of the future and its uses: prophecy, policy and propaganda », dans R. Beaton, C. Roueché (éd.), The Making of Byzantine History. Studies dedicated to Donald Nicol, Londres 1993, p. 3-33. B. McGinn, Visions of the End. Apocalyptic Traditions in the Middle Ages, New York, NY 1979, p. 1-36. La scène de la Seconde Parousie était placée aussi à l’Église du Saint-Sépulcre à Jérusalem, où était gardée la mémoire du Calvaire. Sur cela cf. A. M. Volan, Laet Jqdgemente and Laet Em eprpe  Illustrating Apocalyptic History in Late- and Post-Byzantine Art, Chicago, IL 2005, p. 205. Sur Jérusalem comme scène de la Seconde Parousie voir aussi l’étude de G. J. Reinink, « Ps.-Methodius: A Concept of History in Response to the Rise of Islam », dans A. CaMeron, L. I. ConraD (éd.), The Byzantine and Early Islamic Near East, t. 1, Problems in the literary source material, Princeton, NJ 1992, p. 149-187, en particulier p. 184.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale La montée de l’Islam représente une rupture importante dans cette tradition, ce qui a naturellement influencé le développement des idées eschatologiques 9. L’apparition de la prophétie du Pseudo-Méthode sur le dernier empereur romain, vers la fin du viie siècle, coïncide avec une série de catastrophes naturelles qui ont été interprétées comme le signe de la colère de Dieu 10. Ce manuscrit, attribué à tort à l’évêque-martyr de Patara du ive siècle, divise l’histoire humaine en sept millénaires, en la voyant comme une succession intermittente de quatre empires. Le concept de l’histoire chez PseudoMéthode, apparu en réponse directe aux succès de l’Islam, est fondé sur la conviction que l’avenir ne peut être perçu qu’en comprenant les événements passés par l’utilisation des méthodes de l’exégèse typologique et symbolique dans l’interprétation des phénomènes historiques 11. La typologie du PseudoMéthode souligne l’unité du quatrième et dernier empire, comme le préfigure également la Vision de Daniel. L’unité est formée selon le modèle de la comparaison entre le premier et le dernier empereur, en établissant le lien entre le commencement et la fin – le passé, le présent et l’avenir. En premier lieu, rappelons que dans l’Empire byzantin le pressentiment de la fin du monde est presque entièrement lié à la tradition littéraire, autrement dit au texte écrit de la prophétie apocalyptique, et cela à partir du texte déjà mentionné du Pseudo-Méthode, apparu dans la communauté syrienne monophysite de la fin du viie siècle 12. Composé comme une sorte de plaidoyer en faveur de l’union des chrétiens, le texte a été traduit peu après son apparition du syriaque en grec et ensuite du grec en latin, devenant ainsi un des textes apocalyptiques les plus influents, aussi bien en Orient qu’en Occident 13. Le texte prophétique est composé de deux parties, dont la première, historique,

9.

10. 11. 12. 13.

La popularité de l’idée chrétienne d’intercession rentrait dans le cadre de la popularité grandissante des saints hommes et prophètes, essentiellement dans les villes de l’empire. La valeur des icônes, et surtout des saintes images qui n’étaient pas faites de main d’homme et de leur action miraculeuse, a été reconnue comme phénomène-clé dans ces évolutions vis-à-vis de l’idée de la Seconde Parousie. Ces tendances se sont accentuées durant le règne d’Héraclius, au début du viie millénaire, au moment où de nombreux événements étaient interprétés comme des présages des jours derniers. Toute une série d’actions de la propagande impériale et la diffusion de prévisions astrologiques renforcèrent la perception du drame apocalyptique dans le moment présent. Cf. A. CaMeron, « Images of Authority: Elites and icons in Late Sixth-Century Byzantium », Past & Present 84 (1979), p. 3-35. Pour la datation des textes attribués à l’évêque Méthode de Patara vers la fin du viie siècle, cf. G. J. Reinink, « Ps.-Methodius: A Concept of History in Response to the Rise of Islam », p. 178186. Ibid., p. 153, 186. Dans la tradition des prophéties du Pseudo-Méthode entrent aussi les premières traductions des livres sibyllins : P. J. AlexanDer, The Byzantine Apocalyptic Tradition, p. 13-51. Pour les éditions des traductions grecques et latines, voir Subsidia 97-98 (1998) ; cf. P. J. AlexanDer, The Byzantine Apocalyptic Tradition, p. 163. L’édition de la traduction grecque et latine de PseudoMéthode : W. J. AertS, G. A. A. KortekaaS (éd.), Die Apokalypse des Pseudo-Methodius. Ältesten Griechischen und Lateinischen Ubersetzungen, vol. 1-2, Louvain 1998.

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee suit les événements de l’histoire du monde à la manière d’une chronique universelle, depuis les commencements bibliques jusqu’à l’époque de l’apparition du récit. La seconde partie, la prophétie apocalyptique, décrit le destin du monde, en particulier de l’Empire byzantin au temps du Jour du Jugement, jusqu’à la Seconde Parousie du Christ. Ainsi, l’histoire continue dans l’avenir apocalyptique. La littérature ultérieure a emprunté à ce texte plusieurs sujets qui sont devenus des topoï du nouveau genre littéraire 14. Le sujet le plus caractéristique est, bien sûr, la légende de l’arrivée messianique du dernier empereur byzantin, qui a laissé une trace considérable dans les textes apparus dans les pays orthodoxes de l’espace culturel byzantin sous domination ottomane 15. Cette prophétie populaire a servi aussi de modèle dans un cadre plus large : c’est sous son influence que la tradition prophétique ultérieure a pris la forme d’une histoire universelle, biblique et empirique, qui élargit le cadre du récit jusqu’à la période de sa rédaction. Des parties de la Vision de Daniel 16 et de la Vie d’André Salos 17 ont été ainsi puisées dans le texte du Pseudo-Méthode. Les modèles de l’histoire universelle comprenaient des calculs de la durée d’existence de l’univers, appuyés sur les interprétations numériques des prophéties de l’Ancien Testament, comme celle du Psaume 90 4 : « Car mille ans sont, à tes yeux, comme le jour d’hier, quand il n’est plus, et comme une veille de la nuit », qui donnait un sens supplémentaire à la symbolique de la semaine divine de la Genèse. Selon ce calcul, le monde aurait duré six mille ans, après quoi se serait ensuivi le dernier septième millénaire, les ultimes mille ans du royaume céleste 18. L’importance de l’Apocalypse de Pseudo-Méthode tient aux faits suivants. En introduisant le motif du dernier empereur comme figure

14. Sur le rôle de la prophétie du Pseudo-Méthode dans différents mouvements héliastes cf. P. J. AlexanDer, « The Diffusion of Byzantine Apocalypsis in the Medieval West and the Beginnings of Joachimism », dans A. WilliaMS (éd.), Prophecy and Millenarism. Essays in Honor of Marjorie Reeves, Suffolk 1980, p. 53-106. 15. Sur l’influence de la prophétie du Pseudo-Méthode, voir aussi P. J. AlexanDer, « Byzantium and the Migration of Literary Works and Motifs: the Legend of the Last Roman Emperor », Medievalia et Humanistica 2 (1971), p. 47-68. Pour les éditions des traductions grecque et slave de l’écrit de Pseudo-Méthode voir V. IStrin, Otkprvente Mefrdtja Patapekagr t a rkptfčeekt vtděntja Danttla v vizantiiskoj i slavjano-russkoj literaturah [La prophétie de Pseudo-Méthode et les visions apocryphes de Daniel dans la littérature byzantine et slave-russe], Moscou 1897. 16. Sur le lien entre la Vision de Daniel, surtout le chapitre IX, et le texte du Pseudo-Méthode avec ses traductions slaves, cf. P. J. AlexanDer, The Byzantine Apocalyptic Tradition, p. 61-62 ; A. M. Volan, Last Judgements and Last Emperors, p. 55-59. 17. La Vie de saint André le Fou écrite par Nicéphore, prêtre de Sainte Sophie, date probablement du milieu du xe siècle. L’apocalypse a été insérée dans la Vie sous la forme d’une réponse du saint à son disciple Épiphane sur la chute de Constantinople et la fin des temps. Le texte de la Vie a été publié par L. RyDen, « The Andreas Salos Apocalypse: Greek Text, Translation and Commentary », Dumbarton Oaks Papers 28 (1974), p. 197-261 (pour la question du lien avec le texte de la prophétie de Pseudo-Méthode voir p. 238-246). 18. S. MacCorMack, « Christ and the Empire. Time and Ceremonial in Sixth Century Byzantium and Beyond », Byzantion 52 (1982), p. 287-309 ; G. PoDSkalSky, « Représentation du Temps dans

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale messianique qui conquiert Jérusalem, détruit l’islam et apporte l’âge d’or de la paix et de la prospérité, ce texte a permis de réactualiser sans cesse l’idée de l’accomplissement de l’Histoire 19. D’un autre côté, ce texte a confirmé le rôle central de Constantinople comme capitale dans l’idéologie apocalyptique. L’une de ses idées importantes, créée ultérieurement, était la certitude que Constantinople, tout comme Rome, comprenait sept collines 20. C’est ainsi que fut créé un modèle imaginaire qui a survécu à l’Empire lui-même 21. La tradition des Prophéties de l’empereur Léon le Sage a elle aussi été très importante pour la réception de la littérature prophétique dans l’aire culturelle balkanique. Pour cela, nous porterons brièvement notre attention sur cette œuvre, en essayant de répondre à une suite de questions liées à l’apparition sur le territoire des Balkans des traductions, adaptations et livres illustrés de prophéties, venant tant de Byzance que des pays dans lesquels la tradition byzantine a été transmise. Dans la littérature oraculaire des Byzantins, une place importante revient à la collection de prophéties connue sous le nom des Oracles du très sage empereur Léon 22. L’origine et la popularité de la légende du don prophétique de Léon le Sage pourraient se trouver dans la propagande

19.

20.

21. 22.

l’Eschatologie Impériale Byzantine », dans J.-M. Leroux (éd.), Le Tem e cpphtten de la fn de l’Antiquité au Moyen Âge, iiie-xiiie siècles, Paris 1984, p. 441-443. Le motif de la révélation du Roi Sauveur est devenu un lieu commun dans la littérature apocalyptique. Les textes apocalyptiques qui ont eu comme thème central le Dernier Empereur sont l’Apocalypse de Pseudo-Méthode, les Visions de Daniel et l’Apocalypse de Pseudo-André Salos. Nous pouvons ajouter à cela le texte en prose qui, dans plusieurs manuscrits, venait juste après les Oracles de Léon le Sage, et que Paul Alexander аppelle Cento of the True Emperor (P. J. AlexanDer, The Byzantine Apocalyptic Tradition, p. 130-136). Plusieurs prophéties circulant sous le titre de Vision de Daniel ne sont que des versions plus au moins remaniées et interpolées du PseudoMéthode. Sur le motif du Dernier Empereur, voir G. J. Reinink, « Pseudo-Methodius und die Legende vom Römischen Endkaiser », dans W. WerBeke, A. WelkenhuySen (éd.), The Use and Abuse of Eschatology in the Middle Ages, Louvain 1988, p. 82-111. Une telle certitude contredisait la réalité topographique de Constantinople, ce qu’ont montré les travaux des chercheurs modernes. Pour cette question, cf. W. BranDeS, « Die imaginäre Topographie Konstantinopels zwischen apokalyptischem Denken und moderner Wissenschaft », Rechtsgeschichte 2 (2003), p. 58-71 ; A. BerGer, « Das apokalyptische Konstantinopel. Topographisches in apokalyptischen Schriften der mittelbyzantinischen Zeit », dans W. BranDeS, F. SchMieDer (éd.), Endzeiten. Eshatologie in den monoteistischen Weltreligionen, Berlin – New York, NY 2008, p. 139-141. Le premier texte dans lequel les sept collines de Constantinople sont mentionnées explicitement est un poème de Constantin le Rhodien, consacré à l’église des Saints Apôtres, écrite en 931. Cf. É. LeGranD, « Description des œuvres d’art et de l’église des Saints Apôtres de Constantinople. Poème en vers iambiques par Constantin le Rhodien », Revue des Études Grecques 9 (1896), p. 32-65 (d’après W. BranDeS). P. MaGDalino, « Prophecies on the fall of Constantinople », p. 42. Sur le texte des Patria qui traite de la superstition et de la croyance prophétique dans la capitale, voir G. DaGron, Constantinople imaginaire. Études sur le recueil des « Patria », Paris 1984, p. 115-127. Sur la tradition des oracles de Léon voir C. ManGo, « The Legend of Leo the Wise », Zbornik radova Vizantološkog instituta 6 (1960), p. 59-93 ; M.-H. ConGourDeau, « Les Oracula Leonis », dans C. D. FonSeca (éd.), Gioachimismo e profetismo in Sicilia (secoli 13.-16.), Rome 2007,

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee impériale à l’époque macédonienne. Ces oracles faussement attribués à Léon le Sage 23, centrés sur Constantinople, parlent du destin de l’empire byzantin. Le corps central des oracles léonins est divisé en deux groupes. Il s’agit d’une collection de quinze brefs oracles en vers iambiques 24, écrits en grec érudit, chaque oracle accompagné par une illustration symbolique et énigmatique. Ces images avaient une caractéristique importante : ce n’étaient pas de simples illustrations, mais elles contenaient aussi des éléments et des significations qui n’étaient pas décrits dans le texte, de façon que nous pouvons appeler tout ce groupe de textes lee pr phttee fgqphee. Nous ne rencontrons ce type d’illustrations du texte historique que dans les chroniques byzantines 25. L’autre groupe d’oracles rassemble des poèmes plus longs, écrits en grec populaire, dont une partie est facilement datable du xiiie siècle. Ce qui rendait les Prophéties de Léon le Sage uniques, et particulièrement intéressantes pour notre sujet, est le fait que, bien que de nombreux manuscrits contenant des prophéties sur les futurs empereurs byzantins aient été répertoriés, nous ne sommes pas sûrs qu’il y ait eu des manuscrits illustrés de ce genre avant le xvie siècle. La rareté de ce type de manuscrit est sans doute liée au fait que jusqu’au xve siècle, l’Église orthodoxe n’a pas considéré l’Apocalypse de Jean comme texte canonique 26. Cependant, il nous reste quelques témoignages sur l’existence éventuelle d’oracles illustrés. Le Continuateur de Théophane 27 décrit un livre d’oracles sibyllins illustrés qui se trouvait dans la bibliothèque de Léon V l’Arménien ; la même chose est attestée chez Grégoras 28 dans un passage sur la mort d’Andronic II (1332). Dans les deux cas, certaines images mentionnées (celle du renard et du trône vacant) sont

23.

24. 25. 26. 27. 28.

p. 79-91. Pour l’édition du texte voir J.-P. MiGne (éd.), Patrologiae cursus completus. Series graeca, t. CVII, Paris 1863, col. 1129-1140. Sur l’attribution de la prophétie à Léon le Sage voir C. ManGo, « The Legend of Leo the Wise », p. 69-93. Sur le contexte de la politique propagandiste des Macédoniens, voir l’édition et l’analyse d’un texte du xvie siècle considéré comme une introduction historique aux Oracles de Léon : G. DaGron, J. ParaMelle, « Un texte patriographique. Le “Récit merveilleux, très beau et profitable sur la colonne du Xèropholos” (Vidnob. Suppl. gr. 172, fol. 43v-63v) », Travaux et Mémoires 7 (1979), p. 491-523. À l’exception des oracles IX et X qui sont en prose et présentent une interpolation. Sur les Oracles de Léon le Sage dans la tradition byzantine, voir J. Vereecken, L. HaDerMann-MiSGuich, Les Oracles de Léon le Sage illustrés par Georges Klontzas, Venise 2000, p. 33-36. Ibid., p. 36. Ibid., p. 42 et n. 31. Ce livre d’oracles contenait des illustrations et des figures en couleurs représentant les empereurs futurs. L’auteur mentionne la figure de Léon : I. BekkeruS (éd.), Theophanes Continuatus, Bonn 1838, 35, 20-36, 7. Dans son Histoire byzantine Nicéphore Grégoras (L. SchoPen (éd.), Nicephori Gregoræ Byzantina Historia, Bonn 1829, I, 441, 5-14), qui était passionné par les sciences occultes, raconte la prophétie sur la lettre kappa qu’on retrouve dans les Oracles de Léon. Il dit qu’Andronic II possédait un livre dont les images énigmatiques recelaient des indications sur les empereurs futurs. L’empereur y était représenté par l’image d’un renard (Ibid., p. 177-178).

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale les mêmes que celles qui figurent dans l’Oracula Leonis. La popularité des oracles illustrés pouvait s’expliquer par la croyance au pouvoir magique des images, comparable à l’importance qu’on portait aux statues et aux monuments de Constantinople, voire à leur caractère prophétique 29. Une grande production de manuscrits contenant des Oracles est attestée en Italie du Nord au xvie siècle, pour la plupart liée à la propagande antiturque. Parmi les 57 manuscrits conservés, aucun n’est antérieur au xvie siècle, la plupart provenant d’Italie et de Crète 30. Un bel exemple de la transmission et de la diffusion des Oracles est l’édition conçue par l’humaniste crétois Francesco Barozzi (Baroccianus gr. 170), provenant de l’atelier du peintre crétois George Clontzas et exécutée entre 1575 et 1577 pour un noble vénitien. Le manuscrit a été présenté comme une adaptation des Oracles au contexte historique de la domination des Turcs. Toutefois, un grand nombre de manuscrits (plus de 80) qui représentaient la traduction latine du texte ont été préservés ; les plus anciens datent du xiiie siècle, basés sur un original grec aujourd’hui perdu 31. La version slave des Oracles de Léon, en slavon-serbe, se trouve dans un seul manuscrit qui date du xve siècle et ne contient pas d’illustrations (collection Sevastjanov no 43, Moscou, Bibliothèque d’État 32). Dans le texte il y a cependant des espaces vides réservés aux images. Le texte a été traduit du grec, car il contient plusieurs phrases qui n’existent pas dans la version latine ; il est presque certain que l’ancêtre grec de la traduction slave venait de Crète 33. La comparaison de cette traduction avec la version grecque de la Prophétie montre qu’il s’agit plus ou moins d’une traduction littérale, avec un certain nombre de fautes dues à une compréhension insuffisante de l’original grec. Le texte commence par une « lamentation », c’est-à-dire une prédiction du sombre destin de la ville aux sept collines et de la chute de ses remparts. La chute, selon cette prophétie, adviendra comme châtiment à cause des « hommes puissants » qui jugeaient injustement, volaient et blasphémaient Dieu (n. 9). Dans la strophe suivante (n. 10) apparaît l’Oint, et les vers dans la strophe n. 11 annoncent la légende de l’étranger endormi depuis longtemps dans une grotte, se réveillant un jour et sortant dans le monde. Il ressuscite les morts et rassemble les justes, chasse les iniquités et annonce l’âge de la

29. A. BerGer, « Das apokalyptische Konstantinopel », p. 135-155. 30. J. Vereecken, L. HaDerMann-MiSGuich, Les Oracles de Léon le Sage illustrés par Georges Klontzas, p. 51 et n. 66, où est citée la liste des manuscrits. 31. C. ManGo, « The Legend of Leo the Wise », p. 62 ; J. Vereecken, L. HaDerMann-MiSGuich, Les Oracles de Léon le Sage illustrés par Georges Klontzas, p. 52. 32. J. Vereecken, « Les Oracles de Léon le Sage en slavon serbe. Fragment inédit d’un manuscrit du xve siècle de la Bibliothèque Lenine à Moscou », Slavica Gandensia 14 (1987), p. 104-128. Le manuscrit contient la traduction serbe entière. Sur les traductions slaves voir ibid., p. 108-109 (avec la bibliographie). 33. Ibid., p. 110-111. Le plus proche parent de la version serbe est le Marcianus gr. VII, 22 qui contient la grande chronique illustrée par Klontzas.

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee prospérité. La prophétie parle de « l’empereur de pierre » qui apparaît périodiquement, retournant de temps en temps dans « la terre ». Dans les vers suivants (n. 12) il est comparé à une colonne, il apparaît à Constantinople tenant un sceptre de la gloire (dans la traduction, la ville de Constantin est désignée par le terme slave habituel de « Carigrad » – ville impériale), et toute son activité est, sans ambiguïté, liée à la ville aux sept collines. Jusqu’à la fin du texte l’auteur de la prophétie s’adresse directement au souverain – « à l’homme de la lignée première » (n. 13), prédisant sa gloire future, pour constater à la fin que sur lui reposait « le début de tout ce qui est bon et la fin » (n. 14) 34. Peu après 1400 apparaît encore en slavon serbe une autre traduction des prophéties de Léon le Sage, l’écrit Sur les temps futurs, que la tradition populaire attribue au despote Stefan Lazarević, connu comme poète et savant 35. Toute cette tradition littéraire, particulièrement foisonnante durant le bas Moyen Âge, apparaît dans le sud des Balkans avec des marques caractéristiques : fortement ancrés dans l’imaginaire, ces récits montrent une capacité à porter les messages divins, tout en demeurant une partie intégrale d’un schéma plus large de l’interprétation énigmatique du futur. En essayant de mieux connaître cette tradition littéraire, nous nous attarderons sur trois sujets, importants pour comprendre tant la diversité de cette littérature que la prépondérance de la tradition byzantine lors de sa formation. Le premier est l’apparition dans la tradition des Slaves du Sud de textes montrant les visions de l’au-delà, comme l’Apocalypse de sainte Anastasie. Le deuxième sujet concerne la réactualisation, vers la fin du Moyen Âge, des textes prophétiques d’origine byzantine. À ce sujet, considérant l’analyse des influences que les textes apocalyptiques de ce type exerçaient dans le milieu serbe des xve et xvie siècles, nous nous intéresserons particulièrement à la réactualisation de ces textes à l’époque de la chute de l’Empire byzantin. Nous prêterons également attention aux projets ultérieurs portant sur la colonisation vénitienne. Le troisième sujet porte sur l’apparition simultanée de nouveaux genres littéraires liés au thème de la fin des temps, comme les récits (lamentations, prières et prophéties) dans lesquels s’exprime le pressentiment que la fin approche. Les récits de visions de l’au-delà L’étude des textes médiévaux qui appartiennent au genre des prophéties et des récits apocalyptiques a une tradition longue et déjà bien développée. Le genre littéraire des récits des voyageurs dans l’au-delà a été étudié avec

34. Ibid., p. 116-123. 35. Édition du texte : Đ. Daničić, « Proroštvo despota Stefana Lazarevića » [« La prophétie du despote Stefan Lazarević »], Starine IV (1872), p. 81-85 ; en serbe : T. Jovanović (éd.), Stapa ep eka knjtževnost. Hrestomatija [Ancienne littérature serbe], Belgrade, Kragujevac 2000, p. 633-637.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale le but de pénétrer dans le milieu culturel qui a façonné cette production littéraire, tout comme dans celui auquel elle était destinée. Outre son appartenance à la tradition littéraire 36, ce genre est abordé dans le contexte de l’étude du rapport entre cultures érudite et populaire, qui a attiré l’attention des chercheurs grâce à l’essor des études anthropologiques, depuis les années 1970 37. Le genre littéraire lui-même était connu du public médiéval à l’occident aussi bien qu’à Byzance dès la fin du vie siècle 38. Ce genre littéraire largement répandu dans l’espace méditerranéen, « servait de véhicule littéraire pour communiquer des messages à contenu philosophico-religieux » 39. Les typologies du genre littéraire des visions devraient également prendre en considération la catégorie des compositions littéraires connues comme « les voyages de l’âme », qui ont influencé presque tous les types de visions de l’au-delà, y compris de nombreux textes apocalyptiques. Le « voyage de l’ȃme » met l’accent sur la relation privilégiée du saint avec l’au-delà. Ce type de récit correspond souvent à des visions ou à des apparitions 40. Dans la littérature byzantine, à côté de la tradition des apocryphes apocalyptiques, il existe aussi une tradition hagiographique concernant les visions de l’au-delà. Elle date déjà de l’époque des apophtegmes, malgré la méfiance manifeste des ermites à l’égard des visions. Dans l’hagiographie méso-byzantine on trouve fréquemment les récits de visions de l’au-delà, également sous la forme de récits autonomes (l’Apocalypse d’Anastasie, la Vision du moine Cosmas) ainsi que des récits insérés dans des textes hagiographiques (la Vie d’André Salos, la Vie de Basile le Jeune, la Vie de Niphon etc. 41).

36. M. AuBrun, « Caractères et portée religieuse et sociale des “visions” en Occident du vie au xie siècle », Cahiers de civilisation médiévale 23 (1980), p. 109-130 ; J. Baun, Tales from Another Byzantium. 37. J.-C. SchMitt, « Les traditions folkloriques dans la culture médiévale. Quelques réflexions de méthode », Archives des Sciences sociales de religions 52/1 (1981), p. 5-20. 38. Selon certaines analyses, l’exemple précoce de la Visio Baronti est un prédécesseur d’un nouveau genre littéraire, commençant vers la fin du vie - début du viie siècle à l’ouest : V. Y. Hen, « The structure and aims of the Visio Baronti », Journal of Theological Studies 47/2 (October 1996), p. 477497. Pour le texte de la Visio Baronti cf. W. LeviSon (éd.), Visio Baronti monachi Longoretensis, Hanovre 1910 (MGH SRM V), p. 368-394. Cf. aussi C. Carozzi, Le voyage de l’âme dans l’audelà d’après la littérature latine (ve-xiiie siècles), Rome 1994 (Collection de l’École Française de Rome 189), p. 139-186. Le genre lui-même est dérivé des traditions bibliques et patristiques, surtout des visions de l’au-delà décrites dans les Dialogues de Grégoire le Grand. 39. A. TiMotin, Visions, prophéties et pouvoir à Byzance, p. 284. 40. P.-A. SiGal, L’homme et le miracle dans la France médiévale, p. 15. 41. É. PatlaGean, « Byzance et son autre monde : observations sur quelques récits », dans Fatpe cprtpe   modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du xiie au xve siècle, Rome 1981 (Collection de l’École Française de Rome 51), p. 201-221 ; J. Baun, « The Moral Apocalypse in Byzantium », dans A. I. BauMGarten (éd.), Apocalyptic Time, Leyde 2000, p. 241-267. Voir aussi, A. TiMotin, Visions, prophéties et pouvoir à Byzance, p. 283-342.

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee La caractéristique commune de toute cette production était l’affinité de ces textes avec les cercles monastiques, indépendante du type de langue dans laquelle le texte était écrit. Cela pouvait être seulement le traditionnel sermo humilis, familier au large public et à la culture populaire dans un sens général, ou bien une langue éloquente, voire érudite de la haute culture monastique. Cela fait longtemps qu’on a reconnu un contexte biblique plus large des textes moralisateurs apocalyptiques. Reposant sur une tradition chrétienne déjà bien développée à l’époque, surtout celle liée aux apocalypses judéo-chrétiennes créées entre le iie siècle avant J.-C. et le iiie siècle après J.-C., ces textes appartiennent au genre des apocryphes de l’Ancien et du Nouveau Testament 42. En accord avec la tradition édifiante de l’hagiographie, les visions de l’au-delà apparaissent sous forme iconographique notamment dans les représentations de thèmes comme le Jugement Dernier 43. Écrits à la façon de petites histoires (par exemple dans la Vie d’André Salos et dans la Vie de Basile le Jeune), ils servent de propagande morale. Les visions de l’au-delà mettent en relief l’importance de la pénitence, de la prière et de la charité, voire de la confession des péchés. Une autre image apparaît véhiculant celle du Paradis dans le texte de vision de l’au-delà 44. La popularité des compositions de ce type a fait que certaines rédactions médiévales tardives ont été recueillies dans des florilèges qui contenaient différents apocryphes, presque tous créés en s’inspirant des prophéties eschatologiques. Puisque notre analyse des textes qui ont circulé dans l’espace des Balkans au bas Moyen Âge porte sur un certain nombre de textes préservés dans les miscellanées, et que ces manuscrits appartiennent à ce groupe mentionné des « voyages de l’âme », ou autrement dit des visions de l’au-delà, il serait instructif de souligner l’importance de la version serbe de l’Apocalypse

42. H. H. RoWley, The Relevance of Apocalyptic. À study of Jewish and Christian Apocalypses from Daniel to the Revelation, Londres 1963. J. Le Goff écrit aussi sur des questions similaires dans son article « Aspects savants et populaires des voyages dans l’Au-delà au Moyen Âge », dans ID., L’imaginaire médiéval, Paris 1985, p. 103-119. 43. Le caractère édifiant de la vision du Jugement Dernier est bien souligné par l’hagiographie. Dans ce cas il s’agit souvent de l’intention de l’hagiographe de promouvoir son héros comme intercesseur et protecteur au jour du Jugement. 44. On en trouve un bon exemple dans la Vie de Philarète le Miséricordieux, au début du ixe siècle (Bibliotheca hagiographica graeca, 1511z-1512b), rédigée par Nicétas, originaire de Paphlagonie, le petit-fils de Philarète. Dans cette hagiographie les prophéties expriment l’intention d’édifier un culte familial et de renforcer la notoriété d’un lignage. L’éloge de Philarète s’achève par le récit d’un voyage dans l’au-delà de son petit-fils. On trouve presque le même cas avec la Vie de Phantin le Jeune rédigée à Thessalonique dans le dernier quart du xe siècle (Bibliotheca hagiographica graeca, 1509b ; 2366z). La même technique est employée – le voyage dans l’autre monde n’est qu’un témoignage décisif de la sainteté de la famille des fondateurs du monastère, une sorte de marque de son élection divine. Voir A. TiMotin, Visions, prophéties et pouvoir à Byzance, p. 294295.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale d’Anastasie, dont le manuscrit le plus ancien date du xive siècle (MS 29) 45. Ce manuscrit n’a pas fait l’objet d’analyses plus approfondies du fait que les chercheurs demeurent concentrés sur une problématique plus générale. Regardons en premier lieu de quelle sorte de texte il s’agit. Le récit connu comme l’Apocalypse d’Anastasie appartient au genre des visions de l’au-delà. Écrit en grec pour un large public vers la fin du xe siècle, il traite des voyages visionnaires dans le monde de l’au-delà 46. Dans un sens plus large, le texte appartient au corpus de la tradition byzantine apocalyptique. Le caractère distinct de cette compilation, fondée sur des apocryphes de l’Ancien Testament – l’Apocalypse de Baruch, le Livre d’Énoch –, et du Nouveau Testament – l’Apocalypse de Paul, la Lettre tombée du Ciel, Didascalie de notre Seigneur Jésus-Christ et Théotokos – repose avant tout sur le fait que, dans ce récit apocryphe extraordinaire, le personnage principal, transporté au Paradis pour y voir quelques-uns de ces lieux mystérieux, n’est pas un des élus. Préoccupés par le comportement moral et l’eschatologie de l’âme individuelle, les récits de ce genre servaient à procurer un guide moral immédiat ; en tant que « fictions normatives », de telles histoires destinées à soutenir les normes morales ont coïncidé avec l’épanouissement d’une hagiographie fictive fantastique, caractéristique de la renaissance des hagiographies du xe siècle sous la dynastie macédonienne et représentée par les vies des saints, notamment celles de Basile le Jeune et d’André le Fou (Salos). L’Apocalypse d’Anastasie, qui rapporte les aventures d’un personnage fictif, a une ambition bien plus grande que celle d’offrir un simple récit hagiographique destiné à soutenir un culte déjà existant et assez populaire 47. En tant que vision médiévale classique du monde de l’au-delà, elle a une valeur distinctive morale et canonique, incluant les éléments standards des topoï apocalyptiques conventionnels. On constate une situation similaire vis-à-vis du cadre historique et politique du récit, comme le montrent les visions prophétiques de nature eschatologique, typiques de ce genre. D’après la plupart des scientifiques, le visionnaire de l’Apocalypse d’Anastasie, bien au contraire de celui de Théotokos, est un personnage fictif. Quand bien même l’Apocalypse d’Anastasie serait un écho littéraire d’un culte déjà populaire de sainte Anastasie, cela ne permet pas de savoir clairement quelle moniale est désignée dans l’expression « la nonne Anastasie habillée en noir ». Il y a au moins quatre saintes nommées Anastasie, deux d’entre elles étant des martyrs romains en 250, une autre martyr de Sirmium

45. Sur le sujet voir S. Marjanović-Dušanić, « The Byzantine Apocalyptic Tradition. À Fourteenthcentury Serbian Version of the Apocalypse of Anastasia », Balcanica XLII (2011), p. 25-36. 46. Bibliotheca hagiographica graeca, 1868-1870b. 47. É. PatlaGean, « Byzance et son autre monde : observations sur quelques récits », p. 201-221, a été la première à attirer l’attention d’un public académique plus large sur l’Apocalypse d’Anastasie. J. Baun, Tales from another Byzantium, p. 22-27, donne une discussion très éclairante sur ce sujet.

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee (dernier tiers du ive siècle), une autre enfin patricienne de l’ère de Justinien 48. Dans l’hypothèse d’un modèle réel, bien que très édulcoré, il s’agirait le plus probablement d’Anastasie Pharmakolytria, la veuve de Sirmium célèbre pour sa capacité à guérir de l’empoisonnement, martyrisée entre 290 et 340 avec ses compagnons de martyre – le prêtre Chrysogonus et trois (ou quatre) vierges. C’est elle qui était apparue dans la vision de saint André le Fou, aisément reconnaissable – dans son iconographie largement répandue dans le monde byzantin – à son ampoule médicale dans la main. Au ve siècle, sous l’empereur Léon I, ses reliques ont été transférées de Sirmium à l’église d’Anastasie, à Constantinople, près du forum de Constantin, et au vie siècle une partie des reliques a été transférée à Rome. Son culte devenait de plus en plus populaire au xe siècle, lorsqu’une nouvelle version hagiographique de son martyre (passio) a été écrite par Théodore Krithinos, oikonomos (intendant) de la Grande église 49. Il est intéressant de constater que les versions de la vie d’Anastasie qui nous sont parvenues attribuent une grande importance à l’église de la sainte à Constantinople, décrite comme un lieu de grande puissance spirituelle, particulièrement lorsqu’il s’agit de la guérison de ceux qui sont possédés par les démons, sorciers et maladies mentales en général 50. La vague de popularité du culte de la Pharmakolytria a coïncidé avec l’apparition de notre texte ; la volonté de répandre le culte au sein de différentes strates sociales et d’assurer ainsi une popularité plus large pourrait être attribuée à l’émergence de textes populaires qui, en plus de traiter les sujets chrétiens universels typiques du genre, insistent encore sur les aspects sociaux, le péché, l’expiation et l’injustice, avec une note de critique destinée aux pécheurs de l’élite sociale. Un fait particulièrement intéressant est que l’aspect social de ce récit est souligné dans les traductions slaves faites à la fin du xe et au début du xie siècle, à la période d’expansion du culte de Pharmakolytria dans les régions périphériques de l’Empire. Cependant, je propose, quelles que soient les spéculations des chercheurs sur l’identité d’Anastasie, que l’analyse de l’aspect fictif ou historique du personnage principal prenne en considération le symbolisme de l’étymologie du prénom Anastasie – résurrection – et de le lier à la fonction principale de ce genre – la vision de l’au-delà. En ce sens, le fait que l’expansion du culte d’Anastasie Pharmakolytria a pris de l’élan au xe siècle ne paraît pas décisif pour lui attribuer le texte. Il semble plus important de se concentrer sur le contenu narratif lui-même. Le prologue hagiographique et la conclusion biblique mettent en place le cadre particulier du récit. La prière pour le blessé est accompagnée d’une histoire sur la vie pieuse et accomplie, la mort et la résurrection de la moniale

48. J. Baun, Tales from another Byzantium, p. 117. 49. Théodore a trouvé le texte de la version latine de la passion d’Anastasie durant une mission de visite au Pape à Rome, en 824. Pour les détails, cf. ibid., p. 118 (avec la littérature). 50. Ibid., p. 115.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale nommée Anastasie. Les lignes introductives de l’Apocalypse d’Anastasie annoncent que ce texte était initialement destiné aux cercles monastiques. L’élément qui attire l’attention est l’affection portée au peuple chrétien, quel que soit son statut social et quelle que soit sa fortune, pour procéder à la confession prescrite par la morale de l’histoire populaire qu’ils allaient entendre. Grégoire, le père spirituel du monastère, invite l’héroïne à raconter l’histoire du monde de l’au-delà où l’Archange Michel était son guide. Le fait que durant sa vision de l’au-delà elle a vu, parmi les pécheurs de l’élite sociale, les empereurs Jean I Tzimiskès et sa victime, Nicéphore II Phokas, nous fournit une information sur la date de la rédaction, qui ne peut pas être antérieure à la fin du xe siècle. Les quatre versions des manuscrits grecs de l’Apocalypse d’Anastasie préservés sont plutôt tardives, copiés ou compilés entre la seconde moitié du xive siècle et la seconde moitié du xvie siècle 51. Tous les quatre sont incorporés dans des flrptlegta, composées de différents genres de textes religieux – textes apocryphes, ascétiques, bibliques, hagiographiques, magiques, dévots et en prose homilétique. Il apparaît que l’Apocalypse d’Anastasie circulait surtout dans l’Empire byzantin et son orbite culturelle immédiate, à savoir en Italie du Sud et parmi les Slaves du Sud, en Bulgarie et Serbie. Les anciennes traductions du récit de l’Apocalypse d’Anastasie en vieux slavon apparaissent en plusieurs versions, incorporées dans des recueils de miscellanées 52. Ces textes, intitulés dit, appartiennent aux divers genres de la prose religieuse et sont généralement rassemblés dans les collections apocryphes des visions de l’audelà. À côté du dit d’Anastasie Chernorizitcya 53, les collections contiennent généralement l’Apocalypse de Paul, qui est considérée comme la source principale de l’Apocalypse d’Anastasie, Théotokos et plusieurs autres apocryphes

51. Pour un examen très détaillé des éditions de ce texte voir ibid., p. 61, table 2.2 : Oxford, Bodleian Library, MS. Selden Supra 9, 1340 ; Paris, Bibliothèque Nationale de France, Graecus 1631, xve siècle ; Palerme, Biblioteca Nazionale, Panormitanus III.B.25, xve/xvie siècle ; Milan, Ambrosiana, A 56 sup., 1542. 52. Pour la publication de la version en slavon serbe de l’Apocalypse d’Anastasia voir M. N. SPeranSkii, « Malo izvestnoe vizantijskoe “Videnie” i ego slavianskie teksty » [« “Videnie” byzantine peu connue et ses textes slaves »], Byzantinoslavica 3 (1931), p. 110-133. Le texte de Speranskii a été réédité dans l’anthologie de Donka Petkanova des apocryphes médiévaux bulgares (voir D. Petkanova [éd.], Stara Balgarska Literatura [Littérature bulgare ancienne], vol. 1, A rkptf [Les apocryphes], Sofia 1981). Speranskii connaissait quatre transcriptions, dont une se trouve dans la Bibliothèque nationale de Sofia et trois qui, à l’époque où il a publié son texte, étaient conservées à Belgrade, dans la Bibliothèque nationale. Durant le bombardement de Belgrade en avril 1941, la Bibliothèque a brûlé, et les manuscrits mentionnés par Speranskii ont disparu pour toujours. Néanmoins, il ne savait pas qu’il existait encore deux transcriptions serbes de l’Apocalypse d’Anastasie, encore plus anciennes. C’est également le cas avec le livre de J. Baun, dont l’analyse se fonde exclusivement sur le texte publié par Speranskii. 53. « Chernorizitcya » est un mot qui vient d’ancien slavon et désigne la couleur noire de l’habit monacal, ce qui indique donc son statut de moniale.

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee dont le sujet est l’avenir du monde. Les manuscrits slaves ont préservé une version antérieure de l’original grec ; quoique copiés plus tard que les manuscrits grecs, ils révèlent en fait une étape antérieure dans l’existence de l’Apocalypse d’Anastasie. L’un d’entre eux, à présent dans la Bibliothèque nationale de Sofia, est une copie du xvie siècle de la traduction originale apparue entre le xiie et le xive siècle 54. Le manuscrit serbe, qui est une traduction similaire mais indépendante du même original grec, date du xviie siècle 55. En tant que texte visionnaire apocalyptique, la traduction serbe intitulée Le dit de sainte Anastasie était incorporée également dans trois manuscrits préservés, tout comme les versions modernes du texte du début du xixe siècle, datées de 1750, 1752 et 1812 56. Toutes ces versions sont maintenant perdues à cause du bombardement de la Bibliothèque nationale de Serbie à Belgrade, et nous ne les connaissons que grâce à l’édition de Speranskii de 1931. Speranskii a publié la version conservée à Sofia et a enregistré toutes les différences entre elle et les manuscrits de Belgrade maintenant disparus. L’édition de Speranskii de l’Apocalypse d’Anastasie slave note également plusieurs correspondances entre Anastasie et la Vie de Basile le Jeune 57. Pris dans leur ensemble, les manuscrits préservés de l’Apocalypse d’Anastasie, en grec et en slavon, présentent les différentes versions du texte, chacun représentant une tradition textuelle différente. Ces copies relativement tardives apparaissent sous le titre médiéval Le dit (le logos) ; le contenu de leurs récits est emprunté à des manuscrits antérieurs 58. Speranskii, ainsi que Jane Baun, ne connaissait pas les deux traductions serbes anciennes de l’Apocalypse d’Anastasie, lesquelles ont évidemment servi de modèle pour les traductions ultérieures qu’ils analysaient. Ces deux textes sont conservés dans les collections avec un choix de textes similaire ou identique, ce que montrent très bien les descriptions de flrptlegta à

54. Sofia, Nacionalna biblioteka « Sv. sv. Kiril i Metodij », MS 629, xvie siècle (éd. M. N. SPeranSkii, « Malo izvestnoe vizantijskoe “Videnie” i ego slavianskie teksty » [« “Videnie” byzantine peu connue et ses textes slaves »]). 55. Belgrade, Narodna biblioteka Srbije, Rs 738, xviie siècle (éd. M. N. SPeranSkii, « Malo izvestnoe vizantijskoe “Videnie” i ego slavianskie teksty » [« “Videnie” byzantine peu connue et ses textes slaves »]). 56. M. N. SPeranSkii, « Malo izvestnoe vizantijskoe “Videnie” i ego slavianskie teksty » [« “Videnie” byzantine peu connue et ses textes slaves »], p. 125. 57. Ibid., p. 121-123. 58. T. Jovanović énumère ces manuscrits dans « L’étude des apocryphes dans la tradition manuscrite serbe médiévale », Études balkaniques. Cahiers Pierre Belon 4 (1997), p. 127. Cf. ID. (éd.), A rkptf nrvrzavetnt [Les apocryphes du Nouveau Testament], Belgrade 2005, p. 456-475, il donne la traduction de l’Apocalypse d’Anastasie selon le manuscrit du recueil de Khludov, dans l’édition d’A. Miltenova, avec commentaires (p. 472-475) dans lesquels il note les différences entre ce manuscrit et MS 29 (cf. aussi le commentaire p. 543-544). La comparaison des différences entre les deux manuscrits montre qu’il s’agit du même texte de référence, c’est-à-dire que le manuscrit du recueil de Khludov aurait pu être créé comme une retranscription du manuscrit de 1380.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale présent perdus 59. Nous allons analyser la traduction la plus ancienne, celle de la collection des apocryphes créée vers 1380, maintenant conservée dans le Monastère de Savina (MS 29) 60. L’autre, créée au xve siècle, appartient à la collection d’A. I. Khludov et est à présent conservée au Musée historique d’État à Moscou (Khludov, no 2419 61). En l’état actuel des choses, la copie serbe de l’Apocalypse d’Anastasie la plus ancienne est le manuscrit du xive siècle dans la révision serbe (MS 29). Même celle-ci contient plusieurs mauvaises interprétations du texte original, apparemment suite à des erreurs de traduction. Cette version se distingue également de l’original grec par bien des aspects, à savoir dans sa mise en relief de la description des tortures du monde de l’au-delà et dans son appel urgent au repentir. La version slave d’Anastasie omet le prologue pseudo-hagiographique et commence par une brève description d’Anastasie et de sa mission, pour procéder directement à la description du châtiment des pécheurs de haut rang. La conclusion de la traduction slave contient quelques écarts intéressants par rapport à l’original – l’Apocalypse d’Anastasie du xe siècle – ayant une tonalité similaire à la célèbre Lettre tombée du ciel, texte considéré comme une partie intégrale de l’original. Étant donné les écarts, ou les ajouts, par rapport à l’original précédemment mentionné dans les versions slaves, il apparaît que les versions slaves du récit tendent à offrir au public des leçons morales instantanées et explicites. Très proche de la tradition large et bien développée de la prose homilétique et moralisante présente chez les Slaves, la traduction serbe la plus ancienne élabore le dialogue entre les empereurs (Nicéphore Phokas et Jean Tzimiskès). Le motif du bon empereur et le but moralisateur du texte, particulièrement la mise en relief des vertus de Nicéphore Phokas dont le culte avait une tradition bien établie et largement populaire parmi les Serbes, méritent une analyse plus approfondie. Le culte des saints souverains, membres de la dynastie des

59. Ils sont insérés par Ljubomir Stojanović dans le Catalogue de la Bibliothèque nationale à Belgrade : LJ. STojanović, Katalog Narodne biblioteke u Beogradu, t. IV, Rukopisi i stare štampane knjige [Catalogue de la Bibliothèque nationale à Belgrade, t. IV, Manuscrits et livres anciens imprimés] : cf. les descriptions des nos 470 (p. 308) du xviie siècle, 503 (p. 369) vers l’an 1750, 505 (p. 447) de 1812, 506 (p. 558) de 1752. Tous ces manuscrits sont des rédactions serbes et appartiennent aux recueils de composition similaire. Le texte d’Anastasie est partout précédé par le Skazanije o nebu i zemlji [dit du ciel et de la terre]. Une traduction de 1784 a été préservée aussi, et elle est gardée dans la Bibliothèque nationale et universitaire à Zagreb, no 3380. 60. Fol. 185r-196v (mutilé à la fin) ; cf. l’inventaire des manuscrits du monastère Savina composé par D. Bogdanović et publié dans D. Medaković, Manastir Savina. Velika crkva, riznica, rukopisi [Monastère Savina. La grande église, le trésor, les manuscrits], Belgrade 1978, p. 89-96. 61. Fol. 153v, selon l’édition de A. Miltenova, « Neizvesten prevod na vizantiiskoto Videnie na Anastasija černorizica v starobalgarskata literatura » [« Une traduction inconnue de l’Apocalypse d’Anastasie byzantine dans la littérature ancienne bulgare »], dans A. AnGuSheva-Tikhanova, Medievistika i kulturna antropologija [Médiévistique et l’anthropologie culturelle], Sofia 1998, p. 237-257.

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee Némanides – qui, nous l’avons vu, a survécu à la période médiévale et perduré à l’époque de la première traduction serbe – jouait un rôle crucial dans la pratique religieuse des pays serbes. Des traditions d’importance considérable pour comprendre comment le culte des saints souverains était imaginé et institué ont été formées sous l’influence puissante des modèles byzantins, d’abord au xie siècle, lorsque l’original grec de l’Apocalypse d’Anastasie a été écrit. Coïncidant avec la diffusion du culte de Phokas, l’original grec de l’Apocalypse d’Anastasie a trouvé un public dans les régions slaves. Ce n’est pas un hasard, bien sûr, si Anastasie rencontre, pendant son voyage dans le monde de l’au-delà, Phokas « portant un habit tout en or », et son meurtrier Tzimiskès. Le fait que le dit de l’empereur Phocas et de son épouse Théophano, introduit un saint ascétique aussi célèbre que Phokas était sans aucun doute un choix intentionnel 62. D’autant plus que les quatre textes grecs préservés contiennent la section moralisante sur les bons empereurs en général et Phokas en particulier, avec le dialogue détaillé entre la victime et son meurtrier 63. Dans son analyse du texte et de sa dépendance envers la Vie de Basile le Jeune, Speranskii insinue que le dialogue entre Phokas et Tzimiskes était inspiré par les mots, racontés dans Basile, que Michel III a adressés en mourant à son meurtrier, l’usurpateur Basile I 64. Donc, la question se pose : quel est l’effet que l’auteur cherche à produire ? L’effet moralisateur dans cet extrait ne relève pas uniquement d’allusions, qui ne sont pas rares dans la littérature de ce type, au châtiment qui attend les meurtriers des souverains légitimes. Étant donné la popularité générale du culte de saint Nicéphore parmi les Slaves du Sud, il avait un autre but également, à savoir donner une impulsion supplémentaire à son culte. En parallèle, l’attention portée au saint déjà populaire a renforcé la popularité du nouveau récit et a gagné un public plus large aux leçons morales du dit. La traduction slave présente un autre aspect intéressant. Dans l’histoire de sa vision de l’au-delà, avant le passage de sa rencontre avec saint Nicéphore et Tzimiskès, Anastasia rencontre une autre paire impériale « populaire » : saint Constantin et sa mère Hélène « qui trouva la Sainte Croix de Dieu ». Comme ils faisaient l’objet d’une dévotion extrêmement populaire dans les pays slaves, il est compréhensible que leur mention ait trouvé sa place dans les versions serbes et bulgares du récit, même s’ils n’apparaissent pas dans la version grecque du texte. En commentant l’extrait, Jane Baun propose une explication

62. Nastasya, l. 22-27 (M. N. SPeranSkii, « Malo izvestnoe vizantijskoe “Videnie” i ego slavianskie teksty » [« “Videnie” byzantine peu connue et ses textes slaves »], p. 127). 63. J. Baun, Tales from another Byzantium, p. 222-223. 64. M. N. SPeranSkii, « Malo izvestnoe vizantijskoe “Videnie” i ego slavianskie teksty » [« “Videnie” byzantine peu connue et ses textes slaves »], p. 121-123. Pour une analyse ultérieure voir J. Baun, Tales from another Byzantium, p. 115.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale selon laquelle « l’attention particulière portée aux bons rois archétypaux dans la version slave peut répondre aux soucis du Slave local et contemporain en promouvant les idéaux de la royauté chrétienne 65 ». L’introduction de la seconde paire de saints dans le récit, avec la mention de la célèbre relique de la passion associée à Hélène, accentue le « caractère martyrial » des rencontres faites dans le monde de l’au-delà, conformément à l’intention du texte révélant un effet nettement moralisateur de l’Apocalypse d’Anastasie. Ceux qui ont souffert pour le christianisme, ou ceux qui ont particulièrement contribué à son instauration, en trouvant les reliques de la passion, sont célébrés comme les rois idéaux (les tsars). Un autre ajout caractéristique au texte pourrait justifier l’interprétation proposée de la raison d’ajouter ce choix particulier de « bons empereurs » à la traduction slave. La traduction slave de l’extrait contenant la description du lieu du châtiment (La punition des pécheurs) ajoute le pèlerinage à la liste des vertus. Cet ajout a certainement reflété la grande popularité du pèlerinage parmi les Slaves du Sud. Pendant le xviie siècle, quand le manuscrit de Belgrade d’Anastasie était copié, le pèlerinage gagnait en importance dans la vie quotidienne. Les versions grecque et slave diffèrent également l’une de l’autre dans leurs illustrations des tourments infernaux, particulièrement des tortures, ainsi que dans l’intérêt croissant des deux manuscrits, celui de Sofia et celui de Belgrade, pour la sorcellerie, la magie noire et les sciences occultes en général 66. Cela pourrait être expliqué par la persistance des croyances païennes dans la foi populaire des Slaves du Sud. La différence la plus frappante entre l’original grec (dans les quatre versions préservées) et ses traductions slaves est la représentation et le développement intérieur du personnage principal. Les versions slaves ne contiennent pas seulement le dialogue direct entre l’héroïne et l’Archange Michel, son guide dans le monde de l’au-delà, mais aussi une représentation d’Anastasie plus dynamique, évoquant ainsi pour son public une personnalité plus réaliste que celles que l’on retrouve dans les représentations hagiographiques typiques. Cela résulte certainement du talent littéraire du traducteur, mais pose également une question assez intéressante – comment définir les cultures religieuses et les besoins du milieu au sein duquel le texte apocalyptique circulait ? Pour définir les caractéristiques individuelles du texte, il faut qu’il soit examiné, comme nous avons essayé de le montrer, en fonction des trois arrière-plans, politique, social et religieux, qui ont conduit à sa création 67.

65. J. Baun, Tales from another Byzantium, p. 72-73. 66. Ibid., p. 73. 67. Pour les prémisses méthodologiques de cette approche, cf. Y. Hen, « The structure and aims of the Visio Baronti », p. 478.

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee La réactualisation des prophéties populaires Il est certain que la chute de Constantinople a provoqué une nouvelle vague de la peur, en particulier au sein de l’espace culturel byzantin. La prévision de la fin était liée à l’achèvement du septième millénaire, moment chargé de significations eschatologiques 68. Indirectement inspirée par la conquête ottomane de la capitale de l’Empire, en tant que signe d’apocalypse imminente, qui prend place dans la Chronographie du patriarche Georges Scholarios Gennadios en 1492, autrement dit en 7000 depuis Adam, la vision apocalyptique de la fin prochaine gagne en popularité pendant la deuxième moitié du xve siècle 69. Les textes les plus populaires, qui circulaient dans les territoires de l’ancien Empire sous contrôle ottoman, étaient des réinterprétations de la prophétie de Léon le Sage 70. Ce texte, apparu dans sa version originale au xiie siècle, est composé de seize poèmes prophétiques attribués au célèbre empereur de la dynastie macédonienne 71. Les nouvelles versions du manuscrit, particulièrement populaires durant le xvie siècle, sont apparues au vu des circonstances historiques liées à la montée des Ottomans afin de prévoir l’avenir, c’est-à-dire la Seconde Parousie du dernier empereur-libérateur qui rétablira l’Empire byzantin 72. C’est à l’époque de cette nouvelle vague de popularité de la littérature apocalyptique byzantine qu’apparaissent, au sein des anciens pays serbes, dans les scriptoria monastiques, les manuscrits illustrés des textes prophétiques. Ce n’est pas une coïncidence qu’un tel manuscrit s’est retrouvé au monastère de Mileševa, ni non plus que la paternité de la prophétie était attribuée à saint Sava dans le milieu même où se trouvait la tombe du saint et, par conséquent, le centre de son culte. C’est en analysant le rapport de Cornelis Duplicius de Schepper, secrétaire de l’Empire et député de la Cour de Vienne, qui a vu le

68. P. MaGDalino, « The End of Time in Byzantium », dans W. BranDeS, F. SchMieDer (éd.), Endzeiten. Eschatologie in den monotheistischen Weltreligionen, Berlin, New York, NY 2000, p. 119-133. 69. Une illustration éloquente du rayonnement de la prophétie de Scholarios se trouve dans la représentation des tables pascales sur le mur occidental de l’église Saint-Démétrius à Thessalonique, sur lesquelles les Pâques sont calculées jusqu’à l’année 1492 ; cf. M.-H. ConGourDeau, « Byzance et la fin du Monde. Courants de pensées apocalyptiques sous les Paléologues », dans B. Lellouche, S. YeraSiMoS (éd.), Les traditions apocalyptiques au tournant de la chute de Constantinople, Paris 2000 (Varia Turcica 33), p. 72-73. 70. A. RiGo, Oracula Leonis: tre manoscritti greco-veneziani degli oracoli attribuiti all`imperatore bizantino Leone il Saggio (Bodl. Baroc. 170, Marc. gr. VII.22, Marc. Gr. VII.3), Venise 1988 ; sur Gennadios Scholarios et Joseph Bryennios, cf. ID., « L’anno 7000, la fine del mondo e l’Imperio cristiano. Nota su alcuni passi di Giuseppe Briennio, Simone de Tessalonica e Genadio Scolario », dans G. RuGGieri (éd.), La cattqpa della fne. Vaptaztrnt dell’eecatrlrgta tn pegtme dt cpptettanttà, Gênes 1992, p. 151-185. 71. C. ManGo, « The Legend of Leo the Wise », p. 59-94. 72. B. LeaDBetter, « A Byzantine Narrative of the Future and the Antecedents of the Last Emperor », dans J. Burke (éd.), Papers in honour of Roger Scott, Melbourne 2006, p. 368 ff.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale texte au monastère de Mileševa en 1533, qu’on a découvert les traces de ce manuscrit 73. Les moines ont montré à Schepper le manuscrit slave illustré de la prophétie, attribué à saint Sava. La prédiction de la chute de Constantinople a été sans aucun doute mentionnée dans ce texte, car la représentation d’une ville à sept tours et à la porte de fer y a été décrite. Les miniatures avec les représentations du renard, de l’aigle et du navire avec l’empereur et ses soldats sont également mentionnées dans le rapport du chancelier. Le détail intéressant du manuscrit, aujourd’hui perdu, peut être lu dans le rapport de Schepper où il dit qu’on raconte dans la prophétie que cette ville, Constantinople évidemment, sera bientôt détruite, ce que l’on pourrait aussi dire pour Rome qui est également érigée sur sept collines 74. Les renseignements accessoires sur le manuscrit disparu indiquent qu’il s’agit le plus probablement des échos de la prophétie du Pseudo-Méthode, dont on sait qu’ils apparaissent précocement dans les traductions slaves 75. Néanmoins, la mention de l’image du renard par Schepper permet d’envisager qu’il s’agit d’une des interprétations des Oracles de Léon le Sage, dont nous avons déjà parlé. Qu’il s’agisse de l’un des textes prophétiques ou de l’autre, aujourd’hui on peut imaginer plus clairement la diffusion des textes apocalyptiques, et surtout l’impulsion que la littérature de ce genre a connue avec l’expansion des Ottomans. Ce qui témoigne également par excellence de l’attachement à la pensée apocalyptique byzantine, à la différence de celle de l’Orient médiéval, est le fait que les premières illustrations des textes prophétiques de la fin du monde n’apparaissent qu’à partir de la moitié du xve siècle, le plus souvent sous forme de miniatures dans les manuscrits byzantins tardifs 76. Le meilleur exemple en est un manuscrit rare du xvie siècle, conservé dans la bibliothèque Marcienne à Venise, qui synthétise différents narratifs de la littérature apocalyptique byzantine. Le texte est illustré de 410 miniatures ; il s’agit du premier cas jusqu’alors connu d’illustration des prophéties de Pseudo-Méthode, incorporée dans un grand nombre de textes qui en

73. S. Ćirković, « Proročanstva svetog Save » [« Les prophéties de saint Sava »], Pptlrzt za knjtževnret, jezik, istoriju i folklor LXVII/1-4 (2001), p. 5-10. 74. Le rapport de Schepper a été publié dans M. Le Bon De Saint GenoiS, G. A. YSSel De SchePPer, « Missions diplomatiques de Corneille Duplicius de Schepper dit Sceperus (de 1523-1555) », Mémoires de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts 30 (1857), p. 198-200 (cf. S. Ćirković, « Proročanstva svetog Save » [« Les prophéties de saint Sava »], p. 6 n. 4 et 7). 75. Sur le sujet voir S. Marjanović-Dušanić, « Pseudo-Metodijev spis i reaktualizacija proročkih tekstova u Srba krajem srednjeg veka » [« Pseudo-Methodius’writing and the renewal of prophetic texts by the Serbs at the end of the Middle Ages »], dans B. KrSManović, Lj. MakSiMović, R. Radić (éd.), Byzantine World in the Balkans, t. II, Belgrade 2012, p. 625-635. 76. A. M. Volan, Last Judgements and Last Emperors, p. 5, 18. Le sujet du Jour du Jugement est une exception. Dans le cadre du cycle des représentations visuelles, il devient le sujet standard du canon artistique byzantin. Aussi, il faudrait tenir compte, comme l’ont montré de nombreuses études de Henri Maguire, qu’à Byzance était instauré un processus de « traduction » de certaines formes rhétoriques (ekphrasis, antithèse, hyperbole) dans la sphère du visuel (ibid., p. 10, 15 n. 29).

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee font un manuscrit prophétique unique 77. Ces illustrations sont intéressantes pour notre sujet, car elles peuvent éclairer l’énigmatique manuscrit décrit par Schepper. En effet, les textes illustrés, conservés dans les manuscrits prophétiques byzantins, sont rares et apparaissent relativement tard, au plus tôt juste au moment de la visite de Schepper à Mileševa. Ce genre de textes a bien sûr fait son apparition, pour plusieurs raisons, à Venise, à laquelle Mileševa était particulièrement liée. Nous pouvons supposer une influence – fût-elle indirecte – des modèles vénitiens sur notre manuscrit, qu’on ne connaît que par l’intermédiaire de Schepper et de son rapport ; ces modèles étaient d’ailleurs largement répandus sur le territoire des colonies vénitiennes en Méditerranée, surtout en Crète et en Chypre 78. Selon les règles du genre littéraire, le texte prophétique de la Marcienne contient une partie historique et une partie apocalyptique. La partie « historique », créée selon le modèle de la chronique universelle, suit les événements de l’histoire du monde jusqu’à l’époque de la création relate manuscrit. Dans cette partie sont, en premier lieu, soulignés les événements les plus importants de l’histoire byzantine, exposés dans l’ordre chronologique et illustrés parallèlement au texte du récit. Plus nous approchons de la période de la création du manuscrit, plus celui-ci devient intéressant. Dans la dernière partie, l’accent de cette histoire illustrée est mis sur la montée en puissance des Ottomans, avec les miniatures de la bataille du Kosovo (la légende en dessous de la miniature dit : « la mort du sultan Mourad »), et ensuite sur les victoires militaires des Turcs sur les pays chrétiens. Dans l’illustration du siège de Bajazet de Constantinople de 1399, pour la première fois apparaît l’image de la ville aux sept collines (fol. 71r, f. 3. 25), suivie des représentations de la bataille d’Angora en 1402, de la défaite des croisés près de Varna en 1444, jusqu’à la miniature qui montre la chute de Constantinople en 1453. En accord avec les prophéties populaires qui voyaient un lien entre le premier et le dernier empereur dans le fait qu’ils partageaient le même nom, tout comme leurs mères respectives, dans notre manuscrit sont représentés leurs portraits, côte à côte, avec les citations directes de Georges Gennadios Scholarios. Les événements liés à la fin du monde, où Dieu a accordé la victoire aux Ismaéliens à cause des péchés des chrétiens, sont fixés dans l’image de la chute de Constantinople, la ville aux sept collines entourée de remparts, assiégée par la cavalerie des Ottomans. D’une portion du ciel, dans une mandorle de lumière, le Christ offre la victoire à Mehmed le Conquérant. Cet événement accomplit la prophétie ancienne de Méthode, qui raconte le basculement apocalyptique de l’histoire du monde, et l’approche des derniers jours. Le récit continue, illustré

77. S. Marjanović-Dušanić, « Pseudo-Metodijev spis i reaktualizacija proročkih tekstova u Srba krajem srednjeg veka » [« Pseudo-Methodius’writing and the renewal of prophetic texts by the Serbs at the end of the Middle Ages »], p. 625-635. Cf. Marc. Gr. vii, 22. 78. A. M. Volan, Last Judgements and Last Emperors, p. 107-140, 214-226.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale par les événements les plus importants, parmi lesquels figure la conquête de la Serbie, représentée par deux scènes – le siège de Belgrade (fol. 92r) et la chute de Smederevo (fol. 93). D’après la prophétie originale, les fils d’Ismaël seront finalement expulsés de la ville aux sept portes, et le réveil du dernier empereur endormi, qui est espéré dans le futur proche, annoncera la fin des temps. Ainsi l’histoire décrite dans le manuscrit devient une prophétie accomplie : le temps du châtiment divin pour les péchés des chrétiens précède le temps de la restauration de l’empire byzantin, et le moment de cette rupture historique marquera l’entrée dans le temps de l’Apocalypse. Apparu au moment où Venise reste la seule force chrétienne dominante en Méditerranée occidentale, le manuscrit de la Marcienne témoigne de l’époque de sa rédaction, quoiqu’il s’appuie sur l’héritage du genre littéraire byzantin. Dans la période qui commence par la conquête ottomane de Constantinople, on suit la floraison de la littérature apocalyptique byzantine, et les anciennes prophéties, comme celles attribuées au Pseudo-Méthode, à Léon le Sage ou au prophète Daniel, continuent de circuler en Méditerranée, tout en se répandant vers l’ouest. Un destin similaire à celui du texte de la prophétie de Pseudo-Méthode a été réservé aussi aux rédactions en slavon serbe des Oracles de Léon le Sage. Parmi les œuvres qui appartiennent à la vaste littérature oraculaire byzantine, ce sont les Oracles du très sage empereur Léon qui ont gagné la plus grande popularité dans les terres serbes, et cela pour plusieurs raisons 79. L’idée de la haute époque byzantine selon laquelle la prophétie émanerait de l’histoire est conceptuellement inversée dans la période post-byzantine. Là où les écrivains des apocalypses précoces prenaient le genre de la chronique historique pour fondement de leur récit eschatologique, les chroniqueurs post-byzantins trouvent dans les prophéties apocalyptiques byzantines la source légitime pour expliquer les réalités historiques de la chute de l’Empire 80. Durant le xvie siècle apparaît une série de textes pseudo-prophétiques, en adéquation avec les programmes politiques de la cour des Habsbourg et de Hongrie 81. L’un d’eux, connu sous le nom de Prognosticon 82, écrit par l’ancien astrologue officiel de la cour du roi Matthias Corvin à peu près au moment de la visite de Schepper à Mileševa, est dédié aux événements du passé récent, comme l’occupation de Belgrade et de Rhodes par les Turcs, jusqu’à la chute

79. Pour l’analyse d’un fragment jusque-là inédit d’un manuscrit du xve siècle de la Bibliothèque d’État de Russie à Moscou, voir J. Vereecken, « Les Oracles de Léon le Sage en slavon serbe », p. 104128. 80. A. M. Volan, Last Judgements and Last Emperors, p. 274-275. 81. P. FoDor, « The view of the Turk in Hungary: The apocalyptic tradition and the legend of the red apple in Ottoman-Hungarian context », dans B. Lellouche, S. YeraSiMoS (éd.), Les Traditions Apocalyptiques au Tournant de la Chute de Constantinople, Paris 2000 (Varia Turcica 33), p. 99-131. 82. N. IorGa, Notes et extraits pour servir à l’histoire des Croisades au xve siècle (Cinquième série, 1476-1500), Bucarest 1915, p. 85-86.

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee de la Hongrie et le siège manqué de Vienne. La chute imminente de l’Empire ottoman est prédite dans le texte par les images apocalyptiques connues. À cette époque on édite la prophétie du Pseudo-Méthode, laquelle était, penset-on, connue de l’auteur de la prophétie de la fin de l’Empire ottoman 83. Les exemples mentionnés illustrent bien les besoins complexes de l’époque, de nature politique, doctrinale et psychologique. Dans un endroit situé au carrefour des influences de Venise, des Habsbourg et de Hongrie, et dans un foyer important d’éducation chrétienne comme l’était Mileševa, est conservé, et peut-être est aussi apparu, le manuscrit slave mentionné, composé en imitant les chroniques prophétiques d’alors, peu nombreuses. L’attribution de cette œuvre à saint Sava est sans aucun doute le résultat de sa forte influence dans ces régions, mais aussi la preuve directe qu’il s’agit de la traduction serbe du texte du Pseudo-Méthode, illustrant les scènes marquantes de la fin du monde – avant tout l’image de la ville aux sept tours avec une porte décrite dans le témoignage de Schepper. Ici, il s’agit certainement de la présentation visuelle déjà mentionnée, issue du manuscrit byzantin, du siège de Constantinople entourée de murailles (la mention de la porte en fer signifie indirectement que les murailles de la ville devaient être peintes sur la miniature), assiégée en présence du sultan. Il est facile d’expliquer les peintures du renard, de l’aigle et du lion couronné mentionnées dans le rapport. Le renard, un motif fréquent dans les miniatures du début de la Renaissance, est le symbole du diable, porteur de la destruction apocalyptique de la ville. L’aigle, symbole de la Résurrection, se réfère très probablement au renouvellement de l’Empire qui commencera après l’arrivée de l’empereur-libérateur de la prophétie du Pseudo-Méthode. Le lion couronné est le signe clair de la majestas impériale. D’après l’Évangile selon Marc, le lion n’est pas seulement le symbole de l’auteur du texte sacré, mais aussi celui de la figure du Christ en tant qu’empereur et maître de la vie éternelle et, enfin, emblème de la République de Venise. Étant donné que Mileševa était connue comme foyer d’un scriptorium et qu’elle a par conséquent sans aucun doute joué un rôle important à la fois dans la préservation et la régénération des anciennes traditions serbes, et vu le rayonnement constant du culte de saint Sava centré autour de la tombe du saint au monastère, il semble permis de supposer que c’était de Venise qu’est parvenu le livre contenant le texte illustré des prophéties du Pseudo-Méthode. Ce livre a pu inspirer la tradition selon laquelle les prophéties sont attribuées à saint Sava, particulièrement parce que la version du texte conservée au monastère contenait également les illustrations liées à la chute de la ville aux sept tours, mais aussi celles qui représentent la conquête de Belgrade par les Turcs.

83. J. Deny, « Les Pseudo-prophéties concernant les Turcs au xvie siècle », Revue des études islamiques 10 (1936), p. 211.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Toutefois, il est important de garder à l’esprit que la tradition littéraire de la prophétie déjà vivante dans les régions serbes a précédé l’apparition à Mileševa du manuscrit apocalyptique, ainsi que l’émergence des prières et des manuscrits connus sous le nom de « lamentations » qui contenaient des éléments de la prophétie, probablement inspirés par des modèles byzantins populaires. Comme nous l’avons déjà expliqué, on rencontre dans la littérature serbe du xve siècle la métaphore du cycle dans lequel apparaît le topos du dernier « septième siècle », fondé sur la croyance en la fin du monde, à l’approche de l’année 7000. L’usage de ces topoï dans la prose d’Andony Raphaël (Éloge au prince Lazar) et dans la version serbe du Roman d’Alexandre est à bon droit interprété dans les études hagiographiques comme un écho indirect de motifs semblables issus de la traduction de la prophétie de l’empereur Léon le Sage, texte faussement attribué au despote Stéphane. Dans la Vie du despote Stéphane de Constantin le Philosophe, on trouve des calculs semblables de la date de la fin de l’univers, inspirés par la théorie des grands cycles guidés par l’inspiration divine, ainsi que le topos de la ville aux sept tours. Le motif de la chute de la capitale est crucial pour notre sujet. Il s’est transformé à partir du texte de Pseudo-Méthode en légende du dernier empereur et de l’arrivée du « second siècle », qui a largement survécu à l’Empire romain. C’est pourquoi dans les illustrations des prophéties apparues aux scriptoria comme celui de Mileševa, le sujet de la chute de la « ville aux sept tours » est inévitable et devient, dans des circonstances données, porteur de plusieurs significations. La ville assiégée devient dans les illustrations de ce manuscrit le symbole de la capitale chrétienne. La Nouvelle Jérusalem, c’està-dire Constantinople, dans le contexte des prophéties attribuées à saint Sava, devient Belgrade, Smederevo, et d’autre part Rhodes ou Vienne. Il s’agit, au fond, de la forteresse chrétienne archétypale, qui semblait, dans la réalité des années trente du xvie siècle, de plus en plus synonyme de vision apocalyptique. La topique de l’arrivée des derniers temps Principalement conçu comme étude de genre littéraire, le sujet de l’approche des temps derniers analyse un spectre de sources narratives relativement large. C’est pourquoi nous avons choisi d’éclairer la fonction de deux topoï de la littérature du bas Moyen Âge que sont les expressions « la dernière génération » et « les temps derniers » 84, importants pour la compréhension du

84. Sima Ćirković s’est intéressé au sujet des « derniers étés » en étudiant le phénomène de la réception de l’an 7000 dans la tradition serbe. Cf. S. Ćirković, « Kraj veka – kraj sveta. Strepnje i iščekivanja kod Srba u vezi sa 7000. godinom » [« Fin du siècle – fin du monde. Les angoisses et les attentes chez les Serbes concernant l’année 7000 »], Jqgrelrvenekt tetrptjekt čaer te 1-2 (1996), p. 14-16.

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee genre eschatologique dans la littérature et la tradition serbes 85. Cela est possible avant tout parce que ces topoï jouent un rôle fondamental de dénominateur commun des récits (les lamentations, les prières et les prophéties) dans lesquels s’exprime le pressentiment de l’approche de la fin 86. Le sentiment d’appartenir à la dernière génération et aux temps derniers, fréquent au Moyen Âge, se rencontre comme un topos répandu au sein de différents genres de l’ancienne littérature serbe 87. En principe, il s’agit, comme chez Théodose 88, d’attribuer à un lieu commun, un proverbe monastique sur la dernière génération, communément admis et issu des apophtegmata, une nouvelle signification : la Vie du saint et de ses hauts faits serait le modèle dans l’éducation morale du lecteur ou de l’auditeur 89. Ce modèle littéraire a été souvent utilisé dans le contexte de l’idée de la fin, toujours populaire au Moyen Âge et qui, loin de s’estomper, se renforce au contraire suite aux changements du monde européen au début des temps modernes 90. La datation de la fin de l’univers à un moment précis – l’année 7000 – devient plus fréquente au cours des dernières décennies du xive siècle. On rencontre ce calcul du temps

85. Les conclusions les plus récentes sur l’emploi de ces topoï dans les textes médiévaux sont résumées par T. PratSch, Der hagiographische Topos (un bon examen de la littérature récente sur p. 11). Voir aussi N. Delierneux, « L’exploitation des topoï hagiographiques : du cliché figé à la réalité codée », Byzantion 70 (2000), p. 57-90. 86. Voir l’étude des textes apocalyptiques dans la tradition byzantine : J. Baun, Tales from another Byzantium, avec un excellent examen de la bibliographie la plus récente. Les problèmes liés à l’épistolographie byzantine et la littérature rhétorique de la première moitié du xve siècle, où domine le sujet de l’attente des derniers jours, ont été étudiés par N. Radošević, « U iščekivanju kraja – vizantijska retorika prve polovine xv veka » [« En attendant la fin – la rhétorique byzantine de la première moitié du xve siècle »], Zbornik radova Vizantološkog instituta 43 (2006), p. 59-70. 87. Sur le sujet voir S. Marjanović-Dušanić, « Dolazak “skrbnih godina”. O upotrebi i značenju toposa “poslednji rod” i “poslednja vremena” u srpskoj tradiciji 15. stoleća » [« On the Use and Meaning of the Topoi of the “Last Generation” and the “End of Days” in the Serbian Late Medieval Tradition »], dans M. SPreMić (éd.), Pad Srpske despotovine 1459. godine [The fall of the Serbian Despotate in 1459], Belgrade 2011, p. 173-184. 88. « Et notre dernière génération, paresseuse, qui atteint la fin des siècles, dans laquelle il y en a peu qui se sauvent, pour cette génération il n’est pas seulement nécessaire, mais très souhaitable aussi d’écrire ces vies des saints et que nous les lisions avec plus de compréhension, et que nous les regardions comme des piliers vivants qui se tiennent haut et droit, pour nous voir nous-mêmes, comment et combien nous sommes en retard derrière eux, pour nous accuser nous-mêmes par la conscience pour cette paresse en nous […]. De nombreuses et de grandes histoires inciteront à peine notre cœur à rectifier notre vie ». (TeoDoSiJe, Žtttje evetrg Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], p. 1-2 ; en serbe : p. 101). Dans son commentaire de la mention de « la dernière génération » (ibid., p. 305) D. Bogdanović conclut que le motif eschatologique de la dernière génération, fréquent dans la littérature hagiographique, apparaît comme un résultat du besoin d’actualiser le passé, c’est-à-dire que les exemples de la sainteté réalisée servent au salut de la génération d’aujourd’hui qui, comme toute génération, voit son temps comme « le dernier ». 89. Cf. B. FluSin, Miracle et histoire dans l’œuvre de Cyrille de Skythopolis, p. 178-181. 90. B. McGinn, Visions of the End, p. 1-36 ; P. MaGDalino, « The History of the Future and its Uses », p. 3-33.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale dans différentes sources, notamment dans les tables pascales qui se terminent en 1492 91. Les auteurs des tables pascales, créées pour répondre aux besoins des monastères, sont certainement influencés par la perception populaire des structures temporelles. Cependant, le motif de la fin des temps s’avère être un phénomène beaucoup plus complexe que des spéculations chronologiques. On s’appliquera ici à mieux l’éclairer, en observant le développement de l’idée de la fin dans une période singulière et spécifique pour ce motif – les cinquante dernières années d’indépendance serbe au Moyen Âge. Certains récits, particulièrement ceux qui appartiennent aux modèles littéraires de « lamentations », prière et prophétie, gagnent en popularité surtout dans les œuvres apparues à l’époque du despotat serbe, donc, durant la fin du xive et la première moitié du xve siècle. Ces écrits possèdent des motifs littéraires et historiques spécifiques communs qu’il faudrait étudier en tant qu’unité stylistique à part 92. Les sources qu’on se propose d’analyser se rapportent avant tout à la mort du souverain comme moment crucial dans la vie d’une communauté avec, dans différents genres littéraires, des motifs littéraires semblables. Les sources que nous analysons sont l’inscription figurant sur la colonne de marbre sur le champ de bataille du Kosovo, La vte dq dee rte Stefan Lazapevtć par Constantin le Philosophe, et Lee Opaterne fqnèbpee aq dee rte Đqpađ par rhéteur anonyme de Smederevo. Certains écrits éclairent également la création chez les Serbes d’une pensée eschatologique concernant la dernière génération et l’arrivée des temps derniers 93. À ces récits il faut ajouter une série de prophéties et de visions populaires, dont les traductions circulent à travers les régions serbes depuis le xiiie siècle. Les recueils apparus peu après, issus des monastères Savina et Nikoljac, apportent aussi un nombre considérable de différents textes consacrés aux apocalypses et prophéties. Généralement, ils contiennent les visions des derniers jours et de la fin de l’univers, fondées sur des écrits encore plus anciens ou sur l’étude des étoiles 94.

91. C’est ainsi qu’en 1394 « le dernier hiéromoine, Daniel, pécheur » copie la table pascale et la termine par l’année 7000, adoptant évidemment la croyance très répandue que cette année est la « fin des temps ». Cf. LJ. STojanović (éd.), Stari srpski zapisi i natpisi [Anciens marginalia et inscriptions serbes], t. I, Belgrade 1902, p. 57-58, no 183, 184, 185. Cf. S. Ćirković, « Kraj veka – kraj sveta » [« Fin du siècle – fin du monde »], p. 14. 92. Cf. B. fluSin, « Prédictions et prophéties dans l’œuvre de Doucas », dans P. ODorico, P. A. AGaPitoS, M. HinterBerGer (éd.), L’Écriture de la mémoire. La littérarité de l’historiographie, Paris 2006, p. 353-373. 93. À partir du Canon pour l’Empereur sous forme de prière du patriarche Ephrem, puis Le dit sur le saint prince Lazar d’Andony Raphaël (1419/20), jusqu’à l’œuvre poétique de Démétrius Cantacuzène. 94. Tqmačenje Dantlrvr [L’interprétation de Daniel], dans T. Jovanović (éd.), Stapa ep eka knjtževnost. Hrestomatija [Ancienne littérature serbe], Belgrade, Kragujevac 2000, p. 622 : « car l’étoile, sortant et filant de l’est à l’ouest, montrait la gloire et l’honneur aux empereurs ».

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee L’œuvre poétique du moine Éphrem, qui est attribuée pour de bonnes raisons au patriarche Éphrem 95, surtout son Canon pour l’empereur 96 sous forme de prière, écrit évidemment pendant les années (1355-1371) où il vivait en anachorète dans la grotte Ždrelo près de Peć, est profondément imprégnée de réflexions hésychastes et souligne fortement le sentiment de l’époque à l’approche du danger turc. Les motifs littéraires qu’on rencontre dans ce canon sont exprimés par les topoï reconnaissables du temps et du genre littéraire. Par opposition à l’état idéal – la paix et le silence –, le poète souligne le mal qui frappe les sujets affligés « humiliés jusqu’au bout par l’invasion des étrangers ». La prière pour l’empereur qui est « triste à cause du peuple élu » doit lui apporter la victoire, « pour qu’il élève la corne des croyants », et lui donner du courage « devant les barbares infâmes ». Ce texte est rédigé comme une prière pour l’empereur et la ville « invincible », ce qui suggère, avec le motif de l’aide divine qui doit renforcer la main droite de l’empereur et de son fils, qu’elle est très probablement inspirée directement par les prières byzantines. Dans les vers d’Éphrem les historiens de la littérature voient un espoir qu’on ne rencontre plus dans les récits postérieurs aux défaites serbes contre les Turcs sur la Marica (1371) et au Kosovo (1389) 97. La réalité historique de temps incertains conditionne sans aucun doute l’augmentation du nombre des prophéties eschatologiques, ainsi qu’un certain pessimisme d’attente de la fin qui domine les cinquante dernières années de la littérature serbe médiévale. Toutefois, on rencontre les mêmes attentes comme motif dans des œuvres du xvie et du xviie siècle, donc après la chute du Despotat lorsque les croyances en l’approche de la fin du monde prolifèrent. Cette disposition est conditionnée par les événements concrets et généraux, mais aussi par des modèles littéraires et idéologiques exprimés dans la littérature serbe. Considéré dans le contexte large des modèles byzantins, l’œuvre d’Éphrem offre un bon exemple pour analyser l’écho que les influences des traductions populaires ont reçu dans les cercles anachorétiques.

95. D. Bogdanović, « Pesnička tvorenija monaha Jefrema » [« Poésies du moine Ephrem »], Hilandarski zbornik 4 (1978), p. 109-130. 96. Dans D. Bogdanović (éd.), Šest pisaca xiv veka [Six écrivains du xive siècle], Belgrade 1986, p. 113120. 97. Ibid., préface de D. Bogdanović, p. 39. La tentative de répartir les mentions des « temps derniers » en deux époques, une « avant Lazar », quand ils apparaissent comme une marque d’érudition biblique, et une autre après la bataille du Kosovo, quand le sentiment de la fin du monde est conditionné historiquement, ne partent pas du principe de l’analyse du genre littéraire, mais observent le problème d’un autre angle. Sur cela voir D. Bojović, « Srpska književnost XV veka i “poslednja vremena” » [« Littérature serbe du xve siècle et des “temps derniers” »], dans Srpska knjtževnret q drba dee rtrvtne [Littérature serbe dans le temps de Despotat], Despotovac 1998, p. 166. Cf. E. TruBeckoJ, « Katastrofičke epohe i “poslednji dani” » [« Les époques catastrophiques et “les jours derniers” »], Ietrčntk 6 (1993), p. 7.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Le pressentiment de l’arrivée des « années dures », exprimé aussi comme la croyance que le moment présent annonce la fin, imprègne également le célèbre inscription du géronte Isaïe. Il écrit après la défaite de l’armée serbe sur la Marica en 1371 et la mort du dernier Némanide, « au pire de tous les mauvais temps », à la fin du « septième » siècle, à l’époque de la peur des Turcs, lorsqu’apparaît la « septième génération » des souverains serbes et s’éteint la dynastie des Némanides 98. On verra que les topoï semblables de l’approche de la fin du « septième siècle » commencent à apparaître plus fréquemment depuis le début du xve siècle. Peu après 1400, apparaît une traduction des prophéties faussement attribuées à Léon le Sage, déjà mentionnée – l’écrit Sur les temps futurs. Dans ce texte, on rencontre les topoï de la fin de l’univers, voire la mention des « temps septuples et à sept mille ans » 99. C’est le temps de grandes détresses, quand « la terre souffrit des malheurs qui l’ont frappée » et quand commencent « les temps derniers », les années que mentionne également Constantin le Philosophe 100. Le topos de la fin du « septième siècle » marque un tournant dont les écrivains de différents textes apocalyptiques serbes étaient très conscients et dont ils essayaient de préciser la date. Ces années de cataclysme général s’installent entre 1408/9, lorsque finissaient à la fois la treizième indiction et le grand cercle (circulus solis de 532 ans) et 1491/2 – les années fatales de la fin de l’univers attendue, avec laquelle commence le huitième ou « le second siècle » 101. Dans la Vie du despote Stefan, Constantin interprète la fin du treizième cercle comme un mauvais présage et comme le début de la 84e « année du malheur ». Dès le début de l’écrit, dans l’éloge au despote, l’écrivain décrit en détail les présages des grands malheurs, les annonces fiables des « dernières années », quand il y eut des faims, des tremblements de terre et des contagions, des invasions des peuples par mer et par terre et des guerres soudaines, et il n’y eut pas d’endroit dans le cosmos où ne surviendrait ta peur, Seigneur 102.

98. Đ. Radojičić, Razvrjnt lqk etape ep eke knjtževnrett. Teketrvt t krmentapt [L’arc du développement de l’ancienne littérature serbe. Textes et commentaires], Novi Sad 1962, p. 162-163. 99. O bqdqćtm vpementma [Sur les temps futurs], p. 85 ; en serbe : p. 637. 100. KonStantin Filozof, Žtvrt dee rta Stefana Lazapevtća [conStantin Le PhiloSoPhe, Vie du despote Stefan Lazapevtć], p. 246 ; en serbe : p. 181. 101. S. Ćirković, « Kraj veka – kraj sveta » [« Fin du siècle – fin du monde »], p. 11-24, surtout p. 15. 102. KonStantin Filozof, Žtvrt dee rta Stefana Lazapevtća [conStantin Le PhiloSoPhe, Vie du despote Stefan Lazapevtć], p. 246 ; en serbe : p. 181.

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee Dans ces manuscrits une place particulière est réservée au malheur ultime – la mort du souverain. La providence de Dieu a apporté la mort au despote au mauvais moment, quand « il y eut de la peur et du grand chagrin dans l’univers », donc lorsque les événements frappant le pays serbe se sont combinés avec les attentes plus générales sur des derniers jours 103. La chronologie eschatologique selon laquelle la mort du héros est située dans le cercle des derniers quatre-vingt quatre ans de malheur était importante pour la structure intérieure de la narration de l’hagiographie du despote Stefan Lazarević. Selon des postulats littéraires communs, la mort du souverain est présentée avec les signes venant du ciel et de la terre qui annonçaient le malheur 104. Des événements étonnants, tels le coup de foudre soudain qu’on a entendu dans la capitale (« horrible, comme on ne l’avait jamais entendu »), l’éclipse de soleil à midi, la grande lamentation et le deuil sur la terre entière, l’annonce du successeur, la translation du corps du souverain décédé jusqu’à la tombe préparée, sont des signes bien connus des temps derniers 105. La chute de Belgrade, suite à la mort du despote, est décrite en empruntant les mots des lamentations de Jérémie devant la dévastation de la nouvelle Sion : « Brusquement tout devint désolation, tout se transforma, tout devint comme s’il n’y avait jamais rien eu, et tout se remplit d’amertume ». Dans de tels moments devient visible ce qui a été présagé, ce qui « fut autrefois prédit dans les rêves », montré par des signes clairs comme l’aigle mouillé de pluie qui vole venant de l’ouest, ou bien les icônes qui, à l’heure de la mort du despote, s’élevèrent de l’autel de l’église en faisant dans l’air l’acte de la Déisis qui annonce la Seconde Parousie. Constantin mentionne également les indices qui précèdent la mort du souverain : des étincelles allumées au-dessus de la ville, un tourbillon ravageur qui détruit les maisons de la ville, l’apparition d’une comète, jusqu’à l’ouverture soudaine des lourdes portes de la grande église. Les descriptions qu’on rencontre chez Constantin le Philosophe interprètent les causes de phénomènes de portée plus large. En même temps s’épanouit la forme de l’éloge et de la lamentation, qui devient souvent la partie constitutive du dit. La tragédie du Kosovo, incarnée dans la mort du souverain – le prince Lazar –, a naturellement trouvé sa propre formulation littéraire dans le motif de la lamentation devant le corps du défunt. À peu près en même temps (après 1392) apparaît le texte de Daniel le Jeune, dans lequel l’intérêt idéologique se déplace vers le culte des reliques du néo-martyr Lazar.

103. Ibid., p. 324 ; en serbe : p. 255. 104. Sur la mort du souverain et sa réception dans le monde byzantin, surtout sur les stéréotypes de la peur de la chute de Constantinople et de la peur de la mort de l’empereur, cf. P. Karlin-Hayter, « L’adieu à l’empereur », p. 112-154 ; sur le caractère annoncé de la mort du souverain cf. Ph. ArièS, L’homme devant la mort, t. 1, p. 14-18. 105. KonStantin Filozof, Žtvrt dee rta Stefana Lazapevtća [conStantin Le PhiloSoPhe, Vie du despote Stefan Lazapevtć], p. 319 ; en serbe : p. 250-251.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale La composition littéraire, qui est une variation sur les mots de la princesse – « champs, pleurez avec moi » –, contient un dialogue important avec le défunt. La réponse du feu prince est déjà entièrement construite en fonction de sa future célébration : « je me joignis aux martyrs […] je vis les épées et je songeai aux couronnes éternelles […] j’attendais la mort et j’envisageais l’immortalité » 106. L’inscription sur la colonne de marbre sur le champ de bataille au Kosovo a une fonction semblable, où la mort du souverain est sublimée par la réception de la couronne du martyre, le moment où le prince tué et ses combattants deviennent « les participants de la gloire éternelle » 107. Les circonstances de la mort du prince ont, sans aucun doute, contribué au développement du sentiment de « la fin du siècle ». De même, dans tous les éloges du martyr domine le motif de la gloire céleste pour ceux qui sont « morts sur le champ de bataille ». La célébration du saint martyr, qui coïncide avec la montée de la popularité des cultes néo-martyrs durant le xve siècle, est le cadre de la prière dans lequel apparaît L’rffce aq eatnt prt Stefan de Dečant de Grégoire Camblak. L’higoumène de Dečani l’a composé très probablement en 1405, en notant que le texte paraît « en ces temps derniers » 108. Il exprime le sentiment de la fin en disant que c’est « la onzième heure maintenant, pour ainsi dire près de la fin des temps » 109. La complainte d’Andony Raphaël (1419/20), parue un peu plus tard mais dans le même contexte, insérée dans son éloge au prince (Le dit du saint prince Lazar), témoigne également de la longue attente de la fin. Dans la partie consacrée à la translation des reliques du saint prince Lazar, il souligne déjà dans le chant funèbre les successeurs du « nouveau Lazar » ainsi que le sujet de la « dernière génération ». Conscient de son appartenance à cette dernière génération, le poète célèbre « le nouveau miracle du nouveau Avraam ». Sa conviction que le haut fait du martyre de Lazar s’est produit dans « les derniers temps » est intéressante pour nous. Une fonction particulière est attribuée à la célèbre métaphore des reliques du saint, tabernacle et forteresse de la patrie, incarnée dans l’image poétique du souverain qui conduit l’arrivée de la plus grande relique de toutes, comparé avec l’image populaire de David qui danse devant le tabernacle. Chantée dans ce contexte, la relique obtient la fonction du « sceptre du pouvoir », qui, « tacheté de larmes de chagrin », assure une aura de sainteté au nouveau pouvoir.

106. Danilo III, Slovo o svetom knezu Lazaru [Daniel III, Homélie sur le saint prince Lazar], dans T. Jovanović (éd.), Stapa ep eka knjtževnret. Hpeetrmattja [Ancienne littérature serbe], Belgrade, Kragujevac 2000, p. 84. 107. DeSPot Stefan Lazarević, Knjtževnt padrvt [Œuvres littéraires], p. 158-160. 108. Dans Đ. Trifunović, D. Bogdanović (éd.), Spbljak. Slqžbe, kanrnt, akattett [Spbljak. Offcee, canons, acathistes], t. 2, Belgrade 1970, p. 308 ; en serbe : p. 309. 109. Ibid., p. 338-340 ; en serbe : p. 339-341.

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En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee La spécificité du texte d’Andony, particulièrement intéressante pour nous, est son intérêt pour les calculs chronologiques. Ces spéculations sont au service d’une mise en scène où se déroule le haut fait du martyre de la dernière génération, mais elles reflètent également le besoin d’une époque entière de déterminer sa place dans le temps par rapport à la fin attendue. C’était l’époque où l’on enregistre l’importance croissante des prévisions astrologiques, un écho lointain de l’engouement scientifique pour le courant historique basé sur la datation qui est surtout apparu sur le continent européen à partir du xiie siècle. Cet intérêt se reflète, entre autres, dans la conviction que Dieu s’adresse aux hommes en leur parlant de l’histoire en deux langues différentes – par l’intermédiaire des prophètes sur la terre et des planètes dans le ciel 110. Lazar a « brillé » par son martyre. C’est ainsi qu’il est devenu « le phare, le canon des vertus », c’est-à-dire qu’il a mérité de recevoir « le diadème de splendeur fait par les mains célestes » 111. Le chant devenu célèbre grâce aux lamentations de la princesse Milica, veuve du prince Lazar, contient plusieurs indications chronologiques intéressantes. On y rencontre de nouveau la notion du « septième siècle », la translation du nouveau Joseph se déroule « lorsque la fin du cercle approche ». Le besoin du poète de dater précisément dans le texte les événements horribles du septième siècle est caractéristique : il les place en l’an 6928, au douzième tour du soleil et de la lune, en quinzième thémélion, treizième indiction et dix-huitième cercle de l’empereur Léon. En tant que témoignage indirect de la popularité des recueils prophétiques, obéissant à une chronologie eschatologique spécifique, le récit poétique d’Andony lève le voile sur les frémissements spirituels de l’époque, et incarne le besoin de former un canon chronologique spécifique pour l’interprétation des phénomènes historiques. Dans le même ensemble de récits littéraires destinés à la lecture publique figure l’oraison funèbre pour le despote Đurađ Branković 112. Entre la parution du texte d’Andony Raphaël (1419/20) et l’année 1456, où le despote serbe est mort, se sont déroulés des événements dramatiques et horribles qui ont stimulé la conviction de la « nuit ténébreuse », mais aussi de la fin proche de l’histoire mondiale. Le lien entre les événements est sans aucun doute établi dans le cadre de l’unité spatio-temporelle sur laquelle repose la scène, avec la Nouvelle Jérusalem en tant que centre topographique du monde. Si Andony Raphaël chantait dans l’espoir que les reliques du saint prince Lazar seraient le fondement de sa génération et de la religion orthodoxe dans les temps qui

110. R. W. Southern, « Aspects of the European Tradition of Historical Writing », p. 159-180. 111. Cf. l’image poétique qui célèbre le martyre grâce auquel « le phare de l’orthodoxie de l’État serbe ne s’éteignit pas ». 112. NePoznati SMeDerevac, Nadgprbna peč dee rtq Đqpđq Bpankrvtćq [Inconnu De SMeDerevo, La latnte fqnèbpe rqp le dee rte Đqpađ Bpankrvtć].

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale suivirent, la génération qui chante et se lamente au milieu du siècle, au moment où paraît l’oraison funèbre écrite par un auteur anonyme de Smederevo, n’avait plus de raisons de nourrir de tels espoirs. Malgré tout, le despote fonde avec précipitation la nouvelle ville capitale de Smederevo, la munit des reliques célébrées – les symboles de la ville et la cérémonie liturgique associée, dont témoigne entre autres L’Offce pour la translation des reliques de saint Luc, protecteur de la dernière capitale 113. Le destin de Smederevo semblait certain au moment où le rhéteur inconnu déplore la mort du despote Đurađ. La plainte, qui suit les modèles d’épitaphes byzantins 114, repose sur des modèles littéraires semblables, parmi lesquels se trouve aussi la complainte funéraire de la princesse Milica, écrite par Daniel le Jeune. Outre l’évocation des successeurs, pour le bonheur desquels on prie, le discours contient le dialogue avec le défunt, auquel sont adressées les questions et les prières pour demander conseil et protection. L’interpellation directe du seigneur mort contribue non seulement au caractère dramatique de l’action, mais sert aussi au despote à adresser les mots à significations multiples par lesquels il convainc ses sujets qu’il prie pour eux, pour que Dieu leur « donne la victoire dans les temps présents contre les ennemis et les fléaux divers » 115. Les expressions rhétoriques que le rhéteur choisit pour exprimer « l’appauvrissement amer » produit avec le départ du souverain sont choisies en vue du message final de la plainte, qui installe les événements des temps d’alors dans un enchaînement cosmique. Apparemment, les mots du rhéteur sont compréhensibles à son auditoire, car il évoque un événement qui est resté un souvenir inoubliable marqué à jamais dans la mémoire collective. En effet, en juillet 1456 est apparue une « comète atteignant la terre » 116, plus tard appelée comète de Halley, qui a été interprétée comme signe de grand malheur – de guerre, mort et famine. C’est à son apparition que fait allusion l’oraison funèbre, croyant qu’elle a annoncé les malheurs qui se sont produits. La croyance aux liens cosmiques entre phénomènes célestes et terrestres, accompagnée de la certitude inébranlable de l’efficacité des prières, est pleinement exprimée par ces vers touchants :

113. Cf. T. SuBotin-GoluBović, « Sveti apostol Luka, poslednji zaštitnik srpske zemlje » [« Saint apôtre Luc, dernier protecteur des terres serbes »], p. 167-179. Pour l’interprétation de la translation, cf. d. PoPović, « Mošti sv. Luke – srpska epizoda » [« Les reliques de saint Luc – l’épisode serbe »], p. 295-317. 114. D. Bogdanović, Ietrptja etape ep eke knjtževnrett [Histoire de la littérature serbe ancienne], p. 219. 115. T. Jovanović (éd.), Stapa ep eka knjtževnret [Ancienne littérature serbe], p. 125. 116. LJ. STojanović (éd.), Stari srpski rodoslovi i letopisi [Anciennes généalogies et chroniques serbes], Belgrade – Sremski Karlovci 1927, p. 239. Cf. N. Janković, « Komete u srpskim zapisima i letopisima » [« Les comètes dans les inscriptions et chroniques serbes »], Ietrptjekt čaer te 5 (1954/1955), p. 375.

206

En attendant la fn   lee teetee pr phttiqee […] si nous avions su que l’emblème amer de cette époque fut pour nous, malheureux, nous aurions pu prier ton créateur et notre père Seigneur d’effacer ce mal insupportable dont nous pérîmes 117.

On a vu que le sentiment des « temps derniers » apparaît conséquemment dans les récits littéraires apparus à partir de l’époque du martyre de Lazar (1389) jusqu’à la mort du despote Đurađ (1456). Les croyances en la fin de l’histoire, liées précisément à l’année 1491/2, c’est-à-dire à l’année 7000 depuis la création du monde, se forment avant tout dans les textes prophétiques, dont la popularité augmente pendant les xve et xvie siècles. Leur composante essentielle est l’inspiration divine qui dévoile aux contemporains un nouveau savoir sur le monde ainsi que la structure cachée des événements historiques autrement inaccessible. En ce sens tous les outils par lesquels les prophéties aident l’homme du Moyen Âge à mieux comprendre l’histoire – depuis le texte sacré, les livres sibyllins, les manuscrits apocryphes attribués aux prophètes, jusqu’aux calculs astrologiques – expriment le regard sur le lien entre le temps et l’éternité, la raison divine et humaine et les modèles des événements du passé et de l’avenir 118.

117. T. Jovanović (éd.), Stapa ep eka knjtževnret [Ancienne littérature serbe], p. 125. 118. R. W. Southern, « Aspects of the European Tradition of Historical Writing », p. 162.

207

CONCLUSION Bien qu’elles soient nées sous l’influence évidente du développement de cette littérature à Byzance, les œuvres écrites au sein de l’élite spirituelle serbe entre le xiie et le xve siècles représentent un corpus hagiographique tout à fait indépendant. L’un de ses traits les plus saillants est le lien qu’il entretient avec un type particulier de sainteté, célébrée dans ces textes. Il s’agit du phénomène de la sainteté dynastique, transmise par hérédité et étroitement liée à l’idée du peuple élu et de son salut collectif. Les recherches sur la littérature serbe du Moyen Âge présentées ici sont inspirées par l’analyse des cultes des saints, appuyée sur les résultats des études byzantines, ainsi que de celles de l’Occident médiéval. Fondée sur une vaste tradition, l’étude des cultes des saints tend avant tout à définir des modèles culturels suffisamment larges pour permettre de suivre la réception de la sainteté dans des contextes sociaux et culturels divers. La sainteté, promue par l’élite politique et ecclésiastique de l’époque, a connu des changements au fil du temps. Il ne fait pas de doute que la création d’une « mémoire officielle » est toujours, en partie au moins, le fruit de la volonté des élites et l’expression symbolique des projections du moment autant que des intérêts politiques. C’est dans ce cadre-là qu’on a choisi de présenter le contexte politique dans lequel s’est développée l’hagiographie serbe. En outre, notre intention a été de montrer les liens multiples entre la construction des cultes des rois saints, de la façon dont ils nous apparaissent, d’un côté, dans les textes qui les célèbrent, et de l’autre, dans les sources telles que les recueils de miracles, les prophéties et les visions de l’au-delà. Ces sources, issues de la tradition hagiographique, portent des traces intéressantes de la mentalité de l’époque, et en ce sens se montrent complémentaires des vies des saints. Pour réaliser cette recherche, il a fallu d’abord définir les thèmes, les symboles, les rituels et les formes de la sainteté royale et de sa projection historique. Dans ce cadre, on a dû considérer la question de la fonction du lieu saint et les différentes manières dont en fut façonnée la mémoire historique. Une composante importante de la conception acceptée du rôle du lieu saint réside dans sa fonction de lieu de mémoire, indissociable du phénomène du pèlerinage. Sur ce point précis, très important pour l’analyse du texte hagiographique, on comprend mieux la façon dont la mémoire historique des Serbes a été créée autour des principaux centres monastiques qui étaient en même temps les foyers de l’écriture et les points focaux de l’idéologie de l’État. Ce processus s’est développé grâce aux images mentales et aux « histoires » qui 209

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale se sont transformées en tradition, dont la caractéristique la plus importante était son efficacité affective. Vue de cette manière, la mémoire historique s’est construite dans les textes, dans la culture visuelle, ainsi que dans toutes les manifestations promouvant l’idéologie officielle. On la voit au travers des divers regards portés sur le passé propre de la communauté et imposés par les besoins politiques du moment. Le besoin de célébrer la sainteté des représentants du pouvoir politique et ecclésiastique chez les Serbes découle d’un rapport étroit au passé, d’une entente entre le spirituel et le politique ainsi que d’un modèle particulier de célébration des ancêtres. Les auteurs des vies serbes appartenaient à l’élite érudite, principalement monastique et athonite. Ils étaient les héritiers et les continuateurs d’une tradition hagiographique élaborée. Cette circonstance a conditionné l’utilisation des conventions propres au genre hagiographique entier. Indissociables du concept médiéval de la Vie comme texte créé pour les besoins de la pratique du culte, composé selon des règles strictement déterminées, conçu pour être au service de la célébration de la sainteté, ces conventions reposent sur la répétition des schémas connus du public qui avait déjà une éducation théologique. En suivant les modèles établis, les auteurs garantissaient la vraisemblance et la force littéraire de leurs compositions. L’analyse des textes hagiographiques que nous avons présentée dans ce livre montre à quel point la littérature serbe, entre le xiie et le xve siècle, était conforme aux principaux canons littéraires de l’époque. Aussi, l’adoption de ces conventions établies, faite en accord avec l’idée du rapport entre l’auteur et l’œuvre qui avait cours alors, était une façon de donner une légitimité supplémentaire au message concret du texte – religieux, moralisateur, politique. Dans les études modernes sur l’hagiographie comme genre littéraire, on a beaucoup discuté du problème de la disparition du portrait individuel du saint homme au profit de la transformation de l’identité individuelle en un prototype biblique. Cette question ouvre de nouvelles perspectives pour la compréhension du texte hagiographique, mettant sur un autre plan les procédés littéraires de formulation du rapport entre le héros et son modèle. Vu de cette perspective, le but principal de l’appropriation des modèles acceptés apparaît comme la réanimation d’un texte saint dans les yeux des contemporains. C’est dans ce même sens qu’ont agi les descriptions des miracles, jusqu’à en arriver au point où nous pouvons considérer que les miracles, autant que la création des images typologiques, introduisaient le lecteur/auditeur de la Vie dans le passé saint, biblique, lui rendant ce même passé directement appréhendable dans sa propre réalité. Suivant cette idée principale de la description des miracles faits par le héros de l’hagiographie, les écrivains serbes anciens utilisaient le procédé de l’imitation du Christ pour ouvrir au public une voie directe vers un passé saint encore vivant. Pour mieux comprendre les procédés littéraires des hagiographes, il nous a donc été nécessaire d’inclure dans ce travail l’analyse de certains stéréotypes relatifs à la mémoire historique de l’époque, et tout 210

Conclusion particulièrement la correspondance entre le monde de la Bible et le monde du monachisme athonite, qui a donné naissance à la tradition hagiographique serbe. L’élite médiévale articulait son rapport à la mémoire autour de la question des parallèles bibliques. De ce fait, placer les hauts faits des saints locaux en un contexte compréhensible aux lecteurs passait par la typologie biblique. De cette manière, le monde contemporain de la communauté monastique, au sein de laquelle se déroulait l’action de l’histoire, mais aussi à laquelle s’adressait le texte, servait de scène au texte lui-même. La recherche des modes de formation de l’image de la sainteté chez les Serbes s’est basée sur l’étude des récits composés pour la célébration liturgique. Elle se fondait aussi sur l’analyse des influences qui ont contribué à la formation du modèle du saint souverain, influences qui provenaient principalement, à travers le Mont Athos, du monde byzantin. Ainsi, il s’est avéré nécessaire de composer une typologie de la sainteté royale, qui commencerait par le culte du « fondateur », Syméon Nemanja, devenu un modèle pour tous les rois serbes, et le premier à en avoir possédé tous les attributs. Les changements dans les modèles de sainteté chez les Serbes du Moyen Âge ont accompagné les nouveaux besoins de la société et les programmes politico-religieux qu’ils inspiraient. Il a fallu établir l’analyse des cultes des saints serbes sur les fondements d’une recherche comparative plus large. Celle-ci nous a menée à l’étude du phénomène du miraculeux en soi, mais aussi à l’analyse de sa fonction au sein des textes hagiographiques qui ont forgé cette tradition littéraire. Nous avons accordé une importance particulière à la compréhension de la nature du miraculeux, ainsi qu’à son rôle dans la création d’un concept spécifique de la chrétienté « patriotique ». Les miracles individuels de Sava et de Syméon, après la fusion de leurs cultes en un seul et unique culte du protecteur de la patrie, deviennent alors des miracles qui agissent par l’intermédiaire de leurs prières communes. Le caractère exceptionnel de cette paire de saints dans la tradition serbe repose, entre autres, sur le fait que ces saints ont été représentés dans leurs portraits hagiographiques comme des « icônes vivantes », les véritables autorités prédestinées à être un modèle spirituel. Ces représentations étaient en accord avec les principes de la pratique monastique et les règles de l’hagiographie. Dans le processus de la création des cultes des saints, le miracle jouait justement le rôle principal, en tant que phénomène extraordinaire où l’on doit reconnaître la volonté de Dieu, facteur le plus important de la célébration des saints. Les reliques qui ont été dotées de pouvoirs guérisseurs, par leur caractère thaumaturgique ainsi que leurs actions charismatiques, jouaient certainement un rôle incontournable dans le maintien et la consolidation du prestige des centres du culte. C’était surtout le cas de Chilandar, de Studenica et de Dečani, monastères les plus directement liés à la création des écrits hagiographiques. Au centre de ces textes se trouvait le miracle. Cette histoire était 211

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale porteuse d’un message réfléchi et reconnaissable ; en analysant des textes hagiographiques, essentiellement des métaphrases créées dans le cadre du grand projet réformateur de l’époque de la fin du xiiie siècle, nous pouvons facilement déceler le fond politique des changements qui se sont produits. La nature complexe de nouveaux « miracles », comme nous avons essayé de le mettre en évidence, montre que l’élargissement du champ du miraculeux était le motif principal de la commande des œuvres composées « à la gloire des saints ». Une réflexion sur la perception du merveilleux comprend forcément un essai de compréhension du champ du surnaturel, tel qu’il apparaît dans les textes serbes, et comme une caractéristique importante du miracle chrétien dans un sens plus large. Un chapitre particulier a été consacré au développement d’un genre littéraire spécifique – des prophéties – étroitement liées à l’hagiographie. Le chercheur qui étudie l’héritage de ces divers genres littéraires populaires au Moyen Âge, aussi bien que la tradition manuscrite serbe qui s’est développée au sein des scriptoria monastiques, se confronte inévitablement à l’apparition d’une nouvelle valeur dans la relation de l’homme médiéval avec la complexité du divin. Les textes analysés ont servi comme instruments de légitimation des nouveaux saints, des lieux de culte et des pratiques sociales ; la structure et la fonction spécifique de ces textes sont bien illustrées dans le cadre du genre hagiographique dans lequel elles apparaissent, ainsi que dans le cadre de la tradition apocalyptique. Au centre de notre intérêt se sont trouvées les traductions, du grec en slave, des écrits prophétiques célèbres, leur réécriture, ainsi que la création des genres littéraires qui les accompagnent, aussi bien que l’apparition simultanée de nouveaux genres littéraires liés au sujet de la fin des temps. À la fin de ces recherches, il reste cependant bien des interrogations. Dans un premier lieu, il s’agit des difficultés auxquelles se trouve confrontée l’étude de textes préservés seulement fragmentairement. L’incertitude de nos connaissances sur la totalité de la tradition manuscrite serbe, qui pourraient se résumer presque exclusivement à l’héritage athonite, à cause des circonstances historiques malheureuses et des migrations du peuple serbe durant l’occupation ottomane, laisse beaucoup de questions sans réponse. À chaque fois que cela était possible, dans ce livre, nous avons essayé d’ouvrir ces questions, cherchant les solutions à travers l’exploration des parallèles et des influences d’autres littératures, essentiellement la littérature byzantine, sur la formation de l’hagiographie serbe. D’autres types d’interrogations concernent les cultes des saints rois – profondément marqués par leur dimension historique – qui ont inspiré ces lignes de manière directe et indirecte. L’expérience du destin tragique des lieux saints du patrimoine serbe médiéval a permis de mieux comprendre la longue durée, jusqu’à nos jours, de ces cultes. Indissociablement du phénomène du pouvoir des reliques saintes, essentiellement déterminé par l’espace sacré, 212

Conclusion l’agissement vivant du culte défend une croyance très ancienne. Elle rappelle que le principe sacral, fondé sur la force du miracle, se présente comme une condition préalable à la survie du culte lui-même qui, d’une façon très médiévale, est insensible aux changements qu’apporte le temps. Des études futures concernant ces questions pourraient partir dans des directions différentes, mais il semble qu’elles resteraient, quoi qu’il en soit, attachées aux multiples liens entre la tradition hagiographique et les effets du miraculeux dans l’imaginaire collectif.

213

LISTE DES CARTES ET ILLUSTRATIONS

Liste des cartes Fig. 1. Pays serbes à la fin du xiie – début du xiiie siècle. Fig. 2. Royaume serbe de 1282 à 1321. Fig. 3. Empire serbe vers le milieu du xive siècle. Fig. 4. Despotat serbe en 1423.

Liste des illustrations Ill. 1. Le monastère de Studenica, fin du xiie siècle (photo : M. Lazić). Ill. 2. L’ermitage de Studenica, fin du xiie siècle (photo : D. Popović). Ill. 3. Saint Sava et Saint Syméon, 1220-1228, Mileševa (photo : M. Lazić). Ill. 4. La translation du corps de Saint Syméon, 1272-1276, Sopoćani (photo : M. Lazić). Ill. 5. Le monastère de Chilandar, 1198 (photo : Z.Rakić). Ill. 6. Le réfectoire de Chilandar (photo : Fondation de Chilandar). Ill. 7. Saint Barlaam et Joasaph, 1208/9, Studenica (photo : M. Lazić). Ill. 8. La tombe de Saint Syméon, Studenica (photo : M. Lazić). Ill. 9. Saint Syméon et Saint Sava, 1644/5, icône à Morača (photo : Z. Rakić) Ill. 10. Saint Sava trompe la poursuite et prend la tonsure, 1621/2, réfectoire de Chilandar (photo : Fondation de Chilandar). Ill. 11. Le miracle de myroblitie de Saint Syméon à Chilandar, 1621/2, réfectoire de Chilandar (photo : Fondation de Chilandar). Ill. 12. Le miracle de Saint Sava : le meurtre de Strez, 1621/2, réfectoire de Chilandar (photo : Fondation de Chilandar). Ill. 13. La mort de Stefan le Protocouronné, 1621/2, réfectoire de Chilandar (photo : Fondation de Chilandar). Ill. 14. Le voyage de Saint Sava à Jérusalem, 1621/2, réfectoire de Chilandar (photo : Fondation de Chilandar). Ill. 15. Le monastère de Žiča, 1221 (photo : S. Dušanić). Ill. 16. Patriarcat de Peć, xive siècle (photo : M. Lazić). Ill. 17. La mort de la reine Anne Dandolo, 1272-1276, Sopoćani (photo : M. Lazić).

215

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Ill. 18. Le couronnement de roi Stefan Milutin, c. 1320, Gračanica (photo : M. Marković). Ill. 19. La sainte lignée des Némanides, c. 1332, Patriarcat de Peć (photo : M. Marković). Ill. 20. L’empereur Stefan Dušan, 1349, Lesnovo (photo : M. Marković). Ill. 21. La bataille de Kosovo (28 juin 1389), cienne, Marc. Gr. VII, 22, fol. 69r).

xvie

siècle (Venise, Bibliothèque mar-

Ill. 22. Haut : Le meurtre de sultan Mourad (28 juin 1389) ; bas : le meurtre de Soliman, fils de Bajazid (1411), xvie siècle (Venise, Bibliothèque marcienne, Marc. Gr. VII, 22, fol. 69v). Ill. 23. Le siège de Constantinople (1395), xvie siècle (Venise, Bibliothèque marcienne, Marc. Gr. VII, 22, fol. 71r). Ill. 24. Le siège de Belgrade (1456), xvie siècle (Venise, Bibliothèque marcienne, Marc. Gr. VII, 22, fol. 92r).

216

Figure 1

H O N G R I E Danube

Belgrade

Sirmium

Braničevo B O S N I E

Gradac (sur Morava) St. Achille

S E R B I E

Makarska Drijeva

Trebinje Dubrovnik Cavtat

Serbie Bosnie Hongrie Bulgarie Despotat d’Épire République de Raguse territoire vénitien expansion territoriel villes évêchés et monastères orthodoxes évêchés et monastères catholiques

B U L G A R I E Žiča

St. Nicolas (sur Lim) Studenica Mileševa Piliers de St. George St. Nicolas St. Pierre St. Apôtres Ras Brskovo

Vierge du Ston

Ston Vierge de Mljet

Ravno

Niš

St. George Zvečan Vierge du Hvosno Peć Ulpiana

Morača

Kotor St. Michel l’archange Vierge du Ljeviša Vranjina Budva Drivastum Prizren Bar Skadar Suacium Dagnum

Vranje

Pauni

Skopje

D E S P O T A T D ’ É P I R E

Dyrrhachium

Bitola

Figure 2

H O N G R I E

Danube

Belgrade

Sirmium

Braničevo Debrc Ždrelo

B O S N I E Gradac (sur Morava)

Vidin

St. Achille St. Nicolas

Makarska

Žiča

Maglič B U L G A R I E Mileševa Studenica Niš Gradac Blagaj Brvenik Piliers de St. George S E R B I E Deževa Sopoćani St. Apôtres St. Nicolas Ras Brskovo Drijeva St. Stefan (Banjska) Trepča Vierge du Ston Zvečan Ston Trebinje Patriarcat de Peć Morača Novo brdo Vranje St. Nicolas Gračanica Peć Dubrovnik Ulpiana Kotor St. Prohor de Pčinja Nerodimlje St. Michel l’archange Vierge du Ljeviša Velbužd Budva Vranjina St. Pierre de Koriša Drivastum Bar Skopje Staro Nagoričino Prizren St. George Skadar Sardes Morozvizd Tetovo Suacium Dagnum Veles Debar

Serbie Bosnie Hongrie Bulgarie Byzance République de Raguse territoire vénitien villes évêchés et monastères orthodoxes évêchés et monastères catholiques

Dyrrhachium

Treskavac Prilep Ochrid

Bitola

Édessa B Y Z A N C E

Strumica

Figure 3 Danube H O N G R I E

Sirmium

Belgrade

Braničevo V A L A C H I E

B O S N I E Ravno

Dobrun St. Achille

Žiča

E M P I R E

B U L G A R E

Mileševa Studenica

Makarska

Niš Drijeva Ston

Trebinje Dubrovnik Cavtat

Morača

Peć

Zvečan Patriarcat de Peć

Kotor Dečani St. Michel l’archange Vierge de Ljeviša Budva Saints Archanges Prizren Nerezi Bar Vierge de Tetovo Skopje Lesnovo Tetovo E M P I R E S E R B E

Dyrrhachium

Ochrid

Treskavac Prilep

Strumica

Bitola

Sofia

Rila B Y Z A N C E Melnik St. Jean Baptiste Serrès Christoupolis

Édessa

Thessalonique

Chilandar Ierissos Grande Lavra

Sérvia Serbie Bosnie Hongrie Byzance Bulgarie territoire angevine République de Raguse territoire vénitien villes évêchés et monastères orthodoxes évêchés et monastères catholiques

Ioannina

Larissa

Arta

D U C H É

D ’A T H È N E S

Athènes

Figure 4

Danube H O N G R I E Vodica V A L A C H I E

Belgrade Kupinik

Orşova Golubac

Smederevo D E S P O T A T

D E

S E R B I E

Tismana Koporin

Gornjak Resava

Bratunac Rudnik

Srebrenica B O S N I E

Kalenić

Višegrad St. Achille

Žiča

Studenica Mileševa

Vidin

Borač

Čačak

Rača

Paraćin Ljubostinja Stalać Drenča

Gradac

Dubrovnik

Onogošt Kotor Cetinje

Niš Pirot

Bela crkva Leskovac Zvečan

Morača Peć Patriarcat de Peć Dečani

Pristina Novo brdo Gračanica St. Prohor de Pčinja

Podgorica

Budva

Kruševac

Pavlica

Sjenica Sopoćani Trgovište Brskovo

Vitovnica Ždrelo

Staro Nagoričino

Velbužd

Prizren

Bar

Skopje Skadar Dagnum Suacium

E M P I R E

O T T O M A N Treskavac

Dyrrhachium Ochrid

Prilep

Serbie Bosnie Hongrie Empire ottoman République de Raguse territoire vénitien villes évêchés et monastères orthodoxes évêchés et monastères catholiques

Illustration 1

Illustration 2

Illustration 3

Illustration 4

Illustration 5

Illustration 6

Illustration 7/1

Illustration 7/2

Illustration 8

Illustration 9

Illustration 10

Illustration 11

Illustration 12

Illustration 13

Illustration 14

Illustration 15

Illustration 16

Illustration 17

Illustration 18

Illustration 19

Illustration 20

Illustration 21

Illustration 22

Illustration 23

Illustration 24

APPENDICE Résumé des Vies et des miracles les plus importants

Les Vies de saint Syméon le Myroblite (Stefan Nemanja) Sveti Sava, Žitije svetog Simeona [Sava, Vie de saint Syméon], dans ID., Sabrana dela [Œuvres complètes], T. Jovanović (éd.), Belgrade 1998, p. 148190 ; en serbe : p. 149-191. STefan Prvovenčani, Žitije sv. Simeona [Stefan Le PreMier couronné, Vie de saint Syméon], dans ID., Sabrana dela [Œuvres complètes], LJ. JuhaSGeorGievSka, T. jovanović (éd.), Belgrade 1999, p. 14-106 ; en serbe : p. 15-107. DoMentiJan, Život svetog Simeona [DoMentian, Vie de saint Syméon], dans ID., Život Svetog Simeona i Svetoga Save [Vies de Saint Syméon et Saint Sava], Đ. Daničić (éd.), Belgrade 1865, p. 1-118 ; en serbe : DoMentiJan, Život Svetoga Save i Život Svetoga Simeona [Vie de saint Sava et Vie de saint Syméon], r. Marinković (éd.), Belgrade 1988, p. 237-325. Auteurs et œuvres Stefan neManJa (1117-13 février 1199), grand jupan de Rascie, devient moine en 1196 sous le nom de Syméon, et fonde avec son fils Sava le monastère athonite de Chilandar, où il meurt. Plusieurs compositions hagiographiques lui ont été consacrées. Elles ont été écrites par ses fils saint Sava de Serbie et Stefan Nemanjić et, plus tard, par l’hiéromoine Domentian de Chilandar. Saint Sava (c. 1175-1236), le plus jeune fils de Stefan Nemanja – Syméon, fut le premier archevêque de l’Église autocéphale serbe ; il a écrit deux vies consacrées à son père. La première, brève, est une simple notice qui se trouve dans le Typikon de Chilandar. Écrite en 1199/1200, elle donne une histoire très abrégée de l’arrivée de Stefan Nemanja – Syméon sur le Mont Athos, et de sa mort. Sava a composé ensuite, en 1208, une seconde Vie, bien plus longue, et il l’a incorporée au typikon de la fondation pieuse la plus importante de Syméon en Serbie : le monastère de Studenica. C’est cette dernière Vie, centrée sur la fondation de Studenica, qui est résumée plus bas. 237

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Stefan Nemanjić, qui a succédé à son père Nemanja en tant que grand jupan de Rascie (1196-1217), et qui devient ensuite le premier roi de la lignée des Némanides (Stefan Le PreMier couronné, 1217-1228), a écrit la Vie de saint Syméon entre 1208 et 1216. Conservée dans sa totalité seulement dans deux copies (du xive et du xve siècle), cette œuvre représente, selon sa structure narrative et son schéma compositionnel, la première véritable Vie longue d’un saint chez les Serbes. Les seules informations concrètes dont on dispose sur la vie et l’œuvre de l’hiéromoine DoMentian sont liées à son activité littéraire sur le Mont Athos. À la suite d’une commande du roi serbe Uroš Ier (1243-1276), Domentian a écrit deux longues compositions hagiographiques : la Vie de saint Sava (cf. infra) et la Vie de saint Syméon, écrite en 1264, pendant que l’auteur, qui appartenait au clergé de Chilandar, séjournait dans la tour de la Transfiguration sur la Spasova voda. Douze copies de cette œuvre sont connues à l’heure actuelle. Les plus anciennes sont datables du xive s., les plus récentes du xviiie. Résumé des vies Contrairement aux deux longues vies de saint Sava où, comme nous allons le voir, les principales lignes narratives sont presque identiques, les vies de saint Syméon sont diverses et doivent être analysées séparément. La Vie écrite par Sava se distingue des deux autres sur deux points : 1) il ne s’agit pas d’une vraie Vie, mais d’un récit consacré à saint Syméon comme fondateur de Studenica ; 2) on n’y trouve pas de récits de miracles. D’un point de vue thématique, cette Vie ne contient pas le récit complet de la vie de Syméon de sa naissance à sa mort. Elle prend pour point de départ son renoncement au pouvoir et sa prise d’habit ; pourtant, elle contient certains éléments qui sont présents dans les deux autres vies aussi. Ne voulant pas « multiplier les mots », Sava se contente de mentionner rapidement les conquêtes et les fondations pieuses de son père, puis narre son abdication au profit de son fils cadet Stefan, qu’il a précédemment marié à une fille de l’empereur byzantin Alexis III Ange. Ayant fait jurer à ses fils de s’aimer et d’être fidèles, il devient moine, suivi par son épouse Anne, qui prend comme nom de moniale Anastasie. Après deux années passées à Studenica, Stefan Nemanja – Syméon vient sur le Mont Athos et s’installe à Vatopédi, chez son fils Sava. Ils y séjournent jusqu’au moment où ils obtiennent un terrain où fonder leur propre monastère. La restauration d’un sanctuaire abandonné et le rassemblement d’une communauté dans le nouveau cénobion de Chilandar s’accompagnent de nombreux autres hauts faits spirituels. Sava raconte ensuite la maladie de Syméon, sa mort en odeur de sainteté et sa première sépulture à Chilandar. Dans les années qui suivent, alors que le monastère s’épanouit, les compatriotes de Stefan Nemanja – Syméon demandent que 238

Résumé des Vies et des miracles les plus importants la relique du saint soit transférée en Serbie, à cause des dangers qui menacent l’Athos depuis que Constantinople est tombée entre les mains des Latins. Sabas fait alors transférer le corps incorrompu de son père jusqu’à la frontière, après quoi il le fait enterrer une deuxième fois, à Studenica. La Vie se termine par une prière et une exhortation morale adressées à la communauté de Studenica. Si l’on excepte certains faits, ainsi que certaines particularités se rattachant au projet et au style de chaque auteur, les deux autres vies, par Stefan Le PreMier couronné et par DoMentian, suivent, pour la plus grande partie, une histoire commune, et il est évident que Domentian a utilisé l’œuvre de Stefan comme source. Même si le moine de Chilandar ne mentionne pas la naissance de Nemanja à Ribnica et son double baptême (selon le rite latin, et ensuite orthodoxe), les deux textes racontent que, quand il était jeune homme, la région de l’est du pays a été placée sous sa juridiction, et l’empereur byzantin lui a concédé en plus une partie de ses territoires. Nemanja a commencé très tôt à bâtir ses propres fondations pieuses, provoquant ainsi la jalousie de ses frères, qui ont fini par l’emprisonner dans une « grotte de pierre », d’où il a réussi à se sauver grâce à saint Georges. Ce saint, en l’honneur duquel il a tout de suite construit une église, avait aussi intercédé en sa faveur durant la bataille décisive de Pantino, où Nemanja a vaincu ses ennemis, qui avaient levé contre lui une armée d’étrangers. Les deux hagiographes décrivent, chacun à sa façon, les succès de Nemanja en tant que souverain : en premier lieu, sa lutte impitoyable contre l’hérésie, puis ses conquêtes, qui ont pour résultat la récupération de la « terre des aïeux », c’est-à-dire la Dalmatie et la Dioclétie « avec les villes ». Après ces exploits, le grand joupan décide de remercier ses protecteurs divins en érigeant Studenica, comme un premier degré sur l’échelle conduisant à la Jérusalem céleste. C’est alors que Sava, qui était déjà moine sur le Mont Athos, appelle son père à le rejoindre. L’histoire qui suit s’accorde essentiellement avec le cours des événements déjà décrits chez Sava, mais elle les complète aussi : mentionnons, par exemple, l’histoire du rôle de ktètôr qu’a joué Stefan et la « bénédiction » (une croix pectorale) que Nemanja envoie depuis le Mont Athos à son fils et successeur. Les positions différentes des deux auteurs sont perceptibles à plusieurs endroits des récits : tandis que l’œuvre de Stefan revêt souvent le ton apologétique au sujet de son propre règne, le style de Domentian est érudit, contemplatif, et son texte met aussi tendancieusement Sava au premier plan. Ces spécificités du programme sont visibles dans les catalogues de miracles, qui représentent en même temps le point le plus fort de divergence entre les deux récits.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Récits de miracles Dans l’interprétation de Stefan Le PreMier couronné, les miracles de guérison opérés par saint Syméon, y compris le pouvoir très caractéristique de la myroblitie, se retrouvent marginalisés au profit de la construction du personnage du protecteur thaumaturge de la patrie. Il sélectionne sept miracles du saint : (1) Le jaillissement du myron sur le tombeau du saint à Studenica [76 ; 77  1]. (2) La délivrance d’un possédé [78 ; 77-79]. (3) La guérison d’un malade [78-80 ; 79]. (4) Le souverain bulgare Borilo s’étant allié à « l’empereur grec Philandre » (Henri de Flandre), et menaçant de nuire au pays de Stefan, Syméon anéantit son armée sur le champ de bataille [80-82 ; 81-83]. (5) Après la révolte du seigneur bulgare Strèze, Stefan lui envoie son frère Sava pour le raisonner (cf. infra) ; puis, comme le potentat refuse de revenir sur le bon chemin, saint Syméon le fait tuer, « aidant et préservant ainsi sa patrie » [84-88 ; 85-87]. (6) Un Grec nommé Michel (en fait Michel Ier l’Ange), qui a pris le pouvoir dans la région de Durazzo, s’empare de Skadar, qui appartient à Stefan ; à la demande de son fils, Syméon se plaint de cette injustice devant saint Georges, qui punit le coupable en incitant un de ses serviteurs à le tuer dans son lit [88-92 ; 89-93]. (7) Après cela, Stefan est menacé par l’alliance entre le roi hongrois André (II) et « Iérisse Philandre » (Henri de Flandre). Stefan adresse encore ses prières à Syméon. Le myron jaillit de nouveau, et grâce à l’intercession du saint, l’expédition se termine sans conflit [98-106 ; 99-107]. DoMentian se focalise presque exclusivement sur le myron miraculeux, et il insiste fortement, de la même manière que dans la Vie de saint Sava (cf. infra), sur le rôle que Sava a joué en tant que médiateur lorsqu’il s’agit des manifestations de la sainteté de Syméon. Il mentionne plusieurs miracles : (1) Le premier jaillissement du myron, sur la tombe à Chilandar, qui est suivi de la translation des reliques de Syméon dans son pays [84-89 ; 300-304]. (2) Un deuxième écoulement de myron, cette fois à Studenica, à la suite de la prière de Sava [103-111 ; 315-320]. (3) De nombreux miracles de guérison et d’exorcisme, encore avec l’intercession de Sava [110-111 ; 320].

1.

Les numéros entre crochets renvoient aux éditions des sources, où le premier numéro renvoie au texte de la source, et celui en italiques à la version en serbe moderne.

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Résumé des Vies et des miracles les plus importants (4) La reprise de l’écoulement du myron, grâce à la lettre de Sava apportée du Mont Athos par le géronte Hilaire, miracle que Domentian décrit de façon plus détaillée dans sa Vie de saint Sava [111-116 ; 320-324]. Les Vies de saint Sava de Serbie DoMentiJan, Žitije Svetoga Save [DoMentian, Vie de saint Sava], LJ. JuhaSGeorGievSka, T. Jovanović (éd.), Belgrade 2001. TeoDoSiJe, Žitije svetog Save [ThéoDoSe, Vie de saint Sava], dans DoMentiJan [= TeoDoSiJe], Život svetoga Save [Vie de saint Sava], Đ. Daničić (éd.), Belgrade 1860 ; en serbe : TeoDoSiJe, Žitija [ThéoDoSe, Vies], D. Bogdanović (éd.), Belgrade 1988, p. 101-261. Auteurs et œuvres Les auteurs des deux longues vies de saint Sava sont les moines de Chilandar Domentian et Théodose. Nous avons déjà parlé de l’hiéromoine DoMentian et de son œuvre (cf. supra). Il est important de mentionner ici qu’il a écrit la Vie consacrée à son maître, saint Sava, en 1242/43 ou en 1253/54 à Karyès. La Vie de saint Sava, le monument hagiographique le plus ample du Moyen Âge serbe, n’a été conservée qu’en trois copies des xve et xvie/xviie siècles, et reste encore inédite. ThéoDoSe, le plus jeune des hagiographes de Sava, est encore moins connu. Le cadre chronologique de sa vie et de son œuvre fait toujours l’objet de débats, même s’il est habituel de considérer qu’il a atteint son apogée littéraire durant les dernières décennies du xiiie et le début du xive siècle. Son œuvre, vaste, comprend deux Vies – l’une consacrée à saint Sava, l’autre à saint Pierre de Koriša – et six compositions hymnographiques. Conservée dans un grand nombre de copies, et pas seulement dans la rédaction serbe, la Vie de saint Sava n’a toujours pas eu d’édition critique ; nous utilisons encore l’édition de Đura Daničić de 1860 (réimpression : 1973). Bien que la Vie par Théodose suive, pour la trame narrative, celle de Domentian, il existe des différences pour les faits, la narration et le style entre ces deux œuvres, écrites dans des contextes historiques différents et visant des buts bien distincts. Il est important de souligner ici que, chez Théodose, un accent particulier a été mis sur l’érémitisme et sur les miracles de Sava.

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Résumé de l’histoire Les deux Vies de saint Sava commencent par l’histoire de la naissance miraculeuse du plus jeune fils du grand joupan serbe Stefan Nemanja, histoire qui suit les lignes directrices de la Vie de saint Joasaph. L’enfant, nommé Rastko, s’intéresse aux livres et au perfectionnement spirituel dès le plus jeune âge. Il réalise son désir d’abandonner les soucis de ce monde alors que, jeune homme, il reçoit la visite d’un moine anonyme du Mont Athos ; sous prétexte d’aller à la chasse, Rastko s’enfuit dans le monastère russe de Pantéléèmôn. Malgré les efforts que sa famille, et surtout son père (qui règne à cette époque sur la Rascie), font pour le détourner de cette voie, il prononce ses vœux monastiques et devient le moine Sava. Cette période de son séjour sur le Mont Athos, alors qu’il appartient à la communauté de Vatopédi, est marquée par les premiers hauts faits qui annoncent ses futures actions charismatiques (1) (2). À l’appel de Sava, son père, le grand joupan Stefan Nemanja, remet le pouvoir à son fils Stefan, prend l’habit monastique et vient lui aussi sur le Mont Athos. Désirant restaurer le monastère Chilandar, abandonné, les deux moines visitent ensemble les lieux saints et leur font des donations. En se rendant à Constantinople à plusieurs reprises, Sava a obtenu le soutien de l’empereur pour ériger une fondation pieuse serbe sur le Mont Athos (3). Peu après cette réalisation, le moine Syméon décède, et sa sainteté est confirmée par le miracle du myron qui jaillit de sa tombe (4). Après avoir été ordonné prêtre à Iérissos, Sava transfère les reliques de son père en terre serbe en proie à la guerre entre le grand joupan Stefan et son frère aîné Vukan, et s’ouvre alors pour sa patrie une période de paix et de prospérité générale. En tant que nouvel higoumène de Studenica, Sava a comme tâche de rappeler à la raison un seigneur bulgare récalcitrant nommé Strèze (5). De nouveaux miracles marquent le temps qu’il passe en Serbie à l’époque (6), mais aussi son séjour sur le Mont Athos (7). De là il part pour « Constantinople » (c’est-à-dire Nicée), où il est ordonné archevêque des pays serbes (8). Le charisme et l’autorité de l’archevêque Sava ont un grand écho dans sa patrie ; il achève la cathédrale de Žiča, réforme l’organisation ecclésiastique et enseigne à son peuple les sources de la vraie foi. Finalement, Sava met la couronne royale sur la tête de son frère (9) ; bien que cet acte ait provoqué la rage du roi hongrois, l’archevêque réussit à dissuader son voisin septentrional de lancer une attaque contre le pays serbe, prouvant ainsi son élection divine (10). Après la mort de Stefan (11), Sava sacre le fils de celui-ci, Radoslav. Peu après, le saint part faire son premier grand pèlerinage en Terre sainte ; quelques années après son retour de Palestine, Radoslav est détrôné par son frère Vladislav. À la suite de ces événements, Sava, abandonnant l’honneur archiépiscopal à son disciple Arsène, entreprend son second voyage en Orient. Il visite Jérusalem, le Sinaï et les grands sièges des Églises orientales (12) (13) (14). Au lieu de rentrer sur le Mont Athos, le saint fait un détour en Bulgarie, 242

Résumé des Vies et des miracles les plus importants et c’est là qu’il décède peu après son arrivée. Il est inhumé à Turnovo, où apparaissent les premiers signes des miracles posthumes (15), mais à la demande du roi Vladislav, ses reliques sont finalement transférées dans sa fondation pieuse, le monastère de Mileševa (16). Récits de miracles Miracula in vita

(1) Sava portait des pains chauds aux anachorètes athonites quand il est arrêté par des brigands, mais « Dieu changea leurs cœurs et les remplit de Sa grâce » [DoMentian 32-36 ; 33-37 / ThéoDoSe 28-31 ; 121-123]. (2) Sur la route de la Laure de saint Athanase, il est capturé par des pirates mais, par la Providence divine, réussit à s’enfuir de sa captivité [DoMentian 36, 38 ; 37, 39 / ThéoDoSe 31-32 ; 123-124]. (3) Alors qu’il séjourne au monastère de la Théotokos Évergetis à Constantinople, il a la vision d’une femme qui lui révèle deux cachettes d’or à proximité de Chilandar. Il trouve le trésor et le distribue aux pauvres et aux églises [DoMentian 120, 122 ; 119, 121]. Théodose propose une chronologie quelque peu différente pour ce miracle [ThéoDoSe 53-54, 59-60 ; 141, 144-146]. (4) Sava joue un rôle clé dans l’apparition du myron sur la tombe de Syméon : « non seulement il perçut la grâce qui était dans son parent », mais son intercession se révèle nécessaire à plusieurs reprises (cf. note 7) dans ce processus [DoMentian 130-136 ; 131-135 / ThéoDoSe 68-75 ; 151-157]. (5) Comme il n’a pas réussi à dissuader Strèze de se rebeller, Sava invoque par sa prière un ange, qui le blesse mortellement [DoMentian 172180 ; 171-179 / ThéoDoSe 101-114 ; 176-186]. (6) Durant l’un de ses séjours à Žiča, Sava guérit un paralytique, à l’instar du Christ et de l’apôtre Pierre ; cet épisode précède l’histoire de Strèze chez Théodose [DoMentian 182-186 ; 181-185 / ThéoDoSe 98-101 ; 173-176]. Théodose ajoute que les miracles se produisaient non seulement en présence de Sava mais aussi quand on prononçait son nom, ce qui est seulement suggéré chez Domentian [ThéoDoSe 115 ; 186 / DoMentian 380 ; 381]. (7) En l’absence de Sava, les reliques de Syméon cessent de produire du myron. Ne voulant quitter le Mont Athos, Sava envoie sur la tombe de son père le géronte Hilaire avec une lettre qui, une fois lue, fait couler à nouveau le myron [DoMentian 188-194 ; 187-193 / ThéoDoSe 117-125 ; 188-194].

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L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale (8) À son retour de Nicée, Sava prend pour fils le chef des bandits qui vivaient sur la Sainte Montagne et le ramène à la vraie foi [DoMentian 206-208 ; 207-209]. Théodose ne mentionne pas ce miracle. (9) Cet acte fut précédé de la guérison miraculeuse de Stefan, gravement malade, miracle que Sava a opéré à son retour en Serbie [DoMentian 212214 ; 213-215 / ThéoDoSe 136-137 ; 201-202]. (10) Avec l’aide de Dieu, Sava fait cesser un violent orage de grêle, ce qui incite le roi hongrois à s’incliner devant lui et à lui demander son conseil spirituel [DoMentian 252-270 ; 253-269]. Théodose ajoute que le roi renie « l’hérésie et la foi latines » et qu’il se convertit à l’orthodoxie [ThéoDoSe 152-160 ; 213-219]. (11) À la nouvelle de la maladie de Stefan, Sava part le retrouver, mais arrive trop tard ; il le ressuscite par la prière et lui donne l’habit monastique, avant qu’il ne rende l’âme définitivement [DoMentian 270-276 ; 271277 / ThéoDoSe 160-165 ; 219-223]. (12) Alors qu’il naviguait sur la mer Adriatique, vers Brindisi, Sava tombe dans un guet-apens tendu par des pirates. Mais, « aveuglant leurs yeux », Dieu conduit son bateau sans danger jusqu’au port [DoMentian 346-350 ; 345-349]. Selon Théodose, Dieu « voila d’une brume épaisse les baies marines » dans lesquelles les bandits guettaient le saint [ThéoDoSe 181-182 ; 234-235]. (13) En route vers la Terre sainte, le bateau de Sava est pris dans une tempête, mais par la prière et le signe de la croix, le saint apaise le vent et les vagues [DoMentian 350-352 ; 349-351]. Chez Théodose, cette scène est présentée de façon beaucoup plus pittoresque et avec plus de détails [ThéoDoSe 182-185 ; 235-237]. (14) Alors qu’il revient de son second voyage, Sava tombe gravement malade ; au moment crucial, les vagues rejettent sur le saint « un poisson très grand et très étrange » qui se pose sur lui et le revigore [DoMentian 396-398 ; 397-399 / ThéoDoSe 195-198 ; 244-246]. Miracula post mortem

(15) Parmi les nombreux miracles qui se sont produits sur la tombe de Sava à Turnovo, la guérison du moine Néophyte, que le saint guérit dans son sommeil, occupe une place spéciale [DoMentian 422-426 ; 423-427 / ThéoDoSe 210-214 ; 254-257]. (16) Théodose a associé aussi les miracles posthumes de Sava à la défense de la patrie contre les ennemis : les soldats voyaient Sava à côté de Syméon « devant les régiments des sceptres serbes » et c’est avec leur aide qu’ils repoussent nombre d’assaillants

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Résumé des Vies et des miracles les plus importants Les Vies de saint Stefan de Dečani Danilov Učenik, Život kralja Stefana Dečanskog [Élève De Daniel, Vie du roi Stefan de Dečani], dans Životi kraljeva i arhiepiskopa srpskih [Vies des rois et archevêques serbes écrites par l’archevêque Daniel et al.], Đ. Daničić (éd.), Zagreb 1866, p. 162-214 ; en serbe : G. Mak DaniJel (éd.), Danilovi nastavljači [Les continuateurs de Daniel], Belgrade 1989, p. 27-65. GriGoriJe CaMBlak, Život kralja Stefana Dečanskog [GréGoire caMBlak, Vie du roi Stefan de Dečani], dans a. DaviDov, g. dančev, n. dončevaPanaJotova, P. kovačeva, T. genčeva (éd.), Žitije na Stefan Dečanski ot Grigorij Camblak [Vie du Stefan de Dečani par Grégoire Camblak], Sofia, 1983 ; en serbe : D. Pavlović (éd.), Stara srpska književnost [Ancienne littérature serbe], t. III, Novi Sad – Belgrade 1970, p. 129-167. Auteurs et œuvres Deux longues vies sont consacrées au saint roi Stefan de Dečani (13211331). La première est écrite par un continuateur inconnu des Vies des rois et archevêques serbes de Daniel II, et la deuxième provient de la plume de Grégoire Camblak. L’écrivain anonyme de la Vie la plus ancienne, connu des historiens sous le nom conventionnel d’Élève (Continuateur) De Daniel, est un personnage tout à fait obscur ; à part son lien supposé avec Chilandar, on ne sait pratiquement rien sur lui. Il écrivit tout de suite après la mort de Daniel, donc vers 1337-1340, et il a laissé trois vies importantes, consacrées à Stefan de Dečani, Stefan Dušan (jusqu’à 1335) et Daniel II. Il les a ajoutées à l’œuvre de son maître, qu’elles suivent naturellement. L’activité de GréGoire caMBlak (vers 1365-1419), écrivain et haut dignitaire ecclésiastique, est liée aux différentes régions du monde slave. Durant les premières années du xve siècle, il est arrivé de Moldavie dans la Serbie du despote Stefan Lazarević, où il est devenu higoumène de Dečani ; il est resté dans cette charge jusqu’à la mort de son oncle, le métropolite de Moscou Cyprien, pour être ensuite ordonné métropolite de Kiev en 1414. Son œuvre considérable se caractérise par la diversité des sujets traités et des genres littéraires, et hormis une longue Vie, il a composé deux textes consacrés au culte de Stefan de Dečani : une Vie-prologue et un office. Résumé de l’histoire La principale différence typologique entre ces deux Vies réside dans le fait que la Vie la plus ancienne appartient au modèle classique, « dynastique », de l’hagiographie du souverain du xive siècle, comme toutes celles qui forment 245

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale le Recueil de Daniel, alors que l’œuvre de Camblak essaie de raviver le culte de Stefan de Dečani en tant que souverain-martyr. C’est en gardant cette différence à l’esprit qu’il faut interpréter la structure et le contenu de chacun des deux écrits, et comprendre pourquoi seul le texte le plus récent contient des récits de miracles. Au début de son œuvre, l’Élève (Continuateur) De Daniel rappelle au lecteur les événements déjà décrits par Daniel II dans la Vie qu’il a consacrée au roi Milutin : aveuglé à cause de sa révolte, Stefan est emmené avec ses enfants Dušan et Dušica à Constantinople, où l’empereur Andronic II Paléologue lui offre son hospitalité dans l’un de ses palais. Après un certain temps, l’exilé écrit au futur archevêque Daniel II, qui à l’époque séjournait toujours sur le Mont Athos, pour lui demander de plaider pour sa cause et de le faire revenir dans sa patrie. À l’aide de l’archevêque Nicodème, les athonites réussissent à convaincre le roi Milutin de rapatrier son fils. Après la mort de son père, Stefan recouvre miraculeusement la vue, ce qui lui permet d’être couronné. Daniel devient le père spirituel du roi et son confident, et Stefan l’envoie souvent dans des missions diplomatiques délicates ; il ne tarde pas à hériter du trône archiépiscopal. Le Continuateur a consacré une attention spéciale aux expéditions et conquêtes militaires de Stefan ; il raconte d’abord le conflit avec le roi bulgare Michel, dont la défaite entraîne la soumission de ses seigneurs au roi serbe. Il relate ensuite la guerre avec les Byzantins. Laissant derrière lui les activités guerrières, Stefan, aidé par l’archevêque Daniel, érige le monastère de Dečani pour le salut de son âme. Toutefois, à l’incitation du diable, Stefan se met à éprouver pour son fils Dušan « une haine parfaite ». Le roi Stefan entre dans un nouveau conflit avec son fils Dušan, et celui-ci, à contrecœur, incité par ses collaborateurs, réussit à vaincre et emprisonner son père dans la ville de Zvečan où il meurt peu après comme le veut la « Providence divine », c’est-àdire de mort naturelle. La Vie écrite par GréGoire caMBlak commence avec la naissance de Stefan : en tant que « pousse d’une bonne racine », il présentait dès le jeune âge toutes les caractéristiques agréables à Dieu. Son aveuglement est représenté ici comme la suite d’intrigues de cour, ourdies par la femme de Milutin ; après cet acte, Stefan a pour la première fois la vision de saint Nicolas, qui tenait ses yeux dans sa main. Exilé ensuite avec ses enfants à Constantinople, le prince est hébergé dans le monastère du Pantocrator. Dans ce nouveau milieu, Stefan se distingue par son assiduité à l’office et sa vie pieuse. Il attire l’attention de l’empereur grâce à sa lutte fervente contre les doctrines hérétiques. Durant la cinquième année de son séjour à Constantinople, il recouvre miraculeusement la vue, après une deuxième apparition de saint Nicolas. Gardant secrète cette bénédiction, Stefan reste encore un certain temps dans le monastère, jusqu’au moment où son père, ayant entendu parler de ses hauts faits à l’étranger, l’invite à revenir dans sa patrie. 246

Résumé des Vies et des miracles les plus importants À la mort de Milutin, Stefan annonce qu’il n’est plus aveugle et prend le pouvoir, après sa victoire sur un prétendant au trône, son demi-frère Constantin. Il fait ériger le monastère de Dečani comme une offrande à Dieu avec un lazaret, après la victoire contre le roi bulgare Michel. Peu après, apparaissant une troisième et dernière fois, saint Nicolas prédit à Stefan sa mort prochaine. L’ambition de Dušan s’est tournée contre son père, mais Stefan n’a pas l’intention de lui résister ; emprisonné à Zvečan, il périt bientôt « de la mort la plus amère : l’étouffement ». Son corps est enseveli à Dečani, où il reste pendant sept ans avant d’être exhumé et exposé dans une châsse, au-dessus de laquelle se produisent de grands miracles. Récits de miracles (1) Un homme, aveugle pendant 40 ans et pauvre car il a vendu toutes ses possessions pour payer les médecins, recouvre la vue au-dessus des reliques du saint. Les pouvoirs de guérisseur de Stefan aident de nombreux sourds, muets, estropiés et affaiblis [120, 122 ; 74]. (2) Un certain Ivoje, impie, qui était à la tête du monastère mais qui avait commis beaucoup de méfaits envers les moines, meurt entre les mains de Stefan, qui lui enfonce « dans la gorge deux grands fers, qui transpercent sa poitrine et son foie » [128, 130 ; 77-78]. (3) Un certain Junac, commandant de guerre envoyé pour protéger le monastère de Dečani, maltraitait sans relâche les moines, et surtout l’higoumène ; lorsqu’il repart avec l’armée, le père supérieur prie son saint protecteur, qui visite Junac dans son sommeil. Les blessures que le saint lui inflige à cette occasion clouent le mécréant au lit, et une mort horrible est le prix final de ses crimes [130, 132, 134 ; 78-80].

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GÉNÉALOGIES

Stefan Nemanja 1166–1196 Vukan

Stefan Radoslav 1228–1233

Stefan le Protocouronné 1196–1228

Stefan Vladislav 1234–1243

arch. Sava 1219–1236

arch. Sava II 1263–1271

Stefan Dragutin 1276–1282

Stefan Milutin 1282–1321

Stefan de Dečani 1321–1331

Constantin

Stefan Dušan 1331–1355

Syméon / Siniša

Stefan Uroš I 1243–1276

Stefan Uroš 1355–1371

La lignée des Némanides (1166-1371) La lignée des Némanides (1166-1371) Zavida, noble Lazar Hrebeljanović grand joupan Tihomir ; prince Stracimir ; prince Miroslav ; grand joupan Stefan Ne1371–1389 manja / moine Syméon, saint = Ana / moniale Anastasie, sainte grand prince Vukan ; grand joupan, puisLazarević roi Stefan le Protocouronné / moine Simon, Stefan 1389–1427 saint 1) = Eudocie, fille d’empereur Alexis III Ange 2) = Anne Dandolo, grand fille de doge Enrico Dandolo ; prince Rastko / moine Sabas, saint et despotes de Serbie (1371-1427) roi Stefan Radoslav /Princes moine Jean = Anne Ange, fille du despote Théodore I Ange ; roi Princes et despotes (1371-1427) Stefan Vladislav, saintde = Serbie Beloslava, fille d’empereur Jean II Asen ; prince Predislav / prince Lazar Hrebeljanović, saint = Milica Eugénie,saint puis=Éphrosinie, archêvéque Sabas II, saint ; roi Stefan Uroš/Imoniale / moine Simon, Hélène «d’Asaint njou» prince, puisÉlisabeth, despote Stefan saint / moniale sainte Lazarević, Đurađ Branković 1427–1456 roi Stefan Dragutin / moine Théoktiste, saint = Katalina, fille de roi Étienne V Arpade; roi Stefan Milutin, saint = Simonis, fille d’empereur Andronic II Paléologue Vladislav II, roi de Srem ; roi Stefan de Dečani, saint 1) = Théodora, fille d’empereur Grgur Stefan Lazar Smilets 2) = Marie Paléologue; Constantin 1458 1456–1458 roi, puis empereur Stefan Dušan = Hélène, sœur d’empereur Jean Alexandre / moniale Élisabeth, sainte ; Syméon / Siniša, «empereur» d’Épire et Thessalie empereur Stefan Uroš, saint = AnneStefan Basarab Tomašević Hélène Branković 1459

Despotes de Serbie (1427-1459) Despotes de Serbie (1427-1459) despote Đurađ Branković = Irène Cantacuzène 249 Grgur Branković; despote Stefan Branković = Angelina Arianita; despote Lazar Branković = Hélène Paléologue de Morée despote et roi Stefan Tomašević = Hélène Branković

CHRONOLOGIE Chronologie

Stefan Nemanja – St. Syméon (1113-1999, grand joupan 1166-1196) guerre civile, 1166-1168. fondation des Piliers de St. George, 1171. expansion territoriale, 1182-1190. fondation de Studenica, 1190. devenu moine, 1196. fondation de Chilandar, 1198. St. Sava (1175-1236, archevêque 1219-1233) devenu moine à Vatopédi, 1191. Charte de fondation de Chilandar, 1198. Typikon de Karyès, 1199. Typikon de Chilandar, c. 1200. translation des reliques de St. Syméon à Studenica, 1207. higoumène de Studenica, 1207. Typikon de Studenica avec Vie de St. Syméon (vita prima), après 1207. Office à St. Symeon, après 1207. traduction de Barlaam et Joasaph Église serbe devenue autocéphale, Sava devenu archevêque, 1219. Nomocanon, 1219. voyages à Palestine, 1229, 1234-1235. Stefan le Protocouronné (1196-1228) guerre civile, 1200-1205. deuxième Charte de Chilandar, 1207/8 (?) Vie de St. Syméon (vita secunda), après 1216. Serbie devenue royaume, Stefan courroné roi, 1217. Charte de Vierge de Mljet, après 1217. Charte de fondation de Žiča, c. 1220. Stefan Radoslav (1228-1233) Stefan Vladislav (1234-1243) fondation de Mileševa, 1234-1236. translation des reliques de St. Sava à Mileševa, 1237. Stefan Uroš I (1243-1276) renforcement du gouvernement central ouverture des mines

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Serbie devenue royaume, Stefan courroné roi, 1217.

Charte de Vierge de Mljet, après 1217. Charte de fondation de Žiča, c. 1220. Stefan Radoslav (1228-1233) L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Stefan Vladislav (1234-1243) fondation de Mileševa, 1234-1236. translation des reliques de St. Sava à Mileševa, 1237. Stefan Uroš I (1243-1276) renforcement du gouvernement central ouverture des mines Vie de St. Syméon par Domentian (vita tertia), 1253/4. Vie de St. Sava par Domentian (vita prima), 1264. fondation du Sopoćani, c. 1265. Stefan Dragutin (1286-1282) traité de Deževa, 1282. royaume de Srem (1282-1326) fondation de St. Achille à Arilje, fin du xiiie siècle Stefan Milutin (1282-1321) expansion territoriale, 1282-1299. marriage avec Simonis Paléologue, 1299. Vie de St. Sava par Théodose (vita secunda), fin du xiiie - début du xive siècle guerre civile, 1301-1312. Charte de fondation de St. Stefan à Banjska, 1314. Vies des rois et archevêques serbes par l’archevêque Daniel, d’après 1317. édification du catholicon de Chilandar, c. 1320. Charte de fondation de Gračanica, 1321. Stefan de Dečani (1321-1331) guerre civile, 1321-1322. Charte de fondation de Dečani, 1330. bataille de Velbužd, 1330. Stefan Dušan (1331-1355) expansion territoriale : 1334, 1343-1345, 1347-1348. proclamation de l’empire à Serres, 1345. courronement imperial à Skopje, 1346. Charte de fondation des Saints Archânges, 1348 (?) Code de Dušan, 1349-1354. anathème de patriarche Calliste I, 1352. Stefan Uroš (1355-1371) fondation de Mateič, c. 1357. dissolution de l’empire « empereur » Syméon / Siniša, 1359. roi Vukašin Mrnjavčević, 1365. bataille de Marica, 1371. fin de l’empire, 1371. Lazar Hrebeljanović (1371-1389) consolidation territoriale édification de ville de Kruševac, 1371.

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Code de Dušan, 1349-1354. anathème de patriarche Calliste I, 1352. Stefan Uroš (1355-1371) fondation de Mateič, c. 1357. dissolution de l’empire Chronologie « empereur » Syméon / Siniša, 1359. roi Vukašin Mrnjavčević, 1365. bataille de Marica, 1371. fin de l’empire, 1371. Lazar Hrebeljanović (1371-1389) consolidation territoriale édification de ville de Kruševac, 1371. annulation de l’excommunication, 1375. bataille du Kosovo, 28. juin 1389. Stefan Lazarević (1389-1427) vassal turc : bataille de Rovine, 1395 ; bataille de Nicopolis, 1396 ; bataille d’Angora, 1402. devenu despote, 1402. Vie de Stefan de Dečani par Grégoire Camblak (vita secunda), 1402. vassal hongoris : administration et édification de Belgrade, 1404. développement des mines (Srebrenica, Novo Brdo) Đurađ Branković (1427-1456) édification de ville de Smederevo, depuis 1428. pertes territoriales Vie du despote Stefan Lazarević par Constantin le Philosophe, entre 1433. et 1439. première chute du Despotat, 1439. restauration de Despotat, 1444. deuxième chute du Despotat, 1459.

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281

INDEX Abeille (Melissa)

22

Abraham

48, 115

Acathiste à la Vierge

15

Agapètos

43

Albanie

101

Alexandre le Grand Roman d’Alexandre

126 125-126, 198, 259

Alexis III Ange, empereur byzantin (1195-1203)

14, 240

Anastasie, sainte Anastasie Pharmakolytria Apocalypse de la Sainte Anastasie

24, 74-76, 183-184, 186-192, 240 187 24

Anastasis

83, 150

Anatolie

38

Ancien Testament

voir Bible ; 40, 44, 82, 87-88, 92, 109, 129, 132, 154, 179, 186

Andony Raphaël Éloge au prince Lazar

198, 200, 204-205 19, 198, 204

André II, roi d’Hongrie (1205-1235)

171

André III, roi d’Hongrie (1290-1301)

64, 121, 123

André le Fou (Salos), saint

179, 186-187

Andronic II Paléologue, empereur byzantin (1282-1328) 119, 248 Anges, dynastie

101

Angevins, dynastie

35,62-63, 101, 120

Angora, bataille de (1402)

195, 255

Anne Dandolo, reine

108

Anselme de Chau, duc

101

Antoine, saint

117-118, 152

Apocalypse de Baruch

186

Apocalypse de Paul

186, 188

Apocalypse du Pseudo-Méthode

voir Pseudo-Méthode

Arilje, monastère de St. Achille

103, 256

Arpadiens, dynastie

62, 64, 121

Asènes, dynastie bulgare

85, 131

Athanase d’Alexandrie, saint Vie de saint Antoine le Grand

152 152

Athanase de Lavra, saint

73

Athanase, moine

71, 72

283

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Athos

voir Mont Athos ; 105, 117, 120, 123, 139, 152, 154, 157-158, 162, 167-168, 211-241, 243-245, 248,

Bačkovo, monastère

21

Bajazet Ier, sultan

135

Balkans

12-13, 24, 38, 70-71, 74, 76, 115, 180, 183, 185

Banjska, le monastère de Saint Stefan

17, 127

Barlaam Nouveau Barlaam

93 ; voir aussi Roman de Barlaam et Joasaph

Barozzi, Francesco

182

Bataille du Kosovo (1389)

5-6, 20-21, 53, 133, 136, 138-139, 195, 200-201, 203-204, 255

Baun, Jane

184, 186-189, 191-192, 199

Béla III, roi d’Hongrie (1173-1196)

70

Belgrade

21, 46, 129-131, 188-189, 192, 196-198, 203, 255

Bible

81, 211 40, 44, 82, 87-88, 92, 109, 129, 132, 154, 179, 186 77-78, 87, 96 63, 145, 185-186,

Ancien Testament Évangiles Nouveau Testament

Boris, saint prince-martyr

36, 77, 84-85, 137, 153

Bosphore

39

Božilov, Ivan

85, 128

Brnjaci, palais

103

Brown, Peter

25, 133

Buda

105

Bulgarie

12, 19, 21, 85, 109, 188, 244

Byzance

5-8, 18, 24, 38-39, 49, 61-62, 70, 142, 180, 184, 209

Camblak

voir Grégoire Camblak

Canon pour l’empereur

voir Éphrem, patriarche

Chanson de Roland

39

Charlemagne

69

Charles I d’Anjou, roi

101, 120

Charles II d’Anjou, roi

101

Charles Robert d’Anjou, roi

63, 120

Christ

40-41, 48-49, 53, 57, 59, 63-64, 79, 89, 93-94, 100, 108-110, 124125, 137, 145-146, 151, 153, 156, 174, 177, 179, 186, 195, 197, 245 37, 94, 146, 151, 210

er

imitatio Christi Chronique du prêtre de Dioclée

76-78

Chronographie

voir Georges Scholarios Gennadios, patriarche

284

Chrysogonus, saint

187

Chypre

195

Clément d’Ohrid, saint

152

Code de Dušan

voir Stefan Dušan, empereur

Codex miniers

voir Stefan Lazarević, despote

Comnènes, dynastie

7, 38-41, 61-62, 69-70, 84, 144

Constantin Ier le Grand, empereur

41, 61, 130-131, 135, 164, 183, 187, 191

Constantin le Philosophe

6, 21-22, 50, 130-131, 135-136, 198, 200, 202-203 6, 21, 130, 136, 198, 200, 202

Vie de despote Stefan Lazarević Constantinople

Chapelle de l’église du Phare comme Grande Babylone église de sainte Anastasie forum de Constantin Grande église monastère du Pantocrator Nouvelle Constantinople

19, 40, 49, 70, 75, 84, 101, 109, 127-132, 144, 164, 176-177, 180183, 187, 193-198, 241, 244-245, 248 84 176 187 187 187 41, 248 128

Continuateur de Daniel Vie de Stefan de Dečani Vie de Stefan Dušan Vie d’archevêque Daniel II

6, 18, 20, 95, 124, 247-248 6, 18, 20-21, 247-248 6, 18, 247 18

Continuateur de Théophane

181

Crète

73, 182, 195

Croix

37, 70, 72, 79, 129, 144, 172, 176177, 191, 241

Ćustendil

voir Velbužd

Cyrille, saint

115, 152

Cyrille de Scythopolis Vie de saint Sabas

7, 30, 90-91, 144, 160-161 90, 156, 160-161, 165

Dagron, Gilbert

25, 61

Daniel II, archevêque

6-8, 14, 17-18, 20, 28, 44, 90, 95107, 118-126, 139, 247 17 17, 102, 105-107, 122 95, 118, 121, 247-248 17, 95-100, 102, 105, 107, 122-123 6, 17, 98, 105, 107, 122-125, 248 96, 123

Vie brève du roi Milutin Vie de la reine Hélène Vies des rois et des archevêques serbes Vie du roi Dragutin Vie du roi Milutin Vie du roi Uroš Daniel III, patriarche

133

Daniel le Jeune

203, 206

Daniel, prophète

176, 196

David redivivus

39

David, roi

40, 63, 79, 87, 96, 122, 129, 150, 204

De Schepper, Cornelis Duplicius, député

193-197

285

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Debar

115

Debrc, palais

100

Démétrius Chomatianos, archevêque

167

Démétrius, saint

36, 70, 84-87, 125, 144, 151-153, 193

Déroche, Vincent

25

Deževo, accord de (1282)

98, 123

Didascalie de notre Seigneur Jésus Christ

186

Digénis Akritas

39

Dit de l’empereur Nicéphore et de sa femme Théophano

76

Dit de la sainte Anastasie

74

Domentian, moine

6-7, 14, 16, 20, 28, 80-82, 85, 90, 92-94, 108, 110, 146, 148, 155, 157-158, 162-164, 166, 168, 171174, 239-246 6-7, 16, 92, 146, 148, 155, 157, 163, 166, 168, 240, 242-246 6, 81, 155, 239-243

Vie de saint Sabas (1253/1254) Vie de saint Syméon (1264) Dragutin, roi

voir Stefan Dragutin, saint roi

Đurađ Branković

22, 47, 50, 132, 200, 205-207

Dušan, empereur

voir Stefan Dušan, roi puis empereur

Éden

52

Édouard, saint roi

61

églises Annonciation, Gradac Annonciation, Smederevo Grande église, Constantinople Phare, Constantinople Saint Anastasie, Constantinople Saint Nicétas, Skopje Saint Nicolas, Gradac Saint Nicolas, Skadar Saint Pierre, Hvosno Saint Prohor sur Pčinja Sainte Trinité, Sopoćani

voir aussi monastères 106 132 187 84 187 111 106 106 113 67, 115 108

Égypte

82, 120

Elie, prophète

81

Élisabeth, saint

81

Élisabeth, sainte reine

64, 104, 121

Éloge de saint Syméon

voir Sabas de Serbie, saint

Émeric, saint roi

64, 121

Éphrem, patriarche Canon pour l’empereur

201 201

Épire

132

Éric de Suède, saint roi

61, 69

Esprit Saint

81

Étienne V, roi

105, 121

286

Étienne, saint

36, 152

Étienne, saint roi

64, 121

Eustathe de Thessalonique

41

Évangiles

voir Bible

Flusin, Bernard

25

Francesco, fra

101

Gabriel de Lesnovo, saint

115

Gabriel l’archange

81

Galactariotou, Catya

25

Georges, saint

70, 241-242

George Clontzas, peintre

182

Georges Pachymérès, historien byzantin

104

Georges Scholarios Gennadios, patriarche Chronographie

193, 195 193

Gesta Hungarorum

36, 121

Gleb, saint prince

36, 77-78, 84-85, 137, 153

Grégoire Camblak, higoumène de Dečani

6, 19, 21, 55-56, 130, 138-139, 204, 247-248 204 19, 21, 55, 138, 247-248

Office au saint roi Stefan de Dečani Vie de Stefan de Dečani Grégoire le Théologien, saint

12

Grégoire, moine

114, 116

Habsbourg, dynastie

120, 196-197

Halley, comète de

206

Hauck, Karl

64

Heinzelmann, Martin

25

Hélène « d’Anjou », reine

7, 43, 48, 95-96, 100-106, 120, 122-125

Hélène, impératrice

191, 192

Hélène, impératrice serbe

19, 43

Héraclius, empereur

39, 178

Hongrie

7, 35-36, 61-63, 69-70, 77, 97, 101, 104-105, 120-121, 171, 196-197

Huizinga, Johan

50, 60

Hvosno

89, 113

Hypapante (Présentation au Temple)

49

Isaac Comnène, empereur

40, 70

Isaac II Ange, empereur

101

Islam

178, 180

Ismaël

196

Ismaéliens

195

Israël

89, 122 42, 50, 82, 110, 168

Nouvel Israël

Italie

63, 101, 182, 188

Jacob

82, 89, 154

287

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Nouveau Jacob

80, 82, 154, 169

Jean, saint Apocalypse

181 181

Jean I Tzimiskès, empereur

71-74, 188, 190-191

Jean II Comnène, empereur

39, 40

Jean VI Cantacuzène, empereur

70

Jean Ange (Angelo Janos), seigneur de Sirma (Srem)

101

Jean-Baptiste, saint

81, 91, 122

Jean Chrysostome, saint

88

Jean de Rila, saint

115

Jean Skylitzès, historien byzantin Synopsis

74 74

Jean Vladimir, saint prince

8, 76-77, 79

Jean Zonaras, historien byzantin

72

Jefimija, moniale

6, 18-19, 130

Jérémie, prophète

203

Jéricho

132

Jérusalem

16, 41, 71, 73, 80-82, 85, 89-90, 100, 105, 107, 129, 131, 175-177, 180 85, 88-89, 128-130, 132, 144, 177, 198, 205 80-82, 90

Nouvelle Jérusalem « la route vers Jérusalem » Jessé, l’arbre / la lignée de

7, 40, 63-64, 83, 98, 108, 110, 150

Joachim d’Osogovo, saint

67, 115

Joannice Ier, archevêque

17, 109

Joasaph

7, 15, 43, 44, 74, 90-91, 93, 97, 149, 244 ; voir aussi Roman de Barlaam et Joasaph

Job, moine

103, 105

Joseph Nouveau Joseph

37, 82, 89, 108, 154 205

Joseph Bringas, prétendant au trône

73

Jour du Jugement

voir Jugement Dernier

Judée

91

Jugement Dernier

42, 46, 179, 185, 194

Junac, méchant

55-56, 249

Justinien, empereur

41, 43, 187

Kalojan, empereur

87

Kaplan, Michel

25

Karyès, cellule de saint Sabas

44, 91, 100

Kateline, reine

105

Khludov, Alexei

189, 190

Kiev

19, 36, 84-85, 128, 153, 247

Klaniczay, Gábor

25, 62

Koriša

114, 116

288

Kosara, femme de saint Jean-Vladimir

78-79

Kosovo, bataille du (1389)

5-6, 20-21, 53, 133, 135-139, 195, 200-201, 203-204

Krueger, Derek

25-26

Ladislas, saint roi

64, 69-70, 121

Lazar Hrebeljanović, saint prince

5-7, 18, 21, 53, 133-139, 201, 203-205, 207

Le Goff, Jacques

25

Légende de Vladimir et Kosara

77

Léon I, empereur

187

Léon V l’Arménien, empereur

181

Léon VI le Sage, empereur

75, 180-181, 183, 193-194, 196, 198, 202, 205 24, 180, 182-183, 193-194, 196

Oracles du très sage empereur Léon Lettre tombée du ciel

186, 190

Liban

83

Livre d’Enoch

186

Longin, iconographe

54

Louis d’Anjou, saint

62-63

Louis IX, saint roi

39, 61

Luc, saint

81, 132 ; voir aussi Office pour la translation des reliques de saint Luc

Lyon, concile de

109

Macrides, Ruth

26

Magdalino, Paul

38

Manuel Ier Comnène, empereur

38-41, 61, 70, 84

Marguerite de Hongrie, impératrice, fille du roi Bela III

101

Marguerite de Hongrie, sainte

63-64, 104

Marguerite, île de

105

Marica (1371), bataille sur

201-202

Marie, fille du roi Bela IV

63

Marie, sœur de la reine Hélène « d’Anjou »

101

Mathilde, petite fille de Pierre de Courtenay

101

Matthias Corvin, roi

196

McDaniel, Gordon

106, 124

Méditerranée

184, 195-196

Mehmed le Conquérant, soultan

195

Mère de Dieu

voir Vierge Marie

Méthode, saint

115, 152

Michel Astrapas [Mihailo Astrapa], peintre

115

Michel III, roi

191

Michel III Chichman Asen, empereur

54

Michel VIII, empereur

109

Michel Italicos

40

289

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Michel l’archange

188, 192

Michel Maleïnos, saint

72

Mileševa, monastère

36, 110, 133-135, 156-157, 193198, 245

Milica, princesse

130, 133, 135, 205-206

Milutin, roi

voir Stefan Milutin, saint roi

Miracula Sancti Demetrii

152

Moïse

54, 82

Moldavie

19, 138, 247

monastères Chilandar

– Charte de fondation – Deuxième charte Dečani – Charte de fondation Đurđevi stupovi Gračanica Gradac Lavra Nikoljac Pantéleimon Pantocrator Patriarcat de Peć Piliers de Saint George Ravanica Resava Saint Stefan à Banjska – Charte de fondation Saints Archanges Savina Staro Nagoričino Studenica

Théotokos Évergétis – Typikon Vatopédi Žiča

5-6, 14-17, 30, 37, 80, 86, 94-95, 100, 108, 111, 113-114, 116, 118, 124, 133-135, 143, 149-150, 154155, 157-159, 162, 166, 211, 239245, 247 14-15, 37, 154 15, 37, 154 19-20, 42, 44, 54-55, 138, 211, 247-249 42, 44 voir Piliers de Saint Georges 44, 143 48, 102, 106 71-73 200 14 41, 248 111 103, 110 19, 138 130 17, 127 17 42, 44 190, 200 67, 116 5, 15, 43, 80, 82, 86, 88-89, 91, 111, 143, 149-150, 153-154, 158, 164, 168-170, 173-174, 211, 239-242, 244 15, 245 15 14, 240, 244 80, 82, 94, 143, 163-164, 168, 173174, 244-245 ; voir aussi églises

Mont Athos

11, 14-19, 32, 34, 36, 71, 75, 80, 88, 91-93, 105, 117, 120, 123, 139, 152, 154, 157-158, 162, 168, 211, 239241, 243-245, 248

Moscou

19, 115, 128, 130-131, 182, 190, 196, 247 115, 190

Musée historique d’État Mourad, sultan

290

195

Mrnjavčević, dynastie

133

Nagoričino

voir monastère Staro Nagoričino

Naples

62-63, 101, 120

Némanides, dynastie

5-7, 18, 22-23, 27, 32-33, 36-37, 43-44, 51, 61-65, 69, 77, 82, 88, 98-101, 103, 109, 118, 121-123, 125, 133, 135-136, 150, 160, 174, 191, 202, 240

Nicée

164, 244, 246

Nicéphore II Phocas, empereur

8, 62, 71-76, 188-191

Nicolas de Myre, saint

45, 106, 248-249

Nicolas IV, pape

101

Nicolo, fra

101

Norov, Abraham

115

Nouveau Testament

voir Bible

Novo Brdo

134

Oblik, montagne

78

Obolensky, Dimitri

69, 85

Office à saint Syméon

voir Sava de Serbie, saint ; 15

Office de la translation des reliques de saint Sava

146

Office du saint prince Lazar

19

Office pour la translation des reliques de saint Luc

127, 206

Ohrid

109, 167

Olaf, saint roi

61

Oracle de Léon le Sage

voir Léon VI le Sage, empereur

Orbel, village

115

Ottomans

voir Turcs

Paléologues, dynastie

34-35, 104, 142-143

Palestine

91, 174, 244

Parascève, sainte

130-131

Patara

178

Paterik

74

Patlagean, Évelyne

74

Paul, apôtre

99, 103, 163

Paul, évêque de Rascie

103, 105

Peć

201

Pest

105

Phocas, empereur

voir Nicéphore II Phocas, empereur

Pierre, saint

163, 245

Pierre de Courtenay, empereur

101

Pierre de Koriša, saint

67, 113-118, 165, 243

Pierre le Nouvel Ermite, saint

voir Pierre de Koriša, saint

Polyeucte, patriarche

71

Prizren

114, 115, 143

291

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Prognosticon

196

Prohor de Pčinja, saint

67, 113, 115-116

Pseudo-Méthode

24, 178-180, 194, 196-198

Radoslav, roi

voir Stefan Radoslav, roi

Raguse

101

Raïthou

105

Rascie

103, 105, 106, 157, 239, 240, 244

Rastko Nemanjić, prince

voir Sava de Serbie, saint

Résurrection

40, 48-49, 144, 146, 167, 171-174, 187, 197

Rhodes

196, 198

Rogos

132

Roman d’Alexandre

125, 198

Roman de Barlaam et Joasaph

15, 42-43, 74, 76-77, 150

Rome Nouvelle Rome

163, 176, 180, 187, 194 176

Rozanov, S. P.

160

Russie Rous’ de Kiev

19, 35, 153 36, 84

Sabas de Jérusalem, saint

14, 43, 81, 83, 90-91, 114, 117118, 156, 160, 165

Saint Esprit

voir Esprit Saint

Sainte Montagne

voir Mont Athos

Salomon Nouveau Salomon

92 87

Samuel, empereur

78

Samuel, prophète

122

Saul

87

Sava de Serbie, saint

5-7, 13-17, 24, 28, 31-32, 36-38, 4344, 48-49, 52, 54, 80-83, 88-95, 100, 102, 107-108, 110-113, 116-119, 121, 123-124, 126, 133-135, 144146, 148-150, 153-175, 193-194, 197-198, 211, 239-246 44 15, 44 14, 15, 239 14, 48 44, 48, 81, 89, 149, 150, 157

Éloge de saint Syméon Office à saint Syméon Typikon de Chilandar – Typikon de Karyès – Vie de saint Syméon Schmitt, Jean-Claude

35

Schreiner, Peter

61

Seconde Parousie

voir Jugement Dernier

Serbes

11, 31, 33-34, 41, 45, 53, 65, 69, 74, 76, 82, 127, 129, 131, 145, 154, 162, 164, 175, 190, 200, 209-211, 240

Serbie

5-6, 8-9, 11-15, 19-21, 23, 26, 3233, 35-37, 51, 61-64, 67, 69-70, 77,

292

79-81, 83, 92, 94-95, 97, 100-101, 104-105, 109-110, 116-118, 120121, 129-130, 132, 135-136, 139, 149, 154, 173, 188, 196, 239, 241, 244, 246-247 Serrès

19

Sicile

101

Sigal, Pierre

25

Simon de Kéza Chronique hongroise

121 121

Simonis Paléologue, fille d’Andronic II

104, 166

Sinaï

100, 105, 244

Sion

Nouvelle Sion

88, 129, 130 88, 203

Sirmium

186-187

Skadar

103, 106

Slaves Slaves du Sud Slavia Orthodoxa

12, 24, 72, 74, 183, 188, 190-192 24, 74, 183, 188, 191-192 11

Smederevo

22, 127, 129, 132, 196, 198, 200, 206

Sofia

189, 192

Speranskii, M. N.

188-189, 191

Spiridon, patriarche

133

Srem

97, 101

Stefan de Dečani, saint roi

6, 17-18, 20-22, 24, 32, 42, 44-45, 54-55, 121, 138-139, 247-249

Stefan Dragutin, roi

7, 17, 43, 45-46, 50, 52, 95-100, 102-103, 105-108, 110, 118, 122125, 162, 166 52, 95-96

moine Théoctiste Stefan Dušan, roi puis empereur Code de Dušan Charte de fondation des Saints Archanges Stefan Lazarević, despote Codex miniers Stefan le Premier-Couronné, grand joupan puis roi, saint

Vie de saint Syméon

6, 18-20, 42, 44, 54-55, 135, 139, 247-249 54 42, 44 19, 21, 46, 50, 129-130, 133-136, 138, 183, 203, 247 135 5-7, 14-16, 28, 32, 37-38, 43, 51, 54, 80, 82-89, 94, 108-110, 148, 150-154, 163, 167, 170-174, 239242, 244, 246 15, 37-38, 84, 86, 109, 151, 239240

Stefan Milutin, saint roi

6-8, 16-18, 20, 32, 44-45, 67, 95, 98, 100, 103-108, 110-116, 118120, 122-127, 143, 162, 165-166, 170, 173, 175, 248-249

Stefan Nemanja, grand joupan

voir Syméon Nemanja, saint

293

L’écriture et la sainteté dans la Serbie médiévale Stefan Radoslav, roi

43, 96, 98, 108, 122, 172-173, 244

Stefan Uroš Ier, saint roi

16, 41, 43, 82, 90, 94-96, 101, 108110, 122-123, 155, 170, 174, 240

Stefan Vladislav, roi

96, 98, 108, 122, 244-245

Strez, renégat

87, 167

Sur les temps futurs

183, 202

Syméon le (Nouveau) Myroblite

voir Syméon Nemanja, saint

Syméon le Nouveau Théologien, saint

18, 170

Syméon Métaphraste

18-19

Syméon Nemanja, saint

5, 7, 13-16, 20, 31-32, 36-37, 42-44, 51-54, 62, 80-92, 94, 108113, 118-119, 121-126, 133-135, 144-145, 148-155, 157-160, 164171, 174, 211, 239-242, 244-246

Tabernacle

88, 204

Terre Sainte

80, 82, 107, 244, 246

Théoctiste, moine

voir Stefan Dragutin, saint roi

Théodore, saint

70

Théodore Krithinos, oikonomos de la Grande église

187

Théodore Lascaris, empereur

164

Théodore Métochite, historien byzantin

104

Théodose

6, 14, 16, 28, 30, 47-49, 52, 79, 9094, 108, 110-114, 116-120, 144146, 148-149, 155-175, 199, 243, 245-246 6, 17, 112 16, 146 16, 52, 112-113, 144, 165 6, 16, 30, 90-91, 107, 111-113, 117-118, 149, 155-157, 160-175, 243-246

Éloge à saint Syméon et à saint Sava – Office à saint Sava – Vie de saint Pierre de Koriša – Vie de saint Sava Théophano, sainte impératrice

71-73, 75-76, 128, 130-131, 191

Theotokos

voir Vierge Marie

Thessalonique nouvelle Thessalonique

7, 84, 86, 153, 185, 193 84, 153

Thrace

38

Toulouse

62

Triode d’Orbel

115

Troie

54

Turcs

14, 18, 131, 135, 182, 193-197, 201-202

Turdeanu, Émile

76

Turnovo

12, 19, 85, 128, 130, 245-246

Typikon de Chilandar de Karyès de la Théotokos Évergétis de Studenica

14, 15, 239 14, 48 15 15, 149

294

Uvarov, A. S.

115

Varna, bataille de (1444)

195

Vatican

103

Vauchez, André

25, 63

Velbužd, bataille de (1330)

54

Venceslas, saint roi

61, 69, 77, 79

Venise Bibliothèque Marcienne

128, 194-197 194-196

Vie brève du roi Milutin

17

Vie d’André Salos

15, 179, 184-185

Vie de Basile le Jeune

184-185, 189, 191

Vie de Constantin-Cyrille

12

Vie de Méthode

12

Vie de Niphon

184

Vie de saint Clément d’Ohrid

12

Vie de saint Gabriel de Lesnovo

12

Vie de saint Jean de Rila

12

Vie de saint Joachim d’Osogovo

12, 115

Vie de saint Joasaph

150, 244

Vie de saint Naum d’Ohrid

12

Vie de saint Prohor de Pčinja

12, 115

Vie de saint Sabas par Cyrille de Scythopolis

90, 156, 160-161, 165

Vie de saint Syméon par St. Sava

44, 48, 81, 89, 149-150, 157

Vie de saint Syméon par Stefan le Premier-Couronné

15, 37-38, 84, 86, 109, 151, 239240

Vie de Stefan de Dečani

voir Grégoire Camblak

Vienne

193, 197-198

Vierge Marie

40, 49, 91, 108, 110, 130-131, 134, 153, 171

Višgorod, ville

84-85

Vision de Daniel

178-179

Vision du moine Cosmas

184

Vladimir, grand prince

36

Vladimir, saint prince

voir Jean Vladimir, saint prince

Vladimir, ville

84

Vladislav, roi

79

Vraie Croix

voir Croix

Vranoussi, Éra

75

Vsevolod, prince

84

Zacharie Ždrelo, grotte

81 201

295

TABLE DES MATIÈRES

Préface

5

Remerciements

9

Introduction

11

Chapitre I Le contexte politique de l’hagiographie serbe

27

Les cadres hagiographiques et politiques de la sainteté

27

En quête de légitimité : la formule tripartite du pouvoir

32

« Le départ » du héros du récit

45

L’expérience de la sainteté

56

Chapitre II Le culte et la conception de la sainteté

67

Le « saint homme » : la naissance d’un modèle

67

Le saint roi et l’ascète : changement de fonction du récit hagiographique

90

L’hagiographie dynastique : le concept de beata stirps et son évolution au cours du Moyen Âge tardif Chapitre III Miracle et réécriture

119 141

La nature du miracle

141

Champ du miracle

147

Les motifs pour la commande d’une hagiographie

157

Le rôle du miracle dans le concept de la chrétienté « patriotique »

166

Chapitre IV En attendant la fin : les textes prophétiques

175

Le genre eschatologique dans la tradition littéraire serbe

175

Les récits de visions de l’au-delà

183

La réactualisation des prophéties populaires

193

La topique de l’arrivée des derniers temps

198

Conclusion

209

297

Figures et illustrations

215

Appendice. Résumé des Vies et des miracles les plus importants

237

Les Vies de saint Syméon le Myroblite (Stefan Nemanja)

237

Les Vies de saint Sava de Serbie

241

Les Vies de saint Stefan de Dečani

245

Généalogies

249

Chronologie

251

Bibliographie

255

Sources éditées

255

Ouvrages et articles

259

Index

298

283

BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES, SCIENCES RELIGIEUSES

vol. 120 F. Randaxhe L’être amish, entre tradition et modernité 256 p., 2004, ISBN 978-2-503-51588-5 vol. 121 S. Fath (dir.) Le protestantisme évangélique. Un christianisme de conversion xii + 379 p., 2004, ISBN 978-2-503-51587-8 vol. 122 Alain Le Boulluec (dir.) À la recherche des villes saintes viii + 184 p., 2004, ISBN 978-2-503-51589-2 vol. 123 I. Guermeur Les cultes d’Amon hors de Thèbes. Recherches de géographie religieuse xii + 664 p., 38 ill. n&b, 155x240, 2005, ISBN 978-2-503-51427-7 vol. 124 S. Georgoudi, R. Koch-Piettre, F . Schmidt (dir.) La cuisine et l’autel. Les sacrifices en questions dans les sociétés de la Méditérrannée ancienne xviii + 460 p., 23 ill. n&b, 155 x 240. 2005, ISBN 978-2-503-51739-1 vol. 125 L. Châtellier, Ph. Martin (dir.) L’écriture du croyant viii + 216 p., 2005, ISBN 978-2-503-51829-9 vol. 126 (Série “Histoire et prosopographie” n° 1) M. A. Amir-Moezzi, C. Jambet, P. Lory (dir.) Henry Corbin. Philosophies et sagesses des religions du Livre 251 p., 6 ill. n&b, 2005, ISBN 978-2-503-51904-3 vol. 127 J.-M. Leniaud, I. Saint Martin (dir.) Historiographie de l’histoire de l’art religieux en France à l’époque moderne et contemporaine. Bilan bibliographique (1975-2000) et perspectives 299 p., 2005, ISBN 978-2-503-52019-3

299

vol. 128 (Série “Histoire et prosopographie” n° 2) S. C. Mimouni, I. Ullern-Weité (dir.) Pierre Geoltrain ou Comment « faire l’histoire » des religions ? 398 p., 1 ill. n&b, 2006, ISBN 978-2-503-52341-5 vol. 129 H. Bost Pierre Bayle historien, critique et moraliste 279 p., 2006, ISBN 978-2-503-52340-8 vol. 130 (Série “Histoire et prosopographie” n° 3) L. Bansat-Boudon, R. Lardinois (dir.) Sylvain Lévi. Études indiennes, histoire sociale ii + 536 p., 9 ill. n&b, 2007, ISBN 978-2-503-52447-4 vol. 131 (Série “Histoire et prosopographie” n° 4) F. Laplanche, I. Biagioli, C. Langlois (dir.) Autour d’un petit livre. Alfred Loisy cent ans après 351 p., 2007, ISBN 978-2-503-52342-2 vol. 132 L. Oreskovic Le diocèse de Senj en Croatie habsbourgeoise, de la Contre-Réforme aux Lumières vii + 592 p., 6 ill. n&b, 2008, ISBN 978-2-503-52448-1 vol. 133 T. Volpe Science et théologie dans les débats savants du xviie siècle : la Genèse dans les Philosophical Transactions et le Journal des savants (1665-1710) 472 p., 10 ill. n&b, 2008, ISBN 978-2-503-52584-6 vol. 134 O. Journet-Diallo Les créances de la terre. Chroniques du pays Jamaat (Jóola de Guinée-Bissau) 368 p., 6 ill. n&b, 2007, ISBN 978-2-503-52666-9 vol. 135 C. Henry La force des anges. Rites, hiérarchie et divinisation dans le Christianisme Céleste (Bénin) 276 p., 2009, ISBN 978-2-503-52889-2 vol. 136 D. Puccio-Den Les théâtres de “Maures et Chrétiens”. Conflits politiques et dispositifs de reconciliation (Espagne, Sicile, xvie-xxie siècle) 240 p., 2009, PB vol. 137 M. A. Amir-Moezzi, M. M. Bar-Asher, S. Hopkins (dir.) Le shīʿisme imāmite quarante ans après. Hommage à Etan Kohlberg 445 p., 2008, ISBN 978-2-503-53114-4

300

vol. 138 M. Cartry, J.-L. Durand, R. Koch Piettre (dir.) Architecturer l’invisible. Autels, ligatures, écritures 430 p., 2009, 978-2-503-53172-4 vol. 139 M. Yahia Šāfiʿī et les deux sources de la loi islamique 552 p., 2009, PB vol. 140 A. A. Nagy Qui a peur du cannibale ? Récits antiques d’anthropophages aux frontières de l’humanité 306 p., 2009, ISBN 978-2-503-53173-1 vol. 141 (Série “Sources et documents” n° 1) C. Langlois, C. Sorrel (dir.) Le temps des congrès catholiques. Bibliographie raisonnée des actes de congrès tenus en France de 1870 à nos jours. 448 p., 2010, ISBN 978-2-503-53183-0 vol. 142 (Série “Histoire et prosopographie” n° 5) M. A. Amir-Moezzi, J.-D. Dubois, C. Jullien et F. Jullien (éd.) Pensée grecque et sagesse d’orient. Hommage à Michel Tardieu 752 p., 2009, ISBN 978-2-503-52995-0 vol. 143. B. Heyberger (éd.) Orientalisme, science et controverse : Abraham Ecchellensis (1605-1664) 240 p., 2010, ISBN 978-2-503-53567-8 vol. 144. F. Laplanche (éd.) Alfred Loisy. La crise de la foi dans le temps présent (Essais d’histoire et de philosophie religieuses) 735 p., 2010, ISBN 978-2-503-53182-3 vol. 145 J. Ducor, H. Loveday Le sūtra des contemplations du buddha Vie-Infinie. Essai d’interprétation textuelle et iconographique 474 p., 2011, ISBN 978-2-503-54116-7 vol. 146 N. Ragot, S. Peperstraete, G. Olivier (dir.) La quête du Serpent à Plumes. Arts et religions de l’Amérique précolombienne. Hommage à Michel Graulich 491 p., 2011, ISBN 978-2-503-54141-9 vol. 147 C. Borghero Les cartésiens face à Newton. Philosophie, science et religion dans la première moitié du xviiie siècle 164 p., 2012, ISBN 978-2-503-54177-8

301

vol. 148 (Série “Histoire et prosopographie” n° 6) F. Jullien, M. J. Pierre (dir.) Monachismes d’Orient. Images, échanges, influences. Hommage à Antoine Guillaumont 348 p., 2012, ISBN 978-2-503-54144-0 vol. 149 P. Gisel, S. Margel (dir) Le croire au cœur des sociétés et des cultures. Différences et déplacements. 244 p., 2012, ISBN 978-2-503-54217-1 vol. 150 J.-R. Armogathe Histoire des idées religieuses et scientifiques dans l’Europe moderne. Quarante ans d’enseignement à l’École pratique des hautes études. 227 p., 2012, ISBN 978-2-503-54488-5 vol. 151 C. Bernat, H. Bost (dir.) Énoncer/Dénoncer l’autre. Discours et représentations du différend confessionnel à l’époque moderne. 451 p., 2012, ISBN 978-2-503-54489-2 vol. 152 N. Sihlé Rituels bouddhiques de pouvoir et de violence. La figure du tantrisme tibétain. 374 p., 2012, ISBN 978-2-503-54470-0 vol. 153 J.-P. Rothschild, J. Grondeux (dir.) Adolphe Franck. Philosophe juif, spiritualiste et libéral dans la France du xixe siècle. 234 p., 2012, ISBN 978-2-503-54471-7 vol. 154 (Série “Histoire et prosopographie” n° 7) S. d’Intino, C. Guenzi (dir.) Aux abords de la clairière. Études indiennes et comparées en l’honneur de Charles Malamoud. 295 p., 2012, ISBN 978-2-503-54472-4 vol. 155 B. Bakhouche, I. Fabre, V. Fortier (dir.) Dynamiques de conversion : modèles et résistances. Approches interdisciplinaires. 205 p., 2012, ISBN 978-2-503-54473-1 vol. 156 (Série “Histoire et prosopographie” n° 8) C. Zivie-Coche, I. Guermeur (dir.) Hommages à Jean Yoyotte 2 tomes, 1190 p., 2012, ISBN 978-2-503-54474-8

302

vol. 157 E. Marienberg (éd. et trad.) La Baraïta de-Niddah. Un texte juif pseudo-talmudique sur les lois religieuses relatives à la menstruation 235 p., 2012, ISBN 978-2-503-54437-0 vol. 158 Gérard Colas Penser l’icone en Inde ancienne 221 p., 2012, ISBN 978-2-503-54538-7 vol. 159 A. Noblesse-Rocher (éd.) Études d’exégèse médiévale offertes à Gilbert Dahan par ses élèves 294 p., 2013, ISBN 978-2-503-54802-9 vol. 160 A. Nagy, F. Prescendi (éd.) Sacrifices humains… env. 300 p., 2013, ISBN 978-2-503-54809-8 vol. 161 (Série “Histoire et prosopographie” n° 9) O. Boulnois (éd.) avec la collaboration de J.-R. Armogathe Paul Vignaux, citoyen et philosophe (1904-1987) suivi de Paul Vignaux, La Philosophie franciscaine et autres documents inédits env. 450 p., 2013, ISBN 978-2-503-54810-4 vol. 162 M. Tardieu, A. van den Kerchove, M. Zago (éd.) Noms barbares I. Formes et contextes d’une pratique magique 426 p., 156 x 234, 2013, ISBN 978-2-503-54945-3 vol. 163 (Série “Histoire et prosopographie” n° 10) R. Gerald Hobbs, A. Noblesse-Rocher (éd.) Bible, histoire et société. Mélanges offerts à Bernard Roussel 403 p., 156 x 234, 2013, ISBN 978-2-503-55118-0 vol. 164 P. Bourdeau, Ph. Hoffmann, Nguyen Hong Duong (éd.) Pluralisme religieux : une comparaison franco-vietnamienne. Actes du colloque organisé à Hanoi les 5-7 octobre 2007 299 p., 156 x 234, 2013, ISBN 978-2-503-55047-3 vol. 165 (Série “Histoire et prosopographie” n° 11) M. A. Amir-Moezzi (éd.) Islam : identité et altérité. Hommage à Guy Monnot, O.P. 420 p., 156 x 234, 2013, ISBN 978-2-503-55026-8 vol. 166 S. Bogevska Les églises rupestres de la région des lacs d’Ohrid et de Prespa, milieu du xiiie-milieu du xvie siècle 831 p., 156 x 234, 2015, ISBN 978-2-503-54647-6

303

vol. 167 B. Bakouche (éd.) Science et exégèse. Les interprétations antiques et médiévales du récit biblique de la création des éléments (Genèse 1, 1-8) env. 400 p., 156 x 234, ISBN 978-2-503-56703-7 vol. 168 K. Berthelot, R. Naiweld, D. Stökl Ben Ezra (éd.) L’identité à travers l’éthique. Nouvelles perspectives sur la formation des identités collectives dans le monde gréco-romain 216 p., 156 x 234, 2015, ISBN 978-2-503-55042-8 vol. 169 A. Guellati La notion d’adab chez Ibn Qutayba : étude générique et éclairage comparatiste 264 p., 156 x 234, ISBN 978-2-503-56648-1 vol. 170 H. Seng Un livre sacré de l’Antiquité tardive : les Oracles chaldaïques env. 150 p., 156 x 234, ISBN: 978-2-503-56518-7 vol. 171 Cl. Zamagni L’extrait des Questions et réponses d’Eusèbe de Césarée : un commentaire 358 p., 156 x 234, ISBN 978-2-503-55830-1 vol. 172 C. Ando Religion et gouvernement dans l’Empire romain 320 p., 156 x 234, ISBN 978-2-503-56753-2 vol. 173 Ph. Bobichon Controverse judéo-chrétienne en Ashkenaz (xiiie siècle). Florilèges polémiques : hébreu, latin, ancien français (Paris, BnF Hébreu 712, fol. 56v-57v et 66v-68v) 305 p., 156x234, ISBN 978-2-503-56747-14, 2016 vol. 174 (Série “Histoire et prosopographie” n° 12) V. Züber, P. Cabanel, R. Liogier (éd.) Croire, s’engager, chercher. Autour de Jean Baubérot, du protestantisme à la laïcité 490 p., 156 x 234, ISBN 978-2-503-56749-,5 2016 vol. 175 N. Belayche, C. Bonnet, M. Albert Llorca, A. Avdeef, F. Massa, I. Slobodzianek (éd.) Puissances divines à l’épreuve du comparatisme : constructions, variations et réseaux relationnels 500 p., 156 x 234, 2016, ISBN 978-2-503-56944-4

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vol. 176 (Série “Histoire et prosopographie” n° 13) L. Soares Santoprete, A. Van den Kerchove (éd.) Gnose et manichéisme. Entre les oasis d’Égypte et la Route de la Soie. Hommage à Jean-Daniel Dubois 970 p., 156 x 234, 2016, ISBN 978-2-503-56763-1 vol. 177 M. A. Amir Moezzi (éd.), L’ésotérisme shi’ite : ses racines et ses prolongements / Shi‛i Esotericism: Its Roots and Developments vi + 870 p., 156 x 234, 2016, ISBN 978-2-503-56874-4 vol. 178 G. Toloni Jéroboam et la division du royaume Étude historico-philologique de 1 Rois 11, 26 - 12, 33 222 p., 156 x 234, 2016, ISBN 978-2-503-57365-6

À paraître vol. 180 G. Nahon Épigraphie et sotériologie. L’épitaphier des «Portugais» de Bordeaux (1728-1768) env. 400 p., 156 x 234

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Réalisation : Cécile Guivarch École pratique des hautes études