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Forschungen zum Alten Testament 2. Reihe Herausgegeben von Konrad Schmid (Zürich) · Mark S. Smith (New York) Hermann Spieckermann (Göttingen)
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Raoul Baziomo
La Famille de Saül dans le conflit Saül versus David Étude de la construction narrative des personnages de Jonathan, Mérav et Mikal
Mohr Siebeck
Raoul Baziomo, né en 1970; spécialisé en exégèse; 2007 SSL; 2012 PhD; actuellement enseignant de l’hébreu biblique à l’Académie Belge pour l’Étude des Langues Anciennes et Orientales, Professeur du Premier Testament et de langues bibliques au Grand Séminaire de Koumi et à l’Université catholique de l’Afrique de l’Ouest.
e-ISBN PDF 978-3-16-153683-0 ISBN 978-3-16-153682-3 ISSN 1611-4914 (Forschungen zum Alten Testament, 2. Reihe) La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse http://dnb.dnb.de
© 2015 Mohr Siebeck, Tübingen. www.mohr.de Toutes reproductions, traductions ou adaptations d'un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, notamment par photocopie, microfilm ou mémorisation et traitement dans un système électronique réservées pour tous pays. Imprimerie Laupp & Göbel, Nehren; relieur Nädele, Nehren. Imprimé en Allemagne.
À ma mère & à feu mon père, à mon frère et à mes sœurs, à mes neveux et nièces, à Mélodie, Noëlie & Robert à la mémoire de Megan, Frère Clément & Victor Mendez
Avant-propos Ce livre est fruit d’une recherche doctorale menée en exégèse narrative du Premier Testament, sous la direction du Pr. André Wénin et soutenue publiquement le 29 juin 2012 à la Faculté de théologie de l’Université catholique de Louvain (UCL, Louvain-la-Neuve, Belgique). Le texte a été légèrement revu et augmenté pour prendre en compte l’une ou l’autre suggestion avancée par les membres du jury qui était composé des Pr. Geert Van Oyen, président (UCL), André Wénin, promoteur (UCL), Didier Luciani, lecteur (UCL), Diana Edelman, lecteur étranger (Université de Sheffield), Hans Ausloos, lecteur (UCL). La bibliographie a connu aussi l’ajout de l’une ou l’autre notice pour intégrer quelques ouvrages publiés après la soutenance publique et ayant trait au sujet étudié. Ce travail n’aurait pas pu aboutir sans le concours et l’aide de plusieurs personnes que je voudrais remercier ici. Pour commencer, je tiens à traduire ma profonde gratitude au Pr. André Wénin, mon promoteur, grâce à qui l’aventure de longue haleine que constitue toute recherche doctorale a été exaltante. J’ai été très touché par la bienveillance, la délicate attention, la confiance, la franchise et le tact avec lesquels il m’a accompagné et m’a su faire profiter de son expertise reconnue. Travailler sous sa direction a été stimulant et passionnant. J’exprime aussi ma reconnaissance aux autres lecteurs qui, à travers leurs questions et observations, ont permis de préciser ou d’expliciter davantage certains points. Un merci particulier à Diana Edelman pour les longs et passionnants échanges à Paris et à Sheffield, même si nous avions parfois une lecture différente de certains passages bibliques. Un merci tout spécial à l’Université catholique de Louvain qui m’a accordé un mandat d’assistant en Faculté de théologie. Grâce à ce mandat, j’ai pu travailler dans la sérénité et dans l’excellent cadre qu’est celui qu’offre la Faculté de théologie dont le personnel est d’une amabilité et d’une simplicité remarquables. Faire de la recherche tout en intervenant pour une bonne partie du temps dans l’enseignement et l’encadrement pédagogique a été très formateur. À cela ont contribué sans doute le bon contact avec les étudiants et les interactions avec des collègues chercheurs rencontrés dans le cadre de l’atelier doctoral initié par le Pr. Wénin et les séminaires des exégètes belges francophones. J’en sais gré à tous. La possibilité de participer, par ailleurs
VIII
Avant-propos
aussi, à des réseaux de recherche en narrativité tel que celui du RRENAB (Réseau de Recherche en Narratologie et Bible) a été d’un apport appréciable. Merci infiniment aux Pr. Dr. Konrad Schmid (Université de Zurich), Dr. Mark Smith (Université de New York) et Dr. Hermann Spieckermann (Université de Göttingen) d’avoir recommandé que ce travail puisse être publié dans la Collection Forschungen zum Alten Testament (FAT II). Ma reconnaissance va aussi à Dr. Henning Ziebritzki qui, suivant leur recommandation, m’a offert de publier aux éditions de Mohr Siebeck. Sans oublier ceux et celles de son équipe qui m’ont guidé dans la préparation du manuscrit, en particulier Matthias Spitzner. Ses conseils ont été précieux et utiles. Les imperfections qui restent sont à mettre à mon seul compte. Je m’en voudrais de terminer sans remercier tous mes parents, proches, amis et collègues d’Italie, de Belgique, de France et du Burkina Faso qui m’ont fortement soutenu dans cette aventure. Parmi eux, qu’il me soit permis de mentionner spécialement le Professeur Jean-Louis Ska, Anna Maria de Lisa et Stefano Bosco et leur famille, de même que Mario et Emiliana, Simone Massara, son père Gaetano et sa mère, Wouter Wyns, Helga Wyns, Louis de Strycker, Père Lawrence Iwuamadi, Sœur Wilma Mancuello, Dora Boytha et sa mère, Nora Kramer & Ian Rigillo, Tania Bernardini, Mirela Stoia & Anthony Corbaz, Francette & Alain Gaillard, Guy & Andrée Allègre, Éric Martinico, Patrice & Joëlle Vitalis etc. Que toutes et tous trouvent ici l’expression de ma profonde et amicale gratitude.
Table des matières Avant-Propos .............................................................................................. VII Liste des abréviations .................................................................................. XII Introduction générale ...................................................................................... 1
Chapitre 1 : Histoire de la recherche littéraire ou narrative sur le règne de Saül. Regard particulier sur son fils et ses filles ........ 7 A. Études littéraires ou narratives sur Saül et David ....................................... 7 1. David M. Gunn (1978) ................................................................................ 7 2. Jan P. Fokkelman : The Crossing Fates (I Sam. 13–31 & II Sam. 1) (1986) ......................................................................................... 9 3. Robert Polzin (1989) ................................................................................. 10 4. Diana V. Edelman (1991).......................................................................... 12 5. J. Cheryl Exum (1992) .............................................................................. 13 6. Robert Couffignal (1999) .......................................................................... 15 B. Études consacrées plus spécifiquement à Jonathan et Mikal .................... 16 1. David Jobling (1976 ; 1978)...................................................................... 16 2. Débats sur la nature homosexuelle de la relation Jonathan David ............. 18 3. Robert Alter (1981) ................................................................................... 19 4. Adele Berlin (1982) .................................................................................. 20 5. J. Cheryl Exum (1990) .............................................................................. 20 6. David. J. A. Clines (1991) ......................................................................... 21 C. La place de notre étude par rapport à ces travaux ..................................... 23
Chapitre 2 : Lecture cursive du conflit entre Saül et David ......... 27 A. Les différentes phases du conflit entre Saül et David ............................... 28
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Table des matières
1. Phase de latence ........................................................................................ 29 2. Éclatement, développement et résolution du conflit .................................. 32 3. Épilogue du conflit .................................................................................... 35 B. Les moments où interviennent Jonathan, Mérav et Mikal ........................ 37
Chapitre 3 : S 14 : Jonathan et Saül .................................................... 41
A. 1 S 14 : traduction de travail .................................................................... 42 B. Délimitation et structure ........................................................................... 44 C. Que fait Jonathan et de quelle manière le fait-il ? .................................... 46 D. Jonathan, l’homme selon le cœur d’Adonaï ? ........................................... 53 E. Le fait d’armes de Jonathan comparé au fait d’armes de David ............... 57
Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül .................................................. 61 A. Textes traduits .......................................................................................... 61 B. 1 S 18,1–4 : Jonathan noue une relation avec David ................................ 67 C. 1 S 19,1–7 : Jonathan réconcilie Saül avec David .................................... 72 D. 1 S 20 : Jonathan autorise David à quitter la cour .................................... 79 E. 1 S 23,16–18 : Jonathan rend visite à David en fuite .............................. 122 F. 1 S 18,1–4 ; 19,1–7 ; 20,1–21,1 ; 23,16–18 ............................................ 128 G. L’évaluation par Saül du rôle de Jonathan ............................................. 131 H. L’évaluation par David du rôle de Jonathan ........................................... 133 I. Nature de la relation Jonathan–David ...................................................... 134 J. Jonathan et l’arc ...................................................................................... 154 K. Jonathan et Abner ................................................................................... 155 Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David ....................................... 158 A. Le récit biblique : textes traduits ............................................................ 159 B. Mérav est proposée en mariage : 1 S 18,17–19 ...................................... 161 C. Le mariage de Mikal : 1 S 18,20–29 ....................................................... 165 D. Mikal et l’esprit divin aident David (1 S 19,8–17 et 19,18–24) ............. 176 E. Mikal est donnée à Palti : 1 S 25,43–44 .................................................. 193 F. Mikal est reprise par David : 2 S 3,12–16 ............................................... 196 G. Mikal s’en prend à David : 2 S 6,16–23 ................................................. 202 H. Caractérisation et rôle de Mikal ............................................................. 214 Chapitre 6 : Jonathan et Mikal ........................................................... 223 A. Parcours narratifs de Jonathan et Mikal : ressemblances ........................ 223
Table des matières
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B. Parcours narratifs de Jonathan et Mikal : particularités .......................... 226
Chapitre 7 : Implications anthropologiques, enjeux théologiques et posture rhétorique .................................................... 236 A. Implications anthropologiques ............................................................... 236 1. Sentiments ou émotions, famille et solidarité politique ........................... 236 2. Amour conjugal et amour d’amitié ......................................................... 238 3. Ambition et moyens de lutte politiques ................................................... 243 B. Enjeux théologiques ............................................................................... 254 1. Le personnage divin mis en scène ........................................................... 254 2. Élection divine et succès politique comme expression de légitimité politique ............................................................................. 256 C. Posture rhétorique ou intentio operis du récit du conflit Saül vs David . 258 Conclusion générale .................................................................................... 262 Bibliographie .............................................................................................. 267 Dictionnaires ............................................................................................... 267 Commentaires ............................................................................................. 267 Études, monographies et articles cités ou consultés .................................... 268 Index des auteurs cités ................................................................................ 283 Index des références bibliques .................................................................... 286 Index des sujets ........................................................................................... 296
Liste des abréviations AAF ABiG ACFEB AncB AnBib Asp BDB BETL Bib BiLiSe BIS BJ BN BS BWANT BZAW CAT CBC CBiR CBQ CCS.OT CE ConBOT DOI EB ETL ETR FAT FOTL HALOT HBM HBT HSM ICC Interp IOSCS ITC JBL
Annales Academiae Scientiarum Fennicae Arbeiten zur Bibel und ihrer Geschichte Association catholique française pour l’étude de la Bible Anchor Bible Analecta biblica Asprenas. Rivista di scienze teologiche F. Brown, S. R. Driver & C. A. Briggs, The Brown - Driver - Briggs Hebrew and English Lexicon Bibliotheca ephemeridum theologicarum Lovaniensium Biblica Bible and Literature Series Biblical Interpretation Series Bible de Jérusalem Biblische Notizen Bibliotheca Sacra Beiträge zur Wissenschaft vom Alten und Neuen Testament Beihefte zur Zeitschrift für die Alttestamentliche Wissenschaft Commentaire de l’Ancien Testament Cambridge Bible Commentary Currents in Biblical Research Catholic Biblical Quarterly Communicator’s Commentary Series, The Old Testament Cahiers Évangile Coniectanea Biblica. Old Testament Series Digital Object Identifier Études bibliques Ephemerides Theologicae Lovanienses Études théologiques et religieuses Forschungen zum Alten Testament Forms of the Old Testament Literature The Hebrew and Aramaic Lexicon of the Old Testament Hebrew Bible Monographs Horizons in Biblical Theology Havard Semitic Monographs International Critical Commentary Interpretation International Organization for Septuagint and Cognate Studies International Theological Commentary Journal of Biblical Literature
Liste des Abréviations JBS JETS JewS21C JNSL JSOT JSOT.S KAT LeDiv MoBi NIBC.OTS NICOT NRT OBO OTE OTGu OTL OTS PEQ RB RivBib SBFAn SBL SBLAIL SBL.DS SBL.SPS SBTS SJOT SOTSMS SSN SubBib TOB TDOT TLOT TOTC TynB VT VT.S WBC WTJ ZABR ZAW
Jerusalem Biblical Studies Journal of the Evangelical Theological Society Jewish Studies in the 21st Century Journal of Northwest Semitic Languages Journal for the Study of the Old Testament Journal for the Study of the Old Testament. Supplement Series Kommentar zum Alten Testament Lectio Divina Monde de la Bible New International Biblical Commentary. Old Testament Series New International Commentary on the Old Testament Nouvelle revue théologique Orbis Biblicus et Orientalis Old Testament Essays Old Testament Guides Old Testament Library Oudtestamentische Studiën Palestine Exploration Quarterly Revue Biblique Rivista Biblica Studii Biblici Franciscani analecta Society of Biblical Literature Society of Biblical Literature. Ancient Israel and Its Literature Society of Biblical Literature. Dissertation Series Society of Biblical Literature. Seminar Papers Series Sources for Biblical and Theological Study Scandinavian Journal of the Old Testament Society for Old Testament Study. Monograph Series Studia Semitica Neerlandica Subsidia Biblica Traduction Œcuménique de la Bible Theological Dictionary of the Old Testament Theological Lexicon of the Old Testament Tyndale Old Testament Commentaries Tyndale Bulletin Vetus Testamentum Vetus Testamentum. Supplements Word Biblical Commentary Westminster Theological Journal Zeitschrift für Altorientalische und Biblische Rechtsgeschichte Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft
XIII
Introduction générale Le récit des relations conflictuelles entre Saül et David dans les livres de Samuel fait une place significative à des membres de la famille du premier roi d’Israël. Il s’agit surtout de Jonathan et Mikal et, dans une moindre mesure, de Mérav, tous fils et filles de Saül. Il nous a semblé intéressant d’investiguer cette part qui leur est attribuée pour tenter de cerner au mieux leurs rôles et les fonctions narratives qu’ils remplissent. Étant donné que c’est dans le contexte littéraire d’un récit que ces personnages sont évoqués, une étude attentive de la manière dont ils sont construits et mis en scène nous a paru s’imposer, convaincu que nous sommes que la façon de raconter détermine le sens de ce que l’on raconte. Aussi, c’est ce que nous nous proposons d’examiner et de mettre en lumière au long de ces pages. Si nous nous engageons dans un travail de ce type, c’est parce que nous sommes habité par l’intuition qu’une étude de la construction narrative du fils et des filles de Saül est susceptible d’apporter un éclairage spécifique à la narration du conflit qui oppose le premier roi d’Israël à David dans sa globalité, et aux enjeux politiques, humains et théologiques qui s’en dégagent. La nature du matériau textuel que nous allons examiner et le questionnement que nous lui adressons nous orientent spontanément vers les outils heuristiques forgés par l’analyse narrative. À ce sujet, il faut peut-être tout de suite signaler que nous ne suivons pas un théoricien de narratologie biblique en particulier. Nous essayons de tirer le meilleur parti des contributions des uns et des autres en matière d’outils d’analyse narrative pour autant que les observations et réflexions émises par les différents auteurs nous paraissent de nature à éclairer au mieux le fonctionnement du récit sur tel ou tel de ses aspects. Dans ce sens, si nous faisons volontiers appel par exemple à R. Alter1 pour ce qui est de la caractérisation des personnages – à laquelle une bonne part de notre analyse est consacrée – et de l’art de la réserve, nous n’hésitons pas à nous référer à M. Sternberg 2 pour ce qui regarde le « rem-
1
177.
R. ALTER, L’art du récit biblique (Le livre et le rouleau 4), Bruxelles, 1999, pp. 157–
2 M. STERNBERG, The Poetics of Biblical Narrative. Ideological Literature and the Drama of Reading (Indiana Studies in Biblical Literature), Bloomington, IN, 1987, pp. 186–229 : « Gaps, ambiguity and the Reading Process ».
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Introduction générale
plissage des lacunes »3 (« gaps filling ») ou même à des auteurs dont la Bible n’est pas le premier champ d’investigation, comme U. Eco 4 à propos de la coopération du lecteur ou encore A. Rabatel5, en ce qui concerne la construction textuelle du point de vue ; sans oublier les manuels tels que ceux de J.-L. Ska6 ou de D. Marguerat et Y. Bourquin7, dans lesquels sont exposés synthétiquement les travaux des auteurs déjà cités et de bien d’autres 8 encore. L’important, après tout, est de pouvoir repérer et interpréter convenablement les indices fournis par le narrateur pour guider le lecteur dans sa lecture. On l’aura compris, notre approche du texte se veut avant tout littéraire et synchronique ; elle s’intéressera concrètement au texte massorétique (TM). Une lecture ne serait-ce que rapide de 1 et 2 Règnes dans la LXX9 – équivalents de 1 et 2 Samuel dans le TM – montre qu’ils ont leur cohérence propre, laquelle marque aussi les scènes où interviennent le fils et les filles de Saül. Car, comme l’affirment Ch. Nihan et D. Nocquet, « le témoignage de Qumran a confirmé que la tradition de la LXX ancienne se fondait sur un original hébreu différent de celui préservé dans le TM »10. D’où les différences notables entre ces deux traditions textuelles. En ce sens, si le TM comprend une scène qui raconte comment naît la relation de Jonathan avec David (1 S 18,1– 4) et une autre où est évoquée Mérav (1 S 18,17–19), rien de tel ne se rencontre ou ne se lit dans la LXX. À cela s’ajoutent d’autres variations significatives même dans les épisodes équivalents au sein des deux récits, comme par exemple en 1 S 18,28b : dans le TM, par rapport à David, il est écrit « et Mikal, fille de Saül l’aimait » (שׁאוּל ֲא ֵהבַתְ הוּ ָ )וּ ִמיכַל בַּת־, tandis que, selon 1 Rg 18,28b, on lit : « et tout Israël l’aimait » (καὶ πᾶς Ισραηλ ἠγάπα αὐτόν). Un autre exemple se trouve en 1 S 20,17 et 1 Rg 20,17. Dans le texte hébreu effectivement on peut lire : « Jonathan fit encore prêter serment à David » (שׁבִּי ַע ֶאת־ ָדּוִד ְ )וַיּוֹ ֶסף י ְהוֹנ ָ ָתן ְל ַה, alors que le grec a : « Jonathan prêta encore serment à David » (καὶ προσέθετο ἔτι Ιωναθαν ὀµόσαι τῷ Δαυιδ). Ainsi qu’on peut par conséquent le constater, le récit où sont impliqués Jonathan, Mikal et 3
Nous empruntons à J.-L. SKA, « “Nos pères nous ont raconté”. Introduction à l’analyse narrative des récits de l’Ancien Testament », CE 155 (2011), p. 13, le terme « lacunes » qu’il utilise pour traduire le mot anglais « gaps ». 4 U. ECO, Lector in fabula. Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs (Le livre de poche. Biblio essais), Paris, 1985. 5 A. RABATEL, Construction textuelle du point de vue (Sciences des discours), Lausanne, 1998. 6 SKA, « “Nos pères nous ont raconté” ». 7 D. MARGUERAT/Y. BOURQUIN, Pour lire les récits bibliques : initiation à l’analyse narrative, Paris/Genève, 42009. 8 Il va sans dire que nous ne nous limitons pas aux seuls auteurs explicitement cités. 9 Parlant de la LXX, nous nous référons en l’occurrence au Vaticanus. 10 Voir en ce sens Ch. NIHAN/D. NOCQUET, « 1 – 2 Samuel », dans Th. RÖMER/J.-D. MACCHI/Ch. NIHAN (éd.), Introduction à l’Ancien Testament (MoBi 49), Genève, 22009, p. 364.
Introduction
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Mérav n’est pas construit de la même manière dans le TM et dans la LXX. Dès lors, chacun de ces récits mériterait d’être étudié pour lui-même, dans un premier temps du moins. Dans cette optique, nous choisissons d’investiguer celui du TM qui est le textus receptus. Marqué par un certain nombre de scènes en propre, comme cela vient d’être souligné, le TM a la particularité de présenter une recension du récit plus longue par rapport à la LXX. En outre la manière dont y sont ordonnancées toutes les scènes relatives à Jonathan, Mikal et Mérav fait produire au récit du TM des effets littéraires et thématiques singuliers. Ainsi, à titre d’exemple, on peut observer avec Ch. Nihan11 que, dans le contexte de 1 S 18 TM, la scène de la naissance de la relation Jonathan David (v. 1–4) établit un parallèle avec la mention de l’amour de Mikal envers David, qui aboutit à leur mariage (v. 20–28). Mais comme la première scène manque dans la version grecque, ce parallèle disparaît. Il en est de même du parallélisme 12 perceptible dans le TM entre le בּ ְִריתde 1 S 18,3 et celui de 1 S 23,18, mais qui n’est pas de mise dans la LXX toujours du fait de l’absence de cette scène. En ressort que dans le TM, un pacte ou une alliance ponctue les première et dernière rencontres de Jonathan et David – avec tout ce que cela comporte d’effet d’accentuation – ce qui n’est pas le cas dans la LXX. Dans le même ordre d’idées, la présence dans la version massorétique d’un épisode concernant Mérav (1 S 18,17–19) donne lieu à des liens thématiques avec la scène qui se termine par le mariage de Mikal et David (18,20–28). De plus cet épisode constitue vraisemblablement au plan de l’histoire racontée une tentative de relayer dans le récit l’information selon laquelle Saül a deux filles (14,49) ; il permet aussi de renforcer de quelque manière le message que le narrateur entend livrer sur ce qui est en jeu à ce stade du récit. Qu’il soit clair cependant qu’à l’exception des observations à peine ébauchées ici, notre choix d’étudier le TM n’implique en rien un avis sur l’antiquité ou non de cette version textuelle par rapport à la LXX ou vice versa, problématique que nous savons d’ailleurs être très complexe et qui a été longuement examinée par des auteurs13 bien plus compétents en la matière. 11 Ch. NIHAN, « David et Jonathan : une amitié héroïque ? Enquête littéraire et historique à travers les récits de 1–2 Samuel (1–2 Règnes) », dans J. M. DURAND/Th. RÖMER/M. LANGLOIS (éd.), Le jeune héros : recherches sur la formation et la diffusion d'un thème littéraire au Proche-Orient ancien : actes du colloque organisé par les chaires d'assyriologie et des milieux bibliques du Collège de France, Paris, les 6 et 7 avril 2009 (OBO 250), Göttingen, 2011, pp. 311–312 12 Ibid. 13 Voir à ce sujet S. PISANO, Additions or Omissions in the Books of Samuel : The Significant Pluses and Minuses in the Massoretic, LXX and Qumran Texts (OBO 57), Fribourg/Göttingen, 1984 ; E. TOV, The Hebrew and Greek Texts of Samuel (IOSCS), Jerusalem, 1980. Cf. aussi Ch. NIHAN/D. NOCQUET, « 1–2 Samuel », pp. 358–383.
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Introduction générale
Cela étant dit, cette recherche s’articulera en sept temps. En un premier moment, à partir d’un échantillon significatif de travaux littéraires et synchroniques réalisés sur le récit du règne de Saül et sur les membres de sa famille, sera dressé l’état des lieux. Il y a tellement de littérature disponible sur Saül et David que le choix des œuvres retenues a été opéré sur le critère de leur approche synchronique et de leur représentativité dans le paysage exégétique. À les parcourir on mesurera mieux l’originalité de l’étude ici présentée. En effet, il n’y a guère de travaux qui aient été exclusivement consacrés aux membres de la famille de Saül, en particulier à ses enfants Jonathan, Mérav et Mikal. Et dans ces études plus ciblées, une bonne part, surtout en ces dernières décennies s’intéressant spécialement à Jonathan, s’emploie à examiner la nature homoérotique, voire homosexuelle ou non de sa relation avec David. Le but de ces travaux est le plus souvent de trouver un exemple biblique de bienveillance vis-à-vis de cette orientation sexuelle, avec sans doute, en toile de fond, le désir de nourrir le débat en cours dans nos sociétés contemporaines autour des droits des personnes homosexuelles. Quant à la figure de Mikal, elle interpelle, entre autres choses, les approches féministes qui trouvent dans son parcours et dans son destin narratifs de quoi illustrer le bien-fondé de leur dénonciation de l’orientation foncièrement patriarcale des et dans les récits bibliques où domine sans cesse le point de vue masculin. À cet égard, même si nous entrerons en dialogue avec ces perspectives qui ne manquent certes pas d’intérêt, il faut reconnaître que notre approche est quelque peu différente et procède d’une autre préoccupation qui est de replacer ces personnages dans le contexte narratif de leurs rapports avec Saül et David et de l’incidence en termes de sens qui peut en être déduit pour l’ensemble de l’intrigue. En un 2e moment, nous aborderons le travail des textes par un survol rapide de la narration du conflit entre Saül et David. Ce survol, une sorte de prise de vue panoramique du récit, permet de procéder à un inventaire rapide des scènes où apparaissent Jonathan, Mérav et Mikal, avec une attention particulière à la manière dont sont distribuées ces scènes pour en évaluer la valeur stratégique ou non dans le déroulement de l’intrigue. Émerge de ce parcours rapide que Jonathan a déjà un rôle important avant que le conflit comme tel n’éclate entre Saül et David. Cela nous fera étudier en 3e lieu 1 S 14, qui est le chapitre qui en rend compte, pour mettre en évidence ce que le fils de Saül y fait et voir comment son intervention à ce point du récit s’articule au rôle suivant qui est le sien dans le conflit. Après cela, deux chapitres seront consacrés à l’examen approfondi et narratif des scènes du conflit où interviennent Jonathan et ses sœurs. Afin de dégager dans un premier temps du moins un portrait unifié de chacun de ces personnages, nous regroupons toutes les scènes les concernant pour les analyser narrativement : Jonathan d’une part, et Mérav et Mikal d’autre part, con-
Introduction
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sidérés chaque fois dans leurs relations avec Saül et David. Certes le fils et les filles de Saül interviennent dans une intrigue dont ils ne constituent pas le centre, ce qui peut poser la question de savoir s’il est légitime d’isoler, comme nous le faisons, leurs scènes pour l’analyse. Mais la nôtre est une démarche dictée par l’objectif visé qui est de permettre de saisir immédiatement la cohérence marquant l’apparition respective de Jonathan, Mérav et Mikal, l’évolution ou non de leur parcours individuel dans le récit et la consistance qu’ils en reçoivent ou non comme personnages. Quoi qu’il en soit, le contexte littéraire de chaque scène est toujours rappelé, ce qui, à notre sens, corrige le côté artificiel que pourrait avoir la démarche en elle-même. Pour l’étude proprement dite de la construction narrative des personnages, on s’appuiera sur les « moyens selon un ordre d’explicitation et de fiabilité » présentés par Alter 14. En ce sens, on sera attentif à voir ce que révèlent de Jonathan, Mérav et Mikal leurs actions, leurs paroles, ce que les autres personnages du récit disent d’eux, ce que la voix narrative elle-même laisse transparaître à leur sujet. Il est clair que c’est le point de vue du narrateur qui est le plus déterminant, lorsqu’il s’agit de décider quel trait retenir finalement de tel ou tel personnage. Pour établir ce point de vue narratorial, nous prêterons attention aux angles spécifiques sous lesquels l’action dramatique est présentée, tout en prenant en compte, entre autres choses, les allusions et les échos du récit à d’autres textes bibliques, avec ce que cela peut comporter de liens en termes d’intertextualité susceptibles de constituer un commentaire implicite sur tel ou tel aspect du personnage. Ces allusions ou ces échos seront déterminés sur la base de critères linguistiques ou sur celle de critères d’analogie entre les motifs et les situations narratives décrites. En vue de prolonger l’étude narrative, Jonathan et Mikal seront ensuite, en un 6e temps, mis en comparaison entre eux, pour spécifier le rôle de chacun par rapport à celui de l’autre. Ils seront aussi comparés avec d’autres personnages secondaires collectifs ou singuliers interférant dans le conflit, dans le but de voir ce qui en ressort toujours en termes de particularité. Au terme de l’analyse narrative et à la lumière de ce qui en résulte, nous tenterons dans un 7e et dernier temps de mettre en lumière quelques implications anthropologiques et quelques enjeux théologiques sous-jacents aux visions de l’homme et de Dieu qui se dégagent du récit. En effet, il apparaît que ce récit dramatise une réflexion critique sur le pouvoir politique, notamment monarchique, avec son cortège de violences, d’abus, d’ambitions virant parfois à l’obsession, tout en déployant en même temps une vision profonde de la complexité des relations humaines. C’est dire qu’il a un système de valeurs qu’il promeut. Par ailleurs, il met en scène le mystère des choix divins qui ne manquent pas d’interpeller en raison justement de leur caractère inexplicable ou injustifiable. À cela s’ajoute le rôle de l’esprit mauvais ou du 14
ALTER, L’art du récit, p. 160.
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Introduction générale
mal envoyé par Dieu à Saül et dont l’action dans la vie du premier roi d’Israël suscite quelque perplexité chez le lecteur moderne de ce récit. En clair, l’intérêt de ce travail est donc prioritairement exégétique. L’ambition n’est pas de proposer une étude exhaustive concernant Jonathan, Mikal et Mérav. Est-ce même possible ? Plutôt que d’ambition, il paraît d’ailleurs plus exact de parler d’espoir, celui de plonger à nouveaux frais, l’espace d’une enquête narrative, dans le récit des expériences relationnelles qui sont celles du fils et des filles de Saül dans le contexte particulier du conflit politique qui oppose celui-ci à David. Si au terme du parcours, il s’avère qu’une dimension, quelle qu’elle soit, de ce récit a pu être davantage mise en lumière dans sa fraîcheur, on pourra dire que l’essentiel est atteint. Après tout, n’est-ce pas le sort des textes et, en l’occurrence, des textes narratifs que d’être lus et relus, entendus et réentendus ?
Chapitre 1
Histoire de la recherche littéraire ou narrative sur le règne de Saül. Regard particulier sur son fils et ses filles Un des acquis remarquables et indéniables de l’exégèse de ces trente dernières années est l’apparition d’études littéraires et plus particulièrement narratives, valides et pertinentes, des textes bibliques à côté des études historico-critiques qui ont longtemps régné sans partage. Les textes sur les relations conflictuelles de Saül avec David ont beaucoup bénéficié aussi de cette approche littéraire. La caractéristique commune des études de ce type est de s’inscrire dans une démarche synchronique, donnant à la forme actuelle du texte toute son importance sans trop se soucier de l’avant-texte ou du horstexte. Ce qui n’empêche pas que chacune d’elles garde une perspective et une approche propres. L’objectif de notre propos, dans cette partie, est de nous arrêter à quelques-unes des études de ce genre menées sur les textes concernant le récit du règne de Saül et de son conflit avec David. Concrètement, nous allons d’abord passer en revue quelques travaux littéraires significatifs consacrés à Saül et David. Ensuite, nous prêterons attention à des travaux beaucoup plus centrés sur Jonathan, Mikal et Mérav. Dans les deux cas, la présentation se fera selon l’ordre chronologique de parution des travaux. Il est clair que pareil examen ne saurait prendre en considération toutes les études existantes sur ce récit. Néanmoins, l’échantillon retenu nous semble assez représentatif pour permettre de faire le point sur les questions qui ont animé la recherche littéraire sur ces textes et de dégager ses perspectives propres à la lumière desquelles il sera possible, en un dernier point, de situer notre étude et de préciser sa particularité.
A. Études littéraires ou narratives sur Saül et David 1. A. Études littéraires ou narratives sur Saül et David
1. David M. Gunn (1978) David M. Gunn est l’un des premiers à avoir proposé une étude fondamentalement littéraire des textes sur le règne de Saül. Ses travaux ont surtout contribué à mettre en relief le caractère tragique du personnage de Saül en partant de l’exemple des tragédies grecques et des personnages de Shakespeare.
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Chapitre 1 : Histoire de la recherche littéraire ou narrative sur Saül
Dans son ouvrage, The Fate of King Saul1, il est convaincu de la proximité frappante et du parallélisme fort entre le sort de celui-ci et les tragédies grecques. Se référant à une distinction subtile, souvent opérée dans ces tragédies, entre « tragedy of fate » et « tragedy of flaw », il pose la question de savoir selon quel type il convient d’appréhender le sort du roi Saül 2. Son souci est de creuser en profondeur la cause déterminante de la chute du premier roi d’Israël pour voir si tout est à mettre à sa seule charge. Qu’a fait ce dernier qui justifie de façon suffisante le sort qui lui échoit ? « Saül échoue-til comme roi en raison de sa propre inaptitude comme être humain, ou parce qu’il est entraîné essentiellement par des forces ou des circonstances externes ? »3, s’interroge-t-il. Sa réponse est que l’échec de Saül est à imputer plus au sort, au destin, autrement dit à Dieu, maître du destin plutôt qu’à Saül lui-même. Pour lui, « le rejet de Saül n’est pas intrinsèquement et inévitablement le résultat de ses actions. Plutôt, Dieu, étant donné l’opportunité (ou peut-être mieux, l’ayant cherchée pour lui-même ?), choisit de trouver Saül coupable. Il est pour ainsi dire, prédisposé à le rejeter comme roi »4. Ainsi il apparaît évident, de son point de vue, que Saül est en fin de compte une victime. Il est victime d’un Dieu qui le persécute, qui s’acharne sans raison suffisante contre lui dans un combat pour le moins inégal. Cela apparaît particulièrement étonnant et surprenant quand on envisage le sort du premier roi d’Israël en comparaison avec celui de son successeur David. Ce dernier semble le favori d’Adonaï quoi qu’il fasse. En définitive, le récit du sort de Saül montrerait que Dieu a un côté obscur, sombre, celui-là même qu’a expérimenté le premier roi d’Israël contrairement à son rival David qui n’en voit que le côté bienveillant. Quelle place ou quel rôle, Gunn voit-il assigné à Jonathan, Mérav et Mikal, fils et filles de Saül au sein de cette intrigue ? À la suite d’un autre exégète, David Jobling, que nous évoquerons plus loin, Gunn voit Jonathan, le fils de Saül, comme jouant essentiellement un rôle de médiation entre son 1
D. M. GUNN, The Fate of King Saul. An Interpretation of a Biblical Story (JSOT.S 14), Sheffield, 1980. Gunn a publié précédemment une étude sur David, l’autre roi au cœur des récits de 1 & 2 Samuel : The Story of King David. Genre and Interpretation (JSOT.S 6), Sheffield, 1978. 2 Ibid., p. 28 : « The tragedy of Oedipus is what we might call a tragedy of Fate rather than a tragedy of Flaw. The question then is, what sort of a tragedy is the tragedy of King Saul ? ». 3 Ibid., p. 115 : « Does Saul fail as king because of his own inner inadequacy as a human being, or because he is brought low essentially by external forces or circumstances ? ». 4 Ibid., p. 124 : « Saul’s rejection is not intrinsically and inevitably the outcome of his actions. Rather, God, given the opportunity (or perhaps better, having provided it for himself ?), chooses to find Saul guilty. He is so to speak, predisposed to reject him as king ».
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père et son ami David. Ce rôle l’amène à s’identifier de moins en moins aux intérêts de son père pour épouser carrément la cause de David. C’est par Jonathan, en effet, que la royauté passe de la maison de Saül à David. « En Jonathan la maison de Saül affirme qu’elle est prête à accepter la légitimité de David »5, affirme Gunn. Quant aux figures de Mikal et Mérav, elles ne sont envisagées qu’incidemment par Gunn. Mikal est seulement évoquée pour le lien qu’elle crée, par son mariage, entre Saül et David et Mérav, pas du tout. Quoi qu’il en soit, l’angle de vue selon lequel David M. Gunn a entrepris de lire l’histoire du premier roi d’Israël comme une tragédie s’avère intéressant. Il ouvrira une porte par où s’engouffreront d’autres études exégétiques ultérieures. 2. Jan P. Fokkelman : The Crossing Fates (I Sam. 13–31 & II Sam. 1)6 (1986) Jan P. Fokkelman aborde pour sa part les textes sur le règne de Saül en portant essentiellement son attention sur l’interaction entre celui-ci et son successeur David. Ainsi dans le remarquable commentaire monumental en plusieurs volumes7, qu’il a publié sur les livres de Samuel, le tome consacré au récit sur les relations entre Saül et David est éloquemment intitulé : The Crossing Fates. Il confie d’ailleurs que ce titre lui a été suggéré par R. Alter (préface). C’est en tout cas un titre qui résume très bien, à lui seul, le parcours narratif croisé des deux protagonistes principaux mis en scène dans ces récits, à savoir Saül et David. Les destinées respectives de ces deux personnages principaux rapportées en contraste suivent pour ainsi dire une trajectoire à double sens. En effet, pendant que l’étoile de David monte celle de Saül descend inexorablement. Avec la chute du premier roi d’Israël, coïncide l’ascension de son successeur. Cette stratégie narrative déployée avec art dans le récit en arrive à créer du relief pour la figure de Saül dépeinte négativement et à donner davantage de lumière au personnage de David positivement décrit. Les raisons du sort de l’un et de la fortune de l’autre restant à situer en dernière analyse dans le rejet ou le choix divin. C’est cette construction narrative croisée, voire entrelacée, que Fokkelman suit en procédant par 5
Ibid., p. 126 : « In Jonathan the house of Saul signifies its readiness to accept the legitimacy of David ». 6 J. P. FOKKELMAN, Narrative Art and Poetry in the Books of Samuel. A Full Interpretation Based on Stylistic and Structural Analyses. vol. II. The Crossing Fates (I Sam. 13– 31 & II Sam. 1) (SSN 23), Assen/Maastricht, 1986. 7 Voir aussi ID., Narrative Art and Poetry in the Books of Samuel. A Full Interpretation Based on Stylistic and Structural Analyses. vol. I. King David (II Sam. 9–20 & I Kings 1– 2) (SSN 20), Assen, 1981 ; vol. III. Throne and City (II Sam. 2–8 & 21–24) (SSN 27), Assen/Maastricht, 1990 ; vol. IV. Vow and Desire ( I Sam. 1–12) (SSN 31), Assen, 1993.
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Chapitre 1 : Histoire de la recherche littéraire ou narrative sur Saül
analyses des structures. Dans le tracé de cette courbe narrative, Jonathan apparaît comme le précurseur de David. Il est un proto-David8. L’approche de Fokkelman est fortement marquée par un intérêt pour les structures formelles. Elle assume par endroits une tonalité psychologisante. En finale, Fokkelman aboutit aussi à la conclusion que le cycle de la chute de Saül présente toutes les conditions pour être caractérisé de « tragique » au sens strict9. Saül tombe de haut et est victime d’un Dieu qui s’acharne contre lui, sans que le narrateur livre ses raisons d’agir ainsi. Saül méritait-il vraiment cela ? La question se pose. Cela rejoint sans nul doute la perspective développée par David Gunn. 3. Robert Polzin (1989) À la différence des deux auteurs précédents, Robert Polzin se penche sur les livres de Samuel en général en partant de la thèse de Martin Noth qui y voit l’œuvre d’un auteur conventionnellement appelé « Deutéronomiste ». Dans ce sens, Polzin signe deux ouvrages majeurs concernant 1 et 2 Samuel, intitulés : Samuel and the Deuteronomist. A Literary Study of the Deuteronomic History et David and the Deuteronomist10. C’est le premier qui porte vraiment sur le récit du règne de Saül. Son titre laisse sous-entendre que le prophète Samuel serait le protagoniste principal du premier des deux livres qui portent son nom. « The Deuteronomist » renvoie, comme nous venons de le souligner, à la thèse de Noth. Cette thèse pose que les livres bibliques allant du Deutéronome à 2 Rois – donc 1 Samuel aussi – constituent une unité littéraire. Ils seraient l’œuvre d’un auteur, un historien ou un historiographe, qui a voulu écrire l’histoire d’Israël, de l’entrée du peuple élu dans la Terre promise jusqu’à la perte de cette terre, avec la déportation en Babylonie. Cet historien serait le Deutéronomiste qui, dans le Deutéronome, pose les termes du contrat à respecter par Israël pour demeurer longtemps sur la terre qu’Adonaï, son Dieu, lui donne. Mais, alors que Noth et ceux qui le suivent louent, du point de vue de la composition littéraire, le grand talent artistique de cet historien deutéronomiste, ils ne donnent pas toute son importance au texte actuel tel qu’il se présente. Ils s’attachent plutôt à considérer ce qui a précédé ce texte actuel, s’intéressant à ce que Polzin désigne du nom de 8
ID., The Crossing Fates, p. 198 : « The character Jonathan has so long been a protoDavid, and that implies more than the title of champion ». 9 Ibid., p. 691. 10 R. POLZIN, Samuel and the Deuteronomist. A Literary Study of the Deuteronomic History. Part Two : 1 Samuel, San Francisco, 1989 ; ID., David and the Deuteronomist. A Literary Study of the Deuteronomic History. Part Three : 2 Samuel (Indiana Studies in Biblical Literature), Bloomington, IN, 1993. Le premier tome de la même œuvre s’intitule, Moses and the Deuteronomist. A Literary Study of the Deuteronomic Story. Part One : Deuteronomy, Joshua, Judges, New York, 1980.
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« pré-texte »11. Concrètement ils négligent de fonder et de démontrer dans leurs études leur appréciation du grand talent littéraire du Deutéronomiste. C’est donc à corriger une telle négligence que Polzin s’emploie dans son étude. Il présume que le texte de 1 Samuel tel qu’il se présente a du sens. Ainsi il affirme que « ce-qui-est est certainement aussi valable que tous les valables aurait-pu-être sur lesquels les chercheurs bibliques continuent de focaliser leur attention »12. Dans cette posture de lecture, Robert Polzin s’emploie à mettre en exergue les techniques de composition et de style dont le Deutéronomiste fait preuve dans la configuration de 1 Samuel. Et en ce qui concerne les textes particuliers sur le règne de Saül, il est attentif surtout à relever l’art que le Deutéronomiste déploie dans sa manière de dépeindre Saül et David. Dans ce sens, il ne manque pas de noter que, si le narrateur caractérise Saül de manière à en faire un personnage transparent, il rend plutôt opaque son rival David, surtout en 1 S 18. De même il mentionne le caractère stylisé des répétitions récurrentes dans l’histoire de Saül et David13. Néanmoins, pour lui, ce qui est déterminant dans ce récit, c’est la relation que chacun des deux premiers rois d’Israël entretient par rapport à la prophétie. Saül « a une relation active, David une relation passive à la prophétie »14. Cette relation active de Saül avec la prophétie se révèle désastreuse pour lui. La conclusion à tirer de ces considérations est qu’« il semblerait, par conséquent, que le narrateur utilise la caractérisation de Saül pour écrire contre tous les usages divinatoires de la prophétie et la caractérisation de David pour exemplifier des attitudes royales correctes envers la prophétie »15. Autrement dit, en matière de rapport royauté-prophétie, le personnage de Saül serait le mauvais exemple à ne pas suivre et celui de David le bon exemple à suivre. De plus, la section de 1 S 20–23 montre comment le savoir et le manque de savoir jouent un rôle déterminant dans la poursuite que Saül engage contre David et dans la capacité qu’a ce dernier de s’en tirer. 1 S 23 illustre comment David pour être informé peut compter sur Dieu et les hommes alors que Saül ne peut compter que sur des informateurs humains. Qu’en est-il précisément de Jonathan, Mérav et Mikal dans tout cela ? Outre le fait que Polzin perçoit dans leur façon de s’adresser à David en 1 S 19 une rhétorique prophétique, Jonathan lui semble dépeint comme un per-
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POLZIN, Samuel and the Deuteronomist, p. 11. Ibid., p. 17 : « That-which-is is certainly as valuable as all the valuable might-havebeens upon which biblical scholars continue to focus their attention ». 13 Ibid., p. 181. 14 Ibid., p. 184 : « Saul has an active, David a passive relationship to prophecy ». 15 Ibid., p. 186 : « It would seem, therefore, that the narrator uses the characterization of Saul to write against all divinatory uses of prophecy and the characterization of David to exemplify correct royal attitudes toward prophecy ». 12
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Chapitre 1 : Histoire de la recherche littéraire ou narrative sur Saül
sonnage direct, simple, sans duplicité à l’opposé de Saül et David 16. Et selon Polzin, « c’est Jonathan qui, en tant qu’instigateur d’un discours à double voix plutôt que marqué par la duplicité, se révèle être la figure la plus appropriée pour réfracter la voix cachée du Deutéronomiste »17. Polzin termine son étude en notant que la manière dont Saül meurt est un commentaire de la fin d’Israël : « D’avoir demandé un roi pour régner sur lui fut un acte de suicide politique et collectif »18. Pour lui l’avènement de Samuel et la chute de Saül forment une inclusion parabolique sur le rôle de la royauté quant à l’exil d’Israël, c’est-à-dire la part de responsabilité de l’institution monarchique dans la déportation en exil. Certes, on ne peut pas nier que les livres de Samuel appartiennent à l’unité littéraire dite de l’Histoire Deutéronomiste, mais cela n’empêche pas de relever que c’est un de ceux qui portent le moins la marque de fabrique du Deutéronomiste19. Car, mis à part quelques passages stratégiques jouant la fonction de résumés théologiques (cf. 1 S 8 ; 12 ; 2 S 7, etc.) les expressions typiques caractérisant le style deutéronomiste et l’idéologie que cette école ou ce courant incarne se rencontrent très peu, voire pas du tout dans les récits des livres de Samuel, contrairement aux autres livres bibliques classés sous ce label. Que peut-on alors en inférer, si ce n’est que, comme l’affirme R. Alter, « les éditeurs deutéronomistes n’ont pas fait plus avec le récit hérité que de fournir quelque cadre et transition éditoriaux minimaux […] et d’interpoler quelques brefs passages »20. En clair, les Deutéronomistes ne sont pas les auteurs de l’histoire racontée. 4. Diana V. Edelman (1991) Dans un sens analogue, Diana V. Edelman a une lecture qui part aussi de l’hypothèse que le récit concernant le premier roi d’Israël fait partie de
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Ibid., p. 189. Ibid., p. 204 : « It is Jonathan who as instigator of double-voiced rather than duplicitous speech turns out to be the more appropriate figure for refracting the hidden voice of the Deuteronomist ». 18 Ibid., p. 223 : « To have demanded a king to rule over it was an act of political and communal suicide ». 19 Pour les relations entre les livres de Samuel et le Deutéronomiste voir par exemple C. EDENBURG/J. PAKKALA, Is Samuel among the Deuteronomists? Current Views on the Place of Samuel in a Deuteronomistic History (Ancient Israel and Its Literature. Society of Biblical Literature 16), Atlanta, GA, 2013. 20 R. ALTER, The David Story. A Translation with Commentary of 1 and 2 Samuel, New-York/London, 1999, p. XII : « The Deuteronomistic editors did no more with the inherited narrative than to provide some minimal editorial framing and transition […] and to interpolate a few brief passages ». 17
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l’Histoire Deutéronomiste21. Mais selon son hypothèse, cette Histoire Deutéronomiste est produite à la cour de Jérusalem et s’adresse à un public judéen. D’où le titre King Saul in the Historiography of Judah22 qu’elle donne à son ouvrage. En vue de bien comprendre la vision du monde et les conventions littéraires qu’ont en partage le narrateur et le public auquel il s’adresse, Edelman estime qu’il faut lire ce récit en se mettant dans la peau d’un Judéen ancien23. Pour ce faire, elle propose une lecture en séquence dans laquelle sont mis en évidence les liens avec les passages déjà lus, mais pas avec ceux encore à lire. Il s’agit d’une sorte de première lecture. Elle développe de ce fait un « close-reading » attentif aux canons littéraires et aux éléments structurants24 du récit. C’est notamment par rapport à ces éléments que le pacte personnel entre Jonathan et David est évoqué comme servant à structurer le récit de Saül et de David son successeur25. On peut être d’accord, me semble-t-il, avec l’idée qu’il faut lire en essayant de se mettre dans la peau du public que le narrateur a en vue. Pareille idée rejoint d’ailleurs, à mon sens, celle du lecteur implicite ou du lecteur modèle sur lequel nous en dirons un peu plus à la fin de ce chapitre. En revanche, la lecture que nous développerons ne sera pas seulement celle du primo-lecteur. Elle reflétera plutôt la perspective de celui qui a lu et relu. Il faut dire que le but ultime déclaré d’Edelman est d’arriver à « déduire quelles parties [de la narration] pourraient avoir été basées sur des sources préexistantes et quelles portions sont susceptibles d’avoir été le produit d’une invention ou de conjectures artistiques créatives »26, ce qui n’est pas notre propos. 5. J. Cheryl Exum (1992) J. Cheryl Exum développe une lecture tragique similaire à celle proposée par Gunn. Elle est aussi convaincue qu’il y a du tragique dans la figure de Saül. Et c’est cette dimension qu’elle se donne pour objectif d’investiguer et de
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Voir en ce sens D. EDELMAN, « The Deuteronomist’s Story of King Saul : Narrative Art or Editorial Product ? », dans C. BREKELMANS & J. LUST (éd.), Pentateuchal and Deuteronomistic Studies. Papers Read at the XIIIth IOSOT Congress, Leuven 1989 (BETL 94), Leuven, 1990, pp. 207–220. 22 D. V. EDELMAN, King Saul in the Historiography of Judah (JSOT.S 121), Sheffield, 1991. 23 Ibid., p. 24 : « My attempt to read the narrative of Saul’s career ‘like an ancient Judahite’ is an attempt to share the world-view and literary conventions of the authorial audience ». 24 Ibid. 25 Ibid., pp. 34–35. 26 Ibid., p. 11 : « With the ultimate goal of deducing what parts might have been based on pre-existing sources and what portions are likely to have been the product of creative artistic invention or guesswork ».
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Chapitre 1 : Histoire de la recherche littéraire ou narrative sur Saül
cerner dans Tragedy and Biblical Narrative. Arrows of the Almighty27, ouvrage principal qu’elle signe sur la thématique. Dans ce livre, Exum ne se limite pas au seul personnage de Saül ou aux seuls récits le concernant. Elle explore également d’autres figures bibliques et d’autres récits pour voir en quoi ils renfermeraient quelque tragédie. De prime abord, Exum expose sa compréhension de la tragédie. Selon elle, « la tragédie […] nous confronte avec ce que Richard Sewall a appelé “la terreur de l’irrationnel” »28. « Le protagoniste tragique est pris dans une situation qui n’est pas entièrement de son fait. Dans le même temps, elle ou il est aussi responsable, une victime coupable »29. Lu dans cette optique, il ne fait pas de doute, selon elle, que le récit du règne de Saül se présente comme le parfait exemple de tragédie biblique, même si elle qualifie cette tragédie de « tempérée », « tempered tragedy »30. Pour Exum, un trait central du tragique est à saisir dans la lutte héroïque contre le sort. Saül se savait en effet rejeté par Dieu au profit d’un autre roi. Mais ce savoir ne l’a pas empêché de lutter de toutes ses forces pour garder sa royauté. En agissant ainsi, il a défié le sort. On ne peut pas affirmer la même chose, par exemple, de son fils Jonathan qui renonce facilement au trône en faveur de l’ami David. Au regard donc de ce trait de lutte héroïque contre le sort, seul Saül apparaît comme un héros tragique. Les autres membres de sa famille ne peuvent vraiment être définis ainsi. Néanmoins du fait qu’ils appartiennent à la maison de Saül rejetée par Adonaï, ils sont atteints sans le vouloir par l’hostilité de la transcendance et connaissent tous une fin de tragique. Jonathan meurt au combat aux côtés de son père et Mikal doit achever sa vie sans enfants. Quoi de plus tragique pour une femme ? À l’instar d’autres auteurs, Exum reconnaît à Jonathan un rôle de médiation. C’est par lui, et non par Mikal, que la royauté sur Israël passe à David, donc « à travers l’amitié avec le fils du roi, et pas à travers le moyen le plus commun, le mariage à la fille du roi »31. Mikal, pour sa part, crée simplement une relation entre Saül et David. L’originalité d’Exum réside dans sa démarche même. Pour faire émerger ce qu’il y a de tragique dans la figure de Saül, elle tente de lire cette dernière 27 J. C. EXUM, Tragedy and Biblical Narrative. Arrows of the Almighty, New York, 1992, pp. 1–2 : « This book investigates that “something” – what I call their tragic dimension – in an effort to render it more accessible and to explore its resistance to resolution as a source of its particular narrative power ». 28 Ibid., p. 5 : « Tragedy […] confronts us with what Richard Sewall has called “the terror of the irrational” ». 29 Ibid., p. 10 : « The tragic protagonist is caught up in a situation not entirely of her of his own making. At the same time she or he is also responsible, a guilty victim ». 30 Ibid., p. 16. 31 Ibid., p. 72 : « Through friendship with the king’s son, and not the more common means, marriage to the king’s daughter ».
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en contraste et en comparaison avec celle de Samson, un autre héros biblique qui, par certains traits, ressemble à Saül. Mais alors que le premier roi d’Israël est un héros tragique, le juge libérateur d’Israël est un héros comique. « La comparaison des deux récits, avec leur traitement différent d’éléments similaires, révèle deux visions contrastées de la réalité, la tragique et la comique »32. On peut dire que le mérite d’Exum est d’avoir démontré que la tragédie peut être un outil de lecture pertinente de certains textes 33. 6. Robert Couffignal (1999) À en juger par le titre que R. Couffignal donne à son ouvrage, Saül, héros tragique de la Bible. Étude littéraire du récit34, on a l’impression qu’il va développer une lecture de Saül dans une orientation tragique. Mais en réalité, c’est sous le prisme du folklore universel qu’il aborde le récit qui dramatise le conflit entre Saül et David. Empruntant avant tout ses outils méthodologiques à l’analyse structurale théorisée par Vladimir Propp et Algirdas J. Greimas, Couffignal voit dans le récit du règne de Saül un conte populaire et merveilleux35 en raison notamment de la présence en 1 S 9–31 et 2 S 1, de la thématique du drame de la succession royale, de l’initiation juvénile et des pérégrinations de l’âme dans l’au-delà qui forment, aux dires de Propp sur lequel il s’appuie, la matrice des contes populaires. Mais ce récit du règne de Saül serait construit comme une pyramide à l’envers. Car, d’après lui, tout, dans ce récit, se serait développé à partir du récit de la fin de Saül, point ferme de toute l’histoire36. Son approche se veut absolument littéraire, chose peu courante en langue française, s’exclame-t-il lui-même dans le livre consacré au personnage de Saül37. Il se positionne comme exégète en « Sorbonne » se distinguant ainsi des biblistes « en Église ». Ces derniers, selon son point de vue, ne peuvent
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Ibid., p. 18 : « Comparison of the two accounts, with their different handling of similar elements, reveals two contrasting visions of reality, the tragic and the comic ». 33 On notera que, à côté des personnages tragiques, Exum parle aussi d’événements tragiques. 34 R. COUFFIGNAL, Saül, héros tragique de la Bible. Étude littéraire du récit d’après les livres de Samuel (1 S 9–31 et 2 S 1) (Thèmes et mythes 19), Paris/Caen, 1999. Il propose aussi une lecture particulière sur le règne de David : ID., “Le saint roi David”. La figure mythique et sa fortune (Thèmes et mythes 21), Paris/Caen, 2003. 35 Ibid., p. 19. 36 Ibid., p. 13. 37 Ibid., p. 6. Il faut relever que, dans l’aire francophone, il y a d’autres études littéraires antérieures même à celle de Couffignal sur 1 Samuel. Mais celles-ci portent sur d’autres thématiques. Voir par ex. A. WÉNIN, Samuel et l’instauration de la monarchie (1 S 1–12) : Une recherche littéraire sur le personnage (Publications universitaires européennes. Série 23, Théologie 342), Frankfurt-am-Main, 1988.
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Chapitre 1 : Histoire de la recherche littéraire ou narrative sur Saül
conserver la neutralité habituelle de l’universitaire 38. Mais c’est surtout par rapport à la démarche historico-critique que Couffignal affiche ses distances et sa singularité, non pas tant parce que celle-ci serait disqualifiée que parce que l’approche littéraire dont il se réclame se soucie bien peu du recours à l’histoire. Car à l’appréciation du critique littéraire, des personnages comme Saül, David, Samuel, Jonathan et autres sont « comme des héros d’Homère », c’est-à-dire « des héros de papier dont les caractères et les aventures sont complètement inventés »39. Dans ce récit, d’abord héros, Saül serait dégradé ensuite en faux héros ou en antihéros avec l’arrivée sur scène de David, personnage avec lequel son destin va se croiser. Jonathan, fils de Saül, va jouer entre son père et David un rôle de médiation. Il remplira dans un premier temps la fonction d’adjuvant par rapport à son père, puis parfois celle d’opposant. Sa sœur Mikal assumera aussi le même rôle de médiation entre leur père et David, et, à un certain moment, passera également de la fonction d’adjuvant qui était attendue d’elle à celle d’opposant à son père. Enfin, selon R. Couffignal, les relations entre Saül et David reposeraient sur des ressorts œdipiens déployant parfois des fantasmes tels que le meurtre du père ou la crainte de la castration. D’autre part, en s’appuyant sur Northrop Frye qu’il cite, il évoque le caractère tragique de l’histoire de Saül, caractère qui trouve son principal fondement dans « l’idée d’une méchanceté à l’intérieur de la nature divine »40.
B. Études consacrées plus spécifiquement à Jonathan et Mikal 1. B. Études consacrées à Jonathan et Mikal
À coté de ces travaux assez larges examinant comme il se doit les relations de Saül et David, il en existe d’autres axés directement sur Jonathan et Mikal qu’il est opportun de considérer ici. 1. David Jobling (1976 ; 1978) Dans un article déjà ancien (1976), David Jobling montre comment Jonathan est exalté aux dépens de son père, peu après le rejet de ce dernier comme roi d’Israël41. Cette caractérisation en contraste de Saül et de son fils a pour résultat, du moins à ce stade de la narration, de positionner le prince comme successeur idéal de son père42. Mais ce positionnement de Jonathan est en 38
COUFFIGNAL, Saül, héros tragique, p. 7. COUFFIGNAL, Saül, héros tragique, p. 9. 40 Ibid., p. 74. 41 D. JOBLING, « Saul’s Fall and Jonathan’s Rise : Tradition and Redaction in 1 Sam 14:1–46 », JBL 95 (1976), pp. 367–376. 42 Ibid., p. 369 et suiv. 39
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tension avec la sentence de rejet communiquée au roi en 1 S 13,13–14, laquelle laisse entendre que Saül est condamné à n’avoir pas d’avenir dynastique. D’où la nécessité de réévaluer l’exaltation du prince en 1 S 14 pour en saisir sa portée dans la trame. C’est ce que Jobling fait dans une étude postérieure43 qui prend en considération toutes les scènes où intervient Jonathan. La thèse qu’il défend est que 1 S 13–31 est la solution théologique qu’avance Israël pour expliquer pourquoi la ligne dynastique de ses rois est passée de Saül à David 44. Dans cette optique, c’est le personnage de Jonathan qui sert de moyen pour rendre « théologiquement plausible » le transfert de la royauté de Saül à David45. À la lumière de cette thèse, il estime qu’on gagne à aborder Jonathan comme personnage littéraire davantage que comme personnage historique 46. Aussi met-il en évidence comment « les sections décrivant la relation de David à Saül et d’où Jonathan est absent, alternent avec les sections où Jonathan apparaît »47. Les sections Saül-David font ressortir les effets consécutifs au rejet du premier de la royauté et à l’élection du second. Celles de Jonathan dessinent un mouvement dans lequel, d’une part il s’identifie à son père et le remplace, et d’autre part, il s’identifie à David et s’efface devant lui48. En développant ces considérations, Jobling déclare qu’il emprunte ses outils heuristiques au structuralisme de Greimas – notamment à son modèle actantiel49 – et à celui de Lévi-Strauss via Leach50 qui a appliqué les travaux de ce dernier à l’Ancien Testament. On peut dire que la lecture de Jobling reste jusqu’à ce jour une des plus éclairantes et stimulantes qui aient été proposées sur le rôle du fils de Saül du point de vue théologique. Mais comme elle reste concentrée sur Jonathan, 43 D. JOBLING, « Jonathan : A Structural Study in 1 Samuel », dans ID., The Sense of Biblical Narrative : Three Structural Analyses in the Old Testament (JSOT.S 7), Sheffield, 1978, 21986, pp. 20–22. 44 Ibid., pp. 5–6. 45 Ibid., p. 6 : « Theologically plausible ». 46 Ibid. : « And we suggest that the testing of this thesis should assume precedence over attempts to assess the historicity of the Jonathan traditions, in other words that he is better approached as a literary character than as a historical figure ». 47 Ibid., pp. 6–7 : « Sections describing the relation of David to Saul, and lacking Jonathan, alternate with sections where Jonathan appears ». 48 Ibid., p. 11 : « In relation to Saul, he [Jonathan] moves between close identification and an independence which frequently suggests his replacing Saul. In relation to David, he moves between close identification and a self-emptying into David, a readiness to be replaced by him. » 49 Ibid., p. 15, « Greimas […] has suggested an “actantial schema” by means of which narrative can be analyzed according to its participants, or “actants” […] who need not be people […]. It is the categories “helper” and “opponent” which claim special attention. » 50 Ibid., p. 16, « We here consider the work of Lévi-Strauss on myth, especially as it has been applied to the Old Testament by Leach ».
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Chapitre 1 : Histoire de la recherche littéraire ou narrative sur Saül
elle laisse dans l’ombre les autres enfants de Saül, notamment ses filles Mérav et Mikal. 2. Débats sur la nature homosexuelle de la relation Jonathan-David Le personnage du prince suscite de l’intérêt chez d’autres auteurs aussi dont les travaux ont pour principale caractéristique de déplacer la problématique du rôle de Jonathan à la nature de sa relation avec David. Ainsi, en 1978, la même année où Jobling publie son étude structurale sur Jonathan paraît aux États-Unis un ouvrage de Tom Horner au titre évocateur suivant : Jonathan Loved David. Homosexuality in Biblical Times 51. De la sorte, Horner est le premier à poser du point de vue exégétique la question de la nature homosexuelle de la relation. Il voit dans la manière dont cette relation est mise en récit dans la Bible des éléments portant à penser qu’elle est homosexuelle. Il est suivi plus tard en cela par un nombre assez impressionnant de chercheurs dont D. Jobling qui, en 1998, dans un commentaire sur 1 Samuel52 publié dans la collection Berit Olam, estime qu’un attachement de type homosexuel de Jonathan à David peut constituer une motivation suffisante justifiant l’abdication du premier en faveur du second 53. Ce questionnement sur la dimension homosexuelle des relations entre le fils de Saül et le deuxième roi d’Israël atteint aussi l’Europe. C’est Sylvia Schroer et Thomas Staubli qui ouvrent le débat avec leur article sous forme de question sur la possibilité d’une histoire triangulaire entre Saül, Jonathan et David54, ce qui provoque des réactions chez d’autres exégètes tels que Markus Zehnder55 et Martti Nissinen56, pour ne citer qu’eux. Nous reviendrons au cours de notre travail sur ce dossier. Mais pour l’instant il suffit de relever qu’il a eu pour conséquence de focaliser pratiquement toute la re-
51
T. M. HORNER, Jonathan Loved David. Homosexuality in Biblical Times, Philadelphia, PA, 1978. 52 D. JOBLING, 1 Samuel (Berit Olam. Studies in Hebrew Narrative & Poetry), Collegeville, MN, 1998. 53 Ibid., p. 164. 54 S. SCHROER/Th. STAUBLI, « Saul, David und Jonatan – eine Dreiecksgeschichte? Ein Beitrag zum Thema „Homosexualität im Ersten Testament“ », Bibel und Kirche 51 (1996), pp. 15–22. Cet article est plus tard repris en anglais : ID., « Saul, David and Jonathan – The Story of a Triangle ? A Contribution to the Issue of Homosexuality in the First Testament », dans A. BRENNER (éd.), Samuel and Kings. A Feminist Companion to the Bible (Second Series), Sheffield, 2000, pp. 22–36. 55 M. ZEHNDER, « Exegetische Beobachtungen zu den David-Jonathan Geschichten », Bib 79 (1998), pp. 153–179. 56 M. NISSINEN, « Die Liebe von David als Frage der modernen Exegese », Bib 80 (1999), pp. 250–263.
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cherche de ces dernières décennies concernant Jonathan 57 sur cet élément au point de faire du fils de Saül et de David des « icônes gay »58, pour reprendre l’expression de Régis Courtray dans l’ouvrage collectif récent qu’il a dirigé sur cette problématique. Cela étant, qu’en est-il de Mikal ? 3. Robert Alter (1981) Lorsqu’il est question des auteurs ayant prêté attention au personnage de Mikal dans leurs travaux, le nom de Robert Alter vient spontanément à l’esprit. Car, dans son ouvrage devenu classique sur l’art du récit biblique59, c’est la narration de la relation de David avec Mikal qui sert de référence pour illustrer la manière dont la Bible procède à la caractérisation des personnages qu’elle met en scène. Pour Alter, de la foi monothéiste de la Bible découle une vision conséquente et particulière de l’être humain perçu comme personnage doué de liberté mais évoluant dans le même temps sous le regard de Dieu qui conduit l’histoire60. En raison de cette vision de l’homme, le récit biblique met en œuvre des moyens de caractérisation apparemment rudimentaires, si on les compare à ceux de la littérature moderne et même de « la littérature romancée de la Grèce antique ». Pourtant force est de constater la profondeur et la complexité des personnages qu’elle met en scène. Ce sont les techniques narratives employées à cet effet qu’Alter se charge de mettre en évidence et qu’il définit comme relevant de « l’art de la réserve » du fait qu’elles utilisent des moyens impliquant plusieurs niveaux d’explicitation et de fiabilité61. En ce sens, le narrateur se contente assez souvent de donner le minimum d’informations, ce qui laisse le lecteur face à plusieurs hypothèses possibles sans la capacité de trancher de façon définitive. Cette manière narratoriale de sélectionner drastiquement les informations à communiquer ou non au lecteur est perceptible dans le récit de la relation de Mikal à David. Aussi Alter montre-t-il comment la fille de Saül est transparente en une fa57
En témoigne la masse bibliographique disponible à ce propos, même en cherchant d’un simple clic sur internet. 58 R. COURTRAY, David et Jonathan : histoire d’un mythe (Le point théologique 64), Paris, 2010, p. 7. 59 Cela est une traduction française de l’original américain The Art of Biblical Narrative, New York, 1981. ALTER a publié aussi une traduction accompagnée de commentaires des livres de Samuel : The David Story. A Translation with Commentary of 1 and 2 Samuel, New-York/London, 1999. Le titre The David Story indique qu’il comprend ces deux livres bibliques comme étant consacrés à raconter essentiellement l’histoire du deuxième roi d’Israël. Cela ne signifie évidemment pas que les autres personnages majeurs des livres de Samuel, comme Saül, auraient un rôle en fin de compte mineur. En effet, luimême reconnaît, dans son introduction, l’intrication fondamentale de l’histoire de Saül et de celle de David. 60 ALTER, L’art du récit biblique, p. 158. 61 Ibid., p. 160.
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Chapitre 1 : Histoire de la recherche littéraire ou narrative sur Saül
cette de sa personne, mais « reste par ailleurs entourée d’obscurité »62. À cet égard le narrateur informe par exemple le lecteur que Mikal aime David, mais il se garde bien de dire pourquoi elle l’aime. Il faut dire que les observations formulées par Alter nous inspireront dans notre étude de la construction narrative non seulement de Mikal, mais aussi des autres personnages que nous prenons en considération. Ensuite, outre à être attentif aux techniques narratives mises en œuvre, nous tenterons de voir comment la caractérisation de ces personnages-là s’articule aux enjeux de l’action dramatique globale où ils sont impliqués. 4. Adele Berlin (1982) Dans une démarche littéraire analogue à celle d’Alter, Adele Berlin propose une caractérisation de Mikal dans le contexte d’une étude sur la construction narrative des épouses de David 63. Pour cela, elle entreprend de faire une comparaison entre Mikal et Jonathan. Elle aboutit à la conclusion que les caractéristiques d’ordinaire attribuées aux hommes se retrouvent chez Mikal alors que celles qu’on reconnaît aux femmes se perçoivent chez Jonathan. À ce sujet, elle trouve par exemple que Mikal agit de façon agressive et physique, lorsqu’elle descend David par une fenêtre, manière d’agir qui devrait normalement être le fait d’homme64. En outre, les sentiments d’amour et de tendresse qu’on aurait attendus dans la relation de David à Mikal sont plutôt présents dans le lien entre David et Jonathan. À cela s’ajoute la notice finale sur la stérilité de la fille de Saül, ce qui, aux dires de Berlin, suggère que Mikal n’a jamais rempli le premier rôle que la Bible reconnaît aux femmes65. En conséquence, elle n’est pas une femme typique et joue un rôle qui n’est pas féminin66. Mais elle est un personnage à part entière, car elle est « une figure importante dans les épisodes où elle est impliquée »67.
62
Ibid., p. 161. Voir A. BERLIN, « Characterization in Biblical Narrative : David’s Wives », JSOT 23 (1982), pp. 69–85. 64 Cette observation est discutable, étant donné que le récit biblique fournit l’exemple d’une autre femme se comportant de la même manière que Mikal : Rahab, en Jos 2,15, fait descendre aussi des hommes par la fenêtre. 65 BERLIN, « David’s Wives », pp. 71–72 : « The last bit of information we have about Michal is that she never bore a child (2 Sam.6.23). […], It suggests that Michal never filled a female role, or at least the role that the Bible views as the primary female role ». 66 Ibid., p. 72 : « Far from being a typical woman, Michal has been cast in a most unfeminine role ». 67 Ibid. : « An important figure in the episodes in which she is involved ». 63
1. B. Études consacrées à Jonathan et Mikal
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5. J. Cheryl Exum (1990) J. Cheryl Exum réagit quelque peu par rapport aux observations d’Adele Berlin pour dire que la manière dont cette dernière présente les dynamiques de genre présentes dans le récit ne va pas dans la bonne direction. Son propos n’est pas de mettre en doute le fait que Jonathan et Mikal sont dépeints de façon assez différente, mais pour elle, il faut rattacher cette différence de présentation à une manipulation par le narrateur – qui est un homme – de la présence féminine. Issu d’une société patriarcale, le récit biblique déploie, à ses yeux, une vision de la femme qui n’est que le reflet de la manière dont les hommes perçoivent la femme, laquelle ne vaut pour ceux-ci que quand elle sert les intérêts masculins. D’où le projet féministe 68 de déconstruire cette vision masculine qui subordonne la femme à l’homme et de mettre en lumière les dynamiques sur lesquelles elle repose. Pour ce faire, Exum examine en tandem les parcours narratifs de Mikal et de la fille Jephté, personnages féminins qu’elle considère comme étant victimes de meurtre littéraire. D’où le titre éloquent qu’elle donne à son article : « Murder They Wrote »69. À cet égard, elle estime que c’est parce que Mikal menace l’autorité masculine représentée par David, qu’elle est privée de réponse en 2 S 6,22–2370, élément qui, dans l’histoire racontée, n’est pas sans comporter quelque humiliation71. Pourtant le texte ne parvient pas à faire taire complètement la voix de la fille de Jephté et de Mikal, puisque c’est cette voix qu’Exum se donne pour tâche de rendre audible. Comme il est loisible de le constater, la perspective d’Exum ne manque pas d’intérêt et bon nombre d’observations qu’elle avance sont stimulantes. Sa particularité cependant est d’afficher un parti pris féministe qu’elle assume, position idéologique sur laquelle ne repose pas notre approche de ce récit, ce qui constitue en soi une différence non négligeable.
68 Ce projet est aussi celui d’E. FUCHS, Sexual Politics in the Biblical Narrative : Reading the Hebrew Bible as a Woman (JSOT.S 310), Sheffield, 2000. Voir aussi ID., « Feminist Approaches to the Hebrew Bible », dans F. E. GREENSPAHN (éd.), The Hebrew Bible. New Insights and Scholarship (JewS21C), New York/London, 2008, pp. 76–95. D. N. FEWELL/D. M. GUNN, Gender, Power, and Promise : The Subject of the Bible’s First Story, Nashville, TN, 1993, etc. 69 J. C. EXUM, « Murder They Wrote : Ideology and the Manipulation of Female Presence in Biblical Narrative », dans A. BACH (éd.), The Pleasure of her Text. Feminist Readings of Biblical and Historical Texts, Philadelphia, 1990, pp. 45–68. Cet écrit est repris aussi dans D. J. A. CLINES/T. C. ESKENAZI (éd.), Telling Queen Michal Story. An Experiment in Comparative Interpretation (JSOT.S 119), Sheffield, 1991, pp. 176–198. 70 Ibid., p. 193. 71 Ibid.
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Chapitre 1 : Histoire de la recherche littéraire ou narrative sur Saül
6. David. J. A. Clines (1991) On ne saurait terminer ce parcours sans évoquer la contribution de David. J. A. Clines72 qui, en introduction à un ouvrage coédité avec Tamara C. Eskenazi et rassemblant un grand nombre de publications, exégétiques ou non, concernant la figure de Mikal, propose une lecture qui, à certains égards, constitue une illustration concrète de la manière dont le lecteur effectue une coopération interprétative du récit. Comme cela a été évoqué plus haut, Alter observe que le narrateur invite le lecteur à des inférences, lorsque par exemple il ne lui livre pas délibérément certaines informations relatives aux personnages. Dans son introduction, Clines se donne pour tâche d’examiner comment un certain nombre d’auteurs ont rempli par rapport à Mikal cette fonction assignée par le narrateur. Ensuite il se pose la question de la pertinence des hypothèses proposées dans ce cadre en les mettant en confrontation avec les données présentes dans le récit, le but recherché étant de définir quelques principes objectifs d’interprétation 73. En ce sens, Clines déclare qu’on ne peut parler d’interprétation que quand la lecture proposée a quelque ancrage dans le texte. Si cet ancrage textuel fait défaut, il s’agit alors seulement de spéculation74. Il reconnaît aussi que l’étude des scènes de Mikal appelle un travail d’inférences de la part du lecteur. C’est à ce travail que nous allons nous aussi nous atteler en tant que lecteur empirique culturellement et historiquement situé, mais soucieux de nous couler, autant que faire se peut, dans la peau du lecteur implicite ou modèle75, celui dont le récit construit et renvoie le reflet76. En d’autres termes nous allons lire le récit du conflit entre Saül et David en acceptant le contrat que nous propose son narrateur entendu au sens de la voix77 qui raconte l’histoire. Dans cette perspective, notre compréhension de la lecture est celle d’un acte dynamique de coopération textuelle au sens qu’en donne U. Eco, lorsqu’il affirme que « par “coopération textuelle”, on ne doit pas entendre l’actualisation des intentions du sujet empirique de l’énonciation mais les intentions virtuellement contenues par l’énoncé »78. Il 72
D. J. A. CLINES, « Mikal Observed : An Introduction to Reading her Story », dans ID. – ESKENAZI (éd.), Telling Queen Michal’s Story, pp. 24–63. 73 Ibid., pp. 25–26. 74 Ibid., pp. 61–62. 75 Le Lecteur Modèle auquel nous nous référons est celui dont parle ECO, Lector in Fabula, p. 77, « Le Lecteur Modèle est un ensemble de conditions de succès ou de bonheur (felicity conditions), établies textuellement, qui doivent être satisfaites pour qu’un texte soit pleinement actualisé dans son contenu potentiel ». 76 Pour une définition du « lecteur implicite », voir par exemple SKA, « Nos pères nous ont raconté », pp. 40–43 ou encore J.-N. ALETTI e.a., Vocabulaire raisonné de l’exégèse biblique. Les mots, les approches, les auteurs, Paris, 2005, p. 75. 77 Du narrateur comme voix narrative, voir SKA, « Nos pères nous ont raconté », pp. 44–46 ; ALETTI, Vocabulaire raisonné, pp. 76–77. 78 ECO, Lector in Fabula, p. 78.
1. C. La place de notre étude
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s’agira donc de nous mettre concrètement à l’écoute du récit que nous examinerons en faisant recours aux compétences linguistiques, intertextuelles79, narratologiques, etc. et aux connaissances sociales, culturelles, historiques et religieuses que nous avons acquises du monde configuré par le texte. Cela nous permettra d’interagir du mieux que nous pouvons – nous l’espérons du moins – avec le narrateur en tentant de saisir ce qu’il dit, la manière dont il le dit, tout en étant attentif aux non-dits qui enrichissent son récit. Ainsi le lecteur modèle tel que nous le comprenons est celui que le récit lui-même crée ou postule. Cela ne signifie pas que le sens du texte est un paquet préconfectionné qu’il s’agit de recevoir ou d’extraire, c’est plutôt un sens à faire. Dans cette perspective, un dialogue fécond s’instaurera certainement entre notre expérience personnelle de lecteur empirique et l’effort que nous ferons de nous mettre dans la peau du lecteur modèle en réponse adéquate à la stratégie textuelle d’interaction suggérée par le récit.
C. La place de notre étude par rapport à ces travaux 1. C. La place de notre étude
Au terme de ce parcours qui ne prétend nullement être exhaustif 80 mais bien représentatif, deux éléments principaux semblent s’imposer comme relevant de l’acquis et du consensus : la dimension tragique de l’histoire de Saül et le rôle de médiation de Jonathan et de Mikal dans le transfert du pouvoir de Saül à David. Quelle place pour notre recherche par rapport à tous ces travaux ? D’une part, notre démarche se veut synchronique comme celle des travaux examinés plus haut. C’est au texte massorétique dans sa forme actuelle que nous nous intéresserons et c’est lui qui nous interrogera. D’autre part, notre travail n’entend pas remettre en cause les acquis de ces œuvres majeures, même s’il ne peut pas partager, dans le détail et parfois dans l’orientation 81 , un certain nombre d’analyses proposées. Il voudrait prendre place à côté d’elles, dans la grande mosaïque des lectures littéraires déployées jusqu’ici, en apportant une touche propre venant enrichir la com79
Nous parlons d’intertextualité à l’intérieur même de la Bible hébraïque. À cet égard, nous n’avons pas par exemple évoqué un article d’I. WILLI-PLEIN, « ISam 18–19 und die Davidshausgeschichte », dans W. DIETRICH (éd.), David und Saul im Widerstreit – Diachronie und Synchronie im Wettstreit. Beiträge zur Auslegung des ersten Samuelbuches (OBO 206), Fribourg/Göttingen, 2004, pp. 138–171, qui de prime abord est une étude des textes que nous analyserons. Mais en fait sa perspective est plutôt historico-critique, car elle vise à déterminer du point de vue historique l’évolution littéraire des textes sur la maison de David. En ce sens, 1 S 18–19 est présenté comme contenant les chapitres initiaux d’un récit cohérent qui s’ouvre en 14,47a.49–52. Il y aurait là un maillon original auquel seraient venus se superposer les passages relatifs à Jonathan. 81 Nous ne menons pas par exemple de lecture féministe. 80
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Chapitre 1 : Histoire de la recherche littéraire ou narrative sur Saül
préhension des récits concernant le règne de Saül, et cela, en mettant en œuvre des outils méthodologiques sans cesse affinés de l’analyse narrative, tels que la détermination de l’intrigue et de ses différentes phases, la gestion et la construction des personnages, la temporalité propre au récit, le cadre et le point de vue du narrateur, pour ne citer que ces quelques outils. À ce propos, il y a lieu de noter que, bien que pouvant être étiquetées sous le label large d’approches littéraires, les œuvres évoquées plus haut ne font pas toutes appel à ces outils méthodologiques. Ainsi par exemple R. Couffignal. Même si sa lecture est intéressante, elle fait plutôt appel à des outils proprement formalistes. De plus elle s’intéresse davantage à la réception du texte qu’à sa texture narrative. Gunn et Exum, pour leur part, lisent les textes du règne de Saül à l’aune du genre littéraire particulier de la tragédie. Et pour ce faire ils prennent comme point de comparaison les tragédies de la littérature de la Grèce antique et du théâtre de Shakespeare. Ils s’interrogent principalement sur le poids objectif de la faute du premier roi d’Israël. Si Exum a une position qui se veut plus nuancée sur le sujet que Gunn, leur conclusion à tous deux est que le sort de Saül est disproportionné par rapport à l’erreur qu’il a commise. Il nous semble que pareille lecture ne tient pas vraiment compte du point de vue du narrateur biblique. Il n’apparaît pas du tout évident que la visée principale de ce dernier soit de montrer l’arbitraire de Dieu, ou du moins son côté « méchant » dans ses relations avec les hommes. Car selon le récit, le rejet de Saül est la conséquence de son refus d’obéir. Autrement dit, son rejet n’est pas arbitraire, il est mérité. C’est en tout cas le message que le texte envoie, lorsqu’il montre Saül contrevenir par deux fois (1 S 13 et 15) aux ordres de mission reçus de Samuel. Le fait que cette désobéissance soit racontée en deux épisodes a pour effet narratif de mettre bien en évidence l’incapacité du premier roi d’Israël à respecter la structure théocratique du peuple d’Adonaï sur lequel il a été fait roi82. Et si dans la scène du premier rejet l’implication divine n’est pas apparente, dans celle du deuxième, elle est bien mise en lumière. Le suivi de la trajectoire narrative qui est au cœur de l’œuvre de Fokkelman serait, à certains égards, proche de ce que nous envisageons de faire. Comme lui, en effet, nous nous intéressons au comment du récit en vue d’en saisir au mieux le quoi. Mais contrairement à lui nous ne procéderons pas par
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En ce sens, voir Ph. V. LONG, The Reign and Rejection of King Saul. A Case for Literary and Theological Coherence (SBLDS 118), Atlanta, GA, 1989, p. 167 : « By proceeding without Samuel, Saul either intentionally or unintentionally issues a challenge to the authority structure that Samuel has established in order that human kingship and theocracy might co-exist. In this light it is apparent that Saul’s basic offence is the same in both chs. 13 and 15. »
1. C. La place de notre étude
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analyse de structures et nous essaierons d’éviter de recourir assez souvent aux aspects psychologisants 83 de son approche. Quant à Polzin, bien que nous voulons, comme lui, être attentif aux techniques de composition mises en œuvre par le narrateur, nos objectifs divergent. Ce n’est pas tant en effet le style du Deutéronomiste que nous nous proposons de mettre en évidence. Notre projet est plutôt de montrer l’effet de sens supplémentaire qui se dégage de la manière dont le narrateur gère et construit les personnages de la famille de Saül dans le conflit politique entre ce dernier et David. D’ailleurs, comme le souligne Alter, il est loin d’être évident que l’essentiel des récits en Samuel soit de la main du Deutéronomiste. Jobling, lui, fait recours, notamment dans son commentaire de 1 Samuel, à une série de méthodologies qui dépassent le cadre strict de ce qu’on entend ordinairement par analyse narrative. Toutefois, il faut reconnaître que de tous les auteurs cités, il est le seul qui ait traité de façon relativement plus approfondie le personnage de Jonathan. Dans le fond, tous les autres se contentent de répéter ce qu’il a dit sur le sujet. Aussi allons-nous prendre appui sur ses analyses pour un approfondissement ultérieur. À dire vrai, il n’est pas difficile de constater dans la littérature abondante sur les livres de Samuel que beaucoup a été écrit sur Saül et David, et comparativement assez peu, et souvent de manière rapide, sur sa famille, en particulier sur Jonathan, Mérav et Mikal. Même des travaux relativement récents dont nous n’avons pas fait état plus haut pour des raisons essentiellement pratiques, comme l’ouvrage de Jacques Cazeaux, Saül, David, Salomon. La royauté et le destin d’Israël84 et celui de Paul Borgman paru en 2008 : David, Saul, and God : Rediscovering an Ancient Story85 n’échappent pas à ce constat. Ils survolent pour ainsi dire les personnages de la famille de Saül pour porter tous prioritairement leur intérêt sur Saül et David, ce qui est d’ailleurs justifié du fait que ceux-ci sont les protagonistes de ce récit. Reste que, comme le fait remarquer Jobling, Jonathan est mis en scène de manière à rendre théologiquement plausible le passage de la royauté de Saül à David86, ainsi que Mikal dans une certaine mesure, et que, selon Polzin, le fils de Saül « s’avère être la figure plus appropriée pour réfracter la voix cachée du Deu83
Car comme l’écrit S. CHATMAN, Story and Discourse. Narrative Structure in Fiction and Film, Ithaca/London, 1978, p. 126, « It is enough to distinguish the narrative from the real-life case by adding “narrative” or “fictive” to remind us that we are not dealing with psychological realities but artistic constructs, yet that we understand these constructs through highly coded psychological information that we have picked up in ordinary living, including our experiences with art ». 84 J. CAZEAUX, Saül, David, Salomon. La Royauté et le destin d’Israël (LeDiv 193), Paris, 2003. 85 P. BORGMAN, David, Saul and God : Rediscovering an Ancient Story, Oxford, 2008. 86 JOBLING, 1 Samuel, p. 93.
26
Chapitre 1 : Histoire de la recherche littéraire ou narrative sur Saül
téronomiste »87. En d’autres termes le personnage de Jonathan incarnerait le point de vue même du narrateur et représenterait de la sorte une des principales clés de lecture pour mieux comprendre le conflit entre Saül et David. D’où l’intérêt qu’il y a à examiner à nouveaux frais les rôles qu’ils jouent, lui et ses sœurs, dans la rivalité politique où ils sont impliqués. Nous leur accorderons toute l’attention requise pour revisiter leur consistance et leur complexité, dans la conviction et l’espoir que nous pourrons arriver à mettre en exergue en quoi la manière dont ils sont mis en scène, gérés et construits permet d’affiner en profondeur la compréhension du récit dans son ensemble. Ce sera aussi une façon de revisiter le thème principal de la relation entre Saül et David qui a fait couler beaucoup d’encre, mais à partir d’un élément moins étudié de cette relation. Pour ce faire, nous allons étudier et analyser narrativement les textes dans lesquels apparaissent ces personnages dans leur interaction complexe avec Saül et David tout en ne perdant pas de vue les contextes littéraires immédiat et large dans lesquels ces passages sont situés. Nous retenons donc comme point de départ le moment où, dans le récit, une relation significative est signalée entre la famille de Saül et David, alors que la rivalité entre eux est près de naître, à savoir 1 S 18. Mais comme Jonathan a un rôle de premier plan en 1 S 14, nous examinerons ce chapitre avant de passer à l’étude des épisodes repris en 1 S 18–23 et 1 S 31–2 S 1.3.6. Nous focaliserons notre attention sur les scènes où interviennent à proprement parler Jonathan, Mikal et Mérav pour les analyser narrativement en vue de mettre en évidence le rôle et la fonction qu’ils endossent dans le récit. Au terme de cela, nous serons en mesure de dégager quelques implications anthropologiques et théologiques. Néanmoins avant d’entamer le parcours ainsi énoncé, il ne paraît pas superflu de regarder rapidement le conflit dans son ensemble, pour en saisir les principales phases. Cela permettra de situer déjà les moments où entrent en scène les membres de la famille de Saül que nous étudions et de déterminer l’importance et la signification de ces moments par rapport à tout le conflit.
87
POLZIN, Samuel and the Deuteronomist, p. 204 : « [Jonathan] turns out to be the more appropriate figure for refracting the hidden voice of the Deuteronomist ».
Chapitre 2
Lecture cursive du conflit entre Saül et David Le conflit entre Saül et David est relaté dans ce que, depuis l’étude thématique de L. Rost 1, il est convenu d’appeler le récit de l’ascension de David (« History of David’s Rise » en abrégé HDR ou « the Rise of David narrative »). Si la question de la délimitation littéraire de cet ensemble narratif reste toujours sujet à débat2, il semble que la problématique du conflit selon laquelle nous nous proposons de l’aborder suggère de mener la lecture jusqu’au-delà de 2 S 5, du moins jusqu’à la fin de 2 S 6, où vraisemblablement le dernier acte de l’hostilité déclarée par Saül se joue, avec cette fois Mikal en première ligne3. En tout cas la réponse de David à la fille de Saül en 2 S 6,21 se rapporte à l’enjeu de cette hostilité. Quant au début de celle-ci, elle est signalée en 1 S 18,6–9, bien après ce que les uns et les autres proposent comme début4 du récit de l’ascension de David5. Mais pour une question 1
L. ROST, The Succession to the Throne of David (Historic Texts and Interpreters in Biblical Scholarship 1), Sheffield, 1982, traduction d’un ouvrage publié en allemand en 1926, Überlieferung von der Thronnachfolge Davids (BWANT 42), Berlin, 1926. 2 Voir en ce sens W. DIETRICH/Th. NAUMANN, « The Saul-David Narrative », dans G. N. KNOPPERS/J. G. MCCONVILLE (éd.), Reconsidering Israel and Judah. Recent Studies on the Deuteronomistic History (SBTS 8), Winona Lake, IN, 2000, pp. 293–313. 3 Même si ROST, The Succession to the Throne of David, p. 26, pense que c’est le début du récit de la succession de David. 4 Pour les propositions des différents auteurs voir par exemple l’état de la question fait par DIETRICH/NAUMANN, « The Saul-David Narrative », p. 293 et suiv. Assez souvent c’est 1 S 16,1–13, épisode qui marque l’entrée en scène de David, qui est proposé. Mais pour des raisons de datation, certains voient le début de l’ensemble narratif en 16,14–23, l’arrivée de David à la cour de Saül. Il y a aussi 1 S 15 qui est indiqué comme début par T.N. METTINGER, King and Messiah. The Civil and Sacral Legitimation of the Israelite Kings (ConBOT 8), Lund, 1976, pp. 34–35. Tout récemment J. Vermeylen a proposé 1 S 11. Mais au lieu de récit de l’ascension de David, il préfère parler d’un récit opposant maison de Saül et maison de David, une perspective qui va dans le même sens que la nôtre, même s’il faut dire que c’est Saül qui essaie d’en faire une opposition entre maisons. Voir son article ID., « La maison de Saül et la maison de David. Un écrit de propagande théologico-politique, de 1 S 11 à 2 S 7 », dans L. DESROUSSEAUX/J. VERMEYLEN (éd.), Les figures de David à travers la Bible. XVIIe congrès de l’ACFEB (Lille, 1–5 Septembre 1997) (LeDiv 177), Paris, 1999, pp. 35–74. NIHAN/NOCQUET, « 1 – 2 Samuel », pp. 369– 370, suggèrent quant à eux 1 S 17. 5 Rost comprend cet ensemble narratif comme un document indépendant (Voir The Succession to the Throne of David, pp. 109–115). Néanmoins, il apparaît que cette compréhension est de moins en moins défendable en raison des multiples liens qui existent
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Chapitre 2 : Lecture cursive du conflit entre Saül et David
de cohérence narrative nous remonterons à 1 S 18,1 où, pour la première fois dans l’histoire racontée, Jonathan interagit avec David. De toute manière, l’objectif de notre propos dans le présent chapitre est de tenter de mettre en lumière la signification, stratégique ou non, des moments du conflit où l’on parle de Jonathan, Mikal et Mérav. Autrement dit quelle importance stratégique comporte la temporalité dans laquelle sont évoqués le fils et les filles de Saül ? Nous la déterminerons en raison des enjeux tant littéraires que politiques des étapes de l’action dramatique où interviennent ces personnages. Pareille démarche entend dégager un cadre général et un arrière-plan pour les textes qui seront investigués. Il n’est donc pas question pour nous de vouloir structurer de manière exhaustive les livres de Samuel dans leur ensemble, mais seulement de montrer quel sens émerge de la distribution des scènes de Jonathan, Mikal et Mérav dans le récit du conflit entre l’ancien et le nouveau roi. Pour ce faire, nous identifierons d’abord ces scènes en suivant les différentes phases que nous reconnaissons au récit. Ensuite nous tenterons d’élucider leur signification « géographique » dans ce même récit.
A. Les différentes phases du conflit entre Saül et David 2. A. Les différentes phases du conflit
Si 1 S 18,6–9 enregistre explicitement le moment de l’éclatement du conflit entre Saül et David, 2 S 6,23 en indique la clôture. Car à la lumière de la notice selon laquelle Mikal n’a pas d’enfant jusqu’à sa mort, le lecteur comprend que la possibilité6 qui restait à la famille du premier roi d’Israël d’être associée au trône est écartée ; ce que confirme immédiatement 2 S 7 qui signifie l’attribution exclusive du trône par Adonaï à David et à ses descendants. Pourtant une compréhension globale du conflit, de ses enjeux et surtout de la manière dont il éclate et évolue, demande qu’on élargisse la perspective, ne serait-ce qu’à titre d’information préalable, pour considérer aussi sa phase de préparation. Cela nous pousse à subdiviser ce conflit en différentes avec le récit du règne de David par exemple. C’est notamment le cas entre 1 S 20,14–17 et 2 S 9. 6 J. MORGENSTERN, « Beena Marriage (Matriarchat) in Ancient Israel and its Historical Implications », ZAW N. F. 6 (1929), pp. 91–110 ; N. F. 8 (1931), pp. 46–58 ; ID., « David and Jonathan », JBL 78 (1959), pp. 322–325, parle d’un système social matriarcal dans lequel la parenté passait par la mère et la lignée royale de mère en fille et situe le mariage de Mikal et de David dans ce système, lorsqu’il affirme à la p. 93 : « Quite probably beena marriage was not unknown in the family or clan of Saul. For the five sons of Saul’s daughter are regarded as belonging in the fullest sense to Saul’s own family, rather than to that of their father, while David’s marriage with Michal, Saul’s daughter, was, as we shall see, undoubtedly a beena marriage, and any offspring which might have resulted therefrom would most probably have been regarded as belonging to Saul’s, rather than to David’s clan ».
2. A. Les différentes phases du conflit
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phases : latence (1 S 13,13–18,5), éclatement, développement et résolution (1 S 18,6–2 S 1) et épilogue (2 S 2–6). 1. Phase de latence De manière générale, tout conflit a une certaine préhistoire qu’il n’est parfois possible de délimiter – du moins dans les grandes lignes – et de comprendre que par une lecture rétrospective, menée à partir du moment où ce conflit a éclaté. De ce point de vue, on peut se demander quels éléments dans le parcours narratif préalable de Saül sont en mesure de pouvoir expliquer l’attitude hostile qu’il adopte envers David à partir de 1 S 18,6–9 ? À cet égard, il apparaît que le tout premier élément dans l’aventure du premier roi d’Israël, à même de le placer dans une situation pénible pouvant le mettre sur la défensive, est son rejet de la royauté en 1 S 13,13–14, rejet qui est suivi peu après par un second notifié en 1 S 15,10–11.23.27–28 pour une cause à tout le moins analogue et qui est principalement le non-respect de la structure théocratique de la monarchie. Si l’implication divine ne semble pas évidente au lecteur au cours du premier rejet, parce que rien ne montre Samuel recevoir d’ordre d’Adonaï, elle est hors de doute et partant de toute spéculation à l’occasion du second (15,10), ce qui scelle irrévocablement le sort de Saül et justifie sa condamnation à deux reprises. À chaque fois la sentence faisant état de ces rejets est prononcée de conserve avec l’annonce par Samuel, de la part de Dieu, d’un successeur selon le cœur d’Adonaï (13,14) ou meilleur que Saül (15,28), ce qui est tout sauf rassérénant pour ce dernier, puisqu’il y a à l’horizon un remplaçant et rival déjà trouvé. Un certain nombre d’études littéraires ont été consacrées7 aux chapitres de 1 Samuel relatant le règne et le rejet de Saül comme roi. Elles s’emploient parfois à analyser essentiellement les causes invoquées dans et par le récit, en vue de déterminer leur nature exacte, mais aussi de s’interroger sur leur relation en termes de rapport proportionnel avec la sanction qui en découle8. Toutefois cela ne constitue pas l’objet de notre propos qui est plutôt de considérer la manière dont la famille du premier roi d’Israël se situe dans ce contexte. À cet égard, il est intéressant de constater qu’entre ces deux rejets, Jonathan, fils de Saül, est présenté comme un personnage de premier plan. Il est dépeint en contraste avec son père en 14,1–469 et semble réussir là où ce dernier échoue. Une telle mise au7 Voir LONG, The Reign and Rejection of King Saul ; A. WÉNIN, David, Goliath et Saül. Le récit de 1 Samuel 16–18 (Connaître la Bible 3), Bruxelles, 1997 ; GUNN, The Fate of King Saul ; A. TOSATO, « La colpa di Saul (1 Sam. 15,22–23) », Bib 59 (1978), pp. 251– 259. 8 C’est le cas par exemple des études de Gunn et de Long. Voir leur ouvrage respectif dans la note précédente. 9 Aux v. 49–51 une notice donne les noms des parents de Saül dont ceux de ses fils et de ses filles qui auront pour quelques-uns d’entre eux un rôle dans la suite du récit. Placée
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Chapitre 2 : Lecture cursive du conflit entre Saül et David
devant de la scène amène le lecteur averti à se demander s’il n’y a pas là, de la part du narrateur, une stratégie de positionnement de Jonathan comme candidat idéal10 à la succession de son père à peine rejeté 11, d’autant plus d’ailleurs que, par naissance 12, il peut prétendre au trône et que l’identité du successeur n’a pas encore été révélée. Mais cela ne saurait tarder puisqu’en 1 S 16,1–13, Adonaï envoie Samuel oindre David, le benjamin d’une fratrie de huit, fils de Jessé. Là aussi se situe un second élément potentiellement explosif du fait de la présence de deux oints pour un seul trône. Le lecteur connaît par conséquent le nom de l’homme selon le cœur d’Adonaï. Toutefois le roi déchu, mais encore en place de fait, ne le sait pas. Personne d’autre non plus, à l’exception de la famille de Jessé13, puisque l’onction a été secrète. La réticence préalable de Samuel face à Adonaï (16,2) et le subterfuge du sacrifice dont ce dernier se sert comme prétexte pour rassurer Samuel annoncent par avance le caractère périlleux de la démarche en elle-même. L’échange entre Samuel et Adonaï dans la suite immédiate du sommaire des v. 47–48 qui mentionne les accomplissements du règne de Saül et ce faisant en suggère la fin, à la manière de ce qu’on peut lire dans les livres des Rois, la notice annonce peut-être les noms des potentiels héritiers. On note qu’Abinadab qui mourra au combat à côté de Jonathan et de Malki-Shua en 1 S 31,2 n’apparaît pas dans cette liste (cf. aussi 1 Chr 8,33 ; 9,39 ; 10,2). Peut-être comme le pense EDELMAN, King Saul, p. 98, « […] The absence of Abinadab as well could indicate that the list in v. 49 reflects a Saulide genealogy dating from before the birth of the two youngest male children. » On peut se demander aussi si Yishvi n’est pas en mettre en rapport avec Ishbosheth. Ce pourrait être, ainsi que le supposent A. CAQUOT/Ph. DE ROBERT, Les livres de Samuel (CAT 6), Genève, 1994, p. 169, « un hypocristique de Ishboshet/ Eshbaal ». L’épouse de Saül Ahinoam, fille d’Ahimaaç n’apparaît plus dans la suite du récit. 10 Contre EDELMAN, King Saul, pp. 89–96, qui pense que Jonathan est disqualifié comme candidat lorsqu’il enfreint le vœu de Saül et le critique. Mais il y a de quoi douter de l’opportunité de ce vœu et de son caractère judicieux. 11 Voir JOBLING, « Saul’s Fall and Jonathan’s Rise ». 12 Certes Saül est, d’après l’histoire racontée, le premier roi. On pourrait de ce fait penser que le principe dynastique n’est pas encore acquis. Mais il semble qu’il est présupposé, car il est sous-jacent à un certain nombre d’éléments ou d’aspects perceptibles dans le récit. C’est par exemple en vertu du principe dynastique que Jonathan peut désigner David comme successeur de son père Saül (1 S 23,17). Ce principe expliquerait aussi l’intérêt que manifeste le fils de Jessé à devenir le gendre de Saül, de manière à avoir un lien avec la famille royale. Ce même principe semble également à la base de la déclaration que Saül fait à Jonathan en 1 S 20,31, déclaration dans laquelle le roi parle de la royauté de Jonathan ( )וּ ַמלְכוּ ֶתָךcomme si cela allait de soi. 13 Même là, une remarque s’impose : il est clair que la famille de Jessé est présentée comme prenant part à la cérémonie de l’onction en 1 S 16,1–13, ce qui signifie que ses membres bénéficient d’une position supérieure en termes de connaissance par rapport aux autres personnages du récit. Pourtant force est de constater que cette connaissance ne sert pas ensuite à quelque chose de précis dans la narration. En tout cas c’est une connaissance qui n’empêche pas Éliav de rabrouer David, son jeune frère, en 1 S 17,28 et de se mettre ainsi en travers de son chemin.
2. A. Les différentes phases du conflit
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tient pour acquise la manière violente dont Saül pourrait réagir s’il venait à apprendre les choses. Il est tout à fait logique aussi de craindre que surgisse une adversité entre David et Jonathan qui vient à peine d’être positionné comme candidat idéal. L’onction secrète une fois reçue, son effet sur David est immédiat : l’esprit d’Adonaï fond sur lui (v. 13) tout en se retirant de Saül (v. 14) pour laisser place à un autre esprit dit mauvais venu d’Adonaï. La confrontation entre les deux Oints est en route. L’un est choisi, l’autre rejeté. Le rejeté perd l’esprit d’Adonaï, l’élu le reçoit. Les ingrédients d’une rivalité sont réunis. Le lecteur à qui le narrateur, dans son omniscience, a livré toutes ces informations se demande ce qui va se passer après. Ensuite, sur le conseil de ses serviteurs, Saül, toujours ignorant de l’identité de celui qui doit prendre sa place 14, va faire venir David à sa cour pour chasser, par la musique, les tourments de l’esprit mauvais ; il va du reste l’aimer beaucoup (16,14–23) – ironie de situation que tous les auteurs sont unanimes à relever ! Il est difficile de lire là l’effet du hasard. Ce qui est sûr, c’est qu’un tel rapprochement des deux rivaux potentiels porte à se demander si l’onction reçue à l’insu du roi en place ne va pas finir par être découverte par ce dernier. Mais cela n’est pas problématisé dans le récit. Saül semble ne se douter de rien. L’ultime moment de préparation de la crise entre Saül et David se situe en 1 S 17,1–18,5. Là, David, envoyé au front par son père pour prendre des nouvelles de ses trois frères aînés et leur apporter quelques victuailles, relève le défi d’un duel auquel toute l’armée d’Israël et de Juda, paralysée par la peur, refuse de faire face. Bien que très jeune et encore inexpérimenté en guerre – raison pour laquelle, sans doute, il était resté à la maison garder le troupeau de son père –, David, avec des instruments de berger et fort de sa foi en son Dieu, accomplit de fait une mission qui rentre dans les attributions du roi (cf. 1 S 9,16). Mais pour le lecteur déjà mis dans la confidence de l’onction reçue, ce défi relevé par David consacre son élection par Adonaï. Il fait fonction de test réussi comme ce fut le cas pour Saül en 1 S 11, mais aussi de manifestation publique à tout Israël. Ainsi, il ne manque plus pour David que l’intronisation proprement dite. Par ailleurs, la victoire de David sur Goliath fait pâlir pour ainsi dire l’éclat de celle de Jonathan sur les Philistins en 1 S 13–14. On peut d’ailleurs se poser des questions sur l’absence de celui-ci en 1 S 17. Où est passé le valeureux Jonathan qui, seul avec son écuyer, mettait en déroute un poste entier de Philistins, palliant de la sorte le 14 Contre EDELMAN, King Saul, pp. 121–123, qui pense que Saül, ayant eu vent de l’onction de David, prend celui-ci près de lui pour le surveiller. Il semble qu’à ce stade de la narration le fils de Jessé n’a encore rien d’un rival pour Saül. Au contraire le roi va jusqu’à l’aimer, même si la confusion de pronoms personnels peut grammaticalement faire de David le sujet du verbe aimer (16,21).
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Chapitre 2 : Lecture cursive du conflit entre Saül et David
manque de réaction appropriée de son père (1 S 14,1–23) ? Dans ce récit à l’allure folklorique15, son exploit d’autrefois semble oublié. Jonathan est-il soudain paralysé par la peur comme les autres Israélites ? La question est légitime en tout cas pour le lecteur, en raison du silence narratorial entourant le fils de Saül, lequel silence est rompu, lorsqu’à la fin du duel, le prince montre finalement le bout du nez. Et, tandis que David finit de parler avec Saül, l’âme de Jonathan s’attache à celle de David (18,1). N’est-ce pas le signe qu’il a dû assister au « duel du siècle » ? Sa première réaction est de nouer une relation avec David, le vainqueur du jour. Nous reviendrons plus en détail sur cette scène lorsque nous l’analyserons. Pour l’instant il suffit de noter que la victoire de David en 1 S 17 rappelle celle de Jonathan en 1 S 14. L’un et l’autre, sur initiative personnelle et forts de leur foi au Dieu national, engrangent une victoire contre les Philistins. De ce fait, il n’est certainement pas sans signification que Jonathan apparaisse ici en laissant l’impression qu’il vient reconnaître un de ses pairs. D’où le don d’armes envers David. On peut dire que cela marque la fin de la phase préparatoire du conflit du moins jusqu’à 18,5, laquelle phase dépeint Jonathan comme un protagoniste de premier plan en 1 S 14 peu avant l’entrée en scène de David et en 1 S 18,1–5 après sa manifestation publique à Israël. C’est dans ce dernier passage qu’il interagit avec David et manifestement, il est enthousiaste envers celui-ci alors qu’on se serait attendu à ce qu’une certaine rivalité naisse entre eux. Au passage (1 S 14,49–51)16, le récit donne aussi les noms des autres membres de la famille royale. Ainsi le lecteur a une idée de sa configuration. 2. Éclatement, développement et résolution du conflit Si 1 S 13,1317–18,5 comporte des éléments potentiellement conflictuels du point de vue politique, c’est en 18,6–9 que l’hostilité de Saül se déclare comme cela a déjà été souligné. Le tournant s’opère en pleine célébration festive du premier fait d’armes du fils de Jessé, c’est-à-dire au retour en Israël du roi et de l’armée, quand David revint après avoir abattu le Philistin (v. 6). C’est d’ailleurs cette proposition circonstancielle temporelle qui, au niveau 15
Voir H. JASON, « The Story of David and Goliath : A Folk Epic ? », Bib 60 (1979), pp. 36–70. 16 WILLI-PLEIN, « ISam 18–19 », pp. 141–147, voit en 14,47–52 le début du récit de la maison de David. Mais ainsi que le note J. VAN SETERS, The Biblical Saga of King David, Winona Lake, IN, 2009, p. 166, dans la configuration actuelle du récit, ce passage est plutôt un résumé du règne de Saül : « Now the small unit in 14:47–51 is surely meant to summarize the reign of Saul and hardly constitutes a very suitable introduction to David ». On trouve d’ailleurs aussi des résumés de ce type par rapport aux autres rois dans 1 R 11,41–42 ou 14–16, etc. 17 Il n’est pas faux de remonter plus haut jusqu’à la problématique demande par le peuple d’un roi en 1 S 8. Mais nous avons voulu nous en tenir à ce qui est directement le fait de Saül.
2. A. Les différentes phases du conflit
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textuel, marque la césure avec ce qui précède pour constituer par le fait même le début d’une nouvelle unité littéraire que l’on peut suivre jusqu’en 1 S 20. Le rattachement de David à la cour est ce qui fait le lien principal de ces chapitres. Les choses s’altèrent au niveau des sentiments de Saül et de son regard (v. 8–9) à la faveur du chant accompagné de danses des femmes d’Israël. Cet événement fonctionne comme un détonateur dans la mesure où Saül prend conscience soudainement du sens et de la portée de la victoire remportée par David. Le roi semble en effet prendre la mesure des implications, en ce qui concerne le trône, de la victoire du fils de Jessé dans son duel avec le Philistin. Jusqu’ici le premier roi d’Israël se savait rejeté par Adonaï. Il lui avait été dit seulement que Dieu avait trouvé quelqu’un de meilleur que lui. Si le lecteur connaît depuis 1 S 16,13 l’identité de cet homme supérieur à Saül, ce dernier, lui, ne sait rien encore. Il en a le pressentiment grâce aux paroles du refrain repris en chœur par les femmes même si c’est par le détour d’une interprétation déformante. Le roi comprend en effet les paroles des femmes comme si elles le rabaissaient par rapport à David (v. 8). Toutefois, comme le soulignent certains18, il n’en est rien. En réalité la chanson des femmes obéit aux canons de la poésie sémitique ancienne19 et valorise autant le roi que le héros du jour. Mieux, il est clairement dit qu’elles sortent à la rencontre du roi. Ce qui signifie que c’est sur lui que se focalise l’attention de leur accueil20. Reste tout de même le fait que David est mis sur le même pied que le roi, ce qui ne peut laisser aucun monarque indifférent, ainsi que le relèvent d’autres auteurs 21. Pouvaitil vraiment en être autrement puisque c’est par David que le salut advient pour Israël ? Quoi qu’il en soit, l’ironie de la situation est que Saül, même en prenant à la lettre l’artifice du jeu poétique, en arrive à percevoir la vérité. Et à partir de ce jour, dit le narrateur, Saül regarda David de travers (v. 9). Ainsi 1 S 18,6–9 fonctionne comme l’exposition du conflit. Ces versets en annoncent la naissance, du moins au niveau de Saül, étant donné que le processus d’identification de celui qu’il voit désormais comme son rival a lieu dans le secret de sa conscience, à laquelle le narrateur donne accès grâce à la focalisation interne. La réaction rapportée du roi au chant des femmes est en effet sous le mode du monologue intérieur, d’inside view. La suite du récit s’emploie à étayer la manière dont Saül va vivre et mettre en œuvre ses nou-
18 Voir P. K. MCCARTER, I Samuel. A New Translation with Introduction, Notes and Commentary (AncB 8), Garden City, NY, 1980, pp. 311–312 ; FOKKELMAN, The Crossing Fates, pp. 214–221. 19 S. GERVITZ, Patterns in the Early Poetry of Israel (Studies in Ancient Oriental Civilization 32), Chicago, 1963, pp. 15–24. 20 Voir FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 216. 21 D.N. FREEDMAN, Review of S. GERVITZ, Patterns in the Early Poetry of Israel (Studies in Ancient Oriental Civilization 32), Chicago, 1963, JBL 83 (1964), pp. 201–202.
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Chapitre 2 : Lecture cursive du conflit entre Saül et David
veaux sentiments vis-à-vis de celui qu’il vient d’identifier comme la menace numéro un pour son trône. Aussitôt son successeur identifié – celui qui lui rappelle et lui renvoie son image de roi rejeté 22 –, Saül entre en action. Et cela, dès le lendemain (18,10). Manifestement il a l’intention de ne pas se laisser faire nonobstant son rejet et se fixe pour objectif de mettre David hors d’état de nuire. Pour cela, il adopte d’abord une stratégie de ruse visant à éliminer David ou à le faire éliminer pendant que ce dernier exerce les deux activités principales qui le caractérisent : le chant (18,10–11//19,9–11) et la guerre contre les Philistins. Et pour mettre en œuvre sa ruse, du moins pour ce qui est de l’élimination pendant la guerre, il utilise ses filles comme pièges (18,17–30). C’est donc dans ce contexte que Mérav (18,17–19) et Mikal (18,20–28) sont nommées. Mais comme la tactique dont elles étaient un instrument ne donne pas les résultats escomptés, appel est fait à Jonathan et aux serviteurs par le roi lui-même en 1 S 19,1. Ainsi le fils et les filles de Saül sont impliqués dans le conflit, à l’initiative de leur père. Une fois impliqués, Jonathan est le premier à entrer en action (19,1–7). Puis c’est Mikal en 19,11–17 et encore Jonathan en 1 S 20. Ces interventions alternées ont pour résultat d’aider David à s’enfuir loin de la cour. De cette manière à partir de 1 S 21 commence pour ce dernier une vie de fugitif caractérisée par une mobilité incessante qui l’amène pour l’essentiel au désert (23,14–26), puis en Philistie (1 S 27–2 S 1). Au cours du séjour dans le désert Jonathan lui rend visite en 23,16–18 en vue de l’encourager. Ce sera leur dernière rencontre, car Jonathan meurt en 1 S 31,2 avec deux de ses frères peu avant le suicide de leur père (31,4). Entre-temps, Mikal aussi est donnée en mariage à un autre homme en 1 S 25,44. Si l’on fait donc le compte, il apparaît que c’est dans la phase qui suit l’éclatement du conflit que les proches de Saül se montrent particulièrement actifs : ils interviennent en faveur de David rattaché au service de la cour. Quand Saül et ses fils meurent en 1 S 31, David n’en est informé que trois jours après (2 S 1,2–16), car il se trouvait à combattre Amaleq, loin du champ de bataille où Saül luttait contre les Philistins. Dès qu’il est mis au courant par l’entremise d’un Amalécite, d’ailleurs, son réflexe est de rendre un hommage vibrant au roi tombé au front de même qu’à son fils Jonathan qu’il dépeint comme des héros nationaux exceptionnels et dont il évoque la mémoire en des termes poignants (2 S 1,17–27). L’impression générale qui se dégage à ce stade du récit est que le conflit touche à son terme. Comment pourrait-on penser autrement puisque celui-là même qui a ouvert les hostilités n’est plus et qu’il était manifestement le seul à y vouer toute son énergie ?
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J’emprunte ces idées à WÉNIN, David, Goliath, Saül, pp. 20–21.
2. A. Les différentes phases du conflit
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3. Épilogue du conflit La suite du récit dément rapidement cependant cette impression de fin de crise. En effet le conflit ne s’éteint pas automatiquement avec la disparition de Saül. Il connaît encore une phase ultérieure, une sorte d’épilogue pendant lequel l’hostilité entre Saül et David se transforme en guerre entre la maison de David et la maison de Saül (2 S 2,12–3,1). Il faut dire que la mort de ce dernier a décidé le fils de Jessé à retourner dans sa patrie, où il est fait roi de Juda (2 S 2,1–11). À la même époque, un fils du roi défunt, Ishbosheth dont le nom ne figure pas comme tel dans la notice de 1 S 14,49–5123, est installé sur le trône d’Israël par son oncle Abner, chef de l’armée. Des agissements qui indiquent clairement la volonté des proches de Saül de maintenir l’exercice de la royauté d’Israël au sein de la famille. Pourtant la manière narratoriale de rapporter ces événements laisse planer un doute sur le caractère approprié de la démarche d’Abner qui fait roi son neveu. À cet égard, si David est oint par les gens de Juda, aucune onction n’est mentionnée concernant Ishbosheth. Quoi qu’il en soit, l’antagonisme d’Abner est on ne peut plus patent. D’où la bataille avec les hommes de David en 2 S 2,12–32. Peu après cependant, l’adversité d’abord dirigée contre David et son camp se mue en une rivalité entre Abner et Ishbosheth. Cette tension interne pousse Abner à se tourner vers David pour chercher à nouer une alliance avec lui, par désir de vengeance contre Ishbosheth qu’il considère comme un ingrat (2 S 3,6– 12). Dans le cadre de cette quête d’alliance, David pose le retour de Mikal comme condition préalable ; aussi Abner la lui fait-il amener (3,13–16). Mais avant que l’alliance aboutisse Abner meurt, assassiné par Joab, le chef de l’armée de David, qui entend ainsi venger le sang de son frère Asahel (3,17– 39). Puis c’est le tour d’Ishbosheth d’être assassiné par deux de ses chefs de bande, Baana et Rekab, à leur initiative (2 S 4). De la sorte, sans que David ait entrepris quoi que ce soit, des tensions ont surgi au sein même de la maison de Saül qui en ont précipité la ruine, la poussant vers l’extinction. Du coup, les derniers bastions de résistance qui s’étaient constitués en Benjamin pour poursuivre le conflit initié par Saül contre David et empêcher ce dernier d’arriver sur le trône d’Israël s’écroulent comme un château de cartes. Ishbosheth mort, la voie vers le trône d’Israël paraît complètement dégagée pour David. Le conflit avec Saül semble résolu faute de combattants. Certes, il reste encore un fils à Jonathan, du nom de Mephibosheth, mais il est perclus des deux pieds (2 S 4,4). Il paraît donc hors compétition pour ce qui est de régner24. Aussi les tribus d’Israël viennent-elles d’elles-mêmes sceller 23
Voir la n. 9. Voir dans ce sens CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 395, « C’est l’historien ancien qui paraît donc vouloir rappeler, au moment de relater la fin d’Ishbosheth, qu’il reste encore un petit-fils de Saül mais que son infirmité le rend incapable de régner. » En tout cas il ne semble pas disposer de la force nécessaire pour 24
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Chapitre 2 : Lecture cursive du conflit entre Saül et David
une alliance avec David à Hébron pour qu’il devienne roi sur Israël. Ce faisant, elles ratifient ce qu’Abner avait entrepris quelque temps auparavant. Les propos diplomatiques que les anciens adressent à David en la circonstance font écho en effet, dans un certain sens, au discours qu’Abner leur avait tenu quand il avait entrepris de les convaincre de se rallier au fils de Jessé (3,17– 18). Eux aussi reconnaissent l’élection de David par Adonaï pour régner sur Israël (2 S 5,2). Comme jadis les gens de Juda, ils confèrent à leur tour une onction à David pour qu’il soit roi sur Israël. Voilà enfin réuni sous un seul chef et pasteur le peuple d’Adonaï tel qu’il est décrit dans la Torah, les livres de Josué et des Juges ! Les guerres fratricides pour le pouvoir semblent toucher à leur terme. Une nouvelle ère politique pleine de promesses s’ouvre pour les fils d’Israël. Cette nouvelle ère est d’abord caractérisée par la conquête d’une nouvelle ville n’appartenant ni à Juda ni à Israël, Jérusalem, dont le nouveau roi fait sa capitale politique par l’édification d’un palais (2 S 5), puis religieuse par le transfert de l’Arche d’Adonaï (2 S 6). Au cours de ce transfert, le conflit entre Saül et David resurgit en un ultime sursaut, dans une vive confrontation entre Mikal, fille de Saül, et David, sur la manière correcte de se comporter en roi (6,20–23). Là aussi le fils de Jessé a le dernier mot. Les membres directs de la famille de Saül sont ainsi tous mis hors jeu. Même le lien matrimonial entre Mikal et David est condamné à rester stérile. Cela exclut définitivement qu’un descendant de Saül puisse un jour régner. Toutefois, en raison de la fidélité jurée à Jonathan en 1 S 20, David se montre bienveillant vis-à-vis de Mephibosheth. Il lui remet tous les biens et toutes les terres qui appartenaient à Saül (2 S 9). Au fond, la courbe du récit dépeint David comme n’ayant jamais cherché, dans ce conflit, à entreprendre quoi que ce soit qui aille directement contre Saül, ni à le provoquer de quelque manière que ce soit. Aussi, après la mort de Saül, c’est Abner le cousin de celui-ci et le chef de son armée qui tente de s’opposer, puis se rallie à David. Cette phase est donc marquée par la désintégration progressive de la famille du premier roi d’Israël, à la faveur des péripéties et tensions politiques qui surgissent en son sein, ce qui a pour résultat de dégager la voie pour David. Il ne manquera certainement pas d’intérêt de mettre en rapport la manière dont la famille de Saül intervient dans le conflit après sa mort, avec leur action de son vivant. Mais avant d’en arriver là, il convient peut-être de revenir sur les différents moments épinglés au sujet de Jonathan, Mikal et Mérav afin d’en évaluer la signification stratégique dans le récit.
s’opposer à David. Il incarne plutôt le rôle du descendant de Jonathan auquel David fera loyauté en 2 S 9.
2. B. Les moments où interviennent Jonathan, Mérav et Mikal
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B. Les moments où interviennent Jonathan, Mérav et Mikal 2. B. Les moments où interviennent Jonathan, Mérav et Mikal
Que dire encore des moments du conflit où sont impliqués le fils et les filles de Saül ? Jonathan entre en jeu pour la première fois en 1 S 14, entre les deux rejets de son père. Il arrive donc au moment où le roi perd toute légitimité de la part de Dieu et où celui-ci n’a pas encore désigné son candidat à la succession. Il est dépeint de manière à présenter le profil d’un candidat idéal. Ainsi, il est là aux tout premiers moments de la gestation de la crise. Puis il disparaît quand David arrive sur scène en 1 S 16 et 17. Sa candidature devient irréaliste, en 1 S 16,1–13, quand aux yeux du lecteur tout mystère est levé sur le candidat retenu par Adonaï, David. Ce dernier l’emporte en 1 S 17 sur Goliath, une victoire dont la pointe extraordinaire n’est pas sans confirmer l’élection reçue de la part d’Adonaï. Mais à ce moment, Jonathan revient sur scène en 1 S 18,1–5. Et il entre immédiatement dans une relation d’amitié avec David. Cette relation prend d’emblée la forme d’une alliance et assume ainsi une dimension formelle. Elle intervient juste avant que le conflit ne se déclenche entre Saül et David. Jonathan disparaît au moment où des liens matrimoniaux se nouent entre David et ses sœurs et où son père tente d’instrumentaliser ces liens pour piéger David et le faire tuer. Il réapparaît quand Saül lui fait la confidence, à lui et à d’autres, de sa volonté de tuer David. Il joue alors de tout son poids pour rétablir une relation pacifique entre son père et son ami (1 S 19). Ensuite il sort de scène lorsque la situation se détériore ultérieurement entre Saül et David et que ce dernier est contraint de quitter le foyer conjugal. Il revient après la vaine poursuite de David par Saül chez Samuel. En effet, David va le trouver en 1 S 20 pour le convaincre du péril de mort qui plane sur sa vie. Et, au terme d’un test qui ne laisse aucun doute sur la résolution de son père de tuer David, il autorise lui-même son ami à quitter définitivement la cour royale. C’est la rupture officielle du fils de Jessé avec le premier roi d’Israël. Le conflit entre dans une nouvelle phase. Durant cette nouvelle phase du conflit qui voit David commencer sa vie de fugitif loin de la cour royale de Guibéa, Jonathan est absent, du moins dans les premiers moments (1 S 21–22,5). Il n’est nommé qu’en 22,8 dans ce qui apparaît comme un tribunal. Son père y fait référence à lui en l’accusant d’inciter David contre lui. Il ne revient au devant de la scène qu’en 1 S 23,15–18 dans une visite-éclair surprise à David pendant le séjour de ce dernier au désert. Après cela, il disparaît complètement pour refaire une brève apparition en 1 S 31 au moment de sa mort. En 2 S 1, dans une élégie émouvante, David prend congé de lui. Ainsi, un regard d’ensemble sur les différentes interventions de Jonathan dans le conflit indique qu’elles se concentrent particulièrement durant la permanence de David à la cour royale. En effet, sur un total de neuf scènes (14,1–23/14,24–30/14,36–46/18,1–5/19,1–
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Chapitre 2 : Lecture cursive du conflit entre Saül et David
7/20,1–24a/20,24b–34/20,35–21,1/23,15–18) faisant état d’interventions directes de Jonathan dans le récit, cinq se situent à cette période. À ce moment, la carrière politique de David prend son envol public. Le fils de Jessé se positionne effectivement comme un prétendant sérieux au trône. Sa victoire éclatante sur Goliath le Philistin lui en fournit les arguments. Il a à tout le moins le soutien divin. Mais, une autre légitimité lui est encore nécessaire : celle d’une certaine appartenance à la famille royale régnante. Jonathan semble la lui conférer en s’engageant d’emblée dans une relation d’alter ego avec lui. Il donne même l’impression de lui céder sa place en lui passant sa tenue et tout son équipement de guerre. Le geste comme tel a, semble-t-il, valeur symbolique de passation de pouvoir25. Ce moment précède de peu – voire coïncide d’une certaine façon avec – le surgissement des premiers obstacles majeurs sur le chemin de David. C’est le moment du basculement de la relation entre Saül et David. Ainsi, au moment où l’affection de Saül à l’endroit de David 26 se transforme en hostilité jalouse, l’amitié de Jonathan vient comme prendre le relais. Sa relation à David se pose alors en parallèle et en contraste de la relation entre son père et son ami. À ce sujet, David Jobling27 note avec justesse que les sections décrivant la relation de David à Saül, sans Jonathan, alternent avec celles où Jonathan apparaît. De la sorte, le personnage de Jonathan joue, d’un point de vue structurel, un rôle important dans cette phase – et pas seulement – du conflit politique auquel est sous-jacent aussi un conflit théologique28. En réalité, engagé dans une double relation avec son père et avec David, Jonathan en profite pour essayer, dans un premier temps, d’éteindre le conflit. Cependant faute de réussir, il apporte à David une aide précieuse. À la lumière de tout cela, il ressort que Jonathan intervient à des moments clés du conflit : quand, en effet, le conflit est dans l’air, Jonathan annonce le personnage avec lequel ce conflit va se nouer et lorsque ce personnage apparaît il accepte avec lui une 25 Voir WÉNIN, David, Goliath et Saül, pp. 22–24 ; J. VERMEYLEN, La loi du plus fort. Histoire de la rédaction des récits davidiques de 1 Samuel 8 à 1 Rois 2 (BETL 54), Leuven, 2000, p. 103. 26 EDELMAN, King Saul, p. 122, observe, avec raison, que c’est David et non Saül qui est grammaticalement le sujet du verbe « aimer » dans le TM. Elle prend appui sur cette observation pour affirmer que « In this way, David ironically swears to protect and preserve the life of the predecessor whose continuing existence will prevent him from attaining the throne himself while Saul, his overlord, need not promise any reciprocal protection to his vassal servant ». C’est une lecture parfaitement défendable. Mais le fait que Saül dise explicitement au verset suivant que David a trouvé grâce à ses yeux, permet tout aussi bien de tirer la conclusion que le roi a de l’affection pour le fils de Jessé. 27 Voir JOBLING, « Jonathan : A Structural Study », pp. 6–7. Nous reviendrons sur ce point dans notre analyse. 28 Ibid., p. 6 : Jobling en effet pose que la section de 1 S 13–31 est une solution théologique au problème théologique du fait que la succession de Saül à David n’a pas respecté la structure dynastique de la compréhension deutéronomiste de la monarchie.
2. B. Les moments où interviennent Jonathan, Mérav et Mikal
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relation bienveillante. En clair, Jonathan entre en scène aux moments où David a besoin d’une aide spécifique pour poursuivre sa marche vers le trône. Il est décisif dans la phase où David, en raison de sa présence à la cour, est extrêmement vulnérable. C’est aussi le cas de Mikal, sa sœur. Elle n’est d’ailleurs jamais désignée comme telle. Elle s’invite dans la crise, elle-même, après le don manqué en mariage de sa sœur aînée Mérav à David (1 S 18,20–30). Elle entre en jeu parce qu’elle aime David. Et elle devient sa femme. En 19,11–17, après une nouvelle tentative de son père de clouer son mari au mur à l’aide d’une lance, elle le conseille et l’aide à s’échapper. Enfin, elle doit affronter son père pour justifier son manque de solidarité. Et elle sort de scène pour longtemps. Six chapitres plus tard, en 1 S 25,44, alors que David épouse Avigaïl en plus d’Ahinoam, une brève notice signale que Saül son père l’a donnée à un certain Palti, fils de Laïsh. À partir de là, il n’est plus question d’elle pendant un bon moment. Il faut attendre en effet le début des négociations entreprises par Abner avec David en 2 S 3 en vue d’étendre le pouvoir de celui-ci sur Israël pour qu’elle revienne dans l’intrigue. Car le jeune roi de Juda pose son retour comme condition préalable à toute ouverture de pourparlers. Abner accepte. On va la prendre, pratiquement de force chez son second époux qui fait preuve d’un profond attachement à elle et on l’amène à David. L’arrivée à la cour du roi, son mari, est enveloppée de silence. Mikal disparaîtra dans ce silence pour ne refaire surface qu’en 2 S 6,16.20–23, juste au moment où le roi finit de présider la cérémonie de l’installation de l’Arche de Dieu à Jérusalem, sa nouvelle capitale. La fille de Saül rompt alors le silence de façon explosive et envoie au roi, en pleine face, sur un ton sarcastique, ce qu’elle pense de son attitude durant le transfert de l’Arche. David répond du tac au tac et la remet à sa place. Alors une voix off fait allusion à sa mort en déclarant qu’elle « n’eut pas d’enfant jusqu’au jour de sa mort » (2 S 6,23). Au total, le personnage de Mikal apparaît aussi à des moments significatifs de l’ascension de David vers le trône. Ce dernier l’épouse et quitte la cour. Néanmoins, par ce mariage, il devient gendre de Saül et maintient symboliquement un lien avec la cour, lien que le roi tente de rompre en 1 S 25,44. Enfin, au moment où David assoit sa propre cour, il joue quelque peu sur son mariage avec Mikal en la réclamant. Toutefois, à la fin, il s’avère que la succession de David ne sera pas en même temps celle de Saül, puisque Mikal n’a pas d’enfant. Quant à Mérav, elle n’intervient que dans un paragraphe en 1 S 18,17–19. Elle n’agit pas, mais on parle d’elle. Elle est amenée sur scène au moment où Saül semble se faire encore quelques scrupules au point de ne vouloir éliminer David qu’en douce, lors d’un combat contre les Philistins. Son personnage est donc évoqué brièvement juste après l’éclatement de la crise et en un temps où celle-ci paraît encore larvée.
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Chapitre 2 : Lecture cursive du conflit entre Saül et David
En conclusion les interventions des membres directs de la famille de Saül dans le conflit déclenché par celui-ci contre David se situent massivement et essentiellement pendant l’évolution du conflit à la cour de Guibéa et peu après. Elles se concentrent donc dans les chapitres allant de 1 S 18–20. À partir de 1 S 21–23 on suit les retombées plus ou moins immédiates de ces interventions. En 1 S 31, alors que le destin de Saül va se sceller, celui de Jonathan et de deux autres de ses frères se fige. 2 S 1 dépeint David réagissant à cette triste fin. Puis, il y a comme un temps de latence qui permet à David de s’affirmer en Juda pendant qu’Ishbosheth, sous la houlette d’Abner, se retrouve à la tête d’un royaume antagoniste au Nord. Disons qu’Ishbosheth n’entre dans le conflit qu’après la mort de Saül et cela, à l’instigation d’Abner. Ensuite au moment où son sort allait être de nouveau mêlé à celui d’Israël en 2 S 3, David ramène Mikal dans son entourage. Une fois établi roi sur Juda et Israël et avoir en quelque sorte réalisé son ascension vers le trône, une vive altercation vient rompre la relation entre eux en 2 S 6. Au regard du fait qu’ils apparaissent de manière récurrente sur la scène du conflit, il ressort que le fils et la fille de Saül sont les membres de sa famille qui jouent un rôle significatif, de son vivant, dans la rivalité qui l’oppose à David. La notice généalogique de 1 S 14,49–51 qui donne une configuration familiale plus large pouvait amener le lecteur à s’attendre à ce que beaucoup plus de membres, surtout Abner, chef de son armée, s’impliquent davantage. Mais il n’en est rien. Ce dernier n’entre en jeu qu’après la mort du roi pour installer sur le trône un Ishbosheth faible qu’il veut manipuler à sa guise, avant de se retourner contre lui quand il réalise qu’il y a résistance. Les va-et-vient de Jonathan et Mikal sur la scène du récit constituent aussi des fils thématiques propres qui contribuent à la consistance de l’intrigue et de l’action dramatique elle-même et en marquent la progression chronologique. Comme ils font de ces personnages les membres de la famille de Saül dont l’implication dans le conflit est la plus déterminante et la plus significative, c’est à leurs rôles et à leur construction narrative que nous allons prioritairement nous consacrer dans les chapitres qui suivent. Pour ce faire, nous commencerons par examiner le rôle de Jonathan en 1 S 14.
Chapitre 3
1 S 14 : Jonathan et Saül D. Jobling conclut son étude de 1 S 14 en se posant la question du sens de la caractérisation positive de Jonathan présenté comme un héros aux depens de son père Saül. Il déclare ensuite que la réponse à cette question peut être cherchée dans le rôle de médiation que Jonathan joue ensuite dans le transfert de la royauté de Saül à David 1. Quelque temps après, dans son article « Jonathan : A Structural Study », il part de cette conclusion pour affirmer que l’apparition soudaine de Jonathan en 1 S 18,1–5, lorsqu’elle est lue en parallèle à 1 S 14, est marquée par un phénomène d’identification et de remplacement entre Jonathan et David 2. Il ajoute que « lorsque nous avons pris congé de Jonathan, au ch. 14, il était à l’apogée de son destin, au point que le lecteur pourrait voir en lui l’héritier légitime, avec tous les signes de la royauté perdue de Saül. À ce niveau, 18:4 ne peut être lu que comme une abdication – ce sont les vêtements royaux et les armes royales qu’il remet »3. Le phénomène d’identification et de remplacement signalé suppose que le parcours de David en 1 S 17 est analogue à celui de Jonathan en 1 S 14, de sorte que le remplacement ou la substitution peut se faire en 1 S 18,1–5. Le survol du conflit entre Saül et David partage cette lecture. Toutefois, il semble qu’un examen plus détaillé de 1 S 14 s’impose pour tenter de saisir le rôle qui y est assigné à Jonathan. La démarche permettra sans doute de mieux éclairer l’arrière-plan de la signification symbolique de la manière dont le fils de Saül entre en relation avec David et des gestes qu’il pose à cette occasion. Quatre points principaux structureront notre propos : après avoir, en un premier temps, délimité et dégagé les scènes de l’épisode, nous examinerons, en un deuxième, ce que Jonathan fait en 1 S 14 et la manière dont il le fait. Ensuite nous tenterons de répondre à la question de savoir s’il est l’homme selon le cœur d’Adonaï. Enfin nous verrons rapidement ce qui rapproche son fait d’armes de celui de David et ce qui l’en distingue. Voici d’abord la traduction de travail que nous proposons de ce chapitre : 1
JOBLING, « Saul’s Fall and Jonathan’s Rise », p. 376. JOBLING, « Jonathan : A Structural Study in 1 Samuel », p. 12. 3 Ibid. : « When we last took leave of Jonathan, in ch. 14, he was at the high point of his fortunes, to the extent that the reader might see in him the legitimate heir, with all the signs of Saul’s lost kingship […]. At this level, 18:4 can be read only as an abdication – it is the royal garments and the royal weapons that he hands over […] ». 2
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Chapitre 3 : Jonathan et Saül
A. 1 S 14 : traduction de travail 3. A. Traduction de travail Il arriva un jour Jonathan fils de Saül dit au garçon portant ses armes : « Va, traversons vers le poste des Philistins qui est de l’autre côté » ; mais à son père il n[e l]’informa pas. 2 Or Saül était assis à la limite de Guibéa4 sous le grenadier qui est à Rimon et la troupe qui était avec lui, était environ six cents hommes. 3 Et Ahiyyah, fils d’Ahituv, frère d’Ikabod, fils de Pinhas, fils d’Éli, le prêtre d’Adonaï à Silo, portait l’éphod. Or la troupe ne savait pas que Jonathan s’en était allé. 4 Et entre les passes que Jonathan cherchait à traverser contre le poste des Philistins il y avait une dent de rocher d’un côté et une dent de rocher de l’autre côté. Et le nom de l’un était Boçeç et le nom de l’autre Senné. 5 L’une des dents est un pilier au nord face à Mikmas et l’autre au sud face à Guéba. 6 Et Jonathan dit au garçon portant ses armes : « Va, traversons vers le poste de ces incirconcis ; peut-être Adonaï agira-t-il pour nous, car il n’y a pas d’empêchement pour Adonaï de sauver, au moyen de beaucoup ou de peu ». 7 Et son porteur d’armes lui dit : « Fais tout ce qui est dans ton cœur ! Avance-toi. Me voici avec toi selon ton cœur ». 8 Et Jehonathan5 dit : « Voici nous allons traverser vers les hommes et nous nous découvrirons à eux. 9 S’ils nous disent ainsi : “Restez tranquilles jusqu’à ce que nous vous atteignions”, nous resterons à notre place et nous ne monterons pas vers eux. 10 S’ils disent ainsi : “Montez contre nous”, nous monterons, car Adonaï les aura livrés en nos mains et ce sera pour nous le signe ». 11 Et ils se découvrirent tous les deux au poste des Philistins et les Philistins dirent : « Voici des Hébreux sortant des trous où ils étaient cachés ». 12 Les hommes du poste répondirent à Jonathan et à son porteur d’armes et ils dirent : « Montez vers nous et nous vous ferons savoir quelque chose ». Et Jonathan dit à son porteur d’armes : « Monte derrière moi, car Adonaï les a livrés au pouvoir [à la main] d’Israël ». 13 Jonathan monta, sur ses mains et sur ses pieds, et son porteur d’armes derrière lui et ils tombèrent devant Jonathan et son porteur d’armes les achevait [mettait à mort] derrière lui. 14 Ce premier coup que frappa Jonathan et son porteur d’armes fut d’environ vingt hommes sur un terrain d’environ un demi-sillon6. 15 Et ce fut une terreur dans le camp, dans la campagne et dans toute la troupe. Le poste et le corps de destruction7 furent terrifiés eux aussi, et la terre trembla et il y eut une terreur de Dieu. 16 Et les guetteurs de Saül à Guibéa de Benjamin virent et voici le tumulte se dispersait et allait ça et là. 17 Et Saül dit à la troupe qui était avec lui : « Comptez et voyez qui s’en est allé de chez nous. » et ils comptèrent et voici n’étaient pas là Jonathan et son porteur d’armes. 18 Et Saül dit à Ahiyyah : « Fais 1
4 1 S 13,16 situait Saül dans une localité nommée Guéba. Ici, le récit le fait trouver à Guibéa. En 1 S 14,5, le nom de Guéba revient. On peut alors se demander si ce n’est pas deux façons différentes d’écrire le même nom. Pour une lecture dans ce sens, voir P. M. ARNOLD, Gibeah. The Search for a Biblical City (JSOT.S 79), Sheffield, 1990. Voir aussi J. M. MILLER, « Geba/Gibeah of Benjamin », VT 25 (1975), pp. 145–166. 5 Le nom s’allonge ici, il passe de Jonathan à Jehonathan, mais son sens, « Adonaï a donné » reste le même. 6 : שׂ ֶדה ָ ְכּ ַב ֲחצִי ַמ ֲענ ָה ֶצ ֶמדle texte est difficile. Littéralement, on a : « Comme la moitié d’un arpent ou d’un sillon qu’une paire de bœufs peut labourer en une journée, un champ ». 7 שׁחִית ְ ַה ַמּ: littéralement, le mot signifie « la destruction ». Dans le contexte, il faut l’entendre dans son sens collectif de groupe de soldats préposés à la destruction. D’où « corps de destruction ».
3. A. Traduction de travail
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approcher l’arche8 de Dieu », car il y avait l’arche de Dieu en ce jour-là et les fils d’Israël. 19 Et il arriva, tandis que Saül parlait9 au prêtre, le tumulte qui était dans le camp des Philistins allait croissant ; et Saül dit au prêtre : « Retire ta main ! ». 20 Et Saül et toute la troupe qui était avec lui se regroupèrent et ils vinrent jusqu’à la bataille et voici une épée de l’un était contre l’autre, une très grande confusion. 21 Et les Hébreux qui étaient pour les Philistins auparavant parce qu’ils étaient montés avec eux autour du camp, eux aussi se mirent avec Israël qui était avec Saül et Jonathan. 22 Et tous les hommes d’Israël qui s’étaient cachés dans la montagne d’Éphraïm entendirent que les Philistins avaient fui et eux aussi les talonnèrent dans la bataille. 23 Et Adonaï sauva en ce jour-là Israël et la bataille traversa Bet-Aven. 24 Or les hommes d’Israël avaient été mis sous pression en ce jour-là et Saül avait engagé la troupe par une imprécation en disant : « Maudit l’homme qui mangera du pain jusqu’au soir et je me vengerai de mes ennemis » et toute la troupe n’avait pas goûté pas de pain. 25 Et tout le pays était arrivé dans la forêt et il y avait du miel à la surface du sol. 26 Et la troupe entra dans la forêt et voici une coulée de miel et personne ne portait sa main à sa bouche car la troupe craignait le serment. 27 Or Jonathan n’avait pas entendu quand son père avait fait jurer la troupe et il tendit le bout du bâton qui était dans sa main et le plongea dans le rayon de miel et retourna sa main vers sa bouche et ses yeux furent éclairés. 28 Et un homme de la troupe lui répondit et il dit : « Ton père a voulu faire jurer la troupe en disant : ‘Maudit l’homme qui mangera du pain aujourd’hui’. Et la troupe est épuisée. » 29 Et Jonathan dit : « Mon père a porté malheur au pays. Voyez que mes yeux sont devenus clairs parce que j’ai goûté un peu de ce miel. 30 À plus forte raison si la troupe avait vraiment mangé aujourd’hui du butin de ses ennemis qu’il a trouvé, car maintenant le coup contre les Philistins n’aurait-il pas été plus fort ? » 31 Et ils frappèrent en ce jour-là les Philistins, de Mikmas vers Ayyalon et la troupe fut très épuisée. 32 Et la troupe se jeta sur le butin et il prit du petit bétail et du gros bétail et des veaux et ils les égorgèrent par terre et la troupe mangea au-dessus du sang.33 Et on informa Saül en disant : « Voici la troupe est en train de pécher contre Adonaï en mangeant sur le sang ». Et il dit : « Vous êtes des traîtres ! Roulez vers moi aujourd’hui une grosse pierre ». 34 Et Saül dit : « Répandez-vous dans la troupe et dites-leur : faites approcher vers moi chacun son taureau et chacun son mouton et vous les égorgerez ici et vous mangerez et ne pécherez pas contre Adonaï auprès du sang ». Et toute la troupe fit approcher chacun son taureau en sa main cette nuit-là et ils [les] égorgèrent là. 35 Et Saül construisit un autel à Adonaï. Ce fut le premier10 autel qu’il construisit à Adonaï. 36 Et Saül dit : « Descendons derrière les Philistins la nuit et pillons-les jusqu’à la clarté du matin et nous ne laisserons subsister personne chez eux ». Et ils dirent : « Tout le bien à tes yeux, fais-[le] ! ». Et le prêtre dit : « Approchons ici vers Dieu ». 37 Et il consulta Dieu : « Descendrai-je derrière les Philistins ? Les livreras-tu au pouvoir d’Israël ? » Et il ne lui répondit pas en ce jour-là. 38 Et Saül dit : « Approchez ici, tous les officiers11 de la troupe. Sachez et voyez en quoi a été le péché aujourd’hui. 39 Oui, par la vie d’Adonaï qui a sauvé Israël, même s’il y en a [un péché] chez Jonathan mon fils, oui il mourra certainement ! ». Et il n’y eut personne parmi toute la troupe pour lui répondre. 40 Et il dit à tout Israël : 8
À la place de « l’arche », la LXX parle de « L’éphod ». שׁ אוּל ָ ַוי ְהִי עַד ִדּבֶּר: mot à mot : « Jusqu’à ce que Saül parle ». 10 Le verbe employé est : ֵהחֵלqui signifie : « Il commença à... ». 11 Le mot פִּנּוֹתutilisé suggère qu’il s’agit de personnes auxquelles revient une autorité. En anglais, le mot est littéralement traduit par « Corners ». En français, étant donné que le contexte est celui de l’armée, le mot « officiers » conviendrait. 9
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Chapitre 3 : Jonathan et Saül
« Vous, soyez d’un côté et moi et Jonathan mon fils nous serons de l’autre côté ». Et la troupe dit à Saül : « Le bien à tes yeux, fais[-le] ! ». 41 Et Saül dit à Adonaï : « Dieu d’Israël, donne [une réponse] complète ! »12 et Jonathan et Saül furent pris et la troupe sortit. 42 Et Saül dit : « Jetez le sort [faites tomber] entre moi et Jonathan mon fils ». Et Jonathan fut pris. 43 Et Saül dit à Jonathan : « Informe-moi ! Qu’as-tu fait ? » Et Jonathan l’informa et il dit : « J’ai en fait goûté avec le bout du bâton qui était en ma main un peu de miel. Me voici, je mourrai ! ». 44 Et Saül dit : « Que Dieu fasse ainsi et qu’ainsi il ajoute, oui ! Tu mourras certainement, Jonathan ! ». 45 Et la troupe dit à Saül : « Jonathan mourrat-il, lui qui a fait cette grande délivrance en Israël ? Loin de là ! Par la vie d’Adonaï, il ne tombera pas un des cheveux de sa tête par terre ! Car avec Dieu il a agi aujourd’hui ! » Et la troupe racheta Jonathan et il ne mourut pas. 46 Et Saül monta de derrière les Philistins et les Philistins allèrent en leur lieu chez eux. 47 Or, Saül avait pris la royauté sur Israël et il fit la guerre autour, à tous ses ennemis, à Moab et aux fils d’Ammon et à Édom et aux rois de Çoba et aux Philistins. Et partout où il se tournait, il faisait mal.48 Et il déploya sa force et frappa Amaleq et il délivra Israël de la main de qui le pillait. 49 Et les fils de Saül furent Jonathan et Yishvi et Malki-Shua et le nom de ses deux filles, le nom de l’aînée Mérav et le nom de la petite Mikal. 50 Et le nom de la femme de Saül était Ahinoam, fille d’Ahimaaç et le nom du chef de son armée était Abner, fils de Ner, oncle de Saül. 51 Et Qish, père de Saül et Ner, père d’Abner étaient les13 fils d’Abiel. 52 Et la guerre fut forte contre les Philistins tous les jours de Saül. Et Saül voyait tout homme brave et tout fils de vaillance et il se l’adjoignait.
B. Délimitation et structure 3. B. Délimitation et structure
Même s’il semble y avoir des liens évidents entre 1 S 13 et 1414, l’indication temporelle ַויְהִי הַיּוֹםen 1 S 14,1 suggère qu’à cet endroit commence un nouvel épisode pouvant être détaché de ce qui précède. Elle suppose que les événements relatés à partir de là se déroulent en un jour distinct de ce qui vient de se passer en 1 S 13. Aussi ַויְהִי הַיּוֹםest-il scandé tout au long du récit (v. 18, 23, 24, 31, 37) comme pour rappeler au lecteur cette donnée temporelle. Si 1 S 14,1 signale le début de l’épisode, celui-ci se conclut vraisemblablement en 14,46, quand Saül remonte de la poursuite des Philistins, mis en déroute d’abord par l’attaque de Jonathan. Les v. 47–48 sont un sommaire qui résume les accomplissements du règne de Saül en général, règne dont 1 S 13,1 annonce le début au moyen de ce que R. P. Gordon désigne comme une formule 12 La phrase n’est pas si claire. Littéralement, elle se traduit comme suit : « Donne [en] entier ou complètement ». 13 « Fils » est au singulier, mais le contexte semble suggérer que ce sont Qish et Ner qui sont les fils d’Abiel, puisque Ner est oncle de Saül. 14 Dans cette perspective, on note qu’en 13, Jonathan est aussi à l’initiative d’une autre attaque contre les Philistins (v. 3). En outre les Hébreux qui sortent de leurs trous en 14,22 semblent être ceux qui s’étaient cachés en 13,6–7. De part et d’autre, il est également question de six cents hommes autour de Saül (13,15 ; 14,2).
3. B. Délimitation et structure
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d’accession15. Leur position au terme de la relation d’une guerre contre les Philistins, peuple que le premier roi d’Israël doit combattre, selon la mission reçue et transmise par Samuel en 1 S 9,16, crée l’impression que le règne de Saül s’achève à ce point du récit16, ce que renforce encore une notice finale sur sa famille (v. 49–52). Cela dit, en prenant comme critère principal le contenu de l’action dramatique rapportée, 1 S 14,1–46 conte un épisode en deux phases majeures : d’une part celle des v. 1–23 où on raconte comment une attaque initiée par Jonathan et son écuyer contre un poste de Philistins mène à la victoire d’Israël et d’autre part, celle des v. 24–46 qui se concentrent sur des événements ayant lieu pendant la poursuite des ennemis consécutive au coup porté. Ces deux phases se composent encore des scènes suivantes : I) Dans les v. 1–23 : – les v. 1–5 font fonction d’exposition ; ils fournissent les informations nécessaires à l’action qui va se dérouler, introduisent les personnages de Jonathan et de son écuyer d’un côté et ceux de Saül et l’armée qui est avec lui, de l’autre. Le cadre spatio-temporel de l’épisode est aussi campé. – les v. 6–15 reviennent au fils de Saül et à son compagnon qu’ils présentent en dialogue (v. 6–10) : Jonathan parle à deux reprises, ce qui est chaque fois introduit par le verbe dicendi ( וַיּ ֹא ֶמרv. 6 et 8) et son compagnon une fois, avec toujours le même verbe (v. 7). Le fils de Saül expose un plan impliquant une recherche de signe divin en vue d’aller attaquer les Philistins. Puis suit immédiatement son exécution au cours de laquelle le signe divin est obtenu. L’attaque contre le poste peut donc avoir lieu (v. 11–12) et Elle intervient très rapidement aux v. 13–15. – Les v. 16–23 relatent, quant à eux, en deux temps les réactions que provoque à Guibéa l’attaque de Jonathan et de son écuyer : d’abord constat du tumulte en cours chez les Philistins, recherche de l’identité de qui pourrait l’avoir causé, tentative de consultation divine (16–19) ; ensuite décision de rejoindre le lieu de la bataille et mention finale qu’Adonaï accorde la victoire à tout Israël (20–23). II) Les v. 24–46 se répartissent en trois scènes : – celle des v. 24–30 où Jonathan enfreint sans le savoir un jeûne imposé par son père. Le lieu de l’action semble être une forêt. – celle des v. 31–35 où le peuple, très épuisé, commet une faute rituelle qui est ensuite réparée par Saül.
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Voir R. P. GORDON, 1 & 2 Samuel (OTGU), Sheffield, 1984, p. 53. Ainsi aussi CAROBERT, Les livres de Samuel, p. 161. 16 En ce sens, GORDON, 1 & 2 Samuel, p. 53, qui déclare : « First we must note that ch. 14 already presents what might be called a ‘concluding summary’ of Saul’s reign (vv. 47– 52). »
QUOT/DE
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Chapitre 3 : Jonathan et Saül
– et celle des v. 36–46 qui racontent la découverte par Saül de l’infraction de Jonathan. Le prince est condamné à mort, mais sauvé par l’intervention de l’armée. Le v. 46 annonce la fin de la poursuite des Philistins. Enfin viennent les notices conclusives des v. 47–52 qui élargissent la perspective pour embrasser tout le règne de Saül. On peut donc s’en passer dans l’analyse que nous mènerons.
C. Que fait Jonathan et de quelle manière le fait-il ? 3. C. Que fait Jonathan et de quelle manière le fait-il ?
Que Jonathan joue un rôle de premier plan en 1 S 14 ne fait pas de doute, tant le fils de Saül occupe le devant dans l’ensemble de l’épisode. Il convient alors d’examiner avec précision le rôle qui est le sien. Nous tenterons de le faire au moyen d’un close-reading du texte. À cet effet, il n’est pas sans signification que le ton de l’épisode soit donné par l’initiative que Jonathan prend avec son porteur d’armes d’aller attaquer le poste des Philistins. Le récit s’ouvre en effet sur la parole qu’il adresse à son écuyer, ce qui entre en contraste avec l’information selon laquelle le prince n’avertit pas son père17. À ce stade, le lecteur ne peut que s’interroger sur le sens à donner à cette attitude de Jonathan sans pouvoir trouver encore de réponse définitive. Est-ce le signe d’une méfiance vis-à-vis de son père ou est-ce une démarche tactique visant à garantir le succès militaire de l’opération en l’entourant de confidentialité ? Ce qui est sûr, c’est que le texte souligne bien le lien de parenté dans le même temps, puisqu’il parle de Jonathan fils de Saül (שׁאוּל ָ )יוֹנ ָ ָתן בֶּן־et de son père ()וּלְאָבִיו, le point de vue reflété dans cette dernière désignation étant celui du prince. Toutefois le contraste ne se situe pas seulement au plan de la communication, il est aussi à l’œuvre entre le mouvement de Jonathan qui traverse – le verbe עברest particulièrement récurrent dans cet épisode18 – et l’immobilité du père qui reste assis19 entouré de ses hommes, sans que l’on sache trop ce qu’il fait. Le v. 6 renoue avec le propos que Jonathan tenait à son porteur d’armes au v. 1 et que le narrateur a suspendu pour planter le décor de l’épisode dans sa globalité. En tout cas, la première partie du v. 6 reprend presque mot pour mot l’invitation de Jonathan à son écuyer : ; ְלכָה ְונַ ְעבּ ְָרה ֶאל־ ַמצַּב ָהע ֲֵרלִים ָה ֵא ֶלּה 17
La dimension de secret semble revêtir une importance ici. Cf. les v. 1 (2*), 4 (3*), 6, 8, 23, 40 (2*). 19 D’après R. W. KLEIN, 1 Samuel (WBC 10), Waco, TX, 22008, p. 135, la position adoptée par Saül est dans la ligne de celle qu’adoptaient les rois d’Israël et de Juda (1 R 22,10) et même du Proche-Orient ancien. Voir dans ce sens aussi MCCARTER, I Samuel, p. 238, mais l’auteur corrige le mot en hébreu que nous avons traduit par « grenadier » par un autre proposé par la LXX, celui qui désigne une aire de battage de grains. 18
3. C. Que fait Jonathan et de quelle manière le fait-il ?
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car le terme שׁ ִתּים ְ ְפּ ִל, présent au v. 1 a été changé par ( ָהע ֲֵרלִיםincirconcis), ce qui établit une équivalence entre les deux. Jonathan non seulement souligne ainsi l’altérité des Philistins qui ne font pas partie du peuple d’Adonaï dont la circoncision 20 est signe ; mais sur les lèvres d’un fils d’Israël parlant des Philistins, l’adjectif a certainement une connotation injurieuse21. Le prince dit ensuite l’esprit dans lequel il lance son initiative : שׂה י ְהוָה לָנוּ כִּי ֵאין לַיהוָה ֶ אוּלַי י ַ ֲע שׁי ַע בּ ְַרב אוֹ ִב ְמעָט ִ ַמעְצוֹר לְהוֹ. Ressort ainsi que l’entreprise comme telle repose sur la foi qu’Adonaï peut agir, mais qu’il est question d’une foi qui se veut en même temps respectueuse de la souveraine liberté d’action du Dieu national. D’où l’emploi de אוּלַיqui signifie « peut-être »22 et qui, dans le contexte, est une expression d’espoir, ce qui est significatif d’ouverture à l’avenir qu’Adonaï voudra. À l’initiative de Jonathan, son écuyer répond par une disponibilité et une adhésion totale (v. 7) : שׁר ִבּ ְל ָבבֶָך נְטֵה לְָך ִהנְנ ִי ִע ְמָּך ִכּ ְל ָבבֶָך ֶ שׂה כָּל־ ֲא ֵ ֲע. Cela permet au prince d’exposer son plan destiné à faire apparaître la volonté d’Adonaï : livrera-t-il ou non les Philistins au pouvoir d’Israël ?23 La réaction des Philistins sera décisive à cet égard. Jonathan et son compagnon se laissent alors repérer par le poste des Philistins, qui réagissent en parlant des « Hébreux24 20 Dans ce sens EDELMAN, King Saul, p. 84, affirme que Jonathan se réfère aux Philistins « As ‘uncircumcised’ to emphasize their non-covenantal status before Yahweh. » 21 Voir KLEIN, 1 Samuel, p. 136, « Using the word “uncircumcised” as a kind of ethnic slur and to express, by mockery, confidence of victory […] ». Dans le même sens R. P. GORDON, I & II Samuel. A Commentary (Library of Biblical Interpretation), Grand Rapids, MI, 1986, p. 137 : « Uncircumcised is a standard epithet of contempt for Philistines in Judges-Samuel (e.g. Jdg. 14:3) ». 22 Voir HALOT, I, « » אוּלַי, p. 21, « Maybe. (expression of hope, request, fear) ». Dans le même sens W. BRUEGGEMANN, First and Second Samuel (Interpretation. A Bible Commentary for Teaching and Preaching), Louisville, KY, 1990, p. 103, déclare : « On the other hand, by prefacing his words with “It may be,” Jonathan is careful not to presume upon the freedom of Yahweh. » 23 L’expression נ ָ ַתן ְבּי ַד־livrer à la main de ou aux mains de a ce sens (Voir EDELMAN, King Saul, p. 85, « The word yād is used in vv. 10 and 12 to designate power »). 24 Le terme employé est ִעב ְִרים. D’après CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 162, « Quoique la tradition se soit efforcée d’identifier “Hébreux” et Israélites, il convient de les distinguer. […] Il désigne […] cette population flottante que les textes cunéiformes de la fin de l’âge du bronze appellent Hapiru. » Mais ainsi que l’explique T. W. CARTLEDGE, 1 & 2 Samuel (Smyth & Helwys Bible Commentary), Macon, GA, 2001, p. 183, « The ancient Hebrews may well have belonged to the ethnic strata known as the ‘apiru, but the word ‘ibrî is not as closely related to ‘apiru as it appears. It is more likely that ‘ibri is related to the word ‘eber, meaning “the region beyond”. Some suggest it is a self-given name reflecting the Israelites’ historical memory of their origin in Mesopotamia, “from beyond [the river]”. Others postulate that the name derives from eber nari, the Akkadian term for the western side of the Jordan, the “other side” from the Mesopotamian perspective. » Quoi qu’il en soit, le propos des Philistins ici est à mettre en rapport avec ce qui s’est passé en 1 S 13,6–7 où il est question du peuple se cachant « dans les grottes, les
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sortant des trous où ils s’étaient cachés » avant d’ajouter : « Montez vers nous et nous vous ferons savoir quelque chose », ce qui constitue clairement le signe attendu. Jonathan monte ( ) ַויַּעַלsur ses mains et sur ses pieds (עַל־י ָ ָדיו ַל־רגְלָיו ַ ) ְועet prend les devants comme tout bon chef. Aussi est-ce devant lui ( ) ַויִּפְּלוּ ִל ְפנ ֵי יוֹנָ ָתןque tombent les Philistins avant que son écuyer leur donne le coup de grâce () ְממוֹתֵ ת. La dynamique même du combat n’est pas développée, ce qui rend possibles plusieurs interprétations. Selon Edelman 25, l’action de Jonathan se réduirait à sa position sur ses mains et sur ses pieds, ce qui implique que c’est l’autre qui fait l’essentiel. Si cette lecture semble défendable sur la base du v. 13, elle ne s’impose pas au regard de ce qui suit : au v. 14, en effet, il est dit que « ce premier coup que frappa Jonathan et son porteur d’armes fut d’environ vingt hommes sur un terrain d’environ un demisillon ». En lisant ensemble ces deux versets, la compréhension la plus probable est que Jonathan et son porteur d’armes combattent en équipe, le premier initiant le travail et le second le finissant. D’après McCarter26 en effet le Polel du verbe מותemployé ici peut avoir la nuance d’achever quelqu’un qui est déjà blessé, nuance que confirme HALOT27 qui, justement en référence à notre texte, parle de « donner le coup de grâce » (deliver the death-blow). Klein est aussi de cet avis, lorsqu’il écrit que « […] Jonathan mena l’attaque, et son porteur d’armes acheva ceux qui étaient tombés »28. C’est une lecture tout à fait fondée car, si les Philistins tombent en face de ou devant Jonathan et non ailleurs, c’est que son avancée vers eux produit de l’effet sur eux. Aussi l’armée a-t-elle raison, quand elle lui attribue au v. 45 le mérite de la grande délivrance opérée en Israël ce jour. Et c’est avec Adonaï qu’il a agi 29. Le coup porté par les deux hommes a pour conséquence de causer la terreur dans le camp des Philistins, une terreur ensuite qualifiée de « terreur de trous, les rochers, les souterrains et les citernes ». Sur les lèvres des Philistins, les Hébreux seraient les mêmes que les Israélites et 1 S 14,21 parle encore des Hébreux et porte à supposer que certains d’entre eux avaient rejoint à un moment donné les Philistins, sans doute comme mercenaires. 25 EDELMAN, King Saul, p. 85 : « His actions include only his crawling up to the garrison (v. 13); after his arrival, the enemy simply fall before him, or perhaps over him since he is on his hands and knees, and it is his weapons-bearer who actually kills the twenty odd men, thereby accomplishing the first slaughter (vv. 13–14). » 26 MCCARTER, I Samuel, p. 240, « Hebrew mĕmotēt. As in 17:51 the Polel of mwt, “die”, refers to dispatching or “finishing off” someone already wounded and near death. So also Judg 9:54; IISam 1:9,10,16. » 27 HALOT, II, « » מות, p. 562, « Polel: To make a full end of, deliver the death blow ». 28 KLEIN, 1 Samuel, p. 137, « […] Jonathan led the attack, and his weapon-bearer finished off those who had fallen […] ». 29 La tournure particulière de la phrase « Ils tombèrent devant Jonathan » peut être aussi comprise comme étant une façon de souligner la part essentielle qui revient à Dieu dans ce qui se passe. Voir dans cette optique J. W. H. VAN WIJK-BOS, Reading Samuel. A Literary and Theological Commentary, Macon, GA, 2011, p. 81.
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Dieu » () ֱאֹלהִים ח ְֶר ַדּת. Même le corps de destruction la connaît (שׁחִית ח ְָרדוּ ְ ְו ַה ַמּ )גַּם־ ֵה ָמּה. Après avoir mentionné ces effets, l’attention du narrateur laisse le camp des Philistins pour se centrer sur Guibéa de Benjamin, là où est resté Saül avec ses hommes. Au moyen du déictique ְו ִהנֵּהle texte indique que les guetteurs de Saül ( )הַצֹּפִיםperçoivent le tumulte qui s’est emparé du camp des Philistins. Et par l’effet d’une ellipse – puisqu’on passe de la perception des guetteurs à la réaction du roi sans que soit rapportée une quelconque communication entre eux –, Saül dit à l’armée de compter pour voir qui est parti de chez eux, ce qui implique qu’il suppose que quelqu’un de son propre camp doit être à l’origine de l’agitation chez les Philistins. C’est à ce moment que Saül apprend que manquent Jonathan et son écuyer (v. 17) et c’est à le souligner que sert cette mise en scène. Saül prend alors l’initiative de consulter Dieu par Ahiyyah, le prêtre descendant d’Éli (v. 3), au moyen de l’arche de Dieu30. Ahiyyah, descendant d’une famille de prêtres rejetée par Adonaï, sa présence auprès de Saül ne peut que faire penser au rejet du roi lui-même31. La consultation divine n’ira pas jusqu’au bout : le tumulte est tel chez les Philistins que Saül interrompt le processus. Il ne lui reste plus, à lui et à son armée, que le temps d’aller au poste des Philistins pour y constater la grande confusion qui y règne (v. 20) au point que les Philistins se tuent entre eux, comme les Ammonites devant Gédéon (Jg 7,22). Se rangent aussi à leur côté des Hébreux transfuges et d’autres qui s’étaient cachés dans la montagne d’Éphraïm. De la sorte, l’attaque initiée par Jonathan et son écuyer a pour conséquence non seulement de jeter la confusion chez les Philistins, mais aussi d’insuffler du courage aux Hébreux qui étaient passés à l’ennemi et aux fils d’Israël que la peur avait dominés, rassemblant ainsi tout le peuple. Même si tous prennent part au combat, cette partie se termine par l’affirmation que c’est Adonaï qui donne la victoire à Israël ce jour-là, mettant ainsi en évidence l’implication du Dieu national dans la victoire (v. 23). Si avec le v. 23, l’épisode de l’attaque initiée par Jonathan et son porteur d’armes semble toucher à son terme, le v. 24 revient en arrière pour récupérer une information qui relance la narration : « Or les hommes d’Israël avaient été mis sous pression en ce jour-là et Saül avait engagé la troupe par une imprécation en disant : “maudit l’homme qui mangera du pain jusqu’au soir et je me vengerai de mes ennemis” ; et la troupe n’avait pas goûté de pain ». 30 L’utilisation de l’arche de Dieu à des fins de consultation est surprenante ici. Outre le fait que c’est l’éphod qui est normalement employé à cet effet ainsi que le note Gordon (I & II Samuel. A Commentary, p. 137), il y a que d’après 1 S 7 l’arche se trouve à QiryatYéarim. 31 En ce sens, JOBLING, « Saul’s Fall and Jonathan’s Rise », p. 368, écrit : « Saul is accompanied by Ahijah, a member of the rejected priestly house of Eli (14:3), and this first mention of an Elide after the disasters which befell Eli’s family in chap. 4 triggers the response “rejected by Yhwh” ». Voir également EDELMAN, King Saul, pp. 86–87.
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L’expression בַּיּוֹם הַהוּאsuggère que cela se passe le même jour que l’attaque, sans autre précision. Mais quel lien établir entre l’état des hommes d’Israël, rendu par le verbe 32 נגשׂet l’imprécation de Saül ? La TOB comprend que l’imprécation est la cause de la pression subie par les hommes. Aussi traduitelle : « Les hommes d’Israël avaient souffert, ce jour-là, car Saül avait engagé le peuple par cette imprécation […] ». En revanche dans la BJ, on a : « Comme les gens d’Israël étaient serrés de près ce jour-là, Saül prononça sur le peuple cette imprécation […] », ce qui suppose que c’est parce qu’il constate la souffrance de l’armée que Saül prononce l’imprécation. Autrement dit l’état des hommes d’Israël n’est pas le résultat de l’imprécation, mais l’inspire. Ces deux traductions sont grammaticalement possibles. Néanmoins, à notre sens, la pression que connaissent les hommes d’Israël est déjà présente quand Saül engage l’armée par une imprécation, car le wayyiqtol ()וַיּ ֹ ֶאל33 exprime en général l’idée de succession 34. Le narrateur souligne ainsi que l’armée est mise sous pression avant que Saül l’engage par imprécation, ce qui suggère le caractère inopportun de celle-ci ; d’où la juxtaposition des deux phrases. S’il voulait justifier la souffrance de l’armée par l’imprécation, un כִּיaurait été sans équivoque. Quoi qu’il en soit, la troupe respecte l’imprécation de Saül. Elle trouve même du miel par terre dans une forêt et n’y touche pas, par crainte du serment. Mais Jonathan, signale le narrateur, n’a pas entendu que son père a fait jurer le peuple et il mange un peu de miel, ce qui lui donne un « coup de fouet ». Sur ce, il est informé par quelqu’un qui ajoute que l’armée est épuisée () ַויָּעַף ָהעָם, ce qui suggère un lien entre le serment et l’épuisement de l’armée. Et Jonathan de dire que son père a troublé ( ) ָעכַרle pays (v. 29). Le verbe ָעכַרfait écho à l’épisode d’Achan en Jos 7,25. Mais comme le remarque judicieusement Gordon, ce « terme clef est appliqué, non à Jonathan qui est techniquement coupable, mais à Saül »35. Pour justifier la critique publique qu’il formule ainsi envers son père, Jonathan invoque l’effet qu’a eu sur lui le miel, à savoir que ses yeux se sont éclairés. Il apparaît d’ailleurs comme le seul qui voit clair dans la situation. Dès lors, si l’armée avait vraiment mangé du butin de ses ennemis, le coup porté contre 32
tins.
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Ce verbe a déjà été employé en 1 S 13,6, mais là la pression était mise par les Philis-
JOBLING, « Saul’s Fall and Jonathan’s Rise », p. 374, relève un double entendre par rapport à ce verbe. Voir la n. 59. 34 Voir P. JOÜON, Grammaire de l’hébreu biblique, Rome, 1996, §117 et 118. Dans le même sens, voir EDELMAN, King Saul, p. 87, n. 2, « As pointed out by H. J. Stoebe (Das erste Buch Samuelis [KAT, 8/1; Gütersloh : Mohn, 1973], pp. 265, 271) and followed by Long (Reign and Rejection of Saul, p. 114), syntactically the second clause of v. 24, which begins with waw + imperfect, should express an action that is the temporal or logical sequel to the one mentionned immediately before. » 35 GORDON, 1 & 2 Samuel, p. 56, « The key term is applied, not to the technically guilty Jonathan, but to Saul. »
3. C. Que fait Jonathan et de quelle manière le fait-il ?
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les Philistins aurait été encore plus fort. Selon Edelman 36, le fait de parler de butin alors que la poursuite est encore en cours éveillerait des soupçons sur le bien-fondé de la déclaration de Jonathan et amènerait les auditeurs à se demander si l’action de Saül est belle et bien folle. Mais si l’on en juge par ses effets contreproductifs perceptibles dans l’épuisement de l’armée, le caractère insensé du serment prononcé par Saül peut difficilement être mis en doute37. À cet égard, Jonathan dénonce haut et fort ce que l’armée elle-même pense tout bas. Sa fraîcheur renouvelée témoigne par les faits de ce qu’aurait pu être la condition de l’armée déjà sous pression, si elle avait pu refaire ses forces. Dans cette perspective, la critique que le fils de Saül formule semble être plutôt le point de vue du narrateur luimême. Car non seulement celui-ci prend soin de suggérer le caractère inopportun du serment en le juxtaposant à l’état de l’armée mise sous pression, mais aussi il innocente Jonathan, en indiquant au lecteur que le fils de Saül n’était pas au courant d’une quelconque décision royale imposant un jeûne. En outre il évoque lui-même l’effet bénéfique du miel sur Jonathan (v. 27) avant que celui-ci ne le confirme (v. 29). Et ce n’est qu’après avoir constaté cet effet bénéfique qu’un soldat le met au courant du serment du roi, ajoutant aussitôt que la troupe est épuisée (v. 28), un état qui sera mentionné de nouveau à la fin du v. 31. Comme le fait remarquer à juste titre K. Bodner, l’homme qui s’exprime au v. 28 établit un lien entre le jeûne et la fatigue du peuple et communique ainsi subtilement un jugement sur le serment38. Ainsi, dans sa manière même de raconter, le narrateur conteste-t-il de manière à peine voilée le bien-fondé du serment que Saül impose à l’armée. Aux v. 32–35, la question cruciale de l’opportunité du serment est relancée par le comportement de la troupe. Sans doute à cause de son grand épuisement () ַויָּעַף ָהעָם ְמא ֹד39, elle ne peut plus se retenir et se jette sur le butin, égorgeant le bétail et mangeant au-dessus du sang, ce qui est qualifié de péché ()חטא. Manger sur le sang ou au-dessus du sang est défendu en Lv 19,26 et dénoncé en Ez 33,25. Apparemment l’expression verbale manger au-dessus du sang ( )אָכַל עַל־ ַה ָדּםa une autre signification que le tabou alimentaire de Dt
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EDELMAN, King Saul, p. 89. Même M. C. White qui pense qu’à l’origine le serment de Saül était présenté de manière positive reconnaît que ce n’est plus le cas dans la configuration actuelle du récit. Voir son article « Saul and Jonathan in 1 Samuel 1 and 14 », dans C. S. EHRLICH/M. C. WHITE (éd.), Saul in Story and Tradition (FAT 47), Tübingen, 2006, p. 129 : « In its present position between the two rejections, Saul’s oath and near sacrifice of Jonathan can only be understood pejoratively. » 38 K. BODNER, 1 Samuel. A Narrative Commentary (HBM 9), Sheffield, 2009, p. 140, « […] The soldier explicitly connects the fast with the faintness, and subtly passes judgment on the oath. » 39 On constate que l’épuisement s’intensifie, ce qu’indique l’adverbe ְמ א ֹד. 37
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Chapitre 3 : Jonathan et Saül
12,23–24 ou Lv 3,1740 par exemple, où on interdit de manger le sang (אָכַל ) ַה ָדּם41. Quoi qu’il en soit, il est clair qu’il s’agit dans les deux cas d’un acte défendu et par conséquent peccamineux. Lorsque Saül est informé, en se servant d’une pierre, il bâtit un autel pour Adonaï, enjoignant à tout le monde d’égorger avant de manger. Manifestement l’érection de l’autel permet au roi de mettre un terme au péché. En tout cas au v. 36, il relance la poursuite des Philistins la nuit en vue de les piller complètement jusqu’au matin. En réponse à une invitation du prêtre, le roi consulte alors Adonaï : « Descendrai-je à la poursuite des Philistins ? Les livreras-tu au pouvoir d’Israël ? » 42 Aucune réponse divine ne vient43. Saül en conclut qu’un péché doit être la cause de cette absence de réponse divine alors que, comme le remarque finement Klein44, cela peut en toute présomption équivaloir aussi à un « non ». Mais alors qu’il a été question auparavant du péché de la troupe mangeant au-dessus du sang, ce n’est pas à cela que le roi pense immédiatement. Il demande aux officiers de son armée d’enquêter pour identifier en quoi consiste le péché, jurant par la vie d’Adonaï que même s’il s’agit d’un péché commis par son fils Jonathan, celui-ci mourra. À ce point, le silence de la troupe en dit long, puisqu’elle et le lecteur savent que Jonathan a goûté au miel. Le sort ayant désigné Jonathan comme fautif, celui-ci relate ce qu’il a fait et se prête à la sentence45. À l’instar de la fille de Jephté (Jg 11,36), il exprime sa disponibilité à se soumettre au verdict ; ce à quoi son père répond en s’engageant encore par une imprécation à exécuter la sentence. Ainsi contrairement à Jephté (Jg 11,35), Saül ne manifeste aucun désarroi face à la perspective de voir son fils mourir46. Au v. 45, la troupe intervient, elle qui a laissé Saül agir jusqu’ici à sa guise et elle dit : « Jonathan mourra-t-il, lui qui a fait cette grande délivrance en Israël ? Loin de là ! Par la vie d’Adonaï, il ne tombera aucun cheveu de sa 40 En faveur d’une telle lecture voir par exemple CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 167. Contre, voir MCCARTER, I Samuel, p. 249. 41 Cf. aussi Lv 7,26 ; 17,10–14 ; Gn 9,4. 42 Le rite est similaire à ce que fera David en 1 S 23 ; 30 ; 2 S 2. 43 Saül se retrouvera dans une situation analogue en 1 S 28. 44 KLEIN, 1 Samuel, p. 139, « Saul – just as David in 30:8 – asked two questions, which would permit a yes or no answer, but to his surprise he received no answer at all (v 37), which presumably was as good as a “no”. » 45 Le sort jeté pour identifier le coupable constitue un écho de plus à Jos 7,16–18. Voir en ce sens CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 168 ; KLEIN, 1 Samuel, p. 140. C’est aussi la seconde fois que Saül est impliqué dans un rite de tirage au sort (voir 1 S 10,20–24). 46 En ce sens voir aussi G. AUZOU, La danse devant l’arche. Étude du livre de Samuel (Connaissance de la Bible), Paris, 1968, p. 153, « Au père intraitable, dont on ne dit même pas qu’il ressentit la douleur qui déchira le cœur de Jephté en une analogue et aussi tragique circonstance, le peuple résiste catégoriquement, v. 46. »
3. D. Jonathan, l’homme selon le cœur d’Adonaï ?
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tête par terre ! Car avec Dieu, il a agi aujourd’hui ». Puis le narrateur conclut affirmant que la troupe racheta ( ) ַויִּפְדּוּJonathan. À travers une imprécation qui contrecarre celle de Saül, la troupe soustrait Jonathan à la mort. Elle explicite encore la portée théologique et le sens pour Israël de la victoire rendue possible par le fils de Saül et se fait un devoir de prendre sa défense face à son père. À ses yeux, Jonathan est le héros du jour et l’instrument du salut divin. Et si on a suivi le fil des événements tels qu’ils sont racontés, on ne peut qu’être d’accord avec la lecture de la troupe, car ici, l’adage vox populi, vox dei prend tout son sens, et face à cela, la piété zélée du roi est entravée et son bon sens sérieusement mis en doute. Son entêtement à aller jusqu’au bout, suite à son serment mal inspiré, apparaît dans toute son absurdité. En ce sens, Jobling a parfaitement vu juste, lorsqu’il dit que 1 S 14 exalte Jonathan tout en caractérisant Saül sous les traits du roi rejeté. Au bout du compte, la volonté du roi de poursuivre les Philistins ne sera pas suivie d’effet (v. 46) et son serment n’aura eu que des conséquences fâcheuses : l’épuisement de la troupe, la mise en péril de la vie de son fils et la faute rituelle de la troupe, un péché plus grave que le geste de Jonathan. Car s’il a enfreint une imprécation ponctuelle du roi dont il n’était pas au courant, la troupe, elle, viole une disposition pérenne en Israël. On ne comprend d’ailleurs pas pourquoi Saül se montre moins sévère avec elle qu’avec Jonathan. Peut-être s’inscrit-il dans une stratégie de défense face un rival potentiel, suite à son rejet par Samuel. Si tel est le cas, Saül manifesterait déjà le signe qu’il n’est pas disposé à se laisser supplanter. Son hostilité vis-à-vis de David aurait alors eu des prodromes dès déjà avec Jonathan. En définitive, 1 S 14,24–46 met en scène comment, par un zèle pieux mal inspiré et inopportun en l’occurrence, Saül attire le malheur sur son fils et expose son armée à la faute cultuelle. Samuel avait reproché au roi en 13,13 de se comporter en insensé. Ici en est donnée l’illustration. Mais en 14,1–23, le récit dramatise aussi la façon dont Jonathan se démarque de son père. Il montre son sens de l’initiative, son courage, sa liberté de parole et d’action, et un rapport à la divinité beaucoup plus serein.
D. Jonathan, l’homme selon le cœur d’Adonaï ? 3. D. Jonathan, l’homme selon le cœur d’Adonaï ?
1 S 14,1–46 se situe après le rejet de Saül, formulé en 13,13–14. La sentence émise par Samuel à cette occasion stipule que la royauté de Saül ne tiendra pas ( ) ַמ ְמ ַל ְכ ְתָּך ֹלא־ ָתקוּםet qu’Adonaï s’est cherché un homme selon son cœur qu’il établira prince ( )נָגִידsur son peuple. Reste que Samuel ne livre pas l’identité de cet homme. Il s’avérera plus tard (1 S 16,1–13) que même lui ne savait pas encore qui ce serait. Dès lors, le lecteur que le récit fait participer au présent de la sentence, puisqu’il l’entend en même temps que Saül, est
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Chapitre 3 : Jonathan et Saül
curieux de savoir qui est cet homme. Il se crée chez lui une attente relative à son identité. Avec l’entrée en scène de Jonathan en 14,1 et son initiative victorieuse, le lecteur se demande si le fils de Saül ne serait pas cet homme. Il a plusieurs raisons de le penser. D’une part, Jonathan est le prince héritier et d’autre part, il révèle qu’il a du courage et de l’initiative en matière militaire. À cet égard, on se souvient que l’initiative militaire de Saül en 1 S 11 pour sauver Yabesh-Galaad avait confirmé son statut de roi en Israël 47. En outre, les propos de Jonathan à son porteur d’armes alors qu’ils s’apprêtent tous deux à attaquer le poste des Philistins, à savoir qu’Adonaï peut sauver au moyen de peu ou de beaucoup, ne sont pas sans faire écho au récit de la victoire de Gédéon (Jg 7), récit dans lequel le Dieu national lui-même parle de manière semblable. Ils constituent peut-être aussi une critique oblique à l’égard de Saül qui s’est cru obligé de prendre la place de Samuel pour offrir l’holocauste en 1 S 13, au motif que la troupe se dispersait et se réduisait. Un autre élément renvoie du reste à Gédéon (Jg 6–7) : c’est la demande accordée d’un signe divin. Non seulement Adonaï accepte de donner les signes relatifs à la toison (Jg 6,37–40)48, mais en plus il fait descendre Gédéon et son garçon dans le camp adverse pour y entendre ce qui se dit (Jg 7,9–15). Mutatis mutandis, on observe une forte analogie avec Jonathan et son écuyer se disposant à faire apparaître la volonté divine en écoutant les propos des Philistins. De plus, la confusion qui survient en 1 S 14,16.19–20 dans le camp de ces Philistins qui retournent leur épée les uns contre les autres est semblable à ce qui se passe dans le camp de Madiân attaqué par Gédéon (7,21–22). Tous ces échos et parallèles achèvent de camper Jonathan dans une posture de leader et de libérateur d’Israël analogue à celle de Gédéon. Ils mettent en évidence son charisme militaire. Or on sait combien cette qualité a été déterminante dans le cadre de la légitimation royale de Saül (1 S 11)49 et le sera dans celui de David aussi. Certes Adonaï n’a pas désigné Jonathan et il n’est dit nulle part qu’il a reçu l’esprit divin. De plus, avant de déclarer à Saül que sa royauté ne tiendra pas, Samuel a pris soin de lui préciser qu’Adonaï aurait établi sa royauté pour toujours (שׂ ָר ֵאל עַד־עוֹלָם כִּי ַע ָתּה ֵהכִין ְ ִ )י ְהוָה ֶאת־ ַמ ְמ ַל ְכ ְתָּך ֶאל־י, sous-entendant que, désormais, il ne le ferait plus. L’expression עַד־עוֹלָםsemble suggérer que tout 47
Voir à ce propos par exemple D. EDELMAN, « Saul’s Rescue of Jabesh-Gilead (I Sam. 11 1–11) : Sorting Story from History », ZAW 96 (1984), p. 198, « I suggest that v. 1–11 of ch. 11 have been used in the core unit of chs. 9–11 of the kingship inaugural complex as the “testing” element between Saul’s designation and his confirmation. » 48 J. BLENKINSOPP, « Jonathan’s Sacrilege. 1 SM 14,1–46 : A Study in Literary History », CBQ 26 (1964), p. 427, relève aussi ce rapprochement. Voir aussi surtout M. GARSIEL, The First Book of Samuel. A Literary Study of Comparative Structures, Analogies and Parallels, Jerusalem, 1990, pp. 91–92. 49 Voir par exemple METTINGER, King and Messiah, pp. 83–87, 234 et suiv.
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avenir dynastique est retiré à Saül, ce qui implique que ses descendants, dont son fils aîné, seront privés du trône par sa faute. Mais la mise en évidence de Jonathan sur la scène du récit, suite à ce rejet, pousse le lecteur à revoir cette première lecture et à se demander si finalement il n’a pas surinterprété la sentence de Samuel. Ce qui est sûr, c’est que le récit, dans sa configuration séquentielle actuelle, ne permet pas de trancher de façon définitive. Il comporte même des éléments susceptibles d’étayer aux yeux du lecteur l’idée que Jonathan pourrait être un bon candidat. En effet ainsi que le montre Jobling50, le récit présente Jonathan comme meilleur que son père sur plus d’un plan. Il est par exemple celui par qui Adonaï agit pour libérer Israël, ce qui ne semble plus être le cas de Saül. Il sait prendre des risques au nom de sa foi et Adonaï lui répond favorablement. Son héroïsme est reconnu et approuvé par l’armée qui, au même moment, désapprouve Saül. Son action est bénéfique pour les hommes d’Israël alors que celle de Saül ne fait que compliquer les choses. Pour Edelman, 1 S 14 correspondrait au test51 de Jonathan pour savoir s’il peut être le prochain roi. Ce test est à concevoir comme une étape de la structure tripartite52 mise en évidence par B. Halpern, dans laquelle le candidat choisi pour être le futur roi doit montrer qu’il remplit les conditions en sortant victorieux d’un combat. À cet égard, Edelman se demande si la bataille qui se prépare au début du ch. 14 se terminera par l’établissement d’un nouveau roi53. Après un close-reading dont nous pouvons partager la plupart des observations, elle aboutit à la conclusion que Jonathan échoue : il n’est pas l’homme selon le cœur d’Adonaï54. L’échec se marque, selon elle, au fait que le sort jeté désigne Jonathan comme coupable, ce qui implique que la critique du prince à l’encontre de son père (v. 29) doit être comprise comme de l’insubordination55. Le fils de Saül aurait dû se repentir, lorsqu’on l’informe que son père a imposé un jeûne sacré. En ne le faisant pas, il a manqué d’humilité56, ce qui est grave pour un futur roi. De plus, quand Adonaï entre dans le jeu et désigne le coupable, il y aurait là le signe de l’implication di-
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JOBLING, « Saul’s Fall and Jonathan’s Rise », p. 369 et suiv. EDELMAN, King Saul, p. 83, « Jonathan apparently is going to be tested as a suitable candidate for kingship. » 52 Cette structure tripartite comprend la désignation du candidat, le combat qu’il doit ensuite remporter et sa confirmation comme futur roi. Voir B. HALPERN, The Consitution of Monarchy in Israel (HSM 25), Chico, CA, 1981, p. 51 et suiv. 53 EDELMAN, King Saul, p. 83, « Will the battle about to take place result in the appointment of a new king, after the potential candidate has passed his test ? » 54 Ibid., p. 95. 55 Ibid., p. 94. 56 Ibid. 51
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Chapitre 3 : Jonathan et Saül
vine dans le serment prononcé par Saül, lequel serment est pour ainsi dire supervisé57 par Adonaï. Quant à la victoire de ce jour-là, Edelman considère qu’on ne peut pas vraiment dire que Jonathan en est l’instrument, l’essentiel du travail étant l’œuvre de son porteur d’armes58. Nous avons déjà montré, au sujet du dernier point, que pareille lecture ne s’impose pas au regard de l’ensemble des données du récit. Pour ce qui est du résultat du tirage au sort, il est clair que Jonathan est désigné. Mais cette désignation atteste seulement ce que le lecteur, la troupe et Jonathan luimême savent déjà : il a goûté au miel. Sa fonction dans le texte est d’indiquer le moment où Saül apprend que le serment qu’il a imposé a été enfreint par son fils. Donc en elle-même, la désignation par Adonaï ne nous paraît pas décisive pour affirmer que Dieu avalise de quelque manière le serment prononcé de Saül. Tout au plus cette désignation démontre-t-elle l’efficacité du rite, puisque son issue est conforme à ce que le lecteur et les acteurs savent déjà, à l’exception de Saül. Pour évaluer la pertinence du serment de Saül, il faut se fier, nous semblet-il, à la manière dont le récit est mené et au point de vue que promeut le narrateur. À cet égard, un premier indice est fourni par le jeu de mots sur le sens du verbe וַיּ ֹ ֶאלutilisé pour introduire l’imprécation dans la narration. En effet, ainsi que l’affirme Jobling, ce verbe résonne avec un double entendre délibéré entre le Hiphil du verbe אלהau sens de « faire jurer, imposer un serment à » et le verbe יאלqui signifie « agir en insensé »59 . Le narrateur ne cherche-t-il pas déjà à alerter le lecteur sur le caractère douteux de l’initiative de Saül ? En outre la manière confuse et intempestive dont le roi rejeté réagit devant le tumulte dans le camp des Philistins – d’abord en cherchant à savoir qui a quitté le camp (v. 16–17) sans qu’on sache à quoi sert cette enquête, puis en se lançant dans une consultation rapidement interrompue –, vient renforcer cette impression d’un homme qui agit comme un insensé, en tout cas de quelqu’un qui n’est plus sûr de lui et qui est dépassé par les événements. À ces éléments s’ajoutent la question de l’opportunité du serment en rapport à l’état du peuple mis sous pression – peu importe le caractère louable ou non des intentions de Saül de vouloir s’assurer ainsi une grande victoire –, les conséquences fâcheuses de cela en terme d’épuisement (sans parler de la faute cultuelle du peuple qui en découle) et de la mise en péril de la vie de
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Ibid., p. 95. Elle parle à ce propos de « divinely overseen ban ». Ibid. 59 JOBLING, « Saul’s Fall and Jonathan’s Rise », p. 374, « Wayyö´el in v. 24 looks like a deliberate double entendre; one is to think first of ´lh Hiphil, “cause to swear, impose an oath on,” but also of y´l, “act foolishly”. » 58
3. E. Le fait d’armes de Jonathan comparé à celui de David
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Jonathan pour une faute commise sans savoir. Tous ces paramètres ne semblent pas de nature à favoriser une appréciation positive du serment. Certes, ainsi que le montre Blenkinsopp60, le contexte général de 1 S 14 est celui de la guerre sainte, ce qui explique peut-être la présence du serment dans l’épisode. Mais la manière dont il y est inséré tend à montrer que Saül le prononce sans discernement. De plus, on peut se demander si ce serment, à ce point précis du récit, n’est pas déterminé par le scrupule d’un roi qui, conscient de son rejet, veut encore s’assurer à tout prix qu’il aura Adonaï à ses côtés, alors que le lecteur sait que celui-ci est déjà présent pour accorder la victoire par Jonathan. La question n’est donc plus relative à la piété en ellemême mais à la façon dont le roi rejeté s’y rapporte. En ce sens, la critique que Jonathan formule envers lui explicite le point de vue qui traverse le récit. Dès lors, se pose la question de savoir si justice est rendue à son comportement, lorsqu’on parle d’insubordination et de manque d’humilité, car il est loin d’être évident que ces catégories reflètent adéquatement l’horizon idéologique et thématique, voire éthique du récit. Au fond, si le prince et la troupe prennent à un certain moment la responsabilité de marquer publiquement leur désaccord avec le roi, c’est en raison du fait évident que le bon sens ne le guide plus. Que dire alors de la question de savoir si Jonathan est l’homme selon le cœur d’Adonaï ? Si le suspense n’est pas totalement levé à ce propos, l’épisode montre que le fils de Saül a un profil de candidat à bien des égards, mais que le comportement instable de son père a failli le précipiter dans le malheur. Nonobstant cette menace, la troupe, au moyen d’une intervention énergique, réaffirme son mérite, ce qui le maintient en lice et laisse ouverte néanmoins la question de savoir si c’est lui qu’Adonaï a dans le cœur. Si en 1 S 16,1–13, il devient évident que le choix divin s’est porté sur un autre, le lecteur comprend que ce n’est pas pour avoir personnellement démérité que Jonathan n’est pas choisi, mais que c’est sans doute plutôt en raison de la sentence prononcée contre son père, dont 1 S 15 a réaffirmé le caractère irrévocable. Pourtant l’initiative prise par le fils de Saül d’attaquer le poste des Philistins ne s’avère pas vaine. En effet, avec l’arrivée de David sur scène et sa manifestation publique en Israël, apparaît que la stature héroïque de Jonathan en 1 S 14 annonce par certains de ses traits celle de l’élu d’Adonaï.
E. Le fait d’armes de Jonathan comparé celui de David 3. E. Le fait d’armes de Jonathan comparé à celui de David
1 S 14 dépeint Saül et Jonathan en contraste. À première lecture, rien ne semble de ce fait pouvoir justifier qu’il y ait un lien entre ce chapitre et ceux relatifs à David. Or c’est justement la victoire du fils de Jessé contre un Phi60
Voir à ce propos BLENKINSOPP, « Jonathan’s Sacrilege », p. 427.
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Chapitre 3 : Jonathan et Saül
listin61 qui crée le parallélisme et invite le lecteur à revenir à 1 S 14 pour déterminer ce qui rapproche les deux faits d’armes et ce qui les distingue. Commençons par ce qui les rapproche : Qu’est-ce qui rend analogues les figures héroïques de Jonathan et de David ? D’abord les circonstances au plan national dans lesquelles l’un et l’autre décident d’entrer en action : le fils de Saül agit dans un contexte où les fils d’Israël se trouvent dans une sorte d’impasse : ils sont gagnés par la peur face à la supériorité technique (13,22) et numérique des Philistins (13,5–6). Cela n’est pas sans analogie avec la situation dans laquelle le fils de Jessé découvre l’armée d’Israël au front, paralysée par le défi lancé par un Goliath surarmé et au physique si imposant que même Saül dont on sait qu’il dépasse tout le monde de la tête et des épaules (1 S 9,2 ; 10,23) ne se sent pas capable de l’affronter. En outre, en décidant d’aller attaquer le poste des Philistins, Jonathan parle d’eux en les qualifiant d’incirconcis (v. 6 : ; ) ָהע ֲֵרלִיםil souligne de cette façon leur non-appartenance au peuple d’Adonaï et exprime ironiquement son mépris pour les futurs vaincus qu’ils seront. De même, David traite le Philistin Goliath d’incirconcis (17,26 : ) ֶהע ֵָרלqui défie les rangs du Dieu vivant. Dans cette perspective, si Jonathan monte contre le poste des Philistins, c’est fort de sa foi en Adonaï capable de sauver au moyen d’un grand nombre comme d’un petit (14,6). Il cherche à sonder la volonté divine à travers un signe qu’il reçoit (14,9–12). David, pour sa part, est animé aussi d’une foi profonde en Adonaï, dont il a cependant déjà expérimenté l’agir protecteur et providentiel dans sa vie de berger (17,34–37), ce qui fait qu’un signe serait inutile pour lui. Malgré ces nuances, il n’est pas infondé de dire que Jonathan et David se rejoignent dans leur foi au Dieu d’Israël, capable de donner la victoire à la guerre. Et il faut bien constater que leur initiative d’aller se battre pour leur peuple aboutit à la libération d’Israël de la menace des Philistins. En ce sens, l’un comme l’autre sont reconnus comme les instruments au moyen desquels Adonaï sauve Israël. Et grâce à ce statut de héros et d’instruments divins, le peuple prend la défense de Jonathan face à Saül en 14,45 ; de même Jonathan prendra le parti de David, pour le défendre face au même Saül en 19,5 62. Peut être aussi signalé le fait que devient par la suite collective63 la victoire que
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Plusieurs auteurs soulignent en effet qu’il y a un lien entre 1 S 14 et 1 S 17. Ainsi par exemple P. D. MISCALL, 1 Samuel: A Literary Reading (Indiana Studies in Biblical Literature), Bloomington, IN, 1986, p. 124 ; FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 143 ; EDELMAN, King Saul, p. 124 et suiv. 62 AUZOU, La danse devant l’arche, p. 189, fait aussi ce rapprochement, lorsqu’il observe que « Jonathan use d’arguments dont ses compagnons d’armes s’étaient servis pour le défendre lui-même naguère, devant Saül (14,45). 63 Voir en ce sens les poursuites de l’ennemi qui ont lieu toujours après l’exploit personnel. Pour des mentions analogues de ressemblances voir GARSIEL, The First Book of
3. E. Le fait d’armes de Jonathan comparé à celui de David
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l’un et l’autre rendent possible grâce à un exploit personnel démontrant leur bravoure et foi. Ils reçoivent également l’appui du peuple, Jonathan en 1 S 14,45 comme déjà mentionné, et David, en 1 S 18. À la lumière de ces considérations, il n’est pas injustifié de penser que l’enjeu de leur première rencontre interpersonnelle sur la scène du récit s’adosse à leur figure de champion d’Israël. Ce qui les distingue : Si les ressemblances relevées dans les récits de leur bravoure apparentent Jonathan et David, il est clair que des éléments au sein de ces mêmes récits affirment aussi leur particularité irréductible. Ainsi les circonstances au plan personnel dans lesquelles Jonathan provoque une victoire pour Israël contre les Philistins s’avèrent différentes, sous certains angles, de celles dans lesquelles David intervient, de même que la manière. D’une part, il est évident que Jonathan, lorsqu’il lance son attaque en 1 S 14 est déjà un soldat à tous points de vue. Il a en tout cas une section d’hommes sous son commandement (13,2), dispose d’une épée (13,22), ce qui ne sera pas le cas de David qui est présenté comme un jeune berger 64 inexpérimenté pour la guerre (17,12– 17.28.33–37) et qui combattra avec sa fronde de berger. En revanche, au moment où il intervient dans le conflit avec les Philistins, le fils de Jessé est déjà oint par Adonaï et a déjà reçu son esprit (16,13). Sur un autre plan, Jonathan prend lui-même l’initiative de lancer l’attaque contre le poste des Philistins (14,1.6) sans impliquer ni son père ni le reste de l’armée. Il part avec son seul écuyer. David, lui, arrive au front et découvre presque par hasard le peuple aux prises avec un défi qui le paralyse de peur. C’est alors qu’il se propose pour le relever, mais dans l’intérêt de recevoir la récompense promise (17,25–27). Il expose donc son projet aux hommes qui l’entourent puis au roi, avant d’aller contre Goliath. Quand il s’avance au combat il le fait donc sous le regard de l’armée, tandis que Jonathan lance une attaque surprise à laquelle l’armée ne se joindra que dans un second temps. Une autre distinction réside dans le fait que David et Goliath parlent beaucoup entre eux (17,43–47) alors que Jonathan n’échange pas de parole avec les Philistins. De même David converse en toute sérénité avec Saül, pendant que le propre fils de ce dernier ne semble pas bénéficier d’une relation apaisée avec lui.
Samuel, p. 119 ; J. Cheryl EXUM, Fragmented Women. Feminist (Sub)versions of Biblical Narratives (JSOT.S 163), Sheffield 1993, p. 52, etc. . 64 WÉNIN, David, Goliath et Saül, p. 59, parle à ce propos de « Mise en scène de la victoire du pasteur sur le guerrier, une victoire qui offre au Seigneur de se révéler comme un Dieu qui libère son peuple de l’agresseur injuste par la main d’un pâtre qui défend son troupeau ».
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Chapitre 3 : Jonathan et Saül
Si le fils de Jessé doit lutter contre un géant (17,4–7), Jonathan, lui, de conserve avec son porteur d’armes, se lance contre un poste tout entier. C’est donc naturellement en duo qu’ils frappent la vingtaine de Philistins (14,14), tandis que David achève lui-même Goliath au moyen de sa propre épée (17,52). Enfin la poursuite des Philistins qui a lieu après la décapitation de Goliath semble menée à bien et le pillage consécutif à la victoire (17,52–53). Cela n’est pas le cas en 1 S 14,46 où, en raison des événements causés par le serment du roi, il a fallu en cesser la poursuite et l’exploitation du succès militaire. À la lumière de ces considérations, certaines différences jouent en faveur de David. Dans cette perspective, peut s’inscrire son triomphe manifestement total. Il n’a pas eu besoin en effet de recourir à un quelconque serment pour tenter de le garantir. En ce sens, rien n’est alors venu assombrir la victoire ou l’entraver par de fâcheux incidents. On n’enregistre donc pas à cet égard de tensions ni de drame entre l’armée et le roi. Mais c’est surtout le portrait esquissé de David, lorsqu’il se présente pour combattre Goliath, qui accroît son avantage : il est dépeint en effet comme un tout jeune berger, sans expérience aucune de guerre, son initiative d’aller au duel contre un monstre de guerre rend son geste beaucoup plus périlleux que celui de Jonathan et partant, sa victoire beaucoup plus éclatante. Cela met aussi davantage en évidence l’implication divine à ses côtés. Et si, au moment de la guerre contre les Philistins, Jonathan était bien présent au front – comme le suggère son apparition en 1 S 18,1 –, il en résulte que David qui accepte, à cette même occasion, de relever le défi de Goliath dès qu’il l’entend, fait montre de beaucoup plus de courage et de bravoure. On comprend dès lors que le fils de Saül lui cède ses armes et sa tenue de soldat en 18,4. Mais n’anticipons pas, car ce passage fera l’objet d’analyse au chapitre suivant.
Chapitre 4
Jonathan, David et Saül Dans le conflit entre Saül et David, Jonathan apparaît en 1 S 18,1–4 ; 19,1–7 ; 20,1–21,1 ; 22,6–8 ; 23,16–18 ; 31,2 ; 2 S 1,1–16. 17–27. Le nombre de scènes ainsi répertoriées et délimitées sur la base de la présence du fils de Saül indique qu’il occupe une place non négligeable dans ce conflit. Selon le type de présence du personnage, ces scènes peuvent se classer en deux catégories : celles où Jonathan est présent pour ainsi dire par lui-même, à savoir 1 S 18,1–4 ; 19,1–7 ; 20,1–21,1 ; 23,16–18, et celles où il est rendu présent parce qu’évoqué intradiégétiquement1 par un autre personnage (1 S 22,6–8 ; 2 S 1,17–27). Au fond c’est Saül et David qui évoquent ainsi Jonathan : ils donnent chacun sa lecture de la relation du prince avec David. Aussi est-ce sous l’angle de l’évaluation qu’ils en font que seront abordés 1 S 22,6–8 et 2 S 1,17–27 (surtout 1,26). Mais avant cela, nous allons procéder à l’analyse narrative des scènes où Jonathan apparaît en vrai protagoniste. Nous serons particulièrement attentif à mettre en lumière les relations entre ces scènes de façon à dégager l’apport particulier de chacune dans le rôle et la caractérisation du personnage. Nous poserons la question de savoir comment, par qui ou par quoi Jonathan est caractérisé. La même démarche sera d’ailleurs appliquée aussi au personnage de Mikal. Pour commencer, voici une traduction personnelle du récit du TM relatif à Jonathan :
A. Textes traduits I Samuel
4. A. Textes traduits
18, 1–4 Et quand il [David] eut fini de parler à Saül, l’âme de Jonathan s’attacha à l’âme de David et Jonathan l’aima comme lui-même [litt. : comme son âme]. 2 Et Saül le prit ce jour-là et ne lui donna pas de retourner à la maison de son père. 3 Et Jonathan conclut une alliance avec David2 car il l’aimait comme lui-même [litt. : comme son âme]. 4 Et Jonathan 1
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« Est appelé intradiégétique ce qui est interne au récit, comme les personnages et les types de relations qui les relient et structurent le développement de l’intrigue » (ALETTI, Vocabulaire raisonné, p. 74). 2 Littéralement : « Jonathan et David » seraient les sujets, mais le waw ici se prête davantage à un waw d’accompagnement (cf. JOÜON, §150p). Le contexte indique que c’est Jonathan qui prend l’initiative. C’est lui qui donne ses habits alors que David reste passif
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
se dépouilla du manteau qu’il avait sur lui et le donna à David ainsi que sa tenue et jusqu’à son épée, et jusqu’à son arc et jusqu’à sa ceinture. 19,1–7 1 Et Saül parla à Jonathan, son fils et à tous ses serviteurs de faire mourir David, mais Jonathan fils de Saül trouvait beaucoup de plaisir en David. 2 Et Jonathan informa David en disant : « Saül, mon père est en train de chercher à te faire mourir. Et maintenant sois sur tes gardes, s’il te plaît, au matin et tu resteras en un lieu secret et tu te cacheras. 3 Quant à moi, je sortirai et je me tiendrai debout à côté de mon père dans la campagne où toi, tu seras et moi je parlerai de toi à mon père et je verrai quoi et je t’informerai. » 4 Et Jonathan parla en bien de David à Saül, son père et il lui dit : « Que le roi ne pèche pas contre son serviteur, contre David ! Car il n’a pas péché contre toi et car ses actions ont été bonnes pour toi beaucoup. 5 Et il a placé son âme dans sa paume et il a tué le Philistin et Adonaï fit une grande délivrance pour tout Israël ; tu as vu et tu t’es réjoui. Et pourquoi pécherais-tu contre un sang innocent en faisant mourir David sans cause ? » 6 Saül entendit la voix de Jonathan et Saül jura : « Par la vie d’Adonaï, il ne sera pas mis à mort ! » 7 Et Jonathan appela David et Jonathan l’informa de toutes ces paroles et Jonathan amena David à Saül et il fut devant lui comme auparavant. 20,1–21,1 1 Et David prit la fuite de Nayoth en Rama et il arriva et dit devant Jonathan : « Qu’est-ce que j’ai fait ? Quelle est ma faute et quel est mon péché devant ton père, car il est en train de chercher mon âme ? » 2 Et il lui dit : « Loin de là ! Tu ne mourras pas ! Voici, mon père ne fait rien de grand ou rien de petit3 sans qu’il [le] révèle à mon oreille. Pourquoi mon père m’aurait-il caché cette chose ? Cela n’est pas [possible] ! » 3 Et en outre4 David jura et dit : « Ton père sait certainement que j’ai trouvé grâce à tes yeux. Et il s’est dit : ‘que ne sache pas cela Jonathan de peur qu’il ne se peine.’ Mais par la vie d’Adonaï et par la vie de ton âme, c’est comme un pas entre moi et la mort ! » 4 Et Jonathan dit à David : « Que dit ton âme ? Et je ferai pour toi. »5 5 Et David dit à Jonathan : « Voici la nouvelle lune demain et moi je devrais m’asseoir avec le roi pour manger. Et tu me laisseras partir et je me cacherai dans la campagne jusqu’au troisième soir6. 6 Si ton père note mon absence, tu (cf. le v. 4). Il n’est donc pas erroné de traduire « Jonathan conclut...avec David ». Toutefois l’indétermination peut être aussi significative. 3 Litt. : Une chose grande ou une chose petite. 4 שּׁבַע עוֹד ָ ִ ַויּlitt. : Et David jura encore [...]. Mais comme dans les versets précédents il n’a nullement été question d’un serment quelconque, il s’avère peu pertinent de rendre עוֹד par son sens habituel de « encore ». La nuance « en outre » est préférable ici. (cf. D. BARTHÉLEMY, Critique Textuelle de l’Ancien Testament. Rapport final du comité pour l’analyse textuelle de l’Ancien Testament hébreu institué par l’Alliance Biblique Universelle. 1 : Josué, Juges, Ruth, Samuel, Rois, Chroniques, Esdras, Néhémie, Esther (OBO 50/1), Fribourg/Göttingen, 1982, p. 195). 5 Le sens serait que : ce que tu diras toi-même je le ferai pour toi. 6 שׁית ִ שּׁ ִל ְ ַה: la troisième. Par rapport à quoi, par rapport à soir ( ? ) ָה ע ֶֶרבLe contexte immédiat porte à le croire. L’unique problème est que soir est masculin en hébreu alors que שׁית ִ שּׁ ִל ְ ַהest féminin. À cause de cela, certains proposent de ne pas le lire en association à ע ֶֶרב, mais de le comprendre comme « troisième jour » (H. W. HERTZBERG, I & II Samuel. A Commentary [OTL], London, 1964, p. 168). Toutefois en ce cas aussi, le mot hébreu pour jour, יוֹם, est masculin. Du coup, d’autres s’appuient sur la LXX d’où l’épithète est absente, pour l’omettre simplement (c’est ce que font Osty et la BJ). D’autres enfin suggè-
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diras : ‘David m’a instamment demandé [la permission] de courir à Bethléem, sa ville, parce qu’il y a le sacrifice annuel là pour toute la famille’. 7 Si ainsi il dit : ‘bon !’, c’est paix pour ton serviteur, mais s’il s’enflamme vraiment, sache que le mal est décidé par lui ! 8 Et tu feras loyauté envers ton serviteur car dans une alliance d’Adonaï tu as amené ton serviteur avec toi. Et s’il y a en moi une faute, fais-moi mourir toi [-même] ! Et pourquoi devrais-tu m’amener jusqu’à ton père ? » 9 Et Jonathan dit : « Loin de toi ! Car si je savais vraiment que le mal est décidé par mon père pour arriver sur toi, de cela je ne t’informerais pas ? » 10 Et David dit à Jonathan : « Qui m’informera si7 ton père te répond durement ? » 11 Et Jonathan dit à David : « Va, sortons dans la campagne ! » Et ils sortirent eux deux dans la campagne. 12 Et Jonathan dit à David : « Par Adonaï le Dieu d’Israël8 ! En effet je sonderai mon père à pareil9 moment après-demain et voici quelque chose de bon envers David, est-ce que je ne t’enverrai pas alors [de message] et ne [le] révèlerai pas à ton oreille ? 13 Qu’Adonaï fasse ainsi à Jonathan et encore ainsi ! Car [s’]il paraît bon à mon père de [faire]10 du mal sur toi, je le révèlerai à ton oreille et je te laisserai partir et tu t’en iras pour [la] paix. Et qu’Adonaï soit avec toi comme il a été avec mon père. 14 Et n’est-ce pas, si je suis encore en vie, n’est-ce pas que tu feras loyauté d’Adonaï avec moi ! Et n’estce pas si je meurs11, 15 tu ne couperas pas ta loyauté d’avec ma maison pour toujours, même pas quand Adonaï coupera tous les ennemis de David, chacun de la surface de la terre. 16 Et comme Jonathan a conclu [une alliance] avec la maison de David, Adonaï en demandera compte aux ennemis de David ». 17 Et Jonathan continua de faire jurer12 David dans son amour de lui, car il l’aimait de l’amour de son âme.
rent de traduire שׁית ִ שּׁ ִל ְ ַהpar : « la troisième fois » (cf. G. R. DRIVER, « Old Problems ReExamined », ZAW 80 (1968), pp. 175–177 ; ACKROYD, The First Book of Samuel, p. 164 ; la TOB). Cette traduction a au moins l’avantage de respecter le genre de l’adjectif. Cela supposerait que David se cacherait dans la campagne pour la troisième fois ou que Jonathan entreprendrait sa troisième intervention auprès de son père en faveur de son ami David, ce qui est loin d’être clair dans le texte. L’explication la plus probable et la plus simple, nous semble-t-il, est qu’il y a erreur d’accord de l’épithète avec soir. En tout cas le contexte plaide pour une compréhension de cette épithète dans la ligne de la chronologie de la fête de la nouvelle lune. Ce qui implique que David aurait prévu exactement le temps qu’aurait pris le sondage de Jonathan. Cela semble bien curieux et fait penser à une glose (cf. E. DHORME, Les livres de Samuel [EB], Paris, 1910, p. 180 : « C’est une glose d’après le v. 19 » ; autrement dit, quelqu’un qui connaît la suite de l’histoire, a voulu préciser en anticipant les choses dès ce point du récit). Quoi qu’il en soit, le texte en son état actuel indique que David était conscient du temps qu’il fallait pour mener le test. 7 אוֹ: ou. Ce mot ne convient évidemment pas ici. Manifestement il y aurait eu confusion entre ִא םet אוֹ. Le contexte exprime l’idée d’éventualité plutôt que celle d’alternative. [attestations de la correction ? comment ?] 8 Il s’agirait d’un serment (cf. BARTHÉLEMY, Critique textuelle, p. 196). 9 Nous reviendrons plus loin sur ce passage (v. 12–16) pour justifier la traduction proposée (cf. pp. 116–125). 10 La présence d’un verbe ici semble opportune. Mais aucun témoin textuel ne permet d’aller dans ce sens. 11 L’allure générale de cette phrase n’est pas très claire. La traduction est en fonction de son interprétation. 12 La LXX a lu plutôt un Qal au lieu du Hiphil.
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül 18
Et Jonathan lui dit : « Demain, c’est la nouvelle lune et tu seras noté comme absent parce que ton siège sera noté vide13 . 19 Et tu attendras trois jours14, et tu descendras vite15 et tu arriveras à la place où tu t’es caché le jour du fait et tu t’assiéras près de la pierre Ezel. 20 Quant à moi je tirerai trois flèches vers le côté en me donnant une cible. 21 Et voici j’enverrai le garçon : ‘va, trouve les flèches !’ Si je dis expressément au garçon : ‘Voici, les flèches de ce [côté-]ci de toi, prends-les’ alors arrive, car c’est la paix pour toi et il n’y a rien, par la vie d’Adonaï ! 22 Et si ainsi je dis au jeune homme : ‘voici les flèches au-delà de toi’, va, car Adonaï te laisse partir ! 23 Quant à la parole dont nous avons parlé toi et moi, voici Adonaï est entre toi et moi pour toujours ! » 24 Et David se cacha dans la campagne. Et ce fut la nouvelle lune, et le roi s’assit à table pour manger. 25 Le roi s’assit sur son siège comme les autres fois, au siège au mur et Jonathan resta debout16, et Abner s’assit à côté de Saül et la place de David fut notée vide. 26 Et Saül ne parla rien ce jour-là car il [se] disait : « C’est un accident ! Il n’est pas pur ! Oui, il n’est pas pur »17 . 27 Le lendemain de la nouvelle lune, le second jour, la place de David fut notée vide. Et Saül dit à Jonathan son fils : « Pourquoi le fils de Jessé n’est-il pas arrivé ni hier ni aujourd’hui à table ? » 28 Et Jonathan répondit à Saül : « David a demandé instamment [la permission] d’avec moi pour [aller] jusqu’à Bethléem. 29 Et il a dit ‘laisse-moi partir, s’il te plaît, car nous avons un sacrifice de famille dans la ville et mon frère me l’a ordonné. Et maintenant, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, que je me sauve, s’il te plaît, pour voir mes frères !’ C’est pourquoi il n’est pas arrivé à la table du roi. » 30 Et la colère de Saül s’enflamma contre Jonathan et il lui dit : « Fils de dévergondée rebelle ! Est-ce que je ne sais pas que toi, tu prends parti18 pour le fils de Jessé pour ta honte et pour la honte de la nudité de ta mère ? 31 Car tout le temps que le fils de Jessé sera vivant sur la terre, tu ne seras pas établi, toi et ton règne. Et maintenant envoie et prends-le-moi, car il est un fils [digne] de mort ! » 32 Et Jonathan répondit à Saül son père et il lui dit : « Pourquoi serait-il mis à mort ? Qu’a-t-il fait ? » 33 Et Saül jeta la lance sur lui pour le tuer. Et Jonathan [sut] reconnut que c’était décidé par son père de faire mourir David. 34 Et Jonathan se leva de la table, enflammé de colère, et ne mangea pas de pain le second jour de la nouvelle lune, car il était peiné pour David car son père l’avait humilié. 35 Et le matin, Jonathan sortit dans la campagne pour le rendez-vous de David et un petit garçon était avec lui. 36 Et il dit au garçon : « Cours, trouve, s’il te plaît, les flèches que moi je vais tirer ». Pendant que le garçon courait, il tira la flèche de manière à le dépasser19 . 37 Et le garçon arriva jusqu’à la place de la flèche que Jonathan avait tirée et Jonathan appela après le garçon et dit : « Est-ce que la flèche n’est pas de ce côté-là de toi ? » 38 Et Jonathan appela après le garçon : « Vite, dépêche-toi, ne t’arrête pas ! » Et le 13
Litt. : Sera noté absent. Mais pour une chaise cela sonnerait bizarre. שׁ ָתּ ְ שׁ ַלּ ִ ְו: ou aussi tu attendras le troisième jour. 15 ֵתּ ֵרד ְמ א ֹד: litt. : Tu descendras beaucoup. Le beaucoup ici sonne étrange à moins qu’on le comprenne au sens de vite (cf. BARTHÉLEMY, Critique Textuelle, pp. 198–199). Voir un parallèle en Jr 2,36. 16 La LXX dit : Et Jonathan s’assit en face (προέφθασεν). Dans un contexte de répartition des places à table cela est beaucoup plus logique. Le TM aurait-il par inattention omis une lettre changeant ainsi de verbe comme le supposent les critiques ? (cf. BARTHÉLEMY, Critique Textuelle, p. 200). A priori, ce n’est pas à exclure. 17 Saül attribue l’absence de David à un empêchement ayant trait à la pureté rituelle. 18 Litt. : Tu choisis. 19 Litt. : Pour le dépasser. 14
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garçon de Jonathan ramassa les flèches et arriva vers son maître. 39 Or le garçon ne savait rien ; seulement Jonathan et David savaient l’affaire. 40 Et Jonathan donna ses armes au garçon qui était pour lui et il lui dit : « va, amène (-les) à la ville ! » 41 Le garçon partit [litt. : arriva]. Et David se leva du côté du sud20 et tomba face contre terre et il se prosterna trois fois et ils s’embrassèrent l’un l’autre et ils pleurèrent l’un l’autre jusqu’à ce que David fasse plus21. 42 Et Jonathan dit à David : « Va pour la paix que nous nous sommes jurée nous deux dans le nom d’Adonaï en disant : ‘Adonaï sera entre toi et moi, entre ma descendance et ta descendance pour toujours’ ». 21 1 Et il22 se leva et s’en alla. Et Jonathan arriva à la ville. 22,6–8 Et Saül entendit que David avait été reconnu et des hommes qui étaient avec lui. Et Saül était assis à Guibéa sous le tamaris, sur la hauteur, et sa lance dans sa main et tous ses serviteurs étaient debout auprès de lui. 7 Et Saül dit à ses serviteurs qui étaient debout auprès de lui : « Ecoutez, s’il vous plaît, Benjaminites ! À vous tous aussi le fils de Jessé donnera-t-il des champs et des vignes ? Vous placera-t-il vous tous chefs de mille et chefs de cent 8 pour que vous complotiez vous tous contre moi et qu’il n’y ait personne qui révèle à mon oreille quand mon fils conclut une alliance avec le fils de Jessé et qu’il n’y ait personne d’entre vous qui soit malade pour moi et qui révèle à mon oreille que mon fils a soulevé mon serviteur contre moi en dresseur d’embuscade comme en ce jour même ? » 6
23,16–18 16 Et Jonathan fils de Saül se leva et il alla chez David à Horeshah. Il l’encouragea23 par Dieu. 17 Et il lui dit : « Ne crains pas ! Car la main de Saül mon père ne te trouvera pas. Et c’est toi qui règneras sur Israël et moi je serai pour toi un second. Saül aussi mon père sait que c’est ainsi. » 18 Et eux deux conclurent une alliance devant Adonaï. Et David resta à Horeshah et Jonathan alla à sa maison. 31,1–2 1 Or les Philistins étaient en train de faire la guerre contre Israël. Les hommes d’Israël s’enfuirent de la face les Philistins et des victimes tombèrent sur la montagne de Guelboé. 2 Et les Philistins serrèrent de près Saül et ses fils. Les Philistins tuèrent Jonathan, Abinadab et Malki-Shua, les fils de Saül.
20 ֵמ ֵאצֶל ַהנֶּגֶב: Du côté du sud. C’est ce que dit le TM. Mais il n’est pas impossible que « ַהנֶּגֶבSoit le fruit d’une corruption » comme le suggère BARTHÉLEMY, Critique textuelle, p. 199. 21 עַד־ ָדּוִד ִהגְ ִדּיל: litt. : Jusqu’à ce que David rende grand, fasse grand... Traduit ainsi on ne voit pas quel sens cela pourrait avoir dans le contexte. En témoigne la grande diversité des traductions : jusqu’au grand jour (DHORME, Les livres de Samuel, p. 190) ; pleurèrent ensemble abondamment (Osty et BJ) ; jusqu’à ce que David eût pris le dessus (TOB). À notre sens, le contexte très immédiat suggérerait l’idée de jusqu’à ce que David ait pleuré plus… Ainsi nous traduisons le verbe par fasse plus. 22 Le « Il » ici est mis pour David. 23 ַוי ְ ַחזּ ֵק ֶא ת־י ָדוֹ: litt. : Il rendit forte sa main. Une tournure idiomatique.
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
2 Samuel 1,17–27 17 Et David entonna cette complainte24 sur Saül et sur Jonathan son fils. 18 Et il dit : à apprendre aux fils de Juda. Arc. Voici c’est écrit sur le livre du Juste25. 19 Oh beauté26 d’Israël, victime sur tes places élevées. Comment sont-ils tombés les héros ? 20 N’informez pas à Gat ! Ne portez pas la nouvelle dans les rues d’Ashqelon de peur que ne se réjouissent les filles des Philistins, de peur que n’exultent les filles des incirconcis. 21 Montagnes de Guelboé, qu’il n’y ait pas de rosée et pas de pluie sur vous. Ni de champs fertiles27 parce que là a été souillé le bouclier des héros. Le bouclier de Saül n’était pas oint d’huile ; 22 Du sang des victimes, de la graisse des héros l’arc de Jonathan ne recula pas et l’épée de Saül ne retourna pas vide. 23 Saül et Jonathan, aimables et charmants ! Dans leur vie et dans leur mort ils ne furent pas séparés. Plus que les aigles ils étaient rapides, plus que les lions ils étaient forts. 24 Filles d’Israël, pleurez sur Saül qui vous habillait d’écarlate avec des parures et qui faisait monter des ornements d’or sur vos vêtements. 25 Comment sont-ils tombés les héros au milieu de la bataille ? Jonathan a été victime sur tes places élevées. 26 Je suis en détresse pour toi mon frère Jonathan. Tu m’étais charmant, beaucoup, ton amour m’était plus merveilleux que l’amour des femmes. 27 Comment sont-ils tombés les héros et les armes de guerre ont-elles péri ?
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Le verbe ַוי ְקֹנ ֵןutilisé ici indique qu’il s’agit d’une complainte funèbre. Nous traduisons le texte tel qu’il se présente. Certains proposent de l’amender et de rendre arc par choses dures, réalités douloureuses (cf. FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 651). Les deux mots signifiant ces deux choses sont bien voisins en hébreu par leur orthographe. Mais nous n’en voyons pas la nécessité. Bien probablement il s’agit d’un entête que le compositeur met à son poème et des indications qu’il donne, à la manière de ce qui est en usage dans les psaumes. Cela expliquerait suffisamment son allure elliptique qui le rend quelque peu obscur au premier abord. Par ailleurs, comme le soulignent les différents commentaires on ne sait pas plus du « Livre du Juste » évoqué ici si ce n’est qu’il en est fait mention aussi en Jos 10,13. 26 ַה ְצּבִי: Même si d’emblée on peut penser avoir affaire à un article défini, le contexte semble indiqué qu’il s’agit d’un ַהinterrogatif avec valeur exclamative, ainsi que l’expliquent CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 369. Pour la nuance exclamative de l’adverbe interrogatif, voir JOÜON, §161b. Quant à ְצּ בִי, il signifie « gazelle » et en un second sens, « beauté » ou « gloire ». Dans ce sens, voir CARTLEDGE, 1 & 2 Samuel, p. 355. 27 שׂ ֵדי ְתרוּמ ֹת ְ וּ: litt. : Des campagnes ou champs de prélèvements, i.e. où on prélevait pour les offrandes, les prémices. 25
4. B. 1 S 18,1–4 : Jonathan noue une relation avec David
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B. 1 S 18,1–428 : Jonathan noue une relation avec David 4. B. 1 S 18,1–4 : Jonathan noue une relation avec David
1 S 18,1–4 est la toute première scène du récit Saül-David à présenter Jonathan en relation avec David. La façon dont elle s’ouvre la rattache grammaticalement à ce qui précède : ( ַויְהִי ְכּכַֹּלתוֹv. 1), ce qui fait d’elle l’épilogue de 1 S 17,55–58. Mais d’un point de vue purement dramatique, l’entrée en scène de Jonathan comme nouveau personnage et le fait que David doive rester désormais à la cour du roi ouvriraient ici un nouveau chapitre29 des relations entre Saül et David. C’est peut-être pareille lecture qui a prévalu pour que cette scène se voie placée en tête du ch. 18. D’emblée, le récit épouse le regard de Jonathan sur David avant de donner au lecteur une posture de spectateur qui saisit, dès son éclosion, le mouvement de l’âme de Jonathan vers celle de David, grâce à une focalisation interne par le narrateur. Absent tout au long du duel contre Goliath, Jonathan fait ici une entrée soudaine. L’élan qui part des profondeurs de lui-même vers David est qualifié d’amour () ַויּ ֶ ֱא ָהבֵהוּ. En ce sens, la seconde partie du verset (v. 1b) explicite la première (v. 1a). L’impression ainsi créée chez le lecteur est celle d’assister en direct à un coup de foudre30. Et ce, d’autant plus que rien ne laissait prévoir un tel mouvement de l’âme en Jonathan, et que rien ne le motive. Le narrateur en livre une description, sans plus. Le lien qui se noue est décrit par le verbe שׁר ַ ָקqui signifie « attacher », mais qui peut avoir aussi le sens de « conspirer ». On ne sait pas non plus si David réalise ce dont il est l’objet, étant donné qu’il ne réagit pas. En outre le texte suggère, avec la double mention du nom de Jonathan dans ce seul verset, qu’il s’agit d’un amour à sens unique, allant de celui-ci à David. De même, la répétition de נֶפֶשׁqui, dans le contexte, peut être traduit par « âme », « cœur » ou « personne »31 indique à quel niveau d’intériorité se situe l’élan qui part du prince. Le v. 2 suspend l’axe de la relation de Jonathan avec David pour revenir à celui de Saül et David, comme si l’amour naissant de Jonathan pour David était venu finalement s’entremettre dans une rencontre entre son père et David, rencontre qui était, au fait, à son point d’orgue. Certes David a fini de répondre à Saül, mais cela signifie-t-il que leur échange s’arrêtait là ? Il semble que non, au vu du v. 2. À moins que la décision de Saül de prendre et garder David au service de la cour, en permanence, ne soit dictée par le mou28
Pour rappel, ces versets manquent dans la version grecque qui commence en fait à ce qu’on a au v. 6 du texte massorétique. 29 CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 219, parlent aussi d’« autonomie du récit » par rapport à 1 S 18,1. Voir également W. BRUEGGEMANN, « Narrative Coherence and Theological Intentionality in 1Samuel 18 », CBQ 55 (1993), p. 227. 30 C’est d’ailleurs le titre qu’Y. PELEG donne à un de ses articles : « Love at First Sight ? David, Jonathan, and the Biblical Politics of Gender », JSOT 30 (2005), pp. 171– 189. 31 C. WESTERMANN, « נֶפֶשׁnepeš soul », TLOT, II, p. 750.
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
vement de l’âme de Jonathan 32. La proximité des deux versets et sans doute aussi le fait que le wayyiqtol situe le v. 2 dans la suite chronologique du v. 1 appellent, en effet, à déterminer la nature logique de leur relation. Par ailleurs le geste de Saül crée une certaine évolution par rapport à ce qui est narré en 17,15. Sur vouloir du roi, David est amené à transférer sa résidence principale de la maison paternelle à la cour royale. Il devient alors ainsi membre de celle-ci. Sous cet angle, l’attachement de Jonathan et le rattachement à temps plein à la cour royale apparaissent comme les retombées immédiates de sa victoire sur Goliath. Au v. 3, le récit renoue avec le thème qui commence au v. 1 avec Jonathan. Le fait de passer de Jonathan à Saül puis de ce dernier à Jonathan achève de créer l’effet d’un enchevêtrement de leurs actions qui prennent toutes David pour objet. Père et fils se montrent ainsi bien disposés et tout dévoués envers celui qui vient de remporter une grande victoire. Ils révèlent de cette façon qu’ils ont été bien impressionnés au point que l’on peut se demander si l’attention soudaine et accrue qu’ils manifestent vis-à-vis de David n’est pas à comprendre comme étant l’expression d’une certaine gratitude33 pour la victoire remportée. La question se pose si l’on se dit qu’en acceptant d’aller se battre contre Goliath, ce n’est pas seulement Israël que David délivre. Il rend aussi service à Saül dont il endosse la mission reçue en 1 S 9,16 et pourquoi pas également à son fils qui s’est jadis illustré (1 S 14) et dont on aurait été en droit d’attendre qu’il tire encore d’affaire le peuple confronté à une situation critique. À l’élan intime rapporté au v. 1, Jonathan donne une expression extérieure d’engagement en 18,3. Dans le contexte, le contenu ou la nature de cet engagement sous forme de pacte בּ ְִריתrestent encore à définir, mais il semble grosso modo évident que Jonathan entend conférer à l’amour qu’il éprouve pour David une assise formelle ; en tout cas il prend soin de l’inscrire dans la durée, pour, d’une part, faire ressortir davantage son caractère sérieux et d’autre part le placer sur l’horizon du futur. Jacques Vermeylen a raison de parler en 32 CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 219, estiment à cet égard que Jonathan « Est intervenu auprès de Saül pour que celui-ci prenne David à son service ». Mais, à dire vrai, cet élément ne figure pas dans le texte. Pour M. VAN TREEK NILSSON, Expresión literaria del placer en la Biblia Hebrea (Asociación Bíblica española 51), Estella, 2010, pp. 221–222, Saül maintiendrait David ainsi sous contrôle. 33 Pour EDELMAN, King Saul, p. 136, c’est une façon pour Saül de s’assurer la bénédiction indirecte de David et de pouvoir le surveiller afin d’éviter toute tentative de coup d’État. Car selon elle, le roi aurait déjà eu vent de l’onction de David par Samuel. Il nous semble plutôt que c’est tout le contraire : Saül est toujours de bonne foi, à ce stade du récit, parce que, à la différence du lecteur, il ignore l’identité profonde de David et n’a pas encore tiré toutes les implications de son duel victorieux. Dès qu’il aura les premiers soupçons sur les chances réelles de David à prétendre au trône, sa bienveillance se transformera en hostilité (1 S 18,7–9).
4. B. 1 S 18,1–4 : Jonathan noue une relation avec David
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ce sens de « promesse solennelle, qui a force juridique »34. En outre, ce pacte se fonde sur « son amour de lui comme lui-même ». Les pronoms de la 3e personne du singulier employés ici peuvent prêter à confusion, mais le contexte est suffisamment clair, notamment à la lumière de ce qui est rapporté au v. 1, pour indiquer qu’il s’agit de l’amour de Jonathan pour David. C’est d’ailleurs une raison de plus pour préférer la lecture qui fait de Jonathan le seul vrai sujet grammatical du verbe ַויִּכְר ֹת35 et de David, son complément ; même si la construction syntaxique de la phrase, en préfixant un waw à David () ְו ָדוִד, fait spontanément penser à un double sujet. Il faut dire que toute équivoque aurait été évitée si, au lieu de ְו, la préposition עִםpar exemple, qui couramment signifie « avec », avait été utilisée. Pourtant l’indétermination induite par le waw est loin d’être sans signification : tout en maintenant entière l’initiative de Jonathan, elle laisse ouverte la possibilité selon laquelle David serait aussi partie prenante du pacte, dès sa première mention dans la trame. Ce qui n’est pas sans incidence, lorsqu’il s’agit de s’interroger sur le caractère bilatéral de leur relation. Par ailleurs, il n’est pas improbable que le lexème אהבfortement employé dans cette scène – il le sera aussi dans le reste du ch. 18 – ait, surtout en association avec d’autres éléments de l’intrigue, des connotations politiques comme le suggère J. A. Thompson 36. Cela étant, il faut dire que le récit, dans son ensemble, met aussi beaucoup en avant la dimension personnelle et émotionnelle de l’attachement de Jonathan à David au point d’en faire le fondement de ses initiatives. À cet amour, le fils de Saül fournit un gage supplémentaire au v. 4 : il se dépouille de son manteau, de sa tenue et de ses armes pour les donner à David. Ce geste est rapporté dans son ampleur, car le texte ralentit pour l’énoncer en plusieurs séquences où sont mis en relief le renoncement, puis le don. Ora H. Prouser dira à ce sujet qu’« il est important que le texte souligne que ceci n’était pas simplement un don d’habits, mais plutôt le fait qu’une personne se dépouille de ses vêtements et les transfère à une autre »37. D’où la question de savoir si ce n’est pas une manière pour le narrateur de marquer la générosité38 extrême du geste. Tout cela, en effet, semble 34
VERMEYLEN, La loi du plus fort, p. 102. Ce qui expliquerait que le verbe soit au singulier. 36 J. A. THOMPSON, « The Significance of the Verb Love in the David-Jonathan Narratives in 1 Samuel », VT 24 (1974), pp. 334–338 ; voir aussi P. T. ACKROYD, « The Verb Love-ʾĀhēb in the David-Jonathan Narratives : A Footnote », VT 25 (1975), pp. 213–214. 37 O. H. PROUSER, « Suited to the Throne : the Symbolic Use of Clothing in the David and Saul Narratives », JSOT 71 (1996), pp. 31–32 : « It is significant that the text emphasizes that this was not simply a gift of clothing, but rather, the removal of garments from one person and their transfer to another ». 38 La préposition עַדexprime à mon sens le caractère extrême du geste. FOKKELMAN, The Crossing Fates, pp. 198–199, attire l’attention sur le renoncement qui vient avant le don. Voir aussi B. COSTACURTA, Con la cetra e con la fionda. L’ascesa di Davide verso il 35
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
excessif et gratuit ! Mais peut-être vise-t-il à souligner – du moins en surface – l’expression de la sincérité et de l’intensité de l’élan éprouvé. Aussi, le lecteur ne peut manquer d’établir le parallèle avec le geste de Saül en 17,38–39. Le roi en personne s’était dessaisi spontanément de ses vêtements et de ses armes en faveur de David qui venait de se porter candidat pour relever le défi contre Goliath. Toutefois, à l’essai, ces vêtements s’étaient avérés plus un obstacle qu’une aide pour David. En 18,4, en revanche, rien ne paraît poser problème, si, du moins, on peut ainsi interpréter le manque de réaction rapportée de la part de David. En ce sens, Prouser 39 note avec à-propos combien « enlever les vêtements est aussi important que les porter chez celui qui les reçoit » et Gunn observe que « David peut recevoir de Jonathan ce qu’il ne peut pas recevoir de Saül »40. Sans doute, l’âge de Jonathan et David qui sont vraisemblablement de la même génération peut-il fournir une première explication à cela. De toute façon, il est évident que ce cadeau de vêtements et d’armes se veut aussi un gage d’amitié. Mais le gage d’amitié, épuise-t-il tout le symbolisme du geste ? En tout cas, certains auteurs41, prenant appui sur d’autres passages bibliques où le vêtement joue de façon explicite un rôle symbolique42 (cf. 1 S 15,27–28 ; 1 S 24,5–6), perçoivent dans ce geste une remise symbolique de la royauté future de Jonathan à David. Une sorte d’abdication de la part de l’héritier naturel en faveur de l’héritier élu, laquelle abdication est apparemment bien accueillie par ce dernier. D’où la question de savoir quel sens prend ici l’accueil de David, comparé à son attitude précédente de refus face au roi lui-même en 17,39 ? Vraisemblablement le fils de Jessé laisse entendre qu’il est prêt à succéder à Saül via Jonathan, mais non en ôtant directement au roi sa place. C’est une lecture tout à fait défendable mais qui demande à être confirmée dans la suite du récit. Ce qui semble clair en revanche, c’est qu’il y a un parallélisme entre le rôle de héros libérateur d’Israël endossé par Jonathan en 1 S 14 et celui que David assume en 1 S 1743. L’un et l’autre, fort de leur foi au Dieu national et trono (Studi biblici 42), Bologna, 2003, p. 138, qui parle de don sans réserve de Jonathan et de son amour généreux. 39 PROUSER, « Suited to the Throne », p. 32 : « The removal of the clothing is as important as the donning of them by the recipient ». 40 GUNN, The Fate of King Saul, p. 80 : « David can receive from Jonathan what he cannot receive from Saul ». 41 J. MORGENSTERN, « David and Jonathan », JBL 78 (1959), p. 322 ; ACKROYD, The First Book of Samuel (CBC), Cambridge, 1971, p. 147 ; JOBLING, « Jonathan : A Structural Study », p. 12 ; GUNN, The Fate of King Saul, p. 80 ; FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 198 ; EDELMAN, King Saul, p. 136, etc. 42 E. HAULOTTE, La symbolique du vêtement selon la Bible (Théologie 65), Paris 1966 ; PROUSER, « Suited to the Throne », pp. 27–37. 43 Voir dans ce sens JOBLING, « Jonathan : A Structural Study », pp. 11–12.
4. B. 1 S 18,1–4 : Jonathan noue une relation avec David
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sur une initiative individuelle, triomphent des Philistins et apportent la délivrance à Israël. Que le premier apparaisse donc aussi inopinément en 18,1–4, à la fin du duel, pour nouer une relation fervente avec le second, induit à lire dans ses gestes une reconnaissance de David comme alter ego. Jonathan perçoit en David un pair, un champion comme lui-même et sa victoire en 1 S 14 se donne à interpréter comme une préparation, voire une anticipation de celle de David en 1 S 1744. Dans cette perspective, on comprend que le narrateur insiste pour dire que Jonathan aime David comme lui-même (כּנַפְשׁוֹ.), mettant ainsi davantage en évidence l’altérité de leur relation et faisant écho comme, l’affirme Fokkelman45, à Lv 19,18. À l’affirmation de cette dimension d’altérité contribue aussi la décision de son père de retenir David à la cour royale. Le lecteur sait, depuis 16,22, que Saül est disposé à garder David auprès de lui. En réalisant ce désir en 18,2, on peut se demander si le roi n’assimile pas le fils de Jessé à un prince qu’il adopte, surtout que peu avant il s’est intéressé avec insistance, et de manière surprenante d’ailleurs, à l’identité de son père (17,55–58)46. En définitive, la révélation publique de David à Israël comme vaillant guerrier lui vaut l’amitié spontanée de Jonathan et lui obtient de s’installer à demeure à la cour royale. Mais de cela, c’est Jonathan et son père qui prennent l’initiative. David, lui, reste pour le moins passif. Tout semble lui advenir comme par enchantement pour ne pas dire par grâce. Faut-il alors y voir l’expression implicite, de la part du narrateur, de l’action de l’onction reçue en 16,13 ? Ce ne serait pas erroné de le penser, vu d’abord la présentation de son arrivée au front, en 17,12–30 comme le fruit d’un concours providentiel de circonstances, et ensuite vu la série de succès avec son corollaire de popularité dont le sommaire de 18,5 livre déjà un écho. Dans l’ensemble, 1 S 18,1–4 se présente sur un mode narratif. On n’y perçoit en effet aucun discours direct rapporté. La conséquence en est que c’est essentiellement par leurs actions que les différents protagonistes sont caractérisés. En ce sens, Jonathan paraît décidé dans ce qu’il fait. Il va pour ainsi dire là où son cœur le porte. La naissance de sa relation avec David se dit par des gestes. Cela survient avant que le regard du roi ne se mue en un regard jaloux et qu’il ne passe d’une certaine bienveillance à une hostilité de plus en 44
FOKKELMAN caractérise même Jonathan comme proto-David, The Crossing Fates, p. 198. 45 Ibid., p. 195. Voir aussi CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 220. Cf. n. 410. 46 Dans le même sens, plus loin le récit montre Saül appelant David « mon fils » (24,17) après que ce dernier l’eut désigné comme son père (24,12 : ) ְואָבִי. Dans un registre similaire, B. GREEN, Mikhail Bakhtin and Biblical Scholarship. An Introduction (SBL. Semeia Studies 38), Atlanta, GA, 2000, p. 77, pose la question en ces termes : « Whose son is David ? Whose father is Saul ? (17:55–58) ». Mais de son point de vue, c’est Jonathan qui fait de David un fils de roi (« a king’s son »), p. 80.
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
plus farouche. C’est dire que dans un premier temps, Jonathan et son père semblent enthousiastes par rapport à David. D’où leur va-et-vient autour de ce dernier. Pourtant il n’est pas sûr qu’ils perçoivent ou envisagent de la même manière le rôle futur du fils de Jessé.
C. 1 S 19,1–7 : Jonathan réconcilie Saül avec David 4. C. 1 S 19,1–7 : Jonathan réconcilie Saül avec David
Si 1 S 18,1–4 fait état de relations au beau fixe entre Jonathan, David et Saül, en 19,1–7, deuxième scène qui dépeint ces trois personnages en interaction, cette harmonie relationnelle n’est plus de mise. En effet une menace de mort, voilée jusque-là, pend, telle une épée de Damoclès, sur la tête de David, depuis que le roi a découvert, à la faveur du chant de célébration de victoire des femmes (18,6–9), que le jeune héros pourrait être son successeur sur le trône d’Israël. Menace de mort voilée, parce que dès 18,10 le roi essaie d’éliminer David par la ruse, soit parce qu’il lui jette une lance alors que ses mains 47 sont occupées à jouer de la musique, soit parce qu’il veut l’exposer à l’épée des Philistins. En exprimant publiquement ses intentions meurtrières en 19,1, le roi montre une volonté de plus en plus ferme de se débarrasser de David. 1 S 19,1, de ce point de vue, marque une évolution notable dans la stratégie déployée par Saül, si on établit une comparaison avec ce qui est narré en 1 S 18,10–30. Car, alors que David déjoue l’un après l’autre – peut-être même sans le savoir – les calculs machiavéliques du roi qui entendait le faire périr par la main des Philistins, et qu’il épouse finalement sa fille Mikal, resserrant par le fait même ses liens avec la famille royale, Saül, en manque notoire d’efficacité, décide, en 19,1, de mettre son fils et ses serviteurs dans la confidence du projet meurtrier qu’il porte. Il parle à ceux-ci de faire mourir David. Comme le notent Caquot et de Robert, l’expression verbale « parler de » a « des nuances assez diverses » 48 qui parfois vont jusqu’à signifier « promettre », « décider ». Aussi, se pose la question de la nature exacte de la démarche du roi : parle-t-il à Jonathan et aux serviteurs pour que ceux-ci se chargent ensuite de faire mourir David ou les informe-t-il simplement de son projet de faire mourir David ? En d’autres termes, leur intime-t-il l’ordre49, même indirectement, d’exécuter David ou bien partage-t-il avec eux un projet 47 D’après COSTACURTA, Con la cetra e con la fionda, p. 106, « Il testo sembra giocare su quest’immagine di contrapposizione sproporzionata tra i due, ripetendo l’espressione beyād in una frase concisa […] ». En fait chacun est campé avec ce qui le caractérise : Saül avec sa lance et David avec son instrument de musique. 48 Les livres de Samuel, p. 231. 49 En effet HALOT, I, Leiden, 1994, p. 210, affirme que le verbe דּברau piel peut signifier « To speak to, with a person ; to speak about sth ; to promise Dt 63, with infinitive ; to order ».
4. C. 1 S 19,1–7 : Jonathan réconcilie Saül avec David
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couvé jusque-là sans rien demander de plus ? Pour Caquot et de Robert, « Saül ne fait ici que s’ouvrir d’un projet »50. Mais selon Smith, Edelman et Campbell51, c’est un ordre que le roi impartit. Le ְלde l’infinitif construit ( ) ְל ָה ִמיתpeut avoir une valeur forte de finalité 52. Or, la construction syntaxique de la phrase n’exclut pas cette nuance. Dans le même temps cependant, étant donné que la démarche du roi n’est pas suivie de son exécution, il est fondé de se dire qu’il communique un projet. D’une manière ou d’une autre, il semble, au regard notamment de la suite des événements dans l’intrigue (cf. v. 11.14–15.20), que le roi entend associer les siens à la mise à mort de David, soit pour aller arrêter celui-ci et le lui amener pour exécution soit pour le tuer eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, à l’évidence c’est la démarche de Saül au v. 1 qui donne le départ de l’action dramatique en cours en 19,1–7, première des quatre scènes qui composent le ch. 19 (v. 1–7 ; v. 8–10 ; v. 11–17 ; v. 18–24). Sur l’ensemble de la scène, l’activité marquante consiste à parler. La parole de Saül à Jonathan et aux serviteurs suscite celle de Jonathan à David. En hébreu deux verbes différents sont employés : דברquand Saül parle à Jonathan et vice versa et נגד, Hiphil, lorsque Jonathan s’adresse à David. Ce dernier verbe a la nuance de rapporter les paroles d’une personne à quelqu’un d’autre53. Ainsi ce qui se passe entre Jonathan et David se présente comme un service de renseignement, de transmission d’information concernant ce qui advient d’abord entre Saül et Jonathan. Celui-ci est donc la personne qui fait le lien, même si on peut observer que le mouvement est à sens unique, Jonathan rapportant à David ce que Saül dit, mais pas l’inverse. David, d’ailleurs, ne parle pas dans cette scène tandis que les paroles de Jonathan sont longuement rapportées en discours direct, ce qui dénote l’importance que le narrateur accorde à ses interventions que nous examinerons en détail plus tard. Disons encore un mot du v. 1, qui, à deux reprises, présente Jonathan comme fils de Saül : d’abord du point de vue de Saül ()בְּנוֹ, puis de celui du narrateur (שׁאוּל ָ )בֶּן־. Cette insistance – surprenante pour une certaine sensibilité moderne – sur la filiation de Jonathan, comme si celui-ci était introduit pour la première fois dans l’intrigue, a amené J. Van Seters à postuler en 19,1–7 un récit concurrent de 18,1–4 et donc provenant d’une tradition différente. Pour lui, 1 S 19,1–7 rapporterait, à l’origine, la toute première ren-
50 Ibid., p. 231. C’est dans ce sens aussi que traduisent la TOB et la BJ. Voir également KLEIN, 1 Samuel, p. 192. 51 H. P. SMITH, A Critical and Exegetical Commentary on the Books of Samuel (ICC), Edinburgh, 1969, p. 175 ; EDELMAN, King Saul, p. 143 ; A. F. CAMPBELL, 1 Samuel (FOTL 7), Grand Rapids, MI, p. 199. 52 Voir JOÜON, §124l. 53 Voir BDB, « » נגד, « 1. Tell, announce, report ; 2. Make known ; 3. Inform of » ; HALOT, II, Leiden, 1995, p. 666, « hif. To propose, announce, inform ».
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
contre de Jonathan et David, celle de 18,1–4 étant ignorée de cette tradition54. Pareille lecture, bien compréhensible dans la perspective diachronique qui est la sienne, ne nous paraît pas s’imposer pour un meilleur éclairage du texte tel qu’il se donne à lire. Elle est incapable de capter le clin d’œil du narrateur qui, de façon oblique, suggère au lecteur ou à son auditoire la tension conflictuelle pouvant découler de la relation filiale de Jonathan à Saül et de celle amicale de Jonathan à David, surtout quand les intérêts de Saül et de David viennent à s’opposer de façon diamétrale. Cela ressort d’autant plus que le récit met, d’une part, en parallèle si ce n’est en opposition, sur le plan de la structure même de la phrase, ce que Saül dit à Jonathan, son fils et, aux serviteurs et ce que Jonathan ressent pour David. Le we-x-Qatal du v. 1b ne romptil pas la continuité linéaire du wayyiqtol-x du v. 1a ? D’autre part, le texte pousse l’ironie jusqu’à utiliser le verbe ָחפֵץpour qualifier la relation de Jonathan à David. En 18,22, ce même verbe se retrouve sur les lèvres de Saül qui désigne ainsi son lien à David, dans un contexte de duplicité patente cependant. Comment alors ne pas percevoir dans l’emploi de 19,1b un écho délibéré visant à mettre en parallèle l’affection profonde et sincère de Jonathan fils de Saül pour David avec celle prétendue de son père pour le même David dans le but de les opposer sur le plan de leur véritable contenu55 ? Car, si ָחפֵץcoïncide avec le sentiment réel de Jonathan et y donne accès, chez Saül, ce verbe est utilisé pour faire écran à son vrai sentiment. Le roi l’emploie pour duper sur la nature réelle de ce qu’il ressent : depuis 1 S 18,9, son affection pour David a viré en hostilité. Et que dire de l’adverbe ְמא ֹד qui, en soulignant l’intensité de l’attachement du prince au fils de Jessé, dénote une autre différence significative entre Saül et son fils. À la lumière de tout cela, il s’avère que la mise en relief de la filiation de Jonathan, en 19,1, associée à son affection pour David, qualifiée de ָחפֵץ, constituent, dans le contexte, des rappels d’éléments essentiels déjà mentionnés56 dans le récit. Ils réapparaissent ici en raison des circonstances se présentant de manière telle qu’elles les mettent en tension. Par conséquent, en accord avec R. Alter57, nous y lisons une répétition intentionnelle de la part du narrateur qui entend ainsi souligner un point thématique : celui du positionnement de Jonathan par rapport à son père et par rapport à David. De telles répétitions sont d’ailleurs caractéristiques d’un usage biblique fort répandu. Il n’y a donc pas lieu d’y postuler nécessairement l’indice d’une source divergente ou concurrente pour en rendre compte.
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Voir VAN SETERS, The Biblical Saga of King David, p. 167. Voir, dans le même ordre d’idées, BODNER, 1 Samuel, p. 203. 56 CAMPBELL, 1 Samuel, p. 200, déclare à ce propos : « In the present text, Jonathan’s “delight in David” (v. 1) is simply a continuation of the bond expressed in 18:1–5 ». 57 ALTER, The David Story, p. 118. 55
4. C. 1 S 19,1–7 : Jonathan réconcilie Saül avec David
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De même, il ne nous paraît pas – contrairement à ce qu’affirme Edelman58 – que la double mention de « fils » veuille surtout mettre en relief l’anxiété dynastique de Saül préoccupé de l’avenir royal de Jonathan face à la popularité grandissante de David. Certes, dans l’ensemble de l’intrigue, le premier roi d’Israël se bat pour qu’après lui, ce soit Jonathan, son fils, qui règne (cf. 20,31). Mais dans le cas de 19,1–7, la perspective est plutôt de montrer comment Jonathan se situe dans le conflit de plus en plus tendu entre son père et son ami, quelle position il va assumer. Cela se voit de façon patente au fait que l’accent est mis principalement, ici, sur ses initiatives à lui. D’où la nuance à apporter à la position de Bodner qui perçoit en cette scène le thème de la « maison divisée »59, pour reconnaître que ce thème est sans doute présent, mais seulement de façon corrélative. Ainsi, à peine Jonathan apprend-il de Saül l’arrêt de mort contre David qu’il va d’abord informer celui-ci et lui intimer l’ordre de se cacher. Là commence, pourrait-on dire, la complication de l’intrigue qui se module en deux temps : v. 2–3 et v. 4–5. Jonathan ne répond donc pas immédiatement à son père au sujet de la confidence reçue. Sa priorité semble de prendre d’abord quelques mesures de sécurité pour et avec David. Et il le fait selon un plan déjà prêt, à deux volets : David, informé du décret royal de mort, doit, en substance, se cacher le matin dans la campagne, à l’endroit où Jonathan interviendra en sa faveur auprès de son père. Selon les termes utilisés, le lieu de la cachette est déjà défini et connu des deux amis. L’indication temporelle du matin ( )בַבּ ֹ ֶקרplacerait la démarche de Jonathan la veille, voire la nuit, avec son manteau d’obscurité60. Toutefois, la dynamique même du plan, dans sa globalité, suscite le soupçon chez certains exégètes qui y voient l’indice d’une conflation de deux sources. Pour Hertzberg, en effet, « le plus qu’on peut supposer, c’est que deux traditions différentes ont été juxtaposées ici, dont l’une contenait le début du v. 3, ‘où tu seras’, et l’autre sa conclusion. La seconde est celle qui appartenait à l’origine à l’ensemble du récit »61. Cela s’explique, selon lui, par le fait qu’« il est absolument impossible d’harmoniser le conseil que Jonathan donne à David de rester dans un lieu secret avec sa décision de tenir la conversation décisive avec Saül sur le lieu
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Voir EDELMAN, King Saul, p. 143. BODNER, 1 Samuel, p. 203. 60 Ainsi par exemple, SMITH, The Books of Samuel, p. 175 ; FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 252. 61 HERTZBERG, I & II Samuel, p. 164 : « The most we can assume is that two different traditions have been juxtaposed here, one of which contained the beginning of v. 3 ‘where you are’, and the other its conclusion. The second is the one which originally belonged to the entire report ». Voir dans ce sens aussi SMITH, The Books of Samuel, p. 176 ; MCCARTER, I Samuel, pp. 321–322 ; KLEIN, 1 Samuel, p. 194. 59
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‘dans la campagne’ où David sera »62. Sa compréhension est que le conseil de Jonathan à David, de se terrer dans la campagne où il s’entretiendra avec le roi, implique que, de sa cachette, David puisse entendre la conversation entre le roi et le prince. Or, le problème est que le récit lui-même est explicite sur le fait que Jonathan fera, finalement, un rapport à David : ו ְָר ִאי ִתי ָמה ְו ִהגַּ ְד ִתּי לְָך (v. 3b). Ce qui veut dire qu’il n’assigne pas à la présence de David dans la campagne, l’objectif d’entendre ce qui s’y dira. Peut-être souhaite-t-il seulement que David puisse voir, comme le pense Bodner 63? Au fond, le plan conçu ici par Jonathan présente de fortes similitudes avec celui, plus élaboré, que l’on trouvera en 1 S 20. Ici comme là, il est question de David se cachant dans la campagne, en attente de l’issue d’une rencontre de Jonathan avec son père, où on traitera de son sort. Cela induit finalement à comprendre 19,2–3 comme une anticipation64, de la part du narrateur, de ce qui se jouera en 1 S 20. C’est d’ailleurs un trait de l’art de raconter de ce narrateur du conflit entre Saül et David. Car, en maints autres endroits du récit, il ménage des anticipations de ce genre, qu’il reprend par la suite dans la trame. C’est notamment le cas avec 18,10–11 et 19,9–10 ou 18,17–19 et 18,20–28 ou encore 21,11–16 et 27,2s. Une fois le plan exposé à David, le récit passe directement à son exécution par Jonathan. D’entrée de jeu, la parole de Jonathan à Saül au sujet de David est qualifiée de bien ()טוֹב, sans doute au sens de parler en bien de65. On rappelle aussi qu’il s’adresse à son père. Mais, quand il ouvre la bouche, il s’avère que c’est le roi qu’il interpelle. Son discours assume alors une tonalité formelle et se structure comme suit : au départ, il demande au roi de ne pas pécher contre son serviteur qu’est David. Peut-être ici, l’usage du terme serviteur, précédant le nom de David sert-il à opérer une identification séman-
62 Ibid., p. 163 : « It is absolutely impossible to harmonize Jonathan’s advice to David to stay in a secret place with his decision to hold the decisive conversation with Saul at the place ‘in the field’ where David will be ». 63 BODNER, 1 Samuel, p. 203 : « For Jonathan, it is the visual angle that matters, and he wants David to see father and son together in the neutral spatial setting of ‘the field’ ». 64 Ainsi par exemple VERMEYLEN, La loi du plus fort, pp. 109–110. 65 D’après G. GERLEMAN, « ָדּבָרdābār word », TLOT, I, pp. 327–328, contrairement au verbe ʾmr qui attire l’attention sur le contenu, dbr au Piel « Indicates primarily the activity of speaking, the production of words and phrases […]. Meanwhile, dbr pi. also often describes the pronunciation of a particular content ». Ce qui implique qu’il peut qualifier en l’occurrence tant la forme que le contenu des paroles de Jonathan. Voir aussi HALOT, I, p. 210. MCCARTER, I Samuel, p. 322, estime que l’expression signifie que Jonathan dit des choses favorables sur le compte de David. L’auteur compare également le comportement du fils de Saül à celui d’un certain Abdi-heba, relaté dans les lettres d’Amarna. Pour KLEIN, 1 Samuel, p. 195, la préposition beth véhicule en l’occurrence la nuance de « to speak on David’s behalf ».
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tique [sic] de Jonathan à celui-ci, comme le pense Edelman66. Mais ce qui nous paraît beaucoup plus évident, c’est que Jonathan fait preuve de finesse psychologique, en modulant de la sorte son discours. Car, d’une part, cela lui permet de rester dans le registre du discours formel de la cour et d’autre part, de souligner le lien de subordination collaborative qui existe aussi entre le roi et David. Celui-ci ne doit-il pas être également compté au nombre des serviteurs auxquels le roi se confie au début de l’épisode ? De plus, en apposant « David » à « son serviteur », Jonathan n’agit-il pas avec une certaine prudence en ne prononçant pas trop vite le nom qui pourrait déclencher quelque sentiment négatif chez son père ? Ensuite, Jonathan détaille les raisons pour lesquelles le roi doit s’abstenir de pécher contre David : d’abord, parce que ce dernier n’a pas péché contre lui. En qualifiant de « péché » le dessein de Saül contre David, le prince en donne d’entrée de jeu le sens théologique et la coloration morale 67. Puis l’argumentaire table sur le duel remporté de David contre le Philistin, narré en 1 S 17. Jonathan le relit et l’interprète en mettant en relief à la fois le mérite de David, dont l’action comportait un risque mortel, et le fait qu’Adonaï l’a utilisé pour accomplir une œuvre de délivrance pour tout Israël. Il en ressort de facto une présentation de David comme instrument de Dieu, avec la conséquence grave qu’en s’en prenant à lui, Saül s’attaquerait à Adonaï. Que le point de vue ainsi exposé par Jonathan reflète celui du narrateur se laisse voir à la manière dont ce dernier rapporte la naissance de l’hostilité de Saül contre David en 18,6–9 : comme le résultat d’un malentendu où le roi, interprétant à contresens le chant des femmes qui célébraient la victoire contre le Philistin, en vient à regarder de travers ( )עוֹי ֵןl’auteur de cette victoire. Ici, la tonalité du discours de Jonathan consonne tellement avec la qualification négative globale du comportement du roi vis-à-vis de David, que le lecteur a le sentiment d’entendre comme le narrateur lui-même revenir sur cet événement du duel contre Goliath pour en expliciter le sens et la portée théologique et ainsi, remettre « les pendules à l’heure ». Et ce, dans la continuité d’ailleurs de tout le traitement théologique présent en 1 S 1868 et même avant (1 S 16–17). En ce sens, on ne peut que partager l’observation de Smith69 66 EDELMAN, King Saul, p. 144 : « The identity between Jonathan and David appears again in v. 4 in Jonathan’s statement to Saul, ‘Do not sin against your servant, against David’, where ‘your servant’, upon initial utterance, would refer to Jonathan. With the subsequent addition of the phrase ‘against David’, there is a semantic identification of Jonathan, ‘your servant’, with David, the new referent of ‘your servant’ ». 67 Pour l’usage théologique et moral du verbe « pécher » voir R. KNIERIM, « חטאht’ to miss », TLOT, I, pp. 406–410. 68 Pour la dimension théologique de 1 S 18 voir BRUEGGEMANN, « Narrative Coherence and Theological Intentionality in 1 Samuel 18 », pp. 225–243. 69 SMITH, The Books of Samuel, p. 176, « Jonathan’s panegyric […] represents the author’s view rather than that of Jonathan ».
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reconnaissant que « le panégyrique de Jonathan […] représente la vue de l’auteur plutôt que celle de Jonathan ». Sauf qu’en l’occurrence, il nous paraît plus approprié de parler de « narrateur » pour désigner la voix narrative qui mène le récit. Dans cette perspective, il semble plus exact de dire que le point de vue exprimé par le fils de Saül est validé par le narrateur lui-même, de sorte que le prince apparaît comme son porte-parole. Élément nouveau pour le lecteur, Jonathan affirme aussi que la victoire de ce jour-là a même réjoui le roi. Est-ce la communication tardive, au lecteur, d’une information retenue jusque-là, reflet d’une stratégie de réticence textuelle, qui veut ramener Saül au bon souvenir de ses sentiments premiers, ou est-ce un simple artifice rhétorique de la part de Jonathan ayant pour objectif de flatter d’une manière ou d’une autre l’ego du roi ? Il ne semble pas improbable que Saül se soit réjoui de la victoire de David contre Goliath. Car le récit est explicite sur le fait qu’il lui a fallu un certain temps pour comprendre la portée et les implications du triomphe de David contre le Philistin. Il a fallu notamment le chant des femmes en 18,6–8 pour qu’il réalise que cela pouvait avoir quelque incidence pour son trône. À partir de là est née son hostilité contre David. Mais avant ce moment-charnière, une joie du roi au vu de la victoire contre les Philistins est parfaitement vraisemblable et doit même être logiquement prise en compte. Pour finir son discours, Jonathan formule une question rhétorique qui redit, sous forme d’inclusion, l’absurdité de vouloir s’en prendre à un David, innocent. Sur l’ensemble, le ton est simple, direct, incisif et le discours est bien ciblé. À l’évidence, c’est une belle pièce de rhétorique qui table, pour ainsi dire, sur la déontologie royale et qui ne manque pas de faire mouche. En tout cas, Saül n’y est pas du tout insensible et il se montre encore capable d’entendre raison. Au v. 6, il s’engage, par un serment explicite au nom d’Adonaï, à ne pas mettre à mort David – il ne prononce pas son nom. Un serment dont la suite du récit montre la vérité pour ainsi dire prophétique, malgré moult rebondissement. L’intrigue se dénoue là pour laisser rapidement place à l’épilogue (v. 7) où Jonathan appelle David, lui fait un compterendu et le ramène au service du roi. La crise radicale qui se profilait à l’horizon entre Saül et David est ainsi désamorcée. Les choses redeviennent comme avant, conclut le narrateur. En dernière analyse, Jonathan sauve à la fois David et Saül : il empêche le premier d’être la victime innocente du second et celui-ci, de commettre un crime contre un innocent. De ce point de vue, il adopte une posture de protecteur de David et fournit une preuve supplémentaire de la vérité et du sérieux de son élan de 18,1–4, judicieusement rappelé en 19,1b. Il montre aussi en acte la conscience qu’il a des implications pratiques du pacte qu’il a scellé avec David. En amenant Saül, à ce point du récit, à renoncer à faire mourir son ami, Jonathan assume, à l’égard de ce dernier, le rôle que le peuple avait joué à son propre endroit en 14,36– 46, lorsqu’il s’était retrouvé sous le coup d’un verdict de mort de son père
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pour avoir transgressé, sans le savoir, un interdit alimentaire. Le peuple était alors intervenu et le roi avait dû renoncer à l’exécution d’une sentence qui semblait pour le moins mal inspirée. S’il œuvre à protéger David, Jonathan n’oublie pas non plus son lien de sang avec son père dont il se fait la voix de la conscience politique et morale. N’est-ce pas d’ailleurs en sa qualité de fils qu’il a eu droit à la révélation du dessein de mort contre David ? Sous certains aspects, on pourrait même penser qu’il joue même de ce lien de famille70 pour atteindre son objectif qui, en dernier ressort, ne semble pas être tant de s’opposer à Saül que d’en appeler à un idéal de justice. C’est à cette hauteur d’ailleurs que son père l’écoute. En définitive, Jonathan émerge, dans cette scène, comme un médiateur efficace, au talent oratoire avéré, et comme le porte-parole fiable du narrateur. Il se révèle tel un homme énergique, plein d’initiatives et de ressources, qui sait ce qu’il veut et met la manière pour l’obtenir. Et pour cette fois, les choses aboutissent comme il l’espérait sans doute ; mais en sera-t-il toujours ainsi ? La suite le dira. Ce qui est sûr, c’est que si, en 1 S 18,2, c’est Saül qui retient David à la cour, en 19,7, c’est Jonathan qui l’y ramène.
D. 1 S 20 : Jonathan autorise David à quitter la cour 4. D. 1 S 20 : Jonathan autorise David à quitter la cour
Après avoir obtenu que son père et son ami se réconcilient, Jonathan disparaît de la trame pour ne revenir au devant de la scène qu’au ch. 20. C’est David, resté jusque-là silencieux et docile, qui va le chercher parce que la situation a fortement dégénéré entre Saül et lui. En réalité, la réconciliation semble avoir été de courte durée, puisque le roi, alors que David a repris ses activités à la cour et s’acquitte de sa fonction de musicothérapeute, tente encore une fois de le clouer au mur au moyen de sa lance (19,9–10). Ayant raté son coup, il se met en tête d’en finir, une fois pour toutes, avec David en lançant à ses trousses des émissaires ayant pour mission de l’arrêter. David doit s’échapper de chez lui avec la complicité de Mikal, son épouse (19,11–17). Il trouve refuge chez Samuel, celui-là même qui l’avait oint en 16,13. Mais là aussi Saül lui met la pression en envoyant des serviteurs pour l’arrêter (19,19–24). C’est de là, selon 20,1, qu’il part rejoindre Jonathan. La manière haletante et précipitée, sous forme de questions rhétoriques avec laquelle il ouvre la ren70
Cette affirmation peut paraître gratuite, quand on sait que Jonathan s’adresse à Saül en l’appelant « le roi ». Mais à y regarder de près, c’est la perspective de l’axe de la relation Saül-David qui est plutôt reflétée. Autrement dit, c’est en roi, déclare Jonathan, que Saül doit se comporter vis-à-vis de David, lequel est son serviteur. Cela dit, du point de vue de Jonathan même, il est clair que c’est à son père qu’il va s’adresser, ainsi qu’il le laisse entendre deux fois à David au v. 3 ( )אָבִיet que le narrateur le confirme au v. 4 (ַוי ְ ַדבֵּר שׁ אוּל אָבִיו ָ )י ְהוֹנ ָ ָתן ְבּ ָדוִד טוֹב ֶאל־.
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contre avec le fils de Saül trahit le sentiment du danger auquel il a conscience d’être soumis et auquel il vient d’échapper. Néanmoins la réponse de Jonathan et la justification qui l’accompagne surprennent le lecteur qui réalise que le fils de Saül est resté à l’obscur des dernières évolutions de la situation. Se pose instantanément alors la question de savoir comment cela est possible. La surprise, suivie d’étonnement, est encore plus grande quand David expose finalement l’objet de sa rencontre avec Jonathan, à savoir celui d’être fixé sur les intentions ultimes de Saül sur son sort. En effet, vu la course-poursuite acharnée qu’il vient de vivre, comment peut-il encore douter que Saül lui en veut irréversiblement à mort ? Toutes ces incongruités apparentes ont amené bon nombre de critiques71 à affirmer que 1 S 20 était hors-séquence par rapport à ce qui précède dans l’action dramatique. Il romprait en effet la linéarité chronologique du récit en provoquant un retard quelque peu dommageable à l’impact narratif. Pour expliquer cet état de fait, les mêmes auteurs avancent l’hypothèse d’une compilation de traditions différentes 72. Cela n’est pas impossible, mais ne répond pas de façon satisfaisante, à notre sens, à la question de savoir pourquoi le narrateur construit de cette façon son intrigue. Avant de revenir plus en détail sur cette question, disons que, dans le contexte, l’épisode se donne à comprendre comme si David, parti dans l’urgence avec l’aide de Mikal en 19,11–17, ne voulait pas, à ce stade, envisager un départ définitif de la cour royale sans impliquer Jonathan dans la prise de décision. Mais face aux dénégations vigoureuses de celui-ci quant à un danger mortel imminent, il croit bon de monter un stratagème pour l’en convaincre. En ce sens l’intrigue s’avère être une intrigue de révélation, car l’enjeu revient surtout à amener le fils de Saül à se rendre à l’évidence sur le caractère irréversible des intentions meurtrières de son père. Au total, une rencontre avec Jonathan (18,1–4 et 20) enserre, telle une inclusion, l’arrivée permanente de David à la cour royale et son départ de celleci, avec une mise en évidence de leur relation dans la seconde. 1. 1 S 20 et 19,1–7 Une lecture attentive de 1 S 20 révèle que ce chapitre répond comme en écho sur plusieurs points à 1 S 19,1–7. Il semble même construit en parallèle à cette scène. En effet bon nombre d’éléments développés en 1 S 20 renvoient à 1 S 19,1–7. Cela se remarque tout d’abord au niveau de la dynamique même de l’action. De part et d’autre, il est question d’une rencontre entre Jonathan et David pour s’accorder, préalablement à une démarche du premier auprès 71
Voir à ce propos, SMITH, The Books of Samuel, pp. 184–185 ; HERTZBERG, I & II Samuel, p. 172 ; ACKROYD, The First Book of Samuel, p. 163 ; CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 244. 72 Voir ACKROYD, The First Book of Samuel, pp. 162–163.
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de son père, dans le contexte tendu d’une menace de mort pesant sur David. Pour ce faire, ce dernier doit se cacher dans la campagne et attendre d’être informé de l’issue de la tentative de médiation de son ami. Toutefois si la courbe de l’action, dans les deux pages, épouse globalement ce parallélisme, un examen plus minutieux permet de noter que 1 S 20 présente des particularités irréductibles. Ainsi par exemple, on peut relever, d’abord au niveau de l’issue, que si en 19,1–7, la démarche de Jonathan aboutit à une réconciliation qui se traduit dans les actes par le retour de David à la cour, au ch. 20, la situation s’avère telle que le fils de Jessé, comme l’appelle Saül, doit s’éloigner de cette cour. Ensuite on constate que si en 19,1–7, c’est Saül même qui, de plein gré, entreprend de parler à Jonathan du projet de faire mourir David, en 1 S 20, c’est alerté par un David en danger de mort que Jonathan se trouve comme contraint d’aller arracher la confirmation de cette information auprès de son père. Celui-ci semble n’être plus disposé à mettre le prince dans la confidence de ses projets. Peut-être est-il devenu prudent, voire méfiant, depuis que le plaidoyer de 19,4–6 a indiqué vers où penche le cœur du prince. Ne dit-il pas lui-même à son fils en 20,30 : « […] Est-ce que je ne sais pas que tu prends parti pour le fils de Jessé […] ? » De plus en 1 S 20, c’est David, et non plus Jonathan comme en 19,1–7, qui élabore et dicte la stratégie à adopter pour aborder Saül. Et même si cette stratégie prévoit une cachette dans la campagne, élément aussi présent en 19,1–7, elle la développe beaucoup plus en 1 S 20. Ce qui a pu faire dire à l’un ou l’autre commentateur à perspective diachronique que 19,1–7 empruntait ce motif au ch. 2073. D’ailleurs, 20,19 semble être une référence à mots couverts à la cachette de 1 S 19, ce qui laisse supposer que David reçoit la consigne de réutiliser le même lieu. Dans l’ensemble, ces changements de posture entre les deux amis ont amené certains critiques à dire que Jonathan faisait piètre figure 74 au ch. 20, voire qu’il y paraissait bien naïf75. Cette observation qui repose vraisemblablement sur la seule logique de rapports de forces ne rend pas tout à fait justice, nous semble-t-il, à la trame du récit dans sa texture actuelle. Celle-ci invite à appréhender les particularités irréductibles de 1 S 20 comme le signe de l’évolution d’une situation conflictuelle de plus en plus radicale entre Saül et David, appelant les protagonistes en présence à des comportements conséquents avec les circonstances. Elle dissuade fortement 73 Voir N. P. LEMCHE, « David’s Rise », JSOT 10 (1978), p. 6 : « Doubtlessly ch. 19,1– 7 is literarily dependent on ch. 20 and owes its existence only to the author of “David’s Rise” ». Pour ACKROYD, The First Book of Samuel, p. 156, « It looks like an alternative version of the longer and fuller story in chapter 20 ». 74 Voir CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 244. 75 Voir LEMCHE, « David’s Rise », p. 8 : « Jonathan is obviously very naive and acting against his own interest and out of personal affection when he tries to save his most dangerous rival » ; GUNN, The Fate of King Saul, p. 84.
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de comprendre 1 S 20 dans son rapport avec 19,1–7 comme une simple répétition ou une variante indépendante – et vice versa – et induit plutôt à l’inscrire dans la perspective dynamique de la continuité et de la progression de l’action dramatique. Dans cette optique, il n’apparaît pas du tout incompréhensible, ni même irréaliste que David y vole, pour ainsi dire, la vedette à Jonathan, en assumant au départ l’initiative de la parole où, d’une part, il alerte son ami sur l’imminence d’un danger mortel persistant et où, d’autre part, il ébauche la stratégie à mettre en œuvre en vue de dissiper tout doute et prendre les mesures qui s’imposent. Ces changements de posture entre les deux amis s’expliquent en conséquence par l’exaspération compréhensible de David face à l’agressivité recrudescente du roi qui a fait bon marché de l’engagement sous serment à ne pas attenter à sa vie (cf. 19,6–7). Étant mis sous pression donc et voyant la menace de mort à son encontre se durcir, David, qui, jusqu’ici, s’est laissé dicter sa conduite, décide de sortir de sa réserve et de prendre les choses en main. Cela s’observe en tout cas au ch. 20 dont nous allons essayer maintenant de déterminer les limites littéraires et de dégager les articulations principales. 2. Délimitation et structure de 1 S 20 La fuite de David de Nayoth amorce un changement de décor et détache de la sorte ce qui commence en 20,1 de ce qui vient d’être narré en 19,18–24, tout en les inscrivant dans un rapport chronologique. Elle marque comme le point de départ de ce qui va se jouer en 1 S 20. D’ailleurs, avec l’explication étiologique de 19,24b, le lecteur comprend que cet épisode touche à son terme. En outre, le retour impromptu sur scène de Jonathan, perdu de vue depuis 19,7, vient l’alerter sur le fait qu’en 20,1 un développement nouveau s’ébauche par rapport 1 S 19. Cela étant, se pose naturellement la question de savoir où se situe le terme de l’épisode. Une lecture cursive du récit permet de le localiser aisément en 21,1 lorsque les deux protagonistes principaux, Jonathan et David se séparent, que le premier retourne en ville tandis que le second prend le large. Il ressort de là, par conséquent, que l’intrigue qui s’ouvre en 1 S 20,1 déborde un peu la fin du ch. 20 pour trouver sa clôture en 21,1. C’est donc jusque-là qu’il faut aller dans l’analyse. En prenant comme critère le cadre spatio-temporel où se déroulent les scènes et en combinant ce critère avec celui du contenu des échanges des protagonistes, 1 S 20 présente les articulations suivantes : – v. 1–11 : David se présente devant Jonathan – très probablement en ville – et exprime son sentiment d’être en danger. Jonathan proteste. Alors David propose un test pour être fixé sur le sort que Saül lui réserve.
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– v. 12–17 : Suite à la question David de savoir qui communiquera les résultats du test, Jonathan emmène David à la campagne. Là, il s’engage à dire à David ce qu’il aura appris de son père. Il demande à David aussi de tenir sa part d’engagements. – v. 18–24a : Jonathan dit à David comment il procédera concrètement pour lui transmettre les résultats du test. David se cache dans la campagne. – v. 24b–34 : au repas de la nouvelle lune en ville, chez le roi, le test s’effectue. Jonathan se rend compte que Saül, son père, a arrêté de faire mourir David. – 20,35–21,1 : Jonathan rejoint David à la campagne pour lui communiquer les résultats comme convenu. Ils se disent au revoir. Jonathan retourne en ville et David s’en va. Ainsi qu’on peut le constater, 1 S 20 est tout entier orienté à mettre en lumière le fait que la menace de mort contre David est si résolue qu’aucune réconciliation entre Saül et David n’est plus envisageable. Le verbe כלהemployé en référence au sort réservé par Saül à David ne véhicule-t-il pas en luimême l’idée d’un sort ficelé, scellé ? Comme unique issue, il ne reste plus alors pour David que l’éloignement de la cour, de la ville royale. Toutefois, le personnage à convaincre de ce point de vue est moins David que son ami et prince, Jonathan76. Voilà pourquoi l’intrigue pourrait mieux se définir comme une intrigue de révélation ou de découverte77, si elle est examinée à partir du personnage du fils de Saül. Dans ce sens irait la présence significative de verbes tels que ידעet נגד. Ces verbes indiquent que l’enjeu porte sur ce que Jonathan sait et sur sa disponibilité à le communiquer à David. Comment alors cette intrigue est-elle menée et quelle temporalité déploiet-elle ? De quelle manière construit-elle les différents protagonistes ? Les réponses à ces questions constitueront l’objet de notre propos. 3. Le ratio discours direct/narration Comparé à son environnement immédiat, 1 S 20 impressionne par l’abondance de ses dialogues et discours directs. Près des trois quarts du récit, voire davantage, est constitué de discours directs, la narration se réduisant à introduire ces discours directs ou à les ponctuer d’une manière ou d’une autre par un commentaire. Notre propos suivra le mouvement du récit et sera distribué en cinq points : l’échange d’entrée en matière, l’exposition du plan, la réponse de Jonathan, l’échange pendant le banquet et le discours du compterendu. 76
Voir dans un sens analogue POLZIN, Samuel and the Deuteronomist, pp. 192–193. Voir SKA, « Nos pères nous ont raconté », pp. 21–22, qui parle des différents types d’intrigue et qui relève, entre autres choses, comment dans l’intrigue de révélation le récit se concentre avant tout sur le personnage. Il estime que dans ce cas « le développement ressort davantage d’un “déploiement” que d’un “démêlage” ». 77
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3.1. L’échange d’entrée en matière Le tout premier discours est prononcé par David 78. Pour l’introduire le narrateur use d’une tournure peu fréquente : au lieu de l’habituel « dire à » () ֶאל, on trouve l’expression « dire devant » () ִל ְפנֵי. Selon Alter79, l’emploi de la préposition « devant », dans le contexte, relève d’un calcul stratégique : elle marque communément la nuance qu’on est en présence d’une autorité royale ou seigneuriale. Qu’on la rencontre ici s’explique par le fait que David s’adresse avant tout à un prince, fût-il son ami. Elle comporterait donc une nuance de déférence royale 80, ce qui confère une tonalité plutôt formelle à la rencontre des deux amis. Cette dimension formelle ressort encore plus lorsqu’au v. 7, David s’auto-désigne comme le serviteur de Jonathan () ַע ְב ֶדָּך. C’est sans doute en tant que tel qu’il entreprend de réaffirmer son innocence devant Jonathan, suite aux assauts répétés de la part du roi. Car les premiers propos du fils de Jessé à Jonathan s’énoncent sous forme de questions rhétoriques, qui, venant dans la suite des événements de 1 S 19,9–24, assument un écho poignant. À cette entrée en matière pour le moins vive, Jonathan réagit de façon aussi vigoureuse : il réfute qu’il y ait menace de mort imminente contre son ami et justifie sa conviction par le fait d’être le confident sûr de son père. Or, celui-ci, laisse-t-il entendre, ne lui a pas fait part de quelque projet de meurtre. Cela avait été pourtant le cas en 19,1 où de lui-même, Saül confiait à son fils et à ses serviteurs son intention – voire son ordre – de faire mourir David. Pour finir, cela ne s’était-il pas soldé par une réconciliation ? Pourquoi alors cette fois-ci, le roi aurait-il évité de mettre le prince dans le coup ? Du point de vue de Jonathan, c’est tout simplement impossible, sinon absurde. De la sorte, il apparaît que Jonathan est resté dans l’ignorance de la recrudescence des hostilités entre son père et son ami. Mais David, sans remettre directement en cause le fait qu’il y ait communication transparente entre père et fils, avance une explication, d’ordre psychologique81, qui peut avoir motivé le père à ne pas informer son fils des derniers développements de la situation. Le roi, affirme-t-il, aurait ainsi cherché à éviter de faire de la peine à son fils. Son attitude s’expliquerait, en fin de compte, par une délicate attention envers les sentiments de son fils. Face à 78
C’est son premier à l’adresse de Jonathan. Ainsi ALTER, The David Story, p. 123. Voir Ibid., p. 123 : « David… said before Jonathan. The seeming awkwardness of the preposition is actually strategically calculated. The normal usage would be “said to” (ʾel). ̉“Before” (lifney) is a preposition that commonly designates approach to the presence of regal or seignorial authority ». 80 Il faut dire qu’on retrouve la même préposition en rapport à Saül ( ) ִל ְפנ ֵי אָבִיָך, quelques mots plus loin. Cela fait dire à EDELMAN, King Saul, p. 153, que le narrateur a ainsi aligné Saül et Jonathan de façon artistique comme père et fils avec David comme leur requérant. 81 HERTZBERG, I & II Samuel, p. 172, affirme, dans le même sens, que « David thus shows himself to be the better psychologist ». 79
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cette persistance de David à dire qu’il est à deux doigts de la mort et devant l’argumentaire mis en avant, Jonathan cède et offre sa disponibilité à aider son ami. Alors David suggère un test dont la mise en œuvre dicte le programme narratif de l’ensemble du récit. L’exécution de son plan et la communication, par Jonathan, des résultats qui en découlent, s’avèrent être effectivement les préoccupations essentielles du reste de l’action et des dialogues. Ainsi, la fonction narrative de l’échange de départ serait de préparer le terrain à l’exposé du plan. Dans cet échange, l’aveu d’ignorance de Jonathan, par rapport à la recrudescence des hostilités entre Saül et David, est utile pour justifier l’élaboration d’un plan afin d’en avoir le cœur net. Cette ignorance expliquerait aussi, à un autre niveau, la non-réaction de Jonathan après 19,7. 3.2. L’exposition du plan En exposant son plan, David fait preuve d’insistance. Sur ses lèvres, en effet, beaucoup de verbes conjugués se voient renforcés par l’infinitif absolu (י ָד ֹ ַע י ָ ַדע, שׁב ֵ י ָשׁ ֹב־ ֵא, שׁאַל ִאם־פָּק ֹד י ִ ְפ ְק ֵדנִי ְ ִשׁא ֹל נ ְ ִ )נ, ce qui confère de la gravité et de la solennité à son discours, signe que ce qui est en jeu est d’une importance capitale. En résumé, il demande à se cacher dans la campagne jusqu’au troiִ שּׁ ִל ְ ַהapparaît seulement sième soir82. Si cette interprétation est exacte, שׁית comme une erreur d’accord manqué avec ע ֶֶרבainsi que cela est récurrent dans le TM. Certes, par après, dans le récit, Jonathan se présente au rendez-vous avec David le matin (v. 35). Mais cela participe de l’allure générale quelque peu divergente, dans le détail, dont fait montre la fin du récit quant à la narration de la réalisation du plan de test et de communication des résultats. L’exemple le plus patent à ce propos demeure le tir des flèches. Jonathan en prévoyait trois dans la phase d’élaboration. Or, dans l’exécution on a l’impression qu’on a tiré une seule flèche. Peut-être que ces variations sont à lire comme les suites du choc émotionnel vécu la veille par Jonathan, dans sa confrontation musclée avec son père. Il y a de quoi en effet être affolé avec une lance brandie contre soi ! Néanmoins, ces petites discordances ne changent rien fondamentalement à l’essentiel des choses. Le cœur du plan proposé par David consiste à observer les réactions que suscitera chez Saül l’annonce des raisons de son absence à table. Si le roi y réagit avec bienveillance, on aura la preuve que son agressivité ne repose pas sur un dessein meurtrier arrêté contre David. Si, au contraire, il enrage, ce sera le signe qu’il a juré la perte du fils de Jessé. Si on tient compte de l’acharnement précédemment déployé en vue de l’arrêter en 1 S 19, il est peu vraisemblable que David s’attende83 honnêtement à ce que le roi soit bien disposé envers lui. Mais alors comment comprendre que, malgré cet achar82
Voir n. 6. Voir POLZIN, Samuel and the Deuteronomist, p. 189 et suiv. ALTER, The David Story, p. 124, s’exprime dans le même sens. 83
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nement, David en soit encore à devoir prendre part au repas de la nouvelle lune avec le roi ? Cette question a particulièrement intrigué bon nombre de chercheurs84 qui en sont arrivés à postuler pour 1 S 20 un contexte autre et antérieur que celui où on le lit dans le texte reçu. Dans l’absolu, cela n’est pas impossible ni même improbable, mais ça ne rend pas tout à fait compte de la logique qui sous-tend la configuration actuelle du récit. Une attention particulière et plus large à la manière dont est monté ce récit dans son ensemble oblige à noter une complexité telle dans les rapports entre Saül et David que le lecteur voit souvent déjoués ses pronostics. Cela apparaît dès les premiers moments du conflit où, malgré l’attentat manqué à la lance de 18,11 et la promesse avortée de mariage avec Mérav, David accepte encore de négocier avec Saül pour un mariage avec Mikal. Dans le même ordre d’idées, alors même qu’il vient d’échapper à un second attentat à la lance en 19,9–10, David ne semble pas avoir pris toute la mesure du danger qu’il court. Il faut d’abord qu’il se rende chez lui et que sur injonction de son épouse, il se résolve à s’éloigner du domicile conjugal. Même là, il ne trouve à aller que chez Samuel à Rama, localité géographiquement proche de Guibéa, capitale du roi. De Nayoth en Rama enfin, il choisit de rejoindre Jonathan, donc de revenir pour ainsi dire dans le périmètre du danger. Le moins qu’on puisse dire est que cela paraît tout de même curieux pour quelqu’un qui veut fuir Saül. Au fond, il semble que jusque-là David hésite encore à prendre la décision de rompre pour de bon avec Saül. Il donne l’impression d’être encore à la recherche de quelqu’un susceptible d’arbitrer le conflit ouvert entre Saül et lui. À ce sujet Samuel, qui l’a oint et auquel il rapporte les torts subis de la part du roi, ne réagit pas. Pire, Saül tente même de mettre la main sur lui alors qu’il est refugié auprès du prophète. Aussi se décide-t-il à aller voir Jonathan, celui-là même qui, la première fois, a réussi à calmer la situation qui dégénérait. En dernière analyse il ressort que David, jusqu’à preuve du contraire, reste encore officiellement attaché au service du roi. Sous cet angle, il est parfaitement compréhensible qu’il doive encore honorer des engagements auprès du roi, comme celui de participer au repas de la nouvelle lune. En outre, Saül arrive à Nayoth en Rama, dans un état mental si agité que son comportement menaçant peut être mis au compte de ses crises de folie récurrentes, et donc ainsi relativisé.
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Ainsi SMITH, The Books of Samuel, pp. 183–184, qui renvoie l’épisode à un moment avant la fuite de David à Rama, peut-être même avant la première intercession de Jonathan. Voir aussi HERTZBERG, I & II Samuel, p. 172, qui estime que c’est à 1 S 19,9 suiv. qu’il faut rattacher ce récit ; CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 244 : « Il est certainement plus conforme à la chronologie des événements que cette rencontre ait lieu avant que David ne quitte Guibéa, peut-être même avant l’épisode conté en 19.11–17 ».
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Par ailleurs, il n’est pas non plus exclu de concevoir, comme le fait Tsumura, qu’un laps de temps se soit écoulé entre les événements de Nayoth et ce qui est raconté en 1 S 2085. Notons aussi que le récit en lui-même ne problématise en rien cette présence de David à ce repas avec Saül. Le fils de Jessé sait qu’il doit y être et le roi l’y attend sans se douter qu’il pourrait se porter absent du fait des derniers événements. La preuve en est qu’au premier jour d’absence le roi imagine qu’un accident d’ordre rituel (v. 26) empêche David d’être présent. En concluant l’exposé de son plan, David en appelle à la loyauté de Jonathan au nom de l’alliance d’Adonaï dans laquelle le fils de Saül l’a fait entrer. Le lien avec l’alliance de 18,3 est patent, même si là, il s’agit d’alliance tout court. De cette façon, David se prononce pour la première fois, en 20,8, sur sa manière de comprendre l’alliance scellée avec Jonathan et sur ce qu’elle implique. Il reconnaît aussi à Jonathan l’initiative de leur alliance, une alliance sacrée parce qu’impliquant le Dieu d’Israël86. Il fait jouer donc la dimension la plus contraignante de leur relation, la dimension juridique. Il sait que Jonathan peut être amené à privilégier la solidarité familiale 87, il lui rappelle alors son engagement contracté de plein gré. Dans le même sens, comme pour faire ressortir encore davantage sa propre innocence, il déclare que Jonathan peut bien disposer de lui et le faire mourir sans en référer à son père, s’il trouvait en lui quelque faute ! De ces propos, transpire l’impression que David a conscience de jouer gros au point qu’il semble surinterpréter le rôle de Jonathan dont il fait un juge avec droit de vie et de mort. À tout le moins, il se pose, comme le déclare Hertzberg88, plus en subordonné de Jonathan que de Saül. Faut-il voir en cette posture du fils de Jessé l’indice d’une volonté de faire pression, laquelle volonté serait dictée par un certain doute 89 vis-à-vis de son ami ? Quoi qu’il en soit, sa rhétorique paie, puisque Jonathan répond avec le même accent de passion perceptible dans l’interjection, ָחלִילָה, qu’il laisse 85
Voir D. T. TSUMURA, The First Book of Samuel (NICOT), Grand Rapids, MI, 2007, p. 502. 86 Le texte ne dit pas de quelle manière, mais on peut suivre ACKROYD, The First Book of Samuel, p. 163, qui explique que l’expression « alliance du Seigneur » suggère une alliance « qui est ratifiée devant Dieu ». Dans le même sens, CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 246, n. 5. 87 EDELMAN, King Saul, p. 155, développe une compréhension allant dans ce sens, même si ce n’est pas en lien direct avec le v. 8. 88 HERTZBERG, I & II Samuel, p. 172 : « The verses here give the impression that David is more Jonathan’s than Saul’s subordinate, that Jonathan is David’s ‘liege lord’ ». 89 Voir dans ce sens CARTLEDGE, 1 & 2 Samuel, p. 241 : « […] On the other hand, the same verse could be read to suggest that David was questioning Jonathan’s loyalty, reminding him of the covenant that bound them, and expressing his preference to die at the hands of his friend than to be turned in by him ».
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échapper pour la seconde fois depuis le début de leur rencontre. Il s’avère que le fils de Saül ne peut pas admettre l’idée que David puisse être tué par son père. Car, les deux fois que cette idée affleure sur les lèvres de David, elle est invariablement écartée avec la même véhémence par Jonathan. Celui-ci rassure ensuite son ami sur sa bonne foi en indiquant qu’il aurait révélé les desseins meurtriers de son père, s’il savait quelque chose. Dans son langage apparaît aussi l’usage du renforcement du verbe par son infinitif. A-t-il perçu quelque pointe de reproche dans les derniers mots de David ? La question rhétorique finale90, associée à la véhémence de la réponse dans son ensemble, porte à le croire. Le plus surprenant est que, malgré cette totale assurance de Jonathan quant à sa disponibilité à révéler ce qu’il saurait, David pose la question de savoir qui l’informera si Saül répond durement. Dans le contexte la question est déplacée, comme si David n’avait pas écouté jusqu’au bout la réaction de son ami. Ce sont d’ailleurs les derniers propos qui sont rapportés de lui dans ce chapitre. Mais selon R. Alter, « David n’est pas en train de remettre en question la bonne foi de Jonathan mais d’enregistrer une difficulté pratique : si Saül est en fait déterminé à le tuer, comment Jonathan sera-t-il capable de lui en toucher un mot ? »91 Toutefois, dans ce cas, la question mériterait d’être formulée un peu différemment. Quoi qu’il en soit, sur le plan purement narratif, elle assume une fonction précise, celle de préparer et d’introduire la double réponse de Jonathan aux v. 11–24. C’est peut-être ce qui justifie sa présence à ce niveau du récit. 3.3. La réponse de Jonathan Pour répondre, le fils de Saül demande à David de sortir avec lui dans la campagne. Ce changement soudain de lieu n’est assorti d’aucune explication dans le texte. Certains auteurs pensent pourtant que c’est pour éviter d’être entendus par des oreilles indiscrètes 92. Mais on peut bien se demander pourquoi pareille précaution 93 ne s’est pas avérée également nécessaire quand ce fut le moment d’exposer le plan du test, qui apparaît tout aussi important, voire davantage. Puis, si Jonathan semble autant soucieux de cacher son jeu, 90 V. 9 : « Car si je savais vraiment que le mal est décidé par mon père pour arriver sur toi, de cela je ne t’informerais pas ? » 91 ALTER, The David Story, p. 125 : « David is not questioning Jonathan’s good faith but registering a practical difficulty : if Saul is in fact determined to kill him, how will Jonathan be able to get word to him? » 92 Voir par exemple KLEIN, 1 Samuel, p. 207 ; CARTLEDGE, 1 & 2 Samuel, p. 241 ; CAMPBELL, 1 Samuel, p. 214 ; BODNER, 1 Samuel, p. 216. 93 HERTZBERG, I & II Samuel, p. 173, estime, pour sa part, que pareille précaution ferait sens si Jonathan et David étaient durs d’oreille et qu’ils avaient à crier leurs secrets l’un en direction de l’autre. Il formule, à partir de cette observation, l’hypothèse de deux récits différents combinés.
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n’y a-t-il pas risque de s’afficher avec David même si c’est pour aller à la campagne ? L’invitation paraît obéir à d’autres motivations que nous étaierons en son temps. Pour le moment, relevons que le changement de lieu a pour effet narratif de différer la réponse, générant de ce fait du suspense qui accentue la tension dramatique. Une fois dans la campagne, Jonathan module sa réponse en deux phases bien distinctes (v. 12–17 et v. 18–24). La première est considérée par certains chercheurs94 comme ne répondant pas directement à la question que David pose et se présenterait de la sorte comme une digression. Mais ceci constitue une observation qu’il est possible d’évaluer seulement après examen de ce que Jonathan énonce. Nous proposons de traduire les v. 12–13 ainsi qu’il suit : 12
et Jonathan dit à David : « Par Adonaï le Dieu d’Israël ! En effet je sonderai mon père à pareil moment après-demain et voici quelque chose de bon envers David, n’est-ce pas alors que je t’enverrai [un message] et [le] révélerai à ton oreille ? 13 Qu’Adonaï fasse ainsi à Jonathan et encore ainsi ! Car [s’]il paraît bon à mon père de [faire] du mal sur toi, je le révélerai à ton oreille et je te laisserai partir et tu t’en iras pour [la] paix. Et qu’Adonaï soit avec toi comme il a été avec mon père ! »
Les premiers mots du fils de Saül se lisent tel un serment à l’allure bien elliptique : שׂ ָר ֵאל ְ ִ י ְהוָה ֱאֹלהֵי י. Cet aspect qui le caractérise, notamment dans le TM, a paru suspect à certains auteurs95 qui y ont perçu l’indice de la perte accidentelle d’un terme, perte à laquelle ils ont cru bon remédier en complétant le texte sur la base de témoins textuels anciens. Mais point n’est besoin de cela, car la formule se comprend bien comme elle est. Par elle, Jonathan en appelle directement au Dieu national en personne. Ce faisant, il semble indiquer que « son action a des ramifications nationales », d’après Edelman96. Néanmoins, de notre point de vue, le plus évident est que, par là, Jonathan entend conférer solennité et sérieux à ce qu’il s’apprête à dire.
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Ainsi T. VEIJOLA, Die Ewige Dynastie. David und die Entstehung seiner Dynastie nach des deuteronomistischen Darstellung (AASF B 193), Helsinki, 1975, pp. 82–83 ; VERMEYLEN, La loi du plus fort, p. 119 ; MCCARTER, I Samuel, p. 342 ; KLEIN, 1 Samuel, p. 205. 95 Voir SMITH, The Books of Samuel, pp. 188–189 : il propose, sur la base du Syriaque, d’ajouter ( עֵדtémoin) qui serait tombé à cause de sa similarité avec ; דודainsi également DHORME, Les livres de Samuel, p. 181 ; ACKROYD, The First Book of Samuel, p. 161; MCCARTER, I Samuel, p. 336. Pour WELLHAUSEN, Der Text der Bücher Samuelis, Göttingen, 1871, p. 116, c’est חיqu’il faut ajouter « als Prädikat zu » יהוה. Mais comme l’affirme avec raison A. WÉNIN, « Le discours de Jonathan à David (1 S 20,12–16) et autres notes (2,20 ; 9,24 ; 15,9) », Bib 64 (1983), p. 7, « L’invocation initiale, exclamation prenant Yahvé à témoin de l’affirmation qui suit, est parfaitement compréhensible sans qu’il soit nécessaire de supposer la disparition de ‘ēd ou Hay ». 96 EDELMAN, King Saul, p. 157.
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Prenant acte du fait qu’il testera son père le lendemain, voire le surlendemain – l’indication temporelle fait intervenir encore l’épithète שׁית ִ שּׁ ִל ְ ַה97 déjà rencontrée au v. 5 –, le propos de Jonathan consiste, à un premier niveau, à envisager les cas de figure où il tiendrait David informé. Le premier des cas revient en substance à affirmer que si, l’issue du test est positive pour David, naturellement Jonathan enverra l’informer, étant donné qu’il n’y aura vraiment pas de risque à le faire. Cette lecture est celle qui nous semble s’imposer d’après le contexte narratif. Celui-ci ne laisse aucun doute sur le fait que, quel que soit le jour sous lequel se présente la situation, Jonathan informera David. Cela apparaît d’ailleurs de façon nette dans le stratagème du tir des flèches qui prend en compte les deux éventualités. Ainsi le וְֹלאest à comprendre comme une interrogation rhétorique à valeur d’affirmation 98. C’est pourtant une interprétation écartée par A. Wénin, au motif qu’elle créerait une « redondance peu agréable » dans le texte99. Il me semble, au contraire, que l’allure redondante, généralement reconnue pour tout le ch. 20, plaide pour son maintien. En outre, ce n’est pas l’unique fois que Jonathan recourt à l’emploi rhétorique de cette particule négative. Il en use aussi peu après, au v. 14. Évidemment d’autres lectures existent, qui veulent comprendre וְֹלאcomme une simple négation100. Celles-ci estiment qu’ici, Jonathan laisserait entendre à David qu’au cas où les dispositions de Saül seraient bonnes, il ne serait pas envoyé de messager pour l’informer. Hertzberg qui, le premier, défend cette lecture, la postule cependant pour un stade antérieur du texte. Au stade actuel, admet-il, l’impression est plutôt celle d’une harmonisation avec le v. 18 où il apparaît que David sera informé quelle que soit la situation101. Outre le וְֹלאdont la valeur est diversement appréhendée, une grosse pomme de discorde survient aussi quant à la détermination du lien du v. 12 au v. 13. En clair, se pose la question de savoir s’il faut lire la formule imprécatoire du v. 13a en conclusion à l’énoncé du v. 12 ou en introduction à ce qui vient dans le reste du v. 13. Les traductions françaises majeures de la TOB et de la BJ, en ligne avec la Vulgate, lisent le v. 13a en conclusion du v. 12. De cette manière, elles traitent la formule imprécatoire du v. 13a comme 97 Placé après ָמחָרqui signifie « demain », nous le traduisons par « après-demain ». Ainsi aussi WÉNIN, « Le discours de Jonathan », p. 7. 98 Ainsi SMITH, The Books of Samuel, p. 189 ; FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 314 : « On the first two occasions that he uses welō’ it functions as a rhetorical negation which intensifies the actual positive, and in so doing Jonathan continues the line from v. 9d and 12c ». Voir aussi CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 249. Cf. HALOT, II, « » ֹלא, p. 511, « ֹלאand הֲלוֹא =וְֹלאand ַוהֲלוֹאwhen the question is already expressed by the context ». 99 WÉNIN, « Le discours de Jonathan », p. 9. 100 Ainsi HERTZBERG, I & II Samuel, p. 173 ; WÉNIN, « Le discours de Jonathan », p. 9. 101 HERTZBERG, I & II Samuel., p. 173.
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l’apodose du v. 12. Or, ainsi que le fait noter à juste titre A. Wénin, « l’expression Kò-ya`áSè… est une protase imprécative qui précède une apodose normalement introduite par Kî ou ´im »102. Par conséquent, à moins que le v. 13a ne constitue l’unique exception à la règle, – auquel cas il faudra le démontrer –, il est plus indiqué de le lire en lien avec ce qui suit qu’avec ce qui précède. Dans cette perspective, il est à noter que Jonathan débute l’énonciation de chacun des cas de figure dans lesquels il informerait David par une référence à Adonaï. Si au v. 12, c’est d’un serment qu’il se sert, au v. 13 c’est à une imprécation qu’il recourt. Il appelle en effet le malheur sur lui au cas où il n’avertirait pas David de tout mauvais dessein de son père à son encontre. Ce faisant, il affiche sa détermination totale à jouer franc jeu avec David, son ami. Au fond, il réitère et développe ce qu’il avait déjà affirmé au v. 9. Il ajoute même qu’en cas de situation périlleuse, il laisserait David partir en paix et il formule un souhait qui, tout en faisant écho au motif répété de la présence d’Adonaï avec David, bien mis en évidence en 1 S 18, consacre d’une certaine manière l’idée de la destinée royale de son ami comme successeur de son père Saül103. En déclinant au passé la présence d’Adonaï auprès de ce dernier, Jonathan admet explicitement que la légitimité de son père, aux yeux de Dieu, n’est plus de mise104. En cela, il dissipe tout doute sur le fait qu’il est au même niveau de connaissance et de conviction que le lecteur : celui-ci a reçu très tôt du narrateur omniscient, en 1 S 16,14, l’information que la faveur divine est passée de Saül au fils de Jessé. Mais Jonathan ne s’arrête pas là : la suite immédiate de son discours amorce un autre aspect des choses où il appelle aussi David à respecter une part d’engagements. Il ressort de ses propos comme une inquiétude soudaine et une recherche de garantie sur le futur. Les v. 14–16 où cela est exprimé sont affectés pourtant d’une opacité textuelle considérable que l’on ne peut surmonter qu’au prix d’un grand effort d’interprétation. En toute hypothèse, la traduction littérale suivante peut être proposée : 14
Et n’est-ce pas, si je suis encore en vie, n’est-ce pas que tu feras loyauté d’Adonaï avec moi ! Et n’est-ce pas si je meurs105 , 15 tu ne couperas pas ta loyauté d’avec ma maison pour toujours, pas même quand Adonaï coupera tous les ennemis de David, chacun de la surface de la terre. 16 Et comme Jonathan a conclu [une alliance] avec la maison de David, Adonaï en demandera compte aux ennemis de David.
D’emblée, ce qui fait difficulté est le sens à attribuer aux différents וְֹלאqui ponctuent le v. 14 : שׂה ִע ָמּ ִדי ֶח ֶסד י ְהוָה וְֹלא אָמוּת ֶ וְֹלא ִאם־עוֹ ֶדנּ ִי חָי וְֹלא־ ַת ֲע. Toutefois le consensus semble établi autour des deux premiers qui revêtent une nuance 102
WÉNIN, « Le discours de Jonathan », pp. 7–8. KLEIN, 1 Samuel, p. 207. Dans un sens analogue, TSUMURA, The First Book of Samuel, p. 508. 104 Dans la même optique, EDELMAN, King Saul, p. 157. 105 Voir la n. 11. 103
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optative 106 souvent rendue par « n’est-ce pas… » ou « puisses-tu… ». Notre préférence va à « n’est-ce pas… » par souci de coller de près à l’expression du texte. Quant au dernier וְֹלאil fait l’objet de quelques divergences d’appréciation. D’aucuns107 lui prêtent une valeur de négation avec une connotation consécutive provenant du waw, ce qui donne : « de sorte que je ne meure pas » ou « de sorte que je ne mourrai pas ». Ainsi la fidélité de David aurait comme conséquence d’empêcher la mort de Jonathan. Cette traduction grammaticalement possible ne semble pas s’imposer, cependant. Elle ne rend pas compte adéquatement de la double éventualité que Jonathan évoque, à savoir que, s’il est encore en vie, David lui témoignera une loyauté d’Adonaï, mais s’il meurt, David devrait exercer cette loyauté vis-à-vis de sa maison pour toujours, עַד־עוֹלָם. Le texte lui-même suggère une telle lecture en mettant en parallèle ִע ָמּ ִדי ֶח ֶסד י ְהוָהet ֶאת־ ַח ְס ְדָּך ֵמעִם בֵּי ִתי108. Ainsi les éventualités de la vie et de la mort que Jonathan met comme en regard, l’amènent à déclarer que la loyauté de son ami ne devrait faire défaut en aucun cas. C’est ce que suggère, entre autres choses, le jeu de mot entre les prépositions עִםet ֵמעִם, associé à la répétition de ֶח ֶסד. Et David semble avoir compris ainsi les choses lorsqu’en 2 S 9, il cherche un rejeton de Jonathan pour lui faire ḥeseḏ. En outre, les paroles de Jonathan répondent en écho aux propos tenus par David, plus haut, en 20,8. Celui-ci y avait en effet évoqué la berît Adonaï dans laquelle Jonathan l’avait fait entrer et s’était appuyé sur celle-ci pour demander que loyauté, ֶח ֶסד, lui soit accordée. Jonathan, lui, demande simplement que loyauté d’Adonaï lui soit témoignée. Par là, il confirme lui aussi que leur relation implique Adonaï et que les devoirs qui en découlent sont de l’ordre du sacré. Il laisse entendre que c’est une relation bilatérale qui concerne également la descendance. De la sorte, la finale du v. 14 sert d’introduction au v. 15. Dans ce dernier verset, personne ne conteste la valeur usuelle de négation du premier וְֹלא. En revanche, il y a débat autour de la traduction du second. A. Wénin propose de comprendre la particule ֹלאcomme un Lamed emphatique au sens de ‘bien sûr’, ‘certes’. Il lit ensuite le ְוcomme un simple « et »109. De ce point de vue, il lie le v. 15b au v. 16. C’est une lecture séduisante. Il nous semble néan106 Moyennant tout de même quelques aménagements au niveau de la vocalisation : le welō′ devient welû′. Voir par exemple SMITH, The Books of Samuel, p. 189 ; CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 249 ; WÉNIN, « Le discours de Jonathan », pp. 12–13 ; VERMEYLEN, La loi du plus fort, p. 122. Dans le même sens, la TOB. 107 Ainsi HERTZBERG, 1 & 2 Samuel, p. 169 ; CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 249 ; CAMPBELL, 1 Samuel, p. 211. 108 Voir WÉNIN, « Le discours de Jonathan », pp. 16–17. D’un côté c’est le verbe עשׂה qui est employé, de l’autre c’est כרת. Dans le contexte, avec la particule négative ֹלא, כרת implique l’idée de « ne pas couper », « ne pas retrancher » ; ce qui, d’un point de vue positif, est synonyme de « maintenir », « continuer de faire ». 109 « Le discours de Jonathan », pp. 15–16.
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moins qu’on est plus en phase avec le contexte, si on appréhende le v. 15b dans l’articulation immédiate de ce qui est énoncé en 15a. Dans ce sens, l’hémistiche 15b se donne à lire, dans le prolongement du v. 15a, comme l’illustration d’un cas précis dans lequel David ne devra pas faillir non plus à son devoir de loyauté. D’où la traduction suivante : « et tu ne couperas pas ta loyauté d’avec ma maison pour toujours, pas même quand Adonaï coupera tous les ennemis de David, chacun de la surface de la terre ». Le mouvement du texte, du moins pour ce qui est de ce verset, va alors du plus global au plus précis, avec l’impression de se répéter à travers une autre occurrence du verbe כרתprécédé de וְֹלא, même si cette fois, il s’agit d’un infinitif construit Hiphil avec ְבּ. C’est cet aspect de répétition que tentent, à mon avis, de souligner bon nombre de versions contemporaines110 quand elles rendent le וְֹלאdu v. 15b, « et pas » par une négation renforcée, « pas même »111. En disant ces choses, Jonathan, fidèle à sa conviction que David est appelé à être le prochain roi, cherche manifestement à se prémunir des mœurs politiques de l’époque qui voyaient le nouveau roi s’en prendre, en guise de représailles, à ceux qui étaient liés à l’ancien monarque 112. Il définit donc le contenu du pacte qui le lie à David et en précise les contours. D’ailleurs, la demande qu’il formule en ces versets est reprise plus loin par Saül lui-même en 24,22, dans le contexte similaire de conviction par rapport à la destinée royale de David. Une difficulté plus grosse encore surgit quand il s’agit de définir la compréhension du v. 16. Les points qui font problème se situent à deux niveaux : le premier est celui de déterminer le sens à attribuer au verbe Qal ַויִּכְר ֹת113 au 110
Ainsi par exemple la TOB et la NEG (Nouvelle édition de Genève). Il faut dire que la New American Standard Bible (NAS) et la New English Translation (NET) vont dans le même sens : elles traduisent « not even ». La Jewish Publication Society (JPS) et la King James Version (KJV), choisissent, pour leur part, de répéter la négation : « no, not when […] ». 111 Selon W. L. HOLLADAY, Concise Hebrew and Aramaic Lexicon of Old Testament. Based upon the Lexical Work of L. Koelher and W. Baumgartner, Leiden, 1971, 2098, le waw peut avoir la nuance de « also, even ». En 1 S 20,15 le contexte appelle cette nuance, ce qui donne : « même pas » ou « pas même », si on traduit ֹלאauquel il est attaché dans son sens basique de particule négative. Pour un avis différent voir WÉNIN, « Le discours de Jonathan », p. 15. 112 Voir HERTZBERG, p. 174 ; FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 314 ; EDELMAN, King Saul, p. 158 ; CARTLEDGE, 1 & 2 Samuel, p. 241 ; TSUMURA, The First Book of Samuel, p. 509. 113 La LXX diffère du TM sur ce point : ἐξαρθῆναι τὸ ὄνοµα τοῦ Ιωναθαν ἀπὸ τοῦ οἴκου Δαυιδ. Elle comprend le verbe כרתau niphal et « le nom de Jonathan » est sujet de la phrase. Forts de cela, S. R. DRIVER, Notes on the Hebrew Text and the Topography of the Books of Samuel with an Introduction on Hebrew Palaeography and the Ancient Versions and Facsimiles of Inscriptions and Maps, Oxford, 21966, p. 165 ; MCCARTER, I Samuel, p. 337, corrigent le TM. Mais comme l’affirme WÉNIN, « Le discours de Jonathan », p. 14,
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départ du verset. Faut-il lui attribuer le même sens que celui qu’il a au v. 15 ou un autre ? Il s’avère qu’au v. 16a le verbe כרתest employé de façon elliptique dans son sens de kārat berît, c’est-à-dire conclure un pacte ou une alliance114. Ce n’est d’ailleurs pas le seul passage biblique où l’expression se trouve ainsi utilisée, sous une forme abrégée. On la rencontre également dans ce sens et sous cette forme en 1 S 22,8 ; 1 R 8,9 ; 2 Ch 5,10 ; 7,18. Étant donné que Jonathan vient de parler de ḥeseḏ comme exigence fondamentale de leur relation, une référence au pacte conclu entre lui et David fait davantage sens. Et dans la compréhension qu’il en a, ce pacte s’étend naturellement aussi à la maison de David, voilà pourquoi le sens est sans doute « Jonathan conclut un pacte avec la maison de David ». Cette interprétation paraît encore plus indiquée quand on prend en considération les propos tenus par le même Jonathan dans les versets précédents. Dans ceux-ci en effet, il ne sollicite pas la loyauté pour lui seul, mais la comprend comme devant aller également à sa descendance. Au fond, pour lui, le pacte dont David et lui sont les premiers protagonistes devra réguler aussi les relations entre leurs descendants. On peut se demander alors si Jonathan, sous ses airs de naïveté et en dépit du caractère inexpliqué et finalement gratuit du lien qu’il initie avec David en 18,1–4, n’a pas été plus visionnaire qu’il ne paraît, au point de prendre les devants pour se ménager quelque garantie pour le futur115. Contrairement à son père auquel il a fallu un certain temps pour s’en rendre compte, il aurait perçu d’emblée le sens et les implications de la victoire de David contre Goliath et c’est cela qui l’aurait curieusement impressionné et aurait guidé son comportement. En fin de compte, quand on relit rétrospectivement, l’on a le sentiment que Jonathan aurait fait preuve d’un sens politique remarquable. Ce sens politique l’a amené à se soustraire au lot des ennemis potentiels de David que lui-même évoque au v. 15b et au v. 16b. Cela nous introduit au second niveau de la difficulté du v. 16, qui consiste à définir la nature du lien entre les deux hémistiches 16a et 16b. Ce point est d’autant plus délicat qu’en 16a on a un style de narration alors qu’en 16b, il s’agirait de discours direct. Cette impression est d’autant plus vive qu’aux v. « le recours à la LXX risque bien de brouiller les cartes ». Dans le même sens, VERMEYLa loi du plus fort, p. 121. 114 Ainsi WÉNIN, « le discours de Jonathan », pp. 13–15 ; ALTER, The David Story, p. 126 ; CARTLEDGE, 1 & 2 Samuel, p. 242 ; TSUMURA, The First Book of Samuel, p. 508. Contra SMITH, The Books of Samuel, p. 189 ; MCCARTER, I Samuel, p. 337 ; KLEIN, 1 Samuel, p. 208 ; VERMEYLEN, La loi du plus fort, p. 122. 115 Dans le même sens, EDELMAN, King Saul, p. 158, qualifie de sage la démarche de Jonathan. Selon elle, le fils de Saül est un personnage pragmatique (« a pragmatist ») qui a sacrifié sa couronne à la survie de sa famille. En d’autres termes, cela voudrait dire que le prince est mû par un calcul politique. Or, s’il est vrai que le récit valorise sa démarche, il n’est pas assuré qu’il la présente comme résultant d’un calcul. Jonathan agit plutôt par amitié et ce qu’il demande à David relève des exigences de leur relation. LEN,
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14–15, Jonathan parle en Je – Tu tandis qu’au v. 16 le discours vire à la 3e personne, avec, en prime, son propre nom comme sujet du verbe ַויִּכְר ֹת. Mais à y regarder de près, c’est dès la finale du v. 15 que le virage s’amorce vers le discours à la troisième personne. Car, alors qu’il parle encore à David en « tu », Jonathan en 15b introduit curieusement le nom de David pour déterminer les ennemis de ce dernier. On peut comprendre que cela l’amène peu après à continuer sur la même lancée de distanciation de soi. Et même le v. 16b qui, à première vue, semble relever du discours direct, s’énonce au fond dans un registre de discours distancié, en « il », avec Adonaï comme sujet de l’action et David comme complément du nom de « ennemis ». Par ailleurs, le verset se donne à lire aussi comme une phrase du narrateur qui, dans la foulée, enchaîne sur un discours direct 116 énonçant l’avenir, une sorte de prolepse. Quel lien alors établir entre les deux hémistiches du verset ? Il nous semble que la relation de causalité faible, suggérée par A. Wénin, et qui serait « exprimée simplement par la corrélation des deux Waw »117 éclaire bien le texte. Cela nous autorise à traduire de la manière suivante : « Comme Jonathan a conclu [une alliance] avec la maison de David, Adonaï en demandera compte aux ennemis de David ». Il y a bel et bien inclusion entre le v. 15b et le v. 16b. Mais la dernière mention de l’expression « ennemis de David » paraît contenir une menace implicite à l’encontre de David au cas où il viendrait à enfreindre le pacte118. Elle serait, à l’exemple de ce qui se lit en 1 S 25,22 et 2 S 12,14, un euphémisme imprécatoire contre David119. Manifestement, Jonathan ne semble pas tout à fait rassuré de la fidélité future de David. Aussi tient-il à tirer au clair les termes de leur pacte. Après avoir ainsi explicité les exigences de leur relation et les sanctions qui les accompagnent en cas de non-respect, on comprend mieux qu’au verset suivant, le v. 17, Jonathan éprouve le besoin de continuer de faire jurer120 116 On a par exemple le même cas en 1 S 18,21b. La TOB semble avoir interprété dans ce sens aussi. 117 « Le discours de Jonathan », p. 14. 118 Ainsi MCCARTER, I Samuel, p. 337 ; KLEIN, 1 Samuel, p. 203. 208 ; CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 249 à la suite de Rashi, D. Qimhi qu’ils citent ; VERMEYLEN, La loi du plus fort, n. 44, p. 122. 119 Voir dans ce sens SMITH, The Books of Samuel, p. 189 ; MCCARTER, I Samuel, p. 337 ; CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 249 ; KLEIN, 1 Samuel, p. 208 ; CAMPBELL, 1 Samuel, p. 216. 120 Le TM a en effet un Hiphil, tandis que la LXX comporte un Niphal. Mais comme le dit à juste titre WÉNIN, « Le discours de Jonathan », pp. 18–19, « Jonathan n’aurait aucun motif de jurer quoi que ce soit à David. Il a toutes les raisons d’exiger de David un serment et de le conjurer de répondre à son amour ». L’enjeu est de rendre bilatérale leur relation. Cf. aussi CARTLEDGE, 1 & 2 Samuel, p. 242. D’autres auteurs favorisent plutôt la lecture proposée par la LXX. Ainsi par exemple SMITH, The Books of Samuel, p. 189 ; MCCARTER, I Samuel, p. 337 ; VERMEYLEN, La loi du plus fort, pp. 123–124.
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David, dissipant de la sorte tout doute par rapport à la nature bilatérale de leur engagement. Le narrateur précise qu’il le fait jurer « dans son amour de lui, car il l’aimait de l’amour de son âme ». Les pronoms possessifs et personnels de la 3e personne du singulier peuvent prêter à confusion, du fait qu’ils sont susceptibles de se rapporter autant à Jonathan qu’à David. Mais la terminologie employée renvoie à du déjà-vu (18,1.3) et permet ainsi de relier ces pronoms à Jonathan plus qu’à David. Si en 20,12–16, Jonathan énonce les situations dans lesquelles David sera informé, dans les versets qui suivent il expose la manière dont l’information sera communiquée. Pour ce faire, il part des propos tenus par David lui-même quand celui-ci présentait le plan du test à mettre en œuvre. De ce fait un parallélisme se dégage entre le v. 5 et les v. 18 et 19a. En outre, en répétant les paroles de David, Jonathan montre à son ami qu’il a bien saisi le plan que ce dernier a suggéré. Le verbe Piel שׁלשׁfait écho à l’épithète שׁית ִ שּׁ ִל ְ ַהemployée plus haut aux v. 5 et 12 et il indique une chronologie en trois étapes que David doit respecter avant d’être informé des résultats du test. Il ne semble donc pas faux de le traduire par « tu attendras trois jours » 121. D’ailleurs le chiffre trois paraît particulièrement prisé dans le plan, car, outre le fait que David est invité à attendre trois jours, Jonathan se propose aussi de tirer trois flèches dans le processus de transmission des résultats. Faut-il comprendre en cela une manière de faire jouer, au passage, la valeur symbolique 122 qui, socialement, est attachée à ce nombre ? Rien ne l’exclut ! Après avoir rappelé à David le temps qu’il doit attendre, le fils de Saül conseille à son ami de descendre. Le verbe employé à ce propos est le yiqtol de ירד. Ce qui implique que David123 se situe sur un lieu relativement élevé 121
Dans le même sens TSUMURA, The First Book of Samuel, p. 512. Ce que d’autres rendent par « le troisième jour tu […] ». Ainsi MCCARTER, I Samuel, p. 337, qui, cependant, transforme le verbe (wšlšt) en épithète (wišlῑšῑt) et comprend « le troisième jour du festival » ; CARTLEDGE, 1 & 2 Samuel, p. 242. Quant à ACKROYD, The First Book of Samuel, p. 164, il estime que c’est « la troisième fois ». Il en est de même de DRIVER, « Old Problems », p. 175. 122 Pour DRIVER, « Old Problems », p. 177, le chiffre « trois » est à considérer comme une expression générale pour dire « plusieurs » et en l’occurrence, « plusieurs flèches ». « Trois » serait utilisé pour n’importe quel petit nombre. Dans le cas de Jonathan, toujours selon Driver, un seul tir aurait été suspect alors que deux ou trois auraient donné l’impression d’un entraînement. Quant à FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 348, il souligne que le chiffre « trois » est un nombre sacré et, en ce sens, il contribue au symbolisme des flèches que nous évoquerons plus tard. 123 Selon TSUMURA, The First Book of Samuel, p. 513, le sujet du verbe ne serait pas à rapporter à David auquel Jonathan dit « tu ». Ce verbe serait plutôt à comprendre comme étant à la 3e pers. f. s. avec « šemeš » (le soleil) pour sujet. Le mot šemeš aurait été omis. Ainsi au lieu que ce soit David qui descend, il faut comprendre qu’il doit attendre que le soleil descende. Autrement dit, David doit attendre qu’il fasse sombre. D’où la proposition
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par rapport à l’endroit où il doit recevoir l’information. Néanmoins l’association de l’adverbe ְמא ֹדà ce verbe de mouvement rend délicate la traduction de l’expression dans son ensemble. Que choisir en effet entre « tu descendras beaucoup », sens premier de ְמא ֹד, ou « tu descendras vite »124 ou encore « tu descendras au loin » ? Si « tu descendras beaucoup » suscite quelque réticence du point de vue de la correction de la langue, « tu descendras au loin » doit alors être préféré, du fait que « au loin » exprime, sur le plan de la distance, l’idée d’abondance inhérente à ְמא ֹד. Ainsi David est invité à descendre sur une bonne distance 125 et à arriver à une place définie qu’il connaît déjà pour s’y être caché un jour qualifié de שׂה ֶ ְבּיוֹם ַה ַמּ ֲע. D’aucuns126 comprennent cette dernière expression comme désignant un « jour ouvrable » par opposition aux jours fériés que constitueraient les jours de la fête de la nouvelle lune. Mais il paraît plus vraisemblable, d’après le contexte, d’y voir une référence à un fait antérieur où David a été amené à se cacher127. Dans le récit, la relation explicite d’une situation où David recourt à une stratégie de cachette, connue de lui et de Jonathan, se trouve en 1 S 19,2–3, dans le contexte d’une menace ouverte de mort de la part de Saül. Il n’est dès lors pas du tout infondé de comprendre que Jonathan évoque ici cet épisode, désormais rappelé, dans l’histoire de leur relation, comme « l’affaire », un fait marquant et mémorable. Ce qui transforme aussi le lieu de la cachette en un lieu histo« after dark » que l’auteur avance. Comme on le voit, c’est une solution trop recherchée, même si elle tend à indiquer qu’il faut comprendre « le troisième soir ». D’ailleurs, DRIVER, « Old Problems », pp. 176–177, propose aussi de lire « at nightfall ». Mais, à la différence de Tsumura, il ne remet pas en cause le fait que « tu » soit le sujet. Aussi pour proposer « nightfall », il corrige me’od en mā’od. 124 Proposition de BARTHÉLEMY, Critique textuelle, pp. 198–199. 125 CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 250, pensent, pour leur part, que David est invité à descendre « très vite », car son refuge n’est pas très éloigné. Mais ALTER, The David Story, p. 126, traduit : « you will go all the way down ». 126 Ainsi par exemple TSUMURA, The First Book of Samuel, pp. 513–514 : « The most natural meaning of the phrase beyôm hamma`áSè (lit., “on the day of the work”) means “on the day of business”, the day following the New Moon festival; see Amos 8:5. In Ezek. 46:1 “the six working days” (šēšet yemê hamma`áSè) are contrasted with “the Sabbath day” and “the day of the new moon”. Therefore, we would like to suggest the translation on the working day ». Pour DRIVER, « Old Problems », p. 177, « ma`áSè ‘deed’ is out of question ; and the Targ.’s ‘on a profane day’ i.e. working day, requires melâkāh, ‘work’. The word must be another ma`áSè ‘evening’, used with the special sense of ‘evening feast’ ; cp. Arab ‘ašâ ‘ supped’, whence ‘ašîyu, ‘last part of the day ; time of evening prayer’ is derived ». 127 Dans ce sens, MCCARTER, I Samuel, p. 342. Pour lui, ma`áSè ferait référence « to Saul’s announcement of his desire to have David’s life ». Voir aussi KLEIN, 1 Samuel, p. 208 : « The “day of the deed” (v 19) may refer to the day Saul announced his intention to kill David (19:1–2) or to his attempt to pin David against the wall (19:9–10) ; we cannot be sure » ; CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 250 ; ALTER, The David Story, p. 126.
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rique où se trouve une pierre portant un nom, « la pierre Ezel » () ָה ֶאבֶן הָאָז ֶל. Le fils de Saül montre ainsi qu’il connaît bien le lieu dont il parle. Une fois indiqué à David où il devra se rendre, Jonathan, à partir du v. 20, expose ce qu’il entreprendra lui-même de faire : il tirera les trois flèches et enverra le garçon (avec la détermination de l’article). Tient-il peut-être déjà les trois flèches en main pendant qu’il parle à David ? Cela se pourrait bien. En tout cas le fait d’en parler avec l’article défini implique que son interlocuteur sait au moins de quoi il s’agit, si ce n’est qu’il les a en vue. Néanmoins, il ressort des dires de Jonathan que c’est plutôt aux paroles adressées au garçon que David devra prêter attention. L’emploi de l’infinitif absolu antéposé au verbe ( ) ִאם־אָמ ֹר א ֹ ַמרdénote une insistance et traduit cette exigence. Ces paroles visent à décrire avec clarté la position des flèches par rapport à David de manière à rendre sans équivoque la signification de cette position. Jonathan envisage d’abord la situation où David n’aura rien à craindre. Dans ce cas, il prononcera un impératif, ָקחֶנּוּ, « prends-le », qui tout en faisant mine de poursuivre le discours adressé au garçon, peut être entendu comme s’adressant aussi à David128. Mais le texte gagne davantage en clarté si on comprend cet impératif comme concluant la première partie de l’adresse au page. Auquel cas, le suffixe pronominal objet de la 3 e personne du singulier accolé au verbe renvoie à la flèche, même s’il s’agit peu avant de flèches au pluriel. Une petite erreur probable d’accord129 qui vient rajouter un peu à l’allure textuelle confuse des versets précédemment analysés et qui, à cet égard, peut dénoter quelque signe d’inattention chez le prince, voire un état émotionnel en ébullition chez lui. Si Jonathan parle au garçon d’une position des flèches au-delà de lui, c’est que la menace est avérée. Alors, David devra prendre le large avec la conviction que c’est Adonaï lui-même qui permet cela. À y regarder de près, se dessine comme un rapport mimétique entre la distance à laquelle la flèche est tirée et celle qui devra marquer, à l’issue du test, le lien de David à la cour. Le « ici » et le « là-bas » signifient soit le retour à la cour et par conséquent, une proximité certaine, soit le départ, et donc un éloignement. C’est dire qu’apparemment, les flèches remplissent ici une fonction mimétique, voire métaphorique du sort, quel qu’il soit, qui pourrait atteindre David. D’ailleurs une fonction analogue semble attachée aussi à leur usage dans l’épisode mettant en scène le prophète Élisée avec le roi Joas, en 2 R 13,15–19. Ce qui 128
CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, pp. 250–251. Ils comprennent que le suffixe pronominal se rapporte au garçon. FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 322, semble être du même avis. Il considère que l’expression peut signifier à la fois soit « “fetch him” or “accept it”. I choose the first option as the most appropriate ». 129 Aussi les différents auteurs qui suivent le TM corrigent le texte et traduisent par « prends-les ». Voir dans ce sens ALTER, The David story, p. 126 ; ainsi aussi la TOB, la KJV, la NAS.
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amène Fokkelman 130 à parler de la flèche comme « instrument d’un acte symbolique dans le monde ancien ». En ce sens, il déclare à juste titre que « le tir aux flèches de Jonathan est une action religieuse et symbolique liée au sort et à la fortune de David »131. Dans ce contexte, le déplacement 132 vers la campagne, sollicité par Jonathan au v. 11, paraît obéir prioritairement à une envie soudaine du fils de Saül d’être sur le lieu même où doit se dérouler le rendez-vous de l’après-test, peut-être pour convaincre davantage David de sa bonne foi. Jonathan conclut son discours par l’allusion à une parole, sous forme d’engagement, prononcée auparavant par lui et David, et qui fait d’Adonaï le garant de leur relation pour toujours, עַד־עוֹלָם. Alors que rien de tel n’apparaît nulle part ailleurs à la surface du récit et que Jonathan a été seul à parler, pendant toute l’entrevue à la campagne, sans qu’aucune réaction explicite de son ami ne soit enregistrée, le fils de Saül fait croire, au v. 23, que David a acquiescé à l’engagement réciproque qui lui est demandé aux v. 14–16. Il donne aussi à penser qu’il a effectivement réussi à « faire jurer David », comme le rapporte le narrateur au v. 17. En ce sens, le v. 23 se lit comme un retour de Jonathan à ce qu’il laissait entendre aux v. 12–16 pour faire ressortir, en guise de conclusion, que David a marqué aussi son accord. Malgré quelques différences relatives notamment à la mention explicite que l’engagement bilatéral pris s’étend également aux descendants, mention présente aux v. 15–16 et absente du v. 23, les échos verbaux entre ces versets sont patents. Il y a en effet de part et d’autre la référence à Adonaï comme juge-arbitre, témoin et garant de la relation (v. 15–16 // v. 23b) et également l’indication selon laquelle ladite relation induit un engagement pour toujours ()עַד־עוֹלָם. À cela il est possible d’adjoindre la proximité de sens, au niveau de la démarche du moins, entre le serment que Jonathan fait faire à David au v. 17 et ce qui est évoqué au v. 23. Car dans ce dernier verset, la déclaration « voici Adonaï est entre moi et toi pour toujours » () ִהנֵּה י ְהוָה בֵּינ ִי וּבֵינְָך עַד־עוֹלָם résonne fort bien, dans le contexte, comme la citation de la formule performative d’engagement 133. En tout cas il explicite ce que recouvre « la parole [ou l’affaire] dont nous avons parlé moi et toi » ( שׁר ִדּבּ ְַרנוּ ֲאנִי ָו ָא ָתּה ֶ ) ְו ַה ָדּבָר ֲא. En ce
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FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 347. Ibid., p. 348 : « Jonathan’s shooting of arrows is a religious and symbolic action related to David’s fate and fortune ». 132 GREEN, Mikhail Bakhtin and Biblical Scholarship, p. 122, pense que « Jonathan’s initiative in 20:12–17 to move to the field makes sense mimetically in terms of their not being overhead as well as for practical purposes of rehearsing the communication of the information ». 133 D’ailleurs c’est dans le sens d’un serment que la LXX comprend. Aussi ajoute-t-elle µάρτυς après κύριος. Elle est suivie en cela par SMITH, The Books of Samuel, p. 192, qui propose d’ajouter עֵדaprès יהוה. Voir aussi ALTER, The David Story, p. 127. 131
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sens, M. Weinfeld134 a raison de compter le mot ָדּבָרqui apparaît ici au nombre des synonymes de בּ ְִריתau sens d’engagement (« commitment » ou « agreement »). En définitive, il ne semble pas infondé de penser que ce que Jonathan dit au v. 23 se rapporte à l’engagement qu’il fait prendre à David au v. 17, lequel engagement est déjà invoqué aux v. 14–16. En y revenant tout à la fin de son discours135 à la campagne, le prince laisse entendre l’importance capitale que revêt pour lui la réciprocité dans l’engagement qui le lie à David. Il le répétera d’ailleurs au v. 42, juste avant la séparation. Au terme de cette ample réponse à la difficulté qu’il soulevait au v. 10, David se cache comme prévu, sans autre forme de réaction. L’exécution du plan qu’il a lui-même suggéré peut commencer. Aussi le récit passe rapidement à la fête de la nouvelle lune, en particulier au banquet royal lié à cette occasion. 3.4. L’échange pendant le banquet D’entrée de jeu, le récit s’attarde à décrire les places qu’occupent, à table, les différents commensaux, en commençant par celle du roi, dos au mur 136. Quant à Jonathan, sa position contraste pour le moins avec celle de son père. Le TM utilise en effet pour la caractériser, le verbe קום137 qui, d’ordinaire signifie « se lever ». Dans un contexte où les gens prennent place à table et où il n’a pas été question de Jonathan assis, il nous semble plus indiqué, pour rester proche du texte, de traduire exceptionnellement le verbe קוםpar « se tenir debout »138, même si c’est le verbe עמדqui habituellement véhicule ce sens. Quoi qu’il en soit, tous les deux ont en commun le fait de signifier la station debout139. Ainsi Jonathan se tiendrait debout peut-être pour servir son 134
M. WEINFELD, « בּ ְִריתberîth », TDOT, II, Grand Rapids, MI, 1977, p. 257. Contre CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 251, qui pensent qu’il s’agit d’une allusion à une partie disparue de la conversation entre Jonathan et David. 136 HERTZBERG, I & II Samuel, p. 175, estime qu’il s’agit d’une place garantissant la sécurité. Dans le même sens ACKROYD, The First Book of Samuel, p. 167 : « The King sits with his back to the wall, a position of safety and no doubt of honour, with his army commander Abner at his side ». 137 La LXX a quant à elle un autre verbe : προέφθασεν = il s’assit en face. Elle est suivie en cela par SMITH, The Books of Samuel, p. 192 ; MCCARTER, I Samuel, p. 333. 138 ACKROYD, The First Book of Samuel, p. 167, affirme qu’il faut suivre la LXX, mais traduit par « Jonathan too was present ». FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 327 tout en gardant le TM avance la traduction suivante : « he reported himself present »; Pour ALTER, The David Story, p. 127, c’est « Jonathan preceded him ». B. A. MASTIN, « Jonathan at the Feast : A Note on the Text of 1 Samuel XX 25 », dans J. A. EMERTON (éd.), Studies in the Historical Books of the OT (VT.S 30), Leiden, 1979, propose de traduire par « prendre place ». 139 C’est plus proche de la traduction de TSUMURA, The First Book of Samuel, p. 515 : « took his position ». De toute façon J. GAMBERONI, « קוםqûm », TDOT, XII, Grand Rapids, MI, 2003, p. 593, explique que dans certaines circonstances « qwm, ‘md, and hyh 135
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père140 et pourquoi pas aussi en anticipation de la position qu’il adoptera le deuxième jour141 ? En tout cas, la mention des places qu’occupent le roi, son fils et Abner semble destinée à mettre davantage en relief la place inoccupée de David. N’est-ce pas précisément autour de cette place vide que doit se jouer le test ? Pourtant le premier jour, le roi paraît ne pas du tout s’en faire. Par le truchement d’un inside view du narrateur, le lecteur accède à la justification que Saül se donne pour ne rien dire par rapport au siège vide de son rival. Il est tout à fait surprenant de voir que le roi n’attribue pas à son attitude agressive vis-à-vis de David l’absence de celui-ci à table, mais l’explique par des considérations d’ordre rituel. À moins que Saül soit vraiment convaincu que, quoi qu’il fasse, David ne pourra pas en tirer les conséquences au point de se démettre lui-même de ses fonctions à la cour. Ainsi, le fait que le roi s’attend tout naturellement à trouver le fils de Jessé, comme il le nomme, au repas de la nouvelle lune, confirme, sur le plan de la trame, ce que David exprimait au départ, à savoir qu’il devait manger à la table royale. Ce devoir découle-t-il de son statut de gendre142 ou de celui de chef militaire 143 ? Le récit reste silencieux sur ce point comme si cela allait de soi. En fin de compte demeure l’information fournie au lecteur : outre ses activités de musicothérapeute et de guerrier, David devait aussi prendre part à des repas officiels qui exigeaient, pour certains du moins, un état rituel approprié. Tout cela est rapporté essentiellement sur le mode narratif. Si, au premier jour de la nouvelle lune, seul un état d’impureté rituelle, peut expliquer aux yeux de Saül l’absence de David, la répétition de cette absence le lendemain vient comme invalider cette hypothèse144. Aussi le roi sort-il de son indifférence pour s’enquérir des raisons de cette situation auprès de son fils Jonathan. Dans sa question, il évite de nommer David par son nom ; il l’appelle « fils de Jessé », le patronyme par lequel David s’était présenté lui-même à la fin du duel contre Goliath (17,58). Les auteurs145 sont unanimes à relever, à juste titre, la connotation méprisante que semble revêtir une telle appellation sur les lèvres de Saül. En tout cas l’effet produit est celui increasingly resemble one another in the weakened meaning “be, come about, arise” ». En outre Jb 29,8 montre que les deux verbes ont des sens qui se recoupent. 140 Voir CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 251 ; TSUMURA, The First Book of Samuel, p. 515 : « Jonathan may have been standing in attendance ready to serve his father the king ». 141 1 S 20,34. 142 Ainsi HERTZBERG, I & II Samuel, p. 173. 143 Pour KLEIN, 1 Samuel, p. 206, « Perhaps it had something to do with his general prestige (18:6–8) or with his role as the king’s weapon-bearer (16:21) ». 144 À propos de l’accident d’impureté et du temps qu’il peut durer voir Dt 23,11–12. 145 Voir à titre d’exemple HERTZBERG, I & II Samuel, p. 175 ; FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 330 ; ALTER, The David Story, p. 127 ; KLEIN, 1 Samuel, p. 209.
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d’une distanciation du roi par rapport à David, replacé dans ses humbles origines. Mais justement si le fils de Jessé n’est pas venu au repas – – ַה ֶלּחֶם c’est parce qu’il est retourné à la « Maison-du-pain » – à – בֵּית ֶלחֶםchez Jessé. Telle est la réponse, concoctée avec David, que Jonathan sert à son père. Cependant, il ne s’en tient pas à la lettre de ce qui a été convenu avec son ami, il brode un peu et y ajoute du sien. Au moyen d’une citation, il fait entendre à son père les propos mêmes tenus par David lors de la formulation de sa requête. De ces propos, il ressort que le fils de Jessé a dû aller chez les siens non pas tant de sa propre initiative mais sous la pression de ceux-ci en raison d’un sacrifice familial. Toutefois, ce qui devait être de nature à exonérer David d’une manière ou d’une autre n’atteint pas l’objectif escompté, car cela comporte des paroles potentiellement incendiaires146, telles que le verbe מלט147. Ce verbe implique la menace d’un danger dont il faut se protéger et il a déjà fait l’objet de plusieurs emplois dans les phases précédentes du récit pour caractériser l’attitude de défense adoptée par David face aux assauts du roi (19,10.11.12.17.18). En voulant faire mieux, Jonathan en aurait-il fait trop ? Peut-être ! En tout cas, la colère du roi, prévisible du reste, ne se fait pas attendre. Elle est dirigée contre Jonathan lui-même qui se voit insulté violemment avec des expressions injurieuses touchant à sa mère. Certes, ces injures visent bien Jonathan148 et non sa mère149. Néanmoins en les proférant en évoquant celle-ci, Saül, le père, n’est-il pas en train d’insinuer qu’il ne se reconnaît plus en son fils ? N’exprime-t-il pas une prise de distance par rapport à ce fils qui se fait solidaire de quelqu’un d’autre aux dépens de sa famille, un fils apparemment ingénu qui travaille à sa propre perte. Mais dans les mêmes paroles, le roi laisse transparaître sa conviction de l’accession inéluctable de David au trône. D’où la nécessité de la solution radicale pour y faire obstacle. Le lecteur comprend alors le secret de l’acharnement de Saül contre David et est forcé de reconnaître la lucidité150 du roi dans l’analyse qu’il fait de la situation. Seulement dans un système politico-socio-religieux où prévaut le principe de l’élection divine, on peut se demander, à la lumière du rejet deux fois signifié par Samuel en 1 S 13 et 15, si le roi n’a pas choisi de tenter de forcer le destin
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Ainsi BODNER, 1 Samuel, p. 220. Dans le même sens voir POLZIN, Samuel and the Deuteronomist, p. 189. 147 SMITH, The Books of Samuel, pp. 192–193 ; FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 332 ; ALTER, The David Story, p. 128. 148 JOBLING, 1 Samuel, p. 161 et suiv., estime que Jonathan est ainsi traité d’efféminé. 149 Ainsi HERTZBERG, I & II Samuel, p. 175. Selon SMITH, The Books of Samuel, p. 193, « Universal custom abuses a man by throwing opprobrium upon his parents » ; MCCARTER, I Samuel, p. 343. 150 En ce sens, CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 251 affirment que l’image donnée ici de Saül n’est pas celle d’un psychopathe, mais celle d’un personnage coléreux.
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en s’opposant à la volonté d’Adonaï. Et si c’est cela 151, a-t-il vraiment une seule chance de réussir ? Saül achève sa première tirade en intimant à Jonathan l’ordre de lui amener David, qualifié de fils de mort, pour l’exécuter. De fils de Jessé à fils de mort, une équivalence politique rapide est établie par Saül. Toutefois pourquoi serait-ce à Jonathan d’exécuter cet ordre ? Est-ce parce qu’il sait où se trouve ce dernier, ou, parce qu’il serait directement responsable de lui ? Ce qui est sûr, c’est que lorsqu’il a poursuivi David jusqu’à Nayoth à Rama, le roi n’a manifesté aucun besoin de recourir à Jonathan. En réponse, Jonathan se risque à demander à son père de justifier l’arrêté de mort décrété. Il le fait par deux questions laconiques : « pourquoi doit-il mourir ? Qu’a-t-il fait ? » (20,32), qui répondent en écho aux interrogations énoncées par David au début du chapitre, mais qui peuvent être entendues aussi en parallèle avec le plaidoyer prononcé par Jonathan en 19,4–5. Jonathan voudrait-il faire changer d’avis à son père ? En tout cas le roi se montre si furieux que le moment semble mal choisi pour essayer de le faire réfléchir en le contredisant. Aussi dans un geste plutôt désespéré 152, il jette sa lance contre son fils. Les commentateurs153 sont unanimes à souligner la contradiction entre ce geste et le souci, à peine exprimé d’assurer un avenir royal à Jonathan. En agissant comme il le fait, le roi réédite la tentative d’agression dont David a été l’objet par deux fois en 18,10–11 et 19,9–10. Pour lui, Jonathan est un allié de David et pour cela, il mérite le même sort. En outre, la question de Jonathan provoque chez son père une réaction agressive qui révèle à quel point le roi est tellement mobilisé par son ambition dynastique que toute autre considération même d’ordre éthique lui semble déplacée. Elle a pour effet aussi de souligner l’innocence du fils de Jessé. Et, tenter de tenir tête à son père dans un contexte aussi tendu, ne peut que révéler la sincérité de la relation de Jonathan à David et donner à penser que le fils de Saül est fidèle à l’alliance et à l’engagement au ֶח ֶסדqu’il a pris. Le stratagème imaginé en 20,5–7 prévoyait deux réactions possibles de la part du roi au moment où il apprendrait la raison de l’absence de David au repas de la nouvelle lune. Saül s’étant mis dans une rage virulente, Jonathan acquiert la conviction que le sort de David est scellé et que son père ne changera plus de position. Les dés en sont donc jetés. Mais avant qu’il ne retourne 151
Et dans cette perspective, c’est lui qui serait le vrai rebelle et non pas sa femme comme il le prétend dans son injure. Cf. EDELMAN, King Saul, p. 160, qui parle de « misplaced self-characterization ». 152 Le roi, malgré sa grosse colère, ne parvient pas à faire entendre raison à son fils. Aussi ne prend-il plus le temps de répondre par la parole aux questions que Jonathan pose. La lance qu’il brandit peut alors se donner à lire comme si Saül n’en croyait pas ses oreilles, que son fils ose encore lui poser des questions de ce genre. 153 Voir EDELMAN, King Saul, pp. 160–162 ; ALTER, The David Story, p. 129 ; BODNER, 1 Samuel, p. 221.
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rendre compte à David, selon les termes du contrat qui les lie, le récit s’attarde à évoquer les sentiments qu’il éprouve face à la situation. Il entre lui aussi dans une colère noire et quitte la table, parce qu’« il était peiné pour David ». Le verbe עצבqui exprime ce sentiment de peine 154 a déjà été employé par David (1 S 20,3) pour expliquer pourquoi Saül aurait caché la recrudescence de son hostilité à son fils. En éprouvant ce sentiment, Jonathan confirme les propos de David et en souligne la justesse psychologique. La fin du verset semble cependant confuse : on ne sait pas qui, de Jonathan ou de David, est objet de l’humiliation subie de la part de Saül155. Grammaticalement, le pronom personnel de 3e personne du singulier peut se rapporter aussi bien à l’un qu’à l’autre. À première lecture, David paraît être l’objet du verbe, puisque le v. 34d se présenterait comme explicitant les raisons de la peine éprouvée par Jonathan à son endroit (v. 34c). Mais en même temps, le contexte immédiat indique que Jonathan vient d’être insulté par son père. À moins que traiter David de « fils de mort », outre la désignation à connotation méprisante de « fils de Jessé », ait été perçu par Jonathan comme un manque de respect vis-à-vis de David156 ? Quoi qu’il en soit, il est clair que Jonathan prend fait et cause pour David. 3.5. Le discours du compte-rendu Par conséquent, comme convenu, il va le rejoindre en 20,35 pour communiquer les résultats de son enquête. La mise à exécution des tirs des flèches, avec le garçon censé les ramasser, semble moins précise que sa conception. On a en effet l’impression que Jonathan ne tire qu’une flèche. Mais le verbe ( לקטramasser, rassembler) employé pour décrire l’action du garçon laisse entendre que plus d’une flèche a été tirée. L’allure particulièrement redondante des ordres de Jonathan à son page fait comprendre qu’il tient à ce que son message soit bien entendu par David. Tout se passe alors comme si les deux amis n’allaient pas avoir de rencontre directe. Toutefois, dès que Jonathan renvoie son page en ville, David se lève pour venir à sa rencontre. Les deux amis se laissent aller à un moment d’intense émotion et de grande effusion. Du coup le lecteur ne perçoit plus clairement la fonction narrative du tir à l’arc. Il croyait que cet exercice avait une fonction essentiellement communicative, auquel cas se poserait la question de son utilité au regard de qui
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C’est dans ce sens en tout cas qu’est défini ce verbe dans BDB, « » עצב, « Niph. Pf. 3 ms. נ ֶ ְעצַבI S 2034 be pained for ». Voir aussi HALOT, II, « » עצב, « Nif. to be worried 1S 203•34 ». Voir aussi EDELMAN, King Saul, p. 161, « Jonathan ‘feels pain’ for David » ; ALTER, The David Story, p. 129. 155 G. AULD, 1 and 2 Samuel, dans J. D. G. DUNN/J. W. ROGERSON (éd.), Eerdmans Commentary on the Bible, Grand Rapids, MI/Cambridge, UK, 2003, p. 224. 156 Ainsi le pense KLEIN, 1 Samuel, p. 209.
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suit157. À moins que cette rencontre finale ne relève de l’imprévu, dictée par un mouvement spontané du cœur158 qui ne s’embarrasse plus de précautions ? Cette interprétation, bien que possible, ne paraît pas nécessaire. Car tout indique que Jonathan s’attend aussi à une rencontre, sinon pourquoi renvoyer le garçon seul en ville et faire mine de vouloir rester seul dans la campagne ? D’où la question du rôle même du garçon : pour quelle raison l’avoir associé au dispositif du plan, à ce niveau du récit ? À moins que cela ne relève d’un pur effet dramatique, le contexte de danger et de complot qui imprègne cette page suggère que cela serait sans doute vraisemblablement pour éviter d’éveiller d’éventuels soupçons sur la sortie de Jonathan à la campagne, le lendemain de sa rupture avec son père. Il s’agirait donc de faire croire que le prince allait seulement pour s’exercer au tir à l’arc. Si cela est exact, il en découle que le tir, outre à marquer de façon mimétique la distance qui s’établira désormais entre David et la cour royale, vise surtout à brouiller, pour un temps, les cartes159 pour tout spectateur indiscret éventuel qui viendrait à passer par là. Il aurait donc non seulement une fonction symbolique160 mais aussi une fonction pratique, et ne serait pas là pour pallier l’impossibilité de contact entre les deux amis. En tout cas, vu l’insistance notable dans leurs interventions respectives précédentes sur les aspects formels et politiques de leur relation, cette dernière scène met en avant, du moins en un premier moment, sa dimension affective et tendre. Néanmoins avant de prendre congé, Jonathan rappelle le pacte qui les lie, David et lui, et il rend explicite qu’il s’agit d’une alliance politique de paix qui s’étend aussi à leur descendance respective. En fin de compte, le fils de Saül est le personnage qui parle le plus dans cette page. David est certes celui qui provoque la rencontre. Mais une fois son stratagème exposé, il n’est plus rapporté aucun discours de lui. Seul Jonathan discourt. Il est le personnage qui parle avec David, mais celui aussi qui parle avec Saül. De la sorte il est celui qui est de toutes les scènes, qui traverse de bout en bout cet épisode au point qu’on peut dire que ce chapitre est bel et bien le sien. Y sont mis en lumière les termes du pacte conclu en 18,1.3 avec David et y est dramatisée la raison de l’inaction de Jonathan après la recrudescence des hostilités jusqu’à cette rencontre : il a été tenu à l’obscur des projets meurtriers de son père. La séquence narrative met alors en scène le processus par lequel il vient à en prendre connaissance et par lequel il est amené à prendre parti. Au fond, au lieu de Saül, c’est Jonathan lui-même qui 157
Voir dans ce sens HERTZBERG, I & II Samuel, p. 176 ; VERMEYLEN, La loi du plus fort, p. 124. 158 Cf. CAMPBELL, 1 Samuel, p. 215 ; TSUMURA, The First Book of Samuel, p. 523. 159 Dans un sens analogue, CAMPBELL, 1 Samuel, p. 214, pense que le narrateur aurait mentionné la présence du garçon pour expliquer pourquoi Jonathan n’a pas été suivi : « He was going out with his servant for routine archery practice ». 160 Voir FOKKELMAN, The Crossing Fates, pp. 347–348.
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est testé pour voir si, sous la pression de son père, il peut encore avoir le courage de soutenir David. La réconciliation qu’il avait obtenue auparavant s’était faite sans coup férir parce qu’il avait pu facilement rallier le roi à ses vues. Mais ici, les positions apparaissent diamétralement opposées. Se pose par conséquent la question de savoir si Jonathan va céder à la pression de son père ou non. Cette pression, prévisible par ailleurs, justifie en réalité l’interrogation manifestement redondante de David au v. 10, où perce comme un doute quant à la capacité réelle de Jonathan de lui demeurer loyal jusqu’au bout. Cet enjeu global ressort peut-être aussi de la dimension spatiotemporelle de cet épisode. Avant de l’affirmer, il convient sans doute de l’examiner. 4. La dimension spatio-temporelle Le propos ici sera de mettre en lumière la temporalité et l’espace déployés par 1 S 20, la manière dont ils le sont et l’effet de sens qui en découle. On parlera aussi de la façon dont Jonathan et David envisagent le temps et ce que représente pour eux l’espace dans lequel ils se déplacent. À cet effet, il sera d’abord question de la fuite de Nayoth en Rama à la cour, puis de la durée du banquet de la nouvelle lune. Ensuite on évoquera la vision de l’avenir qui transparaît des conversations, avant de dire un mot sur celle du passé. Enfin mention sera faite de l’opposition qui semble s’établir entre la cour de Guibéa et la campagne. 4.1. De Nayoth en Rama à la cour Dès le point de départ de l’épisode, le narrateur signale que David s’enfuit de Nayoth en Rama pour se présenter devant Jonathan. Rien n’est dit explicitement de l’endroit où il rejoint son ami, l’essentiel étant, semble-t-il, qu’il s’exprime devant le prince et que cet échange se situe après les événements de Nayoth. Mais au regard de la suite du récit, le lecteur peut supposer que David rejoint sans doute son ami chez lui, à savoir à la cour royale. Aussi peut-il se demander s’il ne s’agit pas là d’une initiative suicidaire, vu que le fils de Jessé revient au lieu du danger qui l’avait poussé à prendre la fuite. Ce qui ne fait qu’accroître la curiosité par rapport à l’objectif de la démarche elle-même. Si 1 S 20,1a tente ainsi de situer chronologiquement la rencontre de Jonathan et David après les péripéties de Nayoth, il reste tout de même à se demander comment envisager la transition temporelle entre les deux épisodes. En clair, faut-il comprendre que David se présente devant Jonathan en venant directement de Nayoth ou bien y a-t-il lieu de penser qu’un certain temps s’écoule avant que les deux amis se voient ? La question se pose d’autant plus que le récit en lui-même donne l’impression d’entretenir une ambivalence à ce sujet. De prime abord, la séquence d’ouverture, à savoir la fuite de Nayoth
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() ַויִּב ְַרח, l’arrivée ( ) ַויּ ָב ֹאet la prise de parole ( )וַיּ ֹא ֶמרsubséquente, faite de questions haletantes alignées par David devant Jonathan, laisse penser que la rencontre a lieu dès que David arrive de Nayoth. Le débit de paroles qui semble le sien et qui est suggéré par la cascade d’interrogations rhétoriques mises sur ses lèvres traduit une excitation. Il apparaît encore tout échaudé et sous le choc de la pression qu’il vient de subir à Nayoth. Des auteurs comme P. Ketter161 le comprennent ainsi. Celui-ci estime en effet que David a profité des heures de transe de Saül à Nayoth pour aller parler à Jonathan. Toutefois dans la suite du récit, les discours tenus par les protagonistes laissant entendre que, tout naturellement, David doit prendre part au banquet du roi comme si de rien n’était, déconstruisent cette première impression en obligeant à supposer qu’un temps s’écoule entre les événements de Nayoth et la rencontre avec Jonathan. Pour une lecture dans ce sens, on peut mentionner Tsumura, qui propose de traduire le premier wayyiqtol du v. 1 par un plusque-parfait. Selon lui, David avait quitté Nayoth avant l’arrivée de Saül pour être à Guibéa le temps que les choses se calment. Ce n’est qu’après cela qu’il se serait déplacé pour aller voir Jonathan162. Au fond, pour Tsumura, la fonction du verbe ַויִּב ְַרחest ici de déterminer le cadre de l’action dramatique subséquente ou d’opérer une transition vers cette action. Elle ne fait pas partie de l’événement rapporté 163. En d’autres termes, ce verbe fournirait une information sur le cadre antérieur à l’action dramatique narrée dans l’épisode. Il faut dire que Tsumura propose cette lecture en vue d’apporter une solution au problème de rupture chronologique, maintes fois souligné par différents auteurs164, qui existerait entre 1 S 20 et ce qui précède. On peut certes justifier d’un point de vue grammatical la traduction de ַויִּב ְַרחpar un plusque-parfait165, mais cela reste un usage assez exceptionnel et il est loin d’être 161
P. KETTER, Die Samuelbücher (Herders BibelKommentar. Die Heilige Schrift für das Leben erklärt), Freiburg, 1940, p. 132. Voir aussi HERTZBERG, I & II Samuel, p. 172. 162 TSUMURA, The First Book of Samuel, p. 502. 163 Ibid., p. 52 : « This use of the wayqtl of a motion verb as part of the SETTING or TRANSITION rather than the EVENT is normal in Hebrew and occurs also in Samuel. This is clear in 1 Sam. 11:1, for example, where a new stage (SETTING) on which a new event with new dramatis personae will take place is thus introduced. Such a usage […] be recognized in 1 Sam. 17:1; 20:1; 26:1; 28:1; 2 Sam. 5:1, etc. » 164 Comme SMITH, The Books of Samuel, p. 183 ; CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 250 ; KLEIN, 1 Samuel, p. 206. 165 Voir C. J. COLLINS, « The Wayyiqtol as ‘Pluperfect’: When and Why », TynB 46 (1995), pp. 117–140, en particulier les pp. 127–128 où sont énumérées trois conditions dans lesquelles le wayyiqtol peut avoir cette valeur : 1 : « Some anaphoric reference explicitly points back to a previous event » ; 2 : « The logic of the referent described requires that an event presented by a wayyiqtol verb form actually took place prior to the event presented by a previous verb » ; 3 : « The verb begins a section or paragraph ». Cette dernière condition pourrait en effet justifier la traduction par un plus-que-parfait. Reste à savoir si cela s’impose dans le contexte.
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évident que 1 S 20,1a fait partie des exceptions 166. D’ordinaire, en effet, comme l’affirme A. Niccacci167, à la suite de Joüon168, c’est le waw-x-Qatal qui assume la valeur du plus-que-parfait, avec pour fonction linguistique d’exprimer une circonstance antérieure169. Or, il semble que le wayyiqtol de 1 S 20,1, plutôt que de rapporter une situation antérieure, ouvre une nouvelle phase de la fuite de David qui part de Nayoth à Guibéa170. Il s’agit d’une nouvelle initiative du fils de Jessé qui remet en branle l’action dramatique, qui la fait progresser. Certes le verbe ברחest employé à d’autres endroits en relation à David (1 S 19,12 ; 21,11), mais à chaque fois il marque le début d’une nouvelle étape. Là où en revanche il est utilisé en vue de rappeler une situation antérieure, c’est en 19,18 avec justement un waw-x-Qatal : ְו ָדוִד בּ ַָרח. Aussi est-il tout à fait défendable de rendre le verbe ַויִּב ְַרחen 1 S 20,1 au passé simple, temps du récit 171, à l’instar des autres verbes qui le suivent : « Et David prit la fuite de Nayoth en Rama et il arriva et dit devant Jonathan ». Si le récit ne permet pas de trancher de façon formelle au sujet de la temporalité à envisager entre le départ de Nayoth et la rencontre de Guibéa, le jour où David voit Jonathan est néanmoins clairement identifié, à savoir la veille de la nouvelle lune (v. 5). Pour cette occasion, un seul événement focalise l’attention : le repas ; car il constitue le cadre où le test mis au point doit livrer son verdict. Il apparaît, aux dires de David lui-même, comme une obligation contraignante à laquelle il ne peut déroger qu’avec la bénédiction de Jonathan. Dans cette optique, sa démarche s’inscrit dans une volonté d’obtenir, entre autres choses, cette dérogation. Le moment choisi pour la rencontre paraît donc bien calculé. Pourtant l’attention du lecteur est majoritairement sollicitée par les échanges de la veille de ce repas, du moins à en juger par l’ampleur de l’espace narratif qui leur est dédié. Près de vingt-quatre versets sur un ensemble de quarante-deux. L’essentiel de ces vingt-quatre versets consiste en 166
En tout cas Collins ne le mentionne pas, à ma connaissance, dans ses exemples. A. NICCACCI, Sintassi del verbo ebraico nella prosa biblica classica (SBFAn 23), Jerusalem, 1986, §40. 168 JOÜON, §118d, « Pour exprimer notre plus-que-parfait l’hébreu n’a pas d’autre moyen que d’éviter ainsi le wayyiqtol ». Et plus loin au §166j, « Pour exprimer l’antériorité d’une action par rapport à une action précedemment énoncée, l’hébreu se contente, dans une suite narrative, d’éviter le wayyiqtol […]. Le we…qatal, grâce au contexte, a le sens de notre plus-que-parfait ». 169 NICCACCI, Sintassi del verbo ebraico, §40. 170 Le nom de la localité où il rejoint Jonathan n’est pas indiqué, mais le contexte permet de supposer que c’est à Guibéa. Dans ce sens aussi KLEIN, 1 Samuel, p. 206, « Presumably David came back to Gibeah from Ramah (v 1) […] ». 171 Du wayyiqtol comme temps narratif, voir JOÜON, §118c. Voir aussi NICCACCI, Sintassi del verbo ebraico, §3 : « In ebraico si usa il WAYYIQTOL per narrare ». 167
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des discours de Jonathan, amplifiés de façon notable. Ce qui a pour effet de les mettre en relief. 4.2. La durée allouée au test Jonathan et David paraissent d’accord sur le timing nécessaire au déroulement du test. Ils prévoient un total de trois jours, que le récit prend le soin de suivre pas à pas au moyen de marqueurs temporels. Le premier jour est l’occasion de préciser la place que chacun des convives occupe à table, avant que l’on rapporte le monologue intérieur du roi concernant l’absence de David. En somme, deux versets (v. 25–26) suffisent pour rendre compte de l’actualité de ce premier jour. L’intérêt du récit principalement pour les places des convives sans autre indication concernant le repas confirme, dans la ligne de ce qui a été convenu la veille par les deux amis, que l’enjeu porte bien naturellement sur la place inoccupée de David. Dans cette même optique s’inscrit l’effet d’économie narrative qui veut que l’on ne retienne que le monologue de Saül sur cette place vide comme seul élément intéressant à rapporter. Aussi n’est-il pas étonnant que le deuxième jour de la nouvelle lune s’ouvre par un constat portant sur la place inoccupée de David (v. 27). Bien que le locuteur assumant ce constat soit le narrateur, il semble que le point de vue raconté172 soit celui de Saül. Cette lecture se fonde sur le fait que la prise de parole de ce dernier s’enchaîne directement au constat, avec le verbe וַיּ ֹא ֶמר et sur le fait qu’en amont, la fin du v. 26 rapporte un monologue du même Saül sur cette place. En tout cas s’il n’avait pas constaté une place vide, sa question à Jonathan sur l’absence répétée de David n’aurait pas de sens. Mais elle donne lieu à un échange animé entre père et fils. Il en résulte que ce jour reçoit, par rapport au premier, un traitement narratif plus important, avec un total de huit versets (v. 27–34). D’un point de vue purement narratif, l’indifférence apparente du roi le premier jour est une étape de complication qui joue à retarder le dénouement, avec pour effet d’augmenter un certain suspense. Elle fonctionne tel le calme avant la tempête et, ce faisant, contribue à mettre en relief la colère du roi, quand elle éclate. Jonathan reçoit ainsi la réponse au test : non seulement il sait que son père veut la mort de David,
172 À propos de la catégorisation des points de vue et de leurs marqueurs linguistiques voir A. RABATEL, « Points de vue et représentations du divin dans 1 Samuel 17,4–51. Le récit de la Parole et de l’agir humain dans le combat de David contre Goliath », dans RRENAB (éd), Regards croisés sur la Bible. Études sur le point de vue. Actes du IIIe colloque international du Réseau de recherche en narrativité biblique – Paris, 8-10 juin 2006 (LeDiv), Paris, 2007, pp. 15–55, voir spécialement les pp. 15–33. Voir aussi A. WÉNIN, « Marques linguistiques du point de vue dans le récit biblique. L’exemple du mariage de David (1 S 18,17–29) », ETL 83 (2007), pp. 319–337, notamment les pp. 319–321.
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mais aussi il sait pourquoi il la veut (v. 31). Il en est affecté, ce qui se traduit par son refus de manger ce jour-là. Le lendemain, il rejoint David, comme convenu, pour le compte-rendu de l’issue du test. Cette partie est moins élaborée en dialogues. Pourtant, le rythme du récit ne s’emballe pas. Il donne même par endroits l’impression de décélérer, par exemple au niveau des ordres que Jonathan adresse au garçon qui l’accompagne. Ainsi au v. 36, l’ordre imparti par le prince est rapporté d’abord en discours direct, immédiatement suivi de son exécution, transcrite en style narratif. Ensuite, quand le garçon arrive à la place où est tombée la flèche tirée, son maître l’interpelle en deux temps, ce qui est rendu par le double emploi rapproché de ַויּ ִ ְק ָראaux v. 37 et 38. Il en ressort comme l’effet d’un ralenti. Au fond, le narrateur procède ici en mode scénique pour indiquer comment Jonathan remplit pratiquement sa part de contrat. L’ultime scène de l’épisode continue sur le même mode scénique. Le lecteur peut suivre comme en direct les mouvements de David, qui se lève, puis tombe face contre terre, fait trois fois la révérence avant que les deux amis s’embrassent et fondent ensemble en larmes. Le mot de la fin revient à Jonathan qui laisse David partir dans la paix jurée au nom d’Adonaï (שׁם י ְהוָה ֵ ) ְבּ. Il qualifie leur pacte d’amitié de contrat de paix (שׁ ַבּעְנוּ ְ ִשׁר נ ֶ שׁלוֹם ֲא ָ שׁנ ֵינוּ ֲאנַחְנוּ ְל ְ ) pour le futur ()עַד־עוֹלָם, entre eux et entre leur descendance (ז ְַרעִי בֵּינ ִי וּבֵינֶָך וּבֵין )וּבֵין ז ְַרעֲָך. 4.3. L’avenir envisagé L’ensemble de l’épisode semble traversé par une préoccupation pour l’avenir qu’il s’emploie à préparer. J’en veux pour preuve l’abondance de verbes au futur dont la quasi-totalité figure dans les dialogues entre Jonathan et David : ( ֹלא ָתמוּתv. 2), שׂה ֶ ( ְו ֶא ֱעv. 4), שׁב ֵ י ָשׁ ֹב־ ֵא, שׁ ַלּ ְח ַתּנ ִי ִ ְו, ( ְונ ִ ְס ַתּ ְר ִתּיv. 5), ( וְאָ ַמ ְר ָתּv. 6), etc.173 L’avenir sur lequel discourent ainsi ces personnages est celui de David, fortement compromis par une menace de mort que Saül fait planer. Il est pour cela abordé à partir de l’angoisse que le fils de Jessé éprouve et exprime dans la perspective de cette mort imminente. Toutefois c’est là une perspective que Jonathan rejette de toutes ses forces ()ֹלא ָתמוּת, dont il ne veut même pas entendre parler. Et pour aider à conjurer le mauvais sort, il offre sa disponibilité totale à agir en faveur de David (שׂה־לָּ ְֽך ֶ ְו ֶא ֱעv. 4). Celui-ci saisit alors la main qui lui est ainsi tendue pour demander que lui soit évité de s’asseoir à la table du roi à l’occasion de la nouvelle lune. À cet effet deux actions significatives, énoncées au futur, sont envisagées par David dans une séquence où Jonathan est sollicité de le laisser partir (שׁ ַלּ ְח ַתּנ ִי ִ ) ְוpour qu’ensuite, lui se cache () ְונִ ְס ַתּ ְר ִתּי174. Si l’absence qui en résultera fait l’objet de quelque remarque de 173 174
On en trouve aussi aux v. 8, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 19, 20, 21, 22, 23, 42. V. 5.
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la part de Saül, le fils de Jessé élabore une réponse toute prête que son ami devra dire ( )וְאָ ַמ ְר ָתּ. Cela porte déjà à deux les actions marquantes futures que David demande à Jonathan : le laisser partir ( )שׁלחet dire ()אמר. Ensuite, il lui recommande d’être attentif à deux réactions opposées que Saül pourrait avoir et qui seraient synonymes l’une de paix et l’autre de malheur. Mais l’action décisive future que David implore de Jonathan se situe, à mon sens, au v. 8 : שׂי ָת ֶח ֶסד ִ ְו ָע, ce qui se traduit littéralement : tu feras loyauté. Une loyauté qui implique, entre autres choses, dans l’esprit de David, que Jonathan devra veiller par la suite à l’informer ( )נגדde la réaction précise que le roi aura eue. À la question de savoir qui, précisément, portera l’information (v. 10), le prince invite son ami à sortir à la campagne et là, il répond en substance que ce sera lui en personne (v. 12–13). Il décline son agir par les verbes significatifs suivants, toujours au futur : ֶאחְק ֹר, שׁלַח ְ ֶא, ( ְוגָלִי ִתי2*), שׁ ַלּ ְח ִתּיָך ִ ְו. En d’autres termes, il déclare que, dans l’immédiat, il sondera son père et qu’en cas de danger imminent, il laissera partir David, lequel s’en ira en paix (ְו ָה ַל ְכ ָתּ שׁלוֹם ָ ) ְל. Mais Jonathan ne se limite pas à parler de son action en vue du futur immédiat de David. Il élargit aussi l’horizon pour évoquer ce que son ami, lorsqu’il sera tiré d’affaire, devra faire et pour lui et pour sa maison, dans la perspective future de leur engagement relationnel. Il demande au fond une loyauté pérenne ( ) ַח ְס ְדָּך…עַד־עוֹלָםsur laquelle il revient d’ailleurs à la fin de son discours à la campagne (v. 23) et dans la scène de séparation (v. 42). En ce sens, l’avenir au cœur des échanges des deux amis s’avère être pris en considération sous un double rapport, à court et à long terme. David, en situation précaire, est préoccupé pour le court terme que Jonathan se charge volontiers de démêler, parce qu’étant en mesure d’intervenir. Il y parvient en quatre jours de temps raconté, au total, pour ouvrir d’une certaine manière, au fils de Jessé, un chemin vers un avenir royal. En retour, il dit compter sur la loyauté de celui-ci pour le long terme, à savoir pour un futur de paix entre eux et entre leurs descendants respectifs, surtout lorsque David sera devenu roi et aura acquis ainsi une position de force. 4.4. Le passé et sa signification Les discours de Jonathan et David qui envisagent de cette manière l’avenir politique de leur vie et de leur relation sont aussi émaillés de quelques moments de retour sur le passé. À cet égard, c’est David, le premier à parler, qui, d’entrée de jeu et sous la pression de l’hostilité à laquelle il est confronté, interroge le passé pour y chercher l’offense qu’il a pu faire à Saül (v. 1) : ֶמה שׂי ִתי ֶמה־עֲוֹנִי וּ ֶמה־ ַחטָּא ִתי ִ ָע. Au v. 3, il évoque la relation que Jonathan a nouée avec lui par ces termes : « j’ai trouvé grâce à tes yeux » () ָמצָא ִתי חֵן ְבּעֵינֶיָך.
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Cette expression est suggestive et met en avant la bienveillance gratuite 175 de Jonathan, attitude que David invoque, en l’occurrence, comme raison ayant pu déterminer Saül à ne pas faire part de ses desseins meurtriers à son fils. Un peu plus loin, au v. 8, par un jeu de second plan amorcé par la conjonction כִּי, David recommence, au passé, à évoquer leur relation, qu’il présente comme un pacte d’Adonaï, dans lequel Jonathan l’a fait entrer (ִבּב ְִרית י ְהוָה ֵהבֵא ָת ֶאת־ ) ַע ְב ְדָּך ִע ָמְּךet auquel il en appelle pour fonder sa demande de loyauté de la part du prince. À cela, Jonathan réagit en déclarant que s’il savait vraiment que son père a décrété de faire du mal à David, il l’aurait informé, comme pour souligner qu’il n’a pas manqué de loyauté. À la fin du v. 13, Jonathan parle de la faveur divine envers son père au passé : « qu’Adonaï soit avec toi comme il a été [ou fut] avec mon père ». Ensuite au v. 19, il identifie le lieu où David devrait se cacher en le mettant en relation avec une cachette antérieure survenue « le jour du fait », en référence à la date d’un fait mémorable. Il revient au v. 23 sur un engagement verbal contracté par lui et David devant Adonaï pour laisser entendre qu’il s’agit d’un engagement « pour toujours ». Au v. 27b, après qu’il a constaté, le second jour de la nouvelle lune, que la place de David est encore vide, Saül pose des questions sur l’absence, la veille et ce jour-là, du fils de Jessé à table. Et Jonathan de répondre qu’il n’est pas venu parce qu’il a demandé à se rendre à Bethléem, dans sa ville, pour un sacrifice familial (v. 28–29). Tous ces retours se font dans les discours des personnages et pas dans la narration en tant que telle. Et hormis l’échange entre le roi et son fils aux v. 27b–29, dans presque toutes les autres paroles prononcées, appel est fait à la mémoire de la relation entre Jonathan et David, surtout au moment fondateur de son éclosion, pour l’indiquer comme la référence de tout rapport bilatéral dans le futur. Cela confère au pacte scellé en 18,3 un statut de pierre angulaire et une fonction de régulation dans la relation entre les deux hommes et dans son évolution future. 4.5. L’opposition entre cour royale de Guibéa et campagne Outre les indications temporelles à peine mentionnées, ce récit met aussi en jeu quelques repères spatiaux. Dès son point de départ, il ramasse en peu de mots les deux pôles du chemin parcouru par David qui s’enfuit de Nayoth en Rama et qui arrive. Le point d’arrivée n’est pas nommé, mais le lecteur peut comprendre qu’il s’agit de Guibéa, étant donné que c’est devant Jonathan que D. N FREEDMAN/J. R. LUNDBOM, « ָחנ ַןḥānan ; חֵןḥēn ; חַנּוּןḥannûn ; ֲחנ ִינ ָהhanînâ ; ְתּ ִחנּ ָהt ḥinnâ ; ַתּחֲנוּןtaḥanûn », TDOT, V, Grand Rapids, MI, 1986, p. 24, donne « grâce » et « faveur » comme les deux sens basiques du mot ḥēn. Il ajoute que le mot « Appears most often in the familiar idiom māṣā’ ḥēn be‘êne, “find favor in someone’s eyes” ». Il y a lieu peut-être de relever que 1 S 16,22 qualifie la relation de Saül avec David avec la même expression. 175
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se présente David et que c’est à lui qu’il adresse, sans préalable, son plaidoyer. Cela a pour effet de rendre quasiment palpable la situation d’extrême urgence dans laquelle se trouve le fils de Jessé. Ainsi la protection probablement recherchée auprès de Samuel à Nayoth en Rama ne semble plus suffisante même si Saül a été neutralisé, pour ainsi dire, par l’esprit d’Adonaï. David s’enfuit alors pour se rendre chez le fils même de son poursuivant, celui qui avait réussi à obtenir une réconciliation en 19,6. L’échange avec ce dernier se déroule dans un premier temps là où celui-ci est rejoint. Puis au v. 11, une question de David amène Jonathan à l’inviter à sortir dans la campagne. La raison d’un tel changement de lieu n’est pas explicitée, mais il n’est pas exclu de penser que cela pourrait être pour des raisons de plus grande sécurité. Dès lors, tout se joue en effet en tension dramatique entre la campagne, désormais lieu de protection pour David, et la cour royale devenue l’antre du danger, Jonathan faisant le lien entre ces deux lieux. Il y a comme une inversion des rôles habituels de ces lieux en termes de protection. D’un point de vue schématique, on obtient la succession suivante : David rencontre Jonathan à la cour royale (v. 1–11a) Jonathan et David sortent à la campagne (v. 11b–23) Jonathan et Saül à la cour (v. 24b–34). Abner, figurant // David à la campagne Jonathan rejoint David à la campagne, avec un serviteur (v. 35–40) Jonathan et David se disent au revoir dans la campagne dès le départ du serviteur (v. 41–42) Jonathan retourne en ville et David s’en va (21,1). Le fait que Jonathan rentre à la cour pour les célébrations de la nouvelle lune avait pour objectif de s’assurer que les conditions étaient réunies pour un retour de David, mais tel n’est pas le cas. Alors les deux amis se séparent et Jonathan laisse partir David. Ce dernier reçoit ainsi l’accord pour mettre fin à son rattachement au service de la cour. C’est Saül qui l’y avait engagé, c’est Jonathan qui l’en désengage, contre le gré du roi d’ailleurs. À la lumière de toutes ces considérations, on peut dire, pour conclure, que le cadre spatio-temporel de la cachette, des entrevues pour le moins secrètes à la campagne en vue de garder une distance de sécurité avec la cour de Guibéa, du repas de la nouvelle lune où, en son deuxième jour, la colère de Saül éclate, provoquant celle de Jonathan, avant que le troisième jour soit consacré au rendez-vous avec David, ce cadre contribue à éveiller et à maintenir vivant chez le lecteur le sentiment du danger de mort auquel David est confronté. Car au-delà du personnage de Jonathan, c’est surtout le lecteur que le narrateur cherche vraisemblablement à convaincre de ce que David n’a pas d’autre alternative que de quitter la cour de Guibéa. À cet effet, il ne serait pas erroné de dire que le cadre spatio-temporel ainsi déployé remplit
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efficacement sa fonction narrative de support à la représentation imaginaire d’un récit ancré dans le réel. 5. Caractérisation de David, Jonathan et Saül Quels traits de Jonathan, David et Saül sont mis en avant en 1 S 20 ? Comment le sont-ils ? Par qui le sont-ils ? Voilà les questions auxquelles nous allons tenter de répondre à présent. Pour ce faire, nous verrons d’abord ce qu’il en est de David, puis de Jonathan et enfin de Saül. 5.1. Caractérisation de David 1 S 20 s’ouvre sur le personnage de David en fuite. Il semble décidé à échapper à Saül. Pour cela, après avoir cherché refuge auprès de Samuel pour un temps, sans que cela empêche le roi de l’y rejoindre, il se résout à aller trouver Jonathan. L’efficacité démontrée par ce dernier en matière de médiation en 19,3–6 n’est sans doute pas étrangère à une telle initiative. Quoi qu’il en soit, dès que David arrive devant Jonathan, il se montre un protestataire avisé. Son entrée en matière avec des questions rhétoriques dénonçant la persécution injuste dont il est victime et établissant de fait son innocence est si calibrée qu’elle arrache au prince une réaction outrée de dénégation. Ainsi, dès le départ, malgré le fait que lui et Jonathan soient amis, David se situe sur un plan plutôt formel de sujet à maître. Cet état de choses se confirme peu après, lorsque le fils de Jessé se présente lui-même comme serviteur par rapport à Jonathan (v. 7–8) et invoque, pour fonder sa demande de loyauté, non pas la relation d’amitié comme telle, mais le pacte qui la formalise. Ce faisant, David montre qu’il a conscience d’être le partenaire inférieur du pacte qui les lie et de respecter le statut supérieur de Jonathan. En conséquence, sa posture place le fils de Saül dans une position où, en sa qualité de partenaire supérieur, il se trouve comme en devoir d’accorder sa protection. David se révèle aussi par ailleurs fin psychologue lorsqu’il essaie de faire comprendre les raisons qui ont pu amener le roi à cacher ses desseins à son fils. Il dépeint Saül sous les traits flatteurs d’un père délicat vis-à-vis des sentiments de son fils et ainsi, il évite de remettre directement en cause la conviction de Jonathan qui croit que son père communique de manière transparente. On perçoit également sa finesse psychologique dans le test qu’il met au point pour déterminer si oui ou non le roi est résolu à en finir avec lui. Au fond il est astucieux. En outre, David ne semble pas non plus du genre à se laisser facilement détourner de ses convictions par de simples assurances. Aussi, quand le prince tente de lui dire qu’il n’y a pas péril en la demeure, il s’en tient à l’expérience qu’il vient de faire, réitère ce qu’il sait et va même jusqu’à suggérer un plan pour que tout doute soit dissipé. Il insiste également pour savoir qui l’informera en cas de réponse dure de la part du roi (v. 10). Exprime-t-il
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là quelque doute par rapport à la capacité de Jonathan de résister à la pression de Saül ? La manière dont le prince réagit induirait à le penser. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’avère convaincant sur l’ensemble de ce qu’il dit. Néanmoins, on peut se poser légitimement la question de savoir quel est vraiment son objectif lorsqu’il se présente devant Jonathan. Est-ce, au fond, pour enquêter sur les intentions profondes de Saül à son égard ou pour solliciter officiellement d’être détaché de son service à la cour ? Ou simplement avait-il peut-être besoin d’une dernière entrevue avec son ami ? La première hypothèse paraît peu probable, car ses propres dires ne laissent planer aucun doute sur le fait qu’il a conscience d’être sous une menace imminente de mort. Vraisemblablement il se sent encore formellement en devoir vis-à-vis de la cour et voit mal comment vivre cela avec la menace pendante de mort. Aussi souhaite-t-il que Jonathan lui donne dérogation, pour un temps peutêtre, par rapport à ses obligations de membre de la cour. Notons qu’il demande à Jonathan de l’envoyer se cacher dans la campagne jusqu’au troisième jour (v. 5), sans expliciter ce qui est à envisager au terme du test. C’est le fils de Saül qui lui-même se charge d’en tirer les implications. Faut-il voir là le signe d’un homme désireux de ne pas se rendre justice à soi-même et soucieux de se mettre néanmoins à l’abri ? D’un autre point de vue, si David se situe sur un plan formel de sa relation avec Jonathan, la fin de l’épisode le montre aussi capable d’effusion sentimentale, puisqu’il est évident qu’une part active lui revient dans la scène de leur séparation. Sa réaction particulièrement démonstrative en cette occasion – prosternements répétés, embrassades – n’est d’ailleurs pas sans surprendre au regard de son manque de réaction aux v. 17 et 24. En effet, alors qu’il fait une entrée en scène remarquée dès 1 S 20,1, qu’il discute avec vivacité jusqu’au v. 10, David replonge, à partir de la sortie à la campagne, dans l’espèce de réserve qui le caractérise depuis 1 S 18–19. Il n’est rapporté de lui aucune parole au moment où Jonathan discourt sur sa disponibilité totale à sonder et à communiquer les intentions de son père et où il appelle à une relation bilatérale. C’est peut-être aussi en raison de cette réserve que le fils de Saül est amené à le faire jurer (שׁבִּי ַע ֶאת־ ָדּוִד ְ ְל ַה: v. 17) et à redire peu après (v. 23), comme si cela n’était pas déjà clair, que l’alliance qui les lie est mutuelle. Qu’au v. 41, le fils de Jessé rompe d’une certaine manière cette réserve, donne à penser qu’il attendait sans doute de voir l’issue finale de leur démarche avant de se libérer. En tout cas ses prosternements dans le contexte peuvent être lus comme l’expression d’un soulagement accompagné de gratitude à l’endroit de Jonathan, signe, s’il en est, qu’il était bien acquis à l’idée de quitter la cour. En somme David est caractérisé essentiellement par ce qu’il dit, par ce qu’il manque de dire ou de faire et par les gestes qu’il pose. Le narrateur le fait agir et parler sans autre forme de commentaire. Mais David est caractérisé aussi par Jonathan et Saül. Pour le fils du roi, David n’est pas un homme promis à une mort immédiate. Il est plutôt celui
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qui succédera à son père (v. 13) et dont Adonaï guide les pas. Il est l’ami qui mérite qu’on lui fasse des confidences et l’innocent auquel le roi ne doit pas en vouloir injustement. Il est David, celui qui mérite qu’on l’appelle par son nom. Du point de vue de Saül, il est le méprisable fils de Jessé et à ce titre, il ne fait pas partie de la famille, ni de la tribu de Benjamin. D’où la nécessité de le combattre avec fermeté. Car il constitue le rival très sérieux de Jonathan, voire son obstacle majeur dans la course au trône, ce qui rend leur amitié inopportune. Aussi est-il un condamné à mort (v. 31), seule façon capable de le mettre hors d’état de nuire. La position contraire de Jonathan à cet égard procéderait, d’après certains auteurs176, de sa naïveté qui l’empêche de réaliser que David est une menace sérieuse pour l’avenir dynastique de la famille de Saül. Pareille lecture tend en fait à caractériser le fils de Saül comme un personnage manipulé par son ami. De ce point de vue, David serait par exemple engagé dans une manœuvre subtile en vue d’obtenir la coopération de Jonathan, lorsqu’il se présente à lui sous les traits d’une victime en 1 S 20. Une appréciation mûrie de ces considérations ne peut être donnée qu’à l’issue d’un examen global de l’ensemble des interactions entre Jonathan et David. Toutefois il est déjà possible de noter que les données du texte sont beaucoup plus complexes177. En effet la menace de mort invoquée dès le départ auprès de Jonathan est réelle et le narrateur lui-même a pris le soin de la dramatiser peu avant. S’il est alors quelque chose d’étonnant à ce propos, c’est que le fils de Saül n’en sache vraiment rien. Dans cette optique, le test proposé par David paraît être une tentative pour arriver à une conviction partagée, ce qui procéderait plutôt d’une volonté soucieuse d’aider le prince, dans le respect, à prendre conscience d’une réalité qui lui échappe. 5.2. Caractérisation de Jonathan Jonathan est lui aussi caractérisé par la manière dont il interagit avec David, dans ses paroles et ses actes, ainsi qu’avec Saül. Il est principalement vu par le narrateur et par David comme le fils de Saül. C’est à ce titre, mais pas seulement, qu’il est sollicité pour intervenir dans le conflit. D’entrée de jeu, en se présentant devant lui et en protestant, David lui fait endosser le rôle d’un arbitre, voire d’un juge sommé de déterminer sa responsabilité dans la crise qui l’oppose à Saül. Ensuite, Jonathan lui-même assume une posture de confident sûr de son père. Fort de cette posture, il essaie de rassurer David 176
Ainsi LEMCHE, « David’s Rise », p. 8 ; GUNN, The Fate of King Saul, p. 84. Voir dans un sens analogue BODNER, 1 Samuel, p. 219, qui écrit ceci : « Some commentators argue that throughout the story David manipulates Jonathan, while other recent advocates suggest an erotically charged relationship. The text itself resists both of these readings, and I would submit that Jonathan is a more complex character than is acknowledged by either of these extremes ». 177
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concernant le fait qu’il n’encourt aucun danger de mort. Pourtant le lecteur et David savent que la situation a considérablement évolué depuis la réconciliation de 1 S 19,6. D’où un effet d’ironie situationnelle ! Est-ce alors une façon pour le narrateur de dépeindre Jonathan comme un naïf, comme l’affirment certains auteurs 178 ? Ou est-ce une manière de rendre raison de son absence de la scène depuis 1 S 19,6 ? À moins que ce ne soit un moyen oblique pour le narrateur de suggérer que, contrairement à ce qui est relaté en 19,1, le roi a choisi de ne plus mettre son fils et dauphin au courant de ses intentions ? Le mouvement de fond de l’action dramatique et sa structure induisent à opter pour cette dernière hypothèse. Il ne ressort pas en effet que l’ignorance affichée par Jonathan soit connotée négativement. Elle semble plutôt excuser son inaction depuis la recrudescence des hostilités entre son père et son ami, et cela, dans la continuité d’une caractérisation qui le dépeint sous les traits de quelqu’un de direct, non compliqué 179, voire transparent. Cette ignorance vise aussi sans doute à mettre en relief la susceptibilité maladive de Saül qui, après coup, paraît n’avoir pas apprécié l’intervention de son fils en 19,4–6 et de ce fait a retenu qu’il devait l’écarter du cercle des gens informés de ses desseins. N’affirme-t-il pas lui-même brutalement à la face de Jonathan en 20,30, qu’il est parfaitement au courant de son parti pris pour le fils de Jessé ? N’est-ce pas également cette relation bilatérale bienveillante que David identifie au v. 3 comme une raison plausible de ce que le roi ait choisi de ne pas tenir son fils informé de ses récentes tentatives ? De la sorte, si Jonathan ne sait pas c’est parce qu’il n’a pas été informé. Ce n’est donc pas sa faute, pourrait-on dire ! La finale du v. 3 donne l’impression que David met Jonathan et Adonaï sur pied d’égalité du fait qu’il jure « par la vie d’Adonaï et par ta [Jonathan] vie ». Mais au fond cela a pour effet d’impliquer plus personnellement Jonathan dans le sort funeste qui guette son ami, tout en assurant la véracité du constat qui est fait à ce propos. En est-il pour autant convaincu ? En tout cas, à partir du v. 4, le fils de Saül coupe court à leur discussion sur la réalité d’une menace de mort et se présente tel un ami loyal, disposé à apporter toute aide utile. Ce faisant il assume le rôle d’une personne totalement au service de David. Il prononce des paroles qui font écho à celles de son propre écuyer en 1 S 14,7, s’assimilant en quelque sorte à ce dernier, un peu comme s’il faisait à son tour l’écuyer de David180. D’un autre point de vue, il apparaît aussi au lecteur comme le supérieur hiérarchique immédiat de David, celui qui peut concéder l’autorisation de déroger à certaines obligations de la cour (v. 5–7). Saül semble d’ailleurs le 178
Ainsi GUNN, The Fate of King Saul, p. 84 ; ALTER, The David Story, p. 123 ; CA-
QUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 244. 179 POLZIN, Samuel and the Deuteronomist, pp. 180
188–189. Voir EDELMAN, King Saul, p. 155, qui développe bien cette lecture.
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confirmer quand il questionne son fils sur les absences répétées du fils de Jessé au repas de la nouvelle lune (v. 27) – comme si celui-ci était placé sous la responsabilité immédiate de Jonathan – et qu’il lui enjoint d’envoyer, séance tenante, le chercher pour l’exécuter (v. 31). Cela achève de faire du fils de Saül une sorte de tuteur du fils de Jessé, son mentor. On comprend dès lors qu’il assume pleinement le projet de le laisser partir de la cour dans un but de protection et qu’il lui souhaite la bénédiction d’Adonaï en ces termes : « qu’Adonaï soit avec toi comme il fut avec mon père » (v. 13b). À propos d’Adonaï, Jonathan s’exprime plus d’une fois en référence à lui. En effet, non seulement il estime que David bénéficiera du soutien divin, mais encore il a conscience qu’Adonaï anéantira les ennemis de David (v. 15). De plus, il interprète tout départ obligé éventuel de David à l’issue du test, comme relevant de la volonté divine (v. 22). La loyauté qu’il sollicite de son ami est définie comme loyauté d’Adonaï (v. 14), comme pour souligner sa dimension sacrale. Cela répond en écho à la demande de David qui avait parlé, lui, d’une « alliance d’Adonaï » (v. 8). Adonaï est d’autre part invoqué aussi comme le garant de la vérité des paroles de Jonathan et de ses engagements vis-à-vis de David. En somme, Jonathan manifeste la conscience de se mouvoir en présence du Dieu d’Israël, dont il semble vouloir mettre en œuvre la volonté. C’est sans doute dans cette perspective qu’il faut essayer de comprendre son action en faveur de David 181. D’ailleurs la manière dont il noue sa relation avec David, en 1 S 18,1–4, indique qu’il perçoit effectivement en celui-ci la personne qu’Adonaï a désignée pour succéder à son père. D’où tient-il pareille intuition ? Le fils de Jessé lui-même reconnaît Jonathan comme l’initiateur du pacte d’Adonaï qui les lie, pacte duquel découlent des obligations de loyauté et de protection, comme s’il s’agissait d’un pacte de vassalité182. À l’entendre, Jonathan jouirait même du pouvoir de le mettre à mort en cas de faute grave (v. 8). Il y a vraisemblablement une bonne part de surenchère rhétorique dans ces propos de David, car aucune clause dans leur pacte n’attribue à Jonathan un pouvoir de vie ou de mort. De même, c’est en vain qu’on chercherait un point stipulant une prérogative royale dans ce sens en Dt 17,14–20 où est défini d’une certaine manière le profil du roi israélite et en 1 S 8,11–18 où Samuel énumère les mœurs royales. 181
Dans ce sens, FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 312, en référence au souhait formulé au v. 13, écrit : « First, this expression reveals the view of faith of Jonathan, who knows and recognizes that David’s rise is the will of God and that his father’s successor stands before him ». Voir aussi EDELMAN, King Saul, p. 157, « His closing prayer, ‘May Yahweh be with you, as he was with my father’, reveals his motivating consideration : he knows that Yahweh has abandoned Saul and now has bestowed his favor upon David, his ‘king-elect’. Jonathan’s ‘prayer’ is rhetorical in its request, echoing the more certain averral by Saul that Yahweh is with David in 17.37 ». 182 Voir EDELMAN, King Saul, p. 156, qui n’exclut pas cette possibilité.
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Mais dans sa réaction Jonathan se présente plutôt comme un simple partenaire de David, auquel il ne dédaigne pas de demander aussi loyauté dans le futur, notamment quand le fils de Jessé sera pour ainsi dire en position de force (v. 14–16). Se dégage alors comme une tension dialectique dans la caractérisation du personnage de Jonathan. Dans cette optique, le fils de Saül tout en se faisant volontiers solidaire de la cause de David qu’il promeut en toute sincérité, presse également pour une réciprocité en termes de contrepartie future. Il apparaît alors comme quelqu’un de politiquement lucide et réaliste qui entend préserver sa descendance des représailles souvent observées lors des changements de dynastie (1 R 10,1–11 ; 11,1). Il fait donc jurer David dans cette perspective. Expose-t-il là la crainte que David ne remplisse pas sa part du contrat ? Cela est possible, mais le récit ne fournit pas plus d’indices dans ce sens. Faudrait-il alors déduire que son amour pour David est calculé ? Cette question sera davantage prise en charge plus loin. Néanmoins on peut déjà dire, à la lumière des forces politiques en présence, que Jonathan aide David en un moment où ce dernier se trouve dans une certaine position de vulnérabilité. D’où la fuite préconisée comme issue. Cela revient à dire que le calcul politique le plus simple pour le prince aurait été de s’allier à son père pour contrer David. S’il ne le fait pas, c’est pour des raisons que le texte indique : l’amour et l’intuition qui l’amènent pour ainsi dire à deviner, en David, le successeur désigné de son père. En ce sens, le comportement de Jonathan ressortit davantage au désintéressement qu’au calcul. Il relèverait même du sacrifice183 à première vue. La suite de l’épisode (v. 18–23) ne fait que mettre davantage en lumière cette dimension de dévouement de Jonathan à David. Sa loyauté parfaite l’amène non seulement à accepter de mettre en œuvre le plan conçu par David, mais à y ajouter du sien de manière à marquer avec évidence combien grande est sa détermination d’aider son ami. Aussi ne souhaite-t-il rien laisser au hasard et prévoit-il dans les menus détails la forme qu’assumera la communication des résultats du test et l’emplacement où elle aura lieu. Fidèle à son portrait de 1 S 18,1.3–4, il s’avère en 20,35–40 être un personnage qui a un sens développé du geste symbolique. D’un point de vue global, son attitude montre qu’il tient à savoir si son ami court réellement un danger mortel ou pas, de sorte que la décision qui devra être prise soit le mieux informée possible. Pour cela, il joue la carte de la complicité avec David jusqu’au bout, au point d’oser prendre la défense de ce dernier devant son père. À ce propos, les brèves questions rhétoriques (v. 32) qu’il formule face à un Saül en colère me paraissent significatives et révélatrices de ce qui le motive fondamentalement : son sens aigu de la justice, valeur à laquelle il semble tenir plus que tout, au prix même de toute ambition personnelle. 183
219.
Voir toujours EDELMAN, King Saul, pp. 155–158 et BODNER, 1 Samuel, pp. 218–
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Cette attitude apparemment suicidaire le fait paraître aux yeux de son père comme un fils dégénéré qui ne comprend rien à rien, incapable de prendre la mesure de l’enjeu politique pendant avec toutes ses retombées. Par conséquent, le roi a vis-à-vis de lui une impulsion d’agressivité qui rappelle quelque chose de déjà vu : il lui jette sa lance comme il l’a fait avec David. Ce faisant, il assimile sur le plan symbolique les deux amis. En définitive, tout le chapitre 20 se laisse appréhender comme la dramatisation de la relation de Jonathan à David sous l’angle d’un partenariat politique issu d’une affection personnelle profonde et nourri par elle, partenariat qui se concrétise dans un pacte pérenne de non-agression et de protection mutuelle, dont le Dieu d’Israël est le garant ultime, parce que l’accord a été établi en son nom. 5.3. Caractérisation de Saül Le partenariat entre Jonathan et David les amène à constituer un front uni contre la menace que représente Saül. Que ce dernier soit une menace ressort avec netteté de la façon dont les deux amis parlent de lui. D’ailleurs c’est le danger mortel qu’il représente qui est à l’origine et au cœur de leur rencontre. Le ton est donné dès le point de départ quand David met en cause Saül en l’accusant de s’en prendre sans raison à sa vie. Cela campe le personnage de Saül dans la peau d’un persécuteur injuste. Et ce n’est pas qu’un point de vue de personnages ; c’est aussi celui du narrateur qui a pris le soin de montrer au lecteur, depuis les épisodes précédents, comment la recrudescence des attaques de Saül – sans parler des autres – relève du parjure, au regard de l’engagement solennel que le roi avait prononcé en 1 S 19,6. Ensuite, il y a les deux épisodes de la chasse à l’homme de 1 S 19,11–17 et 1 S 19,18–24 que nous étudierons plus loin : tous deux dépeignent Saül comme ridiculisé d’abord par sa fille et ensuite par l’esprit d’Élohim. C’est d’ailleurs à l’issue de l’épisode où l’esprit divin est impliqué que David part retrouver Jonathan. Au fil des dialogues que les deux amis échangent en cette occasion, le portrait de Saül se voit enrichi et étoffé par bien d’autres éléments ultérieurs, comme par exemple, la terminologie employée pour caractériser son action contre David. Cette action est rendue par l’expression « arrêter le mal ou le malheur de » (v. 9 et 33). Dans la même ligne, on lit « faire venir le malheur sur » (v. 13) dans le cadre d’une action éventuelle qui verrait Saül impliqué. Tout cela en fin de compte a comme effet final de faire voir Saül comme celui qui veut du mal à David. En outre, pendant le repas de la nouvelle lune, il est dépeint sous les traits de celui dont la pensée est complètement obsédée par David. Cela est suggéré par le monologue intérieur qu’il tient le premier jour du repas quant aux raisons de l’absence de David et surtout aussi par ce qui se passe le lendemain : après le constat, énoncé probablement de son point de vue raconté, sur la
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place inoccupée, sa question fuse, toute prête. Puis il y a l’explosion de colère dont il est le sujet au v. 30. La chose est intéressante et utile à relever : ce n’est que pendant ce repas, ou en référence à lui, qu’il est désigné sous l’angle de sa fonction royale, à savoir comme le roi (v. 5, 24, 25, 29), sans doute pour signifier que la tenue de ce banquet fait partie de ses obligations de souverain et que le repas de la nouvelle lune est un rite officiel. David ne relevait-il pas plus haut que la participation à ce repas faisait partie de ses devoirs à lui également ? D’où la nécessité qu’il éprouve d’en être dispensé par une autorisation de Jonathan. En tout cas pour le reste, notamment quand il est question des mauvais coups qu’il mijote contre David ou d’une action peu recommandable qu’il s’apprête à accomplir, Saül est principalement vu et désigné comme père de Jonathan (v. 1, 2, 3, 6, 9, 10, 12, 13, 32, 33, 34, 35). On dirait donc qu’il s’en prend à David au titre spécifique de sa paternité, pour garantir à son fils de régner après lui. D’ailleurs l’argumentaire qu’il avance devant Jonathan pour justifier pourquoi David doit mourir vient renforcer cette impression. À cela s’ajoute le rappel insistant, à des fins de contraste et de distanciation, des origines de David en tant que fils de Jessé (v. 27–31). En effet, Saül ne suggère-t-il pas ainsi le caractère non conciliable des intérêts du fils de Jessé avec ceux du fils de Saül ? D’un point de vue strictement humain, la lecture que Saül fait du peu de chance que, face à David, Jonathan a de régner un jour, lui confère tout de même les traits de quelqu’un de lucide. Il n’est pas qu’un fou aveugle, mais un homme coincé et piégé par un sort impitoyable auquel il essaie de résister. Il y a lieu de noter aussi que, par endroit, Saül est simplement désigné par son nom, redevenant pour ainsi dire lui-même (v. 25b, 26, 27, 28, 30, 32, 33). Le sens de cette appellation au v. 25b semble difficile à déterminer. On a l’impression qu’elle procède d’une simple variation stylistique, auquel cas elle serait pour ainsi dire neutre. Mais il n’est pas impossible non plus qu’elle reflète le point de vue d’Abner qui, avant de voir le roi, voit surtout la personne de son cousin. Quoi qu’il en soit, toutes les autres occurrences se trouvent dans des contextes analogues à ceux où la paternité du roi est mise en avant, à savoir dans le contexte d’actions inélégantes qui ne sont naturellement pas à la hauteur de la responsabilité royale et qui, de ce fait, ramènent le roi au rang d’un simple individu. Plus haut, au début de l’épisode, Jonathan donne de Saül le portrait d’un père qui se confie à lui à cœur ouvert et qui serait de ce fait incapable de cacher un quelconque dessein meurtrier récent contre David. Peut-être avonsnous plutôt là l’expression de l’ahurissement d’un fils surpris d’apprendre et refusant d’admettre que son père se parjure avec autant de rapidité que de légèreté ? Dans tous les cas, c’est à David que le comportement du roi paraît le plus lisible et le mieux prévisible. Aussi est-ce lui qui élabore le test à mettre en œuvre pour révéler le caractère immuable des intentions homicides
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
du roi. De ce fait, Saül apparaît, du point de vue des deux amis, comme quelqu’un avec qui il faut ruser ou qu’il faut tromper pour connaître la vérité. Ces façons de procéder ne sont peut-être pas orthodoxes, mais elles ont l’air de s’imposer au regard de la susceptibilité maladive du roi. Celui-ci d’ailleurs ne confirme-t-il pas ce trait de caractère par la manière dont il se met en colère contre Jonathan au point de chercher à le tuer ? En somme, cet épisode tend à dresser de Saül le profil d’un monarque qui n’a plus la maîtrise de lui-même et dont les agissements relèvent plutôt de l’arbitraire, aveuglé qu’il est par la jalousie. Les épisodes suivants ne feront que mettre davantage en relief ces traits sombres de son caractère. Cela dit, la visée principale de la trame est de montrer comment et pourquoi David en est arrivé à quitter la cour de Saül : à cause de l’obsession meurtrière du roi et avec le concours et la bénédiction de Jonathan.
E. 1 S 23,16–18 : Jonathan rend visite à David en fuite 4. E. 1 S 23,16–18 : Jonathan rend visite à David en fuite
1 S 20,41–42 dramatise comme une scène d’adieux la brève rencontre entre David et de Jonathan. Il s’en dégage en effet une émotion palpable conférée par l’insistance du narrateur sur les marques d’affection, comme si les deux amis manifestaient la conscience qu’ils ne se reverront plus. Quelle n’est pas donc la surprise du lecteur lorsqu’il lit en 23,16 que Jonathan, fils de Saül, va trouver184 David à Horeshah. Cette surprise est d’autant plus grande que Jonathan semble rejoindre David avec facilité alors même que son père échoue à mettre la main sur celui-ci185. Comment comprendre cette facilité ? Il ne serait pas exagéré d’affirmer qu’elle peut être significative de l’intérêt que Jonathan a continué à accorder à l’évolution de la situation de David après son éloignement de la cour, au point qu’il sait où le localiser. Sur le plan de l’intrigue globale, cette rencontre directe se présente comme la dernière. Elle semble être motivée par la volonté de Jonathan d’encourager son ami en Dieu, littéralement de renforcer sa main () ַוי ְ ַחזּ ֵק ֶאת־י ָדוֹ בֵּאֹלהִים. Le seul discours direct rapporté de cette rencontre est de Jonathan, ce qui ne fait qu’attirer l’attention du lecteur sur le silence retentissant de David, lorsqu’il est en présence de Jonathan, depuis 1 S 20,11, comme si le fils de Jessé avait fait le choix de ne pas parler pour ne pas trop se dévoiler. Mais ce silence 184 Selon JOBLING, 1 Samuel, p. 98, Jonathan inverse les rôles : il va, en 23,15b, vers David comme celui-ci était venu vers lui en 1 S 20,1 : « The last brief passage, 23:15b–18, provides a neat counterpoint to ch. 20. Reversing the role of 20:1, Jonathan goes to David as to a king ». 185 À ce propos, HERTZBERG, I & II Samuel, p. 194, observe, à juste titre, que les lecteurs que nous sommes seraient intéressés de savoir « How Jonathan made the journey, how his visit escaped the notice of Saul, what attitude David’s men took up towards the son of their enemy ».
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n’entame pas la détermination – peut-être même la décuple-t-il – du prince qui vient l’exhorter à ne pas craindre (v. 17) en l’assurant que toutes les tentatives de Saül pour l’arrêter seront vaines, la main186 de Saül ne le trouvera pas. Klein fait remarquer que le mot d’assurance prononcé par le fils de Saül, en cette occasion-là, résonne comme un « oracle de salut »187. Quoi qu’il en soit, la démarche de Jonathan semble tomber en un moment utile pour son ami, car elle a lieu dans un contexte où ce dernier fait lui-même le constat ( ) ַויּ ְַרא דָ וִדque Saül est sorti pour chercher sa vie (v. 15), ce qui n’est pas sans susciter de l’inquiétude188. D’où le retrait au cœur du désert. En tout cas les paroles d’encouragement du prince, notamment l’expression verbale utilisée () ַוי ְ ַחזּ ֵק ֶאת־י ָדוֹ189, induisent à penser que David a peur ; à moins que, comme le fait observer Miscall190, l’on ait là l’expression de la perception de Jonathan qui croit que son ami a peur. D’une manière ou d’une autre, ce qui importe dans le texte n’est pas tant, ainsi que l’affirme le même auteur191, la peur de David, mais l’assurance que son ami vient lui donner. En ce sens, il est significatif que l’intervention de Jonathan reprenne en substance ce que le narrateur lui-même laissait entendre peu avant (v. 14), à savoir que Dieu ne livra pas David à la main de Saül. Ce faisant, elle place le fils de Saül dans une posture d’ambassadeur de Dieu auprès de David. Dès lors, on comprend mieux l’expression par laquelle le narrateur rend compte de son action auprès de David : et il rendit forte sa main en ou par Dieu, comme pour suggérer que la démarche du prince est en conformité avec la volonté divine. De toute 186
On notera qu’il y a comme un jeu d’opposition entre la main ( )י ָדde David que Jonathan vient renforcer et la main ( )י ָדde Saül qui, elle, cherche à nuire au fils de Jessé. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un tel jeu entre main de Saül et main de David est fait (cf. 1 S 18,10 ; 19,9) ; le mot « » י ָדpouvant signifier, entre autres choses, « pouvoir », « force ». Voir BDB, pp. 388–391. 187 KLEIN, 1 Samuel, p. 231: « Jonathan’s speech begins with a word of assurance, “be not afraid”, just like an Oracle of Salvation ». Voir aussi dans ce sens CARTLEDGE, 1 & 2 Samuel, p. 274. Pour EDELMAN, King Saul, p. 188, Jonathan parle alors comme un prêtre. 188 Même si ce n’est pas la première fois que Saül se lance aux trousses de son rival. Pour ce qui est de la peur de David dans ce contexte, voir SMITH, The Books of Samuel, p. 213 ; MCCARTER, I Samuel, p. 374 ; KLEIN, 1 Samuel, p. 231 ; EDELMAN, King Saul, p. 186. 189 Selon MCCARTER, I Samuel, p. 374, « The expression “strengthen the hand” (ḥizzēq yād) generally means “encourage”, especially of the fearful (Neh 6:9; etc.), and it is used here to describe Jonathan’s encouragement of his frightened (vv 15,17) friend; but as Judg 9:24 suggests, it also implies support in an undertaking ». Voir aussi CARTLEDGE, 1 & 2 Samuel, pp. 274–275. 190 MISCALL, 1 Samuel, p. 142. 191 Ibid. : « The main point is not David’s fears but the assurance ». L’auteur poursuit en laissant entendre que cette assurance de Jonathan est analogue à la conviction qu’il exprimait en 1 S 20,2.
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
manière l’assurance donnée à David selon laquelle la main de Saül ne l’atteindra pas (שׁאוּל ָ ֹלא ִת ְמ ָצ ֲאָך י ַד: v. 17b) ne tarde pas à trouver vérification dans les épisodes suivants (23,19–28 ; 24 ; 26). La conséquence en est que le fils de Saül sait exactement de quoi il parle. Il joue par ailleurs comme un rôle d’éclaireur et son intervention donne la clef de lecture des événements qui vont se produire par la suite192. Dans la foulée, Jonathan exprime aussi sa certitude que David sera roi et ְ )וְאָנֹכִי ֶא ְהי ֶה־לְָּך ְל ִמ. Selon McCarter194, lui-même seulement son second193 (שׁנֶה le ton du discours de Jonathan rappelle ici vaguement ce qu’il plaidait en 20,11–17. Mais il y a lieu de noter que c’est la première fois que le fils de Saül parle explicitement de la royauté de David. Il conclut en affirmant que son père partage cette certitude195, peut-être en référence à ce que Saül lui a dit en 20,30–31. Doit-on situer là l’origine de la conviction de Jonathan ? Peut-être pas vraiment, à la lumière du souhait qu’il formule déjà à l’adresse de David en 20,13 et de ce qui s’ensuit. Par rapport justement à ce souhait, les propos tenus à Horeshah fonctionnent comme une explicitation, mais on note tout de même un ajout : la place de Jonathan comme second. S’agit-il là d’un wishful thinking196 ? Même si cet élément suscite chez le lecteur une attente, mais ne trouve pas de réalisation en termes d’accomplissement dans la suite du récit, il demeure qu’il confirme et verbalise une attitude déjà perceptible de Jonathan en 20,4.14–15 où de fait le prince assume une posture de subalterne, d’écuyer de David, de second par rapport à lui, comme s’il entendait lui céder la première place ; ce qui relèverait d’une attitude d’effacement
192
En ce sens, MCCARTER, I Samuel, p. 375, a raison de qualifier 1 S 23,14–18 comme étant la préface de 1 S 23,19–24,23. FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 439, à ce propos, parle de prologue. 193 Être en quelque sorte le vice ou l’adjoint du roi est une expression qui se rencontre aussi en 2 Ch 28,7 et Est 10,3, dans des situations analogues. Pour MCCARTER, I Samuel, p. 374, il s’agit d’un titre formel (« A formal title »). Selon CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 283, n. 21, « Le nom משׁנהdésigne un frère cadet en 17.13 et 2 Sam.3.3. Il implique peut-être ici que Jonatan reconnaît à David un droit d’aînesse pour la succession de Saul. L’étrange version syriaque de 23.16αγ “je serai avec toi et tu vivras” reprend l’idée de 20.14 s. où un deutéronomiste a mis l’éclairage sur la réciprocité de l’alliance ». VERMEYLEN, La loi du plus fort, p. 142, le prince « Fait allégeance » à David. 194 Ibid., p. 374, « I shall be your second-in-command. The tone of Jonathan’s speech is reminiscent of his plea for his family in 20:11–17 ». 195 Cette affirmation trouve confirmation en 1 S 24,21. 196 EDELMAN, King Saul, p. 188, se demande s’il ne s’agit pas là d’une information donnée tardivement au lecteur sur un point dont David et Jonathan auraient déjà discuté aux ch. 18, 19, ou 20 lors de leurs précédentes rencontres.
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et d’humilité197, si l’on estime qu’en raison de son statut d’aîné de Saül, il avait de quoi prétendre au trône. Pourtant, il n’est pas à exclure, ainsi que le pense Miscall 198, que Jonathan soit aussi en train de chercher à se hisser de cette manière à un poste de haute autorité. Dans la même ligne, Edelman 199 pose la question de savoir si le fils de Saül ne tire pas avantage de la faiblesse de David pour « faire monter les enchères ». Elle répond ensuite que l’alliance scellée devant Adonaï, à ce stade du récit, est peut-être commandée par la nécessité de prendre en compte ce nouvel arrangement200. Quoi qu’il en soit, le lecteur découvre au moins ici la perception que le prince a de son avenir politique. Jusque-là en effet le fils de Saül s’est employé à promouvoir David et à lui demander des garanties futures pour ses descendants (20,12-17.23.42). En 23,17, alors que ce sont les dernières paroles que le texte donne à entendre de lui, Jonathan, peut-être en réaction aux propos de son père en 20,31, révèle qu’il envisage bien d’assumer un rôle dans la vie politique future d’Israël : celui de second du roi. Ce qui veut dire qu’il s’imagine gouverner en secondant David. Le cadre politique qu’il définit ainsi renforce l’idée selon laquelle il considère son ami comme s’étant montré plus méritant pour occuper le trône d’Israël, en vertu de sa victoire contre Goliath, laquelle victoire le désigne aussi comme l’élu d’Adonaï. En outre, il est à noter qu’en assurant à David qu’il régnera sur Israël, Jonathan prend pour ainsi dire la tête de ceux qui, tout au long de l’histoire racontée, manifestent cette conscience d’un avenir royal certain du fils de Jessé, comme par exemple Avigaïl (1 S 25,28–31) et Abner (2 S 3,9–10). Tous tiennent, dans les passages dont la référence est donnée, des propos à tonalité pour le moins prophétique. S’il ne fait certes pas de doute pour le lecteur, depuis 1 S 16,13, que David est l’élu divin pour le trône d’Israël, le secret dans lequel s’est déroulée son onction soulève la question de savoir d’où vient la conviction qu’expriment ces personnages, et cela, d’autant plus que sur le plan du déploiement de l’action dramatique aucun d’eux n’est explicitement informé de rien. Font-ils dès lors œuvre de prophète ou déduisent-ils leur certitude des exploits de David ? Il paraît difficile de donner une réponse formelle à cette question. Ce qui est sûr, c’est que la tenue de ces propos caractérise leurs locuteurs comme des personnages perspicaces qui ont vraiment compris de quel côté va l’avenir. 197 C’est d’ailleurs dans ce sens que le comprennent HERTZBERG, I & II Samuel, p. 194 et MCCARTER, I Samuel, p. 374. Ce dernier affirme que Jonathan se relègue à la seconde place. 198 MISCALL, 1 Samuel, p. 142. 199 EDELMAN, The King Saul, p. 188 : « Is Jonathan taking advantage of David’s weakness here to ‘up the ante’, so to speak, firming up his specific position vis-à-vis the kingelect now that he has survived the encounter his father in ch. 20? » 200 Ibid., p. 189.
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Mais lorsque Jonathan affiche sa conviction en 23,17 aucune réaction explicite, de David n’est rapportée. La rencontre néanmoins se solde par une alliance bilatérale201 conclue devant Adonaï. Le texte dit clairement que ce sont les deux qui scellent l’alliance. Ce qui implique que David y prend une part active, contrairement aux autres fois. Puis les deux amis se séparent : Jonathan202 retourne chez lui et David reste à Horeshah. L’impression qu’ils ne se reverront plus ne prévaut pas ici. Aucune effusion des cœurs n’est rapportée. Tout semble s’être déroulé rapidement. Au fond la scène n’est pas configurée comme une scène d’adieux, même si, sur le plan du récit elle sera celle de la dernière rencontre. Pour sûr, il est encore question de Jonathan en 1 S 31,2, mais seulement pour signaler rapidement sa mort dans la bataille contre les Philistins. Par ailleurs, le lecteur peut se demander à quoi sert la rencontre de 1 S 23,16–18. Apporte-t-elle vraiment quelque information nouvelle par rapport à ce que le lecteur savait auparavant de la relation de Jonathan et David ? À part le fait que le prince se projette dans l’avenir comme second du roi, la conviction qu’il exprime de la destinée royale inéluctable de David, de même que l’alliance scellée 203 devant Adonaï résonnent, pour l’essentiel, comme du déjà-entendu. D’où la tentation de répondre par la négative. Mais il nous semble que la meilleure question à poser est plutôt celle de savoir quelle fonction narrative a cette rencontre. Une réponse appropriée ne saurait se faire sans prendre en considération le contexte narratif dans lequel elle se 201
La lecture de K. L. NOLL, The Faces of David (JSOT.S 242), Sheffield, 1997, estimant que Jonathan est en mission diplomatique sur ordre de Saül n’est pas défendable à la lumière des données du texte. Cet auteur déclare en effet à la p. 92 : « Jonathan’s otherwise unexplained ‘diplomatic mission’ of 1 Sam. 23.16–18 can be viewed as an attempt by the royal house of Israel to contain a growing political strength to the south through the strategy of covenantal treaty ». Plus loin, aux pp. 94–95, il écrit : « If Jonathan strengthens David’s hand by means of Yahweh (23.16), if the two of them cut a covenant before Yahweh (23.18), then the two are sealing a treaty as representatives of two political units, presumably Judah and Israel. They are not renewing a personal covenant which occurred much earlier in the story. Apparently, Jonathan is on a diplomatic mission as Saul’s representative (similar to Abner’s mission in 2 Sam. 3, but with a different goal, namely a nonaggression treaty). Though the narrator has reasons for withholding the fact, Jonathan has been dispatched by Saul for this meeting ». 202 HERTZBERG, I & II Samuel, p. 194, déclare, en référence à ce retour, que Jonathan « Fades into the background, like the ‘friend of the bridegroom’ when the hour comes ». Il est tout à fait significatif, me semble-t-il, que malgré le soutien que Jonathan apporte à David, il ne prenne pas le « maquis » avec lui. Il retourne chez lui, signe qu’il ne renie pas pour autant ses liens de sang avec Saül. 203 Peu importe que cette alliance ne soit pas la répétition de celle qui est évoquée en 18,1–4 ou en 20,17.23.42, mais vise à prendre en compte la position explicite de Jonathan en qualité de « second du roi », ainsi que le défendent FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 440 et EDELMAN, King Saul, p. 189.
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trouve insérée. À cet effet, nous notons qu’elle est encadrée d’une part par la délivrance de Qéïla et de ses habitants par David, suivie de la tentative avortée de Saül de venir assiéger celui-ci dans ladite localité et d’autre part par l’offre généreuse des habitants de Ziph d’aider le roi à mettre la main sur David, suivie cette fois-ci d’une tentative effective de Saül d’attraper David. Dans la consultation divine à laquelle se livre le fils de Jessé en 23,10–12 et dans la réponse qu’il reçoit, l’action des habitants de Qéïla est décrite par le verbe סגרqui signifie « enfermer ». David cherche à savoir si les maîtres de Qéïla l’enfermeront dans la main de Saül. Et la réponse d’Adonaï est affirmative. Ce qui indique que ces habitants qui viennent d’être sauvés par David seraient disposés à le livrer à Saül, si l’occasion se présente. Dans une posture similaire et parallèle, les habitants de Ziph viennent d’eux-mêmes proposer au roi de lui livrer David. Et pour décrire leur action, ils emploient exactement le même verbe סגרsuivi des mêmes mots, à savoir enfermer David dans la main du roi (v. 20). De la sorte ils répondent positivement et parfaitement à la plainte émise par le roi en 1 S 22,7–8 à l’adresse des gens de sa propre tribu et montrent clairement qu’ils choisissent le camp de Saül dans le conflit qui l’oppose à David. Qu’entre ces deux épisodes, où des citoyens du royaume prennent clairement une position favorable à Saül, on lise l’intervention de Jonathan, rehausse par effet de contraste la singularité de celle-ci et en dit long sur la profondeur et la détermination de son engagement vis-à-vis de David. En effet, alors que les autres paraissent disposés à enfermer David dans la main de Saül, Jonathan vient renforcer la main de David et lui dire que la main de Saül ne l’atteindra pas. Ce faisant il assume un risque plus gros que celui qu’il prenait en 1 S 20, car cette dernière initiative a lieu après l’appel public du roi à dénoncer les « combines » de son fils avec David (1 S 22,8) et surtout après l’horrible et dissuasif massacre des prêtres de Nob et de toute la localité (22,11–19). Il n’est pas infondé de lier l’attitude énigmatique des habitants de Qéïla à ce massacre. Sinon comment expliquer qu’ayant bénéficié de la solidarité libératrice de David, ils soient disposés à se métamorphoser peu après, sans sourciller, en partisans de Saül contre David et ses hommes, si ce n’est pour éviter de connaître le même sort que les prêtres et les gens de Nob. À moins d’être de grossiers ingrats, ce que le récit ne thématise pas. En fin de compte, la suite du récit confirme les paroles de Jonathan et avalise de la sorte son attitude. Il apparaît ainsi comme un visionnaire, car malgré les multiples initiatives et entreprises de Saül et en dépit du fait que parfois la situation est à deux doigts de basculer en sa faveur, sa main n’a jamais atteint David qui deviendra bel et bien roi d’Israël. Du coup le fils de Saül peut être vu comme celui qui a su choisir le bon côté de l’histoire et accepté de collaborer avec elle pour qu’elle accouche du futur dont elle était grosse, au contraire de son père qui, dans une attitude suicidaire, a choisi de ramer à contre-courant des forces du destin qui ont fini par l’emporter. À cet égard, il
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s’avère significatif que la fin de ce dernier se scelle par un geste désespéré de suicide (1 S 31,4).
F. 1 S 18,1–4 ; 19,1–7 ; 20,1–21,1 ; 23,16–18 4. F. 1 S 18,1–4 ; 19,1–7 ; 20,1–21,1 ; 23,16–18
1 S 23,16–18, avons-nous dit, est la dernière scène où Jonathan incarne un rôle de protagoniste. Il convient peut-être maintenant de jeter un regard rétrospectif sur toutes les scènes regroupées sous ce dénominateur pour tenter de saisir l’évolution qui s’en dégage. C’est en 1 S 18,1–4 qu’est racontée la naissance de la relation entre Jonathan et David, à l’initiative de Jonathan. La manière dont cela se passe laisse l’impression de quelque chose d’inopiné, de gratuit. Et sur le moment, le lecteur ne saisit pas exactement ce que recouvre cette relation ni quelle est sa nature. Certes, à la lumière du don du vêtement et des armes, et à la mise en relation de ce geste avec d’autres du même genre dans des contextes narratifs analogues, il arrive à deviner que quelque chose de relatif à la royauté se joue peut-être là. Mais il est contraint d’en rester à une hypothèse de lecture qui demande à être confirmée par la suite. Ainsi à l’issue de cette première scène, le lecteur sait que Jonathan aime David comme lui-même et qu’il a conclu une alliance avec lui, sans plus de détails sur le sens exact de ces termes dans le contexte spécifique de cette relation naissante. Et s’il a le réflexe de lire 1 S 18,1–4 en rapport avec 1 S 13–14204 où Jonathan occupe le devant de la scène205, il découvre aussi que ce qui se passe entre le prince et David sortant victorieux d’un duel contre un Philistin (1 S 17) s’avère être une rencontre entre deux héros, deux vaillants guerriers, libérateurs de leur peuple contre les Philistins. 19,1–7 dépeint Jonathan agissant, mû par son lien très fort à David. Ce lien, qualifié en 1 S 18,1–4 par אהב, est d’ailleurs rendu ici par un autre verbe – חפץà connotation plus affective –, qui sans doute ajoute à la description de la relation mais n’aide pas encore à élucider tous ses contours. Au moins il demeure clair que c’est cette relation qui suscite et motive l’agir de Jonathan. Comme dans la première scène, Jonathan est en première ligne ; rien n’est rapporté d’une possible réaction de la part de David. Il faut attendre 1 S 20 pour entendre les premiers mots de ce dernier à l’adresse de Jonathan et pour le voir assumer une initiative. Manifestement, il le fait au nom de la relation privilégiée qui les lie tous les deux sous le sceau 204 Comme semble le solliciter d’ailleurs le récit puisque c’est là que le texte laisse le personnage de Jonathan avant de le faire revenir sur scène en 18,1–4. Voir à ce propos, JOBLING, « Jonathan : A Structural Study », pp. 6–12. 205 Pour Jonathan occupant le devant de la scène, voir JOBLING, « Saul’s Fall and Jonathan’s Rise », pp. 367–376.
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d’un pacte. David évoque ce pacte comme בּ ְִרית י ְהוָה, laissant ainsi entendre que celui-ci a été conclu sous le regard et avec la garantie du Dieu d’Israël. Dans ce sens, il ressort que le pacte a une dimension sacrée, ce qui est nouveau par rapport à 18,1–4. Et n’eût été la confirmation subséquente dans l’épisode, à deux reprises, par Jonathan de cette dimension en 20,23.42, on soupçonnerait David d’exagération rhétorique. De cette dimension sacrée découle sans doute le fait aussi que c’est un pacte pour toujours (v. 23 et 42) et qui, par conséquent, ne se limite plus à Jonathan et David, mais s’étend aussi à leur progéniture ou maison (v. 15 et 42). Il impose une exigence contraignante de loyauté réciproque au sens de bonté206 (v. 8 et 14) appelée à s’exercer aussi vis-à-vis des descendants (v. 15). En cas de manquement à cette exigence qui, concrètement consiste à se communiquer des informations vitales et à se protéger (v. 8–9, 13), un arbitrage divin est invoqué (v. 16). Par ailleurs, alors qu’en 1 S 18,1–4, il est clair que Jonathan s’engage – au contraire de son nouvel ami dont l’implication dans la démarche reste indéterminée par l’effet d’une ambiguïté syntaxique – et qu’en 19,1–7, le prince agit au nom de cet engagement, en 20,17, il amène David à s’engager aussi en le faisant jurer. Et même là, tout doute n’est pas levé par rapport à la volonté réelle du fils de Jessé de s’impliquer, si on en juge par sa discrétion notoire. En définitive, 1 S 20 développe et expose les termes du pacte scellé entre Jonathan et David. Il accorde une présence narrative massive aux deux amis pour que chacun et, en particulier Jonathan, exprime sa vision de la relation qui les lie. Un peu comme s’ils avaient besoin de passer un long moment ensemble avant de se séparer. En 23,16–18, le souhait exprimé en 20,13c qui, à demi-mot, se référait à la royauté future de David, assume l’allure d’une prédiction prophétique si ce n’est d’une certitude sur l’avenir royal de David, avenir dans lequel Jonathan s’imagine d’occuper le poste de second du roi. La rencontre qui est décrite s’achève sur un pacte conclu par les deux amis devant Adonaï. D’un point de vue panoramique, on peut noter que les scènes qui mettent David et Jonathan en présence vont, pour ainsi dire, du moins explicite au plus explicite. Les premières scènes esquissent, sans plus, les axes fondamentaux de leur relation, laissant le soin aux scènes suivantes de reprendre ceuxci pour les élaborer par touches successives. Ainsi l’élan de cœur de Jonathan pour David en 18,1.3 est rappelé en 19,1–7, puis présupposé et repris en 20. 206
ֶח ֶסדqui est le mot utilisé pour parler de cette loyauté contraignante est en effet défini comme signifiant « goodness », « grace », or « kindness ». Voir à ce propos, H.-J. ZOBEL, « ֶח ֶסדḥeseḏ », TDOT, V, pp. 44–64, en particulier les pp. 44–54. Pour l’auteur, ce concept appartient au domaine des relations interpersonnelles et plus précisément des relations de famille ou de clan. Il implique fréquemment une certaine réciprocité mais cela n’est pas automatique, d’où la nécessité parfois de demander des assurances par un serment, voire un pacte.
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
Le בּ ְִריתde 18,3 est également repris et présenté comme בּ ְִרית י ְהוָהen 20, pour être enfin directement mentionné comme conclu devant Adonaï ( ) ִל ְפנֵי י ְהוָהen 23,18, créant de cette manière l’effet d’une inclusion. Dans le même ordre d’idée le motif de la cachette dans la campagne, en guise de stratégie dans le cadre d’une mission d’inspection207 de Jonathan auprès de Saül, en vue de connaître les intentions de celui-ci à l’égard de David, apparaît sommairement en 19,3, avant de recevoir un traitement narratif plus élaboré en 20,5.11.18–24.35. Au fond, d’un point de vue rétrospectif, il ressort que Jonathan est celui qui a saisi aussi très tôt les implications politiques de la victoire de David contre Goliath. Son expérience préalable de héros l’a-t-il aidé en cela ? Il ne serait pas faux de le penser. Quoi qu’il en soit, aiguillonné, sur le moment, par le sentiment spontané et fort qu’il ressent pour David, il a opéré le choix judicieux de formaliser en quelque sorte son lien et de l’inscrire dans la durée. Il faut dire que dès sa naissance cet élan semble une bénédiction pour David. Et pour celui qui, tel le lecteur, a été mis au parfum, dans les chapitres précédents, de l’onction du fils de Jessé et du destin particulier qu’elle inaugure pour lui, pareil élan peut être lu comme l’effet de la providence. D’ailleurs le contexte d’état de grâce général dans lequel il éclôt ne se donnet-il pas lui-même à interpréter comme le résultat de la présence d’Adonaï (18,5.12.14–16.28) ? Jonathan serait donc un des instruments de la providence choisis dans la proximité même du roi rejeté pour veiller sur le roi élu. Il incarne de fait ce que son père devrait faire mais ne veut pas faire, à savoir collaborer à la réalisation du projet de Dieu en aidant son élu. Malgré cet arrière-plan divin et la profondeur de son attachement au fils de Jessé, il s’impose aussi de reconnaître la mise en œuvre, de la part du fils de Saül, d’un projet politique calibré, dont les contours se sont dévoilés peu à peu. Loin d’être naïf ou de se faire manipuler, il se révèle, en dernière analyse, ainsi que le dépeint Edelman208, comme un politicien pragmatique doté d’un bon flair, qui a compris très tôt que rien ne pouvait stopper l’accession de David au trône et qui a entrepris alors de prêter son concours à son avènement tout en négociant la survie de sa descendance et sa place de second. 207 Que la démarche de Jonathan puisse être ainsi qualifiée se laisse voir à la façon dont lui-même en parle : ( ו ְָר ִאי ִתי ָמ ה ְו ִהגַּ ְד ִתּי לְָך19,3) et ( כִּי־ ֶאחְק ֹר ֶא ת־אָבִי20,12). 208 EDELMAN, King Saul, p. 158 : « His wise move has now paid off. In the narrative flow of events, he has just secured his personal safety and that of his immediate family against the typical blood-baths that accompanied changes of dynasty by appealing to the pact. He has been willing to sacrifice his crown in exchange for the guarantee of the lives of his family, showing himself to be a pragmatist ». Voir aussi dans ce sens, BODNER, 1 Samuel, p. 218 : « It would appear that Jonathan’s love for David is sacrificial, and there are real emotional currents that connect the two friends. But upon further review, Jonathan makes a well-calculated gamble. If David is destined to reign and replace the house of Saul, Jonathan sacrifices his ‘crown-price’ status for a longer-term guarantee of survival ».
4. G. L’évaluation par Saül du rôle de Jonathan
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Mais comment Saül et David apprécient-ils respectivement le rôle de Jonathan ? Voilà la question à laquelle le moment semble venu de répondre.
G. L’évaluation par Saül du rôle de Jonathan 4. G. L’évaluation par Saül du rôle de Jonathan
À deux occasions, Saül se prononce de façon explicite quant au rôle qu’incarne son fils dans le conflit politique qui l’oppose à David : la première fois en 1 S 20,30–33, en face de Jonathan lui-même, et la seconde fois en 22,8, apparemment en l’absence de Jonathan mais en présence des serviteurs de la cour royale209. Nous avons déjà analysé 1 S 20,30–33 où le roi désavoue avec virulence l’association de son fils avec David. Il tente même de toucher à la fibre de l’ambition chez son fils en lui signifiant, sans détour, qu’il œuvre contre son propre avenir royal en se mettant du côté de David. Il laisse ainsi apparaître que ses attaques répétées et acharnées contre David s’inscrivent dans une volonté d’assurer le trône d’Israël non seulement à lui-même mais aussi à son fils. De ce point de vue, il interprète le soutien de Jonathan à David comme une attitude de pure folie suicidaire, qui rend d’ailleurs le prince indigne d’être son fils. En un mot, aux yeux du roi, Jonathan faillit gravement à la solidarité familiale. Mais le climat de colère folle dans lequel il tient ces propos sape en quelque sorte le caractère réfléchi de ceux-ci en les connotant négativement comme provenant d’un personnage impulsif, totalement désespéré face à une situation qui lui échappe. Pire, en 22,7–8, les traits d’un paranoïaque210 accusant tout le monde de comploter (שׁ ְר ֶתּם ַ ) ְק211 contre lui, sous lesquels le roi se présente contribuent à réduire le sérieux de ses nouveaux dires. Il développe là aussi l’argument de solidarité familiale dans son adresse à ses serviteurs réunis autour de lui, qu’il apostrophe comme des Benjaminites, c’est-à-dire des gens de sa tribu. Il essaie de leur inculquer qu’ils n’ont rien à gagner, en termes de retombées matérielles, en soutenant David, un personnage qui n’est pas de la tribu. Et d’après ses paroles, le soutien à David réside notamment dans la conspiration du silence autour du pacte que son fils a conclu avec le fils de Jessé 212. Dans
209
Ainsi que le dit HERTZBERG, I & II Samuel, p. 187, « We are to assume that Jonathan took no part in the assembly of the ‘servants of Saul’ ». 210 CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 271, parlent d’un roi en « désarroi ». Ils ajoutent en note (n. 6) que « Non seulement les propos de Saül révèlent une personnalité totalement tournée sur elle-même, mais l’expression même du v. 8 dénote le trouble et la passion ». 211 Le même que celui employé en 18,1 pour parler de l’attachement de Jonathan à David. 212 CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 271, observent que « L’allusion du v. 8 aux rapports de David et Jonatan nous place plutôt dans l’ambiance de 20.27–34 […] ».
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
la foulée, il accuse son fils de dresser ( ) ֵה ִקיםDavid contre lui et les gens de sa tribu de rester indifférents devant son sort. Ainsi, de son point de vue, Jonathan est coupable de haute trahison en se liguant avec David. Et non seulement cela. Sa situation est encore plus grave du fait de l’incitation à la rébellion d’un serviteur du roi contre le roi lui-même. De la sorte Saül juge et condamne sans appel l’association de son fils avec David, comme atteinte à la sûreté de l’État, pour employer des termes modernes. Il ne manque plus qu’à prononcer la sentence de mort. On peut se demander d’ailleurs pourquoi Saül ne va pas jusque-là213, à l’instar de ce qu’il avait fait contre Jonathan en 1 S 14,36–46. Même là-bas, la réaction du peuple semblait montrer que ce dernier voyait la sentence royale comme peu judicieuse. Il faut dire que la relation du roi à son fils a rarement été des plus harmonieuses 214. En effet, déjà même avant l’arrivée de David sur scène, Jonathan s’est parfois ouvertement démarqué et désolidarisé du comportement de son père comme de ses décisions politico-militaires. En 1 S 14,1–14, il attaque le camp des Philistins sans avertir son père. En 14,27–30, il enfreint sans le savoir un interdit alimentaire imposé par son père et se retrouve de facto sous la menace d’un serment sacré, dans une situation analogue à celle de la fille de Jephté (Jg 11,30–40). Mais quand on lui apprend que son père a prononcé un interdit alimentaire, il estime inappropriée et catastrophique cette décision de son père. C’est justement pour avoir manqué au respect de cet interdit alimentaire qu’il est condamné en 14,36–46 avant que le peuple ne prenne sa défense et ne s’oppose à l’exécution de la sentence prise par son père. Il ressort que le contexte global de ce chapitre l’exalte aux dépens de son père 215. Ce dernier vient à peine de se voir notifié son rejet de la royauté, par le prophète Samuel, et est dépeint comme un personnage aux décisions inopportunes et malencontreuses. Dans cette optique, les initiatives de Jonathan corrigent et compensent les tares de son père, tout en les mettant en relief. À l’apparition de David sur scène, Jonathan va continuer sur sa lancée et ne craindra pas de s’opposer à son père. Il aime David et prend fait et cause pour lui au moment même où son père s’oppose farouchement au fils de Jessé au point de vouloir le faire mourir. Plus Saül voudra mettre à exécution son En outre, ils affirment que « l’expression “fils de Jessé” pour désigner David implique le mépris, comme en 20.27 ». 213 HERTZBERG, I & II Samuel, p. 187, pense que c’est peut-être à cause des gens que Doëg désigne peu après comme les vrais coupables : « Saul’s accusations seem to have no consequences for him [Jonathan]. We are perhaps to understand that the king is put on another scent by Doeg and so now thinks that he has discovered the guilty party (Schutz, ad loc.) ». 214 Voir R. B. LAWTON, « Saul, Jonathan and the ‘Son of Jesse’ », JSOT 58 (1993), pp. 35–46, qui met en comparaison, de ce point de vue, la relation de Saül avec Jonathan et celle de Saül avec David. 215 Voir JOBLING, « Saul’s Fall and Jonathan’s Rise », pp. 367–376.
4. H. L’évaluation par David du rôle de Jonathan
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projet d’assassinat de David, plus la distance se creusera entre lui et son fils Jonathan. Au fond leur échelle de valeurs diverge au moins sur un point : Saül met le pouvoir avant toutes choses et Jonathan paraît privilégier le lien avec David. Pourtant il ne coupe pas complètement les ponts avec son père. Il reste le fils de Saül et est désigné comme tel216 tout au long du récit (1 S 19,1.2.3.4 ; 20,1.2.3.6.8.9.10.12.13.27.32.33 ; 22,8 ; 23,16–17), même dans les moments clefs où il affirme clairement la destinée royale de David comme en 20,13 et 23,17. Il meurt d’ailleurs au front à côté de son père, dans la dernière bataille fatale contre les Philistins. Cette mort à côté de son père ne suggère-t-elle pas que Jonathan assume pleinement sa filiation à Saül, mais sans se croire contraint de jouer aveuglément le jeu de la solidarité familiale ? Le fils de Saül se montre solidaire d’un point de vue familial quand les exigences de justice et de conformité à la volonté divine semblent remplies. David lui-même reconnaîtra, en la chantant, cette union du père et du fils (2 S 1,23).
H. L’évaluation par David du rôle de Jonathan 4. H. L’évaluation par David du rôle de Jonathan
Des scènes qui les présentent en interaction, il apparaît que David bénéficie toujours de l’agir de Jonathan, initiateur de leur relation. De fait, à l’exception de ce qui se passe en 1 S 20,1–10, l’initiative, que ce soit au niveau de la parole ou de l’action, revient aussi toujours à Jonathan. Et cela sans que soit rapportée, la plupart du temps, une quelconque réaction explicite de David, donnant par moment l’impression d’une relation à sens unique. En effet, comme le relève bien Alter217, le narrateur entoure le fils de Jessé d’une certaine réserve. Il ne donne presque jamais accès à son intériorité, à l’opposé de ce qu’il fait pour les autres personnages. Malgré cela il apparaît plus ou moins clairement que David apprécie d’être dans les bonnes grâces de Jonathan. Cela peut être déduit dans un premier temps de son silence probablement consentant aux initiatives prises par Jonathan (18,3–4 ; 19,2–3,7 ; 20) et ensuite, de l’effusion de sentiments qu’il laisse paraître en 20,41, au moment de se séparer. Mais l’évaluation la plus claire de ce que Jonathan est et fait pour lui, David l’exprime en 2 S 1,26, dans l’hommage funèbre vibrant qu’il rend à Saül et à son fils tombés au front. En effet, alors qu’il reste sur le plan général, lorsqu’il évoque à la fois Saül et Jonathan et vante leurs prouesses de soldats (2 S 1,19–24), le ton se fait plus personnel et émouvant quand il se focalise sur Jonathan seul. David clame sa détresse pour la perte de Jonathan et affirme que l’amour de celui-ci 216 Sauf curieusement en 18,1–4. Mais là son père est présent dans une sorte d’enchevêtrement de relations avec David. 217 ALTER, L’art du récit biblique, pp. 157–177.
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
lui a été plus merveilleux que l’amour des femmes (v. 26). Nous reviendrons sur ce verset lorsqu’il s’agira de se prononcer sur la nature exacte de la relation David-Jonathan, mais pour l’instant notons que la mise en comparaison avec l’amour des femmes vise à mettre en exergue le caractère unique de l’attachement de Jonathan. Ainsi, du point de vue de David, Jonathan a été quelqu’un d’unique et de bienfaisant. Il s’agit là d’une évaluation hautement positive du rôle de Jonathan dans sa vie et des effets bénéfiques de ce rôle. Il est possible de supposer à partir de là que David aimait aussi Jonathan. Toutefois le récit n’est pas explicite à ce sujet, car ici, David célèbre l’amour de Jonathan pour lui, mais ne dit rien directement de son amour à lui pour Jonathan. Cela a amené et amène un certain nombre d’auteurs218 à se poser la question de la réciprocité de l’amour de David pour Jonathan. Ce qui est sûr, c’est que le pacte ou l’alliance issue de cet amour affiche vers la fin (23,18 ; cf. 20,17) sa dimension bilatérale. Scellé au départ à l’initiative et par la volonté de Jonathan, David a été amené à rendre explicite aussi sa part d’engagement, qu’il va vouloir honorer en 2 S 9 ; 21,7. On peut, à cet égard, se demander pourquoi ce n’est qu’au cours de leurs dernières rencontres, voire de la toute dernière (23,16–18), que le fils de Jessé accepte clairement de s’engager. Et apparemment il le fait parce que Jonathan l’y pousse, comme le laisse entendre 1 S 20,17. Si donc le prince éprouve le besoin d’inciter explicitement son ami à prendre un engagement formel et contraignant, n’estce pas peut-être parce que ce dernier affiche d’une certaine manière quelque réticence ? En 23,18, l’engagement réciproque des deux partenaires semble enfin explicite. Sauf que là, il survient après la déclaration solennelle de Jonathan énonçant que David sera le futur roi et lui-même le vice. Ce qui peut donner à penser que le fils de Jessé ne s’engage clairement que lorsqu’il a reçu la garantie explicite qu’il a la voie libre, de la part de Jonathan du moins, pour accéder au trône d’Israël. Une fois cela fait, le fils de Saül quitte la scène. Mais que peut-on dire vraiment de la nature du lien entre Jonathan et David ?
I. Nature de la relation entre Jonathan et David 4. I. Nature de la relation entre Jonathan et David
Le propos de ce développement sera d’examiner la manière dont le récit décrit la relation Jonathan-David en vue de tenter d’en déterminer la ou les qualifications fondamentales mises en avant. Pour ce faire, il semble qu’une analyse contextuelle des termes et des gestes utilisés pour rendre compte de cette relation s’impose. La démarche est d’autant plus nécessaire dans son ensemble que les débats exégétiques de ces quarante dernières années se sont 218
Voir en ce sens par exemple P. K. TULL, « Jonathan’s Gift of Friendship », Interp 58 (2004), p. 137 et suiv.
4. I. Nature de la relation entre Jonathan et David
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focalisés ou cristallisés autour de la nature spécifique de cette relation. Dès lors, nous analyserons d’abord les termes et les gestes qui décrivent et accompagnent la relation de Jonathan avec David, puis nous poserons la question de savoir si ces personnages sont des amis ou des amants. 1. Mots et gestes évoquant la relation de Jonathan et David De prime abord, l’intrigue situe la naissance de la relation de Jonathan à David à la suite de la victoire contre Goliath et les Philistins. Ainsi, même si cette relation frappe par son caractère soudain, il est suggéré par sa position dans le récit qu’elle est la réaction de Jonathan à la victoire à peine remportée par David. Une victoire qui n’est pas sans rappeler, sous certains aspects du moins, celle que Jonathan lui-même a engrangée en 1 S 14. La relation qui naît se donne de la sorte à appréhender comme une relation entre deux guerriers qui se sont illustrés comme champions. En aval, elle voit aussi le jour peu de temps, pour ainsi dire, avant que la relation de Saül et David ne dégénère, par la force des intérêts de pouvoir en jeu, en une jalousie particulièrement hostile et agressive de la part du premier. Cela a pour effet de placer la relation de Jonathan à David dans une logique de relais, voire de contrepoint par rapport à celle de Saül à David. Quant à la phraséologie employée pour en rendre compte, elle la saisit comme un élan de נֶפֶשׁà נֶפֶשׁ, allant de Jonathan à David sans que le récit dise ce qu’il en est d’une éventuelle réciprocité. Un dynamisme, un mouvement qui se conclut en un lien, qui attache (שׁ ָרה ְ )נִ ְק. Le terme hébreu נֶפֶשׁconnaît plusieurs emplois avec des significations diverses, allant de la gorge au souffle vital en passant par l’âme, au sens de ce qui anime. Dans cette perspective, il revêt, selon les contextes, le sens de désir, de vie ou de personne, et est souvent employé aussi comme pronom réflexif219, avec le suffixe renvoyant au sujet. Le contexte de 1 S 18,1 suggère que l’élan part de l’intériorité de Jonathan pour se nouer à celle de David, que l’âme de Jonathan s’attache à l’âme de David. Ce qui implique un attachement profond, d’une force et d’une particularité assez semblables à celles de la relation entre Jacob et son fils Benjamin telle que l’évoque Juda, en Gn 44,30. Les deux relations sont effectivement décrites presque dans les mêmes termes. La seule différence réside dans le temps du verbe שׁר ַ ָק, participe passif en Gn 44,30, et qatal Niphal en 1 S 18. Toutefois on sait que le Niphal sert fréquemment de passif du Qal220. Ici il semble plutôt employé dans un sens réfléchi, ce qui dénote une certaine relation du sujet, au sens grammatical, par rapport à luimême dans l’action décrite par le verbe. 219 Voir HALOT, II, « » נֶפֶשׁ, p. 712 ; H. SEEBASS, « » נֶפֶשׁ, TDOT, IX, Grand Rapids, MI/Cambridge, UK, 1998, pp. 505–517. 220 Voir JOÜON, §51c.
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
Cette action est d’ailleurs caractérisée ensuite par un autre verbe, le verbe אָהַב, qui signifie aimer. En hébreu, ce verbe est d’une élasticité considérable 221. Il se trouve de fait à désigner et l’amour conjugal (Gn 24,67 ; 29,18.30), et l’amour paternel (Gn 22,2), maternel (Gn 25,28) ou filial, et encore l’amour d’amitié ou tout simplement l’amour pour une chose. Mais, on le voit aussi appliqué à l’amour entre Dieu et son peuple (Dt 10,12 ; 11,13.22, etc.), ou entre un roi et son vassal. C’est dire qu’il décline toute une palette de relations humaines qui vont des sentiments d’affection, se situant donc à un niveau personnel, à des rapports d’ordre politique impliquant, eux, un niveau public. La conséquence en est que pour déterminer, en dernier ressort, le type particulier d’amour dont il s’agit, il faut nécessairement se rapporter au contexte. Et même là, à en croire Susan Ackerman222, il n’est pas exclu que l’affection personnelle intègre une dimension politique. Qu’en est-il alors de l’amour à l’horizon duquel le narrateur situe l’élan de l’âme de Jonathan pour celle de David ? Il apparaît d’emblée que c’est un amour défini par une expression toute particulière : comme son âme () ְכּנַפְשׁוֹ, c’est-à-dire comme soi-même 223. Cette expression réfère, comme pour en suggérer la mesure, l’amour éprouvé pour David à celui dont Jonathan s’aime lui-même224. En dernière analyse, il apparaît que נֶפֶשׁrevient trois fois en 1 S 18,1 pour souligner la fulgurance et la profondeur de l’élan de Jonathan pour David, en termes d’investissement personnel. Or, dans le même temps, une autre tonalité de cet amour ְכּנַפְשׁוֹsemble se faire jour, lorsqu’en 18,3, celui-ci se formalise en un pacte ou alliance ()בּ ְִרית, élément supplémentaire qui conforte au passage son sérieux et sa vérité. En effet le berît, vocable à l’étymologie incertaine et discutée 225, au champ sémantique riche et vaste226, mais à la résonnance théologique massive est ce
Voir à ce propos G. WALLIS, «̕ אָהַבāhabh; ̕ אַ ֲה בָהahabhāh; ̕ אַהַבahabh; ̕ אֹהַבōhabh », §3 « The Scope of the Concept of Love in the OT », TDOT, I, Grand Rapids, MI, 1977, p. 104. 222 S. ACKERMAN, « The Personal Is Political: Covenantal and Affectionate Love (̕ĀHĒB, ̕AHĂBÂ) in the Hebrew Bible », VT 52 (2002), pp. 437–458. 223 Voir HALOT, II, qui, se référant à l’expression ְכּנ ַ ְפשׁוֹde 1 S 18,3, propose la traduction anglaise suivante : « as (he loved) himself 1 S 183 » (cf. « » נֶפֶשׁ, p. 712) 224 On croirait entendre Lv 19,18 où il est dit : tu aimeras ton prochain comme toimême, à la différence que dans le passage du Lévitique, c’est כָּמוָֹךqui est utilisé et pas שָׁך ֶ נ ַ ְפ . 225 Voir dans ce sens WEINFELD, « בּ ְִריתberîth », pp. 253–255 ; A. WÉNIN, « Alleanza », dans R. PENNA/G. PEREGO/G. RAVASI (éd.), Temi teologici della Bibbia (Dizionari San Paolo), Cinisello Balsamo, Milano, 2010, p. 24, I, 2. 226 Voir WEINFELD, « בּ ְִריתberith », pp. 256–262 ; J. BARR, « Some Semantics Notes on the Covenant », dans H. DONNER/R. HANHART/R. SMEND (éd.), Beiträge zur alttestamentlischen Theologie. Fs für Walther Zimmerli zum 70. Geburstag, Göttingen, 1977, pp. 23– 38 ; G. P. HUGENBERGER, Marriage as a Covenant. A Study of Biblical Law and Ethics 221
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qui caractérise fondamentalement la relation entre Israël et son Dieu 227. Relevant, entre autres choses, de la terminologie politique et diplomatique internationale du Proche Orient ancien, il désigne en général aussi des traités scellés entre royaumes suzerain et vassal ou entre royaumes égaux. Il semble viser alors « à instaurer le šālôm entre personnes ou groupes qui ne sont pas liés par des liens de sang »228. D’où l’idée de l’engagement qu’il exprime et implique, engagement par lequel se nouent des relations et se contractent des obligations mutuelles entre deux parties 229. Dans cette perspective, G. P. Hugenberger estime que « le sens prédominant de בּ ְִריתen hébreu biblique est une relation choisie, en tant qu’opposée à naturelle, d’obligation établie sous sanction divine »230. Manifestement c’est cette idée d’engagement pour une relation assortie d’obligations mutuelles que veut déployer le בּ ְִריתentre Jonathan et David231, avec en outre la particularité d’être un בּ ְִריתentre deux personnes, au statut social différent de prime abord, un prince et un jeune berger, mais qui, par la vertu du ְכּנַפְשׁוֹ, se retrouvent symboliquement sur le même pied. Il en résulte comme un pacte par lequel Jonathan semble vouloir instaurer avec David une relation d’alter ego232. L’aboutissement de leur amour en un בּ ְִריתinvite à retourner au verbe אָהַבavec la question de savoir s’il ne recèle pas davantage que l’affection personnelle. À cet égard, J. A. Thompson233 est formel lorsqu’il conclut que le verbe « aimer » dans les récits de Jonathan et David comporte des connotations politiques. De ce point de vue, il apparaît que le verbe אָהַבdéploierait, dans la relation de Jonathan et David, Governing Marriage Developed From the Perspective of Malachi (VT.S 52), Leiden/New York/Köln, 1994, p. 175 ; WÉNIN, « Alleanza », p. 24, I, 2. 227 WEINFELD, « בּ ְִריתberîth», p. 275. 228 WÉNIN, « Alleanza », p. 24, II, 1 : « Essa punta a instaurare lo šālôm tra persone o gruppi quando sono assenti legami di sangue ». Sc. HAHN, « Covenant in the Old and New Testaments : Some Current Research (1994–2004) », CBiR 32 (2005), se référant à Cross, Hugenberger et Sohn, parle à la p. 270 de « covenant as sacred (fictive) kinship, with legal, social, and liturgical dimensions ». 229 Voir à ce propos HAHN, « Covenant in the Old and New Testaments », pp. 263–270. 230 Voir en particulier le ch. 6 : « “Covenant [ ”]בריתand “Oath” Defined » de son ouvrage Marriage as a Covenant, p. 171 : « The predominant sense of בּ ְִריתin Biblical Hebrew is an elected, as opposed to natural, relationship of obligation established under divine sanction ». 231 Le verbe ַויִּכְר ֹתlaisse entendre que c’est Jonathan qui scelle l’alliance, donc qui prend un engagement avec David. Toutefois, au fil du récit, il va s’avérer que le fils de Saül veut qu’il y ait aussi un engagement de la part du fils de Jessé (1 S 20,14–17.23.42). Par ailleurs si en 18,3 il est question de בּ ְִריתsans plus, 1 S 20,8 parlera bel et bien d’un בּ ְִריתconclu en présence d’Adonaï et cela, dans le contexte d’une référence que David semble faire à l’engagement initié par Jonathan. Cf. aussi 1 S 23,18. 232 Ainsi par exemple HERTZBERG, I & II Samuel, p. 155. 233 THOMPSON, « The Significance of the Verb Love in the David-Jonathan Narrative », pp. 334–338.
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des connotations analogues à celles qu’il revêt en particulier dans le livre du Deutéronome et sur lesquelles W. L. Moran a attiré l’attention234. Du coup c’est toute l’expression « aimer comme soi-même » qui se donne à appréhender dans cette perspective du fait que le ְכּנַפְשׁוֹest récurrent et typique des traités du Proche Orient ancien 235. Cela amène McCarter à conclure que l’affirmation « Jonathan aima David comme lui-même » est allusive d’une loyauté politique236. Prenant acte des considérations développées par Thompson, Ackroyd 237 indique qu’il est probable qu’un autre verbe, le verbe שׁר ַ ָק, employé dans le premier verset du récit de la relation de Jonathan et David (1 S 18,1) joue aussi sur son double sens de « attacher » et « conspirer » avec pour effet de conserver une nuance politique, notamment lorsqu’il est utilisé au Niphal. Si en 18,1, il paraît difficile, comme le reconnaît Ackroyd lui-même238, de déterminer à priori le sens premier de ce verbe, il n’en demeure pas moins vrai, au regard d’autres occurrences de celui-ci en particulier en 1 S 22,8.13, qu’il admet un sens politique. Quoi qu’il en soit, il n’est pas infondé d’affirmer que certains éléments de 1 S 18,1–4 confèrent des accents politiques à la relation naissante entre Jonathan et David. Dans cette optique se donne à lire surtout le geste posé en 18,4 : le don du vêtement et des insignes de combat. Il y a là l’expression symbolique du passage de témoin de l’ancien héros de guerre au nouveau qui vient de s’illustrer. Que Jonathan ne se dépouille pas pour exposer sa nudité ou pour montrer son corps ressort clairement de la perspective affichée par le récit. Son geste ne semble pas destiné à le débarrasser de quelque obstacle qui gênerait l’accès à son corps, il est au contraire celui de quelqu’un qui se dépouille de biens qu’il transmet à un pair qu’il vient de reconnaître. L’attention est à cet effet focalisée en un premier temps sur le don du vêtement qui bien probablement, faut-il le rappeler, participe d’une symbolique royale où Jonathan reconnaît le pouvoir de David239, puis en un deuxième 234
W. L. MORAN, « The Ancient Near Eastern Background of the Love of God in Deuteronomy », CBQ 25 (1963), pp. 77–87. Pour être exact, il faut dire que THOMPSON prend appui sur cet article de Moran (cf. « The Significance of the Verb Love », p. 334, n. 1 ou « Israel Lovers », VT 27 [1977], p. 475). 235 Voir à ce propos MORAN, « Ancient Near Eastern Background of Love », p. 82, n. 33 : « Jonathan loves David as himself, kenapšô, which recalls the oath of the Assyrian vassals to love Assurbanipal as themselves, kī napšātkunu ». 236 MCCARTER, I Samuel, p. 305 : « Jonathan loved David like himself. As explained in the Note at 20:17, where the same thing is said in the primary narrative, this statement hints of political loyalty just as he describes personal affection ». 237 ACKROYD, « The Verb Love – ̕ĀHĒB in the David-Jonathan Narratives », pp. 213– 214. 238 Ibid. 239 Voir à ce propos METTINGER, King and Messiah, p. 39 : « […] Seen in the light of the fact that the word mĕʿîl can denote a royal robe, Jonathan’s robe is part of his princely
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moment sur le don des insignes de guerre que le récit énumère, comme pour souligner que tout a été donné. Cela achève de qualifier leur בּ ְִריתcomme un בּ ְִריתentre deux vaillants guerriers où le premier paraît s’éclipser au profit du second. Dans la même veine, A. Caquot et Ph. de Robert peuvent affirmer que « le don des armes a une valeur symbolique évidente : il met David à égalité avec Jonathan […]. Il illustre également une des idées inspiratrices de l’histoire ancienne de l’accession de David : devenu un nouveau Jonatan, le fils de Jessé se pose en successeur légitime du roi, une fois disparu le prince héritier. » 240 En somme, 1 S 18,1–4 présente la première interaction de Jonathan et David sous la forme d’un attachement naissant dans lequel le premier se prend soudain d’affection pour le second. En effet le lien qui se noue à cette occasion est le résultat d’un élan intime du fils de Saül envers le fils de Jessé, élan que le texte décrit ensuite avec le verbe אָהַב, ce qui, dans le contexte, est synonyme d’une relation personnelle doublée d’une volonté à tonalité politique. Dans le même temps, il s’agit de la rencontre de deux champions de guerre au cours de laquelle Jonathan, héros en 1 S 14, vient au devant de David à peine auréolé d’une victoire et lui fait la promesse d’un engagement formel. En comparaison, d’autres relations qualifiées aussi d’amour pour David (cf. 18,16.20.22.28), dans le même récit, ne seront pas du tout décrites de la même façon. Ce qui fait ressortir le caractère unique de celle-ci. Il n’est donc pas étonnant qu’en 19,1, le narrateur s’empresse de convoquer cette relation pour la mettre en tension dialectique avec le projet d’assassinat de David dans lequel Saül semble vouloir impliquer Jonathan et les serviteurs. En l’évoquant, le récit emploie l’expression ָחפֵץ ְבּ ָדוִד ְמא ֹד. D’après les dictionnaires et lexiques, le verbe ָחפֵץau Qal, suivi de la préposition ְבּa, en usage profane, le sens général de prendre plaisir en241. Quand il a comme complément d’objet une personne, il « exprime, écrit G. Gerleman, l’affection d’une personne pour une autre (Gn 34,19 ; 1 S 19,1 ; 2 S 20,11), spécialement la faveur de quelqu’un de légalement ou socialement supérieur
apparel. When he hands it over to David he at the same time gives up and transfers his particular position as heir apparent. » FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 198 : « Since clothing is a metonym and symbol for the person himself, I think that with his cloak Jonathan is conveying to David the crown prince’s rights and claims to the throne. » Dans cet ordre d’idées, il faut relever que c’est aussi par le symbolisme d’un vêtement que le prophète Samuel signifie à Saül son rejet de la royauté (cf. 1 S 15,27–28). En 1 S 17,38 le roi revêt David de ses vêtements, mais ce dernier s’en débarrasse au v. 39, au motif qu’ils sont encombrants. Cela peut être lu comme un refus symbolique de David qui ne veut pas recevoir la royauté des mains de Saül. 240 Les livres de Samuel, pp. 220–221. 241 Voir BDB, « » ָחפֵץ, p. 342 : « take pleasure in, delight in, c ;» ְבּHALOT, I, p. 340 ; D. CLINES e.a. (éd.), The Dictionary of Classical Hebrew, III, Sheffield, 1996, p. 287.
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envers un autre qui dépend de lui (Dt 21,14 ; 1 S 18,22 ; Est 2,14) »242. Botterweck, quant à lui, signale que « avec ̕āhaḇ, ḥāpēṣ est à la limite de l’érotisme et est un terme pour l’affection amicale »243, propos qu’il illustre avec 1 S 19,1 et son parallèle 1 S 20,17. C’est dire que ce verbe peut revêtir ou non une connotation érotique en fonction notamment des contextes. Dans la foulée, Botterweck ajoute que « la connotation érotique peut être totalement oubliée quand ḥāpēṣ décrit l’amitié entre deux hommes comme une alliance de convenance […] »244. En guise d’illustration à cette affirmation, l’auteur fait référence à 2 S 20,11 245. Dans ce passage en effet, ḥāpēṣ est utilisé, de toute évidence, dans le sens de « prendre parti », de se prononcer pour un camp, en l’occurrence celui de Joab et de David, contre le camp adverse. Si en 2 S 20,11 il est évident que toute connotation érotique est à écarter, Gn 34,19 constitue pour ainsi dire le contre-exemple, puisque celle-ci semble induite. Botterweck associe à ce propos le contexte de ce passage au contexte « sexuel de l’amour entre homme et femme »246 et il n’a pas tort. La nuance particulière portée par ḥāpēṣ dans le cas précis de Gn 34,19 revient vraisemblablement à redire sur un autre ton l’affection intense et le désir fort, voire l’attrait que Sichem s’est mis à éprouver pour Dina après avoir agressé celle-ci. Dans cette optique ָחפֵץse donne à lire comme synonyme des verbes ָדּבַק, ( אָ ַהבGn 34,3) ou encore שׁק ַ ( ָחGn 34,8) à la suite desquels il est employé dans l’épisode. Tous effectivement expriment dans le contexte le degré d’élan que Sichem éprouve pour Dina. Ils impliquent une forte dimension émotionnelle. Cela dit, on rencontre aussi ָחפֵץavec le Dieu d’Israël comme sujet. C’est par exemple le cas en 1 R 10,9 : שׁר ֱאֹלהֶיָך בָּרוְּך ָחפֵץ בְָּך ֶ י ְהוָה ֲאoù le contexte invite plutôt à comprendre ָחפֵץsous l’angle d’une bienveillance ou d’une faveur accordée par Adonaï. On est dès lors dans le cas du supérieur qui s’incline en quelque sorte vers l’inférieur247. En définitive ָחפֵץpeut signifier « prendre plaisir en », « avoir de l’affection pour », « désirer » ou « vouloir », « éprouver de l’attrait pour », « accorder une faveur à » au sens d’être bien 242 G. GERLEMAN, « ָחפֵץḥpṣ to be pleased », dans E. JENNI/C. WESTERMANN (éd.), TLOT, II, Peabody, 1997, p. 466 : « In the realm of profane usage, the verb with a pers. obj. (always with be) expresses one person’s affection for another (Gen 34:19; 1 Sam 19:1; 2 Sam 20:11), esp. the favor of a legally or socially superior to a dependent (Deut 21:14; 1 Sam 18:22; Esth 2:14) ». 243 G. J. BOTTERWECK, « ָחפֵץḥāpēṣ ; ֵחפֶץḥēpeṣ », TDOT, V, p. 95 : « Together with āhaḇ, ḥāpēṣ stands here on the fringes of eroticism and is a term for friendly affection ». 244 Ibid. : « The erotic connotation can be totally forgotten when ḥāpēṣ describes the friendship between two men as an alliance of convenience, […] ». 245 Ibid. L’ouvrage parle de 2 S 20,17. Mais il doit s’agir d’une erreur, car, dans ce ch. de 2 Samuel, c’est au v. 11 que le verbe ḥāpēṣ est employé. 246 Ibid., il parle plus exactement de « sexual realm of love between man and woman ». 247 Voir à ce propos GERLEMAN, « » ָחפֵץ, p. 467.
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disposé envers 248, surtout lorsqu’il s’agit d’un supérieur envers son protégé. Tout cela met suffisamment en évidence combien le contexte est chaque fois à prendre en compte dans la détermination ultime du sens de ce verbe. Dans cette perspective et pour ce qui est du cas particulier qui nous occupe, il n’est pas inintéressant de relever que le verbe ָחפֵץapparaît en 19,1 à la suite d’une occurrence249 préalable et proche, en 1 S 18,22 et ce, avec Saül pour sujet. Comme en 19,1, il s’avère que son complément d’objet est David. Ainsi en l’espace de quelques versets, on qualifie aussi bien la relation de Saül à David que celle de Jonathan à David au moyen du verbe ָחפֵץ. Il y a là par conséquent, nous semble-t-il, une manière oblique et subtile de la part du narrateur de mettre sur le même plan, apparemment pour un effet de contraste, le ָחפֵץde Saül visant à piéger David et donc teinté de fausseté, et celui de Jonathan, pour le moins sincère vu l’action qui découle de cette disposition. Cet état des choses s’avère encore plus plausible à l’examen du jeu narratif des prises de parole : en 18,22, c’est Saül qui parle dans un contexte de duplicité patent, tandis qu’en 19,1, c’est le narrateur lui-même qui s’exprime, fort de sa crédibilité. Sur le plan de la distribution narrative des passages où ils apparaissent ensemble, ce qui est énoncé en 19,1 constitue l’ouverture de la deuxième scène où Jonathan et David interagissent. Dans ce sens, mentionner que וִיהוֹנ ָ ָתן בֶּן־ שׁאוּל ָחפֵץ ְבּ ָדוִד ְמא ֹד ָ fonctionne d’un point de vue narratif comme le rappel 250 de l’attachement raconté en 18,1.3–4. Le narrateur s’y réfère pour suggérer un conflit d’intérêt potentiel avec le projet soumis par le roi aux siens. À la lumière de cela, ָחפֵץ ְמא ֹדde 19,1 semble constituer une variation stylistique visant à répéter que Jonathan aime beaucoup David. Cette répétition se fait néanmoins en ne retenant, pour le rendre explicite, que l’accent affectif et personnel plus prononcé. Ce qui pousse à rendre ָחפֵץ ְמא ֹדpar « aimer beaucoup » ou « avoir beaucoup d’affection pour » ou encore « chérir beaucoup », expressions verbales à même de dire l’aspect émotionnel que connote ce verbe. De la sorte la dimension personnelle, teintée de tendresse, de la relation Jonathan-David se trouve soulignée. Cette dimension apparaît avec encore plus de netteté en 1 S 20,41, lors de l’émouvante scène de l’au revoir. Mutatis mutandis une scène analogue se lit aussi en Rt 1,9, dans un contexte de séparation. Il ne fait nul doute que les embrassades et les pleurs que l’on trouve de part et d’autre découlent d’un attachement personnel fort, tout en le révélant.
248
HALOT, I, p. 340, parle à cet égard de « To be willing », « To feel inclined ». En réalité ֵחפֶץle substantif de ָחפֵץapparaît aussi en 18,25. Mais il a pour complément une chose, en l’occurrence la dot. 250 C’est d’ailleurs dans ce sens que l’entendent la BJ et la TOB qui donnent au waw ( ) ְו initial une nuance adversative et mettent ָחפֵץà l’imparfait. 249
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Dans le même temps il demeure aussi certain que 1 S 20, pour une bonne part, accentue de façon notable la dimension politique et religieuse de la relation. Il y est en effet question, massivement et à répétition, de serment ou d’engagement contracté par le nom d’Adonaï et destiné à durer pour toujours (v. 8,12,13,14,15,16,17,23,42). Pour cela le pacte qui, au départ, semblait concerner et impliquer deux personnes, devient, au fil de la narration, un pacte politique visant à la paix entre les maisons des deux protagonistes (v. 15–16 et 42). C’est cette dimension à la fois politique et religieuse du lien entre Jonathan et David que la dernière rencontre de 1 S 23,16–18 s’attache également à rendre on ne peut plus explicite. Au total, ce qui semblait une relation de Jonathan envers David devient une relation entre Jonathan et David et s’avère bien complexe, car elle est aussi tridimensionnelle, c’est-à-dire à la fois très personnelle, politique et religieuse. À bien y regarder, il apparaît que les deux dernières dimensions germent pour ainsi dire de la première. 2. Jonathan et David : amis ou amants ? Mais qui sont vraiment Jonathan et David ? De grands amis ou de grands amants ? Ou peut-être les deux ensemble ? Il est bien connu que cette interrogation est celle qui a fait couler le plus d’encre ces dernières années, du fait des débats controversés et passionnés qu’elle a suscités, notamment autour du caractère homosexuel supposé ou non251 des rapports entre Jonathan et David. Dans ces débats, deux positions se font face, voire trois : il y a d’un côté ceux qui perçoivent des sous-entendus homosexuels irréfutables dans la manière dont sont mises en récit les relations de Jonathan et David et de l’autre, ceux qui excluent de telles connotations. Entre les deux, une position plus proche de la première estime que la narration suggère, sans l’affirmer une relation homosexuelle entre Jonathan et David 252. Les uns et les autres avancent bien
251 Voir HORNER, Jonathan Loved David, Homosexuality in Biblical Times ; SCHROER et STAUBLI, « Saul, David and Jonathan – The Story of a Triangle ? », pp. 22–36 ; ID., « “Jonathan aima beaucoup David”. L’homoérotisme dans les récits bibliques concernant Saül, David et Jonathan », Foi et Vie 94 (CB 39) (2000), pp. 53–64 ; NISSINEN, « Die Liebe von David und Jonathan als Frage der modernen Exegese », pp. 250–263 ; Th. RÖMER/L. BONJOUR, L’homosexualité dans le Proche-Orient ancien et la Bible (Essais bibliques 37), Genève, 2005 ; I. HIMBAZA/A. SCHENKER/J.-B. EDART, Clarifications sur l’homosexualité dans la Bible (Lire la Bible 147), Paris, 2007 ; P. NÉGRIER, Contre l’homophobie. L’homosexualité dans la Bible, Paris, 2010, etc. 252 ZEHNDER, « Observations on the Relationship between David and Jonathan and the Debate on Homosexuality », WTJ 69 (2007), p. 128. Dans un sens analogue, A. HEACOCK, Jonathan Loved David. Manly Love in the Bible and the Hermeneutics of Sex (The Bible in the Modern World 22), Sheffield, 2011, p. 35, résume et classe les lectures proposées de la
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évidemment des arguments pour ou contre cette affirmation, qu’on trouve bien étayés dans l’ouvrage David et Jonathan. Histoire d’un mythe 253. Il faut dire que les défenseurs de la lecture homosexuelle affichent le souci militant de trouver dans la Bible des exemples scripturaires de sympathie vis-à-vis de cette orientation sexuelle. Le fait que le récit de la relation de Jonathan et David se déploie dans une perspective plutôt bienveillante et positive offrirait donc cet exemple, parmi d’autres254 bien sûr. Ce qui permet par implication, dans un premier temps de montrer qu’à certaines époques bibliques 255, ce type de relations humaines était accepté avec bienveillance, en tout cas socialement admis ; et dans un second temps, de militer, au sein des églises chrétiennes et dans les sociétés d’abord occidentales256 pour une reconnaissance sociopolitique de l’homosexualité comme alternative à l’hétérosexualité. Comme on peut le constater, la démarche consiste à convoquer la Bible pour tenter de trancher une question contemporaine d’éthique sexuelle et, ce faisant, de contrer l’homophobie257. En cela, elle n’est pas du tout différente de celle qui condamne sans appel l’homosexualité, sur la base d’autres passages bibliques tels que Lv 18,22 ; 20,13 ; Rm 1,18–32 ; 1 Co 6,9 et 1 Tm 1,10. En soi, pour un croyant juif ou chrétien, il n’y a rien d’aussi légitime que de vouloir s’en remettre à l’éclairage scripturaire pour fonder un comportement d’ordre éthique ou simplement pour prendre position pour ou contre celui-ci. Cela atteste le statut éminemment fondateur et sacré à ses yeux de la Bible comme Parole de Dieu, avec tout le potentiel normatif attribué à celle-ci258. Mais, un usage conséquent et respectueux de ce statut vient à manquer dès lors qu’on essaie d’instrumentaliser les textes pris à témoin pour leur faire dire ce qu’ils ne disent pas, même si c’est pour défendre une cause jugée noble ou pour les museler à des fins purement idéologiques. Cela advient par exemple quand on tente d’interpréter les textes bibliques au mépris de leur
relation de Jonathan et David en trois categories, à savoir « la lecture politicothéologique », celle « homoérotique » et « la lecture homosociale ». 253 COURTRAY (éd.), David et Jonathan, pp. 339–368. 254 On mentionne aussi la relation de Ruth à sa belle-mère ou de Daniel et Ashpénaz parmi ces exemples : voir à ce sujet U. WERNIK, « Will the Real Homosexual in the Bible Please Stand Up? », Theology and Sexuality 11/3 (2005), pp. 49, 55–56. En outre cet auteur pense que Qohelet était aussi homosexuel (cf. pp. 59–62). 255 Un des arguments avancés pour étayer cette position est que l’Israël biblique a dû subir les influences des mœurs des peuples environnants chez lesquels l’homoérotisme était célébré. Dans ce sens, par exemple HORNER, Jonathan Loved David, p. 21 et suiv. 256 Ce sont surtout les pays de l’hémisphère nord qui se trouvent être aussi des pays de longue tradition judéo-chrétienne qui ont porté ces débats et essayé de penser l’homosexualité d’un point de vue scientifique. 257 À ce propos le titre de l’ouvrage de NÉGRIER est on ne peut plus explicite : Contre l’homophobie. L’homosexualité dans la Bible, Paris, 2010. 258 WERNIK, « Will the Real Homosexual in the Bible Please Stand Up? », pp. 47–48.
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contexte littéraire, socioculturel et historique de production et à rebours de leur perspective propre. À cet égard, il est apparu très rapidement aux protagonistes du débat autour du caractère homosexuel ou non de certaines relations mises en récit dans la Bible, dont celle entre Jonathan et David, que le concept même d’homosexualité, tel qu’eux le comprennent et le thématisent, était moderne et contemporain et donc anachronique par rapport aux textes auxquels on veut l’appliquer. À ce propos M. Nissinen écrit : « La plus grosse difficulté avec le terme [homosexualité], cependant, est son lien avec le concept moderne de sexualité et ses classifications associées. Cela rend le terme anachronique quand il est appliqué à l’ancien monde. » 259 D’où le besoin vite apparu de nuancer le propos et, à la place ou plus exactement à côté d’homosexualité, a été avancé le terme mieux approprié, paraît-il, d’homoérotisme 260. À la différence de l’homosexualité qui, dans l’acception contemporaine de ce terme, désigne une orientation sexuelle exclusive, l’homoérotisme ne se rapporte qu’à des interactions érotiques ou sexuelles entre deux personnes du même sexe261. Une sorte d’homosexualité « soft », si on peut ainsi s’exprimer, ou de comportement homosexuel ponctuel, mais au fond d’homosexualité quand
259
M. NISSINEN, Homoeroticism in the Biblical World. A Historical Perspective, Minneapolis, 1998, p. 16 : « Perhaps the biggest difficulty with the term, however, is its link with the modern concept of sexuality and its associated classifications. This makes the term anachronistic when applied to the ancient world. » Peu avant dans la préface du même ouvrage, il déclarait : p. v-vi : « Whether the texts I studied were biblical or Jewish, Assyrian, Greek, or Roman, the term “homosexuality” was absent from them and the concept alien. » (cf. p. v-vi). 260 Voir NISSINEN, Homoeroticism in the Biblical World, p. 17 : « In practice I find it necessary to use another term along with “homosexuality”, a term that has a broader meaning, is less tied to modern concepts of sexuality, and describes men’s and women’s mutual erotic interaction also on the level of roles and practices, even without a thought of homosexual orientation : For such function I use homoeroticism. » Noter aussi l’évolution du titre dans ces deux articles publiés, à distance de quatre années, sur le même sujet par SCHROER - STAUBLI, « Saul, David und Jonatan – eine Dreiecksgeschichte ? Ein Beitrag zum Thema „Homosexualität im Ersten Testament“ » Bibel und Kirche 51 (1996), pp. 15– 22 ; ID., « “Jonathan aima beaucoup David”. L’homoérotisme dans les récits bibliques concernant Saül, David et Jonathan » (2000), pp. 53–64. À vrai dire, cet article va au-delà de la seule relation entre David et Jonathan pour considérer que celle de Saül à David serait également homosexuelle. 261 Voir NISSINEN, Homoeroticism in the Biblical World, p. 17: « By this term I mean all erotic-sexual encounters and experiences of people with persons of the same sex, whether the person is regarded as homosexual or not. This concept encompasses also bisexual behavior as long as it occurs in an erotic contact with a person of the same sex. » R. L. BRAWLEY, Review of Martti NISSINEN, Homoerotism in the Biblical World : A Historical Perspective, Minneapolis, 1998, JBL 120 (2001), p. 143.
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même. Dans la foulée, Nissinen262 prend conscience de la connotation érotico-sexuelle du terme homoérotisme et exprime le besoin d’un autre terme pouvant cette fois qualifier les interactions entre personnes du même sexe, dans lesquelles l’aspect érotico-sexuel est moins mis en avant. Il retient alors le mot homosociabilité dont il emprunte la définition à D. Morgan. Selon celui-ci l’homosociabilité « est un nom collectif pour un ensemble important de relations, se référant non simplement à la préférence des hommes pour la compagnie les uns des autres, mais pour la situation de ces relations dans des régions publiques ou semi-publiques […] et pour l’ensemble d’échanges et d’interdépendances qui croissent entre hommes » 263. Nissinen ajoute que « des expressions érotiques de sexualité peuvent ou ne peuvent pas être comprises dans l’homosociabilité, qui inclut aussi différentes identités sexuelles » 264. Cela rend finalement ses catégorisations quelque peu flottantes, dans la mesure où l’homosociabilité est censée se démarquer des connotations érotico-sexuelles de l’homoérotisme. Dans cette perspective, Zehnder fait remarquer à juste titre que « un des principaux problèmes de la catégorisation de Nissinen est son caractère élusif par rapport à la question [de savoir] si l’homosociabilité contient ou ne contient pas d’éléments sexuels ou érotiques. »265 Effectivement, dans les cas où elle comprend des « expressions érotiques de la sexualité », la pertinence de l’homosociabilité par rapport à l’homoérotisme peut ne plus apparaître si déterminante 266. Le sentiment que quelque chose reste à préciser au niveau de la terminologie ne disparaît d’ailleurs pas, lorsqu’on lit l’application que fait Nissinen du terme « homosociabilité » à la relation de Jonathan et David. En effet, d’une part, cet auteur appréhende cette relation « comme un exemple d’homosociabilité
262
Homoeroticism in the Biblical World, p. 17 : « Because “homoeroticism” has an erotic-sexual connotation, it is necessary to use a different term to describe such interaction between persons of the same sex where the erotic-sexual aspect is less emphasized ». 263 D. MORGAN, Discovering Men, London, 1992, p. 67, cité par NISSINEN, Homoeroticism in the Biblical World, p. 17 : « Is a collective name for an important set of relationships, referring not simply to the preference of men for each other’s company, but for the location of these relationships in public or semipublic regions […] and for the particular set of exchanges and interdependencies that grow between men ». 264 Ibid., p. 17 : « Erotic expressions of sexuality may or may not be included in homosociability, which encompasses also different sexual identities ». 265 ZEHNDER, « Observations », p. 131, n. 9 : « One of the main problems of Nissinen’s categorization is its elusiveness with respect to the question whether homosociability does or does not contain sexual or erotic elements ». 266 Et dans les cas où elle ne comporte pas d’expressions érotiques, l’homosociabilité peut apparaître vaste au point de recouvrir pas mal de relations comme les exemples de relations entre Moïse et Aaron ou le prêtre Eli et son disciple Samuel que donnent SCHROER/STAUBLI, « “Jonathan aima beaucoup David” », p. 54.
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orientale ancienne, qui permet même des sentiments intimes à exprimer »267, et d’autre part, il conclut son analyse en affirmant que « peut-être ces relations homosociales, basées sur l’amour et l’égalité, sont plus comparables avec l’expérience [qu’ont] d’elles-mêmes des personnes homosexuelles modernes […] »268. En réaction à ce flottement au niveau des termes, Zehnder pose la question de savoir « pourquoi ne pas utiliser deux termes différents pour les variantes sexuelles et asexuelles de l’homosociabilité, comme “homosociabilité” vs “lien masculin” ou simplement “homosociabilité” et “camaraderie” ou quelque chose du genre ? »269 Finalement il propose une définition de travail de l’homosexualité qui essaie de se tenir au-delà des différences culturelles du monde antique et du monde moderne. À cet effet, Zehnder estime que « une relation homosexuelle, dans une société donnée à toute époque dans l’histoire, est minimalement définie comme une relation entre deux personnes du même sexe qui s’engagent dans des actions qui d’une certaine manière ou d’une autre, consciemment et volontairement, comprennent une stimulation génitale »270. Cette définition, me semble-t-il, est comprise d’une manière ou d’une autre dans celle de l’homoérotisme. Quoi qu’il en soit, en tenant compte de la définition que propose Nissinen de l’homoérotisme ou de celle qu’avance Zehnder au sujet de la relation homosexuelle, qu’est-ce qui, dans le récit de la relation de Jonathan-David, permet de dire que le narrateur rapporte celle-ci en lui associant, ne serait-ce que de façon suggestive, une composante homosexuelle ou des accents érotiques ? Ceux qui perçoivent des allusions homoérotiques dans le récit de la relation Jonathan-David affirment déceler celles-ci tant au niveau du vocabulaire utilisé pour rendre compte de cette relation que des gestes posés par ces deux personnages. Ainsi, S. Schroer et T. Staubli, deux auteurs suisses qui ont été les pionniers d’une telle lecture exégétique, du moins dans l’espace germanophone, estiment que le mot נֶפֶשׁutilisé en 18,1–3 pour rapporter la naissance
267
NISSINEN, Homoeroticism in the Biblical World, p. 56 : « The relationship of David and Jonathan can be taken as an example of ancient oriental homosociability, which permits even intimate feelings to be expressed ». 268 Ibid., p. 56 : « Perhaps these homosocial relationships, based on love and equality, are more comparable with modern homosexual people’s experience of themselves […] ». 269 « Observations », p. 131, n. 9 : « Why not use two different terms for the sexual variants of homosociability, like “homosociability” vs. “male bonding” or simply “homosociability” and “comraderie” or the like? » 270 Ibid., p. 133 : « A homosexual relationship, in any given society in any period in history, is minimally defined as a relationship between two persons of the same sex who engage in actions that in some way or another, consciously and willingly, include genital stimulation ».
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de la relation de Jonathan vers David recèle une connotation érotique 271. Ce terme aurait, selon eux, « son Sitz im Leben dans la lyrique amoureuse ». Pour justifier cette affirmation, ils en appellent au fait que la femme amoureuse du Cantique des cantiques désigne, en Ct 1,7 et 3,1–4, son amant comme « celui que mon cœur aime »272. À נֶפֶשׁs’ajoute l’emploi du verbe ָחפֵץen 19,1 que Schroer et Staubli rapprochent de ses occurrences en Gn 34,19 et Dt 21,14. Par ailleurs, les termes injurieux que Saül adresse à son fils Jonathan en 20,30 dénonceraient à mots couverts la nature érotique de la relation de ce dernier à David. Pire ou mieux – c’est selon – ils procéderaient de la passion déçue du roi pour David, transformée en une jalousie haineuse. Ces termes en question sont le participe בֹּחֵר, le substantif שׁת ֶ ֹ בּnotamment associé au mot évoquant la nudité maternelle ע ְֶרוַת ִא ֶמָּך. Il y aurait aussi des accents érotiques au mot « frère » ( )אָחִיet au verbe נָ ַע ְמ ָתּutilisé par David à propos de Jonathan, dans l’élégie funèbre de 2 S 1,26. À ce sujet, Schroer et Staubli concluent : « Le chant funèbre de David a incontestablement des accents érotiques qui peuvent seulement être étayés par les parallèles avec le Cantique des cantiques (apostrophe comme frère, mais cf. aussi n‘m dans Ct 1,16 ; 7,7) »273. Pour ce qui est des gestes, les deux exégètes suisses lisent la sortie dans la campagne de Jonathan et David en 1 S 20,11 comme un parallèle de l’invitation de la femme en Ct 7,12. Ils rapportent aussi les baisers et les larmes de 1 S 20,41, ainsi que les serments multiples de Jonathan à ce qui est évoqué en Ct 2,7 ; 8,4274, comme s’il y avait quelque parallélisme entre ces différents passages. Dans le même esprit, d’autres auteurs pointent aussi d’autres gestes ou termes. C’est le cas par exemple de Römer et Bonjour qui voient sous-jacente ou superposée au symbolisme politique du geste de 1 S 18,4, une connotation érotique 275. Ils retiennent également « que l’utilisation du terme berît en 1 Samuel 18 n’exclut nullement une dimension “sentimentale” dans la relation des deux protagonistes »276. Ce qui serait de nature à rapprocher ce berît d’un contrat de mariage. De leur point de vue aussi, l’insulte de Saül ayant trait à la nudité de la mère « ne prend de sens que dans l’idée d’une relation homosexuelle entre David et Jonathan »277. Dans la même optique, ils pensent que David définit
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Voir aussi dans ce sens VAN TREEK NILSSON, Expresión literaria del placer, p. 227. « “Jonathan aima beaucoup David” », p. 59. 273 « “Jonathan aima beaucoup David” », p. 61. 274 Ibid., p. 60 : « L’adieu avec baisers et larmes, les serments multiples de Jonathan (cf. Ct 2,7 ; 8,4), le salut cérémonieux et plein de respect de David, ont valeur définitive ». 275 L’homosexualité dans le Proche-Orient ancien et la Bible, pp. 69–70. 276 Ibid., p. 73. 277 Ibid., p. 76. 272
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
sa relation à Jonathan comme une « liaison amoureuse »278, dans l’élégie qu’il prononce en signe de deuil et d’hommage. Il serait en plus dans une posture de femme en exécutant « un type de chants funèbres généralement réservé aux femmes dans le monde du Proche-Orient ancien »279. D’où la conclusion que son chagrin serait proche de celui d’un amant 280. À l’issue de cette démarche d’analyse des gestes et termes décrivant la relation de Jonathan et David, Römer et Bonjour n’arrivent pourtant pas à trancher et essaient de garder une position médiane. Ils reconnaissent l’ambiguïté du récit et affirment que celui-ci « ne dit jamais explicitement que leur [Jonathan et David] amitié avait une composante érotique, mais il ne l’exclut pas non plus ; de nombreux termes sont utilisés de sorte qu’ils laissent planer le doute. »281 Ils estiment devoir alors approfondir leur analyse en mettant ce récit en comparaison avec une autre histoire en provenance du contexte culturel plus large du Proche-Orient, celle de Gilgamesh et Enkidu. Ils aboutissent alors à la conclusion suivante : « Éclairée par l’histoire de Gilgamesh et Enkidu, la relation entre David et Jonathan apparaît davantage comme une “histoire d’amour” que dans le texte biblique lui-même, lequel a pu être révisé ultérieurement dans le but d’occulter quelque peu les éléments érotiques qu’il contient »282. Et un peu plus loin : « […] En conséquence, sans céder à la tentation moderne et psychanalytique de sexualiser toute relation d’amitié intime entre deux hommes, il paraît logique de conclure à une dimension homosexuelle ou au moins homoérotique dans la relation entre David et Jonathan »283. Ainsi, au moins un point ferme ressort de la conclusion de Römer et Bonjour : la difficulté de reconnaître une dimension homoérotique à la relation de Jonathan et David sur la seule base du texte biblique. Celui-ci tenterait même, à leur avis, d’occulter cette dimension de la relation. Ce qui implique que le récit biblique, – à supposer même qu’il dépende littérairement de l’histoire de Gilgamesh284, chose qui est loin d’être prouvée – ne retient pas les traits érotiques comme pertinents pour la relation spécifique de Jonathan et David. Dans cette ligne de pensée, il s’avère que la connotation ou la charge érotique que les différents auteurs susmentionnés attribuent aux termes et gestes pointés plus haut ne s’impose pas vraiment, au regard du contexte propre où 278
Ibid., p. 78. Ibid. 280 Ibid. 281 Ibid., p. 79. 282 Ibid., p. 101. 283 Ibid. 284 D’ailleurs, ainsi que le décrit A. Heacock, l’interprétation homoérotique de l’épopée de Gilgamesh elle-même ne convaint pas tous les spécialistes. Voir à ce propos Jonathan Loved David, p. 106 279
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ces termes et gestes se trouvent employés. Certes la valeur polysémique de ces termes paraît évidente dans la Bible hébraïque. D’où l’exigence de chercher à cerner toujours de près leur contexte pour voir à chaque fois, en ultime analyse, laquelle de leur acception prévaut. C’est la démarche méthodologique dans laquelle s’engage Zehnder285, suivi par Himbaza286. Tous deux s’attachent, chacun pour sa part, à repasser un à un, au crible de l’analyse, les termes et gestes supposés receler des accents ou connotations érotiques, voire sexuelles287. Ils aboutissent à la conclusion que le contexte narratif du récit de la relation Jonathan-David n’autorise pas à affirmer une telle dimension de quelque manière que ce soit. Le faire relève donc, à leur avis, d’une lecture forcée288, biaisée et, dans le meilleur des cas, précipitée des textes. En effet, le parallélisme invoqué par certains auteurs entre la terminologie utilisée pour décrire la relation de Jonathan et David et celle qu’emploie le Cantique des cantiques n’apparaît pas, à l’examen attentif, aussi proche et déterminant 289. Dans bon nombre de cas, d’autres passages bibliques affichent une proximité plus grande, en termes de contexte et de structure syntaxique, avec le récit en Samuel. C’est le cas par exemple de 1 S 18,1 et Gn 44,30 pour ce qui est de l’emploi de nepeš, ce que nous avons aussi noté dans notre analyse plus haut. C’est aussi le cas de 1 S 20,41 et Gn 45,14–15 ; Ex 18,7290 ou Rt 1,9. De même, le berît de Jonathan et David, qui est un pacte entre deux individus, se rapproche davantage de celui entre Abraham et Abimélek en Gn 21,27 ou entre David et Abner en 2 S 3,12 ou encore entre Salomon et Hiram en 1 R 5,26. Ce qui accentue la connotation politique du verbe ’āhaḇ291. Dans d’autres cas, la stratégie communicative du récit de 1 Samuel fournit elle-même la clef d’interprétation la plus cohérente. Ainsi pour le verbe ָחפֵץ de 1 S 19,1, qui gagne à être lu en référence à son occurrence préalable en 18,22. Nous estimons que cela vaut aussi pour la détermination de la connotation de l’insulte proférée par Saül contre Jonathan en 20,30–31, qui, à notre avis, ne peut être adéquatement élucidée sans une prise en considération des propos du roi en 22,8. Il semble qu’ici et là, Saül extériorise sa vision et son 285 Voir ses deux articles : « Exegetische Beobachtungen zu den David-JonathanGeschichten », pp. 153–179 et « Observations on the Relationship between David and Jonathan and the Debate on Homosexuality », pp. 127–174. 286 Voir HIMBAZA - SCHENKER - EDART, Clarifications, pp. 29–48. 287 Voir ZEHNDER, « Observations », pp. 138–157 ; HIMBAZA/SCHENKER/EDART, Clarifications, pp. 29–45. 288 Voir HIMBAZA/SCHENKER/EDART, Clarifications, pp. 45 et 48 ; ZEHNDER, « Observations », pp. 173–174. 289 Voir ZEHNDER, « Observations », p. 153. 290 HIMBAZA/SCHENKER/EDART, Clarifications, p. 40. 291 Voir THOMPSON, « The Significance of the Verb Love in the David-Jonathan Narratives », pp. 334–338 ; ACKROYD, « The verb Love-’Āhēb in the David-Jonathan Narratives », pp. 213–214.
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évaluation de l’association292 de son fils avec le fils de Jessé. En 20,30, il le fait devant Jonathan lui-même pour essayer, vraisemblablement, de le choquer en vue de réveiller en lui la fibre de la solidarité familiale. En 22,8 il se prononce devant les gens de sa tribu et en appelle aussi à une solidarité clanique. De part et d’autre, ce que Saül met en cause est l’alliance politique de son fils avec son rival politique. Cette alliance politique paraît si traître à la logique de la solidarité familiale, qu’elle est déshonorante 293. Dans ce sens, le roi tente désespérément de conscientiser son fils sur le fait que son choix politique n’est ni à son honneur ni à celui de sa mère. Pourquoi alors dans ce dernier cas évoquer la nudité de la mère ? Sans doute parce que cette image suggère le comble du déshonneur et qu’elle paraît apte, aux yeux du roi, à toucher un point susceptible de faire très mal à Jonathan 294. Il ne résulte donc pas que pareille injure insinue que Jonathan est efféminé et qu’elle dénonce dès lors la nature érotique de ses relations avec David. Tout le contexte montre que l’enjeu est entièrement politique. Même si l’on supposait que cette injure a une connotation érotique dans la bouche de Saül, cela ne voudrait encore rien dire du point de vue du narrateur qui, après tout, est le seul à être décisif. En effet, le roi peut très bien tenter de dénaturer le lien que Jonathan a avec David en prétendant qu’il est de nature sexuelle, et cela, dans l’objectif principal de blesser son fils. Par ailleurs, on s’appuie aussi très souvent sur 2 S 1,26 pour faire état d’une attestation sans ambiguïté de la nature érotique des relations entre Jo292
HALOT, I, p. 120, en se référant à un article de M. DAHOOD, « Qoheleth and Northwest Semitic Philology » [Bib 43 (1962), p. 361] traduit le verbe בחרmis sur les lèvres de Saül en 1 S 20,30 par « to ally oneself ». En 1 S 22,8, le même Saül accuse les gens de sa tribu de conspirer ou de se liguer ( )קשׁרcontre lui en ne révélant pas que son fils a conclu une alliance avec le fils de Jessé. Il semble que les deux verbes sont employés dans une perspective politique pour stigmatiser le manque de parti pris des siens pour lui, par implication, leur association avec David. 293 Le déshonneur peut consister dans le fait que l’attitude de Jonathan, si elle est évaluée selon le sens commun élémentaire, peut apparaître aux yeux de l’extérieur comme manquant de jugement ; ce qui, par ricochet, peut éveiller le soupçon sur la qualité de l’éducation qu’il a reçue. Dans un sens analogue, ZEHNDER, en référence à l’interprétation traditionnelle juive, « Observations », p. 150, écrit : « According to the traditional Jewish interpretation of this phrase, the shame lies in the fact that to the outside observer, Jonathan simply seems to be plotting with his father’s enemies, and that after Saul’s death his surviving son Jonathan and Jonathan’s mother will be alive as subjects of the new king, David ». 294 D’autres explications sont naturellement aussi avancées : ainsi par exemple, ZEHNDER, « Observations », p. 150 : « […] it is the act of giving birth which is hinted at by the use of the noun ערוה, and this act at the same time is denounced as very negative because of its negative result – the shameful son Jonathan – and therefore a pejorative term is used to describe it. […] Another way of explaining the expression ולבשת ערות אמךis given by Radak : people seeing Jonathan’s support of his father’s enemy will assume that he was born of an adulterous relationship and is not really Saul’s son ».
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nathan et David. Effectivement dans ce vers, David met en balance l’amour de Jonathan et celui des femmes, pour estimer le premier plus merveilleux que le second. La comparaison ainsi établie induirait à penser que ces deux amours sont de même nature. Et si l’on comprend l’amour des femmes dans le sens d’une relation conjugale, il paraît logique de conclure que celui de Jonathan aussi est de la même nature. Mais ne serait-ce pas là, en réalité, une lecture rapide, et pour plusieurs raisons ? Au fond, le contexte de poésie dans lequel apparaît ce vers invite à la prudence quant à une lecture strictement symétrique des deux pôles de la comparaison295, puisqu’on est dans le cadre de l’hyperbole. En plus, maints passages bibliques comparant l’amour divin et des manières d’aimer toutes humaines déconseillent pareille lecture, sous peine d’aboutir à des aberrations. Il est loin d’être évident, en effet, que tout ce qui comporte et implique l’amour érotique des femmes est pris en compte dans la comparaison. Ensuite, « amour des femmes » ne signifie pas, non plus, forcément amour conjugal ou érotique. L’expression peut aussi évoquer le lien affectif et sa force. Il semble que la dimension suggérée soit, en toute vraisemblance, celle de l’attachement affectif. Quoi qu’il en soit, il paraît tout indiqué de chercher à appréhender le sens de 2 S 1,26 en l’insérant dans la perspective de tout ce qu’a été dit au préalable de la relation Jonathan-David296. Sous cet angle, pratiquement rien ne permet de mettre en avant une dimension d’homoérotisme dans cette relation297. Il ressort, au contraire, que David récapitule ici, avec une tonalité solennelle et grave, le caractère fondamentalement unique et extraordinaire de l’attachement de Jonathan à son endroit. Il livre, en guise de conclusion, son appréciation personnelle de son expérience relationnelle avec Jonathan. Et cela même, alors que sa subjectivité est restée généralement entourée de discrétion au fil de la narration. Loin de constituer une attestation ou un aveu de la nature érotique de la relation Jonathan-David, 2 S 1,26 se donne plutôt à lire comme la célébration de la qualité de ce lien en termes de force et de profondeur. Il en exalte le caractère exceptionnel et la touche affectueuse et tendre, dans la droite ligne de ce qui en a été narré depuis 1 S 18. Dans ce sens, David ne compare pas pour les opposer, amour hétéro et amour homo. Il semble plutôt en appeler à la force généralement admise du lien maternel ou conjugal pour la confronter en la minimisant à celle inédite de l’attachement de Jonathan. L’élasticité du mot ’ahaḇāh peut induire en erreur, mais il ne serait pas faux de dire qu’ici, il désigne l’amour d’amitié, l’hébreu ne disposant pas de terme spécifique pour distinguer diverses façons d’aimer. 295
Ibid., pp. 140–141. HIMBAZA/SCHENKER/EDART, Clarifications, pp. 44–45. 297 Ils ne sont pas par exemple dépeints comme étant en proie à une tension sexuelle réciproque. 296
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
En conclusion, les traits sous lesquels le fils de Saül est dépeint dans sa relation au fils de Jessé, ne sont pas ceux de l’amant, mais ceux de l’ami dévoué, du véritable ami, c’est-à-dire de l’ami qui reste tel même au plus fort de l’épreuve, celui que le livre du Siracide décrit comme étant un trésor (Si 6,14). En 2 S 1,26, David exprime la conscience d’avoir trouvé dans l’amitié de Jonathan un précieux trésor. Il met ainsi l’accent sur le côté personnel et émotionnel de leur relation, ce qui l’amène à désigner Jonathan avec l’expression « mon frère » ()אָחִי. Certes, il est clair que David et Jonathan sont des beaux-frères, encore que le récit ne thématise jamais cet aspect de leur relation. Celle-ci n’est pas en effet décrite en référence à une autre. D’ailleurs n’éclôt-elle pas avant que David n’épouse Mikal et ne s’établit-elle pas sans intermédiaire, en se déclinant très tôt sur les trois registres personnel, politique et religieux – même si ce dernier est marginal – qui la distinguent ? Puis au fil de l’intrigue, il s’avère que les registres personnels et religieux se mobilisent sensiblement au service du politique au point de dramatiser toute la relation en une alliance politique destinée à promouvoir l’accession de David au trône d’Israël. Dans ce sens, Jonathan assume une posture d’adjuvant de David dans le conflit pour le pouvoir qui oppose celuici à Saül. D’où vient alors que certains auteurs en arrivent à percevoir des connotations érotiques à pareille relation ? Il ressort que c’est l’interprétation de la composante personnelle et émotionnelle de la relation qui pose problème. Il y a sans doute quelque chose de trop généreux dans la relation Jonathan-David, telle qu’elle est racontée, au point qu’elle peut paraître délicate à cerner dans sa nature profonde. Mais cet excès a vraisemblablement pour objectif, sur le plan narratif, de mettre en évidence le cachet idéal et unique de la relation même, en tant que telle. Aussi, loin de démontrer vraiment l’existence d’une relation homoérotique entre Jonathan et David, les lectures faites dans cette optique soulignent plutôt l’ambiguïté foncière de toute expression affectueuse et tendre. Elles révèlent combien il est possible, si l’on veut, d’exploiter le laconisme ou la plurivocité du texte biblique pour affirmer une chose et son contraire. Mais demeure tout de même cette question fondamentale : est-ce parce que les amoureux s’embrassent que s’embrasser signifie nécessairement être amoureux ? Dans la large gamme des relations humaines, la parole ou le geste d’affection ne reçoivent-ils pas finalement leur coloration propre des personnes qui se l’échangent et du contexte dans lequel elles interagissent ? La confusion et l’inflation sexuelles qui imprègnent les sociétés d’aujourd’hui rendent plus ardue la détermination précise d’un geste de tendresse. À cet égard, il est tout à fait significatif et intéressant que ce soit précisément dans le tournant de l’époque contemporaine que sont apparues les lectures qui affirment avec force le caractère homosexuel ou homoérotique de la relation JonathanDavid. Peut-être les mots utilisés pour décrire cette relation, associés aux
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gestes qui l’accompagnent, ont-ils perdu de nos jours de leur neutralité ou de leur « innocence » et de leur ouverture pour ne se voir réservés qu’à un domaine étroit d’expression ? Il semble que oui, à la lumière de l’analyse que propose A. Heacock au sujet du débat contemporain sur la nature de la relation entre David et Jonathan298. Selon lui, les évolutions de la pensée sur la sexualité décrites par M. Foucault établissent comment, à partir du xix e siècle de notre ère, l’émergence de la scientia sexualis299 entraîne la médicalisation et la réification de l’homosexualité. Ce qui a pour conséquence de déterminer la manière contemporaine de concevoir la « masculinité » et l’« homosexualité » et de rendre désormais suspecte toute forme d’amitié masculine intime ; comme si pour éviter d’être indûment assimilés à des personnes gay, les hommes se doivent d’afficher impérativement un détachement émotionnel net dans leurs relations avec les gens du même sexe. Si tel était le cas, alors le récit de la relation de Jonathan et David viendrait mettre en cause pareille restriction. Il mettrait celle-ci au défi en étayant la possibilité d’une relation de grande amitié entre personnes du même sexe où l’affection peut s’autoriser des expressions fortes sans que cela n’implique nécessairement des aspects érotiques, voire seulement ne flirte avec eux 300. Par ailleurs, on a vu aussi que bon nombre de ceux qui reconnaissaient une composante homosexuelle à la relation de Jonathan et David le font dans le but honorable de présenter un exemple biblique de bienveillance vis-à-vis des relations à connotation érotico-sexuelle entre personnes du même sexe et cela, en vue de militer contre le rejet par la société des personnes à orientation homosexuelle, rejet communément désigné par le terme d’homophobie. À cet effet ne serait-il pas mieux indiqué de se référer à des textes bibliques qui en appellent à l’amour du prochain 301, lequel amour implique le respect et l’acceptation de l’autre, que de se reporter sur des récits comme ceux de la relation de Jonathan et David où l’évidence concernant une connotation érotique est tout sauf établie ?
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Voir HEACOCK, Jonathan Loved David, p. 115 et suiv. Pour la scientia sexualis, voir M. FOUCAULT, Histoire de la sexualité, I : la volonté de savoir (Tel), Paris, 1976, p. 69 et suiv. 300 Dans cette veine, ZEHNDER, « Observations », p. 174, déclare : « The story of the deep friendship of David and Jonathan may act as a counter model by showing how emotionally rich and profound a non-sexual relation between two persons (of the same sex) may be at times even richer and profounder than sexual relationships ». 301 En tout cas, c’est ce que fait finalement NISSINEN, Homoeroticism in the Biblical World, pp. 123–140, de façon convaincante d’ailleurs. 299
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
J. Jonathan et l’arc 4. J. Jonathan et l’arc
Il semble qu’il y ait, dans le récit, une façon discrète de caractériser aussi Jonathan en l’associant avec l’arc. Il apparaît que cette arme est son emblème comme l’est la lance pour son père. Cette impression naît notamment des paroles que David prononce dans l’élégie. Il y a d’abord l’espèce d’en-tête de toute la complainte funèbre en 2 S 1,18 qui a l’air de se focaliser sur l’arc, puis surtout les stiques du verset 22 où est évoquée la bravoure de Jonathan. Là, l’arc est clairement présenté comme l’arme de guerre typique de Jonathan qui la manie au combat avec efficacité. Cette évocation pousse le lecteur curieux à revoir, pour les examiner, les occurrences préalables de l’arc dans la trame du récit. L’arc fait d’abord partie des équipements symboliques donnés à David en gage de l’alliance scellée en 1 S 18,4. Par son don, Jonathan signait, faut-il le rappeler, la reconnaissance symbolique de David comme vaillant guerrier en même temps qu’il passait le témoin du champion. L’amitié forte entre les deux guerriers qui découle ensuite de ce geste amène un certain nombre d’auteurs 302 à rapprocher leur relation de celle par exemple d’Achille et Patrocle dans l’Iliade d’Homère. En 1 S 20,21–22//20,36–40, le mot arc n’apparaît pas comme tel. Pourtant il est sous-entendu dans le récit, puisque Jonathan prévoit de tirer des flèches pour signifier à son ami s’il doit ou non quitter la cour. Au total, on peut noter que Jonathan met son arme de guerre au service de sa relation avec David, renforçant de la sorte la dimension d’amitié qui lie ces deux guerriers. Enfin, l’usage que Jonathan fait de son arme s’oppose à celui que son père fait de la sienne. Ce dernier, associé plus d’une fois à la lance, utilise celle-ci pour s’en prendre à David303 (1 S 18,10–11 ; 19,9–10) et à son propre fils Jonathan (1 S 20,33). Au lieu de l’employer pour protéger ceux 302 Ainsi par exemple NISSINEN, Homoeroticism in the Biblical World, p. 56 : « The relationship of David and Jonathan can be taken as an example of ancient oriental homosociability, which permits even intimate feelings to be expressed. In this sense it can be compared to the love of Achilles and Patroclus (in Homer’s Iliad) or the love of Gilgameš and Enkidu ». Voir aussi D. HALPERIN, Cent ans d’homosexualité et autres essais sur l’amour grec (Les grands classiques de l’érotologie moderne), Paris, 2000, pp. 75–87, qui compare ces relations ; SCHROER/STAUBLI, « “Jonathan aima beaucoup David” », pp. 63– 64 ; Th. RÖMER, « L’amitié selon la Bible hébraïque », Transversalités 113 (2010), p. 43, etc. 303 Ainsi également J. VERMEYLEN, « David le non-violent, ou : Que venait-il faire dans le camp de Saül ? Propositions pour une lecture de 1 Samuel 24–26 », dans D. MARGUERAT (éd.), La Bible en récits. L’exégèse biblique à l’heure du lecteur. Colloque international d’analyse narrative des textes de la Bible, Lausanne (mars 2002) (MoBi 48), Genève, 2003, p. 143 : « Le motif de la lance renvoie donc à l’agressivité de Saül à l’égard de David et, en particulier, aux deux tentatives de meurtre rapportées en 18,10–11 et 19,9– 10 ».
4. K. Jonathan et Abner
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qui lui sont proches, il la met, avec maladresse, au service de sa jalousie déprimante et obsessionnelle, montrant combien il vit sa relation à David comme une inimitié entre guerriers. Cette caractérisation contrastée de Jonathan et de son père participe en fait d’une stratégie narrative plus large, perceptible tout au long du récit. En effet, on note que là où le père échoue ou présente de graves lacunes tant sur le plan militaire que politique, le fils a, pour sa part, la posture adéquate au point que le lecteur peut se demander pourquoi finalement Jonathan n’est pas choisi pour succéder à son père. Il semble pourtant un excellent candidat au regard de plusieurs traits de sa personnalité. Il a, de ce point de vue, des capacités guerrières éprouvées. Son comportement humain paraît guidé davantage par un sens de la justice enraciné dans le désir de se conformer à la volonté divine que par une logique dictée par le seul jeu de la solidarité familiale. Que lui manque-t-il donc en termes de qualités essentielles, pourrait-on se demander ? La question paraît encore plus légitime lorsqu’on se place dans la perspective de tout le premier livre de Samuel pour comparer Jonathan avec les fils d’autres personnages investis d’autorité et de pouvoir en Israël, tels que par exemple ceux du prêtre Éli et du prophète Samuel lui-même. Alors que Éli et Samuel sont dépeints en substance comme ayant rempli avec conscience leur office, leurs fils sont corrompus. Le texte laisse entendre qu’à cause de cela, ils ne peuvent succéder à leurs pères, même si ces derniers en avaient le désir ; comme si l’office de prophète et de juge fonctionnait sur un principe de succession familiale. Dans le cas de Jonathan, la situation s’inverse : luimême est idoine304, tandis que son père présente des lacunes en matière de leadership. Malgré cela, le trône ne lui échoit pas. Il est promis plutôt à David, un personnage au profil éthico-politique complexe et discutable, mais choisi par Dieu. Mystère de l’élection divine !
K. Jonathan et Abner 4. K. Jonathan et Abner
Un certain nombre d’éléments ou de motifs présents dans le parcours narratif d’Abner donnent l’impression que ce personnage recoupe, par endroits du moins, celui de Jonathan, ce qui invite à mettre les deux personnages, d’une certaine manière, en regard l’un de l’autre. Dans cette perspective, on peut noter que tous deux apparaissent dans le sommaire de 1 S 14,49–50 concernant la famille de Saül. Après cela, il faut attendre 1 S 20,25 pour les voir présents à la table du roi, lors du banquet de la nouvelle lune. Ils ne se parlent pas, mais on a l’impression qu’ils interagissent par mouvement interposé lorsque Jonathan se met debout pendant qu’Abner s’assoit. Ce sera d’ailleurs 304
Contre PELEG, « Love at First Sight ? », pp. 171–189, qui estime que le récit dépeint Jonathan de manière à ruiner son éligibilité au trône.
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Chapitre 4 : Jonathan, David et Saül
dans tout le récit l’unique fois où ils se trouvent proches. Pour l’essentiel, c’est surtout après la mort de Jonathan au front, avec son père et deux de ses frères (1 S 31), qu’Abner s’inscrit dans une dynamique qui, par certains égards, esquisse un parallélisme avec Jonathan. Ainsi par exemple, il choisit d’œuvrer pour que David puisse régner sur Israël (2 S 3,9–10). Et il affirme sa détermination à le faire en jurant sur l’honneur divin (2 S 3,9). Il veut aussi d’une alliance avec David (2 S 3,12). Il adopte également une posture prophétique en se référant explicitement à une sorte d’oracle qui destine David au trône d’Israël (2 S 3,18). Le zèle qu’il déploie à convaincre les anciens et les Benjaminites de rejoindre David et les pourparlers qu’il entreprend avec celui-ci conduisent à supposer qu’il attend vraisemblablement, en retour de ce ralliement, un poste honorable dans cette nouvelle configuration politique. Et pourquoi pas un poste de second, ce qui justifierait aussi son assassinat prématuré par Joab ? Il meurt ainsi avant de voir David régner effectivement sur Israël. À sa mort aussi, David entonne une élégie pour lui (3,33–34) à l’instar de ce qu’il fit pour Saül et Jonathan. Par ailleurs ne peut-on pas voir un élément supplémentaire de rapprochement dans la reprise du fil thématique, en 2 S 3,12–16, du mariage de Mikal avec David, thème qui marque l’environnement littéraire et politique des interventions de Jonathan avec le fils de Jessé ? En somme, la connaissance intuitive relative à une élection divine de David pour le trône d’Israël, l’alliance avec lui pour un transfert du pouvoir de la maison de Saül vers David, l’hommage funèbre reçu de ce dernier sous forme d’élégie, sans mentionner le fait que tous deux exercent à un moment donné de leur vie une autorité sur l’armée de Saül (1 S 13–14 ; 2 S 2–3), marquent un parcours parallèle entre Jonathan et Abner. Membres à des degrés divers de la famille de Saül, tous deux s’inscrivent, malgré cela, selon des motivations différentes et des modalités chronologiques propres à chacun, dans une action visant à promouvoir le règne de David sur Israël : Jonathan sous Saül305 et Abner sous Ishbosheth306. Dans cet ordre d’idée, il ne serait pas faux de dire que ce que Jonathan fait symboliquement en termes de transfert de pouvoir à David, Abner met tout en œuvre pour que cela devienne effectif, de sorte que le dernier peut être perçu comme le relais du premier. Mais le parallélisme s’arrête là, car si Jonathan agit par amitié pour David, Abner semble le faire par dépit envers la famille de Saül et pour se venger d’Ishbosheth, précisément. L’ironie voudra qu’il meure suite à une vengeance à son encontre. En outre, si Jonathan coopère spontanément à l’accession de David au trône, Abner s’y oppose farouchement dans un premier temps. On le voit par 305
Ils meurent ensemble et sont enterrés au même endroit (1 S 31,12–13). Abner meurt peu avant Ishbosheth, mais tous deux sont enterrés dans le même tombeau (2 S 4,12). 306
4. K. Jonathan et Abner
157
exemple aux côtés de Saül lancé à la poursuite de David en 1 S 26. Puis, après la mort de Saül, il est celui qui installe Ishbosheth au pouvoir (2 S 2,8– 10) et mène la guerre contre les hommes de David (2 S 2,12–32). C’est seulement l’attitude critique d’Ishbosheth à son encontre qui l’amène à changer de camp. Ajoutons à cela la différence de temporalité de leur agir, car il ne paraît pas sans signification que Jonathan ait pris fait et cause pour David du vivant de Saül, alors qu’Abner ne le fait qu’après la mort de celui-ci. Cela en dit peut-être long sur le courage d’opinion et de choix de Jonathan, alors que la posture d’Abner est plutôt celle d’un opportuniste et d’un revanchard, qui ne se résout au ralliement à David que quand on lui reproche ouvertement sa prétention307 au trône et qu’il sent qu’Ishbosheth n’est pas prêt à le laisser agir à sa guise. En définitive, nonobstant ces particularités, il émerge du récit global que deux membres de la famille de Saül ont été des artisans décisifs du passage du pouvoir à David. La conséquence en est que ce dernier ne s’empare pas du trône d’Israël, pour ainsi dire, par la force des armes, mais le reçoit des mains mêmes des membres de la famille de son prédécesseur. Ce qui n’est évidemment pas sans incidence sur sa légitimité, même s’il apparaît au bout du compte que celle-ci repose fondamentalement sur l’élection divine. Jonathan et Abner ne semblent pas les seuls membres de la famille du roi rejeté à s’engager en faveur de David. Il y a sans doute aussi Mikal dont il va falloir examiner maintenant avec attention le parcours narratif.
307
Bon nombre de commentateurs interprètent en effet, comme déjà souligné, la relation d’Abner à la concubine de Saül comme l’expression d’une prétention au trône dans la ligne de ce que fera Absalom en 2 S 16,22 avec les concubines de son père ou du sens de la demande introduite par Adonias en 1 R 2,13. Voir à titre d’exemple HERTZBERG, I & II Samuel, p. 257 ; CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 388 ; FOKKELMAN, Throne and City (II Sam. 2–8 & 21–24), p. 70 ; B. COSTACURTA, Lo scettro e la spada. Davide diventa re (2Sam 2–12) (Studi biblici 53), Bologna, 2006, p. 44.
Chapitre 5
Mikal, Mérav, Saül et David Dans le récit du conflit entre Saül et David le personnage de Mikal est mentionné ou évoqué en 1 S 18,20–28 ; 19,11–17 ; 25,44 ; 2 S 3,12–16 ; 6,16– 231. La lecture cursive du conflit, menée plus haut2, met en lumière combien ces passages, disposés çà et là et manifestement fragmentaires, représentent des moments significatifs et stratégiques sur la trajectoire narrative de l’ascension sinueuse de David vers le trône. Quant à Mérav, l’épisode (1 S 18,17–19) qui la concerne est placé tout juste avant l’entrée en scène de Mikal, amenant ainsi l’aventure de la sœur aînée à servir de prélude à celle de la sœur cadette. C’est sans doute en raison de cela qu’A. Wénin3 perçoit dans les versets concernant Mérav le premier moment de la complication du récit du mariage de David et dans les versets consacrés à Mikal le second moment. Quoi qu’il en soit, les liens entre les offres en mariage des deux sœurs sont on ne peut plus évidents du fait de leur proximité dans la disposition du TM et aussi de leur parenté thématique étroite. Ainsi est-ce ensemble que nous allons les étudier dans une section qui sera, pour l’essentiel, dédiée à l’analyse narrative proprement dite des passages sur Mikal. L’objectif sera de tenter de mettre en évidence le rôle spécifique joué par celle-ci et la manière dont elle l’incarne et cela, même si nous commençons par ce qu’il en est de sa sœur aînée Mérav. En vue de refléter au mieux l’évolution narrative du personnage, nous analyserons ces passages, l’un après l’autre, au gré de leur distribution dans le récit. À l’instar de l’analyse déjà effectuée pour la figure de Jonathan, nous serons attentif au type de présence de Mikal, comme protagoniste ou non, dans les scènes où elle figure. Cela permettra sans doute de 1 Certes le nom Mikal réapparaît plus loin en 2 S 21,7–9, mais le fait de l’y voir associé avec Adriel, fils de Barzillai le Méholatite crée une tension avec ce qui est rapporté en 1 S 18,19. Dans ce dernier passage, il est affirmé en effet que c’est Mérav et non Mikal qui est donnée en mariage à Adriel le Méholatite. De plus 2 S 6,23 déclare que « et Mikal, fille de Saül n’eut pas d’enfant jusqu’au jour de sa mort ». La revoir alors affublée de cinq enfants qu’elle aurait donnés à Adriel en 2 S 21,7–9 ne fait qu’ajouter à la confusion. En conclusion le nom de Mikal a dû vraisemblablement être confondu ici avec celui de Mérav. C’est d’ailleurs la solution traditionnellement avancée pour expliquer l’état actuel du texte. La LXX qui comprend aussi les choses de cette façon a donc dans son texte Mérav. De plus, notre travail se focalise sur la période du conflit politique Saül vs David proprement dit et de son épilogue, alors que 2 S 21,7–9 se situe dans le cadre du règne de David. 2 Voir le chapitre 2, pp. 27 et suiv. 3 WÉNIN, « Marques linguistiques », pp. 323–329.
5. A. Le récit biblique : textes traduits
159
mieux faire ressortir la particularité de sa caractérisation, ce qui sera sans doute utile quand viendra le moment de la comparer avec celle de son frère. Nous proposons la traduction personnelle de travail suivante :
A. Le récit biblique : textes traduits 1 Samuel
5. A. Le récit biblique : textes traduits
18,17–31 17
Et Saül dit à David : « Voici ma fille aînée Mérav, c’est elle que je te donnerai pour femme ! Seulement sois pour moi un vaillant homme (fils) et combats les guerres d’Adonaï. » Mais Saül s’était dit : « Que ma main ne soit pas contre lui et que soit contre lui la main des Philistins ! » 18 Et David dit à Saül : « Qui suis-je moi et qui sont les gens du clan de mon père en Israël pour que je devienne le gendre du roi ? ». 19 Et au moment de donner Mérav, fille de Saül, à David, elle avait été donnée Adriel le Méholatite pour femme. 20 Et Mikal, fille de Saül, aima David et ils informèrent Saül et la chose fut droite à ses yeux. 21 Et Saül [se] dit : « Que je la lui donne et qu’elle soit pour lui un piège et que soit contre lui la main des Philistins. » Et Saül a dit à David en deux fois4 : « Tu peux être mon gendre aujourd’hui ». 22 Et Saül ordonna à ses serviteurs : « Parlez à David en privé en disant : voici, le roi trouve son plaisir en toi et tous ses serviteurs t’aiment ; deviens maintenant le gendre du roi ! » 23 Les serviteurs de Saül parlèrent aux oreilles de David ces paroles et David dit : « Est-ce peu de chose à vos yeux que de devenir le gendre du roi ? Or, moi je suis un homme pauvre et de peu de chose ». 24 Et les serviteurs de Saül l’informèrent en disant : « C’est selon ces paroles qu’a parlé David. » 25 Et Saül dit : « Ainsi direz-vous à David : il n’y a chez le roi aucun plaisir en une dot si ce n’est cent prépuces de Philistins en vue de se venger des ennemis du roi ». Mais Saül comptait faire tomber David par la main des Philistins. 26 Ses serviteurs informèrent David de ces paroles et la parole parut droite aux yeux de David pour devenir le gendre du roi. Et le délai n’était
4 שׁ ַתּי ִם ְ ִבּ: litt. : ...en deux, à travers deux, avec deux. Le sens de cette expression n’est pas aisé à saisir. Tout dépend de comment on comprend l’ensemble de la phrase dans laquelle elle est insérée. Est-ce une réflexion du narrateur qui comptabilise le nombre de fois que Saül a proposé à David de devenir son gendre ? Ou est-ce Saül lui-même qui fait noter à David qu’il lui offre une seconde chance et cela, précédé d’une simple transition du narrateur au v. 21a ? L’allure du v. 21 et surtout le contexte qui se dégage à la lumière des versets qui le suivent immédiatement et où Saül traite du mariage de Mikal, non pas directement avec David, mais par le biais de serviteurs amènent à penser que le v. 21 dans son ensemble même est une réflexion du narrateur relevant qu’en deux fois ou en deux occasions (cf. la TOB) Saül a fait la proposition à David de devenir son gendre, avec référence sans nul doute au cas de Mérav. On gagne alors à rendre notre expression par un cardinal plutôt que par un ordinal et à l’entendre de la voix même du narrateur, avec tout de même quelques interrogations. Car s’il s’agit de « deux fois », pourquoi n’y a-t-il pas le mot ordinaire ? ַפּ ֲע ָמי ִםHERTZBERG, I & II Samuel, p. 159, n. a, pense que le mot est corrompu et qu’il faut le corriger pour lui faire signifier « en deux ans ». Mais est-ce vraiment nécessaire ? Nous y reviendrons au cours de l’analyse.
160
Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David
pas écoulé (rempli)5 27 et David se leva et alla, lui et ses hommes, et il tua chez les Philistins deux cents hommes. Et David amena leurs prépuces et il en fit au roi le plein compte pour devenir le gendre du roi et Saül lui donna Mikal, sa fille, pour femme. 28 Et Saül vit, et il sut qu’Adonaï était avec David. Et Mikal, fille de Saül, l’aimait. 29 Et Saül continua d’avoir encore peur de David et Saül fut hostile à David tous les jours. 30 Et les commandants des Philistins sortirent, et chaque fois qu’ils sortaient David réussissait plus que tous les serviteurs de Saül et son nom devint très célèbre. 19,8–17 Et la guerre continua d’être et David sortit et combattit les Philistins et il tua chez eux une grande tuerie et ils s’enfuirent loin de sa face. 9 Et un esprit mauvais d’Adonaï fut sur Saül et lui, dans sa maison, était assis et sa lance était dans sa main et David jouait [un instrument à cordes] dans6 [la] main. 10 Et Saül chercha à frapper David au mur avec la lance et il bougea de la face de Saül et il frappa7 la lance dans le mur. Et David s’enfuit et il s’échappa cette nuit-là. 11 Et Saül envoya des émissaires à la maison de David pour le surveiller et le faire mourir au matin. Et Mikal, son épouse, informa David en disant : « Si tu ne sauves pas ton âme la nuit, demain tu vas être mis à mort ». 12 Mikal fit descendre David à travers la fenêtre et il s’en alla, il prit la fuite et il se sauva. 13 Mikal prit les téraphim et les plaça sur le lit et elle plaça un filet8 en poils de chèvre à la place de sa tête et elle couvrit avec le vêtement. 14 Et Saül envoya des émissaires pour prendre David et elle dit : « Il est malade ». 15 Et Saül envoya les émissaires pour voir David en disant : « Faites-le monter dans le lit à moi pour le faire mourir ! » 16 Les émissaires arrivèrent et voici, les téraphim étaient sur le lit et un filet en poils de chèvre à la place de sa tête. 17 Et Saül dit à Mikal : « Pourquoi ainsi tu m’as trompé et tu as laissé partir mon ennemi et il s’est sauvé ? » Et Mikal dit à Saül c’est lui qui m’a dit : « Laissemoi partir ! Pourquoi devrais-je te faire mourir ? »9. 8
25,42–44 Et Avigaïl se dépêcha et se leva et elle monta sur l’âne et cinq de ses servantes allant sur ses traces. Et elle alla derrière les émissaires de David et elle devint sa femme. 43 Et Ahinoam David prit d’Izréel et elles devinrent toutes deux ses femmes. 44 Or Saül avait donné Mikal sa fille, femme de David, à Palti, fils de Laïsh, qui est de Gallim. 42
2 Samuel
3,12–16 12 Et Abner envoya des émissaires à David de sa part10 en disant : « À qui la terre ? » en disant11 : « Conclus ton alliance avec moi et voici ma main (sera) avec toi pour faire tour-
5
וְֹלא ָמלְאוּ ַהיּ ָ ִמיםlitt. : et les jours n’étaient pas remplis. Instrumental : avec la main. 7 Jusqu’ici nous avons traduit ce verbe par tuer. Mais en d’autres contextes il revêt le sens de frapper. 8 ָכּבִיר: le sens de ce mot est loin d’être certain. Le contexte indique quelque chose de tissé. De là on pense qu’il s’agirait d’un filet qui se mettait sur la face d’une personne quand elle dormait (cf. BDB, sub voce). Mais vu qu’il se place à l’endroit de la tête, d’autres parlent aussi de coussin. Voir en ce sens HERTZBERG, I & II Samuel, p. 166 9 Une menace de mort exprimée sous forme de question rhétorique. 10 ְתּ יו ֥ ָ ַתּח: litt. : À sa place. 6
5. B. Mérav est proposée en mariage : 1 S 18,17–19
161
ner tout Israël vers toi ». 13 Et il dit : « Bon ! Moi je conclurai une alliance avec toi. Seulement il est une chose que moi je demande de toi en disant : tu ne verras pas ma face que si devant moi tu amènes Mikal, fille de Saül à ton arrivée pour voir ma face. » 14 Et David envoya des émissaires à Ishbosheth, fils de Saül en disant : « donne-moi ma femme Mikal que je me suis acquise pour cent prépuces de Philistins. » 15 Et Ishbosheth envoya et on la prit d’auprès d’un homme, d’auprès Paltiel, fils de Laïsh. 16 Et son homme alla avec elle. Il allait et pleurait derrière elle jusqu’à Bahurim et Abner lui dit : « Va, retourne ! » Et il s’en retourna. 6,16–23 Quand l’arche d’Adonaï arriva dans la cité de David, Mikal, fille de Saül regarda en bas par la fenêtre et elle vit le roi David en train de sauter et de danser en tournoyant devant Adonaï et elle le méprisa dans son cœur. 17 Ils firent arriver l’Arche d’Adonaï et l’installèrent à sa place, au milieu de la tente que David lui avait dressée et David fit monter des holocaustes devant Adonaï et des sacrifices de communion. 18 Et David finit de faire monter les holocaustes et les sacrifices de communion et il bénit le peuple au nom d’Adonaï Sabaoth. 19 Et il distribua à tout le peuple, à toute la multitude d’Israël, de l’homme jusqu’à la femme, à chacun un gâteau de pain, un de dattes12 et un de raisin et tout le peuple s’en alla chacun à sa maison. 20 Et David se retourna pour bénir sa maison et Mikal fille de Saül sortit à la rencontre de David et elle dit : « Qu’il s’est honoré aujourd’hui le roi d’Israël qui s’est découvert aujourd’hui aux yeux des servantes de ses serviteurs comme se découvrent certainement des hommes de rien ! » 21 Et David dit à Mikal : « C’est devant Adonaï qui m’a choisi de préférence à ton père et à toute sa maison pour m’établir guide sur le peuple d’Adonaï, sur Israël ; et je jouerai devant Adonaï. 22 Et je m’humilierai encore plus que cela et je serai bas à mes yeux, mais auprès des servantes dont tu as parlé, auprès d’elles je serai honoré ! » 23 Et Mikal fille de Saül n’eut pas d’enfant jusqu’au jour de sa mort. 16
B. Mérav est proposée en mariage : 1 S 18,17–1913 5. B. Mérav est proposée en mariage : 1 S 18,17–19
En 1 S 18,17–19 Saül propose sa fille aînée Mérav en mariage à David. La scène commence directement sans indication temporelle ou locale. Dans le contexte, cette offre de mariage est comme une nouvelle initiative14 du roi qui essaie sans doute de revenir à la charge, voire de reprendre la main après l’échec de ses tentatives antérieures de nuire à David en 18,11,13, échec qu’il comprend et justifie comme l’effet de la présence d’Adonaï auprès de ce 11
Les deux לֵאמ ֹרainsi rapprochés éveillent le soupçon d’une surcharge ou d’une corruption du texte. À cela on peut ajouter la difficulté de compréhension de la question « À qui appartient une terre/un pays ? » ( ) ְל ִמי־אָ ֶרץ. 12 שׁפָּר ְ ֶאle mot est rare, donc le sens incertain. Mais d’après HALOT, I, p. 97, il signifierait : « gâteau de dattes ». 13 Ce passage manque comme bien d’autres dans la LXX des livres de Samuel. CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 223, en parlent comme d’une « unité indépendante ». 14 CLINES, « Michal Observed », p. 30, estime dans ce sens que « the idea of marrying Merab is invented by Saul as a way of getting David killed. »
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Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David
dernier. Ainsi, même si cette scène et celle qui la suit se positionnent après les v. 14–16 et que sans doute pour cela, A. Wénin voit en eux l’exposition 15 du récit de mariage de David, il ne faut pas perdre de vue, sur la base de l’économie globale du récit en 1 S 18,6–30, que ces v. 14–16 fonctionnent plutôt comme le sommaire conclusif du premier développement thématique de l’hostilité de Saül contre David et du succès de celui-ci. Ce qui se lit, par conséquent, à partir de 1 S 18,17 ouvre en réalité, sans exposition en tant que telle, un volet tout nouveau dans la stratégie que le roi veut mettre en œuvre pour se débarrasser de David sans éclaboussure. Saül s’inscrit de ce fait dans une dynamique de ruse par la duperie que le récit signale en rapportant les propos qu’il tient à David avant de les juxtaposer à ce qu’il pense réellement au moyen d’un monologue intérieur ou à d’un inside view16. En mettant les deux discours de Saül côte à côte, le narrateur donne un tour objectivant à son récit. Il affiche la posture de celui qui se contente de rapporter les faits ou les paroles, laissant au lecteur le soin de qualifier en dernier ressort le comportement de Saül. Celui-ci en tout cas croit qu’il peut tirer un avantage politique du fait de disposer de filles à marier. Aussi ne s’embarrasse-t-il pas de préambules et dit à David sur un ton sans doute de bienveillance : « Voici ma fille aînée Mérav, c’est elle que je te donnerai pour femme ! Seulement sois pour moi un vaillant homme (fils) et combats les guerres d’Adonaï » (v. 17). D’aucuns17 veulent voir dans cette entrée en matière une allusion à la promesse royale faite en 1 S 17,25. Mais en réalité, cette lecture relève d’une pure supposition générée par la simple présence, de part et d’autre, du motif du mariage de la fille du roi et sans doute aussi, par le gap créé autour de ladite promesse romantique depuis l’épilogue du duel contre Goliath. Dans le fond, elle ne trouve pas d’enracinement ni de justification probante dans le texte tel qu’il se donne à lire. En effet, alors que Saül aurait pu invoquer la promesse de 17,25 – et que le lecteur se serait attendu à ce qu’il le fasse – pour donner un tour plus naturel et logique à l’offre de mariage de sa fille et partant, mieux cacher son jeu, il inscrit plutôt son discours à David dans une perspective tout autre, à savoir qu’il donne Mérav pour femme à condition que David devienne pour lui un בֶן־ ַחי ִלet combatte les guerres d’Adonaï. Le regard, comme on peut le constater, n’est pas tourné vers le passé, mais vers le futur. Mérav est proposée en mariage non pour un service déjà rendu, mais 15
WÉNIN, « Marques linguistiques », p. 322. Comme le dit bien WÉNIN, « Marques linguistiques », p. 324, le verbe dicendi אמר employé en 18,17c sans aucune préposition introduisant un destinataire induit à penser que Saül parle probablement à lui-même. 17 Voir dans ce sens HERTZBERG, I & II Samuel, p. 160, qui cite Budde contre Gressmann ; SMITH, The Books of Samuel, p. 171 ; MCCARTER, I Samuel, pp. 306–307 ; POLZIN, Samuel and the Deuteronomist, p. 177 ; EDELMAN, King Saul, p. 139 ; ALTER, The David Story, p. 115 ; TSUMURA, The First Book of Samuel, p. 482 ; WÉNIN, « Marques linguistiques », p. 322. 16
5. B. Mérav est proposée en mariage : 1 S 18,17–19
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pour des services futurs à rendre. La condition18 de l’offre du mariage est on en peut plus claire. Elle est signifiée par la particule ַאְך, employée dans son sens restrictif19. Manifestement le roi, par la manière dont il s’exprime, ne donne pas l’impression d’être lié par une promesse antérieure de la main de sa fille au vainqueur de Goliath, à moins qu’il ne s’en souvienne plus ou ne veuille plus le faire20. Il est théoriquement possible également qu’il ne soit vraiment pas l’auteur de la promesse relatée en 17,25. Quel est finalement le statut de fiabilité de cette promesse, étant donné que David – en même temps que le lecteur – ne l’apprend que par les propos de personnages anonymes et non de Saül directement. En plus c’est une promesse qui comporte aussi bien d’autres volets tels que des richesses et une exemption d’impôts pour la famille du vainqueur, éléments sur lesquels le récit ne revient plus du tout par la suite. Bref, l’offre de mariage à Mérav telle qu’elle est formulée par Saül n’établit pas de lien avec 1 S 17,2521. En exhortant David à devenir pour lui un « fils de puissance »22 ou simplement un « fils vaillant » et en juxtaposant cet ordre au combat des guerres d’Adonaï, Saül suggère de façon subtile une équivalence entre le service à lui rendre à lui et les guerres d’Adonaï ; comme à dire que la vaillance qu’il sollicite de David est au fond un engagement pour la cause d’Adonaï, ce qui sous-entend alors un engagement pour une cause élevée. Peut-être même que Saül s’exprime de la sorte dans l’espoir de toucher et exploiter le côté apparemment passionné du fils de Jessé pour les combats d’Adonaï, côté qu’il a pu déduire à partir de l’intérêt et de l’enthousiasme montrés lors du duel contre Goliath. David en effet n’exposait-il pas, avec vivacité, des motivations d’ordre fortement théologique pour justifier sa détermination de monter au combat (1 S 17,36–37, 45–47) ? En ce sens, A. Wénin a raison de dire que
18
Voir la n. 36 de COSTACURTA, Con la cetra e con la fionda, p. 108. Voir BDB, art. « » ַאְך. 20 CARTLEDGE, 1 & 2 Samuel, p. 232, parle de manipulation de la promesse de la part de Saül. 21 VAN SETERS, The Biblical Saga of King David, p. 170, aboutit à une conclusion analogue, lorsqu’il écrit : « It should be clear, however, that the offer of marriage to Merab knows nothing about the previous story because in the Goliath story he has already earned the right to marry the king’s daughter and has proven himself a valiant warrior ( )בן־חילso that Saul’s remarks would be quite inappropriate ». 22 C’est la traduction littérale que WÉNIN propose dans « Marques linguistiques », p. 323. La TOB, quant à elle, dit : « Sois vaillant à mon service » et la BJ, « Sers-moi seulement en brave ». Mais le mot à mot peut se traduire par « Sois ou deviens un fils de vaillance, de capacité ou encore de puissance », au sens de « Sois ou deviens un fils vaillant ». Pour EDELMAN, King Saul, p. 140, בֶן־ ַחי ִלsignifie que « David must become a professional soldier […] ». 19
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Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David
le point de vue asserté en 1 S 18,17 n’est pas celui du vrai Saül, mais en partie celui de David 23. Mais comme on le sait, les guerres d’Adonaï auxquelles le roi veut ainsi inciter son rival renferment au fond un guet-apens que le narrateur s’empresse de signaler par un discours intérieur rapporté de Saül ; ce qui confère de fait une position supérieure au lecteur par rapport à David. Il est clair que Saül essaie de manipuler David, de lui mentir, puisque, comme l’affirme Alter, « lorsqu’il s’agit d’un monologue intérieur, nous entrons dans le domaine d’une relative certitude quant à ce qui anime le personnage. »24 La question qui se pose par conséquent est de savoir quelle sera l’attitude de David : va-t-il mordre à l’hameçon ou non ? En tout cas, le fils de Jessé a déjà assez montré sa vaillance25 jusque-là. Ses succès évoqués en 18,5,13,16 n’en constituent-ils pas une preuve convaincante ? À moins que le roi n’invite à comprendre la condition dont il assortit l’offre de la main de sa fille comme un encouragement adressé à David, pour qu’il continue dans le sens de la bravoure démontrée jusqu’alors. Toutefois la particule ַאְךsuggère qu’il s’agit plutôt d’une condition. Le fils de Jessé répond par une question rhétorique qui confesse son indignité face à l’honneur que le roi veut lui faire en lui proposant de devenir son gendre. La réponse semble diplomatique, comme l’affirme Alter26, et David y exprime la perspective de la relation d’alliance que cela instaurerait surtout entre le roi et lui. Sans transition aucune, le narrateur rapporte que « Au moment de donner Mérav, fille de Saül, à David, elle avait été donnée à Adriel le Méholatite pour femme » (v. 18). Aucune raison n’est fournie par le texte pour justifier ce revirement de dernière minute, laissant ainsi le lecteur à luimême avec un certain nombre de questions sans qu’il lui soit possible de répondre définitivement. Saül a-t-il finalement compris la question rhétorique de David comme un refus ? Les mots du narrateur laissent pourtant sousentendre qu’un délai avait été fixé pour la concrétisation de l’offre. Alors que s’est-il passé pour que les choses n’aillent pas jusqu’au bout ? D’où sort cet « Adriel le Méholatite » dont il n’a jamais été question jusque-là ? Quel avantage présente-t-il par rapport à David ? D’ailleurs faut-il même imputer à Saül cette volte-face de dernière minute, vu le tour passif de la phrase ( נתןau Niphal), sans complément d’agent explicité ? Néanmoins un point reste ferme : l’intention de départ du roi n’était pas de donner sa fille à David et 23
WÉNIN, « Marques linguistiques », p. 324. ALTER, L’art du récit biblique, p. 160. 25 HERTZBERG, I & II Samuel, p. 160, estime par contre que le succès de David en 1 S 17 pourrait paraître finalement un coup de chance tandis que le roi veut donner sa fille à un guerrier expérimenté. D’où la demande de vaillance. 26 Voir ALTER, The David Story, p. 115 ; en ce sens, il y a aussi HERTZBERG, I & II Samuel, p. 160, n. 17 ; CAQUOT /DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 223, n. 21 ; WÉNIN, « Marques linguistiques », p. 325. 24
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c’est probablement de ce côté qu’il faut chercher les causes qui ont interrompu le processus. En fin de compte, Mérav est un simple figurant dans cette scène. À part le fait d’être la fille aînée du roi, le lecteur n’apprend rien d’elle. Elle n’agit pas, ne parle pas. Elle n’est introduite que parce que son père a l’idée de l’utiliser pour éliminer David. Que pense-t-elle elle-même de la situation ? Est-elle même au courant que son père a entrepris des démarches pour la donner en mariage ? Est-elle aussi gagnée par la ferveur populaire qui règne au sujet de David ? Rien de tout cela n’affleure dans le récit qui, en définitive, reste bien laconique et assez général. De toute façon, on y apprend plus sur Saül, pour qui tous les moyens semblent bons pour se débarrasser de David, que sur sa fille en tant que telle. En outre, comparée à la scène avec Mikal qui poursuit sur le même thème, celle de Mérav, bien peu élaborée, apparaît plutôt comme une scène préparatoire, une sorte de mise en appétit, d’introduction. Qu’estce que cela implique en termes d’interprétation par rapport aux deux sœurs ? Pour avoir quelques éléments de réponse, il paraît d’abord indiqué d’analyser la scène qui signe l’entrée en matière de Mikal dans sa relation avec Saül et David.
C. Le mariage de Mikal : 1 S 18,20–29 5. C. Le mariage de Mikal : 1 S 18,20–29
Le personnage de Mikal arrive sur scène à la faveur d’un sentiment qu’elle éprouve : « Et Mikal, fille de Saül, aima David et on en informa son père et la chose fut droite à ses yeux » (v. 20). Ainsi, définie comme fille de Saül, elle est sujet du verbe אהב. Cela signale déjà une grande différence avec sa sœur aînée. Pour le lecteur, c’est la nième fois que quelqu’un est dit aimer David dans ce récit. Et après Jonathan en 18,1.3, Mikal est la deuxième personne de la famille de Saül à entrer dans une relation qualifiée d’amour vis-à-vis de David. À vrai dire, en cela, elle imite non seulement son frère, mais aussi son père, le premier dont il est dit qu’il aime David en 1 S 16,21. Le cas de Mikal est cependant d’autant plus intéressant qu’aux dires d’Alter27, « il s’agit de l’unique référence, dans l’ensemble du récit biblique, à l’amour d’une femme pour un homme ». En rapportant que « Mikal, fille de Saül, aima David », le narrateur ne spécifie pas de raison, mais le contexte littéraire immédiat autorise à penser que Mikal est peut-être aussi gagnée par le charme du vainqueur de Goliath 28. Ses 27
L’art du récit, p. 163 ; voir aussi The David Story, p. 115. Ainsi aussi A. KUYPER, « Michal », dans CLINES/ESKENAZI (éd.), Telling Queen Michal, p. 224 : « Michal had been deeply impressed by the young man who had killed the giant Goliath ». En revanche nous ne partageons pas le point de vue de Kuyper quand il affirme peu avant que Mikal était caractérisée par « son désir de prestige », car cela va au28
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sentiments pour David comme tels ne sont pas décrits, mais apparemment ils font l’objet d’une rumeur qui parvient ensuite à Saül. Qu’il s’agisse de rumeur se laisse déduire de l’anonymat des gens qui informent le roi. En ce sens, la troisième personne du pluriel, יַּגִּדוּ, peut bien être rendu par « on » : « on informa […] » ou « on rapporta […] ». Ce qui est certain c’est que lorsque Saül est mis au courant, l’affaire paraît droite à ses yeux. Le verbe ישׁר utilisé ici en association avec l’expression « à ses yeux » ( ) ְבּעֵינָ ֽיוsignifie « plaire à ». C’est dire que Saül salue les sentiments de sa fille pour David, pour la nouvelle occasion que cela lui offre de piéger David et de le faire tomber aux mains des Philistins. Comme au v. 17b, le narrateur fait appel à un monologue intérieur pour révéler au lecteur ce que Saül mijote dans son for intérieur. Mais cette fois-ci l’inside view est exposé avant la démarche auprès de David ; il est introduit par le même verbe dicendi אמרau wayyiqtol cependant, et sans préposition ni destinataire explicité. Il apparaît, dans ses propres termes, que Saül veut utiliser sa fille comme « piège » ()מוֹ ֵק שׁ. Cela dit, le narrateur reprend rapidement la parole pour signaler le nombre de fois que Saül avait proposé à David de devenir son gendre. Il ressort alors que c’est deux fois ou en deux occasions 29. Le verbe חתןtraduit par « devenir gendre » est celui-là même qu’emploie David au v. 18, sauf que dans le cas présent il est de Saül qui, vraisemblablement choisit de formuler son offre selon le point de vue même de David, c’est-à-dire d’après l’aspect de la relation qui semble attirer celui-ci, la relation au roi. Par ailleurs faut-il comprendre les « deux fois » ou « en deux occasions » en référence aux pourparlers en deux temps que Saül est amené à entreprendre immédiatement après avec David ou faut-il y lire une allusion visant à prendre en compte la proposition de mariage de chacune des deux filles ? Pour A. Wénin, « l’expression “en deux fois” (שׁ ַתּי ִם ְ ) ִבּannonce en effet les deux discours que Saül va adresser ensuite à David par serviteurs interposés aux vv. 22–23a et 25–26a »30, assumant de la sorte une fonction proleptique. Aux dires d’A. Caquot et Ph. de Robert31, ce serait plutôt une anticipation des deux cents prépuces au lieu des cent que David va ramener à Saül. Mais selon Alter, c’est « par la seconde »32, entendu comme à travers la deuxième fille ou la deuxième condition ou encore pour la deuxième raison. Comme on le constate, plusieurs interprétations sont possibles. De notre point de vue, le contexte oriente plus à penser que le narrateur essaie ici de récapituler les delà de ce que le texte laisse entendre ; W. EWING/J. E. H. THOMSON, « Michal », dans CLINES/ESKENAZI (éd.), Telling Queen Michal, p. 175 : « She loved David, attracted no doubt by the heroism and chivalry of the young soldier (18:20), […] ». 29 La traduction du mot שׁ ַתּי ִם ְ ִבּpose problème, comme cela a déjà été souligné (cf. n. 4). 30 WÉNIN, « Marques linguistiques », pp. 326–327. 31 CAQUOT – DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 224. Ceux-ci traduisent d’ailleurs שׁ ַתּי ִם ְ ִבּpar « au prix du double ». 32 ALTER, The David Story, p. 116 : « Through the second one ».
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deux offres de mariage que Saül fait à David : celle de Mérav et celle maintenant de Mikal33. Pour proposer la main de Mikal à David, le roi change d’ailleurs de tactique : il ne s’adresse plus lui-même directement à David, il ordonne à ses serviteurs de le faire en feignant d’en assumer eux seuls toute l’initiative. C’est ce qu’est censé véhiculer l’expression ַבּלָּט. D’après Fokkelman34, en effet, Saül impose à ses serviteurs de parler discrètement à David sans laisser ce dernier deviner l’origine de leurs propos. Ils doivent se faire passer pour de simples relais d’une opinion commune de la cour et inciter David à convoler en justes noces avec la fille du roi. Si Saül s’avise de dissimuler de la sorte son jeu à David, c’est probablement en raison de ce qui s’est passé avec Mérav35. Il craint peut-être que sa parole n’ait plus de crédit suite au revirement de dernière minute enregistré au v. 19. La ligne argumentative que les serviteurs sont sommés de faire valoir est celle de l’affection du roi pour David et de l’amour de ses serviteurs également pour lui. Deux verbes différents « plaire à » ( )חפץ בet « aimer » ( )אהבsont employés pour qualifier respectivement cette affection de Saül et l’amour de ses serviteurs pour David. Est-ce par simple goût de varier le vocabulaire ou est-ce pour induire une différence de nature ou de qualité de la relation à David ? Sans entrer dans les détails, ces verbes semblent choisis en vue d’attirer l’attention du fils de Jessé sur le fait que tout le monde lui veut du bien et ainsi sans doute contribuer à bien dissimuler le piège qu’on veut lui tendre. Néanmoins cela rejoint et ressasse une des thématiques majeures de 1 S 18, celle d’un David aimé. Curieusement, l’argumentaire ne fait pas fond sur l’amour de Mikal qui, pourtant a fourni au roi l’occasion inespérée de monter toute cette stratégie. Or, dans un cadre de négociations pour mariage cela aurait paru plus pertinent. Est-ce à dire qu’aux yeux de Saül l’amour de sa fille n’est pas à prendre au sérieux36 ? Peut-être aussi le roi n’estime-t-il pas finalement cet amour si déterminant que ça pour David ? À moins que cette omission ne soit à lire comme une faille du plan dans sa conception même ? Quoi qu’il en soit, les serviteurs parlent à David comme commandé. Ontils connaissance du piège que constitue leur démarche ? Rien ne transparaît à ce sujet. L’accomplissement même de leur mission est énoncé sur le mode du 33
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le narrateur donne l’impression d’avoir conscience de ce qu’il a déjà raconté. On en trouve des traces aussi en 1 S 17,15. Mais cela ne signifie pas que c’est le cas tout au long du récit. On éprouve parfois également des difficultés à concilier des informations livrées dans certains passages avec d’autres qui précèdent (cf. 1 S 17,55–58 et 17,15 ou 16,19–23). 34 Voir à ce sujet FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 237. 35 Voir WÉNIN, « Marques linguistiques », p. 327. 36 Pour EXUM, « Murder They Wrote », p. 182 : « From Saul’s perspective, Michal’s love for David may be convenient but otherwise largely gratuitous. I think it is largely gratuitous from David’s perspective as well ».
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discours narrativisé. Seule est donnée d’entendre en discours direct la réaction de David. En substance, celui-ci a la même réaction que celle qu’il eut quand il lui était offert d’épouser Mérav. Il considère le statut de gendre du roi comme relevant d’un grand honneur, honneur qu’il juge en contraste saisissant, voire en contradiction avec son humble situation sociale. D. Edelman prend acte de cette réaction pour développer l’hypothèse selon laquelle le mariage avorté avec Mérav relèverait du refus même de David37. Toutefois il faut reconnaître que c’est loin d’être clair et que le contexte littéraire est plus complexe ; il laisse planer une pesante ambiguïté sur le pourquoi du don inabouti de Mérav à David. À première vue, on serait porté à lire de la même façon qu’Edelman, du fait que le don de Mérav à Adriel est énoncé après la réaction rapportée de David. Mais la tournure « et au moment de donner Mérav, fille de Saül, à David, elle avait été donnée à Adriel le Méholatite » suspend cette lecture et implique qu’un accord avait été atteint entre Saül et David, et même qu’un délai avait été fixé pour conclure l’affaire. De plus la condition que Saül demande à David de remplir est après tout générale, car être vaillant et combattre les guerres d’Adonaï est une mission qui n’est pas circonscrite dans le temps et peut dès lors s’étendre sur toute une vie. C’est loin par conséquent d’être une dot à fournir en un temps donné. Il faut dire aussi que comme il n’a pas fixé et encore moins reçu de David une dot précise, Saül ne semble pas tenu légalement de donner sa fille 38 ; il se dédit39, laissant de lui l’impression d’un personnage qui ne va pas jusqu’au bout de ses engagements, donc d’un personnage non fiable, caractérisation qu’il n’est pas faux de considérer, entre autres choses, comme un des objectifs de l’épisode. Dans le cas de Mikal en revanche la situation se présente autrement. À la réaction de David qui lui est rapportée dans un discours narrativisé, le roi dit ne pas désirer de dot si ce n’est cent prépuces de Philistins ; pour le venger de ses ennemis, ajoute-t-il. Le contenu de ce désir est en soi des plus rocambolesques, mais il est cohérent avec l’objectif apparent que le roi lui assigne. Il n’est cependant plus question de vaillance à montrer en combattant les guerres d’Adonaï comme au v. 17, mais le calcul politique de Saül reste intact : le roi pense ainsi pouvoir faire tomber David entre les mains des Philis37
EDELMAN, King Saul, p. 140 : « The narrative audience is thereby led to suspect it was David, not Saul, who broke the first marriage agreement. Confirmation of the suspicion follows immediately in v. 23b, where David confides to his fellow courtiers that his primary obstacle to accepting Michal’s hand is the bride-price (’ānôkî ’îš-rāš). » En outre la suggestion de M. SAMUEL, « Three Wives », dans CLINES/ESKENAZI (éd.), Telling Queen Michal, p. 272, pour dire que c’est Mikal qui a empêché le mariage de sa sœur aînée ne trouve pas d’appui dans le texte. 38 Voir CLINES, « Michal Observed », pp. 30–31. 39 Même si l’agent du don n’est pas énoncé, il reste que c’est la prérogative du père de donner sa fille en mariage.
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tins. L’ironie du sort sera que l’inverse se produira plus tard, à savoir qu’au lieu que les Philistins tuent David, ils livrent la bataille au cours de laquelle Saül se verra contraint de se donner la mort (1 S 31), mais n’anticipons pas. En formulant sa réaction assertée au v. 25, le roi montre qu’il a compris la réserve de David comme faisant état d’un manque de moyens pour satisfaire à la dot. De fait, l’objection de David n’est pas nouvelle pour Saül qui a eu droit à quelque chose de similaire au v. 18. Du coup, il est légitime de se demander pourquoi il ne l’a pas anticipée, d’autant plus que, depuis les mots prononcés en 1 S 18,18, il donne l’impression de s’exprimer selon la perspective de David, notamment par l’usage répété du verbe חתן. Cela aurait pu l’inciter à pourvoir ses serviteurs d’une réponse déjà prête de manière à préserver de tout risque le caractère discret de leur mission. En effet, on constate que ceux-ci, après la réaction de David, doivent recontacter Saül pour savoir quoi répondre (v. 24–26). Ce temps de latence entre objection et réponse, même s’il a un effet dramatique de suspense pour le lecteur, peut produire, sur le plan purement stratégique entre les personnages, l’effet pervers de ruiner la discrétion de la mission exigée par le roi lui-même, et permettre finalement à David de lire dans le jeu des serviteurs et de réaliser que quelqu’un d’autre se cache derrière eux. Certes, le texte ne problématise pas explicitement cet aspect, néanmoins il laisse planer le doute sur ce que David devine de la situation40. Celui-ci n’a-t-il pas en effet un comportement qui donne à penser qu’il a conscience de traiter avec la personne même du roi par messagers interposés ? En tout cas, la réactivité avec laquelle il remplit, audelà même du requis, les termes du contrat révèle à tout le moins qu’il a la conviction que les dires des serviteurs correspondent au désir du roi. Il n’est donc pas invraisemblable qu’il ait entrevu la main derrière les marionnettes. Peut-être bien que Saül lui est aussi transparent que le narrateur le rend au lecteur 41 ! Quoi qu’il en soit, ce n’est certainement pas une coïncidence si son acquiescement au type de dot proposé est exprimé dans des termes qui reprennent mot pour mot la réaction de Saül lorsqu’il apprend que Mikal aime David. Ainsi, aux yeux de Saül comme à ceux de David, l’affaire paraît droite, même si cette prise de conscience survient chez l’un et l’autre en une temporalité narrative différente42. Une sorte d’inclusion unit de cette façon le début et la fin des négociations pour le mariage de Mikal. Le futur beau-père et le gendre pressenti semblent se rejoindre sur la même longueur d’onde, du moins sur le plan de l’intérêt, puisque chacun trouve son compte dans 40 Pour ALTER, L’art du récit, p. 162, cela constitue une des clefs d’interprétation que le texte se garde de livrer. 41 Ibid., p. 162 ; voir aussi WÉNIN, « Marques linguistiques », p. 333 : « comme pour le lecteur, Saül est à nu aux yeux de David ». 42 Voir le v. 20b, שׁר ַה ָדּבָר ְבּעֵינ ָיו ַ ִ ַויּ, pour Saül et, v. 26b, שׁר ַה ָדּבָר ְבּעֵינ ֵי ָדוִד ַ ִ ַויּ, pour David.
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l’affaire. Quant aux raisons personnelles qui fondent cet intérêt, elles divergent. Si dans le cas de Saül, il est clair que c’est en vertu de l’opportunité qui lui est encore offerte de pouvoir éliminer David, pour ce dernier, en revanche, aucun motif clair n’est pas rapporté. Car, comme le souligne A. Wénin, l’infinitif construit להתחתןest marqué d’ambivalence43 en ce sens qu’il peut exprimer soit une finalité ou simplement remplir une fonction explicitative. En d’autres termes, cela peut signifier que David trouve juste le marché proposé en vue de devenir gendre du roi ou qu’il estime droit le fait même de devenir gendre du roi. Les deux lectures sont donc autorisées par le contexte, laissant planer comme une indétermination par rapport aux motivations profondes de David. Ce n’est d’ailleurs pas le seul cas où un voile couvre ainsi l’intériorité du personnage David, à l’opposé de son rival Saül complètement transparent en 1 S 18. R. Alter44 a brillamment mis en lumière combien ce fait massif ressortit, au fond, à une technique de caractérisation adoptée par le narrateur vis-à-vis de David, ce qui revient à « suggérer la complexité du personnage, en sa double dimension d’homme public et de personne privée ». Ce qui est sûr, c’est que dès que le fils de Jessé consent au marché proposé, le plus important semble joué, du point de vue du narrateur. Cela se note au rythme du récit qui soudain s’accélère : alors qu’un peu plus de quatre versets sont consacrés à rendre compte des tractations et de leur aboutissement, l’attaque contre les Philistins, la mise à mort de deux cents d’entre eux, le retour avec leurs prépuces, la remise de ceux-ci à Saül, bref, toute cette séquence d’actions qui, dans la réalité, demandent beaucoup plus de temps, sont narrées en un verset et demi. Le rapport temps raconté/temps racontant est à l’évidence des plus disproportionnés. C’est à croire que le narrateur essaie de reproduire, dans et à travers le débit de la narration même, la rapidité qui est celle de David lorsqu’il entreprend de ramener la dot réclamée. À cet effet, la relation de la quête de la dot commence par une indication temporelle significative : « Et avant que le délai ne soit écoulé… » (v. 26c). En toute vraisemblance, un temps a été fixé par le roi et David prend sur lui d’anticiper sur ce délai, peut-être pour éviter que les événements ne connaissent la même issue que celle du projet de mariage avec Mérav. On se rappelle que c’est au moment de donner Mérav qu’elle avait été donnée à Adriel de Méhola. Dans le cas de Mikal, le fils de Jessé estime sans doute qu’il y a lieu d’agir vite et c’est ce qu’il fait. Selon A. Wénin, cela est révélateur du personnage David : « dès qu’il a vu où est son intérêt et comment il peut le 43
« Marques linguistiques », p. 329. ALTER, L’art du récit, p. 161. Sur tout le thème de la caractérisation opaque de David, voir les pp. 161–164. Il faut dire que POLZIN aussi en parle dans Samuel and the Deuteronomist, pp. 177–178. À ce propos il déclare en effet à la p. 178 : « In contrast to others in the chapter, David’s inner life and motivation are almost completely hidden. […] Chapter 18 tells us a lot about Saul’s inner life, but almost nothing about his rival’s ». 44
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réaliser, il se montre décidé, expéditif et efficace jusqu’à ce qu’il arrive à ses fins »45, ce qui, de notre point de vue, n’est pas forcément négatif. Car la promptitude à l’action de David, ajoutée aux deux cents prépuces qu’il ramène au lieu des cent explicitement demandés, vise plutôt à vanter ses éminentes qualités de guerrier, dans la ligne de la caractérisation qui est faite de lui jusqu’ici (cf. 1 S 18,5.12–16) et qui en sort renforcée. Ces qualités de guerrier avaient été déjà suggérées en 1 S 16,18 où un garçon du roi le décrivait sous les traits de quelqu’un qui sait jouer d’un instrument de musique, qui est vaillant, homme de guerre, beau, intelligent en parole et qui jouit de la faveur d’Adonaï. Manifestement 1 S 18 s’emploie à étayer et à illustrer ces qualités. Dans cette ligne d’interprétation, on peut remarquer que ses aptitudes musicales sont évoquées en 18,10–11, puis plus tard en 19,9–10, et ses exploits militaires en 18,5.7.13–15.27.30. Le thème de la faveur d’Adonaï dont il jouit se lit aussi aux v. 12, 14 et 28, établissant de fait un parallélisme entre David et Joseph, un personnage que le livre de la Genèse dépeint essentiellement comme quelqu’un qui a la faveur du Dieu d’Israël (Gn 39) 46. Il me semble qu’on peut aussi légitimement interpréter les réponses diplomatiques que David adresse à Saül ou aux serviteurs de celui-ci, sous forme de questions rhétoriques (v. 18 et 23), comme des exemples pertinents de son intelligence en parole ()נ ְבוֹן ָדּבָר. Ainsi, quand bien même un mariage avec une princesse paraît un atout susceptible de lui donner un statut social de prestige, voire de promouvoir son accessibilité au trône d’Israël, David ne se montre pas pressé de se jeter sur l’offre permettant d’engranger ces résultats. Il considère d’abord l’ordre social en termes de statut de classe qui risque d’être transgressé, jouant peut-être, comme le suppose finement Alter, à ne pas éveiller les soupçons du roi jaloux 47. Même si c’était le cas, cela signifierait qu’il sait calibrer ses paroles en fonction de la situation. Sur le plan apparent du moins, il exprime sa lucidité sur sa place et son rang social face au roi. Vu sous cet angle, il devient alors intéressant qu’il mette surtout en avant l’axe de la relation de gendre à beau-père avec le roi, avec pour conséquence d’occulter celui de la relation de mari à femme avec Mikal. Cela peut être une manière de suggérer déjà la primauté du statut royal, statut qui confère ensuite sa valeur à tout ce qui en découle. Autrement dit, c’est avant tout parce que Mérav ou Mikal sont filles de roi que les épouser devient quelque chose de spécial. D’où peut-être l’insistance du texte qui ne cesse de nommer Mikal « fille de Saül » ou « sa fille ». Il en ressort l’impression que David tient en très haute considération l’institution royale comme telle, impression qui sera confirmée par 1 S 24 et 26. 45
« Marques linguistiques », p. 330. Dans cette perspective, ALTER, L’art du récit, p. 161, affirme que 1 S 18 fait probablement écho à Gn 39. 47 Voir The David Story, p. 115. 46
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Le dernier trait énuméré en 1 S 16,18 et dont nous n’avons pas encore fait cas concerne l’aspect physique de David () ִאישׁ תּ ֹאַר. Cet aspect n’est pas explicitement thématisé en 1 S 18. Cependant il est tout à fait raisonnable de supposer qu’il n’est pas sans rapport avec l’adulation populaire dont David est l’objet, et avec le fait que Mikal tombe amoureuse de lui. Ce qui est certain, c’est que, ainsi que l’affirme Alter, la réticence du narrateur à dire pourquoi la fille de Saül aime David, pousse d’une certaine manière le lecteur à des conjectures sur les causes de ce sentiment 48. Quel que soit ce qui éveille l’amour de Mikal pour David, son père la lui donne finalement pour femme (v. 27). David réussit en effet à remplir sa part de contrat en rapportant au roi le double de la dot demandée. Et Saül, contraint de constater que son calcul meurtrier n’a pas fonctionné, donne sa fille. L’ironie de la situation est à son comble, car le roi semble pris à son jeu : non seulement il n’a pas pu se débarrasser de David, mais encore il l’a hissé au statut de beau-fils du roi, l’intégrant davantage dans sa famille. Il ne reste plus à Saül qu’à tirer les leçons de la situation qu’il vient de créer, tâche à laquelle il souscrit et que le narrateur rapporte comme suit : « Saül vit et il sut qu’Adonaï était avec David ». En d’autres termes le roi parvient enfin à la compréhension théologique 49 des succès qui émaillent l’itinéraire de David. Il découvre la clef de ce qui rend le fils de Jessé aussi invulnérable. En cela, il rejoint le lecteur qui est au courant depuis longtemps de l’implication divine aux côtés de David. Il rejoint peut-être aussi David dont le point de vue semble reflété au v. 14, selon A. Wénin50. De cette manière le mariage de Mikal avec David – et tout ce qui y a conduit – se donne à lire comme l’occasion qui permet à Saül, sur le plan de l’histoire, de réaliser qu’Adonaï est avec David et partant, qu’il n’y a pas de doute sur le fait que celui-ci est le successeur idéal dont Samuel a parlé (1 S 13,14 ; 15,28). On peut donc relire rétrospectivement les propos intérieurs de Saül rapportés en 1 S 18,8 comme marquant seulement l’éveil des soupçons du roi concernant son successeur potentiel. Certes, dès le lendemain, dit le récit (v. 10), le roi s’attaque à David. Mais il le fait sous l’emprise et sur provocation, pourrait-on dire, de l’esprit du mal de Dieu. Son intuition, consécutive au chant de victoire des femmes (18,7), l’alerte sur le fait que David constitue un danger pour son trône, mais il n’en a pas encore une certitude suffisante. Cette certitude va peu à peu s’installer et croître en même temps que la peur et la crainte qui l’envahissent face aux succès de David. La gradation dans la peur est soigneusement signalée par le narrateur : au v. 12, Saül a simplement peur de David (שׁאוּל ִמ ִלּ ְפנֵי ָדוִד ָ ) ַויּ ִָרא, au v. 15, il le craint ( ) ַויָּגָר ִמ ָפּנָיוet enfin au v. 29, 48
L’art du récit, p. 163. Quant à l’intention théologique de tout le chapitre, voir BRUEGGEMANN, « Narrative Coherence and Theological Intentionality in 1 Samuel 18 », pp. 225–243. 50 WÉNIN, « Marques linguistiques », p. 322. 49
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sa peur est renforcée (שׁאוּל לֵר ֹא ִמ ְפּנֵי ָדוִד עוֹד ָ )וַיּ ֹא ֶסף. Il est à noter également une évolution considérable dans son vécu relationnel : au v. 9, il regarde de travers ou d’un œil jaloux ou oblique, – la forme Qérê עוֹי ֵןdu participe peut revêtir tous ces sens. À la fin de 1 S 18, au v. 29 le participe actif Qal du verbe איבindique qu’il prend David en inimitié « tous les jours ». L’agressivité dans sa relation à David s’est donc accrue. On comprend dès lors qu’en 1 S 19,1 il veut en faire une affaire d’État. Sur un autre plan, la compréhension théologique que Saül acquiert des succès de David à l’occasion du mariage de Mikal dramatise en finale cet épisode comme s’il relevait d’une intrigue de découverte51 superposée à une intrigue de résolution. Car au départ, il s’agit en fait pour le roi d’éliminer en douce David, par la main des Philistins52. Une fois cet objectif explicité, le programme narratif de l’intrigue de cet épisode se trouve donné, la question étant de savoir s’il se réalisera ou non. Un moment de complication s’observe quand David exprime sa réserve à l’invitation qui lui est faite. Le roi suggère alors une solution qui rencontre l’assentiment de David. Dès cette étape, l’intrigue connaît une accélération et se dénoue lorsque le fils de Jessé tue les Philistins et rapporte le double des prépuces demandés. Ainsi le calcul machiavélique de Saül est mis en échec, fournissant par la même occasion la réponse à la question liée à l’objectif de départ affiché par le roi. Du coup, ce dernier se voit contraint d’honorer un engagement qu’il a effectivement pris au début mais qui, en réalité, ne représentait à ses yeux qu’un moyen au service d’un objectif principal : éliminer David. Il donne par conséquent sa fille à David, ce qui clôt l’intrigue de résolution. Toutefois, la péripétie de cette intrigue, c’est-à-dire la manière dont elle se résout permet à Saül non seulement de voir que son plan n’a pas marché, mais aussi de progresser en connaissance et de comprendre une vérité dont il n’avait pas encore vraiment pris conscience, à savoir qu’Adonaï est avec David. Cela est suggéré au v. 28, début de ce qu’on peut considérer comme l’épilogue dont le v. 30 marque la fin. Ce gain de connaissance de Saül, pour ainsi dire, amène à se poser la question de savoir si, parallèlement à la problématique de départ, l’enjeu n’est pas non plus que le roi vienne à connaître l’identité de celui que Dieu destine à sa succession. Auquel cas il y aurait comme une dimension de révélation adjointe à cette intrigue qui est d’abord de résolution. Après avoir énoncé ce que Saül perçoit et comprend de la situation, le narrateur souligne à nouveau que Mikal, fille de Saül, aime David (v. 28b). Il s’agit là d’un rappel inclusif de l’information donnée au v. 20. Mais en même temps, le fait de revenir sur l’amour de Mikal juste avant le v. 29 qui mentionne un sentiment de peur renforcé en Saül, sentiment qui donne lieu à 51
Au sens où il apparaît que Saül découvre finalement qu’Adonaï est avec David. David recourra lui aussi, avec succès d’ailleurs, à une stratégie semblable pour se débarrasser de Urie le Hittite en 2 S 11. 52
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une inimitié pérenne à l’encontre de David, produit un puissant contraste entre la fille et le père dans leurs rapports respectifs au fils de Jessé. Il est d’ailleurs frappant que, dans un récit où on répète à l’envi que David est aimé (1 S 18,1.3.16.20.22.28), rien n’est dit sur les sentiments que ce dernier pourrait nourrir en retour. Il apparaît ainsi que ce qui importe dans le récit, c’est principalement de montrer comment un certain nombre de personnages aiment David, comme si le fait d’être aimé servait à prouver sa valeur intrinsèque. À moins que l’affirmation unilatérale des sentiments pour David en 1 S 18, surtout en ce qui concerne Jonathan et Mikal, ne soit à rapporter au phénomène littéraire que Susan Ackerman 53 identifie dans divers récits bibliques et qui consiste à ne mentionner que l’amour de celui qui, dans la relation, occupe socialement le rang élevé. Ce qui ne signifie pas que le partenaire en rang moins élevé n’aime pas. En tout cas, d’aucuns 54 seraient disposés à interpréter le double prix que David ramène en dot comme le signe d’un amour partagé pour Mikal. Toutefois la mise en avant de sa relation avec Saül, suggérée par l’emploi répétitif du verbe חתןsuscite des doutes raisonnables par rapport à l’accréditation de cette thèse. Il apparaît en effet dès le v. 18, comme déjà souligné plus haut, que pour David, ce qui compte avant tout c’est d’être le gendre du roi. Cela a pour résultat de mettre sa relation à la fille du roi entre parenthèses ou tout au moins de la réduire au rang de simple moyen. Dans le fond, toute la scène relatée dans les v. 20–28 présente l’avènement de l’amour de Mikal comme une opportunité à exploiter tant par Saül que par David en vue d’atteindre leurs objectifs personnels. La preuve en est l’absence de la mention du nom de Mikal ou de celle de son amour dans les discussions qui ont lieu par serviteurs interposés entre Saül et David. La nouvelle de son amour ne fournit en réalité que le prétexte de la reprise d’une confrontation qui, manifestement, n’attendait plus que cela. En témoigne la réflexion intérieure de Saül au v. 21, qui fixe le cap de l’action dramatique déployée par la suite. Le roi y assigne à sa fille le rôle de « piège » ()מוֹ ֵק שׁ mortel tendu à David. Néanmoins on peut se demander si la dynamique de la stratégie mise en place ne campe pas Mikal plutôt dans un rôle d’appât, dans la mesure où son père se sert de la perspective d’un mariage avec elle pour tenter de mettre David en péril, face aux Philistins. Si tel est le cas, elle se voit attribuer le même rôle que celui précédemment dévolu à sa sœur aînée Mérav, avec la particularité cependant que l’épreuve à franchir est plus ci53
ACKERMAN, « The Personal is Political », pp. 437–458. Selon l’auteur l’amour de Mikal pour David est affirmé parce que Mikal, dans le contexte, a un rang social plus élevé que celui de David. 54 Ainsi par exemple EWING/THOMSON, « Michal », p. 175 : « She loved David, […], a love reciprocated, if we may judge from the liberal fashion in which the strange dowry was provided (vv. 25ff.) ».
5. C. Le mariage de Mikal : 1 S 18,20–29
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blée. La demande de cent prépuces de Philistins s’avère en effet plus circonscrite que celle d’être vaillant et de combattre les guerres d’Adonaï. On peut noter aussi que contrairement à Mérav qui semble passive au point de donner l’impression d’être une victime gratuite des machinations des hommes, Mikal au moins éprouve un sentiment, lequel fournit le point de départ de la scène qui l’implique. De ce point de vue, elle se positionne comme un personnage capable d’influencer les événements et de donner voix à sa subjectivité. La preuve en est la rumeur qui se développe autour de sa passion amoureuse pour David55, ce qui aboutit au mariage. Examiné sous cet angle, l’amour de Mikal paraît couronné de succès, même si d’autres facteurs semblent avoir été plus déterminants dans les actions successives qui ont conduit à ce résultat. La perspective théologique du récit en 1 S 18, qui désigne la faveur divine comme étant la cause des succès de David, n’invite-telle pas à lire l’amour de la princesse, né dans le même sillage, comme un des effets positifs de la grâce d’Adonaï ? Pourtant le contexte politique dans lequel cet amour éclôt laisse planer de sombres nuages sur son épanouissement futur. Le drame de Mikal c’est d’être fille de Saül et d’aimer David, c’est-à-dire de tomber amoureuse de l’ennemi de son père. La rivalité politique entre ce dernier et celui qui sera son mari laisse présager des tensions ou tiraillements futurs que Mikal pourrait vivre. En ce sens, le ton est donné par la façon dont Saül et David instrumentalisent l’amour de Mikal. Son sentiment n’est pas pris en considération pour luimême, mais est subordonné aux ambitions politiques de son père et de David. C’est donc un amour piégé dès le départ, une affaire privée qui détonne dans le contexte d’ambitions politiques conflictuelles. En ce sens, J. C. Exum a raison de dire que « déjà le texte perpétue un stéréotype familier : les hommes sont motivés par l’ambition, tandis que les femmes répondent à un niveau personnel »56. Ce qui importe après tout dans le récit ce sont les passes d’armes politiques entre Saül et David. Cela explique sans doute le choix du narrateur de ne rapporter en discours direct que ce que l’un envoie dire à l’autre et vice versa. On notera aussi l’intérêt porté dans les tout derniers versets sur les sentiments de peur croissante et d’inimitié pérenne de Saül contre David et la popularité grandissante de ce dernier au gré de ses succès guerriers. Pour conclure, on peut relever que l’offre en mariage, au même homme, de Mérav et Mikal, sœurs57 aînée et cadette, crée un parallèle entre elles et deux 55
SAMUEL, « Three Wives », p. 274, estime que « Michal must have spoken of her love, for her father learned of it ». Mais en réalité il s’agit d’une conjecture puisque le récit n’en dit rien. 56 EXUM, « Murder They Wrote », p. 182 : « Already the text perpetuates a familiar stereotype : men are motivated by ambition, whereas women respond on a personal level ». 57 BODI, The Michal Affair, p. 2, trouve un précédent historique significatif à cela dans les archives royales de Mari où le roi Zimri-Lim donne ses deux filles au même homme en
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autres personnages bibliques, sœurs elles aussi, Léa et Rachel, données en mariage à Jacob. Outre le motif de deux sœurs impliquées dans une transaction matrimoniale en faveur du même homme, d’autres motifs littéraires tels que la ruse, la tromperie et l’amour viennent renforcer ce parallélisme, à la différence cependant que si Jacob épouse Léa et Rachel après le versement d’une double dot, David, lui, n’épouse que Mikal, même s’il paie le double de la dot exigée. Ces particularités déterminent l’identité propre de chacun de ces récits tout en les plaçant dans un jeu littéraire d’écho qui, en conséquence, rapproche David de Jacob58 et Saül de Laban59. Cela construit Mikal mutatis mutandis dans un rapport analogique à Rachel, rapport qui sera étoffé au fil du récit par d’autres touches allusives. On comprend dès lors davantage que la brève scène sur Mérav assume la fonction de scène préparatoire à celle plus élaborée de Mikal qui pour finir devient l’épouse de David.
D. Mikal et l’esprit divin aident David (1 S 19,8–17 et 19,18–24) 5. D. Mikal et l’esprit divin aident David
1. Mikal aide David : 1 S 19,8–17 La scène de 1 S 18,20–30 s’achevait sur une note qui évoque les multiples succès de David contre les Philistins aux dépens des autres serviteurs de Saül, avec pour effet d’accroître la notoriété de David. Celle qui s’ouvre en 1 S 19,8, après la réconciliation obtenue par Jonathan entre David et son père (19,1–7), évoque aussi un décor de guerre contre les Philistins dont David sort grandement victorieux. Puis sans transition, un autre décor est planté, cette fois-ci à la cour. La juxtaposition des deux suggère une relation logique de causalité entre la victoire de David contre les Philistins et ce qui va se jouer à la cour de Guibéa. Apparemment la victoire contre les Philistins a apporté un moment de répit à Israël. Aussi David est présenté tandis qu’il joue de la musique pour calmer le roi assis la lance à la main et sous l’emprise de l’esprit mauvais d’Adonaï. Cet esprit ainsi qualifié marque le vue de surveiller ce dernier. La différence reste que tout de même David n’épouse qu’une seule des filles. 58 Ainsi par exemple CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 224 : « […] il s’agit de créer une ressemblance entre le destin de David et celui de Jacob qui, d’après Gn. 29. 16–28 avait dû servir Laban pendant sept ans pour pouvoir épouser la fille cadette, Rachel, qu’il aimait, après avoir travaillé sept ans pour épouser au préalable l’aînée Léa. » 59 Voir, pour l’analogie Saül/Laban, GARSIEL, The First Book of Samuel, p. 130 : « A further analogy is created in the comparison of Saul’s and Nabal’s conduct towards David with the Genesis story of Laban and Jacob. The author of Samuel seems to take advantage here of a further potential implication of Nabal’s name, which, reversed, reads ‘Laban’ (compare : nbl : lbn–)לבן נבל. »
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rejet de Saül comme roi par Adonaï (1 S 16,14.15.16.23 ; 18,10 ; 19,9). Il est l’antithèse, voire l’envers de l’esprit reçu par David à son onction60, et qui manifeste la faveur de Dieu envers son élu. Les postures dans lesquelles apparaissent Saül et David ont un air de déjà vu. En ce sens, 1 S 19,9 est substantiellement la réplique de 18,10. La seule différence entre les deux tableaux se note à l’élément de transe prophétique présent en 1 S 18 et absent de 1 S 19. C’est donc tout naturellement qu’à la faveur du cadre ainsi décrit, le lecteur peut anticiper sur le geste de Saül en 19,10. Ce dernier cherche encore à tuer David au moyen de la lance. De ce fait l’engagement solennel pris par le roi en 19,6 de ne plus attenter à la vie du fils de Jessé se trouve remis en cause. Serait-ce que la dernière grande victoire contre les Philistins a vivement ramené à l’esprit du roi la réalité du danger que David constitue pour son trône ? Ou peut-être est-ce l’effet immédiat sur Saül de l’emprise de l’esprit mauvais d’Adonaï ? Tel qu’il est construit le texte semble suggérer qu’aussi bien la grande victoire de David sur les Philistins que l’emprise de l’esprit mauvais d’Adonaï influencent de quelque manière le geste de Saül. Quoi qu’il en soit, David a le bon réflexe et esquive ainsi la lance qui termine sa course dans le mur, comme la première fois. Pourtant cette fois-ci David ne s’en tient pas là : il s’enfuit pour chercher refuge chez lui, cette nuit-là. Le roi envoie des émissaires à ses trousses pour le surveiller et le tuer le matin. Ce faisant Saül montre aussi sa détermination à neutraliser une fois pour toutes le fils de Jessé. C’est dans ce contexte tendu que Mikal entre en scène. On peut raisonnablement considérer 1 S 19,8–10 comme préparant61 son entrée en scène. En 1 S 18,20–28, deux mentions ont été faites de son amour pour David sans qu’il ait été possible pour le lecteur de l’entendre elle-même ou de la voir agir. Ici, par une parole à David, elle s’invite dans le conflit. « S’invite », parce que manifestement c’est elle-même qui prend l’initiative d’intervenir. Et elle le fait en sa qualité de femme de David, puisque c’est bien ce lien que le narrateur met en avant : שׁתּוֹ ְ ַו ַתּגֵּד ְל ָדוִד ִמיכַל ִא. L’analyse de 1 S 18,20–28 suggérait le caractère potentiellement inconfortable et difficilement conciliable de la position de Mikal, fille de Saül et femme amoureuse de David. En 19,11, sa qualité de femme de David s’avère prendre le pas sur celle de fille de Saül. L’information ( )נגדque Mikal adresse à David est concise et sans équivoque : « si tu ne sauves pas ton âme la nuit, demain tu vas être mis à mort ». Elle raconte à son mari ce que le narrateur vient de relater au lecteur concernant les émissaires. C’est la toute première parole de Mikal à David dans le 60
Saül a aussi reçu cet esprit suite à son onction (cf. 1 S 10,9). Contre HERTZBERG, I & II Samuel, p. 166, qui doute que les v. 11–12 Soient à lier à ce qui précède. 61
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récit et sa concision traduit avec à-propos l’extrême urgence de la situation. Pourtant le texte ne dit pas comment Mikal parvient à la conviction qu’elle exprime ainsi. Si son frère Jonathan apprend directement de leur père son projet de faire mourir David, on ignore d’où Mikal tient son information. Cette omission associée à ce que le lecteur lui-même sait de la situation pousse à percevoir Mikal comme une femme dotée d’une perspicacité profonde. Il se peut qu’elle se soit aperçue de la présence des émissaires de son père autour de la maison et en ait tiré cette conclusion. La texture du récit qui énonce l’envoi des émissaires de Saül au domicile de David avant de rapporter la parole de Mikal à celui-ci ainsi que la stratégie d’utiliser la fenêtre pour permettre la fuite de David invitent à aller dans ce sens. Edelman62 fait remarquer que Mikal formule son avertissement de manière à laisser l’impression de trahir son double lien à David et à Saül. De ce point de vue, en tant qu’épouse, la princesse notifie à son mari le danger qui le guette. Pourtant, dans le même temps, en sa qualité de fille, elle ne peut pas en bonne conscience prendre une part active au fait que son mari échappe à son père. D’où la tournure de son injonction qui donne à penser qu’il revient à David lui-même de trouver les moyens adéquats pour se sauver. De la sorte Mikal réussirait à rester dans les bonnes grâces des deux camps. C’est une lecture qui, me semble-t-il, se fonde sur la parole que Mikal adresse à David au v. 11 et sur la réponse qu’elle donne ensuite à son père au v. 17b. Toutefois, la manière énergique et déterminée dont la princesse agit entre ses deux propos et le silence éloquent de David induisent plutôt à préférer la lecture selon laquelle Mikal assume l’entièreté de l’initiative et de l’action dramatique qui se déploie ici, sans faire mystère aucun, aux yeux du lecteur, de son allégeance à David et à sa cause. L’impression qui émerge du texte est que David, à son niveau, ne semble pas encore avoir effectué un diagnostic avisé de la situation dans sa globalité, même s’il vient d’échapper à un jet de lance. Aussi a-t-il besoin de se laisser dicter par son épouse la conduite à tenir, comme ce fut le cas aussi avec Jonathan. En outre, le manque de réaction verbale explicite de sa part suite à l’injonction de Mikal constitue comme l’expression en creux de sa disponibilité à s’en remettre à la diligence de sa femme. 62
EDELMAN, King David, pp. 147–148, « Her words put the burden of managing to escape on David personally: […]. They seem to belie a double bind she is in by virtue of her status as royal princess and wife to David: the bind of conflicting loyalty to father and to husband. […] As a dutiful and loving wife, Michal has notified her spouse of the danger he is in from the king. However, as a presumably dutiful daughter, she cannot in good conscience actively plan her husband’s escape from her father’s decree. Thus, her emphasis that David must save his own life that same night, implying that he must formulate his own plan for escape and she, as an obedient wife, will then have to do whatever he orders her to, seems to reveal her master plan for satisfying both parties and remaining in the good graces of each ».
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La suite du récit montre en effet Mikal passer rapidement de la parole à l’acte : elle fait descendre son époux par la fenêtre. Ce geste fait écho à celui de Rahab63 en Jos 2,1–16, comme à suggérer que la maison conjugale de David et Mikal se trouve dans un endroit donnant sur l’extérieur de la ville64. Pour Fokkelman65, « aller par la fenêtre est aussi une naissance, celle de l’homme qui peut seulement aller per aspera ad astra ». Exum interprète également ce passage par la fenêtre comme une manière pour Mikal d’engendrer David à la liberté 66, engendrement qu’elle estime coûteux pour la fille de Saül du fait qu’il implique aussi la perte de son mari. Le récit indique, à deux reprises, la nuit comme moment de la fuite de David, d’abord au v. 10b, puis au v. 12. Certains auteurs veulent lire dans cette indication temporelle ( ) ַה ַלּיְלָהune allusion à la nuit des noces de David et de Mikal. Dans ce sens, Smith, à la lecture de la fin du v. 10, s’interroge ainsi : « De quelle nuit est-il question ? Aucune référence n’a été faite à une nuit. Mais l’interprétation la plus naturelle est qu’il est question de la nuit du mariage de David. Psychologiquement c’est aussi ce à quoi nous devrions nous attendre »67. Il est suivi en cela par Auzou et Klein 68, pour ne citer qu’eux. De leur point de vue, il paraît plus logique que Saül ait voulu profiter de la nuit de ses noces pour arrêter David. Cette lecture pousse ceux qui la tiennent à considérer que 1 S 19,11 est la suite historique immédiate de 1 S 18,20–27. À ce propos, Klein est on ne peut plus explicite : « […] Les v. 11–17 continuent historiquement le récit de 18,20–27. Là, Saül avait été d’accord pour donner Mikal à David, qui avait héroïquement rassemblé la dot. Mais la nuit du mariage […], Saül montra son vrai visage et essaya de tuer son nouveau gendre. David se sauva grâce à l’intelligence – et à la duplicité ! – de sa femme »69. Ph. de Maistre se base sur cette chronologie des faits pour parler d’ « union non consommée »70 entre Mikal et David. Toutefois force est de reconnaître qu’il s’agit là d’une conjecture chronologique gratuite qui ne peut se défendre 63 Voir dans ce sens MCCARTER, I Samuel, p. 326 ; POLZIN, Samuel and the Deuteronomist, p. 182 ; EDELMAN, King Saul, p. 148 ; BODNER, 1 Samuel, p. 206. 64 Ainsi HERTZBERG, I & II Samuel, p. 166 ; CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 233. 65 FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 264. 66 EXUM, « Murder They Wrote », p. 184. 67 SMITH, The Books of Samuel, p. 178 : « […] What night is meant? No reference has been made to a night at all. But the most natural interpretation is that David’s wedding’s night is intended. Psychologically this is also what we should expect ». 68 Voir AUZOU, La danse devant l’arche, p. 189 ; KLEIN, 1 Samuel, p. 196. 69 Ibid., p. 194 : « […] Vv 11–17 continue historically the account of 18:20–27. There Saul had agreed to give Michal to David, who had heroically gathered the bride-price. But on the night of the wedding […], Saul showed his true colors and tried to kill his new sonin-law. David escaped thanks to the cleverness – and duplicity !– of his wife ». 70 Ph. DE MAISTRE, « Quand la Bible rivalise avec le roman psychologique. L’énigme du bien-aimé », NRT 132 (2010), p. 12.
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qu’au prix d’une réorganisation hypothétique du récit. Et comme l’affirment Caquot et de Robert, « le v. 11 n’est pas la suite de 18 : 27, mais de 19 : 10 et le thème folklorique des périls de la nuit des noces n’est pas sous-jacent à l’épisode »71. Il apparaît en effet qu’on rend plus justice au texte en comprenant l’indication temporelle de la « nuit » – et celle du « lendemain matin » qui en découle – dans le contexte littéraire de leur occurrence. Ce contexte suppose une vie commune déjà initiée entre David et Mikal, et rien n’indique qu’ils s’apprêtent à ou qu’ils sont en train de célébrer leur nuit de noces. D’ailleurs David n’était-il pas en train de jouer de la musique pour le roi, activité pour laquelle il est recruté en 1 S 16,18–23 et dans laquelle il excelle en plus de ses qualités de guerrier ? Lorsque Mikal fait descendre David par la fenêtre, « il s’en alla, prit la fuite et se sauva » (v. 12b). Selon Alter, ces trois verbes « traduisent l’unique préoccupation qui habite l’esprit de David : se sauver »72. Ainsi le fils de Jessé semble si préoccupé de sauver sa peau qu’il n’a pas le cœur au discours. D’où son silence à la suite de l’injonction de sa femme. D’après Caquot et de Robert73, le verbe ברחemployé au v. 12b et plus tard aussi au v. 18 accentuerait davantage l’idée de fuite que נוסutilisé pour qualifier le départ de David de la cour de Saül. Si נוסsemble se rapporter à l’idée d’une fuite à proximité, en l’occurrence de chez Saül au domicile de David, ברחrenfermerait, quant à lui, la nuance « du déplacement rapide hors d’une localité ». Quoi qu’il en soit, une fois David parti, l’attention du récit reste toujours focalisée sur Mikal, car cette dernière, loin d’estimer son rôle terminé, assume d’autres initiatives. Elle prend des téraphim qu’elle dépose dans le lit avec une espèce de filet en poils de chèvre 74 à la place de la tête. Elle couvre le tout avec un vêtement dans l’intention manifeste de masquer le départ de son mari, vraisemblablement pour lui donner le temps de s’éloigner. La volonté de dissimuler le départ de son mari se confirme lorsqu’elle répond aux émissaires envoyés par son père que David est malade. Cette réponse qui fait appel à la maladie explique peut-être en partie pourquoi Ackroyd attribue aux téraphim une fonction de protection et de guérison que tout malade rechercherait, à l’instar de ce que certains chrétiens feraient aujourd’hui avec l’usage d’images de saints ou d’icônes75. Mais comme le pense Klein, nous croyons que la fonction fondamentale attribuée ici aux téraphim semble plu71
CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 233. ALTER, L’art du récit, p. 164. 73 CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 232. 74 Le sens du mot hébreu ָכּבִירainsi rendu n’est pas du tout certain. Voir n. 8. 75 ACKROYD, The First Book of Samuel, p. 158 ; voir aussi EDELMAN, King Saul, p. 150. Pour ce qui est des rituels de guérison magique par substitution et de leur présence derrière 1 S 19, 13–16 voir H. ROUILLARD/J. TROPPER, « TRPYM, rituels de guérison et cultes des ancêtres d’après 1 Samuel XIX 11–17 et les textes parallèles d’Assur et de Nuzi », VT 37 (1987), pp. 340–361. 72
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tôt de prendre dans le lit la place de David pour faire croire que ce dernier est alité76. Reste que l’argument d’une maladie clouant David au lit ne convainc pas Saül. Et il a raison, car ce serait tout de même trop rapide, surtout si David a dû quitter précédemment la cour probablement au pas de course (19,10). En tout cas, le roi renvoie ses émissaires leur intimant l’ordre de ramener David dans son lit. On peut d’ailleurs noter une variation 77 dans les missions assignées aux émissaires lors de leur va-et-vient entre la cour et le domicile conjugal de David. Au v. 11, leur mission était de surveiller David et de le mettre à mort le matin ; au v. 14, il apparaît qu’ils doivent arrêter David. Faut-il dès lors comprendre le v. 14 comme une mission à part entière, distincte de la première, ou plutôt comme le rappel de celle du v. 11 avec une légère modification ? D. Tsumura opte pour la dernière hypothèse. Pour lui, « nous prendrions plutôt cet envoi de messagers par Saül comme le même fait que celui mentionné au v. 11. En d’autres termes, ajoute-t-il, chronologiquement le récit revient en arrière au point où Saül envoya ses messagers pour la première fois »78. C’est une hypothèse de lecture défendable, d’autant plus qu’on ne sait pas ce qui advient des émissaires le matin après leur nuit de surveillance. La logique narrative voudrait effectivement que ce matin soit le moment où Mikal prétexte que David était malade. Mais l’allure du récit ne rend pas évidente, de prime abord, cette dynamique des événements. Quoi qu’il en soit, l’envoi d’émissaires au v. 15 a pour finalité de voir David et de le faire monter jusqu’à Saül pour qu’il le mette à mort79. Du coup, il ne revient plus aux émissaires de faire mourir David, mais au roi lui-même. Il faut relever aussi que le verbe « voir » anticipe sur la perception des émissaires lorsqu’ils seront chez David. Et cela ne tarde pas car ils « arrivè76
KLEIN, 1 Samuel, p. 197. En raison du fait qu’ils prennent la place de David dans le lit, il est fondé de s’imaginer que ces téraphim devaient présenter une forme anthropoïde (Ainsi CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 234). Il n’est cependant pas impossible qu’aux oreilles d’un public de l’antiquité l’évocation même de téraphim ait eu d’autres connotations comme le souligne EDELMAN, King Saul, p. 149 suiv. 77 ROUILLARD/TROPPER, « TRPYM, rituels de guérison », parlent à ce propos, pour leur part, de « gradation », p. 341. 78 TSUMURA, The First Book of Samuel, p. 494 : « We would rather take Saul’s sending messengers here as the same incident as that mentioned in v. 11. In other words, chronologically the story goes backward to the point when Saul sent his messengers for the first time ». 79 CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 235, sans doute en raison du cafouillage, pensent que le verbe « faire mourir » est ici hors de contexte et viserait à faire écho à 1 S 19,1. Mais même 19,1 n’est pas clair concernant celui ou ceux qui doivent mettre David à mort. J. Y. ROWE, Michal’s Moral Dilemma : Anthropological and Ethical Interpretation (Library of Hebrew Bible. Old Testament Studies 533), London/New York, 2011, p. 143, pense que le v. 15 envisage que les messagers doivent tuer David en présence de Saül.
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rent et voici, les téraphim étaient sur le lit et un filet en poils de chèvre à la place de sa tête » (v. 16). La particule déictique ְו ִהנֵּהtraduit efficacement leur découverte selon leur point de vue. L’effet comique de la situation est à son comble. Et sans que soit mentionné un retour à la cour pour un quelconque compte-rendu, le récit présente Saül confronté immédiatement avec Mikal. Il doit être significatif que celle-ci, pour une première fois, n’est désignée ni comme « fille de Saül » ni comme « épouse de David ». Elle est simplement Mikal80 pour répondre de l’action que dans son autonomie elle a initiée. Elle doit répondre parce que le contexte suggère qu’elle se trouve en quelque sorte devant le tribunal du roi qui l’accuse par cette question : « Pourquoi m’as-tu trompé ainsi et as-tu laissé partir mon ennemi et il s’est sauvé ? » L’expression verbale « tu m’as trompé » ()ר ִמּי ִתנִי ִ est la même que celle que Jacob adresse à Laban en Gn 29,25, lorsqu’il constate au matin de ses noces que c’est Léa et non pas Rachel, comme attendu, qui lui a été donnée pour femme. En employant ce verbe, Saül traduit sa déception et accuse Mikal de n’avoir pas agi comme il faut. On se rappelle qu’à l’occasion de l’offre de sa fille en mariage il espérait utiliser Mikal comme un « piège » pour David. Ici il s’avère qu’elle a effectivement rempli sa vocation de piège, mais en inversant les victimes. Elle a pris pour cible son père en lieu et place de son mari. Du coup, elle fait de Saül un trompeur trompé, avec toute la charge ironique que cela comporte. À la lumière de la question qu’il pose, le roi s’attendait à ce que sa fille joue la carte de la solidarité de sang au lieu de celle du cœur. Une telle attente semble culturellement et anthropologiquement fondée, à en croire Jonathan Y. Rowe, qui dans son récent ouvrage Michal’s Moral Dilemma, montre que d’après la pratique et les codes culturels et anthropologiques de l’ancien Moyen-Orient, on attendait de Mikal qu’elle se solidarise avant tout avec son père plutôt qu’avec son mari81. Le point de vue principal de cet auteur est que l’épisode de 1 S 19,11–17 dramatise un dilemme moral. Il mettrait en scène un combat moral de Mikal qui doit choisir entre deux solidarités en conflit : la solidarité avec son père ou celle avec son mari. Disons tout de suite que si 80
EDELMAN, King Saul, pp. 148–149, à ce sujet écrit : « It is noteworthy that Saul does not identify Michal as his daughter in their conversation ; this would appear to be a deliberate attempt by him to indicate that he intends to ‘disown’ her for her loyalty to her husband. » Peut-être, mais faute d’autres indices textuels, il semble difficile d’affirmer que la confrontation entre le roi et sa fille soit relative à une question de désappropriation ou de déshéritage. 81 ROWE, Michal’s Moral Dilemma, p. 167, « While Saul charges Michal with responsibility for David’s escape and of violating the cultural schema, Michal shifts the blame onto David, alleging that he threatened to kill her. In doing so she uses shared understandings of familial loyalty, especially, the schema of father-daughter loyalty and the perception that women, regardless of their marital status, form part of a family’s symbolic capital ».
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ce dilemme moral existe, il se situe à l’arrière-plan de cet épisode car, ce que celui-ci met en avant ce n’est pas tant la dynamique délibérative d’un choix cornélien que l’adhésion spontanée et libre de Mikal à la cause de David. Reste que Saül semblait en droit d’attendre de sa fille qu’elle prenne fait et cause pour lui, surtout, dit-il, que David est un « ennemi », c’est-à-dire qu’il est « l’autre », celui qui constitue une menace. Mikal, en tout cas, ne le contredit pas sur ce point-là, à en juger par la réponse qu’elle lui fournit pour expliquer pourquoi elle a dû laisser partir David. Ce dernier, affirme-t-elle, l’aurait menacée de mort (v. 17b). L’usage du conditionnel s’impose dans ce cas, parce que le lecteur qui en sait plus que Saül sur le déroulement des événements à l’intérieur de la maison de David et Mikal n’a pas entendu de mot prononcé par le fils de Jessé. Il a plutôt été témoin d’initiatives assumées par la seule fille de Saül afin de mettre son mari à l’abri du danger. Quand donc il entend Mikal répondre de la sorte à son père, il se dit qu’elle est très probablement en train de se jouer encore de lui, dans la ligne de ce qu’elle a combiné à son encontre avec les téraphim et le filet en poils de chèvre. Pourtant Edelman82 estime à cet égard que le propos de Mikal rend bien réelle la possibilité d’une responsabilité de la part de David. Celui-ci aurait effectivement menacé sa femme de mort et aurait même concocté lui-même tout le plan mis en œuvre. En théorie ce n’est pas impossible, si l’on prend les propos de Mikal comme de l’information différée. Toutefois cela reste une hypothèse moins probable au regard de l’ensemble des données du texte et de la manière dont elles sont présentées. En ce sens, le degré supérieur de connaissance conféré par exemple au lecteur, auquel on montre d’abord Mikal agissant d’elle-même en faveur de David avant qu’elle ne s’en explique devant son père, permet de saisir la pointe ironique de ce qu’elle dit, lorsqu’elle est sommée de se justifier face au roi. Elle le prend pour une dupe. Au fond ce récit révèle que Mikal connaît mieux son père qu’il ne la connaît elle83. Elle sait par exemple que les émissaires qu’il a postés près de la maison ont pour mission de tuer David le lendemain matin. Aussi anticipe-telle le départ de son mari. Elle sait également que Saül ne démordra pas dans sa détermination, d’où la mise en scène des téraphim pour détourner momentanément l’attention des hommes dépêchés sur place. Elle donne l’impression de savoir enfin qu’il ne faut pas contrarier le roi de manière frontale, à l’instar de ce que fera plus loin son frère Jonathan (1 S 20,32–33) ; aussi trouve-t-elle une réponse qui semble avoir l’avantage de calmer les fureurs du 82
EDELMAN, King Saul, p. 148. Voir dans ce sens aussi GREEN, Mikhail Bakhtin and Biblical Scholarship, p. 114. Dans un sens analogue, ROWE, Michal’s Dilemma, p. 144, « By having David threaten to kill her, therefore, Michal takes up Saul’s perspective and presents him not only as a violent husband but, much more importantly, as her enemy. That is, Michal construes herself as having been construed by David as an opponent, and herself as on Saul’s side ». 83
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roi. D’aucuns84 ont voulu lire dans cette attitude un manque de courage de sa part. Le problème, c’est que le récit ne présente pas les choses dans cette perspective, pas plus qu’il ne donne le sentiment de condamner, d’un point de vue moral, le propos de Mikal comme étant du mensonge. L’impression fondamentale qui émerge de la dynamique de cet épisode et de la présentation de l’action dramatique est que Mikal est dépeinte comme une femme pleine d’initiatives et de ressources, ce qu’atteste le nombre de verbes dont elle est sujet ici : c’est elle qui parle au v. 11, qui fait descendre David au v. 12a, qui prend les téraphim, les place dans le lit avec le filet en poils de chèvre, et les couvre (v. 13). C’est encore elle qui répond aux émissaires au v. 14 et à Saül au v. 17. Ce qu’elle dit dans ce dernier verset illustre sa capacité à se tirer d’affaire et son bon sens qui la pousse à ne pas contrarier inutilement un fou déchaîné comme Saül. Cela ressemble fortement, sur le plan de la fonction narrative, au prétexte de sacrifice qu’Adonaï lui-même conseille au prophète Samuel en 1 S 16,2 en vue de dissimuler les motifs de sa visite à Bethléem. Au total, il est fondé de dire que l’aide apportée par Mikal à David dans cette scène est valorisée par la narration qui en est faite. Outre qu’elle constitue un signe concret de l’amour de la fille de Saül pour David, cette aide se donne à lire aussi comme l’expression de la volonté divine85, à la lumière surtout du rôle joué par l’esprit d’Adonaï dans la scène de 1 S 19,18–24. Nous nous proposons d’ailleurs d’analyser, sous peu, cette scène pour tirer au clair ses liens avec celle de Mikal. On pourrait enfin objecter que la présence même de téraphim86 dans le stratagème mis en place par Mikal déconstruit la présentation positive qui est faite du personnage en 1 S 19,11–17. Et ce, d’autant plus qu’en 1 S 15,23, le prophète Samuel prononce une condamnation sans équivoque du « méfait des
84 Ainsi par exemple G. P. HUGENBERGER, « Michal », dans CLINES/ESKENAZI (éd.), Telling Queen Michal, p. 205 : « When Saul confronted her she lied, saying that David had threatened her. This lie sharply contrasts Michal with her brother Jonathan, who defended David against Saul even at the risk of his own life (1 Sam. 20.32f; cf. 19.4f) ». 85 ROWE, Michal’s Moral Dilemma, p. 167, lie l’importance théologique de l’action de Mikal au fait qu’elle était culturellement inattendue, ce qui, selon lui, est un signe en plus que Dieu est du côté de David. 86 Pour P. BAUCK, « 1 Samuel 19: David and the Teraphim. יהוה עם דודand the Emplotted Narrative », SJOT 22 (2008), p. 213, les téraphim ont un lien avec les thèmes développés dans le récit : ils sont là pour symboliser, aux oreilles de l’auditoire de l’époque, la présence d’Adonaï avec David et le rejet de Saül. Mais selon ROWE, Michal’s Moral Dilemma, p. 198, les téraphim symbolisent à la fois le rejet de Dieu par Saül et le rejet de Saül comme roi par Dieu. L’auteur propose cette lecture en partant de 1 S 15,23 où le prophète Samuel parle de téraphim dans un contexte où il signifie à Saül que celui-ci est rejeté par le Dieu d’Israël. C’est possible, mais il n’est pas convaincant que le contexte suggère de telles lectures qui nous semblent plutôt relever de la surinterprétation.
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téraphim »87. Vu que maints autres passages bibliques 88 présentent les téraphim comme des idoles, leur utilisation par Mikal relèverait de l’idolâtrie 89. Une première réponse à cette objection est que si idolâtrie il y a, cela ne découle pas uniquement de l’utilisation de téraphim par Mikal, mais remonte plus haut pour incriminer le fait même de les posséder. Aussi le soupçon d’idolâtrie ne pèserait pas seulement sur Mikal, mais également sur David, puisque c’était dans leur maison que se trouvent les téraphim, ainsi que sur Saül, étant donné que Mikal est sa fille. En outre, s’il est vrai que certains passages bibliques font état de la condamnation de l’usage des téraphim, comme 1 S 15,23, il reste que d’autres passages présentent, sans l’ombre d’aucune évaluation négative, ces figurines liées au culte domestique90 comme faisant partie du quotidien. Cette ambivalence de traitement témoigne sans doute d’une évolution dans le temps de la sensibilité religieuse d’Israël, vis-à-vis de ces objets de culte domestique91. Quoi qu’il en soit, rien dans l’épisode qui dépeint Mikal se servant des téraphim pour se jouer des émissaires de son père n’induit une problématisation éthico-religieuse de ce geste. Au contraire, vu sa forte connotation comique92, on serait plutôt porté à penser que la fille de Saül n’accorde pas aux téraphim un respect sacro-saint, puisqu’elle se permet d’en faire l’objet d’un subterfuge. Cela étant, s’il est une fonction littéraire narrative à rattacher à l’évocation de téraphim en lien avec Mikal, c’est probablement celle de renforcer le parallélisme avec Rachel, la fille de Laban (Gn 31). Cette dernière s’est également joué de son père à l’aide de téraphim93 qu’elle lui avait dérobés, alors 87
Les mots sont de la BJ. Voir par exemple Jg 17–18 ; 2 R 23,24 ; Ez 21,26 ; Za 10,2. 89 Voir W. G. BLAIKIE, « Michal in the Books of Samuel », dans CLINES/ESKENAZI (éd.), Telling Queen Michal, p. 95 : « The use of the images implied an unspiritual or superstitious state of mind ; or at least a mind more disposed to follow its own fancies as to the way of worshipping God than to have a severe and strict regard to the rule of God » ; E. DEEN, « King Saul’s Daughter – David’s First Wife », dans CLINES/ESKENAZI (éd.), Telling Queen Michal, p. 142 : « We have no record that Michal had David’s faith in God’s protecting power. She no doubt believed in idols. […] There is some discrepancy in this passage of Michal’s idol but enough evidence to lead us to think she was not a believer in David’s God of strength and mercy » ; KUYPER, « Michal », p. 225 : « […] But we know that she persevered in idolatrous practices from the fact she kept an image in her house », etc. 90 Voir L. VAN DER TOORN, « ְתּ ָרפִיםterāpîm; ’ ֵאפוֹדēpôd ; בַּדbaḏ », TDOT, XV, Grand Rapids, MI – Cambridge, UK, 2006, pp. 777–789. 91 Voir à ce propos la note éclairante de la BJ à 1 S 15,23. 92 HERTZBERG, I & II Samuel, p. 167, parle d’un épisode narré avec une joie furieuse (furious joy) en vue de discréditer Saül. 93 En revanche il y aurait une différence de taille entre les téraphim utilisés par Rachel et ceux de Mikal. En effet ceux de Rachel semblent si petits qu’elle peut s’asseoir là88
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qu’elle fuyait avec son mari Jacob. Ce contexte de solidarité avec le mari aux dépens du père, impliquant l’utilisation de téraphim rapproche fortement ces deux figures féminines. Sans parler du fait qu’elles sont toutes deux filles cadettes, promises au même homme que leurs sœurs aînées. R. Alter voit dans ce rapprochement littéraire – qu’il qualifie d’allusion – « sans doute une manière d’évoquer une fatalité commune à Mikal et à Rachel, que Jacob maudit à son insu en maudissant l’auteur de ce vol (Gn 31,32) » 94. Mais il s’agit là d’une suggestion qui peut être faite a posteriori, c’est-à-dire lors d’une lecture rétrospective quand le lecteur sera informé de la stérilité de Mikal. En attendant, au stade où il en est, le récit met surtout en avant le parti pris de Mikal pour David contre son père, avec quelque analogie dramatique et verbale avec Rachel. En outre, lorsque la princesse allègue devant son père la raison qui l’a amenée à laisser partir David, il est éloquent que sa réponse n’est pas suivie de réaction, signe peut-être que Saül n’y trouve pas à redire. Mikal agit très probablement par amour95 de David, sans que cela implique nécessairement qu’elle hait ou méprise son père. À cet égard, le fait qu’elle dise qu’elle a été mise sous pression par David indique qu’elle ménage ses relations avec son père, ce qui amène à relire l’aide apportée plus haut à son mari comme étant surtout une manière de dénoncer l’injustice de l’hostilité de Saül. Cette aide peut se lire également comme si Mikal rejetait l’idée de se retrouver veuve suite à la mort précoce de David. Mais cela fait partie des non-dits exploitables du texte. De toute façon, l’agir de Mikal est significatif sur le plan idéologique et politique. Peut-être qu’il l’est aussi au plan théologique à la lumière de ce qui émerge de 1 S 19,18–24, passage consécutif à celui où est relatée l’intervention de la princesse. 2. L’esprit divin aide David : 1 S 19,18–24 À vrai dire, Mikal n’apparaît pas du tout dans la scène de 1 S 19,18–24. Pourtant ce qui s’y joue semble éclairer de manière rétrospective le rôle qui est le sien en 19,11–17. En raison de cela, il paraît intéressant, voire utile, de s’arrêter un peu pour analyser cette scène. Voici le récit qu’en fait le TM :
dessus pour les dissimuler, alors que ceux ou celui dont se sert Mikal paraissent tels qu’ils peuvent simuler une personne de la taille de David. Néanmoins le scenario que proposent Rouillard et Tropper et qui maintient la petite taille des téraphim semble tout à fait vraisemblable aussi (voir « TRPYM, rituels de guérison », p. 341 et suiv.). 94 ALTER, L’art du récit, p. 165. 95 Le terme « amour » n’apparaît cependant pas dans le récit. Mais 1 S 19,11–17 venant après 1 S 19,1–7 où Jonathan agit par amour pour David et, constituant la deuxième apparition de Mikal après celle de 1 S 18,20–27 où son amour pour David est mentionné deux fois, on ne peut comprendre sa solidarité avec David que comme l’expression en acte de cet amour.
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Et David prit la fuite et il se sauva et il arriva chez Samuel à Rama et l’informa de tout ce que lui avait fait Saül. Et il s’en alla, lui et Samuel, et ils habitèrent à Nayoth96 . 19 Et fut donnée une information à Saül en disant : « Voici, David est à Nayoth en Rama ! » 20 Et Saül envoya des émissaires pour prendre David. Et il vit la communauté97 des prophètes en train de faire les prophètes et Samuel debout ; il se tenait à leur tête. Et l’esprit de Dieu fut sur les émissaires de Saül et ils firent les prophètes eux aussi. 21 Et ils informèrent Saül et il envoya d’autres émissaires et ils firent les prophètes eux aussi. Et Saül continua et il envoya un troisième98 [groupe] d’émissaires et ils firent les prophètes eux aussi. 22 Et il alla lui aussi à Rama. Et il arriva jusqu’à la grande citerne qui est à Sécu et il demanda et dit : « Où sont Samuel et David ? » Et [quelqu’un] dit : « Voici, à Nayoth en Rama ». 23 Et il alla là, à Nayoth en Rama et fut sur lui aussi l’esprit de Dieu. Et il marcha encore99 et il fit le prophète jusqu’à son arrivée à Nayoth en Rama. 24 Et il enleva lui aussi ses vêtements et il fit le prophète lui aussi devant Samuel et il tomba nu tout ce jour-là et toute la nuit. C’est pourquoi les gens disent : « Saül aussi est-il parmi les prophètes ? ».
D’entrée de jeu le narrateur raccroche cet épisode au v. 12. Là-bas en effet, de David descendu à travers la fenêtre, il est dit qu’il « s’en alla, prit la fuite et se sauva ». Au v. 18, ces deux derniers verbes, « prendre la fuite » et « se sauver » ( ברחet )מלט, sont à nouveau employés pour évoquer la fuite de David. Cet emploi suggère une reprise littéraire et un nœud thématique avec le v. 12. Il s’agit en effet d’un retour en arrière, signalé par la tournure du we+x+qatal, visant à récupérer une information antérieure en vue d’un nouveau développement. Ce qui signifie, en l’occurrence, que le v. 17 clôt l’épisode de Mikal. D’où une césure entre les v. 18–24 et la scène qui précède100. À cet indice syntaxique s’ajoutent des critères dramatiques de chan96 Il n’y a pas de consensus sur le fait que Nayoth soit un nom de localité, mais son apposition à Rama rend probable un tel sens comme l’affirme DRIVER, Notes on the Books of Samuel, p. 159. Ainsi aussi CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 235. Le mot en fait n’apparaît qu’ici et quand bien même ce serait celui d’une localité, celle-ci reste inconnue. Aussi certains proposent de le traduire par « cellules » (ainsi par exemple la BJ) ou par « campement » (Cf. MCCARTER, I Samuel, pp. 328–329). Pour un examen des différents sens voir HERTZBERG, I & II Samuel, p. 167. 97 ַל ֲה ָקה: la forme de ce mot est suspecte : est-ce une écriture défectueuse de קהלqui signifie assemblée ? Ce n’est pas impossible. Mais rien de décisif ne permet d’en être absolument certain. Quoi qu’il en soit le contexte où il est inséré véhicule aussi l’idée de groupe. D’où collège (cf. Dhorme et Osty) ou communauté (cf. BJ et TOB). TSUMURA, The First Book of Samuel, p. 496, propose, sur la base d’un équivalent éthiopien, de traduire ce terme par « anciens » dans le sens d’un groupe d’anciens. Il s’appuie pour cela aussi sur une suggestion de Barr. En théorie, c’est possible. L’idée centrale reste quand même le fait qu’il s’agit d’un groupe, d’une entité rassemblée. Dans la société biblique d’Israël les prophètes ont parfois constitué comme un corps à part (cf. Jr 23,9 et suiv.). 98 שׁים ִ שׁ ִל ְ ַמלְאָכִים: litt. : De troisièmes émissaires. 99 ַויֵּלְֶך הָלוְֹך: l’infinitif absolu connote l’idée d’insistance, de continuité. 100 Sans que cela signifie, comme le pensent CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 235, que le fait a pu se situer à n’importe quel moment de la poursuite de David par Saül.
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gement de lieu et arrivée de nouveaux personnages pour conforter l’idée d’une scène autonome débutant au v. 18. Ainsi le lecteur apprend que lorsque David prend la fuite avec l’aide de Mikal, il se rend chez Samuel à Rama. Rama, le lecteur s’en souvient, est la localité où le prophète est retourné habiter depuis qu’il a quitté la scène après avoir conféré l’onction en 1 S 16,13101. C’est sans doute en raison de cette fonction qui était jadis de ce prophète faiseur de roi, que peut se comprendre le choix de David d’aller le voir102. Il informe Samuel de tout ce que Saül lui a fait. Le lecteur n’a pas d’accès direct à ce que David dit précisément à Samuel, mais il s’imagine aisément qu’il doit parler de l’hostilité agressive du roi. Le fils de Jessé aimerait-il que Samuel arbitre le conflit qui l’oppose à Saül ? Aucune information ne filtre cependant sur la réaction du prophète par rapport au compte-rendu qui lui est fait. A-t-il essayé de rassurer David ? A-til pris parti sans ambiguïté ? Ou peut-être s’est-il contenté d’écouter sans rien dire 103? Tout cela est possible mais le lecteur n’en saura rien, car il lui est simplement rapporté le nom de l’endroit où Samuel emmène ensuite David habiter avec lui : Nayoth 104 en Rama. Il est possible de considérer cela comme une manière pour Samuel d’offrir un refuge 105 à David. Ce qui frappe, c’est le manque d’interaction entre les deux hommes, alors que c’est leur première rencontre rapportée depuis l’onction secrète conférée en 1 S 16,13. Et quand on se rappelle la manière engagée et parfois autoritaire dont le prophète se comportait avec Saül, quand on sait qu’il n’a pas accepté facilement le rejet de Saül par Adonaï (1 S 15,35–16,1), on est en droit de s’interroger sur la raison de son attitude passive avec David. Est-ce l’indice d’une relation peu profonde et peu familière entre les deux hommes ? Ou faut-il comprendre l’attitude passive du prophète comme expression de sa volonté de ne pas sortir de sa retraite de la vie politique ? Par ailleurs, comme le note Ackroyd106, il est assez surprenant, au regard de ce qui se lit en 1 S 15,34–35, de voir Samuel réapparaître à ce stade du récit. En effet en 15,35, il est dit que « Samuel ne revit plus Saül jusqu’au jour de sa mort ». Or, Saül finit par être informé que David est à Nayoth. L’information donnée au roi parle cependant de David seul. On ne dit pas en effet que ce dernier se trouve auprès de Samuel, peut-être pour suggérer que 101
Voir déjà en 1 S 7,17. Autrement, on comprend mal que pour fuir Saül David choisisse de se rendre dans une localité au nord non loin de Guibéa. Voir dans ce sens J. WELLHAUSEN, Die Composition des Hexateuchs und der historischer Bücher des Alten Testaments, Berlin, 31899, p. 250. 103 Pour FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 271, le silence de Samuel dans cet épisode est à interpréter comme une manière de respecter ce qui est énoncé en 1 S 15,34–35. 104 Voir n. 96. 105 Ainsi aussi HERTZBERG, I & II Samuel, p. 167. 106 ACKROYD, The First Book of Samuel, p. 160. 102
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ce qui importe à Saül, c’est de savoir où est David. En tout cas, dès que le roi est mis au courant de la présence de David à Nayoth, sa réaction est d’envoyer des émissaires pour l’arrêter (v. 20). Ceux-ci arrivent et voient107 une communauté108 de prophètes en train de faire les prophètes avec Samuel à leur tête. L’esprit de Dieu, la רוּ ַח ֱאֹלהִים, est alors sur les émissaires de Saül et ils font les prophètes eux aussi. Rien ne décrit la nature ni le contenu exacts de ce qu’ils font, mais il semble que cela soit perceptible dans leur comportement extérieur. Manifestement cette activité prophétique contagieuse aux allures de transe109 empêche ces émissaires de mener à bien leur mission d’arrêter David. Ce qui contraint Saül à envoyer un deuxième puis un troisième groupe d’émissaires qui connaissent tous le même sort que les premiers. Ces multiples envois d’émissaires pour arrêter David rappellent l’épisode précédent au domicile conjugal de David et Mikal110 avec lequel ils établissent un lien. En effet, outre qu’ils mettent en exergue la détermination, peut-être obsessive111, de Saül de mettre la main sur David, ces envois répétés révèlent aussi combien les efforts du roi sont rendus infructueux d’abord par le fait de Mikal et ici par l’esprit de Dieu. C’est notamment au regard de ces échecs répétés que Saül décide au v. 22 d’aller en personne arrêter David. Son déplacement est raconté de façon plus élaborée que ceux de ses émissaires. Ainsi on rapporte son arrivée à la grande citerne de Sécu, la question qu’il pose sur l’endroit où se trouvent Samuel et David, comme s’il ne le savait pas déjà112, ainsi que son voyage vers Nayoth. Il tombe même sous l’emprise de l’esprit de Dieu avant d’arriver là et c’est par conséquent en cours de route qu’il commence à faire le prophète. Aussi, quand il arrive, sa situation semble plus désespérée que celle des émissaires avant lui : il enlève ses vêtements et fait le prophète nu113 tout le jour et la nuit au point de susciter la question, « Saül aussi est-il parmi les prophètes ? ». Cette question est 107
Le verbe « voir » ( )ראהest ici à la 3e personne du singulier, donnant l’impression qu’il s’agit d’une seule personne, peut-être Saül qui voit. Mais puisque ce sont les émissaires qui se rendent dans ladite localité, il est logique de leur attribuer la vision. 108 Voir n. 97. 109 HALOT, II, p. 659, affirme que le verbe נבאau hitp signifie « to exhibit the behaviour of a נָבִיא, often meaning to rave. 110 Ainsi aussi ACKROYD, The First Book of Samuel, p. 160, qui ajoute que ce triple envoi rappelle également les tentatives d’arrestation du prophète Élie en 2 R 1,9. 111 Pour FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 278, un des effets de la répétition est la démonstration de l’incapacité de Saül d’apprendre, c’est-à-dire de tirer les leçons de l’expérience. 112 BODNER, 1 Samuel, p. 210, attribue cette question à une hésitation de la part de Saül : « I am understanding this question as a moment of hesitation on Saul’s part. He knows where David is, and must know that he is harbored by Samuel, yet he still posits the query ». 113 DRIVER, Notes on the Books of Samuel, p. 160, estime qu’il ne s’agit pas de nudité complète, mais plutôt que Saül s’est débarrassé de ses habits de dessus sa longue tunique.
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étiologique et renvoie à 1 S 10,10–12 où elle avait déjà été soulevée en ces mêmes termes, dans un contexte de contagion prophétique où Saül avait été impliqué. Si, alors, il s’agissait de la confirmation du choix de Saül comme roi (1 S 10,5–7), ici cela manifeste plutôt son rejet de la royauté, puisque l’esprit divin contrarie son projet d’arrestation de David. Le contexte a donc considérablement évolué pour lui du positif au négatif114. Si dans le contexte du ch. 10, c’était pour marquer la transformation 115 du jeune Saül en un autre homme et accréditer ainsi son élection par le Dieu d’Israël, ici il paraît que l’objectif est de lui faire prendre conscience qu’il n’a aucune chance de réussite contre David, tout en le tournant en ridicule. Bon nombre de traits en effet dans la scène semblent relever du comique ou connotent une ambiance de ce type : la neutralisation répétitive des émissaires, celle de Saül lui-même qui a l’air de ne plus se contrôler du tout, d’être pour ainsi dire « téléguidé », ce qui aboutit à ce qu’il enlève ses vêtements, s’exposant de cette façon à la honte116. Sans parler de ce dicton aux accents provocateurs, voire ironiques. Si la communauté présidée par Samuel semble accomplir une activité habituelle qui relève de son statut prophétique, ce qui arrive à Saül et à ses émissaires, en revanche, relève de l’imprévu, même si cela est désigné par le même verbe נביא. Ceux-ci sont amenés à faire les prophètes contre leur gré. On peut alors se demander, au regard aussi du caractère ironique de la question finale, si l’état second dans lequel les plonge l’emprise de l’esprit de Dieu n’induit pas un soupçon sur la qualité réellement prophétique de leur comportement : ce serait plutôt une sorte d’avatar de prophétie. Dans ce sens, R. Wilson a raison quand il laisse entendre qu’à la question de savoir si Saül est parmi les prophètes, la réponse doit être : « Non, Saül n’est pas prophète, il est fou »117.
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Ainsi aussi FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 280 : « The same faculty for the numinous and the same sensitivity for suddenly being lifted into a higher state of consciousness which occurred there [in Chapter 10] under the positive sign of election, appear here under the negative sign of being rejected, and now bring Saul into a lower state of consciousness, a kind of delirium. In the modern but effective jargon of the psychedelic world: what was a trip in Ch. 10 now becomes a bad trip; it is inverted into a flip. One belongs with the other, the negative and the positive ecstasy are two sides of the same coin ». 115 Pour ce qui est de la transformation de Saül, voir KLEIN, 1 Samuel, pp. 92–94. 116 En ce sens, voir par exemple Ch. NIHAN, « Saul among the Prophets (1 Sam 10:10– 12 and 19:18–24). The Reworking of Saul’s Figure in the Context of the Debate on “Charimatic Prophecy” in the Persian Era », dans EHRLICH/WHITE (ed.), Saul in Story and Tradition, p. 103 : « Nakedness in the Hebrew Bible is generally connoted as shameful, and there can be no question that this is also implied here by the narrative, especially in the case of Saul, whose vestments symbolize his office of king. » 117 R. R. WILSON, « Prophecy and Ecstasy : An Reexamination », JBL 98 (1979), p. 335 : « The answer to the question is therefore : “No, Saul is no prophet, he is insane”. »
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En réalité le traitement comique de Saül que l’on peut relever en 1 S 19,18–24 n’est qu’un prolongement de ce qui émerge déjà dans la scène précédente où la princesse Mikal, par l’astuce des téraphim introduits dans le lit à la place de David, se jouait de son père. Ainsi Mikal et l’esprit de Dieu se rejoignent en ceci qu’ils tournent, pour ainsi dire, Saül et ses émissaires en ridicule en vue de protéger David. De ce fait, l’intervention de Mikal se trouve davantage valorisée dans la mesure où il s’avère qu’elle s’inscrit finalement dans la ligne de celle même de Dieu, ici représenté par son esprit. On peut d’ailleurs se demander quelle est la nature exacte de l’esprit de Dieu qui se manifeste en 1 S 19,18–24. D’emblée il n’est pas qualifié de רעָה,ָ ce qui sous-entend qu’il est différent de l’esprit qui se manifeste en 1 S 18,10–11 et 19,9–10. Pourtant, il a avec celui-ci un point commun : ils procèdent tous de Dieu () ֱאֹלהִים, même si en 19,9 il est plus précisément question de l’esprit d’Adonaï. En plus, l’emprise qu’ils exercent sur Saül a des effets négatifs pour lui, effets qui prennent tantôt l’expression du simple tourment, tantôt celle de l’incitation à la violence contre David (18,10–11 ; 19,9–10) et enfin celle du travail de sape (19,20–24). Il est même légitime de se demander si les maladresses patentes de Saül en 18,10–11 et 19,9–10 ne sont pas aussi à mettre sur le compte du même esprit qui, dans un premier temps, pousse le roi à s’en prendre à David et, dans un deuxième moment, le fait échouer. Ce qui donne l’impression d’une sorte de jeu ambigu de sa part. Pour sûr au moins, l’esprit de Dieu en 19,18–24 empêche le roi et ses émissaires de mettre la main sur David. Il est à noter sur un autre plan qu’à l’exception de 1 S 19,9–10, l’emprise de l’esprit de Dieu sur Saül ou ses émissaires donne lieu à un phénomène de transe prophétique (18,10 ; 19,21–24). Il apparaît alors que l’esprit de Dieu, qu’il soit qualifié ou non de רעָה,ָ produit le même effet. Ainsi même s’il est clair qu’on ne doit pas les assimiler ou les identifier, il ressort que l’esprit de Dieu de 19,18–24 et l’esprit mauvais de Dieu ou d’Adonaï de 18,10–11 et 19,9–10 se rejoignent par le rôle qu’ils incarnent et l’objectif qu’ils poursuivent : travailler pour ainsi dire contre les desseins de Saül. Ce faisant, ils témoignent du rejet de Saül par Dieu, déjà signifié en 1 S 13 et 15. Et étant donné que leur action est à l’avantage de David, on peut conclure qu’ils constituent la preuve de l’implication divine aux côtés de celui-ci contre Saül. D’ailleurs, 1 S 16,13–14 traduisait déjà le transfert du pouvoir politique et spirituel118 de Saül à David par la présence de l’esprit d’Adonaï sur David et son retrait de Saül, ce qui laisse place chez ce dernier à l’arrivée de l’esprit mauvais d’Élohim. Si le lecteur est ainsi informé, c’est parce que le narrateur use, en l’occurrence, de son omniscience pour révéler les dessous des événe-
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Voir D. M. HOWARD, JR, « The Transfer of Power from Saul to David in 1 Sam 16:13–14 », JETS 32 (1989), pp. 473–483.
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Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David
ments ; il tient de cette manière à souligner comment Dieu est du côté de David dans le conflit qui l’oppose à Saül. En définitive, Dieu semble mettre en œuvre deux types de moyens pour voler au secours de son élu : des moyens humains tels que la bravoure de David lui-même et l’aide et le soutien décisifs de Jonathan (1 S 19,1–7) et Mikal (19,11–17) et des moyens surnaturels telle que l’intervention de l’esprit. C’est sans doute parmi ces derniers moyens qu’il faut aussi ranger l’intervention providentielle du messager anonyme qui sort de nulle part en 1 S 23,27–28 et qui desserre à l’ultime moment l’étau dans lequel Saül entoure David et ses hommes. Mais si, à la lumière de ce qui vient d’être dit, on jette un regard panoramique sur la dynamique de l’action dramatique en 1 S 18–20, c’est-à-dire pendant la permanence de David à la cour, il est loisible de constater que, dès que Saül commence à être mal disposé vis-à-vis de David (18,6–9), une sorte d’alternance entre ces différents moyens se met en place. Comme s’il s’agissait, dans une logique d’efforts conjugués, de se passer le relais pour sauver le jeune David. Dans ce sens, l’esprit mauvais d’Élohim est le premier à initier l’action qui ouvre la scène de 1 S 18,10–16. Ensuite, en 18,17–30, est relaté le mariage de Mérav et surtout de Mikal, à l’issue duquel on apprend que la peur de Saül s’est considérablement accrue. Là on évoque Mikal, mais David s’en sort grâce à sa vaillance militaire. Un élément intéressant à relever est la présence des serviteurs de Saül dans les discussions entre le roi et David pour la conclusion du mariage avec Mikal, présence que l’on peut noter aussi dans la scène de Mikal et de celle de l’esprit de Dieu. À partir de 1 S 19,1–7, c’est au tour de Jonathan d’intervenir en faveur de David en convainquant Saül son père de renoncer à ses projets de mise à mort du fils de Jessé. La scène suivante voit le retour de l’esprit d’Adonaï. Il s’ensuit une recrudescence de l’hostilité de Saül contre David (19,9–10), malgré l’engagement du roi faisant, peu avant, la promesse du contraire en 19,6. À la faveur de cette hostilité réactivée, Mikal entre en scène et prend un certain nombre d’initiatives qui permettent à David de prendre la fuite. Elle apparaît ainsi comme la première à préconiser la fuite comme voie de salut pour David. Mais le cours successif des événements dramatise cette fuite en une solution éphémère, car Saül finit par être informé de l’endroit où se réfugie le fils de Jessé et se lance lui-même à ses trousses, après un triple envoi infructueux d’émissaires. Là l’esprit d’Élohim prend à nouveau le relais et déjoue l’attaque du roi et de ses émissaires (19,18–24). Son intervention permet à David, resté toute la scène durant en marge de l’action, de prendre la fuite de Nayoth en Rama. L’étape suivante du récit relate qu’il rejoint Jonathan en 1 S 20, avec l’objectif apparent d’en avoir le cœur net sur les intentions meurtrières du roi à son encontre. Au terme de la rencontre avec Jonathan, le départ définitif de David de la cour s’impose comme une issue
5. E. Mikal est donnée à Palti : 1 S 25,43–44
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inévitable. Et voilà le fils de Jessé condamné à fuir loin de Saül pour avoir la vie sauve. Cette fuite le portera loin également de Mikal, sa femme, laissant au lecteur l’impression que le futur du couple est fortement hypothéqué, après que leur vie à deux n’a pas pu prendre son envol.
E. Mikal est donnée à Palti : 1 S 25,43–44 5. E. Mikal est donnée à Palti : 1 S 25,43–44
Une fois David parti de la cour, Mikal sort aussi de scène, comme si son rôle était terminé. Pourtant le conflit politique entre son père et son mari est loin d’être résolu, car la fuite de David de la cour ne désarme pas l’hostilité de Saül. Il tentera par tous les moyens de nuire à celui qu’il considère comme son ennemi juré. Ainsi en 1 S 25,43–44, alors qu’est évoqué le mariage de David avec Avigaïl et Ahinoam, le narrateur saisit l’occasion pour rapporter que « Or Saül avait donné Mikal sa fille, femme de David, à Palti, fils de Laïsh, qui était de Gallim ». Cette information, donnée comme en passant, vise sans doute à renseigner le lecteur sur ce que devient Mikal au moment même où son mari, contraint à l’exil au désert, épouse deux autres femmes119. D’ailleurs la chronologie suggérée entre les situations matrimoniales nouvelles des deux époux, séparés pour cause de conflit politique, n’est pas si claire qu’il peut paraître au premier abord : David épouse-t-il Avigaïl et Ahinoam avant que Saül ne donne Mikal à Palti, ou vice versa ? Dans le premier cas, le don que le roi fait de sa fille à Palti pourrait se lire comme étant sa réaction au double mariage de David. Dans le deuxième cas, ce serait l’inverse : David riposterait à la démarche de son beau-père. Ainsi, quel que soit le cas envisagé, il apparaît que la première situation à se produire peut exercer une certaine influence en termes de causalité120 sur l’autre. La construction syntaxique des v. 43–44, dont les verbes sont généralement rendus 119
Pour ALTER, L’art du récit, p. 166, c’est une manière pour le narrateur de présenter en contraste une Mikal jadis pleine d’initiative et ici traitée comme un objet passif avec l’active et dynamique Avigaïl. On peut ajouter que cela marque aussi le début de la vie polygame de David, même s’il n’est pas évident, comme le pense BODNER, 1 Samuel, p. 272, qu’il y ait une critique oblique de David au regard de Dt 17. De même je ne perçois pas du tout d’allusion à 2 S 11 ainsi que le dit cet auteur à la p. 273. Le texte rapporte sans aucun accent moralisateur comment, malgré son exil, la situation matrimoniale de David commence à se reconstituer. Si allusion il pourrait y avoir, ce serait par rapport à Amnon dont le nom de la mère est donné ici. 120 Dans ce sens DRIVER, Notes on the Books of Samuel, p. 204, pense que c’est parce que Mikal a été donnée à un autre que David s’est aussi remarié. Mais alors pourquoi prendre deux femmes ? D. J. A. CLINES, « The Story of Michal, Wife of David, in its Sequential Unfolding », dans ID./ESKENAZI (éd.), Telling Queen Michal, p. 134, affirme que c’est David qui s’est privé de Mikal. Disons que tout cela est possible mais le texte ne permet pas de trancher dans l’un ou l’autre sens.
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Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David
par le plus-que-parfait121, implique que les mariages d’Ahinoam et de Mikal sont à situer dans un temps antérieur à celui du récit centré122 sur Avigaïl et David. De ce fait, ces v. 43–44 fonctionnent comme des annexes 123 à ce récit. À cet égard, il n’est donc pas sûr que le narrateur mette l’accent sur le lien chronologique entre ces « recompositions » matrimoniales – pour le dire en termes modernes –, il semble plutôt que sa visée est d’évoquer rapidement en parallèle l’évolution matrimoniale de David et de Mikal, successive à leur séparation forcée. De ce point de vue si Avigaïl, une des femmes que David épouse, a été suffisamment présentée au lecteur grâce à l’épisode dont elle est la protagoniste, on ne peut pas en dire autant pour Ahinoam : d’elle, rien ne filtre à part le fait qu’elle est d’Izréel. Il est en même temps difficile de ne pas remarquer qu’elle porte le même nom que la femme de Saül (1 S 14,50). À cause de cela et vu le reproche formulé à David par Nathan en 2 S 12,8 : « je t’ai donné la maison de ton maître et j’ai mis dans tes bras les femmes de ton maître », J. Levenson124 émet l’hypothèse qu’il s’agit ici de la femme de Saül. Mais vu le conflit en cours et les relations extrêmement tendues entre les deux hommes, il apparaît plus qu’improbable que David épouse la femme de Saül. D’ailleurs le récit n’appelle pas à établir une telle identification dans le contexte. On peut donc admettre avec K. Bodner que l’hypothèse de Levenson relève de la spéculation125. Et ce d’autant plus que le narrateur présentera plus tard Ahinoam126 comme mère d’Amnon (2 S 3,2), jamais comme ancienne épouse de Saül. À l’instar d’Ahinoam, deuxième épouse de David, Palti, fils de Laïsh, l’homme auquel Saül donne Mikal, est mentionné comme s’il sortait de nulle part. Certes il aura droit, plus en avant, à une autre apparition plus suggestive, sous le nom plus long de Paltiel, au moment où sa femme lui sera retirée de force en 2 S 3,15–16, mais dans l’ensemble, la curiosité du lecteur est frustrée sur le point de savoir pourquoi c’est à cet homme et non à un autre que Mikal est donnée. Est-ce parce qu’il nourrit des sentiments pour Mikal ou elle pour lui127 ? Ou serait-ce parce que peut-être il est sans ambition politique ? 121 Ainsi par exemple la BJ et la TOB. Voir aussi FOKKELMAN, The Crossing Fates, p. 525. 122 Selon BODNER, 1 Samuel, p. 272 : « These last two verses describe two antecedent actions in the narrative. First David has taken – sometime prior to chap. 25 – Ahinoam from Jezreel ». 123 CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 313, parlent dans ce sens de « notices ». 124 J. LEVENSON, « 1 Samuel 25 as Literature and History », CBQ 40 (1978), p. 23. 125 BODNER, 1 Samuel, p. 272. Voir aussi EDELMAN, King Saul, p. 221, n. 1. Selon elle, Ahinoam serait une des cinq servantes qui ont suivi Avigaïl en 25,42. Toutefois le texte ne dit rien à ce propos. 126 Elle est aussi présentée en tandem avec Avigaïl en 1 S 27,3 ; 30,5 ; 2 S 2,2. 127 Voir dans ce sens CLINES, « Michal Observed », pp. 47–48.
5. E. Mikal est donnée à Palti : 1 S 25,43–44
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Manifestement ce qui importe au narrateur, c’est de notifier que Mikal est donnée par son père à un homme autre que David, rien de plus. Que le nom de cet homme soit Palti ne sert finalement qu’à conférer une touche réaliste à cette histoire. Si le lecteur reste sur sa faim quant à l’identité et aux sentiments de Palti et de Mikal, il devine tout de même, comme l’affirme Alter, que le geste de Saül n’est pas sans calcul politique : « il s’agit de démontrer, même maladroitement, que David n’a pas de lien familial avec la maison royale, et qu’il ne peut, dès lors, revendiquer le trône »128. Ainsi il ressort que l’acte du roi se situe toujours dans la logique antagoniste de son hostilité contre David. Dans cette perspective, on comprend qu’il ne soit pas du tout pertinent à ses yeux de prendre en considération un quelconque sentiment de Mikal, lorsqu’il décide de la donner à Palti. Il la traite comme si elle n’était qu’un pion à jouer sur l’échiquier du conflit politique qui l’oppose à David au point qu’il ne serait pas infondé d’affirmer que sa haine contre le fils de Jessé est telle qu’elle dénature même son comportement envers les siens. Car il donne l’impression de se déterminer par rapport à ceux-ci non pas en fonction de leur bien-être propre, mais en vue de nuire à David. De ce fait, il paraît si obsédé par son rival qu’il se laisse dicter sa conduite par lui et que tel, un enragé, il ne s’embarrasse plus dans son agir de repères éthiques et légaux. À cet égard, la manière dont le narrateur rapporte le transfert de Mikal à Palti semble éloquente. En effet, malgré son tour innocent et objectivant, la relation de ce transfert laisse planer le doute quant à sa légalité. Certes l’expression « Mikal, sa fille » induit à croire que Saül agit en l’occurrence en raison de sa prérogative paternelle, mais, ainsi que l’écrit Alter, « le caractère douteux de la légalité de cet acte est sans doute suggéré par l’épithète “épouse de David” »129. Pour sûr, Saül demeure le père de Mikal et comme tel c’est à lui qu’il revient, à en croire maints passages bibliques 130, de donner sa fille en mariage. Le problème est que dans le cas présent, Mikal a déjà été donnée à David contre une dot (1 S 18,27). Elle ne doit donc plus, dans ces circonstances, être donnée à un autre homme131. Il en découle dès lors que son transfert à Palti procède de l’abus d’autorité paternelle de la part de Saül. Quoi qu’il en soit, Mikal connaît à ce stade du récit un parcours narratif grosso modo similaire à celui de son aînée Mérav : comme cette dernière, elle se retrouve dans la maison d’un autre homme après avoir été destinée à Da128
ALTER, L’art du récit, p. 166. Ibid., p. 166. 130 Ainsi par exemple Laban en Gn 29 avec Léa et Rachel ou Jacob avec Dina en Gn 34,8 ; Dt 22,16 ; Jos 15,16 ; Jg 1,12 ; 1 S 18,17.19.27 ; 2 R 14,9, etc. 131 Il est clair que son mari est parti au désert, mais c’est sous la contrainte. De plus, David n’a pas demandé de divorce. Voir à ce propos BEN-BARAK, « The Legal Background to the Restoration of Michal to David », dans CLINES/ESKENAZI (éd.), Telling Queen Michal, pp. 85–86, qui examine la question sous l’angle légal. 129
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Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David
vid. Avec tout de même la nuance que pour en arriver là, son itinéraire a enregistré l’étape intermédiaire d’un mariage effectivement conclu avec le fils de Jessé (18,27 ; 19,11) à la faveur de l’amour qu’elle a éprouvé pour ce dernier (18,20.28). Reste que, si on met en parallèle les deux sœurs, sur la base du projet initial de mariage qui les concernait et de la situation matrimoniale consécutive qui leur échoit à l’initiative de leur père, il apparaît que Mikal, à partir de 1 S 25,44, se retrouve dans le même cas que sa sœur aînée Mérav132. En plaçant sa fille cadette dans la même situation que sa sœur aînée, Saül – puisque c’est lui qui est à l’origine de cela – tente d’annuler ou annule de fait ce qui se donnait à lire comme une victoire de David en 1 S 18,27, lorsque, malgré tous les pièges tendus, il a réussi à obtenir la main de la princesse. En effet Mikal était celle par qui David avait réalisé son ambition de devenir le gendre du roi, donc celle par qui il pouvait publiquement revendiquer des liens avec la famille royale. En la donnant à quelqu’un d’autre, Saül exprime son refus d’être lié à David. Il déplace pour l’établir ailleurs celle qui incarnait la passerelle entre lui et David. D’où l’enjeu symbolique et politique de la personne de Mikal. Étant donné cet enjeu, le lecteur peut imaginer que le combat entre les deux hommes, cristallisé autour de Mikal, est loin d’être terminé, ce que le récit confirme en 2 S 3,12–16.
F. Mikal est reprise par David : 2 S 3,12–16 5. F. Mikal est reprise par David : 2 S 3,12–16
Après la notice informant qu’elle est donnée à Paltiel pour femme en 1 S 25,44, Mikal disparaît de la scène pour ne réapparaître qu’en 2 S 3,12–16. Elle revient dans un contexte narratif qui, sur le plan de l’action racontée, a considérablement évolué. On se situe en effet après la mort de son père Saül et de trois de ses frères, dont Jonathan, sur le mont Guelboé (1 S 31–2 S 1). Malgré cela, la rivalité entre David, son premier époux, et Saül reste en quelque sorte d’actualité. Elle s’est même radicalisée en une longue guerre entre la maison de Saül et la maison de David (2 S 3,1). Il faut dire qu’entretemps, David est sacré roi sur Juda à Hébron (2 S 2,1–4a) pendant qu’Ishbosheth, qui est le frère de Mikal, est mis sur le trône d’Israël par Abner (2 S 2,8–11). La situation matrimoniale et familiale de David a aussi évolué : à Avigaïl et Ahinoam, ses deux femmes de 1 S 25,44 et 30, quatre autres sont venues s’ajouter, portant le nombre total à six, chacune de ces
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On comprend dès lors pourquoi en 2 S 21,8 le récit donne l’impression de les interchanger en faisant passer Mikal pour la mère des enfants d’Adriel, fils de Barzillaï, de Méhola, celui-là même que 1 S 18,19 présente comme l’homme auquel Mérav a été donnée.
5. F. Mikal est reprise par David : 2 S 3,12–16
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épouses lui ayant déjà donné un fils (2 S 3,2–5), ce qui renforce sa trajectoire d’étoile montante et sa prestance d’homme puissant 133. Du côté de la maison de Saül cependant, le déclin est amorcé. Les relations se détériorent entre Abner et son neveu Ishbosheth, à l’occasion d’un reproche que le second adresse à son oncle au sujet d’une relation que ce dernier entretiendrait avec une concubine du roi défunt (v. 7). Blessé dans son amour-propre, Abner retire son soutien militaire et politique à Ishbosheth et entreprend de faire alliance avec David pour que celui-ci règne sur Israël (v. 8–11). C’est dans le cadre des démarches pour concrétiser cette alliance politique que Mikal réapparaît. Elle est ramenée à l’avant-plan par David qui pose son retour comme condition préalable à toute négociation. En parlant d’elle à Abner, David la désigne comme « la fille de Saül » (v. 12). Il semble que cette appellation ne soit pas si gratuite. En ce sens, D. Clines fait remarquer qu’Abner, oncle de Mikal, n’a pas besoin qu’on lui rappelle de qui celleci est la fille. Il pense alors que c’est parce que David se situe avec Abner dans une perspective de pur arrangement qu’il adopte cette appellation neutre et sans émotion 134. Au fond, il est clair, d’après le contexte, que la condition posée par David à Abner a pour objectif de tester la bonne foi de ce dernier. De cette façon, la fille de Saül se retrouve une fois de plus à devoir assumer une fonction qui n’est pas vraiment différente de celle qui est la sienne en 1 S 18,20–28 : être l’enjeu du bras de fer politique entre père ou ceux qui en tiennent lieu et David. Mais cette fois-ci c’est son mari qui lui assigne cette fonction. Cela se donne à lire également comme si David profitait d’une occasion inespérée 135 offerte par Abner, pour contester le geste posé par Saül en 1 S 25,44. Là, en effet, le roi avait sans doute donné Mikal sa fille à Paltiel, en vertu de sa paternité. Ici David atteste dans ses propos ce lien de paternité ou de filiation entre Mikal et Saül136 tout en remettant en cause l’usage que Saül en a fait lorsque celui-ci s’est permis de donner Mikal à Paltiel. La
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À ce propos D. BODI, The Michal Affair. From Zimri-Lim to the Rabbis (HBM 3), Sheffield, 2006, p. 33, affirme ceci : « He now appeared as an Oriental potentate ». Pour J. KESSLER, par contre cela constitue une critique contre David, qui malgré six femmes, va retirer l’unique épouse de Paltiel (« Sexuality and Politics : The Theme of the Displaced Husband in the Books of Samuel », CBQ 62 [2000], p. 415). Il ne nous paraît cependant pas que le texte induise vraiment cette lecture. 134 CLINES, « X, X Ben Y, Ben Y : Personal Names in Hebrew Narratives Style », dans ID./ESKENAZI (éd.), Telling Queen Michal, p. 127 ; voir aussi ID., « The Story of Michal in its Sequential Unfolding », p. 136 ; et FOKKELMAN, Throne and City (II Sam. 2–8 & 21– 24), p. 83. 135 Contre COSTACURTA, Lo scettro e la spada, p. 51 qui estime que David s’était préparé à cette éventualité. En tout cas le récit n’est pas clair à ce propos. 136 Pour CLINES, « The Story of Michal in its Unfolding », p. 136, David affirme que Mikal est la « propriété de Saül » comme elle est aussi sa « propriété ».
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Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David
transmission de la requête auprès d’Ishbosheth explicite à l’évidence cette remise en question. À ce dernier effectivement, David dit : « Donne-moi ma femme Mikal, que je me suis acquise pour cent prépuces de Philistins » (v. 15). De cette manière, les deux épithètes « fille de Saül » et « femme de David » qui avaient été accolées en 1 S 25,44 et qui résument son statut sont reprises ici. À des années de distance, David réplique à Saül et rétablit la victoire qu’il avait remportée dans le duel voilé relaté en 1 S 18,20–28. Que 2 S 3,12–16 soit lié à 1 S 18,20–28 se voit à l’évocation des cent prépuces des Philistins. Certes, David avait fourni deux cents à la place des cent demandés, mais on peut comprendre qu’ici il s’en tient à ce qui avait été formellement établi comme dot137. En clair, l’argumentaire sommaire de David se place sur un plan strictement légal138. Ce faisant le fils de Jessé exprime son désir de réparer un tort dont il estime avoir été victime. Il confirme donc qu’il a ressenti comme abusif l’agir de Saül à son encontre par rapport à Mikal139. En demandant le retour de Mikal, David rétablit aussi de fait ses relations avec la famille de Saül avec tout ce que cela peut impliquer en termes d’enjeu symbolique et politique. Et apparemment, c’est ce qu’il recherche140, car rien n’indique dans le texte qu’il exige le retour de sa première épouse pour des raisons purement sentimentales, par exemple. Bien au contraire, s’il est un aspect de leur relation que le récit entoure de discrétion, voire de secret, c’est justement l’implication sentimentale de David par rapport à Mikal141. Nul doute alors que la démarche du fils de Jessé repose fondamentalement sur des motifs politiques 142. Néanmoins, cela n’empêche pas que cette démarche fasse des victimes collatérales143 dont visiblement Paltiel, qui manifeste un 137
Ainsi FOKKELMAN, Throne and City (II Sam. 2–8 & 21–24), p. 84 ; voir aussi COSLo scettro e la spada, p. 52, qui suggère même que ce serait par noblesse d’âme que David passe sous silence sa bravoure de 1 S 18,27. 138 D’après BEN-BARAK, « The Legal Background », pp. 74-90, le retour de Mikal à David a même une assise légale dans la Mésopotamie. David peut réclamer sa femme parce qu’il a dû s’exiler entre-temps pour raison de force majeure et non de plein gré ; contre KESSLER, « Sexuality and Politics », p. 415 ; BODI, Michal Affair, p. 39. 139 KESSLER, « Sexuality and Politics », p. 415. 140 FOKKELMAN, Throne and City (II Sam. 2–8 & 21–24), p. 83 ; COSTACURTA, Lo scettro e la spada, p. 52 ; CLINES, « The Story of Michal in its Unfolding », p. 136 ; ALTER, L’art du récit, p. 167. 141 C’est un aspect bien développé par ALTER dans son ch. 6 : « La caractérisation des personnages et l’art de la réserve », L’art du récit, pp. 157–177. Il y montre que David est essentiellement caractérisé sous son profil d’homme politique et public. 142 Le cadre de négociations d’alliance politiques dans lequel elle s’exprime ne laisse pas de doute à ce sujet (2 S 3,8–13). Voir aussi COSTACURTA, Lo scettro e la spada, p. 53. 143 Dans ce sens FOKKELMAN, Throne and City (II Sam. 2–8 & 21–24), p. 85, écrit : « […] daring to conclude that Paltiel’s bitter loss is the inevitable corollary of Michal’s place in David’s history. David’s being chosen is the brick wall Paltiel walks into ». TACURTA,
5. F. Mikal est reprise par David : 2 S 3,12–16
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désarroi profond au moment où on vient lui retirer Mikal. Le narrateur le montre en train de suivre celle qui a fini par devenir sa femme et pleurer derrière elle, ce qui en dit long sur son attachement à elle. Qu’il puisse être considéré comme le mari de Mikal, cela se lit sans ambiguïté au v. 16 où le narrateur lui-même le désigne comme tel par le titre : « l’homme de Mikal » – plus exactement « son homme » (שׁהּ ָ – ) ִאיau sens de mari144. 145 R. Alter et J. Kessler ont raison, me semble-t-il, de relever, à ce propos, qu’il y a comme une mise en contraste subtile dans le texte entre les paroles de David qui réclame Mikal en l’appelant « ma femme » (שׁ ִתּי ְ ( ) ִאv. 14) et la manière dont le narrateur lui-même présente Paltiel comme l’homme de Mikal (v. 15–16). Deux perspectives se font face : celle de David qui se positionne sur le plan légal et celle où le narrateur montre Paltiel évoluant au niveau de l’attachement affectif. D’après Kessler, le narrateur essaierait ainsi de susciter de la sympathie pour Paltiel et de critiquer indirectement David. Cela reste possible, mais ce qui est certain, c’est que Paltiel est présenté comme la victime collatérale d’un conflit politique où il se retrouve, à son corps défendant, sous les tirs croisés d’hommes plus puissants que lui. Car, comme l’exprime bien Alter, « Paltiel est un homme auquel on a imposé son sort. Mikal lui fut donnée par Saül, évidemment sans son initiative. Il en vint à l’aimer. Maintenant il doit renoncer à elle, et confronté à l’homme fort de Saül par l’ordre péremptoire de retourner, il n’a pas d’autre choix que de retourner »146. Finalement, ce qui est mis en scène et épinglé, c’est la logique impitoyable de la lutte politique qui marginalise et rejette à l’arrière-plan tout
144 Il faut dire que le mot ִאישׁapparaît aussi au v. 15, mais là il est indéterminé, même si les versions modernes de la Bible le traduisent également par « son mari » (voir la TOB ou la BJ, par exemple). 145 ALTER, L’art du récit, p. 168, parlant de Paltiel écrit : « Il est désigné deux fois, à bref intervalle, comme l’homme ou le mari (’ish) de Mikal, un titre que ses sentiments lui permettent certainement de revendiquer, et qui fait écho, non sans une mélancolique ironie, au fait que David, dans le verset précédent, fait usage du terme ’ishti, mon épouse (ou ma femme), pour caractériser une relation d’ordre légal et politique, mais apparemment dépourvue d’émotion en ce qui le concerne. Le récit suggère ainsi un contraste appuyé entre David, qui utilise à nouveau en public des termes soigneusement pesés, et Palti, qui exprime sa douleur personnelle à travers un comportement profondément humain. » Selon KESSLER, « Sexuality and Politics », p. 416, « It is important to underline the symmetry of grammatical formulation of David’s demand, on the one hand, and the narrator’s description of its enactment, on the other. […] The narrator appears to be creating a deliberate contrast between two perspectives, betraying sympathy for one of them ». 146 ALTER, The David Story, p. 211 : « Paltiel is a man whose fate is imposed on him. Michal was given to him by Saul, evidently without his initiative. He came to love her. Now he must give her up, and confronted by Saul’s strongman with the peremptory order to go back, he has no choice but to go back ».
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Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David
ce qui relève de la sphère de l’affectif ou du sentiment 147. Cela explique peutêtre la perspective juridique de David et le fait que le récit n’évoque nullement, à ce stade, les sentiments de Mikal, elle qui pourtant est la première concernée dans ce nouveau transfert d’un mari à l’autre. On peut d’ailleurs se demander ce qu’il en est devenu de son amour pour David après toutes ces années passées loin de lui. A-t-elle fini par l’oublier avec le temps ? Est-elle au courant du nombre d’épouses qu’il s’est acquis ? Si oui, qu’en pense-telle ? Et par rapport à Paltiel qu’elle doit laisser et qui pleure derrière elle, partage-t-elle son attachement ? Autant de questions que le texte laisse en suspens, ainsi que le note R. Alter148, mais qui sollicitent la curiosité du lecteur. Tout cela est enveloppé de silence comme si ce n’était pas pertinent dans le contexte. Manifestement la vision du monde déployée par ce récit est celle d’une société où les tractations en vue du mariage relèvent de prérogatives exclusivement masculines. Ainsi Saül engage en 1 S 18,17–28 des pourparlers avec David afin de proposer à ce dernier d’épouser d’abord Mérav et ensuite Mikal. Dans les deux cas, les deux filles sont tenues à l’arrière-plan de l’action dramatique qui se noue à leur sujet. Dans cette ligne, quand le roi décide en 1 S 25,44 de transférer Mikal à Paltiel, son geste est rapporté avec l’impression que Mikal n’a rien à dire. Enfin en 2 S 3,12–16, la même impression prévaut au sujet de David et d’Abner qui s’accordent sur le retour de Mikal, sans qu’il apparaisse qu’elle a un point de vue à donner. À vrai dire l’accord lui-même ne fait pas l’objet d’une mention explicite dans le texte, puisqu’aucune réaction n’est enregistrée de la part d’Abner, à la suite de la condition que David lui pose comme préalable à toute alliance politique. Néanmoins avec l’envoi de messagers à Ishbosheth par David qui intime l’ordre qu’on lui donne sa femme Mikal, le lecteur comprend qu’un accord a été atteint avec Abner. La requête est directement introduite auprès d’Ishbosheth, probablement parce que celui-ci est doublement le représentant de Saül d’abord en tant que son fils (שׁאוּל ָ )בֶּן־, mais officiellement aussi en sa qualité du roi en place149. Ce qui fournit, comme le pense à juste titre Fokkelman, une assise légale au retour de Mikal.
147
À ce propos, CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 390, écrivent à juste titre que « la raison d’État fait fi de l’amour conjugal ». 148 ALTER, L’art du récit, p. 168 ; voir aussi COSTACURTA, Lo scettro e la spada, p. 53 ; CLINES, « Michal Observed », pp. 47–48 ; BODI, The Michal Affair, p. 39. 149 FOKKELMAN, Throne and City (II Sam. 2–8 & 21–24), p. 83 : « The apposition “the son of Saul” ensures that David addresses him officially. The apposition “The son of Saul” ensures that Saul remains the gauge and directs our attention to the fact that David does not, in the first instance, address his colleague from Mahanaim, neither does he address the private person of Ishbosheth. No, he addresses the representative of the family of Saul who has the most legal reliability regarding Michal ». COSTACURTA, Lo scettro e la spada,
5. F. Mikal est reprise par David : 2 S 3,12–16
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Pourtant vu l’enjeu politique symbolique lié à une réunion effective de Mikal et David, Ishbosheth n’avait justement pas intérêt à ce que cela arrive150. Mais à considérer, d’après 2 S 3,8–11, les rapports de force en présence, il semble évident que le fils de Saül ne dispose pas de moyens pour s’opposer151. Il ne peut que s’exécuter, victime lui aussi d’une situation où il a affaire à plus fort. Aussi est-ce lui qui envoie chercher Mikal chez son mari (v. 15). Au verset suivant cependant le lecteur a la surprise de découvrir Abner qui d’un ordre sec renvoie Paltiel chez lui, ce qui implique que le chef de l’armée de la maison de Saül était l’émissaire dépêché pour prendre Mikal. De celle-ci en revanche aucune réaction n’est rapportée, comme nous l’avons dit. Même ses retrouvailles avec David sont passées sous silence. Du point de vue du lecteur, ce silence peut être interprété comme l’expression de l’impuissance de Mikal, impliquée contre son gré dans un conflit politique où on ne lui laisse d’autre choix que celui de servir de pion aux ambitions politiques de l’un et l’autre camps. Pourtant le récit ne semble pas imputer de responsabilité particulière à David dans les événements impliquant Mikal. Ainsi, en 1 S 18,20–28, il est dépeint dans la posture de celui qu’on veut mettre en péril à travers l’offre en mariage alléchante d’une princesse. Après quelque réserve dûment exprimée, il finit par accepter le marché qu’on lui propose et la situation tourne à son avantage. En 19,11–17, c’est la princesse devenue son épouse qui prend l’initiative de l’aider à échapper au roi qui voulait le tuer. En 25,44, il apparaît en filigrane comme celui à qui Saül fait violence quand il prend sa femme pour la donner à un autre. De ce fait, 2 S 3,12–16 le présente sous les traits de celui qui profite d’une opportunité pour demander à la maison de Saül de rétablir ses droits bafoués en lui p. 52, souligne aussi le caractère officiel de la demande liée au fait qu’elle soit adressée à Ishbosheth. 150 Voir dans ce sens VERMEYLEN, La loi du plus fort, p. 204. 151 COSTACURTA, Lo scettro e la spada, p. 52, interprète la démarche de David comme une manière d’humilier Ishbosheth publiquement et de le contraindre à une soumission afin qu’il comprenne que son aventure royale est terminée. En revanche, selon BENBARAK, « The Legal Background », pp. 88–89 : « David’s demand for the return of his wife on the strength of his being her first husband rests on the basic law and custom of the society. Its breach was liable to tarnish the reputation of Eshbaal the king, marking him as a ruler who attacked the legal foundations of society and in consequence as unconcerned for social order and lawfulness in his kingdom. There can be no doubt that Eshbaal was especially sensitive to his name in this delicate period, when the very existence of his kingdom was in question. […] Thus his desire to create the image of a king who preserves law and order was balanced against his fear of the advantages that a daughter of Saul would give to his adversary David. And the former considerations proved decisive. Only thus can Eshbaal’s action be understood ». Eshbaal, c’est la variante d’Ishbosheth dans la LXX. L’explication que Ben-Barak propose est une lecture qui découle de son souci de trouver un arrière-plan légal à l’agir d’Ishbosheth. Mais d’un point de vue littéraire, il apparaît qu’Ishbosheth avait affaire à plus fort que lui.
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Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David
restituant sa femme. Comme il est loisible de le constater, en tout cela David ne fait que réagir positivement à des situations qu’il n’a pas créées. Il est l’innocent qui, par la force des choses, est parfois mis en demeure de réagir, ce que confirme la suite de l’épisode quand Abner est assassiné par Joab (3,17–39). Élu d’Adonaï depuis 1 S 16,1–13, il ressort que c’est la manière dont on se rapporte à David, pour l’aider ou pour s’opposer à lui, qui constitue la ligne de partage entre les différents personnages en présence. Avec Abner qui cherche à se rallier à lui, avec Mikal qu’il reprend dans sa maison à cette occasion, David n’est plus qu’à un pas de régner sur Israël. Il sera établi effectivement roi sur Israël à partir de 2 S 5,1. Comment va alors se présenter sa relation avec la fille de Saül, voilà ce que nous tenterons de mettre en lumière en examinant la dernière scène qui fait interagir David et Mikal en 2 S 6,16–23.
G. Mikal s’en prend à David : 2 S 6,16–23 5. G. Mikal s’en prend à David : 2 S 6,16–23
L’image poignante de Paltiel pleurant, désemparé, derrière Mikal et l’ordre sec d’Abner mettant fin à cette scène suggestive sont les derniers éléments auxquels le lecteur a eu accès alors qu’on ramenait la fille de Saül à David. De ce fait, il ressort que c’est en chemin que le lecteur perd, pour ainsi dire, les traces de Mikal lors de son retour exigé par David. Car, comme cela a été déjà souligné plus haut, les retrouvailles entre les époux séparés pendant un certain temps font l’objet d’une ellipse de la part du narrateur. Pour lui, seul semble importer, à ce stade du récit, le fait que Mikal est ramenée à David. Aussi passe-t-il rapidement, après que Paltiel a quitté la scène, à la relation des suites des démarches diplomatiques et politiques entreprises par Abner au cours desquelles ce dernier trouvera d’ailleurs la mort, assassiné par Joab (2 S 3,17–39). Quand Mikal revient sur scène, la situation politique en Israël a considérablement évolué : Ishbosheth est mort, assassiné lui aussi (2 S 4), libérant la voie pour David. En 2 S 5,1–6, celui-ci est sacré roi d’Israël, puis il conquiert Jérusalem dont il fait sa capitale politique (5,6–12), avant de remporter deux victoires militaires contre les Philistins (5,17–25). Comme on peut le constater, c’est à l’issue d’événements scellant le pouvoir royal de David sur Israël que Mikal réapparaît en réalité en 2 S 6,16–20, au moment où son mari désormais établi roi et reconnu comme tel est en passe de marquer le succès par le transfert de l’arche d’Adonaï à Jérusalem. C’est dans le sillage de la procession rituelle arrivant avec l’arche dans la Cité de David que l’attention du récit glisse sur Mikal regardant de la fenêtre et, comme en surplomb, ce qui se passe dehors. Le lecteur apprend ainsi et non sans étonnement que la fille de Saül n’est pas partie prenante de la procession joyeuse (שׂ ְמחָה ִ ) ְבּque son mari préside. C’est d’autant plus surprenant que d’après le v. 15, toute la
5. G. Mikal s’en prend à David : 2 S 6,16–23
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maison d’Israël (שׂ ָר ֵאל ְ ִ ) ְוכָל־בֵּית יest supposée y prendre part. À cet égard, J. Cheryl Exum parle d’exclusion et d’isolement152 de Mikal. D’autres auteurs tels que N. Aschkenasy vont même jusqu’à interpréter la posture de la fille de Saül à la fenêtre comme le signe d’un emprisonnement, voire d’une oppression153. Mais au regard surtout de la suite de l’action dramatique qui présente Mikal sortant pour se confronter vigoureusement à son mari, il apparaît que la fille de Saül est tout sauf emprisonnée. En tout cas, elle est libre de ses mouvements et peut même se permettre de s’en prendre publiquement au roi. Cela pousse à se demander si le fait qu’elle soit présentée comme à l’écart de la procession, ce qui donne l’impression qu’elle est isolée, ne procède pas de sa propre initiative. Dans cet ordre d’idées, Fokkelman estime qu’elle est déçue d’avoir aimé David et que cette frustration expliquerait le fait qu’elle s’abstienne de prendre part à la fête qui se déroule154, boudant en quelque sorte la fête de ce jour. Si cela est exact, elle a un comportement analogue à celui de son père en 1 S 18,6–9 : ce dernier s’était aussi isolé en lui-même à l’écart de la victoire que les femmes d’Israël célébraient en riant et en dansant. Quoi qu’il en soit, apparaissant en marge du transfert rituel de l’arche, c’est sous le nom de fille de Saül que Mikal est réintroduite, dans une posture de spectatrice. Du haut de la fenêtre où elle se tient, elle a un regard de surplomb sur le cortège processionnel qui entre dans la cité baptisée du nom de son mari. Que son regard soit surplombant, cela est signifié par le verbe שׁקף que le BDB155 traduit par « look out and down », autrement dit « regarder dehors en bas », ce qui implique qu’on est sur une position élevée par rapport à ce qui est focalisé, avec peut-être en prime la possibilité d’observer sans se faire remarquer. Par ailleurs ce n’est pas la première fois que la figure de Mikal se trouve associée à une fenêtre. On se rappelle qu’en 1 S 19,12, c’est par la fenêtre que la princesse avait dû faire descendre David pour permettre à celui-ci d’échapper aux émissaires postés devant le domicile conjugal. Aussi la revoir
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EXUM, « Murder They Wrote », p. 189 : « In 2 Samuel 6, Mikal occupies the private sphere of the home, safe, but excluded. References to ‘all Israel’, ‘all the people, the whole multitude of Israel, both men and women’, and ‘all the people’ underscore her isolation inside. » 153 N. ASCHKENASY, Woman at the Window : Biblical Tales of Oppression and Escape, Detroit, 1998. Voir aussi M. BAL, Death and Dissymetry : The Politics of Coherence in the Book of Judges, Chicago, 1988, pp. 206–207. 154 FOKKELMAN, Throne and City (II S 2–8 & 21–24), p. 204 : « Her frustration comes out in II 6. She really cannot open up her heart and take part in the celebration. Her misfortune forces her to hold off the festivities and, with a negative view on things, to look down on the abundant energy of her dancing husband. » 155 BDB, sub voce.
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ici regardant à travers la fenêtre 156 ( ) ְבּעַד ַהחַלּוֹןne peut que produire l’effet d’un écho entre les deux scènes, même s’il ne faut pas perdre de vue les circonstances particulières de chacune d’elles. En 1 S 19,12, on était sous le règne de Saül et le geste de Mikal, qui agissait en sa qualité de femme de David, se donnait à lire comme l’expression de sa solidarité avec son mari aux dépens de son père. Ce geste s’apparentait à celui de Rahab (Jos 2,15). Ici, c’est en tant que fille de Saül (שׁאוּל ָ )בַּת־, roi déjà mis hors jeu et dont elle apparaît comme l’ultime descendante, qu’elle est à la fenêtre au moment même où David, son époux, semble au sommet de son règne avec l’introduction de l’arche157 dans sa cité et renvoie l’image triomphante du roi victorieux de tous ses ennemis parmi lesquels figure en première ligne la maison de Saül. Dans cette perspective, on ne peut qu’être d’accord avec D. Seeman lorsqu’il rapproche cette seconde posture de Mikal à la fenêtre de celle de la mère de Sisera158 en Jg 5 et de Jézabel en 2 R 9,30–37159. Ces trois femmes ont en commun qu’étant liées à une famille jouissant du pouvoir, elles regardent par la fenêtre au moment même où la famille qu’elles représentent est en pleine débâcle politique160. Ainsi de la fenêtre par laquelle elle regarde, la fille de Saül voit le roi David en train de « sauter » et de « tournoyer »161 en dansant162 « devant Adonaï ». Comme le remarque Polzin, ce que désignent les deux verbes פזזet כרר que bon nombre de traductions rendent, d’après le contexte, par « sauter » et « tournoyer » reste incertain163. Malgré cela, il demeure que la vision de Mi156
La posture de « la femme à la fenêtre » est un motif biblique récurrent beaucoup étudié dans l’exégèse surtout féministe : ainsi ASCHKENASY, Woman at the Window ; BAL, Death and Dissymetry, pp. 206–207 ; EXUM, Tragedy and Biblical Narrative, p. 89. Mais l’exégèse féministe n’est pas évidemment la seule à s’y arrêter. Ainsi par exemple D. SEEMAN, « The Watcher at the Window : Cultural Poetics of Biblical Motif », Prooftexts 24 (2004), pp. 1–50. 157 Voir à ce propos SEEMAN, « The Watcher at the Window », p. 35 : « David’s rise and Saul’s decline continue through a variety of episodes, but reach an apparent climax in 2 Samuel 6, with the return of David and the ark of the Lord to Jerusalem ». Voir aussi CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 419. 158 SEEMAN, « The Watcher at the Window », p. 22 : « Like Sisera’s mother, Michal gazes out on the downfall of a house with which she is identified. She witnesses the warrior David returning from battle not so much against the Philistines as against her father’s legacy, which he seems irrevocably to have supplanted ». 159 Ibid., p. 24. 160 Ibid. : « Like Sisera’s mother and Michal, she plays a central role in the regime whose final downfall she watches from her window ». 161 Ainsi la BJ et la TOB. Voir aussi CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 417. 162 Pour A. CAQUOT, Les danses sacrées, Paris, 1963, pp. 121–143, il s’agirait de danses sacrées exécutées dans le cadre de cultes de fertilité ; voir dans ce sens également B. ROSENSTOCK, « David’s Play : Fertility Rituals and the Glory of God in 2 Samuel 6 », JSOT 31 (2006), pp. 63–80. 163 POLZIN, David and the Deuteronomist, p. 62.
5. G. Mikal s’en prend à David : 2 S 6,16–23
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kal rejoint fondamentalement ce que le narrateur lui-même attribuait à David au v. 14 où le participe ְמכ ְַרכֵּרest déjà utilisé pour qualifier l’action du roi « devant Adonaï » () ִל ְפנֵי י ְהוָה. En ce sens, même s’il n’y a pas de certitude absolue par rapport au sens exact de ce verbe ainsi que de ְמ ַפזּ ֵזqui le précède, il apparaît que c’est en voyant l’attitude ainsi décrite de David – plus exactement du roi – que Mikal se met à le mépriser. En tout cas, la texture actuelle du récit énonçant d’abord ce que voit Mikal, puis ensuite ce qu’elle ressent, induit un lien de causalité entre sa perception et son sentiment intérieur () ְבּ ִלבָּהּ. De cette manière le narrateur use de son omniscience pour épingler une évolution au niveau des sentiments de Mikal par rapport à David. Car de la double mention de son amour pour David en 1 S 18,20.27, au mépris qu’elle éprouve envers lui en 2 S 6,16 il y a manifestement un changement qu’on peut appréhender comme une distance qui s’est creusée entre les deux époux. Sous cet angle, la prise de distance physique que marque Mikal, par rapport à ce qui mobilise son mari lors du transfert de l’arche d’Adonaï, apparaît, peut-être après coup, comme symptomatique d’un éloignement vécu sur le plan des sentiments. Pourtant le narrateur se garde bien de dire ce que la danse exécutée par David devant Adonaï comporterait de méprisable. Ce faisant, il donne l’impression d’une réaction surprenante, voire disproportionnée 164 de la part de Mikal. La réaction de cette dernière apparaît même secondaire 165 au regard de la suite immédiate du récit. En effet, comme si de rien n’était, l’attention du lecteur est ramenée sans transition à l’arrivée de la procession de l’arche d’Adonaï, placée dans une tente déjà apprêtée pour elle (v. 17a). Puis David, faisant office de maître166 de cérémonie, offre des holocaustes et des sacrifices de paix en présence d’Adonaï, ce qui fait ressortir le caractère religieux du rite célébré. Après, il bénit ou salue167 tout le peuple au nom d’Adonaï (v. 18), procède à une distribution de gâteaux avant que tout le peuple s’en aille chacun à sa maison (v. 19). Une fois le peuple renvoyé, « David se retourna pour bénir sa maison et Mikal, fille de Saül sortit à la rencontre de David et elle dit : qu’il s’est honoré aujourd’hui le roi d’Israël qui s’est découvert aujourd’hui aux yeux des 164
ALTER, L’art du récit, p. 169, parle lui de colère à « caractère “surdéterminé” ». Même si sur le plan narratif, elle prépare la confrontation finale des v. 20–22. 166 L’offrande d’holocaustes et de sacrifices de paix le met dans une posture sacerdotale. Dans ce sens, HERTZBERG, I & II Samuel, p. 280 : « It is important that David here exercises priestly functions, just as it is also reported that he blesses the people » ; FOKKELMAN, Throne and City (II S 2–8 & 21–24), p. 199 affirme : « Michal mocks him in the exercise of his priestly office and insinuates that his religious surrender to God is something quite different » ; CAQUOT – DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 418 : « […] le roi joue également un role sacerdotal en donnant la bénédiction à l’assemblée […] ». 167 Le verbe ברךpeut signifier aussi « saluer » (Cf. BDB, sub voce). Il revient plusieurs fois en 2 S 6, aux v. 11,12,18,20. 165
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Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David
servantes de ses serviteurs comme se découvrent certainement des hommes de rien ! » (v. 20). La sortie de Mikal à la rencontre de David juste au moment où celui-ci se retourne pour bénir sa maison induit à penser que, depuis la fenêtre, la fille de Saül a dû guetter, son mari pendant tout le temps qu’il était occupé à jouer les maîtres de cérémonie. Elle a donc dû ruminer son mépris et peut-être aussi sa colère, tout ce temps. Aussi ne tient-elle plus en place dès qu’elle le voit s’apprêter à rentrer. Elle le rejoint dehors168 et sur le ton virulent du sarcasme elle lui envoie en pleine figure ce qu’elle pense de l’attitude qu’il a eue face au peuple. Elle l’accuse de n’avoir pas eu une attitude royale digne en présence notamment des servantes de ses serviteurs, aux yeux desquelles il se serait découvert. L’emploi dans le contexte du verbe גלהau Niphal que nous traduisons par « se découvrir », associé à l’évocation des « yeux des servantes » insinue que David a donné dans l’indécence et qu’il a exposé en public ce qui devait relever du privé et de l’intime. La première idée qui vient à l’esprit est qu’il y a vraisemblablement des sous-entendus de nature sexuelle dans la dénonciation portée. Ce qui fait dire à Exum que Mikal accuse David de « vulgarité sexuelle »169 et à Alter, qu’elle « fait de David un exhibitionniste au sens technique, sexuel »170. Il semblerait qu’en dansant de toutes ses forces, revêtu du seul éphod de lin (v. 14)171, « David n’a rien caché de sa virilité »172. Et vu que cela transparaît dans les propos d’une épouse furieuse s’adressant à son mari, il n’est pas improbable que soit aussi en jeu quelque pointe de jalousie féminine. Or si une telle lecture était exacte 173 , elle ne procéderait que de l’interprétation que Mikal a des faits. Car rien dans le texte, à part ses propos 168 FOKKELMAN, Throne and City (II S 2–8 & 21–24), p. 196, suppose qu’elle le rencontre dans la porte ou tout juste devant et qu’il y a encore des gens avec lui. Cela est vraisemblable surtout si on ne prend pas à la lettre la transition ménagée dans le texte à savoir que c’est une fois parti le peuple que David se retourne pour bénir sa maison. Apparemment l’affront ayant été public, c’est en public que Mikal entend aussi le laver. 169 EXUM, Tragedy and Biblical Narrative, p. 87 ; ID., « Murder They Wrote », p. 183. 170 ALTER, L’art du récit, p. 170. 171 CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 417, perçoivent aussi un lien entre le v. 14 et les reproches que Mikal formule après. 172 ALTER, L’art du récit, p. 170. 173 Ce que réfutent POLZIN, David and the Deuteronomist, pp. 66 et COSTACURTA, Lo scettro e la spada, pp. 126–127 : « Non si tratta dunque di una veste [l’efod di lino] sconveniente, né sembra verosimile pensare che Davide in occasione di un evento tanto importante e pubblico come il trasferimento dell’arca, con tutte le sue implicazioni sacrali, abbia indossato un indumento che avrebbe potuto lasciare scoperte le parti genitali. Per quel che riguarda poi il verbo utilizzato dalla donna (glh, in coniugazione Niphal), esso ha per lo più il significato generico di “rivelarsi, mostrarsi, farsi vedere, apparire” ; solo in particolari casi questo ha a che fare con il denudarsi del corpo, che viene allora esplicitato. L’accusa che la figlia di Saul rivolge a Davide non sembra dunque dover necessariamente
5. G. Mikal s’en prend à David : 2 S 6,16–23
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à elle, ne suggère que David a un comportement indécent. Le récit répète à l’envi que David danse devant Adonaï (( ) ִל ְפנֵי י ְהוָהv. 14,16,17,21) ou qu’il agit en son nom (v. 18 : שׁם י ְהוָה ֵ ) ְבּ. D’ailleurs c’est ce que Mikal elle-même voit en regardant de la fenêtre : le texte dit explicitement au v. 16 qu’ « elle vit le roi David qui sautait et tournoyait devant Adonaï et elle le méprisa dans son cœur ». La perspective reflétée dans ce verset est en toute vraisemblance la sienne174 et elle concorde, faut-il le rappeler, avec ce que le narrateur luimême rapporte peu avant de l’attitude de David. Se pose alors la question de savoir comment concilier le contenu à peine évoqué de la perception de la fille de Saül et la forte explosion émotionnelle qui en découle par la suite. Il est tout à fait probable que le récit suggère que la réaction de Mikal déborde le cadre strict de ce à quoi elle se rapporte dans le contexte. Ce cadre servirait en fait de catalyseur à Mikal, voire de prétexte, pour régler des comptes restés longtemps en suspens avec son mari. Et des comptes, elle avait de quoi en avoir avec David au regard surtout de l’attitude apparemment indifférente et négligente de ce dernier à son égard. De ce point de vue, si son amour pour David n’a jamais, au début du moins, fait l’ombre d’un doute, il ressort que la réciproque est loin d’être évidente ; car là où le fils de Jessé a posé un acte qui la concernait, comme par exemple le fait de doubler le prix de la dot pour l’avoir pour épouse (1 S 18,27) ou d’envoyer la reprendre à Paltiel (2 S 3,13– 16), il s’est toujours agi de situations où il avait beaucoup à gagner sur le plan politique. D’où la difficulté, en définitive, de connaître les motivations profondes qui l’animent : agit-il par amour ou par calcul politique ? On peut donc comprendre qu’elle explose en 2 S 6,20 et qu’elle se montre virulente et sarcastique à l’issue de frustrations douloureusement ressenties et nées, à ses yeux du moins, de manques d’égards et d’attentions chaleureuses 175. Toutefois cela ne serait que l’arrière-plan psychologique, voire l’envers subconscient de la réaction de Mikal. Dans ce qu’elle-même exprime, elle se situe sur le plan de la dignité royale. En ce sens, elle parle en tant que fille de
andare nella linea di una impropria e riprovevole esibizione di nudità, ma riguarderebbe piuttosto il fatto di essersi mostrato davanti al popolo in modo non adeguato alla sua dignità regale ». Mais alors on peut se demander pourquoi Mikal incrimine seulement ce que les regards des servantes ont dû voir. 174 Dans ce sens aussi FOKKELMAN, Throne and City (II S 2–8 & 21–24), p. 196 : « In 16c the narrator follows her perspective, for the king’s daughter “sees king David leaping and clapping before the eyes of the Lord” ». 175 Ainsi ALTER, L’art du récit, p. 169 : « L’auteur biblique sait aussi bien qu’un lecteur moderne féru de psychologie qu’une réaction émotionnelle peut avoir une préhistoire complexe. En omettant toute explication causale lorsqu’il mentionne le mépris de Mikal, l’auteur suggère finement le caractère “surdéterminé” de sa colère méprisante, et laisse entendre que cette colère porte la charge affective de tout ce qui n’a pas été exprimé (mais a été indirectement suggéré) au sujet de la relation de Mikal et de David. »
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son père, l’ancien roi Saül et elle développe une rhétorique de l’honneur 176 portée par l’emploi, d’entrée de jeu, du verbe כבד177 au Niphal, accolé au titre royal de David (שׂ ָר ֵאל ְ ִ ) ֶמלְֶך י. Elle déploie ensuite le sens personnel et circonstancié qu’elle donne à ce terme en le réduisant à une action de se dévoiler devant les « yeux des servantes de serviteurs », action qu’elle compare finalement à celle d’un homme de rien. Le mot ֵריקque nous rendons ici, avec la BJ et la TOB, par « homme de rien » signifie en fait « vide ». Comme on le constate, Mikal fait appel également à un vocabulaire relatif aux distinctions de rang social. Forte sans doute de son statut de princesse, elle estime en substance qu’en se donnant en spectacle comme il l’a fait devant les « servantes » – ces femmes qui, du point de vue de Mikal, appartiendraient au rang social le plus bas178–, David a eu un comportement dégradant et déshonorable pour sa fonction de roi. Autrement dit, il ne revenait pas au roi, en sa qualité hiérarchique de supérieur, de danser devant les derniers de ses sujets. Il s’avère en fin de compte que Mikal parle d’honneur, mais pour dire que le roi David l’a perdu en transgressant les codes protocolaires et culturels liés à la fonction royale. Elle en parle donc de manière ironique, car elle dépeint une situation de honte. Et c’est d’autant plus ironique que son invective vient au terme d’une cérémonie rituelle qui consacre, entre autres choses, le triomphe de David, sa gloire comme roi auquel tout a réussi. Dans sa réponse à ce qui paraît être une attaque frontale, David se situe aussi sur le plan de l’honneur ou du manque d’honneur, voire de la honte. Il corrige d’abord la perspective de Mikal en rendant explicite ce que le narrateur avait dit plus haut et que le lecteur sait déjà, à savoir que c’est « devant Adonaï » qu’il a joué179. Autrement dit, le destinataire exclusif du rite qu’il vient d’accomplir n’est autre qu’Adonaï, l’autorité suprême s’il en est. Il n’y a donc pas transgression du code de l’honneur. Et comme pour dissiper tout doute à ce sujet, le fils de Jessé encadre sa première tirade par un double emploi de l’expression « devant Adonaï » () ִל ְפנֵי י ְהוָה. Entre les deux occur176
Bon nombre de termes décrivant son attitude, comme par exemple le verbe בזהau v. 16, ou employés par elle, comme כבד, ריקrelèvent du vocabulaire de l’honneur ou de la honte. Voir à propos du vocabulaire d’honneur/honte S. M. OLYAN, « Honor, Shame, and Covenant Relations in Ancient Israel and Its Environment », JBL 115 (1996), pp. 203–206 (cf. surtout la n. 6). On peut aussi ajouter au vocabulaire l’opposition « roi d’Israël »/« servantes des serviteurs » (v. 20). 177 Le verbe כבדsignifie en premier « être lourd » et par extension, au Piel il veut dire « honorer ». Ce qui donne au verbe Niphal le sens de « s’honorer » ou « être honoré », ou « être reconnu comme ayant du poids, comme étant lourd ». Du verbe découle le substantif כָּבוֹדqui signifie « gloire », « poids ». Voir C. WESTERMANN, « כבדkbd to be heavy », TLOT, II, pp. 590–602. 178 On peut déduire cela de l’expression « servantes des serviteurs » qui implique que les femmes dont il est question occupent un statut subalterne par rapport à ceux qui sont déjà désignés comme serviteurs du roi. 179 שׂחקa le sens ordinaire de « jouer », « s’amuser ».
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rences de cette expression, il désigne Adonaï comme celui qui l’a choisi de préférence au père de Mikal et à toute sa maison pour l’instituer prince ou chef ou guide180 sur le peuple d’Adonaï, sur Israël (v. 21ab). À la lumière de cette longue incise il apparaît que David déplace ou place – c’est selon – le débat dans le contexte plus large de la confrontation ou rivalité politique entre lui et Saül et la maison de ce dernier. Il réaffirme et confirme la vérité théologique de l’élection divine 181 qui, depuis 1 S 16, traverse, tel un fil rouge, tout le récit de l’histoire de sa relation avec Saül. Mais pourquoi alors est-ce à Mikal qu’il décoche cette flèche à ce stade du récit ? A-t-il perçu dans sa manière de s’adresser à lui en l’apostrophant comme « le roi d’Israël » quelque accent témoignant du fait qu’elle s’exprime en tant que « fille de Saül » – ce que le lecteur sait sur indication du narrateur – et que c’est de ce point de vue qu’elle tente de dénigrer sa façon à lui de régner ? Quoi qu’il en soit, en réagissant de la sorte, ce qui, à première vue, semblait être une simple scène de ménage, se voit transformé en un affrontement politique où Mikal n’est pas tant l’épouse de David que la représentante de la maison de Saül182. La réponse ne s’arrête pas à cet aspect des choses ; elle comporte aussi un second volet qui se focalise davantage sur la question de l’honneur, mise en avant par Mikal. David commence par dire à son épouse qui lui reproche de s’être dévalorisé, qu’il va faire pire que ce qu’elle a vu. En ce sens, il emploie le verbe קללau Niphal qui signifie « s’abaisser » et est l’antonyme de כבדau Niphal. Il y ajoute l’adverbe עודpour marquer l’idée de permanence ou de répétition. Et pour insister davantage il emploie l’adjectif שׁפל183 qui a le sens de « bas » en vue d’affirmer qu’il sera bas à ses yeux. Mais il conclut en disant que même en s’humiliant de la sorte, il sera honoré ( ) ִא ָכּ ֵב ָדהauprès des 180
Le mot נָגִידpeut avoir ces trois sens. D’après HERTZBERG, I & II Samuel, p. 281 ce terme renforce la dimension vocationnelle de la royauté. 181 La dimension théologique est même martelée ici avec force par le truchement d’une insistance et qui consiste à dire, après l’affirmation d’avoir été choisi par Adonaï, que c’est pour être « nagîd », « sur le peuple d’Adonaï », « sur Israël ». D’après FOKKELMAN, Throne and City (II S 2–8 & 21–24), p. 202, par cela, David veut signifier à Mikal qu’il n’est pas guide de n’importe quel peuple, mais bien du peuple même de Dieu. 182 Dans ce sens EXUM, « Murder They Wrote », p. 186 affirme : « The animosity between the houses of Saul and David is then symbolically resolved as a marital conflict ». 183 D’après CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 418, l’humiliation signifiée par ce verbe « pourrait évoquer l’affaire d’Urie et Bath-Shéba et la condamnation de Natan (cf. 12. 13) suivie de la gloire que représentera la naissance de Salomon ». Mais n’est-ce pas supposer que David sait déjà qu’il va tomber avec la femme d’Urie ? Peut-être le lecteur déjà au courant de toute l’histoire de David peut-il comprendre les choses de cette manière, sinon il ne paraît pas que le récit donne quelque indice dans le sens indiqué par ces auteurs. D’ailleurs l’humiliation dont David parle ici est présentée positivement alors que dans l’affaire de la femme d’Urie, le comportement du roi est blâmé par Dieu luimême.
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« servantes » dont Mikal a parlé. De ce fait, David et Mikal ne manifestent pas la même considération pour les servantes autour desquelles se cristallise leur litige. Si, dans les propos de la fille de Saül, celles-ci apparaissent telles des moins que rien qui se délectent de la nudité de David, pour le fils de Jessé, en revanche, elles sont des femmes capables d’apprécier son comportement à sa juste valeur. La ligne argumentative de David déploie le paradoxe du « qui s’abaisse sera élevé »184. Et le moins qu’on puisse en dire, c’est que le roi y met autant de verve, voire davantage, que Mikal, comme s’il avait été piqué au vif dans son orgueil. Il en résulte un tour rhétorique percutant face auquel la fille de Saül reste sans parole. En tout cas le texte ne fait état d’aucune réponse de la part de celle-ci. L’impression ainsi dégagée est que l’avantage est à David, qui a su énergiquement remettre Mikal à sa place. Au fond, les propos vifs que Mikal et David s’échangent peuvent se donner à lire comme l’illustration dramatique d’un conflit d’interprétations sur ce qu’est l’honneur. Le débat tourne autour de l’appréciation à donner au comportement de David devant l’arche d’Adonaï. Du point de vue de Mikal, ce comportement est inconvenant : il a consisté à s’exhiber devant les servantes. Mais pour David, il s’agit d’une expression de piété envers le Dieu d’Israël envers qui il n’y a pas de retenue royale qui tienne. C’est cette position que le récit semble avaliser en laissant le dernier mot au roi, surtout par la phrase du narrateur qui ponctue la scène. Le litige a son foyer précis dans la détermination ultime du ou des destinataires de la danse du roi. Par ailleurs, cet échange est le seul que le récit attribue aux deux époux dans toute l’intrigue. Certes une parole de Mikal à David est rapportée en 1 S 19,11, mais là, la fille de Saül est la seule à s’exprimer et son mari se contente d’obéir sans rien dire. Plus tard, le retour forcé de Mikal de chez Paltiel (2 S 3,16) semblait, du point de vue du lecteur, présenter une belle occasion de dialogue, et là non plus il n’en est rien. C’est d’autant plus frappant que le récit biblique est friand de dialogues. D’où la conclusion de R. Alter185 qui estime que l’absence notoire d’échange entre David et Mikal relève d’une stratégie narrative bien orchestrée de la part du narrateur pour donner plus d’effet à leur dialogue explosif de 2 S 6,20–22. Il s’ensuit que la seule fois où David et Mikal dialoguent, c’est pour se quereller publiquement, ou que la première fois que le roi s’adresse à son épouse, c’est pour la rabrouer durement. Ce qui pourrait apparaître comme un manque de gratitude après tout ce que la princesse a pu faire pour lui186. Pourtant, à examiner plus attentivement 184
Voir à ce propos HERTZBERG, I & II Samuel, p. 281 ; W. BRUEGGEMANN, « 2 Samuel 6 », dans CLINES/ESKENAZI (éd.), Telling Queen Michal, p. 123. 185 L’art du récit, p. 168. 186 Ainsi ALTER qui affirme dans L’art du récit, p. 171 : « Le monarque consacré par l’onction reste un mari dur, insensible vis-à-vis de la femme qui l’a aimé et à qui il doit la vie ».
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cette scène, il n’émerge pas du récit l’impression que le fils de Jessé maltraite Mikal ou agit mal vis-à-vis d’elle. En réalité, David est présenté comme réagissant à une agression apparemment gratuite portée contre lui. À cet effet, le narrateur lui-même relate au v. 14 que David danse devant Adonaï. Ensuite cela est astucieusement reflété dans le regard de Mikal à travers la fenêtre. Ce qui déconstruit l’accusation qu’elle formule peu après et qui va au-delà de ce qu’elle-même a perçu. Quand David est amené à réagir, sa réponse est à lire comme si elle procédait de la volonté légitime de rétablir les faits tels qu’ils se sont réellement déroulés, ce à quoi la fille de Saül elle-même ne trouve rien à redire. Le narrateur donne le sentiment qu’il relate toute cette action dramatique de façon objective, c’est-à-dire en s’en tenant aux faits. Néanmoins la manière dont il les agence laisse penser qu’il approuve David, sans que le lecteur puisse le soupçonner de parti pris. Alors Mikal, fait-elle preuve de mauvaise foi ? A-t-elle tort de parler à David sur le ton qu’elle utilise ? Se laisse-t-elle aveugler par la jalousie ? Au regard de ce que nous venons de dire, il ne serait pas infondé de répondre par l’affirmative aux trois questions. Ce qui est sûr c’est que, immédiatement après cette altercation, le récit résume le destin de Mikal en signalant qu’elle n’eut pas d’enfant jusqu’au jour de sa mort. Dans le contexte, cela fonctionne comme un épilogue à la scène, ce qui sous-entend que l’échange vif avec David a eu des conséquences pour Mikal. À la lumière du grand malheur que représente la stérilité pour une femme – ce que documentent de nombreux passages bibliques187 –, cette information sonne comme un coup dur porté à Mikal. Elle campe celle-ci en effet dans la posture d’une femme non complètement réalisée, avec, au premier abord, l’implication qu’elle est peut-être punie 188 pour avoir mal parlé à son mari. Pourtant tel qu’il est énoncé, le v. 23 entretient une ambiguïté qui ne permet pas formellement de déterminer si Mikal est stérile parce que frappée par la justice divine ou par une sorte de justice immanente ou si elle l’est parce que mise en quarantaine 189 par un David revanchard qui s’est abstenu de se comporter vis-à-vis d’elle comme un mari. Pour J. C. Exum, il faut aussi prendre en compte la possibilité que Mikal se soit refusée elle-même à David 190 . Tout cela reste théoriquement possible 191 , avec néanmoins 187
Le cas d’Anne en 1 S 1 en dit long à ce sujet. Voir aussi Rachel en Gn 30. On peut évoquer également le cas d’Élisabeth en Lc 1,25. 188 Ainsi HERTZBERG, I & II Samuel, p. 281, qui pense que Mikal est punie par Dieu lui-même. Pour CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 418, « La stérilité de Mikal (v. 23) est présentée implicitement comme la conséquence de son mépris pour le culte de l’arche : elle se trouve privée de la fécondité que celui-ci est supposé apporter aux familles qui le pratiquent selon les v. 11s ainsi que 1 Sam. 1 ». 189 En 2 S 20,3 David met ainsi de côté ses concubines approchées par Absalom en 2 S 16. 190 EXUM, « Murder They Wrote », p. 185.
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l’impression que toutes ces hypothèses ne présentent finalement qu’un intérêt spéculatif. Cela étant, la question fondamentale revient peut-être à se demander quelle fonction narrative remplit cette notice sur la stérilité de Mikal. En considérant le contexte immédiat où elle est énoncée, il apparaît qu’elle fonctionne de manière à exclure non seulement Mikal, mais toute la famille de Saül, des promesses divines de royauté éternelle faites à David en 2 S 7. En cela, elle remplit la fonction narrative de réalisation du rejet divin signifié à Saül par le prophète Samuel en 1 S 13,13–14. Ce rejet stipulait que puisque Saül avait agi en insensé, Adonaï n’établirait pas pour toujours sa royauté sur Israël et qu’à cause de cela il s’était choisi un homme selon son cœur qu’il instituait guide sur son peuple. À cet égard, il est intéressant de relever comment dans la première partie de sa réplique à Mikal, David reprend, quasiment mot pour mot, l’essentiel des expressions significatives de ce rejet, comme par exemple « être établi guide » par « Adonaï » sur le « peuple d’Adonaï ». On comprend dès lors l’insistance du récit à présenter Mikal en 2 S 6,16–23 seulement sous l’angle de sa filiation à Saül. Trois fois en effet les v .16, 20 et 23 la désignent comme « Mikal, fille de Saül » et ce, dans une confrontation avec David. Ainsi, Mikal apparaît ici principalement dans la posture de membre de la famille de Saül dont elle fait entendre la voix en un ultime sursaut politique aussi désastreux que désespéré. À la lumière de cette note finale du parcours narratif de Mikal, il s’avère que l’alchimie n’a pas fonctionné entre son lien de parenté avec Saül et son aventure d’épouse de David. Peut-être est-il impossible à Mikal d’assumer sa double appartenance du fait, ainsi que l’exprime Exum192, du caractère exacerbé de la longue rivalité politique entre les deux maisons et de la dimension exclusive de leurs revendications politiques respectives ; si ce n’est que la raison théologique commandait aussi une issue de ce genre193. Car la sentence divine transmise à Saül en 1 S 13,13 laisse entendre qu’il n’a plus d’avenir dynastique, ce qui implique que sa descendance est écartée du trône d’Israël.
191
Comme tout aussi bien d’autres théories développées dans la littérature rabbinique (voir à ce propos BODI, The Michal Affair, p. 88 ; T. C. ESKENAZI, « Michal in Hebrew Sources », dans CLINES/ESKENAZI [éd.], Telling Queen Michal, p. 159) à savoir que Mikal aurait eu un enfant le jour de sa mort ou qu’elle aurait eu d’autres enfants ailleurs, surtout en référence à 2 S 21,8. 192 EXUM, « Murder They Wrote », pp. 183–184 : « The intense nature of the SaulideDavidic rivalry, however, the exclusiveness of each’s claim to the throne, makes it impossible for Michal to belong to both houses at once. She becomes a victim of their prolonged conflict, and her two attempts to act autonomously by choosing her own allegiances result only in her own losses ». 193 Ibid., pp. 185–186, où l’auteure déclare, dans cette perspective, que « Saul’s house threatens David politically and YHWH theologically ».
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D’après J. Morgenstern, le mariage de David et Mikal présente les traits d’un mariage de type matriarcal qu’Israël aurait connu, à l’instar d’autres peuples voisins, à un certain moment de son histoire. Sous ce régime matrimonial, les enfants qu’aurait pu avoir Mikal auraient vraisemblablement été perçus comme appartenant davantage au clan de Saül qu’à celui de David194. Et même si entre-temps, Mikal a été donnée en mariage à Palti, il reste qu’en retournant chez le fils de Jessé qui la réclame, elle retrouve sa place d’épouse de ce dernier, voire sa toute première épouse. Dans une situation de ce genre, tout fils qu’elle aurait engendré aurait pu, le moment venu, prétendre au trône et permettre ainsi à la famille de Saül de continuer à avoir part à la royauté d’Israël. Mais la stérilité dont Mikal est frappée écarte ce scénario. Pour en arriver là, le récit lui fait faire un parcours narratif dans sa relation à David, analogue à celui de son père, une relation qui vire de l’amour au non-amour. À cet effet, il se révèle intéressant de mettre en regard 1 S 18,6–9 et 2 S 6,16–23195, les deux épisodes où le récit relate les moments des métamorphoses respectives de Saül et de Mikal dans leurs rapports au fils de Jessé, pour voir se dégager quelques similitudes significatives, malgré des particularités irréductibles. Dans ce sens, on peut noter que ces épisodes s’ouvrent tous deux sur un retour du roi à la maison, dans un contexte de jubilation populaire avec des instruments de musique et au pas de danse 196. En outre, ces célébrations populaires ont ceci de commun que pendant qu’elles se déroulent avec une attention spéciale accordée à David et en impliquant la participation de femmes, Saül s’en isole en 1 S 18,6–9 et Mikal en 2 S 6,16. Pour l’un comme pour l’autre, la raison qui justifie la non-participation à la fête populaire s’avère être en lien avec une attitude supposée entre David et les femmes présentes à cet événement. Dans cette optique, Saül voit d’un mauvais œil que les femmes d’Israël fassent la part belle à David dans les éloges qu’elles chantent. Il perçoit en cela une menace pour son trône, qui déclenche un sentiment de jalousie suggéré par l’attitude signifiée par le verbe עוֹי ֵן. Quant à Mikal, elle n’apprécie pas que David se découvre devant les servantes de ses serviteurs et ce, au moment où il conforte son assise sur le trône d’Israël. Elle y voit implicitement une menace pour sa relation matrimoniale, ce qui implique aussi une sorte de jalousie. De cette manière, il ressort que c’est poussé par la jalousie liée à des enjeux d’ordre politique que les sentiments de Saül et de Mikal pour David virent de l’amour à l’inimitié ou de l’affection 194
MORGENSTERN, « Beena Marriage (Matriarchat) in Ancient Israel », p. 93. R. G. BOWMAN, « The Fortune of King David/The Fate of Queen Michal : A Literary Critical Analysis of 2 Samuel 1–8 », dans CLINES/ESKENAZI (éd.), Telling Queen Michal, pp. 118–119, effectue déjà cette comparaison entre les deux épisodes. C’est de ses observations que nous partons. 196 Les verbes employés pour décrire ces danses sont cependant différents. 195
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Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David
au mépris. Ce qui, en dernière analyse, fait de Mikal la vraie fille de son père, au sens où on pourrait dire, tel père, telle fille. Un élément cependant vient nuancer quelque peu la figure de la princesse en mettant en relief un trait de son caractère qui se donnait à lire in nuce dès sa première entrée dans l’intrigue : c’est que contrairement à son père qui, dans un premier temps, cherche à camoufler son inimité contre David (cf. 1 S 18,17–27), Mikal, elle affronte directement son mari pour lui exprimer en face tout le mépris qu’elle éprouve à son égard. Elle apparaît en ce sens comme une femme qui dit ce qu’elle pense et comme elle le pense. Le problème, c’est qu’aller contre David, l’élu d’Adonaï, c’est se mettre aussi de facto dans une posture d’opposant à Adonaï, ce qui peut s’avérer contre-productif et suicidaire. Et apparemment, c’est l’expérience qui est celle de la princesse : « et Mikal, fille de Saül n’eut pas d’enfant jusqu’au jour de sa mort » (2 S 6,23).
H. Caractérisation et rôle de Mikal 5. H. Caractérisation et rôle de Mikal
À l’issue de l’analyse narrative de ces scènes distribuées çà et là dans l’intrigue, le moment est venu de recueillir les traits de caractérisation de Mikal et de déterminer le rôle qui lui est imparti. Dans cette perspective, un regard panoramique sur l’ensemble des épisodes où Mikal est évoquée, met en évidence qu’en dehors de 1 S 19,11–17 et 2 S 6,16.20–23 où elle se montre particulièrement dynamique et active, elle est d’une passivité notoire dans les autres. J. C. Exum s’est intéressée particulièrement à la manière dont sont disposées ces scènes. Elle fait remarquer que chacune des deux scènes où Mikal est active est encadrée par des scènes où elle est simplement l’objet de machinations politiques. Ainsi ce qu’elle fait pour sauver David en 1 S 19 est entouré de scènes où Saül utilise Mikal à des fins politiques aux dépens de David ; de même, ce qui est raconté d’elle en 2 S 6 est précédé par un récit où David utilise Mikal pour renforcer sa candidature au trône197. Exum fait ces observations pour montrer, en conclusion, comment déjà sur le plan de la mise en récit, Mikal est comme prise en tenaille, dans une sorte d’« emprisonnement narratif » qui souligne l’impossibilité pour la princesse d’être autonome, réalité qui revient plus tard dans sa posture de femme à la fenêtre198. Il faut dire que le point de vue d’Exum se veut résolument féministe en ce sens que l’auteure entend mettre en lumière la vision prioritairement androcentrique et patriarcale de la manière dont le narrateur manipule la présence féminine199. 197
EXUM, Fragmented Women, p. 44. EXUM déploie la même lecture dans son ouvrage Tragedy and Biblical Narrative, pp. 83–84. 198 EXUM, Fragmented Women, p. 45 ; ID., Tragedy and Biblical Narrative, p. 84. 199 EXUM, Fragmented Women, p. 11.
5. H. Caractérisation et rôle de Mikal
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Il ne fait aucun doute que, provenant d’une culture antique traditionnelle, la Bible porte nécessairement les marques de la vision du monde qui prévalait à cette époque et qui de toute évidence reléguait les femmes au second plan. Mais le fait que, dans ce même monde ancien, Mikal arrive à jouer une partition somme toute non négligeable dans un contexte politique très complexe me paraît déjà significatif d’une consistance humaine peu commune. Certes, elle est principalement désignée en référence soit à son père ou à son mari. Reste tout de même que son entrée en scène résulte d’un geste relevant de sa propre initiative : elle aime David (1 S 18,20). Cet amour fait l’objet d’une information qu’on juge digne de donner au roi. Alter ne manque pas d’en souligner d’ailleurs le caractère unique en relevant que c’est la seule fois que le récit biblique fait état de l’amour d’une femme pour un homme200. Même si, dans la tournure immédiate que prend la scène, cet amour est relégué au rang d’opportunité à saisir à d’autres fins par le roi et David, il demeure que c’est Mikal qui enclenche la machine, contrairement par exemple à Mérav que Saül traite à sa guise sans qu’elle ait fait quoi que ce soit. Étant au départ de l’action dramatique de 1 S 18,20, Mikal sera aussi d’une certaine manière à la fin de cette même action, quand le narrateur répète qu’elle aime David. Et n’en déplaise à ce dernier, il ressort que c’est comme femme qu’elle lui est donnée et non pour que celui-ci devienne le gendre du roi. Comme la perspective reflétée par le v. 27d est bien celle du roi, il semble qu’on ait là une expression en creux du refus de Saül qui, malgré son échec, repousse toujours, ne serait-ce que dans les mots, l’idée que David soit son gendre. Ainsi, malgré des apparences de passivité, Mikal se laisse appréhender déjà dans cette scène comme quelqu’un qui existe et qui le fait entendre. Cette femme au caractère bien trempé s’affirmera pleinement en 1 S 19,11–18, où elle se caractérise par ce qu’elle fait et dit. Là, avec un sens surprenant de l’enjeu politique du moment, elle prend fait et cause pour son mari qu’elle aide à se mettre à l’abri et, avec une intuition psychologique extraordinaire, elle anticipe remarquablement la réaction de son père dont elle finit par calmer le courroux au moyen d’une simple question rhétorique. Elle apparaît comme une femme pleine de ressources, énergique et libre de choisir le camp que lui dicte son cœur. Son choix l’amène cependant à se retrouver comme une veuve esseulée à la cour de son père. David parti, il semble qu’elle n’ait plus de rôle à jouer. Mais mieux vaut un David en cavale, susceptible de revenir un jour, qu’un David déjà mort, pourrait-on dire. Mikal quitte alors la scène, ce qui rend évidente sa dimension de personnage secondaire gravitant autour de David. En 1 S 25, l’entrée en scène d’Avigaïl, une femme qui apporte son soutien à David et qui promeut sa cause contre son propre mari, suggère un parallèle avec Mikal. En effet comme Mikal, Avigaïl est pleine de ressources, éner200
ALTER, L’art du récit, p. 163.
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Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David
gique et capable d’initiatives. Son action résolue en faveur de David renforce le bien-fondé de l’intervention préalable de Mikal. Les deux femmes affirment ainsi le caractère juste de la cause de David. Avigaïl est même plus explicite à en proclamer l’origine divine. Pourtant une mise en parallèle poussée de Mikal et d’Avigaïl ne manque pas d’attirer l’attention sur la manière différente dont le narrateur les caractérise. Dans ce sens, Avigaïl est qualifiée explicitement de « femme de bon sens et belle à voir » (25,3) tandis que rien n’est dit de pareil concernant Mikal201. Rien ne vient décrire, ne serait-ce que sommairement, son aspect physique. Elle est seulement caractérisée par ce qu’elle fait et dit ou à travers la façon dont les autres personnages la traitent. D’autres éléments, bien entendu, opposent Mikal et Avigaïl. Si la première agit pour empêcher David d’être victime de la colère et de la jalousie d’autrui, la seconde se donne de la peine pour empêcher le fils de Jessé d’être victime de sa colère et de son désir de vengeance. En outre, on peut relever que David apprécie le geste d’Avigaïl et l’en remercie ouvertement (25,32– 34) alors qu’on ne dit rien de ce qu’il pense de l’action de Mikal en sa faveur. En a-t-il été touché ? Par ailleurs, lorsqu’Avigaïl s’adresse à David, elle le fait invariablement dans des termes fortement révérencieux où elle s’autodésigne plusieurs fois comme « servante » ()אָ ָמה202 de David tout en appelant ce dernier « monseigneur » ( ) ֲאדֹנִיalors que Mikal le tutoie, pour ainsi dire, et le toise. Enfin, Alter203 souligne un autre contraste : c’est au moment où sont mis en avant le dynamisme et l’énergie d’Avigaïl que Mikal est présentée comme un « objet passif » que son père Saül transfère à Palti (1 S 25,44). Il faut dire que, dans le contexte, ce transfert donne l’impression de procéder d’une initiative exclusive de Saül, ce qui relègue Mikal au rang de simple pion, abandonnée au bon vouloir et aux sautes d’humeur de son père. Il n’est théoriquement pas impossible cependant que Saül soit guidé dans son action par le désir paternel de mettre un terme au veuvage forcé de sa fille, mais sa hargne contre David rend plus probable le fait qu’il agisse davantage pour nuire à son gendre que par amour paternel pour la princesse. Cette impression d’une Mikal traitée comme un simple pion prévaut également en 2 S 3,12–16, lorsque David exige qu’on la lui rende en guise de condition préalable à des négociations politiques. L’affaire en effet se traite et se conclut entre les deux hommes puissants du moment : Abner et David. Et Mikal est restituée, telle une propriété, à son ancien maître David. Ce qu’elle 201
C’est sans doute en raison de cela que BERLIN, « David’s Wives », p. 78, parle d’Avigaïl comme d’un personnage typé et de Mikal et des autres femmes de David comme de personnages réalistes. 202 Elle se met elle-même au rang des femmes que Mikal semble regarder de haut en 2 S 6,20. De ce fait POLZIN, David and the Deuteronomist, p. 68, range Avigaïl parmi les servantes qui entourent le personnage de David et qui chantent ses louanges. 203 ALTER, L’art du récit, p. 166.
5. H. Caractérisation et rôle de Mikal
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pense ou ressent ne semble avoir aucune pertinence ou importance. Faut-il interpréter cela comme normal dans une situation où la perspective politique a l’air de prévaloir au détriment des autres ? Ou est-ce à comprendre comme l’expression des abus du pouvoir monarchique dont Samuel prévenait le peuple en 1 S 8,10–22 ? Ce qui est sûr, c’est que depuis le début, le personnage de Mikal sert de moyen, tant à Saül qu’à David, pour s’assurer quelque avantage politique. Dans ce sens, David l’emporte en 1 S 18,20–27. En 19,11–17, c’est Mikal elle-même qui contribue à assurer un avantage momentané à son mari contre son père. Ce dernier s’accorde une victoire, somme toute facile, contre David en 1 S 25,44 lorsqu’il donne Mikal à Palti. Puis c’est le tour de David de ramener l’avantage de son côté en 2 S 3,12–16 avant d’asséner le coup de grâce final à la maison de Saül mais en visant le cœur de Mikal en 2 S 6. Dans ce dernier cas cependant, il semble que la princesse se pose en représentante de la maison de son père. Elle est en effet désignée comme « fille de Saül ». Elle retrouve également sa vivacité et la liberté d’action et de parole qu’on lui connaissait en 1 S 19,11–17. Néanmoins, force est de reconnaître que de l’amertume perce maintenant dans ses propos. Elle intervient non plus par amour, mais par mépris. Elle laisse l’impression d’une femme déçue sans doute parce que négligée204. En tout cas, elle se montre isolée au moment où celui qu’elle avait jadis aidé est au sommet de sa réussite. Insatisfaite et furieuse du comportement de son mari le roi, elle le lui dit sur un ton virulent avant d’être remise à sa place sur le même ton, sans pouvoir rétorquer. L’image qui émerge d’elle à ce niveau est celle d’une femme dépitée qui se plaint à tort205. Le coup final est porté lorsque sa sortie de scène est signée par l’information laconique selon laquelle elle n’eut pas d’enfant jusqu’au jour de sa mort. Pour Exum qui a consacré plusieurs études à 2 S 6,16–23, il s’agit là d’un meurtre narratif à l’encontre de la présence féminine de Mikal. De son point de vue, non seulement Mikal est humiliée par David, mais encore le narrateur se range du côté du roi, sans doute par solidarité masculine, pour priver la princesse d’abord d’une réplique adéquate et ensuite de maternité, et cela, parce qu’elle a osé défier l’autorité patriarcale que représente David 206. D’où le titre évocateur de son article « Murder They Wrote ». Selon elle, Mikal est dépeinte de façon biaisée et injuste, en raison de sa féminité. Elle serait donc victime de préjugé pour ainsi dire machiste inhérent à l’orientation androcen204
BODI, The Michal Affair, p. 44, à ce propos, affirme ceci : « What can be safely inferred from this image of Michal at the window is that she was practically a husbandless woman, an ever-waiting and neglected woman ». 205 Voir à ce propos EXUM, « Murder They Wrote », pp. 181–186, qui parle de « nagging wife ». 206 Ibid., p. 195.
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Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David
trique et patriarcale des récits bibliques. Le propos d’Exum affiche, faut-il le rappeler, le parti pris idéologique de déconstruire, dans une perspective féministe, la voix masculine et patriarcale dominante dans les récits bibliques et de montrer comment elle porte à la manipulation de la présence féminine. En d’autres termes, son propos obéit au souci de mettre en lumière les dynamiques de « genre » sous-jacentes aux récits bibliques. Or selon Bowman, c’est déjà le narrateur qui, dans sa narration, dépeint Mikal sous les traits d’une victime. L’auteur en veut pour preuve la manière dont sont construits littérairement les ch. 1 à 8 de 2 Samuel. Pour lui cette section narrative lie inexorablement le sort de Mikal à celui de David et se déploie en montrant que la princesse est victime de son mari, lequel malgré tout reste en définitive favorisé207. Bodi208 examine, pour sa part, tout le parcours narratif de Mikal et prend en considération ses relations autant avec Saül qu’avec David et il aboutit à la conclusion qu’elle est victime des deux rois. Il comprend la caractérisation de Mikal, victime de la lutte sans merci pour le pouvoir que se livrent Saül et David, comme une manière pour le narrateur de dénoncer les abus de l’institution monarchique. En cela il s’inscrit dans la ligne de la thèse qui pose que l’histoire deutéronomiste constitue une critique, voire un rejet de la monarchie en tant que telle209. Mais il n’est pas évident que le récit soit si univoque que le laisse paraître une telle lecture. En tout cas pour ce qui est du personnage de Mikal, l’ensemble des données du récit ne permet pas d’affirmer de façon absolue qu’elle est fondamentalement dépeinte sous les traits d’une victime. Si à notre sensibilité moderne, elle peut apparaître comme telle du fait qu’elle est « promenée » d’un mari à l’autre sans avoir son mot à dire, il reste que le texte en lui-même ne donne pas l’impression de problématiser cet aspect des choses. Il semble mettre plutôt en avant les connotations politiques des décisions que prennent respectivement Saül en 1 S 25,44 et David en 2 S 3,12– 16. Que, dans ces passages, l’enjeu se noue précisément autour de Mikal doit sans doute être rattaché à son statut de princesse, lequel est porteur de signification symbolique au plan politique. À la lumière de 2 S 3,12–16, le geste de Saül en 1 S 25,44 vise David. Puis quand ce dernier entreprend de redresser le tort ainsi subi, son action entraîne aussi deux victimes : Ishbosheth sur le plan politique et Paltiel sur le plan affectif. Il est possible que Mikal soit à compter également parmi les victimes. Le problème, c’est que le texte l’enveloppe de silence si bien qu’on 207 Il faut dire que l’article de BOWMAN, « The Fortune of King David/The Fate of Queen Michal », pp. 97–120, ne porte que sur 2 S 1–8. 208 BODI, The Michal Affair, p. 1. 209 CAZEAUX, Saül, David, Salomon, table sur cette thèse aussi, mais il l’étend également aux livres de la Torah et à toute la Bible.
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ignore quels sentiments l’animent lorsqu’elle est ramenée : est-elle contente de retrouver son premier amour ? Est-elle malheureuse de se voir arrachée une fois de plus à la vie qui était la sienne ? C’est bien possible, mais comment le savoir ? En outre, la dimension de victime qu’Exum met en exergue en 2 S 6,16–23 provient d’une lecture qui veut aller contre le texte et son idéologie. Autrement dit, si on s’en tient au récit tel qu’il se déploie, il semble plutôt accuser Mikal de s’en prendre à David comme elle le fait. Aussi sa stérilité peut-elle être interprétée valablement comme un châtiment puisqu’elle est signalée à l’issue de l’affrontement que la fille de Saül engage contre David. Au total, il ressort que, quand Mikal se met du côté de David comme en 1 S 19,11–17, son action est présentée comme positive, mais elle semble jugée négativement lorsque la princesse se rebelle face au roi, de sorte qu’on peut affirmer que la détermination ultime de son personnage repose principalement sur la qualité de son lien avec David. Pourtant un trait de caractère impressionne chez Mikal, chaque fois qu’elle se positionne comme protagoniste : la liberté d’allure avec laquelle elle se meut, que ce soit vis-à-vis de son père ou de David et qui, par certains aspects, la place dans la posture, la première fois, de la fille rebelle et la seconde fois, de l’épouse rebelle. Voilà qui lui donne le profil étonnamment moderne de quelqu’un qui sait s’affirmer et cela, toujours en cohérence avec le sentiment qu’elle éprouve. Néanmoins, si l’on considère ce profil avec la passivité qu’elle affiche par ailleurs lorsqu’elle est donnée à Paltiel, puis lui est retirée et la manière pitoyable dont elle quitte définitivement la scène en 2 S 6, domine l’impression que la fille de Saül est une promesse non tenue. Dans ce sens, on peut qualifier son aventure avec David comme celle d’une passion sans issue. Au fond, il s’avère justifié de l’appréhender comme une figure énigmatique ainsi que le dit David Clines210. Sa caractérisation oscille entre transparence et réticence211, avec pour effet de la draper de mystère et, dès lors, de lui conférer de la profondeur. D’autre part, sans jamais expliciter en quoi, le récit semble attacher une signification politique au personnage de Mikal. On devine que cette importance politique découle essentiellement de son statut de fille de roi qui permet à David, par le biais de leur mariage, d’accéder au statut prestigieux, selon ses propres termes, de gendre du roi. C’est d’ailleurs ce statut de gendre du roi qu’Ahimélek met en avant, lors du procès sommaire où il est accusé de trahison, pour justifier pourquoi il a consulté Adonaï en faveur de David. De plus le fait que Saül s’emploie à défaire cette relation d’alliance en 1 S 25,44 et que David se soucie de la rétablir en 2 S 3,12–16 invite à penser qu’il s’agit 210
CLINES, « Michal Observed », p. 52. En ce sens, ALTER, L’art du récit, p. 161, affirme : « quant à Mikal, transparente en une facette de sa personne, elle reste par ailleurs entourée d’obscurité ». 211
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Chapitre 5 : Mikal, Mérav, Saül et David
d’une relation aux enjeux considérables. Mais à part cela, le récit reste évasif sur la manière dont cette relation pèse concrètement dans l’accès de David au trône d’Israël. En tout cas les tribus et les anciens d’Israël qui viennent oindre David roi ne l’exploitent pas212 : ils évoquent plutôt leur relation proche 213 avec David, se réfèrent à l’époque où le fils de Jessé les commandait à la guerre (2 S 5,1–2) et surtout à un oracle divin jadis prononcé qui stipulait qu’il serait roi214. Ces propos mettent en relief, pour appuyer la légitimité de David à régner sur Israël, ses qualités militaires, son élection divine et son identité commune avec Israël. La référence au commandement militaire de David rappelle ses premières heures à la cour de Saül en 1 S 18,5.16 où on rapporte que le peuple aimait David parce qu’il le menait à la guerre215. Cependant, avant que les tribus d’Israël viennent ré-évoquer avec le fils de Jessé le souvenir du temps où il était leur chef militaire et sceller avec lui une alliance pour le trône, force est de constater que l’élément décisif qui détermine la suite des événements se résume aux assassinats d’Abner et Ishbosheth. Seules les morts de ces hommes de la maison de Saül dégagent vraiment la voie pour David. Cela ramène le bénéfice du lien matrimonial avec Mikal à une dimension uniquement symbolique, dimension que l’issue de l’altercation en 2 S 6,16– 23 déconstruit ultérieurement pour en réduire l’effectivité et l’efficacité. Et si l’on prend en considération les paroles des tribus d’Israël (2 S 5,1–2), lorsqu’elles viennent reconnaître le fils de Jessé comme leur souverain, il ressort que c’est, entre autres choses, la valeur intrinsèque du roi qui est mise en avant et non sa relation d’alliance avec son prédécesseur. Rétrospectivement, il devient alors difficile d’échapper à l’impression que l’amour de Mikal pour David a eu pour principal effet de sauver celui-ci au moment où il n’avait pas encore bien conscience de l’attitude à adopter face au péril mortel qui le guettait et où il avait besoin d’être aidé à cet égard. Et ce, même si par ailleurs le fils de Jessé a un comportement entretenant l’idée qu’il se dispose à exploiter
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Cela affaiblit l’hypothèse selon laquelle le mariage avec Mikal servirait à légitimer la royauté de David aux yeux des gens d’Israël. Il faut en effet lire entre les lignes pour étayer cette hypothèse. 213 L’expression hébraïque utilisée est celle que l’homme emploie en Gn 2,23, lorsque la femme lui est amenée pour la première fois, à savoir « être de l’os et de la chair de quelqu’un » (שׂ ְרָך ָ ) ַע ְצ ְמָך וּ ְב. Selon BDB, cela indique une relation proche, la même identité. 214 En dehors de la mission confiée à Samuel en 1 S 15,35–16,13, aucun oracle divin ne déclare que David sera roi. Pourtant Avigaïl y fait référence en 1 S 25,30–31 ; de même qu’Abner en 2 S 3,17–18. 215 On peut y lire aussi une mise en évidence de la connotation politique du verbe אהב, car il est dit que « tout Israël et Juda aimaient David parce que c’est lui qui sortait et rentrait devant eux » (1 S 18,16).
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politiquement sa relation avec la princesse. En tout cas, c’est dans cette optique que semble s’inscrire sa revendication en 2 S 3,13216. Si tel était le cas, la manière dont le narrateur conclut le récit de leur relation, en minimisant l’importance politique de Mikal, reviendrait à dire que ce calcul de David est inopérant en finale. Dans cette perspective, on ne peut qu’être d’accord avec Bowman lorsqu’il déduit de la stérilité de Mikal, rapportée en guise d’épitaphe (2 S 6,20–23), que « ceci suggère que Dieu luimême légitimera la royauté de David. La légitimation ne viendra pas à travers une alliance avec la maison de Saül, ni ne continuera avec sa progéniture »217. Ce que confirme et illustre peu après le récit de 2 S 7. Vu cette fin en queue de poisson d’une relation pourtant prometteuse, on peut se poser aussi la question de savoir quelle part de responsabilité est à attribuer à David. S’emporte-t-il contre sa première femme au moment où il sait qu’elle est « d’une utilité politique désormais très limitée », ainsi que le suggère Alter218 ? Ce dernier n’est d’ailleurs pas le seul à faire ce type de considérations. En effet, D. Nolan Fewell et D. Miller Gunn, qui abordent ce récit sous l’angle des dynamiques du pouvoir et du « genre », vont dans le même sens : ils estiment qu’après avoir obtenu le trône et le pouvoir sur le nord et le sud, David a un comportement montrant qu’il n’a plus besoin de Mikal219. Et pour E. Fuchs, le mariage du fils de Jessé avec Mikal est un mariage de raison qui révèle en David le politicien calculateur, lorsqu’il utilise la princesse pour gagner et consolider son pouvoir politique220. En d’autres 216
BOWMAN, « The Fate of Queen Michal », p. 117, estime que David exige le retour de Mikal sans avoir au préalable reçu l’aval d’Adonaï. Il compare cette initiative du fils de Jessé à sa première tentative infructueuse de transférer l’arche d’Adonaï. Pour lui, ce manque de référence à Dieu explique l’échec final des deux initiatives. 217 Ibid., p. 117 : « This suggests that God himself will legitimate the monarchy of David. Legitimization will not come through an alliance with the house of Saul, nor will it continue through its progeny ». 218 ALTER, L’art du récit, p. 171 : « Fille d’une maison royale déchue, conjointe (d’une utilité politique désormais très limitée) d’un roi qui jouit de la faveur populaire, et la moins favorisée de trois épouses, Mikal ne peut plus rien faire. » 219 FEWELL/GUNN, Gender, Power and Promise, pp. 154–155 : « He wanted her back when his throne was still not secured. She could buttress his claim to the throne and, hopefully, produce a son who would then conveniently inherit both royal houses. But now he had the throne, the power of north and south was centralized in Jerusalem, his personal fiefdom, the tide was turned against the Philistines, and the populace was there on his side again, as he danced before YHWH and distributed largesse to the crowds. So why should he need Michal, daughter of Saul any more ? Her body had outlived its usefulness to him ». 220 FUCHS, Sexual Politics in Biblical Narrative, p. 172 : « David’s marriage of convenience with Michal reveals him as a calculating politician, as he uses the king’s daughter to gain and consolidate his political power ». Ou encore p. 142 : « Michal disappears from the narrative after this dialogue, having fulfilled her role as David’s political tool on the represented level of the story, and as his foil on the representational level ».
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termes, ces auteurs avancent l’interprétation selon laquelle c’est parce qu’il se considère désormais en position de force que David se permet de rabrouer Mikal. De prime abord, il s’agit là d’une lecture défendable au regard surtout du moment dans lequel survient la tension entre le roi et sa femme. Car, du point de vue stratégique, ce moment de discorde est extrêmement favorable à David, en termes de rayonnement et d’assise politiques. Le fait qu’il réplique de façon sèche dans l’unique dialogue relaté entre lui et son épouse, peut difficilement passer pour une coïncidence. Et cela d’autant plus si l’on prend en compte l’attentisme et l’opportunisme politiques qui ont jusque-là caractérisé son comportement. David se serait-il alors servi de Mikal comme d’un strapontin pour accéder au trône, quitte à l’abandonner ensuite ? Peut-être. Sauf qu’il faut tout de suite ajouter que, du point de vue du récit, David rend simplement la monnaie de sa pièce à Mikal, dans l’altercation qu’il a avec elle. Puis à s’en tenir à la manière dont naît la relation entre eux, il est difficile de dire, sur la base de la narration qui en est faite, que le fils de Jessé l’a recherchée, même s’il manifeste de l’intérêt pour le statut de gendre du roi, apparemment éminent à ses yeux : Mikal tombe amoureuse et Saül prend l’initiative de la proposer en mariage. De même c’est la princesse qui en 1 S 19,11–17 s’avise d’enjoindre à David de fuir avant de l’y aider concrètement. Le fils de Jessé n’assume à proprement parler d’initiative dans la relation qu’en 2 S 3,12–16, c’est-à-dire peu avant le clash final de 2 S 6,16–23. Ainsi, en suivant la courbe de leur relation, il apparaît que David en bénéficie certes, mais comme quelqu’un qui use d’un présent préalablement reçu. Dans cette ligne d’interprétation, il est assez clair dès le départ que l’amour de Mikal vient à point nommé pour David et qu’il constitue, au regard de l’effet salutaire qu’il a peu après pour lui (1 S 19,11–17), un cadeau providentiel dans le conflit qui l’oppose à Saül. Le caractère providentiel de la relation est aussi mis en lumière par la juxtaposition de l’intervention de Mikal et de celle de l’esprit d’Adonaï en faveur de David. De cette manière, Mikal peut être considérée comme l’instrument de la providence pour David, du moins pendant que ce dernier se trouve à la cour de Saül. De ce point de vue, elle joue un rôle similaire à celui de son frère Jonathan.
Chapitre 6
Jonathan et Mikal L’analyse narrative qui vient d’être consacrée successivement au personnage de Jonathan et à celui de Mikal met en lumière une similitude impressionnante entre le rôle et la fonction narratifs assignés à l’un et l’autre dans le conflit politique qui oppose leur père à David. Or, à considérer le récit tel qu’il se déploie, Jonathan et Mikal n’interagissent jamais. Ils ne sont même pas désignés pour ainsi dire horizontalement, l’un par rapport à l’autre, par des épithètes relationnelles comme « frère de » ou « sœur de », comme si aucun lien fraternel ne les unissait. Il en résulte que chacun assume de son côté sa relation à Saül, leur père, et à David, dans un parcours narratif évoluant dans son sillon propre, sans jamais interférer dans ce que l’autre vit. Pourtant, dans le même temps, la manière dont ils entrent et se positionnent dans le conflit politique entre leur père et David les inscrit résolument dans une analogie si prononcée qu’il paraît difficile de ne pas y déceler comme le signe d’une stratégie narrative judicieusement construite. Mais qu’en est-il vraiment et qu’est-ce que cela peut impliquer ultimement en termes de caractérisation pour Jonathan et Mikal ? Quel effet de sens supplémentaire s’en dégage et quelle fonction narrative en déduire en fin de compte ? Voilà les questions qui vont guider notre propos. Pour y répondre, nous tenterons dans un premier temps de mettre en évidence les ressemblances entre Jonathan et Mikal et ce qu’elles signifient. Ensuite, nous examinerons leurs différences irréductibles avec ce qu’elles impliquent.
A. Parcours narratifs de Jonathan et Mikal : ressemblances 6. A. Parcours narratifs de Jonathan et Mikal : ressemblances
Si Jonathan et Mikal n’interagissent jamais directement sur la scène du récit, il reste qu’en 1 S 18 à 20, les épisodes dans lesquels ils apparaissent alternent de manière à conjuguer les effets de leur action tout en contribuant à la structuration de cette unité narrative où le lecteur rencontre chaque fois Jonathan en tête de chapitre1. A. Berlin interprète ce montage narratif comme une fa1 Ainsi 1 S 18,1–4 ; 19,1–7 ; 20. Voir dans ce sens aussi et pour une portion textuelle plus large J. FOKKELMAN, « The Samuel Composition as a Book of Life and Death », dans A. G. AULD/E. EYNIKEL (éd.), For and Against David : Story and History in the Books of Samuel (BETL 232), Leuven, 2010, p. 36. JOBLING, « Jonathan : A Structural Study », pp. 6–7, propose, pour sa part, une structure de travail qui montre comment les apparitions
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Chapitre 6 : Jonathan et Mikal
çon d’inviter le lecteur à établir une comparaison entre le fils et la fille de Saül2. Dans cette optique, le premier élément qui rapproche Jonathan et Mikal est que l’un et l’autre sont fils (שׁאוּל ָ )י ְהוֹנ ָ ָתן בֶּן־et fille (שׁאוּל ָ ) ִמיכַל בַּת־de Saül, un trait significatif de leur identité que le récit se plaît à mettre en évidence (1 S 18,20.28 ; 19,1–4 ; 20,1–3,8.9–10.12–13.27.32.34, etc.). En outre, tous deux aiment ( )אהבDavid (1 S 18,1.3.20.27 ; 20,17), un amour qu’ils éprouvent sans que ne soit donnée de raison explicite (1 S 18,1 ; 1 S 18,20), mais qui, chez l’un et l’autre, naît après la victoire du fils de Jessé contre Goliath. Cet amour pour David se formalise ensuite pour Jonathan, en un pacte ou alliance ( )בּ ְִריתet pour Mikal, en un mariage3 (1 S 18,27). Forts de cet amour, en 1 S 19,2, Jonathan avertit ( )נגדDavid du danger mortel qui le guette, comme Mikal le fait à son tour en 19,11 ()נגד, le verbe נגדétant utilisé de part et d’autre pour qualifier l’acte de parole. Ce verbe signifie « informer », « rapporter » avec probablement dans le contexte une connotation de renseignement. Ce qui est sûr, c’est que cette démarche qui est d’informer David a pour objectif de l’amener à se mettre à l’abri. Dans les deux cas, c’est Jonathan et Mikal en personne qui indiquent à David la précaution précise à prendre : celle-ci consiste à se cacher en 19,2 (בסתר, )חבאet à se sauver ( )מלטen 19,11, dans un contexte où Saül cherche à tuer ( )להמיתDavid, le matin ()בבקר. Ainsi, de part et d’autre la consigne revient à ce que David se rende inaccessible, qu’il ne soit pas visible. Dans ce sens, Barbara Green a raison de faire remarquer que le propos de Mikal est une variante brève de celui de Jonathan en 19,2 4. À cette observation s’ajoute le fait que si l’on pousse un peu plus la comparaison de ces deux versets, il est loisible de constater que d’autres échos verbaux les rapprochent : בַבּ ֹ ֶקר, שׁמר, מות, au Hiphil. Ces mots que l’on trouve sur les lèvres de Jonathan au v. 2, sont réinvestis par le narrateur au v. 11 pour rapporter la mission de mort assignée par le roi à ses émissaires avant que Mikal n’entre en action. Il est tout aussi intéressant de relever que dans les deux cas, David obéit sans mot dire, du moins sans qu’aucune réaction verbale lui soit attribuée. Il se laisse tout simplement guider, sans avoir rien demandé.
de Jonathan alternent avec celles de Saül et David pour charpenter le récit qui court de 1 S 13–31. Mais si on ne considère que les ch. 18 à 20 de 1 Samuel, il me semble plus exact de dire que ce sont les interventions de Jonathan et Mikal qui, en alternant, structurent cette section. 2 BERLIN, « David’s Wives », p. 70 : « The biblical author further invites the comparison by juxtaposing their stories in 1 Samuel 18–20 ». 3 D’après HUGENBERGER, Marriage as a Covenant, pp. 311–312, le mariage de David avec Mikal est à lire aussi comme une alliance, analogue à celle de Jonathan et David. 4 B. GREEN, How Are the Almighty Fallen? A Dialogical Study of King Saul in 1 Samuel (JSOT.S 365), Sheffield, 2003, p. 315 : « Her speech is a variant of Jonathan’s in 19.2, but more succinct ».
6. A. Parcours narratifs de Jonathan et Mikal : ressemblances
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Toutefois, ce n’est pas seulement entre ce que Jonathan dit en 19,2 et Mikal en 19,11 que s’établissent des ressemblances. On en trouve également dans un parallélisme rapprochant l’issue de l’agir de Mikal en 19,11–17 de celle de l’initiative de Jonathan en 1 S 20, comme aussi sur la nature de la stratégie qu’ils mettent en œuvre, chacun à son niveau, auprès de leur père Saül pour se justifier. Dans cet ordre d’idées, Mikal aide David à quitter la cour de Guibéa pour se sauver ()מלט. Elle le lance au fond sur le chemin de la fuite, s’opposant ainsi à son père. Pour ce faire, elle applique une stratégie de ruse faisant appel à quelque mensonge. Quand Saül lui demande des comptes (19,17), elle répond que c’est David qui l’a pressée en disant : « laisse-moi partir » (שׁ ְלּ ִחנִי ַ ). De même l’action menée par Jonathan en 1 S 20 aboutit au départ de David de la cour de Guibéa (20,42). Pour en arriver à ce résultat, il a fallu que Jonathan aussi recoure à une ruse assaisonnée de mensonge5. Et lorsque son père lui demande des explications sur l’absence de David, il répond en laissant entendre que celui-ci l’a prié de le laisser partir en disant : שׁ ְלּ ֵחנִי ַ . L’occurrence du verbe ( שׁלחPiel) dans ces contextes est loin d’être anodine. Elle traduit à elle seule l’enjeu fondamental de la section narrative qui consiste à s’interroger sur la permanence de David à la cour alors que le danger se fait de plus en plus menaçant. La narration dramatise le fait que ce sont la fille et le fils du roi lui-même qui aident David à prendre le large. Pourquoi faut-il donc que ce soit les deux à aider David dans ce sens, alors que l’action d’un seul aurait suffi ? Là peut-être se dévoile l’idéologie du récit. Il apparaît que, pour le narrateur, il est d’une importance capitale de montrer que, non seulement le peuple aime David, mais aussi que le fils et la fille du roi l’aiment au point de prendre des risques pour l’aider au moment même où Saül qui l’aimait (16,21) le prend en inimitié (18,29). Le fait même que leur action les solidarise avec David pour le protéger contre la furie meurtrière de leur propre père ne peut que dramatiser le caractère injuste de la lutte que le roi mène contre le fils de Jessé. En conséquence, l’effet est de mettre David dans la posture de celui qui est injustement persécuté. Sous un autre angle, le récit fait passer aussi ce message grâce à l’effet cumulatif généré par la concentration et l’alternance des apparitions de Jonathan et Mikal en 1 S 18–20. Dans cette optique, doivent être lues l’apparition toujours en tête de chapitre du prince (18,1–4 ; 19,1–7) – lequel marque ensuite de sa présence tout 1 S 20 – et la position en contrepoint de Mikal (18,20–28 ; 19,8–17), comme si la protection à assurer à David imposait la nécessité d’une stratégie de relais. À cet effet participent fortement aussi l’analogie et le parallélisme qui viennent d’être mentionnés concernant leurs rôles.
5
La différence étant que le mensonge de Jonathan lui a été suggéré par David.
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Chapitre 6 : Jonathan et Mikal
D’autre part, étant donné qu’elle se situe après 1 S 16,1–13 où est rapportée l’onction de David, l’action protectrice de Jonathan et Mikal 6 peut se lire aussi comme l’expression de la faveur d’Adonaï pour David. Elle révèle de ce fait la force divine à l’encontre de Saül, force qui va jusqu’à susciter, dans la descendance même du roi rejeté, des protecteurs pour l’oint d’Adonaï. Vue sous cet angle, la situation a quelque chose d’ironique : ceux-là mêmes pour l’avenir royal desquels Saül déclare les hostilités, pactisent avec celui qui représente la menace pour la famille, de sorte que le roi s’avère être désavoué par ses parents les plus proches. Il est privé du soutien naturel de ceux-là mêmes qui devaient être en première ligne, à ses côtés dans pareil combat. Il se retrouve isolé et doit faire face à la déconcertante réalité : David a réussi à être un facteur de division au cœur même de la famille royale de Guibéa, situation dont Saül ne peut que se plaindre en 1 S 22,7–8.
B. Parcours narratifs de Jonathan et Mikal : particularités 6. B. Parcours narratifs de Jonathan et Mikal : particularités
S’il est vrai que Jonathan et Mikal assument vis-à-vis de David et de Saül des rôles à l’analogie avérée, il ressort, à l’examen attentif, que la manière dont ils s’inscrivent et s’investissent dans ces rôles présentent des particularités irréductibles. Cela contribue sans doute à renforcer la singularité de chacun des deux personnages. Mais n’anticipons pas ! Il est peut-être plus indiqué de s’atteler à répertorier leurs différences avant d’inférer quoi que ce soit. Dans cette perspective, on peut déjà relever que la manière dont est relatée la naissance de leur amour pour David est notablement différente. En effet, alors que le narrateur s’est employé à saisir l’élan de Jonathan pour David dans son éclosion même et à le présenter comme une נֶפֶשׁqui s’attache à l’autre, avec la conséquence de donner l’impression au lecteur d’y assister en direct, l’amour de Mikal est énoncé laconiquement en 18,20. Tandis que Jonathan occupe le devant de la scène quand survient son amour pour David et qu’il le formalise lui-même en une alliance assortie de dons en guise de gages aux connotations politiques patentes, Mikal, elle, est en marge, voire absente de la scène où son amour, objet de rumeurs, est rapporté à son père. C’est par le fait de ce dernier et d’ailleurs de mauvais gré que l’amour de la princesse aboutit à un mariage avec David. Il faut aussi noter que celui-ci, contrairement à l’attitude extrêmement passive qui le caractérise dans la scène avec Jonathan – il n’est sujet d’aucun verbe –, se montre particulièrement réactif dans le cas de Mikal et assume une part décisive pour que le lien se scelle. Car, non seulement des propos lui sont attribués au v. 23, mais encore il est sujet d’une série de verbes d’action au v. 27. 6
SAMUEL, « Three Wives », p. 271, parle de Mikal comme « […] The instrument of the Lord, planted by Him in the palace ».
6. B. Parcours narratifs de Jonathan et Mikal : particularités
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Ainsi si la relation de Jonathan à David se noue directement entre les deux, l’union entre Mikal et David connaît des médiations avant d’aboutir. Dans cette phase, elle est pratiquement gérée par son père. C’est peut-être l’indice d’une différence profonde de nature entre ce que Jonathan éprouve pour David et ce que Mikal ressent de son côté, quand bien même les deux relations sont qualifiées par le même verbe אהב. Né au front, à ce qui paraît, à l’issue d’un duel guerrier, l’attachement de Jonathan envers David semble celui d’un vaillant combattant pour un de ses pairs7. Jonathan aime David comme son alter ego () ְכּנַפְשׁוֹ8 et les gestes qu’il pose pour traduire cette relation comportent aussi le don d’armes de combat. De plus, au moment où Jonathan noue sa relation avec David, aucun conflit n’a encore éclaté entre Saül et David. Ce n’est pas le cas pour Mikal, lorsqu’elle aime David. Son amour naît alors que Saül a déjà identifié David comme une menace sérieuse pour son trône (18,8–9) et qu’il s’est employé plus d’une fois, sans succès, à l’éliminer purement et simplement (18,11.17–19). Aussi veut-il profiter de cet amour naissant pour faire aboutir enfin ses desseins meurtriers (18,21). C’est cette entreprise du roi qui amène l’amour de sa fille sur le terrain de la lutte politique. Certes de son côté aussi, David estime juste de devenir le gendre du roi et pour cela il accepte le marché proposé, ce qui peut éveiller quelque soupçon de calcul ou de visée politique. Mais en soi, quand l’amour de la fille de Saül survient, il a tout l’air d’une affaire romantique 9, à en juger par la rumeur qu’il déclenche et par ce qui s’ensuit (18,20–28). Dans ces conditions, ses implications politiques résultent plutôt de l’instrumentalisation qu’en font Saül et David que de l’élan de Mikal en tant que tel. Or, l’amour de Jonathan semble en lui-même porteur d’une vision et d’un projet politiques qui vont se manifester avec plus de clarté au fil du récit. Dans cet ordre d’idées, il est tout à fait significatif que J. A. Thompson10 ne cite pas l’amour de Mikal parmi les emplois du verbe אהבavec une connotation politique. Il semble également que D. Jobling 11 a raison d’affirmer contre J. Morgenstern12 que, du point de vue théologique, le récit en son état actuel promeut davantage le modèle d’une légitimation monarchique via Jonathan que celui d’une légitimation via Mikal. Cela ne signifie pas que l’amour de Mikal soit sans aucune incidence politique, mais souligne l’orientation massivement politique de la relation de Jonathan à David. Toutefois sur le plan social, il demeure indé7
Jonathan est victorieux en 1 S 14 et David en 1 S 17. JOBLING, « Jonathan : A Structural Study », pp. 11–12, parle d’identification de Jonathan à David. 9 Dans un sens analogue, SAMUEL, « Three Wives », p. 271, décrit Mikal comme « romantique ». 10 THOMPSON, « The Significance of the Verb Love in the David-Jonathan Narratives », pp. 334–338. 11 JOBLING, « Jonathan : A Structural Study », pp. 9–10. 12 MORGENSTERN, « David and Jonathan », pp. 322–325. 8
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niable que c’est Mikal qui permet à David de faire partie, par alliance, de la famille de Saül. Aussi Exum peut-elle affirmer que « tandis que le rôle de Jonathan est de faire passer la royauté de Saül à David, celui de Mikal est de médiatiser les relations entre les deux hommes […] »13. Une fois le lien noué avec David, la manière dont le prince et la princesse réagissent à la menace de mort que leur père brandit contre le fils de Jessé s’avère aussi différente. De prime abord, si Jonathan est directement mis dans la confidence du projet d’assassinat de David (19,1), le récit reste muet sur la voie par laquelle Mikal en vient à le connaître. Ensuite, Jonathan tente et obtient dans un premier temps une réconciliation entre le roi et David (19,1– 7). Pour ce faire, il parle aux deux séparément, exhorte David à se tenir caché, lui fait comprendre qui est la source de la menace, puis il prononce un plaidoyer devant le roi pour lui faire prendre conscience du caractère criminel de sa volonté d’en finir avec le vainqueur de Goliath. Quand arrive le tour de Mikal, sa parole est concise et incisive, puis laisse place à l’action qui s’enchaîne avec détermination en une séquence rapide, à la mesure de l’urgence. Mikal parle du danger sans évoquer explicitement sa provenance. Surtout, son action est plutôt musclée, ce qui fait dire à A. Berlin qu’elle est dépeinte avec des caractéristiques masculines 14. Est-elle moins optimiste que son frère sur la capacité de leur père à renoncer à ses desseins meurtriers ou prend-elle acte15 de l’effet éphémère de la réconciliation de 19,7 ? En tout cas, elle enjoint à son mari de se sauver. La suite des événements lui donne raison, puisqu’en 1 S 20, Jonathan se rend aussi à l’évidence et laisse partir David loin de la cour de Guibéa. En effet, parti la première fois, avec l’aide de Mikal, David a l’idée surprenante de revenir, quelque temps après, voir Jonathan, sous le prétexte apparent de vouloir être fixé sur la radicalité des intentions meurtrières du roi envers lui. C’est donc avec la bénédiction du prince et après des adieux émouvants qu’il quitte définitivement la cour pour s’exiler au désert, sans cependant passer voir son épouse16.
13
EXUM, Tragedy and Biblical Narrative, p. 73 : « Whereas Jonathan functions to mediate the kingship from Saul to David, Michal mediates relations between the two men, […] ». 14 BERLIN, « David’s Wives », p. 70. 15 L’intervention de Mikal se situe sur le plan de l’intrigue après celle de Jonathan. 16 Dans ce sens, EXUM, « Murder They Wrote », p. 183, note que David, alors qu’il est resté caché trois jours à attendre la réponse de Jonathan, ne fait aucun effort pour voir Mikal. Cette attitude du fils de Jessé peut paraître curieuse au lecteur, mais elle est peutêtre à mettre en rapport avec une caractéristique des récits relevée par J.-L. SKA/J.-P. SONNET/A. WÉNIN, « L’analyse narrative des récits de l’Ancien Testament », CE 107 (1999), p. 14. D’après ces auteurs, le récit biblique a ceci de particulier qu’il ne défend qu’une idée et un épisode à la fois, ce qui pourrait expliquer qu’il laisse momentanément
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Après ce départ forcé de la cour, des différences se notent aussi dans les relations de David à Mikal et à Jonathan. Avec Mikal, aucun contact n’est rapporté, alors que Jonathan, lui, rencontre David au désert (23,16–18) pour l’encourager et renouveler leur alliance devant Adonaï. Ce sera leur dernière rencontre, puisque le fils de Saül meurt, comme on le sait, en 1 S 31 et que David apprenant son décès en 2 S 1 lui rend un vibrant hommage (2 S 1,26). Quant à Mikal, faut-il le redire, elle ne revient dans la vie de David qu’en 2 S 3,12–16 après avoir été donnée du vivant de son père à Palti en 1 S 25,44. Sa dernière interaction avec le fils de Jessé se solde par une vive querelle, à l’issue de laquelle elle quitte la scène du récit sous les traits pitoyables d’une femme à jamais stérile (2 S 6,23). En jetant un regard rétrospectif et global sur leur parcours narratif, on voit que si l’amour de Jonathan pour David est resté constant jusqu’au bout, celui de Mikal a finalement viré au mépris (2 S 6,16). En outre, alors qu’avec Mikal, David ne laisse percevoir aucun signe de sentiment partagé, avec Jonathan il se laisse aller à des effusions (1 S 20,40–42), donnant l’impression que l’attachement est réciproque. En tout cas, il chante sa douleur profonde à la mort de Jonathan et proclame qu’il a apprécié son amour plus que celui des femmes (2 S 1,26). Rien d’explicite n’est dit à propos des femmes dont l’amour est considéré inférieur par rapport à celui de Jonathan ; mais le lecteur sait que Mikal est l’une d’entre elles, et même la première de celles qui ont partagé la vie de David ; aussi ne peut-il pas l’exclure du groupe des femmes potentiellement visées. Un autre signe qui montre que le fils de Jessé semble avoir été marqué par sa relation avec Jonathan, c’est le souci affiché de loyauté à leur alliance qu’il exprime en 2 S 9, vis-à-vis de Mephibosheth17, le fils de Jonathan. David, alors sur le trône, insiste dans ce chapitre sur sa volonté de faire ḥeseḏ à cause de Jonathan () ֶח ֶסד ַבּעֲבוּר י ְהוֹנָ ָתן18. Or c’est justement l’engagement que Jonathan avait requis de David en 20,14–15 : faire ḥeseḏ vis-à-vis de lui et de sa descendance.
dans l’ombre la relation Mikal David pour se concentrer sur celle entre Jonathan et David. De toute façon, la narration ne problématise pas le fait que David ne passe pas voir Mikal. 17 Même si les motivations de David et la manière dont il exerce cette loyauté ne sont pas exemptes d’ambiguïté : il peut avoir retenu Mephibosheth à la cour seulement pour avoir aussi l’œil sur lui. Voir dans ce sens EXUM, Tragedy and Biblical Narrative, p. 120 : « He [David] can be magnanimous, as in his dealings with Jonathan’s son Mephibosheth. But then again, his decision to have Mephibosheth “eat at the king’s table always” (2 Sam. 9:7,13) could stem from a desire to keep an eye on the hapless Saulide ». 18 Cf. les v. 1 et 7.
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En comparaison, si l’on ne tient pas compte de l’erreur probable de nom, 2 S 21,8 peut porter à croire que David ne protège pas des enfants qui seraient liés à Mikal19. Quoi qu’il en soit, David ne laisse rien paraître qui ferait penser qu’il est redevable d’une manière ou d’une autre de Mikal, ne serait-ce que pour l’aide qu’elle lui a apportée en 1 S 19,11–17. Il n’a pas conclu de pacte avec elle. Par ailleurs, sur le plan de la présence dans le récit, Jonathan occupe relativement plus d’espace que Mikal. À supposer même qu’on mette de côté les chapitres 13 et 14 de 1 Samuel où il apparaît déjà et qu’on prenne comme point de départ l’arrivée de David sur scène, la présence de Jonathan se note en 1 S 18,1–4 ; 19,1–7 ; 20 ; 22,8 ; 23,16–18. Dans tous ces passages, excepté 22,8, il est protagoniste au point qu’un chapitre entier est consacré à la relation entre lui et David (1 S 20). Sa relation n’est instrumentalisée par personne, pas même par son père Saül qui essaie pourtant de le dissuader de s’associer à David (20,30). Entre lui et son père, plusieurs dialogues sont rapportés (19,1–7 ; 20,27–32) : en 1 S 19, il lui adresse un discours relativement long pour éveiller sa conscience morale politique et réussit à se faire entendre. Mais en 1 S 20, le dialogue tourne à l’affrontement. De même, quelques dialogues entre lui et David sont enregistrés (19,1–7 ; 20,1–23). Les seuls passages où il fait de la simple figuration, c’est 1 S 31,1–2 à l’occasion de son rendez-vous avec la mort, une mort qu’il rencontre en accomplissant son devoir de guerrier. Même en 2 S 1,17–27, quand David pleure sa mort, son évocation de ses hauts faits le dépeint comme un personnage d’exception, un grand homme. Comparativement, Mikal n’est directement protagoniste qu’en 1 S 19,11– 17 et 2 S 6,16–23. En dehors de ces passages, elle reste dans les coulisses en 1 S 18,20–27 et fait office de simple figurante en 1 S 25,44 et 2 S 3,13–16. Elle ne dialogue avec son père qu’une seule fois (1 S 19,17), de même qu’avec David (2 S 6,20–23) 20. Il faut dire qu’elle parle à ce dernier en 1 S 19,11 et il obéit, mais sans réaction verbale rapportée de lui. Toutefois, dans les cas où il y a échange de parole, l’atmosphère paraît plutôt surchauffée. À telle enseigne que dans l’échange avec David elle est privée de l’ultime réplique.
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Mais le statut incertain de ce texte n’autorise pas de pousser plus loin cette idée. Le passage equivalent dans la LXX reprend, faut-il le rappeler, le nom de Mérav. Quoi qu’il en soit, la mention du nom de Mikal, désignée comme mère d’enfants dans le TM, pourrait porter, à première lecture, à se demander s’il ne faut pas finalement attribuer à une cause autre que la stérilité l’absence d’enfant de la fille de Saül, évoquée en 2 S 6,23. 20 Il faut dire qu’elle parle à David en 1 S 19,11, mais sans réaction verbale rapportée de ce dernier.
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A. Berlin et J. C. Exum21 qui, à ma connaissance, sont les rares auteures à avoir étudié le personnage de Mikal en tentant une comparaison avec Jonathan, attribuent les différences de traitement narratif du fils et de la fille de Saül à des dynamiques de « genre ». Du moins Exum, car Berlin pose plutôt le constat d’une inversion de genre. Partant du fait que Mikal aime et fait connaître son amour (18,20.27) et qu’elle descend David par une fenêtre, cette auteure estime qu’à la fille de Saül sont attribuées des caractéristiques masculines tandis qu’elle voit Jonathan dépeint sous des traits féminins22. Elle déclare que, pour ce dernier, David a des sentiments d’amour et de tendresse qu’on s’attendrait à trouver dans sa relation à Mikal. Sa conclusion est que le fils de Jessé « semble s’être rapporté à Mikal comme à un homme et Jonathan comme à une femme »23. Y. Peleg24 abonde dans ce sens d’une « féminisation » du personnage de Jonathan dans son rapport à David, avec la différence cependant qu’il invoque à l’appui de sa thèse, entre autres choses, l’analogie de parcours entre le prince et sa sœur. Il faut dire que le point de vue principal défendu par Peleg est de montrer que la caractérisation « féminisante » de Jonathan vise à disqualifier25 celui-ci pour le trône. Or cette lecture est loin d’être convaincante, si l’on s’en tient sérieusement au mouvement de fond du récit où il apparaît avec suffisamment de clarté, comme le réaffirme J. Y. Rowe26, que le fils de Saül est dépeint plutôt sous les traits
21
EXUM, Tragedy and Biblical Narrative, pp. 71–91 ; BERLIN, « David’s Wives », p. 70, en faisant référence à l’étude d’Alter sur la caractérisation de Michal et David, étaie l’objectif de son propos en ces termes : « What I would like to add is the aspect of Michal’s characterization that emerges when it is compared with Jonathan’s. » 22 BERLIN, « David’s Wives », p. 70. 23 Ibid., p. 71 : « David, then, seems to have related to Michal as to a man and to Jonathan as to a woman. » 24 PELEG, « Love at First Sight? », notamment les pp. 185–187. Le problème, c’est que, si Jonathan semble décrit sous les traits d’une femme à l’instar de Mikal, Peleg souligne que celle-ci, dans certaines de ses actions, est gratifiée de traits mâles (p. 187) comme Berlin, donc. Même David se trouve à certains moments dans une posture de femme (voir à ce sujet la p. 184 : « David’s adroit emotional manipulation in this chapter [1 S 20] is characteristic of women in the Bible who overcome their position of inferiority within patriarchy by utilizing their weakness to their advantage »). Au fond on a affaire à une confusion de genre, ce qui, à mon avis, révèle que la perspective, quoique légitime, peut mener à des impasses, si elle est poussée trop loin. 25 Dans un sens analogue, voir T. LINAFELD, « Private Poetry and Public Eloquence in 2 Samuel 1:17–27: Hearing and Overhearing David’s Lament for Jonathan and Saul », The Journal of Religion 88 (2008), pp. 497–526. Pour cet auteur, David « féminise » Jonathan pour promouvoir sa propre prétention au trône. 26 J. Y. ROWE, « Is Jonathan Really David’s ‘Wife’? A Response to Yaron Peleg », JSOT 34 (2009), pp. 183–193.
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d’un « Proto-David », ce qui l’autorise à passer le relais après la victoire contre Goliath27. De toute façon, ainsi que le reconnaît Exum 28, aborder dans la perspective de Berlin les dynamiques du genre présentes dans ce récit revient à faire fausse route. Elle pense, pour sa part, que si Mikal est présentée d’une manière relativement moins favorable que Jonathan, cette situation est due à la féminité du personnage. Selon elle, Mikal est caractérisée comme les autres figures féminines du récit biblique dans son ensemble, et cette caractérisation est biaisée, parce que manipulée par la vision patriarcale de ces récits et cela, en vue de servir les intérêts de l’idéologie androcentrique dominante. Cette lecture révèle le malaise, voire l’insatisfaction qu’éprouvent certaines féministes face aux rôles impartis à des personnages féminins dans les récits bibliques. Bien que sans doute légitime, une telle critique procède en dernier ressort d’une démarche de contestation, voire d’opposition29 à l’agenda idéologique supposé du récit biblique, au nom d’une conception moderne de la nécessaire émancipation des femmes. À nous il importe plus modestement, étant donné les présupposés de l’approche narrative dans laquelle nous nous inscrivons, d’accorder crédit au narrateur et d’essayer, sur la base du pacte de lecture qu’il propose, de déterminer le rôle et la fonction narratifs qu’il assigne à Mikal et à Jonathan à travers la manière dont il les fait intervenir dans le récit. En somme, notre lecture se décline sur le registre d’une coopération interprétative visant à actualiser les propriétés connotatives du récit dans la perspective décrite par exemple par Eco 30. À cet égard il apparaît avec évidence que, à s’en tenir aux codes culturels sous-jacents aux rôles respectifs des hommes et des femmes dans le monde biblique, Mikal est loin d’être confinée dans un rôle insignifiant et reproduisant les lieux communs. Elle est en effet dépeinte de manière à échapper quelque peu aux stéréotypes. Même sa désignation principale sous les étiquettes de « fille de » et de « femme de », outre qu’elle affirme sans équivoque sa féminité, vise vraisemblablement à souligner les relations significa27 Voir dans ce sens JOBLING, « Jonathan : A Structural Study », pp. 11–12 ; le même auteur ébauche cette lecture dans son article « Saul’s Fall and Jonathan’s Rise », pp. 375– 376 et la développe ensuite dans son commentaire 1 Samuel, pp. 95–96. 28 EXUM, Tragedy and Biblical Narrative, p. 72 : « Adele Berlin has observed in the roles of Jonathan and Michal a certain kind of reversal; however, to ascribe to Jonathan feminine characteristics and to Michal masculine ones, as Berlin does, is to look in the wrong direction for the male/female dynamics of the story, as well as to risk reinforcing gender stereotypes ». 29 FUCHS, Sexual Politics in Biblical Narrative. Reading the Hebrew Bible as a Woman, p. 16 : « My subtitle defines ‘woman’ in opposition to the biblical construction. The woman I have in mind is a cautious and suspicious reader. She does not accept her malecentered and male-authored representations ». 30 Voir ECO, Lector in fabula, Paris, 1985.
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tives dans lesquelles elle est engagée et qui par moments inspirent et éclairent son agir. Qu’elle assume ces relations sans se sentir prisonnière31 d’elles se perçoit à l’autonomie remarquable dont elle fait montre dans sa manière spontanée de se démarquer par rapport aux attentes de son père, puis de défier l’autorité de son royal mari. Ce trait de caractère semble déjà à l’œuvre lorsqu’elle s’éprend de David, trait exceptionnel s’il en est dans la mesure où il est unique dans le récit biblique32. Mikal incarne ainsi un personnage à la consistance humaine particulière, malgré la dimension secondaire de son rôle étroitement dépendant de l’action dramatique dont les protagonistes sont Saül et David. Il en est de même du rôle de Jonathan. Tant lui que sa sœur sont engagés dans des rôles entièrement consacrés à promouvoir la cause de David, au cœur de l’intrigue. Au fond, on peut dire que sur le plan narratif, les personnages de Jonathan et de Mikal complexifient l’intrigue de la rivalité et de la lutte politiques entre leur père Saül et David, donnant à ce conflit une dimension qui dépasse le cadre de la relation entre deux personnages. Quant au fait que le fils et la fille du roi lui-même prennent parti pour le rival de leur père, contre toute logique de solidarité familiale, il intervertit per se les enjeux en termes de hiérarchie de valeurs à défendre. Cela comporte une dimension de surprise, ce qui n’est pas sans effet sur la construction de la tension dramatique. Ainsi l’amitié et l’amour éprouvés envers David par les proches du roi compliquent donc l’équation pour Saül dans la mesure où ces inclinations constituent des paramètres ou des ingrédients qui rendent plus délicat ou en tout cas moins évident le jeu de soutiens politiques. De toute façon, ces affections fonctionnent concrètement de manière à mettre le roi dans une situation où il doit prendre acte, parfois avec rage, du manque d’appui des siens. Les sentiments bienveillants de ceux-ci par rapport à David amènent, par l’effet cumulatif qu’induit le fait qu’ils sont éprouvés par plusieurs personnages, à isoler Saül et à remettre en question le bien-fondé de son agressivité contre David. De ce point de vue, il doit être significatif que, de tous ceux dont le récit mentionne l’amour pour David, Jonathan et Mikal soient les seuls à prendre ouvertement33 fait et cause pour le fils de Jessé et dès lors à défier leur père. Cela ne peut que renforcer la légitimité de David, à supposer que l’intrigue de 1 S 16–
31 Contre EXUM, Fragmented Women, p. 45, qui y voit le signe d’un emprisonnement, d’une impossibilité d’autonomie. On peut noter que Jonathan est aussi fréquemment désigné comme « fils de Saül ». 32 On parle bien de récit, ce qui exclut le Cantique des cantiques qui est un poème. 33 Ahimélek apporte aussi de l’aide en 1 S 21,2–10, mais le contexte indique clairement qu’il est victime d’une manipulation en douceur de David. De même Samuel en 1 S 19,18– 24 ne prend pas explicitement et fermement position pour David. La protection dont ce dernier bénéficie dans cet épisode est plutôt à mettre à l’actif de l’esprit d’Élohim.
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Chapitre 6 : Jonathan et Mikal
2 S 8 participe, comme le pensent certains auteurs 34, d’un projet de légitimation politique. En ce sens, on peut affirmer que les personnages de Jonathan et Mikal remplissent une fonction tout argumentative et, partant, persuasive. Le narrateur parle avec eux moins qu’il ne parle d’eux. Sur un autre plan, le fils et la fille de Saül remplissent aussi une fonction illustrative en vertu du fait qu’ils semblent être les instruments dont Adonaï se sert pour protéger David. Dans cette optique, ils constituent un des signes de la faveur divine vis-à-vis de David et sont présentés comme les membres de la famille de Saül qui ont eu l’intelligence d’accepter et d’appuyer ce qui se profilait comme un destin inéluctable pour David. À cet égard, ils ne peuvent pas être décrits comme des personnages tragiques à l’instar de leur père, ainsi que le pense Exum35, ce qui n’empêche pas qu’ils soient touchés l’un et l’autre par le sort tragique qui frappe toute la maison de Saül36. Dans cette perspective, Jonathan meurt au front d’une mort prématurée (1 S 31,1–2) et Mikal sort de scène avec l’étiquette de femme privée d’enfant (2 S 6,23). C’est dire que même l’aide apportée à l’élu d’Adonaï ne les soustrait pas aux conséquences qui pèsent sur la maison rejetée de Saül à laquelle ils n’ont pas cessé d’appartenir. Qu’ils n’aient jamais renié leur appartenance à la maison de Saül peut se déduire de la présence de Jonathan aux côtés de son père lors de la guerre sur le mont Guelboé (1 S 31) et de la protestation que Mikal élève en tant que fille de Saül en 2 S 6,20–22. Ces gestes ultimes interdisent d’appréhender la solidarité qu’ils ont apportée à David comme une trahison de leur famille. Ils invitent plutôt à voir Jonathan et Mikal comme des personnages capables de faire la part des choses et de se déterminer en fonction de ce qu’ils estiment juste. En dernière analyse, le fils et la fille de Saül étant issus de la tribu de Benjamin et David de celle de Juda, leurs figures servent de moyens au narrateur pour exposer sa vision de comment doivent être les rapports plus larges entre les entités politiques représentées par ces deux tribus. Dans ce cadre, Saül qui, en 1 S 22,7, en appelle à un soutien politique fondé sur la seule logique de l’appartenance tribale apparaît comme un mauvais exemple. Aussi n’est-il pas suivi par les siens dont les choix politiques se fondent sur d’autres critères et valeurs. Ceux-ci s’alignent en effet sur celui d’Adonaï, tout en se laissant éclairer séreinement par la bienveillance de cœur éprouvée en faveur de David. Dès lors il n’est pas erroné de percevoir dans 34
Voir dans ce sens MCCARTER, « The Apology of David », JBL 99 (1980), pp. 489– 504 ; K. W. WHITELAM, « The Defence of David », JSOT 29 (1984), pp. 61–87 ; METTINGER, King and Messiah, 1976 ; E. OTTO, « Tora und Charisma. Legitimation und Deligitimation des Königtums in 1 Samuel–2 Samuel 1 im Spiegel neuerer Literatur », ZABR 12 (2006), pp. 225–244 ; S. L. MCKENZIE, King David. A Biography, Oxford, 2000, etc. 35 EXUM, Tragedy and Biblical Narrative, pp. 70–71: « The tragic awareness, the masterful struggle against his destiny that sets Saul apart as tragic hero, is not to be found among the members of his family. » 36 Ibid., p. 72.
6. B. Parcours narratifs de Jonathan et Mikal : particularités
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cette configuration que présente le récit l’indice d’un idéal ou d’un projet politique visant à consolider ou à favoriser l’unité de tout le peuple d’Adonaï. Cette dimension idéologique du récit émergera peut-être avec beaucoup plus d’évidence en dégageant ses implications anthropologiques et ses enjeux théologiques. Ce sera également le moment de voir quelle posture rhétorique ou quelle intentio operis peut être déterminée pour le récit dans son ensemble.
Chapitre 7
Implications anthropologiques, enjeux théologiques et posture rhétorique Il est généralement admis que tout récit construit un monde. Aussi la question se pose de savoir quel monde ou quelle vision du monde est mis en avant par le récit où sont impliqués Jonathan, Mikal, Saül et David. Plus exactement quelle vision de l’humain véhicule-t-il et quelle vérité sur Dieu propose-t-il ? Voilà les questions qui seront au cœur de notre propos, à ce point de notre recherche. Pour y répondre, nous allons, dans un premier temps, tenter de développer les implications anthropologiques susceptibles d’être dégagées de ce récit. Ensuite, nous déterminerons les enjeux théologiques qui sont les siens avant de voir finalement s’il est possible, à partir de ce qui en ressort, d’esquisser une description de sa posture rhétorique principale.
A. Implications anthropologiques 7. A. Implications anthropologiques
Notre propos s’articulera autour de trois axes : 1°- sentiments, famille et solidarité politique, 2°- amour conjugal et amour d’amitié, 3°- ambition politique et moyens de lutte. 1. Sentiments ou émotions, famille et solidarité politique Elle est impressionnante, la gamme d’émotions déclinées dans la partie du récit où Jonathan et Mikal jouent un rôle, dans leurs interactions respectives avec Saül et David. Ce dernier est d’ailleurs l’objet de ces émotions fortes et opposées, car sa victoire contre Goliath a pour effet de susciter attachement et passion (18,1.3.20), jubilation et enthousiasme (1 S 18,6–7), joie (19,5)1, mais aussi colère, jalousie et hostilité (18,9). Cette victoire marque le début d’une carrière militaire qui éveille adhésion populaire spontanée et appréciation positive (18,5.16). Toutes ces émotions sont présentées dans la narration de telle manière qu’elles puissent exercer une force rhétorique sur le lecteur, l’enjeu étant que celui-ci fasse la part des choses entre celles qui sont à imiter et les autres. À cet effet, ces émotions sont évoquées comme constituant les ressorts décisifs de l’engagement politique des personnages en présence, 1
Si on en croit Jonathan et si l’on ne prend pas son discours pour de la pure rhétorique.
7. A. Implications anthropologiques
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surtout de ceux qui font l’objet de notre investigation. Ainsi la solidarité que Jonathan et Mikal apportent à David se fonde sur l’amour qu’ils éprouvent pour lui. De même, l’hostilité tenace de Saül envers le fils de Jessé est attribuée à une jalousie obsessionnelle qui confine à la folie. Ces attitudes opposées qui découlent d’émotions contrastées et campent deux façons contradictoires de se rapporter au fils de Jessé achèvent de construire David d’un côté comme un être aimable et donc comme quelqu’un de bien, et de l’autre, comme un personnage menaçant. Elles en disent long aussi sur les personnages qui les adoptent dans la mesure où elles mettent ceux-ci dans une sorte de compétition, posant du coup la question de savoir quel comportement est juste. À ce propos, il apparaît que le nombre élevé de personnages éprouvant des émotions positives et bienveillantes à l’endroit de David, associé au statut sociopolitique de ces derniers, a valeur d’argument favorable. Autrement dit, si tout Israël et Juda aiment David (18,16), si l’aiment aussi ceux-là mêmes qui sont directement liés à Saül comme son fils Jonathan (18,1.3), sa fille Mikal (18,20.27) et ses serviteurs (18,5.22), et si même Ahimélek, le prêtre du sanctuaire royal, peut, en 1 S 22,14, le caractériser comme fidèle ()נֶ ֱא ָמן, c’est que celui qui adopte à son égard l’attitude opposée a tort. En somme, le récit déploie un monde où les émotions et sentiments revêtent de l’importance, tant ils déterminent les relations que les personnages entretiennent entre eux, lesquelles relations, à leur tour, s’avèrent décisives pour le jugement que l’on porte sur les deux protagonistes principaux. Par ailleurs, le récit dramatise également comme un rapport dialectique entre relations familiales et relations choisies. La tension entre ces relations ressort lorsque Jonathan et Mikal se trouvent à devoir d’une certaine manière choisir entre leur père Saül et David, l’ami ou l’époux. Que pareil choix s’avère cornélien se comprend à la nature des relations qui ont été mentionnées auparavant, ce qui en rajoute certainement à la tension dramatique du récit. En outre, il y a de l’ironie dans ce choix qui va finalement à l’encontre des attentes naturelles de Saül. Ce dernier semblait convaincu que ce serait un choix en sa faveur. Pourtant le narrateur ne dépeint pas les choix de Jonathan et de Mikal comme une remise en cause des liens familiaux. Ce faisant, il confère de la complexité et de la profondeur tant à ces personnages qu’aux situations auxquelles ils font face : il montre qu’en certaines situations, peuvent prévaloir d’autres logiques et d’autres valeurs que celles des liens de sang, comme par exemple celle de la justice d’une cause. Une manière sans doute de suggérer que rien ne va de soi, ce qui, de facto, dramatise la tension entre relations de famille et relations choisies. Il est tout aussi intéressant de relever que, dans le conflit politique opposant Saül et David, seule la famille de Saül intervient et qu’elle le fait en faveur de David. Quant à la famille de ce dernier, elle n’interfère en rien. Il ne lui est assigné aucun rôle particulier qui soit significatif. Certes en 1 S 22,1.3, il est fait mention des frères de David et de toute la maison de son
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Chapitre 7 : Implications anthropologiques, enjeux théologiques et posture
père qui descendent vers lui, à la grotte d’Adullam. Mais même là, aucun rôle spécifique2 ne leur est assigné. À moins qu’il faille les inclure au nombre des quatre cents laissés pour compte qui se constituent en bande autour de David (22,2). La contiguïté des deux versets rend possible une telle lecture. Néanmoins, il n’est pas improbable que le fait de se déplacer à Adullam traduise, après tout, le besoin de chercher à se mettre à l’abri de toutes représailles éventuelles de la part de Saül, dans la ligne de la préoccupation exprimée par David lui-même en 22,3, par rapport à son père et à sa mère, qu’il confie aux soins du roi de Moab. Quoi qu’il en soit, par la suite, tout cela reste sans incidence sur le cours des événements rapportés, ce qui, en définitive, laisse sans rôle précis la famille de David dans le conflit qui oppose celui-ci à Saül, le roi en place. En n’assignant de rôle décisif qu’à des membres très proches de la famille de Saül, qui, malgré ce qu’ils pourraient y perdre, soutiennent David, le narrateur les place dans une posture assez peu commune de personnages, supporters de la cause du candidat de ce qui est objectivement le camp adverse. Ce qui revient à dire que, si ceux-là mêmes qui auraient pu avoir des raisons de s’opposer au fils de Jessé adoptent plutôt une attitude de bienveillance à son endroit, c’est qu’en fin de compte, il n’y a pas lieu de s’opposer. Il y a, en conséquence, d’après la manière même dont ce récit met en scène le fils et la fille de Saül, comme une sorte de raisonnement a fortiori visant d’une part à convaincre le lecteur de la légitimité de la royauté de David, et invitant d’autre part à considérer que le soutien apporté par Jonathan et Mikal est l’attitude adéquate. 2. Amour conjugal et amour d’amitié Comme cela a déjà été souligné plus haut, le récit du conflit entre Saül et David dépeint en parallèle la relation de Jonathan à David et celle de Mikal à David. Sur l’ensemble de l’intrigue, ces deux relations produisent un double effet conjugué : d’une part marquer que le fils de Jessé est doté d’un grand charisme – d’où le charme irrésistible qui émane de sa personne et qui opère jusque dans le cercle intime de la famille de Saül – ; d’autre part, induire à reconnaître et à asseoir sa légitimité à devenir le roi d’Israël. Cela a amené certains à parler de la signification politique des mariages de David 3 dont le premier est celui avec Mikal. Mais il me semble qu’on puisse parler égale-
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Nous parlons ici de la trame du récit telle qu’elle est tissée du vivant de Saül. Car, après la mort de ce dernier, des cousins de David, Joab et Abishaï, jouent un rôle essentiel (cf. 2 S 2,12–32). Certes également les frères aînés de David sont mentionnés en 1 S 16 et 17, mais plutôt dans un contexte où le récit suggère comme un contraste entre frères. 3 Voir à ce sujet J. D. LEVENSON/B. HALPERN, « Political Import of David’s Marriages », JBL 99 (1980), pp. 507–518.
7. A. Implications anthropologiques
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ment de fonctionnalisation politique de l’amitié4. Que David lui-même accorde de l’importance sans doute politique5 à son mariage avec la princesse Mikal se laisse voir à sa réaction lorsqu’il accepte le marché proposé par Saül et au zèle qu’il met à obtenir ce qui lui est demandé (1 S 18,26–27). Il n’est pas impossible non plus que des considérations d’intérêt politique motivent, entre autres choses, sa demande pour qu’on lui restitue Mikal en 2 S 3,13. En cela d’ailleurs, David s’inscrit dans la mentalité de l’époque, car, comme le note Christophe Nihan, « il va sans dire que la raison d’être des mariages dans l’Antiquité, surtout dans les familles patriciennes, est essentiellement d’ordre politico-économique »6. Toutefois, même si les motivations de David semblent politiques, il reste que son mariage avec Mikal a lieu après que la princesse est éprise d’amour de lui. Apparaît de ce fait une divergence au niveau des motivations des deux futurs époux qui pose d’emblée la question de la manière dont va s’articuler et s’ajuster leur relation. Sur un autre plan, malgré l’explication éclairante qu’en donne Ackerman, il n’est pas anodin que l’amour de Mikal pour David soit le seul à être mentionné d’une femme pour un homme, dans la narration biblique ainsi que l’observe Alter. Dans la ligne de l’originalité qui en résulte, il n’est pas exagéré d’y lire l’expression d’une configuration inédite des relations femme-homme telles que rapportées jusque-là dans le récit biblique, récit dans lequel on enregistre plus souvent l’amour unilatéral de l’homme pour la femme7. Quoi qu’il en soit, reste le cas d’une femme dont l’amour ébruité a pour conséquence de la voir donnée en mariage à l’homme qui s’avère être le rival politique de son père, ce qui génère de fait une tension dialectique entre amour et politique avec, à l’arrière-plan, l’enjeu de savoir comment et jusqu’à quel point ces deux ingrédients pourront faire bon ménage, étant donné le conflit d’intérêt plus que probable. En parallèle et dans la foulée, le récit raconte l’unique exemple d’amitié masculine de la Bible hébraïque. Brossée au départ comme une amitié entre deux vaillants guerriers, ce qui peut lui donner les traits d’une « amitié héroïque »8, cette relation est présentée comme la raison fondamentale pour laquelle Jonathan non seulement renonce à entrer en compétition avec David pour le trône, mais aussi assume des initiatives visant à promouvoir la cause de ce dernier. L’amitié apparaît alors comme une force de mobilisation et 4
SCHROER/STAUBLI, « “Jonathan aima beaucoup David” », p. 60, parlent eux de « fonctionnalisation politique de l’homoérotisme ». Mais comme nous l’avons déjà relevé, la dimension homoérotique de cette relation ne s’impose vraiment pas, alors que celle de l’amitié semble patente. 5 Le récit reste en effet discret sur les raisons pour lesquelles David estime bon de devenir le gendre du roi. 6 NIHAN, « David et Jonathan : une “amitié héroïque” ? », p. 321, n. 29. 7 Voir par exemple le cas de Jacob en Gn 29,18.20.30–35. 8 Voir NIHAN, « David et Jonathan : “une amitié héroïque” ? », pp. 325–330.
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Chapitre 7 : Implications anthropologiques, enjeux théologiques et posture
d’abnégation, surtout de la part de Jonathan. Elle semble un vecteur d’égalité grâce auquel un jeu d’identification s’élabore entre le prince et quelqu’un du peuple, de sorte que le second devient l’alter ego du premier. En somme, ce récit se donne à lire comme une célébration de l’amitié, un vibrant hommage à une relation affectueuse unique et exceptionnelle, magnifiquement incarnée par Jonathan et totalement mobilisée au service d’une cause politique. Il y a là, semble-t-il, l’élaboration pragmatique d’une réflexion entre amitié et politique qui illustre jusqu’où et comment l’affection portée à quelqu’un peut déterminer le soutien politique qu’on lui apporte. C’est dire qu’en politique l’amitié n’est pas de trop et qu’elle vaut son pesant d’or. À cela, le vers de 2 S 1,26 déclamé par David en hommage posthume à Jonathan fait vraisemblablement écho. Bénéficiaire direct de cette amitié, David cherche à rendre de cette manière son ressenti profond et, pour le dire, rapproche, en soulignant leur contraste, l’expérience affective vécue avec Jonathan et celles qu’il a connues avec les femmes. L’objectif, dicté par le contexte d’hommage funèbre, semble bien être d’exprimer l’originalité du lien avec Jonathan. Il en ressort de fait une comparaison entre amour d’amitié et amour conjugal sans doute, David ayant tiré sa plus grande satisfaction de l’amitié. On peut dès lors se demander si le récit ne fait pas l’éloge de celle-ci aux dépens de l’amour conjugal. D’autant que, en 2 S 6,16.20–23, le lecteur est ramené en quelque sorte à 2 S 1,26 et se demande si l’expression « amour des femmes » (שׁים ִ ָ )אַ ֲהבַת נne renferme pas une allusion proleptique à Mikal. En 2 S 6,16.20–23 en effet, la fille de Saül s’affiche en opposante de David dont elle conteste ouvertement la manière de se comporter en tant que roi. Sa sortie orageuse constitue le seul élément d’hostilité féminine à l’encontre du fils de Jessé dans le récit. De ce fait, s’il s’avérait opportun de relier l’appréciation exprimée en 2 S 1,26 à quelque indice de comportement féminin dans la trame, Mikal apparaît comme le seul personnage susceptible de fournir à David de quoi juger moins gratifiante sa relation à la femme. Car, en dehors de cette tonalité litigieuse, aucune des autres femmes rencontrées par le second roi d’Israël ne s’est mise en travers de sa marche vers le trône. À la décharge de Mikal, nous avons déjà remarqué que ses paroles donnent l’impression d’être l’écho d’une frustration longtemps contenue dans sa relation au fils de Jessé. En ce sens, la voix de la fille de Saül s’élève aussi pour dire à David que toutes les femmes ne sont pas satisfaites de sa manière de les traiter. C’est là un autre aspect du problème. Pour le moment, la question est de savoir si l’on peut voir dans le contraste exprimé en 2 S 1,26, l’indice d’une opposition plus large entre la relation de Jonathan à David et celle de Mikal au même David 9. Le genre de lyrique funéraire dont relève le vers de David invite peut-être à ne pas extrapoler 9
ACKERMAN, When Heroes Love, pp. 174–194, semble répondre par l’affirmative à cette question.
7. A. Implications anthropologiques
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l’affirmation à toute la relation entre Jonathan et David et Mikal et David. L’emphase qui le caractérise vise sans doute à cristalliser sans plus le caractère exceptionnel de la relation avec Jonathan. En outre, le récit dans son ensemble ne semble pas accréditer la thèse d’une opposition entre les relations du fils et de la fille de Saül avec David10. De la manière dont elles alternent entre elles dans la trame, il ressort néanmoins qu’il y a comme une mise en tension de ces deux relations, ce qui fait ressortir leurs caractéristiques à la fois communes et propres. Celles-ci s’apparentent d’ailleurs curieusement aux caractéristiques que la psychologie et/ou la philosophie modernes reconnaissent parfois aux relations conjugales et amicales. Dans cette perspective, X. Lacroix11, se refusant de considérer l’amitié comme supérieure à l’amour ou vice versa, comme le font certains philosophes grecs tels que Platon et Aristote12, pose avant tout une profonde parenté entre amour et amitié. Ainsi il émet l’hypothèse que l’amour et l’amitié puisent à un fonds commun. Partant de là, on peut se demander si la même idée ne transparaît pas dans la narration des relations de Jonathan à David et de Mikal à David, lorsque celles-ci sont désignées de façon indiscriminée par le verbe אָהַב13. Dans la même ligne, Lacroix constate « qu’une grande amitié peut donner lieu à une proximité comparable à celle de l’amour »14. D’où la difficulté à définir l’amitié15 et à la dissocier parfois de l’amour conjugal et érotique. Cela explique peut-être que l’on en soit aujourd’hui encore à discuter âprement sur la nature homoérotique ou non de la relation entre Jonathan et David et que l’on donne l’impression de la saisir dans les mêmes termes que ceux de la relation entre Mikal et David. Plus loin, Lacroix affirme que l’amitié se nourrit d’égalité et de réciprocité, des propriétés que Jonathan semble souhaiter voir imprégner progressivement sa relation avec David. Certes, au début de celle-ci, il apparaît que c’est le fils de Saül qui monopolise l’initiative et instaure le lien, au point que l’impression qui prévaut est celle d’une amitié à sens unique. Mais des éléments dans le récit semblent induire à penser que Jonathan traite David comme un pair. Ainsi, par exemple, le fait de l’aimer comme lui-même (1 S 18,1.3) revient à placer celui-ci sur pied d’égalité. À cela peut s’ajouter le 10
Contrairement à ce que tend à montrer Ackerman. X. LACROIX, Les mirages de l’amour (Études et essais), Paris, 2010, nouvelle éd. revue et augmentée, pp. 140–141. 12 Pour la discussion sur la conception de l’amitié et de l’amour chez Platon et Aristote voir aussi P. MACHEREY, « Le “Lysis” de Platon : dilemme de l’amitié et de l’amour », dans S. JANKÉLÉVITCH/B. OGILVIE (éd.), L’amitié (Hachette Littératures), Paris, 2003, pp. 76–100. 13 Même s’il est clair que ce verbe est d’une élasticité remarquable qui lui permet de désigner pas mal d’affections et de sentiments. 14 LACROIX, Les mirages de l’amour, p. 138. 15 Ibid. 11
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Chapitre 7 : Implications anthropologiques, enjeux théologiques et posture
don du manteau et des armes par lequel Jonathan marque symboliquement la reconnaissance de David comme alter ego. Il y a aussi que Saül fait de David comme un fils en le retenant à la cour après l’évocation de l’attachement de Jonathan. Dans cette logique, on comprend que David s’adresse au roi en l’appelant « mon père » (1 S 24,12 : )אָבִיavant de s’entendre répondre avec un « mon fils » plein d’émotion (24,17 : ) ְבּנ ִי ָדוִד16. On comprend aussi qu’il interpelle Jonathan par le vocatif « mon frère » ( )אָחִיen 2 S 1,26. Quant à la réciprocité, elle n’est pas évidente de la part de David, au regard de la réserve qui entoure sa figure. Mais elle est en tout cas sollicitée par Jonathan qui demande une loyauté réciproque17. Si en 1 S 18,3, le fils de Saül semble celui qui scelle l’alliance, en 23,18 ce sont les deux qui explicitement la concluent, après que Jonathan s’est prononcé clairement sur la royauté future de David. L’amitié est généralement présentée comme étant également caractérisée par d’autres traits tels que la gratuité et le désintéressement. Quand on jauge la relation de Jonathan à David à l’aune de ces traits, on constate qu’ils en constituent bien les points saillants. Car si, du côté de David, on observe une certaine ambiguïté à ce propos, le fils de Saül, pour sa part, est dépeint comme « complètement désintéressé »18. Il incarne la gratuité et le désintéressement à un degré tel que Jobling19 le décrit comme le personnage qui se vide de lui-même (« emptying himself »). En ce sens, il affirme que « Jonathan est le cas extrême de personnage dépouillé dans une intrigue »20. C’est sans doute aussi en raison de ce désintéressement marqué que P. K. Tull21 parle de « Jonathan’s Gift of friendship », comme pour laisser entendre que, pour l’essentiel, l’amitié ne peut être considérée que dans le mouvement qui va de Jonathan à David et pas l’inverse. Cette gratuité et ce désintéressement poussés à l’extrême au point de paraître humainement injustifiables 22 constituent au bout du compte les leviers qui, dans l’amitié, permettent à Jonathan de s’impliquer dans le transfert de la royauté vers David. Pour X. Lacroix, le désintéressement est pour ainsi dire la vertu ou le paramètre qui fait de l’amitié une relation « plus détendue » que l’amour. Elle connaît, dit-il, « moins cette inquiétude jalouse qui conduit beaucoup à élabo16
Voir aussi 1 S 26,17,21,25. Voir notamment 1 S 20,14–16.23.42. 18 HERTZBERG, I & II Samuel, p. 154. 19 JOBLING, « Jonathan : A Structural Study », p. 11. Voir aussi ID., 1 Samuel, p. 96 : « Jonathan oscillates between close identification with David and an emptying of himself into David, a readiness to be replaced by David as Saul’s heir ». 20 « Jonathan », p. 20 : « Jonathan is the extreme case of character emptied into plot ». 21 TULL, « Jonathan’s Gift of Friendship », pp. 130–143. 22 JOBLING, 1 Samuel, p. 98, parle de Jonathan en affirmant que « His attitudes and actions lack any normal motivation. He is the heir, and the heir does not normally champion the cause of an upstart against his own ». 17
7. A. Implications anthropologiques
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rer, consciemment ou inconsciemment, des stratégies de conquête ou de défense. Aussi sera-t-elle moins que l’amour le lieu de malentendus »23. À interroger les relations de Jonathan et Mikal à David à la lumière de ces considérations, il est intéressant de noter que semblent y être à l’œuvre des attitudes analogues à celles que décrit Lacroix. À cet égard, la scène de ménage de 2 S 6,16.20–23 entre David et Mikal peut être lue d’une part comme un malentendu, d’autre part comme une stratégie de conquête ou de défense. Le malentendu est invoqué par David lui-même dans la première partie de la réponse qu’il formule : « C’est devant Adonaï ( » ) ִל ְפנֵי י ְה ֗ ָו הqu’il danse et par conséquent non devant les servantes, comme le prétend son épouse. Quant à la stratégie de conquête ou de défense, on peut la supposer chez Mikal dans la mesure où la virulence de son propos se donne à lire comme l’écho de frustrations imputables à son mari, de son point de vue du moins. Sa sortie agressive contre David serait de ce fait une manière d’attirer son attention sur ce qu’elle vit de douloureux dans leur relation et une tentative de le ramener à elle, une lecture que renforcerait d’ailleurs le grief qu’elle lui fait de se comporter de façon vulgaire vis-à-vis d’autres femmes dont le statut social est inférieur au sien. De ce point de vue, la relation de Jonathan semble comparativement beaucoup plus détendue. En tout cas elle s’avère plus constante, au contraire de celle de Mikal qui passe de « la vénération à l’exécration », pour emprunter une expression de Lacroix24. Ce dernier en effet estime qu’une des différences entre l’amitié et l’amour est que la première ne connaît pas ou moins « ces renversements soudains de l’affection en haine, ces contradictions que l’on trouve en amour »25. C’est dire combien le récit qui voit impliqués Jonathan, Mikal et David type bien les relations qui lient à David respectivement le fils et la fille de Saül, de sorte qu’elles reflètent adéquatement des traits considérés comme caractéristiques de l’amitié et de l’amour. Comme s’il y avait là une exploration hautement mimétique, de la part du narrateur biblique, des contours de l’amitié et de l’amour et de leur complexité remarquable. 3. Ambition et moyens de lutte politiques S’il type bien les relations de Jonathan et de Mikal à David, le récit les situe dans un contexte plus ample de rivalité et de lutte politiques, lesquelles résultent des ambitions antagonistes de Saül et de David. Que ces ambitions soient antagonistes se perçoit bien au fait que toutes deux ont pour enjeu le trône d’Israël, auquel David se sait destiné en vertu de l’onction reçue en 1 S 16,1– 13 et que Saül veut garder dans les mains de sa famille, malgré les sentences de rejet prononcées contre lui en 1 S 13 et 15. Au fond, il apparaît que c’est 23
LACROIX, Les mirages de l’amour, p. 162. Ibid. 25 Ibid. 24
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Chapitre 7 : Implications anthropologiques, enjeux théologiques et posture
bien pour se ménager un avenir dynastique 26 que Saül lutte (1 S 20,31), car s’il se sait rejeté en tant que roi, il ne lui a jamais été intimé l’ordre de quitter le trône 27 sur-le-champ ou dans un délai quelconque ; et de fait, il restera le roi en fonction jusqu’à sa mort (1 S 31). De même, il ne lui a jamais été communiqué directement, non plus, l’identité de son successeur28. Il aura par conséquent à la deviner par lui-même. Quant à David, oint par Samuel, le porte-parole d’Adonaï, il n’en sait pas davantage, lui non plus, sur la manière concrète dont il devra accéder au trône. D’ailleurs, il paraît encore trop jeune, ce qui lui laisse comme un temps de préparation. Quoi qu’il en soit, ces inconnues amènent ces deux figures à mettre en œuvre des moyens de lutte ou de défense, à adopter des stratégies en vue de conquérir ou de garder le pouvoir. En narrant comment l’un et l’autre s’y emploient, le récit déploie, entre autres choses, une compréhension de la manière particulière dont ils vivent leur ambition, de l’impact négatif ou positif de celle-ci sur leur comportement, leurs relations, leur santé mentale. En ressort l’élaboration en filigrane d’une réflexion critique sur le pouvoir monarchique quant à ses effets plus ou moins pervers sur ceux qui en font leur seule raison de vivre et par rapport à son potentiel de violence, en relation particulièrement à sa conflictualité, dans le prolongement des critiques déjà formulées aux ch. 8 à 12 de 1 Samuel. Pourtant, dans les passages que nous investiguons, l’accent n’est plus mis sur la question de savoir s’il faut oui ou non la royauté, il porte plutôt sur le profil du roi selon le vouloir de Dieu. Dans ce contexte, il paraît légitime de s’interroger sur la ou les manières spécifiques dont Jonathan et Mikal se situent par rapport à cette problématique anthropologique de l’ambition politique et des moyens concrets mis en œuvre pour l’atteindre. Lorsqu’il dramatise les relations entre Saül et David sur fond de rivalité politique, le récit situe le foyer du conflit, des abus et de la violence qu’il entraîne, dans la soif jusqu’au-boutiste du pouvoir politique. En ce sens, Saül, le roi en place est présenté comme le fauteur de ces abus de pouvoir et de cette violence. C’est lui en effet qui initie le conflit et s’en prend violemment à David alors que ce dernier, du point de vue du récit, ne se doute encore de rien et n’a rien fait pour mériter pareille hostilité. Ainsi dès qu’il prend conscience, à la faveur des célébrations de triomphe des femmes (18,6–9), des retombées politiques de la victoire de David contre Goliath, Saül part immédiatement à l’attaque (18,9–11), comme s’il s’agissait pour lui de lancer 26
GUNN, The Fate of King Saul, pp. 118–119, développe, dans ce sens, l’idée selon laquelle l’échec de Saül serait à comprendre aussi comme un échec sur le plan dynastique. 27 Ibid., pp. 120–121. Ces pages font partie d’un paragraphe plus large où l’auteur pose globalement la question de ce que Saül sait ou peut savoir de son rejet : « Saul’s knowledge of his rejection ». Est examinée également la signification de la manière dont le roi réagit à son rejet. 28 Ibid., p. 121.
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l’offensive le premier pour mieux se défendre. Son agressivité soudaine surprend d’ailleurs les chercheurs29 qui la jugent précoce, inopportune et invraisemblable du point de vue historique, portant sa présence dans le récit au compte d’une activité rédactionnelle idéologique. Quoi qu’il en soit, dans le texte canonique, cette réaction rapide est en elle-même significative d’une prise au sérieux de la menace politique que représente David, information que le lecteur possède déjà. Or, à cet égard, Jonathan a une réaction à l’opposé de celle de son père. L’accueil enthousiaste qu’il manifeste à David, lors de leur première rencontre et les connotations symboliques des gestes, qui scellent le pacte les liant l’un à l’autre, induisent à penser que le prince a probablement saisi, dès ce moment et avant tout le monde, la portée politique réelle du duel remporté par le fils de Jessé contre Goliath. Pourtant, il ne voit pas en David un personnage menaçant auquel il faut barrer la route. Il se met plutôt à l’aimer et entreprend d’entrer en alliance avec lui, poussant même l’audace jusqu’à lui céder spontanément les insignes du pouvoir et de la vaillance guerrière, comme s’il estimait venu pour lui le moment de faire un pas de côté, parce qu’est arrivé le vrai champion d’Israël. À cet effet, ce n’est sans doute pas un hasard si, dans les entreprises ou missions militaires qui sont mentionnées après la scène de 1 S 18,1–4, Jonathan n’est plus évoqué, alors qu’auparavant, du moins peu avant 1 S 17, il en avait été un personnage de premier plan30. Ainsi, après sa première rencontre avec David, c’est ce dernier qui devient en effet le commandant en chef des missions de guerre et en profite pour s’illustrer (1 S 18,5.13–14.17b.27.30 ; 19,8). Certes, on retrouve Jonathan au front en 1 S 31,2. Mais là, le contexte littéraire indique clairement que l’on se situe après l’exil de David chez les Philistins et dans le cadre d’une guerre pour la cause nationale, ce qui, par ailleurs, est en cohérence parfaite avec l’attitude du prince resté à l’écart de toutes les expéditions punitives mandatées par Saül contre David (19,11–24 ; 23,25–24 ; 24 ; 26). Mieux, pendant que son père cherche David en vain, lui sait où le trouver et va le rejoindre pour l’encourager (23,14–18). Mais il ne se fait pas enrôler parmi les hommes de David, de la même manière qu’il ne figure pas au sein des troupes de Saül. Au cours de cette dernière rencontre, il laisse entendre avec sérénité que David sera roi et lui-même, son second. Jonathan serait-il dès lors insensible à toute ambition politique ou bien y renonce-t-il parce qu’il ne désire pas se retrouver dans une compétition perdue d’avance avec David ? Peut-être aussi fait-il un pas de côté parce qu’il estime qu’il n’est pas le personnage destiné à occuper ce poste, auquel cas il apparaîtrait sous les
29 Voir par exemple dans ce sens LUCIANI, « La forma e il significato di wjṭl in 1 Sam 18:11, 20:33 », pp. 398–399 ; CAQUOT/DE ROBERT, Les livres de Samuel, p. 222. 30 Voir à ce propos 1 S 13–15.
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traits de celui qui ne s’arroge pas la position d’autrui. Apparemment c’est cette dernière explication que le récit semble valider. En effet, contrairement à son père (20,30), Jonathan ne donne pas l’impression de considérer le fait de régner comme un droit absolu dérivant du simple fait d’être le fils d’un roi. Il semble estimer que le pouvoir doit plutôt revenir de droit à celui qui se montre le plus méritant en termes de vaillance guerrière, comme ce fut d’ailleurs le cas pour son père (1 S 11). La scène de 1 S 18,1–4 placée à la fin de la relation du duel contre Goliath donne à penser que le fils de Saül identifie en David, à ce stade du récit, le successeur idéal de son père. À partir de ce moment, il passe le flambeau de héros national qu’il tenait depuis 1 S 14 au jeune homme qui vient de se révéler sur la scène publique. Il se cantonne ensuite dans le rôle de celui qui protège et aide David. Cette posture de Jonathan conteste le bien-fondé de l’ambition de son père qui tient coûte que coûte à faire de lui un roi. Elle dépeint cette ambition politique paternelle comme une manière indue de forcer le destin en dépit des évidences dont Saül lui-même a pleinement conscience (1 S 18,9.15.28 ; 20,31 ; 22,7 ; 23,17 ; 24,21) et qui, toutes, indiquent que David est le personnage appelé à occuper la charge de roi. En ce sens, ce qui peut apparaître d’emblée au lecteur comme un manque d’ambition politique chez Jonathan est présenté par le récit comme étant la voix de la raison. Jonathan serait donc réaliste et lucide, au point que la reconnaissance et la faveur politiques qu’il réserve à David dès le début sont plus tard adoptées par Saül lui-même (24,21–22). Car, ainsi que le fait Jonathan en 23,17b, Saül reconnaît en 24,21 que David sera roi d’Israël. Dans la même ligne, à l’instar de Jonathan qui demande pour sa descendance loyauté et protection de la part de David et qui le fait jurer pour cela (20,14–17.23.42), Saül aussi sollicite protection pour sa descendance et amène le fils de Jessé à jurer par Adonaï à cet égard (24,22– 23). De part et d’autre, résonnent les mêmes mots מלך, שׁבע, כרת, זרעי, יהוה, etc. Une différence significative mérite cependant d’être relevée : alors que Jonathan exprime sa demande à David et le fait jurer au nom de leur amour, Saül semble, pour sa part, formuler sa requête parce qu’il y est contraint d’une certaine manière par les circonstances. Sa lutte acharnée pour assurer la réalisation de son ambition politique n’a pas donné de résultats. L’attitude subséquente dans laquelle il dit vouloir s’inscrire se donne alors à lire comme l’aveu tardif d’un homme qui reconnaît, en désespoir de cause, s’être trompé dans son appréciation politique préalable de la situation. Que Saül se soit trompé sur la façon de voir David, notamment pour ce qui est de la manière d’apprécier la vaillance guerrière de celui-ci, fait également l’objet d’un contraste entre lui et son fils Jonathan. Dans cette optique, tandis qu’aux yeux du roi, David est un ennemi ()אֹי ֵב31 au seul motif qu’il dispose 31
1 S 18,29 ; 19,17 ; 24,20.
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d’un charisme guerrier susceptible de le porter sur le trône d’Israël, ce pour quoi il doit être combattu avec vigueur, pour Jonathan, le fils de Jessé est un instrument dont le Dieu national se sert pour délivrer son peuple (19,5). Ainsi selon Jonathan, la vaillance guerrière de David est un cadeau, alors que pour son père, elle constitue la base même de la menace (1 S 18,9). De ce point de vue, 1 S 24 départage en quelque sorte le père et le fils, en ceci que l’incident fournit à Saül la preuve, s’il en fallait, qu’il n’est pas vraiment justifié de traiter David en ennemi, c’est-à-dire comme quelqu’un qui lui veut du mal. Pourtant il faut reconnaître que la crainte éprouvée par Saül vis-à-vis de David n’est pas unilatérale. Car pour ce dernier également, le roi constitue un danger de mort. D’où l’alerte lancée à ce sujet, en 1 S 20,1, à Jonathan qui, en première réaction, nie l’existence de pareil danger de la part de son père (20,2). Cette réaction donne l’impression que le fils de Saül ne voit pas de problème là où cependant, du point de vue du lecteur et de David, il y en a bien un. Aussi Polzin est amené à caractériser Jonathan comme un personnage qui n’a pas de vue compliquée des gens et des événements 32. En d’autres termes, cela signifie qu’il est un personnage simple et franc qui pose a priori un regard non soupçonneux sur les autres et les événements. Voilà pourquoi dans un premier temps, croyant que son père et son ami peuvent cohabiter sans problème, il entreprend de les réconcilier en 19,4–7. Mais en 1 S 20,27– 34 il est amené à se rendre à l’évidence qu’il devient impossible, en raison notamment des enjeux politiques qui les opposent, que ces deux-là continuent de rester ensemble au sein de la même cour. Au bout du compte, les démarches de conciliation entreprises par Jonathan permettent de suivre les étapes de la radicalisation de la rivalité entre Saül et David. Ce faisant, elles mettent en relief, à un certain moment, le caractère irrémédiable de leur opposition. D’un autre point de vue, ces mêmes démarches marquent aussi la préférence de Jonathan pour une stratégie de médiation, au détriment de l’assassinat politique ou de la confrontation par les armes. Certes les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous (1 S 20,30–34), mais la médiation présente au moins l’avantage de ménager l’espace pour une réflexion poussée sur la portée ultime des desseins que l’on poursuit (19,4–6). En somme, par l’ingénuité et la transparence qui marquent son personnage, Jonathan semble apporter de la fraîcheur qui tranche avec le caractère retors de son père et le profil secret et ambigu de David. Sa posture d’homme détaché relativise les ambitions politiques qui animent son père et son ami. Toutefois, cet air détaché induit aussi le lecteur à poser la question de la consistance de Jonathan en tant que figure politique. À cet égard, on peut se demander si le pacte qu’il scelle à répétition avec David dans le but d’obtenir la 32
POLZIN, Samuel and the Deuteronomist, p. 189, « An uncomplicated view of people and events ».
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protection de sa progéniture (1 S 20,14–17.42), ne produit pas finalement l’effet pervers d’exclure et d’exposer les autres descendants de Saül (2 S 21). À cela s’ajoute la problématique de son impact réel qui reste douteux, surtout si l’on prend en considération la manière assez ambiguë dont David s’emploie à le mettre en œuvre avec Mephibosheth, une fois monté sur le trône d’Israël (2 S 9). En outre, le lecteur peut admettre, en accord avec le narrateur, que soit reconnu à Jonathan le droit de renoncer au trône d’Israël. Mais en quoi cela autorise-t-il le fils aîné de Saül à céder à un étranger un héritage qui revient apparemment à sa famille ? Ce sont là des questions qui n’entrent sans doute pas dans la perspective du récit, car celui-ci ne les prend pas directement en charge. Néanmoins, il les suscite en les laissant dans l’ombre. Dès lors se les poser peut s’avérer utile en vue de cerner au mieux l’idéologie du narrateur. Ce qui est certain, c’est que la manière spécifique dont Jonathan se situe par rapport aux ambitions politiques antagonistes qui sont à l’origine du conflit entre son père et son ami David, paraît de nature à mettre en relief la complexité des jeux politiques et les rivalités impitoyables qui en découlent. Cela dit, qu’en est-il du personnage de Mikal ? Il faut peut-être rappeler, pour commencer, que lorsqu’elle se prend d’amour pour David (1 S 18,20), la rivalité politique entre ce dernier et son père est déjà riche de quelques épisodes. Or, ce n’est pas sur le terrain politique, mais au plan des sentiments personnels que la princesse se situe d’entrée de jeu. Cet état de fait amène d’ailleurs Exum à dire que « déjà le texte perpétue un stéréotype familier : les hommes sont motivés par l’ambition, tandis que les femmes répondent à un niveau personnel »33. Mais au-delà du stéréotype, demeure le fait que Mikal manifeste un intérêt qui constitue en lui-même un contrepoids à celui qui mobilise son père et son futur époux. Elle relativise, pour tout dire, la pertinence de ce par quoi ils se laissent ainsi accaparer et leur pose un défi qui est celui d’élargir l’horizon de la vie, dans lequel des valeurs autres que la dévorante ambition politique demandent aussi à être reconnues. Dans ce sens, toute la question revient à savoir quel accueil, les personnages en présence réservent à un défi de ce genre. À cet égard apparaît critiquable l’instrumentalisation politique de l’amour de Mikal tant par son père que sans doute aussi par David. Car ce dernier voit comme une opportunité à saisir dans l’offre qui lui est faite de se marier avec Mikal : devenir le gendre du roi. Ici est donné au lecteur de voir se déployer, à la faveur de l’amour de Mikal, un jeu subtil d’ambitions entre David et Saül. C’est celui-ci qui entame la partie et montre par là combien il est résolu à écarter David de la course au trône, de manière certes sournoise, mais au mépris des sentiments de sa fille. Sous cet angle, la naissance de la passion de Mikal constitue un 33
EXUM, « Murder They Wrote », p. 182: « Already the text perpetuates a familiar stereotype: men are motivated by ambition, whereas women respond on a personal level ».
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élément favorisant la mise en évidence du caractère pervers du roi ; elle dévoile comment, chez lui, l’ambition politique prend le pas sur la prévenance paternelle. En ce sens, si, dans le contexte de la scène où il agresse David à la lance (18,10–11), Saül peut bénéficier de circonstances atténuantes, parce qu’il est sous l’emprise de l’esprit du mal, son comportement retors, lorsqu’il apprend que sa fille est tombée amoureuse, est sans excuse. Car là, le roi semble procéder en toute lucidité, au point d’avoir la présence d’esprit de sauver les apparences, puisqu’il tient à ne pas tremper de façon grossièrement directe dans la disparition physique du fils de Jessé. Quant à David, la naissance de l’amour de Mikal et les tractations qui s’ensuivent permettent au lecteur d’entrevoir chez lui, au-delà de ses airs de jeune homme bien éduqué, des accents d’ambition discrète. Ce sera d’ailleurs l’un des premiers épisodes au cours desquels David l’emporte à la loyale, de manière retentissante, contre Saül. Cette victoire lui permet de planter en effet le premier jalon d’une stratégie qu’il semble faire sienne : celle qui consiste à devenir le gendre du roi pour promouvoir sa propre cause politique. En tout cas, à l’issue des péripéties portant à ce mariage qui, dans ses plans, ne devait être qu’un appât, Saül prend conscience qu’il a affaire à forte partie avec David (18,28–29) et qu’il va falloir plus que des ruses pour s’en débarrasser. D’où le changement de stratégie que l’on peut noter dans son attitude en 19,1. De la sorte et sans le vouloir, Mikal se retrouve en quelque sorte prise au piège par l’hostilité grandissante de son père contre celui qu’elle aime et qui est devenu son mari. Elle est, à cause de cela, amenée à prendre position. Le choix qu’elle opère consiste à inciter son mari à se mettre à l’abri des attaques de son père (19,11). C’est un choix aux significations politiques patentes qui ont déjà été développées plus haut. Mais on peut se demander si l’objectif premier de Mikal, à travers ce choix précis, n’est pas, comme en 1 S 18,20, de nature d’abord personnelle : elle veut seulement sauver et protéger son mari. Cela n’empêche pas que, à un second niveau, viennent se greffer des connotations politiques, au regard surtout du contexte global de rivalité pour le pouvoir dans lequel s’exprime sa solidarité avec David. Ce contexte politique confère de fait au geste de la princesse une connotation de désaveu et de condamnation de la violence utilisée par son père. Si cette lecture est exacte, Mikal se retrouverait ici aussi partie prenante, à son corps défendant, d’une rivalité politique qui, après avoir débouché sur un mariage désiré, menace à présent son amour. En d’autres termes, elle apparaît comme contrainte de s’impliquer dans le choc violent d’ambitions politiques rivales, en vertu de la double appartenance découlant désormais des liens de sang et des liens matrimoniaux. Son agir a pour conséquence concrète et immédiate de favoriser son mari et de mettre en échec les desseins meurtriers de son père.
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Au fond, il ne serait pas faux d’affirmer que Mikal ne poursuit pas, ellemême, d’ambition politique personnelle. C’est son père et son mari qui l’impliquent, tel un pion, dans le jeu cruel de leur lutte pour le trône. À son niveau, son désir semble plutôt être de pouvoir vivre l’amour qu’elle éprouve. C’est dans cette perspective que s’inscrit vraisemblablement la solidarité qu’elle manifeste envers David. Aussi, quand il lui apparaît, avec le temps, que même de ce côté, le fils de Jessé ne répond pas comme elle l’espère, elle se rebelle et le lui fait comprendre en public (2 S 6,16.20). Toutefois, même à cette occasion, le long conflit initié par son père trouve de quoi s’inviter dans la dispute, et son effet est de compliquer une scène de ménage en une passe d’armes politique. Au bout du compte, Mikal, la princesse, qui ne demandait qu’à aimer le jeune héros national, ami de son frère, voit son aventure finir en tragédie 34, du fait fondamentalement des ambitions politiques des hommes et des luttes sans merci qu’elles occasionnent. Son père voulait qu’elle soit un piège (1 S 18,21) contre David, l’ironie voudra qu’elle se retrouve elle-même piégée, victime collatérale de la lutte pour le pouvoir. Son parcours narratif illustre à merveille le côté impitoyable de la logique inhérente aux dynamiques de rivalité pour le trône ; une logique implacable qui ne fait droit à l’amour que si celui-ci peut servir de tremplin à la cause politique. En définitive, pour Jonathan comme pour Mikal, l’ambition de leur père Saül d’assurer à la famille un avenir dynastique, ne semble pas d’une importance si capitale qu’elle puisse se réaliser au mépris des règles de la justice élémentaire et partant, justifier le dessein de tuer David, quoi qu’il en soit des qualités intrinsèques qui sont les siennes et qui font de lui un concurrent politique redoutable. De ce point de vue, le fils et la fille de Saül ont l’air de déclarer inappropriée l’invocation, pour le cas d’espèce, de la solidarité familiale. Celle-ci reviendrait à militer abusivement pour une cause qui ne s’impose pas. Bien au contraire, leur comportement insinue que le soutien à apporter doit se manifester en faveur du fils de Jessé, un personnage aimable, victime d’agression gratuite. En refusant de manière aussi explicite de s’affilier à la cause de leur père, qui lutte pourtant pour la famille, Jonathan et Mikal mettent Saül dans une position d’isolement, ce qui donne à penser que son ambition est loin de faire l’unanimité au sein même de sa famille. Dans le même temps, en s’empressant de prendre la défense de David, alors que ce dernier ne leur a rien demandé, ils le dédouanent de toute responsabilité directe par rapport à la divergence de positions, voire à la division, qui se vérifie dans la famille du premier roi d’Israël. Une des conséquences directes de leur action en faveur du fils de Jessé est que celui-ci peut alors assumer le rôle d’un person-
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Pour l’idée de la fin tragique de Mikal, voir EXUM, Tragedy and Biblical Narrative, p. 81 et suiv.
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nage passif qui ne fait rien qui soit de nature à provoquer Saül et qui ne répond pas coup pour coup à la violence dont il est victime. Par cette attitude, David incarne une autre manière de s’inscrire dans la compétition politique. Sa stratégie de défense consiste à se laisser dicter par Jonathan et Mikal les précautions à prendre, à savoir se cacher (19,2 ; 20,5.24), puis à quitter la cour (19,12.18 ; 20) pour fuir loin de Saül (21,11 ; 22,1 ; 23,13, etc.). Même la bande d’hommes qui se forme spontanément autour de lui (22,2 ; 23,3.5.13) plus tard et est composée de laissés-pourcompte peut-être marginalisés par le pouvoir en place, ne se donne pas pour vocation de combattre Saül. Ainsi, même après s’être éloigné de la cour sur l’insistance de Mikal, puis suite à une permission de Jonathan, David garde pour ainsi dire cette attitude de non-agression vis-à-vis de la personne de Saül. Voilà pourquoi quand bien même la chance tourne en sa faveur et qu’il tient Saül à sa merci, il n’en profite pas pour éliminer son ennemi (1 S 24 et 26). À ces deux occasions, le fils de Jessé montre clairement qu’il a choisi de ne pas se faire justice luimême et de répondre à la violence et à la persécution par la non-violence35. Pourtant ce n’est pas faute d’être capable de violence, comme le révèle sa réaction contre Nabal en 1 S 25. À la lumière de ces éléments, il apparaît que la stratégie globale de David pour arriver au pouvoir est de ne rien faire directement pour s’emparer luimême du trône, mais d’attendre de le recevoir en temps opportun. Toutefois cela est loin de signifier qu’il s’enferme dans un immobilisme attentiste. Il prononce à l’occasion des paroles publiques et pose des gestes qui étoffent par petites touches sa stature d’homme public36 et forgent sa figure de candidat idéal au trône. Cela se voit à l’intérêt qu’il manifeste pour le mariage avec la fille du roi et au déploiement d’un charisme guerrier impressionnant qu’il met au service de son peuple, d’abord dans le duel victorieux contre Goliath (1 S 17) qui le révèle sur la scène publique et lui obtient l’amitié de Jonathan, puis à travers les missions de guerre réussies (18,5.13–14.27 ; 19,8). Justement, c’est dans les moyens de lutte ou de défense mis en œuvre pour le trône que se joue la différence entre Saül et David. Car c’est à travers ces moyens que transparaît la stature éthique des deux protagonistes, laquelle stature est à évaluer en fonction du respect de la légalité, c’est-à-dire du cadre de référence juridique dans lequel est censée se déployer la royauté en Israël. À ce jeu de contrastes, David apparaît fair-play et se positionne donc comme celui qui possède le profil idéal pour accéder au trône. Ainsi, si Saül incarne la figure du roi peu scrupuleux et abusif que ses propres enfants contribuent à mettre en relief, David revêt pour sa part les traits prometteurs du futur roi 35
Voir à ce propos Ibid. Voir ALTER, L’art du récit biblique, p. 163, qui parle des paroles publiques de David, « interprétables en fonction d’intérêts d’ordre politique ». 36
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soucieux d’inscrire son règne dans le respect de la justice et dans le refus de l’usage arbitraire de la violence. L’un et l’autre représentent à cet égard deux modèles de rois antithétiques que Jonathan et Mikal aident à départager. Dans ces conditions, ce n’est pas tant la monarchie comme institution qui est mise en cause ici, mais la manière de l’incarner. Au fond, les épisodes de 1 et 2 Samuel qui relatent le conflit politique entre Saül et David représentent une forme de narrativisation d’un procès où appel est fait au lecteur pour qu’il tranche, sur la base du comportement de chacun de ces protagonistes et des arguments qu’ils mettent en avant : lequel des deux a la posture juste et donc peut prétendre légitimement à ce que sa maison occupe le trône d’Israël ? S’appuyant sur P. Bovati37, Sophie Ramond38 a raison de mettre en évidence, dans la physionomie de certains épisodes de ce conflit, comme une structure de mišpāṭ, de jugement. À cet égard, il est significatif, à mon sens, que le récit situe le basculement tragique de la relation Saül-David comme le résultat d’un malentendu du roi qui interprète mal les paroles chantées par les femmes. S’ensuit une montée en puissance de l’hostilité du roi qui, au passage, énonce l’arrêté de mort de David et le justifie devant son fils (20,31). En 1 S 22,8, Saül, dans une sorte de parodie judiciaire accuse David d’être entré en rébellion, à l’instigation de Jonathan et avec l’aide d’Ahimélek. Ce dernier est alors condamné à la peine capitale après que Jonathan a fait l’objet d’une tentative d’assassinat (20,33). Reste que – pas plus que Jonathan, apparemment – David n’est pas présent lors de cette procédure judiciaire et que, à ce stade de la trame, il n’a pas eu l’occasion de parler directement à Saül de leur contentieux, de s’expliquer ni de se défendre des accusations que le roi porte contre lui. Cette occasion vient en 1 S 24 et 2639 quand, par un concours de circonstances, David peut disposer de Saül à son gré, mais ne le fait pas. Il donne ainsi la preuve de sa bienveillance et de sa loyauté vis-à-vis du roi et il se sert de cette attitude bienfaisante comme de pièce à conviction dans la plaidoirie qui conclut les épisodes narrés dans ces chapitres. Au cours de cette confrontation directe, Saül reconnaît que David est juste et qu’il rend le bien pour le mal (24,18) avant d’exprimer sa conviction que David régnera sûrement (24,21)40. Une autre confrontation a lieu en 1 S 26. Là le roi confirme à nouveau que son rival ne lui a pas fait de mal (26,21) alors qu’il confesse que lui-même a péché ( ) ָחטָא ִתיet qu’il a agi en fou () ִה ְס ַכּ ְל ִתּי. Et, sans aller jusqu’à dire, comme lors de la première confrontation, que David régnera, Saül laisse entendre 37
RAMOND, Leçon de non-violence, p. 154 ; voir P. BOVATI, Ristabilire la giustizia : procedure, vocabolario, orientamenti (AnBib 110), Rome, 1986, p. 155. 38 RAMOND, Leçon de non-violence, pp. 154–180. 39 Aux dires de Bovati le rîb est aussi présent en 1 S 26, même si aucun mot de la racine ryb n’y est employé comme en 1 S 24. Voir Ristabilire la giustizia, p. 49. Voir aussi RAMOND, Leçon de non-violence, p. 134. 40 L’infinitif absolu placé avant le verbe véhicule cette nuance (cf. JOÜON, §123e).
7. A. Implications anthropologiques
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qu’il réussira (26,25). Cette rencontre est la dernière entre les deux rivaux, puisque peu après David se sent contraint de s’exiler en territoire philistin (27,1–4). Il en ressort que dans cette narrativisation sous forme de mišpāṭ, Saül lui-même donne raison à David. Ce faisant, il accrédite et valide la posture de David comme conforme aux valeurs constituant et régissant Israël en tant qu’entité politique et croyante. Dans le déploiement narratif de ce mišpāṭ, Jonathan et Mikal apparaissent comme ceux qui, mus et éclairés par leur amour pour le fils de Jessé, se rendent compte très tôt de la nécessité de le protéger en s’interposant pour contenir la violence gratuite de leur père et l’empêcher de faire des victimes innocentes. Ils sont témoins que David n’a rien fait qui peut justifier la persécution dont il est victime. Ils assument également par certains aspects une posture d’avocat. En cela, Jonathan s’affiche comme le porte-parole attitré du narrateur, particulièrement en 1 S 19,4–5, quand il présente comme péché le dessein meurtrier du roi contre David. Ce péché, il l’estime simplement gratuit, injustifiable même au regard de la loi du talion, étant donné que David, loin d’avoir péché contre le roi, lui a plutôt fait du bien. Voilà qui achève de qualifier l’hostilité meurtrière du roi contre David d’ingratitude totale puisqu’elle consiste à rendre le mal pour le bien, vérité que Jonathan perçoit assez tôt et que Saül est amené finalement à admettre en 1 S 24 et 26. Ainsi Jonathan et Mikal récusent, dès le début, la logique de la loi du plus fort41 et dénoncent les abus de pouvoir de leur propre père, parce qu’ils sont en fin de compte contraints de le faire. Car, c’est l’obstination de Saül dans son projet assassin qui pousse son fils et sa fille à préférer soutenir la cause qu’ils estiment juste. Sous cet angle, ils incarnent la possibilité et l’espoir d’un vivre ensemble dans la loyauté et la justice, au-delà de la partisannerie aveugle. Et ce n’est pas sans importance, dans la configuration que le récit dessine d’Israël et de Juda, présentés comme une entité politique au destin commun. À cet égard, il va sans dire que les rôles dévolus à Jonathan et Mikal deviennent lourds de sens, parce qu’ils permettent de nourrir et de renforcer cette vision ou ce rêve d’unité « nationale »42 qu’une compétition politique basée seulement sur des arguments relevant des liens de sang peut vite mettre en péril. Dans une telle perspective, on comprend combien est vital le respect d’une certaine forme de justice, se traduisant par la reconnaissance et l’acceptation sereine des aptitudes de l’autre. Et pour Jonathan, cette reconnaissance passe aussi par un pacte, geste formel visant à sceller la paix politique future entre familles (1 S 20,15–16.42) ; une paix tant souhaitée que pour favoriser son avènement et garantir sa pérennité, appel est fait au Dieu national. 41 C’est le titre d’un ouvrage de J. Vermeylen qui estime que le plus fort est plutôt David. Mais cet auteur se place pour sa part dans une perspective historique. 42 Pour employer un terme moderne.
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Chapitre 7 : Implications anthropologiques, enjeux théologiques et posture
B. Enjeux théologiques 7. B. Enjeux théologiques
Comme dans tout récit biblique, le monde déployé dans celui qui fait l’objet de notre investigation est aussi un monde où prévaut la conviction que ce que vivent les personnages humains et ce qui leur arrive est imputable à la fois, dans une tension dialectique, à la responsabilité des hommes inhérente à leur liberté et à l’action divine. Autrement dit, dans le monde dessiné par le récit biblique, s’imbriquent causalité humaine et causalité divine, la liberté humaine se trouvant dans un rapport complexe avec la volonté divine43. Parler alors d’« enjeux théologiques » consiste pour nous à interroger le récit où interviennent Jonathan, Mikal, Saül et David pour voir comment y est mis en scène le personnage divin en interaction avec les autres personnages. Il faudra ensuite examiner les questions spécifiques découlant de cette mise en scène, sous l’angle de la cohérence de l’image divine, en relation notamment avec d’autres traits caractéristiques reconnus par ailleurs au Dieu d’Israël. C’est dire que notre propos s’articulera autour de ces deux points principaux. 1. Le personnage divin mis en scène Quelle part revient à Dieu en tant que personnage dans la dynamique des événements dont sont les protagonistes Jonathan, Mikal, Saül et David ? Un examen des scènes où Jonathan et Mikal apparaissent dans leurs relations à David et à Saül ne permet pas de discerner la présence de Dieu, au premier plan en tout cas. Jonathan et Mikal aiment David et agissent en sa faveur contre leur père sans que cela n’émerge en interaction directe avec Dieu. Ils semblent se déterminer avant tout en fonction de l’amour qu’ils éprouvent pour David, donnant de cette manière l’impression de ne suivre que leur cœur. Faut-il pour autant en déduire que le personnage divin est totalement absent des rôles incarnés par Jonathan et Mikal ou des relations que ceux-ci entretiennent avec David et leur père ? Car si Dieu n’interfère pas en première ligne dans la dynamique de ces relations, il y apparaît du moins sous la modalité de quelqu’un dont on parle, auquel on se réfère et qui est massivement désigné comme ( יהוה1 S 19,5.6.9 ; 20,3.8.13.14–16.21.22.23.42 ; 21,7– 8 ; 22,3.10.17.21 ; 23,2.11.18 ; 2 S 6, etc.), même si l’on rencontre aussi ֱאֹלהִיםetשׂ ָר ֵאל ְ ִ ( י ְהוָה ֱאֹלהֵי י20,12). De ce fait, il reste comme un partenaire, voire un protagoniste invisible mais présent. Sous cet angle, en effet, on a vu, en analysant leur relation, que Jonathan et David affirment avoir scellé le pacte qui les lie, l’un à l’autre, en présence d’Adonaï, même si le récit ne scénarise pas cet élément. Cela confère à leur pacte, selon la compréhension qu’ils en 43
ALTER, L’art du récit biblique, p. 50, parle à ce sujet de volonté divine et de récalcitrance humaine.
7. B. Enjeux théologiques
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ont, une dimension sacrée et, partant, un caractère contraignant. Aussi en appellent-ils tous deux à une loyauté réciproque pour toujours, entendue au sens d’une fidélité, d’un respect perpétuel des termes de ce pacte. David semble s’inscrire dans cette logique lorsqu’en 2 S 9 il se met en quête d’un descendant de Jonathan. Le trait d’Adonaï, le Dieu national, ainsi mis en avant est celui de garant au sens de témoin et de caution morale de l’engagement (20,8.14.16.23.42 ; 23,18). Même en dehors de la référence au pacte proprement dit, c’est généralement en cette qualité de témoin et de garant du sérieux et de la vérité de ce qui est en jeu, que le personnage divin est invoqué par les personnages. Cela ressort en particulier d’expressions « par la vie d’Adonaï » ()חַי־י ְהוָה44 qui appuient serments ou imprécations. Ainsi, c’est par cette expression que David tente de faire comprendre à Jonathan que la menace de mort qui plane sur lui est à prendre au sérieux (1 S 20,3). C’est par elle aussi que Jonathan, en 20,21, rassure David sur le fait que telles paroles adressées au jeune ramasseur de flèches impliqueront qu’aucun danger n’est à craindre. Ces paroles qui engagent attestent le statut d’autorité ultime et souveraine qui est celui de Dieu. Prononcées au nom du personnage divin, elles acquièrent une forte dimension performative, avec la conséquence que poser ensuite un geste contraire à ce à quoi elles engagent revient à se parjurer. Ainsi Saül jure que David ne sera pas mis à mort (19,6) avant de se dédire peu après (19,10). D’autre part Adonaï est également évoqué dans les propos de Jonathan, Saül ou David sous les traits de quelqu’un qui détermine en dernière instance les événements et le sort des humains. C’est dans cette perspective en tout cas que va la déclaration de Jonathan au sujet de David qu’il présente comme celui par qui Adonaï a opéré une grande délivrance pour Israël (19,5). Cette idée est aussi sous-jacente au souhait formulé en 20,13 par le fils de Saül à l’adresse de son ami David : « qu’Adonaï soit avec toi comme il fut avec mon père ». On la retrouve encore chez Jonathan qui, en 20,22, considère comme œuvre de Dieu l’éloignement éventuel de David de la cour. Dans la même veine, Saül estime qu’Élohim lui livre David (1 S 23,7), à la différence que ce propos est vite démenti par le cours des événements (23,10–13). De cette manière, il apparaît que le simple fait d’attribuer une action à Dieu ne suffit pas à fonder que le personnage divin en assume effectivement la responsabilité. Ce qui impose de vérifier toujours, à la lumière d’autres indices, la fiabilité ou la crédibilité du personnage qui s’exprime. À cet égard, il apparaît que Saül est allé vite en besogne. En outre, avec la sentence de rejet qui lui a été signifiée à deux reprises, il est surprenant de l’entendre ici penser que Dieu peut être encore de son côté contre David. 44
Voir par exemple 1 S 19,6 ; 20,3.21 ; 25,26.34 ; 26,10.16, etc. Voir aussi les expressions comme שׂ ָר ֵאל ְ ִ ( י ְהוָה ֱאֹלהֵי י20,12), שׂה י ְהוָה לִי ֶ ( וְכ ֹה יֹסִיף … כּ ֹה־י ַ ֲע20,13), etc.
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Chapitre 7 : Implications anthropologiques, enjeux théologiques et posture
Faut-il alors percevoir, dans ce propos de Saül, l’écho de faux espoirs dont il se nourrirait ? À moins qu’on ait là un exemple de plus du manque de perspicacité du roi lorsqu’il s’agit de discerner la volonté d’Adonaï. Il semble que le texte autorise les deux interprétations qui ne sont d’ailleurs pas exclusives l’une de l’autre. Quoi qu’il en soit, que Saül se trompe et prenne ses désirs pour la réalité ne peut qu’illustrer la nature complexe de l’agir divin, loin de toute évidence immédiate et toujours à déceler au travers de l’épaisseur de l’événement brut. De son côté, David non plus n’est pas en reste. Il fait lui aussi état de la conviction selon laquelle Dieu dirige les événements ou en est le maître ultime. En ce sens, il confie ses parents au roi de Moab dans l’attente de voir ce qu’Élohim fera pour lui (1 S 22,3). Il interprète les situations où l’occasion lui est donnée de pouvoir disposer de Saül comme des occasions offertes par Adonaï (24,11 ; 26,23). Mais en même temps, il refuse de porter la main contre Saül au motif que ce dernier est « l’oint d’Adonaï » (שׁי ַח י ְהוָה ִ ) ְמ45, revêtu de ce fait d’une sorte d’immunité sacrée. C’est dire combien David estime que tout ce qui est marqué du sceau du personnage divin mérite un respect sacro-saint. Au fond, de manière beaucoup plus affirmée, Adonaï ou Élohim est le juge suprême auquel le fils de Jessé confie sa cause (1 S 24–26) en vue d’obtenir justice. En sa présence, il ne dédaigne pas de s’abaisser (2 S 6,21–22) car il a conscience d’avoir été choisi par lui pour être institué guide sur Israël. En affichant cette posture, David reconnaît la souveraineté absolue de Dieu et laisse entendre sa propre voix par rapport à la signification de l’onction reçue en 1 S 16,13. 2. Élection divine et succès politique comme expression de légitimité politique Si, comme nous l’avons dit plus haut, le récit ne dépeint pas Dieu en interaction directe avec Jonathan et Mikal dans les scènes où ils interviennent, la situation est différente, lorsqu’on élargit la perspective aux scènes dédiées à David et Saül, les personnages majeurs de l’intrigue autour desquels gravitent le fils et la fille de Saül. Car, la narration de la relation conflictuelle de ces protagonistes atteste l’implication massive du personnage divin. Ce qui, au bout du compte, éclaire d’un jour tout autre le rôle et la fonction de Jonathan et Mikal. Dans cette optique, il n’est pas inutile de rappeler que ceux-ci nouent des relations avec David après sa manifestation sur la scène publique. Or, dans la trame du récit, cette manifestation publique est le résultat de l’onction reçue par David en 1 S 16,13 et témoigne de l’élection de celui-ci, qu’entendait 45
1 S 24,7 ; 26,9.11.16.23.
7. B. Enjeux théologiques
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signifier l’onction conférée par le prophète Samuel sur désignation directe d’Adonaï. Si l’onction de David est secrète46, sa manifestation publique est très liée par le même David à la présence et à l’action du Dieu d’Israël qu’il invoque ouvertement chaque fois qu’il prend la parole un peu longuement (1 S 17,26.36.37.45–47 [sauf 29b et 32]). Cela n’associe-t-il pas David et sa victoire à Dieu lui-même qui, seul, a pu permettre un tel exploit ? Certes le narrateur ne confirme pas directement, mais après 1 S 16, il est difficile pour le lecteur de ne pas faire ce lien. À la lumière de ces éléments, l’amour de Jonathan et de Mikal – de même que celui de Juda et d’Israël (18,16) – assume une dimension théologique dans la mesure où il semble qu’il n’est pas sans rapport avec l’action divine, même si celle-ci procède, en l’occurrence, au moyen de causes secondes. Car d’un côté, ces sentiments s’inscrivent dans le sillage des réactions suscitées par le charisme guerrier de David. De l’autre côté, les relations qu’ils instaurent constituent autant de points marqués politiquement par le fils de Jessé. Or selon 1 S 18, il y a un lien de cause à effet entre la présence d’Adonaï avec David et les succès multiples qu’il engrange : שׂכִּיל וַיהוָה עִמּוֹ ְ ( ַויְהִי ָדוִד ְלכָל־ ָדּ ְר ָכו ַמ18,14), ce qui fait du succès le signe tangible de la présence divine auprès d’un personnage humain. Aussi Saül peut prendre conscience qu’Adonaï est avec David, lorsque ce dernier épouse Mikal après avoir réussi à échapper au piège qui lui était tendu (1 S 18,28). Par ailleurs, nous avons déjà relevé dans l’analyse narrative des scènes où interviennent Jonathan et Mikal, comment la protection que ceux-ci assurent à David contre leur père va dans le sens de l’intervention de l’esprit d’Élohim en 1 S 19,18–24. Et comme l’esprit d’Élohim renvoie directement au personnage divin, il ressort que le fils et la fille de Saül sont également des instruments dont Dieu se sert pour agir sur la scène politique et familiale du premier roi d’Israël, en vue de protéger David, son élu, ce qui renforce la dimension théologique de leurs rôles. Ainsi, lorsque Jonathan reconnaît David comme le futur roi d’Israël, il s’aligne en fait sur le choix d’Adonaï. En ce sens, il promeut une attitude d’adhésion à ce choix divin, qui le démarque de son père, engagé dans une posture de résistance47. Et quand on prend en considération le point de vue du récit selon lequel le roi est rejeté parce qu’il a désobéi à la parole d’Adonaï, on perçoit du coup la valeur et la fonction exemplaires du rôle du prince. Dans l’économie du récit, Jonathan est le premier à reconnaître et à acclamer pour ainsi dire l’élection de David que le lecteur sait divine. Il sera suivi en cela peu après par tout Juda et Israël (18,16). Mais il faut attendre jusqu’à 2 S 2,4 pour voir Juda concrétiser cette reconnaissance en sacrant David roi, et 2 S 5,1–5, pour qu’Israël le fasse à son tour. De cette manière, il semble que l’élection par Dieu s’actualise dans la reconnaissance que lui donnent les 46 47
Ainsi aussi EDELMAN, King Saul, p. 35. Ibid., p. 158 et suiv.
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Chapitre 7 : Implications anthropologiques, enjeux théologiques et posture
personnages humains. C’est un principe qui paraît d’ailleurs aussi structurer le parcours de Saül pour qu’il devienne roi. Oint par Samuel (1 S 10,1), suite à des indications données par Adonaï (1 S 9,15–17), il est manifesté publiquement déjà par tirage au sort en 10,21, désignation divine au verset suivant et grâce à sa victoire contre les Ammonites (1 S 11), ce qui l’amène à être reconnu par le peuple48. Que, dans le cas de David, Jonathan s’inscrive en premier dans ce processus de reconnaissance humaine témoigne sans doute de l’importance significative de la figure du fils de Saül dans la configuration politique et théologique du récit. Il en ressort en effet que le prince est un personnage au flair politique exact et à la perspicacité théologique remarquable. Il est celui en qui le dessein divin de faire de David le roi d’Israël trouve son premier collaborateur.
C. Posture rhétorique ou intentio operis du récit 7. C. Posture rhétorique ou intentio operis du récit
Comme on peut le constater à la lumière des implications anthropologiques et des enjeux théologiques à peine mis en lumière, Jonathan et Mikal interviennent dans une trame narrative où il est, à tout le moins, question d’amitié, d’amour, d’alliance, de mariage, de politique, de rivalité, de violence, de prise de position, de Dieu, etc. Cette variété de thèmes soulève la question de la visée principale qui les traverse et les unifie. Certes les scènes du fils et de la fille de Saül où affleurent ces thèmes font partie d’une trame beaucoup plus large, ce qui manifeste leur caractère relatif et secondaire. Mais il reste indéniable que la manière spécifique dont ils sont traités en lien justement avec ces figures princières contribue à la construction de la posture rhétorique globale. C’est la visée thématique principale de cette collaboration que nous voulons mettre en évidence, en essayant de déterminer le message central dont ce récit semble porteur. En d’autres termes il s’agit de dégager ce qui constitue son principal front idéologique, au sens d’intentio operis. Selon l’analyse que nous venons d’en faire, ce récit rend compte des péripéties ayant jalonné les relations complexes d’Adonaï, Saül et David pour aboutir à la montée du fils de Jessé sur le trône d’Israël à la place de Saül. Il dramatise une rivalité pour le pouvoir, dans laquelle le fils et la fille de Saül, se liant d’amitié et d’amour avec David, sont amenés à protéger ce dernier contre les assauts meurtriers de leur père, lequel est décidé à s’assurer, de cette manière radicale, un avenir dynastique. Les relations que, dans ce contexte, Jonathan et Mikal nouent et formalisent avec le fils de Jessé ont pour conséquence de gratifier ce dernier de liens étroits avec la famille royale, ce qui n’est pas sans lui assurer quelque légitimité politique. Leur action conju48
Voir HALPERN, The Constitution of the Monarchy in Israel, pp. 125–148 ; EDELMAN, « Saul’s Rescue », pp. 197–199.
7. C. Posture rhétorique ou intentio operis du récit
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guée en sa faveur a pour résultat de l’éloigner de la cour de leur père et de lui permettre ainsi de rester en lice pour le trône d’Israël. En ce sens, il devient clair que l’enjeu majeur du récit se situe autour de l’accession de David au trône d’Israël. Il s’agit par conséquent d’un enjeu éminemment politique, mis en scène sur fond de relations interpersonnelles complexes. De ce fait, on a parlé de la section narrative dans laquelle se situent les scènes où interviennent Jonathan et Mikal comme du récit de l’accession au trône de David, une accession au trône advenue au terme d’un conflit politique où le fils de Jessé tient le beau rôle. En résulte un récit à la tonalité franchement pro-davidique ou philodavidique49 unanimement reconnue par la critique. Cela a amené à attribuer à cette narration une intention apologétique 50 visant à innocenter David de toute accusation susceptible d’entacher sa légitimité à régner. À moins d’adhérer à la lecture de Rost pour qui le récit dit « de l’accession de David au trône » est un document indépendant51, l’hypothèse de l’apologie apparaît peu convaincante52 au regard de l’ensemble du parcours narratif de David. Néanmoins il demeure vrai que les rôles de Jonathan et Mikal semblent conforter l’objectif rhétorique de légitimation politique du fils de Jessé. À cet effet, le prince et sa sœur s’accordent à mettre en relief la loyauté sans faille de David vis-à-vis de leur père, ce qui a pour conséquence de caractériser l’hostilité de celui-ci comme une persécution injustifiée. Mais c’est surtout lorsque Jonathan reconnaît explicitement que David régnera qu’est affirmée sans ambiguïté la légitimité politique de celui-ci. Le caractère inédit et surprenant d’une telle position, surtout venant d’un personnage qui a tout à y perdre, ne laisse pas cependant de faire ressortir le tour quelque peu fictionnel de ce récit. Si l’enjeu politique de la trame narrative dont font partie les scènes de Jonathan et Mikal est indéniable, il semble par ailleurs mis au service de l’affirmation d’une conviction théologique, à savoir que David devient roi d’Israël parce qu’élu par Adonaï après le rejet de Saül. Le ton est donné dès 49
Voir à ce propos, J. A. SOGGIN, Histoire d’Israël et de Juda : introduction à l’histoire d’Israël et de Juda des origines à la révolte de Bar Kokhba (Le livre et le rouleau 19), Paris, 2004, p. 189, qui parle de « préjugé philodavidique ». 50 Voir à ce propos MCCARTER, « The Apology of David », pp. 489–504. Dans le même sens WHITELAM parle de défense de David, « The Defence of David », pp. 61–87. 51 Les multiples fils narratifs qui existent entre la période de la marche de David vers le trône et celle de son règne déconseillent, comme le pensent Dietrich et Naumann, de considérer le récit de l’accession au trône du fils de Jessé comme un document indépendant. Voir à ce propos leur article : « The David-Saul Narrative », pp. 276–317, en particulier les pp. 305–313. Dans ce sens peut être lue aussi la difficulté à déterminer le début et la fin d’un tel document si tant est qu’il ait pu exister. 52 Car le récit qui vante les qualités de David n’hésite pas non plus à parler de ses faiblesses et de ses chutes. Voir notamment dans ce sens 2 S 11–12. En ressort le portrait d’un homme complexe, fait de lumières et d’ombres.
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Chapitre 7 : Implications anthropologiques, enjeux théologiques et posture
l’entrée en scène du fils de Jessé en 1 S 16,1–13. L’onction que David reçoit dans cet épisode fonctionne en effet comme une promesse divine dont le reste du récit suit la réalisation à la trace. Dans cette perspective, Jonathan et Mikal font figure d’instruments dont Adonaï se sert pour protéger un David rendu particulièrement vulnérable du fait d’être rattaché directement au service de la cour. À cet égard le narrateur semble utiliser la passivité qui caractérise le fils de Jessé à ce stade du récit comme moyen pour induire la dimension providentielle de la protection qui lui est assurée. On peut se demander si cette même dimension n’est pas mise en relief là où on laisse entendre clairement que David n’est pas impliqué dans certains événements dramatiques comme la disparition physique de personnages faisant obstacle à son accession au trône (1 S 31 ; 2 S 1 ; 3 ; 4). Cela reviendrait à dire que l’objectif premier de ces épisodes où David est tenu à bonne distance de ce qui se trame n’est pas tant de l’innocenter que d’illustrer la sinuosité des voies qu’emprunte parfois la providence pour arriver au but. En ce sens, le récit de Saül et David est l’occasion pour le narrateur de déployer sa compréhension de la manière mystérieuse dont Dieu agit dans cette histoire qui acte, comme résultant d’une volonté divine expresse, l’accession de David au trône d’Israël au détriment de la famille de Saül. Cette référence à Dieu pour expliquer des événements entre personnages humains est de toute évidence aux antipodes de la conception contemporaine de l’Histoire qui s’en tient, quant à elle, à une causalité horizontale. Mais elle est en phase avec la perspective globale du récit biblique 53 qui semble être une entreprise visant à rendre compte de l’expérience, ancrée dans l’histoire, des relations du peuple d’Israël avec son Dieu. Dans cette optique, il apparaît que le récit où interviennent Jonathan et Mikal en relation avec Saül et David comporte une teneur historiographique 54 qu’il faut sans doute, en raison de sa composante théologique, caractériser d’« historiographie théologique »55 avec Soggin qui qualifie ainsi l’historiographie orientale ancienne dans son ensemble. Toutefois, le caractère littérairement marqué de ce récit amène 53
Mais aussi des autres historiographies du Proche-Orient ancien. Voir à ce sujet SOGHistoire d’Israël et de Juda, p. 53. L’auteur relève que dans l’historiographie orientale ancienne l’intervention divine est « décisive pour le destin du genre humain ». Il ajoute que « ce discours est valable à la fois pour la Mésopotamie, la Syrie et l’empire hittite ». Il pense que « la même analyse peut s’appliquer aussi à l’Égypte, quoique dans une moindre mesure ». La différence principale entre l’historiographie biblique et celle des autres peuples environnants réside, à son sens, dans le monothéisme biblique, ce qui veut dire que, dans le cas de la Bible, on note l’intervention d’un Dieu et non de plusieurs dieux. Par conséquent, qu’il s’agisse d’un ou de plusieurs dieux, l’intervention divine est de part et d’autre admise et prise en considération. 54 Voir en ce sens EDELMAN qui parle de King Saul in the Historiography of Juda, 1991 en référence à l’historiographie ancienne. 55 SOGGIN, Histoire d’Israël et de Juda, p. 53. GIN,
7. C. Posture rhétorique ou intentio operis du récit
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d’aucuns à le qualifier volontiers aussi de roman historique 56, si ce n’est d’histoire fictionnalisée57. À l’appui d’une dimension fictionnelle à laquelle nous avons déjà fait allusion plus haut, peuvent sans doute aussi être alléguées les analogies que des auteurs tels que Th. Römer et S. Ackerman 58, pour ne citer qu’eux, soulignent entre la relation de Jonathan avec David et celle par exemple de Gilgamesh et Enkidu ou encore d’Achille et Patrocle, tous personnages littéraires relevant de patrimoine de cultures autres que celle d’Israël. Ces traits renvoyant à des œuvres littéraires issues de milieux différents ont amené certains auteurs à nier toute consistance historique au récit de Saül et de David dans son ensemble et à ne le comprendre que comme une littérature héroïque 59 ou comme une saga biblique à la manière des sagas islandaises60. Il faut admettre que, bien que d’un intérêt scientifique certain, la relation des livres de Samuel à l’Histoire, entendue au sens de compte-rendu de faits réellement survenus, n’entre pas dans la perspective de notre travail qui est d’ordre essentiellement littéraire. Cela dit, il n’empêche que l’examen littéraire qui a été mené autorise à penser que le récit du conflit entre Saül et David, tel qu’il est narrativement monté, témoigne au moins de la manière dont étaient comprises ou dont on a voulu comprendre les figures de ceux que la mémoire culturelle israélite retenait comme le premier et le deuxième rois d’Israël.
56 Ibid., p. 195, qui qualifie ainsi le récit tel qu’il se donne à lire en son état actuel : « Tout ceci n’est cependant pas de l’historiographie : c’est du roman historique, de la tragédie littéraire. Les quelques éléments qui semblent historiquement documentés nous orientent vers un Saül bien différent : un commandant qui, grâce à quelques rares opérations militaires bien conduites, semble être parvenu à repousser en premier lieu la menace ammonite sur le front est, puis à libérer le haut plateau de l’occupation philistéenne et à neutraliser les populations ennemies qui y résidaient ». 57 Voir ALTER, L’art du récit biblique, pp. 39–55. 58 Voir RÖMER/BONJOUR, L’homosexualité dans le Proche-Orient ancien et la Bible ; ACKERMAN, When Heroes Love. 59 Ainsi par exemple S. J. ISSER, The Sword of Goliath. David in Heroic Literature (Studies in Biblical Literature 6), Leiden, 2003. 60 Voir à ce propos VAN SETERS, The Biblical Saga of King David.
Conclusion générale Au terme de cette investigation dont l’objectif a été d’étudier la construction narrative des personnages de Jonathan, Mikal et Mérav, à partir de leur rôle et fonction dans le conflit politique qui oppose leur père Saül à David, que peuton retenir ? Certes, Jonathan et Mikal sont des personnages secondaires1 qui gravitent autour des figures principales de David et de Saül, mais il est clair qu’ils ont un rôle d’importance majeure sur plusieurs plans. C’est d’abord le cas au niveau de l’action dramatique elle-même, dans laquelle leur intervention introduit de l’inattendu, ce qui a pour conséquence de compliquer la donne et de rendre les enjeux plus cruciaux. À cet égard, on peut relever que leurs apparitions récurrentes, outre qu’elles structurent la trame à certains niveaux, tissent et élaborent des fils thématiques dont le traitement intermittent ponctue le récit, contribue à assurer d’une certaine manière sa cohérence à grande échelle 2 et donne de la profondeur à l’intrigue dans sa globalité. Par endroits, les scènes de Jonathan et Mikal ont parfois pour fonction de marquer des pauses dans l’action dramatique. C’est le cas par exemple en 1 S 19,1–7 où l’intervention de Jonathan calme le conflit entre son père et David, mais seulement pour un temps. Parallèlement, il est intéressant de rappeler combien la rencontre de David et Jonathan relatée en 1 S 20 défie toute règle d’économie narrative et déploie de façon impressionnante la relation des deux amis. Si les scènes où interviennent ces personnages ont quelque incidence sur le tempo de l’action dramatique, c’est surtout la manière spécifique dont Jonathan et Mikal, malgré leur appartenance à la famille du roi, prennent position entre Saül et David, qui s’avère particulièrement déterminante. En ce sens, le fils et la fille de Saül ont un rôle qui consiste à arbitrer le conflit entre leur 1
Pour la définition d’un personnage secondaire voir J.-L. SKA, « “Nos pères nous ont raconté” », p. 84, « Des personnages sont secondaires, soit parce qu’ils sont moins présents, moins essentiels à l’intrigue, soit parce qu’ils participent seulement à l’action menée par le personnage principal ou à la transformation de celui-ci ». Il faut cependant dire que Jonathan est personnage secondaire seulement dans la macro-intrigue, car dans les scènes où il intervient, il est l’un des principaux protagonistes. 2 Voir par exemple J.-P SONNET, « “Que ne suis-je mort à ta place !” De la cohérence narrative du cycle de David (1 S 16–1 R 2) », dans Ph. ABADIE (éd.), Mémoires d’écriture : hommage à Pierre Gibert, s.j. offert par la faculté de théologie de Lyon (Le livre et le rouleau 25), Namur, 2006, pp. 274–295, en particulier les pp. 285–288 ; l’auteur y parle de la manière dont les postures de Mikal, comme femme à la fenêtre en 1 S 19,12 et 2 S 6,16, assurent une cohérence du cycle de David.
Conclusion
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père qu’ils reconnaissent et David qu’ils aiment. Les choix qu’ils font de protéger le fils de Jessé et de favoriser de cette manière son ascension ont comme résultat de faire ressortir son innocence et le caractère arbitraire de l’hostilité de Saül en son encontre. Ce sont par conséquent des choix qui les placent dans un rôle de témoins à charge contre Saül et à décharge en faveur de David. En catégories sémiotiques3, on dira qu’ils sont adjuvants4 de David et opposants de Saül dans la quête du trône d’Israël ; des rôles qui relèvent du paradoxe dans la mesure où ils mettent en avant un choix politique non naturel et où, justement de ce fait, ils recèlent un formidable potentiel d’interpellation du lecteur. D’où tout l’intérêt. Dans cet ordre d’idées, on peut dire que Jonathan et Mikal sont des figures qui ont finalement comme fonction d’éclairer les personnages de Saül et David dont ils mettent en lumière les ambitions politiques, tandis qu’ils permettent de voir si les moyens de lutte ou de résistance employés sont ou non appropriés. Les paroles de Jonathan, à certains moments, dégagent la portée humaine et le sens théologique tant des agissements de Saül (1 S 19,4–5) que de la destinée de David (1 S 20,13 ; 23,17). Considéré sous l’angle de la relation à David, Jonathan fonctionne en effet comme un repoussoir de son père : il incarne l’ouverture au destin royal du fils de Jessé, auquel Saül reste farouchement opposé. Quant à Mikal, elle permet bien sûr de mettre en évidence le caractère injuste de l’hostilité de son père envers David, mais elle est en même temps la passerelle par laquelle le fils de Jessé devient le gendre du roi, entrant de ce fait dans la famille royale elle-même. L’attachement respectif de Jonathan et de Mikal à David témoigne en outre des ressources et de la complexité des relations humaines. Il donne la preuve des capacités de celles-ci à déterminer les choix capitaux qu’un personnage peut être amené à opérer. Aussi est-ce au plan des implications politiques et humaines que les interventions du fils et de la fille de Saül livrent tout leur sens. En raison de leurs liens de parenté avec Saül et de leurs liens de cœur avec David, Jonathan et Mikal interpellent au moyen de leur comportement le lecteur implicite sur la façon appropriée de jouer la solidarité familiale dans le contexte de la compétition politique en Israël et Juda. Ils sont l’exemple d’un choix reposant sur une échelle de valeurs qui privilégie les qualités intrinsèques du candidat David aux liens du sang. De la sorte, ils en appellent à une compréhension réfléchie de l’application du principe de solidarité familiale. En dernière analyse, en faisant appel aux catégories narratologiques souvent invoquées pour classer les personnages5, on pourrait dire que Mikal est 3
Voir à ce propos SKA, « “Nos pères nous ont raconté” », pp. 89–91. Voir JOBLING, « Jonathan : A Structural Study », pp. 15–16. 5 Ibid., p. 82 et suiv. 4
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un personnage rond6, d’une part en vertu de l’évolution qui la conduit de l’amour de David (1 S 18,20.28) à son mépris (2 S 6,16) et d’autre part, en raison de l’énergie et de l’autonomie qui la caractérisent en 1 S 19,11–17 et 2 S 6,20, mais qui contrastent avec la passivité et l’impression de fatalisme l’entourant en 1 S 25,44 et 2 S 3,15–16. En ce qui concerne Jonathan, la détermination semble un peu plus délicate. Son action paraît unilatéralement orientée à promouvoir la cause de David et dans ses apparitions, il est de manière récurrente question de pacte scellé. Aussi la tentation est grande de le ranger dans la catégorie des personnages monolithiques. C’est ce que fait d’ailleurs Jobling, lorsque parlant de Jonathan, il affirme « qu’au moins après le ch. 14, il est plat, statique et certainement opaque »7. Mais à y regarder de près, il n’est pas exagéré de dire que le fils de Saül est aussi un personnage complexe. Car même s’il est clair qu’il apporte son soutien à David, il ne renie pas son père avec qui il a des divergences de vue quand il l’estime nécessaire ; il reste à ses côtés lorsque le devoir l’exige comme en 1 S 31. De plus, bien que son amitié pour le fils de Jessé soit désintéressée, il ne dédaigne pas de l’inciter (1 S 20,14–16) à un engagement réciproque. Certes, il est aussi acquis à l’idée d’un David roi, mais, dans le même temps il se projette dans le futur comme le second du roi (1 S 23,17). En somme le personnage de Jonathan est plus subtil et nuancé qu’il ne paraît de prime abord et s’il fallait donner un titre pour résumer l’essentiel de chacun des rôles que lui et Mikal jouent, je proposerais : Mikal ou la princesse à l’amour piégé et Jonathan ou l’amitié au service de la politique. Quant à Mérav, elle ne fait que figurer dans la brève scène où elle est l’objet d’une offre de mariage par son père Saül à David. Elle ne présente donc pas la même consistance que son frère et sa sœur. Pourtant si son évocation rapide et fugace ne révèle presque rien sur elle-même comme personnage, elle annonce déjà la couleur sur la manière dont Saül est disposé et déterminé à instrumentaliser ses filles dans la rivalité qui l’oppose à David ; ce que la scène avec Mikal ne fera que confirmer peu après et mettre davantage en lumière avec vivacité et beaucoup plus en détail. En ce sens, Mérav anticipe et prépare Mikal. En outre, le binôme de sœurs qu’elles forment au point d’être, à un certain stade du texte et en toute probabilité, prises l’une pour l’autre, – ainsi que peut être lue la divergence de nom entre le TM et la LXX en 2 S 21,88 – les construit dans un parallélisme avec Léa et Rachel. En résulte un David se retrouvant dans une situation analogue à celle de Jacob, avec deux sœurs à épouser. Il faut dire que pareille analogie, renforcée par 6
BERLIN, « David’s Wives », p. 78, qualifie Mikal de « full-fledged character ». JOBLING, « Jonathan : A Structural Study », p. 20 : « At least after ch. 14 he is flat, static, and certainly opaque […] ». 8 Ainsi par exemple HERTZBERG, I & II Samuel, pp. 383–384; GORDON, I & II Samuel, p. 301. 7
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d’autres éléments comme les téraphim et le choix de Mikal de s’allier à son mari contre son père, ne manque pas d’intérêt en termes de rapprochement suggéré, si l’on considère les places et rôles éminents dévolus à Jacob et David dans l’Israël biblique : le premier comme ancêtre éponyme et le second comme père de l’Israël politique. Comme si l’Histoire se répétait pour les grands hommes. La plupart du temps, les études exégétiques consacrées au conflit SaülDavid se focalisent sur les interactions entre ces deux protagonistes. À cet égard, l’étude de ce conflit sous l’angle des rôles et de la fonction des membres de la famille du premier roi d’Israël constitue un autre type d’approche qui permet de mettre davantage en lumière la part spécifique de complexité que ces figures intermédiaires apportent aux relations entre Saül et David. Cette complexité s’observe notamment dans la ramification des relations qui se tissent. D’où un effet de diversification et d’ouverture qui n’est pas sans incidence sur le jeu de ces personnages, qu’il rend encore plus délicat, avec la conséquence de suggérer, parfois en arrière-plan, l’intensité des drames intérieurs auxquels ils sont confrontés. En ce sens, le cas de Saül est emblématique : sa réaction dépitée face à Mikal en 1 S 19,17 et fulminante contre Jonathan en 1 S 20,30–31 traduit sa solitude et sa désolation lorsqu’il prend conscience que son fils et sa fille se dissocient de son combat pour l’avenir dynastique de la famille, combat qu’ils jugent manifestement sans pertinence. Le roi exprime d’ailleurs aussi ces mêmes sentiments par rapport aux gens de sa tribu qu’il accuse en 1 S 22,8 de n’être pas solidaires de sa cause. Parallèlement, examiner le récit du conflit politique entre Saül et David en s’intéressant à la construction narrative de Jonathan et Mikal donne aussi de voir émerger avec plus d’acuité les enjeux idéologiques inhérents à cette trame dans la mesure où il apparaît que le narrateur parle au moyen des personnages de la fille et du fils du premier roi d’Israël plus qu’il ne parle d’eux. Dans cette optique, le prince et la princesse ont pour fonction narrative de convaincre le lecteur implicite que David est un personnage charismatique qui n’a rien fait qui soit de nature à provoquer directement la fureur de Saül, mais également que le choix de Dieu est reconnu et soutenu par les proches du roi rejeté. Enfin il y a peut-être lieu de souligner la contribution particulière de cet ouvrage qui présente dans une seule étude, et de façon suffisamment articulée, nous l’espérons, un examen narratif des personnages de Jonathan et Mikal. Car, dans sa grande majorité, la littérature exégétique existante sur ces personnages se révèle être une investigation sur l’un ou l’autre et non sur l’un et l’autre, ce qui a pour effet de ne pas bien mettre en évidence la tension dynamique et cumulative que le récit suggère entre leurs rôles respectifs. À cela s’ajoute le fait que les débats qui ont mobilisé les chercheurs ces quarante dernières années sur l’orientation sexuelle de l’amitié entre Jonathan et
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David et sur les dynamiques de genre relatives à Mikal, en dépit de leur pertinence, donnent l’impression de ne pas faire totalement justice au point de vue du narrateur, inscrit dans la manière dont est agencée l’action dramatique et dont sont construits les personnages. Sous ce rapport, la lecture ici proposée n’a pas de réticence à faire crédit au narrateur et à entrer dans le jeu de coopération interprétative qu’il tente d’instaurer avec le lecteur implicite. Ce qui ne veut pas dire que ce travail n’est pas marqué de limites. Tout au contraire ! Car, l’étude de Jonathan, par exemple, demanderait à être complétée par un examen approfondi de 2 S 9 qu’il serait intéressant d’investiguer ensemble avec les chapitres 16, 19 et 21 de 2 Samuel pour mettre en lumière la manière dont David, une fois devenu roi, exerce envers la descendance de Jonathan l’engagement de ḥeseḏ contracté en 1 S 20. Dans une perspective analogue, il pourrait être éclairant de voir plus en détail le jeu politique d’Abner après la mort de Saül. Par ailleurs, il sera tout aussi intéressant d’étudier une autre mise en récit de cette histoire dans la LXX, de manière à comparer les portraits de Jonathan et Mikal dans les deux récits en vue de faire voir à quels niveaux se situent les ressemblances et les dissemblances et les flexions particulières en termes de sens que ces variations entraînent.
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Index des noms d’auteurs cités Abadie, P. 262 Ackerman, S. 136, 174, 239, 240, 241, 261 Ackroyd, P. R. 63, 69, 70, 80, 81, 87, 89, 96, 100, 138, 149, 180, 188, 189 Aletti, J.-N. 22, 61 Alter, R. 1, 5, 9, 12, 19, 20, 22, 25, 74, 84, 85, 88, 94, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 117, 133, 162, 164, 165, 166, 169, 170, 171, 172, 180, 186, 193, 195, 198, 199, 200, 205, 206, 207, 210, 215, 216, 219, 221, 231, 239, 251, 254, 261 Aristote 241 Arnold, P. M. 42 Aschkenasy, N. 203, 204 Auld, A. G. 223 Auld, G. 104 Auzou, G. 52, 58, 179 Bach, A. 21 Bal, M. 203, 204 Barr, J. 136, 187 Barthélemy, D. 62, 63, 64, 65, 97 Bauck, P. 184 Ben-Barak, Z. 195, 198, 201 Berlin, A. 20, 216, 224, 228, 231, 232, 263 Blaikie, W. G. 185 Blenkinsopp, J. 54, 57 Bodi, D. 175, 197, 198, 200, 212, 217, 218 Bodner, K. 51, 74, 75, 76, 88, 102, 103, 116, 119, 130, 179,189, 193, 194 Bonjour, L. 142, 147, 148, 261 Borgman, P. 25 Botterweck, G. J. 140 Bourquin, Y. 2 Bovati, P. 252 Bowman, R. G. 213, 218, 221
Brawley, R. L. 144 Brekelmans, C. 13 Brueggemann, W. 47, 67, 77, 172, 210 Budde, K. 162 Campbell, A. F. 73, 74, 88, 92, 95, 105 Caquot, A. 30, 35,45, 47, 52, 66, 67, 68, 71, 72, 73, 80, 81, 86, 87, 90, 92, 95, 97, 98, 100, 101, 102, 107, 117, 124, 131, 139, 157, 161, 164, 166, 176, 179, 180, 181, 187, 194, 200, 204, 205, 206, 209, 211, 245 Cartledge, T. W. 47, 66, 87, 88, 93, 94, 95, 96, 123, 163 Cazeaux, J. 25, 218 Chatman, S. 25 Clines, D. J. A. 21, 22, 139, 161, 165, 166, 168, 184, 185, 193, 194, 195, 197, 198, 200, 210, 212, 213, 219 Collins, C. J. 107, 108 Costacurta, B. 69, 72, 157, 163, 197, 198, 200, 201, 206 Couffignal, R. 15, 16, 24 Courtray, R. 19, 143 Cross, F. M. 137 Dahood, M. 150 Deen, E. 185 Desrousseaux, L. 27 Dhorme, E. 63, 65, 89, 187 Dietrich, W. 23, 27, 259 Donner, H. 136 Driver, G. R. 63, 96, 97 Driver, S. R. 94, 187, 189, 193 Dunn, J. D. G. 104 Durand, J. M. 3 Eco, U. 1, 22, 232 Edart, J.-B. 142, 149, 151 Edelman, D. 12, 13, 30, 31, 38, 47, 48, 49, 50, 51, 54, 55, 56, 58, 68, 70, 73, 75, 77, 84, 87, 89, 91, 93, 94, 103,
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Index des auteurs cités
104, 117, 118, 119, 123, 124, 125, 126, 130, 162, 163, 168, 170, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184, 185,194, 257, 258, 260 Edenburg, C. 12 Ehrlich, C. S. 51, 190 Emerton, J. A. 100 Eskenazi, T. C. 21, 22, 165, 166, 168, 184, 185, 193, 195, 197, 210, 212, 213 Ewing, W. 166, 174 Exum, J. C. 13, 14, 15, 21, 24, 59, 167, 175,179, 203, 204, 206, 209, 211, 212, 214, 217, 218, 219, 220, 221, 228, 229, 231, 232, 233, 234, 237, 248, 250, 252 Eynikel, E. 223 Fewell, D. N. 21, 221 Fokkelman, J. P. 9, 10, 24, 33, 58, 66, 69, 70, 71, 75, 90, 93, 96, 98, 99, 100, 101, 102, 105, 118, 124, 126, 139, 157, 167, 175, 179, 188, 189, 190, 194, 197, 198, 200, 203, 205, 206, 207, 209, 223 Foucault, M. 153 Freedman, D. N. 33, 112 Frye, N. 16 Fuchs, E. 21, 221, 232 Gamberoni, J. 100 Garsiel, M. 54, 58, 176 Gerleman, G. 76, 139, 140 Gervitz, S. 33 Gibert, P. 262 Gordon, R. P. 44, 45, 47, 49, 50, 264 Green, B. 71, 99, 183, 224 Greenspahn, F. E. 21 Greimas, A. J. 15, 17 Gressmann, H. 162 Gunn, D. M. 7, 8, 9, 10, 13, 21, 24, 29, 70, 81, 116, 117, 221, 243 Hahn, S. 137 Halpern, B. 55, 238, 258 Halperin, D. 154 Hanhart, R. 136 Haulotte, E. 70 Heacock, A. 142, 148, 153 Hertzberg, H. W. 62, 75, 80, 84, 86, 87, 88, 90, 92, 93, 100, 101, 102, 105, 107, 122, 125, 126, 131, 132, 137,
157, 159, 160, 162, 164, 177, 179, 185, 187, 188, 205, 209, 210, 211, 242, 264 Himbaza, I. 142, 149, 151 Holladay, W. L. 93 Horner, T. 18, 142, 143 Howard, D. M. 191 Hugenberger, G. P. 136, 137, 184, 224 Isser, S. J. 261 Jankélévitch, S. 241 Jason, H. 32 Jenni, E. 140 Jobling, D. 8, 16, 17, 18, 25, 30, 38, 41, 49, 50, 53, 55, 56, 70, 102, 122,128, 132, 223, 227, 232, 242, 263, 264 Joüon, P. 50, 61, 66, 73, 108, 135, 252 Kessler, J. 197, 198, 199 Ketter, D. 107 Klein, R. W. 46, 47, 48, 52, 73, 75, 76, 88, 89, 91, 94, 95, 97, 101, 104, 107, 108, 123, 179, 180, 181, 190 Knierim, R. 77 Knoppers, G. N. 27 Kuyper, A. 165, 185 Lacroix, X. 241, 242, 243 Langlois, M. 3 Lawton, R. B. 132 Leach, E. R. 17 Lemche, N. P. 81, 116 Levenson, J. D. 194, 238 Lévi-Strauss, C. 17 Linafeld, T. 231 Long, P. V. 24, 29, 50 Luciani, F. 245 Lundbom, J. R. 112 Lust, J. 13 Macchi, J.-D. 2 Macherey, P. 241 de Maistre, P. 179 Marguerat, D. 2, 154 Mastin, B. A. 100 McCarter, P. K. 33, 46, 48, 52, 75, 76, 89, 93, 94, 95, 96, 97, 100, 102, 123, 124, 125, 138, 162, 179, 187, 234, 259 McConville, J. G. 27 McKenzie, S. L. 234 Mettinger, T. N. D. 27, 54, 138–139, 234
Index des auteurs Miller, J. M. 42 Miscall, P. D. 58, 123, 125 Moran, W. L. 138 Morgan, D. 145 Morgenstern, J. 28, 70, 213, 227 Naumann, T. 27, 259 Négrier, P. 142, 143 Niccacci, A. 108 Nihan, C. 2, 3, 27, 190, 239 Nissinen, M. 18, 142, 144, 145, 146, 148, 153, 154 Nocquet, D. 2, 3, 27 Noll, K. L. 126 Noth, M. 10 Ogilvie, B. 241 Olyan, S. M. 208 Osty, E. 62, 65, 187 Otto, E. 234 Pakkala, J. 12 Peleg, Y. 67, 155, 231 Penna, R. 136 Perego, G. 136 Pisano, S. 3 Platon 241 Polzin, R. 10, 11, 12, 25, 26, 83, 85, 102, 117, 162, 170, 179, 204, 206, 216, 247 Propp, V. 15 Prouser, O. H. 69, 70 Qimhi, D. 95 Rabatel, A. 2, 109 Ramond, S. 252 Rashi 95 Ravasi, G. 136 de Robert, P. 30, 35, 45, 47, 52, 66, 67, 68, 71, 72, 73, 80, 81, 86, 87, 90, 92, 95, 97, 98, 100, 101, 102, 107, 117, 124, 131, 139, 157, 161, 164, 166, 176, 179, 180, 181, 187, 194, 200, 204, 205, 206, 209, 211, 245 Rogerson, J. W. 104 Römer, T. 2, 3, 142, 147, 148, 154, 261 Rosenstock, B. 204 Rost, L. 27, 259 Rouillard, H. 180, 181, 186 Rowe, J. Y. 181, 182, 183, 184, 231 Samuel, M. 168, 175, 227 Schenker, A. 142, 149, 151
285
Schroer, S. 18, 142, 144, 145, 146, 147, 154, 238 Seebass, H. 135 Seeman, D. 204 Sewall, R. 14 Shakespeare, W. 7, 24 Ska, J.-L. 1, 2, 22, 83, 228, 262, 263 Smend, R. 136 Smith, H. P. 73, 75, 77, 80, 86, 89, 90, 92, 94, 95, 99, 100, 102, 107, 123, 162, 179 Soggin, J. A. 259, 260 Sohn, S.-T. 137 Sonnet, J.-P. 228, 262 Staubli, T. 18, 142, 144, 145, 146, 147, 154, 238 Sternberg, M. 1 Stoebe, H. J. 50 Thompson, J. A. 69, 137, 138, 149, 227 Thomson, J. E. H. 166, 174 Tosato, A. 29 Tov, E. 3 Tropper, J. 180, 181, 186 Tsumura, D. T. 87, 91, 93, 94, 96, 97, 100, 101, 105, 107, 162, 181, 187 Tull, P. K. 134, 242 Van der Toorn, L. 185 Van Seters, J. 32, 74, 163, 261 Van Treek Nilsson, M. 68, 147 Van Wijk-Bos, J. W. H. 48 Veijola, T. 89 Vermeylen, J. 27, 38, 68, 69, 76, 89, 92, 94, 95, 105, 124, 154, 201, 253 Wallis, G. 136 Weinfeld, M. 100, 136, 137 Wellhausen, J. 89, 188 Wénin, A. 15, 29, 34, 38, 59, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 109, 136, 137, 158, 162, 163, 164, 166, 167, 169, 170, 172, 228 Wernik, U. 143 Westermann, C. 67, 140, 208 White, M. C. 51, 190 Whitelam, K. W. 234, 259 Willi-Plein, I. 23, 32 Wilson, R. R. 190 Zehnder, M. 18, 142, 145, 146, 149, 150, 153 Zobel, H. J. 129
Index des références bibliques Ancien Testament Genèse 2,23 9,4 21,27 22,2 24,67 25,28 29 29,16–28 29,18.20.30–35 29,18.30 29,25 30 31 31,32 34,3 34,8 34,19 39 44,30 45,14–15
220 52 149 136 136 136 195 176 239 136 182 211 185 185 140 140, 195 139, 140, 147 171 135, 149 149
Exode 18,7
149
Lévitique 3,17 7,26 17,10–14 18,22 19,18 19,18 19,26 20,13
52 52 52 143 136 71 51 143
Deutéronome 6,3 10,12 11,13.22 12,23–24
72 136 136 51–52
Ancien Testament 17 17,14–20 21,14 21,14 22,16 23,11–12
193 118 140 147 195 101
Josué 2,1–16 2,15 7,16–18 7,25 10,13 15,16
179 20, 204 52 50 66 195
Juges 1,12 5 6–7 6,37–40 7 7,9–15 7,21–22 7,22 9,24 9,54 11,30–40 11,35 11,36 14,3 17–18
195 204 54 54 54 54 54 49 123 48 132 52 52 47 185
Ruth 1,9
141, 149
1 Règnes 18,28b 20,17
2 2
Ancien Testament 1 Samuel 1 1–12 2,20 7 7,17 8 8,10–22 8,11–18 8–12 9,2 9,15–17 9,16 9,24 9–11 9–31 10 10,1 10,5–7 10,9 10,10–12 10,20–24 10,21 10,23 11 11,1 11,1–11 12 13 13,1 13,2 13,3 13,5–6 13,6 13,6–7 13,13 13,13–14 13,13–18,5 13,14 13,15 13,16 13,22 13–14 13–15 13–31 14
51, 211 9, 15 89 49 188 12, 32, 38 217 118 244 58 258 31, 45, 68 89 54 15 190 258 190 177 190 52 258 58 27, 31, 54, 246, 258 107 54 12 24, 44, 54, 102, 191, 230, 243 44 59 44 58 50 44, 47 53, 212 16, 29, 53, 212 29, 32 29, 172 44 42 58, 59 31, 128, 156 245 9, 17, 38, 224 4, 16, 26, 32, 37, 40, 41, 42–44, 44,
287
46, 51, 53, 55, 57, 58, 59, 68, 70, 71, 135, 139, 227, 230, 246, 264 14,1 44, 46, 47, 54 14,1–5 45 14,1–14 132 14,1–23 32, 37, 45, 53 14,1–46 16, 29, 45, 53, 54 14,1,4,6,8,23,40 46 14,1.6 59 14,2 44 14,3 49 14,4 46 14,5 42 14,6 45, 46, 58 14,6–10 45 14,6–15 45 14,7 45, 47, 117 14,8 45, 46 14,9–12 58 14,10 47 14,11–12 45 14,12 47 14,13 48 14,13–14 48 14,13–15 45 14,14 48, 60 14,16–17 56 14,16–19 45 14,16–23 45 14,16.19–20 54 14,17 49 14,18,23,24,31,37 44 14,20 49 14,20–23 45 14,21 48 14,22 44 14,23 46, 49 14,24 49, 50, 56 14,24–30 37, 45 14,24–46 45, 53 14,27 51 14,27–30 132 14,28 51 14,29 50, 51, 55 14,31 51 14,31–35 45 14,32–35 51
288
Index des références bibliques
14,36 14,36–46 14,37 14,45 14,46 14,47–48 14,47–51 14,47–52 14,47a.49–52 14,49 14,49–50 14,49–51 14,49–52 14,50 15
52 37, 46, 78, 132 52 48, 52, 58, 59 44, 46, 52, 53, 60 30, 44 32 32, 45, 46 23 3, 30 155 29, 32, 35, 40 45 194 24, 27, 57, 102, 191, 243 15,9 89 15,10 29 15,10–11.23.27–28 29 15,22–23 29 15,23 184, 185 15,27–28 70, 139 15,28 29, 172 15,34–35 188 15,35 188 15,35–16,1 188 15,35–16,13 220 16 37, 209, 233, 238, 257, 262 16,1–13 27, 30, 37, 53, 57, 202, 226, 243, 260 16,2 30, 184 16,13 31, 33, 59, 71, 79, 125, 188, 256 16,13–14 191 16,14 31, 91 16,14–23 27, 31 16,14.15.16.23 177 16,18 171, 172 16,18–23 180 16,19–23 167 16,21 31, 101, 165, 225 16,22 71, 112 16–17 77 16–18 29 17
27, 31, 32, 37, 41, 58, 70, 71, 77, 128,
164, 227, 238, 245, 251 17,1 107 17, 1–18,5 31 17,4–51 109 17,4–7 60 17,12–17.28.33–37 59 17,12–30 71 17,13 124 17,15 68, 167 17,25 162, 163 17,25–27 59 17,26 58 17,26.36.37.45–47 257 17,28 30 17,29b 257 17,32 257 17,34–37 58 17,36–37,45–47 163 17,37 118 17,38 139 17,38–39 70 17,39 139 17,39 70 17,43–47 59 17,51 48 17,52 60 17,52–53 60 17,55–58 67, 71, 167 17,58 101 18 3, 11, 26, 59, 67, 69, 77, 91, 124, 135, 147, 151, 167, 170, 171, 172, 174, 175, 177, 179, 257 18,1 28, 32, 60, 67, 68, 69, 132, 135, 136, 138, 149, 224 18,1a 67 18,1b 67 18,1–3 146 18,1–4 2, 3, 61, 62, 67, 69, 71, 72, 73, 74, 78, 80, 94, 118, 126, 128, 129, 133, 138, 139, 223, 225, 230, 245, 246 18,1–5 32, 37, 41, 74
Ancien Testament 18,1.3
96, 105, 129, 165, 237, 241 18,1.3–4 119, 141 18,1.3.16.20.22.28 174 18,1.3.20 236 18,1.3.20.27 224 18,2 67, 68, 71, 79 18,3 3, 68, 87, 112, 130, 135, 137, 242 18,3b 76 18,3–4 133 18,4 41, 60, 62, 69, 70, 138, 147, 154 18,5 32, 72 18,5.7.13–15.27.30 171 18,5.12–16 171 18,5.12.14–16.28 130 18,5.13–14. 17b.27.30 245 18,5.13–14.27 251 18,5,13,16 164 18,5.16 220, 236 18,5.22 237 18,6 29, 32, 67, 78 18,6–7 236 18,6–8 78, 101 18,6–9 27, 29, 32, 33, 72, 77, 191, 203, 213, 244 18,6–30 162 18,7 78, 172 18,7–9 68 18,8 33, 172 18,8–9 33, 227 18,9 33, 74, 173, 236, 247 18,9–11 244 18,9.15.28 246 18,10 34, 72, 123, 172, 177, 191 18,10–11 34, 76, 103, 154, 171, 191, 249 18,10–16 192 18,10–30 72 18,11 86, 245 18,11,13 161 18,11.17–19 227 18,12 172 18,12,14,28 171
18,14 18,14–16 18,15 18,16 18,16.20.22.28 18,17 18,17c 18,17–19 18,17–27 18,17–28 18,17–29 18,17–30 18,17–31 18,17.19.27 18,17b 18,18 18,18,23 18,19 18,20 18,20–27 18,20–28 18,20–29 18,20–30 18,20.27 18,20.28 18,20b 18,21 18,21a 18,21b 18,22 18,22–23a 18,23 18,23b 18,24–26 18,25 18,25ff 18,25–26a 18,26–27 18,26b 18,26c 18,27 18,27d 18,28
289 172, 257 162 172 220, 237, 257 139 162, 164, 168 162 2, 3, 34, 39, 76, 158, 161, 163 214 200 109 34, 192 159–160 195 166 164, 166, 169 171 158, 167, 196 165, 166, 173, 215, 224, 226, 248, 249 179, 186, 217, 230 3, 34, 76, 158, 174, 177, 197, 198, 201, 225, 227 165, 167, 169, 171, 173, 175 39, 176 205, 231, 237 196, 224, 264 169 159, 174, 227, 250 159 95 74, 140, 141, 149 166 226 168 169 141, 169 174 166 239 169 170 172, 180, 195, 196, 198, 207, 224, 226 215 173, 257
290 18,28–29 18,28b 18,29 18,30 18–19 18–20 18–23 19 19,1
19,1a 19,1b 19,1–2 19,1–4 19,1.2.3.4 19,1–7
19,2 19,2–3 19,2–3,7 19,3 19,3–6 19,4 19,4–5 19,4–6 19,4–7 19,4ff 19,5 19,5.6.9 19,6 19,6–7 19,7 19,8 19,8–10 19,8–17 19,9 19,9suiv 19,9–10 19,9–11
Index des références bibliques 249 2, 173 172, 173, 225, 246 173 23, 32, 115 40, 192, 223, 224, 225 26 11, 37, 81, 82, 85, 124, 177, 184, 214, 230 34, 72, 73, 74, 84, 117, 139, 140, 141, 147, 149, 173, 181, 228, 249 74 74, 78 97 224 133 34, 37–38, 61, 62, 72, 73, 75, 77, 80, 81, 82, 128, 129, 176, 186, 192, 223, 225, 228, 230, 262 224, 225, 251 75, 76, 97 133 75, 79, 130 114 77, 79 75, 103, 253, 263 81, 117, 247 247 184 59, 236, 247, 255 254 78, 113, 117, 120, 177, 192, 255 82 78, 79, 82, 85, 228 175, 245, 251 73, 177 160, 176, 225 123, 177, 191 86 76, 79, 86, 97, 103, 154, 171, 191, 192 34
19,9–24 19,10
84 177, 179, 180, 181, 255 19,10.11.12.17.18 102 19,10b 179 19,11 177, 178, 179, 180, 181, 184, 196, 210, 224, 225, 230, 249 19,11–12 177 19,11–17 34, 39, 73, 79, 80, 86, 120, 158, 179, 180, 182, 184, 185, 192, 201, 214, 217, 219, 222, 225, 230, 264 19,11–18 215 19,11–24 245 19,11.14–15.20 73 19,12 108, 179, 187, 204, 262 19,12.18 251 19,12a 184 19,12b 180 19,13 184 19,13–16 180 19,14 181, 184 19,15 181 19,16 182 19,17 184, 187, 225, 230, 246, 265 19,17b 178, 183 19,18 108, 180, 187, 188 19,18–24 73, 82, 120, 176, 184, 185, 187, 190, 191, 192, 233, 257 19,19–24 79 19,20 189 19,20–24 191 19,21–24 191 19,22 189 19,24b 82 20 33, 34, 36, 37, 76, 79, 80, 81, 82, 83, 85, 86, 87, 89, 90, 91, 93, 95, 97, 99, 101, 103, 105, 106, 107, 109, 111, 113, 114, 115, 116, 117, 119, 120, 122, 124,
Ancien Testament
20,1 20,1a 20,1–10 20,1–11 20,1–11a 20,1–21,1 20,1–23 20,1–3,8.9–10. 12–13.27.32.34 20,1,2,3,6,9,10, 12,13,32,33,34,35 20,1.2.3.6.8.9.10. 12.13.27.32.33 20,2 20,3 20,3.21 20,3.34 20,3.8.13.14–16. 21.22.23.42 20,4 20,4.14–15 20,5 20,5–7 20,5,24,25,29 20,5.11.18–24.35 20,5.24 20,6 20,7 20,7–8 20,8 20,8,9,10,12,13,14, 15,19,20,21,22,23, 42 20,8–9,13 20,8,12,13,14,15, 16,17,23,42 20,8,14 20,8.14.16.23.42 20,9 20,9d 20,10
125, 127, 128, 129, 130, 133, 142, 192, 223, 225, 228, 230, 231, 251, 262, 266 79, 82, 107, 108, 111, 115, 122, 247 106, 108 133 82 113 61, 62–65, 128, 129 230 224 121 133 110, 123, 247 104, 111, 117, 255 255 104 254 110, 117 124 90, 96, 108, 110, 115 103, 117 121 130 251 110 84 114 87, 92, 111, 112, 118, 137 110 129 142 129 255 88, 91, 120 90 100, 106, 111, 114, 115
20,11 20,11–17 20,11–24 20,11b–23 20,12 20,12c 20,12–13 20,12–16 20,12–17 20,12–17.23.42 20,13 20,13a 20,13b 20,13c 20,14 20,14–15 20,14–16 20,14–16.23.42 20,14–17 20,14–17.23.42 20,14–17.42 20,15 20,15a 20,15b 20,15–16 20,15–16,42 20,15,42 20,16 20,16a 20,16b 20,17 20,17.23.42 20,18 20,18–23 20,18–24 20,18–24a 20,19 20,19a 20,20 20,21 20,21–22
291 113, 122, 147 124 88 113 90, 91, 96, 130, 254, 255 90 89, 111 63, 89, 96, 99 83, 89, 99 125 90, 91, 112, 116, 118, 120, 124, 133, 255, 263 90, 91 118 129 90, 91, 92, 93, 118, 124 95, 229 91, 99, 100, 119, 264 242 28 137, 246 247 92, 93, 94, 95, 118, 129 93 92, 93, 94, 95 99 142, 253 129 92, 93, 94, 95, 129 94 94, 95 2, 95, 99, 100, 115, 129, 134, 138, 140, 224 126 90, 96 119 89 83 63, 81, 97, 112 96 98 255 154
292 20,22 20,23 20, 23b 20,23.42 20,24 20,24b–34 20,25 20,25b 20,25–26 20,25b,26,27,28, 30,32,33 20,26 20,27 20,27b 20,27b–29 20,27–31 20,27–32 20,27–34 20,28–29 20,30 20,30–31 20,30–33 20,30–34 20,31 20,32 20,32–33 20,32ff 20,33 20,34 20,34b 20,34c 20,35 20,35–40 20,35–21,1 20,36 20,36–40 20,37 20,38 20,40–42 20,41 20,41–42 20,42 20–23 21
Index des références bibliques 118, 255 99, 100, 111, 112, 115 99 129 115 38, 83, 114 100, 155 121 109 121 87, 109 109, 118, 132 112 112 121 230 109, 131, 247 112 81, 117, 121, 147, 150, 230, 246 124, 149, 265 131 247 30, 75, 110, 116, 118, 125, 243, 246, 252 103, 119 183 184 120, 154, 245, 252 101, 104 104 104 85, 104 113, 119 38, 83 110 154 110 110 229 115, 133, 141, 147, 149 113, 122 100, 111, 225 11 34
21,1 21,2–10 21,7–8 21,11 21,11–16 21–22,5 21–23 22,1 22,1.3 22,2 22,3 22,3.10.17.21 22,6–8 22,7 22,7–8 22,8 22,8.13 22,11–19 22,14 23 23,2.11.18 23,3.5.13 23,7 23,10–12 23,10–13 23,13 23,14 23,14–18 23,14–26 23,15 23,15–18 23,15,17 23,15b 23,15b–18 23,16 23,16αγ 23,16–17 23,16–18
23,17 23,17b 23,18 23,19–28
82, 113 233 254 108, 251 76 37 40 251 237 238, 251 238, 256 254 61, 65 234, 246 127, 131, 226 37, 94, 127, 131, 133, 149, 230, 252, 265 138 127 237 11, 52 254 251 255 127 255 251 123 124, 245 34 123 37, 38 123 122 122 122, 126 124 133 34, 61, 65, 122, 123, 125, 126, 127, 128, 129, 134, 142, 229, 230 30, 123, 125, 126, 133, 246, 263, 264 124, 246 3, 126, 130, 134, 137, 242, 255 124
23,19–24,23 23,20 23,25–24 23,27–28 24 24,5–6 24,7 24,11 24,12 24,17 24,18 24,20 24,21 24,21–22 24,22 24,22–23 24–26 25 25,3 25,22 25,26.34 25,28–31 25,30–31 25,32–34 25,42 25,42–44 25,43–44 25,44
26 26,1 26,9.11.16.23 26,10.16 26,17,21,25 26,21 26,23 26,25 27 27,1–4 27,2 suiv 27,3 28 28,1 30 30,5
Ancien Testament
293
30,8 31
52 26, 34, 37, 40, 156, 169, 196, 229, 234, 244, 260, 264 65, 230, 234 30, 34, 61, 126, 245 34, 128 156
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31,1–2 31,2 31,4 31,12–13 2 Samuel 1 1,1–16.17–27 1,2–16 1,17–27 1,18 1,19–24 1,22 1,23 1,26 1,9,10,16 1–8 2 2,1–4a 2,1–11 2,2 2,4 2,8–10 2,8–11 2,12–32 2–3 2,12–3,1 2–6 2–8 2–12 3 3,1 3,2 3,2–5 3,3 3,6–12 3,7 3,8–11 3,9
9, 15, 26, 29, 34, 37, 40, 196, 229, 234, 260 61 34 34, 61, 66, 230, 231 154 133 154 133 61, 133, 134, 147, 150, 151, 152, 229, 240, 242 48 213, 218, 221 52 196 35 194 257 157 196 35, 157, 238 156 35 29 9, 157, 197, 198, 200, 203, 205, 206, 209 157 26, 39, 40, 126, 260 196 194 197 124 35 197 197, 201 156
294 3,9–10 3,12 3,12–16
3,13 3,13–16 3,14 3,15 3,15–16 3,16 3,17–18 3,17–39 3,18 3,33–34 4 4,4 4,12 5 5,1 5,1–2 5,1–5 5,1–6 5,2 5,6–12 5,17–25 6 6,11 6,11,12,18,20 6,14 6,14,16,17,21 6,15 6,16 6,16c 6,16–20 6,16–23
6,16,20,23 6,16.20 6,16.20–23 6,17a 6,18 6,19
Index des références bibliques 125, 156 149, 156, 196, 197 156, 158, 160–161, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 216, 217, 218, 219, 222, 229 221, 239 35, 207, 230 199 198, 199, 201 194, 199, 264 199, 210 36, 220 35, 202, 205 156 156 35, 202, 260 35 156 27, 36 107, 202 220 257 202 36 202 202 26, 27, 36, 40, 203, 204, 214, 217, 219, 254 214 205 205, 206, 211 207 202 205, 207, 208, 213, 229, 262, 264 207 202 158, 161, 202, 203, 205, 207, 209, 210, 211, 212, 213, 217, 219, 220, 222, 230 212 250 39, 214, 240, 243 205 205, 207 205
6,20 6,20–22 6,20–23 6,21 6,21ab 6,21–22 6,22–23 6,23 7 8 9 9,1,7 9,7,13 9–20 11 11–12 12,8 12,13 12,14 16 16,22 19 20,3 20,11 21 21,7 21,7–9 21,8 21–24
1 Rois 1–2 2 2,13 5,26 8,9 10,1–11 10,9 11,1 11,14–16 11,41–42 22,10
206, 207, 216, 264 205, 210, 234 36, 221, 230 27 209 256 21 20, 28, 39, 158, 211, 214, 229, 230, 234 12, 27, 28, 212, 221 234 28, 36, 92, 134, 229, 248, 255, 266 229 229 9 173, 193 259 194 209 95 211, 266 157 266 211 139, 140 247, 266 134 158 196, 212, 230, 264 9, 157, 197, 198, 200, 203, 205, 206, 207, 209 9 38, 262 157 149 94 119 140 119 32 32 46
295
Nouveau Testament 2 Rois 1,9 9,30–37 13,15–19 14,9 23,24
189 204 98 195 185
1 Chroniques 8,33 9,39 10,2
30 30 30
2 Chroniques 5,10 7,18 28,7
94 94 124
Néhémie 6,9
123
Esther 2,14 10,3 Job 29,8
Cantique des Cantiques 1,7 147 1,16 147 2,7 147 3,1–4 147 7,7 147 7,12 147 8,4 147 Siracide 6,14
152
Jérémie 2,36 23,9suiv
64 187
Ézéchiel 21,26 33,25 46,1
185 51 97
140 124
Amos 8,5
97
101
Zacharie 10,2
185
Nouveau Testament Nouveau Testament Luc 1,25
211
1 Corinthiens 6,9
143
Romains 1,18–32
143
1 Timothée 1,10
143
Index des sujets ’ahaḇāh 151 Abdi-heba 76 Abiel 44 Abinadab 30, 65 Abner 35, 36, 39, 40, 44, 101, 113, 121, 125, 126, 155, 160, 196, 197, 200, 216, 266 Abraham et Abimélek 149 Absalom 157 accession de David au trône 130, 152, 156, 259, 260 Achan 50 Achille et Patrocle 154, 261 Adonias 157 Adriel de Méhola. Voir Adriel le Méholatite – le Méholatite 158, 159, 164 Ahimélek 219, 237, 252 Ahinoam 39, 44, 160, 193, 194, 196 épouse de Saül 30 Ahituv 42 Ahiyyah 42, 49 aide de Mikal 80 alliance 37, 61, 125, 128, 134, 136, 154, 156 – bilatérale 126 – d’Adonaï 63, 87, 118 – politique 150, 152 Amalécite 34 Amaleq 34 ambition politique 249 amitié 3, 37, 148, 154 – masculine 239 Ammonites 49, 258 amour conjugal 136 – d’amitié 151, Voir amitié – de Mikal pour David 172 – des femmes 134
– et amitié 241 – paternel 136 analyse narrative 1, 5, 24, 25, 61, 158 – structurale 15 anciens 156 approches féministes 4 arc 154 – de Jonathan 66 Arche d’Adonaï 36, 161, 205, 210 – de Dieu 39, 43, 49 Asahel 35 ascension de David 27, 39 Ashqelon 66 assassinats d’Abner et Ishbosheth 220 Assurbanipal 138 attachement de Jonathan à David 69 Avigaïl 39, 125, 160, 193, 194, 196, 215 Baana 35 Bahurim 161 banquet de la nouvelle lune 155 Beena Marriage 28 Benjaminites 131, 156 Bethléem 63, 64, 184 cachette dans la campagne 130 camaraderie 146 camp de Madiân 54 caractérisation 11, 20 – contrastée 155 – de Mikal 20 – des personnages 1, 19 – positive de Jonathan 41 causalité humaine et causalité divine 254 célébration de l’amitié 240 charisme guerrier 251, 257
Sujets chute de Saül 12 – du premier roi d’Israël 9 cité de David 161 close-reading 13, 46, 55 compétences linguistiques 23 complainte funèbre. Voir élégie complicité de Mikal 79 conclure un pacte 94 concubine de Saül 157 conflit entre Saül et David 4, 15, 22, 26, 27, 28, 36, 61, 76, 158 construction des personnages 24 – narrative 1, 20, 40, 265 – narrative des épouses de David 20 – narrative des personnages 5 – textuelle du point de vue 2 conte populaire et merveilleux 15 contrat de mariage 147 coopération du lecteur 2 – interprétative 22, 232, 266 – textuelle 22 Daniel et Ashpénaz 143 David 1, 2, 4, 7, 8, 9, 11, 13, 14, 16, 25, 31, 33, 37, 39, 40, 58, 59, 65, 66, 70, 71, 72, 82, 85, 90, 91, 95, 96, 98, 99, 102, 103, 104, 106, 109, 110, 113, 114, 115, 120, 122, 128, 131, 132, 140, 152, 156, 165, 177, 181, 183, 187, 205, 208, 216, 236, 244, 251, 255, 258 – à la campagne 83 – à la cour 79 – et Abner 149 de Mikmas vers Ayyalon 43 déportation en exil. Voir exil d’Israël désintéressement 119, 242 Deutéronomiste 10, 11, 12, 25, 26 deuxième roi d’Israël. Voir David Dina 140, 195 don de Mérav à Adriel 168 – du vêtement 138 Égypte 260 élection 190 – de David 257 – divine 156, 157, 209, 220 élégie 37, 147, 148, 154, 156 Éli 42, 155
297 Éliav 30 émotions 236 empire hittite 260 éphod de lin 206 Éphraïm 49 épouse de David 182 Eshbaal. Voir Ishbosheth esprit d’Adonaï 31, 113, 184 – d’Élohim 120, 192, 257 – de Dieu 189, 191 – dit mauvais venu d’Adonaï. Voir esprit mauvais d’Adonaï – divin 54 – du mal 249 – du mal de Dieu 172 – mauvais. Voir esprit du mal de Dieu – mauvais d’Adonaï 160, 176, 177 – mauvais d’Élohim. Voir esprit du mal de Dieu – mauvais de Dieu ou d’Adonaï. Voir esprit mauvais d’Adonaï étude narrative. Voir analyse narrative exil d’Israël 12 – de David chez les Philistins 245 faire les prophètes 189 famille de Jessé 30 – de Saül 4, 25, 26, 36, 40, 155, 156, 157, 165, 198, 212, 234, 238, 260 – du premier roi d’Israël 29, 265, Voir Jonathan, Mérav et Michal faux héros ou en antihéros. Voir Saül féministe 21 femme à jamais stérile. Voir stérilité de Mikal filet en poils de chèvre 160, 180, 183, 184 filiation de Jonathan 74 fille d’Ahimaaç. Voir Ahinoam – de Jephté 21, 52, 132 – de Saül 27, 182, 202, 203, 204, 206, Voir Mikal fils d’Israël 43, 49 – de Jessé 35, 37, 38, 59, 64, 65, 70, 81, 84, 87, 101, 102, 103, 108, 112, 118, 121, 127, 129, 130, 132, 133, 134, 150, 152, 156, 163, 164, 167, 170, 173, 177, 180, 188, 195, 196, 198, 207, 210, 213, 220, 222, 224,
298
Index des sujets
228, 237, 247, 249, 250, 253, 257, Voir David – de Saül 18, 25, 32, 41, 45, 51, 53, 58, 78, 88, 103, 114, 116, 117, 121, 125, 130, 133, 134, 152, Voir Jonathan – et filles de Saül 8, Voir Famille du premier roi d’Israël gage d’amitié 70 Gallim 193 Gat 66 Gédéon 49, 54 Gilgamesh et Enkidu 148, 261 Goliath 37, 38, 58, 59, 60, 67, 68, 70, 77, 94, 101, 125, 130, 135, 162, 163, 165, 224, 228, 236, 244, 246, 251 grotte d’Adullam 238 Guelboé 65, 66 Mont 234 guerre contre les Philistins 176 – entre la maison de David et la maison de Saül 35 – sainte 57 guerres d’Adonaï 159, 162, 163, 164, 168 Guibéa 37, 40, 42, 45, 49, 65, 86, 106, 107, 108, 113, 176, 225, 228 habitants de Qéïla 127 – de Ziph 127 ḥāpēṣ 140 Hébreux 42, 43, 47, 49 Hébron 36 héros comique. Voir Samson – tragique 15, Voir Saül ḥeseḏ 229, 266, Voir loyauté hétérosexualité 143 Histoire Deutéronomiste 12, 13, 218 historiographie théologique 260 holocaustes 161 Homère 16 homoérotique. Voir Homosexuelle homoérotisme 144, 146, 151 homophobie 143, 153 homosexualité 143, 144, 146, 153 homosexuelle. Voir homoérotique homosociabilité 145, 146
honneur 208 Horeshah 65, 122, 124, 126 hostilité de Saül 32 – entre Saül et David 35 idolâtrie 185 Ikabod 42 Iliade 154 impureté rituelle 101 inimitié 155 institution monarchique 12 interdit alimentaire 132 intertextualité 23 intrigue 24, 39, 40, 69, 73, 122, 135, 152, 173, 210, 233 – de découverte 173 – de résolution 173 Ishbosheth 30, 35, 40, 156, 157, 161, 196, 197, 200, 201, 218 assassinat de 35 – mort 202 Izréel 194 Jacob 176, 182, 186, 195, 264 – épouse Léa et Rachel 176 jalousie 155, 211 – obsessionnelle 237 Jehonathan. Voir Jonathan Jephté 52 Jérusalem 13, 36, 39, 202 Jessé 102 Jézabel 204 Joab 35, 140, 156, 202 Jonathan 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 13, 14, 16, 20, 21, 25, 26, 28, 30, 31, 32, 34, 36, 37, 39, 44, 45, 46, 48, 50, 51, 53, 54, 55, 56, 58, 59, 61, 62, 65, 66, 67, 71, 72, 77, 79, 80, 82, 87, 88, 90, 93, 96, 98, 99, 100, 103, 104, 105, 106, 109, 110, 113, 115, 117, 122, 128, 130, 131, 132, 152, 155, 178, 192, 196, 229, 236, 251, 255, 257, 258, Voir Famille du premier roi d’Israël repoussoir de son père 263 – et Mikal 40, 224, 226, 252, 260 – fils de Saül 46, Voir Jonathan, fils de Saül
299
Sujets –, fils de Saül 16, 29, 122 Joseph 171 Juda Tribu 234 Laban 176, 182, 195 lance 154, 160, 176, 177, 249 Léa 176, 182 – et Rachel 176, 195, 264 lecteur empirique 22, 23 – implicite 13, 22, 263, 265 – modèle 13, 22, 23 lecture tragique. Voir Saül légitimation politique du fils de Jessé 259 lettres d’Amarna 76 liaison amoureuse 148 loyauté 87, 94, 111, 119 – d’Adonaï 92, 118 LXX 2, 3, 62, 95, 100, 158, 161, 264, 266 maison de David 27, 32, 94, 196 – de Saül 14, 27, 35, 196, 204, 209 Malki-Shua 30, 44, 65 mariage avec Mérav 86, 170 – avec Mikal 39, 86, 239 – de David 162 – de David et Mikal 213 – de Mérav 192 – de Mikal 156 – de Mikal avec David 172 – de raison 221 – de type matriarcal 213 masculinité 153 médiation. Voir de Jonathan – de Jonathan et de Mikal 23 Mephibosheth 35, 36, 229, 248 Mérav 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 11, 18, 25, 26, 28, 34, 36, 39, 44, 158, 159, 162, 164, 165, 168, 196, 200, 215 – et Mikal 4 mère de Sisera 204 Mésopotamie 198, 260 Mikal 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 11, 14, 16, 18, 19, 20, 21, 22, 25, 26, 27, 28, 34, 36, 39, 44, 72, 157, 165, 177, 179,
180, 181, 183, 188, 193, 200, 214, 215, 229, 236, 251, 257, 263 – aime David 20 – est stérile 211 – et la fille Jephté 21 – n’a pas d’enfant. Voir stérilité de Mikal –, fille de Saül 36, 159, 160, 161, 173, 177, 212 modèle. Voir lecteur modèle – actantiel 17 monarchie 29, 218 montée du fils de Jessé sur le trône d’Israël 258 mort de Jonathan 229 – de Saül 36, 40, 157 Nabal 251 narrateur 13, 21, 22, 23 – biblique 24 – omniscient 91 narrativisation d’un procès 252 narratologie biblique. Voir analyse narrative Natan 209 nature homoérotique 241 – homosexuelle de la relation 18 Nayoth 82, 107, 108, 188 – à Rama 103 – en Rama 62, 86, 106, 112, 113, 187, 192 Ner 44 nuit des noces 179 oindre David 30 oint d’Adonaï 256 omniscience 191, 205 onction 125, 177, 188, 256, 260 – à David 36 – de David 257 – du fils de Jessé 130 – reçue 243 – secrète 31 oracle de salut 123 pacte 93, 95, 105, 134, 136, 142, 230, 247, 253, 255, Voir alliance – d’Adonaï 112
300
Index des sujets
– d’amitié 110 – de vassalité 118 Palti 193, 195, 213, 216, 229 –, fils de Laïsh 39, 160, 194 Paltiel 194, 196, 197, 198, 199, 201, 202, 207, 210, 218, 219 –, fils de Laïsh 161 passage de la royauté de Saül à David. Voir transfert de la royauté de Saül à David – du pouvoir à David 157 permanence de David à la cour 37, 192, 225 personnage de David 114 – de Jonathan 25, 26, 38 – de Mikal 61, 158, 165, 217 – de Saül 14, Voir Saül – divin 254, 255, 256 personnages 4 – féminins 232 – principaux 9 – secondaires 5 – tragiques 234 personnes gay 153 Philistins 42, 43, 44, 45, 47, 48, 49, 51, 52, 58, 59, 60, 65, 72, 128, 132, 135, 159, 166, 173, 176, 177 pierre Ezel 64, 98 Pinhas 42 poursuite de David par Saül 37 premier roi d’Israël 6, 8, 12, 15, 24, 28, 29, 33, 36, 37, 45, 75, 257 première interaction de Jonathan et David 139 prépuces 173 – de Philistins 159, 161, 168, 175, 198 prêtres de Nob 127 princesse Mikal. Voir Mikal Proche-Orient ancien 148 prophète Élie 189 – Élisée 98 – Samuel 132, 155, 257 prophétie 11 providence 130, 260 Qéïla 127 Qish 44 Qumran 2
Rachel 176, 182, 185 Radak 150 radicalisation de la rivalité entre Saül et David 247 Rahab 179, 204 Rama 86 règne de David 156 – de Saül 4, 7, 9, 11, 14, 15, 24, 32, 45, 204 rejet de Saül 53 Rekab 35 relation d’alliance 219 – d’amitié 114 – David-Jonathan 134 – de David à Mikal 20 – de David avec Mikal 19 – de Jonathan avec David 67 – de Mikal à David 19 – de Ruth à sa belle-mère 143 – de Saül à David 141 – de Saül et David 135 – entre Jacob et son fils Benjamin 135 – entre Saül et David 26, 38 – homosexuelle entre Jonathan et David 142 – Jonathan-David 151 relations conflictuelles de Saül avec David. Voir conflit entre Saül et David – de Saül et David 16 – entre Saül et David 9, 67 repas de la nouvelle lune 101, 121 résumés théologiques 12 réticence textuelle 78 retour de David à la cour 81 – de Mikal 35 roi d’Israël. Voir Saül – de Moab 238, 256 – jaloux 171 – Joas 98 – rejeté 157 royauté 14, 17, 29, 54, 70, 128 – d’Israël 35 – de David 124, 238 – de Saül 53 – passe de la maison de Saül à David. Voir transfert de la royauté de Saül à David – sur Israël 44
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Sujets sacrifices de communion 161 Salomon et Hiram 149 Samson 15 Samuel 16, 29, 30, 45, 54, 86, 172, 187, 217, 244, 258 Saül 1, 6, 7, 8, 9, 11, 13, 15, 16, 17, 25, 27, 29, 31, 33, 44, 49, 50, 52, 53, 56, 57, 62, 66, 70, 72, 90, 97, 102, 117, 120, 130, 147, 160, 162, 164, 165, 167, 181, 182, 183, 189, 197, 208, 236, 244, 251, 255 –, héros tragique de la Bible 15 scientia sexualis 153 Sécu 187, 189 serviteurs de Saül 159 Sichem 140 solidarité familiale 150, 155, 250, 263 stérilité de la fille de Saül 20, Voir stérilité de Mikal – de Mikal 186, 212, 221 stratégie narrative 9, 155, 223 structuralisme. Voir analyse structurale succession familiale 155 Syrie 260 techniques narratives 19, 20 téraphim 160, 180, 181, 182, 183, 184, 185, 191 texte massorétique 23, Voir TM textus receptus 3 TM 38, 85, 89, 95, 100, 158, 264 Torah 36 tragédie 14, 15, 250 genre littéraire 24 – biblique 14 tragédies de la littérature 24
Tragedy and Biblical Narrative 14 – of fate 8 – of flaw 8 traités du Proche Orient ancien 138 – scellés entre royaumes suzerain et vassal 137 transe prophétique 177, 191 transférer Mikal à Paltiel 200 transfert. Voir Arche – de l’Arche 39 – de l’arche d’Adonaï 205 – de l’arche d’Adonaï à Jérusalem 202 – de la royauté de Saül à David 41 – de Mikal à Palti 195 – du pouvoir de la maison de Saül vers David 156 – du pouvoir de Saül à David 23 tribu de Benjamin 116, 234 tribus d’Israël 35 – et anciens d’Israël 220 Urie et Bath-Shéba 209 véritable ami 152 version grecque. Voir LXX victoire de David sur Goliath 31 – du fils de Jessé 33 wishful thinking 124 Yabesh-Galaad 54 Yishvi 30, 44 Zimri-Lim 175 Ziph 127